M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, cette proposition de loi est particulièrement intéressante, car elle répond à des problèmes de vie quotidienne que rencontrent nos concitoyens et nos collectivités locales.

Si nous n’arrivons pas au terme de la discussion ce soir – ce qui est quasiment certain –, il serait vraiment dommage que ce texte, qui est bien rédigé sur un certain nombre de points, même s’il n’est pas totalement exhaustif, ne soit pas de nouveau inscrit dans le cadre d’une niche parlementaire pour que nous puissions statuer définitivement, chacun prenant alors ses responsabilités.

Je profiterai de cette intervention pour évoquer trois points qui me tiennent à cœur.

Le premier concerne la loi sur l’eau. Un assouplissement de la législation est absolument indispensable, notamment pour faciliter le curage et l’entretien des fossés et des drainages existants. En effet, actuellement, les pouvoirs de la police de l’eau sont tout à fait exorbitants : elle peut tout bloquer, empêcher l’organisation de curages qui existent depuis des siècles et même poursuivre en correctionnelle les particuliers et les communes.

J’ai vu récemment dans mon département le cas d’une commune qui avait fait curer un fossé figurant au cadastre de 1811, donc un fossé existant depuis plus d’un siècle, et qui a été poursuivie en correctionnelle par la police de l’eau. C’est quelque chose de tout à fait invraisemblable, voire irresponsable, car, de surcroît, ce fossé était indispensable pour éviter qu’un certain nombre de maisons ne soient inondées lors des crues.

À un moment donné, il faut avoir un minimum de bon sens et quand, de mémoire d’homme, un drainage ou un fossé a toujours existé, je ne vois pas pourquoi un fonctionnaire, soutenu par des associations de pêcheurs qui sont, en général, plus intéressées par la perception des dommages et intérêts que par le fond du problème – ce qui les intéresse, c’est de participer à des procédures ou de les initier pour toucher de l’argent, il faut être clair et dire la vérité –, aurait le pouvoir de le remettre en cause. Il y a peut-être à ce niveau-là un élément de réflexion qui aurait mérité d’être mieux pris en compte dans le texte.

Le deuxième point concerne l’accessibilité pour les personnes handicapées. Nous sommes tous favorables à l’accessibilité pour les personnes handicapées, mais il faut, me semble-t-il, accorder des dérogations pour les équipements publics peu utilisés et dont l’aménagement serait trop coûteux.

Je prendrai là aussi un exemple dans mon département. La Moselle est un département concordataire, relevant du droit local d’Alsace-Moselle. Dans une commune de 80 habitants se trouve une chapelle à laquelle on accède par un escalier, car elle est située en haut d’une colline. Bien que cette chapelle ne soit utilisée que pour deux messes par an, c’est-à-dire le jour de la fête patronale et le jour de la fête du saint patron associé, il faudrait que la commune réalise une très longue rampe d’accès. Cela représenterait cinq années d’investissement municipal pour cette petite commune de 80 habitants. Quel est son choix ? Soit de ne rien faire, mais c’est impossible en raison de la loi, soit finalement de fermer la chapelle… La commune s’achemine vers la fermeture de la chapelle.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean Louis Masson. J’en termine avec le troisième et dernier point, sur lequel je voudrais insister.

Quand on parle de la technocratie et des lourdeurs administratives, il ne faut pas penser qu’aux collectivités territoriales, il faut aussi penser à nos concitoyens. C’est pourquoi j’avais déposé un amendement, qui a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution – mais je le redéposerai –, concernant les numéros de téléphone surtaxés. Il n’est en effet pas normal que nos concitoyens téléphonant à Pôle emploi ou à un service « social » – j’y insiste – soient obligés de subir un numéro surtaxé.

M. le président. Je vous prie de conclure, mon cher collègue !

M. Jean Louis Masson. Je termine, monsieur le président.

M. le président. Vous avez déjà largement dépassé votre temps de parole !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Soyez compréhensif : trois minutes, c’est court !

M. Jean Louis Masson. Le pire, c’est que, lorsqu’on téléphone à Pôle emploi, neuf fois sur dix l’interlocuteur n’est pas là et il faut rappeler de nouveau et repayer des surtaxes, ce qui est invraisemblable.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.

Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, « Le premier principe, c’est la confiance. En effet, au-delà des mots, des intentions, l’État et les collectivités locales ont besoin d’un cadre stable pour échanger, dialoguer et décider. […]

« La confiance, c’est aussi le droit à l’expérimentation. La République est une, mais elle n’est pas uniforme. Il existe déjà aujourd’hui un droit à l’expérimentation, mais, comme souvent, il a été enserré de tant de conditions, tant de verrous ont été posés, qu’il n’est pas véritablement utilisé. Il sera donc élargi et assoupli, afin que les collectivités locales puissent mettre en œuvre des politiques nouvelles et des pratiques différentes, voire même qu’elles adaptent, comme il leur paraîtra souhaitable, des dispositifs existants.

« La confiance, ce peut être […] d’envisager un pouvoir d’adaptation locale de la loi et des règlements, lorsque l’intérêt général le justifie, compte tenu des spécificités du territoire.

« Cette évolution n’est pas simple ; elle pourra même être jugée périlleuse. Il est légitime de l’encadrer, mais nous avons besoin aussi de tenir compte de la diversité de nos territoires. Je ne parle pas ici simplement de l’outre-mer, qui connaît déjà cette évolution. Je parle de nos régions, qui ont besoin, avec les collectivités qui y sont présentes, de pouvoir imaginer une meilleure adaptation de la loi.

« La confiance, c’est, enfin, l’allégement des normes […]. Ainsi, 400 000 normes seraient applicables, et l’on mesure, à évoquer ce chiffre, combien la décentralisation est finalement contournée, détournée, dès lors qu’il y a autant de contraintes qui pèsent sur les collectivités. […]

« […], lorsqu’ils redeviennent – c’est encore possible pour quelque temps ! – maire, président de conseil général ou président de conseil régional, les mêmes stigmatisent l’ensemble de ces obligations et dénoncent le législateur qui a pu en avoir l’idée. Contradiction française…

« Toutefois, nous ne pouvons plus accepter cette situation, en termes de coût pour les collectivités comme de délais de procédure. […]

« […] la question des normes, ce n’est pas seulement une relation entre l’État et les collectivités, c’est aussi une affaire de mobilisation de nos atouts. »

Tels sont les propos qu’a tenus, lors des états généraux de la démocratie territoriale, le Président de la République, M. François Hollande, que vous soutenez, mes chers collègues sur les travées de la gauche.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. On les avait reconnus !

Mme Catherine Troendle. Mon intervention sera relativement brève. Je suis d’ailleurs tentée de l’illustrer par les propos du président du Sénat : « Nous pourrons […] réfléchir à un pouvoir d’adaptation locale de la loi, pour prendre en compte, lorsque l’intérêt général le justifie, les particularités du territoire. […]

« Nous devons nous fier à l’intelligence des territoires pour apporter les réponses les plus justes et les plus adaptées à la diversité de notre pays. […]

« La liberté, c’est également […] mettre fin à l’asphyxie par les normes, qui ruine l’efficacité de l’action locale.

« En 2011, le coût pour les collectivités des décrets examinés par la commission consultative d’évaluation des normes, la CCEN, a atteint 700 millions d’euros. Cette situation est intenable. Les décrets inutiles ou obsolètes devront être abrogés. […]

« De même, pour desserrer le carcan réglementaire, nous devons agir sur le “flux” de normes. »

Le Président de la République, le président du Sénat, et je n’oserai dire le Premier ministre, souhaitent tous trois alléger le poids des normes, faire confiance à l’intelligence des territoires et donc adapter la réglementation aux contingences territoriales. Mais ces propos ne seraient-ils, en réalité, que des postures d’affichage médiatique ? À moins que ce ne soient de nouveaux « cafouillages » ?

Le groupe socialiste du Sénat a tout simplement conditionné son vote de la proposition de loi à la suppression de l’article 1er, article pourtant approuvé, dans son principe – je viens de le démontrer – par les plus hautes autorités politiques de notre pays ; article qui vise tout simplement à introduire dans notre droit positif le principe de proportionnalité des normes et celui de leur adaptation à la taille des collectivités.

Sur les travées de l’UMP, notre position est constante depuis maintenant plus de deux ans sur ce sujet. Éric Doligé nous a rappelé l’historique de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, et nous ne pouvons qu’être fiers à la fois d’avoir initié cette réforme, sous l’impulsion du Président Nicolas Sarkozy, et de vouloir la poursuivre sans a priori, tout en approfondissant le dialogue avec les élus de la nouvelle majorité.

Mes chers collègues, ne nous leurrons pas, nos concitoyens et plus particulièrement les collectivités territoriales que nous représentons n’attendent qu’une seule chose du législateur que nous sommes : lutter contre l’inflation normative et simplifier le droit. Il s’agit de deux enjeux d’autant plus d’actualité que les normes coûtent cher aux collectivités locales, qui doivent aujourd’hui faire face à un contexte financier de plus en plus tendu.

Alors oui, la question de l’adaptation des normes réglementaires d’application d’une loi en fonction de certaines circonstances locales se pose ! Il n’est pas question pour nous de méconnaître pour autant l’article 21 de la Constitution, celui-là même qui fonde l’articulation de ce pouvoir réglementaire avec le pouvoir réglementaire général confié au Premier ministre, ni même le principe d’égalité.

Mais soyons pragmatiques : depuis plus de cinq mois que vous êtes au Gouvernement, depuis plus de huit mois que cette proposition de loi survit en commission des lois, je ne peux croire un seul instant que le Gouvernement n’a pas eu la présence d’esprit de solliciter le Conseil d’État et que celui-ci mette tant de temps à rendre un avis clair sur le sujet qui nous intéresse !

En guise de conclusion, je forme le vœu que l’irresponsabilité de la nouvelle majorité sénatoriale (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) n’entrave pas l’intelligence de nos territoires et les initiatives des élus locaux. C’est pourquoi, avec les sénateurs de mon groupe, nous avons déposé un amendement visant à réécrire l’article 1er, afin que soit introduit, parmi les principes généraux de la décentralisation fixés par le code général des collectivités territoriales, un principe général d’adaptation, selon des critères objectifs, des prescriptions et procédures techniques législatives et réglementaires applicables aux collectivités territoriales.

Je serais donc profondément déçue que le seul sectarisme du groupe socialiste suffise à rejeter ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Un « sectaire » « irresponsable » va s’exprimer ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Michel. Les propos de Mme Troendle ont certainement dépassé sa pensée. N’en disons pas plus…

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi, qui a fait l’objet d’une motion tendant au renvoi à la commission en février dernier, a été de nouveau inscrite à l’ordre du jour par le groupe UMP. Notre rapporteur, Jacqueline Gourault, à laquelle je veux rendre un hommage particulier, a donc retravaillé ce texte et a pu procéder à des auditions que la procédure précédente ne lui avait pas permis de réaliser.

Puisqu’il faut peut-être faire quelques piqûres de rappel, souvenez-vous que cette proposition de loi a d’abord été déposée le 4 août 2011, jour anniversaire certainement… Ensuite, elle a été inscrite à l’ordre du jour par le groupe UMP à la rentrée de 2011, puis retirée, sans motif semble-t-il – après tout, un groupe a le droit de retirer sa proposition de loi –, et réinscrite dans les plus brefs délais dans une niche réservée au groupe UMP avant l’interruption des travaux due aux élections de 2012.

Au cours de cette séance, où une motion tendant au renvoi à la commission a été adoptée, avec l’accord de notre rapporteur, je me souviens – mais je ne voudrais pas avoir la cruauté de le rappeler puisqu’il est déjà passé aux oubliettes de l’histoire – que le ministre qui était au banc du gouvernement nous a dit que c’était un enterrement de première classe d’un texte d’une importance capitale… Fort heureusement, il a été battu aux élections dans la circonscription de l’étranger où il était allé se présenter.

Non, le renvoi à la commission n’était pas un enterrement de première classe puisque nous revoici pour discuter de ce texte !

M. Éric Doligé. C’est aujourd’hui l’enterrement !

M. Jean-Pierre Michel. Mes chers amis du groupe UMP, lorsque vous avez décidé, après la réforme de 2008, de modifier le règlement du Sénat, vous avez mal respecté les droits de l’opposition, car chacun voit bien que le délai de quatre heures ne permet absolument pas d’aller au bout de l’examen d’une proposition de loi qui aurait plus d’un article, et encore non polémique.

M. Éric Doligé. Vous l’avez fait pour le conseiller territorial !

M. Jean-Pierre Michel. Vous pouvez le constater : il sera impossible d’aller au bout de ce débat aujourd’hui, même si la discussion se déroule normalement et qu’une seule motion a été déposée, le groupe socialiste n’en ayant présenté aucune pour sa part.

Monsieur Maurey, c’est vrai que plusieurs rapporteurs sont intervenus sur ce texte, mais cela tient au fait que plusieurs commissions ont été saisies pour avis, dont celle à laquelle vous appartenez. Et vous avez, vous aussi, déposé des amendements !

Bref, tout cela démontre que le laps de temps de quatre heures est tout à fait insuffisant. Si l’on veut que les parlementaires puissent voir leur initiative aboutir, objectif tout à fait louable, il faut revoir le règlement du Sénat et prévoir une durée d’examen plus importante.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il faut une seconde niche !

M. Jean-Pierre Michel. Voyez ce qui se passe avec cette proposition de loi sur laquelle M. Doligé a beaucoup travaillé et qui compte de nombreux articles. Or certains d’entre eux posent problème et, comme il est normal, des amendements ont été déposés.

Tout cela prouve que notre règlement est imparfait – il ne l’est pas uniquement sur ce point ! –, et c’est d’ailleurs ce que je pense depuis qu’il a été adopté.

Cela étant, depuis la publication par notre collègue Belot, au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, d’un rapport d’information qui comportait un certain nombre de préconisations, depuis le dépôt de cette proposition de loi, s’est produit un événement majeur, ne vous en déplaise : la majorité a changé ! Un nouveau Président de la République est arrivé, et il a annoncé l’examen en janvier 2013 au Sénat, saisi en premier lieu, d’un projet de loi portant acte III de la décentralisation – mesdames les ministres, nous aurons donc l’occasion de vous retrouver prochainement ! (Sourires.) –, dont les grandes lignes s’appuieront sur les conclusions des états généraux de la démocratie territoriale, organisés sur l’initiative du président Jean-Pierre Bel.

Ces états généraux ont fait l’objet d’une large participation des élus au niveau local ; la participation était moindre au niveau national le vendredi… Mais il est vrai que l’une des principales préoccupations exprimées par les élus locaux, de droite comme de gauche, concerne l’excès des normes.

M. Roland Courteau. C’est exact !

M. Jean-Pierre Michel. Dans son discours, Jean-Pierre Bel a d’ailleurs souligné la nécessité de « mettre fin à l’asphyxie par les normes, qui ruine l’efficacité de l’action locale » et de « desserrer le carcan réglementaire » en agissant sur le « “flux” de normes ». Il ajoutait : « Il faudra que l’avis de la CCEN soit pris en compte par les prescripteurs de normes, lesquels, n’étant pas concernés par leurs effets, font souvent preuve d’une grande imagination… » Nous reviendrons sur ce point ultérieurement. Il poursuivait : « Et pourquoi ne pas instaurer un “plafond de coût” annuel, qui serait opposable aux normes nationales affectant les collectivités ? »

Le président du Sénat a également annoncé qu’il proposerait au bureau du Sénat, qui se réunirait spécialement à cette fin le mercredi 10 octobre, « un texte qui dégagera les idées-forces qui se sont exprimées. […] Ce document, accompagné de l’ensemble des rapports des états généraux, sera rapidement transmis au pouvoir exécutif. […] La rédaction des projets de lois dont le Sénat sera saisi en premier lieu s’appuiera donc sur la contribution des états généraux ; ».

Nous savons d’ores et déjà que le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, et la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Jacqueline Gourault, rapporteur sur le texte que nous sommes en train d’examiner, travaillent d’arrache-pied sur ce nouveau texte.

Au cours de ces états généraux, le Président de la République, qui nous a fait l’honneur de sa présence, nous a fait part de certaines préconisations, que je reprendrai dans ma conclusion.

Auparavant, permettez-moi d’aborder deux sujets qui me semblent importants.

Tout d’abord, je veux parler de l’article 1er de la proposition de loi initiale, même si celui-ci a été – fort heureusement ! – supprimé à une large majorité par la commission des lois, l’amendement, appelons-le modificatif, déposé par notre collègue Doligé ayant été rejeté, à l’instar de l’amendement de bon sens et de bonne camaraderie de notre collègue Jacqueline Gourault. C’en fut fini de l’article 1er, ce dont je me félicite !

En effet, il convient de le rappeler, le Conseil d’État, que vous aviez consulté, monsieur Doligé, avait émis, le 6 octobre 2011, un avis très réservé, dont vous avez d’ailleurs été le seul destinataire,…

M. Éric Doligé. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Pierre Michel. … mais que vous avez bien voulu communiquer à Mme la rapporteur de la commission des lois, et que je me permets de citer.

Le Conseil d’État rappelle les « exigences du principe d’égalité devant la loi », qui autorise toutefois que « des différences de situation puissent justifier de différences de traitement […] à la condition que les distinctions opérées reposent sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objet de la loi qui les établit. Il en irait difficilement ainsi si les critères des mesures d’adaptation que le représentant de l’État dans le département peut prescrire devaient dépendre de la situation des bénéficiaires (cas des collectivités territoriales qui supporteraient des coûts excessifs), et non des caractéristiques propres des départements ».

À l’évidence, l’article 1er souffrait – et souffrirait si, par malheur, vous le rétablissiez ! – de trois motifs d’inconstitutionnalité.

Premièrement, l’article 1er méconnaît l’article 21 de la Constitution, qui donne au Premier ministre et à lui seul – et non pas au préfet ! – le pouvoir d’appliquer les lois. Le Premier ministre lui-même ne peut déroger à la loi que dans les cas et selon les critères que celle-ci a prévus.

Le Conseil constitutionnel, dont on a beaucoup parlé au début de la séance dans cet hémicycle qui ressemblait malheureusement plus à un théâtre d’ombres qu’à une institution destinée à servir nos concitoyens, est tout particulièrement vigilant sur cette question. D’ailleurs, Mme la ministre et d’autres orateurs ont rappelé la décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 2011. Certes, on peut penser que celle-ci est extrêmement sévère, mais telle est sa décision.

Deuxièmement – le Conseil d’État l’a d’ailleurs rappelé, dans un avis balancé, comme à son habitude –, l’article 1er méconnaîtrait le principe d’égalité dès lors qu’il résulterait de son application que les usagers du service public seraient traités différemment à Aurillac, à Romorantin, dans le plus petit village de Bretagne chère à Mme Lebranchu ou à Pétaouchnok.

Non seulement les petites communes rurales prendraient des mesures dérogatoires par rapport aux normes d’ensemble, mais ces normes elles-mêmes pourraient varier d’une commune à l’autre, voire à l’intérieur d’une même commune, la fragmentation pouvant se poursuivre quasiment sans frein. Nos concitoyens, qui auraient du mal à s’y retrouver, se verraient privés d’un égal accès aux services publics.

Quelle vision désastreuse du service public et des besoins de l’usager ! Telle est la conception des libéraux, dont vous êtes, mon cher collègue, mais qui n’est pas la nôtre.

Il faut le rappeler fortement : le service public n’est pas une marchandise et, de fait, n’appartient pas au secteur marchand. On ne peut pas l’adapter aux contingences des uns et des autres. Les élus locaux sont là pour appliquer la loi, même si c’est difficile. Peut-être existe-t-il des problèmes de financement ? C’est vrai ! Mais ce n’est pas la norme qui est en cause. Ce qui pose problème, ce sont les moyens financiers dont disposent les collectivités locales pour l’appliquer.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Absolument !

M. Jean-Pierre Michel. Certes, il s’agit d’une question importante, mais celle-ci n’entre pas dans le champ de nos compétences.

Troisièmement, enfin, ce texte souffre d’un défaut de clarté et d’intelligibilité. Or ces principes ont valeur constitutionnelle.

D’une part, les catégories de communes en cause ne sont pas définies. Dès lors, qui les définira ? D’autre part, les cas dans lesquels il serait possible de déroger à la loi ne sont pas non plus encadrés avec suffisamment de précision, les obstacles techniques et l’impossibilité financière étant laissés à l’appréciation de chaque préfet, et nous en revenons là au deuxième motif d’inconstitutionnalité.

À cet égard, les préfets que j’ai interrogés, notamment ceux qui se sont succédé dans mon département depuis le dépôt de cette proposition de loi, étaient tous totalement hostiles au fait d’avoir un tel pouvoir entre leurs mains. D’ailleurs, cela aurait donné lieu à des contentieux en cascade.

Mme Nathalie Goulet. Il y en a déjà !

M. Jean-Pierre Michel. L’article 1er étant écarté, nous avons pu discuter sereinement de la proposition de loi et adopter en commission tous les articles proposés par Mme la rapporteur. Ce matin, nous avons même adopté un certain nombre d’amendements déposés par notre groupe ou par des groupes de l’opposition, notamment par le groupe de l’UDI-UC et, me semble-t-il, un ou deux amendements du groupe UMP.

M. René Garrec. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Michel. Si nous sommes contre une déréglementation sauvage de notre arsenal juridique – les normes sont en effet des facteurs de croissance –, nous ne sommes pas sourds aux inquiétudes et aux demandes des élus locaux. Mes chers collègues, il n’est pas indispensable d’être soi-même élu local ou de l’avoir été pour être à leur écoute. Les sénateurs qui détiennent un mandat unique entendent très bien ce qui se passe dans leur département. Vous le savez, je milite pour le non-cumul des mandats.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Jean-Pierre Michel. Les élus territoriaux sont très attachés à leur mission, qu’ils vivent souvent comme un engagement civique. Bien sûr, il y a une certaine schizophrénie, car ils sont pris entre leur engagement volontaire, le désir de rendre service à leurs concitoyens, le temps qu’ils donnent, l’argent aussi, et, souvent, la difficulté financière qu’ils rencontrent pour appliquer les règles qui s’imposent à eux concernant la sécurité, notamment sanitaire. Il y a là, c’est vrai, une difficulté.

À cet égard, il convient de rendre hommage à tous les élus locaux, qui souhaitent non pas moins de contraintes, mais les moyens financiers de pouvoir les satisfaire, et ce dans l’intérêt général. Ils souhaitent certainement plus de conseils techniques, plus d’expertises, une formation et des services publics, notamment les élus ruraux. Mes chers collègues de l’opposition, vous savez à quel point la casse des services publics que vous avez organisée pendant quinze ans en milieu rural vous a valu un changement de majorité au sein même de la Haute Assemblée !

M. Jean-Pierre Michel. Pour desserrer le carcan réglementaire, nous devons agir sur le flux des normes, ainsi que sur les stocks. C’est dire l’importance de la CCEN. Or les compétences de cette commission ont été élargies – c’est une très bonne chose ! – grâce à l’adoption, ce matin, d’amendements déposés par Mme la rapporteur et par mon groupe.

Bien sûr, se pose la question des moyens dont elle va disposer. À cet égard, il faut bien entendu interroger et solliciter le Gouvernement, qui devra résoudre ce point. Il faudra notamment permettre aux rapporteurs de la CCEN et aux contre-rapporteurs, lorsqu’il y en aura, de solliciter l’avis d’experts issus de l’encadrement des collectivités territoriales ou d’associations représentatives des collectivités. C’est le rôle du Gouvernement de répondre à ces besoins.

Ma conclusion sera celle du Président de la République lors des états généraux de la démocratie territoriale. Il est en effet indispensable de rétablir des relations de confiance – un mot prononcé par Mme Troendle – entre l’État et les collectivités territoriales.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il ne suffit pas de le dire, il faut le faire !

M. Jean-Pierre Michel. Or, madame Des Esgaulx, je m’adresse à vous parce que vous m’interpellez, on le sait, ces relations ont été malheureusement malmenées par le dernier gouvernement.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il faut le faire maintenant !

M. Jean-Pierre Michel. Tous les élus des collectivités territoriales sont de cet avis. Cela ne vous fait pas plaisir, mais c’est la réalité !

Je cite donc le Président de la République : « La confiance, ce peut être dans des limites qui devront être bien précises, » – afin de ne pas tomber sous le coup de l’inconstitutionnalité, comme je l’ai dit tout à l’heure – « d’envisager un pouvoir d’adaptation locale de la loi et des règlements, lorsque l’intérêt général le justifie, compte tenu des spécificités du territoire.

« Cette évolution n’est pas simple ; elle pourra même être jugée périlleuse. Il est légitime de l’encadrer, mais nous avons besoin aussi de tenir compte de la diversité de nos territoires. […]

« La confiance, c’est, enfin, l’allégement des normes – j’ai compris que c’était l’une des préoccupations qui ressortaient de vos états généraux. »

Le Gouvernement et le Parlement devront donc en discuter rapidement, et c’est ce que nous ferons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)