Sommaire

Présidence de M. Didier Guillaume

Secrétaires :

MM. Alain Dufaut, Hubert Falco.

1. Procès-verbal

2. Questions orales

obligations liées à la prestation de service unique

Question de M. Michel Teston. – Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille ; M. Michel Teston.

déviation de saint-denis-sur-sarthon sur la RN 12

Question de M. Jean-Claude Lenoir. – MM. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Jean-Claude Lenoir.

lgv sud europe atlantique et mesures compensatoires pour les communes

Question de M. Michel Doublet. – MM. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Michel Doublet.

schéma national des infrastructures de transport (snit)

Question de M. Philippe Paul. – MM. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Philippe Paul.

situation en géorgie

Question de M. Philippe Paul. – MM. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Philippe Paul.

maîtrise des armements: quelle relance française ?

Question de Mme Leila Aïchi. – Mmes Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l'étranger ; Leila Aïchi.

déplafonnement des postes de personnels titulaires de l’éducation nationale affectés dans l’enseignement français à l’étranger

Question de M. André Ferrand. – Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l'étranger ; M. André Ferrand.

Suspension et reprise de la séance

devenir du projet d'investissement porté par le centre hospitalier nord deux-sèvres

Question de M. Michel Bécot. – Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé ; M. Michel Bécot.

effets pervers du développement des pratiques d'emplois médicaux temporaires

Question de M. Jean-Pierre Chauveau. – Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé ; M. Jean-Pierre Chauveau.

situation pénitentiaire du département de la vendée

Question de M. Bruno Retailleau. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Bruno Retailleau.

déploiement de la flotte en antilles-guyane

Question de M. Jean-Étienne Antoinette. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Jean-Étienne Antoinette.

situation de l’enseignement en nouvelle-calédonie

Question de M. Hilarion Vendegou. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Hilarion Vendegou.

attribution des subventions du fisac

Question de M. Jacques Mézard. – Mme Sylvia Pinel, ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme ; M. Jacques Mézard.

application des normes par les collectivités territoriales et fonctionnement des commissions de contrôle et de sécurité

Question de M. Alain Néri. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Alain Néri.

financement des investissements publics locaux et incidences de l'excès normatif sur les collectivités territoriales

Question de M. Daniel Laurent. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Daniel Laurent.

accessibilité à la ressource bancaire pour les collectivités territoriales

Question de M. Alain Fouché. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Alain Fouché.

problèmes posés par l’organisation des transports scolaires suite aux dérogations accordées pour les inscriptions dans les collèges

Question de M. Georges Labazée. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Georges Labazée.

ÉVOLUTION DE LA TAXE INTÉRIEURE DE CONSOMMATION SUR LES PRODUITS ÉNERGÉTIQUES

Question de M. Jean Boyer. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Jean Boyer.

emploi dans le morbihan

Question de M. Michel Le Scouarnec. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Michel Le Scouarnec.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin

3. Avenant à une convention fiscale avec les Philippines. – Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale : Mmes Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l'étranger ; Michèle André, rapporteur de la commission des finances.

M. Jean-Claude Requier, Mme Kalliopi Ango Ela, M. Éric Bocquet.

Clôture de la discussion générale.

Adoption de l'article unique du projet de loi.

Suspension et reprise de la séance

4. Lutte contre le terrorisme. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale : MM. Manuel Valls, ministre de l'intérieur ; Jacques Mézard, rapporteur de la commission des lois ; David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Mme Esther Benbassa, MM. Jean-Jacques Hyest, Alain Anziani, Mme Éliane Assassi, MM. Michel Mercier, Stéphane Mazars, Jean-Patrick Courtois, Mme Virginie Klès, M. Michel Delebarre.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.

M. Manuel Valls, ministre.

Clôture de la discussion générale.

M. le président.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

5. Décès d'un ancien sénateur

6. Lutte contre le terrorisme. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Article 1er

Mme Cécile Cukierman, M. Nicolas Alfonsi.

Amendement n° 17 de Mme Éliane Assassi. – Mme Cécile Cukierman, MM. Jacques Mézard, rapporteur de la commission des lois ; Manuel Valls, ministre de l'intérieur, Jean-Jacques Mirassou. – Rejet.

Amendements identiques nos 16 de M. Jean-Jacques Hyest et 19 de Mme Esther Benbassa. – M. Jean-Jacques Hyest, Mme Esther Benbassa, MM. le rapporteur, Manuel Valls, ministre. – Retrait de l’amendement n° 16 ; rejet de l’amendement n° 19.

Adoption de l’article.

Articles additionnels après l’article 1er

Amendement n° 18 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Mme Cécile Cukierman, MM. le rapporteur, Manuel Valls, ministre. – Rejet.

Amendement n° 20 rectifié de Mme Esther Benbassa. – Mme Esther Benbassa, MM. le rapporteur, Manuel Valls, ministre. – Rejet.

Article 2

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.

Amendement n° 10 rectifié bis de M. Michel Mercier. – MM. Michel Mercier, le rapporteur, Manuel Valls, ministre ; Marc Laménie. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Articles additionnels après l'article 2

Amendements identiques nos 2 rectifié bis de M. Jean-Jacques Hyest et 11 rectifié de M. Michel Mercier. – MM. Jean-Jacques Hyest, Michel Mercier, le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux ; M. Alain Richard. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 7 rectifié bis de M. Jean-Jacques Hyest. – MM. Jean-Jacques Hyest, le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. – Rejet.

Amendements identiques nos 1 rectifié bis de M. Jean-Jacques Hyest et 12 rectifié de M. Michel Mercier. – MM. Jean-Jacques Hyest, Michel Mercier, le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. – Adoption des deux amendements insérant un article additionnel.

Amendement n° 3 rectifié bis de M. Jean-Jacques Hyest. – M. Jean-Jacques Hyest.

Amendement n° 13 rectifié de M. Michel Mercier. – M. Michel Mercier.

M. le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux ; MM. Michel Mercier, Alain Anziani, Alain Bertrand, Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. – Rejet des amendements nos 3 rectifié bis et 13 rectifié.

Amendement n° 6 rectifié de M. Jean-Jacques Hyest. – MM. Jean-Jacques Hyest, le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux ; M. Christophe Béchu, Mme Virginie Klès, MM. Alain Richard, Manuel Valls, ministre. – Rejet.

Amendement n° 14 rectifié de M. Michel Mercier. – MM. Michel Mercier, le rapporteur, M. Manuel Valls, ministre. – Rejet.

Amendement n° 8 rectifié bis de M. Jean-Jacques Hyest. – MM. Jean-Jacques Hyest, le rapporteur, Manuel Valls, ministre. – Rejet.

Amendement n° 15 rectifié de M. Michel Mercier. – Devenu sans objet.

Amendement n° 4 rectifié bis de M. Jean-Jacques Hyest et sous-amendement no 26 de la commission. – MM. Jean-Jacques Hyest, le rapporteur, Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. – Adoption du sous-amendement n° 26 et de l’amendement n° 4 rectifié bis modifié insérant un article additionnel.

Article 3

Amendement n° 23 rectifié de M. Alain Anziani. – M. Alain Anziani.

Amendement n° 21 rectifié de Mme Esther Benbassa. – Mme Esther Benbassa.

MM. le rapporteur, Manuel Valls, ministre. – Adoption de l’amendement n° 23 rectifié, l’amendement n° 21 rectifié devenant sans objet.

Adoption de l’article modifié.

Article 4. – Adoption

Article 5 (supprimé)

Article 6. – Adoption

Article 7

Amendement n° 24 du Gouvernement. – M. Manuel Valls, ministre.

Amendement n° 25 de la commission. – M. le rapporteur. – Retrait.

Adoption de l’amendement n° 24.

Adoption de l’article modifié.

Adoption du projet de loi dans le texte de la commission modifié.

M. le ministre.

7. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Didier Guillaume

vice-président

Secrétaires :

M. Alain Dufaut,

M. Hubert Falco.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions orales

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

obligations liées à la prestation de service unique

M. le président. La parole est à M. Michel Teston, auteur de la question n° 99, adressée à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille.

M. Michel Teston. Madame la ministre, j’appelle votre attention sur les inquiétudes exprimées par les collectivités territoriales disposant de structures d’accueil « petite enfance ».

Jusqu’à présent, les caisses d’allocations familiales faisaient preuve d’une certaine tolérance à l’égard de l’obligation de fourniture, par les établissements et structures d’accueil de jeunes enfants, des soins d’hygiène – couches, produits de toilette, etc. – et des repas, lesquels étaient en conséquence souvent pris en charge par les familles.

Or, par la lettre-circulaire LC 2011-105 du 29 juin 2011 relative à la prestation de service unique, la Caisse nationale des allocations familiales a rappelé cette obligation, précisant que les établissements et structures d’accueil de jeunes enfants devraient impérativement s’y conformer à partir du 1er janvier 2013.

En dépit de la participation financière des caisses d’allocations familiales, les collectivités territoriales redoutent que les structures d’accueil « petite enfance » ne rencontrent en 2013 d’importantes difficultés budgétaires pouvant avoir des conséquences sur les tarifs demandés aux familles ou sur les budgets généraux des collectivités.

Aussi, madame la ministre, je souhaiterais connaître la position du Gouvernement sur ce dossier.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Monsieur le sénateur, vous attirez mon attention sur la lettre-circulaire du 29 juin 2011 relative à la prestation de service unique qui prévoit que les établissements d’accueil du jeune enfant, pour bénéficier de la prestation de service unique, doivent appliquer le barème des participations fixé par la Caisse nationale des allocations familiales et couvrir la prise en charge de l’enfant pendant son temps de présence dans la structure, y compris les repas principaux et les soins d’hygiène.

La prestation de service unique correspond à une prise en charge par la branche famille de 66 % du prix de revient horaire d’un établissement d’accueil du jeune enfant. Cette lettre-circulaire ne modifie pas les règles d’attribution de la prestation de service unique mais se borne à rappeler les conditions qu’une crèche doit réunir pour qu’elle lui soit attribuée.

Ces conditions répondent à quatre exigences : une exigence de sécurité et de qualité pour les enfants ; une exigence de mixité sociale ; une exigence de bonne gestion de l’argent public ; enfin, une exigence d’équité.

La lettre circulaire ne fait donc que rappeler que la participation demandée à la famille doit couvrir la prise en charge intégrale de l’enfant pendant son temps de présence dans la crèche, laquelle doit fournir les repas et les couches. C’est une mesure d’équité, de mixité sociale et de bonne gestion, gage du respect du principe d’égalité territoriale et sociale.

En effet, le barème étant le même partout, il ne peut y avoir de lieu où les prestations seraient à géométrie variable. On sait que c’est en direction des publics modestes que ce serait le plus dommageable.

Je comprends bien, dans le même temps, votre souci de ne pas mettre en difficulté certaines structures d’accueil de jeunes enfants, et je partage cette préoccupation. Le Gouvernement, qui fait de l’accueil des jeunes enfants une priorité de la politique familiale, lance, à l’échelon des régions, une concertation pour une meilleure adéquation entre l’offre et la demande.

Je tiens à le répéter, lorsque les établissements d’accueil du jeune enfant sont financés à 66 % par la branche famille, ils doivent se conformer aux exigences qui leur sont posées.

Certaines structures ne sont pas parvenues à s’adapter aux règles qui ont été rappelées en juin 2011. J’ai demandé à la Caisse nationale des allocations familiales de réaliser une enquête afin de connaître le nombre de ces structures, de comprendre leurs difficultés et de cerner les territoires les plus touchés.

Je crois par ailleurs savoir que l’Association des maires de France mène également une enquête de son côté. C’est de cette façon, en concertation avec la Caisse nationale des allocations familiales, que nous pourrons être garants de l’égalité territoriale et sociale et nous assurer que la diversité ne devienne pas disparité.

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Madame la ministre, votre manière d’aborder la question des obligations liées à la prestation de service unique me paraît tout à fait logique. Je partage votre attachement aux principes de mixité et d’égalité, qui doivent à mon sens se traduire par un tarif identique acquitté par toutes les familles pour l’accueil de leur enfant.

J’ai bien noté aussi votre souci de ne pas créer de difficultés aux collectivités territoriales.

Je me félicite de l’idée que vous avez mise en avant d’une enquête menée auprès des communes concernées afin de connaître exactement la réalité des difficultés éventuellement rencontrées.

Enfin, j’adhère tout à fait à votre idée d’une consultation visant à mieux cerner l’ensemble des besoins en matière d’accueil de la petite enfance.

En conséquence, je suis satisfait de votre réponse.

déviation de saint-denis-sur-sarthon sur la rn 12

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, auteur de la question n° 18, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le ministre, nous sommes tous attachés à ce que la circulation des personnes et des biens se fasse dans les meilleures conditions, mais certains axes routiers nous concernent plus particulièrement. En l’occurrence, je veux évoquer un axe aussi connu au Sénat qu’à l'Assemblée nationale : la route nationale 12.

Je me suis occupé d’un certain nombre de tronçons routiers lorsque j’exerçais les fonctions de député. Représentant au Sénat depuis un an le département de l’Orne, je suis aujourd'hui particulièrement attaché à la résolution d’un dossier dont on parle depuis des dizaines d’années.

Mme Nathalie Goulet. Depuis 1960 !

M. Jean-Claude Lenoir. En clair, l’axe entre Alençon et la Bretagne comporte un vrai point noir : la traversée de Saint-Denis-sur-Sarthon. J’avais d'ailleurs interrogé votre prédécesseur à cet égard à l’occasion de l’une de mes premières interventions au Sénat, soulignant alors que je mènerais ce combat avec l’ensemble des élus concernés. Au moins pouvons-nous être tous unis sur ce sujet pour défendre l’intérêt de notre département.

La traversée de la localité de Saint-Denis-sur-Sarthon, dont le nom commence maintenant à être connu ici, est particulièrement difficile et dangereuse. Il suffit de se rendre sur place – monsieur le ministre, je sais que vous êtes attaché au contact avec le terrain, et nous vous attendons donc avec impatience – pour observer concrètement la façon dont les choses peuvent se passer. En fait, elles se passent mal : la circulation des poids lourds est particulièrement importante, car Saint-Denis-sur-Sarthon est sur l’un des axes menant de Paris à la région Bretagne-Nord, et tant les automobilistes empruntant cette voie que les personnes habitant cette localité ne sont pas en sécurité. Nous avons d’ailleurs eu à déplorer des accidents graves, dont plusieurs mortels, comme ce fut encore récemment le cas.

Il faut être pragmatique, réaliste et s’attacher à la concrétisation des annonces faites par votre prédécesseur. Ce dernier avait confirmé que la route nationale 12 était l’une des priorités nationales inscrites au schéma national d’infrastructures de transport, le SNIT.

Mme Nathalie Goulet. Les précédents aussi !

M. Jean-Claude Lenoir. C’était un premier point important. Monsieur le ministre, les élus, qu’ils soient de droite ou de gauche,…

Mme Nathalie Goulet. Ou du centre !

M. Jean-Claude Lenoir. … se sont tous battus pour l’inscription de certains axes à ce schéma national.

Ensuite – et l’approche de votre prédécesseur était à cet égard tout à fait pragmatique –, il faut, à l’intérieur d’un schéma, déterminer ce qui est prioritaire au titre de la sécurité et de l’enclavement. Nous savons bien que, compte tenu des moyens dont nous disposons, tout ne peut être fait. Mais, comme votre prédécesseur l’avait précisément souligné, il faut déterminer ce qui doit être réalisé en priorité.

Un certain nombre de perspectives sont envisagées à la suite des études qui ont été menées. Mais, des études, nous en avons eu pendant des années ! Il faut maintenant s’engager sur une réalisation, monsieur le ministre. Un grand nombre d’élus et d’habitants de ce secteur du département de l’Orne attendent donc avec beaucoup d’intérêt les réponses que vous allez m’apporter.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur Lenoir, vous m’interrogez sur les perspectives d’aménagement de la route nationale 12 qui relie Paris à Brest par le sud de la Normandie. Vous évoquez plus particulièrement l’avancée des études visant à définir une stratégie d’aménagement sur la section Alençon-Fougères, en rappelant, à juste titre d’ailleurs, les enjeux en termes de sécurité que représente le projet de déviation de Saint-Denis-sur-Sarthon.

Comme vous l’avez indiqué, les mobilisations sont nombreuses sur le territoire. Vous-même et votre collègue Mme Goulet, que je salue et qui m’a également interpellé, ainsi que M. Pueyo, maire d’Alençon et député de l’Orne, n’avez pas manqué de souligner combien cet enjeu était majeur pour le territoire.

M. Jean-Claude Lenoir. Nous sommes tous d’accord !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Aussi faites-vous aujourd’hui référence à des engagements qui ont été pris, en citant le SNIT. Je ne sais pas si c’est un gage d’efficacité tel que vous l’attendez. Ce que je peux vous dire, c’est que le parti retenu pour l’aménagement de la route nationale 12, sur la totalité de son tracé, est à terme celui d’une route à deux fois deux voies.

Néanmoins, le contexte budgétaire contraint, comme vous l’avez souligné, conduit à privilégier le traitement des zones de congestion, particulièrement celles qui posent un problème de sécurité.

La section située à l’ouest d’Alençon, entre Alençon et Fougères, a fait l’objet de diagnostics en 2010 et en 2011 afin que soient définies des priorités sur les travaux à réaliser, sous réserve d’une inscription au programme de modernisation des itinéraires routiers, le PDMI. Je vérifierai que cette section figure dans le SNIT – ce schéma prévoit quand même l’inscription de 245 milliards d’euros –, que les modalités de financement, le programme, l’échéancier, les conditions, ainsi que le parti retenu sont précisés.

Une commission chargée de trier et de hiérarchiser les projets du SNIT va être installée dans les tout prochains jours. Je vous invite à la saisir, pour donner un écho à vos préoccupations relatives à cet enjeu. Pour autant, je ne suis pas persuadé que ce soit dans le cadre du SNIT que l'on puisse faire avancer les choses. En effet, aujourd'hui, vous l’avez souligné, il s’agit d’une démarche de concertation avec les collectivités territoriales.

L'État est tout à fait conscient de la nécessité de réaliser la déviation de Saint-Denis-sur-Sarthon. Mais le projet, qui a été déclaré d'utilité publique, soulève d'énormes problèmes en termes d’environnement et de préservation de la biodiversité, notamment parce qu’est prévue la traversée de zones humides remarquables.

Par ailleurs, se pose la question du coût extrêmement élevé du projet. Même s’il ne saurait être question de regarder les questions de sécurité au travers du prisme budgétaire, il n'en demeure pas moins que cet élément peut perturber la réalisation du projet.

Il est important que de nouvelles variantes, plus réalistes, permettent de réduire les questions de nuisance et d’insécurité.

Vous m'invitez à venir sur place, mais permettez-moi de vous dire que, pour des raisons privées, je passe fréquemment sur cette route ! Je connais donc particulièrement bien la difficulté, qui n'est pas récente, de la zone de Saint-Denis-sur-Sarthon, près de Lalacelle, d’autant que la situation est compliquée par la circulation de très nombreux poids-lourds et l’existence d’un relais poids-lourds bien connu.

Au final, les questions de sécurité que vous avez évoquées s’inscrivent dans un contexte très contraint. Nous aurons toutefois à cœur de chercher, avec l'ensemble des acteurs locaux, des solutions efficaces.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Je suis heureux de constater que vous connaissez bien le lieu : vous en parlez donc en connaissance de cause !

Je me permettrai d'insister sur un point. Pour avoir connu la mise à deux fois deux voies d'autres tronçons de cette route nationale, je sais que des études préalables doivent être réalisées. Or des études, comme vous le souligniez dans votre propos, nous n’en manquons pas !

À la suite des décisions prises l'année dernière, nous avons reçu au printemps 2012 un épais document détaillant les opérations susceptibles d'être menées sur la route nationale 12. Mais un problème vient du fait que l'étude, réalisée par les services de l'État dans la région Pays-de-Loire, s'arrêtait aux portes du département de l'Orne : toute la zone à l'est de Pré-en-Pail, notamment vers Saint-Denis-sur-Sarthon et Alençon, était grisée, ce qui laissait penser que l'étude n'y avait pas été menée.

J’ai donc saisi le préfet de région au printemps dernier pour lui signaler le problème. Il a effectivement constaté que l'étude sur la partie de l'Orne n'avait pas été commandée. Or, tant qu'il n'y a pas d'étude, on ne peut pas envisager l'inscription de ce programme.

À la suite de mon intervention, le préfet de région a alerté le ministère des transports. J'ai eu l'immense satisfaction d'apprendre que, le 11 septembre dernier, une commande avait été passée par le ministère pour réaliser cette étude, qui n’avait pour l’instant été menée que sur la partie bretonne de la route nationale 12.

Nous attendons maintenant que le travail soit fait. On peut s'intéresser à Saint-Denis-sur-Sarthon et à la route nationale 12, mais encore faut-il vérifier que nous disposons bien de l'ensemble du plan. Sinon, lorsqu’il s’agira de trouver des financements, on aura beau jeu de nous répondre qu’aucune d'étude n’a été réalisée.

Certes, l'enquête publique a bien été menée, et elle a même été prolongée, mais aujourd'hui il faut tout recommencer puisque les délais ont été dépassés. C’est donc bien un nouveau projet qui, d'un point de vue technique, environnemental, administratif et financier, doit pouvoir recueillir l'approbation de l'ensemble des parties prenantes.

Monsieur le ministre, je me mettrai en rapport avec vous très prochainement au sujet du calendrier de cette opération.

lgv sud europe atlantique et mesures compensatoires pour les communes

M. le président. La parole est à M. Michel Doublet, auteur de la question n° 110, transmise à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

M. Michel Doublet. Monsieur le ministre, mes collègues Claude Belot, Daniel Laurent et moi-même souhaitons relayer auprès de vous les observations de la coordination des élus des communes de Charente-Maritime concernées par le projet de la LGV Sud Europe Atlantique et le souhait émis d’une réouverture des discussions et des négociations sur ce dossier, ainsi que sur le projet de LGV Bretagne-Pays de la Loire.

Le collectif d’élus LGV 17 regroupe cinq communes de mon département. Depuis l’annonce du projet, les maires œuvrent avec leurs collègues des autres départements pour obtenir des mesures compensatoires. Nous avons toujours été à leurs côtés pour porter leurs préoccupations auprès des pouvoirs publics et des ministres de tutelle.

En effet, si une nouvelle ligne ferroviaire à grande vitesse représente une opportunité pour certaines parties des territoires concernés, il n’en demeure pas moins que les communes que j’ai évoquées, qui sont souvent rurales, subiront de nombreuses nuisances. Il est donc tout à fait légitime qu’elles puissent bénéficier d’une redevance communale annuelle et pérenne.

Si les élus ont salué les avancées quant au fonds de solidarité territoriale mises en œuvre par le précédent gouvernement – et je tiens à souligner l’action de Dominique Bussereau à cet égard –, des sujets importants n’ont pu cependant être résolus. Disant cela, je pense notamment aux points suivants : l’attribution aux communes traversées d’une redevance annuelle pérenne, à l’instar de ce qui est en vigueur pour les lignes à haute tension, les autoroutes et les éoliennes ; la fiscalité appliquée au concessionnaire ferroviaire et aux recettes induites pour les communes ; la prise en charge par les concessionnaires et par RFF, au-delà de la concession de la totalité des charges liées à l’entretien des ouvrages d’art et des voiries d’accès supportant les voiries communales, hors bande de roulement ; l’indemnité libératrice de 8 % du montant des travaux lors de la remise des nouvelles voies à la collectivité ; enfin, le strict respect par le concessionnaire des normes européennes en matière de traitement des nuisances sonores de la LGV Sud Europe Atlantique.

Je souhaite compléter mon propos en abordant la problématique de la domanialité et de l’entretien des ponts-routes passant au dessus des voies ferrées.

En effet, les communes doivent faire face à l’obligation d’entretenir ces ponts-routes, dont la domanialité leur a été transférée par la loi n° 97-135 portant création de l’établissement public « Réseau ferré de France ». Plusieurs collectivités ont saisi les tribunaux administratifs pour contester cette domanialité, mais toutes ont été déboutées à ce jour.

Les ponts-routes sont des ouvrages constitutifs de voies publiques dont ils relient les parties séparées de façon à assurer la continuité du passage. La collectivité propriétaire de l’ouvrage d’art est la même que celle de l’infrastructure qu’il supporte. Les communes rurales se retrouvent ainsi responsables de la sécurité et de l’entretien des ouvrages d’art sans disposer des moyens financiers pour assurer cette obligation.

Il conviendrait de trouver une solution pour régler cette question et pour répartir plus équitablement les charges financières qu’implique l’entretien des ouvrages d’art rétablissant les voies de communication coupées par des infrastructures de transport.

En conséquence, monsieur le ministre, il me serait très agréable que vous nous fassiez part des réponses pouvant être apportées aux élus sur chacun des points évoqués.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, vous attirez mon attention sur l’impact des infrastructures de transport sur les communes traversées et sur la nécessité d’accroître les mesures compensatoires.

J’entends vos préoccupations et celle des cinq communes de la Charente-Maritime regroupées dans le collectif d’élus LGV 17.

Cependant, je dois rappeler que les projets de ligne à grande vitesse constituent, particulièrement par les temps qui courent, des opportunités pour les collectivités territoriales traversées, même si elles sont éloignées des agglomérations dans lesquelles sont implantées les gares bénéficiant directement des lignes nouvelles. En effet, la réalisation de ces projets s’accompagnera d’une augmentation des recettes fiscales par l’intermédiaire des taxes locales. Elle permet également de créer des emplois par dizaines de milliers, grâce aux chantiers qui occupent pendant plusieurs années les entreprises situées sur ces territoires. Les projets, que ce soit la LGV Sud Europe Atlantique ou la LGV Bretagne-Pays de la Loire, loin d’être abandonnés, sont toujours soutenus, permettant ainsi de créer des emplois et d’être un facteur de croissance pour les territoires concernés.

À ce jour, le dispositif d’une redevance communale annuelle pérenne n'a pas été prévu, notamment parce qu’il constituerait une forme d’impôt supplémentaire et qu’il serait contraire à notre volonté de développement du transport ferroviaire.

En effet, on peut considérer que cette redevance constituerait une forme d'impôt supplémentaire puisque toute charge supplémentaire qui viendrait alourdir le financement d'infrastructures amènerait nécessairement l’opérateur à se tourner d’abord vers l'État, puis vers les collectivités, quand ces dernières ont consenti à cofinancer ces grands chantiers. Ce serait directement répercuté sur la demande de concours publics, et donc sur leur montant.

Pour la réalisation des lignes LGV, il existe un fonds de solidarité territoriale qui permet d'ores et déjà de répondre à un certain nombre de préoccupations des communes traversées. Ce fonds spécifique apporte une compensation en fonction du coût prévisionnel de chaque projet. Ont ainsi été prévues une enveloppe de l'ordre de 30 millions d'euros pour la LGV Tours-Bordeaux et une de 14 millions d'euros pour la LGV Bretagne-Pays de la Loire. Ce fonds, qui permet de financer l'insertion environnementale des territoires traversés, est effectif depuis maintenant plusieurs mois pour ces deux LGV.

Par ailleurs, vous faites état d'un certain nombre d'interrogations relatives au financement des ouvrages. Vous l'avez vous-même indiqué, il y a autorité de la chose jugée puisque la jurisprudence s’est prononcée. Le propriétaire de la voie supportée par un ouvrage – et il s’agit bien d’une règle de droit générale, et non d’un cas d’espèce – est chargé de l'entretenir, sauf convention contraire.

Pour autant, Réseau ferré de France a souhaité proposer systématiquement aux collectivités, de façon directe ou indirecte si la ligne est réalisée en partenariat public-privé, d’établir une convention pour un versement libératoire couvrant les charges financières de surveillance, d’entretien, de réparation et de renouvellement des ouvrages concernés, qui ne seraient donc pas directement à la charge des élus. Tout en gardant la propriété de la voie, les communes rurales n’auront alors pas à subir de contrepartie financière, ou en tout cas de charges supplémentaires, cette contrepartie étant versée par voie conventionnelle par RFF.

M. le président. La parole est à M. Michel Doublet.

M. Michel Doublet. Monsieur le ministre, j’ai bien entendu votre réponse. Je vérifierai la mise en œuvre des mesures que vous annoncez : cela représente tout de même des sommes relativement importantes pour ces petites communes, qui ont peu de moyens. Et si vos propos ne sont pas suivis d’effet, j’aurai le plaisir de venir à nouveau vous interroger !

schéma national des infrastructures de transport (snit)

M. le président. La parole est à M. Philippe Paul, auteur de la question n° 113, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Philippe Paul. Monsieur le ministre, les infrastructures de transports sont les vecteurs de l’aménagement du territoire. Le Grenelle de l’environnement a permis de définir des orientations traduites dans un nouvel outil regroupant les grands projets structurants en termes d’infrastructures de transports : le schéma national des infrastructures de transports.

Ce schéma doit, ou devait, « permettre au système de transport de l’État d’évoluer de manière à intégrer pleinement les enjeux de la mobilité durable ». Une consultation ouverte a permis à chacun de déposer des commentaires sur l’avant-projet du SNIT, assurant ainsi son appropriation par tous les acteurs.

Le rôle structurant de telles infrastructures de transports est indéniable.

Pour des territoires éloignés tels que le Finistère, il est vital de pouvoir afficher une « proximité » avec l’ensemble des centres de décision. Ainsi, la mise à 3 heures de Paris en train de villes comme Brest ou Quimper, dans le prolongement de la LGV Bretagne-Pays de la Loire, est une nécessité indiscutable : elle se traduit concrètement par des minutes gagnées sur une journée de travail et, peut-être plus encore, elle permet d’améliorer l’image d’une ville afin de lui permettre de rattraper un retard concurrentiel sur d’autres territoires.

On parle de ces « 3 heures » – pour ne pas dire qu’on les promet – depuis des lustres. Actuellement, il faut exactement 4 heures et 11 minutes pour aller de Quimper à Paris,…

Mme Nathalie Goulet. Prenez donc le Paris-Granville !

M. Philippe Paul. … et 4 heures et 3 minutes depuis Brest dans le meilleur des cas, c'est-à-dire seulement avec quelques trains. Je pourrais vous dire, pour simplifier, qu’il faut plus de 4 heures pour relier ces villes à Paris. Mais, dans notre situation, chaque minute compte.

Un débat public devrait intervenir à la mi-2013 pour des travaux d’amélioration des lignes à partir de Rennes vers Brest et Quimper. Dans les scénarios les plus optimistes, le gain de temps serait de 20 minutes pour Brest et de 25 minutes pour Quimper. Nous serions donc toujours, dans le meilleur des cas, à 3 heures et 46 minutes de Paris pour Quimper, et à 3 heures et 43 minutes, soit 3 minutes de moins, pour Brest...

Si l’objet de ces travaux est de rééquilibrer les temps de trajet pour venir dans le nord et dans le sud du Finistère, bravo et tant mieux ! Mais, monsieur le ministre, s’il s’agit de mettre ces deux destinations à moins de trois heures de Paris, il reste encore un long chemin à parcourir…

De même, la mise à deux fois deux voies de la route nationale 164, axe central en Bretagne, doit permettre en tout premier lieu de sécuriser les trajets longitudinaux bretons, tout en assurant une économie de temps substantielle aux usagers d’une grande partie du Finistère et, bien sûr, de toute la Bretagne. Ces travaux sont annoncés depuis au moins trente ans, et ils doivent encore être terminés.

Certes, je n’évoque là que quelques portions de routes ; mais, alors que les villes intermédiaires ne bénéficient plus des avantages de la poursuite des améliorations vers l’Ouest, nous, Finistériens, avons besoin que la solidarité nationale joue à plein.

À ce sujet, il me faut souligner une réalité qui passe souvent inaperçue. Les temps d’accès qui nous occupent revêtent une importance capitale pour les habitants des villes de Brest et de Quimper. Mais qu’en est-il pour le douarneniste que je suis ou pour les personnes qui se rendent au Conquet ou à Plogoff ? Et je ne vous parle pas des habitants des îles de Sein, d’Ouessant ou encore de Molène !

Dans ces conditions, comment ne pas être inquiet à l’évocation des concepts de « rapport coût-avantages » et de « complémentarité des projets avec les réseaux existants », qui ont été soulevés pour obtenir la hiérarchisation, par une nouvelle commission, des projets du SNIT, dont certains seraient différés, voire, comme j’ai cru le comprendre récemment, abandonnés par le Gouvernement ?

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rassurer sur la composition de la future commission, ainsi que sur les critères concrets, autres que comptables, mentionnés dans sa feuille de route ?

Pouvez-vous également nous rassurer sur la notion de « complémentarité avec les réseaux existants », laquelle ne doit pas conduire à ajouter des infrastructures aux territoires les mieux dotés, laissant les moins dotés à leur triste sort ?

Surtout, pouvez-vous nous rassurer sur les projets d’aménagement majeurs pour la Bretagne que sont, d’une part, les travaux concernant la partie comprise entre Rennes, d’un côté, et Brest et Quimper, de l’autre – ce serait, j’y insiste, pour mettre le Finistère à trois heures de Paris en train – et, d’autre part, la fin des tronçons manquants de la mise à deux fois deux voies de la route nationale 164 ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, vous êtes très inquiet et vous demandez donc une série d’assurances au Gouvernement qui vient d’arriver aux responsabilités. Votre constat peut sonner comme un aveu d’échec de la politique qui a été menée ces dernières années – et vous remontez parfois même jusqu’à trente ans ! C’est dire combien votre espoir en l’action du Gouvernement est fort.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous avez raison de vous adresser au ministre qui vient d’entrer en fonctions pour lui faire mesurer combien les manquements ont été nombreux jusqu’à présent et combien sa responsabilité est grande pour faire face à ce SNIT, que vous n’allez peut-être pas jusqu’à porter aux nues – soyons raisonnables !–, mais que vous présentez quand même comme un exemple de bonne méthodologie gouvernementale.

Or, en termes de soutenabilité budgétaire, ce document, sorti à l’approche de l’élection présidentielle, amoncelle des éléments qui, pour la plupart, sont non pas des engagements ou même des projets, mais des traits sur des cartes, ne comporte ni calendrier, ni participation financière, ni planning, pour un montant de 245 milliards d’euros. Telle est la réalité !

Pour ma part, je fais confiance à la représentation nationale et, pour entendre la voix des territoires que vous portez ici, j’ai souhaité que puisse être mise en place une commission mixte, composée à la fois de parlementaires – députés et sénateurs – et de techniciens.

Bien évidemment, cette commission aura pour mission de mesurer la réalité de ces projets et d’en assurer l’effectivité.

Depuis mon entrée en fonctions, je ne cesse de recevoir des parlementaires et des élus locaux – dont beaucoup de votre famille politique – qui viennent me supplier de rendre au moins envisageables un jour les promesses inconsidérées qui ont été faites par vos propres amis.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Pour ma part, je dispose d’un budget de 2 milliards d’euros : celui de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, dont vous avez d'ailleurs essayé de limiter la possibilité de financement. En effet, vous nous avez légué une situation, s’agissant notamment des conditions d’institution de la taxe poids lourds, qui rend quasiment impossible le financement de cette agence !

Bref, nous remettons de l’ordre dans tout ce qui a été fait.

Oui, la commission aura à évaluer, mais sur la base de critères, et non pas selon une carte des infrastructures en forme de carte électorale, comme cela a pu exister en d’autres temps ! En effet, telle n’est pas la façon dont nous envisageons nos responsabilités.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Nous envisageons de véritables schémas d’infrastructures qui soient utiles à la nation, avec une mobilisation de l’argent public au profit de l’efficacité économique, de l’aménagement du territoire et, là encore, au profit de véritables projets répondant aux enjeux ainsi qu’à l’engagement du Président de la République, aujourd'hui mis en œuvre par le Premier ministre.

Bien évidemment, je m’engage à ce que ces projets représentent aussi une plus-value pour les territoires et soient de nature à gommer la fracture territoriale, qui n’a été que trop renforcée.

Vous avez cité un certain nombre de projets. Je ne vais pas me substituer à la commission : il appartiendra à cette dernière de pouvoir à la fois en dresser la liste et en analyser la réalité ainsi que l’efficacité.

Par ailleurs, vous le savez, je ne suis pas de ces ministres qui, non seulement accumulent les promesses sans les tenir, mais mettent aussi à la charge des collectivités plus de 60 milliards d’euros ! C’est ce qui était prévu dans le SNIT, et ce alors même que ni l’État ni les collectivités locales, nous le savons, ne sont en mesure de soutenir de pareils efforts budgétaires !

Mme Nathalie Goulet. Ça, c’est une bonne réponse !

M. le président. La parole est à M. Philippe Paul.

M. Philippe Paul. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, même si elle me laisse largement sur ma faim ! Je n’ai en effet obtenu ni les réponses que je souhaitais ni des informations sur le calendrier ou des garanties sur l’objectif des fameuses trois heures de train que nous espérons voir atteint.

À l’instar de mon collègue Jean-Claude Lenoir, j’ai le plaisir de vous inviter dans ma région – la Bretagne –, en particulier dans le Finistère. Je ne doute pas que vous connaissiez la Bretagne, mais je compte sur vous pour venir voir concrètement sur le terrain combien les deux projets que j’ai évoqués tout à l'heure – le projet routier et le projet ferroviaire – sont vraiment indispensables à son désenclavement, et en particulier au désenclavement du Finistère. Il y va de l’avenir de nos territoires et, surtout, de l’avenir de l’économie de la Bretagne.

Monsieur le ministre, je compte sur vous !

situation en géorgie

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, auteur de la question n° 106, adressée à M. le ministre des affaires étrangères.

Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre déléguée, j’avais posé cette question au mois d’août dernier mais je l’ai maintenue parce qu’elle conserve une certaine actualité : elle porte sur les élections en Géorgie.

Vous le savez, je suis – un peu ! – spécialiste de la zone. En l’espèce, nous avions des craintes sur le déroulement de ces élections, d’autant que le processus démocratique amorcé par le Président Saakachvili a connu de véritables avancées, saluées à la fois par le Conseil de l’Europe et par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE.

Il est vrai que le mouvement « Rêve géorgien », présidé par l’actuel Premier ministre Ivanichvili, se distinguait de ce processus par un certain nombre de points. Nous aimerions nous aussi avoir dans notre pays un candidat qui, sur ses fonds propres, finance des routes et des hôpitaux, fait venir des médecins étrangers, règle les dettes de ses électeurs ! En Géorgie, un tel comportement a créé un climat un peu particulier.

Néanmoins, le 1er octobre dernier, le Président Saakachvili a reconnu la défaite de son parti aux élections parlementaires.

Maintenant que les élections ont eu lieu et que le Président Saakachvili a reconnu sa défaite, ma question est la suivante : dans le contexte politique des conflits gelés, notamment en Abkhazie et en Ossétie du Sud, quelle sera la position de la France pour assurer que la transition démocratique de la Géorgie – c’est, dans le Caucase, un pays central pris entre des voisins turbulents – , transition qui s’est extrêmement bien passée ces dernières années avec le Président Saakachvili, sera maintenue avec le nouveau Premier ministre Ivanichvili, lequel a déjà fait montre d’une certaine précipitation, notamment en demandant la démission du président en charge jusqu’à l’année prochaine ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger. Madame la sénatrice, nous venons d’assister à un événement majeur en Géorgie, à travers le processus démocratique réussi des élections législatives du 1er octobre dernier, que vous venez de mentionner.

Ce scrutin s’est déroulé à l’issue d’une campagne marquée par un climat d’extrême tension entre les parties en lice, principalement le Mouvement national unifié du Président Saakachvili et la coalition « Rêve géorgien ».

En revanche, le scrutin s’est tenu dans le calme et dans le respect des règles démocratiques. Le rapport préliminaire d’observation de l’OSCE souligne ainsi que les élections ont été globalement « libres et concurrentielles, malgré quelques difficultés ».

La coalition « Rêve géorgien » a largement remporté le scrutin. Dès le lendemain et sans attendre la proclamation officielle des résultats – cela l’honore –, le Président Saakachvili a reconnu la défaite de son parti.

Pour la première fois depuis le recouvrement de son indépendance en 1991, la Géorgie connaît une alternance démocratique. Les indications données par le chef de la nouvelle majorité laissent penser que la transition devrait être harmonieuse.

M. Ivanichvili a annoncé qu’il se rendra aux États-Unis après l’élection présidentielle américaine. Du reste, le futur chef du gouvernement étant ressortissant français, nous pouvons espérer qu’il tiendra à se rendre en France à court terme, dans le cadre de ses nouvelles fonctions : il sera évidemment le bienvenu.

Bien sûr, s’agissant de la politique que cette coalition compte mener, nous attendons de prendre connaissance des orientations qu’adoptera le nouveau parlement dans les semaines à venir. Nous appelons la nouvelle majorité à poursuivre les réformes que requiert le rapprochement proposé par l’Union européenne à la Géorgie, dans le cadre du partenariat oriental.

Enfin, je note, pour m’en féliciter, que les exercices militaires russes « Caucase 2012 » se sont déroulés sans aucun incident. Les inquiétudes géorgiennes se sont révélées sans fondement.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, par ma question, je voulais simplement attirer l’attention du Gouvernement sur la situation en Géorgie.

Avec tous les problèmes qui se posent actuellement sur notre planète, du Mali aux printemps qui finissent en automnes arabes, voire en hivers islamiques, votre ministère a beaucoup de sujets de préoccupations.

Néanmoins, il importe que l’on puisse disposer d’une vision globale du Caucase, si prompt à s’enflammer. Cette zone est extrêmement importante non seulement pour la stabilité de la région – les conséquences peuvent être lourdes –, mais aussi pour l’approvisionnement énergétique : vous connaissez comme moi les nombreux pipelines qui la traversent, à l’instar de celui de Bakou-Tbilissi-Ceyhan.

Aujourd'hui, cette zone n’est pas prioritaire parce qu’elle n’est pas en flammes, mais elle n’attend qu’une braise pour s’enflammer.

maîtrise des armements: quelle relance française ?

M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi, auteur de la question n° 133, adressée à M. le ministre des affaires étrangères.

Mme Leila Aïchi. Madame la ministre, le 27 juillet 2012, les négociations en vue de l’adoption d’un traité sur le commerce des armes ont échoué. L’opposition de dernière minute d’une minorité d’États, réclamant des prolongations, aura eu raison de la conférence de négociations, ouverte le 2 juillet dernier à New York.

La France a été à l’avant-garde de ce combat et je sais, madame la ministre, que la diplomatie française n’a pas ménagé ses efforts pour que la convention soit enfin adoptée.

Hélas ! l’insuccès du processus souligne l’état préoccupant de la maîtrise des armements à l’heure actuelle. Cette situation est d’autant plus inquiétante que grandit la tentation de régler certaines tensions régionales au caractère complexe par une simple affirmation de la force.

Or de telles solutions ne sont pas viables dans la durée. Il faut insister sur l’importance des instruments légaux et encourager ardemment les démarches multilatérales.

Madame la ministre, je suis certaine que vous partagez cette conception des relations internationales. C’est pourquoi ma question porte sur les efforts de la France en matière de maîtrise des armements, notamment sur quatre points qui me semblent les plus urgents.

Premièrement, le traité d’interdiction complète des essais nucléaires – ou TICEN –, adopté en 1996, interdit tout essai nucléaire ou tout autre type d’explosion nucléaire, que ce soit à des fins pacifiques ou militaires, dans quelque environnement que ce soit. Or ce texte n’est toujours pas en vigueur car il faut que les quarante-quatre États mentionnés dans l’annexe 2 du traité le ratifient ; or, à la date du 7 décembre 2011, seuls trente-six d’entre eux l’avaient fait. La Chine, les États-Unis, l’Égypte, l’Iran et Israël, bien que signataires, n’ont pas ratifié le texte. La Corée du Nord, l’Inde et le Pakistan n’ont pas signé le traité. La France doit absolument aider à la relance du processus de signatures et de ratifications.

Deuxièmement, il faut que soient véritablement lancées les négociations d’un nouveau traité de désarmement nucléaire prohibant la production de matières fissiles pour les armes nucléaires, ce traité cut off étant en gestation depuis plus de quinze ans.

Troisièmement, il faut que soient établies des zones exemptes d’armes nucléaires, notamment au Moyen-Orient et en Arctique.

Quatrièmement, enfin, la non-prolifération des vecteurs, notamment des missiles, doit faire l’objet d’un vrai traité, couvrant la plus large gamme possible d’équipements – missiles balistiques, missiles de croisière, etc. –, bien évidemment afin d’éviter la fracture technologique entre le Nord et le Sud.

Madame la ministre, comment la France envisage-t-elle de contribuer à faire progresser les positions de ses partenaires sur ces quatre points ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l’étranger. Madame la sénatrice, le Gouvernement a le sentiment que la négociation du traité sur le commerce des armes touche à son but. La France est mobilisée pour reprendre la négociation au début de 2013 et soutiendra la résolution que votera l’Assemblée générale des Nations unies en octobre. Celle-ci devrait convoquer très rapidement une conférence pour finaliser et pour adopter le traité élaboré en juillet dernier.

S’agissant des efforts de la France en vue de l’entrée en vigueur rapide du traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires, ou TICE, je vous confirme qu’il s’agit de l’une de nos priorités en matière de désarmement. Depuis que nous avons ratifié ce texte, voilà quatorze ans, nous nous sommes engagés résolument en faveur de son universalisation. En outre, malgré le blocage du processus de ratification, la France contribue de manière active et concrète au développement du système de surveillance international prévu par le traité. La mise en place d’un régime de vérification robuste est en effet indispensable pour assurer la crédibilité du système et convaincre de nouveaux États d’adhérer au TICE.

Pour compléter le dispositif international en matière de désarmement nucléaire, nous travaillons sans relâche à l’ouverture de la négociation d’un traité d’interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires à la conférence du désarmement. L’idée en est simple : il s’agit d’interdire l’accès à la matière première des armes. Nous n’avons pas attendu la conclusion de ces négociations, ni même leur lancement, pour nous engager de façon concrète : en effet, la France a cessé toute production de matières fissiles pour ses armes nucléaires et a démantelé, en toute transparence et de façon irréversible, ses installations de production. En concertation avec nos partenaires, nous ne ménageons pas nos efforts pour convaincre les autres États participants à la conférence du désarmement de rejoindre le consensus pour lancer la négociation d’un tel traité.

Au sujet de l’établissement de zones exemptes d’armes nucléaires et de leurs vecteurs, je vous rappelle que la France, qui est déjà partie à différents protocoles, soutient de longue date ce type d’initiative. L’approche régionale constitue en effet l’une des voies importantes de promotion du désarmement et de la non-prolifération. Nous soutenons le projet de création d’une telle zone au Moyen-Orient et participons aux efforts de préparation d’une conférence réunissant tous les États de la région. Quant à l’Arctique, la création éventuelle d’une zone exempte d’armes nucléaires ne pourra résulter que d’une décision unanime des États de la région. Ce projet soulève des questions complexes touchant au respect des droits et libertés de navigation et de transit reconnus à tous les États par la convention de l’ONU sur le droit de la mer.

Vous avez raison de souligner, enfin, l’importance de la lutte contre la prolifération des vecteurs, dans un contexte où nous devons faire face au développement rapide de certains programmes balistiques et spatiaux. La France est à l’origine de l’adoption, en 2002, du code de conduite de La Haye contre la prolifération des missiles balistiques, un instrument non contraignant mais politiquement engageant qui établit des mesures de confiance et de transparence en matière de lutte contre la prolifération balistique.

Madame la sénatrice, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de redire l’importance que la France attache à la maîtrise des armements et au désarmement, notamment nucléaire. Toutes les puissances nucléaires doivent faire preuve d’un niveau d’engagement équivalent au nôtre et doivent prendre, comme nous l’avons fait, des initiatives concrètes.

M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Madame la ministre, je vous remercie de l’intérêt que vous avez porté à la question que je vous ai soumise. Nous comptons sur vous afin que la France mette tous les moyens en œuvre pour accélérer la ratification et l’entrée en vigueur de ces différents traités : telle est en effet, selon moi, la réponse que notre pays doit apporter dans le contexte international tendu que nous connaissons aujourd’hui.

déplafonnement des postes de personnels titulaires de l’éducation nationale affectés dans l’enseignement français à l’étranger

M. le président. La parole est à M. André Ferrand, auteur de la question n° 78, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget.

M. André Ferrand. Madame la ministre, vous le savez aussi bien que moi, la France s’enorgueillit de disposer d’un réseau d’enseignement à l’étranger très performant. Ce réseau connaît un développement exceptionnel au service tant de notre présence économique, c’est-à-dire de nos entreprises, que de notre influence, en formant des élèves étrangers.

Les établissements de ce réseau, en général très dynamiques, ont compris qu’il leur fallait s’autofinancer autant que possible, car ils savent que l’argent public est rare. Ils assument donc, dans la mesure de leurs possibilités, leurs frais de personnel.

Cependant, pour que leur enseignement reste de qualité, il faut que ces établissements disposent de personnels qualifiés, donc d’enseignants titulaires de l’éducation nationale. Or, de façon incompréhensible, le ministère du budget plafonne les affectations d’enseignants titulaires de l’éducation nationale dans le réseau d’établissements français à l’étranger, alors que ce réseau est prêt à assumer en totalité le coût de la rémunération de ces enseignants.

Madame la ministre, telle est la raison pour laquelle j’ai été amené à adresser cette question à votre collègue ministre délégué au budget : pourquoi limite-t-il le développement de notre réseau d’enseignement français à l’étranger – alors que le coût de ce développement est nul pour le contribuable – en plafonnant le nombre de titulaires de l’éducation nationale détachés dans les établissements de ce réseau ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l’étranger. Monsieur le sénateur André Ferrand, je tiens à vous remercier pour cette question qui montre votre attachement à notre réseau d’enseignement à l’étranger. Vous l’aviez adressée à M. le ministre délégué chargé du budget, mais vous ne m’en voudrez pas de vous répondre à sa place ; en effet, comme vous le savez, j’attache la plus grande importance à la scolarisation en français des enfants de nos compatriotes à l’étranger.

Cette question fondamentale, primordiale et même stratégique pour l’influence de notre pays et le développement des communautés expatriées me tient particulièrement à cœur. Le ministre des affaires étrangères m’a d’ailleurs remis une lettre de mission concernant les enjeux du développement de notre politique scolaire à l’étranger dont la double fonction – scolarisation des enfants français et mission d’influence – doit être maintenue.

La question du plafond des emplois que vous soulevez concerne non seulement le ministère des affaires étrangères et le ministère du budget, mais également le ministère de l’éducation nationale. Recevant les parlementaires représentant les Français de l’étranger le 27 août, M. le Premier ministre a demandé à ces trois ministères d’étudier ensemble ce sujet, ce que nous faisons, respectant en cela la priorité donnée à la jeunesse et à l’éducation par le Président de la République.

Le gouvernement précédent avait diminué le nombre d’emplois autorisés pour l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE. Cette mesure s’est traduite par une baisse nette de 59 emplois sous plafond entre 2010 et 2012, qui s’ajoutait à la transformation de 130 emplois d’expatriés en postes de résidents en 2009-2010. Cette décision, prise en application de la révision générale des politiques publiques, alors que les effectifs des enfants scolarisés augmentaient déjà fortement, avec une croissance annuelle de l’ordre de 4 000 à 5 000 élèves par an pendant les cinq dernières années, a eu pour conséquence une baisse du taux d’encadrement des élèves. Nous sommes tous d’accord pour reconnaître que cette évolution n’est pas soutenable financièrement. Alors que faisons-nous ?

Tout d’abord, le projet de loi de finances pour 2013 prévoit une augmentation de la subvention de l’AEFE de 5,5 millions d’euros. Par ailleurs, les emplois sous plafond sont stabilisés à 6 353 équivalents temps plein, ou ETP, pour la période allant de 2013 à 2015. Ensuite, l’Agence a l’autorisation d’augmenter le nombre des emplois pris en charge à 100 % par les établissements, que l’on appelle emplois « hors plafond ». Ces effectifs pourront augmenter de 95 ETP en 2013, dont 20 postes d’enseignants résidents, puis de 100 ETP supplémentaires en 2014 et en 2015, dont 20 postes d’enseignants résidents chaque année.

Les effectifs « hors plafond » vont donc être portés respectivement à 4 561 ETP en 2013, à 4 661 ETP en 2014 et à 4 761 ETP en 2015. Ces emplois permettront à l’Agence de commencer à déployer les moyens humains complémentaires, indispensables à l’accompagnement de la croissance du réseau.

M. le président. La parole est à M. André Ferrand.

M. André Ferrand. Madame la ministre, je tiens à vous remercier de votre réponse et à saluer votre engagement personnel bien connu en faveur de l’enseignement français à l’étranger.

Vous avez évoqué les décisions prises par le gouvernement précédent en termes de plafond d’emplois, mais il faut rappeler que, dans le contexte de l’époque, ces emplois représentaient un coût pour le contribuable : le déplafonnement n’était pas « gratuit », si j’ose dire. Ce contexte a complètement changé aujourd’hui : les établissements demandent l’affectation d’enseignants titulaires de l’éducation nationale qui ne coûteront pas un sou à l’État, puisque leur rémunération est totalement prise en charge, les parents d’élèves y participant à l’étranger.

Madame la ministre, vous nous avez annoncé que le budget pour 2013 prévoyait une augmentation des postes « hors plafond ». C’est bien ! Mais pourquoi maintenir ce plafonnement des emplois, puisque les établissements prennent des initiatives pour faire rayonner la langue et la culture françaises à l’étranger, sans que cela ait le moindre coût pour le budget ?

Je sais que nous sommes d’accord sur le fond, puisque nous menons ensemble ce combat, madame la ministre, mais je souhaiterais que votre collègue chargé du budget admette cette idée et fasse un pas dans notre direction !

M. le président. Mes chers collègues, avant d’aborder la question orale suivante, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures vingt-cinq, est reprise à dix heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

devenir du projet d'investissement porté par le centre hospitalier nord deux-sèvres

M. le président. La parole est à M. Michel Bécot, auteur de la question n° 65, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

M. Michel Bécot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question porte sur le devenir du projet d’investissement porté par le centre hospitalier Nord Deux-Sèvres.

Au 1er janvier 1996, les trois hôpitaux de Bressuire, de Parthenay et de Thouars fusionnent administrativement. Après de nombreuses années d’études et l’adoption du projet d’établissement en 2007, le regroupement sur un site unique des activités de médecine, de chirurgie, d’obstétrique et d’un plateau médico-technique est acté en un lieu d’implantation en position centrale pour l’ensemble du Nord Deux-Sèvres.

Ce projet de restructuration du centre hospitalier Nord Deux-Sèvres doit permettre une meilleure prise en charge des patients, une garantie de sécurité et de qualité de soins ainsi qu’une meilleure efficience de fonctionnement.

Finalisé fin 2009, début 2010, ce projet, dont l’inscription au plan Hôpital 2012 a été reportée à maintes reprises, a obtenu un avis favorable de l’agence régionale d’hospitalisation – ARH – puis de l’agence régionale de santé – ARS – de Poitou-Charentes.

Les terrains nécessaires à la construction du nouveau site hospitalier sur la commune de Faye-l’Abbesse ont été acquis en juillet 2010. En mars 2012, un accord de principe pour le financement de la construction de ce nouvel hôpital, au titre du plan d’aide à l’investissement Hôpital 2012, a été acté par votre prédécesseur. L’ARS de Poitou-Charentes a été invitée à calibrer au mieux le dimensionnement de cet investissement.

À ce jour, tous les acteurs de cette opération sont en attente, que ce soit le constructeur dont le projet a été retenu en mai 2012, les équipes hospitalières, les partenaires externes de santé et la population du Nord Deux-Sèvres.

Aussi, madame la ministre, je vous demande de bien vouloir m’informer de l’évolution de ce dossier et m’indiquer dans quels délais les travaux pourront commencer.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur le devenir du projet d’investissement porté par le centre hospitalier Nord Deux-Sèvres.

Je sais l’attachement, légitime, de l’ensemble des élus locaux à la réalisation de ce projet et je tiens d’ailleurs à saluer le très important travail qu’ils ont pu réaliser ensemble.

Comme vous l’avez vous-même rappelé, l’agence régionale de santé de Poitou-Charentes a retravaillé les paramètres de ce projet, tant en termes financiers qu’en termes de dimensionnement de l’investissement.

À ce jour, le projet se fonde notamment sur une mutualisation importante de trois plateaux techniques. Il se fixe en outre comme ambition le développement de la médecine ambulatoire et le renforcement des partenariats avec les structures médico-sociales. Il vise enfin à améliorer l’offre de soins sur un territoire qui est incontestablement marqué par un sous-recours aux soins en médecine, mais également à améliorer la qualité, la sécurité et l’efficience des soins. Il s’appuie sur une ambition forte et présente à ce titre les signes d’une démarche qui favorise la cohérence de l’offre territoriale de soins.

Les raisons ayant amené l’agence régionale de santé à retravailler le projet qui était présenté sont essentiellement d’ordre financier. Cette redéfinition se fonde sur un certain nombre d’éléments techniques.

Je veux évoquer l’augmentation de l’activité, des économies de près de 3,5 millions d’euros, des cessions de terrains à hauteur de 3 millions d’euros, ainsi qu’une aide de l’État en capital de 45 millions d’euros et une aide à la contractualisation annuelle de 1,5 million d’euros pendant vingt ans.

Néanmoins, la situation financière de cet établissement, qui est aujourd’hui placé sous contrat de retour à l’équilibre, reste dégradée du fait d’un déficit structurel datant de 2005 et qui n’a pas été résorbé depuis. La durée de cinquante ans prévue pour les amortissements en construction pourrait fragiliser la pérennité de l’établissement, alors même que sa nouvelle configuration présente d’incontestables atouts.

Comme vous le savez, nos ressources nationales en termes d’investissement sont limitées. Un réexamen global des projets est donc engagé, comme je l’ai déjà indiqué à plusieurs reprises, un certain nombre de projets ayant été annoncés sans que les financements nécessaires soient prévus. Il s’agit à la fois de soutenir les projets et de faire une revue de l’ensemble de ceux qui sont présentés. Le projet que vous évoquez fait partie de ceux qui sont actuellement examinés au niveau national dans le cadre de cette procédure.

Je tiens cependant à souligner que le Gouvernement, en fixant l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, à 2,7 % pour l’année prochaine, marque sa volonté non seulement de faire de la santé et de l’hôpital public une priorité, mais également de mobiliser des ressources nouvelles pour soutenir l’investissement et retenir des projets territorialement utiles.

C’est dans cette perspective, avec les éléments que je vous indiquais, que nous sommes en train de travailler de façon extrêmement ouverte et positive avec l’agence régionale de santé.

M. le président. La parole est à M. Michel Bécot.

M. Michel Bécot. Madame la ministre, j’ai entendu vos arguments. N’oublions pas que ce projet, évalué à 100 millions d’euros, rapportera grosso modo 20 millions d’euros de TVA. Certes, je le sais bien, les sommes issues de la récupération de TVA vont au budget général de l’État et pas forcément à la santé. Néanmoins, je considère que l’on pourrait lancer le projet dès aujourd'hui au lieu de le retarder, puisqu’il ne coûtera rien à l’État avant 2019.

Quoi qu’il en soit, il y a urgence, madame la ministre, et il est sans doute possible de trouver des solutions.

effets pervers du développement des pratiques d'emplois médicaux temporaires

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chauveau, auteur de la question n° 80, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

M. Jean-Pierre Chauveau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, les effets pervers du développement des pratiques d’emplois médicaux temporaires sont régulièrement décriés.

Comme le soulignait, dès 2003, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’usage par les centres hospitaliers d’emplois médicaux temporaires peut conduire à de graves dérives.

Il ne s’agit pas de confondre ces emplois avec les postes occupés par des praticiens contractuels, mais il faut souligner les abus du statut de ceux qui, dans le monde hospitalier, sont surnommés « les mercenaires ».

En raison des déficits en personnels médicaux, certains professionnels s’inscrivent dans de véritables agences d’intérim – en réalité, des sociétés de placement – pour effectuer des remplacements ponctuels et obtenir de très importantes rémunérations.

Alors que nos hôpitaux publics sont soumis à de très fortes contraintes budgétaires, il est paradoxal de constater l’existence de telles pratiques. Certes, cette situation trouve son origine dans la démographie des professions médicales et dans les aménagements du temps de travail – ARTT, temps de repos, équivalence du temps de travail et du temps de garde, etc. –, il n’en demeure pas moins que ces irrégularités existent et qu’elles dépassent les limites acceptables.

Dernièrement, un exemple a été porté à ma connaissance : certains professionnels travaillent à temps partiel ou à temps plein dans des hôpitaux et viennent, en plus, effectuer des heures pendant leurs congés ou leurs RTT ! Pour être plus précis, certains médecins n’acceptent pas de faire des heures supplémentaires dans un cadre salarial normal – 400 euros par mois –, mais interviennent sur leur lieu de travail par l’intermédiaire de sociétés de placement – 800 euros la journée –, au détriment du budget de l’établissement.

Cet exemple concerne un centre hospitalier qui m’est cher, mais qui accuse actuellement un fort déficit - près de 28 millions d’euros - et auquel les « mercenaires » coûtent près d’un demi-million d’euros par an ! Je pense ici au centre hospitalier intercommunal Alençon-Mamers, qui attend très prochainement une décision financière afin de consolider sa situation budgétaire.

Plus généralement, comme on le souligne dans le rapport précité, « il est banal de constater que les missions de courte durée ne favorisent pas la construction d’un travail d’équipe » et que « placés devant la nécessité de pourvoir le poste vacant, le directeur et le chef de service peuvent être conduits à des solutions n’offrant pas toutes les garanties de qualité. Dans certains cas, l’établissement recrute un médecin qui satisfait aux conditions d’exercice prévues par les textes, mais dont la notoriété professionnelle n’aurait pas conduit l’établissement, s’il en avait le choix, à retenir sa candidature. »

Alors que la grande majorité des hôpitaux français doivent faire face à une situation financière très difficile, le problème des mercenaires constitue une piste, un gisement pour réaliser des économies sans déséquilibrer le fonctionnement des établissements, car, force est de le reconnaître, le problème de l’absence de titulaires n’est pas le même dans les petites villes de l’ouest ou du centre de la France et dans les grandes métropoles du Sud-Est.

Dans ces conditions, je souhaiterais connaître les mesures que le Gouvernement compte prendre pour contrôler ces pratiques, sanctionner les abus et mettre un terme à ces dérives inquiétantes.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le sénateur, vous avez souhaité attirer mon attention et celle du Gouvernement sur certaines pratiques au sein des établissements publics de santé où il est fait appel à des praticiens qui viennent effectuer des remplacements ponctuels fortement rémunérés, au mépris parfois de la réglementation applicable.

Globalement, les dépenses de personnels médicaux intérimaires ont représenté 0,71 % en 2009 et 0,72 % en 2010 du total des dépenses de personnels médicaux. On ne peut pas parler de réelle progression, mais il est vrai que ces dépenses représentent un montant significatif.

Ce chiffre global ne doit pas masquer la réalité : les difficultés se concentrent sur certains établissements, qui rencontrent de graves problèmes de recrutement.

C’est pourquoi je souhaite travailler sur l’attractivité des carrières hospitalières et la fidélisation des personnels médicaux.

J’ai ainsi lancé, lors de la concertation sur l’élaboration d’un pacte de confiance pour l’hôpital public, un ensemble de travaux sur l’amélioration de la qualité de l’exercice médical à l’hôpital public, avec notamment pour objectif de réduire le plus possible le recours aux emplois médicaux temporaires.

Je suis consciente que ces dérives ne vont pas disparaître à très court terme et qu’il ne sera pas facile de les limiter. C’est la raison pour laquelle je rappelle que le recours à ces emplois est encadré et que les règles en la matière doivent être respectées.

Le décret du 29 septembre 2010 portant dispositions relatives aux praticiens contractuels, aux assistants, aux praticiens attachés et aux médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes recrutés dans les établissements publics de santé, pris en application de l’article 5 de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, a permis l’encadrement du recours par les établissements publics de santé aux praticiens recrutés pour une courte durée, c’est-à-dire pour une durée inférieure à trois mois.

Cet encadrement est réalisé par une double mesure : d’une part, la fixation d’une proportion à respecter entre le volume des praticiens temporaires et celui des praticiens titulaires ou recrutés pour une durée supérieure à trois mois dans une même activité et une même structure ; d’autre part, l’obligation pour les établissements de transmettre au directeur général de l’agence régionale de santé un état semestriel des recrutements temporaires. Le directeur général de l’ARS peut ainsi réaliser un contrôle a posteriori du volume d’emploi de personnels temporaires et, le cas échéant, remettre en cause l’autorisation d’activité lorsque la continuité des soins paraît compromise par un important recours aux emplois médicaux de courte durée.

Les verrous existent donc. L’intervention a posteriori, dans le cadre de contrôles identifiés, de la part de l’Agence régionale de santé, permet de mieux réguler le recours à ces emplois temporaires, en attendant que des mesures plus structurelles nous permettent de répondre à la question de fond que pose le recours, parfois systématique, à ces emplois.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chauveau.

M. Jean-Pierre Chauveau. Madame la ministre, les petits hôpitaux tels que les nôtres – je pense au centre hospitalier intercommunal créé avec la ville d’Alençon – ont énormément de difficultés à recruter des médecins. Souvent, ce n’est qu’à la dernière minute que l’on arrive à pallier une absence.

Il arrive même que des médecins exerçant à l’hôpital centre d’Alençon se permettent de passer par une agence d’intérim lorsqu’ils interviennent à Mamers. Cela me semble tout à fait anormal.

J’espère donc que les travaux que vous avez lancés permettront, indépendamment des relations que nous avons avec l’ARS, de régler ce problème, qui nous pose d’importantes difficultés financières.

situation pénitentiaire du département de la vendée

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la question n° 81, adressée à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ma question porte sur la situation pénitentiaire dans le département de la Vendée. La situation y est déplorable, comme vous le savez sans doute, madame la ministre.

Le département compte deux établissements pénitentiaires ; l’un est situé à La Roche-sur-Yon, le chef-lieu, l’autre à Fontenay-le-Comte, dans le sud de la Vendée. Il s’agit de deux petites unités à taille humaine. Interrogés, les personnels pénitentiaires soulignent à quel point la taille de l’établissement est importante.

Lorsqu’on visite ces deux établissements, ce que j’ai fait, on se rend compte très rapidement de leur extrême vétusté, mais aussi et surtout de l’ampleur de la surpopulation carcérale. Ainsi, ce que l’on appelle de façon un peu inélégante le « taux de surencombrement » est supérieur à 240 % à La Roche-sur-Yon et supérieur à 200 % à Fontenay-le-Comte. De telles conditions d’incarcération, vous en conviendrez, madame la ministre, vous qui êtes très attachée à la dignité des détenus, sont précisément indignes, et inacceptables.

L’administration est contrainte d’installer le soir, dans les cellules, un matelas supplémentaire à même le sol afin de pouvoir faire vivre – ou survivre, serait-on plutôt tenté de dire – trois ou quatre détenus dans quelques mètres carrés. Dans quelques mètres carrés, madame la ministre !

Mais si de telles conditions ne sont pas admissibles pour les détenus, elles ne le sont pas plus pour le personnel pénitentiaire, qui souffre lui aussi de la surpopulation carcérale.

Depuis quelques années, nous travaillons beaucoup sur cette question. À l’issue de réunions auxquelles mon collègue Jean-Claude Merceron et moi-même avons participé, Michel Mercier, votre prédécesseur, avait pris l’engagement écrit, par courrier en date du 15 décembre dernier, de faire procéder à la modernisation de ces deux petites unités, que nous souhaitons garder, car elles sont à échelle humaine.

Je rappelle que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté lutte contre l’industrialisation des conditions de détention des détenus, dont il dit dans chacun de ses rapports qu’elle est déplorable.

Par ailleurs, l’ancien garde des sceaux s’était engagé à créer un centre de détention pour courtes peines à Fontenay-le-Comte. C’était important pour ce bassin qui, vous le savez très bien, est fortement touché par la crise économique. L’annonce du maintien du site de Fontenay-le-Comte et du développement d’un service public important avait constitué une réelle bonne nouvelle.

Or, lors de la présentation de votre budget, au mois de septembre, madame la ministre, vous avez indiqué que votre objectif était de créer 63 000 places de prison supplémentaires, et non plus 80 000, comme cela était prévu dans la loi de programmation votée en mars. Nous craignons donc que le projet dont votre prédécesseur nous avait confirmé la mise en œuvre n’en soit affecté.

Ma question est simple, madame la ministre : maintenez-vous l’engagement pris par votre prédécesseur, c'est-à-dire finalement par l’État ?

Je peux vous assurer que si l’on annonçait demain soit que l’un des deux établissements ferme, soit que le centre de détention pour courtes peines ne se fera pas à Fontenay-le-Comte, ce serait une véritable catastrophe pour la population.

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, j’apprécie le contenu et la qualité de votre question. Je sais que vous vous préoccupez de la situation pénitentiaire en Vendée depuis que vous êtes aux responsabilités, comme je sais que votre intérêt pour la question des prisons va au-delà de votre propre département.

Vous avez rappelé les taux de suroccupation des deux établissements existants, celui de La Roche-sur-Yon et celui de Fontenay-le-Comte, qui sont respectivement – les chiffres sont terribles – de 240 % et 200 %.

Pour ma part, j’ai visité des établissements de plusieurs types, notamment des maisons d’arrêt mais pas uniquement, et je sais ce que signifient les taux d’occupation. J’envoie d’ailleurs mon cabinet et mon administration effectuer de telles visites sur le terrain, afin que chacun prenne bien la mesure du problème et se rende compte que nous traitons non pas simplement des dossiers, mais bien des réalités humaines et professionnelles d’autant plus difficiles qu’elles sont vécues au quotidien.

Je vous rappelle qu’un certain nombre de travaux de rénovation ont déjà été effectués dans ces deux établissements.

Ainsi, à La Roche-sur-Yon, le quartier des arrivants a été aménagé. Des travaux de chaufferie ont été effectués. La TNT a été mise en place et l’unité de consultation et de soins ambulatoires a été restructurée et agrandie. Au total, les crédits consacrés à ces travaux s’élèvent à près de 400 000 euros.

Les prisons dont nous parlons sont, en effet, à taille humaine. Afin que chacun prenne bien la mesure de ce que représente un taux d’occupation de 240 %, je rappelle que, alors que l’établissement de La Roche-sur-Yon dispose de quarante places, réparties en une trentaine de cellules, il accueille quatre-vingt-dix détenus. C’est effectivement très lourd.

La maison d’arrêt de Fontenay-le-Comte a également fait l’objet de travaux. Ont été ainsi financés la mise en place de caillebotis, des travaux de mise en conformité électrique, la mise en place de la TNT, l’installation de la détection incendie – c’est dire l’état de vétusté de ces établissements – et la rénovation de l’atelier de formation. Au total, près de 405 000 euros ont été consacrés à ces travaux.

Cet établissement, qui compte trente-neuf places, réparties en vingt-huit cellules, accueille quatre-vingt quatre détenus.

J’en viens maintenant aux engagements de mon prédécesseur. Vous évoquez une lettre du mois de décembre, monsieur le sénateur. Celle dont je dispose date du 16 janvier, mais le contenu est probablement le même. C’est peut-être juste une question de tampon dateur !

Dans cette lettre, Michel Mercier vous confirmait que des travaux de modernisation seraient entrepris dans les établissements de La-Roche-sur-Yon et de Fontenay-le-Comte. En revanche, il n’y mentionne pas du tout l’implantation d’un établissement pénitentiaire de 300 places en Vendée.

Certes, mon prédécesseur évoque la construction d’un établissement pour courtes peines dans la ville de Fontenay-le-Comte, mais, et j’en suis désolée, monsieur le sénateur, aucune budgétisation n’a été prévue, aucune étude n’a été effectuée le concernant. J’ai d’ailleurs demandé à l’administration pénitentiaire de s’en charger.

Au-delà, vous savez bien que pas un euro n’a été budgétisé pour les 23 000 places de prison qui devaient être construites pour atteindre l’objectif de 80 000 places fixé dans la loi pénitentiaire d’avril 2012.

En revanche, j’ai obtenu une augmentation du budget prévu pour les travaux de réhabilitation et de rénovation des établissements. Ce budget passe ainsi de 55 millions d’euros à 66 millions d’euros. Nous aurons donc les moyens de procéder à la rénovation des établissements vétustes afin que détenus et personnels pénitentiaires puissent, dans la dignité, les uns y être pris en charge, les autres y travailler avec efficacité.

Ces établissements feront l’objet des travaux de rénovation complémentaires nécessaires. Pour le reste, on ne peut pas considérer que prévoir la construction de 23 000 places supplémentaires sans mettre un euro en face constitue un engagement de l’État. Pour ma part, j’ai une conception plus noble de la parole de l’État !

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.

Le courrier dont je dispose date bien du 15 décembre, mais peu importe. C’est sûrement une affaire de tampon dateur, comme vous l’indiquez. (Sourires.) Nous pourrons échanger nos courriers si vous le souhaitez.

De votre réponse, je tire deux conclusions.

J’en déduis d’abord que des travaux de modernisation seront bien effectués à La Roche-sur-Yon et à Fontenay-le-Comte. C’est une bonne chose.

J’en déduis ensuite, et cela ne me convient pas, que l’unité pour courtes peines – il ne s’agissait pas d’un établissement de 300 places – ne verra pas le jour.

Madame la ministre, vous ne pouvez pas dire qu’une loi de programmation doit budgétiser, vous connaissez trop bien le principe de l’annualité budgétaire. Une loi de programmation sur cinq ans doit prévoir des crédits, mais les crédits sont inscrits dans le projet de loi de finances année après année.

Le directeur de l’administration pénitentiaire m’avait envoyé un courrier, le 22 mars dernier, dans lequel il m’indiquait étudier l’implantation d’un établissement pour courtes peines. Je sais que vous vous intéressez à l’insertion et à la réinsertion des détenus, madame la ministre ; vous savez donc que ces établissements sont des vecteurs extraordinaires de réinsertion.

Fontenay-le-Comte est l’un des bassins les plus concernés par la crise dans notre région, où plusieurs usines ont fermé.

La création d’un centre pour courtes peines était une bonne nouvelle. Certes, elle nous avait été annoncée par le précédent gouvernement, mais peu importe. Vous représentez l’État, madame la garde des sceaux. L’intérêt général n’est ni de droite ni de gauche. La création d’un tel centre dans un secteur frappé par le chômage est une mesure d’intérêt général ; ce n’est pas une affaire politique. Le député-maire socialiste de Fontenay-le-Comte est totalement d’accord avec nous, vous pouvez l’interroger, tout simplement parce que c’est une affaire de bon sens.

Je vous en supplie, ne décevez pas la population !

Je vous demande donc, madame la garde des sceaux, de bien vouloir remettre l’ouvrage sur le métier et d’accepter d’étudier l’implantation d’un centre de détention pour courtes peines de 150 places. Cela serait bon pour l’insertion des détenus comme pour l’emploi local.

déploiement de la flotte en antilles-guyane

M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette, auteur de la question n° 108, adressée à M. le ministre de la défense.

M. Jean-Étienne Antoinette. Les mois de juillet et août 2012 ont vu de multiples agressions et d’actes de piraterie perpétrés sur nos marins par des pêcheurs venus du Surinam, du Venezuela ou du Brésil, créant ainsi un émoi considérable parmi nos concitoyens.

Comme pour les ressources minières dans les terres, le pillage des ressources halieutiques des eaux territoriales et intérieures est un phénomène – hélas ! – connu en Guyane.

De même que la tragédie de Dorlin, les actes de piraterie contre les pêcheurs guyanais par des marins venus des pays voisins constituent le franchissement d’une étape inadmissible dans la gradation des violences pour l’accès aux richesses de la Guyane.

La marine nationale et la gendarmerie maritime ont su réagir en intensifiant la lutte contre la pêche illégale, arraisonnant plus de 35 navires étrangers, rejetant 20 tonnes de poissons à l’eau et détruisant 43 kilomètres de filets dans la zone économique exclusive française au large de la Guyane, le tout en moins de deux mois.

Cependant, cette action récente n’est pas représentative du potentiel d’intervention dont la Guyane pourrait bénéficier : les P400 de la marine nationale ne participent que très peu à la lutte contre la pêche illégale, car le coût de leur engagement en mer réduit à moins de 80 jours par an leur temps en opération. En outre, ils sont chargés davantage de la sécurité des tirs du lanceur spatial que du contrôle des pêches.

Ensuite, l’action de la gendarmerie a évolué depuis trois mois. Pour pallier le manque de matériel et être plus présentes en mer, les vedettes de la gendarmerie maritime ne déroutent plus les navires étrangers. Elles les raccompagnent seulement à la frontière après avoir détruit leurs filets et leurs cargaisons.

Les navires de plus gros tonnage, réalisant une pêche industrielle, résistent et ne sont toujours pas inquiétés. Les règles d’engagement sont telles que les gendarmes refusent de se porter au contact. Même lors d’importantes opérations conjointes avec la marine nationale, les hommes du GIGN peuvent se trouver en situation extrêmement délicate.

À moins de « muscler » notre capacité de réponse et de la porter jusque dans le camp des délinquants, le pillage des ressources halieutiques de Guyane, à l’instar des ressources minières, ne prendra jamais fin.

Parallèlement, on assiste à l’extension impressionnante de la zone maritime Antilles. Elle reste sous l’autorité des forces armées des Antilles, mais dans leur format actuel, qui est maintenu. La zone maritime Guyane, quant à elle, se recentre sur sa zone économique exclusive.

À l’heure de la rédaction du Livre blanc sur la défense, il apparaît ainsi que l’efficacité de la présence des forces maritimes dans les outre-mer doit être une priorité.

Se pose alors la question des moyens pour assurer les missions de défense sur le territoire maritime de la France dans cette région.

Les navires dont nous avons salué l’engagement des équipages ont trente ans d’âge. Dans la zone, deux P400 ont été désarmés, et, s’il en reste encore en Guyane, la force des Antilles s’est vu amputer d’un bâtiment de transport léger, ou Batral, lui aussi âgé de plus de trente ans.

Aujourd’hui, on parle d’un navire chaland, permettant de récupérer les filets laissés en mer, et dont le financement, interministériel serait assuré par les ministères de la défense et des outre-mer, ainsi que par le secrétariat général de la mer. Qu’en est-il réellement ? Quand ce navire sera-t-il disponible ?

Les missions de l’armée en Guyane, du contrôle de la zone du centre spatial jusqu’aux luttes contre les pêches illégales et l’orpaillage clandestin, requièrent des systèmes d’information sophistiqués. Est-il possible qu’un drone de reconnaissance soit affecté aux forces armées en Guyane ?

La question des moyens, vous le voyez, est au cœur de la problématique.

Hier et aujourd’hui se confondent, puisque nous faisons face à un seul et même problème : la souveraineté nationale et la défense du territoire.

Comment comptez-vous conserver les ambitions de la France en Guyane, protéger ses intérêts et assurer l’avenir de sa population ?

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, votre question s’adresse à M. le ministre de la défense qui, retenu, m’a demandé de vous présenter ses excuses personnelles et de vous communiquer les éléments de réponse qu’il a fait préparer. Si vous avez des observations à faire sur la base de ces derniers, je me ferai un devoir de les transmettre à mon collègue.

Monsieur le sénateur, nous sommes tous les deux bien placés pour savoir l’importance des 11 millions de kilomètres carrés que représente l’espace maritime des outre-mer. Ils permettent à la France de se situer au deuxième rang des puissances maritimes mondiales. Ils offrent surtout de formidables potentialités en matière de pêche, d’hydrocarbure offshore ou d’énergie marine renouvelable.

Il est important que l’État exerce sa souveraineté sur ce patrimoine considérable, et qu’il soit en mesure d’assurer de bonnes conditions pour l’exercice des activités économiques dans cet espace.

Vous avez eu raison d’évoquer les moyens qui sont mis à disposition pour ce faire. Vous l’avez dit, ils ont été réduits ces dernières années, notamment dans le cadre du Livre blanc de 2008.

Fréquemment interpellé par les élus sur ce sujet – vous compris, monsieur le sénateur – l’État s’est néanmoins rendu compte qu’il était important de reconsidérer ces décisions.

C’est ainsi que, à l’été 2011, une réunion interministérielle a abouti à l’affectation de nouveaux moyens.

Vous le savez probablement, vous qui suivez ces questions de près, il a été décidé d’affecter trois bâtiments de type « supply » aux Antilles, à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française, ainsi que deux patrouilleurs légers à faible tirant d’eau à la Guyane.

Ces divers moyens seront disponibles dans les toutes prochaines années, entre 2013 et 2014 pour les bâtiments de type supply, et entre 2014 et 2015 pour les deux patrouilleurs.

S’agissant de la Guyane, le dispositif actuel sera maintenu, puisque les deux patrouilleurs commandés remplaceront les P400 existants à l’horizon 2016-2017. Notez également que la coordination des moyens maritimes est élargie à la zone Antilles-Guyane, même si, vous comme moi, nous aurions préféré que la base soit en Guyane, étant donné l’importance de son territoire terrestre et marin. (M. Jean-Étienne Antoinette sourit.)

Vous avez eu raison de mentionner les moyens dont dispose la marine pour faire face à la pêche illégale en Guyane. Sachez qu’elle va renforcer les équipages des patrouilleurs, de façon à permettre une plus grande permanence dans la police des pêches. L’acquisition d’une barge remonte-filets par les administrations concernées a été décidée en réunion interministérielle, afin de s’attaquer à la logistique et aux outils mêmes de cette activité de pillage de nos richesses.

Vous l’avez dit avec beaucoup de mesure, monsieur le sénateur, mais nous savons à quel point la pêche illégale met en péril la sécurité et l’activité des agents économiques.

Voilà pour l’état des lieux. Le ministre de la défense me charge de vous informer que le délégué général à l’outre-mer participe aux réunions de travail de la commission du Livre blanc. Vous pouvez donc, éventuellement, faire remonter vos observations et vos propositions par son intermédiaire.

M. le ministre me charge également de vous indiquer que sa réflexion s’appuiera sur trois principes : l’adaptation, la polyvalence et l’autonomie.

L’adaptation, d’abord, parce que chaque département ou territoire en outre-mer a ses caractéristiques propres. Vous me pardonnerez d’insister sur un fait qui, en soi, nous ravit, monsieur le sénateur : le territoire terrestre de la Guyane représente plus de 91 000 kilomètres carrés et son territoire marin près de 300 000 kilomètres carrés, depuis que le plateau continental a été étendu sur décision de l’Organisation des Nations unies. L’adaptation aux territoires est donc nécessaire, car ils ne présentent pas tous les mêmes caractéristiques géographiques, bathymétriques, météorologiques ni ne partagent les mêmes activités économiques.

La polyvalence, ensuite, parce que l’on ne peut pas se contenter d’une seule famille de plateformes, compte tenu de la diversité des missions à exécuter.

L’autonomie, enfin, considérée sous ses divers aspects – maintenabilité, endurance – s’explique par la distance à couvrir.

C’est sur la base de ces trois principes que le ministre de la défense s’engage à tirer les conséquences du futur livre blanc. Il tenait à vous en faire part et à vous rappeler que, naturellement, toutes vos propositions seront les bienvenues, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.

M. Jean-Étienne Antoinette. J’ai pris bonne note de ces éléments de réponse préparés par M. le ministre de la défense.

Nous le savons, à l’insécurité sur l’océan s’ajoute une autre insécurité, sur le territoire, à l’intérieur du pays, notamment dans les zones d’orpaillage, mais aussi, de plus en plus, en zone urbaine.

Madame la ministre, là où les gouvernements successifs ont échoué, le nôtre n’a pas le droit de décevoir !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous y veillerons !

situation de l’enseignement en nouvelle-calédonie

M. le président. La parole est à M. Hilarion Vendegou, auteur de la question n° 93, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale.

M. Hilarion Vendegou. Sur l’ensemble du territoire et quel que soit le gouvernement, l’enseignement est l’objet de toutes les attentions. En Nouvelle-Calédonie, vous le savez, nous sommes tous très attachés à nos écoles, à nos collèges et à nos lycées. Le niveau d’éducation des générations futures nous importe au plus haut point.

Aussi, vous comprendrez notre inquiétude, madame la garde des sceaux, quant à l’accompagnement financier que l’État consentira à fournir dans ce domaine précis, dans le cadre du transfert des compétences prévu par les accords de Nouméa.

Les titulaires du CAPES et les agrégés viendront-ils toujours en Nouvelle-Calédonie ? Nous avons besoin de leurs compétences et nous recherchons leur niveau de qualification. Aussi, pourriez-vous nous dire, madame la garde des sceaux, ce que le Gouvernement envisage de faire en la matière ?

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, votre question s’adresse à M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Retenu, M. le ministre m’a demandé de vous transmettre sa réponse.

Il me prie de vous rappeler que 77 000 postes ont été supprimés au cours des cinq dernières années dans l’éducation nationale. Pour la seule rentrée 2012, 14 000 suppressions avaient été programmées. Le gouvernement actuel, prenant la mesure de l’importance de l’enseignement et de la nécessité de la présence des enseignants dans les établissements scolaires, notamment dans les territoires où la vitalité démographique est réelle, a rapidement pris des dispositions.

Il a ainsi organisé une concertation qui, lancée au début du mois de juillet 2012, a abouti à la confection d’un rapport, remis le 9 octobre dernier au Premier ministre et au Président de la République. Le Gouvernement a tenu à consulter l’ensemble de la communauté éducative.

Pour ce qui concerne plus particulièrement la Nouvelle-Calédonie, le Gouvernement a tenu à être au rendez-vous de la rentrée 2012, dans le cadre, vous l’avez rappelé, du transfert de nouvelles compétences prévu par les accords de Nouméa. Les compétences en matière d’enseignement du premier degré public ayant déjà été transférées, sont venues s’y ajouter les compétences concernant l’enseignement secondaire public et privé, l’enseignement primaire privé et la santé scolaire.

Un plan d’urgence a donc été établi pour la Nouvelle-Calédonie. Pour les matières les plus déficitaires – lettres, mathématiques, anglais ou EPS – des dispositions spéciales ont été prises.

Sur l’ensemble du territoire national, 1 000 postes ont été créés pour l’école primaire, et la Nouvelle-Calédonie en prend sa part.

Des mesures importantes ont été prises pour les collèges et les lycées. En effet, 280 enseignants supplémentaires ont été recrutés dans le second degré, ainsi que 2 000 assistants d’éducation.

Les mesures correctives prises dès cette rentrée scolaire pour la Nouvelle-Calédonie ont consisté, par décision du ministre de l’éducation nationale, à faire en sorte que puissent être affectés sur place les lauréats qui résidaient dans la collectivité durant l’année de concours et justifiaient d’attaches réelles ou d’une situation familiale particulière nécessitant leur maintien en Nouvelle-Calédonie. Cette mesure a concerné, pour la rentrée scolaire 2012, 51 fonctionnaires stagiaires primo-entrants.

Le vice-rectorat a admis, en septembre dernier, 242 enseignants titulaires, dont la plupart sont des certifiés et des agrégés. Cela répond en partie à votre question sur les enseignants titulaires du CAPES. Les enseignants affectés en Nouvelle-Calédonie sont donc parfaitement qualifiés, puisque des certifiés et des agrégés ont été admis à participer au mouvement intra-territorial.

Les titulaires du CAPES sont au nombre de 576 et les agrégés au nombre de 109. Ces deux corps représentent 45 % du total des enseignants affectés en Nouvelle-Calédonie. Je ne suis pas certaine que tous les territoires puissent afficher un tel taux de professeurs certifiés et agrégés.

Enfin, le flux d’entrées-sorties prévisionnel sur le territoire calédonien devrait afficher un solde positif de 46 enseignants, grâce notamment à la mesure d’affectation des fonctionnaires stagiaires que j’ai évoquée tout à l’heure.

Comme vous le voyez, il y a incontestablement une rupture avec les pratiques antérieures. Nous mettons un terme à la saignée des effectifs d’enseignants. Nous agissons dans la concertation, en mobilisant pour les consulter l’ensemble des acteurs de la communauté éducative, parents d’élèves compris. M. le ministre de l'éducation nationale est également très attentif à la place qui est accordée aux élus dans cette démarche et dans la coordination des actions de l’État et des territoires.

M. le président. La parole est à M. Hilarion Vendegou.

M. Hilarion Vendegou. Je vous remercie de votre réponse, madame la garde des sceaux. Je vous ai écoutée avec d’autant plus d’attention que j’étais moi-même à l’origine enseignant, plus précisément instituteur.

Vous le comprendrez, je suivrai donc avec beaucoup de vigilance l’évolution de ce dossier, qui me tient véritablement à cœur.

attribution des subventions du fisac

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la question n° 132, adressée à Mme la ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme.

M. Jacques Mézard. Madame la ministre, l’attribution des subventions du Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, est aujourd’hui attendue par de très nombreuses collectivités territoriales pour réaliser leurs projets d’aménagement. D’ailleurs, beaucoup de promesses leur ont été faites en la matière...

Le FISAC est principalement destiné à financer les opérations de création, maintien, modernisation, adaptation ou transmission des entreprises du commerce, de l’artisanat et des services, afin de préserver ou de développer un tissu d’entreprises de proximité. Il est donc devenu un outil essentiel aux communes pour soutenir leurs actions de développement économique et de revitalisation de leur territoire.

Malheureusement, certaines demandes de subventions qui ont été déposées avant les dernières élections attendent toujours leur réponse.

Il en est ainsi pour Aurillac, ville chère à mon cœur, qui attend toujours une réponse à la demande de subvention de 293 465 euros formulée en 2011 pour mettre en œuvre la première tranche du projet global de redynamisation du centre-ville et de l’opération programmée de l’habitat de renouvellement urbain du centre ancien, que la municipalité pilote en partenariat avec l’Agence nationale de l’habitat.

C’est un projet structurant et essentiel pour notre ville, dans la mesure où il vise à la fois à favoriser le retour des habitants, à stimuler la diversité du centre-ville, à redynamiser l’activité économique et à valoriser le patrimoine historique et architectural.

Le 15 décembre 2011, sous une majorité précédente, nous avions eu la visite de M. Frédéric Lefebvre, alors secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation, qui s’était engagé à prescrire un examen de ce dossier. Un article paru dans la presse locale en février ou en mars indiquait même qu’une subvention de 140 000 euros était débloquée au titre du FISAC ; mais c’était une communication du député sortant, candidat à sa réélection…

À ce jour, aucune suite officielle n’a été donnée.

Dans ces conditions, madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer dans quel délai ces crédits pourront être débloqués ? Plus largement, quelle politique le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour fixer le cadre d’attribution et d’utilisation de ces crédits ?

J’imagine d’ailleurs que cette question a dû vous être posée dans de nombreuses communes. Élus locaux et parlementaires, nous sommes directement au contact des besoins, notamment grâce au cumul des mandats, si utile à l’expression de la démocratie.

M. Bruno Retailleau. Absolument !

M. Jacques Mézard. C’est la démonstration que nous soulevons les vrais problèmes ; nous attendons donc les vraies solutions.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvia Pinel, ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme. Monsieur le sénateur, je vous remercie de me poser cette question, qui me donne l’occasion d’apporter un certain nombre de précisions et de clarifications.

Lors de ma prise de fonctions et de mon arrivée à Bercy, j’ai pris connaissance de la situation difficile, et c’est un euphémisme, dans laquelle se trouve le FISAC.

Le gouvernement précédent a réduit drastiquement les crédits alloués à ce fonds. Le FISAC a été la ligne la plus diminuée des crédits aux PME dans la loi de finances initiale pour 2012. Pourtant, les besoins de financement sont de plus en plus importants, notamment pour des projets comme celui que vous évoquez.

Une réforme des critères d’attribution du Fonds a été décidée à la hâte, sans concertation, par mon prédécesseur, alors que les besoins étaient réels et que les promesses implicites se multipliaient sur le terrain. Je constate que vous en avez fait la triste expérience à Aurillac.

Quelle est la situation aujourd'hui ? Nous avons une enveloppe restante de 13 millions d’euros pour 700 dossiers instruits, qui représentent 35 millions d’euros, auxquels il faut ajouter 1 600 dossiers en cours d’instruction et 80 nouveaux dossiers déposés chaque mois !

Les élus locaux m’interpellent sur la situation du FISAC à chacun de mes déplacements. D’ailleurs, c’est assez légitime s’agissant de projets structurants ; je pense notamment à certains projets d’aménagement très utiles aux commerçants et aux artisans.

Lors de ma visite à Aurillac, la semaine dernière, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec vous, monsieur le sénateur, ainsi qu’avec les élus de la ville. J’ai pu constater la qualité du dossier qui m’était présenté, même si certains aménagements n’entrent plus dans les nouveaux critères. Telle est la situation à laquelle nous devons faire face, et je sais votre attachement à la ville et à ce projet.

Dans ce contexte, le Gouvernement prendra évidemment ses responsabilités. Nous serons amenés à rendre des arbitrages sur les 700 dossiers instruits. Nous ne nous défausserons pas. Comme les financements ne sont pas à la hauteur des besoins, nous serons conduits à revoir à la baisse un certain nombre de subventions.

Tout cela n’est évidemment pas satisfaisant. Le Gouvernement remettra donc le dispositif à plat. Je suis en train de procéder à une évaluation complète du FISAC, afin de mieux cibler les critères d’intervention pour viser en priorité les territoires fragiles. Je pense en particulier aux zones rurales, aux besoins de redynamisation des centres-villes et aux commerces de proximité.

Et nous agirons dans la justice. Car, vous le savez, la feuille de route du Gouvernement, c’est l’équité, l’efficacité et la justice.

Le FISAC est un outil utile au développement économique. Nous devons le maintenir, mais nous devons revoir ses critères d’éligibilité, pour qu’il soit plus efficace au service des artisans et des commerçants. Je compte évidemment le faire avec le soutien des élus locaux.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, qui met en lumière la réalité de la situation dont vous avez hérité : les 700 dossiers instruits nécessiteraient 35 millions d’euros, alors qu’il ne reste que 13 millions d’euros !

Voilà le bilan de la méthode qui a été utilisée par votre prédécesseur, en particulier pendant la période qui précédait les échéances électorales…Ce n’est pas bien de procéder ainsi ; un tel mode de gestion des dossiers crée à l’évidence des insatisfactions profondes dans nos territoires.

Madame la ministre, les mesures que vous envisagez de prendre sont, je le crois, des mesures de justice et d’égalité territoriale. Vous avez, me semble-t-il, raison de vouloir cibler en priorité les territoires fragiles, où nous avons effectivement besoin des concours de l’État.

Je sais que vous agirez dans la justice. Et c’est évidemment la bonne manière de résoudre ce qui est devenu un problème délicat pour de très nombreuses communes sur le territoire.

application des normes par les collectivités territoriales et fonctionnement des commissions de contrôle et de sécurité

M. le président. La parole est à M. Alain Néri, auteur de la question n° 98, adressée à Mme la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique.

M. Alain Néri. Je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les problèmes quotidiens que rencontrent les élus des collectivités locales dans l’application des normes, notamment avec les commissions de contrôle et de sécurité.

De nombreux élus constatent avec regret et inquiétude l’accumulation des contraintes législatives et réglementaires, qui rend la gestion des collectivités locales de plus en plus lourde et compliquée. Face à une véritable frénésie normative, ils sont même parfois désespérés, voire exaspérés par des règles tatillonnes, excessives et peu réalistes qui freinent la réalisation des investissements, perturbent la bonne gestion des collectivités territoriales et imposent souvent de fait une tutelle inacceptable des administrations, en contradiction avec la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions.

Quelles que soient les normes imposées, les principales difficultés sont de trois ordres : le coût, la complexité technique et le délai de mise en œuvre. Cela se vérifie au moment des travaux mais aussi lors des diagnostics et études préalables, ainsi que des contrôles techniques et de sécurité.

Les élus reprochent également à juste titre une trop grande profusion de textes et leur évolution constante, qui est source d’insécurité juridique. En outre, l’application qui en est faite soit est trop rigoureuse, soit varie en fonction des autorités chargées d’interpréter les textes ; cela se vérifie notamment pour les normes de sécurité.

Les élus souhaitent que le système normatif évolue réellement dans le sens d’une meilleure adaptation des textes aux situations locales, soit lors de la définition des normes, soit lors de leur application, en laissant une certaine souplesse en fonction de la taille de la collectivité, de son caractère urbain ou rural ou encore de ses capacités financières. Ils réclament également une évaluation plus précise des conséquences financières de ces normes et un allongement des délais de mise en application, ainsi qu’une plus grande stabilité des textes.

Il y a urgence. Je souhaite donc connaître les suites que le Gouvernement entend donner à ces légitimes demandes.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, je vous remercie de soulever cette question, qui, comme vous le savez, est aujourd'hui au cœur des préoccupations des élus.

Depuis la mise en place de la réflexion sur la démocratie territoriale, en particulier dans le cadre des états généraux initiés au Sénat par le président Jean-Pierre Bel, la question des normes revient dans le débat de manière récurrente. En effet, l’inflation normative – d’aucuns parlent même d’« incontinence normative » – atteint des proportions telles qu’il devient aujourd'hui indispensable d’envisager la mise en place d’un dispositif permettant de réduire tant le stock que le flux de ces normes.

Lors des récents états généraux de la démocratie territoriale, le 5 octobre dernier, M. le Président de la République a évoqué un certain nombre de pistes.

Vous le savez également, différents groupes de travail se sont réunis. Par exemple, votre ancien collègue Alain Lambert a remis un rapport comportant un certain nombre de réflexions au titre de la Commission consultative d’évaluation des normes.

Quelle est la situation actuelle ? Il y a aujourd'hui plus de 400 000 normes, pour un coût annuel de plus de 2 milliards d’euros. Nous devons donc impérativement trouver des moyens pour alléger ces difficultés.

L’Assemblée nationale a examiné la semaine dernière une proposition de loi présentée par le député Pierre Morel-À-L’Huissier pour réduire le nombre de normes, en particulier en milieu rural. Nous avons été amenés à formuler plusieurs observations de nature constitutionnelle sur le texte proposé qui, parce qu’il s’adressait seulement à une partie de la population et concernait uniquement certaines normes, ne répondait pas aux attentes réelles des élus.

Nous devons travailler sur un dispositif qui s’appliquera de manière générale tout en permettant des adaptations locales.

Le Président de la République a donc annoncé des dispositions contraignantes. Il nous a indiqué des pistes de travail, et ces pistes seront suivies.

D’ailleurs, M. le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, à l’issue des états généraux de la démocratie territoriale, a demandé au Sénat de s’atteler à un nouveau travail, l’objectif étant, d’une part, de réduire le stock existant, d’autre part, de pénaliser tout dispositif tendant à augmenter le nombre de normes nouvelles, et donc à créer des dépenses qui ne sont pas supportables pour les collectivités locales.

Soyez assuré, monsieur le sénateur, que le Gouvernement s’associera complètement à cette démarche, car, tout comme les parlementaires, il doit être particulièrement vigilant aux dépenses imposées de manière excessive aux collectivités territoriales.

Il important que le nombre des normes soit ramené à des proportions convenables et acceptables par les uns et pas les autres. Le Gouvernement y veillera.

M. le président. La parole est à M. Alain Néri.

M. Alain Néri. Madame la ministre déléguée, je vous remercie de votre réponse, qui me rassure, comme elle rassurera également, j’en suis certain, un grand nombre d’élus locaux.

Les chiffres que vous venez de citer – 400 000 normes, 2 milliards d’euros par an – sont édifiants. C’est un défi au bon sens, ce bon sens dont les élus locaux dévoués doivent, eux, faire preuve souvent, pour ne pas dire toujours, afin de gérer au mieux leur commune, leur département et leur région, avec les moyens dont ils disposent. Et ces élus sont désespérés qu’on leur impose des normes souvent peu réalistes et excessives. Vous avez parlé d’incontinence, madame la ministre déléguée ; j’ai parlé de frénésie. Les mots sont différents, mais ils décrivent le même phénomène.

Je participerai aux réflexions que le Gouvernement et le Parlement engageront. Néanmoins, j’attire d’ores et déjà votre attention sur un point : aujourd’hui, quand nous envisageons un investissement, le coût des études dépasse souvent le montant des travaux. C’est un vrai problème. Revenons un peu au bon sens, et disons halte à un certain lobbying totalement insupportable et inacceptable.

Madame la ministre déléguée, nous serons à vos côtés pour faire avancer ce dossier dans l’intérêt de nos communes, de nos départements et de nos régions.

financement des investissements publics locaux et incidences de l'excès normatif sur les collectivités territoriales

M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent, auteur de la question n° 129, adressée à Mme la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique.

M. Daniel Laurent. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, ma question est similaire à la précédente puisqu’elle porte sur le financement des investissements publics locaux et sur les incidences de l’excès normatif sur les collectivités territoriales.

Je constate que la question qui sera posée tout à l’heure par Alain Fouché tourne également autour du même thème. Nous ne nous étions pas concertés, mais cette convergence prouve que le sujet est d’une très grande importance et qu’il reflète le quotidien des élus de terrain que nous sommes.

À la suite des états généraux de la démocratie territoriale, qui se sont tenus à Paris, mais que nous, élus locaux, avons également organisés sur nos territoires respectifs - en l’occurrence, c’est ce que nous avons fait avec Claude Belot et Michel Doublet en Charente-Maritime -, les élus présents ont fait part de leurs inquiétudes et ont soulevé de nombreuses questions.

Alors que les maires ont des projets d’investissement, ils ne peuvent les mener à bien faute de financements. Quand on sait que plus de 75 % des investissements publics sont réalisés par les collectivités territoriales, on peut s’inquiéter du sort des entreprises et des emplois. Ces inquiétudes sont renforcées par le gel des concours de l’État aux collectivités territoriales pour 2013 et par l’annonce d’un effort budgétaire de 2,25 milliards d’euros pour les deux ans à venir.

Les élus locaux que nous sommes ne sont pas hostiles à l’idée de participer à l’effort budgétaire de maîtrise des déficits, mais ils souhaitent que le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales soit respecté et veulent conserver leur capacité d’investissement.

Face aux difficultés rencontrées par les collectivités pour accéder au crédit et face au renchérissement du coût de ce dernier, la capacité d’investir des collectivités est en nette diminution, ce qui a des répercussions sur l’emploi local, ainsi que sur le tissu économique et social de nos territoires.

Certes, les réponses apportées par les pouvoirs publics, avec le déblocage exceptionnel de 5 milliards d’euros sur fonds d’épargne dédié au financement des collectivités territoriales pour faire face aux besoins de crédits de moyen et de long terme, sont des avancées notables, tout comme l’offre de crédit à court terme proposée par La Banque postale. Néanmoins, ces solutions restent insuffisantes pour répondre aux attentes des élus locaux.

L’agence de financement devrait donc permettre aux collectivités d’emprunter à moindre coût et de manière plus sécurisée, dans un esprit de solidarité et de cohésion territoriale, comme viennent de le rappeler les associations d’élus locaux.

Madame la ministre déléguée, le Gouvernement envisage-t-il le dépôt d’un projet de loi portant création de l’agence de financement des investissements publics locaux ?

Nous attendons des réponses.

Quant à l’excès normatif, qui obère les initiatives au risque de décourager les élus, la problématique a été mise en avant par les élus ruraux lors des états généraux de la démocratie territoriale.

En effet, nous en convenons tous, l’inflation normative est un frein à la compétitivité. Elle touche non seulement les collectivités, mais également de très nombreux secteurs de l’économie française.

La mise en pratique des normes est une source de dépenses supplémentaires en fonctionnement et en investissement, d’autant qu’elle s’accompagne d’une large instabilité. Vous avez cité une dépense annuelle de 2 milliards d’euros, ce n’est pas rien !

Les territoires ruraux sont particulièrement sensibles à l’inflation normative et affectés par elle ; ils doivent mettre en œuvre des normes qui se heurtent souvent à des impossibilités techniques ou dont les conséquences sont excessives au regard des objectifs visés et de leurs capacités financières.

Je ferai, par ailleurs, référence aux excellents rapports de nos collègues Claude Belot, sur la « maladie de la norme », et Éric Doligé, sur la simplification des normes applicables aux collectivités. Ce dernier rapport a fait l’objet d’une proposition de loi renvoyée en commission et qui est inscrite à l’ordre du jour du Sénat, dans l’espace réservé au groupe UMP, le 24 octobre prochain, ce dont je me félicite. J’espère qu’elle ne subira pas le même sort que la proposition de loi portant création des principes d’adaptabilité et de subsidiarité en vue d’une mise en œuvre différenciée des normes en milieu rural, de notre collègue député Pierre Morel-À-L’Huissier.

Je note que le Président de la République a repris à son compte les propositions de notre collègue en matière d’allégement des normes, sans préciser toutefois quelles séries de normes il envisageait éventuellement de supprimer, mais laissant entendre que les normes sanitaires et environnementales ne seraient pas concernées.

Encore une fois, au risque d’insister, madame la ministre déléguée, les élus de terrain souhaitent que nous mettions fin à cet excès normatif. Ils veulent également être accompagnés pour mener à bien leurs projets structurants, indispensables pour le dynamisme de nos territoires.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, avec votre accord, je répondrai d’abord à la deuxième partie de votre question, pour prolonger ma réponse à la question précédente.

Effectivement, les normes ont un poids financier considérable et elles imposent des contraintes quasi insupportables aux collectivités territoriales, qui sont, cela a été dit et répété, de plus en plus démunies de moyens techniques, financiers et humains.

Le Président de la République a demandé que l’on cherche des solutions qui respectent la Constitution. À ce titre, j’attire votre attention sur le fait que la proposition de loi de M. Morel-À-L’Huissier n’a pas été retenue au regard de son caractère anticonstitutionnel.

La proposition de loi de M. Doligé sera examinée en toute impartialité et fera l’objet d’une attention particulière, étant entendu que les solutions qu’elle prévoit entrent exactement dans le cadre proposé par le Président de la République.

Permettez-moi maintenant d’intervenir plus longuement sur les problèmes d’investissement que vous avez évoqués.

Il va de soi que nous serons attentifs aux problèmes qui concernent les collectivités territoriales, car ces dernières sont gage de redressement pour notre pays. En effet, elles participent, par leurs investissements, à la croissance et à l’emploi. Au cours des dernières années, la part des collectivités dans l’investissement public s’élevait à près de 74 %. Depuis 2011, voire 2010, ce pourcentage est revenu autour de 70 % ou de 71 %, d’où l’attention très particulière portée par le Gouvernement à ces situations.

Monsieur le sénateur, vous avez relevé les efforts qui ont été immédiatement consentis l’été dernier, dès que les difficultés de Dexia ont été connues. La Banque postale a contribué pour 2 milliards d’euros et la Caisse des dépôts et consignations pour 3 milliards d’euros. Nous en sommes conscients, il s’agit là d’une réponse ponctuelle.

Aujourd’hui, le Gouvernement travaille à des dispositions pérennes pour répondre aux besoins de court terme ou de moyen et long terme des collectivités territoriales, qui sont des acteurs essentiels de l’investissement pour notre territoire.

Vous avez souhaité savoir, monsieur le sénateur, ce qu’il en était de l’agence de financement des collectivités territoriales. Aujourd’hui, le Gouvernement étudie la question en cherchant les meilleures solutions. Le besoin de financement de nos collectivités s’élève probablement à 18 milliards d’euros par an. Différentes possibilités sont offertes : agence de financement des collectivités territoriales, Banque postale, Caisse des dépôts et consignations, secteur privé.

L’idée est de permettre aux collectivités territoriales de continuer à investir et d’être les moteurs de notre développement économique. Soyez assurés que nous y veillerons avec la plus grande attention et que nous vous apporterons dans les meilleurs délais la réponse à la question que vous avez posée.

M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent.

M. Daniel Laurent. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre déléguée.

Nous attendons une très grande réactivité du Gouvernement en faveur de la diminution des normes et du maintien de la capacité d’investissement des collectivités. Car, qui dit investissements, dit emplois !

accessibilité à la ressource bancaire pour les collectivités territoriales

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, auteur de la question n° 76, adressée à M. le ministre de l'économie et des finances.

M. Alain Fouché. Madame la ministre déléguée, ma question concerne également les collectivités locales et leurs difficultés pour accéder à la ressource bancaire, preuve qu’il s’agit d’un problème important.

Ce point a été évoqué lors des assises des territoires ruraux que j’ai organisées dans mon département avec Jean-Pierre Raffarin.

La situation devient particulièrement préoccupante. Il est parfois impossible pour les collectivités d’obtenir la totalité des crédits demandés, ce qui met en péril les opérations d’investissement envisagées. Lorsque les collectivités y parviennent, c’est souvent avec le concours de plusieurs établissements bancaires et au prix d’une qualité dégradée en raison de marges prohibitives pratiquées par les banques, comme vous avez dû vous en rendre compte, madame la ministre déléguée.

L’agence de financement des investissements locaux souhaitée par le Gouvernement n’est pas encore opérationnelle et les enveloppes de crédits de court terme et de long terme, annoncées par La Banque postale, ne suffiront pas à couvrir les besoins de financement pour les années 2012-2013. C’est ce qu’a indiqué le président du directoire de La Banque postale, Philippe Wahl, il y a quelques mois, lors d’une réunion que nous avons organisée, Jean-Pierre Raffarin et moi-même, à Poitiers avec les maires de mon département.

Cette situation va se tendre encore davantage, puisque la banque Dexia a annoncé très récemment qu’elle serait dans l’incapacité d’honorer les reversements des encours remboursés sur les contrats de long terme renouvelables.

Vous l’avez évoqué, madame la ministre déléguée, 70 % de l’investissement public en France est réalisé par les régions, les départements, les communes, les communautés de communes, voire les pays. De ce fait, faute de mesures adaptées et immédiates, cette situation aura des effets négatifs sur la croissance et sur l’emploi, car les artisans et les entreprises seront touchés.

Madame la ministre déléguée, vous venez de fournir un certain nombre d’éléments à mon collègue Daniel Laurent, mais peut-être nous donnerez-vous des précisions supplémentaires. Ainsi, je vous remercie de bien vouloir m’indiquer dans quel délai cette agence verra le jour – vous avez annoncé que ce serait très rapide –, quelle en sera la nature et quel sera son niveau de participation auprès des collectivités locales, dans la situation à laquelle elles doivent faire face.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, vous voudrez bien excuser le ministre de l'économie et des finances, qui assiste actuellement avec le ministre délégué chargé du budget à une réunion interministérielle sur le projet de loi de finances pour 2013. Il m’a chargée de vous communiquer la réponse à la question que vous lui posez. Vous me permettrez cependant d’y apporter des précisions supplémentaires, qui compléteront les indications que je viens de donner à M. Daniel Laurent.

Le Gouvernement sait que les collectivités sont aujourd’hui inquiètes. Le Président de la République a indiqué aux élus locaux, lors des états généraux de la démocratie territoriale, qu’il veillerait, avec le Gouvernement, à ce qu’il n’y ait aucune rupture dans le financement des investissements ni dans la trésorerie des collectivités locales.

Pour l’année 2012, le ministre délégué chargé du budget a, le 14 septembre dernier, adressé, avec Marylise Lebranchu, Manuel Valls et moi-même, une circulaire aux préfets leur demandant d’établir un bilan des difficultés d’accès au crédit que peuvent rencontrer les collectivités.

Ce bilan souligne que les besoins des collectivités devraient globalement être satisfaits cette année, grâce à l’offre des banques privées et aux mesures exceptionnelles prises par l’État. Il permettra également d’identifier les collectivités qui connaissent encore des difficultés à boucler leurs financements et pour lesquelles les dispositifs mis en place doivent apporter une réponse ; cette liste est en cours d'élaboration. Dans quelques jours, j'espère, nous disposerons d’un état des collectivités qui rencontrent le plus de difficultés.

Un certain nombre de mesures ont d'ores et déjà été prises pour répondre à cette situation exceptionnelle. Ainsi a été décidé le déblocage d'une enveloppe de près de 3 milliards d'euros sur les fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations. Au total, ce sont plus de 5 milliards d'euros qui ont été débloqués à titre exceptionnel cette année, pour permettre le financement à moyen et à long terme des collectivités locales.

De plus, afin que toutes les collectivités puissent y avoir recours, la décision a été prise de baisser significativement les taux applicables à ces enveloppes exceptionnelles, car ils pouvaient être considérés comme excessifs. Il s’agit là d’une mesure relativement récente, mais essentielle. Depuis le mois de mai, les taux ont ainsi diminué de près d'un tiers ; ils ont été réduits encore tout récemment.

Par ailleurs, monsieur le sénateur, comme vous le signaliez, La Banque postale a mis en place une nouvelle offre de crédit à court terme qu'elle a portée de 2 milliards d'euros à 4 milliards d'euros pour faire face à des besoins urgents de trésorerie. À partir du mois de novembre prochain, elle proposera également des crédits à moyen et à long terme en direction des collectivités locales pour un montant compris entre 1 milliard d'euros et 2 milliards d'euros en 2012.

Les collectivités de petite taille se heurtent à une difficulté particulière : leurs besoins ne sont pas excessifs et portent parfois sur de petites sommes, 200 000 euros, 100 000 euros, 80 000 euros, voire 50 000 euros ! La Banque postale s'est engagée sur de tels montants, voire sur des montants moindres dès le début de l'année prochaine.

L’ensemble de ces interventions permettent d’envisager une détente de la situation et donnent de l’air aux collectivités.

Pierre Moscovici a par ailleurs fait le point avec les principales banques et a pu constater qu’à ce stade de l’année elles respectaient leur engagement de maintenir, voire d’accroître leur offre de crédit en 2012 par rapport à 2011.

Le Gouvernement fait donc en sorte que des solutions pérennes soient trouvées pour le financement des collectivités locales. Comme je le disais, La Banque postale devrait notamment compléter à terme sa gamme en partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations pour contribuer durablement au financement du secteur public local. Ce nouvel outil prendra le relais de Dexia à l’issue des négociations avec la Commission européenne.

Vous m'avez interrogée sur les délais. Tout doit être fait pour que, dès le début de l'année prochaine, La Banque postale puisse accorder des prêts de faible montant aux collectivités souhaitant réaliser des investissements certes modestes, mais qui contribuent, vous l’avez rappelé, à notre économie et donc à l'emploi.

Vous le voyez, monsieur le sénateur, tout est mis en œuvre entre les différentes administrations pour participer autant que possible au redressement de la France.

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Madame la ministre déléguée, je vous remercie de cette réponse très claire. Je constate la forte volonté du Gouvernement d'aller très vite dans ce domaine. Il est vrai que, du fait de ce problème d’accessibilité à la ressource bancaire, la croissance est freinée. Je souhaite donc, comme vous, que cette agence soit mise en place le plus rapidement possible pour répondre aux besoins de nos collectivités. Enfin, je prends note des précisions que vous avez apportées concernant La Banque postale.

problèmes posés par l’organisation des transports scolaires suite aux dérogations accordées pour les inscriptions dans les collèges

M. le président. La parole est à M. Georges Labazée, auteur de la question n° 33, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale.

M. Georges Labazée. Madame la ministre déléguée, ma question s’adressait au ministre de l’éducation nationale, mais, comme elle concerne également les collectivités territoriales, je suis persuadé que vous pourrez y répondre aisément. (Sourires.) Elle porte sur l’organisation des transports scolaires dans et par nos départements et vise à avancer des éléments de débat pour une meilleure concertation entre les deux autorités compétentes en la matière : le conseil général et l’inspection académique.

L’organisation du système éducatif du second degré – ici, les collèges -, est une compétence conjointe entre le département et l’inspection académique. Bien plus, il s’agit, disons-le, d’une autorité bicéphale : autorité hiérarchique pour l’inspection académique, autorité d’organisation pour le conseil général. On peut même parler parfois d’autorité palliative...

Cela fait de nombreuses années que le problème est évoqué, mais les différents incidents qui ont eu lieu dans mon département lors de la dernière rentrée scolaire révèlent qu’il est urgent d’inscrire dans le champ de la concertation le respect du périmètre des compétences de chacune de ces autorités. En d’autres termes, il faut clarifier leurs compétences et, surtout, mesurer ce que les décisions prises impliquent concrètement.

Je m’explique.

Les décisions prises unilatéralement par l’une des parties entraînent fatalement des obligations pour l’autre partie. C'est surtout vrai en matière d’organisation des transports scolaires.

La loi oblige en effet le conseil général à mettre en place la sectorisation ; la carte scolaire permet alors de poser les bases d’une organisation globale, ce qui est nécessaire. Cependant, des dérogations existent. Le problème, c’est qu’elles reposent uniquement sur les décisions du directeur académique des services de l’éducation nationale, le DASEN.

Rentrons un peu dans le détail.

La désectorisation peut faire suite à une demande expresse de la famille. Dans ce cas, le département n’est pas responsable de la mise en place du transport de l’élève.

En revanche, lorsque la décision du DASEN est prise soit par manque de place dans les structures pédagogiques, soit parce qu’une spécialité souhaitée n’est pas enseignée dans le collège de secteur, elle crée des droits pour l’élève en matière de transports. C’est là que le bât blesse... À la suite de cette décision du DASEN, le conseil général se retrouve contraint de devoir organiser le transport de l’élève dans l’urgence, et ce souvent, trop souvent, pour un coût parfois supérieur à 6 500 euros par élève en zone de montagne, ce qui est prohibitif.

À cette difficulté, il faut ajouter, par exemple dans mon département, le problème du transport des élèves des classes en immersion, que ce soit les ikastolak pour l'enseignement de la langue basque ou les calandretas pour l'enseignement des langues d'oc.

Madame la ministre déléguée, dans les cas où cela se trouve à la fois possible et pertinent, ne serait-il pas préférable de redéfinir les ouvertures de classes ou les augmentations des seuils pour accueillir le ou les élèves plutôt que de désectoriser ?

Oui, cela nécessiterait d’ajuster la dotation globale horaire, mais que de contraintes supprimées pour les familles ainsi aussi que pour la collectivité, qui ne serait alors plus obligée de s’adapter dans l’urgence, parfois au détriment des élèves !

Un autre problème tient à l’absence de sectorisation des collèges privés. Dans mon département, 25 % de la population fréquente les établissements privés, et je respecte cette décision.

En l’absence de loi, certains conseils généraux ont pris des dispositions contraignantes, via un règlement intérieur, pour éviter que les enfants ne soient laissés pour compte. Le conseil général s’est ainsi astreint à organiser et à assurer gratuitement le transport des élèves dans les collèges privés lorsqu’ils sont à proximité du lieu d’habitation de l’élève. Il peut alors s’agir de mettre en place une desserte unique, lorsque les collèges publics et privés sont à proximité, par une prolongation ou un détournement du circuit, ou de créer une ligne.

M. le président. Veuillez en venir à votre conclusion, mon cher collègue.

M. Georges Labazée. Madame la ministre déléguée, il serait juste de mettre en place, sur l'ensemble du territoire, une carte scolaire pour les collèges privés, avec pour règle fondatrice la proximité entre le collège et l'habitation. Attention ! Il ne s’agit pas de porter atteinte au libre choix des familles qui prennent la décision de sortir leur enfant de l’école publique pour l’inscrire dans un établissement privé, mais il faut faire en sorte que la gratuité bénéficie à tous les élèves, jusqu'au collège de proximité.

Toute décision unilatérale peut se révéler préjudiciable, car elle crée des obligations dans des temps très contraints. Je lance par conséquent un appel pour que les recteurs et les inspecteurs académiques soient mieux informés des conséquences de leurs décisions.

M. le président. Veuillez maintenant conclure, cher collègue !

M. Georges Labazée. Ma question est la suivante : ne pourrait-on trouver une harmonieuse articulation entre les services académiques et les services des transports scolaires des conseils généraux ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence du ministre de l'éducation nationale. Selon moi, le texte qu’il a fait préparer à votre attention ne répond pas tout à fait à la question que vous lui avez posée. C’est pourquoi, si vous le permettez, je la lui transmettrai de nouveau de façon qu'il puisse vous apporter toutes les précisions que vous demandez. Néanmoins, je vous ferai part des éléments de réponse techniques qu’il a tenu à vous donner.

Monsieur le sénateur, vous savez combien le ministre de l'éducation nationale est attentif au dialogue avec l'ensemble des partenaires, qu'ils appartiennent au monde éducatif ou au monde des élus ; à ce titre, il a reçu l'ensemble des associations d'élus locaux. C'est d'ailleurs parce qu'il a entrepris ce travail qu’il ne peut être ici ce matin : la refondation de notre école est au cœur de ses préoccupations.

Pour en venir maintenant plus spécifiquement à votre question, vous vous préoccupez fort légitimement des conséquences sur l’organisation du transport scolaire des dérogations à la carte scolaire.

Le département est compétent pour déterminer la localisation des collèges, leur capacité d’accueil et leur secteur de recrutement. Le directeur académique des services de l’éducation nationale est, quant à lui, compétent pour affecter les élèves dans les collèges publics et accorder, le cas échéant, des dérogations à la carte scolaire définie par le département.

Le département est également compétent pour assurer l’organisation du transport scolaire : choix des points d’arrêt à desservir, choix de l’itinéraire, des horaires, etc. Voilà ce que nous essayons de faire aussi bien que possible, lorsque nous sommes dans nos conseils généraux.

Dans ce cadre, le conseil général est consulté par les services académiques avant toute décision susceptible d’entraîner une modification substantielle des besoins en matière de transport scolaire. De son côté, la direction académique des services de l’éducation nationale doit prendre en compte les répercussions d’une décision de dérogation à la carte scolaire sur le service du transport scolaire. Ces dérogations demeurent, globalement, marginales.

L’organisation et le fonctionnement des transports sont évoqués dans le cadre du conseil départemental de l’éducation nationale, qui est l’instance au sein de laquelle s’échange l’information et se noue une concertation étroite entre l’État et le département sur ces sujets.

Le ministre de l’éducation nationale est très attaché à ce dialogue, qui est nécessaire au fonctionnement du service public de l’éducation nationale.

Au-delà de ces rappels, M. le ministre tient à préciser que la jurisprudence administrative tient compte des contraintes des collectivités territoriales ; cela me paraît tout à fait fondamental. Ainsi, le juge administratif estime que les départements ne sont pas tenus d’assurer la prise en charge financière du transport scolaire des élèves inscrits dans un établissement qui n’est pas situé dans leur secteur selon les mêmes modalités que s’ils étaient inscrits dans l’établissement de leur secteur. Les départements peuvent donc mettre en œuvre des règles d’organisation ou de prise en charge financière du transport scolaire qui soient différentes, et ce sans déroger au principe d’égalité des usagers devant le service public.

Le Conseil d’État a également jugé qu’un conseil général ne méconnaissait pas le principe d’égalité des usagers devant le service public en organisant des circuits de transport scolaire auxquels les élèves scolarisés dans un établissement du secteur de leur domicile accèdent gratuitement, et un régime d’indemnisation forfaitaire en faveur des élèves qui fréquentent un établissement situé en dehors de ce secteur.

En revanche, le juge administratif a estimé qu’étaient contraires au principe d’égalité entre les usagers du service public les dispositions qui prévoient que les élèves qui fréquentent un établissement scolaire public par dérogation à la carte scolaire ne bénéficient d’aucune prise en charge de leurs frais de transport, alors que les élèves qui fréquentent un établissement privé et ne sont donc pas assujettis au respect de la carte scolaire, se voient accorder la gratuité du transport scolaire pour une distance équivalente à celle comprise entre leur domicile et l’établissement public de rattachement.

Depuis le premier acte de la décentralisation, les collectivités territoriales sont devenues des acteurs essentiels de la mise en œuvre des politiques éducatives. L’État veut y associer l’ensemble des élus.

Si vous le voulez bien, monsieur le sénateur, je transmettrai au ministre de l’éducation nationale la teneur exacte de votre question, notamment pour ce qui concerne les classes d’immersion ou le cas spécifique de l’enseignement privé, afin qu’il puisse vous répondre par un courrier écrit.

M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.

M. Georges Labazée. Je souhaiterais compléter ma question, car je n’ai pas abordé le problème de la restauration scolaire le mercredi midi. Le conseil d'administration de l’établissement peut décider d’ouvrir, ou non, la cantine ou le restaurant scolaire ce jour-là. Le cas échéant, les horaires des transports sont totalement décalés. La décision du conseil d'administration s’impose au conseil général, mais c’est une autre source de difficultés.

ÉVOLUTION DE LA TAXE INTÉRIEURE DE CONSOMMATION SUR LES PRODUITS ÉNERGÉTIQUES

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer, auteur de la question n° 100, adressée à M. le ministre de l'économie et des finances.

M. Jean Boyer. Madame la ministre déléguée, nous autres, habitants des territoires ruraux, nous nous interrogeons sur la répartition de la TIPP, devenue TICPE, et notamment sur les différences constatées entre les zones rurales et les zones urbaines.

Je n’ignore pas que la taxe intérieure sur les produits pétroliers a été officiellement remplacée par la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, mais le sigle TIPP reste encore celui qui est le plus usité.

La définition d’un cadre réglementaire prévoyant une vraie compensation doit permettre de tenir pleinement compte des conditions de travail liées à l’altitude, à l’espace, aux moyens de déplacement, à l’organisation de la vie sociale et humaine, aux conditions climatiques et à la topographie d’un territoire. Nous savons que cette taxe constitue une ressource appréciable tant pour l’État que pour les collectivités locales.

Madame la ministre, pourriez-vous m’indiquer la règle de répartition entre les bénéficiaires du produit de cette taxe ? Quelles sont les raisons des différences – certaines peuvent paraître importantes – qui sont constatées entre les régions ?

Par ailleurs, il semblerait que les conditions d’accès au carburant aient été modifiées pour les agriculteurs, les entrepreneurs de travaux forestiers et les collectivités territoriales. J’avais déjà interrogé le précédent ministre de l'économie et des finances à ce sujet.

Les taxes constituent l’un des éléments les plus importants du prix du litre : 61 % pour l’essence et 53 % pour le gazole. La fiscalité pétrolière est la quatrième ressource budgétaire de l’État : la TIPP a rapporté 24,7 milliards d’euros à l’État en 2009. Depuis la loi de finances pour 2006, les régions ont la possibilité de moduler dans une faible mesure – environ 1 % du prix du carburant à la pompe – le taux de la TIPP. C’est le fioul lourd qui bénéficie de la fiscalité la plus avantageuse, mais jusqu’à quand et pour qui ?

Je tiens à le rappeler dans cet hémicycle, et en particulier devant vous, madame la ministre déléguée, qui connaissez bien le Massif central – je vous l’ai dit publiquement hier soir –, la situation du monde rural doit être mieux prise en compte. Il faut donner aux territoires les moyens de maintenir une forme d’équité entre les citoyens en matière d’énergie, en fonction de son prix de revient mais aussi de l’écart de consommation entre les zones rurales et les secteurs plus accessibles et moins enclavés.

Il est important de savoir comment le nouveau gouvernement entend répondre à cette situation de plus en plus préoccupante, qui est de nature à accroître encore davantage ce que l’on peut appeler la fracture territoriale.

Madame la ministre déléguée, le monde rural est une chaîne et, comme pour toute chaîne, ses maillons sont complémentaires. Le désenclavement et l’égalité de traitement entre les différents territoires, entre les différents maillons, sont des enjeux incontournables pour l’avenir des zones rurales.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, votre question concerne un territoire auquel, vous le savez, je suis très attachée. Ce n’est cependant pas ma réponse, mais celle du ministre de l'économie et des finances, retenu par une réunion interministérielle, que je vais maintenant porter à votre connaissance.

La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE, s’inscrit dans le cadre général fixé par la directive communautaire n° 2003-96. Conformément à cette directive, la taxe liée à la consommation est un montant assis sur un volume. Le montant de la TICPE est fixé par type de carburant, dans le code des douanes.

Divers prélèvements sont opérés sur la recette totale – 24,8 milliards d'euros en 2011 – au profit des collectivités territoriales. Pour les départements, le versement, qui représentait près de 6,3 milliards d'euros en 2011, est effectué au titre du financement des dépenses sociales. Pour les régions, le versement comporte deux parts : la première, qui s’élevait à 3,79 milliards d'euros en 2011, est destinée à compléter leur dotation de fonctionnement, avec une possibilité de modulation laissée à l’initiative des conseils régionaux ; la seconde part, dite « Grenelle de l’environnement », qui atteignait 380 millions d'euros en 2011, contribue au financement d’infrastructures de transport. Son montant dépend de la modulation de la TICPE par les conseils régionaux, dans les limites fixées par la loi.

Ces chiffres répondent, me semble-t-il, à votre question sur la répartition du produit de la TICPE entre les différents échelons territoriaux.

Le ministre de l'économie et des finances tient à rappeler que, depuis 1er janvier 2012, toutes les régions sauf la région Poitou-Charentes et la Corse utilisent au maximum leur pouvoir de modulation de la TICPE. Par conséquent, le montant total de cette taxe est le même dans toutes les régions, à l’exception des deux que je viens de citer. Le mécanisme de régionalisation de la TICPE n’est donc pas la première cause des différences de prix à la pompe constatées entre les régions. Les prix étant fixés librement par les distributeurs, ces disparités de prix dépendent davantage de la logistique d’approvisionnement de chaque distributeur et des prix auxquels chacun acquiert sa marchandise, et ces prix sont très volatils sur le marché mondial.

En ce qui concerne les carburants à fiscalité réduite dont bénéficient les agriculteurs et les entrepreneurs de travaux forestiers, mais également les entreprises de travaux publics, le taux de la taxe a effectivement été relevé par la loi de finances pour 2012. Cependant, la fiscalité applicable aux carburants destinés à ces secteurs d’activité demeure très avantageuse, avec un taux inférieur de plus de 80 % au taux normal. Ainsi, le gazole non routier est taxé à 7,20 euros l’hectolitre, contre 42,84 euros l’hectolitre pour le gazole routier…

Vous avez enfin évoqué le cas du fioul lourd, en vous inquiétant de la pérennité de son régime fiscal préférentiel. Ce produit est aujourd’hui utilisé de façon assez marginale, presque uniquement par les navires et les centrales thermiques, et, dans ces cas, les textes communautaires imposent de l’exonérer de taxe intérieure.

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Il est important que les Français connaissent les retombées positives de la TICPE. Aujourd'hui comme hier – et il en sera peut-être de même demain –, nos concitoyens se plaignent que l’État taxe beaucoup les carburants. Cependant, lorsque l’on fait preuve de transparence, comme vous à l’instant, madame la ministre déléguée, la quasi-totalité d’entre eux comprennent que cet argent est employé utilement. Je le savais déjà, mais votre réponse me permettra de l’expliquer encore mieux.

emploi dans le morbihan

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, auteur de la question n° 126, adressée à M. le ministre du redressement productif.

M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, jamais peut-être la notion de responsabilité n’aura été aussi tangible qu’en cette période d’annonces à répétition de réductions d’activités, de fermetures de sites et de licenciements massifs. Responsabilité, car la première des urgences est de défendre les salariés pour les protéger le plus possible de la casse et des conséquences du comportement des actionnaires, qui exigent souvent des entreprises une valorisation maximale de leurs actions.

Dans le contexte actuel de crise de la production, le temps nous est compté pour empêcher la disparition de milliers d’emplois, disparition qui aurait des conséquences dramatiques pour les familles, les comptes sociaux et les territoires.

Le département du Morbihan est loin d’être épargné. Le cas du groupe Doux en est l’exemple le plus médiatisé, avec environ 1 000 salariés licenciés sur les cinq sites du département, et plus de 300 aviculteurs au chômage sur les 800 qui travaillaient avec le groupe. En outre, plusieurs entreprises sont directement affectées par cette situation ; je pense notamment à Union Kergonan Languidic, à Lanester. L’État est également concerné. Citons par exemple les chantiers STX de Lanester, fleuron de la construction navale dont le carnet de commandes est aujourd’hui désespérément vide. Plus de 120 salariés et 200 sous-traitants et intérimaires risquent de perdre leur emploi.

Le département du Morbihan est actuellement absent des marchés de la construction et de la réparation navale civile. Il abrite pourtant des sites d’excellence, disposant de toutes les infrastructures nécessaires. La filière navale est une industrie porteuse d’emplois qualifiés générant chacun trois à quatre emplois induits.

Des solutions sont possibles : on pourrait envisager une plus grande implication des services de l’État, qui est actionnaire des chantiers via le Fonds stratégique d’investissement, le FSI, ou encore la création d’une grande filière de déconstruction navale. Lorsque le cargo TK Bremen s’est échoué sur une plage d’Erdeven, peu avant Noël dernier – vous en avez sans doute entendu parler –, on a fait appel à une entreprise étrangère.

Il existe également des besoins dans la filière « pêche » et dans la filière nautique. Peut-être pourrions-nous créer quelque chose de nouveau, porteur d’espoir, à partir de ces différents besoins.

Afin de garantir la sécurisation de l’emploi local, il ne faut pas négliger non plus l’attractivité économique des territoires : donnons-leur les moyens de devenir des centres d’innovation, attractifs pour les entreprises et pour les salariés.

Il est également impératif de renforcer les droits des salariés et de favoriser le développement d’une véritable démocratie sociale, qui ferait des salariés des acteurs de l’essor économique et non plus des variables d’ajustement d’une économie au service du seul profit.

Alors que le Gouvernement a lancé une grande conférence sociale devant permettre le dialogue et la recherche d’autres solutions, je souhaiterais connaître les mesures concrètes, efficaces et pérennes que vous envisagez de prendre pour protéger les entreprises, les emplois et les salariés présents dans le Morbihan.

De plus, la situation actuelle impose une action rapide pour redéfinir une véritable politique industrielle. Quelles mesures comptez-vous prendre en la matière, en concertation avec les élus locaux du Morbihan ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, « combat pour le redressement de la France », « combat pour la compétitivité », « combat pour la croissance », « combat pour l’emploi », tels sont les mots qui reviennent dans la bouche de M. le Président de la République lors de chaque conseil des ministres, des termes forts qui trouvent un écho tout particulier dans la question que vous venez de poser s’agissant d’entreprises de votre département.

Mon collègue ministre du redressement productif, dans l’impossibilité de vous répondre lui-même, m’a chargée de vous lire la réponse qu’il a fait préparer à votre intention.

Je vous apporterai des précisions sur les deux entreprises que vous avez citées : Doux et STX.

Comme vous le savez, pour ce qui concerne le pôle « frais » du groupe Doux, un plan de cession a été arrêté par le tribunal de commerce de Quimper le 10 septembre dernier. Trois entités sont concernées et 255 emplois seront maintenus. Cela n’est malheureusement pas suffisant.

Un dispositif d’accompagnement des salariés licenciés économiques sur les sites visés a été mis en place sous l’impulsion du préfet dans le Morbihan, en lien avec la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de Bretagne, la DIRECCTE, et Pôle emploi. Il sera axé autour du contrat de sécurisation professionnelle et comportera un volet « formation » important, des aides au reclassement et à la mobilité, ainsi que des mesures sociales pilotées par le département qui compléteront les mesures mises en œuvre par l’entreprise, par l’État et par Pôle emploi.

Par ailleurs, une enveloppe de 1 million d'euros sera disponible au titre du Fonds national de revitalisation des territoires pour aider à la création d’emplois.

Dans le cadre de la convention de revitalisation signée entre Vivendi et l’État sur le pays de Ploërmel, une aide pourra être apportée aux entreprises réemployant des licenciés de l’entreprise Doux. Une centaine d’emplois seront concernés.

L’affaire Doux a révélé des dysfonctionnements graves de la justice commerciale et a fait naître une certaine suspicion sinon sur l’impartialité du moins sur l’efficacité de la juridiction. C’est pourquoi les services du ministère du redressement productif travaillent actuellement avec ceux de la garde des sceaux, Mme Christiane Taubira, pour perfectionner les règles de fonctionnement de la justice commerciale.

J’en viens aux chantiers navals STX. Il faut rappeler que l’industrie navale présente un intérêt industriel et stratégique incontestable pour la France. Comme vous le soulignez, monsieur le sénateur, cette industrie est également porteuse d’emplois et représente, à ce titre, un enjeu local important pour les bassins d’emploi concernés. L’État, notamment en tant qu’actionnaire indirect au travers du FSI, exerce sa vigilance sur les difficultés actuellement rencontrées par l’industrie navale, en particulier par STX Lorient. Il est très attentif au redressement de l’entreprise, à sa pérennité et au développement de l’activité du site de Lorient.

De manière plus générale, des mesures concrètes ont déjà été prises pour protéger les entreprises, les emplois et les salariés, dans le Morbihan tout comme dans l’ensemble des départements. Face à l’avalanche des plans sociaux, un dispositif ad hoc a été mis en place pour compléter la mission du comité interministériel de restructuration industrielle, le CIRI.

Jusqu’alors, seules les entreprises de plus de 400 salariés pouvaient s’adresser à un service de l’État. Depuis, les PME de moins de 400 salariés peuvent faire appel au soutien des commissaires au redressement productif et au cabinet du ministre. Les commissaires au redressement productif en région, qui assurent la veille permanente et l’intervention la plus en amont possible des difficultés, mobilisent les services de l’État et participent aux négociations.

Le CIRI, les Médiations du crédit et des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance, Oséo, le FSI et les fonds spécialisés sont autant d’outils à la disposition du ministère pour aider les entreprises qui en ont besoin. La cellule « restructuration » du cabinet du ministre du redressement productif suit les dossiers les plus sensibles et assure la coordination des acteurs.

Enfin, il faut rappeler que, le 5 novembre prochain, Louis Gallois remettra au Premier ministre un rapport sur la compétitivité. Ses conclusions devraient permettre d’ébaucher les réformes grâce auxquelles notre pays pourra rééquilibrer sa balance commerciale et augmenter la part de l’industrie dans la richesse produite.

À la suite de ce rapport, le Gouvernement prendra ses responsabilités.

Les enjeux sont nombreux : à la compétitivité-coût, il faut ajouter la stratégie filière par filière, que le ministre souhaite renforcer dans le cadre de la Conférence nationale de l’industrie, ou encore le financement de nos entreprises, problématique à laquelle doit répondre la banque publique d’investissement. Ces différentes mesures auront des retombées positives pour l’emploi industriel en France, dans l’ensemble des territoires, donc aussi dans le Morbihan.

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Madame la ministre déléguée, j’ai bien pris note de vos annonces en matière de reclassement et de mesures sociales.

Quant à l’appel au « combat », que vous avez à votre tour repris, il est bien agréable à entendre, mais il ne restera qu’un mot s’il n’est pas associé à la réussite. Car n’oubliez pas la détresse de nos concitoyens, la détresse de ceux d’en bas, que je fais remonter aujourd’hui jusqu’ici. À ce jour, ceux-là ont-ils obtenu des garanties, ont-ils des raisons d’espérer ? Je ne saurais le dire…

Il est urgent d’agir à l’égard des salariés des chantiers STX de Lorient, car, une fois les emplois perdus, il est très difficile de les recréer. Il convient de maintenir les emplois existants en attendant, éventuellement, de faire mieux.

Pour les salariés, se posent les questions de la revalorisation des salaires, des qualifications et de la formation initiale, continue ou professionnelle. Sur ce dernier point, il y a urgence, eu égard à la situation actuelle. On ne peut pas laisser des centaines de milliers de personnes sur le bord de la route, désespérées.

Derrière cette crise de nos industries et ses effets dévastateurs se profilent des évolutions structurelles qu’il faut impérativement anticiper, même si nous ne sommes pas maîtres en la matière, les actionnaires semblant décider de tout. Je souhaite que l’on recrée les conditions de l’espoir, car c’est attendu, madame la ministre déléguée.

Tous ces licenciements, toutes ces fermetures d’entreprises entérinent le règne de la loi des plus forts et la toute puissance des actionnaires, amplifiant les concurrences et les inégalités, construisant une société de plus en plus inhumaine. Pas de lendemain qui chante en vue, pour l’instant. Le mot « combat » devrait produire des effets en l’espèce.

La situation de l’emploi dans le Morbihan et, plus généralement, dans notre pays demanderait un développement solidaire et protecteur des salariés dont l’État serait le garant. Selon moi, il convient de créer, maintenant, un système de sécurité emploi-formation. Ce serait un vrai changement !

M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République des Philippines tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu
Discussion générale (suite)

Avenant à une convention fiscale avec les Philippines

Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République des Philippines tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu (projet n° 788, texte de la commission n° 30, rapport n° 29).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République des Philippines tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu
Article unique (début)

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, est soumis aujourd’hui à votre approbation l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République des Philippines tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu, signé à Manille le 25 novembre 2011.

Cet avenant vise à mettre en place un cadre juridique général permettant un échange de renseignements effectif et sans restriction ; il prévoit en outre la levée d’un éventuel secret bancaire. L’article de la convention fiscale franco-philippine du 9 janvier 1976 relatif à l’échange de renseignements, modifié par cet avenant, sera ainsi conforme aux standards internationaux en matière de transparence et d’échange d’informations fiscales, notamment au modèle de convention élaboré par l’OCDE.

Je tiens à vous assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, que toutes les précautions nécessaires ont été prises par la France afin que cet avenant puisse être suivi d’effet. Les négociations, amorcées par la partie française, sont intervenues après que les autorités philippines eurent modifié de manière significative et effective les dispositions législatives nationales en matière fiscale. Depuis 2009, il n’existe plus de restrictions à l’échange d’informations de nature bancaire, conformément aux exigences posées par les standards internationaux. Aussi l’OCDE a-t-elle inscrit, dès septembre 2010, les Philippines sur sa « liste blanche » des États et territoires ayant mis en place les normes internationales en matière fiscale.

Je souhaiterais insister sur un point, mesdames, messieurs les sénateurs : la signature et l’approbation de cet avenant ne sont pas une fin en soi, mais s’inscrivent dans le cadre de la mise en place d’un véritable dispositif de lutte contre les pratiques fiscales dommageables. C’est en effet au moyen de cet avenant que la France consolidera les règles d’échange de renseignements avec ce partenaire et confortera les Philippines dans ses engagements en faveur de plus de transparence fiscale.

La France, comme vous le savez, est très engagée dans la lutte menée par la communauté internationale contre les États et territoires non coopératifs en matière fiscale.

Sur le plan bilatéral, la France est l’un des pays les plus dynamiques, avec la mise en place d’un large réseau conventionnel : depuis mars 2009, la France a signé deux conventions fiscales, onze avenants et vingt-huit accords d’échange de renseignements.

Sur le plan multilatéral, la communauté internationale s’est organisée au sein du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, enceinte qui s’est fixée pour mission d’évaluer le degré de transparence fiscale, non seulement de chacun de ses membres – 109 États et territoires –, mais également de tout autre territoire qui présenterait des risques dans ce domaine.

À cet effet, le Forum mondial a mis en place un mécanisme d’évaluation par les pairs, présidé par M. François d’Aubert, délégué général à la lutte contre les paradis fiscaux.

Ces évaluations se déroulent en deux phases, et les Philippines ont été concernées par cet exercice. En 2011, le rapport de phase 1, qui porte sur le cadre légal de la coopération administrative, a été publié. Ce document note les progrès qui ont été accomplis tant dans la législation philippine interne que dans la conclusion d’accords d’échange de renseignements avec d’autres pays.

Dès lors, les Philippines feront l’objet d’une évaluation qui portera sur les conditions réelles de la mise en œuvre de l’échange d’informations, qui est programmé pour se dérouler au premier semestre de 2013 ; il s’agira là de la phase 2. Cet avenant vient par conséquent enrichir l’analyse, par le Gouvernement et les instances multilatérales, de l’effectivité de l’échange de renseignements.

Sur le plan national, enfin, la France s’est dotée, comme vous le savez, de sa propre liste des États et territoires non coopératifs. Les territoires figurant sur cette liste sont soumis à des sanctions fiscales lourdes, telles que le refus, pour les sociétés françaises, de se voir accorder le bénéfice du régime mère-fille pour leurs filiales situées dans ces territoires.

Les Philippines, qui figurent actuellement sur cette liste, pourront en sortir si l’avenant entre en vigueur avant le 31 décembre prochain. Pour autant, s’il apparaissait que l’évaluation par le Forum mondial était défavorable en phase 2 ou que l’assistance administrative prévue par l’avenant ne se déroulait pas de manière satisfaisante, la réinscription des Philippines sur la liste française deviendrait à l’ordre du jour.

En conclusion, je voudrais souligner la nouvelle avancée dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales que constitue la conclusion de cet avenant.

Ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, permettra de confirmer les engagements pris par le Gouvernement philippin sur la scène internationale en matière de transparence fiscale.

Il permettra aussi de prendre acte des dispositifs législatifs récemment adoptés par les autorités philippines et de mettre en conformité les règles d’échange de renseignements avec les standards internationaux les plus récents.

Naturellement, soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’application de cet avenant, étayant la politique fiscale menée par la France, sera suivie avec le plus grand intérêt par les services de l’État.

Telles sont, monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle l’avenant à la convention fiscale franco-philippine qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui proposé à votre approbation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. Jean Besson. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Michèle André, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, qui peut jouer les oracles ?

M. Michel Delebarre. Vous, madame ! (Sourires.)

Mme Michèle André, rapporteur. Certains de nos collègues émettront sans doute des réserves quant à l’approbation de l’avenant franco-philippin.

Cependant, la meilleure façon de prédire l’avenir de la coopération fiscale franco-philippine, c’est encore de le créer, en prévoyant les conditions nécessaires à la mise en œuvre de celle-ci. Tel est l’objet du présent projet de loi.

En effet, une chose est certaine : si nous n’approuvions pas l’avenant à la convention fiscale franco-philippine, la coopération entre les deux pays demeurerait lettre morte, car cela reviendrait à permettre aux Philippines de ne pas pratiquer l’échange de renseignements, en invoquant le secret bancaire.

Tel est l’enjeu de ce texte. Les Philippines n’ont aujourd’hui aucune obligation de répondre à une demande française de communication de renseignements détenus par un établissement financier.

Les stipulations de la convention fiscale de 1995 sont obsolètes. Le secrétariat de la commission des finances a interrogé le bureau du contrôle fiscal de la direction de la législation fiscale du ministère de l’économie et des finances, qui a confirmé que, en l’état actuel des choses, aucune coopération fiscale n’était possible. Seule la modification de la convention permettra d’imposer aux autorités philippines de transmettre de telles informations.

C’est pourquoi l’avenant actualise la convention en y intégrant les dernières normes de l’OCDE de 2005 en matière de transparence, c’est-à-dire la levée du secret bancaire et l’obligation de coopérer, même en l’absence d’intérêt fiscal domestique.

Cette approbation est donc nécessaire. Sera-t-elle suffisante ? Je comprends les réserves qu’Éric Bocquet a émises lors de l’examen du texte en commission : l’approbation de l’avenant intervient dans un difficile contexte de crise, alors que l’évasion fiscale a été dénoncée par la commission d’enquête sénatoriale dont il a été le rapporteur.

C’est pourquoi, face au constat dressé par cette commission, j’ai examiné le cadre financier et juridique philippin.

Disposant d’une supervision prudentielle jugée satisfaisante par les agences de notation, le système bancaire est toutefois caractérisé par la présence des conglomérats, souvent contrôlés par les « grandes familles » sino-philippines ou hispano-philippines. Le poids des oligarchies n’est donc pas négligeable.

Néanmoins, aucune banque française n’a de licence aux Philippines, ni n’est actionnaire de banques philippines. Sur les quatre unités bancaires offshore installées dans le pays, deux sont françaises : BNP Paribas et Crédit Agricole. Ce chiffre est à apprécier au regard des vingt-quatre établissements bancaires français présents aux Îles Caïmans et des douze banques françaises implantées aux Bermudes.

Quant aux entreprises françaises présentes aux Philippines, sur les 180 recensées, on ne compte qu’une trentaine de sociétés importantes, dont Total, Essilor, L’Oréal. Au final, c’est assez modeste.

S’agissant des aspects juridiques, je me suis référée aux travaux du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales. Cette instance a considéré, en juin 2011, que les Philippines disposaient du cadre normatif nécessaire pour coopérer. Elle a, certes, proposé des voies d’amélioration. Deux d’entre elles ne concernent pas la coopération avec la France, puisqu’elles traitent de la mise à jour du réseau conventionnel. Le présent avenant répond donc aux recommandations du Forum mondial.

Quant aux deux autres recommandations, relatives aux mandataires ainsi qu’aux sociétés immatriculées à l’étranger, le Forum mondial a confirmé auprès de notre secrétariat que, en pratique, la législation en vigueur les concernant ne constitue pas un obstacle à l’échange d’informations.

En résumé, il existe donc deux éléments sur dix pouvant être améliorés, et aucune carence grave n’a été observée.

Or vous avez tous en mémoire, mes chers collègues, l’examen devant le Sénat du projet de loi tendant à approuver la ratification de la convention franco-panaméenne, rapporté par notre ancienne collègue Nicole Bricq, qui s’était achevé par un rejet du texte.

Le Forum mondial avait alors constaté cinq carences graves en matière de disponibilité de l’information panaméenne et d’accès à celle-ci, sur les dix critères de référence.

Le Panama ne disposait donc pas du cadre normatif nécessaire à la coopération fiscale. Tel n’est pas le cas des Philippines.

Parmi les progrès constatés – j’y insiste, car c’est certainement l’avancée la plus importante –, les Philippines ont adopté, en 2009, des dispositions législatives dérogeant au secret bancaire dans le domaine de l’assistance internationale.

La rédaction de l’avenant est également plus stricte que celle du modèle OCDE. Elle prévoit que les Philippines doivent « prendre les mesures nécessaires afin de garantir la disponibilité des renseignements ».

Rappelons aussi qu’aucune contrepartie à la mise à jour de la convention n’a été accordée par la France.

La signature de l’avenant est intervenue sept mois après son paraphe, afin de vérifier la mise en œuvre réglementaire de la dérogation législative au secret bancaire. Les textes d’application ont été étudiés par le secrétariat de la commission des finances et sont annexés au rapport.

Enfin, toujours au titre des éléments en faveur de l’approbation, il convient de souligner la volonté politique exprimée par le Président Benigno Aquino de procéder à une « chasse contre l’évasion fiscale ».

Si l’approbation de l’avenant apparaît donc comme nécessaire, elle n’est cependant pas neutre, et emportera un certain nombre de conséquences. La transparence fiscale s’en trouvera, certes, renforcée. Toutefois, les Philippines seront retirées de la liste française des États et territoires non coopératifs établie en 2010, alors que ce pays figurait sur la « liste grise » de l’OCDE, qu’il a quittée depuis.

Nous devons donc faire preuve d’une vigilance particulière. Il ne s’agit pas ici d’accorder un blanc-seing.

Nous savons à quel point les aspects politiques et culturels, notamment liés à l’influence des oligarchies, peuvent peser sur la coopération fiscale. Ceux-ci ne doivent pas être sous-estimés. Nous verrons, en 2013, dans quelle mesure ce pays pourra les surmonter.

Les Philippines seront à nouveau évaluées au cours du premier semestre 2013 par le Forum mondial, afin d’apprécier concrètement l’état d’avancement de la coopération, et pas uniquement son environnement juridique. L’absence de coopération, si elle devait être constatée, serait sanctionnée par la réintégration sur la liste française.

En conclusion, mes chers collègues, sous réserve des observations précédentes, la commission des finances vous propose d’adopter le présent projet de loi visant à approuver l’avenant à la convention fiscale conclue avec les Philippines en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. Michel Delebarre. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous devons aujourd’hui approuver un avenant à la convention fiscale entre la France et les Philippines, car cette convention, signée en 1976 et amendée une première fois en 1995, n’est plus conforme aux standards internationaux en matière d’échange de renseignements. L’avenant sur lequel nous avons à nous prononcer vise donc à remédier à cette situation, qui constitue une entrave tant à la coopération entre les deux pays qu’à la lutte contre l’évasion fiscale.

Certes, on peut s’interroger sur le calendrier choisi pour la ratification de cet instrument qui a été signé, je le rappelle, en novembre 2011 par le précédent gouvernement.

Pourquoi donc devons-nous nous intéresser aujourd’hui aux Philippines ? Peut-être n’est-ce pas sans rapport avec la visite imminente de notre Premier ministre dans cet archipel comptant près de 95 millions d’habitants ? Si cette visite permet d’achever le processus de ratification et d’avancer vers plus de transparence en matière fiscale, alors elle sera très positive.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Faut-il le rappeler, bien que le G20, lors de son sommet de Londres d’avril 2009, ait « déclaré la guerre » aux paradis fiscaux, ce combat est encore loin d’être gagné, comme le montrent très bien les conclusions de la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales.

L’OCDE reconnaît que, sur plus de 700 accords d’échange d’informations fiscales conclus depuis 2009, seul un sur trois est entré en vigueur, un sur cinq seulement étant conforme aux standards internationaux.

Outre les clauses des conventions elles-mêmes, un second obstacle à l’échange d’informations peut résider dans l’incapacité normative et administrative du pays concerné à fournir les renseignements demandés.

En décembre 2011, le Sénat, appelé à se prononcer sur la ratification de la convention fiscale avec Panama, s’y était opposé en raison de la faiblesse avérée du système juridique et fiscal de cet État. En effet, selon le Sénat, qui avait exprimé sur cette question un avis différent de celui de l’Assemblée nationale, Panama n’était pas en mesure de garantir un échange d’informations efficace et transparent, comme le montraient les observations du Forum mondial.

Les Philippines, au contraire, ont mis en œuvre des réformes permettant d’espérer une coopération et un échange de renseignements fiscaux effectifs et efficaces. Ainsi, ce pays a supprimé, depuis 2010, les restrictions d’accès aux informations bancaires. Je rappelle que c’était sa législation particulièrement restrictive sur le secret bancaire qui lui avait valu d’être inscrit en 2009, par l’OCDE, sur la « liste noire » des juridictions non coopératives.

Aujourd’hui, ses progrès lui ont permis de sortir des différentes listes établies par cette organisation. Les Philippines ont également passé avec succès la première phase de la revue par les pairs du Forum mondial, ce qui signifie qu’elles disposent d’un cadre juridique suffisant pour échanger des informations. Cependant, des obstacles juridiques à l’échange de renseignements subsistent, et c’est seulement à l’issue de la seconde phase de cet examen par les pairs, qui devrait débuter en 2013, que l’effectivité de la coopération et la capacité du pays à se conformer à ses engagements en matière de transparence seront vérifiées.

L’avenant à la convention fiscale avec les Philippines sur lequel nous sommes amenés aujourd’hui à nous prononcer est conforme aux standards les plus récents de l’OCDE. Il devrait donc constituer une avancée importante en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, comme l’affirme l’étude d’impact.

Je note que le Gouvernement français, lors de la négociation de cet avenant, avait pris des précautions supplémentaires, en complétant l’article relatif à l’échange d’informations par une clause prévoyant que chaque État contractant doit prendre les mesures nécessaires afin de garantir la disponibilité des renseignements et la capacité de son administration fiscale à accéder à ceux-ci et à les transmettre.

Il faudra cependant rester très vigilants sur l’application effective d’un tel accord et réintégrer immédiatement les Philippines sur la liste française des États et territoires non coopératifs en cas de non-respect des clauses de cet avenant.

Soyons d’autant plus vigilants que, comme l’a très bien rappelé notre collègue Michèle André dans son rapport, « le contexte géopolitique constitue un facteur déterminant dans la mise en œuvre effective de la coopération fiscale ». Or, vous avez également précisé, madame la rapporteure, que le « contexte politico-social » des Philippines « semble, à bien des égards, complexe et fragile ». C’est bien le moins que l’on puisse dire, malgré des avancées récentes en matière de lutte anticorruption et la signature, le 7 octobre dernier, d’un accord de paix entre le Gouvernement philippin et les rebelles sécessionnistes musulmans de la région de Mindanao, mettant fin à plus de quarante ans de conflit.

Madame la ministre, mes chers collègues, malgré les réserves que je viens d’exprimer, le RDSE, convaincu de la vigilance du Gouvernement quant au respect des obligations conventionnelles et à l’effectivité de l’échange de renseignements fiscaux, approuvera la ratification de cet avenant à la convention avec la République des Philippines, qui constitue un pas de plus dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, lutte que nous soutenons.

M. le président. La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela.

Mme Kalliopi Ango Ela. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, du fait de l’évasion fiscale, entre 40 milliards et 50 milliards d’euros de recettes échapperaient au Trésor français chaque année. Il est donc nécessaire que nous soyons tous mobilisés pour combattre ce qui se révèle être un véritable fléau.

Le groupe écologiste a d’ailleurs pris part aux travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, y étant fort bien représenté par notre très chère collègue Corinne Bouchoux !

Le rapport de cette commission d’enquête permet de disposer, depuis le mois de juillet, d’une étude de qualité facilitant l’appréhension de l’ampleur du phénomène de l’évasion fiscale. Elle aborde notamment les différents montages qu’il recouvre, qu’il s’agisse de la fraude fiscale ou des divers schémas d’optimisation fiscale abusive. Le débat mené à ce sujet dans notre hémicycle, le 3 octobre dernier, a, en particulier, mis l’accent sur la nécessité de renforcer l’information des pouvoirs publics. C’est dans ce cadre que s’inscrit le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis.

En effet, comme l’a rappelé Mme la rapporteure, la conclusion d’un accord d’échange de renseignements ou la mise en conformité d’une convention fiscale avec les normes de l’OCDE participe pleinement de la politique de promotion de la transparence fiscale.

Le présent projet de loi vise à soumettre à notre approbation la ratification d’un avenant à la convention franco-philippine conclue à Kingston le 9 janvier 1976. Cette convention tend à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu. L’avenant, signé à la demande de la France le 25 novembre 2011, a pour objet d’actualiser ladite convention, afin d’y intégrer les dernières exigences du modèle de convention fiscale de l’OCDE, telles que la levée du secret bancaire sans restriction, disposition ajoutée en 2005.

En l’état actuel des choses, aucune coopération fiscale n’est possible avec l’État philippin. Cet avenant est donc nécessaire pour que les autorités philippines soient contraintes d’échanger des renseignements.

Cependant, les sénatrices et sénateurs écologistes sont évidemment très attentifs aux conséquences de la ratification de cet avenant. S’il a pour objet de renforcer la transparence fiscale, il ne doit en aucun cas avoir pour conséquence d’accorder un blanc-seing à l’État philippin, comme l’a d’ailleurs rappelé Mme la rapporteure.

La ratification de cet avenant entraînera en effet le retrait des Philippines de la liste française des États et territoires non coopératifs, établie pour faire suite aux engagements en faveur de la transparence fiscale pris lors du sommet du G20 du 2 avril 2009.

Or la présence d’un État ou d’un territoire sur cette liste conduit à l’application automatique de sanctions fiscales. Il est donc parfaitement légitime de se poser la question du bien-fondé de la ratification de cet avenant. Si la prudence est de mise, les réponses apportées nous semblent, cependant, plaider en faveur de cette ratification.

En effet, d’une part, le 27 juillet 2009, les Philippines ont opéré des modifications de leur législation interne en matière d’échange de renseignements fiscaux. Il en résulte que le secret bancaire ne continue à s’appliquer que pour des situations purement intérieures. Il est donc désormais levé concernant l’assistance administrative internationale dans le domaine fiscal.

D’autre part, le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales a estimé, en 2011, que l’ensemble du cadre normatif philippin et l’accès aux informations étaient conformes aux standards de l’OCDE, en ce qui concerne la disponibilité des renseignements bancaires.

Enfin et surtout, comme l’a souligné Mme la rapporteure, l’approbation d’une clause conventionnelle permettant l’échange de renseignements n’exclut pas un contrôle accru des modalités de sa mise en œuvre, dans le cadre tant international que national.

Deux garanties supplémentaires incitent donc le groupe écologiste à voter en faveur de l’adoption de ce projet de loi : la réévaluation par le Forum mondial, au début de 2013, de la réalité de la coopération avec l’État philippin ; la garantie que cette question fera également l’objet d’un suivi par les autorités françaises, lequel conduira, en cas de manquement, à une réintégration des Philippines dans la liste française des États et territoires non coopératifs. Dès lors, dans l’hypothèse où, en dépit de la ratification, les Philippines ne permettraient pas un échange effectif de renseignements, un retour au système actuel sera toujours possible.

Nous serons évidemment extrêmement attentifs à la mise en œuvre de cet avenant, et en appelons à la vigilance du Parlement à cet égard.

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, on pourrait évidemment se demander pourquoi nous avons pu, une fois encore, solliciter l’inscription à l’ordre du jour de nos travaux en séance publique d’un débat portant sur un accord international en matière fiscale, d’autant que, s’agissant du présent avenant à la convention fiscale entre la France et les Philippines, certaines garanties quant à sa pertinence paraissent devoir être retenues aux termes du rapport qui vient de nous être présenté.

Mais cette discussion est, pour nous, l’occasion de revenir sur quelques-uns des sujets fondamentaux qui nous préoccupent depuis que nous avons pris l’habitude d’évoquer la coopération fiscale internationale, la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales au travers de ces nombreux accords qui, depuis 2008, font l’objet de projets de loi de ratification.

Sur le plan économique, les Philippines demeurent un grand pays rural. Les activités agricoles, insuffisantes pour nourrir une population qui croît de 2 % par an encore aujourd’hui, occupent en effet quelque 40 % de la main-d’œuvre locale.

Les inégalités sociales sont criantes dans ce pays ayant connu une longue période de dictature sous le président Marcos. Au demeurant, la révolution de 1986, qui conduisit Ferdinand et Imelda Marcos à un exil doré sur l’archipel de Hawaii, n’a pas fondamentalement changé les choses.

En lieu et place du détournement des fonds publics perpétré par Marcos et les membres de sa famille, ses parents, alliés et amis, on assista en effet au retour en force des familles oligarchiques de la très haute bourgeoisie locale, qui eurent tôt fait de confisquer l’aspiration populaire au changement pour mieux asseoir leur pouvoir politique.

La Constitution de 1987, largement inspirée des règles nord-américaines, a créé un régime politique où les prérogatives réelles du Président de la République sont associées à un mode de désignation des parlementaires favorisant les positions de force assurées par la puissance économique.

Les différences entre les partis politiques représentés au Parlement ne sont pas fondamentales et participent de cette forme de confiscation du suffrage populaire opérée par ceux-là mêmes qui en ont les moyens.

Dans le classement des pays établi selon différents indices internationaux, les Philippines ne sont pas très bien placées.

En matière de droits politiques et de libertés civiles, le pays s’inscrit en effet dans une moyenne plutôt basse. Si la justice locale jouit d’une bonne réputation d’indépendance, la population subit encore beaucoup les exactions des forces de l’ordre, la pratique des exécutions extrajudiciaires et autres problèmes, liés d’ailleurs en partie à l’instabilité de régions du pays en rébellion contre le pouvoir central, notamment du côté de Mindanao. Depuis le début de l’année, cinquante-cinq militants de la cause environnementale ont été tués aux Philippines pour s’être opposés à des projets d’exploitation minière.

En outre, malgré certains efforts, le pays ne présente pas encore les conditions optimales pour que soit garanti le plein exercice de la liberté de la presse.

Sur le plan de la transparence financière, il semble bien qu’il y ait encore beaucoup à faire, et c’est là que le bât blesse au regard du sujet qui nous occupe aujourd’hui.

Selon Transparence International France, ONG dont nous avons recueilli le témoignage dans le cadre des travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, les Philippines se situent plutôt en queue de peloton de ce point de vue, avec une note qui les place au niveau de la Syrie et derrière des pays comme la République de Panama, avec laquelle le Sénat avait jugé utile, il y a peu, de prendre quelques précautions en matière de coopération fiscale.

Il ne faut jamais oublier qu’une convention fiscale intéresse autant le pays tiers concerné, en l’occurrence les Philippines, que les entreprises françaises qui pourraient être tentées d’y investir. Il convient donc de s’entourer de garanties permettant à ces dernières de le faire sans risquer, si l’on peut dire, de « coup de bambou » fiscal en retour.

Nous ne sommes cependant pas spécifiquement enclins à retirer, dès l’approbation de cet avenant, les Philippines de la liste des États et territoires non coopératifs que nous avons établie pour notre propre législation.

Il nous semble même souhaitable, dans le cas qui nous occupe, de décider que l’ensemble des pays ayant passé une nouvelle convention fiscale avec la France soient maintenus dans la liste d’origine et que seul l’apport de preuves manifestes et incontestables de qualité et de transparence des opérations d’investissement menées dans ces pays permette de considérer que la situation de telle ou telle entreprise, de tel ou tel investisseur, est conforme au droit. Ayons en tête, mes chers collègues, cette fameuse « culture de la faille », mise en évidence au cours des travaux de notre commission d’enquête.

Nous n’avons rien contre le développement de nos échanges avec les Philippines et de nos investissements dans ce pays, mais nous souhaitons le placer, en quelque sorte, sur liste d’attente, pour ce qui est du traitement fiscal des dossiers concernés en droit français. Si, dans les deux, trois ou cinq ans à venir, nous n’avons aucune raison de nous plaindre de la qualité de l’information fournie tant par l’administration fiscale philippine que par les entreprises françaises investissant là-bas, rien ne pourra justifier qu’un traitement particulier soit mis en œuvre.

Au bénéfice de ces observations, nous indiquons que, sans nous opposer à l’approbation de cet avenant, nous ne voterons pas, néanmoins, le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l’article unique.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République des Philippines tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République des Philippines tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu, signé à Manille, le 25 novembre 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

M. Éric Bocquet. Le groupe CRC s’abstient.

(Le projet de loi est adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants, M. le ministre de l’intérieur étant retenu à l’Assemblée nationale par des questions d’actualité au Gouvernement.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinq, est reprise à quinze heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République des Philippines tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu
 

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Dossier législatif : projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme
Discussion générale (suite)

Lutte contre le terrorisme

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme (projet n° 6, texte de la commission n° 36, rapport n° 35).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nos démocraties portent en elles des valeurs universelles, des valeurs qui ont contribué à élever l’humanité, à libérer les individus, à apaiser les sociétés, à permettre le progrès. Nos démocraties ont une ambition pour elles-mêmes et pour le monde. Cette ambition est critiquée ou contestée. Elle fait aussi, nous le savons depuis longtemps, l’objet d’attaques violentes et radicales.

La France est particulièrement visée ; ce n’est pas la première fois. Elle doit donc logiquement, impérativement, se défendre. À la violence aveugle et lâche, à la terreur, elle doit opposer la force, une force pour arrêter, pour juger, pour punir : la force du droit. C’est cela, le fondement des démocraties, et c’est la raison d’être du projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui.

La France a déjà été frappée dans sa chair par le terrorisme. Elle connaît l’enjeu et le prix de la lutte qu’il implique. Mais la France n’abdiquera jamais devant les menaces.

Notre pays est confronté à un terrorisme en constante mutation. Il y a dix jours, grâce à l’action remarquable menée conjointement par la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire et la direction centrale du renseignement intérieur, sous l’autorité de la justice, une cellule djihadiste d’une grande dangerosité a été démantelée.

Il y avait urgence, car cette cellule était déjà passée à l’acte le 19 septembre dernier contre une épicerie casher, à Sarcelles, avec la probable intention de tuer. Elle avait les capacités – les dernières perquisitions l’ont établi et le procureur de la République de Paris, M. François Molins, l’a confirmé – de commettre le pire.

S’il faut se féliciter de cette réussite policière, il ne faut céder à aucun triomphalisme. Nous devons rester en alerte et vigilants, car la menace est bien là.

Le Président de la République et le Premier ministre ont rappelé leur détermination à éradiquer les cellules et les filières, à lutter contre le terrorisme, contre ceux qui veulent s’en prendre à nos valeurs, qui veulent déstabiliser nos institutions.

En disant cela, je mesure pleinement dans quel cadre je veux inscrire mon propos : celui, mesdames, messieurs les sénateurs, de la défense de l’intérêt supérieur de notre pays. Cette défense demande unité, cohésion et, je le souhaite, consensus. Je me trouve ici, face à la représentation nationale, dans une enceinte de la République ; la République doit être unie contre les ennemis de la République.

Notre pays, je le disais, a dû faire face, au cours des dernières décennies, à des attaques terroristes de nature diverse. En mars dernier, il a été confronté à un constat tragique : le retour, après plus de quinze ans, du terrorisme sur son sol. Mohammed Merah a tué à sept reprises, avec des objectifs précis : trois militaires, trois de nos compatriotes engagés pour la défense du pays, et quatre Français, juifs, dont trois enfants.

Ses motivations étaient sans ambiguïté. Son parcours ne laisse planer aucun doute. Mohammed Merah a agi au nom d’une idéologie de violence, d’un islamisme radical qui en veut à la France, qui en veut à notre République, notamment pour son engagement en Afghanistan et son idéal de laïcité. Un islamisme radical qui porte en lui la haine des Juifs, de tous les Juifs, partout où ils se trouvent, parce qu’ils sont juifs…

Les méthodes d’action de Mohammed Merah sont le résultat d’une préparation minutieuse, faite de contacts nombreux, de la fréquentation de sites internet djihadistes, d’un embrigadement et d’un passage, sans doute rapide, par les camps d’entraînement situés dans les zones tribales pakistanaises et afghanes.

Cette affaire a révélé des failles dans l’organisation de notre renseignement, des failles qu’il faut envisager avec lucidité si l’on veut se donner les moyens de les corriger.

Dès ma prise de fonctions, j’ai demandé que tous les enseignements opérationnels soient tirés, sans fragiliser notre renseignement et le travail remarquable de nos agents, afin de procéder aux évolutions nécessaires. Un rapport me sera remis prochainement par deux inspecteurs généraux de la police nationale ; il sera transmis au Parlement. J’ai demandé qu’il comprenne des orientations précises pour améliorer le pilotage des services territoriaux du renseignement intérieur et renforcer la capacité d’évaluation des parcours individuels. J’ai souhaité qu’il insiste également sur la coordination opérationnelle que les services du renseignement intérieur doivent nouer avec ceux qui sont chargés de l’information générale et, au-delà, avec l’ensemble des services territoriaux de police et de gendarmerie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la menace terroriste est élevée. Elle est d’abord, et surtout, liée au djihadisme global. Elle vient notamment de l’extérieur, de zones géographiques clairement identifiées. Cette menace porte sur nos intérêts et nos ressortissants à l’étranger. Je pense, bien évidemment, à nos compatriotes retenus comme otages. Le Président de la République a reçu, hier, leurs familles pour leur faire part du soutien de la nation.

Cette menace qui s’exprime à l’étranger est également orientée vers notre territoire.

Le Mali traverse une crise qui dépasse ses seules frontières. La présence de groupes terroristes dans la zone sahélienne fait peser une menace très grave sur les États de la région, sur leurs populations, victimes d’exactions et d’actes barbares. J’ai pu aborder cette question très préoccupante, en fin de semaine dernière, avec les autorités algériennes.

La menace qui frappe le Sahel pèse également sur le reste du monde. La France a été désignée par Al-Qaïda au Maghreb islamique et par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest comme un ennemi.

Le Président de la République a fait part de sa fermeté : avec ces groupes, il n’est pas question de discuter ; le seul recours, c’est la force. Le chef de l’État se mobilise, comme il l’a fait, fin septembre, à la tribune des Nations unies, comme il l’a répété, il y a quelques jours, lors de son déplacement en Afrique, pour permettre au Mali de retrouver son intégrité territoriale. Il est primordial d’éviter la sanctuarisation de groupes terroristes dans cette région. Il faut agir pour que le Mali et le Sahel ne deviennent pas l’Afghanistan de l’Afrique. Le vote de la résolution par le Conseil de sécurité des Nations unies, sur l’initiative de notre diplomatie, est une première étape importante.

La zone afghano-pakistanaise demeure, vous le savez, un lieu de basculement et de formation pour les candidats au djihad, au terrorisme. Dans des camps, des combattants volontaires, souvent venus d’Europe, reçoivent une formation paramilitaire qui a pour objectif de leur donner les moyens d’agir à leur retour dans leur pays. C’est précisément ce que fit Mohammed Merah, avec un passeport français, avec la ferme intention d’attaquer la France à son retour.

Dans la péninsule arabique, Al-Qaïda a également désigné la France comme une cible prioritaire, après les États-Unis. La France est visée en raison, dixit, des pratiques « non islamiques » qui la caractérisent.

La Syrie, en guerre civile, devient aussi, aujourd’hui, un terrain de motivation et de préparation au djihad.

Si les printemps arabes ont été porteurs de liberté pour les peuples et d’espoirs démocratiques pour le plus grand nombre, ils ont aussi introduit des facteurs d’instabilité. La coopération avec ces pays doit être aujourd’hui renforcée. Il s’agit en effet de faire face aux visées de groupes ultra-radicaux qui étendent leurs activités, certains soutenant ouvertement le djihadisme et pouvant, directement ou indirectement, opérer en France. Je ne vous cache pas que nous rencontrons des difficultés à établir une coopération avec un certain nombre de ces pays.

Au-delà de la géographie, il y a également le cyber-espace. Internet est devenu un domaine à part entière où se déploie le terrorisme ; un domaine où la propagande, l’endoctrinement, la formation idéologique et les mises en relation logistiques s’opèrent entre individus impliqués dans les différentes mouvances terroristes. Aux quatre coins de la planète, ils peuvent, ensemble, faire vivre une idéologie de haine.

La menace est certes alimentée depuis l’extérieur, mais elle vient aussi, de plus en plus, de l’intérieur. Ce fut d’ailleurs le cas pour les attentats du 11 septembre 2001, ceux de Madrid en 2004 ou de Londres en 2005. C’est une stratégie explicite des groupes djihadistes d’encourager et de favoriser des circuits de formation idéologique et paramilitaire courts. Ce lien intense entre un extérieur et un intérieur, propre d’ailleurs à notre monde globalisé, est un facteur d’aggravation de la menace dont il faut prendre l’entière mesure.

La menace qui se développe sur notre territoire peut être le fait de groupes d’individus, parfois convertis de fraîche date, de cellules plus ou moins étendues, comme l’étaient déjà celle de Khaled Kelkal et de ses complices ou le gang de Roubaix. Elle est également le fait d’individus autoradicalisés.

Ces individus et ces groupes ont souvent en commun d’avoir réalisé des séjours d’entraînement, ou projeté de le faire, et de fréquenter, sur internet, les sites islamistes radicaux. Des sites qui leur permettent de devenir de véritables « apprentis terroristes ». Ces individus, véritables ennemis de l’intérieur, représentent une menace diffuse, qui demande donc un travail de surveillance lourd et méticuleux.

Cette menace terroriste nouvelle naît souvent au sein de nos quartiers populaires. Les basculements individuels vers l’islam radical peuvent prolonger un passé délinquant, dans une démarche pseudo-rédemptrice, parfois commencée en détention ou à la sortie de prison. Ce risque justifie une attention particulière aux parcours individuels et le développement, mis en œuvre par la garde des sceaux, de l’aumônerie musulmane au sein des établissements pénitentiaires. Il impose également une étroite coopération des services de renseignement avec l’administration pénitentiaire.

De manière plus générale, c’est l’habitude du recours à la violence et la dépersonnalisation de la souffrance infligée à autrui, propre à beaucoup de comportements délinquants, qui fournissent un ancrage favorable au basculement vers le terrorisme. S’y ajoutent un antisémitisme virulent, que nous devons combattre de toutes nos forces, et l’instrumentalisation des conflits du Proche et du Moyen-Orient. Très souvent aussi, le basculement est favorisé par l’influence néfaste des discours d’imams autoproclamés.

Le processus de radicalisation peut être rapide, quelques mois à peine, comme viennent de le démontrer les dernières interpellations. Des individus, souvent jeunes, endoctrinés, basculent alors dans la violence et passent, ou peuvent passer, à l’acte.

Beaucoup de musulmans de notre pays, et tout particulièrement ceux issus des deuxième et troisième générations, qui peuvent douter de leur identité, sont exposés à l’interprétation salafiste de l’Islam. C’est une interprétation dangereuse, qui n’est pas celle de leurs parents ou de leurs pays d’origine. Elle peut porter en elle l’idée que la violence est légitime contre les supposés ennemis de l’Islam et qu’elle passe par le sacrifice de sa personne comme moyen d’action. Nous devons donc porter, aujourd’hui, un regard lucide sur cette réalité.

Aux côtés de ces individus et de ces cellules peuvent se trouver des structures à but terroriste qui s’étendent sur l’ensemble du territoire. L’action efficace des services a ainsi permis le démantèlement, en mars 2012, du groupe Forsane Alizza, structuré à l’échelle de l’Hexagone, qui se préparait sans doute à des actions d’envergure sur notre territoire.

Le terrorisme qui menace sur notre sol est lié au djihad, mais il n’est pas lié qu’à cela : il existe d’autres manifestations violentes, plus anciennes. Je ne veux pas établir de vaine hiérarchie entre les terreurs. Tous ceux qui veulent déstabiliser notre État doivent s’attendre à une réponse d’une même fermeté. Les ressortissants étrangers qui se trouvent sur notre territoire et qui veulent s’en prendre à nos institutions feront l’objet, comme la loi le permet, d’expulsions. Vous pouvez être certains de ma totale détermination dans ce domaine.

L’organisation terroriste basque ETA a annoncé, le 21 octobre 2011, « l’abandon définitif des actions armées ». Il faut voir dans cette déclaration la conséquence d’une coopération antiterroriste efficace sur le long terme, depuis près de trente ans, entre les services français et espagnols. Pour autant, là aussi, la situation appelle notre extrême vigilance et notre fermeté. La naïveté n’est pas de mise dans ce domaine. Les conclusions du sommet franco-espagnol du 10 octobre reflètent cette position que j’avais moi-même rappelée, en mai dernier, lors d’un déplacement à Madrid : la seule issue possible est la dissolution totale de l’ETA. C’est un préalable ; sans cela, aucune éventualité de dialogue n’est possible.

La République doit d’ailleurs faire preuve d’une fermeté équivalente en Corse, où le recours à la violence terroriste reste une tentation prégnante, comme le démontre une fois de plus, hélas, l’actualité de ce jour.

Cette violence nuit gravement au développement économique et social de l’île. Les groupes qui s’en réclament et qui pratiquent le plasticage masquent parfois mal, dans leurs objectifs, la poursuite d’intérêts économiques peu avouables et leur proximité trouble avec les réseaux délinquants de droit commun. En démocratie, mesdames, messieurs les sénateurs, l’action politique ne peut frayer avec la violence. Jamais ceux qui prônent la lutte armée ne pourront s’asseoir à la table de la République.

Ce panel de la menace – djihadisme, zones géographiques identifiées, radicalisme dans nos quartiers, ultra-droite identitaire, ultra-gauche violente – en montre les évolutions. Les menaces d’hier ne sont pas celles d’aujourd’hui, et sans doute encore moins celles de demain. Ce constat souligne la nécessité permanente d’une adaptation de nos dispositifs pour garantir la sécurité de nos compatriotes, objectif que nous partageons tous.

Avec ce projet de loi, nous ne répondons pas dans l’urgence ; nous garantissons une constance dans l’efficacité de notre lutte antiterroriste. L’intervention législative doit rendre notre droit plus fort, nous rendre plus forts, et une démocratie qui s’appuie sur le droit doit faire preuve d’unité lorsqu’il s’agit de faire face à des individus et à des groupes qui ne respectent aucune règle.

L’unité de la nation passe d’abord par le refus catégorique de toute stigmatisation. Le combat que nous menons est celui de tous les Français, de tous les démocrates. Je tiens à rappeler avec force combien l’islamisme radical est une idéologie de violence, qui est le fait d’individus offensant l’Islam et n’ayant rien à voir avec lui. L’Islam est une religion qui porte en elle un message de tolérance et de dialogue.

L’Islam de France a toute sa place dans notre pays, et dans la République. La lutte contre le radicalisme, contre ceux qui prêchent la haine, doit nous mobiliser. Elle doit mobiliser la communauté nationale, tous les Français, et donc tous les citoyens de confession musulmane, qui, je les entends comme vous, condamnent à l’unisson les actes commis.

Ce projet de loi est utile à la République, aux Français, utile aux services de sécurité et aux magistrats qui, quotidiennement, luttent contre le terrorisme.

Le gouvernement précédent avait déposé le 11 avril 2012, à la suite des attentats de Montauban et de Toulouse, un projet de loi sous l’impulsion de Michel Mercier. Nous avons intégré ce texte à notre réflexion, sans pour autant reprendre toutes ses dispositions, dont certaines, outre quelques questions de constitutionnalité, nous paraissaient ne pas répondre aux besoins des services antiterroristes. Mais, bien entendu, et j’ai eu l’occasion de le dire à Michel Mercier, je reste ouvert à toute amélioration du texte.

MM. Jean-Patrick Courtois et Michel Mercier. Très bien !

M. Manuel Valls, ministre. Le dispositif français de prévention et de répression du terrorisme est le fruit d’une expérience de vingt-cinq ans. Dès 1986, la pratique administrative, la loi et la jurisprudence ont forgé des instruments performants. La France s’est dotée d’un dispositif judiciaire spécifique, à forte composante préventive, dont le pivot est la répression de l’association de malfaiteurs à caractère terroriste. Ce dispositif maintient le juge au cœur de la lutte antiterroriste, tout en instaurant un équilibre entre l’efficacité de la lutte contre ce phénomène et les libertés publiques. La France l’a progressivement fait évoluer en l’adaptant sans cesse à l’émergence de nouvelles menaces. Aujourd’hui, il faut donc à la fois préserver cet acquis et consolider son efficacité d’ensemble.

C’est l’esprit qui a présidé à l’élaboration du présent projet de loi. Nous avons pris le temps de la réflexion, de la concertation. Nous avons tiré les conclusions du passé, étudié les retours d’expérience. Nous avons aussi analysé les différentes propositions qui avaient pu être faites, sans esprit partisan, car il ne peut y avoir d’esprit partisan quand il s’agit de lutter contre le terrorisme.

Ce travail, je l’ai mené en étroite coopération avec la garde des sceaux. Je suis convaincu que la lutte contre le terrorisme, comme la lutte contre la délinquance, ne peut être efficace que si elle associe pleinement les ministères de la justice et de l’intérieur.

Cette complémentarité entre les services de renseignement, la police et les juridictions spécialisées en matière de terrorisme est l’une des forces du modèle français. Nous devons tous préserver cette dynamique.

C’est pourquoi, avec Christiane Taubira, nous avons réuni des représentants de la direction centrale du renseignement intérieur, de la police judiciaire et du parquet antiterroriste. Notre objectif était simple : favoriser l’expression commune des besoins de ceux qui font quotidiennement face au terrorisme, qui en mesurent les risques et en connaissent les évolutions.

Ce projet de loi est le fruit de ce travail commun. Nous avons retenu ce que les praticiens estimaient utile, ce dont ils ont concrètement besoin. Toute surenchère inutile a été évitée. Il ne s’agit pas non plus d’un texte de réaction. En matière de terrorisme, peut-être encore plus qu’en d’autres domaines, l’émotion est un mauvais guide pour le législateur.

Cette élaboration en partenariat avec le ministère de la justice représente également une garantie, celle d’un équilibre entre efficacité de la lutte contre le terrorisme et préservation des libertés publiques.

Face au risque terroriste, les vaines polémiques n’ont pas leur place. Je suis très heureux de présenter ce texte d’abord au Sénat, dont je connais la sagesse.

La volonté de parvenir à une réponse unique a guidé l’élaboration du projet de loi. J’espère vivement qu’elle guidera également son examen. À ce stade, monsieur le rapporteur, cher Jacques Mézard, je ne peux que saluer le travail très constructif que vous avez mené. La lecture des débats qui ont eu lieu mercredi dernier me laisse à penser, cher Jean-Pierre Sueur, que l’esprit qui anime la commission des lois sur ce thème est le même que le mien : celui de l’unité républicaine.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

M. Manuel Valls, ministre. Nous souhaitons que ce projet de loi soit un texte de mobilisation : mobilisation de la représentation nationale, bien évidemment, mais surtout mobilisation de toute la société française contre ceux qui cherchent ou chercheraient à lui imposer une volonté qui n’est pas la sienne et qui ne sera jamais la sienne.

Ce projet de loi se veut pragmatique. Il s’appuie sur deux volets : un volet préventif, qui permettra notamment à notre système de renseignement de mieux détecter, identifier, appréhender la menace ; un volet répressif, qui permettra de sanctionner plus efficacement les activités terroristes.

Le volet préventif, contenu dans l’article 1er, consiste en la prorogation des dispositions temporaires de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, dispositions qui, au fil du temps, ont fait la preuve de leur utilité pour les services spécialisés et les magistrats chargés de l’antiterrorisme.

Les contrôles d’identité préventifs dans des gares routières ou ferroviaires et sur des portions de ligne, notamment dans les trains à grande vitesse transfrontaliers, doivent être favorisés.

Les dispositions permettant de ne pas enfermer l’action de contrôle des services de police dans un délai trop court sont source d’efficacité opérationnelle ; elles doivent donc être maintenues. Elles ont notamment permis l’augmentation, je veux le souligner, du nombre de patrouilles mixtes à bord des trains internationaux sur les liaisons ferroviaires avec l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la Suisse et l’Italie. Cela a représenté une avancée très positive, car certaines lignes ferroviaires, par leur caractère symbolique, ont pu constituer ou constituent des cibles d’action pour certains réseaux terroristes.

L’accès préventif des services de renseignement aux données techniques recueillies dans les communications électroniques ou lors de la consultation de sites internet est un autre outil fondamental. Il permet notamment de vérifier ou de recouper de manière continue, y compris dans l’urgence, les informations recueillies à titre préventif. C’est au demeurant ce qui constitue le lot quotidien dans toute activité de renseignement. Ainsi sont accumulés et étayés, ou au contraire écartés, les soupçons portant sur des personnes ou des réseaux potentiellement dangereux.

Cette activité s’effectue sous le contrôle préalable d’une personnalité qualifiée directement subordonnée à une autorité administrative indépendante. Notre modèle garantit la fluidité et la judiciarisation des informations accumulées dès que les faits détectés justifient l’ouverture d’un cadre d’enquête.

L’analyse des données de connexion a ainsi permis, au cours des derniers mois, d’identifier les administrateurs d’un site islamiste dont l’objectif était notamment le recrutement de candidats au djihad. Sur la base des informations recueillies, une procédure judiciaire a pu être ouverte, et le principal administrateur du site a été arrêté et écroué.

Internet, les réseaux sociaux et Twitter sont devenus des lieux de propagation de la haine, des lieux où les propos les plus odieux se diffusent et où les projets les plus ignobles peuvent se préparer. Dans ce domaine, il nous faut être particulièrement mobilisés et savoir apporter les réponses, précises et solides sur le plan juridique, qui conviennent.

Le Gouvernement propose de proroger une dernière fois les dispositions de l’article 6 de la loi du 23 janvier 2006. Je sais que c’est un point auquel vous êtes attentifs. Ce sera la dernière fois, car il me semble désormais opportun de mettre à profit ce nouveau délai pour repenser – le Parlement sera évidemment étroitement associé à la réflexion – l’articulation de ces dispositions avec celles de la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques et faire converger les unes et les autres. Plusieurs amendements ont été déposés à cet effet.

Cette évolution s’inscrira également à la suite du Livre blanc. Celui-ci définira les priorités stratégiques et opérationnelles propres à assurer la sécurité des Français. C’est dans ce cadre renouvelé qu’il faut mener une réflexion sereine et approfondie.

L’accès à certains traitements automatisés administratifs – cartes nationales d’identité, passeports ou encore permis de conduire – permet aux services spécialisés de procéder à de multiples vérifications et de contrôler, par exemple, si un titre d’identité saisi est vrai ou faux. Il permet également, dans une démarche d’anticipation, de suivre les déplacements internationaux de personnes, notamment ceux d’individus suspectés d’islamisme radical. D’une manière plus générale, ces consultations de fichiers participent de l’activité permanente de documentation des services habilités.

Pour être efficace, notre droit doit être clair. C’est pourquoi j’avais proposé la ratification qui aurait permis que le code de la sécurité intérieure acquière valeur législative. La commission des lois du Sénat a estimé qu’elle avait besoin de davantage de temps pour examiner ce code. Je l’entends parfaitement. Le code de la sécurité intérieure fera toutefois l’objet d’un amendement à l’Assemblée nationale.

Le volet préventif vise donc à renforcer, dans la continuité, l’efficacité de la lutte antiterroriste. Il est complété d’un volet répressif.

La législation française en matière de lutte contre le terrorisme est particulièrement complète. Elle comporte toutefois une insuffisance à laquelle seule la loi peut remédier. Il s’agit de poursuivre et de condamner les personnes qui participent à l’étranger à un acte terroriste ou à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste mais qui n’ont commis aucun acte délictueux en France.

Concrètement, cette évolution permettra de poursuivre pénalement – et nous en avons vu toute la nécessité – les ressortissants français qui se rendraient à l’étranger pour y suivre des travaux d’endoctrinement ou pour intégrer des camps d’entraînement. Ces ressortissants français pourront être poursuivis, j’y insiste, alors même qu’ils n’auront pas encore commis d’actes répréhensibles sur le territoire français. C’est une avancée importante, sinon décisive. La neutralisation judiciaire des djihadistes revenant ou tentant de revenir sur notre sol est en effet, j’en suis convaincu, un impératif. Il y a une continuité territoriale de la menace ; il faut donc une continuité territoriale des poursuites.

En matière de répression, ce projet de loi prévoit enfin, à son article 3, d’améliorer nos procédures d’expulsion visant les ressortissants étrangers tenant des discours radicaux ou soutenant le terrorisme. Je veux le répéter pour que les choses soient claires : ceux qui se trouvent sur le territoire de la République avec l’intention de lui nuire doivent être expulsés sans ménagements.

La menace est là. Elle est diverse. Nous devons, comme chaque fois par le passé, la regarder en face, lucidement, avec détermination, sans jamais céder à la crainte : il n’y a pas de raisons de le faire. Les différents gouvernements et les différentes majorités qui ont été confrontés au terrorisme ont agi avec la même détermination. Les Françaises et les Français doivent savoir que tout est mis en œuvre pour garantir leur sécurité. Elle est, naturellement, la priorité du Président de la République et celle du Gouvernement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en vous présentant, aujourd’hui, ce projet de loi, je vous invite à donner à la France, à la République, une entière capacité d’action. Elle est nécessaire pour la défense de ce qu’est notre pays, pour la défense des fondements mêmes de ce que nous sommes, pour la défense, tout simplement, de la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le ministre, vous avez employé les mots qui conviennent, dans un discours marquant une véritable volonté politique quand la République est menacée, comme elle l’est dans la période actuelle.

Les méthodes du terrorisme évoluent, pas son fondement, contraire à ce qui fait l’essence de l’humanité. Le terrorisme est de toutes les époques. Il renaît constamment de l’expression du fanatisme, monstre issu de tous les obscurantismes et croissant au gré des misères des peuples.

Chaque renaissance du terrorisme est vécue comme la survenance d’un mal nouveau. En réalité, les peuples ont peu de mémoire. Qui se souvient aujourd’hui des attentats anarchistes de la fin du xixsiècle ? Qui se souvient que la iiie République a perdu deux de ses Présidents, Sadi Carnot et Paul Doumer ? Il n’est de régime auquel le terrorisme ne s’est attaqué, et il en est ainsi depuis la période historique.

La violence est rarement légitime, et nombre de justes causes l’emportèrent sans y recourir – Gandhi en donna l’exemple –, mais elle est encore plus illégitime lorsqu’elle s’en prend à des régimes fondés sur la volonté du peuple et la démocratie.

Revendications territoriales, revendications sociales ou, plus fréquemment, fanatismes religieux, dans tous les cas, le terrorisme s’en prend au fondement même de nos sociétés démocratiques. Qu’il s’agisse d’actions de fondamentalistes religieux ou de l’ETA, ou encore d’assassinats en Corse – tel celui du préfet Érignac, l’actualité démontrant que ces actes ignobles ont toujours cours –, le processus est similaire.

Nous devons combattre ce fléau en n’oubliant pas que, au-delà des actes abjects visant des personnalités, ce sont plus souvent des citoyens anonymes qui tombent, victimes de cette barbarie.

Les moyens utilisés par les terroristes évoluent avec la société ; aujourd’hui, l’utilisation de nouveaux moyens de communication, de déplacement, a changé la donne. Nos sociétés doivent adopter des moyens de lutte adéquats. La menace, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, ne vient pas seulement de l’extérieur, elle a aussi gangrené l’intérieur.

Quels sont les objectifs d’une politique antiterroriste dans un pays démocratique ?

Il s’agit de donner les moyens humains, matériels et législatifs aux services compétents et aux magistrats pour prévenir le terrorisme et le réprimer.

Il s’agit d’appliquer la loi de la République sans aucune faiblesse, en faisant usage de la force si nécessaire : aucune concession, aucun laxisme.

Il s’agit aussi, parce que la France est une belle démocratie, de respecter les principes fondamentaux de notre droit et les libertés fondamentales de nos concitoyens.

Cet équilibre peut et doit faire l’objet du plus large consensus, c’est l’intérêt national : vous nous y avez appelés, monsieur le ministre. Je ne suis pas choqué, à cet égard, que l’exposé des motifs du présent texte reprenne littéralement certains éléments du projet de loi déposé en avril dernier par Michel Mercier, alors garde des sceaux. Il est des constats dont la pertinence perdure quels que soient les changements de majorité.

Cela étant dit, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui présente des différences notables avec le texte précédent.

Il vient en urgence, pour une raison évidente qui ne saurait échapper à personne : ce projet de loi inclut la question de la prorogation des dispositions temporaires instituées par la loi du 23 janvier 2006, dispositions expirant le 31 décembre 2012 et considérées comme indispensables par les services compétents, qu’elles soient prorogées ou pérennisées.

Il fallait que la procédure législative soit respectée, Mme Troendle y tenait à juste titre ; voilà qui est fait.

Le texte du gouvernement précédent n’incluait pas la question de la prorogation des dispositions de la loi de 2006, et si la droite était restée aux commandes de l’exécutif, il eût fallu de toute façon présenter un nouveau texte en urgence.

Autre différence notable, le texte précédent créait en droit pénal quatre nouvelles incriminations, ce qui pouvait d'ailleurs expliquer qu’il soit porté par le ministre de la justice, alors que le texte qui nous est soumis procède de M. le ministre de l’intérieur.

M. Michel Mercier. Mme la ministre de la justice vous saura certainement gré de ces propos !

M. Jacques Mézard, rapporteur. Monsieur le ministre, au travers de ce texte, vous avez manifestement visé un objectif principal : donner les moyens nécessaires aux professionnels chargés de la lutte contre le terrorisme, en évitant de créer, d’accumuler de nouveaux textes pénaux dont l’utilité n’aurait pas été démontrée. Nous ne pouvons que partager avec conviction ce choix, ayant toujours considéré que l’accumulation de nouvelles lois pénales, à chaque vague médiatique, ne relevait pas d’une approche raisonnée de la construction de notre édifice juridique. Nous nous félicitons de cette nouvelle approche, qui correspond à la position que nous avons toujours soutenue.

Que nous ont dit les professionnels chargés de la lutte contre le terrorisme ? Je résumerai ainsi leurs propos : en l’état, l’arsenal législatif dont ils disposent est relativement complet, mais subsiste une lacune concernant la difficulté à poursuivre devant les juridictions pénales françaises les Français ayant commis à l’étranger un délit en lien avec le terrorisme, par exemple la participation à des camps d’entraînement terroriste.

Le projet de loi, par son article 2, va combler cette lacune sans créer une nouvelle incrimination, par extension du texte relatif à l’association de malfaiteurs.

Les mêmes professionnels ont exprimé clairement que les dispositions des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 leur étaient très utiles, la loi du 10 juillet 1991, en l’état, ne permettant pas de couvrir toutes les questions.

À ce stade, il convient de rappeler les grands traits de notre dispositif antiterroriste, qui est, selon les praticiens que nous avons entendus, relativement bien construit et efficace.

D’un point de vue organisationnel, bien qu’en principe les juridictions locales et le tribunal de grande instance de Paris disposent d’une compétence concurrente dans ce domaine, la poursuite des actes terroristes est, en pratique – mais pas de droit –, centralisée au niveau de la juridiction parisienne. Celle-ci comprend en effet un pôle antiterroriste au sein du parquet et au sein du siège, regroupant des juges spécialisés ; nous avons entendu M. Christen pour le parquet et M. Trévidic pour les juges d’instruction. Par ailleurs, le jugement des crimes terroristes relève d’une cour d’assises spécialisée.

Du point de vue de la loi pénale, le terrorisme est défini par la combinaison d’un crime ou d’un délit de droit commun et d’une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. Surtout, l’efficacité du dispositif repose sur l’infraction d’association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes, entrée en vigueur après la promulgation de la loi du 22 juillet 1996. Cette infraction permet en effet de poursuivre facilement des personnes dès l’instant qu’elles ont accompli des actes les associant à d’autres en vue de la préparation d’actes de terrorisme.

Enfin, le dispositif antiterroriste repose sur des instruments spéciaux dont disposent les services enquêteurs, c’est-à-dire, en particulier, la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire, la SDAT, l’unité de coordination de la lutte antiterroriste, l’UCLAT, et la direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI, sous le contrôle de l’autorité judiciaire ou, dans certains cas, en amont de l’intervention de celle-ci.

Il s’agit notamment de la possibilité de réaliser des saisies et des perquisitions, de « sonoriser » et de filmer des véhicules et des lieux, de capter des données informatiques.

En amont de la phase judiciaire, les services, essentiellement la DCRI, disposent des outils dont les a dotés la loi du 23 janvier 2006. Ce sont précisément ces outils dont l’article 1er du projet de loi prévoit de proroger l’existence jusqu’au 1er janvier 2015, alors que, sans cette prorogation, ils deviendront caducs à la fin de l’année.

Le premier outil, c’est la possibilité de demander aux opérateurs de communications électroniques et aux fournisseurs d’accès internet les données de connexion des utilisateurs. Ces demandes concernent en particulier les fameuses « fadettes », c’est-à-dire les factures détaillées des abonnés. Il peut aussi s’agir d’une demande de géolocalisation d’une personne. Ces données de connexion constituent aujourd’hui un des principaux outils dont se servent les services enquêteurs pour comprendre le fonctionnement des cellules ou réseaux soupçonnés de préparer des actes terroristes.

Le deuxième instrument, dont vous avez rappelé l’utilité, monsieur le ministre, ce sont les contrôles d’identité dans les trains internationaux.

Enfin, les services de renseignement ont accès à des fichiers administratifs afin de déterminer l’identité complète d’une personne, de vérifier une identité ou encore de retrouver la trace de personnes surveillées parties à l’étranger et qui demandent un passeport.

Ces dispositifs sont étroitement encadrés, chaque utilisateur devant être habilité. S’il y a eu des dérives, y compris du côté de la justice, elles ont été assez peu fréquentes, d’après les acteurs que nous avons entendus, et ne sont pas imputables au cadre législatif. Ces dérives concernent des cas où certains services semblent s’être affranchis de ce cadre légal, comme nous avons pu le voir dans certaines affaires récentes.

Je vous propose donc, mes chers collègues, d’accepter cette prorogation de trois ans, qui me paraît plus pertinente qu’une pérennisation, laquelle nécessite un bilan et vraisemblablement une refonte avec les dispositions de la loi du 10 juillet 1991, qu’il faudra entreprendre un jour.

Par ailleurs, l’article 2 vise à compléter le code pénal afin de prévoir l’application de la loi pénale française aux crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme commis par un Français hors du territoire de la République.

Aujourd'hui, en effet, l’arsenal législatif laisse subsister une lacune : l’impossibilité de poursuivre et de condamner un Français qui, sans commettre aucun délit sur le territoire national, participe à l’étranger à une infraction à caractère terroriste.

Cette difficulté résulte des règles gouvernant l’application de la loi pénale française dans l’espace. Celle-ci n’est en effet applicable à une infraction commise à l’étranger qu’à plusieurs conditions cumulatives.

D’abord, qu’il s’agisse d’un crime ou d’un délit, la compétence de la loi pénale française est subordonnée à deux conditions : l’auteur de l’infraction doit posséder la nationalité française le jour du déclenchement des poursuites ; en vertu de la règle non bis in idem, aucune poursuite ne peut être exercée contre une personne justifiant qu’elle a été jugée définitivement à l’étranger pour les mêmes faits.

Ensuite, s’agissant des délits, deux conditions supplémentaires sont requises : les faits doivent être punis par la législation du pays où ils ont été commis ; la poursuite ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public et doit être précédée d’une plainte de la victime ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis.

Si ces conditions n’interdisent pas d’engager des poursuites à l’encontre de l’un de nos ressortissants, elles peuvent en revanche compliquer l’ouverture d’une procédure concernant un Français soupçonné d’un délit commis hors du territoire national. En effet, il est très improbable que les pays qui tolèrent des camps d’entraînement sur leur territoire répondent à l’exigence de réciprocité d’incrimination et procèdent à une dénonciation officielle.

Certes, la qualification d’association de malfaiteurs permet de couvrir des actes commis à l’étranger dès lors qu’ils sont connexes à d’autres faits en relation avec une entreprise terroriste commis en France. Les uns comme les autres forment, selon notre jurisprudence, un tout indissociable.

Cependant, il peut arriver qu’aucun acte préparatoire n’ait été commis en France, soit que l’auteur ait quitté depuis longtemps le territoire national, soit qu’il se soit rendu à l’étranger pour des motifs qu’il n’est pas facile de mettre en relation avec une entreprise terroriste, des motifs familiaux par exemple. L’évolution des modes opératoires en matière de terrorisme rend ces situations de plus en plus fréquentes.

La disposition présentée à l’article 2 permet d’écarter non seulement – comme tel est déjà le cas pour les crimes –l’exigence de réciprocité d’incrimination, de dépôt d’une plainte ou de dénonciation, mais aussi la condition relative à l’absence de condamnation pour les mêmes faits en vertu du principe non bis in idem. Seule demeure la condition de nationalité française du mis en cause.

Cette évolution est cohérente avec la compétence déjà reconnue par l’article 113-10 du code pénal, sans mention d’aucune exception à la loi pénale française. L’infraction commise à l’étranger susceptible de compromettre gravement notre ordre public est traitée de la même manière qu’une infraction commise en France.

La mesure couvre un champ plus large que celle qui avait été envisagée dans le projet de loi présenté en mai 2012, qui, d’une part, ne concernait que la participation à l’étranger à l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, et, d’autre part, prévoyait de ne déroger qu’à la condition de réciprocité d’incrimination et à celle liée à la dénonciation officielle par l’autorité du pays où l’acte a été commis.

En revanche, contrairement au projet de loi du précédent gouvernement, cette mesure ne vise que les ressortissants français, et non les personnes résidant habituellement sur le territoire français. Après la réunion de la commission de ce matin, je pense que nous pourrons trouver une formule qui contentera tout le monde sur ce point.

Aussi le projet de loi n’a-t-il pas, à ce stade, retenu les nouvelles incriminations spécifiques présentées dans le projet de loi déposé en mai dernier, dans des conditions d’urgence telles que le recul manquait sans doute pour procéder à une évaluation approfondie du droit en vigueur.

Si le cadre juridique actuel est très complet, il peut néanmoins être appelé à évoluer, dans le respect des principes et libertés constitutionnellement garantis, afin de répondre à une menace dont les formes sont à la fois multiples et mouvantes.

L’efficacité de la lutte contre le terrorisme dépend aussi pour beaucoup des pratiques de ses acteurs. Les affaires récentes, notamment celle qui, au printemps dernier, a profondément ému nos concitoyens, montrent que l’enjeu porte principalement sur le moment où les magistrats sont saisis par les services de renseignement d’une affaire. Cette judiciarisation ne doit intervenir ni trop tôt, afin que les éléments recueillis par les services de renseignements soient suffisamment établis pour constituer l’infraction, ni trop tard, afin que l’attentat puisse être empêché.

À cet égard, la faculté de poursuivre plus facilement les infractions commises à l’étranger ne doit empêcher ni de remonter les filières ni de collecter les informations nécessaires sur les intéressés. En tout état de cause, l’extension de compétence de la loi pénale prévue par le nouvel article 113-13 du code pénal n’exonèrera pas les services spécialisés de réunir les preuves du comportement délictueux à l’étranger.

L’article 3 du projet de loi initial visait à encadrer le délai dont dispose la commission départementale d’expulsion pour se prononcer. Vous avez d’ailleurs eu raison de dire, monsieur le ministre, qu’il y a des cas où la République doit expulser sans faiblesse.

Cette commission doit donner son avis, qui n’est pas un avis conforme. Or, actuellement, lorsqu’il y a un renvoi de séance à la demande de l’étranger, la commission se prononce très largement après le délai d’un mois qui lui est pourtant imposé. Le Gouvernement proposait donc de prévoir dans la loi qu’un décret fixe le délai au-delà duquel l’avis sera réputé rendu.

Nous avons considéré qu’il s’agissait là d’une atteinte, certes justifiée par la sauvegarde de l’ordre public, à la liberté individuelle et que la fixation de ce délai relevait plutôt du législateur. La commission des lois a donc adopté un amendement tendant à inscrire dans la loi le délai d’un mois et à prévoir, en outre, un délai supplémentaire d’un mois lorsque l’étranger a demandé le renvoi pour un motif légitime.

Monsieur le ministre, vous avez bien voulu convenir que notre demande de suppression de l’article 5 était fondée. Dont acte ! Cette suppression était, à mon sens, tout à fait logique, compte tenu du délai très court dont nous disposions.

Quant à l’article 6, il tend à autoriser le Gouvernement à prendre une ordonnance pour inclure dans le code de la sécurité intérieure les dispositions de la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif. Cette loi doit en effet modifier à compter du 6 septembre 2013, certains articles du code de la défense, dont une partie a été transférée depuis le 1er mai 2012 au code de la sécurité intérieure. Là aussi, le délai très bref entre la promulgation de la loi relative au contrôle des armes et celle de l’ordonnance n’avait pas permis d’intégrer les dispositions de cette loi dans le nouveau code.

L’article 6 tend en outre à habiliter le Gouvernement à opérer l’extension du code de la sécurité intérieure à la Polynésie française et aux autres collectivités d’outre-mer.

Compte tenu de la suppression de l’article 5, le Parlement pourra ainsi ratifier l’ensemble du code de la sécurité intérieure et ses adaptations ou extensions à l’outre-mer lorsqu’il examinera le futur projet de loi de ratification.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a voté à une large majorité le texte qui nous est soumis.

Nos concitoyens sont inquiets, et c’est logique, des menaces terroristes. En effet, les esprits ont été marqués par l’affaire Merah, et le terrorisme frappe aveuglément.

Les récentes arrestations ont fait la preuve de la vigilance et de la compétence des services en charge des missions de sécurité, ainsi que de leur courage, qui va parfois jusqu’à l’abnégation. En la matière, vous avez aussi su faire le ménage là où c’était nécessaire.

Il faut une forte volonté politique. L’État doit agir. L’État doit rassurer. L’État doit être respecté. Cette volonté politique, vous l’avez, monsieur le ministre. Vous le démontrez chaque jour, et les Français y sont sensibles. Préserver la sécurité de nos concitoyens en même temps que sauvegarder les libertés publiques, c’est le fondement même de la République que nous aimons.

Ce faisant, vous vous inscrivez dans le droit fil d’un autre ministre de l’intérieur, Georges Clemenceau, qui sut toujours, dans les pires épreuves, affirmer la puissance de l’exécutif dans le respect des libertés. Vous ne serez donc pas étonné que je conclue par une phrase qu’il prononça ici même, dans cet hémicycle, au cœur de la tourmente : « Il faut que l’éducation des hommes se fasse, elle n’est possible que par la pratique. Nous avons le devoir de leur assurer la liberté contre les envahissements du pouvoir mais aussi contre ceux de l’anarchie ». Aussi, j’invite le Sénat à voter le texte de la commission. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai souhaité intervenir dans ce débat, en ma qualité de président de la commission pour le contrôle de l’application des lois, non pour revenir sur les points qui viennent d’être développés, mais pour présenter brièvement au Sénat les travaux que nous avons réalisés sur cette question. Dans ce rôle, je serai donc non pas lyrique, mais factuel.

Notons-le, c’est la première fois depuis la création de cette commission qu’un tel travail d’évaluation sert de base à notre débat en séance plénière.

Vous le savez, à la suite des événements meurtriers de Toulouse et de Montauban, le précédent gouvernement a déposé sur le bureau du Sénat, le 4 mai dernier, un projet de loi sur renforçant la prévention et la répression du terrorisme.

Ce texte est un cas d’école, si je puis dire. La création de la commission que j’ai l’honneur de présider doit précisément servir à éviter une telle méthode : un événement tragique et grave survient, et on y répond en cherchant à légiférer en trois semaines, sans même prendre le temps de faire le travail de contrôle et d’évaluation des dispositifs existants. Ces derniers sont pourtant multiples et complexes, et il serait bon de juger de leur efficacité au regard même de l’événement qui s’est produit.

Dans la perspective d’une modification urgente de la législation en vigueur, et en dépit de la suspension des travaux en séance publique durant la campagne électorale, nous avions décidé de travailler très rapidement pour proposer non seulement à nos collègues, mais aussi à nos concitoyens une évaluation aussi précise que possible des dispositifs existants et, le cas échéant, de leur application.

Le précédent gouvernement ayant annoncé son intention d’aller vite, notre commission se devait d’en faire autant. Nous nous sommes donc imposé des délais rapides en engageant aussitôt un cycle d’auditions, afin de recenser et de suivre l’évolution des textes successifs qui forment l’ossature de la législation antiterroriste depuis la loi fondatrice du 9 septembre 1986 et, si possible, d’identifier les forces et les faiblesses du dispositif en vigueur telles qu’elles ressortaient de l’avis des personnes auditionnées.

Dans le cadre de cette démarche, la commission a fait preuve de la plus grande transparence en associant à ses auditions, comme c’est tout à fait normal de le faire, les membres de la commission des lois qui souhaitaient y assister et en ouvrant ses travaux à la presse à chaque fois que c’était possible.

Dans un domaine aussi spécialisé, généralement méconnu par l’opinion publique et qui véhicule bien des fantasmes et des peurs, souvent justifiées, il me paraissait essentiel que nos concitoyens mesurent toutes les difficultés de la lutte contre le terrorisme et qu’ils saisissent plus concrètement la façon dont le législateur a tenté d’y répondre depuis vingt-cinq ans.

Nous avons ainsi entendu une dizaine des meilleurs spécialistes de la question du terrorisme, qu’il s’agisse d’universitaires ou de magistrats en poste, sans oublier le garde des sceaux de l’époque, Michel Mercier, présent aujourd'hui parmi nous et que je salue, ainsi que la présidente de la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Pour des raisons sur lesquelles il est inutile de revenir, nous n’avons pas été en mesure d’entendre les plus hauts responsables des services de renseignement, ce qui ne nous a pas permis d’achever notre programme d’auditions à la clôture de la dernière session ordinaire.

Le projet de loi étant devenu caduc avec le changement de majorité présidentielle, j’avais repoussé la publication de nos travaux jusqu’à ce que le Gouvernement nous fasse savoir qu’il était obligé de légiférer en la matière.

Il lui fallait d’abord…

M. Michel Mercier. Faire comme le précédent !

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. … permettre la reconduction d’une législation arrivant à son terme à la fin de 2012, et qui, comme nous l’a expliqué M. le ministre, est absolument nécessaire pour lutter contre le terrorisme.

Il devait ensuite répondre à des besoins législatifs d’ores et déjà envisagés par le précédent gouvernement, mais ne posant pas de difficultés particulières, ainsi que nous l’a confirmé M. le rapporteur.

En la matière, il n’y a de place ni pour les conflits ni pour les postures idéologiques. Seule compte l’efficacité dans une lutte qui doit tous nous rassembler.

Dans ces circonstances nouvelles, ma première préoccupation a été de mettre ce travail à la disposition de la commission des lois.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler, le rôle de la commission pour le contrôle de l’application des lois est non pas de s’immiscer dans le travail législatif incombant à la commission saisie au fond, mais simplement de lui fournir un état des lieux aussi précis que possible de la législation en vigueur et de la réalité de son application. C’est ce que nous avons fait. J’espère que le Gouvernement aura pu prendre connaissance de notre rapport lorsqu’il achevait de préparer le projet de loi ; en tout cas, je sais que notre rapporteur l’a lu.

De ce travail émerge un triple constat normatif.

Premièrement, le cadre législatif actuel a été jugé satisfaisant dans l’ensemble. Lors de son audition, M. Marc Trévidic a souligné que la loi française nous donnait tous les pouvoirs nécessaires et qu’il ne paraissait pas sain de la modifier pour réagir à un fait divers. M. François Heisbourg a indiqué pour sa part : « Nous disposons d’un arsenal juridique très impressionnant que beaucoup de pays nous envient... Il n’est pas sûr que nous ayons besoin d’autre chose que de quelques adaptations ». Tel est l’objet du présent texte.

Deuxièmement, l’application de cette législation peut soulever quelques difficultés, mais celles-ci sont plus d’ordre pratique et organisationnel que juridique. À la lumière de ces faits, M. François Heisbourg a ainsi souligné : « La DCRI n’étant pas elle-même une direction générale, elle dépend de la DGPN, qui vit une relative diète du fait de la révision générale des politiques publiques. De surcroît, la DCRI est une institution jeune et la fusion, initiée il y a quatre ans, de la DST et des renseignements généraux hors préfecture de police, deux services à la culture très différente, n’est pas encore complètement achevée ». Ces difficultés ne relèvent effectivement pas de la loi, mais bien de la mise en pratique de ses orientations.

Troisièmement, le terrorisme en 2012 n’est plus le même qu’en 1986. Il n’a cessé d’évoluer. Dans la dernière décennie, la révolution de l’internet a entraîné une accélération de ces évolutions, ce qui oblige le législateur à s’adapter, comme cela nous est proposé aujourd'hui.

Le mode opératoire a également évolué. M. Samir Amghar nous a fait part d’un constat dont la véracité paraît éclatante à la lumière de l’affaire Merah et des récentes arrestations : « Aux attentats à la bombe des années 1990 et aux attentats-suicides des années 2000 ont en effet succédé les agressions individuelles affranchies du groupe et de son leader charismatique, à l’aide d’armes de poing ».

Tous les intervenants ont mis l’accent sur le rôle majeur joué aujourd’hui par internet. M. Marc Trévidic nous a ainsi confié : « Depuis 2003 environ est apparu l’usage d’internet pour la propagande et le recrutement : c’est là désormais que tout se passe ».

Au moment où s’engage notre débat en séance publique, je tiens simplement à faire part d’une interrogation qui, au fond, a toujours plus ou moins sous-tendu le témoignage de toutes les personnes auditionnées par notre commission : face à une menace qui vise à affecter profondément l’ordre social, comment concilier l’efficacité de la réponse pénale sans porter, dans le même temps, une atteinte excessive aux libertés fondamentales ?

L’inventaire que nous avons réalisé montre bien le caractère particulièrement délicat de cet exercice de conciliation entre deux objectifs aussi difficilement compatibles.

Les textes adoptés par le Parlement depuis 1986 ont doté notre pays d’un arsenal législatif, certes de plus en plus large, mais qui ne porte pas fondamentalement atteinte aux libertés fondamentales, car il est appliqué sous le contrôle de l’autorité judiciaire, que la Constitution rend garante de la liberté individuelle. Le témoignage de M. Olivier Christen nous l’a confirmé : « Tout le dispositif antiterroriste français, s’il repose sur plusieurs intervenants, fonctionne autour d’un pivot central qui est le dispositif judiciaire ». Ce point est particulièrement important pour nous qui légiférons sur des événements aussi délicats.

Pour dire les choses plus simplement, le dispositif français de lutte antiterroriste est une législation exceptionnelle, mais pas une législation d’exception.

Sans préjuger la teneur définitive du texte qui sortira de nos travaux, je suis fier que la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois ait pu mettre cette donnée fondamentale en évidence et qu’elle ait ainsi apporté sa contribution à un débat dont chacun mesure, non seulement l’importance, mais aussi la difficulté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, comme vous le savez, le présent projet de loi succède – ou se substitue – à un autre, déposé le 4 mai 2012 par Michel Mercier, alors ministre de la justice, à la suite des tueries de Toulouse et de Montauban.

Ce projet de loi est soumis à l’examen, en procédure accélérée, de notre assemblée, cette fois par la volonté du gouvernement de gauche actuel, dans le contexte créé par l’affaire Merah et alourdi par un nouveau cycle d’événements heureusement moins tragiques, quoique profondément inquiétants, avec les récentes arrestations des membres d’une cellule terroriste, dans le sillage de l’enquête menée à la suite d’une attaque à la grenade lancée dans une épicerie juive de Sarcelles, le 19 septembre dernier.

Je ne referai pas ici l’historique détaillé de la loi du 23 janvier 2006, dont les articles 3, 6 et 9 ont été prorogés, en 2008, jusqu’à la fin de la présente année civile. En tout état de cause, c’est dans un climat tendu que le Sénat a engagé l’examen du présent projet de loi, qui en est un nouvel avatar.

Comme me l’imposent ce contexte de stress social ainsi que mon attachement à certains principes intangibles, je me dois de souligner mon rejet de toute forme de terrorisme aveugle et ma haine des fossoyeurs de toute civilisation humaine auxquels nous devons faire face. Aussi, avant de développer toute considération relative aux éventuelles dérives auxquelles pourraient conduire certains articles du projet de loi, et pour éviter toute espèce de suspicion, je me permettrai de me placer sous l’aile protectrice d’un maître en éloquence, mon excellent collègue et ami Jean-Pierre Sueur,… (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)

M. Jean-Jacques Hyest. Je crains le pire !

Mme Esther Benbassa. … dont le dévouement aux intérêts de la nation n’est plus à démontrer. (Applaudissements sur quelques travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

Quand on vient, comme moi, d’arriver au Sénat, ce n’est pas là une prudence superflue. (Sourires.)

Ainsi s’exprimait Jean-Pierre Sueur, en décembre 2005, lors de l’examen de la future loi de 2006 : « […] la lutte contre le terrorisme nécessite le concours de tous les élus de la République, qui ne doivent pas ménager leur soutien au gouvernement, quel qu’il soit, car nous devons lutter de toutes nos forces contre ce qui est la négation de la civilisation et de la démocratie. » Il ajoutait, d’un même élan : « La question qui nous est posée est de savoir dans quelles conditions il est légitime de prendre les mesures exceptionnelles qu’appelle nécessairement la lutte contre le terrorisme. Nous pensons que, parce que ces mesures sont nécessairement exceptionnelles, les conditions dans lesquelles elles doivent être prises appellent une attention toute particulière. »

Personne ne saurait redire à la sagesse de ces mots, fixés sur la toile du Sénat. Moi, moins que personne ! Si nous devons mener la lutte contre le fléau dont nous parlons aujourd’hui, nous ne devons pourtant pas le faire à n’importe quel prix, et surtout pas en cédant sans réfléchir à la pression de l’événement. En mai dernier, M. Sarkozy, par l’intermédiaire de son ministre de la justice, réagissait à l’affaire Merah.

Monsieur le ministre, il ne faudrait pas que nous donnions le sentiment de simplement réagir à l’affaire de Sarcelles et de relancer un mécanisme déjà utilisé, hier, pour rassurer les Français. Certes, ce souci de « rassurer » est, en lui-même, légitime. Veillons néanmoins à éviter l’impression que nous ne faisons que produire une disposition d’affichage.

Si votre projet de loi reprend certaines mesures qui figuraient déjà dans celui de M. Mercier, il en réduit toutefois le contenu à trois volets, le dépouillant d’un certain nombre de dispositions. Il n’en reprend pas moins les articles 3, 6 et 9 de la loi de 2006, présentée par M. Sarkozy lui-même, alors locataire – comme vous aujourd’hui – de la place Beauvau.

Or la question que peut – et sans doute doit – se poser tout citoyen est la suivante : pourquoi les dispositions votées en 2006, prorogées en 2008, n’ont-elles pas suffi à nous protéger d’un Mohammed Merah, pourtant connu par les services de police ? De même, pourquoi les terroristes présumés de la cellule de Torcy – douze arrêtés, dont cinq libérés après une longue garde à vue – n’ont-ils été repérés qu’après leur lancer de grenade à Sarcelles, acte qui, en d’autres circonstances, aurait pu se révéler beaucoup plus meurtrier qu’il ne l’a été ?

Les mesures de 2006 nous avaient été présentées comme expérimentales, et non comme définitives. Après qu’il y a eu mort d’hommes et d’enfants, est-il utile de multiplier des dispositions dont l’efficacité ne semble pas démontrée et qui s’ajoutent à l’arsenal déjà existant de dispositions de lutte contre le terrorisme ?

En ce qui le concerne, le groupe écologiste demande, d’une part, que la prorogation soit limitée à décembre 2014, au lieu de décembre 2015, et, d’autre part, qu’un rapport d’évaluation détaillé soit dressé avant toute nouvelle prorogation. Un rapport de ce type, élaboré par les députés Éric Diard et Julien Dray – ce dernier est socialiste, me semble-t-il ! – et rendu à la veille de la prorogation de 2008, ne concluait-il pas qu’il ne fallait pas, « sous le coup d’une sorte de fatalisme juridique, et sous la pression d’hypothétiques menaces, considérer que les dispositions temporaires de [la loi de 2006] (celles des articles 3, 6 et 9) doivent être prolongées, ou plus encore être définitivement entérinées » ?

Tant que l’on ne s’attaquera pas aux causes profondes de l’émergence d’un terrorisme désormais endogène et aux racines de l’engagement de certains jeunes de nos quartiers – y compris de récents convertis à l’islam – dans les rangs d’un islamisme destructeur, tant que l’on continuera à clamer les principes d’une laïcité toute théorique sans vouloir prendre la mesure exacte des formes contemporaines de retour au religieux, tant que l’on ne se donnera pas les moyens d’inventer des solutions pratiques, et non de pur principe, à l’école, en prison ou dans la vie de tous les jours, tant que l’on ne développera pas à nouveau, dans les zones sensibles, une police de proximité, auxiliaire indispensable pour cerner à temps et pour prévenir le basculement de certains de la délinquance dans une forme de radicalité religieuse pouvant mener au terrorisme, tant que l’on fermera les yeux sur le grippage de notre ascenseur social et sur l’abandon de nos quartiers populaires, on pourra promulguer toutes les lois que l’on voudra, sans jamais être assurés qu’elles suffisent à nous protéger, sur le long terme, des phénomènes qui nous préoccupent aujourd’hui.

Mme Éliane Assassi. Très bien !

Mme Esther Benbassa. Le projet de loi que nous examinons concourt certainement à la lutte contre le terrorisme. Mais il doit aussi respecter les libertés individuelles, qui sont le socle même de notre démocratie.

Sans chercher à provoquer une vaine polémique, je dois pourtant rappeler que la gauche s’était opposée en 2006 et en 2008 aux dispositions des articles 3, 6 et 9, dont le présent projet de loi demande, dans son article 1er, la prorogation jusqu’à la fin de l’année 2015. Elle les jugeait alors liberticides. Elle avait également dénoncé, dans la loi de 2006, un texte qui, loin de s’en tenir à la prévention et à la répression du terrorisme, contenait des mesures visant à lutter contre la délinquance ordinaire et l’immigration irrégulière et à élargir les possibilités de contrôle aux frontières.

Hormis l’émotion provoquée par l’affaire Merah et les récentes arrestations, on ne voit pas ce qui, seulement quatre ans plus tard, devrait fondamentalement modifier cette position. Ce n’est pas nous, écologistes, qui ferons un procès en inconstance à nos amis socialistes. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) Ainsi le veulent, sans doute, la politique et la raison d’État.

Nous ne présenterons pas non plus d’amendement visant à supprimer l’article 1er, car, dans le contexte actuel, un tel amendement pourrait être interprété comme décalé.

En revanche, nous demanderons la réduction de la durée de prorogation au 31 décembre 2014.

Les articles 3 et 4 du projet de loi que nous examinons ont trait aux droits des étrangers et touchent au code régissant leur entrée et leur séjour. Ils modifient l’article L. 522-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en assouplissant la procédure devant la commission par l’ajout d’un alinéa. Si la commission n’a pas émis d’avis sur l’expulsion dans un délai d’un mois, celui-ci est alors réputé rendu. Malgré l’amendement du rapporteur, ce dispositif vise à pallier les carences d’une commission qui statue, en général, dans des délais bien supérieurs à un mois, empêchant ainsi l’administration de se prononcer et rendant difficile la mise en œuvre des mesures d’expulsion. En fait, il contourne les garanties entourant les procédures d’expulsion. Ainsi, l’administration pourra statuer librement s’il y a carence de la commission.

Monsieur le ministre, pourquoi une telle précipitation ? J’en suis sûre, votre intention ne peut être simplement de pouvoir expulser des étrangers avec plus de facilité. Pourquoi, dès lors, donner tant de liberté à l’administration ?

On sait que la gauche a toujours eu à cœur de renforcer les prérogatives de la commission, et que c’est la droite qui les a limitées.

Mme Esther Benbassa. Cela se vérifie jusque dans le rapport rédigé par les collaborateurs du groupe socialiste du Sénat…

Autres temps, autres mœurs, dirons-nous ! Nous, sénateurs et sénatrices du groupe écologiste, nous plaçant dans la tradition de cette même gauche, aujourd’hui majoritaire, à laquelle nous appartenons, nous déposerons un amendement supprimant la possibilité pour l’administration de statuer en cas de carence de la commission d’expulsion, renforçant ainsi les prérogatives de cette dernière. Ainsi remplirons-nous notre rôle de mémoire politique des socialistes, dans une continuité à la fois libre et profondément soucieuse des droits de l’homme et de la femme.

Pour conclure, je dirai que notre vote final dépendra du sort que notre auguste assemblée réservera à nos amendements. S’ils sont rejetés, nous choisirons l’abstention. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

Mme Dominique Gillot. Des menaces ? (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, la déclaration que le ministre de l’intérieur a faite cet après-midi dans cet hémicycle ne peut que rencontrer l’adhésion de toute la représentation nationale ; c’est en tout cas ce que j’espère.

M. Michel Delebarre. Très bien !

M. Jean-Jacques Hyest. Néanmoins, je souhaite revenir un instant sur la contradiction dont nous sommes témoins, et que ma collègue Esther Benbassa vient d’illustrer.

Mes chers collègues, ceux d’entre nous qui ont derrière eux une longue carrière de parlementaire peuvent en témoigner : il faut toujours faire attention à ce que l’on dit, car le passé peut nous rattraper ! (Sourires.)

Monsieur le ministre, si l’on se réfère, notamment, à la position des sénateurs socialistes et communistes – à l’époque, nous ne bénéficiions pas de l’existence d’un groupe écologiste – sur la loi de 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, je me réjouis que l’appréciation ait changé et que l’on reconnaisse enfin l’utilité des mesures que vous qualifiiez encore en mars dernier de « précipitées ». Mais vous étiez alors dans un autre rôle…

Je ne vous reprocherai pas de recourir à la procédure accélérée, qui est parfois utile. En l’espèce, on sait très bien qu’il faut décider, avant le 31 décembre prochain, de la prolongation – en fait, obligatoire – de la loi de 2006. C’est le motif pour lequel la commission des lois a unanimement refusé de ratifier l’ordonnance du 12 mars 2012 : le travail de l’administration et de tous ceux qui contribuent à l’œuvre de codification est toujours parfait, mais l’expérience passée nous prouve que le Parlement, s’il veut que sa ratification ait un sens, a intérêt à vérifier de très près la cohérence de ce travail.

Vous nous confirmez aujourd’hui que les textes précédents étaient utiles et de bon sens, et vous en proposez d’autres. Pourtant, notre collègue François Rebsamen, président du groupe socialiste, dénonçait, en mars dernier, un projet de loi « mal préparé, mal ficelé, sans évaluation préalable de la fiabilité et de l’efficacité de son contenu ». Or le texte qui nous est présenté aujourd’hui reprend une partie des mesures alors annoncées par Nicolas Sarkozy et contenues dans le projet de loi déposé par son garde des sceaux.

Vous avez annoncé le dépôt de ce projet de loi le 15 septembre, juste après la manifestation devant l’ambassade des États-Unis à Paris. Je ne permettrai pas de juger la méthode du gouvernement actuel, dont les membres reprochaient au gouvernement de l’époque de « réagir à une émotion collective » ! Je ne vous dirai donc pas que cette annonce fait suite à une émotion collective propagée par des médias de masse. Je ne dirai même pas que vous souhaitez envoyer un message à l’opinion française et affirmer votre présence sur le front de la lutte contre le terrorisme.

M. François Fortassin. Qu’allez-vous nous dire, alors ?

M. Jean-Jacques Hyest. Comme vous, je considère la menace terroriste comme particulièrement préoccupante. En reprenant à votre compte le fond d’un projet de loi présenté par un autre gouvernement dit « de droite », pourtant combattu pendant les nombreuses semaines qu’a duré la campagne pour l’élection présidentielle – pas par vous, monsieur le ministre, mais par beaucoup de vos amis –, vous devez bien imaginer que les Français pourront s’interroger sur ce changement complet de position. Ce n’est d’ailleurs pas le seul cas, si l’on se reporte au débat de la semaine dernière sur le pacte européen de stabilité…

M. François Rebsamen. Comparaison n’est pas raison !

M. Jean-Jacques Mirassou. Ce n’est pas le même dossier !

M. Jean-Jacques Hyest. Certes, mais cela prouve que, quand on est responsable, on peut changer d’avis !

Après l’affaire Merah, je me souviens que, lorsque Nicolas Sarkozy avait envisagé une loi prévoyant une surveillance des connexions sur internet, on avait critiqué un « populisme pénal » ! Encore un grand mot…

Pour rafraîchir notre mémoire collective, je souhaiterais revenir un instant sur le texte courageux que Michel Mercier, alors garde des sceaux, avait présenté et qui ne remettait pas en cause la législation en vigueur, mais l’améliorait.

Madame le garde des sceaux, je suis très heureux de saluer aujourd’hui votre présence dans cet hémicycle, parce que je craignais que, comme par le passé, les textes sur le terrorisme soient rédigés uniquement par le ministère de l’intérieur. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Dominique Gillot. Il y a eu un changement !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est sûr !

M. Jean-Jacques Hyest. J’ai l’honnêteté de vous le dire ! En fait, il y a toujours eu une collaboration entre la Chancellerie et le ministère de l’intérieur. En effet, lorsqu’il est question de droit pénal, il vaut mieux que la Chancellerie soit consultée.

Le texte présenté par Michel Mercier comprenait quatre nouvelles mesures : donner des moyens supplémentaires aux magistrats et aux enquêteurs, notamment en matière de perquisition, d’écoutes ou d’infiltration ; pénaliser la consultation habituelle et sans motif légitime des sites internet qui incitent au terrorisme – nous en reparlerons tout à l’heure ; pénaliser ceux qui se rendent dans des camps d’entraînement à des fins terroristes – tel peut être l’objet de certaines dispositions du présent projet de loi ; appliquer une décision-cadre européenne instaurant un délit d’instigation d’actes de terrorisme.

Je souhaitais procéder à ce rappel afin que nous ayons conscience, tout comme nos concitoyens, des similitudes et des différences de nos motivations.

En 1986 – j’étais alors jeune député –, l’une des premières lois que nous avons adoptée sous la législature interrompue en 1988 répondait déjà à de réelles menaces terroristes, après la vague d’attentats des années soixante-dix. Depuis cette date, la France a pris conscience du caractère spécifique de cette menace et a perpétuellement adapté sa législation en fonction des évolutions des modes opératoires et de l’émergence des nouvelles menaces. Vous avez parfaitement décrit ce processus, monsieur le ministre.

Nous avons toujours veillé à maintenir un équilibre constant entre l’attribution à la puissance publique de prérogatives renforcées, nécessaires à la sécurité collective, et la préservation des libertés publiques. D’ailleurs, le rapport de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, dont je peux simplement regretter qu’il ait été publié dans l’urgence et présente donc un caractère forcément provisoire et insuffisant, établit un triple constat intéressant, en précisant que le cadre législatif actuel est dans l’ensemble satisfaisant – ceux qui ont voté successivement toutes ces lois sont heureux de l’apprendre ! –, même si son application rencontre quelques difficultés d’ordre pratique mais aussi juridique, et je pense notamment à l’article 6 de la loi de 2006. Il préconise donc des évolutions législatives du fait, notamment, de l’évolution des méthodes et moyens employés par les terroristes. Je crois que nous sommes tous d’accord sur ce dernier point.

J’en viens aux différences qui persistent entre nous et que révèle ce texte.

Comme l’a rappelé un spécialiste reconnu, François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique, lors des auditions sur l’état de notre législation, « l’adaptation passe notamment par une plus grande attention accordée à l’internet ». Il doit donc être possible d’autoriser la recherche sur internet des connexions en lien avec le terrorisme, mais il semble également nécessaire de créer un délit de consultation de certains sites, sur le modèle de ce qui existe déjà à l’article 227-23 du code pénal.

Nous souhaitons aussi réprimer la propagation et l’apologie d’idéologies extrémistes que constituent la provocation aux actes de terrorisme et l’apologie de ces actes, en créant un délit figurant non plus dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais dans le code pénal. Il s’agit d’un débat récurrent ! Les travaux de ce matin, en commission des lois, permettront peut-être d’aboutir à un consensus sur cette question. En effet, les délits prévus par la loi de 1881 sont soumis à un délai de prescription de trois mois : peut-on prévoir un délai de prescription plus long dans cette loi et, surtout, peut-on procéder à une détention provisoire ? C’est pourquoi nous avions envisagé la création d’un délit particulier.

Enfin, il est important pour nous que la décision-cadre européenne de novembre 2008 relative à la lutte contre le terrorisme soit transposée dans notre droit. En effet, cette décision exige de réprimer comme un acte de terrorisme le chantage en vue de commettre des actes de terrorisme, ce qui pourrait être fait en ajoutant à la liste de l’article 421-1 du code pénal le chantage dans la liste des infractions constituant un acte de terrorisme, lorsqu’elles sont commises dans le cadre d’une entreprise terroriste – même si l’on nous dit que la définition du chantage dans notre code pénal correspond plus au cas de l’extorsion. Monsieur le ministre, cette question vous sera à nouveau posée dans le cadre de la discussion des amendements.

À titre personnel enfin, je souhaiterais vous faire part de mes interrogations – mais je crois qu’elles sont partagées par les membres de la commission qui connaissent un peu ces questions – quant à la prorogation, à l’article 1er du projet de loi, des dispositions déjà prorogées de la loi du 23 janvier 2006. Je ne parle pas de l’article 3 ni de l’article 9 de cette loi, mais de son article 6, relatif aux interceptions de sécurité.

Monsieur le ministre, j’ai des raisons de connaître un peu le sujet, puisque je siège à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, qui contrôle indirectement, a posteriori, les interceptions prévues dans ce cadre. Je pense qu’il faut aboutir à une unification des procédures applicables aux interceptions de sécurité, et j’espère qu’un consensus existe sur ce point.

La loi de 1991 correspondait à un stade de développement technique : la géolocalisation n’existait pas encore et internet pratiquement pas. Il faut que nous adaptions notre législation en veillant à maintenir un équilibre entre l’efficacité des interceptions et l’effectivité de leur contrôle : si chacun applique un dispositif particulier, je crains les dérapages. La loi de 1991 a représenté un progrès considérable, après de nombreuses affaires – nous savons tous pourquoi elle a été adoptée ! – et a permis aux services concernés de retrouver une crédibilité. Depuis cette date, nous avons parfois entendu évoquer des affaires, notamment de « fadettes », mais il s’agissait le plus souvent d’écoutes judiciaires et non d’écoutes administratives.

Nous aurions donc intérêt, puisque ce dispositif a bien fonctionné, à revenir à un dispositif d’autorisation interministériel, sous le contrôle du Premier ministre, tel qu’il existait depuis 1991. Quand nos collègues étrangers nous interrogent sur notre dispositif, ils reconnaissent qu’il figure parmi les plus perfectionnés, les plus stables et les plus sécurisés, tout en garantissant l’exercice des libertés publiques.

Nous aurons sûrement l’occasion de rediscuter de cette question. Je dois avouer que, si j’ai déposé un amendement qui paraît identique à celui qu’a évoqué Mme Benbassa, il ne s’inspire absolument pas de la même philosophie !

Malgré un consensus quasi général, monsieur le ministre, et la nécessité impérieuse de légiférer, au plus vite, mais surtout au mieux pour que les services de l’État puissent accomplir leurs missions, j’émettrais le regret que ce texte ait été rédigé a minima – mais nous aurons peut-être l’occasion de l’améliorer. Pour autant, je peux vous assurer que nous assumons pleinement le soutien à cette loi, voulue et écrite, en partie, par notre majorité, et reprise à son compte par le gouvernement actuel.

Le plus paradoxal n’est pas que la loi de 2006, que vous avez combattue, soit désormais considérée comme pertinente et efficace, mais que vous nous invitiez à renforcer notre législation antiterroriste. Puisque c’est nécessaire, nous vous soutiendrons, et vous proposerons de ne pas vous arrêter en si bon chemin, compte tenu de la persistance inquiétante de la menace terroriste dans notre pays. J’espère donc que l’ensemble du Sénat votera le projet de loi.

Pour terminer, monsieur le président de la commission des lois, j’avais envie de vous citer, mais puisque Mme Benbassa l’a très bien fait, je m’en abstiendrai ! (Sourires et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est excellent pour ma modestie !

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’arrestation d’une douzaine d’islamistes, il y a quelques jours, l’affaire Merah, il y a quelques mois, nous rappellent la permanence du risque terroriste en France.

Le terrorisme est une guerre secrète, ponctuée de crimes spectaculaires, M. le ministre de l’intérieur l’a souligné. Il est d’autant plus difficile de faire face à cette guerre qu’elle change de forme et d’objet, n’a jamais de frontières, mais recèle toujours une organisation. Face à elle, nos démocraties sont confrontées à un vrai défi : se défendre sans se dénaturer.

Pour nos adversaires, la fin justifie les moyens. Pour nous, la lutte antiterroriste doit respecter les droits fondamentaux de chacun. Nous sommes ainsi gouvernés par un principe d’équilibre que le Conseil constitutionnel nous rappelle fréquemment. Il l’a encore fait le 17 février dernier en ne permettant pas au juge des libertés et de la détention de limiter le choix de l’avocat en matière de terrorisme.

Sans rien concéder au laxisme, bien entendu, nous devons éviter deux écueils. Le premier consiste à entretenir une confusion, plus ou moins explicite, entre la lutte contre le terrorisme et la discrimination à l’égard d’une religion ou d’une population étrangère. Ce rapprochement peut exister dans une partie de l’opinion. Il conduit alors à un soupçon pesant sur toute personne étrangère ou de confession musulmane.

La loi que vous nous présentez, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, échappe à cette critique en prenant soin de ne faire aucune référence de cette nature. Cela n’a pas toujours été le cas : lorsque, en 1996, le législateur ajoute l’aide à l’entrée ou au séjour irrégulier des étrangers dans l’arsenal antiterroriste, il commet cette confusion.

Le second écueil serait, au nom de l’efficacité, de tenir les droits fondamentaux pour accessoires. Ici encore, une partie de l’opinion pourrait nous inciter à faire reculer le crime terroriste sans se soucier des dommages collatéraux causés aux libertés publiques.

Voilà notre philosophie !

J’ai bien entendu les propos que M. Hyest a tenus avec sa malice et son humour habituels. L’humour, nous le lui laissons ; c’est évidemment un droit de l’opposition.

M. Jean-Patrick Courtois. La majorité aussi peut avoir de l’humour !

M. Alain Anziani. Il nous a rappelé nos positions passées. Pour ma part, je n’aurai pas la cruauté de lui rappeler les siennes. En conscience, nous savons faire la différence entre les lois souvent qualifiées de « législation de l’émotion » qui ont été votées précédemment et le texte qui nous est présenté aujourd’hui, dans le but de conforter les outils dont disposent nos services pour lutter contre le terrorisme.

Nous n’entrerons donc pas dans cette polémique pour une raison simple : notre objectif n’est pas de diviser les républicains, mais de les rassembler, pour reprendre les mots du ministre de l’intérieur, face à la menace terroriste. Tous les républicains sont évidemment les bienvenus pour voter ce texte.

Le projet de loi que nous examinons est complexe. Les trois dispositions que vous nous proposez de reconduire jusqu’en 2015 illustrent la difficulté de l’exercice. Je tiens d’ailleurs à répondre à mon amie Esther Benbassa qu’il ne saurait y avoir de lutte contre le terrorisme sans renseignement. Croire le contraire serait d’une grande naïveté. Or les trois dispositions dont le texte prévoit la prorogation au-delà du 31 décembre 2012 permettent à nos services d’effectuer ce renseignement.

Comment peut-on lutter contre le cyber-terrorisme, par exemple, sans identifier les personnes en parvenant à les géolocaliser pour ensuite mettre en place les mesures nécessaires ? Or nous savons que le cyber-terrorisme est la forme moderne du terrorisme. Il permet, à distance, de recruter, de former et d’acheminer vers des terrains de combat des apprentis terroristes qui séviront ensuite, hélas ! sur notre territoire.

Si nous n’avons pas accès aux données de connexion, je ne vois pas comment nous pourrons prévenir ces risques de terrorisme pour notre pays. L’essentiel, c’est de toujours établir la distinction, comme le prévoit le texte, entre le contenu et le contenant. Nos services pourront accéder aux données de connexion uniquement pour la géolocalisation, c’est-à-dire au fond au contenant, mais pas écouter le contenu des conversations que pourraient s’échanger des personnes n’ayant parfois strictement rien à voir avec le terrorisme. Cet équilibre, garanti par une personnalité qualifiée, me paraît tout à fait acceptable. Il a d'ailleurs été jugé conforme par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 janvier 2006.

De même, l’accès aux fichiers administratifs, qu’il s’agisse des permis de conduire, des cartes grises, des immatriculations, des pièces d’identité, va permettre à nos services de procéder à des vérifications. Là encore, elles demeureront contrôlées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Le troisième outil, à savoir le contrôle d’identité dans les trains internationaux et dans les gares, a fait l’objet d’une décision du Conseil constitutionnel, qui en avait limité le périmètre à vingt kilomètres, ainsi que d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, qui avait interdit toute vérification systématique. Avec cette double condition, nous ne pouvons qu’être favorables à la prolongation de cette mesure.

Le projet de loi vise par ailleurs à combler une lacune choquante, dont on peut ensuite faire différentes lectures. Je le répète, un Français qui s’entraîne à l’étranger, au Pakistan par exemple, en vue d’un acte terroriste ne peut être poursuivi que si le pays d’origine le dénonce ou si un acte connexe a été commis sur notre territoire, comme l’achat d’un billet d’avion. En l’absence de telles conditions, nous ne pouvons pas le poursuivre. C’est ce vide juridique, cette lacune que le projet de loi nous invite à combler. C’est nécessaire pour notre sécurité.

La question de la forme que doit prendre cette répression n’a pas été abordée par notre excellent rapporteur. Le Gouvernement a fait le bon choix, me semble-t-il, en n’ajoutant pas une nouvelle infraction au code pénal mais en étendant le champ d’application de certaines dispositions, le Conseil constitutionnel sanctionnant toute nouvelle infraction qui n’est pas strictement nécessaire. Or si nous ajoutons une nouvelle infraction dans le code pénal à une infraction de même nature, elle risque de ne pas être considérée comme strictement nécessaire.

Le projet de loi vise à corriger une autre lacune. Aujourd’hui, sauf urgence absolue, une personne susceptible d’être expulsée doit être entendue par une commission composée de trois magistrats, convoquée par le préfet. Cette commission doit rendre son avis dans un délai réglementaire d’un mois. Il est intéressant de noter que cet avis est suivi dans plus de 70 % des cas. Cependant, les dispositions actuelles ne précisent pas ce qu’il advient si la commission ne respecte pas le délai réglementaire, en particulier après un report de celle-ci. Or on constate que ce délai atteint, en moyenne, 109 jours. Il fallait donc légiférer de nouveau pour éviter un tel allongement.

Le Gouvernement propose qu’à l’issue du délai réglementaire l’avis soit réputé rendu. La commission des lois a préféré une autre formulation, exposée tout à l'heure par notre rapporteur. Elle a en outre souhaité que la personne concernée, lorsqu’elle dispose d’un motif légitime – et uniquement dans ce cas –, puisse obtenir un délai supplémentaire d’un mois.

Enfin, la commission des lois a fait preuve de beaucoup de sagesse en refusant la codification par voie d’ordonnance de 550 articles du code de la sécurité intérieure. L’examen de ces articles en une dizaine de jours, véritable travail d’Hercule, nous a semblé inaccessible. Or il est de notre devoir de parlementaire de vérifier que cette codification est réalisée à droit constant, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. C'est la raison pour laquelle nous avons préféré supprimer l’article 5.

Monsieur le ministre, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi est incontournable, ne serait-ce que pour proroger les trois mesures que j’ai indiquées. Il est conforme à nos principes républicains – j’insiste sur ce point – tels qu’ils ont été rappelés par le juge constitutionnel. Il est indispensable dans cette longue lutte toujours renouvelée contre le terrorisme. Le groupe socialiste et apparentés votera, bien entendu, votre texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nul ici ne conteste la nécessité absolue de lutter contre les méthodes et les actes terroristes qui visent, comme l’indique la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 8 septembre 2006, « l’anéantissement des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de la démocratie ». Chacune et chacun d’entre nous condamne avec la plus grande fermeté toute atteinte à la République. Cela nous concerne tous. Dès lors, c’est toute la société qui doit faire bloc.

Oui, la force du droit doit prévaloir, monsieur le ministre, et personne ici ne détient le monopole de l’unité républicaine, car nous sommes tous des républicains, quel que soit notre vote ! Oui, il faut agir, mais quel type d’actions faut-il choisir d’engager ? Doit-on pour autant rogner sur nos valeurs ?

L’auteure Colombe Camus a parfaitement résumé toute la problématique qui se pose à nous aujourd’hui et qui, par le passé, a rassemblé la gauche et divisé la droite : « Le terrorisme interpelle les capacités de résistance politique et sociétale des démocraties, c’est-à-dire la capacité d’une société dans son ensemble à dépasser les conséquences d’une agression et les effets psychologiques induits par un incident majeur, sans trahir sa liberté et ses droits et sans répercuter politiquement sa détresse ». Elle ajoute : « le respect des droits humains et des libertés fondamentales n’est pas un luxe pour époques de prospérité ».

En effet, à chaque discussion que nous avons pu avoir dans cet hémicycle sur une loi relative à la lutte contre le terrorisme, nous avons été confrontés à un dilemme démocratique opposant la quête de sécurité au respect des libertés et des droits fondamentaux.

Au cours de ces discussions, nous avons pour notre part affirmé que la démocratie n’est pas un acquis. La faire vivre demande une vigilance permanente et un travail constant. Elle est un ensemble de libertés et de droits que l’on ne peut démanteler, même dans les moments difficiles, sans porter atteinte à ses fondements.

Je ne vous cacherai pas que montrer du doigt les dérives de la lutte contre le terrorisme en France n’est pas chose aisée, notamment après la période que nous avons vécue, voire le climat dans lequel nous baignons encore aujourd’hui. Pourtant, la volonté de défendre des libertés aussi fondamentales que la liberté d’aller et venir ou le respect de la vie privée m’intime de le faire. J’estime que ces principes durement acquis doivent être défendus en toutes circonstances, quelle que soit la conjoncture politique, car ils sont en réalité le fondement d’une sécurité humaine durable et non un obstacle à celle-ci.

Pour autant, si j’évite de céder au « tout-sécuritaire », je ne tombe pas non plus dans l’angélisme béat. Je ne suis de toute façon jamais béate devant qui ou quoi que ce soit. Le terrorisme existe, il doit être combattu avec force, je l’ai dit. La question qui se pose est celle des moyens à déployer pour l’éradiquer.

En plus d’avoir étendu les contrôles matériels, la droite au pouvoir a fait évoluer le dispositif de lutte contre le terrorisme vers des formes de contrôle plus indolores, dans le domaine immatériel des données personnelles. Elle a, par ce biais, instauré une surveillance généralisée et systématisée. Finalement, pour quel résultat ?

L’affaire Mohammed Merah fut terrible. Aujourd'hui, j’ai une pensée particulière pour les familles des victimes, endeuillées et meurtries à jamais. L’affaire Mohammed Merah fut un fiasco pour le pouvoir alors en place. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Elle fut un fiasco de sa politique sécuritaire – pour ne pas dire de sa politique tout court –, laquelle n’a pas permis de prévenir la dérive d’un déséquilibré connu des services de police et de mobiliser les alertes des diverses administrations qui avaient croisé et interrogé cet homme.

Doit-on continuer dans cette voie ? Je ne le pense pas.

Pour lutter efficacement contre le terrorisme et trouver de véritables solutions, il faut envisager le phénomène dans son intégralité, et surtout ne pas se satisfaire d’une politique sécuritaire qui se contente d’un fichage généralisé, où chaque citoyen est vu comme un terroriste potentiel. Il faut identifier les véritables causes de ces graves dérives afin de mieux les combattre.

L’article 2 du projet de loi vise à faciliter les poursuites et les condamnations de Français ayant commis des actes terroristes à l’étranger, en créant un nouveau délit. Or cette infraction existe déjà. Il s’agit du délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, qui permet de couvrir la plupart des situations. Je dis bien : la plupart des situations. L’association de malfaiteurs est une notion assez large, qui laisse de facto beaucoup de souplesse au régime antiterroriste français.

En outre, le dispositif prévu par l’article 2 risque de poser clairement un problème de preuve dans le cadre d’une procédure judiciaire. Il est en effet difficile de réunir les preuves concernant les activités concrètes auxquelles une personne a pu se livrer à l’étranger, d’autant plus que, dans ce cas, les magistrats devront recourir à la coopération pénale internationale, dont les résultats dépendent, vous le savez, de la bonne volonté des autorités du pays. C’est pourtant le manque de bonne volonté de ces pays en matière de lutte contre le terrorisme qui justifie, selon l’exposé des motifs, cette nouvelle disposition. Dès lors, on le sait, ce nouveau délit sera inutile.

Autre critique, et non des moindres, soulevée par Marc Trévidic, juge d’instruction auditionné par la commission présidée par M. Assouline : le risque, avec ce dispositif, est que l’on se contente d’interpeller une personne soupçonnée d’avoir effectué un séjour à l’étranger à visée terroriste dès son retour en France – cette personne sera de toute façon relâchée dans la majorité des cas, faute de preuve –, sans chercher à mener une enquête approfondie permettant d’identifier un éventuel réseau et ses activités. Il s’agirait alors d’une action préventive a minima, risquant de nous faire passer à côté d’un danger plus important.

Enfin, à force de persister dans cette voie, on peut se demander : à quand une liste des pays terroristes ?

Aux termes de l’article 3, si la commission départementale d’expulsion n’a pas émis son avis dans un délai d’un mois, celui-ci sera réputé rendu. Cette proposition de modification fera peser négativement sur les ressortissants étrangers les encombrements des audiences des commissions d’expulsion. En effet, depuis la loi du 24 août 1993, dite « loi Pasqua », les avis de cette commission n’ont qu’un caractère facultatif. En outre, à la suite de multiples modifications du CESEDA, elle n’est pas saisie, notamment en cas d’urgence absolue.

Introduire la notion de « rejet implicite » dans le cas présent revient donc à enterrer, doucement mais sûrement, le rôle de la commission d’expulsion, lequel est pourtant essentiel pour garantir les droits de la défense.

L’article 1er proroge jusqu’au 31 décembre 2015 les dispositions introduites par les articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006, adoptées, je le rappelle également, à titre expérimental.

Comme l’avait souligné en 2005 et en 2008 l’ensemble de la gauche, l’article 3 de cette loi est une mesure destinée à lutter non pas contre le terrorisme, mais ouvertement contre l’immigration clandestine. Je répéterai ici la position que j’avais adoptée à l’époque, et uniquement la mienne, c’est mieux : les contrôles d’identité n’ayant jamais joué, et ne jouant toujours pas, un rôle déterminant en matière de lutte contre le terrorisme, cet article instaure un amalgame inadmissible entre terrorisme et immigration.

Quant aux articles 6 et 9 de cette loi, ils autorisent respectivement la réquisition de certaines données relatives à des communications électroniques et l’accès, par les services de police et de gendarmerie, aux fichiers administratifs.

Pour mémoire, depuis l’entrée en vigueur de loi du 23 janvier 2006, des agents sont individuellement habilités à accéder à cinq grands fichiers administratifs nationaux et aux données à caractère personnel collectées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, fichiers et données que vous connaissez : le fichier national des immatriculations, le système national de gestion des permis de conduire, le système de gestion des cartes nationales d’identité, le système de gestion des passeports, le système informatisé de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France, les données à caractère personnel relatives aux ressortissants étrangers qui, ayant été contrôlés à l’occasion du franchissement de la frontière, ne remplissent pas les conditions d’entrée requises, et les données à caractère personnel biométriques relevées à l’occasion de la délivrance d’un visa.

De fait, une grande partie de la population séjournant ou résidant en France figure dans les fichiers ainsi ouverts aux agents de police administrative. Il s’agit bien là d’un fichage systématique et généralisé, qui justifie à lui seul un vote contre cet article.

À partir de l’article 4, qui rectifie une erreur de numérotation, je n’ai pas d’observation à faire. Je rappellerai simplement que le recours à l’article 38 de la Constitution, relatif aux ordonnances, ne doit pas être systématisé. La nouvelle majorité parlementaire doit prendre le temps d’examiner des dispositions prises par l’ancienne majorité par voie d’ordonnances. À cet égard, je salue la sagesse de la commission, qui a supprimé l’article 5 portant ratification d’une ordonnance de plus de 500 articles.

Vous l’aurez compris, le seul article 4 ne suffira pas à justifier un vote positif de notre part.

Nous ne voterons pas ce texte, je le dis avec fermeté et avec force, non par laxisme – que cela soit entendu–, ce que certains s’empresseront d’affirmer, non parce que nous considérons qu’il ne faut pas agir, mais parce que nous pensons que, pour fournir de véritables solutions, il faut viser les problèmes réels, ce que ce texte ne fait pas.

Aujourd’hui, la situation nécessite un recul et l’exercice effectif d’un contrôle politique, juridique et citoyen, par des moyens renouvelés : il faut multiplier les commissions d’enquête, revoir les domaines d’action les plus sensibles, notamment les renseignements, en leur garantissant une indépendance totale dans leurs propos, systématiser les mécanismes d’évaluation des politiques antiterroristes tant sur le fond qu’en termes d’impact et d’efficacité.

Le rapport sur les dysfonctionnements des services de renseignement que vous avez demandé à la suite de l’affaire Merah et qui doit vous être remis prochainement, monsieur le ministre, permettra déjà de prendre un peu de recul et d’appréhender plus globalement le problème. Pouvez-vous nous dire quand ce rapport sera publié ?

Enfin, permettez-moi de rappeler ce qui me semble logique, mais cela va toujours mieux en le disant : il faut condamner tout amalgame. Les musulmans de France ne doivent pas pâtir de cette situation. Ils sont eux aussi les victimes du radicalisme, qu’ils condamnent fermement.

D’ailleurs, si le discours radical fait autorité auprès des jeunes, c’est non parce qu’ils sont de telle ou telle religion, mais parce que ce discours leur donne une illusion de toute puissance, le sentiment de devenir Dieu et de pouvoir imposer leurs normes. Beaucoup de ces jeunes n’ont aucune transmission, qu’elle soit culturelle, religieuse ou familiale. Je parle notamment des jeunes qui passent beaucoup trop systématiquement par la case prison, du fait des peines plancher. En outre, le législateur a rejeté jusque-là toute tentative visant à pallier l’absence de liberté de culte en prison.

Il nous appartient de combler ces lacunes pour éviter l’endoctrinement de ces jeunes, lequel, selon de nombreux sociologue, s’apparente véritablement à celui d’une secte.

Il faut agir le plus tôt possible. Pour une réelle prévention, il faut commencer par reprendre les grilles psychologiques et sociales. Seul ce travail nous permettra de trouver le bon remède pour empêcher la naissance du terrorisme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes invités aujourd'hui à examiner le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme en procédure accélérée.

Je tiens à le dire d’emblée, sur une question aussi grave que celle de la lutte contre le terrorisme, tous les Républicains doivent se rassembler. C’est n’est donc pas parce que vous êtes maintenant aux responsabilités, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, et que le projet de loi que vous nous soumettez n’est pas très éloigné de celui que j’avais déposé il y a quelques mois, que je me livrerai au petit jeu, qui serait à la fois cruel et contraire à l’esprit de rassemblement, consistant à rappeler ce que certains ont dit ici. M. Assouline l’a fait avec talent dans son rapport, qui servira à l’édification du Sénat.

Au contraire, je me réjouis profondément que le Président Nicolas Sarkozy (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) et le Président François Hollande…

Mme Françoise Cartron. Ah ! On craignait le pire…

M. Michel Mercier. … défendent tous deux la République contre le terrorisme et qu’ils veillent à ce que les policiers et les magistrats aient les moyens d’agir. Je tiens d’ailleurs à féliciter le parquet de Paris et la section antiterroriste pour la lutte qu’ils mènent sans relâche contre ce fléau.

On l’a vu, dans l’affaire Merah ou dans celles de la semaine dernière, policiers et magistrats travaillent ensemble pour extirper cette gangrène de notre système républicain. Il faut leur dire un grand merci et tous les féliciter, car leur tâche n’est pas facile. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)

Face à cette lutte quotidienne, je vous félicite également, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, de faire en sorte que vos administrations, dans le respect de leurs compétences, puissent travailler ensemble. Je pense notamment aux accords existant entre l’administration pénitentiaire, l’état-major de sécurité et les services qui dépendent du ministère de l’intérieur en matière de renseignement. Il est vrai que, aujourd'hui, la prison fait souvent figure d’école de la radicalité.

Tant mieux donc pour nous si les deux administrations œuvrent en commun. De la même façon, tant mieux pour nous si les magistrats peuvent rencontrer le directeur de la DCRI.

Quant à nous, parlementaires, notre rôle est simple : faire en sorte qu’il ne manque aucun outil législatif à toutes celles et à tous ceux qui sont chargés de la lutte antiterroriste.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui, bien qu’un peu différent, est très proche de celui que j’avais déposé il y a de cela quelques mois. Je le dis donc clairement : je le voterai sans état d’âme. Certes, j’espère que nous pourrons l’améliorer, trouver encore plus de convergences entre nos positions. Cependant, nous serions de bien tristes sires si, ayant déposé un texte qui ressemble beaucoup à celui que vous nous soumettez, nous refusions de voter ce dernier pour des raisons purement partisanes. J’espère donc que nous le voterons tous, car il est nécessaire à la défense de la démocratie et de la République.

M. Michel Delebarre. C’est bien !

M. Michel Mercier. Je ne reviendrai pas sur tous les articles contenus dans le projet, car nous allons avoir l’occasion de le faire tout au long de la discussion. Je tiens seulement à vous dire que je trouve quelque peu regrettable que vous ayez renoncé un peu vite à transposer la directive sur le terrorisme dans le présent texte. Vous aurez l’occasion de nous expliquer pourquoi, lorsque nous examinerons les amendements identiques que M. Hyest et moi avons déposés sur le sujet.

On ne peut à la fois insister sur le fait que le terrorisme ne respecte pas les frontières et ne pas vouloir lutter contre lui au sein de l’espace européen, à l’aide du droit communautaire. Je crois très honnêtement que, sur ce point, le texte que vous nous soumettez peut être amélioré.

Le même objectif nous poussera à faire du délit d’apologie d’actes de terrorisme l’objet d’une autre discussion. Pour ma part, je pense qu’il mérite d’être extrait du cadre de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour être traité à part, et intégré dans le droit commun.

La commission a préféré modifier la loi sur la liberté de la presse. Je pense qu’il ne faut toucher à ce texte qu’avec d’infinies précautions.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

M. Michel Mercier. C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un autre système, consistant à transférer cette infraction vers le droit commun, en l’aménageant de telle façon que les dispositions visant à la réprimer puissent garder toute leur efficacité. Ainsi, seul le parquet antiterroriste de Paris pourra lancer les poursuites sur cette base.

Un autre point a été évoqué en commission, portant sur la possibilité de poursuivre des Français qui commettent certains actes de terrorisme hors de France. Je souhaite véritablement que cette mesure puisse être étendue aux personnes résidant habituellement sur le territoire français. La commission a réalisé un bon travail et elle est parvenue à trouver, à l’unanimité de ses membres, une expression permettant à la fois de rester fidèle à mes vœux et de ne pas s’éloigner outre mesure du texte qui lui avait été présenté. Nous verrons la position du Gouvernement sur ce point.

Notre volonté est simple, monsieur le ministre. Elle est de vous donner toutes les armes dont vous avez besoin pour lutter contre le terrorisme. Il est tout à fait exact de dire que la législation actuelle est bonne. Elle a été construite au fil des années. Tous les gouvernements y ont participé peu ou prou. Ceux qui ont voté contre à un moment donné y furent favorables quand ils sont venus aux responsabilités. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)

Mes chers collègues, pour moi, ce n’est pas un sujet de ricanement. Il s’agit simplement de prendre conscience de la nécessité de faire face à la réalité, une fois que l’on est aux affaires. Nous pouvons le faire, tous ensemble, aujourd’hui, et cela me paraît très bien.

Sur les points que je viens de mentionner, nous vous proposerons de vraies avancées. Si vous les refusez, monsieur le ministre, vous serez obligé de revenir devant le Parlement. N’attendons pas les événements tragiques qui ne manqueront pas, malheureusement, de se produire. Certains vous reprocheraient alors d’agir sous le coup de l’émotion, ce qui ne sera pas mon cas.

Finalement, très peu de temps se sera écoulé entre le moment où j’ai déposé un projet de loi sur le sujet, à la fin du mois d’avril dernier, et l’examen du présent texte, en octobre. Considérons que, si mon texte avait dû être examiné sans la procédure accélérée, nous en serions au même temps du travail parlementaire.

Toujours est-il que, dans quelques jours, nous disposerons d’un texte qui permettra à nos forces de police et à nos magistrats d’être les bras armés de la République et de pouvoir lutter encore plus efficacement contre le terrorisme. C’est ce que nous souhaitons tous ! (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars.

M. Stéphane Mazars. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, le contexte dans lequel nous sommes aujourd’hui amenés à examiner le projet de loi justifie, malheureusement, sa discussion en procédure accélérée.

Les événements dramatiques qui ont frappé Montauban et Toulouse en mars dernier étaient déjà venus rappeler à la nation tout entière qu’elle n’était pas à l’abri, sur son propre sol, d’actes aveugles et lâches de terrorisme. L’actualité de ces dernières semaines l’a encore prouvé. Je tiens d’ailleurs à saluer, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, l’action non seulement des services de renseignement et de sécurité, mais également des services judiciaires, qui ont travaillé, sous votre responsabilité, pour démanteler simultanément à Strasbourg, en région parisienne et sur la Côte d’Azur, un réseau islamiste qui, comme vous l’avez rappelé tout à l’heure, monsieur le ministre, était déjà passé à l’acte et s’apprêtait à récidiver.

Notre pays n’a que trop payé le prix du sang. Il a su se doter, c’est vrai, notamment dès 1986, d’une législation antiterroriste spécifique que les professionnels du sujet, qu’ils soient magistrats ou enquêteurs, qualifient eux-mêmes de bien construite et d’efficace, comme cela a été souligné par M. le rapporteur. Cet arsenal juridique repose, cela a été dit, sur l’infraction cardinale d’« association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme », qui offre aux enquêteurs la possibilité de travailler très en amont des actes de terrorisme eux-mêmes, grâce à l’incrimination des actes dits « préparatoires ».

Je ne m’attarderai pas sur les autres dispositifs dérogatoires au droit commun, comme le régime de la garde à vue, celui des perquisitions de nuit ou encore les captations de données informatiques, qui représentent un ensemble d’instruments d’investigations efficaces au bénéfice des enquêteurs.

En toute hypothèse, notre législation antiterroriste est non pas un droit d’exception mais un droit spécifique, absolument nécessaire à la lutte contre cette criminalité parfois très organisée, et en tout cas particulière.

Cette législation demeure également, comme toutes les autres, soumise à d’exigeantes garanties procédurales. Le juge reste toujours, en dernier lieu, le garant du respect des règles de droit et des libertés. Aussi s’inscrit-elle bien dans le cadre qui nous est cher, celui d’un État de droit soucieux de garantir un équilibre parfait entre, d’une part, la poursuite et la répression des infractions terroristes, la protection de la population et la prise en charge des victimes, et, d’autre part, le respect des droits des personnes mises en cause. Notre groupe sera d’ailleurs toujours mobilisé pour maintenir cet équilibre essentiel dans un État démocratique.

Pour nous également, les clivages politiques s’effacent nécessairement devant l’horreur. La nation tout entière doit être rassemblée pour exprimer sa compassion aux victimes et sa détermination face au terrorisme. Toute récupération politique ne peut que susciter notre réprobation.

Monsieur le ministre, vous avez parlé, il y a un instant, de la défense de l’intérêt supérieur de notre pays. Je me félicite de la concorde qui semble régner à ce sujet, manifestée par la quasi-unanimité prévalant dans cet hémicycle. Je tiens également à saluer votre méthode de travail, fondée sur l’analyse raisonnée plutôt que sur la seule émotion subie.

Le présent projet de loi résulte en grande partie des conclusions d’un groupe de travail qui associait des magistrats spécialisés, des policiers de la sous-direction antiterroriste, des membres de la DCRI, ainsi que deux conseillers près la Cour de cassation. Cette méthode équilibrée a permis de prendre toute la mesure des enjeux qui s’imposaient et d’apporter des réponses pragmatiques et pertinentes.

Certes, je n’oublie pas, cela vient d’être rappelé, que le projet de loi n° 520, déposé sur le bureau du Sénat le 4 mai dernier par l’ancien garde des sceaux Michel Mercier, comportait une importante disposition, que reprend en partie le présent texte : la possibilité de réprimer le délit d’association de malfaiteurs terroristes commis par un Français à l’étranger.

Toutefois, d’autres dispositions contenues dans ce projet de loi préparé dans l’urgence, cela a été rappelé, semblaient poser problème. Je pense en particulier au délit de consultation habituelle de site terroriste. Un tel délit aurait nécessairement posé des problèmes de constitutionnalité. Mais il aurait surtout alourdi la charge de travail des services de renseignement, voire aurait été contre-productif, dans la mesure où de nombreuses identifications de terroristes ont précisément été rendues possibles, ces dernières années, par le suivi de leurs connexions sur internet.

Notre groupe soutiendra naturellement le présent projet de loi, car nous estimons qu’il est urgent d’adapter notre droit aux évolutions, très rapides, des menaces objectives qui pèsent sur notre pays.

Dans sa version issue des travaux de la commission des lois – permettez-moi, d’ailleurs, de saluer l’excellent travail réalisé par le rapporteur Jacques Mézard –, le présent texte se caractérise par encore plus d’équilibre entre la protection de l’ordre public et le respect des droits fondamentaux. La commission a en effet particulièrement veillé au respect de ces principes. C’est la raison pour laquelle nous souscrivons pleinement aux modifications qui ont été apportées, notamment sur la procédure de consultation de la commission départementale d’expulsion.

J’en viens aux autres articles du texte.

La prorogation de certaines dispositions de la loi du 23 janvier 2006 jusqu’en 2015 nous apparaît nécessaire, compte tenu du contexte actuel. En tout état de cause, ces mesures d’exception sont aujourd’hui indispensables aux services d’enquête et ont été encadrées et validées par le Conseil constitutionnel. Les quelques dérives qui ont pu avoir lieu sont liées non au cadre législatif lui-même, mais à des comportements individuels isolés qu’il appartient à la justice, et à elle seule, au cas par cas, d’apprécier et, le cas échant, de sanctionner.

La menace terroriste évolue rapidement, je le disais, et se caractérise par sa nature protéiforme. Il est donc légitime que nous nous interrogions sur la capacité d’action de nos services de renseignement et sur leurs résultats.

L’affaire Merah a malheureusement révélé de possibles défaillances sur lesquelles toute la lumière devra être faite. Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, Mohammed Merah était déjà connu de ces services. Ces dernières années, il avait été identifié à la suite de ses déplacements en Afghanistan, où il s’était rendu hors des filières classiques de recrutement de militants occidentaux.

Je sais que vous vous employez à dresser ce bilan et à en tirer les enseignements, puisque vous déclariez le 12 juillet dernier devant la commission des lois de l’Assemblée nationale que « chacun est conscient du fait qu’il y a eu échec […], puisque Mohamed Merah a pu agir et tuer ».

Des pistes de réflexion sont d’ores et déjà à l’étude. Le rapport de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois consacré aux dispositifs législatifs de lutte contre le terrorisme en avance quelques-unes.

De la même façon, vous avez souhaité repenser l’articulation entre la DCRI et les services départementaux de l’information générale, ou SDIG, sans toutefois toucher au socle d’action de la première. En tout état de cause, une telle réflexion ne peut s’inscrire que dans le cadre plus global de l’analyse des causes de l’adhésion de certains individus au radicalisme, radicalisme qui conduit alors au terrorisme.

L’un des éléments les plus marquants concernant la récente vague d’interpellations est que les individus appréhendés sont tous des citoyens français qui ont grandi dans notre pays, certains d’entre eux ne s’étant convertis que récemment à l’islam. Or, comme vous l’avez déclaré, monsieur le ministre, « il y a un terreau qui est celui de la pauvreté, de l’absence de repères, qui peut conduire à la délinquance, mais qui conduit aussi à l’engagement qui est celui de l’islamisme radical. On le trouve dans certains quartiers. En prison aussi. »

Ce qui est en cause, c’est bien l’échec d’une certaine politique pénale, qui a mis l’accent sur le tout-sécuritaire plutôt que sur la prise en charge, aussi, des causes sociales de la délinquance. La loi du 5 mars 2007 en est l’illustration. Bien plus, en favorisant l’incarcération, notamment de primo-délinquants, cette politique a mis de nombreux jeunes fragiles au contact direct du prosélytisme islamiste, qui sévit dans nos prisons.

M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas vrai !

M. Stéphane Mazars. Certes, aucune étude n’a pu mesurer jusqu’à présent avec précision le nombre de conversions à l’islam en prison, ni appréhender l’étendue de l’islamisme, mais il est désormais pratiquement acquis que nos lieux de détention constituent un lieu de radicalisation et de recrutement de djihadistes.

Les meneurs sont souvent des jeunes en rupture avec leur milieu, qui expriment leur haine par un fait dit « religieux » poussé jusqu’à son paroxysme.

Ces dérives ont bien été prises en compte par l’administration pénitentiaire. Je pense, par exemple, à l’observation des changements de comportement et aux transferts des prisonniers à risque.

Tout le monde s’accorde à dire que la lutte contre cette radicalisation passe aussi par l’implication d’imams en milieu carcéral, afin de tenter d’empêcher les modérés de se radicaliser ou tout simplement pour garantir des espaces d’accès à la religion. Il est toutefois notoire que le nombre d’imams est trop faible. On en compte 151, contre, par exemple, 655 aumôniers catholiques.

Madame la garde des sceaux, vous avez annoncé l’intégration de 30 imams supplémentaires d’ici à 2014. Mais le chiffre demeure insuffisant ; selon les estimations, il en faudrait quatre fois plus. D’ailleurs, c’est également ce que dit le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Dans un avis du 24 mars 2011, celui-ci notait qu’il appartient, « dans le respect du principe de laïcité » – c’est un principe auquel nous sommes très attachés –, à l’administration responsable des lieux de privation de liberté de « pouvoir satisfaire aux exigences de la vie religieuse, morale ou spirituelle des personnes dont elle a la charge. »

En tout état de cause, la lutte contre le terrorisme est une implication de chaque instant.

Monsieur le ministre, je connais la détermination qui est la vôtre et celle des fonctionnaires de votre administration pour faire triompher nos valeurs communes, celles que nous partageons sur toutes les travées de la Haute Assemblée, face à l’obscurantisme et au fanatisme, qui conduisent aux crimes les plus odieux.

Quand les valeurs républicaines, et, parmi elles, la laïcité – vous l’avez mentionnée tout à l’heure –, sont menacées, vous savez pouvoir compter sur le soutien du groupe du RDSE, héritier au Sénat d’une tradition politique qui participe à la construction et à la défense de notre République depuis 120 ans ! Dans ces conditions, la totalité des membres de notre groupe approuveront le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.

M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’actualité récente, nationale et internationale, nous montre malheureusement que la lutte contre le terrorisme impose aux pouvoirs publics une vigilance de tous les instants.

Les menaces sont réelles. Elles sont en perpétuelle évolution. Il revient au législateur d’adapter notre arsenal législatif pour doter nos forces de police et la justice de moyens leur permettant de lutter efficacement contre les réseaux.

C’est un sujet sur lequel je me suis beaucoup engagé au cours de la législature précédente, en tant que rapporteur de la commission des lois. Aujourd’hui, si la majorité gouvernementale a changé, la menace terroriste, elle, est malheureusement restée la même. C’est pourquoi, monsieur le ministre, c’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai pris connaissance de votre projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, un texte qui appelle deux remarques de ma part.

Tout d’abord, je constate avec satisfaction que vous rappelez dans l’exposé des motifs que les dispositions de la loi du 1er décembre 2008 ont fait « la preuve de leur pertinence opérationnelle et de leur efficacité ». Ainsi, confronté aux réalités de l’action, vous reconnaissez la pertinence des politiques menées en la matière par Nicolas Sarkozy et par le gouvernement de François Fillon, que vous aviez pourtant tant décriées à l’époque avec certains de vos amis, tout comme vous reconnaissez le bien-fondé du texte présenté par le garde des sceaux d’alors, mon ami Michel Mercier.

Ensuite, je me réjouis que vous ayez également évolué sur l’idée de revoir périodiquement la pertinence de certains outils juridiques. Souvenons-nous des remontrances habituelles de certains de vos amis lorsque nous expliquions qu’il était nécessaire d’adapter régulièrement notre arsenal législatif dans la mesure où la menace terroriste était très évolutive. Tous semblent aujourd’hui se rallier à notre thèse...

Prenons l’exemple de l’article 1er de votre projet de loi. Il s’agit de proroger jusqu’au 31 décembre 2015 les dispositions des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006, dont j’étais alors rapporteur. Cette prorogation, sur laquelle nous pouvons nous interroger, non pas sur l’intérêt de fond des mesures elles-mêmes, mais sur son fait – mon collègue Jean-Jacques Hyest l’a brillamment exprimé tout à l’heure –, me rappelle les débats que nous avions eus à l’époque.

Il faut se remémorer ce que certains de nos plus éminents collègues socialistes déclaraient ici même au cours des dernières années lorsque nous présentions des textes. Fraternellement et par respect envers l’esprit de sagesse qui règne dans cette maison, je ne citerai pas les noms des intéressés, mais je reprendrai mot à mot leurs propos.

En 2006, un collègue déclarait : « Monsieur le ministre, nous ne pouvons pas voter un texte […] qui pérennise des mesures exceptionnelles et qui supprime un certain nombre de garanties liées à l’action de la justice. »

En 2008, un autre affirmait : « Nous ne pouvons pas accepter que la prorogation de l’article tendant à permettre la fouille des trains se justifie par la lutte contre l’immigration. Nous n’accepterons jamais l’amalgame trop souvent fait entre terrorisme et immigration. »

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous avions raison de ne pas accepter cet amalgame !

M. Jean-Patrick Courtois. L’orateur continuait ainsi : « J’ajoute que c’est parfaitement contraire au principe même de Schengen, ce dont ont conscience un certain nombre de membres de la commission des lois, quelle que soit leur couleur politique. »

En 2011, un troisième expliquait : « Pour notre part, nous préférons une autre méthode, qui consiste, avant toute impulsion législative, à examiner si l’arsenal juridique existant suffit. »

Il est donc tout à fait clair, et nous pouvons tous en convenir, que votre arrivée aux affaires a conduit à un changement radical de votre position.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pas du tout !

M. Jean-Patrick Courtois. Nous sommes passés d’une situation où le dispositif législatif existant était considéré comme suffisant par notre collègue David Assouline à un discours sur la nécessité de réadapter notre arsenal législatif relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme.

La réalité des faits comme celle du pouvoir vous imposent donc de prendre des mesures qui paraissaient hier sans fondement, ni justification, sinon celle de correspondre à un effet médiatique de l’ancien Président de la République.

Les choses ont visiblement bien changé, et je ne peux que m’en réjouir. Vous n’aurez donc pas besoin de me convaincre. En effet, pour moi, la méthode est limpide depuis de nombreuses années : un problème se pose, une situation perdure, nous avons le devoir d’y répondre de manière pragmatique et opérationnelle, car c’est bien au législateur de donner aux forces opérationnelles les outils de leur action au service des citoyens de notre pays.

Sur ces sujets, notre vigilance à tous doit être constante. Dans nos missions de législateur, il nous appartient d’organiser, d’adapter notre droit positif, afin de répondre au plus près aux menaces réelles qui frappent notre pays, tout en garantissant les droits et libertés fondamentales que notre République reconnaît à tous les citoyens.

Mes chers collègues, nous sommes constants dans notre approche de la lutte antiterroriste. Il nous est donc aisé d’accepter la voie que vous nous proposez, car elle correspond à ce que nous avons toujours défendu.

Monsieur le ministre, je vous confirme ainsi que notre groupe, en responsabilité, votera sans complexe le texte présenté par le gouvernement auquel vous appartenez, en espérant toujours, à ce stade de la discussion, que nos amendements très constructifs puissent être adoptés pour améliorer encore le dispositif global proposé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.

Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne me risquerai certainement pas au difficile exercice de la synthèse. Mon collègue Michel Delebarre, qui va me succéder, s’y prêtera avec beaucoup plus de brio que moi. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Néanmoins, nous avons entendu aujourd'hui beaucoup de citations, de comparaisons et de rappels historiques plus ou moins sortis de leur contexte. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Je ne m’engagerai pas non plus dans cette voie, par respect pour les victimes, pour les forces de l’ordre et pour la démocratie et la République.

Comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, la démocratie se doit d’apaiser et de raisonner lucidement. Elle doit surtout se garder de toute émotion, car l’émotion est toujours mauvaise conseillère lorsqu’il s’agit de légiférer.

Il y a évidemment urgence, et le calendrier qui nous est proposé est le bon. Si nous ne faisons rien, les dispositions particulières dont nous discutons seront menacées d’extinction et de péremption, et nous allons de fait établir un vide juridique. Or, Mme la garde des sceaux le sait, nous avons déjà vu ce que pouvaient donner les vides juridiques qui apparaissent brutalement sans avoir été anticipés…

Je le répète, il y a urgence et le calendrier est le bon, à plus forte raison dans le contexte international que nous connaissons. L’ensemble du système juridique français, dont l’efficacité est reconnue – cela a été souligné sur toutes les travées du Sénat aujourd'hui –, est fondé sur des dispositions menacées de disparaître demain, ce qui créerait non seulement un vide juridique, mais également un gigantesque déséquilibre. Nous avons beaucoup parlé d’« équilibre » aujourd'hui… En l’occurrence, un tel déséquilibre mettrait en danger à la fois nos concitoyens et l’ensemble des forces de l’ordre ; je pense à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui luttent aujourd'hui contre le terrorisme.

Certes, un travail de fond reste à entreprendre, mais il sera entrepris, comme c’est désormais le cas, dans le respect du Parlement. Élue sénatrice en 2008 seulement, je constate aujourd'hui que même un projet de loi présenté dans l’urgence peut être accompagné d’une étude d’impact.

M. Jean-Jacques Hyest. C’était déjà le cas auparavant, Constitution oblige !

Mme Virginie Klès. C’est quand même nettement plus facile pour travailler et se faire une idée précise sur ce qu’il nous est demandé de voter !

Le Gouvernement et la commission ont bien ciblé les mesures qu’il était urgent d’adopter, sans émailler le texte de cavaliers législatifs. Car j’ai beau être cavalière dans le civil, j’ai bien compris que la présence de cavaliers dans un projet de loi n’était pas forcément une bonne chose ! (Sourires.)

Il reste un travail de fond à entreprendre, mais il faut le faire dans l’équilibre, comme pour ce projet de loi.

Équilibre d’abord, parce qu’il y a eu concertation en amont, même si elle a été rapide.

Équilibre ensuite, parce qu’il y a eu participation des professionnels de la lutte contre le terrorisme.

Équilibre encore, parce que le renseignement a été pris en compte.

Équilibre toujours, parce que deux membres du Gouvernement ont travaillé sur le texte, se sont concertés et sont aujourd'hui présents pour le défendre devant le Sénat.

Équilibre enfin, parce que, même sur un certain nombre de dispositions discutées au cours de l’après-midi, notamment en matière de connexion, il y a bien encadrement et prise en compte de la jurisprudence ; les mesures concernées font l’objet d’une nouvelle prorogation, non d’une pérennisation.

Il a également été tenu compte des observations des autorités de contrôle.

La confiance est donc rétablie, malgré certaines retenues et certains silences, au demeurant bien compréhensibles, de la part du Gouvernement et de parlementaires de droite comme de gauche. Après tout, il s’agit de sécurité nationale, et certaines questions relèvent du secret-défense ; on peut donc comprendre qu’il puisse y avoir des silences…

Monsieur le ministre, madame la garde des sceaux, nous voterons le projet de loi, mais nous ne le ferons pas les yeux fermés. Des divergences demeurent sur certains détails, mais nous savons que ces points seront débattus, amendés, et que nous serons écoutés. Le travail qu’il reste à accomplir sera mené dans la concertation, conformément au climat de confiance qui règne désormais avec le Gouvernement.

Je suis d'accord avec ma collègue Éliane Assassi quand elle insiste sur la nécessité de continuer à mener un vrai travail en profondeur. Mais je ne suis pas d’accord avec elle quand elle conclut à l’inefficacité et à l’inutilité du texte qui nous est présenté aujourd'hui.

Mme Éliane Assassi. Pas seulement pour cela, quand même !

Mme Virginie Klès. Oui, nous voterons le texte, et nous sommes prêts à continuer à travailler avec vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Delebarre.

M. Michel Delebarre. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reprendrai pas les arguments du Gouvernement, de la commission ou de notre collègue Alain Anziani, qui ont parfaitement exposé les raisons ayant conduit au dépôt du projet de loi devant la Haute Assemblée.

Je ne détaillerai pas non plus le contenu du texte, préférant me limiter à vous faire part de quelques réflexions d’ordre général. J’ai bien entendu les recommandations de ma collègue Virginie Klès. Je veillerai donc à ne pas prononcer le mot de trop qui pourrait écarter nos collègues Jean-Jacques Hyest ou Michel Mercier de l’excellente voie qu’ils ont décidé de suivre. En les écoutant, j’en suis resté assis,…

M. Jean-Jacques Hyest. Maintenant, c’est nous qui sommes assis !

M. Michel Delebarre. … bercé par la douce musique d’une forme de consensus sur un sujet d’une importance capitale. Ce n’est pas toujours le cas !

M. Jean-Jacques Hyest. Vous voulez dire que cela n’a pas toujours été le cas !

M. Charles Revet. Ça l’était encore moins auparavant !

M. Michel Delebarre. Je me félicite de cet état d’esprit, et je vais essayer de veiller à ne pas troubler une telle harmonie.

La menace terroriste en France demeure à un niveau élevé. Le territoire métropolitain a été frappé – cela n’était plus arrivé depuis bon nombre d’années – au mois de mars dernier à Toulouse. Je ne reviens pas sur les opérations qui ont été menées au mois d’octobre dernier par les forces de police et de gendarmerie en région parisienne, dans le Bas-Rhin et dans les Alpes-Maritimes. Cette enquête fait suite au jet d’un engin explosif le 19 septembre dernier à Sarcelles. Le Président de la République et le Gouvernement ont eu raison de condamner fermement ce type d’action. Je suis sûr que nous nous associons sur toutes les travées de notre Haute Assemblée à la condamnation de cet acte odieux.

Depuis le milieu des années quatre-vingt, la pratique administrative, la loi et la jurisprudence ont forgé des instruments de lutte contre le terrorisme performants, et reconnus comme tels par les spécialistes français et étrangers.

Aujourd’hui, il est nécessaire de donner aux institutions de la République – police, gendarmerie et justice – les moyens juridiques d’agir, aussi bien administratifs que judiciaires. C’est l’objet du projet de loi préparé cet été grâce à une réflexion commune entre le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice, même si, je le reconnais, il s’appuie sur certaines bases antérieures.

Ce projet se veut équilibré et s’inscrit dans la ligne de l’action antiterroriste française dont le fondement reste l’incrimination de l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, née dans les années quatre-vingt. Je veux d’ailleurs saluer ici le travail de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, que nous a rappelé son président David Assouline.

L’action du législateur a toujours été marquée par un souci constant d’équilibre entre, d’un côté, l’attribution à la puissance publique de prérogatives renforcées nécessaires à la sécurité collective et, de l’autre, la préservation des libertés publiques, comme c’est le cas encore aujourd’hui avec ce projet de loi.

Les précédents orateurs ont très bien rappelé les principales dispositions du projet de loi, notamment le prolongement des procédures de surveillance administrative, avec les contrôles dans les trains internationaux, ou encore l’accès aux données techniques recueillies dans les communications électroniques ou lors de l’accès à internet.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit de modifier le code pénal afin de permettre à la loi française de s’appliquer inconditionnellement aux actes de terrorisme commis à l’étranger par des ressortissants français. Cette modification permettra de poursuivre plus efficacement les personnes ayant participé à des camps d’entraînement terroriste à l’étranger alors même qu’elles n’auront pas commis d’actes répréhensibles sur le territoire français.

L’internationalisation de la menace terroriste constitue aujourd’hui l’une des principales menaces auxquelles notre pays doit faire face. Malheureusement, la coopération internationale entre les pays, notamment les pays hôtes de ces camps d’entraînement, pour lutter contre le terrorisme n’est pas aussi développée.

Alors député, j’avais présenté en 2004 devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale un rapport d’information sur la coopération internationale pour lutter contre le terrorisme. J’avais ainsi eu l’occasion de rappeler que le concept de « guerre contre le terrorisme » n’était pas adapté et qu’il pouvait même être contre-productif. L’outil militaire peut s’avérer parfois nécessaire pour surveiller des routes maritimes internationales et pour détruire des bases utilisées par les réseaux terroristes dans des zones de non-droit. Pour autant, les réseaux terroristes prennent de moins en moins la forme d’organisations structurées et centralisées, ce qui rend primordial le développement de moyens non militaires antiterroristes que sont les services de renseignement, de police et de justice.

Le cas de la tuerie de Toulouse et de l’affaire Merah est à cet égard édifiant. Bien qu’il y ait eu initialement des doutes concernant certains détails de cette affaire, il est avéré aujourd’hui que ce tueur présentait bien les caractéristiques d’un « djihadiste de synthèse » pour son passage dans les camps d’entraînement de la zone tribale afghano-pakistanaise, notamment, mais aussi les traits plus caractéristiques du « loup solitaire » : planification en autonomie, conduite et exécution des actions terroristes de façon indépendante de toute organisation, c’est-à-dire sans commandement et sans appui humain ni logistique.

Le travail antiterroriste, centré sur l’anticipation et la prévention, nécessite de disposer d’un recul et d’une réflexion axée sur la neutralité, l’expertise et la pluralité des approches. Dans ce domaine, comme d’ailleurs dans toute forme de criminalité, la prospective devrait être renforcée, notamment en associant le travail des policiers avec celui de chercheurs et de spécialistes extérieurs aux services. La police de proximité permettrait sans doute également une meilleure connaissance du terrain afin d’alimenter les services de renseignement.

Monsieur le ministre, vous avez lancé une réflexion sur l’ensemble de ces sujets. Je fais confiance au Gouvernement pour qu’il prenne les bonnes décisions afin de renforcer nos outils de renseignement.

Pour autant, la tâche des services de renseignement n’est pas simple. Les règles fondamentales du renseignement, comme celles de la protection de la source ou du « tiers exclu », rendent concrètement très difficile la mutualisation du renseignement dans un cadre multilatéral au niveau européen. L’essentiel est de s’assurer que les services nationaux coopèrent au quotidien, que les juges échangent des informations. Il faut donc veiller à ce que policiers et magistrats de chaque pays ne se heurtent pas aux frontières intérieures de l’Union européenne.

Si cela ne passe pas par la communautarisation de domaines comme la police, la justice ou le renseignement, cela légitime l’existence d’aiguillons, comme Europol et Eurojust, où les représentants des services nationaux apprennent à se parler et à se connaître.

La coopération bilatérale est également essentielle en matière de lutte contre le terrorisme. Il semble que la voie à privilégier réside non pas tant dans le développement de structures internationales de coordination que dans l’évolution ou la réforme des appareils antiterroristes des pays qui souhaitent coopérer.

En tout état de cause, en ce qui concerne la coopération antiterroriste dans le cadre européen, l’Union européenne ne doit pas se substituer à l’action prioritaire des États membres, comme le prouve ce projet de loi présenté par le Gouvernement. La politique européenne en matière de lutte antiterroriste ne doit pas concurrencer les politiques nationales, voire se substituer à celles-ci, mais elle doit leur apporter un appui quand des synergies sont possibles.

Par ailleurs, le principal rôle que l’Union européenne doit jouer en matière de lutte contre le terrorisme est de tout mettre en œuvre pour faire disparaître les freins qui empêchent la coopération directe entre États membres, tout particulièrement dans le domaine judiciaire. Enfin, la protection civile est également un domaine où la légitimité de l’intervention de l’Union européenne semble réelle et où elle peut apporter une possible plus-value.

En conclusion, la lutte contre le terrorisme suppose de privilégier une approche pragmatique et évolutive. Il est primordial de savoir s’adapter aux circonstances. C’est là tout le sens du projet de loi présenté par le Gouvernement, projet que, bien entendu, nous soutiendrons totalement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues : « […] nul d’entre nous ne peut oublier les images du terrorisme, ces images horribles. Nul ne peut méconnaître, ne peut oublier les milliers de victimes du terrorisme, tous ceux qui sont morts ou qui continuent de souffrir dans leur chair.

« On dit et on écrit souvent : “les victimes innocentes”. Innocentes, elles le sont bien sûr, toutes ces victimes. Mais quand bien même seraient-elles coupables, auraient-elles quelque chose à se reprocher, qu’elles relèveraient de la justice des peuples libres et de rien d’autre. En aucun cas de cette barbarie.

« On dit que le terrorisme est aveugle. Aveugle, il l’est à coup sûr, puisqu’il suffit d’être là, sur le trottoir, dans la rue, sur le quai du métro, d’être là simplement pour être en danger de mort, pour être la cible, pour être tué. Le terrorisme est aveugle en ce qu’il est le contraire de la civilisation et la négation de toute civilisation possible. »

Mes chers collègues, j’ai prononcé ces mots à cette même tribune le 14 décembre 2005. Je ne retire rien à mes paroles ni à tout ce que nous avons dit à cette époque, lorsque nous avons examiné le texte qui nous fut alors proposé.

M. Michel Mercier. Vous n’avez pas besoin de vous justifier !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Depuis cette date, cinq choses ont changé, qu’il faut regarder avec lucidité et clarté.

Premièrement, le Conseil constitutionnel a été saisi sur la loi de janvier 2006. Il a en partie donné raison à ceux qui l’avaient saisi, c'est-à-dire à nous-mêmes : « Considérant que les données techniques que l’article 6 de la loi déférée autorise les services de police et de gendarmerie à requérir peuvent déjà être obtenues, en application des dispositions du code de procédure pénale, dans le cadre d’opérations de police judiciaire destinées à constater les infractions à la loi pénale, à en rassembler les preuves ou à en rechercher les auteurs ; que, pour leur part, les réquisitions de données permises par les nouvelles dispositions constituent des mesures de police purement administrative ; qu’elles ne sont pas placées sous la direction ou la surveillance de l’autorité judiciaire, mais relèvent de la seule responsabilité du pouvoir exécutif ; qu’elles ne peuvent donc avoir d’autre finalité que de préserver l’ordre public et de prévenir les infractions ; que, dès lors, en indiquant qu’elles visent non seulement à prévenir les actes de terrorisme, mais encore à les réprimer, le législateur a méconnu le principe de la séparation des pouvoirs ; ».

Cela étant, le Conseil constitutionnel a aussi approuvé les autres mesures. Comme nous sommes des démocrates et des républicains, et que nous respectons, ce qui est normal, les autorités de ce pays, à commencer par cette haute juridiction, nous tirons les leçons et les conséquences de cette décision en ce qu’elle nous a donné raison sur un point essentiel et qu’elle a donné acte des autres aspects que nous contestions.

Deuxièmement, la Cour européenne des droits de l’homme a établi une jurisprudence importante avec l’arrêt Melki. Celui-ci a profondément changé les choses. Il serait sage d’en tenir compte. Quiconque, ici, déclarerait le contraire aurait beaucoup de mal à fonder son raisonnement.

Troisièmement, la Commission nationale de l’informatique et des libertés a rendu public un avis extrêmement critique sur la loi de 2006, que nous avions contestée. Elle n’a rien fait de tel pour le texte que vous nous présentez aujourd’hui, monsieur le ministre, madame la garde des sceaux.

Quatrièmement, le champ des lois précédentes, tout particulièrement de celle de 2006, puisque plusieurs orateurs ont bien voulu rappeler ici ce que les uns et les autres avaient dit à l’époque de ce texte, n’est pas le même que le texte d’aujourd’hui. La loi de 2006 avait un objet inacceptable, qui apparaissait dans son intitulé même : loi relative à la lutte contre le terrorisme – jusque-là, c’est très bien – et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers…

Ce texte était un fourre-tout. Il était certes question de lutte contre le terrorisme, mais également beaucoup d’immigration, d’immigration irrégulière, de fichiers, de nationalité, de gel des avoirs, de police des stades, de grands rassemblements et d’événements particuliers. Je ne retirerai donc rien à ce que nous avons dit à l’époque de ce texte mal défini, faisant constamment l’amalgame, après quelques faits divers épouvantables, entre immigration et insécurité, immigration et terrorisme, islam et terrorisme. Nous n’avions pas accepté cela, et nous avions eu raison. Nous ne l’acceptons pas plus aujourd’hui.

Mes chers collègues, Mme la ministre et M. le ministre l’ont souligné, tout comme le Président de la République et le Premier ministre, ne confondons pas ceux qui s’adonnent à la folie terroriste, ceux qui pratiquent l’islamisme radical, l’intégrisme absolu, avec le très grand nombre de nos concitoyens, qui pratiquent une religion que nous respectons.

Ce texte s’oppose au précédent, à tous les précédents.

À cet égard, je rappellerai les propos que tenait Robert Badinter à cette tribune le 14 décembre 2005 : « Ainsi, depuis dix ans, c'est la huitième fois que le Parlement est saisi d'un texte portant sur la lutte contre le terrorisme. » C'était devenu répétitif et il y avait réitération dans les amalgames. Eh bien, monsieur le ministre, ce projet de loi que vous nous proposez est exclusivement consacré au terrorisme, ce qui constitue un grand changement.

Si Jacques Mézard et moi-même tenons tellement à ce que l'article 3 soit réécrit, c’est pour deux raisons. D’une part, il nous paraîtrait sage qu’il portât exclusivement sur le terrorisme ; ainsi, les articles 1er, 2 et 3 seraient consacrés à ce seul sujet. D’autre part, cela a été souligné par plusieurs de nos collègues, en particulier par Alain Anziani, une nouvelle rédaction de cet article permettrait de prendre en compte le droit des étrangers. Ces derniers doivent en effet pouvoir, dans des conditions très claires, faire valoir les motifs légitimes qui justifient une instruction complémentaire d’un mois devant la commission départementale d'expulsion.

Enfin, la cinquième différence porte sur les conditions dans lesquelles a été préparé ce texte. Ainsi, monsieur le ministre, vous avez annoncé publiquement la mise en place d’une commission commune entre les services de la Chancellerie et ceux du ministère de l'intérieur. Je vous félicite de cette initiative grâce à laquelle on rompt enfin avec cette sempiternelle opposition entre les deux ministères et qui nous permet d’affirmer que l'on peut et que l'on doit être attaché à la fois à nos libertés fondamentales et à la lutte antiterroriste.

Je terminerai en citant de nouveau Robert Badinter : « Cela veut dire, en clair, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, que, depuis les poursuites exercées, jusqu'aux condamnations prononcées, les procédures appliquées doivent toujours être irréprochables au regard du respect des libertés fondamentales. C'est à la lumière de cette exigence, nécessaire et première, que le Parlement français doit apprécier les projets dont il est du devoir du Gouvernement – de tous les gouvernements – de le saisir. À cet égard, nous devons toujours faire preuve de fermeté dans la lutte contre le terrorisme et toujours témoigner de la même fermeté quand il s'agit de la sauvegarde des libertés et des droits fondamentaux dans cette lutte contre le terrorisme. »

Tout à l'heure, il a été fait allusion à Mohammed Merah. Pour ma part, je ne crois pas qu’il fut un « loup solitaire ». Le sujet est sensible et je tiens à remercier ceux de mes collègues qui ont déclaré refuser de s'engager dans des polémiques contreproductives. Pour autant, il est bon de rappeler que certains hauts responsables de l'ancien gouvernement ont donné de Mohammed Merah une image qui n'était pas conforme à la réalité. Un personnage solitaire ? On a appris depuis qu’il était au contraire très encadré, très organisé, très informé et sans doute eût-il été bénéfique qu'il fût déféré devant la justice de notre pays. Voilà de vraies questions qu’il ne faut pas hésiter à poser, ainsi que je le fais maintenant à cette tribune.

Mes chers collègues, il est vrai que l'on peut évoluer, cela arrive à chacune et chacun d'entre nous. Il est vrai que les circonstances peuvent différer selon que l'on se trouve dans l'opposition ou dans la majorité. C’est pourquoi j’ai tenu à montrer que, sur cinq points, la situation était différente de ce qu’elle avait été, ce qui justifie notre attitude aujourd'hui.

Le terrorisme est une folie. Hélas ! beaucoup d'intelligence et beaucoup d'ingéniosité sont à son service dans le monde. À cela, notre réponse doit être la protection et la répression, indissociablement liées ; elle doit être le droit. Face à cette folie moderne, organisée, planifiée, cynique, inhumaine, terrifiante, il nous faut avancer en restant nous-mêmes fermes, déterminés, avec cette arme la plus forte qui est celle du droit et de la raison. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à souligner la très grande qualité de ce débat. Monsieur le rapporteur, l'aboutissement de ce texte dans des délais contraints est en grande partie dû à votre patience et à votre indéniable connaissance de ces sujets. Je vous en remercie et salue votre volonté de dégager, avec d’autres, le consensus le plus large possible.

Il est normal de débattre lorsqu’il est question des libertés fondamentales. Cependant, la continuité doit prévaloir et la qualité du débat en commission constitue à l’évidence un élément essentiel pour parvenir à cette liaison entre droit et raison, prévention et répression, lutte contre le terrorisme et nécessité de préserver les libertés fondamentales ; le président Jean-Pierre Sueur vient de le rappeler.

Monsieur le rapporteur, vous avez conclu votre intervention en citant Georges Clemenceau, lui qui savait allier l'autorité, élément fondamental dans une société en perte de repères, le pragmatisme des solutions pour combattre le crime et enfin la recherche du progrès social. Ceux qui gouvernent sont confrontés à la réalité et, pour combattre le terrorisme, doivent utiliser les armes de la démocratie.

Le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, David Assouline, a insisté sur la nécessité de l’évaluation ; c’est capital. L'étude d'impact approfondie qui a été menée constitue une étape importante. Je m'engage à revenir devant la Haute Assemblée avec une évaluation approfondie de l'opportunité de fusionner le régime des interceptions de sécurité et celui de l'accès aux données de connexion.

David Assouline a également souligné la place nouvelle de l'internet comme le rôle central du juge dans la répression antiterroriste. Je ne peux qu’être d'accord avec lui ; d’ailleurs, la présence de Mme la garde des sceaux à mes côtés aujourd'hui et le fait que nous ayons préparé ensemble ce texte témoignent de notre volonté de préserver cet élément tout à fait central de notre droit.

Madame Benbassa, je sais votre rejet absolu du terrorisme. Nous partageons tous ici ce sentiment : il est à l'origine de notre volonté, faisant suite à celle du président de la République, de doter la France d'un dispositif efficace.

La gauche réformiste, social-démocrate a toujours eu ce souci ; cela fait partie de ses engagements.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

M. Manuel Valls, ministre. Chaque fois qu’elle a eu à exercer des responsabilités, en France ou en Europe, et qu’elle a été confrontée à cette réalité, elle ne s'est jamais réfugiée derrière des chimères. Au contraire, elle a été amenée à adapter les outils juridiques à sa disposition pour lutter contre le terrorisme.

Je me rappelle d'ailleurs combien, alors jeune citoyen engagé d’origine espagnole, j'avais apprécié le choix stratégique du président Mitterrand et de son ministre de l'intérieur Pierre Joxe d'apporter une collaboration très puissante au gouvernement espagnol de Felipe González dans la lutte contre le terrorisme. Or certains, à gauche, s’y opposaient, au motif que la police espagnole était encore marquée par le franquisme.

Quand des gouvernements démocratiques peuvent coopérer ensemble dans la lutte contre le terrorisme et pour la préservation des valeurs de la démocratie, il ne faut pas hésiter. À l'époque, cette prise de position avait constitué un tournant décisif et les politiques aujourd'hui à l’œuvre s’inscrivent dans cette continuité.

Il s’agit de doter la France d'un dispositif efficace, évalué de manière méthodique, comme vous le souhaitez, madame Benbassa, qui réponde à une analyse réelle de la menace terroriste dans nos quartiers, sur internet, à l'échelon mondial.

Vous avez raison de souligner qu’il faut faire attention à toute dérive qui viserait à stigmatiser l'immense majorité de nos concitoyens de culture et de confession musulmane. L'immense majorité, le mot est faible, la totalité d'entre eux rejettent le terrorisme et le combattent. Je veux d’ailleurs rappeler – sans doute est-ce difficile à établir – qu’aujourd'hui, dans le monde, les premières victimes du terrorisme le plus terrible sont les musulmans. (Marques d’approbation sur les travées du RDSE.)

Il n’est qu’à voir l’Irak, où la population subit des actes terroristes plus effrayants les uns que les autres.

Nous devons appréhender de façon très lucide cette menace. C’est pourquoi il nous faut un texte efficace qui conserve au centre de notre législation le juge, garant des libertés individuelles.

Nous aurons l'occasion de le réaffirmer vendredi prochain, lors du congrès d'un syndicat de magistrats à Colmar : nous sommes déterminés à mener la lutte contre l'insécurité, la délinquance et, pour ce qui concerne ce débat, contre le terrorisme, tout en préservant dans le même temps les libertés individuelles et en faisant en sorte que notre société soit davantage apaisée. C’est tout le sens et de mon action comme ministre de l'intérieur, et du travail que nous accomplissons ensemble, Mme la garde des sceaux et moi-même.

Madame Benbassa, madame Assassi, on a toujours une vision déformée du ministère de l'intérieur. Pourtant, je voudrais que chacun prenne bien conscience du fait que, si ce ministère est celui de l'ordre, de la police et de la gendarmerie, il est aussi le garant des libertés.

Toutes les actions qui visent à lutter contre toutes les formes de délinquance ou de déviance sont sous-tendues par cette volonté de respecter scrupuleusement le droit des personnes. Ce faisant, je ne fais qu'appliquer la politique du Président de la République et du Premier ministre, dans le cadre d'un gouvernement et avec le soutien d'une majorité.

Je voudrais que chacun s’en rende bien compte : chaque action visant à lutter contre toutes les formes de délinquance ou de déviance est marquée par cette volonté très affirmée – la mienne mais aussi celle du Président de la République et du Premier ministre, dont je ne fais qu’appliquer la politique – de respecter le droit des personnes.

Cela ne nous empêche pas d’être fermes, car les premières victimes de la violence, de la délinquance et du terrorisme sont les catégories les plus modestes, les plus pauvres, les plus exposées de notre société. Fondamentalement, j’estime qu’être de gauche – puisque vous avez fait allusion à ce que signifie une majorité de gauche – c’est aussi lutter contre l’insécurité, qui constitue une inégalité supplémentaire que beaucoup de nos concitoyens subissent.

M. Manuel Valls, ministre. Il y a des changements à réaliser dans les discours et les pratiques. C’est normal, et c’est mon rôle de les mettre en œuvre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Pour toutes ces raisons, rien ne s’oppose à une prorogation de trois ans du dispositif instauré en 2006. La démocratie n’y perdra rien ; au contraire, elle en sortira même renforcée. J’ai bien compris qu’il existait encore des débats : les amendements déposés en témoignent. Nous examinerons sereinement ces amendements tout à l'heure.

J’ai écouté avec beaucoup d’attention M. Hyest, que je connais bien pour l’avoir rencontré en 1988, lorsque j’étais jeune attaché parlementaire de Michel Rocard. Le Gouvernement ne disposant alors que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale, nous discutions beaucoup avec le groupe auquel appartenait M. Hyest. Il faut toujours être ouvert à la discussion.

Au-delà de ce clin d’œil amical, je tiens à vous dire que le recours à la procédure accélérée ne signifie pas que nous élaborons la législation dans la précipitation. Soyons honnêtes sur le plan intellectuel : le projet de loi que nous vous présentons était prêt depuis un certain temps déjà. En effet, non seulement nous savions que les mesures temporaires instituées par la loi de 2006 arrivaient à expiration le 31 décembre 2012, mais en outre les événements récents, qu’il s’agisse de la manifestation devant l’ambassade des États-Unis – ou plus exactement devant le ministère de l’intérieur, puisque les manifestants n’ont pu aller plus loin – ou du démantèlement d’un réseau terroriste, ont conforté le travail que nous avions réalisé, en l’inscrivant dans ce contexte particulier.

Nous avons pris le temps d’un travail approfondi, partagé, expertisé et commun aux ministères de la justice et de l’intérieur. Nous devrons continuer à nous adapter en permanence aux évolutions que chacun d’entre nous a décrites.

Sans sectarisme, dans un esprit d’unité nationale, nous avons utilisé comme base le projet préparé par le précédent garde des sceaux, M. Mercier. Cela n’a pas beaucoup de sens de revenir sur le passé et Jean-Pierre Sueur vient de décrire le contexte avec justesse. Je veux toutefois vous dire mon sentiment sur les réactions aux meurtres commis par Mohamed Merah. Au-delà des phrases et des polémiques, les responsables politiques, et notamment les candidats à la présidence de la République, ont présenté aux Français une image d’unité et de rassemblement. Je pense à cet égard à la présence des principaux responsables politiques autour du chef de l’État à la synagogue Nazareth de Paris, le lundi 19 mars, ou à Montauban, deux jours plus tard, pour les obsèques des soldats assassinés par Mohamed Merah. C’est cette image qu’il faut retenir, car c’est ainsi que nous devons agir chaque fois que se produisent des actes aussi graves.

Nous savons, vous qui avez gouverné et nous qui gouvernons aujourd'hui, que la force des démocraties réside dans la capacité de leurs responsables politiques à se montrer unis quand nos valeurs essentielles sont attaquées. Très sagement, François Fillon avait fait adopter par le conseil des ministres le projet de loi préparé par le garde des sceaux, mais n’avait pas essayé d’en précipiter le vote au Parlement ; du reste, cela n’était guère envisageable. D’une certaine manière, le texte avait été laissé à l’attention de la majorité suivante. Peut-être le Gouvernement pensait-il continuer son action, mais c’est à nous qu’incombe désormais cette responsabilité. Essayons donc de travailler ensemble à l’adoption du texte le plus efficace possible !

Monsieur Hyest, soyez rassuré : je partage votre souci de la cohérence de notre législation. J’y veillerai notamment en ce qui concerne l’article 6 de la loi de 2006. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Michel Delebarre. Très bien !

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Anziani, je vous remercie de votre soutien. Je fais mienne votre volonté de ne pas entretenir de confusion entre terrorisme et immigration. Comme cela a été souligné, nous devons demeurer vigilants, sans pour autant être naïfs.

Nous voyons bien que les évolutions actuelles sont complexes. Le groupe terroriste que nous venons de démanteler était composé de Français, de Français qui n’étaient pas des enfants de l’immigration : il s’agissait de Français convertis à l’islam. Nous avons besoin d’outils nous permettant de nous attaquer aux étrangers qui viendraient sur notre sol pour s’en prendre à nos valeurs essentielles en tenant un discours de haine, mais nous devons aussi nous adapter aux évolutions en cours.

Je vous remercie également d’avoir rappelé une évidence, à laquelle Michel Delebarre a lui aussi fait allusion : il n’y a pas de lutte contre le terrorisme sans un renseignement de qualité ; pour ma part, j’ajouterais : sans un renseignement maîtrisé et évalué, ce qui suppose une coordination tant au sein du ministère de l’intérieur qu’avec les magistrats spécialisés dans l’anti-terrorisme. C’est la force de ce projet de loi que de prévoir une continuité pénale afin de répondre à la menace terroriste actuelle. C’est aussi, plus généralement, la force de la lutte anti-terroriste à la française, que beaucoup nous envient, même si nous devons confronter nos expériences avec celles qui existent au niveau européen ou mondial.

Madame Assassi, nous partageons le même objectif ; c’est l’essentiel. Nous voulons protéger les principes et les valeurs proclamés à l’issue de nombreux combats. J’ai une certitude : protéger ces valeurs exige de protéger nos démocraties, sans excès, certes, mais aussi sans naïveté. Il ne sert à rien de proclamer notre attachement à des valeurs si celles-ci sont attaquées par des actions violentes de terrorisme qui visent à briser l’essentiel de notre pacte républicain.

Oui, je souhaite voir reconduites des mesures attentatoires aux libertés individuelles car elles sont nécessaires à l’efficacité de la lutte contre le terrorisme. C’est d'ailleurs là que réside l’équilibre complexe de la lutte contre ce mal dont – vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur – les objectifs ne sont pas nouveaux, même si les formes ont pu changer. Je le répète, chacune des « atteintes » – je mets ce mot entre guillemets – aux libertés que prévoit ce projet de loi est encadrée par la loi ou le juge.

Par ailleurs – je tiens à le répéter également –, aucune disposition ne vise une population, un pays ou une religion en particulier. Ce projet de loi est le fruit d’un consensus entre deux ministres, dont les logiques différentes ne sont pas contradictoires, mais représentent au contraire une force car elles nous invitent à faire preuve de plus d’efficacité.

La force de la France – je le disais tout à l'heure à François Rebsamen –, c’est que, même dans les moments les plus difficiles, elle n’a pas dévié, elle n’a pas fait le même choix que les États-Unis, où, après les attentats du 11 septembre 2001, des atteintes ont été portées à certaines libertés qui pouvaient être considérées comme fondamentales. Au-delà de tous les débats, cette force réside dans l’équilibre entre la droite et la gauche, qui se matérialise par l’alternance. Il s’agit de préserver un chemin sur lequel, je l’espère, nous pourrons nous retrouver.

Monsieur Mercier, je vous remercie de l’élégance de votre geste : vous avez en effet annoncé que vous voterez ce projet de loi. Je répète d'ailleurs que notre travail s’est appuyé en partie sur le texte que vous aviez commencé à bâtir, même si, de notre côté, nous avions également préparé certains éléments. Ces derniers mois, nous avons continué à travailler sur votre texte, afin de l’améliorer. Nous avons ainsi écarté certaines dispositions présentant un risque d’inconstitutionnalité. Nous avons choisi de légiférer avec méthode, puisque nous avions un peu plus de temps. Nous avons soupesé la nécessité de chaque atteinte à ce que l’on pourrait appeler des libertés individuelles. Tout à l'heure, nous débattrons sans doute de vos propositions, et nous le ferons avec le même esprit de méthode.

Monsieur Mercier, lorsque vous avez conçu votre projet de loi, le calendrier politique était chargé et vous avez dû travailler dans l’urgence, sous la pression de l’émotion légitime suscitée par les meurtres de Toulouse et de Montauban. Ces événements ont agi comme des révélateurs. Le même phénomène s’est produit récemment avec le démantèlement du réseau lié à l’attentat de Sarcelles. À ce sujet, j’ai lu il y a quelques jours le portrait qu’a fait de moi Edwy Plenel dans Marianne. Il accusait en outre le Président de la République d’avoir cédé à l’émotion suscitée par un pseudo-groupe terroriste. Non, il ne s’agissait pas d’un pseudo-groupe terroriste, c’était un véritable groupe terroriste, qui a essayé de tuer à Sarcelles et qui – la garde des sceaux le sait mieux que quiconque – s’apprêtait sans doute à commettre des actes irréparables.

Après les meurtres de Toulouse et de Montauban, l’émotion était palpable, mais vous vous êtes efforcé de répondre à une vraie question. Je suis donc heureux que vous soyez ici aujourd'hui pour débattre avec nous. Je souhaite que nous réussissions ensemble à trouver une voie, car un gouvernement est toujours plus fort, a fortiori sur un sujet aussi essentiel que la lutte contre le terrorisme, lorsqu’un consensus se dégage. J’invite chacun à participer à notre réflexion. En effet, il nous faut mobiliser toute la société si nous voulons être efficaces.

Monsieur Mazars, vous avez raison de souligner l’intérêt et l’efficacité de la méthode que nous avons adoptée. Sachez que je suis attaché à cette méthode, en matière de terrorisme mais également sur les autres sujets, comme la délinquance ou l’insécurité, qui relèvent de la loi pénale. Il y va de la sécurité de notre pays, qui n’est pas l’affaire exclusive du ministère de l’intérieur, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est peut-être sur ce point qu’il y a eu des changements : le ministère de l’intérieur est bien conscient que, sans la justice, sans la loi pénale, rien n’est possible. C’est une question de méthode : vous ne me verrez pas critiquer la justice ni commenter des actions menées par la police sous l’autorité du procureur avant que celui-ci ne se soit exprimé. C’est très important pour redonner confiance dans nos institutions et affermir l’État de droit.

Vous avez raison également de rappeler que l’efficacité de notre action dépendra de notre capacité à regarder en face nos échecs et dysfonctionnements, aussi bien dans les services de renseignement que dans l’administration pénitentiaire, et à en tirer les conséquences.

Je dirai maintenant un mot de ce qui s’est passé au mois de mars. Jamais, depuis que je suis ministre – mais je pense m’être exprimé de la même manière au printemps dernier –, je n’ai mis en cause le travail des services qui travaillent à l’intérieur ou à l’extérieur de nos frontières pour défendre nos intérêts. Jamais je ne les mettrai en cause, car leur rôle est essentiel. Cependant, si je me garderai bien de porter des accusations sur les hommes, en revanche, chaque fois qu’il y a un échec – et quand un attentat est commis, c’est un échec collectif –, nous devons en tirer les leçons afin d’améliorer le fonctionnement de nos services de renseignement.

Je n’oublie pas qu’une action en justice a été engagée par les familles de certaines victimes de ces terribles assassinats ; elles exigent de connaître la vérité. Une enquête est en cours, qui concerne notamment le frère de Mohamed Merah ; mais j’en dis déjà trop à cette tribune.

Le rapport que j’ai demandé à deux inspecteurs me sera remis dans quelques jours. Il nous permettra moins de tirer des enseignements du passé que de réorganiser le travail de nos services afin d’étudier les conséquences de la fusion des renseignements généraux et de la DST, dont a résulté la création de la direction centrale du renseignement intérieur. L’idée qui me préoccupe est de garder un lien très important avec la réalité du terrain dont n’est pas coupé le terrorisme. C’est peut-être sur ce point que des dysfonctionnements ont pu apparaître voilà quelques mois.

Bien entendu, la direction centrale du renseignement intérieur a besoin de moyens pour analyser les évolutions du terrorisme.

Monsieur Courtois, je n’ai pas changé de position depuis que j’ai été nommé à mes actuelles fonctions. Permettez-moi d’émettre une appréciation un peu personnelle : ces responsabilités m’ont peut-être été confiées par le Président de la République et par le Premier ministre en raison de mes prises de position anciennes, constantes et connues. Mes positions sont empreintes de pragmatisme, comme je l’indiquais tout à l’heure. Elles sont celles d’une majorité qui se garde bien d’opposer laxisme et répression, justice et intérieur et, sur ces sujets aussi essentiels, gauche et droite. En tout cas, je serai attentif aux propositions que vous formulerez, les uns et les autres, au cours de l’examen des articles.

Nous pourrions nous renvoyer les déclarations émises par les uns et les autres depuis vingt ou trente ans. Ce serait un vrai florilège, certes de grande qualité…

M. Jean-Jacques Hyest. Je n’ai jamais varié, monsieur le ministre !

M. Manuel Valls, ministre. Je n’en doute pas un seul instant, monsieur le sénateur. C’est d’ailleurs l’une de vos caractéristiques.

Cela étant, en relisant les interventions qui ont eu lieu au moment de la discussion de la loi Rocard relative au renseignement en 1990, texte très important, on trouvera probablement un certain nombre de critiques… qui n’émanaient certainement pas de vous, monsieur Hyest. (Sourires.)

Madame Klès, après avoir fait part de votre analyse et formulé des critiques constructives sur le texte, même s’il n’était pas facile d’intervenir avant Michel Delebarre, ce qui n’est aisé pour personne d’ailleurs (Sourires.), vous avez indiqué que vous le voteriez, ce dont je vous remercie. Nous allons prendre le temps nécessaire afin de débattre en faisant preuve de mesure, comme vous le souhaitez.

Monsieur Delebarre, j’ai bien sûr le souci de ne pas adopter une posture de provocation face au terrorisme. L’État ne peut pas se mettre sur un plan d’égalité avec les criminels et utiliser la terreur contre la terreur.

M. Manuel Valls, ministre. C’est la force et la faiblesse de nos démocraties que de devoir agir ainsi. Tout langage guerrier doit être banni de nos interventions, même si je dis – et j’emploie à dessein cette terminologie puisqu’il faut bien qualifier la menace face à laquelle nous nous trouvons – que nous avons à lutter contre un ennemi de l’intérieur...

Si nous devons opposer une quelconque autorité, elle doit être adossée à la loi, laquelle représente la force de la démocratie. Vous l’avez souligné vous-même, la présence conjointe au banc du Gouvernement de Mme la garde des sceaux et de moi-même est un signe de démocratie, un gage de la qualité du débat et constitue une réponse au terrorisme, qu’il provienne de l’intérieur de notre pays ou de l’étranger, où nous agissons en coopération avec un grand nombre de pays. Ces faits donnent puissance à la loi et à la réponse que nous construisons face au terrorisme.

Monsieur Sueur, vous avez rappelé les évolutions intervenues depuis la loi de 2006. La force d’une démocratie, à travers l’alternance et les débats, si toutefois nous nous accordons sur les points essentiels, est d’apporter une réponse précise, intelligente, adaptée à la lutte contre le terrorisme, lequel est de nouveau une réalité. Nous devons y faire face à l’aide de la démocratie, de la force de la loi, de la laïcité, comme cela a été rappelé voilà un instant, et avec nos valeurs. Grâce à ce travail, notre réponse gagnera en force. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE. – MM. Michel Mercier et Jean-Pierre Chauveau applaudissent également.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Mes chers collègues, j’ai été saisi d’une demande de suspension de séance de dix minutes à l’issue de la discussion générale. La discussion des articles devrait durer deux heures. Par conséquent, je vous propose de suspendre la séance maintenant et de la reprendre à vingt et une heures trente.

Il n’y a pas d’opposition ?...

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme
Discussion générale (suite)

5

Décès d'un ancien sénateur

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Philippe Labeyrie, qui fut sénateur des Landes de 1983 à 2011.

6

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

Lutte contre le terrorisme

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme.

Je rappelle que la discussion générale a été close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme
Articles additionnels après l’article 1er

Article 1er

(Non modifié)

Au dernier alinéa de l’article L. 222-1 du code de la sécurité intérieure et au premier alinéa de l’article 32 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, l’année : « 2012 » est remplacée par l’année : « 2015 ».

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l'article.

Mme Cécile Cukierman. J’aurai, dans un premier temps, des remarques à formuler sur la forme.

En effet, je souhaite rappeler que les dispositions que l’article 1er vise à faire perdurer ont été initialement prévues à titre temporaire. Selon nous, elles ne peuvent être indéfiniment prorogées sans que le Parlement s’interroge sur leur réelle pertinence.

Par ailleurs, compte tenu du caractère liberticide des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006, qui concernent les contrôles d’identité dans les trains internationaux, la communication des données de connexion ou d’identification électroniques et l’accès à certains fichiers, il aurait été intéressant que l’avis rendu le 13 septembre dernier par la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, au sujet de ce projet de loi soit rendu public afin d’alimenter le débat, et donc que la commission le demande.

J’en viens au fond. L’article 3 de la loi de 2006 élargit le champ d’application des contrôles d’identité « Schengen » qui peuvent être effectués dans les trains assurant des liaisons internationales.

Selon nous, cette disposition ne relève en aucune manière de la lutte contre le terrorisme : les contrôles d’identité n’ont jamais joué un rôle en la matière ; en réalité, ils ont pour seul objectif la lutte contre l’immigration clandestine. Or cet amalgame entre terrorisme et immigration n’est pas tolérable.

L’article 1er du projet de loi proroge également jusqu’au 31 décembre 2015 l’accès aux fichiers administratifs par les services de police et de gendarmerie.

Pour mémoire, je rappelle que, depuis la loi du 23 janvier 2006, des agents sont individuellement habilités à accéder à six grands fichiers administratifs nationaux et aux données à caractère personnel collectées en vertu de la lutte contre le terrorisme. Sont concernés : le fichier national des immatriculations ; le système national de gestion des permis de conduire ; le système de gestion des cartes nationales d’identité ; le système de gestion des passeports ; le fichier relatif aux dossiers des ressortissants étrangers en France ; enfin, les données à caractère personnel qui portent sur les étrangers franchissant les frontières sans remplir les conditions requises d’entrée sur le territoire et les données à caractère personnel biométriques relevées à l’occasion d’une demande ou d’une délivrance de visa.

De fait, c’est une grande partie de la population séjournant ou résidant en France qui figure dans les fichiers ainsi ouverts aux agents de la police administrative.

Enfin, se trouve prorogée la disposition permettant la réquisition de certaines données relatives à des communications électroniques. La loi du 23 janvier 2006 mentionne en effet que les personnes qui offrent une connexion en ligne par l’intermédiaire d’un réseau sont soumises aux mêmes obligations que celles qui sont déjà applicables aux opérateurs de communications électroniques, à savoir la conservation des données de connexion, notamment l’identité du titulaire d’une ligne, la liste des communications d’un abonné et la géolocalisation.

La communication d’informations résultant des données techniques ainsi conservées est à la disposition non plus seulement de l’autorité judiciaire, mais aussi d’agents de police et de gendarmerie, sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des interruptions de sécurité et d’une personnalité désignée par cette instance. Ces mesures dérogent évidemment aux principes fondamentaux de la protection des libertés individuelles.

Comme l’avait souligné la CNCDH, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, on assiste « une fois encore, au développement des pouvoirs de police administrative dans la mise en place de ce système de surveillance d’une activité privée des citoyens dans des lieux d’expression publics que sont les cybercafés, le tout au détriment des prérogatives auparavant laissées à la seule autorité judiciaire gardienne des libertés. C’est […] cette dérive qui est inquiétante. »

Monsieur le président, cette intervention sur l’article vaut également défense de l'amendement n° 17.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, sur l'article.

M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le ministre, deux hommes sont morts ce matin en Corse, la personnalité du bâtonnier Antoine Sollacaro retenant particulièrement l’attention. On a peine à imaginer que, au cours d’une matinée aussi ensoleillée que celle que nous avons connue aujourd'hui, un homme puisse être abattu dans une station-service, devant les passants sidérés. Je fais le lien aussitôt avec le texte dont nous débattons ce soir.

Je connaissais peu Me Sollacaro, et nous n’avions pas la même sensibilité. Toutefois, je veux tout de même rendre hommage à sa pugnacité et à son courage dans les débats judiciaires. C’était un avocat de rupture.

Si j’évoque ce cas, c’est parce que je fais aussitôt le lien entre terrorisme et crime crapuleux. Je sais bien que le mot « terrorisme » doit être prononcé avec précaution s'agissant de la Corse ; nous cédons volontiers à l’enflure, alors qu’il faut toujours s’en méfier dans ce domaine. Néanmoins, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, il existe une véritable porosité et de nombreux va-et-vient entre les deux activités. On commence à poser des bombes, on recommence, on développe un sentiment d’impunité, on passe d’un domaine à l’autre et on va de plus en plus loin. À l’inverse, certains terroristes viennent du trafic de drogue, que vous avez évoqué également.

S'agissant de l’article 1er du projet de loi, il contient des dispositions que j’avais votées en 2006. Je n’avais pas attendu d'ailleurs cette année-là pour me préoccuper de ce problème : voilà à peu près un quart de siècle, lors de l’examen d’un texte présenté par le garde des sceaux Albin Chalandon et portant de deux à quatre jours la durée de la garde à vue, un membre de la commission des lois appartenant au même groupe que moi s’était opposé bec et ongles à la mesure proposée. Pour ma part, j’avais déclaré que je me séparerais de mes collègues et voterais en faveur d’une garde à vue de quatre jours, en soulignant que, bien entendu, j’aurais adhéré à leur proposition s’ils avaient pris l’engagement de rétablir la durée antérieure en 1988, quand nous serions revenus aux affaires. Vous connaissez la suite : la garde à vue est restée ce qu’elle était !

Tout cela pour dire qu’il ne serait pas convenable que, au motif qu’ils n’ont pas défendu cette position en 2006, certains groupes rejettent la mesure que vous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre ; je me tourne d'ailleurs vers nos collègues de l’opposition qui, comme moi, expriment souvent cette idée. Il faut prendre en compte le principe de réalité : les choses évoluent ! Ce problème est de plus en plus complexe, sa compréhension de plus en plus difficile, à cause des nouveaux moyens techniques.

Quand les téléphones portables n’existaient pas – je ne parle même pas d’internet – il était difficile de contrôler à distance des voitures portant des bombes ou véhiculant de la drogue, par exemple. Aujourd'hui, c’est beaucoup plus simple. La tâche de la police est devenue extraordinairement complexe.

Nous devons donc abandonner toutes ces considérations sur le droit des personnes, car quand la société est atteinte, ce sont toutes les personnes qui le sont. Nous devons hiérarchiser les problèmes qui se posent à nous dans ce domaine. (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.) Telle est la véritable difficulté.

J’ai presque le regret de ne pas avoir déposé un amendement visant à proroger jusqu’en 2020 les mesures adoptées en 2006. En effet, vous pesez au trébuchet chaque prolongation de ce dispositif. Il faudrait presque y revenir chaque année pour le proroger d’un an, ou de deux ou trois ans, alors que, nous le savons bien, le problème qui nous préoccupe durera bien au-delà du terme ainsi fixé.

Nous devons être lucides et réalistes : en 2015, monsieur le ministre, vous reviendrez ici pour nous demander de prolonger encore une fois ce texte. En effet, nous sommes confrontés à un problème qui nous dépasse et qui, compte tenu de sa portée internationale, ne peut être réglé à l'échelle de la République. Il se posera donc encore à ce moment-là. Je forme le vœu que ceux qui siégeront sur ces travées en 2020 votent ces dispositions pour moi !

M. le président. L'amendement n° 17, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

Cet amendement a déjà été défendu.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Le présent amendement a pour objet de supprimer l’article 1er et, partant, les dispositions des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006, ce qui ne serait pas raisonnable.

En effet, nous priverions nos services qui enquêtent sur ces dossiers d’un moyen d’investigation dont ils ont impérativement besoin. Toutes les auditions qui ont été réalisées, que ce soit dans le cadre de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois ou pour préparer le présent texte ont montré que ces dispositions étaient indispensables aujourd'hui pour mener dans des conditions correctes la lutte contre le terrorisme.

Ces articles visent trois instruments – les interceptions de sécurité, les contrôles d’identité dans les trains transfrontaliers et l’accès aux fichiers administratifs – qui sont utilisés, avec succès, par nos services enquêteurs dans le cadre de cette lutte.

En outre, pour répondre aux craintes des auteurs de l’amendement n° 17, je dirai que l’usage de ces dispositions semble aujourd'hui encadré de manière satisfaisante par la loi. En particulier, il est prévu que les consultations de fichiers administratifs par les services de renseignement doivent se conformer à la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978, c’est-à-dire respecter les principes de finalité et de proportionnalité.

Enfin, on ne nous dit pas comment travailleraient les services de police s’ils ne pouvaient plus s’appuyer que sur les dispositions de la loi de juillet 1991. Par exemple, les interceptions réalisées à l’aide de la géolocalisation ne seraient plus possibles.

Nous pouvons donc entendre le message de nos collègues sans pour autant estimer comme eux que ces dispositions sont « liberticides », car je crois que tel n’est pas le cas. Supprimer cet article ne serait vraiment pas raisonnable. La commission émet donc un avis tout à fait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. J’ai déjà évoqué tout à l'heure l’inscription de ce texte de loi dans le temps, et j’aurai l'occasion d’y revenir quand je donnerai mon avis sur l'amendement n° 16, présenté par M. Hyest.

Je suis défavorable à l'amendement n° 17, pour les raisons qui viennent d’être exposées. Comme l’a souligné excellemment M. le rapporteur, chacun des dispositifs que le projet de loi a pour objet de proroger a montré son efficacité. Les contrôles d’identité dans les trains transfrontaliers, l’accès aux données statistiques et la consultation, encadrée par la loi, d’un certain nombre de fichiers administratifs renforcent notre arsenal.

De grâce, soyons mesurés dans les termes que nous employons ! Ces moyens accordés à la police et à la justice – chaque fois, évidemment, sous le contrôle d’un juge – permettent de gagner en efficacité tout en préservant nos libertés publiques. Chaque fois, ils facilitent des pratiques qui sont essentielles aux services, dans leurs missions de sécurité. Par exemple, vérifier l’identité d’une personne et l’authenticité du titre qu’elle présente, que ce soit dans des fichiers ou lors de contrôles d’identité directs dans les trains, permet une certaine efficacité.

J'ajoute que la CNIL a été consultée par le Gouvernement sur la prorogation des articles 6 et 9 de la loi de 2006 et je vous rappelle que, en vertu de la loi de 1978, cet avis peut être rendu public à la demande de l’un des présidents des commissions permanentes du Sénat ou de l’Assemblée nationale.

Le risque terroriste demeure à un niveau très élevé. Ce phénomène est en mutation et il a les caractéristiques que M. Alfonsi, qui connaît bien ces questions, décrivait tout à l'heure. Monsieur le sénateur, vous avez eu raison d’évoquer ce qui s’est passé en Corse, comme je l’ai fait tout à l'heure à la tribune de votre assemblée. Mme la garde des sceaux et moi-même avons réagi à ce crime, à ces crimes, qui sont commis en Corse. Ils sont la marque d’une violence inacceptable, d’une dérive mafieuse, où se mélangent en permanence le politique et la délinquance. Il faut s’y attaquer, ainsi que nous le faisons, avec la plus grande détermination.

Après ce que nous avons connu au mois de mars, puis le démantèlement de ce réseau voilà quelques jours, nous avons besoin d’armes juridiques pour poursuivre ce travail indispensable si nous voulons nous protéger. C’est pourquoi le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.

M. Jean-Jacques Mirassou. J’adhère tout à fait aux propos qu’a tenus notre collègue Nicolas Alfonsi quand il a évoqué le principe de réalité.

Alors que nous entrons dans une période de plus en plus difficile, menaçante, il convient de mettre en place un dispositif destiné à nous prémunir le mieux possible contre ces actes potentiellement terroristes.

J’ajouterai que le fait de voir sur le banc du Gouvernement, à l’occasion de ce débat, à la fois Mme la garde des sceaux et M. le ministre de l’intérieur n’est pas neutre, loin s’en faut ! Cela signifie que, quelles que soient les actions qui seront menées par les forces de police ou de gendarmerie pour les besoins de la lutte antiterroriste, elles seront encadrées soit par la loi, soit par un juge, ce qui a beaucoup de sens pour nous.

Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, faut-il le préciser, en tant que sénateur de la Haute-Garonne, conseiller général élu dans la ville de Toulouse, je représente aujourd’hui une population marquée au fer rouge par les événements que vous connaissez. Cette dernière, liée par une communauté d’histoire et de destin, a su réagir, toutes tendances confondues, en transcendant les clivages d’ordre religieux, politique ou autre, pour réaffirmer son attachement aux principes républicains, ceux qu’évoque le Gouvernement devant nous aujourd’hui.

Il serait donc malvenu et mal interprété que nous ne nous donnions pas globalement tous les moyens permettant de déceler les risques susceptibles de conduire à des événements tels que ceux qui ont malheureusement endeuillé Toulouse. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste ne peut pas soutenir cet amendement de suppression.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 17.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 16 est présenté par M. Hyest.

L'amendement n° 19 est présenté par Mmes Benbassa, Aïchi, Ango Ela, Archimbaud, Blandin et Bouchoux, MM. Dantec, Desessard, Gattolin et Labbé, Mme Lipietz et M. Placé.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Remplacer l'année :

2015

par l'année :

2014

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour présenter l’amendement n° 16.

M. Jean-Jacques Hyest. J’ai déjà évoqué brièvement l’objet de cet amendement lors de la discussion générale.

Je suis souvent d’accord avec Nicolas Alfonsi, mais, en l’espèce, je me dois de lui dire qu’il y avait une autre option, à savoir la pérennisation des dispositions. De toute façon, il faudra bien un jour se poser la question au sujet des dispositions des articles 3 et 9 de la loi de 2006. Veut-on se priver d’un certain nombre de moyens dans la lutte antiterroriste ?

Cette loi de 2006, je le rappelle, a été soumise à l’examen du Conseil constitutionnel, qui l’a validée, avec quelques observations. Par ailleurs, la loi de 1991 n’avait fait l’objet d’aucune censure de cette juridiction. Nous sommes donc dans un dispositif parfaitement constitutionnel, mais la question qui nous préoccupe est celle de la nécessité de ce dispositif de recueil de données techniques.

Il est vrai qu’en 1991 on écoutait à tout-va ! Je rappelle aussi pour certains qu’il ne faut pas mélanger les écoutes judiciaires et les écoutes administratives, comme la presse le fait souvent. Ce sont bien les écoutes administratives qui sont l’objet de mon amendement. Après, je parle sous le contrôle de Mme la garde des sceaux, les écoutes judiciaires relèvent d’une autre procédure, sous l’autorité du juge judiciaire. Bien entendu, tout le monde souhaite qu’il y ait une plateforme judiciaire, mais ce n’est pas la question qui nous préoccupe aujourd’hui.

En fait, il faut se demander si nous pouvons pérenniser indéfiniment l’existence de deux régimes qui n’offrent pas les mêmes protections. Je rappelle que les informations recueillies dans le cadre de la loi de 1991 sont soumises au secret défense, ce qui est quand même une garantie.

De toute façon, monsieur le ministre, le dispositif de la loi de 2006 doit être revu pour des raisons techniques. Des investissements lourds sont nécessaires. En matière de géolocalisation, il faudra trouver une solution, car nous serons bientôt confrontés à une situation impossible : 60 demandes de géolocalisation ; 200 000 demandes d’interception sur le fondement de la loi de 1991 ; moins de 20 000, et ce chiffre est en diminution constante, sur le fondement de la loi de 2006.

Il importe de travailler sur ce sujet. Je comprends parfaitement, monsieur le ministre, que vous n’ayez pas pu, en moins de six mois, trancher le débat portant sur ce que doit être le meilleur dispositif. En ce qui me concerne je souhaite, comme tous les services concernés d’ailleurs, une unification, à terme, de tous les dispositifs de recueil des données techniques, ce qui offrira les meilleures garanties tant pour éviter les erreurs que pour protéger les libertés publiques. La protection des libertés individuelles était d’ailleurs la justification de la loi de 1991, qui avait pour objet la protection des correspondances privées.

M. le président. Mon cher collègue, je dois vous demander de conclure.

M. Jean-Jacques Hyest. N’ayez crainte, monsieur le président, je serai beaucoup moins disert par la suite ; reconnaissez que le problème est extrêmement complexe. Comme je n’abuse pas de la parole habituellement, je vous demande juste de me laisser encore dix secondes.

M. le président. Dix secondes, pas une de plus ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest. C’est pourquoi, monsieur le ministre, j’ai proposé que le dispositif soit prolongé de deux ans, ce qui permettra normalement de mener toutes les investigations possibles et de préparer un projet de loi, à moins que vous ne me démontriez qu’un peu plus de temps vous est nécessaire.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 19.

Mme Esther Benbassa. L’article 1er du projet de loi tend à proroger l’application des dispositions introduites par les articles 3,6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 jusqu’au 31 décembre 2015. Ces dispositions avaient déjà été prorogées par la loi du 1er décembre 2008.

Il ne fait aucun doute que ces mesures viennent se heurter aux libertés individuelles de nos concitoyens et qu’elles doivent, à ce titre, nous inspirer la plus grande prudence.

Ces mesures avaient d’ailleurs été présentées, lors de leur adoption en 2006, comme expérimentales et exceptionnelles, pour répondre au niveau élevé de la menace terroriste.

Mes chers collègues, même si une certaine continuité dans les moyens de lutte contre le terrorisme paraît nécessaire, nous ne pouvons pas faire l’économie d’une réflexion et proroger ces dispositions de manière automatique. Cela constituerait une pérennisation qui ne dit pas son nom.

C’est la raison pour laquelle cet amendement vise à ramener la prorogation des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 au 31 décembre 2014 au lieu du 31 décembre 2015. Cette période doit suffire au nécessaire examen de l’efficacité des dispositions en question.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. Sur ces deux amendements, la commission a souhaité recueillir l’avis du Gouvernement.

Nous avons entendu les explications de notre collègue Jean-Jacques Hyest, qui connaît parfaitement ce sujet. Ce qu’il a dit correspond d’ailleurs à l’opinion de M. Pelletier, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, que j’ai auditionné dans le cadre de la préparation de mon rapport. Pour la grande majorité d’entre nous, il est nécessaire de parvenir à l’unification du système. La dualité des dispositifs issus de la loi de 1991 et de la loi de 2006 n’est pas satisfaisante.

Le Gouvernement demande aujourd’hui – c’est logique puisque la date butoir était fixée au 31 décembre 2012 – une prorogation de trois ans. Le message envoyé par M. Hyest, message empreint de sagesse, consiste à recommander au Gouvernement de sortir d’une situation qui a toujours été considérée comme transitoire, ou du moins de lui demander ses intentions à cet égard.

Même si l’objectif immédiat de notre excellente collègue Esther Benbassa est identique, je n’aurai pas tout à fait la même position envers les arguments qu’elle a avancés pour défendre son amendement.

En effet, je ne suis pas d’accord avec elle quand elle se réfère à un rapport de 2008 concluant qu’il ne fallait pas, sous le coup d’une sorte de fatalisme juridique et sous la pression d’hypothétiques menaces, considérer que les dispositions temporaires de cette loi devaient être prorogées ou, plus encore, être définitivement entérinées. L’évocation de cette notion d’hypothétiques menaces me paraît assez inopportune au regard de ce qui s’est passé ces derniers mois et des enquêtes en cours. (Mme Esther Benbassa proteste.)

Il faut toujours garder à l’esprit la mission première de la République, qui est de protéger nos concitoyens. Bien sûr, il convient de sortir de cette situation qui, du point de vue juridique n’est pas satisfaisante, cette dualité posant un certain nombre de problèmes. Nous devons donc instaurer un système unique avec, bien évidemment, un contrôle. M. Hyest a justement rappelé qu’il importe de bien distinguer les écoutes administratives et les enquêtes judiciaires, lesquelles sont soumises à des systèmes de contrôle différents. La grande majorité de la commission souhaite que M. le ministre nous précise quels sont ses objectifs en la matière.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. M. le rapporteur a excellemment expliqué les intentions différentes des auteurs des deux amendements ; je n’y reviens donc pas.

Monsieur Hyest, je vous confirme que le Gouvernement adhère totalement à votre objectif d’unification des dispositifs de la loi de 1991 et de celle de 2006.

Vous avez eu raison, d’ailleurs, de souligner qu’il ne s’agissait pas de lois d’exception. Ce point est très important car, si nous pouvons exprimer des différences les uns et les autres, dans la majorité ou dans l’opposition, ici ou à l’Assemblée nationale, la jurisprudence du juge constitutionnel est constante pour accompagner l’adaptation de notre arsenal législatif et l’application de ces lois aux évolutions du terrorisme. Ces lois font honneur à notre pays. Ne parlons donc pas de lois d’exception ou de lois liberticides, d’autant que la menace est toujours là.

L’unification de ces dispositifs est tout à fait nécessaire. Une telle évolution serait d’ailleurs de bonne administration et faciliterait l’exercice par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité de ses pleines prérogatives, ainsi que vous l’avez dit tout à l’heure. Nous devons y être attentifs.

Je ferai d’ailleurs moi-même des propositions en ce sens dans le cadre non seulement de l’élaboration, en cours, du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, initiative lancée par le Chef de l’État, mais aussi de la mission d’information constituée par l’Assemblée nationale en vue d’évaluer le cadre juridique applicable à l’exercice des missions de renseignement.

Je ne vois aucun inconvénient à ce que cette unification intervienne le plus rapidement possible et j’œuvrerai dans ce but.

Malgré tout, le fait de limiter impérativement l’échéance à deux ans revient à fixer une date couperet qui, je le crains, sera bien difficile à respecter dans un domaine où les débats juridiques devront être approfondis et où les impératifs techniques ne sont pas négligeables. Vous le disiez vous-même, monsieur Hyest, la complexité juridique et technique du sujet est réelle.

À l’évidence, nous ne sommes pas en capacité d’être au rendez-vous en 2014. C’est pour cela que nous avons inscrit 2015 dans le projet de loi. Si nous pouvons avancer plus vite, tant mieux !

En tout cas, l’objectif est bien d’unifier les dispositifs des lois de 1991 et 2006, pour sortir de cette logique de prolongation sans cesse renouvelée, qui pose incontestablement des difficultés à la représentation nationale.

Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, croyez bien que je suis sensible à l’attente du Sénat en général et de votre commission en particulier.

Monsieur Hyest, nos objectifs convergent. Puisque nous allons travailler pour les atteindre, je vous serais reconnaissant de bien vouloir accepter de retirer votre amendement, fort de mon engagement.

M. le président. Monsieur Hyest, l’amendement n° 16 est-il maintenu ?

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le ministre, si vous avez dit clairement, comme je l’attendais, que les deux lois visées n’étaient pas des lois d’exception, force est de constater, tout de même, que le dispositif adopté en 2006 était, lui, exceptionnel.

En effet, à l’époque, les moyens faisaient défaut pour permettre une intégration immédiate du dispositif dans la loi de 1991, compte tenu de nombreux problèmes techniques, au niveau du GIC notamment. La décision fut dont prise d’instaurer un nouveau dispositif.

Aujourd’hui, le plus important, ce n’est pas que le délai soit fixé à deux ou trois ans, c’est que l’objectif affiché de résoudre le problème soit tenu. Il ne faudrait pas qu’à l’échéance on n’ait rien fait et que l’on se retrouve dans l’obligation de prolonger de nouveau.

Personne ne souhaite pérenniser ce dispositif particulier : c’était l’une des options sur la table, mais vous la rejetez, en prônant un autre dispositif unificateur. Je m’en félicite.

Puisqu’un livre blanc est en cours d’élaboration, mettez-vous au travail le plus tôt possible, monsieur le ministre. Je n’imagine pas que le Parlement soit contraint, en 2014 ou en 2015 – peu importe la date – de prolonger encore le dispositif.

L’essentiel est d’avancer effectivement vers un dispositif unificateur, donc plus protecteur des libertés publiques et de nature à éviter un certain nombre de dysfonctionnements bien réels, je vous l’assure.

Comme je ne suis pas obstiné, je retire mon amendement, monsieur le président, dans un esprit constructif. En tout état de cause, si la situation n’évoluait pas assez rapidement, il resterait toujours l’initiative parlementaire…

M. le président. L’amendement n° 16 est retiré.

Madame Benbassa, retirez-vous l’amendement n° 19 ?

Mme Esther Benbassa. Monsieur le rapporteur, ceux qui, comme moi, travaillent à l’Université, prennent garde à ne pas confondre les auteurs qu’ils citent. La citation que vous avez faite est tirée d’un rapport de Julien Dray et d’Éric Diard, publié en 2008, au nom du parti socialiste.

M. Alain Richard. Au nom de l’Assemblée nationale, pas du parti socialiste !

Mme Esther Benbassa. Quoi qu’il en soit, je ne retire pas mon amendement, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 19.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(L’article 1er est adopté.)

Article 1er (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme
Article 2 (Texte non modifié par la commission)

Articles additionnels après l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 18 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au premier alinéa de l’article 32 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, le chiffre : « 3, » est supprimé.

La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. J’ai déjà défendu cet amendement lors de mon intervention sur l’article 1er ; je n’y reviens pas.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. Cet amendement tend à supprimer la possibilité d’effectuer des contrôles d’identité dans les trains transfrontaliers, mesure instaurée par l’article 3 de la loi du 23 janvier 2006. S’il est vrai que ces contrôles sont instaurés, selon l’article 78-2 du code de procédure pénale « pour la prévention et la recherche des infractions liées à la criminalité transfrontalière », et non pour la seule lutte contre le terrorisme, dans les faits, ils permettent aux services de recueillir des informations qui leur sont nécessaires dans le cadre de cette lutte.

Là aussi, les auditions auxquelles nous avons pu procéder démontrent que ces contrôles ont leur utilité. Il est donc souhaitable de les maintenir. C’est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 18 rectifié.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 18 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 20 rectifié, présenté par Mmes Benbassa, Aïchi, Ango Ela, Archimbaud, Blandin et Bouchoux, MM. Dantec, Desessard, Gattolin et Labbé, Mme Lipietz et M. Placé, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Un rapport d’information évaluant la pertinence et l’efficacité des articles 3, 6 et 9 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 précitée est rendu au plus tard le 30 septembre 2014.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. En complément de ce que nous avons proposé dans le cadre de l’amendement n° 19 présenté précédemment, nous demandons qu’un rapport soit établi sur le même sujet et remis trois mois avant la prochaine prorogation, c’est-à-dire, dans notre logique, à la date du 30 septembre 2014.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement, qui tend à prévoir qu’un rapport d’évaluation sur l’efficacité des articles 3,6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 soit rendu au plus tard le 30 septembre 2014.

À nos yeux, un nouveau rapport ne s’impose pas en l’espèce.

Si le Gouvernement souhaite une prolongation supplémentaire – tel ne semble pas être le cas, compte tenu des propos que nous venons d’entendre de la part de M. le ministre de l’intérieur –, il devrait alors justifier sa demande, comme il l’a fait dans le cas présent par le biais de l’étude d’impact, qui a établi un bilan de l’application de ces mesures.

M. le ministre nous a apporté une réponse parfaitement claire et nette, en précisant l’objectif recherché par le Gouvernement, à savoir instaurer un système unifié. Dans ces conditions, nous ne voyons pas l’intérêt qu’il y aurait à réaliser un nouveau rapport.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Même avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 20 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Articles additionnels après l’article 1er
Dossier législatif : projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme
Articles additionnels après l'article 2

Article 2

(Non modifié)

La section 2 du chapitre III du titre Ier du livre Ier du code pénal est complétée par un article 113-13 ainsi rédigé :

« Art. 113-13. – La loi pénale française s’applique aux crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme et réprimés par le titre II du livre IV, commis par un Français hors du territoire de la République. »

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’aurais souhaité pouvoir m’exprimer devant vous plus tôt dans l’après-midi, avant que vous-même, monsieur le rapporteur, n’interveniez, mais, ayant quitté tardivement l’Assemblée nationale, je n’ai pu vous rejoindre qu’au moment où vous montiez à la tribune !

Je me contenterai donc de dire quelques mots en cet instant, alors que nous en arrivons à l’examen du seul article de ce texte de loi contenant des dispositions pénales.

Après le ministre de l’intérieur, je veux souligner à mon tour le travail consciencieux et sérieux que nous avons effectué pour préparer ce projet de loi. Je saluerai surtout l’apport, dans ce cadre, de nos équipes et des experts dont nous nous sommes attaché les services.

Nous avons tous, bien entendu, en mémoire l’affaire Merah, évoquée à plusieurs reprises encore aujourd’hui, cette tragédie marquée par le meurtre d’enfants, d’adultes, civils comme militaires. Nous avons tous vécu cette émotion, cette colère aussi, tout comme ces peurs, qui ne sont pas toutes infondées. Les événements de ces derniers jours nous ont donné d’autres raisons de nous inquiéter.

C’est donc non seulement avec la conscience de la menace actuelle, de la nécessité d’en prendre toute la mesure, d’en connaître toutes les formes d’expression pour mieux l’anticiper, mais aussi avec le souci de l’efficacité que nous avons travaillé sur ces nouvelles dispositions particulières du code pénal.

Nous avons souhaité répondre à la question de l’amélioration des dispositifs déjà existants, qu’il s’agisse du repérage par le renseignement, de la prévention par les enquêtes préliminaires et les informations judiciaires, ou de la répression.

Cette question n’est pas anodine. Dans le cadre de nos réflexions, nourries de l’apport de certains experts, il est apparu que l’ajout de précisions sur des incriminations pouvait aboutir à fragiliser les possibilités d’initiative des magistrats.

Nous avons voulu construire un nouvel outil législatif propre à améliorer la procédure tant administrative que judiciaire. Nous avons veillé à bien identifier ce qui pouvait relever du domaine législatif et du domaine réglementaire, et ressortir d’une meilleure coordination entre les services, au sein même de l’administration, au travers de telle ou telle mesure prenant éventuellement la forme d’une instruction de politique pénale.

C’est donc sur la base de ces interrogations très précises que nous avons confronté les différentes situations. Je le disais, nous nous sommes attaché les services d’experts, de praticiens, de magistrats du siège, tels que les juges d’instruction du pôle antiterroriste, de magistrats du parquet, œuvrant en particulier dans le cadre de la section centrale de la lutte antiterroriste, de policiers spécialisés et de juristes, notamment de la Cour de cassation.

Nous nous sommes également fondés sur la jurisprudence, qui, parce qu’elle donne une interprétation large de l’incrimination d’association de malfaiteurs à visée terroriste, permet aux magistrats de travailler correctement. Nous avons été alertés sur la nécessité de ne pas prendre le risque, par l’ajout d’incriminations complémentaires plus précises, de fragiliser le dispositif. Il faut garder à l’esprit qu’une telle incrimination d’association de malfaiteurs, lorsqu’elle est mobilisée, peut faire l’objet d’une exigence de précision par les magistrats.

Les dispositions figurant à l’article 2, qui introduit, au sein du livre Ier du code pénal, un article 113-13, entraînent des modifications importantes en ce sens qu’elles élargissent la compétence territoriale de nos juridictions françaises.

La rédaction retenue est sensiblement différente et plus large que celle qui figurait dans un texte précédent, porté par l’ancien garde des sceaux Michel Mercier. Au-delà de l’incrimination d’association de malfaiteurs, elle permet également de cibler des personnes liées au terrorisme sous une nature et une forme différentes. Je pense à des personnes ne pouvant justifier la détention de revenus ou d’autres moyens, ou simplement convaincues de financer des actes terroristes.

Par cet élargissement du champ d’application de la mesure concernée, la justice sera en mesure de poursuivre des Français qui agiraient dans des pays étrangers, quand bien même il n’existerait pas localement d’incrimination visant les actes ainsi perpétrés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, outre ce travail effectué sur le code pénal, je rappellerai d’autres dispositions essentielles de ce projet de loi qui concernent la sécurité intérieure ainsi que le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Je veux souligner plus largement, comme certains d’entre vous l’ont fait dans leurs interventions cet après-midi, l’action publique engagée par le Gouvernement.

J’ai entendu vos interrogations portant sur la radicalisation qui pourrait s’opérer dans nos établissements pénitentiaires. Sachez que j’ai conscience de cette réalité, dont il faut prendre la mesure sans pour autant la surestimer, au risque de sous-estimer, en retour, ce qui peut se passer dans certaines parties du territoire et qui serait l’œuvre de personnes n’ayant pas eu un parcours judiciaire et pénitentiaire.

En tout cas, à peu près 20 % des personnes incriminées dans le cadre de l’attentat de Sarcelles et dans le réseau détecté et combattu par nos policiers et nos magistrats ont eu un parcours judiciaire et pénitentiaire. Cela veut dire, et nous ne devons pas le perdre de vue, qu’il existe d’autres lieux de radicalisation.

S’agissant de ce qui se passe dans nos établissements pénitentiaires, nous nous heurtons actuellement à deux difficultés auxquelles nous essayons d’apporter des réponses.

L’une des difficultés avait déjà été repérée par le garde des sceaux qui m’a précédée. Nous avons conforté les mesures qui avaient été prises. Cette difficulté, c’est la présence, dans nos établissements pénitentiaires, d’imams ou, en tout cas, de prêcheurs autoproclamés qui prônent un islam radical parfois haineux. Ces prêcheurs autoproclamés sont identifiés, repérés et font l’objet d’un transfèrement lorsque le prosélytisme est établi. Les surveillants pénitentiaires, quant à eux, suivent, notamment à l’École nationale de la magistrature, une formation destinée à leur fournir les éléments propres à détecter ces pratiques et à prendre la mesure du risque réel.

Toutes les sénatrices et les sénateurs le savent sans doute, il existe un bureau de renseignement pénitentiaire qui travaille avec les services de renseignements de la police. Il nous permet de contenir ce phénomène de radicalisation dans nos établissements pénitentiaires.

Cela étant, nous avons étudié le profil des personnes qui se trouvent impliquées dans ces processus de radicalisation à l’intérieur de nos établissements et nous avons constaté que la plupart d’entre elles sont dans un état de vulnérabilité économique, ce qui est, non un élément d’atténuation, mais un élément factuel. Elles sont souvent prises en charge sur le plan matériel à l’intérieur des établissements et, parfois, assez souvent même, à l’extérieur.

Il serait donc nécessaire de prendre en compte la réalité de l’indigence qui existe dans certains de nos établissements et de faire en sorte de réduire cette vulnérabilité économique.

Une autre difficulté réside dans notre incapacité à répondre, le cas échéant, à la demande de culte dans nos établissements pénitentiaires. Nous constatons, pour l’instant, un grand déséquilibre dans la répartition des vacations pour la pratique des cultes. Et ce grand déséquilibre est très défavorable à la confession musulmane.

Nous avons donc décidé de créer, pour l’année 2013, un certain nombre de vacations supplémentaires qui nous permettront de couvrir une trentaine d’établissements supplémentaires. En 2014, nous couvrirons à nouveau une trentaine d’établissements supplémentaires. Nous rééquilibrerons progressivement la situation pour ménager les conditions propices à la pratique du culte en question. Cette pratique est légale dans notre société laïque. Notre République laïque ne conteste pas l’exercice du culte. Elle respecte le principe de coexistence de l’athéisme, de l'agnosticisme, de la libre conscience, de la libre-pensée et de toutes les confessions. Nous cherchons à créer les conditions nécessaires pour que toute confession puisse être pratiquée, dans le respect des lois et des principes républicains.

Voilà donc ce qui accompagne, en termes de politique publique, les dispositions pénales contenues dans l’article 2 de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. L'amendement n° 10 rectifié bis, présenté par M. Mercier et les membres du groupe de l'Union Centriste et Républicaine, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par les mots :

ou par une personne titulaire d'un titre de séjour l'autorisant à résider sur le territoire français

La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Le Gouvernement propose que puisse être poursuivi un Français qui, à l’étranger, se livre à des actes de terrorisme.

Je proposais, pour ma part, d’aller un peu plus loin afin que puissent être poursuivies également les personnes résidant habituellement en France. Pour essayer de bien cibler une catégorie et ne pas arriver à une définition trop large, la commission des lois a beaucoup travaillé ce matin. J’ai accepté, sans problème, de tenir compte de ses observations et de modifier l’amendement. Désormais, il est fait mention d’« une personne titulaire d’un titre de séjour l’autorisant à résider sur le territoire français. »

Cette proposition, qui répond à l’objectif recherché, permettra de parfaire l’arsenal juridique dont disposeront les policiers et les magistrats.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. L’amendement, tel qu’il vient d’être présenté par M. Michel Mercier, recueille un avis favorable de la commission. Il est le fruit d’une œuvre collective accomplie ce matin sur la base de la proposition de notre collègue.

L’article 2, qui est la novation principale de ce texte, ne crée pas une nouvelle incrimination. Il étend les incriminations et permet de poursuivre les crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme commis par un Français hors du territoire de la République.

M. Mercier proposait que puissent être également poursuivis ceux dont la résidence habituelle était en France. Pour la commission des lois, les mots « résidence habituelle » risquaient de poser des problèmes. La formulation ne nous paraissait pas suffisamment précise.

Nous sommes donc arrivés à un texte dans lequel cette incrimination viserait des crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme commis par un Français ou par une personne titulaire d’un titre de séjour l’autorisant à résider sur le territoire français. Cette définition recueille, en effet, l’accord de toute la commission.

J’émets donc un avis tout à fait favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Il est difficile au Gouvernement de s’opposer à une œuvre collective de la commission des lois du Sénat ! (Sourires.)

Vous le savez, la loi pénale est déjà applicable à un ressortissant français qui a commis un crime ou un délit puni d’emprisonnement hors du territoire de la République. Il n’y a donc pas d’obstacle à l’élargissement des dispositions de l’article 113–13 du code pénal aux ressortissants étrangers résidant habituellement en France.

La commission a très utilement remplacé cette notion de résidence habituelle par l’exigence de la détention d’un titre de séjour.

Il serait, au fond, cohérent que les résidents habituels en France soient passibles des mêmes sanctions pénales que les Français pour les mêmes faits commis à l’étranger.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 10 rectifié bis.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. Je ne siège pas à la commission des lois, ce qui me donne peut-être un regard plus neutre. Le mérite de cet amendement n’en revient pas moins à cette dernière et je comprends parfaitement cette proposition, présentée avec beaucoup de brio par notre collègue Michel Mercier, qui fut garde des sceaux. Je veux rappeler et saluer après lui tout le travail fait au sein de la commission présidée par M. Sueur, tout le travail accompli par le rapporteur, tout le travail produit par nos collègues sur ce texte et sur cet amendement, en particulier.

Tout à l’heure, Mme la garde des sceaux a fait état de la sécurité intérieure. Il s’agit de la sécurité intérieure au sens large, celle qui, au-delà des interventions au sens de la justice, revêt toutes sortes de formes. Et je n’oublie pas non plus de faire référence à un texte que M. Jean-Jacques Hyest, en sa qualité d’ancien président de la commission des lois, connaît bien, je veux parler de la loi LOPSI II votée en janvier 2011. Une partie de ce texte soulignait la nécessité de travailler sur la sécurité intérieure au sens large. Dans le même esprit, cet amendement ajoute aux notions de justice la lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes. Les témoignages des différents intervenants vont dans ce sens.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 10 rectifié bis.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié.

(L'article 2 est adopté.)

Article 2 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme
Article 3

Articles additionnels après l'article 2

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 2 rectifié bis est présenté par MM. Hyest et Frassa, Mlle Joissains, Mme Troendle et MM. Pillet, Bas, Reichardt, Vial, Béchu, Buffet, Cointat, Courtois, Lefèvre et Lecerf.

L'amendement n° 11 rectifié est présenté par M. Mercier et les membres du groupe de l'Union Centriste et Républicaine.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au 2° de l’article 421-1 du code pénal, après les mots : « les extorsions, », sont insérés les mots : « le chantage, ».

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour présenter l’amendement n° 2 rectifié bis.

M. Jean-Jacques Hyest. Je serai bref, car M. Mercier, qui fut le rédacteur du projet de loi renforçant la prévention et la répression du terrorisme, est beaucoup plus qualifié que moi pour défendre cet amendement.

Il s’agit simplement de transposer la décision-cadre du 28 novembre 2008 relative à la lutte contre le terrorisme, qui exige de réprimer comme acte de terrorisme le chantage en vue de commettre des actes de terrorisme.

Même si l’on m’objecte que cela existe déjà, il faudra préciser les choses. Il me paraît indispensable de faire figurer le mot « chantage » dans la loi si l’on veut respecter la décision-cadre précitée.

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour présenter l'amendement n° 11 rectifié.

M. Michel Mercier. Nous voulons poser une question au Gouvernement : pourquoi refuser de transposer la décision-cadre du 28 novembre 2008. Dès lors qu’elle existe et qu’il faudra la transposer, pourquoi attendre un autre texte ? Je crois qu’il y a là l’occasion de procéder à cette transposition et, surtout, de montrer que la lutte contre le terrorisme ne passe pas uniquement par le droit national, qu’elle a nécessairement une dimension européenne. On sait bien que les frontières ne font pas peur aux terroristes !

Nous proposons donc de transposer la décision-cadre du 28 novembre 2008 en ajoutant le chantage dans la liste des infractions constituant un acte de terrorisme.

Nous examinerons ultérieurement d’autres amendements tendant à reprendre d’autres dispositions de cette même directive.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. La commission vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir retirer ces amendements, à défaut de quoi son avis serait défavorable.

En effet, nous considérons que l’exigence posée la décision-cadre du 28 novembre 2008 relative à la lutte contre le terrorisme de réprimer comme acte de terrorisme le chantage en vue de commettre des actes de terrorisme est déjà satisfaite par le droit en vigueur.

Je m’explique. Dans la liste des infractions constituant des actes de terrorisme figure l’extorsion. Or celle-ci, dans notre code pénal, recouvre différentes incriminations, parmi lesquelles le chantage. J’ai, sous les yeux, cher collègue Mercier, l’article 312–1 du code pénal, qui définit l’extorsion. Il figure dans un chapitre qui a pour titre « De l’extorsion » et comporte deux sections : une section 1 intitulée « De l’extorsion » et une section 2 intitulée « Du chantage ».

Nous considérons donc que la précision que vous proposez d’introduire n’est pas utile.

M. Jean-Jacques Hyest. Ce qui importe, c’est le contenu des articles, pas les titres des chapitres ou des sections !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement partage l’avis de la commission. Lors de la discussion sur la décision-cadre de 2008, le gouvernement de l’époque avait considéré que le droit français satisfaisait à cette disposition et à aucun moment les autorités communautaires n’ont estimé que ce ne fût pas le cas.

Votre demande est donc satisfaite par le droit en vigueur dans la mesure où les extorsions comprennent d’ores et déjà le chantage.

M. le président. Monsieur Mercier, l’amendement n° 11 rectifié est-il maintenu ?

M. Michel Mercier. Personne ne conteste ici que le code pénal fait mention du chantage ni que celui-ci constitue une infraction pénale. Là n’est pas la question.

Nous parlons, en l’occurrence, de terrorisme. Je veux bien m’incliner autant que vous le voudrez, monsieur le rapporteur, mais, dans le code pénal, le chantage ne constitue pas un acte de terrorisme.

Nous vous proposons donc de transposer la décision-cadre européenne afin d’inscrire le chantage dans la liste des infractions constituant un acte de terrorisme et de le faire tomber dans le droit du terrorisme.

Il faut, bien sûr, interpréter la loi pénale de façon stricte, étroite et restrictive, ainsi que le rappelait Portalis, qui veille sur nos travaux ce soir,…

M. Charles Revet. Ce n’est pas vraiment inhabituel ! (Sourires.)

M. Michel Mercier. … dans le Discours préliminaire du premier projet de code civil. Et je rappelle à ceux qui seraient tentés de ricaner que c’est tout de même lui qui a fait l’essentiel de notre droit !

Quoi qu’il en soit, je maintiens mon amendement.

M. Jean-Jacques Mirassou. Moi, d’où je suis, je vois surtout Turgot !

Un sénateur du groupe socialiste. Et Colbert !

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai lu aussi cet ouvrage, monsieur Mercier.

Dans les actes de terrorisme, il y a les extorsions. Or, dans les extorsions, il y a le chantage. C’est à la fois très simple et très précis !

M. Michel Mercier. Ne vous mettez pas en colère, madame le ministre ! J’essaie simplement de vous donner des armes...

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pardonnez-moi ! Ne voyez là que la manifestation de mon tempérament amazonien ! (Rires.)

Il faut se reporter au deuxième alinéa de l’article 421-1 du code pénal : « Constituent des actes de terrorisme, [...] les vols, les extorsions, les destructions [...] ». Dans la déclinaison des actes constitutifs de l’incrimination de terrorisme figurent donc les extorsions, et parmi celles-ci, aux termes dudit code pénal, il y a le chantage.

Il ne s’agit nullement pour moi de vous être désagréable, monsieur Mercier ! Simplement, l’ajout que M. Hyest et vous-même suggérez est superfétatoire.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

M. le président. Monsieur Hyest, l’amendement n° 2 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Jean-Jacques Hyest. Nous pouvons tomber d’accord avec vous, monsieur le rapporteur, madame la garde des sceaux. Pour autant, je pense qu’il vaut mieux apporter cette précision dans l’article 421-1.

Je connais un peu cette partie du code pénal, madame le garde des sceaux : y sont mentionnées globalement les extorsions, puis, en tant que deux incriminations différentes, les extorsions et le chantage. Nous ne nous prononçons pas sur des titres, mais sur des infractions ! Dans ce cadre, le chantage, ce n’est pas l’extorsion. L’un et l’autre ne sont d’ailleurs pas visés aux mêmes articles.

Je maintiens donc, moi aussi, mon amendement, car mon souci, à moi aussi, est de vous rendre service.

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Il me semble possible, au terme de cet échange que j’ai écouté avec intérêt, de convaincre mes collègues Hyest et Mercier du bien-fondé de notre position. L’article 421-1 fait mention « des extorsions », au pluriel, et « des destructions », ce qui signifie qu’il y est fait référence à des séries homogènes d’incriminations. Dans le cas contraire, le code parlerait de « l’extorsion ».

L’expression « les extorsions » recouvre en effet les deux sections mentionnées précédemment par le rapporteur : celle qui est relative à l’extorsion, un délit qui a sa propre définition, et celle qui est relative au chantage.

Alors que l’on pouvait effectivement hésiter sur ce point au début de la discussion, il me semble que, au vu des échanges d’arguments auxquels celle-ci a donné lieu – et qui seront publiés très bientôt au Journal officiel, constituant ainsi les travaux préparatoires à la loi –, on est en droit de considérer que le dispositif actuel du code pénal répond aux exigences de la décision-cadre européenne.

Mme Gisèle Printz et M. Jean-Jacques Mirassou. Bravo !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 rectifié bis et 11 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par MM. Hyest et Frassa, Mlle Joissains, Mme Troendle et MM. Pillet, Bas, Reichardt, Vial, Béchu, Buffet, Cointat, Courtois, Lefèvre et Lecerf, est ainsi libellé :

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 421-2-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Constitue également un acte de terrorisme le fait de préparer de manière caractérisée par un ou plusieurs faits matériels un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents. »

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Cet amendement vise également à transposer une disposition de la décision-cadre européenne du 28 novembre 2008. Il s’agit de faire en sorte que le recruteur puisse être réprimé que son entreprise de recrutement ait été ou non couronnée de succès.

Cette précision me paraît indispensable pour mettre nos textes en harmonie avec la décision-cadre. Mais on va peut-être me prouver que c’est déjà dans le code...

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. J’en suis désolé pour Jean-Jacques Hyest, mais j’émettrai une fois encore un avis défavorable.

M. Michel Mercier. Quelle surprise !

M. Jacques Mézard, rapporteur. Je vous l’accorde, ce n’est pas une surprise.

Vous connaissez bien la législation, monsieur l’ancien garde des sceaux. Vous serez donc certainement convaincu par mes propos, que je vous ai d’ailleurs déjà tenus ce matin.

M. Michel Mercier. Parlez plutôt du futur, ce sera plus intéressant !

M. Jacques Mézard, rapporteur. Cet amendement tend à instituer une nouvelle incrimination, inspirée du délit d’association de malfaiteurs, mais appliquée à une personne agissant de manière totalement isolée.

L’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste a déjà permis une prévention efficace des actes de terrorisme.

Faut-il aller plus loin ? Il convient de rappeler qu’aucun des acteurs de la lutte contre le terrorisme ne l’a demandé lors des auditions préparatoires à l’examen de ce projet de loi. Si l’association de malfaiteurs, qui est malgré tout la base de notre système pénal de lutte contre le terrorisme, peut être constituée assez facilement, elle exige cependant, a minima, une entente ou la participation à un groupement, même si celui-ci n’est formé que de deux personnes.

Une telle exigence ne serait même plus nécessaire dans le délit proposé ici puisque vous visez, monsieur Hyest, un acte solitaire.

Cet amendement ne peut être accepté car, en l’état, cette nouvelle infraction nous paraît insuffisamment encadrée.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.

Actuellement, rien n’interdit de procéder à une surveillance administrative d’une personne isolée. S’il existe des éléments matériels pouvant attester la préparation d’un acte terroriste, une information judiciaire peut alors être ouverte. Le droit en vigueur suffit donc à couvrir la préparation d’un éventuel acte de terrorisme.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié bis.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 1 rectifié bis est présenté par MM. Hyest et Frassa, Mlle Joissains, Mme Troendle et MM. Pillet, Bas, Reichardt, Vial, Béchu, Buffet, Cointat, Courtois, Lefèvre et Lecerf.

L’amendement n° 12 rectifié est présenté par M. Mercier et les membres du groupe de l’Union Centriste et Républicaine.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 421-2-3 du code pénal, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. 421-2-4. - Le fait d’adresser à une personne des offres ou des promesses, de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques, de la menacer ou d’exercer sur elle des pressions, afin qu’elle participe à un groupement ou une entente prévu à l’article 421-2-1 ou qu’elle commette un des actes de terrorisme mentionnés aux articles 421-1 et 421-2, est puni, même lorsqu’il n’a pas été suivi d’effet, de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. »

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié bis.

M. Jean-Jacques Hyest. Le nouvel article 421-2-4 du code pénal réprime « l’instigateur » d’actes de terrorisme, de manière très similaire à ce que prévoient les dispositions de l’article 221-5-1 de ce même code, qui répriment l’instigation à commettre un assassinat. Dans un tel cas, en effet, la personne n’ayant pas encore été « recrutée », il n’y a pas encore, et il n’y aura peut-être jamais, d’association de malfaiteurs.

Cet amendement permet ainsi de réprimer de façon spécifique l’instigation en matière de terrorisme, comme l’exige la décision-cadre du 28 novembre 2008.

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour présenter l’amendement n° 12 rectifié.

M. Michel Mercier. Comme l’ont fort bien dit Mme la garde des sceaux et M. le rapporteur, la législation française permet d’ores et déjà, en application de l’infraction d’association de malfaiteurs à visée terroriste, d’appréhender tous les actes commis en amont d’une infraction terroriste, tels que la participation à la préparation d’actes de terrorisme, les faits de recrutement et d’entraînement pour le terrorisme.

Cependant, la législation actuelle ne couvre pas le cas de l’individu qui cherche à recruter d’autres personnes pour une association de malfaiteurs à des fins terroristes, mais qui n’y parvient pas. L’infraction pénale n’est pas constituée dans ce cas.

L’amendement proposé permet donc une mise en conformité avec la décision-cadre européenne, en réprimant le recruteur indépendamment de la réussite ou non du recrutement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. Ces deux amendements sont intéressants. Ils permettent en effet de réprimer l’instigation en matière de terrorisme. Il semble toutefois que cette infraction puisse être poursuivie sur la base du délit d’association de malfaiteurs à but terroriste. Reste néanmoins le cas de l’instigation non suivie d’effet : on peut se demander s’il n’y a pas là un vide juridique.

La commission a souhaité connaître l’avis du Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous partageons l’analyse de la commission, sans toutefois nous référer nécessairement, monsieur Hyest, monsieur Mercier, à la décision-cadre de 2008.

La question est de savoir si le droit en vigueur couvre bien cette situation très particulière que constitue la tentative de recrutement d’une personne par une autre personne.

La décision-cadre que vous évoquez vise des groupes. Une transposition de ce texte ne répondrait donc pas à votre préoccupation.

L’introduction de cette disposition dans le code pénal ne risque-t-elle pas d’affaiblir le recours à la qualification d’association de malfaiteurs ? Faute d’avis tranché sur cette question, le Gouvernement a décidé de s’en remettre à la sagesse du Sénat.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié bis et 12 rectifié.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2.

Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 3 rectifié bis, présenté par MM. Hyest et Frassa, Mlle Joissains, Mme Troendle et MM. Pillet, Bas, Reichardt, Vial, Béchu, Buffet, Cointat, Courtois et Lecerf, est ainsi libellé :

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 421-2-3 du code pénal, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. 421-2-5 – Le fait, publiquement, par quelque moyen que ce soit, de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

« Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne.

« Lorsque les faits sont commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables. »

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Nous sommes, je l’ai déjà dit, dans un débat récurrent : doit-on sortir du cadre de la loi sur la liberté de la presse de 1881 les faits de provocation directe aux actes de terrorisme et d’apologie de ces actes ou faut-il, au contraire, demeurer dans le cadre de cette loi et y intégrer des dispositions adaptées, en matière tant de prescription que de contrainte, notamment en ce qui concerne la détention provisoire ?

Pour ma part, je propose ici de les extraire du champ de la loi de 1881 et de créer des délits spécifiques, mais peut-être les amendements de repli que nous allons examiner ultérieurement permettront-ils de trouver une solution plus « partagée ».

M. le président. L'amendement n° 13 rectifié, présenté par M. Mercier et les membres du groupe de l'Union Centriste et Républicaine, est ainsi libellé :

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 421-2-3 du code pénal, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. 421-2-5 - Le fait, publiquement, par quelque moyen que ce soit, de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

« Lorsque les faits sont commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables. »

La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Cet amendement a le même but que celui de M. Hyest : il s’agit de permettre la poursuite réelle de la provocation directe à des actes de terrorisme ou l’apologie de ces actes.

Actuellement, c’est en application de la loi de 1881 que peuvent être poursuivis et punis de tels faits. Je rappelle que cette loi, qui fait partie des grands textes fondamentaux qui ont permis de bâtir notre État libéral et républicain, est une loi de liberté – la liberté de la presse – et qu’elle ne permet d’agir que dans des conditions restrictives.

Pour parvenir à notre but commun, je choisis pour ma part une autre voie que celle qui a été retenue par M. Hyest dans un autre amendement et, peut-être, par M. le rapporteur. Je préfère voir « sortir » de la loi de 1881 la poursuite de la provocation à des actes de terrorisme et de leur apologie pour la faire « entrer » dans le droit commun, sous réserve de quelques limitations que je proposerai d’introduire par un amendement ultérieur, l’amendement n° 14 rectifié, si le Sénat décide d’adopter celui que je défends maintenant.

Très honnêtement, je ne crois pas que toucher à la loi de 1881 serait la plus sage des solutions, raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous en propose une autre.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. Dans les deux cas, l’avis est défavorable.

Si M. Mercier, nous le verrons tout à l'heure, utilisant une méthode habile, propose d’emprunter un chemin différent de celui sur lequel M. Hyest est prêt à se replier, ainsi qu’il nous l’a annoncé, ici, l’un et l’autre poursuivent un même but : la sortie du cadre de la loi de 1881, ce qui pose un problème de fond.

Ces deux amendements tendent en effet à intégrer dans le code pénal le délit de provocation ou d’apologie d’actes de terrorisme, faits qui, à l’heure actuelle, figurent dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et sont passibles, en application de l’article 24 de cette loi, de cinq ans d’emprisonnement.

Il est vrai que le délit se voit appliquer le régime particulier du droit de la presse, notamment, et c’est important, en matière de prescription, c'est-à-dire une prescription abrégée, de trois mois.

Certes, les dispositions de la loi de 1881 ne paraissent pas toutes adaptées à la répression de cette infraction, mais il nous semble toutefois préférable de rester dans le cadre de cette loi. Pourquoi ?

D’une part, celle-ci présente les garanties procédurales nécessaires à la liberté d’expression, et c’est bien parce qu’il s’agit d’une vraie question de principe que le débat n’est pas secondaire.

D’autre part, elle permet des aménagements, comme elle le fait déjà pour d’autres délits qu’elle mentionne, sur deux aspects : le délai de prescription, qui, en l’espèce, pourrait être allongé et passer, comme le prévoit l’amendement n° 4 rectifié bis de M. Hyest, de trois mois à un an ; la possibilité d’un placement en détention provisoire, qui fait l’objet de mon sous-amendement n° 26 à cet amendement n° 4 rectifié bis.

En tout état de cause, la question de principe qui est posée est celle de savoir si l’on reste dans le cadre de la loi de 1881. C’est cette option qui a la préférence de la commission, d’où son avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement partage l’avis que vient d’exposer M. le rapporteur.

Nous l’avons dit, notre arsenal pour lutter contre le terrorisme est un arsenal de droit, mais qui déroge au droit commun. C’est un dispositif qui assure l’équilibre entre les impératifs de l’ordre public et le nécessaire respect de nos principes constitutionnels comme de nos engagements internationaux. Simplement, comme il déroge au droit commun, il comporte des dispositions particulières.

La loi de 1881 est relative à la liberté d’expression. Dans la répression des actes de terrorisme, il y a la répression de l’expression, celle de la préparation et celle de l’action. L’expression n’est pas traitée dans notre droit de la même façon que la préparation ou l’action ; elle relève, de manière générale – je ne parle pas là que de l’apologie du terrorisme –, de la loi de 1881 et le Gouvernement n’est pas favorable à ce que les dispositions de cette loi qui sanctionnent l’apologie soient transvasées dans le code pénal.

J’ai donné instruction aux parquets généraux, comme vous l’auriez, je n’en doute pas, naguère fait vous-même, monsieur Mercier, pour que l’apologie des actes de terrorisme soit, autant que possible, liée à l’association de malfaiteurs.

Cela permet d’abord de suspendre le délai de prescription. Ensuite, si, au cours de l’enquête, il apparaît que le délit d’association de malfaiteurs n’est pas retenu, le délai de prescription n’est pas épuisé et il est possible de sanctionner l’auteur de l’apologie.

Je rappelle d’ailleurs que, dans son arrêt du 14 février 2012, la Cour de cassation a précisé que l’article 52 de la loi de 1881 permettait, non pas la détention provisoire, mais la garde à vue.

Le Gouvernement, qui tient à conserver la distinction entre l’expression, la préparation et l’action, souhaite maintenir les dispositions relatives à l’expression, sous réserve de l’allongement – nous en discuterons tout à l’heure – du délai de prescription, lorsqu’il s’agit de terrorisme, dans la loi de 1881 ainsi consolidée.

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.

M. Michel Mercier. Deux voies, en effet, peuvent être utilisées. Vous avez choisi, madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, de rester dans le cadre de la loi de 1881.

D’abord, je ne suis guère convaincu par vos propos. Personnellement, j’estime que la loi de 1881 doit être préservée. Or vous dites rester dans son cadre, mais, en vérité, vous vous apprêtez à lui « tordre le cou » ! Vous commencez à le serrer un peu en allongeant le délai de prescription de droit commun prévu par cette loi, car il n’est vraiment pas possible de s’y tenir en matière de terrorisme, puis vous prévoyez le recours à la détention provisoire…(Mme le garde des sceaux fait un signe de dénégation.)

C’est tout de même l’objet du sous-amendement n° 26 de M. le rapporteur, madame le garde des sceaux ! Si vous ne voulez pas de ce sous-amendement, il faut le dire maintenant pour que l’on sache clairement à quoi s’en tenir !

Ensuite, rester dans le cadre de la loi de 1881 peut se justifier – on peut toujours tout justifier ! –, mais je crains alors que la justice ne perde un des éléments essentiels de l’efficacité de son action antiterroriste : je veux parler de la concentration de toutes les actions antiterroristes au sein du tribunal de grande instance et du parquet de Paris. Dans les litiges en matière de presse, il peut y avoir autant de tribunaux saisis qu’il existe de tribunaux de grande instance ! Dès lors, l’action contre le terrorisme va être éparpillée et perdre en efficacité.

C’est aussi une des raisons qui m’ont conduit à faire cette proposition, mais, après tout, si vous l’estimez inutile, c’est votre choix et c’est vous qui êtes en responsabilité…

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.

M. Alain Anziani. Je soutiens totalement la position de Mme le garde des sceaux, et cela en vertu d’une idée simple, dont nous constatons depuis le début de ce débat qu’elle fait consensus : nous ne devons pas accepter une législation d’exception ; en revanche, nous acceptons qu’il y ait des dispositions exceptionnelles. Tout notre droit en matière de terrorisme est fondé sur cette idée.

Quel est, par exemple, le pivot de la répression du terrorisme ? C’est l’association de malfaiteurs, revue et corrigée, spécialisée avec, justement, l’association de malfaiteurs à visées terroristes. On reste dans le droit commun, mais adapté au terrorisme : on ne crée pas une nouvelle infraction, mais on adapte le droit commun parce que l’on se méfie d’une législation d’exception.

Depuis plus d’un siècle maintenant, nous disposons, avec la loi sur la liberté de la presse de 1881, d’un outil qui a fait ses preuves. Certes, cette loi impose des contraintes de procédure particulières, mais, au fond, celles-ci garantissent aussi un encadrement précis.

Cette loi prévoit déjà, contrairement à ce qui a été dit – relisez le texte ! –, la détention provisoire, qui n’aura donc pas à être « inventée », et permet également, comme vient de l’indiquer Mme le garde des sceaux en rappelant un récent arrêt de la Cour de cassation, la garde à vue. (M. Jean-Jacques Hyest proteste.)

Cette loi existe, il suffit de l’adapter. Nous poursuivrons ainsi les mêmes objectifs que vous, mais en restant dans le cadre de la législation de droit commun.

M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand, pour explication de vote.

M. Alain Bertrand. Dans la lutte contre le terrorisme, il faut privilégier l’efficacité et j’approuve la proposition de M. Hyest, car il faut que l’on rejoigne les règles de droit commun en matière pénale.

La liberté de la presse est, bien entendu, une liberté sacrée, qui doit être protégée, que nous devons même couver des yeux, mais, s’agissant de terrorisme, en particulier dans la période actuelle, je préférerais que l’on privilégie l’efficacité.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous discutons d’un sujet très complexe.

J’estime que nous devons respecter la loi de 1881 sur la liberté de la presse s’agissant des publications restées dans sa sphère.

J’ai eu l’occasion de rappeler en commission qu’on pouvait trouver dans toutes les librairies un livre qui, incontestablement, fait l’éloge d’une personne qui a tué un grand nombre d’êtres humains et a été condamnée pour terrorisme. Ce livre a donné lieu à une pétition signée par de nombreux auteurs de la maison Gallimard.

Que convient-il de faire par rapport au droit à publier, à écrire, à imprimer ? C’est une vraie question et je n’y répondrai pas de manière simple. Faut-il interdire, emprisonner, demander des comptes à l’éditeur, à l’auteur, etc. ? Voilà un sujet que l’on ne peut pas traiter à la légère.

Au demeurant, si l’on considère l’ensemble de la littérature, on trouvera nombre de textes qui soulèvent cette question. Bien sûr, on peut arguer que ce n’est pas l’auteur mais le personnage qui proclame ceci ou cela ! On peut en discuter… On trouve, en tout cas, des exemples d’œuvres odieuses, exécrables qui ont été imprimées et qui ont donné lieu à sanction. Quoi qu'il en soit, il y a là matière à jugement, et il me paraît sage que ce jugement – je ne préjuge pas : ce n’est pas notre rôle – s’exerce dans le cadre du droit de la presse.

C’est pourquoi, à mon tour, je me permets de soutenir la position qui est celle à la fois de Mme la garde des sceaux et de notre rapporteur.

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous nous sommes tout à l'heure demandé – manifestement, nous continuons à le faire, et c’est d'ailleurs ce qui fait la valeur ajoutée du débat parlementaire – s’il était nécessaire de mettre en place de nouveaux outils législatifs, si certaines dispositions ne relevaient pas plutôt du règlement et si, sur le plan opérationnel, une meilleure articulation était possible.

En l’occurrence, une meilleure articulation doit être mise en œuvre – et j’ai donné des consignes en ce sens – entre la section antiterroriste et la section presse du parquet de Paris. Il faut en effet – c’est le problème que vous avez à raison évoqué dans votre dernière intervention, monsieur Mercier –mieux coordonner les choses.

Donc, sur le plan législatif, nous prenons toutes les précautions nécessaires pour ne pas fragiliser ce qui est la colonne vertébrale de notre arsenal législatif en matière de lutte contre le terrorisme, à savoir le délit d’association de malfaiteurs ; pour le reste, nous sommes attentifs aux points sur lesquels nous pouvons agir.

Une meilleure coordination des services est également nécessaire au-delà de ces deux sections du parquet de Paris, à l’instar de ce nous avons déjà commencé à faire entre la DACG, la DCRI et la DGPN.

Nous avons aussi à rendre nos services plus performants à la fois par une augmentation des moyens, par une répartition différente des effectifs et par l’évaluation – en y associant les services eux-mêmes – des méthodes mises en œuvre.

Il nous paraît également important, au regard de l’histoire du droit français, de maintenir les dispositions particulières de la loi de 1881, en apportant les ajustements rendus nécessaires par la situation à laquelle nous sommes confrontés.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié bis.

(L'amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 13 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 6 rectifié, présenté par M. Hyest, Mlle Joissains, Mme Troendle et MM. Pillet, Bas, Reichardt, Vial, Béchu, Buffet, Cointat, Courtois, Lefèvre et Lecerf, est ainsi libellé :

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 421-2-3 du code pénal, il est inséré un article ainsi rédigé : 

« Art. … – Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait de consulter de façon habituelle un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, soit provoquant directement à des actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ces messages comportent des images montrant la commission d’actes de terrorisme consistant en des atteintes volontaires à la vie. »

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Comme je l’ai déjà souligné dans la discussion générale, il s’agit là d’un débat nécessaire.

Cet amendement vise à créer un nouveau délit de consultation, sans aucun motif légitime, de sites Internet « terroristes », à l’instar de ce qui est déjà prévu par l’article 227-23 du code pénal en matière de consultation habituelle de sites pédopornographiques.

Seule sera sanctionnée la consultation habituelle de sites provoquant aux actes de terrorisme ou faisant l’apologie de ces actes lorsque ces sites comportent des images montrant la commission d’actes de terrorisme consistant en des atteintes volontaires à la vie.

M. le président. Le sous-amendement n° 9, présenté par M. Frassa, est ainsi libellé :

Amendement n° 6, alinéa 4

Après le mot :

habituelle

insérer les mots :

, hors travaux de recherches universitaires déclarées,

Ce sous-amendement n'est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 6 rectifié ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. Après mûre réflexion et après avoir entendu les arguments des uns et des autres, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. Hyest soulève une vraie question, que j’ai régulièrement posée aux personnes que nous avons auditionnées. J’ai ainsi demandé aux responsables de nos services d’enquête et aux magistrats s’il était utile, s’il serait efficace de prévoir la création d’un nouveau délit de consultation habituelle de sites incitant à commettre des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie. Globalement, ces auditions m’ont amené à considérer qu’ils doutaient de la pertinence d’une telle innovation. Peut-être, en fonction de l’évolution de la situation, la question se posera-t-elle à nouveau dans l’avenir.

Pour l’heure, des doutes subsistent quant à l’efficacité de la création de cette infraction. On nous renvoie à l’infraction de consultation habituelle de sites pédopornographiques qui, elle, existe. Il serait utile d’avoir un retour d’expérience sur les conditions de mise en œuvre du délit de consultation des sites à caractère pédopornographique, sur les effets de cette incrimination. Il ne semble pas que le bilan soit très positif ni, en tout cas, que cette incrimination ait montré une réelle utilité.

Une autre question importante, que nous avons tous évoquée lors de la discussion générale, a trait à l’équilibre entre l’impératif de sécurité, qui est évident en matière de terrorisme, et le respect de la liberté individuelle que, jusqu’ici, notre arsenal législatif de lutte contre le terrorisme s’est efforcé de préserver. Or, en adoptant cet amendement, nous irions à mon avis trop loin.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ferai d’abord observer que cet amendement n’apporte pas de moyens nouveaux aux magistrats pour intervenir.

Ensuite, la disposition qu’il prévoit figurait dans le projet de loi que vous aviez présenté, monsieur Mercier, en mai 2012. Or cette disposition avait fait l’objet d’observations du Conseil d’État.

M. Michel Mercier. C’est pourquoi je ne l’avais pas maintenue.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pour ces mêmes raisons, le Gouvernement considère qu’il vaut mieux s’en passer.

M. le président. La parole est à M. Christophe Béchu, pour explication de vote.

M. Christophe Béchu. Quand on crée une taxe, elle s’applique de manière immédiate à tout le monde alors que, quand on crée un délit, on donne la possibilité au juge de l’utiliser le cas échéant, si nécessaire.

J’avoue que je ne comprends pas la position de mes collègues. J’ai suivi avec intérêt le débat constructif, serein et apaisé que nous venons d’avoir à propos de la loi de 1881 sur la liberté de la presse et j’ai bien entendu qu’en touchant à des aspects particuliers de notre édifice juridique on est susceptible de remettre en cause certains équilibres. En revanche, s’agissant de la création d’un délit de consultation de sites Internet, alors que nous savons qu’Internet est aujourd’hui un espace où se déroule une part de l’apprentissage au terrorisme, je peine à comprendre les avis qui viennent d’être exprimés.

J’ai apprécié, madame la garde des sceaux, les propos que vous avez tenus tout à l’heure sur la nécessité de renforcer certains moyens à l’intérieur des prisons afin de prévenir d’éventuelles dérives : en évitant que des gens ne soient livrés à eux-mêmes et que, par des informations tronquées, ils ne deviennent les cibles d’une propagande religieuse d’où toute réflexion soutenue est absente, on peut empêcher le passage à l’acte d’un certain nombre d’entre eux.

Or Internet est aujourd’hui un espace sur lequel, malheureusement, une propagande sans filtre, répandue grâce à des moyens visuels permettant l’imitation de gestes, peut précisément favoriser une instrumentalisation, un embrigadement susceptible d’entraîner un passage à l’acte. Et l’argument selon lequel la création de ce délit ne paraît pas nécessaire aujourd'hui, mais pourrait éventuellement être réexaminée un jour si le besoin s’en faisait sentir, ne me convainc pas.

Je préférerais que l’on décide maintenant de créer le délit, quitte à ce que les magistrats ne l’utilisent pas, de manière à ne pas laisser subsister une zone de non-droit sur Internet, alors qu’il est d’ores et déjà acquis que c’est un espace sur lequel la propagande se développe.

Je peux comprendre, je le répète, certaines des positions qui ont été défendues ce soir afin de préserver un équilibre et qui font l’objet – peut-être – d’un assez large consensus dans cet hémicycle, même s’il n’atteint pas les 75 % dont est créditée la cote de popularité de notre ministre de l’intérieur ! (Sourires.). Mais, en l’espèce, le Gouvernement s’honorerait à accepter l’ajout juridique que constitue cet amendement, qui sera à la disposition des juges et des forces de l’ordre, le cas échéant.

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.

Mme Virginie Klès. À l’inverse de ce qui vient d’être dit, je pense que créer une taxe est assez simple mais que s’attaquer à l’outil Internet est beaucoup plus compliqué.

La création d’un délit de consultation de certains sites Internet entraînera inévitablement et de manière extrêmement rapide la mise au point de techniques de contournement qui gêneront l’action des forces de sécurité. Celles-ci auront en effet beaucoup plus de difficultés à remonter la piste des personnes qui consultent les sites Internet terroristes. J’avais déjà évoqué ce problème au sujet des sites pédopornographiques. On ne mesure pas, aujourd’hui, la vitesse à laquelle se développent les technologies et « contre-technologies » sur Internet !

Les services enquêteurs nous demandent de ne pas modifier le code pénal précisément parce que, nous disent-ils, la création d’un tel délit ne servirait à rien et risquerait au contraire de les empêcher de réaliser leurs enquêtes dans les meilleures conditions d’efficacité. C’est eux qu’il faut écouter. Nous ne devons pas donner l’impression que la création de ce délit empêchera l’exécution de l’action, alors qu’elle risque au contraire de la favoriser.

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Je ne voterai pas l’amendement n° 6 rectifié, mais je suggère au Gouvernement de poursuivre sa réflexion sur le sujet.

En effet, les actes qui concourent à une entreprise terroriste sont variés et il est clair que l’utilisation de tels sites, qui à la fois encouragent et conseillent, fait partie de ces actes.

L’avis du Conseil d’État étant la « propriété » du Gouvernement, nous ne disposons pas ici de l’ensemble des éléments qui conduisent le Gouvernement à ne pas souhaiter l’instauration de cette incrimination supplémentaire, mais j’observe que notre dispositif pénal de lutte contre le terrorisme est fondé sur la sanction d’actes qui ne sont pas des passages à l’acte final. Or, si je raisonne en termes d’économie de moyens, la DCRI n’a pas les moyens humains de pister tous les apprentis terroristes. Elle est donc obligée de travailler en dégageant des priorités. Or, dans certains cas, le fait de pouvoir engager des poursuites contre une personne pourrait constituer un obstacle.

Je suis convaincu que l'existence de ce délit de consultation de sites Internet, une fois les conditions juridiques éclaircies, serait un outil supplémentaire dans la palette à la disposition de la République pour lutter contre la montée vers le passage à l'acte.

Pour autant, je ne propose pas d’improviser. C'est la raison pour laquelle je me garderai de rejoindre les collègues qui, aujourd'hui, soutiennent cet amendement. Il reste que le Gouvernement serait bien inspiré de poursuivre sa réflexion sur le sujet.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Mézard, rapporteur. Je l'ai indiqué, les enquêteurs des services spécialisés considèrent aujourd'hui que cette nouvelle infraction ne leur serait pas utile pour lutter efficacement contre le terrorisme. Au demeurant, l’absence de délit de consultation sur Internet ne les empêche pas de visiter les sites, d’enquêter, bref de faire leur travail.

J’ajoute que ce nouveau délit poserait d'énormes problèmes d'identification. Un avis a d’ailleurs été rendu par le Conseil d’État sur le précédent projet de loi et la réaction de M. Mercier avait été très claire.

Eu égard aux difficultés qu’elle soulèverait, la création de ce délit ne semble donc pas justifiée aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle j'insiste pour que le Sénat n’adopte pas cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J'entends bien qu’il est nécessaire de réfléchir et nous nous sommes d’ailleurs beaucoup interrogés ; ce n’est pas un aveu de faiblesse que de le reconnaître. Jusqu’où aller dans la précision, dans l’élargissement, et dans l’approfondissement de certaines incriminations ?

S'il y a une suspicion, une surveillance administrative peut être enclenchée, y compris à l’égard d’une personne isolée.

M. Alain Richard. Ce n’est pas le sujet !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Là, nous parlons de la consultation de sites. S’il y a des éléments qui permettent de penser qu’il y a un risque, nous ne sommes pas totalement désarmés. Des procédures peuvent être enclenchées et poursuivies. La question sera de savoir à quel moment il faudra passer de la procédure administrative à la procédure judiciaire, qui est la seule efficace.

M. Alain Richard. Pour passer à la procédure judiciaire, il vous faudra qu’un autre acte soit commis, et celui-là peut être très grave !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Certes, mais il nous paraît difficile d’incriminer la simple consultation.

M. Alain Richard. Pour la pédopornographie, c'est un délit et personne ne le conteste !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.

M. Jean-Jacques Hyest. Je le dis franchement, je préfère les explications d'Alain Richard à d'autres.

J’ai entendu qu’il ne fallait surtout pas créer le délit de consultation parce que cela pourrait nuire à d’autres poursuites. Mais, si l’on considère que cette consultation est dangereuse, comme c’est le cas pour la pédopornographie, car elle peut conduire à des comportements plus dangereux, il faut le créer !

Cela n'empêchera en rien le renseignement. Lorsque ce dernier est justifié, les écoutes ont lieu. Mais sans délit, on ne pourra pas poursuivre !

Pour le principe, je maintiens donc mon amendement, même si je sais qu’il ne sera pas voté. Mais je suis convaincu que nous devrons un jour y revenir, car le débat n'est pas clos.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Je ne reviendrai pas sur les arguments qui ont été excellemment développés par Christiane Taubira et par le rapporteur.

La création de ce délit soulève une double difficulté : les magistrats estiment ne pas avoir besoin de cette incrimination et nous sommes confrontés à un problème d’ordre constitutionnel.

Avec la garde des sceaux, nous n'avons pas voulu prendre de risque sur un texte aussi important et dans un moment aussi délicat. Pour autant, et j'ai longuement évoqué ce point lors de la discussion générale, nous sommes évidemment d'accord pour reconnaître que le développement d’un djihadisme sur Internet, selon des modes très variés, est hautement préoccupant.

La comparaison avec ce qui se passe sur Internet en matière de pédopornographie m’a semblé très intéressante, même si la propagande terroriste ne peut être totalement apparentée à cet autre délit, qui a fait l'objet d'un travail tout à fait considérable d'alerte par les policiers spécialisés et par les magistrats.

En revanche, M. Hyest et M. Richard ont raison de dire que nous devrons revenir sur le sujet. Je ne sais pas si cela se fera rapidement. Au demeurant, de ce point de vue, le Parlement est souverain, mais je crois que nous devrons travailler ensemble, Gouvernement, assemblées et techniciens, et pas uniquement des spécialistes du droit. Nous le savons bien, s’agissant d’Internet, si vous faites en sorte que « plus personne ne bouge », cela peut poser un problème à ceux qui recherchent ce type de discours et de propagande, et ce serait finalement contreproductif. Il ne faudrait pas créer d’obstacle à la découverte de certains éléments. Je n'en dis pas plus.

La garde des sceaux et moi-même vous proposons donc de travailler sereinement sur les adaptations juridiques nécessaires, lesquelles devront être efficaces. Toutefois, comme l’a souligné ChristianeTaubira, discuter de cette question ce soir ne nous paraît pas opportun.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 14 rectifié, présenté par M. Mercier et les membres du groupe de l'Union Centriste et Républicaine, est ainsi libellé :

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° L’article 706-25-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions du présent article ne sont toutefois pas applicables au délit prévu par l’article 421-2-5 du code pénal. » ;

2° Au premier alinéa de l’article 706-25-2, les mots : « mentionnées au sixième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse » sont remplacés par les mots : « prévues par l’article 421-2-5 du code pénal » ;

3° L’article 706-88 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables au délit prévu par l’article 421-2-5 du code pénal. » ;

4° Après l’article 706-94, il est inséré un article 706-94-1 ainsi rédigé :

« Art. 706-94-1. - Les dispositions de la présente section ne sont pas applicables au délit prévu par l’article 421-2-5 du code pénal. »

La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. J’ai déjà longuement défendu cet amendement. Pour ne pas allonger le débat, je demande juste au Sénat de le voter ! (Sourires.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement par cohérence avec la position qu’elle a adoptée sur les amendements nos 3 rectifié bis et 13 rectifié.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 14 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 8 rectifié bis, présenté par MM. Hyest et Frassa, Mlle Joissains, Mme Troendle et MM. Pillet, Bas, Reichardt, Vial, Béchu, Buffet, Cointat, Courtois, Lefèvre et Lecerf, est ainsi libellé :

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :

1° Au troisième alinéa du 7 du I, après le mot : « humanité », sont insérés les mots : « , des crimes visés par les articles 421-1 à 421-2-2 du code pénal, » ;

2° Après le sixième alinéa du 7 du I, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion d’images ou de représentations faisant l’apologie des actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal le justifient, l'autorité administrative notifie aux personnes mentionnées au 1 du présent I les adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l'accès sans délai.

« Un décret fixe les modalités d'application de l'alinéa précédent. »

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. Dans la droite ligne du débat que nous venons d’avoir, la commission est défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 15 rectifié, présenté par M. Mercier et les membres du groupe de l'Union Centriste et Républicaine, est ainsi libellé :

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifiée :

1° Le sixième alinéa de l’article 24 est supprimé ;

2° Au premier alinéa de l’article 24 bis, les mots : « sixième alinéa » sont remplacés par les mots : « septième alinéa » ;

3° Au premier alinéa de l’article 48-1, les mots : « alinéa 8 » sont remplacés par les mots : « alinéa 7 » ;

4° Au premier alinéa des articles 48-4, 48-5 et 48-6, les mots : « neuvième alinéa » sont remplacés par les mots : « huitième alinéa » ;

5° À l’article 65-3, les mots : « huitième alinéa » sont remplacés par les mots : « septième alinéa ».

La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, soit cet amendement est tombé, soit il ne va pas tarder à tomber ! (Sourires.)

M. le président. Je crois donc pouvoir considérer que l'amendement n° 15 rectifié est devenu sans objet.

L'amendement n° 4 rectifié bis, présenté par MM. Hyest et Frassa, Mlle Joissains, Mme Troendle et MM. Pillet, Bas, Reichardt, Vial, Béchu, Buffet, Cointat, Courtois, Lefèvre et Lecerf, est ainsi libellé :

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À l’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les mots : « le huitième alinéa » sont remplacés par les mots : « les sixième et huitième alinéas ».

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Puisqu’on ne veut manifestement pas d'un délit spécifique, il faudrait au moins prévoir dans la loi de 1881 des délais de prescription raisonnables. Si cette loi a ses vertus, elle a aussi de graves défauts : s’agissant d’actes graves, le délai de trois mois est extrêmement bref. C'est la raison pour laquelle je propose de porter à un an le délai de prescription.

M. le président. Le sous-amendement n° 26, présenté par M. Mézard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 2 de l'amendement n° 4 rectifié bis

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifiée :

1° À l’article 52, les références : « (par. 1er et 3) » sont remplacées par les références : « (2ème, 3ème, 4ème et 6ème alinéas) » ;

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Mézard, rapporteur. Comme vient de le dire Jean-Jacques Hyest, on peut considérer que le délai de prescription de trois mois prévu par la loi de 1881 est, en l’espèce, trop court. L'allongement de ce délai à un an paraît donc être une excellente idée, d’autant qu’il ne s’agirait pas d’une nouveauté, la loi de 1881 prévoyant déjà un tel délai pour les infractions les plus graves comme la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne en raison de son origine ou de sa religion.

Il paraît donc logique, au regard de la gravité des faits incriminés et de l'efficacité de la répression, de prévoir un allongement du délai de prescription.

Nous proposons de compléter cet amendement par un sous-amendement tendant à autoriser le placement en détention provisoire en cas de provocation ou d’apologie d’actes de terrorisme. Il faut le souligner, cette possibilité existe déjà, notamment pour les provocations aux attentes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne. Il pouvait apparaître paradoxal, dans ces conditions, que la provocation aux actes de terrorisme ne puisse explicitement donner lieu à un placement en détention provisoire.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable au sous-amendement n° 26. Il n'est pas souhaitable que cette disposition concernant la détention provisoire soit introduite dans la loi de 1881. La possibilité d’une garde à vue permet déjà la poursuite des investigations et des interrogations nécessaires.

En revanche, nous sommes favorables à l'amendement n° 4 rectifié bis, relatif à la prolongation du délai de prescription, à la fois en raison de la gravité de l'acte d'apologie et de provocation aux actes terroristes et par souci d’alignement avec les dérogations déjà prévues par la loi de 1881 pour les incriminations rappelées à l'instant par le rapporteur, notamment l'incitation à la haine en raison de l’origine ou de la religion ; à l’origine, cela visait d’ailleurs essentiellement la propagande antisémite.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Mézard, rapporteur. Je voudrais simplement apporter une précision : aux termes de l’article 52 de la loi du 29 juillet 1881, si la personne mise en examen est domiciliée en France, elle ne pourra être préventivement arrêtée, sauf dans les cas prévus aux articles 23, 24, 25, 27, 36 et 37 de cette loi. La détention provisoire est donc possible. Il suffit de se référer aux articles 23 et 24 pour voir les délits auxquels peut s'appliquer cette disposition.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 26.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4 rectifié bis, modifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2.

Articles additionnels après l'article 2
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Article 4

Article 3

I. – L'article L. 522 2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'article 34 des ordonnances n° 2000-372 du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en Polynésie française et n° 2002-388 du 20 mars 2002 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en Nouvelle-Calédonie sont complétés par un alinéa ainsi rédigé :

« Si la commission n’a pas émis son avis dans un délai d’un mois à compter de la convocation de l’étranger, cet avis est réputé rendu. Ce délai peut toutefois être prolongé d’un mois par la commission lorsque l’étranger demande le renvoi pour un motif légitime. »

II. – Après le dixième alinéa de l'article 32 des ordonnances n° 2000-371 du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans les îles Wallis et Futuna et n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Si la commission n’a pas émis son avis dans un délai d’un mois à compter de la convocation de l’étranger, cet avis est réputé rendu. Ce délai peut toutefois être prolongé d’un mois par la commission lorsque l’étranger demande le renvoi pour un motif légitime. »

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 23 rectifié, présenté par MM. Anziani et Sueur, Mme Klès et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéas 2 et 4

Rédiger ainsi ces alinéas :

« Lorsque la procédure d’expulsion est engagée du fait d'activités à caractère terroriste visées à l’article L. 521-3, la commission émet son avis dans le délai d'un mois à compter de la convocation. Toutefois, lorsque l’étranger demande le renvoi pour un motif légitime, la commission accorde un nouveau délai qui ne peut dépasser un mois. À l'issue du délai fixé, les formalités de consultation de la commission sont réputées remplies. »

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Cet amendement tend à affiner les précisions déjà apportées par la commission des lois sur le fonctionnement de la commission qui se réunit pour entendre les personnes faisant l’objet d’une mesure d’expulsion.

La commission des lois a déjà procédé à d’utiles ajouts : d’une part, l’inscription du délai d’un mois dans la loi, et non pas uniquement dans le règlement ; d’autre part, la possibilité, pour la commission, lorsque l’étranger demande le renvoi pour motif légitime – et uniquement dans ce cas – de bénéficier d’un mois supplémentaire pour rendre son avis.

Néanmoins, par cet amendement, nous proposons d’apporter deux modifications à ce dispositif.

La première est une modification de fond. Elle vise à préciser que les dispositions concernées ne pourront s’appliquer que lorsque la procédure d’expulsion est engagée du fait d’activités à caractère terroriste visées à l’article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et non sur la base de n’importe quelle disposition de ce code.

La seconde précision est plus formelle : en cas de non-réunion de la commission, les formalités de consultation de la commission seraient réputées remplies, formulation qui nous semble plus adéquate que celle qui consiste à prévoir que l’avis est réputé rendu.

M. le président. L'amendement n° 21 rectifié, présenté par Mmes Benbassa, Aïchi, Ango Ela, Archimbaud, Blondin et Bouchoux, MM. Dantec, Desessard et Labbé, Mme Lipietz et MM. Placé et Gattolin, est ainsi libellé :

I.- Alinéa 2, première phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

La commission émet son avis dans un délai d’un mois à compter de la convocation de l’étranger.

II.- Alinéa 4, première phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

La commission émet son avis dans un délai d’un mois à compter de la convocation de l’étranger.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Cet amendement vise à supprimer la possibilité pour l’administration de statuer en cas de carence de la commission d’expulsion.

Cette dernière doit statuer dans un délai d’un mois à partir de la date de sa convocation. Aux termes du texte de la commission, ce délai pourra désormais être prolongé d’un mois si l’étranger fait valoir un motif légitime, et je salue cet apport.

Toutefois, le texte prévoit également que, si la commission n’a pas émis son avis dans un délai d’un mois, cet avis est réputé rendu. Les commissions d’expulsion rendant leur avis dans des délais bien plus longs qu’un mois, cette disposition aurait mécaniquement pour effet que des expulsions en nombre significatif se feraient sans avis préalable et sans que l’étranger ait pu s’exprimer.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. Dans l’hypothèse où il ne serait pas tombé du fait de l’adoption de l’amendement n° 23 rectifié, l’amendement n° 21 rectifié recueille un avis défavorable de la commission émet.

L’amendement n° 23 rectifié, qui a reçu un avis favorable de la commission, malgré l’opinion de son rapporteur, tend à limiter les cas dans lesquels la décision de la commission serait réputée rendue, passé un délai d’un mois, aux expulsions d’étrangers ayant eu des activités terroristes, alors que, dans le texte de la commission des lois, cette mesure s’applique à tous les étrangers en instance d’expulsion du fait de comportements menaçant gravement l’ordre public. Mais la commission a souhaité, elle aussi, que soient spécifiquement distingués, parmi les cas d’expulsion, ceux qui sont liés à des activités à caractère terroriste.

Cet amendement précise en outre que, lorsque l’étranger demande le renvoi pour un motif légitime, la commission d’expulsion accorde obligatoirement un nouveau délai ; il ne s’agirait plus pour elle d’une simple faculté. C’est ainsi que nous avions initialement prévu de modifier le texte initial du Gouvernement, afin que les droits de la personne qui risque une expulsion soient davantage respectés.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Vous le savez, la procédure d’expulsion vise à protéger la société contre des comportements très dangereux d’étrangers qui menacent gravement l’ordre et la sécurité publics. Il peut s’agit non seulement d’activités à caractère terroriste évident, mais aussi de propos incitant à la haine ou à la violence, d’atteinte à la sécurité et à l’intégrité des personnes, de vols à main armée ou encore de gros trafics de stupéfiants.

Dans tous ces cas, il est impératif de permettre à l’autorité administrative de statuer dans un délai raisonnable.

À cet égard, réserver la mise en œuvre des dispositions de l’article 3 aux seuls cas de comportements à caractère terroriste n’était ni suffisant ni opportun.

Toutefois, le travail réalisé en commission des lois et la sagesse des sénateurs ont permis d’améliorer les garanties accordées à la personne menacée d’expulsion, notamment en précisant qu’une prolongation du délai pouvait être légitime.

Pour cette raison, à ce stade, je m’en remets à la sagesse du Sénat sur l’amendement n° 23 rectifié.

Sur l’amendement n° 21 rectifié, l’avis du Gouvernement est défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 23 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence l'amendement n° 21 rectifié n’a plus d’objet.

Je mets aux voix l'article 3, modifié.

(L'article 3 est adopté.)

Article 3
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Article 5

Article 4

(Non modifié)

I. – Au deuxième alinéa de l’article L. 624-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la référence : « L. 561-3 » est remplacée par la référence : « L. 571-3 ».

II. – Au dernier alinéa de l'article 41-1 des ordonnances n° 2000-371 du 26 avril 2000 précitée et n° 2000-373 du 26 avril 2000 précitée, la référence : « au troisième alinéa » est remplacée par la référence : « au dernier alinéa ».

III. – Au dernier alinéa de l'article 43-1 des ordonnances n° 2000-372 du 26 avril 2000 précitée et n° 2002-388 du 20 mars 2002 précitée, la référence : « au troisième alinéa » est remplacée par la référence : « au cinquième alinéa ». – (Adopté.)

Article 4
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Article 6

Article 5

(Supprimé)

Article 5
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Article 7 (début)

Article 6

(Non modifié)

I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance les dispositions nécessaires pour modifier la partie législative du code de la sécurité intérieure et la partie législative du code de la défense afin d’inclure dans ces codes certaines dispositions de la loi n° 2012-304 du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif.

Les dispositions codifiées sont celles de la loi n° 2012-304 du 6 mars 2012 précitée, sous réserve des modifications nécessaires :

1° Pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes et adapter le plan des codes ;

2° Pour abroger les dispositions devenues sans objet ;

3° Pour étendre aux Terres australes et antarctiques françaises les dispositions prévues par la loi n° 2012-304 du 6 mars 2012 précitée.

II. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance les dispositions nécessaires pour modifier la partie législative du code de la sécurité intérieure :

1° Pour remédier, dans les dispositions relatives à l’outre-mer, aux éventuelles erreurs de codification ;

2° Pour étendre, le cas échéant avec les adaptations nécessaires, certaines dispositions du code de la sécurité intérieure à la Polynésie française, aux Terres australes et antarctiques françaises, aux îles Wallis et Futuna et à la Nouvelle-Calédonie ainsi que permettre les adaptations nécessaires à l’application de ces dispositions à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon ;

3° Pour remédier aux omissions dans la liste des dispositions abrogées en raison de leur codification par l’ordonnance n° 2012-351 du 12 mars 2012 précitée.

III. – Les ordonnances doivent être prises au plus tard le 1er septembre 2013.

Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de chaque ordonnance. – (Adopté.)

Article 6
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Article 7 (fin)

Article 7

Les articles 1er et 2 sont applicables à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 24, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

La présente loi est applicable sur l’ensemble du territoire de la République.

La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Cet amendement tend à revenir à l’écriture originelle de l’article 7, afin que toutes les dispositions du projet de loi soient applicables sur l’ensemble du territoire de la République.

En effet, il ne suffit pas qu’une nouvelle loi vienne modifier une loi applicable dans une collectivité soumise au principe de spécialité législative pour y être applicable.

Ainsi, le retour à la rédaction de l’article 7 est indispensable à l’application du projet de loi sur l’ensemble du territoire de la République.

M. le président. L'amendement n° 25, présenté par M. Mézard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :

Les articles 3 et 4 sont applicables à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Mézard, rapporteur. Monsieur le président, je retire cet amendement au bénéfice de celui du Gouvernement, dont la rédaction me paraît plus sage, bien que la commission ait émis sur ce dernier un avis défavorable.

M. le président. L'amendement n° 25 est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 24.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l'article 7 est ainsi rédigé.

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

Mmes Esther Benbassa et Hélène Lipietz. Le groupe écologiste s’abstient.

M. Charles Revet. La majorité est diverse !

Mme Éliane Assassi. Bien sûr !

M. Alain Richard. Cela ne l’empêche pas d’avancer !

(Le projet de loi est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Ma collègue Christiane Taubira et moi-même tenons à remercier le Sénat, élément de la représentation nationale, pour le travail tout à fait considérable qu’il a réalisé sur le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. Nous rendons tout particulièrement hommage au président de la commission des lois ainsi qu’à son rapporteur, Jacques Mézard, qui a su faire toute sa place au dialogue et permis, dans des délais qui ne lui rendaient pas la tâche facile, l’adoption de ce texte à une très large majorité.

Avoir réuni une aussi large majorité sur ce texte est un élément très important. Nos compatriotes l’apprécieront, et j’en remercie chacun. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, de l’UCR et de l’UMP.)

Article 7 (début)
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7

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 18 octobre 2012 :

À neuf heures trente :

1. Questions orales.

À quinze heures :

2. Questions cribles thématiques sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART