compte rendu intégral

Présidence de Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Secrétaires :

M. Jacques Gillot,

Mme Odette Herviaux.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire
Discussion générale (suite)

Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire
Rappel au règlement

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (projet n° 21, texte de la commission n° 23, rapport n° 22).

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Philippe Bas.

M. Philippe Bas. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, l’autorisation de ratifier le pacte budgétaire européen est le seul moment constitutionnel où le Parlement ait son mot à dire. Mais ce mot est déterminant. Il nous place face à des responsabilités essentielles.

Le peuple français n’est pas appelé à se prononcer directement comme il le fit en 1992 et en 2005 avec François Mitterrand et Jacques Chirac. L’un et l’autre ont fait preuve de courage politique. Depuis lors, quand il s’agit d’Europe, les présidents pratiquent une autre vertu : la prudence !

Il nous revient donc de parler pour la Nation, comme le prévoit notre Constitution.

Nous le ferons bien sûr sous le regard des Français, et non pas dans leur dos, même s’il ne fait guère de doute qu’ils auraient voulu décider eux-mêmes, ce qui aurait été l’occasion d’un moment de vérité.

Si nous disons « oui » au Traité européen, il ne se passera rien qui ne nous soit de toute façon imposé par les réalités économiques et financières, puisqu’il ne saurait en aucun cas être question de laisser filer nos déficits et s’accroître notre dette.

La nouveauté du Traité réside essentiellement dans l’obligation d’atteindre l’équilibre structurel à une échéance prenant en compte le montant actuel de nos déficits. Elle tient aussi au renforcement des mécanismes de sanctions financières. Elle n’est pas dans la sévérité des contraintes budgétaires.

Pas plus que vous, nous ne pourrions d’ailleurs admettre qu’un corset nous empêche à tout jamais de réagir de manière coordonnée à une récession grave, par des politiques de soutien à l’économie qui impliqueraient une augmentation temporaire des déficits, comme ce fut le cas en 2009, ce que vous semblez d’ailleurs reprocher à la majorité de l’époque tout en revendiquant de pouvoir le faire à votre tour demain.

Mais, heureusement, ce traité, que vous avez naguère diabolisé pour aujourd’hui le minorer, distingue clairement déficit structurel et déficit conjoncturel, plus clairement et précisément encore que le pacte de stabilité et de croissance de 1997, qui le faisait déjà.

Et, comme le traité de Maastricht, il prévoit la prise en compte de circonstances exceptionnelles pour épargner des sanctions à un État déficitaire quand son déficit est justifié du point de vue européen.

Nous nous inscrivons ainsi dans la tradition européenne ; ce n’est pas une révolution.

Cependant, vous omettez trop souvent de rappeler que cette faculté n’est pas laissée à la discrétion des gouvernements. Elle passe par une appréciation communautaire qui s’impose à eux. N’y voyez donc pas un moyen de vous affranchir de la règle commune. Vos partenaires du Front de gauche ont eu raison de le rappeler.

Une discipline budgétaire de longue haleine nous permettra de reconstituer nos marges de manœuvre. Il s’agit de démontrer notre volonté de faire, sans nous tromper sur les moyens. C’est là que les choix politiques nationaux peuvent s’exprimer. Et, sur ce point, j’y reviendrai, les vôtres sont bien évidemment différents des nôtres.

Si, au contraire nous disions « non » à ce traité, il faudrait de toute façon maintenir le cap de la rigueur, mais dans un contexte politique et financier dégradé qui en aggraverait l’ampleur.

Dire « non », ce serait jeter le doute sur notre détermination à lutter contre les déficits, ce serait donner des raisons à l’Allemagne de ne pas être financièrement solidaire, ce serait isoler la France parmi les États de la zone euro et ce serait nous rendre plus vulnérables face à nos prêteurs.

Un « non » de la France au Traité budgétaire appellerait en réalité d’autres « non », qui compliqueraient notre tâche : le « non » des investisseurs, le « non » des marchés financiers, de nos prêteurs, au maintien du financement de la dette française et des autres dettes européennes aux conditions actuelles.

Il faudrait alors redoubler de rigueur et d’austérité pour convaincre et pour rétablir la confiance. Ce n’est pas ce que nous voulons. Le crédit de la France reste solide, il nous appartient de le conserver.

Il est vrai qu’il y a sans doute une part d’injustice dans la situation de la zone euro. Après tout, pour excessives qu’elles soient, notre dette et celle de nos partenaires sont contenues dans des limites presque enviables si on les compare à celles des États-Unis et du Japon, qui dépassent respectivement 100 % et 200 % de leur produit intérieur brut. Or, jusqu’à présent, ces pays ont réussi à financer leur dette publique dans des conditions satisfaisantes.

On pourrait donc attendre des marchés des anticipations plus favorables à la zone euro. Il n’en est rien malheureusement, et il y a là un paradoxe.

Si la dette des États de l’Union européenne est un tel problème pour nous tous, ce n’est pas seulement parce qu’elle est trop élevée, c’est parce qu’il s’agit non pas d’une dette européenne, comme il y a une dette américaine ou japonaise, mais d’une multitude de dettes inégales dans leur montant, d’un grand nombre de pays inégaux dans leurs capacités de remboursement et qui continuent largement à concevoir leur avenir séparément.

La cause principale de la suspicion des prêteurs est donc politique. Chacun spécule partout dans le monde sur les faiblesses politiques de l’Europe, sur son irréductible division en États jaloux de prérogatives qu’ils peinent à exercer et dont la solidarité mutuelle reste limitée malgré le traité instituant un mécanisme de solidarité financière européen, traité que vous avez à l’époque rejeté.

Certains, parmi ces États, rêvent encore de tirer leur épingle du jeu aux dépens des autres ; d’autres, à l’inverse, craignent d’être solidaires à leurs propres dépens.

Ainsi, la méfiance des marchés se nourrit d’abord de la méfiance des Européens entre eux. Les marchés ont les yeux ouverts sur nos propres limites, qui sont béantes. Ils posent à nos gouvernements des questions pertinentes pour les années à venir : « Êtes-vous oui ou non capables de faire l’union politique entre vous au point que nous pourrons être certains de votre solidarité financière, et donc être assurés que la dette européenne sera remboursée dans toutes ses composantes nationales et que, pour cela, des politiques budgétaires harmonisées seront appliquées afin d’éviter les divergences financières et que l’euro pourra être maintenu sur tous les territoires où il a cours légal, puis étendu à d’autres ? »

En somme, les marchés nous disent une chose simple : « Soyez forts et nous nous inclinerons ! »

Ces questions, nous ne devrions pas avoir besoin d’eux pour nous les poser.

M. Gérard Longuet. C’est vrai !

M. Philippe Bas. Il est plus que temps de dire que l’union politique de l’Europe, à commencer par le gouvernement économique, est la seule voie possible pour l’accomplissement des ambitions nationales de chacun de nos pays. L’Europe seule détient les clés d’une puissance retrouvée pour rétablir des capacités d’action que nous avons perdues.

Or, face à l’enjeu de l’union politique, l’extrême prudence du Président de la République quand il s’agit d’aborder la question cruciale du gouvernement économique de l’Europe, sa réticence à exprimer la vision nécessaire d’un avenir européen fondé sur l’union politique dans une fédération d’États nations donnent malheureusement l’impression que vous avancez vers l’Europe à reculons, comme si la ratification du pacte budgétaire marquait la limite extrême de ce que vous pouvez accepter après l’avoir si violemment rejeté.

Cette impression, vous l’avez hélas ! confirmée hier, monsieur le ministre, en vous bornant à raisonner à cadre institutionnel constant.

En réalité, vous avez désormais l’Europe frileuse, je dirais presque pusillanime.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. C’est votre Europe, cela !

M. Philippe Bas. Nous en connaissons la raison : votre difficulté à convaincre vos partenaires communistes et écologistes ainsi que les divisions profondes du parti socialiste sur ces questions.

J’entends au Front de gauche, au sein de la Gauche socialiste et chez les Verts, comme d’ailleurs au Front national, des raisonnements étranges. Les uns et les autres semblent croire qu’il y aurait pour la France une chance de salut par le repli derrière ses frontières, en s’émancipant des exigences européennes et en niant les contraintes financières. C’est une forme d’utopie particulièrement régressive. La France ne peut se permettre de faire cavalier seul. C’est en exerçant en commun notre souveraineté, et non pas en nous repliant sur l’Hexagone avec les moyens d’une puissance moyenne, que nous retrouverons une capacité à agir sur le cours des événements.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Qu’avez-vous fait depuis dix ans ?

M. Philippe Bas. Il ne suffit pas de graver de nouvelles règles budgétaires dans le marbre d’un traité pour suppléer aux intermittences et aux défaillances de la volonté politique européenne. (Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Richard Yung s’exclament.) Ce nouveau pacte n’est et ne peut être qu’une étape. Vous devez dès maintenant préparer les suivantes, dire quelle Europe vous voulez et avec qui vous comptez la faire.

M. Alain Richard. Vous aussi, vous devez le dire !

M. Philippe Bas. En ne vous donnant que des ambitions trop limitées, vous ne pourrez obtenir que des résultats médiocres !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ces résultats, ce sont surtout les vôtres !

M. Philippe Bas. Mais il y a encore une question, non moins grave, à laquelle il ne semble pas que vous soyez prêts à répondre.

M. Richard Yung. Attendez ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Philippe Bas. Le pacte budgétaire ne vaudra que par la politique que vous mettrez en œuvre pour le faire réussir. La rigueur sans la réforme économique, la rigueur sans la compétitivité, la rigueur sans le soutien aux entreprises, c’est le marasme, la récession et le déclin.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Tout ce que vous avez fait !

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. C’est la situation que nous avons trouvée !

M. Philippe Bas. Tel n’est pas ce que les uns et les autres nous voulons pour notre pays. Mais les bonnes intentions ne suffisent pas. Seuls les actes comptent !

Or vous avez rétabli le système des 35 heures dans toute sa rigidité en pénalisant les heures supplémentaires. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) Vous avez supprimé la réforme du financement de la protection sociale votée en début d’année ; vous avez prélevé 7 milliards d’euros d’impôts nouveaux dans le collectif de juillet (Mme Odette Herviaux s’exclame.) ; vous allez prélever encore 20 milliards d’euros en loi de finances initiale pour 2013 et 5 milliards d’euros en loi de financement de la sécurité sociale ; vous accablez donc les entreprises de charges nouvelles au moment ou leur taux de marge atteint un plancher historique.

Vous avez aussi multiplié les dépenses d’affichage dont l’effet sur le pouvoir d’achat est dérisoire.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Parce que la TVA sociale, c’était une mesure sociale ?

M. Philippe Bas. Vous recrutez massivement, mais inutilement des enseignants en surnombre sans vous préoccuper sérieusement de leur niveau de qualification. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela vous va bien !

M. Jacques Chiron. C’est vous qui avez supprimé les IUFM ! C’est incroyable !

M. Philippe Bas. Vous ne diminuez pas les dépenses publiques. Et voilà que la nécessité de réformer le financement de la protection sociale resurgit, mais dans les pires conditions, avec le recours envisagé à la CSG, qui ponctionnerait directement le pouvoir d’achat des Français (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.), y compris les plus modestes, sans faire participer les importations.

M. Gérard Longuet. Exactement !

Mme Hélène Lipietz. Donneur de leçons !

M. Philippe Bas. Le Conseil européen des 28 et 29 juin dernier a bien sûr adopté un « pacte pour la croissance et l’emploi ».

Mme Hélène Lipietz. Où est la croissance ?

M. Philippe Bas. Nous nous en réjouissons.

M. Philippe Bas. Et s’il s’agissait d’un traité et non pas d’un simple relevé de conclusions regroupant des décisions et des orientations pour une bonne partie déjà arrêtées, nous serions heureux d’en autoriser aussi la ratification.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et Sarkozy, qu’a-t-il fait ?

M. Philippe Bas. Par respect pour l’intelligence de nos concitoyens, il importe cependant de ne pas faire de ce document utile l’équivalent d’un traité répondant à l’engagement de renégociation pris par M. Hollande devant les Français.

J’ajouterai deux observations.

D’une part, la mobilisation, étalée sur cinq années, de 120 milliards d’euros pour le financement de l’économie se fait sans réel effort supplémentaire du budget de l’Union.

D’autre part, le montant de ces crédits, de l’ordre de 1% du PIB de l’Union, n’est pas de nature à stimuler fortement la croissance. Rappelons que le plan de relance de l’administration Obama en 2009 était de plus de 1 000 milliards de dollars.

Enfin, vous semblez oublier que le Conseil européen de juin dernier a aussi réclamé des réformes de compétitivité auxquelles vous tournez le dos : réduction résolue des dépenses publiques, approfondissement de la réforme des retraites, réforme du marché du travail, mise en œuvre de la TVA sociale. Ces réformes, où sont-elles ?

M. Jean-Claude Lenoir. Rappel utile !

M. Philippe Bas. Le Pacte vous engage, il nous engage. Ce n’est pas un menu à la carte dans lequel vous faites votre choix. Il n’est pas possible de vous en prévaloir quand cela vous arrange, en lui donnant d’ailleurs une portée qu’il n’a pas, et de l’oublier quand il vous gêne, en ignorant vos engagements européens, qui sont désormais ceux de la France.

Monsieur le ministre, nous connaissons votre compétence, même si nous attendons aussi de votre part l’humilité que ne doivent pas manquer de vous inspirer les nombreuses difficultés et impasses auxquelles vous êtes objectivement confronté. Nous sommes heureux que vous ayez contribué à ramener une grande partie de votre majorité à la raison, même si votre pédagogie doit encore se déployer pour atteindre les mêmes résultats au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, chacun le sait.

M. Jean-Claude Lenoir. Ce sera difficile !

M. Philippe Bas. Ce n’est évidemment pas seulement par sympathie que nous apporterons un soutien massif à ce texte (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) ; c’est parce que l’intérêt national nous paraît l’exiger.

En ratifiant ce traité négocié et signé par son prédécesseur, le Président Hollande associera son nom pour l’histoire à celui de Nicolas Sarkozy, et c’est bien ainsi.

Le gouvernement auquel vous appartenez, que je ne soutiens pas, aura alors fait aboutir l’œuvre d’un gouvernement que vous ne souteniez pas.

M. Philippe Bas. C’est un assez bel exemple de continuité, même s’il a manqué de spontanéité et de franchise.

M. Jean-Claude Lenoir. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. Philippe Bas. Je regretterais qu’il ne soit pas suivi de beaucoup d’autres ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je développerai devant vous quelques réflexions sur les termes et les conséquences du traité qu’il nous est demandé de ratifier.

Ce faisant, je m’adresserai à tous les membres de la Haute Assemblée, dans le respect des convictions de chacun, mais aussi dans le souci de la compréhension des intérêts collectifs qui nous dépassent. Ces termes et conséquences du traité, je crois indispensable de les mettre en relation avec les objectifs et les impératifs de politique budgétaire et financière que nous devons suivre dans notre propre intérêt.

J’interviendrai dans un esprit de dialogue, en échangeant des arguments avec ceux qui expriment des désaccords soit sur le traité, soit sur la politique financière à laquelle je viens de faire allusion.

Ce traité établit une définition de l’objectif recherché d’équilibre financier des pays de la zone euro et organise les procédures par lesquelles les États se garantissent mutuellement qu’ils agissent loyalement pour atteindre ce résultat.

Afin de nous prononcer rationnellement sur cette ratification, nous devons nous interroger sur quatre questions : l’objectif d’équilibre budgétaire partagé est-il justifié ? Sa réalisation est-elle conforme à l’intérêt économique de la France ? Cet objectif vient-il limiter notre souveraineté et notre pouvoir de décision ? Le durcissement de l’obligation d’équilibre par rapport au texte antérieur est-il justifié ?

Première question, l’objectif d’équilibre budgétaire partagé est-il justifié ? Devrions-nous tendre vers un objectif de déséquilibre budgétaire ? Les pays de l’Union européenne progresseraient-ils vers la croissance s’ils poursuivaient, année après année, une politique de lourds déficits publics ? Nous avons au moins deux raisons de répondre par la négative.

La première raison, c’est la réalité de l’endettement cumulatif. Les deux tiers des budgets des États de l’Union sont menacés par l’accumulation des dettes et par l’alourdissement de la charge de leurs emprunts, qui rétrécit leur marge de manœuvre pour l’ensemble des autres objectifs publics.

La seconde raison, c’est que nous avons délibérément choisi d’adopter une monnaie commune, et pas n’importe laquelle : une monnaie internationale équilibrant l’influence du dollar et des devises des grands pays émergents.

Pour créer cette situation, qui a quelques implications économiques et géopolitiques, cette nouvelle monnaie doit être crédible. Si les États qui ont cette monnaie en commun la sapent eux-mêmes par une politique de déficits de plus en plus difficiles à financer,…

M. Alain Richard. … assortis de taux d’intérêts qui étouffent la croissance, la monnaie se dévaluera, le pouvoir d’achat des Européens ainsi que leur confiance mutuelle diminueront, et on aboutira au rétablissement du dialogue entre le dollar, d’un côté, et les monnaies des grands pays émergeants, de l’autre.

Les déficits seraient-ils un tremplin pour la croissance ? Toute l’expérience des dernières décennies, dans des États développés et ouverts aux échanges mondiaux, démontre le contraire. C’est le creusement des déficits qui étouffe la croissance, pour des raisons bien connues de tous et malheureusement vérifiées : l’effet d’éviction sur les marchés financiers des emprunts publics de plus en plus importants ; le réflexe d’épargne de précaution dans tous les milieux sociaux, et pas seulement les plus aisés, lorsque la menace résultant de l’incertitude économique augmente.

Au regard de cet objectif d’équilibre budgétaire partagé, que je crois raisonnable, la différence entre ce traité et les précédents – plusieurs orateurs l’ont exprimé de façon tout à fait convaincante – est l’entrée en jeu de la notion de déficits structurels qui évitent la rigidité et permettent de tendre vers un équilibre sain des finances publiques en s’adaptant aux variations entre périodes de forte et de faible croissance.

Sur ce sujet, sans prétendre à l’érudition, il me semble que l’on a tendance, un peu tactiquement, à exagérer les incertitudes autour de cette notion de déficits structurels. L’existence de discussions entre économistes et statisticiens pour analyser la courbe théorique de la croissance potentielle est tout à fait naturelle, mais reconnaissons lucidement que les écarts dont nous parlons sont peut-être de 0,2 % ou 0,3 % de PIB sur une période donnée. Par conséquent, ne nous réfugions pas derrière l’idée selon laquelle le déficit structurel serait une notion incertaine pour penser que nous prenons un engagement vide.

Deuxième question, la réduction des déficits est-elle contraire à l’intérêt du pays ?

Le raisonnement que je viens d’esquisser s’applique très fortement à la France. Nous avons accumulé des déficits croissants depuis dix ans, bien avant le déclenchement de la crise. Cela ne nous a apporté aucune croissance, bien au contraire. Un bilan s’impose : laisser filer les déficits sans traiter les autres problèmes, notamment le premier d’entre eux, celui de la compétitivité extérieure, dont la situation s’est constamment dégradée depuis dix ans, a débouché sur le résultat suivant : la plus faible des croissances que nous ayons connues en trente ans.

La politique engagée par le Président de la République et la nouvelle majorité est une politique de « redressement dans la justice ». Cela signifie clairement ne plus laisser l’accumulation de dettes éliminer toute liberté budgétaire, mais au contraire retrouver des marges de manœuvre pour investir et pour renforcer le service public et la solidarité.

Si cette politique semble perçue par certains comme impopulaire, je considère pour ma part qu’elle est souhaitée par une large majorité de Français, de toutes opinions politiques. Ceux-ci savent intuitivement que la dérive de l’endettement menace leurs intérêts fondamentaux, indépendamment du niveau de leurs revenus et de la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent, et comprennent très bien que, depuis des années, des emprunts servent à payer nos enseignants et nos policiers à partir du 15 septembre, nos hôpitaux et nos retraites à partir du 15 novembre. Cette situation a perduré jusqu'au mois de mai dernier ; il faut en sortir !

Ce choix politique lucide est une bien meilleure garantie pour notre évolution économique et sociale qu’une fixation de la démarche au niveau constitutionnel. Il y avait quelque chose de déroutant pour nos partenaires à vouloir transformer en règle constitutionnelle formelle un solde budgétaire englobant non seulement l’État, mais aussi les comptes sociaux et les comptes des collectivités locales. Il était peu lisible – ou trop lisible ! – d’imposer cette exigence constitutionnelle à la toute fin d’une mandature, après avoir pratiqué une politique financière exactement inverse pendant quatre ans et demi.

Mes chers collègues, il n’y a pas de « règle d’or » ; j’aimerais que nous méditions brièvement sur le caractère infantilisant de cette expression. Aucun commandement surnaturel ne peut expliquer le bien-fondé d’une politique financière. Aucune formule juridique unique ne peut définir l’équilibre budgétaire. Le traité nous donne au contraire un cadre, fournit des éléments de mesure et laisse une marge d’appréciation.

Il est temps de se rappeler qu’il existe actuellement, à la fin de l’article 34 de la Constitution telle qu’elle résulte de la réforme de 2008, une expression énonçant un principe sage : « Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques ». Y a-t-il quelque chose à ajouter ? Ceux qui ont réclamé pendant des mois, à une période un peu spécifique, l’introduction de ces notions dans la Constitution auraient peut-être gagné du temps en relisant cette dernière.

Troisième question, ce nouveau traité entraîne-t-il une limitation de souveraineté ?

La réponse se trouve dans l’analyse que je viens de présenter. Si nous voulions accumuler des déficits de 4 % ou 5 % du PIB par an en période de croissance, nous ne pourrions pas le faire. Je ne connais aucune personne ayant le sens des réalités et de la préparation de l’avenir collectif qui souhaiterait s’engager dans une telle voie. Le traité prévoit seulement ce qui ne dépasse pas les marges du souhaitable et du possible pour une majorité politique ou une autre dans notre pays.

Sur le plan des règles, l’analyse est facile. Voilà vingt ans, lors de la conclusion du traité de Maastricht, la France a décidé de contribuer volontairement avec d’autres à la création de cette nouvelle monnaie qui permettait à l’Europe de gagner en force et en stabilité. Repensons-y quand nous avons des débats sur la situation actuelle. Si nous devons procéder à ces réglages difficiles et conflictuels, à chaud malheureusement, c’est parce que nous avons une monnaie unique. Si nous détruisions cette dernière par division ou par indécision, nous retrouverions nos anciennes dévaluations dirigées les unes contre les autres. Quel beau succès ! Ce serait particulièrement périlleux pour une France déficitaire et en perte de compétitivité…

M. Philippe Bas. Très bien !