M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Si nous faisons cela, nous désespérerons les peuples encore davantage, nous les éloignerons de l’ambition européenne, nous organiserons leur divorce avec le projet européen. Et quand le temps de la convention et du référendum sera venu, le populisme dans ces pays sera tellement puissant que toute évolution institutionnelle sera impossible, et que l’exercice démocratique de la souveraineté ne pourra se faire. L’Europe même n’existera plus, car elle aura divorcé des peuples qui la composent.

C’est précisément ce que nous voulons éviter. C’est la raison pour laquelle nous sommes extrêmement prudents sur toute démarche consistant à faire de la réforme institutionnelle l’unique horizon de l’Union européenne, alors qu’elle doit être l’instrument d’un projet qui permette la mise en place de politiques sociales et de solidarité, qui témoigne d’une volonté de croissance, et qui organise une politique industrielle et d’innovation. C’est autour d’un projet que l’on fera rêver les peuples d’Europe, et non pas autour d’une convention et d’un référendum, même si y recourir pourrait, à un moment donné, s’avérer nécessaire pour le réussir.

Voilà ce que je voulais vous dire avant que nous ne discutions du TSCG. Vous le voyez, dans notre esprit, le traité est déjà dépassé. C’est un sujet dont nous héritons. Nous l’avons recontextualisé et inscrit dans une autre perspective politique. Nous voulons en faire un usage le moins mauvais possible, au service d’une politique qui soit la meilleure. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, hier soir, la commission des finances s’est prononcée très majoritairement en faveur de l’adoption du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG.

Cela me permet, mes chers collègues, de vous appeler, au nom de la commission des finances, à adopter le projet de loi qui nous est soumis.

Mon propos pourrait s’arrêter là.

M. Richard Yung. Non ! On voudrait vous entendre !

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Je sais cependant que le vote en faveur de la ratification du TSCG est exigeant. Je souhaite donc m’étendre un peu plus sur les éléments qui ont emporté ma conviction, que je souhaite vous faire partager.

Pour ma part, j’ai forgé ma conviction après avoir répondu à trois questions.

Premièrement, dans quel contexte politique interviendrait la ratification ?

Deuxièmement, quelle serait la portée des règles qu’on nous demande d’approuver ?

Troisièmement, point non négligeable, quelles seraient les conséquences pour l’Europe, mais avant tout pour la France, d’un rejet du traité ?

La première question porte donc sur le contexte politique dans lequel intervient la ratification.

La crise de la zone euro n’est pas en premier lieu une crise des finances publiques. Elle est la crise d’une zone monétaire qui n’a pas tiré toutes les conséquences du partage d’une devise, et qui a laissé croître, à l’abri de taux d’intérêts bas voire très bas, des déséquilibres macroéconomiques, dont les plus spectaculaires ont été les bulles immobilières en Irlande et en Espagne.

Évidemment, tout le monde le sait, la crise est devenue une crise des finances publiques lorsqu’il est apparu que les États seraient inévitablement appelés à payer la facture de ces déséquilibres.

Dans ces conditions, il y avait quelque chose d’angoissant à assister, jusqu’au printemps 2012, au spectacle de dirigeants européens cherchant à résoudre une crise économique et bancaire sans s’attaquer aux racines du problème et en imposant la rigueur budgétaire aux États sous programme.

Alors que les États ne parvenaient pas à endiguer la crise de plus en aiguë que nous vivions à l’automne 2011, la BCE a pris ses responsabilités en laissant entendre qu’elle pourrait assouplir sa politique monétaire si les États prenaient des engagements en matière de discipline budgétaire.

C’est ainsi qu’est né le TSCG à l’échelon européen. À l’échelle nationale, la présentation qui en était faite par la majorité précédente insistait moins sur le contenu des règles que sur la nécessité de les mettre en œuvre par une révision constitutionnelle.

Mais la donne a aujourd’hui bien changé !

Elle a changé, d’abord, sur le plan politique. Après son élection, François Hollande a immédiatement cherché à traduire l’un de ses principaux engagements de campagne : rééquilibrer la politique européenne, en mettant sur le même plan la nécessaire discipline budgétaire et l’indispensable promotion de la croissance. Cet après-midi, nous avons beaucoup évoqué le pacte pour la croissance et l’emploi. À ce sujet, j’ai eu du mal à comprendre l’argumentation de certains de nos collègues, en particulier celle de l’un d’entre eux, qui parlait de la « supercherie » que serait ce pacte. Monsieur le ministre, vous avez, dans votre réponse, apporté les éléments d’éclairage qui permettent de passer ce type d’appréciation par pertes et profits.

Mais la donne a aussi changé sur le plan juridique. L’aspect du traité sur lequel insistait le plus le gouvernement précédent, pour des raisons, peut-être, de politique intérieure, s’est en effet avéré totalement secondaire. Je veux parler de l’obligation de transposer les règles du traité dans la Constitution, de sorte qu’elles soient juridiquement contraignantes.

Le 20 juin 2012, la Commission européenne a, comme le prévoit le traité, publié son interprétation des textes. Qu’en ressort-il ? Pour l’essentiel, la Commission estime qu’une règle peut être considérée comme contraignante dès lors qu’elle impose aux autorités budgétaires de se justifier de manière détaillée si, d’aventure, celles-ci ne respectent pas leurs obligations. C’est le principe : « se conformer ou s’expliquer ».

Première étape donc avec la Commission européenne, et c’est un éclairage fort utile, la règle n’a pas besoin d’être juridiquement contraignante.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais on pourrait quand même l’inscrire dans la Constitution !

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Deuxième étape avec la décision du Conseil constitutionnel français en date du 9 août dernier : il en découle aussi que la règle n’a pas besoin d’être contraignante.

En résumé, on nous propose aujourd’hui de ratifier un traité relatif à la discipline budgétaire qui a été complété par des dispositions relatives à la croissance, qui s’accompagnera peut-être bientôt d’un volet sur la gouvernance, si les États donnent suite à la feuille de route que prépare le président du Conseil européen – vous en avez parlé, monsieur le ministre –, et qui contient une règle n’ayant pas besoin d’être contraignante.

Par conséquent, mes chers collègues, il est aujourd’hui incontestable que la donne a beaucoup évolué depuis le printemps ! (Marques de scepticisme sur les travées de l'UMP.)

J’en viens à ma deuxième question : en quoi consistent les règles du TSCG ?

D’abord, ces règles ne sont pas nouvelles, puisqu’elles figurent sous une forme identique, ou quasi identique dans le pacte de stabilité. Elles nous sont donc déjà applicables.

La règle numéro un, c’est la règle dite de « solde structurel ». Pour la respecter, les États doivent fixer un objectif de moyen terme, ou OMT – il faudra s’y habituer à l’avenir –, qui ne peut pas être supérieur à un déficit de 0,5 point de PIB. Ils doivent aussi préciser la trajectoire de solde structurel qui sera suivie pour atteindre l’objectif. Le gouvernement actuel, à l’instar du précédent, retient l’équilibre structurel comme OMT.

Du point de vue économique, une règle exprimée en solde structurel est évidemment plus intelligente qu’une règle exprimée en solde effectif, puisqu’elle autorise le recours à un déficit conjoncturel pour faire face aux aléas liés au contexte économique, ce qui n’est pas permis par le dispositif actuellement en vigueur. C’est donc un nouvel élément fort utile.

À l’inverse, une règle de déficit effectif, comme la règle des 3 % du volet correctif du pacte de stabilité, obligerait à atteindre l’objectif de solde quelle que soit la conjoncture, donc à prendre des mesures restrictives même avec une croissance déjà faible ou fragile. C’est d’ailleurs la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Le dispositif qui s’applique aujourd'hui conduit à ajouter de la crise à la crise. Le système du solde structurel autorise un regard plus intelligent sur cette situation.

Si l’on se projette dans l’avenir, il faut se demander si la règle du TSCG a vocation à rester complémentaire à celle du pacte de stabilité, ou bien si elle porte en germe des évolutions dans la manière dont le pacte est appliqué.

En tout état de cause, et il ne faut pas se le cacher, atteindre l’équilibre structurel est une démarche exigeante ; cela implique de faire des choix importants en matière de périmètre et de contenu des missions des administrations publiques.

Lors de nos débats de cet après-midi, certains collègues s’interrogeaient sur les mesures structurelles qui seraient mises en œuvre dans les prochaines années. Il est clair que le nouveau dispositif permettra d’en adopter.

Mais, à l’inverse, il n’est pas conforme à la vérité d’imputer à la seule règle du solde structurel l’ampleur et les sacrifices qui sont consentis en France depuis trois ans.

Je rappelle les chiffres des efforts que nous réalisons pour revenir à 3 % : ce sont 40 milliards d’euros de réduction du solde structurel en 2013, qui viennent après 24 milliards d’euros en 2012 et 30 milliards d’euros en 2011.

De tels montants doivent être comparés à l’effort minimal qui est imposé chaque année par le TSCG : 0,5 point de PIB. Par conséquent, dans le cas de la France, dès l’instant où nous aurons atteint le seuil de 3 %, l’effort nécessaire pour respecter cet engagement sera au maximum de 10 milliards d’euros par an.

En revanche, il n’est pas faux de dire que nous sommes en train d’organiser le pilotage de nos finances publiques autour d’une notion, convenons-en, assez subjective, celle du solde structurel. De quoi s’agit-il ? C’est une bonne question. Nous savons très bien que les interprétations sont diverses.

Lorsque nous débattrons du projet de loi organique, il faudra nous demander comment limiter les incertitudes sur ce point. On peut considérer qu’il entrera dans les missions de la haute autorité de nous apporter un éclairage à cet égard.

Pour finir sur la présentation de la règle de solde, je voudrais insister sur le fait que le traité laisse une marge d’appréciation aux autorités nationales et que tout ne sera pas automatique.

Je commence justement par le mécanisme de correction dit « automatique ». J’observe que le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 crée un mécanisme permettant de s’écarter de la trajectoire pendant trois années consécutives. On a vu plus rigide !

Je note également que la Commission européenne insiste sur le fait qu’il ne « faut pas porter atteinte aux prérogatives politiques des autorités budgétaires ».

Reste la question des circonstances exceptionnelles, pendant lesquelles il serait possible de s’écarter de la trajectoire. Aucun texte n’en donne une définition précise. Il reviendra au Haut conseil des finances publiques que nous allons créer de forger sa doctrine. Nous débattrons d’ailleurs afin de déterminer quelle marge de manœuvre il faudra lui laisser pour qu’il ne porte pas « atteinte aux prérogatives politiques des autorités budgétaires », selon l’expression de la Commission européenne.

En résumé, la règle de solde structurel est plus souple qu’auparavant et économiquement plus pertinente que la règle de solde effectif du pacte de stabilité.

J’évoque rapidement une deuxième règle, qui figure également déjà dans le pacte de stabilité : la règle de dette. Les États devront réduire d’un vingtième par an l’écart entre leur ratio dette sur PIB et le seuil de 60 %. M. le ministre en a parlé à l’instant ; je serai donc très bref.

Cette règle, on l’a vu, donne lieu dans la presse à beaucoup d’interprétations alarmistes et erronées. Certains y voient l’obligation de dégager des excédents budgétaires pour réduire le stock de dette. Il ne s’agit pas de cela. Il s’agit de réduire le ratio dette sur PIB. Par conséquent, compte tenu de la croissance du PIB, il est possible – cela s’est produit, et même assez fréquemment, dans le passé – que le ratio diminue alors même que le stock de dette continue d’augmenter. Si la France s’en tient à la programmation proposée par le Gouvernement, elle respectera sans peine la règle de dette. Que les choses soient claires sur ce point ! Il faut que les ambiguïtés soient levées. Nous nous sommes expliqués sur le sujet hier en commission des finances, et les précisions figurent dans le rapport.

Au terme du deuxième grand axe de mon intervention, je pense avoir démontré que les règles que nous nous apprêtons à approuver – je rappelle qu’elles existent déjà dans le droit communautaire, sous une version plus rigide – ne plongeront pas l’Europe dans une austérité accentuée. Elles pourraient même contribuer à améliorer sinon la rédaction, du moins la pratique du pacte de stabilité. Je rejoins en cela ce qui a été indiqué par M. le ministre.

J’en viens à ma troisième grande question : que se passerait-il si la France ne ratifiait pas le TSCG ? (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC.)

D’un point de vue juridique, le traité entrerait en vigueur, mais sans la France. En effet, il suffit que douze États de la zone euro l’aient ratifié pour qu’il s’applique à ces seuls pays. En l’occurrence, le chiffre des douze États est déjà atteint.

D’un point de vue politique, la France perdrait beaucoup de sa crédibilité. En effet, comme nous le savons, la BCE s’est engagée dans une politique de soutien aux États sur le fondement d’engagements clairs de ces derniers à mettre de l’ordre dans leurs finances publiques. Le rejet du traité par la France romprait le fragile équilibre ainsi trouvé.

Surtout, nos partenaires, qui ont accepté d’échafauder avant l’été le « pacte de croissance et d’emploi », à la demande insistante de la France notamment, afin d’équilibrer discipline budgétaire et politique de croissance, se sentiraient floués si l’un des deux piliers était aujourd’hui démoli.

Enfin, d’un point de vue économique, il est craindre qu’un rejet par la France d’un traité contenant des règles plus souples que celles du pacte de stabilité ne soit perçu de l’extérieur comme le refus de toute discipline budgétaire.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ne vous inquiétez pas ! Au Sénat, la droite est là !

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Alors que depuis quatre mois le Président de la République et le Gouvernement sont parvenus à arrimer la dette française aux valeurs refuges pour les investisseurs – je parle des valeurs refuges pouvant bénéficier de taux particulièrement avantageux, par rapport aux valeurs exposées, notamment celles des États du sud –, un rejet du traité pourrait conduire à une augmentation autoréalisatrice des taux, comme cela a été le cas en Espagne et en Italie.

J’insiste sur ce point. Mes chers collègues, comme vous le constaterez lorsque nous examinerons le projet de loi de finances, le coût de la charge de notre dette sera encore plus faible en 2013 qu’en 2012. Je n’ai pas dit qu’il serait peu important ; j’ai dit qu’il serait plus faible. Il s’agit évidemment de montants très élevés, qui se chiffrent en dizaines de milliards d’euros. Mais le coût sera plus faible en 2013 qu’en 2012, compte tenu des taux qui sont actuellement en vigueur pour la France.

Un retournement de nos conditions de financement pourrait nous conduire à devoir dégager des économies massives ailleurs. Cela aurait des conséquences sur notre modèle social, qu’il faut pourtant à tout prix préserver.

Au niveau européen, une menace sur la deuxième économie de la zone euro ferait peser, cela va sans dire, un risque inédit sur la monnaie unique.

Et pour la France, les choses se présenteraient encore plus mal que pour l’Italie et l’Espagne, puisque, en ayant rejeté le TSCG, elle aurait rendu plus difficile l’accès à l’aide du Mécanisme européen de stabilité et de la Banque centrale européenne.

Juridiquement, la ratification du TSCG n’est pas une condition pour bénéficier des aides du MES. Compte tenu des conséquences que la chute de la France provoquerait sur l’ensemble de la zone, il est même évident que le MES interviendrait. Toutefois les négociations pour parvenir à réunir les votes d’États représentant 85 % du capital seraient probablement longues et âpres. Et la France risquerait de tendre la main pendant longtemps avant de pouvoir bénéficier d’un dispositif de secours.

En tout état de cause, les aides du MES et de la BCE sont soumises à conditionnalité, et les conditions qui seraient imposées à la France dans ce cadre seraient à l’évidence nettement plus strictes que celles qui résulteraient de la mise en œuvre du TSCG.

Sans sombrer dans le chauvinisme, on peut dire que l’action du Gouvernement et du Président de la République contribue à améliorer le fonctionnement de la zone euro. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP. – Murmures sur les travées du groupe CRC.)

Il faut absolument continuer de corriger un dispositif qui conduit les investisseurs à juger que, pour beaucoup d’États, l’appartenance à la zone euro est un risque devant être rémunéré par des taux d’intérêt élevés.

Le processus sera long, mais la clé de son succès et la garantie qu’il continue d’avancer résident dans la crédibilité des politiques budgétaires conduites par les États suspectés d’accepter les disciplines plus par obligation que par conviction.

Autrement dit, le dialogue franco-allemand s’est rééquilibré depuis le 6 mai. (Rires sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous cherchez à réécrire l’histoire !

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Mes chers collègues, les débats que nous avons eus cet après-midi ont clairement démontré, me semble-t-il, la réalité et les avantages de cette réorientation. (Nouveaux rires sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est la méthode Coué !

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Il y a aujourd'hui un changement de la donne en Europe. Mes chers collègues, ne fragilisons pas notre position en rejetant un traité que nous serons de toute façon contraints d’appliquer, en pratique sinon en droit.

M. Jean-Claude Lenoir. Il faut le dire à vos alliés !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. D’ailleurs, il ne s’adresse qu’à eux !

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Pour l’ensemble de ces raisons, et en particulier parce qu’il faut à tout prix préserver notre modèle social, donc notre solvabilité, je vous invite à adopter le présent projet de loi d’autorisation de ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean-Claude Lenoir. Très bien ! Nous allons entendre un son différent !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Passons aux choses sérieuses !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le ministre délégué, vous avez brossé un vaste panorama. Pour ma part, je m’efforcerai de parler du texte…

J’arriverai, vous le savez, à la même conclusion que le rapporteur général, mais je ne ferai pas de ce texte exactement la même lecture que lui !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je rappelle, au risque de vous mécontenter, que le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire est rigoureusement identique à celui qui a été négocié et finalisé en début d’année par la précédente majorité sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Au-delà de la mise en œuvre de la règle d’équilibre du solde structurel, ce traité institutionnalise, dans son article 12, les sommets de la zone euro, dont Nicolas Sarkozy avait pris l’initiative pendant la présidence française, en 2008.

Certes, quand on appartient à la majorité, je le comprends, on peut être tenté de faire l’éloge de l’immédiat. Néanmoins, en pareille matière, il semblerait équitable de tenir compte de la continuité des efforts. Ce traité, tel qu’il est et tel qu’il sera pratiqué, n’exprime-t-il pas le positionnement constant de la France dans ses relations avec ses partenaires européens, notamment allemands ?

M. Jean-Pierre Caffet. Ça se discute !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Dans son article 13, le traité prévoit la mise en place d’une conférence du Parlement européen et des parlements nationaux dans le domaine de la politique budgétaire. C’est une inflexion encore timide, mais elle va dans le sens d’une meilleure association des parlements nationaux, thème sur lequel nous pourrons tous nous retrouver sans difficulté.

Surtout, ce traité est le gage du sérieux et de la crédibilité des États signataires, de leur volonté de respecter leurs engagements. Or c’est bien le sujet : l’Europe a besoin de la confiance de l’extérieur. Nous n’étions pas si sûrs, il y a quelques mois, de la pérennité de la zone euro. C’est donc bien en termes de confiance que la question de la pérennité de l’euro s’est posée.

Reconnaissons que, dans le passé, divers gouvernements, de diverses orientations politiques, ont affirmé à Bruxelles l’opportunité du moment, sans souci de la vérité, sans souci de tenir les engagements pris. Une telle attitude n’est plus possible. L’objet de ce texte est d’éviter le retour de pratiques aussi déplorables.

La majorité sénatoriale, comme le Gouvernement, développe des argumentaires très complexes pour mieux enrober le changement que l’exercice du pouvoir induit tout à fait naturellement.

M. Jean-Claude Lenoir. C’est vrai !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Néanmoins, je suis inquiet à la lecture de certains commentaires, à commencer par ceux du Premier ministre. Je pense, par exemple, à l’insistance avec laquelle on nous affirme que ce traité est plus souple que le traité de Maastricht en raison de l’existence de marges de manœuvre plus importantes. N’est-ce pas la tentation de reprendre les pratiques du passé qui point ? Ne cherche-t-on pas à parler européen à Bruxelles et français à Paris ?

M. Jean Bizet. Exactement !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est ce que les gouvernements successifs ont fait pendant tant et tant d’années,…

M. Jean-Pierre Caffet. Notamment le dernier gouvernement !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … et c’est ce qui mine la confiance.

Seuls deux programmes de stabilité, ceux des deux dernières années, ont été au rendez-vous de la réalité. Tous les autres, depuis l’époque où l’on a commencé à se doter de programmes de stabilité – Laurent Fabius était alors ministre de l’économie et des finances –, étaient en décalage systématique et volontaire avec la réalité.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Voilà qui est bien dit !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. En n’imposant pas de révision de la Constitution, le Conseil constitutionnel a jugé que la traduction en droit interne des contraintes découlant du traité pouvait figurer au sein d’une loi organique.

Le souverainiste que je suis, à l’instar de mon ami Bruno Retailleau, ne peut que s’en réjouir. Les contraintes qu’il faut accepter de gérer, le sérieux dont il faut faire preuve, la confiance qu’il faut susciter, ne peuvent procéder, mes chers collègues, que de notre propre volonté, et donc de l’exercice de la souveraineté nationale.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Encore faut-il éviter de laisser entendre à l’intérieur – aux partenaires sociaux, à certaines forces sociales, à ses électeurs, à ses meilleurs amis – que tout cela n’est, finalement, qu’une contrainte assez formelle, et à la vérité fort souple, que l’on aménagera très bien. Monsieur le ministre délégué, ce ne serait pas la vérité, et, surtout, le réveil pourrait être assez douloureux.

J’observe que l’article 8 du traité permet à la Commission européenne et aux États cocontractants – François Marc l’a rappelé très justement – de saisir la Cour de justice de l’Union européenne s’il apparaît qu’un État signataire n’a pas respecté ses obligations.

Au demeurant, la nouvelle règle du solde structurel, qui est en effet plus intelligente que celle du solde nominal, présente une particularité, celle d’être supranationale : la notion doit être la même pour tous, si la zone euro a un sens.

M. Jean-Pierre Caffet. Ça vaut mieux !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il faut bien qu’il y ait un étalon de mesure ; c’est à la Commission qu’il sera installé. Dès lors, chaque État présentera ses prévisions, son chemin de convergence vers l’objectif à moyen terme et devra l’atteindre exactement dans les mêmes conditions et en suivant la même méthodologie. D’où l’importance des comités budgétaires indépendants. Le nôtre s’appellera, selon le projet de loi organique, le « Haut Conseil des finances publiques ».

Certes, le concept de solde structurel se substituera à l’obligation nominale de 3 %, lorsque nous y aurons satisfait, mais j’observe qu’il se substituera aussi au principe de l’effort structurel, qui figurait dans la proposition de révision constitutionnelle de juillet 2011.

Sur un plan technique, le concept d’effort structurel est, monsieur le ministre délégué, moins contraignant que celui de solde structurel, et ce en raison de la détermination des dépenses par rapport au produit intérieur brut potentiel. On peut toujours espérer jouer sur les hypothèses de croissance pour sous-calibrer l’effort à réaliser si l’on raisonne en termes d’effort structurel.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. L’année dernière, les socialistes en particulier, la majorité d’aujourd’hui, n’avaient pas voulu s’associer à la proposition de révision constitutionnelle. Paradoxalement – et on voit combien cette matière est compliquée –, vous nous conviez aujourd’hui, après que le TSCG eut obtenu l’accord des gouvernements, à souscrire à une notion qui est plus contraignante et plus rigide que celle qui figurait dans la proposition de révision constitutionnelle préconisée par le Président Nicolas Sarkozy.

Chacun doit gérer ses contradictions. Dans la mesure où l’histoire ne progresse que grâce à elles, je ne vous en ferai pas le reproche.

Pour achever mon propos, je souhaite aborder l’article 3 du traité. Il prévoit que le déficit structurel ne peut être « inférieur » à 0,5 % du PIB, ce qui est manifestement une erreur de transcription, erreur d’ailleurs assez étrange pour un texte de cette importance ; il faut bien sûr comprendre « supérieur », comme cela est déjà le cas dans le volet préventif du pacte de stabilité.

L’article 3 prévoit surtout qu’il n’est possible de s’écarter temporairement de l’objectif à moyen terme ou de la trajectoire d’ajustement qu’en cas de « circonstances exceptionnelles ». Il faudra que les pairs au sein de la zone euro interprètent cette notion de « circonstances exceptionnelles ».

Toujours aux termes de l’article 3, il est prévu qu’un mécanisme de correction est déclenché automatiquement si des écarts importants sont constatés par rapport à l’objectif de moyen terme ou à la trajectoire d’ajustement.

Enfin, l’article 3 prévoit la création d’institutions indépendantes chargées, à l’échelon national, de vérifier le respect des règles.

Le cadre est donc bien à la fois clair et précis. Ce n’est pas de la littérature. Une jurisprudence se mettra en place au fil des lois de finances, lois de financement de la sécurité sociale et, je l’espère, lois de finances rectificatives. Cette jurisprudence permettra d’inspirer confiance, car notre pays a un bien mauvais historique en matière de finances publiques, de concrétisation des prévisions et de taux de croissance, manifestement très volontaristes par rapport à la réalité de l’économie.

Cette jurisprudence permettra à notre pays, je l’espère, de bénéficier de la confiance et d’en faire profiter la zone euro, dans le cadre de la solidarité ainsi établie. Pour autant, tout cela n’ira pas de soi et nécessitera des efforts, donc des réformes.

Monsieur le ministre délégué, cela n’a rien de punitif. Au contraire, les réformes seront l’un des leviers de la croissance, qui ne peut être uniquement recherchée dans les ressources d’un keynésianisme ne disposant plus de marges de manœuvre ou du moins qui ne les aurait reconstituées que le jour où nous serions vraiment guéris et où nous serions parvenus aux 3 %.

Monsieur le ministre délégué, nous serons très attentifs. Nous voterons, bien sûr, le traité. Néanmoins, ce dernier appelle des mesures d’application et une loi organique. En ce qui me concerne, pour avoir suivi ces sujets depuis, hélas ! trop d’années, je jugerai l’effectivité et la crédibilité du dispositif à l’aune de ce qui figurera réellement dans la loi organique, en particulier en fonction de l’indépendance et des compétences réelles du Haut Conseil des finances publiques, véritable clé de voûte pour l’interprétation qu’il faudra donner à tous ces principes et concepts nouveaux sur lesquels se fonde le nouvel accord européen.