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Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire
Discussion générale (suite)

Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire

Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (projet n° 21, rapport n° 22, texte de commission n° 23).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au moment où nous abordons la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire, à la suite des échanges que nous avons eus avant le dîner sur la réorientation de la politique de l’Union européenne, je tenterai, dans ce bref propos introductif, de répondre à trois questions.

Première question : quelle place occupe ce traité dans la politique de l’Union européenne, dont nous souhaitons, je le répète, la réorientation ?

Deuxième question : ce traité empêche-t-il le gouvernement français d’aller au terme de la réorientation de la politique de l’Union européenne, qui constitue l’objectif auquel le Gouvernement concourt, sous l’autorité du Président de la République ?

Troisième question : que souhaitons-nous faire, par-delà la ratification de ce texte, pour conforter l’Union européenne dans la solidarité et dans l’unité politique de ses institutions ?

S'agissant de la première question, tout d’abord, nous souhaitons tenir le plus scrupuleusement possible les engagements que nous avons pris pendant la campagne présidentielle. Ceux-ci reposent sur un équilibre entre la nécessité de procéder au rétablissement des comptes publics, dans un contexte économique et financier difficile pour l’ensemble des pays de l’Union européenne, et la volonté de faire en sorte que la croissance soit, autant que faire se peut, au rendez-vous.

Nous voulons atteindre ces deux objectifs à la fois. En effet, il n’y aura pas de croissance sans rétablissement des comptes publics, car les déficits qui se creusent, les dettes qui augmentent, les comptes publics qui se dégradent, ce sont des pans de souveraineté qui s’abandonnent, ce sont surtout des conditions de financement qui deviennent dissuasives, pour les investisseurs privés comme pour la puissance publique lorsqu’elle veut procéder à des investissements publics sur les territoires – n’oublions pas que les collectivités locales sont à l’origine de 75 % de l’investissement public en France, vous l’avez rappelé cet après-midi, monsieur Laurent. Par conséquent, si la dégradation des comptes publics conduit, à l’instar de ce qui se passe dans d’autres pays européens, à une augmentation des taux d’intérêt, les fameux spreads qui minent la croissance en Espagne et en Italie, nous ne pourrons pas créer les conditions de la croissance. Les taux d’intérêt élevés viendront en effet dissuader les investisseurs de procéder aux investissements durables, structurants ou d’innovation dans les entreprises dont l’Europe a besoin pour créer les conditions d’une dynamique économique durable.

Pour autant, il n’y aura pas de rétablissement des comptes publics sans croissance : compte tenu de l’ampleur des dettes et des déficits, si nous ne créons pas les conditions d’une reprise de l’activité économique, le rétablissement des comptes publics condamnera les peuples à l’austérité à perte de vue, ce que nous ne voulons pas.

Notre objectif est donc d’aboutir à la fois à la croissance et au rétablissement des comptes publics.

Nous allons intégrer dans la loi organique, au terme de l’introduction du traité en droit français, des règles de prudence budgétaire, de rétablissement de l’équilibre des comptes publics. Celles-ci témoigneront de la volonté du gouvernement français de s’engager dans le respect des règles budgétaires qui s’imposeront à l’ensemble des États membres de l’Union européenne. C’est la condition du maintien de la monnaie unique. En effet, comme l’ont dit de nombreux orateurs de toutes tendances politiques, le maintien de la monnaie unique n’est possible que par la convergence, à terme, des politiques économiques et budgétaires.

La loi de finances pluriannuelle ainsi que la loi de finances transcriront, dans les documents budgétaires, notre ambition. Le rétablissement de ces comptes sera réalisé par un effort d’économies de 10 milliards d’euros. Il sera fait appel à la contribution des plus riches des contribuables français à hauteur de 10 milliards d’euros. Il sera fait également appel à la contribution des entreprises. Toutes les entreprises ne seront pas concernées : il s’agira des entreprises qui ont été épargnées au cours des dernières années, notamment les grandes entreprises qui ont une situation confortable, qui, par l’effet de niches fiscales ou de dispositifs fiscaux, se sont trouvées exonérées du paiement de l’impôt sur les sociétés, alors que de petites sociétés qui innovaient étaient taxées dans des conditions qui étaient de nature à obérer leur capacité d’innovation et, par conséquent, de croissance.

C’est donc cet équilibre que nous voulons atteindre en essayant de faire en sorte qu’il y ait à la fois la croissance et le rétablissement des comptes publics.

Le deuxième point sur lequel je voudrais insister, c’est l’importance des initiatives en faveur de la croissance pour que le système fonctionne. Celles-ci relèvent de l’échelon européen, je les rappelle pour mémoire : le pacte de croissance, les perspectives budgétaires de l’Union européenne pour la période 2014-2020 – perspectives budgétaires pour lesquelles nous n’aurons pas le même positionnement, en termes de volume budgétaire consacré par la France au budget de l’Union européenne, que le précédent gouvernement.

Nous souhaitons par ailleurs que la taxe sur les transactions financières adoptée en coopération renforcée, qui va pouvoir faire l’objet d’une saisine de la Commission par onze États membres, puisse servir de ressource propre au budget de l’Union européenne, de telle sorte que celui-ci, essentiellement alimenté par la contribution « RNB », bénéficie du dynamisme d’une ressource propre.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ce n’est pas ce qui diminuera notre déficit !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Il s’agit là d’un nouveau combat, que nous mènerons. C’est la condition pour que le budget de l’Union européenne puisse demain créer de la croissance.

Pour ce qui est de la politique industrielle à l’échelle de l’Union européenne, le juste échange doit conduire notre pays à n’ouvrir ses marchés publics aux industriels des autres pays que selon un principe de réciprocité. La Commission européenne élabore actuellement un règlement sur ce point, auquel nous contribuons activement.

Il s’agit aussi, sur le plan national, pour accompagner nos filières d’excellence, de prendre les mesures fiscales qui conviennent. Je pense au crédit d’impôt recherche, à la réforme de l’impôt sur les sociétés favorisant l’investissement dans les PME et PMI innovantes. Je pense également à la mise en place de la Banque publique d’investissement. Je pense encore à ce que nous souhaitons faire en matière de compétitivité, et ce, je le répète, dans le respect rigoureux du dialogue social.

Voilà pour ce qui concerne l’équilibre et le cadre dans lequel s’inscrit notre politique.

Le traité dont vous allez autoriser la ratification aujourd'hui n’est rien d’autre qu’un héritage, dont nous aurions pu nous passer et dont l’Europe n’aurait jamais demandé la mise sur le métier si la France et d’autres n’avaient pas, notamment au milieu des années 2000, demandé à la Commission de revoir les critères auxquels nous avions décidé de nous conformer. Cette révision a accompagné le déséquilibre des comptes publics et conduit un certain nombre d’institutions européennes à nous demander des comptes qu’on ne nous aurait pas demandé de rendre si nous avions respecté les engagements que nous avions pris.

J’évoquerai maintenant le contenu de ce traité. Ne nous empêche-t-il pas de mener la politique que nous souhaitons ? C’est là une question importante, qui a été posée sur de nombreuses travées, plus sur celles de la gauche que sur celles de la droite. Les communistes l’ont abordé à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Elle mérite une réponse précise.

Tout d’abord, allons-nous passer de 3 % de déficit maastrichtien des comptes publics à 0,5 % de déficit ? La réponse est non. Les 3 % de déficit des comptes publics maastrichtiens demeurent. Quant au taux de 0,5 %, il ne s’agit pas de 0,5 % de déficit des comptes publics, mais de 0,5 % de déficit structurel. La différence entre les 3 % de déficit des comptes publics maastrichtiens et les 0,5 de déficit structurel, c’est que les 0,5 de déficit structurel prennent en compte les moyens mobilisés par les États pour faire face aux chocs conjoncturels. Cela signifie qu’il est possible d’utiliser ce traité, dès lors qu’on en fait une lecture keynésienne, pour mener des politiques contracycliques. Telle est l’approche qu’il faut donc avoir de ce traité et de ce que doivent être les politiques de l’Union européenne.

Par conséquent, un débat devra avoir lieu sur le contenu de cette notion avec la Commission et nos partenaires de l’Union européenne. La question est de savoir si l’on peut utiliser ces 0,5 % non pas pour échapper à la discipline budgétaire, mais pour créer de nouvelles initiatives de croissance, dans le cadre des grands investissements structurants dont l’Europe a besoin, pour allier à la fois discipline budgétaire et croissance.

Ce traité pose ensuite une autre question : un effet récessif, cumulatif pourrait-il résulter de la juxtaposition dans une même séquence de la réduction de la dette et de celle des déficits ? Cette question mérite effectivement d’être posée et d’être examinée de près.

Si la part de la dette supérieure à 60 %, dont il faut réduire le volume d’un vingtième par an, doit être réduite dans le même temps qu’on doit se conformer aux 0,5 % de déficit structurel, il y a incontestablement un effet cumulatif de la réduction du déficit et de la réduction de la dette. On aurait alors raison de s’interroger sur les conséquences récessives d’un tel effet cumulatif. Or il n’y a pas d’effet cumulatif.

Le traité est très précis sur ce point : il prévoit que la réduction d’un vingtième par an de la part de la dette supérieure à 60 % intervient dans les trois ans qui suivent la sortie du pays de la période de déficit excessif. Il s’écoule donc trois ans entre le moment où la réduction de la dette intervient par vingtième par an et le moment où la période de déficit excessif a cessé, ce qui signifie qu’il n’y a pas d’effet cumulatif.

On peut même aller plus loin. Dès lors qu’on est sorti de la période de déficit excessif, même pendant la période où le déficit se réduit pour que l’on sorte de la période de déficit excessif, il y a mécaniquement un effet de réduction de la dette résultant du fait que l’on rembourse plus que ce que l’on emprunte par l’effet de la réduction du déficit, qui facilite au bout de trois ans la réduction d’un vingtième de la part de la dette supérieure à 60 %. Ce point est important. Il est un peu technique et rébarbatif. Il n’est pas très facilement accessible au grand public. Toutefois, il me paraissait important de vous apporter cette réponse à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui examinez les textes de près.

Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne est-elle compétente pour s’ériger en juge des comptes des États ? La Cour interviendra, lorsque le traité entrera en vigueur, non pas en tant que juge des comptes publics des États, mais comme juge de la transposition en droit interne du traité. Cela signifie que si le traité n’est pas transposé en droit interne, la Cour de justice de l’Union européenne, éventuellement saisie par un certain nombre d’États membres, pourra engager une procédure rendant obligatoire cette transposition. Ce dispositif est finalement assez peu exorbitant du droit commun communautaire. Il n’est pas dérogatoire. C’est le dispositif qui prévaut pour l’ensemble des transpositions en droit interne des mesures européennes.

Enfin, j’insisterai sur la question de la souveraineté et sur ce que serait la situation en droit interne français si le traité n’était pas ratifié.

Je rappelle d’abord, et je souhaiterais vous en convaincre, qu’une grande partie des dispositions du traité s’appliqueraient même si celui-ci n’était pas adopté. Ce traité reprend en effet en grande partie des dispositions déjà existantes, dont il fait la synthèse. Certains critiquent le traité au motif qu’il porte atteinte à la souveraineté budgétaire des parlements, qu’il établit un dialogue entre la Commission et les parlements, obligeant les États et les parlements, qui votent les budgets, à rendre compte à la Commission des conditions dans lesquelles ces budgets sont élaborés, et qu’il autorise la Commission à pointer devant les parlements un éventuel décalage entre la trajectoire budgétaire que les États se sont engagés à respecter et la réalité de ladite trajectoire. Ce phénomène existe incontestablement. C’est ce qu’on appelle « le semestre européen ».

Le semestre européen est un ensemble de textes de nature budgétaire, auxquels le traité fait référence, dont il fait la synthèse, mais qui s’appliqueraient même si vous ne votiez pas le traité, puisque ces textes sont déjà en vigueur depuis le mois de novembre 2011.

Ce que le traité ajoute à ce dispositif, ce sont les modalités d’intervention précises de la Cour de justice de l’Union européenne et l’obligation de transparence de la règle d’équilibre budgétaire. Seules ces deux dispositions ne figuraient pas dans les textes précédents.

Ensuite, ces règles empêchent-elles la mise en œuvre de politiques keynésiennes ? J’ai déjà abordé cette question tout à l’heure en évoquant les 0,5 % de déficit structurel, mais j’aimerais l’approfondir. Les États sont-ils liés par la discipline budgétaire quel que soit le contexte économique qui prévaut ?

Sur cette dernière question, je vous renvoie tout d’abord à l’alinéa 3 de l’article 3 du traité, qui prévoit que, en cas de choc conjoncturel extrêmement grave, les États peuvent décider de se délier des obligations du traité. Il est donc des circonstances particulières qui peuvent conduire les États, s’il estime que cela se justifie, à se délier des obligations du traité, en raison de l’appréciation qu’ils portent sur la situation économique et financière à laquelle ils sont confrontés.

Ensuite, le traité prévoit que les États membres doivent ramener leur déficit structurel à 0,5 % du PIB « à moyen terme ». Il y a le temps de l’ajustement. Cette règle ne s’appliquera donc pas tel un couperet.

Enfin, le traité précise que les 0,5 %, je le répète, c’est du déficit structurel. Est donc incluse dans le déficit structurel la notion de moyens mobilisés par les États pour faire face à des chocs conjoncturels. En réalité, ce que le traité dit, si on en fait une lecture keynésienne, c’est que le rétablissement des comptes doit être la règle lorsque la croissance est là, et lorsqu’elle n’est pas là, il est possible d’utiliser la notion de déficit structurel pour introduire de la souplesse.

Il est en fait possible de faire une lecture keynésienne de ce traité. Le keynésianisme ne prévoit pas le déficit quelles que soient les circonstances. Keynes nous a enseigné que le déficit est nécessaire lorsque la conjoncture est récessive, mais que, lorsque la croissance est là, il faut faire preuve de rigueur et rétablir les comptes publics. C’est cette différenciation des politiques budgétaires selon le contexte qui donne une dimension contracyclique aux politiques budgétaires et qui permet de faire de ce traité une lecture différente de celle qu’en font certains conservateurs européens.

Ce traité, nous ne l’aurions pas écrit comme cela, nous ne l’aurions pas signé en l’état, mais nous pouvons le lire autrement que ceux qui l’ont écrit s’apprêtaient à le lire.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Oh là là ! Ça, c’est fort !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très subtil !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je ne dis pas que cela nous donne une marge de manœuvre considérable, je dis simplement que nous disposons d’une petite marge de manœuvre, que nous aurions tort de ne pas utiliser pleinement.

Dès lors, que pouvons-nous faire ? Nous n’avons aucune raison d’entretenir avec ce traité une relation fétichiste. Certains considèrent que ce traité, c’est tout, qu’il ne peut rien y avoir d’autre, qu’il y a ce texte, seulement ce texte, rien que ce texte, la discipline budgétaire pour tout le monde, de façon punitive et pour l’éternité, sans autre perspective. Telle n’est pas notre approche.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ce n’est pas ce que nous voulons faire.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ce n’est pas ce que nous ferons en matière de politique européenne. Ce n’est pas à travers ce prisme que nous voyons le texte qui nous est présenté, d’abord parce que nous avons une plus grande ambition en termes de croissance.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je l’ai dit tout à l’heure, je n’y reviens pas. Ensuite, nous voulons remettre en ordre la finance. Il n’est pas possible de consolider la croissance en Europe et de construire une autre Europe si on ne crée pas les conditions pour rendre impossible demain ce qui a été possible hier, c'est-à-dire les errements de la finance spéculative, devenue démente. Pour cela, il faut de la régulation.

Il nous a été demandé tout à l’heure quel était notre projet pour les mois qui viennent. Je profiterai de ce débat pour l’énoncer clairement : nous voulons aller au bout de l’union bancaire, ce qui signifie des choses extrêmement concrètes, qui sont comme autant de combats à mener autour de la table des Vingt-Sept, pour lesquels nous entendons nous armer, et nous ne céderons rien de ce qui nous paraît essentiel.

L’union bancaire, c’est d’abord la supervision des banques. Nous avons obtenu lors du Conseil européen des 28 et 29 juin que la supervision des banques soit actée. Certains, parmi les Vingt-Sept, ont souhaité que cette supervision soit le préalable à la possibilité pour le Mécanisme européen de stabilité de recapitaliser directement les banques. Nous en avons accepté le principe car il fallait bien à un moment donné parvenir à un compromis pour que les mécanismes de solidarité puissent recapitaliser les banques directement, mais aussi pour remettre en ordre la finance.

Toutefois, nous ne sommes pas nécessairement d’accord sur tous les aspects de la mise en œuvre de la supervision bancaire. Pour notre part, nous considérons que la supervision bancaire doit être effectuée par la Banque centrale européenne et qu’elle doit concerner toutes les banques européennes, que doit pouvoir être évoquée devant la BCE la situation de toutes les banques sans exception, qu’elles soient mutualistes, régionalisées ou qu’il s’agisse des banques systémiques. D’autres considèrent que la supervision bancaire devrait ne concerner que les banques systémiques.

Ce combat est devant nous. Nous discutons bien sûr avec nos partenaires, nous trouverons un compromis avec eux. Toutefois, les compromis ne se bâtissent pas dès lors qu’on se désarme, qu’on renonce, ou dans l’ambiguïté. La formule du cardinal de Retz selon laquelle on ne sort de l’ambigüité qu’à son détriment ne s’applique pas à la politique européenne, encore moins à la relation franco-allemande.

M. Jean Bizet. Dont acte ! On le note.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Elle s’applique à tout le reste !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le sénateur Bizet, une relation franco-allemande féconde et approfondie ne doit pas nécessairement commencer en disant aux Allemands ce qu’ils ont envie d’entendre plutôt que ce que nous avons envie de faire prévaloir, afin de ne pas les contrarier.

Nous préférons en effet commencer par leur dire ce que nous voulons. Ils ne sont pas obligatoirement d’accord avec nous, car notre volonté ne correspond pas nécessairement à la leur. Cependant, la relation franco-allemande n’est jamais aussi dynamique que lorsqu’elle est bâtie sur cette forme de réalité, sur ces vérités que l’on se dit les uns aux autres.

J’ai récemment eu des contacts avec certains grands Européens, qui ont joué un rôle important dans la construction communautaire. Ce que j’y ai appris m’a frappé. J’ai notamment demandé à Valéry Giscard d’Estaing comment il était possible que les relations franco-allemandes aient connu à son époque un véritable âge d’or, durant lequel il était d’accord de manière systématique avec Helmut Schmidt. Sa réponse est restée gravée dans ma mémoire. Il n’était finalement qu’assez rarement d’accord avec Helmut Schmidt. Simplement, les deux dirigeants avaient décidé de ne jamais afficher publiquement leur désaccord. Ce silence officiel les autorisait à se dire bien des choses, qui leur permettaient ensuite de bâtir des compromis à partir desquels leurs positions étaient rendues publiques.

La relation franco-allemande n’est jamais aussi forte que lorsque Français et Allemands se disent clairement ce qu’ils ont à se dire, en acceptant d’avoir des points de vue différents. C’est ce que nous essayons de faire, et c’est peut-être cela qui surprend ! Par le passé – les cinq dernières années l’ont assez montré –, on avait intégré que la force de la relation franco-allemande passait par la nécessité de dire aux Allemands ce qu’ils avaient envie d’entendre, sans même se préoccuper de ce qu’on avait envie de leur dire. Michel Mercier l’a dit tout à l’heure, à juste titre, nous avons voulu rééquilibrer les choses.

Cela nous a d’ailleurs permis d’ouvrir la relation franco-allemande à d’autres partenaires. Cela est bon pour l’Allemagne comme pour la France et l’Europe. Nous souhaitons que la relation entre la France et l’Allemagne s’approfondisse et se conforte dans cet esprit de franchise et d’équilibre.

Nous voulons aller plus loin dans l’union bancaire. J’ai notamment parlé de la supervision des banques. Il faut également mettre en place la résolution des crises bancaires et la garantie des dépôts. La question se pose de savoir si cela est faisable dans le cadre des traités existants. Pour la supervision bancaire, c’est assurément le cas. Certains de nos partenaires considèrent en revanche que la garantie des dépôts et la résolution des crises bancaires appellent un dispositif de mutualisation qui pourrait justifier une modification des traités. C’est un point très concret. S’il faut procéder à des modifications de traité pour aller vers l’union bancaire, c’est-à-dire vers le renforcement de la solidarité bancaire, vers un véritable dispositif de supervision des banques, nous le ferons.

Toutefois, nous ne le ferons que si le renforcement de la solidarité entre les pays européens le justifie.

Un autre point mérite de connaître des avancées : la solidarité monétaire et financière.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. On a beaucoup parlé du FESF, le Fonds européen de stabilité financière, du MES, le Mécanisme européen de stabilité, et de la BCE, la Banque centrale européenne. Je voudrais redire un mot sur ce sujet, et préciser ce que nous souhaitons faire pour l’avenir, puisque vous nous invitez à faire en sorte que ce débat soit prospectif.

Des choses importantes ont eu lieu au Conseil européen des 28 et 29 juin dernier, qui n’étaient pas envisageables auparavant : intervention du FESF sur le marché secondaire des dettes souveraines pour faire baisser les taux, intervention du MES pour la recapitalisation directe des banques, après la mise en œuvre de la supervision bancaire.

Nous souhaitons aller plus loin, car nous considérons que la véritable solution pour conforter durablement la zone euro réside, à terme, dans la mutualisation complète, jusqu’à la possibilité éventuelle d’un véritable mécanisme de licence bancaire pour les dispositifs de solidarité établis. Que ce ne soit pas envisagé pour l’instant ne signifie pas que cela soit parfaitement inenvisageable.

Nous sommes prêts à avancer dans cette voie de manière pragmatique, par des émissions obligataires de court terme communes, puis par des émissions conjointes, jusqu’à la mise en place d’un fonds de rédemption. Cette dernière idée, qui constituerait un début de mutualisation de la dette, a été présentée par les Sages allemands. Elle devrait rassurer ! Elle pourrait servir de première étape à la mise en place d’un dispositif de solidarité plus ample.

Je voudrais conclure mon intervention sur les perspectives : la croissance, la stabilisation de la finance et le renforcement de l’union politique et monétaire. Beaucoup de choses peuvent se faire dans le cadre des traités existants. Il n’y a pas de raison de ne pas utiliser les outils qui existent, car la résolution de la crise n’attend pas.

Au cours du débat de cet après-midi, la question visant à savoir si nous étions prêts à aller plus loin dans l’union politique a souvent été posée.

M. Jean Desessard. Ah ! Alors, monsieur le ministre ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Très souvent, on nous demande si nous sommes prêts à saisir la main que nous tendent nos partenaires. Il faut toujours saisir la main tendue par les partenaires, dès lors que ces derniers sont prêts à saisir la nôtre. Cela fonctionne dans les deux sens. Je n’ai rien contre l’évocation des propositions concrètes faites par nos partenaires si l’on évoque aussi les nôtres !

L’union bancaire, la mise en place d’un dispositif intégré de supervision des banques, est une proposition très concrète, unitaire et européenne. La proposition visant à élaborer un vrai budget pour l’Union européenne, doté de ressources propres, de ressources fiscales, lui permettant de créer les conditions de la croissance, est très concrète et très européenne. Ce serait très porteur pour l’économie et la croissance. La proposition tendant à renforcer la solidarité monétaire et financière jusqu’à la mise en place d’émissions obligataires communes ou de mutualisation de la dette est, elle aussi, très concrète, unitaire et européenne.

Nous sommes donc tout autant européens lorsque nous formulons ces propositions que lorsqu’on nous propose de réaliser un saut politique. Allons-nous accepter ce dernier ? Nous avons déjà répondu cent fois à cette question. J’y répondrai encore ce soir : oui, nous sommes prêts à accepter une évolution politique, mais dès lors que celle-ci permet davantage de solidarité, plus de croissance, une politique industrielle européenne qui fasse sens, et une politique de développement durable garantissant que la croissance de demain ne détruira pas les écosystèmes, comme a pu le faire celle d’hier.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Dans le cadre des traités existants, nous pouvons d’ores et déjà progresser dans la voie d’une plus grande lisibilité des institutions européennes. Il s’agit tout simplement de créer les conditions pour que, à l’occasion des élections européennes de 2014, les grandes formations politiques européennes fassent une campagne véritablement européenne et présentent leur candidat, dont elles auront dévoilé l’identité, à la présidence de la Commission, le président étant en effet élu par le Parlement européen. Cela permettra d’apporter une vraie lisibilité démocratique au processus électoral et de créer une réelle mobilisation des citoyens autour d’une ambition portée par l’Europe.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, je réponds à votre question et vous dis que des perspectives existent.

Nous sommes également favorables à davantage d’union politique, à condition qu’elle porte un projet. La question institutionnelle, en soi, n’en est pas un. On ne fera pas adhérer à l’Europe les peuples de Grèce, d’Espagne et d’Italie, qui souffrent de l’austérité, en leur proposant comme remède une convention et un référendum. Cela ne marchera pas. Si nous voulons que ces peuples adhèrent de nouveau à l’Europe, il faut apporter des solutions à la crise, qui leur permettent d’échapper à l’austérité. Et s’il faut pour cela, à terme, davantage de lisibilité démocratique, faisons-le ! Mais ne faisons pas du saut institutionnel ou de la réforme institutionnelle un préalable à tout ce dont l’Europe a besoin pour répondre aux urgences de la crise.