Sommaire

Présidence de Mme Bariza Khiari

Secrétaires :

MM. Jean Boyer, Jean Desessard.

1. Procès-verbal

2. Demande d’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de résolution

3. Droit à la protection de la vie privée. – Discussion d’une question orale avec débat

Mme Anne-Marie Escoffier, auteur de la question.

M. Yves Détraigne, Mmes Virginie Klès, Éliane Assassi, MM. Jacques Mézard, Christophe-André Frassa, Mme Leila Aïchi, M. Claude Jeannerot.

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

Suspension et reprise de la séance

4. Engagement de la procédure accélérée pour l'examen de trois projets de loi

5. Lutte contre la prolifération du frelon asiatique. – Discussion d’une question orale avec débat

Mme Nicole Bonnefoy, auteur de la question.

Mmes Jacqueline Alquier, Évelyne Didier, M. Jean-Claude Requier, Mme Chantal Jouanno, M. Claude Bérit-Débat, Mme Françoise Férat, M. Pierre Camani, Mme Catherine Troendle, M. Joël Labbé.

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement ; Mme Nicole Bonnefoy, auteur de la question.

6. Candidatures à une commission mixte paritaire

7. Communication du Conseil constitutionnel

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel

8. Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes

M. le président.

MM. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes ; Philippe Marini, président de la commission des finances.

PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume

9. Conférence des présidents

10. Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

11. Débat sur la biodiversité

M. Ronan Dantec, au nom du groupe écologiste, auteur de la demande.

Mme Évelyne Didier, MM. Raymond Vall, Alain Houpert, Jean-Vincent Placé, Jean-Claude Merceron, Claude Jeannerot.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement.

12. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Secrétaires :

M. Jean Boyer,

M. Jean Desessard.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Demande d’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de résolution

Mme la présidente. Comme annoncé en séance le jeudi 2 février, je rappelle au Sénat que Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, a demandé l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution n° 200, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative à l’application de certaines dispositions de la loi du 9 juillet 2010 concernant les violences faites aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, déposée le 15 décembre 2011.

Cette demande a été communiquée au Gouvernement dans la perspective de la réunion de notre conférence des présidents qui se tiendra ce soir.

3

Droit à la protection de la vie privée

Discussion d’une question orale avec débat

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe RDSE, de la question orale avec débat n° 9 de Mme Anne-Marie Escoffier à M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés sur le droit à la protection de la vie privée.

Cette question est ainsi libellée :

« Mme Anne-Marie Escoffier attire l’attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur la nécessité de garantir à nos concitoyens un véritable droit à la protection de la vie privée.

« Elle rappelle que les progrès technologiques de ces dernières années ont conduit au développement de nouveaux usages des technologies de l’information et de la communication, ainsi qu’à l’apparition de nouveaux comportements de la part de leurs utilisateurs. Dans un monde toujours plus globalisé et dépendant de ces technologies, ces profonds bouleversements ont concomitamment facilité la collecte massive des données personnelles relatives à des millions d’individus, le plus souvent à leur insu, engendrant de la sorte de nouvelles “mémoires numériques”.

« Cette accélération ne va évidemment pas sans soulever des problèmes inédits quant à la protection de la vie privée des individus, a fortiori au regard de la démocratisation de nouvelles formes de sociabilité virtuelle. De surcroît, la lutte contre l’insécurité tend à devenir un prétexte au durcissement des systèmes de contrôle, le champ des libertés se réduisant en conséquence.

« Il importe donc aujourd’hui de mettre en place un droit à l’oubli numérique, corollaire d’une protection effective de la vie privée des citoyens-internautes. Cette indispensable évolution nécessite aujourd’hui de renforcer le poids de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, d’une part, en consolidant ses moyens, et, d’autre part, en renforçant ses pouvoirs, et cela, en particulier, au moment où va être révisée la directive européenne de 1995 relative à la protection de la vie privée et des données personnelles, sur l’initiative de la Commission européenne. Un tel élargissement de la légitimité de la CNIL induit notamment de déconcentrer ses moyens d’action au niveau interrégional. Mais cela implique aussi qu’elle soit enfin dotée d’une capacité d’expertise et d’action à la hauteur des nouveaux enjeux, par exemple en matière d’information des usagers, de communication de la durée de conservation des données ou encore de recueil de l’intégralité des failles de sécurité notifiées. Enfin, il conviendrait de faciliter sa saisine par les citoyens et de durcir ses pouvoirs de sanction.

« Tel était le sens du rapport d’information que Mme Anne-Marie Escoffier avait déposé avec son collègue M. Yves Détraigne, La vie privée à l’heure des mémoires numériques. Pour une confiance renforcée entre citoyens et société de l’information (n° 441 2008-2009). Tel était également l’objet de la proposition de loi visant à garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, adoptée par le Sénat le 23 mars 2010, mais toujours en attente d’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

« En conséquence, elle souhaiterait connaître ses intentions sur cette question et plus largement sur la politique que le Gouvernement entend mener pour que soit, enfin, garanti le droit à la protection de la vie privée. »

La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, auteur de la question.

Mme Anne-Marie Escoffier, auteur de la question. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, mes chers collègues, lorsque le président du groupe du RDSE a demandé l’inscription de la question orale avec débat sur le droit à la protection de la vie privée à l’ordre du jour de la Haute Assemblée, il ne pouvait prévoir que l’actualité alimenterait notre débat dans les proportions que nous connaissons aujourd’hui.

Avec mon collègue Yves Détraigne, que je salue très amicalement, dès la fin de l’année 2008, nous nous étions saisis, au sein de la commission des lois, du problème de la vie privée à l’heure du numérique. Sur la base de notre rapport publié en mai 2009, le Sénat a adopté, en mars 2010, une proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique.

Les débats suscités par ces deux textes avaient largement mis au jour leurs implications dans les domaines juridiques, économiques, dans les questions de société, et ce bien au-delà de nos seules frontières nationales. Nous avions alors mesuré l’absolue nécessité d’une vigilance accrue sur les nouvelles facilités apportées par les technologies de la communication et de l’information ; cependant, nous nous étions bien gardés de diaboliser d’une quelconque manière un outil – l’informatique – qui, en tant que tel, doit être mis au service de l’homme sans jamais l’asservir.

Avec les avancées technologiques, qui, chaque jour, rendent ces outils à la fois plus performants et plus intrusifs, avec la propension des administrations à vouloir mieux maîtriser l’information sous toutes ses formes, avec le renforcement du besoin sécuritaire et du concept du « zéro risque » jusqu’à l’excès, avec les formidables opportunités qu’offrent les opérateurs sur internet à des publics peu vigilants, avec la multiplication des réseaux sociaux – et j’en passe –, vous l’aurez compris, on met en péril la protection des données personnelles.

Or, « on », ce n’est pas seulement l’autre, ce n’est pas seulement Google, qui, sous couvert d’une nouvelle charte de confidentialité, va permettre de croiser des données privées et de les diffuser presque sans limites ; ce ne sont pas uniquement tous ces réseaux sociaux qui peuvent aller jusqu’à nous dépouiller de notre dignité ; « on », c’est chacune et chacun de nous qui, consciemment ou non, s’expose et expose autrui.

Dès lors s’impose, à nos yeux, la nécessité d’ouvrir une nouvelle fois ce débat en nous interrogeant non seulement sur les garanties que les dispositifs juridiques existants apportent à notre liberté, mais aussi sur les déviations éventuelles auxquelles il nous faut être particulièrement vigilants et sur les solutions à apporter pour que la protection des données personnelles s’inscrive dans une démarche cohérente et pérenne.

Monsieur le garde des sceaux, en tant que ministre de la justice et des libertés, vous ne pouvez être que sensible à ce débat qui vise à défendre l’une des valeurs essentielles de la République : la liberté du citoyen.

Permettez-moi de revenir un instant sur la proposition de loi que M. Yves Détraigne et moi-même avions déposée avec conviction et enthousiasme. (M. Yves Détraigne acquiesce.) Examiné par la commission des lois, ce texte avait été enrichi des apports de notre rapporteur, Christian Cointat, et des amendements de la Haute Assemblée.

Nous nous étions fondés sur le constat que le droit à la vie privée de tout individu est aujourd’hui indissociable de l’exercice par celui-ci de ses propres libertés. Ce droit recouvre à la fois la notion d’intimité, qui exclut toute immixtion extérieure dans la sphère privée, et celle d’autonomie, à savoir le droit de mener son existence comme on l’entend, sous réserve de limitations légitimes.

Si la protection de la vie privée est consacrée par le droit, notamment par la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention européenne des droits de l’homme et par le code civil, dont l’article 9 édicte le principe à valeur constitutionnelle de droit à la protection de la vie privée, il n’existe, en revanche, aucune définition légale de cette notion ; la délimitation de ses contours est laissée à l’initiative de la jurisprudence.

Or l’émergence de nouvelles technologies dans la vie quotidienne a pour effet de soulever des problématiques inédites quant à la protection de la vie privée : les différentes formes de traçabilité des faits et gestes des individus, dans l’espace et le temps, avec les systèmes de géolocalisation, de vidéosurveillance – aujourd’hui qualifiés de systèmes de vidéoprotection – ou, par exemple, les nanotechnologies, peuvent constituer autant d’atteintes à la vie privée.

Toutefois, le danger ne vient pas toujours des autres ou des instruments extérieurs, il procède parfois de l’individu lui-même, qui développe l’exposition volontaire de sa propre vie privée à autrui, notamment sur les blogs et les réseaux sociaux.

On l’a récemment constaté, cette tendance est à la fois propre aux mineurs et aux adultes – qu’ils soient jeunes ou non, du reste – qui se laissent séduire par ces nouveaux modes de communication que d’aucuns analysent comme une réaction à une société de l’isolement et de l’enfermement.

Face à ces deux tendances privatives de liberté – dans des formes certes différentes – se pose la question de savoir si le cadre juridique français est adapté et suffisant pour concilier le droit à la vie privée et la liberté de tout individu.

Notre corpus juridique repose essentiellement sur le triptyque suivant : la loi du 6 janvier 1978 dite « informatique et libertés », la directive européenne de 1995 relative à la protection des données personnelles et la loi du 6 août 2004, qui procède à la transposition de cette directive européenne.

Cette législation a le mérite d’avoir fixé des principes indépendants de l’évolution des technologies et, partant, pérennes, qui imposent pour chaque application informatique que soient préservées les sept règles suivantes : la finalité, la proportionnalité, la sécurité des données, le droit d’accès et de rectification, le droit à l’information, le droit d’opposition et le droit au consentement préalable.

Néanmoins, face aux évolutions sociétales, confronté au droit international, notre cadre juridique actuel est clairement insuffisant, et l’objectif de la Haute Assemblée, en adoptant notre proposition de loi, était de lui apporter les adaptations nécessaires. J’en rappellerai rapidement les six principales.

Premièrement : faire du citoyen un homo numericus responsable, en confiant à l’éducation nationale une mission d’information sur la protection des données personnelles et en apportant une meilleure information, spécifique, claire, accessible et permanente sur toutes les formes de données.

Deuxièmement : assurer une plus grande effectivité au droit à l’oubli numérique, en facilitant l’exercice du droit à la suppression de certaines données, notamment auprès des juridictions civiles.

Troisièmement : conforter le statut et les pouvoirs de la CNIL pour promouvoir une culture « informatique et libertés », notamment dans le cadre du développement des correspondants informatique et libertés, du renforcement des sanctions et de la notification obligatoire des failles de sécurité.

Quatrièmement : clarifier le statut de l’adresse IP comme donnée personnelle ; il s’agit d’un point essentiel que nous avions tenu à inscrire dans notre proposition de loi.

Cinquièmement : mieux encadrer la création de fichiers de police.

Sixièmement, enfin : anticiper la révision de la directive européenne de 1995 au regard du droit applicable aux responsables de traitement informatique situés en dehors de l’Union européenne, mais visant un public français.

Au total, ce texte, adopté à l’unanimité – je le souligne, monsieur le garde des sceaux –, traduisait résolument la volonté de concilier de manière équilibrée les différents intérêts en présence, qu’il s’agisse des internautes, des responsables de traitement des données ou des opérateurs, en veillant à l’harmonie entre protection de la vie privée et liberté des systèmes d’information.

Dès lors, comment comprendre et comment accepter que ce texte, transmis pour examen à l’Assemblée nationale, ait été purement et simplement écarté, oublié ? Nous avions certes mesuré qu’il était encore perfectible, mais c’est précisément pourquoi nous comptions sur le travail de nos collègues députés.

Au demeurant, le Gouvernement nous avait indirectement suggéré tout l’intérêt de notre démarche, qui, en anticipant la révision de la directive européenne, contraignait l’Europe à prendre position sur un dossier reconnu par tous comme essentiel. Il avait même le projet de conclure, très vite disait-on, une charte protectrice des données personnelles. Au lieu de cela, rien !

Nous aimerions bien comprendre, monsieur le garde des sceaux, les raisons de ce vide et les éventuels intérêts qu’il dissimule. Nombreux sont en effet les problèmes qui se posent chaque jour et qui auraient pu trouver, avec ce texte, ne serait-ce qu’un début de solution. C’est précisément le deuxième sujet que je souhaite aborder aujourd’hui.

Comme tous les parlementaires, me semble-t-il, j’ai été interrogée par le collectif national de résistance à « base élèves ». J’avais déjà été questionnée à ce sujet, et ce depuis longtemps, par les enseignants et les parents d’élèves de mon département.

Je m’étais efforcée d’expliquer aux Aveyronnais que le fichier « base élèves », expurgé des données contestables retirées par l’arrêté d’octobre 2008, était un fichier « pur », de simple gestion administrative, remplaçant simplement les bonnes vieilles fiches papier écrites au crayon.

C’était sans compter avec la juxtaposition de deux nouveaux fichiers, la base nationale des identifiants élèves, la BNIE, et l’identifiant national élève, ou INE, qui permet l’interconnexion et la traçabilité complète d’un enfant pendant sa vie scolaire, étudiante, voire professionnelle, si on lui applique la loi relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.

Fort heureusement, par un arrêt du 19 juillet 2010, le Conseil d’État a annulé l’arrêté de création du fichier « base élèves premier degré » du ministre de l’éducation nationale, au motif que les services du ministère avaient commencé à utiliser le fichier sans attendre le récépissé de la déclaration à la CNIL.

Ce problème de forme, et non de fond, a provoqué la même sanction pour le deuxième fichier, la BNIE, qui attribue un matricule à chaque enfant scolarisé dès trois ans.

Mais qu’en est-il du troisième fichier, l’INE, dont j’ignore le parcours et les intentions du ministre de l’éducation nationale à son égard ? Peut-être les connaissez-vous, monsieur le garde des sceaux ? À défaut, vous aurez probablement le souci d’interroger votre collègue sur ce point. Notre crainte, vous l’aurez deviné, est de voir entrer par la fenêtre ce qui a été chassé par la porte.

L’autre problème, que vous connaissez bien et qui nous a opposés, est celui de la proposition de loi relative à la protection de l’identité, une proposition toujours en navette, qui vise notamment à réglementer les bases de données biométriques relatives aux titres d’identité et qui entend renforcer les garanties de protection des données.

Députés et sénateurs butent sur l’utilisation du fichier biométrique à des fins de recherche criminelle. Avec M. Pillet, rapporteur de ce texte pour le Sénat, je plaide pour l’utilisation d’une technologie dite « à lien faible », qui limite l’usage du fichier à la seule lutte contre la fraude documentaire et qui interdit que soit fiché l’ensemble de la population vivant sur notre territoire national, ce que permettrait la technologie proposée par l’Assemblée nationale, beaucoup plus invasive.

Je voudrais encore évoquer les débats que nous avons eus ici s’agissant du passeport biométrique. Pour répondre au règlement de l’Union européenne du 13 décembre 2004, lui-même dicté par l’Organisation de l’aviation civile internationale, qui prévoyait un « support de stockage de haute sécurité » pour les passeports délivrés par les États membres, la France a mis en œuvre, dans deux décrets successifs, des mesures de collecte et de traitement des données personnelles contestables et contestées.

C’est d’abord un décret du 30 décembre 2005 qui a prévu l’inclusion dans les passeports d’un « composant électronique » comprenant l’ensemble des mentions devant figurer sur le passeport ainsi que l’image numérisée du visage du demandeur. Dans le même temps, ce décret a autorisé la création d’un fichier informatique national destiné non seulement à mettre en œuvre les procédures d’établissement, de délivrance, de renouvellement, de remplacement et de retrait des passeports, mais aussi à prévenir, détecter et réprimer leur falsification et leur contrefaçon.

C’est ensuite un décret du 30 avril 2008, modifiant celui de 2005, qui a prévu d’inclure sur ledit passeport l’image numérisée du visage ainsi que des empreintes digitales de huit doigts du demandeur, et non pas seulement des deux doigts exigés par le règlement de 2004 de l’Union européenne. Ce décret prévoyait en outre que l’ensemble de ces données biométriques seraient enregistrées dans le fichier national dénommé TES, titres électroniques sécurisés.

Saisi par plusieurs associations de défense des droits, le Conseil d’État a eu à se prononcer sur ces dispositions réglementaires et a jugé que le système centralisé TES ne portait pas atteinte au droit des individus au respect de leur vie privée. En revanche, il a jugé que la collecte et la conservation d’un plus grand nombre d’empreintes digitales que celles qui figurent dans le composant électronique ne sont ni adéquates ni pertinentes et qu’elles apparaissent excessives au regard des finalités du traitement informatisé. Il a donc annulé partiellement l’article 5 du décret, en tant qu’il prévoit la conservation des empreintes digitales qui ne figurent pas dans le composant électronique du passeport.

Ces trois exemples – base élèves, protection de l’identité, passeport biométrique –, parmi d’autres, permettent de souligner, une fois encore, la sensibilité du sujet et la vigilance qu’il nous faut, ensemble, exercer à l’endroit de ces dispositifs. S’ils peuvent, de prime abord, paraître anodins, ils ne le sont en vérité nullement, dès lors qu’ils contreviennent au principe premier de la protection de la vie privée.

J’en viens maintenant à mon troisième point, d’une actualité toute récente et qui ne manque pas de créer une véritable inquiétude chez toutes celles et tous ceux qui sont attachés au principe fondamental que je viens de rappeler. Je veux parler des orientations fixées par la Commission européenne dans sa communication du 25 janvier dernier relative à la protection des données, communication préparatoire à la révision de la directive européenne de 1995.

Puis-je à nouveau, monsieur le garde des sceaux, vous faire observer que je regrette profondément, avec d’autres, que notre proposition de loi n’ait pas dépassé les marches du Sénat : nous ne serions probablement pas confrontés aux difficultés que je vais à présent souligner.

Je reviens donc à cette communication, dont se dégagent trois axes de réflexion : le renforcement des droits des personnes physiques quant à la protection des données personnelles ; la simplification de l’environnement juridique favorisant le développement de l’économie numérique dans l’ensemble du marché unique de l’Union européenne ; enfin, la coopération entre les autorités répressives, gage d’efficacité de la lutte contre la cybercriminalité en Europe.

Sur le premier point, celui de la maîtrise pour les personnes physiques des données les concernant, nous ne pouvons que nous réjouir des conclusions retenues, qui confortent les notions de consentement exprès, de droit à l’oubli et de droit à l’information, qui renforcent la sécurité des données et qui accroissent la responsabilité des personnes traitant les données.

S’agissant de la simplification en matière de formalités administratives pour les entreprises, il faut saluer la place accordée aux correspondants informatique et libertés et la mise en place d’outils de protection au sein même des entreprises. Ces dernières se verront sanctionnées plus lourdement qu’aujourd’hui si elles ne respectent pas les nouvelles obligations qui leur seront imposées. Il faut relever encore l’amélioration qu’apportera une coopération accrue sur le plan européen.

En revanche, la CNIL, qui est au cœur du dispositif de régulation et de contrôle du traitement des données informatiques, a eu l’occasion, tant auprès de la commission des lois que de moi-même, de venir dire son inquiétude sur le risque important d’éloignement entre les citoyens européens et leurs autorités nationales.

Le projet de règlement prévoit en effet que l’autorité compétente soit celle où se situe l’établissement principal d’une entreprise, quel que soit le public ciblé par son activité. Ainsi, sur la base de ce critère d’établissement principal, le plus souvent hors de notre périmètre européen, le système de régulation que nous connaissons se trouvera décentré, ce qui réduira l’autorité française à un simple rôle information. En effet, dans ce système, les autorités nationales verront leur rôle limité, au mieux, à une simple consultation.

Une telle réforme, si elle était actée, aurait pour conséquence grave de renforcer l’image bureaucratique et lointaine des institutions communautaires, avec une gouvernance mal assise.

La CNIL a eu l’occasion de dire sa vive opposition à un tel système, qui constituerait « une véritable régression vis-à-vis des droits des citoyens » et conduirait « à une centralisation de la régulation de la vie privée au profit d’un nombre limité d’autorités, au profit également de la Commission, qui dispose d’un pouvoir normatif important ».

Nous sommes nombreux à avoir perçu les dangers d’un système qui renierait le besoin de coopération approfondie entre autorités compétentes.

À l’instant, je viens d’apprendre que la proposition de résolution européenne de notre collègue député Philippe Gosselin a été adoptée hier par la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale. Belle initiative que le Sénat pourrait reprendre à son compte pour que soit préservé, dans un contexte de forte concurrence internationale, le droit fondamental à la vie privée, qui conditionne l’exercice de bien d’autres libertés !

M. Gaëtan Gorce. Très bien !

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je vous remercie des apports, réflexions et autres observations que vous apporterez à mon intervention, pour nourrir un débat dont chacun a pu mesurer l’intérêt et les conséquences dans notre vie de tous les jours. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en adoptant, il y a plus de trente ans, la loi du 6 janvier 1978 dite « informatique et libertés », notre pays a joué un rôle précurseur dans la protection des données personnelles. En dégageant les grands principes, rappelés par Anne-Marie Escoffier, de finalité, de proportionnalité, de droit d’accès et de rectification ainsi que de droit d’opposition à l’utilisation des données personnelles, le législateur français traçait la voie d’un cadre juridique visant à concilier le développement inévitable des fichiers informatiques avec la protection de la vie privée et des libertés individuelles.

En créant la CNIL, le législateur mettait également en place l’outil permettant de vérifier l’effectivité de ces principes et, le cas échéant, d’en sanctionner le non-respect.

Cette législation a largement contribué à l’élaboration du droit européen dans ce domaine et s’est avérée, au fil du temps, suffisamment souple et équilibrée pour conserver toute sa pertinence face aux nombreuses évolutions techniques et à la multiplication des traitements et fichiers auxquels nous n’avons cessé d’assister depuis lors dans le domaine du numérique, des nouvelles technologies et des pratiques qui en découlent.

Le développement exponentiel et sans frontière des technologies numériques de communication et d’enregistrement des données, d’une part, et la tendance de plus en plus forte des individus, notamment des plus jeunes, à communiquer par ce biais des informations personnelles et parfois sensibles, d’autre part, en particulier via les réseaux sociaux, nécessitent absolument que l’on revisite la législation applicable et qu’on l’adapte aux nouveaux défis auxquels sont confrontées la protection des données personnelles et la sauvegarde de la vie privée.

La proposition de loi, adoptée à l’unanimité par notre assemblée en mars 2010, à la suite du rapport d’information que j’avais publié avec Anne-Marie Escoffier en mai 2009, contenait un certain nombre de dispositions visant à répondre à ces nouveaux défis.

Je pense ainsi à la sensibilisation, dès l’école, des jeunes aux dangers de l’exposition de soi sur internet, mesure aujourd’hui inscrite dans la loi grâce à notre collègue Catherine Morin-Desailly, et dont il serait d’ailleurs intéressant que vous nous indiquiez, monsieur le garde des sceaux, comment elle est mise en application dans les faits.

Je pense également aux mesures visant à donner une plus grande effectivité au droit à l’oubli numérique, notamment par l’obligation de fournir aux internautes une information claire et accessible sur la durée de conservation de leurs données, l’exercice plus facile du droit à la suppression des informations personnelles, la possibilité de saisir plus efficacement qu’aujourd’hui les juridictions en cas d’impossibilité d’exercer ce droit ou encore le renforcement des moyens et des pouvoirs de sanction de la CNIL.

Force est cependant de constater que, si cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité au Sénat, elle l’a été contre l’avis du Gouvernement, et n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Le Gouvernement a préféré s’orienter, en avril 2010, vers une charte sur le droit à l’oubli numérique, qui poursuivait un double objectif : d’une part, faciliter l’exercice d’un droit de suppression des informations sur une personne pouvant être publiées par des tiers et susceptibles de lui être un jour préjudiciables – cela concerne notamment les blogs, les réseaux sociaux et les sites de partage de vidéo ; d’autre part, améliorer la transparence de l’exploitation des traces de navigation – les fameux cookies – à des fins commerciales.

« C’est en travaillant tous ensemble que nous pourrons améliorer la protection de la vie privée et la mise en œuvre du droit numérique. Les acteurs du Web ont répondu à mon appel et participent à la concertation visant à définir les bonnes pratiques à mettre en œuvre », déclarait à cette époque la ministre en charge du dossier.

Las, si la charte a bien été signée par la plupart des acteurs du numérique en octobre 2010, notamment Microsoft, PagesJaunes, Copains d’avant, force est de constater que les deux géants du Web que sont Google et Facebook ne l’ont pas signée et ont préféré mettre en place leurs propres systèmes de protection des données, tout en multipliant – la presse s’en fait suffisamment l’écho – les systèmes d’interconnexion et de profilage de plus en plus précis des internautes, dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne rassurent pas vraiment.

Voilà maintenant que la Commission européenne reprend la main en proposant un corpus de règles relatives à la protection des données et qui sera valable dans toute l’Union : obligation pour les gestionnaires de données de notifier dans les meilleurs délais à l’autorité nationale de contrôle les violations graves de données à caractère personnel ; droit à l’oubli numérique qui permettra aux citoyens de l’Union d’obtenir la suppression des données les concernant si aucun motif légitime ne justifie leur conservation ; renforcement des moyens des autorités nationales chargées de la protection des données. Autant de propositions qui figuraient dans le rapport de la commission des lois de mai 2009...

La Commission européenne prévoit également l’application des règles européennes aux traitements de données à caractère personnel réalisés hors Union européenne par des entreprises implantées sur le marché européen et proposant leurs services aux citoyens de l’Union ainsi que l’intervention – pour régler un problème lié à la protection des données – de l’autorité de protection du pays de l’Union où l’entreprise a son établissement principal, quel que soit le pays où ce problème a eu lieu.

Ce système va dans le bon sens en ce qu’il reprend les grands principes que nous avons proposés, mais, en choisissant de laisser la juridiction à la « CNIL », si je puis dire, du lieu d’implantation principale de l’entreprise fautive, on risque d’assister à une délocalisation de certains opérateurs du numérique vers les pays les moins-disants de l’Union européenne en matière de protection des données.

Quand on sait l’apport des nouvelles technologies à la création de richesses dans nos pays, en France notamment, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne nouvelle pour notre pays.

Monsieur le garde des sceaux, faute d’avoir tenu compte des avertissements lancés à plusieurs reprises par notre collègue Alex Türk lorsqu’il était président de la CNIL et faute d’avoir donné suite à la proposition de loi que nous avions adoptée au Sénat en 2010, notre pays est maintenant au pied du mur. Comme Anne-Marie Escoffier – que je remercie d’avoir provoqué ce débat très intéressant d’aujourd’hui –, vous comprendrez donc que je souhaite que les intentions du Gouvernement dans ce domaine soient enfin, si je puis dire, précisées.

La commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, pas plus tard qu’hier – cela vient d’être dit –, a adopté une proposition de résolution de Philippe Gosselin sur la proposition de règlement relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

Dans cette proposition de résolution très détaillée, nos collègues députés s’inquiètent notamment de la juridiction qui serait donnée à l’autorité de contrôle du pays où l’entreprise fautive a son établissement principal et des conséquences négatives que j’évoquais rapidement à l’instant. Ce texte « invite le Gouvernement français à se saisir de cette question dans les plus brefs délais et à défendre une réforme plus respectueuse des droits de nos concitoyens, en accord avec la position défendue publiquement par la Commission nationale de l’informatique et des libertés ».

Monsieur le garde des sceaux, je ne peux que joindre ma voix à celle des députés. (Applaudissements sur les travées de l'UCR, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès.

Mme Virginie Klès. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au risque de surprendre, je veux battre en brèche l’opposition souvent avancée entre protection de la vie privée et des libertés publiques et sécurité.

La protection de la vie privée est, me semble-t-il, la première des sécurités à laquelle ont droit 60 millions de Français. La lutte contre la délinquance, que l’on nous présente souvent comme un argument phare pour mettre à mal certaines libertés publiques, ne concerne finalement que quelques dizaines, voire une centaine de milliers de Français.

La liberté d’aller et venir dans le respect de l’anonymat est primordiale. C’est pourquoi je m’élève avec force contre une assertion faussement rassurante : peu importe d’être fiché ou filmé si on ne fait rien de répréhensible ! Si les médecins, les avocats et de nombreuses autres professions sont soumises de façon aussi stricte au secret professionnel, c’est bien parce que l’on estime que certaines choses ne regardent que nous. Et ne parlons même pas du secret de la confession où certaines actions pourtant pénalement répréhensibles peuvent être confiées sous le sceau du secret !

Le respect de la vie privée – je souscris d’ailleurs pleinement à ce qui a été dit jusqu’à présent – est de plus en plus souvent bafoué par la société de consommation et de l’immédiateté, par la prédominance de l’argent et de la finance, par l’envie de gagner toujours plus. Je vais prendre quelques exemples tirés de la vie de tous les jours de M. ou de Mme Tout-le-monde.

J’évoquerai la publicité.

Ce n’est pas seulement internet qui nous inonde de publicités : nos boîtes aux lettres sont remplies de prospectus et les opérateurs de téléphonie multiplient les offres en tous genres et à tout moment de la journée. La plupart d’entre nous savent résister à ces offres permanentes de consommation, mais les plus vulnérables – les personnes âgées ou les jeunes – cèdent aux sirènes de la consommation, du toujours plus. Nous devons les protéger !

Vous connaissez tous sans doute l’autocollant « stop pub ». Quand vous le collez sur votre boîte aux lettres – vous voyez bien que je ne fais pas seulement le procès d’internet –, en général, vous ne recevez plus le journal municipal, le journal de l’intercommunalité ou le journal du département. C’est inacceptable !

Le législateur devrait faire en sorte, Mme Escoffier l’a évoqué, que l’on donne son consentement exprès pour recevoir de la publicité, être démarché par téléphone ou pour que les moteurs de recherche sur internet puissent cerner notre profil. Or, aujourd’hui, en France, c’est le contraire : il faut expressément refuser cette intrusion permanente dans notre vie privée si l’on veut être protégé. Ce n’est pas admissible !

On peut se dire : je ne fais rien de mal, peu m’importe d’être fliqué, fiché, surveillé ou filmé. Or, on peut tout savoir à tout moment. Même si nos actions, nos démarches, nos engagements, nos goûts ne sont pas répréhensibles, on n’a pas forcément envie qu’ils soient connus. Les raisons peuvent être multiples : on peut être fonctionnaire ou militaire et soumis à un devoir de réserve ; on peut exercer une profession médiatiquement exposée ; on peut tout simplement être salarié d’un employeur peu scrupuleux, et il y en a comme l’actualité récente nous l’a montré. On n’a pas toujours envie que notre entourage familial ou professionnel sache que l’on est homosexuel, que l’on a recours à la prostitution – on en pense ce que l’on veut sur le plan moral, mais ce n’est pas encore un délit que je sache ! –, que l’on a telle ou telle maladie. Il est en effet extrêmement difficile quand on est atteint de certaines maladies, même si le diagnostic vital n’est pas en jeu, d’obtenir un crédit auprès d’une banque.

Aujourd’hui, la technologie permet de géolocaliser les personnes, même avec un simple téléphone. Si vous prenez une photo d’une feuille ou d’une fleur, par exemple, on sait à quel endroit vous étiez et à quelle heure. Bien sûr, cela peut parfois être utile, mais sous couvert de cette utilité pour repérer un enfant ou une personne atteinte d’Alzheimer, faut-il établir un principe général ? Faut-il là encore faire une exception au principe du consentement exprès ? Non !

On trouve sans aucun problème sur internet des sociétés – je l’ai fait, et je ne suis pas une spécialiste de l’internet –, qui, sur la base d’un simple SMS envoyé d’un téléphone portable, géolocalisent l’appareil sans vérifier l’origine du SMS. Il faut donc impérativement se référer au principe du consentement exprès, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

On trouve également très facilement sur internet des balises, des micros ou des émetteurs. Cela paraît relever du roman d’espionnage, mais, avec un stylo ou une prise multiple, vous pouvez espionner votre voisin ou votre ennemi intime. Ce n’est pas normal !

On parle beaucoup de fadettes et d’écoutes, y compris de la part de personnes dépositaires de l’autorité publique qui se sont un peu affranchies de la loi. Mais savez-vous qu’il n’est pas nécessaire d’appartenir à la police pour accéder aux fadettes ou à la liste des communications de quelqu’un ? Il vous suffit de connaître le numéro de téléphone portable de votre voisin, son mois et son année de naissance : c’est le code par défaut pour accéder au suivi des consommations. Ce n’est pas normal !

On devrait contraindre les opérateurs de téléphonie mobile à beaucoup plus de confidentialité et de sécurité. D’ailleurs, sur internet, tous ces dispositifs qui sont censés préserver la confidentialité de vos données, autrement dit protéger votre vie privée, s’appellent la sécurité…

Monsieur le ministre, vous seriez sans doute déçu si je n’évoquais pas le fichier à lien fort qui est en cours de création.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il n’existe pas !

Mme Virginie Klès. Que l’on soit fiché ne me pose pas de problème dogmatique. Ce qui me pose un problème, c’est ce fichier recensant les 60 millions de Français, pouvant être identifiés de façon univoque à partir de leurs seules empreintes digitales. (M. le garde des sceaux fait un signe de dénégation.)

J’étais hier aux rencontres parlementaires sur la sécurité. Je peux vous dire que les hackers se feront une joie de décortiquer ces fichiers en quelques semaines. Je le répète, ce fichier central à lien fort recensant tous les Français est un réel danger, une véritable bombe atomique, et je ne veux pas y participer.

Pour conclure, je veux redire qu’il faut protéger les personnes vulnérables. Nous vivons dans une société où la technologie avance. Sachons l’utiliser ! Ne méprisons pas l’outil que nous offre aujourd’hui internet. Pour autant, un sécateur est un outil utile, mais on ne le met pas dans les mains d’un enfant. Une tronçonneuse est un outil utile, mais on ne s’en sert pas sans équipement de sécurité. Une voiture est indispensable, mais on ne la conduit pas sans ceinture de sécurité.

Le rôle du législateur est de veiller à ce que tous ces équipements de sécurité soient en place. Malheureusement, aujourd’hui, en France, ils ne le sont pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la question orale avec débat de notre collègue Anne-Marie Escoffier nous offre la possibilité de débattre d’un thème que nous considérons fondamental : comment concilier le développement des nouvelles technologies, qui favorisent la communication des particuliers et la diffusion de l’information, avec le formidable potentiel démocratique que cela recèle et le respect de la vie privée et de la protection des libertés individuelles ?

Avec le développement des technologies de l’information et de la communication et les nouveaux usages qui en sont faits, les possibilités de collecter des données personnelles concernant des millions d’hommes et de femmes se sont véritablement accrues ces dernières années, et ce sans que ces derniers en soient forcément conscients.

Parallèlement, les occasions de fichage se sont multipliées, que les fichiers soient publics, c’est-à-dire liés à la sécurité et au développement de l’administration électronique, ou à vocation commerciale. Ainsi, au quotidien, très peu d’aspects de notre vie privée échappent aux opportunités de fichage.

En effet, tout individu est susceptible d’être fiché, y compris à son insu, tout au long de sa vie, par la simple mise en œuvre de moyens techniques lors de ses déplacements, de ses connexions, de ses consultations d’informations ou de ses transactions : en tant qu’assuré social avec la carte Vitale, en tant qu’usager des transports avec le passe Navigo, en tant que consommateur avec les paiements en ligne, ou encore par le biais des réseaux sociaux virtuels, qui se développent, par l’usage des téléphones portables et l’envoi de SMS. Toutes ces techniques laissent des traces souvent indélébiles.

Les fichiers informatiques et les traitements automatisés de données à caractère personnel qui y sont associés sont devenus des outils de gestion de la société. Nous sommes ainsi de plus en plus surveillés, contrôlés, fichés.

La lutte contre l’insécurité, le terrorisme et l’immigration est devenue, depuis une dizaine d’années, un élément de justification commode des fichages en tout genre, et ce au mépris des libertés individuelles et publiques, dont le respect est pourtant au cœur de la démocratie. Ainsi, tout un arsenal de fichage policier de la population aux finalités pour le moins opaques et à l’efficacité plus que douteuse au regard des objectifs affichés s’est peu à peu mis en place.

M. Jean-Louis Carrère. C’est une question de civilisation, dirait M. Guéant !

Mme Éliane Assassi. Il en est ainsi du STIC, le système de traitement des infractions constatées, qui contient des données bien souvent erronées concernant des millions de personnes, y compris les victimes elles-mêmes, du FNAEG, le fichier national automatisé des empreintes génétiques, d’Europol, du SIS, le système d’information Schengen, et j’en passe.

Par ailleurs, certaines tentatives de fichage n’ont fort heureusement pas abouti grâce à la mobilisation d’une grande partie de la population, qui s’y est vivement opposée en raison de la teneur des informations devant y figurer ; je pense notamment aux fichiers ELOI et EDVIGE.

La mise en œuvre de fichiers concerne tous les domaines de notre société ; j’en veux pour preuve le fichier « base élèves » dans l’éducation nationale ou encore le DMP, le dossier médical personnel, en matière de santé.

La tentative est grande également d’introduire un numéro unique – le NIR, le numéro d’inscription au répertoire – dans des fichiers comme identifiant commun à plusieurs domaines, au mépris des principes de la loi du 6 janvier 1978. Il y a là un risque réel de voir son usage se généraliser, y compris à des fins éloignées de celles qui étaient initialement prévues, ce qui pourrait conduire aux mêmes dérives que celles qui ont été pointées avec le système SAFARI des années soixante-dix, qui fut à l’origine de la loi précitée.

Mais le tableau ne serait pas complet si je n’évoquais pas le développement accru de la vidéosurveillance, qui, sous couvert de lutter contre la délinquance, ce qui reste encore à prouver, constitue une atteinte aux libertés individuelles et publiques pour un coût exorbitant.

Quant à la biométrie, qui est un identifiant très intrusif, elle sert, elle aussi, au fichage. En effet, déjà utilisée pour l’établissement des passeports, dont la création a été autorisée par décret pour mieux contourner le Conseil d’État, elle est sur le point de l’être aussi pour les cartes nationales d’identité, qui contiendraient dorénavant un volet biométrique.

Le texte en cours d’examen qui prévoit cette mesure, et auquel nous sommes fermement opposés, représente une atteinte disproportionnée aux libertés fondamentales. Sous couvert de lutter contre l’usurpation d’identité et de sécuriser le e-commerce, il va permettre de créer un fichier supplémentaire intégrant cette fois-ci des données biométriques, c'est-à-dire très personnelles, à des fins peu avouables, puisqu’il pourrait être consulté dans le cadre d’enquêtes de police.

Sur le plan international, le fichage est aussi de rigueur. Je pense notamment à la volonté de mettre en place un fichier via le PNR – Passenger Name Record – s’agissant des vols en direction des États-Unis. Supposé lutter contre le terrorisme, ce fichier constitue en réalité une atteinte aux libertés fondamentales.

Ainsi que nous avons eu l’occasion de le dénoncer à plusieurs reprises, on assiste à la mise en œuvre d’une surveillance policière doublée d’un contrôle social généralisé de la population, singulièrement la plus fragilisée, ce qui est source d’inégalités ; je veux parler des pauvres, des malades, des allocataires, des mauvais payeurs, des étrangers, etc.

Notons au passage que, s’agissant des gains boursiers, des ventes d’objets d’art, d’obligations, de flux de capitaux ou encore de l’évasion fiscale, point de contrôle ni de fichiers ! Face à ces dérives sécuritaires et au développement des technologies qui offrent des possibilités illimitées de fichage, comment protéger nos libertés et droits fondamentaux comme celui de la protection de la vie privée ?

Il faut renforcer les droits des internautes pour répondre aux atteintes à la vie privée auxquelles internet peut donner lieu. Cela passe, par exemple, par le droit à l’oubli effectif, par la limitation de la durée de conservation des données ou encore par le recueil du consentement préalable des utilisateurs.

Afin d’encadrer strictement les fichiers dans le respect de nos principes constitutionnels, il est indispensable de revisiter la loi de 1978 concernant notamment le rôle et les pouvoirs de la CNIL, ses moyens juridiques en matière d’investigation et de pouvoirs de sanctions administratives et pécuniaires, ainsi que ses moyens humains, matériels et financiers. Trop de fichiers échappent encore au contrôle de celle-ci.

Pour permettre à cette institution d’exercer un contrôle réellement efficace au regard des objectifs que lui fixe la loi, il faut augmenter son budget annuel et ses effectifs, afin de mettre en place des délégués régionaux.

Il convient également de redonner à la CNIL le pouvoir qu’elle avait avant la loi du 6 août 2004 concernant les fichiers de l’État. Cette réforme a en effet permis que les fichiers dits de souveraineté, qui intéressent notamment la sûreté de l’État, la défense, la sécurité publique, la répression pénale, soient autorisés après un avis simple de la CNIL, alors qu’auparavant était exigé un avis conforme. Cette mesure a constitué un recul pour les libertés individuelles des citoyens et a affaibli le pouvoir de cette dernière.

S’agissant de la création de fichiers nationaux de police, j’estime que la compétence exclusive doit être réservée au législateur. La multiplication des fichiers informatiques, l’augmentation de la durée de conservation des données qui y sont consignées, l’élargissement du champ des personnes habilitées à consulter les fichiers, la multiplication des interconnexions de fichiers, la présence de nombreuses erreurs – non corrigées – dans certains fichiers constituent autant d’atteintes aux libertés individuelles et publiques auxquelles il convient de mettre un terme. C’est pourquoi il faut prévoir un moratoire en l’espèce.

Il serait également utile de dresser un bilan de tous les fichiers existants, des interconnexions possibles, des destinataires des informations stockées, etc.

Telles sont les observations et les pistes de réflexion que je tenais à formuler, au nom de mon groupe, non seulement à l’occasion de ce débat, mais aussi dans la perspective de la révision de la directive européenne de 1995 sur la protection des données personnelles.

Enfin, je ne saurais clore mon intervention sans remercier notre collègue Anne-Marie Escoffier de la ténacité et de la rigueur dont elle a fait preuve pour faire inscrire cette question orale à l’ordre du jour des travaux de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens à mon tour à saluer l’initiative d’Anne-Marie Escoffier. Le groupe du RDSE la soutient unanimement. Le travail de notre collègue, qui s’inscrit dans la droite ligne de celui qu’elle avait réalisé avec Yves Détraigne, est d’une particulière importance. Selon nous, sa contribution répond à une urgence qui n’échappe à personne.

Comme la fiction de Jules Verne fut vite dépassée par les réalisations techniques, tout un pan de la fiction de George Orwell dans son œuvre intitulée 1984 a été largement dépassé par la révolution numérique. Notre planète a bien été entièrement recouverte d’une toile dont les fils se reproduisent et se développent sans le concours de la matrice.

Cette toile est un moyen extraordinaire de communication et de lien entre les hommes. Elle crée un développement technologique et économique considérable à l’échelle de la planète, de nouveaux secteurs de recherche pluridisciplinaire, mais aussi de nouveaux besoins en énergie, ainsi que l’impérieuse nécessité de protéger chaque individu et sa liberté.

Au-delà des nouveaux phénomènes de délinquance découlant de l’explosion du numérique, la question du respect de la vie privée de chaque citoyen est devenue un enjeu majeur. En effet, l’accumulation de données concernant tous les domaines et toutes les étapes de la vie d’une personne entraîne inéluctablement des conséquences d’une gravité extrême. Il est même étudié la possibilité de « liquider une identité » pour permettre, dans certains cas, à des personnes de « repartir à neuf », si j’ose employer cette expression.

Nous savons tous – on peut saluer le travail d’information de la CNIL en la matière – qu’il existe des sociétés commerciales dont l’activité est de recenser l’ensemble des données personnelles relatives à chaque citoyen.

Le numérique et internet, outils extraordinaires de liberté d’expression, ne doivent pas devenir l’inverse de ce pour quoi ils ont été créés, c’est-à-dire un instrument de contrôle des individus, un instrument d’asservissement.

De la même manière, si les nouvelles technologies apportent de nouveaux moyens de préservation de la sécurité du citoyen et d’élucidation en matière d’infraction, elles ne sauraient en aucun cas permettre le développement des dérives sécuritaires ni les justifier ici, dans la patrie des droits de l’homme, encore moins qu’ailleurs. Il convient de garder un œil attentif sur l’augmentation exponentielle des fichiers d’antécédents divers et variés aux données difficilement effaçables, sur le développement tous azimuts de la vidéosurveillance et le traçage informatique des personnes grâce à la géolocalisation. Songez que la moindre compagnie de taxis peut maintenant localiser l’endroit précis d’où vous appelez.

Les États-Unis viennent de connaître un débat important sur un projet de loi anti-piratage, finalement ajourné, qui a mis en exergue le fait que la neutralité d’internet est une question cruciale : l’équilibre entre l’exercice des libertés et la protection légitime de l’ordre public est délicat à atteindre. Trop souvent encore, les intérêts commerciaux prennent le pas sur ce qui devrait faire consensus, la liberté comme règle et la restriction de celle-ci l’exception. Il n’est d’ailleurs pas anodin que les plus grands soutiens au projet SOPA soient les majors du disque et de la production cinématographique hollywoodienne, qui ont fait passer leurs intérêts économiques avant tout.

C’est bien pour cette raison – faire passer les droits des individus avant ceux du marché – que ce débat sur la protection de la vie privée est fondamental. Ainsi que notre collègue Anne-Marie Escoffier l’a souligné, Facebook ou Google sont, à cet égard, révélateurs : leur modèle économique est presque entièrement fondé sur les données personnelles de leurs utilisateurs, transformées en bases de données pour être revendues pour une publicité ciblée.

On peut penser aussi à l’émergence de procédés de harcèlement, grâce aux réseaux sociaux, qu’il s’agisse de Facebook ou d’autres, qui touchent prioritairement les jeunes âgés de douze à seize ans, car ils sont pris dans la nasse sociale du conformisme et du consumérisme. C’est parce que les plus jeunes n’hésitent pas à livrer des pans entiers de leur vie privée que ces phénomènes s’amplifient constamment.

Nous le savons, le temps est à la « publicisation » de la vie privée, que de nombreuses émissions de télévision fondées sur le dévoilement de tous les aspects de l’intimité n’ont fait qu’encourager.

Comme l’a rappelé à juste titre notre collègue Anne-Marie Escoffier, la France a l’une des législations les plus protectrices de la vie privée, avec l’article 9 du code civil. Le Conseil constitutionnel a même érigé cet article en principe à valeur constitutionnelle en 1999. Mais cette législation, avant-gardiste lorsqu’elle fut promulguée, peine aujourd'hui à s’adapter à une réalité en mutation permanente.

Le droit international et le droit communautaire ont également pris acte de cet impératif. Ainsi, la directive européenne de 1995, inspirée de la loi française de 1978, est en voie d’être révisée. Certains ont rappelé les travaux qui ont été réalisés hier à l'Assemblée nationale en la matière.

Le cadre juridique est aujourd’hui clairement inadapté. La CNIL, dont le travail doit être salué, a, à nos yeux, un rôle fondamental à jouer comme fer de lance de la régulation d’internet.

Les enjeux dépassent le seul cadre national, voire européen ; nous le savons tous aussi. De récents exemples aux États-Unis nous montrent que beaucoup d’efforts restent encore à faire !

Nous considérons – c’est l’objet de cette question orale – que la proposition de loi cosignée par Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne est une tentative importante et nécessaire pour renforcer les outils de la CNIL et, plus largement, pour réguler les mémoires numériques. Malheureusement – cela a été dit aussi –, ce texte n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Concomitamment, on peut effectivement s’inquiéter, s’agissant de la proposition de loi relative à la protection de l’identité, que n’ait toujours pas été tranchée la question de l’accès à certains fichiers à d’autres fins que la finalité du fichier. Nous considérons que le droit à l’oubli numérique doit impérativement devenir une réalité. Je suis sûr qu’un jour viendra – beaucoup plus proche qu’on ne le croit ! – où le respect de ce droit sera revendiqué comme une urgence.

N’attendons pas qu’éclatent de grands scandales. Essayons d’agir vite. Notre responsabilité est d’alerter en amont. Notre devoir de législateur est d’anticiper et non de subir ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe-André Frassa.

M. Christophe-André Frassa. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la question soulevée par notre collègue Anne-Marie Escoffier n’est pas d’une importance moindre.

Si le droit à la vie privée nous paraît être un droit acquis et une évidence à toute épreuve, les évolutions récentes de notre société nécessitent que nous débattions de cette question.

Nos concitoyens ont un véritable droit à la protection de leur vie privée, prévu par l’article 9 du code civil et renforcé par des dispositifs internationaux et européens dont la portée est plus que symbolique.

Clairement, la protection de la vie privée de chacun est inhérente à toute société démocratique, et nous ne saurions, en aucun cas, laisser une brèche se créer dans ce principe. La lutte contre l’insécurité ou le terrorisme ne saurait constituer un prétexte pour porter atteinte aux libertés fondamentales des individus. Ce n’est en rien la volonté du Gouvernement ni celle des Français.

Les juridictions nationales veillent pour défendre les intérêts des justiciables qui estimeraient leurs droits lésés. Elles sont les garde-fous de nos libertés, tout comme le législateur en amont de celles-ci.

Plus encore, la question de la protection de la vie privée ne s’inscrit pas que dans un contexte national. Nous sommes entrés dans l’ère des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Comme il a été précisé, nous vivons dans l’ère de la globalisation numérique, avec ce qu’elle comporte de positif et de négatif.

L’Union européenne comme le Conseil de l’Europe sont impliqués dans ces questions. N’oublions pas que la France est signataire de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont l’article 8 protège le droit à la vie privée. Elle renforce la liberté de chacun de s’informer, de communiquer et de s’exprimer.

Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs consacré le rôle d’internet dans sa décision du 10 juin 2009, en estimant « qu’en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services ; ».

La protection constitutionnelle de la liberté de communication et d’expression s’applique donc à internet, compte tenu du rôle croissant que joue ce média dans l’accès du citoyen à l’information. Mais le fonctionnement complexe et global de la société numérique pose des problèmes de gouvernance qui ont notamment fait l’objet de l’e-G8, dont le Président de la République a pris l’initiative l’été dernier. En effet, si internet participe à la croissance et favorise l’essor économique de nombre d’entreprises, certains problèmes persistent.

Les pouvoirs publics doivent donc innover afin d’assurer notre adaptation « à la révolution numérique », comme ce fut le cas avec la création de l’e-signature et du contrat électronique qui protègent les échanges commerciaux.

Mais les enjeux sécuritaires et économiques ne sauraient mettre à mal nos droits les plus fondamentaux.

Plusieurs aspects sont soulevés dans votre question, madame Escoffier : ceux de la collecte des données personnelles ou encore du droit à l’oubli. Il est en effet important que ces problématiques ne soient pas laissées inertes et que les pouvoirs publics s’en saisissent, tout en permettant la libération du potentiel numérique de la France.

La question de la protection de la vie privée à l’ère numérique est complexe, puisqu’elle intègre des acteurs globaux et multinationaux. Elle ne répond pas à une législation unique.

L’année dernière, nous avons adopté la loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques, qui transpose le « paquet télécom » en renforçant les dispositions existantes en matière de vie privée et de communication électronique. Il existe donc une réglementation en matière de protection des données personnelles à l’échelle de l’Union européenne.

Au passage, je salue le travail des membres de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, qui ont adopté hier la proposition de résolution européenne de notre collègue député Philippe Gosselin.

J’en reviens aux normes. Elles prévoient le droit d’accès pour les citoyens aux données à caractère personnel, gratuitement et sans contrainte, dans un délai de trois mois. Il existe aussi un droit de rectification des données à caractère personnel erronées ou incomplètes. Nos concitoyens peuvent donc se prévaloir d’un droit de verrouillage du traitement des données dans certaines circonstances et même d’un droit d’effacement des données traitées illégalement. Enfin, nous pouvons nous opposer à une opération de traitement pour motifs impérieux. Je tiens donc à saluer les actuelles initiatives européennes, qui, à mon sens, sont encourageantes.

Dans son discours du 16 mars 2011, la commissaire Viviane Reding avait fait part de son souhait de renforcer le contrôle des pratiques des services en ligne et des réseaux sociaux concernant le traitement des données personnelles. Elle proposait de fonder la protection des données personnelles des internautes sur quatre points : le premier est le fameux droit à l’oubli, qui se définit pour les internautes comme la possibilité de rétracter leur consentement et, pour les entreprises, comme l’obligation de prouver la nécessité de conserver les données privées ; le deuxième est la transparence et l’information des internautes ; le troisième est la régulation des réglages par défaut ; le quatrième, enfin, est l’application des normes des pays de présence des utilisateurs dans le traitement de leurs données, afin d’imposer aux entreprises le respect des législations en vigueur.

En tant qu’élus, nous sommes conscients de l’impact de ces nouvelles technologies sur la vie quotidienne de nos concitoyens. Dès lors, internet doit être au service des droits de l’individu, et le droit à une protection dans l’univers numérique doit être renforcé.

Bien évidemment, le débat est ouvert sur la forme de gouvernance à adopter en vue de favoriser « l’effectivité » de ces droits. Pouvez-vous, monsieur le garde des sceaux, nous éclairer sur ce point ?

Je conclurai en disant que la protection des données à caractère personnel et, plus largement, de la vie privée fait partie intégrante des libertés et droits fondamentaux reconnus à chaque citoyen. Notre objectif est de pallier les lacunes du droit en émettant un maximum de propositions pragmatiques et efficaces. Le droit à l’oubli et la garantie de protection lors du transfert des données hors Union européenne doivent faire partie de nos priorités. Je vous invite aussi à reconnaître la valeur d’internet dans la promotion des droits de l’homme et la protection des droits des internautes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Anne-Marie Escoffier et M. Yves Détraigne applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est aujourd’hui avec grand plaisir que je me joins à un débat engagé voilà plus de trois ans par certains de mes collègues de la commission des lois sur le droit à la protection de la vie privée.

Dans nos pratiques quotidiennes, si le recours croissant aux nouvelles technologies permet de formidables avancées en termes de partage du savoir, de diffusion de l’information et de communication entre les citoyens, il occasionne aussi de nombreux effets collatéraux et peut constituer une menace pour la vie privée. C’est en particulier l’accumulation des données personnelles ou d’ordre privé, encouragée de fait par les capacités de stockage quasiment infinies dont nous disposons aujourd’hui, qui est à l’origine de cette menace.

L’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacre le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il précise notamment qu’il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que si cela est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique.

Sur ce sujet, ce qui m’alarme, c’est que l’exception liée à la « nécessité de la sécurité nationale » tende à devenir la règle et que ce nouvel impératif passe désormais, dans nos démocraties, au-dessus du respect de la vie privée. Ainsi, je déplore le recours croissant à la pratique de collecte des données numériques par les administrations policière ou judiciaire.

À l’issue du mandat de M. Sarkozy, nous comptabilisons aujourd’hui soixante-dix fichiers, dont quarante-quatre ont été mis en place durant le quinquennat. La possibilité d’interconnexion entre ces différentes bases de données que permettent les technologies numériques est d’autant plus dangereuse pour les libertés individuelles ! Par exemple, la possibilité de consultation des fichiers STIC ou JUDEX lors d’enquêtes administratives révèle des informations sur la vie quotidienne de personnes qui peuvent ainsi se voir refuser un emploi.

Je suis frappée que les services de police et de justice se soient montrés techniquement incapables de faire face à cette multiplication des fichiers de données. La CNIL a en effet relevé, en 2009, que 83 % des données du fichier STIC n’intégraient pas les suites judiciaires – non-lieu, acquittement, relaxe ou condamnation. Ainsi, n’importe quel citoyen reconnu à terme innocent par la justice peut se voir refuser un emploi « sensible » faute d’une simple mise à jour. Et cela au nom de quoi ? D’une obsession sécuritaire et d’un déséquilibre injustifié entre les principes de sécurité et de droit au respect de la vie privée. Cette dérive est dangereuse pour les libertés individuelles.

De la part du pays des droits de l’homme, une telle méprise des libertés fondamentales est moins admissible encore, puisque nous dédouanons ainsi de manière évidente tous les excès sécuritaires d’autres pays déjà peu soucieux du respect des libertés individuelles. Force est de le rappeler aujourd’hui, c’est au nom de la « contribution à l’effort international de lutte contre le terrorisme » que la loi du 10 décembre 2003 a autorisé le régime de Ben Ali à commettre sur la population tunisienne la répression que vous connaissez.

La lutte contre le terrorisme international ne justifie pas tout. À ce titre, une vigilance accrue dans la signature d’accords internationaux doit être mise en œuvre, afin que la coopération policière ne soit pas une menace constante pour les libertés fondamentales.

Pour autant, la vie privée de nos concitoyens n’est pas menacée uniquement par les excès des autorités publiques. Pain béni du marketing commercial, la collecte des données permet aux entreprises d’effectuer une véritable intrusion dans la vie privée du consommateur en élaborant le profil de ce dernier d’une manière de plus en plus précise. La personnalité du client devient ainsi plus saisissable et ce dernier plus faible du fait du déséquilibre ainsi créé dans la détention d’informations.

En parallèle, cette révolution d’ordre technique a aussi encouragé une tendance sociétale à la « surexposition de soi », cela particulièrement chez les jeunes. De fait, la capacité d’ultramémorisation induite par les nouvelles technologies compromet le « droit à l’oubli », qui protégeait auparavant ce public vulnérable.

Les instruments de contrôle et de protection des libertés individuelles sont véritablement sous-dimensionnés face non seulement au pouvoir administratif, mais également aux acteurs commerciaux. Qu’attendons-nous pour légiférer dans le sens d’un renforcement des capacités d’action de la CNIL ?

À mon sens, c’est tout d’abord d’un renforcement de ses capacités matérielles dont la CNIL a aujourd’hui besoin, et un besoin urgent. Avec un ratio de deux employés par million d’habitants, cette autorité ne dispose pas des moyens humains nécessaires pour réaliser un travail efficace. À ce titre, j’approuve l’idée proposée par mes collègues dans leur rapport d’une redevance qui ponctionnerait les grands organismes prélevant des données et permettrait de financer les activités de la commission.

Il importe également d’accroître le pouvoir de sanction de cette autorité et d’augmenter le plafond des sanctions pécuniaires qu’elle est susceptible de prononcer.

En outre, je constate que, d’une manière générale, les citoyens et les consommateurs s’avèrent très peu informés et ne mesurent pas les menaces qui pèsent sur eux. Ils ignorent leurs droits effectifs et les moyens dont ils disposent pour les faire valoir.

Dans leur rapport d’information de mai 2009, Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne suggéraient l’avènement d’un homo numericus libre et éclairé grâce à un travail de sensibilisation et d’information auprès des jeunes générations, notamment à travers l’enseignement des droits liés aux usages numériques dans les cours d’éducation civique. S’il peut être un idéal, le concept ne saurait en aucun cas constituer un modèle à court terme, car le fait de responsabiliser un citoyen en l’informant de ses droits ne doit pas dédouaner les autorités publiques de l’exercice de leur mission de service public de suivi et d’accompagnement de leurs administrés. L’homo numericus, s’il doit conquérir son autonomie, ne doit pas se trouver seul face à l’État ou aux acteurs commerciaux.

Monsieur le garde des sceaux, nous attendons que, à l’image de Viviane Reding, vous fassiez preuve de volontarisme pour l’instauration d’un véritable « droit à l’oubli numérique ». Vous me répondrez certainement que votre collègue Nathalie Kosciusko-Morizet...

M. Jean-Louis Carrère. Elle est en campagne !

Mme Leila Aïchi. ... a mis en place une charte du droit à l’oubli dans les sites collaboratifs et les moteurs de recherche en octobre 2010. Certes, mais avec une valeur juridique bien limitée et, surtout, sans Facebook ni Google !

La vie privée de nos concitoyens mérite mieux que ce type de demi-mesure. La mise en place d’un véritable droit à l’oubli numérique doit permettre, demain, que plus aucun internaute, pas même le moins averti d’entre eux, ne puisse se voir refuser une embauche du fait de photographies publiées sur des réseaux sociaux.

Votre groupe politique à l’Assemblée nationale n’a pas su voter un texte permettant le droit à l’oubli numérique. Saisissons donc aujourd’hui l’occasion enfin offerte par la Commission européenne, en veillant toutefois à ce que l’harmonisation du contrôle entre les autorités juridiques des différents États ne se fasse pas au détriment des acquis de la CNIL.

N’êtes-vous pas censé défendre la justice et les libertés ? Quand le Gouvernement auquel vous appartenez reconnaîtra-t-il enfin par son action que le libéralisme économique et l’impératif sécuritaire ne sont en aucun cas plus légitimes que le droit à la protection de la vie privée ? C’est d’ailleurs d’autant plus vrai que les gouvernants instrumentalisent bien souvent l’insécurité pour justifier des mesures attentatoires aux libertés fondamentales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Louis Carrère. Moi j’applaudis les orateurs qui respectent les civilisations !

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Jeannerot.

M. Claude Jeannerot. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « La crainte de voir l’homme s’emparer totalement de l’homme est devenue le cœur de toutes les angoisses » écrit, dans Le Secret de la vie privée, Monique Contamine-Raynaud. L’auteur désigne ainsi le développement des nouvelles technologies, susceptible d’engendrer une traçabilité numérique des individus, souvent à leur insu.

Le droit au respect de la vie privée est une liberté fondamentale que nous devons protéger. Vous l’aurez compris, une telle considération se pose avec une acuité particulière dans le cadre des progrès technologiques, qui devancent souvent le législateur. Dans ce contexte particulier, ce droit requiert une protection qu’il faut sans doute réinventer.

À cet égard, la Commission nationale de l’informatique et des libertés a contribué à la construction d’un véritable droit d’internet, en émettant des avis toujours plus nombreux et en permettant d’appréhender les nouveaux défis qu’il nous faut relever quant à la protection de la vie privée et face au développement de plus en plus prégnant de mémoires numériques. L’une de ses missions est d’anticiper les problèmes auxquels pourrait se heurter demain l’« homme numérisé ». Pour cela, elle s’est dotée d’un service expérimental destiné à tester en temps réel les nouvelles applications numériques – je pense à la géolocalisation, à la vidéoprotection ou au développement des applications liées à internet –, afin de déceler les effets potentiellement attentatoires aux droits et aux libertés individuels.

C’est ainsi que les experts de la CNIL ont pu déceler, entre autres choses, que certains téléphones transmettaient des données à l’insu de leurs utilisateurs, notamment pendant leur sommeil. De tels exemples pourraient être aisément multipliés. L’augmentation exponentielle des saisines de la CNIL démontre d’ailleurs l’importance de son rôle dans le cadre de la défense du respect de la vie privée de nos concitoyens, de la protection contre ce que certains n’hésitent pas à qualifier de « harcèlement numérique » ou encore de la mise en place d’un véritable droit à l’oubli.

Aussi, devant l’émergence de nouvelles problématiques liées au développement rapide des progrès du numérique, plaider le renforcement du rôle, des missions et des moyens de la CNIL semble relever de l’évidence, tant sont immenses les défis que cette autorité a et aura à relever.

C’est pourquoi certaines dispositions de la proposition de règlement adoptée par la Commission européenne le 25 janvier dernier ne peuvent que susciter de l’inquiétude. Même si ce règlement comporte, reconnaissons-le, un certain nombre d’avancées, comme la clarification des règles relatives au consentement des individus quant aux informations recueillies sur eux ou encore la reconnaissance, sur le plan européen, d’un droit à l’oubli, deux mesures constituent un véritable recul, en portant atteinte au rôle de la CNIL, ce qui ne serait pas sans conséquence sur l’effectivité de la protection des droits et des libertés de nos concitoyens.

En premier lieu, la mise en place du critère du « principal établissement » est une mesure dont la présidente de la CNIL s’était déjà inquiétée lors de son audition par la commission des lois du Sénat le 12 décembre dernier. Concrètement, l’adoption de ce critère signifie que l’autorité compétente serait celle de l’État membre accueillant le siège de l’établissement qui fait l’objet d’une plainte par un citoyen. Ainsi, un citoyen français estimant que sa vie privée n’a pas été respectée verrait sa plainte traitée par l’autorité compétente d’un autre État membre, dès lors que le siège de ladite société se trouve ailleurs qu’en France. Le rôle de la CNIL serait alors limité à la réception et à la transmission de la plainte à l’autre autorité compétente. Son champ de compétences s’en trouverait considérablement réduit.

À titre d’exemple, la condamnation remarquée de Google par la CNIL au paiement d’une amende de 100 000 euros, en raison de la collecte illicite de données personnelles sur le territoire français, n’aurait pas été possible avec un tel système. Je fais référence à l’affaire Street View, qui remonte à mars 2011.

Une telle disposition n’est donc pas acceptable. Tout d’abord, elle rallongera considérablement les délais d’instruction des dossiers. Ensuite, elle contribuera de fait à éloigner le citoyen de son interlocuteur, lui donnant le sentiment que ses droits et ses libertés sont moins bien protégés, ce qui pourrait très bien être le cas si l’entreprise est basée dans un État plus permissif en la matière, à l’instar de l’Irlande ou du Luxembourg. Il s’agit d’une incitation à une sorte de dumping entre les différents États membres, au détriment de la protection des droits et des libertés de nos concitoyens.

D’ailleurs, comme le souligne la CNIL, c’est exactement l’inverse qui a été retenu en droit de la consommation, la compétence étant liée en cette matière au lieu de résidence du consommateur. La protection des droits du « cybercitoyen » serait-elle moins importante que celle du consommateur ? Il est impératif que les autorités nationales conservent leurs compétences dès lors qu’une saisine est effectuée par l’un de leurs citoyens.

En second lieu, la proposition de règlement prévoit une centralisation excessive des pouvoirs au profit de la Commission européenne. Ainsi, cette dernière serait compétente pour fixer les différentes lignes directrices en matière de protection des données personnelles ou encore de mise en œuvre du droit à l’oubli, au détriment d’un système plus participatif tel que le G29, lequel repose sur la concertation des différentes autorités compétentes au sein de l’Union européenne. Est-ce en renforçant le caractère technocratique de cette dernière que nous construirons l’Europe politique de demain ?

La position nationale qui sera défendue par le Gouvernement au sein du Conseil doit nécessairement prendre en considération les inquiétudes soulevées par ces deux dispositions. Une proposition de résolution européenne allant en ce sens a d’ailleurs été adoptée hier par la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale.

Une démarche similaire – je reprends complètement à mon compte la suggestion émise par ma collègue Anne-Marie Escoffier – devrait être entreprise au Sénat,...

M. Gaëtan Gorce. Elle le sera !

M. Claude Jeannerot. … afin de mettre en exergue nos vives préoccupations concernant l’efficacité de la protection du droit à la vie privée de nos concitoyens et son éventuelle altération par les deux dispositions que je viens d’évoquer de la proposition de règlement de la Commission européenne. Je souhaite très vivement que notre assemblée prenne position sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Gaëtan Gorce. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Chère madame Escoffier, vous nous avez réunis cet après-midi pour aborder une question essentielle, celle de la protection de la vie privée des citoyens. Cette matière est à la base de notre corpus constitutionnel et du régime politique qui nous permet de vivre ensemble. Je vous remercie donc d’avoir posé cette question. Comme nombre d’intervenants l’ont souligné, il est assez normal que nous nous rejoignons les uns et les autres sur ce principe de base, sans lequel la vie en société deviendrait impossible.

Il y a plus de trente ans, en adoptant la loi fondatrice du 6 janvier 1978 dite « informatique et libertés », la France fut précurseur en la matière. Ce texte, qui est la pierre angulaire de la protection des citoyens dans le cadre des traitements de données à caractère personnel, a doté la France d’une autorité de contrôle, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui réglemente la manière dont sont collectées, exploitées et conservées les données personnelles par les entreprises, les administrations et les individus eux-mêmes.

Cette loi, dont il convient de conserver les grands équilibres, est aujourd’hui encore un instrument permettant d’apporter des réponses adaptées et pérennes aux problématiques actuelles. Pour autant, le développement rapide des nouvelles technologies pose de nouveaux défis de taille s’agissant de la protection des données à caractère personnel et, par conséquent, de la vie privée des individus.

Vous l’avez tous souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, internet, qui est un vecteur sans précédent de la liberté d’expression et de communication, ne doit pas se transformer en espace sans règle ni droit. Certes, il offre un accès illimité à l’information, à la connaissance et à la culture, que l’on retrouve sur la toile sous des formes toujours plus variées. Le Conseil constitutionnel lui-même a eu l’occasion, dans sa décision du 10 juin 2009, de relever « l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions ». Sur les sites, les blogs et les réseaux sociaux, les échanges de données à caractère personnel se multiplient, sans pour autant que les personnes concernées en conservent la maîtrise.

Vous l’avez souligné, madame le sénateur, face au contexte de rapide mutation technologique dans lequel nous nous trouvons, l’effectivité du droit au respect de la vie privée suppose d’adapter les instruments juridiques propres à garantir la protection des données à caractère personnel. Tel est d’ailleurs l’un des objectifs poursuivis par la proposition de loi, présentée par M. Yves Détraigne et vous-même et inspirée de votre rapport d’information de mai 2009, visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique. La Haute Assemblée a adopté ce texte le 23 mars 2010.

Le Gouvernement, pleinement conscient des enjeux grandissants de la révolution numérique, s’est attaché à renforcer la protection des données personnelles avant que votre texte puisse être étudié par l’Assemblée nationale.

M. Gaëtan Gorce. Il n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est ainsi que les droits des personnes ont été consolidés. L’ordonnance du 24 août 2011, que vous avez oublié de citer, transposant la directive 2002/58/CE modifiée concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, interdit d’installer sur l’équipement d’un utilisateur des logiciels qui observent sa navigation sur internet sans l’en avoir informé et avoir recueilli son accord.

De même, ce texte a imposé aux fournisseurs de communications électroniques de notifier à la Commission nationale de l’informatique et des libertés et, dans certaines hypothèses, à l’abonné ou l’utilisateur, l’existence d’une faille de sécurité.

Par ailleurs, les moyens d’action de la CNIL ont été renforcés. En effet, cette autorité de contrôle doit disposer des ressources propres à garantir l’efficacité de son action au service de la protection des données personnelles.

Son budget a ainsi connu une augmentation de près de 50 % entre 2007 et 2010, passant de 9,9 millions d’euros à 14,7 millions d’euros. Ses effectifs, qui étaient de 105 personnes, ont également été sensiblement renforcés, pour atteindre le nombre de 148 personnes.

Ses moyens d’action juridique ont également été accrus. Le droit de visite inopinée dans les locaux des responsables de traitement a été inscrit à l’article 7 de la loi du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, sous réserve que la CNIL ait obtenu l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention.

À son article 8, que votre commission des lois avait d’ailleurs enrichi au cours du débat parlementaire, cette même loi du 29 mars 2011 a conféré à la CNIL le pouvoir de faire publier les sanctions qu’elle prononce, même en l’absence de mauvaise foi du responsable de traitement défaillant. Cette publicité garantit la diffusion auprès du grand public et des organismes concernés des comportements sanctionnés par la CNIL.

Si des avancées ont été obtenues, il est bien évident qu’il reste encore beaucoup à faire.

Précisément, le Gouvernement est aujourd’hui engagé, avec ses partenaires européens, dans la négociation de nouveaux instruments communautaires relatifs à la protection des données personnelles.

Comme l’a rappelé M. Jeannerot, la Commission européenne a rendu public, le 25 janvier dernier, deux projets de textes tendant à harmoniser, sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne, le droit applicable à la protection des données personnelles. Je me félicite de cette initiative, car, par définition, internet dépasse les frontières des États. C’est donc d’abord à l’échelon européen que doivent être redéfinis les principes applicables en la matière, pour une effectivité plus grande des droits de nos concitoyens.

La Commission a proposé un projet de règlement applicable à l’ensemble des traitements de données personnelles, à l’exclusion des fichiers de police et de justice, qui font l’objet d’un projet de directive.

Alors que débute la négociation de ces deux textes, il est d’ores et déjà possible d’identifier des évolutions positives. Il faut ainsi saluer la volonté de la Commission que le droit européen soit mieux opposable aux opérateurs basés hors de l’Union européenne qui traitent des données concernant des personnes résidant sur le territoire européen. De même, plusieurs dispositions sont de nature à assurer un renforcement des droits des personnes, par exemple la consécration du principe du consentement préalable ou la prise en compte des spécificités des données relatives aux mineurs, qui font l’objet d’une protection renforcée.

Cela dit, d’autres aspects de ce texte appellent à ce stade, de la part du gouvernement français, des réserves de principe.

Tout d’abord, la Commission a choisi de proposer un règlement – en lieu et place de la directive du 24 octobre 1995 – applicable au traitement des données personnelles. On peut s’interroger sur l’opportunité de retenir un texte d’application directe, alors que la législation française, la plus ancienne en la matière dans les pays de l’Union européenne, est bien souvent plus protectrice que celle de nos partenaires.

Ensuite, sur le fond, plusieurs points doivent retenir notre attention afin de ne pas amorcer de recul par rapport aux protections apportées par notre droit.

Le critère du « principal établissement » retenu par la Commission ne me semble pas acceptable. Sa mise en œuvre conduirait à ce que des citoyens français soient obligés de s’adresser, par exemple, à l’organisme de protection irlandais pour toute contestation relative au site internet d’une entreprise dont le principal établissement se trouverait en Irlande. Que la CNIL ne puisse pas faire prévaloir la loi française en dehors du territoire français est une chose, mais qu’on l’empêche d’intervenir lorsque la protection de la vie privée de citoyens français est en cause en est une autre. Clairement, cette évolution ne va pas dans le bon sens et le gouvernement français sera ferme sur ce point.

M. Gaëtan Gorce. Très bien !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. On peut également regretter que, au nom de l’objectif, certes louable, de simplification de la vie des entreprises, les fichiers ne fassent même plus, dans un grand nombre de cas, l’objet d’une simple déclaration à la CNIL avant leur mise en œuvre. Cela reviendrait à priver la CNIL d’une source précieuse d’informations tout en amenuisant sa capacité à orienter au mieux ses contrôles.

On le voit bien, le projet de règlement proposé par la Commission devra faire l’objet de modifications profondes afin de garantir la meilleure protection de nos concitoyens.

Le second texte proposé par la Commission européenne est un projet de directive relatif au traitement de données à caractère personnel à des fins de prévention et de détection des enquêtes pénales et de poursuite en la matière ou d’exécution de sanctions pénales.

Là encore, nous devons être vigilants pour que les choix opérés ne nuisent pas à l’efficacité des outils mis en œuvre pour prévenir et réprimer les infractions pénales. Je pense en particulier à la distinction entre les différentes catégories de personnes dont les données sont enregistrées – témoins, suspects, etc. – ainsi qu’à la distinction entre les données enregistrées selon leur fiabilité et leur caractère objectif ou non.

Telles sont les préoccupations du gouvernement français dans la négociation de ces deux textes.

Sur le plan national, d’autres évolutions doivent sans nul doute être envisagées. Nous sommes à cet égard attentifs, mesdames, messieurs les sénateurs, aux propositions que vous avez pu formuler.

Concernant la CNIL, il serait certainement nécessaire d’accroître encore ses pouvoirs afin qu’elle puisse réellement peser face aux responsables de traitement les plus puissants. Il ne faut toutefois pas surestimer l’effet dissuasif d’une augmentation du montant des sanctions pécuniaires à l’encontre des personnes ne respectant pas leurs obligations en matière de protection des données personnelles.

Madame Escoffier, monsieur Détraigne, dans votre proposition de loi, vous prévoyez de porter à 600 000 euros le montant de l’amende encourue en cas de manquements réitérés ; la Commission européenne le préconise également. Cependant, l’effet dissuasif d’une telle mesure doit être relativisé. La sanction financière reste l’ultime mesure lorsque les mises en demeure ont échoué. Or ces dernières se révèlent souvent efficaces : 111 mises en demeure ont été adressées par la CNIL en 2010, cependant que seulement quatre sanctions financières ont été prononcées. Je rappelle que la mise en demeure n’est suivie d’aucune sanction lorsque le responsable de traitement se met en conformité en temps utile.

Il est nécessaire de conserver cette échelle de sanctions.

S’agissant de la création d’un droit à l’oubli numérique, que préconise notamment Mme Escoffier, le Gouvernement entend qu’il n’y ait aucune ambiguïté : ce droit à l’oubli n’est certes pas expressément consacré dans notre droit, mais la loi informatique et libertés a prévu des mécanismes, tels le droit d’opposition et le droit de rectification ou d’effacement des données qui concernent une personne, y compris sur internet.

Cette loi permet également à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, dont, je le rappelle, les moyens budgétaires ont augmenté, de sanctionner tout responsable de traitement qui méconnaîtrait les droits d’opposition, de rectification et de suppression des personnes sur leurs données personnelles.

Au-delà des pétitions de principe sur la proclamation d’un nouveau droit, il convient surtout d’en rechercher l’effectivité dans le contexte d’internet.

Le projet de règlement rendu public par la Commission européenne confère aux internautes un droit effectif à l’oubli numérique dans l’environnement en ligne, c’est-à-dire le droit à faire effacer les données les concernant s’ils retirent leur consentement et si aucun autre motif légitime ne justifie la conservation de celles-ci. Le Gouvernement veillera à ce que ces dispositions, qui doivent être soutenues, ne se traduisent pas, paradoxalement, par un recul des droits des personnes en dehors de la sphère numérique.

Quant à votre proposition, adoptée par le Sénat, de désigner systématiquement un correspondant à la protection des données au sein des structures, publiques ou privées, qui mettent en œuvre d’importants traitements de données personnelles, elle ne recueille pas, en l’état, l’accord du Gouvernement. Nous estimons que la mise en place de tels correspondants doit demeurer facultative. En effet, le succès des correspondants à la protection des données, prévus par la loi depuis 2004, repose précisément sur le caractère facultatif de leur désignation. Il est seul de nature à favoriser la diffusion de la culture de la protection des données dans un esprit de confiance. La logique de contrainte risquerait d’être contre-productive.

Au-delà de l’évolution de notre droit, je crois aussi fondamental, tout comme vous, madame le sénateur, d’éduquer nos plus jeunes concitoyens à une utilisation responsable d’internet, en les sensibilisant notamment aux dangers liés à l’exposition de soi et d’autrui sur la toile. Je rappelle que la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication fait déjà partie du socle commun de connaissances et de compétences. Elle est sanctionnée par le brevet informatique et internet et permet à chaque élève de faire un usage responsable des technologies de l’information et de la communication.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est devenue, avec le développement spectaculaire du monde numérique, une loi fondamentale pour la protection des droits de nos concitoyens et des libertés publiques. C’est en respectant l’équilibre qu’elle a su trouver entre, d’une part, la protection de la vie privée et, d’autre part, le libre développement du traitement des données que nous ferons face aux défis que représente l’essor de l’outil numérique.

C’est dans cet esprit que le gouvernement français participera activement aux travaux en cours sur le plan européen, travaux auxquels seront bien entendu associés les parlementaires, car c’est probablement à ce niveau que se situe l’essentiel de la bataille pour la protection de ce droit fondamental qu’est le respect de la vie privée de chacun. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec cette question orale avec débat sur le droit à la protection de la vie privée.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures quarante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

Engagement de la procédure accélérée pour l'examen de trois projets de loi

Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen :

- du projet de loi autorisant la ratification du traité instituant le mécanisme européen de stabilité ;

- du projet de loi autorisant la ratification de la décision du Conseil européen modifiant l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en ce qui concerne un mécanisme de stabilité pour les États membres dont la monnaie est l’ euro ;

- et du projet de loi relatif à la majoration des droits à construire.

Ces textes ont été déposés ce jour sur le Bureau de l’Assemblée nationale.

5

Lutte contre la prolifération du frelon asiatique

Discussion d’une question orale avec débat

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la question orale avec débat n° 10 de Mme Nicole Bonnefoy à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement sur la lutte contre la prolifération du frelon asiatique.

Cette question est ainsi libellée :

« Mme Nicole Bonnefoy attire l'attention de Mme la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement sur les conséquences liées à la prolifération du frelon asiatique et la nécessité d'y apporter des réponses.

« Le frelon importé d'Asie, dit vespa velutina, a été identifié pour la première fois en France dans le Lot-et-Garonne en 2005 après son importation involontaire d'Asie. Depuis cette date, il n'a cessé de proliférer en France et serait aujourd'hui présent dans plus de 50 % des départements français métropolitains. Or cette prolifération n'est pas sans susciter de nombreuses inquiétudes qui, pour l'heure, n'ont pas trouvé de réponses adaptées.

« Le frelon asiatique s'avère en effet un actif prédateur d'abeilles qui représentent 80 % de son régime alimentaire. Il met ainsi à mal un maillon essentiel de la biodiversité en s'attaquant à ces grandes pollinisatrices, tout en occasionnant des préjudices importants aux apiculteurs, déjà confrontés à une crise, en menaçant ruchers et essaims. De plus, il apparaît désormais clairement que cette espèce peut s'avérer agressive envers l'homme comme l'ont démontré certains faits divers.

« Au regard de ces constats, il lui semble nécessaire de mettre en place un plan d'action pour procéder à la destruction des nids. Or, actuellement, la lutte demeure partielle et éclatée. En effet, les sapeurs-pompiers des services d'incendie et de secours n'interviennent qu'en cas de danger immédiat pour la population, et ce principalement sur le domaine public. Les particuliers sont alors contraints soit d'avoir recours à des prestataires privés dont les tarifs s'avèrent prohibitifs, soit d'entreprendre d'éliminer eux-mêmes les nids souvent situés à grande hauteur par des moyens dangereux, toxiques et polluants. De ce fait, peu de nids sont détruits, ce qui participe à la prolifération de l'espèce.

« Elle tient à préciser que l'ensemble de ces difficultés sont évoquées depuis plusieurs années par les préfets, les associations régionales de développement de l'apiculture et les élus, qui tentent, tant bien que mal, de trouver des solutions. De son côté, le monde apicole s'emploie à mobiliser les médias et à sensibiliser les élus à ce sujet. Elle rappelle pour sa part, que depuis sa première question écrite déposée en décembre 2010 et le dépôt de deux questions orales en avril 2011 et janvier 2012, la réponse du Gouvernement n'a que peu évolué.

« Elle regrette en effet que le Gouvernement n'ait pas encore pris des mesures concrètes pour apporter des solutions et déplore que l'on en soit encore au stade des propositions, et non dans l'action. Ainsi, aucun calendrier de mise en œuvre des mesures envisagées n'est arrêté et la question du financement et de la destruction des nids n'a pas été tranchée.

« En conséquence, elle souhaiterait que la ministre lui communique le plan d'action concret et précis que le Gouvernement compte mettre en œuvre pour lutter contre la prolifération du frelon asiatique. »

La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, auteur de la question.

Mme Nicole Bonnefoy, auteur de la question. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en cette semaine où l’ordre du jour du Sénat est consacré au contrôle de l’action du Gouvernement, je me félicite que le groupe socialiste ait décidé d’inscrire à l’ordre du jour un sujet qui préoccupe un nombre croissant de Français et qui, j’en suis sûre, n’a pas fini de susciter questionnements et inquiétudes dans les années à venir ; je veux parler de la prolifération du frelon asiatique.

Les dommages économiques et écologiques ainsi que les problèmes de santé publique causés par cet envahisseur vont bientôt concerner la majeure partie du territoire français. Les difficultés que cette situation sous-tend n’ont pas encore trouvé de réelles solutions alors que le monde apicole, les préfets ou les élus tentent, tant bien que mal, de limiter l’impact de cet insecte.

L’été dernier, cette problématique a pris une nouvelle ampleur avec le cas de plusieurs décès liés à des piqûres. La presse a alors relayé ces faits divers qui pouvaient, dans un premier temps, paraître isolés, et a ainsi démontré l’ampleur des risques encourus par la population et les préoccupations de l’opinion publique à ce sujet.

Malgré cela, le Gouvernement est resté passif et n’est pas intervenu pour permettre le classement du frelon asiatique dans la liste des espèces nuisibles.

Pourtant, à de nombreuses reprises, les membres du Gouvernement ont été interrogés par des parlementaires. J’ai, pour ma part, multiplié les interventions : questions écrites dès le mois de décembre 2010, questions orales, allant même jusqu’au dépôt d’une proposition de loi. Les réponses qui m’ont été faites ont chaque fois été les mêmes, à savoir qu’il n’y avait pas lieu de prendre des mesures contre cette espèce.

Il a fallu attendre le mois de décembre dernier et une question d’actualité à l’Assemblée nationale, pour que la position du Gouvernement semble s’infléchir un peu. Mais pour l’heure, rien n’est encore concrétisé !

Le groupe socialiste du Sénat a donc décidé de déposer cette question orale avec débat afin que le Gouvernement s’empare de ce dossier, qui relève de sa responsabilité, et s’engage à agir.

Je tiens à remercier Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement de sa présence au banc du Gouvernement, mais je regrette que le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’amendement du territoire, qui est pourtant en charge du pilotage de ce dossier, n’ait pas pris la peine d’assister à ce débat.

Je ne vais pas refaire ici l’histoire détaillée du frelon asiatique, mais il me paraît nécessaire de rappeler les circonstances de son apparition en France avant d’évoquer les conséquences de sa présence.

Le frelon asiatique ou frelon à pattes jaunes, vespa velutina de son nom latin, a été introduit accidentellement en France en 2005, voire en 2004, très certainement dans des poteries importées de Chine par un horticulteur du Lot-et Garonne. Les premiers nids ont été observés en avril 2005 dans ce même département, et le début de sa réelle expansion a commencé en 2006.

Depuis cette date, c’est-à-dire en six ans, le frelon asiatique s’est particulièrement bien acclimaté à notre pays en le colonisant à une vitesse impressionnante. Malgré le manque de données précises, on peut dire qu’il semble aujourd’hui présent dans la très grande majorité de nos départements métropolitains, dont quarante-quatre, majoritairement dans le sud-ouest de la France, sont plus particulièrement infestés. Sa zone d’extension serait de soixante-dix à cent kilomètres par an. Il a également été signalé en Belgique, à la frontière italienne et dans le nord de l’Espagne, posant ainsi clairement la responsabilité de la France à l’étranger du fait de sa non-action.

Il faut par ailleurs rappeler que le frelon asiatique a été inscrit dans la base de données européenne DAISIE, qui référence les espèces invasives. Par modélisation, on sait désormais que les potentialités d’expansion de l’espèce concernent la totalité de la France et la majeure partie de l’Union européenne. Seules les régions très froides du nord et très sèches du sud de notre continent seraient vraisemblablement épargnées.

Cette invasion est d’autant plus impressionnante que des travaux en cours d’étude tendraient à démontrer que le patrimoine génétique de vespa velutina présent en France est très pauvre, ce qui signifierait que peu, voire une seule femelle fondatrice, pourrait être à l’origine de cette expansion exponentielle.

Pourtant, dès son introduction en France, des spécialistes des hyménoptères ont souligné les risques liés à la présence de cet insecte exotique dans notre pays, risques particulièrement liés à ses comportements alimentaires. En effet, le bol alimentaire du frelon asiatique est constitué majoritairement d’insectes, et particulièrement d’abeilles, qui peuvent représenter jusqu’à 80 % de son alimentation. Ce prédateur peut, selon les périodes de l’année, se révéler extrêmement voraces et les ruches sont alors des cibles idéales, car elles constituent des garde-manger de choix.

La localisation des nids commence également à poser problèmes. Les scientifiques indiquent que le frelon asiatique s’installe plutôt en hauteur dans les arbres, à une quinzaine de mètres, ce qui ne présente pas de danger immédiat pour l’homme. Seuls les nids primaires, au début du printemps, seraient temporairement au ras du sol.

Néanmoins, depuis deux ans, apiculteurs et particuliers semblent observer une multiplication de nids à hauteur d’hommes, ce qui n’est pas sans provoquer des accidents. J’ai ainsi constaté, dans mon département, la présence de nids dans des haies, des buissons, des maisons et même dans des aires de jeux d’enfants dans des jardins publics.

La pression est donc quotidienne sur les populations et pose clairement la question de la sécurité de nos concitoyens. Elle nous renvoie également à la dangerosité de cette espèce que, pour ma part, je considère aujourd’hui comme avérée. Sans tomber dans la psychose, notons que l’on dénombre aujourd’hui huit décès liés à des piqûres – ils sont sans doute plus nombreux.

Par ailleurs, des invasions de frelons ont été observées sur les étals des marchés en fin d’été, ce qui entrave les ventes et inquiète les habitants.

Pour leur part, les apiculteurs et les services des pompiers pointent du doigt la particulière agressivité et dangerosité de cette espèce à proximité des nids.

Cette dangerosité relève non pas du venin de cet insecte, qui n’est pas plus toxique que celui de notre frelon européen, mais de la densité des nids et de la population qu’ils abritent.

Il faut avoir à l’esprit qu’en Gironde ont été dénombrés jusqu’à 10 nids dans un rayon de 600 mètres. Or un nid peut faire un mètre de diamètre et accueillir entre 1000 et 2000 individus. Les attaques peuvent donc être beaucoup plus massives et les risques de piqûres multiples bien plus importants que pour notre frelon.

Aujourd’hui, les principales inquiétudes, ou tout du moins les plus audibles, émanent des apiculteurs.

Comme nous le savons tous, depuis plus de dix ans, la filière apicole traverse une crise mondiale liée à une surmortalité des abeilles. Cette surmortalité a des origines multiples, et nous savons désormais que le frelon asiatique n’est « qu’un facteur parmi d’autres » : les pesticides, la monoculture ou encore le parasite varroa ont autrement plus d’impact sur nos abeilles.

Néanmoins, l’impact du frelon asiatique sur les populations d’abeilles en France est réel et visible. Cette menace ne doit surtout pas être négligée ! Elle prend deux formes distinctes qu’il faut appréhender différemment.

Tout d’abord, ce que nous pourrions appeler la menace directe du frelon asiatique se manifeste par une attaque physique sur un rucher et donc la mort immédiate d’abeilles. À partir du mois de juillet, le frelon asiatique arrive en masse devant les ruchers et peut se révéler alors extrêmement vorace. C’est à cette période que son besoin en protéines est le plus important, car il doit nourrir les larves des futures reines. Une ruche peut alors être véritablement vidée de ses occupants en quelques jours.

Mais les conséquences indirectes de la présence du frelon asiatique sont également préoccupantes, d’autant que c’est sûrement ce qui cause le plus de dégâts aux apiculteurs. En effet, c’est à cette même période que les abeilles commencent à constituer leur stock pour passer l’hiver.

Or la présence du frelon asiatique dans l’environnement de l’abeille va la stresser et l’empêcher de quitter le nid pour aller chercher du pollen et nourrir la colonie. De ce fait, les larves sont sous-alimentées, elles se meurent, la ponte s’arrête et les abeilles sont fragilisées. La ruche est donc condamnée à péricliter, car sa faiblesse au printemps entraînera sa disparition pure et simple.

Selon l’Union nationale de l’apiculture française, les dégâts dans le sud-ouest de la France sont déjà considérables. Le syndicat apicole de la Gironde a perdu, en trois ans, plus du tiers de ses adhérents et a ainsi déclaré aux assurances 532 ruches en moins par rapport à 2010.

Le syndicat a alors mené une enquête qui a démontré que le frelon asiatique était à l’origine de la disparition des colonies. Les exploitants les plus touchés sont les petits apiculteurs, amateurs ou semi-professionnels, disposant d’un cheptel de rucher assez réduit, de l’ordre d’une quinzaine de ruches au plus. Dans ces cas, les attaques de frelons asiatiques remettent en cause l’existence même de l’activité d’un apiculteur.

Or nous savons que le monde apicole se caractérise justement par un nombre très important de non-professionnels, ce qui permet d’assurer un maillage cohérent de notre territoire. Aujourd’hui, nous manquons cruellement de chiffres pour évaluer les dégâts occasionnés au monde apicole par le frelon asiatique. Il apparaît d’ailleurs que cette évaluation est difficile à mener ; mais elle reste possible !

Je suis pour ma part convaincue que, si nous avions une connaissance chiffrée de l’impact économique du frelon asiatique pour les apiculteurs, les pouvoirs publics réagiraient beaucoup plus rapidement.

Pour l’heure, rien n’est fait et les apiculteurs sont livrés à eux-mêmes. Je tiens d’ailleurs à saluer cette profession qui a réussi, dans certains territoires, à s’organiser seule, en mettant en œuvre des stratégies propres d’actions pour réduire la pression sur les ruchers, en organisant le piégeage des nids avec de petits moyens.

Devant ce constat, le monde apicole dénonce la passivité des pouvoirs publics qui, depuis 2004, n’ont apporté aucun soutien pour la destruction des nids, tout en refusant de classer le frelon asiatique en espèce nuisible.

Je sais que le Gouvernement a préféré, dans un premier temps, s’en remettre au travail des chercheurs. C’est ainsi qu’une mission interministérielle a été constituée et qu’un rapport a vu le jour en septembre 2010. Des recommandations ont certes été préconisées dans ce rapport, mais aucune n’a été suivie dans les faits. Nous savons que d’autres travaux menés par le Muséum national d’histoire naturelle ont suscité la controverse.

En effet, tout en confirmant la progression de l’aire colonisée par le frelon asiatique, ce rapport a précisé que son impact sur la production apicole était « relatif », celui sur la biodiversité « non décelé » et que, en l’absence de piège spécifique au frelon, il apparaîtrait raisonnable d’attendre qu’un nouvel équilibre naturel s’établisse dans les zones concernées.

En somme, il n’y a rien à faire, donc ne faisons rien, et, dans le cas présent, rien n’est fait !

Nous pouvons tous comprendre, dans pareille situation, le désarroi du monde apicole et l’interrogation des populations !

Nous aurions tort de considérer que le problème du frelon asiatique ne concerne que le monde apicole, car il est bien plus vaste. En effet, en s’attaquant à ces grandes pollinisatrices que sont les abeilles, le frelon asiatique met à mal un maillon essentiel de la biodiversité alors que de nombreuses espèces pollinisatrices sont déjà en train de disparaître.

Faut-il rappeler que 35 % de la production mondiale de nourriture résulte de la production de cultures dépendant des pollinisateurs ? Les dégâts vont être considérables dans les années à venir.

Selon une étude menée voilà quelques années par des chercheurs français et allemands de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, et du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, la valeur de la contribution des pollinisateurs à la production alimentaire mondiale était de 153 milliards d’euros en 2005 pour les principales cultures dont l’homme se nourrit, soit 9,5 % de la valeur de l’ensemble de la production alimentaire mondiale.

Trois catégories de cultures seraient principalement concernées : les fruits, les légumes, avec une valeur estimée à 50 milliards d’euros chacun, et les oléagineux avec 39 milliards. Du point de vue du consommateur, cette situation pourrait provoquer une augmentation des prix de l’ordre de 190 milliards à 310 milliards d’euros !

Nous ne sommes donc pas face à un petit problème !

L’usage intensif des pesticides occasionne des désastres pour notre équilibre écologique, et la disparition des insectes est aujourd’hui visible à l’échelle humaine, alors même que la nature a mis des millénaires à mettre en place un équilibre.

Bien Évidemment, nous savons que le frelon asiatique n’est pas l’unique et principal facteur de la surmortalité des abeilles. L’objectif n’est pas de trouver un coupable idéal, mais, à force de dire que les problèmes environnementaux sont multifactoriels, on ne fait rien et chacun rejette la faute sur l’autre : ce sont les pesticides, c’est le réchauffement climatique, ce sont les frelons asiatiques, etc.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Nicole Bonnefoy. De toute façon, les chercheurs semblent unanimes pour dire que le frelon asiatique ne pourra pas être éradiqué et qu’il fait désormais partie de notre biodiversité. Certes, mais ce n’est pas une raison pour ne pas accompagner, surveiller et encadrer sa prolifération !

L’État doit mettre en place un plan de lutte contre le frelon asiatique. Je suis d’accord avec le monde scientifique, il ne faut pas faire n’importe quoi, n’importe comment, n’importe où et avec n’importe quels moyens.

J’en viens maintenant à la question centrale de ce débat, à savoir les mesures à mettre en œuvre pour lutter contre l’impact économique et écologique du frelon asiatique.

Actuellement, la lutte demeure partielle, éclatée, sans coordination et très inégale. Aujourd’hui, il existe deux formes de lutte contre le frelon asiatique, à savoir le piégeage et la destruction des nids.

En matière de destruction de nids, tout se fait à la discrétion des départements et même des particuliers. Des collectivités ont certes tenté de mettre en place des plans d’action ou des aides financières mais, en l’absence de concertation et de coordination, ces actions s’avèrent largement insuffisantes.

Actuellement, la destruction des nids dans le domaine public est effectuée par les sapeurs-pompiers des services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, seulement en cas de danger immédiat pour la population. Lors d’une audition, le président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France nous a indiqué qu’il lui semblait très difficile, en l’état actuel de ses effectifs, d’envisager d’augmenter la capacité d’intervention des sapeurs-pompiers pour détruire les nids. Par ailleurs, il regrette que les pompiers n’aient jamais été associés aux réflexions sur le frelon asiatique alors même que ce sont eux, en bout de chaîne, qui doivent en assumer la charge.

M. Roland Courteau. C’est exact !

Mme Nicole Bonnefoy. En somme, dans la majorité des cas, les particuliers sont contraints d’avoir, soit recours à des prestataires privés dont les tarifs s’avèrent prohibitifs du fait de certaines dérives – de 200 à plus de 1000 euros l’intervention –, soit d’entreprendre d’éliminer eux-mêmes les nids, souvent situés à grande hauteur, par des moyens dangereux, toxiques et polluants.

Les particuliers ne pouvant pas détruire les nids ont souvent le réflexe d’appeler les services communaux, qui se trouvent alors démunis. Certaines collectivités ont, certes, mis en place des dispositifs de veille et de réaction efficace, mais, sans moyens, la lutte est perdue d’avance.

En conséquence, aujourd’hui, trop peu de nids sont détruits et certains le sont alors même qu’ils n’ont plus d’occupants.

En matière de piégeage, les apiculteurs sont totalement livrés à eux-mêmes et tentent de faire au mieux avec leurs moyens.

M. Roland Courteau. C’est artisanal !

Mme Nicole Bonnefoy. Or nous savons qu’il faudrait déterminer les meilleurs moyens de lutte, au niveau tant du type de piégeage que de la période de pose ou de la localisation des pièges.

Malgré les fortes divergences qui existent entre scientifiques et apiculteurs et l’inquiétant manque de dialogue, tout le monde semble s’accorder sur la nécessité de limiter la population du frelon asiatique afin de réduire sa nuisance et son impact économique pour le monde apicole.

Une stratégie d’intervention doit clairement identifier les actions à mettre en œuvre dans une cohérence nationale et avec des adaptations locales. Pour ce faire, plusieurs pistes de réflexions sont à envisager.

Première piste : un réel travail de recensement et de surveillance de l’espèce doit avoir lieu afin d’avoir une meilleure connaissance de la répartition et de la localisation des nids. L’Union nationale des apiculteurs français nous a indiqué qu’elle était prête à faire de la reconnaissance gratuitement pour éviter aux organismes de destruction d’effectuer des déplacements inutiles et de procéder à des destructions de nids vides.

Deuxième piste : il faut accélérer le travail des chercheurs afin de rendre les piégeages plus sélectifs. Des recherches sont actuellement menées pour constituer des pièges à phéromones. Nous savons que ce type de recherche demande du temps et des moyens. Je voudrais donc savoir si le Gouvernement entend accompagner et aider les chercheurs dans ce domaine en débloquant des fonds en conséquence.

Troisième piste : il est désormais indispensable de classer cette espèce en organisme nuisible au sens du code rural, de reconnaître son impact sur les cultures végétales et, dans un but d’intérêt général, de mettre en place des mesures de prévention, de surveillance et de lutte obligatoires.

Pour ce faire, je pense nécessaire de confier la destruction des nids à des organismes spécialisés à cet effet, comme les fédérations régionales de défenses contre les organismes nuisibles, les FREDON.

C’est seulement ainsi que nous donnerons une cohérence à l’action publique.

Quatrième piste, enfin : un vrai travail doit avoir lieu en matière d’information du public. Il paraît nécessaire de mettre à la disposition des mairies des plaquettes d’informations pratiques et concises, à destination des particuliers. Ainsi, nous pourrions éviter des accidents en indiquant les démarches à suivre en cas de découverte d’un nid.

Toutes ces mesures nécessiteront une concertation et un travail en commun entre les pompiers, les apiculteurs, les scientifiques, les élus locaux et le Gouvernement. Il n’est plus possible, madame la ministre, que chacun travaille de son côté, avec ses propres moyens, sans coordination et partages d’expériences !

Madame la ministre, j’espère que le présent débat favorisera l’avènement d’un plan d’action concret et rapide. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur la plupart des travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Alquier.

Mme Jacqueline Alquier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, selon l’évaluation des écosystèmes du millénaire par le programme des Nations unies en 2005, les espèces exotiques envahissantes constituent la deuxième cause mondiale d’érosion de la biodiversité, juste après la destruction des habitats. La question du frelon asiatique est donc importante.

À partir de quelques individus arrivés par accident dans le Lot-et-Garonne en 2004, probablement via le commerce horticole international, le frelon asiatique s’est déjà répandu dans près de la moitié de la France, et même au-delà de nos frontières. Le biotope européen lui étant favorable, il n’y a aucune raison qu’il s’arrête là.

Nous avons bien compris, après avoir auditionné les chercheurs du Muséum national d’histoire naturelle, qu’il fallait s’accommoder de la situation : le frelon asiatique fait désormais partie de la faune de France.

Je rappellerai, après Mme Bonnefoy, que la présence de ce prédateur engendre quatre menaces.

Pour la population, d’abord, les frelons sont une menace dans la mesure où ils sont agressifs dès que l’on s’approche trop près de leur nid, leurs piqures pouvant être mortelles. Heureusement, le plus souvent, les nids sont en hauteur dans les arbres, ce qui réduit les risques.

Le deuxième danger est la prédation du frelon asiatique sur nos ruches d’abeilles. Son régime alimentaire se compose très largement de nos abeilles domestiques, animal social facile à capturer. Par ailleurs, sa présence stresse les ouvrières qui ne sortent plus ; les provisions de pollen pour l’hiver ne sont alors pas assez abondantes et la ruche meurt au printemps suivant.

Le troisième danger est la perte de biodiversité, directement par la prédation de ce frelon sur les hyménoptères sauvages, et indirectement pour les espèces végétales que ces dernières contribuent à polliniser.

Enfin, la prédation des frelons sur les insectes constitue une menace économique pour les cultures et les arbres fruitiers qui ne sont plus pollinisés.

Or, si on ne peut pas reprocher à votre gouvernement de ne pas avoir « éradiqué » la « bête », car à l’impossible nul n’est tenu, on est frappé par l’absence de politique, de stratégie et d’objectifs en vue de répondre aux problèmes posés, en dépit des préconisations présentées dès 2009 par le Muséum national d’histoire naturelle.

On pourrait, semble-t-il, facilement s’accorder sur trois points.

D’abord, il est indispensable d’informer la population sur la situation. Depuis 2004, aucune information claire n’a été donnée. En ne disant rien, on favorise la psychose qui se développe parfois.

L’inquiétude est entretenue aussi par les apiculteurs, qui se trouvent bien démunis dans leur lutte contre les frelons. Il faut leur venir en aide. Le piégeage des frelons aux abords des ruches à la fin de l’été peut être efficace, mais des mesures administratives doivent être prises.

Enfin, il me semble que vos services et ceux du ministère de l’agriculture auraient pu, et ce depuis longtemps, décider du statut juridique du frelon, ce qui permettrait de mettre en œuvre ces mesures. Il leur aurait même été possible de s’appuyer sur deux propositions de loi, déposées tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Une modification du code rural et de la pêche maritime devrait permettre d’inscrire le frelon asiatique parmi les organismes nuisibles. La destruction organisée et contrôlée de cet envahisseur pourrait alors être envisagée.

Certes, cette lutte a un coût. Nous ne pouvons accepter que, dans un cas comme celui-ci, vous laissiez les particuliers, les apiculteurs et les collectivités faire le travail à votre place. Il s’agit en effet d’un enjeu qui dépasse largement celui de chaque collectivité et qui concerne l’avenir de la biodiversité de notre pays.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Jacqueline Alquier. L’organisation de la lutte contre le frelon asiatique est, de plus, un investissement utile. En effet, comme je l’ai dit en commençant mon propos, « l’aimable » frelon asiatique – rassurez-vous, je plaisante ! (Sourires.) – a choisi la France pour coloniser l’Europe. C’est évidemment regrettable, mais, sauf à fermer nos frontières, à contrôler chaque container qui arrive en France ou à pulvériser des insecticides sur les colonies de frelons, je ne vois pas comment on pourrait l’en empêcher.

Cette arrivée crée aussi des opportunités. En effet, nos chercheurs sont les premiers à étudier la biologie de cette espèce et à tenter de mettre au point des pièges sélectifs, par exemple par l’isolement de ses phéromones. Or ces chercheurs travaillent dans des conditions précaires : ils sont en perpétuelle recherche de financement, quand ils ne sont pas vacataires. C’est indécent et regrettable. En effet, si les introductions d’espèces ne sont pas un phénomène récent, elles se multiplient avec les échanges. Nous avons donc tout intérêt, me semble-t-il, à développer une ingénierie de pointe dans ce domaine.

Il faut se donner les moyens de lutter contre ces espèces, qui ont un impact environnemental, économique et sanitaire majeur, d’autant que, vous le savez bien, notre pays, via les collectivités insulaires d’outre-mer, où la faune et la flore sont particulièrement touchées par le phénomène, en est grandement victime.

Madame la ministre, je regrette les défaillances de l’information publique, la faiblesse des moyens consacrés à la recherche, les tergiversations liées à la mise en œuvre d’outils juridiques qui seraient adaptés à la lutte contre les dégâts causés par cet animal.

Je m’interroge sur les conséquences de cette situation. Notre pays ne pourrait-il pas, aux yeux de nos voisins européens, être considéré comme responsable de la prolifération du frelon asiatique, pour ne pas avoir consenti les moyens nécessaires pour l’appréhender, en anticiper et en limiter les effets ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur la plupart des travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier notre collègue Nicole Bonnefoy d’avoir saisi le Sénat de la question de la prolifération du frelon asiatique.

Je ne reviendrai pas sur les causes de l’introduction en France de cette espèce nouvelle ni sur les modalités des attaques particulièrement virulentes dont sont victimes les abeilles et d’autres insectes. Tout cela est connu et a été très bien décrit par Mme Bonnefoy.

Avant de poser quelques questions précises pour tenter ensuite d’apporter des réponses concrètes aux apiculteurs et aux élus sur le terrain, je voudrais insister sur l’importance du rôle des abeilles.

Indispensables à la pollinisation des fleurs, les abeilles constituent, nous le savons tous, un maillon essentiel de la chaîne qui contribue à maintenir l’équilibre des écosystèmes. Elles jouent un rôle primordial dans les diverses phases de la vie de nombreuses espèces végétales et animales. L’abeille mellifère est le seul insecte dont l’homme consomme la production : miel, pollen, propolis, gelée royale, cire.

Il est donc primordial de prendre la mesure des atteintes qui leur sont portées, que ce soit par le frelon asiatique ou par l’homme, à travers, par exemple, l’emploi de pesticides ou le développement de la monoculture.

Aujourd’hui, nous avons le sentiment que l’on ne veut pas vraiment saisir la question dans toute son ampleur. Peut-être ne sait-on pas, ou même ne veut-on pas combattre ? Or le péril existe.

L’évaluation des dangers sera donc le premier point sur lequel j’aimerais avoir des éclaircissements.

Le ministère de l’agriculture, dans les réponses apportées aux nombreuses questions parlementaires portant sur le sujet, explique que la pérennisation du réseau de surveillance de l’implantation et de l’extension du frelon asiatique est confiée au Muséum national d’histoire naturelle. Or les scientifiques peu nombreux qui travaillent sur ce sujet – ils ne sont que trois ou quatre – sont hostiles au piégeage des femelles fondatrices, ainsi qu’au piégeage autour des ruches non attaquées. Ils considèrent qu’une « lutte irraisonnée contre une espèce invasive peut conduire à son installation ». Nous constatons, pour notre part, que ne rien faire est le plus sûr moyen de voir le frelon asiatique coloniser l’ensemble de la France ! (Mme Nicole Bonnefoy acquiesce.)

M. Roland Courteau. C’est sûr !

Mme Évelyne Didier. Le développement des techniques de lutte a été confié à l’Institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation, ou ITSAP, créé en mars 2010. Faute de moyens, l’ITSAP délègue cette activité au Muséum national d’histoire naturelle. L’Institut national de recherche agronomique, l’INRA, quant à lui, ne mobilise qu’une ou deux personnes sur ce dossier.

Qui a tort ? Qui a raison ? La controverse existe, cela a été rappelé. Nous constatons, en tout état de cause, que l’action des pouvoirs publics à un échelon national est paralysée et que chacun, élu ou apiculteur, se débrouille comme il peut pour tenter de régler les problèmes qui se posent.

La réalité est pourtant préoccupante. Les frelons sont présents, on le sait, dans plus de 50 % des départements français métropolitains, et le front d’invasion progresse de 70 à 100 kilomètres par an. Leur nid se fait à partir d’une seule femelle, et une attaque décime des ruches entières d’abeilles. Depuis 2007, en Gironde, région touchée précocement par ce fléau, 71 apiculteurs familiaux ont disparu. Et eux ne reviendront pas !

Le frelon asiatique a été responsable d’une dizaine de morts dans ce département. Les accidents se multiplient parce que le frelon devient très agressif lorsque l’on s’approche de son nid, qui se trouve souvent dans des endroits inattendus ou surprenants. Il serait utile que, outre les centres antipoison, les hôpitaux soient aussi associés au recensement des accidents et des décès imputables au frelon asiatique.

Je voudrais ensuite évoquer les propositions avancées par les ministères de l’agriculture, d’une part, de l’écologie et du développement durable, d’autre part.

Le ministère de l’agriculture a assuré que « la préservation des populations d’abeilles en France fait partie des sujets importants ». Tant mieux ! Mais c’est bien le ministère de l’écologie qui propose de classer le frelon asiatique parmi les organismes nuisibles, affirmant dans un communiqué de presse en date du 22 décembre 2011 que ce même ministère travaille « depuis plusieurs semaines à son éventuelle inscription dans le code rural et de la pêche maritime ».

Notre première question est la suivante : pouvez-vous nous préciser quel ministère et quelle direction, à l’intérieur de celui-ci, suivent vraiment le dossier ?

J’en viens au deuxième point de mon intervention. Si nous souscrivons complètement aux critiques opposées au classement du frelon asiatique parmi les espèces nuisibles au titre du code de l’environnement, son classement au titre des organismes nuisibles pose un problème. En effet, la nuisance créée par le frelon asiatique est jugée au regard des dommages qu’il cause aux cultures, notamment fruitières. De fait, les abeilles sont oubliées, écartées de l’analyse. On retient le seul aspect économique, en omettant de parler de la biodiversité. Si la solution proposée par le ministère de l’écologie est intéressante, de par la célérité de mise en œuvre qu’elle pourrait offrir, nous aurions préféré que soit créée une nouvelle catégorie de prédateurs, en plus des parasites ou des maladies, qui sont susceptibles de mettre en danger une espèce animale.

Le troisième point sur lequel j’aimerais avoir plus d’informations concerne les réponses concrètes que le Gouvernement apportera, notamment en matière de piégeage, une fois les frelons classés parmi les organismes nuisibles. Pour les apiculteurs, le piégeage au printemps des femelles reproductrices est très important, ce qui n’est pas du tout l’analyse du Muséum national d’histoire naturelle. Les scientifiques considèrent que les pièges qui ne sont pas sélectifs portent une atteinte trop importante à d’autres espèces. Cette analyse est à relativiser quand on sait que le frelon asiatique, qui n’a pas de prédateurs, compromet non seulement la survie de nombreuses colonies d’abeilles, qu’elles soient sauvages ou non, mais qu’il se nourrit également d’autres insectes et notamment de butineurs. C’est donc l’ensemble des pollinisateurs qui risquent d’être affectés, ce qui ne va pas sans compromettre de nombreuses productions fruitières et agricoles.

De plus, le piégeage précoce a montré son efficacité dans la pratique. Le département de la Dordogne, premier département à avoir participé à la lutte contre les fondatrices par des pièges systématiques mis en place par les communes et les communautés de communes, a vu le nombre de nids présents sur son sol considérablement diminuer. Cependant, il est important qu’un plan de lutte soit organisé au niveau national, afin de contrôler la prolifération et d’éviter de déplacer le problème. On peut également imaginer que soient organisées des formations pour les agents communaux au sein de chaque département.

J’en arrive au quatrième point de mon intervention. Il nous semble utile d’associer les particuliers à la lutte contre le frelon asiatique.

Cela suppose une bonne information. Du matériel existe déjà : l’Union nationale de l’apiculture française a publié un hors-série très explicite en mars 2010 (L’orateur brandit un document.). La région Île-de-France a également développé une plaquette.

Cela suppose qu’on ne confie pas aux particuliers la charge de financer la destruction des nids, qu’on ne les laisse pas seuls face à leur découverte. Des groupements bénévoles de défense sanitaire des abeilles, tout comme les apiculteurs, se sont équipés pour détruire les nids, mais ce n’est pas suffisant. Les services de sécurité civile, très diminués, notamment du fait de la mise en place de la révision des politiques publiques, n’interviennent qu’en cas de danger immédiat pour la population dans le domaine public.

Les particuliers, notamment en raison du prix, ont souvent le réflexe d’appeler les services communaux, qui se trouvent alors démunis. Il est donc nécessaire que le Gouvernement présente un plan cohérent de destruction des nids ou du moins de lutte contre la prolifération du frelon asiatique.

Mme Évelyne Didier. S’agissant du financement, nous aimerions savoir comment le Gouvernement a prévu d’indemniser les apiculteurs qui ont perdu leur rucher afin qu’ils puissent rétablir leur activité.

Enfin, un projet de recherche devrait être engagé afin d’améliorer les pièges et d’explorer des pistes nouvelles. Je pense notamment à une action sur les phéromones pour permettre une lutte conventionnelle par confusion sexuelle.

Les élus et les apiculteurs attendent beaucoup de ce débat, madame la ministre. Il est urgent de mettre en place une lutte coordonnée, afin de limiter très fortement la prolifération de cet insecte avant que le point de non-retour ne soit atteint. J’espère que vous nous apporterez les réponses nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, introduit en 2004 par inadvertance dans le Sud-Ouest, le vespa velutina, dit frelon asiatique ou encore frelon à pattes jaunes, colonise insidieusement notre pays.

De trois nids recensés en 2004 dans un seul département, nous sommes passés à près de 2 000 nids en 2010, disséminés dans plus de 40 départements. Chaque année, le front d’invasion s’élargit de 100 kilomètres.

On pourrait, bien sûr, se dire que cette espèce fait désormais partie de la faune française et qu’il va falloir apprendre à vivre avec. Malheureusement, elle devient une véritable menace.

C’est une menace pour la filière apicole, d’abord, car le frelon asiatique attaque et tue les abeilles européennes, mettant à mal une activité importante pour nos terroirs.

Dans le Lot, croyez-moi, la menace que représente le frelon asiatique, tueur d’abeilles, est bien réelle. Le bilan 2009 des nids signalés par les communes et apiculteurs référents – le dernier dont on dispose – fait état de 172 nids présents sur le département. En outre, ces résultats ne sont que partiels car, lorsque l’on interroge les destructeurs de nids, les chiffres sont bien supérieurs.

Ces colonies de plusieurs milliers d’individus se postent devant les ruches pour leurs festins. Les dégâts sont très lourds. C’est toute une production qui est touchée.

Le Lot compte 9 000 ruches, dont 3 000 appartiennent à une dizaine d’apiculteurs professionnels pour 650 propriétaires de ruches. Ce secteur est déjà fragilisé par l’utilisation des insecticides et la disparition des fleurs mellifères. Mais le frelon d’Asie reste le fléau numéro un. Les bergers d’abeilles ont enregistré jusqu’à 15 % de perte dans leurs ruchers à cause de lui. Un apiculteur qui ne possède que quelques ruches peut voir 100 % de son cheptel anéanti.

C’est une menace pour la biodiversité, ensuite, car la prolifération de cette espèce, qui n’a pas de prédateur, est alarmante, chaque nid comportant 4 000 à 5 000 frelons. En exerçant une pression prédatrice sur les abeilles mais aussi sur les guêpes autochtones, elle pourrait présenter des risques sur la fonction de pollinisation assurée par ces deux insectes. Certains craignent aussi pour les productions fruitières, le frelon consommant également des fruits et bâtissant ses nids dans les arbres, y compris dans les arbres fruitiers.

C’est une menace pour l’homme, enfin. En effet, s’il ne faut pas sombrer dans la psychose, il importe de souligner que l’on a déploré cet été plusieurs cas de décès en France causés par des frelons asiatiques. Certes, les statistiques sur les piqûres et leurs conséquences montrent que le vespa velutina ne constitue pas pour l’homme un danger supérieur à celui que font courir d’autres hyménoptères endémiques tels le frelon européen ou la guêpe. Cependant, lorsque le frelon attaque, il peut être d’une agressivité peu ordinaire. Le facteur de danger résulte surtout du nombre élevé d’individus qui participent à une attaque, et ce nombre peut être beaucoup plus important que lorsqu’il s’agit du frelon européen. Par ailleurs, le risque est majoré en cas d’intervention, en raison de la hauteur des nids.

Or force est de constater, en dépit de ce tableau, une certaine passivité de l’État. Aucune mesure n’a été prise ; beaucoup de temps a été perdu.

Je peux comprendre que l’insuffisance de données scientifiques ait poussé le Gouvernement à une certaine circonspection au début. Mais l’explosion du nombre de nids dans les départements du sud-ouest en 2007 et en 2008 a suscité de vives émotions et des inquiétudes légitimes.

De très nombreuses informations, pas toujours étayées, parfois erronées, ont circulé sur internet ou dans des revues associatives. Elles ont sans doute contribué à forger une perception du risque vécu très au-delà de la réalité. Mais à qui la faute ?

Alors même que certains parlementaires attiraient l’attention des ministres sur le problème – au sein de notre groupe, Anne-Marie Escoffier et Jean Milhau avaient déjà interpellé le Gouvernement –, l’État n’est pas intervenu dans la gestion des informations ou des connaissances et n’a pas formulé de préconisations pour faire face à une telle invasion.

Il y a bien eu la mission lancée en 2010 par les ministères concernés. Mais, tout en confirmant la progression inévitable de l’aire colonisée par le vespa velutina, elle a abouti aux conclusions que l’impact était « relatif » sur la production apicole et « non décelé » sur la biodiversité et, finalement, qu’il était urgent d’attendre.

Il n’est donc pas étonnant que la profession apicole se soit sentie incomprise, voire méprisée. Elle n’est pas restée inactive, diffusant des connaissances et des préconisations, notamment sur le piégeage des reines, préconisations relayées par certaines collectivités locales. Sa forte mobilisation et celle des élus ont finalement conduit les préfets des départements les plus concernés à organiser l’action locale.

L’évolution des connaissances et l’analyse des conséquences de certaines de ces préconisations ont conduit le milieu scientifique à être critique sur certaines d’entre elles.

Reste qu’il faut bien freiner la prolifération sur le terrain. Et la guerre contre l’envahisseur est difficile à mener. Elle demeure éclatée et, surtout, elle se fait sans moyens.

Les services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, qui sont très sollicités, n’interviennent plus qu’en cas de danger immédiat pour la population ou de carence du secteur privé. Certaines collectivités – c’est le cas de ma commune – prennent en charge les frais de destruction. Ailleurs, les particuliers doivent en supporter la charge, qui va de 80 euros à 400 euros en moyenne. En réalité, beaucoup d’entre eux ont le réflexe d’appeler la mairie, qui se trouve souvent démunie, ou, pire, tentent d’intervenir eux-mêmes, à leurs risques et périls. Et je ne vous parle pas des coups de fusil qui sont tirés dans les nids…

Dans ce contexte, nous demandons que le frelon asiatique soit classé parmi les espèces nuisibles – cette décision aurait dû être prise depuis longtemps – et que les moyens adéquats pour enrayer sa dangereuse prolifération soient mobilisés.

Que comptez-vous faire concrètement à court terme, madame la ministre ? Où en sont les recherches sur des méthodes de lutte sélective ?

Notre collègue Nicole Bonnefoy, dont je salue la qualité des travaux, propose la création d’un fonds de prévention contre la prolifération du frelon asiatique, qui serait abondé par un prélèvement sur la vente des produits phytosanitaires. Avec mes collègues du RDSE, je soutiens une telle initiative. On ne peut pas rester sourd au cri d’alarme des apiculteurs. Ils attendent non pas des miracles, mais des réponses précises aux inquiétudes qui sont les leurs.

Dans mon département, le Lot, chaque projet routier se heurte à la sauvegarde de nombreuses espèces, notamment d’un petit animal appelé crapaud sonneur à ventre jaune. (Exclamations amusées.) Il faut attendre les résultats d’une étude menée par un naturaliste pendant un an avant de pouvoir commencer les travaux !

Alors, perdons un peu moins de temps à sauvegarder le crapaud sonneur à ventre jaune et occupons-nous un peu plus du frelon asiatique à pattes jaunes ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Jouanno.

Mme Chantal Jouanno. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis de participer à ce débat sur le frelon asiatique. Nous poursuivrons ce soir par un débat sur la biodiversité, ce qui nous permettra sans doute de mettre en évidence les enjeux patrimoniaux, voire économiques de celle-ci.

Il est vrai que la révolution industrielle nous a fait rompre avec une tradition de valorisation des biens naturels. Le fameux PIB, qui est notre boussole économique et politique, ne leur accorde aucune valeur et nous incite au mieux à les ignorer, au pire à les renier. Vous connaissez bien cette question, qui a été soulevée par le rapport Stiglitz et le rapport Chevassus-au-Louis, dont l’initiative revient à Mme la ministre.

À ce titre, la question du frelon asiatique est extrêmement intéressante, car elle permet d’illustrer la contribution de la biodiversité tant à notre propre développement qu’à la croissance économique.

Parmi les multiples facteurs qui participent à la surmortalité des pollinisateurs constatée dans la plupart des pays producteurs, la responsabilité du frelon asiatique a été clairement identifiée.

Je n’entrerai pas dans le débat sur les aspects sanitaires ; sans doute Mme la ministre y reviendra-t-elle. Pour ma part, j’aborderai la question cruciale de la destruction des abeilles et de ses enjeux tant environnementaux qu’économiques.

Comme cela a été souligné, l’arrivée de cette espèce invasive au début des années 2000 n’a au départ été perçue par personne. On a mis un certain temps avant d’en prendre conscience et de comprendre, d’une part, qu’il était trop tard pour pouvoir l’éradiquer et, d’autre part, que nous ne disposions pas des connaissances suffisantes pour y parvenir. Les débats qui se déroulent aujourd'hui sur les méthodes de piégeage le montrent bien.

Permettez-moi de formuler deux interrogations.

La première, qui a déjà été soulevée, est celle du classement. Le classement est une des modalités pour mobiliser les moyens publics. Contrairement à ce qui a été indiqué, nous avions commencé à engager la procédure de classement dans les espèces nuisibles, au titre du code de l’environnement, ce qui n’a juridiquement pas pu aboutir, la mission d’inspection n’ayant pu identifier de risques spécifiques pour l’environnement.

D’où cette nouvelle piste : l’inscription comme organisme nuisible au titre du code rural et de la pêche maritime. C’est une piste très intéressante qui permettrait de mobiliser des moyens puissants déjà existants. Certes, ce code ne vise normalement que les végétaux, mais il y a le précédent des ragondins…

J’aimerais, madame la ministre, que vous nous informiez de l’état d’avancement de cette procédure. À mon avis, plusieurs parlementaires seraient tout à fait disposés à vous soutenir et à reprendre la proposition de loi déposée par le député Philippe Folliot sur ce sujet.

Ma deuxième interrogation porte sur la politique en faveur des pollinisateurs – même s’il n’est pas très juste pour moi de parler d’« interrogation », dans la mesure où je connais tout de même un peu le sujet…

En tout cas, il n’est pas juste d’affirmer que rien n’a été fait en la matière et que nous nous sommes cachés derrière l’aspect multifactoriel de la surmortalité des pollinisateurs.

De nombreuses actions ont été engagées. Je pense notamment aux mesures prises pour mettre en œuvre les conclusions du rapport de Martial Saddier, qui portaient sur la nécessité de développer les cultures apicoles : les prairies fleuries, les bordures des routes et autres cultures mellifères.

On peut également rapprocher ce problème de la mise en œuvre de la trame verte et bleue. La question est très compliquée ; je me souviens des difficultés de Paul Raoult à cet égard.

Bref, madame la ministre, j’aimerais savoir où nous en sommes dans ces trois domaines : les cultures apicoles, la mise en œuvre de la trame verte et bleue et le plan Écophyto 2018.

En conclusion, je dirai que je ne m’associe évidemment pas aux propos virulents qu’a tenus Mme Bonnefoy à l’encontre du Gouvernement. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Claude Bérit-Débat. Les propos de notre collègue étaient très équilibrés !

Mme Chantal Jouanno. Mme la ministre n’a jamais failli.

Toutefois, je tiens à remercier notre collègue d’avoir pris l’initiative de ce débat, qui n’est pas – cela a été rappelé maintes fois – un débat secondaire.

Mme Nicole Bonnefoy. Tout à fait !

Mme Chantal Jouanno. Je me souviens de certains sourires ou commentaires narquois à l’annonce de ce débat sur le frelon asiatique. Et pourtant, il serait temps pour certains de mesurer l’enjeu que représente un tel dossier pour la France : il concerne 2 milliards d’euros, autant que le secteur de la volaille ! Le seul exemple des régions chinoises où les pollinisateurs ont disparu et ont été remplacés par des travailleurs devrait nous inviter à réfléchir un peu avant de sourire.

Telle est l’ampleur du débat qui est ouvert. Je tenais à insister sur ce point, car la biodiversité est un sujet qui me tient à cœur, comme à tous ceux qui siègent dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR. – Mme Nicole Bonnefoy applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.

M. Claude Bérit-Débat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, force est de constater que les pouvoirs publics n’ont pas immédiatement pris la mesure des conséquences de l’arrivée du frelon asiatique sur notre sol.

Il représente pourtant un danger pour l’homme, mais aussi une réelle menace pour les abeilles, dont il se nourrit, et pour la biodiversité, comme cela a été brillamment exposé par notre collègue Nicole Bonnefoy.

Je considère donc pour ma part qu’il est plus que temps, après plusieurs années de tergiversations, de prendre des mesures effectives et efficaces face à cette menace.

La question est délicate, je l’admets. Il est aujourd’hui encore difficile de mesurer précisément l’impact des frelons asiatiques sur l’activité apicole ou agricole. Pourtant, nul ne peut plus contester que ces frelons nuisent aux abeilles elles-mêmes et, par là, à la pollinisation nécessaire aux cultures agricoles et fruitières.

Il suffit d’avoir vu ces frelons attaquer une ruche pour se convaincre de leur effet sur la filière apicole.

Certes, la mortalité des abeilles est aussi liée à l’utilisation de pesticides, ainsi qu’aux ravages causés par le varroa. Il n’en demeure pas moins vrai que les frelons ont une part importante dans ce phénomène. On ne peut toutefois pas encore établir scientifiquement, et je le regrette, qu’ils sont un facteur principal de mortalité des ruchers ni qu’ils ont un impact réel sur la production agricole. C’est ce qui a empêché jusqu’à présent leur classification en « nuisibles ».

Ils ont pourtant à la fois un impact direct sur les abeilles, lorsqu’ils les attaquent, mais aussi un impact indirect, puisqu’ils les stressent, nuisant ainsi à la production de miel et à la reproduction.

Je pense donc qu’il faut dépasser le stade de la controverse scientifique pour reconnaître enfin clairement leur lien direct avec une nuisance sur le monde végétal.

Dans mon département, la Dordogne, on constate depuis l’apparition du frelon une baisse de pollinisation au niveau des plantations de pommiers et de pruniers, mais aussi des effets sur la production de fraises plantées en plein champ, cet insecte s’attaquant même aux fruits rouges.

Les dégâts du frelon asiatique sur l’activité apicole sont d’ores et déjà avérés. Je prendrai encore une fois l’exemple de la Dordogne, qui a été un des tout premiers, après le Lot-et-Garonne, à être envahi par ces insectes.

D’après une enquête menée par le groupement de défense sanitaire apicole de la Dordogne, on constate ainsi, pour 2010, que 27 % des ruches sont affaiblies et que près de 6 % ont été décimées par le frelon. Cette même étude chiffre le coût de ces pertes à plus de 45 000 euros pour les années 2009-2010.

Face aux dangers pour l’homme, qui sont réels puisque l’on compte malheureusement un certain nombre de décès, aux menaces pour l’activité apicole et aux conséquences sur la pollinisation, il est plus que temps d’agir.

Or les solutions actuelles sont bien insuffisantes. On manque par exemple de techniques efficaces pour piéger le frelon. Les méthodes utilisées ne permettent pas un piégeage spécifique des frelons, d’où les risques d’aggraver le mal au lieu de l’éradiquer.

Dans ce contexte, il est important de mettre en place une action coordonnée à l’échelon national pour enrayer un phénomène indiscutablement nuisible à l’activité apicole, mais aussi, plus généralement, à la biodiversité.

Je suis d’ailleurs étonné de constater que, depuis plusieurs années, chacun s’accorde à reconnaître la nécessité d’une politique à l’échelon du territoire sans que l’on soit encore parvenu à la mettre réellement en place !

Nous avons besoin d’un plan d’action vigoureux établissant des modalités de piégeage efficaces qui permettent de lutter contre le frelon, même si nous ne pouvons l’éradiquer malgré les efforts indéniables réalisés, comme l’a souligné Mme Didier, par les communes, les intercommunalités et les conseils généraux. De ce point de vue, j’espère que les pièges à phéromones seront rapidement mis au point.

Ce plan d’action devrait aussi disposer d’un volet visant à limiter l’impact du frelon sur les cultures et à protéger les populations, car le danger est bien réel.

En un mot, il faut aller plus loin, plus vite.

À cet égard, madame la ministre, permettez-moi de m’étonner du fait que notre unique interlocuteur soit le ministère de l’écologie.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Ce n’est pas à moi qu’il faut le reprocher !

M. Claude Bérit-Débat. Sans vouloir remettre en cause votre action dans ce domaine, il me semble que le sujet devrait intéresser tout autant, sinon plus, le ministère de l’agriculture que le vôtre !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Dites-le au ministre de l’agriculture !

M. Claude Bérit-Débat. Peut-être est-il temps qu’une collaboration interministérielle soit mise en route.

Au final, je vous poserai la même question que mes collègues : à quand la mise en place d’un plan d’action national, souhaité par tous les acteurs concernés ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.

Mme Françoise Férat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ne pouvant être présent aujourd’hui parmi nous, notre collègue Henri Tandonnet m’a chargée d’intervenir à sa place et de vous faire part de ses réflexions.

Espèce nouvelle pour la faune européenne, vespa velutina nigrithorax, plus communément appelé « frelon asiatique » a été officiellement signalé pour la première fois dans le Lot-et-Garonne en 2005. Il me tient à cœur d’intervenir aujourd’hui sur ce sujet, qui demeure l’objet de vives inquiétudes.

Largement répandue dans le sud-ouest de la France dès la fin de l’année 2006, la présence de cette espèce est rapidement devenue problématique dans mon département, puisque ce frelon est une menace.

Il est une menace pour l’homme, car sa piqûre peut se révéler extrêmement grave en cas d’allergie, mais il est également une menace pour les ruchers et les abeilles, qui jouent un rôle majeur dans l’écosystème, sans parler, bien sûr, de l’importance économique de l’apiculture.

La crainte est d’autant plus présente que le frelon asiatique est une espèce invasive, se multipliant très rapidement.

Depuis quelques années, le débat est devenu passionné, ce qui est rarement bon. Il échappe aux scientifiques et prend une tournure irrationnelle. Certains faits, scientifiquement avérés, devraient désormais faire autorité. Malheureusement, les rumeurs les plus folles circulent et la presse se fait l’écho de fantasmes.

Le ministère travaille depuis plusieurs semaines à l’inscription de l’insecte au code rural et de la pêche maritime en tant qu’organisme nuisible, ce qui permettra d’engager un plan de lutte collective.

Henri Tandonnet tient à souligner qu’il est peu favorable à un tel classement. Pour lui, cette mesure est au mieux inutile, au pire elle risque d’être néfaste. En effet, ce classement pourrait déclencher des campagnes inconsidérées de piégeages et de destructions de nids, campagnes dont on connaît désormais l’impact sur la biodiversité.

Les études de l’association Hornet, basée dans le Lot-et-Garonne, mais aussi celles de la Société linnéenne de Bordeaux, effectuées sur plus de soixante pièges posés durant deux mois et relevés chaque semaine, ont montré une absence totale de sélectivité et un rendement inquiétant : moins de 1 % des insectes piégés étaient des frelons asiatiques.

Je pense également à la Charente-Maritime, qui a financé cette année les destructions de nids sans contrôle de l’espèce : 1 300 nids ont été détruits dans le département alors qu’on ne compte jamais plus de 400 nids de vespa velutina dans un département très envahi. Il y a donc eu de forts dégâts collatéraux. Cela signifie que d’autres hyménoptères ont souffert de cette campagne, en particulier des dolichovespula, dont on connaît l’utilité dans les écosystèmes, notamment pour la régulation des chenilles.

Il est illusoire de laisser croire que l’on parviendra un jour à réguler une population d’insectes, car cela ne serait possible que si l’on était capable de traiter l’ensemble du territoire, zones protégées incluses.

La lutte d’apparence, par piégeage ou par destruction de nids, n’a pour seul bénéfice que de donner au public l’impression que l’on fait quelque chose. Au mieux, elle ne sert à rien, au pire elle est nocive, surtout pour le reste de l’entomofaune.

Cette opinion est celle de l’ensemble des entomologistes français, mais aussi étrangers puisque la communauté des chercheurs ne connaît pas de frontières.

Comme ont pu l’écrire Spradbery en 1973 ou Beggs en 2001, le piégeage des fondatrices n’a aucune influence sur le devenir de leurs populations. Dans tous les pays où l’on a tenté de réguler par piégeage une population d’hyménoptères, par exemple en Nouvelle-Zélande avec la guêpe vespula germanica, c’est l’effet inverse qui a été obtenu. Il est donc probable que toute tentative de réduction d’une population s’accompagne d’une augmentation de la virulence et de la reproductivité des survivants.

Par ailleurs, de telles campagnes retarderaient l’installation de la période de stabilisation au cours de laquelle l’invasif atteint son effectif d’équilibre. Dès que cet équilibre est atteint, une régulation naturelle a des chances de se mettre en place, ce qui ne se produit pas tant que l’on combat l’insecte par des moyens toujours dérisoires.

Un apiculteur de Gironde qui a pratiqué une année durant le piégeage à grande échelle et qui a capturé des centaines de fondatrices entre février et mai a connu l’année suivante une plus forte pression de prédation devant ses ruches.

Henri Tandonnet est convaincu que seuls les scientifiques qui étudient l’insecte trouveront une parade contre lui et un système de protection des ruchers ; au demeurant, ils ne feront jamais disparaître le frelon ni ne parviendront à infléchir son niveau de peuplement.

Des études sont en cours au Muséum national d’histoire naturelle et à l’Institut national de la recherche agronomique.

Effectuer de simples sondages ou distribuer des questionnaires n’est pas suffisant. Laissons les chercheurs travailler sereinement afin de connaître l’impact réel de ce frelon sur les ruchers grâce à une expérimentation scientifique rigoureuse. C’est un préalable indispensable.

Pour conclure, je salue le travail de notre collègue député Philippe Folliot, auteur d’une proposition de loi relative à la lutte contre le frelon asiatique, qui souhaite instituer un vrai cadre juridique autour de cette question.

Nous sommes cependant convaincus que le classement de cet insecte en espèce nuisible ne sera efficace que s’il permet aux pouvoirs publics de travailler de concert avec les scientifiques.

Le décret prévu dans la proposition de loi afin de préciser les moyens de lutte efficaces pour détruire ces insectes serait d’une très grande importance afin de trouver des dispositifs adaptés à la réalité, les techniques d’extermination étant vaines.

Tels sont, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les éléments de réflexion que notre collègue Henri Tandonnet et moi souhaitions porter à votre connaissance.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Camani.

M. Pierre Camani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Nicole Bonnefoy de nous donner l’occasion de débattre de la prolifération du frelon asiatique.

Dans le Lot-et-Garonne, la présence du frelon asiatique est une réalité bien visible. En ces heures d’hiver où les arbres sont délestés de leurs feuilles, les nids de vespa velutina, relativement impressionnants par leur taille, apparaissent, accrochés aux branches dénudées.

Comme cela a été rappelé, c’est dans mon département que l’espèce exogène a été repérée pour la première fois en 2004. Dès 2005, on comptait déjà plusieurs nids. Depuis, l’expansion du frelon asiatique n’a cessé de progresser. D’après une étude lancée auprès des communes de l’ensemble du département pour cartographier la présence du frelon asiatique, il y aurait, aujourd’hui, plus de 600 nids.

Adapté au climat hexagonal, ne connaissant pas de prédateurs et trouvant dans l’abeille domestique une alimentation lui convenant, le frelon asiatique a connu une propagation fulgurante, notamment dans le grand Sud-Ouest.

Épicentre de l’invasion, nos territoires ont été confrontés à un phénomène que non seulement ils ne connaissaient pas, mais surtout qu’ils n’avaient pas les moyens, humains, financiers et scientifiques de maîtriser.

Les premières victimes de l’introduction du frelon asiatique sur le territoire métropolitain sont les apiculteurs, et donc plus largement les agriculteurs.

Bien sûr, le lien de causalité strict entre la présence du frelon asiatique et la mort d’un rucher est difficile à évaluer, mais il est bien réel. À titre d’exemple, il a été estimé que, dans le Lot-et-Garonne, la vespa velutina serait responsable, dans les petits ruchers familiaux, de la perte de 40 % du cheptel d’abeilles.

La prolifération du frelon asiatique n’a pas seulement une incidence sur la filière apicole. En effet, on doit également s’inquiéter de l’impact de la présence du frelon asiatique sur la production arboricole fruitière, ainsi que sur la production semencière.

Les conséquences se situent à trois niveaux.

D’abord, au-delà des attaques mortelles sur les abeilles, la pression exercée sur les ruchers n’est pas sans effet. Les abeilles, affolées par la présence de colonies de frelons asiatiques à proximité de leurs ruchers, n’en sortent plus et ne jouent plus leur rôle essentiel dans la pollinisation des arbres fruitiers et des autres végétaux.

Ensuite, madame la ministre, votre ministère l’a lui-même reconnu, le frelon asiatique pourrait causer des dommages sur les fruits.

Enfin, je m’inquiète de l’impact, qui n’est pas sans importance, de la présence de nids de frelons asiatiques sur les activités humaines. En effet, si les nids sont le plus souvent repérés à très grande hauteur dans les arbres, les frelons asiatiques construisent également leurs nids dans les haies, dans les buissons, mais aussi dans les arbres fruitiers. Je prendrai l’exemple particulier de la production de prune d’Ente, à partir de laquelle est élaboré le pruneau d’Agen, que chacun ici connaît bien.

Le verger recouvre 9 000 hectares dans le Lot-et-Garonne. Aujourd’hui, le ramassage de la prune d’Ente est entièrement mécanisé. Les arbres sont secoués par un engin agricole pour en faire tomber les fruits. Le frelon asiatique étant beaucoup plus puissant et rapide que le frelon européen, vous imaginez aisément les conséquences pour les travailleurs agricoles de la présence d’un ou de plusieurs nids dans un verger ! Des accidents sont d’ailleurs déjà survenus.

C’est pourquoi, madame la ministre, je regrette moi aussi que, six années après l’apparition du frelon asiatique sur notre territoire, nous en soyons encore au stade de la réflexion.

Je déplore, alors qu’il est de la compétence de l’État de lutter contre les espèces invasives, que nous n’ayons mis en place aucun moyen d’action coordonné afin de limiter sa prolifération à l’ensemble de la France. Nous le savons maintenant, l’éradication du frelon asiatique dit « à pattes jaunes » paraît désormais impossible.

Il ne s’agit pas d’intervenir aveuglément. Il est temps que la lutte contre la prolifération du frelon asiatique soit organisée et coordonnée.

Madame la ministre, j’appuie la demande de ma collègue Nicole Bonnefoy : à quand un classement du frelon asiatique en organisme nuisible afin de donner un véritable cadre juridique au piégeage ?

À quand l’organisation d’une information coordonnée à l’ensemble de nos concitoyens sur les véritables dangers du frelon asiatique et la diffusion de renseignements sur les moyens de piéger cette espèce efficacement, sans nuire aux autres ? Les scientifiques le reconnaissent, le piégeage désorganisé, non sélectif, est parfois encore plus nuisible pour la biodiversité que le frelon asiatique lui-même.

Les chercheurs doivent bénéficier de fonds pérennes pour pouvoir faire avancer leurs travaux sur les phéromones afin de créer des pièges sélectifs.

Il est temps, madame la ministre, de mettre en place une véritable coordination entre les différents acteurs du monde institutionnel, scientifique et professionnel impliqués sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendle.

Mme Catherine Troendle. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, apparu en 2005 en Aquitaine, cela a été dit et redit à cette tribune, le frelon « asiatique » ou « à pattes jaunes » a colonisé une grande partie des départements du sud-ouest de la France.

Il s’avère être un redoutable prédateur pour les abeilles. En effet, dès son apparition, il a causé des ravages sur les colonies d’abeilles qu’il a croisées, ces dernières finissant par se jeter dans la « gueule du loup » en tentant de défendre leur ruche.

Le frelon asiatique niche très haut dans les feuillages des arbres. Aussi, il est très difficile à atteindre et le plus souvent indétectable avant qu’il ne soit trop tard.

Les apiculteurs tentent, grâce aux moyens du bord et avec plus ou moins de succès, de supprimer les nids de frelons asiatiques qu’ils trouvent, malgré tous les risques que cela comporte pour leur propre sécurité.

Cependant, il m’a été rapporté qu’en 2010 un apiculteur du Limousin avait tué 400 frelons asiatiques qui s’étaient installés à côté de ses ruches. L’année suivante, ils étaient 800 !

Le 26 avril dernier, notre collègue Michel Doublet, sénateur de la Charente-Maritime, a interrogé Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, sur la mise en place d’une action collective dans le cadre de la lutte contre la prolifération du frelon asiatique.

Je suis également intervenue auprès de M. Bruno Le Maire, par courrier en date du 24 mai 2011, pour lui faire part de l’inquiétude des apiculteurs de ma région, l’Alsace, face à la prolifération de cet insecte.

II m’a alors précisé que le ministère de l’écologie – et je remercie Mme Kosciusko-Morizet d’avoir été présente aujourd'hui au banc du Gouvernement – avait engagé, le 10 février 2010, une vaste consultation des services de l’État et de l’ensemble des parties prenantes à ce dossier afin d’initier des programmes expérimentaux de lutte et de veille. Une véritable action a donc été menée depuis l’année dernière.

De plus, une mission conjointe des conseils généraux de l’agriculture et de l’environnement et de l’inspection générale des affaires sociales aurait été lancée afin de cerner la réalité et l’étendue des risques que le frelon asiatique est susceptible de faire peser sur les personnes, ainsi que sur la faune et la flore sauvage et domestique ; cette mission a pour objet essentiel d’apporter, en priorité, des solutions appropriées en matière de protection du cheptel apiaire.

Initié par le ministère de l’agriculture, un réseau de surveillance de l’implantation et de l’extension du frelon asiatique a été placé sous la responsabilité du Muséum national d’histoire naturelle.

Pourtant, cela n’est pas suffisant pour endiguer le phénomène !

Les apiculteurs du Haut-Rhin ont conscience que les colonies de frelons asiatiques approchent de leur région ; certains ont été repérés dans le secteur de Besançon. C’est ainsi que les apiculteurs alsaciens ont demandé le classement de cet insecte dans la catégorie des nuisibles.

Aussi, il serait important non seulement de traiter le problème du frelon asiatique sur les territoires où il s’est déjà installé mais également de tenter de l’endiguer. Pour ce faire, il faudrait fournir une marche à suivre aux apiculteurs, aux élus et à tous les intéressés qui n’ont pas encore été touchés.

Finalement, monsieur le secrétaire d'État, pourriez-vous nous préciser les mesures envisagées pour prévenir cette menace ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Madame la présidente, mes chers collègues, j’allais m’adresser à Mme la ministre de l'écologie mais je constate que M. le secrétaire d'État chargé du logement l’a remplacée. Je déplore également l’absence de M. le ministre de l'agriculture, et je compte sur vous, monsieur le secrétaire d'État, pour lui transmettre mes regrets.

Nos concitoyens s’intéressent à nos travaux parlementaires. Mais, lorsque j’ai dit à certains d’entre eux, la semaine dernière, que nous évoquerions la lutte contre le frelon asiatique, ils se sont étonnés que le Sénat n’ait pas mieux à faire… J’ai alors expliqué qu’il s’agissait d’un véritable problème de société, et c’est cet aspect que j’aimerais développer devant vous.

Tout d’abord, si, comme par le passé, nos abeilles étaient en nombre important, en bonne santé, bichonnées par ces artisans méticuleux que sont les apiculteurs, le frelon asiatique passerait, voire s’installerait, et il ne constituerait pas un problème majeur. Mais la situation est tout autre.

La préservation de l’abeille et de sa fonction pollinisatrice est indispensable à l’agriculture, à l’environnement, à l’économie. C’est aussi un enjeu primordial de sauvegarde de la biodiversité au cours des prochaines années et pour les générations futures. L’arrivée sur notre territoire du frelon dit « asiatique » pourrait être jugée mineure si celle-ci n’avait de graves conséquences sur les abeilles déjà extrêmement fragilisées.

Vespa velutina a été identifié dans une cinquantaine de départements. Les départements bretons commencent également à être touchés. Même si la majeure partie des premiers nids ont pu être détruits dans notre région, le facteur de reproduction de cet insecte est de cinq à dix. La situation deviendra donc rapidement préoccupante, comme elle l’est déjà dans les départements du Sud.

En effet, ce frelon est un prédateur redoutable pour les abeilles, qui représentent 80 % de son régime alimentaire. Or les mortalités annuelles de ruches sur une exploitation sont passées de 5 % à plus de 30 % en quinze ans. Les abeilles sont donc en déclin. À la propagation de parasites – Varroa, loque –, aux pesticides – le Gaucho, le Régent, le Cruiser –, aux OGM, s’ajoute depuis quelques années ce frelon asiatique, qui vient en « rajouter une couche ».

L’abeille, qui était présente sur notre planète bien avant l’être humain, permet, aujourd’hui encore, la pollinisation de plus de 70 % des plantes cultivées. Elle va très mal et ce constat doit nous alarmer.

L’Organisation mondiale de la santé animale parle du « syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles ». Les causes de cette surmortalité qui touche essentiellement les pays industrialisés – cela est important – sont multiples.

Les pratiques culturales productivistes de ces cinquante dernières années qui ont permis le développement de monocultures intensives ont contribué à l’affaiblissement du système immunitaire des abeilles. Les preuves scientifiques démontrent que les abeilles ayant accès à une diversité de pollens sont plus résistantes que celles qui n’ont accès qu’à une sorte de culture et, de ce fait, de pollen. Ces dernières sont plus sensibles aux maladies, aux parasites ainsi qu’aux effets néfastes des pesticides. Cette situation est aggravée par le fait qu’il existe peu de traitements. Le terme employé pour désigner les abeilles sur le marché de ces médicaments est d’ailleurs révélateur ; on parle d’« espèces mineures ».

L’emploi des pesticides, outre qu’il limite la diversité des pollens, a aussi une incidence meurtrière directe sur les abeilles.

Au-delà des abeilles, que l’on nomme fréquemment « sentinelles de l’environnement », c’est l’ensemble de la vie des micro-organismes du sol, la faune, la flore qui sont touchés. Ignorer que les pratiques culturales hyperintensives, utilisant les pesticides et divers intrants chimiques, sont les causes de la situation dramatique à laquelle nous devons faire face relève, j’ose le dire, du négationnisme.

Aussi, il conviendra de prendre véritablement les mesures qui conviennent pour faire avancer le plan Écophyto 2018, par lequel la France s’est engagée à réduire de 50 % l’usage des pesticides en agriculture à l’horizon 2018. Je rappelle qu’à la demande du président d’un grand syndicat l’expression « si possible » avait été ajoutée dans l’énoncé de cet engagement, ce qui dénote une terrible atténuation de la volonté politique.

Les solutions existent, elles ont maintenant été expérimentées par les apiculteurs et par les élus locaux concernés. Elles ont été citées, je n’y reviendrai pas.

Il s’agit donc d’endiguer ce phénomène jusqu’à ce qu’un équilibre naturel s’installe.

S’agissant du rôle que doit jouer l’État, nous ne pouvons que regretter les manquements de ce dernier, eu égard à l’importance de ce problème qui touche à la fois l’agriculture, l’économie et l’environnement.

C’est un plan de lutte global, certes national mais également communautaire, qu’il faut définir afin de dégager des moyens permettant la mise en place d’un programme au niveau des régions et des départements.

Les données scientifiques sur ce frelon sont maintenant suffisamment étayées pour que l’on puisse le classer parmi les espèces nuisibles et qu’un protocole de détection et de destruction puisse être véritablement mis en place.

La lutte contre la prolifération de cet insecte doit être considérée comme étant d’intérêt public et le coût des interventions ne doit pas être pris en charge par les particuliers, les apiculteurs ou les collectivités mais bien par un fonds spécial qu’il convient de créer et d’abonder. La création de ce fonds spécial est une nécessité. Compte tenu de la responsabilité de nombreux pesticides dans cette perte de biodiversité et dans le déclin des abeilles, un prélèvement sur la vente de ces produits appelés pudiquement « phytosanitaires » permettrait de financer ce fonds.

Je voudrais d’ailleurs saluer l’initiative de notre collègue Nicole Bonnefoy qui a eu l’audace de déposer cette question orale, même si elle arrive tardivement en débat – mieux vaut tard que jamais ! On peut espérer qu’elle sera suivie d’effet…

Albert Einstein aurait dit : « Si les abeilles venaient à disparaître, l’humanité n’aurait plus que quelques années à vivre » ; je vous invite à méditer cette phrase. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, veuillez excuser le départ de Nathalie Kosciusko-Morizet, tenue d’assister à un conseil de politique nucléaire réuni par le Président de la République.

Pour traiter du sujet du frelon asiatique, étaient effectivement qualifiés le ministre de l’agriculture, comme l’ont signalé Nicole Bonnefoy ou Claude Bérit-Débat, le ministre de l’écologie, bien évidemment, ou celui de l’intérieur : je m’exprimerai évidemment au nom du Gouvernement, donc en leur nom à tous.

Pour ne pas allonger le débat, je ne reviendrai pas sur l’historique de l’arrivée en France en 2004 du frelon à pattes jaunes et de son expansion sur notre territoire, Nicole Bonnefoy et Pierre Camani l’ont déjà très bien rappelé.

Je me concentrerai sur les impacts de cette espèce exotique envahissante et sur les moyens de lutte qui peuvent être envisagés, en me référant au rapport, que plusieurs d’entre vous ont évoqué, rendu en septembre 2010 par la mission conjointe d’inspection des ministères en charge de l’agriculture, de la santé et de l’écologie, mais aussi de l’excellent rapport du député Martial Saddier sur la filière apicole. Il a été parmi les tout premiers à nous alerter sur cette nouvelle espèce exotique envahissante.

Comme l’a fait Chantal Jouanno, je rappellerai qu’on ne connaît pas d’effet significatif exercé par le frelon à pattes jaunes sur la biodiversité.

Les éventuelles atteintes, souvent envisagées, ne sont pas identifiées comme une menace pour certaines espèces protégées ni pour les grands équilibres écologiques. Elles ne suscitent pas non plus de crainte particulière quant à la survie d’espèces d’insectes autres, évidemment, que l’abeille domestique. Cela ne nous empêche pas d’agir au profit de ces autres populations d’insectes, que ce soit par des politiques ciblées, comme le plan pollinisateur, le plan sur les plantes muscicoles, ou des politiques plus générales, comme la mise en place de la trame verte et bleue ou le plan Écophyto, également cité par Chantal Jouanno. Je rappelle d'ailleurs que le Gouvernement a consacré 140 millions d'euros à ce plan en 2011, ce qui représente un effort très important.

En ce qui concerne les craintes pour la santé publique, une enquête du comité de coordination de toxicovigilance publiée en mars 2009 conclut notamment : « Après une à quatre années pleines de colonisation de certains départements, on peut observer que ce frelon asiatique ne semble pas responsable d’un nombre plus élevé de piqûres qu’à l’accoutumée, et que les envenimations semblent posséder les mêmes caractères de gravité que nos espèces autochtones. »

Des éléments recueillis à la fin de 2011 auprès du médecin qui a rédigé ce texte confirment cette conclusion. Sur les quelque quinze décès consécutifs à des piqûres d’hyménoptères enregistrés chaque année, deux à trois seraient désormais dus au frelon asiatique.

Il existe, en revanche, comme l’ont rappelé Joël Labbé et Catherine Troendle, un problème manifeste dans la filière apicole : le frelon à pattes jaunes est un prédateur bien connu des abeilles domestiques, qu’il chasse devant les ruches. Comme les autres guêpes sociales, y compris les frelons européens, il s’agit d’un chasseur d’insectes qui a besoin de proies pour nourrir ses larves. Or aucune autre espèce d’insectes en France ne constitue pour lui un garde-manger aussi riche qu’une ruche, dont l’effectif représente pour un prédateur d’insectes une source alimentaire permanente sans équivalent.

Il faut noter d’ailleurs que, plus les milieux sont riches en biodiversité, moins les dégâts sont forts sur les ruches. En milieu périurbain, les abeilles représentent jusqu’à 80 % de l’alimentation des frelons, contre 30 % en zone naturelle. En revanche, je signale à Jacqueline Alquier et Pierre Camani que les études n’ont pas permis pour l’instant de mettre en lumière des dégâts particuliers sur les cultures fruitières.

La prédation exercée par ce frelon a donc cristallisé l’exaspération des apiculteurs, déjà confrontés, mais pour d’autres causes notamment évoquées par Nicole Bonnefoy, au dépérissement dramatique de leurs ruchers.

Si le frelon à pattes jaunes se distingue clairement des autres hyménoptères, c’est au regard non pas de la santé des personnes ou de la biodiversité, mais bien de productions agricoles.

En second lieu, j’évoquerai les moyens de lutte contre cette espèce, lesquels sont malheureusement limités à l’heure actuelle, comme l’a rappelé Françoise Férat.

Le piégeage des jeunes reines au printemps soulage les survivantes d’une concurrence agressive, ce qui n’est pas le but recherché. Je rappelle qu’un nid est capable de produire de 200 à 400 fondatrices, qui ne peuvent évidemment pas toutes être piégées. Si les pièges utilisés actuellement détruisent 90 % à 99 % d’autres insectes, 15 pièges font autant de dégâts qu’une colonie de frelons.

La destruction des nids ne peut être généralisée qu’à l’automne, lorsque les arbres ont perdu les feuilles qui les cachent, c'est-à-dire lorsque les fortes prédations sur les abeilles domestiques ont déjà eu lieu et peu avant que le froid de l’hiver n’ait tué les frelons qui occupaient ces nids. Cette opération s’avère donc inutile.

Par conséquent, madame Troendle, en l’état actuel de nos connaissances, ni l’éradication ni même le contrôle de l’expansion du frelon à pattes jaunes ne semblent des perspectives réalistes. Sur le terrain, la protection des biens et des personnes passe donc par des actions ponctuelles.

J’indique à Françoise Férat que scientifiques et techniciens travaillent actuellement à la mise au point de pièges rendus sélectifs grâce à des appâts n’attirant que ces seuls frelons : ils permettront de détruire les frelons à proximité des ruches menacées et là où leur densité pourrait présenter un risque.

Quels sont les moyens juridiques de mettre en œuvre cette protection rapprochée des intérêts légitimes des agriculteurs ?

Tout d’abord, il faut souligner qu’aucune espèce de guêpe ni de frelon ne figure en France parmi les espèces protégées. De ce point de vue, rien ne s’oppose donc juridiquement à la destruction de ces insectes ou de leurs nids, pourvu que les méthodes utilisées n’aient pas d’effets pervers sur d’autres espèces de la biodiversité.

Les interventions sur les nids des services départementaux d’incendie et de secours dans le cadre général prévu contre les hyménoptères ou des entreprises privées sont donc possibles. Selon la nature des risques encourus, leur éventuelle intervention est soit une mission de service public, soit une prestation à titre privé.

En effet, les services départementaux d’incendie et de secours ne sont tenus de procéder qu’aux seules interventions se rattachant directement à leurs missions de service public définies par la loi, c'est-à-dire un danger immédiat pour la population.

Ensuite, je tiens à indiquer à Nicole Bonnefoy et à Jacqueline Alquier que le classement d’une espèce comme nuisible, que ce soit au titre du code de l’environnement ou au titre du code rural, ne crée aucune obligation de financement de la part des pouvoirs publics.

La première possibilité juridique qui a été envisagée, l’inscription comme espèce nuisible au titre du code de l’environnement, est inadaptée, puisqu’elle ne porte que sur les espèces chassables, pour autoriser des moyens de destruction normalement prohibés. Ce cas de figure ne s’applique donc pas au frelon.

La deuxième possibilité envisagée est l’inscription comme espèce exotique envahissante au titre du code de l’environnement : elle n’est pas plus adaptée. Le principal effet de ce classement est d’interdire l’introduction dans le milieu naturel, ce que, bien évidemment, personne ne fait aujourd'hui. Cette mesure n’aurait donc pas plus d’impact que la précédente.

Reste la proposition rappelée par Chantal Jouanno. À cet égard, le député Philippe Folliot a déposé une intéressante proposition de loi visant à rendre le frelon asiatique nuisible au sens de la protection des végétaux. Cela nécessite une modification législative du code rural, comme ce fut le cas en son temps pour le ragondin et le rat musqué. En effet, le frelon asiatique fait, en réalité, plus de dégâts à la filière apicole qu’à la filière fruitière.

Outre que les impacts visés sont essentiellement de l’ordre agricole, cette proposition de modification du code rural présente un intérêt certain, celui de pouvoir s’appuyer très rapidement sur le réseau et l’organisation de terrain mis en place pour la protection des végétaux. Je pense aux services qui s’occupent de santé et de protection des végétaux dans les directions régionales chargées de l’agriculture ainsi qu’aux fédérations de lutte et de défense contre les organismes nuisibles, qui ont une bonne expérience technique et disposent de nombreux personnels sur le terrain.

Enfin, cette proposition est conforme à l’analyse du rapport d’inspection interministérielle, que j’ai déjà cité, qui identifiait le ministère chargé de l’agriculture comme pilote interministériel.

En réponse à une question orale du député Philippe Folliot, Nathalie Kosciusko-Morizet a indiqué, le 21 décembre dernier, que le Gouvernement soutenait cette proposition de loi.

Par une note de service très pédagogique de la direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires en date du 15 novembre 2011, le ministère en charge de l’agriculture s’est d’ailleurs engagé, d’une part, à coordonner l’ensemble du dispositif pour ce qui concerne le volet agricole et, d’autre part, à ce que les directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt assurent une veille au niveau régional et fournissent une information locale fiable et équilibrée.

Cette information vise en particulier les professionnels de la désinsectisation, les agents communaux, les agriculteurs, en particulier les fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles et les groupements de défense contre les organismes nuisibles, mais également les chasseurs, les pêcheurs, les promeneurs et les associations de protection de la nature. Cette information contredit les rumeurs infondées mentionnées par Jean-Claude Requier.

Conformément aux recommandations du rapport commun aux trois missions d’inspection générale, le ministère chargé de l’écologie poursuit, quant à lui, son soutien financier au Muséum national d’histoire naturelle. Celui-ci travaille à réunir et à valider les données naturalistes relatives à l’expansion de cette espèce en France en s’appuyant, je tiens à le signaler, sur une démarche originale de science participative.

Le Muséum contribue aussi à la recherche de solutions nouvelles, notamment pour l’élaboration d’un piège sélectif, en coordination avec un laboratoire de l’Institut national de la recherche agronomique à Bordeaux, auquel le ministère apporte également son soutien financier.

Ainsi, le ministère chargé de l’écologie donne à la filière apicole les moyens de mieux connaître le frelon à pattes jaunes et de rechercher des solutions pratiques de protection des ruches par la mise au point d’un piège sélectif.

Dans cette affaire, qui a soulevé des craintes certes légitimes mais qui ne sont pas toutes fondées, l’action des pouvoirs publics ne pouvait être limitée au seul examen de dossiers techniques.

Les ministères concernés, en premier lieu desquels le ministère chargé de l’agriculture, ont pris les mesures appropriées pour limiter les nuisances de cette nouvelle espèce, avec laquelle il nous faudra désormais apprendre à cohabiter, comme le signalait Jean-Claude Requier.

Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les éléments de réponse que le Gouvernement souhaitait fournir à l’occasion de ce débat. Je remercie les orateurs pour leurs interventions fortes et légitimes. Le Gouvernement, soyez-en convaincus, sera bien évidemment aux côtés des agriculteurs et de la filière apicole pour défendre nos productions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Mme Nicole Bonnefoy, auteur de la question. Monsieur le secrétaire d'État, nous allons examiner avec grande attention et en détail les dispositions que le Gouvernement mettra en œuvre. Je tiens à rappeler que, au titre des risques sanitaires et des atteintes aux cultures végétales, la défense contre les organismes nuisibles est une mission de service public.

Mme Jouanno a parlé de la violence de mes propos. Je ne pense pas avoir été excessive, d’autant que tous mes collègues ici présents semblent reconnaître que la prolifération de cette espèce invasive pose un vrai problème et que l’État doit réagir.

J’aimerais dire quelques mots des mesures prises par le Gouvernement en faveur des pollinisateurs – je pense notamment au plan Ecophyto 2018 – puisque je suis à l’initiative avec mon groupe de la création d’une mission commune d’information sur les pesticides, qui va se constituer sous peu.

Je reconnais que fixer, comme l’a fait le Grenelle de l’environnement, un objectif de réduction de moitié de l’utilisation de pesticides à l’horizon de 2018 était bienvenu. Toutefois, je dois souligner que, comme on le craignait, la mise en œuvre du plan Ecophyto s’avère bien difficile.

Les premiers indicateurs semblent montrer que, depuis 2008, l’utilisation de pesticides a augmenté de 2,4 %, au lieu de diminuer, avec en outre des produits plus puissants, plus concentrés, ayant des conséquences notables sur la santé des agriculteurs, la pollution des eaux, la biodiversité et, bien évidemment, les abeilles.

La loi de finances pour 2012 a acté un prélèvement de 55 millions d’euros sur le fonds de roulement de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques. Or ces fonds proviennent justement des redevances pour pollution diffuse qui doivent normalement financer le plan Ecophyto ! Cette coupe budgétaire peut être interprétée comme un manque de volonté politique du Gouvernement sur ce dossier, ce que je trouve bien regrettable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec cette question orale avec débat sur la lutte contre la prolifération du frelon asiatique.

6

Candidatures à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation relatif aux moyens nécessaires à la mise en œuvre de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009.

Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.

7

Communication du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 8 février 2012, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2012-235 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures trente, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel

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Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes

M. le président. La séance est reprise.

L’ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président de la Cour des comptes.

(M. le Premier président de la Cour des comptes est conduit dans l’hémicycle selon le cérémonial d’usage.)

M. le président. Monsieur le Premier président, c’est un très grand plaisir pour moi, à titre personnel comme à titre institutionnel, de vous accueillir dans l’hémicycle du Sénat pour la remise du rapport annuel de votre institution.

Les relations entre la Cour des comptes et le Parlement sont anciennes, mais jamais avant ces dernières années elles n’avaient connu un tel développement. Celui-ci a été consacré par l’article 47-2 de la Constitution. En tant que président du Sénat, je ne puis que m’en féliciter.

Ce développement est dû à l’affirmation par la Cour de ses compétences et à sa volonté d’affirmer toujours davantage, et en toute indépendance, son rôle d’information sur la situation des comptes publics, non seulement devant le Parlement, mais aussi, de mieux en mieux, devant l’opinion publique.

La Cour contribue ainsi à la fois au débat public, auquel elle fournit des bases de qualité et aussi objectives que possible, et à la confiance, si nécessaire en démocratie, entre les citoyens et leurs institutions.

En ce qui concerne le Sénat, on ne compte plus les demandes d’assistance à la Cour, émanant principalement de la commission des finances, mais également de la commission des affaires sociales.

Je me plais à souligner que c’est le Sénat qui a pris l’initiative de mettre en place des réunions « pour suite à donner » entre les représentants de la Cour, les rapporteurs de la commission des finances et les représentants de l’organisme public contrôlé. On peut faire la même observation à propos de l’examen des lois de règlement.

Ce que l’on sait moins, c’est que, à l’instar des autres comptes de l’État, les comptes des assemblées sont désormais eux aussi certifiés à l’issue d’un processus contradictoire, avec le concours du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables. Dans son acte de certification, la Cour elle-même n’a formulé aucune réserve sur les comptes des assemblées ni sur leur mode de certification.

Je crois cependant qu’il existe des champs nouveaux de coopération entre la Cour et le Sénat, au-delà du contrôle des comptes. Lors de mon allocution du 11 octobre dernier, je disais ainsi que, pour aller « vers un Sénat plus modeste », nous ne devions « craindre aucun regard extérieur, notamment celui de la Cour des comptes, sous réserve naturellement que les principes inhérents à la séparation des pouvoirs soient respectés ». Au demeurant, je sais la Cour aussi attachée que le Parlement à cette séparation des pouvoirs.

Dans la continuité des contacts que nous avons déjà eus, monsieur le Premier président, je prendrai très prochainement l’initiative de faire appel à l’expertise de la Cour en vue d’améliorer notre dispositif de contrôle interne, autour de notre commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne, déjà en place, d’examiner le statut juridique ainsi que les conditions de fonctionnement d’un certain nombre de services et, plus généralement, d’accompagner les réflexions nécessaires que nous avons déjà entreprises pour rendre plus lisibles les modalités administratives et financières selon lesquelles s’organise le travail du Sénat.

Ainsi, dans le respect du principe d’autonomie des assemblées, pourrons-nous mieux répondre ensemble à l’exigence de clarté et de sincérité des comptes et, surtout, de transparence de la gestion publique, qui fonde la confiance de nos concitoyens. (Applaudissements.)

Monsieur le Premier président, je vous donne maintenant la parole.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, j’ai l’honneur de vous remettre le rapport public annuel de la Cour des comptes, en application de l’article L 136-1 du code des juridictions financières. (M. le Premier président remet à M. le président du Sénat le rapport annuel de la Cour des comptes.)

Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, le dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes est toujours un moment solennel et hautement significatif pour notre institution. Je suis heureux de vous le présenter. Je l’ai remis au Président de la République hier après-midi et je viens de le déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale.

Ce rapport représente l’expression la plus forte de la mission constitutionnelle d’information des citoyens, que vous nous avez confiée, à travers votre pouvoir constituant, à l’occasion de la révision de 2008, que vous avez évoquée à l’instant, monsieur le président. Nos nombreuses autres publications, qui s’échelonnent dans l’année, concourent aussi à cette mission.

Conformément à la loi, et à la tradition, ce rapport vous est remis chaque année depuis 1832. Bien entendu, les relations qui unissent votre assemblée et la Cour sont sans cesse plus étroites et ne se résument plus à cette seule tradition. D’une part, le rapport public annuel est aujourd’hui accompagné, durant l’année, de rapports thématiques : il n’y en eut pas moins de quatorze en 2011. D’autre part, les missions que la Cour remplit pour assister le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques ont été élargies, notamment par les dispositions de la loi organique relative aux lois de finances de 2001 – la LOLF – et par la révision constitutionnelle que j’ai citée.

En 2011, nous vous avons ainsi remis nos six rapports annuels sur les finances publiques, destinés à nourrir vos débats budgétaires et financiers. Par ailleurs, en réponse aux demandes des commissions des finances et des affaires sociales, nous vous avons transmis sept communications, en application de la LOLF et de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, la LOLFSS. Symétriquement, nous avons également adressé à l’Assemblée nationale neuf communications, ainsi que deux rapports d’évaluation de politiques publiques. Je me réjouis de voir que ces rapports, par les observations et les recommandations qu’ils contiennent, alimentent les travaux de vos commissions.

Vous le savez, si nous nous réjouissons de contribuer toujours davantage aux travaux du Parlement, nous sommes aussi très attachés à exercer pleinement notre liberté de programmation, ce qui impose que la majeure partie des activités de la Cour relève de sa propre initiative, lui permettant d’assumer ses missions propres, notamment l’examen des comptes et de la gestion des administrations et des entreprises publiques. Mais, mesdames, messieurs les sénateurs, ce sont là des travaux qui sont aussi à votre disposition et peuvent vous être utiles.

Le rapport de 2012 est, à l’instar de ses prédécesseurs, très varié ; il couvre, à travers ses quarante-quatre contributions, un très large spectre de politiques publiques et d’organismes. Ces contributions figurent dans deux tomes distincts. L’un présente des observations et recommandations nouvelles, l’autre les résultats des travaux de suivi que mène la Cour de façon systématique, pour vérifier dans quelle mesure ses recommandations sont prises en compte.

Vous constaterez que, dans de nombreux domaines, des évolutions positives sont relevées, que nous nous plaisons à souligner. La Cour prend les exemples du Plan cancer, des contrats de reclassement professionnels, des inspecteurs de l’académie de Paris ou de la gestion des juridictions administratives. Sur d’autres sujets, des évolutions sont constatées, qui doivent toutefois être prolongées pour produire tous leurs effets positifs. La Cour « insiste » ainsi sur la réforme portuaire de 2008, sur les grands chantiers culturels, sur France Télévisions ou encore sur les industries publiques d’armement.

Enfin, la Cour constate que, sur certains sujets, la prise en compte de ses recommandations est insatisfaisante. Elle alerte et alertera régulièrement les citoyens et les décideurs publics, aussi longtemps que nécessaire, pour que les réformes soient engagées. Cette année, la Cour vise particulièrement le régime des intermittents du spectacle, la gestion des pensions des fonctionnaires de l’État, la prime à l’aménagement du territoire et la politique relative à la périnatalité.

Ce travail sur les suites apportées à ses recommandations illustre le fait que la Cour est non seulement un facteur de transparence au service de l’information du citoyen, mais aussi un déclencheur et un accompagnateur de réformes. Elle s’efforce d’associer à ses constats et critiques des recommandations formulées dans les termes les plus opérationnels possible. Son suivi systématique des recommandations illustre aussi son souci d’être pleinement utile et constructive.

Avant d’attirer votre attention sur une sélection de sujets du rapport, comme les dépenses fiscales, la Banque de France, le logement social, la lutte contre la fraude ou les sous-préfectures, je souhaite vous faire part des constats et messages de la Cour concernant la situation de nos finances publiques.

Il y a un mois, à l’occasion de la séance solennelle de début d’année, j’ai rappelé quatre orientations et principes fondamentaux, à l’aune desquels la Cour examine la situation des finances publiques, et qu’elle a clairement dégagés dans ses précédentes publications.

Premièrement, il faut que notre pays s’éloigne aussi rapidement que possible de la zone dangereuse dans laquelle il est entré, en raison de son niveau d’endettement.

Deuxièmement, il importe d’assurer la crédibilité des engagements de la France en matière de finances publiques, ce qui suppose de préciser le plus possible les modalités retenues pour tenir ces engagements.

Troisièmement, les déficits récurrents de nos régimes de protection sociale, sans équivalent dans les autres pays d’Europe, sont des anomalies et doivent être éliminés.

Quatrièmement, enfin, l’effort de redressement doit concerner toutes les entités publiques – État, sécurité sociale, collectivités territoriales – et aussi bien les dépenses que les recettes, mais plus les dépenses que les recettes eu égard au niveau qu’atteignent déjà les prélèvements obligatoires dans notre pays.

La vigilance de la Cour pour alerter sur les déséquilibres des comptes publics ne résulte pas de préoccupations de nature simplement comptable. L’enjeu fondamental pour notre pays est de rester maître de ses décisions et, en définitive, de son destin.

Selon Paul Valéry, « la plus grande liberté naît de la plus grande rigueur ». Il n’est pas tout à fait certain que l’écrivain avait à l’esprit les finances publiques en écrivant ces mots ! Mais la perte considérable de marges de manœuvre que la charge de la dette nous impose aujourd’hui – et pourrait nous imposer davantage demain si nous ne mettons pas en œuvre un redressement rapide de nos comptes – montre qu’en effet, afin de rester maître de sa souveraineté, un pays doit être maître de ses finances publiques.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. En juin dernier, la Cour avait de nouveau relevé l’importance du déficit structurel de la France. Nous avions conclu que la crise expliquait environ un tiers du déficit de 2010 ; pour le reste, donc pour l’essentiel, il était de nature structurelle.

Notre pays est entré dans la crise avec un déficit structurel qui était déjà de 3,7 % du PIB en 2007 et, pendant plus de trente ans, le déficit public avait presque toujours été supérieur aux moyennes communautaires, quel que soit le gouvernement en place, y compris pendant les périodes de reprise de la croissance.

Dans ses précédents rapports, la Cour a montré la nécessité de faire disparaître les cinq points de déficit structurel qu’elle a constatés en 2010, c’est-à-dire 100 milliards d’euros, par un effort structurel de redressement, suffisamment rapide et vigoureux, d’un point de PIB par an, soit 20 milliards d’euros par an pendant cinq ans.

Analysant les résultats provisoires de l’année 2011, la Cour confirme, dans le présent rapport, qu’un effort de réduction du déficit structurel a été engagé. Alors qu’il avait été quasi nul en 2010, cet effort structurel a représenté environ un demi-point de PIB en 2011. Ce résultat est encourageant, mais il aurait fallu le double pour s’inscrire dans le processus de redressement dont la Cour a montré la nécessité.

Un élément nouveau de l’année 2011 a été le ralentissement de la dépense publique, qui a augmenté de 1,4 % en volume, contre 2,2 % par an au cours de la dernière décennie. Toutefois, l’accroissement de la dépense publique a encore été du même ordre que la croissance du PIB. De ce fait, l’amélioration structurelle a reposé en 2011 sur les hausses de prélèvements obligatoires, qui ont apporté 11,5 milliards d’euros de mesures pérennes, soit 0,6 point de PIB.

Selon les annonces les plus récentes du Gouvernement, le déficit total de 2011 serait inférieur à sa prévision, qui était de 5,7 % du PIB. En toute hypothèse, ce niveau de déficit, même un peu inférieur à 5,7 % et moindre qu’en 2009 et 2010, demeure trop élevé. Il signifie que 110 milliards d’euros de dépenses n’ont pas été couverts par des recettes, soit, par exemple, l’équivalent de l’ensemble des dépenses du budget de l’État consacrées à l’enseignement scolaire, la justice et la défense réunis. Avec un tel déficit, la dette publique continue d’augmenter à un rythme dont le maintien serait difficilement soutenable.

Aussi, pour conduire le redressement, les étapes qui restent à franchir pour la réduction de notre déficit structurel seront à la fois plus importantes et plus difficiles que celle qui a déjà été franchie. Si les objectifs de réduction du déficit que vous avez voté pour 2012 sont respectés, le déficit structurel n’aura été réduit, sur les cinq points que j’évoquais, que de 1,75 point depuis 2010, ce qui signifie que la plus grande part du chemin restera à parcourir en 2013 et 2014. Ce message, la Cour des comptes le renouvelle pour que chacun en mesure l’importance.

C’est d’ailleurs au cours des deux années à venir que doit être accompli l’essentiel de l’effort de redressement des comptes publics, selon le programme de stabilité remis à la Commission européenne : il prévoit un déficit public de 4,5 % du PIB en 2012 et de 3 % en 2013.

En juin dernier, la Cour avait jugé trop optimistes les hypothèses de croissance retenues pour 2012 et les années suivantes. Le Gouvernement les a progressivement réduites depuis septembre, notamment pour 2012. Cette prévision vient encore d’être révisée, ce qui est plus conforme à l’analyse de la Cour et confirme, si besoin en était, que les budgets doivent être préparés à partir d’hypothèses suffisamment prudentes.

Le projet de loi de finances rectificative présenté ce matin en conseil des ministres conforte le constat de la Cour selon lequel seule une partie de la réserve budgétaire est mobilisable pour tenir compte de la révision à la baisse de l’hypothèse de croissance. Cette opération a, par ailleurs, pour conséquence que presque toutes les marges de gestion du budget de 2012 ont désormais disparu.

Le solde primaire en 2012, c’est-à-dire après versement des intérêts de la dette, demeurerait négatif en France, de 1,7 % du PIB, alors qu’en Allemagne, il serait positif à hauteur de 1,3 % du PIB. La décroissance du ratio dette/PIB de l’Allemagne se poursuivrait donc, revenant à 81 % du PIB, alors que la dette française poursuivrait encore son augmentation, pour avoisiner 90 % du PIB.

L’ajustement doit donc se poursuivre. La mobilisation de nouvelles recettes atteignant ses limites, le volet des dépenses devrait apporter une contribution beaucoup plus importante au redressement des comptes publics. Cela implique inévitablement la réduction de la dépense publique dans certains domaines, qu’il convient de repérer, et les mesures envisagées pour y parvenir doivent être explicitées.

Le recours à des règles générales relatives à la dépense publique ou à la réduction des effectifs ne suffira pas à cet effort sur la dépense. Il faut que l’effort soit ciblé : les dépenses inefficaces doivent être identifiées et réduites, voire supprimées. À lui seul, je le rappelle, l’État finance aujourd’hui plus de 1 300 dispositifs d’intervention. Qui peut dire qu’il n’y en a pas d’inutiles ?

La mise en œuvre d’une revue triennale des politiques publiques et le développement de l’évaluation des politiques publiques doivent permettre de faire porter les efforts sur l’argent public mal dépensé, en préservant les dépenses essentielles. Cet effort doit aussi pleinement concerner les collectivités territoriales, ainsi que les dépenses de protection sociale.

Certes, les finances locales pèsent peu dans la dégradation globale des finances publiques et l’endettement des collectivités locales apparaît, dans l’ensemble, bien maîtrisé.

M. Didier Guillaume. Il est bon de le rappeler !

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Toutefois, dans beaucoup de collectivités, la dynamique des dépenses locales retient l’attention : si l’on écarte les transferts de compétences, elles ont augmenté en volume, chaque année, de 3,6 % en moyenne entre 1999 et 2009.

Mme Évelyne Didier. C’est normal, il y a plus de pauvres !

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Symétriquement, la fiscalité locale a augmenté, elle aussi, pour suivre la progression des dépenses : les prélèvements obligatoires locaux sont ainsi passés de 4,9 % à 6,2 % du PIB entre 2002 et 2009. Même si ce rythme a connu une inflexion en 2010, son maintien n’apparaît pas compatible avec la poursuite de l’effort structurel de redressement, qui impose de recourir le moins possible à de nouvelles recettes et de ralentir nettement la progression des dépenses publiques.

La masse salariale constitue un facteur important de croissance de la dépense qui devrait être davantage maîtrisé : une meilleure articulation entre les moyens dont disposent les communes et ceux dont disposent les structures intercommunales pourrait être recherchée.

Des contraintes plus fortes doivent aussi peser sur les dépenses de sécurité sociale. Elles représentent 46 % des dépenses publiques et ne peuvent plus être financées à crédit. Elles continuent d’augmenter à un rythme trop rapide, qui exclut le retour à l’équilibre avant un terme très éloigné. Mettre en œuvre des réformes structurelles pour infléchir durablement la progression des dépenses sociales, sans remettre en cause la qualité de la protection sociale, est un impératif premier et essentiel. Cet effort doit porter en priorité sur l’assurance maladie : ce n’est en effet que par des mesures d’une ampleur à la hauteur des enjeux qu’elle représente que sera préservé le haut degré de protection sociale de notre pays.

La résorption de notre déficit structurel doit être conduite aussi vite que possible. Ce redressement est, en tout état de cause, moins lourd de conséquences qu’une poursuite de l’endettement. Les pays qui réussissent le mieux aujourd’hui sont ceux qui ont engagé le plus tôt le redressement de leurs comptes publics. Des réformes structurelles nouvelles sont donc indispensables, accompagnées de mesures destinées à renforcer la compétitivité du pays et à assurer un juste partage des efforts.

La Cour des comptes prescrit la mise en œuvre, pendant qu’il est encore temps, d’un traitement de fond, continu et suivi, afin d’écarter le risque de devoir recourir à une brutale cure d’austérité, à un remède de cheval administré sous la pression de l’extérieur, ce qui reviendrait à une mise sous tutelle.

Dans la perspective de cet impératif de redressement, la Cour recommande depuis plusieurs années la réduction des dépenses fiscales. En 2010, leur coût s’élevait à 73 milliards d’euros environ, soit presqu’un tiers des recettes fiscales nettes de l’État, en hausse de plus de 60 % depuis 2004. S’y ajoutent des dépenses fiscales non recensées, que la Cour a néanmoins identifiées comme telles. La définition de ces dépenses fiscales a été précisée, mais l’inventaire demeure incertain.

La Cour préconise de réduire fortement le coût de ces niches en réduisant celles qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité, au regard de leur coût. En 2013, les mesures votées par le Parlement, qui représenteront 11 milliards d’euros de réduction des niches par rapport à 2010, conduiront à une réduction du coût d’ensemble des niches de 5 milliards d’euros seulement, car le coût des niches fiscales a progressé entre-temps. L’effort doit être amplifié et viser une réduction de 15 milliards d’euros.

Les rapports de la Cour des comptes comme ceux de l’Inspection générale des finances, ainsi que de nombreux rapports parlementaires, ont identifié de nombreuses niches dont l’inefficacité est avérée. Dans le présent rapport, la Cour prend, à ce titre, l’exemple des défiscalisations dites « Girardin » en faveur de l’outre-mer. En effet, dans la mesure où les résultats sont loin d’être à la hauteur des moyens engagés, la Cour propose la suppression de cette niche au profit d’autres modes d’action publique pour soutenir les économies ultramarines.

La Cour rend compte du contrôle de la Banque de France. Elle estime que, dans l’univers financier incertain où la Banque de France se situe désormais, la gestion financière du portefeuille que celle-ci détient pour son compte propre devrait donner plus d’importance au long terme et à la sécurité par rapport à la rentabilité à court terme. L’objectif d’assurer à l’État un dividende élevé a conduit à une gestion patrimoniale qui n’est pas vraiment satisfaisante si l’on regarde le long terme : l’exemple de la vente d’or qui s’est échelonnée de 2004 à 2009 l’illustre.

Sur la gestion de la Banque de France, la Cour constate des progrès intervenus à la suite de son rapport de mars 2005, jugé à l’époque sévère par la Banque, mais note que celle-ci dispose toujours d’importants réservoirs de gains de productivité. Il apparaît essentiel qu’un certain nombre de mesures complémentaires soient prises quant à la gestion même de la Banque de France.

Concernant le logement social, l’indispensable recentrage de l’effort de construction que la situation actuelle des finances publiques rend nécessaire a produit des résultats décevants. En 2009, 75 % des logements sociaux étaient construits là où n’existaient pas de besoins manifestes, et seuls 25 % l’étaient dans les zones les plus tendues. Ces résultats médiocres s’expliquent en partie par les faiblesses dont souffre le zonage sur lequel reposent les incitations à la construction. Les instruments utilisés sont mal adaptés, parfois même contreproductifs. La connaissance nationale du parc social et de son évolution doit s’améliorer, tandis qu’un nouveau zonage adapté aux enjeux du recentrage et révisé tous les trois ans doit être adopté.

La Cour des comptes aborde également dans ce rapport le sujet de la lutte contre la fraude. Dans son ensemble, notre appareil répressif demeure trop peu efficace. La Cour s’est penchée spécifiquement sur un cas de fraude spectaculaire, qui a coûté 1,6 milliard d’euros de perte fiscale à l’État entre l’automne 2008 et le printemps 2009 : la fraude à la TVA sur les marchés de quotas de carbone. Tant la Caisse des dépôts et consignations que l’entreprise BlueNext, en charge du marché, ont tardé à percevoir l’ampleur systémique de la fraude. De son côté, l’administration fiscale et le ministère de l’économie et des finances ont fait preuve d’une insuffisante réactivité. Une telle fraude révèle les lacunes de la régulation d’un marché dont les potentialités frauduleuses ont été négligées.

Je voudrais terminer mon intervention en abordant brièvement plusieurs sujets en lien avec l’intervention de l’État et des collectivités locales sur les territoires.

S’agissant de l’intervention de l’État, la Cour des comptes a examiné le réseau des sous-préfectures. Leurs missions principales, notamment la délivrance des titres de séjour et le contrôle de légalité, sont en train de disparaître, laissant la plupart d’entre elles sans activités administratives précises. Les sous-préfets conservent un rôle de représentation et de mission, mais cette vocation se détache progressivement du ressort territorial de l’arrondissement, ce qui les conduit plutôt à assister les préfets de département et de région. La gestion courante est défaillante : les ressources humaines restent sans perspectives, la mutualisation des moyens humains et des tâches est insuffisante, les charges immobilières surdimensionnées et pesantes.

Pourtant les marges d’évolution sont très nombreuses pour faire évoluer ce réseau étatique de proximité, auquel le pays est souvent attaché, sans que la présence de l’État disparaisse pour autant. Le réseau doit donc se moderniser et s’adapter : son découpage devrait être amélioré, les perspectives d’évolution des sous-préfectures les plus petites clarifiées, la recherche d’économies amplifiée, notamment sur le plan immobilier : le parc actuel doit être rationalisé en fonction des missions restantes et des modes de vie actuels.

La Cour des comptes évoque également deux sujets sur lesquels des arbitrages pourraient être utilement rendus.

D’une part, la prime à l’aménagement du territoire est un dispositif géré par l’État pour soutenir les emplois et les investissements des entreprises sur les territoires. L’analyse de la Cour montre que son rôle est devenu marginal par rapport à l’action des collectivités locales, notamment. La Cour propose donc de supprimer cette prime.

D’autre part, le rapport montre aussi que le recours aux aides d’urgence à l’agriculture mériterait d’être rationalisé.

S’agissant plus spécifiquement des collectivités territoriales, la Cour se penche cette année sur la décentralisation routière et en conclut que la réforme apparaît plus coûteuse qu’il n’était prévu, pour l’État comme pour les collectivités locales, et qu’il reste à l’approfondir pour en atteindre les objectifs. Elle examine également la gestion prévisionnelle des ressources humaines dans les collectivités territoriales en donnant des exemples de bonnes pratiques. Enfin, elle apporte des éclairages particuliers sur la gestion communale et intercommunale, à travers ses études sur les communes balnéaires du Languedoc-Roussillon ou le parc minier du Val d’Argent, en Alsace.

Le secteur de la santé n’est pas non plus oublié, de même que ceux de l’enseignement et de la recherche, avec les réseaux thématiques de recherche avancée, la formation des enseignants, le passage aux responsabilités et compétences élargies des universités parisiennes, le plan Réussite en licence et les écoles normales supérieures.

Il y aurait encore beaucoup d’autres choses à dire, mais je veux vous laisser aussi découvrir par vous-mêmes les 1 600 pages de ce rapport public annuel.

Je vous remercie, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, de m’avoir écouté aussi longuement sur des sujets de préoccupation qui nous sont communs. Je souhaite sincèrement que la sélection de nos contrôles qui figure dans ce rapport annuel alimente vos débats et nourrisse votre travail parlementaire. Notre expertise demeure à votre entière disposition. (Applaudissements.)

M. le président. Monsieur le Premier président, le Sénat vous donne acte du dépôt du rapport de la Cour des comptes.

La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une nouvelle fois, la remise du rapport de la Cour des comptes pourra satisfaire les attentes de celles et ceux qui militent pour une saine et efficace gestion des deniers publics, qui sont sensibilisés, dans la situation économique présente, aux questions de la convergence européenne, de la maîtrise de nos déficits et de notre endettement.

Bien sûr, la commission des finances ne va pas se priver d’examiner avec le plus grand soin chacune des constatations et observations de la Cour. Dès ce matin, monsieur le Premier président, le rapport ayant déjà été mis en ligne sur le site de la Cour, nous avons commencé ce travail.

Certains des sujets que vous abordez, soit au titre des nouvelles observations de la Cour, soit au titre des suites données à des observations précédentes, nous permettront assurément de prendre de nouvelles initiatives. Je voudrais, dans cette brève intervention, citer concrètement des éléments issus de notre coopération.

L’an dernier, par exemple – c’en est un parmi d’autres –, sous la présidence de Jean Arthuis, nous avions prêté une grande attention aux remarques formulées à propos du Centre national de la fonction publique territoriale. Nous avions organisé une audition pour suite à donner, afin d’entendre, d’un côté, les arguments de la Cour, de l’autre, les arguments de l’organisme contrôlé. À la suite de cela, nous avons pris l’initiative législative de mettre en œuvre une mesure préconisée dans le rapport public annuel de la Cour des comptes. Et nous l’avons fait malgré des résistances assez fortes. Nous pouvons nous féliciter aujourd’hui que ce sujet soit derrière nous, grâce à cette initiative commune de la Cour des comptes et de la commission des finances du Sénat.

Il est vrai, monsieur le Premier président, nous en faisons l’expérience chaque jour, que certaines réformes ou ajustements, bien que nécessaires et souvent d’ampleur limitée, sont difficiles à faire admettre par ceux – groupes d’intérêts, services de l’administration – dont ils affectent les intérêts ou tout simplement les habitudes.

L’exploitation du rapport public annuel ne constitue assurément que l’un des volets de l’intense collaboration qui existe entre la Cour des comptes et les assemblées parlementaires, et en leur sein, tout spécialement, les commissions des finances.

Au cours de l’année 2011, nous avons reçu les résultats de cinq enquêtes que nous avions demandées au titre de l’article 58, alinéa 2, de la loi organique relative aux lois de finances. J’en rappelle les sujets : la fusion de la direction générale des impôts et de la direction générale de la comptabilité publique, la gestion de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité, la réforme des offices agricoles et la création de l’Agence de services et de paiement, la gestion du patrimoine immobilier privé des hôpitaux et la réforme des tutelles des majeurs.

Chaque fois, nous organisons une audition pour suite à donner avec trois pôles : la chambre de la Cour des comptes qui a réalisé le rapport, les administrations concernées et les cabinets représentant le ministre en charge. Bien entendu, nous accueillons aussi ceux de nos collègues membres des autres commissions qui souhaitent assister à telle ou telle de ces auditions.

Pour 2012, compte tenu des échéances électorales, nous avons décidé de revoir quelque peu l’échéancier des remises d’enquêtes. Nous vous avons saisi, monsieur le Premier président, de cinq nouvelles demandes. Celles-ci concernent le Centre national du cinéma et de l’image animée – qui, il faut bien le reconnaître, se montre déjà très efficace pour ce qui est de l’animation de nos débats (Sourires.) –, l’entretien du réseau ferré national, le recensement et la comptabilisation des engagements hors bilan de l’État, les frais de justice, ainsi que la gestion du patrimoine immobilier des centres hospitaliers et universitaires, sujet que nous partageons avec la commission des affaires sociales.

Nous vous avons également saisi, monsieur le Premier président, d’une demande de transmission d’un relevé d’observations définitives sur le Centre national pour le développement du sport, le CNDS, traité selon la même procédure d’une enquête au titre de l’article 58, alinéa 2, de la LOLF.

Cette façon de procéder a donné toute satisfaction et pourra assurément se renouveler, sans pour autant limiter notre marge d’initiative dans le choix des sujets d’enquête que la commission des finances sélectionne par consensus, compte tenu des observations et des suggestions des rapporteurs spéciaux.

En raison de la qualité des travaux de la Cour et d’un mode de valorisation adapté, beaucoup de nos auditions pour suite à donner ouvertes à la presse faisant l’objet d’un écho approprié, je crois pouvoir affirmer que nous avons pris ensemble de bonnes habitudes de travail et que nous avons pu donner un vrai contenu à la mission d’assistance au Parlement confiée à la Cour des comptes par la Constitution. Ce dispositif, monsieur le président du Sénat, nous aide puissamment à exercer notre rôle de contrôle de l’action du Gouvernement.

Je ne peux donc que me féliciter de l’excellence de nos relations. Pour autant, il me semble que quelques marges de progression existent encore, ce qui me conduit à formuler quelques remarques concernant la transmission et les règles de publicité des référés et des rapports particuliers.

Depuis 2007, mes chers collègues, nous examinons avec une attention toute particulière ces documents qui nous sont transmis par la Cour. En mai 2011, nous avons ainsi organisé une audition pour suite à donner à deux référés de la Cour des comptes relatifs, d’une part, à la gestion de l’établissement public « Parcs nationaux de France » et, d’autre part, à la gestion et au pilotage des parcs nationaux. Cela a donné lieu à la publication d’un rapport d’information.

Pour que nous puissions procéder à une exploitation plus systématique de ce type de documents et rebondir, en quelque sorte, sur les observations de la Cour des comptes en leur donnant une suite politique, la commission des finances, grâce à ses rapporteurs spéciaux, effectue une analyse de tous les documents issus de la Cour, en particulier des référés, dès leur transmission. Je salue d'ailleurs l’implication des rapporteurs spéciaux à cet égard.

En contrepartie, monsieur le Premier président, je voudrais pouvoir compter sur votre aide en ce qui concerne les délais de transmission des documents et leur publicité.

S’agissant des référés, le délai de transmission aux commissions des finances, qui était auparavant de trois mois, a été ramené à deux mois, sur l’initiative du Sénat. Ce délai me semble raisonnable si nous voulons disposer de l’information avant que son intérêt ne diminue du fait des délais d’examen et des débats au sein de la Cour. Je suis certain, monsieur le Premier président, de votre vigilance à faire respecter ce délai.

En ce qui concerne les rapports particuliers, aucun délai spécifique n’est prévu par les textes. Il s’établit en réalité entre un et quatre mois. S’il était possible de convenir ensemble d’un raccourcissement pour tendre à un ou deux mois, l’efficacité des travaux de la Cour et du Sénat n’en serait naturellement que plus grande.

Enfin, je dois vous exprimer mon souhait que la plus grande attention soit portée au respect du délai dit de « latence » entre la transmission des référés au Parlement et leur mise en ligne sur le site de la Cour des comptes.

Il est en effet important de conserver au Parlement un « droit de priorité » s’agissant d’éléments d’information qui lui permettent de jouer son rôle de contrôle de l’action du Gouvernement.

De notre côté, monsieur le Premier président, nous renforcerons nos efforts pour publier et diffuser plus rapidement les enquêtes remises par la Cour, notamment au titre de la procédure de l’article 58, alinéa 2. En effet, il est bon de « battre le fer quand il est chaud », c'est-à-dire quand un sujet peut susciter l’attention de ceux qui s’intéressent à nos travaux.

Monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier président, au-delà de ces quelques remarques, je ne voudrais pas oublier l’essentiel, qui reste bien entendu que la conjugaison de nos actions doit nous permettre de progresser toujours dans la défense de l’intérêt général. (Applaudissements.)

(Mme Bariza Khiari remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le Premier président, mes chers collègues, à mon tour, je voudrais profiter de l’occasion du dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes pour saluer l’importance, la qualité et l’utilité des travaux réalisés par cette institution et pour vous remercier, monsieur le Premier président, ainsi que l’ensemble des personnes qui concourent à l’élaboration de ce document.

La synthèse des travaux que vous venez de nous présenter est impressionnante. Elle confirme le rôle éminent de la Cour, déployé dans tous les domaines de l’action publique, au service d’une meilleure gestion et d’une meilleure efficacité des politiques publiques.

Nous examinerons le contenu de ce nouveau rapport avec attention. Il comporte plusieurs incursions dans les domaines sociaux, qui relèvent de notre compétence. Je suis certaine de l’intérêt que les membres de notre commission trouveront à lire les passages du rapport consacrés au logement social, au patrimoine immobilier des hôpitaux ou à la question très particulière de l’informatisation du dossier du patient, sur laquelle la Cour s’est penchée en étudiant le cas des hôpitaux de Marseille.

Nous serons sans doute encore plus vigilantes et vigilants sur la partie du rapport qui concerne les suites données par les administrations et les organismes publics à vos précédentes observations.

Par exemple, l’amélioration du pilotage de la lutte contre le cancer est évidemment heureuse. Des marges de progrès semblent toutefois subsister et nous ne manquerons pas d’interroger le Gouvernement pour que celles-ci soient rapidement utilisées. Il est en effet impératif que tous nos concitoyens puissent bénéficier d’un dépistage de qualité, accessible et adapté.

De même, s’agissant de l’accompagnement des salariés qui font l’objet d’un licenciement économique, la Cour avait sévèrement critiqué la concurrence des deux dispositifs mis en place par le Gouvernement au cours des dernières années : les conventions de reclassement personnalisé et les contrats de transition professionnelle. Elle se félicite aujourd’hui de l’instauration du contrat « unique » de sécurisation professionnelle, tout récemment créé par la loi du 28 juillet dernier. Il nous semble cependant que celui-ci est d’application encore très modeste et que son efficacité reste à prouver, notamment en ce qui concerne les personnes les plus éloignées de l’emploi.

Sur les contrats de professionnalisation, principalement ouverts aux jeunes à la recherche d’un emploi, la Cour est plus critique ; nous le sommes aussi ! Bien des choses restent à faire pour mobiliser les acteurs et les moyens de la formation professionnelle.

Enfin, je puis vous assurer que tous les sénateurs de la commission des affaires sociales auront à cœur de se saisir du sujet de la périnatalité, à propos de laquelle vous lancez un véritable cri d’alerte. Le recul que vous observez est en effet très préoccupant. Comment accepter les chiffres que vous citez en matière de mortalité infantile ou maternelle ? Comment accepter la disparité de moyens que vous observez ? Il n’est pas admissible que les femmes des départements d’outre-mer ou de milieux défavorisés soient aussi peu et mal prises en charge. (M. le Premier président de la Cour des comptes acquiesce.) Vous appelez à une remobilisation urgente des services concernés. Nous ne pouvons qu’abonder dans votre sens.

Nous avions d’ailleurs clairement fait de la santé des femmes et de l’accueil en maternité une priorité. C’est la raison pour laquelle nous avions souhaité, ces dernières semaines, en saisir la Cour afin qu’elle inscrive ces sujets à son programme de travail de 2012. Nos interlocuteurs n’ont pas, alors, souhaité donner suite à notre requête. Il nous paraît cependant plus que nécessaire de poursuivre le travail entamé par la Cour dans son rapport public et de se pencher très sérieusement sur la prise en charge de la santé des femmes et sur l’état des maternités en France.

Il est souvent arrivé dans le passé que vos observations et les nôtres se rejoignent, monsieur le Premier président. Les sujets qui nous tenaient à cœur retenaient également votre attention. Nous souhaiterions que, à l’avenir, ces interactions puissent se renforcer et que les bonnes relations tissées au cours des dernières années puissent perdurer, car les thèmes dont nous voudrions vous saisir intéressent au plus haut point aussi bien les parlementaires que nous sommes que l’ensemble de nos concitoyennes et concitoyens.

Permettez-moi néanmoins de citer deux exemples sur lesquels nous n’avons pas trouvé de terrain d’entente : l’insertion professionnelle des personnes handicapées et la validation des acquis de l’expérience, la VAE. Il nous semble pourtant que bien des aspects de ces deux sujets restent à examiner.

Vous avez toutefois accepté, et nous vous en remercions, monsieur le Premier président, notre demande d’enquête sur la politique vaccinale de la France. Nous estimons en effet que c’est là un sujet prioritaire au regard de la prévention sanitaire. Les conclusions des travaux de la Cour et du Parlement sur l’épidémie de grippe H1N1 ont en effet montré l’urgence de faire valoir auprès de nos concitoyennes et concitoyens, de manière argumentée et objective, les avantages de la vaccination pour lutter contre un certain nombre de maladies. Les dispositifs publics mis en place à cet effet doivent donc être évalués et leurs résultats analysés, car il nous semble qu’on observe une forme de recul en la matière.

Cette année, vous nous avez remis deux enquêtes qui ont donné lieu en commission à des séances particulièrement riches et denses.

La première portait sur l’examen des spécificités du régime d’assurance maladie en Alsace-Moselle. Les conclusions auxquelles la Cour est parvenue ont montré la pertinence de ce choix, car l’étude d’un régime en situation d’équilibre financier méritait à l’évidence que l’on s’y attarde et que l’on réfléchisse aux enseignements pouvant en être tirés pour les autres régimes. Notre collègue Patricia Schillinger nous présentera ses conclusions dans les prochains jours.

La seconde enquête était relative à l’analyse de l’ensemble des dépenses prises en charge par l’assurance maladie et ne correspondant pas, stricto sensu, à des remboursements de soins. Ce thème, encore jamais exploré par la Cour, a permis d’étudier la nature et la pertinence des charges nombreuses et variées incombant à l’assurance maladie. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales et président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale – MECSS –, nous présentera prochainement les conclusions qu’il tire de cette intéressante enquête.

Au-delà de ces commandes et remises de travaux, d’autres rendez-vous, auxquels nous sommes très attachés, nous réunissent régulièrement.

Il s’agit d’abord de la publication au mois de septembre du rapport de la Cour sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale. Cette année encore, ce rapport approfondissait de nombreux sujets d’importance. Je n’en mentionnerai que quelques-uns : la répartition territoriale des médecins, le rôle des sages-femmes, la maîtrise des dépenses de médicaments, la convergence tarifaire et la tarification à l’activité des hôpitaux.

Pour notre part, nous travaillons également sur plusieurs de ces sujets, en particulier sur la question cruciale du financement des hôpitaux, dans le cadre de la MECSS.

Un deuxième rendez-vous régulier intervient au mois de juin, avec la publication du rapport sur la certification des comptes de la sécurité sociale. À l’instar des précédents rapports, et peut-être plus encore du fait de l’approfondissement des contrôles mis en œuvre, le cinquième rapport de certification, déposé au mois de juin dernier, s’est révélé extrêmement constructif et porteur de réelles possibilités de progrès pour la gestion des organismes de sécurité sociale. Notre commission s’en est d’ailleurs emparée en engageant, dans le cadre de la MECSS, un contrôle sur la branche AT-MP.

Enfin, chaque année avant l’été, vous nous présentez un rapport préalable au débat d’orientation des finances publiques. Celui-ci revêt une singulière importance au regard de la situation très dégradée de nos finances publiques, situation que, tout comme la Cour, la commission des affaires sociales s’emploie à dénoncer avec vigueur. Les débats de l’automne dernier sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale et sur le projet de loi de finances pour 2012 s’en sont d’ailleurs fait largement l’écho. L’alerte que vous lancez aujourd’hui ne doit pas nous laisser inactifs. C’est toutefois un autre débat...

Je retiens en tout cas votre insistance sur la nécessité de répartir équitablement les efforts demandés. À cet égard, je ne peux m’empêcher de constater que le Gouvernement fait le choix exactement inverse en nous proposant, aujourd’hui même, une augmentation de la TVA, laquelle pèsera indistinctement sur l’ensemble de la population.

En conclusion, madame la présidente, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, je formule le vœu que 2012 soit une année fructueuse pour la Cour des comptes et que nous puissions continuer à développer nos travaux communs, pour le plus grand profit de nos concitoyennes et nos concitoyens. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec la présentation du rapport de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président de la Cour des comptes.

(M. le Premier président de la Cour des comptes est reconduit selon le cérémonial d’usage.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Didier Guillaume.)

PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

9

Conférence des présidents

M. le président. Mes chers collègues, avant de vous donner lecture des conclusions de la conférence des présidents qui s’est réunie aujourd'hui, je vous indique que celle-ci a pris acte, en application de l’article 6 bis du règlement, de la création d’une mission commune d’information sur les agences de notation, demandée par le groupe de l’Union centriste et républicaine, ainsi que de celle d’une commission d’enquête sur le coût réel de l’électricité, demandée par le groupe écologiste.

La conférence des présidents a établi comme suit l’ordre du jour des prochaines séances du Sénat :

SEMAINE SÉNATORIALE DE CONTRÔLE DE L’ACTION DU GOUVERNEMENT ET D’ÉVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES

Jeudi 9 février 2012

À 9 heures 30 :

Ordre du jour fixé par le Sénat :

1°) Débat sur la situation de l’industrie automobile en France (demande du groupe CRC)

(La conférence des présidents :

- a attribué un temps d’intervention de vingt minutes au représentant du groupe CRC ;

- a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe.)

À 15 heures :

2°) Questions d’actualité au Gouvernement

(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant onze heures.)

Ordre du jour fixé par le Sénat :

3°) Proposition de résolution relative à la filière industrielle nucléaire française, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution par M. Jean-Claude Gaudin et les membres du groupe UMP (n° 202, 2011-2012) (demande du groupe UMP)

(La conférence des présidents :

- a attribué un temps d’intervention de vingt minutes à l’auteur de la proposition de résolution ;

- a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

Les interventions des orateurs vaudront explications de vote.)

SEMAINE SÉNATORIALE D’INITIATIVE

Lundi 13 février 2012

À 15 heures et, éventuellement, le soir :

Ordre du jour fixé par le Sénat :

1°) Proposition de résolution relative à l’application de certaines dispositions de la loi du 9 juillet 2010, concernant les violences faites aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution par M. Roland Courteau et plusieurs de ses collègues (n° 200, 2011-2012) (demande de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes)

(La conférence des présidents :

- a attribué un temps d’intervention de vingt minutes à l’auteur de la proposition de résolution ;

- a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

Les interventions des orateurs vaudront explications de vote.

Les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, vendredi 10 février, avant dix-sept heures.)

2°) Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle (n° 327, 2011-2012) (demande du Gouvernement)

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, vendredi 10 février, avant dix-sept heures.)

3°) Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant réforme des ports d’outre-mer relevant de l’État et diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne dans le domaine des transports (n° 329, 2011-2012) (demande du Gouvernement)

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, vendredi 10 février, avant dix-sept heures.)

4°) Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France (n° 317, 2011-2012) (demande du Gouvernement)

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, vendredi 10 février, avant dix-sept heures.)

Mardi 14 février 2012

À 14 heures 30 :

Ordre du jour fixé par le Sénat :

1°) Proposition de loi visant à assurer l’aménagement numérique du territoire, présentée par MM. Hervé Maurey et Philippe Leroy (texte de la commission, n° 322, 2011-2012) (demande de la commission de l’économie)

(La conférence des présidents a fixé :

- à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, lundi 13 février, avant dix-sept heures ;

- au jeudi 9 février, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission de l’économie se réunira pour examiner les amendements mardi 14 février, après-midi.)

De 17 heures à 17 heures 45 :

2°) Questions cribles thématiques sur l’indemnisation des victimes de maladies et d’accidents professionnels

(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant douze heures trente.)

De 18 heures à 19 heures 15, le soir et, éventuellement, la nuit :

Ordre du jour fixé par le Sénat :

3°) Suite de l’ordre du jour de l’après-midi

En outre, à 19 heures :

4°) Désignation :

- des vingt-sept membres des missions communes d’information :

 sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique

 sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement

 sur les inondations qui se sont produites dans le Var et, plus largement, dans le sud-est de la France au mois de novembre 2011

 sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation

- des vingt et un membres de la commission d’enquête sur le coût réel de l’électricité afin d’en déterminer l’imputation aux différents agents économiques

(Les candidatures à ces différentes instances devront être remises au secrétariat de la direction de la législation et du contrôle mardi 14 février, avant seize heures.)

Mercredi 15 février 2012

De 14 heures 30 à 18 heures 30 :

Ordre du jour réservé au groupe UMP :

1°) Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports (n° 290, 2011-2012)

(La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, mardi 14 février, avant dix-sept heures ;

- au lundi 13 février, à quinze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements mercredi 15 février, matin.)

À 18 heures 30 et le soir :

Ordre du jour fixé par le Sénat :

2°) Proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales, présentée par M. Éric Doligé (n° 779, 2010-2011) (demande du groupe UMP)

(La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, mardi 14 février, avant dix-sept heures ;

- au lundi 13 février, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des lois se réunira pour examiner les amendements mercredi 15 février.)

Jeudi 16 février 2012

De 9 heures à 13 heures :

Ordre du jour réservé au groupe CRC :

1°) Proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers, présentée par Mme Annie David et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n° 346, 2011-2012)

(La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, mercredi 15 février, avant dix-sept heures ;

- au lundi 13 février, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements mercredi 15 février, matin.)

De 15 heures à 19 heures :

Ordre du jour réservé au groupe socialiste et apparentés :

2°) Proposition de loi relative à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, présentée par Mme Claire-Lise Campion et les membres du groupe socialiste et apparentés (texte de la commission, n° 342, 2011-2012)

(La conférence des présidents :

- a attribué un temps d’intervention de quinze minutes à la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ;

- a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, mercredi 15 février, avant dix-sept heures ;

- a fixé au lundi 13 février, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements mercredi 15 février, matin.)

SEMAINES RÉSERVÉES PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT

Lundi 20 février 2012

À 15 heures, le soir et, éventuellement, la nuit (jusqu’à zéro heure trente) :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

1°) Éventuellement, suite de la proposition de loi relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers ;

2°) Conclusions de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet de loi relatif à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique.

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, vendredi 17 février, avant dix-sept heures.)

3°) Nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives (n° 320, 2011-2012)

(La commission des lois se réunira pour le rapport mercredi 15 février (délai limite pour le dépôt des amendements en commission : lundi 13 février, à douze heures.)

La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, vendredi 17 février, avant dix-sept heures ;

- au vendredi 17 février, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des lois se réunira pour examiner les amendements lundi 20 février, à quatorze heures trente.)

4°) Sous réserve de sa transmission, proposition de loi visant à assouplir les règles relatives à la refonte de la carte intercommunale (Procédure accélérée) (A.N., n° 3908)

(La commission des lois se réunira pour le rapport mercredi 15 février.

La conférence des présidents a fixé :

- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, vendredi 17 février, avant dix-sept heures ;

- au lundi 20 février, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des lois se réunira pour examiner les amendements lundi 20 février, à quatorze heures trente.)

Mardi 21 février 2012

À 9 heures 30 :

1°) Questions orales

L’ordre d’appel des questions sera fixé ultérieurement.

- n° 1397 de M. Hervé Maurey à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie

(Devenir des biens mobiliers non réclamés)

- n° 1472 de M. Michel Teston à M. le ministre chargé des transports

(Dessertes intérieures par autocar)

- n° 1487 de Mme Anne-Marie Escoffier à M. le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire

(Lutte contre le frelon asiatique)

- n° 1493 de Mme Muguette Dini à M. le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche

(Revenus pris en compte pour déterminer le droit à bourse d’un étudiant)

- n° 1541 de M. René Teulade à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

(Enseignement de l’histoire-géographie en première et terminale scientifiques)

- n° 1544 de Mme Catherine Deroche à M. le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire

(Compétitivité et coût du travail dans les entreprises de production agricole)

- n° 1547 de Mme Claire-Lise Campion à Mme la ministre des solidarités et de la cohésion sociale

(Accueil des mineurs étrangers isolés)

- n° 1549 de M. Georges Labazée à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement

(Annonce du gel des projets de ligne à grande vitesse)

- n° 1551 de M. Jean-Yves Leconte à M. le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes

(Conditions de financement de l’extension du lycée Alexandre Dumas à Moscou)

- n° 1552 de Mme Aline Archimbaud à M. le Premier ministre

(Situation des victimes de l’amiante)

- n° 1553 de M. Philippe Madrelle à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement

(Sécurité de la centrale nucléaire du Blayais)

- n° 1555 de M. Bernard Piras à Mme la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement ;

(Gestion des titres de recettes émis par les ordonnateurs locaux)

- n° 1556 de M. Christian Cambon à M. le secrétaire d’État chargé du logement

(Faciliter l’accès au logement)

- n° 1557 de M. Philippe Kaltenbach à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement

(Rénovation des espaces publics du quartier d’affaires de La Défense)

- n° 1559 de M. Philippe Dallier à M. le ministre chargé des transports

(Rénovation des tunnels routiers en Seine-Saint-Denis)

- n° 1561 de M. Didier Guillaume à M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration

(Baisse de la dotation d’équipement des territoires ruraux en Drôme)

- n° 1563 de Mme Christiane Hummel à M. le ministre chargé des collectivités territoriales

(Nouvelles charges pour les communes dans le secteur de la petite enfance)

- n° 1593 de M. Jean-Patrick Courtois à M. le secrétaire d’État chargé du logement

(Compétences des sociétés publiques locales)

- n° 1598 de M. Thierry Foucaud à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

(Devenir de l’enseignement professionnel public)

- n° 1599 de M. Philippe Darniche à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement

(Nouvelle réglementation parasismique)

À 14 heures 30 :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

2°) Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à modifier le régime de responsabilité civile du fait des choses des pratiquants sportifs sur les lieux réservés à la pratique sportive et à mieux encadrer la vente des titres d’accès aux manifestations sportives, commerciales et culturelles et aux spectacles vivants (n° 333, 2011-2012)

(La commission de la culture se réunira pour le rapport mercredi 15 février, matin, (délai limite pour le dépôt des amendements en commission : lundi 13 février, à douze heures).

La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, lundi 20 février, avant dix-sept heures ;

- au lundi 20 février, à seize heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission de la culture se réunira pour examiner les amendements mardi 21 février.)

3°) Nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la protection de l’identité (texte de la commission, n° 340, 2011-2012)

(La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, lundi 20 février, avant dix-sept heures ;

- au jeudi 16 février, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des lois se réunira pour examiner les amendements mardi 21 février.)

5°) Suite de la proposition de loi visant à assouplir les règles relatives à la refonte de la carte intercommunale

En outre, à 17 heures :

6°) Désignation des membres :

- de la commission des affaires économiques

- de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire

(Les candidatures pour ces désignations devront être remises au secrétariat de la direction de la législation et du contrôle avant le mardi 21 février, à quinze heures.)

Le soir :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

7°) Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative aux recherches impliquant la personne humaine (n° 259, 2011-2012)

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, lundi 20 février, avant dix-sept heures.)

8°) Suite de l’ordre du jour de l’après-midi

Mercredi 22 février 2012

À 14 heures 30 et le soir :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

1°) Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au suivi des enfants en danger par la transmission des informations (n° 224, 2010-2011)

(La commission des affaires sociales se réunira pour le rapport mercredi 15 février, matin (délai limite pour le dépôt des amendements en commission : lundi 13 février, à douze heures).

La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, mardi 21 février, avant dix-sept heures ;

- au lundi 20 février, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements mercredi 22 février, matin.)

2°) Sous réserve de sa transmission, projet de loi de finances rectificative pour 2012 (A.N., n° 4332)

(La commission des finances se réunira pour le rapport mardi 21 février, après-midi.

La conférence des présidents a fixé :

- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, mardi 21 février, avant dix-sept heures ;

- à quinze minutes le temps d’intervention de la rapporteur pour avis « branche famille » de la commission des affaires sociales

- au mercredi 22 février, à douze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des finances se réunira pour examiner les amendements jeudi 23 février.)

Jeudi 23 février 2012

À 10 heures :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

1°) Suite du projet de loi de finances rectificative pour 2012

À 15 heures et le soir :

2°) Questions d’actualité au Gouvernement

(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant onze heures.)

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

3°) Suite de l’ordre du jour du matin

Vendredi 24 février 2012

À 9 heures 30, à 14 heures 30, le soir et, éventuellement, la nuit :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

- Suite du projet de loi de finances rectificative pour 2012

Éventuellement, samedi 25 février 2012

À 9 heures 30 et à 14 heures 30 :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

- Suite du projet de loi de finances rectificative pour 2012

Lundi 27 février 2012

À 15 heures et le soir :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

1°) Conclusions de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet de loi de programmation relatif aux moyens nécessaires à la mise en œuvre de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, vendredi 24 février, avant dix-sept heures.

En cas de nouvelle lecture :

- la commission des lois se réunira pour le rapport mercredi 22 février (délai limite pour le dépôt des amendements en commission : mardi 21 février, à douze heures) ;

- la conférence des présidents a fixé au vendredi 24 février, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des lois se réunira pour examiner les amendements lundi 27 février, à quatorze heures trente.)

2°) Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale, relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif (n° 331, 2011-2012)

(La commission des lois se réunira pour le rapport mercredi 22 février (délai limite pour le dépôt des amendements en commission : lundi 20 février, à 12 heures).

La conférence des présidents a fixé :

- à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, vendredi 24 février, avant dix-sept heures ;

- au vendredi 24 février, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des lois se réunira pour examiner les amendements lundi 27 février, à quatorze heures trente.)

3°) Deuxième lecture ou conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi tendant à modifier la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, vendredi 24 février, avant dix-sept heures.

En cas de deuxième lecture :

- la commission des lois se réunira pour le rapport mercredi 22 février (délai limite pour le dépôt des amendements en commission : mardi 21 février, à douze heures) ;

- la conférence des présidents a fixé au vendredi 24 février, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des lois se réunira pour examiner les amendements lundi 27 février, à quatorze heures trente.)

Mardi 28 février 2012

À 14 heures 30 :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

1°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’île Maurice tendant à éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (texte de la commission, n° 296, 2011-2012)

2°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume d’Arabie saoudite en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu, sur les successions et sur la fortune (texte de la commission, n° 295, 2011-2012)

3°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de l’avenant à la convention entre la République française et la République d’Autriche en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune (texte de la commission, n° 293, 2011-2012)

(La conférence des présidents a décidé que ces trois projets de loi feraient l’objet d’une discussion générale commune.

La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, lundi 27 février, avant dix-sept heures.)

4°) Sous réserve de leur transmission, projet de loi autorisant la ratification de la décision du Conseil européen modifiant l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en ce qui concerne un mécanisme de stabilité pour les États membres dont la monnaie est l’euro (Procédure accélérée) (A.N., n° 4337) et projet de loi autorisant la ratification du traité instituant le mécanisme européen de stabilité (Procédure accélérée) (A.N., n° 4336)

(La conférence des présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l’objet d’une discussion générale commune.

La commission des finances se réunira pour le rapport jeudi 23 février, matin.

La conférence des présidents :

- a accordé un temps d’intervention de quinze minutes respectivement au président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et au président de la commission des affaires européennes ;

- a fixé à une heure et demie la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, lundi 27 février, avant dix-sept heures.)

5°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’Union des Comores instituant un partenariat de défense (n° 131, 2011-2012)

6°) Sous réserve de sa transmission, projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan relatif à la coopération en matière de lutte contre la criminalité (A.N., n° 3261)

7°) Sous réserve de sa transmission, projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kazakhstan dans le domaine de la protection civile, de la prévention et de l’élimination des situations d’urgence (A.N., n° 3390)

8°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le conseil des ministres de Bosnie-Herzégovine relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure (n° 184, 2011-2012)

9°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise (n° 185, 2011-2012)

10°) Sous réserve de sa transmission, projet de loi autorisant l’approbation de l’accord d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale du Nigéria (A.N., n° 3316)

11°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif à la Brigade franco-allemande (n° 135, 2011-2012)

12°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité entre le Royaume d’Espagne, la République française, la République italienne, le Royaume des Pays-Bas et la République portugaise, portant création de la force de gendarmerie européenne EUROGENDFOR (texte de la commission, n° 99, 2011-2012)

(Pour ces huit projets de loi, la conférence des présidents a décidé de recourir à la procédure simplifiée.

Selon cette procédure simplifiée, le projet de loi est directement mis aux voix par le président de séance. Toutefois, un groupe politique peut demander, au plus tard vendredi 24 février, à dix-sept heures, que le projet de loi soit débattu en séance selon la procédure habituelle.)

13°) Sous réserve de sa transmission, projet de loi autorisant l’approbation des amendements à l’article 1er et à l’article 18 de l’accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Procédure accélérée) (A.N., n° 4219)

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, lundi 27 février, avant dix-sept heures.)

14°) Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, modifiant la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » (n° 523, 2009-2010)

(La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées se réunira pour le rapport mardi 14 février, après-midi, (délai limite pour le dépôt des amendements en commission : lundi 13 février, à douze heures).

La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, lundi 27 février, avant dix-sept heures ;

- au lundi 27 février, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées se réunira pour examiner les amendements, mardi 28 février, après-midi.)

À 21 heures 30 :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

15°) Débat préalable au Conseil européen des 1er et 2 mars 2012 (demande de la commission des affaires européennes et compte tenu de la demande de débat du groupe de l’UCR sur le fédéralisme budgétaire)

(La conférence des présidents a attribué, à la suite de l’intervention liminaire du Gouvernement de dix minutes, un temps d’intervention de huit minutes à la commission des affaires européennes, à la commission de l’économie ainsi qu’à la commission des finances, et de quinze minutes à chaque groupe (cinq minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe) ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire lundi 27 février, avant dix-sept heures.

À la suite de la réponse du Gouvernement, les sénateurs pourront, pendant une heure, prendre la parole (deux minutes maximum) dans le cadre d’un débat spontané et interactif comprenant la possibilité d’une réponse du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes.).

16°) Éventuellement, suite de l’ordre du jour de l’après-midi

Mercredi 29 février 2012

À 14 heures 30 et le soir :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

1°) Conclusions de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative pour 2012

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, mardi 28 février, avant dix-sept heures ;

En cas de nouvelle lecture :

- la commission des finances se réunira pour le rapport mercredi 29 février, matin ;

- la conférence des présidents a fixé au début de l’examen du texte le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des finances se réunira pour examiner les amendements à l’issue de la discussion générale.)

2°) Conclusions de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture de la proposition de loi relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, mardi 28 février, avant dix-sept heures.

En cas de nouvelle lecture :

- la commission des affaires sociales se réunira pour le rapport mardi 28 février, après-midi (délai limite pour le dépôt des amendements en commission : lundi 27 février, à douze heures) ;

- la conférence des présidents a fixé au mercredi 29 février, à onze heures, pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements mercredi 29 février, en fin de matinée.)

3°) Sous réserve de sa transmission, projet de loi relatif à la majoration des droits à construire (Procédure accélérée) (A.N., n° 4335)

(La commission de l’économie se réunira pour le rapport mardi 28 février (délai limite pour le dépôt des amendements en commission : lundi 27 février, à douze heures).

La conférence des présidents a fixé :

- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, mardi 28 février, avant dix-sept heures ;

- au début de l’examen du texte le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission de l’économie se réunira pour examiner les amendements à l’issue de la discussion générale.)

Jeudi 1er mars 2012

À 9 heures 30 :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

1°) Suite du projet de loi relatif à la majoration des droits à construire

À 15 heures et le soir :

2°) Questions d’actualité au Gouvernement

(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée à la division des questions et du contrôle en séance avant onze heures.)

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

3°) Suite de l’ordre du jour du matin

Vendredi 2 mars 2012

À 9 heures 30, à 14 heures 30 et le soir :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

- Suite de l’ordre du jour de la veille.

SEMAINE SÉNATORIALE DE CONTRÔLE DE L’ACTIONDU GOUVERNEMENT ET D’ÉVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES

Mardi 6 mars 2012

À 14 heures 30 :

Ordre du jour fixé par le Sénat :

1°) Sous réserve de sa transmission, proposition de loi relative à la gouvernance de la sécurité sociale et à la mutualité (A.N., n° 3977) (demande du Gouvernement)

(La commission des affaires sociales se réunira pour le rapport lundi 27 février, à douze heures (délai limite pour le dépôt des amendements en commission : mercredi 29 février, matin).

La conférence des présidents a fixé :

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, lundi 5 mars, avant dix-sept heures ;

- au lundi 5 mars, à douze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements mardi 6 mars.)

2°) Conclusions de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet de loi relatif à la majoration des droits à construire (demande du Gouvernement)

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, lundi 5 mars, avant dix-sept heures ;

En cas de nouvelle lecture :

- la commission de l’économie se réunira pour le rapport mardi 6 mars ;

- la conférence des présidents a fixé au début de l’examen du texte le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.

La commission de l’économie se réunira pour examiner les amendements à l’issue de la discussion générale.)

3°) Sous réserve de son dépôt, proposition de résolution européenne, présentée en application de l’article 73 quinquies du Règlement, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales et à la libre circulation de ces données (E 7054) et la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (règlement général sur la protection des données) (E 7055) (demande de la commission des lois et de la commission des affaires européennes)

(La conférence des présidents a fixé à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire, lundi 5 mars, avant dix-sept heures.)

Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...

Ces propositions sont adoptées.

10

Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation relatif aux moyens nécessaires et à la mise en œuvre de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009.

La liste des candidats établie par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale a été affichée conformément à l’article 12 du Règlement.

Je n’ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée, et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :

Titulaires : M. Jean-Pierre Sueur ; Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ; MM. Jean-Pierre Michel, Alain Anziani, Jean-René Lecerf, François-Noël Buffet, Yves Détraigne.

Suppléants : M. Philippe Bas ; Mme Esther Benbassa ; M. Jean-Jacques Hyest ; Mme Virginie Klès ; M. Jacques Mézard ; Mme Catherine Tasca ; M. François Zocchetto.

11

Débat sur la biodiversité

M. le président. L’ordre du jour appelle un débat sur la biodiversité, organisé à la demande du groupe écologiste.

La parole est à M. Ronan Dantec, au nom du groupe écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre des sports, mes chers collègues,… que je me félicite de voir si nombreux ce soir pour assister à ce débat… (Sourires.)

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage

Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers

Qui suivent, indolents compagnons de voyage,

Le navire glissant sur les gouffres amers.

Beaucoup d’entre vous, je le présume, connaissent ce poème de Charles Baudelaire, paru en 1861 dans la deuxième édition des Fleurs du mal.

Dix ans plus tôt, Herman Melville publiait Moby Dick, grand livre consacré à la chasse à la baleine. Peut-être y avez-vous également lu ces lignes : « … pendant six mille ans – et nul ne sait combien de millions de siècles auparavant – les grandes baleines avaient projeté leur souffle sur toutes les mers, arrosant et parant de mystère les jardins des profondeurs avec tant de jets d’eau. »

Mais déjà à l’époque, la chasse à la baleine s’industrialise et ne va pas tarder à provoquer un effondrement dramatique des populations de cétacés, processus qui se poursuivra jusqu’à l’entrée en vigueur du moratoire de 1986.

À la fin du XIXe siècle, les baleines grises disparaissent totalement de l’Atlantique Nord. Et c’est à cette même époque que sont observés les derniers albatros sur les côtes de l’Europe. Quel lien entre ces deux disparitions, me demanderez-vous, sinon la coïncidence chronologique et l’accélération que connaît alors le rythme des disparitions d’espèces, du pigeon migrateur au bison d’Amérique ?

Pourtant, en 2008, deux scientifiques – Philippe Cury et Yves Miserey – ont établi une corrélation entre l’effondrement des populations de baleines grises et d’oiseaux marins : ces cétacés, se nourrissant au fond des océans, projetteraient vers la surface, chaque été, des centaines de millions de mètres cubes de sédiments et, du même coup, des myriades de crustacés benthiques, happés ensuite par les grands oiseaux marins, pétrels, puffins, voire albatros, même si les crustacés ne constituent pour ces derniers qu’une nourriture d’appoint.

Lorsqu’on parle de biodiversité, on évoque donc l’interaction constante entre les éléments du monde vivant et la fragilité des équilibres découlant de cette interaction : l’homme aura eu bien du mal à le comprendre et à concevoir que, étant lui-même issu du vivant, c’était bien l’« arbre » qui l’abritait et le nourrissait qu’il était en train de déraciner, d’abattre à coups de harpon, de fusil ou de bulldozer.

Il me semble donc important de conclure mon introduction par cette interrogation : s’il était né quelques dizaines d’années plus tard, faute d’albatros, dont les populations s’effondraient déjà – que ce soit ou non à cause de la disparition des baleines grises –, Charles Baudelaire aurait-il pu imaginer ce poème magnifique, qui a nourri et nourrit aujourd’hui encore notre sensibilité au monde ?

C’est au tournant du XXIe siècle que l’ONU s’est enfin penchée sérieusement sur la question de la préservation de la biodiversité, et c’est en 2005 qu’a été proposée une grille d’analyse liant les services fournis par la nature et les écosystèmes au développement et au bien-être humains.

Ainsi, établir le lien entre l’oiseau et la plume du poète s’inscrit dans la troisième catégorie de services définie par cette grille : les services dits culturels ou esthétiques, offrant à l’humain « autant d’opportunités récréatives ou artistiques ».

Les deux autres grandes catégories sont, d’une part, les services de prélèvement, soulevant notamment les enjeux humains de sécurité alimentaire et, d’autre part, les services de régulation – tel le climat ou la pollinisation – sans lesquels nous nous exposerions, et nous exposons d’ailleurs déjà, à quelques ennuis… Jean-Vincent Placé y reviendra au cours de son intervention.

Avec un rythme de disparition d’espèces estimé aujourd’hui à 1 000 fois ce qu’il était avant qu’homo sapiens ne soit capable de produire 2001, l’Odyssée de l’espace, nous sommes entrés dans l’anthropocène, ce temps où l’homme a la capacité de modifier à grande échelle l’environnement planétaire, faire fondre les banquises, raser les forêts et empoisonner les océans.

Ainsi, la responsabilité qui est aujourd'hui la nôtre constitue en même temps, et encore plus sûrement, une impérieuse nécessité : il s’agit pour nous de stopper le désastre, d’inventer un fonctionnement, notamment en termes d’aménagement du territoire, qui permette, pour le moins, la cohabitation et, pour le mieux, l’interaction équilibrée entre l’humain et son environnement.

La situation est grave, mais elle n’est pas désespérée – elle ne doit d’ailleurs jamais l’être ! –, à condition que l’on s’engage sans tarder dans une politique à la hauteur des enjeux, qui soit adossée à un diagnostic lucide des principales atteintes à la biodiversité dans notre beau pays aux mille paysages, l’un des plus riches du monde en termes de diversité des écosystèmes.

Je ne peux, en cet instant, être exhaustif, mais un certain nombre de priorités et de réponses ont ici l’occasion, pour la première fois dans l’histoire du Sénat, d’être développées en séance publique.

Le premier enjeu est sans nul doute la préservation de la terre agricole et des espaces naturels. Il était déjà terrifiant d’imaginer l’artificialisation, tous les dix ans, d’un territoire équivalent à la taille d’un département ; or ce chiffre est aujourd’hui dépassé : c’est tous les sept à huit ans que nous perdons dorénavant cette surface, notamment dans l’ouest de la France, en raison de l’étalement urbain et d’infrastructures démesurées.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Ronan Dantec. Faire cesser ce gaspillage insensé est une urgence, et nous ne pouvons que souscrire à l’objectif affiché par les associations du réseau France nature environnement d’avoir totalement stoppé cette perte vers 2025, pour arriver à un système où tout hectare artificialisé devra être compensé par la renaturation d’une surface équivalente. Il ne s’agit pas d’une utopie : des expériences d’ampleur sont déjà menées en Angleterre en ce sens.

Sans attendre, et le Sénat devra être moteur sur ce point, il faut ralentir ce rythme de destruction par la modification des règles d’urbanisme, notamment dans les SCOT, les schémas de cohérence territoriale, qui doivent être plus directifs.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Ronan Dantec. Il nous faut faire passer l’idée selon laquelle l’artificialisation doit se limiter à des situations où il n’existe aucune autre solution. La densification des grandes villes comme des bourgs secondaires est ici un enjeu central.

Dans cette optique, comme j’aime à le souligner, il est probable que la première politique de préservation de la biodiversité serait une bonne politique du logement, permettant de se loger en ville à des coûts accessibles et avec une qualité de vie, de manière à éviter l’« appel de la campagne » et le développement de ces lotissements de néo-ruraux, condamnés à parcourir chaque jour des dizaines de kilomètres pour aller travailler en ville.

Le deuxième enjeu est évidemment de mettre un terme aux agressions multiples dont la nature est aujourd’hui victime. Les énumérer est impossible tant elles sont nombreuses, mais l’effondrement des populations d’abeilles – nous en avons débattu voilà quelques heures dans cet hémicycle –, probablement lié justement à ce cumul d’agressions, est un témoignage éclatant de ce qui nous attend si nous ne réagissons pas.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Ronan Dantec. Bien sûr, il faut interdire les produits incriminés comme le Gaucho ou le Régent, mais c’est plus globalement la sortie du modèle d’une agro-industrie « shootée » aux phytosanitaires qu’il faut organiser.

Le Grenelle annonçait, à la grande époque du « sarko-show » environnemental, l’objectif d’une baisse de 50 % de l’usage des phytosanitaires. Or les derniers chiffres traduisent au contraire une augmentation de leur utilisation. Il n’y a aucune stratégie permettant de sortir de ce modèle tragique pour la santé des agriculteurs comme pour le milieu naturel, alors même que c’est une priorité absolue.

L’accroissement rapide des surfaces cultivées en agriculture biologique, prévu par le Grenelle, serait la première réponse : une proportion de 20 % en 2020 constituerait un objectif raisonnable, qui devrait s’appuyer sur le renforcement des filières bio dans les circuits courts et la restauration collective. Et ce sera aussi la tâche de la toute nouvelle mission d’information sénatoriale sur les pesticides de proposer des avancées concrètes sur ce point.

En parallèle – mais est-il besoin d’y revenir ? –, le maintien de l’interdiction des OGM s’impose, et nous ne pouvons que nous réjouir de l’unanimité aujourd’hui affichée à gauche sur cette question.

Dans ce domaine de la limitation des agressions contre le milieu, je voudrais insister sur la question de l’eau et de notre responsabilité à l’égard des milieux marins.

La reconquête de la qualité des milieux aquatiques, définie par la directive européenne de 2000, est une grande priorité. Cela passe par la remise en cause de pratiques agricoles intensives surdimensionnées par rapport aux capacités d’absorption des bassins versants, mais aussi par un renforcement de l’assainissement en milieu urbain. Nous connaissons le retard pris sur ce point, le rapport publié à l’automne dernier par notre collègue Fabienne Keller l’ayant déjà souligné.

Certaines remises en cause seront nécessaires. Je pense notamment au non-traitement des eaux de pluie dans le cadre de réseaux séparatifs, eaux de pluie qui, en nettoyant les villes, souillent ensuite rivières et milieux marins, avec des atteintes graves à la biodiversité, bien au-delà de nos territoires.

Nous sommes en train de prendre conscience de la très grande fragilité de la biodiversité marine, là où nous avions vu voilà encore quelques décennies un vivier inépuisable pour nourrir des milliards d’humains. Réduire le plus possible nos effluents, entre sacs plastiques et mégots, nitrates et phosphates, est un enjeu majeur. Cela nécessitera des moyens financiers et des programmes forts de coopération internationale, notamment en Méditerranée.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Ronan Dantec. L’État devra être exemplaire et, évidemment, arrêter de « piquer » dans la caisse des agences de l’eau pour boucler ses propres fins de mois ! Est-il vraiment nécessaire de rappeler ce hold-up perpétré par un gouvernement qui n’a jamais fait de l’environnement une priorité financière ?

La question du devenir des océans, réservoirs de biodiversité par trop méconnus et négligés, sera sur la table des négociations de Rio en juin prochain. La France devra être offensive pour obtenir l’arrêt de la surpêche, l’instauration de vastes zones de réserves marines et la mise en place de programmes internationaux de recherche. Une part de notre avenir collectif se joue là.

Avec les départements et collectivités d’outre-mer, la France possède l’un des plus vastes territoires marins du monde, le deuxième après celui des États-Unis. Cela lui donne une responsabilité particulière, en lien avec ses collectivités territoriales.

Je saisis cette occasion pour rappeler la nécessité du renforcement des mesures de lutte contre les pollueurs des mers, les dégazages, les navires-poubelles et les comportements irresponsables.

M. Roland Courteau. Les voyous des mers !

M. Ronan Dantec. L’échouage du TK Bremen nous rappelle que nous sommes toujours sous la menace d’une catastrophe. Le renforcement des droits français et européen doit nous en prémunir.

Je ne m’attarderai pas dans cette intervention sur la question de la protection des espèces et habitats les plus remarquables, non que ce point n’ait pas aussi son importance, mais il m’a semblé qu’il était le plus connu.

Bien sûr, il faut réintroduire l’ours dans les Pyrénées et réapprendre à vivre avec cet emblème, facteur d’imaginaire et évidemment de développement touristique local. Bien sûr, il faut protéger de nouveaux espaces terrestres et marins remarquables, et le Grenelle avait permis de faire émerger des propositions très précises dans ce domaine. Je suis le premier convaincu de la nécessité de telles actions, mais il ne faudrait pas que les débats sur ces sujets, aussi importants et légitimes qu’ils soient, nous fassent oublier que la menace actuelle, c’est aussi la perte de la biodiversité banale, et que nous ne préserverons pas quelques espaces ou espèces remarquables si les écosystèmes dans lesquels ils s’inscrivent continuent de s’appauvrir.

De même, j’aurais pu longuement évoquer la question de la forêt, mais nous aurons l’occasion d’y revenir dans d’autres débats.

Préserver les territoires, limiter drastiquement les agressions contre le milieu naturel, protéger espèces et habitats remarquables : nous avons là la base d’une véritable politique de la biodiversité, d’un plan national stratégique, qui nécessite des outils d’intervention.

Il s’agit d’abord de se doter d’un appareil législatif complet et adapté, et voilà bien, mes chers collègues, notre premier métier ! Par exemple, nous devons rapidement traduire en droit français les engagements pris à Nagoya dans le cadre du suivi de la convention sur la diversité biologique, notamment pour refuser la captation par des intérêts privés de ce bien public qu’est le vivant. C’est aujourd’hui une véritable urgence politique !

Nous devons appliquer ce qui a été l’une des principales avancées du Grenelle, la notion de « trame verte et bleue », pour en finir avec le morcellement de la nature. Fondées sur de véritables études dynamiques du fonctionnement des écosystèmes, ces trames doivent devenir opposables aux autres documents d’urbanisme. Sinon, elles resteront des croquis pour documents d’études et nous aurons laissé passer l’occasion d’organiser, enfin, la cohabitation sur notre territoire entre activités humaines et préservation des écosystèmes.

J’espère que nous trouverons sur ce point une majorité car, malheureusement, nous le savons bien, si tout le monde, ou presque, est aujourd’hui prêt à s’ériger en protecteur de la nature, cette unanimité ne résiste toujours pas aux intérêts locaux.

Je vous sais, par exemple, tous préoccupés, mes chers collègues, par l’avenir du grand hamster d’Alsace… Pour autant, êtes-vous prêts à expliquer à certains de nos collègues alsaciens que le grand contournement de Strasbourg est une très mauvaise idée si l’on veut préserver le biotope de ce rongeur en voie de disparition rapide ?

Je vous sais tous attentifs à la chute des populations d’amphibiens, 55 % des espèces françaises étant jugées en mauvaise posture par la dernière grande étude du Muséum national d’histoire naturelle et du Comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature, l’UICN… Mais aurez-vous la force de persuasion nécessaire pour convaincre quelques élus de Loire-Atlantique qu’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes, sur 2 000 hectares de zones humides, n’est pas vraiment raisonnable ?

Et, s’il y a un vrai consensus, je le sens, pour préserver lagunes et coraux, pour autant, qui va expliquer à Mayotte qu’allonger la piste de l’aéroport sur un récif corallien d’importance mondiale est totalement contraire à nos engagements internationaux ?

Il nous reste donc, mes chers collègues, encore un peu de travail pour nous mettre en totale cohérence, mais je ne doute pas que la nouvelle majorité de gauche du Sénat tournera le dos à l’approche sarkozo-pendulaire de l’environnement : « un coup je m’affiche, un coup je m’en fiche ! » (Rires sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean Desessard. Excellent !

M. Roland Courteau. Très recherché !

M. Ronan Dantec. À côté des mesures législatives, et sachant que les nombreuses propositions collectives des acteurs du Grenelle, qui n’ont pas été reprises par le Gouvernement, nous ont un peu mâché le travail pour les prochains mois, il nous faudra aussi réfléchir à une réforme de la fiscalité pour accompagner la préservation de la biodiversité. Qu’il s’agisse de la TGAP – taxe générale sur les activités polluantes –, qui mérite d’être renforcée et étendue à toutes les activités nuisibles à l’environnement, ou de la fiscalité sur le foncier non bâti qui doit être plus favorable à la biodiversité, c’est à une véritable réforme de la fiscalité environnementale qu’il faut procéder.

Plus globalement, en s’appuyant sur le rapport du Centre d’analyse stratégique portant sur « les aides publiques dommageables à la biodiversité » – l’intitulé est explicite –, c’est toute l’intervention publique qu’il faut aujourd’hui réexaminer, y compris celle des collectivités territoriales, acteurs majeurs de la protection de l’environnement.

Mais la loi n’est pas tout. Sans la mobilisation des acteurs de terrain, nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs.

Premier acteur : le monde de la connaissance, qui a un rôle central à jouer. Savons-nous, par exemple, que nous ne connaissons et n’avons classifié que moins de deux millions d’espèces sur la dizaine de millions d’espèces réputées vivre sur cette planète ? Lors des dernières grandes expéditions scientifiques, à Bornéo, en 2010, nous avons encore découvert 123 espèces, dont une grenouille sans poumon et, en Nouvelle-Guinée, un primate inconnu. Et que dire des espaces marins de grande profondeur, encore largement terra incognita ? Il y a là des enjeux considérables de connaissance, qui exigent qu’on y consacre des moyens.

Deuxième acteur clé : le monde associatif, sans lequel nous n’aurions sans nul doute pas réussi à préserver tant de sites remarquables et à sauver de la destruction bien des espèces emblématiques. Depuis la création de la réserve des Sept-Îles, en 1913, pour sauver les derniers macareux et fous de Bassan – ce fut aussi l’acte de naissance de la Ligue pour la protection des oiseaux, la LPO, il y a tout juste un siècle –, l’action inlassable des protecteurs de l’environnement a été remarquable, et je tiens à leur rendre ici hommage.

Leur rôle est aujourd’hui reconnu et le futur Conseil national de la biodiversité leur donnera un espace plus cohérent pour avancer leurs propositions et participer à la préparation de la décision publique.

J’ai représenté ces dernières semaines le Sénat au sein du groupe de travail constitué par Mme la ministre de l’écologie sur la gouvernance de la biodiversité, lequel a formulé des propositions consensuelles qu’il s’agit maintenant de mettre en œuvre. Mais je tenais à souligner que cette gestion partagée entre les acteurs de terrain ne sera fructueuse que si le monde associatif bénéficie d’un statut qui permette à ses militants de mener efficacement leurs actions.

La question de ce statut et de cette reconnaissance est importante pour l’avenir du monde associatif, et pas seulement dans le domaine de l’environnement, le bénévolat ne pouvant suffire face à certains niveaux de sollicitations et de responsabilités. Répondre à cette question est une nécessité si nous voulons vraiment construire des lieux de coproductions des politiques publiques : il y a là un véritable enjeu démocratique.

Dans le cadre d’une meilleure organisation de l’action publique et du travail législatif sur les questions environnementales, nous pouvons d’ailleurs nous féliciter de la création, au Sénat, d’une commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, création qui traduit la montée en puissance des questions environnementales dans le travail législatif. Cette commission devra se doter de lieux de dialogue avec les acteurs associatifs, rôle d’approfondissement dévolu, au Sénat, aux groupes d’études. Il serait donc logique, mes chers collègues, de créer un groupe d’études sur la biodiversité, à côté d’autres groupes d’études déjà installés, tel celui qui est consacré à la chasse.

Vous aviez d’ailleurs peut-être noté, alors que j’achève cette intervention, que je n’avais pas encore prononcé ce mot. (Sourires.) Je ne serai pas très long sur ce point, me limitant à redire avec la plus grande fermeté l’indignation ressentie lors des dernières annonces du chef de l’État.

Je partage l’écœurement – elles ont elles-mêmes employé ce mot – des associations de protection de l’environnement. Mais je voudrais également dire l’indignation d’une part importante des chasseurs eux-mêmes, fatigués d’être pris pour des gogos juste bons à remplir les urnes un dimanche de printemps, en échange de quelques oies sacrifiées.

Je crois profondément au dialogue entre chasseurs et défenseurs de la nature. Je suis absolument convaincu qu’au final leurs intérêts sont en partie communs et je me réjouis de voir chasseurs et militants associatifs défiler ensemble contre l’extraction des gaz de schiste.

Mais je me désespère aussi devant cette agitation préélectorale, qui ne flatte que les tenants de l’ultra-chasse, des présidents d’associations spécialisées de plus en plus faméliques en nombre d’adhérents et de moins en moins représentatives. Les chasseurs, eux aussi, méritent plus de considération ! Les dernières annonces du Président de la République témoignent d’abord de son mépris pour les chasseurs eux-mêmes.

Je voudrais, avant de conclure, élargir mon propos aux enjeux des prochains mois avec le sommet « Rio+20 » de juin prochain. Les semaines préparatoires se succèdent, à Paris mardi dernier – vous voudrez bien, monsieur le ministre, transmettre mes remerciements à Mme Kosciusko-Morizet, qui m’a invité à parler au nom des collectivités locales –, à Lyon hier et aujourd’hui.

La France porte l’idée de la création d’une organisation mondiale de l’environnement, une OME, proposition qui fait aujourd’hui consensus dans notre pays. Le Président Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie, a d’ailleurs officiellement, ce matin, apporté le soutien de la francophonie à cette proposition. Nous devrons la défendre avec force, car nous savons que les grandes conventions environnementales ne pourront aboutir que si elles bénéficient, au sein de l’organisation onusienne, d’une agence dédiée, capable de s’imposer face à la puissance des agences économiques et commerciales et, en premier lieu, de l’Organisation mondiale du commerce. Nous savons néanmoins que c’est bien loin d’être gagné, et j’attire l’attention du Gouvernement sur le fait que nous devrons, à Rio, prendre garde de conserver l’équilibre entre les enjeux environnementaux et les autres piliers du développement durable – le développement économique, la cohésion sociale et la diversité culturelle – et donc soutenir aussi la proposition brésilienne de renforcement de la commission du développement durable auprès de l’Assemblée générale de l’ONU.

J’ai commencé mon intervention avec la littérature du XIXsiècle, je voudrais la conclure en rappelant justement que l’un des principaux enjeux de la préservation de la nature est pour nous, fragiles humains, un enjeu culturel. De Lascaux aux romantiques, de Virgile au Rousseau des Lumières, en passant par Averroès, penseur arabe qui a éclairé notre sombre Moyen-âge catholique – mais je n’entrerai pas dans le débat sur les civilisations (Sourires sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.) –, la nature a toujours été source d’inspiration. Chaque civilisation en a extrait ses propres représentations.

Nourri des progrès de la science, notre monde sait maintenant la complexité et la fragilité des écosystèmes. Dépassant une lecture étroite de la pensée de Darwin, qui correspondait à la dureté sociale du XIXe siècle, la science nous a montré que c’est plus l’interaction que la compétition qui fonde les fonctionnements écosystémiques et la diversité du monde. Il n’y a pas de compétition, de struggle for life, de lutte pour la vie entre la baleine grise et l’oiseau marin ; au contraire, l’un a besoin de l’autre.

Notre monde rationnel peut se servir de cet enseignement, dépasser les logiques de compétition qui nous appauvrissent pour arriver à une logique de coopération qui nous enrichira tous. C’est vrai à l’échelon local comme à l’échelle mondiale. C’est ce message de coopération et d’interaction que nous devrons porter dans les prochains mois, et jusqu’à Rio, en juin. Au final, c’est aussi cette approche des enjeux mondiaux qui peut nous permettre de préserver la biodiversité de la planète bleue. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la biodiversité, c’est la vie. En débattre, c’est prendre en compte l’ensemble de la biosphère, sur les continents comme dans les océans, et envisager la diversité de ses formes : diversité génétique, diversité entre les espèces et au sein de celles-ci, diversité des écosystèmes et donc des interactions entre ces espèces, dont l’homme. Il s’agit bien d’un enjeu vital et, dans le contexte des grands bouleversements que nous connaissons, la biodiversité devient plus précisément une assurance vie pour l’humanité : sa protection sera, à mon sens, l’une des clés de l’adaptation.

Le sujet est très complexe et il n’existe pas d’indicateur qui puisse en rendre compte. Il convient d’envisager à la fois des échelles locales et globales et de situer le discours sur la biodiversité à la croisée des chemins entre des discours environnementaux, économiques, agronomiques, culturalistes, philosophiques et éthiques.

Le monde du vivant est une source de création inépuisable tant les potentialités des évolutions génétiques et culturelles semblent infinies.

Malheureusement, depuis de nombreuses décennies déjà, on assiste à une érosion de la biodiversité ; certains parlent d’une sixième vague d’extinction massive, les activités humaines étant considérées comme les principales responsables de cet état de fait.

La prise de conscience par la communauté internationale et les États est réelle, mais elle n’est sans doute pas suffisante. Où en sommes-nous en France et que doit-on faire ? Notons que la mise en œuvre des décisions prises à Nagoya, pour la période 2012-2020, est laissée au bon vouloir des États...

Le Gouvernement français reste sensibilisé, notamment du fait de l’existence de réservoirs considérables de biodiversité outre-mer ; mais sans doute y a-t-il autre chose que de l’intérêt pour l’environnement…

Certes, des outils existent : des plans, des schémas, des expériences solides en matière de conservation, le concept de trame verte et bleue, qui aurait vocation à devenir un grand projet national si les finances suivaient, ce qui ne semble pas être le cas pour le moment.

Oui, la réflexion avance, la prise en compte des services rendus par la nature progresse et des leviers sont actionnés.

Cependant, le bilan reste mitigé et les sujets de controverse nombreux. On vient de parler du grand hamster d’Alsace, des tentatives de réintroduction mal acceptées, des difficultés de cohabitation entre les éleveurs et le loup, qui fait son retour dans les Alpes et maintenant dans les Vosges. On peut aussi évoquer les algues vertes, les plantes dites invasives, etc. Et nos listes rouges des espèces menacées ne désemplissent pas.

De plus, je rappelle que, pour l’heure, seuls deux des vingt-six dispositifs considérés comme dommageables pour l’environnement repérés par le Commissariat général au développement durable ont été supprimés par le Gouvernement.

La réforme des subventions néfastes est, quant à elle, un grand chantier : l’inventaire a été fait par le Centre d’analyse stratégique, mais cela nécessitera une volonté politique forte, de la part tant du futur gouvernement que des parlementaires.

Ainsi, même si certains objectifs du plan stratégique adopté à Nagoya sont en bonne voie d’être atteints, des engagements nouveaux sont encore nécessaires. Il faut notamment continuer de s’interroger sur nos politiques agricoles, et la réforme de la PAC pour 2013 constitue un rendez-vous à ne pas manquer.

En ce qui concerne la gestion des stocks de poissons, les subventions à ce secteur doivent être revues et les moyens de contrôle et de lutte contre les pêches frauduleuses, renforcés.

Comme nous l’avions indiqué lors des débats sur la loi relative aux certificats d’obtention végétale, les dispositions relatives aux variétés agricoles et au partage des avantages ne sont toujours pas équitables, loin de là, il faudra y remédier.

On peut, du reste, faire sortir de l’oubli des variétés et des races anciennes, qui présentent des atouts dont on se prive aujourd’hui par une uniformisation toujours croissante.

Mais je pense surtout à l’objectif numéro un de ce plan stratégique : « d’ici à 2020 au plus tard, les individus seront conscients de la valeur de la biodiversité et des mesures qu’ils peuvent prendre pour la conserver et l’utiliser de manière durable ». Nous sommes loin du compte ! Nous ne sommes pas encore parvenus à un niveau de prise de conscience de la population qui soit suffisant. Au reste, la prise de conscience des élites est loin d’être acquise.

En France, ONG environnementales et gestionnaires, chasseurs, pêcheurs, forestiers jouent un rôle nécessaire et reconnu pour la connaissance et la conservation. Mais les autres citoyens doivent aussi s’emparer de ce sujet et cela constitue un énorme travail d’éducation et de sensibilisation des jeunes et des moins jeunes. On devrait d’ailleurs commencer par les parlementaires ! (Sourires.)

M. Roland Courteau. En tout cas par certains !

Mme Évelyne Didier. La connaissance et l’humilité resteront toujours le meilleur rempart contre les destructions, tandis que l’indifférence, le mépris et le sentiment de supériorité en seront des catalyseurs. En cela, l’évolution intéressante de la conservation stricte, de la nature mise sous cloche, vers l’application du développement durable par l’association des populations locales, au travers des expériences des parcs naturels régionaux ou des sites Natura 2000, doit continuer à guider notre action.

Sur le plan international, cette année, la conférence d’Hyderabad, en Inde, ainsi que le sommet de « Rio+20 » sont l’occasion de tirer les leçons des échecs des dernières décennies, mais aussi de valoriser les démarches qui ont prouvé leur intérêt et de renforcer les coopérations entre les États et entre les peuples.

Il serait, à mon sens, judicieux aussi d’aborder le sujet de la gouvernance des eaux extraterritoriales, qui a été un échec total depuis un demi-siècle. Près de la moitié de la surface de la terre est soumise à la surexploitation des ressources halieutiques, à la destruction des fonds marins et aux flux massifs de pollutions et de déchets. Il conviendrait de donner un mandat à l’Assemblée générale des Nations unies pour engager des négociations relatives à la conservation des espèces marines en haute mer et, bien entendu, pour créer l’OME.

Enfin, j’aimerais évoquer le rôle que doivent jouer les instruments économiques en matière de biodiversité et soulever la question de la privatisation de cette dernière.

En effet, certaines méthodes, destinées à estimer la valeur de la biodiversité, peuvent légitimement susciter des inquiétudes. Chercher à donner une valeur à la nature – en euros ou en dollars – peut présenter quelques avantages : permettre à la justice de chiffrer certains préjudices, convoquer les acteurs économiques autour de la table et lier des écosystèmes locaux à des bénéfices globaux. C’est aussi et surtout une prise de conscience : ainsi, nous réalisons que la seule valeur d’usage des services fournis par les écosystèmes dépasse de loin toutes les richesses créées par l’homme.

M. Jean Desessard. Très bien ! Bravo !

Mme Évelyne Didier. C’est aussi une leçon d’humilité. Les politiques de conservation et de restauration peuvent souvent produire plus de valeur que des politiques d’exploitation court-termistes et irresponsables dont le petit profit privé cache la destruction considérable de valeur pour la collectivité. Or ces politiques de conservation, de restauration et de gestion durable des milieux nécessitent un engagement de long terme que seul l’État est à même d’assurer.

Tout écosystème détruit est perdu et l’idée de compensation écologique est, à mon sens, une imposture intellectuelle.

M. Joël Labbé. C’est vrai !

Mme Évelyne Didier. C’est vouloir créer un marché des « indulgences » sur la destruction de la biodiversité !

Il faut donc être conscient des dérives possibles : par exemple, les paiements pour services écosystémiques ne signent-ils pas la fin des pratiques désintéressées de conservation ? N’existe-t-il pas un risque de généralisation du chantage écologique du type « Je ne détruis pas ma forêt, mais que me donnez-vous en échange ? »

En vérité, la gratuité est la grande victime de la montée en puissance des représentations marchandes ; mais pourtant, ce qui est gratuit n’est pas sans valeur, bien au contraire. Il s’agit d’un choix de société, d’un investissement pour l’avenir.

Entre la privatisation de la biodiversité et l’édiction d’un prix pour la nature, pourquoi ne pas envisager une reprise en main par les citoyens, adopter une gestion collective et durable des biens communs, sortir la notion de gratuité de l’ornière marchande dans laquelle le capitalisme l’a placée ? La biodiversité doit rester ce bien commun accessible à tous, selon des règles acceptées par tous.

Mes chers collègues, ne laissons pas le vivant devenir l’objet de transactions sordides ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.

M. Raymond Vall. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que la biodiversité est essentielle à la survie de l’homme sur la terre, elle est souvent négligée au profit de sujets tels que les énergies renouvelables. Pourtant, c’est bien la protection de la biodiversité qui est l’enjeu majeur, car, sans cette dernière, il n’y a pas de survie possible de l’homme sur la planète.

C’est une action à long terme qui doit nécessairement être engagée aujourd’hui, car, s’agissant de l’évolution spontanée du vivant, l’unité de temps est de plusieurs milliers d’années. Si, au cours des deux siècles et demi, au maximum, qui nous séparent du début de la révolution industrielle, la biodiversité a été terriblement malmenée, sa reconstitution prendra nécessairement beaucoup plus de temps.

Préserver la biodiversité, c’est convenir que les interactions et interdépendances entre les éléments de la faune et de la flore deviennent une priorité. Cet équilibre naturel nous apporte des éléments vitaux tels que l’oxygène, la nourriture, l’eau et contribue à la régulation climatique, ce qui diminue les effets des événements extrêmes comme ceux de la sécheresse et des inondations.

Notre développement économique et social, nous le devons aussi à la biodiversité, qui nous fournit nombre des matières premières nécessaires aux différents secteurs de l’activité humaine et, tout simplement, à notre survie. Il a pourtant fallu attendre la convention mondiale sur la biodiversité adoptée à Rio en 1992 pour qu’on la considère enfin comme une ressource vitale !

En dépit des actions menées depuis vingt ans, les scientifiques estiment que le taux d’extinction des espèces est actuellement de cent à mille fois plus élevé qu’au cours des temps géologiques passés. C’est pourquoi ils lancent un cri d’alarme à l’humanité.

La France a une responsabilité tout à fait particulière dans la préservation de la biodiversité, car elle se situe au huitième rang mondial des pays dont les espèces sont menacées en plus grand nombre. L’outre-mer doit faire l’objet d’une attention toute particulière, les quatre cinquièmes de la biodiversité française étant situés sur ces territoires : 7 millions d’hectares de forêt tropicale, 10 % des récifs coralliens et lagons et 20 % des atolls du monde.

Mes chers collègues, nous serons nombreux ce soir à décrire un état des lieux accablant et à déplorer une biodiversité qui ne cesse de se dégrader. Or nous savons tous que l’homme porte une lourde responsabilité à cet égard.

L’artificialisation des sols en est un exemple. Elle progresse en France quatre fois plus rapidement que la croissance démographique, rongeant les milieux naturels et privant beaucoup d’espèces de leur habitat. Cela a été dit, l’urbanisation détruit les habitats tels que les « zones humides » – étangs, marais, etc. –, qui hébergent une très grande biodiversité, contribuent à la qualité des eaux et à la régulation des cours d’eau. Or, depuis le début du XXe siècle, 67 % des zones humides ont disparu à cause d’une urbanisation non maîtrisée.

L’agriculture intensive, les pollutions de toutes sortes et la surexploitation des ressources naturelles – l’exemple de la pêche est souvent cité – aggravent cet état des lieux.

À cela s’ajoutent les effets dévastateurs du changement climatique, qui provoquent des chocs sur les écosystèmes et les paysages, entraînant le déplacement de certaines espèces, voire leur disparition pure et simple.

Ainsi, on sait aujourd'hui qu’une partie de la biodiversité marine est menacée par l’acidification des océans, qui a augmenté de 30 % depuis l’ère préindustrielle.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Raymond Vall. Ce phénomène est lié à l’absorption par les océans d’un quart des gaz à effet de serre émis par les activités humaines.

M. Jean Desessard. Exactement !

M. Raymond Vall. Le réchauffement climatique est trop brutal et continue à s’accélérer. Or cette accélération n’est pas compatible avec le temps d’adaptation des espèces, dont l’espèce humaine.

La protection des milieux naturels contribue à garantir une meilleure survie des espèces, en facilitant leur adaptation. Sur ce point, il faudra veiller à ce que la feuille de route adoptée à Durban en décembre dernier parvienne à mettre en place un engagement contraignant,…

Mme Évelyne Didier. C’est mal parti !

M. Raymond Vall. … même si l’on sait déjà que l’objectif de limitation de la hausse des températures à 2 degrés centigrades ne sera pas atteint.

La non-maîtrise de ces effets sur la biodiversité aura aussi des conséquences économiques. Selon l’ONERC, l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, leur coût représenterait approximativement 7 % du PIB mondial d’ici à 2050.

Certes, des efforts ont été accomplis au cours des vingt dernières années, avec la création de zones gérées telles que les forêts, les parcs naturels régionaux ou les espaces naturels sensibles. Toutefois, une réflexion doit être menée pour en améliorer la gestion et anticiper le changement climatique dans une vision dynamique.

La connaissance de la biodiversité se développe, mais 1,8 million d’espèces seulement sont répertoriées, alors qu’il en existerait plus de 10 millions. L’immense travail qu’il reste à faire doit mobiliser tous les citoyens. D’ailleurs, certains bénévoles sont déjà au travail. À ce titre, le Muséum national d’histoire naturelle propose des formations pour les aider à identifier les différentes espèces, ainsi que des guides méthodologiques.

L’adaptation au changement climatique se traduira par des migrations d’espèces, qui nous imposent la préservation des zones de transition que constituent les barrières de corail, les zones humides ou les zones côtières. Toutefois, je le répète, tout cela exige que nous sachions prendre des décisions importantes.

Avec la Stratégie nationale pour la biodiversité 2011-2020, présentée le 19 mai dernier, l’État s’est engagé à intégrer la biodiversité dans des politiques sectorielles et à renforcer la connaissance de la biodiversité. Cette démarche concerne tous les acteurs de la société civile : les collectivités territoriales, les associations, les ONG.

À cet égard, il convient de saluer la mobilisation de la société civile, qui vient de présenter soixante-deux projets innovants visant à protéger la nature. La réhabilitation des zones humides bénéficiera d’un financement de 10 millions d’euros.

L’impact des activités humaines sur les éléments ou les milieux naturels peut aussi être limité par une meilleure prise en compte de l’aménagement du territoire.

Ainsi que l’a souligné M. Dantec, la trame verte et bleue prévue par le Grenelle de l’environnement intègre la préservation de la biodiversité dans les documents locaux d’urbanisme, ce qui est une très bonne chose. Pour autant, il sera nécessaire de surveiller ces espaces et de les gérer pour prévenir les risques de prolifération d’espèces invasives.

Le prochain rendez-vous international « Rio+20 », en juin 2012, est une occasion qu’il ne faut évidemment pas manquer.

Il est grand temps de considérer que nous sommes arrivés à une situation d’urgence, qui impose la planification d’actions concrètes tendant à maîtriser la situation aggravée que nous connaissons et que plus personne ne conteste.

La mise en œuvre des trois conventions de Rio sur le climat, la biodiversité et la désertification a pris du retard. Aussi sommes-nous aujourd'hui face à un nouveau défi, celui de l’adaptation aux conditions nouvelles de notre siècle, de l’accès à l’énergie, de la préservation des océans, de la sécurité alimentaire ou encore de la maîtrise de l’urbanisme, bref, de la sécurité de l’homme en général. Ce défi, nous devons le relever.

À la veille de l’ouverture du sommet de Rio, le moment est venu de mobiliser tous les citoyens en vue d’engager des actions concrètes, afin de respecter le principe 10 de la déclaration finale du sommet de Rio de 1992 selon lequel « la meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient ».

Nous sommes, ici, dans cette assemblée, particulièrement concernés par cet appel de la société civile. Faute de cette mobilisation, les sommets se succéderont sans produire de réelles avancées. Cela a été dit lors de tous les débats relatifs à l’environnement, les parlementaires ont un rôle important à jouer, et les membres de la Haute Assemblée doivent se mobiliser. En effet, la société civile a compris que nous pouvions avoir une influence sur ces conférences et que nous étions des relais indispensables dans cette prise de conscience, qui doit être réelle, profonde, car la préservation de la biodiversité ne saurait être séparée de l’existence même de l’homme. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Houpert. (M. Rémy Pointereau applaudit.)

M. Alain Houpert. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir débattu cet après-midi de la lutte contre la prolifération du frelon asiatique, nous nous intéressons à la problématique de la biodiversité, ce dont je me félicite. Je suis heureux que notre société prométhéenne, où l’homme s’est pris pour un dieu, perçoive aujourd'hui ses limites et comprenne que la richesse est dans la différence.

M. Alain Houpert. Je tiens ici à remercier nos collègues du groupe écologiste d’avoir pris l’initiative de ce débat, qui est essentiel.

Il est un paradoxe propre à notre temps : alors que notre société s’efforce de mieux prendre en compte la diversité politique en favorisant notamment le pluralisme au sein de nos institutions, le progrès économique et social semble avoir oublié de protéger la diversité biologique du monde qui nous entoure.

Force est de constater une prise de conscience globale. Par une meilleure diffusion des connaissances scientifiques et techniques, la biodiversité s’est de nouveau imposée au cœur de nos débats publics. La question de la biodiversité est sortie des cénacles de spécialistes : c’est désormais une préoccupation universelle. C’est bien le sens qu’il convient de donne au fait que l’année 2010 ait été érigée par l’UNESCO comme année de la biodiversité.

Ce surgissement de la biodiversité dans la conscience de l’humanité est en réalité l’expression d’une urgence et d’une angoisse. Tous nos concitoyens ont pu observer l’appauvrissement rapide de notre environnement.

Voilà une génération, nos campagnes françaises étaient riches d’une petite faune et d’une flore qui ne sont plus.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Alain Houpert. Mais la question de la biodiversité dépasse largement le cadre de nos campagnes : elle se pose de manière urgente à l’échelle de la Terre.

En effet, les scientifiques enregistrent partout sur la planète une altération significative des écosystèmes, que ce soit au fond des océans ou au cœur des forêts, sur les pôles ou sous les tropiques.

Depuis le 1er janvier dernier, à cette heure, on estime à 2 788 le nombre d’espèces connues qui ont disparu. Près de 20 % des récifs coralliens et 6 millions d’hectares de forêts primaires ont été détruits. Selon les Nations unies, le taux d’extinction des espèces serait mille fois supérieur à la normale. De surcroît, cette tendance est renforcée par le réchauffement du climat.

Cette remise en cause de la biodiversité semble avoir des causes évidentes, et, parmi elles, d’abord, l’explosion de la population humaine.

La santé démographique de l’homme a bousculé l’ordre du monde. Elle bousculait jusqu’alors les équilibres internationaux, incitant les États à s’élargir géographiquement afin de disposer des ressources suffisantes pour leurs populations. Le pluralisme politique et le renforcement des instances internationales ont toutefois contribué à instaurer, avec plus ou moins de succès, les conditions d’une paix durable dans le monde.

Pour accéder aux ressources, le libre-échange a constitué la voie privilégiée. Tant mieux ! Mais cet échange a aussi favorisé l’uniformisation de l’offre et de la demande, au détriment de la biodiversité.

Par ailleurs, un phénomène concomitant a renforcé cette tendance à l’appauvrissement de la biodiversité. En effet, la massification des échanges et l’accès du plus grand nombre à des conditions de vie décentes ont provoqué d’importantes pollutions, affectant directement la biodiversité. L’industrialisation à outrance a en effet diminué grandement la qualité de l’eau et de l’air, mais aussi celle des aliments.

Enfin et surtout, il faut bien admettre que l’exploitation des connaissances scientifiques a eu, pour une part, une influence très négative sur le maintien de la biodiversité. Je pense en particulier à l’exploitation des connaissances du génome et à leur appropriation.

Le développement de la recherche génétique, qui avait pour principal objectif de nourrir la planète, a donné lieu à des abus tendant à « verrouiller » l’offre de semences. Il résulte de ces facteurs une certaine inclination à penser que l’homme est fautif, seul responsable de l’appauvrissement, voire de l’extinction de la biodiversité. Mais ne serait-ce pas aller trop vite en besogne ?

Relever le défi de la biodiversité ne saurait seulement consister à faire de l’humanité le cœur du problème. Je crois, bien au contraire, que nous relèverons ce défi primordial en mettant l’homme au cœur de la solution.

Alors que le thème de la « décroissance » fleurit dans le débat, il convient de rappeler certaines prémisses essentielles.

Premièrement, la croissance démographique de l’humanité n’est pas en soi un problème.

Deuxièmement, tous les hommes ont droit à accéder à des conditions de vie décentes et, d’abord, à pouvoir manger à leur faim.

Mme Évelyne Didier. C’est vrai !

M. Alain Houpert. Il en va ainsi des populations qui regardent vers notre Occident.

Troisièmement, enfin, l’homme a toujours su s’adapter à un environnement changeant, car il est doué de raison.

M. Jean Desessard. C’est pourquoi nous sommes là !

M. Alain Houpert. Surmonter l’appauvrissement accéléré de la biodiversité n’est donc possible qu’en faisant confiance à l’humanité elle-même. Oui, les responsables publics doivent tracer un chemin pour favoriser le maintien de la biodiversité, en mettant l’homme au cœur de cette ambition. Pris d’une inquiétude légitime, tant le pouvoir législatif que le pouvoir réglementaire ont multiplié les mesures contraignantes en faveur de la biodiversité.

Préserver, c’est être à la hauteur et développer, tout en se développant aussi. Car nous sommes guettés par l’excès de zèle, au risque de tomber dans l’hypocrisie, en se posant pour le développement, mais contre une humanité de projets.

Selon certains, la stratégie en matière d’environnement consiste à dire que l’on n’a pas le choix. À l’opposé, j’estime que la politique vise précisément à créer des choix, des possibles. Saint-Exupéry disait : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. »

Certes, il y a eu des déficits de responsabilité, mais aucune loi ne permet par elle-même de venir à bout des négligences humaines.

La question de la biodiversité ne trouvera pas de solution dans un retour vers le passé, dans le pessimisme. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, de la spontanéité, de la création, de la différenciation.

D’ailleurs, n’y a-t-il pas un déficit de représentation de la nature ? Nous avons sans doute un peu trop tendance à regarder la nature comme on regarde la finance : les crises partout, l’espoir nulle part. Si le climat avait été une banque, on l’aurait peut-être sauvé depuis longtemps ! Mais il a manqué beaucoup de « bon sens paysan » aux financiers.

M. Rémy Pointereau. Ça, c’est bien vrai !

M. Alain Houpert. Là où les financiers se sont précipités, nous surmonterons le défi de la biodiversité avec du bon sens paysan et du bon sens politique. L’important est d’avancer d’un pas sûr, qu’il s’agisse d’un pas de paysan ou d’un pas de sénateur. La lenteur a du bon, mes chers collègues ! (Sourires.)

J’ai une conviction : il faut rechercher le progrès non pas dans la rupture, mais en jouant sur la progressivité, car les mesures radicales ne sont ni acceptées ni comprises. Et dénigrer tout ce qui marche, tout ce que nous avons fait, ne nous grandirait pas ! Il faut en revenir aux hommes et les écouter. Comme on dit en Bourgogne, « entendre de ses yeux permet de mieux voir ».

En matière d’environnement, nous avons besoin de fondements solides pour un dialogue renouvelé. Il y a des messages qui ne peuvent être portés que par certains. Pour pouvoir demander à un agriculteur de diminuer ses intrants, encore faut-il partager avec lui un ancrage territorial. Un message délivré hors-sol serait vide. Il serait perçu comme un prêche de nouveaux convertis « émotionnés » par un monde qu’ils ne connaissent pas et dont ils découvrent la grande beauté.

Chers collègues, quand, comme moi, on vit à la campagne, à la vue de la voûte étoilée, des galaxies qui se dessinent, on constate que l’on n’est pas seul.

Telle est la réalité. Telles sont les bases d’un échange durable et constructif. Les racines les plus profondes donnent les branches les plus étendues. Elles permettent de trouver la sérénité pour se tourner vers l’avenir.

En matière de biodiversité, il ne faut pas seulement regarder le passé ; il faut aussi accepter l’évolution et l’accompagner en recherchant des signes d’espoir. « Car nous n’avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous sommes à la recherche de la cité future », rappelle l’Épître aux Hébreux du Nouveau Testament.

Je conclurai par quelques mots d’espérance : les écosystèmes disparus seront sans doute remplacés par de nouveaux.

M. Jean Desessard. Lesquels ?

M. Alain Houpert. Il faut cesser de jeter l’anathème et avoir l’espérance du chercheur. Cette espérance, ce n’est pas seulement une confiance aveugle dans la recherche scientifique ; c’est une attitude philosophique. Aristote ne disait-il pas en ce sens : « L’espérance est le songe d’un homme éveillé » ?

Mes chers collègues, l’homme s’est pris pour Prométhée. Nous avons créé des apprentis sorciers de la finance, laquelle est devenue notre seule boussole, et de la science. Mais « science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »

Chers collègues, je ne suis ni optimiste, ni pessimiste ; je suis déterminé. Soyons déterminés à rester maîtres de nous-mêmes, à rester maîtres de notre destin.

La solution n’est ni dans l’anathème ni dans la recherche de coupables. Elle est de trouver ensemble les remèdes et de faire en sorte qu’ils ne soient pas pires que le mal.

Tout effort humain est voué à l’archéologie. Notre planète, nous la protégerons ensemble, dans l’échange. Nous ne sommes qu’usufruitiers de notre terre nourricière ; nous ne faisons que l’emprunter aux générations futures. Nous n’en sommes pas propriétaires : c’est elle qui nous possède.

Chers collègues, c’est par l’esprit que nous trouverons la solution. (M. Rémy Pointereau applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.

M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, c’est tout à la fois un grand plaisir et un grand honneur d’intervenir dans ce débat. J’en profite pour saluer les différents acteurs de la biodiversité présents ce soir. Cela étant, je constate, non pas avec honte – le terme serait un peu excessif –, mais avec dépit la faible représentation numérique au sein de la Haute Assemblée ce soir…

M. Rémy Pointereau. Mais elle est de qualité ! (Sourires.)

M. Jean-Vincent Placé. Malgré tout, je tiens à me réjouir de la présence de sénatrices et sénateurs intéressés par ce débat primordial !

Je le relève à mon tour, après Ronan Dantec, dont je salue le talent, la compétence, la culture, les propos pertinents et touchants, le déclin de la biodiversité est alarmant. Encore plus qu’hier, il est urgent d’agir aujourd’hui.

En tant que fondateur et ancien président de Natureparif, l’agence régionale pour la nature et la biodiversité en Île-de-France, j’ai pu observer l’ampleur de la tâche qui nous incombe, à nous acteurs publics.

Mais qu’est-ce que la biodiversité ? En effet, tel est bien le débat ! Ce n’est pas une « lubie d’écolo ». La biodiversité n’est pas limitée à quelques espèces emblématiques de faune ou de flore qu’il faudrait protéger comme les derniers vestiges d’une vie passée.

Dans notre esprit, il s’agit, en réalité, de la diversité biologique grâce à laquelle nous pouvons nous nourrir, nous vêtir, fertiliser naturellement les sols, résister aux phénomènes naturels, absorber le CO2, diversifier les paysages, notamment.

La biodiversité est omniprésente et a des conséquences directes sur toute la société, bien au-delà de nos frontières.

La nature, riche et belle de cette richesse, je voudrais qu’on la préserve parce qu’on l’aime. Étant, vous le savez, un pragmatique,...

M. Jacques Mézard. Réaliste !

M. Jean-Vincent Placé. ... je voudrais insister sur les raisons pour lesquelles protéger la biodiversité est non pas un choix, ni même une option, mais une nécessité !

Les travaux réalisés dans le cadre de l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire ont permis de définir les concepts extrêmement intéressants de « services écologiques » et de « services écosystémiques », qui mettent en lumière à quel point la biodiversité est présente dans nos vies. Par ces expressions, il faut entendre les bénéfices que les humains tirent de la nature, de manière directe ou indirecte. Il s’agit de défendre la nature non seulement en tant que telle, mais aussi en raison de ce qu’elle nous apporte.

La biodiversité est inestimable. Pour autant, cette richesse est exploitée par les entreprises sans qu’elles en subissent les coûts.

Le rapport du groupe de travail présidé par Bernard Chevassus-au-Louis et intitulé Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes détaille les enjeux socioéconomiques majeurs que représente, pour la France, la biodiversité, ainsi que la valeur des services écosystémiques pour aujourd’hui et, encore plus, pour demain.

Notre président de la République, après une petite période écolo virtuelle, nous a fait part de son sentiment final, lequel, je crois, est le plus sincère : « L’environnement, ça commence à bien faire ! » Comme sur d’autres sujets, je dirai non pas qu’il est à côté de la plaque – ce serait trivial –, mais qu’il n’est pas à la hauteur des enjeux !

D’une part, les pertes irremplaçables des services écosystémiques vont conduire naturellement à une augmentation des prix que supporteront les consommateurs. Que je sache, le chef de l’État s’intéresse encore, au moins dans les discours, au pouvoir d’achat, aux finances publiques... Peut-on aujourd’hui évaluer les conséquences des bois et forêts dévastés ?

D’autre part, les dégâts résultant de la perte de la biodiversité doivent être supportés ou compensés par la société et donc par les contribuables.

Qu’il s’agisse du pouvoir d’achat ou des finances publiques, tous deux ont des conséquences sur la biodiversité. Et la réciproque est vraie.

Au-delà de ces considérations, la biodiversité a également des impacts sociaux. Que ce soit en ville ou à la campagne, chacun sent intuitivement qu’un environnement est sain quand il côtoie insectes, oiseaux, poissons ou toutes sortes de fleurs. Les ménages sont à la recherche d’un cadre de vie naturel, de meilleure qualité et apaisé. Tel est le cas, par exemple, dans mon département, l’Essonne, avec le parc naturel régional du Gâtinais français, que je connais bien.

Le cadre de vie a surtout des effets sur la santé. La dimension environnementale des maladies cardiovasculaires est largement méconnue. Pourtant, près de cinq cents études scientifiques récentes mettent en évidence les multiples liens entre environnement, biodiversité et maladies cardiovasculaires. Le fait de vivre en milieu vert réduit de moitié la différence de mortalité cardiaque entre les plus modestes et les plus riches !

Enjeux économiques, finances publiques, équité sociale : on le constate, la biodiversité ne concerne pas seulement les amoureux de la nature ; elle concerne en priorité l’État, les acteurs publics et privés.

Pourtant, le Gouvernement ne semble pas avoir pris la mesure de l’enjeu. Que fait-il pour protéger la biodiversité dont nous dépendons ? Que fait-il pour changer la perception et les pratiques des industriels ?

Comment pouvez-vous, madame la ministre, même si vous êtes souriante si tardivement,...

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Toujours, quand je suis au théâtre !

M. Jean-Vincent Placé. ... nous promettre d’améliorer la situation tout en diminuant drastiquement les moyens ? Ainsi, les crédits alloués cette année à la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie d’Île-de-France connaîtront une baisse de 50 %. L’affichage ne suffit pas !

Les leviers d’action existent pourtant, dans les filières du BTP, de la fiscalité, de la production agricole, de l’industrie verte, ou encore en matière de responsabilité juridique environnementale.

La France est toujours à la traîne dans le domaine de la fiscalité verte, laquelle ne représentait que 1,5 % du PIB en 2009, contre le double en Slovénie. Bien évidemment, je n’ai rien contre nos amis slovènes ! Au sein de l’Union européenne, notre pays se classe en la matière au vingt-quatrième rang sur vingt-sept ! À cet égard, le Gouvernement est impuissant. Qu’il laisse sa place !

Madame la ministre, je l’encourage à appliquer au plus vite les recommandations des différents rapports qu’il commande. Je citerai notamment celui de M. Sainteny, qui identifie les « aides publiques dommageables à la biodiversité ».

« C’est bien joli de critiquer, mais encore faut-il faire des propositions ! » me direz-vous. Alors en voici : pourquoi ne pas ouvrir des négociations par filière pour repenser les cycles de production ? Cela permettrait de produire mieux en tirant le meilleur parti de nos ressources et en les gérant durablement, de produire « recyclable » et de créer de nouveaux emplois d’avenir.

Pour conclure, madame la ministre, je constate avec tristesse que la préservation de la biodiversité n’est toujours pas une priorité des politiques publiques et des pratiques privées.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Et l’honnêteté intellectuelle, n’est-ce pas une priorité ?

M. Jean-Vincent Placé. Madame, vous allez prendre la parole dans un instant pour répondre aux différents orateurs. Tous les acteurs de la biodiversité sont présents, à l’écoute. Pour le bien collectif, j’espère sincèrement que vous saurez nous convaincre que l’action du Gouvernement dépasse les simples effets d’annonce. Si tel n’était pas le cas, nous serions tous perdants, vous, nous, la planète, et probablement l’humanité ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Quel acteur !

M. Jean-Vincent Placé. C’est un professionnel qui parle, madame la ministre !

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Merceron.

M. Jean-Claude Merceron. « La biodiversité s’effondre, mais impossible de préciser le rythme du collapsus... Le désastre atteint la même intensité, la même magnitude, pourrait-on dire, que lors des extinctions majeures qui ont ponctué les ères géologiques ». Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, ces mots ne sont pas de moi, mais d’Yves Paccalet, compagnon de route du commandant Cousteau et éminent naturaliste, que nos collègues Verts connaissent bien, puisqu’il est l’un des leurs.

Depuis que ces lignes ont été écrites, en 2006, le bilan n’a fait que s’alourdir : du fait des activités humaines, la Terre perdrait jusqu’à 100 000 espèces par an ! L’homme défait en une heure ce que la nature met un an à accomplir. En effet, avant lui, seules dix espèces disparaissaient en moyenne chaque année tandis que dix nouvelles apparaissaient. Ainsi, la biodiversité était constante. Nous avons bouleversé cet équilibre.

Ce que nous dit Yves Paccalet est abyssal : l’homme pourrait être responsable de la quatrième grande extinction de la vie sur Terre, après, notamment, celle du Crétacé, qui raya les dinosaures de la carte du vivant. L’atteinte à la biodiversité met en cause des milliers de comportements humains, lesquels imposent une urgente et drastique correction.

Permettez-moi d’évoquer le cas de mon département, la Vendée, dont les rivières sont asphyxiées par des plantes exotiques envahissantes, lesquelles, après avoir été vendues dans le commerce, sont jetées dans la nature. Mais il ne s’agit que d’un exemple concret parmi d’autres, les multiples atteintes à la biodiversité étant aujourd’hui confirmées par le rapport Halonen-Zuma remis le 30 janvier dernier au secrétaire général des Nations unies, dans la perspective du sommet « Rio+20 », qui se tiendra au mois de juin prochain.

Ce rapport établit un constat dramatique et sans appel. Pour satisfaire l’ensemble des besoins humains, il faudrait accroître, d’ici à 2030, la production agricole de 50 % et la production d’énergie de 45 %, tout en améliorant la disponibilité en eau de 30 %. Pour l’instant, c’est impossible. Nos modèles de développement ne sont pas compatibles avec les limites naturelles de la planète.

À l’échelon mondial, 85 % des stocks de poissons sont surexploités.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Jean-Claude Merceron. Les océans, qui abritent 80 % de la vie terrestre, se transforment en déserts.

M. Jean-Claude Merceron. Par ailleurs, les scientifiques estiment que 75 % des services rendus par la nature, tels la pollinisation des cultures, la filtration de l’eau, la protection contre les inondations, sont en déclin. Chaque année, 13 millions d’hectares de forêt sont détruits, mettant à mal le principal réservoir émergé de biodiversité.

Toujours selon les scientifiques, trois des seuils à ne pas franchir le seraient déjà. Ils concernent le réchauffement climatique, la perturbation du cycle de l’azote et l’atteinte à la biodiversité.

Si le danger paraît avéré, il est extrêmement mal connu, et c’est d’ailleurs tout son paradoxe. Le péril est là, nous le savons. Il pourrait remettre en cause jusqu’à la survie même du genre humain, mais il avance masqué, et ce pour une raison très simple : nous n’avons qu’une idée très approximative de l’étendue de la biodiversité. Combien la Terre abrite-t-elle d’espèces vivantes ? « Entre 20 milliards et 50 milliards », répondent les spécialistes. La fourchette est large ! Sur ces dizaines de milliards d’espèces, moins de deux millions ont été répertoriées… Tout se passe comme si l’on prétendait connaître l’univers après avoir marché sur la Lune.

Nous ne pouvons pas mesurer l’effet des activités humaines sur le vivant. Nous ne connaissons même pas précisément tous les maillons de l’écosystème dont nous dépendons. Et si nous en venions à détruire, par notre inconséquence, l’un des chaînons essentiels à notre existence ? C’est là que réside le risque le plus immédiat pour nous.

La catastrophe et ses conséquences possibles sont d’une telle ampleur qu’un débat aussi absurde que dramatique traverse aujourd’hui la communauté scientifique. Il s’agit de savoir qui doit être sauvé. L’homme a provoqué le déluge et tente de réinventer l’arche de Noé. Alors qu’on ne sait même pas qui peuple la Terre, il nous faut choisir qui survivra, le panda ou le ver de terre, l’ours blanc ou l’abeille, le tigre ou l’eider à duvet.

Pour effectuer ce grand tri macabre, deux considérations, parfois antagonistes, sont avancées : le facteur affectif et le service écologique rendu.

Le facteur affectif permet de mobiliser des fonds et des bonnes volontés pour sauver des espèces qui bénéficient d’un important capital de sympathie. Il profite notamment au panda. Mais quelle est l’utilité du panda en termes d’écosystème, toutes les espèces ne se valant pas de ce point de vue ? Sur un plan utilitariste, il peut paraître plus urgent de sauver le ver de terre. Voilà donc où nous en sommes !

Face à cette chronique d’une catastrophe non pas annoncée, mais en cours de réalisation, je formulerai deux questions. La première s’adresse à nos collègues Verts et la seconde au Gouvernement.

À nos collègues Verts, j’ai envie de demander les raisons pour lesquelles ils taisent ce que je viens de rappeler. J’ai en effet le sentiment que le discours écologiste dans son ensemble s’empare du problème par le petit bout de la lorgnette, en prenant la défense de telle ou telle mare aux canards, ce qui culpabilise les individus, sans que l’urgence de la situation globale soit mise en relief.

M. Joël Labbé. C’est faux !

M. Jean-Claude Merceron. Au Gouvernement, je demanderai : que fait la France ? A-t-on pris la mesure du problème ? Va-t-on rester les bras croisés ? Ne peut-on pas participer à un grand plan transnational d’inventaire du vivant et de notre écosystème ? Ne peut-on se faire, à Rio de Janeiro, les hérauts d’une politique de défense réelle du vivant, qui prendrait en compte les recommandations du rapport Halonen-Zuma ?

Pour ma part, je crois que les considérations économiques et financières ont fait passer au second plan ces questions essentielles. La France a perdu le triple A, qui est important, mais elle peut espérer le retrouver. Un écosystème détruit est, quant à lui, perdu à jamais. Je crois surtout que, sans biodiversité, il n’y aura plus jamais de triple A ni quoi que ce soit d’autre. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot.

M. Claude Jeannerot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au terme de ce débat, une intervention supplémentaire est-elle encore utile ? L’essentiel a probablement été dit. Mais convenons-en, ce qui caractérise notre situation n’est pas un déficit de paroles ou de prise de conscience. En effet, les constats sont connus et partagés, ce qui explique peut-être d’ailleurs la désertion ce soir de nos travées... À l’évidence, le déficit réside dans l’action.

Aujourd’hui, c’est la crise qui fait l’objet de nos préoccupations et mobilise notre action. Pourtant, mes chers collègues, cette crise est non seulement financière, économique et sociale, mais aussi environnementale.

De ce point de vue, le simple constat de la situation actuelle de la biodiversité est exemplaire et alarmiste. Cela a été dit, le rythme d’extinction des espèces végétales et animales est aujourd’hui sans précédent : 50 % des espèces actuellement connues pourraient avoir disparu d’ici à la fin du xxisiècle. Si nous ne faisons rien, dans deux ou trois générations, ours blancs, hippopotames, gazelles, requins océaniques et poissons d’eau douce n’appartiendront qu’au domaine de la mémoire.

Face à ce constat d’urgence, quelles décisions ont mobilisé les pouvoirs publics ? Il y a eu, c’est vrai, le Grenelle de l’environnement, qui introduisait une démarche innovante et, reconnaissons-le, en rupture avec le passé. Celle-ci fixait des objectifs ambitieux, et c’est pourquoi nous l’avons soutenue.

Que s’est-il passé depuis lors ? Vous connaissez la réponse à cette question ! Trois ans plus tard, nous réalisons que les objectifs ne seront pas atteints sur au moins trois plans.

D’abord, pour ce qui concerne l’agriculture, si nous continuons de la sorte, nous ne parviendrons pas à atteindre l’objectif de réduction de moitié de l’usage des pesticides à l’horizon 2018. En effet, les consommations augmentent en volume grâce à l’emploi de produits souvent beaucoup plus actifs. Or, nous le savons, l’usage intensif de pesticides a un impact direct sur la biodiversité, ainsi que sur la pollution des eaux.

Ensuite, la trame verte et bleue, la TVB, était censée devenir un véritable outil d’aménagement du territoire. Or aujourd’hui sa mise en œuvre soulève des doutes. Le budget de l’État, sacrifié sur l’autel de la dette souveraine, n’y consacre que peu de moyens. Ce sont donc les collectivités locales, plus proches du territoire, qui sont en première ligne, alors que leurs moyens financiers – ai-je besoin de le rappeler ? – sont de plus en plus limités.

Enfin, en matière de fiscalité environnementale, nous n’avons fait que peu de progrès. Voilà quelques mois, un groupe de travail du Centre d’analyse stratégique, présidé par Guillaume Sainteny, publiait un rapport démontrant le caractère contreproductif d’un certain nombre d’aides publiques sur le plan environnemental.

Comment orienter les choix fiscaux pour limiter l’étalement urbain et les rejets industriels dans l’eau ou réduire les émissions atmosphériques de métaux lourds ? Il avait été suggéré d’étendre le champ d’application de la taxe générale sur les activités polluantes. Pourquoi ne pas avoir donné suite à cette proposition ? N’est-il pas temps de créer, comme vous l’aviez évoqué, un fonds national de préservation de la biodiversité, qui pourrait être alimenté par un redéploiement des incitations fiscales qui sont dommageables à cette dernière ?

La préservation de la biodiversité nécessite une forte volonté politique nationale, assortie d’une mise en œuvre concrète et efficace à l’échelon local. « Penser global, agir local », tel a été le credo des intervenants lors de la conférence française pour la biodiversité, qui s’est tenue à Chamonix au mois de mai 2010. Il faut établir aujourd’hui un nouveau contrat de confiance entre les territoires et l’État. Seule l’addition des volontés sera pleinement efficace.

Mon département, le Doubs, a apporté la preuve de sa capacité d’entreprendre. Je suis fier de profiter de cette tribune pour rappeler qu’il est le berceau de la première loi française de protection de l’environnement, adoptée grâce à Charles Beauquier. Ce député du Doubs, cofondateur et président de la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France, soutint les habitants de Nans-sous-Sainte-Anne, un magnifique village du pays de Gustave Courbet, quand ils s’organisèrent pour protéger « leur » source du Lison contre les sombres desseins d’un meunier mal intentionné.

Charles Beauquier fit voter le 21 avril 1906 la célèbre loi qui porte son nom. Comme quinze autres sites, la source du Lison fut classée site naturel le 2 mai 1912. Ces premiers classements, plus précoces et plus nombreux qu’ailleurs, font du Doubs le champion de la protection de la nature.

En tant que président du conseil général de ce département – je profite de mon intervention pour saluer mes collègues présidents de conseils généraux ici présents –, je m’attache aujourd’hui à poursuivre l’héritage que j’ai reçu, en préservant la qualité des sites, des paysages et des milieux naturels, ainsi qu’en assurant la sauvegarde des habitats.

Mes chers collègues, j’achèverai mon propos en soulignant que seul un nouveau pacte de confiance entre l’État et les territoires nous permettra de mieux protéger la biodiversité. Il faut sortir de la dictature de l’urgence et penser à long terme. Nous ne pouvons pas continuer, année après année, d’augmenter la dette écologique et de transmettre un tel fardeau aux générations futures. N’est-il pas temps d’agir ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord remercier le groupe écologiste d’avoir organisé ce débat sur la biodiversité, sujet qui nous tient à cœur, puisque nous sommes réunis ce soir à cette heure tardive.

Sans méconnaître les pressions qui s’exercent, de manière croissante, sur la biodiversité – Ronan Dantec a lu un extrait de Moby Dick, Évelyne Didier a évoqué la sixième vague d’extinction, Jean-Claude Merceron y a fait allusion –, je voudrais mettre ce débat en perspective, en examinant les récentes évolutions intervenues ces derniers temps.

Comme l’a dit Jean-Vincent Placé, ce thème n’est pas une « lubie d’écolo », sinon vous ne seriez pas aussi nombreux ce soir !

Comme l’a indiqué Alain Houpert, la société française a évolué dans ce domaine. Le terme même « biodiversité » est passé progressivement du statut d’obscur charabia technocratique à celui de notion connue, au moins vaguement, d’un grand nombre de Français.

Un sondage réalisé en Europe en 2011 a révélé que, en France, 98 % des personnes interrogées avaient entendu parler de biodiversité et que 35 % d’entre elles pouvaient en donner une définition correcte. C’est mieux qu’en Allemagne – 23% – et qu’au Royaume-Uni – 22%.

Cela correspond à une tendance de fond, madame Didier. La prise de conscience a bien progressé et elle nous permet d’arriver plus forts au sommet « Rio+20 », grâce, notamment, à la mobilisation de la société civile.

Vous me permettrez de penser que l’année internationale de la biodiversité, particulièrement animée en France avec plus de 2 800 manifestations labellisées par mon ministère, a contribué à cette prise de conscience.

Le monde économique a, lui aussi, apprivoisé progressivement les enjeux de la biodiversité, même si ce fut parfois plus long : d’une prise en compte d’abord imposée par des normes environnementales vécues comme des contraintes, certaines entreprises ont su passer à une politique plus volontariste, à une politique d’anticipation et même à une politique de valorisation économique de leur savoir-faire écologique.

Raymond Vall a eu raison de souligner que tout notre développement économique et social est basé sur la biodiversité. Comme l’a dit Jean-Vincent Placé, protéger la biodiversité n’est pas une option ; c’est une obligation. Je souscris à ces propos, même si j’aurais beaucoup à dire sur d’autres passages de son intervention...

En politique, ce mouvement de fond a alimenté le Grenelle de l’environnement, qui, je le rappelle, a été voulu par le Président de la République. Le Grenelle lui-même a bénéficié de l’effet d’entraînement du changement des mentalités.

C’est aussi ce même mouvement planétaire, poussé par l’Europe, en particulier par la France, qui a permis le succès de la conférence des parties à la convention sur la diversité biologique de Nagoya, au mois d’octobre 2010.

Dans un climat de négociations internationales sur l’environnement assez morose, en raison de la déception suscitée par la conférence de Copenhague, ont été adoptés le plan stratégique de la convention fort des vingt objectifs d’Aichi, le protocole sur l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages qui découlent de leur utilisation – comme le souhaite Ronan Dantec, nous travaillons à des dispositions législatives en la matière – et, enfin, une stratégie de mobilisation des ressources.

Tout cela a été une bouffée d’air pour la communauté internationale.

Je voudrais maintenant vous convaincre, mesdames, messieurs les sénateurs, que la France, qui a voté pour ce plan stratégique et adopté les deux lois Grenelle, travaille à une meilleure prise en compte de la biodiversité et s’appuie sur un ensemble cohérent d’objectifs et de moyens.

En premier lieu, nous disposons d’un cadre pour la mobilisation de tous : la stratégie nationale pour la biodiversité. Celle-ci a fait entrer la biodiversité dans tous les ministères. Forte de cette expérience, forte de la dynamique du Grenelle et des résultats de la conférence de Nagoya, la France a élaboré, de mai 2010 à mai 2011, une nouvelle stratégie nationale pour la biodiversité. Pour la première fois peut-être, nous l’avons véritablement conçue avec l’ensemble des partenaires – élus, associations, entreprises, universitaires, syndicats, établissements publics et services de l’État – dans une logique de coopération.

Cette stratégie, que j’ai présentée le 19 mai 2011, est faite pour donner à chacun l’envie et les moyens de s’engager, dans un esprit proche de celui des Agendas 21.

Plus de 230 structures ont déjà adhéré à la nouvelle stratégie – et j’aimerais qu’elles soient plus nombreuses –, c’est-à-dire officialisé leur adhésion aux principes et valeurs qu’elle contient. Ces adhérents sont appelés, dans un deuxième temps, après signature, à proposer un programme d’actions et à valider ainsi concrètement leur ambition.

Ces programmes, que chacun des signataires doit porter, seront eux-mêmes labellisés par mon ministère afin de servir de modèle et de bénéficier de moyens. Je lancerai très prochainement le premier appel à reconnaissance de ces programmes. Les premiers programmes « reconnus SNB » – stratégie nationale pour la biodiversité – seront ainsi rendus publics au mois d’octobre prochain.

M. Jean-Vincent Placé. C’est loin !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. En second lieu, nous nous sommes fixé des objectifs clairs en matière de conservation du patrimoine naturel.

Par exemple, la loi Grenelle 1 a prévu une stratégie de création d’aires protégées terrestres. Celle-ci a été élaborée et est en cours de déclinaison à l’échelon régional. L’objectif est de combler les lacunes du réseau actuel et d’atteindre, d’ici à 2020, un taux de couverture du territoire, par le biais de protections fortes, de 2 %. Plus de 200 nouvelles aires protégées potentielles ont été identifiées.

Dans ce cadre, la création de trois nouveaux parcs nationaux est engagée : le Conseil national de la protection de la nature a donné, le 3 février – je le souligne avec d’autant plus de plaisir que cela n’a pas toujours été facile –, un avis favorable au projet de décret et de charte du parc national des Calanques. Le parc sera effectivement créé au premier semestre de cette année.

Le projet de parc national de forêt feuillue de plaine a été retenu sur le site « entre Champagne et Bourgogne », dans les départements de la Côte-d’Or et de la Haute-Marne.

Le premier semestre 2012 devrait également voir la signature de l’arrêté de prise en considération par le Premier ministre.

Enfin, le travail d’identification du secteur retenu pour le parc national de zones humides est en cours. Je ne vous cache pas que ce travail a été rendu plus difficile, car il était nécessaire de ménager un temps d’appropriation par les élus territoriaux. Ce processus devrait aboutir cette année.

La dynamique de création de réserves naturelles nationales est également poursuivie : pas moins de quatorze réserves ont été créées et deux ont été étendues depuis 2007 ; trois autres seront créées au premier semestre 2012.

La loi Grenelle 1 prévoyait enfin l’acquisition de 20 000 hectares de zones humides d’ici à 2015 : entre 2007 et 2010, les agences de l’eau en ont acquis 15 000 et le Conservatoire du littoral, au cours de la seule année 2010, en a acquis 3 400.

Pour que la préservation de la biodiversité soit bien une priorité de l’action publique, comme l’appelle de ses vœux Jean-Vincent Placé, une stratégie pour la création d’aires marines a également été élaborée en 2007 et révisée en 2011. L’objectif fixé par le Grenelle de la mer est de placer, en 2012, 10 % des eaux sous juridiction française en aires marines protégées, en y incluant les sites Natura 2000. D’ici à 2020, ce taux devra être porté à 20 %.

Dans ce cadre, trois parcs naturels marins ont d’ores et déjà été créés : ceux de la mer d’Iroise, de Mayotte, et du golfe du Lion.

Le parc naturel marin des Glorieuses sera très prochainement créé et quatre autres parcs font actuellement l’objet d’études ou de consultations. Par ailleurs, les parcs nationaux de Port-Cros et de la Guadeloupe ont vu leur territoire étendu en mer.

En complément de ces réseaux d’aires protégées, deux outils territoriaux permettent de mener une action à grande échelle : il s’agit de Natura 2000, qui couvre 12 % du territoire, et des parcs naturels régionaux, qui en couvrent 14 %.

Le réseau Natura 2000 s’est déployé en mer, passant de 7 000 kilomètres carrés en 2007 à plus de 40 000 aujourd’hui, répartis dans 207 sites.

Plus de 80 % des sites ont désormais un comité de pilotage – j’espère que nous atteindrons bientôt 100 % – et la barre des mille contrats Natura 2000 pour réaliser des travaux de restauration des milieux naturels a été franchie.

Évelyne Didier l’a souligné, le modèle des parcs naturels régionaux est reconnu comme un dispositif original et souple permettant à un ensemble de communes d’organiser collectivement un développement durable respectueux du patrimoine naturel et culturel. Ce modèle continue à susciter l’enthousiasme. Trois nouveaux parcs ont ainsi été créés depuis 2007 : celui des Alpilles, celui des Pyrénées ariégeoises et, tout récemment, celui des Ardennes. Deux autres devraient être créés en 2012 : celui des Préalpes d’Azur, dans les Alpes-Maritimes, et celui des Baronnies provençales.

Pour parfaire ce réseau et le transformer en une véritable infrastructure écologique pour notre pays – je m’adresse plus particulièrement à Rémy Pointereau, qui, ce matin, s’est rendu à mon ministère, accompagné d’une délégation d’élus, pour évoquer avec moi la ligne à grande vitesse Paris-Orléans-Clermont-Ferrand, c'est-à-dire le doublement de la ligne Paris-Lyon par le Centre –, la loi Grenelle 1 a prévu la création d’une trame verte et bleue, dont les principes ont été fixés par la loi Grenelle 2.

Aujourd’hui, il n’est plus question uniquement d’infrastructures ferroviaires ou routières ; la nature elle-même devient infrastructure.

Le comité national a été créé et installé au mois d’octobre 2011 et les orientations nationales sont en cours d’examen par le Conseil d’État. Enfin, les comités régionaux, copilotés par l’État et les régions, sont pleinement engagés dans l’élaboration des schémas régionaux de cohérence écologique.

Madame Didier, messieurs Dantec et Jeannerot, vous vous en êtes inquiétés, aussi, je tiens à vous dire que la trame verte et bleue est en marche avec les collectivités locales.

Pour contribuer à ce projet, un plan de restauration de la continuité des cours d’eau, qui fait suite à l’adoption des schémas directeurs d’aménagement des eaux, a été adopté. C’est dans ce cadre qu’ont été prises les décisions d’effacement des barrages de la Sélune, dans la Manche, en 2009, et d’arasement partiel du barrage de Poutès, en Haute-Loire, en 2011. Je sais que cela ne fait pas plaisir à tout le monde ! En tout, 506 barrages de moindre importance ont déjà été mis aux normes sur des cours d’eau classés afin d’atténuer les effets de discontinuité qu’ils créent.

Un autre type d’outil, toujours d’actualité, vise à protéger directement les espèces animales et végétales et leur habitat : conformément aux prescriptions de la loi Grenelle 1, les plans nationaux d’action en faveur des espèces menacées d’extinction, qui complètent la protection réglementaire, ont été développés et concernent désormais plus de 70 espèces, contre 17 en 2006.

Le choix des espèces s’effectue désormais suivant des critères établis avec le Muséum national d’histoire naturelle.

Les textes encadrant la protection des espèces ont été révisés pour inclure la protection des aires de repos et des sites de reproduction.

Enfin, une stratégie nationale en faveur des poissons migrateurs a été adoptée.

En matière de préservation des terres agricoles et naturelles, messieurs Dantec et Vall, nous avons déjà modifié les textes sur les schémas de cohérence territoriale, les SCOT, et les plans locaux d’urbanisme, les PLU, afin de favoriser la densification.

La loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche a par ailleurs créé un observatoire national et des outils départementaux. Les élus locaux ont désormais la possibilité de mettre en place une taxe, le versement pour sous-densité, afin d’éviter l’étalement urbain et une mauvaise utilisation du territoire.

En matière d’organismes génétiquement modifiés, le Gouvernement fait preuve d’unanimité dans son action et ses choix : avant la fin du mois de février, nous prendrons une nouvelle clause de sauvegarde, puisque la précédente a été annulée par le Conseil d’État.

Pour ce qui concerne le plan Écophyto 2018, monsieur Jeannerot, le Gouvernement poursuit son effort : la somme mobilisée est passée de 60 millions d’euros en 2009 à 140 millions d’euros en 2011, en dépit des contraintes budgétaires.

Après le cadre et les objectifs, le troisième étage de la fusée est constitué par l’amélioration de la connaissance. Jean-Claude Merceron l’a souligné.

Pour donner à chacun – en premier lieu, aux services du ministère – les moyens d’agir efficacement en faveur de la biodiversité, il faut connaître et comprendre.

Dans le domaine de la recherche, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité a été créée. Mon ministère, pour sa part, continue à financer des appels à projets de recherche thématiques.

En matière d’inventaire, nous avons lancé en 2011 le projet de cartographie nationale des habitats. C’est la première pierre d’une cartographie mondiale telle qu’elle a été souhaitée par Jean-Claude Merceron.

D’ici à 2018, une cartographie au 1/25 000 de la végétation sera réalisée. Elle sera intégrée au référentiel géographique à grande échelle de l’IGN et disponible gratuitement pour toutes les personnes publiques.

Cette cartographie sera utile à la définition des continuités écologiques comme des choix d’implantation d’infrastructures et d’aménagements. Nul doute que Rémy Pointereau la consultera pour promouvoir sa ligne à grande vitesse. (Sourires.)

D’autres types d’inventaires évoluent : l’inventaire des zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique, les ZNIEFF, devient continu ; les atlas de la biodiversité dans les communes sont en cours de rodage.

J’en viens maintenant au quatrième étage de la fusée, à savoir les moyens financiers : il nous fallait développer des ressources nouvelles.

Pour aller plus loin dans la restauration de la biodiversité, l’État s’était engagé, dans le cadre de la nouvelle stratégie nationale pour la biodiversité, à explorer des mécanismes de financement nouveaux.

Monsieur Jeannerot, j’ai le plaisir d’annoncer ici, après l’avoir fait hier devant tous les acteurs de la biodiversité, la création du Fonds d’investissement pour la biodiversité et la restauration écologique, le FIBRE. (MM. Rémy Pointereau et Pierre Hérisson applaudissent.) Doté cette année de 25 millions d’euros, il permettra la réalisation de travaux de restauration des milieux, de rétablissement des continuités écologiques et d’inventaires qui y sont associés. L’utilisation du fonds sera soumise à l’avis d’un comité inspiré du Grenelle de l’environnement. Il ne s’agit donc pas d’affichage, monsieur Placé, contrairement à ce que vous vous plaisez à répéter. (M. Jean-Vincent Placé s’exclame.)

Enfin, le dernier étage de la fusée est constitué par la rénovation de la gouvernance de la biodiversité. Cette gouvernance est aujourd’hui éclatée en une multitude de comités et commissions. Dans un souci de simplification, j’avais confié au préfet Dominique Schmitt le soin d’animer un groupe de travail entre novembre 2011 et janvier 2012 – je remercie d’ailleurs M. Ronan Dantec d’y avoir participé – en vue de me présenter des propositions : c’est chose faite. Je me réjouis que ces propositions aient fait l’objet d’un large consensus. Compte tenu de la complexité du sujet, c’était une gageure. J’ai indiqué au préfet Dominique Schmitt qu’un tel succès, dans ce que l’on peut appeler une « médiation », l’exposait au risque d’être de nouveau sollicité.

Le groupe de travail a réussi à converger sur les grands principes d’une rénovation, à savoir : la création, sur le mode de fonctionnement du Grenelle de l’environnement, d’un comité national de la biodiversité unique – il regroupera de nombreuses institutions existantes – pour les négociations entre parties,…

M. Pierre Hérisson. Très bien !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. … la création d’un conseil scientifique et technique de la biodiversité pour l’examen scientifique et technique des projets qui lui seront soumis et l’instauration de navettes entre les deux instances et leurs homologues régionales.

J’ai lancé hier la consultation du public sur ces propositions, qui vont tout à la fois dans le sens de la simplification, d’une meilleure transversalité et d’une plus grande cohérence dans la gestion de la biodiversité. J’ai demandé au préfet Schmitt d’approfondir son rapport, notamment en ce qui concerne la composition des sous-commissions – le diable se niche dans les détails –, et j’ai engagé le travail de traduction des propositions en termes législatifs et réglementaires.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis assez fière de ce bilan, fière, comme le disait M. Alain Houpert, du chemin tracé pour maintenir la biodiversité en « mettant l’homme au cœur de cette ambition ».

Ce bilan, je le partage non seulement avec le Parlement qui a su, au-delà parfois de la seule majorité, donner l’impulsion nécessaire, mais aussi avec les nombreux acteurs de terrain, les collectivités territoriales en particulier, qui traduisent chaque jour cette politique en actes, dans des conditions parfois difficiles. Toutefois, et je ne l’ignore pas, il reste encore beaucoup à faire.

Les pressions exercées sur la biodiversité sont excessives, et parfois même croissantes, notamment en ce qui concerne la fragmentation et la dégradation des habitats. Nous devons encore progresser sur la voie de la prise en compte de la biodiversité dans la vie économique et dans la décision publique. Des chantiers sont en cours. Je pense aux suites à donner au rapport sur les subventions dommageables à la biodiversité, qui doivent trouver une concrétisation et un écho plus certain. Je pense également au travail sur la connaissance et la valorisation des services écosystémiques, sur lesquels ont insisté Ronan Dantec et Évelyne Didier.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il nous reste des marges d’innovation. Je m’attache à poursuivre leur exploration d’un pas soutenu, animée du « bon sens paysan » qu’évoquait Alain Houpert tout à l’heure.

L’ensemble des stratégies que nous avons mises en place ont vocation, au-delà de la seule biodiversité, à être diffusées dans l’ensemble des politiques de mon ministère et au-delà. Ainsi, le dispositif d’investissement locatif Scellier a été recentré sur des critères environnementaux. Dans le même esprit, le taux réduit de la TVA sur les produits phytosanitaires a été supprimé, et ce, je le rappelle, bien avant les récentes annonces sur la modification du taux de la TVA.

Bref, vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, la révolution est en marche, et je vous remercie de bien vouloir l’accompagner chacun à votre manière. (MM. Pierre Hérisson et Rémy Pointereau applaudissent.)

M. le président. Nous en avons terminé avec ce débat sur la biodiversité.

12

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 9 février 2012 :

À neuf heures trente :

1. Débat sur la situation de l’industrie automobile en France.

À quinze heures :

2. Questions d’actualité au Gouvernement.

3. Proposition de résolution relative à la filière industrielle nucléaire française, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution (n° 202, 2011-2012).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures vingt.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART