M. le président. La parole est à M. René Teulade.

M. René Teulade. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, chaque année, le projet de loi de financement de la sécurité sociale nous offre son lot de surprises.

L’année dernière, il était marqué par la funeste affaire du Mediator ; cette année, le cœur du problème réside dans le cœur du texte, à savoir les chiffres initialement présentés par le Gouvernement.

Plutôt que de déverser une logorrhée de statistiques, rappelons simplement que les prévisions de croissance sur lesquelles s’est fondé le Gouvernement étaient irréalistes. En la matière, son optimisme s’est heurté à la froide réalité économique : en 2012, la croissance devrait s’établir autour de 1 %, loin des 1,75 % longtemps annoncés contre vents et marées par la majorité présidentielle.

Dans un contexte économique contraint, où la rigueur, la volatilité et l’incertitude dominent, comme en témoigne la tourmente qui secoue actuellement la zone euro, comment le Gouvernement a-t-il pu ainsi se bercer d’illusions ?

En ce sens, nous ne pouvons que regretter d’avoir entamé un débat sur des chiffres fondés sur des hypothèses macroéconomiques dépassées ; nous ne pouvons que regretter d’avoir entamé un débat actuellement sacrifié sur l’autel, disons-le, de la duperie.

La duperie est d’autant plus fruste que la majorité présidentielle n’a de cesse de s’ériger en chantre de l’efficacité et de la rationalité économiques, confondues avec la mise en place, sans discussion, de mesures d’austérité qui pénalisent à la fois la croissance, l’emploi, l’investissement et la compétitivité.

Entendons-nous bien : lutter contre les déficits, notamment celui de la sécurité sociale, est une nécessité et une priorité absolues ; nous en sommes convaincus. À cet égard, ce matin même, le Premier ministre, M. François Fillon, a explicité que les mesures du nouveau plan de rigueur étaient guidées par ces principes. Mais comment croire en cette fable ?

En effet, pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas touché au paquet fiscal, dont le coût est estimé à 10 milliards d’euros, soit le montant qu’il lui manquait pour boucler son budget ? Pourquoi, parallèlement, a-t-il accéléré la réforme des retraites, faisant porter l’effort sur les salariés ? Pourquoi avoir maintenu la défiscalisation des heures supplémentaires, dispositif dont l’inefficacité a été soulignée à de nombreuses reprises, et avoir fixé à 1 % par an, de manière péremptoire, l’augmentation des prestations sociales, sans se préoccuper de l’évolution de l’inflation ? Pourquoi avoir gelé le barème de l’ISF pendant deux ans, plutôt que de s’attaquer davantage aux niches fiscales ?

Quelle audace ne faut-il pas, après avoir énoncé cette litanie de mesures, pour assurer que ce plan de rigueur est équitable ! Ce ne sont pas les « mesurettes » annoncées qui compenseront la profonde injustice que représente ce nouveau plan de rigueur.

Ce cadrage d’ensemble étant effectué, j’aimerais maintenant vous faire part de mes observations sur la branche vieillesse de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.

À titre liminaire, il convient de préciser qu’analyser les chiffres de la branche vieillesse ne peut se faire qu’au regard de la réforme des retraites promulguée le 9 novembre 2010. Brutale elle a été, brutale elle demeure, comme en témoignent les déclarations du Premier ministre ce matin, qui a consacré l’accélération de la réforme et le report de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans d’ici à 2017 au lieu de 2018, sans négociation préalable avec les partenaires sociaux, ce qui manifeste une forme de mépris !

Ainsi, évoquer le problème des retraites, c’est aborder des questions sociales et sociétales fondamentales pour le présent et pour l’avenir. En effet, les principes qui sous-tendent les mécanismes de notre système de retraites reflètent en réalité les valeurs de notre société. En ce sens, la question des retraites est éminente, car elle retranscrit l’essence même de notre nation.

À ceux qui se plaisent à souligner qu’il ne s’agit ici que de sujets philosophiques, sans portée concrète, je rappellerai les récentes manifestations, dans plus d’une centaine de villes, le 6 octobre 2011, de plusieurs milliers de retraités qui dénonçaient leur précarité, clamaient leur peur du déclassement et, osons le dire, exprimaient un sentiment se rapprochant plus du désespoir que du désarroi.

Comment pourrait-il en être autrement, étant donné les paramètres de leur situation : pouvoir d’achat en berne en raison de la relative stagnation des prestations versées, isolement de plus en plus manifeste, difficultés de plus en plus grandes pour se soigner, comme en témoigne la pétition mise en circulation par la Fédération nationale de la Mutualité française ?

À cet égard, un récent sondage montrait que près d’un tiers des Français avaient dû renoncer à se soigner en 2011. En Europe, seule la Pologne présente des statistiques plus inquiétantes. La France a plongé à la quatorzième place au sein de la zone euro selon le critère du déficit du système de sécurité sociale. Une gestion équilibrée des comptes nous ferait remonter à la huitième position : cela suffit à légitimer la mise en œuvre d’une autre politique.

Dans un tel contexte, le projet de loi sur la dépendance aurait été le bienvenu, afin de soulager à la fois les personnes âgées et leurs familles. Malheureusement, il a été jeté aux oubliettes… Pour autant, il n’en demeure pas moins un problème majeur qui doit être traité dans le cadre d’une réflexion large, englobant les questions d’évolution démographique, de santé publique, de sécurité sociale et de retraites.

Sans palabrer sur l’ensemble de la réforme des retraites, certes guidée par l’urgence, mais marquée par l’absence d’esprit de négociation, de compromis et de conciliation de la majorité présidentielle, nous pouvons nous interroger quant à son incidence sur les chiffres présentés dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Tout d’abord, rappelons qu’en 2010 les déficits de l’assurance vieillesse ont atteint un niveau sans précédent : près de 9 milliards d’euros pour la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV, 4 milliards d’euros pour le Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, et environ 2 milliards d’euros pour les autres régimes, soit un total de 15 milliards d’euros.

Afin de pallier cette situation dramatique, les mesures prises ont visé à la fois l’augmentation des recettes et la réduction des dépenses. Néanmoins, la diminution des dépenses, à l’inverse de l’accroissement des recettes, a un effet différé dans le temps, si bien que les déficits vont demeurer à un niveau élevé au cours des années à venir : près de 6 milliards d’euros pour la CNAV, 3,7 milliards d’euros pour le FSV et environ 2 milliards d’euros pour les autres régimes, soit 11,7 milliards d’euros au total en 2012. Selon les projections gouvernementales, ce déficit structurel ne descendra pas en dessous de 10 milliards d’euros par an d’ici à 2015.

Il est donc urgent de prendre des mesures supplémentaires d’une efficacité économique certaine, d’autant que les déficits de la branche vieillesse vont accroître une dette sociale déjà en forte augmentation. Sur les 130 milliards d’euros transférés à la CADES entre 2010 et 2018, près de 85 milliards d’euros sont inhérents aux déficits de la branche vieillesse.

En outre, il faut souligner que les déficits de certains régimes n’ont pas été pris en compte dans le cadre de la réforme des retraites et qu’ils restent en attente de financement.

Ainsi, le régime des exploitants agricoles va continuer de connaître un déficit très important ces prochaines années, et ce malgré les 400 millions d’euros de recettes supplémentaires qui lui seront affectés à partir de 2012.

Parallèlement, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités territoriales, la CNRACL, est en déficit depuis 2010. Or ce déficit va s’aggraver de 600 millions d’euros cette année, en conséquence du reversement à l’État des cotisations perçues au titre des agents transférés aux collectivités locales.

Par conséquent, au regard de l’ensemble de ces éléments, nous ne pouvons être que dubitatifs s’agissant du scénario de retour à l’équilibre à l’horizon 2018 qui nous est vendu comme la quintessence de la réforme des retraites, dont nous avions dénoncé le caractère foncièrement inique lors de la discussion du projet de loi éponyme dans cet hémicycle, l’année dernière.

Outre les incidences du report de l’âge légal de la retraite de 60 à 62 ans d’ici à 2017, indépendamment du nombre d’années de cotisation, nous ne pouvons que réitérer nos inquiétudes quant aux conséquences, pour les assurés n’ayant pas bénéficié d’un parcours professionnel continu, notamment les femmes, du report à 67 ans de l’âge de l’accès au taux plein.

Aujourd’hui, nous le savons, les parcours professionnels ne sont plus aussi linéaires qu’auparavant. Nos concitoyens aspirent à bénéficier d’une formation continue, à faire coexister harmonieusement vie professionnelle et vie personnelle, quitte à mettre de côté temporairement la première. Ils aspirent, tout simplement, à la liberté d’organiser leur cycle de vie comme ils l’entendent, sans pour autant renâcler au travail.

Autrement dit, de nos jours, le triptyque formation-travail-retraite n’a plus grande pertinence. La formation se poursuit au-delà des études, tandis que les « phases de retraite » sont de plus en plus nombreuses au cours de la vie professionnelle ; parallèlement, la fin de la vie professionnelle n’est pas la fin de l’activité économique et de l’activité sociale.

C’est pourquoi le projet socialiste évoque la notion de « retraite choisie », système universel et personnalisé qui prendrait en compte le parcours et les aspirations de tout un chacun. Les systèmes scandinaves, en pointe en la matière, fournissent un exemple de ce que pourrait être un système moderne de retraites.

De surcroît, l’injustice que représente à nos yeux cette réforme des retraites est symbolisée par son traitement de la problématique de la pénibilité.

Dans le cadre de la préparation de l’examen du présent projet de loi de financement de la sécurité sociale, lors de l’audition des ministres, nous avons évoqué notre profonde déception eu égard aux conditions particulièrement restrictives imposées par les décrets d’application pour bénéficier de la retraite anticipée. En particulier, nous avons critiqué le critère d’exposition durant dix-sept ans à des facteurs de risque pour les assurés présentant un taux d’incapacité compris entre 10 % et 20 %.

À cet égard, le volet relatif à la prévention, qui repose sur des négociations de branche et des accords d’entreprise, est à la peine.

En effet, pour les entreprises dont moins de 50 % de l’effectif est exposé à des facteurs de risques, il n’y aura aucune obligation de négocier des accords.

Enfin, le thème des retraites est intrinsèquement lié aux débats sur l’emploi des seniors. Dans un contexte où les perspectives économiques ne cessent de se dégrader, où le taux de chômage au sein de l’Union européenne, qui a atteint 10,2 % en septembre dernier, n’a jamais été aussi élevé, l’emploi des seniors est une variable essentielle pour le succès des politiques économiques.

Rappelons qu’en France les seniors, comme les jeunes, sont fortement exposés au chômage. Ainsi, au deuxième trimestre de 2011, le taux d’emploi des seniors était de 40,9 %, très au-dessous de la moyenne européenne, qui s’établissait à 46,3 %, et loin de l’objectif fixé par la stratégie de Lisbonne, à savoir un taux d’emploi de 50 % pour 2010. Pis encore, une nette césure se dessine à partir de 60 ans : le taux d’emploi des 55-59 ans s’élève à 63,4 %, alors que celui des 60-64 ans est de 18,1 %, soit presque cinquante points de différence…

Dans ces conditions, comment est-il possible de défendre la réforme des retraites et, par voie de conséquence, les chiffres de la branche vieillesse présentés dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ? Vous vous êtes focalisés sur une seule face de la même pièce de monnaie, l’âge légal de départ à la retraite, sans prendre le temps de réfléchir à la question primordiale de l’emploi des seniors. La preuve en a d’ailleurs été apportée ce matin, puisque la seule mesure annoncée relative aux retraites a une nouvelle fois concerné l’âge légal de départ à la retraite. En d’autres termes, vous promettez aux seniors non pas une retraite paisible, mais une retraite anxiogène, marquée par une peur frénétique du chômage.

Ceci est symptomatique de votre vision court-termiste, de votre tendance à naviguer à vue : vous n’avez eu de cesse de tergiverser s’agissant de l’allocation équivalent retraite, qui concerne les demandeurs d’emploi les plus âgés arrivant en fin de droits. Supprimée à la fin de 2008, maintenue « à titre exceptionnel » en 2009, prorogée en 2010, puis supprimée en 2011, cette mesure sera finalement rétablie sous l’appellation d’« allocation transitoire de solidarité ». Cette politique confuse ne fait que traduire l’incapacité du Gouvernement à trouver des solutions viables pour l’emploi des seniors !

Ainsi, nous souhaitons que la lecture de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale au Sénat, à défaut de vous convaincre, puisse vous éclairer. Nous voulons être non pas uniquement dans la gestion des crises, mais dans l’anticipation et la prévention, en privilégiant l’action plutôt que la réaction. (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.)

Nous souhaitons démontrer qu’il est possible de lutter efficacement et autrement contre les déficits de la sécurité sociale ; nous souhaitons exposer notre vision et nos propositions en vue d’assurer le financement et la pérennité de notre système de protection sociale.

Vous verrez que nous avons non seulement l’« audace d’espérer », mais aussi l’audace d’y croire, l’audace de ceux qui sont déterminés, convaincus et responsables ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je centrerai mon propos sur la politique menée en faveur des personnes âgées en perte d’autonomie et des personnes en situation de handicap, pour exprimer notre soutien aux mesures prévues par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012.

Dans le contexte très difficile que nous connaissons, les efforts consentis dans le cadre médicosocial continuent, reconnaissons-le, à donner leur pleine signification aux notions de solidarité nationale et de solidarité intergénérationnelle. Il s’agit d’offrir une qualité de vie et de prise en charge toujours plus respectueuse de la personne humaine, d’offrir les conditions d’une vie sociale pleine et entière, pour rendre toute leur place dans la société aux personnes en situation de handicap et aux personnes de grand âge.

Il nous est proposé aujourd’hui de nous prononcer sur le passage de l’ONDAM médicosocial de 3,8 % en 2011 à 4,2 % pour 2012, ce qui représente 500 millions d’euros de mesures nouvelles. Cette réserve financière sera répartie entre les politiques destinées à accompagner ces deux catégories de personnes fragilisées.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 prévoit également un plan d’aide de 48 millions d’euros destiné à soutenir la rénovation des établissements et services aux personnes âgées et handicapées. Nous le constatons, les moyens, même encadrés, sont encore là cette année, même si, à l’évidence, nous aimerions tous pouvoir faire toujours plus.

Vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, le taux d’évolution de l’ONDAM concernant les personnes âgées est fixé pour 2012 à 6,3 %, ce qui représente 400 millions d’euros supplémentaires. Ces financements nouveaux permettront de mener à leur terme les plans solidarité-grand âge et Alzheimer, ainsi que d’améliorer la qualité de la prise en charge des personnes âgées. Vous nous l’avez confirmé, 140 millions d’euros seront consacrés à la médicalisation des établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes, et le recrutement de personnels soignants sera accéléré.

Par ailleurs, une disposition figurant à l’article 37 prévoit une expérimentation de la prise en compte, dans la tarification du forfait global relatif aux soins, de la performance des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes.

Cette mesure est intéressante pour deux raisons principales : d’abord, elle incitera les établissements à améliorer sans cesse la qualité de l’accueil, de la prise en charge et de la prestation de soins aux personnes âgées ; ensuite, elle doit conduire à réduire l’hospitalisation et permettre ainsi, au-delà de son effet sur le bien-être des personnes, d’éviter des hospitalisations qui ne sont pas absolument nécessaires et de réaliser ainsi des économies.

Parallèlement est engagée une démarche de soutien aux services d’aide et d’accompagnement à domicile, dont la situation financière est très difficile. Nous connaissons tous, dans nos départements, l’importance de ces aides, qui permettent le maintien à domicile, d’ailleurs souvent réclamé par les personnes âgées elles-mêmes.

J’en viens maintenant aux dispositions prises en faveur des personnes en situation de handicap. En 2012, les mesures nouvelles mobiliseront 186 millions d’euros. Les moyens engagés permettront notamment de financer 4 200 places nouvelles pour les enfants et les adultes handicapés.

Deux mesures importantes sont prévues dans ce texte.

D’une part, le Gouvernement prévoit d’instaurer une majoration de 30 % du complément de libre choix du mode de garde pour les couples ou parents isolés bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés et ayant un enfant de moins de 6 ans. C’est une mesure juste pour soutenir ces familles, et nous nous en réjouissons.

D’autre part, l’article 34 septies, inséré par nos collègues députés, vise à assurer la prise en charge intégrale des frais de transport des enfants adolescents accueillis de jour dans les centres médico-psycho-pédagogiques et les centres d’action médicosociale précoce. Nous nous félicitons de cette initiative, puisque ces coûts de transport ne sont actuellement pris en charge que dans le cadre de la prestation de compensation du handicap, la PCH. Le dispositif de remboursement ainsi mis en place permettra d’accompagner un grand nombre de familles. Je rappelle que cette mesure avait déjà été prévue par la loi Fourcade, mais sanctionnée par le Conseil constitutionnel pour des raisons de pure forme. Il nous appartient aujourd’hui de la soutenir avec force.

J’achèverai mon propos en évoquant le volet AT-MP, accidents du travail et maladies professionnelles.

Le projet de loi vise à tenir plus justement compte des phénomènes de sous-déclaration des accidents du travail et maladies professionnelles. Il tend à assurer la pérennité du financement des fonds destinés aux victimes de l’amiante et à financer les dépenses supplémentaires engendrées par les départs anticipés à la retraite pour pénibilité.

En particulier, l’article 53 a pour objet d’augmenter la contribution de la branche AT-MP à la branche maladie à hauteur de 790 millions d’euros, soit une augmentation de plus de 11 %, afin de tenir plus justement compte, pour faire suite au rapport remis au Parlement par M. Noël Diricq, des phénomènes de sous-déclaration.

Enfin, je me réjouis de l’introduction par l’Assemblée nationale d’une mesure relative à la mise en place d’une coordination entre les différents dispositifs d’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante. Désormais, les salariés ayant relevé de plusieurs régimes de sécurité sociale auront les mêmes droits que ceux n’ayant été assujettis qu’à un seul régime.

En conclusion, dans la situation extrême que connaît notre pays, la volonté inaltérable et courageuse du Gouvernement de réduire la dette s’inscrit dans le souci constant de donner la priorité à la solidarité. Nous soutiendrons donc ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 tel que présenté, pour ce qui concerne tant le volet médicosocial que la branche AT-MP. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de l’UCR.)

M. le président. La parole est à Mme Samia Ghali.

Mme Samia Ghali. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que nous sommes amenés à examiner le dernier projet de budget de la branche famille de la sécurité sociale de cette législature, nous constatons, une fois encore, que cette branche est le parent pauvre du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Que nous proposez-vous ?

Deux mesures très ciblées, relatives à l’allocation de soutien familial et au complément de libre choix du mode de garde, sont envisagées. Aussi intéressantes soient-elles pour les familles monoparentales, les deux articles dont elles font l’objet ne peuvent à eux seuls constituer un projet, madame la secrétaire d’État, ni, a fortiori, masquer les faiblesses d’une politique sans vision ni ambition.

J’en veux pour preuve le fait que les avantages octroyés aux uns par ce texte devaient, dans l’esprit du Gouvernement, être repris aux autres. En proposant initialement l’assujettissement à la CSG du complément de libre choix d’activité et du complément optionnel de libre choix d’activité, mesure rejetée par nos collègues députés, le Gouvernement tentait de récupérer 30 euros par mois sur le dos des familles bénéficiaires. D’ailleurs, il ne s’arrête pas en si mauvais chemin, puisqu’il prétend maintenant reporter l’actualisation des allocations logement au mois d’avril, proposition heureusement repoussée par notre commission des affaires sociales. Et comme cela ne suffit toujours pas, le Premier ministre vient d’annoncer aujourd’hui même qu’un nouvel effort serait demandé aux plus défavorisés, aux bénéficiaires des prestations sociales, puisqu’il a été décidé que les prestations sociales seraient désormais indexées sur le taux de croissance, ce qui aboutira à une baisse du pouvoir d’achat et du niveau de vie des bénéficiaires.

Oui, madame la secrétaire d’État, comme pour l’ensemble des branches de la sécurité sociale, la politique du Gouvernement est insaisissable et ne donne aucun résultat. Depuis cinq ans, les comptes de la branche famille ne cessent de se dégrader. Alors qu’ils affichaient un excédent de 200 millions d’euros en 2007, ils ont basculé dans le déficit dès 2008. Pour 2011 et 2012, les déficits attendus sont d’environ 2,5 milliards d’euros.

Pour ce qui concerne les perspectives, l’inquiétude demeure. Aucune piste sérieuse de redressement ne se dessine. Voilà quelques mois, le Haut Conseil de la famille considérait que la branche famille retrouverait l’équilibre au plus tôt vers 2017. Si l’on précise que cette estimation s’appuie sur les hypothèses économiques d’une croissance de long terme de 1,5 % par an et d’un taux de chômage diminuant jusqu’à 4,5 %, on peut en déduire que la situation est très alarmante… Et ce ne sont pas les économies dérisoires, et surtout injustes, que vous décidez année après année qui changeront la donne, sauf pour les familles pénalisées.

Je pense, en particulier, à la suppression de la rétroactivité des aides personnelles au logement pour les trois mois précédant la demande des allocataires. Nous vous l’avions déjà dit l’année dernière, au moment où cette mesure avait été adoptée, mais il convient hélas d’y revenir : les familles les plus modestes, celles qui sont le moins en mesure de s’informer de leurs droits et celles dont l’un des membres voit sa situation professionnelle changer brutalement, sont, au final, les plus touchées.

En matière de logement, dans un contexte de crise économique et de montée du chômage, la situation des familles demeure très difficile. Les revenus des allocataires diminuent et les besoins en matière d’aide au logement augmentent. La part des dépenses de logement dans le budget familial grimpe, ce dont, malheureusement, vous ne tenez pas compte.

Je le répète, aucune perspective sérieuse de redressement ne se dessine.

Au-delà de la situation dégradée des comptes de la branche famille, nous nous souvenons des promesses faites par M. Sarkozy lorsqu’il était candidat. Dans son discours de Périgueux, il s’était engagé à « faire cesser la situation insupportable de la mère qui travaille, qui élève seule ses enfants et qui n’arrive pas à les faire garder », proposant « que le droit de faire garder ses enfants quand on travaille ou quand on est à la recherche d’un emploi devienne opposable […] afin d’obliger tout le monde à créer au plus vite les capacités d’accueil nécessaires ». Vous vous en souvenez certainement, madame la secrétaire d’État… Nous aussi, croyez-le !

La France peut se réjouir d’avoir l’un des taux de natalité les plus élevés d’Europe : plus de 820 000 naissances par an. C’est une chance pour notre pays. Mais si l’on rapproche ce chiffre du taux d’emploi des femmes, on réalise combien les freins à l’emploi des femmes persistent.

Lorsque les enfants sont jeunes, les problèmes de garde sont très aigus et les femmes pénalisées dans leur accès à l’emploi. L’offre de garde d’enfants est donc un enjeu central de la politique familiale.

Le constat est simple : en France, seulement un enfant de moins de trois ans sur deux peut bénéficier d’un accueil. Dans certains départements, c’est beaucoup moins. Dans certains quartiers défavorisés, dans certaines zones rurales, c’est moins encore !

À la fin de l’année 2009, sur cent enfants de moins de trois ans, vingt-sept pouvaient être accueillis par un assistant maternel, quatorze par un établissement d’accueil du jeune enfant, cinq par une école maternelle et deux, ou presque, par un salarié à domicile. Tels étaient les ordres de grandeur : pour cent enfants, la capacité d’accueil théorique s’élevait à environ quarante-huit places.

Depuis 2007, les modes de garde ont connu des évolutions contrastées. En matière d’offre individuelle, si le nombre de places de garde chez les assistants maternels a augmenté, le développement des maisons d’assistants maternels reste insuffisant.

En matière d’offre collective, les structures multi-accueil affichent une progression, mais les structures mono-accueil régressent, tout comme le nombre de places offertes par les services d’accueil familial.

Il est vrai que des places nouvelles ont été créées, mais, au même moment, les places réservées aux moins de trois ans ont été supprimées dans les écoles maternelles. En 2000, plus d’un tiers des enfants de moins de trois ans étaient accueillis en maternelle. En 2010, ils n’étaient plus que 13 %. Nous sommes passés de 178 300 enfants accueillis en maternelle à la fin de 2006 à 123 200 à la fin de 2009… Voilà, mes chers collègues, qui est en totale contradiction avec les efforts annoncés pour favoriser l’accueil des jeunes enfants !

Nous avons pourtant tellement besoin de l’école maternelle. D’ailleurs, je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Françoise Cartron, qui, jeudi dernier, a présenté au nom du groupe socialiste-EELV une proposition de loi visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans.

Je l’affirme : l’école maternelle est un bienfait pour nos enfants, particulièrement dans les quartiers sensibles. Pas simplement parce qu’elle est gratuite, mais parce qu’elle répond à une demande sociale et à une nécessité pour notre pays.

Les parents des milieux défavorisés sont confrontés à des difficultés de plus en plus lourdes, économiques, sociales et psychologiques. La prise en charge collective des enfants à l’âge des premiers apprentissages n’est pas une dépense supplémentaire, mais une aubaine, une chance, un investissement pour l’avenir !

Le recul de l’accueil en école maternelle annule, dans les faits, les progrès accomplis en matière de développement de l’offre de garde des jeunes enfants. Au total, nous sommes très loin des 200 000 places supplémentaires promises par le Président de la République.

De surcroît, d’importants chantiers restent à mener. Je pense en particulier à la revalorisation des professions de la petite enfance, qui passe par l’accroissement de l’offre de formation des professionnels et le renforcement du pilotage de l’offre de garde, qui est aujourd’hui très insuffisante.

C’est le contraire de la politique que vous menez ! Les professionnels se sont émus à juste titre de l’abaissement du taux d’encadrement et de l’augmentation du nombre d’enfants autorisés par assistante familiale.

Oui, la politique familiale doit franchir une nouvelle étape et s’appuyer sur un véritable service public de la petite enfance !

La crise économique que nous traversons et le déficit que vous avez creusé contraignent la réforme ; il serait irresponsable de l’ignorer. Mais une nouvelle étape de la politique familiale doit être franchie, car la demande sociale a profondément évolué.

Devant la multiplication des séparations, le nombre croissant de familles monoparentales et recomposées ainsi que les conséquences qui en résultent pour les enfants et la société en général, nous devons élaborer de nouvelles solutions pour aider l’enfant à se développer et le couple parental à mieux exister.

Les familles monoparentales – le plus souvent des mères seules – ont non seulement besoin d’aides financières plus importantes que les autres, mais aussi d’un accompagnement vers l’emploi et d’un soutien plus grand pour l’organisation de la vie familiale, notamment pour la garde des enfants.

À ce sujet, je dois dire que le rapport du groupe de travail « famille », présenté en juillet dernier par deux députés de l’UMP, montre une nouvelle fois que, malheureusement, certains restent aveuglés par des principes d’un autre âge. Autant je partage le diagnostic sur la « fragilité croissante des couples et des familles et la “monoparentalisation” de la pauvreté », qui ont un coût social, autant je trouve que la réponse proposée par vos collègues du groupe de l’UMP de l’Assemblée nationale est empreinte de vieux clichés.

Certes, nous devons prendre acte des conséquences sociales des instabilités familiales et de la nécessité d’aider les couples à durer. La stabilité des couples nous intéresse. C’est un sujet de fond, dont il faut se préoccuper. J’y suis pour ma part très sensible. Mais s’il faut soutenir les initiatives destinées à aider les couples – conseil conjugal, médiation familiale, groupes de parole –, l’État n’a pas à imposer une forme de conjugalité. Au contraire, il faut rapprocher les différentes formes de conjugalité – PACS, mariage, union libre – et leurs régimes fiscaux.

Le rapport Grommerch-Mariton réaffirme son attachement au système actuel, construit autour de la notion de « foyer fiscal », qu’il propose même de renforcer.

Pour ma part, je suis intimement convaincue qu’il faut à l’inverse repenser le système du point de vue des individus. Dans le cadre de cette individualisation, il faudra reconsidérer le quotient familial, afin que les aides aux familles puissent être versées sous forme d’un crédit d’impôt forfaitaire par enfant. À mes yeux, un tel dispositif serait plus juste que le quotient familial, car il ne pénaliserait pas les classes populaires et moyennes. Il aurait également le mérite de préserver l’universalité des allocations familiales tout en réglant les problèmes de leur fiscalisation et de leur attribution dès le premier enfant.

Cette réforme aurait l’énorme avantage de permettre le passage d’une logique de réparation, dominée par un soutien financier aux familles pour compenser le coût de l’enfant, à une stratégie d’investissement social centrée sur des prestations de services au profit de l’enfant et de son développement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)