Sommaire

Présidence de Mme Monique Papon

Secrétaires :

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, M. Bernard Saugey.

1. Procès-verbal

2. Dépôt d'un rapport

3. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire algérienne

4. Exercice du mandat local. – Discussion et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale : MM. Bernard Saugey, auteur de la proposition de loi ; Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois ; Patrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement.

M. Yvon Collin, Mmes Josiane Mathon-Poinat, Jacqueline Gourault, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Michel Houel, Alain Anziani, Laurent Béteille.

M. le ministre.

Clôture de la discussion générale.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.

Articles additionnels avant l'article 1er

Amendement n° 11 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.

Amendement n° 20 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – MM. Charles Gautier, le rapporteur, le ministre, Alain Anziani, Claude Bérit-Débat, le président de la commission, Pierre-Yves Collombat. – Rejet.

Amendement n° 9 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le ministre, Pierre-Yves Collombat. – Rejet.

Article 1er (supprimé)

Amendement n° 22 de M. Pierre-Yves Collombat. – MM. Pierre-Yves Collombat, le rapporteur, le ministre. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Articles 2 et 3 (supprimés)

Article 4

Amendements identiques nos 2 rectifié bis de Mme Jacqueline Gourault et 24 de M. Roland Povinelli. – Mme Jacqueline Gourault, MM. Pierre-Yves Collombat, le rapporteur, le ministre. – Adoption des deux amendements.

Amendement n° 23 de M. Pierre-Yves Collombat. – MM. Pierre-Yves Collombat, le rapporteur, le ministre. – Rejet.

Adoption de l'article modifié.

Article additionnel après l'article 4

Amendement n° 25 de M. Pierre-Yves Collombat. – MM. Pierre-Yves Collombat, le rapporteur, le ministre. – Rejet.

Article 5

Amendement n° 26 de M. Pierre-Yves Collombat. – MM. Pierre-Yves Collombat, le rapporteur, le ministre. – Rejet.

Adoption de l'article.

Article additionnel après l'article 5

Amendement n° 14 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.

Article 6 (supprimé)

Articles 7 A (nouveau) et 7. – Adoption

Article 7 bis (nouveau)

M. Antoine Lefèvre.

Adoption de l'article.

Article 7 ter (nouveau). – Adoption

Article additionnel après l'article 7 ter

Amendement n° 5 rectifié bis de M. Antoine Lefèvre. – MM. Antoine Lefèvre, le rapporteur, le ministre. – Retrait.

Article 8

Amendement n° 12 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat.

Amendement n° 31 de M. Roland Povinelli. – M. Claude Bérit-Débat.

Amendement n° 30 de M. Pierre-Yves Collombat. – M. Pierre-Yves Collombat.

MM. le rapporteur, le ministre, Pierre-Yves Collombat, Claude Bérit-Débat. – Rejet des amendements nos 12, 31 et 30.

Adoption de l'article.

Article 8 bis (nouveau)

Amendement n° 19 de M. Patrice Gélard. – MM. Patrice Gélard, le président de la commission, le ministre. – Adoption.

Adoption de l'article modifié.

Article 9

Amendement n° 32 de M. Pierre-Yves Collombat. – MM. Pierre-Yves Collombat, le rapporteur, le ministre. – Rejet.

Adoption de l'article.

Article additionnel après l'article 9

Amendement n° 40 rectifié bis de M. Marc Daunis. – MM. Pierre-Yves Collombat, le rapporteur, le ministre. – Rejet.

Article 9 bis (nouveau)

M. Jean-Marc Todeschini.

Adoption de l'article.

Article 10. – Adoption

Article additionnel après l'article 10

Article 11 (supprimé)

Articles additionnels après l'article 11

Amendement n° 36 de M. Jean-Marc Todeschini. – MM. Jean-Marc Todeschini, le rapporteur, le ministre. – Rejet.

Amendement n° 35 de M. Jean-Marc Todeschini. – MM. Jean-Marc Todeschini, le rapporteur, le ministre, Mme Jacqueline Gourault, MM. le président de la commission, Pierre-Yves Collombat. – Rejet.

Amendement n° 37 de M. Jean-Marc Todeschini. – Mme Gisèle Printz, MM. le rapporteur, le ministre, Pierre-Yves Collombat. – Rejet.

Amendement n° 38 de M. Pierre-Yves Collombat. – MM. Pierre-Yves Collombat, le rapporteur, le ministre. – Rejet.

Amendement n° 39 de Mme Virginie Klès. – MM. Claude Bérit-Débat, le rapporteur, le ministre, le président de la commission, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Anziani. – Rejet.

Vote sur l'ensemble

MM. Pierre-Yves Collombat, Jean Boyer

Adoption de la proposition de loi.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

5. Rappel au règlement

MM. Jean-Pierre Bel, le président.

6. Communication relative à une commission mixte paritaire

7. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire allemande

8. Instauration d'un nouveau pacte territorial. – Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Discussion générale : MM. Jean-Jacques Lozach, auteur de la proposition de loi ; Pierre Hérisson, rapporteur de la commission de l’économie ; Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer.

MM. Bernard Vera, Jean-Jacques Pignard, Mmes Renée Nicoux, Anne-Marie Escoffier, MM. Dominique de Legge, Alain Houpert, Mme Bernadette Bourzai, M. Yves Daudigny.

Clôture de la discussion générale.

Demande de renvoi à la commission

Motion no 1 de la commission. – MM. le rapporteur, Jean-Pierre Bel, Mme la ministre. – Adoption, par scrutin public, de la motion tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi.

9. Développement des langues et cultures régionales. – Discussion d'une proposition de loi

Discussion générale : M. Robert Navarro, auteur de la proposition de loi ; Mme Colette Mélot, rapporteur de la commission de la culture ; Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.

M. le président.

Mmes Catherine Morin-Desailly, Maryvonne Blondin, MM. Jean-Pierre Plancade, Gérard Le Cam, Jacques Legendre.

Renvoi de la suite de la discussion.

10. Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité

11. Communication du Conseil constitutionnel

12. Interdiction de l'exploration et de l'exploitation des mines d'hydrocarbures par fracturation hydraulique. – Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixte paritaire

Discussion générale : M. Michel Houel, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire ; Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement.

MM. Claude Biwer, Michel Teston, Aymeri de Montesquiou, Michel Billout, Marcel-Pierre Cléach, Alain Fauconnier, Mme Marie-Christine Blandin.

Clôture de la discussion générale.

Texte élaboré par la commission mixte paritaire

Vote sur l’ensemble

Mme Nicole Bricq, M. Claude Biwer.

Adoption définitive, par scrutin public, d'une proposition de loi.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani

13. Nomination de membres d'une commission mixte paritaire

14. Réforme de l'hôpital. – Discussion en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale : MM. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé ; Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales.

MM. Jacky Le Menn, Daniel Marsin, Guy Fischer.

Renvoi de la suite de la discussion.

15. Clôture de la session ordinaire de 2010-2011

compte rendu intégral

Présidence de Mme Monique Papon

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Monique Cerisier-ben Guiga,

M. Bernard Saugey.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt d'un rapport

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le président de l’Agence de lutte contre le dopage le rapport annuel d’activité 2010, établi en application de l’article L. 232-5 du code du sport.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Ce document a été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Il est disponible au bureau de la distribution.

3

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire algérienne

Mme la présidente. Mes chers collègues, j’ai le très grand plaisir, au nom du Sénat tout entier, de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d’une délégation du Conseil de la Nation de la République algérienne, conduite par Mme Zohra Drif-Bitat, vice-présidente du Conseil de la Nation. (M. le ministre chargé des relations avec le Parlement, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

Nous sommes particulièrement sensibles à l’intérêt et à la sympathie qu’ils portent à notre institution.

Cette délégation est accompagnée par notre collègue, M. Claude Domeizel, président de notre groupe d’amitié France-Algérie.

Au nom du Sénat de la République, je leur souhaite la bienvenue et je forme des vœux pour que leur séjour en France contribue à renforcer les liens d’amitié entre nos deux pays. (Applaudissements.)

4

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer l'attractivité et à faciliter l'exercice du mandat local
Discussion générale (suite)

Exercice du mandat local

Discussion et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer l'attractivité et à faciliter l'exercice du mandat local
Articles additionnels avant l'article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union pour un mouvement populaire, de la proposition de loi visant à renforcer l’attractivité et à faciliter l’exercice du mandat local, présentée par M. Bernard Saugey et Mme Marie-Hélène Des Esgaulx (proposition n° 449, texte de la commission n° 622, rapport n° 621).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Bernard Saugey, auteur de la proposition de loi.

M. Bernard Saugey, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France compte plus de 500 000 élus locaux qui ont choisi de consacrer tout ou partie de leur temps à la chose publique.

Ces 500 000 maires, conseillers municipaux, généraux ou régionaux sont une chance pour notre pays. Ils sont à la fois les serviteurs d’un modèle démocratique qui associe le plus grand nombre de ses citoyens à la conduite des affaires de la cité et des acteurs essentiels du savoir-vivre à la française.

La grandeur de leur mission résulte de la dimension humaine de celle-ci : les élus locaux exercent de véritables magistères sociaux ; ils constituent le premier recours auquel chaque citoyen peut avoir accès en cas de difficultés.

Cependant, bien que les élus locaux tirent une satisfaction personnelle de leur engagement au service du bien commun, une majorité d’entre eux est en proie au découragement.

La réalité, c’est que la représentation politique locale doit faire face à une crise de l’engagement qui connaît un degré de gravité sans précédent ; de là le risque d’une crise profonde des vocations, si je puis dire.

Beaucoup dénoncent l’impossibilité à laquelle ils sont confrontés d’exercer des responsabilités de plus en plus lourdes et d’accomplir des devoirs qui n’ont cessé de croître depuis quarante ans.

En effet, l’exercice du mandat va bien au-delà des tâches de représentation, d’administration ou de gestion. La société se montre de plus en plus exigeante vis-à-vis de la représentation démocratique locale, dont on attend qu’elle apporte toutes les réponses. Le métier de maire est devenu un sacerdoce, qui exige, aujourd’hui, des sacrifices personnels très importants.

Avec ma collègue et amie Marie-Hélène Des Esgaulx, nous avons souhaité présenter un texte permettant de lutter contre la désaffection qui caractérise aujourd’hui l’exercice du mandat local. La présente proposition de loi ne met pas l’élu au-dessus des lois. Elle lui permet simplement d’exercer son mandat avec toute la sérénité et la disponibilité nécessaires. Il en va de la vitalité de notre démocratie.

L’État doit aider les élus locaux dans l’accomplissement d’une mission devenue plus complexe. Avant de contrôler, les préfectures et l’ensemble des services doivent conseiller et soutenir les responsables des collectivités territoriales.

Il est essentiel que les femmes et les hommes qui s’engagent et qui ont le courage de se présenter devant le suffrage se sentent à l’abri de critiques qu’ils ne méritent pas.

En ce sens, je me réjouis que ce texte, grâce aux apports de la commission, protège plus efficacement les élus locaux en encadrant de manière plus stricte les délits de favoritisme et de prise illégale d’intérêt.

Toutefois, il faut garder à l’esprit, mes chers collègues, que si nous sommes amenés à préciser ces délits, c’est uniquement sous l’effet d’une dérive récente qui conduit parfois le juge à contester l’esprit de la loi, le risque étant que les arbitrages des élus ne se fassent plus seulement en fonction de l’intérêt général, mais au nom de leur propre protection juridique.

Les élus locaux doivent pouvoir bénéficier d’une formation adaptée à leurs besoins. L’accès à la formation est un gage de liberté dans la prise de décision. Face à la multiplication des intérêts catégoriels, seule la connaissance et la maîtrise des réglementations peut guider les élus vers l’intérêt général.

En ce sens, je regrette, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que le système péréquateur de formation que nous avions proposé et qui permettait aux élus des plus petites communes d’avoir accès à des formations ne soit que partiellement repris.

Enfin, je souhaiterais rendre hommage au travail très important accompli par le Sénat, notamment par mon collègue Éric Doligé, pour identifier un certain nombre de normes obsolètes ou inadéquates s’appliquant aux collectivités locales.

Depuis trop longtemps, l’administration multiplie les normes. Celles-ci exaspèrent les élus locaux, très souvent confrontés à des réglementations kafkaïennes qui les obligent, par exemple, à construire des bâtiments laids et inadaptés mais respectant les normes légales, ou qui leur imposent le respect d’une réglementation identique en zone urbaine comme à la campagne.

Le plus inquiétant, et c’est la raison pour laquelle le travail conduit par le Sénat est remarquable, c’est que cette multiplication des normes tend à judiciariser notre société en ouvrant à la plainte un champ d’action illimité. L’accroissement de la responsabilité pénale des élus constitue, à n’en pas douter, une régression pour notre démocratie.

Je remercie tous mes collègues, au premier rang desquels Patrice Gélard, qui ont travaillé sur ce texte et l’ont fait évoluer pour améliorer les conditions d’exercice du mandat local.

Les maires seront sensibles à cette attention, à l’heure où un renouvellement sénatorial se profile et où notre assemblée est plus que jamais reconnue comme l’interlocuteur privilégié des collectivités locales.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte peut être considéré comme une étape supplémentaire dans le processus de réforme des collectivités locales engagé depuis dix ans. Je souhaiterais que l’on en dresse un bilan, ici au Sénat, afin notamment de mettre en exergue ses points forts et surtout ceux, plus faibles, qui appelleront des changements. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer l’initiative de Bernard Saugey et de Marie-Hélène Des Esgaulx. À travers leur proposition de loi, ils mettent le doigt sur un véritable problème, celui de l’attractivité du mandat local.

Comme l’a très bien souligné Bernard Saugey, à l’heure actuelle, les élus locaux manifestent parfois une certaine désespérance – je pense en particulier aux maires qui sortent épuisés d’un, deux, voire trois mandats et qui jettent l’éponge, car la fonction devient trop lourde, les responsabilités trop pesantes et les exigences de nos concitoyens trop fortes. C'est la raison pour laquelle cette proposition de loi arrive au bon moment.

Nous sommes cependant confrontés à trois grandes difficultés.

La première est liée à l’éternel problème du statut de l’élu, qui figure bel et bien dans un chapitre du code général des collectivités territoriales, même si on le connaît mal. Il existe toute une série de dispositions, notamment celles qui sont relatives à la disponibilité ou à la retraite ; certes, elles sont parfois incomplètes, mais elles établissent en réalité un véritable statut de l’élu.

À ce problème s’ajoute la tradition française du bénévolat des fonctions locales : l’élu local est censé agir gratuitement, sans toucher un salaire. Peu à peu, on a vu toutefois apparaître une rémunération des membres des exécutifs, quelquefois élargie à d’autres élus, ce qui a conduit à créer une sorte de statut salarié, peut-être contradictoire avec la notion d’élu local. Sans doute devrions-nous réfléchir à ce problème.

Par ailleurs, je regrette que ni les auteurs de cette proposition de loi ni la commission n’aient abordé la question de l’accès des femmes aux responsabilités locales qui, semble-t-il, n’est pas encouragé par le système actuel. Nous pourrions saisir la délégation aux droits des femmes sur ce point.

La deuxième difficulté tient à la prochaine discussion du projet de loi n° 61 relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, qui comprend, notamment, toute une série de dispositions relatives au statut de l’élu local. Or nous ne pouvons pas intégrer dans la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui des dispositions qui feront l’objet d’un débat ultérieur, car nous risquerions d’empiéter sur le champ d’application du projet de loi n° 61 et de nous trouver ainsi en contradiction avec son contenu.

Par conséquent, nous proposerons que l’ensemble de ces dispositions soient renvoyées à l’examen du projet de loi relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, dit « projet n° 61 ».

Le deuxième obstacle, pour certains difficile à franchir, vient de ce que toute réforme du statut met en jeu des éléments financiers. Or, monsieur Collombat, qui dit éléments financiers, dit application de l’article 40 de la Constitution ! (M. Pierre-Yves Collombat et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclament.)

C'est la raison pour laquelle une trentaine des amendements déposés ont été jugés irrecevables au titre de l’article 40. Cela n’empêchera pas toutefois que nous les évoquions au cours du débat.

J’en viens au contenu de la proposition de loi et à la façon dont la commission a travaillé.

Tout d’abord, nous n’avons pas voulu anticiper sur les prochains débats que nous aurons à l’occasion de l’examen du projet de loi n° 61. Pour cette raison, mes chers collègues, nous vous proposons le retrait de l’article 1er de la proposition de loi, relatif au seuil nécessaire pour bénéficier du congé électoral, car il n’est pas applicable tant que les modalités du scrutin proportionnel aux élections communales n’auront pas été fixées.

Nous avons ensuite cherché à éviter les dispositions superflues, relevant du caractère réglementaire ou n’apportant pas grand-chose à la législation actuelle.

Ainsi, nous avons proposé la suppression de l’article 2 du texte, qui prévoyait la publication annuelle d’un nouveau rapport du Conseil d’État, relatif à l’application du droit par les collectivités territoriales. De fait, le Conseil d’État a déjà publié de nombreuses études sur cette question. Surtout, nous estimons que c’est au Sénat, gardien et protecteur des libertés locales, qu’il appartient d’établir un tel rapport.

De même, nous avons proposé la suppression de l’article 3, relatif à la réception, par le préfet, de l’ensemble des nouveaux élus afin de leur délivrer les informations nécessaires à l'exercice de leurs attributions. En effet, une telle disposition relève du domaine réglementaire. Par ailleurs, la pratique est d’ores et déjà assez courante, les préfets ayant imaginé différentes formules pour informer les nouveaux élus.

Nous avons également supprimé les deuxième et troisième alinéas de l’article 8 : anticipant sur la mise en place des conseillers territoriaux, ils relevaient, selon nous, du projet de loi n° 61.

Nous avons ensuite écarté les dispositions sans lien direct avec le but visé par les auteurs. Ainsi, nous avons supprimé l’article 11, relatif aux incompatibilités, car celles-ci sont dépourvues de lien direct avec l’attractivité de la fonction d’élu local.

En revanche, nous avons retenu, prolongé et amélioré toute une série de dispositions de la proposition de loi, concernant l’entrée dans la fonction d’élu local, l’exécution du mandat et la sortie du mandat.

En ce qui concerne l’entrée dans la fonction d’élu local, nous avons élargi l’information aux employeurs prévue par l’article 4, car celle-ci se limitait à un seul aspect des droits du nouvel élu. Nous étant par ailleurs aperçus qu’un certain nombre d’élus locaux ne souhaitaient pas que leur employeur soit informé de leur élection, car ils craignent que cela n’entraîne des conséquences sur leur vie professionnelle, nous avons ajouté que l’information de l’employeur se faisait avec l’accord de l’élu local intéressé.

S’agissant ensuite de l’exécution du mandat, nous avons repris, réécrit, voire prolongé de nombreuses dispositions.

Concernant tout d’abord la formation des élus, à laquelle Mme Des Esgaulx est particulièrement attachée, et que trop de collectivités locales n’ont pas suffisamment pris en compte, nous avons proposé un mécanisme – nous verrons à l’usage s’il est performant – grâce auquel les dépenses de formation non engagées seront reportées automatiquement l’année suivante, jusqu’à la fin du mandat, de manière à ce que les différentes sommes mises annuellement à la disposition des élus puissent être cumulées en vue d’une opération de formation plus importante. Nous avons également rappelé que toute municipalité devait rendre compte de ses actions de formation.

Toujours à propos de la formation, nous avons repris de la proposition de loi l’établissement d’un plancher en lieu et place du plafond actuellement existant.

Nous avons également progressé, à l’article 7 bis, en ce qui concerne le calcul du montant total des indemnités maximales susceptibles d’être allouées au maire et aux adjoints : sera désormais pris en compte non plus le nombre réel des adjoints, mais leur nombre théorique.

Autre amélioration : à l’article 7 ter, nous avons harmonisé le statut des délégués communautaires, en alignant le statut des délégués des communautés de communes sur celui des délégués des communautés d’agglomération.

Surtout, nous avons avancé s'agissant du délit de favoritisme – je vous renvoie sur ce point aux propos de M. Saugey –, et avons repris un amendement de M. Collombat sur la prise illégale d’intérêt, non pour sanctionner les élus locaux, mais pour mieux les protéger face à un certain nombre de dérives jurisprudentielles récentes ; je rappelle que nous avions précédemment adopté un amendement similaire, dans le cadre de l’examen de la proposition de loi visant à clarifier le champ des poursuites de la prise illégale d'intérêt, déposée sur l’initiative de Bernard Saugey.

Enfin, s’agissant de la sortie du mandat, nous avons procédé à un certain nombre d’aménagements : en particulier, nous avons élargi le périmètre des bénéficiaires de l’allocation de fin de mandat ; à l’article 9, nous avons proposé, par coordination, de relever le seuil démographique applicable aux adjoints de 3 500 à 10 000 habitants. Enfin, nous avons mis en place toute une série d’éléments de réinsertion professionnelle permettant la validation des acquis, que la législation actuelle ne prenait pas en compte.

Dorénavant, un élu local pourra faire valider une longue expérience acquise, par exemple, dans l’aménagement du territoire ou la délivrance des permis de construire, et devenir ainsi titulaire d’un diplôme tel que le DUT, le diplôme universitaire de technologie, le BTS ou leurs équivalents, ce qui n’est pratiquement pas possible à l’heure actuelle.

J’ai également, à titre personnel, déposé un amendement ayant pour objet de permettre aux élus locaux d’être recrutés en tant que vacataires dans l’enseignement supérieur, ce qui, aujourd'hui, n’est pas possible s’ils n’exercent pas d’activité professionnelle ou s’ils ne sont pas chefs d’entreprise.

Enfin, je tiens à rendre hommage à Mme Gourault, qui a déposé en commission un amendement particulièrement pertinent afin que les maires des communes de moins de 1 000 habitants puissent bénéficier automatiquement d’une indemnité de fonction fixée au taux maximal prévu par le barème, ce qui n’était pas le cas auparavant, alors même que certains maires, par pudeur, refusaient en outre de toucher l’indemnité de maire. Dorénavant, le montant de l’indemnité de fonction versée aux maires ne donnera plus lieu à discussion. En revanche, rien n’interdira à ces derniers de refuser après coup cette indemnité et de la reverser à d’autres conseillers municipaux ou à leurs adjoints.

Je terminerai mon intervention par deux petites remarques. La première concerne l’honorariat. Ce dernier, à l’heure actuelle, est décerné aux maires, aux adjoints au maire ou aux conseillers municipaux après trois mandats, soit dix-huit ans. Une durée aussi longue n’est peut-être plus appropriée aujourd’hui. Nous vous proposons donc, mes chers collègues, de la réduire à douze ans, c’est-à-dire ce qui correspond à deux mandats.

Ma seconde remarque finale concerne les délais d’attribution de la médaille d’honneur, qui est, pour les élus, comme une médaille du travail, avec différents échelons : argent, vermeil et or. Monsieur le ministre, je vous propose de réduire ces délais, qui sont aujourd'hui trop longs.

Pour l’ensemble de ces raisons, que j’ai essayé de vous présenter brièvement, je vous demanderai, mes chers collègues, de bien vouloir approuver la proposition de loi de M. Saugey et de Mme Des Esgaulx, telle que l’a adoptée la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Ollier, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur Saugey, madame Marie-Hélène Des Esgaulx, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demande, tout d’abord, de bien vouloir excuser le ministre chargé des collectivités territoriales, Philippe Richert, qui accompagne aujourd’hui même le Président de la République dans le Lot-et-Garonne, à l’occasion d’un déplacement placé justement sous le signe des élus locaux.

Il m’appartient donc de représenter aujourd'hui le Gouvernement. Je m’en réjouis, d’abord comme ministre – j’y reviendrai –, mais aussi comme élu local. En effet, au travers des différents mandats que m’ont confiés mes concitoyens – adjoint au maire, maire, conseiller général –, j’ai, comme la plupart d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, fait l’expérience exigeante et si enrichissante de la démocratie locale.

J’en profite pour assurer le Sénat, « maison mère » des collectivités territoriales, du respect que je nourris, ainsi que les autres membres du Gouvernement, pour ces fantassins de la démocratie que sont les quelque 500 000 élus locaux de notre pays.

Malgré leur engagement de tous les jours, parfois au détriment de leur vie familiale ou professionnelle, ces héros de la République peuvent parfois se sentir fatigués ou découragés, lorsque la charge se fait trop pesante ou trop complexe.

Voilà pourquoi la question du statut de l’élu local est si importante : elle se trouve au cœur de notre modèle démocratique.

La France s’honore d’avoir mis progressivement en œuvre une série de mesures favorisant et facilitant cet engagement citoyen si singulier qu’est celui d’un élu de la République.

La loi de 1992 relative aux conditions d’exercice des mandats locaux comme celle de 2002 relative à la démocratie de proximité ont constitué à cet égard des étapes déterminantes ayant permis d’améliorer sensiblement la situation des élus locaux.

Congé spécial, crédits d’heures, formation – chère à Mme Des Esgaulx –, allocation différentielle de fin de mandat, retraite... : autant de dispositifs qui accompagnent désormais les élus avant, pendant et après l’exercice de leur mandat.

Toutefois, pour l’avoir vécu, tous les élus le savent : il existe encore des freins à l’engagement électoral, surtout dans nos petites communes.

Monsieur Saugey, madame Des Esgaulx, en levant certains de ces obstacles, votre proposition de loi apporte des réponses concrètes, des solutions ciblées, issues de vos expériences respectives du terrain.

Votre initiative est donc la bienvenue, et je la salue. Je dirais même qu’elle vient à point nommé, car elle rejoint une préoccupation exprimée de longue date par le Gouvernement, comme par la majorité sénatoriale.

La réforme territoriale s’est fixé comme objectif de renforcer notre démocratie locale par une meilleure organisation des structures et par la clarification des compétences.

Néanmoins, elle ne saurait faire l’impasse sur celles et ceux qui font vivre au quotidien la « République décentralisée » – pour reprendre l’expression de la Constitution – qui scelle notre attachement indéfectible aux libertés locales.

C’est pourquoi le Gouvernement a voulu donner aux femmes et aux hommes qui s’engagent au service de nos collectivités territoriales les moyens de le faire dans les meilleures conditions.

C’est d'ailleurs tout le sens du projet de loi relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, dit « projet 61 », que vous connaissez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, puisqu’il a été déposé sur le bureau de la Haute assemblée.

Ce texte a vocation à compléter l’édifice que nous avons bâti ensemble depuis 2009.

Les dispositions du titre III du projet de loi n° 61 ont précisément pour objet de faciliter, de valoriser et d’encourager l’exercice des fonctions électives, en particulier dans les petites communes. Sur le fond, je veux le souligner, les vues du Gouvernement et de la majorité concordent totalement, et j’espère que cet accord pourra s’étendre à toutes les travées de cette assemblée, s’agissant d’un sujet qui touche à la vitalité démocratique de la République.

M. Patrick Ollier, ministre. Il n’y a pas que les sous qui comptent, monsieur le sénateur !

M. Pierre-Yves Collombat. Mais ça peut aider !

M. Patrick Ollier, ministre. Il y a aussi des élus qui ne sont pas uniquement intéressés par l’argent, monsieur le sénateur !

M. Pierre-Yves Collombat. Évidemment, certains ne font pas de voyages à l’étranger, ils restent chez eux !

M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement est prêt à saisir sans attendre l’occasion, la « fenêtre de tir » parlementaire que lui offre le groupe UMP en inscrivant cette proposition de loi à son ordre du jour réservé, pour faire avancer dès aujourd’hui le statut de l’élu. Nous compléterons le cas échéant ces dispositions à l’occasion de l’examen par le Sénat du projet de loi n° 61 ; nous en reparlerons.

Ces points de convergence nous permettent d’ores et déjà, de manière pragmatique et résolue, de réaliser une avancée concernant le statut de l’élu.

Je voudrais tout d’abord souligner ici l’excellence du travail réalisé par M. le rapporteur, le doyen Patrice Gélard.

M. Patrick Ollier, ministre. Sur la base du texte de la proposition de loi déposée par Bernard Saugey et Marie-Hélène Des Esgaulx, il a entrepris de rapprocher les points de vue pour rendre possible l’adoption d’un texte, dans le temps imparti à cette séance réservée à l’initiative parlementaire. Pour le Gouvernement, le texte adopté par la commission va clairement dans le bon sens, monsieur le rapporteur.

Il en va ainsi de l’obligation faite aux collectivités d’informer, avec l’accord des élus concernés, les employeurs sur l’ensemble des garanties et droits offerts aux élus salariés. Cette disposition fait l’objet de l’article 4. Il en va de même dans le domaine de la formation des élus : dans l’esprit de ce que propose le projet de loi n° 61, l’effectivité du droit à la formation est renforcée.

L’article 5 met en place un plancher de dépenses de formation, fixé à 1 % pour toutes les collectivités, et accorde la possibilité d’un report des crédits d’une année sur l’autre, dans la limite de la durée du mandat.

Le régime indemnitaire des élus locaux est complété par des dispositions issues du projet de loi n° 61 qui donnent un peu de souplesse, dans le respect des contraintes budgétaires : il s’agit des articles 7 bis nouveau, 7 ter et 9 bis nouveau, ce dernier résultant d’un amendement déposé par Mme Gourault.

S’agissant des dispositifs d’accompagnement et de sortie de mandat, la proposition de loi, dans ses articles 8 et 9, étend le champ des bénéficiaires du droit à la suspension du contrat de travail ainsi que de l’allocation différentielle de fin de mandat : tous les maires et tous les adjoints aux maires des communes de plus de 10 000 habitants auront accès à ces dispositifs, alors que le seuil est actuellement fixé à 20 000 habitants. Il s’agit là d’une véritable avancée à laquelle le Gouvernement souscrit entièrement ; elle améliore potentiellement la situation de près de 5 000 adjoints aux maires supplémentaires.

Avec le même objectif de faciliter le retour à l’emploi après le mandat, votre commission a adopté un amendement tout à fait judicieux du rapporteur visant à prendre en compte les fonctions d’élus dans les dispositifs de validation des acquis de l’expérience. Cet amendement est donc devenu l’article 8 bis nouveau.

Enfin, l’article 10 de la proposition de loi, reprenant en cela une disposition du projet de loi n° 61, abaisse de dix-huit ans à douze ans, soit deux mandats au lieu de trois, la durée nécessaire pour obtenir l’honorariat. Il s’agit là d’une reconnaissance attendue et légitime de la nation envers ses élus locaux.

Je souhaiterais maintenant évoquer les articles 7 et 7 A du texte de la commission, relatifs au statut pénal des élus.

L’article 7 A tend à modifier la définition du délit de prise illégale d’intérêt. Le Gouvernement sait que la définition de cette infraction, qui peut sembler appréhender des situations bien différentes, fait l’objet de la préoccupation des élus. Cependant, la modification proposée constitue-t-elle la solution ?

Le Gouvernement appelle l’attention sur ce point qui suscite toujours des réactions circonspectes de la part de nos concitoyens. En effet, l’existence de cette infraction a une vertu préventive et est aussi un moyen de protéger l’élu. Modifier la définition de l’infraction risque de provoquer des interrogations et, surtout, d’ouvrir une nouvelle période d’incertitude jurisprudentielle, alors que la définition existant actuellement est bien établie et connue des élus et de leurs collaborateurs.

Enfin, dans le cadre du respect de nos obligations internationales relatives au respect de la probité dans la vie publique, une modification de l’incrimination de prise illégale d’intérêt ne manquerait pas de susciter des interrogations de la part des autres États signataires. Nous devons également nous poser cette question !

S’agissant du favoritisme, envisagé à l’article 7, le Gouvernement ne peut contester que la création d’un dol spécial, caractérisant le fait que l’élu n’a pas respecté les règles relatives aux marchés publics dans le but de favoriser l’un des candidats, apporterait une plus grande sécurité juridique aux élus dans cette matière complexe. En outre, la proposition d’aggraver les sanctions pénales dans ce cas montre que le législateur entend maintenir une grande fermeté à l’égard des comportements les plus blâmables. Mais cette réflexion avait été conçue à l’origine comme un élément d’une réforme plus globale du régime de responsabilité des élus.

Le Gouvernement n’est donc pas favorable à ces dispositions introduites par la commission des lois. Je sais que, lors de l’examen d’autres textes, le Sénat a déjà eu l’occasion d’en débattre et de s’y déclarer favorable. Le Gouvernement en prend acte, mais cette question devra être approfondie et débattue dans la suite de la procédure parlementaire…

M. Patrice Gélard, rapporteur. Attendons la navette !

M. Patrick Ollier, ministre. Bien entendu, monsieur le rapporteur ! Il faut poursuivre le dialogue afin de faire évoluer de manière consensuelle et pragmatique cette proposition de loi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, le Gouvernement accueille favorablement les principales dispositions de la proposition de loi adoptée par votre commission des lois. En effet, ce texte nous offre l’occasion de témoigner dès aujourd’hui notre attachement aux élus de la République ; il permet des avancées réelles concernant le statut de l’élu ; il est, enfin, pleinement cohérent avec les positions défendues par le Gouvernement dans le cadre de la réforme territoriale. Voilà autant de raisons qui militent en faveur de l’adoption de cette proposition de loi, comme vous y invite la commission des lois ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de l’Union centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie nos collègues Bernard Saugey et Marie-Hélène des Esgaulx d’avoir déposé cette proposition de loi dont l’ambition, partagée me semble-t-il sur l’ensemble de nos travées, est de renforcer le cadre juridique et financier applicable à l’exercice des fonctions d’élu local.

Je tiens d’ailleurs à rendre ici hommage aux 500 000 élus qui, sur l’ensemble de notre territoire, exercent au quotidien leurs fonctions dans des conditions souvent difficiles, mais toujours en gardant à l’esprit la défense de l’intérêt général, a fortiori quand il s’agit d’élus bénévoles qui se battent pour faire vivre nos territoires ruraux ou les zones urbaines défavorisées.

Je regrette que cette proposition de loi, pour intéressante qu’elle soit, ne nous soit soumise qu’en fin de session, nichée parmi les textes que notre ordre du jour particulièrement chargé – pour ne pas dire surchargé – nous impose d’examiner avant la fin de nos travaux. Elle méritait sans doute plus de lumière.

Surtout, cette proposition de loi ne répond que très partiellement aux besoins des élus qui nécessiteraient la mise en œuvre d’un véritable statut de l’élu local. Faut-il rappeler que la réforme territoriale était supposée apporter une réponse globale, notamment avec le projet de loi n° 61 ? Nous risquons, en réalité, d’attendre longtemps la discussion de ce texte !

Il est finalement très regrettable de créer au forceps le conseiller territorial – nous en examinerons, la semaine prochaine, le dernier avatar – pour, paraît-il, diminuer le coût des élus, alors que, dans le même temps, les élus des plus petites collectivités se débattent dans des conditions financières difficiles pour faire vivre les services publics. Tout cela ne présage pas un avenir radieux pour nos territoires !

Pour en venir au cœur de la présente proposition de loi, il est certain que le principe de gratuité des fonctions électives municipales, affirmé à l’article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales, s’inscrit, à l’évidence, en contradiction avec l’engagement inhérent à ces mandats et le temps qui leur est consacré. M. le rapporteur l’a rappelé, le statut de l’élu résulte d’une lente, trop lente construction qui se résume, finalement, à une succession d’aménagements de ce principe.

Le Sénat, comme il est normal, est impliqué depuis longtemps dans cette réflexion. Je rappellerai, par exemple, le rapport du groupe de travail constitué en 1978 autour de notre ancien collègue Roger Boileau, qui soulignait déjà la difficulté de concilier la vie élective, la vie professionnelle et la vie personnelle.

En 1982, le rapport Debarge, du nom d’un autre de nos anciens collègues, avait mis l’accent sur la formation de tous les élus, la revalorisation substantielle des indemnités, le droit à une retraite décente, l’assouplissement du régime des autorisations d’absence, les crédits d’heures et la réinsertion sociale de l’élu en fin de mandat. La loi du 3 février 1992, qui constitue aujourd’hui, avec la loi du 27 février 2002, l’essentiel du statut de l’élu local, s’est très largement inspirée des conclusions de ce rapport.

Force est de constater que les besoins des élus sont aujourd’hui importants, particulièrement en matière de droit à la formation, au vu du rythme d’évolution des normes imposées aux collectivités. Sur ce point, la lecture du rapport de notre collègue Éric Doligé sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales est aussi instructive qu’édifiante. Nous ne pouvons pas continuer à produire autant de normes, a fortiori de façon aussi évolutive et rapide, et exiger des petites communes qu’elles appliquent avec célérité le droit de la République. D’ailleurs, il est certain que la réforme territoriale n’apportera aucune amélioration sur ce point – du moins, je ne le crois pas.

C’est finalement pour les élus de ces petites collectivités que l’écart entre les besoins et les moyens est le plus grand, et donc le plus préjudiciable à l’intérêt public local. Combien d’élus de petites communes préfèrent ne pas percevoir leurs indemnités plutôt que de grever le budget municipal ? Combien choisissent de ne pas se faire rembourser les frais exposés sur leurs deniers personnels ? Combien sont contraints de renoncer à leurs autorisations d’absence pour ne pas porter préjudice à leur carrière professionnelle ? À l’évidence, beaucoup trop ! Cette situation explique également que nombre d’entre eux n’exercent qu’un seul mandat avant d’y renoncer, découragés par des conditions d’exercice qu’ils jugent trop lourdes et trop contraignantes.

Je me réjouis néanmoins que la présente proposition de loi tende à rapprocher la condition matérielle des élus des communes de moins de 3 500 habitants de celle des élus des autres communes, particulièrement en ce qui concerne les droits sociaux des élus dans le cadre de leur activité professionnelle. Tout comme mes collègues du groupe du RDSE, je souscris aux modifications adoptées par la commission des lois, notamment celles qui sont relatives au plancher des crédits de formation et au régime indemnitaire des élus des communes de moins de 1 000 habitants et des délégués communautaires.

Pour ce qui concerne la complexification de l’environnement juridique des collectivités locales, je soutiendrai bien évidemment les dispositions relatives à la clarification des délits de prise illégale d’intérêt et de favoritisme, introduites par M. le rapporteur et par notre collègue Pierre-Yves Collombat. Sur l’initiative de mon groupe, plus exactement sur celle de notre collègue Anne-Marie Escoffier, le Sénat avait déjà repris, dans la proposition de loi de simplification du droit, la formulation de la proposition de loi de notre collègue Bernard Saugey visant à réformer le champ des poursuites de la prise illégale d’intérêt des élus locaux, voté ici même à l’unanimité le 24 juin 2010. Nous espérons, monsieur le ministre, que l’Assemblée nationale comprendra enfin le message que nous lui adressons une nouvelle fois aujourd’hui.

Mes chers collègues, nous sommes tous conscients du fait que les milliers d’élus locaux, la plupart bénévoles, sont des acteurs incontournables de la vie sociale de notre pays. Cette proposition de loi se veut modeste dans son objet, mais apportera, à n’en pas douter, de nouveaux droits à ces élus : il s’agit donc d’une avancée. L’ensemble du groupe du RDSE la votera donc, tout en attendant avec impatience la grande réforme du statut de l’élu local qui doit accompagner toute réforme des collectivités territoriales et qui, plus que jamais, s’avère nécessaire ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et de l’Union centriste. – M. Bernard Saugey applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la création d’un véritable statut de l’élu local joue jusqu’à ce jour l’arlésienne. Il est tout à fait regrettable que la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui ne fasse pas avancer le débat, à l’heure où la réforme des collectivités territoriales condamne ce statut.

Cet impératif ne peut se contenter d’une simple loi d’affichage et d’opportunité, discutée dans la perspective de la campagne précédant les élections sénatoriales.

Le statut de l’élu, envisagé dès les premières lois de décentralisation comme un pilier indispensable de sa mise en œuvre, s’affirme avant tout comme une exigence démocratique.

Tout citoyen doit pouvoir être candidat à une élection politique. Or, force est de constater que, encore aujourd’hui, les assemblées élues ne sont pas le reflet de notre société.

Si la loi reconnaît un certain nombre de droits aux élus locaux, l’ensemble de ces droits ne suffit pas à sécuriser les élus déjà en poste ou à renforcer l’attractivité du mandat local.

Pour permettre de réelles avancées, l’évolution du statut de l’élu doit concerner l’ensemble des élus locaux et non pas les seuls membres des exécutifs. À l’encontre de toute professionnalisation de la vie politique, il s’agit à notre sens de donner au plus grand nombre de nos concitoyens les moyens d’exercer un mandat d’élu sans préjudice pour leur vie personnelle ou professionnelle.

Dans cette optique, les sénateurs communistes ont déposé dès 1989 une proposition de loi sur les fonctions électives. Depuis, nous n’avons cessé de tenter d’améliorer les dispositifs, afin de les rendre toujours plus conformes aux attentes des élus et de nos concitoyens.

Nos propositions allaient beaucoup plus loin que la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui. Ce n’est pas en donnant une médaille aux élus ou en les faisant bénéficier plus tôt de l’honorariat que nous renforcerons l’attractivité des mandats locaux !

Une sécurité matérielle et professionnelle, une formation et une clarification du statut juridique et des responsabilités de l’élu local sont des conditions indispensables à la constitution d’un tissu électif diversifié et actif.

Pour notre part, nous estimons que le statut de l’élu se doit de favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives. En effet, nous savons tous ici que, si les femmes sont éligibles, elles sont peu nombreuses à être élues et, en tout cas, se retrouvent rarement à la tête des exécutifs.

Les diverses mesures législatives censées favoriser l’accès des femmes aux mandats locaux sont cantonnées à celles qui favorisent la parité. Ce sont là des mesures quantitatives bien insuffisantes, insignifiantes, voire méprisantes. Le mode de scrutin choisi pour l’élection des conseillers territoriaux dans le cadre de la réforme des collectivités territoriales est le témoignage récent de ce mépris qui perdure.

Le scrutin uninominal à deux tours, en plus de saborder l’objectif constitutionnel de parité, s’inscrit à contre-courant de la dynamique de représentation des femmes en politique. L’exclusion des femmes sera indubitablement la conséquence directe de votre réforme, en tant qu’elle remet aussi en cause le principe de parité dans les exécutifs régionaux.

Nous souhaitons pour notre part que le mode de scrutin proportionnel soit étendu à l’ensemble des élections locales, car ce mode de scrutin demeure le seul qui garantisse pleinement la représentation du peuple et la présence à parité des hommes et des femmes dans les assemblées locales.

Par ailleurs, les fonctionnaires sont objectivement davantage représentés que les salariés dans les fonctions électives locales. Cette situation s’explique particulièrement par le fait que, en dépit des garanties légales, le rapport joue en défaveur du salarié, rarement en situation de négocier ses disponibilités et sur lequel plane la menace de la perte d’emploi.

Il faudrait donc envisager que les pertes de salaires liées aux absences soient intégralement compensées à l’aide de la mise en place d’un fonds de péréquation pour les entreprises qui seraient les plus pénalisées, à l’instar de ce que prévoyaient nos propositions.

Il faudrait en outre envisager que les frais engagés, notamment ceux qui sont liés aux gardes d’enfants – cela intéresse surtout les jeunes élus – soient remboursés, à l’instar de ce que prévoyaient également nos propositions.

Il s’avère tout aussi nécessaire que les compétences acquises par les élus locaux soient reconnues de façon effective afin de favoriser leur retour à l’emploi.

Voilà autant de mesures indispensables au renforcement de l’attractivité du mandat local mais qui ne figurent pas, hélas ! dans la proposition de loi qui nous est soumise. Compte tenu de ces faiblesses, notre groupe s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Gisèle Printz applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.

Mme Jacqueline Gourault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Bernard Saugey et Marie-Hélène Des Esgaulx de leur proposition de loi visant à renforcer l’attractivité et à faciliter l’exercice du mandat local.

Sous l’autorité du président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, et du rapporteur, Patrice Gélard, nous avons bien travaillé. Au-delà de l’approbation, de la modification ou de l’ajout d’un certain nombre d’articles qui nous paraissaient nécessaires à l’application rapide du texte, l’examen en commission a également montré qu’il faudrait un jour s’atteler à un travail complet, c'est-à-dire reprendre l’ensemble des articles du code général des collectivités territoriales et les rassembler en un ensemble clair, structuré et cohérent.

Comme l’a dit tout à l’heure M. le rapporteur, un statut de l’élu existe, mais nous aurions besoin d’une vision plus rassemblée, d’une codification spécifique afin d’y voir plus clair. Il me paraît nécessaire de pouvoir, à l’avenir, nous référer à un code précis.

La commission a supprimé plusieurs articles, dont l’article 1er, pour tenir compte de l’arrivée de nouveaux élus. Nous allons ainsi examiner bientôt – nous le supposons tout au moins – le projet de loi fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région, la loi précédemment votée ayant été invalidée par le Conseil constitutionnel pour ne pas avoir été présentée en première lecture au Sénat. Ce n’est pourtant pas faute de vous avoir prévenus à cet égard !

Les conseillers territoriaux vont donc revenir sur le tapis, monsieur le ministre ! (Sourires.) Il va nous falloir réexaminer ce texte, et j’ai constaté que nous avions trouvé une petite fenêtre dans l’ordre du jour très chargé du Sénat, comme quoi c’est toujours possible…

La commission a donc supprimé l’article 1er, disais-je, pour tenir compte de l’arrivée de nouveaux élus, notamment des conseillers territoriaux.

Comme l’a indiqué le doyen Gélard, des amendements ont été rejetés en vertu de l’article 40 de la Constitution. Nous avons également veillé à ne pas empiéter sur le fameux projet de loi n° 61,…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’arlésienne !

Mme Jacqueline Gourault. … qui nous donnera l’occasion de revenir sur la manière d’élire les conseillers communautaires mais aussi, je l’espère, d’apporter quelques précisions sur la loi de réforme des collectivités territoriales.

Le doyen Gélard a rappelé les décisions que nous avions intégrées. Il a eu la gentillesse d’évoquer l’amendement que j’ai défendu, accepté par la commission des lois, sur lequel je voudrais revenir quelques instants.

Comme vous le savez, la France compte de nombreuses communes de moins de 1 000 habitants, dans lesquelles les élus, en particulier les maires, ne disposent pas d’un entourage administratif très important et sont donc extrêmement occupés.

J’ai pu constater dans mon département – et ailleurs, bien entendu – qu’un certain nombre d’élus n’osaient pas demander à percevoir l’indemnité qui leur revenait, les maires précédents ne l’ayant pas fait, et que cela constituait un handicap pour renouveler le personnel des petites communes.

Les jeunes actifs, en particulier, qui doivent trouver du temps, parfois sur leur travail, sont gênés dans l’exercice de la fonction de maire. Les maires des communes de moins de 1 000 habitants ne sauraient être uniquement des retraités ou des personnes disposant de moyens financiers suffisants.

En tout état de cause, l’État verse une dotation particulière relative à l’exercice des mandats locaux aux communes de moins de 1 000 habitants. Certes, toutes les communes ne sont pas concernées, puisque cette dotation est liée notamment au potentiel fiscal. Toutefois, en 2010, 23 353 communes en ont bénéficié, soit 87,64 % des communes de moins de 1 000 habitants.

Cette dotation, mise en place par la loi du 3 février 1992, relative aux conditions d’exercice des mandats locaux, est versée par l’État aux petites communes rurales pour les aider à payer les indemnités des maires. Il est donc tout à fait légitime de prévoir, pour les communes de moins de 1 000 habitants, l’automaticité de la fixation du montant de l’indemnité, afin d’éviter le passage par une délibération du conseil municipal, qui pose parfois des problèmes dans les petites communes. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le statut de l’élu local n’existe pas, et pourtant nous l’avons tous rencontré, en tout cas ses effets réels dans l’essentiel des domaines de préoccupation des élus locaux.

Ces préoccupations sont, globalement, de trois ordres.

Tout d’abord, les élus locaux doivent disposer de la disponibilité nécessaire à leur action et à l’autonomie de leurs décisions. Cela suppose des indemnités et une disponibilité temporelle suffisante.

Ensuite, ils doivent bénéficier d’une sécurité juridique et matérielle minimale. Les élus étant responsables de tout et risquant donc un jour d’être coupables de quelque chose, le minimum serait qu’ils ne se voient pas opposer des motifs d’incrimination vagues et qu’il soit tenu compte de la spécificité de leur situation.

Leur mandat étant temporaire, la moindre des choses serait qu’ils disposent de sécurité en matière sociale en cours d’exercice et lors de la cessation de celui-ci, qu’il s’agisse d’un départ à la retraite ou d’une reprise d’activité.

Enfin, corollaire de l’assurance d’exercer leur mandat dans de bonnes conditions, les élus sont tenus à l’obligation de consacrer le temps nécessaire à l’exercice de leur mandat – c’est le problème du cumul –, à une obligation de formation, de transparence et de démocratie envers les citoyens mais aussi envers l’opposition.

Dans ces trois domaines, la proposition de loi de nos collègues Bernard Saugey et Marie-Hélène Des Esgaulx apporte sa pierre à l’édifice en construction, pierre retaillée par la commission des lois et son rapporteur. Notre groupe y apportera sa contribution avec les amendements que nous examinerons dans quelques instants.

Je parle évidemment des amendements qui viendront en discussion et non de ceux que le « Saint-Office financier » a passés à la trappe de l’article 40 ! Ils ont disparu, se sont volatilisés, ce qui dispensera le Gouvernement et sa majorité, à la veille d’un cycle électoral décisif, de donner un contenu sonnant et trébuchant à leurs intentions qui, par définition, ne peuvent être que bonnes ! On discutera donc seulement de ce qui ne coûte rien ou si peu que, précisément, on pourra en parler.

Les marchés et les générations futures seront contents. Quant aux élus locaux, ils le seront probablement moins, mais ils ont appris à être patients et, grâce à cette loi, ils obtiendront plus facilement une médaille, avec les louanges qui vont avec !

Nous ne parlerons donc pas de l’amendement déposé sur l’initiative de notre collègue Jean-Marc Todeschini, qui tend à fixer au maximum légal l’indemnité allouée aux maires des communes de moins de 3 500 habitants. Nous devrons nous limiter aux communes de moins 1 000 habitants, grâce à l’amendement de Jacqueline Gourault, repris par la commission, et qui a échappé par miracle à l’article 40.

Mme Jacqueline Gourault. Ce n’est pas la peine de le faire remarquer ! (Sourires.)

M. Pierre-Yves Collombat. Nous ne parlerons pas non plus de la revalorisation des indemnités des maires des communes de moins de 3 500 habitants, proposée dans l’un de nos amendements. Comme M. le ministre l’a rappelé, un mandat est d’autant plus beau qu’il ne coûte pas cher.

Nous n’évoquerons pas non plus la création d’un fonds de péréquation des dépenses de formation, qui aurait pourtant permis de doper la formation des élus ruraux, laquelle tourne actuellement au ralenti. La création d’un tel fonds aurait notamment facilité le financement d’actions en situation plutôt que dans des centres éloignés et hors sol. Les dépenses de formation étant déjà inscrites dans les budgets, on pourrait se demander pourquoi l’article 40 a été invoqué si on ne connaissait pas déjà la réponse : il n’y a rien à comprendre !

La preuve en est que la proposition de la commission de fixer un plancher des dépenses de formation et de reporter les sommes non dépensées sur l’exercice suivant a bénéficié, elle, d’un nihil obstat bienveillant. C’est pourtant là créer une dépense supplémentaire…

Cerise sur le gâteau, l’amendement n° 26 du groupe socialiste a, lui, été déclaré recevable. Je rappelle qu’il tend à reprendre les planchers des dépenses prévus par la proposition de loi initiale, lesquels étaient plus élevés que ceux qui ont été retenus par la commission des lois, et à instaurer un mécanisme de péréquation, par l’intermédiaire d’un Conseil national de la formation des élus locaux, lequel nous paraissait bienvenu. Sans doute la commission des finances a-t-elle eu un moment d’égarement...

Enfin, nous ne discuterons pas non plus de la proposition de notre collègue Roland Povinelli tendant à autoriser les élus ayant cessé d’exercer leur activité professionnelle au profit de leur mandat à cotiser au régime de retraite par rente.

Le ministre du budget nous l’a récemment rappelé : « Nous devons maintenir notre AAA. » Les élus locaux coûtent cher : circulez, il n’y a rien à voir !

Heureusement, nous examinerons plusieurs propositions ou amendements dont la mise en œuvre ne coûterait rien.

Ainsi, afin d’accroître la disponibilité des élus locaux, le texte initial de Bernard Saugey et de Marie-Hélène Des Esgaulx instaurait le droit à un congé électif au bénéfice des salariés candidats aux élections municipales dans les communes comptant jusqu’à 3 499 habitants, disposition que le groupe socialiste a souhaité étendre aux communes comptant jusqu’à 500 habitants ; mais cet article a été supprimé par la commission, sur proposition de M. le rapporteur.

Par ailleurs, nous proposons d’étendre les crédits d’heures à l’ensemble des conseillers municipaux, quelle que soit la taille de leur commune, et le droit à suspension du contrat de travail à l’ensemble des conseillers généraux et régionaux titulaires d’une délégation, ainsi qu’aux adjoints des communes de plus de 3 500 habitants.

Plusieurs de nos propositions visent à sécuriser les conditions d’exercice du mandat, matériellement et juridiquement.

Deux propositions, reprises par la commission des lois, tendent à préciser le champ d’application du délit de favoritisme – c’est l’article 7 – et de la prise illégale d’intérêts – c’est l’article 7 A nouveau. Cette dernière proposition ayant déjà été adoptée deux fois à l’unanimité par le Sénat sans qu’il y ait été donné suite, on se demande ce qu’il en adviendra cette fois.

Nous proposons également d’étendre le bénéfice de l’allocation de fin de mandat aux adjoints des communes de plus de 3 500 habitants. Une autre de nos propositions porte sur l’information des employeurs.

L’amendement proposé par Virginie Klès, qui vise à étendre le bénéfice de la médecine du travail aux élus ayant cessé leur activité professionnelle, et celui de Marc Daunis, qui tend à améliorer le régime d’indemnisation des conseillers municipaux chargés de mandats spéciaux par le conseil, vont dans la même direction.

Les élus ont des devoirs. Outre celui de se former – je ne reviens pas sur ce qui a déjà été dit à ce sujet –, ils doivent être candidats pour être élus. Je rappelle que faire acte de candidature n’est pas obligatoire dans les communes de moins de 3 500 habitants, ce qui donne lieu parfois à des manipulations extrêmement intéressantes : ainsi un même candidat peut-il figurer sur deux listes adverses. Faire acte de candidature doit donc être une obligation. Tel est le sens de l’un des amendements de notre collègue Jean-Marc Todeschini. J’ajoute qu’il s’agit là d’une revendication ancienne de l’Association des maires ruraux de France.

Selon moi, le renforcement de la démocratie locale devrait aussi passer par une extension des possibilités d’information des conseillers municipaux, qu’ils appartiennent à la majorité ou à l’opposition.

Dernière proposition, et non la moindre : il serait logique d’inclure dans la liste des mandats électoraux auxquels s’applique la règle de non-cumul des mandats les fonctions de président d’un EPCI de plus de 30 000 habitants et de vice-président d’un EPCI de plus de 100 000 habitants. Que les fonctions de maire d’une commune de 3 501 habitants soient prises en compte, mais pas celles de président d’une communauté urbaine d’un million d’habitants est tout de même un peu incongru.

Cette proposition de loi, si elle est adoptée, permettra d’améliorer les conditions d’exercice du mandat local, d’autant plus, mes chers collègues, que vous ferez bon accueil à nos amendements ! Cependant, un authentique statut de l’élu local, formé d’un ensemble de dispositions cohérentes et faisant sens, fera toujours défaut.

Il aura fallu attendre la loi du 24 juillet 1952 pour qu’un véritable, mais misérable, régime indemnitaire des élus locaux voie le jour. Vingt ans plus tard, la loi du 22 décembre 1972 a permis aux élus locaux de bénéficier d’une retraite sous le régime des agents non titulaires des collectivités. Comme si les élus étaient des contractuels ! Malgré le rapport Debarge du 29 janvier 1982, qui a fait franchir à la réflexion un saut qualitatif, il aura fallu dix ans supplémentaires pour qu’un progrès décisif soit accompli, grâce à la loi du 3 février 1992. Une avancée nouvelle a été permise en février 2002, grâce à la loi relative à la démocratie de proximité.

Vous aurez remarqué que, depuis quarante ans, c’est à des gouvernements de gauche que l’on doit, à quelques broutilles près, l’essentiel des améliorations des conditions d’exercice des mandats locaux : 1982, 1992, 2002. Si le tempo est respecté, il devrait se passer quelque chose en 2012 ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) En attendant, nous voterons la proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la récente loi de réforme des collectivités territoriales a mis en lumière le grand chantier de décentralisation auquel nous sommes aujourd'hui confrontés.

En effet, cela fait maintenant près de trente ans que la loi Defferre du 2 mars 1982 supprimant la tutelle administrative régit nos collectivités territoriales. Celle-ci est l’emblème d’un processus de décentralisation voulu par nos gouvernements depuis les années soixante-dix, processus qui a entièrement modifié la fonction non seulement de nos collectivités territoriales, mais aussi de nos élus.

Il me semble donc aujourd'hui plus qu’approprié de revoir la fonction d’élu afin qu’elle puisse être plus en adéquation avec les évolutions qu’elle a connues et les nouvelles charges de travail qu’elle implique. C’est du reste la reconnaissance du rôle accru de l’élu local qui justifie à mon sens l’instauration d’une compensation nécessaire pour garantir l’égal accès de tous au mandat électif.

Cependant, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui ne vise pas à mettre en place un nouveau statut de l’élu local. Envisagé expressément par les lois de décentralisation, un tel statut s’est révélé difficile à mettre en œuvre, compte tenu de l’hétérogénéité qui caractérise la communauté des élus, mais aussi du coût qu’une telle réforme entraînerait. Un tel coût semble en effet, aujourd'hui, incompatible avec les restrictions budgétaires que la conjoncture mondiale nous impose. Un nouveau statut sera pourtant nécessaire, tôt ou tard.

C’est dans ces conditions et pour l’ensemble de ces raisons que mon excellent collègue Bernard Saugey et moi-même avons formulé des propositions afin de tenter de faciliter l’exercice du mandat local et de le rendre plus attractif.

Il s’agit de donner une nouvelle image des élus dans nos collectivités territoriales, mais aussi de former ces derniers au nombre grandissant de tâches qui leur sont confiées. En effet, les élus sont passés d’une fonction de simple représentation à celle de gestionnaire : ils doivent désormais être attentifs aux préoccupations des citoyens, mettre en place des politiques publiques de premier plan et gérer des budgets chaque année plus importants.

Dès lors, la question se pose : la loi ne devrait-elle pas prévoir les moyens et les outils nécessaires à l’accomplissement de ces tâches importantes ?

La proposition de loi que mon collègue Bernard Saugey et moi-même vous présentons aujourd'hui pourrait permettre de combler ce néant législatif grâce à la fixation d’un « plancher bas » en matière de droit à la formation ; ce faisant, le droit à la formation deviendrait aussi un devoir.

L’objectif recherché est une meilleure mise en place des politiques publiques à l’échelon local, mais aussi un renforcement de l’attractivité de la fonction d’élu. Il faut en effet redorer l’image de cette fonction et mettre en avant le fait que l’élu a des devoirs auxquels il doit se contraindre.

C’est bien dans cette optique que nous souhaitons encadrer plus strictement le favoritisme, qui, outre le fait qu’il est de nature à ternir l’image de l’élu, met en cause la sécurité juridique des élus de bonne foi.

Cette proposition de loi vise également à rappeler que les élus locaux sont bien les acteurs fondamentaux de notre contrat social et à tenter de contrer le désenchantement à l’égard de la fonction élective que l’on constate depuis quelques années dans notre pays.

En somme, il s’agit, grâce à des propositions concrètes, de rappeler à tous les citoyens que l’élu a non seulement un certain nombre de droits, mais aussi des devoirs, une tâche à accomplir, et ce au nom de l’intérêt général.

Je ne reviendrai pas en détail sur les différents articles de ce texte, mais je tiens à préciser qu’il tend vers une plus grande information, une meilleure protection et une formation plus importante des élus locaux. J’insisterai particulièrement sur ce dernier point, qui est selon moi majeur.

Faciliter l’exercice du mandat local passe à l’évidence par le développement et l’amélioration de la formation des élus, notamment dans les petites et moyennes communes. Il faut inciter les élus locaux à se former et faciliter notamment l’accès à la formation des élus des communes les plus pauvres, afin qu’il n’y ait pas de rupture d’égalité. La formation de tous les élus, quelle que soit la collectivité à laquelle ils appartiennent – conseil municipal, conseil communautaire, conseil général, conseil régional – et qu’ils soient de la majorité ou minoritaires, doit aujourd'hui être considérée comme un impératif.

Aujourd'hui déjà, les frais afférents à cette formation représentent une dépense obligatoire pour les collectivités locales, à condition que l’organisme dispensateur de la formation soit agréé par le ministère de l’intérieur.

Cependant, le Conseil national de la formation des élus locaux a mis en évidence dans ses rapports annuels, depuis déjà une dizaine d’années, la faible mobilisation de crédits de formation pour les élus locaux.

J’attire votre attention, monsieur le ministre, sur la situation des petites communes, qui ont dans ce domaine des capacités de financement trop modestes. Il me semble indispensable, face à l’insuffisante mobilisation des crédits de formation, de faire de ces dépenses des dépenses obligatoires, susceptibles d’être inscrites d’office.

Notre proposition de loi vise donc à renforcer les crédits dédiés à la formation des élus locaux de façon à établir un socle de budget de formation plus solide, par l’instauration d’un plancher de dépenses de formation, fixé par rapport au montant total des indemnités que perçoivent les élus des collectivités.

Je regrette que nous ne soyons pas allés plus loin concernant la mutualisation des budgets de formation, mutualisation qui a d’ailleurs été introduite par la loi du 13 février 2002. Une mutualisation dans ce domaine permettrait, d’une part, aux élus des communes les plus pauvres d’accéder à une formation – il n’y aurait ainsi pas de rupture d’égalité – et, d’autre part, à des élus ayant de forts besoins en formation d’avoir recours aux crédits non utilisés par leurs collègues.

Certaines communes jugent qu’elles sont trop pauvres pour former leurs élus. Parallèlement, de grandes collectivités territoriales votent des budgets de formation qu’elles ne dépensent pas en totalité, voire pas du tout.

Je rappelle – mais chacun le sait ici – que plus une collectivité est petite, plus la tâche des élus est difficile, faute de moyens techniques et humains. C’est la raison pour laquelle instaurer une mutualisation entre collectivités des crédits de formation non dépensés a du sens. Il faudra, monsieur le ministre, mes chers collègues, revenir sur ce point.

On pourrait imaginer un système de mutualisation des budgets de formation non dépensés dont le fonctionnement serait proche de celui qui est en vigueur en matière de formation professionnelle continue, grâce à la création d’un fonds qui serait géré à l’échelon départemental ou régional par un organisme regroupant des élus des communes, des départements et des régions. J’aimerais, monsieur le ministre, que cette position soit prise en compte dans le futur projet de loi n° 61.

Par ailleurs, j’attire votre attention sur l’importance de l’annualisation des budgets de formation des élus. On constate en effet que certaines collectivités territoriales comptabilisent le droit à la formation sur l’ensemble du mandat au lieu de l’annualiser.

Si les collectivités territoriales ont l’obligation de délibérer en début de mandature pour fixer les orientations en matière de formation de leurs élus et, chaque année, pour déterminer l’utilisation des crédits de formation, le principe de l’annualisation n’est pas réellement affirmé.

Cela permettrait pourtant d’éviter que certains élus ne dépensent lors de la première année de leur mandat, sans le savoir, la totalité du crédit de formation qui leur est imparti pour l’ensemble du mandat.

En outre, il serait tout à fait justifié que la collectivité informe chaque élu personnellement, en début d’année, du montant de son droit à la formation pour l’année civile.

Ces propositions pourraient donc, à mon sens, faire l’objet d’une prochaine étape.

Le dernier point que je souhaite évoquer est celui de l’importance du libre choix par l’élu de son institut de formation, étant entendu que celui-ci doit être agréé par le ministère de l’intérieur pour la formation des élus locaux.

On observe en effet que, dans un certain nombre de collectivités, l’exécutif ou l’administration impose un institut de formation aux élus, alors que le module de formation ne correspond pas toujours à leur besoin réel. C’est peut-être là l’une des raisons pour lesquelles certains élus renoncent à leur formation.

Il est donc souhaitable que le principe de libre choix par l’élu de son institut de formation soit inscrit dans la loi.

Ces questions sont essentielles si nous voulons ensemble, monsieur le ministre, faire évoluer la fonction de l’élu local.

La proposition de loi que Bernard Saugey et moi-même vous présentons aujourd’hui constitue, à nos yeux, une étape dans le cadre de l’adaptation nécessaire du mandat local. Il sera néanmoins indispensable d’aller encore plus avant lors de l’examen du projet de loi qui parachèvera la grande réforme territoriale : le projet de loi n° 61 dont nous appelons la discussion de nos vœux.

Je voudrais naturellement rendre hommage au travail de la commission des lois et de son éminent rapporteur, Patrice Gélard, dont nous connaissons les grandes compétences en matière de collectivités territoriales et dont les observations pertinentes ne peuvent que rendre plus efficaces les mesures présentées dans cette proposition de loi.

Ce texte pourrait représenter le début d’une réelle réforme de la fonction d’élu et de l’image de celui-ci, qui ne pourra qu’être restaurée par les obligations de formation qui lui seront imposées. Cette réforme pourrait déboucher sur une meilleure mise en place des politiques publiques locales, dont la gestion devient de plus en plus technique.

C’est bien dans ce sens que cette proposition de loi me paraît indispensable.

J’ai bien noté que certaines questions trouveront mieux leur place dans le cadre du projet de loi n° 61 relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale. Cependant, monsieur le ministre, nous aimerions être sûrs que ce texte sera inscrit à l’ordre du jour des travaux du Sénat dans un délai raisonnable. Je remercie donc le Gouvernement de faire son possible en ce sens.

Les lois de décentralisation ont confié aux élus locaux de nouvelles compétences, leur conférant par là même des responsabilités éminentes dans la prise en charge des besoins de leurs administrés. Ils doivent aujourd’hui répondre à la multiplication des missions qui leur sont assignées et aux attentes de plus en plus grandes de la population, notamment en matière d’environnement ou de sécurité. Notre responsabilité – elle concerne en effet particulièrement le Sénat – est de les accompagner sur ce chemin.

Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, je vous remercie de réserver un accueil favorable à cette proposition de loi certes modeste mais qui s’inscrit dans le droit fil de la réforme territoriale. Elle apporte sa contribution à l’amélioration du statut de l’élu local en faveur d’une plus grande vitalité de la démocratie locale, et préfigure surtout des réformes d’envergure à venir. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Houel.

M. Michel Houel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il existe en France, à la différence de la situation qui prévaut dans les pays anglo-saxons, une défiance traditionnelle et spontanée envers les élus. Les élus y ont toujours été contestés.

Cette défiance va – hélas ! – grandissant, bien que les élus locaux, notamment les maires, conservent une popularité importante. Cette défiance s’explique par l’enthousiasme croissant des médias pour le spectaculaire et par l’acharnement de certains juges qui, se parant de l’habit du chevalier blanc, mènent de véritables offensives contre les élus.

S’ajoute à cette crise de défiance une transformation de la fonction d’élu local sous l’effet des importants transferts de compétences liés aux lois de décentralisation. Ces transferts font peser sur l’élu d’innombrables responsabilités, exigeant une disponibilité de tous les instants. Ils l’obligent à d’importants sacrifices familiaux et professionnels afin de se consacrer pleinement à la chose publique. Ils lui imposent enfin d’appréhender un vaste éventail de règles et de normes qui s’est élargi dans tous les domaines.

Ainsi, mes chers collègues, nous assistons aux prémices d’une crise des vocations, particulièrement dramatique dans les petites communes, crise qui menace la vitalité de notre démocratie.

Je souscris donc pleinement à la proposition de loi déposée par Bernard Saugey et Marie-Hélène Des Esgaulx, qui vise à renforcer l’attractivité du mandat local et à en faciliter l’exercice.

L’élu local doit être en mesure de libérer le temps nécessaire à l’exercice de son mandat, de faire face sans drame aux aléas de l’élection, de pouvoir subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille et, enfin, de pouvoir bénéficier, s’il le désire, d’une formation.

Enfin – c’est sur ce point que j’aimerais concentrer mon propos –, il doit pouvoir compter sur un régime de retraite adapté pour envisager l’avenir sans appréhension.

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais attirer votre attention sur la différence de traitement existant entre les élus ayant cessé leur activité professionnelle pour se consacrer exclusivement à leur mandat et les élus ne l’ayant pas cessée.

Les premiers sont affiliés, pour leur retraite de base, à l’assurance vieillesse du régime général de la sécurité sociale. Par ailleurs, au même titre que les seconds, ils sont également affiliés à l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques, l’IRCANTEC.

En revanche, alors qu’ils ont consenti d’importants sacrifices pour se dévouer entièrement à leurs concitoyens, ils ne peuvent pas acquérir de droits à pension auprès du régime de retraite par rente, comme le Fonds de pension des élus locaux, le FONPEL, ou la Caisse autonome de retraite des élus locaux, la CAREL.

Pour pallier cette injustice, il serait souhaitable d’autoriser ces élus à cotiser au régime de retraite par rente géré dans le cadre du FONPEL ou de la CAREL. C’était l’objet d’un amendement de mon collègue Antoine Lefèvre. Frappé d’irrecevabilité financière au titre l’article 40 de la Constitution, il ne peut faire l’objet d’un examen ni en commission ni en séance.

Monsieur le ministre, vous connaissez bien cette situation. Vous vous en étiez d’ailleurs ému en déposant, il y a certes longtemps, une proposition de loi allant dans ce sens.

M. Patrick Ollier, ministre. Je crois m’en souvenir !

M. Michel Houel. Je vous demande donc si le Gouvernement envisage de réparer cette injustice.

Pour conclure cette intervention, je voudrais rendre hommage aux élus locaux dont la Haute Assemblée connaît bien les difficultés, puisque beaucoup d’entre nous exercent des responsabilités locales.

Nous savons la solitude de l’engagement local, surtout dans les petites communes. Nous savons les difficultés à répondre aux attentes croissantes de nos concitoyens. Nous savons enfin la quasi-impossibilité de concilier vie familiale, vie professionnelle et mandat.

Je voudrais également rendre hommage à ces élus locaux qui, pour soulager le budget de leur commune, renoncent à leurs indemnités. À ce titre, monsieur le ministre, ils ne peuvent cotiser à aucune caisse de retraite.

Je voudrais aussi rendre hommage à ces élus locaux qui, ayant perdu leur emploi durant leur mandat, se trouvent dans une situation ubuesque, puisqu’ils sont obligés de pointer à Pôle emploi alors qu’ils sont en charge d’une part de l’avenir de la France !

Enfin, je voudrais rendre hommage à ces élus qui consentent d’énormes sacrifices pour perpétuer une certaine idée de ce qu’est la France. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je débuterai mon intervention par quelques observations.

Tout d’abord, je voudrais dire tout le bien que je pense de cette proposition de loi. C’est une initiative pertinente et bienvenue.

Cependant, j’ajoute immédiatement qu’elle est d’autant plus bienvenue qu’elle intervient après deux ans de débats sur la réforme territoriale, qui ont laissé un goût amer aux élus locaux. Elle exprime comme un remords, après toutes les accusations qui ont pu être lancées contre les différents élus à l’occasion de cette réforme.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le Sénat cherche à se rattraper !

M. Alain Anziani. Il s’agit donc d’un texte de complément, qui ne parviendra cependant pas à adoucir les effets de la réforme territoriale.

À ce titre, je voudrais signaler à M. le ministre que démonstration est faite des difficultés occasionnées par la réforme territoriale. Nous sommes en effet tous confrontés aux nombreuses interrogations suscitées par le redécoupage de la carte intercommunale.

Monsieur le ministre chargé des collectivités territoriales nous a certes apporté quelques précisions. Néanmoins, il demeure nécessaire de redéfinir les pouvoirs du préfet.

Il y a à l’évidence une contradiction : on veut rendre plus attractif le mandat local mais on diminue en même temps le pouvoir de l’élu local au profit du représentant de l’État ! Il se pose à ce sujet des questions simples pour lesquelles nous n’avons pas de réponse ! J’ai d’ailleurs posé une question écrite au ministre chargé des collectivités territoriales sur les modalités d’adoption du futur schéma départemental de coopération intercommunale et la notion de « proposition alternative au projet du préfet », et j’attends toujours la réponse.

Je vous pose la question directement, monsieur le ministre : qu’est-ce qu’une « proposition alternative » ? Je me demande – et la France avec moi ! – quelle « proposition alternative » serait de nature à amender le projet de schéma départemental de coopération intercommunale élaboré par le préfet. Proposer le statu quo sera-t-il considéré comme une « proposition alternative » ? Il s’agit d’une question très importante qui reste sans réponse !

Néanmoins, je le redis, ce texte est intéressant. Il l’est d’autant plus que la plupart des propositions sont reprises du projet de loi n° 61. À mon tour, je souhaiterais – d’autres ont formulé la même demande avant moi – que le Gouvernement nous donne l’assurance que le projet de loi n° 61 sera bien inscrit à l’ordre du jour du Sénat, alors qu’il dort sur le bureau de celui-ci depuis le 21 octobre 2009 !

Je dois dire que j’en doute, car les propositions du présent texte ne sont que la reprise de nombre de dispositions du projet de loi n° 61. L’articulation entre ce qui nous est proposé aujourd'hui et ledit projet de loi me paraît donc difficile.

S’il s’agit ainsi d’une bonne proposition de loi, je dirai néanmoins à ses deux auteurs, non sans malice et amitié à leur égard, que, pour rendre le mandat local plus attractif, le mieux eût été qu’ils ne votent point la réforme territoriale, laquelle a été adoptée au Sénat à une seule voix de majorité ! Si l’on n’avait pas voté cette réforme qui affaiblit tant les collectivités territoriales, on aurait sans doute fait un plus grand pas en faveur de l’attractivité locale qu’avec cette proposition de loi !

Cela dit, je partage largement les préoccupations exprimées par les uns et les autres. Il faut un nouveau statut pour l’élu local. Pierre-Yves Collombat a souligné tout à l’heure avec force que les grandes avancées en la matière ont été celles du gouvernement Mauroy et du gouvernement Jospin. Ce nouveau statut doit permettre de progresser sur deux grands volets : les droits et les devoirs de l’élu.

En ce qui concerne les droits des élus, nous devrions à l’évidence faire front commun pour lutter contre le populisme ambiant, qui considère que les élus sont trop payés, quand il n’estime pas qu’ils ne devraient pas l’être du tout !

Nous avons tort, à gauche comme à droite, de fuir ce débat, qui s’affiche chaque jour dans la presse. Nous devrions rappeler avec force quelle est la nature du travail de l’élu local et que ce travail, pour être bien effectué, justifie une indemnité donnant à l’élu les moyens d’assumer ce mandat. Beaucoup d’entre nous ont souligné que la plupart des élus n’osaient même pas percevoir d’indemnité parce qu’ils ne voulaient pas alourdir le budget de leur commune. Le mot « alourdir » est d’ailleurs très significatif !

À ce titre, je fais une proposition – elle se heurtera, à n’en pas douter, à beaucoup de difficultés, y compris constitutionnelles – qui tend à dissocier le lieu de versement de l’indemnité du lieu de sa perception. Aujourd'hui, l’indemnité est versée par le conseil municipal. Pourquoi ne pas envisager une caisse nationale abondée par l’ensemble des collectivités – cela permettrait en outre une forme de péréquation – qui reverserait les indemnités aux élus ? Ma proposition, j’en suis conscient, pose également problème, mais je tenais à vous en faire part.

L’autre volet qui devrait être concerné par la réforme du statut de l’élu local concerne les devoirs de ce dernier. Nous sommes tous tenus à de nombreux devoirs, dont celui de probité. Je partage totalement les propositions contenues à ce sujet dans la présente proposition de loi, qui concernent les différents délits spécifiques aux élus, notamment les délits de corruption. Sur ces sujets, il faudra effectivement légiférer.

Cela étant, nous devrons faire preuve de beaucoup de pédagogie sur cette question, car il sera très difficile de nous faire comprendre de l’opinion publique. Le Sénat ne doit pas donner l’impression d’être animé par une sorte de corporatisme qui le pousserait à réduire systématiquement les peines encourues par les élus manquant au devoir de probité que j’évoquai à l’instant.

Les élus ont également un devoir d’écoute, un devoir de disponibilité, mais aussi un devoir de formation. Sur ce dernier point, je voudrais souligner que, dans la plupart des professions, il existe une obligation de formation, parfois de formation continue. Or, tout se passe comme si l’onction du suffrage universel rendait l’élu omnicompétent et capable du jour au lendemain de traiter de sujets aussi divers que l’urbanisme, les finances publiques ou la gestion du personnel ! Une démocratie moderne ne peut fonctionner ainsi ! Pour être en mesure d’assumer ses responsabilités et de dialoguer à armes égales tant avec les services qui dépendent de lui qu’avec l’État ou les autres collectivités, un élu doit être formé. En cas de manquement, sa responsabilité personnelle est engagée. À mes yeux, la formation va de pair avec la décentralisation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Béteille.

M. Laurent Béteille. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer l’initiative de nos collègues Marie-Hélène Des Esgaulx et Bernard Saugey.

Un tel sujet ne peut que nous interpeller, mais ne s’agit-il pas de créer l’attractivité du mandat local, plutôt que de la renforcer ?...

Comme cela a été souligné, l’élaboration d’un statut de l’élu cohérent et protecteur constitue l’une des revendications les plus constantes de tous ceux qui exercent des responsabilités locales. Certes, ce statut existe déjà, mais il est pour l’heure illisible et dépourvu de cohérence, parce qu’éclaté entre des textes tout à fait disparates : je citerai notamment la loi du 3 février 1992 relative aux conditions d’exercice des mandats locaux, la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels ou encore la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité.

Si la proposition de loi dont nous sommes aujourd'hui saisis ne prétend pas remédier à cette situation, elle apporte néanmoins à l’évidence un certain nombre de réponses précises et pragmatiques, tout à fait bienvenues. Je tiens à saluer, à cet instant, le travail remarquable du rapporteur de la commission des lois.

Je souhaiterais maintenant revenir sur deux propositions que j’avais formulées en commission, concernant l’une les petites communes, l’autre les élus de l’opposition, sujet qui n’a pas encore été abordé à cette tribune.

Le plus souvent, les maires des petites communes renoncent au bénéfice de leurs indemnités, soit pour soulager le budget municipal, soit pour des raisons politiques, voire morales. J’avais donc suggéré – une telle mesure ne pourrait évidemment s’appliquer qu’à partir de 2014 – de transférer le service de ces indemnités à l’EPCI dont la commune est membre. Cela permettrait de remédier aux difficultés que nous constatons aujourd'hui. Certes, je n’ignore pas que la mise en œuvre d’une telle proposition poserait des problèmes, mais je pense que nous devrions pouvoir procéder aux réglages nécessaires d’ici à 2014. Je ne méconnais pas l’intérêt du dispositif proposé par notre collègue Jacqueline Gourault, mais je pense qu’il risquerait fort d’être contourné…

Par ailleurs, si nous avons tendance à nous intéresser en priorité aux élus majoritaires, par définition les plus nombreux, l’action des élus d’opposition dans les communes mérite d’être saluée. En effet, leur rôle est difficile, souvent très ingrat. Dans certaines municipalités, la perspective d’un changement de majorité est quasiment inexistante, pour des raisons sociologiques. Or, malgré tout, les élus minoritaires s’efforcent de contrôler le travail de l’exécutif, apportant ainsi une indispensable respiration démocratique. Ils le font avec des moyens dérisoires, sauf s’il s’agit de conseillers généraux, par exemple, d’autant que l’exécutif ne leur facilite pas toujours la tâche…

À mon sens, pour instituer un authentique dialogue démocratique au sein des communes, il serait souhaitable de créer un véritable statut de chef de l’opposition, comportant notamment un régime d’autorisation d’absence et des indemnités d’un montant comparable à celles d’un adjoint au maire. Je crois qu’il serait intéressant d’y réfléchir, car il faut renforcer aussi l’attractivité de la fonction d’élu de l’opposition. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Ollier, ministre. Je voudrais d’abord remercier de leur contribution l’ensemble des orateurs, auxquels j’ai déjà dans une large mesure répondu par anticipation dans mon intervention liminaire.

Monsieur le rapporteur, le Gouvernement retient votre suggestion s’agissant de la médaille d’honneur régionale, départementale et communale.

M. Pierre-Yves Collombat. Ah ! nous voilà rassurés ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Patrick Ollier, ministre. Abaisser de vingt à dix-huit ans – cela correspond à trois mandats de six ans – la durée de mandat exigée pour l’attribution de la médaille d’argent est une idée tout à fait pertinente. Par cohérence, il serait souhaitable, à l’avenir, de conditionner l’attribution des échelons suivants à des durées de mandat multiples de six. Nous allons réfléchir aux dispositions à prendre, qui relèvent bien sûr du domaine réglementaire. Vous avez donc satisfaction, monsieur le rapporteur.

Monsieur Collin, le Président de la République a annoncé, le 17 juin, qu’un texte de loi visant à mettre en œuvre les propositions du rapport Doligé serait présenté au Parlement avant la fin de l’année.

Madame Mathon-Poinat, j’ai cru comprendre que vous optiez pour une abstention de consensus.

M. Patrick Ollier, ministre. Je salue l’esprit républicain dans lequel vous avez abordé ce débat. Certes, nous avons des désaccords, mais il me paraît important que nous puissions nous retrouver sur la défense des élus locaux.

Madame Gourault, vous avez rappelé que le Conseil constitutionnel a invalidé le projet de loi fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région pour un motif de procédure parlementaire. Nous avons pris acte de cette décision. Le Sénat examinera le texte dès lundi prochain : j’en remercie la conférence des présidents et la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous le pouvez !

M. Patrick Ollier, ministre. J’en suis conscient, monsieur le président de la commission des lois !

Monsieur Collombat, vous avez évoqué les aspects financiers des mandats locaux. Certes, ils doivent être pris en compte, mais l’argent n’est pas, fort heureusement, la seule motivation des élus locaux, dont le sens de l’intérêt général doit être salué. La proposition de loi contient des avancées notables, introduisant de la souplesse pour les conseillers municipaux, les délégués des communautés de communes et les maires des communes de moins de 1 000 habitants. Par ailleurs, ouvrir à 5 000 adjoints au maire supplémentaires le bénéfice du droit à suspension du contrat de travail et de l’allocation différentielle de fin de mandat est également une bonne chose.

Madame Des Esgaulx, la proposition de loi que M. Bernard Saugey et vous-même avez cosignée marque un progrès considérable pour le statut de l’élu local, dont la formation est une des pierres angulaires. Le Gouvernement, qui partage votre approche, a inscrit dans le projet de loi n° 61 un plancher de 1 % du montant total des indemnités des élus pour les dépenses de formation. Cette idée a été reprise par la commission. Grâce à M. le rapporteur, les crédits correspondants pourront être reportés d’une année sur l’autre, dans la limite de la durée du mandat. Je crois que vous avez satisfaction, madame la sénatrice.

Monsieur Houel, vous avez évoqué l’extension de l’affiliation au régime de retraite par rente aux élus locaux ayant cessé leur activité professionnelle. Nous reviendrons sur ce sujet à l’occasion de l’examen de l’amendement n° 5 rectifié bis. Je vous remercie d’avoir fait référence à la proposition de loi que j’avais déposée en d’autres temps…

Monsieur Anziani, ainsi que l’a clairement indiqué mon collègue Philippe Richert, les schémas départementaux de coopération intercommunale devront évoluer en fonction des avis que sont appelés à rendre, d’ici à la fin de l’année, les EPCI et les commissions départementales de coopération intercommunale. Il s’agira d’une véritable « coproduction » entre les élus et les préfets ; les schémas départementaux de coopération intercommunale ne seront pas imposés.

Monsieur Béteille, vous nous avez appelés à saisir l’occasion qu’offre l’examen de cette proposition de loi pour améliorer le statut de l’élu local : nous cheminons dans cette voie, mais certaines de vos suggestions vont peut-être un peu loin… Pour exercer un mandat dans une ville de 80 000 habitants, après avoir été maire d’une commune rurale, je connais la diversité des situations des élus locaux en termes de moyens : il faut à mon sens faire preuve de mesure et de pragmatisme.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Mes chers collègues, je vous rappelle que nous devons avoir achevé l’examen du présent texte à treize heures. Je vous invite donc à vous exprimer de façon complète, mais dense…

Mme la présidente. J’espère que vous serez entendu !

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer l'attractivité et à faciliter l'exercice du mandat local
Article 1er

Articles additionnels avant l'article 1er

Mme la présidente. L'amendement n° 11, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Avant l'article L. 260 du code électoral, il est inséré un article L. 260 A ainsi rédigé :

« Art. L. 260 A. - Les membres des conseils municipaux sont élus au mode de scrutin proportionnel. »

II. - Les articles L. 252 à L. 259 ainsi que les troisième et quatrième alinéas de l'article L. 261 du code électoral sont abrogés.

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Nous poursuivons notre combat en faveur du scrutin proportionnel et contre les modes de scrutin injustes, qui donnent une image déformée de la réalité politique et sociale de notre pays, étouffent la diversité politique, nient le principe d’égalité et décrédibilisent la parité en politique.

Seul le scrutin proportionnel est à même de permettre l’application du principe de parité consacré par la loi constitutionnelle de 1999. Nous savons tous que le chemin vers l’égalité entre hommes et femmes, notamment en politique, est encore long, tortueux ; pour mettre véritablement en œuvre la parité, il faut modifier le mode de scrutin actuel.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. La question du mode de scrutin pour les élections municipales sera traitée lors de l’examen du projet de loi n° 61. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)

La commission demande le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Ce sujet, je le confirme, sera abordé dans le projet de loi n° 61. Comme la commission, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement.

Mme la présidente. Madame Mathon-Poinat, l'amendement est-il maintenu ?

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 11.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 20 rectifié, présenté par MM. Collombat, Anziani, Bérit-Débat, Daunis, Frécon, C. Gautier et Guillaume, Mme Klès, MM. Michel, Povinelli, Sueur, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l’article L. 46-1 du code électoral est complété par les mots : «, président d’un établissement public à fiscalité propre de plus de 30 000 habitants, vice-président d’un établissement public à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants ».

La parole est à M. Charles Gautier.

M. Charles Gautier. Cet amendement vise à prendre en compte, au titre de la limitation du cumul des mandats, les fonctions de président ou de vice-président de certains établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.

Nos compatriotes comprennent de plus en plus mal les situations de cumul. La loi a déjà limité la possibilité de cumuler plusieurs mandats exécutifs locaux avec un mandat national, et tous les partis de gouvernement envisagent de poursuivre dans cette voie. Celui auquel j’appartiens, en particulier, est très attaché à cette idée et tient à en faire, sinon un des thèmes de la campagne présidentielle, du moins l’une des réformes qu’engagera le futur Président de la République.

Les fonctions de président ou de vice-président d’EPCI à fiscalité propre échappent, pour le moment, au champ du dispositif de limitation du cumul, parce qu’elles ne sont pas considérées comme des mandats électifs. Or, dans la plupart des cas, ces fonctions sont rémunérées et plutôt prenantes, notamment lorsqu’il s’agit de grandes agglomérations.

La situation actuelle me paraît donc tout à fait anormale. Elle amène même à se demander si les élus sont tous égaux, puisque la limitation du cumul des mandats s’applique à certains d’entre eux, mais pas à d’autres.

Bien au-delà de cet amendement et de cette proposition de loi, il faudra que nous nous penchions sérieusement sur la signification réelle de l’engagement politique aujourd’hui et sur ses implications pour un citoyen français qui décide de vouer sa vie à la défense de l’intérêt général.

Il s’agit également ici de la diversité de notre classe politique, en termes de sexe, d’âge, d’origine et d’activité professionnelle.

Les mandats politiques sont aujourd’hui « trustés » par les professionnels de la politique, les membres des professions libérales et les fonctionnaires. Il faudra un jour trancher : doit-on favoriser la professionnalisation du monde politique ou au contraire permettre à tout citoyen d’accéder à un mandat ?

Je suis convaincu qu’un débat bien plus ambitieux doit être engagé avant d’envisager de réformer sur quelque point que ce soit l’exercice des mandats locaux.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Les intercommunalités ne sont pas des collectivités territoriales.

La question des incompatibilités devant être examinée lors de la discussion du projet de loi n° 61,…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sera un texte épais !

M. Patrice Gélard, rapporteur. … la commission demande le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Cet amendement mêle mandats et fonctions exécutives au regard de la limitation du cumul, contrairement à l’économie du régime actuel de l’article L. 46-1 du code électoral, qui ne concerne que les mandats électifs.

Par ailleurs, les EPCI ne sont pas, à ce jour, des collectivités territoriales de la République, et les fonctions exécutives exercées à leur tête ne font pas l’objet de règles d’incompatibilité.

En tout état de cause, ce sujet sera évoqué lors de l’examen du projet de loi n° 61. Par cohérence, mieux vaut donc ne pas anticiper le débat qui se tiendra alors.

Le Gouvernement demande lui aussi le retrait de cet amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.

M. Alain Anziani. Vous nous renvoyez à l’examen du projet de loi n° 61, or la plupart des propositions figurant dans le texte qui nous est soumis sont issues, parfois au mot près, de celui-ci ! Pourquoi ne leur réservez-vous pas le même accueil qu’à nos amendements ? C’est deux poids, deux mesures !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les élections sénatoriales approchent…

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote.

M. Claude Bérit-Débat. Je rejoins tout à fait mon ami Alain Anziani, d’autant que vous nous avez souvent tenu le même discours lors de la réforme des collectivités territoriales. Nous souhaitons aborder ces questions sans attendre l’examen du projet de loi n° 61.

Par ailleurs, distinguer collectivités territoriales et EPCI, c’est faire de la sémantique. Dans les faits, la fonction de président d’une communauté urbaine ou d’une grosse communauté d’agglomération est aussi prenante qu’un mandat électoral : pourquoi ne serait-elle pas prise en compte au titre de la limitation du cumul des mandats ? J’ajoute que notre amendement tient compte de la taille des intercommunalités, puisqu’il prévoit des seuils pour l’application de la limitation du cumul.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il faut être vigilant lorsque l’on fixe des seuils en la matière. Par exemple, si l’on adoptait votre proposition, mes chers collègues, un maire ne pourrait présider une intercommunalité comptant plus de 30 000 habitants. J’attire votre attention sur ce point !

M. Claude Bérit-Débat. Le seuil peut être revu, c’est le principe qui compte !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Par ailleurs, s’il est vrai que la commission a repris deux dispositions du projet de loi n° 61, celles-ci s’inscrivent parfaitement dans le cadre de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, ce qui n’est pas le cas des mesures que vous préconisez en matière d’incompatibilités. L’examen du projet de loi n° 61 nous permettra d’avoir une vue d’ensemble de ces questions. Je considère moi aussi que certains cumuls ne sont plus acceptables aujourd'hui. Des progrès ont déjà été réalisés à cet égard, sous divers gouvernements, mais le développement de l’intercommunalité nous impose maintenant d’aller plus loin. Pour autant, il convient à mon sens d’envisager le problème de manière globale, plutôt que d’examiner des dispositions éparses : c’est la seule chose qui nous sépare ! Voilà pourquoi, à ce stade, je ne voterai pas cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Il faut être sérieux ! Après l’article 40, on nous oppose maintenant le projet de loi n° 61 !

Puisque vous parlez de cohérence, je vous rappelle que le projet de loi n° 60 ne devait pas traiter des modes de scrutin, cette question étant renvoyée au projet de loi n° 61.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. D’accord !

M. Pierre-Yves Collombat. On nous avait en outre expliqué en long, en large et en travers qu’elle relevait du domaine réglementaire.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Pierre-Yves Collombat. Puis nous est arrivé de l’Assemblée nationale le projet de loi électorale…

M. Pierre-Yves Collombat. Par conséquent, la cohérence, c’est quand ça vous arrange ! (M. le président de la commission des lois proteste.)

Que reste-t-il de l’initiative parlementaire ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Elle est intacte !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y en a plus !

M. Pierre-Yves Collombat. Dès que nous déposons une proposition de loi, aussi élémentaire soit-elle, on nous oppose l’article 40 ; aujourd’hui, on oppose à nos amendements l’examen d’un texte qui interviendra à l’automne, en 2012 ou en 2015…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non, ce sera à l’automne !

M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas sérieux !

Par ailleurs, je veux bien que l’on fasse du juridisme et que l’on distingue les mandats des fonctions, mais ces arguties mêmes témoignent qu’il est fondamental que nous ayons ce débat sur le statut de l’élu que nous réclamons tous : il permettra de préciser les choses. On sait bien que le problème, c’est non pas le cumul des mandats, mais celui des fonctions ! Il convient de le régler très rapidement. Dans cette optique, notre proposition n’a rien d’excessif ! Certes, monsieur le président de la commission, on peut discuter des seuils, mais ceux que nous avons retenus sont raisonnables, dans la mesure où ils permettent qu’un maire préside un EPCI de petite taille.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur le sénateur, je regrette que vous preniez ce ton…

M. Pierre-Yves Collombat. C’est la passion, monsieur le ministre !

M. Patrick Ollier, ministre. Je le comprends, mais il me semblait qu’il y avait un consensus sur ce texte ; je souhaite qu’il perdure jusqu’au terme du débat.

M. Pierre-Yves Collombat. Mais oui, nous voterons ce texte !

M. Patrick Ollier, ministre. Je vous en remercie, mais si vous souhaitez maintenir le consensus, il faut suivre la commission des lois. En l’occurrence, la liberté d’initiative sénatoriale est totale : c’est la commission des lois du Sénat qui a ajouté un certain nombre de dispositions issues du projet de loi n° 61, le Gouvernement s’est contenté de les approuver, parce qu’elles sont cohérentes avec l’excellente proposition de loi de M. Saugey et de Mme Des Esgaulx.

Pour votre part, vous souhaitez engager la discussion sur des sujets qui relèvent spécifiquement du projet de loi n° 61. Nous y viendrons lors de l’examen de ce dernier, à l’automne ; pour l’heure, préservons la cohérence de ce débat et le climat de consensus qui, jusqu’à présent, nous a permis d’avancer de manière très constructive.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 20 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 9, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À l'article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, les mots : « Les fonctionnaires et agents non titulaires de droit public » sont remplacés par les mots : « Les titulaires d'emplois supérieurs, les fonctionnaires, les agents non titulaires de droit public employés par l'État, une collectivité territoriale ou un établissement public, les membres d'un cabinet ministériel, les collaborateurs de cabinet des autorités territoriales, les agents contractuels de droit public ou de droit privé d'une autorité administrative indépendante ».

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Certes, avec cet amendement, nous anticipons : M. le rapporteur et M. le ministre vont sans aucun doute nous dire que cette question sera étudiée lors de l’examen du projet de loi n° 61… Cela étant, ne serait-ce que pour ne pas l’oublier, il est préférable de l’aborder aujourd’hui.

La confiance du citoyen en l’État se trouve au cœur du pacte républicain. C’est parce que le peuple attend de ses représentants une parfaite exemplarité que subsiste le lien essentiel entre souveraineté populaire et représentation. Le contrat social qui fonde l’État repose sur l’exigence de probité, d’impartialité et de responsabilité de la part des agents de l’État, qu’ils soient fonctionnaires, collaborateurs de cabinet ou titulaires d’un emploi supérieur nommés par le Gouvernement, à l’échelon tant national que local, bref de la part de tous ceux qui assurent des missions d’intérêt général avec lesquelles pourrait interférer un intérêt privé.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. L’objet de cet amendement excède celui de la proposition de loi : il n’a qu’un très lointain rapport avec le mandat local. De plus, il s’inscrit dans le champ du projet de loi relatif aux conflits d’intérêts – et non dans celui du projet de loi n° 61 –, qui devrait être déposé sur le bureau des assemblées dans les prochaines semaines, pour faire suite au rapport Sauvé.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Il est également défavorable. Je n’ai rien à ajouter aux propos de M. le rapporteur : le Gouvernement a effectivement pris l’initiative d’élaborer un projet de loi sur ce problème, qui sera examiné en son temps.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. J’aimerais que l’on nous communique la liste des projets de loi à venir : cela nous éviterait de déposer des amendements superflus et nous faciliterait le travail pour la prochaine session ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous aussi, nous souhaiterions disposer d’une telle liste !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 9.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Articles additionnels avant l'article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer l'attractivité et à faciliter l'exercice du mandat local
Article 2

Article 1er

(Supprimé)

Mme la présidente. L’article 1er a été supprimé, mais l'amendement n° 22, présenté par MM. Collombat, Anziani, Bérit-Débat, Daunis, Frécon, C. Gautier et Guillaume, Mme Klès, MM. Michel, Povinelli, Sueur, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, tend à le rétablir dans la rédaction suivante :

Au 2° de l’article L. 3142-56 du code du travail, les mots : « dans une commune d’au moins 3 500 habitants » sont remplacés par les mots : « dans une commune d’au moins 500 habitants ».

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement va sans doute également se voir opposer le projet de loi n° 61…

Il s’agit d’étendre à l’ensemble des communes d’au moins 500 habitants le régime de congé électif pour les candidats salariés. En effet, selon l’étude d’impact du projet de loi n° 61, rien ne permet de penser que l’application de ce régime constitue une contrainte excessive pour les entreprises.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Je suis effectivement contraint de vous renvoyer à l’examen du projet de loi n° 61, mon cher collègue. La commission des lois a supprimé l’article 1er de la proposition de loi, car la mise en place du congé électif est liée à l’application du scrutin municipal de liste. Cette question sera débattue lors de la discussion du projet de loi n° 61, qui prévoit pour l’heure d’abaisser le seuil de population de la commune à 500 habitants. Par conséquent, la commission demande le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Même avis.

M. Pierre-Yves Collombat. Nous ne céderons pas !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 22.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’article 1er demeure supprimé.

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer l'attractivité et à faciliter l'exercice du mandat local
Article 3

Article 2

(Supprimé)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer l'attractivité et à faciliter l'exercice du mandat local
Article 4

Article 3

(Supprimé)

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer l'attractivité et à faciliter l'exercice du mandat local
Article additionnel après l'article 4

Article 4

Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 2123-5, il est inséré un article L. 2123-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 2123-5-1. – Dans les plus brefs délais suivant la prise de fonctions des élus concernés, l’employeur est tenu informé par le maire, avec l’accord de l’intéressé, des dispositions des articles L. 2123-1 à L. 2123-6, L. 2123-7 à L. 2123-9, L. 2123-11, L. 2123-11-1, L. 2123-12 et L. 2123-13. » ;

2° Après l’article L. 3123-3, il est inséré un article L. 3123-3-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3123-3-1. – Dans les plus brefs délais suivant la prise de fonctions des élus concernés, l’employeur est tenu informé, par le président du conseil général, avec l’accord de l’intéressé, des dispositions des articles L. 3123-1 à L. 3123-4, L. 3123-5 à L. 3123-7, L. 3123-9, L. 3123-9-1, L. 3123-10 et L. 3123-11. » ;

3° Après l’article L. 4135-3, il est inséré un article L. 4135-3-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 4135-3-1. – Dans les plus brefs délais suivant la prise de fonctions des élus concernés, l’employeur est tenu informé par le président du conseil régional avec l’accord de l’intéressé, des dispositions des articles L. 4135-1 à L. 4135-4, L. 4135-5 à L. 4135-7, L. 4135-9, L. 4135-9-1, L. 4135-10 et L. 4135-11. »

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.

L'amendement n° 2 rectifié bis est présenté par Mme Gourault.

L'amendement n° 15 est présenté par M. Guené.

L'amendement n° 24 est présenté par MM. Povinelli, Collombat, Anziani, Bérit-Débat, Daunis, Frécon, C. Gautier et Guillaume, Mme Klès, MM. Michel, Sueur, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Après l'alinéa 1

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...°Au 4° du II de l'article L. 2123-2, les mots : « 3 500 à 9 999 habitants » sont remplacés par les mots : « moins de 10 000 habitants ».

La parole est à Mme Jacqueline Gourault, pour présenter l’amendement n° 2 rectifié bis.

Mme Jacqueline Gourault. Il s’agit simplement de corriger une erreur rédactionnelle à l’article L. 2123-2 du code général des collectivités territoriales. L’objet de cet amendement est d’accorder des crédits d’heures aux conseillers municipaux des communes de moins de 3 500 habitants, ainsi que d’en fixer le montant.

Mme la présidente. L’amendement n° 15 n’est pas soutenu.

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour présenter l’amendement n° 24.

M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement a le même objet que celui qui vient d’être défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Ces amendements ne sont pas tout à fait de nature rédactionnelle…

La loi du 27 février 2002 a étendu le principe du bénéfice du crédit d’heures à tous les conseillers municipaux, mais elle n’a pas prévu de quota forfaitaire pour les conseillers municipaux des communes de moins de 3 500 habitants.

Comprenant le souci d’harmonisation des auteurs des amendements, la commission émet un avis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. En effet, ces amendements n’ont rien de rédactionnel !

L’article L. 2123-2 du code général des collectivités territoriales attribue actuellement un crédit d’heures aux maires et aux adjoints de toutes les communes, ainsi qu’aux conseillers municipaux des communes de plus de 3 500 habitants. L’objectif est de leur donner le temps nécessaire à l’exercice de leur mandat.

Le bénéfice du crédit d’heures doit rester lié à l’étendue des responsabilités exercées.

En outre, l’utilisation des crédits d’heures constitue une contrainte pour l’employeur et se traduit par une charge financière pour la commune, qui compense les pertes de salaire supportées par l’élu.

L’élargissement du bénéfice de la quotité forfaitaire de crédit d’heures à tous les conseillers municipaux aurait donc, à ce double titre, une incidence significative, eu égard au nombre élevé des élus concernés, de l’ordre de 300 000.

Le Gouvernement, même s’il comprend la philosophie de ces amendements, tient à souligner leurs implications, qui sont considérables. Je le répète, ils ne sont pas rédactionnels.

Mme Jacqueline Gourault. Je retire le mot « rédactionnel ».

M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 rectifié bis et 24.

(Les amendements sont adoptés.)

Mme la présidente. Je constate que ces amendements ont été adoptés à l’unanimité des présents.

L'amendement n° 23, présenté par MM. Collombat, Anziani, Bérit-Débat, Daunis, Frécon, C. Gautier et Guillaume, Mme Klès, MM. Michel, Povinelli, Sueur, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer le mot :

maire

par les mots :

le représentant de l’État dans le département

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement tend à modifier légèrement le texte de la commission, s’agissant de l’information des employeurs sur les droits des élus municipaux salariés. Il serait préférable, à nos yeux, que le préfet assure cette information, ce qui lui donnerait un aspect à la fois plus neutre et plus officiel. Cela s’inscrit d’ailleurs tout à fait dans la fonction du préfet, puisqu’il s’agit simplement de rappeler la loi, sans s’immiscer dans la gestion locale.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. M. Collombat paraît très jacobin en la circonstance ! (Sourires.)

En réalité, si nous avons maintenu l’information par le maire, c’est parce que, un département pouvant compter un très grand nombre d’élus, le préfet serait submergé par la tâche et des erreurs risqueraient d’être commises, d’autant que, à la demande des élus eux-mêmes, nous avons prévu que l’élu devra donner son accord à une telle information. Il est beaucoup plus facile pour le maire de recueillir cet accord.

L’information des employeurs d’élus salariés sera donc assurée bien plus simplement par la collectivité à laquelle ceux-ci appartiennent, qui les connaît et pourra rapidement recueillir leur consentement, que par le préfet.

Par conséquent, l’avis de la commission est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement émet le même avis.

Monsieur Collombat, je m’étonne qu’un élu comme vous propose de revenir sur la décentralisation ! Faire intervenir le préfet dans cette matière me semble critiquable.

En outre, la mesure proposée serait inapplicable en pratique. En effet, sa mise en œuvre supposerait la création d’un dispositif lourd et complexe de centralisation des données, avec des risques d’erreurs inacceptables dans un domaine aussi sensible. Le maire est le mieux à même d’assurer cette mission.

C’est à bon droit que M. le rapporteur a parlé de jacobinisme !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Il y a des limites à la mauvaise foi ! Rappeler la loi fait tout de même partie des missions du préfet ! Encore une fois, il ne s’agit pas qu’il interfère dans les affaires communales !

Certes, le dispositif du texte est moins compliqué que celui que nous proposons, mais il ne servira à rien ! C’est peut-être d’ailleurs votre objectif…

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 23.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 4, modifié.

(L'article 4 est adopté.)

Article 4
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer l'attractivité et à faciliter l'exercice du mandat local
Article 5

Article additionnel après l'article 4

Mme la présidente. L'amendement n° 25, présenté par MM. Collombat, Anziani, Bérit-Débat, Daunis, Frécon, C. Gautier et Guillaume, Mme Klès, MM. Michel, Povinelli, Sueur, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l’article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La seconde phrase du dernier alinéa de l’article L. 2123-12 du code général des collectivités territoriales est complétée par les mots : « même si aucune action de formation n’a encore été financée par la commune ».

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Dans de nombreuses communes, l’obligation de procéder à un débat annuel sur la formation des membres du conseil municipal n’est pas respectée quand aucune action de formation n’a été financée. En somme, puisqu’il n’y a pas d’objet sur lequel débattre, le débat est inutile !

L’objet de cet amendement est de renforcer le caractère obligatoire de l’organisation de ce débat, qui servira au moins à constater qu’aucune action de formation n’a été menée, ce qui incitera peut-être à faire évoluer les choses.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. M. Collombat soulève un vrai problème : dans un certain nombre de communes, la loi n’est pas respectée.

L’article L. 2123-12 du code général des collectivités territoriales prévoit déjà l’obligation d’organiser un débat annuel sur la formation des élus. C'est la raison pour laquelle cet amendement, qui procède certes de bonnes intentions, est superfétatoire. En conséquence, j’en demande le retrait ; à défaut, l’avis sera défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 25.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article additionnel après l'article 4
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer l'attractivité et à faciliter l'exercice du mandat local
Article additionnel après l'article 5

Article 5

Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Le troisième alinéa de l’article L. 2123-14 est ainsi rédigé :

« Le montant prévisionnel des dépenses de formation ne peut être inférieur à 1 % du montant total des indemnités de fonction qui peuvent être allouées aux membres du conseil municipal, en application des articles L. 2123-23, L. 2123-24, L. 2123-24-1 et, le cas échéant, L. 2123-22. Le montant réel des dépenses de formation ne peut excéder 20 % du même montant. Les sommes non dépensées sont reportées sur le budget suivant dans la limite du mandat de la collectivité concernée. » ;

2° Le troisième alinéa de l’article L. 3123-12 est ainsi rédigé :

« Le montant prévisionnel des dépenses de formation ne peut être inférieur à 1 % du montant total des indemnités de fonction qui peuvent être allouées aux membres du conseil général, en application des articles L. 3123-16 et L. 3123-17. Le montant réel des dépenses de formation ne peut excéder 20 % du même montant. Les sommes non dépensées sont reportées sur le budget suivant dans la limite du mandat de la collectivité concernée. » ;

3° Le troisième alinéa de l’article L. 4135-12 est ainsi rédigé :

« Le montant prévisionnel des dépenses de formation ne peut être inférieur à 1 % du montant total des indemnités de fonction qui peuvent être allouées aux membres du conseil régional, en application des articles L. 4135-16 et L. 4135-17. Le montant réel des dépenses de formation ne peut excéder 20 % du même montant. Les sommes non dépensées sont reportées sur le budget suivant dans la limite du mandat de la collectivité concernée. »

Mme la présidente. L'amendement n° 26, présenté par MM. Collombat, Anziani, Bérit-Débat, Daunis, Frécon, C. Gautier et Guillaume, Mme Klès, MM. Michel, Povinelli, Sueur, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Le montant prévisionnel des dépenses de formation ne peut être inférieur à 1 % pour les communes de 5 000 habitants au moins, 3 % pour les communes de 10 000 habitants au moins et 5 % pour les communes de 20 000 au moins, du montant total des indemnités de fonction qui peuvent être allouées aux membres du conseil municipal en application des articles L. 2123-23, L. 2123-24, L. 2123-24-1 et, le cas échéant, L. 2123-22. Le montant des dépenses de formation ne peut excéder 20 % du montant total des indemnités de fonction qui peuvent être allouées aux élus de la commune. Les sommes non dépensées sont obligatoirement reversées au Fonds national de la formation des élus locaux qui les redistribue aux communes de 3 500 habitants au plus afin de financer des actions de formation, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État ; »

II. – Alinéa 5

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Le montant prévisionnel des dépenses de formation ne peut être inférieur à 5 % du montant total des indemnités de fonction qui peuvent être allouées aux membres du conseil général, par le conseil général ou le conseil régional, en application des articles L. 3123-16 et L. 3123-17. Le montant des dépenses de formation ne peut excéder 20 % du montant total des indemnités de fonction qui peuvent être allouées aux élus du département. Les sommes non dépensées sont obligatoirement reversées au Fonds national de la formation des élus locaux qui les redistribue aux communes de 3 500 habitants au plus afin de financer des actions de formation, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État. » ; 

III. – Alinéa 7

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Le montant prévisionnel des dépenses de formation ne peut être inférieur à 5 % du montant total des indemnités de fonction qui peuvent être allouées aux membres du conseil régional en application des articles L. 4135-16 et L. 4135-17. Le montant des dépenses de formation ne peut excéder 20 % du montant total des indemnités de fonction qui peuvent être allouées aux élus de la région. Les sommes non dépensées sont obligatoirement reversées au Fonds national de la formation des élus locaux qui les redistribue aux communes de 3 500 habitants au plus afin de financer des actions de formation, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État. »

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Le texte initial de la proposition de loi prévoyait la création d’un fonds de péréquation entre les communes pour le financement des dépenses de formation, ce qui nous paraissait tout à fait opportun, en vue de favoriser le développement de la formation, notamment dans les petites collectivités.

Un certain nombre de modifications ont été apportées au texte par la commission, mais l’idée de mettre en place un tel fonds de péréquation était bonne.

Cet amendement a étrangement échappé au couperet de la commission des finances : c’est un miraculé de l’article 40 ! (Sourires.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Cet amendement, qui tend à revenir au texte initial de la proposition de loi, est contraire à la position de la commission sur au moins trois points.

Tout d’abord, nous avons décidé d’unifier le plancher des crédits de formation à 1 % du montant total des indemnités de fonction, quelles que soient la nature de la collectivité et la taille de celle-ci.

Nous avons préféré retenir un dispositif de report d’une année sur l’autre des sommes non dépensées, cela dans la limite du mandat en cours, plutôt que de les transférer au Conseil national de la formation des élus locaux.

J’ajoute que le Conseil national de la formation des élus locaux n’est absolument pas compétent pour gérer un tel fonds. De surcroît, il faudrait modifier la loi relative à cet organisme, ce qui, en l’occurrence, n’est pas prévu.

Par conséquent, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Même avis que la commission.

Le consensus dont je parlais tout à l'heure porte sur le texte tel qu’il ressort des travaux de la commission, avec laquelle les auteurs de la proposition de loi sont d’accord. Le dispositif est cohérent avec le projet de loi n° 61.

En conséquence, je sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 26.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 5.

(L'article 5 est adopté.)

Article 5
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Article 6

Article additionnel après l'article 5

Mme la présidente. L'amendement n° 14, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l’article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Un décret en Conseil d'État fixe les conditions dans lesquelles la compétence acquise par tout élu municipal, départemental et régional au cours de l’exercice de son mandat est reconnue dans son parcours professionnel pour l’ouverture des droits au congé individuel de formation prévu à l’article L. 6323-1 du code du travail.

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet amendement s’inscrit dans un contexte marqué par deux grandes tendances : la décentralisation, qui a amené le transfert de lourdes responsabilités aux élus locaux ; la transformation des conditions économiques et sociales, qui rend plus difficile la réinsertion professionnelle des anciens élus ayant dû suspendre leur activité professionnelle le temps de leur mandat.

La réinsertion professionnelle aléatoire des anciens élus, dénoncée dans le Livre blanc de l’Association des petites villes de France, l’APVF, est rendue encore plus complexe lorsqu’il s’agit des droits ouverts aux salariés sur justification d’une ancienneté minimale dans l’entreprise.

Pourtant, en accomplissant les missions d’intérêt général nécessaires à la mise en œuvre de l’intervention publique, les élus municipaux, départementaux et régionaux acquièrent des compétences, juridiques ou managériales, qui devraient être valorisées dans le secteur privé. Voilà pourquoi nous proposons que l’expérience acquise par les élus locaux au cours de l’exercice de leur mandat soit reconnue dans leur parcours professionnel pour l’ouverture du droit au congé individuel de formation.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. La proposition du groupe CRC-SPG est intéressante, mais elle soulève différents problèmes.

L’article L. 6323-1 du code du travail prévoit un droit individuel à la formation, le DIF, de vingt heures pour les titulaires d’un CDI justifiant d’une ancienneté minimale d’un an dans l’entreprise.

Or l’amendement prend en compte le mandat électif pour l’ouverture du bénéfice du DIF, ce qui ne s’inscrit pas dans la logique de celui-ci : le droit individuel à la formation serait alors fondé sur une activité extérieure à l’entreprise.

Rappelons que l’élu peut déjà bénéficier de plusieurs autres dispositifs.

Ainsi, les élus qui ont suspendu leur activité professionnelle durant leur mandat bénéficient à l’issue de celui-ci, sur leur demande, d’une formation professionnelle et d’un bilan de compétences.

En outre, la commission a prévu la valorisation des acquis de l’expérience professionnelle – ce qui est une grande nouveauté – pour les titulaires de fonctions exécutives en vue de la délivrance d’un diplôme ou d’un titre universitaire, comme cela existe déjà pour les formations professionnelles.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Pour les mêmes raisons que la commission, le Gouvernement émet lui aussi un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 14.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article additionnel après l'article 5
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Article 7 A (nouveau)

Article 6

(Supprimé)

Article 6
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Article 7

Article 7 A (nouveau)

Au premier alinéa de l’article 432-12 du code pénal, les mots : « un intérêt quelconque » sont remplacés par les mots : « un intérêt personnel distinct de l’intérêt général ». – (Adopté.)

Article 7 A (nouveau)
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Article 7 bis (nouveau)

Article 7

L’article 432-14 du code pénal est ainsi rédigé:

« Art. 432-14. – Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l'État, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d'économie mixte d'intérêt national chargées d'une mission de service public et des sociétés d'économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le compte de l'une de celles susmentionnées, de contrevenir aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public, en vue de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié. » – (Adopté.)

Article 7
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Article 7 ter (nouveau)

Article 7 bis (nouveau)

Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Le dernier alinéa de l’article L. 2123-23 est ainsi rédigé :

« La population à prendre en compte est définie par voie réglementaire. » ;

2° Le paragraphe II de l’article L. 2123-24 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Ce montant total est calculé sur la base du nombre maximal théorique d’adjoints que le conseil municipal peut désigner sur le fondement de l’article L. 2122-2 et, s’il en est fait application dans la commune, de l’article L. 2122-2-1, augmenté le cas échéant du nombre d’adjoints désignés sur le fondement de l’article L. 2122-3. »

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre, sur l'article.

M. Antoine Lefèvre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent article traite des indemnités des maires et adjoints.

Si je prends la parole, c’est surtout pour évoquer un amendement que j’avais déposé et qui a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40. Il visait à revenir sur la gratuité des mandats électoraux, proposition qui avait été cosignée par une vingtaine de nos collègues.

La tradition de gratuité des mandats électoraux est ancienne, puisqu’elle est issue de la pensée de Montaigne, qui affirmait que « la charge de maire semble d’autant plus belle qu’elle n’a ni loyer ni gain autre que l’honneur de son exécution ».

Ce principe de gratuité était gage du dévouement et du désintéressement de l’élu. Dans notre droit, l’article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales s’en fait l’écho de en disposant que « les fonctions de maire, d’adjoint et de conseiller municipal sont gratuites ».

Pour autant, cette tradition française a été progressivement aménagée par les remboursements de frais et l’attribution d’indemnités de fonction aux maires et aux adjoints, ainsi que par la mise en place du régime de retraite des maires.

Il pourrait donc être envisagé de mettre fin au mythe originel du bénévolat des fonctions électives locales. À l’archétype du notable administrant sa commune en bon père de famille s’est substitué, sous l’effet des lois de décentralisation, un système qui a confié aux élus locaux des responsabilités beaucoup plus importantes, nécessitant une implication de tous les jours.

L’abrogation symbolique de l’article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales serait une juste reconnaissance de l’engagement dont font preuve les élus locaux dans l’exercice de leurs fonctions.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 7 bis.

(L'article 7 bis est adopté.)

Article 7 bis (nouveau)
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Article additionnel après l'article 7 ter

Article 7 ter (nouveau)

Au premier alinéa de l’article L. 5214-8 du code général des collectivités territoriales, après les mots : « et L. 2123-18-4 » sont insérés les mots : «, ainsi que le II de l’article L. 2123-24-1, ».  – (Adopté.)

Article 7 ter (nouveau)
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Article 8

Article additionnel après l'article 7 ter

Mme la présidente. L'amendement n° 5 rectifié bis, présenté par MM. Lefèvre, Frassa, Cambon, Milon et Bécot, Mme Malovry, M. Hérisson, Mme Sittler, M. Pierre, Mmes Dumas et Bruguière, MM. B. Fournier, Dufaut et Vasselle, Mme Rozier, M. Demuynck, Mme Mélot et M. Houel, est ainsi libellé :

Après l’article 7 ter, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement remet au Parlement avant le 31 décembre 2011 un rapport présentant une analyse et des propositions portant sur les systèmes et niveaux de retraite des élus locaux

La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Cet amendement vise à prévoir que le Gouvernement remette au Parlement un rapport comportant des propositions sur les retraites des élus locaux.

En effet, les élus locaux bénéficient de retraites fort disparates selon leur carrière et les mandats qu’ils ont exercés. Il apparaît donc opportun de dresser un état des lieux, notamment en matière de droits à pension au titre de régimes de retraite par rente auxquels certains élus n’ont pas accès, en particulier les élus locaux ayant cessé leur activité professionnelle pour se consacrer exclusivement à leur mandat.

Différentes propositions de loi visant à améliorer le régime de retraite de ces élus ont été déposées soit à l’Assemblée nationale, soit au Sénat, mais elles n’ont jamais été inscrites à l’ordre du jour des assemblées. Au Sénat, celle de 2005 avait pour premier signataire M. Philippe Richert, aujourd’hui ministre chargé des collectivités territoriales. Elle a été déclarée caduque, mais ses termes sont toujours d’actualité. J’avais d’ailleurs déposé un amendement tendant à les reprendre, mais l’article 40 de la Constitution lui a été opposé.

En l’espèce, comme l’a rappelé notre collègue Michel Houel lors de la discussion générale, les élus locaux ayant cessé d’exercer leur activité professionnelle pour se consacrer exclusivement à leur mandat et qui n’acquièrent aucun droit à pension au titre d’un régime obligatoire d’assurance vieillesse sont alors affiliés, pour leur retraite de base, à l’assurance vieillesse du régime général de sécurité sociale.

En revanche, et à la différence des élus locaux n’ayant pas cessé d’exercer leur activité professionnelle pendant la durée de leur mandat, ces élus ne peuvent pas acquérir de droits à pension auprès des régimes de retraite par rente qui ont été spécialement constitués en faveur des conseillers municipaux, généraux et régionaux, tels que le fonds de pension des élus locaux, le FONPEL, et la caisse de retraites des élus locaux, la CAREL.

Or cette exclusion est d’autant plus injuste qu’elle s’applique à des élus ayant consenti d’importants sacrifices, en termes tant de carrière professionnelle que de revenus personnels, pour se consacrer entièrement à leur mandat et se dévouer au service de leurs concitoyens. Ces élus sont en outre pénalisés, en matière de retraite, par le niveau généralement modeste des pensions servies, au titre de leur mandat, par le régime général de sécurité sociale et par l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques, l’IRCANTEC.

Afin de corriger cette injustice, il paraît donc indispensable d’autoriser ces élus à cotiser également aux régimes de retraite par rente gérés par le FONPEL ou la CAREL.

Nous souhaitons que le Gouvernement se penche sur cette disparité manifeste et fasse des propositions pour y remédier.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Je tiens à rappeler tout d’abord la réticence de la Haute Assemblée devant la multiplication des rapports. Qui plus est, la réforme constitutionnelle de 2008 nous impose un travail de contrôle qui peut parfaitement se substituer à ces rapports, souvent inutiles ou négligés.

Permettez-moi ensuite de rappeler les dispositions qui régissent la retraite des élus.

Tous les élus percevant une indemnité de fonction sont obligatoirement affiliés à l’IRCANTEC.

Les membres d’exécutifs locaux qui ont suspendu leur activité professionnelle pour se consacrer à leur mandat et qui ne relèvent d’aucun autre régime de base peuvent être affiliés au régime général d’assurance vieillesse.

Les élus locaux qui perçoivent des indemnités de fonction et qui ne sont pas affiliés ès qualité au régime général d’assurance vieillesse peuvent adhérer à un fonds de pension par rente auquel la collectivité contribue à parité. Cette faculté a été introduite en 1992 pour compenser la diminution de rémunération, et donc de cotisation, pouvant résulter de la réduction d’activité professionnelle du fait de l’exercice du mandat électif. Son fondement est donc spécifique.

Le rapport demandé au travers de cet amendement n’apparaît donc pas nécessaire en l’état, d’autant que, comme je le disais à l’instant, la révision constitutionnelle de 2008 impose au Parlement d’assurer ces contrôles, le cas échéant.

La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement n’a rien à ajouter à l’excellente démonstration de M. le rapporteur et souscrit tout à fait à ses arguments : l’avis est défavorable.

Mme la présidente. Monsieur Lefèvre, l'amendement n° 5 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Antoine Lefèvre. Je vais le retirer, même si les explications qui viennent de m’être apportées ne me donnent pas tout à fait satisfaction. Je souligne que les élus ressortissants au régime général de la sécurité sociale ne peuvent toujours pas cotiser au titre du FONPEL et de la CAREL, ce qui est, selon moi, une injustice. Je souhaiterais que le Gouvernement se penche sur cette question.

Mme la présidente. L'amendement n° 5 rectifié bis est retiré.

Article additionnel après l'article 7 ter
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Article 8 bis (nouveau)

Article 8

À l’article L. 2123-9 du code général des collectivités territoriales, le nombre : « 20 000 » est remplacé par le nombre : « 10 000 ».

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 12, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° À l’article L. 2123-9, les mots : « de 20 000 habitants au moins » sont supprimés ;

2° À l'article L. 3123-7, les mots : « Le président ou les vice-présidents ayant délégation de l'exécutif du conseil général » sont remplacés par les mots : « Les conseillers généraux » ;

3° À l'article L. 4135-7, les mots : « Le président ou les vice-présidents ayant délégation de l'exécutif du conseil régional » sont remplacés par les mots : « Les conseillers régionaux ».

4° Après l’article L. 5211-12, il est inséré un article L. 5211-12-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 5211-12-1. - Les présidents des établissements publics de coopération intercommunale mentionnés aux articles L. 5211-12 et L. 5215-1 qui pour l’exercice de leur mandat ont cessé d’exercer leur activité professionnelle bénéficient, s’ils sont salariés, des dispositions des articles L. 3142-60 à L. 3142-64 du code du travail relatives aux salariés élus, membres de l’Assemblée nationale et du Sénat. »

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Les lois de décentralisation qui se sont succédé depuis 1982 ont considérablement alourdi les prérogatives des exécutifs territoriaux, en particulier ceux des plus petites communes, et ont érigé les collectivités locales en acteurs pleinement autonomes de l’action publique, comme l’a constaté l’Association des petites villes de France dans son Livre blanc de 2005.

Cette évolution s’est produite au détriment de nombreux maires et adjoints de petites communes, contraints d’abandonner leur activité professionnelle pour se consacrer entièrement à leur mandat municipal et aux responsabilités accrues qui s’y attachent. Il en résulte un décalage de plus en plus profond entre les responsabilités qui leur sont confiées et les moyens dont ils disposent pour les assumer.

Ce transfert de compétences a également étendu les attributions des conseillers généraux et régionaux, ainsi que celles des membres des exécutifs des EPCI, qui devraient eux aussi pouvoir bénéficier des droits accordés aux parlementaires afin de concilier leur mandat et leur activité professionnelle.

Mme la présidente. L'amendement n° 31, présenté par MM. Povinelli, Collombat, Anziani, Bérit-Débat, Daunis, Frécon, C. Gautier et Guillaume, Mme Klès, MM. Michel, Sueur, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Remplacer le nombre :

10 000

par le nombre :

3 500

La parole est à M. Claude Bérit-Débat.

M. Claude Bérit-Débat. La loi du 3 février 1992, qui a été modifiée par celle du 5 avril 2000, a défini les modalités selon lesquelles les élus locaux peuvent suspendre leur activité professionnelle pour exercer leur mandat puis retourner dans le monde du travail à l’expiration de celui-ci.

Toutefois, le dispositif ne profite actuellement qu’aux maires et aux adjoints des communes de plus de 20 000 habitants, aux présidents de communauté ou de syndicat mixte ouvert, aux vice-présidents de communauté de plus de 20 000 habitants ou de syndicat mixte ouvert associant exclusivement des collectivités territoriales et des groupements de collectivités de plus de 20 000 habitants, aux présidents et vice-présidents de conseil général ou régional.

Dans sa rédaction initiale, la présente proposition de loi élargissait le champ des bénéficiaires de la suspension du contrat de travail et du droit à réinsertion dans l’entreprise à l’issue de leur mandat aux adjoints au maire salariés des communes de 10 000 habitants au moins, ainsi qu’aux conseillers généraux et régionaux.

La commission des lois, si elle a approuvé cet élargissement aux adjoints au maire susvisés, n’a pas souhaité qu’il concerne les conseillers généraux et régionaux.

L’amendement n° 31 a pour objet d’étendre le bénéfice de la suspension du contrat de travail et du droit à réinsertion dans l’entreprise à l’issue du mandat aux adjoints au maire des communes de plus de 3 500 habitants.

Mme la présidente. L'amendement n° 30, présenté par MM. Collombat, Anziani, Bérit-Débat, Daunis, Frécon, C. Gautier et Guillaume, Mme Klès, MM. Michel, Povinelli, Sueur, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

... - À l’article L. 3123-7 du même code, les mots : « Le président ou les vice-présidents ayant délégation de l’exécutif du conseil général » sont remplacés par les mots : « Les conseillers généraux titulaires d’une délégation de l’exécutif du conseil général ».

... - À l’article L. 4135-7 du même code, les mots : « Le président ou les vice-présidents ayant délégation de l’exécutif du conseil régional » sont remplacés par les mots : « Les conseillers régionaux titulaires d’une délégation de l’exécutif du conseil régional ».

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Aux termes du droit en vigueur, les présidents et vice-présidents ayant délégation de l’exécutif d’un conseil général ou d’un conseil régional peuvent bénéficier de la suspension de leur contrat de travail.

La rédaction initiale de la proposition de loi prévoyait l’extension de cette possibilité à l’ensemble des conseillers généraux et régionaux, mais la commission des lois a supprimé cette disposition.

Cet amendement de compromis a pour objet d’étendre la faculté précitée aux conseillers généraux et régionaux titulaires d’une délégation de l’exécutif, respectivement, du conseil général ou du conseil régional.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Pour ce qui concerne l’amendement n° 12, la commission a souhaité préserver le lien entre le bénéfice de la suspension du contrat de travail et l’exercice de fonctions exécutives. Elle a étendu aux adjoints au maire des communes de 10 000 habitants et plus le bénéfice de ce droit à suspension du contrat de travail, au regard de la taille de ces collectivités.

Le sixième alinéa du présent amendement est satisfait par le droit en vigueur, puisque ce droit à suspension du contrat de travail est étendu aux communautés de communes, aux communautés d’agglomération et aux communautés urbaines, ainsi qu’aux métropoles. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.

La commission a, par ailleurs, retenu le seuil de population de 10 000 habitants, contre 20 000 actuellement, pour l’ouverture aux adjoints au maire du bénéfice du droit à suspension du contrat de travail, les responsabilités exercées par eux dans des communes de cette taille semblant le justifier. Ne souhaitant pas abaisser encore ce seuil, elle est défavorable à l’amendement n° 31.

Enfin, le droit à suspension du contrat de travail est lié à l’exercice de fonctions particulières au sein de la collectivité. C’est la raison pour laquelle la commission a visé les présidents et vice-présidents des conseils régionaux et généraux. Il ne semble pas opportun d’aller au-delà. Je rappelle néanmoins que les conseillers généraux ou régionaux peuvent recevoir délégation de l’exécutif, soit en l’absence ou en cas d’empêchement des vice-présidents, soit lorsque les vice-présidents sont tous titulaires d’une délégation. L’adoption de l’amendement n° 30 pourrait entraîner un effet pervers : une délégation pourrait être accordée à tous les membres du conseil général ou régional appartenant à la majorité, ce qui aboutirait à un détournement de l’esprit de la loi. En conséquence, l’avis est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement est lui aussi défavorable à ces trois amendements ; je vais m’en expliquer.

Actuellement, seuls les adjoints au maire des communes de plus de 20 000 habitants ont la possibilité de suspendre leur activité professionnelle pour se consacrer à leur mandat, ce qui représente 5 624 élus de 455 communes.

L’extension de cette faculté aux adjoints au maire des 495 communes de 10 000 à 20 000 habitants proposée à l’article 8 ouvrirait ce droit à 4 901 adjoints au maire supplémentaires. L’élargissement complémentaire du dispositif, proposé par M. Collombat, aux adjoints au maire des 1 952 communes de 3 500 à 10 000 habitants permettrait à 16 454 adjoints supplémentaires de bénéficier de ce droit. Quant à la suppression pure et simple du seuil de population proposée par Mme Mathon-Poinat, elle aboutirait à élargir encore le champ de ce dernier aux 131 449 adjoints des 33 779 communes de moins de 3 500 habitants.

Je tenais, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous faire part de ces éléments, afin que chacun d’entre vous comprenne bien la portée des amendements qui vous sont soumis.

Il me paraît essentiel que l’ouverture de la possibilité de suspendre une activité professionnelle soit liée à l’étendue des responsabilités exercées. À cet égard, l’article 8 représente déjà une avancée très significative. Le Gouvernement, souscrivant à la position de la commission des lois, est défavorable aux amendements nos 12, 31 et 30.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote sur l’amendement n° 12.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le ministre, ces chiffres sont impressionnants, mais que prouvent-ils ? On ne demande tout de même pas la suspension de son contrat de travail par plaisir ! Il faut avoir une forte motivation pour le faire, car cela n’est pas sans conséquences sur le plan professionnel. J’ajoute que l’entreprise n’en est pas pour autant pénalisée.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 12.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote sur l'amendement n° 31.

M. Claude Bérit-Débat. Je le reconnais, cette proposition de loi représente une réelle avancée, et je ne doute pas de la sincérité des chiffres que vient de nous fournir M. le ministre.

Cela étant, pour pouvoir exercer les fonctions de maire d’une commune de 4 000 habitants, j’ai dû demander à travailler à mi-temps. La charge de travail de l’exécutif, dans une commune de 3 500 à 10 000 habitants, est d’autant plus lourde qu’il ne dispose pas des mêmes services techniques et administratifs que celui d’une commune de plus grande taille.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Évidemment, la différence est considérable !

M. Claude Bérit-Débat. Je voudrais insister sur l’utilité sociale des maires des petites communes : lorsqu’un problème survient, c’est directement à eux que s’adressent les pompiers, les gendarmes ou la police. Leur charge de travail est donc très importante, et il ne nous semblait pas déraisonnable d’abaisser le seuil de population en question à 3 500 habitants.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 31.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 30.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 8.

(L'article 8 est adopté.)

Article 8
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Article 9

Article 8 bis (nouveau)

Au premier alinéa de l’article L. 613-3 du code de l’éducation, les mots : « ou de volontariat » sont remplacés par les mots : «, de volontariat ou une fonction élective locale ».

Mme la présidente. L'amendement n° 19, présenté par M. Gélard, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - À la première phrase du troisième alinéa de l’article L. 952-1 du code de l’éducation, après les mots : « activité professionnelle principale », sont insérés les mots : « ou un mandat électif local ».

La parole est à M. Patrice Gélard.

M. Patrice Gélard. Selon les textes en vigueur, seuls peuvent assurer des vacations dans l’enseignement supérieur les titulaires d’un contrat de travail, d’une part, et les chefs d’entreprise, d’autre part.

Ainsi, pourra intervenir dans un cursus de mastère d’aménagement du territoire le directeur de l’urbanisme de la commune, mais pas un conseiller municipal ou l’adjoint au maire chargé de ce domaine s’il n’a pas d’activité professionnelle. Il conviendrait de remédier à cette anomalie, afin qu’un élu local puisse effectuer des vacations et faire ainsi bénéficier les étudiants de son expérience en matière d’urbanisme ou d’aménagement du territoire, par exemple. J’ajoute qu’une telle mesure ne coûterait strictement rien au budget de l’État.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Sont en l’espèce visés les élus locaux qui se consacrent entièrement à leur mandat, ceux qui sont salariés ou chefs d’entreprise pouvant d’ores et déjà assurer de telles vacations. Il est en effet paradoxal que des élus justifiant des titres nécessaires ne puissent intervenir dans l’enseignement supérieur, au contraire par exemple d’un agent communal, au seul motif qu’ils exercent leur mandat à plein temps.

Une telle ouverture pourrait remettre en cause le statut des enseignants, nous dit-on. N’exagérons rien ! Il ne s’agit que de vacations, de quelques heures de cours, et cette disposition ne concernera qu’un nombre de cas très limité. Les élus en question, je le répète, devront, comme tous les autres vacataires, remplir les conditions de titres.

La commission a émis un avis favorable sur cet amendement de l’excellent doyen Gélard.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. L’article L. 952-1 du code de l’éducation permet aux présidents d’université et aux directeurs d’établissement de recruter des personnes exerçant à titre principal une activité professionnelle autre que l’enseignement.

L’amendement présenté vise à ouvrir à tous les élus locaux la possibilité d’être recrutés en qualité de chargé d’enseignement et de faire ainsi profiter les étudiants de leur expérience.

L’intérêt de cet amendement est manifeste, toutefois l’exercice d’un mandat local ne constitue pas une activité professionnelle. Je souhaite que l’on soit très vigilant sur la compétence des candidats. En effet, si, par exemple, le directeur du service de l’urbanisme d’une commune est à l’évidence compétent dans son domaine d’activité professionnelle, un conseiller municipal ne l’est pas forcément au même degré. Il convient d’être attentif à ce point, même si les élus en question devront eux aussi remplir les conditions de titres requises.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Gélard.

M. Patrice Gélard. Ce sont les universités et leurs organes de recrutement, notamment les commissions de spécialistes, qui statueront. Celles-ci ne recruteront pas un vacataire au seul motif qu’il est conseiller municipal ! Elles veilleront à ce qu’il possède les compétences scientifiques nécessaires. Par exemple, un élu local docteur en droit se consacrant à son seul mandat pourra enseigner, puisqu’il détient les titres requis.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Ollier, ministre. Il était bon que M. Gélard apporte ces précisions. J’y insiste, il est nécessaire d’être vigilant s'agissant des titres et des compétences des personnes concernées. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 19.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 8 bis, modifié.

(L'article 8 bis est adopté.)

Article 8 bis (nouveau)
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Article additionnel après l'article 9

Article 9

Le premier alinéa de l’article L. 2123-11-2 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Les mots : « de 1 000 habitants au moins » sont supprimés ;

2° Le nombre : « 20 000 » est remplacé par le nombre : « 10 000 ».

Mme la présidente. L'amendement n° 32, présenté par MM. Collombat, Anziani, Bérit-Débat, Daunis, Frécon, C. Gautier et Guillaume, Mme Klès, MM. Michel, Povinelli, Sueur, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer le nombre :

10 000

par le nombre :

3 500

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Il s’agit d’un problème dont l’importance est apparue progressivement : celui de la fin de mandat. En effet, ce dernier est périssable, même si on essaie de l’oublier…

Une allocation différentielle de fin de mandat a été créée. Cette allocation est aujourd'hui perçue par tout maire d’une commune de 1 000 habitants au moins ou tout adjoint dans une commune de 20 000 habitants au moins ayant reçu délégation de fonction de celui-ci.

La rédaction initiale de la proposition de loi prévoyait d’étendre le champ des bénéficiaires de l’allocation différentielle de fin de mandat à tous les maires et aux adjoints dans les communes de 3 500 habitants au moins ayant reçu délégation de fonction de celui-ci. La commission des lois a conservé l’extension du dispositif à l’ensemble des maires, mais a relevé le seuil de population à 10 000 habitants pour les adjoints.

L’objet de notre amendement est de revenir au texte initial de la proposition de loi.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Cet amendement est contraire au texte de la commission, laquelle a retenu le seuil d’application du droit à suspension du contrat de travail pour déterminer le champ des bénéficiaires de l’allocation différentielle de fin de mandat. En outre, il est incompatible avec l’article 8, que nous précédemment adopté.

Je rappelle que l’allocation en question est destinée aux élus qui ont suspendu leur activité professionnelle pour se consacrer exclusivement à leurs fonctions exécutives locales.

La commission émet un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement émet lui aussi un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 32.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 9.

(L'article 9 est adopté.)

Article 9
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Article 9 bis (nouveau)

Article additionnel après l'article 9

Mme la présidente. L'amendement n° 40 rectifié bis, présenté par M. Daunis et les membres du groupe Socialiste, est ainsi libellé :

Après l’article 9, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° L’article L. 2122-22 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« 25° D’accorder, en cas d’urgence, un mandat spécial à un membre du conseil municipal pour une opération précise, exceptionnelle, indispensable et limitée dans le temps en signant un ordre de mission précisant le motif, la durée de cette mission ainsi que les moyens de déplacement et le cas échéant la possibilité d’utiliser les véhicules de service. »

2° L’article L. 2123-18 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dépenses engagées au titre du mandat spécial accordé dans les conditions prévues au 25° de l’article L. 2122-22 sont remboursées dans les conditions prévues aux alinéas précédents. »

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement, rédigé de manière quelque peu sibylline, peut-être, vise à lever une difficulté en matière de remboursement de frais aux conseillers municipaux exerçant des mandats spéciaux. En effet, il est parfois difficile de prévoir à l’avance l’attribution de tels mandats ou de convoquer un conseil municipal pour en délibérer.

L’adoption de notre amendement permettrait de conférer davantage de souplesse à la gestion des mandats spéciaux.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Les dispositions proposées prévoient que, par délégation du conseil municipal et pour la durée de son mandat, le maire sera compétent pour attribuer un mandat spécial à un conseiller municipal.

Les dépenses engagées à ce titre seraient remboursées dans les conditions de l’article L. 2123-18 du code général des collectivités territoriales, qui prévoit le remboursement des frais occasionnés par l’exécution d’un mandat spécial. Il s’agit d’un remboursement forfaitaire dans la limite du montant des indemnités journalières allouées à cet effet aux fonctionnaires de l’État. Les dépenses de transport effectuées dans l’accomplissement de ces missions sont remboursées sur présentation d’un état de frais. Les autres dépenses liées à l’exercice d’un mandat spécial peuvent être remboursées par la commune sur présentation d’un état de frais et après délibération du conseil municipal.

L’amendement n° 40 rectifié bis prévoit une délégation imprécise, les opérations pouvant faire l’objet d’un mandat spécial n’étant ni déterminées ni délimitées. Or l’exercice de tels mandats peut entraîner des frais importants pour la collectivité territoriale : celle-ci doit pouvoir délibérer de leur attribution.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement émet lui aussi un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 40 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article additionnel après l'article 9
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Article 10

Article 9 bis (nouveau)

Au deuxième alinéa de l’article L. 2123-20-1 du code général des collectivités territoriales, les mots : « sauf si le conseil municipal en décide autrement » sont supprimés.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, sur l’article.

M. Jean-Marc Todeschini. Cet article introduit par la commission des lois va dans le bon sens. Il reprend le dispositif d’une proposition de loi de Mme Gourault, ainsi que, en partie, celui de la proposition de loi que Gisèle Printz, Jean-Pierre Masseret, Daniel Reiner et moi-même avions déposé en avril dernier au nom du groupe socialiste ; j’y reviendrai.

Il s’agit avant tout de sécuriser l’indemnité de fonction des maires des petites communes. Depuis 2002, la loi prévoit l’attribution automatique des indemnités maximales pour les maires des communes de moins de 1 000 habitants, sauf décision contraire du conseil municipal. Cet article constitue une avancée en ce qu’il supprime cette faculté conférée au conseil municipal.

En effet, l’indemnité du maire peut, en début de mandat, faire l’objet de vifs débats avec l’opposition, pouvant déboucher sur le vote d’une indemnisation inférieure à ce qu’autorisent les textes. Dans d’autres communes, du fait de la faiblesse des moyens financiers, il arrive que le conseil municipal, souvent à la demande du maire, ne vote pas le taux maximal d’indemnisation autorisé.

Le dispositif de l’article 9 bis devrait permettre d’éviter que le maire ne soit amené à renoncer à ses indemnités de fonction, pourtant attachées à un mandat auquel il consacrera beaucoup de temps et d’énergie.

Nous le savons, être maire d’une petite commune n’est pas chose facile. Les charges et les responsabilités s’accroissent, les procédures sont de plus en plus complexes et exigeantes, tandis que les moyens s’amenuisent au fil des lois de finances. En l’absence de services techniques, administratifs et financiers, hormis quelques heures de secrétariat, le maire fait bien souvent office de premier bénévole au service de sa commune. Il s’agit d’un vrai sacerdoce pour de nombreux maires de petite commune, qui doivent se rendre disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et parfois même conjuguer ce travail au service de l’intérêt général avec une activité professionnelle.

J’en viens à un second aspect, qui fut fatal à la proposition de loi que mes collègues socialistes et moi-même avions déposée en avril dernier : l’extension de l’automaticité de l’attribution des indemnités maximales aux maires des communes de 1 000 à 3 500 habitants, qui éprouvent eux aussi de grandes difficultés à exercer leurs fonctions.

J’ai représenté le dispositif de cette proposition de loi au travers d’un amendement lors de l’examen du texte par la commission des lois, pensant que cela ne poserait aucun problème puisque sa recevabilité avait déjà été contrôlée lors du dépôt de celle-ci. De surcroît, les modalités de son financement étaient précisées : nous indiquions que, afin de soutenir financièrement les communes concernées, nous proposerions par voie d’amendement lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2012 une augmentation de la dotation particulière relative aux conditions d’exercice des mandats locaux, prévue à l’article L. 2335-1 du code général des collectivités territoriales.

Pourtant, cet amendement a été déclaré irrecevable. C'est pourquoi j’ai demandé la parole sur le présent article.

L’application de l’article 40 de la Constitution, à laquelle s’ajoutera peut-être bientôt celle de la « règle d’or », débouche sur une situation ridicule : un amendement reprenant le dispositif d’une proposition de loi jugée recevable lors de son dépôt est déclaré irrecevable… L’initiative parlementaire s’en trouve totalement décrédibilisée, et les élus locaux ont le sentiment d’avoir été abusés.

Pour en revenir à l’objet de l’article 9 bis, je tiens à souligner que l’indemnité du maire peut faire débat aussi dans les communes de 1 000 à 3 500 habitants et se trouver minorée.

Or la réalité du terrain montre que la fonction de maire d’une commune de moins de 3 500 habitants représente une tâche considérable, qui doit être accomplie sans l’appui des services municipaux nécessaires. Ces maires sont eux aussi confrontés à la complexité des procédures, à l’alourdissement des responsabilités et à l’amenuisement des moyens.

Rappelons-le, il s’agit ici d’améliorer le statut de l’élu, pour rendre la démocratie locale plus attractive et élargir le recrutement des élus locaux. Il aurait donc été souhaitable d’étendre l’automaticité de l’attribution des indemnités maximales aux maires des communes de 1 000 à 3 500 habitants.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 9 bis.

(L'article 9 bis est adopté.)

Article 9 bis (nouveau)
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Article additionnel après l'article 10

Article 10

(Non modifié)

Au premier alinéa de l’article L. 2122-35 du code général des collectivités territoriales, les mots : « dix-huit ans » sont remplacés par les mots : « douze ans ».  – (Adopté.)

Article 10
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Article 11

Article additionnel après l'article 10

Mme la présidente. L'amendement n° 8, présenté par M. Guené, est ainsi libellé :

Après l’article 10, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 141-7 du code des assurances est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le I ne s’applique pas au régime de retraite complémentaire institué par l’Association pour la gestion du fonds de pension des élus locaux.

« Les adhérents au régime de retraite complémentaire institué par l’Association pour la gestion du fonds de pension des élus locaux sont informés individuellement, trente jours au moins avant la date fixée pour la réunion de l’assemblée générale, de son ordre du jour, et de la possibilité d’obtenir sur demande communication du procès-verbal de cette réunion. »

Cet amendement n'est pas soutenu.

Article additionnel après l'article 10
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer l'attractivité et à faciliter l'exercice du mandat local
Articles additionnels après l'article 11

Article 11

(Supprimé)

Article 11
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Articles additionnels après l'article 11

Mme la présidente. L'amendement n° 36, présenté par M. Todeschini, Mme Printz, MM. Masseret, Reiner, Collombat, Anziani, Bérit-Débat, C. Gautier, Frécon et Guillaume, Mme Klès, MM. Michel, Povinelli, Sueur et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l’article 11, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 254 du code électoral est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Nul ne peut être candidat sur plus d’une liste dans la même commune ou dans plusieurs sections électorales d’une même commune, ni être candidat dans plusieurs communes. »

La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.

M. Jean-Marc Todeschini. Aujourd’hui, le panachage permet le dépôt de listes incomplètes dans les communes de moins de 2 500 habitants, et l’ajout par les électeurs de noms de personnes n’étant pas candidates à l’élection municipale. Ne sont comptés que les noms arrivant en premier sur la liste dans la limite du nombre de sièges à pourvoir.

Cette grande liberté laissée à l’électeur encourage la juxtaposition de personnes, au détriment d’un projet collectif pour la commune. Elle est également source d’instabilité et de conflits au sein des majorités municipales.

Cet amendement vise à ce que soient considérés comme nuls, lors du dépouillement, les bulletins de vote comportant plus de noms qu’il n’y a de conseillers municipaux à élire ou mentionnant le nom d’une ou de plusieurs personnes n’ayant pas fait acte de candidature.

Sans remettre en cause le principe du panachage, il s’agit de favoriser une logique d’équipe et de programme municipal.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Le scrutin municipal n’est pas l’objet de la présente proposition de loi. Cette question relève plutôt du projet de loi n° 61.

La commission demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Dans le même souci de cohérence, je renvoie ce débat à l’examen du projet de loi n° 61.

Je souhaiterais donc que cet amendement soit retiré. À défaut, le Gouvernement émettra lui aussi un avis défavorable.

Mme la présidente. Monsieur Todeschini, l'amendement n° 36 est-il maintenu ?

M. Jean-Marc Todeschini. Oui, madame la présidente.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 36.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 35, présenté par M. Todeschini, Mme Printz, MM. Masseret, Reiner, Collombat, Anziani, Bérit-Débat, C. Gautier, Frécon et Guillaume, Mme Klès, MM. Michel, Povinelli, Sueur et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l’article 11, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après la section 1 du chapitre II du titre IV du livre premier du code électoral, il est inséré une section ainsi rédigée :

« Section I bis

« Déclarations de candidature

« Art. L. 255-1-1. – Nul ne peut être élu s’il n’a fait préalablement acte de candidature dans les conditions définies aux articles L. 255-1-2 et L. 255-1-3.

« Art. L. 255-1-2. – Une déclaration de candidature est obligatoire pour chaque tour de scrutin. Seules peuvent être candidates :

« – pour les communes de moins de 2 500 habitants, les personnes ayant fait collectivement ou à titre individuel acte de candidature ;

« – pour les communes dont la population est comprise entre 2 500 et 3 499 habitants, et au regard de l’article L. 256, les personnes ayant fait collectivement acte de candidature.

« Cette déclaration de candidature est faite selon les modalités définies aux deuxième à huitième alinéas de l’article L. 265 et à l’article L.O. 265-1.

« Art. L. 255-1-3. – Le dépôt des déclarations de candidature s’effectue en sous-préfecture ou en préfecture, au plus tard :

« – pour le premier tour, le troisième jeudi qui précède le jour du scrutin, à 18 heures ;

« – pour le second tour, le mardi qui suit le premier tour, à 18 heures. »

La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.

M. Jean-Marc Todeschini. Sans doute me renverra-t-on là aussi à l’examen du projet de loi n° 61…

Cet amendement vise à étendre aux communes de moins de 3 500 habitants certaines dispositions du code électoral concernant les formalités de déclaration de candidature s’appliquant aux communes dont la population dépasse ce seuil.

Il s’agit de répondre à une demande formulée à plusieurs reprises par les maires des petites communes, en posant le principe que nul ne peut être élu s’il n’a préalablement fait acte de candidature et en rendant obligatoire, pour chaque tour de scrutin, le dépôt d’une déclaration de candidature, individuelle ou collective, selon des modalités pratiques inspirées de celles qui valent pour les communes de plus de 3 500 habitants.

Aujourd’hui, dans les petites communes, il est possible de se porter candidat jusqu’au moment du vote, au premier comme au second tour.

Cette pratique, qui est constatée à chaque élection municipale dans de nombreuses communes, ne concoure pas à assurer ensuite une gestion sereine des collectivités concernées.

Se porter candidat au conseil municipal de sa commune doit être une décision réfléchie et assumée, prise en toute conscience des responsabilités qui incombent aux élus et avec le souci de permettre aux électeurs de faire un choix éclairé quant aux orientations proposées, notamment en matière de gestion des deniers publics.

Dans cette perspective, il est nécessaire que tous les candidats ou listes de candidats se soient préalablement déclarés, et ce dans un délai suffisant pour répondre aux questions des citoyens et participer au débat démocratique dès le premier tour.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. La question de la déclaration de candidature dans les communes de moins de 3 500 habitants sera réglée dans le projet de loi n° 61. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Par cohérence, l’avis du Gouvernement est également défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, pour explication de vote.

Mme Jacqueline Gourault. Je tiens à préciser que, sur le fond, nous approuvons totalement cet amendement. Nous soutiendrons sa reprise lors de l’examen du projet de loi n° 61. L’adoption d’un tel dispositif est en effet essentielle pour assurer la lisibilité du débat démocratique lors des élections municipales.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. L’obligation de présenter des listes s’appliquera à partir d’un certain seuil de population, mais je considère moi aussi que la loi devra imposer de faire acte de candidature quel que soit le nombre d’habitants de la commune.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En effet, il a même pu arriver, dans de très petits villages, que des personnes élues sans s’être portées candidates refusent de siéger !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Ollier, ministre. Que les choses soient bien claires : le Gouvernement est défavorable à l’adoption de cet amendement aujourd’hui, par souci de cohérence, mais pas à son principe.

J’ai vécu la situation anormale que décrivait à l’instant M. Hyest dans la commune dont j’ai été maire. Quelqu’un qui n’a pas fait acte de candidature n’a pas vocation à s’investir dans un mandat local.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Il s’agit d’un point extrêmement important, sur lequel l’Association des maires ruraux de France insiste depuis des lustres : il n’est pas normal que l’on puisse être élu sans avoir été candidat, et cela quel que soit le mode de scrutin.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, et Mme Jacqueline Gourault. Nous sommes d’accord !

M. Pierre-Yves Collombat. Il faut qu’il y ait acte de candidature, individuelle s’il s’agit d’un scrutin uninominal, collective s’il s’agit d’un scrutin de liste. L’application du système actuel engendre certains effets folkloriques, par exemple quand le dépouillement s’achève à quatre heures du matin parce que tous les poivrots du village ont obtenu des voix, et d’autres beaucoup plus pervers, des manipulations étant possibles.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Pierre-Yves Collombat. Ainsi, chez moi, il est arrivé qu’une liste soit constituée en « vampirisant » la liste sortante : certains noms figuraient sur les deux, et les électeurs étaient complètement désorientés, ne sachant plus qui était avec ou contre le maire ! Il faut en finir avec ce folklore ! Certains peuvent trouver qu’il ne s’agit là que d’une sympathique tradition de la France profonde, mais la France profonde, elle en a marre ! (Sourires.) Elle veut des règles claires, posant que, pour être élu, il faut s’être présenté.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, pour explication de vote.

M. Jean-Marc Todeschini. Bien entendu, je ne retirerai pas cet amendement.

La situation est tout de même surprenante : nous sommes tous d’accord, mais l’avis est défavorable et on nous renvoie au projet de loi n° 61 !

Si l’examen de cette proposition de loi a été inscrit à cet ordre du jour réservé au groupe UMP, ce n’est pas le fait du hasard : cela tient à l’approche des élections sénatoriales de septembre !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !

M. Jean-Marc Todeschini. Rassurez-vous, monsieur Hyest, nous allons la voter, car elle va dans le bon sens ! Cela étant, qu’est-ce qui vous empêche de voter aujourd'hui cet amendement ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est un cavalier !

M. Jean-Marc Todeschini. Mais non ! Il s’agit bien d’un élément du statut de l’élu local ! Il n’est pas normal que des candidatures sauvages puissent être présentées au dernier moment. D’ailleurs, s’il provenait de l’autre côté de notre hémicycle, peut-être cet amendement recevrait-il un avis favorable…

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 35.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 37, présenté par M. Todeschini, Mme Printz, MM. Masseret, Reiner, Collombat, Anziani, Bérit-Débat, C. Gautier, Frécon et Guillaume, Mme Klès, MM. Michel, Povinelli, Sueur et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l’article 11, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 257 du code électoral est ainsi rédigé :

« Art. L. 257. – Tout bulletin de vote comportant plus de noms qu’il n’y a de conseillers à élire ou comportant le nom d’une ou plusieurs personnes n’ayant pas fait acte de candidature est considéré comme nul. »

La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. En France, l’interdiction des candidatures multiples constitue une tradition bien établie, depuis le recours à cette pratique par le général Boulanger, à la fin du xixe siècle.

Cette tradition repose sur l’idée qu’un candidat sollicite le suffrage des électeurs en vue d’exercer ensuite son mandat s’il est élu, les candidatures multiples pouvant apparaître peu respectueuses du corps électoral et destinées à le « manipuler ».

Toutefois, l’interdiction des candidatures multiples n’a pas été établie pour tous les scrutins. Ainsi, dans les communes de moins de 3 500 habitants, il est particulièrement choquant que des candidats puissent briguer un mandat électif tout en sachant pertinemment qu’ils ne l’exerceront pas s’ils sont élus.

L’objet de cet amendement est de combler cette lacune législative en posant pour principe que nul ne peut être candidat sur plus d’une liste ou dans plusieurs sections électorales dans une même commune, non plus que dans plusieurs communes.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Ne s’agit-il pas d’un amendement de coordination avec le précédent ? Si c’est le cas, il n’a plus d’objet.

En tout état de cause, la commission émet un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Je voudrais que l’on m’explique en quoi il s’agit d’un amendement de coordination. L’objet est ici non plus de rendre obligatoires les déclarations de candidature, mais d’empêcher les candidatures multiples.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Elles sont déjà impossibles !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Exactement !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 37.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 38, présenté par M. Collombat, est ainsi libellé :

Après l’article 11, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales est complété par les mots : « y compris par la communication des documents préparatoires à celle-ci ».

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement porte sur les droits des élus, notamment ceux des élus de l’opposition.

Il s’agit de préciser les dispositions relatives à la communication des documents nécessaires aux membres des assemblées délibérantes pour se forger une opinion, aussi éclairée et aussi objective que possible, sur les questions qui leur sont soumises.

Les conseillers municipaux ont actuellement déjà le droit d’accéder à de nombreux documents, à l’exclusion cependant de ce que l’on appelle les documents préparatoires, lesquels sont pourtant de nature à apporter un éclairage utile.

Cet amendement tend à permettre que tous les élus, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, aient accès aux mêmes informations, tout en limitant le champ de cette disposition aux seules matières dont ils doivent délibérer, en excluant donc tout ce qui relève de la seule compétence du maire, par exemple la gestion du personnel.

Je serais ravi, monsieur le rapporteur, que vous m’annonciez que le dispositif de cet amendement sera repris dans le projet de loi n° 61,…

M. Patrice Gélard, rapporteur. Ce ne sera pas le cas !

M. Pierre-Yves Collombat. … car il traite d’un véritable problème. Il faut faire en sorte que les débats et les délibérations puissent avoir lieu dans la plus totale clarté.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Non, monsieur Collombat, cette fois je ne vous opposerai pas le projet de loi n° 61 !

En fait, cet amendement est intégralement satisfait par la jurisprudence du Conseil d'État, dont un arrêt relativement récent précise par exemple nettement que « tous les documents » nécessaires à l’information des élus doivent leur être transmis avant la réunion du conseil municipal.

Cette jurisprudence est donc très claire, et votre amendement, monsieur Collombat, est d’ailleurs plus restrictif, puisqu’il vise les « documents préparatoires », expression qui devrait en outre faire l’objet d’une interprétation du Conseil d'État.

Je demande donc le retrait de cet amendement, sur lequel j’émettrai sinon un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. L’avis du Gouvernement est bien entendu défavorable.

D’abord, l’article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales pose le principe du droit à l’information des conseillers municipaux préalablement au vote des délibérations. En application de cette disposition, avant la réunion du conseil, le maire ne peut refuser aux conseillers municipaux qui en font la demande la consultation des documents préparatoires qui accompagnent le projet de décision.

Ensuite, comme le rapporteur vient de l’indiquer, une jurisprudence du Conseil d'État a précisé ces dispositions, de telle sorte qu’il n’y a aucune équivoque possible.

Enfin, M. Gélard a raison : quels sont les « documents préparatoires » visés par votre amendement ? Si la jurisprudence du Conseil d'État, qui fait référence à « tous » les documents, est sans équivoque, votre rédaction laisse une marge à l’interprétation.

Mme la présidente. Monsieur Collombat, l'amendement n° 38 est-il maintenu ?

M. Pierre-Yves Collombat. Je persiste et signe !

Ma rédaction n’est nullement restrictive, puisqu’elle vise à compléter la rédaction actuelle de l’article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales en ajoutant une référence à la communication des documents préparatoires, outre les autres documents utiles.

Si j’ai déposé cet amendement, c’est parce qu’il existe une doctrine selon laquelle doivent être communiqués les documents finalisés, à l’exclusion des documents préparatoires. Cela étant, je ne doute pas un instant que tous les maires ou anciens maires présents dans cet hémicycle ont, ou ont eu, un comportement irréprochable à l’égard de leur opposition, et se sont toujours fait un devoir de lui communiquer tous les documents pertinents ! (Sourires.) Pour ma part, en vingt-deux années à la tête de ma commune, je n’ai jamais eu d’opposition…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est suspect !

M. Pierre-Yves Collombat. Non, c’est le scrutin majoritaire qui l’a voulu !

Néanmoins, les recours formés devant la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, montrent que certains maires ont un comportement quelque peu monarchique.

Plutôt que de multiplier les conseils de quartier ou autres instances de « dialogue participatif », il conviendrait de dynamiser la démocratie locale là où elle doit s’exercer, c'est-à-dire au conseil municipal ! Cela suppose que tous les élus puissent accéder à un maximum d’éléments d’information sur les sujets soumis à délibération. Une telle proposition ne me paraît pas excessive !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 38.

M. Laurent Béteille. Je m’abstiens !

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 39, présenté par Mme Klès, MM. Collombat, Anziani, Bérit-Débat, Daunis, Frécon, C. Gautier, Guillaume, Michel, Povinelli, Sueur, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l’article 11, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les élus locaux ayant cessé leur activité professionnelle pour exercer leur mandat sont rattachés à la médecine du travail de la collectivité territoriale dans laquelle ils exercent leur mandat.

Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application de cet article.

La parole est à M. Claude Bérit-Débat.

M. Claude Bérit-Débat. Cet amendement a été déposé sur l’initiative de notre collègue Virginie Klès.

Il s’agit de permettre aux élus ayant cessé leur activité professionnelle pour exercer leur mandat de bénéficier de la médecine du travail, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Il m’est difficile de donner un avis construit sur cet amendement, car il assimile, en réalité, un élu local à un fonctionnaire. Va-t-on faire passer à l’élu local une sorte de visite médicale d’embauche avant son entrée en fonctions, afin de vérifier son aptitude ? Devra-t-il subir une visite médicale au retour d’un congé pour maladie ?

La commission souhaiterait entendre l’avis du Gouvernement sur cet amendement, qui pose de nombreux problèmes.

Mme la présidente. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur le rapporteur, votre argumentation est, quoi que vous en disiez, tellement construite que le Gouvernement ne peut qu’être d’accord avec vous !

Je rappelle que la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale prévoit que chaque collectivité doit disposer d’un service de médecine préventive, dont la mission est d’éviter toute altération de l’état de santé des agents du fait de leur travail.

En outre, l’article 2-1 du décret du 10 juin 1985, qui fixe les règles relatives à l’hygiène et à la sécurité au travail ainsi qu’à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale, dispose que « les autorités territoriales sont chargées de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité ».

Une distinction très claire est donc faite entre les élus et les salariés qui exercent leurs missions sous leur autorité. La médecine préventive s’adresse à ces derniers, et n’a pas vocation à suivre les élus locaux, qui ne sont pas des fonctionnaires territoriaux placés sous l’autorité de la collectivité. Les élus sont des Français comme les autres lorsqu’il leur arrive d’être malades : ils bénéficient à cet égard des mêmes droits que tous leurs compatriotes. Il n’y a pas à opérer, me semble-t-il, de confusion entre l’agent local, dont l’activité s’inscrit dans le cadre du travail salarié, et l’élu, qui a choisi de se consacrer à une mission citoyenne.

Je dirai enfin, à titre accessoire, que l’amendement fait référence à la médecine du travail, alors que les collectivités sont dotées d’un service de médecine préventive : c’est là une autre confusion.

Pour toutes ces raisons, j’émets, au nom du Gouvernement, un avis défavorable sur l’amendement n° 39.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote.

M. Claude Bérit-Débat. Les élus locaux n’exerçant plus d’activité professionnelle sont privés de la possibilité de recourir, à titre préventif, aux services de la médecine du travail, ce qui n’est pas sans risques pour eux, notamment dans les petites communes. Il s’agit non pas d’assimiler les élus aux salariés, mais de leur permettre de pouvoir bénéficier, comme tous nos compatriotes, d’un suivi médical préventif.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous faites une confusion, mon cher collègue ! En effet, la médecine du travail intervient dans le cadre du travail. Elle n’a pas vocation à s’adresser aux élus, cela n’a pas de sens !

En revanche, un élu ayant cessé son activité professionnelle est bien entendu affilié au régime général de la sécurité sociale et peut bénéficier, à ce titre, des services de la médecine préventive. C’est autre chose !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Que de subtilités pour dire qu’en réalité il n’y a pas de médecine préventive pour tous les citoyens !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais si !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Non !

En revanche, il y a une médecine du travail, qui assure d’ailleurs un suivi de plus en plus distendu des salariés, faute de médecins…

Les visites de la médecine du travail ont une visée préventive. Elles sont l’occasion de détecter un éventuel problème de santé chez le salarié et de l’inciter à consulter, ce qu’il ne ferait peut-être pas spontanément.

Je signale au passage que les sénateurs, qui sont des élus, ne se plaignent pas de bénéficier d’une visite médicale tous les deux ans.

M. Patrick Ollier, ministre. Vous faites une confusion !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est la sécurité sociale !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les élus qui ont suspendu leur activité professionnelle pour exercer leur mandat doivent pouvoir continuer à bénéficier d’un suivi au titre de la médecine préventive, dans les mêmes conditions que lorsqu’ils étaient salariés !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, pour explication de vote.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cet amendement me semble très dangereux !

Je voudrais d’abord rappeler à notre excellente collègue que tous les élus ne sont pas issus du salariat : on trouve aussi parmi eux des membres de professions libérales, des chefs d’entreprise… Même s’ils ne sont pas suffisamment nombreux de mon point de vue, il faut tout de même en tenir compte ! Ils ne bénéficient pas non plus de la médecine du travail !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qu’ils revendiquent ! Les salariés l’ont gagné, le droit à la médecine préventive !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Qu’ils le veuillent ou non, les auteurs de l’amendement établissent un lien entre l’état de santé de l’élu et sa fonction. Où va-t-on ? Je trouve cette proposition extrêmement dangereuse, y compris au regard de la confidentialité du dossier médical. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)

Un tel amendement est complètement hors sujet et étranger à l’esprit de la proposition de loi, dont l’objet, je le rappelle, est de renforcer l’attractivité du mandat local et de faciliter son exercice ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. J’adore les arguments « juridiques » : ils sont ductiles, on peut les utiliser à sa convenance !

Selon vous, faire bénéficier les élus d’un service de médecine préventive – nous sommes disposés à rectifier l’amendement pour qu’il ne fasse plus référence à la médecine du travail – reviendrait à les assimiler à des fonctionnaires. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)

En revanche, lorsqu’il s’est agi de leur attribuer une petite retraite, on n’a pas hésité à les affilier à l’IRCANTEC, la caisse de retraite des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Par facilité !

M. Pierre-Yves Collombat. Quant au respect de la confidentialité, c’est un problème d’éthique médicale. Je ne vois pas pourquoi il serait moindre pour les élus que pour les salariés.

En tout état de cause, cette discussion a le grand avantage de démontrer la nécessité d’établir un statut de l’élu, qui préciserait la nature juridique de la « bête » ! (Sourires.) Pour l’heure, le problème n’est pas tranché.

En 1993, le président de l’Association des maires de France d’alors, M. Michel Giraud, faisait la déclaration suivante : « Je ne suis pas convaincu que le terme de statut de l’élu local soit le bon. Qui dit statut, dit fonctionnarisation. Or je considère comme essentiel que l’on préserve la gratuité, ce qui contribue pour une large part à la grandeur du mandat électif local. C’est pour cela je parle de règle du jeu, et non de mandat local. En dehors des grandes villes, je suis contre le statut de l’élu local à temps complet. Il faut qu’il y ait une part de disponibilité, de générosité, de gratuité. Et le terme de statut me gêne. »

Aujourd'hui, parler d’un statut de l’élu ne choque plus personne. D’ailleurs, tout le monde réclame sa création, en particulier pour résoudre ce problème juridique. Mais, voilà, près de vingt ans ont passé depuis les propos de Michel Giraud ! Espérons que nous n’attendrons pas encore quarante ans pour trancher la question.

Je veux bien qu’on ergote sur l’idée de prévention ou de travail, mais considérer que faire bénéficier les élus ayant cessé toute activité des services de la médecine préventive serait l'antichambre du goulag me paraît quelque peu excessif ! (Exclamations sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.

M. Alain Anziani. M. le ministre nous a demandé de faire montre d'un esprit consensuel. Si nous avons bien entendu sa requête, j'ai l'impression que tel n’est pas le cas sur toutes les travées. Nous essuyons en effet un tir de barrage tellement nourri que nous en sommes pour le moins étonnés.

M. Patrick Ollier, ministre. Votre amendement n'a pas de rapport avec le texte !

M. Alain Anziani. Une telle opposition n’a pas de sens. La santé publique est une préoccupation, je dirai même une obsession pour nous tous. Le Président de la République lui-même en parle souvent. Pourquoi tous les Français auraient-ils droit à la santé, à l'exception d'une catégorie, les élus ? Ce sont des Français comme les autres !

Nous comprenons mal les raisons qui vous poussent à refuser de faire bénéficier les élus de la médecine préventive. Une telle mesure est-elle si éloignée de l'objet d’une proposition de loi qui vise à renforcer l’attractivité et à faciliter l’exercice du mandat local ? Bien entendu que non !

Le droit à la santé fait aussi partie des droits des élus. Par conséquent, nous devrions tous voter cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 39.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Vote sur l'ensemble

Articles additionnels après l'article 11
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer l'attractivité et à faciliter l'exercice du mandat local
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette explication de vote prendra la forme d’un bref bilan des propositions que nous vous avons soumises à l’occasion de l’examen de ce texte.

Si je résume bien, nos propositions sont trop chères : du coup, on nous oppose l'article 40 de la Constitution. Elles viennent trop tôt : on nous demande alors d’attendre le projet de loi n° 61. Elles sont trop dangereuses : le Gouvernement nous exhorte à être attentifs aux questions de prise illégale d'intérêts et de délit de favoritisme. Que penserait l'opinion nous rétorque-t-on, c'est-à-dire la presse en fait ?

On admet fort bien que les élus aient des obligations spécifiques. Mais on refuse d’en tenir compte dans certaines circonstances !

Cela a été rappelé, la proposition de loi visant à réformer le champ des poursuites de la prise illégale d’intérêts des élus locaux a été élaborée par des sénateurs de toutes orientations politiques : Bernard Saugey et Anne-Marie Escoffier y ont travaillé ; j’y ai également contribué.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Pierre-Yves Collombat. Elle a été votée à l’unanimité. Cela n’arrive tout de même pas tous les jours au Sénat, surtout sur un sujet aussi délicat !

À l’issue de la navette parlementaire – peut-être n’y en aura-t-il jamais, d’ailleurs –, que restera-t-il de toutes les préoccupations que nous avons exprimées ? Rien ou presque rien sans doute !

Malgré toutes ces réserves, nous voterons ce texte, car il contient quelques points positifs. Ne rechignons pas, car nous savons bien comment va l'histoire : même si le statut de l'élu n’est pas encore créé, car cela pose effectivement quelques problèmes juridiques un peu curieux, dans les faits, sinon en droit, petit à petit la situation évolue.

Reste que nous sommes sans illusion. Certes, on distribuera plus facilement des médailles, on prononcera de beaux discours sur la gratuité de la fonction et sur sa grandeur, mais je crains fort que cela ne satisfasse pas vraiment les élus locaux, encore moins ceux des zones rurales. Car c’est tout de même dans ces territoires que les difficultés sont les plus nombreuses. Dans les grandes collectivités, le cumul des mandats permet de mettre un peu de beurre dans les épinards…

Soyons sans regret : ce texte permet des avancées, ce que nous ne pouvons négliger. Pour autant, nous ne sommes pas totalement satisfaits. Reste pour nous l’espoir de 2012.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’issue de nos débats, je souhaite saluer, au nom du groupe de l’Union centriste, l’initiative de nos collègues Bernard Saugey et Marie-Hélène Des Esgaulx. Leur proposition de loi nous a permis d’engager une réflexion d’ensemble sur les adaptations nécessaires à apporter aux dispositions régissant les conditions d’exercice des mandats locaux. Certes, il reste encore à faire, mais reconnaissons que tout chemin est jalonné d’étapes qu’il faut franchir les unes après les autres.

Je tiens en particulier à souligner les évolutions relatives à la formation des élus, qui vont dans le bon sens, ainsi que celles qui portent sur leur régime indemnitaire. Je pense notamment à la sécurisation de l’indemnité de fonction des maires des communes de moins de 1 000 habitants, qui ont été introduites en commission – rendons à César ce qui lui appartient ! (Sourires) – sur l’initiative de Jacqueline Gourault et François Zocchetto.

Je tiens également à féliciter le rapporteur de l’excellent travail qu’il a accompli. Sa volonté de limiter le champ de cette proposition de loi afin de la recentrer sur son objet premier et de ne pas empiéter prématurément sur les débats que nous aurons lors de l’examen du projet de loi n° 61 relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale me paraît tout à fait légitime. Il faut savoir patienter. Je rappelle que ce projet de loi est très attendu. M. le ministre nous a assurés qu’il serait examiné par la Haute Assemblée à l’automne prochain.

Je ne saurais oublier de saluer l’action des maires de la France rurale. Pour avoir été pendant trente ans maire d’une commune de 200 habitants, je peux, en toute modestie, parler en connaissance de cause. Je veux évoquer ceux qui ne bénéficient pas de services municipaux étoffés et qui doivent assurer tout à la fois plusieurs missions : secrétaire de mairie, assistante sociale parfois, officier de police judiciaire, médiateur, et de plus en plus aujourd'hui, conseiller ou avocat. Mes chers collègues, ceux d’entre vous, de droite comme de gauche, qui ont été ou sont encore maire d’une petite commune ne me démentiront pas.

Il ne faut pas négliger un point fondamental. Le rôle d’un maire n’est pas seulement de bâtir des routes ou de faire des ouvertures de chemin. Il doit aussi rassembler. Sa mission est de faire en sorte que sa commune reste une grande famille.

Aujourd'hui, même s’il ne faut pas opposer les maires des villes et les maires des champs, force est de constater que l’individualisme est plus facile à personnaliser à la campagne qu’en ville : il est malheureusement plus vivant dans les territoires ruraux que dans les grandes agglomérations où l’on s’ignore davantage.

Les maires ne bénéficient pas d’une juste reconnaissance de l’État, qui ne leur donne pas les moyens d’exercer leur mission avec suffisamment de liberté. Nous vivons une période où le vrai pouvoir est souvent lié à la grande machine qu’est l’administration.

Admettons-le : il y a cinquante ans, l’indemnité était très faible, mais les exigences moins fortes. Certes, cette époque se caractérisait par moins d’égoïsme et plus de solidarité, mais, surtout, les complications administratives étaient moindres !

Les maires de France constituent la plus belle force civique, une force qui gère le territoire. Ils nous donnent l’exemple. Malgré les avancées que nous nous efforçons d’apporter à nos collègues, trouvera-t-on, demain, dans la France rurale, assez d’hommes de bonne volonté pour qu’une commune reste une commune ? (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le groupe CRC-SPG s’abstient !

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Guy Fischer.)

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer l'attractivité et à faciliter l'exercice du mandat local
 

5

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, la récente révision de la Constitution a réaffirmé le rôle du Sénat en matière de collectivités territoriales. La réforme de 2008 a également souhaité renforcer l’initiative parlementaire, notamment sénatoriale. Je fais partie de ceux qui, pour des raisons tout à fait valables, n’ont pas voté le projet de loi constitutionnelle. Reste que j’ai entendu ce qui s’est dit durant les débats.

Aujourd’hui, alors que nous nous apprêtons à examiner, dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe socialiste, une proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial – il s’agit donc de parler de nos territoires, d’aménagement du territoire, sujets cruciaux à nos yeux –, je ne peux que m’étonner de voir le Gouvernement représenté par la ministre chargée de l’outre-mer.

Mme la ministre sait tout le respect que j’ai pour elle et ses compétences ; elle sait également que je suis très sensibilisé aux problèmes ultra-marins. Je suis néanmoins extrêmement surpris que M. le ministre de l’agriculture n’assiste pas à un débat comme celui d’aujourd’hui. Je peux certes concevoir qu’il ait ressenti du dépit à la suite du remaniement ministériel intervenu hier, mais le Sénat mérite d’être respecté. La Haute Assemblée a un rôle à jouer et ses prérogatives ne peuvent pas être bafouées.

Monsieur le président, je souhaite que vous fassiez part à qui de droit de ma protestation. Le Gouvernement doit respecter le droit d’initiative parlementaire, notamment celui des groupes d’opposition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, mon cher collègue. Soyez assuré que je ferai part de votre protestation.

6

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2011 est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

7

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire allemande

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le très grand plaisir, au nom du Sénat tout entier, de saluer la présence, dans notre tribune officielle, de cinq membres du groupe d’amitié Allemagne-France du Bundesrat, reçus actuellement à Paris par le groupe d’amitié France-Allemagne du Sénat, qui a fêté, hier, en présence de nos collègues allemands, son cinquantième anniversaire. (Mme la ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

La délégation du groupe d’amitié Allemagne-France du Bundesrat, ici présente, est conduite par Mme Margit Conrad, vice-présidente du groupe d’amitié. Nous sommes particulièrement sensibles à l’intérêt et à la sympathie que ses membres portent à notre institution.

Nous nous félicitons des relations étroites qu’entretiennent sénateurs et membres du Bundesrat, grâce aux rencontres régulières entre les groupes d’amitié. Nous sommes d’ailleurs honorés que la France soit l’un des deux pays auxquels le Bundesrat consacre un tel groupe.

Au nom du Sénat de la République, je forme des vœux pour que le séjour en France de la délégation du Bundesrat contribue à renforcer les liens d’amitié et la parfaite collaboration entre nos assemblées ; je lui souhaite la plus cordiale bienvenue. (Applaudissements.)

8

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial
Discussion générale (suite)

Instauration d'un nouveau pacte territorial

Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial
Demande de renvoi à la commission (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial, présentée par M. Jean-Jacques Lozach et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 541, rapport n° 658).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Jacques Lozach, auteur de la proposition de loi.

M. Jean-Jacques Lozach, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les territoires ruraux sont des territoires d’avenir. Leur potentiel est inestimable, mais demeure tristement inexploité. J’entame ainsi mon propos pour que personne, dans cet hémicycle, ne soit accusé de passéisme, voire de défaitisme, comme c’est souvent le cas.

Je ne ferai pas l’apologie des campagnes de notre enfance, d’un prétendu âge d’or de la ruralité. Cela serait parfaitement inutile. Nous sommes conscients des changements, des mutations profondes, tantôt positifs, tantôt négatifs, qu’ont connus les espaces ruraux au fil des décennies.

Nous faisons surtout le constat d’un regrettable accroissement des inégalités de développement entre territoires, qui se manifestent par de très fortes disparités dans les niveaux de richesse des collectivités. Nous avons donc besoin, aujourd’hui, de créer les conditions d’une véritable égalité des chances pour les territoires et pour leurs habitants.

Je crois en nos espaces ruraux et je suis optimiste pour leur futur, sous réserve que soient au moins remplies un certain nombre de conditions, que cette proposition de loi, non exhaustive, a justement pour objet de formaliser. Encore faut-il, mes chers collègues, se donner les moyens, notamment financiers, d’assurer ce futur.

« Trop cher ! », m’avez-vous répondu en chœur en commission des affaires économiques. « Et la dette publique ? », avez-vous ajouté ! Je sais que la majorité est effectivement très soucieuse des deniers de l’État, comme en témoignent les récents allégements de l’impôt sur la fortune qu’elle a consentis !

Certes, pour réaliser le projet porté par ce texte, il faut prévoir des moyens financiers, envisagés comme des outils d’une volonté et d’une ambition pour nos territoires. À cet égard, la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial est ambitieuse ; le rapporteur Pierre Hérisson l’a d’ailleurs annoncé d’emblée lors de l’examen du texte en commission, le 22 juin dernier.

Cette ambition ne doit pas effaroucher les membres de la Haute Assemblée. Le 13 janvier dernier, nous avions déjà pu en discuter dans le cadre d’une question orale avec débat sur la ruralité, proposée par Didier Guillaume. Pourquoi, alors que nous nous proposons maintenant d’agir, nous en empêcherait-on ?

En effet, le rapporteur nous a fait part de son intention de présenter une motion tendant au renvoi en commission.

Quel triste sort pour un texte qui aura nécessité plus de six mois d’auditions, de réunions et de réflexions, et qui s’appuie notamment sur plusieurs rapports parlementaires adoptés, pour la plupart d’entre eux, par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation ! Je pense notamment au rapport de nos collègues Didier Guillaume et Jacqueline Gourault consacré au dialogue entre l’État et les collectivités territoriales, au rapport d’Yves Daudigny sur l’ingénierie publique ainsi qu’à celui de Michèle André relatif à l’impact de la RGPP, la révision générale des politiques publiques, dans les préfectures. Nous sommes bien loin d’une proposition de loi « déposée à la sauvette » !

Nous souhaitons améliorer les conditions d’existence de nos concitoyens ruraux, qui ne représentent que 20 % de la population, mais qui occupent 80 % du territoire national. Est-ce de la démagogie que de vouloir se préoccuper d’eux ? Je ne le crois pas.

Nous voulons, à travers un arsenal de mesures concrètes, donner du sens et du contenu à une véritable politique d’aménagement du territoire. Or, en déposant cette motion tendant au renvoi en commission, la majorité donne le sentiment, regrettable mais pas surprenant, que cette ambition lui fait peur.

Nous avons bien senti votre gêne devant notre proposition d’aborder globalement les problèmes liés à la ruralité aujourd’hui. Vous avez malheureusement choisi la dérobade face à un enjeu aussi décisif pour notre société que la complémentarité nécessaire et harmonieuse entre le rural et l’urbain.

À nos yeux, le plus préoccupant est d’avoir eu la confirmation que nos collègues de la majorité sénatoriale ne partageaient même pas notre constat sur les difficultés actuelles de la ruralité. Pourtant, vos collègues de l’Assemblée nationale ont déposé, cette année, une proposition de loi – jamais inscrite, il est vrai, à l’ordre du jour –, préconisant un « plan Marshall pour la ruralité ».

Alors que nous pointons du doigt un véritable malaise des territoires, ressenti par tous les acteurs sur le terrain, vous nous affirmez, au Sénat, que tout va bien dans nos campagnes. De deux choses l’une, mes chers collègues : soit vous refusez de voir la réalité en face, notamment les conséquences désastreuses sur la ruralité de la politique menée par Nicolas Sarkozy, soit vous êtes à Paris depuis trop longtemps !

Pour créer du dynamisme et revitaliser les territoires, les enjeux et défis à relever sont multiples et doivent être appréhendés globalement. Or les gouvernements Fillon n’auront envisagé l’avenir des territoires ruraux qu’à travers l’agriculture, sans toutefois avoir apporté de réponses appropriées à quatre années de crise de l’élevage, auxquelles s’ajoutent les conséquences sociales dramatiques de l’actuelle sécheresse. Si l’agriculture constitue la toile de fond et le socle économique de nos campagnes, il est réducteur de s’en tenir à cette seule activité.

À cet égard, nous regrettons l’absence d’un ministère dédié à l’aménagement du territoire et à la ruralité, regroupant la politique de la ville et le développement rural, ce dernier étant désormais rattaché au ministère « fourre-tout » de l’agriculture. Un ministère transversal et de plein exercice aurait été plus respectueux de ces territoires et de leurs habitants.

Je vous rappelle que notre ancien collègue Michel Mercier, lorsqu’il était devenu ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, avait déclaré : « Moi, j’ai à animer et à faire vivre l’espace rural, faire en sorte que les hommes et les femmes qui ont choisi de vivre là puissent vivre avec les mêmes facilités que ceux qui sont en ville, qu’ils aient accès aux technologies modernes, qu’il y ait la permanence des soins, l’accès à l’enseignement, la mobilité, toutes ces problématiques-là. »

M. Mercier est un adversaire politique, mais au moins affichait-il la volonté d’appréhender dans leurs particularismes les enjeux de nos territoires.

Aux yeux de la droite, il semble en fait que les outils récents, tels que les pôles d’excellence rurale, ou PER, soient suffisants. Une politique du territoire ambitieuse ne saurait se limiter à des appels à candidature. Les zones de revitalisation rurale, les ZRR, entendues comme une application du principe de discrimination positive, constituaient une bonne initiative. Je parle en connaissance de cause, puisque la Creuse est le seul département intégralement classé en ZRR. Malheureusement, cet outil a été vidé de son contenu d’année en année, au fil des lois de finances. Il n’est plus guère qu’un mécanisme d’exonération pour les entreprises souhaitant s’installer sur ces espaces.

Le rôle de la puissance publique est trop souvent négligé. Or nous avons précisément besoin d’un État stratège, d’un État qui impulse et qui s’engage aux côtés des collectivités territoriales en tant que garant de l’unité nationale, de la cohésion territoriale, de l’égalité d’accès aux services publics. L’équilibre de notre société passe par une réponse au « désir de campagne » de nos concitoyens, qui, toutes les enquêtes d’opinion le montrent, a atteint un niveau historique. Une telle opportunité est à saisir rapidement, car ce désir s’estompera si l’État ne se donne pas les moyens d’accompagner des politiques d’accueil de nouveaux habitants, politiques globales conduites par les acteurs régionaux et locaux, dont l’adhésion est indispensable.

L’État doit également réagir face à une désindustrialisation accélérée, un chômage persistant, un départ vers les villes de jeunes qui souhaitent pourtant, plus que jamais, rester là où ils habitent, là où, souvent, ils ont été formés. Venant compléter la réforme des collectivités territoriales et celle de la fiscalité locale, la RGPP, bien loin d’aider la ruralité, la pénalise en supprimant de façon dogmatique des services publics essentiels. Dans son rapport annuel 2010, le Médiateur de la République remarquait que le service public « ne porte plus son nom ». Il dénonçait la dématérialisation du service et la déshumanisation qui s’ensuivait.

Les services publics sont pourtant justement un élément d’attractivité fort pour un territoire ; je n’appréhende nullement cette problématique sous la forme d’une opposition stérile et polémique entre secteur marchand et secteur public. Au contraire, les entreprises du secteur concurrentiel ne sauraient se développer dans un désert de services publics. Même les entreprises étrangères nous expliquent que c’est précisément la possibilité d’accéder facilement à ces services qui conditionne leur choix de s’installer ou non en France.

Alors que la RGPP – dont le « R » signifie plutôt « raréfaction » que « révision » – condamnait déjà lentement les espaces ruraux à un appauvrissement en capital humain et en prestations, la réforme territoriale entrait en action. Une voix de majorité a permis l’adoption de ce texte au Sénat. Par deux fois, le Conseil constitutionnel a censuré les conseillers territoriaux, « créatures » issues d’une forme de démocratie locale et de recentralisation rejetée par la grande majorité des élus locaux. Avez-vous pris conscience de la situation vaudevillesque dans laquelle vous vous êtes volontairement empêtrés ? Il semble que non, car la commission de l’économie a réaffirmé sa solidarité avec les votes du Sénat, approuvant la réforme territoriale et celle de la fiscalité locale.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Absolument !

M. Jean-Jacques Lozach. Il faut croire que, à vos yeux, seuls importent l’État et les pôles métropolitains. Quid alors des espaces interstitiels ? C’est justement pour eux que nous avons élaboré ce texte, car trop de jacobinisme tue la proximité, et le recul de la proximité dans l’action publique tue la ruralité.

Mes chers collègues, le pacte territorial que nous vous présentons aujourd’hui s’appuie sur trois piliers : une nouvelle gouvernance des politiques publiques, une nouvelle organisation de l’offre de services publics et un aménagement équilibré de l’espace.

Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas souhaité que soit développé dans cet hémicycle le contenu précis de notre proposition de loi, choisissant de demander son renvoi sine die à la commission.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. C’est le bon sens !

M. Jean-Jacques Lozach. Je note également que, dans votre rapport, vous dirigez essentiellement votre critique contre l’exposé des motifs, faisant l’impasse sur les articles. Vous me permettrez donc de présenter ici, par souci d’information et d’objectivité, l’objet et la motivation sous-jacente de chacune de nos propositions.

Il s’agit donc, d’abord, comme le suggère le titre Ier, suivant en cela les recommandations du rapport Guillaume-Gourault adopté par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, d’aller vers une nouvelle gouvernance des politiques publiques. Celle-ci passe prioritairement par la restauration de liens de confiance entre l’État et les collectivités.

L’actuelle conférence nationale des exécutifs ne fonctionne pas ou peu ; il est urgent d’asseoir sa légitimité, de la réactiver en lui donnant un fondement juridique stable, comme le suggère notre article 1er. Un dialogue constructif implique notamment un pouvoir égal pour les représentants des collectivités et ceux du Gouvernement. Par ailleurs, ce schéma doit se décliner, de façon quasi similaire, à l’échelon local. Le dialogue, c’est bien là l’une des clés de la confiance et de l’opérationnalité ; c’est ce que le Gouvernement a tendance à oublier en négligeant constamment les collectivités, devenues pourtant indispensables à l’application de toute politique nationale.

L’évaluation des choix faits doit aussi devenir la norme. L’article 3 prévoit ainsi une évaluation systématique de l’impact territorial de l’ensemble des politiques publiques.

De la même façon, il est nécessaire de favoriser les démarches transversales.

Pour être crédibles et efficaces, les relations entre les différents niveaux de pouvoir doivent être contractualisées. Les contrats État-région – hier, contrats de plan, aujourd’hui, contrats de projet – doivent ainsi être pérennisés et sécurisés, afin que les investissements de chacun puissent, sur la durée, être associés et programmés efficacement. Encourageons la prospective territoriale, évitons la compétition et favorisons la coopération !

Sur le modèle des contrats urbains de cohésion sociale, qui ont succédé aux contrats de ville en 2006, nous avons également besoin de contrats ruraux de cohésion territoriale. Tout comme les zones urbaines sensibles, les territoires ruraux les moins denses connaissent des difficultés tout à fait spécifiques. Ce nouveau dispositif contractuel permettrait de lutter contre les processus de relégation à l’œuvre dans certaines de nos campagnes, en concentrant les moyens dans des zones rurales d’action prioritaire.

L’article 6, quant à lui, appelle à la mise en place d’une grande conférence territoriale destinée à jeter les bases d’un nouvel acte de la décentralisation. Voilà bientôt trente ans que les lois Mauroy-Defferre ont révolutionné le mode de gouvernance de notre pays, avec un succès que chacun s’accorde à reconnaître. Alors que la récente réforme territoriale ne cache pas ses velléités recentralisatrices, il est urgent de redonner une véritable légitimité démocratique au fonctionnement de nos institutions.

Ce pacte républicain passe nécessairement par le libre et égal accès de tous aux services publics essentiels : éducation, santé, emploi, logement, sécurité, etc. C’est précisément l’objet du titre II. Nous savons que les zones les plus reculées, notamment en montagne, souffrent de ces inégalités, qui vont en s’accroissant. L’État, je le répète, a des devoirs à l’égard des citoyens, qui ont tous un égal droit d’accès aux services publics. Il est inconcevable qu’il abandonne littéralement des pans entiers de nos territoires, au prétexte que ceux-ci ne seraient pas suffisamment « rentables » pour y laisser ouverts des services. Cette logique de marchandisation doit être abandonnée.

Le dernier recensement mené par l’INSEE a montré que, sur la période 1999-2004, alors que les pôles urbains perdaient 72 habitants sur 10 000, les zones rurales en gagnaient 88. Cet élan, cette envie doivent être accompagnés du mieux possible. Car ils resteront lettre morte si les services publics ne sont pas implantés de façon cohérente dans les bassins de vie. Dans ce cas, le reflux vers les métropoles redeviendra inévitable. Ainsi, comment envisager l’installation de nouvelles familles dans une commune rurale s’il n’y a plus d’établissement scolaire à proximité ?

Afin de prendre en compte les besoins réels des usagers et d’y répondre, sur la base d’un diagnostic partagé, il est nécessaire de redéfinir les indicateurs servant de références à l’organisation des services publics. C’est ce que prévoit l’article 7. La mise en place progressive de services publics locaux de proximité, sur le modèle des maisons du département, ne saurait compenser le désengagement de l’État. À cela doit s’ajouter un moratoire sur la RGPP, réforme que l’État applique sans vision d’ensemble ni concertation, en s’appuyant simplement sur un dogmatisme comptable plongeant de nombreux territoires dans une spirale de déclin.

C’est précisément ce type d’approche qui mène à la fermeture de maternités qui, au lieu d’enregistrer 600 naissances, n’en comptent que 590. Rappelons ici que, à ce jour, ce sont 42 établissements de santé qui ont été rayés de la carte sanitaire. L’article 9 vise à garantir un accès rapide à un service de médecine générale, à un service d’urgence et à une maternité. Pour cela, il devient nécessaire d’instaurer une régulation de la répartition territoriale de l’offre de soins, qui doit passer par des mesures coercitives.

Dans une étude récemment publiée, la DREES, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère du travail, de l'emploi et de la santé, soulignait ceci : « La question de l’accès aux soins médicaux est devenue centrale dans le contexte actuel de fortes mutations du monde hospitalier et de réduction à venir des effectifs de médecins sur le territoire. » Elle précisait en outre : « Les régions rurales [...] cumulent l’éloignement des soins de proximité et de la plupart des soins spécialisés. » Face à cette désertification médicale, il faut réagir.

Or il est désolant de constater que la proposition de loi modifiant la loi HPST, dite loi Bachelot, discutée aujourd’hui même dans cet hémicycle, ne répond en rien à la problématique. Plus grave encore, le texte revient sur les dispositions, certes jamais appliquées, des contrats santé solidarité créés en 2009, qui visaient à encourager l’installation en milieu rural.

L’éducation, bien sûr, compte également parmi nos priorités. Il importe, comme le précise l’article 10, qu’un nouveau pacte éducatif soit passé entre l’État, les collectivités, les personnels, les parents d’élèves et les partenaires associatifs. Les conditions d’enseignement doivent être améliorées, et l’école soutenue. Il n’y aurait plus d’argent dans les caisses ? Là encore, c’est une question de priorités, mes chers collègues ! Et celle-ci est la première de toutes. Je souligne également que, depuis sa signature en juin 2006, la Charte sur l’organisation de l’offre des services publics et au public en milieu rural, qui prévoyait une concertation en cas de fermeture de classe, n’a quasiment jamais été appliquée. Les maires, notamment, vivent très mal cette absence de considération.

De plus, nous souhaitons instituer, avec l’article 11, un temps d’accès maximum pour les trajets entre le domicile et l’école ; nous ne pouvons pas faire parcourir à nos enfants de trop longues distances. Sur le même modèle, nous proposons, par l’article 13, un temps d’accès maximum pour se rendre dans un lieu d’accueil relatif à l’emploi et à la formation.

Alors que furent présentés hier les premiers travaux de l’Assemblée du sport, nous avons souhaité rappeler dans l’article 12 que le CNDS, le Centre national pour le développement du sport, avait pour vocation première de favoriser l’égal accès des citoyens aux infrastructures sportives partout sur le territoire, et non pas financer l’organisation de l’Euro 2016 de football ou le sport professionnel.

Nous préconisons également la mise en place d’un nouveau pacte national de protection et de tranquillité publique. La politique de sécurité du Gouvernement, bien que très tapageuse, reste globalement inefficace. Il est difficile en effet de mieux protéger et servir nos concitoyens quand, partout, les effectifs de policiers et de gendarmes se réduisent.

L’État doit assurer cette responsabilité et cesser de se défausser régulièrement sur des collectivités territoriales aujourd’hui à bout de souffle. Je citerai ainsi notre collègue de l’UMP Bruno Sido, qui, le 9 décembre 2010, à l’occasion de la session budgétaire du conseil général de la Haute-Marne, déclarait : « À force de nous transférer les charges sans avoir en face les recettes, il arrive un moment où le budget ne passe plus ! » Comment ne pas être alertés par la baisse des investissements dans un département sur deux cette année ?

Pour faire des territoires ruraux de véritables territoires d’avenir, il nous faut aussi assurer les conditions de leur dynamisme économique. La synergie entre initiative privée et accompagnement public est déterminante.

L’article 15 souligne que les pouvoirs publics doivent ainsi assumer leur responsabilité dans la maîtrise foncière publique, afin de mieux gérer les différents usages de l’espace. L’article 16 établit la définition d’un plan national de financement et de développement des infrastructures de transports. Le SNIT, le schéma national des infrastructures de transport, a déjà montré ses limites par manque de multimodalité et de concertation avec les collectivités territoriales.

Le désenclavement de nos territoires ruraux passe également par l’accès au numérique, condition nécessaire à leur essor et leur modernité. Dès 2001, le Comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire, le CIADT, réuni à Limoges, évoquait cette urgence. Or il serait maintenant question d’un haut débit pour tous en 2025. Croyez-vous vraiment que les médecins, les entrepreneurs, les enseignants installés en zone rurale attendront encore près de quinze ans pour bénéficier des mêmes conditions de vie et d’exercice de leur profession que leurs homologues urbains ? J’ai pourtant le souvenir de vœux adressés par le Président de la République au monde rural, le 14 janvier 2010, dans l’Orne. Il déclarait alors : « Pour mettre le haut débit dans un certain nombre de territoires un peu plus reculés, vous pourrez attendre longtemps si l’État ne s’y met pas. L’État s’y mettra. C’est absolument capital. » Nous proposons, via l’article 17, que, justement, l’État « s’y mette ».

L’article 18 s’inspire d’une initiative américaine datant de 1977, qui imposait aux banques commerciales de prouver que leur activité de collecte et de crédit satisfaisait les besoins des entreprises et des habitants dans la zone géographique où l’un de leur établissement bancaire était présent. Nous rencontrons tous régulièrement des entrepreneurs locaux qui se voient refuser des prêts alors que leurs projets semblent viables. Aussi, nous vous proposons une obligation de transparence et une quote-part minimale de retour de l’épargne collectée sur son territoire d’origine. Parallèlement, une banque publique d’investissement, avec des déclinaisons locales sous la forme de fonds régionaux d’investissement, pourrait être mise en place. Ces dispositifs permettraient une meilleure mobilisation des moyens des acteurs publics et privés, au service de l’activité des TPE, PME et PMI et de l’entrepreneuriat local.

Les petites et moyennes entreprises, trop souvent délaissées, constituent l’essentiel du tissu économique de nos territoires. Il nous revient de leur donner les moyens de réussir. Un système de quotas facilitant leur accès à la commande publique doit ainsi être mis en place : c’est ce que prévoit l’article 19. Au même titre, et j’en viens à l’article 20, l’hôtellerie et l’hébergement de plein air doivent pouvoir bénéficier du FISAC, le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce. Notre collègue Rémy Pointereau déclarait, le 13 janvier dernier : « Il faudrait [...] rendre éligible au FISAC la petite hôtellerie rurale, qui, soumise à de nombreuses normes, a des besoins financiers importants. » Nous partageons cette appréciation, d’autant que le FISAC s’inscrit dans une démarche de terrain qui a fait ses preuves, avec, hier, les ORAC, et, aujourd’hui, les DCT.

Je remarque que les élus de la majorité, en commission, ont occulté le volet relatif au soutien au commerce et à l’artisanat. Nous proposons quant à nous, via l’article 21, la création d’une caisse de mutualisation publique contre le chômage des commerçants, artisans et professions libérales et de leurs conjoints collaborateurs et d’une caisse de mutualisation publique contre le chômage des agriculteurs et de leurs conjoints collaborateurs. Dans le même esprit, nous souhaitons instituer, avec l’article 22, des conventions de commerce et d’artisanat rural.

Avec l’article 23, nous donnons des prérogatives aux communes et aux EPCI, ou établissements publics de coopération intercommunale, afin qu’ils puissent mieux réguler l’aménagement commercial. L’implantation des commerces de plus de 300 mètres carrés serait ainsi encadrée. On ne peut en effet prétendre soutenir nos commerçants et revitaliser les centres-bourgs et, dans le même temps, laisser trop de latitude à la grande distribution.

Nous voulons miser sur nos agriculteurs : l’article 24 met en place des contrats territoriaux d’exploitation qui les lient à l’autorité administrative sur des sujets tels que l’emploi, l’environnement ou la production de l’exploitation.

La ruralité, c’est aussi la forêt, qui occupe toujours une place prédominante sur le territoire français. L’article 25 vise ainsi à sécuriser le fonctionnement de l’Office national des forêts, l’ONF.

L’article 26, dont mon collègue Yves Daudigny parlera mieux que moi, rappelle la nécessité, chaque jour plus pressante, de maintenir des capacités d’ingénierie locale.

Enfin, avec l’article 27, et alors que l’État s’en désintéresse, nous avons souhaité rappeler l’importance de la péréquation. Cette péréquation solidaire, redistributrice, sous-tend l’intégralité de cette proposition de loi.

Aujourd’hui, les sénateurs socialistes veulent avancer par des actes. Les grandes déclarations, non suivies d’effet, ne suffisent plus. Renvoyer le texte en commission reviendrait à esquiver un enjeu essentiel pour la société française et fuir nos responsabilités. La ruralité mérite toute notre attention, mes chers collègues. C’est la vision d’une ruralité moderne, la volonté de valoriser les atouts de ses territoires, métropolitains et ultra-marins, qui a présidé à la rédaction et au dépôt de la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial, un pacte porteur d’espérances.

Aussi, mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir examiner cette proposition de loi et ses différents articles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée par M. Jean-Jacques Lozach, cosignée par l’ensemble des membres du groupe socialiste et apparentés, est ambitieuse dans son objet puisque, si l’on en croit son titre, elle ne vise rien de moins qu’à instaurer un « nouveau pacte territorial ».

Ce texte se situe à la croisée de la question institutionnelle des relations entre l’État et les collectivités territoriales et de la problématique de l’aménagement du territoire. On y retrouve certaines dispositions de la proposition de loi pour l’instauration d’un bouclier rural au service des territoires d’avenir, qui a été présentée par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, puis discutée, pour être finalement rejetée par nos collègues députés le 29 mars dernier.

Cette proposition de loi est plus diverse encore par les sujets abordés. D’ailleurs, son examen aurait pu justifier la constitution d’une commission spéciale, puisque certains de ses articles intéressent aussi la commission des lois, d’autres la commission de la culture, d’autres la commission des affaires sociales, et d’autres encore la commission des finances. Mais c’est à votre commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire que ce texte a été renvoyé au fond, car il traite essentiellement de la cohésion territoriale de notre pays.

Dans ce domaine, la majorité de la commission de l’économie ne partage pas la critique sans aucune concession adressée par les membres du groupe socialiste et apparentés à la politique conduite ces dernières années. Leur constat de départ est celui d’une défaillance radicale de la politique nationale d’aménagement du territoire, qui s’expliquerait notamment par les effets de la révision générale des politiques publiques.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Ils s’inquiètent également de ce qu’ils considèrent comme une crise des relations entre l’État et les collectivités territoriales.

M. Claude Bérit-Débat. C’est vrai !

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Je crois que le caractère exagéré de ces critiques en réduit la pertinence.

Notre commission ne prétend pas que rien n’est perfectible en matière d’aménagement du territoire et de développement rural. Mais elle s’est toujours efforcée de s’inscrire dans une démarche constructive, en s’appuyant sur des analyses nuancées.

Je rappellerai ici plusieurs rapports d’information produits par la commission de l’économie : celui de M. Rémy Pointereau, rédigé dans le cadre d’un groupe de travail sur les pôles d’excellence rurale, et celui de MM. Michel Houel et Marc Daunis, rédigé dans le cadre d’un groupe de travail sur les pôles de compétitivité. Je veux citer également le rapport d’information de M. Bruno Sido 2G, 3G, 4G : vers une couverture optimale du territoire en téléphonie mobile et celui de M. Louis Nègre, qui faisait suite au groupe de suivi du schéma national des infrastructures de transport. La semaine prochaine, M. Hervé Maurey nous présentera un rapport d’information sur la couverture numérique du territoire.

Je n’oublie pas non plus nos travaux législatifs : le rapport de M. Bruno Retailleau de 2009 sur la proposition de loi relative à la lutte contre la fracture numérique ainsi que le rapport que je vous ai présenté, en 2010, sur le projet de loi relatif à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales. Plus anciennement, en 2005, le président de la commission de l’économie, M. Jean-Paul Emorine, a été le rapporteur du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, qui a notamment créé les zones de revitalisation rurale.

L’ensemble des travaux de notre commission, tout en ayant pour objet de proposer des améliorations, qui ont pu prendre la forme d’amendements à des projets de lois, donne acte au Gouvernement de ses efforts pour maintenir la cohésion du territoire dans un contexte économique et budgétaire plus que difficile. Ainsi, la politique des pôles de compétitivité et des pôles d’excellence rurale est couronnée de succès. Il suffit de considérer le nombre des réponses aux appels à projets. Au total, 77 pôles de compétitivité ont été labellisés, et pas moins de 643 pôles d’excellence rurale.

Toujours critiques, les auteurs de cette proposition de loi estiment que cette procédure revient à mettre les territoires en concurrence entre eux. (C’est vrai ! sur les travées du groupe socialiste.) Ce n’est pas l’avis de votre commission, qui, au vu des rapports de ses deux groupes de travail, a estimé que l’outil des pôles permettait de bien mailler l’ensemble du territoire.

La vision dramatisée d’un retrait général des services publics dans les territoires ruraux ne correspond pas à la réalité. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Simplement, les services publics doivent savoir s’adapter et mutualiser leurs moyens.

Dois-je rappeler que c’est un amendement du Sénat qui a inscrit dans la loi du 9 février 2010 le maintien par La Poste d’un réseau de 17 000 points de contact ? Nous sommes le seul pays au monde à prendre des dispositions de ce type.

Évidemment, ces points de présence postale ne peuvent pas tous être des bureaux de poste traditionnels, tels qu’ils existaient lorsque nous étions enfants. Mais les solutions que représentent les agences postales communales ou les relais Poste permettent d’offrir aux populations un meilleur service pour un coût moindre ; les indices de satisfaction sont d’ailleurs supérieurs à 87 %.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. De même, je crois que le Gouvernement a bien saisi l’importance de l’enjeu de l’aménagement numérique du territoire. En effet, plus que la présence physique des services publics, c’est l’accès aux moyens de communication électronique qui va devenir le critère déterminant d’attractivité des territoires.

Pour étendre la couverture en « très haut débit » à l’ensemble du pays, il va falloir chercher la complémentarité, et non pas la concurrence, entre les investissements des opérateurs privés et ceux des collectivités territoriales. Je tiens à souligner, parce que cela ne me paraît pas toujours bien compris, que les secondes n’ont pas vocation à se substituer aux premiers. Il faut le dire clairement et le répéter : les opérateurs privés ne peuvent être que les clients des réseaux d’initiative publique. Personne ne peut contredire ce raisonnement.

M. Claude Bérit-Débat. Dans la réalité, c’est différent !

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Les auteurs de cette proposition de loi proposent la définition par l’État d’un plan national de financement et de développement des infrastructures de transports pour la période 2011-2021. Or il me semble que cette demande est déjà satisfaite par le schéma national des infrastructures de transport. Prévu par la loi Grenelle 1, le SNIT a déjà fait l’objet d’un avant-projet présenté par le Gouvernement en juillet 2010, a été soumis à concertation, puis présenté à nouveau sous une forme modifiée en janvier 2011. Le groupe de suivi de votre commission l’a étudié en détail, et je vous invite à vous reporter à son rapport d’information.

M. Claude Bérit-Débat. Nous ne sommes pas satisfaits !

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Enfin, je veux rappeler le progrès que représente la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) C’est la première fois qu’une loi hospitalière insiste aussi clairement sur la dimension territoriale du système de soins et fait référence aux zones rurales ou de montagne !

Les auteurs de la proposition de loi préféreraient que l’on mette en place un dispositif contraignant d’autorisation pour l’installation des professionnels de santé libéraux dans les zones où l’offre de soins est déjà dense. Selon moi, il conviendrait plutôt de laisser d’abord les agences régionales de santé mettre en place les dispositifs incitant au rééquilibrage territorial de l’offre de soins prévus par la loi.

Bref, je ne crois pas que cette proposition de loi soit toujours très réaliste, en donnant à croire que la densité des services publics puisse être la même en zone rurale et en zone urbaine.

M. Jean-Jacques Lozach. Je n’ai pas dit ça !

M. Pierre Hérisson, rapporteur. C’est démagogique !

Il est facile de proposer d’instaurer par la loi des critères exigeants de temps maximum d’accès aux services publics de la santé, de l’éducation ou de l’emploi, dès lors que l’on ne se préoccupe pas de leur coût financier. Or les auteurs de cette proposition de loi ne fournissent aucune indication sur l’impact financier des mesures qu’ils préconisent. Cette insouciance est surprenante, alors que l’impératif de redressement de nos finances publiques devrait s’imposer à tous, y compris aux élus de l’opposition.

M. Claude Bérit-Débat. Qui a creusé le déficit ?

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Ces remarques générales étant faites, j’en viens à mes observations sur le contenu même de la proposition de loi.

Je ne vous cacherai pas que ma première réaction a été la perplexité. En effet, la valeur normative des différentes dispositions de ce texte est très inégale. Beaucoup d’entre elles, et non des moindres, n’ont pas d’effet juridique direct, mais relèvent plutôt de la déclaration d’intention, ou du programme électoral...

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Je peux ici citer plus particulièrement l’article 6, qui prévoit la mise en place, dans un délai de six mois après la promulgation de la loi, d’une « grande conférence territoriale » pour engager un nouvel acte de la décentralisation. C’est une disposition que l’on s’attendrait à retrouver dans le programme d’un candidat à l’élection présidentielle, plutôt que dans un texte à visée normative. Je me demande où se situent les intentions sous-jacentes évoquées par les auteurs du texte ?

De même, l’article 10 prévoit l’élaboration, dans un délai d’un an, d’un « nouveau pacte éducatif » reposant notamment sur l’engagement de l’État à maintenir le nombre de postes d’enseignants.

Toujours dans la même veine, l’article 14 prévoit la mise en place d’un « nouveau pacte de protection et de tranquillité publique », reposant sur l’engagement de l’État à renforcer les forces de sécurité.

Au total, ce sont dix articles, sur les vingt-huit que compte en tout la proposition de loi, qui me semblent ainsi relever plutôt d’une loi de programmation.

L’article 34 de la Constitution définit les lois de programmation comme cette catégorie de lois qui « déterminent les objectifs de l’action de l’État ». Nous sommes bien dans ce cas de figure : les dispositions du texte que j’ai évoquées n’ont pas d’effet juridique direct, et parfois même pas de contenu très déterminé.

D’autres dispositions de la proposition de loi tendent à donner une valeur légale à des instances, des outils ou des principes qui existent déjà, et fonctionnent très bien sur une base réglementaire ou jurisprudentielle. C’est le cas de l’article 1er, qui tend à institutionnaliser la conférence nationale des exécutifs, et de l’article 4, qui donne une existence légale aux contrats de projet État-région, actuellement de nature purement réglementaire.

L’article 7 ne fait que rappeler les principes essentiels des services publics, déjà dégagés par la jurisprudence.

Quant à l’article 12, il inscrit dans la partie législative du code du sport l’existence du Centre national pour le développement du sport.

Personnellement, je ne suis pas persuadé que ces articles présentent un grand intérêt. Il se pourrait même que certains d’entre eux enfreignent le partage entre le domaine de la loi et celui du règlement, tel qu’il résulte de l’article 34 de la Constitution.

Mais la principale objection que votre commission oppose aux auteurs de la proposition de loi est relative à son caractère prématuré.

M. Claude Bérit-Débat. Avec vous, c’est toujours prématuré !

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Ce texte a été enregistré à la présidence du Sénat le 19 mai dernier pour une discussion en séance publique aujourd’hui, le 30 juin. Son examen s’est donc trouvé contraint de justesse dans le délai minimum de six semaines prévu par le règlement du Sénat. Or cette précipitation de la part des membres du groupe socialiste et apparentés est éminemment regrettable, parce que les domaines abordés dans cette proposition de loi recoupent les champs d’investigation de trois missions communes d’information du Sénat qui viennent tout juste de finir leurs travaux, ou qui le feront la semaine prochaine.

Il s’agit, tout d’abord, de la mission commune d’information sur l’organisation territoriale du système scolaire et sur l’évaluation des expérimentations en matière scolaire, présidée par M. Serge Lagauche et dont le rapporteur est M. Jean-Claude Carle.

Il s’agit, ensuite, de la mission commune d’information sur les conséquences de la RGPP pour les collectivités territoriales et les services publics locaux. Elle est présidée par M. François Patriat, son rapporteur étant M. Dominique de Legge.

Ces deux missions communes d’information ont adopté leurs conclusions la semaine dernière, la veille et le jour même où notre commission s’est réunie pour se prononcer sur la proposition de loi. Mais leurs rapports ne sont diffusés sur le site internet du Sénat que depuis deux jours. Quant à leurs versions sur support papier, elles ne sont pas disponibles au service de la distribution… (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Maryvonne Blondin. Si, les voilà ! (Mme Maryvonne Blondin brandit les rapports.)

M. Pierre Hérisson, rapporteur. … ou plutôt elles ne le sont que depuis hier pour l’une, et depuis ce matin seulement pour l’autre. Mesdames, messieurs les sénateurs socialistes, j’imagine que vous avez dû passer la matinée à les lire.

Enfin, la troisième mission commune d’information concernée par ce texte est celle relative à Pôle emploi, qui est présidée par M. Claude Jeannerot, son rapporteur étant M. Jean-Paul Alduy. Elle n’adoptera ses conclusions que la semaine prochaine.

Ainsi, cette proposition de loi a préjugé largement les conclusions de ces trois missions communes d’information. Votre commission a considéré que cette manière de faire n’était pas de bonne méthode. À quoi cela servirait-il de mettre en place de telles missions, qui ont procédé à des dizaines d’auditions et à de nombreux déplacements durant plusieurs mois, si c’est finalement pour légiférer sans se donner le temps de prendre connaissance en toute sérénité, singulièrement au Sénat, de leurs rapports ?

Votre commission a donc jugé indispensable de se prononcer en bénéficiant de l’éclairage apporté par les analyses solidement étayées résultant de leurs travaux, ce qui n’était pas possible dans les délais qui lui ont été imposés pour l’examen de cette proposition de loi. C’est pourquoi elle vous proposera d’adopter une motion tendant au renvoi de ce texte en commission. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Jean-Jacques Pignard applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser Bruno Le Maire, actuellement en déplacement avec le Président de la République dans le Lot-et-Garonne.

J’ai écouté le rappel au règlement de M. Bel. Je veux simplement lui rappeler que, en ma qualité de ministre chargée de l’outre-mer, je dépends du ministre de l’intérieur et des collectivités territoriales. Cette proposition de loi concerne aussi, me semble-t-il, les collectivités locales. J’ai d’ailleurs relevé avec beaucoup de satisfaction les propos de M. le rapporteur pour lequel la ruralité concerne aussi nos territoires ultra-marins.

Le texte qui nous réunit aujourd’hui est une nouvelle occasion de confronter deux conceptions de l’aménagement du territoire et de l’action publique au service de nos territoires, notamment ruraux.

Comme l’a rappelé Bruno Le Maire dans ce même hémicycle, la ruralité, ce n’est pas le passé de la France ; c’est son avenir. De plus en plus de nos concitoyens décident de s’installer dans les territoires ruraux. Nous devons tenir compte de leur choix et accompagner ce mouvement.

L’accompagner, cela veut dire répondre aux nouvelles exigences de nos concitoyens en matière de services, d’accès aux soins ou de transports, tenir compte des évolutions en profondeur de la société française – je pense notamment au développement des nouvelles technologies, qui ont désormais investi tous les secteurs d’activité et qui sont au cœur de notre vie quotidienne – et moderniser notre organisation territoriale pour renforcer le pilotage de nos politiques publiques et la qualité du service rendu à nos concitoyens.

Face à ces évolutions, le parti socialiste propose une réponse qui consiste à réglementer et à dépenser toujours plus. Il ajoute la norme à la norme ; il impose par la loi des règles uniformes, datées et rigides, des règles qui ne prennent pas en compte la diversité de nos territoires et qui, par conséquent, ne seront ni applicables ni crédibles aux yeux de nos concitoyens. Il ne tient pas compte du nécessaire impératif de maîtrise de la dépense publique, qui devrait pourtant s’imposer à tous.

Bruno Le Maire défend une vision moderne et réaliste de l’aménagement du territoire. Les deux vont ensemble : parce que nous sommes lucides sur l’état de nos finances publiques, parce que nous sommes réalistes sur les attentes de nos concitoyens, nous faisons preuve d’audace et d’imagination pour inventer les solutions de demain. Ce choix, nous l’assumons, car c’est le choix de la responsabilité. Il a l’avantage de s’inscrire dans la durée.

Arrêtons-nous un instant sur la question de la gouvernance territoriale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous proposez de relancer la conférence nationale des exécutifs pour favoriser les échanges sur le plan national. C’est fait ! Le Premier ministre a déjà lancé les travaux préparatoires en vue d’une réunion plénière.

Vous proposez également de mettre en place une conférence régionale des exécutifs. Dans la pratique, cette instance existe déjà ! La loi de réforme des collectivités territoriales comporte toute une série de dispositifs opérationnels et financiers pour approfondir la cohérence du travail entre le niveau communal et intercommunal, les départements et la région.

Dans le même temps, vous proposez de passer directement par la loi pour imposer toute une série de mesures qui ont précisément vocation à être débattues dans ces instances de concertation. Plusieurs articles de la proposition de loi, sur la contractualisation, par exemple, concernent ainsi des sujets qui seront à l’ordre du jour de la conférence nationale des exécutifs de la rentrée.

J’ajoute que certaines de vos propositions ne sont pas conformes au droit constitutionnel – c’est le cas de la consultation obligatoire de la conférence nationale des exécutifs, mentionnée à l’article 1er – ou au droit communautaire – je pense, notamment, au small business act de l’article 19.

Je voudrais faire deux remarques complémentaires sur les questions de gouvernance.

En premier lieu, nombre des dispositions que vous avez présentées s’avèrent purement déclamatoires et sans valeur normative. Elles ne passeraient sans doute pas le barrage du Conseil constitutionnel.

En second lieu, le Gouvernement ne croit pas à l’empilement des normes et des règlements. Vous savez comme moi que les élus locaux aspirent au contraire à alléger les contraintes qui pèsent déjà sur eux. Imposer un modèle unique à tout le monde sans vous préoccuper de la réalité des besoins et de la diversité des territoires, est-ce cela que vous appelez un « pacte » ?

Concernant l’offre de services, votre proposition consiste à maintenir les mêmes services publics sur tout le territoire.

Mme Renée Nicoux. Non, ce n’est pas ce que nous proposons !

M. Yves Daudigny. C’est une caricature !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. La réalité, c’est que nous n’avons pas les moyens de financer dans toutes les communes rurales un bureau de poste, une agence de Pôle emploi, un guichet de la SNCF, avec la présence physique d’employés rémunérés par la collectivité. Les statistiques montrent clairement que, compte tenu de son rapport coût-efficacité, le maintien de certains services publics sous leur forme ancienne est déraisonnable au regard du bon emploi des deniers publics. Vous en avez tous conscience.

La réalité, c’est aussi que les attentes des Français ont évolué.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Ils veulent pouvoir accéder aux services dont ils ont besoin depuis un lieu unique.

La réalité, enfin, c’est qu’internet a changé la donne.

Mme Bernadette Bourzai. Surtout qu’il est inaccessible !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Aujourd’hui, la plupart des services sont disponibles en ligne. On ne peut pas consacrer 4,5 milliards d’euros à la couverture numérique du territoire et aux nouveaux services par internet et maintenir exactement le même système de services qu’avant.

Si vous voulez en rester à ces propositions qui auront des conséquences du point de vue budgétaire, nous ne vous suivrons pas. Nous avons voulu imaginer les services publics de demain, plutôt que de vouloir systématiquement maintenir ceux d’hier, à un coût excessif pour la collectivité.

Les services publics de demain, ce sont d’abord un certain nombre de services dématérialisés.

Le numérique n’a évidemment pas vocation à remplacer l’accueil personnalisé et le contact humain, mais il rend accessible la bibliothèque la plus vaste du monde à tous les élèves ; il permet aux médecins des maisons de santé rurales de croiser instantanément leur diagnostic avec celui de confrères ; il facilite les démarches des agriculteurs grâce au système de télédéclaration pour la politique agricole commune, la PAC. Pour tous les citoyens, il permet de remplir nombre de formalités administratives à distance.

Aujourd’hui, 65 % des démarches prioritaires sont accessibles en ligne, alors qu’elles n’étaient que de 30 % en 2007.

Évidemment, cela suppose d’assurer la couverture du territoire en très haut débit. C’est l’objet du programme national « très haut débit » lancé sur l’initiative du Président de la République, avec pour objectif une couverture totale du territoire en très haut débit en 2025.

Mme Renée Nicoux. Ce n’est pas pour tout de suite !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Cela représente un investissement de 15 milliards d’euros sur quinze ans ; 2 milliards d’euros ont été mis à disposition des opérateurs et des collectivités pour lancer le processus dans le cadre des investissements d’avenir.

Les services publics de demain, c’est aussi la mutualisation d’un certain nombre de services. C’est le sens de la convention « Plus de services au public » que le ministre de l’aménagement du territoire a signé avec neuf opérateurs nationaux.

M. Claude Bérit-Débat. Quel ministre ?

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Cette convention est en cours de déploiement dans vingt-trois départements. Si ce premier essai s’avère concluant, le ministre de l’aménagement du territoire proposera très rapidement de généraliser l’expérimentation à tous les départements.

M. Jean-Jacques Lozach. Il n’y a pas de ministre !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Il s’agit de proposer aux usagers et clients une offre de services rationnalisée depuis un lieu unique, préservant les impératifs de qualité et de proximité. Les agents seront parfois issus de La Poste, parfois de la SNCF, parfois de la CAF ou de la MSA. Ils auront à leur disposition des correspondants techniques et des outils informatiques pour répondre le plus efficacement possible aux demandes des citoyens.

Mme Renée Nicoux. Et qui va payer ?

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Bruno Le Maire souhaite que toutes les hypothèses de mutualisation soient explorées : entre les services de l’État – c’est ce qui est fait dans le cadre de la RGPP – ; entre l’État et les collectivités, comme c’est déjà le cas dans les relais de service public ; et entre l’État et les opérateurs privés, en particulier les commerçants de proximité. Ainsi, 3 000 bureaux de tabac sont déjà des points de retrait d’argent. Pourquoi n’irions-nous pas plus loin ?

En matière de sécurité, notre politique ne doit pas reposer uniquement, comme vous le proposez, sur le recrutement de nouveaux fonctionnaires ; elle doit aussi veiller à la complémentarité entre les fonctionnaires de l’État, policiers et gendarmes, et les polices municipales dans le cadre des contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance. L’efficacité, ce n’est pas la multiplicité ; c’est la complémentarité.

Voilà en quelques mots ce qu’est la réalité de l’action du Gouvernement en matière de services publics.

Mme Renée Nicoux. Coupée de la réalité !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Il s’agit d’une action pragmatique, en phase avec l’évolution des attentes de nos concitoyens.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Très bien !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Tout cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas adapter ou corriger, le cas échéant, ces dispositifs.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Bien sûr !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Néanmoins, il ne peut être question d’instaurer un moratoire de la RGPP. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

S’agissant du développement économique, vous reprochez à la stratégie de polarisation et d’appels à projets conduite par le Gouvernement de contribuer à renforcer des territoires qui sont déjà attractifs. Nous assumons cette logique d’excellence et de promotion de la coopération territoriale. Nous voulons créer les conditions d’un développement économique pérenne fondé sur le respect du territoire et la coopération entre les acteurs privés et publics. Le succès considérable des pôles d’excellence rurale montre bien que cette démarche correspond à une attente forte de la part des acteurs locaux. Contrairement à ce que vous pourriez croire, il y a du dynamisme et de la créativité dans les territoires ruraux !

M. Claude Bérit-Débat. Heureusement !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Pour autant, nous n’oublions pas l’impératif de cohésion entre les territoires. Nous avons décidé d’accorder un soutien plus important aux départements ruraux dans le cadre du programme national « très haut débit ». Alors que les départements urbains seront soutenus à 33 %, nous irons jusqu’à 45% pour les projets concernant les départements les plus ruraux.

Nous avons créé les zones de revitalisation rurale pour redonner de l’attractivité aux territoires en difficulté. Je rappelle que les exonérations sociales et fiscales de ce dispositif coûtent 511 millions d’euros à la solidarité nationale en 2011.

Mme Bernadette Bourzai. Des dispositifs aléatoires chaque année !

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Pour compenser l’impact social et économique sur les territoires des restructurations de défense, nous avons lancé un plan de revitalisation doté de 320 millions d’euros.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement veut continuer à assurer la solidarité entre les territoires grâce au renforcement des instruments de péréquation. La part de la dotation globale de fonctionnement consacrée à la péréquation est ainsi passée de 11,9 % en 2003 à 16,6 % en 2010. La dotation de solidarité rurale a été portée de 420 millions d’euros à 802 millions d’euros sur la même période.

Face à une proposition de loi qui présente une vision administrée de ce que peuvent être l’aménagement du territoire et la ruralité, nous voulons défendre une vision moderne, reposant sur le développement de l’activité économique, la qualité des services publics et l’accès à internet à haut débit pour tous.

Nos territoires sont un atout pour l’avenir de la France, mais c’est uniquement en accompagnant leur modernisation qu’ils resteront un atout pour notre pays. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Jean-Jacques Pignard applaudit également.)

Mme Renée Nicoux. C’est bien ce dont nous sommes persuadés !

M. Bernard Vera. Nous sommes loin du compte !

M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui s’ouvre aujourd’hui à l’occasion de l’examen de la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial, présentée par nos collègues socialistes, est très important. En effet, il dénonce très clairement les manquements de l’État à ses missions régaliennes et dessine des pistes pour trouver des solutions à la crise économique et sociale que nous traversons.

Cette crise est également une crise de confiance qui entache notre pacte républicain, comme en témoignent la colère et les inquiétudes des élus locaux. Au travers de la politique menée par le Gouvernement, ce sont les fondements mêmes de notre République, à savoir les principes de liberté, d’égalité et de fraternité, qui sont remis en cause par ses lois successives.

Au principe de la solidarité nationale, la majorité a opposé, depuis cinq ans, ceux de la concurrence entre les territoires, du repli identitaire, de la casse des mécanismes d’assurance collective, notamment dans le domaine de la santé et des retraites. Madame la ministre, la loi de finances rectificative que la majorité du Sénat vient d’adopter le prouve : votre politique bénéficie exclusivement aux plus fortunés.

Nous souscrivons évidemment à l’ensemble des constats que développent les auteurs de la proposition de loi dans l’exposé des motifs. Nous estimons comme eux que la mise en œuvre de la RGPP, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, la mise en concurrence des territoires et de leurs habitants, l’assèchement des ressources des collectivités territoriales et les transferts de charges non compensés, qui mettent les collectivités dans des situations intenables, ont eu un impact très négatif.

Contrairement au Gouvernement, nous estimons que la politique doit être pensée de manière durable, et non au travers de logiques comptables. En effet, une stratégie de recherche d’économies de court terme s’avère au final bien plus coûteuse pour la collectivité. La perte d’ingénierie publique a ainsi conduit à des échecs avérés, notamment lorsqu’un grain de sable ou un flocon de neige a suffi à enrayer le fonctionnement à flux tendu des services déconcentrés de l’État.

Nous souscrivons également à la volonté de doter les collectivités territoriales des ressources leur permettant de mener les politiques pour lesquelles elles ont été élues. Pour ce faire, il faut selon nous réviser non seulement la dotation globale de fonctionnement, mais également la fiscalité locale. Mais il nous semble aussi urgent de revenir sur la réforme des collectivités, qui conduit inexorablement à dévitaliser, au profit des intercommunalités et des régions, les échelons de proximité que sont les communes et les départements.

Nous partageons avec les auteurs du texte l’exigence de mise en œuvre d’une péréquation territoriale pour incarner le principe de solidarité et permettre l’égalité de tous devant les services publics. Il s’agit en effet d’un facteur de cohésion sociale sur l’ensemble du territoire. La péréquation doit toutefois se faire prioritairement par l’impôt. Il convient donc obligatoirement de revenir sur l’ensemble des cadeaux fiscaux accordés aux catégories les plus favorisées. Il est nécessaire de réorienter l’argent vers l’intérêt général.

Nous pensons qu’un changement politique majeur ne pourra s’engager sans un affranchissement préalable des contraintes insoutenables du traité de Lisbonne, qui enferme la France dans l’étau de l’austérité et d’un modèle économique ultralibéral.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Qui l’a signé ?

M. Bernard Vera. Permettez-moi d’illustrer mon propos en m’appuyant sur quelques articles de la proposition de loi.

Concernant l’école, l’article 10 dispose qu’il est nécessaire de maintenir le nombre de postes d’enseignants et d’améliorer les conditions d’exercice de leur métier. Nous pensons, pour notre part, qu’il faut des enseignants plus nombreux et mieux formés. Nous estimons également qu’il est nécessaire de reposer la question de la finalité de l’éducation. Cette dernière ne consiste pas seulement à favoriser une insertion des jeunes dans la vie professionnelle, uniquement dictée par le marché de l’emploi, elle doit surtout viser à l’épanouissement d’adultes en devenir, en pleine possession de leur citoyenneté.

La question du logement est également un révélateur important de ces dysfonctionnements puisque la formation d’un marché spéculatif nourrit chaque jour davantage l’exclusion sociale. Pourtant, l’Europe indique aujourd’hui qu’il faut en ce domaine limiter l’intervention de l’État et que le droit au logement doit être reconnu non comme un droit universel, mais comme une simple assistance aux plus démunis.

En matière d’agriculture, s’il est nécessaire d’encourager une transition écologique, comme le préconisent très justement les auteurs de cette proposition de loi, une politique forte doit être menée en direction des territoires et de la diversification des cultures. Surtout, il est indispensable d’instaurer une véritable régulation des prix et des échanges dans le secteur agricole afin de garantir des prix rémunérateurs.

Concrètement, tous les indicateurs confirment qu’il ne s’agit ni de réguler le capitalisme ni de l’accompagner, mais de sortir de la financiarisation de l’économie et, parallèlement, de dégager d’urgence de nouvelles ressources pour financer des politiques de progrès pour tous, ce qui ne consiste évidemment pas à répartir le poids de l’austérité imposée par l’Union européenne.

Bien entendu, nous souscrivons aussi à la volonté de combattre la désertification des services publics sur le territoire national, non seulement dans les zones rurales, mais également dans les zones urbaines, puisque, partout, des hôpitaux, des tribunaux, des bureaux de poste ferment. (M. le rapporteur proteste.) Il convient selon nous de revenir sur les fondements de la politique gouvernementale, qui consistent à instaurer une concurrence libre et non faussée au service des usagers consommateurs.

Or l’expérience nous prouve qu’il s’agit là d’une impasse : les opérateurs ferroviaires de proximité, ou encore ceux des télécommunications, s’implantent prioritairement dans des zones rentables, laissant des pans entiers du territoire sinistrés. La question est donc bien celle de la conception même des services publics et de leur maîtrise publique.

À ce titre, tout le monde semble être d’accord pour moderniser l’État. Mais moderniser l’État, ce n’est pas l’amputer de ses missions pour confier ces dernières à d’autres échelons territoriaux ou au secteur privé ; c’est redéfinir l’intérêt de la nation et être capable de répondre concrètement aux besoins fondamentaux de nos concitoyens !

Moderniser l’État, c’est sortir du dogmatisme qui conduit à penser que le privé est toujours plus performant que le public.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Ce n’est pas ce que nous pensons !

M. Bernard Vera. Aujourd’hui encore, nous avons la démonstration que cette théorie n’est pas fondée. Les partenariats public-privé s’avèrent en effet, selon une étude récente, plus coûteux que les marchés classiques.

Pour porter un nouveau pacte territorial et républicain, il faut donc s’attaquer à la répartition des richesses entre revenus du capital et revenus du travail, sortir de la dictature de la finance et de la libéralisation de l’économie. Il faut notamment créer un pôle public financier pour mettre enfin les banques au service de l’économie réelle et des territoires.

Vous le savez, nous avons toujours considéré qu’il fallait poser la question du service public en termes de réponse à des besoins fondamentaux. Par exemple, s’il est évidemment nécessaire de disposer de structures de soins de proximité, il est tout aussi indispensable que le service rendu y soit de qualité et accessible, ce qui ne semble évidemment pas d’actualité aujourd'hui, puisque la loi HPST a supprimé toute référence à un service public hospitalier.

Nous proposons donc comme préalable à ce pacte territorial l’abrogation de la réforme des collectivités territoriales, celle de la RGPP ainsi que celle des lois de privatisation.

Parallèlement, nous proposons la modernisation de la décentralisation en fonction du principe de proximité, afin d’optimiser les décisions publiques dans le sens de la satisfaction de l’intérêt général. Une telle modernisation passe par une redéfinition des rôles respectifs de l’État et des différents échelons territoriaux en France et en Europe.

Au rapport d’autorité que l’État instaure avec les collectivités, et qui conduit à la défiance, nous voulons renforcer le développement des coopérations. L’autonomie des collectivités territoriales doit également être réaffirmée, la démocratie participative encouragée et accompagnée d’une réforme de la fiscalité locale mettant enfin à contribution les actifs financiers des entreprises.

Permettre une nouvelle répartition des richesses empreinte de justice et un nouveau partage des savoirs et des pouvoirs, réaffirmer au final la primauté du politique sur l’économique et des peuples sur les marchés, voilà notre projet politique ! C’est la raison pour laquelle nous voterons contre le renvoi en commission du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Pignard.

M. Jean-Jacques Pignard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au début de mon mandat de sénateur, il m’est arrivé de me tromper de vote. Cette mésaventure m’a valu des sourires narquois et peu compatissants sur certaines travées. Je ne cache pas que, aujourd’hui, j’ai craint de m’être trompé à nouveau, non pas de vote cette fois, mais de lieu et de réunion.

J’avais tort : je suis bien au Sénat, et non pas dans une salle polyvalente. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Il s’agit bien d’un débat parlementaire, et non d’une réunion socialiste en vue des primaires pour l’élection présidentielle.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Jacques Pignard. Nous sommes bien conviés à ce débat par un parlementaire du Massif central, et non par un député de la Corrèze ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Lozach. Il vous fait peur ?

M. Jean-Jacques Pignard. Qu’on ne s’y trompe pas : nous avons affaire à une « vraie-fausse » proposition de loi…

M. Jean-Jacques Pignard. … et à un « faux-vrai » catalogue électoral, sur la forme comme sur le fond.

Je commence par la forme.

Je vous laisse bien évidemment la paternité des formules, toutes marquées par l’outrance verbale, comme le fait de livrer « les biens publics aux appétits marchands » ou « la comptabilisation indécente des différentes coupes budgétaires ». L’intérêt général, selon vous, ne guide plus l’action publique.

Mais qu’est-ce que l’intérêt général ? Et qu’est-ce que l’indécence ? Ne pas remplacer un fonctionnaire partant à la retraite sur deux n’est chose ni agréable ni facile, mais ce n’est pas indécent.

Réduire les retraites ou les salaires de 15 % à 20 %, comme le font aujourd’hui les gouvernants de Grèce, du Portugal, d’Irlande ou d’Espagne – pour la plupart socialistes –…

Mme Renée Nicoux. C’est faux !

M. Jean-Jacques Pignard. … serait en revanche tout simplement indécent.

Il faut dire qu’ils n’avaient pas d’autre choix. À cet égard, prenons garde de ne pas être contraints un jour à des mesures que le FMI ou la Commission européenne nous imposeraient parce que nous ne les aurions pas prises nous-mêmes.

À titre personnel, je préfère l’homéopathie à la chirurgie ; à mon sens, l’intérêt général a tout à y gagner !

Les vingt-sept articles de la proposition de loi ne sont qu’un catalogue électoral. Vous le savez, la plupart d’entre eux sont dépourvus de portée normative : il en va ainsi de l’article 6, qui vise à mettre en place une conférence territoriale, de l’article 10, qui tend à élaborer un nouveau pacte éducatif ou encore de l’article 14, qui vise à instaurer un nouveau pacte national de protection et de tranquillité publique.

Ces vingt-sept articles forment un patchwork, pour ne pas dire un inventaire à la Prévert. À quand un vingt-huitième article prévoyant le retour des conseillers d’arrondissement institués par l’Assemblée constituante,…

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Pignard. … ou un article 29 revenant sur la suppression des sous-préfectures par Raymond Poincaré en 1926 ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Tout aussi surréalistes sont vos articles concernant la réforme territoriale ou la présence postale, qui ont donné lieu ici même à des dizaines, voire à des centaines d’heures de débats, et à des votes qui, certes, n’étaient pas conformes à vos vœux, mais qui, tout de même, étaient démocratiques ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Surprenants, enfin, vos propos sur les pôles de compétitivité, réalisations qui, à vos yeux, n’ont qu’un seul tort : celui d’émaner de la majorité. Qu’on le veuille ou non, ces pôles constituent, comme d'ailleurs les pôles d’excellence rurale, des sources de développement économique important. J’en fais le constat tous les jours dans ma région et mon département.

Parlons maintenant du fond.

Y aurait-il dans cette assemblée des purs, qui défendraient le service public et la ruralité, et des pervers, qui en feraient litière ?

Beaucoup des questions que vous posez sont légitimes. Acceptez toutefois que nos réponses puissent diverger.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Jacques Pignard. Le développement des territoires ruraux ne passe pas par le maintien sous perfusion financière d’« acquis territoriaux », comme il existe des « acquis sociaux ». En revanche, ce développement suppose la faculté, pour l’État, d’apporter des réponses adaptées aux besoins des territoires. La France rurale de 2011 n’est plus celle de Jules Méline : internet a remplacé le télégraphe Chappe ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Je ne prendrai qu’un exemple.

Dans un débat qui nous a beaucoup occupés, la réforme du service public postal, mon groupe avait déposé un amendement pour maintenir 17 000 « points de contact ». Certains sénateurs de l’opposition avaient alors dénoncé la suppression des bureaux de poste de plein exercice.

M. Bernard Vera. À juste titre !

M. Jean-Jacques Pignard. Soyons inventifs et pragmatiques : s’il faut assurer une présence postale sur l’ensemble du territoire, peu importe qu’une mairie, un commerce ou un bureau de poste assure le service public, pourvu que la mission soit remplie ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Claude Bérit-Débat. Mais qui paie ?

M. Jean-Jacques Pignard. Retirer un colis chez le fleuriste plutôt que dans un guichet jaune et bleu n’a pas de conséquence pour l’usager.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Pignard. Je n’ai évidemment pas le temps de développer les vingt-sept articles qui nous sont proposés, mais les parlementaires avertis que vous êtes, mes chers collègues, savent bien que réunir dans un même texte hôpital, gendarmerie, poste,…

M. Jean-Jacques Lozach. Notre proposition de loi ne parle pas de La Poste !

M. Jean-Jacques Pignard. … fracture numérique et école n’a pas de sens.

Mme Renée Nicoux. Il s’agit de services publics !

M. Jean-Jacques Pignard. Ces débats ont eu lieu et ils auront lieu à nouveau, mais pas de cette façon ! (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.)

Voilà pourquoi le groupe de l’Union centriste votera pour la motion tendant au renvoi en commission de cette proposition de loi. Du moins, c’est une formule, car le vrai débat n’aura pas lieu en commission, il aura lieu ailleurs, dans moins d’un an, avec tous les Français.

Aux questions que vous posez dans cette fausse proposition de loi, les uns et les autres apporteront leurs réponses. À dix mois de cette échéance, il serait un peu présomptueux de votre part de penser que seules vos réponses auront la faveur de nos concitoyens.

M. Jean-Jacques Pignard. L’avenir n’est à personne a priori, ni à vous ni à nous ! Il sera à ceux d’entre nous ou d’entre vous qui prépareront la France de 2012 à affronter les défis de ce monde et la dureté de ce temps ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Gérard Cornu. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Renée Nicoux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Claude Bérit-Débat. Ça va changer !

Mme Renée Nicoux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos territoires ruraux sont un atout pour notre pays, comme vient de le dire Mme la ministre. Notre proposition de loi part du même constat, mais elle en développe la conséquence logique : il faut donner à ces territoires les moyens de rester des atouts.

Cette proposition de loi aurait pu nous fournir l’occasion d’aborder de véritables problèmes de fond. Je regrette donc que la majorité la balaie ainsi d’un revers de main.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Mais non !

Mme Renée Nicoux. Sans nous faire aucune illusion sur le sort réservé à ce texte, comme d’ailleurs à la plupart des propositions de loi de notre groupe, nous espérions néanmoins susciter un débat sur les mesures concrètes proposées. Malheureusement, ce ne fut pas le cas en commission, et ce ne le sera pas non plus aujourd’hui dans cet hémicycle. Vous décidez de rejeter ce texte sans que nous puissions examiner avec attention les différents articles qui le composent.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. C’est un programme électoral !

Mme Renée Nicoux. Or je peux vous affirmer que nos propositions sont loin d’être marquées du sceau de l’archaïsme, bien au contraire ! Ce ne sont pas des déclarations d’intention, mais des propositions concrètes, relayant les attentes d’une majorité de Français et d’élus, en dehors de tout clivage politique.

Je ne vous cache pas que ma surprise a été grande de constater, en commission, à quel point nos approches divergent quant au fondement même de cette proposition de loi, qui est pourtant simple : qu’ils soient périurbains ou ruraux, les territoires rencontrent aujourd’hui des problèmes aigus, dus notamment à la désertion des services de l’État, et il faut y apporter des solutions.

Pourtant, le rapport de la commission indique que notre constat est « largement excessif et orienté »,…

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Oui !

Mme Renée Nicoux. … que nos propos sont outranciers,…

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Oui !

Mme Renée Nicoux. … que nous portons des accusations sans fondement, et que, « à la lumière du panorama » de la politique menée actuellement par le Gouvernement, notre analyse est fausse !

J’en viens à me demander si nous vivons sur la même planète.

Mme Renée Nicoux. Nos concitoyens doivent faire face à la fermeture d’hôpitaux, de maternités de classes primaires, de gendarmeries et aux différentes restructurations judiciaires ou militaires qui vident nos territoires. Allez leur demander si notre diagnostic est excessif !

Allez demander aux élus locaux qui doivent répondre aux besoins croissants de leurs administrés, notamment dans les zones rurales, avec des budgets de plus en plus contraints, si nos déclarations sont dénuées de fondement !

Allez demander aux petits commerçants et artisans situés en zone rurale si leur situation économique n’est pas dramatique !

J’imagine bien que ce refus de tout dialogue n’est pas étranger au fait que certaines échéances électorales approchent : ce sujet est trop brûlant. Il vaut mieux repousser le débat qui, je l’imagine, trouvera toute sa place, je l’ai entendu annoncer tout à l’heure, dans le futur programme présidentiel de la majorité.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. De l’opposition, plutôt !

Mme Renée Nicoux. J’espère bien que l’opposition abordera également ces questions !

Le rapport de la commission illustre parfaitement cette position : il critique longuement la forme de notre texte, mais se garde bien d’en aborder le fond. Il établit ainsi un catalogue à la Prévert des bonnes actions du Gouvernement en faveur de la ruralité, en oubliant soigneusement d’évoquer les effets dévastateurs de la RGPP, qui est menée parallèlement.

Or ces effets sont réels et notre analyse est très largement partagée par les élus, même parmi ceux de la majorité. J’en veux pour preuve la multiplication des rapports et les débats qui souscrivent à ce constat. J’en veux également pour preuve les séances de questions orales du mardi matin qui reflètent parfaitement le désarroi des élus de terrain.

Mme Renée Nicoux. J’en veux encore pour preuve la proposition de loi déposée le 15 février 2011 par une trentaine de députés de l’UMP « tendant à mettre en place un Plan Marshall pour la ruralité ». Son intitulé est plus qu’évocateur et son contenu symptomatique du malaise qui règne au sein même de vos rangs sur cette question, tout comme la décision de ne pas l’inscrire à l’ordre jour, d’ailleurs. Cette proposition de loi évoque bel et bien le désengagement de l’État de la politique d’aménagement du territoire, je vous l’assure !

Monsieur le rapporteur, je pense que notre constat n’est ni exagéré ni outrancier. Il est au contraire en phase avec les réalités locales et la crise que traversent actuellement nos territoires ruraux.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Chacun son point de vue !

Mme Renée Nicoux. Vous nous indiquez que ce texte est prématuré.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Oui !

Mme Renée Nicoux. Mais la situation est critique depuis de nombreuses années déjà, et il y a urgence ! Nous avons lancé le débat en janvier dernier ; maintenant, nous en venons aux propositions concrètes.

Face à l’aggravation des inégalités économiques, sociales et désormais territoriales, nous nous devons, en tant qu’élus de la République et représentants des collectivités locales, d’enclencher une nouvelle dynamique territoriale. La ruralité est, et doit rester, une chance pour notre pays, comme le démontre le vif regain d’intérêt des Français pour l’installation en zone rurale. La tendance démographique tend même à s’inverser : 75 % des cantons ruraux voient leurs populations augmenter et dix millions de Français aspirent à vivre en dehors des grands centres urbains.

Les pouvoirs publics doivent accompagner ce phénomène comme il se doit, en donnant réellement aux Français qui le souhaitent la possibilité de mener à bien leur projet de vie. Pour ce faire, nous devons mettre en place un nouveau pacte territorial. Nous devons restaurer et institutionnaliser le dialogue entre l’État et les collectivités territoriales, tant mis à mal ces dernières années.

Il nous apparaît également plus que jamais nécessaire d’assurer à nos concitoyens une organisation de l’offre de services publics, dans le respect d’un principe d’équité territoriale et de proximité. L’enjeu est crucial, car seul l’accès aux biens et services essentiels dans des conditions raisonnables permettra de maintenir les habitants sur un territoire et d’attirer de nouvelles populations.

Quand nous proposons de garantir un temps d’accès raisonnable aux services publics de santé, d’éducation et d’emploi, ce n’est par posture idéologique, mais bien par réalisme et par pragmatisme. Nous devons recréer les conditions d’égal accès des citoyens aux services publics sur l’ensemble du territoire. Sans infrastructures de transports adaptées, sans accès aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, sans soutien aux activités économiques locales, nos territoires, qu’ils soient ruraux ou périurbains, n’auront pas de perspectives de développement adaptées aux attentes des Français.

Mes chers collègues, je regrette profondément cette occasion ratée d’engager un débat de fond sur des mesures concrètes pour un développement harmonieux de nos territoires et une plus grande prise en compte des spécificités rurales ou périurbaines, qui, à bien des égards, souffrent des mêmes maux. La commission renvoie à plus tard l’examen de questions qui, de toute évidence, embarrassent la majorité.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Pas du tout !

Mme Renée Nicoux. Vous nous affirmez qu’il faut attendre les conclusions des trois missions communes d’information en cours.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Oui !

Mme Renée Nicoux. N’est-ce pas une façon de refuser la réalité ?

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Non !

Mme Renée Nicoux. D’ailleurs, les travaux menés par la mission d’information sur les conséquences de la RGPP pour les collectivités territoriales et les services publics locaux le confirment : la réorganisation des services déconcentrés de l’État inspire aux élus locaux et aux Français un profond « sentiment d’abandon ». L’addition des politiques sectorielles menées depuis plusieurs années se traduit par d’importants dégâts collatéraux en termes d’aménagement du territoire.

Nous ne pouvons plus continuer dans cette voie ! Ces politiques privent nos territoires d’oxygène alors qu’ils ont besoin, au contraire, d’un nouveau souffle. Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe socialiste estime urgent qu’un nouveau pacte territorial soit mis en place, un pacte territorial en phase avec les besoins de nos concitoyens et en phase avec les attentes des élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, « le nouveau pacte territorial », voilà trois mots qui sonnent harmonieusement à mon oreille et ont éveillé ma curiosité autant que mon intérêt !

Comment en aurait-il été autrement pour une élue locale d’un département classé « rural » ? Ce département, qui joue aujourd’hui la Belle au bois dormant, espère son prince charmant et se désespère de sa vie végétative ; ce département s’est piqué le doigt au fuseau ou au rouet des réformes combinées de l’État et des collectivités territoriales.

Mme Anne-Marie Escoffier. Ce département jouit pourtant d’une richesse exceptionnelle, celle de ses femmes et de ses hommes, qui ont démontré depuis longtemps les valeurs fortes qui sont les leurs, qu’il s’agisse du travail, de l’engagement et de la solidarité. Malgré cet atout humain remarquable, voilà un département qui s’étiole et s’abandonne à une paresse maligne. Ce constat vaut, je le crois, pour d’autres départements ruraux.

La réforme de l’État, en resserrant le dispositif étatique sur le plan régional, en opérant, de fait, une « reconcentration », a singulièrement réduit la voilure des compétences du préfet de département : ses seuls vrais domaines d’action restent l’ordre public et la gestion de crise, les autres responsabilités étant dévolues à l’échelon régional.

Proximité, que n’a-t-on pas dit en ton nom pour te sacrifier sur l’autel de la RGPP !

M. Michel Teston. Bien dit !

Mme Anne-Marie Escoffier. La RGPP, fille de la LOLF, aurait pu être une réforme majeure si avait été respecté l’ordre naturel des choses : une réflexion initiale sur les missions régaliennes de l’État et sur l’organisation souhaitable pour répondre à sa vocation, suivie des aménagements budgétaires qui devaient en résulter. La démarche a été inverse, partant d’un budget contraint pour en déduire la réorganisation des services et des allégements de compétences, transférées aux collectivités locales, soumises, elles-aussi, on l’oublie trop, au diktat de la RGPP.

Comment ne pas illustrer ce constat par quelques mesures prises, certaines intempestivement, sans que nos collectivités soient vraiment consultées ?

La réforme de la carte judiciaire ? On constate tous les jours combien elle rend plus difficile la proximité entre le justiciable et le service public de la justice.

Mme Anne-Marie Escoffier. La réforme de la carte hospitalière n’a pas, jusqu’ici, apporté de solution au problème grave et récurrent de la désertification médicale.

Mme Anne-Marie Escoffier. La réforme de la carte scolaire contreviendrait gravement à l’égalité de tous devant le droit à l’éducation, si les inspecteurs départementaux de l’éducation nationale et les recteurs ne s’étaient pas montrés très frileux, mais très pragmatiques, dans la mise en œuvre des mesures relatives à l’affectation librement choisie par les familles.

Je ne veux pas manquer d’ajouter à ces trois grandes réformes celles dont l’effet a été diversement ressenti sur nos territoires : je pense à la carte militaire, à la territorialisation de la gendarmerie, à la réorganisation de La Poste avec la réduction de son maillage territorial, à la mise en place chaotique de la couverture numérique.

Toutes ces réformes, ou toutes ces mesures, ont concrètement des conséquences lourdes sur le fonctionnement de nos collectivités, qui sont contraintes, peu ou prou, de compenser ce que ne fait plus – ou ne peut plus faire – l’État, ou ce qu’il ne fait plus que partiellement.

Les communes accueillent des « séances foraines » des tribunaux. Les établissements publics de coopération intercommunale financent des maisons médicales, qui, soit dit en passant, ne sont certainement pas la panacée. Les communes, les départements, les régions font des efforts importants pour améliorer partout l’accueil des élèves dans des établissements scolaires rénovés, disposant des meilleurs outils pédagogiques modernes, mais trop souvent manquant de l’essentiel : les enseignants.

Mme Anne-Marie Escoffier. La Poste, malgré la récente convention nationale qui veut garantir une qualité de service maintenue sur tout le territoire, propose des mesures trop souvent économiques, au détriment du lien social qui avait fait sa force.

Et que dire de la couverture numérique encore inachevée qui fragilise les territoires en zone blanche et met à mal l’ambition d’inclusion aux techniques d’information et de communication que s’était donnée le Gouvernement ?

Tout cela pourrait être peu de chose si les collectivités étaient aujourd’hui riches des concours financiers auxquels l’État s’était engagé. Mais il n’en est rien : la progression de l’enveloppe normée indexée sur la moitié du taux de croissance, jusqu’ici inscrite, a été supprimée. L’enveloppe normée des concours de l’État a été figée, comme l’ont été les dotations de base – population et superficie –, comme l’ont été les dotations de compensation et de garantie – à moins qu’elles n’aient même été diminuées ! –, les dotations d’intercommunalité ont été gelées à leur niveau de l’an dernier ; seule la DGF a, légèrement, très légèrement progressé, de 0,2 % !

Ces mesures sont venues s’ajouter à d’autres pertes de ressources fiscales directes déjà entérinées les années précédentes, comme le dégrèvement de 20 % de la taxe foncière sur le non bâti ou la contribution économique territoriale, qui a fait passer le pouvoir de modulation fiscale des départements de 36 % à 12 %.

Au regard de ces ressources en baisse, les dépenses sont en constante augmentation, des dépenses dues non pas à la « fantaisie » des collectivités locales mais à leurs obligations légales nées des transferts de compétences : je ne citerai sur ce point que les charges sociales qui pèsent sur les départements en matière de revenu de solidarité active, RSA, et d’allocation personnalisée d’autonomie, APA.

Ici, sur ces travées, à l’occasion des débats sur la réforme des collectivités territoriales ou sur les lois de finances, nous avons été nombreux à soulever toutes ces problématiques.

Loin de moi l’idée de nier l’action de l’État et de ne pas vouloir reconnaître des voies de progrès. Notre excellent collègue rapporteur de cette proposition de loi a souligné le côté excessif des critiques qui ont donné naissance à ce texte et s’est attaché à montrer toutes les voies de progrès : en matière économique, avec les pôles de compétitivité, les pôles d’excellence rurale ; en matière de maillage du territoire, avec le renforcement de la présence postale, les espaces multi-services, le schéma national des infrastructures de transport, le programme national « très haut débit » et de téléphonie mobile, la coopération sanitaire.

Mais j’ai beau vouloir écarquiller les yeux pour apercevoir les effets positifs de ces mesures qui toutes devraient concourir à un aménagement harmonieux du territoire, je ne vois pas grand-chose, et surtout pas le tableau idyllique, madame la ministre, que vous avez brossé !

Mme Anne-Marie Escoffier. Permettez-moi d’illustrer mon propos par un incident très récent que les voyageurs du vol Paris-Rodez viennent de vivre : embarquement à l’heure et souriant sur le vol habituel qui ramène en Aveyron soixante-huit passagers environ ; ceintures bouclées, portes fermées… et contrordre : tout le monde descend, l’avion change de destination pour Barcelone ! C’est plus porteur, économiquement plus rentable.

Les Aveyronnais rentreront par Toulouse et seront acheminés en car à Rodez : cinq heures de voyage pour une heure normale de vol.

Il n’y aurait rien à dire ou presque s’il ne s’agissait que d’un phénomène ponctuel, mais voilà qu’il est régulier et répétitif.

Eh bien, ce cas concret vaut pour tout le reste : nous sommes enclavés, au sens fort du terme, et les serrures sont si dures à déverrouiller qu’aucune clé ne vient les ouvrir.

Même si, je veux bien l’admettre, les propositions de nos collègues comportent certaines imperfections et mériteraient certains aménagements, elles ont l’immense avantage de provoquer une prise de conscience et d’apporter des voies de réflexion qui conduiraient à fixer des principes fondateurs pour un aménagement du territoire respectueux de la diversité de sa géographie humaine, environnementale, économique et culturelle.

Je veux ici saluer l’initiative de mes collègues du groupe socialiste, les en remercier et leur dire l’intérêt que l’ensemble des membres du groupe RDSE porte à leur proposition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.

M. Dominique de Legge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je m’interroge sur la portée normative et législative du texte que nous examinons.

On y trouve en effet une succession d’articles, sous forme de pétitions et de principes, qui relèvent bien davantage de la motion que d’un texte de loi proposant des mesures directement applicables…

À la lecture de l’exposé des motifs, on perçoit d’emblée l’intention majeure des signataires, qui figure à l’article 8. Il s’agit purement et simplement d’instaurer un moratoire sur la révision générale des politiques publiques, la RGPP.

Mme Anne-Marie Escoffier. Nous ne nous en cachons pas !

M. Jean-Jacques Lozach. Certains à droite le réclament !

M. Dominique de Legge. Or la mission commune d’information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux, présidée par François Patriat et dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, a clairement souligné l’unanimité qui s’est faite, parmi toutes les personnes auditionnées, autour de l’impérieuse nécessité pour l’État de se réformer.

M. Yves Daudigny. Ce sont des généralités !

M. Dominique de Legge. Notre assemblée elle-même, à la suite des missions Mercier, Lambert ou plus récemment Belot, a mis l’accent sur la nécessité d’adapter l’organisation de l’État et ses interventions aux enjeux du XXIsiècle, en tirant les conclusions de la décentralisation, de l’intercommunalité et des nouveaux moyens de communication.

Oui, disons-le clairement ! Nous devions, nous devons et nous devrons encore nous poser la question de l’amélioration du service publique, de la rationalisation de son organisation, ou encore de la maîtrise de la dépense publique, trois objectifs au cœur de la RGPP.

Ce n’est pas le rapporteur de cette mission qui niera les difficultés que peuvent rencontrer les collectivités et les territoires, y compris en ce qui concerne les conséquences de la révision générale des politiques publiques.

Permettez-moi cependant de vous dire que vous gagneriez en crédibilité en ne faisant pas porter à la RGPP tous les maux dont souffre notre société.

La pénurie de médecins en milieu rural tient plus à l’évolution des aspirations de la profession et à sa sociologie qu’à la RGPP. La désertification de certaines zones a hélas débuté bien avant la RGPP.

Quant au remplacement de certains bureaux de poste par des relais tenus par des commerçants, ou des agences tenues par des mairies, ce système a bien davantage contribué à lutter contre la désertification et à améliorer les services à la population que le maintien en l’état ou je ne sais quel pacte que vous voudriez instaurer.

Mme Renée Nicoux. C’est à voir !

M. Dominique de Legge. Croyez-vous vraiment que la fermeture de certaines perceptions ait perturbé le service public, alors que plus personne ne paye ses impôts en liquide et que, fort heureusement à l’heure de l’informatique, les liaisons avec les mairies peuvent aisément se dématérialiser ?

Quant aux agents eux-mêmes, souvent isolés et ne disposant pas de facilités d’organisation au sein d’unités trop petites, ils y ont gagné en qualité et en sécurité au travail.

Avez-vous à ce point une vision si étroite du service public pour le réduire au seul statut de ceux qui y contribuent ? La fermeture de la perception de mon canton n’a suscité aucuns remous, tout simplement parce que l’on ne s’y rend pas tous les jours. En revanche, les habitants de ma commune verraient dans la fermeture de la boulangerie ou de l’épicerie une grave atteinte, une grave régression du service rendu au public.

Venons-en maintenant au fond du problème. Oui, il est impératif non seulement d’améliorer le service public, mais aussi de faire des économies. Ce n’est pas facile à dire et encore moins à faire, surtout en période électorale. De ce point de vue, le calendrier que vous avez choisi pour déposer votre texte ne trompe personne, surtout pas celles et ceux à qui vous voulez vous adresser. Croyez-vous donc les maires et les grands électeurs si naïfs et si peu au fait de la situation de la France, de l’Europe et du monde ?

Comme souvent face à des difficultés, il y a deux attitudes possibles : trouver des solutions ou trouver des coupables. Vous avez opté clairement pour la deuxième.

M. Jean-Jacques Lozach. Nous proposons des solutions.

M. Dominique de Legge. Au lieu de préconiser des évolutions, vous professez une fois de plus l’immobilisme en refusant de regarder la réalité en face. Votre horizon s’arrête aux échéances électorales de septembre et de 2012. (M. Yves Daudigny s’exclame.)

Mme Renée Nicoux. C’est un horizon partagé !

M. Dominique de Legge. Mais l’honneur du politique est de dire la vérité et de la regarder en face. La France ne peut vivre dans une bulle, et dénoncer la mondialisation n’y change rien.

Comment ignorer que tous nos voisins européens mettent en place des politiques de maîtrise de la dépense publique ? Sont-ils tous dans l’erreur ? Auriez-vous raison, mes chers collègues, contre l’Europe entière, y compris contre les grands pays dirigés par vos amis ?

Du temps où ils étaient au pouvoir en Angleterre, vos amis ont relevé l’âge de départ à la retraite que vous vous promettez de rabaisser en France ; ils ont gelé, voire baissé les salaires de la fonction publique et diminué le nombre de fonctionnaires de 300 000 personnes.

De son côté, le socialiste Zapatero a diminué de 5 % la rémunération des fonctionnaires et a engagé un plan de réduction des dépenses de 65 milliards d’euros, sans commune mesure avec notre plan.

M. Jean-Jacques Lozach. Revenez au texte !

M. Dominique de Legge. L’Allemagne de Schröder, bien avant la France, engageait un plan identique.

Le Portugal s’est, comme nous, engagé dans un programme de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, mais, à la différence de la France, il n’a pas redistribué la moitié des économies réalisées sous forme d’amélioration du pouvoir d’achat des fonctionnaires.

Mme Renée Nicoux. Avec des heures supplémentaires !

M. Dominique de Legge. La maîtrise de la dépense publique n’est pas une option, elle est une nécessité vitale ! M. Migaud lui-même, Premier président de la Cour des comptes, ne déclarait-il pas la semaine dernière devant notre commission des finances : « Les efforts nécessaires vont au-delà des mesures déjà prises. L’essentiel du chemin reste donc à faire. » ?

On ne peut être plus clair, et je m’étonne donc de votre insistance à demander toujours plus de dotations d’État pour nos collectivités, dont le maintien même dépend très largement de la réforme de l’État que vous contestez.

Une mission du Fonds monétaire international s’est rendue du 31 mai au 14 juin 2011 en France. Elle a rendu ses conclusions et jugé adaptés la politique de relance française et l’effort de consolidation budgétaire.

M. Jean-Jacques Lozach. On s’éloigne du texte !

M. Dominique de Legge. Elle souligne l’importance de la réforme des retraites de 2010 et estime équilibré notre programme de stabilité adressé au début du mois de mai à la Commission européenne.

Et vous, pendant ce temps, vous ne proposez rien de moins que d’interrompre ce processus de modernisation de l’État qui conditionne la maîtrise de la dépense publique.

Les deux grandes erreurs de votre gestion, chers collègues, lorsque vous étiez aux affaires, furent précisément l’abaissement de l’âge de la retraite et la mise en place des trente-cinq heures.

M. Yves Daudigny. Pourquoi n’avez-vous pas supprimé la loi ?

Mme Renée Nicoux. Et l’augmentation du chômage, ce n’est pas une erreur ?

M. Dominique de Legge. C’était assurément sympathique, mais cumulait le double inconvénient du manque de financement et de la marginalisation de la France par rapport à l’évolution du reste du monde.

Puisque vous vous placez sur le registre de la démagogie et de l’aveuglement à la veille des échéances électorales, faisant d’un moratoire sur les réformes un point de rupture entre nous, permettez-moi de vous dire ou de vous prédire – au cas où vous accéderiez un jour aux affaires – que vous aurez le choix entre, d’une part, laisser dériver la dépense, comme vous vous le promettez aujourd’hui, et avant trois mois notre notation se sera dégradée au risque de nous mettre dans la situation de la Grèce, et, d’autre part, renoncer à vos promesses démagogiques, vous exposant ainsi à la déception de celles et de ceux dont vous sollicitez les suffrages.

Oui, la RGPP doit se poursuivre ! Différemment, sans aucun doute, dans la méthode, car il convient d’ajuster son application en tenant compte des territoires et des priorités.

Je le dis franchement, madame la ministre, la RGPP a péché par défaut depuis son origine, car elle ne peut pas n’être que l’affaire du Gouvernement et de l’État. Sa réussite conditionne la place de la France dans le monde et, pour réussir, elle ne peut faire le jeu des uns contre les autres. C’est un enjeu national. Par conséquent, une RGPP équilibrée exige de la solidarité, du dialogue entre les partenaires, davantage de transparence et des évaluations plus régulières.

Vous avez fait le choix, dès le départ, de ne pas entamer la concertation avec les collectivités. On peut le regretter, mais il est à craindre aussi que, sans un certain volontarisme, nous n’aurions guère bougé.

À la décharge du Gouvernement, il faut rappeler que, sur des dossiers et des enjeux tout aussi importants qui auraient dû transcender nos clivages politiques, lorsque le Gouvernement en a appelé au consensus par le passé, le parti socialiste a préféré fuir les débats, qu’il s’agisse de la réforme des retraites ou du plan de relance lors de la crise, pour ne citer que ces seuls exemples.

Vous avez reconnu, chers collègues de l’opposition, partager le diagnostic et les propositions de la mission commune d’information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux, mais vous avez préféré voter contre le rapport parce que le programme du Parti socialiste prévoit un arrêt de la RGPP.

Pour la majorité des sénateurs membres de la mission, les choses sont claires : nous devons poursuivre, sans pause ni moratoire, la réforme de l’État ! C’est pourquoi le groupe UMP s’associe à la motion tendant au renvoi à la commission de cette proposition de loi, qui fait le choix de l’immobilisme, à l’heure où la situation de notre pays appelle au sursaut. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Houpert.

M. Alain Houpert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de M. Lozach a le grand mérite de parler de la ruralité, de la mettre en lumière, mais je crains cependant qu’elle ne fasse pas le bon diagnostic.

Traitons la cause, pas les conséquences. Arrêtons la politique du sparadrap et adoptons le bon traitement.

En réalité, la géographie française est en train de changer. Je suis maire d’une commune de 282 habitants et conseiller général d’un canton dont la densité est de six habitants au kilomètre carré.

Le problème de la ruralité, c’est qu’elle est à la fois trop loin et trop proche de la ville : trop loin, ce qui pose un problème de transport ; trop proche, parce que la matière économique reste captée par la ville.

La ruralité, je la connais, je peux en parler. Je ne suis pas allé à la maternelle, il n’y en avait pas. J’ai fait la communale dans mon village. Je suis allé au collège voisin. Il n’y avait pas de transports scolaires. Je suis allé ensuite à l’internat à Dijon, la ville voisine. Mon fils est aujourd’hui à la maternelle, laquelle n’existait pas à l’époque.

Nous accueillons des néo-ruraux qui, s’ils travaillent en ville, n’ont pas les moyens d’y vivre, car le prix du foncier et de l’impôt foncier y est trop élevé. Faisons en sorte que cet exode devienne un choix plutôt qu’une contrainte. Permettons au monde rural de les accueillir, de créer du lien. Créons un terreau fertile pour qu’ils puissent s’enraciner et sculpter leur poutre de vie. Avoir l’esprit « village », c’est vivre entre l’église et le cimetière, entre Dieu et les ancêtres. C’est le choix du bonheur, mais avec des contraintes.

Aujourd’hui, les territoires ruraux redeviennent attractifs, mais, plus encore, ils doivent devenir une destination de vie choisie pour s’épanouir et s’enraciner. Nos enfants à la campagne sont heureux. J’ai choisi d’y vivre pour que mes enfants connaissent le même bonheur que moi, celui de ne pas être anonyme, de pouvoir, comme je l’ai fait, construire des cabanes, avoir des souvenirs, des concentrés du temps passé, des souvenirs de chasse avec leur grand-père, de parties de pêche avec leurs copains, de refaire La guerre des boutons. Je peux vous assurer que, face aux divertissements modernes, ces plaisirs ne se démodent pas. Nos enfants ne sont pas devant la télévision. Ils explorent la nature et le réel.

La ruralité ne veut pas être la banlieue de la ville, le lieu du ban, du bannissement. La campagne française ne veut pas ressembler aux satellites de Brasília, qui accueillent les employés de la capitale.

Faisons en sorte que les gens puissent faire le choix de venir vivre à la campagne plutôt que de fuir la ville. Pour cela, il faut des commerces de proximité, car les supermarchés des villes, véritables miroirs aux alouettes, ont vidé les campagnes des derniers commerces de proximité. Je sais de quoi je parle, moi qui suis fils d’un épicier de campagne qui a dû fermer son échoppe.

Que doit faire l’État ? Il doit faire en sorte que les gens puissent choisir la campagne autour de l’esprit « village ».

Créons des lieux de proximité, des commerces, des lieux de rencontre, créateurs de liens. Relocalisons l’économie dans les territoires afin d’éviter les mouvements pendulaires, matin et soir, ces déplacements ville-campagne, boulot-dodo !

Nos villages se transforment en dortoirs avec des volets clos la journée, où les gens n’ont pas le temps de s’intégrer. Aidons-les tous ensemble à s’enraciner dans ce terreau fertile. Je le répète : faisons en sorte que les gens puissent faire le choix de venir à la campagne plutôt que de fuir la ville.

Mener une politique d’aménagement du territoire ambitieuse, c’est d’abord relocaliser l’activité. Les services publics viennent ensuite en soutien. Le rôle de l’État est de faciliter, d’accompagner, et non d’organiser. On est mieux aidé par son prochain que par le lointain. Les erreurs du passé en sont la preuve. Faire l’inverse, ainsi que vous le proposez, cher collègue, c’est mettre la charrue avant les bœufs, ou encore charger la mule de l’État.

Relocaliser l’économie et l’emploi, c’est ce que le Gouvernement s’emploie à faire : avec les pôles d’excellence rurale – 114 projets ont déjà été lancés et 108 millions d’euros investis ; avec les pôles de compétitivité, qui ont permis aux acteurs locaux et aux collectivités locales de travailler en partenariat autour de projets innovants ; avec le programme national « très haut débit », qui vise à couvrir tous les foyers d’ici à 2025 ; avec l’opération de financement de deux cents maisons de santé ; avec l’opération « Plus de services au public », expérimentée dans vingt-trois départements en vue de permettre la mutualisation de moyens entre partenaires tels que La Poste, EDF, la SNCF, Pôle emploi et bien d’autres ; ou encore avec le FISAC, le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, pour les commerces de proximité.

Enfin, comment ne pas évoquer la réforme territoriale ? Il me semble que cette réforme permettra de gagner en efficacité. C’est une réforme de fond, importante.

Avec votre proposition de loi, monsieur Lozach, vous donnez à penser que la France est sous-administrée. C’est faux ! Au contraire, la réforme était nécessaire, car l’empilement des structures devenait insupportable. Cette réforme fait entrer la France et ses collectivités locales dans une géographie moderne.

Notre ambition n’est pas d’avoir des services publics en moins, mais en mieux.

La ruralité est raisonnable, elle le prouve ; les ruraux sont lucides, ils le prouvent.

Il est vrai qu’il reste encore du pain sur la planche. Les ruraux n’ont pas les mêmes besoins que les habitants des villes. Calquer le rural sur l’urbain serait une grave erreur.

Certes, la ruralité doit relever des défis qui lui sont propres : l’éloignement, les distances, l’isolement. De ce fait, les habitants des zones rurales doivent gérer leurs déplacements et ceux de leur famille pour se rendre sur leur lieu de travail, aller faire leurs courses, pour le transport des enfants. L’un des véritables enjeux, c’est la disparition des stations-services de proximité à cause du dumping des grandes surfaces, qui sont, elles, en ville.

Peut-être devrions-nous proposer un maillage plus fin de la TIPP, la taxe intérieure sur les produits pétroliers, qui relève de la compétence des régions, un maillage plus adapté aux territoires ? Il faudrait en effet appliquer des taux plus faibles en zone rurale, quand la nécessité du déplacement fait loi.

Je souhaite une autre vision de la ruralité. Il ne faut pas penser la campagne sur le modèle de la ville.

Le problème en France est qu’il n’y a pas de salut hors de l’urbain. Pourquoi ne pas installer, à l’instar de nos pays voisins – l’Allemagne, les Pays-Bas –, nos maisons de retraite à la campagne, hors des murs, là où il y a de l’espace et où nos aînés peuvent se poser et se reposer ? À cet égard, je rappelle que le foncier représente 30 % du coût de la prise en charge de la dépendance.

La réforme de la carte hospitalière a été évoquée. Vous savez très bien, chers collègues, qu’on ne peut pas conserver des hôpitaux qui font la même chose partout, ce serait y perdre en qualité des soins. L’avenir est à la spécialisation des sites et au développement des télédiagnostics. Vous savez très bien, chers collègues de l’opposition, que ce qui a tué l’hôpital, ce sont les 35 heures que vous avez votées ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Bel. C’est tellement simple !

M. Alain Houpert. La recherche d’économies budgétaires est en réalité une opportunité pour le monde rural.

Si injustice il y a, elle est dans le traitement des dotations de fonctionnement de nos intercommunalités. Faisons en sorte que les dotations globales de fonctionnement soient les mêmes qu’en ville. Là, nous ferons alors de l’aménagement du territoire.

Les campagnes connaissent un nouvel élan démographique : employées à la ville, les familles s’installent toutefois à la campagne. De ce fait, la contribution économique territoriale, qui est normalement le fruit du travail de ces employés, bénéficie aux villes. Cependant, les travailleurs ont des besoins sur leur lieu de vie. Les taxes d’habitation et les taxes foncières ne suffisent plus, seules, à financer les crèches et les écoles primaires.

Ainsi, dans mon département, une commune dont la population a doublé a été obligée de vendre le bâtiment de sa mairie pour financer l’agrandissement de son école.

De même, la ruralité doit s’adapter à la modernité en matière de transport. À la campagne, la voirie n’est plus adaptée, dimensionnée, pour accueillir les engins agricoles d’aujourd’hui et les poids lourds de demain, lesquels, grâce à leur GPS perfectionné, empruntent les voies communales pour gagner du temps et accroître leur rentabilité, mais c’est un autre problème.

Il est encore difficile pour une commune de réaliser un réseau d’eau et d’assainissement lorsque les habitations sont éloignées : le faible nombre d’abonnés rend l’amortissement impossible.

En réalité, la ruralité, aujourd’hui dynamique, doit être le creuset de nouvelles solidarités à construire et de nouveaux espoirs à faire naître.

Usagers et habitants de la ville et de la campagne, nous avons à construire le monde de demain : un monde équilibré, juste et équitable. Ce serait un signe de reconnaissance envers la ruralité, car la campagne parle. En effet, il ne faut pas remonter très loin dans nos arbres généalogiques respectifs pour y trouver des racines rurales.

C’est au nom de cette vision de la ruralité optimiste que je vous demande, mes chers collègues, de rejeter cette proposition de loi, calquée sur un modèle urbain et un schéma du passé, et de faire en sorte que demain, dans nos villages, soit un jour de fête. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.

Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur la description et sur les critiques faites par mes collègues Jean-Jacques Lozach, Renée Nicoux, Anne-Marie Escoffier et Bernard Vera, qui sont parfaitement justifiées.

Je dirai simplement à notre collègue Pierre Hérisson, avec qui nous travaillons bien en général dans le cadre de l’ANEM, l’Association nationale des élus de la montagne, dans l’intérêt des territoires ruraux les plus en difficulté, qu’il pratique la méthode Coué : tout va très bien !

En mai et en juin, j’ai envoyé trois cents questionnaires aux maires, aux conseillers généraux et aux conseillers régionaux de la Corrèze, qui m’en ont retourné une trentaine, bien documentés. J’ai également rencontré les élus qui ont bien voulu assister aux cinq réunions intercantonales que j’ai organisées. J’ai ensuite transmis la synthèse de ces travaux à M. de Legge afin qu’elle soit intégrée au rapport de la mission sur les conséquences de la RGPP pour les collectivités territoriales et les services publics locaux.

La réalité est bien différente de celle que vous décrivez, monsieur Hérisson. Le sentiment d’abandon et le désarroi des élus locaux sont profonds. Ils sont même réellement en colère en ce moment, car il leur faut délibérer sur le schéma départemental de coopération intercommunale dans un délai de trois mois – en Corrèze, les copies doivent être rendues le 9 août –, à la hussarde, comme ils le disent, et ce sans disposer des informations fiscales et financières ou concernant les transferts de compétences, alors qu’il y a fusion des intercommunalités et fusion ou disparition des syndicats intercommunaux. Pensez-vous que cela soit sérieux ?

Je puis vous dire que nos collègues élus ruraux sont dans la difficulté et qu’ils ne manqueront pas de vous dire, lors des prochaines élections sénatoriales, ce qu’ils en pensent ! (Bravo ! sur les travées du groupe socialiste.)

Pour ma part, je centrerai mon intervention sur le développement économique, car nous ne pouvons pas nous contenter, à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, de faire l’inventaire de ce qui ne va pas. Il nous faut aussi faire des propositions.

En matière de développement économique, les territoires ruraux ne doivent plus seulement être des fournisseurs de matières premières brutes non transformées, des exportateurs de leur jeunesse bien formée et des collecteurs d’épargne à destination des centres urbains, voire des centres de spéculation. Ils doivent être des territoires attractifs, qui valorisent leurs ressources naturelles et humaines grâce à des entreprises, des activités et des implantations industrielles, locales ou relocalisées, et qui génèrent sur place des emplois et de la valeur ajoutée.

Pour cela, ces territoires doivent disposer de services publics performants et adaptés aux situations locales. C’est pourquoi l’organisation des services hospitaliers et scolaires, notamment, doit être fonction des temps d’accès et doit tenir compte des particularités du relief, ainsi que des conditions climatiques.

De même, l’organisation des transports et des communications doit être adaptée aux densités plus faibles. L’accès au très haut débit, indispensable, doit assurer la couverture effectivement universelle du territoire, mesurée à l’échelle de chaque commune et financée, comme nous le proposons, par une contribution des opérateurs de jeux en ligne. Mais l’horizon 2025 dont vous nous parlez, madame la ministre, est bien lointain…

Pour favoriser le financement des projets, nous proposons la mobilisation de l’épargne locale par la mise en place d’un dispositif inspiré de la législation américaine dite Community Reinvestment Act, qui date de 1974. Vous nous dites aujourd'hui que cela n’est pas conforme au Small Business Act. Voilà le paradoxe d’une Europe qui est plus libérale que le plus libéral des États du monde, qui n’est même pas capable d’adapter ses directives pour faire face à une libéralisation, à une dérégulation et à une spéculation qui sont en train de ruiner notre continent ! Sachez que nous lutterons contre cela !

Notre proposition vise à améliorer la transparence des établissements bancaires en les obligeant à publier les données relatives aux volumes d’épargne collectée et de crédits consentis dans chaque canton. Au sein du canton dont j’ai été la conseillère générale pendant onze ans, j’ai maintes fois constaté que le montant de l’épargne déposée chaque année auprès des établissements de crédit était infiniment supérieur à celui des prêts octroyés : de l’ordre de vingt fois pour ce qui concerne une caisse locale d’un organisme bancaire mutualiste agricole bien connu, sans compter les autres banques comme la Caisse d’épargne ou la Banque postale…

Pour des projets solides, les ressources locales de financement existent donc. Mais nous connaissons tous les difficultés rencontrées par les porteurs de projet pour obtenir un prêt auprès des banques, qui exigent de nombreuses garanties, comme je dis familièrement : ceinture, bretelles et parapluie !

La loi doit prévoir qu’une quote-part de l’épargne locale soit réinvestie sur place.

Par ailleurs, afin de favoriser la création de TPE et de PME, et afin de permettre la conversion écologique de l’industrie et la structuration de filières stratégiques, nous proposons de créer une banque publique d’investissement, elle-même déclinée au niveau territorial en fonds régionaux d’investissement, qui seraient mis en place par les conseils régionaux sous forme d’emprunts obligataires, et destinés au financement des projets émanant des territoires. L’exemple existe, puisque le Limousin vient de mettre en place ce dispositif.

Un autre levier d’action serait de favoriser localement l’accès à la commande publique. Nous proposons de réserver un quota minimum d’achats par la puissance publique locale aux petites et moyennes entreprises locales, notamment dans le domaine des marchés alimentaires, pour favoriser les circuits courts de distribution de produits agricoles. Cela figure d’ailleurs dans la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.

La sécurisation de l’avenir professionnel des personnes actives essentielles au tissu économique du monde rural est également très attendue. C’est pourquoi nous proposons la création d’une caisse de mutualisation publique contre le chômage des commerçants, artisans et professions libérales et de leurs conjoints collaborateurs, ainsi que la mise en place d’une caisse de mutualisation publique contre le chômage des agriculteurs et de leurs conjoints, chacune délivrant, sur la base de cotisations volontaires, une « allocation rebond » en cas de défaillance de l’entreprise ou de l’exploitation. Dans la situation de crise que connaît actuellement l’agriculture, tout particulièrement l’élevage, qui peut nier l’utilité d’une telle mesure, sachant le nombre d’agriculteurs d’ores et déjà inscrits au RSA ?

De plus, nous souhaitons que le FISAC, le Fonds d’intervention pour le commerce, l’artisanat et le commerce, puisse soutenir le secteur de la petite hôtellerie rurale et serve à financer des conventions de commerce et d’artisanat, l’aspect multifonctionnel de ces activités étant un facteur essentiel de leur attractivité en milieu rural.

Compte tenu du temps qui m’est imparti, je n’ai pas le temps de terminer mon propos, mais je souhaite toutefois attirer votre attention, madame la ministre, ainsi que celle de M. le ministre de l’agriculture, sur les perspectives financières pour la période 2014-2020 qui sont en cours de négociation à Bruxelles, et sur les inquiétudes relatives à une possible nouvelle coupe dans les crédits du développement rural, qui ont déjà été amputés de 35 % sur la période 2007-2013.

Si cela s’ajoutait à une diminution des fonds structurels, ce serait dramatique pour nos territoires ruraux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi aujourd’hui en discussion devant la Haute Assemblée aurait mérité mieux que le sort que la majorité lui réserve. Ce texte s’adresse à plus de 30 000 communes françaises – rien que cela ! – et à ce titre il aurait pu donner lieu à un débat d’idées, arguments contre arguments. Ce débat n’aura pas lieu. Dont acte.

La motion tendant au renvoi à la commission annoncée remet en cause le constat dressé pourtant par de très nombreux travaux réalisés notamment dans le cadre des missions d’information ou des délégations.

Au fil de ces rapports, cités pour certains dans l’exposé des motifs, un sigle revient de façon récurrente : la trop fameuse et déjà tristement célèbre RGPP, la révision générale des politiques publiques, que certains ont rebaptisée plus justement – comme l’a fait Jean-Jacques Lozach – « raréfaction générale des politiques publiques » !

La récente conclusion de la mission qui lui a été consacrée, présidée par notre collègue François Patriat, a ainsi montré que, pour plus de 80 % des élus interrogés, elle est source d’éloignement des services publics et de moindre efficacité.

Pour nous qui proposons ce texte aujourd’hui, le constat est sans appel : la France vit une vente à la découpe de ses services publics !

Quelle nostalgie pour les plus anciens de ce monde où les services publics irriguaient les campagnes ! Nostalgie d’une époque où existait un dialogue de proximité entre les services de l’État et les élus locaux, proximité aujourd’hui disparue. Bien sûr, les temps changent, les techniques bouleversent les habitudes, les attentes et les modes de vie évoluent. Mais n’en demeure-t-il pas moins essentiel de garantir à nos concitoyens, qui sont de plus en plus nombreux à faire le choix de la ruralité, un socle de services publics garantissant l’équité territoriale ?

L’État doit reprendre toute sa place dans nos territoires ruraux !

Je prendrai l’exemple de l’ingénierie publique.

Moteur du développement des collectivités, l’ingénierie publique est au cœur des programmes locaux en matière d’aménagement, de voirie et d’assainissement, pour ne citer que les principaux. Elle contribue à alimenter les carnets de commandes des entreprises.

Là encore, au fur et à mesure de mes travaux, j’ai croisé le chemin de la RGPP, qui, pour des considérations essentiellement financières, allait porter le coup de grâce à l’ingénierie publique d’État, celle des anciennes et mythiques DDE et DDA. Ainsi, au 1er janvier 2012, les services de l’État n’exerceront plus aucune mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage ou maîtrise d’œuvre en dehors du conseil apporté dans le cadre de l’assistance technique fournie par l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire, ou ATESAT.

Cette cassure brutale, dans laquelle la notion de concurrence est devenue la référence absolue, le nouveau Dieu, laisse nombre de maires ruraux face au sentiment de vide et d’abandon.

Pourtant, la multiplication des lois et des normes, la complexification technique et juridique des dossiers, la prise en compte des orientations de développement durable, la multiplication de projets qui abordent les nécessaires aspects de gestion et de maintenance exigent une ingénierie de plus en plus performante, seule garante d’une bonne élaboration de dossiers et d’une exécution de travaux de qualité.

Le risque que les prestations intellectuelles ne soient soumises qu’à la seule loi du marché et de la concurrence, sans aucune référence à des missions de service public, se rapproche, les dangers représentés par la perte de la mémoire et de la connaissance du terrain local sont perceptibles. Apparaît en outre la difficulté de trouver un modèle économique viable pour les prestations en faveur de petites communes dans des territoires peu denses. Apparaît également, à un autre niveau, le danger constitué par la perte de compétences de l’État dans notre pays, où ont pourtant émergé de grands groupes mondiaux privés de travaux publics.

Face à de tels constats, quelles réponses ? L’État ne peut se cacher derrière une ATESAT très inégale dans le pays, et certainement menacée d’extinction par une nouvelle étape à venir de la RGPP.

Un certain nombre de départements ont créé des agences départementales pour palier cette disparition de l’État.

L’idée est celle de l’organisation d’une expertise mutualisée au niveau du département afin de permettre l’exercice d’une mission de service public par des collectivités territoriales et pour elles seules, sans mise en concurrence, mais dans le strict respect des règles communautaires. C’est ce qu’on appelle une solution in house.

Mais n’est-ce pas en réalité un transfert de compétences déguisé et non compensé vers les collectivités ? Pour être mené à bien sûr tout le territoire, celui-ci a besoin d’un soutien de l’État. C’est le sens de l’article 26 de la présente proposition de loi, qui était d’ailleurs demandé par la majorité des associations auditionnées.

L’ingénierie publique de demain appartiendra aux collectivités territoriales ou disparaîtra. Le rôle de l’État, à travers son réseau scientifique et technique, demeure indispensable et déterminant. L’État prestataire s’éteint progressivement quand s’affirment ses missions d’impulsion, d’animation et de contrôle. La mission de l’État expert, dans un contexte d’ouverture aux collectivités, est un fondement indispensable pour cette nouvelle ingénierie publique que les élus espèrent et attendent à côté de l’ingénierie privée.

Je conclurai en vous invitant, mes chers collègues, à méditer sur cette citation de Paul Valéry : « Si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons. »

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Demande de renvoi à la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial
Demande de renvoi à la commission (fin)

M. le président. Je suis saisi par M. Hérisson, au nom de la commission, d'une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial (n° 541, 2010-2011).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. le rapporteur, auteur de la motion.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat a la réputation – et je ne crois pas qu’elle soit usurpée – de travailler sérieusement le fond des dossiers dont il se saisit. Aussi, ce n’est pas à la légère que son bureau a décidé, il y a environ six mois, de créer les trois missions communes d’information que j’ai déjà évoquées : celle sur l’organisation territoriale du système scolaire, celle sur les conséquences de la RGPP pour les collectivités locales et les services publics locaux, et celle sur Pôle emploi.

Je relève au passage que la présidence de chacune de ces trois missions a été confiée à un membre du groupe socialiste.

M. Jean-Jacques Lozach. Et qui sont les rapporteurs ?

M. Pierre Hérisson, rapporteur. L’opposition sénatoriale ne peut donc pas se plaindre d’être ignorée par la majorité !

Lorsqu’elle s’est réunie la semaine dernière pour examiner cette proposition de loi, la commission de l’économie n’avait encore connaissance d’aucune des conclusions de ces trois missions communes d’information. Or les sujets traités par celles-ci recoupent largement ceux abordés par la présente proposition de loi. La commission a donc jugé nécessaire de se donner davantage de temps, afin de pouvoir prendre en compte leurs travaux. C’est pourquoi elle vous propose, mes chers collègues, d’adopter une motion de renvoi à la commission.

Je sais que d’aucuns objecteront que les rapports de deux de ces trois missions communes d’information viennent tout juste de paraître. Il n’en reste pas moins – et c’est ce qui importe – qu’ils n’étaient pas disponibles en temps utile, c’est-à-dire au moment où la commission à dû se prononcer sur le texte.

Je n’ai pas eu matériellement le temps de lire ces rapports, qui sont plutôt volumineux, puisque celui de la mission sur la RGPP compte 558 pages, réparties en deux tomes, tandis que celui de la mission sur le système scolaire compte 516 pages, également en deux tomes.

Néanmoins, en parcourant le premier tome du rapport sur la RGPP, j’ai aussitôt été frappé par les propositions faites par la mission, qui sont bien mises en évidence. Au nombre de quarante-neuf, ces propositions méritent d’être étudiées en détail. Plusieurs d’entre elles pourraient justifier l’adoption de dispositions législatives. C’est donc à bon droit que la commission de l’économie vous demande un délai d’examen supplémentaire.

De même, un coup d’œil rapide au premier tome du rapport de la mission sur l’organisation du système scolaire m’a permis de me rendre compte que celui-ci comporte des propositions visant à mieux déployer l’offre éducative territoriale. Et nous ne savons pas encore ce que nous réserve le futur rapport de la mission sur Pôle emploi !

C’est donc sans aucun état d’âme que je vous soumets cette motion de renvoi à la commission. Discuter dès aujourd’hui le dispositif de cette proposition de loi relèverait d’une certaine incohérence dans l’organisation de nos travaux. Cela signifierait que l’on considère comme quantité négligeable les analyses et les propositions élaborées par trois missions communes d’information du Sénat. Ce n’est pas de cette manière que la Haute Assemblée a l’habitude de travailler. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, contre la motion.

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet dont nous débattons n’est pas – c’est le moins que l’on puisse dire – un sujet abstrait. Nous ne discutons pas du sexe des anges. Il s’agit d’une question d’une grande actualité, qui est tout à fait essentielle pour la cohésion sociale dans notre pays.

Aujourd'hui, nous assistons d’abord à une crise structurelle, liée à la fragilité de certains de nos territoires. Elle est renforcée par la crise financière, mais également par les réformes inéquitables qui frappent ces territoires.

Débattre de tels sujets est, je crois, la mission du Sénat. Avec cette proposition de loi, nous sommes donc au cœur de nos compétences législatives et de notre rôle de représentants.

Pour ces raisons, la demande de renvoi en commission, qui vise à obtenir un délai supplémentaire – c’est en tout cas l’argument qu’on nous avance, même si, pour notre part, nous avons quelques doutes –, est inappropriée. Je dirais même qu’elle est incongrue, car il ne faut pas esquiver les enjeux.

Le Sénat aurait tort de craindre le débat sur un sujet qui le concerne au premier chef. Il ne faut pas démissionner et fuir nos responsabilités en renvoyant, sous les divers prétextes que vous avez invoqués, l’examen de cette proposition de loi à des jours meilleurs, dont on se demande d’ailleurs quand ils seront véritablement meilleurs…

Mes chers collègues, comme cela a été souligné tout à l’heure, nous assistons aujourd’hui à un véritable « malaise des territoires ». D’ailleurs, nous le vivons au quotidien, et les manifestations sur le terrain en sont nombreuses.

Il suffit de vivre dans les territoires – nous y vivons comme vous, quoique vous en disiez ! – pour constater la constante dégradation des services publics, qui donne aux habitants le sentiment d’être abandonnés par ce que certains des plus illustres responsables de notre pays ont qualifié de « France d’en haut » !

Police, gendarmerie, écoles, hôpitaux, médecins généralistes, service public postal… la liste est longue, et pourrait facilement être allongée encore. Et nos concitoyens voient bien que plus aucun service public n’est à l’abri des réductions de moyens, voire des fermetures. Le résultat serait catastrophique ; nous pourrions voir se créer de véritables déserts territoriaux délaissés par la puissance publique.

C’est aussi notre ruralité qui traverse une crise profonde ; nous devons en être conscients. Depuis le début du siècle, elle est exposée à des défis substantiels.

Il y a d’abord le défi économique, face à la tendance accrue à la concentration des activités autour des grands pôles urbains, dans le contexte d’une politique agricole commune à l’avenir incertain.

Il y a ensuite le défi de l’aménagement du territoire et des services publics, dans un contexte de rareté budgétaire qui induit le risque d’abandonner des pans entiers de notre territoire, plus que jamais condamnés à devenir le « désert français ».

Il y a enfin le défi démographique, avec la nécessité de demeurer attractifs pour attirer de nouveaux habitants. C’est notre obsession dans nos départements !

Face à cela, ni la justice territoriale ni les mécanismes de péréquation ne sont au rendez-vous. Les espaces ruraux, tout comme les banlieues des grandes villes se sentent souvent relégués et oubliés par les discours politiques, mais surtout par les politiques publiques qui sont mises en œuvre concrètement depuis plusieurs années.

En outre, la désindustrialisation touche notre pays dans son ensemble et menace le « site France ». Elle frappe d’abord, et de plein fouet, des territoires qui cumulent déjà les difficultés et les handicaps : enclavement, éloignement par rapport aux grands centres de décision, perte historique de bassins industriels traditionnels dans la sidérurgie, le textile ou les papeteries…

Et aujourd’hui, on ne fait pas grand-chose pour accompagner ces territoires. Aucun dispositif spécifique, aucun volontarisme renforcé n’a été mobilisé à leur service.

D’aucuns ont également évoqué la réforme des collectivités territoriales. C’est une réforme ratée, qui, loin de simplifier, complexifie encore un peu plus le paysage institutionnel et administratif de la France. Il faudra la reprendre de fond en comble à partir de 2012, car elle ne fait que brouiller les cartes !

Le malaise des territoires est également accru par la récente réforme des finances publiques locales, avec la suppression de la taxe professionnelle, qui a plongé les élus locaux dans le désarroi et la perplexité. Cette suppression a été engagée dans la précipitation, en laissant les collectivités préparer des budgets dans l’incertitude la plus grande, sans aucune visibilité sur les mécanismes à venir, ni sur les modalités de compensation.

Dans un contexte économique général difficile, ce type de réformes fragilise un peu plus encore les collectivités, dont il faut pourtant souligner qu’elles votent des budgets en équilibre et qu’elles sont responsables des trois quarts de l’investissement public.

Les effets de cette réforme sont bien connus, à commencer par la perte d’autonomie fiscale, alors que la Constitution en fait un critère essentiel de la libre administration des collectivités territoriales. Les collectivités sont ainsi placées devant une alternative aussi simple que brutale : soit elles veulent maintenir leur niveau de recettes, et elles devront alors procéder à des augmentations spectaculaires des impôts locaux pesant sur les ménages – dans le contexte actuel, c’est évidemment impensable –, soit elles devront réaliser des coupes brutales dans les services rendus à la population, qui sont pourtant plus que jamais nécessaires en termes de protection et de solidarité.

Et puis, vous le savez, tant la réforme territoriale que la réforme des finances publiques locales se sont déroulées dans un climat permanent de méfiance envers les élus locaux. J’en veux pour preuve le discours incessant de stigmatisation dont les élus locaux font l’objet.

C’est la conjugaison de tous ces éléments que nous appelons le « malaise des territoires ». Et c’est pour apporter des réponses concrètes et crédibles à ce malaise que notre groupe a travaillé sur la proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial.

À cet égard, je souhaite rendre hommage à nos collègues Jean-Jacques Lozach, Renée Nicoux et Didier Guillaume, ainsi qu’aux autres auteurs de la présente proposition de loi, auxquels tous les membres du groupe socialiste ont souhaité s’associer.

Nous partons d’un constat simple et désolant : depuis plusieurs années, des territoires ont été tout simplement exclus des préoccupations publiques, qu’il s’agisse des zones les moins densément peuplées ou des zones périurbaines, qu’il ne faut pas oublier.

La ruralité, notamment, est absente du débat public. Lorsqu’elle est abordée, c’est sous l’angle de l’agriculture, qui est ô combien importante et qui traverse une crise sans précédent, mais qui ne résume pas à elle seule l’ensemble des problématiques auxquelles la ruralité est confrontée.

Les travaux des socialistes ont donc abouti au concept de « bouclier rural », qui comporte plusieurs volets, notamment l’instauration d’un temps d’accès maximum aux services publics, la mise en place d’une véritable couverture numérique universelle pour lutter contre la fracture numérique, l’instauration de conditions équitables de développement économique pour les entreprises et les collectivités territoriales – c’est très important –, via la création de zones de développement économique rural, et le soutien à la création d’entreprises, dans les commerces de proximité, l’artisanat, ou encore les services.

Ce bouclier rural doit non seulement protéger, mais également permettre de revitaliser les zones rurales et de retisser du lien entre les territoires urbains et les campagnes qu’il ne faut pas opposer, par le biais d’une plus grande solidarité.

Au Sénat, notre groupe a souhaité continuer la réflexion et faire de nouvelles propositions. En effet, la ruralité est au cœur de nos préoccupations.

C’est pourquoi nous avons souvent interrogé le Gouvernement. Je me souviens par exemple de la question intitulée « La ruralité : une chance pour la cohésion et l’avenir des territoires » que notre collègue Didier Guillaume a posée à M. Bruno Le Maire.

Nous avons dénoncé le désengagement flagrant de l’État et souligné le rôle irremplaçable des collectivités territoriales dans l’animation des territoires, en insistant sur la chance que représentent les zones rurales pour l’équilibre de notre société.

De même, notre collègue Jean-Jacques Lozach – Mme Escoffier y a fait allusion – a déclaré : « Toute forme de recentralisation des fonctions collectives est préjudiciable aux intérêts de la ruralité, car elle appauvrit une relation de proximité, par exemple entre les services déconcentrés de l’État et les citoyens ou entre les élus et les citoyens ».

Au cours de ce débat, nous avions pu constater que les inquiétudes étaient partagées quelle que soit la sensibilité politique. Nombreux sont aujourd’hui les élus, notamment dans la majorité – nous les croyons sincères –, à regretter l’abandon des territoires ruraux et les relations de défiance qui se sont instaurées entre l’État et les collectivités territoriales.

Nous avons donc souhaité aller plus loin. Nous avons entendu – cela a été rappelé – de nombreux représentants des élus locaux, qui nous ont fait part de leur point de vue sur la manière dont vous traitez les territoires. C’est sur cette base que nous avons finalisé une série de propositions à la fois ambitieuses et réalistes.

En premier lieu, nous proposons une nouvelle gouvernance des politiques publiques. Restaurer les liens de confiance entre l’État et les collectivités, n’est-ce pas là une impérieuse nécessité ?

C’est pourquoi nous proposons un dialogue, qu’il faudra reprendre, institutionnalisé et plus régulier, mais aussi la mise en place d’outils de contractualisation, comme les contrats ruraux de cohésion territoriale.

En second lieu, nous voulons une nouvelle organisation de l’offre de services publics dans le respect de deux principes qui ont été énoncés, mais qui sont aujourd'hui méconnus : l’équité territoriale et la proximité.

Aujourd’hui, la réforme et la modernisation des services publics se résument en quatre lettres, « RGPP », pour révision générale des politiques publiques. En lieu et place d’un ambitieux plan de réforme, il s’agit en fait de l’application dogmatique du non-remplacement d’un départ sur deux à la retraite dans les services de l’État et d’une restructuration purement comptable des moyens judiciaires, pénitentiaires, hospitaliers, militaires, scolaires... Bref, ce n’est pas un projet auquel nous avons envie d’adhérer. C’est une simple coupe budgétaire, sans vision d’ensemble de ce que doit être demain le service public, même si nous savons, nous aussi, qu’il doit évoluer.

C’est pourquoi, je veux le dire et le répéter avec force, nous demandons un moratoire sur la RGPP !

Dans un souci de proximité, nous proposons d’instituer un temps d’accès maximum aux principaux services publics comme la santé ou l’éducation. C’est ainsi que nos concitoyens, où qu’ils vivent, pourront accéder de manière égale aux services auxquels ils ont légitimement droit. La République, la Constitution reconnaissent l’égalité de tous les citoyens !

Par ailleurs, nous prônons un aménagement équilibré de l’espace, un développement des possibilités de mobilité et de communication et un encouragement – c’est difficile à obtenir, mais il faut y travailler – du développement économique.

Comme vous le savez, la ruralité est un formidable atout pour notre pays. Actuellement, on décèle déjà des phénomènes significatifs – je le constate dans mon département – de « retour à la campagne ». Je suis convaincu que nous devons accompagner cette tendance de fond. Il est donc nécessaire de nous aider à maîtriser le foncier et à mener une politique volontariste de désenclavement physique et numérique des territoires les plus reculés.

L’État doit aussi assumer une fonction redistributrice en veillant au maintien des capacités locales d’animation et d’expertises, qui sont nécessaires pour mener à bien des projets d’aménagement urbain ou de développement économique, et en mettant en œuvre les mécanismes de péréquation, si nécessaires pour permettre aux collectivités territoriales d’assumer leurs missions.

Nous le voyons, les enjeux sont nombreux et, pour tout dire, immenses. Pour nous, il ne s’agit pas d’un sujet abstrait : ce sont des visages, ce sont des femmes et des hommes qui vivent sur des territoires !

Notre pays a besoin de renouer avec une ambition d’aménagement du territoire, comme ce fut le cas au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C’est aussi, en un sens, ce que le général de Gaulle a su mettre en œuvre avec Olivier Guichard à une certaine époque.

Il nous faut une vision stratégique et des outils concrets au service d’une telle ambition pour préparer l’avenir.

Notre surprise est grande aujourd’hui de voir comment ce sujet est traité. En effet, on nous oppose en séance une motion de procédure qui empêche l’examen du contenu de notre proposition de loi.

Je veux le dire avec gravité, cette pratique va à l’encontre de l’initiative parlementaire, de l’idée généreuse d’accorder un espace à chaque groupe afin que nous puissions examiner jusqu’au bout, articles y compris, les textes déposés par les uns et par les autres. Cette pratique, qui oppose en réalité une fin de non-recevoir à toutes nos propositions, est d’autant plus regrettable que la Haute Assemblée a en particulier le devoir de se préoccuper des questions relatives aux territoires.

Ce qui nous est proposé, ce n’est pas de repousser les délais, mais c’est bien d’enterrer tout simplement cette intéressante proposition de loi, sous prétexte d’attendre de nouveaux rapports. Il y a déjà eu tellement de rapports !

Notre proposition de loi s’appuie, elle-même, sur de nombreux rapports. Je pense à celui d’Yves Daudigny sur l’ingénierie publique, à celui de Jacqueline Gourault et de Didier Guillaume, fait au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, sur la rénovation du dialogue entre l’État et les collectivités territoriales, ou encore à celui de Michèle André sur la RGPP dans les préfectures et la mise en péril de la qualité du service public.

Qu’attendons-nous de plus ? Les arguments qui nous sont opposés ne sont que des prétextes pour masquer les insuffisances de la politique menée et pour esquiver un débat dont nous savons bien qu’il est essentiel pour l’avenir de notre République décentralisée.

Dans ce contexte, je regrette profondément que des arguments de procédure interdisent un véritable débat de fond.

C’est pourquoi, au nom du groupe socialiste, j’ai l’honneur de demander le rejet de la motion de renvoi à la commission qui nous est présentée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le Gouvernement est favorable à la motion de renvoi à la commission.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Je rappelle que le Gouvernement est favorable à cette motion.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 257 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 339
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l’adoption 187
Contre 152

Le Sénat a adopté.

En conséquence, le renvoi à la commission est ordonné.

Demande de renvoi à la commission (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial
 

9

 
Dossier législatif : proposition de loi relative au développement des langues et cultures régionales
Discussion générale (suite)

Développement des langues et cultures régionales

Discussion d'une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au développement des langues et cultures régionales
Discussion générale (fin)

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste, la discussion de la proposition de loi relative au développement des langues et cultures régionales, présentée par M. Robert Navarro et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (proposition n° 251 rectifié, rapport n° 657).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Robert Navarro, auteur de la proposition de loi.

M. Robert Navarro, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous n’aurons sûrement pas le temps d’aller au bout de ce débat. Je préviens donc mes collègues qui n’auront pas l’occasion de s’exprimer aujourd'hui sur ce texte que j’en demanderai de nouveau l’inscription à l’ordre du jour de nos travaux dès la prochaine rentrée parlementaire.

Je suis ici, devant vous, pour vous proposer de faire entrer pleinement les langues régionales au cœur de la République.

Ce débat, n’en déplaise à certains, est historique. Il est unique depuis 1951.

Vous le savez, je suis du Languedoc-Roussillon. Certains ici sont de Provence, d’Alsace, de Picardie, de Bretagne, d’Auvergne, de Corse, du Pays basque. Oui de France et d’outre-mer, nous sommes les enfants de nos régions !

Ici, à mon pupitre, en observant cette diversité, je regarde l’histoire de France. Je songe aux soldats de l’an II, à ceux de Victor Hugo. Quelle langue parlaient-ils entre eux ? Je songe aux Marseillais entonnant un chant qui est aujourd’hui notre hymne national.

Mes chers collègues, comment aujourd’hui ne pouvons-nous pas songer aux tranchées de 14-18, à tous ces soldats qui se retrouvaient après l’assaut meurtrier du soir autour d’une soupe claire, autour d’un patois ?

Pouvons-nous aujourd’hui dire, en cette enceinte, que nos aînés aimaient si peu la République qu’ils s’exprimaient dans leur langue maternelle ?

Les langues régionales sont le corps de notre nation. Je suis ici devant vous pour les défendre, pour leur donner vie dans notre République une et indivisible mais riche, tellement riche de sa diversité.

Pour que ce texte arrive devant vous, le parcours a été long. Il a fallu du courage à beaucoup de mes collègues et à moi-même pour inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de cette assemblée.

Oui, la France est grande parce qu’elle a su, au-delà des langues, unifier un peuple autour de valeurs communes. Je suis ici devant vous pour vous demander de dépasser les clivages politiques traditionnels, pour vous dire que les langues régionales ne sont pas les adversaires de notre République et de sa langue, le français.

Les langues régionales sont au cœur de notre identité républicaine. C’est dans cette diversité que nous trouvons notre unité. L’Académie française l’a si bien rappelé en proclamant : « Les langues régionales appartiennent à notre patrimoine culturel et social. […] Elles expriment des réalités et des sensibilités qui participent à la richesse de notre nation. »

Ces réalités, ces sensibilités avaient déjà été évoquées par Voltaire : « c’est le peuple ignorant qui a formé les langages », a-t-il écrit. Gardons notre sang-froid.

En donnant sa vraie dimension aux langues régionales, en leur donnant leur vraie place, nous ne mettrons pas à bas l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, signée par François Ier, et qui a imposé le français comme langue du droit et de l’administration en France. Examinons ici, dans cette enceinte, notre histoire avec lucidité.

Depuis 1539 et pendant trois siècles, le français est resté minoritaire. Dans son rapport de juin 1794, l’abbé Grégoire a révélé qu’on ne parlait exclusivement le français uniquement dans environ quinze départements sur quatre-vingt-trois à l’époque. Oui, au temps fort de la Révolution, seuls 3 millions de Français sur 28 millions parlaient la langue nationale.

Pourtant, la République fut proclamée. Pourtant, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fut rédigée. Si je suis ici devant vous, c’est aussi pour rappeler que nous avons une obligation : celle d’être les passeurs d’un savoir, d’un patrimoine. Je veux croire qu’aujourd’hui nous pouvons dépasser le clivage droite-gauche sur ce sujet majeur et dessiner une nouvelle majorité pour ne pas sacrifier ce patrimoine menacé de disparition.

Ce débat, n’en déplaise à certains, est nécessaire et utile à notre pays.

En France, les langues régionales n’ont toujours pas de véritable statut juridique. À court terme, les langues régionales parlées dans notre République sont menacées : si nous n’agissons pas, nous serons responsables de cette perte de patrimoine, de notre richesse, de notre diversité. La diversité, ce n’est pas seulement les espèces végétales ou animales, c’est aussi le patrimoine immatériel.

Les responsables politiques que nous sommes ont le devoir d’être les passeurs de ces savoirs, de ce patrimoine. Ceux qui sont sincèrement convaincus de l’impérieuse nécessité de transmettre cette richesse doivent avoir le courage de prendre les décisions qui s’imposent.

Mon objectif est de donner un droit d’accès et d’usage des langues vivantes autres que le français, non pas aux seuls Bretons ou aux Occitans, mais à l’ensemble des habitants d’un espace géographique imprégné par cette langue.

J’entends, ici, parler d’un risque d’inconstitutionnalité. À ma connaissance, nul ne soulève ce risque quand il s’agit d’imposer l’initiation à une langue étrangère dans les programmes de l’enseignement primaire obligatoire !

On m’objectera que les langues régionales ne sont pas les langues étrangères. Mais des langues comme l’anglais, l’allemand, l’espagnol ou l’italien sont-elles encore étrangères quand elles sont surtout européennes ? Le danger pour le français ne vient pas tant des langues régionales que de l’Europe, où on ne parle actuellement que l’anglais, et où il est très difficile d’obtenir la transcription en français de tous les débats.

La menace de saisine du Conseil constitutionnel ne doit pas nous effrayer : de fait, l’enseignement du corse est aujourd’hui garanti et nul n’a censuré cette mesure. L’équité exige que toutes les langues bénéficient du même engagement de la République.

Maintenant que nous débattons de cette proposition de loi, nous devons nous efforcer de réunir une majorité d’idées autour de la nécessité de préserver concrètement notre patrimoine commun. En effet, nous sommes convaincus qu’il existe une majorité politique responsable, dans tous les groupes, prête à défendre cet objectif et consciente du fait que les langues régionales sont toujours menacées en France.

Les élus que nous sommes doivent également tenir compte de la hiérarchie des normes, des obligations et des devoirs : en effet, la France défend avec raison la diversité linguistique ailleurs dans le monde, et elle a raison. Au niveau international, elle s’engage à préserver ce patrimoine qui existe sur son territoire. Nous devons à présent respecter ces engagements internationaux.

Notre République s’honorerait de se mettre en conformité avec les recommandations internationales qu’elle a signées, telles la convention de l’UNESCO du 18 mars 2007 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles ou encore la convention du 20 avril 2006 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.

Il est temps que notre pays reconnaisse enfin les langues régionales comme patrimoine national et il est temps pour la République de contribuer à en assurer la valorisation et la transmission, notamment grâce à l’octroi d’un statut protégé.

À ce titre, l’État, l’ensemble des ministères et des structures concernés par cette mission ont un rôle majeur à jouer et des responsabilités précises à assumer.

Mes chers collègues, la France n’est plus menacée de scission depuis longtemps ! La décentralisation est une réussite et la vivacité de notre territoire est le fruit des mesures adoptées, depuis les lois Defferre, par les diverses majorités politiques qui se sont succédé. La reconnaissance des langues et cultures régionales est, à nos yeux, un prolongement logique de cette décentralisation.

Par essence, les sénateurs, de gauche comme de droite, ne peuvent qu’être favorables à une république des territoires.

Dans bien des cas – pas dans tous certes, et d’autres mécanismes sont d’ailleurs prévus par la loi – la région constitue le meilleur échelon à même de soutenir les langues et cultures régionales. Son rôle doit être renforcé, en coordination avec les autres échelons, dans une logique partenariale avec l’État, afin de faciliter et d’accélérer le déploiement de dispositifs efficaces de soutien aux langues régionales.

En tant que chefs de file territoriaux, les régions seraient ainsi en mesure de mieux coordonner l’action des collectivités locales et des services publics dans ce domaine. Mais comme une région n’est pas toujours concernée dans son ensemble par une langue régionale, elle doit pouvoir déléguer cette compétence à un département ou à un établissement public de coopération intercommunale le cas échéant. En outre, si une même langue régionale est commune à plusieurs régions, ces dernières doivent pouvoir se doter, avec l’aide de l’État, d’une instance assurant la mise en œuvre de cette mission.

Pour préserver ce patrimoine encore vivant, nous devons rétablir les mécanismes de transmission naturelle. Tel doit être, in fine, l’objectif de toute politique publique en matière de langues et cultures régionales.

Deux secteurs clefs sont nécessaires à une transmission naturelle de la langue : l’éducation et les médias.

L’éducation nationale, tout comme les médias, est chargée de faire vivre ce patrimoine culturel, de veiller au développement des langues régionales, afin de mieux contribuer à leur transmission. Oublier cette responsabilité ne serait pas un signe de modernité ; au contraire, il s’agirait d’une perte de substance de l’héritage culturel national.

On m’objecte souvent que les enfants devraient déjà apprendre correctement le français, mais cet argument masque une réalité : en effet, les élèves qui, dans les écoles bilingues, étudient une langue régionale, obtiennent des résultats scolaires bien meilleurs que les autres. Enseigner les langues régionales, c’est donc améliorer l’éducation et la culture dans son ensemble.

La Constitution proclame que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » : nous devons en tirer les conséquences quant à la responsabilité et aux obligations assumées par l’État, premier garant de ce patrimoine, ainsi que par les régions, appelées à jouer un rôle sans cesse croissant dans le paysage politique français.

Dans ce cadre, la République a son rôle à jouer : gardienne des valeurs et des principes fondamentaux, elle doit être attentive aux demandes, aux attentes, à la vie des différentes langues et cultures qui existent sur son territoire, en métropole comme en outre-mer. Il serait suicidaire de le nier.

Mes chers collègues, le temps du débat a commencé ; il est possible que nous n’examinions pas l’ensemble du texte, même si je vous appelle à être brefs et à ne pas faire d’obstruction.

Surtout, par cet examen, nous appelons solennellement nos collègues députés à examiner, eux aussi, les deux propositions en attente : ces textes doivent être inscrits à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il n’est pas légitime de priver des millions de citoyens en attente d’avancées sur ce sujet majeur.

Après le temps du débat doit venir celui de la loi, d’une loi qui rassemble en un texte unique l’ensemble des dispositions ayant trait aux langues et cultures régionales, afin de conférer à ces dernières une visibilité qu’elles n’ont pas actuellement, et surtout de leur dessiner un nouvel avenir.

Mes chers collègues, nous, parlementaires, en votant en faveur de la défense des langues régionales, porterons la voix d’une République généreuse, tolérante et courageuse. En votant en faveur de la défense des langues régionales, nous serons véritablement au cœur de ce qui symbolise la valeur de notre engagement en sein de la vie de notre cité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Colette Mélot, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l’on considère le nombre de questions orales et écrites ainsi que la densité des initiatives parlementaires sur le sujet, force est de constater que l’intérêt pour les langues et les cultures régionales est largement partagé au sein de notre assemblée.

La proposition de loi rectifiée de M. Navarro et des membres du groupe socialiste, qui partage beaucoup de ses dispositions avec le texte déposé par M. Alduy et plusieurs membres du groupe UMP, en est un signe supplémentaire.

Intervenant à la suite de l’inscription des langues régionales à l’article 75-1 de la Constitution en tant qu’éléments du patrimoine de la France, ce texte touche à tous les domaines de compétence de la commission de la culture et même au-delà. Sont ainsi concernés l’éducation, les médias et le spectacle vivant, la place des langues régionales dans la vie publique, la vie économique et sociale, l’onomastique et la toponymie.

Mes chers collègues, le temps des « guerres linguistiques » est révolu et la révision constitutionnelle de juillet 2008 l’a bien marqué. La commission de la culture estime qu’il est impératif de conserver le statut prééminent du français, notre langue nationale commune, la langue de la vie publique et de la République, l’un des piliers de l’unification de notre pays.

Cependant, il convient de rejeter la tentation de l’anathème et de reconnaître le trésor culturel que constituent les langues régionales, chacune à sa manière. Celles-ci ne sont pas une menace pour le français, qui doit plutôt lutter au plan international pour conserver sa place dans le monde.

En outre, le terme générique de « langues régionales » masque une très grande variété de situations. Rares sont les points communs entre le basque, le breton, les langues d’oc, l’alsacien, le catalan, le corse, le picard, le flamand occidental, les créoles, le tahitien, les langues canaques et amérindiennes. Ces langues diffèrent par le nombre de leurs locuteurs et le degré réel de maîtrise linguistique de ceux-ci, mais aussi par leur mode de transmission, naturel ou scolaire, par l’extension de leurs aires d’usage, par leur vitalité et par les politiques menées localement en vue de les soutenir.

Certaines langues sont ainsi confinées à des territoires restreints comme le pays basque ou l’arrondissement de Dunkerque, tandis que les langues d’oc, ou les variétés d’occitan comme on voudra, couvrent la moitié sud du pays. Il ne faut pas non plus négliger le cas des langues transfrontalières reconnues dans des pays voisins à l’instar du catalan en Espagne et en Sardaigne. De plus, si l’allemand est reconnu comme forme écrite de l’alsacien, les locuteurs du flamand occidental n’adoptent pas le standard néerlandais. Certaines de ces langues connaissent une littérature pluriséculaire, d’autres ne sont pas encore véritablement dotées d’un standard écrit.

De même, l’intervention des collectivités diffère d’un territoire à l’autre, en fonction des priorités librement déterminées de leur politique. Certaines régions, comme l’Alsace ou la Bretagne, mènent une politique vigoureuse en faveur de leur langue propre, d’autres non. Des organismes très structurés existent parfois comme l’office public de la langue basque, dont chacun salue l’efficacité et le succès.

Faut-il pour autant imposer ce modèle partout ? Au regard de cette hétérogénéité fondamentale, il paraît inopportun de confier au législateur la tâche de tracer un cadre commun uniforme, qui sera par nature mal ajusté aux spécificités de telle ou telle langue, de tel ou tel territoire. Plutôt que de figer des situations très évolutives et mouvantes par des normes nationales, mieux vaut laisser les initiatives locales se développer. D’ailleurs, j’ai pu constater la vitalité des associations de promotion des langues régionales et des délégations régionales constituées à cet effet en Aquitaine et en Midi-Pyrénées.

Le cadre légal et réglementaire actuel ne freine pas les nombreux projets qui fleurissent spontanément un peu partout. Toutefois, une circulaire pourrait être utile pour lever certaines ambiguïtés d’interprétation : le ministère de la culture y travaille.

La responsabilité des collectivités territoriales dans la préservation des langues régionales est éminente ; c’est bien là le sens de l’inscription des langues régionales au sein du titre de la Constitution consacré aux collectivités territoriales. Il revient à ces dernières de déterminer les modalités d’action qu’elles jugent pertinentes pour répondre à la demande sociale locale.

En effet, il ne faudrait pas tout attendre de l’État alors que sont en jeu des intérêts essentiellement locaux. Pour autant, l’État ne doit pas se priver d’intervenir pour sauvegarder les langues régionales. Il s’acquitte d’ailleurs de sa responsabilité de manière très satisfaisante. Ainsi, l’éducation nationale et l’audiovisuel public se sont engagés fortement et à la hauteur de la demande constatée, sans qu’il soit justifié de leur imposer de nouvelles obligations.

Dans les écoles, les collèges et les lycées, toutes formes d’enseignement confondues, quelque 193 500 élèves sont concernés par un enseignement de langues régionales, dont 125 000 environ dans le premier degré. Les demandes des parents paraissent globalement satisfaites par l’offre de formation actuelle et par les perspectives d’évolution inscrites dans la programmation du ministère de l’éducation nationale.

Pour atteindre ces résultats, l’Éducation nationale a mobilisé des ressources importantes destinées au recrutement d’enseignants. Ainsi, depuis 2002, plus de 1 300 postes « bivalents » de professeurs des écoles ont été ouverts.

Cependant, avec à peine plus de deux candidats et demi pour un poste proposé, ces concours ne semblent pas particulièrement attractifs. Pour le second degré, les CAPES de langue régionale – basque, breton, catalan, créole et occitan – de langue corse et de tahitien recrutent des personnels enseignants depuis 1990. Au cours des vingt dernières années, 600 postes ont été offerts aux candidats. Au collège et au lycée, les enseignements ont été assurés par 502 professeurs certifiés de langue régionale en 2010. Depuis quatre ans, ces effectifs ont même progressé.

L’État et les collectivités territoriales ont également employé la faculté ouverte par l’article L. 312-10 du code de l’éducation, que la présente proposition de loi tend à supprimer, afin de signer des conventions pour la promotion de l’enseignement des langues régionales. C’est notamment le cas dans les académies de Bordeaux, de la Martinique de Montpellier, de Rennes, de Strasbourg et de Toulouse.

L’effort de l’État pour affirmer la présence des langues régionales dans les médias n’est pas moins important. La loi du 30 septembre 1986 donne mission aux composantes de l’audiovisuel public d’assurer la promotion de la langue française et des langues régionales d’une part, de mettre en valeur la diversité du patrimoine culturel et linguistique de la France d’autre part.

La mission de production et de diffusion d’émissions en langues régionales a été réaffirmée à l’occasion de la loi du 5 mars 2009 réformant l’audiovisuel public.

Les contrats d’objectifs et de moyens de France Télévisions et de Radio France transcrivent fidèlement cette exigence. Une part non négligeable des temps d’antenne est aujourd’hui réservée à l’expression en langues régionales et à la découverte des cultures régionales.

En 2010, France 3 a ainsi diffusé en métropole environ 300 heures d’émissions en alsacien, en basque, en breton, en catalan, en corse, en occitan et en provençal. De plus, la chaîne Via Stella, spécifique à la Corse, a diffusé environ 900 heures supplémentaires de programmes. Les Télés Pays outre-mer font également beaucoup pour les créoles. En outre, pour France Télévisions comme pour Radio France, les journaux d’information et les émissions de la diffusion classique sont reprises dans l’offre en différé et à la demande. J’estime d’ailleurs qu’internet constitue, plus que les antennes classiques, un excellent instrument de diffusion des langues.

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. C’est vrai !

Mme Colette Mélot, rapporteur. Enfin, il convient de rappeler que les dispositifs d’aide financière dont bénéficient les médias écrits et audiovisuels en français sont également ouverts aux médias qui utilisent les langues régionales. La presse en langue régionale peut bénéficier des aides à la presse, en particulier celles du fonds d’aide au développement des services de presse en ligne.

L’engagement de l’État se traduit donc par des investissements très importants, qui sont parfois méconnus mais qui couvrent d’ores et déjà les besoins identifiés, sans qu’il soit nécessaire d’adapter le cadre légal et réglementaire en vigueur.

Par conséquent, la nécessité d’une intervention du législateur n’est pas avérée. Outre cette réserve de principe, la commission de la culture estime que le texte de la proposition de loi n’offre pas une base juridique satisfaisante.

Tout d’abord, la quasi-intégralité des titres Ier, II, III et IV, lesquels entraînent des coûts supplémentaires dans les domaines éducatif, médiatique et culturel pour l’État, les collectivités territoriales et l’audiovisuel public, pourrait être déclarée irrecevable.

En effet, l’article 40 de la Constitution interdit toute aggravation d’une charge publique d’initiative parlementaire. Les articles 57 et 58 de la proposition de loi proposent un gage sur les accises et les dotations budgétaires. Mais ces gages sont sans objet, puisque l’article 40 ne permet que la compensation des pertes de recettes et exclut toute compensation d’une aggravation de charge publique.

Toutefois, la commission de la culture a considéré que le débat sur les langues régionales devait se poursuivre en séance publique du fait de son importance et de son intérêt intrinsèque. C’est pourquoi elle a choisi de ne pas recourir à la procédure de l’article 40.

De même, la commission de la culture n’a pas souhaité déposer de motion d’exception d’irrecevabilité pour ne pas couper court au débat. Pourtant, certaines dispositions de la proposition de loi pourraient conduire à la reconnaissance d’un droit collectif opposable à l’État par des groupes minoritaires définis sur une base linguistique. Cela est contraire au principe d’unicité du peuple français et d’indivisibilité de la République.

Je vise notamment l’ensemble constitué par le statut protégé pouvant être octroyé par les collectivités aux langues régionales d’après l’article 3 du texte.

Sont également concernées les obligations générales d’offre de formation en langue régionale, y compris à destination de tous les enseignants du primaire et du secondaire, au titre II.

L’attribution automatique de fréquences de radio à l’article 24 et les autorisations nécessaires aux télévisions régionales à l’article 30 sont également visées.

C’est aussi le cas de l’obligation d’instaurer une signalétique bilingue dans les services publics à l’article 40.

Enfin, la présomption d’absence de discrimination dans l’organisation de toute activité éducative, sociale ou professionnelle en langue régionale, à l’article 49, paraît également aller à l’encontre du principe d’unicité.

La libre utilisation des langues régionales demeure protégée au titre du principe général de la liberté d’expression et de communication, garanti par l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais elle doit être conciliée avec la primauté accordée au français par l’article 2 de la Constitution. Certaines dispositions de la proposition de loi paraissent revenir sur cet équilibre, ce que la commission de la culture ne souhaite pas.

En donnant compétence au conseil régional pour coordonner l’action des services de l’État et des autres collectivités locales en matière de politique linguistique, ce qui implique une intervention très extensive dans des champs de compétences qui ne sont pas les siens, le domaine éducatif notamment, l’article 4 pourrait méconnaître l’organisation générale des pouvoirs publics et le principe de libre administration des collectivités territoriales, garantis par l’article 72 de la Constitution.

Outre ces doutes sur la constitutionnalité du texte, il convient également de remarquer que le droit existant est riche de possibilités inexploitées par les collectivités.

Plusieurs dispositions des titres IV, V et VI énumèrent des facultés qui sont satisfaites par le droit existant.

En mettant en avant des cas particuliers, le texte risque surtout d’affaiblir la portée générale des possibilités déjà offertes par le droit existant. C’est le cas aux articles 44 et 45, qui renvoient aux services de la petite enfance ou pour les personnes âgées. Ces énumérations peuvent nourrir des interprétations restrictives limitant les facultés d’emploi des langues régionales aux seuls cas mentionnés expressément dans la loi. Nous pouvons déjà prévoir la multiplication des recours. Loin de clarifier les possibilités offertes aujourd’hui, le texte pourrait créer paradoxalement les conditions d’un affaiblissement des langues régionales.

Par ailleurs, certaines dispositions du texte sont d’ordre purement réglementaire. Ainsi, l’article 18 vise à inscrire dans la loi le recrutement des enseignants de langue régionale. L’organisation des concours des différents corps d’enseignants, ainsi que le détail de leurs formations initiale et continue relèvent de décrets du ministre de l’éducation nationale ou du ministre de l’enseignement supérieur. Il ne serait pas légitime de réserver un sort particulier aux seuls enseignants de langues régionales au sein de l’éducation nationale.

Enfin, je me dois d’insister sur le coût potentiellement très élevé des mesures inscrites dans le texte. L’éducation nationale, le ministère de la culture, France télévisions, l’Association des régions de France, l’ARF, lors de leurs auditions, se sont montrés préoccupés par l’impact financier du texte, tant pour l’État que pour les collectivités territoriales.

Dans un contexte budgétaire très difficile, les efforts demandés dans le texte paraissent excessifs. Ils visent essentiellement à faire émerger une demande de langues régionales au sein de la population plutôt qu’à répondre à des besoins clairement identifiés, qui sont en réalité largement satisfaits.

Malgré mon attachement sincère à la préservation de la richesse culturelle que portent les langues régionales, je ne peux dès lors qu’émettre, au nom de la commission de la culture, un avis défavorable sur l’adoption de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission de la culture, aux termes de l’article 75-1 de la Constitution, les langues régionales appartiennent désormais au patrimoine de la France. Elles ont donc toute leur place dans notre République, une République ouverte et généreuse qui sait s’enrichir de sa diversité, sans jamais oublier d’affirmer son unité. Cette unité est, plus que jamais, nécessaire pour faire face aux bouleversements du monde, pour répondre aux défis de la mondialisation, qui est une réalité quotidienne pour chacun d’entre nous.

Les langues régionales appartiennent donc au patrimoine de la France, et cela est inscrit dans notre loi fondamentale. Pour autant, et je préfère le dire d’emblée, le Gouvernement ne souhaite pas l’adoption de la proposition de loi de Robert Navarro relative au développement des langues et des cultures régionales.

En cela, le Gouvernement partage l’analyse et l’avis de votre rapporteur, Colette Mélot, dont je veux saluer l’excellent et patient travail. Le Gouvernement partage l’analyse et l’avis de la commission de la culture du Sénat.

Entendons-nous bien : l’opposition du Gouvernement à cette proposition de loi ne saurait en aucun cas être interprétée, je le dis avec force, comme une opposition de principe aux langues régionales. D’ailleurs, vous savez bien que le Gouvernement n’hésite pas à apporter son appui à la démarche législative lorsque le besoin s’en fait sentir : ici même, au mois de février dernier, mon collègue Frédéric Mitterrand – qui serait présent aujourd'hui s’il n’accompagnait le Premier ministre dans un déplacement en Asie – a soutenu, au nom du Gouvernement, une proposition de loi prévoyant que les panneaux réglementaires d’entrée et de sortie d’agglomération apposés en langue française sur la voie publique pouvaient être complétés du nom de cette agglomération en langue régionale.

D’ailleurs, pour vous montrer que l’obstruction ou le sectarisme ne font pas partie de notre pratique, je veux rappeler devant vous l’effort de l’État en faveur de l’usage et de la transmission des langues régionales. Je souhaite d’autant plus le faire que, à l’occasion des discussions que j’ai eues avec certains d’entre vous et au cours d’échanges avec plusieurs de vos collègues de l’Assemblée nationale, je me suis aperçu que l’action de l’État en faveur des langues régionales, pourtant soutenue au cours des dernières décennies, était par trop méconnue.

Elle est méconnue alors même qu’elle répond très largement à la demande de certains de nos territoires et de certains élus. Je mesure d’ailleurs la vigueur de cette demande au moment où quatre propositions de loi ont été déposées presque conjointement au Sénat comme à l’Assemblée nationale, par l’opposition comme par la majorité.

Aussi, avant d’en venir aux raisons qui conduisent le Gouvernement à vous demander de rejeter cette proposition de loi, vous me permettrez de tracer devant vous à grands traits les contours de l’action de l’État en faveur des langues régionales.

L’école de la République a longtemps été accusée d’être l’ennemi farouche des langues régionales. Elle aurait combattu leur usage. Elle se serait opposée à leur transmission. Eh bien, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas la conception que je me fais de notre école. Ce n’est pas la conception que l’éducation nationale se fait des langues régionales. Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’effort soutenu qu’elle consacre depuis plusieurs décennies aux langues régionales, et je remercie Mme le rapporteur d’en avoir pris acte dans son rapport.

Enseignées dans dix-huit des trente académies de France, les langues vivantes régionales sont tout d’abord pleinement reconnues dans les programmes nationaux de l’Éducation nationale. C’est le signe de l’attachement que nous leur portons, mais également de la rigueur et du sérieux de cet enseignement.

Ainsi, au cours des dernières années, le ministère a rénové ou profondément repensé les programmes de langues vivantes régionales métropolitaines – basque, breton, catalan, corse, occitan-langue d’oc, langues régionales d’Alsace et des pays mosellans – afin de les inscrire dans le cadre européen commun de référence pour les langues. Quelle belle reconnaissance pour ces langues !

Ces rénovations ont eu lieu en 2007 pour le primaire, en 2007 pour le palier 1 du collège, qui vise le niveau A2, en 2010 pour le palier 2 du collège, qui vise le niveau B1, et pour la classe de seconde.

En outre, des programmes de créole pour l’école et le collège sont en voie de publication. Ils sont à l’ordre du jour du Conseil supérieur de l’éducation de ce jour, 30 juin, et seront applicables dès 2011-2012.

Enfin, le gouvernement local de Polynésie française s’apprête à publier des programmes de tahitien, dans le cadre des compétences qui lui sont reconnues par la loi organique en matière d’enseignement des langues de la Polynésie française.

J’ajoute que l’enseignement des cultures régionales ne se limite pas à la transmission des langues régionales. En effet, la géographie, la culture et l’histoire régionales peuvent également être étudiées dans le cadre du cours d’histoire et de géographie et ainsi être connues de celles et de ceux qui ne suivent pas d’enseignement de langue régionale. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, le programme de géographie du cycle 3 de l’école comprend une entrée intitulée « Des réalités géographiques locales à la région où vivent les élèves ».

La spécificité des départements d’outre-mer est, quant à elle, prise en compte dans des programmes adaptés d’histoire et de géographie.

J’en reviens à l’enseignement des langues régionales, inscrit au cœur de votre proposition de loi, monsieur le sénateur, pour en souligner la richesse. En effet, à l’école, au collège, comme au lycée, plusieurs modalités d’enseignement coexistent qui présentent toutes une singularité et un intérêt.

Ainsi, à l’école, on peut distinguer quatre modalités d’enseignement différentes.

L’enseignement extensif est dispensé durant une heure trente prise sur l’horaire de langue vivante selon des modalités définies dans le projet d’école. Certaines langues, dans le cadre des dispositions particulières qui les régissent – je pense au corse ou au tahitien – sont considérées comme une matière incluse dans l’horaire normal d’enseignement ; trois heures leur sont alors consacrées.

L’enseignement renforcé est dispensé selon un horaire hebdomadaire allant au-delà d’une heure et demie, par exemple de deux heures.

L’enseignement bilingue à parité horaire est assuré pour moitié en langue régionale, pour moitié en français. Une partie des activités inscrites au programme de l’école se déroulent donc dans la langue régionale de la section.

Enfin, l’enseignement bilingue par immersion est dispensé dans le cadre scolaire des réseaux associatifs. La langue régionale est alors non seulement la langue des activités pour plus de la moitié de l’horaire, mais également la langue de la vie scolaire de l’école.

Au collège, plusieurs modalités spécifiques d’enseignement existent également.

En sixième et en cinquième est dispensé un enseignement facultatif, à raison d’une heure hebdomadaire, cette durée étant généralement portée à deux heures, voire à trois heures pour le corse et le tahitien. Cet enseignement se poursuit en classe de quatrième au titre d’enseignement optionnel facultatif.

L’enseignement optionnel obligatoire de deuxième langue vivante correspond à un horaire de trois heures.

L’enseignement bilingue à parité horaire se pratique dans les sections « langues régionales ». Au moins trois heures hebdomadaires sont consacrées à l’enseignement de langues et cultures régionales ; une ou plusieurs disciplines sont enseignées dans la langue régionale, ce qui permet d’atteindre progressivement un enseignement à parité en français et en langue régionale.

Toujours au collège, notons l’enseignement bilingue par immersion, selon les mêmes principes que ceux que je viens d’évoquer pour le primaire.

Au lycée, enfin, dans le cadre de la nouvelle organisation des enseignements mise en œuvre depuis la rentrée scolaire de 2010, les langues régionales sont proposées en classe de seconde comme troisième langue vivante, au titre des enseignements d’exploration ou facultatifs. Cet enseignement se poursuit dans le cycle terminal des séries ES, L et S.

En outre, les enseignements bilingues suivis dans les sections « langues régionales » de collège sont également assurés au lycée selon des modalités d’organisation proches de celles qui régissent les sections européennes.

Puisque j’évoque les formes et les objectifs de l’enseignement de notre pays, permettez-moi de vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, que, le 6 novembre 2009, lors du comité interministériel de l’outre-mer, le Président de la République a indiqué qu’il souhaitait développer le recours aux langues régionales – dont le créole – dans le cadre du plan de lutte contre l’illettrisme, pour faciliter les apprentissages.

Mme Gélita Hoarau. C’est faux !

M. Luc Chatel, ministre. Cet enseignement « contrastif », c’est-à-dire en comparaison permanente avec le français, doit permettre aux élèves d’apprendre à distinguer rapidement les deux langues et à progresser dans l’acquisition de chacune d’elles.

J’ai d’ailleurs moi-même signé avec le président du conseil régional de la Martinique, Serge Létchimy, le 22 février dernier, une convention qui officialise et renforce cet enseignement.

Permettez-moi aussi d’ajouter que l’État consacre des moyens importants à cet enseignement. En effet, des postes « bivalents » sont proposés par les académies dans le cadre de concours de recrutement de professeurs des écoles dits « spéciaux ». À la session 2010, 133 postes ont été ouverts à ce titre. Au total, au cours des dix dernières années, 1339 postes de professeurs des écoles ont été proposés dans ce cadre.

Dans le second degré, des CAPES de langue régionale – basque, breton, catalan, créole, occitan, corse et tahitien – permettent de recruter des professeurs depuis 1990. Au cours des vingt dernières années, 602 postes ont été offerts aux candidats. Aujourd’hui, les enseignements de langue régionale sont assurés au collège et au lycée par 570 professeurs certifiés, le tahitien mobilisant 60 postes.

En outre, pour ce qui concerne l’enseignement privé sous contrat, 570 enseignants sont rémunérés par l’État. En 2010, 26 postes ont été ouverts aux concours spécifiques pour le premier degré et 11 pour le second degré.

Finalement et sans doute en raison non seulement de la diversité des modalités de transmission, mais aussi de l’importance des moyens consacrés, l’enseignement des langues régionales connaît une véritable vigueur dans notre pays ; il concerne près de 200 000 élèves, étudiant sous une modalité ou une autre. Comptabilisant près de 125 000 élèves, le premier degré est le niveau le plus dynamique, même si, bien sûr, des différences importantes sont enregistrées d’une académie à une autre.

Rigueur, richesse et vigueur caractérisent l’enseignement des langues régionales, qui est loin d’être négligeable dans notre pays, et les moyens qui y sont consacrés, dans un contexte budgétaire difficile, vous ne l’ignorez pas, permettent de répondre à la demande des élèves et de leurs familles.

Par ailleurs, et vous le savez, les conseils académiques des langues régionales, qui existent dans quatorze académies et au sein desquels siègent les représentants de l’éducation nationale, des professeurs, des familles et des collectivités, permettent d’organiser cet enseignement en concertation. Le dialogue avec les collectivités territoriales est souvent inscrit dans le cadre des conventions nouées entre l’État et ces dernières, conformément aux dispositions de l’article L. 312-10 du code de l’éducation.

L’effort est également marqué dans le champ de la culture et des médias. Et je tiens tout d’abord à rappeler, au nom de mon collègue Frédéric Mitterrand, que la mise en valeur de la diversité du patrimoine culturel et linguistique de la France fait partie depuis longtemps des missions des organismes du secteur public audiovisuel, en métropole comme en outre-mer. Ce principe, clairement posé dans la loi du 30 septembre 1986, a été fortement réaffirmé dans la loi du 5 mars 2009 réorganisant le secteur public audiovisuel.

Le rapport d’exécution 2010 du cahier des charges de France Télévisions précise que, pour l’année écoulée, France 3 a contribué à l’expression des principales langues régionales parlées sur le territoire métropolitain en assurant un volume total de 264 heures d’émission, contre 253 en 2009, et 213 en 2008, dans les six régions concernées, à savoir Alsace, Aquitaine, Sud, Méditerranée, Corse et Ouest.

La tendance est donc à une augmentation globale continue : toutes les langues concernées ont vu leur volume de diffusion soit augmenter, soit se stabiliser. Cette dynamique est même amenée, dans certains cas, à se renforcer ; j’en veux pour preuve la signature, vendredi dernier, avec la collectivité territoriale de Corse et en présence de Frédéric Mitterrand, de la convention sur le développement cinématographique et audiovisuel en Corse et de la convention avec la chaîne satellitaire Via Stella. Les programmes en langue corse, bilingues français corse ou en corse sous-titré en français pourront s’appuyer sur ces dispositions. Cette dynamique se retrouve également dans les outre-mer, avec le développement des Télé-pays de France Télévisions comme avec les Radios-pays.

Pour ce qui concerne plus précisément les radios, le réseau France Bleu a d’ores et déjà fixé sur ses stations locales des rendez-vous courts en langue régionale tout au long de la semaine, une émission d’une heure étant de surcroît diffusée, en fin de semaine, sur un bon créneau horaire.

Pour les langues de France connaissant un grand nombre de locuteurs, des dispositions ont été prises depuis de nombreuses années : je pense à la séparation totale de l’antenne française et régionale, comme en Alsace, où la FM diffuse principalement en français, tandis que les ondes moyennes assurent une diffusion en alsacien avec France Bleu Elsass ; une antenne complètement bilingue existe en Corse avec France Bleu Corse Frequenza Mora ; des antennes FM accueillent des programmes en langues régionales telles France Bleu Pays Basque ou France Bleu Breizh Izel.

Pour ce qui est de la mise en valeur des langues régionales dans le champ des médias, il est utile de rappeler que d’ores et déjà beaucoup de choses ont été réalisées. Certains diront que l’on pourrait faire encore plus ; mais les actions menées présentent tous les gages de l’engagement de l’État, aux côtés des collectivités territoriales concernées, pour la mise en valeur d’un patrimoine linguistique très riche qui relève d’une responsabilité partagée entre l’État et les collectivités territoriales.

Pour ce qui concerne la création culturelle, l’État apporte d’ores et déjà un soutien aux œuvres et aux projets qui contribuent à installer et à mieux légitimer la création en langues de France dans le paysage culturel, soit par le biais de crédits déconcentrés via les directions régionales des affaires culturelles, soit par l’action de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, qui a succédé, en 2001, à la Délégation générale à la langue française.

À titre d’exemple, le théâtre La Rampe en Languedoc-Roussillon et le Centre dramatique occitan de Toulon bénéficient d’une aide au titre de leurs créations originales, ainsi que pour leurs activités de diffusion et de formation, indispensables à l’existence d’un théâtre vivant dans un cadre interrégional.

Je pourrais également évoquer le soutien apporté dans le domaine du cinéma, avec le film Au bistro du coin, tourné en français et doublé en six langues régionales – l’alsacien, le breton, le corse, le créole, l’occitan et le picard –, entraînant ainsi la création de filières de postproduction dans plusieurs régions.

Je pourrais aussi citer le soutien aux festivals, notamment à l’Estivada de Rodez ou à Vibrations Caraïbes, mais encore le soutien continu à l’édition en langues régionales, à travers le programme « Librairie des langues du monde », alimenté conjointement avec le Centre national du livre, grâce à un fonds destiné, notamment, à la production de dictionnaires bilingues français-langues de France.

Le ministère de la culture et de la communication apporte également un appui renforcé aux institutions et organismes représentatifs des langues de France, par exemple à l’Institut d’études occitanes ou l’Institut occitan de Pau, en matière de formation, d’édition, de création de centres de ressources linguistiques.

Il soutient les rencontres, les colloques et les débats qui ont les langues régionales pour objet. Je pourrais citer, à titre d’illustration, le Forum des langues du monde de Toulouse, qui conjugue animation populaire et réflexion critique sur les rapports interlinguistiques, le festival Mir redde Platt à Sarreguemines, qui met en valeur le francique de Moselle dans sa dimension transfrontalière, ou encore les congrès de l’association internationale d’études occitanes, sans oublier l’Observatoire des pratiques linguistiques, comité d’experts installé à la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, qui a développé notamment le programme « Corpus de la parole », lequel met en valeur un corpus oral unique sous la forme de ressources linguistiques numériques, au service de la recherche, via un site internet, avec déjà trente langues de France et plusieurs centaines d’heures d’écoute accessibles à tous.

Enfin, au mois de décembre prochain, le ministère de la culture et de la communication va organiser à Cayenne des états généraux du multilinguisme outre-mer. À cette occasion se trouveront réunies en Guyane des délégations provenant de l’ensemble des territoires d’outre-mer. Les questions relatives au multilinguisme relèvent d’une importance majeure pour les territoires d’outre-mer, en termes d’intégration et de démocratisation culturelle, et je sais que mon collègue Frédéric Mitterrand accorde une grande importance à ces rencontres, au-delà de la célébration de l’année des outre-mer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en viens maintenant précisément à la proposition de loi que nous examinons ce jour.

Bien sûr, je connais l’attachement de nombre d’entre vous aux langues régionales, réalité vivante dans les territoires dont vous êtes les élus.

Or la promotion des langues régionales s’appuie sur des dispositions éparses, que l’on retrouve dans divers textes – le code général des collectivités territoriales, le code de l’éducation, ou encore la loi du 4 août 1994 dite « loi Toubon ». Cette dispersion peut sembler, à certains d’entre vous, préjudiciable à la promotion des langues régionales.

Par conséquent, la volonté de rendre plus lisible et plus visible ce qui se fait et ce qu’il est possible de faire dans le cadre législatif et constitutionnel en vigueur me paraît compréhensible.

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Très bien !

M. Luc Chatel, ministre. Mais faut-il pour autant légiférer en la matière ? Je ne le crois pas, et ce pour deux raisons au moins.

D’une part, nombre des dispositions de la présente proposition de loi se bornent à énumérer des possibilités déjà offertes par le cadre existant.

D’autre part, nombre de ses dispositions relèvent du cadre réglementaire et non de l’ordre législatif.

Surtout, je me dois de vous alerter sur les risques que comporte le texte que vous proposez, monsieur Navarro. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail de Mme le rapporteur, qui les a clairement identifiés et exposés.

Le premier de ces risques est de nature constitutionnelle. Vous l’avez indiqué à plusieurs reprises, et je l’ai moi-même rappelé : la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a permis de reconnaître l’apport remarquable des langues régionales dans l’identité de la France. L’article 75-1 de la Constitution, issu de cette révision, reconnaît en effet de manière solennelle : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »

M. Claude Bérit-Débat. Ce n’est pas suffisant !

M. Luc Chatel, ministre. Mais cet article ne remet pas pour autant en cause la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière d’usage de la langue française.

La langue de la République est le français.

L’article 2 de la Constitution dispose en effet : « La langue de la République est le français. » En application de cette règle constitutionnelle, il ne peut être reconnu aucun droit à pratiquer une langue autre que le français dans la sphère de la « vie publique », que ce soit la justice, les services publics ou l’enseignement.

De la même façon, les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français interdisent que soient conférés des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées.

Par conséquent, toutes les formulations qui, dans votre texte, monsieur Navarro, pourraient être interprétées comme « ouvrant un droit » aux langues régionales, courent le risque d’être déclarées inconstitutionnelles. La décision du Conseil constitutionnel du 20 mai dernier relative au code de l’éducation a d’ailleurs confirmé cette volonté de ne pas ouvrir la porte à des traitements différenciés, qui contreviendraient aux principes que j’évoquais à l’instant.

M. Robert Navarro. Pourquoi ?

M. Luc Chatel, ministre. Dès lors, mesdames, messieurs les sénateurs, si une telle loi était adoptée, les recours devant le Conseil constitutionnel pourraient se multiplier.

M. Robert Navarro. Ceux qui respectent la loi sont sanctionnés et ceux qui la bafouent sont encensés !

M. Luc Chatel, ministre. Par ailleurs, les deux articles finaux de la proposition de loi, qui prévoient de compenser les dépenses supplémentaires que la loi imposerait à l’État et aux collectivités territoriales par des taxes additionnelles et une augmentation proportionnée de la dotation globale de fonctionnement, sont contraires à la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à l’article 40 de la Constitution, qui exclut toute aggravation d’une charge publique par une proposition de loi, ainsi que l’ont d’ailleurs relevé Mme le rapporteur, voilà un instant, et M. le président Legendre, lors de l’examen du texte en commission.

Je pourrais également, monsieur Navarro, évoquer l’article 4 de votre proposition de loi, qui prévoit de donner compétence aux régions pour coordonner les actions des services de l’État et des autres collectivités territoriales en matière de politique linguistique. En effet, il pourrait être interprété comme contrevenant à la fois aux règles générales de l’organisation des pouvoirs publics et au principe de libre administration des collectivités territoriales, posés par l’article 72 de la Constitution.

L’article 4 de la proposition de loi paraît également porter atteinte à l’équilibre existant, aux termes du code de l’éducation, entre l’État et les collectivités territoriales, s'agissant du partage des compétences et des responsabilités en matière d’enseignement.

M. Claude Bérit-Débat. Cela n’existe pas !

M. Luc Chatel, ministre. De fait, le principe du caractère national des programmes mais aussi, plus profondément, la compétence de principe de l’État pour organiser le service public de l’éducation seraient remis en cause, via notamment le pouvoir confié à la région en matière de définition des schémas de développement des langues régionales et des modalités d’insertion de ces langues dans le « temps scolaire ».

Mme Gélita Hoarau. Cela n’a aucun sens !

M. Luc Chatel, ministre. J’ajoute que la disjonction entre un organisme prescripteur relevant de la région et un financement toujours à la charge de l’État ne me paraît guère opportune.

Cette analyse de l’article 4 de la proposition de loi me permet d’aborder le second risque majeur que, me semble-t-il, cette proposition de loi fait courir : le risque budgétaire.

Au-delà même de la question du respect de l’article 40 de la Constitution, il est manifeste que la proposition de loi présentée par M. Navarro emporte des risques budgétaires importants, tant pour mon ministère que pour celui de la culture et de la communication. Certains articles du texte proposé reprennent certes, pour partie, des engagements existants, mais d’autres suscitent plus que des interrogations, notamment en ce qui concerne la redevance audiovisuelle.

Je crois d’ailleurs savoir qu’une grande partie des institutions interrogées par Mme le rapporteur, à commencer par l’Association des régions de France – vous l’avez rappelé tout à l'heure, madame Mélot –, ont évoqué ce risque.

Mme Colette Mélot, rapporteur. Tout à fait !

M. Luc Chatel, ministre. Je dois dire que, compte tenu du contexte budgétaire actuel, qui est, vous ne l’ignorez pas, monsieur Navarro, particulièrement tendu, je partage pleinement l’analyse de Mme le rapporteur. Du reste, j’espère vous avoir montré que l’État consent déjà un effort important en faveur des langues régionales.

Enfin, vous me permettrez de sortir du strict cadre de l’examen de cette proposition de loi et de m’adresser, en conclusion, aux élus locaux que vous êtes pour la plupart, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je connais votre attachement à la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Je partage cet attachement, moi qui suis également un élu local. Or les dispositions de la présente proposition de loi s’inscrivent clairement à contre-courant du mouvement de simplification et d’allégement des normes applicables aux collectivités territoriales que le Président de la République et le Gouvernement ont engagé, véritable moratoire visant à arrêter la course à la complexité des normes.

En effet, cette proposition de loi prévoit de nombreux instruments de gouvernance territoriale, certains à titre facultatif, mais d’autres à titre obligatoire – je renonce à les citer tous –, qui ajoutent à la complexité du dispositif au moment même où la réforme des collectivités territoriales conduite par le ministère de l’intérieur entend au contraire clarifier cette gouvernance.

La gouvernance que vous proposez, avec la constitution de services ou organismes, la conclusion de conventions ou l’élaboration de programmes, certaines mesures étant qui plus est obligatoires, est lourde et, à mon sens, inopportune, ne serait-ce que par les coûts qu’elle engendrerait, dans le contexte du moratoire que j’évoquais.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de cette analyse, vous comprendrez que le Gouvernement émette un avis défavorable sur cette proposition de loi. Il s’agit d’un avis motivé, éclairé et serein.

Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, je l’affirme devant votre assemblée, notre République a dépassé les divisions d’antan. Elle ne craint pas les langues régionales. Au contraire, l’État les respecte et contribue à leur expression, comme à leur transmission.

M. Luc Chatel, ministre. Toutefois, les efforts que nous consentons sont l’expression d’une République faite d’équilibre : une République qui sait reconnaître et valoriser la diversité culturelle et linguistique de ses territoires ; une République pleinement consciente de l’enjeu stratégique que représente, dans le monde contemporain, l’enseignement des langues vivantes étrangères, à commencer par l’anglais ; une République, surtout, qui n’oublie pas que sa langue est le français, fondement vivant de notre culture commune.

Vous pouvez compter sur moi, mesdames, messieurs les sénateurs, pour veiller sans relâche, en ma qualité de ministre de l’éducation nationale, à ce que notre École remplisse sa plus haute mission : enseigner la langue de la République à ses enfants. En effet, notre langue est tout à la fois l’héritage de leurs aïeux, la clé de leur réussite et le vecteur de leur insertion sociale et professionnelle.

C’est pourquoi, si je ne suis pas favorable à cette proposition de loi, je n’en souhaite pas moins, comme l’a indiqué Colette Mélot, proposer au Premier ministre, en accord avec le ministre de la culture et de la communication, la publication d’un document qui synthétiserait l’ensemble des dispositions visant, dans l’état actuel du droit, la promotion et l’enseignement des langues régionales. Ce serait à mon sens la meilleure manière de faire connaître l’action de l’État, une action insuffisamment connue et reconnue. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Claude Biwer applaudit également.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, en vertu des conclusions de la conférence des présidents, ce débat doit s’arrêter à dix-neuf heures, c'est-à-dire dans une vingtaine de minutes. Il est clair que, dans ce délai, tous les orateurs inscrits ne pourront pas prendre la parole.

Je vous propose néanmoins d’entendre de toute façon les cinq premiers d’entre eux, de façon qu’un représentant de chaque groupe puisse s’exprimer ce soir ; ainsi, aucun groupe ne pourra se sentir lésé. (Assentiment.)

Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes tous ici attachés à notre patrimoine. En témoignent les débats que nous avons eus récemment, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi relative au patrimoine monumental déposée par ma collègue de l’Union centriste Françoise Férat.

Patrimoine matériel et immatériel, tout ce qui est constitutif de notre culture doit être préservé. Nos langues régionales et nos particularismes régionaux, qui s’expriment aussi bien dans la musique que dans les arts plastiques ou encore la littérature, sont la preuve vivante de la diversité sur laquelle s’est construite notre culture. Même si, aujourd’hui, tous les Français ne parlent pas un patois, il reste tous ces accents et phrasés qui font que, de Rennes à Montpellier, on parle la même langue, mais sans jamais la prononcer de la même façon !

En outre, les langues régionales vivent toujours au sein du français, qui s’est enrichi de certains de leurs vocables et dont nombre d’expressions portent les traces de cet héritage. Comme l’écrivait Émile Littré, « tous les siècles font entrer dans la désuétude et dans l’oubli un certain nombre de mots ; tous les siècles font entrer un certain nombre de mots dans l’habitude et l’usage ».

Chaque langue régionale apporte ainsi, tout autant que l’histoire locale, une connaissance culturelle qui doit être entretenue et transmise. À ce titre, nous partageons les motivations qui ont inspiré notre collègue Navarro, auteur de la proposition de loi. Nous le remercions d’ailleurs d’avoir suscité ce débat.

Mme Catherine Morin-Desailly. Toutefois, nous nous interrogeons sur les préconisations qu’il formule à travers sa proposition de loi pour atteindre ses objectifs. En effet, celles-ci posent des questions d’ordre technique, financier et juridique.

Le constat de notre collègue est que le cadre législatif relatif aux langues et cultures régionales est inapproprié, de sorte que, selon l’exposé des motifs, « ne rien faire reviendrait à précipiter leur disparition ou, tout du moins, leur effacement ».

M. Claude Bérit-Débat. C’est vrai !

Mme Catherine Morin-Desailly. Ce constat me semble pour le moins excessif. De fait, au vu de l’ensemble des initiatives relevant des ministères de l’éducation nationale et de la culture et de la communication – l’état des lieux a déjà été fait –, il apparaît que de nombreuses actions sont menées.

Une mission d’enseignement est déjà assumée par l’État, comme l’a souligné notre collègue Colette Mélot, que je voudrais d'ailleurs féliciter pour le caractère très approfondi de son rapport. Ce sont ainsi près de 200 000 élèves qui suivent aujourd'hui un enseignement de langue régionale. L’offre actuelle semble répondre à la demande des parents. Moi qui ai enseigné l’anglais pendant vingt ans – mais peut-être n’est-ce pas un bon exemple, puisqu’il s’agit de la langue dominante –…

M. Claude Bérit-Débat. Et une langue étrangère !

Mme Catherine Morin-Desailly. … je n’ai jamais entendu de plainte au sujet d’un quelconque déficit d’enseignement du cauchois dans ma région ; et Dieu sait si, en ma qualité de linguiste, j’y aurais été attentive ! Il est vrai que cette langue est sans doute moins vivace que certaines de ses homologues ; je pense notamment au breton, parlé dans la région de mon collègue Joseph Kergueris.

Les médias, notamment audiovisuels, ont été évoqués. Ils constituent en effet un autre vecteur de transmission de ce patrimoine. Pour avoir été rapporteur de la loi de 2009 sur l’audiovisuel public, je ne peux que m’étonner des propositions énoncées par les articles 19 à 32. De fait, non seulement les auteurs de la proposition de loi semblent méconnaître les obligations déjà faites aux médias audiovisuels, mais ils formulent en outre des propositions difficilement applicables, en raison du flou juridique entourant les termes utilisés.

Je rappelle donc que la mission de production et de diffusion d’émissions en langues régionales est inscrite tant dans la loi que dans le contrat d’objectifs et de moyens, sur lequel nous émettrons d’ailleurs prochainement un avis. Peut-être cette mission est-elle insuffisamment remplie : à titre personnel, j’ai longtemps regretté que France 3 n’affirme pas assez sa vocation régionale. Il nous appartient de remédier à ces insuffisances en étant particulièrement exigeants dans la formulation de notre avis. La montée en puissance du global media nous fournit d'ailleurs une occasion idéale de souligner que des services et émissions en langues régionales pourraient être proposés.

J’en viens à la proposition de répartition non pas de la « redevance », monsieur Navarro, puisque son nom a été modifié en 2009, mais de la contribution à l’audiovisuel public, ou CAP.

Cette proposition me semble étrange en ce qu’elle méconnaît les règles budgétaires, comme cela a été rappelé tout à l'heure. En outre, il est paradoxal que ses signataires, qui s’étaient opposés à l’extension de l’assiette de la CAP que j’avais défendue lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, proposent maintenant de renforcer cette CAP ! Cela n’est pas vraiment logique… Malgré tout, j’ai eu le plaisir de constater que ma proposition figurait dans le programme du parti socialiste ! (Sourires.)

Élus de proximité, nous nous interrogeons aussi sur l’incidence qu’aurait ce texte pour les collectivités territoriales : celles-ci ont indéniablement un rôle à jouer, mais dans quelle mesure ? Une loi trop généraliste ne serait-elle pas difficile à appliquer, étant donné la diversité des langues régionales ? Qu’en disent les associations d’élus, du reste ? Quels outils communs pourraient permettre à la fois la transmission du créole et celle du normand ?

Si, comme l’affirme l’exposé des motifs, « la reconnaissance des langues et cultures régionales est un prolongement logique de la décentralisation », laissons donc aux collectivités territoriales le soin de mettre en œuvre leurs propres plans d’action, en fonction des demandes exprimées sur leur territoire et des spécificités de celui-ci. N’oublions pas qu’elles en ont déjà légalement la possibilité.

Certaines s’en sont d’ailleurs déjà saisies : un Office public de la langue basque a ainsi été créé en 2004 par la volonté conjuguée de tous les acteurs, et il assure désormais, avec une remarquable efficacité, la promotion de l’euskara ; en Haute-Normandie, ce sont plutôt de petites associations qui font vivre la langue régionale, les autorités régionales ne s’impliquant guère, ce que je regrette.

Au vu de tous ces éléments, nous pensons que, si une nouvelle loi est peut-être nécessaire, celle-ci doit reposer sur des propositions réalistes. Une circulaire clarifiant le droit en vigueur pourrait être tout aussi opportune. Je sais, monsieur le ministre, que vous y travaillez avec le ministère de la culture et de la communication ; nous serions heureux que vous puissiez nous donner des indications plus précises à ce sujet.

Selon Victor Hugo, la langue française, quand elle s’est construite, « commençait à être choisie par les peuples comme intermédiaire entre l’excès de consonnes du nord et l’excès de voyelles du midi ». Si l’on peut regretter que l’utilisation exclusive du français dans les actes officiels se soit faite au détriment de certains patois, pour autant nous ne pouvons pas remettre en cause cette unicité.

Bon nombre d’obligations pour l’État et les collectivités territoriales sont créées par des dispositions de cette proposition de loi qui risquent d’être invalidées par le Conseil constitutionnel : celui-ci a en effet confirmé le 20 mai que, si les langues régionales appartiennent bien au patrimoine de la France, elles ne confèrent aucun droit. Or notre collègue Robert Navarro nous propose au contraire de reconnaître des droits spécifiques à certains citoyens, sur des territoires déterminés.

Fort heureusement, le principe de liberté d’expression ne s’oppose nullement à la possibilité dans notre pays de s’exprimer en langue régionale. Mais tirer partie d’une possibilité n’est pas exercer un droit !

Enfin, je ne veux pas jouer les rabat-joie, mais, connaissant la situation financière de notre pays et au vu des coûts que pourrait induire cette réforme, à tous les échelons, je m’interroge sur la manière dont pourraient être financées de telles dépenses.

Une approche pragmatique des coûts induits a-t-elle été faite par les auteurs de la proposition de loi ? Je sais ce que cette question a de vulgaire s’agissant de culture, mais, à l’heure où il est établi que 3,1 millions de Français souffrent d’illettrisme, avant de rendre obligatoires les langues régionales pour tous dans leur région, ne faut-il pas plutôt que le budget de l’État soit prioritairement consacré à remédier à cette situation catastrophique et militer pour un renforcement des moyens consacrés à l’enseignement de notre langue ?

Mme Catherine Morin-Desailly. En fait, il y a dans ce texte une confusion entre l’enseignement des langues fondamentales et des langues régionales : les premières sont utilisées dans le milieu professionnel et économique, les secondes correspondent à une approche linguistique et culturelle.

Je ne remets pas en cause l’intérêt que représente le multilinguisme, surtout dès le plus jeune âge, mais reconnaissons qu’à l’heure actuelle il est sans doute plus utile pour un jeune de parler espagnol, anglais, allemand ou chinois qu’un patois qu’il ne pourra utiliser que très localement. (Marques d’approbation sur plusieurs travées de l’UMP et du RDSE, ainsi qu’au banc de la commission.)

M. Robert Navarro. Pas sûr !

Mme Catherine Morin-Desailly. L’objectif de l’enseignement des langues vivantes, inscrit dans une perspective européenne, est que chaque élève, à la fin du lycée, soit capable de communiquer dans au moins deux langues vivantes. Cela ne lui interdit pas d’apprendre aussi sa langue régionale, mais l’urgence est plutôt de renforcer les moyens dédiés à l’apprentissage des langues étrangères.

Pour toutes ces raisons – et, monsieur Navarro, il s’agit de raisons pragmatiques, et non pas partisanes –, les membres de l’Union centriste sont, dans leur grande majorité, dubitatifs devant ce texte et réservés quant à ses effets ; ils partagent les ambitions affichées, mais souhaiteraient des solutions adaptées.

Reconnaissant que ce débat est utile et important, ils remercient l’auteur de la proposition de loi ainsi que le président de la commission de la culture, Jacques Legendre, qui, malgré l’article 40 de la Constitution, a permis que nous en discutions.

Nous espérons que le débat continuera de vivre au sein du comité stratégique des langues ; nous serons, bien entendu, très attentifs aux propositions que celui-ci formulera.

Je conclurai en citant Walther von Wartburg : « Comme moyen d’expression individuelle la langue française est peut-être inférieure à d’autres langues. Mais la langue a une autre fonction : elle sert de lien entre les différents membres de la société ; elle met en rapport les différents individus du même groupe linguistique. Envisagé de ce point de vue, le français, grâce à sa clarté, est supérieur à toutes les autres langues. Ce n’est pas en vain que trois siècles y ont travaillé avec une ardeur incomparable. »

Soyons donc, mes chers collègues, tout en respectant les langues régionales, les ardents défenseurs d’une francophonie vivante parfois trop menacée. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi qu’au banc de la commission. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

M. Claude Bérit-Débat. Mais sans parler la langue de bois !

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le ministre, vous nous avez donné l’avis du Gouvernement. Cependant, permettez-moi de dire que, lors d’une très récente visite dans ma ville de Quimper – le 10 juin dernier, précisément –, M. le ministre de la culture, interrogé sur sa position concernant les langues régionales, a annoncé qu’il n’y était pas opposé et qu’il soutiendrait un texte à l’Assemblée nationale. Mais c’est ici, avec vous, monsieur le ministre de l’éducation nationale, que nous commençons à débattre – je dis « commençons » puisque nous ne pas pourrons aller jusqu’au bout du débat aujourd'hui – de l’avenir de ces langues et de ces cultures.

Il est plus que temps, mes chers collègues, car elles sont en danger de mort !

Dès 1991, Joshua Fishman, éminent linguiste américain, expliquait que, pour sauver une langue menacée, il fallait que la transmission de celle-ci soit assurée sur trois générations. Cette condition n’est plus remplie en Bretagne, non plus d’ailleurs que dans les autres régions, depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Le nombre de brittophones est aujourd’hui bien modeste, avec 206 000 locuteurs…

À ce propos, monsieur le ministre, pourquoi ne pas insérer une question sur la pratique des langues régionales dans le questionnaire de l’INSEE, ce qui nous permettrait d’avoir une connaissance exacte de la situation des différentes langues régionales et du nombre de leurs locuteurs ?

Mme le rapporteur a évoqué la vigueur avec laquelle certaines collectivités menaient des actions en faveur de leur langue régionale. Je crois les collectivités territoriales effectivement très soucieuses de lutter contre la disparition de ce patrimoine immatériel qu’est la langue. Elles se sont organisées et structurées, souvent en collaboration avec l’éducation nationale et des associations, pour développer l’enseignement des langues régionales sur leur territoire. Toutefois, monsieur le ministre, elles restent trop souvent soumises à l’arbitraire des recteurs.

À titre d’exemple, deux collectivités, que je connais fort bien, la région Bretagne et le département du Finistère, ont orienté leur politique autour de deux axes forts.

Premièrement, elles développent l’enseignement et encouragent la sensibilisation pour pallier l’absence de transmission familiale.

Dans le primaire et le secondaire, elles soutiennent et financent l’enseignement grâce à des partenariats avec les communes et l’éducation nationale, ainsi que par l’intermédiaire d’un établissement public de coopération culturelle, l’Office public de la langue bretonne, qui regroupe la région, le rectorat, la DRAC et cinq départements. Actuellement, ce sont 26 000 élèves qui, de la maternelle au baccalauréat, sont concernés !

Dans le supérieur, l’engagement de ces collectivités passe par l’attribution de bourses à la formation des formateurs.

En outre, elles adhèrent à un réseau européen de promotion de la diversité culturelle.

Deuxièmement, comme l’a dit Mme Morin-Desailly, il faut que la langue puisse être parlée au quotidien.

L’usage de la langue régionale dans les pratiques sociales est particulièrement important pour les personnes âgées. On constate en effet dans les EPHAD que, très souvent, celles-ci reviennent à la langue de leur jeunesse. Pour maintenir ce lien social dont parlait ma collègue, lien qui leur permettra de garder pied dans la réalité, il faut pouvoir échanger avec elles.

Il importe également de promouvoir l’usage de la langue dans le domaine économique – chacun de vous, mes chers collègues, connaît sans doute la marque Produits en Bretagne, qui promeut également la langue – et, bien sûr, dans le domaine culturel, dans le spectacle vivant comme dans les métiers d’art – je pense, par exemple, aux brodeurs bretons, extrêmement doués et compétents –, mais aussi dans les nouvelles technologies et les supports multimédias.

Sur ce dernier point, un livret et un CD informatifs, intitulés Le bilinguisme pour les petits, un grand outil pour la vie, constituent un outil tout à fait remarquable pour sensibiliser parents et professionnels à l’intérêt de l’apprentissage de plusieurs langues. Vous le disiez, monsieur le ministre, ne pas parler deux langues est un handicap dans la vie !

La disparition annoncée des langues régionales interpelle de grands médias internationaux. CNN et Al-Jazira ont ainsi réalisé des reportages, à Quimper et à Lorient, sur la baisse du nombre de locuteurs, mais aussi sur l’essor des écoles bilingues, qui obtiennent d’excellents résultats au bac, passé en français, je le rappelle.

À vous entendre, monsieur le ministre, tout va très bien, et vous avez énuméré les actions de l’État. Mais la réalité dans les territoires est tout autre, et c’est encore plus vrai en cette période de disette financière et de RGPP. Tous les dispositifs que vous avez mentionnés relèvent des soins palliatifs et ne peuvent que stopper la marche vers la disparition des langues régionales de notre République !

Il est vital que ces langues régionales aient un statut juridique et obtiennent une reconnaissance de l’État leur garantissant dignité et protection, comme les autres formes de patrimoine. On a bien vu, en effet, à la suite de l’interprétation qu’en a donné le Conseil constitutionnel le 20 mai dernier, que l’article 75-1 de la Constitution n’avait qu’un effet décoratif et qu’il était complètement dépourvu de portée normative.

Il semble bien que le patrimoine bâti soit mieux protégé que le patrimoine linguistique, vieux de quinze siècles pour le breton, dont les premiers écrits, bien antérieurs aux premiers écrits en français, remontent au VIIIe siècle.

Patrimoine encore vivant…mais pour combien de temps, mes chers collègues ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Mousou lo president, mousou lo ministre, madama la reportaïra, cars collegas, me fa plaser de parlar la lengua de mon enfança mas coma gairé ben digus compren vau fau la redirado sul pic.

Rassurez-vous, je m’en tiendrai là pour l’occitan !

M. Philippe Dallier. Nous aimons autant, en effet ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Plancade. Voici, en français maintenant, ce que je viens de dire : « Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, cela me fait plaisir de parler la langue de mon enfance mais, comme personne ne comprend, je vais vous traduire tout de suite ce que j’ai dit. »

Et pourtant, si cette proposition de loi était adoptée, c’est tout mon discours que j’aurais pu faire en occitan !

Depuis plus de vingt ans, je soutiens dans ma ville et mon département l’apprentissage de cette langue qui a nourri ma prime jeunesse.

Je tiens évidemment à réaffirmer ici la nécessité absolue, soulignée par tous, de l’enseignement des langues régionales, qui font partie de notre patrimoine culturel.

Cependant, il faut être extrêmement vigilant quant à la motivation de chacun et aux risques que peut faire peser la volonté excessive de rendre l’enseignement d’une langue régionale obligatoire.

Nous avons conscience que notre jeunesse ne doit pas nier ses origines culturelles et doit même en tirer de la force, mais cela ne doit et ne peut pas se faire au détriment de son insertion dans le monde d’aujourd’hui comme dans le monde de demain.

L’enseignement d’une langue régionale ne doit pas non plus se faire au détriment du français, comme l’a dit Catherine Morin-Desailly, car, je le rappelle, près d’un tiers des élèves entrant au collège ne maîtrisent pas la langue française. À l’issue de la période de scolarité obligatoire, 5 % des jeunes sont illettrés, 10 % ont de réelles difficultés et ne maîtrisent pas la langue écrite.

Mes chers collègues, le républicain que je suis accorde la priorité à ce combat-là, sans, bien sûr, négliger celui des langues régionales.

Le deuxième écueil à éviter est la perte du sens.

Aujourd’hui, nous vivons dans un monde d’extrême incertitude, d’extrême insécurité, et je comprends parfaitement que, dans ce désordre mondial, chacun ait besoin de retrouver ses racines parce que cela donne l’impression d’être plus en sécurité. Mais prenons garde à ce que ce repli sur soi ne se transforme pas en une sorte de communautarisme ! Cela pourrait être en quelque sorte se confondre avec un repli sécuritaire, avec la fausse idée que le retour à la terre, le retour à ses origines, par une espèce de patriotisme de terroir, préserverait d’un avenir qu’on ne maîtrise pas.

Si la volonté de retrouver ses origines est légitime, parfois salvatrice, elle est potentiellement dangereuse, destructrice, elle peut conduire à l’isolement.

Je prendrai l’exemple de ma ville de Toulouse, qui voit chaque année, et ce depuis quinze ans, arriver 10 000 habitants supplémentaires. Ils viennent de toutes les régions de France, de Bretagne, d’Alsace, de Corse, de Catalogne, mais aussi de Grande-Bretagne, d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne, car nous avons sur notre territoire des entreprises internationales. Et qu’est-ce qui nous permet de communiquer avec toutes ces personnes, sinon avec le français ? Il est notre point de repère commun !

M. Robert Navarro. Nous sommes tous d’accord !

M. Jean-Pierre Plancade. En fin de compte, la langue est le véhicule de la paix entre les hommes : pour rester ouvert à l’autre, il faut que je parle la langue de l’autre, et que l’autre parle ma langue. Et si l’autre peut parler ma langue, c’est qu’il l’a apprise.

Je voudrais rappeler aussi que le changement est la loi de la vie et qu’aucune loi ne peut arrêter ce perpétuel mouvement qu’est la vie. Il est parfaitement humain, je le dis encore, de vouloir conserver ses racines, mais cela ne peut pas se faire au détriment de son insertion dans l’évolution du monde. Il faut veiller à ne pas se laisser prendre par une forme de conservatisme nostalgique qui pourrait nous conduire à une régression de la République ! Je veux que nos enfants soient capables de vivre dans le monde de demain et je souhaite que la jeunesse de demain soit une jeunesse mondialisée. Jeunes, nous avons appris l’anglais ; demain, la jeunesse devra apprendre le chinois et l’arabe pour communiquer et pour favoriser la paix.

Mme Gélita Hoarau. Là, ce n’est pas une question d’identité !

M. Jean-Pierre Plancade. Mes chers collègues, monsieur le ministre, le groupe du RDSE est très partagé sur cette proposition de loi. À titre d’illustration, je vais vous citer un exemple significatif. Le paradoxe, qui est à l’image de ce qui se passe dans notre pays, c’est que notre ami Jean-Michel Baylet, qui ne parle pas un mot d’occitan,…

Mme Maryvonne Blondin. Moi non plus !

M. Jean-Pierre Plancade. …va voter pour ce texte, à l’égard duquel je suis, moi qui parle l’occitan, extrêmement réservé. Mais c’est, au fond, ce qui se passe dans la vie moderne !

Pour conclure, je dirai à mon ami Jean-Michel : Quora parlaras la lengua nostra ? Autrement dit, en français : « Jean-Michel, quand parleras-tu notre langue ? »

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, je voudrais tout d’abord m’adresser à nos collègues d’outre-mer pour leur dire que je comprends leur frustration de ne pouvoir s’exprimer au cours de ce débat après avoir parcouru des milliers de kilomètres pour venir ici !

M. Gérard Le Cam. Monsieur le ministre, mes chers collègues, les positions passionnées qui s’expriment ont une explication historique : le français a été imposé comme langue de la République par la force, et ce au détriment des langues régionales.

Partout, la pratique de ces dernières connaît un déclin très important malgré l’émergence de politiques linguistiques dans certaines collectivités territoriales.

Le conseil régional de Bretagne, par exemple, a officiellement reconnu, à côté du français, le breton et le gallo comme langues de la Bretagne historique. Il a assorti cette reconnaissance d’un plan volontariste tendant à leur sauvegarde, leur transmission et leur développement.

Traces vivantes de l’histoire, les langues régionales sont d’immenses sources de richesses.

Cette défense des langues régionales n’entre pas en concurrence avec la langue de la République qu’est le français, mais il faut plutôt y voir une complémentarité.

Leurs usages et leurs pratiques peuvent parfaitement s’inscrire dans une dynamique qui ne remet pas en cause les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français.

Favoriser l’essor des langues régionales doit être l’une des grandes batailles à mener aujourd’hui compte tenu de l’hégémonie grandissante de l’anglais et de la menace d’uniformisation culturelle mondiale qu’il fait peser.

Cela n’est pas sans lien avec le sujet qui nous occupe, car, à l’heure de la mondialisation et de l’uniformisation à marche forcée, le repli identitaire et la résurgence des mouvements nationalistes, indépendantistes, semblent s’instaurer comme autant de réponses à la dilution des repères culturels nationaux.

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. C’est un risque !

M. Gérard Le Cam. Le pacifisme des actions revendicatives doit absolument prévaloir si nous voulons progresser ensemble.

La question centrale qui est posée consiste à savoir comment accorder une reconnaissance à ces langues dans le respect de l’unité républicaine.

La majorité des sénateurs du groupe CRC-SPG craint que certains aspects de cette proposition de loi n’aillent trop loin.

En créant une véritable obligation de service public en langue régionale dans des domaines aussi larges que l’enseignement, l’audiovisuel ou encore la presse écrite, on pose, tout d’abord, la question de l’engagement de l’argent public et celle de la libre administration des collectivités locales.

À notre avis, l’État ne s’engage pas suffisamment sur le plan financier en faveur des langues régionales. Pis, la RGPP pèse lourdement sur l’enseignement bilingue en laissant une lourde responsabilité aux régions et autres collectivités locales concernées.

Notre groupe appelle à la prudence sur cette question délicate. C’est la raison pour laquelle la majorité des sénateurs de mon groupe souhaite s’abstenir sur ce texte. Néanmoins, à titre personnel, je voterai la proposition de loi pour donner un signal fort au Gouvernement sur l’urgence qu’il y a à régler ces questions.

Une langue régionale est à la fois un instrument d’échange et un patrimoine culturel au sens large du terme. Aujourd’hui, l’une des plus grandes difficultés pour les locuteurs est son utilisation au quotidien et son partage intergénérationnel.

Le volet patrimonial et culturel semble plus aisé à conserver, à développer, à valoriser, pour peu que les pouvoirs publics, les collectivités, les enseignants, les artistes, aient la volonté d’œuvrer ensemble.

L’enjeu des langues régionales est bien de les revitaliser et de promouvoir leur usage. Gardons des racines : c’est essentiel pour vivre ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.

M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une langue est le cœur d’une culture et, souvent, le pilier d’un État. Il est donc légitime d’être attentifs à la politique linguistique, qui est bien loin d’être un sujet de préoccupation secondaire.

Après le vote de la proposition de loi déposée par M. Courteau pour régler des problèmes de signalétique en langues régionales, nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner un texte beaucoup plus ambitieux. Un débat riche et passionné s’est déjà amorcé au sein de la commission de la culture et de l’éducation sur cette proposition de loi. L’importance du sujet nous conduit naturellement à prolonger la discussion en séance publique, même si l’on me permettra de regretter que le groupe socialiste, qui disposait de quatre heures, ait prévu de faire examiner aujourd’hui deux textes dont l’un, celui-ci, comporte 58 articles. Comment aurions-nous pu, mes chers collègues, traiter sérieusement aujourd’hui d’un texte d’une telle longueur ?

C’est pourquoi je n’ai pas souhaité, en tant que président de la commission de la culture, faire une stricte application de l’article 40 de la Constitution, qui aurait conduit à déclarer irrecevable une bonne partie du texte. De même, en accord avec le rapporteur, je n’ai pas souhaité, malgré les risques d’inconstitutionnalité, que la commission dépose une motion d’exception d’irrecevabilité.

La commission n’a pas élaboré de texte, afin que ce soit le texte même déposé par les auteurs de la proposition de loi qui soit discuté en séance publique.

Je crois avoir ainsi démontré ma volonté de faire en sorte que le débat ne soit pas tronqué et dure tout le temps réservé par le groupe qui l’a suggéré. Je regrette simplement que ce temps soit trop restreint.

Au moment d’aborder la question des langues régionales, il faut avant tout se garder de les opposer brutalement à la défense du français. Les langues régionales ne menacent pas l’existence du français, lequel n’a réciproquement pas vocation à étouffer l’expression des langues régionales. Ce serait un appauvrissement très regrettable de notre patrimoine commun. Il ne faut donc pas dresser le français contre les langues régionales ou l’inverse !

L’enjeu est bien plutôt de trouver un équilibre entre notre langue commune, la langue de la République, la seule dont l’usage soit obligatoire, et des langues qui, implantées dans nos territoires, forment une part importante de notre patrimoine immatériel.

C’est fort de cette conviction qu’en 1994, déjà, je rapportais la loi Toubon en dialoguant avec les défenseurs des langues régionales, notamment avec notre ancien collègue Henri Goetschy, qui fut sénateur du Haut-Rhin. Comme lui, je pense que la défense de notre propre langue passe par le respect de celle des autres, de toutes les autres.

Je tiens à rappeler que le dispositif de protection du français inscrit dans la loi Toubon n’était aucunement dirigé contre les langues régionales et ne s’oppose absolument pas à leur usage.

En tant que sénateur du Nord, j’éprouve d’ailleurs un attachement particulier pour le picard, une ancienne langue de culture, au moins jusqu’au XIIIe siècle. Je souhaite aussi que le flamand occidental, parlé dans l’arrondissement de Dunkerque, puisse être pleinement reconnu par l’éducation nationale. Encore un effort, monsieur le ministre ! (Sourires.)

Mon attention aux langues régionales découle naturellement de mon engagement en faveur du plurilinguisme. Je partage la pensée de Claude Hagège, qui, de sa chaire au collège de France, sait veiller aussi bien sur la diversité culturelle et linguistique que sur le statut de langue internationale du français.

Chacun sait que je suis un fervent défenseur de la langue française et de son rayonnement international. Aujourd’hui, la vraie menace pour le français, ce ne sont pas les langues régionales ! La menace, il faut la chercher dans la tendance au bilinguisme anglophone qui se développe dans notre pays même, au cœur des universités et des grandes écoles qui forment nos élites. Il faut y faire très attention, monsieur le ministre ! C’est contre cela que nous devons agir !

À partir de cette analyse, je crois que nous pouvons nous accorder pour permettre à tous ceux qui le souhaitent, sans obliger qui que ce soit, à apprendre et pratiquer une langue régionale. Les modalités pratiques peuvent être discutées, mais les contraintes budgétaires ne doivent pas servir de prétexte commode. (Applaudissements et marques d’approbation sur plusieurs travées du groupe socialiste.) La demande de nos compatriotes qui souhaitent faire vivre les langues régionales me paraît légitime.

Cela vaut pour ceux qui sont a priori les héritiers historiques des cultures régionales, mais pas seulement pour eux. Il faut aussi que ceux qui ont été séduits par la poésie de Bertrand de Born ou l’œuvre de Pierre-Jakez Hélias puissent s’approprier et pratiquer l’occitan ou le breton, s’ils le désirent.

M. Jacques Legendre. C’est ainsi qu’un dialogue fécond entre les cultures peut se nouer hors de toute passion identitaire.

J’aimerais citer un exemple particulièrement intéressant de ces échanges interculturels qui font vivre harmonieusement notre patrimoine dans sa diversité. Il s’agit d’un opéra contemporain intitulé l’Amour de loin. La partition a été composée par Mme Saariaho, Finlandaise travaillant à Paris, sur un livret en français d’Amin Maalouf, Libanais qui vient d’entrer à l’Académie française. Cette œuvre est inspirée par la vie de Jaufré Rudel, le célèbre troubadour du XIIe siècle : un véritable hommage et à la francophonie et à la littérature occitane !

En revanche, il ne faut pas nous cacher que perdurent encore de nos jours des conceptions communautaristes inquiétantes. Ce sont celles qui lient étroitement le sang, la terre et la langue, et qui pourraient, à travers la revendication d’une identité régionale fermée, remettre en cause l’unité nationale.

Je n’en doute pas, aucun des auteurs de la proposition de loi ni aucun membre de notre Sénat ne partage cette vision !

Mais ne nous y trompons pas, mes chers collègues : j’ai longtemps siégé à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, pourtant réputée pour être un temple de la démocratie, et il m’est arrivé d’y être confronté à des pensées de ce type, y compris dans ce qui peut tourner autour de la Charte européenne des langues régionales. Il faut voir là, chez certains, l’influence d’une conception germanique de la nationalité, héritée de Herder, de Fichte et du romantisme allemand. Nous devons impérativement résister à ce type de vision du monde, totalement contraire à l’esprit des Lumières et à notre tradition républicaine. L’histoire nous a appris combien elle pouvait être dangereuse.

C’est pourquoi il faut surtout nous garder d’instaurer une obligation de bilinguisme français-langue régionale qui nous entraînerait sur une pente glissante. Aucune obligation d’apprendre telle ou telle langue dans telle ou telle région ne peut être acceptée. Je me méfie des revendications identitaires qui valorisent exclusivement l’enracinement dans une terre. Souvenons-nous de l’interpellation de Gide : « Né à Paris, d’un père uzétien et d’une mère normande, où voulez-vous, monsieur Barrès, que je m’enracine ? »

Je crois qu’il faut garder cela présent à l’esprit pour pouvoir discuter sereinement et lucidement de notre patrimoine immatériel commun et de la meilleure façon de le préserver.

Le texte dont nous débattons aujourd’hui est très long et, qu’il me soit permis de le dire, touffu. Il ne peut pas être adopté en l’état. Je souhaite, monsieur le ministre, que l’État en reprenne ce qui est réalisable, éventuellement par la voie réglementaire. J’ai entendu votre proposition, qui me paraît en effet intéressante et importante : il faut que nous soyons en mesure de présenter l’ensemble des droits et possibilités offerts aux langues régionales pour que celles et ceux qui le souhaitent, y compris les collectivités locales, puissent, s’ils en décident, s’en saisir avec le concours et l’aide de l’État.

Je sais que la proposition que vous avez déposée, monsieur Navarro, recoupe largement les réflexions de certains membres des groupes de la majorité, notamment de l’UMP. Ce n’est pas Mme Bruguière ou M. Alduy qui me démentiraient ! Je crois que sur l’ensemble des travées, nous devons témoigner de notre attachement au patrimoine immatériel de la France que constituent conjointement ses langues régionales et sa langue nationale. (Applaudissements.)

M. le président. Ainsi que je l’ai annoncé, nous sommes contraints d’arrêter là cette discussion.

Je tiens à dire à nos collègues d’outre-mer qui sont venus de leurs lointains territoires pour intervenir dans ce débat combien je suis désolé qu’ils en soient empêchés pour des questions d’horaire, mais il nous faut vraiment, maintenant, passer au point suivant de notre ordre du jour.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative au développement des langues et cultures régionales
 

10

décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du jeudi 30 juin 2011, trois décisions du Conseil sur des questions prioritaires de constitutionnalité (n° 2011-142/145, 2011-143 et 2011-144 QPC).

Acte est donné de cette communication.

11

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le jeudi 30 juin 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel quatre décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-167, 2011-168, 2011-169 et 2011-170 QPC).

Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

12

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique
Discussion générale (suite)

Interdiction de l'exploration et de l'exploitation des mines d'hydrocarbures par fracturation hydraulique

Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixte paritaire

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique (texte de la commission n° 641, rapport n° 640).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Houel, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vais vous présenter les conclusions de la commission mixte paritaire qui s’est réunie au Sénat le 15 juin dernier afin d’établir un texte commun aux deux assemblées sur la proposition de loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique.

Je vous rappelle tout d’abord qu’une proposition de loi déposée par M. Christian Jacob, député, a servi de support aux discussions et aux amendements, mais que quatre autres propositions de loi, déposées au Sénat comme à l’Assemblée nationale, par la majorité comme par l’opposition, ont également nourri nos débats.

Après une lecture dans chaque assemblée, la commission mixte paritaire, saisie dans le cadre d’une procédure accélérée, a trouvé un accord qui constitue, me semble-t-il, le meilleur des compromis. Le texte qu’elle a élaboré et qui est soumis aujourd’hui à votre approbation a déjà été adopté par nos collègues députés le mardi 21 juin.

L’article 1er prévoit l’interdiction sur le territoire national de l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche. Il s’agit de mettre fin à une technique dont nous mesurons encore mal les conséquences environnementales.

Le Sénat avait souhaité qu’il puisse être dérogé à cette interdiction générale pour des projets scientifiques d’expérimentation sous contrôle public, qui auraient permis de mieux connaître l’état du sous-sol et de mettre au point, le cas échéant, des techniques d’exploitation plus respectueuses de l’environnement.

La commission mixte paritaire a retenu la notion d’expérimentation, mais a exclu toute dérogation à l’interdiction générale posée par l’article 1er. Une expérimentation avec fracturation hydraulique ne pourra donc pas être menée si ce texte est adopté et promulgué.

L’article 1er bis a été introduit par le Sénat sur la proposition de notre collègue Claude Biwer, que je salue. Il institue une Commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux.

Cette instance, qui réunit les cinq parties du Grenelle de l’environnement, sera un lieu d’approfondissement des connaissances et d’échanges entre toutes les parties concernées. La commission mixte paritaire en a complété la composition en prévoyant la présence d’un député et d’un sénateur, afin de garantir également l’information du Parlement.

Cette commission nationale ne proposera pas, contrairement à ce que le Sénat avait souhaité, des projets scientifiques d’expérimentation, mais elle émettra un avis sur les conditions de mise en œuvre des expérimentations qu’étudiera le rapport prévu par l’article 4.

L’article 2 ne fait pas partie du texte soumis aujourd’hui à notre vote puisque le Sénat l’a adopté sans modification en première lecture. Je rappelle pour mémoire qu’il prévoit l’abrogation des permis de recherches lorsque le titulaire n’est pas en mesure de justifier, dans les deux mois, qu’il n’aura pas recours à la technique de fracturation hydraulique.

De même, le Sénat a confirmé en première lecture la suppression par l’Assemblée nationale de l’article 3. Il faudra toutefois revenir le plus rapidement possible sur la question de la réforme du droit minier, à l’occasion de la ratification de l’ordonnance qui réécrit le code minier.

Enfin l’article 4, introduit par l’Assemblée nationale et modifié par le Sénat, a été adapté par la commission mixte paritaire afin de tirer les conséquences de la modification faite par celle-ci à l’article 1er.

Le rapport prévu par l’article 4 portera donc de manière générale sur les techniques d’exploration et d’exploitation et la connaissance du sous-sol, sur les conditions de mise en œuvre d’expérimentations réalisées à seules fins de recherche scientifique sous contrôle public, sur les travaux de la commission prévue par l’article 1er bis et, enfin, sur le cadre législatif et réglementaire. Il ne permettra pas de mener d’ores et déjà des expérimentations avec fracturation hydraulique : l’interdiction posée par l’article 1er est très claire à ce sujet.

En conséquence, ce texte ne retient que très partiellement l’apport du Sénat, mais il reste centré sur ce qui en constitue la disposition principale : la France interdit l’emploi de la technique de fracturation hydraulique.

Il s’agit d’une position forte et originale sur le plan international. Si certains pays prévoient un moratoire d’une durée limitée, en attendant une amélioration des connaissances scientifiques, d’autres nations voient dans les gaz de schiste une solution alternative au charbon ou aux importations de gaz, une réduction de la dépendance énergétique ou une énergie de transition.

Mais les incertitudes sont nombreuses. Les études se multiplient. Un rapport du MIT, le Massachusetts Institute of Technology, publié il y a peu, voit dans le gaz naturel, notamment le gaz de schiste, la seule solution de rechange au charbon. À l’inverse, une très vaste enquête publiée dimanche dernier par le New York Times rapporte les doutes d’acteurs de la filière sur la rentabilité effective de l’exploitation du gaz de schiste.

Mes chers collègues, l’avenir nous dira si la France a été pionnière en s’engageant de manière résolue, à l’occasion d’un texte de loi adopté définitivement trois mois à peine après son dépôt, sur la voie de l’interdiction de fait de l’exploration et de l’exploitation des gaz et huiles de schiste.

Ce choix ne peut être considéré isolément : renoncer à une source d’énergie, c’est nécessairement en privilégier d’autres, qui la remplaceront, ou s’engager résolument sur la voie des économies d’énergie. Les débats sur les hydrocarbures non conventionnels tout comme l’accident de Fukushima nous obligent à réfléchir à notre bouquet énergétique. Or aucune source d’énergie ne s’impose comme la meilleure sans débat : certaines émettent trop de gaz à effet de serre, d’autres sont intermittentes ou trop chères, ou encore elles accroissent notre dépendance énergétique.

Nous devons donc, n’en doutons pas, mes chers collègues, faire des choix. Mon souhait est que ceux-ci soient éclairés par la recherche scientifique plus que par les passions. Tel est le débat vers lequel devraient nous conduire l’examen et l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de l'économie, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous arrivons à la fin d’un véritable marathon législatif sur une question extrêmement sensible.

Les positions des uns et des autres se sont exprimées vivement, que ce soit au Parlement ou sur le terrain, avec une couverture médiatique importante.

La situation était d’ailleurs paradoxale. En effet, nous n’étions pas véritablement en terrain vierge, puisque des autorisations avaient été accordées, mais nous n’étions pas non plus en terrain connu, ce qui m’a fait dire que ces autorisations n’auraient pas dû être accordées avant les travaux que nous avons lancés.

Dès mon arrivée au ministère, j’ai appliqué le principe de précaution sur ce sujet en réclamant et en obtenant une suspension des forages, notamment ceux qui sont suivis de fracturation hydraulique de la roche.

Il m’est en effet très vite apparu que l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels était une activité industrielle qui pouvait présenter de multiples risques ou provoquer des nuisances, en matière de pollution des nappes souterraines et des sols, d’impact paysager, d’augmentation du trafic routier.

En première lecture, Michel Houel, dans le rapport qu’il a rédigé au nom de la commission, a souligné que « les risques que cette technique, utilisée massivement, pourrait faire peser sur l’environnement et, plus généralement, l’incertitude qui entoure ses conséquences s’opposent à son utilisation dans l’état actuel des connaissances ».

En effet, même si certaines technologies utilisées sont, de fait, relativement anciennes, leur utilisation intensive, de manière très dense sur certains territoires, semble extrêmement problématique au regard des expériences en la matière, notamment en Amérique du Nord.

La question s’est aussi révélée difficile, dès le début, en raison de ses enjeux économiques et énergétiques. Les conclusions de la mission conjointe du Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies, le CGIET, et du Conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD, comme la mission parlementaire à l’Assemblée nationale, conduite par les députés François-Michel Gonnot et Philippe Martin, ont mis en lumière les débats sur ces projets d’exploitation, susceptibles de modifier profondément et durablement notre production d’énergie et les marchés gaziers à l’échelle mondiale.

Je pose cependant une question qui me semble essentielle : à quoi servent les richesses, sinon à mieux vivre sur une planète dont le climat sera stabilisé, dans un environnement préservé et un climat social serein ?

À cet égard, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à évoquer devant vous l’espace Causses-Cévennes. Ma démarche tendant à interdire la fracturation hydraulique a été d’emblée très cohérente avec ma proposition d’inscrire cet espace magnifique au patrimoine mondial de l’humanité, et je me réjouis de la décision positive qu’a rendue l’UNESCO cette semaine. C’est une victoire pour notre pays, c’est une victoire pour un territoire.

Il s’agit d’un projet qui compte plusieurs d’entre vous parmi ses promoteurs. Il aura une forte incidence en termes de préservation de notre patrimoine mais également en matière touristique.

À l’évidence, cette proposition de loi a contribué à valider le projet de protection des Causses et des Cévennes.

Les débats qui ont eu lieu dans les deux assemblées ont parfois été passionnés. Plusieurs projets ont éclos ici ou là. J’en veux pour preuve le sujet lancé en première lecture par votre collègue Claude Biwer, qui a ouvert une réflexion sur l’expérimentation des forages à des fins scientifiques.

La solution de compromis entre l’Assemblée nationale et le Sénat trouvée par la commission mixte paritaire me semble de nature à rassurer chacune et chacun d’entre nous. Elle est aussi celle que je défends au nom du Gouvernement.

Elle prévoit que l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdits sur le territoire national.

Elle organise l’abrogation des permis de recherche des hydrocarbures non conventionnels en limitant les risques juridiques et financiers liés à une telle abrogation.

Elle maintient la remise d’un rapport annuel au Parlement par le Gouvernement sur l’évolution des techniques d’exploration et d’exploitation du sous-sol français.

Elle conserve la Commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux, introduite au Sénat, qui émettra un avis sur les conditions d’une éventuelle expérimentation aux seules fins de recherche scientifique de la fracturation hydraulique.

Je tiens à souligner que, avec cette solution de compromis, aucune expérimentation scientifique avec fracturation hydraulique ne sera possible sans une nouvelle loi, contrairement à ce que j’ai pu entendre dire ici ou là.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère que cette proposition de loi obtiendra l’assentiment du plus grand nombre dans cet hémicycle. Ce texte a quasiment valeur constitutionnelle puisqu’il entend mettre en œuvre le principe de précaution qui est désormais inscrit dans notre loi fondamentale. (Applaudissements sur les travées de lUMP ainsi qu’au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, après de longues heures de débat, au cours desquelles se sont exprimées des positions divergentes, non seulement entre les groupes politiques, comme madame le ministre vient de le rappeler, mais aussi entre les deux chambres du Parlement, nous nous prononçons aujourd’hui sur un compromis trouvé lors de la réunion de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures par fracturation hydraulique et à abroger les permis octroyés, mais aussi à permettre l’expérimentation, en liaison avec une commission scientifique qui doit être créée.

Nul doute qu’il faudra très prochainement revenir sur cette question en vue d’améliorer le texte que nous nous apprêtons à voter. En effet, comme tous les compromis, le texte issu de la CMP apporte son lot de déceptions, de satisfactions, mais également d’interrogations.

Pendant le débat, le groupe de l’Union centriste, dont je me fais le porte-parole, a appréhendé la question difficile des hydrocarbures non conventionnels avec le souci de trouver un juste équilibre entre, d’une part, l’opportunité économique et sociale que représente le potentiel d’hydrocarbures de roche-mère et, d’autre part, la protection de l’environnement, qu’il n’est évidemment pas question de sacrifier.

Je note d’ailleurs que la conciliation de ces deux objectifs est aux fondements du principe constitutionnel de développement durable.

Je ne reviens pas en détail sur ces deux aspects, puisque j’avais largement évoqué ces sujets en première lecture.

Je rappelle néanmoins que, selon le rapport des députés Gonnot et Martin, le potentiel d’hydrocarbures non conventionnels représenterait, s’agissant du gaz, une centaine d’années de consommation française. En ce qui concerne l’huile de schiste, nos deux collègues députés estiment que le Bassin parisien disposerait de réserves représentant l’équivalent de la moitié du champ pétrolifère de la mer du Nord.

À l’heure où la France dépend d’une consommation incompressible d’énergies fossiles, malgré les efforts faits pour diversifier notre mix énergétique, l’exploitation du potentiel d’hydrocarbures, qu’ils soient conventionnels ou non, répond à un double enjeu : en effet, outre l’indépendance énergétique, il ne faut pas négliger l’impact que pourrait avoir une telle exploitation sur l’équilibre de notre balance commerciale, l’importation d’hydrocarbures au prix fort ayant coûté 45 milliards d’euros l’année dernière. La France pourrait même, à terme, devenir exportatrice, comme les États-Unis.

J’aurais aimé pouvoir dire, lors du débat sur la loi de finances rectificative de la semaine dernière, alors que nous cherchions des moyens d’approcher l’équilibre de nos finances publiques, que l’exploitation des hydrocarbures était une réponse possible. La recherche et les études complémentaires que j’appelais de mes vœux dans ce domaine auraient peut-être eu leur place à cet égard. Permettre d’économiser quelques dizaines de milliards d’euros par an n’est quand même pas une incongruité dans la situation financière où se trouve actuellement la France !

Cela étant, la fracturation hydraulique utilisant entre 10 000 et 20 000 mètres cube d’eau par puits, il ne me semble pas incohérent de limiter cette pratique au profit de la recherche d’autres méthodes d’exploitation. Vous avez parlé à l’instant, madame la ministre, de l’interdire ; je dois dire que je n’avais pas vu les choses tout à fait comme cela.

Enfin, je crois que la protection contre les risques d’exploitation qu’impose le règlement général des industries extractives, tels que la pollution visuelle ou les problèmes d’étanchéité des puits, relève plus du décret que de la loi.

Fort de ces considérations, j’ai donc, à l’occasion de la première lecture, déposé et fait adopter par la commission de l’économie un amendement à l’article 1er tendant à concilier les deux préoccupations, économique et environnementale. Cet amendement, qui n’a pas survécu dans sa totalité à la CMP – il a été un peu « saucissonné » pour en minimiser l’importance –, prévoyait une exception à l’interdiction d’exploration et d’exploitation : pour les expérimentations scientifiques destinées à favoriser les techniques alternatives à la fracturation hydraulique. Ces techniques existent, n’en déplaise à ceux qui ont martelé le contraire en première lecture ; elles consistent en l’injection à forte pression de propane, ou encore en la création de microfissures par des arcs électriques.

La commission mixte paritaire a confirmé la création d’une commission nationale de suivi et d’évaluation chargée de veiller au bon déroulement de ces expérimentations, de manière que celles-ci soient menées en toute transparence.

En tant que parlementaire, je me réjouissais que le bilan de ces expérimentations puisse être joint au rapport annuel remis au Parlement par le Gouvernement. Cette position ouverte à la recherche, venant soutenir les initiatives innovantes au service de notre politique énergétique, tout en en encadrant le déploiement pour tenir compte de notre pacte environnemental, me semblait être une réponse adéquate au principe de précaution et au principe de développement durable, tout du moins en apparence.

J’ai constaté qu’un certain nombre de parlementaires n’ont pas appréhendé les deux piliers du principe de développement durable que sont le développement économique et social et la protection de l’environnement de la même manière que moi.

Je n’émettrai pas d’hypothèses sur les motivations qui ont conduit certains à céder à l’obscurantisme sur cette question d’intérêt national ou local, selon les cas.

Le texte qui nous est présenté aujourd’hui a ceci de décevant qu’il vient écorner l’équilibre du triptyque expérimentation-évaluation-information.

En effet, il affaiblit considérablement l’expérimentation puisqu’elle n’est plus de droit. La commission nationale en fixe seulement les modalités, car son pouvoir de proposition, qui faisait d’elle un organe dynamique, est abandonné au profit de l’État.

La commission nationale conserve en revanche la mission d’évaluation, ce qui va entraîner, une fois encore, une suradministration ; j’espère que cela ne freinera pas la recherche et l’innovation…

Bien sûr, le fait qu’on ne ferme pas complètement la porte à ces expérimentations scientifiques – c’est, du moins, ce que l’article 4 suggère – est une satisfaction.

Le cadre législatif arrêté en CMP reste cependant opaque sur la mise en œuvre concrète des expérimentations. Le pouvoir d’autoriser des expérimentations selon les modalités fixées par la commission nationale appartiendra-t-il au Gouvernement ou au Parlement ? Peut-être pourrez-vous, madame le ministre, m’éclairer sur ce point.

Je ne me ferai pas l’inquisiteur des failles et des incohérences, mais je tiens tout de même à signaler que c’est la fracturation hydraulique qui est en cause. Alors, pourquoi ne met-on pas en cause ladite fracturation lorsqu’il s’agit de la géothermie ?

Pourquoi condamne-t-on aussi a priori des techniques non hydrauliques ?

De même, pourquoi ne soulève-t-on pas les mêmes interrogations au sujet des déchets nucléaires ? À cet égard, dans mon département, la Meuse, on m’a expliqué qu’une profondeur d’enfouissement de 600 mètres protégeait de tout risque de pollution externe pendant des millions d’années, alors que, par ailleurs, on pointe des risques écologiques à une profondeur de 3 000 mètres ! Il y a là une incohérence que, modestement, j’aimerais qu’on m’explique...

À mon sens, il existe un intérêt général national qui ne doit pas être remis en question sous des prétextes où se mêleraient des considérations relatives à l’environnement, au pouvoir et à la pression locale !

Je remarque, enfin, que nous avons été peu nombreux dans cet hémicycle à défendre le principe constitutionnel du développement durable. Vous avez, pour beaucoup, hypothéqué le principe de développement économique au profit de la protection parcellaire de l’environnement, alors que le principe constitutionnel nous impose de concilier les deux, au risque de se faire taxer par certaines associations écologistes de « VRP de Total »… C’est ce que j’ai vécu ! Je n’ai pourtant pas eu la chance de rencontrer les dirigeants de cette multinationale, ce qui, au demeurant, n’aurait rien eu de déshonorant.

J’espère que la réforme du code minier nous donnera l’occasion de revenir sur ce sujet. Je forme le vœu que le clivage politicien qui nous divise aujourd’hui cède alors le pas à un débat national plus objectif et plus réaliste. Car je trouve tout de même assez extraordinaire que, dans une enceinte parlementaire, les mêmes auditions et rapports mènent à des préconisations parfois tout à fait opposées !

En séance, ce clivage est apparu nettement et beaucoup d’entre nous ont caricaturé le débat sur l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère en la présentant comme un « cadeau » fait aux pétroliers.

Il est vrai que, derrière le débat sur l’énergie, qu’elle soit fossile, nucléaire, renouvelable, il y a avant tout des entreprises qui œuvrent pour la croissance et des perspectives d’économies. Mais notre assemblée, me semble-t-il, doit limiter la portée de son œuvre normative à la possibilité d’offrir aux Français une énergie au meilleur coût économique, social et environnemental. Telle est ma conception du développement durable.

L’exploitation de nouvelles ressources peut également avoir un impact sur l’équilibre humain et familial, tout particulièrement en cette période de restriction du pouvoir d’achat.

Or je pense que le texte issu de la CMP constitue un pas en arrière par rapport à la solution équilibrée que je préconisais et qui était partagée par la majorité du Sénat en première lecture.

Aujourd’hui, l’importation de panneaux photovoltaïques de Chine, de gaz de Russie ou d’Algérie et, demain, peut-être, de Pologne, grâce à l’exploitation de leur gaz de schiste, a un coût économique, social et environnemental, ne l’oublions pas ! Or ce coût pourrait être réduit si nous arrivions à stimuler des dynamiques et à encadrer l’exploitation du gaz de schiste mieux qu’on ne le fait dans d’autres pays. Au lieu de cela, on freine des quatre fers ! La science nous effraie ! Nous doutons de notre propre capacité à encadrer correctement cette activité, au service du bien-être de chacun d’entre nous.

Nous serons donc obligés d’importer du gaz au prix fort, tandis que les sous-sols polonais, allemands et anglais feront l’objet d’exploitation, avec des normes peut-être moins sévères que celles que nous pourrions prendre. Des risques accrus de pollution menaceront alors des terres dont les fruits peuvent circuler librement et arriver dans nos assiettes !

En tant que sénateur élu d’une région frontalière, je suis bien placé pour vous parler des conséquences de ce type d’isolement : à l’époque de la restructuration de la sidérurgie, sous l’autorité du président Mitterrand, l’Arbed, entreprise luxembourgeoise, continuait à exploiter du minerai situé dans le sous-sol français pour nous le revendre ensuite, alors que les mines françaises avaient fermé. Tout cela s’était passé sur mon territoire et m’avait profondément frappé. J’espère que cette situation ne se renouvellera pas, mais ce risque existe, dans une Europe divisée sur ce thème.

La compétitivité de la France est menacée, car notre fébrilité ne touche pas seulement le domaine énergétique : elle se manifeste aussi à propos des nanotechnologies et des OGM.

Pour conclure, je forme le vœu que nous fassions preuve de plus d’impartialité, d’objectivité et surtout de responsabilité politique dans notre approche du débat énergétique – notamment s’agissant des hydrocarbures fossiles – dont la réforme du code minier nous donnera l’occasion. Je pense pourtant que ce sujet devrait plutôt relever d’une « loi pétrolière », dont j’ai proposé l’examen, en accompagnement de la réforme du code minier.

Je suis persuadé que si cette réforme intervient après un changement politique, espéré par certains d’entre nous, les positionnements sur ce débat évolueront très certainement. Le rapporteur y avait d’ailleurs fait allusion lors de la première lecture.

Pour l’heure, l’Union centriste se satisfait d’avoir au moins apporté un « mieux » par rapport à ce qui nous était proposé par l’Assemblée nationale, à défaut d’avoir obtenu un « bien ». Pour cette raison, la majorité du groupe votera ce texte. Il y va de l’intérêt de notre pays. Néanmoins, je reste persuadé que nous pouvions faire mieux et ma conviction reste entière en ce domaine. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M Aymeri de Montesquiou applaudit également.)

M. Michel Houel, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le président, madame la ministre, chères et chers collègues, le 1er mars 2010, le Gouvernement accordait des permis exclusifs de recherches de gaz et huiles de schiste, en catimini, sans fournir la moindre information à quiconque, même pas aux maires des communes concernées.

M. Michel Houel, rapporteur. Ce n’est pas vrai !

M. Michel Teston. La décision fut prise immédiatement après le vote des lois dites Grenelle 1 et Grenelle 2. Quel grand écart !

À la fin de l’année 2010, la découverte de la délivrance de ces permis a suscité une très forte mobilisation citoyenne sur les territoires concernés. Les manifestations ont été et sont toujours très nombreuses. Celle du 26 février 2011 à Villeneuve-de-Berg, en Ardèche, a ainsi rassemblé plus de 20 000 personnes.

En effet, le retour d’expérience des États où se pratique l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels a fait prendre conscience des dangers de la technique utilisée : la fracturation hydraulique, car c’est d’elle qu’il s’agit, est énormément consommatrice d’eau et fait courir le risque d’une pollution de la nappe phréatique par les adjuvants chimiques utilisés dans le processus.

Au Sénat, nous avons été plusieurs à poser des questions au Gouvernement, et le groupe socialiste, apparentés et rattachés a déposé, le 24 mars 2011, une proposition de loi dont les principaux points étaient les suivants : la reconnaissance de la distinction entre les hydrocarbures dits « conventionnels » et « non conventionnels » ; l’abrogation, avec effet rétroactif, des permis exclusifs de recherches ; l’obligation de conditionner la délivrance de tels permis au respect de certaines règles, à savoir la réalisation d’une enquête publique préalable et d’une étude d’impact ainsi que la consultation du public.

Cette remise à plat nous apparaît, en effet, comme une nécessité et un préalable à la révision du code minier et à un débat sur la politique énergétique de la France.

D’autres propositions de loi ont suivi, notamment à l’Assemblée nationale : celle, d’abord, du groupe socialiste, celle, ensuite, de Christian Jacob, président du groupe UMP, celle, enfin, de Jean-Louis Borloo, ce qui ne manque pas de sel quand on sait qu’il a lui-même signé les permis contestés !

Pris, en quelque sorte, la main dans le sac, le Gouvernement a décidé de mettre en place une mission appelée à rendre un rapport et, dans l’intervalle, a suspendu les recherches et travaux en cours. Puis il a fait en sorte que la proposition de loi Jacob, mais pas les autres textes, soit examinée sans délai.

Dans sa version initiale, cette proposition de loi prévoyait l’interdiction générale de l’exploration et de l’exploitation des huiles et gaz de schiste. Toutefois, au cours des débats à l’Assemblée nationale, l’article en question a été modifié, l’interdiction générale étant transformée en une simple interdiction de l’utilisation de la technique de la fracturation hydraulique.

Le texte, ainsi modifié, a été examiné par la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire du Sénat. Les socialistes, les Verts, les communistes, les sénateurs du parti de gauche et les radicaux de gauche ont voté contre, d’autant qu’un amendement centriste, adopté par la majorité, est venu autoriser l’expérimentation de la fracturation hydraulique à des fins de recherche scientifique.

Lors de l’examen en séance publique ici même, les 1er et 9 juin, nous avons déposé des amendements reprenant les principaux points de notre proposition de loi qui n’avait pu être examinée. Ceux-ci ayant été tous rejetés par la majorité sénatoriale, nous avons voté contre le texte.

La version du Sénat différant quelque peu de celle de l’Assemblée nationale, une commission mixte paritaire a été réunie au Sénat en vue d’élaborer un texte commun. Lors de cette réunion, les deux rapporteurs ont proposé de supprimer l’amendement centriste à l’article 1er, c'est-à-dire l’expérimentation de la fracturation hydraulique.

Toutefois, une telle possibilité a été réintroduite à l'article 1er bis, où elle figure cependant d’une manière beaucoup plus voilée. C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles Alain Fauconnier, ici présent, sénateur de l’Aveyron, qui représentait avec moi le groupe socialiste du Sénat en tant que membre titulaire la commission mixte paritaire, s’est livré au commentaire suivant : « Le débat était gazeux, il est devenu fumeux. » (Sourires.)

M. Pierre Hérisson, vice-président de la commission de l'économie. Oh !

M. Michel Teston. En commission mixte paritaire, nous avons déposé des amendements sur les articles restant en discussion. Ceux-ci ayant été rejetés, nous avons voté contre le texte.

Depuis, les conclusions de la commission mixte paritaire ont été adoptées par l’Assemblée nationale et elles nous sont soumises ce soir. Voilà où nous en sommes.

Que peut-il se passer maintenant ?

Bien que les industriels titulaires de ces permis aient indiqué, explicitement ou implicitement, leur intention d’utiliser la technique de la fracturation hydraulique dans les pièces annexes aux permis exclusifs de recherches, on peut raisonnablement penser qu’ils décideront de recourir à la possibilité offerte par l'article 2 du texte en déclarant ne pas utiliser cette technique, ce qui leur permettra de conserver le bénéfice de leurs permis. Ceux-ci ont d’ailleurs saisi le juge administratif d’une demande d’annulation des arrêtés municipaux interdisant l’exploration et l’exploitation. S’ils ont satisfaction, rien ne les empêchera de prendre contact avec des propriétaires privés pour entrer sur leurs terrains et pratiquer des forages sans fracturation hydraulique.

Peut-être iront-ils plus loin en baptisant sous un nom différent cette technique, échappant ainsi aux dispositions de l’article 1er. Ou peut-être tenteront-ils, madame la ministre, d’obtenir des autorités le droit de réaliser des expérimentations à des fins scientifiques.

Au final, le texte sur lequel nous avons à nous prononcer se caractérise par un « ni-ni » : ni véritable interdiction, ni abrogation. Ces ambiguïtés paraissent avoir pour seul objectif de ne pas mécontenter les entreprises concernées puisque la porte n’est pas fermée à la poursuite des recherches ni même à l’expérimentation de la fracturation hydraulique, expérimentation à des fins scientifiques rendue possible par l'article 1er bis.

Le Gouvernement veut, à l’évidence, éviter le risque éventuel de devoir payer des indemnités aux entreprises titulaires de permis.

Ce constat conduit notre groupe à renouveler sa demande d’une révision du code minier et d’un débat sur la politique énergétique de la France.

À ce sujet, madame la ministre, où en sommes-nous ?

Le Gouvernement a déposé un projet de loi de ratification de l’ordonnance du 20 janvier dernier portant codification de la partie législative du code minier. Il n’en demeure cependant pas moins que ce texte n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour du Parlement, alors que vous aviez annoncé que nous pourrions en débattre avant l’été : or, si je ne me trompe, nous sommes maintenant en été…

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Il y a trop de textes de loi, monsieur Teston !

M. Michel Teston. C’est dans ce contexte que nous sommes ainsi amenés à nous prononcer, en procédure accélérée, sur un texte caractérisé par des ambiguïtés majeures, venant s’ajouter au manque de transparence du Gouvernement dans la conduite de ce dossier.

Ce texte n’apportant aucune véritable garantie, il est certain que, au-delà du vote de ce soir, – je n’ai pas besoin de préciser dans quel sens ira le nôtre ! –,…

M. Pierre Hérisson, vice-président de la commission de l'économie. Il n’y a pas de doute là-dessus !

M. Michel Teston. … la mobilisation citoyenne va continuer, relayée par une vigilance toute particulière des élus des territoires concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Nicole Bricq. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà quelques mois à peine, les termes techniques « hydrocarbures de roche-mère » ou encore « fracturation hydraulique » n’étaient connus que des spécialistes et totalement ignorés de la plupart des Français. Et qui, parmi nos concitoyens, même parmi les élus, avait alors connaissance de l’existence de permis exclusifs de recherches d’un nouveau type d’énergie appelé « gaz de schiste » ?

En mars 2010, la décision d’accorder des permis de forages de prospection sur le territoire national à plusieurs industriels, américains et français, fut prise sans la moindre consultation, malgré les questions en suspens sur les techniques utilisées pour l’exploration et l’exploitation.

Après la diffusion d’images frappantes de robinets crachant du feu ou de paysages dévastés, certes vraisemblablement mises en scène, mais toujours traumatisantes, l’inquiétude, d’abord, puis l’indignation et la colère ont saisi les habitants des départements concernés par les permis, dont l’existence n’a été révélée que par la presse.

Les Français ont alors commencé à s’interroger sur cette nouvelle ressource énergétique, le Gouvernement a dû instaurer un moratoire sur les autorisations et, finalement, le Parlement a légiféré à la hâte, dans l’urgence, sur un problème complexe dont on découvrait la réalité.

Nous sommes très nombreux à nous interroger sur cette précipitation gouvernementale.

La mobilisation citoyenne, si elle est légitime, ne doit pas susciter de telles méthodes de gouvernance. Le rôle du Parlement n’est pas, ne doit pas être de réagir à chaud sur tous les sujets faisant la une des médias.

Le débat, trop improvisé, et donc incomplet, sur un sujet pour lequel on est encore mal informé se trouve totalement faussé. L’absence d’information et la mauvaise communication ont largement contribué à envenimer la situation.

Mes chers collègues, personne n’ignore plus aujourd’hui que les gaz de schiste font naître de nombreuses inquiétudes auxquelles la technique n’a pas encore apporté toutes les réponses. Outre le fait que la prospection d’énergies fossiles ne s’inscrit pas dans les objectifs du Grenelle de l’environnement, les conséquences sur l’environnement et la santé publique des techniques d’exploration et d’exploitation des gaz de schiste seraient potentiellement graves, mais restent aujourd'hui peu connues.

Tout, donc, se résume à de grandes interrogations.

Dès lors, l’urgence est, me semble-t-il, d’acquérir une connaissance scientifique sur ces procédés et leurs conséquences. La majorité de mes collègues du groupe du RDSE et moi-même estimons indispensable de lancer au plus vite un programme de recherche scientifique sur les techniques de fracturation hydraulique et leurs impacts environnementaux à l’échelon national, voire européen.

La recherche sur les techniques d’exploitation des gisements potentiels de gaz de schiste n’a jamais été conduite jusqu’à son terme en France ; c’est fort regrettable. Les incertitudes et les différences de point de vue sont toujours trop grandes.

Hier encore, les médias faisaient état d’une nouvelle polémique aux États-Unis, après la publication sur le site du New York Times de courriels échangés par certains acteurs du secteur ; il semble bien qu’un intense débat se développe aussi entre les spécialistes.

Pour opérer les bons choix, nous avons besoin d’une véritable étude scientifique. Nous n’en disposons pas aujourd'hui : l’émotion prend donc le pas sur la raison et brouille notre réflexion. Les conditions ne sont pas, selon nous, réunies pour légiférer.

Pour l’instant, seule l’expérience d’autres pays exploitant ces ressources depuis plusieurs années, comme les États-Unis ou le Canada, nous donne quelques éléments sur les conséquences de l’exploitation des hydrocarbures de schiste. Il est indéniable que cette exploitation est aujourd’hui loin d’être neutre d’un point de vue écologique.

Deux arguments principaux sont avancés pour refuser catégoriquement l’exploitation des gaz de schiste. D’une part, la fracturation hydraulique nécessite de grandes quantités d’eau, ce qui va clairement à l’encontre de notre politique de protection des sources d’eau potable. D’autre part, les produits chimiques utilisés seraient vraisemblablement toxiques et pollueraient les nappes phréatiques. Pourtant, une étude scientifique américaine récente, si elle admet des cas de contamination de l’eau potable, estime que la pollution serait plutôt due à un défaut de cimentation du puits. Qui croire ?

Nous entendons aussi les inquiétudes concernant les rejets accidentels de méthane et les remontées à la surface de boues toxiques.

Tout cela est, certes, très alarmant.

Pour autant, à ce stade, si la préservation de l’environnement reste une priorité et nous conduit à la plus grande prudence sur l’exploitation des gaz de schiste, il serait stérile de fermer définitivement la porte à l’expérimentation scientifique. Hormis la fracturation, il y a peut-être de nouvelles techniques à mettre en œuvre. Par exemple, l’extraction de gaz de schiste par injection de propane est déjà utilisée de façon marginale au Canada et pourrait à l’avenir représenter une solution de remplacement. Sans expérimentation, nous ne pourrons pas découvrir toutes ces nouvelles techniques et serons condamnés à importer de l’énergie au prix fort.

Or la sécurisation et la diversification de nos approvisionnements énergétiques sont des questions majeures, qui peuvent devenir vitales. Elles se situent au cœur du débat. Il faut rappeler que la France dispose d’une soixantaine de petits gisements pétroliers et gaziers, principalement situés dans le Bassin aquitain et le Bassin parisien ; leur production représente entre 1 % et 2 % de la consommation nationale. Par conséquent, 98,5 % du gaz naturel que nous consommons en France est importé. Notre facture d’importation gazière s’élève à 10 milliards d’euros et n’ira qu’en augmentant puisque notre consommation est appelée à croître inexorablement dans les cinquante années à venir.

Malgré les efforts consentis pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés en matière de développement d’énergies renouvelables, nous sommes toujours de grands consommateurs d’hydrocarbures, et nous le resterons sans doute encore pendant de longues décennies. L’exploitation de nouvelles ressources ne peut donc être refusée par principe : elle est essentielle pour notre indépendance énergétique.

Selon une étude de l’Agence d’information sur l’énergie publiée en avril 2011, la France serait, avec la Pologne, le pays d’Europe dont les ressources en gaz de schiste sont les plus importantes. Même si nous manquons encore de certitudes scientifiques sur ce point, nous ne pouvons rejeter a priori ce potentiel : il représente un tel enjeu d’un point de vue économique et stratégique qu’il justifie toutes les recherches. On ne peut refuser l’hypothèse selon laquelle notre sous-sol pourrait nous conférer une plus grande indépendance énergétique en nous rendant moins tributaires du marché mondial du gaz.

Je vous rappelle, mes chers collègues, que l’exploitation des gisements de gaz de schiste a permis aux États-Unis de passer devant la Russie quant à la production de gaz naturel. Ils ont, grâce à cela, pris la tête du classement mondial.

Bien entendu, des polémiques agitent les États-Unis concernant l’exploitation de leur gaz de schiste. Néanmoins, leur exemple montre quel atout considérable peut représenter cette ressource ; il serait irresponsable de l’ignorer ou de la refuser a priori.

Le principe de précaution ne doit pas conduire à l’immobilisme et à l’obscurantisme.

L’exploitation des gaz et huiles de schiste dans le monde serait susceptible de modifier profondément et durablement la carte de l’énergie. Cette question ne doit donc pas être traitée avec légèreté. Au-delà de la question écologique, c’est tout le marché des ressources énergétiques et l’ensemble des politiques énergétiques mondiales qui pourraient s’en trouver bouleversés.

Le texte proposé aujourd’hui à notre examen n’est pas satisfaisant. Il est intervenu dans un contexte peu serein. Non seulement il ne repose sur aucune étude scientifique fiable, mais il a été examiné par les deux assemblées alors que la mission d’information créée à l’Assemblée nationale le 1er mars dernier n’avait pas encore rendu ses conclusions. Quant à la mission confiée par le Gouvernement au Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et au Conseil général de l’environnement et du développement durable, son rapport définitif est toujours attendu. L’emballement irrationnel dont a fait l’objet le dossier du gaz de schiste décrédibilise l’exécutif et le Parlement.

Par ailleurs, ce texte est la conséquence directe d’une erreur manifeste d’appréciation globale dans ce dossier. Comment peut-on accepter que des actes administratifs ayant des conséquences aussi importantes sur les territoires que les permis d’exploration des sous-sols aient été pris sans aucune connaissance ni concertation en amont ? C’est impensable, et cela nous oblige aujourd’hui à de bien périlleuses acrobaties juridiques et législatives, sans parler des risques financiers auxquels nous nous exposons vis-à-vis des entreprises bénéficiaires d’autorisations de prospection.

Pour couronner le tout, il est clair que ce texte n’est de nature ni à apaiser l’inquiétude et donc la colère de nos concitoyens ni à répondre à leurs attentes en matière de politique énergétique. Il ne satisfait personne. La mobilisation des citoyens, et pas seulement de ceux qui sont immédiatement et directement concernés, ne faiblira pas. Les industriels déjà engagés ne pourront poursuivre leurs recherches et réclameront de fortes indemnités. En outre, notre pays risque de se priver de ressources essentielles, et ce à un moment où nous redéfinissons une politique énergétique que nous souhaitons fondée sur le principe de l’indépendance.

L’orientation de notre politique énergétique et de ses ressources potentielles mérite d’être reconsidérée après la catastrophe de Fukushima. Comme l’a déjà dit à cette tribune Yvon Collin, nous souhaitons un débat global sur la politique énergétique de la France, un « Grenelle de l’énergie ».

Avant même son adoption définitive, ce texte montre ses faiblesses, et nous savons déjà qu’il n’apportera pas de solution satisfaisante et raisonnée à la question très complexe de l’exploitation des gaz de schiste.

Nous allons être le premier pays au monde à interdire la technique de la fracturation hydraulique. Faut-il s’en réjouir ? Je n’en suis pas certain.

Était-il opportun de légiférer sur ce sujet-là, et à ce moment précis ? J’en doute fortement.

C’est pourquoi, comme en première lecture, aucun des membres du groupe RDSE n’approuvera la présente proposition de loi : certains se prononceront contre, beaucoup d’autres, comme moi, s’abstiendront.

Écoutons Louis Pasteur : « La chance ne sourit qu’aux esprits biens préparés. » Préparons donc l’avenir ! (M. Claude Biwer applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat parlementaire mouvementé autour des propositions de loi relatives à l’exploration des hydrocarbures de roche prend fin ici par la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire et par le vote du texte définitif.

J’espère sincèrement que la langue de bois et le double langage qui ont marqué nos débats ne seront pas de mise ce soir, mais j’avoue avoir quelques doutes.

En effet, il n’a jamais réellement apporté de réponse à la question de savoir s’il fallait interdire l’exploration et l’exploitation des huiles et gaz de schiste et, en conséquence, abroger l’ensemble des permis accordés.

Ainsi, madame la ministre, si vous avez institué un moratoire et créé une mission d’information interministérielle, affichant par là même votre détermination à ne pas reproduire les erreurs commises outre-Atlantique, vous avez pourtant laissé la majorité parlementaire affirmer, sans la contredire, que la place du gaz et des huiles de schiste dans le bouquet énergétique était indiscutable.

En effet, dans un premier temps, les parlementaires de la majorité, à l’Assemblée nationale et au Sénat, ont joué l’indignation en déposant des propositions de loi tout à fait claires sur les risques environnementaux et sanitaires de l’exploitation des hydrocarbures de roche. Pourtant, dans un second mouvement, l’adoption d’amendements lors des débats a permis de modifier en profondeur le dispositif proposé, pour en faire un dispositif obsolète avant même son application.

Ainsi, la proposition de loi n’a cessé de perdre de sa portée.

Elle est d’abord devenue inefficace à l’Assemblée nationale par la réécriture de l’article 2, qui, dans sa rédaction finale, ne prévoit plus l’abrogation automatique des permis de recherche concernant l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures de roche.

Pis, elle est devenue contre-performante, à la suite de son passage dans notre hémicycle puisque la majorité a autorisé, sous couvert de nécessité de recherche scientifique, la fracturation hydraulique que les propositions de loi se proposaient d’interdire ; et ce, alors qu’il s’agit d’un enjeu environnemental considérable, notamment au regard de la consommation importante d’eau qu’induit la fracturation hydraulique, mais également des risques de pollution des nappes phréatiques par des adjuvants chimiques.

Pour ces raisons, nous avons vivement combattu ce texte et sa réécriture par la commission de l’économie. Le groupe CRC-SPG a également fait le choix, lors des dernières questions d’actualité, de rappeler la dangerosité du texte proposé et d’inviter le Gouvernement à davantage de prudence. En vain, puisque vous nous avez répondu de manière parfaitement inexacte, madame la ministre, que « l’objet de la proposition de loi était bien d’empêcher l’exploration et l’exploitation de gaz de schiste au moyen de la fracturation hydraulique, seule technologie aujourd’hui utilisable ». Il s’agit d’une inexactitude, par erreur ou par oubli, puisque l’exploration par fracturation hydraulique était bien autorisée par le texte de la commission à des fins de recherche scientifique.

Vous nous avez également répondu que la nouvelle rédaction de l’article 2, aux termes de laquelle les permis de recherche seraient abrogés si, dans un délai de deux mois, les industriels indiquaient avoir recours à la fracturation hydraulique, inciterait les industriels à « sortir du bois et à se résoudre d’eux-mêmes à l’abrogation des permis ». Le pensez-vous réellement ?

Les industriels, par exemple le groupe Total, ou les sociétés Toreador et Shuepbach, ont-ils intérêt à déclarer qu’ils recourent à la fracturation hydraulique ? Est-ce d’ailleurs de leur responsabilité de se résoudre d’eux-mêmes à l’abrogation des permis ? N’est-ce pas plutôt à la loi de l’imposer ? Sur le fond, ne sont-ils pas d’ores et déjà « sortis du bois », en sollicitant vivement les parlementaires afin d’adopter cette nouvelle version de l’article 2 qui leur convient assez bien, comme le rappelait le PDG de Total lors d’une assemblée générale des actionnaires du groupe ?

Le Monde d’hier citait un industriel qui réagissait à la possibilité d’abandonner ses permis : « Dans le monde de la mine, un permis, c’est les tripes d’un industriel, son actif le plus précieux, son portefeuille. »

De fait, les industriels qui n’envisagent pas une seconde d’arrêter toute exploitation déclareront, évidemment, qu’ils n’utilisent pas la fracturation hydraulique, mais recourent à une autre pratique, par exemple la « stimulation de la roche ». Ils seront également tentés, comme l’affirment Toreador et Schuepbach, d’explorer, voire d’exploiter la piste du contentieux juridique, tant ce texte de loi présente de failles.

Je leur fais également confiance pour développer de nouvelles techniques, notamment à base de propane ou d’azote, sans par ailleurs prévoir aucune étude d’impact sur l’environnement, afin de ne pas se retrouver contraints d’abandonner une manne très profitable avec l’exploration de ces hydrocarbures.

De l’article 2 il n’a pas été question en commission mixte paritaire puisque la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale a été votée de manière conforme au Sénat. Ce qui a évolué, c’est l’article 1er et les arrangements pris par la majorité parlementaire avec le principe d’interdiction du recours aux forages suivis de fracturation hydraulique.

Nous le reconnaissons, la version proposée par la commission mixte paritaire est meilleure, ou moins mauvaise, que celle adoptée par le Sénat.

Il faut dire que l’adoption des amendements du sénateur Bizet en commission de l’économie, puis leur confirmation en séance constituaient un recul particulièrement flagrant puisque, au final, la pratique de la fracturation hydraulique était légalisée sous couvert des besoins de recherche.

Autre amélioration : alors que nous avions indiqué en séance que nous trouvions étrange de concevoir une commission nationale privée de représentants du Parlement, un amendement en ce sens présenté par les deux rapporteurs a été adopté en commission mixte paritaire.

Nous aurions souhaité que nos autres arguments trouvent la même issue et que les membres de la majorité nous écoutent un peu plus, car cela ne fait pas du texte proposé par la commission mixte paritaire un bon texte de loi.

Les aspects nocifs perdurent. Ainsi, l’article 1er bis, qui crée une Commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux, a été maintenu, alors que nous en avions demandé la suppression.

Les missions de cette commission restent par ailleurs identiques, ce qui est en contradiction totale avec l’article 1er. Cette commission a pour mission d’évaluer les risques liés aux techniques de fracturation hydraulique ou aux techniques alternatives. Il faut être précis : si la technique de la fracturation hydraulique est interdite, est-il nécessaire d’évaluer les risques qu’elle engendre ? En effet, l’évaluation sous-entend l’expérimentation. Or cette expérimentation est bien prévue à l’article 4, alors même qu’elle devrait être impossible au regard du contenu même de l’article 1er.

On reste donc dans un dispositif ambigu et contradictoire, bref inapplicable.

Nous voyons bien, sur le fond, que la réécriture de l’article 1er par la commission mixte paritaire, si elle constitue un progrès, ne règle pas la question de manière satisfaisante et laisse la voie ouverte à l’exploration et à l’exploitation des hydrocarbures de roche.

Fondamentalement, en limitant la question de l’exploitation des hydrocarbures de roche aux seuls forages suivis de fracturation hydraulique, mais également en renversant la charge de la preuve au profit des industriels, toute latitude est donnée pour l’exploitation des huiles et gaz de schiste, contrairement à ce qui a encore été affirmé par la majorité parlementaire lors de la réunion de la commission mixte paritaire.

Non, cette proposition de loi ne ferme pas la porte à l’exploration des hydrocarbures de roche. À l’inverse, l’ensemble du dispositif de cette loi et son articulation permettent de ne pas se priver, à l’avenir, de cette ressource fossile. C’est en fait, très clairement, l’objectif de la majorité.

En effet, interdire véritablement l’exploration et l’exploitation des huiles et gaz de schistes exige que les permis de recherche soient abrogés par la loi ; car, loin des affirmations de la majorité parlementaire, ceux-ci ne sont pas muets et mentionnent explicitement les pratiques utilisées. Nous le savons aujourd’hui grâce aux documents fournis par la Commission d’accès aux documents administratifs.

De plus, en s’arrêtant, pour les techniques employées, à une dénomination qui n’a pas de définition juridique claire, la porte reste ouverte à de nouvelles appellations pour une technique qui resterait la même, et donc à de nombreux contentieux juridiques.

Et quand bien même de nouvelles techniques seraient envisageables, comment celles-ci pourraient-elles éviter la fracturation puisque le gaz est emprisonné au cœur de la roche ? Or la fracturation de la roche à grande échelle pose de nombreux problèmes, et nous avons aujourd’hui suffisamment de retours des expériences nord-américaines pour en être convaincus.

Je voudrais également revenir sur l’opacité qui a entouré cette question. Durant de nombreux mois, les maires et les populations ont été totalement ignorés, n’apprenant les risques de désastre écologique encourus que grâce à la diffusion de documentaires réalisés outre-Atlantique.

En ce domaine, nous ne le répéterons jamais assez, l’information et la transparence en matière énergétique doivent être un corollaire de l’action publique. Alors que l’accident de Fukushima devrait nous éclairer sur cette nécessité, le Gouvernement et les services de l’État ont continué de pratiquer la rétention d’information.

Je crois pourtant que nos concitoyens et les élus des territoires concernés méritent plus de respect de la part du Gouvernement.

Pour finir, mais j’aurais pu commencer par là, je dirai que reste posée la question de l’opportunité de continuer dans la voie de l’exploitation des ressources fossiles, quelle que soit la technique employée. Sur ce point, nous avons, madame la ministre, une divergence importante.

En effet, pouvons-nous encore nous permettre, en contradiction avec l’ensemble de nos engagements internationaux concernant la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre et ceux pris lors du Grenelle de l’environnement, de faire reposer l’avenir énergétique de la France sur l’extraction de ressources fossiles ?

La fin annoncée de l’ère du pétrole laisse trop de questions sans réponses parce que la transition écologique n’est pas assurée. Cette situation s’explique notamment par un déficit de recherche scientifique, mais également et surtout par la structuration du marché énergétique.

Comme ils sont principalement déterminés par la profitabilité, les principaux acteurs se placent, de fait, en dehors de toute responsabilité économique, sociale ou environnementale. Nous voyons bien là les limites concrètes du modèle libéral et son incapacité à penser de manière durable l’accès aux ressources de première nécessité.

En tout état de cause, nous estimons que l’avenir énergétique de la France, de l’Europe et du monde passera non pas par l’exploitation des huiles et gaz de schiste, mais bien par la recherche dans le domaine des énergies renouvelables, afin d’en renforcer progressivement le poids dans le bouquet énergétique.

Ainsi, fondamentalement, l’ambition en termes de politique énergétique portée par les sénateurs de mon groupe réside dans une réappropriation des enjeux, grâce à une maîtrise publique renforcée, seule à même de garantir véritablement la sécurité d’approvisionnement.

Un pôle public de l’énergie, dans lequel serait par exemple intégrée une société comme Total, permettrait également d’influer sur les choix d’investissements et la politique de développement de cette dernière. Une telle évolution serait particulièrement bienvenue à l’heure actuelle alors que cette société se prépare à aller exploiter les hydrocarbures de roche présents dans le sous-sol polonais, en dehors de tout principe de responsabilité environnementale, ce qui ne devrait plus être permis.

La transition écologique et la garantie de l’accès de tous à l’énergie imposent donc de revoir les modèles libéraux appliqués par l’Union européenne et singulièrement par notre Gouvernement, ceux-là même qui nous ont conduits à privatiser GDF, à ouvrir le capital d’EDF, à octroyer des permis de recherches à des sociétés privées dont le seul objectif est de réaliser d’importants bénéfices sur les ressources de notre sous-sol. À l’inverse, l’intérêt général commande de reprendre le contrôle de notre avenir énergétique et non de le déléguer à la bonne volonté du marché et des actionnaires.

À ce titre, les révélations du New York Times, qui ont déjà été évoquées à cette tribune, devraient nous interpeller. En effet, comparant l’affaire des gaz de schiste à celle d’Enron, le célèbre journal place assez haut le niveau de mystification de la population et de détournement d’argent : un responsable du secteur forage d’un grand cabinet d’études américain aurait ainsi assuré que l’exploitation du gaz de schiste s’apparenterait à une « arnaque pyramidale » visant à gruger les investisseurs.

Du reste, alors que l’exploitation de cette ressource fossile est promue par les industriels comme le nouvel eldorado énergétique et que les élites politiques semblent convaincues, de nombreux professionnels, notamment des géologues, estiment que la révolution du gaz de schiste est survendue. Les réserves exploitables pourraient être très inférieures à celles annoncées. Au Texas, les puits ne produisent que 20 % de ce qui était annoncé. De plus, l’exploitation serait bien moins rémunératrice qu’on ne s’y attendait.

Voilà encore une illustration navrante du pouvoir des lobbies sur les choix politiques et, en l’occurrence, énergétiques, ces lobbies qui souhaitent, avec cette exploitation, engendrer une bulle spéculative permettant de dégager des profits pour les grands groupes énergétiques en dehors de la réalité économique et loin de toute considération environnementale.

Ces révélations faites par le New York Times devraient vous amener à revoir d’urgence votre copie, car elles illustrent les contradictions inhérentes à la défense de l’intérêt général face aux intérêts privés, contradictions dans lesquelles le Gouvernement s’est enlisé. La responsabilité politique devrait vous conduire à satisfaire avant tout l’intérêt général.

Pour toutes ces raisons, le groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche confirme son opposition à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Marcel-Pierre Cléach.

M. Marcel-Pierre Cléach. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous apprêtons à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique.

Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire pose clairement le principe de l’interdiction, tout en permettant le développement, dans des conditions strictes, de la connaissance.

Je tiens à rendre hommage au rapporteur, mon collègue Michel Houel, qui a veillé à ce que le texte final soit équilibré et qu’il contribue à rassurer nos concitoyens.

La commission mixte paritaire a estimé souhaitable de revenir sur la rédaction de l’article 1er, le code minier n’abordant pas la question de l’expérimentation. Cette sage décision nous permettra d’attendre la réforme de ce code, que nous espérons pour l’automne et qui instituera un cadre juridique clair.

La commission mixte paritaire a approuvé la création, selon le souhait du Sénat, d’une commission de suivi qui donnera un avis sur les conditions de mise en œuvre d’expérimentations à seules fins de recherche scientifique, sous contrôle public, afin d’évaluer les techniques d’extraction alternatives.

Les débats ont été très vifs entre les tenants de l’interdiction absolue et les personnalités, dont je suis, qui estiment que nous n’avons pas le droit de fermer la porte à des progrès technologiques nous permettant, comme nous l’espérons, d’accéder à de nouvelles et importantes ressources d’énergie.

La France n’est pas assez riche en réserves d’énergies de source fossile pour se permettre de renoncer à leur évaluation et à leur exploitation éventuelle sans expérimentation contrôlée et sans étude approfondie de ce qui se passe dans d’autres territoires – je pense notamment au Canada, particulièrement en Alberta, en Colombie-Britannique et au Québec.

Le groupe parlementaire France-Canada a consacré une partie de son dernier voyage à l’audition des principaux acteurs de la filière, des autorités québécoises qui en ont la responsabilité, et des experts, notamment universitaires, qui étudient depuis plusieurs années les nuisances de toute nature liées à l’exploitation des gaz et des huiles de schiste.

Je dois vous dire que, à l’issue de ces auditions contradictoires, le sentiment des parlementaires membres de notre délégation était mitigé et beaucoup moins tranché qu’à leur arrivée au Québec pour ce qui concerne le gaz de schiste, alors qu’il restait très réservé pour ce qui concerne l’exploitation des schistes bitumineux de l’Alberta, à Fort McMurray et dans ses environs.

Nous avons noté en particulier les progrès constants des techniques d’extraction, et les efforts des sociétés concernées, sous la pression également constante de l’opinion publique, pour réduire tant les nuisances environnementales en surface que les incertitudes liées à la fracturation hydraulique, notamment en matière d’utilisation des ressources en eau, à leur retraitement, à leur restitution au milieu naturel et à leur réutilisation.

C’est pourquoi il m’apparaît essentiel, pour ne pas compromettre l’avenir, que la commission de suivi élargisse ses consultations et son expertise à l’ensemble des sites et des mécanismes d’exploitation opérationnels hors de nos frontières.

Le Parlement pourrait également confier à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui regroupe des parlementaires de toutes opinions et développe une analyse libre et indépendante, une étude approfondie de cette question si importante pour notre avenir et notre indépendance énergétique.

La commission mixte paritaire a également approuvé la présence de deux parlementaires à la commission nationale d’orientation, là encore selon le souhait du rapporteur du Sénat.

Enfin, elle a approuvé la remise d’un rapport annuel au Parlement sur l’évolution des techniques d’exploration et d’exploitation et la connaissance du sous-sol français, européen et international en matière d’hydrocarbures liquides ou gazeux, et sur la conformité du cadre législatif et réglementaire à la Charte de l’environnement dans le domaine minier.

Le texte précise ainsi que le Parlement ne peut se priver d’une information essentielle à la satisfaction de l’article 6 de la Charte de l’environnement, dont je rappelle les termes : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. »

La fracturation hydraulique avait suscité un grand émoi, qui a permis de mettre en lumière une triple exigence : celle de moderniser notre législation minière devenue obsolète ; celle, pour le Parlement, de favoriser le développement de la connaissance du sous-sol et d’encourager l’innovation pour l’élaboration de techniques d’exploration et d’exploitation maîtrisées et respectueuses de l’environnement ; enfin, celle d’une meilleure implication des collectivités territoriales et d’une information accrue du public.

Malgré ses imperfections, qui ont été soulignées par plusieurs orateurs, la proposition de loi satisfait à ces exigences. Elle met en œuvre le principe de précaution et répond indéniablement au désir légitime de transparence de la population et des élus des territoires concernés.

Ce sont les raisons pour lesquelles, avec mes collègues du groupe UMP, nous y apporterons notre soutien. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Fauconnier.

M. Alain Fauconnier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec cet examen des conclusions de la commission mixte paritaire, s’achève enfin, ce soir, le « marathon » législatif et médiatique commencé il y a quelques mois.

Votre prédécesseur, madame la ministre, avait cru bon d’autoriser les fameux permis qui ont fait couler tant d’encre et mobilisé, sur le terrain, tant de nos compatriotes, horrifiés à l’idée de voir mener en France une expérience technologique que les Américains regrettent aujourd’hui d’avoir laissée prospérer : ils s’en mordent franchement les doigts !

Réunions publiques et manifestations dans les régions, y compris aux portes de Paris, dans plusieurs départements d’Île-de-France, questions écrites, orales ou d’actualité dans les deux assemblées, propositions de loi de tous bords, rapports, débats se sont succédé pour parvenir à une seule et même constatation : la majorité de droite s’est enferrée dans un dossier dont elle ne sait plus comment se sortir, sauf à multiplier les arguties, les faux-semblants, les contrevérités.

Jamais, en effet, depuis le commencement de cette interminable discussion, n’a été apportée une réponse claire à une question claire : la fracturation hydraulique sera-t-elle, oui ou non, interdite en France après le vote de cette loi ?

Le groupe socialiste a déposé une proposition de loi qui, elle, avait le mérite d’être tout à fait explicite à cet égard.

Je ne voudrais pas me répéter en ressassant les arguments que j’ai moi-même, à plusieurs reprises, développés dans cet hémicycle. Ce n’est pas l’opposition sénatoriale qui a autorisé les recherches de gaz de schiste, encouragé son éventuelle exploitation et, jusqu’au dernier moment, caressé l’espoir, après un repli stratégique, de les reprendre au moment qui paraîtra opportun.

Non, madame la ministre, ce n’est pas une conviction personnelle que vous avez exprimée ici même ; vous avez seulement ouvert une parenthèse pour gagner du temps.

De cela j’ai eu la confirmation hier, dans une assemblée qui débattait des problèmes énergétiques, réunie dans les locaux du Cercle de l’Union interalliée. Un proche conseiller du Président de la République – je pourrai vous donner son nom en aparté, si vous le souhaitez, madame la ministre – a confié, devant un partisan des gaz de schiste qui s’interrogeait sur les conséquences de la loi : « Il ne faut pas voir les choses à l’instant. Dire que jamais on explorera, non ! Pour l’instant, on arrête, mais on continue d’expérimenter... Tout cela se fera dans le temps. »

Madame la ministre, c’est ce que l’on appelle le double langage ! Ce propos, s’il est cynique, a au moins le mérite d’être clair : en conclusion, l’exploitation du gaz de schiste serait pour le moment interdite, mais sa recherche est toujours autorisée… Il n’y a donc pas d’interdiction.

Entre-temps, d’autres institutions, et non des moindres, ont pourtant pris sur le sujet, vous l’avez rappelé, des positions très claires.

Je veux naturellement parler de l’UNESCO, qui, avant-hier, a choisi d’inscrire au patrimoine mondial la zone Causses-Cévennes, qui s’étend sur cinq départements, l’Aveyron, l’Ardèche, l’Hérault, le Gard et la Lozère, ainsi que sur deux régions, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon. Or c’est l’un des lieux phare sur lesquels des permis avaient été autorisés pour la recherche de gaz de schiste par fracturation hydraulique.

Pourquoi cette décision ? Pour la beauté, bien sûr, de ses paysages naturels – vous l’avez dit – et de son architecture traditionnelle. Mais surtout, et c’est d’ailleurs une première, « pour s’attacher à pérenniser le travail des hommes qui ont vécu sur ces terres », autrement dit pour protéger l’agro-pastoralisme et l’un de ses produits d’excellence sur le plateau du Larzac : le roquefort.

Il s’agit en fait de « sanctuariser » une activité que la fracturation hydraulique eut incontestablement détruite par les conflits d’usage de l’eau, l’altération des écosystèmes, la dégradation de la biodiversité, la pollution et l’assèchement progressif des nappes phréatiques.

Madame la ministre, vous venez de rappeler que vous avez vous-même donné un avis très favorable – j’en prends acte – à l’inscription de ce territoire à l’UNESCO. Cet avis a pesé.

Pour être franc, je ne comprends pas que vous puissiez présenter un tel texte qui autoriserait sur cet espace, non pas l’exploitation de gaz de schiste par fracturation, certes, mais son exploration expérimentale à titre scientifique.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Ce n’est pas vrai ! De telles déclarations sont graves !

M. Alain Fauconnier. Cette ambiguïté de vocabulaire est habile !

En cohérence avec votre avis, vous allez me dire qu’on n’expérimentera pas sur ce territoire, ce qui signifie qu’on expérimentera ailleurs, pour des raisons scientifiques.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. La fracturation hydraulique est interdite ; un point, c’est tout !

M. Alain Fauconnier. Contrairement à ce que vous affirmez, on pourra continuer, à titre expérimental, à procéder aux fracturations, en se référant aux alinéas 2 et 3 de l’article 1er bis.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Quelle mauvaise foi !

M. Alain Fauconnier. La conclusion de tout cela est simple : avec l’extraction, à titre expérimental, des hypothétiques gaz et huiles de schiste, non seulement la France tourne le dos à la nécessaire transition environnementale, mais elle ne respecte pas non plus les engagements nationaux qu’elle a contractés, en vertu notamment de la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique, dite loi « POPE » – ainsi que ses propres engagements internationaux : Kyoto, Cancún, Copenhague, etc.

Madame la ministre, la proposition de loi que vous défendez – je l’ai affirmé à plusieurs reprises dans cet hémicycle et en commission mixte paritaire, et je le répète encore – n’est pas satisfaisante et vous le savez. Contrairement à ce que vous déclarez, elle n’interdit pas définitivement la technique de fracturation.

Pour quelle raison ? Tout simplement parce que le Gouvernement s’est mis dans une ornière et a engagé une course contre la montre jusqu’à l’échéance de 2012, avec un texte qui dit tout et son contraire.

C’est à nous, élus des territoires concernés par ces permis et, par là même, représentants des populations protestataires, que l’on fait un procès en sorcellerie. Vous avez l’art de confondre les victimes que nous sommes et les coupables que vous êtes, ou plutôt qu’était votre prédécesseur, récemment converti à la dangerosité de la fracturation. En termes rugbystiques, cela s’appelle « faire les bordures », ou « botter en touche ». (Sourires.)

Mme Nicole Bricq. C’est vrai !

M. Alain Fauconnier. C’est pourquoi, madame la ministre, je vous le dis une dernière fois : admettez une fois pour toutes que les Français ne veulent pas de cette technique, même à titre expérimental, et tirez-en toutes les conséquences. Ce n’est pas le cas de ce texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste – M. Michel Billout applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je regrette fortement que ce ne soit pas pour valider la proposition de loi déposée par Nicole Bricq que nous sommes aujourd'hui réunis. J’avais en effet cosigné ce texte avec plaisir, parce qu’il avait le mérite de s’attaquer au fond du problème : il interdisait purement et simplement l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère. Les permis exclusifs de recherches, dont on sait avec quelle transparence et quel discernement ils ont été délivrés, auraient ainsi été définitivement abrogés et rendus impossibles. La volonté populaire majoritaire et la demande de ses représentants auraient, quant à elles, été entendues.

La proposition de loi que nous examinons ce jour présente au contraire bien des ambiguïtés et des lacunes, qui se sont aggravées au fil de la navette et de son passage en commission mixte paritaire.

Son principal défaut est de ne s’attaquer – d’ailleurs tout à fait partiellement ! – qu’à la méthode d’extraction par fracturation hydraulique, au demeurant qu’elle ne définit pas, laissant une confortable faille à qui veut s’y glisser. Elle ne touche pas en revanche au cœur du problème qu’est l’utilisation d’une « nouvelle » ressource fossile dispersée au sein d’une formation de roche non poreuse qu’il faut fissurer pour en permettre l’extraction.

L’abrogation des permis en cours emprunte des chemins tortueux qui laissent aux exploitants toute latitude pour observer une attitude passive et conserver leurs droits dans le temps en ne mentionnant pas l’utilisation des techniques de fracturation hydraulique.

Si elle ne les autorise plus explicitement à l’article 1er, la proposition de loi continue en effet de faire référence à de telles techniques, aux articles 1er bis et 4. Que veulent ses auteurs ? Les citoyens ont le droit de savoir !

Oui, la méthode de fracturation hydraulique pose de nombreux problèmes environnementaux et sanitaires, et il est urgent de faire en sorte qu’elle ne se pratique pas sous nos sols. Mais, d’une part, le Gouvernement n’a pas besoin de cette proposition de loi pour suspendre et abroger les permis exclusifs qu’il a accordés. D’autre part, ce texte ne répond pas à l’exigence minimale d’interdiction de la fracturation hydraulique, puisqu’il laisse la porte ouverte à la prospection et à l’expérimentation.

Enfin, comment pouvez-vous faire mine d’ignorer les retours d’expériences extrêmement négatifs des pays comme les États-Unis ou le Canada, qui, depuis une dizaine d’années, utilisent cette technique ? On prévoit d’expérimenter comme si l’on ne savait rien ! Pourtant, les rapports d’information confirment, les uns après les autres, les dégâts causés à l’environnement lorsqu’il y a fracturation de la roche, y compris par des techniques autres que l’injection de fluides.

Une fois de plus, les questions liées au choix des énergies fossiles et carbonées ne sont pas posées.

Avec le recours à ce type de ressource souterraine, plus compliquée à exploiter et coûteuse sur le plan environnemental, économique et sanitaire, l’apport irresponsable de gaz à effet de serre, qui accélère le changement climatique par un bilan carbone particulièrement chargé, où sont passés les engagements de la France de diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 ?

Madame la ministre, face à l’unanime mobilisation des territoires contre vos initiatives, vous faites de la communication avec le mot « interdire », mais vous laissez les portes ouvertes pour les industries gazières et pétrolières.

Pourtant, la question de l’exploitation des hydrocarbures de la roche-mère est grave et mérite un arbitrage clair, rendu en connaissance de cause. Les risques environnementaux – consommation d’eau, dispersion de polluants, contamination des nappes phréatiques, perturbation des sous-sols, bilan carbone négatif... – ont été longuement évoqués lors des discussions précédentes.

Aux articles 1er bis et 4, vous prévoyez respectivement la création d’une commission ainsi que la rédaction d’un rapport afin d’en savoir davantage. Pour ma part, je vous propose, à la place de ces articles, de gagner du temps et de l’argent public.

L’Agence de protection environnementale des États-Unis, l’EPA, peut vous donner toute la liste des composants des fluides de fracturation. L’Institut national de santé publique du Québec, l’INSP, met à votre disposition les effets des 20 millions de litres d’eau utilisés pour chaque puits.

Enfin, voici le rapport réalisé par la très sérieuse Association Toxicologie Chimie, sous la direction d’André Picot, toxicologue expert auprès de l’Union Européenne (Mme Marie-Christine Blandin brandit un document) : ses quarante-cinq pages peuvent être consultées sur internet.

Il y est question, premièrement, des « molécules que les fluides contiennent quand on les injecte », et de « leurs effets toxiques », et, deuxièmement, des « molécules qui sortent des roches pulvérisées où elles étaient enfermées, ainsi que leurs graves effets sur l’organisme », ce qui prouve que, même si le gaz est extrait sans la fracturation hydraulique et l’injection de fluides toxiques, une liste de molécules particulièrement dangereuses s’échappera néanmoins.

Troisièmement, le rapport aborde « le fait que la zone de fracturation se comporte, entre les grains de sable qui l’empêchent de se refermer, comme un creuset où se déroulent des réactions chimiques, en présence de catalyseurs minéraux, qui produisent de nouvelles substances cancérigènes, neurotoxiques et hématotoxiques ».

Je ne vais pas vous citer toutes ces substances, qui sont répertoriées dans une dizaine de pages de tableaux. J’évoquerai seulement l’éthylène-glycol, le chrome hexavalent, le N-oxyde de la 4-nitroquinoléine, qui, entre autres réjouissances, ont tout de même eu la peau du bétail ayant inhalé ces substances, dont certaines ont en plus la faculté de traverser la peau, de se fixer dans les graisses et d’engendrer des leucémies !

Quant aux lugubres « pluies d’oiseaux », elles proviennent d’émanations de sulfure de dihydrogène.

J’ai bien entendu les propos de M. de Montesquiou, qui estime qu’il ne faut pas faire peur avec des robinets qui s’enflamment.

Voici ma réponse : un rapport scientifique, objectif,…

M. Pierre Hérisson, vice-président de la commission de l’économie. Et indépendant !

Mme Marie-Christine Blandin. … que chacun peut consulter sur atctoxicologie.free.fr, le site de l’association.

Non, l’humanité n’en est pas au point de devoir sucer les roches pulvérisées pour produire les derniers kilowatts, au risque de mettre en péril ses paysages, sa santé et son eau potable !

Quelle est la priorité pour notre politique énergétique ? Trouver des solutions illusoires à notre boulimie? Je pense, et nous sommes de plus en plus nombreux à le penser, que l’avenir énergétique de la France passe par le triptyque : sobriété, efficacité et efficience, bouquet énergétique redéfini.

Sobriété : promenez-vous dans les rues en ces périodes de chaleur et sentez le froid de tous les climatiseurs qui refroidissent les pattes des moineaux : quel gâchis incroyable !

Efficacité et efficience : quand arrêtera-t-on de perdre 30 % de l’énergie en transports ?

Enfin, bouquet énergétique redéfini : il s’agit de laisser la part belle aux énergies renouvelables.

Il est plus que temps de privilégier l’intérêt général – nous sommes ici pour le défendre! –, et non les multinationales, qui ont dû avoir leurs entrées pour obtenir la signature des permis d’exploitation !

Il est temps d’avoir la volonté de développer les solutions qui respectent l’avenir.

Les écologistes ne voteront pas ce texte de dupes qui dissout le principe de précaution dans les autorisations d’expérimentations, fussent-elles déguisées en recherche scientifique.

Demandez aux habitants de Bure qui hébergent un laboratoire de recherche scientifique s’ils n’entendent pas déjà le bruit des camions qui ramènent l’uranium ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste – M. Michel Billout applaudit également.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu’il examine après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte.

Je donne lecture du texte de la commission mixte paritaire :

Proposition de loi visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique
Article 1er bis

Article 1er

(texte de la commission mixte paritaire)

En application de la Charte de l’environnement de 2004 et du principe d’action préventive et de correction prévu à l’article L. 110-1 du code de l’environnement, l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdites sur le territoire national.

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique
Article 4

Article 1er bis

(texte de la commission mixte paritaire)

Il est créé une commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux.

Elle a notamment pour objet d’évaluer les risques environnementaux liés aux techniques de fracturation hydraulique ou aux techniques alternatives.

Elle émet un avis public sur les conditions de mise en œuvre des expérimentations, réalisées à seules fins de recherche scientifique sous contrôle public, prévues par l’article 4.

Cette commission réunit un député et un sénateur, désignés par les présidents de leurs assemblées respectives, des représentants de l’État, des collectivités territoriales, des associations, des salariés et des employeurs des entreprises concernées. Sa composition, ses missions et ses modalités de fonctionnement sont précisées par décret en Conseil d’État.

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Article 1er bis
Dossier législatif : proposition de loi visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 4

(texte de la commission mixte paritaire)

Le Gouvernement remet annuellement un rapport au Parlement sur l’évolution des techniques d’exploration et d’exploitation et la connaissance du sous-sol français, européen et international en matière d’hydrocarbures liquides ou gazeux, sur les conditions de mise en œuvre d’expérimentations réalisées à seules fins de recherche scientifique sous contrôle public, sur les travaux de la commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation créée par l’article 1er bis, sur la conformité du cadre législatif et réglementaire à la Charte de l’environnement de 2004 dans le domaine minier et sur les adaptations législatives ou réglementaires envisagées au regard des éléments communiqués dans ce rapport.

M. le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?...

Le vote est réservé.

Vote sur l’ensemble

Article 4
Dossier législatif : proposition de loi visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je donne la parole à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au moment où nous allons clore ce débat, il est temps non plus de répondre à chaque argument par un argument opposé – mes collègues l’ont fait ce soir avec la même ardeur que lors de l’examen du texte en première lecture –, mais de faire le bilan et de se demander ce qui va se passer dans un avenir proche.

Finalement, et sans grande surprise, le texte qui résultera du débat parlementaire permettra aux entreprises extractrices d’attendre la fin de la séquence électorale qui commencera par les élections sénatoriales en septembre, suivies, quelques mois plus tard, par l’élection présidentielle et les élections législatives.

J’insiste sur ce point, parce qu’avant même la réunion de la commission mixte parlementaire, qui s’est tenue, me semble-t-il, le 15 juin, nous avons pu voir les entreprises concernées, ou les lobbies qui les défendent, égrener dans la presse le chapelet de leurs démonstrations scientifiques, suivant lesquelles d’autres techniques que la fracturation hydraulique étaient envisageables. Nous avons donc vu fleurir les initiatives, mais nous avons bien compris qu’il s’agissait d’attendre des jours meilleurs, en espérant que la mobilisation populaire faiblisse.

Je souhaite également revenir sur un sujet que nous n’avons pas pu aborder. En effet, entre le 1er juin, date du début du débat au Sénat, et le 15 juin, date de la réunion de la commission mixte paritaire, la mission d’information de l’Assemblée nationale a remis son rapport, dont la lecture attentive conforte l’analyse de notre groupe.

Je ne reprendrai pas en détail les conclusions de ce rapport, car il est trop tard. En revanche, nos collègues députés établissent un bilan assez accablant du passé et du passif du Gouvernement, sur les dix dernières années, et constatent un lent dessaisissement du politique, dans des domaines de plus en plus complexes. Le pouvoir a été abandonné à l’administration, puisque le ministre en charge de cette politique ne signait plus les permis exclusifs de recherche.

Du reste, votre prédécesseur, madame la ministre, a déclaré n’avoir eu connaissance de la question des hydrocarbures de schiste qu’après son départ du Gouvernement. C’est un comble et j’espère que vous avez repris la situation en main ! Mais je n’en suis pas si sûre…

En effet, des élus du parc naturel régional du Lubéron, dont le président Jean-Louis Joseph est un ami, m’ont fait part de leur colère, depuis qu’ils ont constaté que les services de l’État en région Provence-Alpes-Côte d’Azur ont repris avec entrain l’instruction de deux permis d’exploration, les permis de Provence et de Gargas, pour ne pas les citer. Nous ne pouvons donc qu’être inquiets quant aux vertus du texte que la majorité sénatoriale va adopter.

Cette proposition de loi ne clôt pas la discussion, car il est impératif que la refonte du code minier, effectuée par ordonnance, fasse l’objet d’un véritable débat au Parlement, afin que celui-ci se ressaisisse de la question. Telle est, en tout cas, la volonté du groupe socialiste et j’observe que vous aviez pris rendez-vous à ce sujet, madame la ministre.

Cette refonte est d’autant plus importante que, depuis 1994, l’enquête publique minière existe uniquement pour la phase exploratoire, empêchant une information adéquate du public qui doit s’en remettre à la lecture quotidienne du Journal officiel, ce qui est tout de même assez compliqué, même pour des citoyens attentifs !

Nous n’avons cessé de réclamer que ces permis d’exploitation soient différenciés en fonction du type d’hydrocarbure : il faut obtenir cette différenciation à l’occasion de la refonte du code minier, afin que tout le monde puisse y voir plus clair. Les deux rapporteurs de la mission d’information de l’Assemblée nationale ont d’ailleurs recommandé de distinguer les permis et de définir des procédures de délivrance spécifiques.

Pour conclure, madame la ministre, nous attendons que vous nous indiquiez la date du rendez-vous que vous avez promis d’honorer. Vous aviez dit qu’il aurait lieu avant l’été : nous y sommes, la session extraordinaire commence demain. Mais nous voulons espérer que vous vouliez parler de l’été indien qui, comme chacun le sait, a lieu en automne ! (Sourires.)

Plus sérieusement, madame la ministre, nous faisons de ce rendez-vous un enjeu démocratique, car toute cette affaire a été très mal conduite par l’État, qui n’a pas exercé ses responsabilités…

M. Pierre Hérisson, vice-président de la commission de l’économie. Mais non !

Mme Nicole Bricq. … et nous attendons réparation.

Derrière les parlementaires qui posent ce problème démocratique, vous trouvez les élus des territoires, ne vous en déplaise, monsieur Hérisson ! Comme l’a dit tout à l’heure notre collègue Michel Billout, il serait trop facile d’user d’un double langage : nous vous donnons donc rendez-vous sur le terrain et au Parlement !

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste s’oppose très clairement à cette proposition de loi, car elle ne clôt pas le débat. Au contraire, elle l’embrouille et permet aux sociétés extractrices d’attendre des jours meilleurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Michel Billout applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. J’ai entendu beaucoup d’expressions diverses, sur toutes les travées, qui découlent, je n’en doute pas, des recherches que chacun a pu effectuer, individuellement ou en groupe, pour obtenir les meilleurs renseignements possibles.

Vous nous reprochez de faire peur à propos de l’autonomie énergétique, d’autres essaient de faire peur en invoquant la pollution permanente, mais au moins un élément nous rassemble : nous souhaitons tous vivement reprendre au plus vite ce débat, dans le cadre de la refonte du code minier – sur ce point, je rejoins Mme Bricq –, en la jumelant avec l’examen d’une loi pétrolière. C’est ainsi que nous pourrons le mieux rendre service à ceux que nous représentons.

Vous évoquiez à l’instant les élus de terrain, madame Bricq. Comme je l’ai dit tout à l’heure, vous exprimez visiblement une préoccupation locale. C’est votre droit et je respecte cette expression locale ! Dans le cas qui nous occupe, j’ai plutôt choisi d’exprimer une préoccupation plus inspirée par l’intérêt national, au sens large du terme, y compris économique.

Tout à l’heure, à la tribune, j’ai évoqué, à titre d’exemple, le problème des déchets nucléaires dans mon département, la Meuse, qui a été le seul département à accepter leur stockage. Ne me dites surtout pas que les déchets nucléaires ne sont pas polluants ! Malgré tout, nous maintenons notre position et nous apportons ainsi notre contribution aux besoins de la France dans ce domaine, en faisant nôtre la politique conduite par le Gouvernement. Nous avons pris cette décision en 1991 ; depuis cette date, les gouvernements et les majorités au pouvoir ont changé, mais nous avons maintenu notre position. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

Je ne peux donc pas accepter d’entendre dire que nous sommes à la limite de la malhonnêteté pour avoir côtoyé des gens qui détenaient peut-être des intérêts directs dans l’exploitation des gaz de schiste. Veuillez m’excuser, je n’ai pas besoin de cela pour vivre ! En revanche, j’ai aussi besoin de m’exprimer de temps en temps ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et au banc des commissions.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 258 :

Nombre de votants 337
Nombre de suffrages exprimés 327
Majorité absolue des suffrages exprimés 164
Pour l’adoption 176
Contre 151

Le Sénat a adopté.

En conséquence, la proposition de loi visant à interdire l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique est adoptée définitivement.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-trois heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt et une heures, est reprise à vingt-trois heures cinq, sous la présidence de M. Roger Romani.)

PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique
 

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Nomination de membres d'une commission mixte paritaire

M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique.

Je rappelle au Sénat que la liste des candidats établie par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.

Je n’ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :

Titulaires : MM. Jean-Jacques Hyest, Christian Cointat, Jean-Pierre Vial, Bernard Frimat, Richard Tuheiava, Yves Détraigne et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ;

Suppléants : M. Laurent Béteille, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Dominique de Legge, Jean-Claude Peyronnet, Simon Sutour, Mme Catherine Troendle et M. François Zocchetto.

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Dossier législatif : proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires
Discussion générale (suite)

Réforme de l'hôpital

Discussion en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (proposition n° 543, texte de la commission n° 668, rapport n° 667).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, cher Alain Milon, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner en deuxième lecture la proposition de loi de M. Jean-Pierre Fourcade, que je souhaite saluer ici, tant pour son investissement que pour la qualité de son travail.

Mme Isabelle Debré. C’est vrai !

M. Xavier Bertrand, ministre. Sa proposition de loi est un texte important, attendu, qui vient accompagner la mise en œuvre de la réforme de notre système de santé et qui apporte des améliorations, nécessaires, disons-le, à la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite HPST, tout en préservant son équilibre.

Cette loi, vous le savez, est venue moderniser en profondeur notre système de santé : je pourrais évoquer la réforme de la gouvernance de l’hôpital public, la mise en place des agences régionales de santé, les ARS, l’amélioration du système de permanence des soins, la réforme du pilotage national de notre système de santé, ainsi que la revalorisation de la médecine générale.

De nombreuses avancées ont été réalisées, nous le savons. Pour autant, certaines de ces dispositions se sont révélées difficiles à appliquer. Voilà pourquoi il fallait y remédier, comme Roselyne Bachelot s’y était d’ailleurs engagée.

Par ailleurs, les dispositions nouvelles que cette proposition de loi introduit viennent encore améliorer l’organisation de notre système de santé. Je tiens à saluer le travail de grande qualité de votre commission des affaires sociales, de sa présidente, Muguette Dini, et de votre rapporteur, Alain Milon.

Permettez-moi de revenir rapidement sur les principaux points de ce texte.

Tout d’abord, il permet de renforcer l’attractivité de la médecine libérale de premier recours. Vous le savez, les professionnels de santé souhaitent des mesures simples, pragmatiques et efficaces pour faciliter l’exercice médical et paramédical de proximité. Le texte va dans ce sens grâce, en particulier, à la création de la société interprofessionnelle de soins ambulatoires, la SISA, une avancée voulue par les professionnels de santé libéraux, qu’ils soient médecins, pharmaciens, infirmiers, kinésithérapeutes, pour ne citer qu’eux.

En pratique, la SISA est une société civile de moyens. Son objet a été élargi pour lui permettre de facturer des actes relatifs à la coordination, à l’éducation thérapeutique et, demain, à la coordination entre professionnels de santé. C’est une structure simple, souple, qui ne modifiera pas les habitudes de travail des praticiens de ces structures.

En particulier, je veux le préciser clairement, l’exercice de la consultation demeurera individuel ; il engagera la seule responsabilité du professionnel et donnera toujours lieu à une relation personnelle à l’assurance maladie.

Je sais aussi que les questions fiscales ne sont pas secondaires ; c’est une préoccupation légitime pour les professionnels. Avec le ministre du budget, nous avons écrit au président de l’Union nationale des professionnels de santé, l’UNPS, afin d’apporter toutes les garanties aux professionnels de santé qui souhaitent s’engager dans la SISA.

En ce qui concerne les maisons de santé, celles-ci sont désormais dotées de la personnalité juridique et composées de professionnels médicaux, d’auxiliaires médicaux et de pharmaciens.

Par ailleurs, par ce texte est rétablie la base juridique des contrats de bonne pratique et des contrats de santé publique. Il s’agit principalement de pouvoir continuer à rémunérer sur une base satisfaisante les professionnels qui auront souscrit de tels engagements.

L’article sur la responsabilité civile professionnelle voté à l’Assemblée nationale constitue une étape exclusive de mutualisation des sinistres les plus élevés. Il s’agit d’une avancée décisive. Sur ce sujet, évoqué depuis des années, nous sommes en passe d’apporter de la visibilité et des garanties pour les professionnels, et donc pour les patients.

M. Guy Fischer. Surtout pour les professionnels !

M. Xavier Bertrand, ministre. Il ne s’agit nullement de penser aux uns et d’oublier les autres : cette mesure convient à tout le monde. Elle répond aux inquiétudes réitérées des professionnels de santé et constitue une meilleure protection des victimes potentielles. Nous veillerons à préciser les choses de manière à apporter davantage de garanties que le système précédent.

Je voudrais enfin revenir sur l’ordonnance relative à la biologie médicale. Comme je m’y étais engagé avec Nora Berra devant vous, nous avons rétabli cette ordonnance dans la loi relative à la bioéthique.

Nous avions indiqué, en revanche, que certains ajustements étaient nécessaires sur des points spécifiques. Ces aménagements sont au rendez-vous. Il s’agit notamment des prélèvements par les infirmiers en cabinet libéral. Que n’avons-nous pas entendu à ce sujet ! Au nom du pragmatisme, l’interdiction de pratiquer ces prélèvements serait insensée ! Nous l’avons dit et ce sera d’ailleurs confirmé, ce qui lèvera les craintes infondées qui ont vu le jour. Il s’agira aussi de la question de l’accréditation et des ajustements tarifaires.

Nous reviendrons également sur l’article 22, qui a fait couler beaucoup d’encre. Les choses doivent s’apaiser sur ce sujet également. Le Gouvernement est très intéressé par l’amendement déposé par Mme Giudicelli et aura l’occasion de le faire savoir dans la discussion des articles. Sur ce point également, le texte apporte des précisions et vise à rassurer, à parfaire l’équilibre. Ces mesures n’ont pas pour objet de susciter de l’incompréhension, et nous y veillerons précisément.

Cette proposition de loi de Jean-Pierre Fourcade va nous permettre de mettre en œuvre les objectifs de la loi HPST : mettre en place une offre de soins gradués de qualité, accessibles à tous, pour répondre aux besoins des patients comme des professionnels de santé.

L’enjeu principal de ce texte est l’amélioration de notre système de santé. Je veux vous remercier pour le soutien que vous lui apporterez. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Daniel Marsin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous sommes aujourd’hui saisis, à tous les sens du terme, n’est plus celui que nous avions examiné en première lecture.

Notre éminent collègue Jean-Pierre Fourcade avait su, comme toujours, distinguer l’essentiel de l’accessoire et cibler très précisément les quelques mesures qui lui paraissaient nécessaires pour accompagner l’élan nouveau donné par la loi HPST à la médecine de premier recours et à la modernisation du secteur médico-social. La logique de sa démarche a disparu de ce texte foisonnant, et je le regrette pour lui.

Notre assemblée, mes chers collègues, s’était efforcée de garder le cap tracé par le texte initial. Certes, nous avions adopté quelques articles additionnels. Ils correspondaient pour la plupart à des mesures urgentes de coordination, pour d’autres à quelques « cavaliers de retour » qui n’avaient pas trouvé leur place dans le cadre rigoureux des projets de loi de financement de la sécurité sociale mais dont le Parlement avait déjà jugé qu’ils constituaient des mesures utiles. Nous avions, en revanche, vous vous en souvenez, supprimé quelques articles dont certains soulevaient des questions de principe.

Au total, trente articles, y compris des articles supprimés, avaient été transmis à l’Assemblée nationale.

Neuf ont fait l’objet d’une adoption ou d’une suppression conforme. Je regrette un peu l’adoption conforme de celui qui permet aux groupements de coopération sanitaire mixtes de choisir librement entre un régime de droit privé et de droit public, car ce choix, qui ne facilitera en rien leur transformation éventuelle en établissement, ne sera pas toujours favorable à un contrôle efficace de l’usage des deniers publics.

Les vingt et un autres articles ont été modifiés, souvent par l’adjonction de dispositions qui en modifient sensiblement l’objet ou la portée.

En outre, quarante-cinq articles entièrement nouveaux ont été adoptés, dont bon nombre au stade de la discussion en séance publique.

Nous avons donc à nous pencher, en deuxième lecture, sur soixante-six articles, ce qui, vous en conviendrez, est beaucoup, surtout dans des délais d’examen comme toujours très contraints.

Pour certains d’entre eux, nous sommes, si j’ose dire, dans une situation classique de deuxième lecture, et donc de rapprochement progressif des positions des deux assemblées.

Il n’y a pas, me semble-t-il, d’opposition de fond sur le statut des SISA, ni sur celui des maisons de santé, que nous aurions peut-être préféré un peu plus précis. En revanche, nous avons encore quelques divergences sur les conditions du partage des informations médicales au sein des centres et des maisons de santé et, plus généralement, sur le respect des droits des patients.

L’Assemblée nationale a confirmé le caractère non contraignant des contrats santé solidarité et partagé la position de la commission, sinon celle du Sénat, sur la suppression de l’obligation de déclaration des absences des médecins.

Elle a souhaité affirmer expressément le principe de la liberté d’installation des professionnels de santé, ainsi que le caractère non imposable aux professionnels libéraux du schéma régional d’organisation des soins.

M. Guy Fischer. C’est regrettable !

M. Alain Milon, rapporteur. En première lecture, le Sénat, suivant l’avis du Gouvernement et de la commission, n’avait pas jugé indispensable une telle confirmation, ce qui ne signifie pas, bien sûr, que nous y soyons opposés.

De nombreux autres compléments ou modifications apportés par l’Assemblée nationale n’appellent pas d’observations particulières. Certains sont tout à fait bienvenus, en particulier dans le domaine médico-social. Ainsi, nous nous félicitons de la simplification du système d’autorisation des structures de lutte contre l’addictologie, comme de la sécurisation de la prise en charge des transports des enfants accueillis en centres d’action médico-sociale précoce et en centres médico-psycho-pédagogiques.

D’autres modifications nous satisfont moins : nous y reviendrons sans doute lors de la discussion des articles.

Certaines additions au texte, en revanche, sont inhabituelles dans le cadre d’une navette, en particulier celles qui reprennent des propositions de loi déposées ou adoptées à l’Assemblée nationale, par exemple sur le dépistage de la surdité ou sur l’expérimentation du dossier médical sur clé USB. Il me semble que la place nouvelle faite dans l’ordre du jour des assemblées à l’initiative parlementaire devrait permettre aux propositions de loi d’être discutées par les deux assemblées dans d’autres conditions, favorisant un examen plus approfondi.

Enfin, je m’attarderai un instant sur trois sujets nouveaux et importants traités par l’Assemblée nationale en première lecture et qui appellent, vous vous en doutez, quelques commentaires. Je veux parler bien sûr de la biologie médicale, du souhait des mutuelles de moduler leurs prestations et de la responsabilité civile professionnelle des médecins.

Je commencerai tout d’abord par évoquer la biologie médicale.

Dans le cadre de la discussion du projet de loi relatif à la bioéthique, l’Assemblée nationale avait inopinément proposé l’abrogation de l’ordonnance du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale.

Cette fois, elle a adopté, de façon tout aussi imprévue, une dizaine d’articles consacrés à la réforme de la biologie médicale, qui modifient les dispositions issues de l’ordonnance, au point de remettre en cause certains aspects de la réforme de 2010. Cette série d’articles se conclut par l’article 20 decies, qui compte plus de soixante-dix alinéas et qui procède à la ratification de l’ordonnance, sous réserve de nouvelles modifications.

Je citerai par ordre d’arrivée, si je puis dire, les principaux sujets de ces dispositions de la dernière heure.

Le souci de l’indépendance des laboratoires et la crainte de la mainmise sur la biologie médicale de grands groupes financiers sont, tout d’abord, à l’origine des mesures adoptées à l’article 18, lesquelles traduisent le souhait d’une meilleure adaptation aux professions médicales et de la santé de la loi du 31 décembre 1990. Nous espérons, monsieur le ministre, que vous pourrez nous donner quelques assurances à cet égard. (M. le ministre le confirme.)

Ces dispositions portent ensuite sur l’organisation de la phase pré-analytique des examens de biologie médicale en dehors des laboratoires et des établissements de santé, c’est-à-dire sur le problème, largement débattu dans la période récente, de la réalisation des prélèvements dans les cabinets d’infirmières.

Elles concernent aussi l’accès des vétérinaires au diplôme d’études spécialisées de biologie médicale. Cette question ressurgit au moment où va s’achever la phase transitoire qui devait permettre la mise en place d’une spécialisation de biologie vétérinaire. Celle-ci n’est pas encore intervenue, et je le regrette, car elle aurait constitué un complément utile à la filière d’excellence que représente la formation des vétérinaires.

Les dispositions prévoient également la réapparition des anciennes « ristournes », qui heurte profondément tous les biologistes médicaux, très attachés au caractère médical de leur spécialité et attentifs à tout risque de dérive commerciale.

Elles visent en outre la procédure dérogatoire de nomination à des postes de responsables hospitaliers de personnes non titulaires du diplôme d’études spécialisées de biologie médicale, dont le Sénat avait, voilà quelques mois déjà, écarté le principe.

Elles portent enfin, et ce dernier sujet n’est pas le moindre, sur l’accréditation, garantie de l’excellence de la biologie médicale nationale, mais qui impose aux laboratoires privés des efforts extrêmement importants. Nous sommes sensibles à ce problème, mais nous espérons trouver une solution qui permette de ne pas remettre en cause un objectif fondamental, et unanimement partagé, de la réforme de 2010.

Tous les biologistes médicaux, hospitaliers ou libéraux, ont réagi avec beaucoup d’inquiétude à ces mesures inattendues, en particulier – et c’est peut-être ce qui m’a le plus frappé – les jeunes, chez qui la réforme de 2010 a fait naître beaucoup d’espoirs et qui redoutent aujourd'hui que l’avenir ne leur soit fermé, à l’hôpital comme dans le privé.

Le texte adopté par la commission des affaires sociales ne permet sans doute pas de répondre à toutes les attentes de façon satisfaisante. Nous nous sommes en tout cas efforcés d’y parvenir et de respecter la logique d’une réforme qui avait eu le grand mérite de rassembler toute une profession autour d’une ambition commune pour l’avenir de sa discipline.

J’évoquerai maintenant – autre sujet surprise – la modulation des prestations des mutuelles – M. le ministre en a parlé –, prévue à l’article 22 de la proposition de loi.

Cet article, qui n’a rigoureusement aucun lien avec la proposition de loi ni avec la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, reprend l’article 1er d’une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par nos collègues députés Yves Bur et Jean-Pierre Door. Il a pour objet de modifier le code de la mutualité afin de permettre aux mutuelles de mieux rembourser leurs adhérents lorsque ceux-ci s’adressent à un professionnel ou à un établissement de santé membre d’un réseau de soins ou avec lequel elles ont contracté.

Actuellement, le code de la mutualité leur interdit expressément cette pratique, à la différence des autres organismes complémentaires d’assurance maladie. À la suite d’un récent arrêt de la Cour de cassation, qui leur a rappelé cette interdiction, les mutuelles veulent une modification législative pour rétablir, disent-elles, l’égalité de la concurrence.

Peut-être faudrait-il d’abord s’interroger sérieusement sur les incitations financières que les mutuelles veulent pouvoir mettre en œuvre. Sont-elles d’ailleurs licites de la part des autres organismes complémentaires d’assurance maladie ? On peut en douter dans la mesure où le libre choix du médecin est un principe fondamental de notre législation sanitaire, inscrit dans le code de la santé publique. Et il n’y a pas de libre choix pour ceux qui, faute de moyens, sont obligés de choisir la solution la moins onéreuse.

La Mutualité française soutient que la jurisprudence de la Cour de cassation remet en cause le fondement même du conventionnement mutualiste. Cette affirmation est discutable, car le code de la mutualité n’interdit nullement l’établissement de relations contractuelles entre les mutuelles et les prestataires ou établissements de soins.

Dans son principe d’ailleurs, ce conventionnement, pratiqué depuis une dizaine d’années, est tout à fait défendable s’il peut permettre aux organismes complémentaires d’assurance maladie d’obtenir pour leurs adhérents des prestations de qualité à des tarifs avantageux, et aux professionnels de santé d’élargir leur patientèle, tout en favorisant une certaine régulation des tarifs.

Mais comment ce conventionnement fonctionne-t-il ? Avec quels résultats ? Quels sont exactement le rôle et la nature des réseaux de soins ? Quelles sont les exigences de qualité imposées aux contractants et comment leur respect peut-il être contrôlé ? N’y a-t-il pas un risque de favoriser le low cost ? Nous n’avons pas de réponse à toutes ces questions.

Il ne paraît donc pas concevable que l’on nous demande d’adopter une telle mesure dans de telles conditions. C’est pourquoi la commission des affaires sociales, sur l’initiative de plusieurs de ses membres – pas uniquement de son rapporteur –, a supprimé cet article.

J’en viens enfin à la responsabilité civile des professionnels de santé, sujet dont nous avons déjà parlé. Plusieurs dispositifs ont même été adoptés, mais ils n’ont jamais permis de régler la question dans son entier et de manière satisfaisante.

L’article 24, adopté par l’Assemblée nationale, prévoit la création, au plus tard le 1er janvier 2013, d’un dispositif de mutualisation assurantiel des risques encourus par les professionnels de santé libéraux, au titre de leur responsabilité civile professionnelle, pour les risques dont la nature justifie le groupement des capacités de couverture.

L’objectif est de faire disparaître l’ensemble des « trous de garantie » pouvant exister pour les professionnels libéraux et, ainsi, de répondre aux inquiétudes manifestées depuis de nombreuses années par les médecins libéraux. Ceux-ci seront à l’avenir tenus de s’assurer pour un montant minimal de 8 millions d’euros par sinistre. Le nouveau système mutualisé interviendra dès lors qu’une indemnité dépassera ce montant.

Toutefois, le dispositif proposé étant très général, il conviendra que les professionnels, les assureurs et le Gouvernement, puisqu’il s’agira d’un mécanisme de nature publique, apportent rapidement des précisions sur l’organisation de ce système. Il serait en effet souhaitable qu’il puisse entrer en vigueur avant la date limite du 1er janvier 2013 prévue dans la proposition de loi.

Compte tenu de la création future de ce dispositif, la commission a adopté un amendement tendant à limiter pour l’avenir l’intervention de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, l’ONIAM, aux cas dans lesquels le délai de couverture d’assurance des professionnels à risque est expiré. Ainsi ne devrait-il plus exister de cas dans lesquels des professionnels de santé ne seraient pas couverts au titre de leur responsabilité civile.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale a inséré dans le texte plusieurs dispositions extraites d’une proposition de loi de notre collègue député Guy Lefrand visant à améliorer l’indemnisation des victimes de dommages corporels à la suite d’un accident de la circulation. Même si le lien avec le texte dont nous débattons est un peu ténu,…

Mme Annie David. Ténu ? (Sourires.)

M. Guy Fischer. C’est un cavalier !

M. Alain Milon, rapporteur. … il s’agit d’une initiative heureuse qui améliorera les conditions d’indemnisation des victimes. La commission a apporté quelques clarifications aux mesures proposées.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales demande au Sénat d’adopter la proposition de loi dans le texte résultant de ses travaux, complété par les amendements sur lesquels elle a émis un avis favorable. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.

M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici donc saisis, en deuxième lecture, de la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Fourcade, dont je rappelle que l’objectif initial affiché était tout simplement de permettre l’application de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, plus particulièrement de son volet sur les soins de premier recours.

Si une deuxième loi était nécessaire de toute urgence, c’est tout simplement parce que, sur ce volet, le Gouvernement s’est heurté au lobbying de certains syndicats médicaux libéraux, qui n’acceptent pas les quelques mesures positives prévues dans la loi HPST. Voilà ce qui a motivé le dépôt, toutes affaires cessantes, de cette proposition de loi, sans attendre le bilan et les préconisations d’ensemble du comité de suivi de la loi HPST, lesquels devraient être présentés devant la commission des affaires sociales le 13 juillet, c'est-à-dire très prochainement.

La prolifération d’articles extérieurs au champ de la loi HPST, venus alourdir cette proposition de loi après son passage à l’Assemblée nationale, ne change rien. L’important était de « vider » d’urgence cette loi HPST des mesures qualifiées, à tort selon nous, « d’anti-médecins ». Il fallait notamment faire disparaître dans les articles concernés les alinéas les plus apocryphes par rapport à la doxa médicale supposée majoritaire parmi les médecins libéraux, plus particulièrement celui qui prévoyait des pénalités financières à l’avant-dernier alinéa de l’article L. 1434-8 du code de la santé publique, article impliquant par ailleurs les agences régionales de santé et créant les contrats santé solidarité.

L’adoption de ce volet de la loi HPST a presque immédiatement déclenché une fronde des médecins libéraux – dès la première lecture –, ou du moins de leur syndicat majoritaire. Un peu plus tard, le Président de la République a prononcé son fameux discours lors de son déplacement à Orbec. Enfin, Jean-Pierre Fourcade a déposé sa proposition de loi.

Pendant ce temps-là, la désertification médicale de pans entiers de notre territoire continue, voire s’accélère. Ce constat vient encore d’être fait par Emmanuel Vigneron, géographe de la santé, professeur des universités, directeur scientifique du groupe de prospective « santé et territoires », dans un entretien paru le 3 juin dernier dans le quotidien Ouest -France.

Le Professeur Vigneron sonne le tocsin. Il déclare notamment : les inégalités de santé « s’aggravent depuis plus de vingt ans. Dans 61 % des cantons français, la mortalité prématurée augmente. Le risque de mourir peut varier du simple au double en quelques kilomètres. Cette fracture des territoires reste masquée par un progrès global : on se focalise sur la moyenne nationale qui reste bonne, en oubliant la grande dispersion des valeurs locales qui, elles, s’enfoncent. C’est extrêmement dangereux. »

Et de poursuivre : « Les déserts médicaux passent maintenant des cantons aux arrondissements, de ceux-ci à des départements entiers comme la Mayenne, l’Eure, la Nièvre, voire à des régions entières comme le Centre, la Champagne-Ardenne, etc. ». Ce diagnostic est grave.

Face à cette situation, que disent les Français ?

Un sondage réalisé les 18 et 19 février 2011 par l’Institut LH2 pour le Collectif interassociatif sur la santé, qui regroupe une trentaine d’associations, nous apporte l’information suivante : « en matière de difficulté géographique d’accès aux soins, en lien avec la mauvaise répartition des médecins sur le territoire, près des deux tiers – 65 % – des Français affirment qu’il faut encadrer l’installation des médecins pour les amener à exercer dans les zones où ils sont absents, plutôt que d’augmenter les aides publiques versées aux médecins pour les inciter à exercer dans la zone où ils sont absents – option qui recueille 32 % des suffrages.

Nous n’avons pas affaire sur ce point, je suppose, à un clivage politique. Cet encadrement souhaité par la majorité des Français, qui vise à répondre à la situation décrite par le professeur Vigneron et vécue par des millions de nos concitoyens ruraux ou urbains, n’est rien d’autre que la régulation de l’installation d’un corps de professionnels de santé sur le territoire.

L’article L. 1434-8 du code de la santé publique, dans son écriture d’origine, participait de cet esprit, de cette volonté de régulation. C’est pourquoi nous l’avions soutenu. Il s’agissait de prendre non pas une mesure coercitive, mais une mesure dissuasive.

Oui, monsieur le ministre, nous le réaffirmons, il faut freiner l’installation de médecins dans les zones dites pléthoriques ! Par ailleurs, nous savons tous que les mesures financières incitatives visant à l’installation de médecins dans les zones déficitaires ne sont pas efficaces. L’assurance maladie s’y est déjà essayée depuis 2007 avec des résultats très décevants.

Aujourd’hui, avec cette proposition de loi, on nous demande à nouveau de faire marche arrière. Dans tout cela, mes chers collègues, où se situe l’intérêt général ?

En revanche, parmi les dispositions de cette proposition de loi allant, nous semble-t-il, dans le bon sens, relevons les incitations au regroupement des professionnels de santé avec la création des sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires.

Nous aurions souhaité que, pour ce nouveau dispositif, les aides publiques prévues soient réservées aux seules SISA ne comptant que des praticiens installés en secteur 1. Nous prenons acte néanmoins des explications avancées : cela pourrait priver ces structures, et donc nos concitoyens, de quelques praticiens spécialistes installés en secteur 2.

Nous estimons que la question importante des secteurs 1, 2 et optionnel est à réexaminer au plus vite avec toutes les parties concernées, dans le cadre d’une mise à plat de l’ensemble des modes de rémunération des médecins libéraux. Il faut trouver une solution juste, équitable et consensuelle mettant définitivement fin au scandale des dépassements d’honoraires dont pâtissent nombre de nos concitoyens, à commencer par les plus fragiles, à savoir les personnes âgées, les jeunes, ou encore les personnes bénéficiant de la couverture maladie universelle, la CMU.

Je rappelle au passage qu’en France, selon la Mutualité française et la Caisse nationale d’assurance maladie, 41 % des professionnels de santé pratiqueraient des dépassements d’honoraires. Sont-ils toujours appliqués avec « tact et mesure », comme le prévoit le code de déontologie médicale ? Permettez-moi d’en douter avec la majorité de nos concitoyens !

Nous suggérons aussi d’ajouter l’activité de prévention parmi les activités allouées aux SISA. Nous avons d’ailleurs déposé un amendement en ce sens.

De même sommes-nous satisfaits de la définition plus précise des maisons de santé désormais dotées de la personnalité juridique – M. le ministre l’a rappelé –, de leur principe de fonctionnement, du champ de leur intervention, et des modifications introduites sur ce sujet par M. le rapporteur.

En revanche, nous souhaiterions que l’application des tarifs opposables soit obligatoire pour les maisons de santé percevant des subventions ou des dotations publiques.

Nous relevons aussi, parmi les propositions positives, les dispositions de l’article 17 ter de la proposition de loi, introduit par l’Assemblée nationale, élargissant et sécurisant le champ de l’expérimentation portant sur le rôle des sages-femmes. Durant deux ans, elles pourront pratiquer des IVG médicamenteuses, prescrire des contraceptifs et assurer un suivi gynécologique de prévention durant la grossesse, hors grossesse pathologique. Mais nous regrettons la restriction introduite par la commission des affaires sociales dans la rédaction de cet article qui replace, pour ces activités, les sages-femmes sous la supervision des gynécologues-obstétriciens.

Monsieur le ministre, mon collègue Yves Daudigny interviendra sur divers autres points de cette proposition de loi, avouons-le, un peu « fourre-tout ».

Je me limiterai donc, dans le temps qui m’est imparti, à l’évocation rapide de quelques mesures nouvelles, dont beaucoup trop n’ont rien à voir avec la loi HPST.

J’en citerai deux en particulier.

L’article 22, supprimé par la commission des affaires sociales, concernait le conventionnement mutualiste avec les offreurs de soins. Il tendait à modifier le code de la mutualité, afin de permettre aux mutuelles de procéder à un remboursement différencié de leurs adhérents. Le code de la mutualité l’interdisait en théorie, mais la pratique existait depuis longtemps. Il s’agissait donc, pour les mutuelles, de légaliser ces pratiques récemment condamnées par la Cour de cassation. Notons que les compagnies d’assurance et les instituts de prévoyance peuvent, pour leur part, pratiquer le remboursement différencié.

Bien que répondant aux préconisations de la Cour des comptes, cette disposition ne manqua pas de soulever de très fortes oppositions au nom de la préservation de la liberté de choix de l’établissement de soins ou du praticien par les patients, de la qualité des prestations fournies et de l’aménagement du territoire.

Cet article 22 était complété par un article 22 bis. Celui-ci était censé, pour l’Assemblée nationale – qui prévoyait une charte rédigée par l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire, l’UNOCAM –, permettre un bon encadrement de tout conventionnement en la matière. La commission des affaires sociales en a modifié la lettre et l’esprit. Nous en reparlerons au cours des débats.

Conscients des difficultés soulevées par l’ensemble de cette problématique, que l’on nous demande de traiter dans la précipitation, nous avons pour notre part déposé un amendement au nouvel article 22 bis, qui s’inscrit dans une perspective d’apaisement des craintes formulées, avec plus ou moins de bonne foi, par toutes les parties concernées.

Enfin, je dirai quelques mots sur le volet de cette proposition de loi touchant à la biologie médicale. Nous interviendrons sur cette question dans le débat mais, d’ores et déjà, nous relevons que de très nombreux biologistes hospitaliers ou libéraux, et plus particulièrement les jeunes, nous ont fait part de leur étonnement et de leurs grandes inquiétudes devant les mesures proposées par l’Assemblée nationale.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, en conclusion, je soulignerai que, si nous avons bien repéré dans ce texte « complexifié » certaines dispositions susceptibles de favoriser des progrès sensibles dans la prise en charge de la santé de nos concitoyens, il n’en demeure pas moins que cette proposition de loi ne satisfait pas nos préoccupations essentielles, qui concernent les inégalités, à la fois géographiques et financières, d’accès aux soins pour nos concitoyens.

Je fonde l’espoir que nos travaux permettront de retrouver la bonne voie, celle de l’intérêt général au bénéfice de tous les Français, même si, pour cela, il nous faut écorner quelques préoccupations corporatistes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Marsin.

M. Daniel Marsin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, adoptée en 2009, tendait tout à la fois à rénover la gouvernance hospitalière, garantir à tous nos concitoyens l’accès à des soins de qualité et améliorer l’organisation territoriale du système de santé.

Deux ans après la promulgation de la loi, notre collègue Jean-Pierre Fourcade, chargé d’évaluer la mise en œuvre des mesures relatives à l’hôpital et aux agences régionales de santé, nous propose, sans attendre les conclusions de sa mission, d’aménager certaines dispositions qui se sont révélées d’application difficile.

Vu l’ampleur du texte qui nous arrive en deuxième lecture, on pourrait imaginer que les difficultés d’application sont nombreuses !

M. Daniel Marsin. Il semble surtout que Gouvernement et parlementaires aient profité de l’occasion pour ajouter une série de dispositions qui n’ont que peu à voir avec la loi HPST.

Mme Annie David. C’est exact !

M. Daniel Marsin. Malgré la volonté de la commission des affaires sociales de resserrer le texte sur son objet initial, ce texte s’apparente plutôt à une loi portant diverses dispositions d’ordre sanitaire et social !

Quoi qu’il en soit, chacun d’entre nous a pu mesurer l’émoi suscité par certains articles, après l’examen du texte en première lecture par le Sénat et l’Assemblée nationale.

Je dois reconnaître que notre rapporteur, Alain Milon, a effectué un travail de qualité, s’attachant à faire un tri des sujets les plus essentiels et une synthèse des propositions. Le texte qu’il nous présente est plus concis que celui qui a été adopté par l’Assemblée nationale, et nous l’en remercions.

Parmi les points abordés par cette proposition de loi, l’accès aux soins, notamment de premier recours, est celui qui a le plus retenu mon attention.

Jeudi dernier, lors de la séance des questions d’actualité au Gouvernement, je vous ai interrogé, monsieur le ministre, sur les difficultés structurelles et financières du CHU de Pointe-à-Pitre. En réalité, cette situation touche l’ensemble des centres hospitaliers de la Guadeloupe : celui de Basse-Terre, celui de Marie-Galante, ainsi que celui de Saint-Martin.

Les récentes coupes budgétaires aussi bien pour les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation que pour les missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation, qui sont fortement touchées, et la baisse brutale des tarifs vont se traduire par une dégradation de la situation financière de ces établissements.

Faute d’accompagnement et de mesures d’urgence, l’assainissement des finances hospitalières passera par des coupes franches dans l’offre publique de soins et aura des conséquences économiques, sanitaires et sociales.

M. Guy Fischer. C’est vrai !

M. Daniel Marsin. Le taux de la démographie médicale dans nos départements est déjà l’un des plus bas de France : 206 médecins pour 100 000 habitants contre 332 en métropole, et, selon les prévisions, la situation devrait encore s’aggraver.

Il est donc nécessaire de mettre en place des mesures spécifiques, notamment en matière de formation initiale et continue pour attirer et conserver des praticiens de qualité dans nos hôpitaux publics.

La XVe conférence des fédérations hospitalières des Antilles et de la Guyane soutient l’émergence d’une faculté de médecine de plein exercice aux Antilles-Guyane. En mai dernier, Valérie Pécresse a confirmé les autorisations délivrées à l’université des Antilles et de la Guyane pour mettre en place la quatrième année de médecine dès la rentrée prochaine.

La mise en place d’un cursus complet de médecine est indispensable. Il faut aujourd’hui aller de l’avant en fixant les moyens humains et logistiques, ainsi que les contributions respectives de l’État et du conseil régional.

Les spécificités des régions ultramarines ont été bien identifiées par les travaux préparatoires au rapport Larcher : nécessité de recruter et former des personnels médicaux et paramédicaux, positionnement délicat mais indispensable en matière de recherche ou de coopération interrégionale et internationale, difficultés financières, coûts de mise aux normes en matière de risques naturels ou encore montant des frais de transports sanitaires.

Elles justifient un accompagnement lui-même spécifique. Le plan santé outre-mer arrêté par le ministère de la santé en juillet 2009 doit donc devenir une réalité tangible, être financé, suivi et évalué.

Vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, à venir aux Antilles avant la fin de l’été pour faire le point de la situation et de la mise en œuvre concrète de ce plan. Nous vous y attendons avec espoir !

M. Xavier Bertrand, ministre. Je respecterai mes engagements !

M. Daniel Marsin. Je vous remercie de votre confirmation, monsieur le ministre.

Ce problème de l’accès aux soins n’est malheureusement pas propre à la Guadeloupe ou aux Antilles. Il touche aussi la métropole où l’apparition de déserts médicaux constitue un risque en matière de santé publique. La loi HPST a tenté d’y apporter une première réponse, avec la régionalisation du numerus clausus, le contrat d’engagement de service public, ou encore le contrat santé solidarité.

Le texte prévoit de revenir sur la pénalité attachée au contrat santé solidarité et la déclaration obligatoire des absences programmées. Ces deux mesures furent l’objet de nombreuses discussions lors de nos débats. Face à un corps médical inquiet, qui ne comprend pas toujours l’activisme des élus de tous bords face aux risques de sous-médicalisation de certains territoires ruraux et urbains, nous hésitons, il faut le reconnaître, entre incitation et contrainte.

J’admets que les mesures coercitives ne sont pas forcément de bonnes méthodes dans un contexte de désaffection à l’égard de la médecine libérale, et celles-ci, en particulier, n’apportent pas de garanties pour une installation durable des professionnels dans les zones sous-denses.

Cela étant, ces dispositifs abandonnés, il faudra bien trouver des solutions de remplacement. Je ne suis pas convaincu, en effet, que les autres mesures prévues par la loi HPST suffisent à résoudre les difficultés actuelles ; si tel n’était pas le cas, nous n’aurions peut-être d’autre choix que d’en venir à des mesures qui seront bien plus difficiles à accepter par la profession.

Parmi les solutions envisagées, je citerai le développement des maisons de santé, qui attirent bon nombre de jeunes médecins, car ils n’ont pas la même volonté de pratique que les anciens. La médecine d’aujourd’hui est plutôt une médecine regroupée, avec une pluridisciplinarité organisée, et dont une partie de l’exercice peut être mensualisée. Sur ces points, la proposition apporte des avancées qu’il faut souligner.

Je voudrais évoquer également la responsabilité civile des professionnels, qui a déjà été abordée tout à l’heure. Il s’agit d’un problème qui suscite de fortes inquiétudes chez les professionnels de santé et a un impact négatif considérable sur l’offre de soins dans certaines spécialités. Nous avons déjà débattu longuement, et à plusieurs reprises, des « trous » d’assurance. À cet égard, mon collègue Gilbert Barbier a régulièrement défendu un amendement prévoyant l’intervention de l’ONIAM dans tous les cas où la couverture d’assurance médicale est épuisée ou expirée, et sans possibilité d’action récursoire. L’article 24 de la proposition de loi, tel qu’il a été complété par M. le rapporteur, nous satisfait.

Toujours concernant l’accès aux soins, l’Assemblée nationale a adopté un article 22 autorisant les mutuelles à moduler leurs tarifs lorsqu’un assuré a recours à un réseau de soins avec lequel elles ont contracté. Cette disposition ayant suscité de nombreuses réactions de la part de certains professionnels, la commission a fait le choix de la supprimer. Sans doute était-ce la voie de la sagesse.

Reconnaissons néanmoins que les réseaux de soins constituent un outil de régulation permettant, lorsque les professionnels prennent des engagements sur les prix, de limiter le reste à charge des assurés, et que la qualité n’y est pas forcément sacrifiée, comme certains ont pu le dire.

On peut aussi se poser la question de la distorsion de concurrence avec les assureurs, comme cela a été évoqué par M. Le Menn.

Enfin, la biologie médicale a, elle aussi, fait beaucoup parler.

Selon moi, ce qui doit guider la réforme se résume à quatre mots : médicalisation, indépendance, qualité des soins et services de proximité.

Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques observations que je souhaitais formuler sur cette proposition de loi. J’y reviendrai lors de l’examen des articles. (Applaudissements sur quelques travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, alors que nous nous réunirons dans quelques jours pour dresser le bilan de la loi HPST après deux années d’application, nous sommes comme par magie saisis de la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Fourcade, qui répond selon nous avant tout à une commande gouvernementale,…

M. Guy Fischer. … afin de désamorcer le mécontentement des médecins libéraux.

M. Xavier Bertrand, ministre. Que faites-vous de la séparation des pouvoirs, monsieur Fischer ?

M. Guy Fischer. Vous ne nous tromperez pas, monsieur le ministre ! (Rires.)

L’examen de cette proposition de loi en deuxième lecture nous confirme dans le sentiment que nous avions exprimé en première lecture. Cette proposition de loi, qui a pris beaucoup de densité depuis son examen par notre Haute Assemblée,…

M. Xavier Bertrand, ministre. Tant mieux !

M. Guy Fischer. … et sur laquelle M. le rapporteur a déposé un nombre important d’amendements en commission, ne correspond pas, nous semble-t-il, aux exigences de nos concitoyens, qui, vous le savez toutes et tous, attendent des réponses concrètes sur des questions essentielles.

Au regard des amendements qui ont été déposés sur cette proposition de loi, soit en séance publique soit en commission, je souhaite consacrer l’intégralité du temps de parole dont je dispose à deux sujets qui me paraissent essentiels.

J’évoquerai tout d’abord la question ô combien importante de l’accès aux soins.

En première lecture, nous avons eu un réel point de divergence avec la majorité sénatoriale et le Gouvernement sur le respect des tarifs opposables.

Pour notre part, nous réprouvons la logique que vous défendez, car elle revient à poursuivre dans la voie des politiques incitatives, reposant sur la volonté, voire sur le bon vouloir, des professionnels de santé. C’est dans cet esprit que vous avez supprimé les deux dispositions adoptées à l’occasion de l’examen du projet de loi HPST, à savoir le contrat santé solidarité et l’obligation faite aux médecins de déclarer leurs absences à l’agence régionale de santé.

Ces deux mesures étaient sans doute assez peu opérationnelles ; nous ne les avions d’ailleurs pas votées. Mais si vous les avez supprimées, c’est moins pour leur inefficacité prévisible que pour satisfaire les médecins libéraux et leurs syndicats. J’en veux pour preuve le cadre symbolique de l’annonce de cette mesure, en l’occurrence en plein congrès des médecins généralistes à Nice… D’ailleurs, il n’aura échappé à personne que vous ne proposez aucune mesure de remplacement ou de substitution.

Ainsi, malgré l’adoption de cette loi, comme de la loi précédente, les patients demeureront bien seuls face à des déserts médicaux qui ne cessent de gagner du terrain, tout comme ils sont seuls face aux dépassements d’honoraires.

Selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, de 2007 – vous voyez que le phénomène n’est pas nouveau –, les dépassements d’honoraires représentaient 2 milliards d’euros sur les 18 milliards correspondant au total des honoraires. Ce rapport précisait que les deux tiers de ces dépassements étaient directement supportés par les ménages.

La situation est telle qu’elle risque, à terme, d’entraîner des modifications importantes dans notre système de santé, avec par exemple l’émergence d’un secteur optionnel. Nous y sommes opposés, car nous redoutons que cela n’ait pour effet de vider totalement le secteur 1. Sur dix ans, les dépassements d’honoraires des médecins spécialistes ont, en moyenne, augmenté de 6,4 % par an.

C’est donc une situation gravissime, au point que Frédéric van Roekeghem déclarait le 18 mai dernier : « Ce système dure depuis trente ans et ne fait que dériver. Il faut y mettre un terme ! » Nous regrettons sincèrement que vous ne l’ayez pas entendu.

Pourtant, les restes à charge supportés par les assurés sont colossaux et ne font qu’augmenter. Selon la Mutualité française, un médecin sur quatre exerçant en secteur 2 facture des dépassements d’honoraires en complément des tarifs de base de la sécurité sociale. Le montant moyen des dépassements facturés par les spécialistes représente 54 % des tarifs de la sécurité sociale en 2010, contre 25 % en 1990.

Votre inaction en la matière est encore plus grave si l’on se projette dans le futur. Les jeunes médecins sont de plus en plus intéressés par le secteur 2. Dominique Polton, directrice de la stratégie, des études et des statistiques à la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS, précise d’ailleurs : « Les jeunes médecins s’installent massivement en secteur 2. Ce dynamisme d’installation conduit à un accroissement des dépassements d’honoraires. »

Il y avait donc urgence à agir, et vous vous y êtes refusé, contraignant les patients les plus modestes à renoncer ou à différer des soins qu’ils jugent, parfois à tort, non urgents.

Un article récent du journal Libération donne ainsi la parole à Patricia Medina, sociologue à l’observatoire régional de la santé Rhône-Alpes, que je connais bien. Selon elle, les patients mettent en place de véritables techniques de contournement pour ne plus avoir à assumer des dépassements d’honoraires. Elle explique ainsi : « De plus en plus de patients modestes s’adressent à leur généraliste, par exemple pour la pédiatrie ou la gynécologie, plutôt que d’aller voir des spécialistes qui leur coûteront plus cher. » D’autres font l’impasse sur les soins qu’ils considèrent comme « non vitaux ».

Non content de ne pas agir, vous avez également fait le choix de faire bénéficier les maisons de santé de fonds publics, au titre des missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation, les MIGAC, sans aucune contrepartie. Ainsi, bien que ne pratiquant pas le tiers payant et ne respectant pas les tarifs opposables, elles pourront bénéficier de subventions publiques, ce qui est naturellement scandaleux, en particulier à l’heure où vous tentez de faire adopter par la loi organique constitutionnalisant l’hyper-austérité.

Je voulais également aborder la question de la biologie médicale, sur laquelle je conclurai.

Sous le poids de l’Europe libérale, les laboratoires de proximité, c'est-à-dire ceux que nos concitoyens connaissent bien, sont appelés à fermer un à un, un peu comme vous avez fait ou tenté de faire fermer les hôpitaux de proximité.

M. Xavier Bertrand, ministre. C’est faux !

M. Guy Fischer. C’est vrai !

M. Xavier Bertrand, ministre. C’est vrai que c’est faux ! (Sourires.)

M. Guy Fischer. Monsieur le ministre, il y aura 250, 300, voire 400 établissements de santé qui seront restructurés…

M. Xavier Bertrand, ministre. Restructurer, ce n’est pas fermer !

M. Guy Fischer. … ou qui fermeront.

M. Xavier Bertrand, ministre. Même à la tribune du Sénat, vous dites des contrevérités !

M. Guy Fischer. Nous ne partageons pas l’esprit de l’ordonnance du 13 janvier 2010, qui prend prétexte, à l’instar de ce qui se pratique pour les hôpitaux, de règles sanitaires et de sécurité pour imposer une restructuration destinée à profiter à quelques grands groupes internationaux.

Il faut dire que l’enjeu financier est important. À terme, ce serait 3 000 petits laboratoires au chiffre d’affaires d’environ 500 000 euros qui devraient fusionner avec des structures plus grandes et être contraints à ne devenir que des centres de prélèvements. D’ailleurs, les prélèvements pourraient demain être opérés par d’autres ; je pense par exemple aux infirmiers.

Tandis que des centres ferment, les usagers pâtissent de la situation. Comment pourrait-il en être autrement lorsque le laboratoire le plus proche s’éloigne de plusieurs dizaines de kilomètres et que l’on est une personne âgée ou handicapée ?

Pendant ce temps, les industriels de l’analyse se réjouissent et sont déjà bien organisés. Pas plus tard que lundi dernier, je lisais dans le journal L’Humanité

M. Xavier Bertrand, ministre. Ah !

Mme Annie David. Le journal qui dit la vérité!

M. Philippe Dallier. Quelle référence !

M. Guy Fischer. … comment ces industriels s’organisaient.

Certaines structures proposent aux biologistes de distinguer l’usufruit, qui reviendrait aux grands laboratoires, et la nue-propriété, qui demeurerait au biologiste. Autrement dit, il y aurait, d’un côté, les dividendes et, de l’autre, la détention du capital ! (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.)

Un tel mécano financier est, on le comprend, très intéressant. Il faut dire que l’une de ces sociétés revendique tout de même 300 laboratoires pour 10 millions de patients, soit 3 % du marché européen des analyses médicales.

Naturellement, pour parvenir à vos fins, vous prenez prétexte d’une décision européenne, comme si la libre concurrence devait être une finalité en soi, comme s’il n’était pas possible d’opposer à cette mécanique nos exigences en termes de qualité, d’accès aux soins et de maillage territorial !

Nous ne souscrivons pas à cette logique et nous considérons que, loin d’améliorer la version initiale de la loi HPST, elle l’aggrave et l’accompagne encore un peu plus vers le chemin de la dérégulation et de la marchandisation de la santé. Voilà autant de raisons de voter contre la présente proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires
Discussion générale (suite)

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Clôture de la session ordinaire de 2010-2011

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle au Sénat que, aux termes du premier alinéa de l’article 28 de la Constitution : « Le Parlement se réunit de plein droit en une session ordinaire qui commence le premier jour ouvrable d’octobre et prend fin le dernier jour ouvrable de juin. »

Il est presque minuit. En conséquence, je constate que la session ordinaire de 2010-2011 est close.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIAR