Sommaire

Présidence de M. Bernard Frimat

Secrétaires :

Mme Christiane Demontès, M. Jean-Pierre Godefroy.

1. Procès-verbal

2. Démission de membres de commissions et candidatures

3. La ruralité : une chance pour la cohésion et l’avenir des territoires. – Discussion d’une question orale avec débat

M. Didier Guillaume, auteur de la question.

MM. Jean Boyer, Jean-Jacques Lozach, Robert Tropeano, Gérard Le Cam, Jacques Legendre, Hervé Maurey, Claude Bérit-Débat, Bernard Fournier, Pierre-Yves Collombat, Rémy Pointereau, Michel Teston, Joël Billard, Jean-Jacques Mirassou, René-Pierre Signé.

MM. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire ; Pierre-Yves Collombat, Didier Guillaume, auteur de la question.

4. Nomination de membres de commissions

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani

5. Candidatures à des organismes extraparlementaires

6. Débat sur la désertification médicale

M. Bernard Vera, au nom du groupe CRC-SPG.

MM. Pierre-Yves Collombat, Robert Tropeano, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jacques Blanc, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Luc Fichet, Laurent Béteille, Hervé Maurey, Georges Patient.

Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé.

7. Nomination de membres d'organismes extraparlementaires

8. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Bernard Frimat

vice-président

Secrétaires :

Mme Christiane Demontès,

M. Jean-Pierre Godefroy.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Démission de membres de commissions et candidatures

M. le président. J’ai reçu avis de la démission de M. Jean-Paul Amoudry, comme membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et de celle de M. Pierre Fauchon comme membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom des candidats proposés en remplacement.

Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.

3

La ruralité : une chance pour la cohésion et l’avenir des territoires

Discussion d’une question orale avec débat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 2 de M. Didier Guillaume à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire intitulée La ruralité : une chance pour la cohésion et l’avenir des territoires.

Cette question est ainsi libellée :

« M. Didier Guillaume attire l’attention de M. le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire sur les conditions nécessaires à réunir pour définir le nouveau visage de la ruralité française, facteur de cohésion et d’avenir pour les territoires.

« Le secteur rural représente 80 % de la superficie de la France où réside 50 % de sa population, soit plus de 32 millions d’habitants. Or, avec la disparition progressive des services publics – santé, justice, éducation,… –, le recul des implantations territoriales de l’État et les conséquences désastreuses de cette révision générale des politiques publiques, ou RGPP, qui symbolise le désengagement de l’État, ces territoires sont de plus en plus fragilisés et leurs habitants en difficulté croissante du fait de l’absence de facilité d’accès aux services publics de base.

« La ruralité constitue pourtant un secteur économique bien plus large que l’agriculture à laquelle elle est le plus souvent associée. Les territoires ruraux, ce sont aussi des PME, des artisans et commerçants dynamiques et innovants. C’est aussi une économie sociale et solidaire génératrice d’emplois, comme en témoigne la multiplication des services d’aide à la personne. C’est un laboratoire d’innovation.

« À travers ces initiatives, les territoires ruraux retrouvent un dynamisme qu’il faut contribuer à encourager collectivement afin de créer les bases d’une harmonie territoriale retrouvée en cohésion avec les territoires urbains.

« C’est pourquoi, il souhaite, à travers ce débat, demander au ministre chargé de la ruralité et de l’aménagement du territoire comment le Gouvernement entend se réengager aux côtés des collectivités territoriales et de tous les acteurs locaux pour le développement des territoires ruraux et s’il est prêt à mener une politique volontariste à l’égard de ces zones pour réduire une fracture territoriale de plus en plus marquée. »

La parole est à M. Didier Guillaume, auteur de la question.

M. Didier Guillaume, auteur de la question. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes très chers collègues, le monde rural est au cœur de notre culture, de notre identité collective, de notre patrimoine national. Que ce soit en littérature, des Paysans de Balzac jusqu’à La terre de Zola, ou en peinture, de Monet à Giverny à Van Gogh dépeignant sa Provence adoptive, il n’a cessé d’exalter le génie artistique.

Le monde rural a irrigué la France de ses valeurs de solidarité. Son implication dans la Résistance suffit à démontrer le lien inaltérable qui l’unit à notre pays, comme dans le Vercors, le Limousin ou l’ensemble des maquis de notre République.

Aujourd’hui, la ruralité ne semble pas être une priorité politique pour l’État.

Les citoyens du monde rural se sentent délaissés. Ils regardent jour après jour leurs services publics fermer, la République les abandonner. Aujourd’hui, des millions de citoyens sont en voie d’exclusion de notre « pacte » républicain, l’égalité territoriale étant bafouée. Ils ont un accès limité aux services publics de base. La mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, a accentué le phénomène. La pénurie de moyens de l’État ainsi que la logique purement comptable et de très court terme font énormément de dégâts.

Il y a urgence à agir. Notre pays tout entier est concerné par la ruralité. Le monde rural se métamorphose. Loin d’être « ringard », il constitue de formidables potentiels de développement. Il n’est pas replié sur lui-même. Il avance. Les femmes et les hommes qui y vivent se battent inlassablement sur le terrain pour améliorer le quotidien.

J’ai bon espoir qu’un avenir meilleur soit possible : un avenir de cohésion sociale et de cohésion territoriale.

Quand on est artisan boulanger à Chomérac en Ardèche, ostréiculteur à Auray dans le Morbihan, producteur de foie gras à Pomarez dans les Landes, propriétaire d’un gîte à Ribérac en Dordogne, infirmière à Valréas dans le Vaucluse, assistante maternelle à Guéret dans la Creuse, directeur d’un site de production du leader mondial du luxe LVMH à Marsaz dans la Drôme, salarié d’un parc naturel à Saint-Etienne-de-Tinée dans le Mercantour ou de La Poste à Aguessac dans l’Aveyron, plombier à Florac en Lozère, médecin à Raon l’Étape dans les Vosges, patron d’une scierie à Campan dans les Hautes-Pyrénées, chirurgien à Die ou PDG des porcelaines Revol à Saint-Uze, salarié d’un « parc aventure » à Langogne en Lozère ou restaurateurs, comme Régis Marcon à Saint-Bonnet-le-Froid, Michel Chabran à Pont de l’Isère, les frères Ibarboure à Bidart, ou encore Arrambide à Saint-Jean-Pied-de-Port, Yves Jouanny à La Remise à Antraigues-sur-Volane,…

M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. Excellents établissements !

Mme Sylvie Goy-Chavent. Et l’Ain ? (Sourires.)

M. Didier Guillaume. … les réalités de vie sont les mêmes : le fait rural.

Le monde rural est un moteur du développement, notamment économique.

Il n’est pas concevable que ses habitants soient considérés comme des citoyens low cost, confrontés aux pires difficultés concernant l’accès aux services publics primordiaux, comme la santé et l’éducation. Il n’est pas compréhensible que la fracture numérique s’accentue. Il n’est pas acceptable que la question des transports nuise encore à la vigueur économique de ces territoires.

Nous voulons un aménagement du territoire harmonisé et nous devons définir ensemble quelles sont les conditions indispensables au développement des zones rurales pour que ces territoires participent à la construction de la France du XXIe siècle.

Les habitants du monde rural ont des difficultés pour accéder aux services publics primordiaux, comme la santé, qui doit être une priorité.

Des « déserts médicaux » apparaissent aujourd’hui dans nos campagnes et nos montagnes. L’urgence actuelle est de recouvrer un haut degré de proximité. L’absence d’offre médicale et de permanence des soins sur une bonne partie du territoire français prive des pans entiers de notre société de l’accès aux soins. Les délais pour accéder à ces derniers mettent en danger les patients.

Si l’on ajoute à ce tableau la fermeture progressive de services d’urgences, de maternités et de blocs opératoires, on peut situer sans peine le degré d’abandon dans lequel se trouve actuellement le monde rural.

La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, ou loi HPST, a failli. Plus de dix-huit mois après son adoption, rien n’a changé. À Die, dans la Drôme, c’est la croix et la bannière pour trouver un chirurgien, car le service d’urgence et la maternité sont menacés. Et je ne vous parle même pas de l’hôpital de Valréas dans le Vaucluse ou des hôpitaux de proximité de Nyons et Buis-les-Baronnies. En Ardèche, la maternité de Saint-Agrève a fermé au mois d’octobre 2008 ; les femmes enceintes doivent aller jusqu’à Annonay, c’est-à-dire soixante kilomètres plus loin. Dans les Côtes d’Armor, à Paimpol, l’hôpital n’a plus d’activité depuis le mois de janvier. À Doullens, dans la Somme, après avoir perdu le bloc opératoire l’été dernier, c’est la maternité qui est aujourd’hui menacée. Et la liste des inquiétudes est longue : Figeac dans le Lot, Decazeville dans l’Aveyron, Gisors dans l’Eure…

Le doute qui pèse sur les urgences, les blocs opératoires et les maternités conduit les hôpitaux de proximité à avoir mauvaise presse, les citoyens à avoir moins confiance et les personnels à chercher un avenir ailleurs. Le débat sur les hôpitaux a des fortes conséquences sur la présence des médecins généralistes. Et quand l’hôpital est le premier employeur de la ville, comme à Buis-les-Baronnies, petite commune rurale, plus d’hôpital, cela signifierait à moyen terme 150 familles en moins pour les commerçants, les artisans et les écoles !

Il faut donc changer les normes. Le maintien en réseaux de ces structures est tout à fait viable, et il est vital ! Il y va de la sécurité de nos concitoyens !

Outre la santé, l’éducation est une exigence. Pouvoir y accéder est un impératif.

Chaque nouvelle année scolaire possède son lot de fermeture de classes. Les moyens humains mis à disposition de ces territoires semblent se déliter.

L’égalité des chances, c’est le socle de notre République. Quand des écoles de la République ferment, ce sont les fondations de notre idéal républicain qui s’effondrent.

L’éducation et la santé sont les symboles de cette République qui fuit ses responsabilités dans nos campagnes.

Mais que penser lorsque des bureaux de Poste ferment, privant les citoyens d’un moyen de communication ? Que penser lorsque des gendarmeries ferment, privant les habitants du monde rural d’un service régalien ? Que penser lorsque des tribunaux ferment, sinon que la justice française fonctionne à deux vitesses ? Que penser du débat sur le maintien des sous-préfectures, alors même que ces dernières maillent le territoire de l’action administrative de proximité ?

Que penser du passage à la télévision numérique terrestre, la TNT, qui inquiète les élus locaux avec le risque d’un écran noir dans certaines zones ?

Après ce constat, qui peut sembler négatif, je voudrais aborder deux secteurs clés du développement rural : les transports et la communication.

En matière de transports, beaucoup de paramètres structurels sont à améliorer. Je pense notamment aux infrastructures ferroviaires. Aujourd’hui, l’inégalité de desserte est incontestable. Mon collègue Michel Teston en parlera tout à l’heure.

L’entretien et le développement des routes et des autoroutes devraient être assurés, afin de permettre le désenclavement de tous les territoires. J’ai entendu les nombreuses interventions du Président de la République sur le sujet.

La mise en service du dernier tronçon autoroutier Clermont-Béziers est un signe important pour le désenclavement de nos territoires. Il est désormais prioritaire qu’il en soit de même pour la liaison Grenoble-Sisteron.

L’implantation d’entreprises et la dynamisation du tissu économique dépendent notamment de la qualité de la desserte par la route. Les transports collectifs sont essentiels, garants d’un meilleur développement durable, réduisant les émissions de gaz à effet de serre.

Par ailleurs, le numérique est une chance historique pour l’aménagement du territoire.

Ce n’est pas seulement une révolution technologique. Notre collègue Hervé Maurey l’a évoqué dans son excellent rapport. C’est une formidable opportunité pour réorienter l’économie vers le savoir et la connaissance. Le développement de la fibre optique dans le cadre du plan national « Très haut débit » constitue un nouveau tournant.

Les collectivités territoriales se sont massivement engagées dans cette voie, qui est synonyme d’aménagement du territoire, de modernité et de progrès. La ruralité à très haut débit : voilà le défi qui nous attend ! L’État doit accompagner les collectivités territoriales à cet égard.

À ce titre, il faut regretter la récente décision gouvernementale supprimant la dotation de 25 millions d’euros dédiée à l’opération « École numérique rurale ».

La fibre peut mettre le monde rural sur un total pied d’égalité avec le monde urbain. Par exemple, plutôt que de fermer une perception en zone rurale pour concentrer son activité dans la ville voisine grâce au haut débit, ne serait-il pas possible de la maintenir et de lui donner par du télétravail, grâce au haut débit, de quoi désengorger les postes comptables des grandes villes ? C’est un exemple, mais il y en a beaucoup d’autres. Cela maintiendrait la présence des services publics en zone rurale.

J’ai la conviction que le champ des possibles est immense.

Au-delà de ces constats, la ruralité est un véritable moteur de développement durable, agricole, économique, culturel et social de notre pays. Elle se définit d’abord par son économie agricole.

Aujourd’hui, les agriculteurs souffrent. Aucune filière n’a été épargnée.

Même si, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, et le ministère de l’agriculture, le revenu annuel moyen agricole s’établirait en 2010 à 24 400 euros, contre 14 600 euros en 2009, soit une progression incontestable de plus de 60 %, ces chiffres doivent être placés dans le contexte de la crise. Il s’agit en fait d’une hausse en trompe-l’œil qui fait suite à une baisse cumulée de plus de 50 % des revenus agricoles. Aucune autre profession n’aurait supporté cela, et je veux rendre hommage aux agriculteurs de notre pays.

Monsieur le ministre, au mois de mai dernier, lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, vous avez prononcé cette phrase : « Je ne saurais trop insister : sans régulation, le marché agricole européen ne sera pas viable. »

Il est sans doute trop tôt pour établir le bilan de cette loi. Sur certains points, comme le renforcement de la contractualisation, la création de l’Observatoire des prix et des marges ou encore la définition d’une véritable politique alimentaire nationale, nous pouvons nous retrouver. La régulation, nouveau maître mot de cette loi, n’est pas encore entrée en vigueur. Oui, l’agriculture française est viable et apte à nourrir les Français grâce à une alimentation de qualité !

Mais pour que notre agriculture ait un avenir, il faut mieux protéger le foncier agricole face à l’artificialisation, renouveler les générations en installant des jeunes agriculteurs et mettre en place des circuits courts permettant aux agriculteurs de mieux vivre de leurs productions et aux consommateurs d’acheter des produits de qualité à des prix abordables. Si nous croyons encore à l’agriculture française, il y a urgence !

Cependant, l’agriculture n’est pas le seul moteur économique de la ruralité, car l’économie rurale tire sa richesse de sa diversité. Il ne faut pas oublier aussi les milliers de commerçants, d’artisans, d’entrepreneurs qui exercent dans nos territoires. Leur apport n’est pas négligeable, surtout en termes d’emplois, car leurs activités ne sont pas délocalisables.

Sans ces entreprises, dont certaines d’entre elles, prestigieuses, sont leaders dans leur domaine d’activité, le monde rural n’aurait pas le potentiel important qu’il a aujourd'hui. Je pense, dans mon département, à l’entreprise Délifruits à Margès, à l’entreprise SKF Aerospace à Saint-Vallier, qui fait de la mécanique de haute précision pour la NASA et EADS, à l’entreprise Lafuma, que chacun connaît, au chocolatier Valrhona à Tain-l’Hermitage, aux Papeteries de Montségur, premier fabricant français de papier de soie, au Clos d’Aguzon à Saint-Auban-sur-l’Ouvèze, à Sanoflore, centre de recherche du groupe L’Oréal à Gigors-et-Lozeron, à Vanatome, qui équipe les centrales nucléaires en robinetterie, à l’Herbier du Diois à Châtillon-en-Diois. Leurs chefs d’entreprise et leurs salariés font vivre nos villages ; ils sont attachés à leur territoire, ils innovent, et leurs enfants sont dans nos écoles.

Tous les sénateurs pourraient dresser le même portrait de leur territoire. Il y a de grandes entreprises dans la Creuse, comme Amis, à Guéret, spécialisée dans le secteur de la forge, ou dans les Pyrénées-Atlantiques, comme Turboméca, leader mondial des turbines d’hélicoptère. Cette diversité économique est en tout cas vitale pour notre pays. Sans elle, pas de maillage économique de la France.

Le rôle joué par l’économie sociale et solidaire est également important.

Fondée sur des principes d’égalité, de responsabilité et de démocratie, l’économie sociale et solidaire propose une autre façon d’entreprendre et de créer. Il faut encourager les activités économiques et solidaires, notamment les métiers à potentiel de développement et créateurs d’emplois pour les personnes peu qualifiées. Ces activités sont indispensables. Mais pourront-elles encore fonctionner avec les baisses de crédits d’État et la baisse des contrats aidés ?

Dans bon nombre de départements ruraux, le secteur de l’aide à domicile est tout simplement le premier employeur du territoire. Je veux saluer ces associations, indispensables au lien social : l’Association d’aide à domicile en milieu rural, l’ADMR, l’association Familles rurales, les maisons sociales comme à Curnier, ou « Vieillir au village » à Puy-Saint-Martin. Ce secteur assure le lien social nécessaire à l’accompagnement, notamment, des personnes âgées, handicapées.

Au-delà, le bouillonnement culturel et social n’est pas à négliger, car la ruralité est aussi synonyme de culture. Des symboles rayonnent à l’échelle nationale. Je pense aux Vieilles Charrues à Carhaix, à Jazz in Marciac, aux Fêtes nocturnes de Grignan, au Festival international du film fantastique de Gérardmer et à de nombreux autres festivals dans notre pays.

Sur tous nos territoires, le monde associatif porté par des passionnés est d’une incroyable vitalité : culture, sport, clubs du troisième âge. C’est un véritable bouillonnement culturel et social, qui permet de construire le lien social, le « vivre ensemble ».

Voilà ce qui attire les citoyens dans nos campagnes, monsieur le ministre. C’est un mélange d’authenticité, de qualité de vie, mais aussi et surtout de dynamisme, d’inventivité, d’innovation perpétuelle, de potentialités de se réaliser, de créer de la richesse économique, sociale et culturelle.

Le monde rural est bien souvent à la pointe de l’innovation. Ses habitants, ses chefs d’entreprise, ses commerçants, ses artisans, ses bénévoles associatifs, ses élus n’attendent pas qu’on leur donne toujours plus de moyens. Ils comptent souvent plus sur eux-mêmes que sur les autres. En revanche, ils attendent qu’on leur garantisse les conditions nécessaires à leur épanouissement et à leur développement.

Se priver de ce potentiel de développement, c’est couper la France en deux. Fermer un hôpital, une école, ne pas construire les routes du numérique dans les territoires ruraux, c’est peut-être réaliser une économie comptable, mais c’est aussi hypothéquer notre avenir commun et se priver d’une chance bien réelle dont la France aura besoin pour construire son futur.

Pour ne pas poser d’hypothèque sur notre avenir, il est nécessaire de concrétiser le principe d’équité territoriale et de se mettre d’accord sur les services de base dont les zones rurales ont besoin.

Le monde rural ne saurait être opposé au monde urbain. Un aménagement du territoire harmonisé, c’est la recherche permanente d’un équilibre territorial entre le monde rural et le monde urbain. L’un ne peut aller sans l’autre.

Dans ce débat, le mot « cohésion » me semble essentiel, car la cohésion est le résultat recherché.

Dans cette quête permanente d’équilibre, l’État a un rôle central à jouer en matière d’aménagement du territoire. Néanmoins, je crains que la création du conseiller territorial ne soit un très mauvais signal.

L’État détient des leviers d’aménagement et de développement. Il doit se réengager aux côtés des collectivités territoriales pour le développement des territoires ruraux. Il doit accompagner la mutation que nous constatons au quotidien. Il doit être en mesure de garantir les fondamentaux d’un développement équilibré.

Il faut une volonté politique forte. Le « bouclier rural », que nous voulons instaurer, témoigne de ces difficultés croissantes. Le « bouclier rural », c’est la mise en place d’une politique volontariste qui pose le principe d’équité territoriale au sommet de nos valeurs. Le « bouclier rural », c’est tout simplement la défense et la promotion des services publics. Le Gouvernement devrait s’engager dans cette voie.

Il existe aujourd’hui de nombreux outils d’aménagement du territoire : intercommunalités, parcs naturels régionaux, pays. À l’instar de ce qui s’est fait pour les contrats urbains de cohésion sociale, ne pourrait-on explorer la création de contrats ruraux de cohésion territoriale ? Il s’agirait tout simplement de définir des aires géographiques sur lesquelles des services communs doivent être accessibles à tous, en tenant compte des distances à parcourir. Il serait important de déterminer la carte de tous les services sur la base de temps d’accès garanti.

En conclusion, les défis que rencontre le monde rural sont nombreux. Plusieurs questions se posent aujourd’hui.

Le Gouvernement est-il prêt à réinvestir la ruralité ? Comment entend-il se réengager aux côtés des collectivités ? Est-il prêt à mener une politique volontariste à l’égard de ces zones pour réduire la fracture territoriale ? Aujourd’hui, notre pays souffre de ce déséquilibre pesant.

Cependant – nous l’avons tous constaté – tous les jours, les élus locaux, les associations, les chefs d’entreprise se battent et font preuve d’optimisme. Parce qu’elle incarne aujourd’hui une nouvelle forme de modernité sociale et territoriale, j’ai confiance en la ruralité, j’ai confiance en son formidable potentiel de développement économique et social pour notre pays tout entier. La ruralité est porteuse de perspectives et de cohésion. J’ai la conviction, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’elle est une chance pour la cohésion et pour l’avenir de la nation tout entière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et de lUMP.)

M. le président. Dans le débat, la parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Didier Guillaume – je le dis très franchement – connaît parfaitement la France rurale. J’essaierai d’apporter mon point de vue sur les différentes questions qu’il a évoquées.

La France d’après-guerre comptait 40 millions d’habitants, dont 20 % étaient localisés en ville et 80 % en zone rurale. Aujourd’hui, la répartition est diamétralement opposée.

Cependant, certains territoires ruraux connaissent un regain d’attractivité, qu’il faut soutenir. Il faut fortifier leurs espérances et leurs atouts avant que nous ne nous trouvions face à des territoires sans hommes. Mon département – mais il ne doit pas être le seul – compte un canton de moins de cinq habitants au kilomètre carré !

Un an après les conclusions des Assises de la ruralité, il me semble opportun de rappeler trois éléments fondamentaux.

Premièrement, l’avenir des territoires ruraux passe nécessairement par une diversification de leur économie. Cette dernière est aujourd’hui encore trop limitée à l’agriculture ; c’est d’autant plus regrettable qu’on ne laisse à cette dernière qu’une mission de production brute, sans lui permettre de développer la valorisation. Je donnerai un exemple : dans mon département, la Haute-Loire, en 1990, sur 34 000 tonnes de viandes bovine ou ovine produites, 28 000 tonnes passaient par les sept abattoirs locaux ; aujourd'hui, il reste un abattoir pour prendre en charge 3 500 tonnes de viande. Nous n’allons pas dans le sens du développement des circuits courts prévu dans la dernière loi de modernisation agricole ni dans celui de la valorisation in situ des productions.

Il faudrait donc, monsieur le ministre, œuvrer pour ancrer et pérenniser territorialement les entreprises.

Des dispositifs comme les pôles d’excellence rurale – reconnaissons leur apport positif – ont contribué à soutenir et à ancrer les entrepreneurs ruraux, mais cela n’est pas suffisant. Les pôles d’excellence rurale constituent un plus, car ils sont des soutiens de projets et non des soutiens de guichets.

En outre, monsieur le ministre, le mille-feuille des dispositifs d’appui économique et des structures administratives freine vraiment le développement des projets. Certains de ceux qui souhaitent entreprendre se découragent et ne vont pas jusqu’au bout de leurs initiatives. Œuvrons donc pour plus de souplesse, de simplicité et de proximité.

Outre la fonction économique, la ruralité assure une fonction résidentielle, dopée par une mobilité croissante et la recherche d’une qualité de vie ne se rencontrant pas dans les villes. Néanmoins, la solidarité doit être objective, comprise et dénuée de démagogie.

Seulement, l’extension urbaine et le mitage des campagnes constituent un danger de surconsommation des espaces agricoles. Nous sommes passés de 35 000 hectares de terres agricoles consommés chaque année dans les années soixante à 75 000 hectares aujourd'hui. J’espère que la mise en place de l’Observatoire de la consommation des espaces agricoles jouera pleinement son rôle de régulateur et favorisera la réhabilitation d’anciennes bâtisses plutôt que le mitage incontrôlé des campagnes par la construction de maisons à 100 000 euros ! La ruralité doit pouvoir conserver l’image de son patrimoine, et des lotissements ne doivent pas dénaturer le paysage.

Si l’on considère ces trois fonctions comme structurantes, il faut désormais déterminer quelles mesures permettent au monde rural de les remplir au mieux.

Parce que deux territoires ont des problématiques différentes, il faut impérativement adopter des approches différenciées, et donc accorder aux élus locaux, notamment aux régions, des marges de manœuvre accrues.

En termes financiers, les collectivités des zones rurales sont au bord de l’asphyxie : elles n’ont qu’un faible potentiel fiscal du fait de leur densité peu importante, alors que la taille de leurs territoires engendre des surcoûts importants pour l’entretien des réseaux, des voiries et de l’assainissement.

Monsieur le ministre, le problème ne date pas d’aujourd'hui. Étant responsable agricole et très modestement rural, j’ai toujours pensé que les dotations de l’État devaient prendre en compte non seulement les hommes, mais aussi les espaces à gérer. Aujourd'hui, une commune de 200 habitants peut avoir à s’occuper d’un parking et d’une station d’épuration comme elle peut avoir à gérer – et c’est souvent le cas – vingt à trente kilomètres de voirie, divers ouvrages, des équipements d’eau ou des équipements sanitaires. Il faut donc tenir compte de cette gestion et encourager toutes les initiatives des territoires ruraux. C’est en donnant à ces derniers leur chance grâce aux pôles d’excellence rurale ou à d’autres initiatives que nous susciterons chez nos concitoyens l’envie et la possibilité de rester vivre au pays ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.

M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je formulerai tout d’abord une évidence : toute forme de recentralisation des fonctions collectives est préjudiciable aux intérêts de la ruralité, car elle appauvrit une relation de proximité, par exemple entre les services déconcentrés de l’État et les citoyens ou entre les élus et les citoyens, relation de proximité indispensable au « mieux vivre » collectif des personnes concernées.

Or, la récente réforme territoriale, tout comme la révision générale des politiques publiques, est génératrice de distanciation, de perte de sens du mandat électif pour les échelons régional et départemental, au bénéfice des représentants de l’État : transfert de diverses missions, méthode présidant au redécoupage des cantons et au schéma départemental de coopération intercommunale.

Prenons l’exemple du département. Cette année sera celle du cent quarantième anniversaire de la loi du 10 août 1871, principale loi organisant la vie de l’assemblée départementale avant les lois de décentralisation de 1982 et de 1983. Pour ce cent quarantième anniversaire, le conseil général, comme collectivité locale, ne méritait-il pas mieux que d’être soumis à une attente inquiète, à savoir sa probable disparition à l’issue d’une phase transitoire personnalisée par le conseiller territorial ?

Pour notre part, nous ne cesserons de vanter les mérites en milieu rural d’un échelon départemental de proximité et de solidarité pour nos concitoyens, mais également de repère et d’équilibre dans une mondialisation qui ne cesse de gagner du terrain.

Derrière la révision générale des politiques publiques, le démantèlement des services publics, la fragilisation des conseils généraux et régionaux, derrière la réforme territoriale, y a-t-il une vision historique de l’organisation territoriale de la République et du futur de la ruralité ?

Non ! Nous constatons simplement l’application d’une logique comptable entraînant la réduction brutale des effectifs et des dépenses, sans anticipation de l’avenir mais assortie d’une incompréhensible uniformisation des décisions. Ainsi se multiplient aveuglément les restructurations judiciaires, militaires, scolaires, hospitalières... Par exemple, dans mon département, la Creuse, l’unique service de radiothérapie vient de fermer, obligeant des patients souvent gravement malades à parcourir plus d’une heure de route pour trouver un service de cette nature, au moment où le cancer devient la première cause de mortalité en France !

Dans notre pays, c’est l’État qui a construit la nation. La déliquescence de l’accès pour tous à des services publics comme la santé, l’éducation ou la sécurité émiette le socle de notre République et les valeurs de protection et d’équité qu’elle représente.

Il en va de même avec la suppression de la taxe professionnelle et son corollaire, la coupure du lien entre l’entreprise et son territoire. Or toute politique nationale indifférente aux liens charnels entre l’homme, son territoire, sa production et sa culture s’avérera mortifère pour la dignité de nos terroirs et de leurs habitants, car elle est ignorante des réalités de la campagne et bêtement méprisante pour une prétendue « France profonde » qui ne se situe pas toujours là où on le croit.

Oui, le monde rural est bien plus vivant et plus complexe que ce qu’imaginent certaines administrations. Il est surtout capable de prendre en main son destin, dès lors qu’on ne crée pas les conditions de sa résignation. Demain – on en voit déjà certaines prémices –, les conséquences sociales, humaines, financières, sanitaires, psychologiques, sécuritaires et environnementales de l’hyper-concentration urbaine seront telles que la ruralité sera de plus en plus désirée et sollicitée. C’est cette appréhension de la société de demain que nous devons anticiper dès aujourd’hui.

La ruralité peut être une chance pour la France si certaines conditions sont remplies : une politique ambitieuse, globale, transversale, intégrant ses spécificités dans les schémas nationaux des infrastructures, un régime dérogatoire pour les services publics, une attention spécifique au réseau des PME-PMI, une reconnaissance majeure des zones d’élevage dans les déclinaisons budgétaires de la future politique agricole commune, une action plus forte face aux menaces de fracture numérique, le maintien de dispositifs analogues aux zones de revitalisation rurale, les ZRR, mais spatialement plus concentrés, une attention déterminée portée aux conditions d’accueil de nouvelles populations ou activités, ou bien encore la création d’une véritable cinquième branche de la sécurité sociale concernant le risque de dépendance en faveur des personnes âgées, nombreuses dans les espaces ruraux.

En période de crise, il est impératif d’apporter plus à ceux qui en ont le plus besoin ; cela vaut aussi pour les territoires.

L’urgence est telle que nous devons aller plus loin que les simples appels à candidatures pour les pôles d’excellence rurale, les PER. Par ailleurs, la baisse de 14 %, en 2011, des moyens d’intervention de la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, la DATAR, n’est pas de nature à rassurer les porteurs de projets.

L’aménagement du territoire mérite d’être une priorité nationale, la population étant d’ores et déjà hyperconcentrée sur 20 % de la superficie de notre pays, ce qui, selon moi, ne représente nullement un progrès de civilisation. Le face à face État-métropoles va laisser tous les « espaces interstitiels » abandonnés au « chacun pour soi ». Nous regrettons également que le dernier remaniement ministériel ait conduit à la dilution de la ruralité dans un grand ministère « fourre-tout », non complété par un ministère délégué ou un secrétariat d’État spécifique.

M. Bruno Le Maire, ministre. Cela peut encore changer !

M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le ministre, il nous faut une grande loi sur le développement des territoires ruraux, portée par une idée légitime exprimée à travers l’expression « bouclier rural », comportant notamment le maintien ou le rétablissement de services publics indispensables à la cohésion sociale.

Oui, la ruralité est riche de virtualités, d’attentes et d’exigences ! Aussi, l’État mais également l’Europe doivent-ils l’aider à choisir le meilleur d’elle-même, en jouant toutes ses cartes avec détermination. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.

M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la ruralité a été longtemps associée à la seule activité agricole et perçue comme un espace périphérique, assimilé à un simple lieu de loisirs ou de vacances et à une vaste réserve foncière au service d’une urbanisation et d’un aménagement non réfléchis. Après un déclin certain, elle connaît un renouveau depuis une dizaine d’années, notamment avec l’arrivée de nouvelles populations. Par exemple, tous les mois, 1 500 habitants supplémentaires rejoignent le territoire de mon département de l’Hérault. Aujourd’hui, comment ne pas voir que cette ruralité est une chance pour la France ?

Au-delà des agriculteurs qui demeurent le « cœur battant » de nos campagnes, les artisans, les commerçants, les PME industrielles et de services forment un tissu économique dynamique. Le succès des pôles d’excellence rurale prouve bien à quel point les territoires ruraux fourmillent de talents et d’initiatives, dans le domaine des bio-ressources, du patrimoine, du tourisme, ou encore des nouvelles technologies. Les villes n’ont plus le monopole de l’excellence, de la compétence ou de l’innovation !

Terre de culture, de traditions, de valeurs de solidarité, de convivialité et de confiance, la ruralité est aussi source d’équilibre dans une société à la recherche d’un sens, d’un ancrage au territoire et d’une qualité de vie bien difficile à trouver en ces temps de crise. Enfin, occupant 80 % de la superficie de la France, elle est garante des équilibres environnementaux et constitue un atout pour relever les défis alimentaire et énergétique de demain.

C’est dire la responsabilité qui nous incombe – elle incombe en premier lieu à l’État – quant au soutien de ces territoires ruraux. En effet, si la campagne séduit, son attractivité est inégale suivant les régions ou les départements, que ce soit en termes d’accès aux technologies numériques, aux transports, aux soins, à la culture et au logement. Une telle inégalité est inadmissible dans notre République. Lorsque les services périscolaires manquent, lorsque les écoles ferment, lorsqu’il faut attendre six mois avant d’obtenir un rendez-vous chez l’ophtalmologiste ou chez un autre spécialiste, lorsque la désertification médicale inquiète nos concitoyens, lorsqu’il faut parcourir des kilomètres pour étudier ou travailler, comment, dans ces conditions, fixer une population sur un territoire, attirer de nouvelles familles et ouvrir des perspectives de vie aux jeunes ?

Je relisais récemment le discours tenu par le Président de la République à Morée, en février 2010. Il y prend des engagements en faveur des territoires ruraux : maisons de santé, couverture en téléphonie mobile et très haut débit, développement de lignes TGV supplémentaires, désenclavement routier des territoires les moins bien desservis. On ne peut évidemment que souscrire à de tels objectifs, mais force est de constater, monsieur le ministre, que ces engagements sont quelque peu contredits par les décisions politiques et les arbitrages budgétaires.

S’agissant des services de l’État et des services publics, dont le maintien est essentiel, en particulier dans les territoires les plus isolés et à faible densité démographique, la politique menée par le Gouvernement semble répondre à une logique de concentration et de rentabilisation dictée par la révision générale des politiques publiques. Avec la réforme de la carte judiciaire, de la carte hospitalière, de la carte pénitentiaire et de la carte scolaire, tout un ensemble de services sont transférés vers les métropoles régionales ou économiques. Mais tous les départements ne sont pas irrigués par de telles métropoles ! Pour ceux qui ne le sont pas, les écarts se creusent avec les autres territoires.

Aujourd’hui, il faut se battre pour obtenir simplement le maintien des services, alors qu’il faudrait améliorer et moderniser ces derniers. Un accord de partenariat a certes été signé au mois de septembre 2010 entre l’État et onze acteurs nationaux, dont neuf opérateurs de service public. Toutes les régions sont concernées, mais seulement une partie des départements. Quoi qu’il en soit, la précédente charte signée en 2006 n’avait pas donné les résultats espérés.

S’agissant des transports, l’avant-projet de schéma national d’infrastructures de transport, le fameux SNIT, ne nous rassure guère sur le désenclavement des territoires les moins desservis. Les routes nationales, les voies ferrées de fret et les transports express régionaux, les TER, sont délaissés au profit de quelques grandes lignes à grande vitesse et autres axes autoroutiers.

Autre défi de taille : la fracture numérique. Il est clair qu’on ne fera jamais venir un jeune médecin, avec son conjoint, dans une commune dépourvue d’accès au numérique de nouvelle génération ! C’est donc une priorité absolue pour des communes rurales vivantes. Mais, avant de se lancer dans le « très haut débit », achevons déjà la couverture en « haut débit », car certains territoires n’y ont pas encore un accès effectif, bien que certains départements se soient lancés dans ces projets. On ne peut avoir, d’un côté, des populations qui bénéficieront d’accès au très haut débit et, de l’autre, des populations qui devront se contenter durablement d’une connexion à haut débit de mauvaise qualité, voire, dans certains cas, d’une connexion à bas débit pourtant commercialisée à des tarifs comparables, sinon plus élevés. Les pouvoirs publics se doivent de remédier à cette inégalité. Dans son rapport remis le 26 octobre 2010 au Premier ministre, notre collègue Hervé Maurey propose notamment d’inclure le haut débit dans le périmètre du service universel. Quelle est votre position sur cette question, monsieur le ministre ?

J’en viens à une autre contradiction : comment pouvez-vous appeler de vos vœux le développement des services à la personne quand, dans le même temps, vous supprimez dans le projet de loi de finances pour 2011 les allégements de charges dont bénéficiaient les prestataires, qui font pourtant un travail indispensable et remarquable en faveur des personnes fragilisées en milieu rural ?

Comme vous le constatez, monsieur le ministre, les inquiétudes sont réelles, d’autant que vous appartenez à un gouvernement qui a fait le choix de brider les marges de manœuvre des collectivités territoriales, acteurs économiques pourtant incontournables en matière d’aménagement du territoire. Celles-ci doivent de plus en plus suppléer aux défaillances de l’État, notamment en matière d’infrastructures ou de services au public. Comment pourront-elles continuer à le faire avec des hausses de dépenses liées à des transferts de compétences insuffisamment compensés, la mise à mal de leur autonomie financière ou le gel de leurs dotations pour les prochaines années, sans parler des financements croisés, dont personne ne sait ce qu’ils vont devenir ?

Il y aurait évidemment bien d’autres choses à dire, notamment sur le développement d’une offre de logements locatifs à prix raisonnable, sur l’accompagnement de l’emploi, sur le maintien d’une agriculture forte et diversifiée, nécessaires à la vitalité du monde rural.

S’agissant de l’agriculture, c’est toute la ruralité qui souffre lorsqu’elle est en crise ! Vous le savez d’ailleurs plus que tout autre, monsieur le ministre. De ce point de vue, vous n’êtes pas resté inactif, bien que nous ne souscrivions pas totalement à la vision développée dans la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Nous comptons sur vous pour défendre les principes de la politique agricole commune dans les négociations à venir et pour soutenir, en particulier, les petites exploitations.

Monsieur le ministre, dans un contexte difficile, avec des crédits en baisse, quelles perspectives la République est-elle en mesure d’offrir à la ruralité et à ceux qui la font vivre au quotidien ? Nous comptons sur votre détermination, à la fois comme ministre de la ruralité et de l’aménagement du territoire et comme élu d’un département rural, pour faire en sorte que tous nos concitoyens, sur l’ensemble des territoires ruraux, soient traités avec la même attention que les habitants des grandes agglomérations.

Ainsi que l’a souligné notre collègue Didier Guillaume, nous avons confiance en l’avenir de la ruralité, à condition que soient accordés à cette dernière les moyens de son développement. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le peu d’efficacité de la loi relative au développement des territoires ruraux de 2005 nous amène à aborder les questions de la ruralité – des ruralités ! – et de la fracture territoriale qui continue de s’amplifier.

La question orale posée par notre collègue Didier Guillaume énumère très justement les conséquences de l’ensemble des réformes qui sont aujourd’hui mises en œuvre par la majorité gouvernementale et qui entravent le développement des territoires ruraux. Notre collègue appelle ainsi de ses vœux une prise de conscience des conséquences dramatiques de la réorientation des politiques publiques. Nous sommes en total accord avec cette exigence.

Didier Guillaume relève en particulier trois types de mutations qui affectent les territoires ruraux : la mutation institutionnelle, qui permet une centralisation des pouvoirs à une plus grande échelle, la mutation de l’intervention publique, qui se restreint à sa plus faible expression selon la logique de la révision générale des politiques publiques, et, enfin, le changement du statut et des missions des services publics, auxquels on demande non plus de répondre à l’intérêt général, mais simplement d’être rentables pour les investisseurs. Ces transformations conduisent à mettre de côté les exigences d’un aménagement équilibré du territoire, d’égal accès aux services publics et de cohésion sociale et territoriale.

Nous estimons que ce changement d’orientation est contraire au pacte républicain.

En effet, loin de penser que les 36 000 communes constituent un handicap pour le dynamisme de la France ou que le « mille-feuille territorial » serait source de confusion et de lenteur, nous considérons au contraire que cette diversité est l’expression de la grande richesse de notre pays. Mais les transformations en cours, notamment celles qui ont été introduites par la réforme des collectivités territoriales, visent à éloigner les lieux de décisions des citoyens en centralisant les pouvoirs.

Ainsi, le département est dévitalisé et les communes sont sommées de se regrouper au sein d’intercommunalités, des intercommunalités non de projet mais imposées par le pouvoir central. Ce phénomène est accentué par la mise en perspective des métropoles et des pôles métropolitains qui engendrent la construction d’intercommunalités gigantesques aux pouvoirs considérables. Il s’agit ainsi, de manière très habile, de couper le lien vital entre les élus et leurs administrés, à l’image de ce qui se prépare pour le Grand Paris.

Les pôles de compétitivité et les pôles d’excellence rurale, sans avoir la dimension d’une réelle politique d’aménagement et de revitalisation des territoires, ont certes apporté un peu d’oxygène ici et là. Leur incidence reste à mesurer.

Ces politiques menées par la droite ont pour conséquence la création d’une France à deux vitesses : d’un côté, des pôles économiques et urbains concentrant l’ensemble des pouvoirs, des savoirs et des moyens et, de l’autre, le reste de la France, dépourvu de tout, où l’accès aux services publics dépend des possibilités des collectivités de proximité et de la rentabilité qu’y trouvent les opérateurs. Or, notre conception de la solidarité et de la cohésion nationale doit permettre une péréquation effective des moyens entre tous les territoires placés sous l’égide de l’État.

À cela s’ajoute le fait que, désormais, les collectivités n’ont plus les moyens de répondre aux besoins des citoyens, notamment du fait de la réforme de la taxe professionnelle, qui les a privées d’une ressource essentielle.

D’une part, les pertes engendrées par cette réforme ont été chiffrées par le député Gilles Carrez, qui a évalué son coût pour l’État à 8,9 milliards d’euros en 2010 et à 7,5 milliards d’euros en 2011. Ce dernier chiffre est déjà comparable à l’ensemble des baisses d’impôts sur les sociétés consenties entre 2000 et 2009, ce qui fait dire à M. Carrez, député issu des rangs de la majorité, que « la réforme de la taxe professionnelle apparaît […] comme un allégement historique de la pression fiscale pesant sur les entreprises ». Cette analyse est partagée.

D’autre part, le Gouvernement a également porté un coup terrible à la capacité d’intervention des collectivités, notamment rurales, par le gel des dotations aux collectivités territoriales, alors que, en cette période de crise économique sans précédent, la demande de services de proximité est à son comble et les collectivités apparaissent souvent comme l’amortisseur social face à la précarité.

Pouvons-nous vraiment les asphyxier sans mettre en péril les services publics locaux ? Nous ne le pensons pas. Il est donc maintenant urgent de revenir sur cette réforme.

De plus, la refonte de la carte électorale pour les futurs conseillers territoriaux conduira à une révision du découpage des cantons et à la suppression de certains d’entre eux par fusion de cantons ruraux. Nous estimons là encore que ces territoires feront les frais, dans leur représentation, de la volonté du Gouvernement de rationaliser l’administration territoriale.

S’agissant de la deuxième mutation invoquée, celle de l’intervention de l’État dans les territoires, la politique de rigueur appliquée aux territoires est un non-sens, comme le symbolise la réforme de la révision générale des politiques publiques.

Ainsi, les services de l’État ne disposent plus de moyens suffisants, notamment pour instruire les demandes de permis de construire dans certains départements. À ce sujet, ma collègue Évelyne Didier me signalait que le préfet de sa région reconnaissait dans l’un de ses courriers son incapacité, faute de moyens humains.

Nous avons également vu les conséquences désastreuses de ces politiques lors des différents épisodes neigeux, pendant lesquels la restructuration des services de l’équipement et le désengagement de l’État se sont traduits par l’incapacité de faire face aux difficultés.

J’en viens enfin à la transformation de la présence des services publics sur le territoire.

Les Assises des territoires ruraux ont mis en évidence de fortes attentes de la part des habitants en matière de services publics. Mais la réponse apportée par le Gouvernement consiste à transformer le service public en services au public.

La nouveauté de l’accord que celui-ci a récemment passé avec un certain nombre d’entreprises et d’organismes publics réside effectivement dans la mise en place de structures de mutualisation des services publics. À cette occasion, le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire avait bien précisé qu’il s’agissait non pas de redéployer ces services, mais de « mettre des services là où ils ne sont plus et là où ils n’ont peut-être jamais été, à un coût abordable pour les opérateurs ».

Nous en revenons donc à cette sacro-sainte rentabilité, qui justifie le démantèlement de l’ensemble des grands services publics de réseau – énergie, transport, postes, télécommunications – et, maintenant, des services sociaux comme l’hôpital, grâce à la transposition de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, la fameuse directive Bolkestein.

La privatisation successive des services publics, notamment en matière de télécommunications, a conduit à une diminution de la présence des infrastructures correspondantes sur le territoire.

C’est particulièrement le cas de La Poste : la loi portant son changement de statut a permis de garantir la présence sur l’ensemble du territoire, non pas de bureaux de poste de plein exercice, mais simplement de points de contact, c’est-à-dire de services aux rabais rendus par les commerçants déjà implantés.

C’est également le cas du fret ferroviaire, cette activité étant laminée dans un objectif de rentabilité économique. Pourtant, les conséquences sur le terrain pour les petites et moyennes entreprises, les PME, sont particulièrement néfastes. Celles-ci sont dorénavant obligées de faire appel à la route, en contradiction avec les impératifs de rééquibrage modal affirmés au sein du Grenelle de l’environnement.

Le futur financement du schéma national des infrastructures de transport est lui aussi très inquiétant, eu égard aux délais envisagés et à l’appel conséquent au cofinancement des collectivités rurales.

Dans ce contexte, comment encourager l’implantation de commerces de proximité, des PME et des artisans ? Chaque année, les parlementaires doivent se battre contre le Gouvernement, qui n’a de cesse de réduire les crédits du Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC.

En déménageant les territoires, quelle France construisez-vous, monsieur le ministre ?

Nous voyons pourtant bien que nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à faire le choix d’une installation en province afin de bénéficier d’une autre qualité de vie. Si toutes les infrastructures de service public ont disparu, si les écoles, les hôpitaux et les tribunaux ont fermé, comment accueillir ces populations ? C’est un paradoxe auquel il faut penser.

Je souhaiterais également dire un mot sur le réseau internet de haut débit, dont la présence sur l’ensemble du territoire est annoncée depuis de nombreuses années. Déjà en décembre 2005, le Gouvernement s’engageait à offrir à l’horizon de 2007 l’accès à ce réseau à toutes les communes de France, et ce à un prix acceptable. Nous sommes aujourd’hui encore loin du compte.

L’adoption du grand emprunt a offert à la majorité une nouvelle occasion d’affirmer le fibrage du territoire pour permettre l’accès de tous aux nouvelles technologies, par le déblocage de 2 milliards d’euros en faveur du très haut débit. La réalité est néanmoins tout autre : aujourd’hui encore, le réseau internet à haut débit n’a pas atteint toutes les campagnes françaises.

À ce titre, la loi relative à la lutte contre la fracture numérique, que nous avons adoptée voilà maintenant une année, n’a fait qu’accentuer les inégalités d’accès au réseau entre les zones dites « denses », essentiellement urbaines, et les zones dites « peu denses », essentiellement rurales.

Selon cette loi, les collectivités doivent déterminer leur schéma directeur territorial d’aménagement numérique pour prétendre à une subvention de l’État, c’est-à-dire à un financement partiel. Mais seuls 34 projets sur 61 ont été retenus pour être financés. Nous estimons que cette question ne pourra pas se résoudre tant qu’un grand service public des télécommunications ne sera pas créé, financé par l’État et garantissant à tous ce droit du xxie siècle.

Nous considérons en outre qu’il est urgent de mettre un point d’arrêt à ces réformes, de réorienter les richesses vers les besoins, notamment par la création d’un pôle public financier permettant de réaliser les investissements d’avenir, et de placer les banques sous contrôle. Nous estimons également qu’il est nécessaire de refonder les services publics autour de la notion de l’intérêt général, et non de la rentabilité pour les actionnaires.

Nous exigeons le respect de l’autonomie des collectivités territoriales, notamment rurales, comme gage d’une démocratie vivante.

Monsieur le ministre, l’évolution structurelle et démographique des ruralités de très nombreuses régions françaises appelle des réponses adaptées à la hauteur des enjeux. Pour ce qui concerne ma région, la Bretagne, une progression de 24,1 % de la population est attendue sur la période allant de 2007 à 2040. Elle s’appuie essentiellement sur le solde migratoire.

Comment nos collectivités vont-elles pouvoir accueillir ces populations ? La loi du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, la réduction de la consommation des terres agricoles et le manque de moyens financiers des collectivités ne risquent-ils pas de créer un effet de ciseau, bridant ainsi toute évolution pour aller gonfler les métropoles quasi invivables ?

Le monde rural attire les retraités urbains, les pauvres et certains actifs pensant que la pauvreté est moins dure à la campagne et que la solidarité y est plus grande. C’est déjà un leurre aujourd’hui et, si nous n’y prêtons garde, ce sera un véritable piège à misère demain. Peu d’éléments invitent à l’optimisme, monsieur le ministre, qu’il s’agisse de l’évolution du revenu agricole, de la désertification médicale, du niveau des salaires et des retraites, de l’évolution des transports collectifs et industriels, du démantèlement des services publics…

La France rurale, qu’elle soit périurbaine, agricole ou paysagère, mérite mieux. Il n’est pas trop tard pour envisager des réponses adaptées. La ruralité n’est pas un handicap, c’est un véritable atout pour la France. Sachons l’utiliser au bon moment, c’est-à-dire dès maintenant ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.

M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la ruralité est une chance pour la France ! C’est une conviction forte de tous les membres de mon groupe et elle est largement partagée sur ces travées. Même dans un département dit « urbain », comme le département du Nord, nous pouvons observer l’existence de larges zones rurales, qui constituent un atout.

Je pourrais donc reprendre certaines des analyses qui viennent d’être formulées, mais je voudrais plus particulièrement axer mon propos autour des observations de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, que je préside, sur ce sujet.

C’est par le prisme de l’enseignement agricole que la commission aborde principalement, dans ses travaux, le problème de la ruralité. Nous avons souvent témoigné, au cours des dernières années, notamment lors des discussions budgétaires, de notre attachement à cet enseignement d’excellence, qui permet à de nombreux jeunes des territoires ruraux d’apprendre un métier et de trouver une voie. Ses succès en termes de remédiation et d’insertion professionnelle sont le fruit d’un modèle pédagogique innovant ; ils sont aussi le signe de la capacité de cet enseignement à rester à l’écoute des territoires et des mutations du monde économique.

L’enseignement agricole ouvre désormais les portes à une grande variété de carrières, y compris dans les services à la personne et les métiers du développement durable, qui ne manqueront pas de progresser rapidement dans les années à venir. En outre, il contribue de façon décisive à l’aménagement du territoire et à la vitalisation des zones rurales.

C’est pourquoi, tout en restant vigilants, nous soutenons les efforts de modernisation qu’a engagés le Gouvernement dans la foulée des Assises de l’enseignement agricole public et de la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche.

Par ailleurs, attachée à assurer l’égalité des chances et la réussite de tous les élèves sur l’ensemble du territoire national, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a pris une initiative forte en faveur des écoles rurales, lors de la récente discussion du projet de loi de finances pour 2011.

Au printemps 2009, dans le cadre du plan de relance, le Gouvernement a lancé un programme d’équipement numérique d’écoles situées dans des communes de moins de 2 000 habitants, dont les moyens sont généralement limités. Il s’agissait de doter les écoles rurales d’ordinateurs, de tableaux interactifs et d’autres matériels informatiques, pour avoir la garantie que les élèves de milieu rural pourraient eux aussi accéder à la maîtrise des nouvelles technologies. En contrepartie, les communes concouraient au financement en assumant certaines charges comme l’abonnement au réseau internet à haut débit de l’école.

Doté initialement de 50 millions d’euros, ce plan a finalement bénéficié, compte tenu de l’ampleur des demandes émanant de communes volontaires, d’un budget de 67 millions d’euros, ayant permis d’équiper 6 700 communes. Nous avons tous constaté, lors de nos déplacements, l’intérêt des élèves et l’enthousiasme des enseignants pour ce dispositif. (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.) Pour m’être souvent rendu dans des villages bénéficiant de l’opération « École numérique rurale », je considère que celle-ci constitue un véritable progrès et qu’il est important qu’un maximum de petites communes puisse y avoir accès.

M. Jacques Legendre. Pour assurer son prolongement, la commission avait proposé une rallonge de 25 millions d’euros dans le budget pour 2011 par un amendement que le Sénat avait adopté à une large majorité. Malheureusement, nos collègues députés – peut-être sont-ils plus éloignés des préoccupations profondes des territoires… –ne nous ont pas entendus : la proposition de la commission a été écartée par la commission mixte paritaire (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame à nouveau.) et l’opération « École numérique rurale » ne sera donc pas poursuivie, à notre grand regret.

On va nous dire, je le sais bien, que l’équipement des écoles est du strict domaine de compétences des communes et que l’État n’a pas à y participer. Mais je sais aussi ce que m’indiquent les maires de communes de 300 ou de 400 habitants – il y en a aussi dans le si peuplé département du Nord – : ils voudraient s’engager, mais ne peuvent pas ou peuvent très difficilement rassembler les moyens pour mettre en œuvre cette opération « École numérique rurale » dans leur commune et, donc, ouvrir ce dispositif à leurs jeunes.

Il est vrai que la répartition des compétences entre l’État et les collectivités prévue par le code de l’éducation met à la charge des communes les dépenses informatiques des écoles. Mais il est tout aussi vrai que les communes rurales n’ont tout simplement pas, dans leur grande majorité, les moyens financiers suffisants pour doter leurs écoles d’équipements numériques satisfaisants. Elles n’ont certainement pas les moyens dont disposent de grandes agglomérations, qui jouissent déjà d’avantages considérables en matière de connexion à haut débit, d’équipement en ordinateurs et d’acclimatation de la culture du numérique dans les foyers.

L’État serait donc parfaitement dans son rôle de garant de la cohésion nationale s’il aidait les petites communes à s’équiper. Il agirait en outre en stratège économique avisé puisque le développement du numérique en milieu rural contribuerait à une exploitation optimale du potentiel économique injustement méconnu de nos territoires.

Face à une certaine incompréhension de nos collègues députés, il faudra inventer de nouvelles solutions. Quelles sont, monsieur le ministre, les intentions du Gouvernement en matière de développement du numérique dans les écoles rurales ? J’ai la conviction que, si nous souhaitons sincèrement réduire la fracture numérique, si nous voulons donner à tous nos enfants pleinement accès aux formidables ressources d’internet, nous ne pourrons éviter de recourir à des moyens exceptionnels, car le défi des nouvelles technologies que doivent relever les territoires ruraux est lui-même d’une importance exceptionnelle.

Relever ces défis, c’est au sens le plus concret et le plus noble, monsieur le ministre, faire œuvre d’aménagement du territoire. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier M. Didier Guillaume d’avoir pris l’initiative de demander l’inscription à notre ordre du jour de cette question orale avec débat, qui porte sur un sujet extrêmement intéressant.

J’insisterai pour ma part sur l’importance de la couverture numérique pour les territoires ruraux. Un territoire rural, même s’il est enclavé, même s’il est défavorisé, peut bénéficier d’un réel développement économique et touristique et présenter une forte attractivité si sa couverture numérique est satisfaisante ; dans le cas inverse, il connaîtra un déclin inexorable.

Je voudrais appeler l’attention sur le fait que la situation n’est pas aussi positive et satisfaisante que certains, notamment les opérateurs, aimeraient nous le donner à penser. À cet égard, les résultats d’un sondage publiés par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, montrent que 52 % des ruraux jugent mauvaise la couverture numérique dont ils disposent. Voilà quelques années, ce taux d’insatisfaction était beaucoup moins élevé.

En matière de téléphonie mobile, par exemple, on nous explique que 99 % de la population est desservie, mais il suffit, pour qu’une commune soit considérée comme couverte, qu’un point de son territoire le soit.

M. Hervé Maurey. Nous avons eu un débat sur ce thème lors de l’examen de la proposition de loi de notre collègue Daniel Marsin et adopté à cette occasion un amendement, contre l’avis du Gouvernement, tendant à corriger la situation en la matière. J’espère que ce texte sera étudié par l’Assemblée nationale et que les choses évolueront.

Sur ce même sujet de la téléphonie mobile, j’ai un vrai motif d’inquiétude. Il était prévu que les fréquences attribuées dans le cadre du dividende numérique le seraient selon des critères d’aménagement du territoire. Or on dit de plus en plus que le Gouvernement voudrait revenir sur ce principe, pour chercher simplement à vendre ces fréquences au prix le plus élevé possible. Hier encore, Les Échos en faisaient état.

On nous annonce également des chiffres tout à fait extraordinaires pour le haut débit. Ainsi, 98,5 % de la population serait couverte, mais nous savons très bien que la réalité est tout autre. Il n’est pas de semaine que nous ne soyons sollicités à ce sujet par des citoyens ou des élus. Vous le savez, monsieur le ministre, vous qui êtes élu du même département que moi. Le hasard fait que, ce matin encore, j’ai reçu une lettre d’un maire souhaitant attirer mon attention sur l’absence de couverture numérique à haut débit du territoire de sa commune. Quand nous nous tournons vers l’opérateur historique, il nous répond que, grâce à la solution satellitaire, la totalité de la population est desservie. Peut-être, mais on sait très bien que, en dépit des avantages de l’offre satellitaire, la couverture n’est alors pas assurée dans les mêmes conditions, notamment en termes de services et de tarifs.

La mission qui m’a été confiée m’a permis d’étudier la question de la couverture numérique à très haut débit. Je crains que les objectifs légitimement ambitieux fixés par le Président de la République ne puissent être tenus, parce que l’on a choisi un modèle de déploiement permettant aux opérateurs de déterminer à leur guise les périmètres de desserte, ce qui signifie qu’ils s’intéresseront aux seules zones rentables et que les secteurs ruraux attendront bien au-delà de 2025 pour être couverts.

Alors, que faire ? Je crois qu’il faut d’abord que le Gouvernement affirme clairement une volonté de faire de la couverture numérique des territoires ruraux une priorité et, au-delà, pose des actes pour donner une portée concrète à cette volonté.

En outre, il me semble également nécessaire de revoir fondamentalement la relation entre l’État et les opérateurs. Aujourd’hui, en effet, l’État leur laisse la bride sur le cou, se bornant à alourdir régulièrement la fiscalité pesant sur leur activité, l’opérateur historique lui versant en outre, naturellement, de copieux dividendes… Cela est plus facile à dire qu’à faire compte tenu de la situation de nos finances publiques, mais il conviendrait peut-être, à mon sens, de se montrer plus exigeant avec les opérateurs en termes de respect de leurs obligations de service public qu’en termes de rendement fiscal.

S’agissant de la téléphonie mobile, il importe, je l’ai déjà dit, que la proposition de loi de notre collègue Daniel Marsin poursuive son chemin et que les fréquences issues du dividende numérique soient bien attribuées, comme prévu par le législateur, en fonction de critères d’aménagement du territoire. Il faut que l’ARCEP prononce enfin des sanctions contre les opérateurs ne respectant pas les engagements pris.

La possibilité d’inclure la couverture numérique à haut débit dans le service universel doit être examinée. Nous aurons sans doute un débat sur ce thème lors de la discussion du paquet « télécoms ». À tout le moins, le Gouvernement devra prendre des engagements sur la mise en place d’un véritable « haut débit pour tous », pour reprendre une formule figurant dans le rapport que j’ai rédigé et que le Premier ministre a bien voulu citer lors d’un récent déplacement dans la Manche.

S’agissant du très haut débit, il convient d’alimenter très vite, me semble-t-il, le Fonds d’aménagement numérique du territoire, qui ne dispose toujours pas de recettes pérennes. Il faut veiller au déploiement de la fibre en milieu rural, en donnant la priorité, naturellement, aux zones d’activités et aux services publics. Le modèle de déploiement choisi doit être revu.

En conclusion, monsieur le ministre, nous aimerions vraiment que le Gouvernement considère l’aménagement numérique des territoires ruraux comme une priorité. Je sais que cela n’est pas facile, compte tenu des contraintes budgétaires, mais je crois qu’il y va de l’avenir de ces territoires. Ce sujet n’est d’ailleurs pas sans lien avec celui, que nous aborderons cet après-midi, de la désertification médicale, problème que l’accès au très haut débit permettrait de régler en partie. La présence de médecins en milieu rural est nécessaire pour que vive la ruralité. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.

M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une réelle désertification rurale menace notre pays. Mon collègue Didier Guillaume a bien identifié les causes de cette désertification. Il a aussi insisté à juste titre sur le fait que celle-ci n’est nullement une fatalité. Je fais miennes sans réserves son analyse et ses propositions, notamment pour ce qui concerne les contrats ruraux de cohésion territoriale.

Ce débat, qui intervient donc dans un contexte délicat, est d'autant plus bienvenu que les collectivités, qui sont au cœur du développement rural, se trouvent dans une situation difficile. Elles sont confrontées, avec la suppression de la taxe professionnelle et la réforme des collectivités territoriales, à un véritable big bang fiscal et institutionnel.

Les collectivités qui font vivre nos territoires ruraux sont celles qui sont le plus pénalisées par le retrait de l'État, alors que le milieu rural exerce une véritable attraction sur nos concitoyens, comme le montrent les chiffres de l’INSEE. Ce fait est particulièrement marqué en Aquitaine, puisque la population de cette région s’est accrue, même dans ses départements intérieurs et ruraux, comme la Dordogne.

Cette évolution s'explique par la recherche d'une qualité de vie de plus en plus appréciée. Mais les nouveaux ruraux ont, légitimement, des exigences identiques à celles des urbains en termes de services en général, et de services publics en particulier.

Or, aujourd'hui, au nom de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, ou plutôt au prétexte de sa mise en œuvre, un désengagement profond, massif et dangereux de l'État s’opère. On constate, surtout en milieu rural, une dégradation, voire une disparition, des services publics, avec la suppression de bureaux de poste, de gendarmeries, de tribunaux, de perceptions, d’hôpitaux de proximité, sans parler des fermetures de classes de maternelle ou dans le primaire.

Les collectivités locales se trouvent également confrontées à des difficultés croissantes pour développer des services à la personne, comme les crèches ou les aides à domicile.

Il est donc indispensable que l'État prenne la mesure des problèmes et mette en place, au bénéfice des territoires ruraux, une véritable politique en matière d'infrastructures de transport, de télécommunications, de couverture numérique à haut débit, de services de santé ou à la personne. Je pense en particulier, à cet égard, au schéma national des infrastructures de transport, dont la route nationale 21 est la grande oubliée.

Les collectivités locales, appelées à suppléer l'État, ne pourront plus continuer très longtemps à assumer le rôle d’amortisseur social, de défenseur de la solidarité et de la cohésion territoriale qu'elles jouent aujourd'hui.

Ainsi, en Dordogne, mon département, l’intercommunalité que je préside est intervenue pour essayer, notamment, de réduire la fracture numérique, en mettant en place la couverture à très haut débit par fibre optique. Nous avons également cherché à dynamiser le territoire, en particulier la filière agroalimentaire, qui est la locomotive économique du département. Dans cet esprit, nous avons créé une pépinière d'entreprises dédiée à cette filière et un institut du goût, qui permet aux artisans, aux industriels et aux agriculteurs de bénéficier de conseils, mais aussi des services d'un laboratoire d'analyse sensorielle. Nous avons en outre multiplié les actions en matière de transport de personnes et de maillage du territoire. Ce ne sont là que quelques exemples, qui illustrent le rôle important que jouent les collectivités, notamment les intercommunalités, dans les territoires ruraux.

Malheureusement, la réduction des moyens financiers et institutionnels due à la politique actuelle rend l'action difficile. Si cela continue, on se heurtera à une impossibilité de développer le milieu rural. Ce serait un énorme gâchis. Comme beaucoup d’autres élus, je lutte quotidiennement pour l’éviter, car je crois que la ruralité est un atout pour l’avenir de notre pays. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier.

M. Bernard Fournier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, étant profondément attaché à la ruralité, où j’ai mes racines, je suis très heureux de pouvoir participer aujourd'hui à ce débat. J'habite encore un territoire rural, de montagne.

Depuis quelques années, certains indicateurs nous montrent que, à l’évidence, la perception des territoires ruraux par nos concitoyens a changé. La tendance s’est inversée, et ces territoires bénéficient de nouveau d'une véritable attractivité, d'une vraie dynamique. Cela, nous le devons notamment aux évolutions de la société, aux politiques menées par les élus de terrain et l'ensemble des pouvoirs publics. Nous ne pouvons que nous féliciter de ce changement.

Tout d'abord, depuis une trentaine d'années, la France rurale connaît une croissance démographique qui a mis fin à un exode commencé en 1850, et qui s'était accéléré après la Première Guerre mondiale. Il s’agit d’un point essentiel. Ce mouvement est perceptible dans la quasi-totalité des régions françaises. Les nouveaux habitants de nos campagnes sont souvent issus des villes. Ce sont de jeunes familles, des retraités, mais aussi des entrepreneurs, à la recherche d’une vie moins stressante, de davantage de sécurité, d’un environnement plus agréable, d'espace tout simplement.

Ces nouveaux ruraux font évoluer nos campagnes et sont demandeurs de nombreux services. S’ils sont venus s'installer sur ces territoires, c'est notamment parce que le désenclavement de nos départements et de nos régions s'est considérablement accéléré avec le développement des lignes à grande vitesse et du réseau routier, dont j’ai pu mesurer directement les effets dans mon département, mais aussi dans le Massif central, même si des efforts restent encore à faire. Je prendrai l'exemple, à cet égard, de l'autoroute A 45 : nous nous battons depuis longtemps, malheureusement, pour faire avancer ce dossier.

L'évolution formidable qu’a connue le secteur des télécommunications dans son ensemble, avec internet, la téléphonie mobile et aujourd'hui la télévision numérique terrestre, a changé nos façons de communiquer et a brisé l'isolement des territoires les plus enclavés. C'est une des révolutions technologiques les plus importantes de ces dernières années, parce qu’elle a modifié les mentalités et qu'elle offre, en particulier, des perspectives incroyables aux entreprises voulant s'installer dans nos petites communes ou aux personnes désireuses de travailler depuis leur domicile.

Je voudrais saluer les efforts du Gouvernement, qui a mis en œuvre le programme national « très haut débit », en fixant pour objectif que tous les Français puissent bénéficier d’une telle couverture d'ici à 2025.

Je n'oublie pas que le passage à la télévision numérique terrestre, qui interviendra dans mon département le 14 juin prochain, sera aussi un véritablement bouleversement pour des millions de nos concitoyens.

Le monde change très vite, les mentalités aussi, comme je le disais tout à l'heure, c'est pourquoi nos politiques doivent être flexibles, s'adapter. En matière de services publics, nous devons, avant tout, étudier les besoins de la population afin de répondre à ses demandes essentielles. Comme le rappelait le Président de la République lors de son discours de Morée, « la responsabilité de l'État face aux besoins des habitants de la ruralité c'est que, partout, vous ayez accès aux services essentiels, les services à la population ».

J'ai entendu à de nombreuses reprises affirmer que La Poste disparaîtrait, qu'il fallait maintenir tous les bureaux de poste, même dans les communes où ils n’accueillent que quelques clients par semaine. Aujourd'hui, j'entends aussi beaucoup de gens se féliciter des services des agences postales communales ou des points-poste. Nous sommes même allés plus loin, puisque nous avons garanti par la loi l’existence de 17 000 points de contact sur le territoire national et que La Poste s'est engagée à équiper d'un distributeur de billets, dans les deux ans à venir, les bourgs-centres isolés qui n'en sont pas déjà pourvus.

Par ailleurs, l'État et neuf des principaux opérateurs publics français ont signé une convention de partenariat relative aux services publics, dont la vocation est d'accompagner le développement des territoires ruraux dans lesquels la population commence à croître.

Il est indéniable que le Gouvernement multiplie les initiatives et les projets en direction des territoires ruraux. Je citerai, à cet égard, la poursuite de la politique des pôles d’excellence rurale, avec le lancement d’une seconde génération d’appels à projets, le dispositif des grappes d’entreprises ou encore le formidable succès du plan « écoles numériques rurales ».

Néanmoins, à propos de l’avenir de la ruralité, je voudrais soulever deux interrogations majeures : la première, sur laquelle je vous ai déjà interpellé voilà quelques semaines, monsieur le ministre, lors de la discussion des crédits de la mission « Politique des territoires », porte sur la désertification médicale ; la seconde concerne les agriculteurs, qui fondent l’identité même des territoires ruraux.

Vous le savez, les médecins sont très mal répartis sur le territoire : la désertification médicale est un problème crucial. La situation, sur le terrain, tend à se dégrader. J’espère vraiment que le plan national de financement des maisons de santé pluridisciplinaires produira ses effets le plus rapidement possible, et qu’il en ira de même pour les autres mesures prises par le Gouvernement. Je pense, en particulier, aux bourses réservées aux étudiants en médecine qui s’engageront à exercer dans des territoires à faible densité médicale.

Je sais que le Président de la République est très sensible à cette question et qu’il souhaite que des mesures efficientes puissent être prises dès cette année, notamment sur les bases des conclusions du rapport de Mme Hubert. Aussi souhaiterais-je connaître les décisions que le Gouvernement pourrait prendre dans les prochains mois.

Quant aux agriculteurs, en particulier les producteurs laitiers, ils ont beaucoup souffert de différentes crises. Ils sont l’âme même, la mémoire de nos territoires, qu’ils ont sculptés et qu’ils entretiennent au jour le jour. Sans eux, sans leurs exploitations, ce sera la fin de la ruralité ou du moins du monde rural tel que nous le connaissons. Ils contribuent bien sûr à l’approvisionnement alimentaire de nos populations, mais également à l’aménagement du territoire. Je sais, monsieur le ministre, que la plupart de vos efforts sont consacrés à les défendre. Eu égard aux problèmes de compétitivité, de revenus qu’ils rencontrent, nous devons tous nous mobiliser à leurs côtés pour les soutenir, que nous œuvrions au sein des collectivités territoriales, du Gouvernement ou des instances européennes.

Enfin, en tant que président de l’Union des communes rurales de la Loire, je tiens à saluer le dévouement des maires, des adjoints et des équipes qui travaillent, dans les communes et les communautés de communes, bien souvent bénévolement, au développement culturel, touristique, social et économique de nos territoires ruraux. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. – M. Didier Guillaume applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il peut paraître saugrenu que j’intervienne à ce stade du débat pour seulement une minute, mais cela tient à la logique bureaucratique, selon laquelle un sénateur ne peut répondre au ministre s’il n’a pas pris part à la discussion générale.

Je ne me donnerai pas le ridicule de tenter de développer une analyse sur le monde rural en un laps de temps aussi court. Je m’en tiendrai donc là dans l’immédiat, et j’interviendrai de nouveau tout à l’heure pour réagir aux propos de M. le ministre. L’échange est nécessaire, un débat ne saurait se résumer à des discours parallèles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Je vous remercie, cher collègue, d’avoir respecté votre temps de parole ! (Sourires.)

La parole est à M. Rémy Pointereau.

M. Rémy Pointereau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour en finir avec les clichés, je soulignerai d’emblée que, contrairement aux idées reçues, le monde rural connaît un nouveau souffle. Même s’il reste encore des défis importants à relever, notamment pour assurer un accès équitable à certains services publics, un accompagnement des mutations de l’activité agricole ou une plus grande synergie entre les acteurs économiques et le territoire, ruralité n’est plus forcément synonyme de déclin et de désertification.

Cette question orale sur la ruralité posée par notre collègue Didier Guillaume me fournit l’occasion de rappeler que l’État, le Gouvernement ne désertent pas, quoi qu’on dise, les zones rurales, malgré la contrainte qu’exerce sur nos finances publiques la crise économique et financière que nous traversons.

En tant que rapporteur pour avis des crédits de la mission « Politique des territoires » et membre de la commission nationale de présélection des pôles d’excellence rurale, mais aussi en tant que maire d’une commune de 400 habitants et élu d’un département rural, le Cher, je suis bien sûr très attaché à la cohésion territoriale et très soucieux de l’avenir des territoires ruraux.

Bien entendu, tout n’est pas parfait, mais tout est perfectible. Les assises des territoires ruraux, mises en place par votre prédécesseur Michel Mercier, monsieur le ministre, ont permis de mettre en lumière nombre de propositions.

Il faut tout d’abord constater que de nombreux outils d’intervention existent déjà : s’ils méritent d’être améliorés pour accroître leur efficacité, leur pertinence n’est pas en cause. L’action publique a donc moins besoin d’outils nouveaux que d’un renforcement de la cohérence entre des initiatives d’origines diverses.

Cette cohérence passe d’abord par l’affirmation de trois principes pour l’intervention des pouvoirs publics : il faut préciser le rôle de l’État au sein des pouvoirs publics pour accroître l’efficacité de son action, améliorer la gestion publique et la lisibilité des outils d’intervention ; soutenir les territoires ruraux les plus fragiles par la péréquation et l’aide aux projets ; enfin passer de la protection du patrimoine naturel, culturel et bâti à sa valorisation et mobiliser les ressources humaines pour développer les capacités d’initiative locales.

Ainsi, l’avenir des territoires ruraux peut certes passer par des mesures nouvelles, mais aussi, tout simplement, par l’amélioration des nombreux dispositifs existants.

Parmi ceux-ci figurent les pôles d’excellence rurale, dont j’ai eu l’occasion de présenter ici même une évaluation et un bilan. Ce dispositif a été un formidable accélérateur de projets pour les territoires. Un effet de levier a pu être constaté pour la première vague de projets, en 2006 : 380 pôles d’excellence rurale ont alors été labellisés, en complément des pôles de compétitivité qui irriguent aussi nos territoires ruraux. Les territoires se sont mobilisés très rapidement, même si cela a été un peu moins vrai pour certains départements ou régions. L’État a laissé l’initiative aux acteurs locaux, dans un esprit de partenariat, en faisant travailler ensemble des collectivités et des partenaires privés qui n’en avaient pas l’habitude. Cette opération a finalement été un succès pour les territoires ruraux.

S’agissant du nouvel appel à projets – 179 ont déjà été retenus –, j’avais formulé vingt préconisations. Toutes ont été reprises, sauf deux que je tiens à présenter de nouveau pour améliorer le dispositif : il s’agit de l’apport d’une aide à l’ingénierie pour monter les projets et de la mise en place d’une ligne budgétaire spécifique aux pôles d’excellence rurale pour assurer une meilleure lisibilité de l’action.

Autre dispositif important, les zones de revitalisation rurale ont contribué, depuis 1995, à créer ou, du moins, à mettre en place des conditions favorables au développement de l’activité économique dans nos territoires ruraux, en attirant des professionnels par des exonérations fiscales et sociales.

Même si nous nous sommes inquiétés, à un moment donné, de la remise en cause trop brutale de l’exonération de charges pour les organismes d’intérêt général prévue à l’article 88 du projet de loi de finances, les choses sont rentrées dans l’ordre. Monsieur le ministre, ne changeons pas trop les règles d’un dispositif qui joue un rôle correctif indispensable pour des territoires en situation d’inégalité démographique et économique.

Je pourrais également évoquer, à la suite de mon collègue Bernard Fournier, le programme national « très haut débit », qui doit permettre de couvrir l’ensemble des foyers d’ici à 2025 : il faudra pour cela que le Fonds d’aménagement numérique du territoire soit suffisamment alimenté. Mais n’oublions pas ceux qui, aujourd'hui encore, n’ont même pas accès au haut débit. Les départements et les régions doivent aussi faire un effort pour améliorer la situation.

L’opération de financement de 200 maisons de santé pluridisciplinaires contribuera à enrayer la désertification médicale en milieu rural, phénomène dont la responsabilité n’incombe pas au présent gouvernement, puisqu’il résulte de décisions prises dans les années quatre-vingt, visant à réduire le numerus clausus pour les études médicales.

Je voudrais citer en outre l’opération « + de services au public », qui permettra d’expérimenter, dans vingt-trois départements, la mutualisation des moyens de partenaires tels que La Poste, EDF, la SNCF, les caisses d’allocations familiales, Pôle emploi, au sein de maisons de services publics et au public numérisées. L’objectif est de répondre aux attentes de nos concitoyens grâce à des formules innovantes. Il n’est pas satisfaisant qu’un bureau de poste ferme à 16 heures alors que la majorité des usagers souhaitent pouvoir y passer après leur journée de travail, vers 18 heures ou 19 heures. Les agences postales communales répondent parfois mieux que La Poste aux besoins de la population.

J’évoquerai enfin le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, par le biais duquel l’État soutient le maintien ou la reprise des petits commerces de proximité. Grâce à un amendement de mon collègue Gérard Cornu, son enveloppe financière a d’ailleurs été relevée de 20 millions d’euros dans le budget pour 2011. Il faudrait cependant rendre éligible au FISAC la petite hôtellerie rurale, qui, soumise à de nombreuses normes, a des besoins financiers importants.

En conclusion je parlerai brièvement de l’agriculture, qui occupe une place prépondérante dans l’économie rurale. Elle structure nos territoires, elle façonne nos paysages. Si, depuis peu, la situation s’est améliorée pour les grandes cultures, le marché étant porteur – mais pour combien de temps ? –, tel n’est pas le cas pour le secteur de l’élevage, où la crise n’a pas commencé en 2007, mais perdure depuis plus de dix ans. Il faut prendre des mesures d’urgence en faveur des éleveurs.

Monsieur le ministre, ce débat sur la ruralité, nous l’avons déjà engagé depuis longtemps. Je connais votre conviction, votre énergie pour défendre l’agriculture. Il est très cohérent d’avoir élargi le champ de vos compétences à l’aménagement du territoire et à la ruralité.

Cher collègue sénateur Didier Guillaume, ce qui compte, ce n’est pas seulement la quantité des moyens financiers, c’est aussi la qualité et l’efficacité des mesures mises en place. La boîte à outils, nous l’avons ; il faut savoir l’utiliser, mettre les mains dans le cambouis, ce qui est le rôle des élus, dont l’action peut parfois faire la différence entre les territoires.

M. Didier Guillaume, auteur de la question. C’est incroyable d’entendre cela !

M. Rémy Pointereau. Faisons donc confiance à l’intelligence territoriale, soyons acteurs de notre développement ! J’aurais également pu évoquer le problème des infrastructures routières et ferroviaires, qui relèvent de la compétence de l’État, mais il s’agit à mon sens d’un autre débat. En tout état de cause, la ruralité est bien vivante. Mon collègue Joël Billard, grand spécialiste du sujet, y reviendra tout à l’heure. Nous sommes des partisans résolus de la cohésion territoriale ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les territoires ruraux ont été fragilisés par la disparition de nombreuses activités économiques et par l’exode de leur population.

Pourtant, ces territoires exercent aujourd’hui un attrait croissant sur de nombreux citadins, grâce à des atouts tels que la qualité de vie ou l’espace disponible. Cette attractivité est la conséquence de l’engagement fort des différents acteurs locaux, qui ont mis en place des actions volontaristes.

Or, alors même que nombre de nos concitoyens souhaitent s’installer sur ces territoires, les services publics nationaux ont une certaine tendance, pour ne pas dire une tendance certaine, à délaisser l’espace rural…

Ainsi, l’État joue de moins en moins son rôle en matière de péréquation, alors qu’un aménagement équilibré et solidaire du territoire impose qu’il se réengage aux côtés des collectivités territoriales et des autres acteurs locaux, en particulier dans les deux importants domaines suivants : les déplacements et le désenclavement numérique.

En 2003, la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, la DATAR, avait identifié huit aires géographiques, parmi lesquelles le sud de l’Ardèche, se trouvant à l’écart des grands réseaux de communication et pour lesquelles se justifieraient des engagements financiers spécifiques.

Le désenclavement de ces territoires doit être inscrit dans le schéma national des infrastructures de transport. Il doit pouvoir s’agir d’aménagements routiers dans les départements non desservis par le rail ou dont la desserte ferroviaire ne peut être réellement améliorée.

S’agissant du mode de transport ferroviaire, la priorité doit être donnée à la régénération des lignes d’équilibre du territoire, ainsi que des petites lignes utilisées par les trains express régionaux, les TER, et les trains de fret.

D’ailleurs, il n’est pas normal que les régions, qui financent déjà le renouvellement des matériels, soient obligées d’intervenir sur les infrastructures ferroviaires pour des raisons de sécurité. À mon sens, seule la reconnaissance du caractère d’intérêt général du fret ferroviaire est de nature à garantir la desserte de tout le territoire national, et particulièrement celle du Massif central.

J’en viens au désenclavement numérique. S’il ne faut pas tout en attendre, il n’en demeure pas moins qu’il est très important pour les territoires concernés et que sa mise en œuvre ne peut pas être laissée au bon vouloir des seuls opérateurs, qui suivent une logique d’écrémage du marché.

Le 25 septembre dernier, la Commission européenne a reconnu la nécessité de réviser la notion de service universel, qui ne s’applique qu’à la téléphonie fixe. Le service universel doit concerner la téléphonie mobile, le haut débit et le très haut débit. Quant à la TNT, elle doit être accessible à tous.

Faisant le constat de l’insuffisance du soutien de l’État, les collectivités territoriales se sont largement engagées dans ces domaines. Nous ne pourrons pas accepter longtemps encore que ce soient les collectivités, au premier chef les moins riches d’entre elles, qui consentent les efforts d’équipement en vue du désenclavement numérique.

Monsieur le ministre, l’État est-il prêt à assurer une véritable péréquation, notamment en utilisant les crédits du Fonds d’aménagement numérique du territoire ? Une réponse positive à cette question est d’autant plus nécessaire que de nouveaux usages – je pense aux smartphones ou aux tablettes – imposeront d’accroître la capacité des réseaux et de généraliser le très haut débit.

Monsieur le ministre, le 17 décembre dernier, à Agen, lors de votre discours de clôture du séminaire national du Réseau rural français, vous avez affirmé que « la ruralité, c’est la modernité ». Pour que cette affirmation ne soit pas seulement une belle parole, il convient que l’État se réengage dans tous les territoires fragiles, particulièrement dans l’espace rural. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Joël Billard.

M. Joël Billard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord dire à mon ami Rémy Pointereau que je n’ai pas le sentiment d’être, plus qu’un autre, un spécialiste de la ruralité : je suis tout simplement un élu rural ayant eu l’honneur de rédiger un rapport sur ce sujet, à la demande du Président de la République.

Depuis plus d’une décennie, la ruralité connaît un regain démographique. En effet, tous les ans, quelque 150 000 citadins s’installent en milieu rural, dans des zones périurbaines dans les deux tiers des cas. Ils sont attirés tout d’abord par une meilleure qualité de vie, un prix du foncier attractif et une fiscalité encore raisonnable pour l’instant.

Notre France rurale, qui accueille déjà plus de 23 millions de nos concitoyens, qu’ils habitent au cœur de la campagne, dans les petites villes ou dans les zones périurbaines, voudrait être mieux reconnue.

L’opinion publique est consciente que le monde rural représente une chance pour notre pays : 75 % des Français rêvent de vivre à la campagne, et 90 % des urbains considèrent les zones rurales comme des territoires de développement.

M. René-Pierre Signé. Ils ne viennent pas !

M. Rémy Pointereau. Ils ne viennent pas dans la Nièvre !

M. Joël Billard. Toutefois, elle est aussi consciente que ce développement ne sera pas possible sans une politique volontariste, également attendue par les élus ruraux, qui mesurent l’importance des besoins à satisfaire et sont prêts à assumer toutes leurs responsabilités ; mais encore faut-il qu’ils disposent des moyens et des soutiens nécessaires !

En ce qui concerne les moyens, est-il normal que la dotation globale de fonctionnement bonifiée d’une communauté de communes soit de l’ordre de 18 euros par habitant, alors que son montant est proche de 90 euros par habitant pour une communauté urbaine ? De surcroît, les zones urbaines bénéficient déjà de ressources plus importantes que les territoires ruraux, grâce notamment à la fiscalité sur les entreprises. Alors que leurs recettes fiscales sont beaucoup plus faibles, les secteurs ruraux doivent faire face à l’accroissement, voire à l’explosion, des dépenses liées aux services à la population, en particulier ceux qui concernent l’enfance : garderies, centres de loisirs, scolarité.

À titre d’exemple, la scolarisation d’un enfant coûte environ 1 200 euros par an à ma commune, tandis que la fiscalité communale ne rapporte en moyenne que 800 euros. Je n’ai pourtant pas l’impression que ma commune soit un paradis fiscal !

Même si le Gouvernement a la volonté de réduire ces inégalités, il me paraît indispensable d’engager un débat, une réflexion sur la péréquation en faveur des territoires ruraux, en vue de donner à ceux-ci les moyens nécessaires à leur développement.

Concernant le soutien, nos communes rurales, malgré la mise en place des communautés de communes, manquent cruellement d’ingénierie et n’ont pas les moyens de la financer. Ne pourrait-on envisager de faire appel aux compétences techniques des services décentralisés de l’État,…

M. Claude Bérit-Débat. Il n’y en a plus !

M. Joël Billard. … qui, aujourd’hui, sont ressentis par nombre d’élus locaux comme hostiles, en raison notamment d’une attitude souvent très tatillonne, ayant pour effet de freiner les actions locales, ce qui emporte des conséquences économiques non négligeables ? Lequel d’entre nous n’a jamais eu affaire à la direction départementale des territoires, à la direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement, la DRIRE, à la direction régionale de l’environnement, la DIREN, à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, la DDASS, aux architectes des Bâtiments de France ou aux services archéologiques ? Je ne voudrais pas allonger mon propos en évoquant des exemples plutôt navrants, mais le montant des travaux bloqués atteint aujourd’hui 20 millions d’euros pour ma communauté de communes, qui regroupe vingt et une communes et 12 000 habitants.

Cette attitude des services de l’État engendre en outre un découragement grandissant parmi des élus qui travaillent inlassablement pour le bien de leurs concitoyens.

La critique est aisée, l’art est difficile, mais, pour l’heure, une solution facile et peu coûteuse pour remédier à ces graves dysfonctionnements serait de mettre en place un médiateur de la ruralité, sujet que j’ai évoqué avec vous, monsieur le ministre, et avec M. le président du Sénat. Ce médiateur, dont l’action serait un gage d’efficacité, ferait le lien entre les administrations et les élus ruraux. (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur certaines travées de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.

M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, incontestablement Didier Guillaume a eu raison de poser cette question orale avec débat sur l’avenir de la ruralité, et ce à un double titre.

Tout d’abord, la date est bien choisie, car ce débat s’inscrit dans le prolongement de la suppression de la taxe professionnelle et, surtout, de la réforme des collectivités locales. À cet égard, il appartiendra du reste à la majorité d’assumer ses responsabilités et les conséquences de son vote !

En effet, si le débat sur cette question est momentanément clos dans cet hémicycle, il n’est pas près de s’éteindre dans les territoires, dont les élus s’interrogent à juste titre sur l’avenir de leurs collectivités, particulièrement en milieu rural. Le problème de fond reste entier, d’où la pertinence de la question soulevée par notre collègue Didier Guillaume.

Que l’on me permette, à cet instant, d’évoquer le cas de la Haute-Garonne, département quelque peu atypique où le Grand Toulouse concentre plus de la moitié de la population et une large part du tissu industriel, des services, des facultés, des laboratoires de recherche, etc. Pour autant, ses zones rurales ne sont pas sinistrées, parce que le conseil général, qui disposait jusqu’à présent de quelques moyens, mène une politique volontariste d’accompagnement de l’essor de la métropole tout en se refusant à considérer comme une fatalité la transformation de la partie rurale du département en désert économique semé de villes réduites au statut de cités dortoirs.

L’effort considérable fourni par notre département en matière d’aménagement du territoire, de transports interurbains, de couverture numérique à haut débit, de soutien à la création de pépinières d’entreprises et aux investissements communaux n’a d’autre finalité que d’assurer partout la présence des infrastructures et des services publics locaux –assortis des moyens humains afférents – indispensables pour fixer la population et renforcer l’attractivité des territoires pour les entreprises. Bref, il s’agit de faire en sorte qu’il n’y ait pas deux classes de Haut-Garonnaises et de Haut-Garonnais !

Parallèlement, monsieur le ministre, faut-il encore souligner les dégâts considérables engendrés par la mise en œuvre de votre révision générale des politiques publiques, qui, jour après jour, méthodiquement, inexorablement, entraîne la suppression de services publics de proximité : perceptions, bureaux de poste, services scolaires, gendarmeries, tribunaux ?…

Tout récemment, pour tenter de masquer ce problème, vous avez expliqué que tous les services publics étaient désormais joignables par internet. Cela est vrai, mais je crains que, de proche en proche, vous n’en veniez à prétendre que, à terme, la télémédecine se substituera aux médecins généralistes en milieu rural. Ceux-ci jouent un rôle irremplaçable : au-delà de l’accès aux informations, nous savons tous que seul le maintien des moyens humains permet d’entretenir un lien social auquel le monde rural est à juste titre très attaché.

Voilà donc exposées deux démarches reflétant des options politiques diamétralement opposées, plus ou moins assumées selon le cas. Ainsi, alors que le conseil général de la Haute-Garonne vient d’inaugurer à Saint-Gaudens une structure décentralisée regroupant l’ensemble de ses services, qui a coûté la bagatelle de 14 millions d’euros, le Gouvernement, quant à lui, raye brutalement de la carte judiciaire le tribunal de grande instance de cette même commune, où la justice était rendue depuis la Révolution française. On comprendra donc que les interrogations des Haut-Garonnaises et des Haut-Garonnais restent entières !

D’ailleurs, comme si cela ne suffisait pas, le deuxième acte de cette mauvaise pièce a vu la suppression de la taxe professionnelle, qui réduira fortement les capacités d’investissement du conseil général, des communes rurales et des EPCI.

Enfin, au troisième acte a été créé le conseiller territorial, dont l’apparition répond à la mise en place d’une nouvelle carte du territoire. La représentation des zones rurales se trouvera fatalement diluée, en raison de l’augmentation considérable de la taille des cantons.

Que dire de ce nouvel élu hybride, qui, à force d’être partout, ne sera nulle part et se trouvera de fait coupé de ses administrés et privé d’une vision réaliste du territoire qu’il aura la charge de représenter ?

Au total, monsieur le ministre, le gouvernement auquel vous appartenez aura réussi le tour de force de revenir sur trente ans de décentralisation. Alors qu’il fallait simplifier, introduire ou renforcer la notion d’égalité entre les territoires, il a recentralisé et enclenché de surcroît l’appauvrissement des territoires par la suppression de la taxe professionnelle et le gel des dotations. Nous ne pouvons que le déplorer.

La Haute-Garonne court ainsi le risque de voir mise à mal une dynamique mise en œuvre par la majorité de gauche de son conseil général et le président de celui-ci, Pierre Izard, dynamique qui a pourtant fait ses preuves au quotidien.

Dans cet hémicycle, nous sommes nombreux, sur les travées de gauche, à croire en l’avenir de la ruralité, à l’instar des élus locaux, qui connaissent les ressources, les potentialités et les ambitions de leurs territoires, mais sont trop souvent maltraités par le gouvernement actuel. Parfaitement conscients des enjeux du xxi e siècle, ils attendaient du Parlement et du Gouvernement le franchissement d’une nouvelle étape dans la décentralisation, avec à la clé une refondation de la politique des territoires et une redéfinition de leurs compétences.

Les pistes de travail ne manquent pas. Avec talent et conviction, Didier Guillaume a exposé tout à l’heure les principes à suivre. Malheureusement, les différents votes émis par la majorité lors de la discussion de la suppression de la taxe professionnelle et de la réforme des collectivités territoriales ont montré qu’elle manquait de volonté politique et tournait le dos à une démarche partenariale.

Ces votes vous ont en outre quelque peu disqualifié aux yeux des élus locaux, monsieur le ministre. Il vous sera très difficile de renouer le dialogue avec eux, d’autant que le document récemment diffusé par le Gouvernement n’est pas de nature à les rassurer. Les élus locaux ont pris la mesure du décalage existant entre les annonces faites par l’État et leur traduction concrète.

Peut-être, monsieur le ministre, votre réponse constituera-t-elle pour nous une bonne surprise. Je le souhaite, mais, pour être franc, je doute un peu que vous puissiez donner à la ruralité l’impulsion dont elle a besoin. Je compte plutôt, pour cela, sur l’émergence d’une nouvelle majorité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.

M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est le premier pays rural d’Europe, par le nombre de communes et de ruraux, ainsi que par un mélange entre tradition et centralisation, culture régionale et identité nationale, ayant sans doute contribué au rayonnement culturel de notre pays dans le monde.

Lorsque l’on évoque la ruralité, la première question qui se pose est de savoir si l’on souhaite qu’elle continue d’exister. La politique actuelle de concentration urbaine et de suppression des services publics contribue à l’affaiblir et pourrait même, à terme, la faire disparaître.

La directive européenne « services » tend à créer un véritable marché des services qui, loin de protéger ceux-ci, les fragilisera. Or la France approuve cette directive. Pourtant, la défense de la ruralité devrait être une grande cause nationale.

Le milieu rural français s’est recomposé. Il ne se résume pas à l’agriculture, comme on a eu trop souvent tendance à le penser. Il a conservé des activités traditionnelles fortes, les a volontiers remises en exergue, mais il a également bénéficié d’un véritable « métissage », grâce à l’arrivée de nouvelles populations.

M. René-Pierre Signé. Je voudrais insister sur l’apport de la ruralité sur le plan culturel. Il ne s’agit nullement d’une contribution de deuxième rang, dénuée d’intérêt ; elle est au contraire souvent novatrice, à l’origine de bien des développements culturels urbains. Les exemples ne manquent pas à cet égard, en France et hors de nos frontières.

Dans ce mode de vie, la culture est au service de deux ambitions : promouvoir le « vivre ensemble » et affirmer sa créativité, ses talents et ses richesses.

Il ne s’agit pas d’encourager le développement d’un particularisme condamnable. Le milieu rural est porteur non pas d’une contre-culture, mais d’une autre culture, différente. Ce concept n’a rien de négatif dans la mesure où cette culture est alimentée par la créativité locale. Elle peut, d’une certaine manière, tout en étant populaire, constituer une offre alternative et complémentaire, nourrie par des échanges, sans pour autant entraîner un appauvrissement de la créativité. La société, rurale ou urbaine, plonge ses racines dans la géographie, non pas celle qui résulte du découpage arbitraire des pays ou des départements, mais celle qui a été modelée par les différentes ethnies installées bien avant le début de l’histoire.

Le savoir du monde rural relève donc pour l’essentiel de la vie quotidienne. C’est la culture du « vivre ensemble ». Poésie et vie pratique s’y combinent fréquemment en un savoir populaire et utile, qui peut emprunter ses figures, ses expressions et ses représentations au patrimoine étranger. Cette culture rurale néo-mondialisée, reprise, modifiée, adaptée, transformée, peut apporter une modernité technologique intéressante.

Pourquoi insister sur le développement culturel ? Parce qu’il est prouvé que développement culturel et développement économique sont liés et qu’à toute friche culturelle correspond une friche économique et sociale. Culture de diversité, la culture rurale constitue une expression tout à fait respectable et utile, et ne doit pas être reléguée dans les oubliettes du passé, au nom d’un élitisme qui serait réservé à l’urbain. Cette culture a conservé nombre d’activités traditionnelles fortes, rénovées, revigorées. Elle défend, par un savant dosage, avec l’apport de nouvelles populations, un certain art de vivre, fondé sur la simplicité des échanges, l’engagement associatif et citoyen, une forme de convivialité, un rapport particulier au temps et aux autres.

Le développement de la culture en milieu rural passe par un soutien à l’éducation populaire : mise en réseaux de centres sociaux, foyers sociaux, écoles. Si les élus sont tellement attachés à la présence d’une école dans leur commune, c’est qu’ils mesurent sa participation au développement culturel, reposant sur la trilogie enfants, parents, enseignants.

La création d’un « bouclier rural » permettrait d’assurer l’accès dans des délais acceptables aux services publics dans tous les domaines, y compris la culture. En ne laissant personne sur le bord du chemin, on retisse des liens entre ruraux et citadins, entre habitants des campagnes eux-mêmes, on conforte un modèle de vie respectable et utile.

Les difficultés que connaissent les zones urbaines viennent confirmer que la qualité de vie en milieu rural, pour peu qu’on veuille bien aider celui-ci à s’épanouir, est source d’un apaisement et d’une sérénité que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier M. Guillaume d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour des travaux du Sénat de cette question orale avec débat sur l’avenir de la ruralité. Le sujet est en effet tout à fait essentiel.

M. Jacques Blanc. C’est vrai !

M. Bruno Le Maire, ministre. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à Agen, la ruralité est non pas le passé de la France, mais son avenir.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. Les communes rurales ne sont pas une faiblesse ou une charge pour notre pays, elles sont au contraire un atout et une force.

Puisque vous m’avez invité, monsieur Guillaume, à Saint-Jean-Pied-de-Port, à l’hôtel des Pyrénées, je vous convierai, en retour, à nous retrouver autour de l’une de ces deux tables tout à fait remarquables et représentatives de la ruralité que sont le Moulin d’Alotz, à Arcangues, et la Table des cordeliers, à Condom. (Sourires.)

M. René-Pierre Signé. Vous pourriez inviter tous les intervenants ! (Rires.)

M. Bruno Le Maire, ministre. Plus sérieusement, chacun voit bien que la ruralité fait partie intégrante de l’identité de notre pays et de son histoire. Elle en est de surcroît une évolution naturelle, dont nous devons tenir le plus grand compte. À cet égard, les chiffres sont sans appel : entre 1999 et 2006, la population des communes de moins de 2 000 habitants a progressé de 1 % par an ; entre 2001 et 2006, les communes rurales ont ainsi gagné, essentiellement du fait des flux migratoires, 300 000 habitants supplémentaires. Cela signifie que les Français sont attirés par le milieu rural et souhaitent y vivre. Sur un plan politique, nous devons tenir compte de cette évolution démographique et apporter à nos concitoyens les réponses qu’ils attendent.

Nous sommes tous ici des élus locaux. À ce titre, nous savons que les néoruraux veulent souvent à la fois le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière ! Il faut dire les choses franchement ! Ainsi, ils aspirent à profiter du calme et de la sérénité de la commune rurale tout en bénéficiant de la même densité de services publics qu’en ville : ils voudraient trouver le métro au pied de chez eux, des services de collecte des ordures ménagères plus réguliers, des commerces ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre et des agents communaux disponibles en permanence. Or tout cela n’est pas forcément possible. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)

Telle est la réalité à laquelle nous devons faire face, telles sont les attentes auxquelles nous devons répondre de la manière la plus efficace possible. Nous devons accompagner ce mouvement, tenir compte des choix des Français et leur apporter les réponses nécessaires, notamment en matière d’accès aux soins ou à internet, ainsi que de développement de l’activité économique des territoires.

À cet égard, je tiens à souligner qu’il ne faut pas opposer l’économie productive à ce que j’appellerai l’économie résidentielle, liée au développement des services d’aide à domicile. L’une et l’autre vont au contraire de pair. Ainsi, pour prendre un exemple cher à Hervé Maurey, dans une commune comme celle de Damville, dans l’Eure, on ne peut opposer le maintien de l’emploi à la chocolaterie Cluizel, l’un des principaux établissements industriels du canton, et le développement de services à la personne pour les nouveaux habitants.

Quelles sont les priorités que je souhaite fixer en termes de développement des territoires ruraux et de soutien aux communes rurales ?

La première priorité, c’est l’accès aux soins,…

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. … question qu’a abordée longuement, à juste titre, Bernard Fournier. Si je place cette problématique au premier plan, c’est en raison de mon expérience d’élu du département de l’Eure. Je le dis avec beaucoup de gravité : il est tout à fait inacceptable et contraire au pacte républicain qu’un délai de quatre à six mois soit nécessaire pour obtenir un rendez-vous chez un orthophoniste ou un dentiste lorsque l’on vit dans une commune rurale de l’Eure, à moins de cent kilomètres de la capitale, quand une semaine suffit lorsque l’on habite au centre de Paris. Cela représente une inégalité inacceptable et scandaleuse entre citoyens. L’année scolaire d’un enfant peut se trouver remise en cause s’il doit attendre six mois avant de pouvoir consulter un orthophoniste.

De même, il n’est pas acceptable qu’il y ait un médecin pour 224 habitants dans les Bouches-du-Rhône, contre un médecin pour 515 habitants dans l’Eure.

Cette situation doit nous conduire à prendre un certain nombre de décisions et à mettre en œuvre des solutions nouvelles.

M. René-Pierre Signé. Supprimons le paiement à l’acte !

M. Bruno Le Maire, ministre. Le schéma régional d’organisation sanitaire, qui était marqué, à l’origine, par une approche à mon sens trop strictement comptable et hospitalière, comprend dorénavant un volet ambulatoire et un volet médicosocial. Je souhaite qu’ils prennent davantage d’ampleur encore à l’avenir.

Les agences régionales de l’hospitalisation ont été remplacées par les agences régionales de santé, dont la présidence du conseil de surveillance a été confiée aux préfets de région, à qui je demanderai d’être très attentifs aux questions d’aménagement du territoire.

Enfin, les conférences de territoire, composées principalement d’élus, sont désormais consultées pour toutes les décisions importantes.

En matière d’accès aux soins, une autre piste consiste à développer les maisons de santé pluridisciplinaires. Ces structures permettent aussi de répondre aux attentes des médecins, lesquels souhaitent dorénavant travailler de manière plus collective. La profession médicale se féminise très fortement. Nous savons tous que l’on rencontrera de moins en moins souvent, dans nos communes rurales, de ces médecins prêts à entamer leur journée à huit heures du matin pour la finir à minuit et acceptant d’être dérangés le samedi soir à vingt-deux heures en cas d’urgence. De tels praticiens n’existent plus. Les professionnels de santé ne souhaitent plus travailler de cette façon, et il nous appartient de répondre également à leurs attentes. À cet égard, les maisons de santé pluridisciplinaires représentent à mon sens une des réponses pertinentes.

Nous consacrerons donc 75 millions d’euros sur trois ans à la création de 250 maisons de santé pluridisciplinaires. Nous ferons en sorte que ce travail soit mené de manière coordonnée – je rencontrerai M. Xavier Bertrand à ce sujet très prochainement – par les agences régionales de santé et les préfectures. En effet, la création de telles structures est également prévue dans le cadre des pôles d’excellence rurale, et il convient par conséquent d’éviter les doublons et de veiller à ce que l’action des préfets ne soit pas en contradiction avec celle des agences régionales de santé.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. Par ailleurs, nous allons mettre en place avec Xavier Bertrand un certain nombre de mesures incitatives pour attirer les jeunes médecins dans les zones rurales.

M. René-Pierre Signé. Il faut une contrainte !

M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons déjà réservé 400 bourses de 1 200 euros par mois sur la période 2010-2012 aux internes en médecine qui s’engagent à s’installer dans les zones où l’offre médicale est insuffisante et nous développerons les stages médicaux en milieu rural, en rendant obligatoire l’accueil de stagiaires dans les maisons de santé pluridisciplinaires et en offrant à ces derniers un logement dans ces établissements, pour éviter toute difficulté pratique.

M. René-Pierre Signé. Cela ne marche pas !

M. Bruno Le Maire, ministre. Je le crois profondément, la santé est au cœur du pacte républicain. L’égalité dans l’accès aux soins est l’un des éléments essentiels de la cohésion sociale en France.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre. Il y a urgence à rétablir ce principe d’égalité entre les territoires. Pour cela, nous allons travailler dans les trois directions que j’ai indiquées, avec évidemment une obligation de résultat.

M. Jacques Blanc. Parfait !

M. Bruno Le Maire, ministre. Il sera important de dresser un bilan à la fin de l’année, afin de voir si cette action a vraiment permis de faire bouger les lignes. Nous savons qu’il est difficile d’inverser les tendances sociologiques profondes que représentent la féminisation de la profession médicale et l’attirance de celle-ci pour les régions situées au sud de la Loire, mais si la situation n’évolue pas, nous devrons envisager des mesures complémentaires.

La deuxième priorité, pour les territoires ruraux, est l’accès aux nouvelles technologies. Comme l’a dit M. Guillaume, nous avons besoin d’une ruralité câblée ; je reprends volontiers cette formule à mon compte.

Il n’y aura pas de développement économique et social des territoires ruraux sans accès aux nouvelles technologies. Hervé Maurey a réalisé un excellent travail sur le sujet. Nous avons à notre disposition tous les éléments pour réussir le « câblage » des territoires ruraux dans les années à venir : une volonté politique au plus haut niveau de l’État, le Président de la République ayant affirmé, lors de son discours de Morée, le 9 février dernier, que tous les foyers français auraient accès au très haut débit en 2025, et des moyens financiers, avec la création du Fonds national pour la société numérique et du Fonds d’aménagement numérique du territoire. Nous pouvons et nous devons donc réussir !

Ces deux fonds ont déjà bénéficié d’une première dotation, mais nous devons maintenant réfléchir ensemble, sur la base des propositions formulées par Hervé Maurey, aux moyens de leur assurer un financement pérenne.

On peut envisager d’instaurer une taxe sur les abonnements ADSL ou sur les téléviseurs, mais il faut veiller à ce que le consommateur ne soit pas systématiquement sollicité. Il s’agit en tout cas du premier chantier à mener à bien en 2011. D’ici à la fin de l’année, nous devrons avoir arrêté des choix pour assurer le financement pérenne de ces fonds. J’ai demandé au nouveau délégué interministériel à l’aménagement du territoire d’étudier toutes les solutions présentées dans le rapport rédigé par Hervé Maurey.

En attendant, des moyens financiers ont d’ores et déjà été dégagés. Ainsi, 1,75 milliard d’euros provenant du grand emprunt sont consacrés à la couverture numérique à très haut débit des zones à faible densité urbaine et 250 millions d’euros seront alloués à la montée en débit dans les territoires les plus isolés. À cet égard, je suis d’accord avec M. Tropeano : la recherche de l’excellence en matière de couverture ne doit pas amener à laisser sur le bord du chemin un certain nombre de territoires qui ont un besoin urgent de pouvoir simplement accéder au haut débit.

Sur ce sujet du financement, j’ajoute que nous disposons également des crédits du FEADER, le Fonds européen agricole pour le développement rural, et du FEDER, le Fonds européen de développement régional, pour les zones rurales. Il faut évidemment les employer le mieux possible. En ce qui concerne le FEADER, un appel à projets de 30 millions d’euros a permis de soutenir les projets des collectivités en matière de numérique.

En outre, il faut évidemment que tous les opérateurs, y compris l’opérateur historique, jouent le jeu de l’équipement des territoires ruraux en numérique. L’aménagement du territoire et la ruralité ne relèvent de mes responsabilités que depuis peu et cela m’oblige à m’exprimer avec prudence sur ce sujet, mais mon premier sentiment n’est pas que tel soit forcément le cas… (M. Hervé Maurey applaudit.)

M. Jacques Blanc. Vous avez raison !

M. Bruno Le Maire, ministre. Pour vérifier le bien-fondé de ce premier sentiment, je réunirai dans les jours à venir tous les opérateurs afin de faire un point précis sur leur démarche et de leur signifier que l’aménagement du territoire ne se résume pas à une intention louable partagée par l’ensemble de la classe politique française, mais correspond à un engagement et à une volonté forte du Gouvernement.

La troisième priorité, pour le monde rural, est de répondre aux attentes de nos concitoyens en matière de services publics. Des travaux très importants ont été réalisés sur ce thème, notamment par Rémy Pointereau.

À cet égard, ne leurrons pas nos concitoyens en leur laissant croire que nous aurions encore les moyens de financer la présence partout en France, dans la moindre commune rurale, d’un bureau de poste, d’une agence de Pôle emploi, d’un guichet de la SNCF, etc. Ce n’est plus le cas ! Il s’agit là d’une conception datée des services publics en milieu rural, mais nous disposons d’autres possibilités pour répondre aux besoins des habitants des zones rurales. L’évolution de la dépense publique en France nous contraint à trouver d’autres voies que le maintien systématique de locaux et de personnels dans chaque commune rurale française pour assurer le service public. Je pense sincèrement que cela n’est plus possible, et même que cela n’est pas souhaitable.

Permettez-moi de rappeler, à cet instant, que la dépense publique représentait 56 % du produit intérieur brut en 2000, contre 28 % en 1950.

M. Jean-Jacques Mirassou. La population a augmenté !

M. Bruno Le Maire, ministre. Outre qu’il n’est pas envisageable d’alourdir encore les dépenses publiques et l’endettement de l’État, poursuivre dans cette voie ne serait de toute façon pas, à mon avis, une garantie d’efficacité en termes de service rendu.

Il faut donc impérativement que nous trouvions d’autres solutions. Il serait d’ailleurs quelque peu contradictoire de consacrer 2 milliards d’euros d’argent public à la couverture numérique des communes rurales et à leur équipement en technologies nouvelles, tout en ne prévoyant, dans le même temps, aucune évolution des modalités d’accès aux services publics. On ne peut pas moderniser d’un côté et, de l’autre, maintenir tous les bureaux de poste, toutes les perceptions, toutes les trésoreries, tous les bureaux de la SNCF dans toutes les communes.

Comme l’a indiqué Bernard Fournier, un certain nombre de services doivent pouvoir être rendus d’une manière un peu différente.

Cela passe d’abord par le développement des services en ligne, par exemple avec la télémédecine, évoquée par M. Mirassou. Cela étant, il n’est nullement question de supprimer toute présence humaine au motif que l’on utilise les technologies numériques et que l’on mutualise les services publics, en chargeant un unique agent d’assurer diverses missions. Il faut trouver le bon équilibre entre le recours aux technologies numériques et le maintien d’une présence humaine.

M. Jean-Jacques Mirassou. Oui, le bon équilibre !

M. Bruno Le Maire, ministre. Pour parler très clairement, une borne internet ne peut remplacer toute présence humaine sur un territoire rural.

M. Bruno Le Maire, ministre. Il ne s’agit pas de passer au « tout numérique ».

M. René-Pierre Signé. C’est pourtant ce qui arrive !

M. Bruno Le Maire, ministre. En ce qui concerne l’« e-éducation », pour les années 2009 et 2010, Luc Chatel a affecté 67 millions d’euros à l’équipement des communes rurales en technologies numériques. Cette opération a concerné 6 700 communes. Nous avons tous eu l’occasion d’inaugurer, dans nos territoires, des salles de cours dotées d’équipements numériques, notamment de tableaux interactifs, outils tout à fait remarquables. C’était là une excellente initiative de mon collègue Luc Chatel.

Après cette première étape, comment progresser ? Nous pouvons envisager, pour 2011, des appels à projets et des accords avec l’Association des maires de France. Ne baissons pas les bras : l’opération lancée par Luc Chatel ne doit pas rester sans lendemain. Nous devons poursuivre la réflexion pour trouver des modalités de financement.

Pour en revenir à la mutualisation des services publics, un cadre a été défini, au travers de l’accord signé en septembre 2010 sur l’initiative de mon prédécesseur Michel Mercier, auquel je tiens à rendre hommage pour le travail qu’il a accompli sur ce sujet, entre l’État et les grands opérateurs de services publics que sont EDF, GDF Suez, La Poste, Pôle emploi, l’assurance maladie, etc.

Ce dispositif est à l’essai dans vingt-trois départements. Les premières conventions seront signées en février prochain et elles seront toutes finalisées d’ici à mai 2011. Si cet essai de mutualisation des services publics s’avère concluant, nous en tirerons les conséquences et nous étudierons la possibilité de généraliser le dispositif à l’ensemble des départements français.

M. René-Pierre Signé. À la charge des communes !

M. Bruno Le Maire, ministre. L’État est attentif au maintien d’un service public de qualité sur l’ensemble du territoire dans bien d’autres domaines encore.

Je pense notamment aux transports : mon collègue Thierry Mariani a signé avec la SNCF, en décembre dernier, une convention visant à maintenir les lignes d’équilibre des territoires.

Je pense aussi aux distributeurs automatiques de billets, équipements de proximité dont l’absence constitue un réel problème pour les habitants des communes rurales qui en sont dépourvues. Nous avons déjà installé trente-deux nouveaux distributeurs et nous allons, grâce à la convention tripartite entre La Poste, l’Autorité des marchés financiers et l’État qui sera signée dans les prochains jours, en mettre en place de nombreux autres encore dans les communes rurales.

Je pense, enfin, aux structures d’accueil de la petite enfance. C’est un point très important. Sur la proposition du sénateur Jean Arthuis, nous soutiendrons la création de maisons d’assistantes maternelles, qui sont indispensables à la vie des familles dans les territoires ruraux.

La quatrième priorité, pour les territoires ruraux, est le développement de nouvelles activités économiques pour créer des emplois.

La politique de la ruralité ne consiste pas simplement à faire en sorte qu’il y ait suffisamment de médecins, de services publics et à faciliter l’accès à internet ; il convient aussi de promouvoir l’activité économique, l’emploi, sinon les territoires ruraux, notamment ceux qui sont proches de grandes agglomérations, risquent de se transformer en zones dortoirs pour les salariés n’ayant pas eu la chance de trouver un emploi à proximité de leur domicile ou n’ayant pas les moyens de se loger près de leur lieu de travail. Il est donc indispensable de développer l’activité économique dans les territoires ruraux.

À cet égard, je rappelle qu’un actif sur quatre vit en milieu rural, mais qu’un actif sur cinq seulement y travaille. Nombre de nos concitoyens sont donc obligés de se déplacer, parfois sur de longues distances, pour rejoindre leur lieu de travail.

Quelles sont les solutions ? Nous avons exploré un certain nombre de voies, qui ont montré leur fécondité.

En ce qui concerne tout d’abord les pôles d’excellence rurale, je tiens à remercier Rémy Pointereau des recommandations extrêmement utiles qu’il a faites à propos des nouvelles orientations à leur donner, en matière de développement économique ou de services à la population.

Je rappelle que deux appels à projets ont déjà été lancés : le premier a abouti en décembre dernier à la labellisation de 114 pôles d’excellence rurale, avec un soutien public de 108 millions d’euros ; le second a rencontré un succès encore plus grand, puisque 460 dossiers ont été déposés. On peut se réjouir de ce succès, parce que c’est un signe de dynamisme, ou s’en inquiéter, parce que ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour nos finances publiques…

Il ne sera évidemment pas possible de retenir tous ces projets. Nous sommes en train d’examiner attentivement chacun d’entre eux avec la Direction interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité des régions, en suivant les recommandations de Rémy Pointereau. Le Premier ministre fera des choix au cours du premier trimestre de 2011, les projets sélectionnés devant bénéficier d’un soutien financier comparable à celui qui a été accordé aux projets de la première génération. Je ne cache pas que trancher est difficile : j’ai déjà reçu de très nombreuses sollicitations de la part de parlementaires. Cela est tout à fait légitime, car il n’y a pas de mauvais projets. Tout cela témoigne du dynamisme des territoires ruraux, ainsi que de l’imagination et de la capacité à concevoir un développement économique de leurs acteurs.

Les pôles de compétitivité ont également montré leur efficacité. Ils marquent l’inscription des territoires ruraux dans les secteurs d’excellence, ceux de l’innovation, de la recherche, des hautes technologies. Je pourrais citer des dizaines d’exemples témoignant de la qualité de tels pôles installés dans les zones rurales. Ainsi, le pôle de compétitivité « industries et agroressources » a permis de faire des régions Champagne-Ardenne et Picardie une référence mondiale pour la chimie verte. Nous affecterons 1,5 milliard d’euros sur la période 2009-2011 au lancement d’une seconde phase.

Enfin, les grappes d’entreprises viennent en complément des pôles de compétitivité. Ce dispositif concerne tous les territoires, y compris les territoires ruraux. Il n’est pas forcément toujours possible de faire émerger un pôle de compétitivité ou un pôle d’excellence et d’innovation de niveau européen ou mondial. En revanche, des territoires peuvent regrouper leurs entreprises pour établir des synergies : c’est la logique des grappes d’entreprises. Ce dispositif fonctionne et nous continuerons à le soutenir dans les années à venir.

Toujours au titre du développement économique, je voudrais évoquer, à la suite de MM. Signé et Guillaume, la culture. Il est très important de soutenir le développement des activités culturelles en milieu rural, car il permet aussi de créer des emplois et de rendre les territoires plus attractifs. Des dizaines de festivals voient chaque année le jour en France dans un certain nombre de zones rurales. J’ai proposé à mon collègue Frédéric Mitterrand d’établir une convention entre nos deux ministères en vue de développer les activités culturelles dans les territoires ruraux. La dimension culturelle représente un atout considérable pour ces derniers.

Si nous devons donc cultiver l’excellence dans les territoires ruraux grâce aux pôles de compétitivité, aux pôles d’excellence rurale et à la culture, nous devons également y favoriser le maintien de l’activité commerciale et artisanale. Cela correspond à une attente de nos concitoyens et c’est un moyen de revitaliser ces territoires.

Pour maintenir et accroître la présence des petits commerces et de l’artisanat, nous porterons à 40 % le taux d’intervention du FISAC pour les projets d’investissements en zones de revitalisation rurale. Voilà une dimension concrète du soutien que je souhaite personnellement apporter au développement des activités commerciales et artisanales dans les zones rurales.

Dans les zones de revitalisation rurale, nous étendrons aux transmissions d’entreprises artisanales le dispositif d’exonération fiscale prévu pour la création d’entreprise. Je suis très attaché à cette mesure, pour avoir constaté, dans mon département, à quel point les charcutiers, les bouchers ou les boulangers parvenus à l’âge de la retraite peinent à trouver un successeur. Ces difficultés sont dues d’abord au manque de jeunes disposant des qualifications nécessaires pour reprendre de telles entreprises, mais aussi à des raisons fiscales. En appliquant aux transmissions d’entreprises artisanales le régime d’exonération fiscale des créations d’entreprises, nous les faciliterons et nous favoriserons ainsi le maintien des activités commerciales dans les territoires ruraux.

S’agissant également des ZRR, plusieurs intervenants, en particulier Rémy Pointereau, ont évoqué la question de la révision des critères de zonage. Nous travaillons actuellement sur ce sujet très sensible, afin de mieux cibler les territoires ruraux les plus fragiles. Je ne vous le cache pas, les choix sont là aussi difficiles. Avant de les arrêter, je souhaite donc procéder à une large consultation des représentants des collectivités territoriales et des élus ruraux. Je vous propose de vous associer à cette démarche, mesdames, messieurs les sénateurs.

Bien entendu, je ne saurais conclure mon intervention sans évoquer l’agriculture. Mais, pour ne pas allonger exagérément mon propos sur un sujet qui m’inspire beaucoup, je m’en tiendrai à rappeler cette évidence qu’il n’y a pas de territoire rural en France sans agriculture forte. Par conséquent, il est impératif de poursuivre notre soutien à l’agriculture, qui commence à donner des résultats, n’en déplaise à certains.

Certes, des difficultés majeures subsistent dans le domaine de l’élevage, notamment bovin. J’ai réuni hier pour la troisième fois l’ensemble des représentants des professionnels concernés afin d’examiner les solutions envisageables. Des voies existent, et nous continuerons à défendre l’élevage bovin partout sur le territoire français.

Dans les autres filières, la situation s’améliore considérablement, avec bien sûr des disparités. Ainsi, les choses vont un peu mieux pour les céréaliers que pour les viticulteurs ou les producteurs de lait, mais, même dans ces deux dernières filières, les revenus progressent de manière significative. Aujourd’hui, le prix de la tonne de lait est de 70 euros plus élevé que voilà un an. Dans le secteur viticole, les prix ont aussi fortement augmenté, et la France est redevenue le premier producteur mondial de vin en 2010. Ce n’est pas un petit résultat ! (Marques d’approbation sur diverses travées.) Par conséquent, la situation s’améliore.

Nous avons besoin d’une agriculture respectueuse de l’environnement, qui soit présente partout sur le territoire, que ce soit dans les zones de plaine, de piémont ou de montagne, et non d’une agriculture intensive concentrée sur 10 % du territoire, comme c’est le cas dans d’autres pays.

Je terminerai par un sujet sur lequel j’ai eu l’occasion de m’exprimer hier à l’Assemblée nationale : la politique agricole commune.

Certains États membres de l’Union européenne continuent de prétendre que la PAC est une politique du passé, que l’agriculture n’est pas une activité stratégique et qu’il est tout à fait envisageable de changer de modèle en important les produits alimentaires que nous consommons. Je les invite simplement à observer ce qui se passe actuellement en Allemagne, où est survenue une contamination par la dioxine, à considérer les nombreuses crises sanitaires qui éclatent partout dans le monde, les émeutes de la faim et la situation d’un certain nombre de pays dont l’approvisionnement en céréales dépend des prochaines récoltes en Amérique du Sud.

M. Rémy Pointereau. Tout à fait !

M. Bruno Le Maire, ministre. Renoncer à l’agriculture serait une folie, renoncer à notre modèle européen de sécurité sanitaire et alimentaire aussi ! Je me battrai sans relâche pour le maintien d’une agriculture forte dans des territoires ruraux vivants ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. Pour répondre au Gouvernement, la parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur ministre, vos efforts pour nous réconforter nous sont allés droit au cœur, mais les ruraux sont en droit d’attendre autre chose que des motifs d’espérer !

Je crains pour ma part que l’essentiel n’ait été oublié. Notre système est fondamentalement, spontanément « ruralicide ». Telle est sa pente naturelle. Nous, élus ruraux, passons notre temps à essayer de lutter contre cette tendance, d’imaginer des solutions pour contrecarrer les effets négatifs de dispositions qui, ailleurs sur le territoire, ont une incidence positive.

Ainsi, la télévision numérique terrestre, qui représente un progrès technique essentiel, est pour la ruralité un motif de préoccupation. Contrairement à ce que l’on nous raconte, les problèmes ne sont pas encore réglés, et quand ils le seront, ce sera, comme d’habitude, au désavantage des territoires ruraux ! Les difficultés liées à la mise en place du haut débit ont été évoquées tout à l’heure.

Même la logique politique, qui devrait permettre d’inverser la tendance, nous est défavorable. M. Legendre a rappelé le triste sort qui a été réservé à son amendement en commission mixte paritaire, et je pourrais aussi évoquer l’application de la loi Carle en matière de regroupement pédagogique intercommunal. Rien ne joue en faveur du monde rural, qui doit lutter vent debout !

Par ailleurs, vous n’avez pas vraiment évoqué, monsieur le ministre, le problème du financement de la présence des services publics en milieu rural.

S’agissant des services publics de l’État, vous nous avez dit en substance : « Circulez, il n’y a rien à voir. Vous n’aurez pas un sou de plus, vous serez traités comme les autres ! » La porte étant fermée, il n’y a aucune raison que la tendance à la disparition des services publics s’inverse.

Même pour les services d’intérêt général, qui se financent essentiellement selon la logique économique, vous n’avez apporté aucune réponse. Je suggère pour ma part que l’on tente de réfléchir sur la base de la solution mise en place pour La Poste en matière de financement du surcoût induit par le maintien d’une présence dans des lieux où il est impossible que les recettes permettent de couvrir les dépenses. Il y aurait beaucoup à dire sur la façon dont La Poste procède et sur le fonctionnement de ce type de péréquation, mais il s’agit à mes yeux d’une piste intéressante. Tant que l’on n’aura pas instauré une forme de péréquation, on aura beau espérer ou désespérer, on n’avancera pas !

M. le président. Pour répondre au Gouvernement, la parole est à M. Didier Guillaume.

M. Didier Guillaume, auteur de la question. Si notre groupe a souhaité inscrire cette question orale avec débat à l’ordre du jour des travaux du Sénat, c’est parce que la ruralité représente à nos yeux un volet important de notre pacte républicain.

Loin de nous l’idée d’opposer les quartiers urbains aux territoires ruraux ! Nous connaissons les difficultés des uns et des autres. Depuis des années, la ruralité souffre : c’est un constat que nous partageons tous. Pourtant, nous pensons qu’elle peut avoir un avenir. Ses acteurs économiques et socioculturels ne sont pas gens à se recroqueviller, à baisser la tête en attendant que l’orage passe ! Ils se battent pour développer un territoire qu’ils aiment, en innovant, en faisant quotidiennement des propositions. Je tiens à leur rendre hommage, car ils sont formidables !

La ruralité souffre parce que la mise en œuvre de la RGPP conduit à la disparition des services publics, parce que la fracture numérique ne se résorbe pas, parce que l’accès aux soins ou les transports se dégradent.

Au-delà de ce constat partagé, il s’agit aujourd’hui de définir des orientations et de faire des choix politiques. Votre intervention a été excellente, monsieur le ministre, mais les actes doivent être en cohérence avec les discours !

Nous sommes d’accord avec vous quand vous affirmez qu’une borne internet ne peut remplacer toute présence humaine. Cela étant, dans la plupart des administrations, le personnel a d’ores et déjà disparu !

M. Didier Guillaume, auteur de la question. Les déclarations d’amour à la ruralité, les bouquets de fleurs ne suffisent pas ; aujourd’hui, il faut passer aux actes, donner des preuves d’amour !

En supprimant les services publics de l’État dans les zones rurales, on ne réalise pas d’économies, si ce n’est à court terme. L’État doit rester présent dans le monde rural : il faut affirmer ce principe et le mettre en œuvre ! Les normes sur lesquelles on se fonde aujourd’hui pour décider de la fermeture d’une école en milieu rural remontent à une vingtaine d’années et ne correspondent plus à la réalité rurale. Elles doivent donc être modifiées, afin que l’on ne ferme plus une école au motif qu’il manque quelques élèves pour satisfaire à des critères obsolètes. Pareillement, une maternité a de l’avenir si elle travaille en réseau avec un hôpital public, même si elle ne réalise que de 350 à 400 accouchements par an. Si on la ferme, on obligera des femmes à aller accoucher dans un établissement situé à des dizaines de kilomètres de chez elles, ce qui leur fera parfois courir un risque vital !

Le Parisien du 8 décembre dernier, s’appuyant sur une étude de l’INSEE, évoquait l’attraction qu’exerce aujourd’hui la province, en particulier les territoires ruraux, sur les citadins. Nos concitoyens affirment ainsi leur volonté de se réapproprier l’espace rural, qui ne doit pas devenir une réserve d’Indiens ou une simple destination touristique : c’est un lieu de vie, de création, de développement.

Malheureusement, monsieur le ministre, les collectivités locales sont aujourd’hui un peu seules pour aider les acteurs privés. Certes, des dispositifs existent, tels que les pôles d’excellence rurale, mais ils ne suffisent manifestement pas à régler les problèmes.

J’en appelle donc à une nouvelle étape, à une accélération de l’action de l’État en milieu rural. C’est le moment d’agir, car les Français sont de plus en plus attachés à la ruralité. Il faut aujourd’hui, monsieur le ministre, que vous posiez des actes forts, pour prouver que l’État n’abandonne pas les zones rurales et se montre solidaire de leurs acteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec cette question orale avec débat intitulée La ruralité : une chance pour la cohésion et l’avenir des territoires.

4

Nomination de membres de commissions

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe de l’Union centriste a présenté une candidature pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et une pour celle des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame M. Jean-Paul Amoudry membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, en remplacement de M. Pierre Fauchon, démissionnaire, et M. Pierre Fauchon membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de M. Jean-Paul Amoudry, démissionnaire.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Roger Romani.)

PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

5

Candidatures à des organismes extraparlementaires

M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation des sénateurs appelés à siéger au sein de deux organismes extraparlementaires.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication propose la candidature de M. Ambroise Dupont, en qualité de membre titulaire, et de M. Ivan Renar, en qualité de membre suppléant, pour siéger au sein du Haut Conseil des musées de France, ainsi que la candidature de M. Philippe Nachbar, pour siéger en qualité de membre suppléant au sein de la Commission du Fonds national pour l’archéologie préventive.

Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

6

Débat sur la désertification médicale

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur la désertification médicale, organisé à la demande du groupe CRC-SPG.

La parole est M. Bernard Vera, orateur du groupe ayant demandé ce débat.

M. Bernard Vera, pour le groupe CRC-SPG. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le fait que notre assemblée puisse débattre, aujourd’hui, de la médecine de proximité, en dehors de toute loi de financement de la sécurité sociale ou de l’examen d’un projet ou d’une proposition de loi portant sur le sujet, n’est ni anodin ni sans conséquence.

Les conseillers municipaux, les maires, les conseillers généraux ou régionaux, que nous représentons, les territoires et les populations qui les habitent, tout nous invite à poser clairement la question, afin de rechercher par tous les moyens, à garantir l’accès de toutes et de tous à une médecine de proximité, de qualité, et j’ajoute, car ce n’est pas sans importance, à tarifs opposables.

La manière avec laquelle le Sénat s’est approprié les débats de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi « HPST », le fait que la première proposition de loi tendant à la modifier soit d’origine sénatoriale, bien que nous soyons loin de l’approuver, confirme l’analyse de notre groupe, qui nous a conduits à proposer ce débat sur la désertification médicale.

Le Sénat a en effet toute légitimité pour aborder de front cette question, et beaucoup reste à faire, d’autant que Mme Roselyne Bachelot-Narquin a décidé, à l’occasion du congrès de médecine générale qui s’est tenu à Nice en juin dernier, de renoncer à deux mesures censées lutter contre les problèmes de démographie médicale. Pour mémoire, il s’agissait des « contrats santé solidaires » et des « déclarations préalables d’absence », deux mesures à nos yeux peu efficaces.

Si nous avons toujours douté de la capacité de ces deux seules mesures à répondre aux besoins de nos concitoyens, nous ne pouvons que regretter la manière dont celles-ci ont été écartées. Madame la secrétaire d'État, il n’est pas selon moi de bonne politique que le Gouvernement décide, seul, de surseoir à l’exécution de mesures législatives adoptées par la représentation nationale, surtout lorsqu’elles étaient censées améliorer les droits des habitants des territoires qui souffrent d’une sous-densification médicale.

Ce « gel » trouvera sans doute sa conclusion par la suppression de ces mesures, comme le propose notre collègue Jean-Pierre Fourcade, au motif que le Gouvernement et sa majorité veulent témoigner de leur confiance aux professionnels de santé.

Pendant ce temps, nos concitoyens peinent toujours davantage dans leur recherche de médecins de proximité. Pour reprendre les propres termes de Mme Élisabeth Hubert, qui a remis il y a peu un rapport concernant la désertification médicale, « l’état démographique de cette profession [fait] peser un réel danger sur toute l’offre de santé ».

C’est dire, madame la secrétaire d'État, s’il y a urgence à agir !

Plus les réponses tardent à venir, plus les difficultés auxquelles font face nos concitoyens sont grandissantes.

Si la densité médicale était de 275 généralistes pour 100 000 habitants en 1985 et de 340 praticiens en 2005, toutes les études prévoient, à l’horizon 2025, qu’elle tombe à 283 généralistes pour 100 000 habitants, soit un taux à peine supérieur à celui du milieu des années quatre-vingt.

Or le vieillissement de la population, les souffrances liées au travail, les pathologies consécutives aux pollutions ou, tout simplement, les évolutions démographiques ont fait naître des besoins nouveaux qu’il faudra bien satisfaire.

Mes chers collègues, au vu de ces éléments et alors que le nombre de médecins, y compris de médecins de premier recours, n’a jamais été aussi grand, il serait erroné de considérer que seul un problème de démographie se pose aujourd’hui.

Voilà une erreur derrière laquelle il est aisé de se cacher pour renoncer à agir sur la vraie problématique : celle de la régulation géographique.

En revanche, il y aura bien, demain, un réel problème de démographie, avec un manque criant de médecins généralistes dont les patients seront les victimes. Selon les atlas régionaux de la démographie médicale, le nombre total des médecins en activité devrait en effet diminuer de 10 % à l’horizon 2025.

À plus ou moins long terme, l’enjeu auquel nous sommes confrontés est donc bien l’accès de toutes et de tous à des soins de proximité.

Cette ambition est loin d’être réalisée dans la mesure où, actuellement, selon un sondage réalisé par le Collectif interassociatif sur la santé, le CISS, et l’institut Viavoice, 10 % des Français affirment déjà avoir des difficultés à trouver près de chez eux un médecin généraliste. Le pourcentage atteint 27 % dès lors qu’il s’agit de médecins spécialistes et explose à 34 % pour l’accès à des professionnels de santé ne pratiquant pas de dépassement d’honoraires.

La situation est alarmante alors qu’il y a actuellement 214 000 médecins en activité, soit une progression de 22 % du nombre de professionnels depuis les années quatre-vingt-dix. Dans le même temps, la population française ne progressait, elle, que de 10 %.

Ainsi, la répartition inégale des médecins sur le territoire constitue bien la principale difficulté à laquelle sont à ce jour confrontés nos concitoyens.

Selon les données recueillies dans les vingt-trois atlas régionaux de la démographie médicale, certaines régions connaissent une réelle pénurie, et d’autres une sur-densification.

Il est à noter, par exemple, que la région Provence-Alpes-Côte d’Azur arrive en tête de la densité médicale, avec 375 médecins généralistes en activité pour 100 000 habitants, contre à peine 164 pour la région Nord-Pas-de-Calais. Cette situation résulte principalement du fait que de nombreux jeunes médecins, récemment diplômés, ont pendant longtemps fait le choix d’une installation non dans leurs régions d’origine, mais dans celles où la qualité de vie est considérée comme meilleure.

Pour autant, l’implantation des professionnels dans ces régions à forte densité médicale est également inégale en interne. Si l’on observe une importante densité le long de la côte, dans l’arrière-pays, des régions entières sont pratiquement abandonnées.

De la même manière, s’il est vrai que les départements ruraux souffrent le plus des déserts médicaux, les départements urbains, y compris parmi les plus peuplés, en pâtissent également.

Si Paris compte 742 généralistes pour 100 000 habitants, ils sont sept fois moins nombreux en Seine-Saint-Denis. Et mon département, l’Essonne, fait face à une diminution du nombre de praticiens en activité de 27,5 % par rapport à l’année dernière, conséquence du vieillissement des médecins en exercice et d’un nombre insuffisant d’installations.

On le voit bien, les déserts médicaux actuels sont donc moins dus à une pénurie médicale qu’à une régulation inefficace ou plutôt, devrais-je dire, qu’à une absence de régulation.

La liberté d’installation que vous défendez conduit à l’évidence, et nos concitoyens le vivent quotidiennement, notamment dans les territoires ruraux et les zones urbaines sensibles, à des conditions d’accès aux soins inacceptables.

Les mesures incitatives et volontaristes que vous n’avez eu de cesse de proposer depuis plus de dix ans ont fait la preuve de leur inefficacité. Votre refus d’adopter d’autres mesures, plus contraignantes, seules à même de garantir dans le temps et dans l’espace une implantation médicale adéquate aux besoins en santé des femmes et des hommes de notre pays confine à l’irresponsabilité.

Je ne prendrai que deux exemples : celui des bourses régionales et celui des aides délivrées par l’État et l’assurance maladie, plus spécifiquement l’avenant 20 de la convention médicale, qui accorde une majoration de 20 % des honoraires des généralistes exerçant en zone déficitaire et en groupe, mode d’exercice d’ailleurs plébiscité par les médecins.

Cette mesure n’a absolument pas permis de réduire les déserts médicaux.

Selon une étude menée conjointement par le CISS, la FNATH, la Fédération nationale des accidentés du travail et handicapés, et l’UNAF, l’Union nationale des associations familiales, sur 100 caisses primaires, seules 28 ont mis en œuvre les dispositions contenues dans cet avenant. Et dans 17 de ces 28 caisses, l’application de ce dispositif s’est tout de même traduite par une baisse de la densité médicale, alors que l’incitation financière l’accompagnant est de l’ordre de 25 000 à 28 000 euros annuels et par médecin, un complément de rémunération pourtant non négligeable.

Certes, l’attribution de bourses régionales en contrepartie d’une période d’exercice obligatoire dans la collectivité de financement constitue une première étape intéressante, mais elle est largement insuffisante, et ce à un triple titre.

Elle est insuffisante, d’abord, car elle repose, là encore, sur le volontariat et sur la capacité de financement des régions, lesquelles subissent de plein fouet une politique marquée avant tout par une réduction des ressources dont elles disposent, et donc par une compression des dépenses.

Elle est insuffisante, ensuite, car elle entérine la suppression d’un principe fondamental pour notre groupe : l’égalité d’accès aux soins entre tous nos concitoyens, indépendamment de leur lieu de résidence ou de leurs moyens financiers.

Elle est insuffisante, enfin, car, dans le même temps où le Gouvernement plaide en faveur de l’installation volontaire des professionnels de santé dans les territoires qui en manquent cruellement, il pratique une casse méthodique et organisée de l’ensemble des services publics : fermeture des écoles, des postes, des maternités, des gendarmeries et des hôpitaux de proximité.

Mes chers collègues, reconnaissons qu’il est tout de même paradoxal de proposer à des jeunes médecins de s’installer dans des territoires que l’État abandonne lui-même peu à peu.

M. Jacques Blanc. C’est du dogmatisme !

M. Bernard Vera. Ça, c’est votre point de vue, mon cher collègue !

C’est pourquoi nous sommes convaincus, sans remettre totalement en cause ce principe auquel les professions libérales sont attachées, qu’il est aujourd’hui indispensable de limiter les nouvelles installations dans les zones déjà fortement pourvues de médecins.

Sans anticiper sur l’intervention de ma collègue Nicole Borvo Cohen-Seat, il me semble que nous devrions nous inspirer des mécanismes législatifs qui existent déjà actuellement dans certaines professions de santé : je pense par exemple à ceux qui concernent l’ouverture des officines ou à la régulation de la démographie infirmière.

De même, nous devrions rendre opposable le Schéma régional de l’organisation des soins ambulatoires fixant les besoins en santé des populations par bassin.

Mais il faudra également, comme nous y invite le rapport de Mme Hubert, trouver les réponses structurelles et à long terme pour éviter qu’à l’avenir ne se généralisent les déserts médicaux.

Cela exige de donner à la médecine de proximité, et singulièrement de premier recours, toutes ses lettres de noblesse. La reconnaissance de la médecine générale comme une spécialité ainsi que la possibilité ouverte aux praticiens titulaires du diplôme de médecine générale de percevoir des honoraires similaires à ceux des autres spécialistes pourraient constituer des facteurs déterminants dans le choix des étudiants en faveur de la médecine générale, à condition que cette filière soit réellement soutenue et que le Gouvernement prenne l’ensemble des mesures nécessaires à la création de véritables services universitaires de médecine générale ambulatoire.

Force est de constater que nous en sommes encore loin et que, pour reprendre l’expression retenue par Rémy Senand et Marie Kayser dans un article paru le 8 juin dernier dans la revue Pratiques, l’enseignement de la médecine générale est encore « au milieu du gué ».

J’en veux pour preuve le nombre encore trop faible de professeurs titularisés par la commission d’intégration – à peine 20 – quand les représentants des enseignants de médecine générale estiment nécessaire de titulariser au plus vite plus de 30 professeurs associés, dont les statuts sont particulièrement précaires.

Par ailleurs, compte tenu du faible nombre de nominations par la voie « normale » du Conseil national des universités, se pose sans doute la question de la prolongation de la durée de vie de la commission d’intégration initialement prévue pour cinq ans.

Revaloriser la médecine générale suppose un préalable indispensable qui aujourd’hui fait défaut : une véritable professionnalisation et une revalorisation de la formation initiale des futurs médecins. Autant d’éléments indispensables qui impliquent que l’on accorde enfin « à la filière universitaire de médecine générale les moyens dont elle a besoin » comme le demandent les associations représentant les étudiants de médecine générale. Je pense notamment à la création de postes d’enseignants ne reposant pas, comme c’est très souvent le cas, sur des postes vacants dans d’autres spécialités. Les universitaires savent trop combien, en règle générale, un poste vacant est un poste perdu.

Il n’est pas non plus acceptable que la seule alternative consiste à supprimer un poste d’enseignant dans une filière pour l’affecter à la filière universitaire de médecine. Cette logique comptable ne constitue pas une réponse durable aux enjeux de formation des futurs médecins de premier recours.

Mais il faut également que le processus de formation des étudiants prenne en compte la spécificité propre à cette discipline, c’est-à-dire son caractère ambulatoire. Il faut par exemple permettre la réalisation effective en cabinet médical du stage prévu en second cycle afin de sensibiliser les étudiants à ce mode d’exercice en leur permettant de découvrir une autre réalité que celle du modèle hospitalo-universitaire, aujourd’hui encore très majoritaire.

Alors que certains proposent de réduire la durée des études formant les médecins généralistes, nous considérons, pour notre part, qu’il faudrait au contraire pérenniser la quatrième année de spécialisation comme c’est le cas pour les autres spécialités.

Celle-ci pourrait principalement être orientée vers la réalisation de stages de longues durées, pouvant aller de six mois à un an et dans des territoires qui souffrent d’une sous-densification. Cela permettrait d’assurer de manière continue une présence médicale conjointe à celle du médecin maître de stage, soulageant ce dernier dans ses amplitudes de travail et facilitant l’accès aux soins des patients.

Cela suppose naturellement un accompagnement financier permettant de lever les obstacles liés à l’accueil d’un stagiaire en cabinet. En effet, la présence d’un interne nécessite de la part du maître de stage un investissement en énergie et en temps qui rallonge la consultation et réduit d’autant le nombre de patients qu’il peut accueillir dans la journée.

Cela peut avoir des conséquences financières substantielles dans le cadre d’une rémunération à l’acte et les compensations actuellement consenties semblent insuffisantes pour pallier les pertes réelles.

Enfin, comme le préconise le rapport de Mme Hubert, il apparaît impératif de tenir compte des envies mêmes des médecins et des étudiants concernant les modes d’exercice de leur profession.

Toutes les enquêtes menées auprès des professionnels l’attestent, les médecins, principalement les jeunes diplômés, veulent rompre avec l’isolement qui est le leur. Ils sont de plus en plus nombreux à redouter une installation synonyme de solitude et d’amplitude horaire trop importante. Cela implique de favoriser l’exercice regroupé, principalement pluridisciplinaire, notamment au sein de maisons de santé.

Chacun s’accorde à reconnaître que la pluridisciplinarité constitue un avantage certain, tant pour les professionnels que pour les patients qui disposent ainsi dans un même lieu de l’ensemble des prestations dont ils peuvent avoir besoin.

Or ce mode d’exercice, qui suppose un projet de soins, induit des temps de travail et de concertation qui ne sont pas des temps de soins et par conséquent ne donnent pas lieu, dans le cas d’un paiement à l’acte, à une rémunération.

Il faut donc impérativement développer, comme nous l’avions proposé dans le cadre de l’examen par le Sénat de la loi HPST, une rémunération forfaitaire. Celle-ci pourrait notamment inclure la compensation du temps de travail spécifique issu des besoins liés à l’exercice regroupé, la prise en charge des temps dédiés à l’éducation thérapeutique ou aux missions de prévention.

Si nous sommes favorables à ces expérimentations, nous les associons à la condition primordiale du respect par ces professionnels des tarifs opposables. Nous ne pouvons concevoir que des fonds publics puissent être destinés à des professionnels de santé dont la pratique tarifaire aurait pour effet de participer à leur manière à l’accroissement des renoncements aux soins pour des motifs financiers.

Enfin, pour conclure, je voudrais aborder la question des centres de santé municipaux, mutualistes ou associatifs, qui constituent le mode le plus ancien et le plus répandu de l’exercice collectif et pluridisciplinaire de la médecine.

À l’image du rapport de M. Vallencien, celui de Mme Hubert note l’importance des centres de santé, notamment parce qu’ils contribuent à lutter à la fois contre la désertification médicale et contre le renoncement aux soins, bien que celui-ci reste principalement axé sur la médecine libérale.

Ce tropisme est regrettable car de plus en plus de jeunes diplômés s’orientent vers un exercice salarié qu’ils estiment davantage en adéquation avec leur conception de la médecine, mais aussi avec leur mode de vie.

De la même manière, nous regrettons, à l’instar de la Fédération nationale des centres de santé, que ce rapport limite les centres de santé à « une réponse sanitaire d’exception qu’il serait bon de développer uniquement en cas de défaillance de l’organisation libérale ».

Cette conception, particulièrement anachronique à nos yeux, ne tire aucune conclusion des réussites réalisées quotidiennement par ces centres qui permettent une approche globale des patients, avec la pratique du tiers payant, la prévention, l’éducation en santé ou encore la pluridisciplinarité.

Aussi, nous considérons que ce mode d’exercice ne doit pas être écarté des autres modes collectifs d’exercice et nous souhaitons que le Gouvernement s’engage à étendre aux centres de santé les financements qu’il entend développer pour favoriser l’exercice collectif libéral. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – M. Robert Tropeano applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, notre système de santé présentait, jusqu’à récemment, tous les avantages : liberté individuelle d’accès aux soins quasi universelle pour le patient ; universalité de la couverture avec la CMU ; faible coût pour les intéressés de leurs études et de leur formation ; liberté de prescription, d’installation, de mode d’exercice pour le médecin ; enfin, qualité reconnue des soins.

Pour résumer, il est fondé sur la socialisation quasi intégrale du coût des choix individuels, qu’il s’agisse du médecin ou du patient.

Côté médecin, le système assure globalement un bon niveau de revenus, progressant plus vite que le salaire moyen, et aucune contrepartie sociale autre que celle qu’il s’impose à lui-même ne lui est demandée, pas même, depuis 2003, d’assurer des gardes.

Le nerf du système est la rémunération, pour tout ou partie, à l’acte de 67 % des omnipraticiens et de 50 % des spécialistes, dont 69 % des radiologues et 64,5 % des cardiologues. Ce mode de rémunération est désormais appliqué globalement à l’hôpital public, dont les ressources dépendent du nombre et de la qualité des actes qui s’y pratiquent.

Un système libéral financé par l’argent public, impossible de rêver mieux !

Mais le système s’est mis à dysfonctionner en termes de coûts et en termes qualitatifs : files d’attente qui s’allongent pour l’accès à certaines spécialités ; surchauffe des urgences qui, ici ou là, prennent ponctuellement des allures de cours des miracles ; extrême disparité de la démographie médicale, sujet du débat de cet après-midi.

Le diagnostic est connu : la présence médicale est très variable d’une région à l’autre, entre les départements d’une même région, entre les villes et les zones rurales, entre les quartiers des villes et même entre les secteurs ruraux d’un même département.

Elle est encore plus variable s’agissant des spécialistes. Entre les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et la Picardie, la densité des spécialistes varie du simple au double ; vous auriez, mes chers collègues, de nombreux exemples à apporter sur ce point.

Même une démographie médicale favorable, comme c’est le cas dans mon département du Var, ne signifie pas pour autant que la permanence des soins est assurée dans les zones rurales. Je peux vous citer l’exemple d’un canton de 5 000 habitants qui dispose de sept médecins – ce qui me paraît tout de même suffisant – mais dans lequel, pour autant, trouver un médecin disponible après les heures de bureau est difficile.

On avance le chiffre de 2 600 000 personnes qui rencontreraient des difficultés pour accéder à un généraliste, un spécialiste ou un professionnel de santé, et ce en dépit du fait que, comme cela a été souligné, il n’y a jamais eu autant de médecins en France, notamment de médecins libéraux et de spécialistes, et que notre densité médicale est tout à fait comparable, voire légèrement supérieure à la moyenne constatée dans les pays de l’Europe à quinze. De même, le nombre d’actes n’a pas cessé d’augmenter, surtout les actes de spécialité.

Le constat s’impose donc : même si, dans les dix ans qui viennent, la question des effectifs compliquera encore la donne, ce n’est pas le manque de médecins et de professionnels de santé qui est responsable des déserts médicaux, c’est le système.

En effet, pourquoi voulez-vous que des diplômés, essentiellement d’origine urbaine aisée, formés à une médecine de plus en plus technique, aillent gagner leur vie en zone rurale et acceptent des contraintes horaires fortes s’ils peuvent faire autrement ? Dans la mesure où ils n’ont aucune obligation, pourquoi s’en imposeraient-ils ?

Lors d’une précédente discussion dans cette assemblée, j’avais exposé le dilemme à Mme Bachelot-Narquin, et sa réponse m’avait étonné : « J’indiquerai, pour faire écho au débat engagé par M. Collombat, que nous ne pourrons pas faire, sur ce sujet, l’économie d’une réflexion philosophique. Quand la puissance publique, c’est-à-dire le contribuable local, le contribuable national ou le cotisant à la sécurité sociale, aura financé à grand renfort de subventions des maisons médicales de garde ou des centres de santé, participé au fonctionnement de ces installations, réglé les cotisations sociales des médecins, augmenté les rémunérations comme nous le faisons déjà, avec une progression de plus de 20 % dans certains secteurs, rémunéré la permanence des soins en plus des consultations et des visites majorées – 150 euros la nuit –, payé forfaitairement la prise en charge des malades chroniques, pourrons-nous toujours arguer qu’il s’agit de médecine libérale ? ». Tels ont été les propos de Mme Bachelot !

Les jeunes médecins pourront-ils toujours revendiquer la liberté d’installation ? Certains médecins refusent d’assumer les tâches les plus contraignantes, comme les gardes de nuit puisque le système repose sur le volontariat.

J’indique aussi qu’un principe irréfragable veut que qui paie commande ! Certaines exigences présentées benoîtement, ici ou là, sur toutes les travées, comme des mesures techniques impliquent in fine un changement de système et l’instauration d’un service public étatisé ou para-étatisé. Il faut avoir le courage non seulement de dire les choses mais d’en tirer les conséquences. Mais on en est resté là !

Toute mesure curative un tant soit peu sérieuse étant actuellement politiquement impossible, on se limitera donc à quelques granules homéopathiques, ce que fait très bien le dernier rapport de Mme Hubert. Celles de ses propositions que je préfère, c’est de maintenir en activité des médecins au-delà de soixante ans – les pauvres ! –, de faire appel à des médecins retraités et d’« inciter les internes à effectuer une année supplémentaire de mission de service public ».

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, puisque nous sommes dans des déserts, pourquoi ne pas faire appel aux organisations non gouvernementales, les ONG ? Je pense que les vocations ne manqueraient pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Robert Tropeano applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.

M. Robert Tropeano. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, longtemps vanté comme l’un des meilleurs du monde, notre système de santé présente aujourd’hui de redoutables symptômes : engorgement des hôpitaux, inégalités sociales dans l’accès aux soins, inégalités territoriales. Ce sujet a déjà été évoqué ce matin lors du débat sur la ruralité...

Les avancées scientifiques et technologiques ont certes rendu la médecine plus fiable, mais les problèmes d’organisation des soins et de démographie médicale privent un grand nombre de Français du bénéfice de ces performances. Derrière la crise budgétaire, bien réelle, est apparue la fracture sanitaire.

Dans certains territoires, en particulier ruraux, la permanence des soins est approximative, les délais d’accès en cas d’urgence sont incompatibles avec l’efficacité des soins, les files d’attente chez les spécialistes s’allongent. En bref, le désert médical s’installe et gagne du terrain dans nos campagnes !

Les origines de ce problème sont évidemment diverses. Ce n’est pas tant, pour l’heure, le nombre de médecins qui est en cause – d’après le dernier atlas du Conseil national de l’ordre, celui-ci est en effet stabilisé à un niveau élevé –, mais leur répartition sur le territoire. L’Île-de-France compte 222 spécialistes pour 100 000 habitants, soit le double de la Picardie, qui n’est pourtant pas à proprement parler une zone rurale reculée !

Le manque d’attractivité de certains territoires est évidemment pour beaucoup dans ces inégalités. Il est clair qu’on ne fera jamais venir un jeune médecin, avec son conjoint, dans une commune où il n’y a pas une offre de services de qualité ou un accès au numérique de nouvelle génération !

Les conditions brutales et souvent anarchiques dans lesquelles sont conduites, depuis quelques années, les restructurations hospitalières ont également un impact fort. Elles démotivent les professionnels et désorganisent la coordination des soins.

Enfin, la désaffection pour la médecine généraliste et l’exercice libéral y est aussi pour quelque chose. La carrière de médecin fait, certes, encore rêver des générations de jeunes gens qui y voient non seulement une manière de gagner leur vie, mais aussi une forme d’engagement, d’altérité, d’humanisme. En revanche, à la différence de leurs aînés, les jeunes diplômés rejettent le schéma traditionnel du médecin à tout faire, isolé dans son cabinet, corvéable jour et nuit.

Parmi les nouveaux inscrits à l’ordre au 1er janvier 2010, moins d’un sur dix exerce en cabinet, deux tiers optent pour une activité salariée et un quart pour des remplacements. Ce faible attrait pour l’exercice libéral se vérifie même en radiologie, discipline souvent pointée comme l’une des plus lucratives.

Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas le niveau insuffisant de la rémunération qui prime dans le refus de l’installation, mais surtout la charge administrative trop lourde, la solitude de l’exercice ou encore les contraintes des gardes.

Face à cette évolution préoccupante, qui ne date pas d’hier, on ne peut plus se contenter de mesures isolées, de promesses. De telles inégalités entre territoires ne sont pas admissibles dans notre république !

Ce ne sont ni les incitations fiscales et sociales en zones de revitalisation rurales, ni la réforme de la première année des études médicales qui a été engagée cette année, ni les quelques mesures de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST – certaines, comme la régionalisation du numerus clausus, la reconnaissance de la médecine de premier secours ou le contrat d’engagement de service public, étaient au demeurant positives... – qui régleront le problème durablement.

On le sait, la pénurie de médecins va s’aggraver avec le vieillissement de la population médicale. Actuellement, dans mon département de l’Hérault, 60 % des médecins sont âgés de plus de soixante ans.

Nous devons donc aller plus loin. La qualité, le nombre, la formation, la répartition, les types de pratiques, les modes et niveaux de rémunération des hommes de l’art médical sont sans doute à repenser à la lumière des besoins médicaux.

Notre collègue Bernard Vera a évoqué le rapport d’Élisabeth Hubert sur la médecine de proximité, remis en novembre au Président de la République, dans lequel elle propose un ensemble de mesures : appui à l’exercice regroupé, refonte totale des tarifs de consultation, rémunération spécifique et incitative pour l’exercice en zones sous-denses, développement de la télémédecine...

Certaines de ces mesures sont intéressantes. Le regroupement de médecins et autres professionnels médicaux ou paramédicaux en un même lieu, par exemple dans les maisons de santé, est une solution en milieu rural et répond au besoin de partager l’expérience.

Le Gouvernement s’est engagé sur un objectif de 250 maisons de santé pluridisciplinaires. Je m’en réjouis, mais, comme je l’ai déjà dit, le succès de cette démarche est lié à la présence dans les territoires concernés d’un minimum de services pour répondre aux besoins légitimes des professionnels de santé et de leurs familles. Or, à cet égard, le désengagement de l’État constitue le maillon faible du dispositif.

Quoi qu’il en soit, il est plus que temps de décider et d’agir, d’autant qu’en matière de santé, plus encore que dans d’autres domaines de l’action publique, les fruits se récoltent à moyen et à long terme.

Une question essentielle demeure : pourra-t-on, un jour, contraindre les jeunes praticiens à adopter une forme ou un lieu d’exercice en fonction des besoins ? Sans être adeptes de la coercition, nous sommes nombreux à douter de l’efficacité des simples incitations.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Robert Tropeano. Pouvez-vous nous dire combien de contrats d’engagement de service public ont été signés depuis l’adoption de la loi HPST ? Je me demande d’ailleurs si ce contrat n’est pas, en réalité, une fausse bonne idée. C’est finalement aux étudiants les plus modestes qu’on demandera d’aller exercer en zones rurales car, à n’en pas douter, les plus aisés n’auront pas besoin d’obtenir une bourse !

Quant au contrat santé solidarité, il apparaît, là encore, comme un leurre. Comment croire qu’il permettra de lutter contre les déserts médicaux, quand on imagine les difficultés de mise en œuvre et la faiblesse des pénalités ? On entend dire, d’ailleurs, que vous pourriez revenir, madame la secrétaire d’État, sur cette disposition. Qu’en est-il exactement ?

On peut aussi se demander comment nous pourrions redonner l’envie aux étudiants en médecine d’exercer le métier de généraliste. Il est urgent de régler cette question qui devient épineuse, tant pour le corps médical que pour les pouvoirs publics, mais également pour nos concitoyens, que la désertification médicale inquiète, notamment en milieu rural, et qui craignent de ne pouvoir être soignés s’ils tombent malades. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jean-Marc Juilhard applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion de la présentation de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, le Gouvernement a prouvé, hélas, qu’en matière d’égal accès aux soins, il n’avait aucune solution nouvelle à proposer. Quelques mois plus tard, le rapport d’Élisabeth Hubert pointe les graves problèmes, déjà évoqués lors du débat au Parlement, que posent les déserts médicaux. Les solutions proposées, en revanche, ne sont guère convaincantes ; l’opposition, en tout cas, n’est pas convaincue...

Lors du débat sur la loi HPST, que n’a-t-on entendu dire, du côté de la majorité, à propos de l’éventualité de mesures contraignantes visant à inciter les professionnels de santé à s’installer dans des territoires souffrant d’un déficit patent de médecins !

Ainsi M. Alain Vasselle, qui connaît bien ces questions, est-il allé jusqu’à affirmer que la remise en cause du principe de liberté d’installation des médecins généralistes était inconstitutionnelle ! Évidemment, ce n’est pas le cas. Jusqu’où ne faut-il pas aller pour essayer de convaincre...

De toute évidence, le principe de la liberté d’installation restait, en 2009 encore, un tabou pour la majorité parlementaire, mais pas de façon unanime.

M. Hervé Maurey. Absolument !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je propose à ceux qui aiment les comparaisons de considérer la situation de l’Allemagne, dont le régime politique, que je sache, est loin d’être « soviétique »...

Ce pays est revenu sur le principe de liberté d’installation des médecins généralistes dans les années quatre-vingt-dix. Aujourd’hui, les Allemands, tout en n’étant pas moins bien soignés que les Français, ont réussi à résorber une partie de leurs « déserts médicaux ». Pendant ce temps, les nôtres se développent : ce phénomène n’est en effet plus cantonné dans les territoires faiblement peuplés, mais gagne aussi les villes et les régions où la démographie est dense et dynamique ! C’est ainsi le cas en Seine-Saint-Denis et dans d’autres départements urbains.

Après avoir fait mine d’agir et fait voter par le Parlement, en 2009, deux dispositions, la première obligeant les médecins à déclarer leurs congés, la seconde mettant en œuvre des contrats santé solidarité, votre prédécesseur, madame la secrétaire d’État, s’est empressée de décider, à la fin de l’année 2010, de surseoir à la publication de leur décret d’application. On est donc revenu à la case départ : ne rien faire !

La première disposition, a précisé Mme Bachelot, était en définitive trop discriminante et péchait parce qu’elle indisposait le corps médical.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En ce qui concerne la seconde, gageons que la ministre a fini par se rallier aux arguments de ceux, dont nous faisons partie, qui pensaient qu’elle était absolument inutile, car rigoureusement inapplicable !

Comment imaginer sérieusement, en effet, de demander à des médecins installés en zone surdense de se rendre ponctuellement en zones sous-dotées pour y faire des consultations et y assurer de façon pérenne un accès aux soins ? C’est surréaliste !

Aujourd’hui peut-être, plus qu’il y a deux ans, nous pourrons vous convaincre, mes chers collègues, ainsi que le Gouvernement, qu’il existe des solutions à cette situation grave, et susceptible de s’aggraver encore, compte tenu de l’évolution de la pyramide des âges dans les prochaines années.

Tout d’abord, plutôt que de tenter en vain et à tout prix d’attirer les médecins dans les zones sous-dotées, il est possible de considérer le problème sous un autre angle et de chercher à dissuader les omnipraticiens de s’installer dans les zones surdotées.

Pour ce faire, on peut envisager de soumettre l’installation des médecins à l’autorisation des agences régionales de santé.

M. Jacques Blanc. Surtout pas !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On peut aussi décider de refuser de façon temporaire le conventionnement des médecins de premier recours qui veulent exercer dans les zones où l’offre de soins est déjà plus que satisfaite.

Par exemple, sur le plan de la démographie médicale, Paris est une zone surdotée. Il faut cependant préciser que deux tiers des médecins spécialistes et 50 % des médecins généralistes y exercent en secteur 2. Et personne parmi vous, chers collègues de la majorité, n’y trouve rien à redire !

Si la population parisienne aisée est très satisfaite de cette situation, les patients les plus modestes, en revanche, sont de plus en plus nombreux à faire la queue dans les services des urgences des hôpitaux. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Voilà la réalité ! Il y a donc beaucoup à dire sur la liberté d’installation, alors même que la sécurité sociale finance la médecine...

En outre, si l’on veut essayer de régler un problème différent, mais connexe, car lui aussi aggrave les difficultés d’accès aux soins, on peut également décider de retirer le conventionnement de ceux qui, bien que diplômés de la spécialité de médecine générale, ne pratiquent pas effectivement cette médecine de premier recours. Ainsi, certains de ces médecins s’installent en tant qu’acupuncteurs ou exercent l’angéiologie...

Il nous semble que cette piste, plus que le seul rehaussement du numerus clausus, permettrait de donner une réponse concrète à la pénurie d’omnipraticiens dans certains territoires.

Ensuite, il est envisageable, comme l’a proposé notre collègue Hervé Maurey, d’instituer une sorte d’obligation pour les jeunes médecins de s’installer, pour une durée déterminée, là où ils sont particulièrement utiles.

L’Académie de médecine évoquait déjà cette possibilité en 2007 – et on ne peut pas accuser cette dernière d’être contre la médecine – : dans la mesure où la formation de chaque médecin représente pour la société une charge financière de l’ordre de 200 000 euros, il ne paraît pas incongru de demander aux médecins nouvellement diplômés, comme dans certaines grandes écoles, de consacrer quelques années de leur vie professionnelle au service de la nation.

Pour ma part, j’ajouterai qu’il serait peut-être intéressant de favoriser également l’accès aux études médicales de jeunes issus de catégories sociales modestes, un accès en général difficile, par un système de prise en charge post-bac avec pour contrepartie l’obligation de service dans leur département ou dans les départements sous-dotés pendant un certain nombre d’années.

Pour conclure, il nous semble aussi particulièrement nécessaire de fixer des règles d’accessibilité aux soins de premier recours, de sorte que la politique régionale de santé contribue effectivement à réduire les inégalités en la matière.

Tout d’abord, le temps d’accès à un professionnel de santé doit se mesurer en termes de distance et de durée. Dans un rapport sénatorial de 2008, il était préconisé un temps de trajet d’une durée maximale de trente minutes, ce qui paraît tout de même suffisamment important.

En outre, l’accessibilité aux soins doit prendre en compte le temps d’attente ; il faut pouvoir consulter son médecin dans un délai raisonnable.

Enfin, et cet aspect nous semble être de la plus grande importance, il faut que l’accès aux tarifs opposables, c’est-à-dire non soumis à dépassements d’honoraires, devienne un critère essentiel dans l’appréciation de l’accessibilité aux soins de premier recours.

Par conséquent, mes chers collègues, nous attendons de vous que vous fassiez des propositions concrètes et opérationnelles. Madame la secrétaire d’État, nous vous demandons de faire preuve d’ouverture et de pragmatisme car il est urgent d’agir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, tout d’abord je me réjouis que le groupe CRC-SPG ait souhaité la tenue de ce débat. D’ailleurs, l’ordre du jour de cette première semaine de travaux au Sénat – il a été débattu de la politique agricole commune mardi, de la ruralité et des problèmes médicaux ce matin, de la désertification médicale cet après-midi – montre bien que nous sommes préoccupés par la vie dans l’espace rural et par les solutions que nous pouvons apporter aux populations.

Le Sénat s’est d’ailleurs beaucoup mobilisé. Il a la chance de compter parmi ses membres M. Fourcade, qui est chargé d’évaluer la loi HPST deux ans après sa promulgation et a déjà engagé un travail très important. Le débat vient donc à son heure.

Madame la secrétaire d’État, alors qu’un tel débat a lieu, il est important de rappeler certains faits. Vous venez de prendre en charge la santé aux côtés de M. Xavier Bertrand. Du temps où lui-même travaillait avec M. Douste-Blazy, alors ministre de la santé, le professeur Yvon Berland avait déjà élaboré un rapport sur le sujet et alerté le ministre sur les besoins et les risques existants en termes de couverture médicale.

Dans ses conclusions, l’auteur de ce rapport mentionnait l’augmentation progressive et raisonnée du numerus clausus. Je sais qu’il s’agit d’un sujet qui fâche…

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Jacques Blanc. … mais, sur ce point, je souhaite qu’ait lieu une vraie révolution culturelle. Madame la secrétaire d’État, je vous demande de vous libérer de l’influence des théories de ceux qui se livrent à des comparaisons de chiffres se rapportant à des situations tout à fait différentes.

Je ne supporte plus qu’on nous explique que trop de médecins seraient formés et qu’on n’en manquerait pas. Madame la secrétaire d’État, quand on apprécie le nombre de médecins formés, il faut examiner leur affectation véritable.

Ainsi, dans le département de la Lozère, dont je suis l’élu, l’hôpital de Mende a besoin de dix-neuf médecins pour assurer le fonctionnement de son service des urgences. Connaissez-vous un autre pays au monde où, dans une situation équivalente, notamment en termes de population, il faut un nombre de médecins comparable ? Pourquoi en faut-il précisément dix-neuf ? Ce ne sont pas les médecins qui sont en cause : ce sont les 35 heures et les astreintes. Nous disposons de médecins mais ils ne sont pas suffisamment nombreux pour répondre aux besoins existants.

Quel élu, ici, n’a pas vécu la situation à laquelle je fais allusion, à l’hôpital public, dans une clinique mutualiste ou privée ou dans le cabinet d’un praticien exerçant en libéral, s’agissant d’une zone où les médecins n’ont pas envie de s’installer ? Je n’ai rien contre l’idée de faire appel à des médecins étrangers, mais une telle solution a pour conséquence de priver les pays d’origine de diplômés de qualité.

Madame la secrétaire d’État, ne tombez pas dans le piège tendu par ceux qui disent que le nombre de médecins formés est suffisant ; ce n’est pas vrai ! Le numerus clausus, bien sûr, était une nécessité, mais il a été mal appliqué par les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, et on ne forme pas assez de médecins.

Trop de jeunes, nous le voyons bien, qui ont échoué à l’issue de leur première année de médecine, dans le cadre d’un concours dénué de toute dimension humaniste, auraient pourtant fait d’excellents médecins. Arrêtons donc de dire qu’il y a assez de médecins ! Voilà le premier point sur lequel je souhaitais insister.

Deuxième point, et cela figurait également dans le rapport Berland, des solutions incitatives pour l’installation de médecins doivent être mises en œuvre dans les « zones médicales défavorisées ». C’est là que nos points de vue divergent : pour ma part, je pense qu’il faut faire confiance aux acteurs,…

M. Jacques Blanc. … je suis contre les contraintes et pour le respect de la liberté d’installation. En revanche, je souhaite que soient mises en place de vraies mesures d’incitation. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Pierre-Yves Collombat. Qui ne marchent pas !

M. Jacques Blanc. Mais si !

M. Jacques Blanc. Mon cher collègue, je vous invite à venir en Lozère. Dans ce département, neuf étudiants internes ont signé un contrat – je peux vous montrer le guide d’installation –, et l’un d’entre eux vient de s’installer à Florac. Ces contrats accordent une indemnité d’étude en contrepartie de l’engagement à exercer pendant cinq ans dans une zone déficitaire, ce qui constitue une mesure d’incitation tout à fait forte ; les médecins peuvent d’ailleurs décider de s’installer plus longuement. Mais il faut du temps pour mettre en œuvre des mesures de ce type.

M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas généralisable !

M. Jacques Blanc. Il en va de même pour les contrats d’engagement, qui ont été mis en place par la loi HPST ; cette dernière disposition n’ayant que deux ans d’existence, elle ne peut porter ses fruits dès aujourd’hui !

Ces différentes mesures d’incitation devraient permettre l’installation de médecins dans les zones rurales où, d’ailleurs, la qualité de vie aujourd’hui fera que, demain, j’en suis convaincu, les nouveaux arrivants décideront de rester.

Une autre incitation consiste à accorder des indemnités d’hébergement et de déplacement – les frais nécessaires pour aller suivre des cours à l’université – au moment des stages.

De telles mesures incitatives ont été mises en œuvre dans le cadre de la loi HPST avec Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Des mesures d’incitation financière ont également été insérées dans la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux : des exonérations de charges dans les zones de revitalisation rurale ont ainsi été prévues.

Mme Nathalie Goulet. Cela ne marche pas !

M. Jacques Blanc. Un certain nombre de mesures n’ont pas encore fait la preuve de leur efficacité, mais leur conjugaison …

M. Jacques Blanc. Mes chers collègues, quand je vois ce qui s’est passé en Grande-Bretagne,…

MM. Pierre-Yves Collombat et Jacky Le Menn. Et alors ?

M. Jacques Blanc. … ce qui se passe aux États-Unis, je me dis que le modèle français est bien le meilleur !

M. Pierre-Yves Collombat. Jusqu’à maintenant !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y a pas de système de santé aux États-Unis !

M. Jacques Blanc. La pénurie sévit partout ; en France, on peut préserver la qualité.

À cette fin, il faut former davantage de médecins et les inciter à s’installer dans les zones rurales déficitaires par les mesures que j’ai rappelées à l’instant. L’acte d’installation doit cependant rester volontaire. Il n’y a en effet rien de pire que d’obliger un médecin à aller s’installer à tel ou tel endroit. On mérite mieux dans l’espace rural !

Je demande à notre collègue Jean-Pierre Fourcade d’évaluer le développement de ces mesures incitatives. Ne disons pas qu’elles ne fonctionnent pas alors qu’elles ont été mises en œuvre voilà à peine deux ans par la loi HPST pour les unes, et par la loi sur le développement des territoires ruraux pour les autres.

Madame la secrétaire d’État, je souhaite donc que vous vous libériez des a priori à la lumière du rapport Hubert, qui vient compléter les études menées auparavant, et grâce au recul que nous pouvons avoir aujourd’hui par rapport à la loi HPST. Je vous demande, premièrement, de faire sauter les blocages liés au numerus clausus et, deuxièmement, d’augmenter le nombre de contrats d’engagement signés avec l’État – 400 contrats dont 200 pour les internes – s’agissant des incitations à l’installation en zone de revitalisation rurale.

J’avais déposé un amendement visant à favoriser le remplacement dans les zones de revitalisation rurale. Mme Roselyne Bachelot-Narquin l’avait trouvé intéressant mais avait renvoyé sa mise en œuvre à un décret.

Mes chers collègues, vous le savez, aujourd’hui, les médecins effectuent des remplacements pendant dix ans avant de s’installer définitivement à leur compte. Si on favorise la venue de ces remplaçants dans les zones en désertification, on les fixera.

Le principe fondamental de liberté d’installation n’est donc pas remis en cause. Il y a eu des échecs partout !

M. Jacques Blanc. N’allez pas me dire que des résultats spectaculaires et positifs ont été jusqu’à présent apportés ! Tirons les leçons de la situation actuelle, qui se dégrade à cause du manque de médecins…

M. Jean-Luc Fichet. Les médecins ne sont pas au bon endroit !

M. Jacques Blanc. … et de l’absence jusqu’à présent de mesures incitatives.

Par ailleurs, j’en suis convaincu, la mise en place de maisons de santé pluridisciplinaires constitue une excellente réponse.

Pour ma part, j’ai exercé la médecine dans un espace rural ô combien isolé, la Lozère. Je sais ce que c’est que de se lever la nuit, de partir seul sur les routes voir des malades, de travailler vingt-quatre heures.

M. Pierre-Yves Collombat. C’est fini, justement !

M. Jacques Blanc. C’est fini ! Il faut donc permettre aux médecins de travailler dans des maisons de santé pluridisciplinaires tout en gardant la possibilité d’exercer en libéral.

Dans la modeste commune de La Canourgue, dont je suis le maire, je crée un établissement de ce type qui sera ouvert à la fin de cette année et qui nous permettra d’être attractifs.

M. Jean-Luc Fichet. Qui les paie ? Ce sont les communes !

M. Jacques Blanc. Nous avions quatre médecins. Deux d’entre eux prennent leur retraite ; les deux autres ne peuvent pas rester seuls. Ils ont besoin de travailler ensemble, avec des infirmières.

Car nous ne formons pas assez d’infirmières, de kinésithérapeutes et de membres d’autres professions paramédicales. La maison de santé pluridisciplinaire est une bonne réponse, qui respecte l’exercice libéral tout en permettant de lever certains blocages.

En effet, et je terminerai sur ce point, l’une des causes de la désertification médicale, c’est l’angoisse du médecin, qui, en dehors des problèmes d’organisation de vie, peut le faire hésiter à s’installer seul, on l’oublie trop souvent. Mes chers collègues, certains d’entre vous le savent peut-être : quand vous êtes seul face à un malade et qu’il faut établir un diagnostic ou mettre en œuvre un acte thérapeutique d’urgence, c’est terriblement anxiogène ! Si vous êtes dans une maison de santé pluridisciplinaire avec une infirmière, vous pouvez discuter avec d’autres médecins, vous pourrez même utiliser à l’avenir les techniques nouvelles grâce au très haut débit.

Ne cassons pas ce qui est la chance même de la qualité de la distribution des soins dans notre pays, à savoir l’exercice libéral associé au système hospitalier. Traitons les vrais problèmes – le nombre insuffisant de médecins,…

M. Pierre-Yves Collombat. Nous avons compris !

M. Jacques Blanc. … l’absence de mesures incitatives – et appuyons-nous sur les maisons médicales pluridisciplinaires qui permettront aux médecins de travailler dans des conditions susceptibles de les libérer de cette angoisse qui est parfois terrible mais qui est tout à l’honneur du corps médical.

N’oublions pas cette réalité humaine, n’allons pas casser notre système ; au contraire, faisons confiance aux acteurs et allons de l’avant !

Madame la secrétaire d’État, vous avez une grande responsabilité. Ne tombez pas dans le piège qui peut être tendu parfois pour des raisons idéologiques !

M. Pierre-Yves Collombat. Parce que vos positions ne sont pas idéologiques, elles ?

M. Jacques Blanc. Restons fiers ! Mes chers collègues, quand on fait le tour du monde, on s’aperçoit que c’est encore en France qu’on est le mieux soigné ! (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Jean-Luc Fichet. Jusqu’à ce que la droite casse le système !

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame le secrétaire d'État, mes chers collègues, le présent débat est un peu comme le mur des lamentations, l’espoir en moins.

Je remercie d’emblée le groupe CRC-SPG de l’avoir initié, parce qu’il est fondamental pour beaucoup d’entre nous.

En effet, d’une loi de financement de la sécurité sociale à l’autre, la situation ne s’améliore pas du tout ; on peut même dire que, de débats en débats, de rapports en rapports, elle empire. Nous sommes d’ailleurs presque à un anniversaire : le 26 janvier 2006, Xavier Bertrand présentait déjà devant le conseil des ministres un plan d’action pour endiguer les problèmes de démographie médicale. Nous voilà cinq ans après !

Alors que la moyenne nationale est de 320 praticiens pour 100 000 habitants, l’Orne a une densité de 70 médecins pour 100 000 habitants. Nous sommes pratiquement « lanterne rouge » ou « lanterne noire », l’Eure, que représente mon collègue Hervé Maurey, se situant juste après nous.

La situation est donc grave et le problème est non pas théorique mais extrêmement pratique. En outre, les densités médicales mentionnées n’expriment que des moyennes : la situation de certains territoires est très dégradée, quand elle n’est pas à proprement parler totalement alarmante.

Les travaux conduits par l’union régionale des médecins libéraux en lien avec l’ARS sur la médecine libérale mettent en exergue des zones étendues confrontées à une sous-médicalisation. Il en est ainsi de la totalité du département de l’Orne, de la moitié de celui de la Manche et d’un quart de celui du Calvados situés dans la région Basse-Normandie à laquelle j’appartiens.

À cela s’ajoute le départ en retraite des médecins. D’ici à quinze ans, la proportion de praticiens ayant cessé leur activité dépassera 60 % dans le département de l’Orne.

Au regard des sorties annuelles du cursus universitaire médical ces prochaines années, le solde demeurera négatif : il est à envisager que le nombre d’entrées dans la profession de médecin ne puisse égaler le nombre de sorties qu’en 2020.

Madame la secrétaire d’État, je vous fais part de faits concrets et non d’incantations.

Comme d’autres orateurs, je veux à mon tour souligner que les besoins de santé vont évoluer du fait du vieillissement de la population.

Il faut aussi prendre en considération les aspirations des nouveaux praticiens.

Par ailleurs, certaines spécialités se trouvent dans une situation délicate. Ainsi, dans mon département, il faut attendre plus de six mois pour obtenir un rendez-vous avec un ophtalmologiste.

M. Jean-Luc Fichet. En Bretagne, c’est un an !

Mme Nathalie Goulet. Venez dans l’Orne, mon cher collègue ! (Sourires.)

Partageant le temps de parole accordé au groupe de l’Union centriste avec Hervé Maurey, je serai assez brève. Je veux cependant profiter de mon intervention pour rendre hommage aux élus locaux, auxquels sont imputables – et non au législateur – les premières solutions apportées en la matière.

Les premières maisons de santé ont été créées dans les années quatre-vingt-dix dans mon département. Il s’agit, selon moi, d’une réponse parmi d’autres à la désertification. Des maisons de santé peuvent être très bien organisées sans toutefois disposer de médecins. L’existence de telles structures peut fidéliser un certain nombre de jeunes praticiens, éventuellement les inciter à s’installer dans une région ; ceux-ci peuvent se sentir sécuriser au sein d’un groupe, je le conçois, monsieur Blanc. Ce n’est pas en tout cas la seule solution.

Je voudrais également rendre hommage à Pierre-Jean Lancry, directeur de l’Agence régionale de santé de Basse-Normandie qui gère la pénurie avec brio et intelligence ; il essaie de faire au mieux avec les moyens du bord. Son dialogue avec les élus est tout à fait essentiel.

J’estime qu’il faut absolument trouver des solutions pertinentes au problème existant. Celles qui sont applicables en Lozère ne sont pas forcément adéquates en Basse-Normandie ou dans les périphéries des grandes villes sous-dotées, même si les difficultés se posent dans les mêmes termes.

M. Jacques Blanc. C’est vrai !

Mme Nathalie Goulet. Développer les ARS et apporter des réponses adaptées aux territoires me semble être la bonne solution.

Cela étant, dans ma région, le plan Hôpital 2012 a connu un vrai succès, même si sa mise en œuvre a été un peu chahutée. Le résultat est excellent.

Il ne sera pas possible d’endiguer la pénurie médicale sans l’adoption de mesures coercitives tendant à faire venir les médecins en zone rurale ou en zone sous-équipée. Tous les PSLA, les pôles de santé libéraux ambulatoires, installés par les élus ne fonctionneront pas si les praticiens indispensables sont absents, malgré des équipements chers et lourds.

Comment évoquer la télémédecine ou la médecine à distance dans des régions dépourvues du haut débit, où les portables ne fonctionnent pas en raison de l’existence de zones blanches ?

C’est l’effet Matthieu : « À celui qui a, tu donneras et il aura tout en abondance ; à celui qui n’a pas, tu enlèveras même ce qu’il a. » Dans un territoire démuni de haut débit, de médecins, de sapeurs-pompiers volontaires, nos concitoyens se dirigent vers l’hôpital et les urgences sont indûment encombrées.

Je conclurai en disant, madame la secrétaire d’État, que le bonheur est dans le pré, à condition d’être en bonne santé ! (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.

M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, en introduction, permettez-moi de profiter de cette tribune pour brièvement évoquer les difficultés d’accès aux soins. Comme cela a été indiqué, l’inéquitable répartition des médecins entre les régions de France participe à cette difficulté. La précarité, la pauvreté sont aussi des facteurs de retard en matière de soins, ainsi que le refus de certains professionnels d’ausculter des patients bénéficiant de la CMU.

Que dire des nouvelles dispositions sur l’aide médicale d’État ? Imposer aux malades sans papiers et sans ressource une contribution forfaitaire de 30 euros revient à les condamner à un retard de soins, si ce n’est à une absence totale de soins. C’est une atteinte à la dignité humaine et une faute de santé publique.

Le Gouvernement fait peu de publicité au récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances pour lesquelles ce dispositif est « financièrement inadapté » et « porteur de risque sanitaire ». Il serait bon, madame la secrétaire d’État, que le Gouvernement entende les nombreuses voix qui demandent la suspension de cette mesure inique et discriminatoire.

Le débat qui nous réunit cet après-midi, sur l’initiative de nos collègues du groupe CRC-SPG, doit nous permettre d’apporter des solutions concrètes et immédiates à la disparition lente et inéluctable de la présence des professionnels médicaux non seulement dans nos communes rurales, mais aussi dans certaines de nos villes.

Je rappellerai rapidement le constat qui vient d’être dressé.

Les médecins qui sont présents dans nos territoires vieillissent. Dans certains cantons du Finistère, leur moyenne d’âge est de cinquante-six ans. Le tiers des médecins a plus de soixante ans. Ils ont de plus en plus de difficultés à trouver un professionnel qui veuille bien les remplacer. Les jeunes praticiens ne veulent plus être corvéables à merci. Ils ne veulent plus exercer leur métier de manière isolée. Ils expriment la volonté de profiter de leurs enfants et d’avoir des loisirs. Leur conjoint veut également exercer sa profession.

Les habitants, quant à eux, sont inquiets de la disparition de leurs médecins. Après la fermeture de nombreuses maternités et de certains hôpitaux de proximité, nos concitoyens voient les temps d’attente pour consulter un spécialiste s’allonger – je rappelle qu’en Bretagne il faut patienter un an pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologiste – et les distances pour se rendre chez un médecin généraliste augmenter. Il en résulte un encombrement des services des urgences par la « bobologie ».

À titre d’exemple, Morlaix, commune de 18 000 habitants, ne dispose plus de gynécologue.

Les élus, notamment les maires, sont les premiers interlocuteurs à qui l’on reproche ces carences, alors que – je veux le rappeler dans cet hémicycle de façon solennelle – l’accès aux soins est une prérogative de l’État. Des annonces sont faites régulièrement par les pouvoirs publics, jurant, la main sur le cœur, que cette situation sera prochainement enrayée.

Pourtant, tout récemment encore, le Président de la République a semblé découvrir le problème. En effet, dans un discours prononcé le 1er décembre à Orbec qui succédait à un autre discours sur le même thème le 16 avril à Livry-Gargan, il a déclaré : « Vous n’aurez pas longtemps à attendre avant de voir la détermination du Gouvernement en la matière ».

Mme Nathalie Goulet. Mauvais signe !

M. Jean-Luc Fichet. Nous attendons toujours...

La loi HPST avait instauré le contrat santé solidarité. Ce dernier ne semblait déjà pas à l’époque aller assez loin ; certes, il avait le mérite d’exister. Des solutions plus radicales, plus coercitives devaient être trouvées. Lors de la discussion du projet de loi susvisé, j’avais déposé un amendement tendant à obliger les nouveaux médecins à exercer au moins deux ans dans des zones déficitaires, espérant qu’ils y trouvent intérêt. Je n’ai pas été suivi.

La majorité n’a rien trouvé de mieux que de vider de sa substance ce contrat santé solidarité dès l’été suivant l’adoption de la loi HPST. Les quelques mesures contraignantes – obligation de donner la date de ses absences, obligation de soutien dans les zones déficitaires – ont été tout simplement annulées.

Pourtant, et les associations de patients l’ont encore rappelé au mois de décembre, les déserts médicaux persistent, alors que l’assurance maladie verse annuellement à chaque médecin installé en zone déficitaire une prime de 25 000 à 28 000 euros !

Comme le pointe dans son rapport Élisabeth Hubert, l’une des pistes est de bien définir ce qu’est un désert médical. Elle renvoie cette définition au travail des nouvelles agences régionales de santé qui ont, avec la loi HPST, un rôle important en la matière.

Sur cette question, le Gouvernement fait, comme à son habitude, un pas en avant et trois pas en arrière. Nous ne percevons aucun projet construit, travaillé, qui permette de penser qu’il y ait une réelle volonté de structurer une offre de santé harmonieuse et efficace auprès de tous les Français.

Les maisons de santé, remède miracle dont se gaussent nos gouvernants, se développent, sur l’initiative de nos collectivités, qui s’endettent pour répondre à des obligations qui ne sont pas les leurs. L’État participe faiblement à leur financement. En effet, les maires des communes rurales ou des communes périurbaines, que le Gouvernement tend trop souvent à stigmatiser comme mauvais gestionnaires, font face à la pénurie en raison de l’urgence. Ils doivent séduire des professionnels de santé, dont le nombre est en augmentation – des orateurs précédents l’ont déjà indiqué –, mais qui n’ont aucune obligation, aucune contrainte, les réunir autour d’une table et les inviter à rédiger un projet médical. Les élus doivent aussi construire une maison de santé, tout cela sans aucune assurance de maintien d’une offre de santé pérenne sur leur territoire. À l’issue de ce processus, le résultat peut être négatif, d’autres orientations ayant été retenues ou les jeunes médecins espérés faisant défaut.

Aussi, je le répète, l’État doit prendre sa pleine part de responsabilité pour lutter contre la désertification médicale.

Dans sa convention sur l’égalité réelle, le parti socialiste propose la mise en place d’un bouclier rural. C’est ce vers quoi nous devons tendre. Il convient de faire en sorte que les services publics essentiels, dont fait bien évidemment partie la médecine généraliste, ne nécessitent pas un déplacement de plus de vingt minutes pour chaque citoyen. Les services des urgences et les maternités, quant à eux, ne doivent pas être situés respectivement à plus de trente minutes et de quarante-cinq minutes du domicile de nos concitoyens.

Plus qu’une politique de réconciliation avec les médecins, dont le métier est difficile et essentiel, c’est ce pacte républicain aujourd’hui urgent que nous devons engager avec nos concitoyens pour un égal accès aux soins pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Robert Tropeano applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.

M. Laurent Béteille. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au cours de ces derniers mois, le Président de la République a rappelé que dans le domaine de la santé, après la réforme de l’hôpital, la priorité est la médecine libérale. Plusieurs déplacements ont été l’occasion pour lui de faire des annonces en faveur des médecins généralistes, mais le problème concerne tout autant les médecins spécialistes.

Débattre de la désertification médicale, c’est évoquer entre autres des problèmes géographiques, sociologiques. Deux défis majeurs doivent être relevés.

Le premier d’entre eux, que Jacques Blanc a largement évoqué tout à l’heure, consiste à enrayer la baisse du nombre de médecins.

M. Charles Revet. C’est indispensable !

M. Laurent Béteille. En 2009, on dénombrait 290 médecins pour 100 000 habitants. Or nous savons que la situation devrait se dégrader jusqu’en 2020, date à laquelle la densité de médecins aura retrouvé son niveau de 1980. Ce fait suppose une forte réaction.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Laurent Béteille. De surcroît, cette réduction touche plus fortement l’exercice libéral. Les départs en retraite non remplacés en sont l’illustration principale dans les départements. À cela s’ajoute la répartition inégale des effectifs sur le territoire, phénomène qui concerne non seulement la France profonde, mais également des départements proches de grandes villes. Ainsi, dans le sud de l’Essonne existent des zones non denses où ne restent plus que six médecins âgés de plus de cinquante-huit ans. D’ici à quelques années, la situation sera dramatique.

M. Charles Revet. Ce n’est pas un cas rare !

M. Laurent Béteille. Le second défi majeur est donc de rendre la médecine libérale plus attractive. L’exercice libéral a perdu de son attractivité en raison, notamment, de l’évolution de l’hôpital, qui offre le salariat et permet un travail en équipe sécurisant – Jacques Blanc l’a souligné à juste titre –, et de celle des attentes des médecins, qui aspirent dorénavant à travailler avec leurs confrères et de manière plus flexible.

Un médecin diplômé sur dix seulement fait aujourd’hui le choix de l’exercice libéral, chiffre qui doit retenir notre attention.

Certes, le numerus clausus des étudiants en médecine a augmenté –  insuffisamment, je n’y reviens pas –, mais nombre d’entre eux deviennent médecins conseils ou médecins du travail, et les femmes médecins choisissent de préférence des voies leur permettant d’avoir plus de temps pour élever leurs enfants, ce que personne ne songerait à leur reprocher.

De plus, les médecins font face à une bureaucratisation croissante – un généraliste consacrerait en moyenne 36 % de son temps de travail à des tâches administratives,…

M. Laurent Béteille. … ce qui est considérable –,…

M. Charles Revet. Et absurde !

M. Laurent Béteille. … à des contrôles permanents de la sécurité sociale, ainsi qu’à des horaires à rallonge.

À juste titre, les médecins ne veulent d’ailleurs plus assurer seuls des horaires de huit heures à vingt-deux heures, dans des endroits peu sûrs, avec parfois des cas lourds qui prennent plus de temps et les transforment en assistants sociaux.

Le médecin de famille tel qu’on le concevait autrefois n’existe quasiment plus.

Sur la base du rapport de Mme Élisabeth Hubert, ancienne ministre de la santé, le Président de la République a précisé, le 1er décembre dernier, son projet de réforme de la médecine de proximité et de la rémunération des généralistes libéraux.

L’idée n’est pas de revenir sur le paiement à l’acte, mais d’y ajouter des compléments en fonction de ce qu’il convient d’appeler « des contraintes ».

Le premier niveau de la rémunération resterait donc constitué par le paiement à l’acte, auquel s’ajouterait une part de rémunération forfaitaire qui financerait certaines activités, comme les permanences de garde dans les maisons médicales ou la « fonction de service public » que remplissent les médecins en s’installant dans les « déserts » médicaux.

Je crois sincèrement aux maisons de santé, notamment rurales, avec généralistes, infirmiers, masseurs kinésithérapeutes, etc., pour remédier à la désertification médicale : avec leur potentiel de patients, elles pourraient constituer une amorce de nature à attirer d’autres médecins, tant généralistes que spécialistes.

L’institution d’un nouveau véhicule juridique adapté à la diversité des situations pour les pôles de santé regroupés me semble également un excellent objectif.

L’Essonne manque d’infirmiers – toute une zone dans le sud du département est même dépourvue de service de soins infirmiers à domicile – et, là également, il faut attendre six mois pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste, ophtalmologiste ou gynécologue notamment. Ce n’est pas le record de la Bretagne, mais ce n’en est pas moins insupportable.

M. Charles Revet. Inacceptable !

M. Laurent Béteille. Le troisième niveau de la rémunération serait défini en fonction des objectifs de santé publique et de leur respect.

La dernière mesure que je citerai dans cette énumération non exhaustive est la création d’un guichet unique destiné à faciliter la création de ces pôles de santé avant le 1er juillet 2011 pour tous les professionnels de santé qui voudraient créer un pôle de santé avec les élus me paraît une excellente réponse à la demande forte de nos départements ou de nos cantons où persiste la désertification médicale.

Madame la secrétaire d'État, nous comptons sur vous pour apporter des solutions à nos concitoyens, qui attendent du Gouvernement une réaction à la hauteur de cette situation préoccupante. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, qui, grâce à Mme Nathalie Goulet, bénéficie de quelques minutes supplémentaires de temps de parole.

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux d’abord remercier le groupe CRC-SPG d’avoir pris l’initiative de ce débat, et remercier ensuite ma collègue Nathalie Goulet d’avoir bien voulu me laisser une partie de son temps de parole.

Madame la secrétaire d'État, si j’ai souhaité disposer de quelques minutes supplémentaires, ce n’est pas pour parler du département de l’Eure, qui a le triste privilège d’être au dernier rang en matière de démographie médicale, mais pour dire avec toute ma conviction que nous ne réglerons pas le problème de la démographie médicale en restant dans l’incitatif.

Je suis – vous m’en voyez navré – en désaccord profond avec mon collègue et ami Jacques Blanc. Je ne suis pas, pour reprendre son expression, un « idéologue de gauche » (Sourires sur les travées du groupe socialiste), mais je ne crois pas du tout au succès de l’incitatif.

En cela, je partage l’avis du Président de la République, qui, en septembre 2007, disait : « En matière de démographie médicale, il faut s’inspirer au minimum des négociations entre l’assurance maladie et les infirmières, ces dernières ayant accepté de ne pas s’installer dans les zones où elles sont trop nombreuses. »

M. Hervé Maurey. Je ne partage pas, en revanche, l’avis du Président de la République, lorsque, voilà quelques semaines, il disait : « La coercition, ça ne marche jamais. »

M. Hervé Maurey. Ce qui ne « marche » pas, ce sont les mesures purement incitatives, comme des personnalités bien plus compétentes que moi l’ont constaté dans divers rapports. Il y a ainsi eu, voilà quelques années, le rapport de notre collègue Jean-Marc Juilhard, le rapport de Marc Bernier, député de l’UMP, à la suite de la mission présidée par Christian Paul, député socialiste, le rapport du Haut Conseil de l’assurance maladie, le rapport du Conseil national de l’Ordre…

M. Charles Revet. Cela fait beaucoup de rapports !

M. Hervé Maurey. Lors de l’examen, en 2009, du projet de loi HPST, j’avais déposé deux amendements que je tiens à rappeler, car je suis convaincu que, un jour, on viendra aux dispositions que j’avais alors proposées.

Le premier de ces amendements visait à prévoir que les médecins s’installant dans une zone où l’offre de soins est élevée ne bénéficieraient pas du remboursement de leurs honoraires, selon le modèle qui s’applique pour les infirmières.

Le second amendement, quant à lui, prévoyait que les jeunes diplômés s’installent, au minimum, trois ans dans une zone où l’offre de soins est déficitaire, disposition que je proposais de n’appliquer qu’à partir de 2017 pour laisser le temps aux mesures incitatives de faire, éventuellement, leurs preuves, cas dans lequel, naturellement, elle aurait perdu son objet.

Il est intéressant que ces deux amendements aient suscité des réactions caricaturales d’une incroyable violence, le rapporteur n’hésitant pas à dire que je voulais rétablir le STO et forcer les médecins à s’installer dans des « trous » !

M. Jacky Le Menn. Des « trous perdus »…

Mme Nathalie Goulet. Voilà qui est sympathique pour nos territoires…

M. Hervé Maurey. Il est également intéressant de rappeler par qui ces amendements, que j’avais souhaité maintenir  – ils ont recueilli très peu de voix –, ont été votés. Sur l’un d’eux, j’avais d'ailleurs demandé un scrutin public : le groupe CRC-SPG l’a voté en totalité ; quelques membres du RDSE et de l’Union centriste l’ont également voté ; en revanche, aucun sénateur de l’UMP, aucun sénateur socialiste n’a voté ces amendements qui étaient, semble-t-il, politiquement incorrects.

Aujourd’hui, ma conviction est intacte. Je reste convaincu que les mesures incitatives ne « marchent » pas et je donne rendez-vous à tous ceux qui le souhaitent dans cinq ans, dans dix ans, dans quinze ans !

M. Jacques Blanc. D’accord !

M. Hervé Maurey. Je suis navrée que Mme Bachelot-Narquin ait mis entre parenthèses le dispositif « contrat santé solidarité ». C’était le seul élément un tant soit peu contraignant – très peu d’ailleurs – de la loi HPST, qui, je le dis avec beaucoup de gravité et de tristesse, n’aura aucun effet sur la démographie médicale.

Je suis convaincu, je le répète, qu’un gouvernement peut-être plus courageux que les autres – j’espère qu’il sera de droite plutôt que de gauche, mais peu importe en l’espèce – aura, un jour, le courage de prendre des mesures fortes en la matière.

M. Laurent Béteille. La contrainte ne marche pas non plus !

M. Hervé Maurey. Je trouve qu’il n’y a rien de choquant à demander à de jeunes diplômés, dont les études ont été financées par l’État, de rendre service à celui-ci en s’installant là où l’on a besoin d’eux pendant quelques années ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Nathalie Goulet applaudissent également.)

M. Jean-Luc Fichet. Exactement !

M. Hervé Maurey. Il y a quantité de professions où cela se pratique déjà…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Professions honorables !

M. Hervé Maurey. … sans que cela choque qui que ce soit. Je ne vois pas pourquoi il en irait différemment pour les médecins.

Ce matin a eu lieu dans cet hémicycle un débat très intéressant sur la ruralité ; nous restons en plein dans ce sujet puisque Bruno Le Maire a considéré, en conclusion, que le problème numéro un de la ruralité était la démographie médicale.

M. Hervé Maurey. Je partage naturellement son avis et, parce que je le partage, j’espère que le Gouvernement ne jouera pas indéfiniment l’autruche en refusant de voir les choses telles qu’elles sont et qu’il prendra les mesures courageuses qui s’imposent. Il en va de la vitalité et, même, de la vie tout court de nos territoires ruraux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat tombe à point nommé puisqu’il me permet d’aborder le problème criant du secteur de la santé dans mon département, la Guyane. Je tiens donc à remercier le groupe CRC-SPG, qui est à l’origine de cette initiative.

Il est ici question de désertification médicale. En Guyane, malheureusement, nous avons dépassé ce stade : nous ne sommes pas dans un processus de déficit ou d’exode de médecins tout simplement parce que nous sommes déjà un désert médical !

Le diagnostic est sévère, et d’autant plus implacable que le département est confronté à une croissance démographique exceptionnelle, avec un taux de 3,9 %, soit le plus important de France et l’un des plus importants au monde, et qu’il détient des indicateurs de santé parmi les plus mauvais de France, pour ne pas dire les plus mauvais.

En effet, en Guyane, l’espérance de vie – soixante-dix-neuf ans pour les femmes, soixante-douze pour les hommes – est inférieure de quatre ans à celle de la métropole. Le taux de mortalité infantile est de 10,5 pour 1 000 naissances, au lieu de 4 pour 1 000 dans le reste de la France. Plusieurs pathologies – diabète, hypertension artérielle, sans oublier le virus de l’immunodéficience humaine, le VIH – y ont des prévalences plus élevées que dans le reste de la France. Le taux des maladies entériques, est important, surtout dans les communes de l’intérieur, ces maladies, telles que typhoïdes, gastro-entérites, diarrhées infectieuses, entraînant des retards de développement et des retards scolaires chez les enfants.

Cette situation sanitaire plus que dégradée nécessiterait une couverture sanitaire adaptée à des besoins croissants. Pourtant, force est de remarquer qu’en matière de démographie médicale la Guyane souffre toujours d’un déséquilibre important par rapport à la métropole. Le département est entièrement classé comme zone déficitaire en médecins libéraux, et la directrice de la caisse générale de sécurité sociale de Guyane n’a pas hésité à déclarer que le nombre de médecins était trois fois inférieur aux besoins.

La densité moyenne en médecins généralistes, médecins spécialistes, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes et dentistes est plus qu’alarmante.

Selon les données de 2009, on compte, pour 100 000 habitants, 38 médecins généralistes en Guyane contre 112 en France métropolitaine et, respectivement, 83 et 82 en Martinique et en Guadeloupe ; 22 médecins spécialistes contre 88 en France métropolitaine et, respectivement, 48 et 60 en Martinique et en Guadeloupe ; 38 chirurgiens-dentistes contre 62 en France métropolitaine.

Encore faut-il préciser que les médecins généralistes et spécialistes ont, pour 30 % d’entre eux, entre 55 et 70 ans et qu’ils sont concentrés sur l’île de Cayenne et sur Kourou. Beaucoup de communes ayant déjà une densité inférieure à trois médecins généralistes par tranche de 5 000 habitants se trouvent ainsi très éloignées d’un service d’urgence.

La sonnette d’alarme a été maintes fois actionnée. Les propositions ne manquent pas. Elles ont largement été développées dans des rapports, avis et plans divers, tant locaux que nationaux – le rapport de Mme Hubert a été remis le 23 novembre 2010 au Président de la République – mais ce sont les mêmes mesures qui sont toujours avancées.

La Guyane doit être dotée d’une véritable politique volontariste d’incitation à l’installation de médecins libéraux. Certes, il y a eu des avancées, notamment en ce qui concerne le tarif de la consultation et l’installation de médecins étrangers, exception guyanaise en France, mais il est des demandes locales, telles que la zone franche médicale et la réduction de l’octroi de mer pour le matériel professionnel et technique afin de faciliter l’investissement des spécialistes, qui sont restées lettre morte.

L’accent doit être également mis sur la continuité territoriale, qui doit être renforcée. Dans un territoire aussi grand que le Portugal, avec de très fortes disparités territoriales et une fracture entre la bande littorale, assez bien équipée, et l’intérieur enclavé, c’est un point essentiel.

L’absence d’avion sanitaire dédié ou d’hélicoptère pour la sécurité civile pose, autant que l’isolement de certaines populations, un problème majeur en matière d’égalité d’accès aux soins.

Certaines communes sont particulièrement démunies en infrastructures. Les délais d’intervention sont extrêmement longs. Les systèmes de communication en cas d’alerte restent insuffisants.

Je rappelle que le dispositif d’aide aux transports aériens et la définition des critères d’octroi constituent l’un des objectifs du plan « santé outre-mer ». Or, à ce jour, aucune initiative n’a été communiquée. C’est pourtant un élément crucial au titre de la continuité territoriale afin de réduire les importantes charges de transport des établissements.

Par ailleurs, de réels moyens financiers doivent être garantis pour améliorer la couverture sanitaire en équipements technologiques de pointe. Il est navrant de constater que, dans le plan Hôpital 2012, seuls 2,2 % de l’enveloppe globale sont consacrés aux outre-mer.

Une autre mesure essentielle est le renforcement de la formation et son adaptation aux spécificités du département.

À ce sujet, la demande d’augmentation du numerus clausus par les outre-mer n’a été que partiellement entendue puisque, pour la rentrée universitaire 2010-2011, seulement trois places de plus ont été prévues pour l’université d’Antilles-Guyane.

La faculté de médecine d’Antilles-Guyane, créée en 1988, ne dispose, quant à elle, à l’heure actuelle que de vingt-trois personnels hospitalo-universitaires.

Sans une accélération du nombre de créations de postes, cette faculté ne parviendra au niveau du CHU de Limoges que dans soixante ans ! Pourtant, celui-ci est le moins pourvu de France après le CHU d’Antilles-Guyane !

Pour l’heure, nous sommes donc très loin des promesses du conseil interministériel de l’outre-mer, ou CIOM, du 6 novembre 2008, qui prévoyait la création d’un cursus complet des études médicales aux Antilles-Guyane et souhaitait, notamment pour la Guyane, faire de la santé une activité de pointe.

Une fois de plus, ces très bonnes intentions sont encore loin de la réalité.

Madame la secrétaire d’État, l’égalité devant les soins ne serait-elle qu’un vœu pieux ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG ainsi que sur plusieurs travées de l’UMP  – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie tout d’abord le groupe CRC-SPG de nous avoir donné l’occasion de débattre d’une question essentielle.

La santé est un sujet fondamental parce que le droit à la santé est fondamental. La question de la désertification médicale nous interpelle sur le droit d’accéder aux soins en tout point de notre territoire.

Parler, discuter, débattre de la démographie médicale est essentiel tant la santé des Français est prioritaire.

Je vous le dis en préambule, avec M. Xavier Bertrand, nous nous battrons pour que tous les Français disposent d’une médecine de qualité sur l’ensemble du territoire national.

Je voudrais, en premier lieu, partager un constat avec vous sur cette désertification médicale dont nous venons de parler et contre laquelle ce Gouvernement se bat.

La problématique de la désertification médicale ne peut se résumer au manque de médecins généralistes dans certaines communes rurales.

Vous l’avez dit, monsieur Vera, la désertification médicale concerne également les zones périurbaines. Chacun le sait, vous l’avez d’ailleurs rappelé, en banlieue, à quelques kilomètres parfois du centre d’une grande ville, il est encore difficile, voire impossible, de trouver un médecin généraliste ou spécialiste.

Plus largement, la désertification médicale englobe toutes les questions liées à l’offre de soins, à la coopération entre professionnels de santé et à leur répartition sur le territoire national.

De plus, la démographie des professions de santé se caractérise par une inégale répartition des professionnels entre les régions.

Le nombre de médecins est de 209 143 en France métropolitaine, dont 101 667 généralistes. Leur densité moyenne sur le territoire métropolitain est 339 pour 100 000 habitants.

Mais, et vous l’avez signalé à de nombreuses reprises, cette densité est très variable d’une région à l’autre. Vous avez cité certains chiffres, je vous communique ceux dont je dispose. Cette densité moyenne va de 256 en Picardie à 405 en Île-de-France et 412 en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Et, d’un département à l’autre au sein d’une même région, par exemple en Île-de-France, la densité varie même de 123 en Seine-et-Marne à 288 à Paris.

À ce nombre de médecins, il faut ajouter les autres professionnels de santé qui remplissent un rôle primordial au cœur de notre système de santé.

Le nombre des autres professionnels de santé, en 2010, est de 825 190 en France métropolitaine. Il est composé pour une large majorité d’infirmiers, 515 754, soit 62 %, puis viennent les pharmaciens, 74 059, les masseurs-kinésithérapeutes, 68 923, et les chirurgiens-dentistes, 40 930.

Les infirmiers connaissent ainsi la densité la plus importante, soit 830 pour 100 000 habitants. Il faut aussi souligner la diversité de cette densité, qui va de 1 074 infirmiers pour 100 000 habitants dans le Limousin à 662 dans le Centre. Je reviendrai ultérieurement sur ce point pour répondre à M. Georges Patient à propos de la question des formations.

Pour lutter contre la désertification médicale et pour mieux répartir les professionnels de santé sur le territoire national, de nombreuses mesures ont été prises depuis cinq ans.

Pour commencer, puisque vous me parlez des décrets d’application de la loi HPST, je souhaite préciser que les huit ordonnances prévues ont toutes ont été publiées, ainsi que 106 des 154 décrets. Nous travaillons sur les autres en ce moment. Cela a demandé un travail énorme de la part des services du ministère de la santé et je tiens à relever ici la qualité de ce qui a été produit.

Dans le cadre de la loi HPST, les mesures incitatives ont été privilégiées. J’ai bien entendu, à ce sujet, les avis parfois divergents qui ont été exprimés.

Nous avons, en effet, confiance dans les professionnels médicaux pour faire face à leurs responsabilités et répondre aux enjeux de santé publique.

Les dispositifs tels que la répartition quinquennale des postes d’internes par spécialité et par région, les quotas paramédicaux ou encore le rééquilibrage des numerus clausus permettent une régulation territoriale des flux de formation des professionnels de santé.

J’ajouterai quelques précisions concernant le numerus clausus. Le nombre d’étudiants autorisés à poursuivre leurs études en médecine a doublé en dix ans.

M. Jacques Blanc. Ce n’est pas suffisant !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Peut-être, mais je tiens à souligner cette dynamique.

Nous sommes passés de 3 700 en 1999 à 7 400 en 2011. Ces places supplémentaires – c’est important – ont été prioritairement affectées dans les régions dont la densité médicale est inférieure à la moyenne nationale : l’Ouest, le Nord-Ouest et le Nord-Est. Aux Antilles et en Guyane, le numerus clausus a augmenté, entre 2000 et 2010, de 15 à 76.

Par ailleurs, les postes offerts à l’issue des épreuves classantes nationales, qui répartissent les étudiants en médecine entre les différentes spécialités, ont été augmentés au sein des régions et des spécialités, avec un objectif de rééquilibrage entre les régions.

À ce titre, une attention particulière a été portée à la médecine générale afin de garantir une offre de soins de premier recours efficiente et accessible.

En outre, l’arrêté du 12 juillet 2010 détermine, pour la période 2010-2014, le nombre d’internes à former par subdivision et spécialité.

Il s’agit du premier arrêté pluriannuel glissant prévu par la loi HPST, une mesure dite « de filiarisation ». Il consiste, pour les spécialités médicales et chirurgicales, à proposer des postes d’internes par diplôme d’études spécialisées, ou DES, soit trente spécialités, et non plus par discipline, au nombre de onze.

Ainsi, les flux d’internes seront progressivement adaptés aux besoins démographiques, avec une vision prospective des besoins de soins et une adaptation des capacités de formation correspondante.

S’agissant des épreuves classantes, je souhaite revenir, chiffres à l’appui, sur les départements des Antilles et de la Guyane. Nous sommes passés de 46 postes offerts en 2000 à 108 en 2010. En ce qui concerne les postes d’internes vacants pour les médecins généralistes, monsieur Patient, je précise que 45 postes étaient vacants en 2005 et que ce chiffre a été réduit à 5 en 2010.

Mais, je le sais, et vous l’avez rappelé, à eux seuls, ces dispositifs ne permettent pas d’obtenir une répartition équilibrée des professionnels de santé, du fait, notamment, de la liberté d’installation.

Toutefois, conjugués à des mesures incitatives, ces dispositifs contribuent à un pilotage renforcé de la démographie des professionnels de santé.

L’article 46 de la loi HPST a, par ailleurs, instauré le fameux contrat d’engagement de service public, le CESP, à destination des étudiants admis à poursuivre des études médicales à l’issue de la première année ou ultérieurement.

Les étudiants bénéficiaires se voient verser une allocation mensuelle de 1 200 euros jusqu’à la fin de leurs études, financée au titre du Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins, le FIQCS.

En contrepartie, les étudiants s’engagent à exercer leurs fonctions, à compter de la fin de leur formation, dans des lieux d’exercice spécifiques, proposés dans des zones où la continuité des soins fait défaut. La durée de leur engagement est égale à celle correspondant au versement de l’allocation et ne peut être inférieure à deux ans.

Monsieur Tropeano, vous m’avez interrogée sur ces contrats, dont vous souhaitez connaître le nombre. À ce jour, 200 étudiants et internes ont d’ores et déjà été sélectionnés pour bénéficier de ce contrat. Ce dispositif a été opérationnel en septembre. Avec 200 contrats, la mise en place de cette mesure commence de manière positive ! Nous procéderons prochainement une évaluation de ce dispositif.

Le post-internat est aussi un facteur majeur de fidélisation des futurs médecins. Aujourd’hui, il permet aux jeunes diplômés de se ménager de plus larges possibilités de carrière, en secteur hospitalier comme en libéral, et de meilleures perspectives de rémunération.

Il résulte, le plus souvent, du besoin d’acquérir une capacité d’exercice autonome ou un complément de formation dans certaines spécialités, notamment chirurgicales. Il constitue également la première étape d’une carrière universitaire. À ce titre, l’État a créé 400 postes d’assistants de spécialistes partagés, répartis dans les régions les moins bien dotées.

Il convient également de poursuivre les efforts déjà entrepris pour rendre la médecine générale de premier recours plus attractive et pour sensibiliser les étudiants en médecine à cet exercice. Ces dernières années ont vu la structuration de la filière universitaire de médecine générale et la généralisation du stage de médecine générale en deuxième cycle et du stage chez le praticien libéral au cours du DES de médecine générale.

Permettez-moi de vous faire part de quelques chiffres du bilan de l’année 2010. Nous comptons aujourd’hui 69 chefs de clinique de médecine générale en poste, 86 postes de professeurs de médecine générale et 81 maîtres de conférences en médecine générale. En 2011, nous poursuivrons cette progression dans ce domaine. Nous sommes, en effet, convaincus du bien-fondé d’une filière universitaire en médecine générale.

Parallèlement, le nombre de postes d’internes de médecine générale offerts est passé de 46 % de l’ensemble des postes ouverts en 2004 à 53 % en 2010. J’ajoute que 49 % des étudiants de deuxième cycle ont suivi un stage d’externat de médecine générale en 2010.

L’amélioration des conditions d’exercice des professionnels constitue une mesure incitative importante pour renforcer l’attractivité de l’exercice libéral.

Ainsi, les modalités d’exercice médical ont été assouplies par différents dispositifs, tels que l’exercice médical en cabinet secondaire ou le concours d’un médecin collaborateur libéral ou d’un étudiant en médecine.

La mise en place de structures d’exercice coordonné répond également au souhait des professionnels d’un cadre d’exercice rénové, qui optimise le temps médical et évite l’isolement ; vous êtes nombreux à avoir souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, que les médecins souhaitaient se regrouper et pratiquer leur activité à plusieurs. Un tel cadre d’exercice est plus attractif pour les jeunes professionnels et contribue à pérenniser l’offre de santé sur le territoire. Le regroupement des professionnels constitue en outre l’une des réponses adaptées aux besoins de santé de la population et à l’amélioration de la qualité des soins – parcours des patients, continuité des soins et qualité des prises en charge.

Les structures d’exercice regroupé revêtent plusieurs formes et offrent une réponse adaptée aux attentes des professionnels qui les composent, du cabinet de groupe à la maison de santé pluridisciplinaire, en passant par les pôles de santé.

Enfin, les incitations financières demeurent. Par exemple, les médecins exerçant en zone déficitaire perçoivent, comme cela a été souligné au cours de ce débat, des honoraires majorés de 20 %, ce qui constitue une aide à l’installation.

À l'échelle régionale, la stratégie d’organisation des soins ambulatoires est déterminée au sein du volet ambulatoire du schéma régional d’organisation des soins.

Une méthode a été proposée aux agences régionales de santé pour construire une offre de soins ambulatoires visible et organisée de façon à assurer l’accès aux soins, la continuité des prises en charge ainsi que la qualité et la coordination des soins. Il s’agit également de répondre aux aspirations des professionnels de santé, qui souhaitent un exercice moins isolé, une optimisation du temps médical, un assouplissement et un allégement de la pratique au quotidien.

L’objectif visé est de réduire les disparités géographiques et de consolider l’offre existante dans les secteurs fragilisés.

La méthode d’élaboration du volet ambulatoire du SROS associe les professionnels de santé. Ainsi, dans les territoires, c’est avec eux que les agences régionales de santé non seulement construiront une vision partagée du diagnostic mais aussi dégageront des axes d’amélioration et apporteront un soutien à ces acteurs porteurs de projets.

Cette dynamique d’élaboration et la contribution des professionnels de santé sont autant de gages de la réussite du projet et de la définition de réponses adaptées aux besoins des territoires.

Je voudrais d'ailleurs remercier Mme Goulet d’avoir évoqué le travail, qui est excellent, il faut le dire, du directeur de l’ARS de la région dont elle est l’élue. Ce dernier s’efforce d’élaborer un schéma d’offre de soins qui réponde le mieux possible aux besoins et aux spécificités territoriales.

Mme Nathalie Goulet. Il fait ce qu’il peut avec les moyens dont il dispose !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Je veux maintenant évoquer les perspectives qui s’ouvrent devant nous et les actions que nous mènerons afin de lutter contre les déserts médicaux.

Vous l’avez tous souligné : nous disposons désormais des réflexions de Mme Élisabeth Hubert sur la médecine de proximité.

Avec Xavier Bertrand, je déclinerai les principales mesures proposées par Élisabeth Hubert dans son rapport remis le mois dernier au Président de la République, mesures qui méritent d’être appliquées.

Monsieur Béteille, vous avez tout à l'heure évoqué le problème de la charge administrative des médecins libéraux. À cet égard, nous mettrons en œuvre, dans les prochains jours, des mesures de simplification administrative.

M. Charles Revet. Très bien. C’est un travail qu’il faut faire.

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Il faut en effet rendre du temps médical aux praticiens libéraux, qui souffrent de nombreuses tracasseries administratives.

Le temps médical est précieux.

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Il faut le libérer au maximum, car c’est le patient qui en sera le principal bénéficiaire.

Le lancement du dossier médical personnel, le DMP, permettra également, à terme, de gagner du temps médical et d’améliorer le suivi du parcours de soins du patient. Élisabeth Hubert insiste d’ailleurs tout particulièrement sur l’amélioration des systèmes d’information.

Par ailleurs, les données démographiques conjuguées aux progrès techniques et aux évolutions des métiers de la santé conduisent à développer une meilleure coopération entre les professionnels médicaux et paramédicaux.

Les coopérations entre les professionnels de santé favorisent également une meilleure organisation de la prise en charge du patient et permettent de dégager du temps médical. Elles seront facilitées par les nouveaux modes d’exercice regroupés et coordonnés, notamment au sein des maisons de santé.

Bien entendu, pour accompagner l’émergence de ces nouvelles modalités d’exercice et d’organisation des professionnels de santé libéraux, les modes de rémunération doivent être adaptés. Pour valoriser certaines missions comme la prévention, le suivi de pathologies chroniques, l’éducation thérapeutique ou encore la coordination, des expérimentations sont en cours en ce qui concerne les nouveaux modes de rémunération, même si le paiement à l’acte reste au cœur du dispositif, car il constitue l’essence de l’exercice libéral.

Enfin, le service unique d’aide à l’installation des professionnels de santé prévu par l’article 118 de la loi HPST sera mis en place par les ARS au plus tard en juillet 2011. En effet, les étudiants ou les internes manquent d’information sur les conditions d’exercice en libéral et les aides à l’installation existantes et ils éprouvent des difficultés à identifier le bon interlocuteur. Les professionnels de santé qui s’installent ou qui ont un projet de regroupement font également l’expérience d’une offre de service à l’installation éclatée entre de nombreux acteurs et variable selon les régions.

L’objectif de la mise en place de ce service unique est de mobiliser les acteurs institutionnels du premier recours et de coordonner leurs activités à destination des professionnels de santé libéraux. On voit bien qu’il est nécessaire de mettre en place une porte d’entrée unique, et non plus une usine à gaz, pour faciliter l’installation des médecins.

M. Fourcade, dont je salue la présence, a d’ailleurs déposé une proposition de loi visant à améliorer certaines dispositions de la loi HPST, notamment en ce qui concerne la structure juridique des maisons pluridisciplinaires de santé, et je l’en remercie.

Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, la démographie médicale et paramédicale constitue pour moi, comme pour Xavier Bertrand, une priorité. Les Français ont besoin d’une médecine de qualité accessible partout sur le territoire.

Pour cela, il n’y a pas de méthode miracle : il faut conjuguer plusieurs mesures qui, par leur complémentarité et leur diversité, ont pour ambition de répondre aux enjeux de la démographie médicale.

Ces mesures, nous les mettrons en œuvre dans les semaines et les mois à venir, conformément à l’engagement pris par le Président de la République. Je sais que, en la matière, nous avons le soutien des élus de terrain, qui constatent au quotidien les difficultés rencontrées par nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. Charles Revet. Très bien !

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la désertification médicale.

7

Nomination de membres d'organismes extraparlementaires

M. le président. Je rappelle que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a proposé des candidatures pour deux organismes extraparlementaires.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame :

-M. Ambroise Dupont membre titulaire et M. Ivan Renar membre suppléant du Haut conseil des musées de France ;

-M. Philippe Nachbar membre suppléant de la Commission du Fonds national pour l’archéologie préventive.

8

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 18 janvier 2011 :

À neuf heures trente :

1. Questions orales.

(Le texte des questions figure en annexe).

De quatorze heures trente à seize heures quarante-cinq :

2. Débat sur des questions de politique étrangère.

De dix-sept heures à dix-sept heures quarante-cinq :

3. Questions cribles thématiques sur « Outre-mer et Europe ».

À dix-huit heures et le soir :

4. Deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (n° 195, 2010-2011).

Rapport de M. Jean-Patrick Courtois, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 214, 2010-2011).

Texte de la commission (n° 215, 2010-2011).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à seize heures vingt-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral,

FRANÇOISE WIART