Sommaire

Présidence de M. Bernard Frimat

Secrétaires :

Mme Michelle Demessine, M. Philippe Nachbar.

1. Procès-verbal

2. Candidatures à des commissions mixtes paritaires

3. Débat sur le coût des 35 heures pour l’État et la société

Orateurs des groupes

MM. Jean-Pierre Fourcade, au nom du groupe UMP, auteur de la demande ; Alain Vasselle, au nom du groupe UMP, auteur de la demande.

M. Alain Gournac, Mme Annie David, M. François Zocchetto, Mme Raymonde Le Texier, MM. Aymeri de Montesquiou, Serge Dassault, Mme Christiane Demontès, MM. Gérard Longuet, Martial Bourquin.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi.

Débat interactif et spontané

M. Jean-Jacques Mirassou.

M. Alain Vasselle, Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur.

Mme Annie David

M. Jacky Le Menn, Mme la secrétaire d'État.

M. Jean-Pierre Fourcade, Mme la secrétaire d'État.

M. Didier Guillaume.

M. Gérard Longuet, Mme la secrétaire d'État.

M. Claude Jeannerot, Mme la secrétaire d'État.

M. Martial Bourquin.

M. Alain Gournac, Mme la secrétaire d'État.

Mmes Raymonde Le Texier, la secrétaire d'État.

M. Éric Doligé.

Suspension et reprise de la séance

4. Nomination de membres de commissions mixtes paritaires

5. Lutte contre les discriminations. – Discussion d'une question orale avec débat

Mme Bariza Khiari, auteur de la question.

Mmes Éliane Assassi, Muguette Dini, M. Charles Gautier, Mme Françoise Laborde, MM. Jean-Jacques Hyest, Claude Jeannerot, Alain Fouché, Jean-Etienne Antoinette, Martial Bourquin.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice.

6. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Bernard Frimat

vice-président

Secrétaires :

Mme Michelle Demessine,

M. Philippe Nachbar.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidatures à des commissions mixtes paritaires

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution de commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique et du projet de loi relatifs à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

La commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à ces commissions mixtes paritaires.

Cette liste a été affichée et la nomination des membres de ces commissions mixtes paritaires aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.

3

Débat sur le coût des 35 heures pour l’État et la société

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le coût des 35 heures pour l’État et la société, organisé à la demande du groupe UMP.

Orateurs des groupes

M. le président. La parole est tout d’abord aux orateurs du groupe UMP qui a demandé ce débat, et en premier lieu à M. Jean-Pierre Fourcade.

M. Jean-Pierre Fourcade, au nom du groupe UMP, auteur de la demande. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat sur le coût des 35 heures pour l’État et la société est organisé sur l’initiative du groupe UMP. (M. Jean-Luc Fichet s’exclame.)

Ce débat est rendu nécessaire par le contexte économique et budgétaire et par les enjeux majeurs auxquels nous sommes confrontés.

Notre pays subit aujourd'hui les conséquences d’une grave crise économique et sociale, auxquelles s’ajoutent des handicaps structurels. La responsabilité du Parlement est de s’interroger sur la pertinence de certains des choix qui ont été faits, et c’est le sens que le groupe UMP souhaite donner à ce débat.

Mes chers collègues, les 35 heures constituent le parfait exemple d’une mesure autoritaire, insuffisamment évaluée et inadaptée aux enjeux actuels.

M. Jacky Le Menn. Ben voyons !

M. Jean-Pierre Fourcade. Imposées dans un contexte économique favorable, mais à contre-courant des politiques conduites dans les autres pays de l’Union européenne et plus largement de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, les 35 heures se heurtent aujourd’hui à la dure réalité économique, budgétaire et, parfois même, sociale. (Mme Christiane Demontès s’exclame.)

De notre point de vue, les 35 heures ont un coût économique, un coût budgétaire et un coût humain. Je n’évoquerai que le coût économique.

M. Alain Gournac. J’aborderai quant à moi le coût humain !

M. Jean-Pierre Fourcade. Les 35 heures pèsent et sur la compétitivité de nos entreprises et sur la croissance.

Dès 1998, la commission d’enquête du Sénat, présidée par notre excellent collègue Alain Gournac, avait prévu les effets économiques néfastes de l’instauration arbitraire des 35 heures par la première loi Aubry.

Mme Annie David. Elles se sont traduites par une hausse de la production de richesses !

M. Jean-Pierre Fourcade. Le rapporteur de cette commission d’enquête, M. Jean Arthuis, prédisait déjà que l’abaissement de la durée du travail créerait des distorsions de concurrence au détriment des entreprises françaises.

M. Jean-Pierre Fourcade. Cette analyse s’est largement confirmée.

M. Jean-Pierre Fourcade. Voilà maintenant dix ans que les 35 heures ont été instaurées, et nous continuons à en payer les conséquences.

D’emblée, les 35 heures ont eu – et elles ont encore – des effets négatifs sur la compétitivité des entreprises françaises.

Mme Annie David. C’est faux !

M. Jean-Pierre Fourcade. Dans le rapport qu’il a récemment remis au Premier ministre, Les entreprises de taille intermédiaire au cœur d’une nouvelle dynamique de croissance, notre excellent collègue Bruno Retailleau souligne que l’écart s’est creusé entre la compétitivité-coût de l’Allemagne et celle de la France. Dans la situation économique actuelle, il s’agit du problème le plus préoccupant.

La réduction du temps de travail, la RTT, peut certes avoir des effets positifs sur la compétitivité des entreprises, mais à la condition que, à salaire hebdomadaire constant, les gains liés à la réorganisation du travail et à l’augmentation de la productivité horaire compensent la baisse du temps de travail.

Or, selon une étude de l’OCDE parue en 2003, les gains de productivité ne sont pas suffisants pour assurer cette compensation. Cette étude montre que la réduction du temps de travail a eu des effets négatifs sur les perspectives de croissance du PIB par tête et que, dans l’ensemble, la France a connu des gains de productivité par actif occupé inférieurs à ceux de ses partenaires européens.

L’augmentation de la productivité n’a donc pas permis de compenser la réduction du temps de travail. Il en est tout naturellement résulté un accroissement des coûts salariaux pour les entreprises, auxquels se sont ajoutées des charges supplémentaires dues à la nécessaire réorganisation du travail.

Mme Annie David. Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre !

M. Jean-Pierre Fourcade. Comme le souligne une récente étude de l’INSEE, la réduction du temps de travail a contribué non seulement à l’augmentation du coût du travail, mais également – et c’est plus inquiétant, notamment si l’on compare la situation de notre pays à celle tant de l’Allemagne que des États-Unis – au recours au travail peu qualifié. Ce recours s’effectue en effet au détriment des emplois plus qualifiés, essentiels à l’élaboration et à la vente des produits et des services à forte valeur ajoutée sur lesquels sont positionnés les pays développés, en particulier à l’exportation.

Au sein d’une économie qui est désormais mondialisée, la compétitivité a des conséquences directes sur les exportations, donc sur la production. Or depuis maintenant dix ans, chacun le sait, le volume et la valeur de nos exportations se sont fortement réduits.

Dans un rapport rendu public en 2007, le gouverneur de la Banque de France, M. Christian Noyer, a clairement établi le lien qui unit la dégradation de la compétitivité et la réduction de la durée du travail.

Il a notamment souligné que « la compétitivité française a été notablement affectée par les hausses et rattrapages de salaires liés à la réduction de la durée du travail, alors même que l’Allemagne, de son côté, accumulait plusieurs années consécutives de baisse des rémunérations réelles ».

Malgré la forte amélioration de l’emploi entre 2000 et 2006, amélioration que personne ne peut nier, le nombre total d’heures travaillées en France chaque année n’a quasiment pas progressé.

Comme l’a indiqué M. Noyer, « l’économie française continue aujourd’hui d’absorber les effets de la réduction de la durée du travail et des rattrapages de salaires auxquels elle a donné lieu depuis dix ans ». Ainsi, contrairement à leurs concurrents, les exportateurs français ont dû réduire leurs marges pour compenser une partie de ces effets sur la compétitivité-prix et limiter les pertes de marché.

Pendant que les entreprises françaises consacraient leurs gains de productivité à leur réorganisation,…

Mme Annie David. Et à la rémunération de leurs actionnaires !

M. Jean-Pierre Fourcade. … leurs concurrentes étrangères les affectaient à la baisse de leurs prix et, surtout, à l’investissement dans la recherche et le développement, ce que nos entreprises n’ont pas fait.

D’aucuns réfutent ces arguments en avançant que le surcoût lié aux 35 heures a été compensé par des allégements de cotisations sociales. Voilà maintenant cinq ans que j’interroge le Gouvernement sur ce sujet, mais en vain. Peut-être m’apporterez-vous quelques éléments de réponse dans un instant, monsieur le secrétaire d’État ?

Les allégements de charges étant ciblés sur la main-d’œuvre la moins qualifiée, ils se répartissent de manière inégale en fonction des entreprises et des secteurs d’activité. En fait, les exonérations ciblées et les allégements généraux profitent surtout à des secteurs peu sensibles à la compétition internationale, comme l’hôtellerie et la restauration – bravo ! –, la construction et les services, en particulier le domaine social et médico-social.

En revanche, comme le souligne le Conseil des prélèvements obligatoires dans son rapport du mois d’octobre 2009, ces exonérations et allégements bénéficient peu aux secteurs exposés à la concurrence internationale, comme l’industrie pharmaceutique, l’industrie chimique, les produits informatiques et électroniques, les industries d’équipement, à l’exception des industries agroalimentaires et du secteur habillement-textile-cuir.

L’allégement des charges, mal réparti, n’a pas réellement protégé les entreprises les plus exposées à la concurrence internationale. Cela montre que nous devons cibler les exonérations en fonction des enjeux de la mondialisation et des risques de délocalisations.

Mes chers collègues, les 35 heures constituent un problème qu’il faut aujourd’hui aborder,…

Mme Raymonde Le Texier. Si c’était le seul !

M. Jean-Pierre Fourcade. … car la chute de nos exportations en montre les conséquences défavorables sur la compétitivité de nos entreprises.

Les spécialistes de l’OCDE craignent que la politique de réduction collective du temps de travail n’ait entamé le potentiel de croissance économique de notre pays. À nous de remédier à cette situation ! Pour y parvenir, nous devrons d’abord rétablir la liberté de discussion des horaires de travail au sein des entreprises. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Annie David. C’est déjà fait !

M. Jean-Pierre Fourcade. Nous devrons aussi veiller à la protection des emplois dans les entreprises directement confrontées à la compétition internationale.

Mme Raymonde Le Texier. Vous allez créer une usine à gaz !

M. Jean-Pierre Fourcade. À défaut, nous continuerions de nous enfoncer. Tel n’est pas notre objectif, et c'est bien la raison pour laquelle notre groupe a souhaité que le Sénat organise un débat sur le coût des 35 heures. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle, au nom du groupe UMP, auteur de la demande. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les 35 heures constituent un sujet extrêmement sensible, que nous abordons lors de l’examen de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale – de manière indirecte, je le concède –, au moment de la discussion du « panier fiscal ».

M. Jean-Pierre Fourcade vient d’évoquer les conséquences économiques des 35 heures sur la compétitivité et la croissance ; je m’intéresserai pour ma part à leur coût sur les finances publiques.

M. Jean-Luc Fichet. Et le coût du bouclier fiscal ?

M. Alain Vasselle. La facture des 35 heures est très lourde pour les budgets de l’État et des collectivités locales, donc pour les contribuables. Un rappel historique s’impose.

Mme Raymonde Le Texier. Bon courage !

M. Alain Vasselle. L’instauration des 35 heures s’est accompagnée d’allégements de charges sociales qui étaient supposés en limiter les effets sur le coût du travail. L’objectif était de permettre à un plus grand nombre de personnes de trouver un emploi.

La mise en œuvre de la loi s’est accompagnée de la création, par M. Lionel Jospin et Mme Martine Aubry, du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC.

En ma qualité de rapporteur, je n’ai eu de cesse de dénoncer la tuyauterie complexe de ce fonds, qui s’apparentait à une usine à gaz.

Mme Raymonde Le Texier. C’est l’hôpital qui se moque de la Charité !

M. Alain Vasselle. Je contestais également le détournement, sans aucune compensation, d’une bonne partie des recettes de la sécurité sociale au profit du FOREC.

En 2004, le Gouvernement a eu le courage de supprimer le FOREC, mais il a fallu payer l’addition, puisque le déficit cumulé de la sécurité sociale s’élevait, à l’époque, à près de 25 milliards d’euros. Ce déficit résultait largement du non-financement de dépenses de l’assurance maladie, une partie de ses recettes fiscales, notamment les droits sur les alcools ou le tabac, étant détournée pour alimenter le FOREC et financer les 35 heures.

La suppression du FOREC a permis la création d’un panier fiscal, avec la compensation à l’euro près de la totalité des allégements de charges liés à l’instauration de la réduction du temps de travail à hauteur de 1,6 SMIC. De ce fait, aujourd’hui, l’opération est neutre pour la sécurité sociale,…

Mme Raymonde Le Texier. C’est bien la seule !

M. Alain Vasselle. … mais elle pèse lourdement sur le budget de l’État.

La Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, a engagé un cycle d’auditions sur les retraites et sur la réforme de l’assurance vieillesse, laquelle fera l’objet d’un rapport de Mme Demontès et de M. Leclerc. Certaines des personnes que nous avons auditionnées proposent, entre autres, de supprimer les allégements de charges,…

Mme Christiane Demontès. Et le bouclier fiscal ?

M. Alain Vasselle. … car elles considèrent que les entreprises devraient être en mesure de payer les cotisations sociales dont elles sont aujourd’hui exemptées.

Lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale – nos collègues de la commission des affaires sociales s’en souviennent –, j’avais déposé un amendement tendant à annualiser la prise en compte des exonérations de charges. M. Éric Woerth et Mme Christine Lagarde avaient alors dissuadé le Sénat d’adopter cette mesure parce qu’elle risquait de mettre en cause 800 000 emplois.

Il s’agit d’un sujet important qui mérite réflexion ? À la demande du Gouvernement, M. Jean-Luc Tavernier, ancien directeur de cabinet de M. Éric Woerth, a étudié cette question. Il devrait rendre son rapport tout prochainement, si ce n’est déjà fait. Peut-être M. Wauquiez en fera-t-il état dans un instant !

N’oublions pas, mes chers collègues, que le coût des 35 heures s’élève aujourd’hui à 10,6 milliards d’euros, soit 0,5 point du produit intérieur brut. Depuis l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2003, de l’allégement unique dégressif, dit « allégement Fillon », le dispositif global représente un total de 21,5 milliards d’euros. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. Martial Bourquin. C’est faux !

M. Alain Vasselle. Vous ne pouvez pas contester ce chiffre, car il figure à la fois dans la loi de finances et dans la loi de financement de la sécurité sociale !

Par ailleurs, la réduction du temps de travail a contraint l’État à augmenter le nombre des fonctionnaires, ce qui a entraîné une progression des dépenses de fonctionnement de l’État.

Mme Christiane Demontès. Mais quel est le coût du chômage ?

M. Alain Vasselle. Dans le secteur hospitalier, les conséquences des 35 heures ont été considérables, sans compter les coûts liés à la désorganisation des services.

Le rapport remis en juillet 2007 par Mme Dominique Acker, conseillère générale des établissements de santé, a mis en évidence les difficultés résultant de la mise en œuvre des 35 heures dans la fonction publique hospitalière. Ce rapport présente notamment un état des lieux du compte épargne-temps, le CET, qui a été mis en place en 2002 dans les établissements publics de santé pour accompagner la réduction du temps de travail.

Les personnels hospitaliers n’étaient pas suffisamment nombreux sur le marché du travail pour pourvoir les 45 000 et 3 500 postes créés respectivement pour les personnels non médicaux et les personnels médicaux. En effet, lorsque Mme Aubry a créé les 35 heures, elle n’a pas pris les mesures d’accompagnement nécessaires. Elle n’a pas prévu de créations d’emplois dans la fonction publique hospitalière –  et ce sera aussi le cas pour La Poste – afin de compenser la réduction du temps de travail imposée à tous les personnels, médicaux et non médicaux !

M. Jean-Luc Fichet. Alors, pourquoi supprimez-vous des emplois ?

M. Alain Vasselle. Elle a laissé à ses successeurs la responsabilité de régler l’addition. Mme Bachelot a tenté de le faire dans les lois de financement de la sécurité sociale de 2008 et de 2009, en prévoyant le financement des heures supplémentaires, afin que le service soit assuré correctement, et d’une partie des heures dues au titre de la réduction du temps de travail.

Mme Annie David. Et vous supprimez des emplois en contrepartie !

M. Alain Vasselle. Les promoteurs du compte épargne-temps prévoyaient son utilisation massive les deux premières années de sa création, avant de lui substituer progressivement des recrutements qui, de fait, n’ont jamais eu lieu à cause de l’état des comptes de l’assurance maladie.

Mme Annie David. Et que faites-vous de la RGPP ?

M. Alain Vasselle. Dix ans plus tard, l’État continue à dépenser des centaines de millions d’euros pour convertir les crédits des comptes épargne-temps et pour payer les heures supplémentaires. Comme l’a rappelé Mme Bachelot lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, il faudrait mobiliser 260 millions d’euros pour convertir les crédits des comptes épargne-temps et 53 millions d’euros pour payer les heures supplémentaires.

J’en viens aux répercussions de l’instauration des 35 heures pour les collectivités territoriales.

Les conséquences de la mise en œuvre de la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale sont malaisées à évaluer du fait du nombre des employeurs – on en recense en effet 57 000 – et de la difficulté à centraliser les informations issues de sources diverses : l’INSEE, les budgets primitifs, les comptes administratifs des collectivités locales.

Nous ne manquons cependant pas d’exemples, dans les départements, de l’incidence budgétaire des 35 heures sur les finances locales. Des études réalisées par la Direction générale des collectivités locales, la DGCL, et par Dexia-Crédit local de France ont globalement évalué l’accroissement de personnels lié à l’aménagement et à la réduction du temps de travail à environ 1 % des effectifs, soit 16 000 emplois supplémentaires, pour un coût moyen de quelque 500 millions d’euros.

Cette estimation ne portait que sur les coûts directs supportés par les communes, les départements ou les régions. Il convient d’y ajouter l’augmentation des coûts indirects dans les organismes qui en dépendent financièrement, en particulier les services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, les centres de formation des apprentis ou les maisons de retraite.

Mes chers collègues de l’opposition, vous n’avez de cesse de critiquer les transferts de charge, mais vous oubliez bien volontiers d’évoquer celui-ci, dont vous portez l’entière responsabilité.

M. Jean-Jacques Mirassou. On l’assume !

M. Alain Vasselle. Et il en est de même du transfert aux départements du financement des prestations liées à la dépendance.

En conclusion, mes chers collègues, les contribuables dépensent chaque année, en pure perte économique, des sommes considérables pour financer directement ou indirectement les 35 heures alors que l’argent manque pour combler les déficits et pour financer les retraites.

Mme Mireille Schurch. Vous oubliez le bouclier fiscal !

M. Alain Vasselle. Et je n’évoque même pas les conséquences psychologiques et morales qui en résultent pour les agents. Dans certains établissements, la réduction du temps de travail combinée à la recherche d’une productivité accrue rend parfois leur situation très difficile ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.-Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Jacky Le Menn. Tout ce qui est excessif est insignifiant !

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Alain Gournac, au nom du groupe UMP.

M. Alain Gournac. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je centrerai mon propos sur l’emploi et sur les aspects sociaux des 35 heures, que j’ai pu examiner en qualité de rapporteur du projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail et de rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales sur les crédits affectés à la mission « Travail et emploi ».

L’idée d’un « partage du travail », qui a longtemps inspiré certains de nos politiques, a motivé l’instauration des 35 heures. Les lois Aubry ont réduit la durée de travail des salariés afin de rendre nécessaires de nouvelles embauches : 700 000 emplois devaient ainsi être créés ! Paraphrasant Paul Valéry, je suis tenté de dire que l’idée d’un partage du travail « chante plus qu’elle ne parle ».

M. André Dulait. Très bien !

M. Alain Gournac. Nous sommes en effet loin du compte. Les spécialistes parlent de 350 000 emplois créés entre 1997 et 2002. Mais, à l’évidence, ce chiffre recouvre à la fois des effets d’aubaine et des effets de substitution.

Il recouvre des effets d’aubaine, car les 35 heures ont été mises en place en pleine période de croissance économique. De nombreux chefs d’entreprise ont ainsi bénéficié d’exonérations de cotisations pour créer des emplois qu’ils auraient créés de toute façon ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. Alain Gournac. Ce chiffre recouvre aussi des effets de substitution, car de nombreuses embauches correspondaient au passage en contrat à durée indéterminée de salariés en contrat à durée déterminée ou en intérim. En outre, la réduction des cotisations sociales sur les bas salaires et l’introduction d’une flexibilité accrue de l’organisation du travail ont joué un rôle important dans la création d’emplois.

Mme Isabelle Debré. C’est vrai !

Mme Annie David. Et les conséquences sur le mal-être des salariés ?

M. Alain Gournac. Selon un rapport du Conseil d’analyse économique de 2007, « les études menées depuis plus de dix ans dans plusieurs pays et fondées sur des dizaines de milliers d’observations montrent que l’idée selon laquelle la réduction de la durée du travail crée des emplois n’a aucune validité empirique ».

M. Gérard Longuet. C’est vrai !

M. Alain Gournac. Au contraire, les pays dans lesquels la durée de travail et le taux d’activité sont les plus élevés sont aussi ceux qui connaissent le chômage le plus faible. Travailler plus permet alors, à l’échelle de la collectivité, de gagner plus ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Un plus grand volume d’heures travaillées signifie plus de création de richesses, donc davantage de consommation, d’investissements et d’emplois.

M. Jean-Luc Fichet. Vous l’avez démontré !

Mme Christiane Demontès. Vous oubliez l’augmentation de la productivité !

M. Alain Gournac. Bref, le travail crée le travail ; son partage crée le chômage ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Sur le plan économique, les 35 heures nous ont freinés. Selon le rapport Camdessus, paru en 2004, « l’essentiel des différences avec les performances de nos partenaires s’explique par la moindre quantité de travail que nous mobilisons ». Selon ce rapport, depuis vingt ans, la totalité de notre écart de croissance par rapport aux États-Unis et au Royaume-Uni correspond à la différence d’évolution du total des heures travaillées.

Bref, la politique suivie par la France entre 1997 et 2002 a entraîné une perte de trois points de parts de marché dans la zone euro et conduit notre pays à un décrochage par rapport à ses principaux partenaires.

Alors que les Français sont soumis aux 35 heures légales hebdomadaires et obligatoires, les Allemands travaillent 38,2 heures, les Espagnols 38,5 heures, les Italiens 38 heures et les Hollandais 38,4 heures. Avec la réduction du temps de travail, nous avons donné au monde entier le sentiment que les Français ne voulaient plus travailler ! (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Mme Isabelle Debré. Tout à fait !

M. Alain Gournac. La France est le seul pays dans lequel le législateur a décidé de réduire unilatéralement la durée de travail de tous les salariés.

Il faut ajouter que la réduction du temps de travail s’est traduite par un coup de frein sur les salaires, notamment sur les plus bas d’entre eux, entraînant ainsi une baisse incontestable du pouvoir d’achat. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. Gérard Longuet. Très bien !

Mme Annie David. Bien sûr, puisque les patrons veulent bénéficier des exonérations !

M. Jean-Luc Fichet. Il fallait abroger la loi !

M. Alain Gournac. C’est la vérité, mais je comprends qu’elle vous gêne ! (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.) Les 35 heures promettaient un quotidien meilleur à tous les Français. C’est loin d’être le cas !

M. Jean-Luc Fichet. Pourquoi ne les avez-vous pas abolies ?

M. Alain Gournac. De nombreux salariés ont aujourd’hui besoin, « pour gagner plus », de « travailler plus ». Si certaines catégories sociales, notamment les classes moyennes, apprécient l’augmentation du temps qu’ils consacrent aux loisirs du fait des 35 heures, tel n’est pas le cas des personnes les plus défavorisés. Disposer de plus de temps libre présente un intérêt limité lorsque l’on n’a pas assez d’argent pour en profiter !

Mme Gisèle Printz. Il n’y a pas que l’argent !

M. Alain Gournac. L’application uniforme des 35 heures a été une erreur. Il aurait fallu tenir compte des différences de situation des salariés et, surtout, laisser le choix aux Français.

Par ailleurs, cette politique quelque peu dirigiste a créé une véritable inégalité devant le travail. La France se trouve désormais coupée en deux : d’un côté, ceux qui font effectivement 35 heures ; de l’autre, ceux qui sont restés à 39 heures ainsi que les non-salariés, qui n’ont jamais compté leur temps de travail, comme les médecins, les commerçants, les agriculteurs ou les salariés du secteur social.

M. Jean-Jacques Mirassou. Et les artistes !

M. Alain Gournac. Ceux-là sont parfois gênés par la diminution du temps de travail des autres. Ainsi en est-il, par exemple, de l’architecte qui, bien souvent, n’a plus de secrétaire après dix-sept heures, alors qu’il continue à travailler ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Mme Raymonde Le Texier. On aura tout entendu !

M. Alain Gournac. Les 35 heures ont désorganisé les entreprises. Permettez-moi de revenir sur la situation du secteur hospitalier.

Mme Christiane Demontès. Vous avez épuisé votre temps de parole !

M. Alain Gournac. Le bilan y est, sans conteste, négatif : infirmières trop peu nombreuses, insuffisance des recrutements, sous-effectifs chroniques, plannings acrobatiques.

M. Martial Bourquin. Il faut embaucher ! Nous avons trois millions de chômeurs !

Mme Christiane Demontès. Supprimez le bouclier fiscal pour financer l’hôpital !

M. Alain Gournac. Le rapport Acker – et je ne doute pas que vous l’ayez lu – relève l’absence de réflexion préalable à la mise en œuvre de la réduction du temps de travail dans ce secteur : 56 % des salariés des établissements de santé disent disposer de moins de temps pour effectuer les mêmes tâches, 46 % estiment avoir connu une dégradation de leurs conditions de travail.

Mme Annie David. Évidemment !

M. Alain Gournac. Je tiens les références à votre disposition.

Concrètement, les relèves laissent peu de place aux contacts personnels, des tensions peuvent apparaître et engendrer un stress plus important. Il devient difficile de réunir les équipes.

Mme Christiane Demontès. Vous dépassez votre temps de parole !

M. Alain Gournac. Dans cette réforme technocratique, où est le souci du malade, où est le souci de ceux qui le soignent, et auxquels je veux ici rendre hommage ?

Mme Annie David. Et que faites-vous du souci de l’intérêt général ?

Mme Christiane Demontès. Il se soucie des riches !

M. Alain Gournac. J’évoquerai d’un mot les heures supplémentaires non payées, qui se sont accumulées, et dont un certain nombre a été stocké sur des comptes épargne-temps.

Les comptes épargne-temps constituent une véritable bombe à retardement. Lorsqu’un praticien avancera son départ à la retraite, de deux années par exemple, l’hôpital devra continuer de lui verser son salaire et recruter de nouveaux médecins pour le remplacer.

Mme Annie David. Vous avez dépassé votre temps de parole !

M. Alain Gournac. Je tiens enfin à évoquer les conséquences de la réduction du temps de travail sur le stress au travail.

Je participe, avec certains d’entre vous, mes chers collègues, aux travaux de la mission d’information sur le mal-être au travail, créée à la demande de la commission des affaires sociales de la Haute Assemblée.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Alain Gournac. Les témoignages que nous avons recueillis montrent que la charge croissante de travail et la pression des contraintes temporelles concourent à rendre le travail plus pesant.

Mme Annie David. Vous exagérez !

M. Alain Gournac. Toutes deux engendrent un sentiment d’impuissance et aggravent la souffrance des personnels.

M. Alain Gournac. Les salariés éprouvent aussi plus de difficultés pour « respirer » pendant leur temps de travail.

Un représentant de la CFDT auditionné par la mission d’information sur le mal-être au travail considère que le passage aux 35 heures visait avant tout à créer des emplois en négligeant la prise en compte des conditions de travail.

La réduction du temps de travail a induit une diminution de la durée des pauses. Or, la « chasse aux temps morts » affecte le lien social au sein de l’entreprise et porte atteinte à l’esprit de groupe tel qu’on le connaissait avant la mise en place autoritaire des 35 heures.

M. le président. Je vous prie de conclure, mon cher collègue.

M. Alain Gournac. Je conclus, monsieur le président.

M. Martial Bourquin. Arrêtez, on a compris !

M. Alain Gournac. Les 35 heures ont un coût financier considérable. Elles ont également, on ne l’a pas assez souligné, un coût humain important. Retard économique, retard social : avec les 35 heures, notre pays ne s’est vraiment pas inscrit dans la modernité ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. Mes chers collègues, en montant à la tribune, M. Gournac m’a indiqué que la répartition des temps de parole au sein de l’UMP avait été modifiée.

Le groupe UMP disposait de dix-neuf minutes. Il vient d’en consommer dix, il en reste donc neuf pour les derniers intervenants.

J’ajouterai, sans vouloir m’immiscer dans le débat, que la souplesse du temps de travail est au cœur de notre discussion ! (Sourires.)

M. Jacky Le Menn. Tout à fait, et nous veillerons à ce que les sénateurs du groupe UMP ne fassent pas plus de 35 heures ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour le groupe CRC-SPG.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à la demande du groupe UMP, nous débattons aujourd’hui du coût des 35 heures, sous-entendu du coût de la durée légale du travail de 35 heures hebdomadaires – il vous semble insupportable – pour l’État et pour la société !

Se focaliser ainsi sur les effets pervers d’une mesure progressiste relève d’une rhétorique réactionnaire qui n’est pas nouvelle ! Nous savons bien que ce débat vise, pour la majorité parlementaire, à démontrer que les 35 heures sont une erreur et à prouver combien il est nécessaire de poursuivre leur mise à mort, engagée en 2002 avec le relèvement, par décret, du contingent d’heures supplémentaires de 130 heures à 180 heures par an, lequel passera ensuite à 200 heures en 2004. La liberté de négocier le temps de travail existe donc depuis 2002, monsieur Fourcade !

Depuis son entrée en vigueur, en 2000, la loi dite « Aubry II » est accusée de tous les maux : coup de frein sur la croissance en raison de son coût excessif, contraintes pour les entreprises, verrou pour travailler davantage. On se souvient du slogan « travailler plus pour gagner plus », jeté aux oubliettes depuis l’augmentation du chômage. Le comble aurait été de le maintenir.

Bref, les 35 heures seraient le symbole d’une France paresseuse, d’une France adepte du farniente, pour reprendre le terme utilisé par un député lors de la discussion du texte.

Or, selon l’INSEE, les 35 heures ont créé 350 000 emplois supplémentaires entre 1998 et 2002, et elles ont permis aux salariés d’augmenter le nombre de leurs jours de congé !

Pourtant, dès l’arrivée de votre majorité au Gouvernement, les textes se sont succédé afin de remettre en cause ce meilleur partage du temps entre vie privée et vie professionnelle, auquel les femmes sont particulièrement attachées.

En outre, depuis 2002, les mesures visant à « détricoter » les 35 heures se sont multipliées, et cela coûte cher. Ainsi en est-il des subventions qui sont accordées depuis 2007 pour défiscaliser les heures supplémentaires, qui absorbent 4 milliards d’euros par an sur le budget de l’État. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Le Conseil économique, social et environnemental vient de conclure à la nécessité d’abroger les dispositions relatives aux heures supplémentaires défiscalisées, tant leurs conséquences sont néfastes pour le chômage et pour les finances publiques. Il aurait, me semble-t-il, été plus opportun d’organiser un débat sur ce sujet plutôt que sur les 35 heures ! Néanmoins, à la demande du groupe UMP, nous débattons aujourd'hui du coût des 35 heures pour l’État et la société.

En ce qui concerne le coût pour la société, je tiens à souligner que les 35 heures, contrairement à beaucoup d’autres lois sociales, ont eu un effet immédiat et concret pour la société et pour l’ensemble des salariés : la réduction du temps de travail !

J’ajoute que 82 % des salariés sont favorables aux 35 heures et que 79 % d’entre eux ne sont pas intéressés par le rachat de leurs jours de RTT.

Les 35 heures ont permis des gains importants en termes de qualité de vie, en réduisant le poids du travail au bénéfice du temps libre. Ces gains compensent les effets négatifs dus à la mise en œuvre de la mesure, mise en œuvre qui dépendait des conditions de la négociation et, par conséquent, du rapport de force syndical !

Ainsi, dans de nombreuses entreprises, la mise en place des 35 heures s’est conclue par une intensification du travail avec le passage au temps de travail effectif, c'est-à-dire à la suppression du temps d’habillage et de pause. Elle s’est traduite également par un gel des salaires, par une modulation horaire hebdomadaire pouvant aller jusqu’à 42 heures, donc par une plus grande flexibilité pour les salariés et par la perte de la rémunération des heures supplémentaires.

En qualité de vice-présidente de la mission d’information sur le mal-être au travail, aux côtés de M. Gournac, je puis affirmer que de nombreuses personnalités auditionnées ont dénoncé les nouvelles organisations du travail, et non les 35 heures, comme la cause du mal-être de nombreux salariés.

Mme Annie David. Ainsi, plusieurs entreprises ont profité de la réduction du temps de travail pour appliquer le lean management, ou la chasse au temps non travaillé, temps qui correspondait à des périodes de récupération primordiales pour la santé des salariés.

Au même moment, les entreprises ont enregistré une hausse de 8 % de leur production de richesses, sans consentir aucun investissement supplémentaire en machines ou en bâtiments.

M. Jean-Luc Fichet. Exactement !

Mme Annie David. Par ailleurs, des exonérations de cotisations patronales et des subventions ont été accordées pour le passage des 39 heures aux 35 heures ! Autant dire que la mesure n’a rien coûté aux entreprises, et c’est bien là le plus gros défaut de cette réforme !

Contrairement à une idée reçue et largement relayée par le patronat et par le Gouvernement, le coût du travail en France se situe dans la moyenne des pays qui ont un niveau de développement économique et social comparable.

En revanche, la France se situe dans le peloton de tête pour la productivité du travail.

Mme Annie David. Le coût du travail en France est en dessous de la moyenne européenne, inférieur à celui de l’Allemagne, du Royaume-Uni ou du Danemark ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

D’une manière générale, les 35 heures n’ont pas été néfastes pour les entreprises. Elles ont au contraire eu un effet bénéfique sur l’emploi. Il est donc juste que la société dans son ensemble et les salariés en particulier bénéficient de gains sociaux grâce à une réduction importante de leur temps de travail.

En ce qui concerne le coût des 35 heures pour l’État, ne tronquons pas le débat. Il ne faut pas oublier de rapprocher le coût des 35 heures pour l’État des gains qu’il en retire.

En effet, les 350 000 emplois créés ont entraîné une augmentation des recettes perçues au titre des cotisations de sécurité sociale, qu’il s’agisse des cotisations salariales – CSG et CRDS – ou des cotisations patronales, puisque les allégements se réduisent au fur et à mesure que le salaire brut horaire s’éloigne du SMIC. Avec un salaire brut moyen de 1,3 fois le SMIC, ces 350 000 nouveaux emplois ont rapporté près de 1,8 milliard d’euros à la sécurité sociale en 2006.

En revanche, l’État rembourse à la sécurité sociale les allégements consentis aux entreprises. Ces remboursements ayant été étendus à l’ensemble des entreprises, alors qu’ils auraient dû être réservés à celles qui avaient signé un accord de RTT, leur masse a bondi à 16 milliards d’euros en 2003 et atteignait 19,5 milliards d’euros en 2006.

Cependant, ce chiffre ne représente pas le coût réel de la réduction du temps de travail. Il faut en effet déduire les allégements qui existent par ailleurs, au titre du temps partiel ou des bas salaires, et qui s’élèvent à près de 10 milliards d’euros en 2006.

On peut donc considérer que le coût des 35 heures pour 2006 s’établit à 8 milliards d’euros, et peut-être moins grâce aux économies d’indemnités de chômage réalisées du fait des créations nettes d’emplois.

Il aurait fallu prévoir un coût identique pour les allégements au titre des bas salaires, s’ils avaient été maintenus en l’état. La dernière évaluation fait apparaître un apport net d’environ 250 000 emplois seulement !

Les 35 heures n’ont donc été ni une panacée ni une catastrophe. Elles auraient dû être une belle avancée sociale, à laquelle nous étions favorables. Dans les faits, elles ont modifié en profondeur l’organisation du travail. C’est pourquoi il nous paraît nécessaire de donner aux salariés et à leurs représentants les moyens de peser véritablement sur l’organisation du travail. C’est d’autant plus nécessaire que la loi de 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social a entériné une inversion de la hiérarchie des normes du droit du travail, ce qui permet l’adoption d’accords d’entreprise moins favorables aux salariés que les dispositions figurant dans le code du travail !

En conclusion, non seulement les 35 heures doivent être maintenues, mais leur portée doit également être amplifiée ! Elles ont apporté une meilleure qualité de vie à de nombreux salariés. Elles ont permis un partage du travail tout en préservant la compétitivité de nos entreprises. Le secteur économique du tourisme et du loisir en a également bénéficié ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour le groupe de l’Union centriste.

M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, rien de tel qu’une défaite électorale – pour certains, mais une victoire pour d’autres – pour raviver les crispations politiques identitaires !

Nous sommes donc réunis aujourd’hui pour débattre des 35 heures, qui sont un marqueur politique, un identifiant du clivage entre la gauche et la droite. Pour les uns, elles représentent un immense progrès, parfois comparé aux « conquêtes du Front populaire » ; …

M. François Zocchetto. … pour les autres, elles sont la cause de tous les maux économiques dont souffre notre pays.

Gardons-nous d’une approche caricaturale ! Dix ans après les lois Aubry, quel regard porter sur la réduction du temps de travail ? Pour répondre à cette question, je partirai de plusieurs constats de bon sens.

Premier constat, les 35 heures sont toujours là !

Mme Gisèle Printz. Et c’est très bien !

M. François Zocchetto. Elles semblent inscrites dans le paysage sociologique français. Elles furent certes abondamment décriées, mais force est de constater qu’elles ont survécu à l’alternance. Survécu ? Peut-être pas tout à fait !

M. François Zocchetto. En effet, et c’est mon deuxième constat, les 35 heures dont nous débattons aujourd'hui n’ont plus grand-chose à voir avec les 35 heures instituées par les lois Aubry. Elles ont fait l’objet d’aménagements substantiels, d’abord en 2003, puis en 2007, avec la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, et en 2008, avec la loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail. Dès lors, il devient particulièrement difficile d’évaluer le coût du dispositif originel des 35 heures !

Troisième constat, les termes du débat qui nous est proposé ne sont pas neutres.

Mme Annie David. Tout à fait !

M. François Zocchetto. Il s’agit de s’interroger sur le coût des 35 heures pour l’État et la société. Le sous-entendu est que la réduction du temps de travail n’a fait que coûter !

M. François Zocchetto. Il serait plus objectif d’envisager les 35 heures en termes de bilan. Et c’est là que le bât blesse, car, pour ne pas trahir l’esprit du débat, il faudrait établir un bilan économique de la mesure, et non un bilan sociétal !

Quatrième et dernier constat, en voulant procéder à une évaluation économique des 35 heures, nous pénétrons dans le royaume de l’opacité et de la confusion. En effet, dix ans après les lois Aubry, nous ne disposons d’aucun résultat univoque quant aux conséquences économiques de la réduction du temps de travail. Il faut donc bien reconnaître que nous abordons ce débat avec plus de questions que de certitudes.

Combien la réduction du temps de travail a-t-elle créé d’emplois ? Lorsque l’on cherche à connaître le nombre de participants à une manifestation, on constate que les chiffres varient du tout au tout selon qu’ils émanent de la police ou des organisateurs. Il en est de même pour l’évaluation des créations d’emplois dues à l’instauration des 35 heures. Selon les sources, le nombre de ces créations d’emplois s’échelonne de 200 000 à 400 000. L’INSEE, en 2004, avançait la création de 350 000 emplois. En tout état de cause, ces chiffres, pour être appréciés correctement, doivent être rapportés à l’effort public qui a parallèlement été consenti.

Toutes les études démontrent que, par elle-même, la réduction du temps de travail n’est pas créatrice d’emploi. C’était déjà ce que soulignait Jean Arthuis dans son rapport en date du 11 décembre 1997, au nom de la commission d’enquête qui avait été diligentée à l’époque par le Sénat.

Cette analyse a depuis été confirmée à de nombreuses reprises. Le rapport Artus, Cahuc, Zylberberg de l’automne 2007 pour le Conseil d’analyse économique établit ainsi clairement que, à l’heure actuelle, « aucune étude sérieuse n’a pu montrer qu’une réduction de la durée du travail se traduisait par des créations d’emplois ».

Cela se comprend facilement, car la réduction du temps de travail, telle qu’elle a été conçue voilà dix ans, procède d’une conception statique de l’économie : le travail serait un stock et non un flux. Selon cette conception, il suffirait de faire des parts plus petites pour que chacun soit servi.

En réalité, vous le savez bien, ce n’est pas ainsi que cela fonctionne, car nous sommes dans une économie dynamique qui évolue, le plus souvent à la hausse, mais parfois aussi – malheureusement ! –, à la baisse. En fait, tout dépend des gains de productivité.

La réforme aurait pu être neutre pour les finances publiques si les 35 heures avaient engendré des gains de productivité suffisamment importants pour compenser la diminution du temps de travail.

M. François Zocchetto. Or, cela n’a pas été le cas, tant s’en faut, et je vous renvoie sur ce point au rapport Novelli de 2004. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Raymonde Le Texier. Rapport très objectif !

M. François Zocchetto. Il faut aussi se demander quel type d’emploi l’on a créé : de l’emploi public ou de l’emploi subventionné ? L’un et l’autre, me répondrez-vous sans doute, car, en l’occurrence, il s’agit d’un « ou » à valeur inclusive !

On a créé de l’emploi public – cela a été souligné précédemment –, par exemple dans la fonction publique hospitalière. En fait, on n’a pas eu le choix. Il fallait continuer à assurer le même service, ce qui était impossible avec moins de personnels. Il a donc fallu créer des emplois, mais – et chacun doit avoir l’objectivité de le reconnaître – cela s’est fait au prix de nombreux problèmes d’organisation au quotidien, de stress supplémentaire, de difficultés pour ceux qui travaillent à l’hôpital ou pour ceux qui sont hospitalisés ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

On a également créé de l’emploi subventionné. Si les lois Aubry ont pu être mises en œuvre sans trop de difficultés dans le secteur privé, notamment dans les grandes entreprises, c’est parce qu’elles se sont accompagnées d’importants allégements de charges sociales et d’une flexibilisation des modes de production.

Mme Christiane Demontès. Et les heures supplémentaires défiscalisées !

M. Martial Bourquin. Et la loi Robien !

M. François Zocchetto. C’est là qu’apparaît la confusion la plus totale. Je pose la question clairement : n’est-on pas en train d’avoir un débat sur les allégements généraux de charges sociales sous couvert de s’intéresser au coût des 35 heures ? On pourrait le croire, dans la mesure où les allégements de charges sociales constituent le coût principal de la réduction du temps de travail pour l’État. Il y a là une réflexion dont nous ne pourrons pas faire l’économie. D’ailleurs, ce sujet a retenu l’attention de nombre d’entre nous lors de la discussion du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, comme l’ont souligné les orateurs qui se sont exprimés au nom du groupe UMP, auteur de la demande d’inscription du présent débat à l’ordre du jour du Sénat.

Dans son rapport sur les crédits la mission « Travail et emploi », notre collègue Serge Dassault soulignait que, en quinze années d’application, les exonérations générales de charges avaient représenté 200 milliards d’euros.

L’effet sur l’emploi de la politique d’exonération de charges sur les bas salaires relève d’un débat qui n’est pas tranché. Quelle est la part de l’effet d’aubaine et celle de la trappe à bas salaires ? Peut-on encore parler d’aide aux bas salaires lorsque les allégements vont jusqu’à 1,6 SMIC ? Ne serait-on pas mieux inspiré, d’une part, de recentrer les allégements et, d’autre part, d’aider les emplois qualifiés à forte valeur ajoutée, c’est-à-dire les seuls qui peuvent améliorer la compétitivité et la croissance potentielle de notre pays ?

M. François Zocchetto. Telles sont les vraies questions qui se posent aujourd’hui.

Mes chers collègues, soyons réalistes ! À la lumière de ce qui s’est passé depuis maintenant presque trois ans, je doute que l’on revienne sur les 35 heures en tant que telles. En revanche, il nous faut engager une vraie réflexion sur les allégements de charges sociales, qu’ils soient généraux ou ciblés.

Mme Christiane Demontès. Oui, parlons-en !

M. François Zocchetto. En effet, ces allégements sont à l’origine du coût des 35 heures pour l’État et ils posent le problème de la nature des politiques de l’emploi en France. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, au nom du groupe socialiste.

Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'état, mes chers collègues, le présent débat sur la politique de réduction du temps de travail mise en place voilà maintenant dix ans par la gauche semble relever davantage de la thérapie de groupe que d’un réel travail d’évaluation d’une politique publique. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Les 35 heures sont devenues la martingale de la droite. Le pays va mal : c’est la faute aux 35 heures !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi. C’est vrai !

Mme Raymonde Le Texier. Le chômage explose, c’est la faute aux 35 heures !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. C’est vrai !

Mme Raymonde Le Texier. Les inégalités se creusent : c’est la faute aux 35 heures, bien sûr ! Les salaires stagnent et le pouvoir d’achat est en berne : ne cherchez plus, les 35 heures, on vous dit !

Mme Raymonde Le Texier. On peut se demander pourquoi, face à une telle catastrophe, la majorité actuelle n’a pas voté le retour aux 39 heures.

M. Gérard Longuet. On peut commencer !

Mme Christiane Demontès. Et pourquoi pas le retour aux 40 heures ?

Mme Raymonde Le Texier. Sans doute, entre autres, parce que, au-delà de son discours clientéliste, le Gouvernement sait très bien que les 35 heures n’ont pas été un fiasco économique. (Mme Gisèle Printz applaudit.)

M. Didier Guillaume. Au contraire !

Mme Raymonde Le Texier. Outre le nombre d’emplois créés et la baisse du taux de chômage enregistrée entre 1997 et 2002, si la France a mieux supporté la crise que d’autres pays, c’est notamment en raison des 35 heures et de la souplesse de la réduction du temps de travail (Exclamations sur les travées de lUMP.) qui a permis à nombre d’entreprises de faire le dos rond durant la récession.

M. Martial Bourquin. Très bien !

Mme Raymonde Le Texier. De 1996 à 2005, la croissance, que Nicolas Sarkozy et ses affidés estiment sacrifiée sur l’autel des 35 heures, a été supérieure en France à celle des autres pays de l’Union européenne : …

Mme Raymonde Le Texier. … 2,19 % en moyenne annuelle durant ces dix années dans l’Hexagone, contre 2,12 % en Europe ou 1,3 % en Allemagne.

Quant au lieu commun imputant à la réduction du temps de travail la responsabilité de la baisse des revenus des Français, les études de l’INSEE montrent au contraire que le pouvoir d’achat par unité de consommation n’a jamais été aussi dynamique que pendant la période allant de 1998 à 2002, pendant laquelle il a connu une progression comprise entre 2,5 % et 2,8 %.

En matière de compétitivité, la réduction du temps de travail semble s’être accompagnée de contreparties suffisantes en faveur des employeurs pour ne pas affecter les entreprises.

Mme Annie David. Évidemment !

Mme Raymonde Le Texier. Les premières à avoir réduit leur temps de travail ont même vu leur valeur ajoutée croître de 5 % de plus que les entreprises restées à 39 heures.

En matière de productivité, contrairement à ce que claironne la droite, les 35 heures ont contribué à accroître la productivité des travailleurs français, et leur mise en œuvre a correspondu à une période d’enrichissement de la France.

M. Didier Guillaume. Tous les chiffres le prouvent !

M. Martial Bourquin. Absolument !

Mme Raymonde Le Texier. L’économiste Guillaume Duval rappelait ainsi que, voilà cinq ans, une personne occupant un emploi en France produisait en moyenne 73 400 dollars de richesses, contre 65 700 pour un Anglais, 59 900 pour un Allemand et 57 800 pour un Japonais. Mais pour la droite au pouvoir, la réalité ne compte pas dès lors qu’elle contredit le dogme.

Les 35 heures sont loin d’avoir été une mauvaise affaire pour la France et pour les Français. Le Gouvernement le sait. Christiane Demontès et d’autres collègues le démontreront plus précisément dans un instant. Les 35 heures sont d’ailleurs devenues indispensables au discours de la droite. Sans elles, le roi est nu, et Nicolas Sarkozy doit affronter en face son échec économique et la violence sociale qu’il a contribué à développer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Alors que, derrière les discours du Gouvernement sur les RTT, s’exprime insidieusement le dénigrement de salariés supposés paresseux, le livre de Florence Aubenas, Le Quai de Ouistreham, rappelle quelques cruelles réalités.

De février à juillet 2009, cette journaliste s’est inscrite comme demandeuse d’emploi au Pôle emploi de Caen. Elle raconte sa première entrevue : après avoir indiqué son absence de qualification, elle tombe des nues quand, ayant déclaré qu’elle acceptait n’importe quel travail, son interlocuteur lui rétorque : « c’est le cas de tous ceux qui sont ici ».

Devenue « agent de propreté », elle est soumise à des horaires plus qu’atypiques, à des déplacements incessants, à des prestations chronométrées,...

M. Gérard Longuet. Grâce aux 35 heures !

Mme Raymonde Le Texier. … et tout cela pour moins de 700 euros par mois ! Elle décrit un univers sans espoir où l’on ne travaille déjà plus : on « fait des heures ».

Le célèbre « travailler plus pour gagner plus » n’avait d’autre objet que de convaincre les Français de l’impossibilité économique que constituait la réduction du temps de travail ; il les amenait ainsi à être les propres artisans de la disparition des droits qui les protégeaient : conventions collectives, droit du travail, RTT.

M. Alain Vasselle. Les travailleurs sont les premières victimes des 35 heures !

Mme Raymonde Le Texier. L’objectif réellement poursuivi par Nicolas Sarkozy a été atteint : maintenir un partage des richesses favorable aux entreprises, à leurs équipes dirigeantes et à des actionnaires jamais repus. La loi emblématique de son quinquennat, le fameux bouclier fiscal, en est l’aveu.

M. Alain Vasselle. Cela n’a rien à voir ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Raymonde Le Texier. Entre le travail du dimanche, les heures supplémentaires, la réduction des protections collectives et les avantages consacrés aux plus riches, le projet de société que porte la droite s’assimile à un retour au xixe siècle, sans les syndicats.

M. Gérard Longuet. Et même au xviiie siècle !

Mme Raymonde Le Texier. Avec les 35 heures, la gauche, elle, proposait un projet de société où la qualité de vie, l’épanouissement personnel, familial et collectif…

M. Gérard Longuet. La baisse du pouvoir d’achat, le chômage !

Mme Raymonde Le Texier. … étaient au cœur du changement. Elle disait clairement que l’homme ne devait pas être réduit à un outil au service de la production,…

Mme Raymonde Le Texier. … que le travail est structurant s’il donne la stabilité pour construire aussi ailleurs.

Le temps est une richesse qui alimente la dimension personnelle et nourrit l’espace collectif. C’est dans ce temps préservé que les parents transmettent aux enfants valeurs, confiance en eux et capacité à s’intégrer dans la société. C’est dans ce temps préservé que peut s’exercer la citoyenneté et que se noue le lien social. C’est grâce à ce temps préservé que l’on améliore la condition humaine. Au regard des attentes de notre société, quoi que vous en pensiez, la question de la réduction du temps de travail est toujours d’actualité ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, pour le groupe du RDSE.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, « les 35 heures ont endommagé la compétitivité de notre économie » : ce constat n’émane pas de la majorité présidentielle, il est dressé par Manuel Valls. Si même ceux qui sont à l’origine des 35 heures s’interrogent sur leur pertinence, c’est que leurs conséquences engendrent pour le moins des doutes.

M. Alain Vasselle. Très bien !

M. Aymeri de Montesquiou. Nous ne sommes plus dans le contexte de 1936, où la semaine de travail de 40 heures constituait une véritable et nécessaire avancée mise en place par le Front populaire. Le marché était alors essentiellement intérieur, et l’objectif d’un meilleur équilibre social était indispensable. Les conditions de travail, les protections sociales, les salaires étaient inférieurs à ceux de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne, pays aux économies comparables.

Aujourd’hui, l’économie est mondialisée, internationale, sans frontières. Comment pouvons-nous être compétitifs dans cette économie planétaire avec le handicap des 35 heures ?

Le fait que les 35 heures n’aient été reprises par aucun autre pays au monde constitue un verdict sans appel. La France est le seul pays dans lequel le temps de travail hebdomadaire de 35 heures ait été imposé et généralisé par la loi. Il n’y a guère qu’en Allemagne que certaines branches d’activité ont obtenu une durée de travail de 35 heures par la négociation,…

M. Martial Bourquin. Et même de 33 heures !

M. Aymeri de Montesquiou. … pour adapter la production à un marché en régression. Dans aucun autre pays européen, la durée légale du travail est inférieure à 37 heures.

Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 2002 n’ont eu de cesse d’assouplir les lois Aubry : augmentation des contingents d’heures supplémentaires, possibilité de payer les jours de RTT non pris, exonération et défiscalisation des heures supplémentaires. On compte pas moins de six lois en six ans !

Malgré tous ces assouplissements, la durée hebdomadaire moyenne de travail dans les entreprises de plus de dix salariés est de 35,6 heures. Seulement 10 % des salariés travaillent plus de 38 heures par semaine. Il est vrai que, depuis plus de trente ans, la tendance, dans les pays de l’OCDE, est, en raison de la hausse de la productivité et de l’augmentation du temps partiel, à la réduction du nombre d’heures travaillées, l’objectif étant – et c’est heureux ! – l’amélioration de l’existence des salariés.

La France fait aujourd’hui partie des pays où l’on travaille le moins : 1 470 heures par an, contre 1 653 heures au Royaume-Uni ou 1 720 heures aux États-Unis. Notre compétitivité horaire, peut-être la meilleure, est totalement effacée, une fois ramenée à une échelle annuelle.

Comment notre pays, cinquième puissance mondiale, peut-il être compétitif face à des pays concurrents comparables – l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou encore l’Italie – et, surtout, face aux puissances émergentes – le Brésil, l’Inde, la Chine – qui commencent à nous concurrencer, y compris dans les secteurs de haute technologie ?

Je l’avais déjà dénoncé sur ces bancs et je le répète, cette réduction du temps de travail a été une triple erreur : économique, budgétaire et sociale.

Monsieur le secrétaire d’État, le passage aux 35 heures coûte 15 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter 6 milliards d’euros pour la réorganisation du salaire minimum interprofessionnel de croissance, le SMIC, soit 21 milliards d’euros par an au budget de l’État. Si 700 000 emplois nouveaux étaient espérés, il en a été créé moins de la moitié, par la baisse du temps de travail, mais aussi, ne l’oublions pas, par la croissance mondiale et donc nationale du début des années 2000.

Même si, bien sûr, tout ne peut être imputé aux 35 heures, il faut noter que la France a perdu 3 points de parts de marché dans la zone euro depuis 1999.

L’addition des 35 heures est sévère.

Elle est d’autant plus sévère que la pression s’est accentuée sur les salariés pour qu’ils produisent en 35 heures autant qu’en travaillant 39 heures. L’effet est donc très négatif sur le contexte dans lequel ils évoluent.

Elle est d’autant plus sévère que la mise en place des 35 heures dans la fonction publique a provoqué une dégradation de la qualité des services publics. C’est particulièrement évident dans le milieu hospitalier, où les jours de repos pour réduction du temps de travail, dits jours de RTT, non pris s’accumulent et où les dysfonctionnements dans les différents services se multiplient, en particulier dans les services d’urgence.

Elle est d’autant plus sévère, enfin, que l’ensemble des salariés ont vu leur salaire plafonner pendant plusieurs années. Le slogan « travailler plus pour gagner plus », mis en avant par le candidat Sarkozy et mis en œuvre par le Président de la République, répondait donc à l’aspiration de nombreux salariés. (Marques d’agacement sur les travées du groupe socialiste.)

Il fallait lever les entraves au bon fonctionnement du marché du travail, lui redonner de la fluidité, libérer du carcan des 35 heures les entreprises, employeurs comme salariés. Contrairement à l’idée répandue, les 35 heures ne peuvent être considérées comme un acquis social car elles pénalisent les entreprises en termes de compétitivité et, les fragilisant, elles fragilisent l’emploi.

M. Aymeri de Montesquiou. Si, à l’origine, ces mesures ont pu engendrer un sentiment d’euphorie chez certains, la désillusion fut rapide, comme l’illustre l’échec de Martine Aubry aux élections de 2002. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Ce sont les ouvriers et les employés qui se sont exprimés !

M. Didier Guillaume. Et les élections de dimanche dernier ?…

M. Aymeri de Montesquiou. Faut-il éternellement opposer salariés et entreprise ? Ces réflexes de lutte des classes ou de patronat de droit divin doivent être laissés à une autre époque.

Aujourd’hui, les comparaisons entre conditions de travail et de rémunération, compétitivité des entreprises au niveau national ou international devraient permettre de trouver un juste équilibre. Les chefs d’entreprise savent que les salariés sont d’autant plus performants qu’ils se sentent bien dans leur entreprise. Les salariés savent qu’une entreprise prospère leur assurera, sur le moyen et même sur le long terme, travail et juste salaire.

Les 35 heures avaient trois objectifs : créer des emplois, améliorer la vie des salariés et éviter toute répercussion négative sur les entreprises. Tous les trois ont échoué !

Ainsi, Manuel Valls constate que « la loi sur les 35 heures n’a plus beaucoup de sens aujourd’hui et n’est plus guère favorable à l’emploi ».

Monsieur le secrétaire d’État, nous comptons sur vous pour donner un nouvel espoir aux salariés et aux chefs d’entreprise en proposant des mesures qui s’appuient sur le bon sens et non sur une idéologie, quelle qu’elle soit.

Je conclurai en faisant appel à un renfort de poids, celui de Laurent Fabius, qui déclarait dans un éclair de lucidité : « Il faut faire passer le développement économique avant le préjugé idéologique. » (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Serge Dassault, au nom du groupe UMP.

M. Serge Dassault. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les 35 heures ont été mises en place uniquement par démagogie, sans penser une seconde aux conséquences économiques et financières. On a voulu favoriser les embauches, mais on n’a pas pris en compte les coûts supplémentaires pour les entreprises et pour l’État – et j’en sais quelque chose !

On ne peut imaginer décision politique plus dramatique et décision prise avec plus de légèreté. Nous en subissons aujourd’hui les lourdes conséquences.

Les 35 heures ont eu comme résultat de ne pas réduire le chômage, contrairement à ce que croyaient naïvement les auteurs de cette loi, sauf, il est vrai, dans les administrations et les hôpitaux, ce qui a engendré une augmentation considérable des charges de l’État et du déficit budgétaire.

Par ailleurs, comme nous sommes les seuls au monde à travailler si peu avec, en plus, les charges sur salaire les plus élevées, cette réforme a eu pour conséquence d’aggraver considérablement nos coûts de production, donc nos prix, et de pénaliser nos ventes et nos exportations.

Pour rétablir notre compétitivité, nos entreprises sont obligées de délocaliser leur production, d’où une réduction de la croissance et une augmentation du chômage.

De plus, de nombreuses usines ou filiales étrangères en France, ayant une rentabilité plus faible qu’ailleurs, commencent à fermer. Les personnels s’inquiètent donc pour leur emploi – nous en avons eu récemment de nombreux exemples – et la situation ne peut que s’aggraver.

Pour parfaire leur démagogie, les auteurs de la loi ont décidé de maintenir les salaires : les 35 heures sont donc payées 39 heures. L’État a dû imaginer toute une série de subventions pour les entreprises, incapables de supporter ces augmentations de coût, ce qui a aggravé notre déficit budgétaire et notre endettement, et ce de façon récurrente. Nous parlons de plus de 30 milliards d’euros par an.

Enfin, pour réduire le coût des heures supplémentaires devenu prohibitif, l’État a proposé de payer les charges correspondantes aux entreprises, et voilà encore quelques milliards d’euros de plus envolés.

Notre endettement augmente aussi à cause des emprunts utilisés pour ces dépenses de fonctionnement, une pratique financière prohibée, qui se renouvelle chaque année.

Alors, pour sortir de ce guêpier, retrouver notre compétitivité, mettre un terme aux délocalisations et limiter notre endettement, il n’y a qu’une décision à prendre : revenir au régime des 39 heures légales ! (Applaudissements sur quelques travées de lUMP.)

Mme Annie David. Pourquoi pas 45 heures ou 50 heures ? Et pourquoi ne pas supprimer aussi les congés payés ?

M. Serge Dassault. Certes, cette décision n’est pas facile à prendre et nous pouvons craindre une opposition des syndicats, de la gauche et de l’opinion. Mais il faut savoir ce que l’on veut.

Ne changeons rien et nous assisterons à la disparition de notre outil industriel, l’installation d’un déficit budgétaire impossible à réduire, l’affaiblissement de notre croissance, l’émergence d’une crise économique sans précédent, une aggravation du chômage suivie, sans doute, d’une crise politique. Les objectifs du Gouvernement, récemment définis par M. François Fillon, ne seront pas tenus.

En revanche, si nous informons suffisamment l’opinion et lui faisons comprendre que la France ne peut plus rester le pays où l’on travaille le moins avec les coûts de production les plus élevés, nous arriverons à réduire les délocalisations et notre déficit budgétaire.

Enfin, pour renouer avec la croissance et les exportations, il faudra dévaluer l’euro, mais il s’agit là d’un autre dossier, que nous aborderons dans d’autres circonstances. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès, au nom du groupe socialiste.

Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une nouvelle fois, la réduction négociée du temps de travail menée entre 1997 et 2002 est mise en débat. C’est un fait, cette période a vu la création de 2 millions d’emplois et un recul de 900 000 personnes de la population au chômage. (Protestations sur les travées de lUMP.)

M. Elie Brun. N’importe quoi !

Mme Christiane Demontès. C’est la réalité, mes chers collègues de droite, même si, je le conçois, elle ne vous fait pas forcément plaisir !

Au regard de la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui plongé notre pays, on comprend pourquoi l’actuelle majorité parlementaire s’évertue à toujours s’en prendre à cette politique... Le contraste est tellement saisissant ! Sa démarche procède d’une seule logique, celle du bouc-émissaire !

Mme Christiane Demontès. Les derniers chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, sont éloquents et ce n’est pas moi qui les invente : 322 000 emplois, en 2009, et 600 000 emplois, depuis 2008, ont été détruits dans le secteur privé.

Dans ce contexte dramatique, le réflexe de la majorité et de son gouvernement est de stigmatiser la réforme des 35 heures et d’en faire la mère de tous les maux économiques et sociaux.

Or qu’en est-il exactement ? Quels ont été les coûts de ces mesures sur un plan financier bien sûr, mais également dans leur dimension sociale, cette dimension sociale devant être abordée sous l’angle de l’activation des dépenses passives du chômage, soit le fait de payer pour l’emploi, et non pour le chômage ?

Mme Christiane Demontès. Il y a quelque temps, la secrétaire d’État chargée de la famille et de la solidarité, alors porte-parole de l’UMP, résumait les critiques de la droite par une formule lapidaire : « Les socialistes ont injecté 15 milliards d’euros dans les 35 heures pour empêcher les Français de travailler. » Lapidaire et faux, mes chers collègues de la majorité !

M. Elie Brun. Mais non, c’est vrai !

Mme Christiane Demontès. Si l’on considère la création d’emplois, on constate que 80 % des 2,4 millions d’emplois créés entre 1992 et 2006 l’ont été entre 1998 et 2002. Si la croissance a joué un rôle indéniable durant cette période, elle ne peut à elle seule expliquer cette progression exceptionnellement forte de l’emploi. Selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, et selon l’INSEE, les 35 heures ont permis la création de près de 400 000 emplois supplémentaires.

Preuve est donc faite que cette réforme a eu un impact sur la création d’emplois ou, plus précisément, que le partage du temps de travail n’a pas été un frein à la croissance. Bien au contraire, il l’a renforcée.

Ainsi, en ce qui concerne le volume d’heures global, si 400 millions d’heures de travail ont été supprimées entre 1992 et 1998, le nombre d’heures salariées a progressé de 800 millions d’heures entre 1998 et 2002. Il ne s’agit donc pas de politique malthusienne. Toutes les observations prouvent le contraire.

Le MEDEF s’est beaucoup plaint de l’impact sur les entreprises des 35 heures et il a d’ailleurs trouvé, aujourd’hui, des porte-parole dans notre hémicycle.

M. Gérard Longuet. Ce n’est pas déshonorant !

Mme Christiane Demontès. En effet ! C’est juste une réalité !

Or, les entreprises furent incitées à négocier les conditions de passage à cette nouvelle durée légale du travail hebdomadaire. Ainsi, en cas de signature d’accord, elles bénéficiaient d’une réduction de cotisation patronale dégressive, jusqu’à 1,7 fois le SMIC. Au-delà de ce seuil, une aide forfaitaire de 600 euros par emploi rémunéré leur était versée. Ces allégements ont réduit le coût salarial de 2,5 %.

En outre, pendant la période allant de 1998 à 2002, les entreprises ont produit 100 milliards d’euros de valeur ajoutée supplémentaire. Avec un gain de productivité de 3 % par an, les effets comptables des 35 heures ont donc vite été dépassés. Ainsi, c’est l’absence de dérapage des coûts salariaux qui a été à la source des embauches massives sur cette période.

Vous vous interrogez sur le coût de cette politique pour l’État, mes chers collègues de la majorité. Les allégements s’élevaient à 11 milliards d’euros pour 2002. Or, dès 2003 –  Mme Annie David l’a déjà indiqué, me semble-t-il –, ces réductions, jusqu’alors réservées aux entreprises ayant signé un accord, ont été étendues à toutes les entreprises, pour un montant global de 16 milliards d’euros. Cette somme s’est stabilisée autour de 19,5 milliards d’euros en 2006, du fait de la progression du SMIC et de l’explosion du nombre de salariés payés à ce bas niveau.

Il n’en reste pas moins que ce chiffre est à reconsidérer, car il convient de déduire les montants des allégements issus de la législation antérieure, en particulier sur les bas salaires et les temps partiels, notamment des femmes.

Contrairement à ce que nous vivons depuis 2002, la démarche lancée en 1997 et 1998 concernant la baisse négociée du temps de travail s’est fondée sur une décision simple : les sommes allouées aux aides à la réduction du temps de travail devaient être compensées par les retours attendus pour les finances sociales et publiques, c'est-à-dire baisse des dépenses d’indemnisation du chômage et hausse des recettes sociales et fiscales. Comme je l’ai déjà indiqué, il s’agit bien de l’activation des dépenses passives du chômage : payer pour l’emploi plutôt que pour le chômage.

M. Elie Brun. Facile !

Mme Christiane Demontès. Dans les faits, la création de plus de 400 000 emplois supplémentaires a permis à notre protection sociale d’engranger un excédent de cotisations. Je n’aurai pas la méchanceté de vous rappeler l’état des finances sociales d’alors. Sur une base salariale médiane basse de 1,3 fois le SMIC, l’apport net a été de plus de 1,8 milliard d’euros. Cette réalité tranche avec le gouffre abyssal du déficit dans lequel la majorité a depuis plongé notre protection sociale.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je terminerai par quelques observations.

Si les 35 heures sont, comme l’affirme le Premier ministre, « une faute que nous aurons du mal à effacer »,…

M. Elie Brun. Il faut l’effacer !

Mme Christiane Demontès. … pourquoi ne pas les avoir abrogées directement plutôt que de les remettre en cause peu à peu par rien de moins que neuf décrets ou lois ?

Mme Annie David. Les entreprises veulent conserver leurs exonérations !

Mme Christiane Demontès. Qu’en serait-il si les 35 heures étaient totalement abrogées ? Quel serait le coût pour notre économie, pour nos finances publiques, pour nos entreprises ? Avez-vous effectué des simulations ? Quelle est la cohérence de tout cela ?

En outre, comme l’a évoqué notre collègue Raymonde Le Texier, nous devons nous interroger sur l’apport des 35 heures, et notamment des RTT, dans la gestion de la crise que nous traversons actuellement. Sans les RTT, à combien se chiffrerait le nombre déjà dramatiquement élevé de chômeurs ? Nous le savons tous – et nous le vérifions chaque jour sur le terrain lorsque nous rencontrons les entrepreneurs –, les RTT ont amorti le choc issu de la baisse d’activité, notamment dans l’industrie. C’est bien tout le contraire qui se passe avec les heures supplémentaires défiscalisées, qui, elles, freinent l’emploi.

Enfin, si la majorité mène une politique économique circonscrite à la recherche du « moindre coût », il en allait tout autrement des 35 heures. La réduction du temps de travail participait d’une vraie vision de la société (M. Alain Gournac s’exclame),

M. Elie Brun. Une magnifique vision… (Sourires sur les travées de lUMP.)

Mme Christiane Demontès. … dans laquelle l’homme est considéré non pas comme une variable économique toujours trop coûteuse, mais comme une richesse première dont la condition doit être toujours améliorée.

Chers collègues de la majorité, à combien chiffrez-vous l’apport des millions de salariés qui ont pu garder leurs enfants, quand vous précarisez les conditions de garde (Mme Gisèle Printz et M. Claude Jeannerot applaudissent), à combien se monte l’apport de nos concitoyens qui se sont investis dans le tissu associatif que vous négligez si dangereusement ? Avec 10 % de chômeurs et une précarité qui ne cesse d’exploser, qui se trouve dépassé par la crise ? Peut-être pas le Gouvernement, mais très certainement les millions de nos concitoyens qui, chaque jour, craignent les licenciements, la baisse de leur pouvoir d’achat et la généralisation de la précarisation, sous couvert de votre bouclier fiscal, que certains d’entre vous présents ici, comme je l’ai lu aujourd'hui, commencent à trouver indécent. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, au nom du groupe UMP.

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le bilan de dix années de 35 heures qui a été brillamment dressé par MM. Jean-Pierre Fourcade, Alain Vasselle, Alain Gournac et Serge Dassault.

Mon intention n’est pas, en effet, de convaincre mes collègues socialistes et communistes : si ces dix années n’ont pas suffi, les neuf minutes dont je dispose n’y changeront rien.

Mon intervention s’adresse aux deux secrétaires d’État qui ont la lourde responsabilité de représenter ici le Gouvernement, M. Laurent Wauquiez et Mme Anne-Marie Idrac, laquelle, étant chargée du commerce extérieur, est bien placée pour mesurer la productivité de la France au regard de celle des pays aux régimes sociaux comparables aux nôtres. En effet, notre objectif n’est pas de nous mesurer à des États qui pratiquent le moins-disant social, mais à nos proches voisins européens qui réussissent, à niveau équivalent de protection sociale, à maintenir leurs parts de marché, et même à en gagner.

Je voudrais poser quatre questions au Gouvernement.

Nous avons fait le choix dans les années 1990 de nous lancer dans une politique de long terme, sous l’impulsion d’Édouard Balladur, suivi par Alain Juppé, en instaurant les premières exonérations de charge sur les revenus les plus bas. À l’époque, nous souhaitions, selon la formule consacrée, « enrichir la croissance en emplois ».

Ma première question est la suivante : cette politique est-elle toujours la seule envisageable ? Devons-nous la maintenir à tout prix ? N’a-t-elle pas des effets pervers sur le commerce extérieur, en affaiblissant la situation des secteurs qui sont exposés à la concurrence et qui peuvent gagner des parts de marché à l’extérieur au bénéfice des activités de service, même si ces dernières sont tout à fait estimables ?

Ma deuxième interrogation, qui concerne directement Mme Idrac, porte sur l’évolution de la productivité des salariés allemands par rapport à celle des salariés français. J’ai exercé la responsabilité de président de la région Lorraine. Mes voisins étaient les ministres-présidents des Länder de Sarre et de Rhénanie-Palatinat. Et je peux vous dire qu’en 1992 le coût du travail industriel en France était inférieur, à qualité égale, de 20 % à celui de l’Allemagne. Aujourd'hui, la situation est inversée – je ne connais pas l’écart exact  –, ce qui explique que nous perdions constamment des parts de marché.

Monsieur Wauquiez, la gestion de l’évolution du SMIC, dont vous avez la responsabilité, peut-elle être un outil de convergence avec notre principal partenaire, favorisant l’entente entre nos deux pays, entente sans laquelle la construction européenne n’a aucun sens, comme nous avons pu le mesurer il y a quelques jours encore dans le traitement de la crise financière grecque.

J’en viens à ma troisième interrogation. Depuis que nous sommes au pouvoir, c'est-à-dire depuis 2002, nous nous sommes efforcés d’atténuer les effets les plus pervers des 35 heures, de restaurer le recours aux heures supplémentaires, de mettre fin à la persécution qui frappait différentes entreprises confrontées à la nécessité de dépasser le contingent d’heures supplémentaires. Mais, en tant qu’homme politique, je dois le reconnaître, nous avons tourné autour du problème sans parvenir à le régler franchement.

Si nous n’établissons pas ce diagnostic, nous perdons toute crédibilité aux yeux de l’opinion. Nous avons parfaitement conscience du fait que nous n’avons pas trouvé la bonne réponse à la question des 35 heures. Un certain nombre de textes ont permis d’ouvrir les contingents d’heures supplémentaires ; je pense notamment à la loi « Fillon » du 17 janvier 2003 et surtout à celle du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, laquelle a permis de libérer les heures supplémentaires par la voie des accords d’entreprises. Monsieur le secrétaire d’État, êtes-vous aujourd'hui en mesure de nous donner des informations sur l’application de ce texte ?

Ma quatrième interrogation porte sur la politique gouvernementale. Les 35 heures représentent, par le biais direct des allègements de charges, une prise en charge financière par l’État de l’ordre de 10 milliards à 11 milliards d’euros. Si l’on y ajoute la convergence des SMIC, au titre de mesures prises par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, et les exonérations antérieures de 1993 des gouvernements d’Édouard Balladur et d’Alain Juppé, ce montant s’élève à 23 milliards d’euros. Il représente certes un allègement du coût du travail, mais également la moitié du déficit structurel de l’État, que l’on peut évaluer – en dehors des effets de la crise économique qui nous frappe durement depuis 2008 – à près de 40 milliards d’euros.

Nous avions envisagé des pistes modérées pour alléger cette charge. À plusieurs reprises, M. Vasselle a présenté des amendements en ce sens lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances, notre objectif n’étant pas de mettre fin à la prise en charge du surcoût qui pèse sur les entreprises du fait des 35 heures ou de la convergence des SMIC, qui a conduit à l’augmenter, si ma mémoire est bonne, de 11 % en trois ans, ni de mettre fin à toute politique du SMIC qui, hélas ! est trop souvent, dans de très nombreux secteurs industriels, contrairement à d’autres pays européens, le salaire de référence au lieu d’être un salaire minimum.

Des mesures ont donc été envisagées pour alléger cette charge, notamment l’annualisation du coût du travail pour demeurer dans le cadre de 1,6 SMIC. Pour le moment, cette annualisation n’a pas encore été acceptée, mais vous avez annoncé, monsieur le secrétaire d'État, un rapport de Jean-Luc Tavernier, que M. Vasselle a également évoqué. Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur ce point ?

Par ailleurs, envisagez-vous de renégocier le coefficient de 1,6, au cas par cas ou avec les chefs d’entreprises ? Nous le savons, une telle mesure risquerait d’être coûteuse en emplois dans certaines activités qui ne sont pas les plus exposées à la concurrence internationale, mais soutiendrait celles qui y sont soumises. Le rapport Tavernier existe-t-il ? Nous sera-t-il communiqué et fera-t-il l’objet d’un débat ? Le Gouvernement envisage-t-il de lui donner une suite pour permettre à la France de repartir à la conquête de parts de marchés ?

En tout cas, il n’y aura d’emploi durable que si la France reprend le chemin de la croissance, laquelle est liée aux parts de marché acquises à l’extérieur. Sans compétitivité internationale, il n’y a pas de débouchés et sans débouchés, il n’y a pas d’emplois ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, au nom du groupe socialiste.

M. Martial Bourquin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en écoutant tout à l’heure les intervenants de la majorité, je me suis cru revenu lors de la campagne de l’élection présidentielle : les 35 heures sont responsables de tout, de la tempête comme de la sécheresse, et pourquoi pas, tant que nous y sommes, de la grippe H1N1 !

M. Alain Vasselle. Caricature !

M. Martial Bourquin. Mon cher collègue, ce sont les discours que je viens d’entendre qui étaient caricaturaux !

Aujourd'hui, la situation a changé : une crise mondiale d’une ampleur et d’une violence inégalées est intervenue, avec des conséquences sociales et économiques considérables.

Sachez que, pour faire face à cette situation, des PME et de grandes entreprises ont, par exemple, fait appel à la réduction du temps de travail pour éviter le chômage partiel à leurs salariés. Nier le fait que les 35 heures ont été un extraordinaire amortisseur social pendant cette crise, c’est ne pas regarder la réalité en face !

M. Didier Guillaume. Tout le monde est d’accord !

Mme Gisèle Printz. Bien sûr !

M. Martial Bourquin. On aurait pu parler des 35 heures comme vous vous permettez de le faire, si votre slogan « travailler plus pour gagner plus », avait marché. Or, c’est indéniablement un échec patent.

Quelle est la situation de la France aujourd’hui ? Le chômage oscille entre 3 millions et 4 millions de personnes.

M. Alain Vasselle. C’est la crise !

M. Martial Bourquin. La pauvreté et la précarité s’étendent et sont en train de submerger les collectivités territoriales.

M. Martial Bourquin. Face à ce constat, pensez-vous être en mesure de donner des leçons sur les conséquences des 35 heures ?

Posez-vous une autre question, mes chers collègues : si ces 4 millions de personnes travaillaient, les comptes de la sécurité sociale seraient-ils dans le rouge ? (Non ! sur les travées du groupe socialiste.)

Si ces 4 millions de personnes travaillaient, nos finances publiques seraient-elles aussi dégradées ? (Non ! sur les travées du groupe socialiste.)

Ces exemples montrent bien que vous ne placez pas la focale au bon endroit. C’est au chômage que nous devons nous attaquer en créant une véritable politique de l’emploi et une politique de croissance de qualité, sinon nous irons inévitablement dans le mur.

À ce sujet, le 8 janvier 2008, le Président de la République réunissait la commission Stiglitz, qui a proposé « une réflexion sur les moyens d’échapper à une approche trop quantitative, trop comptable de la mesure de nos performances collectives ». En d’autres termes, cela signifie que la croissance n’est pas nécessairement créatrice d’emplois.

M. Didier Guillaume. Bien sûr !

M. Martial Bourquin. Si vous avez des doutes, visitez de grands sites industriels, comme celui de Sochaux, par exemple. Il y a trente ans, 45 000 salariés y travaillaient ; aujourd’hui, pour une production équivalente, on recense 12 000 salariés. Ils ont été remplacés par des robots, qui peuvent travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre !

Quelles perspectives offrez-vous à la nation, à nos concitoyens, …

M. Jean-Jacques Mirassou. Des robots partout !

M. Martial Bourquin. … sinon un chômage de masse encore plus important ?

Telles sont les raisons pour lesquelles la réduction du temps de travail va dans le sens de l’histoire. L’intégrer à la croissance, c’est faire en sorte que celle-ci soit non seulement dynamique, mais également créatrice d’emplois. Voilà ce que vous devriez retenir au lieu d’accuser les 35 heures de tous les maux.

Après cette crise financière mondiale, essayer de comprendre comment orienter notre développement vers une croissance nouvelle créatrice d’emplois devrait donc être au cœur de votre réflexion. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie par avance de m’excuser, car je vais devoir vous quitter après cette intervention afin de participer au Conseil des ministres, qui se réunit exceptionnellement aujourd’hui à seize heures trente. Anne-Marie Idrac apportera donc la réponse du Gouvernement dans le cadre du débat interactif et spontané.

Je remercie le Sénat de nous permettre de faire le bilan de ce qui s’avère être l’une des plus graves erreurs économiques et sociales de ces trente dernières années. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Christiane Demontès. Et le bouclier fiscal ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. C’est l’une des qualités de la Haute Assemblée que de nous engager à prendre le temps de la réflexion pour tirer les leçons des erreurs que nous avons commises et que nous continuons à payer.

MM. Alain Gournac et Alain Vasselle. Très bien !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Je ne reviendrai pas sur la vision idéologique qui prévalait lors de l’adoption des 35 heures. Souvenez-vous des discours de l’époque sur le caractère aliénant du travail et sur le fait que le temps libre serait l’avenir. On mesure aujourd'hui, en cette période de crise, à quel point de tels discours étaient déconnectés de la réalité que vivent nos compatriotes.

M. Alain Gournac. Totalement !

Mme Raymonde Le Texier. C’est vous qui êtes déconnectés !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Je ne reviendrai pas sur une méthode qui n’a pas respecté les partenaires sociaux, qui a été imposée de façon autoritaire et conçue de manière uniforme par Martine Aubry. Il est intéressant de le rappeler aujourd'hui.

Je ne reviendrai pas sur la complexité que cette loi a introduite dans nos entreprises. Rappelez-vous que nous avons eu jusqu’à six SMIC différents.

Mme Annie David. Vous tronquez la vérité : c’était en attendant l’harmonisation !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Je ne reviendrai pas non plus sur la logique suicidaire pour notre pays qui consistait à dire que le seul avenir résidait dans un partage malthusien du travail et non dans une volonté de développer l’activité et la croissance.

Tous ces éléments caractérisent bien cette erreur majeure, cette lourde responsabilité que l’ensemble de nos compatriotes et de notre économie continuent à payer.

Essayons de retracer objectivement ce qui s’est passé.

Dans le prolongement des 35 heures, la baisse du temps de travail en France a été de 4,5 %. À cette époque, nous connaissions une très forte croissance mondiale. Cependant, aucun pays n’a adopté ce dispositif.

M. Alain Gournac. On se demande pourquoi !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Cela devrait être un sujet d’interrogation pour ceux qui en font la promotion.

Cette loi a placé notre pays dans le peloton de queue de ceux qui ont le moins profité de cette période exceptionnelle de croissance mondiale. Il est exact que, dans cette période, 300 000 emplois ont été créés. Mais cela n’était pas le fait des 35 heures. Au reste, très rapidement, lorsque la conjoncture a changé, la tendance s’est inversée.

Mme Raymonde Le Texier. Dès votre arrivée au pouvoir !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. L’alourdissement de la compétitivité de notre pays a rapidement plombé notre potentiel de croissance, avec à la clef la destruction potentielle de 500 000 emplois.

M. Charles Gautier. Et vous, combien en avez-vous supprimé ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Si nous avons pu éviter les destructions massives d’emplois liées à la mise en place des 35 heures, c’est uniquement grâce à des allégements de charges.

Les 35 heures ont représenté un coût astronomique pour notre richesse nationale. On évalue à 2 % la baisse du PIB, soit une perte de 40 milliards d’euros chaque année. Le seul véritable résultat des 35 heures, c’est l’affaiblissement de notre richesse nationale !

M. Gérard Longuet. Il fallait le dire !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Je ne sais pas si tout le monde mesure bien la facture qui a dû être payée par chacun de nos compatriotes à cause de cette catastrophe économique et sociale. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. André Dulait. Absolument !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Les 35 heures ont également eu un coût pour les fonctions publiques : 700 millions d’euros pour la fonction publique d’État ; 500 millions d’euros pour la fonction publique territoriale. N’oublions pas non plus la catastrophe dans le secteur hospitalier, que tous les élus locaux que vous êtes connaissent, où la facture a dépassé 1,5 milliard d’euros, sans compter la dégradation des conditions de travail du personnel hospitalier.

M. Alain Gournac. Ils ont tué l’hôpital !

M. Paul Blanc. Et le médico-social !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. La France a perdu de la compétitivité alors que l’Allemagne a réussi à abaisser ses coûts salariaux.

M. Gérard Longuet. Une Allemagne sociale-démocrate !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. En France, les coûts salariaux unitaires ont augmenté trois fois plus vite qu’en Allemagne au cours de cette période en raison de la facture des 35 heures.

Ceux qui ont payé l’addition, ce sont nos compatriotes : non seulement leurs emplois ont été détruits, mais ils ont également perdu du pouvoir d’achat. Vous le savez parfaitement ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Le résultat est que les Français travaillent moins que leurs voisins européens. Les études montrent que cette faible durée du temps de travail est à l’origine de presque la moitié des écarts de revenu par habitant.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Si les Français sont comparativement moins payés que les Suédois, les Danois ou les Britanniques, c’est pour 50 % la faute des 35 heures, qui non seulement les ont privés des heures supplémentaires, mais ont également introduit une modération salariale pesant lourdement sur leur fiche de paye.

Mme Annie David. À qui la faute ?

M. Alain Vasselle. Voilà le bilan des 35 heures !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Voilà en effet le seul et véritable bilan des 35 heures que nous pouvons établir dix ans après. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Il devrait inciter à la modestie ceux qui, sur ces travées, ont soutenu cette réforme catastrophique. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Christiane Demontès. Donneur de leçons !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. La volonté du Gouvernement a été de rompre définitivement avec cette logique malthusienne.

À aucun moment au cours de la crise, nous n’avons renoué avec les méthodes de Martine Aubry, qui consistaient à recourir à la préretraite ou à encourager les étudiants à rester le plus longtemps possible sur les bancs de la faculté pour ne pas encombrer les statistiques du chômage.

Nous avons préféré au contraire miser sur l’apprentissage et l’alternance, qui sont les meilleures voies d’intégration pour nos étudiants.

Mme Annie David. Si vous êtes venu pour nous convaincre, ce n’est pas la bonne méthode !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Nous n’avons pas pu faire disparaître la cicatrice des 35 heures. C’était impossible, le mal était fait. Il aurait en effet fallu demander à nos concitoyens de travailler 39 heures pour le même salaire.

En revanche, nous nous sommes attachés à guérir les blessures en adoptant en 2008 une loi portant réforme du temps de travail, qui a fait l’objet de plus de 6 200 accords, et en faisant en sorte que les heures supplémentaires puissent être correctement valorisées afin de remédier à la perte de pouvoir d’achat.

Mme Christiane Demontès. Et la hausse du chômage ?

Mme Annie David. Pensez à tous ceux qui sont au chômage partiel dans les entreprises, parce qu’il n’y a plus assez de boulot !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Le plus important, me semble-t-il, est que nous avons extirpé la culture des 35 heures de notre pays. Je pense que nous sommes parvenus progressivement à modifier le comportement de nos compatriotes qui n’avaient plus d’appétence pour le travail. (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Annie David. C’est un meeting !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Pour finir, si vous acceptez de m’écouter courtoisement comme je l’ai fait (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG), …

Mme Annie David. Vous n’êtes pas à un meeting de l’UMP, vous êtes au Sénat !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. … je voudrais revenir sur la question des allégements de charges, qui représentent 21 milliards d’euros.

Il s’agit d’une politique de fond.

M. Jacky Le Menn. Le fond, on est en train de le toucher !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Depuis plus de quinze ans, les gouvernements cherchent à abaisser le coût du travail pour les emplois faiblement qualifiés. Cette politique s’est avérée le meilleur antidote contre le poison des 35 heures et sa perception ne doit pas être contaminée par l’échec de ce dispositif. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Les gouvernements Balladur, puis Juppé ont créé une première série d’allégements de charges offensifs, qui représentaient 8 milliards d’euros, ce qui a permis de sauver près de 300 000 emplois, selon les premières estimations. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Puis, il y a eu le choc des 35 heures. Le seul amortisseur qui a permis d’éviter des destructions massives d’emplois a été les allégements de charges. Les socialistes en ont eu eux-mêmes parfaitement conscience, …

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. … puisque Martine Aubry y a eu recours en 1998, puis en 2000. Complétée par les allégements de charges décidés par François Fillon en 2003, cette dépense a pesé 13 milliards d’euros. Au total, ces allégements de charges ont bénéficié à dix millions de salariés, selon l’estimation, en 2006, du Conseil d’orientation pour l’emploi.

À la demande du Gouvernement, Jean-Luc Tavernier, inspecteur général des finances, a été chargé d’établir un rapport sur cette question. Ses conclusions seront bien entendu transmises à la représentation nationale.

Ce rapport conclut que la remise en cause des allégements de charges aboutirait à une destruction à court terme de 600 000 à 800 000 emplois dans notre économie.

D’autres remises en cause des allégements de charges se traduiraient, quel que soit le schéma que nous choisissons, par des destructions quasi immédiates d’emplois en raison d’un renchérissement du coût du travail pour les salariés faiblement qualifiés. Cela se comprend très bien, puisque, comme l’établit parfaitement le rapport de M. Tavernier, les allégements de charges permettent avant tout de soulager massivement le coût du travail concernant les salariés qui gagnent entre 1 à 1,6 SMIC.

De plus, plusieurs secteurs majeurs de notre économie en ont absolument besoin. Près de la moitié des allégements de charges bénéficient aux industries qui sont soumises à la concurrence internationale, aux services ou au secteur de l’hôtellerie-restauration. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Charles Gautier. Pour les copains !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Si vous aviez pris le soin de m’écouter, vous sauriez que le secteur de l’hôtellerie-café-restauration compte pour 1,5 milliard d’euros sur les 21 milliards d’euros d’allégements de charges.

Dans le secteur des services à la personne, qui représente à peu près 15 % à 20 % des allégements de charges, on sait parfaitement que le modèle économique ne tiendrait pas sans cela. Prenons l’exemple des centres d’appel, qui emploient 250 000 personnes dans notre pays. Si les allégements de charges étaient remis en cause, la quasi-totalité de ces emplois seraient délocalisés au Maroc ou en Tunisie. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Les allégements de charges sont incontestablement notre outil le plus efficace en matière de politique de l’emploi.

Mme Annie David. C’est en permanence le chantage à l’emploi ! En fait, vous vous fichez des salariés.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Le rapport Tavernier permet de le confirmer et appelle notre attention sur toute remise en cause, même partielle, de cet outil, surtout dans une période de crise où notre priorité absolue doit être l’emploi.

Les allégements de charges ne sont ni des niches fiscales, ni des cadeaux distribués aux entreprises,…

Mme Annie David. Bien sûr que si !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. … ni même uniquement un remède au poison des 35 heures, …

Mme Raymonde Le Texier. C’est la méthode Coué !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. … ils constituent plus largement une politique de l’emploi destinée à abaisser le coût du travail des salariés les plus faiblement qualifiés. C’est la seule manière de répondre à l’erreur que représentèrent les 35 heures, en montrant que c’est en allant chercher un surcroît d’activité, de croissance, et en abaissant le coût du travail que l’on pourra durablement remettre notre pays sur le chemin de la compétitivité et donc de l’emploi. (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur certaines travées de lUnion centriste.)

Débat interactif et spontané

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané (Rires sur les travées du groupe socialiste), dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.

Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes au maximum. Le Gouvernement, s’il est sollicité, pourra répondre.

La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.

M. Jean-Jacques Mirassou. Madame la secrétaire d’État, votre collègue fonctionne comme les gros navires qui, quand on coupe les machines, continuent à fonctionner ! (Rires sur les travées du groupe socialiste.) L’argumentation qu’il a développée sur les 35 heures, à l’aide d’une sémantique éloquente puisqu’il n’a pas hésité à parler de « poison », relève de réflexes pavloviens. La majorité et ses ministres, y compris les plus éloquents, ont été éduqués à diaboliser les 35 heures et à développer une argumentation qui défie le simple bon sens.

M. Wauquiez a ainsi expliqué pendant un quart d’heure que tous les maux économiques dont notre pays était affecté, avec les résultats que l’on sait, seraient la conséquence des 35 heures, dix ans après leur mise en application… Et pourquoi ne pas rendre responsables les socialistes de la casse du vase de Soissons ? (Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Gérard Longuet. Heureusement, ils n’étaient pas là, à l’époque !

M. Jean-Jacques Mirassou. Personne ne saurait répondre à une argumentation aussi intellectuellement malhonnête. Dans cette logique, vous auriez dû, pour contrecarrer ce « poison » et trouver l’antidote efficace, prendre la décision de revenir sur les 35 heures : peut-être auriez-vous eu ainsi un peu moins de complaisance par rapport à votre propre bilan ! (Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Jacques Mirassou. Vous dites que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Justement, vos collègues, en 1936, ne s’opposaient-ils pas formellement à la perspective des congés payés (Mme Raymonde Le Texier applaudit), à la semaine de 40 heures ou à un système de santé reposant sur la mutualisation des moyens ?

La droite n’a décidément pas changé ! Cela n’a rien d’étonnant, mais, mes chers collègues, après l’échec cinglant des dernières élections, vous devriez prendre conscience que ce type d’argument n’est définitivement plus d’actualité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle. Monsieur le président, je pensais que Mme la secrétaire d’État répondait à chaque intervenant.

M. le président. Mon cher collègue, Mme la secrétaire d’État intervient quand elle le souhaite dans ce débat.

M. Alain Vasselle. M. Laurent Wauquiez a répondu pour partie à la question posée avec beaucoup de pertinence par le président de notre groupe, M. Gérard Longuet, concernant les allégements de charges.

Il a fait référence au rapport de M. Jean-Luc Tavernier et indiqué que le Gouvernement ne souhaitait pas toucher à ces allégements, car les effets seraient désastreux en termes d’emploi, se traduisant par des pertes nettes, en particulier dans le domaine industriel et dans celui des services. Il a cité des exemples.

Cela étant, n’y aurait-il pas lieu, malgré tout, de réfléchir à quelques aménagements de ce dispositif ? Nous avions proposé, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, d’abaisser progressivement le seuil donnant droit aux allégements de charges de 1,6 à 1,3 SMIC, ce qui représenterait une économie de 6 milliards à 9 milliards d’euros pour le budget de l’État. Une telle économie nous serait fort utile au moment où nous engageons une réforme des retraites pour laquelle nous devrons dégager des ressources nouvelles si nous voulons assurer l’équilibre du régime à l’horizon 2040.

Nous avions également évoqué la possibilité de concentrer les allégements de charges sur les entreprises de moins de cinquante salariés et plus particulièrement sur celles de moins de vingt salariés, ce qui pourrait engendrer une économie de 9,6 milliards d’euros pour le budget de l’État.

Nous avions présenté une dernière piste, celle de l’annualisation du coût du travail, mentionnée par Gérard Longuet, qui permettrait de réaliser une économie de 2 milliards d’euros.

Évidemment, nous sommes loin d’atteindre 30 milliards d’euros, mais nous pourrions avancer progressivement dans cette direction que nous souhaitons emprunter majoritairement, tout en mesurant l’impact de ces mesures sur l’emploi et sur l’économie.

J’aimerais savoir si le Gouvernement a l’intention d’avancer sur un certain nombre de sujets en procédant à quelques aménagements.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Monsieur le président, je n’ai effectivement pas l’intention de répondre à toutes les questions, et celle de Jean-Jacques Mirassou s’apparentait plutôt à une caricature des propos de mon collègue Laurent Wauquiez. (Protestations sur les travées du groupe socialiste. – Très bien ! sur les travées de lUMP.)

En ce qui concerne les points que vous avez évoqués, monsieur Vasselle, comme l’a indiqué Laurent Wauquiez tout à l’heure, le rapport Tavernier qui sera rendu public donnera certainement lieu à un dialogue approfondi avec le Parlement.

Toutefois, je puis d’ores et déjà vous indiquer que l’abaissement du point de sortie de 1,6 à 1,3 SMIC nous paraît difficile dans la mesure où 75 % des allégements sont concentrés sur les salaires compris entre 1 et 1,2 SMIC.

D’après les évaluations qui ont été réalisées, cette situation conduirait à la destruction de plusieurs dizaines de milliers d’emplois, sans parler, comme toujours avec ce type de seuil, du risque de trappe à bas salaires.

Quant à l’annualisation, autre piste, la direction générale du Trésor estime qu’elle serait très dangereuse puisqu’elle pourrait se traduire par près de 85 000 destructions d’emplois.

La publication du rapport Tavernier nous permettra de disposer d’un matériau plus précis que par le passé sur ces différentes approches.

Sur un plan général, l’objet de ces allégements de charges n’est pas d’accroître la compétitivité des entreprises, mais de maintenir l’emploi, en particulier pour les catégories les plus en difficulté sur le territoire. Dans la mesure où de plus en plus d’emplois sont délocalisables – Laurent Wauquiez a cité l’exemple des centres d’appels dans les services, mais il y en a bien d’autres –, ces allégements concourent aussi au maintien de la compétitivité et de l’attractivité de notre territoire.

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, je regrette que M. Wauquiez ne soit pas resté ; Mme Idrac n’ayant pas entendu nos interventions, il lui sera plus difficile de prendre réellement part à ce débat et de répondre à nos questions.

Je partage en tout cas le point de vue exposé par notre collègue Jean-Jacques Mirassou voilà quelques instants : M. Wauquiez s’est livré à un exercice vraiment caricatural auquel il ne nous avait d’ailleurs pas habitués ; j’avais l’impression de me trouver dans un meeting de l’UMP plutôt qu’au Sénat !

M. Gérard Longuet. C’est que vous n’assistez pas souvent aux meetings de l’UMP !

M. Alain Gournac. Ce n’est pas un meeting du parti socialiste !

Mme Annie David. Pour mon groupe, les 35 heures étaient une belle idée, une idée révolutionnaire à laquelle vous n’avez évidemment jamais pu adhérer puisqu’il s’agissait d’un vrai partage du temps de travail et d’un juste retour pour que le progrès profite à l’ensemble des salariés de notre pays, et pas seulement aux actionnaires, comme c’est le cas aujourd'hui avec l’augmentation des dividendes.

Ma question est relativement simple : allez-vous à nouveau faire peser sur les ménages, en l’occurrence sur les salariés, l’effort de réduction des déficits ? La majorité invoque sans cesse l’égalité, l’équité, mais les « retraites chapeaux », les stock-options et les bonus continuent à prospérer dans les entreprises, alors que les plans sociaux et le chômage partiel frappent les salariés. Voilà tout de même une sacrée injustice dans votre politique sociale ! Ne serait-il pas temps de mettre à mort le bouclier fiscal et de le remplacer par un véritable bouclier social ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.

M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il semble de bon ton aujourd’hui dans les milieux patronaux et leur soutien parlementaire de parler du coût des 35 heures pour l’État et la société. Je voudrais pour ma part faire un parallèle entre les retombées positives de la loi sur les 35 heures et celles négatives de la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « loi TEPA ».

Les lois de réduction du temps de travail ont créé au minimum 350 000 emplois, selon les estimations les plus basses, et vraisemblablement beaucoup plus. En revanche, il ne fait aucun doute que la loi TEPA est un puissant obstacle à la création d’emplois et qu’elle coûte fort cher aux contribuables.

L’exonération des heures supplémentaires prévue par la loi TEPA incite les employeurs à remplacer des hausses de salaire par des heures supplémentaires afin de payer moins de cotisations.

Dans certaines branches, la promulgation de cette loi a surtout permis de blanchir des heures supplémentaires, les employeurs ayant désormais tout intérêt à les déclarer ; ce qui ne crée aucun emploi nouveau.

M. Jacky Le Menn. Pour gagner plus, le salarié doit travailler plus, donc sans amélioration de sa condition, mais au contraire avec une détérioration possible de sa situation personnelle, familiale, voire de santé en ce qui concerne notamment les métiers les plus pénibles, ceux où les salaires sont aussi les plus bas et où les heures supplémentaires sont le plus facilement acceptées par les salariés, et pour cause…

En 2009, les heures supplémentaires comptabilisées s’établissaient à près de 676 millions, soit l’équivalent de 434 000 emplois à temps plein non créés. Ces heures supplémentaires ont par ailleurs coûté 2,7 milliards d’euros d’exonération de cotisations sociales et 1,3 milliard d’euros d’exonération d’impôts sur le revenu.

En deux ans, le dispositif relatif aux heures supplémentaires de la loi TEPA aura coûté 7 milliards d’euros. Dans le même temps, le nombre de chômeurs inscrits à Pôle emploi s’est accru de 588 000.

Mme Annie David. Et voilà !

M. Jacky Le Menn. À l’inverse de la réforme des 35 heures, la loi TEPA est donc une loi qui ne vise qu’à augmenter les profits, non seulement sans contrepartie nouvelle pour les salariés de la part de l’employeur – puisque c’est le budget de l’État qui prend en charge la défiscalisation et l’exonération des cotisations –, mais au détriment des contribuables et de l’emploi, sans parler de l’offense à l’idée de justice que représente le bouclier fiscal au cœur de cette loi, ainsi que le souligne notamment le président de la commission des finances de notre assemblée.

Je vous demande donc, madame la secrétaire d’État, quelles dispositions vous entendez prendre pour mettre fin aux effets pervers de la loi TEPA…

M. Jacky Le Menn. … qui contribue à augmenter les difficultés financières de l’État sans résoudre le problème du chômage, auquel s’étaient pour leur part courageusement attaquées les lois Aubry sur les 35 heures, avec des résultats positifs avérés qui ne peuvent être niés, nonobstant le présent débat, un brin surréaliste, vous me le concéderez ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Effectivement, il est quelque peu surréaliste que, dans ce débat sur le coût des 35 heures, la loi TEPA, le bouclier fiscal, le bouclier social et que sais-je encore (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste)…

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. … viennent animer la conversation dans la partie gauche de l’hémicycle !

C’est la raison pour laquelle je n’ai pas vu quelles réponses je pouvais apporter à certaines des questions qui m’ont été posées, comme si nous étions en train de modifier la loi de 2008 ! Cette loi a été votée dans les conditions qu’a rappelées Laurent Wauquiez. Pour que cela soit clair pour tout le monde, j’indique qu’il n’est pas question aujourd’hui d’un nouveau texte sur ce sujet.

M. Charles Gautier. Et bien voilà, c’est clair !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Cela dit, compte tenu de la situation de l’emploi, elle-même liée à la crise mondiale et à la chute de l’emploi dans tous les pays européens, …

Mme Annie David. Cela n’a donc rien à voir avec les 35 heures. Il faudrait savoir !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. … la loi TEPA a eu des effets positifs, car elle a permis de libérer de l’activité supplémentaire.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Voilà à quoi a servi la loi TEPA. Elle est encore plus utile en période de crise que lorsque nous l’avons fait adopter. Ce que nous souhaitons, c’est amortir les pertes d’emplois.

Madame David, je vous entendais reprocher à Laurent Wauquiez tout à l’heure, pendant qu’il s’exprimait à la tribune, qu’il ne s’intéressait qu’à l’emploi ! Eh bien, oui, nous nous intéressons à l’emploi !

Mme Annie David. Je n’ai pas dit cela ! Nous, nous nous intéressons à l’emploi, mais vous aux employeurs !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. En tout cas, l’emploi est pour nous la priorité, comme pour tous les Français. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.

M. Jean-Pierre Fourcade. Madame la secrétaire d’État, pour sortir de la caricature, il est utile de rappeler que deux critères sont essentiels pour juger de la situation d’un pays. Le premier, c’est l’évolution de la productivité par tête, le second, c’est le développement des exportations.

Je constate, à la lecture des rapports de l’OCDE, c'est-à-dire d’un organisme extérieur, que la productivité par tête en France a crû de 1 % à partir de 1996, alors que, de 1970 à la fin des années quatre-vingt-dix, elle avait progressé de 1,5 % à 2 % par an, soit plus que la productivité des pays européens comparables.

Mme Gisèle Printz. C’est hors sujet !

M. Jean-Pierre Fourcade. Il s’agit là de faits statistiques précis.

Par ailleurs, madame la secrétaire d’État, à quelle date les entreprises françaises ont-elles commencé à perdre des parts de marchés ? Chacun sait qu’elles en ont perdu beaucoup récemment du fait de la crise – c’est un facteur aggravant que personne ne peut nier –, mais les pertes de parts de marché ont commencé à partir de l’année 1995. Combien de parts de marché avons-nous perdu à l’échelon de l’Union européenne d’une part et hors de l’Europe d’autre part ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Je tiens tout d’abord à souligner le grand intérêt des travaux effectués par le groupe UMP pour préparer ce débat (Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste), notamment la compilation d’un certain nombre de données tout à fait objectives de l’OCDE, du FMI, de l’OMC et du BIT. Ces travaux, que j’ai lus pour préparer mon intervention afin de remplacer Laurent Wauquiez, sont d’une très grande qualité et méritent d’être connus de tous.

Ces informations montrent que la France a amélioré sa productivité horaire du travail et qu’elle a fait baisser, grâce aux allégements de charges, mais aussi à la modération imposée en contrepartie de la mise en œuvre des 35 heures, le coût global du travail. Tout cela nous a permis de maintenir notre rang en termes de parts de marché mondiales, même si, dans le même temps, nous avons dû réduire les marges de nos entreprises, c’est-à-dire leurs capacités d’investissement et d’innovation.

Si l’on compare les courbes de la France et celles de l’Allemagne ou de l’Italie – ces pays, et non la Chine, sont nos principaux compétiteurs, comme le disait Gérard Longuet tout à l’heure –, on constate une rupture au début des années deux mille entre la compétitivité en matière de coûts de l’Allemagne et celle de la France. Cette rupture s’observe également sur les marges des entreprises et sur leurs capacités d’investissement.

Mme Gisèle Printz. Les Allemands travaillent 33 heures par semaine !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Jusqu’à l’année dernière, l’Allemagne était le premier exportateur mondial. Elle vient juste d’être dépassée par la Chine, mais elle conserve 10 % des parts de marché mondiales, alors que la France est malheureusement, depuis le milieu des années deux mille, à la suite des évolutions en termes de compétitivité et de coûts que je viens d’évoquer, passée en dessous de 4 %, talonnée par les Italiens.

Notre politique économique, qui est fondée sur la recherche de l’innovation et de la compétitivité et qui se traduit par les différentes mesures que vous connaissez, vise évidemment à nous permettre de nous mesurer valablement et positivement, de manière combative, à nos voisins, alors que nous subissons le contrecoup des divergences entre le coût du travail en France et celui de l’Allemagne.

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.

M. Didier Guillaume. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat, organisé sur l’initiative du groupe UMP, est important. Or, alors qu’on parle depuis dix ans de la loi sur les 35 heures, je constate, madame la secrétaire d’État, que votre collègue n’a répondu à aucune des cinq questions posées par les orateurs du groupe socialiste.

Assistons-nous à un jeu de rôle entre le Gouvernement et le groupe UMP ? Si tel est le cas, c’est réussi ! En revanche, chers collègues de la majorité, si votre but est de trouver des solutions pour la France et d’améliorer sa situation économique et si vous croyez vraiment à ce que vous dites, c’est simple : supprimez la loi sur les 35 heures, revenez aux 39 heures ! Mais vous savez très bien que ce n’est pas la solution. Aucun économiste sérieux – je dis bien aucun ! – ne fait une telle proposition, car elle est plus que caricaturale. Une telle solution est impensable, sauf, évidemment, pour vos amis du patronat !

En fait, vous cherchez un bouc émissaire pour satisfaire la frange dure de votre électorat, qui pense que les 35 heures sont une catastrophe. Telle est la raison pour laquelle vous avez souhaité l’organisation de ce débat. Son compte rendu sera publié au Journal officiel, mais rien ne changera. Ainsi iront les choses jusqu’en 2012. Le peuple vous a pourtant adressé un message il y a quinze jours. Continuez comme cela, et peut-être vous adressera-t-il le même message en 2012…

Pour notre part, nous pensons que les 35 heures ne sont peut-être pas la panacée, mais qu’elles sont néanmoins une avancée sociale…

Mme Annie David. Exactement !

M. Didier Guillaume. … créatrice d’emplois. Ainsi, dans mon département touristique, heureusement que des gens profitent de leurs RTT pour venir passer des vacances dans nos gîtes, dans nos chambres d’hôtes, et dépenser de l’argent. Où en serait l’économie sans cela ?

Enfin, permettez-moi de vous dire, madame la secrétaire d’État que, selon moi, c’est la loi TEPA qui plombe l’économie.

Mme Annie David. Bien sûr que c’est elle !

M. Didier Guillaume. Tout à l’heure, un orateur du groupe UMP a cité Manuel Valls avec délectation. Permettez-moi, pour ma part, de citer un candidat à l’élection présidentielle, l’un de vos amis, à savoir M. de Villepin. Lors d’une conférence de presse qu’il a donnée la semaine dernière, il a expliqué que, en période de crise, on ne ferait pas redémarrer l’économie en diminuant par deux le nombre de fonctionnaires ou en conservant le bouclier fiscal. Alors, si vous voulez vraiment faire redémarrer l’économie, …

Mme Annie David. Écoutez Villepin !

M. Didier Guillaume. … revenez sur les 35 heures, supprimez le bouclier fiscal, et on verra ce qu’il en est. En fait, vous ne ferez ni l’un ni l’autre. C’est dommage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce extérieur, qui exerce sa mission sous l’autorité de Mme la ministre de l’économie.

Mme Lagarde a ouvert publiquement un débat, à l’occasion de l’interview qu’elle a donnée au Financial Times, sur la question de la coopération des grands pays européens en matière de soutien à la conjoncture, en particulier sur la contribution de l’Allemagne. Un tel débat est légitime.

En effet, nous avons soutenu l’Allemagne lors de sa réunification en acceptant des taux d’intérêt élevés, que seul justifiait l’échange entre le mark de l’Est et le deutschemark. Cet effort de solidarité, tous les pays européens, en particulier la France, l’ont assumé. Il s’est traduit pendant près de dix ans par des taux de croissance plus faibles que celui des États-Unis, par exemple, mais c’était le prix de la solidarité pour l’unité allemande.

Il n’est donc pas complètement anormal aujourd'hui, alors que nous connaissons une crise mondiale, que nous posions la question de la solidarité de l’Allemagne envers les autres pays européens. À cet égard, nous ne pouvons que nous réjouir de la réponse apportée à la crise grecque par l’entente entre Mme Merkel et M. Sarkozy.

Je vais maintenant m’adresser à notre collègue Didier Guillaume. Non, cher collègue, ce débat n’est pas un jeu de rôle. (Mme Annie David s’exclame.) Nous mettons en œuvre la Constitution et nous exerçons notre mission – qui est également la vôtre – de contrôle de l’action gouvernementale. (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Christiane Demontès. Quel contrôle ?

M. Gérard Longuet. Nous ouvrons un débat sur des questions auxquelles nous n’avons pas toujours obtenu de réponses et nous le faisons en séance publique, ce qui permettra à l’opinion d’être juge et des questions et des réponses. Vous devriez vous en réjouir. (Mme Christiane Demontès s’exclame.)

J’en viens à la question précise que je souhaite poser à Mme Idrac sur l’évolution des coûts du travail, en particulier dans les industries de biens d’équipements, qui sont tirées par l’exportation mondiale. L’Allemagne excelle dans ces industries, même si nous obtenons, nous aussi, de bons résultats, notamment dans les domaines de l’énergie, de l’aéronautique, des équipements spatiaux ou dans le secteur des télécommunications.

Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous indiquer au Sénat comment ont évolué les coûts salariaux en Allemagne, en particulier après que le Gouvernement social-démocrate de Gerhard Schröder a lancé la politique dite de l’ « Agenda 2010 » ? Cette politique visait à ramener les coûts salariaux de l’industrie allemande dans des normes compatibles avec sa compétitivité internationale. Elle explique sans doute le fait que les parts de marché de l’Allemagne dans le commerce mondial atteignent 10 % lorsque les nôtres se maintiennent à 4 %. Je rappelle au demeurant que les populations allemandes et françaises ne sont pas les mêmes et que l’industrie allemande représente deux fois l’industrie française.

Pour finir, j’indique à nos collègues de l’opposition que les heures supplémentaires sont, en période de crise économique, la meilleure réponse, car elles permettent à l’entreprise de créer immédiatement de la richesse, laquelle est ensuite redistribuée à nos compatriotes. (Exclamations indignées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Annie David. Et les chômeurs en fin de droit ? Ce serait bien de redistribuer, en effet !

M. Gérard Longuet. Elles permettent à des entreprises de service, de commerce ou d’artisanat de profiter du pouvoir d’achat qui a ainsi été accordé aux salariés.

Mme Raymonde Le Texier. Et les chômeurs ?

M. Gérard Longuet. Elles sont une réponse rapide et immédiate. Elles permettent d’accélérer ou de freiner. Une voiture ne va jamais aussi vite que si elle est en mesure de s’arrêter au premier virage… (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. L’intervention de Gérard Longuet tombe d’autant mieux que Christine Lagarde assiste cet après-midi au conseil des ministres allemand pour y travailler avec nos amis d’outre-Rhin sur les questions de régulation bancaire et d’encadrement d’un certain nombre de pratiques financières.

M. Charles Gautier. Si ce n’est pas télécommandé, cela…

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Il est très important que nous travaillions main dans la main sur les problèmes d’ordre financier et industriel afin de favoriser une maîtrise commune de la reprise et de trouver des solutions aussi coordonnées que possible aux difficultés liées à la crise.

Pour répondre à votre question précise, monsieur le sénateur, je rappellerai qu’un certain nombre de données, y compris celles qui ont été publiées dans le rapport du groupe UMP que j’ai évoqué tout à l’heure, montre que l’évolution des coûts salariaux unitaires en France est demeurée proche de celle de la zone euro, mis à part celle de l’Allemagne.

L’Allemagne a effectivement, comme vous l’avez rappelé, et comme je le disais tout à l’heure, mené une politique tout à fait différente. L’Agenda 2010 de Gerhard Schröder a lancé l’Allemagne sur une trajectoire décalée par rapport à celle des autres pays de la zone euro, notamment de la France, marquée, quant à elle, par la mise en œuvre des 35 heures à la fin des années quatre-vingt-dix.

La France a mis en œuvre une modération salariale défensive, destinée à contrebalancer les effets des 35 heures, tandis que les Allemands menaient une politique de modération salariale décidée avec les partenaires sociaux, privilégiant l’emploi, notamment l’emploi industriel. La modération salariale à l’allemande est offensive. Son but est d’accroître la compétitivité des entreprises, ce que nous cherchons à faire désormais en France aussi.

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot.

M. Claude Jeannerot. Après avoir écouté attentivement M. le secrétaire d’État chargé de l’emploi et Mme la secrétaire d’État chargée du commerce extérieur, j’ai une pensée pour les citoyens de mon département.

Savez-vous que le chômage a progressé dans ma région, au cours des douze derniers mois, de plus de 35 %, du fait même de la vocation industrielle de ce territoire ?

Croyez-vous donc, sans rire, que la question des 35 heures est bien celle du moment et que c’est la préoccupation majeure de nos concitoyens ? Pour ma part, je ne le crois pas. Il suffit de les interroger pour savoir que la première question qui les préoccupe est celle de l’emploi, du chômage.

Mes chers collègues, je souhaite revenir sur un sujet d’actualité, que Jacky Le Menn a abordé de façon très argumentée.

Ne croyez pas que nous soyons obsédés par la loi TEPA ; mais il faut bien rappeler qu’elle a été imaginée dans un contexte d’avant-crise. Je vous demande d’accepter, car c’est notre rôle de parlementaires, de reconsidérer la disposition instaurant la défiscalisation des heures supplémentaires et d’admettre cette idée très simple : cette disposition n’est plus adaptée à la situation actuelle.

La défiscalisation des heures supplémentaires peut se comprendre dans un contexte de suremploi, car c’est une manière d’inciter les travailleurs à s’engager dans cette voie. Mais vous reconnaîtrez que cette mesure est une aberration économique dans un contexte de sous-emploi et de crise ; tous s’accordent à le reconnaître.

Savez-vous que nous sommes le seul pays dans le monde à subventionner la destruction d’emplois ? Car c’est bien ce que signifie cette défiscalisation des heures supplémentaires !

M. Claude Jeannerot. Jacky Le Menn a indiqué quel était le nombre d’emplois correspondant aux heures supplémentaires financées : cette mesure revient à subventionner, avec des fonds publics, la destruction organisée d’emplois. Comment pouvons-nous accepter une telle situation ?

Madame la secrétaire d’État, je vous le demande à nouveau au nom de mon groupe : quand allez-vous revenir sur cette disposition, qui est une véritable aberration  sur le plan tant économique que social ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État. Bien évidemment, monsieur le sénateur, la question de l’emploi, ou plutôt – malheureusement ! – du chômage qui frappe notre pays, ne peut être abordée qu’avec gravité et engagement, comme le font Laurent Wauquiez et les membres du Gouvernement.

M. Charles Gautier. M. Wauquiez n’a pas jugé bon d’en parler !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État. M. Longuet  a fait une très bonne analyse de la défiscalisation des heures supplémentaires : en période de crise, il s’agit d’une souplesse permettant de donner davantage de pouvoir d’achat, et donc de soutenir la consommation.

Mme Christiane Demontès. Pour quelques-uns !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État. Si l’on compare la France à ses voisins européens, on constate que la consommation y est le moteur le plus important de l’activité économique. Je vous rappelle également qu’entre 2008 et 2009 il y a eu 50 millions d’heures supplémentaires en moins. Ces deux arguments nous permettent d’affirmer que le dispositif de la loi TEPA joue d’abord et avant tout un rôle d’amortisseur de la crise,...

Mme Christiane Demontès. Vous croyez vraiment ce que vous dites ?

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État. ... et facilite les adaptations nécessaires en cette période difficile.

M. Paul Blanc. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.

M. Martial Bourquin. Nous débattons depuis une heure environ et j’ai l’impression que nos collègues de la majorité ne se rendent pas compte que le temps de travail diminue actuellement dans notre pays.

Il y a deux façons de faire diminuer le temps de travail : en mettant de nombreuses personnes au chômage, ou bien en réduisant le temps de travail pour tous afin que chacun ait un emploi.

Effectivement, il y a une ligne de clivage entre nous. Nous avons choisi de diminuer le temps de travail pour tous afin que tout le monde puisse travailler. Quant à vous, vous préférez qu’une minorité ou une partie de la population travaille de plus en plus, tandis que l’autre partie est au chômage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Fouché. Il n’y a pas de crise, selon vous !

M. Alain Gournac. Les 35 heures, cela ne marche pas !

M. Martial Bourquin. Pourquoi cela ? Parce que le chômage de masse permet d’exercer une pression intolérable sur les salariés, qui doivent travailler plus et dans de mauvaises conditions.

Mme Annie David. Et ne plus revendiquer !

M. Martial Bourquin. Cela permet de dire à ceux qui ne sont pas contents que vingt personnes attendent à la porte de l’entreprise pour occuper leur emploi ! Voilà pourquoi vous avez choisi la première solution : parce qu’elle correspond à votre conception ultralibérale de la société.

Pour notre part, nous avons une conception keynésienne de la société, dans laquelle le plein-emploi doit être une obsession.

M. Alain Fouché. C’est facile à dire !

M. Martial Bourquin. Enfin, il ne faudrait pas dire n’importe quoi s’agissant de l’Allemagne. Nous sommes en contact avec des syndicalistes allemands de Volkswagen : le temps de travail dans cette entreprise y est de 33 heures par semaine !

M. Gérard Longuet. Mais combien de semaines par an ? Ce chiffre ne veut rien dire !

Mme Annie David. Eux aussi, ils ont des congés payés !

M. Martial Bourquin. La taxe professionnelle existe en Allemagne : Volkswagen la paie et verse des salaires supérieurs de 20 % à 30 % aux salaires français. Et pourtant, les voitures allemandes sont fabriquées à 80 % en Allemagne.

Il s’agit d’un choix politique du gouvernement allemand, mes chers collègues ! Les Länder et l’État allemand ont décidé, à un moment donné, de mener une véritable politique industrielle, notamment dans le secteur de la machine-outil, alors même que la France se perdait dans la finance. Voilà la réalité ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.

M. Alain Gournac. Je souhaite insister, madame la secrétaire d’État, sur la question du coût humain des 35 heures.

Alors même qu’une mission sénatoriale se penche sur les difficultés rencontrées par les salariés au sein des entreprises, nous devons convenir que la mise en place des 35 heures a bien souvent créé de la souffrance au travail et des situations de non-communication. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Christiane Demontès. C’est faux ! C’est scandaleux !

Mme Annie David. Ce ne sont pas les 35 heures, mais les conditions de leur mise en œuvre !

M. Alain Gournac. Laissez-moi parler ! Nous vous avons écouté, même avec vos histoires de 33 heures...

M. Martial Bourquin. C’est pourtant vrai !

M. Jean-Jacques Mirassou. Ce ne sont pas des histoires, c’est la vérité !

M. Alain Gournac. Sur combien de semaines ? Et cela ne concerne pas toute l’Allemagne !

Nous devons donc prendre en compte, disais-je, les difficultés humaines que les 35 heures ont créées au sein des entreprises : on n’y a même plus le temps de prendre un petit café, de se passer les consignes, bref de travailler de façon digne.

Mme Annie David. Ce n’est pas la faute des 35 heures !

M. Alain Gournac. Regardez l’hôpital ! Je le déclare ici : vous avez tué l’hôpital...

M. Jacky Le Menn. Et votre réforme hospitalière, elle ne l’a pas tué ?

M. Alain Gournac. Il faut aussi considérer l’aspect humain des choses !

J’ai entendu nos collègues socialistes dire que les 35 heures permettaient le partage du travail. Mais où ? Et quand ? Dans quelle situation ? Le partage du travail n’a fonctionné nulle part ! Si c’était le cas, ce serait miraculeux...

Je n’ai pas entendu M. Wauquiez évoquer le coût humain des 35 heures, cette souffrance des personnels que l’on a « bousculés ». Comme l’a dit devant la mission le représentant de la CFDT, lorsque la mise en place des 35 heures a été décidée, on a négligé le problème des conditions de travail.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État. C’est effectivement l’un des aspects des 35 heures. (M. Alain Gournac opine.)

Ce problème est patent à l’hôpital, pour les infirmières, les médecins et les malades, mais également dans la fonction publique d'État et au sein de nombreuses entreprises, en tout cas pour les salariés qui ont dû supporter les efforts de productivité consécutifs à la mise en place des 35 heures.

Mme Annie David. Consécutifs à la nouvelle organisation mise en place, pas aux 35 heures !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État. Ces salariés, ces ouvriers, ont fait des efforts de productivité extraordinaires, imposés par les 35 heures, et nous avons pu en observer les conséquences négatives, notamment en termes de stress au travail.

Mme Annie David. C’est faux !

Mme Christiane Demontès. Avez-vous entendu les Français vous dire cela ?  

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État. Certes, de nombreux cadres ont pu trouver cette réforme sympathique, grâce aux jours de RTT, mais ce n’est pas notre vision des choses. Ce que nous voulons, c’est une durée du travail négociée et adaptée à chaque entreprise, afin de permettre une meilleure compétitivité et un meilleur équilibre de vie pour les salariés. C’est exactement ce que nous enseigne le modèle allemand : une négociation entreprise par entreprise, avec comme objectif l’emploi par la croissance de l’activité. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Annie David. C’est incroyable !

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.

Mme Raymonde Le Texier. M. Gournac considère que les 35 heures sont la cause du stress au travail et des drames qui peuvent s’ensuivre.

M. Alain Gournac. Oui, c’est vrai !

Mme Raymonde Le Texier. Je veux mettre en garde mes collègues de la majorité. Le fait que cet argument soit caricatural n’est pas grave en soi ; on en a entendu d’autres ! Mais, si l’on se contente de cette grossière analyse, on risque de faire l’impasse sur les effets d’un management inadapté, qui veut oublier que l’homme doit rester au cœur de l’entreprise.

Mme Annie David. Bien sûr !

Mme Raymonde Le Texier. Dans une entreprise, on ne travaille pas avec des robots, mais avec des êtres humains !

M. Alain Gournac. Là-dessus, je suis d’accord !

Mme Raymonde Le Texier. Si nous refusons de nous interroger sur ce management « à la schlague », la situation ne pourra pas évoluer !

Mme Annie David. Bien sûr !

Mme Raymonde Le Texier. En utilisant cet argument, on risque également de faire l’impasse sur la boulimie des actionnaires, qui n’en ont jamais assez,...

Mme Raymonde Le Texier. ... et la réflexion sur les problèmes de l’emploi n’avancera pas.

M. Gournac a aussi parlé, lors de la discussion générale, de la durée du travail tout au long de la vie. En écoutant ces propos, je n’ai pu m’empêcher de penser à l’archaïsme de notre société, et singulièrement du patronat, s’agissant de l’embauche des jeunes dans les entreprises et du maintien des seniors dans l’emploi.

Le chômage des jeunes continue d’atteindre des sommets : il a augmenté de 23 % cette année et touche désormais près de 500 000 jeunes.

Quant au chômage des plus de cinquante ans, il augmente régulièrement de plus de 1 % chaque mois. On sait que ces personnes ne parviennent pas à retrouver un emploi et qu’elles représentent la majorité des chômeurs de longue durée. La majorité des entreprises persiste à les rejeter, soit en refusant de les embaucher, soit en les poussant à la démission ou à la rupture conventionnelle du contrat de travail.

Mme Annie David. C’est le plus grand plan de licenciement !

Mme Raymonde Le Texier. Et que dire du million de chômeurs qui arrivent en fin de droits : 360 000 d’entre eux vont se retrouver sans aucun revenu, tandis que l’État et les partenaires sociaux se renvoient la balle !

Mme Christiane Demontès. Ce n’est pas un problème pour la droite !

Mme Raymonde Le Texier. Mais sans doute suis-je encore hors sujet, selon Mme la secrétaire d’État !

On peut toujours critiquer les 35 heures... Mais ne pourrions-nous d’abord élargir la durée du travail, non pas en nombre d’heures, mais au-delà de la tranche d’âge 25-49 ans –  en effet, même s’il n’est pas épargné par le chômage, ce segment est le seul dont le taux de chômage n’augmente pas de façon exponentielle. N’est-ce pas là qu’il faut porter l’effort, afin que tous ceux qui ont besoin de travailler puissent le faire ? Je rejoins, à cet égard, la position de Martial Bourquin, qui vous a interpellée sur la question du plein-emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État. Je partage largement l’analyse de Mme Le Texier.

M. Alain Gournac. Moi aussi !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État. Cette analyse devrait d’ailleurs faire l’objet d’un consensus dans cet hémicycle. Les comparaisons internationales montrent en effet que l’une des grandes caractéristiques objectives de la France est la faiblesse du taux d’emploi des jeunes et des seniors, qui entraîne la concentration de l’emploi dans la tranche d’âge que vous avez indiquée.

Nous devons donc consacrer tous nos efforts à ces deux priorités, en augmentant la masse de travail et d’emploi. Je tiens à citer, à cet égard, les initiatives prises par Laurent Wauquiez : les contrats « jeunes en entreprise » et initiative-emploi, d’une part ; le plan senior, sur lequel il s’est fortement engagé, d’autre part.

Mme Annie David. Encore des exonérations !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État. Nous avons là une responsabilité collective, car c’est une spécificité regrettable de notre pays par rapport à ses voisins européens. Cette problématique de l’emploi pour tous, y compris les jeunes et les seniors, devra nous mobiliser dans le cadre de la stratégie européenne qui doit succéder à celle de Lisbonne.

M. le président. La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. En vérité, je souhaitais plus écouter les différents orateurs qu’intervenir moi-même dans ce débat, qui a d’ailleurs donné lieu à des propos intéressants.

J’ai aussi entendu parler de patrons qui dirigeraient leur entreprise « à la schlague », etc. Je remarque que, dès que nous employons, nous, un mot un peu inapproprié, on est prompt à nous montrer du doigt. Alors, madame Le Texier, vous me permettrez de dire que vos propos n’étaient pas vraiment mesurés.

Aussi, pour ma part, je voudrais dire combien, lorsqu’on veut lancer une activité sur notre territoire, il est difficile d’y parvenir. À cet égard, je peux citer l’exemple d’une entreprise étrangère qui, souhaitant implanter dans mon département une usine de transformation du papier, a découvert toutes les complexités de la société française… Pensez donc, il ne s’agit jamais que d’un investissement de 130 millions d'euros et de la création de 150 emplois dans un premier temps, puis de 150 emplois supplémentaires dans un second temps !

Bien entendu, ce projet a commencé par subir les diverses contraintes administratives habituelles, la loi sur l’eau, les fouilles d’archéologie préventive, et j’en passe. Néanmoins, grâce à un travail mené de concert avec les services de l’État, tous ces problèmes ont pu être surmontés. Or, malgré les créations d’emplois annoncées, malgré la perspective de ressources nouvelles pour les collectivités, des associations ont intenté des recours au motif que l’implantation de l’usine en question aurait des conséquences sur l’environnement : circulation de camions, rejets d’eau dans le canal et la petite rivière proches.

Face à ces recours, l’entrepreneur, qui a déjà acheté deux machines d’un montant respectif de 12 millions d'euros et de 28 millions d'euros et qui a prévu de réaliser d’autres investissements, commence à se poser la question de savoir si nous souhaitons vraiment que sa société s’implante sur le territoire de la commune considérée… Même le maire, qui a créé un petit étang pour que ses concitoyens puissent aller à la pêche, et alors que la direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement a donné toutes les autorisations nécessaires, lui demande de rejeter sept kilomètres plus loin une eau qui ressortira propre de l’usine ! Le maire est ainsi arrivé à « remonter » les associations locales pour qu’elles empêchent l’entreprise de s’installer !

Mme Raymonde Le Texier et M. Charles Gautier. Soit, mais quel rapport avec les 35 heures ?

M. Éric Doligé. Mes chers collègues, lorsque vous connaîtrez la tendance politique de cet élu, vous bondirez encore davantage ! C’est un maire communiste qui ne veut pas que l’on implante sur la zone industrielle de sa commune une entreprise créant 300 emplois. Avouez qu’il y a de quoi être sidéré !

Mme Annie David. Nul n’est parfait ! (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. Éric Doligé. Notre société devrait tout de même se poser un certain nombre de questions ! Tout le monde affirme qu’il faut favoriser l’activité afin qu’il y ait de l’emploi. Qu’on arrête donc de dire qu’il est nécessaire de partager le travail, car, quand une entreprise est prête à en offrir, on fait tout pour l’empêcher de s’installer sur notre territoire !

M. le président. Nous en avons terminé avec ce débat.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Nomination de membres de commissions mixtes paritaires

M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants des commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique et du projet de loi relatifs à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

La liste des candidats établie par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.

Je n’ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à ces commissions mixtes paritaires :

Titulaires : MM. Jean-Jacques Hyest, Patrice Gélard, Hugues Portelli, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Jean-Claude Peyronnet et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Suppléants : M. Pierre-Yves Collombat, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Yves Détraigne, Jacques Mézard, Jean-Pierre Michel, François Pillet et Mme Catherine Troendle.

5

Lutte contre les discriminations

Discussion d'une question orale avec débat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 58 de Mme Bariza Khiari à M. Éric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire sur les dispositifs de lutte contre les discriminations.

Cette question est ainsi libellée :

« Mme Bariza Khiari appelle l’attention de M. le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire sur le fait que les pratiques discriminatoires sont légions. Elles constituent de nouvelles inégalités. Les premières victimes sont notamment les jeunes issus de l’immigration. Ils subissent le cumul des handicaps : âge, patronyme, confession, domiciliation, couleur de peau. Toutes ces caractéristiques pourtant fort éloignées des compétences jouent en leur défaveur. Confrontés à une véritable relégation sociale et territoriale, ces jeunes considèrent le pacte républicain, socle de notre cohésion sociale, comme un “miroir aux alouettes”. Les territoires perdus de la République prospèrent sur fond de précarité, de chômage.

« Lors d’un discours prononcé le 17 décembre 2008 à l’École polytechnique, le Président de la République avait annoncé de grandes avancées dans la lutte contre les discriminations. Reprenant nombre de propositions du groupe socialiste du Sénat, il avait présenté un programme destiné à améliorer la situation des populations exclues.

« Seulement, plus d’un an après ce discours, elle s’interroge sur les réalisations concrètes censées donner corps au verbe présidentiel. Le débat sur l’identité nationale a visiblement davantage stigmatisé les populations discriminées qu’il n’est venu les aider. Aucun train de mesures concrètes visant à renforcer la lutte contre les discriminations n’a été observé.

« La disposition législative de 2006 sur le CV anonyme attend toujours son décret d’application. La situation est similaire concernant les Chibani, ces vieux travailleurs maghrébins venus en France dans les années 1960 et 1970. Une disposition a été votée afin qu’ils puissent percevoir intégralement le minimum vieillesse tout en ayant la possibilité de passer leur retraite au pays, le décret reste là aussi en attente. Par ailleurs, la proposition de loi adoptée à l’unanimité des groupes au Sénat sur les emplois fermés, reprise partiellement dans la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, n’a toujours pas été portée à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il suffit donc de peu de chose pour que des pas significatifs soient accomplis.

« Aussi, elle souhaiterait connaître les raisons pour lesquelles ces dispositions, votées par le législateur, sont restées lettre morte, faute de décret. Par ailleurs, elle aimerait connaître les intentions du Gouvernement pour traduire dans les faits les engagements présidentiels. Les parlementaires de tous bords se sont montrés soucieux par leurs votes de rendre effectifs les principes de cohésion nationale et d’égalité ; ils ont voulu s’attaquer aux discriminations faites aux jeunes et aux anciens, ils attendent désormais de l’exécutif qu’il prenne ses responsabilités. »

La parole est à Mme Bariza Khiari, auteur de la question.

Mme Bariza Khiari, auteur de la question. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le cadre de la semaine de contrôle parlementaire, il s’agit, pour le groupe socialiste, à travers cette question orale que j’ai posée, de dresser un bilan d’étape sur la politique gouvernementale en matière de lutte contre les discriminations.

Toute inégalité de traitement fondée sur un critère illégitime est une offense aux valeurs de notre République et à notre volonté de vivre ensemble. Liberté, méritocratie, égalité des droits, solidarité nationale, laïcité, justice, respect de la dignité humaine : ces termes devraient être les balises de l’action publique dans le combat que nous avons à mener contre les discriminations. Ce combat est la condition d’un pacte républicain vivant.

Dans les relations sociales, quotidiennement, massivement, impunément, voire même inconsciemment, les pratiques discriminatoires fragilisent ce pacte. À cet égard, la responsabilité du Gouvernement est de les dénoncer et de les combattre.

Le grand débat sur l’identité nationale a-t-il permis de contribuer à ce « vivre-ensemble » ? À l’évidence, non. Pendant plusieurs semaines, lors de débats organisés par les préfectures, c’est-à-dire par l’État lui-même, nous avons assisté, médusés, à un concours de propos inqualifiables. Ce débat, loin de promouvoir les valeurs fondamentales de la communauté nationale, les a piétinées ; loin de lutter contre les tentations de repli identitaires, il les a encouragées. Et nous n’avons même pas, dans l’opposition, la satisfaction de nous réjouir qu’il vous ait électoralement desservi, tant il a donné une nouvelle vigueur médiatique aux préjugés et aux stéréotypes racistes.

Les personnes issues de l’immigration qui vivent sur le territoire de la République, qu’elles soient étrangères ou françaises, en sont les premières victimes. Ce résultat est d’autant plus condamnable qu’un apparent consensus politique avait émergé ces dernières années sur la nécessité de combattre les pratiques et les phénomènes discriminatoires.

Monsieur le secrétaire d’État, ce sont en premier lieu ces phénomènes, aussi répandus et banalisés que corrosifs, qui alimentent le repli identitaire. Tous les acteurs sociaux en sont désormais conscients, à l’exception regrettable du pouvoir exécutif. Beaucoup œuvrent quotidiennement pour faire avancer ce combat.

Les initiatives, au sein de certaines entreprises comme dans de très nombreuses collectivités locales, se sont multipliées : Toulouse a lancé un observatoire des discriminations ; Paris et la HALDE, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, ont signé un partenariat en vue de mener des actions d’information et de sensibilisation ; Lille a fait de même ; le conseil régional d’Île-de-France a signé une convention portant sur le recrutement et la gestion des personnels du conseil régional et a décidé la création d’un observatoire des bonnes pratiques.

Le parti socialiste a, dans ses engagements de campagne pour les élections régionales, adopté une charte prévoyant la création de missions régionales de lutte contre les discriminations, chargées de mettre en œuvre des engagements concrets.

Le Président de la République lui-même ne manque pas une occasion de rappeler l’importance de la lutte contre les discriminations, son attachement à la méritocratie et à l’égalité des chances. Mais, à l’abri des grands discours élyséens, les pratiques discriminatoires prospèrent, en l’absence manifeste de volontarisme politique ; le droit existant peine à être appliqué et les décisions du législateur ne sont pas suivies d’effet.

Dix-huit critères de discrimination sont prohibés par le code pénal. Ces critères sont de natures différentes, mais ils ont une racine commune : la méfiance à l’égard de ce qui est perçu comme différent. Cette méfiance, pétrie de préjugés et nourrie de beaucoup d’ignorance, aboutit à reléguer, sinon à exclure de la société des segments de plus en plus importants.

Il s’agit, comme on vient de le dire lors du débat sur les 35 heures, de nos seniors qui, grâce à un système de soins encore performant, vivent mieux et plus longtemps, mais sont évincés du marché de l’emploi.

Il s’agit des femmes qui, grâce à un barème fiscal familial adapté et aux structures d’accueil de la petite enfance, sont nombreuses sur le marché du travail, mais souffrent d’une évolution de carrière moins favorable que les hommes, sans même parler du niveau de leur salaire.

Surtout, il s’agit de tous ceux, Français ou non, qui, issus de la dernière grande vague d’immigration, ont du mal à trouver aussi bien un travail qu’un logement.

L’enquête « trajectoires et origines », ou TEO, publiée hier, menée par l’Institut national d’études démographiques, l’INED, et l’INSEE, mesure les discriminations en lien avec l’origine. Ce fait, déjà vérifié à l’occasion de différents « testings », est à présent établi par un cadre méthodologique rigoureux et riche d’enseignements. Il en ressort notamment qu’une personne issue de l’immigration titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur se sent plus discriminée qu’une personne non diplômée. On peut arguer, non sans raison, que l’instruction mène à une conscience plus aiguë des discriminations. On peut surtout en déduire que la République peine à honorer sa promesse méritocratique envers les filles et fils d’immigrés, français ou étrangers, en raison de leur origine et de la couleur de leur peau.

Cette injustice banalisée, quotidienne et impunie ne constitue pas seulement une blessure individuelle : elle est une offense à la méritocratie républicaine dont s’enorgueillit la France. Aucune pratique discriminatoire n’est anodine ; parce qu’elle est une remise en cause de la personne dans sa dignité, ses conséquences immédiates et de plus long terme sont mortifères aussi bien pour l’individu que pour la société dans son ensemble.

Je le rappelle souvent, les discriminations aboutissent à des morts sociales. On dit à nos jeunes : « Travaillez, faites des études, c’est votre sésame ! ». Or, à diplôme équivalent, les jeunes issus de l’immigration, tout comme les ultra-marins, rencontrent beaucoup plus de difficultés que les autres dans l’accès à l’emploi, sans parler des difficultés d’accès au logement.

Le pacte républicain est donc pour beaucoup un « miroir aux alouettes » ! Les processus discriminatoires aboutissent à priver de son sens la notion d’égalité et à réduire le pacte républicain à une coquille vide, laissant place à des demandes communautaires inacceptables.

C’est pourquoi je considère la lutte contre les discriminations comme un axe essentiel d’action au service de la justice sociale et de la cohésion nationale. Or, à ce jour, le bilan du Gouvernement est négatif.

Certes, monsieur le secrétaire d’État, plusieurs de vos collègues du Gouvernement sont issus de l’immigration. Loin de moi l’idée de contester la portée symbolique de leur nomination, mais je déplore que cette diversité gouvernementale fasse office de solde de tout compte et serve de paravent à des propos inadmissibles, à des calomnies de caniveau !

Quand les ministres, les élus et les candidats de la majorité persistent à faire l’équation entre Noirs, Arabes et délinquants multirécidivistes, on est en droit de s’interroger sur la considération que vous portez au modèle républicain.

M. Charles Gautier. Très bien !

Mme Bariza Khiari. La banalisation des contrôles de police au faciès, dénoncée prudemment par la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, et sévèrement par Amnesty International, participe de cette stigmatisation généralisée et, pis, lui confère un aspect quasi institutionnel.

La polémique actuelle autour des propos d’un « pilier de bar du PAF » s’inscrit dans ce climat délétère où le tir à vue sur les Noirs et les Arabes devient une activité tolérée. La population immigrée ou issue de l’immigration n’est ni plus ni moins délinquante que la population « issue du corps traditionnel français ». Au demeurant, les actes de délinquance ne s’expliquent pas par le patronyme ou le taux de mélanine mais par des variables sociales bien identifiées.

La seule avancée notable réalisée au cours de ces cinq dernières années réside dans la création et l’activité de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité. Mais j’ai le devoir de vous rappeler que cette innovation institutionnelle ne peut être portée au crédit de la majorité politique.

M. Alain Fouché. Elle l’a votée !

Mme Bariza Khiari. La création de la HALDE résulte en effet d’une directive européenne annoncée dans le traité d’Amsterdam de 1999 et c’est Martine Aubry, alors ministre de l’emploi et de la solidarité (M. Alain Fouché s’esclaffe.), qui a mis en place, dès 2000, le groupe d’études et de lutte contre les discriminations, le GELD, préfigurant la future HALDE.

M. Charles Gautier. C’est vrai !

Mme Bariza Khiari. Sous la présidence de M. Louis Schweitzer, à qui je tiens à rendre un hommage appuyé, la HALDE, pourvue pourtant de moyens budgétaires limités au regard de ses missions (M. Jean-Jacques Hyest le conteste.), est devenue une institution connue de près de 40 % de nos concitoyens. Elle est parvenue, sur certains dossiers, à faire évoluer les pratiques et la réglementation ; je pense notamment à la carte de famille nombreuse, désormais accessible aux familles étrangères. Ses avis, même non suivis d’effets, permettent aux acteurs sociaux de s’interroger sur leurs pratiques et d’y remédier.

La HALDE, en tant qu’autorité indépendante spécialisée, exerce son magistère et son action dans les domaines tant public que privé. Elle est partie prenante des procédures judiciaires. Elle exerce ses compétences selon le principe de la collégialité. Sa spécialisation est gage de compétence, d’efficacité et de reconnaissance.

On entend dire que le Sénat, à la fin du mois de mai, lors de l’examen du projet de loi organique relative au Défenseur des droits, serait fortement incité à placer la HALDE dans le giron de celui-ci. Pourquoi vouloir la faire disparaître du paysage institutionnel alors que le chantier de la lutte contre les discriminations est à peine entamé et que les données dont on dispose témoignent d’une situation préoccupante ?

Mise en place en 2005, la HALDE a vu le nombre de saisines passer de 1 500 lors de sa première année d’activité à plus de 10 000 en 2009.

Menant avec conscience son travail d’expertise sur les textes de lois et de compatibilité de notre législation avec les traités internationaux, la HALDE est au cœur des missions que nous, parlementaires, lui avons confiées. Il est à cet égard injustifié de lui reprocher de jouer son rôle. La HALDE ne s’est pas mise au-dessus du Parlement,…

M. Jean-Jacques Hyest. Si, au moins une fois !

Mme Bariza Khiari. … elle a tenu avec efficacité son rôle d’expertise juridique. Et nous sommes attachés à sa pérennité.

Je ne comprends pas que l’on puisse reprocher à la HALDE de tenir son rôle quand nous-mêmes, législateur, ne parvenons pas à contrôler l’application de nos votes !

Nous avons ensemble, mes chers collègues, de part et d’autre de l’hémicycle, voté trois dispositifs de lutte contre les discriminations : le CV anonyme, un mécanisme d’aide aux vieux travailleurs migrants et la suppression des emplois liés à une condition de nationalité. Or aucun de ces votes n’a été suivi d’effet. Pourtant, je suis intimement convaincue que la lutte contre les discriminations ne peut se cantonner à de grands discours généreux et qu’il vaut mieux, en la matière, des décisions limitées mais concrètes et effectives.

Je regrette le temps et l’énergie perdus dans les débats d’évitement récurrents sur les statistiques ethniques et les velléités de discriminations positives. Nous devons changer nos pratiques, pas nos principes : nos principes sont bons !

La lutte contre les discriminations doit s’appliquer à faire de l’ingénierie sociale. C’est ainsi, notamment, que s’est exprimée la volonté du législateur avec le CV anonyme. Sa mise en place aurait permis, au moins à l’étape de la sélection des candidatures, de gommer les différences tant raciales que sociales, ne laissant la place qu’à des données objectives d’expérience, de compétences et de formation.

Notre tradition de méritocratie républicaine impose l’anonymat aux concours et aux examens écrits. Il faut aujourd’hui étendre ce principe au CV, l’anonymat au moment de la sélection des CV permettant au recruteur d’intervenir en toute objectivité, en fonction des seuls critères de qualification, avant, bien entendu, qu’un entretien donne au candidat l’occasion de faire valoir sa personnalité. Cet outil aurait une portée pédagogique évidente et permettrait de lutter contre le conformisme des recruteurs et l’autocensure des candidats à l’emploi.

Évidemment, la lutte contre les discriminations ne saurait se réduire à la promotion du CV anonyme. Je n’ai pas la naïveté de croire qu’il s’agirait d’une panacée ; il ne s’agit que d’un outil parmi d’autres.

Malheureusement, après son adoption dans le cadre de la loi pour l’égalité des chances, le Gouvernement a renoncé à adopter le décret d’application. À cet égard, j’ai été très surprise d’entendre, en janvier dernier, face à un panel de Français réunis à l’occasion d’une émission de télévision, le Président de la République se flatter d’avoir fait adopter ce dispositif !

Monsieur le secrétaire d'État, voici donc ma première question : pourquoi cette disposition législative, pourtant revendiquée face aux Français par le Président la République, n’est-elle toujours pas appliquée ?

La deuxième mesure votée par le Parlement et qui n’est toujours pas entrée en vigueur concerne les vieux travailleurs migrants. Venus pour la plupart du Maghreb pour travailler en France dans les années 1960 et 1970, ceux que l’on appelle aujourd’hui les « chibanis » avaient l’intention de retourner dans leur pays une fois leur labeur terminé.

Les chibanis sont des hommes vieux, seuls, pauvres, souvent analphabètes. Leur quotidien tourne autour du foyer SONACOTRA, des parties de dominos et des maigres sommes qu’ils envoient à leur famille restée au pays et qui, à leurs yeux, représentent la légitimité même de leur existence. Aujourd’hui, ils sont de facto assignés à résidence.

En effet, après avoir connu une vie professionnelle faite de contrats courts, souvent non déclarés et mal rémunérés, dans le bâtiment ou l’agriculture, ils ne peuvent prétendre aujourd’hui à une pension décente : ils perçoivent en moyenne 150 euros de retraite contributive, auxquels s’ajoute le minimum vieillesse, soit, au total, 620 euros mensuels. Toutefois, pour bénéficier du minimum vieillesse, il leur faut résider en France de façon « stable et régulière »…

Les chibanis se trouvent ainsi confrontés à un véritable dilemme : rester en France afin de pouvoir envoyer un petit pécule à la famille restée au pays, ou y rentrer, avec leur minuscule retraite pour seule ressource. Aussi font-ils le plus souvent le choix de demeurer en France, dans des conditions d’extrême précarité et de très grande solitude.

À l’occasion de la discussion du projet de loi instituant le droit au logement opposable, ou DALO, le Sénat, en plein accord avec M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, a voté en faveur de la création d’un dispositif tout à fait innovant qui permet à cette catégorie de retraités pauvres de retourner chez eux pour des périodes longues tout en préservant leurs ressources et leurs droits.

Une telle aide a une portée effective forte, mais elle est aussi symbolique, car ce vote intervenait deux ans après l’adoption de l’article sur « l’aspect positif de la colonisation ». Compte tenu de l’effet déplorable qu’a produit cette formule sur les populations immigrées venues de l’ancien empire français, il était temps que la République fasse taire ses atavismes coloniaux !

Le nouveau dispositif aurait pu y contribuer, en reconnaissant que ces immigrés issus des anciennes colonies, qui ont participé à la reconstruction et à la croissance économique de la France, ont droit, comme tout individu, à une retraite décente.

L’unanimité qui s’est créée autour de cette question est à l’honneur du Sénat. Apporter une réponse à la situation inacceptable des chibanis était affaire de dignité, pour eux, certes, mais aussi pour la République.

D’où ma deuxième question, monsieur le secrétaire d'État : pourquoi, en dépit de ce vote unanime, le Gouvernement n’a-t-il pas adopté le décret d’application nécessaire ?

La troisième disposition votée par le Sénat concernait les « emplois fermés ». Cette expression désigne les professions libérales ou privées dont l’exercice est soumis à la double condition de diplôme et de nationalité. Quelque 600 000 emplois se trouvent concernés. Il s’agit d’une législation obsolète, connotée et moralement condamnable. À formation et diplôme identiques, un ressortissant étranger ne dispose pas des mêmes droits selon qu’il est issu de l’Union européenne ou d’un autre pays !

La proposition de loi que j’ai présentée visait à supprimer la condition de nationalité. Elle a été votée à l’unanimité des groupes politiques du Sénat en février 2009, mais elle n’a pas encore fait l’objet d’un examen à l’Assemblée nationale. Il faut néanmoins noter que le Gouvernement a intégré une partie des dispositions de ce texte dans la loi dite « Hôpital, patients, santé et territoires ».

Ainsi, depuis août 2009, les médecins et les personnels de santé dont les métiers étaient visés par la clause de nationalité peuvent bénéficier d’un statut identique à celui de leurs collègues français, à condition toutefois, monsieur le secrétaire d'État, que soient obtenus des engagements en ce qui concerne le changement de situation administrative des diplômés concernés.

Enfin, je ne peux pas ne pas faire le lien entre la criminalisation de l’immigration que le Gouvernement met en place de façon systématique et les discriminations dont souffrent nos concitoyens.

En ce moment même, le conseil des ministres examine un nouveau texte – le sixième depuis 2002 ! – tendant à durcir les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Et cette fois encore, ces derniers, uniquement parce qu’ils sont étrangers, sont traités comme des criminels. Cela devient du harcèlement législatif !

Enfin, monsieur le secrétaire d'État, j’ai cru comprendre que le Gouvernement souhaitait, pour resserrer les rangs de sa majorité, revenir à ses « fondamentaux » en faisant adopter au plus vite une loi « anti-burqa ».

Il est important de rappeler que le port de cet accoutrement ne constitue pas une prescription coranique. La burqa ne peut donc être qualifiée de « voile intégral islamique », comme le titrait hier encore un grand journal du soir. Cette qualification erronée, de plus en plus répandue, contribue, là encore, à stigmatiser une confession et toute une partie de la population française.

Nous, socialistes, condamnons avec fermeté le port du voile intégral, que nous jugeons bien entendu incompatible avec les valeurs de la République. Nous estimons également que la burqa peut être de nature à troubler l’ordre public. Néanmoins, en la matière, il nous semble nécessaire de privilégier des voies de l’action publique pour lutter contre cette pratique sectaire : la pédagogie, oui, la démagogie, non ! Aussi, nous nous opposerons à une loi de circonstance, qui risquerait fort de ne contenir que des dispositifs juridiquement contestables, inadaptés ou inapplicables.

Mes chers collègues, j’attire votre attention sur ce point : l’intégration ne passera pas par une nouvelle stigmatisation infligée à une population qui, au quotidien, souffre déjà de racisme et de discrimination.

La France que nous aimons est une République formée de citoyens égaux, sans distinction d’origine, de sexe, ou de religion, comme l’énonce notre Constitution. La France que nous aimons est celle qui, pendant des décennies, est parvenue à relever le défi politique consistant à sublimer les identités particulières pour forger une identité collective puissante, tournée vers l’émancipation, l’égalité, la méritocratie et la construction commune d’un avenir.

Les déclarations du Gouvernement, les décisions qu’il prend, mais aussi celles qu’il ne prend pas, fragilisent jour après jour cette France-là et dessinent une société fracturée, marquée par l’inégalité, l’injustice et l’exclusion. Face à cette démission républicaine de la majorité politique, les socialistes resteront mobilisés !

Par des mesures simples, les parlementaires de toutes tendances ont voulu s’attaquer aux pratiques discriminatoires. À travers notre vote, nous avons adressé un message d’espoir aux populations fragilisées. Alors, monsieur le secrétaire d'État, pourquoi ces trois votes n’ont-ils pas été suivis d’effets ? Oui, pourquoi ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, une discussion sur la lutte contre les discriminations est la bienvenue dans notre hémicycle, même si, malheureusement, il faudrait bien plus qu’une heure et demie de débat et un auditoire beaucoup plus large pour tenter de réparer les dégâts causés par les politiques de discrimination menées par le Gouvernement, ainsi que les clichés xénophobes véhiculés – faut-il le rappeler ? – par certains des ministres eux-mêmes !

Qu’elles soient à vocation électoraliste ou qu’elles expriment un racisme ordinaire, les phrases qui ont été prononcées ont de quoi donner le vertige. Néanmoins, ce n’est peut-être pas là le plus grave, car si les paroles s’envolent, les écrits restent.

En effet, ces dernières années, malgré une campagne de communication tonitruante, les politiques publiques menées par le Président de la République et le Gouvernement n’ont fait qu’accentuer les discriminations, qu’elles soient raciales, sociales, d’accès aux soins, générationnelles ou liées au sexe.

Le discours prononcé par le Président de la République à l’École polytechnique le 17 décembre 2008 est à ce titre particulièrement éloquent. En effet, le chef de l’État passait en revue les différents espaces où sévissent les discriminations, pour s’en indigner. Il se demandait si l’on pouvait « encore parler de République quand l’école ne parvient plus à compenser les handicaps sociaux. »

Ce questionnement est assez paradoxal quand on sait que ce gouvernement est celui qui a supprimé le plus de postes de professeurs : plus de 11 000 en 2008, 13 000 en 2009, et 16 000 suppressions supplémentaires sont prévues pour 2010, tout cela au détriment des établissements situés dans les quartiers les plus défavorisés et des filières professionnelles, qui subissent les coupes les plus importantes.

Face à cette pénurie dramatique, les « internats d’excellence » présentés comme le dispositif phare du volet éducation de la dynamique « Espoir banlieues » font pâle figure.

M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas si mal !

Mme Éliane Assassi. Regardons les résultats, monsieur Hyest !

M. Jean-Jacques Hyest. Mais ils sont excellents !

Mme Éliane Assassi. Je crois que nous n’en faisons pas la même lecture !

M. Jean-Jacques Hyest. Regardez les documents qui sont à votre disposition !

Mme Éliane Assassi. Passons outre au débat sur la discrimination positive, qui a été choisie de préférence à l’augmentation des moyens pour tous, et attachons-nous justement, monsieur Hyest, aux résultats : pour l’instant, 120 élèves, de la quatrième à la seconde, sont concernés par ce dispositif. Ils devraient être 500 à l’horizon 2011... En somme, pour un jeune placé en internat d’excellence, des centaines de postes sont supprimés, au détriment de milliers d’élèves !

Dans le même discours, le chef de l’État posait la question suivante : « Comment faire aimer la République à ceux qu’elle tient à l’écart ? À ceux qui ont la conviction que, quoi qu’ils fassent, quels que soient […] les sacrifices qu’ils consentent, ils ne peuvent pas réussir ? »

Au regard de l’abstention plus que massive que l’on constate dans les quartiers populaires, notamment chez les jeunes, la question paraît en effet plus que légitime. Le dernier rapport de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles a montré que la situation des quartiers bénéficiant de la politique de la ville s’était encore dégradée depuis les émeutes de 2005. De fait, dans les ZUS, c'est-à-dire les zones en question, le chômage est plus fort que partout ailleurs sur le territoire, et l’écart se creuse toujours davantage. À caractéristiques de diplôme, de sexe, d’origine du père et de nationalité identiques, un jeune habitant de ZUS a encore environ 1,3 fois moins de chances d’obtenir un emploi stable qu’un jeune vivant dans un autre quartier.

À cette réalité s’ajoutent des problèmes urbains cruciaux, un enclavement très fort, un déficit d’équipements et de présence de l’État. Si la crise économique sert d’alibi pour expliquer cette situation, nous estimons, pour notre part, que l’absence de politiques publiques et le désengagement de l’État, à travers la suppression des services publics de proximité, sont les véritables responsables de ce déclin.

À cet égard, l’exemple des inégalités face à la santé est particulièrement éloquent. L’accès aux soins est en effet de moins en moins garanti. La réforme hospitalière produira à terme des inégalités territoriales majeures. En outre, les franchises médicales, présentées comme indolores, ferment la porte de l’accès à la santé pour bon nombre de nos concitoyens. C’est ce qu’a affirmé le Conseil d’État dans un arrêt du 6 mai 2009 annulant en partie un décret de 2007 au motif que le montant des franchises prévues était de nature à « compromettre le droit à la santé ».

Quant à la loi du 11 février 2005 sur le handicap, malgré les promesses électorales, elle a été peu à peu vidée de son contenu à coups de reports des contributions financières des entreprises, de dérogations aux règles d’accessibilité, de remises en cause des compensations, de retraits de l’État, celui-ci abandonnant la prise en charge éducative, et de diminutions de l’allocation aux adultes handicapés.

Face à ce terrible constat, l’Association des paralysés de France a qualifié 2009 d’« année noire du handicap », et elle n’hésite pas à parler d’une « régression sociale majeure ».

Enfin, dans le discours que j’ai déjà cité, le chef de l’État se demandait : « Comment faire comprendre la République à l’enfant qui se sent prisonnier de son milieu, de son quartier, de ses origines ? ». J’oserai répondre : certainement pas en durcissant toujours davantage les conditions d’accès à une situation légale de résidence !

La politique délirante d’expulsions menée par le Gouvernement a produit les pires résultats en termes de discriminations : des parents retirés à leurs enfants, des jeunes adultes expulsés vers des pays qu’ils ne connaissaient pas, des femmes raccompagnées dans le pays qu’elles avaient fui pour pouvoir vivre libres, des personnes renvoyées dans des zones en guerre... J’arrête là la liste, qui pourrait être encore longue !

Quant à ceux qui sont parvenus à sortir du labyrinthe bureaucratique de l’obtention du permis de séjour ou de la nationalité française, ils continuent à subir les stigmates de leurs origines. Une enquête menée en 2008 par l’INSEE et l’INED montrait que 40 % des personnes ayant déclaré une discrimination sont immigrées ou enfants d’immigrés, alors que ces catégories ne représentent que 22 % de la population adulte résidant en France.

Une étude tout aussi récente menée par deux chercheurs du CNRS a fait apparaître que, pour un individu, les « chances » de subir un contrôle d’identité inopiné par les services de police variaient, en fonction de la couleur de sa peau, de 1 à 7…

Dans ce contexte, les confusions entretenues par le Gouvernement entre immigration, « identité nationale », religion et délinquance ne font que banaliser toujours plus ces discriminations. Au premier chef, bien entendu, la création d’un ministère de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale alimente cet amalgame.

Comme le disait à juste titre M. Diène, rapporteur spécial de l’ONU contre le racisme, entendu au mois de juin 2007 par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, ce ministère contribue à la « banalisation du racisme », favorisant en même temps une « lecture ethnique et raciale des questions politiques, économiques et sociales, et le traitement idéologique et politique de l’immigration comme un enjeu sécuritaire et comme une menace à l’identité nationale ».

Face à la multiplication des discriminations – j’aurais pu ajouter celles qui existent dans le monde du travail, notamment en matière d’égalité professionnelle et salariale entre hommes et femmes –, quels ont été les outils mis en place par le Gouvernement ?

Les internats d’excellence ? Cela vient d’être rappelé, ils ne concernent qu’une centaine d’élèves !

La présence de 25% d’élèves boursiers dans les classes préparatoires ? On en est resté, à cet égard, au stade de la simple déclaration !

Mme Éliane Assassi. L’augmentation de 25 % de l’allocation aux adultes handicapés à l’horizon 2012 ? Cela ne permettra même pas à ses bénéficiaires d’atteindre le seuil de pauvreté !

La mise en place du plan « Espoir banlieues » ? De l’avis de tous, ce programme est une coquille vide et un échec total !

Des autorités indépendantes chargées de défendre les droits des citoyens ? La suppression de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, celle du Défenseur des enfants décidée arbitrairement et sans aucune concertation et, comme nous le craignons, celle de la HALDE, dont les compétences sont largement reconnues, au profit d’un Défenseur des droits aux prérogatives aussi larges que floues, laissent augurer le pire.

Depuis trois ans, la lutte contre les discriminations a fait l’objet de nombreux débats, de plans de communication, de rapports, comme celui de M. Yazid Sabeg, qui a sans doute été « classé à la verticale », de déclarations fracassantes. Pour quels résultats ? Les dispositifs mis en place n’ont eu qu’un effet marginal, voire ont été sans effet aucun, et les politiques de casse sociale et de démantèlement des services publics menées par le Gouvernement n’ont fait que multiplier les cas de discriminations.

C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, en matière de lutte contre les discriminations, je mets un zéro pointé à ce gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les points évoqués par notre collègue Bariza Khiari. Je partage en grande partie son point de vue. Si le Gouvernement veut être crédible en matière de lutte contre les discriminations, il doit passer des paroles aux actes et prendre les mesures réglementaires attendues depuis trop longtemps.

Ainsi, voilà presque quatre ans que, sur l’initiative de Nicolas About, le CV anonyme a été introduit dans la loi. Si tout le monde comprend que, en raison du caractère novateur de cette mesure, sa mise en place demande un peu de temps, personne ne peut croire en revanche, après quatre ans de réflexions et de négociations sans résultat, que seule la complexité explique cet échec.

Monsieur le secrétaire d'État, si le Gouvernement veut convaincre, il lui faut montrer plus de volonté et de détermination, ce dont il n’a pas manqué sur d’autres sujets.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite que nous profitions de ce débat pour nous interroger sur l’évolution de la langue et des mots que nous utilisons lorsque nous abordons le problème des discriminations.

En réalité, quand nous évoquons ce sujet, nous ne faisons que nous pencher sur l’un des plus vieux problèmes des sociétés humaines, celui de l’injustice et de l’inégalité. Les esclaves romains parlaient d’affranchissement, les révolutionnaires français exigeaient l’égalité des droits, nous, nous parlons de discriminations, mais il s’agit du même sujet. Pourquoi ? Que s’est-il passé ? Mais la question est surtout de savoir quels présupposés et quelle conception de la société véhicule souterrainement ce nouveau vocabulaire.

La Révolution française nous a légué une lourde promesse : celle de pouvoir, grâce à la politique, abolir l’injustice et les inégalités sociales. Jusqu’à une période récente, ce combat pour l’égalité était un combat collectif, porté par l’idée de progrès : nous allions vers une société plus juste et plus équitable. Depuis les années 1970, cette confiance en l’avenir s’est fissurée : les inégalités et le sentiment d’injustice s’amplifient de nouveau. La promesse n’est pas tenue. Qui est responsable de ce recul ?

C’est ici, je crois, qu’intervient le basculement dans le vocabulaire de la discrimination : celui-ci est exactement contemporain du moment où est apparue une faille dans l’idée de progrès. Sur quels présupposés se fonde une analyse des injustices sociales en termes de discriminations ? Parler de discrimination, c’est parler de la volonté de traiter différemment, de traiter moins bien, d’exclure. Ce que sous-entend ce champ lexical, c’est que, si des injustices existent, elles relèvent de la responsabilité de ceux qui maltraitent ou qui excluent.

On perçoit là le danger politique et l’erreur intellectuelle qu’il y a à penser les inégalités en termes de discriminations. Car nous tendons maintenant à considérer que ce problème ancien des injustices, qu’aucune société humaine n’a véritablement réussi à résoudre, est dû à certaines personnes qui discriminent, c’est-à-dire qui maltraitent et excluent. Quelle régression !

Le combat pour l’égalité, hérité des Lumières, reposait sur l’idée d’un projet collectif, sur un espoir d’amélioration commune qui animait l’ensemble de la société. Le vocabulaire de la lutte contre les discriminations renvoie au contraire chaque individu à ses origines et généralise la suspicion envers les autres. Il fait l’impasse sur les aspects collectifs pour tout ramener à l’individu. Il réduit les problèmes généraux à des problèmes de personne.

Je prendrai l’exemple de l’accès au logement. Différentes enquêtes ont montré que, à niveau de ressources égal, il était plus difficile pour une personne dont le nom avait une consonance étrangère de devenir locataire. C’est donc la preuve que des discriminations existent dans l’accès au logement.

Cela étant, quel est le véritable problème en matière de logement ? C’est évidemment le fait que le nombre global de logements est insuffisant, que la demande est plus forte que l’offre. On voit donc bien le caractère à la fois limité et presque nuisible de l’approche du problème du logement en termes de lutte contre les discriminations. Le combat pour l’égalité d’accès au logement conduit à insister sur le vrai problème, c'est-à-dire le manque global de logements, alors que la lutte contre les discriminations donne à croire que, si certaines personnes n’ont pas d’appartement, c’est parce que d’autres refusent de leur en louer un.

D’un côté, on insiste sur les problèmes collectifs, on incite chacun à prendre part à la résolution des difficultés de l’ensemble de la société. De l’autre, on appuie sur ce qui divise, on simplifie à outrance des problèmes collectifs pour les réduire à des cas personnels.

Je prendrai un second exemple. Le droit européen ne comporte pas de principe général « à travail égal, salaire égal » valable pour tous, mais il énumère les motifs pour lesquels l’employeur n’a pas le droit de traiter moins bien un salarié. Parmi ces motifs, on trouve l’origine, la race, le sexe ou encore l’orientation sexuelle. On voit bien que, dans ce cas, le droit pensé en termes de lutte contre les discriminations, et non de combat pour l’égalité, entraîne le repli sur soi dans une posture victimaire : pour protester contre une inégalité salariale, un employé ne pourra pas faire valoir un principe général applicable à tous, mais devra montrer que l’employeur a voulu délibérément le traiter différemment en raison de ses origines ou de son orientation sexuelle. Comment peut-on maintenir la cohésion sociale dans notre pays si le droit même cantonne les citoyens à leurs origines et les incite à se diviser ?

Dans ce domaine, monsieur le secrétaire d'État, il est vital que le gouvernement français réagisse à Bruxelles pour mettre fin à la propagation d’un droit communautariste européen dans les législations nationales, donc dans la nôtre. Voilà maintenant deux ans que la commission des affaires sociales a adopté, à l’unanimité, une résolution demandant au Gouvernement de modifier la sixième directive anti-discrimination, en cours de négociation. On sait que les représentants de la France à Bruxelles n’en ont tenu aucun compte. La directive qu’elle vise est pourtant dangereuse et la France gagnerait à rejoindre l’Allemagne dans son opposition ferme à ce texte.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais vous soumettre. Si je devais les résumer, je le ferais en ces termes : soyons fidèles à l’héritage des Lumières, efforçons-nous de bâtir une société plus juste en rassemblant les citoyens ; privilégions par conséquent le combat pour l’égalité par rapport à la lutte contre les discriminations. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste. – M. Jean-Jacques Hyest applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.

M. Charles Gautier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question orale avec débat sur les dispositifs de lutte contre les discriminations me permet de revenir sur un sujet sur lequel notre Assemblée a travaillé voilà quelques mois et qui me tient particulièrement à cœur.

Bariza Khiari et les membres du groupe socialiste ont déposé au mois de janvier 2009 une proposition de loi visant à supprimer les conditions de nationalité qui restreignent l’accès des travailleurs étrangers à l’exercice de certaines professions libérales ou privées. Il s’agissait de supprimer la condition de nationalité pour l’exercice de dix professions réglementées dans lesquelles cette condition ne se justifiait pas ou ne se justifiait plus et qui entraînait des discriminations particulièrement illégitimes à l’égard de ressortissants extracommunautaires qui remplissaient pourtant toutes les conditions de diplôme requises.

La commission des lois m’avait désigné pour être le rapporteur de ce texte. J’ai donc entendu les représentants de l’ensemble de ces professions pour vérifier ce qui pouvait justifier de laisser perdurer une telle situation et de maintenir une condition de nationalité.

Cette vérification ayant été faite, sur les dix professions concernées, la profession d’avocat, pour cause de forte concurrence internationale, et celle de guide-interprète ont été retirées du champ de la proposition de loi. Sur les huit professions restantes, les dispositions du texte concernant les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et pharmaciens ont été reprises par la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, définitivement adoptée en juillet 2009.

Il reste aujourd’hui quatre professions pour lesquelles les discriminations liées à la nationalité persistent : celles d’architecte, de vétérinaire, de géomètre-expert et d’expert-comptable. Je vous rappelle qu’il s’agit de personnes qui ont un diplôme français, qui sont tout à fait intégrées dans notre communauté, qui maîtrisent parfaitement la langue et sont en situation régulière. Toutes ces conditions sont donc remplies ! Pourtant, la condition de nationalité subsiste et les empêche d’exercer le métier pour lequel elles ont été formées, et très souvent dans notre pays.

La condition de nationalité peut être justifiée lorsqu’il s’agit d’officiers publics ou ministériels. Mais, pour les professions que je viens de citer, il ne s’agit en général que de restrictions historiquement datées, qui sont apparues pour la plupart au début du xixe siècle ou entre les deux guerres mondiales, dans des contextes de crise ou de tensions internationales. Elles sont donc aujourd’hui parfaitement injustifiées et discriminatoires.

La discrimination est d’autant plus choquante que ces règles restrictives sont parfois détournées. Nous sommes là en pleine hypocrisie ! Par le biais de la sous-traitance ou de postes de contractuels dans la fonction publique, un certain nombre de ces ressortissants extracommunautaires exercent leur profession, mais dans des conditions différentes. Ainsi, l’État lui-même contourne ses propres règles !

Pour les professions libérales, des procédures d’exception longues et stigmatisantes sont parfois possibles.

Comment expliquer des exigences supplémentaires pour ces professions, monsieur le secrétaire d’État ?

Par exemple, un architecte étranger peut gagner un grand concours international proposé par la France, mais il ne peut ouvrir de cabinet dans notre pays !

M. Charles Gautier. Cela s’est déjà produit. Il devra trouver un « cabinet porteur » français et s’y faire embaucher pour travailler sur son propre projet !

Les exigences sont les mêmes pour les vétérinaires, alors même que le problème est à peu près réglé pour le corps médical. Cela signifie donc que nous sommes plus exigeants pour faire soigner nos chats, nos chiens ou nos vaches que pour faire soigner nos enfants ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Bariza Khiari. C’est vrai !

M. Charles Gautier. Notre assemblée, face à ces constats et suivant le bon sens qu’on lui accorde généralement, a adopté à l’unanimité – c’est assez rare pour que ce soit souligné – la proposition de loi de notre amie Bariza Khiari, modifiée par la commission des lois.

Malheureusement, cette proposition de loi n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Une partie du texte ayant été satisfaite par la loi « Hôpital, patients, santé et territoires », le chemin à parcourir pour bannir ces dernières discriminations n’est pourtant plus très long ! Encore faut-il que votre majorité, monsieur le secrétaire d'État, s’en donne les moyens.

En tant que rapporteur de cette proposition de loi, je m’associe naturellement aux demandes insistantes de notre collègue Bariza Khiari pour que le Gouvernement règle rapidement le sort de ces quatre dernières professions à souffrir de telles discriminations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’histoire de notre pays est ainsi faite que les vagues successives de migrations, sans remonter à des temps immémoriaux, ont enrichi chacune à leur tour le corps de la nation. Les récents chiffres publiés par l’Office des migrations internationales de l’ONU montrent d’ailleurs que la France est la deuxième terre d’accueil de migrants dans le monde.

Notre pays, fort de son idéal de patrie des droits de l’homme, peut s’enorgueillir d’une longue tradition d’accueil des étrangers, tradition dont on trouve déjà la trace dans l’introduction du droit du sol à l’article 3 du titre II de la Constitution de 1791.

L’enracinement républicain de ce droit, en 1889, fut certes motivé par l’idée de fournir davantage d’hommes aux armées, dans l’obsession d’une revanche face à l’Allemagne.

Les vagues successives d’immigration ont d’ailleurs, d’une manière générale, coïncidé avec les soubresauts de l’histoire du monde. Systématiquement, l’étranger fut pointé du doigt, exclu, assigné à un rôle de bouc émissaire responsable de tous les maux, avant d’être finalement, et heureusement, accepté. Il en va évidemment de même aujourd’hui.

En revanche, ce qui est nouveau, c’est l’urgence qu’il y a de définir un véritable modèle d’intégration pour ces étrangers et surtout pour leurs enfants, tous Français à part entière.

Notre pays est aujourd’hui divers dans son corps social, mais il demeure monolithique pour ce qui relève des leviers du pouvoir politique ou économique. Cela doit changer !

Quel espoir la République peut-elle offrir aux filles et fils d’immigrés lorsqu’ils subissent dans leur vie quotidienne la lèpre des discriminations ?

Comment ne pas s’inquiéter des chiffres alarmants de l’abstention dans certains quartiers populaires aux élections régionales, preuve – s’il en fallait encore une – du rejet qu’inspire à une partie de nos compatriotes le modèle de société qui leur est offert ?

Comment ne pas être consterné lorsque ce gouvernement, monsieur le secrétaire d'État, nous impose une réforme des collectivités territoriales qui s’affranchit sans scrupule du principe de parité entre hommes et femmes ?

L’égalité des citoyens, proclamée à l’article Ier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, n’est encore qu’une chimère.

Les discriminations sont bien sûr multiples et aux plus visibles s’ajoutent les plus insidieuses, tout aussi aliénantes, puisqu’elles visent le sexe, l’origine ethnique, l’origine sociale, le handicap, l’orientation sexuelle, l’opinion politique.

Le combat pour l’abolition de ces discriminations a malheureusement un bel avenir !

Les délits de faciès ou de patronyme sont d’une consternante banalité : la HALDE a d’ailleurs connu en 2009 une hausse de 21 % des requêtes.

La République ne doit pourtant laisser personne sur le bord du chemin. Dans son discours prononcé à l’École polytechnique le 17 décembre 2008, le Président de la République indiquait qu’il souhaitait prendre à bras-le-corps le problème des discriminations, avec le volontarisme d’intention qu’on lui connaît…

Les annonces semblaient aller dans la bonne direction : diversification de la composition des classes préparatoires aux grandes écoles, création d’internats d’excellence, généralisation du CV anonyme, création d’un label « diversité » pour les administrations et les entreprises, diversification des nominations aux postes de hauts fonctionnaires. Hélas ! et malheureusement sans surprise, ces annonces n’ont pas été suivies d’effets ni de mesures concrètes, laissant nos compatriotes discriminés dans leur juste colère.

Depuis 2002, malgré les divers textes législatifs, plans de lutte ou autres mesures annoncées, la ségrégation sociale n’a pas reculé d’un iota.

La nomination médiatisée de « personnalités issues de la diversité » à de hauts postes cache, avec grande difficulté, la multiplication des zones reléguées aux marges de la République.

M. Yvon Collin. Eh oui !

Mme Françoise Laborde. Je prendrai un autre exemple, celui de la rénovation bâclée des grands ensembles urbains. Elle a produit une forme de ségrégation, elle-même source d’augmentation du nombre d’exclus du pacte républicain. Ce point sera au cœur de mes préoccupations lors de la discussion du projet de loi relatif au Grand Paris, qui se tiendra au Sénat la semaine prochaine.

Mme Françoise Laborde. Tous ces plans de lutte contre les discriminations ont englouti des dizaines de millions d’euros pour des résultats peu probants.

L’égalité des chances risque de ne rester qu’un beau slogan si elle n’est pas réellement favorisée. Soyons clairs : l’égalité des chances n’est pas l’égalité absolue.

L’école, creuset de la diversité sociale par excellence, doit jouer le rôle de vecteur d’ascension sociale. Elle n’y parvient plus. En dépit du dévouement et de l’engagement des enseignants, force est de constater que l’école n’est aujourd’hui plus en mesure de donner à chaque élève, quel que soit son milieu ou son origine, les mêmes chances d’épanouissement et de mobilité sociale.

Sur ce point, le recrutement des élèves des grandes écoles demeure d’une rare « endogamie ». Pis, la part des élèves de l’ENA issus de milieu populaire a reculé, pour stagner autour de 12 % entre 1980 et aujourd’hui ; c’est là un chiffre particulièrement, et tristement, éloquent !

Mme Françoise Laborde. Nos compatriotes sont écœurés par la morgue de cette élite repliée sur elle-même, s’arrogeant tous les pouvoirs, sans répondre aux maux qui touchent la majorité des Français.

L’école de la République souffre, quant à elle, des coupes budgétaires et des réductions d’effectifs que votre gouvernement lui impose au nom de la « révision générale des politiques publiques ». Elle pâtit également des conceptions pédagogiques rétrogrades que vous lui assignez, pour des raisons essentiellement idéologiques.

Comment s’étonner, dans ces conditions, que 150 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans qualification ?

Comment s’étonner d’un taux record d’échecs à l’Université ?

Comment s’étonner que les discours communautaristes séduisent une part croissante de la population, dès lors que l’école n’est plus en mesure de répondre à la peur du chômage et de la précarité ?

Comment donner espoir à ces jeunes qui, bien qu’ayant réussi de brillantes études, se heurtent encore et toujours au mur de leur origine ou de leur couleur de peau ?

L’idéal républicain, que défendent les membres du RDSE, est absolument incompatible avec la logique de repli sur soi et de négation des valeurs de tolérance, d’ouverture aux autres et d’acceptation des différences qui font la tradition de notre pays.

Le communautarisme est non seulement un leurre, mais aussi un symptôme, auquel le Gouvernement ne répond que par la méfiance envers autrui, comme l’a illustré de façon patente le débat sur l’identité nationale que M. Éric Besson a conduit avec une rare célérité. Nous avons tous pu constater avec amertume que ce débat avait produit des effets diamétralement inverses de ceux qui étaient escomptés puisque le Front national a retrouvé une vigueur nouvelle.

Monsieur le secrétaire d’État, nous désapprouvons avec force la politique du Gouvernement en matière d’immigration et d’intégration. Mes collègues Anne-Marie Escoffier et Jacques Mézard l’ont déjà dit à cette tribune : sa politique du chiffre et de l’obsession statistique n’est pas à la hauteur de notre tradition humaniste. Elle n’engendre que rancœur, méfiance envers autrui et discriminations, au lieu de construire le nouveau modèle d’intégration dont notre République a besoin pour bâtir l’avenir.

Les dispositifs de lutte contre les discriminations demeurent insuffisants, et je remercie ici notre collègue Bariza Khiari de donner l’occasion au Sénat de débattre une fois encore de ce sujet.

L’histoire de la France a démontré que le repli sur soi ne pouvait constituer une solution durable, bien au contraire. Nous avons toujours chèrement payé les soubresauts identitaires. La montée de l’extrémisme aux récentes élections doit nous alerter et nous mobiliser.

C’est au contraire lorsqu’elle a su accueillir et intégrer, toujours avec raison et responsabilité, que la France a avancé et qu’elle a éclairci son avenir.

Mme Françoise Laborde. Fiers de sa tradition d’humanisme et de tolérance, attentifs au respect des valeurs fondamentales de la République, les sénateurs radicaux de gauche et l’ensemble du groupe du RDSE condamneront toujours avec force toutes les formes de discrimination et sauront se mobiliser pour faire reculer un fléau qui fait porter une ombre sur l’avenir de notre pays et de nos compatriotes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai entendu certaines interventions avec plaisir ; d’autres m’ont moins séduit car il s’agissait en fait surtout de réquisitoires sur des questions qui ont déjà été tranchées.

Nombre de points du discours de Mme Khiari ont rencontré en moi des échos. En revanche, ses critiques relatives à la politique gouvernementale ne me paraissent pas justifiées, car des efforts ont été accomplis. Ainsi, je le rappelle, la loi créant la HALDE, même si elle résulte d’une directive de 1999, date de 2004. Or, entre 1999 et 2002, on avait tout de même le temps de créer une institution de cette nature.

Mme Bariza Khiari. Nous vous le concédons !

M. Jean-Jacques Hyest. En tout état de cause, nous devrions, en tant que membres du Parlement, avoir une position unanime en ce qui concerne la lutte contre les discriminations, plutôt que de nous targuer les uns et les autres de faire mieux que le camp d’en face !

M. Yvon Collin. Nous sommes tous d’accord sur ce point !

M. Jean-Jacques Hyest. J’ai été extrêmement sensible à ce qu’a dit Mme Dini, qui a été applaudie sur toutes les travées, si je ne me trompe. En effet, il ne faut pas confondre inégalités et discriminations, comme certains organismes nous poussent parfois à le faire.

Les inégalités existent dans une société, mais elles ne sont pas toutes des discriminations. Ces dernières sont réprimées par la loi. Mme Khiari a, du reste, rappelé que le code pénal comptait vingt-trois incriminations visant divers types de discriminations. Ce sont celles-là qui posent un problème réel dans notre société.

Permettez-moi de faire à mon tour, comme Mme Dini, un peu de philosophie. Si nous considérions les membres de la société non pas comme de simples individus, mais comme des personnes ayant toutes droit au respect, particulièrement quand elles sont en difficulté – je pense notamment aux handicapés –, nous nous engagerions dans une voie différente, où il s’agirait non plus de revendiquer des droits, mais d’affirmer que la société entière se doit de respecter chaque personne.

Ce sont bien là les valeurs sur lesquelles se fondent la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et, on l’oublie, l’article 1er de la Constitution de 1958. Aux termes de celui-ci, je le rappelle, la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». En fait, il faut dépasser le terme de « citoyens » pour étendre la garantie de l’égalité devant la loi à tous ceux qui résident dans notre pays.

C’est la raison pour laquelle, lors de la dernière révision constitutionnelle, le Sénat a pris l’initiative de réécrire l’article 71-1 de la Constitution pour changer le titre du « Défenseur des droits des citoyens » en « Défenseur des droits ». Il a également été précisé que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ».

À en croire certains, rien n’aurait été fait pour lutter contre les discriminations. Ce n’est pas vrai !

Pas sérieux, les internats d’excellence ? Eh bien si, ça marche ! Les écoles de la deuxième chance, ça marche ! De même qu’un certain nombre d’autres dispositions prises pour permettre à des jeunes lâchés sur le bord de la route de trouver un avenir !

Vous avez évoqué, madame Khiari, la discrimination qui frappe les titulaires de diplôme s’entendant dire qu’il n’y a pas d’emploi pour eux quand d’autres, titulaires du même diplôme, se voient, eux, offrir l’emploi considéré. J’ai connu un jeune, titulaire d’un diplôme de troisième cycle d’urbanisme, qui était dans ce cas : il ne trouvait pas de travail dans des cabinets privés. Je l’ai incité à passer un concours et il a fait une très belle carrière dans l’administration. S’il est une méthode de recrutement à maintenir, c’est bien celle du concours, absolument ouvert à tous, quelle que soit leur origine !

On a beaucoup parlé des emplois dans la haute fonction publique. Eh bien, j’ai l’impression que, bizarrement, la suppression du rang de classement à la sortie de l’ENA aggravera demain la cooptation. Je souhaite d’ailleurs que nous ayons prochainement une réflexion sur le sujet.

Je pense que tout ce qui a été fait pour ouvrir aux boursiers l’accès aux grandes écoles et à Sciences Po est une réussite. Ce sont, à mon sens, des éléments efficaces, et susceptibles d’avoir un effet d’entraînement, pour lutter contre la discrimination.

La lutte contre les discriminations est, selon moi, un combat permanent. Certains idéalisent le passé, paraissant considérer que la France a été jadis plus « ouverte ». Mais les amateurs d’histoire, notamment d’histoire ouvrière, savent bien quel accueil, à une certaine époque, a été réservé aux Polonais ou à d’autres étrangers venus travailler, par exemple, dans nos bassins miniers…

Si la situation s’est à certains égards aggravée, c’est sans doute en partie du fait de l’urbanisation.

À ce propos, il ne faut pas méconnaître non plus les discriminations géographiques et, en particulier, les difficultés auxquelles se heurte le monde rural. (MM. Yvon Collin et Claude Jeannerot manifestent leur approbation.) Il est plus difficile pour un enfant qui vit dans un canton reculé, même en Île-de-France, de suivre de hautes études que pour certains banlieusards qui, grâce au RER, ont un accès rapide à des établissements de qualité ou à l’Université. Cela fait partie aussi des inégalités territoriales, il ne faudrait pas l’oublier.

Je voudrais évoquer brièvement la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.

J’ai lu attentivement les rapports qu’elle a publiés depuis cinq ans. Ils contiennent des choses extrêmement intéressantes, au demeurant confirmées par les études de l’INSEE et de l’INED issues de l’enquête « trajectoires et origines ».

On s’aperçoit que les discriminations sont beaucoup plus diverses qu’on ne le pense. Par exemple, la HALDE a découvert que les femmes enceintes, pourtant protégées par les règles du code du travail, étaient spécifiquement victimes d’inégalités.

Je pense aussi que la justice doit prendre ses responsabilités. Il ne revient pas à une autorité indépendante de régler tous les problèmes. Que les justiciables n’hésitent pas à saisir les tribunaux !

Je voudrais rétablir une vérité : si 10 000 dossiers sont déposés chaque année devant la HALDE, elle n’en traite que 1 000, car les autres ne relèvent pas de sa responsabilité. Et sur les affaires qui lui restent, certaines sont importantes, d’autres secondaires. Je regrette au passage qu’elle n’en ait transmis que douze au parquet, car cela traduit une volonté de régler les problèmes à son niveau, sans faire appel à la justice. Or c’est à celle-ci qu’il revient de faire appliquer la loi quand elle n’est pas appliquée, dans ce domaine comme dans d’autres. C’est pourquoi j’étais assez hostile à la création de cette panoplie de médiations.

Je me garderai d’ouvrir un débat préparatoire à l’examen du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits, qui nous sera prochainement soumis. Je dirai seulement qu’aux termes de l’article 71-1 de la Constitution le Défenseur des droits aura des pouvoirs beaucoup plus importants qu’un « super-médiateur ».

Au-delà de la discussion sur le périmètre de ses compétences, je pose une question : a-t-on intérêt à continuer de multiplier les autorités administratives indépendantes ? Vous savez que tel n’est pas le sentiment de la commission des lois, et cela ne date pas d’hier !

Il faut progressivement agréger un certain nombre de ces autorités, à l’instar de ce qui se passe dans de nombreuses démocraties, notamment en Espagne, et dans d’autres pays où l’ombudsman dispose de pouvoirs aussi importants que notre nouveau Défenseur des droits. Il défend tous les droits, notamment ce droit fondamental qu’est le droit à l’égalité ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot.

M. Claude Jeannerot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite attirer votre attention sur l’une des dimensions de la lutte contre les discriminations. Elle porte sur un droit fondamental, acquis depuis l’adoption des lois Quilliot, en 1982, et Besson, en 1990 : le droit au logement.

Ce droit est devenu opposable avec la loi DALO en 2007. Hélas ! force est de constater que, malgré les nombreux dispositifs juridiques en place, le droit effectif au logement est tenu en échec et que les discriminations d’accès au logement se manifestent très souvent. Elles se manifestent, en particulier, dans la concentration de populations d’origine étrangère, réelle ou supposée, dans certaines zones géographiques ou certaines communes, favorisant ainsi la constitution de véritables ghettos, et ce n’est pas le maire de Mulhouse qui me démentira !

Tout le monde partage, au moins sur le plan des principes, la volonté d’une vraie mixité sociale. Celle-ci constitue l’un des remparts les plus efficaces contre la discrimination. C’est pourquoi nous sommes conscients que la question de l’accès sans discrimination au logement relève, pour une large part, de la responsabilité des bailleurs sociaux et privés.

À ce titre, je souhaite saluer le partenariat engagé entre l’Union sociale de l’habitat et la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et l’égalité. Le « guide des procédures d’attribution de logements sociaux » publié à la fin de 2009 et intégrant une contribution de la HALDE montre que la transparence dans les procédures d’attribution constitue un canal nécessaire à l’objectif de mixité sociale.

Dans ce cadre, celle-ci doit cependant rester un objectif permanent de progrès pour les bailleurs sociaux. Cette exigence devrait aussi faire l’objet d’une transparence plus effective de la part des bailleurs proposant des logements conventionnés.

Pour autant, nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation actuelle : l’éradication des discriminations en matière de logement ne saurait reposer sur la seule bonne volonté des bailleurs sociaux et privés.

La France s’est dotée d’outils juridiques complets pour favoriser la mixité sociale, me direz-vous. Et vous aurez raison ! Depuis la loi sur la solidarité et le renouvellement urbain du 13 décembre 2000 imposant le fameux « 20 % de logements sociaux » dans les communes de plus de 3 500 habitants jusqu’à la loi portant engagement national pour le logement du 13 juillet 2006 et à la loi dite « Boutin » de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, adoptée le 25 mars 2009, l’arsenal législatif est important !

Mais la réalité observable montre que les mécanismes tendant à éviter les discriminations en matière de logement sont inefficaces ou, pour le moins, insuffisants. En effet, selon le comité régional de l’habitat d’Île-de-France, pour ne prendre que l’exemple de cette région, 44 % des communes, soit 83 sur 181, ne respectent pas, sur la période 2005-2007, l’objectif de 20 % de logements sociaux fixés par la loi SRU. Voilà encore une prescription du législateur qui, faute de volontarisme politique, n’est pas suivie d’effet.

Quelles mesures convient-il de mettre en œuvre pour lutter contre les discriminations constatées au titre de l’accès au logement ? Le rapport de la HALDE de 2009 et l’association SOS-Racisme proposent plusieurs catégories de mesures pour promouvoir l’égalité.

Pour éviter la concentration des populations d’origine étrangère dans les secteurs les plus défavorisés – ce qui constitue, par définition, une discrimination organisée – diverses actions sont nécessaires. Je souhaiterais vous en soumettre quelques-unes, ma liste n’étant pas exhaustive : la construction mais, surtout, la réhabilitation de logements sociaux supplémentaires ; un meilleur respect de la loi SRU par l’augmentation importante des pénalités et par la réquisition de logements sociaux dans les villes ne respectant pas la loi, ainsi que nous l’avons proposé ; le rachat de logements privés par les offices HLM dans les villes où il n’y a plus de place pour construire des logements sociaux ; l’obligation pour chaque nouvel ensemble de logements privés de comporter en son sein 20 % de logements à loyer modéré.

Enfin, et je veux insister sur ce point, il y a sans doute lieu de tirer un premier bilan de la loi DALO. Il semble, en effet, que l’un des effets pervers de cette loi – on peut le vérifier au travers des indicateurs produits – concentre, de fait, les demandes de logement émanant de personnes défavorisées sur certaines zones géographiques, souvent les mêmes.

Monsieur le secrétaire d’État, il ne faut pas seulement des lois pour endiguer les discriminations. Les textes sont naturellement nécessaires, mais il faut aussi une volonté. Il faut, surtout, une véritable instrumentation pour les appliquer. C’est le résultat que nous attendons de ce débat.

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la discrimination est une inégalité de traitement fondée sur un critère prohibé par la loi, comme l’origine, le sexe, le handicap, dans des domaines divers, tels l’emploi, le logement, l’éducation.

Notre législation en matière de lutte contre les discriminations a donné lieu à une multitude de textes, qui ont considérablement élargi le champ des infractions et ont tendu à en favoriser la répression. Les agissements incriminés concernent des mesures défavorables à la personne s’estimant victime de cette dérive, le plus souvent à l’occasion d’échanges économiques ou dans le travail.

Les dispositions législatives relatives à la preuve et au moyen de défense des personnes concernées ont également été conçues ou réformées pour encourager l’action des victimes.

Je tiens naturellement à saluer à cette occasion la récente nomination de Jeannette Bougrab à la tête de la HALDE et le travail accompli par son prédécesseur, Louis Schweitzer.

Comme vous le savez, cette haute autorité soutient et met en œuvre des actions de prévention des discriminations et de promotion de l’égalité avec l’ensemble des acteurs : administrations, entreprises, associations, partenaires sociaux. La saisine est directe : n’importe quel citoyen peut exercer un recours s’il se sent discriminé.

Au demeurant, madame Khiari, n’oublions pas que la loi portant création de la HALDE résulte d’une volonté commune, puisque, comme Jean-Jacques Hyest l’a souligné, elle a été votée il y a six ans, c'est-à-dire sous le gouvernement Raffarin.

Nous sommes convaincus que la remise en cause des stéréotypes et des préjugés passe par la mobilisation des acteurs œuvrant dans tous les domaines où des discriminations sont susceptibles d’apparaître. C’est pourquoi l’action de la HALDE, qui encourage ses partenaires à développer de bonnes pratiques, est particulièrement importante.

Il est du devoir de chacun, et de nous-mêmes, en tant qu’élus, de vérifier la réalité de leur mise en œuvre, que ce soit pour l’accès à l’emploi, au logement, aux biens et aux services, ou encore à l’éducation.

Ces dernières années, nombre d’initiatives ont été prises pour changer la donne. Outre celle de Sciences Po Paris, déjà évoquée, il convient d’en citer d’autres : la mobilisation de plus de 2 000 entreprises par l’Institut Montaigne, autour des engagements de sa « charte de la diversité » ; la mise en place, par des écoles de commerce, de mécanismes de tutorat pour apporter aux jeunes des quartiers défavorisés le soutien de ceux qui ont réussi ; l’instauration, dans certains lycées, de formations destinées à aider les élèves de condition modeste à intégrer les classes préparatoires ; le lancement des « cordées de la réussite », en vue d’établir davantage de passerelles entre les établissements scolaires, les grandes écoles et les universités.

Ces initiatives pleines de détermination sont encourageantes, mais c’est l’ensemble de notre société qu’il faut mettre en mouvement pour favoriser la promotion sociale.

Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous préciser les récentes mesures que le Gouvernement a engagées en matière de lutte contre les discriminations dans le domaine de l’emploi et du handicap, et la manière dont sont prises en compte les victimes de discriminations ? (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.

M. Jean-Étienne Antoinette. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si j’ai souhaité m’inscrire dans ce débat ouvert par notre collègue Bariza Khiari, c’est pour interpeller le Gouvernement sur l’état d’avancement, sur le plan législatif, de la politique en faveur de l’égalité des chances des Français d’outre-mer, laquelle n’a « émergé » que tout récemment avec la mise en place d’une délégation interministérielle qui lui est dédiée.

Dans un contexte où la notion d’identité nationale est totalement dévoyée, la situation des ultramarins apporte un éclairage particulier sur les discriminations liées aux origines ethniques ou territoriales.

En effet, les discriminations subies par nos compatriotes d’outre-mer ne peuvent être rattachées aux barrières linguistiques, culturelles, religieuses, ou de nationalité, ces problématiques auxquelles on souhaiterait réduire, parfois de façon caricaturale, l’origine des inégalités.

Nous parlons donc bien de Français de générations multiséculaires, vivant des situations en partie similaires à celles que subissent des personnes étrangères ou issues de l’immigration, et ce, très clairement, en raison de leur morphotype ou de leur région d’origine, notamment pour ce qui concerne l’accès à l’emploi, au logement, ou même aux soins. C’est un peu comme si la carte Vitale n’offrait pas les mêmes garanties sur l’ensemble du territoire français…

D’autres discriminations sont « surdéterminées » par les situations propres aux régions et collectivités d’outre-mer au regard de la métropole : ainsi, l’éloignement, les différences de niveau de vie, le coût de la mobilité, la fracture numérique, les difficultés d’accès aux études supérieures créent des inégalités bien insuffisamment corrigées par les politiques publiques.

En 2007, seuls 18 % des étudiants boursiers guyanais avaient accès à un logement du CROUS, le centre régional des œuvres universitaires et scolaires. L’an dernier, les bons de passage, qui permettent d’attribuer des billets d’avion à ces étudiants, étaient brutalement supprimés, sans préparation des familles concernées et sans une mise en place, au préalable, des nouveaux dispositifs d’aide à la mobilité ou de continuité territoriale, lesquels sont d’ailleurs loin de bénéficier à toutes les personnes concernées.

Par ailleurs, certaines de ces discriminations sont légales. Elles résultent du fonctionnement même des institutions et des organisations de la République : elles découlent de l’application de principes structurels, réputés égalitaires, mais de fait discriminants.

En effet, ces derniers ne tiennent pas compte des réalités ou des handicaps de départ de certains. Il en est ainsi des modalités de sélection pour l’entrée dans les écoles d’excellence, des procédures d’accès et de déroulement des concours, y compris dans la fonction publique, de certaines réglementations défavorables à une réelle égalité des chances dans l’accès aux différentes ressources nationales, à l’instar des dispositifs inapplicables outre-mer ou tardivement adaptés à cette partie du territoire français.

Depuis deux ou trois ans, de telles réalités sont reconnues par les pouvoirs publics.

Il faut saluer, à ce titre, le travail de la délégation interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer. Elle a permis de mettre en évidence la multiplicité des inégalités et des discriminations qui se conjuguent dans le parcours des ultramarins, depuis leur territoire d’origine jusque dans leur vie quotidienne en métropole.

En 2009, la mission commune d’information du Sénat sur la situation des départements d’outre-mer et les états généraux de l’outre-mer ont également porté un éclairage important dans plusieurs domaines.

Cependant, au-delà des constats, une analyse plus attentive montre que les dispositifs récemment mis en place ou les mesures annoncées par le Président de la République lors du conseil interministériel de l’outre-mer, le CIOM, qui s’est tenu au mois de novembre dernier, ressemblent plus à des tentatives éparses de limiter, ici et là, les effets les plus grossiers de telles discriminations ou les injustices systémiques les plus flagrantes, qu’à l’élaboration d’une réelle politique volontariste visant à corriger celles-ci à la base.

Par exemple, l’interdiction du refus d’une caution au motif que celle-ci réside outre-mer constitue une avancée juridique importante ; mais quelle en est l’efficacité réelle lorsque les freins à l’accès au logement sont ailleurs et que les discriminations fondées sur l’origine se poursuivent de façon détournée ? Dans le domaine du logement, toujours, qu’attendre de la possibilité offerte à un ultramarin s’apprêtant à déménager de déposer un dossier depuis sa région d’origine lorsque le fichage des origines ethno-raciales ou territoriales constitue l’outil même de la discrimination pour les bailleurs ?

En outre, nombre de dispositifs, au demeurant intéressants, relèvent de partenariats, de conventions et autres chartes de la diversité, telles que la convention signée entre le Centre national des œuvres universitaires et scolaires, le CNOUS, et les diverses régions et collectivités prises séparément, ou les chartes signées par un collectif de grandes entreprises, trois compagnies aériennes et quelques grandes écoles. Tous ces engagements, pris sur les bases de la bonne volonté des uns ou des autres, apparaissent comme de « beaux gestes » là où il faudrait l’affirmation du droit.

On met en place, sous des formes non coercitives, sans attribuer de moyens supplémentaires pour sanctionner les délits, des démarches qui laissent en l’état les structures de la société et ne changent rien au fonctionnement même des institutions, pourtant censées garantir l’égalité.

C’est pourquoi aujourd’hui, sans méconnaître l’intérêt des actions menées tous azimuts par la délégation interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, j’estime vital pour le pacte républicain que le droit prenne – ou reprenne –toute sa place dans la lutte contre les discriminations, qu’elles soient directes ou indirectes.

On sait combien il est difficile de prouver une discrimination directe, même lorsque l’affaire est portée par une association reconnue. On sait aussi à quel point les parquets peinent à caractériser les faits de discrimination, tant il est facile pour leurs auteurs de biaiser.

Monsieur le secrétaire d'État, ma question sera double.

D'une part, dans le cadre du processus d’égalisation des chances pour les ultramarins, quand passera-t-on du stade des conventions, des chartes et autres gestes « charitables » à un réel renouvellement des politiques publiques et du fonctionnement des organisations en matière d’éducation, de logement, de déroulement de carrière, de continuité territoriale, de diffusion culturelle ?

D'autre part, concernant les discriminations directes, quels moyens supplémentaires le Gouvernement compte-t-il donner non seulement aux instances compétentes, telles la HALDE, mais aussi et surtout aux parquets, pour faire évoluer la prise en charge des dossiers des plaignants, afin que la loi garantisse enfin véritablement le respect du pacte républicain ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.

M. Martial Bourquin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier sincèrement ma collègue Bariza Khiari d’avoir une fois de plus remis l’ouvrage sur le métier en interpellant notre assemblée sur la lutte contre les discriminations.

En la matière, les piqûres de rappel sont sans cesse nécessaires, et ce pour une double raison : d’une part, comme les intervenants l’ont rappelé, l’exclusion prend des formes à la fois variées et changeantes ; d’autre part, l’égalité, pourtant inscrite au fronton de nos mairies, n’est pas naturelle.

L’égalité est le fruit d’un travail quotidien, difficile, toujours enthousiasmant, jamais satisfaisant, surtout lorsque des discours politiques – pour certains tout à fait respectables en apparence – s’appliquent à dresser différentes catégories de population les unes contre les autres, en espérant en tirer un quelconque avantage électoral.

Comme mes collègues, je dois dire que j’ai été profondément choqué par le débat sur l’identité nationale lancé par le Gouvernement sur l’initiative de M. Besson. En quelques mois, sous prétexte de libérer les paroles, j’ai vu des actions pour l’égalité, réalisées dans la discrétion par des travailleurs sociaux, des militants associatifs, des élus, des pères et des mères, subitement et considérablement mises à mal. C’est un véritable gâchis !

Comment le Gouvernement pouvait-il ignorer que, compte tenu de l’ampleur de la crise économique et sociale actuelle, un tel débat ne ferait qu’attiser des réflexes bien connus de peur et de rejet de l’autre et qu’exacerber le sentiment d’injustice ainsi que la tendance à l’autodiscrimination ? Je ne comprends toujours pas qu’il ait pris la responsabilité de mettre de l’huile sur le feu, de jouer à l’apprenti sorcier dans un contexte humain, économique et social que nul n’est vraiment capable de maîtriser.

Selon moi, le Gouvernement a présumé de ses forces, alors même que l’histoire regorge de nombreux exemples ayant démontré le lien connexe entre crise économique, désespoir social et rejet de l’autre.

Le cocktail associant désindustrialisation massive, exclusion, précarité et débat sur l’identité nationale a abouti à ce que, aux dernières élections régionales, le Front national réapparaisse, fortement même dans certains quartiers, devançant parfois la majorité présidentielle actuelle.

Au regard des multiples discriminations constatées ou, pis encore, de l’ampleur prise par le sentiment de ne plus faire partie de la communauté nationale, nous avons connu une année décidément très noire. Les signaux d’alerte sont en effet très inquiétants.

Les dimanches 14 et 21 mars derniers, 70 % des habitants des quartiers dits « difficiles » – 80 % au premier tour – ne se sont pas déplacés pour voter.

Issues de la France « visible », comme de la France « de souche » chère à M. Longuet, ces populations ont exprimé par un silence assourdissant un message d’une violence rare. En agissant ainsi et aussi massivement, elles se sont volontairement placées hors de la République, hors de la communauté nationale et hors de la société, en actant, d’une certaine façon, le fait que cette société ne voulait pas d’elles.

À tous ces habitants, que je côtoie souvent du fait de mes responsabilités de maire d’une commune de 15 000 habitants comportant plusieurs quartiers sensibles, et en particulier aux plus jeunes, j’aimerais pouvoir dire ces mots d’André Gide : « Il y a d’admirables possibilités dans chaque être. Persuade-toi de ta force et de ta jeunesse. Sache te redire sans cesse : “Il ne tient qu’à moi”. »

Mais je ne veux pas leur mentir. La plupart des jeunes gens qui viennent souvent en mairie demander de l’aide ont tout fait, parfois tout au long de leur existence, pour s’intégrer au mieux dans la société : ils ont suivi des études, de multiples formations ; ils ont pris des responsabilités au sein de la vie associative et culturelle, et s’y sont intégrés en faisant montre d’un comportement exemplaire. Ils veulent de toutes leurs forces accéder à une vie normale et paisible, payer des impôts, tout simplement, ou accéder à un premier emploi. Ces choses, toutes simples pour nous, représentent un véritable chemin de croix pour eux !

Bien sûr, les médias trouvent toujours des exemples qui montrent la belle réussite de telle ou telle personne originaire d’un quartier difficile. Mais parce que ceux-là restent exceptionnels, ils renvoient les autres jeunes à leurs propres échecs, en les rendant responsables de tout.

Des initiatives ont été proposées. Bariza Khiari et d’autres orateurs ont fait référence au CV anonyme, qui peut lever des barrières. Faut-il généraliser cette formule ? Voilà une véritable question, que nous devons mettre au cœur de nos débats.

Cependant, le moyen le plus efficace pour briser de telles barrières est, me semble-t-il, de proposer un travail aux jeunes, très vite. Il faut intervenir massivement dans les quartiers. Il s’agit non pas de « travailler plus pour gagner plus », mais tout simplement de travailler, juste de travailler. Obtenir ce fameux premier emploi, c’est avoir la possibilité de se stabiliser, de rebondir et, parfois, de commencer une vie normale, comme chacune et chacun d’entre nous.

À mon sens, le dispositif des zones franches urbaines est trop peu efficace pour créer la dynamique nécessaire. En fait, il crée plutôt des effets d’aubaine.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. C’est vrai !

M. Martial Bourquin. Chez moi, j’ai pu constater les effets néfastes du « déménagement fiscal » des professions libérales qui, s’implantant dans les zones franches, désertent les centres-villes. Les personnes concernées empochent l’argent de la défiscalisation, se regroupent et, parfois, suppriment des emplois.

Les contreparties de ces zones franches en termes d’emplois sont très faibles, trop faibles, et les contrôles pour redresser la barre souvent anecdotiques.

Bien entendu, je ne jette pas la pierre à ces professionnels : ils profitent simplement du dispositif législatif en vigueur, et, après tout, c’est humain. Mais je pense que la loi devrait être beaucoup plus restrictive, afin d’empêcher tous ces déménagements des centres-villes.

Par ailleurs, un jeune qui n’a pas de travail et qui voit une entreprise s’installer dans son quartier uniquement pour bénéficier de la défiscalisation, parfois pour plusieurs centaines de milliers d’euros, le ressent comme un véritable affront.

Pour ma part, et je le souligne sans a priori partisan, j’ai soutenu la politique des emplois-jeunes dans ma ville de 15 000 habitants. Sur les 35 que j’ai créés, 95 % ont débouché sur des contrats à durée indéterminée, dans les professions libérales, le bâtiment ou la fonction publique territoriale. Cela a été une véritable réussite. Pourquoi ? Parce que les jeunes concernés ont pu travailler pendant cinq ans, être rémunérés au SMIC, tout en bénéficiant de formations multiples et approfondies.

Monsieur le secrétaire d’État, si l’appellation « emplois-jeunes » vous pose un problème idéologique, changez-la ! Mais, je vous en conjure, agissez, car la situation dans les quartiers s’apparente à une bombe à retardement ! (M. Jacky Le Menn acquiesce.) S’il n’y a pas d’action forte et massive, nous le paierons assurément très cher !

Cela a été rappelé tout à l’heure, il faut sauvegarder la présence de l’État et des services publics dans les quartiers en difficulté, tout comme dans les territoires ruraux, d’ailleurs. Pour ne prendre qu’un exemple, La Poste vient de m’annoncer que le bureau de ma commune serait ouvert non plus cinq jours, mais quatre. Dans quelques mois, je le sais, on me proposera que ses missions soient prises en charge par une agence communale… Tout cela n’est pas de bon augure.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je conclurai par deux citations. L’abbé Pierre avait coutume de dire : « On ne peut pas, sous prétexte qu’il est impossible de tout faire en un jour, ne rien faire du tout. » Et selon un proverbe asiatique : « Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour. Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours. »

M. Jean-François Humbert. C’est un précepte taoïste !

M. Martial Bourquin. La lutte contre les discriminations, c’est la lutte pour la dignité humaine. Donnons une chance à ces jeunes, femmes ou hommes, qui veulent tout simplement vivre comme tout le monde ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame Khiari, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser mon collègue Éric Besson, retenu au conseil des ministres qui se tient exceptionnellement cet après-midi, où il doit d’ailleurs – vous l’avez vous-même souligné – présenter un projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.

Madame Khiari, j’apporterai tout d’abord quelques éléments de réponse à votre intervention. Puis, à défaut de pouvoir reprendre la totalité de ce qu’ont dit les différents orateurs, dont les interventions étaient d’ailleurs fort intéressantes, je centrerai mon propos sur un certain nombre de points, en m’efforçant de répondre au mieux.

À titre personnel, je me sens particulièrement concerné par le débat d’aujourd'hui. Comme cela a été rappelé tout à l’heure, je suis maire de Mulhouse. Depuis plus de vingt ans, j’y mène, soutenu par l’équipe municipale, un travail approfondi en matière de lutte contre les discriminations, avec pour partenaires les gouvernements successifs, quelle que soit leur sensibilité politique, les acteurs associatifs et le monde économique.

C’est donc un sujet sur lequel je ne puis m’exprimer qu’avec humilité, car je sais à quel point la question est difficile.

Pour autant, et je partage ce point de vue avec vous tous, la lutte contre les discriminations, notamment celles que nous évoquons aujourd'hui – ce ne sont pas les seules, loin s’en faut –, est un domaine sur lequel il nous faut continuer à progresser, à un rythme encore plus soutenu. C’est une exigence !

Mais je sais également que les discriminations contribuent à l’esprit de victimisation et ne favorisent pas l’intégration : les personnes concernées finissent par baisser les bras ou par ne percevoir que les aspects les plus négatifs de la société. Nous tous, ici, qui sommes en contact avec elles, savons combien il est important, pour les aider, d’agir sur tous les leviers et de ne pas laisser se développer un tel sentiment de victimisation.

Cela étant, il faut bien le reconnaître, nous sommes tous amenés à rencontrer des personnes qui, malgré leurs efforts, doivent affronter de multiples obstacles. Nous avons donc du pain sur la planche !

Madame Khiari, de votre intervention, je retiendrai vos propositions concrètes plutôt que vos critiques, par trop systématiques, voire parfois un peu caricaturales. Je dis cela avec un esprit de nuance, car je n’ai aucunement l’intention de fustiger vos propos, préférant, ainsi que nous le souhaitons tous, analyser la question de manière approfondie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord vous assurer du profond engagement du Gouvernement en faveur de la lutte contre les discriminations.

Je suis convaincu comme vous que la République se doit de garantir la plus grande justice pour tous, notamment pour les personnes en butte à de grandes difficultés. L’acceptation des différences qui traversent notre société est une belle occasion pour elle de devenir plus forte, parce que plus humaine, plus efficace, plus juste.

Nous sommes tous égaux, mais nous sommes aussi tous porteurs ou héritiers de différences. La volonté de notre peuple, c’est de faire preuve de la plus grande intransigeance à l’égard des discriminations. Et, je l’ai bien compris en vous écoutant, c’est également celle de ses représentants.

D’ailleurs, la lutte pour l’égalité des chances est l’un des engagements forts du Président de la République. Dans son discours de Palaiseau, il a repris cette citation de Clemenceau : « La République n’est rien qu’un instrument d’émancipation, un instrument d’évolution par l’éducation de tous. »

Certains d’entre vous l’ont souligné, les discriminations ne concernent pas seulement les jeunes issus de l’immigration. Le genre, l’âge, le handicap, l’apparence physique et l’orientation sexuelle, politique ou confessionnelle sont aussi prétextes à discriminations. J’y reviendrai dans quelques instants.

La HALDE, dont nous avons tous souhaité la création, a été installée voilà cinq ans, conformément à la loi adoptée en 2004. Cette institution offre un véritable recours. Je peux moi aussi témoigner du travail effectué par les délégués locaux, qui prennent leur rôle très à cœur et font connaître la Haute Autorité.

À cet égard, je souhaite saluer très chaleureusement l’arrivée de Jeannette Bougrab à la présidence de l’institution. Beaucoup connaissent son expérience, son talent et son engagement. Ayant eu l’occasion de travailler avec elle pendant toute la période où je siégeais au Haut Conseil à l’intégration, aux côtés notamment de Blandine Kriegel, j’ai pu apprécier ses qualités, sa motivation et sa compétence. Je suis persuadé qu’elle fera un excellent travail.

Madame la sénatrice, les discriminations que vous avez mentionnées concernent essentiellement l’origine des personnes. Je concentrerai donc ma réponse sur ce point.

En la matière, le Gouvernement agit. Ainsi, le Comité interministériel à l’égalité des chances, qui s’est tenu le 23 novembre 2009, a réuni l’ensemble des ministères concernés, sous l’autorité du Premier ministre, autour de différentes thématiques, notamment celles, comme l’emploi, sur lesquelles vous et tous vos collègues avez fortement insisté.

L’emploi est en effet un sujet essentiel, particulièrement dans le contexte difficile que nous traversons aujourd'hui. C’est dans ce cadre que l’outil le plus important, en tout cas le plus emblématique, a été mis en place. Je veux parler du label « diversité », initié par le ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, avec l’appui des ministères chargés du travail et de l’emploi.

Le dispositif est opérationnel depuis presque un an maintenant. Il concerne tous les employeurs, publics et privés, qui doivent justifier de critères objectifs de recrutement et de gestion des carrières. Les entreprises se fixent ainsi un objectif.

Il repose, certes, sur le volontariat. Mais vous n’ignorez pas la force que peuvent avoir les labels lorsqu’ils sont connus. Les gens prennent alors conscience de ce qu’ils représentent et font la différence entre les structures labellisées et celles qui ne le sont pas.

Je sais bien que l’idée d’un label peut faire sourire au début. Toutefois, je commence à avoir un peu d’expérience de la vie publique, et j’ai vu des labels, peu connus au départ, voire empreints d’un certain mystère, monter en puissance et s’imposer dans l’opinion publique. Et celle-ci finit souvent par s’interroger sur les entreprises qui ne remplissent pas les conditions pour s’y référer…

D’ailleurs, la mise en œuvre du dispositif a très bien démarré. En quelques mois, près d’une centaine d’entreprises sont déjà labellisées, et plus de 500 000 salariés concernés. Et ce n’est qu’un début !

Vous avez également abordé l’importante question du CV anonyme, qui avait d’ailleurs fait débat en son temps.

De notre point de vue, un tel outil peut se révéler efficace dans la lutte contre les discriminations à l’embauche. C’est pourquoi le Gouvernement a souhaité accompagner et soutenir les entreprises qui l’expérimentent en interne. Nous nous sommes engagés, avec les différents ministères concernés, le commissaire à la diversité et à l’égalité des chances, Pôle Emploi et un certain nombre de cabinets de recrutement dans une expérimentation à grande échelle, afin d’évaluer les effets de cette méthode.

Je le répète, un tel instrument fait débat dans notre société et peut constituer – c’est, en tout cas, mon avis – un levier utile. Il est donc important d’examiner comment cela fonctionne concrètement.

Rien ne remplace une expérimentation à la bonne échelle. En l’occurrence, sept départements sont concernés, avec un nombre important d’entreprises. Les résultats de cette expérimentation, qui s’achèvera au mois d’avril, seront connus d’ici au mois de juin. Cela nous permettra de nous prononcer clairement, de manière étayée, sur les suites à donner au projet de décret, et ce, bien sûr, après concertation avec les partenaires sociaux.

L’action en faveur de la diversité s’appuie également sur un partenariat renforcé avec nombre de structures associatives et de chambres consulaires, qui œuvrent, avec notre soutien, pour lutter contre les discriminations dans l’entreprise. Elles proposent ainsi aux entreprises des diagnostics sur la gestion de la diversité, une aide à la formalisation des plans d’action et à la mise en place d’indicateurs de progrès, en insistant notamment sur la question de l’accès à l’apprentissage.

Pour ma part, j’ai connu des périodes où la situation de l’emploi n’était pas aussi difficile qu’aujourd'hui et où les entreprises cherchaient désespérément du personnel ; d’ailleurs, c’est toujours le cas dans certains secteurs particuliers. Pourtant, même dans ce contexte, la discrimination fonctionnait à plein, encouragée par des sentiments qui, d’ailleurs, à l’instar de la peur ou de l’ignorance, ne sont pas tous « insurmontables ».

Force est de constater que toutes ces initiatives créent la rencontre et permettent aux professionnels de surmonter leur peur d’innover et de prendre des risques. Je pourrais citer de multiples témoignages de chefs d’entreprise et d’artisans reconnaissant que les jeunes des quartiers dits difficiles sont formidables, voire plus motivés que les autres.

À partir du moment où le déclic se fait, des résultats positifs sont enregistrés. Quelqu’un l’a rappelé tout à l’heure, c’est l’une des forces de notre pays depuis plusieurs générations, mais encore faut-il une démarche volontariste. Tel est le sens de ces partenariats au sujet desquels il y aurait beaucoup à dire.

Plusieurs conventions ont été passées avec les secteurs professionnels pour amplifier le mouvement. Malgré la crise, diverses branches professionnelles, comme l’hôtellerie, la restauration, l’informatique, les mutuelles, les assurances, cherchent encore à recruter du personnel. Certaines entreprises donnent l’exemple : elles sont déjà mobilisées pour se porter candidates au label « diversité », et le font savoir ; elles s’en servent pour promouvoir leur image de marque auprès du public.

Après tout, la clientèle est à l’image de la population française d’aujourd'hui : diverse ! Parfois, un intérêt bien compris vient donc appuyer une démarche volontariste et éthique. À cet égard, les branches professionnelles ou les entreprises leaders dans leur secteur peuvent jouer un rôle utile de catalyseurs.

Par ailleurs, des accords ont été conclus avec de nombreuses structures, notamment associatives, qui, grâce à un travail remarquable, facilitent l’accès à l’emploi des jeunes diplômés. Nous connaissons tous sur le terrain, dans nos villes, des exemples de démarches engagées par ce biais.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous explorons également d’autres pistes pour favoriser la promotion des diversités, dans le respect du principe qui régit notre contrat social, car, vous le savez, la France ne reconnaît pas de communauté autre que la communauté nationale. La diversité, dans ces conditions, c’est d’abord une question de femmes et d’hommes, de parcours individuels ou d’expériences. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas agir.

Je veux dire un mot du Prix de l’intégration, alloué par un jury national. Il distingue des personnes exemplaires et a le mérite de montrer qu’il se trouve également, en dehors des grands sportifs ou des artistes, dans la diversité des métiers, des individus qui méritent d’être érigés en modèle en raison de leur remarquable parcours. Ces lauréats peuvent susciter un engouement et des vocations.

Par ailleurs, la création d’une allocation financière « Parcours de réussite professionnelle », attribuée aux étudiants issus de l’immigration les plus méritants, permet d’encourager et d’accompagner ces derniers dans leurs cursus scolaire et universitaire.

D’aucuns ne manqueront pas de me demander : quid de tous les autres ? Certes, mais l’octroi de ce type d’allocation a pour objet de valoriser un parcours scolaire remarquable afin d’en faire un exemple et de lutter contre le découragement toujours susceptible de se développer ici ou là.

Le défaut de maîtrise du français, question extrêmement concrète, mais trop peu évoquée, est un autre facteur de discrimination. Évidemment, ce volet ne concerne pas le jeune public, qui sort du système scolaire en maîtrisant notre langue comme tout un chacun. Il n’en demeure pas moins que cela complique l’accès à l’emploi et, plus largement, au quotidien, l’accès aux soins, la participation à la vie sociale et à la démocratie, bref tout ce qui constitue les fondements du vivre-ensemble.

Pour lutter contre ce problème réel, un certain nombre de mesures existent, amplifiées pour les primo-arrivants. Des efforts importants sont consentis, notamment grâce à la loi du 20 novembre 2007, qui prévoit un dispositif d’évaluation et de formation des conjoints de Français et des bénéficiaires d’un regroupement familial dans leur pays d’origine relatif à la connaissance de la langue française et aux valeurs de la République.

Par ailleurs, l’Office français de l’immigration et de l’intégration a repris, en juillet 2009, l’ensemble des formations linguistiques précédemment financées par l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances en faveur, notamment, des personnes étrangères déjà installées sur le territoire français et désireuses d’acquérir une meilleure connaissance de notre langue, y compris pour accéder à l’emploi.

De surcroît, le soutien aux enfants non-francophones accueillis à l’école a été renforcé. Dans ma ville, j’avais créé une école spécialisée pour les élèves primo-arrivants, où se côtoyaient aussi bien des enfants de cadres supérieurs venus d’Écosse que des enfants originaires d’Anatolie. Cette démarche s’est révélée très positive pendant des années. Tout cela a donc un sens.

Aujourd'hui, le dispositif a évolué, sous le nom de « classes d’initiation dans les écoles », dans lesquelles est dispensé un enseignement intensif du français en petits groupes, en fonction du niveau scolaire.

Nous faisons également des efforts en matière d’exercice de la parentalité, sujet ô combien sensible et important, au travers de l’opération « Ouvrir l’école aux parents ». La difficulté qu’éprouvent certains parents à bien comprendre le système scolaire, pour des raisons linguistiques, est souvent un handicap et un facteur de discrimination. Nous connaissons tous ce phénomène dans nos villes et dans nos villages.

Une telle opération a pour ambition de les aider à surmonter cette appréhension, qui constitue un frein à l’intégration. Reposant sur le volontariat des parents, du reste souvent demandeurs, elle permet à la fois de faciliter l’acquisition de la langue française par un enseignement complémentaire, d’offrir une meilleure compréhension des principes et des valeurs de la République, de mieux faire connaître l’institution scolaire ainsi que les modalités d’exercice de la parentalité.

Il existe aussi nombre d’actions pour favoriser l’accès au droit, notamment l’interprétariat ou la traduction de documents administratifs.

Madame Khiari, vous avez en outre évoqué, comme plusieurs de vos collègues, la question de l’accompagnement des immigrés âgés.

Il s’agit d’une population spécifique, bien connue et fréquemment implantée dans nos villes. À Mulhouse, je suis moi-même en contact avec elle, qu’elle vive ou non en foyers.

Vous l’avez souligné, plusieurs dizaines de milliers de travailleurs âgés, essentiellement maghrébins, habitent dans ces foyers, souvent dans des conditions de grande solitude, sans toujours savoir faire valoir leurs droits.

Nous sommes en train d’apporter plusieurs réponses à ce problème. Ainsi, le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants vise à transformer progressivement ces habitations en résidences sociales. Je me trouve personnellement confronté à un projet de ce type, et ce n’est pas simple. Toute transformation, même pour aller vers un mieux, est d’abord vécue comme une déstabilisation par ces personnes qui vivent dans des conditions relativement précaires. Il est néanmoins nécessaire d’en passer par là, puisqu’il s’agit souvent de bâtiments qui, n’étant plus aux normes, deviennent extrêmement dangereux.

Le dispositif a déjà permis la réfection de 212 foyers, pour un coût total légèrement supérieur à un milliard d’euros, ce qui n’est pas une petite somme.

Le Gouvernement souhaite que ces travaux soient complétés par des mesures sociales, afin de permettre aux personnes concernées d’accéder à l’ensemble des droits et prestations, y compris en termes de soins.

Au-delà des résidents des foyers, de nombreux étrangers âgés issus des premières vagues de l’immigration et vivant eux aussi dans un habitat de mauvaise qualité – hôtels meublés, logements dans des quartiers anciens dégradés – demeurent isolés, sans perspective et souvent sans intention de retour vers leur pays d’origine. Des veuves se retrouvent sans attaches et dans des conditions matérielles difficiles. Aussi, la mise en place d’un certain nombre d’outils de socialisation et de lieux de vie permet d’entretenir entre ces personnes âgées un lien nécessaire.

En dehors des mesures que je viens d’évoquer pour lutter contre l’habitat dégradé, se pose la question de la mise en œuvre de la loi DALO. C’est un point sur lequel nous travaillons.

Madame Khiari, je l’ai dit, si certains de vos propos étaient justes, d’autres étaient quelque peu caricaturaux. Je prendrai un exemple : nombre de ces personnes, qui suivent des soins en France, ne souhaitent pas retourner dans leur pays d’origine. Un décret récent permet aux bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées de séjourner jusqu’à six mois par an hors de France sans en perdre le bénéfice. On peut toujours faire mieux, mais reconnaissez tout de même qu’il s’agit d’un progrès !

Quand à l’article 58 de la loi DALO, qui visait à apporter une aide financière annuelle, il se heurte, c’est vrai, à un certain nombre de difficultés d’application que nous nous attachons à résoudre. Je pense, en particulier, aux éventuels effets d’extension de la mesure, dans le cadre de la législation européenne, à d’autres types d’allocations. Nous nous efforçons encore, à l’heure actuelle, d’avancer sur ce point.

Mesdames, messieurs les sénateurs, après avoir répondu plus spécifiquement à Mme Khiari, j’en viens maintenant aux autres interventions.

Madame Dini, le Gouvernement s’engage pleinement, comme je l’ai indiqué, à promouvoir le label « diversité ». Vous l’avez rappelé à juste titre, l’emploi est le lieu d’une plus juste reconnaissance des compétences. L’entreprise comme la fonction publique doivent être le creuset du brassage et de la rencontre de toutes les différences.

Cette réponse vaut également pour M. Hyest, qui a évoqué la fonction publique territoriale. Je pourrais donner de multiples témoignages allant dans son sens. Pour peu que les collectivités fassent preuve de volontarisme, elles pourraient être un outil puissant d’intégration professionnelle et de prise de responsabilités.

M. Jean-Jacques Hyest. Je suis d’accord !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Cela fait longtemps maintenant que l’on voit des jeunes issus de l’immigration occuper, dans la fonction publique, des emplois de catégorie C et quelques-uns de catégorie B. Mais, aujourd'hui, ils sont de plus en plus nombreux à arriver aux responsabilités, une fois leur concours réussi, soit d’emblée, soit à la suite d’une période contractuelle, après avoir été encouragés à se présenter une fois, deux fois, trois fois, si nécessaire : si ce sont majoritairement des femmes, les hommes s’y mettent également ; là aussi, les choses sont en train de changer !

Je le dis au nom du Gouvernement : tous les employeurs, y compris dans le secteur public, doivent se sentir concernés par cette démarche. Vous avez bien fait, monsieur Hyest, de le souligner.

Mme Laborde s’est exprimée sur la HALDE, en émettant un certain nombre de critiques. Si, par principe, il faut toujours être exigeant, n’oublions tout de même pas le travail accompli par cette institution au cours des cinq dernières années. L’Association des grandes villes de France a été, à l’époque où je la présidais, la première association d’élus à signer une convention avec elle, pour démultiplier les actions sur le terrain, y compris pour balayer devant nos portes ! Personne ne doit avoir peur du travail de la HALDE, bien au contraire : à nous de jouer le jeu !

Madame Assassi, vous avez évoqué le véritable labyrinthe bureaucratique que doivent parcourir ceux qui souhaitent accéder à la nationalité française. Je souhaite vous faire part de quelques chiffres que vous connaissez déjà, mais je nuancerai mon propos, car je ne peux pas vous donner entièrement tort. En 2009, plus de 108 000 individus sont devenus Français par naturalisation, auxquels s’ajoutent 30 000 jeunes au titre du droit du sol. Nous sommes le premier pays d’Europe en matière d’accès à la citoyenneté. C’est une tradition française, et elle fonctionne.

Je reconnais toutefois qu’un certain nombre de difficultés administratives se posent ici ou là.

M. Jean-Jacques Hyest. C’est vrai !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. J’ai eu l’occasion d’évoquer cette question la semaine dernière lors d’un débat à l’Assemblée nationale. En tant qu’élu local, je suis également souvent interpellé pour faciliter un certain nombre de formalités.

Dans ce domaine, je défends l’idée selon laquelle nous devons nous fixer un certain nombre de critères, afin que les procédures se déroulent de manière sérieuse, car nous ne pouvons pas nous orienter vers des acquisitions automatiques de la nationalité française : cela n’aurait pas de sens.

Il suffit d’ailleurs d’observer la fierté des personnes qui ont rempli les conditions lors de la cérémonie d’accueil dans la citoyenneté française, célébrée en présence du sous-préfet en uniforme et du maire ceint de son écharpe. Cette pratique n’existait pas autrefois, elle résulte d’ailleurs d’une suggestion du Haut Conseil à l’intégration, qui a été reprise dans la loi. Ces cérémonies ont une vertu formidable, car les nouveaux citoyens ont le sentiment de voir récompensés un certain nombre d’efforts. (M. Yvon Collin approuve.) En revanche, je partage votre point de vue, madame Assassi, certains obstacles administratifs doivent toujours être surmontés.

Pour faire suite aux remarques de M. Charles Gautier, si nous ne pouvons pas nier que des progrès restent à réaliser dans le domaine des professions fermées aux étrangers, il faut tout de même relativiser ces critiques, dès lors que l’accès à la nationalité française est assez aisé. Certes, il est des cas particuliers où se posent des difficultés – nous en avons tous connu –, mais, en général, les personnes motivées peuvent les surmonter. À mon sens, la condition de nationalité reste donc justifiée pour l’accès à certaines professions et elle ne doit pas être jetée aux orties.

Monsieur Hyest, j’ai déjà répondu en partie à votre excellente intervention : vous avez rappelé un certain nombre d’exemples positifs, qui constituent de bons moteurs. Vous avez également souligné, à juste titre – cela ne nous étonne pas de la part du fin juriste que vous êtes ! –, le rôle essentiel que doit jouer la justice lorsque des discriminations sont avérées. Il faut parfois que le couperet tombe pour faire savoir que tout excès est susceptible d’être sanctionné.

M. Claude Jeannerot a évoqué avec raison la question, très importante aux yeux du Gouvernement, de la mixité sociale dans le logement. Pour autant, nul ne peut ignorer les difficultés techniques qui en freinent la mise en œuvre, surtout en situation de forte tension dans le logement social, comme c’est le cas en Île-de-France, qu’il a citée, mais également dans d’autres régions.

Monsieur Fouché, je crois, comme vous, en la mobilisation de tous. Vous interrogez le Gouvernement sur les mesures récentes en faveur des victimes de discriminations à raison du handicap dans le domaine de l’emploi. Je tiens à vous préciser que les dispositions réprimant les discriminations s’appliquent également en faveur des personnes handicapées, ainsi que des seniors.

S’agissant spécifiquement des personnes handicapées, l’Observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle a été installé, vous le savez, le 11 février dernier. Il a pour mission d’assurer le suivi des progrès en matière d’accessibilité, de mettre en évidence les difficultés, de centraliser les bonnes pratiques, d’informer sur les normes d’accessibilité, et permettra une meilleure mise en œuvre de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Votre collègue Sylvie Desmarescaux siège d’ailleurs au sein de cette instance, aux côtés de représentants d’associations de personnes handicapées ou à mobilité réduite.

Notre pays a fait de réels progrès dans un certain nombre de domaines, mais il reste bien du chemin à parcourir. Je pense notamment au secteur des transports ferroviaires et des transports publics urbains, ou à la scolarisation des enfants. Depuis l’adoption de la loi de 2005, le nombre d’enfants handicapés scolarisés a augmenté de 20 %, pour atteindre 180 000 aujourd’hui. Beaucoup a été fait également en matière d’information audiovisuelle en faveur des déficients auditifs.

L’essentiel de notre échange portait sur les discriminations liées à l’origine, mais il m’a paru bon d’aborder également la question du handicap dans notre débat.

Monsieur Antoinette, vous avez évoqué les discriminations dont sont victimes nos compatriotes ultramarins et vous avez en même temps reconnu, avec objectivité, qu’un certain nombre de mesures positives avaient été mises en œuvre. Toutefois, celles-ci ne sont pas suffisantes et de réelles difficultés subsistent, notamment des discriminations directes parfois difficiles à prouver ; tout ce que vous avez dit à ce sujet est vrai.

J’interviens dans ce débat au nom du Gouvernement, mais je n’oublie pas ma casquette de secrétaire d’État à la justice. À ce titre, je peux vous dire avec force que, chaque fois qu’un parquet est saisi, il diligente une enquête minutieuse et que nous portons évidemment une attention particulière à ces questions. Cependant, il n’est pas mauvais qu’une intervention comme la vôtre, sur ce sujet important, nous donne une piqûre de rappel. Je vous remercie donc de votre propos.

Monsieur Bourquin, je ne reviendrai pas sur l’ensemble de votre plaidoyer, que j’ai trouvé fort sincère et intéressant. Vous avez évoqué in fine la question des zones franches et de leurs effets pervers. À titre personnel, je ne peux pas vous donner tort, car je connais bien la question.

Le jugement global que je porte sur les zones franches est positif, parce qu’elles ont permis, depuis une quinzaine d’années, une réelle transformation, une amélioration économique, surtout quand on évalue le nombre d’emplois qui n’auraient pas été créés en leur absence. En la matière, chacun connaît son propre exemple ! Malgré tout, je ne peux pas nier l’existence de réels effets pervers, qui persistent encore aujourd’hui, alors que le but premier était de favoriser, notamment, l’embauche de jeunes issus des quartiers à proximité desquels sont situées ces nouvelles zones économiques. Vous avez eu raison de le rappeler.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je reconnais avoir été un peu long dans mon propos, mais vos interventions étaient très riches, et j’ai souhaité, en apportant les réponses les plus complètes possible, montrer toute l’importance que le Gouvernement accorde à ce débat.

Sur toutes ces questions, le Gouvernement, avec le soutien de la majorité, a fait preuve d’une grande sensibilité. Nous ne sommes pas dans une situation où les uns pourraient faire la leçon aux autres, car nous partageons les mêmes valeurs républicaines et la même conviction : il faut combattre les discriminations, car la diversité française est une force, à condition de poursuivre le travail déjà entamé !

Le Gouvernement de la République, grâce à un certain nombre de mesures qu’il a engagées et amplifiées, a accompli d’ores et déjà un chemin important : il entend bien le poursuivre, dans l’esprit que je viens de rappeler. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

6

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 1er avril 2010 :

À neuf heures trente :

1. Débat sur les conséquences de la sécheresse de 2003.

À quatorze heures trente :

2. Question orale avec débat n° 55 de M. Jean-Claude Danglot à M. le ministre chargé de l’industrie sur l’avenir de l’industrie du raffinage en France.

« M. Jean-Claude Danglot attire l’attention de M. le ministre chargé de l’industrie sur l’avenir du raffinage en France et sur la nécessité de maintenir cette activité industrielle dans notre pays.

« Alors que le Gouvernement prône la revitalisation de l’industrie française, qui a perdu 100 000 emplois depuis janvier 2009, et l’indépendance énergétique, le groupe Total a annoncé qu’il ne procéderait pas à la révision des installations, procédure préalable à l’autorisation d’exploitation. Cette décision qui touche la raffinerie des Flandres de Dunkerque-Mardyck relance les inquiétudes qui pèsent sur l’avenir de la raffinerie des produits pétroliers en France. Cette fermeture reportée de manière éhontée par le groupe pétrolier pour cause d’élections régionales, dans le plus grand mépris de ses salariés, est sans aucun doute le premier acte d’un désengagement plus large du marché du raffinage.

« La suppression des sites de raffinage entraînerait non seulement des effets désastreux dans le domaine de l’emploi, mais priverait également notre pays d’un outil industriel de première importance pour la politique énergétique.

« En effet, la construction de nouvelles unités de raffinage ou la délocalisation des sites nationaux dans les pays producteurs pose des difficultés stratégiques en termes d’indépendance énergétique. Le coût du transport des produits raffinés est beaucoup plus élevé que celui du pétrole brut. De plus, on peut légitimement s’inquiéter des risques de délocalisation pour la pétrochimie, très dépendante de l’industrie du raffinage et des prix des matières premières issues du pétrole. L’entreprise GPN, filiale de Total usine chimique située à Mazingarbe dans le Pas de Calais, est un exemple des répercussions de la politique du groupe sur une large palette d’activités industrielles. La cession de l’usine chimique à l’espagnol Maxam risque d’entraîner la suppression de soixante-quatorze emplois directs.

« Enfin, au moment où le Gouvernement met l’accent sur le développement durable, il devrait peser le coût environnemental, en termes de transports, de la délocalisation des activités de raffinage.

« Il souhaiterait donc connaître les intentions concrètes du ministre chargé de l’industrie afin de relancer l’activité industrielle de raffinage en France. Il souhaiterait également connaître les actions qu’il entend mener pour que le groupe pétrolier Total adopte des choix conformes aux intérêts sociaux, économiques et environnementaux de la France. »

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)

Le Directeur adjoint

du service du compte rendu intégral,

FRANÇOISE WIART