M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise grecque est de toute évidence une épreuve sérieuse, qui pourrait même devenir tragique pour la construction européenne.

Comment en sommes-nous arrivés là, alors que les traités étaient censés nous mettre à l’abri de ce type de problèmes ?

Vous comprendrez que je n’évoque pas la crise de 1929 de la même manière que mes prédécesseurs. Bien que je sois peut-être le seul dans cette assemblée à l’avoir vécue, je vous avoue que je n’en conserve qu’un souvenir assez confus… (Sourires.)

Pour la présente crise, nous savons tous que la précision des statistiques a ses limites. Il s’agit en l’occurrence de tout autre chose : le déficit grec était réputé atteindre 6 % du PIB ; il s’est avéré être de 12 % en réalité, soit le double, ce qui est incroyable !

Si un pareil écart a pu apparaître subitement, c’est nécessairement parce que les comptes publics étaient falsifiés depuis longtemps. Autant que je sache, il s’agissait d’un secret de polichinelle, que tous les gens correctement informés connaissaient.

Or il existe tout de même un gardien des traités, une instance exécutive chargée de veiller au respect des obligations des États membres, et ce depuis le début de la construction européenne et le traité de Rome, et donc bien avant le traité de Lisbonne. Je veux parler bien entendu de la Commission européenne.

De même, la Banque centrale est également gardienne de notre monnaie commune.

Je vous le demande, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d’État : est-il concevable que ces deux institutions n’aient pas soupçonné le manque de sincérité des statistiques grecques durant aussi longtemps ? J’en doute… Et si elles avaient de sérieux doutes, voire des certitudes, pourquoi n’ont-elles rien dit, au risque de laisser s’aggraver le mal ? Et que penser de l’Eurogroupe, censé superviser ces institutions ? À quoi sert-il ? Que faisait-il ? Est-ce qu’il dormait ?

Soyons clairs : si ces institutions savaient, elles sont complices de cette débâcle, je le dis fermement. Si elles ne savaient pas, elles n’ont pas fait leur travail. Dans tous les cas, il faut faire en sorte que de pareils manquements ne puissent plus se reproduire.

D’où ma question, monsieur le secrétaire d’État : qu’envisage-t-on pour garantir désormais la sincérité des comptes dans la zone euro, et pour assurer une information fiable dans ce domaine ?

Faut-il changer le statut d’Eurostat ? Son indépendance et ses capacités d’enquête doivent-elles être renforcées ? Sans doute. Faut-il accorder davantage de capacités d’expertise et de moyens d’action à l’Eurogroupe, que préside M. Juncker ? Sans doute également. Faut-il prendre ici ou là quelques sanctions, ou au moins adresser des blâmes ou exprimer des regrets ? Ce serait le minimum !

Il me semble en tout cas que l’ensemble du dispositif mérite d’être repensé. Il faut passer d’un régime de complaisance à un régime de vigilance. Que compte faire le Gouvernement à cet égard ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur Fauchon, je vais répondre à votre colère par des arguments aussi factuels que possible.

L’explosion du déficit et de la dette publique de la Grèce constitue l’une des causes du déclenchement, au début de l’année 2010, des attaques spéculatives sur les cours des obligations souveraines et des primes d’assurance contre le défaut de paiement de ce pays. Ces attaques spéculatives ont certainement été encouragées par les lourdes incertitudes qui pesaient sur la qualité des statistiques publiques grecques, qui avaient d’ailleurs déjà été mises en cause par le passé, en 2004.

Les marchés financiers ont joué dans cette affaire un jeu particulièrement malsain, alimenté par le fonctionnement opaque du marché des produits dérivés, l’absence totale de régulation dans ce domaine et le comportement prédateur de certains opérateurs, notamment les hedge funds.

Confronté à cette situation, le gouvernement grec a pris une série d’obligations fortes devant le reste de l’Union européenne, laquelle, en réponse à ces engagements, a pris immédiatement ses responsabilités politiques – c’était le sens de la précédente réunion du Conseil exceptionnelle du 11 février dernier, sur l’initiative de Herman Van Rompuy. Nous avons adopté une déclaration politique et nous travaillons en ce moment même à la mise en place d’un dispositif.

Comme je l’ai indiqué, les chefs d’État ou de gouvernement de la France, de l’Allemagne, du Luxembourg et de la Grèce ont demandé le 11 mars dernier au président de la Commission de doter rapidement l’Europe d’un système de réglementation efficace des dérivés de crédit, les fameux CDS.

Pour répondre à votre question sur l’Eurogroupe, je tiens à souligner que lorsqu’il se réunit au niveau ministériel, il joue un rôle d’appui technique majeur, en identifiant les instruments permettant une action coordonnée éventuelle des États membres – c’est l’objectif de la réunion qui s’est tenue le 15 mars dernier.

Comme vous le savez, le Président de la République et le chef du gouvernement espagnol ont appelé aujourd’hui même les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro à se réunir juste avant le Conseil européen.

En ce qui concerne, enfin, les statistiques, la question principale posée par la Grèce est celle du renforcement de la qualité et de la fiabilité des statistiques fournies par les offices statistiques des États membres. Ces derniers doivent accepter de coopérer. Le Conseil européen de mars insistera d’ailleurs sur ce point, en appelant notamment à un accord rapide sur l’amélioration du dispositif, à partir des propositions récemment faites par la Commission.

M. Pierre Fauchon. Ce n’est pas vraiment une réponse. Je reste sur ma faim !

M. le président. La parole est à M. Roland Ries, pour le groupe socialiste.

M. Roland Ries. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 25 et 26 mars prochains abordera tout particulièrement la récente proposition de la Commission sur une stratégie européenne globale à l’horizon 2020.

Dans l’espoir de tirer les leçons de nos expériences passées, je souhaiterais revenir rapidement sur l’échec de la stratégie de Lisbonne. Celle-ci avait pour objectif, d’ici à 2010, de faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Les objectifs étaient nobles, mais, force est de le constater, dix ans après son lancement, la stratégie n’a pas atteint ses objectifs.

Selon la Commission européenne et certains gouvernements des États membres, l’échec de cette stratégie s’expliquerait avant tout par la crise économique et financière qui a frappé de plein fouet l’ensemble des pays de l’Union. Je crains, hélas ! que la crise n’excuse pas tout. La stratégie de Lisbonne avait en réalité largement échoué avant l’apparition de la crise, la Commission européenne et le Conseil ayant en effet privilégié depuis 2005 la dérégulation et la libre concurrence au détriment des volets social et environnemental.

Le groupe socialiste du Sénat reste, au contraire, persuadé que l’idée originelle de la stratégie voulue par les sociaux-démocrates européens à l’époque, à savoir l’interdépendance étroite entre les logiques d’efficacité économique, de justice sociale et de développement durable, offrait le meilleur équilibre pour parvenir à l’objectif qui était le sien.

Alors, certes, le nouvel objectif de « croissance intelligente, durable et inclusive » de la stratégie 2020 semble aller dans ce sens. Mais, là encore, je crains qu’il n’y ait loin de la coupe aux lèvres ! Visiblement, la Commission n’a pour l’instant guère d’ambition sur le volet social. Elle fixe par exemple un objectif général de réduction de la pauvreté, mais sans s’en donner véritablement les moyens à travers des propositions concrètes. Elle n’entend toujours pas protéger les services publics, qui sont pourtant des instruments clés en la matière. C’est la raison pour laquelle je souhaiterais connaître, monsieur le secrétaire d’État, la position que vous entendez défendre lors du Conseil, tout particulièrement en ce qui concerne le pilier social, condition inévitable de réussite de cette nouvelle stratégie et, plus généralement, du projet européen. Je vous remercie par avance de votre réponse.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur Ries, votre collègue M. Yung m’ayant posé tout à l’heure une question très voisine, je ne réitérerai pas les propos que j’ai alors tenus, afin de ne pas prolonger le débat à cette heure avancée.

En ce qui concerne les objectifs quantitatifs et la qualité des emplois, qui ont fait l’objet de la question précédente, je rappellerai simplement l’objectif quantitatif : 75 % de la population âgée de 20 à 64 ans devrait avoir un emploi. Il faut y arriver, d’où mon souci d’intégrer la contribution des organisations syndicales pour que cela ne reste pas un vœu pieux et que l’ensemble des forces sociales soit associé en permanence à la réalisation de ces objectifs.

S’agissant de l’objectif relatif à la pauvreté, il conviendrait, d’après la Commission, de réduire de 20 millions le nombre de personnes menacées par la pauvreté.

La France soutient ces objectifs et considère qu’il est politiquement très important d’envoyer ce signal, surtout dans une Europe touchée de plein fouet par la crise.

Pour être très franc avec vous, l’ennui c’est qu’il n’existe pas de consensus aujourd’hui au sein du Conseil sur ces objectifs et encore moins sur les critères à mettre en place pour leur mise en œuvre.

En déclinaison de ces objectifs, la Commission a proposé, dans le domaine de l’emploi, d’élaborer une stratégie pour les nouvelles compétences et les nouveaux emplois, de mieux mobiliser les fonds structurels et, en matière de pauvreté, de mettre en place toute une série de dispositifs.

La Commission a notamment proposé de mettre en œuvre une plateforme européenne contre la pauvreté avec des propositions concrètes à la clé : la mobilisation ciblée du fonds social européen, la lutte contre les discriminations, par exemple à l’égard des handicapés, la mise en place d’une nouvelle stratégie pour l’intégration des immigrants, tout en renvoyant les États membres à leurs responsabilités pour la prise de mesures répondant aux particularités des groupes à risques, qu’il s’agisse notamment des familles monoparentales, des minorités et des Roms. La discussion sur ce point ne fait que commencer et je vous mentirais si je vous disais qu’il existe un consensus.

Vous l’avez compris, la France travaille sur ces objectifs, mais la vérité m’oblige à dire que nous ne sommes qu’au début d’un processus.

M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc, pour le groupe UMP.

M. Jacques Blanc. Monsieur le secrétaire d’État, ma question portera exclusivement sur l’objectif de cohésion territoriale, dont la présence me paraît tout à fait insuffisante dans les grands objectifs de 2020.

On nous parle de « croissance intelligence », d’accord ; de « croissance durable », bien sûr ; de « croissance inclusive », c’est complexe, mais on évoque simplement la « cohésion territoriale ». Or il s’agissait d’une ambition nouvelle du traité de Lisbonne. Je souhaiterais savoir ce que vous allez faire pour que soit introduite dans les grands objectifs et dans le grand débat qui va avoir lieu cette exigence de cohésion territoriale, qui suppose d’ailleurs des propositions budgétaires dans le cadre de la cohésion d’une vraie politique régionale. C’est un enjeu majeur pour notre pays.

Par ailleurs, comme mon collègue Pierre Fauchon, je souhaite soulever le problème de la Grèce.

Monsieur le secrétaire d’État, comment la France va-t-elle pouvoir apporter un concours important pour sauver l’Union pour la Méditerranée et donner à la Grèce les moyens de sortir de l’impasse ? Il s’agit d’un enjeu pour l’Union pour la Méditerranée mais aussi d’un enjeu d’équilibre global de l’Union européenne.

Si on laisse penser que demain un pays peut sortir de l’union monétaire et de l’euro, si on laisse penser que demain, quelles que soient les situations que notre ami Pierre Fauchon dénonçait à juste titre, on peut laisser tomber un pays méditerranéen, on perd une chance et une ambition pour l’Europe.

J’aimerais savoir ce que la France va faire, eu égard en particulier aux déclarations de la chancelière allemande qui nous ont beaucoup inquiétés.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur Jacques Blanc, vous avez soulevé beaucoup de questions dans votre intervention. Vous avez parlé d’une question portant « exclusivement » sur les fonds structurels et vous avez évoqué, ensuite, l’Union pour la Méditerranée et, enfin, une affaire assez sensible, la préparation de la décision franco-allemande sur la crise monétaire.

S’agissant de votre première question, à savoir la cohésion territoriale, la Commission, dans sa communication du 3 mars, prévoit explicitement que « la cohésion économique, sociale et territoriale demeurera au cœur de la stratégie Europe 2020. La politique de cohésion et les fonds structurels constitueront des mécanismes primordiaux en vue d’atteindre les objectifs prioritaires d’une croissance intelligente, durable et inclusive au niveau des États membres et des régions. » C’est le sabir de la Commission, je préfère ne pas me prononcer sur la terminologie. (Sourires.)

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Il me paraît nécessaire d’insister sur le fait que les fonds structurels sont très importants, j’en sais quelque chose puisque nous les avons fait jouer très récemment lors de la tempête de Xynthia où la participation de la Commission a été rapide.

La France est très attachée à ce système qu’elle souhaite voir perdurer dans les prochaines perspectives financières sur lesquelles les négociations ont commencé. Pierre Lequiller, à l’Assemblée nationale, vient de formuler des propositions fort intéressantes qui vont alimenter le débat sur ce sujet, mais, là aussi, nous sommes au début de la phase suivante post-2013.

S’agissant de cohésion territoriale, j’ai hier, au nom de la France, insisté pour que la politique agricole commune figure comme l’un des piliers essentiels de cette stratégie de l’emploi et de la croissance pour 2020, parce que c’est une politique structurante au niveau européen et qu’elle est génératrice d’emplois et de richesses pour tous les États membres.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Enfin, concernant l’Union pour la Méditerranée, les choses progressent depuis l’adoption des statuts du secrétariat le 3 mars dernier et l’installation du nouveau secrétaire général.

Nous nous employons actuellement, grâce à une réunion qui aura lieu dans quelques jours, à permettre une montée en puissance progressive des activités de l’Union pour la Méditerranée en matière d’eau, d’environnement, de développement urbain durable. Des réunions sont programmées et des groupes de travail sont mis en place.

Monsieur le sénateur, je ne voudrais pas terminer sans mentionner le rôle de l’Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne pour la création de laquelle je sais le rôle que vous avez joué.

S’agissant de l’exclusion de la Grèce de la zone euro, je préfère, à ce stade, vous dire que tout cela tient, bien sûr, de la fantaisie.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. N’alimentons pas par nos querelles le jeu des spéculateurs. Je suis convaincu qu’une solution sera trouvée entre la France et l’Allemagne, je sais la sagesse de nos peuples, la convergence de nos économies et je suis confiant.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Pour avoir travaillé à l’amitié franco-allemande tout au long des derniers mois, je n’ai pas de doute sur la solidité de la sortie de cette crise.

M. Jacques Blanc. Vous nous rassurez, monsieur le secrétaire d’État !

M. le président. La parole est à M. François Marc, pour le groupe socialiste.

M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, pour des millions d’Européens confrontés au chômage et à la précarité, l’impact social de la crise financière se révèle source d’angoisse.

Face à ce constat de crise, l’Europe se montre-t-elle à la hauteur ? Nous avons le sentiment que non. Plus les mois passent, plus les dysfonctionnements de gouvernance économique sont patents : défaillance de la surveillance budgétaire – nous avons évoqué ce point tout à l’heure –, insuffisances de la discussion économique, absence de mécanisme de gestion des crises, etc.

Pourtant, eu égard à l’article 122-2 du nouveau traité consolidé issu du traité de Lisbonne, l’Union européenne dispose d’instruments légaux d’intervention, en particulier pour soutenir les pays de la zone euro exposés à des attaques spéculatives.

Une véritable gouvernance économique commune doit pouvoir s’appuyer sur une réelle solidarité politique, économique et financière entre les États membres et, de notre point de vue, trois outils pourraient être activés à cette fin.

Il s’agit, en premier lieu, de la mutualisation de la dette souveraine des pays en difficultés, les pays qui peuvent emprunter à bas coût pouvant acheter les obligations des États en difficultés.

Il s’agit, en deuxième lieu, du recours à un emprunt européen dont les ressources seraient distribuées en fonction des nécessités, avec en appui la Banque européenne d’investissement ou l’utilisation des opportunités des grands pays européens, qui pourraient garantir les émissions obligataires.

Il s’agit, en troisième lieu, de l’élargissement des actifs acceptés comme contreparties de la liquidité par la BCE, pour qu’elle puisse acheter des obligations des pays attaqués. C’est ce qui avait été fait pour les banques privées.

Comme mes collègues, j’observe que, à ce jour, aucun accord n’a été trouvé sur les hedge funds. Il y a, là encore, une occasion manquée en faveur de plus de régulation financière, ce qui nous rappelle le fossé séparant aujourd’hui encore les discours des actes.

Ma question est simple, monsieur le secrétaire d’État : quel regard portez-vous sur les solutions concrètes que je viens d’évoquer et sur lesquelles nous travaillons avec certains de nos collègues européens ?

Sachant que vous utilisez par ailleurs depuis quelques semaines l’expression « gouvernement économique », j’aimerais savoir ce qu’elle signifie exactement à vos yeux. Quelles propositions vous apprêtez-vous à formuler pour donner un réel contenu à l’ambition affichée par cette expression ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous m’embarrassez doublement, non pas sur le fond, mais en raison de l’actualité qui nous concerne aujourd’hui.

En premier lieu, nous sommes à la veille d’un Conseil européen dont l’objectif n’est pas de traiter de la crise monétaire. Celle-ci relève de la zone euro, donc de l’Eurogroupe, ce n’est pas directement l’affaire du Conseil des Vingt-Sept.

En second lieu, vous n’êtes pas sans savoir que tout ce qui est dit en ce moment par les gouvernements peut être utilisé par les spéculateurs, à l’affût de tout ce qui se dit ici ou là. Tout ce qui donne l’impression d’une confusion ou d’une cacophonie ne sert que la spéculation.

Par conséquent, n’attendez pas de moi que j’entre dans le détail d’une discussion qui a lieu en ce moment même entre les gouvernements en vue de trouver une solution de sortie de crise où les Européens sont ensemble. Dans quelles conditions, avec quels mécanismes ? Les chefs d’État et M. Juncker se sont exprimés, je n’entends pas ce soir en rajouter dans ce domaine.

Ce qui est clair, c’est que le dispositif installé par le traité de Maastricht, la zone euro, la monnaie unique, a toujours été conçu comme un système d’autodiscipline. Il est interdit dans le traité de renflouer l’un des États membres, c’est la fameuse clause du « no bail out ». Chaque État est censé s’autodiscipliner avec deux marqueurs, la fameuse règle de 3 % de déficit public et 60 % d’endettement. Ces marqueurs ont volé en éclat avec la crise et ceux-là mêmes qui ont été renfloués par les États attaquent aujourd’hui la dette souveraine des États et les assurances sur celle-ci. C’est une affaire extrêmement grave.

Un certain nombre de propositions sont formulées pour le court terme et le moyen terme, je pense par exemple à celles de M. Schaüble. Beaucoup de gens se sont exprimés. J’ai entendu vos idées et vos propositions. Je ne peux pas ici, ce soir, à quelques jours du Conseil, et alors même que nous sommes en plein milieu de cette crise, aller plus loin dans mon propos, mais je considère en effet que, face à cette monnaie commune, il faut des règles communes, c’est ce que nous appelons le « gouvernement économique ».

Nos États, progressivement, avec des habitudes, des histoires différentes, sont en train de converger, non sans mal, il est vrai, mais l’ampleur des défis est sans précédent également depuis la création de cette zone monétaire commune.

Vous l’avez compris, je préfère m’arrêter là pour ne pas alimenter davantage tous ceux qui nous observent.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière, pour le groupe UMP.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. Monsieur le secrétaire d’État, les difficultés que connaît actuellement la zone euro ne sont peut-être pas un des points inscrits spécifiquement à l’ordre du jour du Conseil européen des 24 et 25 mars, mais il est sûr qu’elles seront présentes dans les débats des chefs d’État ou de gouvernement.

Depuis des semaines, la presse est remplie d’interrogations sur la viabilité de la zone euro, et l’on évoque à loisir l’abandon de la monnaie unique par tel ou tel État. Rien d’étonnant à cela : on sait que les journalistes aiment le sensationnel. Mais il n’est pas mauvais de jeter un regard plus distant sur cette question.

Que constate-t-on ? Que la Grèce est amenée à financer sa dette à un taux d’intérêt de plus en plus élevé. Mais en quoi est-ce anormal ? Si elle n’était pas dans la zone euro, les taux d’intérêt qu’elle devrait payer seraient certainement encore plus élevés. Et la Californie, quand elle est au bord de la faillite, paye, elle aussi, des taux d’intérêt très élevés. Personne ne prétend pour autant que la Californie va abandonner le dollar !

J’ajoute que l’accent qui a été mis sur les malheurs de la Grèce a eu, pour nous, un effet positif : la baisse de l’euro. Car, monsieur le secrétaire d’État, je suppose que vous serez d’accord pour dire que l’euro est aujourd’hui surévalué.

Alors, que penser des débats qui ont eu lieu au sein du Conseil sur l’aide à accorder à la Grèce ?

Pour moi, deux choses seulement importent véritablement. La première, c’est qu’il apparaisse clairement que les partenaires européens de la Grèce seront prêts à lui apporter le soutien nécessaire si une opération spéculative surgit – cette seule assurance devrait d’ailleurs contribuer à décourager les tentatives de spéculation. La seconde, c’est que l’on pèse sur la Grèce pour qu’elle remette en ordre ses finances et pour que son appareil statistique soit totalement crédible.

Au-delà, toutes les controverses sur un fonds monétaire européen ou une aide du Fonds monétaire international paraissent secondaires.

Quant à l’idée d’une modification des traités, qu’il s’agisse de mettre en place un fonds monétaire ou de permettre d’exclure un pays de la zone euro, elle paraît totalement inadaptée. D’une part, nos concitoyens ne comprendraient pas que l’on veuille de nouveau modifier dès aujourd’hui les traités. D’autre part, cela ne réglerait en rien le problème, car il faut des années pour obtenir une ratification par les vingt-sept États membres.

Je serais heureuse de savoir, monsieur le secrétaire d’État, si le Gouvernement partage mon analyse et s’il estime qu’un consensus peut apparaître entre les Vingt-Sept à ce sujet.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Madame Bruguière, je vous remercie de votre question. Une fois encore, je le dis avec toute la prudence nécessaire, je partage bien des points que vous avez développés. Néanmoins, à ce stade de la discussion entre les États, je me dois de garder une certaine réserve sur les solutions qui, j’espère, vont être très rapidement adoptées.

Bien entendu, ce qui est en cause, c’est la crédibilité des finances publiques, et c’est bien cette crédibilité que nous avons voulu restaurer.

Le gouvernement grec s’est engagé à fortement réduire son déficit public dès cette année. Le Conseil ECOFIN en a pris acte le 16 mars. Depuis, les marchés ont réagi positivement puisque jusqu’ici la Grèce est toujours parvenue à se refinancer, il est vrai à des taux plus élevés que ceux qu’obtiennent les autres pays de la zone euro.

Vous avez insisté, madame, sur la notion de responsabilité, et vous avez raison. Je veux vous rappeler que la très importante déclaration politique des chefs d’État ou de gouvernement du 11 février signale justement la « responsabilité partagée pour la stabilité économique et financière dans la zone » euro de l’ensemble des États.

Quant à la nature du soutien éventuel que pourrait apporter l’Union européenne à la Grèce, vous le savez, elle est en cours de discussion. Nous nous heurtons à la clause de non-renflouement. Je me contenterai donc de citer les propos tenus le 15 mars dernier à l’issue des travaux de l’Eurogroupe par son président Jean-Claude Juncker : « Les options ont été clarifiées. Si cela s’avérait nécessaire, l’accord est prêt dans la zone euro pour que de façon coordonnée et sous la houlette de la Commission une aide bilatérale soit accordée. » M. Juncker a ensuite tenu à préciser que les autorités grecques n’avaient pas demandé d’aide.

Les choses étant en pleine évolution, vous comprendrez que le mieux soit de laisser les chefs d’État ou de gouvernement se mettre d’accord dans les jours qui viennent.

M. le président. Nous en avons terminé avec l’échange de questions-réponses.

La parole est à M. le secrétaire d’État.