Sommaire

Présidence de Mme Monique Papon

Secrétaires :

Mme Anne-Marie Payet, M. Daniel Raoul.

1. Procès-verbal

2. Désignation de sénateurs en mission

3. Dépôt d'un rapport du Gouvernement

4. Organisme extraparlementaire

5. Mise au point au sujet d'un vote

M. Jean-Patrick Courtois, Mme la présidente.

6. Droit des personnes placées en garde à vue. – Discussion d’une question orale avec débat.

M. Jacques Mézard, auteur de la question.

M. Alain Anziani.

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

Mme Anne-Marie Escoffier, M. Jean-Patrick Courtois, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. François Zocchetto, Robert Badinter.

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

M. René Vestri, Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

Suspension et reprise de la séance

7. Questions cribles thématiques

hôpital

M. Alain Milon, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports.

M. Jacky Le Menn, Mme la ministre.

M. Guy Fischer, Mmes la ministre, Annie David.

M. Jean Boyer, Mme la ministre.

M. Gilbert Barbier, Mme la ministre.

Mmes Marie-Thérèse Hermange, la ministre.

M. René-Pierre Signé, Mme la ministre.

Mmes Colette Giudicelli, la ministre.

Suspension et reprise de la séance

8. Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes

Mme la présidente.

M. Alain Pichon, doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales.

9. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Monique Papon

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Anne-Marie Payet,

M. Daniel Raoul.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Désignation de sénateurs en mission

Mme la présidente. Par courrier en date du 4 février 2010, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L.O. 297 du code électoral, M. Alain Chatillon, sénateur de la Haute-Garonne, M. Charles Guené, sénateur de la Haute-Marne, et M. François-Noël Buffet, sénateur du Rhône, en mission temporaire auprès de Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.

Cette mission portera sur les conséquences de la réforme de la taxe professionnelle sur l’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales.

Acte est donné de cette communication.

3

Dépôt d'un rapport du Gouvernement

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2009-689 du 15 juin 2009 tendant à modifier l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et à compléter le code de justice administrative.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Il est disponible au bureau de la distribution.

4

Organisme extraparlementaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, créé en application du décret n° 2009-1321 du 28 octobre 2009.

Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission des lois à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

5

Mise au point au sujet d'un vote

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.

M. Jean-Patrick Courtois. Madame la présidente, lors du vote par scrutin public n° 148 sur l’ensemble du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, M. André Lardeux a été déclaré comme votant pour, alors qu’il avait souhaité voter contre. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)

Notre collègue souhaiterait donc que cette rectification importante soit consignée dans le compte rendu. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, monsieur Courtois. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

6

Droits des personnes placées en garde à vue

Discussion d’une question orale avec débat

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 50 de M. Jacques Mézard à Mme la ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés sur le renforcement des droits des personnes placées en garde à vue.

Cette question est ainsi libellée :

« M. Jacques Mézard attire l’attention de Mme la ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés sur la situation des personnes placées en garde à vue et sur la nécessité de renforcer leurs droits.

« Par un arrêt Dayanan c/ Turquie du 13 octobre dernier, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que le fait qu’un accusé privé de liberté ne puisse avoir accès à un avocat, y compris commis d'office, durant sa garde à vue constituait une violation du droit à un procès équitable tel que défini par l'article 6, points 1 et 3, de la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour a ainsi souligné que “l'équité de la procédure requiert que l'accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres aux conseils” dès la première minute de sa garde à vue. Il apparaît donc que la procédure pénale française est aujourd'hui contraire à la jurisprudence de la Cour.

« De surcroît, cet arrêt a été rendu peu de temps avant que soient publiées au Journal officiel du 28 octobre 2009 les dernières recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. À la suite de la visite d'un commissariat, le contrôleur a pu constater un certain nombre d'atteintes répétées, et déjà observées ailleurs, aux conditions élémentaires de dignité de la personne placée en garde à vue : la vétusté des locaux, l'impossibilité d'accès à un point d'eau ou le retrait systématique du soutien-gorge ou des lunettes, entre autres. Ces constats démontent une nouvelle fois les graves carences du système carcéral français.

« Les 577 000 gardes à vue enregistrées en 2008 illustrent l'importance du sujet, tout citoyen pouvant potentiellement se retrouver un jour placé en garde à vue malgré le principe de la présomption d'innocence. Il souhaiterait donc savoir comment le Gouvernement entend tenir compte de cette jurisprudence et de ces recommandations pour faire évoluer les droits et la condition de la personne placée en garde à vue, dont la situation est aujourd'hui indigne de notre République. »

La parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la question.

M. Jacques Mézard, auteur de la question. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, une démocratie qui a peur de ses citoyens est une démocratie malade. Tel est le cas d’une démocratie qui, comme la nôtre, inflige chaque année à 800 000 de ses citoyens une privation de liberté creusant et élargissant un fossé entre ces citoyens et ceux dont la mission première est de les protéger.

Dans la tradition de la Gauche démocratique et de toutes les voix qui, dans cet hémicycle, se sont fait entendre sous trois Républiques pour dire un attachement viscéral aux valeurs fondamentales de la République, le groupe du RDSE a, depuis des mois, voulu ce débat sur la garde à vue. Nous avons anticipé la vague médiatique qui déferle aujourd’hui sur ce sujet, alors qu’il constitue depuis de nombreuses années un cancer de notre justice.

Tout observateur raisonnable en est aujourd’hui convaincu, la machine s’est emballée, les libertés, la présomption d’innocence, le respect de la personne humaine sont souvent bafoués, avec comme corollaire une société qui, de manière inversement proportionnelle, au mieux, doute de sa justice et de ses forces de l’ordre, au pire, ne les respecte plus.

Sortir de ce cercle malsain devient une urgence tant pour le citoyen que pour la police et la gendarmerie, dont l’image est dégradée dans l’opinion, ce qui est toujours dommageable.

Notre intention, au sein de notre groupe, est non pas du tout de faire le procès des forces de l’ordre, mais bien plutôt d’instruire celui d’un système, et de la façon dont il est parfois utilisé et dévoyé par certains. Nous savons que nombre de policiers et de gendarmes ont un comportement digne et républicain, et qu’ils ont le sens de l’humain. Nous mesurons le professionnalisme qui est nécessaire pour faire face aux provocations, aux insultes, à la délinquance du quotidien, mais nous avons tous ici en mémoire des exemples de dérives inacceptables. Le rapport de la Commission nationale de déontologie de la sécurité en illustre d’ailleurs un certain nombre.

Pour nous, la privation de liberté doit rester l’exception et, dans tous les cas, l’humiliation est à proscrire.

Faisons le constat, essayons de déterminer les causes et de trouver des solutions. Il s’agit d’une œuvre commune, car la responsabilité de tous, depuis des années, est engagée.

Mais dressons d’abord le constat : la situation actuelle se caractérise souvent par l’arbitraire et, surtout, par l’absence de contrôle réel. Y a-t-il, madame le ministre d’État, témoignage plus saisissant et plus loyal que celui du Premier ministre, qui se déclare choqué du nombre de gardes à vue réalisées à son insu et, manifestement, pas de son plein gré ? On avait même oublié, semble-t-il, 200 000 gardes à vue consécutives à des infractions routières.

Il faut dire que l’existence même des mots « garde à vue » est bannie du document Les chiffres clés de la Justice de septembre 2009 !

Dans le constat statistique, il n’est pas neutre de relever qu’au cours des huit dernières années les gardes à vue ont augmenté d’environ 250 %, sans impact véritablement démontré sur la délinquance, avec, de surcroît, l’application de la révision générale des politiques publiques sur les personnels de la police et de la gendarmerie. Au surplus, elles ont lieu dans des locaux que d’aucuns qualifient d’inadaptés, et dont l’état est le plus souvent indigne, en dépit des quelques efforts qui ont pu être réalisés.

Imprégné de la culture de l’aveu, de la volonté pour certains de donner « une avance sur le gibier », le régime actuel de la garde à vue est le résultat d’une évolution remontant au XIXe siècle. En effet, le code d’instruction criminelle l’ignorait, et la loi de 1897 la repoussait. Apparue dans le décret du 20 mai 1903 et développée par une logique procédurale, c’est en fait l’État Français qui la réglementa dans la circulaire du 23 septembre 1943. En réalité, on était toujours dans l’enquête officieuse que le législateur avait tenté de légaliser en 1958.

On se souvient du débat féroce qui avait alors opposé Jacques Isorni, à l’époque avocat de la répression, et Maurice Garçon, avocat tout court. Déjà, de grandes voix s’élevaient, en vain. J’en citerai une, et qui fut ô combien importante dans cette assemblée, celle de Maurice Schumann s’exprimant en ces termes à l’Assemblée nationale le 25 juin 1957 :

« Il me paraît inconcevable que nous introduisions dans notre code de procédure pénale cet élément de répression […], à savoir que le délai de garde à vue n’est pas le délai nécessaire pour conduire au juge mais le délai pendant lequel on commence en fait et sans garantie l’instruction du procès. Car les garanties fondamentales que comportait la loi de 1897, jamais les républicains qui nous ont précédés sur ces bancs ne les auraient laissé remettre en cause » !

Que dirait Maurice Schumann aujourd’hui, alors que des centaines de milliers de nos concitoyens subissent une privation de liberté sans jamais être « conduits au juge » ? Les réformes intervenues depuis, non seulement n’ont pas amélioré mais ont même aggravé la situation, pour des raisons diverses et parfois contradictoires.

Cette situation, madame le ministre d’État, existe sur tout le territoire de la République. Dans ma carrière d’avocat, qui m’a conduit à exercer non seulement à Paris mais aussi, pendant plusieurs dizaines d’années, en province, à Aurillac, j’ai pu constater de mes yeux que ces privations de liberté concernaient bien toutes les couches de la société et l’ensemble de nos concitoyens.

C’est que l’article 63 du code de procédure pénale permet tout.

Tout officier de police judiciaire peut en effet garder à sa disposition « toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction », et cela, je le souligne, indépendamment de la gravité de ladite infraction.

Vous n’en ignorez pas les conséquences : la mise au secret, le retrait des objets personnels, notamment, comme les médias s’en font aujourd’hui l’écho, certains sous-vêtements... Les seuls droits garantis sont celui d’être informé de la nature de l’infraction et de la durée de la garde à vue, celui d’être examiné par un médecin et celui de s’entretenir avec un avocat, bien que les auditions commencent toujours avant cet entretien.

Pendant mes années d’exercice, je recevais régulièrement des coups de téléphone du commissariat : « Maître, M. X a demandé votre assistance. Vous pourrez venir à telle heure, quand nous en aurons fini avec son audition. » Et je ne parle pas ici de grandes affaires criminelles, j’évoque simplement le fonctionnement quotidien de la justice, la pratique réelle.

Dans l’excellent document du service des études comparées du Sénat sur la garde à vue, daté de décembre 2009, deux points essentiels de droit comparé sont relevés, qui peuvent nous guider dans l’avenir proche.

Premièrement, la plupart des textes étrangers subordonnent le placement en garde à vue à l’existence d’une infraction d’une certaine gravité. L’absence d’une telle conditionnalité en droit français est à l’origine des débordements auxquels nous assistons.

Deuxièmement, dans tous les pays européens proches, sauf la Belgique, les personnes placées en garde à vue peuvent bénéficier de l’assistance d’un avocat dès qu’elles sont privées de liberté.

Il ressort donc que la France, pays des droits de l’homme, est le mauvais élève de la classe Europe. Notre législation, nos pratiques sont en contradiction frontale avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, devenue univoque avec les arrêts Dayanan, Kolesnik et Savas respectivement d’octobre, de novembre et décembre 2009.

Oui, il y a incompatibilité entre notre droit et les jurisprudences européennes. À cet égard, je ne m’arrêterai pas longuement, madame le ministre d’État, sur votre circulaire du 17 novembre 2009. Ce débat paraît aujourd’hui dans une large mesure dépassé.

Nous constatons ces dernières semaines que nombre de juridictions françaises – pas toutes - annulent des procédures en se fondant sur la jurisprudence européenne. Aujourd’hui, la même procédure peut être annulée dans tel tribunal et validée dans tel autre.

Ce n’est plus l’État de droit, c’est la confusion, madame le ministre d’État. C’est pourquoi il nous faut une réforme rapide et profonde, allant d’ailleurs au-delà des propositions de loi récemment déposées par plusieurs groupes dont le nôtre.

L’officier de police judiciaire ne doit plus être seul maître et seul décideur de la garde à vue, avec un contrôle très partiel, sinon inexistant, du Parquet. Et comment d’ailleurs contrôler 800 000 gardes à vue par an ? C’est mission impossible !

Finissons-en avec les longues heures de rétention abusive pour quelques minutes d’audition, pratique courante en guise de sanction préventive, il faut le dire, ou parce que les policiers sont occupés ailleurs !

Finissons-en avec les prélèvements systématiques d’empreintes, notamment d’empreintes génétiques, conservées pendant des dizaines d’années !

Finissons-en avec les fichages au STIC, le système de traitement des informations constatées, dénoncés par la Commission nationale de l’informatique et des libertés parce qu’il n’est pas régulièrement mis à jour pour tenir compte des relaxes et des classements sans suite ; finissons-en avec la nécessité, pour la mise hors de cause, de demander l’effacement du Fichier national.

Finissons-en avec les cachots d’une autre époque, d’un autre régime que dénonce M. Delarue, le Contrôleur général des lieux privatifs de liberté.

Permettez-moi d’ailleurs de vous rappeler certaines des observations contenues dans son rapport de 2008. Il y a bien des douches dans les commissariats, constate-t-il, mais elles ne servent à rien, parce qu’il n’y a ni serviette ni savon ; on boit dans le creux de ses mains. Dans cette logique, le commissariat, comme la prison, est là pour susciter l’effroi et faire « cracher le morceau ».

Tout en soulignant que l’immense majorité des fonctionnaires présents dans les locaux de garde à vue respectent la déontologie, le contrôleur général remarque encore que les registres de garde à vue sont souvent mal tenus. Il n’est pas rare que l’heure de fin de garde à vue n’y soit pas précisée ou, curieusement, que l’on fasse signer la page de sortie à la personne dès son arrivée. Et le Contrôleur général de s’étonner : est-ce par commodité ? Parce que les policiers sont débordés ?

On a l’impression, conclut le Contrôleur général, que la garde à vue est organisée en fonction des contraintes matérielles et non des garanties juridiques, alors que le respect des droits de la personne doit l’emporter.

Enfin, finissons-en avec le « menottage » injustifié, les fouilles à nu, les humiliations diverses ; avec l’arbitraire total de la durée de la garde à vue ; avec le flou du point de départ de la garde à vue ; avec les prolongations de garde à vue dites « de confort », découlant de l’absence de réel contrôle, quand lesdites prolongations ne sont pas accordées de manière anticipée !

Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment le train de la justice a-t-il déraillé ? Comment justifier cette augmentation exponentielle du nombre de gardes à vue en si peu de temps ?

Je constate qu’aucun ministère ne se vante d’une telle évolution en ce mois de février 2010, parce qu’elle est indéfendable et parce que la société s’en émeut dans toutes ses strates, même s’il faut bien reconnaître que le phénomène touche davantage les couches dites populaires et les jeunes en particulier,…

M. Jacques Mézard. … encore que ce ne soit pas dans les zones de non-droit que les gardes à vue soit les plus fréquentes.

Qu’en sera-t-il lorsqu’un couvre-feu pour les mineurs de moins de treize ans sera institué et que les mineurs contrevenants pourront être amenés, sur décision du préfet, au commissariat ?

Quoi qu’il en soit, nous sommes passés de la police de proximité à la police de statistique, soumise à la politique sécuritaire du chiffre. Et dire que l’on va jusqu’à invoquer la LOLF pour justifier ce règne de la statistique où il faut multiplier les « bâtons », si vous me permettez d’employer une expression répandue dans le métier, pour atteindre les objectifs !

De surcroît, la multiplication des lois dites « sécuritaires », calées sur l’exploitation des faits divers, est incompatible avec une bonne justice. C’est pourquoi nous nous réjouissons, madame le ministre d’État, de votre récente réponse au ministre de l’intérieur à ce sujet.

Nombre de policiers et de gendarmes s’insurgent eux-mêmes contre ce système, contraire à la bonne marche des services. En effet, les personnels - et le temps passé par eux à gérer cette machine infernale - ne peuvent être consacrés à d’autres tâches pourtant plus utiles à la sécurité publique, à laquelle nous sommes attachés tout comme vous.

Il ne convient pas de traiter la maladie par un remède homéopathique, ni de mettre l’édredon sur le dossier, contrairement à ce que lecture du rapport Léger pourrait laisser croire, rapport dont, me semble-t-il, certains des constats sont discutables et les préconisations dépassées.

La connaissance des grands dossiers et des affaires médiatiques ne suffit pas toujours à cerner la réalité de nos départements et de nos banlieues, en somme, la vraie réalité quotidienne du terrain.

Est-il bien raisonnable d’écrire, comme M. Léger, que l’augmentation des gardes à vue est en partie liée à l’augmentation de l’activité des services ? Que la pratique dominante est toutefois de ne pas placer en garde à vue pour des faits contraventionnels ni des délits pour lesquels aucune peine privative de liberté n’est encourue, de proposer une retenue judiciaire souvent préalable à la garde à vue ?

Ces dernières semaines, nous vivons le naufrage de la garde à vue. Les tribunaux de Bobigny, de Nancy et, à cinq reprises dans la seule journée du 28 janvier, le tribunal correctionnel de Paris, ont annulé des gardes à vue au motif du non-respect des droits de la défense.

Après un travail mené en collaboration avec le barreau de Paris et ses bâtonniers, j’ai donc déposé, avec plusieurs de me collègues du RDSE, une proposition de loi figurant à l’ordre du jour de cette assemblée à la date du 24 mars prochain. Ce texte vise à imposer la présence d’un avocat lors d’une audition immédiate, puis après chaque audition, comme il est d’usage dans pratiquement tous les pays européens.

De grâce, madame le ministre d’État, mes chers collègues, mettons un terme à cette méfiance épidermique pour le Barreau ! Les avocats sont, comme vous le savez, des auxiliaires de justice, liés par leur déontologie. De grands parlementaires ont rejoint cette profession, et votre prédécesseur y aspire.

Madame le ministre d’État, quelles sont vos intentions ? Allez-vous donner des instructions pour que, immédiatement, avant même l’indispensable réforme, un peu de raison revienne dans les gardes à vue et que cessent ces faits divers dont la presse encore ce matin se fait l’écho ?

Les membres de mon groupe ne sont pas de ceux qui préfèrent une injustice à un désordre. Ils ne sont pas non plus de ceux qui prêchent le laxisme. L’un d’entre nous, ancien ministre de l’intérieur, a su, en cette qualité, marier l’ordre et la liberté, dans son discours comme dans sa politique.

La République, pour nous, c’est la liberté et l’ordre. Nous connaissons votre sens de l’État et votre sens de l’humain. Les deux sont non seulement conciliables mais indispensables. En agissant vite, vous éviterez que ne se creuse davantage le fossé entre forces de l’ordre, justice et citoyens.

Madame le ministre d’État, restaurez les principes qui font l’honneur de la République ! Vous ne pouvez rêver d’un meilleur programme pour le ministre de la justice et des libertés. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier Jacques Mézard d’avoir pris l’initiative de ce débat, auquel toute personne attachée aux libertés publiques est nécessairement sensible.

Qu’est-ce qu’une garde à vue ?

C’est d’abord vingt-quatre heures ou plus de la vie d’un homme ou d’une femme dans ce que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté considère comme « les plus médiocres des locaux administratifs les plus médiocres », vingt-quatre heures – excusez-moi de la précision – dans des odeurs d’urine et parfois d’excréments.

Une garde à vue, c’est ensuite, et malheureusement, une série d’humiliations : des menottes, un tutoiement, une fouille systématique avec mise à nu, certains étant privés de leurs lacets, d’autres de leurs lunettes, et les femmes obligées de retirer leur soutien-gorge. Voilà la réalité de la garde à vue telle qu’on la pratique aujourd'hui.

Une garde à vue, c’est bien souvent l’entrée dans le monde de Kafka. Je ne sais pas si vous connaissez la première phrase de son roman Le Procès : « On avait sûrement calomnié Joseph K., car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin ».

Précisément, mes chers collègues, pour nombre de nos concitoyens, être placé en garde à vue, c’est vivre des heures kafkaïennes, se retrouver à la disposition de la police, sans parfois savoir pourquoi, sans que les nécessités de l’enquête aient été expliquées, et parfois même sans enquête du tout.

Certains diront que j’exagère. Alors, ouvrons le rapport 2008 de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Une banque avait remis à deux époux âgés de soixante-dix ans trois chéquiers, dont deux appartenaient à d’autres clients. Ne s’en étant pas rendu compte, les époux avaient utilisé pendant un an les chéquiers. Un beau matin, nos deux septuagénaires sont convoqués au commissariat. Dès leur arrivée, ils sont placés en garde à vue, font l’objet d’une fouille à nu – on se demande bien pourquoi – et sont interrogés et gardés pendant plusieurs heures par deux fonctionnaires. L’homme est même palpé alors qu’il se trouve en slip et tee-shirt !

Franchement, mes chers collègues, souhaitons-nous de telles pratiques dans notre pays ?

On peut me répondre que cet exemple est excessif car, en toutes choses, il y a des exceptions.

J’ai entendu ce matin même relater sur France Info – Jacques Mézard l’a évoqué tout à l’heure – ce fait divers que je n’aurai pas, moi, la pudeur de taire. Voilà une jeune fille de quatorze ans, Anne. Un matin, alors qu’elle dort encore, la police frappe à la porte. Anne est arrêtée et emmenée dans un commissariat en pyjama – il y a une discussion sur ce fait, mais peu importe. Le policier qui a procédé à l’interpellation dira même qu’il n’a jamais menotté un poignet aussi fin… Quel intérêt, aucun délit majeur n’étant reproché à l’adolescente ?

Non, ces exemples ne sont pas des exceptions. Chacun de nous – Jean-Louis Carrère me le rappelait tout à l’heure – pourrait citer des cas de gardes à vue abusives.

Où en sommes-nous aujourd'hui ?

En 2009, 580 000 personnes ont été placées en garde à vue et, dans un cinquième des cas, la mesure a été prolongée au-delà de vingt-quatre heures. En fait, ce total déjà effrayant ne tient pas compte des 250 000 gardes à vue prononcées pour des infractions routières, ni des chiffres de l’outre-mer. Selon Robert Badinter, d’autres infractions ayant donné lieu à des gardes à vue ne seraient pas non plus comptabilisées.

Au total, 900 000 personnes, et sans doute plus, ont été concernées à un moment ou à un autre par une mesure de garde à vue l’an passé, c'est-à-dire plus de 1% de la population française…

Or, dans le code de procédure pénale, la garde à vue est une mesure exceptionnelle de privation de liberté qui doit être justifiée par les nécessités de l’enquête.

Que s’est-il donc passé ?

Les chiffres sont intéressants. En 2004, la France recense 380 000 gardes à vue. Le ministre de l’intérieur change, il s’appelle désormais Nicolas Sarkozy et, en 2009, la France connaît 580 000 gardes à vue. Sans vouloir faire de mauvais procès, on est en droit de s’interroger sur ce qui s’est passé ces cinq dernières années. Y a-t-il eu une explosion de la criminalité dans notre pays ? Non. A-t-on été victime d’une menace voire d’une attaque terroriste nécessitant des mesures exceptionnelles ? Non, encore non.

Malheureusement – c’est la raison pour laquelle Kafka est une bonne référence – nous assistons à un phénomène de banalisation, de « routinisation ». Il n’est plus si grave aujourd’hui de priver quelqu’un de liberté pendant vingt-quatre heures. Pour beaucoup de gens, cela ne semble pas si scandaleux et cela fait peut-être partie des nécessités du temps.

Cette « routinisation » a d’ailleurs été dénoncée par le Premier ministre, qui a employé le terme le 21 novembre dernier lors de l’inauguration de la nouvelle prison du Mans.

Permettez-moi de souligner cette contradiction : d’un côté, un Premier ministre qui dénonce la garde à vue et, de l’autre, des services qui l’organisent avec l’obsession du chiffre, le chiffre, encore le chiffre, toujours le chiffre. Et, pour faire de la bonne statistique, mieux vaut évidemment ne pas trop s’embarrasser des cas individuels…

La Cour de cassation a beau rappeler les principes, on ne les applique pas. J’emploierai une formule polémique, je le reconnais volontiers, mais ce sera la seule : s’il est vrai que l’on ne gagne pas les élections avec le recueil des arrêts de la Cour de cassation sous le bras, je trouve dommage que les arrêts de la haute juridiction soient ainsi voués à n’être jamais consultés que le 14 juillet !

J’ai parlé de « routinisation ». En fait, c’est plus que cela. Il y a une culture de la répression. J’ai l’impression que la garde à vue est actuellement, dans le grand arsenal de la répression, une petite sanction « cousue main ». On l’utilise pour blâmer, pour humilier : un regard de travers ? Garde à vue ! Un propos déplacé ? Garde à vue !

Aujourd'hui, on confond l’objet même de la garde à vue, tel que défini par le code de procédure pénale, et cet instrument qui permet d’assouplir, de faire plier, de soumettre quelqu’un qui n’aurait pas le comportement attendu.

Selon le mot de l’ancien bâtonnier de Paris, pour un avocat, compte tenu des conditions actuelles, la garde à vue est, au mieux, une « visite de courtoisie ».

Dans notre État de droit, nous avons mieux à faire, me semble-t-il, que de rendre des visites de courtoisie. Il faut donc réformer la garde à vue. Robert Badinter précisera notre position sur le rapport Léger.

Madame le ministre d’État, mes chers collègues, nous ne devons pas aujourd'hui recouvrir la garde à vue d’un vernis sécuritaire pour effacer les atteintes aux libertés publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Gérard Larcher remplace Mme Monique Papon au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, depuis quelques semaines, et ces jours derniers encore, la presse regorge d’articles aux titres aguicheurs pour le grand public : « Il faut supprimer la garde à vue », « L’inflation choquante des gardes à vue », « Gardes à vue : sortir de la logique policière », « Les statistiques officielles sous-estiment le nombre réel de gardes à vue », « La garde à vue : une usurpation policière », « Conflit sur la garde à vue », « La France : mauvaise élève en matière de gardes à vue » , « Abus de gardes à vue ». Je ne peux arrêter ce flot de « unes » sans avoir cité celle-ci : « Fillon, choqué du nombre de gardes à vue ».

Le 3 février dernier, le Premier ministre a annoncé en ces termes un texte pour encadrer la garde à vue en France : « Je suis choqué du nombre de gardes à vue dans notre pays, je suis choqué par la manière dont la garde à vue est utilisée comme moyen de pression pour obtenir des aveux […] On ne doit pas utiliser la garde à vue à tout va. »

Jusqu’à vous, madame le ministre d’État, qui récemment déclariez que « les gardes à vue seront limitées aux réelles nécessités de l’enquête, garantissant la liberté de chacun en assurant la sécurité de tous ».

Madame le ministre d’État, pour avoir bien compris combien chaque mot pèse dans votre bouche, je mesure la portée de votre déclaration en réponse à ce climat émotionnel né de décisions récentes prises par la Cour européenne des droits de l’homme – Jacques Mézard l’a rappelé – et, plus près de nous, par le tribunal de Bobigny, tendant à dénoncer les conditions dans lesquelles sont intervenues certaines gardes à vue.

Dans ce contexte particulier, largement repris en écho par de nombreuses personnalités d’autorité du monde judiciaire, la question posée par mon excellent collègue Jacques Mézard est fort opportune.

Avec lui, notre groupe a d’ailleurs déposé une proposition de loi qui sera examinée par notre Haute Assemblée au mois de mars prochain, texte venant s’inscrire ainsi au nombre des autres propositions de loi émanant de collègues députés ou sénateurs qui, comme nous ici, s’interrogent sur le dispositif de la garde à vue.

Mon propos ne sera pas tant de revenir sur des décisions jurisprudentielles largement commentées que de m’interroger, à mon tour, sur les conditions dans lesquelles pourrait être améliorée la garde à vue.

Je veux d’abord souligner combien le principe de la garde à vue, né en 1958 par inscription dans le code de procédure pénale, a évolué au gré du contexte événementiel et sociétal, visant désormais, au-delà du régime de droit commun, des régimes dérogatoires, s’agissant du terrorisme, des stupéfiants, voire du banditisme.

Ces évolutions, très encadrées par le Conseil constitutionnel, ont eu pour objectif permanent de mieux protéger le mis en cause. Car là est le paradoxe : parce qu’elle est privative de liberté physique, la garde à vue crée un espace de liberté intérieure protectrice. Elle ouvre des droits auxquels n’aurait pas accès le mis en cause s’il n’était pas placé dans cette situation.

La loi du 4 janvier 1993 est, sur ce point, essentielle : elle a conforté la fonction de contrôle du procureur de la République. Le magistrat doit être avisé dès le début de la mesure. La personne mise en cause a la possibilité de faire aviser un proche de la garde à vue dont elle fait l’objet. Le droit à l’examen médical est affirmé dès le début et au cours de la garde à vue ; l’arrivée de l’avocat pendant la garde à vue est prévue.

Tout concourt – nouveau paradoxe – non pas à l’enfermement, mais au contraire à l’ouverture sur l’extérieur.

Vous l’aurez bien compris, madame le ministre d’État, je viens de relever les aspects positifs d’un dispositif dont chacun s’est accordé, au fil du temps et des réformes législatives, à vouloir qu’il soit plus respectueux de la liberté de l’homme tout en garantissant, comme vous l’avez vous-même rappelé, la sécurité du citoyen.

Mais, comme dans toute chose, à côté de la lumière, il y a l’ombre, et celle-ci prend ici plusieurs formes.

Il s’agit, en premier lieu, de l’abus de la garde à vue. Je ne veux pas entrer dans la querelle des chiffres - 500 000, 600 000, 900 000 même -, mais le fait est là : la progression du nombre des gardes à vue est incontestable.

À quoi faut-il l’imputer ? À l’échec d’une politique de lutte contre la petite délinquance, à la culture du chiffre ? Certains parleraient même du « culte de la statistique ». Il sera, sur ce point, fort intéressant, au travers des statistiques policières et gendarmesques, de faire l’analyse des comportements des uns et des autres au regard de la garde à vue.

En tout état de cause, les chiffres tendent à prouver que le nombre des gardes à vue liées aux infractions routières occupe une place non négligeable dans le total.

Loin de moi l’idée de refuser de vouloir protéger, parfois contre lui-même, un conducteur en état d’ébriété ou sous l’effet d’un produit stupéfiant. La cellule de dégrisement et la garde à vue peuvent être, dans certaines circonstances, la seule solution, la solution de sagesse avant de rendre à la personne mise en cause la possibilité de reprendre son véhicule.

Mais il est d’autres situations, et elles sont largement commentées par la presse, qui signale des circonstances outrageusement inexplicables, sauf à considérer que le port de l’uniforme donne tous les droits, y compris celui de mettre en garde à vue un citoyen pour un chef d’inculpation que l’on aurait bien du mal à définir.

Le deuxième point qui pose problème est celui de la présence de l’avocat.

Vous avez, madame le ministre d’État, dans une circulaire du 17 janvier, donc récemment, rappelé qu’en droit français les dispositions relatives à la garde à vue permettent toujours à la personne concernée d’avoir accès à un avocat pendant la garde à vue, conformément à l’article 63-4 du code de procédure pénale. Cet accès, pour une infraction de droit commun, peut intervenir « dès le début de la garde à vue » ; il est différé s’agissant des infractions relevant des régimes dérogatoires : terrorisme, stupéfiants, banditisme…

Effectivement, un avocat, qu’il intervienne dans le cadre de sa permanence pénale ou qu’il soit commis d’office, est avisé du placement en garde à vue d’une personne mise en cause. Cependant, le délai nécessaire à cet avocat pour rejoindre son « client » peut être très variable, que ce soit en raison de l’éloignement géographique ou d’une contrainte d’emploi du temps qui lui interdit de quitter une audience du tribunal ; et ce délai, dont chacun ici voudra bien s’accorder à reconnaître qu’il est aléatoire et souvent incontournable, peut être utilisé pour débuter une audition – en dehors, donc, de la présence de l’avocat.

Je ne saurais écarter l’intérêt qu’il y a, dans certains cas, à « faire vite », accumuler les preuves, relever les traces ; mais je me garde de cette culture – ce « culte », là encore – de l’aveu recueilli au détriment des règles essentielles du droit du mis en cause.

Les avocats que je connais, que j’ai rencontrés, ont souvent dénoncé ce problème de temps, certes difficile à résoudre, sauf à imaginer la création d’un corps d’avocats affectés à cette seule mission d’assistance à garde à vue. En revanche, ces mêmes amis avocats apprécient le fait de connaître le grief auquel sont exposés leurs clients et de recevoir au moins quelques bribes d’information avant de les rencontrer.

Le troisième point, trop souvent relevé, tient aux conditions même de la garde à vue.

Les mots ne sont pas trop forts pour dénoncer les attitudes d’humiliation morale et physique auxquelles sont soumis parfois les gardés à vue : fouilles à corps, locaux sordides… On a du mal à croire, à lire le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, que l’on soit encore dans un monde dit « humain », un monde d’hommes fait pour des hommes.

Madame le ministre d’État, je sais votre conviction qu’il faut améliorer ces lieux, de sorte qu’y soit respectée à tout le moins la dignité humaine. Mais la propreté des murs ne suffira pas : encore faudra-t-il inculquer les règles de bonne conduite nécessaires pour qu’auditions et interrogatoires ne deviennent pas un cauchemar, un enfer qui marque parfois à jamais ceux qui ont connu l’épreuve de la garde à vue.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Anne-Marie Escoffier. Mon intervention, dans le prolongement de celle de mon ami Jacques Mézard, n’avait d’autre objectif que de dire avec lui, moins bien que lui, mais avec force et conviction, l’absolue nécessité de réviser notre droit pour que la garde à vue ne soit jamais une « banalité », mais pour qu’elle soit un acte engageant notre société tout entière. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées de l’Union centriste et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.

M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, le sujet dont nous débattons aujourd’hui concerne deux impératifs essentiels qui fondent notre État de droit : d’une part, le devoir de la société de poursuivre les auteurs d’infractions, d’autre part, l’obligation faite à la justice de garantir les droits de la défense.

Notre législation en matière de garde à vue doit faire l’objet d’un subtil équilibre entre ces deux impératifs : c’est ce que nous appelons tous de nos vœux.

En dépit du développement de la police scientifique et technique et des méthodes d’analyse faisant notamment appel à l’ADN, notre système judiciaire reconnaît toujours à l’aveu, ancienne « reine des preuves », une valeur probante particulière. Or, pendant la garde à vue, les suspects sont dans une situation de vulnérabilité psychologique et physique. Plus le mis en cause est susceptible ou fragile, plus il risque de tenir des propos avec lesquels il pense pouvoir satisfaire l’enquêteur, mais qui éloigneront la justice de la vérité.

Vous avez affiché, madame le ministre d’État, votre volonté, dans le cadre de la future réforme de la procédure pénale, de rendre l’aveu en garde à vue insuffisant pour justifier à lui seul une condamnation. Le groupe UMP et moi-même saluons votre démarche. Nous ne saurions tolérer, en effet, qu’en France, pays des droits de l’homme, les seuls aveux obtenus en garde à vue puissent déterminer l’issue du procès.

Notre droit consacre, en outre, l’équilibre entre les droits de la défense et l’intérêt de la communauté à faire juger les personnes coupables d’infractions.

Ainsi, afin de contrebalancer l’atteinte portée à sa liberté individuelle, il est reconnu à la personne placée en garde à vue une sphère protectrice.

D’une part, il est fait obligation aux services de police judiciaire d’enregistrer les interrogatoires de tout suspect faisant l’objet d’une mesure de détention policière en matière criminelle.

D’autre part, le gardé à vue se voit notifier par les enquêteurs la nature de l’infraction sur laquelle portent les investigations, la durée possible de la mesure, le droit de faire prévenir un proche ou son employeur du placement en garde à vue, le droit d’être examiné par un médecin, et enfin la possibilité de s’entretenir avec un avocat.

Sur ce dernier point, la loi du 15 juin 2000 prévoit que le gardé à vue suspecté d’avoir commis une infraction de droit commun peut s’entretenir au début de la garde à vue durant trente minutes avec un avocat. Comme l’a énoncé le Président de la République lors de son discours du 7 janvier 2009 devant la Cour de cassation : « On ne doit pas redouter la présence de l’avocat dès le début de l’enquête. » À l’heure actuelle, si l’avocat est présent, il n’a toutefois pas accès au dossier de son client en amont et ne peut assister aux interrogatoires ultérieurs.

Madame le ministre d’État, vous envisagez que l’avocat puisse avoir accès à tous les procès-verbaux d’interrogatoire du gardé à vue et qu’il puisse assister aux auditions de son client en cas de prolongation de la mesure ; c’est une bonne chose. De la sorte, vous contribuerez à restaurer le plein exercice de l’avocat. S’il s’agit d’abord pour l’avocat de protéger les intérêts de son client, il s’agit aussi d’un intérêt plus large : celui de s’assurer que le système répressif fonctionne correctement, et ce afin que la justice s’appuie sur des preuves fiables et des condamnations justifiées.

La garde à vue est une mesure privative de liberté prise pour les nécessités de l’enquête à l’encontre d’une personne dont il est plausible qu’elle ait commis ou tenté de commettre un crime ou un délit. Notre droit devrait ainsi garantir qu’une personne n’est placée en garde à vue que si la contrainte est absolument nécessaire.

Or nous sommes obligés d’observer, à regret, que, loin de rester une décision grave, la garde à vue s’est banalisée. Ici, les chiffres parlent d’eux-mêmes : le nombre de placements en garde à vue est passé de 336 000 en 2001 à plus de 577 000 en 2008. En l’espace de sept ans, il a donc presque doublé !

Vous avez déclaré, madame le ministre d’État, que, dans le cadre de la réforme de la procédure pénale, la gravité des faits reprochés et les peines d’emprisonnement encourues seraient mieux prises en compte dans la décision de mise en garde à vue. Nous nous en réjouissons, car une meilleure visibilité des conditions de mise en garde à vue serait une avancée majeure.

En effet, si l’augmentation du nombre de mises en garde à vue est à mettre en relation avec le taux d’élucidation des délits, qui atteint aujourd’hui presque 40 % – nous nous en félicitons tous –, il est évident que certaines gardes à vue sont moins justifiées que d’autres.

Dans certains cas, notamment pour les crimes et délits les plus graves, l’isolement du gardé à vue paraît pleinement justifié. Il est indispensable à la manifestation de la vérité face à un « délinquant chevronné » pour qui la privation de liberté est aisément plus supportable que pour le délinquant de droit commun. Ainsi, les régimes spéciaux de garde à vue en matière de terrorisme, de proxénétisme ou encore de trafics de stupéfiants ne sauraient être alignés sur le droit commun.

Dans d’autres cas, et dès lors que le gardé à vue n’est pas interrogé et qu’aucune mesure d’investigation n’est effectuée par ailleurs, il est a contrario difficile d’admettre que la garde à vue puisse être nécessaire. Une simple audition sur convocation serait alors suffisante.

Permettez-moi, madame le ministre d’État, de vous donner un exemple pour étayer mon propos.

Encore hier, dans un reportage télévisé, une pharmacienne livrait son témoignage après une garde à vue dont les conditions même laissent peser un certain nombre de doutes sur la légalité : alors qu’au départ les policiers ne semblaient vouloir que des informations sur son compagnon, elle se serait retrouvée vingt-quatre heures en garde à vue…

On ne saurait présumer de la véracité des faits relatés, mais ce témoignage, s’il devait être confirmé, ne fait que soulever une nouvelle fois le problème récurrent de la remise en cause des libertés individuelles. En effet, cet exemple est loin d’être marginal. C’est quotidiennement que, par le biais de la presse ou de la télévision, nous sommes confrontés à des témoignages de ce type. Face à l’émotion qu’ils suscitent, nous ne saurions rester muets.

En l’absence d’habeas corpus dans notre droit, l’article VII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoit que « nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi ». Et c’est à regret que l’ensemble des membres du groupe UMP et moi-même ne faisons que constater les nombreuses lacunes de notre législation en matière de garde à vue.

Les sénateurs, garants des libertés individuelles, seront particulièrement attentifs à ce que soit opérée une véritable avancée en matière de droits de la défense et de conditions de garde à vue.

À ce titre, je souhaiterais évoquer le cas particulier des gardes à vue en matière d’infractions routières, qui sont en constante augmentation.

Un grand quotidien a récemment révélé qu’en 2008 près de la moitié des auteurs de ces infractions ont été placés en garde à vue. De plus, en ce domaine, la garde à vue donne lieu à un usage variable. Ainsi, un policier pourra décider qu’un automobiliste contrôlé positif à l’alcool sera reconduit chez lui dans son véhicule par le passager, alors que, dans la même situation, un autre officier de police judiciaire pourra décider de conduire l’automobiliste en garde à vue. Ces incohérences semblent avoir pour origine le fait que les procureurs adressent des instructions différentes aux forces de l’ordre, et nous le regrettons.

Madame le ministre d’État, nous souhaiterions savoir si vous prévoyez un dispositif plus cohérent en matière de placement en garde à vue pour les infractions au code de la route, afin que, d’une part, seules les personnes susceptibles de faire l’objet d’une peine de prison soient mises en garde à vue, et que, d’autre part, les auteurs de ces infractions soient traités de la même manière sur l’ensemble du territoire de la République. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je remercie à mon tour, au nom de mon groupe, notre collègue Jacques Mézard d’avoir pris l'initiative de relancer le débat parlementaire sur la regrettable dérive de la garde à vue dans notre pays.

Il faut dire que l'actualité juridique et médiatique rend ce débat difficilement contournable. En effet, le constat dressé par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la polémique autour des chiffres après la publication de l’enquête du journaliste Mathieu Aron, la mobilisation des avocats faisant suite à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, nous y obligent.

Quelles que soient les polémiques, tout converge pour que nous soyons fondés à dénoncer les dérives de notre procédure pénale. Les chiffres officiels, d’aucuns les ont cités, font état de 580 108 gardes à vue, auxquelles on doit ajouter les 250 000 placements en garde à vue qui ont été décidés dans le cadre de délits routiers, mais sans être jusqu’ici comptabilisés avec les autres, et les 37 500 qui sont intervenus outre-mer.

On arrive donc en 2009 à un total d’environ 900 000 gardes à vue, soit une hausse de 54 % depuis 2000. Une telle augmentation, vous en conviendrez, est sans rapport avec celle de la délinquance et, surtout, de l’efficacité du traitement de cette délinquance ! Qui plus est, la durée des gardes à vue augmente également – plus de 74 % dépassent aujourd’hui vingt-quatre heures –, alors qu’elles se déroulent dans des conditions, d’autres orateurs l’ont rappelé, qui sont le plus souvent jugées déplorables du point de vue de l’hygiène et de la dignité des personnes.

Toutes ces défaillances de la procédure pénale française ne sont pas nouvelles. En effet, la violation des droits de la personne placée en garde à vue est une réalité somme toute assez ancienne qu’il serait hypocrite de découvrir sous le seul éclairage de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a souvent dénoncé cette situation. Personnellement, depuis 2004, j’ai saisi la CNDS à neuf reprises pour des gardes à vue, et ce à la demande ou bien de l’intéressé, ou bien, dans un cas, de sa famille, puisque la personne était décédée à la sortie de sa garde à vue. Dans ce dernier cas - les faits se sont produits en 2005 dans le XVIIe arrondissement de Paris –, la CNDS a mis en évidence un nombre important de manquements de la part de la police : absence de notification des droits, non-effectivité des notifications, alcoolémie, non-bénéfice des garanties attachées au dégrisement et à la garde à vue, absence de contrôle efficace de l’exécution de la mise en liberté après la garde à vue, anomalies des procès-verbaux, et j’en passe. Tout cela pour une seule garde à vue, et la personne est morte en sortant du commissariat…

Une autre personne a subi une perte d’audition de 40 %, et je vous épargne le détail des autres cas !

En réalité, tout citoyen – mais particulièrement les jeunes, surtout s’ils sont issus de l’immigration, et les manifestants – peut être placé en garde à vue dès lors qu’il pénètre dans un commissariat, quelle que soit « l’affaire le concernant », pour reprendre la formule usuelle.

C’est ainsi que, en 2009, quelque soixante-dix salariés d’EDF – la plupart d’entre eux étaient des syndicalistes – ont été placés en garde à vue dans cinq commissariats parisiens différents après avoir occupé les locaux de leur direction et commis quelques infractions. Trois d’entre eux ont alors été fouillés à corps, une femme de cinquante ans étant sommée d’enlever son soutien-gorge ! Ces personnes n’étaient pourtant pas, à mon avis, susceptibles d’appartenir au grand banditisme, aux milieux terroristes ou à un réseau de trafic de stupéfiants !

La banalisation de la garde à vue est le fruit de la politique pénale menée depuis 2002, et je m’honore avec mon groupe d’avoir déposé dès 2005 sur le bureau du Sénat une proposition de loi visant à renforcer les droits de la défense face aux dérives sécuritaires constatées.

La politique du chiffre engagée par Nicolas Sarkozy quand il était ministre de l’intérieur et poursuivie actuellement est aujourd’hui dénoncée par le syndicat SGP-Unité Police, qui, lors de son meeting à Paris, le 15 janvier dernier, critiquait une « culture du résultat » imposée aux policiers par un gouvernement soucieux de présenter de « bonnes » statistiques de la sécurité.

Or, nous le savons, la multiplication des interpellations débouche de plus en plus souvent sur des placements en garde à vue. Notre droit actuel – exception négative en Europe – autorise une utilisation extensive de la garde à vue, qui donne beaucoup de poids à la phase policière de l’enquête. Tout le monde le sait, la « culture de l’aveu » autorise l’abus de pouvoir dans les locaux de la police, même si la violence physique à l’encontre des gardés à vue est lourdement sanctionnée lorsqu’elle est constatée. De plus, la pression psychologique et l’humiliation des personnes sont monnaie courante.

Il faut donc repenser le droit, comme nous y invite la Cour européenne des droits de l’homme. Les propositions de loi tendant à garantir la présence et surtout les prérogatives de l’avocat dès la première heure ou relatives à la limitation de la garde à vue aux infractions pour lesquelles une peine de prison de cinq ans au minimum est encourue vont évidemment dans le bon sens. Or, visiblement, le Gouvernement, s’inspirant du rapport Léger, voudrait rester en deçà de ces propositions, c’est-à-dire en deçà de la jurisprudence européenne.

Pour ma part, je suis convaincue qu’il est nécessaire de repenser la garde à vue de façon qu’elle redevienne une mesure exceptionnelle. Trois magistrats honoraires de la Cour de cassation, Jean-Pierre Dintilhac, Jean Favard et Roland Kessous, viennent de publier un article « décapant », en réponse aux abus actuels. Ils proposent de sortir de la logique policière en vertu de laquelle une personne est déjà présumée coupable dès lors qu’elle a avoué devant la police et de rendre à la garde à vue son sens étymologique de garde des personnes interpellées en flagrant délit ou sur la base de charges résultant d’investigations, pour laisser au juge le soin d’ouvrir la phase judiciaire, et donc de commencer les interrogatoires.

Je ne sous-estime pas l’ampleur d’une telle réforme pour la justice, mais le débat doit avoir lieu. Or, le rapport Léger est, hélas ! d’une très grande frilosité sur ce point – c’est un euphémisme ! Il est en outre contestable sur bien d’autres sujets, sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir ultérieurement.

Quoi qu’il en soit, la garde à vue doit être strictement limitée dans son champ d’application et sa durée, et ses conditions doivent être précisément fixées. Il est donc nécessaire de récrire les articles 63 et 77 du code de procédure pénale et de conditionner de manière plus contraignante la mise en œuvre de cette mesure grave, privative de liberté, en revenant à la notion ancienne d’ « indices graves et concordants », ainsi que de limiter l’application de cette mesure aux infractions pour lesquelles une peine de prison de cinq ans au minimum est encourue.

Par trois arrêts récents – Salduz c/Turquie, Dayanan c/Turquie et Savas c/Turquie –, la Cour européenne des droits de l’homme vient de redéfinir précisément les conditions d’exercice des droits de la défense et, plus généralement, de réaffirmer le droit à un procès équitable et le droit à l’assistance d’un avocat dès la garde à vue.

Ainsi, « pour que le droit à un procès équitable […] demeure suffisamment “ concret et effectif ”, il faut, en règle générale, que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ».

Pour ce qui concerne la procédure de droit commun, en l’état actuel de la législation, l’avocat intervient dès la première heure, pour un entretien de trente minutes, mais la personne gardée à vue peut être entendue avant son arrivée, ce qui constitue, ainsi que cela a déjà été souligné, le nœud du problème.

Qui plus est, en 2004, la loi Perben I a prévu des exceptions au droit d’accès à un avocat pour certaines affaires qui relèvent de la criminalité organisée ou du terrorisme, l’intervention de l’avocat étant repoussée à 48 heures après le début de la garde à vue dans le premier cas, à 72 heures dans le second. De telles exceptions, qui contreviennent aux exigences posées par la jurisprudence européenne, doivent être supprimées. Rappelons que la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’intervention de l’avocat doit permettre « la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention ».

Pour notre part, nous pensons que la personne placée en garde à vue doit se voir notifier, dès la première minute, son droit à être assistée d’un avocat, avant que les auditions ne puissent commencer. L’avocat doit pouvoir accéder au dossier dès le début de la procédure et assister à toutes les auditions.

Je voudrais maintenant évoquer le respect du principe de l’égalité des armes, au travers du droit de garder le silence, des nullités de procédure et de la durée de la procédure.

Il est essentiel de réaffirmer, dans le code de procédure pénale, le droit de ne pas participer à sa propre incrimination. Depuis la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, le gardé à vue bénéficie certes du droit de se taire, mais il n’en est pas informé et ne risque donc guère de se prévaloir de ce droit !

En ce qui concerne la durée de la garde à vue, certains pays européens ont consigné une durée maximale dans leur constitution. À cet égard, il convient d’être prudent sur la question de la qualification pénale et la tendance à la criminalisation de la justice pénale, qui entraîne l’application de régimes juridiques plus attentatoires aux libertés individuelles. Je pense ici à l’affaire Coupat – quatre jours de garde à vue et sept mois de détention provisoire ! – et aux conséquences inadmissibles de la qualification facile d’« actes de terrorisme ». Plus elle dure, plus la garde à vue est attentatoire au principe de l’égalité des armes, surtout si la personne concernée ne bénéficie pas de l’assistance d’un avocat.

Par ailleurs, il est nécessaire de sanctionner les violations des garanties procédurales par une nullité automatique de la procédure.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Enfin, la garde à vue, dans les conditions où elle est pratiquée en France, porte trop souvent atteinte à la dignité de la personne : vétusté des locaux, impossibilité d’accéder à un point d’eau, confiscation des lunettes… La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat a dénoncé les fouilles au corps, tandis que la Commission nationale de déontologie de la sécurité note que, « au fil de ses différents rapports depuis 2005 et malgré les instructions ministérielles […], [elle] est toujours confrontée à de multiples cas où menottage et fouilles à nu sont mis en œuvre sans discernement, de manière quasi systématique ». Comme je l’ai souligné lors du débat sur la loi pénitentiaire, les fouilles au corps doivent être vouées à la disparition et remplacées par des moyens de détection électronique.

M. Fillon a évoqué le droit à la sûreté. Rappelons que le droit à la sûreté, c’est aussi le droit de ne pas être arrêté ni détenu arbitrairement. On ne peut donc pas invoquer cette exigence pour justifier des mesures qui y contreviennent !

Quant à vos déclarations, madame la ministre d’État, sur l’arrêt de la cour d’appel de Nancy et sur la jurisprudence européenne, elles montrent à quel point le Gouvernement souhaite minimiser le problème. Le bâtonnier Christian Charrière-Bournazel déclarait, lors de la rentrée du barreau de Paris, qu’« il n’y a point d’ordre juste sans la garantie des droits fondamentaux et notamment ceux de la défense ; il n’y a point de sécurité légitime si elle met en péril la liberté ». C’est cette conception que nous devons défendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, au nom du groupe de l’Union centriste, je tiens, à mon tour, à remercier notre collègue Jacques Mézard d’avoir permis ce débat sur un sujet important et d’une brûlante actualité, débat qui servira d’introduction aux nombreux travaux qui nous occuperont dans les mois qui viennent.

Il y a une certaine urgence à traiter de la question de la garde à vue, car nous sommes, les uns et les autres, préoccupés par le fossé qui se creuse actuellement entre nos concitoyens, notamment les plus jeunes d’entre eux, et les services de police et de gendarmerie. Il ne serait pas bon pour notre démocratie que cette situation perdure trop longtemps.

Comme certains de mes collègues l’ont souligné, le nombre des gardes à vue a été multiplié par trois en dix ans ! On peut parler aujourd’hui d’un véritable dévoiement de cette procédure.

D’ailleurs, les plus hautes autorités de l’État s’en sont émues, puisque le Président de la République lui-même a souhaité, voilà un an, lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, la mise en place d’« un véritable habeas corpus à la française ». Pour sa part, le Premier ministre s’est dit « choqué », au mois de décembre dernier, par le nombre des gardes à vue. Vous-même, madame le ministre d’État, avez fait part, à plusieurs reprises, de votre préoccupation à ce sujet.

L’augmentation du nombre des gardes à vue est due à deux raisons principales, qui ont déjà été évoquées.

En premier lieu, le nombre des gardes à vue a été retenu parmi les critères d’évaluation de la performance des services de police et de gendarmerie.

En second lieu – mais il est plus difficile d’aborder cette question ! –, le placement en garde à vue est souvent imposé de facto par la jurisprudence de la Cour de cassation. En effet, il reste la seule mesure créatrice de droits dans le cadre de l’enquête de police. Il peut donc être reproché à un officier de police judiciaire de ne pas avoir placé une personne en garde à vue ou d’avoir pris cette décision trop tard.

M. Robert Badinter. C’est rare !

M. François Zocchetto. Cela arrive, mon cher collègue ! (Mme Anne-Marie Escoffier approuve.)

Permettez-moi d’aborder maintenant la situation de la personne gardée à vue, en évoquant la présence et l’assistance de l’avocat, ainsi que les conditions matérielles de la garde à vue.

Depuis la loi du 15 juin 2000, le droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat s’exerce depuis la première heure de la garde à vue, mais un entretien de trente minutes au maximum, que certains sont allés jusqu’à qualifier d’« entretien de courtoisie », n’est pas très utile dans la mesure où l’avocat n’est informé que de la nature de l’infraction supposée et de la date à laquelle elle aurait été commise.

Par ailleurs, la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme met la France dans une situation quelque peu difficile. Certes, je sais bien que les arrêts en cause n’ont pas d’application directe en droit français parce qu’ils concernent la Turquie, et non notre pays, mais certaines juridictions, tels le tribunal de grande instance de Bobigny et, plus récemment encore, le tribunal correctionnel de Paris ou la cour d’appel de Nancy, ont néanmoins annulé des actes accomplis pendant des gardes à vue – des interrogatoires, en l’occurrence –, au motif qu’ils n’étaient selon elles pas conformes à cette jurisprudence européenne.

Pour en avoir discuté avec plusieurs premiers présidents de cour d’appel, je crois être en mesure de dire que ces jurisprudences ne resteront pas isolées ! Nous sommes donc confrontés à une insécurité juridique tout à fait préoccupante pour notre procédure pénale.

J’en viens aux conditions matérielles de la garde à vue.

Point n’est besoin d’épiloguer sur le sujet : chacun est maintenant convaincu que les locaux dans lesquels se déroulent bon nombre de gardes à vue ne sont pas dignes de la République française, faute de lumière naturelle, d’aération, d’accès aux toilettes, de boutons d’appel, etc. On ne souhaite à personne d’être gardé à vue dans de telles conditions matérielles ! Cette situation est très regrettable.

Devant ce constat, quelles sont les évolutions possibles ?

Faut-il supprimer la garde à vue ? Personnellement, je répondrai d’emblée par la négative : cette procédure est utile dans un certain nombre de situations ; elle doit donc être maintenue.

Faut-il réserver la garde à vue à des délits d’une certaine gravité ? Cette piste mérite d’être étudiée. Dans la plupart des pays européens qui nous entourent, la garde à vue n’est prévue que dans le cas où les faits reprochés sont susceptibles d’être punis d’une peine d’emprisonnement au moins égale soit à cinq ans, soit à un an selon les États. Toutefois, sur ce sujet, je suis encore réservé, en raison du risque de surqualification juridique dès l’origine des faits reprochés. Cela se produit de temps en temps, lorsqu’une infraction qualifiée au départ de crime par les enquêteurs se révèle être, au final, un délit.

S’agissant de l’intervention de l’avocat, nous ne manquons pas d’initiatives parlementaires. Ainsi, deux propositions de loi sur ce thème ont été déposées au Sénat, et, à l’Assemblée nationale, MM. Michel Hunault et François Goulard en ont également élaboré chacun une. L’objectif est de faciliter l’accès du mis en cause à un avocat pendant la garde à vue.

Personnellement, je suis tout à fait favorable à une telle avancée, mais la profession d’avocat doit bien mesurer quelle responsabilité sera la sienne en cas d’évolution législative sur ce point. L’avocat devra en effet être disponible, sachant que toutes les gardes à vue ne se déroulent pas à quelques centaines de mètres de son cabinet ou du palais de justice. Il devra parfois effectuer des dizaines de kilomètres, à l’aller et au retour, le cas échéant en pleine nuit, et cela pour une rémunération très faible !

De plus, il sera nécessaire de mettre en place un système d’encadrement et de tutorat pour former les avocats qui interviendront à l’occasion des gardes à vue. En effet, les plus jeunes ne sont pas les moins efficaces, mais ils ont tout de même quelquefois besoin de confronter leur opinion à celle d’avocats plus expérimentés et ils devront donc pouvoir échanger sur leurs dossiers avec des confrères plus âgés.

Par ailleurs, le temps policier n’est pas le temps judiciaire, et l’accès à un dossier d’enquête pendant la garde à vue risque d’engendrer certaines frustrations pour l’avocat. En effet, bien souvent, n’y figurent pas toutes les informations que l’on pourrait attendre, ne serait-ce que parce que les officiers de police judiciaire n’ont pas eu le temps de les retranscrire.

Une autre piste consisterait à effectuer un enregistrement audiovisuel de toutes les gardes à vue. Aujourd’hui, cela est possible pour les crimes, mais non pour les délits, sauf s’ils ont été commis par des mineurs.

Une autre possibilité encore serait de renoncer à la culture absolue de l’aveu. Des propositions pourront être faites dans ce sens. Certains ont émis l’idée qu’aucune condamnation ne puisse être prononcée par un tribunal sur la seule foi de déclarations faites hors la présence de l’avocat pendant la garde à vue. D’autres proposent même un retour à la garde à vue originelle : elle ne concernerait que les personnes interpellées en flagrant délit ou sur la base de charges résultant d’investigations, cela dans l’attente de leur présentation au juge, l’enquête se poursuivant alors devant ce dernier, qui pourra très rapidement prendre une décision s’il estime que le dossier est prêt.

Telle est, madame la garde des sceaux, ma modeste analyse. Je sais que cette situation vous préoccupe et que la garde à vue constituera un chapitre très important de la réforme de la procédure pénale que vous avez engagée. Je vous remercie de l’attention que vous portez à ce sujet si important pour tous les Français. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Aujourd’hui, c’est à la ministre des libertés que je m’adresserai plus particulièrement, puisque vous avez adjoint cette appellation à la dénomination traditionnelle de votre fonction, ce que je comprends parfaitement.

Mesurant l’émotion générale qui s’attache en ce moment à la découverte de certains aspects de la garde à vue, je pensais à l’époque où la commission des lois du Sénat avait décidé d’établir un rapport sur la condition pénitentiaire. Quand était venu le moment de choisir un titre pour ce rapport, nous avions unanimement considéré que le bon était, dans toute sa dureté : Prisons : une humiliation pour la République. Il n’est pas passé inaperçu ! Si nous avions créé une commission d’enquête sur les pratiques de la garde à vue en France – approche qui aurait peut-être été préférable –, son rapport aurait pu s’intituler : Garde à vue : un scandale dans la République !

Le scandale tient non pas au principe même de la garde à vue, car celle-ci existe dans toutes les démocraties, mais à sa pratique, à ses conditions, à sa généralisation, qui appellent, sans plus attendre, une réaction.

En quelques années, entre 2001 et 2008, nous avons assisté à une inflation du nombre des gardes à vue, très supérieure encore à celle que connaît, hélas, notre déficit budgétaire. Ainsi, selon l’état 4001, nous sommes passés, dans ce laps de temps, de 336 718 à 577 816 gardes à vue, soit une hausse de plus de 70 % ! Madame le ministre des libertés, je remarque d’ailleurs que, pour l’essentiel, cette augmentation s’est produite entre 2002 et 2006, le nombre des gardes à vue ayant alors crû de 381 000 à 531 000. Depuis lors, une stabilisation est intervenue.

Rien ne justifie cette augmentation foudroyante ! En effet, si elle répondait à l’accroissement de la délinquance, le recul de l’insécurité dont on nous rebat les oreilles ne serait qu’un leurre ! Si le chiffre des gardes à vue était proportionnel à celui des infractions commises, ce serait le plus terrible acte d’accusation contre la politique sécuritaire du Gouvernement ! Je me garderai d’entrer dans cette voie…

Je constaterai simplement que l’on a généralisé, banalisé le recours à la garde à vue sur le territoire de la République. Et encore – c’est là pour moi un sujet d’étonnement – ces chiffres ne disent-ils pas tout ! Pourtant vieille moustache, j’ai été, je l’avoue, stupéfié d’apprendre qu’il existait, parallèlement, une sorte de « zone grise » de la pratique de la garde à vue. Ainsi, chaque année, de 200 000 à 300 000 personnes seraient placées en garde à vue sans que cela apparaisse dans les statistiques policières, qu’il s’agisse d’infractions routières – si nombreuses et qui concernent tous nos concitoyens –, fiscales, douanières ou autres ! Si l’on interroge nos concitoyens sur le nombre annuel de gardes à vue en France, comme je l’ai fait ces derniers mois, les optimistes l’estiment entre 30 000 et 50 000 tout au plus, les pessimistes entre 80 000 et 90 000. Quand ils apprennent que ce nombre, en tenant compte de la zone grise que j’évoquais, est proche de 800 000 – soit une moyenne de 2 500 personnes placées chaque jour en garde à vue sur notre territoire –, c’est la stupéfaction !

Devant de tels chiffres, nous avons le devoir absolu de nous interroger et, madame le garde des sceaux, ministre des libertés, d’apporter des remèdes. Il est évident que notre pratique de la garde à vue est excessive et, je n’hésite pas à employer une nouvelle fois le mot, scandaleuse ! Comment, dans un pays comme le nôtre, ose-t-on placer en garde à vue dans des conditions matérielles indignes des personnes contre lesquelles il n’existe, éventuellement, qu’une raison plausible de soupçonner qu’elles aient pu commettre une infraction, quelle que soit cette infraction ? Est-il admissible que ces gardes à vue se déroulent dans des locaux tels que ceux que nous connaissons ? Le bat-flanc doit-il être la règle ? Faut-il que la suroccupation de ces locaux au sein des commissariats, au détriment des policiers eux-mêmes, soit habituelle ?

En 2007, le rapport du Comité de prévention de la torture européen a dénoncé les conditions matérielles de la garde à vue en France. M. Gil-Robles, commissaire européen aux droits de l’homme, homme de liberté s’il en est, s’en est ému lui aussi. Il ne concevait pas, nous disait-il, que l’on puisse, au sein de la République française, détenir des personnes, ne fût-ce que pour quelques heures, dans des locaux tels que ceux de la préfecture de police ou que la souricière du palais de justice de Paris, dont l’état n’a été amélioré que très récemment. Rien ne peut justifier la persistance d’une telle situation, sinon une sorte de résignation d’un côté, un manque de crédits de l’autre, ainsi que cette pensée insidieuse et traditionnelle que la personne placée dans de telles conditions se montrera peut-être plus coopérative lors de l’interrogatoire qui suivra…

Si, depuis les avertissements de 2006, nous aurions évidemment dû remédier à cette situation scandaleuse, que dire des pratiques dont nous avons connaissance par le témoignage de personnes de notre entourage ayant été placées en garde à vue à la suite, par exemple, d’une infraction routière ?

Que l’on retire à un homme entrant en garde à vue ses lacets de souliers, afin qu’il ne risque pas de s’en servir pour se suicider ou pour étrangler un policier, passe encore, même s’il s’agirait dans le premier cas d’une performance et dans le second d’une tentative singulière dans un commissariat… Mais que, en France, l’on impose systématiquement aux femmes de retirer leur soutien-gorge, rien ne saurait le justifier ! D’aucuns affirment qu’elles pourraient se pendre avec : soyons sérieux ! Mais quelle humiliation ! C’est pourtant une pratique généralisée, comme l’est celle, très lourde de conséquences, de confisquer les lunettes afin que le gardé à vue ne puisse s’ouvrir les veines après en avoir brisé les verres. C’est là un extraordinaire souci d’éviter les suicides, hélas si nombreux dans d’autres lieux… Cependant, lorsque l’on prive de ses lunettes une personne atteinte d’une déficience visuelle, elle flotte dans une espèce de brume, elle ne peut plus lire, ou difficilement, et elle se trouve placée dans une situation d’infériorité criante face à son interlocuteur. Je le sais de par mon expérience d’avocat.

Alors, oui, scandale que ces pratiques ! Scandale que ces conditions matérielles ! Scandale que ces humiliations ! Que faire, pour y remédier ? Il faut mettre en place les garanties juridiques nécessaires. Non seulement elles sont à notre portée, mais, M. Zocchetto l’indiquait tout à l’heure, la Cour européenne des droits de l’homme les a rappelées de la façon la plus claire, notamment dans sa jurisprudence la plus récente. Ainsi, aux termes de l’arrêt Salduz du 27 novembre 2008, il faut que « l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect ». Plus largement encore, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré, dans l’arrêt Dayanan du 13 octobre 2009, que, « comme le soulignent les normes internationales généralement reconnues, que la Cour accepte et qui encadrent sa jurisprudence, un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit ».

Si, dans notre pays, l’entretien avec un avocat dès le début de la garde à vue – ou du moins dans les toutes premières heures de celle-ci, compte tenu des contraintes matérielles évoquées par M. Zocchetto – est certes un droit, il faut aller au-delà. Je veux l’affirmer avec la dernière fermeté aujourd’hui devant la Haute Assemblée, il n’y a et il n’y aura jamais qu’une seule garantie qui permette de mettre un terme à tous les abus et à tous les soupçons : la présence de l’avocat lors de l’interrogatoire de la personne gardée à vue. C’est aussi simple que cela ! Si les avocats la demandent, croyez bien que ce n’est pas dans l’espoir d’en tirer profit, car ils n’en retireront que charges et obligations, mais parce que c’est une évidence : la présence d’un avocat au côté du gardé à vue exclut les risques de pressions psychologiques ou de bavures sous toutes leurs formes, rend inutiles les enregistrements audiovisuels ! D’ailleurs, avec 800 000 gardes à vue par an, toutes infractions confondues, il en faudrait des caméras pour réaliser de tels enregistrements, sans parler de leur conservation !

La présence de l’avocat est donc indispensable, et cela vaut aussi pour la sécurité de la procédure, car il appartiendra à ce dernier de soulever les nullités éventuelles de la garde à vue. La police elle-même tirera avantage de sa présence, puisqu’elle ne risquera plus d’être soupçonnée à tort. Ainsi, toutes les difficultés se trouveront réglées. Pourquoi, dans ces conditions, refuser cette évolution ? J’approuve les jugements récents, qui manifestent un sursaut au regard des principes rappelés par la Cour européenne des droits de l’homme. Il n’y a pas d’autre voie que celle-là.

Lorsque nous débattrons du grand projet de réforme de la procédure pénale annoncé, nous ne pourrons nous en tenir aux préconisations du rapport Léger. Que nous propose-t-il, en effet, pour améliorer la situation ? La présence de l’avocat à la première heure ? Cela me fait penser à ces pendules suisses, où un coucou sort ponctuellement de sa boîte pour sonner chaque heure, mais disparaît entre-temps… De la même façon, l’avocat apparaît au début de la garde à vue et à la vingt-quatrième heure, mais cela ne sert à rien. Une telle mesure est inutile : ce n’est qu’une apparence de garantie ! Certes, il faudra organiser des permanences, et il n’est pas certain, bien entendu, que ce seront les ténors du barreau qui interviendront en garde à vue, sauf lorsqu’il s’agira d’une personnalité, d’un ou d’une « people », pour employer le jargon médiatique contemporain. Mais qu’importe : la présence d’un avocat constitue, en elle-même, la garantie essentielle.

Pour autant, madame la garde des sceaux, la présence de l’avocat n’implique pas la communication intégrale à celui-ci du dossier de l’enquête de police. Ceux qui ne connaissent pas assez bien la procédure accusatoire sont trop souvent victimes d’une confusion à cet égard : rappelons que l’obligation de communiquer la totalité du dossier ne vaut qu’au stade de la mise en examen, quand des charges suffisantes, et non une simple raison plausible de soupçonner qu’il ait commis une infraction, ont été réunies contre celui qui n’était jusque-là qu’un gardé à vue. Il s’agit alors d’un degré de gravité tout à fait différent, et l’avocat, qui devient dans ce cas le défendeur à l’action publique, doit évidemment avoir accès à toutes les pièces du dossier en vertu du principe du contradictoire. C’est un principe et une jurisprudence constants.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Badinter.

M. Robert Badinter. Mais, au stade de la garde à vue, la seule exigence est de communiquer les éléments du dossier –procès-verbaux, déclarations – qui justifient le placement en garde à vue. Dès lors, tout est simple et clair : il suffit de courage politique pour briser cette espèce de pesanteur multiséculaire qui accable notre justice dans ce domaine. Le temps est venu d’y remédier. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(Mme Monique Papon remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. René Vestri.

M. René Vestri. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, ce débat sur l’évolution des droits de la défense au cours de l’instruction intervient alors que le système de garde à vue fait l’objet de critiques, qu’il s’agisse de son fonctionnement ou du nombre de personnes concernées : environ 800 000 gardes à vue ont été prononcées en France en 2009, chiffre reconnu par le ministère public.

Le Premier ministre s’est dit « choqué du nombre des gardes à vue dans notre pays et de la manière dont ces mesures sont utilisées comme des moyens de pression pour obtenir des aveux alors même que ce n’est pas le but de la garde à vue. […] Parce qu’il ne faut pas confondre l’usage de la garde à vue encadrée et justifiée avec les abus qui peuvent l’entourer, il est en effet apparu nécessaire, évident, de repenser ses conditions d’utilisation et son utilité. »

Comme en réponse à cette indignation, une formation du tribunal correctionnel de Paris vient de déclarer irrégulières plusieurs gardes à vue pour non-conformité de notre droit aux normes européennes découlant de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en référence aux arrêts Salduz du 27 novembre 2008 et Dayanan du 13 octobre 2009 rendus par la Cour européenne des droits de l’homme. Le tribunal correctionnel de Paris relève ainsi que « l’avocat ne peut pas remplir les tâches essentielles qui sont le propre de sa profession puisqu’il n’est pas autorisé à assister aux interrogatoires dès la première heure et ignore les éléments récoltés par les enquêteurs ».

Parmi tous les thèmes, fort nombreux, d’une nécessaire réforme de la procédure pénale, celui de la garde à vue doit être mis en exergue. Cette mesure, qui s’analyse comme une immobilisation physique temporaire de la personne concernée, est prise par un officier de police judiciaire. Au stade de ce que l’on appelle une enquête de flagrance, la garde à vue se justifie par l’existence de soupçons centrés sur une personne qui, pour l’avancement de l’enquête, doit rester à la disposition des services.

Cependant, étant donné sa nature et compte tenu de l’abus dont il fait incontestablement l’objet, de l’aveu même du Premier ministre, j’affirme d’emblée et solennellement que le recours à la garde à vue doit être limité à des cas de figure dans lesquels une peine d’emprisonnement serait encourue. Il n’en est pas ainsi à l’heure actuelle.

Au cours des derniers mois, des gardés à vue inhabituels, en ce sens qu’il s’agit non pas de délinquants ordinaires mais d’enseignants, d’avocats ou de mères de famille, ont, les uns après les autres, raconté à quel point la garde à vue les a placés en situation d’infériorité, car ils se sont trouvés isolés, matériellement et psychologiquement, devant des enquêteurs totalement maîtres de l’instant et à la déontologie variable.

« Les gardes à vue en France sont un scandale. J’ai été fouillée à nu, photographiée comme un bandit, on a pris mes empreintes qui vont servir à nourrir je ne sais quel fichier. J’ai dû me déshabiller totalement pour la fouille. Puis j’ai été poussée dans une cellule souillée d’excréments. »

Ce témoignage est de maître Caroline Wasserman, une jeune avocate qui a connu une garde à vue dans un commissariat de notre pays, il y a quelques mois. Permettez-moi de le compléter par d’autres :

« On est venu me chercher à 6 heures du matin, j’étais réveillée avec mes deux enfants dont ma fille handicapée âgée de huit ans et mon petit garçon âgé de dix-huit mois. On a prévenu le père du petit garçon pour qu’il vienne récupérer son fils, mais ma petite fille, choquée, a été abandonnée seule, sans assistance, errant dans la rue car il lui était interdit de parler à qui que ce soit, de peur de dévoiler le secret de l’interpellation. » Pour la petite histoire, les journalistes locaux étaient, eux, informés du déroulement de toute l’opération… « Amenée en cellule, on m’a donné un cachet. J’ai demandé un verre d’eau. On m’a dit : “ vous n’avez qu’à avaler comme ça ! ” […] Les questions étaient incessantes […], mes réponses étaient toujours les mêmes, invariables. Mais cela ne convenait pas aux attentes des policiers, alors, on m’a balancé : “ elle est folle, il faut la mettre sous tutelle ! ” »

La personne concernée est suivie par des médecins. Mère célibataire, fragile psychologiquement – elle a failli perdre son enfant, qui reste malheureusement handicapé à vie –, elle n’avait jamais eu affaire à la justice avant cette garde à vue. Cela, les policiers le savaient ! Mais la déshumanisation des lieux gagne chacun et fait perdre conscience d’être sur le territoire de la patrie des droits de l’homme. Je ne voudrais pas opposer ici les impératifs de la sécurité publique à la nécessité d’un respect scrupuleux des droits de l’homme. Les temps sont compliqués, et nos policiers, qui luttent contre la violence, le crime, la délinquance astucieuse ou encore le terrorisme, ont besoin de moyens et de certitudes, parmi lesquelles celle de notre soutien.

Néanmoins, je vais prendre le risque d’une certaine imprudence dans mes propos, car lorsque la prudence est partout, le courage n’est nulle part.

Oui, moi, René Vestri, maire de Saint-Jean-Cap-Ferrat, j’ai connu une garde à vue, pendant laquelle j’ai signé n’importe quoi pour que l’on me libère au plus vite après un passage par la souricière, où l’on m’avait expédié sur un geste dédaigneux d’un parquetier méprisant. J’ai dû ensuite me rendre à l’hôpital pour des prises de sang. À cette époque, je devais suivre scrupuleusement un traitement contre un cancer. Je devais uriner souvent, accompagné alors d’un policier qui ne me quittait pas d’une semelle, au cas où il me serait venu à l’idée de m’évader, peut-être par la fenêtre des toilettes… On m’a dit : « Avouez, signez et vous ressortirez libre ! » Alors, éreinté, j’ai accepté de signer.

Force est de constater que les personnes placées en garde à vue subissent souvent, seules et sans l’assistance d’un avocat, des interrogatoires oppressants dont les seuls comptes rendus sont les procès-verbaux rédigés unilatéralement par les policiers eux-mêmes. Est-il besoin de faire subir aux prévenus des traitements dégradants, de les humilier afin d’obtenir des aveux ou leur coopération ?

Le 7 janvier 2009, le Président de la République avait défini l’esprit d’une réforme de la procédure pénale selon plusieurs axes : la substitution d’une culture de la preuve à une culture de l’aveu ; la présence de l’avocat le plus tôt possible pendant l’enquête ; l’instauration de l’égalité des armes entre l’accusation et la défense, sous le contrôle d’un juge d’instruction.

Toutefois, le rapport Léger, remis le 1er septembre 2009, ne répond pas à l’ambition affirmée par le chef de l’État et ne tient pas compte, loin de là, de la jurisprudence européenne. D’ailleurs, les avocats du barreau de Paris, bâtonnier en tête, ont lancé un appel en faveur de la suppression de la garde à vue telle qu’elle est autorisée et pratiquée en France. Ils s’appuient sur la législation européenne : un jugement de condamnation qui serait fondé sur des déclarations recueillies au cours d’une garde à vue hors la présence d’un avocat doit être considéré comme nul. Autrement dit, on ne peut condamner sur la base de déclarations auto-incriminantes recueillies sous la contrainte.

En outre, Me Henri Leclerc, qui fait partie d’un groupe de travail à la chancellerie sur la garde à vue, a rappelé que cette question avait déjà été posée par la commission Delmas-Marty et que les policiers avaient affirmé, à l’époque, qu’une telle disposition détruirait leur métier, à la stupéfaction de commissaires venus de plusieurs pays européens, qui avaient expliqué que, pour leur part, ils tentaient de mener à bien leurs enquêtes avant toute arrestation, au lieu de bâtir une affaire à partir d’aveux recueillis dans leurs locaux.

De ce fait, je soutiens la proposition de loi déposée par le député Manuel Aeschlimann et plusieurs de ses collègues, le 21 décembre dernier, tendant, pour toutes les infractions punies d’une peine d’au moins cinq ans d’emprisonnement, à instituer la présence de l’avocat durant tous les actes de la procédure établis au cours de la garde à vue, à permettre à l’avocat d’assister le gardé à vue durant tous les interrogatoires et auditions dès le début de la garde à vue et tant qu’elle n’a pas été levée, enfin à ce que soit notifié à la personne retenue le droit de garder le silence, droit institué en 2000 avant d’être supprimé deux ans plus tard.

En libérant tous les acteurs de l’enquête pénale du carcan procédural que constitue le système actuel de la garde à vue pour des délits mineurs, en désengorgeant nos commissariats, hôpitaux, salles d’écrou de centaines de milliers de gardes à vue inutiles, nous permettrons à nos forces de l’ordre de se concentrer sur l’essentiel, avec une compétence accrue, des moyens supplémentaires dégagés et la conscience nouvelle de servir la patrie des droits de l’homme.

Aussi les propositions du comité Léger d’interdire le placement en garde à vue d’une personne soupçonnée de faits pour lesquels une peine d’emprisonnement inférieure à un an est encourue et de créer une nouvelle mesure coercitive d’une durée plus limitée méritent-elles d’être précisées, car si elles reviennent à créer une garde à vue bis, avec maintien des actuelles restrictions d’accès au dossier pour l’avocat, alors autant ne pas modifier les dispositions en vigueur !

La création d’une « retenue judiciaire », d’une durée maximale de six heures pour toute personne majeure soupçonnée d’une infraction punie d’une peine d’emprisonnement inférieure à cinq ans, nécessite également plus d’explications : si l’avocat n’avait pas un droit d’accès immédiat au dossier, où serait l’innovation ?

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. René Vestri. Madame la ministre d’État, la France, premier pays à entrer dans la modernité juridique grâce à la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et au code civil de 1804, s’est laissée entraîner vers le fond de la classe européenne en matière de modernisation de sa procédure pénale. Dans un pays des droits de l’homme où tout prévenu est présumé innocent tant qu’il n’a pas été jugé coupable par un tribunal compétent, est-il concevable que les gardes à vue se déroulent dans des conditions inhumaines ? Locaux insalubres, fouilles corporelles poussées, humiliations et intimidations de toutes sortes : qu’attend donc la France pour se conformer à la jurisprudence européenne, notamment aux deux arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg que j’ai évoqués, dont l’un précise qu’un accusé doit bénéficier, pour organiser sa défense, d’un avocat dès qu’il est privé de liberté ? (MM. Robert Badinter et Jean-Pierre Michel applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, la garde à vue est une mesure grave, le code de procédure pénale précise qu’elle doit être limitée aux nécessités de l’enquête. Or, en pratique, elle est devenue, dans le cadre des enquêtes pénales, un outil d’une banalité affligeante, permettant de garder une personne à disposition alors que sa présence n’est plus réellement nécessaire à la poursuite de l’enquête en cours.

Cette banalisation de la garde à vue est attestée par les statistiques disponibles. Je ne reviendrai pas sur les chiffres, mon collègue Alain Anziani les ayant déjà donnés.

L’inflation dramatique du nombre de gardes à vue trouve également sa source dans le fait que ce dernier est utilisé comme un indicateur de performance de l’activité des autorités de police. Sommés de « faire du chiffre », les officiers de police judiciaire recourent plus largement au placement en garde à vue afin d’atteindre les objectifs fixés par le ministère de l’intérieur.

L’instrumentalisation de cette mesure est une évidence : plus de 200 000 gardes à vue concernent des délits routiers déjà constatés, or, dans ce cas, la garde à vue n’est pas nécessaire à l’enquête, mais on l’utilise tout de même pour augmenter facilement le taux d’élucidation des affaires…

Il est intolérable qu’une mesure de privation de liberté puisse ainsi se transformer en indicateur de performance, en critère d’évaluation de l’efficacité des services de police, sans qu’aucune limitation ne soit aujourd’hui imposée à son recours. Non seulement la garde à vue s’est banalisée, mais elle est devenue, ce qui est pis encore, un outil de gestion sécuritaire entre les mains de la majorité, destiné à terroriser ceux qui, par exemple, ont eu le malheur de recharger la batterie du téléphone portable d’un étranger sans papiers.

Conçue comme une mesure grave, la garde à vue s’est transformée, entre les mains de ce gouvernement, en gadget sécuritaire servant à alimenter artificiellement les statistiques des ministères de l’intérieur et de la justice, pour atteindre les objectifs chiffrés imposés par le Président de la République.

À ces considérations pratiques s’ajoute l’incompatibilité juridique de la garde à vue avec la Convention européenne des droits de l’homme. La circulaire diffusée par la chancellerie pour tenter de nier la réalité ne doit pas nous abuser : notre système est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. C’est malheureux, mais c’est une réalité !

Les considérants de l’arrêt Dayanan rendu par la Cour européenne des droits de l’homme sont très clairs. Madame la ministre d’État, vous affirmez souvent que l’on fait dire à la Cour européenne des droits de l’homme ce qu’elle n’a pas voulu dire. Je citerai donc cet arrêt, pour vous prouver que je ne l’interprète en aucune manière : « l’avocat doit non seulement être présent dès le début de la garde à vue, mais il doit également pouvoir exercer toute la palette des droits de la défense ».

Les parlementaires Verts en ont immédiatement tiré une conséquence, en déposant sur le bureau du Sénat une proposition de loi portant réforme de la garde à vue. Comme l’a dit Me Christian Charrière-Bournazel, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Paris, « cette réforme est urgente : elle ne saurait attendre une réforme plus globale de la procédure pénale ». En effet, à l’heure actuelle, des centaines de gardes à vue illégales sont décidées chaque jour.

À cet instant, j’évoquerai l’actualité : le 28 janvier dernier, le tribunal correctionnel de Paris a annulé cinq gardes à vue en raison de l’absence de l’avocat et de l’impossibilité pour lui de préparer correctement la défense de ses clients. Permettez-moi, dans ces circonstances, de vous exposer les points fondamentaux qui pourraient faire l’objet d’une réforme.

Premièrement, il est impératif de mieux encadrer la décision de placement en garde à vue, afin d’éviter les dérives constatées aujourd’hui. Parce que c’est une mesure privative de liberté, elle doit être réservée aux infractions les plus graves, sans toutefois être absolument exclue pour toutes les autres infractions. C’est pourquoi nous proposons qu’une garde à vue ne puisse être décidée que si l’infraction dont la personne est suspectée est passible de cinq ans de prison au moins. Pour les autres infractions, le placement en garde à vue devra être autorisé par l’autorité judiciaire.

Deuxièmement, notre droit devra, tôt ou tard, inscrire –ou peut-être réinscrire – parmi les droits du gardé à vue celui de se taire et de ne pas participer à sa propre incrimination. Il s’agit là d’un principe reconnu et consacré par de nombreuses législations européennes. La France fait office de dernier de la classe en la matière.

Troisièmement – c’est le point le plus important à mes yeux –, le rôle de l’avocat, dans le cadre de la garde à vue, devra évoluer vers une meilleure prise en compte des droits de la défense. L’avocat doit non seulement être présent dès le début de la garde à vue, quelle que soit l’infraction, mais aussi pouvoir exercer un certain nombre de prérogatives, ce que la Cour européenne des droits de l’homme appelle la « palette des droits de la défense ».

Il s’agit, en premier lieu, de sortir de l’hypocrisie consistant à faire semblant de croire qu’il serait possible de communiquer réellement avec son client en trente minutes. L’entretien est aujourd’hui une visite de courtoisie, ce qui relègue l’avocat dans un rôle de figurant. Il convient, en conséquence, d’allonger sa durée, qui devrait raisonnablement atteindre au moins deux heures.

Il s’agit, en deuxième lieu, de permettre à l’avocat d’accéder au dossier pénal. C’est là une exigence fondamentale si l’on souhaite qu’il puisse préparer la défense de son client et trouver des éléments à décharge. Elle est d’ailleurs mentionnée dans le rapport du comité Léger ; nous en reprenons le principe, mais nous souhaitons que cette mesure soit applicable dès le début de la garde à vue, de manière que l’avocat dispose d’éléments suffisants pour préparer l’interrogatoire.

Il s’agit, en troisième lieu, d’autoriser l’avocat à assister aux interrogatoires. Là encore, la Cour européenne des droits de l’homme a été claire : cette présence devrait être un principe.

Enfin, il conviendra également de revoir le régime de la garde à vue applicable aux mineurs, sans attendre la réforme de l’ordonnance de 1945. L’actualité, malheureusement, nous donne là encore raison : une jeune fille de quatorze ans est restée en garde à vue pendant neuf heures, en pyjama, pour une dispute avec des camarades d’école. La garde à vue était-elle indispensable dans un tel cas ? L’enquête en cours nous le dira certainement.

Madame la ministre d’État, il est impératif de ne jamais oublier qu’un mineur de seize ans reste un mineur et qu’il convient de lui conférer des droits renforcés. Or notre système assimile le mineur de seize ans à un majeur, ce qui rend facultatifs la présence de l’avocat et l’examen médical, alors qu’ils devraient être obligatoires dans un tel cas.

Si nous voulons que notre droit soit conforme au droit européen, toute réforme de la garde à vue devra prendre en compte les exigences que je viens d’exposer et que nous avons inscrites dans une proposition de loi qui sera examinée prochainement en séance publique. N’oublions pas une page récente de notre histoire : c’est à cause d’une garde à vue que la France a été, voilà quelques années, condamnée pour acte de torture par la Cour européenne des droits de l’homme.

Nous attendons du Gouvernement qu’il réagisse, non pas dans six mois, mais tout de suite, car nous sommes le seul pays européen à avoir encore un système de garde à vue archaïque, où les droits des personnes concernées sont réduits à leur plus simple expression ! Madame la ministre d’État, nous vous demandons donc de mettre fin à un scandale, à une aberration honteuse pour notre pays, en intégrant toutes les garanties d’un procès équitable dans le système français de la garde à vue. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier M. Mézard de son initiative et saluer le fait qu’il ait choisi d’adopter un ton exempt de polémique.

En effet, la question de la garde à vue mérite d’être étudiée et analysée avec objectivité et dans un esprit constructif, afin de rechercher des solutions permettant de concilier le besoin de sécurité de nos concitoyens et le respect de la liberté de chacun.

Comme tous les intervenants, j’estime nécessaire de faire évoluer à la fois le statut juridique de la garde à vue et les conditions matérielles de son déroulement.

Vous l’avez signalé, monsieur Mézard, le nombre des placements en garde à vue figure non pas dans les statistiques du ministère de la justice, mais dans celles du ministère de l’intérieur, puisque la décision de placer une personne en garde à vue est une prérogative des officiers de police judiciaire. Quoi qu’il en soit, nous nous accordons tous, dans cet hémicycle et au-delà, pour estimer que le nombre des gardes à vue est trop élevé dans notre pays.

On peut certes considérer, monsieur Badinter, que l’augmentation du nombre des gardes à vue à partir de 2003 correspond à la baisse importante de la délinquance que nous avons enregistrée durant la même période, mais ces deux séries de chiffres n’ont pas évolué dans la même mesure. Si l’on veut établir une corrélation avec une autre statistique, sans doute faut-il retenir celle qui concerne le taux d’élucidation des crimes et des délits, puisque, entre 2002 et 2008, celui-ci est passé de moins de 25 % à 40 %. On peut donc peut-être en déduire que l’augmentation du nombre des gardes à vue a en partie permis d’obtenir ce résultat, auquel sont sensibles les victimes, puisque la première justice que l’on peut rendre à celles-ci, c’est de retrouver les auteurs des faits. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est de la polémique !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. C’est vous qui avez voulu établir des comparaisons de chiffres ! Si l’on veut être tout à fait objectif, il convient sans doute, dans cette optique, de considérer le taux d’élucidation des affaires plutôt que les chiffres de la délinquance.

En tout état de cause, nous sommes d’accord pour reconnaître que le recours à la garde à vue est certainement devenu trop systématique, ce constat ne remettant nullement en cause le travail des policiers et des gendarmes. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, la garde à vue est un instrument d’enquête devant contribuer à la manifestation de la vérité, ni plus ni moins. De ce point de vue, la décision de placement en garde à vue ne saurait être arbitraire ; Mme Escoffier a d’ailleurs très bien rappelé que le code de procédure pénale offre un certain nombre de garanties à la personne qui fait l’objet d’une telle mesure, dont l’usage, c’est un point essentiel, doit être limité aux nécessités réelles de l’enquête.

Tel sera bien l’un des objets de la réforme du code de procédure pénale qui vous sera soumise d’ici à l’été. Afin d’écarter tout soupçon d’arrière-pensée, je ferai en sorte que vous puissiez très prochainement travailler sur le texte, qui comportera notamment, bien entendu, des dispositions relatives à la garde à vue.

Avant même que cette concertation, que je souhaite très large, ne soit engagée, je puis d’ores et déjà vous indiquer les deux idées-forces qui sous-tendent ma réflexion en la matière.

Je souhaite d’abord réaffirmer le caractère exceptionnel de la garde à vue. Dans cette perspective, la décision de placement en garde à vue doit prendre en compte le degré de gravité des faits et la durée de la peine d’emprisonnement encourue.

Je souhaite ensuite accroître les droits de la personne gardée à vue et la latitude d’intervention de l’avocat.

Entrons maintenant davantage dans le détail du dispositif du texte.

En ce qui concerne la limitation du champ du recours à la garde à vue, celui-ci ne sera possible que dans le cas de crimes ou de délits punis d’une peine d’emprisonnement. Aujourd’hui, je le rappelle, une personne qui vient d’être interpellée doit être placée en garde à vue. Aux termes de la réforme que je suis en train de préparer, cette mesure ne sera plus systématique. Ainsi, pour des affaires ne présentant pas un caractère de particulière gravité, la personne concernée pourra, sous réserve de son accord, être entendue librement. Elle sera alors retenue quatre heures au maximum dans les locaux des services de police ou de gendarmerie, ce qui sera suffisant, dans bon nombre de cas, pour recueillir les éléments utiles à l’enquête. Néanmoins, si elle le souhaite, cette personne pourra demander à être entendue sous le régime de la garde à vue, qui ouvre en effet un certain nombre de droits : prévenir des proches, être assisté par un avocat, voir un médecin, connaître la nature de l’infraction reprochée.

En ce qui concerne l’accroissement des droits de la personne gardée à vue, bien entendu, l’ensemble des droits actuellement inscrits dans le code de procédure pénale seront non seulement conservés, mais encore réaffirmés.

S’agissant du droit d’accès à un avocat, sur lequel, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous insisté, il est exact que la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé, au travers de l’arrêt Dayanan, le droit pour toute personne, dès lors qu’elle est privée de liberté, à pouvoir s’entretenir avec un défenseur.

Je tiens à souligner que le droit français en vigueur satisfait à cette exigence précise, puisqu’il autorise le gardé à vue à s’entretenir confidentiellement, dès le début de la garde à vue, avec un avocat. À cet égard, l’interprétation de la jurisprudence européenne faite par certaines juridictions me paraît totalement erronée : si la Convention européenne des droits de l’homme est d’application directe, sa jurisprudence ne s’impose qu’aux États parties à l’affaire jugée. D’ailleurs, cette analyse est partagée par de nombreuses juridictions, tant du premier que du second degré, comme en témoigne ce qu’ont décidé le tribunal correctionnel d’Angers hier et la chambre de l’instruction de Paris aujourd’hui même. Il appartient maintenant à la cour d’appel de se prononcer.

En tout état de cause, nos pratiques ne contreviennent pas à la Convention européenne des droits de l’homme, et la France n’a pas été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, les arrêts en question concernant la Turquie et le droit de ce pays. D’ailleurs, en 2007, la Cour de cassation a admis la conformité du droit français à la Convention européenne des droits de l’homme.

En ce qui concerne les cas particulièrement sensibles du terrorisme et de la criminalité organisée, leur spécificité justifie incontestablement, à mon sens, un régime de garde à vue différent, permettant d’assurer réellement l’efficacité des investigations. Si notre pays a été épargné par le terrorisme au cours de ces dernières années, monsieur Anziani, c’est en partie grâce à notre procédure pénale et à la possibilité de recourir à la garde à vue et à différentes mesures d’enquête dans ce domaine. De toute façon, l’existence de dispositions spécifiques en la matière n’est nullement propre au droit français : le Royaume-Uni et l’Espagne, par exemple, qui sont les deux pays d’Europe les plus menacés par le terrorisme, sont dotés de législations tout à fait similaires à la nôtre.

S’agissant de l’intervention de l’avocat, je voudrais d’abord rappeler que c’est la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, dite « loi Guigou », qui a déterminé les principaux mécanismes actuellement en vigueur. Nous ne faisons aujourd’hui qu’appliquer ce texte, qui a défini les modalités d’intervention de l’avocat au cours de la garde à vue, notamment en limitant à trente minutes la durée de l’entretien confidentiel entre la personne placée en garde à vue et son avocat, sans que ce dernier puisse avoir accès au dossier ni être présent lors des interrogatoires, cet entretien pouvant en outre être différé dans le cas de certaines infractions graves – jusqu’à soixante-douze heures après le début de la garde à vue en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants. C’est bien la loi de Mme Guigou qui a instauré ces dispositions ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Thierry Repentin. Quelle était la législation antérieure ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Nous ne faisons qu’appliquer la loi du 15 juin 2000 que Mme Guigou a portée. Je remarque d’ailleurs que les équilibres issus de ce texte ont été entièrement maintenus dans la loi dite « Lebranchu » du 4 mars 2002, qui complétait ce texte et qui aurait donc pu le modifier.

M. Jean-Pierre Sueur. On a compris !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Or, les principes de la Cour européenne des droits de l’homme auxquels vous faites référence ont été énoncés dès l’arrêt Murray de 1996.

Par conséquent, si, à l’époque, on avait estimé nécessaire d’appliquer un droit différent du droit actuellement en vigueur, on aurait peut-être choisi de se conformer aux principes contenus dans l’arrêt Murray.

Si nous voulons rester dans un climat constructif,…

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. … il faut éviter de jeter l’anathème contre tel ou tel, ou de soupçonner tel ou tel de vouloir porter atteinte aux libertés,…

M. René-Pierre Signé. Qui le fait ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. … surtout quand la personne visée ne fait que s’appuyer sur des décisions dont vous avez pris l’initiative.

M. Jean-Pierre Sueur. Mme Guigou, on le sait. (Sourires.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. En tout état de cause, par rapport au texte de 2000, conforté en 2002 par Mme Lebranchu, la réforme de la procédure pénale que je prépare présente un certain nombre d’avancées.

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Premièrement, le texte prévoit expressément qu’en matières criminelle et correctionnelle aucune condamnation ne pourra être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites par un gardé à vue qui n’aurait pu bénéficier de l’assistance d’un avocat ; je remercie MM. Courtois et Zocchetto d’avoir mentionné cette avancée.

Une telle disposition répond également aux attentes, ou aux critiques – je ne sais quel terme choisir ! – de Mmes  Escoffier et Borvo Cohen-Seat.

Sans attendre l’examen de cette future loi, j’ai déjà appelé l’attention des parquets sur ce point au travers de deux dépêches datées du 18 novembre et du 30 décembre 2009.

Deuxièmement, pendant la première période de garde à vue, l’avocat pourra recevoir une copie des procès-verbaux des auditions de son client dès que ceux-ci auront été réalisés.

Si les auditions sont prolongées au-delà de vingt-quatre heures, ce qui est possible dans un certain nombre de cas, le gardé à vue pourra être assisté par son avocat lors des auditions durant toute la durée de la prolongation. L’avocat du gardé à vue pourra en outre poser des questions et faire des observations, monsieur Badinter. C’est également une avancée par rapport aux dispositions actuellement en vigueur.

Le problème ne concerne pas seulement la situation juridique – situation que nous aurons l’occasion d’étudier d’une façon encore plus détaillée –, il a également trait aux conditions matérielles de la garde à vue.

Vous m’avez interpellée à propos des recommandations du contrôleur général des lieux de privation de liberté sur l’état des locaux et sur les mesures de sécurité qui peuvent être prises à l’occasion d’une garde à vue. Je suis particulièrement attentive à tous les rapports qui me sont remis. Je pense en effet, comme la plupart d’entre vous, que, si la garde à vue est une nécessité de l’enquête, elle ne doit en rien porter atteinte à la dignité de la personne humaine.

En outre, il importe de rappeler que les locaux de garde à vue relèvent de la responsabilité non pas du ministère de la justice mais du ministère de l’intérieur. Étant passée de celui-ci à celui-là, j’assume parfaitement ce problème.

Vous l’avez sans doute constaté, la situation s’améliore, notamment grâce à la construction de nouvelles gendarmeries et de nouveaux commissariats. Depuis 2002, un grand effort a été réalisé sur ce plan, et des crédits très importants ont été alloués pour ces constructions, permettant la mise à disposition de locaux dont l’état et les conditions matérielles et sanitaires respectent la dignité de la personne humaine.

Et si scandale il y a, monsieur Badinter – car certains aspects de la garde à vue sont un sujet de scandale ! –, c’est peut-être parce que n’ont pas été prises plus tôt les mesures, notamment les mesures financières, qui auraient permis la rénovation des locaux des commissariats et des gendarmeries. J’ai en effet vu beaucoup de bâtiments dans lesquels les conditions de travail des gendarmes et des policiers n’étaient guère meilleures que les conditions de détention provisoire des gardés à vue.

M. René-Pierre Signé. Ce sont les conseils généraux qui ont bâti les gendarmeries !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Parfois, le scandale est non pas dans ce que l’on dénonce, mais dans le fait de ne pas mettre ses actes en accord avec ses paroles ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Il en va de même des mesures de sécurité qui visent à éviter que les gardés à vue ne portent atteinte à leur propre intégrité physique. Certaines précautions sont nécessaires, car nous avons aussi des devoirs vis-à-vis de ces personnes. Dans certains cas, les mesures sont excessives. Certains d’entre vous ont dénoncé des pratiques qui sont tout à fait réelles. Même si celles-ci ne relèvent pas strictement de la loi, il importe que l’ensemble de nos textes permettent un plus juste respect de la personne.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je suis en effet particulièrement attentive à ce que les conditions de garde à vue ne portent pas atteinte à la dignité des personnes. Une telle position vaut pour ce domaine comme pour beaucoup d’autres.

Monsieur Vestri, je ne suis pas ici pour analyser des situations particulières mais pour fixer des règles qui puissent s’appliquer à chacun. Il ne s’agit pas simplement de fixer des règles ; il faut assumer un principe et les conséquences qui en découlent. Cette exigence sera inscrite explicitement dans le futur code de procédure pénale.

Sans attendre, j’ai rappelé aux procureurs généraux par une circulaire du 1er novembre 2009 l’importance des visites régulières et, en toute hypothèse au moins une fois par an, des locaux de garde à vue par les procureurs de la République.

Je note que, malgré tout, il y a eu des améliorations.

Le rapport public annuel du garde des sceaux pour 2008 montre d’abord une bonne tenue générale des registres – il y a toujours des exceptions –, une bonne notification des droits, mais, c’est vrai, une indignité de certains locaux, dont la liste a été communiquée au ministère de l’intérieur.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous constatez d’ores et déjà que, dans le cadre de la future réforme de la procédure pénale, l’amélioration des conditions de garde à vue est une priorité très clairement affirmée.

Je souhaite que ce projet de réforme, que je soumettrai très prochainement à la concertation, soit l’occasion d’une discussion approfondie permettant de rénover dans le détail toute notre procédure pénale, notamment notre système de garde à vue, dans un double souci d’efficacité dans la lutte contre la délinquance, mais aussi de protection des libertés individuelles. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme la présidente. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-sept heures pour les questions cribles thématiques.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

7

Questions cribles thématiques

hôpital

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l’hôpital.

Ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera rediffusé ce soir sur France 3.

L’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.

Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole.

La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. Madame le ministre, la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, sur laquelle le Sénat a beaucoup travaillé et qui a passé avec succès l’épreuve du Conseil constitutionnel, rénove, dans son titre Ier, la gouvernance hospitalière avec le directoire, le conseil de surveillance, les pôles issus de la loi de 2005, et met en place l’organisation territoriale du système de soins hospitaliers avec les communautés hospitalières de territoire et les groupements de coopération sanitaire de moyens et d’établissements.

Vous avez installé hier le comité d’évaluation de la mise en œuvre des dispositions relatives à la modernisation des établissements de santé, donc de suivi de l’application du titre Ier de la loi HPST, comité présidé par notre collègue Jean-Pierre Fourcade.

Madame la ministre, où en sont les décrets d’application concernant les dispositions du titre Ier et comment l’organisation hospitalière se met-elle en place sur le terrain ? L’exemple qui nous a été donné hier à Beauvais, certes idéal, me paraît quelque peu idyllique.

Le titre IV de cette même loi concerne les agences régionales de santé, les ARS. Les directeurs préfigurateurs sont actuellement au travail pour mettre en place ces « mastodontes ». Certaines mauvaises langues parlent de « super préfets de la santé ».

La création des ARS nécessite des regroupements de services tels que la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, la DDASS, la direction régionale des affaires sanitaires et sociales, la DRASS ou la caisse régionale d’assurance maladie, la CRAM, mais aussi, et pour la première fois depuis bien longtemps, le décloisonnement du secteur médico-social.

Madame la ministre, cette opération se passe-t-elle sans trop de difficultés ? Quand les ARS seront-elles opérationnelles ? Quid du devenir des ARH en place ?

L’un des principaux soucis de la population et des professionnels est le maintien de la permanence des soins. Ils s’inquiètent aussi du rééquilibrage de la démographie médicale et d’une meilleure répartition géographique médicale. Pensez-vous que les mesures prises en vertu de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, et les pouvoirs donnés aux ARS pour l’organisation territoriale régionale seront suffisants pour éviter de nouveaux déserts médicaux et supprimer ceux qui existent actuellement ?

Madame la ministre, vous vous êtes engagée à ce que l’intégralité des textes d’application soit publiée au plus tard un an après la promulgation de la loi. Cet engagement sera-t-il tenu ? Les textes d’application respectent-ils l’esprit de la loi ? Enfin, madame la ministre, sur quoi porte le travail réglementaire en cours ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. M. Alain Milon, qui a été le rapporteur pour le Sénat de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, me pardonnera, sa question étant très large, de ne pas refaire le débat sur les agences régionales de santé.

Celles-ci ont à la fois pour mission de décloisonner le système, qui en a besoin, entre la médecine de ville, l’hôpital et le secteur médico-social, de rapprocher l’organisation sanitaire de notre pays des citoyens, c’est-à-dire de déconcentrer le système, de mobiliser de nouveaux acteurs, en particulier les professionnels de santé et les élus locaux, et de regrouper les forces de l’État ainsi que celles de l’assurance maladie.

Cette entreprise a été rendue possible grâce au travail extrêmement approfondi du Parlement, en particulier de la Haute Assemblée.

Cependant, tout cela a un prix, si j’ose dire, monsieur Milon, puisque le texte est passé de trente-trois articles à cent trente-cinq articles ! (Sourires.) Il en résulte un travail réglementaire dont nous n’avions pas prévu l’ampleur !

Je souhaite néanmoins vous rassurer : l’échéance qui a été fixée par le Président de la République pour finaliser l’ensemble de ce travail réglementaire, à savoir le 21 juillet prochain, date anniversaire de la promulgation de la loi, sera respectée.

M. Guy Fischer. Tout va bien alors !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Huit ordonnances suivies de leurs projets de loi de ratification seront nécessaires, ainsi que cent trente décrets en Conseil d’État et soixante-dix décrets simples. Un travail considérable a donc été accompli.

D’ores et déjà, une vingtaine de décrets sont parus, ce qui ne rend qu’imparfaitement compte de l’avancée du travail. Nous sommes en pleine phase de concertation. Au mois de mars, une nouvelle salve très importante de décrets sera publiée.

Je vous confirme donc, monsieur le sénateur, que le Gouvernement tiendra sa promesse et que les agences régionales de santé seront opérationnelles au 1er avril prochain.

M. Guy Fischer. Il y a du souci à se faire !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon, pour la réplique.

M. Alain Milon. Il est vrai que le projet de loi est passé de trente-trois articles à cent trente-cinq articles, mais je souligne que l’Assemblée nationale en souhaitait cent cinquante et un ! (Sourires.) Le Sénat en a donc un peu baissé le nombre !

Au début de nos débats, les professionnels ont éprouvé de nombreuses angoisses sur la façon dont nous gérerions le texte. Aujourd'hui, l’application de cette loi suscite beaucoup d’attentes. Il ne faudrait pas qu’elles soient déçues par l’arrivée trop tardive des décrets d’application.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacky Le Menn.

M. Jacky Le Menn. Madame la ministre, vous connaissez les réticences de mon groupe – c’est un euphémisme – sur la possibilité ouverte par la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, que votre majorité a adoptée, de déléguer des missions de service public à des opérateurs privés.

Avec mes amis, nous avions souligné, à l’époque où cette loi fut discutée au Parlement, les risques multiples que comportaient ces délégations : risque de « vente à la découpe » des missions de service public, risque de marchandisation de la santé publique, risque de fragilisation des hôpitaux publics, même s’ils sont regroupés en communautés hospitalières de territoire. Les Français pourraient en être les premières victimes.

Nous ne pouvions laisser croire à nos concitoyens que les cliniques commerciales allaient accepter de manière pérenne de prendre en charge « à perte », sur le plan financier, les situations les plus complexes et les plus coûteuses, qui sont le lot commun des hôpitaux publics.

Nous insistions sur le maintien d’une garantie fondamentale, qui fait l’honneur de l’hospitalisation publique française : l’égal accès aux soins pour tous, des plus pauvres comme des plus riches.

Or, depuis plusieurs mois, des campagnes de presse se développent dans les médias, orchestrées par l’hospitalisation privée à but lucratif. Elles obéissent à une logique de dénigrement caricatural des hôpitaux publics ou s’inscrivent dans une stratégie plus insidieuse, qui tend à banaliser le service public hospitalier en laissant entendre que tous les acteurs de santé exercent peu ou prou de la même manière, qu’il s’agisse ou non de missions de service public, mais que les cliniques à but lucratif le font à un moindre coût.

Ces campagnes répétitives aident, selon nous, le Gouvernement à justifier auprès de l’opinion publique le démantèlement des missions du service public de santé ainsi que sa politique sans précédent de suppressions massives d’emplois médicaux et non médicaux dans les hôpitaux publics. En ce qui concerne l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l’AP-HP, par exemple, 3 500 suppressions d’emplois sont prévues d’ici à 2012. Cette politique est totalement inacceptable pour les malades, pour le personnel et pour la grande majorité de la population.

Il n’est pas possible de laisser prospérer ce discours insidieux.

Je vous demande donc, madame la ministre, de bien vouloir nous apporter des explications précises sur ces plans de suppressions massives d’emplois dans les hôpitaux publics, et de nous confirmer que vous n’autoriserez la délégation des missions de service public à des opérateurs privés que dans les cas de carence dûment constatés de l’hospitalisation publique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Monsieur le sénateur, je veux vous rassurer sur les moyens qui sont consacrés à l’hôpital public.

Vous le savez, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, était encore en augmentation l’année dernière de 3 %, alors que la perte de la richesse nationale s’élevait à 2,25 %. Nous avons mis en place un plan d’investissement considérable de 10 milliards d’euros, principalement destiné à l’hôpital public.

Contrairement à ce que vous craignez, le Gouvernement a la volonté de sauvegarder les missions de service public.

J’ai eu l’occasion de dire à de nombreuses reprises, en particulier à Saint-Etienne, devant la réunion de la Fédération hospitalière de France, que je réprouvais les campagnes de communication qui avaient été tenues par l’hospitalisation privée. Je l’ai dit publiquement et je le redis ici, devant la Haute Assemblée.

Les missions de l’hôpital public sont des missions supérieures, qu’il convient de sauvegarder.

C’est ainsi qu’un certain nombre de financements – je pense en particulier aux dotations des missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation – sont principalement réservés à l’hôpital public pour lui permettre d’assurer ses fonctions, qui sont considérables.

Si j’ai retardé la convergence de 2012 à 2018, c’est également pour tenir compte des spécificités de l’hôpital public.

Il est vrai que certains hôpitaux, notamment publics, sont en déficit, mais ce n’est pas le cas de la majorité d’entre eux, qui sont en situation d’équilibre. Je rappelle que deux tiers des hôpitaux publics français présentent même un excédent budgétaire. Le déficit n’est donc pas une fatalité.

Par ailleurs, il est important que l’hôpital public commence à s’adapter à ce que sera l’hôpital de demain.

Monsieur le sénateur, les deux minutes qui me sont accordées sont bien trop courtes pour me permettre de couvrir un sujet aussi vaste. Les questions qui me seront posées par les autres intervenants dans ce débat me donneront certainement l’occasion de développer plus avant les différents éléments de réponse que j’aurais souhaité vous communiquer.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacky Le Menn, pour la réplique.

M. Jacky Le Menn. Madame la ministre, je ne suis pas convaincu par vos réponses.

Vous souhaitez le développement des communautés hospitalières de territoire via le regroupement d’hôpitaux, comme le prévoit la loi HPST.

Si une telle politique se traduit systématiquement par des suppressions massives d’emplois, elle ne sera pas acceptée par nos concitoyens. Le cas de l’AP-HP, que j’ai évoqué à l’instant, est emblématique. L’opération qui rassemblera les trente-sept hôpitaux parisiens en douze groupes hospitaliers entraînera la suppression de 1 000 emplois cette année et la perte d’environ 3 000 postes d’ici à 2012. Ce plan aura des conséquences dramatiques sur les conditions de travail de personnels déjà épuisés, sans parler de la suppression de services et d’activités, qui risque de restreindre l’accès de la population aux soins, notamment pour les plus démunis.

La délégation des missions de service public aux cliniques commerciales, si elle se révélait absolument nécessaire, devra être mise en œuvre dans le seul intérêt médical de nos concitoyens malades. Nous demandons expressément qu’elle ne se fasse que sur la base de cahiers des charges rigoureusement établis et contrôlés. En outre, tout doit être mis en œuvre sur les sites concernés pour que lesdites missions soient de nouveau assurées le plus rapidement possible par l’hôpital public.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Madame la présidente, M. Le Menn ayant bénéficié de treize secondes de temps supplémentaire, je compte obtenir un complément équivalent lors de ma prochaine intervention ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Madame la ministre, depuis plusieurs mois, nous assistons, de la part de la Fédération hospitalière privée, qui représente les établissements de santé commerciaux, à une véritable campagne de dénigrement de l’hôpital public, qui se trouve accusé d’être trop coûteux.

Cette campagne est inacceptable quand on sait que les hôpitaux publics, qui ne sélectionnent pas leurs patients et les pathologies rentables, sont victimes d’un mode de financement fondé sur l’activité, la tarification à l’activité, la T2A, qui doit être revu si l’on veut éviter que les hôpitaux, qui connaissent déjà d’importantes difficultés financières, ne soient tout bonnement en situation de faillite.

Pour les hôpitaux déficitaires, la sanction est connue : placement sous tutelle de l’État par le biais des ARS.

Vous réservez à l’hôpital public le même traitement qu’aux collectivités territoriales : plutôt que de leur donner les moyens financiers de remplir leurs missions, vous leur reprenez le contrôle pour mieux organiser leur affaiblissement. (Mme la ministre proteste.)

RGPP oblige – la fameuse révision générale des politiques publiques –, les annonces de suppressions de postes et les plans de retour à l’équilibre se multiplient. Ainsi, selon le conseil exécutif de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, 3 000 à 4 000 postes seront supprimés dans les deux années à venir, avec notamment, à Paris, la réorganisation de l’Hôtel-Dieu et de l’hôpital Armand-Trousseau. Aux Hospices civils de Lyon, 200 postes seront supprimés chaque année jusqu’en 2013, ce qui entraînera la fermeture de certains sites ou le regroupement de certaines activités. Dans l’Essonne, l’hôpital Georges-Clemenceau à Champcueil ou l’hôpital Joffre-Dupuytren à Draveil seront concernés. Il en résultera un recul important de la médecine hospitalière de proximité.

Cette politique comptable fragilisera les conditions d’accueil des patients les plus pauvres et les conditions de travail des personnels. Pourtant, tout le monde le reconnaît : l’hôpital manque de personnel !

Ma question est donc la suivante, madame la ministre…

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Encore un dépassement de treize secondes !

M. Guy Fischer. Entendez-vous mettre fin à une gestion strictement comptable de l’hôpital public, dont le directeur est devenu, avec la loi HPST, le financier en chef ? Entendez-vous apporter enfin aux établissements publics de santé les financements nécessaires à l’accomplissement de leurs missions de service public ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Monsieur Fischer, je vous rappelle que notre pays a les dépenses hospitalières les plus élevées du monde par habitant. (M. Alain Gournac acquiesce.) Chaque année, ces dépenses connaissent une augmentation extrêmement importante, bien supérieure à l’évolution de la richesse nationale.

J’ai veillé à ce que le mode de rémunération de l’hôpital public tienne compte de l’accueil de populations en grande précarité et du traitement de cas plus lourds, comme vous le signalez très justement, monsieur le sénateur. C’est la raison pour laquelle, dans la dernière campagne tarifaire, deux coefficients ont été introduits à ma demande, l’un correspondant à la précarité des publics soignés, et l’autre à la sévérité des affections traitées. Pour prendre l’exemple que vous avez cité, cette méthode a permis aux établissements de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris de bénéficier d’un financement complémentaire extrêmement important.

Je veux également rappeler que plus d’un million d’agents travaillent au sein des hôpitaux publics ; l’AP-HP représente environ 10 % de la « force de frappe » hospitalière de notre pays, soit 90 000 agents.

Nous devons aussi réfléchir à ce que sera l’hôpital de demain : la durée de séjour y sera en constante diminution, mais il devra accueillir davantage de patients en soins post-aigus, de malades atteints de la maladie d’Alzheimer ou relevant d’un traitement médico-social. Il faut donc assurer cette transition technique et démographique.

Pour vous rassurer, monsieur le sénateur, je peux vous dire que l’emploi total dans le secteur financé par l’assurance maladie ne diminue pas, bien au contraire : 25 000 emplois ont été créés l’an dernier ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour la réplique.

Mme Annie David. Madame la ministre, nous ne pouvons pas être d’accord avec vos chiffres ! D’ailleurs, vous nous parlez d’effectifs globaux alors que nous vous interrogeons sur les postes dans les hôpitaux publics. Selon vous, le nombre de postes augmente, mais dans quels secteurs ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Dans ceux qui répondent aux besoins des malades !

Mme Annie David. Vous nous dites aussi que l’AP-HP a bénéficié de financements supplémentaires, mais des suppressions de postes y sont annoncées, comme Guy Fischer vous l’a rappelé !

Il vous suffit, madame la ministre, de rendre visite à un patient hospitalisé dans un de nos hôpitaux publics pour constater les difficultés rencontrées aujourd’hui par les personnels de ces hôpitaux désireux d’assurer une qualité de soins à la hauteur des exigences de leur mission.

M. Jean-Luc Fichet. Très bien !

Mme Annie David. Il vous suffit de vous rendre dans nos territoires ruraux pour entendre leur population et leurs élus vous demander, madame la ministre, de ne pas fermer les établissements publics de proximité qui assurent les soins de qualité dont les habitants ont besoin.

Madame la ministre, votre réponse ne nous a absolument pas convaincus ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Pour rassurer Mme la sénatrice, je tiens à lui indiquer que je me rends, tous les lundis et les vendredis, dans des hôpitaux publics, au plus près du terrain. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous devez donc entendre les mêmes réclamations que nous !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Il y a trois jours, j’étais à l’hôpital Henri-Mondor ; vendredi dernier, je visitais le service des urgences de l’hôpital de Lons-le-Saunier ; et hier, je me suis rendue à Beauvais. Je connais donc très précisément la situation des hôpitaux en général, et des hôpitaux publics en particulier ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Que l’on ferme donc les hôpitaux des départements où sont élus les sénateurs qui vous applaudissent !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Ma première question répète, en quelque sorte, celle de M. Alain Milon, ce qui illustre bien son urgence, madame la ministre !

La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires a remis à plat la gouvernance du système hospitalier. Cette réforme préfigure une refonte de la carte hospitalière. Pour ce faire, un « pilote » régional a été créé, l’Agence régionale de santé ou ARS, et un « patron » a été désigné au sein de l’hôpital, le directeur.

Ma question portera, en premier lieu, sur ces deux aspects de la gouvernance hospitalière.

Au niveau territorial, nous aimerions obtenir des précisions quant aux modalités concrètes de l’installation des ARS. En particulier, madame la ministre, quel calendrier avez-vous finalement arrêté, notamment pour la parution des décrets d’application ? Quelles étapes ont déjà été franchies à ce jour et quels objectifs sont assignés aux nouveaux directeurs généraux d’ARS pour 2010 ?

En ce qui concerne la gouvernance de l’hôpital, la même incertitude règne. Deux décrets importants sont attendus pour concrétiser la réforme : d’une part, le décret relatif au conseil de surveillance et, d’autre part, celui portant statut du « clinicien hospitalier ». Où en est-on, aujourd’hui, dans l’élaboration des textes réglementaires d’application ?

En second lieu, je me permets d’attirer votre attention, madame la ministre, sur la crainte actuellement exprimée dans les départements ruraux quant à la redistribution des moyens hospitaliers impliquée par la réforme de la gouvernance.

Dans cette perspective, comment comptez-vous faire respecter le principe d’égal accès à des équipements médicaux de pointe, en particulier dans les zones de montagne et, plus globalement, en marge des grands centres urbains ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je tiens à rassurer M. Boyer …

M. Guy Fischer. Vous voulez rassurer tout le monde !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. … sur le calendrier de parution des textes réglementaires concernant aussi bien la gouvernance des hôpitaux que les agences régionales de santé.

Vous connaissez déjà le calendrier de l’installation des agences régionales de santé : les directeurs préfigurateurs ont été nommés, ils préparent actuellement l’installation des agences régionales de santé, fixée au 1er avril prochain. Ils constituent leurs équipes et s’attachent à régler les questions relatives à la mise en place de leurs moyens, notamment immobiliers. En effet, les ARS regrouperont sept services différents, relevant tant de l’État que de l’assurance maladie. Les textes d’application paraissent actuellement, ils comprennent une dizaine de décrets, auxquels s’ajoutent deux ordonnances, et seront tous publiés d’ici au 1er avril 2010.

Bien entendu, ces publications seront précédées de la nomination, en conseil des ministres, des directeurs généraux d’ARS. Pour la majeure partie, pour ne pas dire la totalité, la liste de ces personnalités reprendra celle des directeurs préfigurateurs.

Les décrets relatifs à la gouvernance de l’hôpital sont soit déjà publiés, soit en cours de parution. Le décret relatif au statut du clinicien hospitalier sera publié en dernier, au mois d’avril. Le décret relatif au conseil de surveillance paraîtra vraisemblablement à la fin du mois de mars ou au début du mois d’avril. Dans ce domaine également, monsieur le sénateur, le calendrier est respecté.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Boyer, pour la réplique.

M. René-Pierre Signé. Il n’a rien à dire !

M. Jean Boyer. Madame la ministre, comme tous ceux d’entre nous qui font preuve d’objectivité, j’apprécie que les délais observés pour la publication des textes d’application soient relativement brefs.

J’ai aussi tenté de faire passer un autre message : je connais votre volonté de garantir une sorte de parité aux départements ruraux, car, vous le savez mieux que personne, la santé est la priorité des priorités. Nous nous inquiétions que la compétitivité médicale des hôpitaux des départements ruraux situés à proximité des grandes métropoles soit la grande oubliée de cette réforme, mais vous m’avez rassuré sur ce point ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Le financement des hôpitaux publics fait toujours l’objet de débats. En 2008, le déficit cumulé des établissements hospitaliers publics a atteint 592 millions d’euros ; ce résultat reste légèrement inférieur à celui de 2007, mais il ne représente pas une très grande performance !

Il est choquant que beaucoup d’établissements aient pu revenir à l’équilibre, grâce à un plan de redressement, et connaissent aujourd’hui une situation financière satisfaisante, alors que d’autres, pour des raisons souvent politiques, se refusent à rééquilibrer leur budget.

On ne peut toutefois pas réduire le problème à la seule question des moyens financiers. Pour ma part, je ne crois pas que le déficit de l’hôpital soit une fatalité. J’en veux pour preuve que de nombreux établissements ont pu se réorganiser depuis 2003 et dans le cadre de la loi HPST. Ces établissements ont signé avec les ARH, des « contrats de retour à l’équilibre financier » en échange d’une aide nationale pour les aider à repartir du bon pied.

Au début de l’année 2008, une mission de l’Inspection générale des affaires sociales s’était alarmée des « résultats préoccupants » de ce système : mesures limitées au regard des objectifs, absence de coordination avec la stratégie médicale, suivi insuffisant, etc. Très peu de plans de redressement proposaient d’abandonner ou de restructurer certaines activités, alors qu’il s’agit là, à mon sens, d’un point central du retour à l’équilibre financier.

S’agissant des restructurations en général, la Cour des comptes a souligné à plusieurs reprises le retard pris par les établissements publics de santé. Le patient recherche avant tout la possibilité d’accès à des soins de qualité : à l’évidence, ceux-ci ne peuvent pas être dispensés dans de bonnes conditions au sein de tous les établissements.

À Perpignan, présentant ses vœux aux personnels de santé, le Président de la République a fixé les objectifs de qualité, de sécurité et de retour à l’équilibre budgétaire.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est ça ! Fermons ! Fermons !

M. Gilbert Barbier. Alors que les agences régionales de santé vont entrer en fonction cette année, pouvez-vous, madame la ministre, nous apporter des précisions : combien d’établissements ont retrouvé l’équilibre financier ? Combien sont encore engagés dans le dispositif de retour à l’équilibre en 2010 ? Combien sont concernés par des opérations de restructuration ?

M. Guy Fischer. Et combien ont fermé ?

M. René-Pierre Signé. Et combien vont fermer ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Monsieur Barbier, nous visitions ensemble, vendredi dernier, le bel hôpital de Lons-le-Saunier, dans votre magnifique département du Jura. (Sourires.) Le budget de cet établissement se trouve d’ailleurs à l’équilibre, je tiens à le signaler, comme celui des deux tiers des hôpitaux français. L’équilibre est donc un objectif atteignable et le déficit n’est pas une fatalité, je ne me lasserai jamais de le répéter !

Surtout, le retour à l’équilibre financier est une condition de la pérennité des hôpitaux, car nous savons très bien quelles sont les dépenses réduites en priorité en cas de déficit. En effet, lorsqu’un un hôpital est en déséquilibre, les investissements souffrent, alors qu’ils représentent la capacité à préparer l’avenir. Or, nous savons que la médecine sera de plus en plus technicisée et accomplira des progrès tout à fait considérables : si la capacité d’investissement des hôpitaux n’est pas préservée, la qualité des soins s’en ressentira. On peut également constater que les difficultés budgétaires, conformément à votre diagnostic, monsieur le sénateur, résultent souvent d’une mauvaise utilisation des moyens alloués, souvent liée à une mauvaise organisation.

Nous devons donc aider les établissements à retrouver une bonne organisation. C’est la raison pour laquelle j’ai créé l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux afin d’aider les hôpitaux dans ce travail qui, par ailleurs, est facilité par le fait que la dépense hospitalière connaît un taux de progression bien supérieur à celui de la richesse nationale.

Vous l’avez dit, monsieur le sénateur, 61 % des hôpitaux ont des comptes en équilibre. Nous sommes en train d’étudier les chiffres de l’année 2009 : le déficit global, qui a déjà diminué en 2008, comme vous l’avez souligné, sera encore réduit. Les efforts des hôpitaux sont donc couronnés de succès et nous permettront d’assurer la sécurité et la qualité des soins ! (M. Alain Gournac applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour la réplique.

M. Gilbert Barbier. L’objectif de retour à l’équilibre des hôpitaux est à mon sens une impérieuse obligation et une question de bon sens. En effet, on voit mal comment les centres hospitaliers et universitaires, les CHU, peuvent offrir aux patients des soins de qualité, investir dans la recherche, moderniser leurs équipements s’ils sont en déficit constant.

Il ne s’agit évidemment pas d’imposer une logique comptable à l’hôpital. À cet égard, mes collègues du groupe RDSE sont inquiets du recrutement de directeurs formés dans des écoles de gestion plutôt qu’à l’École des hautes études en santé publique.

Le retour à l’équilibre doit être porté, de façon transversale, par l’ensemble de l’équipe de direction. Les équipes médicales et soignantes doivent ensuite se l’approprier, non comme une contrainte, mais comme la condition d’un développement durable des activités hospitalières.

Dans ce cadre, les regroupements et les restructurations sont nécessaires, en particulier dans certaines spécialités comme la chirurgie et les spécialités lourdes.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Madame la présidente, permettez-moi de mentionner un chiffre, qui m’avait été demandé par M. Barbier et que j’ai omis dans ma réponse. Le nombre d’établissements de santé concernés par un contrat de retour à l’équilibre financier s’élève à 238. Il est bien supérieur à ce que les critères retenus pour déclencher cette procédure exigeraient. Cela montre qu’un certain nombre d’établissements ont opté pour une action préventive, plutôt que curative, et cette démarche est beaucoup plus intelligente.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ma question concerne l’Assistance publique-hôpitaux de Paris, l’AP-HP.

La refonte de la carte hospitalière est un défi majeur pour la région Île-de-France, tant le déséquilibre du budget de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris est avéré. En 2009, le déficit s’est élevé à 100 millions d’euros et, sans effort d’économie, le déficit cumulé pourrait atteindre un milliard d’euros en 2010.

Madame la ministre, la réduction des déficits est-elle fondée sur une problématique médicale ou s’inspire-t-elle uniquement d’une logique comptable et financière ? En outre, les regroupements et les fusions d’hôpitaux sont-ils toujours opérés avec beaucoup de conséquence ?

Par exemple, dans trois à quatre ans au plus tard, les services de pédiatrie spécialisée de l’hôpital Armand-Trousseau devraient migrer vers les hôpitaux Robert-Debré et Necker, ce qui aura pour conséquence de transformer le CHU en hôpital général. Dès lors, pourquoi avoir inauguré dans cet hôpital, il y a cinq ou six ans, une grande maternité censée bénéficier de la proximité de services de pédiatrie accueillant certaines pathologies ? (Mme Josette Durrieu applaudit.)

M. Guy Fischer. Incohérence !

Mme Marie-Thérèse Hermange. Autre exemple, on fait migrer l’activité de chirurgie digestive de l’hôpital Ambroise-Paré vers l’hôpital européen Georges-Pompidou. Mais ce dernier sera-t-il en mesure d’assumer les 3 000 actes supplémentaires sans augmentation de personnel ?

Enfin, pourquoi dans un service de radiologie comme celui de l’Hôtel-Dieu, dont l’activité est en augmentation de 30 % et des coûts inférieurs de 40 % à la moyenne de l’AP-HP, supprime-t-on des postes ?

Nous souscrivons aux restructurations hospitalières, mais nous voudrions que ces réductions de déficit aient un fondement médical, qu’elles puissent concilier à la fois la logique comptable et la logique humaine, le souci du personnel et le maintien de la modernisation.

Certes, comme vous l’avez indiqué, les restructurations nécessaires permettront de dégager des économies, mais il faudra plusieurs années pour en ressentir les effets. Or, l’Assistance publique-hôpitaux de Paris doit obligatoirement faire des efforts en termes d’investissement. L’État envisage-t-il de lui accorder une aide dans ce domaine ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Madame la sénatrice, votre question me permet de rétablir un certain nombre de vérités.

Tout le personnel soignant de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris est persuadé que ce vaisseau amiral de l’hôpital français doit profondément se restructurer. Je rencontre plusieurs médecins et universitaires chaque semaine, dans le cadre d’entretiens collectifs ou individuels, et pas un seul d’entre eux ne m’a dit le contraire !

Ces restructurations, qui sont destinées à assurer une meilleure qualité de soins, ne peuvent répondre qu’à un projet médical. C’est pourquoi les évolutions qui sont évoquées dans cette question font partie de propositions émanant du conseil exécutif de l’AP-HP, et non de la ministre de la santé, de son cabinet ou encore de la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins.

Il s’agit donc bien de restructurations proposées par les médecins de l’AP-HP, dans le cadre d’un projet médical. On peut toujours discuter de la pertinence de ces choix, mais il ne s’agit nullement d’un projet technocratique. Évidemment, cela n’empêche pas – et c’est une constante dans ce genre d’exercices – que l’on préfère toujours que les restructurations aient lieu chez le voisin…

Donc, le conseil exécutif de l’AP-HP formule des propositions. Le conseil de surveillance, qui sera constitué au mois d’avril 2010, aura à se prononcer sur ces propositions. Enfin, les autorités de tutelle devront indiquer, pour chacun de ces projets, s’il correspond aux nécessités identifiées dans le cadre de notre démarche de qualité et de sécurité des soins.

En d’autres termes, madame la sénatrice, rien n’est aujourd'hui décidé.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, pour la réplique.

Mme Marie-Thérèse Hermange. J’espère simplement, madame la ministre, qu’il en sera ainsi sur le terrain, car je vous assure qu’une grande interrogation demeure chez les médecins. Comme vous le savez, ceux-ci ont déjà subi, il y a une dizaine d’années, un certain nombre de restructurations : l’hôpital européen Georges-Pompidou a été ouvert ; quatre hôpitaux ont été fermés et d’autres ont failli l’être.

J’espère donc que la logique médicale – je suis persuadée que, pour votre part, vous l’appliquerez – présidera à l’ensemble de ces restructurations, avec continuité et efficacité pour les patients comme pour les médecins. (Mme Gisèle Printz et M. Serge Lagauche applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. René-Pierre Signé.

M. René-Pierre Signé. Madame la ministre, la production de soins, mais aussi de bien-être, dont la demande ne cesse chaque jour de croître, voit son offre, déjà disparate, se réduire, et la suppression envisagée des blocs chirurgicaux des petits hôpitaux et des maternités alimente cette tendance.

Tout service de chirurgie, sans disposer de plateaux techniques de très haut niveau, peut pratiquer, et non pas seulement pour les petites urgences, une chirurgie simple et néanmoins salvatrice. Médecine et chirurgie étant complémentaires, comment pourrons-nous adjoindre aux hôpitaux privés de services chirurgicaux des services médicaux pourtant largement renforcés par le système de télétransmission du centre expert, qui conforte le diagnostic et apporte ses conseils ?

La dispersion en large pointillé de ces hôpitaux de notoriété trop modeste, pratiquant des interventions urgentes dans lesquelles les minutes comptent – hernie étranglée, grossesse extra-utérine, rupture de rate, perforation de l’estomac... –, allonge le temps de transport. On en mesure le risque ! Pour le moins, un relais médicalisé est indispensable pour apporter une aide aux services d’aide médicale urgente, les SAMU, dont les périmètres d’action sont limités.

Supprimer les hôpitaux dits de proximité touche aussi au confort et à l’affect. Imaginez, madame la ministre, le désarroi d’un vieillard tiré de son lit chaud pour être conduit dans un centre hospitalier lointain, submergé d’urgences, pour une rétention d’urine ou une épistaxis, et patientant des heures dans un couloir glacial, allongé sur un brancard. C’est un recul sur le plan médical ; c’est une cruauté sur le plan humain !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Jamais on n’a fait cela !

M. René-Pierre Signé. Le projet de création de grands pôles hospitaliers régionaux déshumanise la médecine. Inutile de surcharger ces structures de toutes les pathologies ! Que devient la relation affective entre les soignants et les malades, évidemment réduite dans l’anonymat des chambres multiples, le long de couloirs où patientent les urgences ?

Des dépenses élevées ont été évoquées. Nous n’avons jamais eu, en France, une politique à long terme de l’offre médicale ; le parcours des malades n’a pas été organisé vers et depuis l’accès primaire au médecin généraliste, qui aurait dû être formé en ce sens ; en détournant les étudiants de cette fonction, on accroît ipso facto le recours au spécialiste dont le rôle devrait rester celui de consultant. C’est absurde et tout le monde y perd, y compris les organismes payeurs dont le déficit est accentué par un activisme inutile, voire parfois nocif. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Monsieur le sénateur, je vous ai connu plus inspiré ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Vous venez effectivement d’énoncer un certain nombre de contre-vérités.

Tout d’abord, sur la question relative à l’attractivité de la médecine générale, je souligne qu’en trois ans le taux d’étudiants ayant choisi la médecine générale est passé de 37 % à 49 %. Je vous rassure donc sur ce sujet et vous invite à vérifier vos chiffres avant d’intervenir.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Par ailleurs, je tiens à l’hôpital de proximité, élément tout à fait structurant de notre système de soins.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n’arrêtez pas d’en fermer !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Mais l’hôpital de proximité ne peut pas tout faire ! Il faut donc raisonner à travers un système de gradation des soins et, dans ce cadre, l’hôpital de proximité se verra bien entendu confier les urgences, les soins courants, les soins post-aigus et la gériatrie.

M. René-Pierre Signé. Ces services sont supprimés !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Monsieur Signé, jamais un vieillard souffrant d’une épistaxis ne sera transporté dans un hôpital de recours ! C’est une contre-vérité !

Au contraire, il s’agit de conforter le rôle de l’hôpital de proximité en assurant la qualité et la sécurité des soins. Ainsi, alors que 80 % de nos concitoyens habitent actuellement à moins de vingt minutes d’un service d’urgences, j’ai pris l’engagement que ce taux serait porté à 90 %.

L’hôpital de proximité est donc recentré sur ses missions. Par exemple, quand une maternité est fermée parce qu’elle n’assure pas la sécurité et la qualité des soins, et qu’elle ne réalise pas suffisamment d’actes, elle est remplacée par un centre périnatal de proximité. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Prenons le cas d’un service de chirurgie, également fermé parce qu’il ne permet pas d’assurer la sécurité et la qualité des soins. Franchement, monsieur le sénateur, où préférez-vous être opéré si vous avez un problème : dans un service de proximité ou dans l’hôpital qui assure une véritable sécurité et qualité des soins et où le taux de mortalité est quatre fois moins élevé ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) Ce sont les gens qui ont décidé, ils ont voté avec leurs pieds !

Pourquoi voulez-vous assigner un certain nombre de malades à résidence et leur imposer des soins de mauvaise qualité ? Je peux vous dire très exactement dans quels hôpitaux se rendent les personnes bien informées et qui ont des moyens !

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’hôpital de proximité a un rôle majeur à jouer ! Je n’en ai jamais fermé aucun, mais j’ai cherché à transformer ces structures pour améliorer la sécurité et la qualité des soins. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. René-Pierre Signé, pour la réplique.

M. René-Pierre Signé. Mme la ministre ne supprimerait aucun hôpital de proximité… Pour ma part, j’ai entendu dire que 185 hôpitaux de proximité effectuant moins de 1 500 actes par an seraient fermés. Or, sans hôpital de proximité, où seront soignées les épistaxis ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Vous confondez services et hôpitaux !

M. René-Pierre Signé. Je ne confonds rien du tout ! C’est ce que je constate dans mon département !

Des changements complets sont opérés actuellement. D’ailleurs, le concours d’entrée aux études médicales est devenu un concours de grande école ! On encourage les jeunes à poursuivre leurs études vers des spécialités et vers la recherche et, ainsi orientés, ces praticiens et praticiennes – 70 % des étudiants sont des femmes – ont peu de tropisme pour la médecine rurale.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Ne critiquez pas les femmes ! (Sourires.)

M. René-Pierre Signé. Qu’on ne s’étonne pas ensuite de l’existence de déserts médicaux dans les départements ruraux, qui entraîne une insécurité sanitaire faisant fuir les retraités et contribuant à la dépopulation de ces territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Giudicelli.

Mme Colette Giudicelli. Madame la ministre, quand, dès 2007, vous avez lancé le plan Hôpital 2012, qui couvre la période allant de 2008 à 2012, nous avons bien compris que ce plan offrirait un levier d’action aux établissements hospitaliers en matière d’investissement. Ainsi, 10 milliards d’euros, financés par l’État et l’assurance maladie, doivent normalement être mobilisés dans ce cadre.

L’une des orientations de ce plan est l’accompagnement des recompositions hospitalières, avec la mise en œuvre des schémas régionaux d’organisation sanitaire, ou SROS, de troisième génération.

Ces recompositions concernent en particulier la reconversion de sites chirurgicaux en cessation ou en diminution d’activité et la poursuite des regroupements des plateaux techniques, notamment dans les secteurs de la médecine, de la chirurgie et de l’obstétrique.

Madame la ministre, j’aimerais obtenir des précisions sur deux points.

Après les premières annonces qui ont été faites en 2008, de nombreux dossiers, dont certains sont innovants, ont été présentés par les hôpitaux. Les professionnels de santé nous ont signalé être toujours dans l’attente de l’attribution des financements nécessaires aux opérations de modernisation et de recomposition. Qu’en est-il exactement ?

Par ailleurs, madame la ministre, en quoi le plan Hôpital 2012 peut-il concrètement accompagner la modernisation et la restructuration de l’offre de soins, dans un objectif d’amélioration de la qualité de prise en charge des patients en tous points du territoire ? (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Madame la sénatrice, le plan Hôpital 2012, qui mobilise 10 milliards d’euros – dont la moitié est prise en charge par l’État –, permettra d’abord de rénover et de restructurer le parc immobilier, souvent peu adapté aux techniques modernes, le système pavillonnaire étant source de multiples désagréments aussi bien pour le personnel hospitalier que pour les personnes accueillies.

Il permettra également d’améliorer les capacités hôtelières et d’accueil des patients, qui souhaitent, par exemple, bénéficier plus systématiquement de chambres individuelles, de développer les systèmes d’information, la télémédecine, et de mettre les établissements aux normes de sécurité.

Au terme de l’instruction de la première tranche, des opérations d’investissement ont été validées à hauteur de 4 ,575 milliards d’euros, dont 2,2 milliards d’euros pris en charge par l’État. Plus de 2 000 dossiers ont été présentés par les établissements de santé, dont 640 ont été retenus. Ainsi, la région d’Île-de-France va recevoir 430 millions d’euros de subventions, la région Rhône-Alpes 223 millions d’euros et la région Nord-Pas-de-Calais 156 millions d’euros. Même si les opérations avancent plus rapidement dans certaines régions que dans d’autres, je tiens à ce qu’un équilibre soit atteint lorsque toutes seront achevées.

Lors de la première tranche du plan, 160 projets immobiliers ont été validés pour un montant d’aide de 1,8 milliard d’euros ; 480 projets relatifs aux systèmes d’information ont été retenus pour un montant de 350 millions d’euros. Les aides concernent très majoritairement – à 90 % – les établissements publics, mais les établissements privés sont également concernés. Les opérations de recomposition peuvent concerner deux ou plusieurs établissements et les restructurations internes porter sur un ou plusieurs pôles d’activité.

En outre-mer, nous sommes confrontés à des contraintes particulières. En Martinique et en Guadeloupe, nous mettons en particulier l’accent sur la mise aux normes parasismiques. Après la catastrophe d’Haïti, vous comprendrez, mesdames, messieurs les sénateurs, que je sois particulièrement attentive à ces opérations, qui coûtent plusieurs centaines de millions d’euros. Je veillerai à ce qu’elles soient bien calibrées pour être, à terme, financièrement supportables par les établissements, lesquels ne doivent pas, de nouveau, enregistrer des déficits.

Madame la présidente, en conclusion, je tiens à remercier chacun des intervenants pour les questions qu’ils m’ont posées. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Giudicelli, pour la réplique.

Mme Colette Giudicelli. Pour ma part, je vous remercie, madame la ministre, de la précision de vos réponses. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques.

Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures quinze.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

8

Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez faire entrer M. le doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes.

(M. le doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes est introduit dans l’hémicycle selon le cérémonial d’usage.)

Mme la présidente. Monsieur le doyen, au nom de M. le président du Sénat et de l’ensemble de mes collègues, je vous souhaite une très cordiale bienvenue dans notre hémicycle.

Avant de vous donner la parole, vous comprendrez que le Sénat salue la mémoire de Philippe Séguin.

En cet instant, je reprendrai les propos tenus par M. Gérard Larcher lui-même le 7 janvier dernier : Philippe Séguin « avait donné à la Cour des comptes une dimension inédite. Son exigence et son indépendance, qualités unanimement reconnues, faisaient de lui une personnalité respectée. Sa fougue et sa passion vont nous manquer. Avec lui, disparaît un grand serviteur de l’État, un républicain imprégné de valeurs de résistance et de respect ».

Monsieur le doyen, vous pouvez en porter témoignage, le travail qu’il a accompli tout au long de sa première présidence a permis de renouveler profondément votre institution et de donner un rayonnement inédit à vos travaux, dont le Sénat sait apprécier la très grande qualité.

Nous sommes d’autant plus attentifs au rôle joué par la Cour des comptes que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a consacré dans notre Constitution votre mission d’assistance au Parlement.

Cette mission d’assistance s’illustre notamment à travers les demandes que nous pouvons formuler dans le cadre de nos fonctions de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, qui forment, avec la fonction législative, notre « cœur de métier » comme aime à le dire le président Larcher.

Par-delà le rituel institutionnel, votre présence parmi nous aujourd’hui à l’occasion de la remise solennelle du rapport annuel de la Cour des comptes symbolise l’excellence de nos relations et le précieux concours que vous pouvez apporter au Sénat, notamment à notre commission des finances et à notre commission des affaires sociales. Je donnerai tout à l’heure la parole à M. le président de la commission des finances et à Mme la présidente de la commission des affaires sociales, qui nous le confirmeront.

Pour l’heure, c’est avec grand intérêt et grande attention que le Sénat va prendre connaissance du rapport annuel de la Cour des comptes.

Monsieur le doyen, vous avez la parole.

M. Alain Pichon, doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes. Madame la présidente, conformément à l’article R. 112-5 du code des juridictions financières, j’ai l’honneur en qualité de doyen des présidents de chambre de vous remettre, en application de l’article L. 136-1 du même code, le rapport public annuel de la Cour des comptes pour 2010. (M. le doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes remet à Mme la présidente le rapport annuel de la Cour des comptes.)

Mme la présidente. Je vous remercie, monsieur le doyen.

M. Alain Pichon, doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, la remise du rapport public annuel est un moment toujours particulier dans les relations sans cesse plus étroites que le Sénat et la Cour ont nouées.

Vous le savez, ce rapport est l’occasion pour les juridictions financières de sélectionner des sujets illustrant non seulement les errements et les insuffisances, mais aussi les progrès qu’elles constatent dans la gestion publique. Toutefois, nos échanges ne se limitent pas au seul rapport public annuel, loin s’en faut ! Cette année encore, la Cour a porté à votre connaissance de nombreux rapports représentant plusieurs milliers de pages afin de vous assister dans l’exercice de vos missions constitutionnelles de contrôle du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques.

En 2009, nous vous avons notamment adressé les cinq rapports prévus par la loi organique relative aux lois de finances et la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, qui sont destinés à nourrir vos grands débats budgétaires et financiers.

Conformément à ces deux lois organiques, nous avons effectué plusieurs enquêtes à la demande de vos commissions habilitées à nous saisir.

Ainsi, cinq communications ont été adressées à la commission des finances du Sénat, portant sur la gestion des centres de rétention administrative, sur le programme Copernic, sur l’Office national des forêts, sur l’articulation entre la politique de la ville et l’éducation nationale dans les quartiers sensibles et enfin sur la présidence française de l’Union européenne.

Votre commission des affaires sociales, quant à elle, a été destinataire de deux communications, l’une relative à la lutte contre le VIH/SIDA et l’autre à l’action sociale dans la branche famille.

Nous travaillons d’ores et déjà à satisfaire votre demande de cinq nouvelles communications, qui vous seront adressées dans le courant de l’année 2010.

En 2009, nos six rapports publics thématiques vous ont également été adressés. Ils ont porté sur la protection de l’enfance, France Télévisions, la décentralisation, les transports express régionaux et l’évolution des effectifs de l’État. Vous avez également été destinataires du rapport sur les concours publics accordés aux établissements de crédits affectés par la crise financière.

Enfin, nous vous avons communiqué six rapports relatifs au contrôle des organismes faisant appel à la générosité publique, portant notamment sur les Restos du Cœur ou sur le Sidaction.

J’en viens maintenant à la présentation du rapport public annuel, dont le premier tome rassemble les résultats de vingt-cinq contrôles menés en 2008 et surtout en 2009.

J’évoquerai tout d’abord la situation générale de nos finances publiques, puis les insertions aux enjeux financiers les plus significatifs, en recettes comme en dépenses.

Chacun connaît les maux dont nos finances publiques sont affectées, mais ce n’est pas une raison pour ne pas les rappeler.

Le déficit public, selon les dernières prévisions du Gouvernement, devrait s’élever à 7,9 % du PIB en 2009, soit plus qu’un doublement en un an, et atteindrait 8,2 % en 2010.

L’essentiel de cette forte dégradation résulte indéniablement de la crise économique, qui a fait fondre les recettes fiscales et sociales et entraîné un surcroît de dépenses imputables au plan de relance et de soutien de l’économie.

La Cour considère toutefois – elle a sur ce point une divergence avec le Gouvernement qui transparaît dans sa réponse publiée dans le rapport – que le déficit structurel a augmenté de 0,6 point par rapport à 2008 et qu’il représente désormais la moitié du déficit pour 2009.

La dérive structurelle des comptes publics s’est donc poursuivie en 2009 sous l’effet de la persistance du dynamisme de la dépense publique et des allégements pérennes d’impôts consentis pour 2009 et 2010.

Nous assistons en conséquence à un emballement de la dette publique. Entre 2003 et 2009, la dette est passée de 1 000 milliards d’euros à près de 1 500 milliards d’euros, et cette tendance menace de s’accélérer encore.

Le Chef de l’État vient d’annoncer une série de mesures qui marquent une volonté de rupture avec les pratiques antérieures. C’est lors de notre rendez-vous de juin prochain et dans les rapports ultérieurs consacrés à la situation des finances publiques que nous pourrons analyser les décisions qui seront prises en ce début d’année et leurs premiers effets.

Elles devront conduire à un effort massif pour réduire les dépenses publiques et optimiser le rendement des prélèvements obligatoires, c’est-à-dire des impôts existants, en commençant par la réduction rigoureuse et volontaire des dépenses et des niches fiscales et sociales.

Ainsi, le coût de certains dispositifs d’allégement d’impôts prévus par la loi dite Girardin de 2003 apparaît particulièrement disproportionné. Nos contrôles en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna ont montré que ces dispositifs d’incitation à l’investissement privé conduisent l’État non seulement à rembourser aux investisseurs privés leur mise de fonds, mais aussi à les rémunérer très généreusement. Dans ces territoires, le rendement net d’impôt est de 18 % pour l’immobilier et le taux d’intérêt servi par l’État pour les investissements industriels à Wallis-et-Futuna peut atteindre 66 %.

Nous consacrons plusieurs insertions au contrôle et à la lutte contre la fraude dans plusieurs secteurs.

Les contrôles fiscaux des entreprises et des particuliers ont été réorientés sur les erreurs et fraudes les plus faciles à détecter et à sanctionner afin d’offrir le meilleur rendement budgétaire possible. La conséquence en est que les contribuables ne sont pas égaux face à ces contrôles ; les différents impôts ne font pas l’objet de la même attention ni de la même vigilance.

La lutte contre la fraude à l’indemnisation du chômage a mobilisé l’UNEDIC et les ASSEDIC au cours de la période récente, avec la création d’un corps d’auditeurs spécialisés et la modernisation des outils de contrôle.

Cependant, Pôle emploi reste largement démuni faute d’une coopération suffisante avec les autres services publics, à commencer par les services préfectoraux. Mais la Cour insiste sur la nécessité de faire converger les assiettes et règles de recouvrement des cotisations d’assurance chômage avec celles de la sécurité sociale, ce qui est loin d’être le cas actuellement.

Nous examinons également la gestion du produit des amendes de circulation routière, qui ont rapporté plus de 1,5 milliard d’euros au budget de l’État en 2008, notamment avec la mise en œuvre croissante et très productive des amendes-radars.

Leur gestion reste marquée par une grande opacité, ce qui favorise la perpétuation de pratiques d’annulation d’amendes pourtant interdites par les textes, les fameuses « indulgences ».

M. Roland du Luart. Pas très catholiques ! (Sourires.)

M. Alain Pichon, doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes. Cette pratique peu régulière a concerné près de 8 % des amendes forfaitaires à la préfecture de police de Paris en 2007, soit plus de 500 000 amendes.

Nous avons examiné le fonds d’épargne géré par la Caisse des dépôts et consignations.

La loi de modernisation de l’économie de 2008 avait pour objectif de restaurer la viabilité financière de ce fonds. Malgré ces avancées et une très bonne collecte en 2008 et au début de 2009, l’équilibre du fonds d’épargne n’est toujours pas assuré. Le niveau des ressources du fonds dépend désormais largement de la politique commerciale des banques, tandis que le fonds a été fortement mobilisé par l’État pour soutenir les établissements de crédit et financer une partie du plan de relance.

L’État devra donc définir les conditions d’un nouvel équilibre dynamique entre les ressources et les dépenses du fonds afin de garantir le financement du logement social.

Les programmes d’armement, qui, avec 12 milliards d’euros en 2009, constituent la première dépense d’investissement de l’État, ont également retenu notre attention. Malgré quelques progrès permis par la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, qui a été récemment adoptée, la conduite de ces programmes révèle la persistance d’insuffisances : non-maîtrise des coûts, retards, difficultés à organiser une programmation internationale. Le programme de l’A400M nous en donne une nouvelle illustration.

La Cour consacre ensuite de nombreuses insertions à la gestion des services de l’État et des organismes publics. Celles-ci visent non seulement à corriger les dérives constatées, mais également à identifier des gisements d’économie ou des réformes pouvant permettre d’accroître l’efficacité de l’action publique.

Avec le contrôle des systèmes de cartes d’assurance maladie, nous avons identifié des marges d’économies substantielles pour la branche, dont vous connaissez la situation structurellement déficitaire.

Près d’un milliard de feuilles de soins électroniques sont désormais transmises par cartes Vitale chaque année, ce qui permet à la sécurité sociale de réaliser une économie annuelle de 1,5 milliard d’euros. Voilà un dispositif qui marche et dont la France peut s’enorgueillir. Toutefois, l’assurance maladie reçoit encore 150 millions de feuilles de soins papier, soit une dépense de 200 millions d’euros, qui pourrait être aisément économisée. Pour cela, il faudra mettre en œuvre une approche plus contraignante à l’égard des médecins, qu’ils soient généralistes ou spécialistes, encore récalcitrants à l’utilisation de la carte Vitale.

S’agissant de l’efficacité de l’action publique, plusieurs de ces insertions portent sur la gestion des ressources humaines.

Nous traitons à nouveau de la gestion des personnels de la navigation aérienne, qui est principalement dictée par le souci d’éviter des conflits sociaux tant une grève du contrôle aérien a un effet immédiat sur le secteur et sur ses usagers.

Or l’organisation du travail ne permet toujours pas de faire prévaloir la productivité et l’impératif de sécurité, en l’absence d’une gestion transparente des personnels. C’est pourquoi la Cour est conduite aujourd’hui à remettre en cause le système des protocoles renégociés périodiquement avec les représentants syndicaux, ce qui appelle de la part de la direction générale de l’aviation civile un réexamen assez profond de la situation.

Malgré les efforts de la direction de la SNCF, la gestion de ses personnels demeure entravée par des rigidités qui pèsent sur les performances de l’entreprise publique.

La réforme du régime de retraite des cheminots a rapproché celui-ci de la situation générale de l’ensemble du secteur public et a permis d’apurer le bilan de l’entreprise, mais elle devrait se traduire par un surcoût de 380 millions d’euros sur la période 2010-2030, sans garantir un rééquilibrage durable de ce régime, qui est déjà subventionné à plus de 60% par l’État.

Les relations sociales ont également évolué à la SNCF avec la mise en œuvre des dispositions de la loi du 21 août 2007 sur le service et l’information des usagers. Les résultats sont meilleurs pour les grèves nationales d’une journée que pour les grèves localisées et tournantes, comme il s’en est produit à la gare Saint-Lazare ou à Nice.

En outre, la productivité n’a pas suffisamment progressé pour tirer parti de la réduction des effectifs et pour permettre à la SNCF de se confronter avec succès aux entreprises concurrentes dès lors que la concurrence est ouverte, notamment dans le domaine du fret.

Par ailleurs, nous avons contrôlé la RATP, dont le modèle économique est aussi remis en cause par les perspectives d’ouverture à la concurrence. La loi du 8 décembre 2009 a apparemment mis fin à un imbroglio juridique, comptable et financier sur la propriété et la gestion des infrastructures, désormais attribuées à la Régie autonome des transports parisiens, la RATP, tandis que le matériel roulant doit revenir au syndicat des transports d’Île-de-France, le STIF.

En tout état de cause, les nouvelles conditions d’exploitation auront des conséquences comptables et financières auxquelles la Cour sera attentive. Il se pose également la question du portage par la RATP d’une dette de 4,3 milliards d’euros, que la Régie ne paraît pas en mesure de rembourser sur ses seules ressources.

Comme chaque année, la Cour examine l’efficacité de certaines politiques publiques. Je n’évoquerai pas toutes les politiques examinées dans ce rapport, limitant mon propos aux exemples les plus significatifs.

La lutte contre le surendettement des particuliers, qui a été mise en place par la loi Neiertz de 1989, n’a pu empêcher le doublement du nombre de dossiers déposés devant les commissions départementales de surendettement depuis cette date.

Le projet de loi portant réforme du crédit à la consommation que vous avez adopté en première lecture en juin 2009 devrait apporter de meilleures garanties de protection aux consommateurs. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

La Cour considère néanmoins que de nouveaux progrès devraient être faits dans la gestion des commissions de surendettement par la Banque de France.

L’impulsion donnée à la politique en faveur des services à la personne n’a pas permis d’atteindre l’objectif ambitieux de 500 000 nouveaux emplois, puisque seuls 108 000 emplois équivalents temps plein ont été créés sur la période 2006-2008.

De plus, cette politique très coûteuse, qui s’est élevée à 6,6 milliards d’euros en 2009, a davantage profité aux ménages aisés,…

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui

M. Alain Pichon, doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes. … par le biais d’exonérations fiscales et sociales, qu’aux personnes les plus vulnérables ou les plus démunies ; elle n’a pas permis non plus de professionnaliser de façon durable les salariés qui agissent dans ce secteur.

Mme Nicole Bricq. Il y a longtemps que nous le disons !

M. Alain Pichon, doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes. Nous dressons également un bilan de la formation professionnelle en alternance financée par les entreprises, qui a été réformée par la loi du 4 mai 2004. Si les contrats de professionnalisation semblent répondre aux besoins des entreprises, ils restent encore insuffisamment développés.

Les périodes de professionnalisation sont à l’évidence un échec. Ces contrats sont trop concentrés sur certains secteurs et sur les plus grandes entreprises ; de plus, ils ne touchent pas les publics prioritaires. À défaut d’un meilleur ciblage sur certains publics, ce dispositif devrait être fortement rénové, voire supprimé.

Ces enquêtes relatives aux politiques publiques préfigurent la mission d’assistance que nous a confiée la Constitution en matière d’évaluation des politiques publiques.

Toutefois, la pleine et entière mise en œuvre de la Constitution rend nécessaire l’adoption par le Parlement du projet de loi portant réforme des juridictions financières. Nous pourrons ainsi mieux répondre à vos demandes d’assistance, en particulier pour l’évaluation des politiques partagées entre l’État et les collectivités territoriales, auxquelles je vous sais particulièrement sensibles.

Si nous nous intéressons à l’efficacité de l’action publique, soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous avons également le souci d’évaluer celle de nos interventions.

Les vingt enquêtes de suivi présentées dans le second tome montrent que nos recommandations trouvent fréquemment un écho et une réponse dans les projets et propositions de loi que vous examinez et que vous adoptez, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Je pourrais citer ainsi la suppression récente du droit à l’image collective des sportifs professionnels.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. En effet !

M. Alain Pichon, doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes. Plus globalement, sur les 688 recommandations formulées dans nos publications et dans nos référés pour les années 2006, 2007 et 2008, 502 ont donné lieu à des réformes, complètes ou partielles, parfois encore en cours. Le ratio de presque trois quarts de recommandations suivies d’effet atteste de notre contribution à l’amélioration de la gestion publique. C’est pour la Cour un changement de culture que je me plais à souligner et que nous accompagnons chaque jour.

Cette approche statistique présente toutefois des limites évidentes, car elle ne permet pas de nuancer la portée des suites données à nos recommandations. C’est l’objet du second tome de notre rapport qui détaille le suivi de vingt sujets.

Le bilan est globalement positif, notamment pour les suites données à nos recommandations sur l’exécution du budget de l’État, sur les comptes de l’État et sur les normes comptables.

Je ne citerai pas l’ensemble des organismes contrôlés, mais je voudrais insister sur les plus emblématiques. Nombre d’entre eux ont fait des progrès importants et mis en œuvre l’essentiel des recommandations de la Cour : c’est le cas de la Française des jeux et du Médiateur de la République.

En matière de politiques publiques, les résultats sont un peu plus contrastés.

Ils sont très inégaux pour la politique du logement, à laquelle nous consacrons trois insertions de suivi. Si le Gouvernement et les acteurs du 1 % logement ont remédié aux plus graves dysfonctionnements que nous avions identifiés, les avancées permises par la loi du 25 mars 2009 en matière de gestion du parc locatif social restent encore partielles, et nous n’avons guère été entendus sur le recentrage des aides personnelles au logement.

Les résultats sont en revanche un peu plus encourageants pour les ports français, qui avaient fait l’objet d’un rapport public thématique en 2007, pour lesquels la loi du 4 juillet 2008 et ses textes d’application ont repris en grande partie les recommandations préconisées par la Cour à cette époque.

Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, telles étaient les principales observations sur lesquelles je souhaitais appeler plus particulièrement votre attention et je vous remercie de votre écoute.

Mme la présidente. Monsieur le doyen des présidents de chambre, le Sénat vous donne acte du dépôt du rapport de la Cour des comptes.

La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le doyen des présidents de chambre, mes chers collègues, la remise du rapport public annuel de la Cour des comptes au Parlement est un rendez-vous important, un rendez-vous attendu, et c’est avec beaucoup d’attention, comme il se doit, que nous venons d’écouter les observations de la Cour sur la situation générale des finances publiques, observations dont nous devrons nous saisir pour entretenir avec le Gouvernement une relation exigeante afin de mettre un terme aux dysfonctionnements de la sphère publique.

Nous ne manquerons pas, croyez-le bien, spécialement la commission des finances, d’analyser comme toujours avec le plus grand soin le contenu de ce rapport public.

Il est difficile de ne pas avoir à l’esprit, en cet instant, la disparition brutale du président Philippe Séguin, et nous gardons en mémoire la grande autorité dont il savait accompagner les recommandations et les mises en garde de la Cour des comptes. Son ambition était clairement de promouvoir une gestion publique lucide et responsable. Qu’il me soit permis de rendre hommage à son combat pour populariser le contrôle afin que nos concitoyens se saisissent des observations formulées par la Cour, de saluer son intransigeance pour défendre l’indépendance de la Cour, de souligner son opiniâtreté en faveur de la transparence et de la sincérité des comptes publics.

Je ne doute pas que l’institution qui lui doit beaucoup saura maintenir, collégialement et par l’intermédiaire de son futur Premier président, son influence, influence qu’elle a renforcée au cours des années en exploitant aussi bien les nouvelles procédures de collaboration avec le Parlement que l’outil médiatique.

Si nous devions apprécier le bilan de ces six dernières années de relations entre le Parlement, et plus particulièrement le Sénat, et la Cour des comptes, chacun d’entre nous soulignerait leur considérable développement et leur extrême qualité.

Au premier rang de nos échanges figurent les enquêtes que nous demandons à la Cour de réaliser, pour notre compte, en application de l’article 58, alinéa 2°, de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.

Au rythme maintenant bien établi de cinq enquêtes par année, nous organisons, sur la base des travaux de la Cour des comptes, orientés par les rapporteurs spéciaux à l’origine du choix des sujets, des auditions pour suite à donner réunissant, autour des commissaires de la commission des finances, les magistrats de la Cour des comptes ayant conduit les enquêtes ainsi que les représentants des organismes contrôlés et, le cas échéant, le ou les ministres de tutelle.

Ces auditions, que nous ouvrons à tous nos collègues des commissions intéressées et à la presse, sont toujours instructives. Elles sont, pour l’administration, un aiguillon pour l’inciter à se réformer et à améliorer ses performances. Elles sont aussi et très souvent de véritables succès médiatiques, c’est-à-dire de grands moments de pédagogie sur la nécessité, voire sur l’urgence, des réformes à conduire.

Ce fut le cas l’année dernière du rapport d’enquête relatif aux crédits de la présidence française de l’Union européenne.

Pour 2010, nous avons demandé à la Cour des comptes de se pencher sur les cinq sujets suivants : le coût des titres sécurisés, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, ou ADEME, le Centre des monuments nationaux, le Centre français pour l’accueil et les échanges internationaux, l’EGIDE, enfin, les participations de la Caisse des dépôts et consignations dans l’économie mixte locale.

Les relations entre le Sénat et la Cour des comptes passent aussi par les missions d’assistance, prévues par l’article 58, alinéa 1°, de la LOLF. Cette forme de collaboration est plus lente à se mettre en place, mais elle présente une souplesse d’utilisation très avantageuse. La commission des finances l’a utilisée, en 2009, à l’occasion d’un contrôle sur les chambres de métiers et de l’artisanat dont le rapport vient de paraître.

Au-delà de ces « grands moments », nous avons établi des relations quotidiennes avec la Cour.

Sans méconnaître les principes de collégialité et de contradiction, indispensables au fonctionnement de la Cour des comptes, le président Séguin, grâce à son action déterminée, a favorisé l’ouverture de la Cour sur l’extérieur et l’assouplissement de certaines rigidités sans doute héritées du passé. Il a donc permis que s’instaure un climat de confiance et de collaboration de tous les instants, dont le Sénat comme la Cour des comptes ont, je le crois, profité.

Les rencontres régulières et peu formalisées entre rapporteurs spéciaux et magistrats de la Cour se sont banalisées, en particulier dans les travaux préparatoires à l’examen de la loi de règlement, travaux pour lesquels la transmission des notes d’exécution budgétaires de la Cour sur chacune des missions que nous examinons est, je tiens à le souligner, un atout précieux.

Les rapporteurs ont de fréquents contacts avec les fonctionnaires du secrétariat de la commission des finances.

Par ailleurs, depuis deux ans, nous avons le plaisir d’accueillir en stage pendant la période budgétaire de jeunes auditeurs qui débutent dans la carrière. Cette heureuse expérience doit permettre une meilleure compréhension des contraintes de chacune de nos institutions et de nos attentes respectives.

Si notre collaboration s’exprime dans le développement de la mission de contrôle, elle est également mise à profit à l’occasion de l’exercice, par la Cour des comptes, de sa mission de certification des comptes de l’État et de contrôle de gestion.

De ce point de vue, la commission des finances sait pouvoir trouver dans la Cour des comptes un allié de poids dans sa croisade pour le respect de l’exigence de sincérité des comptes publics. Nous devons unir nos efforts en ce sens, à un moment où se pose de façon si cruciale la question de la dette et de sa « soutenabilité ».

Enfin, je voudrais évoquer le sujet, qui tenait à cœur à Philippe Séguin, de la réforme de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes.

Plusieurs pistes de réforme ont été mises en chantier. Il conviendra de les mener à leur terme.

La première est l’expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales, qui permettrait de renforcer la sincérité et la transparence des budgets locaux.

La deuxième piste, c’est le renforcement des mécanismes permettant de responsabiliser les gestionnaires publics devant la Cour des comptes et les chambres régionales en premier ressort, la Cour de discipline budgétaire et financière, la CDBF, devenant l’instance d’appel.

La troisième concerne les chambres régionales des comptes : il convient à la fois de renforcer leur mission en matière d’audit et d’évaluation des politiques publiques et de faire évoluer leur maillage territorial en visant une plus forte mutualisation.

Sur ce point, nous avons éprouvé, à l’occasion de plusieurs demandes d’enquêtes, par exemple sur l’éducation nationale dans les quartiers concernés par la politique de la ville en 2009 ou sur les participations de la Caisse des dépôts et consignations dans l’économie mixte locale en 2010, les limites de la séparation stricte entre la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes. Souvent, nous aurions souhaité pouvoir plus facilement appuyer les enquêtes sur des réalités de terrain, ce qui n’a pas été possible dans les délais stricts imposés par la procédure de l’article 58, alinéa 2°, de la loi organique relative aux lois de finances et en raison de la séparation fonctionnelle des deux niveaux de juridictions.

Cette réforme de la juridiction financière, formalisée dans le projet de loi qui a été adopté en conseil des ministres le 28 octobre 2009, nous en espérons l’inscription à l’ordre du jour du Parlement, car elle nous semble nécessaire. Elle va bien au-delà de la disposition utile, mais partiellement contenue dans la proposition de loi déposée par le président Accoyer et adoptée par l’Assemblée nationale, concernant les modalités de la contribution de la Cour des comptes à l’évaluation des politiques publiques.

En conclusion, monsieur le doyen des présidents de chambre, je souhaite que l’année 2010 nous apporte les mêmes satisfactions dans les excellentes relations que nous entretenons avec la Cour des comptes et que nous continuions de progresser de concert dans la défense de l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le doyen des présidents de chambre, mes chers collègues, à mon tour, je voudrais profiter de l’occasion du dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes pour, d’abord, rendre hommage à Philippe Séguin.

Comme ceux qui l’ont précédé, ce rapport porte clairement sa marque. Vous nous l’avez dit, monsieur le doyen, il a été préparé sous son autorité vigilante. Nous y retrouvons son regard exigeant de républicain et d’homme d’expérience.

En donnant une appréciation circonstanciée sur la mise en œuvre d’un certain nombre de politiques publiques, en mettant en lumière aussi bien les difficultés rencontrées que les succès obtenus, il traduit parfaitement le souci constant de Philippe Séguin, et bien entendu de la Cour des comptes dans son ensemble, de servir avant tout l’intérêt général, d’apporter une contribution utile au débat public et à la modernisation de notre État.

En incarnant aussi bien les valeurs d’indépendance et de rigueur de la Cour, Philippe Séguin a donné une dimension inédite à ses travaux, ce dont les parlementaires que nous sommes n’ont pu que se féliciter.

Notre commission avait tissé des liens très étroits avec lui. Chacune de ses auditions était un moment particulier, attendu même, et toujours apprécié. Ces derniers temps, nous avions d’ailleurs constaté une réelle convergence de vues entre ses positions et celles de la commission, par exemple sur la nécessité de faire face aux déficits sociaux sans en reporter la charge sur les générations futures, ou sur l’importance d’améliorer la gestion de l’hôpital.

C’est donc de façon très sincère que je veux une nouvelle fois saluer ici la qualité des travaux réalisés par la Cour.

La synthèse des travaux que vous venez de nous présenter, monsieur le doyen, est, à cet égard, je l’avoue, impressionnante. Elle confirme le rôle éminent de la Cour, déployé dans tous les domaines de l’action publique, au service d’une meilleure gestion des deniers publics.

Nous examinerons le contenu de ce nouveau rapport avec attention. Il comporte de nombreuses insertions sur les domaines sanitaires et sociaux. Je perçois déjà que nos observations vont sans doute se rejoindre sur plusieurs sujets chers à la commission des affaires sociales, à savoir la formation professionnelle, l’indemnisation du chômage ou la gestion des cartes d’assurance maladie.

L’objectif que vous poursuivez de l’amélioration de la gestion des deniers publics est également le nôtre, monsieur le doyen. C’est pourquoi il me semble essentiel que les liens de très grande qualité que la commission des affaires sociales et, au sein de celle-ci, la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, ont pu nouer avec les magistrats et les chambres de la Cour qui suivent les sujets de notre compétence puissent perdurer. Ces relations étroites et fructueuses sont la preuve que la Cour remplit pleinement son rôle d’assistance au Parlement dans le cadre de ses missions de contrôle et d’évaluation.

Des rendez-vous réguliers permettent d’entretenir ces relations, en particulier la publication au mois de septembre du rapport de la Cour sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale.

Cette année encore, il proposait un éclairage détaillé sur nombre de sujets d’importance. À cet égard, je ne citerai que la réforme hospitalière, sujet sur lequel la MECSS a également travaillé. L’enquête de la Cour a relevé de très grandes disparités dans l’organisation des hôpitaux et de véritables défaillances dans la conduite du programme d’investissement « Hôpital 2007 », ainsi que dans la mise en œuvre de la T2A, la tarification à l’activité. Ces constats appellent, dans certains cas, des correctifs de l’action publique. Ils doivent aussi servir de leçon pour les prochaines réformes afin d’éviter les erreurs et les gaspillages. La commission des affaires sociales est bien décidée à poursuivre son contrôle de l’hôpital, en s’appuyant sur les analyses et les éclairages très pertinents de la Cour.

De la même façon, ses conclusions sur l’évaluation de la réforme des retraites de 2003 nous ont permis, dès la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, de faire adopter le principe du non-cumul de la majoration de durée d’assurance pour interruption d’activité, dont peuvent bénéficier les fonctionnaires, avec l’assurance vieillesse des parents au foyer. C’est une source de réelle satisfaction pour nous de constater le poids que peuvent avoir nos efforts respectifs lorsqu’ils sont orientés dans la même direction.

Un second rendez-vous régulier est désormais institué, celui du mois de juin, avec la publication du rapport sur la certification des comptes de la sécurité sociale.

Le troisième rapport de certification a été publié au mois de juin dernier, en application de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale du 2 août 2005. Comme les deux précédents rapports, il s’est révélé extrêmement constructif et porteur de réelles possibilités de progrès en matière de gestion des organismes concernés. La commission des affaires sociales s’est d’ailleurs emparée de cette question en exerçant un contrôle attentif et régulier sur les moyens mis en œuvre par les caisses pour répondre aux observations de la Cour ; je pense en particulier à la branche famille et à la CNAF, la caisse nationale des allocations familiales.

D’autres occasions de rencontres sont fournies par la remise des travaux que nous vous commandons. Cette année, la Cour nous a remis une enquête sur la politique de lutte contre le Sida en France. Elle fera l’objet d’une très prochaine audition par la commission des affaires sociales.

Nous sommes certains que les prochaines demandes d’enquête adressées à la Cour sur le financement de la pandémie grippale H1N1 et sur la tarification des établissements médico-sociaux, publics et privés, seront tout aussi riches d’enseignements.

Ce dernier thème fait écho aux travaux menés au Sénat sur la question de la prise en charge de la dépendance. Il nous est permis de vous en saisir grâce à l’extension, introduite par le Sénat dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale, du champ de compétences de la Cour.

Je formule le vœu que 2010 soit une année tout aussi fructueuse pour la Cour des comptes que les précédentes et que nous puissions continuer à développer nos travaux communs pour le meilleur profit de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Huissiers, veuillez reconduire M. le doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes.

(M. le doyen des présidents de chambre de la Cour des comptes est reconduit selon le cérémonial d’usage.)

9

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 10 février 2010, à quatorze heures trente :

1. Proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, présentée par MM. Roland Courteau, Yannick Bodin, Jean-Pierre Bel, Mmes Michèle André, Gisèle Printz, M. Bernard Frimat, Mmes Patricia Schillinger, Odette Herviaux, Maryvonne Blondin, Claudine Lepage, MM. Yves Chastan, Marcel Rainaud, Mme Françoise Cartron, MM. Paul Raoult, Marc Daunis, Michel Teston, Mme Renée Nicoux, M. Jean-Jacques Mirassou, Mmes Nicole Bonnefoy, Jacqueline Alquier, Bariza Khiari, M. Robert Navarro, Mme Nicole Bricq, M. Daniel Raoul, Mme Michèle San Vicente-Baudrin, MM. Philippe Madrelle, Jean Besson, Richard Yung, Mme Bernadette Bourzai, MM. Martial Bourquin, François Patriat, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Serge Lagauche, Simon Sutour, Bernard Piras, Mme Josette Durrieu, M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste (n° 118, 2009-2010).

Rapport de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 228, 2009-2010).

2. Proposition de résolution européenne portant sur la protection temporaire, présentée, en application de l’article 73 quinquies du règlement, par M. Louis Mermaz et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 159, 2009-2010).

Rapport de M. Hubert Haenel, fait au nom de la commission des affaires européennes (n° 197, 2009-2010).

Rapport de M. Pierre Fauchon, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 229, 2009-2010).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures cinquante-cinq.)

Le Directeur adjoint

du service du compte rendu intégral,

FRANÇOISE WIART