Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je me réjouis de la tenue de ce débat, qui permet d’ouvrir une réflexion approfondie sur le respect du droit à l’action collective et des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement des travailleurs et de réfléchir aux remèdes pouvant être apportés pour fixer des règles plus protectrices des salariés.

La directive européenne du 16 décembre 1996 a pour objectif d’instaurer un climat de concurrence loyale et de respect des droits des travailleurs sur le marché européen dans lequel la libre circulation des personnes et des services puisse se développer.

Il est de plus en plus fréquent que des salariés travaillant habituellement dans un État membre de l’Union européenne se voient confier une mission dans un autre État membre. En 2006, on pouvait estimer le nombre de travailleurs détachés à environ 1 million de personnes.

Alors que les prestations de services transnationales augmentent et que la libre circulation des travailleurs est de plus en plus importante, la directive doit jouer un rôle essentiel dans la protection des travailleurs concernés.

L’objectif de cette directive, qui est d’offrir un environnement concurrentiel équitable et des mesures garantissant le respect des droits des travailleurs dans des situations de services transfrontaliers, est plus important que jamais. Il faut instaurer la confiance des travailleurs sur le marché du travail européen et, surtout, combattre le dumping social.

L’ouverture accrue du marché de l’emploi en Europe exige des règles strictes et équitables, combinant des frontières ouvertes et une protection adéquate, où le travailleur occupe une place centrale. Elle doit s’accompagner de mesures pour combattre l’exploitation et la concurrence déloyale en matière de salaires et de conditions de travail qui existent malheureusement trop souvent lorsqu’il y a mobilité transfrontalière de travailleurs ou de services.

Pourtant, plusieurs arrêts récents de la Cour de justice des Communautés européennes ont mis en exergue les faiblesses du cadre juridique actuel de l’Union européenne applicable aux droits sociaux fondamentaux et à la libre circulation des travailleurs et des services.

La Cour a ainsi confirmé une hiérarchie des normes, les libertés de marché occupant le sommet de cette hiérarchie au détriment des droits sociaux fondamentaux.

Mme Françoise Laborde. Par ailleurs, elle a choisi d’interpréter la directive sur le détachement de manière très restrictive. En effet, elle limite la capacité des syndicats à prendre des mesures contre le dumping social et à garantir un traitement égal aux travailleurs locaux et migrants dans le pays d’accueil. Elle empêche également les États membres d’appliquer les dispositions en matière d’ordre public dans des situations de détachement pour prévenir une concurrence déloyale entre des entreprises de service locales et étrangères, ce qui porte préjudice aux travailleurs et aux petites entreprises locales.

Il est donc impératif de pallier les faiblesses du cadre juridique européen, notamment en le clarifiant, de réviser profondément la directive du 16 décembre 1996, afin de défendre au mieux les travailleurs européens contre la concurrence déloyale sur les salaires et les conditions de travail, de lutter pour l’égalité de traitement entre travailleurs migrants et locaux et de prendre les mesures nécessaires pour améliorer les conditions de vie et de travail sur le marché européen.

Nos collègues socialistes ont bien expliqué la problématique des différences d’interprétation des divers arrêts de la Cour de justice des communautés européennes. Notre inquiétude quant au non-respect du droit à l’action collective et des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement des travailleurs incitera la majorité du groupe RDSE à voter en faveur de cette résolution. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Blanc.

M. Paul Blanc. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat est important, car il concerne 1 million de salariés en situation de détachement, c’est-à-dire travaillant temporairement dans un autre État membre. Il nous permet de relayer l’inquiétude de la Confédération européenne des syndicats à la suite de l’interprétation par la Cour de justice des communautés européennes de la directive du 16 décembre 1996 sur le détachement des travailleurs.

Comme l’ont souligné M. le rapporteur et M. le rapporteur pour avis, la jurisprudence récente de la Cour a pu susciter des interrogations auxquelles il est intéressant de répondre aujourd’hui.

En lui-même, le texte de la directive de 1996 est protecteur. Répondant à la question de savoir quel droit est applicable à la situation de détachement, la directive définit un noyau dur des règles du pays d’accueil s’appliquant impérativement aux travailleurs détachés.

Ces règles sont notamment celles qui régissent les périodes maximales et minimales de repos, la durée des congés annuels, les taux de salaires minimum, la sécurité des travailleurs ou l’égalité entre les hommes et les femmes… Elles sont évidemment impératives, à condition que les règles en vigueur dans le pays d’origine ne soient pas plus favorables, auquel cas celles-ci s’appliqueraient.

Les garanties apportées par la directive sont essentielles pour éviter un dumping salarial généralisé en Europe et des distorsions de concurrence inacceptables entre les entreprises. En effet, on comprend l’intérêt que pourraient trouver des entreprises roumaines ou polonaises à entrer sur nos marchés si elles pouvaient octroyer de faibles rémunérations à leurs salariés.

Comme l’a relevé la commission des affaires européennes, la directive offre une grande sécurité juridique. En effet, d’un côté, les entreprises prestataires connaissent les règles du travail du pays d’accueil qu’elles sont tenues d’appliquer et, de l’autre, les salariés peuvent faire valoir leurs droits aisément.

Détail important, les règles doivent être fixées par la législation du pays d’accueil ou par des conventions collectives déclarées d’application générale. Cela assure leur lisibilité pour une entreprise étrangère. Mais cette disposition va créer des difficultés. La jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes l’appliquera strictement, ce qui peut susciter des difficultés pour certains pays, comme la Suède, où l’État est très en retrait et où la négociation collective est décentralisée. Il n’existe pas d’équivalent à nos conventions collectives, car les salaires sont négociés dans chaque entreprise et les négociations se font au cas par cas.

Dès lors, et c’est la conclusion de la Cour dans les arrêts Rüffert et Laval, si les obligations prévues par le pays d’accueil ne sont pas contenues dans des conventions d’application générale s’appliquant sur tout le territoire ou dans un secteur déterminé, elles peuvent être jugées contraires à la liberté de prestation de service.

Dans les deux affaires, les conventions conclues ne s’appliquaient qu’à certaines entreprises du secteur de la construction. La Cour a donc pu constater que les syndicats, qui cherchaient pourtant à faire respecter des règles sociales, avaient tenté d’imposer aux entreprises des obligations allant au-delà des dispositions prévues par la directive, affectant de ce fait la liberté de prestation de services.

Nous le voyons donc, c’est vis-à-vis de certains États que l’application de la directive peut susciter des difficultés. Ce n’est absolument pas le cas pour la France, dont les règles sociales sont très protectrices et figurent dans des textes ayant la dimension juridique nécessaire.

On peut alors se demander pourquoi la France remettrait en cause la directive et signalerait les difficultés d’application de celle-ci dans d’autres États membres, alors que ces derniers n’en font pas la demande. Dans les affaires Viking, Laval et Rüffert, les États concernés, en l’occurrence la Suède et l’Allemagne, n’ont pas réclamé de révision de la directive. Ils ont plutôt choisi d’adapter leurs règles de droit interne pour tirer les conséquences de la jurisprudence communautaire. Il serait donc malvenu que la France intervienne à leur place.

Le droit à l’action collective est reconnu comme un droit fondamental par la Cour. La liberté de prestation de service étant également un principe fondamental, la Cour s’est livrée à une mise en balance de ces droits. On ne peut cependant pas en déduire, comme le font les auteurs de la proposition de résolution, qu’elle ait établi une hiérarchie entre eux.

C’est à bon droit que la Cour relève qu’une restriction à la liberté de prestation de services doit viser un objectif légitime et se justifier par des raisons impérieuses d’intérêt général. Elle doit également être proportionnée. Concrètement, dans l’arrêt Viking, la Cour a pu très logiquement vérifier que les syndicats ne disposaient pas de moyens autres que la grève pour faire aboutir les négociations.

Comme l’a souligné mon collègue et ami Marc Laménie en commission, la Cour de justice des communautés européennes invite à opérer une conciliation entre ces différents droits et libertés, selon une démarche qui n’est pas sans rappeler celle du Conseil constitutionnel. Le droit de grève n’est pas un droit absolu, que ce soit en droit français ou en droit communautaire, et son exercice peut donc être encadré.

À la demande du groupe socialiste, la proposition de résolution a été inscrite à l’ordre du jour réservé aux groupes d’opposition et aux groupes minoritaires. Cette procédure a permis d’avoir un débat au sein de la commission des affaires européennes, au sein de la commission des affaires sociales et au sein de cet hémicycle aujourd’hui. Le groupe UMP n’a pas souhaité rejeter ou modifier la proposition de résolution initiale en commission, afin de lui permettre d’être examinée en l’état en séance publique, et ce conformément aux accords entre les groupes politiques.

Le débat a donc eu lieu et les arguments pour une révision de la directive ont été entendus. Finalement, que peut-on répondre aux auteurs de la proposition de résolution ?

M. Bernard Frimat. « Oui » ! (Sourires.)

M. Paul Blanc. Notre groupe attache beaucoup d’importance à la protection des salariés et à la place des règles sociales, mais n’estime pas nécessaire de modifier la directive de 1996.

Le rapport de la commission des affaires européennes note qu’une révision d’un texte voté à quinze risquerait de ne pas aboutir au résultat escompté s’il était adopté par vingt-sept États membres. On peut affirmer que la liste des matières relevant du noyau dur serait au contraire raccourcie.

Mme Catherine Tasca. Pessimistes !

M. Paul Blanc. Par ailleurs, l’adoption d’une clause de progrès social est difficilement envisageable alors que le traité de Lisbonne vient d’être définitivement ratifié. Et, comme l’a souligné Marc Laménie, l’article 3 du traité sur l’Union européenne consacre déjà avec force la finalité sociale de la construction européenne.

Il faut ajouter qu’à l’image de la Commission européenne nos deux rapporteurs ont surtout pointé les insuffisances de la coopération administrative entre États membres et de l’information des travailleurs sur leurs droits dans l’État membre d’accueil. Il existe également des difficultés de contrôle et d’exécution des sanctions dans l’État d’origine.

Par conséquent, le groupe UMP souscrit à l’idée des rapporteurs d’envisager la voie d’un règlement pour améliorer cette situation, afin de préciser l’interprétation de la directive et de renforcer les moyens de contrôle. Le débat devra donc être suivi d’échanges avec la Commission européenne. Il n’est pas nécessaire de revoir l’ensemble de la directive, qui atteint parfaitement ses objectifs.

Je tiens à féliciter nos rapporteurs, et particulièrement notre collègue et ami Marc Laménie,…

M. Marc Laménie, rapporteur. Merci !

M. Paul Blanc. … qui se livrait à cet exercice pour la première fois. Il a fait preuve d’une grande qualité d’écoute et a mené un travail approfondi sur un sujet très technique.

Le groupe UMP suivra l’avis des deux rapporteurs et votera contre la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.

Mme Raymonde Le Texier. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, après les interventions de nos collègues, notamment celles de Richard Yung et de Catherine Tasca, il ne me semble pas nécessaire de revenir en détail sur cette proposition de résolution européenne.

En revanche, j’entends insister sur un point, qui est, pour l’ensemble des signataires de ce texte, non seulement central, mais surtout non négociable. Je veux parler de « la primauté des droits sociaux fondamentaux sur les libertés fondamentales du marché intérieur ».

En effet, dans un contexte grave de crise économique et sociale, avec une explosion du taux de chômage européen de 80 % en un an et un nombre de travailleurs européens détachés qui ne cesse de croître à grande vitesse – ils sont plus de 1 million aujourd’hui –, l’objet principal de cette proposition de résolution n’est pas uniquement de réaffirmer une énième fois de façon incantatoire l’importance des droits sociaux fondamentaux, mais bien d’aider à instaurer une véritable hiérarchie des normes faisant passer les droits sociaux fondamentaux avant les droits économiques.

Il ne s’agit en aucun cas de revenir sur les droits économiques et de nier les libertés fondamentales dont ils découlent. Il s’agit de ne plus se tromper sur leurs places respectives dans l’ordre juridique communautaire, et par là même national.

Pour cela, à la suite des arrêts « Laval », « Viking » et « Rüffert » de la Cour de justice des Communautés européennes, il nous faut procéder à une révision de la directive.

Sur ce point, les enjeux sont tels que nous ne pourrons nous contenter d’un simple règlement d’interprétation et d’application, de lignes directrices, ou encore d’une norme, comme certains l’évoquent.

C’est essentiel, tout d’abord, en raison d’un double souci de démocratie.

Quelle que soit la qualité du travail effectué par les juges européens, il n’est pas acceptable qu’ils aient une marge d’interprétation si grande qu’elle leur permette, in fine, de mettre en place une jurisprudence de toute évidence contraire à l’esprit de la construction européenne et à la lettre du traité de Lisbonne.

Il est primordial de redonner la main au législateur européen. C’est exactement ce que nous entendons faire avec cette proposition de résolution. Si les juges ont leur rôle à jouer, c’est le législateur qui doit définir la hiérarchie des normes. En tant que garante de l’intérêt général, c’est à la Commission européenne qu’il revient de combler les lacunes du texte. En tant que représentants directs des citoyens européens, c’est au Parlement européen et au Conseil des ministres d’en décider. Cela ne dépend que de la volonté politique.

Pour que le législateur européen puisse faire son boulot, il faut que les Parlements nationaux fassent le leur en interpellant leurs gouvernements dans ce sens, mais également la Commission européenne, soutenue par ces mêmes gouvernements.

J’attire votre attention sur le fait que ce dysfonctionnement grave est précisément de ceux qui contribuent régulièrement à éloigner l’Europe de ses citoyens. Nous avons là l’occasion d’agir.

Par ailleurs, la révision de la directive est essentielle parce que la relance de l’Europe sociale passe précisément par là.

Il est surprenant de le constater, rares sont ceux à faire le lien entre l’augmentation des troubles sociaux dans l’Union et la panne de l’Europe sociale, comme si la construction du libre-échange européen pouvait se passer du progrès social.

Le désenchantement des citoyens à l’égard de l’Europe va croissant, et pour cause ! Comment convaincre de l’intérêt de l’Europe lorsque celle-ci met en concurrence les travailleurs sur les seules bases de leurs conditions de travail, en encourageant donc le dumping social ?

La droite, majoritaire en Europe, a une responsabilité toute particulière. Nous savons bien que Barroso et la droite européenne, dans son ensemble, sont contre la révision de cette directive, car ils sont fondamentalement contre l’avancée de l’Europe sociale. Nous le savons sans l’ombre d’un doute parce que nous avons trop souvent vu à l’œuvre le procédé qu’ils utilisent.

Ils commencent tous leurs discours en rappelant toute l’importance des droits sociaux et en soulignant à quel point il est important de les protéger. En réalité, ils refusent de mettre en œuvre leurs paroles, ce qui revient finalement à « casser » purement et simplement les droits sociaux en les subordonnant aux droits économiques.

Combien de fois avons-nous vu à l’œuvre, dans cet hémicycle, avec ce gouvernement, le procédé qui consiste à faussement célébrer ce que l’on s’apprête à détruire ?

Quand le juge européen en vient à conditionner le droit de grève à la liberté d’installation et à la liberté de circulation, ce n’est pas une petite régression : c’est une tentative de déconstruction massive des valeurs qui fondent tout le projet européen !

Parce que l’Europe n’a jamais été un projet de marché économique et ne peut se contenter de l’être, l’heure n’est plus à la simple réaffirmation des droits sociaux : il faut les imposer au sommet de la hiérarchie des normes.

Enfin, j’attire votre attention sur le fait qu’en subordonnant le droit de grève au respect des principes du marché intérieur, le juge européen se retrouve avec un pouvoir d’interdiction de la grève que même le juge national ne possède pas.

Dans les nombreux pays de l’Union où le droit de grève à valeur constitutionnelle, comme c’est le cas en France, aucun juge n’a le pouvoir d’interdire la grève ; il a seulement le pouvoir de l’encadrer dans certains cas.

Mes chers collègues, avec cette proposition de résolution, le groupe socialiste vous invite à redonner le pouvoir au législateur européen, à jouer pleinement votre rôle d’élus nationaux d’un pays membre de l’Union, à relancer l’Europe sociale en imposant ses acquis et donc à tirer vers le haut le projet européen appelant à l’instauration d’une « clause de progrès social ».

Pour finir, je tiens à vous informer que notre démarche ne sera pas isolée. Ce sujet sera l’un des thèmes principaux de l’audition du nouveau commissaire européen à l’emploi devant le Parlement.

Puisque le PSE encourage à faire déposer le texte de cette proposition de résolution dans tous les Parlements nationaux des États membres de l’Union, mes chers collègues, saisissez l’occasion de passer pour la droite la plus progressiste d’Europe et votez cette proposition de résolution ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de résolution européenne qui est aujourd’hui en discussion pose au fond trois questions, chacune ayant son importance.

Quelles conclusions concrètes doit-on tirer des décisions rendues par la Cour de justice des Communautés européennes dans ces affaires « Viking Line », « Laval » et « Rüffert » ? Faut-il réviser la directive 96/71/CE ? Faut-il affirmer la primauté des droits sociaux sur les autres droits au niveau communautaire ?

À chacune de ces questions, je souhaite, au nom du Gouvernement, et plus spécifiquement de Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, apporter des éléments de réponses précis, qui viendront compléter et conforter ce qui vient d’être dit par MM. Badré et Laménie.

Je ne referai pas ici une analyse juridique des décisions rendues par la Cour de justice des Communautés européennes, la CJCE, que chacun d’entre vous connaît, mais je soulignerai trois points.

Premièrement, dans les différentes décisions, la CJCE, en réalité, défend la directive 96/71/CE. Elle affirme aussi le caractère fondamental des droits sociaux. Dans l’arrêt « Viking Line », la CJCE indique que « le droit de mener une action collective, y compris le droit de grève, doit donc être reconnu en tant que droit fondamental faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire dont la Cour assure le respect ».Voilà qui est clair !

Deuxièmement, sur le fond de ces affaires, la difficulté n’est pas de dessiner une je-ne-sais quelle hiérarchie des normes, mais bien de concilier l’exercice de deux libertés reconnues chacune comme fondamentales : celle de librement travailler au sein de l’Union et celle d’y faire librement grève.

À cette question, la CJCE apporte une réponse simple et constante. Elle invite le juge national à se référer au respect du double principe de nécessité, d’une part, et de proportionnalité, d’autre part. Ce double principe est classique dès lors que l’on cherche à concilier l’exercice de deux libertés, y compris dans le droit du travail interne. Je rappelle qu’il figure depuis 1992 à l’article L. 1121-1 du code du travail. Là encore, la jurisprudence de la CJCE se doit d’être comprise plutôt que critiquée.

Enfin, troisièmement, la France ne fait pas partie des États membres mis en difficulté par les jurisprudences « Laval » et « Rüffert ». Les choses doivent être clairement dites ! En France, les employeurs détachant temporairement des salariés sur le territoire national sont soumis aux dispositions légales, mais aussi aux dispositions conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d’activité.

C’est la règle posée par l’article L. 1262-4 du code du travail. Et c’est tout le bénéfice du mécanisme d’extension des conventions collectives de branche pour tous les accords de branche, que les salariés soient détachés ou non.

Venons-en à l’essentiel des motivations de cette proposition de résolution, car ce n’est pas tant la CJCE qui est en cause que la révision de la directive qui est demandée ainsi que l’ajout d’une « clause de primauté » des droits sociaux.

Je commencerai par ce dernier point.

Faut-il inscrire dans le traité une clause de primauté des droits sociaux ?

Permettez-moi, monsieur Yung, de citer votre rapport sur l’Europe sociale : « Alors qu’elle était relativement absente du traité de Rome, la dimension sociale du projet européen a peu à peu émergé […]. Elle est aujourd’hui à l’origine d’un important acquis communautaire, composé de plus de deux cents textes ».

Vous avez raison, monsieur le sénateur : la dimension sociale du projet communautaire est maintenant une évidence et un acquis.

Cet acquis vient d’être amplifié et conforté par l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Je ne vous rappellerai pas le rôle essentiel de la France et du Président de la République dans la création des conditions d’entrée en vigueur de ce traité. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

Je ne vous rappellerai pas, non plus, les atermoiements du parti socialiste qui dit « oui » au traité, en tout cas pour une partie du PS, mais dit « non » à la révision constitutionnelle autorisant sa signature ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Bernard Frimat. C’est grotesque ! Arrêtez votre carnaval !

M. Alain Gournac. C’est le double langage du PS !

M. Bernard Frimat. C’est lamentable !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. En revanche, je veux insister sur la consécration des droits sociaux que réalise ce traité sur le plan communautaire.

Premièrement, il ouvre la possibilité pour tous les citoyens européens d’invoquer directement, devant leurs juridictions nationales, les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

M. Bernard Frimat. Ce n’est pas le Gouvernement, c’est l’UMP qui s’exprime !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Deuxièmement, il donne désormais à la Charte des droits sociaux fondamentaux la même valeur que les dispositions des traités.

Vous demandiez que ces droits sociaux soient reconnus et affirmés comme « essentiels » sur le plan communautaire. C’est le cas. Nous l’avons fait !

Ce traité élève au plus haut degré la liberté syndicale par l’article 12, le droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise par l’article 27, le droit de négociation et d’actions collectives par l’article 28. Très concrètement, l’article 28, par exemple, affirme le droit des salariés de recourir, en cas de conflits d’intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris à la grève.

On ne saurait être plus clair. On ne saurait donner une valeur juridique à ce droit plus haute qu’en en faisant une disposition du traité. Votre demande, sur ce point, est donc déjà satisfaite. J’ajoute, en guise de clin d’œil, que ce traité promeut la solidarité intergénérationnelle, thème qui est au cœur de ma mission. Il m’est donc très cher !

Reste la dernière question essentielle que pose cette proposition de résolution, à savoir faut-il, oui ou non, réviser la directive 96/71/CE ?

Personnellement, je remarque que ni l’Allemagne ni la Suède, pays pourtant directement concernés par les décisions de la CJCE, n’ont demandé cette révision de la directive. Elles ont préféré faire évoluer leurs législations nationales : par la loi du 24 avril 2009 en Allemagne ou encore par les mesures présentées le 8 octobre dernier en Suède.

Dans ces conditions, vous comprendrez bien qu’il serait surprenant que l’un des pays les moins concernés par ces décisions – en raison, notamment, du mécanisme d’extension des conventions collectives de branche que j’évoquais tout à l’heure – soit le seul pays à demander la révision de la directive. D’ailleurs, j’attire votre attention sur le fait que deux de ces trois décisions se fondent, non pas sur la directive, mais sur des articles du traité lui-même, de sorte que la révision de la directive ne changerait rien.

Il importe, avant tout, que les États membres procèdent à une bonne transposition et, surtout, à une bonne application de cette directive.

Sur ce point, je voudrais souligner les initiatives et les actions de la France. Au niveau communautaire, nous avons activement soutenu la recommandation interprétative de la Commission européenne, en date du 31 mars 2008, relative à l’amélioration de la coopération administrative dans le contexte du détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services. Nous participons aussi directement aux deux missions d’étude lancées par la Commission, dont les résultats devraient être connus dans les prochains mois.

Au niveau national, c’est essentiel, nous continuons chaque jour à mieux équiper les services de contrôles, les employeurs et les salariés détachés, par la mise à disposition d’informations dans leur langue, par la dématérialisation des déclarations préalables de détachement via l’application « France migration détachement » ou FRAMIDE, qui sera déployée dès 2010. Enfin, nous renforçons la coopération entre les services de contrôle, au niveau tant national que communautaire, grâce à l’action du bureau de liaison, comme l’a souligné le ministre du travail lors de la présentation de son plan national de lutte contre le travail illégal, voici quelques jours.

Vous comprendrez donc que le Gouvernement émette un avis défavorable sur cette proposition de résolution européenne, qu’il considère comme inopportune. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)