Sommaire

Présidence de M. Bernard Frimat

Secrétaires :

Mme Christiane Demontès, M. Marc Massion.

1. Procès-verbal

2. Dépôt de rapports du Gouvernement

3. Portefeuille de négociation. – Rejet d'une proposition de résolution européenne

Discussion générale : Mme Nicole Bricq, co-auteur de la proposition de résolution européenne ; MM. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances ; Simon Sutour, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes ; Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation.

MM. Bernard Vera, Richard Yung, Joël Bourdin.

MM. le secrétaire d'État, Jean Arthuis, président de la commission des finances.

Clôture de la discussion générale.

Vote sur l’ensemble

Mme Nicole Bricq, MM. le président, le rapporteur, Jean Arthuis, Jean-Marc Todeschini.

M. le président.

Rejet, par scrutin public, de la proposition de résolution européenne.

4. Assurance vieillesse des fonctions publiques hospitalière et territoriale. – Adoption d’une proposition de loi (Texte de la commission)

Discussion générale : MM. Claude Domeizel, auteur de la proposition de loi ; Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés.

Mme Françoise Laborde, MM. François Autain, Jacky Le Menn, Alain Gournac, Christian Cambon.

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

M. Claude Domeizel.

Amendement n° 1 de Mme Catherine Procaccia. – MM. Alain Gournac, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État, MM. François Autain, Jacky Le Menn. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.

Article 2

Amendement n° 2 de Mme Catherine Procaccia. – MM. Alain Gournac, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État, M. Claude Domeizel. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.

Article 3

Amendement n° 3 du Gouvernement. – Mme la secrétaire d'État, MM. le rapporteur, Jacky Le Menn, Alain Gournac, François Autain. – Adoption de l'amendement rédigeant l'article.

Article 4

Amendement n° 4 du Gouvernement. – Mme la secrétaire d'État, MM. le rapporteur, Jacky Le Menn, Claude Domeizel, Christian Cointat. – Adoption de l'amendement rédigeant l'article.

Article 5

Amendement n° 5 du Gouvernement. – Mme la secrétaire d'État, M. le rapporteur. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.

Vote sur l’ensemble

MM. Claude Domeizel, François Autain, le rapporteur, le président.

Adoption de la proposition de loi.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

5. Engagement de la procédure accélérée sur un projet de loi organique

6. Dépôt de rapports du Gouvernement

7. Décentralisation des enseignements artistiques. – Discussion d’une question orale avec débat

Mme la présidente.

Mme Catherine Morin-Desailly, auteur de la question.

MM. Laurent Béteille, Ivan Renar, Mmes Françoise Cartron, Françoise Laborde, Maryvonne Blondin.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.

8. Recherches sur la personne. – Discussion d'une proposition de loi (Texte de la commission)

Discussion générale : Mmes Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports ; Marie-Thérèse Hermange, rapporteur de la commission des affaires sociales.

M. François Autain, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Jean-Pierre Godefroy, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Jean-Claude Etienne, Jacky Le Menn, Mme Patricia Schillinger.

Mme la ministre.

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Mme Annie Jarraud-Vergnolle.

Amendement n° 6 de M. Jean-Pierre Godefroy. – Mmes Patricia Schillinger, le rapporteur, la ministre, M. Jean-Pierre Godefroy. – Rejet.

Amendements nos 7, 8 de M. Jean-Pierre Godefroy et 37 du Gouvernement. – M. Jean-Pierre Godefroy, Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales.

Suspension et reprise de la séance

Mme la ministre, M. Jean-Pierre Godefroy, Mme le rapporteur. – Rejet de l’amendement no 7 ; adoption des amendements nos 37 et 8.

Amendement n° 25 de la commission. – Mmes le rapporteur, la ministre, M. Jean-Pierre Godefroy, Mme la présidente de la commission, M. Robert del Picchia. – Adoption.

Amendements nos 9 de M. Jean-Pierre Godefroy et 26 de la commission. – M. Jean-Pierre Godefroy, Mmes le rapporteur, la ministre, M. François Autain. – Rejet de l’amendement no 9 ; adoption de l’amendement no 26.

Amendements nos 10 de M. Jean-Pierre Godefroy et 18 de M. François Autain. – Mme Patricia Schillinger, M. François Autain, Mmes le rapporteur, la ministre. – Rejet des deux amendements.

Amendements nos 11 de M. Jean-Pierre Godefroy et 27 rectifié de la commission. – M. Jean-Pierre Godefroy, Mmes le rapporteur, la ministre. – Rejet de l’amendement no 11 ; adoption de l’amendement no 27 rectifié.

Amendements nos 12 de M. Jean-Pierre Godefroy et 28 de la commission. – Mmes Patricia Schillinger, le rapporteur, la ministre, M. Jean-Pierre Godefroy. – Retrait de l’amendement no 12 ; adoption de l’amendement no 28.

Renvoi de la suite de la discussion.

9. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Bernard Frimat

vice-président

Secrétaires :

Mme Christiane Demontès,

M. Marc Massion.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt de rapports du Gouvernement

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la mise en œuvre de la franchise sur les médicaments, les actes des auxiliaires médicaux et les transports sanitaires, établi en application de l’article L. 322-2 du code de la sécurité sociale, et le rapport sur le bilan d’avancement du processus de convergence tarifaire, établi en application de l’article L. 162-22-10 du code de la sécurité sociale.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Ils ont été transmis à la commission des affaires sociales et seront disponibles au bureau de la distribution.

3

 
Dossier législatif : proposition de résolution européenne portant sur la proposition de directive du 13 juillet 2009 relative aux exigences de fonds propres pour le portefeuille de négociation et pour les retitrisations, et la surveillance prudentielle des politiques de rémunération (E 4632)
Discussion générale (suite)

Portefeuille de négociation

Rejet d'une proposition de résolution européenne

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution européenne portant sur la proposition de directive du 13 juillet 2009 relative aux exigences de fonds propres pour le portefeuille de négociation et pour les retitrisations, et la surveillance prudentielle des politiques de rémunération (E 4632)
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne présentée en application de l’article 73 quinquies du Règlement, portant sur la proposition de directive du 13 juillet 2009 relative aux exigences de fonds propres pour le portefeuille de négociation et pour les retitrisations, et la surveillance prudentielle des politiques de rémunération (E 4632), présentée par M. Simon Sutour, Mme Nicole Bricq, MM. Richard Yung, François Marc et Bernard Angels et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (nos 629, 2008-2009 ; nos 41 et 58, 2009-2010).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Bricq, co-auteur de la proposition de résolution.

Mme Nicole Bricq, co-auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, la proposition de résolution européenne du groupe socialiste que j’ai l’honneur de présenter et dont nous allons débattre porte sur la proposition de directive du 13 juillet 2009 relative aux exigences de fonds propres pour le portefeuille de négociation, pour les retitrisations et la surveillance prudentielle des politiques de rémunération.

Nous avons déposé ce texte le 24 septembre dernier, avant la réunion du G 20 à Pittsburgh, parce que les sujets qu’elle traite sont au cœur des discussions internationales et européennes pour réguler les marchés financiers.

Nous en débattons après le sommet de Pittsburgh, dont la déclaration finale contient des termes suffisamment vagues pour laisser aux États l’initiative d’agir.

Cette proposition de résolution est destinée aux instances européennes qui élaborent les directives et les règlements que nous aurons à transposer. Elle envoie aussi un message au Gouvernement qui les négociera. Elle concourt à donner de la visibilité aux travaux menés par la commission des finances du Sénat et par le groupe de travail réunissant sénateurs et députés qui ont fait des propositions au Président de la République avant chaque réunion du G 20.

Enfin, elle valide l’idée communément partagée par les parlementaires que la politique doit s’approprier le champ de la régulation financière, champ qu’on a trop souvent délaissé au profit de comités ou d’organismes sans légitimité démocratique.

Or, le sauvetage du système financier n’a été possible que grâce à l’intervention des États, qui, après avoir joué les pompiers, ne peuvent laisser le feu reprendre. Pourtant une bulle financière chasse l’autre. La hausse des bourses, alors que l’économie réelle se traîne, ne laisse pas d’inquiéter et démontre que les mauvaises habitudes persistent.

Le sauvetage du système financier, sans contreparties ni sanctions, n’a pas modifié fondamentalement les mentalités qui nourrissent les bulles spéculatives.

Les banques s’empressent de rembourser les aides publiques afin d’avoir les mains libres pour faire leur marché – la crise favorisant les concentrations – ou pour provisionner la distribution ultérieure de bonus.

Tout ne peut pas recommencer comme avant ! Nous l’avons tous dit.

En conséquence, il faut d’abord combattre l’hypertrophie des marchés financiers, fondée sur la recherche de la rentabilité maximale obtenue en un minimum de temps ; il faut ensuite dénouer le lien entre les prises de risques irresponsables assorties à des rémunérations déraisonnables, non seulement des opérateurs de marché, mais aussi des dirigeants des sociétés cotées, qui ont alimenté la spirale de la bulle financière ; il faut enfin être efficace et promouvoir des pratiques responsables capables de contenir le risque afin qu’il ne retombe pas en dernier ressort sur les contribuables.

M. le rapporteur général, qui est aussi rapporteur au fond de la commission des finances, a pointé les convergences de quelques-unes de nos propositions avec celles de la commission des finances et du groupe de travail des sénateurs et des députés sur la crise financière. Est-ce la promesse que, sur tous les bancs de cet hémicycle, nos collègues accepteront la discussion au fond de nos propositions ? Cela me paraît souhaitable et même nécessaire.

L’objectif de cette proposition de résolution tient en trois mots : sécurité, transparence, responsabilité.

La prévention du risque et la responsabilisation du secteur financier et bancaire doivent passer par l’augmentation des fonds propres, proportionnellement au risque pris. Nous proposons que les banques et les établissements financiers apportent une contrepartie assurancielle aux risques qu’elles prennent, cette taxe pouvant alimenter un fonds de garantie destiné à être appelé en cas de retournement. Cette approche préventive nous paraît la plus efficace pour contenir les dérives.

Nos collègues Jean Arthuis et Philippe Marini veulent assortir cette taxe d’une contrepartie qui allégerait les établissements bancaires de la taxe sur les salaires. Ce disant, ils font droit à une très ancienne et constante revendication du secteur bancaire et lancent ainsi un ballon d’essai qui déplace le débat sur le terrain fiscal. Nous en débattrons lors de l’examen de la loi de finances.

En outre, ils ont habilement développé ce concept pour faire contre-feu à la mesure défendue par nos collègues députés socialistes à l’Assemblée nationale concernant la taxe exceptionnelle à l’impôt sur les sociétés payé par les banques, qui a donné lieu à quelques cafouillages dans les rangs de la majorité.

L’amendement de nos collègues socialistes intervenait ponctuellement et a posteriori. Il n’est absolument pas contradictoire avec notre proposition, qui est pérenne et a priori.

Dans un cas, on exige des banques qu’elles apportent une contrepartie fiscale à l’aide de la nation, dans l’autre, on cherche à les dissuader de prendre des risques excessifs dans un but spéculatif.

Demain, la crise financière passée, la concentration du secteur financier et bancaire en entités encore plus grandes fera planer le risque qu’en cas de nouvelle crise financière nous ne pourrions plus, État et contribuables, disposer des ressources suffisantes pour les secourir.

Il faut nous assurer à l’avance que les fonds reposeront sur un titre de garantie. Si nous proposons ce dispositif au niveau européen, car tel est selon nous l’échelon pertinent, rien n’empêche aujourd’hui de le faire au niveau français, auprès d’une autorité unique qu’on nous promet – Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi l’a dit et répété – pour la fin de l’année.

Si en contrepartie on y ajoute, comme nos collègues Arthuis et Marini le souhaitent, un allégement fiscal au produit identique, la mesure perd tout effet dissuasif.

En matière de gouvernance et d’encadrement des rémunérations des dirigeants de sociétés cotées et des établissements opérant sur les marchés financiers, nous vous proposons – et cela fait débat – de défendre la limitation et l’encadrement des rémunérations des dirigeants des sociétés cotées.

Nous exerçons, en quelques sorte, un droit de suite à la proposition de loi que nous avons défendue ici même le 4 novembre 2008. Il existe un lien consubstantiel entre la prise de risques et le montant des rémunérations, comme il existe un lien pour les dirigeants de sociétés entre rémunération et recherche de rentabilité maximale.

C’est pourquoi nous souhaitons que ces rémunérations soient mises sous le contrôle de toutes les parties prenantes de l’entreprise, les dirigeants de sociétés, les actionnaires, lors des assemblées générales, et les salariés représentés par le comité d’entreprise.

Ce n’est pas parce que le G 20 s’est limité aux bonus des traders qu’il ne faut pas s’attacher à l’ensemble des rémunérations. Ce n’est pas parce que le projet de directive n’en fait pas mention que la France ne saurait promouvoir une telle initiative.

D’ailleurs, dans l’exposé des motifs de la proposition de directive qui nous concerne, il est écrit que le rapport du Forum de stabilité financière préconise un encadrement et un ajustement des rémunérations pour tous les types de risques.

Le 30 avril 2009, la Commission européenne a elle-même émis des recommandations en matière de rémunération des administrateurs, des administrateurs non exécutifs et des membres des conseils de surveillance des sociétés cotées. Elle a proposé le plafonnement des composantes variables de la rémunération des administrateurs, la limitation des parachutes dorés et l’adossement des rémunérations à des objectifs de performance.

Par cette recommandation, la Commission invite les États membres à prendre les mesures nécessaires pour promouvoir leur application.

Qu’en est-il en France ? Jusqu’à ce jour, le Gouvernement s’en est tenu à des rappels à la morale et à l’autorégulation. Or, selon une étude récente de la société de conseil Ernst & Young parue le mercredi 21 octobre, seulement 37 % des entreprises françaises cotées ont une bonne gouvernance.

La majorité des entreprises n’a pas mis en place des comités spécialisés pour les rémunérations, ni nommé d’administrateurs indépendants ni révisé les politiques de rémunération de leurs dirigeants.

Mme Nicole Bricq. Cette question des rémunérations est devenue aujourd’hui un sujet d’ordre public. Il est grand temps d’y mettre fin et il est trop facile de crier à la démagogie quand on le met à l’ordre du jour du Parlement.

C’est ce qu’a fait notre collègue Philippe Houillon, député du groupe UMP, dans son rapport d’information sur les rémunérations des dirigeants mandataires sociaux et des opérateurs de marché, déposé le 7 juillet 2009.

Nous avons d’ailleurs nous-mêmes défendu ces principes il y a plus d’un an sans être entendus, jusqu’à ce jour, par le Gouvernement.

Il y a un an, le 4 novembre 2008, on nous avait dit qu’il fallait attendre six mois l’application effective du code de bonne conduite du MEDEF et de l’AFEP, l’Association française des entreprises privées. On nous dit aujourd’hui d’attendre la fin de l’année, jusqu’en décembre.

La majorité est au pied du mur ; le Gouvernement ne peut pas faire moins que certains États européens en la matière, et il peut faire plus pour que les principes édictés au G 20 trouvent une traduction concrète.

Mme Lagarde a promis un arrêté concernant les bonus des opérateurs de marché.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation. Oui !

Mme Nicole Bricq. Fera-t-elle moins que les Américains et moins que ce que réclament ses amis conservateurs britanniques ?

J’ai lu avec intérêt la déclaration de M. Osborne, qui est, dans le shadow cabinet de M. Cameron, le futur chancelier de l’échiquier.

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Le plus tard possible ! (Sourires.)

Mme Nicole Bricq. J’ai constaté qu’il était très allant sur cette question puisqu’il propose de limiter la prise de bonus à 2 000 euros, ce qui est quand même très peu. Donc, si Londres et New York font ce qu’ils annoncent, on ne pourra nous opposer le risque de départ de nos opérateurs de marché vers des places financières plus favorables à leurs rémunérations.

Il n’est donc ni déplacé ni irréaliste que le Parlement se saisisse du sujet des rémunérations, car, si la finance repart, l’économie réelle, elle, se traîne, avec son cortège de défaillances d’entreprises et de chômeurs. Ne rien faire sur les rémunérations, ou ne faire que trop peu, alors que les difficultés s’accumulent et que les contribuables paient tôt ou tard, serait encourager un ressentiment très profond chez nos concitoyens.

Enfin, en matière de supervision, nous voulons défendre le principe d’un superviseur européen du système financier doté de pouvoirs juridiques de sanction. C’est un idéal sans doute, mais c’est bien à cette échelle qu’il faudrait penser les outils de la régulation.

De la même manière, un médiateur européen devrait, selon nous, être chargé de veiller aux intérêts des consommateurs, usagers des banques, qu’ils soient des particuliers ou des entreprises.

En conclusion, chers collègues, la crise financière et ses conséquences désastreuses sont trop graves pour que l’on entretienne, de part et d’autre de l’hémicycle, des clivages artificiels.

Nous reconnaissons l’apport positif de la position de la France en matière de lutte contre les paradis fiscaux. On a, en un an, avancé plus qu’en douze ans. Mais nous voyons bien que le Gouvernement et sa majorité sénatoriale sont prompts à défendre les intérêts acquis.

M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Bien sûr !

Mme Nicole Bricq. Je ne veux pas vous traiter de conservateur, mais je peux le faire !

M. Philippe Marini, rapporteur. Les méchants d’un côté, les bons de l’autre !

Mme Nicole Bricq. Monsieur le rapporteur, écoutez- moi jusqu’au bout, j’ai bientôt fini et vous avez manqué une grande partie de mon intervention.

M. Alain Gournac. La meilleure, c’est dommage !

M. Philippe Marini, rapporteur. J’ai déjà eu l’occasion de vous entendre !

Mme Nicole Bricq. Chaque fois, j’innove !

Si, au bout du compte, nous nous contentons de réformer les normes comptables, nous ne nous épargnerons pas une autre crise et nous ruinerons définitivement – c’est ce qui me paraît le plus grave –la confiance dans l’action politique. Je ne crois pas que c’est ce que nous voulons les uns et les autres.

Aussi, je vous invite à débattre de cette proposition de résolution européenne, présentée par le groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. Ma chère collègue, je vous remercie de votre précision et de votre concision, laquelle va sans nul doute servir d’exemple à l’orateur suivant. (M. le rapporteur sourit.)

La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour discuter de sujets apparemment techniques mais, en réalité, éminemment politiques et, sur cet aspect des choses, je ne peux que marquer mon accord avec Mme Bricq, mais c’est pour le moment le seul point sur lequel je la rejoins.

Avec la crise, il est clair que le Parlement doit se réapproprier des matières laissées trop volontiers à des instances d’expertise, sans vraie légitimité.

Le mérite de l’initiative de nos collègues du groupe socialiste est de nous amener, d’un côté, à faire le point sur des convergences transpartisanes et, de l’autre, à être bien au clair sur les lignes de clivages qui caractérisent notre hémicycle et qui sont indispensables à toute vie politique bien organisée.

Je rappellerai tout d’abord que, sur l’initiative des présidents Gérard Larcher et Bernard Accoyer, un groupe de travail commun de vingt-quatre parlementaires – douze députés et douze sénateurs – s’est réuni à de nombreuses reprises et, à la demande du Président de la République, a formulé des propositions pour chacune des récentes sessions du G 20 : Washington en novembre 2008, Londres en avril 2009, Pittsburgh en septembre dernier.

Les notes que nous avons ainsi établies sous la houlette bienveillante de Jean Arthuis et de Didier Migaud reflétaient un consensus entre nous, par-delà les sensibilités qui sont les nôtres.

Par ailleurs, la commission des finances s’est saisie des sujets qu’il nous est proposé de traiter au cours de la présente séance, et le groupe de travail interne à la commission des finances du Sénat vient de publier un rapport dans lequel sont formulées cinquante-sept propositions.

Sur la base d’une analyse commune, le groupe de travail a insisté sur la nécessité de renforcer la supervision, de limiter la procyclicité et les effets du risque systémique, ainsi que de réintroduire la responsabilité et le prix du risque ; tout cela constitue aujourd’hui, sur ces sujets si délicats, si essentiels, notre patrimoine commun, si je puis m’exprimer ainsi.

Je voudrais évoquer également le programme de réformes des services financiers qui se situe au plan européen.

Au mois d’avril, sur la base du rapport de Jacques de Larosière, la Commission européenne a annoncé un programme de réformes. La proposition de résolution dont nous débattons aujourd'hui se rattache à l’une des propositions de directive qui s’intègrent dans cet ensemble.

La commission des finances s’est saisie, le 7 octobre dernier, de cinq autres textes européens qui visent en particulier à mettre sur pied trois autorités européennes de surveillance prudentielle.

Le rapport d’information du groupe de travail interne à la commission des finances que j’évoquais il y a un instant prend position sur l’ensemble des textes actuellement en cours d’élaboration au sein de la Commission, textes qui vont suivre le cheminement de la codécision au sein des instances communautaires. Je parle bien de l’ensemble des textes et non pas seulement de la proposition de directive à laquelle se rattache la présente proposition de résolution, que je vais maintenant évoquer.

En premier lieu, la proposition de directive européenne sur laquelle cette proposition de résolution prend appui vise à intégrer au droit communautaire les dernières préconisations de la réglementation dite de « Bâle II ».

Cette réglementation prend place dans le domaine de la définition des fonds propres des banques et des institutions financières. Ces fonds propres doivent garantir la solvabilité d’un établissement financier et, in fine, les dépôts et les investissements des clients et des partenaires de l’institution financière ou de la banque en question.

Actuellement, le régime qui s’applique est celui du ratio Mac Donough ; il est en cours d’évolution et le chiffre guide à retenir, c’est le ratio de 8 % des risques pondérés.

Toutefois, la crise a révélé les insuffisances et les faiblesses de la réglementation prudentielle qui s’applique actuellement.

Cette réglementation est tout d’abord apparue procyclique. En effet, en période d’euphorie financière, les banques ajustent le niveau de fonds propres de telle sorte qu’elles ne détiennent que le minimum de fonds imposé par la réglementation.

En revanche, lorsque la conjoncture se retourne, les contreparties peuvent faire massivement défaut. Les banques ont alors besoin d’augmenter leurs fonds propres, d’améliorer leur solvabilité afin de respecter les règlements. C’est justement dans une conjoncture déprimée ou de crise que les banques ont besoin de fonds propres supplémentaires. Or c’est là que le capital est plus rare et plus cher, ce qui crée un cercle vicieux aux conséquences potentiellement dramatiques.

La seconde faiblesse des règles actuelles tient à leur incapacité à prendre en compte les produits les plus complexes et donc les plus risqués. Les fonds propres des banques se retrouvent ainsi en inadéquation avec la réalité des risques auxquels elles peuvent être exposées.

Trois points méritent d’être soulignés dans la présente approche du comité de Bâle, que la future directive européenne aura pour objet de traduire.

En premier lieu, la directive imposera de nouvelles exigences en matière de fonds propres pour les opérations de titrisation au second degré, c'est-à-dire de retitrisation. Ce sont des montages à plusieurs étages qui sont apparus, à la lumière de la crise, comme particulièrement risqués.

La directive prévoit à leur sujet que, lorsqu’une banque s’engage dans ces opérations, ses fonds propres doivent être justement dimensionnés. Elle permet qu’une autorité nationale de régulation impose une pondération du risque allant de 20 % à 1 250 %, ce qui, évidemment, est dissuasif.

En deuxième lieu, la proposition de directive imposera de nouvelles exigences en matière de fonds propres pour ce que l’on appelle le « portefeuille de négociation » ou, en anglais international, le « trading book ».

Il est apparu, au cours de la période récente, que les modèles internes des banques sous-estimaient les pertes potentielles en situation de crise. En conséquence, il s’agit d’encadrer le recours à ces modèles internes. Ils deviendront plus restrictifs, ce qui aura pour effet d’inciter à l’augmentation des fonds propres.

En troisième lieu, la future directive imposera de nouvelles exigences de publicité sur les risques de titrisation. Les établissements financiers devront communiquer précisément et complètement sur les risques encourus du fait de leurs positions de titrisation.

Tel est, résumé à grands traits, le contenu de la proposition de directive sur laquelle s’appuie la proposition de résolution du groupe socialiste.

Je souligne, et vous l’avez compris avec ce rappel, que l’approche du texte européen est strictement prudentielle. (Mme Nicole Bricq acquiesce.) Il s’agit de renforcer le contrôle sur les politiques de rémunération – puisque c’est le sujet principal en termes de politique générale qui est abordé par le groupe socialiste – des seuls établissements financiers, premier aspect, dans une optique purement prudentielle, second aspect. Cette proposition de directive ne vise pas à imposer aux États membres des politiques de rémunération ayant vocation à s’appliquer en dehors de ce cadre et à la généralité des entreprises.

Chacun le sait, les politiques de rémunération des établissements financiers ont, pour partie, contribué à la crise. Certes, il ne s’agit pas d’une cause majeure, mais il est vraisemblable que certaines pratiques aient pu « pousser au crime » et inciter des opérateurs à prendre de plus en plus de risques. Le système financier doit bien évidemment se défendre contre de tels effets pervers. Ainsi, il est utile de prévoir une législation à la fois nationale et communautaire, afin de mettre au premier plan les vraies performances économiques de l’entreprise à moyen et à long terme.

Au demeurant, le rapport du groupe d’experts présidé par Jacques de Larosière a préconisé trois principes très clairs en matière de rémunérations dans le secteur financier.

Premièrement, les primes dont peuvent bénéficier certains salariés des établissements financiers doivent correspondre à des performances réelles et, de ce fait, ne peuvent être garanties.

Deuxièmement, l’évaluation des performances doit se faire dans un cadre pluriannuel. Il n’est pas envisageable de récompenser des performances instantanées – dont les effets sont toujours susceptibles d’être renversés par une autre opération de marché –, qui ne se traduiraient pas par un enrichissement réel de l’entreprise.

Troisièmement, le paiement des primes doit s’échelonner sur la durée du cycle économique, c'est-à-dire sur un moyen terme, afin de lisser les effets sur les comptes de résultat et les ratios financiers des banques, et d’éviter ainsi des effets d’aubaine trop marqués. Par ailleurs, le rapport préconisait également que les autorités nationales puissent imposer une augmentation des fonds propres aux établissements dont les politiques de rémunération seraient jugées inadéquates.

La Commission européenne souhaite, à présent, avec cette proposition de directive, mettre en œuvre, sur le plan législatif, cette dernière préconisation sur l’augmentation des fonds propres.

Permettez-moi d’insister sur un point, notamment auprès de mes collègues initiateurs de la proposition de résolution : l’approche de la Commission européenne est strictement prudentielle.

J’en viens maintenant à un commentaire de la proposition de résolution, qui aborde successivement cinq thèmes : les exigences en matière de fonds propres, la gouvernance des sociétés cotées, la rémunération des dirigeants des sociétés cotées, l’encadrement des rémunérations variables des opérateurs financiers de marché, la supervision européenne et la mise en place de sanctions.

Il m’a semblé que les préconisations de la proposition de résolution sont, pour reprendre l’expression que j’ai employée devant la commission lors de la présentation de mon rapport, à la fois de portée et de pertinence inégales. Je note toutefois qu’une première série de préconisations est tout à fait conforme aux travaux que nous avons menés et que j’ai brièvement rappelés. Nos collègues reprennent plusieurs propositions faites par le groupe de travail commun à l’Assemblée nationale et au Sénat sur la crise financière internationale, ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’ils y ont activement participé.

C’est le cas pour le premier thème sur les exigences en matière de fonds propres, pour certains aspects du deuxième thème sur la gouvernance des sociétés cotées, pour le quatrième thème sur l’encadrement des rémunérations variables des opérateurs financiers de marché et, enfin, pour le cinquième thème sur la supervision européenne.

Je précise que ces propositions, même si leur contenu n’a rien de choquant, n’ont pas nécessairement leur place dans une résolution européenne. À l’analyse de la proposition de résolution, il apparaît qu’elles n’ont quelquefois qu’un lien ténu – et je fais preuve de bienveillance en employant ce terme ! – avec la proposition de directive ou même, tout simplement, avec le droit communautaire. Par exemple, les mesures préconisées en matière de fiscalité relèvent quasiment toutes du seul droit national.

Mme Nicole Bricq. Les vôtres aussi !

M. Philippe Marini, rapporteur. Ma chère collègue, je ne les ai pas présentées dans le cadre d’une proposition de résolution !

Mme Nicole Bricq. Vous parlez de la suppression de la taxation sur les salaires. C’est une proposition qui relève du droit national !

M. Philippe Marini, rapporteur. Vous avez raison de le rappeler, cette préconisation figure dans le rapport du groupe de travail de la commission des finances, dont le champ d’intervention est beaucoup plus large que celui d’une proposition de résolution sur un acte européen. Je vous rappelle que vous avez opté pour cette procédure, alors que vous auriez pu choisir de débattre de cette question dans un autre cadre.

Mme Nicole Bricq. Cela viendra !

M. Philippe Marini, rapporteur. Je suis bien obligé, en particulier sous le contrôle vigilant du président Hubert Haenel, qui est ici le maître du droit communautaire, de rapporter dans le cadre des procédures en vigueur et d’apprécier votre texte au regard de ses liens précis avec le droit communautaire.

M. François Marc. Pendant ce temps, la maison brûle !

M. Philippe Marini, rapporteur. J’ajoute que certaines propositions apparaissent satisfaites ou en passe de l’être. D’autres, notamment celles sur la supervision européenne, me semblent tout à fait légitimes, mais irréalistes à ce stade, compte tenu des orientations des travaux de la Commission européenne.

En revanche, l’ensemble des propositions formulées à propos de la rémunération des dirigeants des entreprises n’apparaît pas, en l’état, conforme aux travaux menés jusqu’à présent par la commission des finances. Dans leur quasi-intégralité, ces mesures relèvent d’ailleurs du droit national.

En conclusion, mes chers collègues de l’opposition, la commission des finances a respecté votre droit d’introduire un débat.

M. François Marc. C’est déjà cela !

M. Philippe Marini, rapporteur. En n’amendant pas le texte de la proposition de résolution, qui a été présenté en séance dans sa pureté d’origine, la commission a strictement respecté les accords qui prévalent au sein de notre assemblée.

Les observations que j’ai formulées tendent notamment à démontrer que la proposition de résolution n’a pas de lien suffisant avec le droit communautaire. Par ailleurs, sur la question des rémunérations, elle emprunte des chemins qui n’ont pas été jusqu’à présent ceux de la majorité de notre commission.

Tous ces arguments tendent à acter nos divergences. La commission recommande donc au Sénat de repousser le texte de nos collègues socialistes, après en avoir suffisamment débattu.

Mme Nicole Bricq. C’est bien dommage !

M. Philippe Marini, rapporteur. Je regrette toutefois que, au vu des points de convergence qui nous réunissent, nous n’ayons pas été en mesure d’élaborer un texte commun, prolongeant ainsi le dialogue constructif amorcé dans les instances que j’ai citées. Vous n’avez pas souhaité qu’il en soit ainsi. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Vous n’avez pas voulu transiger ; or, pour parvenir à une position commune, les différentes parties doivent consentir à des sacrifices !

Mme Nicole Bricq. Tout à fait !

M. Philippe Marini, rapporteur. Mes chers collègues, les conclusions de la commission tendent donc au rejet de la proposition de résolution telle qu’elle nous est présentée. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Simon Sutour, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le rapport de la commission des affaires européennes sera quelque peu différent de celui de la commission des finances.

Le dépôt par les membres du groupe socialiste de cette proposition de résolution européenne permet de mettre en œuvre pour la première fois les nouvelles dispositions du règlement du Sénat relatives aux affaires européennes.

Conformément au nouvel article 73 quinquies de notre règlement, la commission des affaires européennes a effectué un examen préalable, dans le délai d’un mois, de cette proposition de résolution européenne, qui a ensuite été examinée par la commission des finances. Par ailleurs, la commission des affaires européennes, mettant en œuvre, là aussi, les nouvelles dispositions du règlement, a décidé de se saisir pour avis de la proposition de résolution européenne.

Certes, sa compétence est plus généraliste que celle des six autres commissions, mais elle a intérêt à se saisir également de ce type de sujet, dont le caractère technique évident ne doit cependant pas dissimuler – nous venons de le constater – la portée politique.

Sur le fond, la proposition de directive sur laquelle porte la proposition de résolution européenne a été adoptée par la Commission européenne le 13 juillet dernier. Elle vise à modifier les directives de 2006, communément dénommées « directives fonds propres ». Celles-ci mettent en œuvre, au niveau communautaire, l’accord dit de « Bâle II » de 2004, qui constitue un dispositif prudentiel destiné à mieux appréhender les risques bancaires, principalement le risque de crédit ou de contrepartie et les exigences en fonds propres.

Les ajustements permanents opérés par le comité de Bâle sur le contrôle bancaire avaient déjà conduit à une précédente révision des « directives fonds propres ».

Les modifications proposées par la Commission européenne portent sur deux points : renforcer les exigences de fonds propres et inclure les régimes de rémunération des banques et des entreprises d’investissement dans le champ de la surveillance prudentielle.

Ces modifications, qui ont pour objet de corriger des faiblesses ayant contribué à aggraver la crise financière, traduisent des orientations qui avaient été réclamées ou annoncées à plusieurs reprises, que ce soit par le rapport de Jacques de Larosière sur la supervision du système financier, par divers travaux de la Commission, par le Conseil européen ou encore au cours des différents sommets du G 20.

La proposition de directive vise à renforcer les exigences dans quatre domaines : le portefeuille de négociation, la retitrisation, la publicité concernant les risques de titrisation et la surveillance prudentielle des politiques de rémunération. Les États membres devraient transposer ces dispositions en droit interne avant le 31 décembre 2010.

Les auteurs de la proposition de résolution considèrent que les engagements du secteur bancaire en matière de financement de l’économie et d’encadrement et de limitation des rémunérations des opérateurs de marché ne sont pas tenus.

Ils ont donc souhaité saisir l’opportunité de la discussion au Conseil de la proposition de directive modifiant les « directives fonds propres » pour inciter le Sénat à demander au Gouvernement de prendre en compte leurs préoccupations, qui portent sur cinq aspects : les exigences de fonds propres, la gouvernance des entreprises cotées, la rémunération des dirigeants des entreprises cotées, l’encadrement des rémunérations variables des opérateurs financiers et de marchés, la supervision européenne et le système de sanctions.

La commission des affaires européennes a noté que plusieurs mesures avancées par la proposition de résolution européenne visent à mettre en œuvre certaines propositions du groupe de travail commun Assemblée nationale-Sénat, qui a été mis en place le 28 octobre 2008, sur le système financier international.

Ce groupe de travail commun, dont nous fêtions hier l’anniversaire en quelque sorte, a formulé un certain nombre de propositions relatives aux fonds propres et aux politiques de rémunération qui sont reprises par la proposition de résolution européenne : le relèvement par les banques de 5 % à 10 %, puis à 25 %, du taux de rétention dans le bilan des actifs titrisés ; l’établissement par les entreprises du secteur financier et bancaire d’un rapport annuel rendant compte de leur méthodologie de quantification du risque et de leur niveau d’exposition au risque par classe d’actifs ; le fait que la part variable de la rémunération des opérateurs financiers et de marché – traders, cadres commerciaux, conseils et gérants – ne peut être versée qu’en fonction des gains réels dégagés et qu’au moins une fraction égale aux deux tiers est étalée sur au moins trois ans avec une clause de retenue ou de restitution en cas de résultats négatifs ultérieurs.

La proposition de résolution européenne s’inspire également d’autres mesures avancées par le groupe de travail commun, sans en reprendre toutefois complètement la rédaction.

Tel est le cas de la proposition visant à ce que la part variable de la rémunération des opérateurs financiers et de marché fasse l’objet d’un paiement en titres de l’établissement employeur. C’est aussi le cas de la possibilité pour les autorités de surveillance de réaliser des « tests de résistance » semestriels du système financier et bancaire, les auteurs de la proposition de résolution souhaitant toutefois que leurs résultats soient rendus publics. On comprend pourquoi !

Cependant, sur plusieurs points, la proposition de résolution européenne va au-delà des préconisations du groupe de travail commun.

Ses auteurs ont en effet estimé que, compte tenu de l’ampleur de la crise ainsi que de la nécessité de ne pas succomber à la tentation du business as usual, il convenait d’aller plus loin que la proposition de directive sur plusieurs points. Selon eux, « la France doit proposer et soutenir au Conseil la mise en place de mesures contraignantes au niveau européen ».

Les engagements souscrits par le G 20 sont formulés en termes très généraux et ne revêtent pas de caractère contraignant. En outre, les pays qui composent le G 20 sont très hétérogènes et peuvent connaître des situations économiques fort différentes. Le respect uniforme de ces engagements n’est donc pas assuré. Je rappelle d’ailleurs que les États-Unis, jusqu’à présent, n’appliquent pas les normes « Bâle II » sur les fonds propres alors qu’ils sont signataires des déclarations finales des sommets du G 20, qui comportent l’engagement de les mettre en œuvre. Il y a là un léger paradoxe !

La proposition de résolution européenne retient donc plusieurs mesures qui vont certes plus loin que celles du groupe de travail commun, mais qui peuvent donner l’occasion d’engager un débat sur la manière d’éviter qu’une telle crise financière ne se reproduise et sur les moyens d’améliorer la régulation, la supervision et la moralisation de la sphère financière.

Je rappelle que la Commission européenne avait annoncé son intention de présenter, en principe ce mois-ci, de nouvelles modifications aux « directives fonds propres ». Or le commissaire en charge du marché intérieur, M. Charlie McCreevy, qui est partisan d’une régulation financière a minima – ce que nous regrettons –, vient de renoncer à présenter ces nouvelles mesures, qui ne devraient pas être connues avant le printemps prochain. Si les services de la Commission ont souhaité attendre que le Comité de Bâle conclue son cycle actuel de travaux pour prendre en compte ses recommandations, sans doute la pression du secteur bancaire européen a-t-elle dû également se faire sentir.

M. Simon Sutour, rapporteur pour avis. Il est donc particulièrement heureux que la proposition de résolution européenne comporte des propositions plus substantielles sur ce sujet, puisque la Commission a finalement baissé les bras.

C’est le cas en matière de rémunérations, qui font l’objet de mesures dépassant parfois les propositions du groupe de travail commun.

De même, la proposition de résolution européenne comporte des mesures relatives à la supervision et à la mise en place d’un système de sanctions. Sur ce point, les termes du débat ont évolué depuis le dépôt du texte de la proposition. En effet, le 23 septembre dernier, la Commission européenne a présenté un « paquet législatif » sur la supervision financière en Europe, comprenant quatre propositions de règlement et une proposition de décision, ayant pour objet la création de trois autorités de surveillance européennes pour les banques, pour les assurances et pour les marchés financiers. Dès lors, les mesures suggérées par la proposition de résolution trouveront aussi leur place dans le débat à venir sur ce « paquet législatif ».

Prenant en compte ces différents éléments, la commission des affaires européennes a décidé, à l’unanimité, de ne pas apporter de modification à la proposition de résolution européenne qui lui était soumise et qui a ensuite été examinée par la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG – MM. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, et Alain Gournac applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant tout à saluer la qualité de l’important travail technique réalisé par les auteurs de la proposition de résolution portant sur la proposition de directive relative aux exigences de fonds propres pour le portefeuille de négociation et pour les retitrisations, et la surveillance prudentielle des politiques de rémunération.

Tout le problème est de savoir si ce texte intervient au bon moment. Par certains aspects, il arrive trop tard, car des décisions auxquelles il fait référence ont déjà été prises au sommet de Pittsburgh. Par d’autres aspects, il arrive trop tôt, notamment par rapport au travail européen qui se déroule en ce moment même.

Mme Nicole Bricq. Ce n’est jamais le bon moment !

M. Philippe Marini, rapporteur. Est-ce le bon endroit ?

M. François Marc. Mais il y a le feu !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Cela étant, le texte qui nous réunit aujourd’hui nous donne l’occasion d’aborder un véritable sujet, ce dont je vous remercie, madame Bricq, celui de la solidité de notre secteur bancaire et des leçons qui ont été tirées de la crise pour le rendre plus transparent, plus responsable et mieux régulé.

Nous connaissons les raisons de cette crise, et je crois que le diagnostic est largement partagé. Je n’y insisterai donc pas. Cette crise a d’abord été celle du secteur immobilier américain et des pratiques de prêts qui avaient cours. Remarquons que l’Europe et la France n’ont jamais connu de tels excès. Pour autant, les dérives de ce secteur ont eu des effets bien au-delà de celui-ci.

Le défi aujourd’hui consiste à rétablir la confiance des ménages et des entreprises dans notre système financier. Pour cela, nous devons créer un cadre de supervision et de régulation solide. Nous devons rendre au secteur financier sa solidité afin qu’il assure pleinement son véritable rôle : financer les entreprises et les ménages. Je reviendrai d’ailleurs tout à l’heure sur certaines de vos propositions, qui, si elles étaient appliquées, restreindraient leur accès au crédit.

Tout l’enjeu de l’action du Gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République, menée sur le plan tant international, dans le cadre du G 20 et de l’Union européenne, que national, vise donc à rétablir cette confiance.

La proposition de résolution soulève de vraies questions et reflète une analyse approfondie des questions prudentielles. Cependant, je m’interroge sur la pertinence des réponses apportées. S’engager sur la voie présentée par le groupe socialiste reviendrait dans certains cas – je les détaillerai – à imposer des contraintes telles aux banques françaises qu’elles seraient incapables de financer notre économie et les handicaperaient gravement dans la compétition internationale.

M. Philippe Marini, rapporteur. C’est vrai !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. L’éminent rapporteur de la commission des finances, M. Marini, l’a d’ailleurs excellemment indiqué.

M. Philippe Marini, rapporteur. Merci, monsieur le secrétaire d’État !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Le Gouvernement croit, à l’inverse, qu’il faut répondre aux excès du passé non par de nouveaux excès, mais par des mesures bien ciblées.

Premièrement, il faut renforcer les exigences en fonds propres afin de garantir la solidité de notre système bancaire, mais nous devons agir avec discernement, faute de quoi nous risquerions d’étouffer la reprise économique.

Cette crise a été celle d’une évaluation imparfaite des risques. Elle a révélé les faiblesses de la réglementation actuelle en matière de fonds propres. Le Gouvernement, en particulier Christine Lagarde, est à l’initiative, au sein du G 20 et de l’Union européenne, du renforcement de nos règles prudentielles dans trois directions.

La première direction, c’est la réforme de la titrisation, qui est indispensable.

Un contrôle doit être exercé par les banques. Mais pourquoi contrôleraient-elles si, grâce au miracle de la titrisation, elles sont en mesure de transférer les mauvais risques à d’autres et ne subissent pas les conséquences des crédits qu’elles accordent ?

Cette pratique, sous présidence française de l’Union européenne, nous y avons mis fin. L’Europe a décidé d’imposer aux banques de garder à leur bilan 5 % des produits qu’elles titrisent.

Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas assez !

M. Richard Yung. Il faut 25 % !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Avec cette réglementation, les banques subissent les conséquences de leurs décisions de crédit ; elles sont incitées à vraiment contrôler. C’est bon pour l’ensemble de l’économie !

Avec cette mesure, c’est, je crois, l’une de vos propositions qui est déjà satisfaite.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Après la discussion générale, je vous dirai plus précisément s’il faut aller plus loin.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Nous ne le pensons pas.

La deuxième direction dans laquelle le Gouvernement veut avancer, c’est le renforcement des exigences de fonds propres pour les activités risquées.

La proposition de résolution vise à porter de 8 % à 10 % l’exigence minimale de fonds propres des banques. Concrètement, vous proposez d’augmenter les exigences de fonds propres pour toutes les activités.

De notre point de vue, ce serait une erreur, car, au passage, ce serait le financement des ménages et des entreprises qui serait pénalisé. En augmentant les fonds propres, on restreint leur accès au crédit.

La volonté du Gouvernement est de mieux encadrer les activités les plus risquées. Le Gouvernement veut exiger plus de fonds propres en face des activités de trading et de titrisation, mais surtout ne pas pénaliser le crédit aux entreprises et aux ménages. En effet, restreindre aujourd’hui l’accès au crédit pour ceux qui en ont le plus besoin serait une faute. C’est en exigeant plus de fonds propres en face de la spéculation et comparativement moins de fonds propres en face du crédit aux ménages et aux entreprises que les banques feront plus de crédit et moins de spéculation.

Concrètement, le Gouvernement soutient une multiplication par trois des exigences de fonds propres en face des activités de trading pour compte propre dans le cadre de la directive européenne dont nous traitons aujourd’hui.

La troisième direction du Gouvernement, c’est de doter le système financier de véritables stabilisateurs.

La crise a montré que les règles prudentielles et comptables actuelles peuvent contribuer, d’une part, à accélérer l’apparition des crises et, d’autre part, à les aggraver quand elles sont là.

Le Gouvernement souhaite au contraire introduire des stabilisateurs. Concrètement, nous voulons que les banques aient l’obligation de constituer des réserves quand les choses vont bien et qu’elles puissent y avoir recours quand les choses vont mal. La Commission européenne proposera au début de 2010 une nouvelle proposition législative qui ira dans cette direction.

S’agissant de la supervision, à laquelle Mme Nicole Bricq a consacré une partie de son intervention, nous sommes d’accord pour aller plus loin. Je vous rappelle que le Conseil européen a entériné les conclusions du rapport de M. de Larosière le 18 juin dernier ; ce rapport sera bien sûr appliqué.

Deuxièmement, il convient de renforcer la transparence et la responsabilité.

Des politiques de rémunération inadéquates ont encouragé la prise de risque excessive. Nous voyons aujourd’hui des raisons d’espérer une sortie de crise prochaine. Bien sûr, il n’est pas question de crier victoire trop vite, mais les indicateurs économiques les plus récents et certaines données tendent à prouver que le pire de la crise est plutôt derrière nous.

M. François Marc. On verra !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Si l’économie ne redémarre pas aussi vite que nous le souhaiterions, un certain nombre d’indices positifs commencent à voir le jour.

Nous devons éviter parallèlement que des comportements nuisibles ne resurgissent à l’occasion de cette timide sortie de crise. Les banques, dont certaines n’ont dû leur salut qu’à un soutien public massif, profitent de bons résultats au premier semestre et pourraient être tentées de prétendre que cette crise n’était qu’un incident de parcours et que les agissements d’hier peuvent reprendre comme si rien ne s’était passé.

Au sommet du G 20 qui s’est tenu à Pittsburgh les 24 et 25 septembre dernier, il a été indiqué clairement que « les rémunérations excessives dans le secteur financier ont à la fois reflété et favorisé une prise de risque excessive ». Nous devons mettre fin à des systèmes de rémunération qui incitent à une gestion de court terme et à une « rémunération de l’échec ».

À la veille du sommet de Londres, la France et l’Allemagne avaient fait part de leur volonté d’obtenir de nouvelles avancées en matière de régulation financière face au risque d’un retour rapide aux habitudes du passé. Certains domaines, notamment les bonus, apparaissaient comme des tests de la volonté collective.

Sous l’impulsion du Président de la République, au G 20, les chefs d’États ont adopté des règles fortes qui prévoient un véritable encadrement des rémunérations des opérateurs de marché avec une interdiction des bonus garantis, un paiement différé d’une partie substantielle de la rémunération et la création d’un véritable malus, en face du bonus, quand la performance n’est pas au rendez-vous.

La France s’est mobilisée pour que le projet de directive européenne dont nous discutons aujourd’hui intègre l’ensemble des règles décidées par le G 20 à Pittsburgh. Avec ces mesures et grâce au G 20 de Pittsburgh, la directive européenne satisfait déjà pour partie les propositions du groupe socialiste en matière d’encadrement des rémunérations variables des opérateurs financiers et de marché.

Je vous indique du reste que nous n’allons pas attendre l’application de la directive européenne. Un arrêté auquel vous avez fait allusion, madame Bricq, permettra très prochainement l’application des règles du G 20 dans notre droit bancaire. C’est important.

Vous proposez également d’encadrer les rémunérations des dirigeants des sociétés cotées. Comme l’a fait remarquer M. le rapporteur, le lien devient tenu avec la directive européenne…

M. Philippe Marini, rapporteur. Tant il est ténu qu’il se casse !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Le sujet de la rémunération des dirigeants de toutes les sociétés cotées va bien au-delà, vous en conviendrez, de la seule réglementation bancaire.

M. Philippe Marini, rapporteur. C’est une litote !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Il n’est donc pas totalement pertinent, s’agissant d’une directive européenne qui refonde les exigences des fonds propres des banques. C’est un vrai sujet, j’en conviens, mais qui doit trouver sa place ailleurs.

Le Gouvernement a pris des mesures fortes pour encadrer les politiques de rémunération. Vous les connaissez, mais il est bon de les rappeler. Je les citerai brièvement.

Dans la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, nous avons encadré les indemnités de départ pour interdire les rémunérations qui ne sont pas la contrepartie d’une performance réelle.

La rémunération, ce n’est pas seulement la performance, c’est aussi le respect de règles éthiques. À la demande des pouvoirs publics, l’Association française des entreprises privées, l’AFEP, et le MEDEF ont adopté un code de « bonne conduite » sur la rémunération des dirigeants imposant le plafonnement des indemnités de départ, l’interdiction du cumul d’un contrat de travail et d’un mandat social, ainsi qu’une transparence accrue sur les rémunérations.

Mme Nicole Bricq. Bien sûr !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Le Gouvernement a demandé à l’Autorité des marchés financiers de rendre un rapport à la fin de l’année 2009 sur l’application de ce code. C’est au vu de ce rapport que le Gouvernement décidera si des mesures législatives sont nécessaires.

Le Gouvernement a également encadré les rémunérations dans les entreprises qui bénéficient d’un soutien de l’État. Je pense notamment aux banques et aux constructeurs automobiles.

Vous le savez, les décrets du 30 mars et du 20 avril dernier pris en application des dispositions de la loi de finances rectificative pour 2009 du 20 avril 2009 prévoient des mesures fortes pour empêcher les abus et les excès. Ce dispositif encadre tous les types de rémunération dans les entreprises qui bénéficient d’un soutien de l’État.

Ces mesures sont les suivantes : l’interdiction d’attribuer des stock-options et des actions gratuites aux dirigeants des entreprises soutenues, l’interdiction de verser des rémunérations variables quand elles ne sont pas la contrepartie de performances réelles – le décret précise qu’il ne peut s’agir de performances boursières –, l’interdiction de verser des rémunérations variables ou des indemnités de départ quand l’entreprise procède à des licenciements de grande ampleur, et, enfin, l’interdiction de créer de nouveaux régimes de retraites chapeau, d’accueillir de nouveaux dirigeants dans les régimes existants ou d’améliorer les droits des dirigeants au titre des régimes existants.

En conclusion, je voudrais relever le rôle important joué par l’Union européenne dans l’ensemble de ce processus. Il est parfois de bon ton de faire preuve de scepticisme sur notre capacité à mettre des idées sur la table puis à les mettre en œuvre. Mais tel n’est pas le cas dans ce domaine ! En effet, nous agissons, nous nous engageons, nous influençons, et c’est la France, reconnaissons-le, qui est largement à l’initiative de ce renforcement souhaitable de la régulation du secteur financier. Il est très important que la France soit entendue en Europe et, au-delà, dans le cadre du G 20. Nous continuerons à soutenir de telles initiatives. Mme Christine Lagarde, mobilisée sur ce sujet, portera des propositions ambitieuses à Saint Andrews la semaine prochaine. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Philippe Marini, rapporteur. Très bien !

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les limites du droit parlementaire apparaissent avec d’autant plus d’évidence que nous sommes placés en situation d’en mesurer la portée.

Nous discutons aujourd’hui d’une proposition de résolution européenne dont notre commission des affaires européennes a jugé utile que nous puissions débattre mais que la commission des finances, après examen, recommande de rejeter au terme de la discussion, et ce alors même que, comme toute proposition de résolution européenne, son adoption n’entraînerait aucune obligation pour le gouvernement français, notamment dans le cadre du prochain Conseil européen. L’adoption d’une proposition relevant du vœu pieux n’a en effet aucune incidence sur la position et l’attitude du Gouvernement, notre Constitution n’envisageant pas de mandat impératif en la matière.

Au-delà de cette question de forme, qui désincarne un peu plus le débat parlementaire, se pose évidemment la question de fond, c'est-à-dire le comportement des établissements de crédit, la manière dont ils ont, dans notre pays, affronté les aléas de la situation financière internationale et, par voie de conséquence, la manière dont on pourrait souhaiter, à l’avenir, qu’ils l’appréhendent en tentant d’éviter ce que nous avons connu depuis l’été 2008.

Je constate que la commission des finances, en tout cas sa majorité, confirme sa position, constamment défendue dès lors qu’une discussion parlementaire aborde les questions financières et bancaires : celle du maintien des pratiques en cours. Pas question de toucher, ne serait-ce que du bout de l’ongle, aux méthodes, aux manières et aux comportements des banques, des opérateurs de marché, des spécialistes du boursicotage, des fonds d’investissement ou des spécialistes du LBO ! Toucher à cela, ce serait s’attaquer à une sorte de zone interdite où seule compte la loi du marché, comme si la République semblait s’arrêter devant le mur de l’argent.

Pourtant, demander aux banques de respecter les faibles contreparties qui ont été établies en regard de l’aide publique au refinancement et à leur recapitalisation serait une exigence minimale si l’on voulait réellement replacer la politique et la puissance publique au centre du jeu financier. De même, recommander de limiter les rémunérations exceptionnelles, les retraites chapeau, les parachutes dorés serait parfaitement justifié si l’on voulait réellement « moraliser le capitalisme », comme le prétend le Président de la République. Il est en effet grand temps de prendre des mesures concrètes permettant à l’intérêt général de prévaloir à nouveau et à la décision politique de reprendre ses droits sur l’égoïsme de la toute puissance des forces de l’argent.

Force est de constater que nous n’en prenons pas le chemin. Alors que les sommets du G 20 et les déclarations péremptoires au plus haut niveau de l’État laissaient penser que les règles du jeu allaient changer, la plupart des établissements de crédit, en France comme à l’étranger, s’apprêteraient à verser à leurs dirigeants comme à leurs opérateurs de marché des gratifications d’un montant inégalé…

En rejetant cette proposition de résolution européenne qui n’a pourtant aucune portée impérative, la commission des finances renonce à l’encadrement des bonus, aux obligations de distribution de crédit et à la nécessité de rendre des comptes pour les établissements de crédit.

Mes chers collègues, vous avez sûrement entendu ces derniers temps le discours de M. Baudouin Prot, PDG de la banque BNP Paribas et dirigeant de la Fédération bancaire française.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Discours très intéressant.

M. Bernard Vera. Alors qu’il est évident que les banques françaises ont tiré parti de la baisse sensible des taux de refinancement interbancaire, baisse orientée par le comportement des banques centrales pour reconstituer leurs marges d’intermédiation, voici que M. Prot, devant les critiques qui se font jour, théorise sur le « crédit responsable ». Dans son esprit, il s’agit d’éviter que la crise ne se reproduise, en entourant tout crédit accordé du maximum de garanties possibles. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est entendu ! La contraction des crédits atteint un niveau inégalé cette année alors que la BNP Paribas vient d’annoncer un résultat pour le premier semestre de l’année 2009 aussi élevé que le résultat annuel de l’exercice 2008 !

Aujourd’hui, on prête moins, pas vraiment moins cher, et on réalise un produit net bancaire particulièrement remarquable. Ne serait-ce que pour cette raison, nous pourrions adopter la proposition de résolution qui nous est présentée.

Mais, entre la majorité de la commission des finances qui s’y oppose et le Gouvernement qui s’est empressé, cette semaine, de demander une seconde délibération afin que la taxation exceptionnelle des établissements de crédit, adoptée par voie d’amendement, soit finalement supprimée du projet de loi de finances, nous nous trouvons décidément face à des gardiens inflexibles du sanctuaire de la finance et de la spéculation !

On évoque l’idée de mettre en œuvre une petite taxe destinée à prendre en charge la surveillance et la supervision des activités de marché. En échange de quoi, les entreprises du secteur, au motif qu’il ne faudrait pas accroître les prélèvements obligatoires, se verraient allégées du paiement de la taxe sur les salaires ! C’est beaucoup de sollicitude pour un secteur d’activité qui non seulement n’a pas créé beaucoup d’emplois ces derniers temps mais qui, de surcroît, conditionne l’existence de milliers d’autres dans ses activités quotidiennes.

La France se retrouve ainsi, une fois de plus, à l’opposé de la plupart des pays développés, qui envisagent sérieusement des mesures de nature fiscale en direction de leurs banques.

Il est grand temps, mes chers collègues, que les affaires bancaires ne soient pas laissées aux seules mains des banquiers. Le pays a déjà payé le prix fort de leur aventurisme et de leur inconséquence en crise économique et sociale, en liquidation d’emplois et d’entreprises. Il faut passer à autre chose.

M. Philippe Marini, rapporteur. Au pilori !

M. Alain Gournac. Il faut les abattre !

M. Bernard Vera. Sans résoudre toutes les questions, la proposition de résolution qui nous est soumise le permettrait, à sa manière. C’est pourquoi le groupe CRC-SPG soutient ce texte. Le rejeter équivaut, une fois encore, à démontrer l’impuissance du politique,…

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Oh !

M. Bernard Vera. … une impuissance ici doublée d’une bienveillance constante. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai tout d’abord par répondre à certains des arguments avancés tant par M. le rapporteur que par M. le secrétaire d’État pour mettre en doute l’opportunité de la proposition de résolution que nous vous soumettons aujourd'hui.

Premièrement, selon M. le secrétaire d’État, cette proposition de résolution n’intervient pas au bon moment.

Mme Nicole Bricq. Ce n’est jamais le bon moment !

M. Richard Yung. Pourquoi ne serait-ce pas le bon moment ? Le G 20 s’est récemment réuni à Pittsburgh, un Conseil européen aura lieu demain, d’autres réunions du G 20 sont également prévues. Le moment nous paraît donc au contraire opportun pour mettre en avant nos propositions sur les quatre grands sujets qui font l’objet du débat.

Deuxièmement, M. le rapporteur nous a dit que la question des rémunérations n’a pas été discutée lors du sommet du G 20, qu’elle relève exclusivement de l’échelon national et qu’il n’est donc pas opportun d’en faire l’objet d’une résolution européenne.

M. Philippe Marini, rapporteur. Sauf à vouloir une Europe fédérale, mais nous n’en sommes pas là !

M. Richard Yung. Je l’appelle de mes vœux, monsieur le rapporteur.

M. Philippe Marini, rapporteur. Pas moi !

M. Richard Yung. Mais là n’est pas le sujet. Nos opinions sur cette question divergent certainement.

M. Philippe Marini, rapporteur. Totalement !

M. Richard Yung. La question des rémunérations a été abordée lors du sommet de Pittsburgh, sous l’angle des bonus et des rémunérations variables, comme l’a d’ailleurs indiqué M. le secrétaire d’État. Il appartient ensuite au Conseil européen de se saisir de cette question et de la traduire en réglementations européennes. Notre responsabilité à nous est ensuite de les transcrire en droit national. Ces différents niveaux – G 20, Europe, France – s’emboîtent un peu comme des matriochkas, les célèbres poupées russes. Nous faisons donc notre travail, même si nous proposons d’aller un peu plus loin que le G 20 – et les pays anglo-saxons –, mais le rôle de la France n’est-il pas aussi de donner l’exemple et de faire avancer les choses ?

Troisièmement, comme vous l’avez écrit dans votre rapport, monsieur le rapporteur, il faut « réintroduire la responsabilité et la notion du prix du risque ». L’ensemble de nos propositions nous paraissent répondre à votre souhait.

M. Philippe Marini, rapporteur. En partie.

M. Richard Yung. Quatrièmement, vous nous mettez en garde, monsieur le secrétaire d’État, contre le risque, si nous augmentions les exigences en matière de fonds propres, de restreindre l’accès au crédit pour les particuliers et les entreprises, plus précisément les PME.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Exactement.

M. Richard Yung. Malheureusement, tel est déjà le cas. Le secteur bancaire ne fait plus crédit aux PME.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Il ne faut donc pas aggraver la situation.

M. Richard Yung. Ainsi, dans ma commune, Noizay, située dans notre belle Touraine, je connais une personne qui veut créer une entreprise de bois et qui a besoin pour cela de 80 000 euros. Ce n’est pas beaucoup… Pourtant, alors qu’elle envisage d’hypothéquer sa maison, le matériel – et jusqu’à la bague de la grand-mère ! –, sa demande, après trois mois de discussion, n’aboutit pas. Les banques ne font plus crédit pour la création des PME.

M. Philippe Marini, rapporteur. Le Médiateur du crédit aux entreprises a-t-il été sollicité sur ce dossier, mon cher collègue ? Vous évoquez un cas particulier.

M. Richard Yung. Oui, mais il s’agit d’un cas réel, qui tend malheureusement à se généraliser, ce dont nous ne pouvons nous réjouir.

M. Alain Gournac. On connaît aussi des cas d’entreprises ayant obtenu un crédit !

M. Richard Yung. Les Anglo-Saxons ont une approche du contrôle des rémunérations qui n’est pas la nôtre. Ils ont sur cette question de vives réticences idéologiques. La pression de Wall Street et de la City est très forte. Savez-vous que, tant à Wall Street qu’à la City, les bonus devraient augmenter cette année de 30 % à 40 % ? C’est de la folie !

Parallèlement, il y a des gens dans ces pays qui disent que cela ne va pas du tout. Ainsi, Kenneth Feinberg, surnommé, aux États-Unis, « le tsar des rémunérations » – pas « le Staline des rémunérations » ! (Sourires.) – a annoncé vouloir diminuer de 90 % les salaires des dirigeants des grandes banques américaines. C’est extraordinaire, si extraordinaire d’ailleurs que je doute qu’une telle mesure soit prise. Il n’en demeure pas moins que les Américains veulent agir. À cet égard, ma collègue Nicole Bricq a évoqué tout à l’heure les positions du shadow cabinet du possible futur Chancelier de l’Échiquier si les réactionnaires l’emportent en Grande-Bretagne.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Les conservateurs !

M. Richard Yung. Ils envisagent eux aussi d’encadrer les rémunérations. Loin d’être exclusivement français, ce débat est aussi européen et international.

Pourquoi réguler les rémunérations, fixes et variables, ainsi que les avantages connexes des dirigeants et des salariés des banques ?

C’est une loi bien connue : plus on est proche du marché, plus on en tire d’avantages. Les banquiers et les opérateurs financiers sont tout proches d’un marché qui a explosé de façon extraordinaire ces vingt ou vingt-cinq dernières années, en faisant d’ailleurs preuve d’une ingéniosité absolument extraordinaire.

C’est précisément parce que le marché ne s’autorégule pas – si tel était le cas, on pourrait le laisser jouer – et parce que ses acteurs sont déraisonnables dans leur approche que le niveau de risque augmente de façon inconsidérée. Or qui est l’assureur final ? C’est l’État, c'est-à-dire le contribuable, c'est-à-dire nous ! Il est donc légitime de notre part de vouloir remettre un peu de raison et de bon sens dans ce système. Cela relève de notre responsabilité.

Vous avez évoqué le code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées élaboré par le MEDEF. J’imagine qu’il est plein de bonnes intentions. En pratique, ce code est appliqué de manière très limitée.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Non !

M. Richard Yung. Un bilan de son application est prévu, avez-vous dit, monsieur le secrétaire d’État.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Oui.

M. Richard Yung. Je pense qu’il sera léger !

En matière de rémunération des dirigeants, la situation s’est aggravée en France au lendemain des grandes privatisations et de la constitution des grands groupes, qui ont donné lieu à la naissance de ce que j’appellerai un pacte d’initiés entre les dirigeants et les actionnaires.

Ce pacte était le suivant : les actionnaires ont accepté de satisfaire les demandes des dirigeants de ces entreprises et de leur accorder des rémunérations croissantes, et souvent exagérées, en échange de dividendes élevés – le fameux retour sur investissement –, de 10%, de 12 %, voire de 15 %, ce qui est tout à fait déraisonnable. Or, quand une économie réelle croît de 4 %, voire de 5 % dans le meilleur des cas, il est évidemment impossible de verser aux actionnaires des dividendes de 15 %. On en vient alors aux pratiques que vous connaissez et qui consistent à démanteler les entreprises et à licencier leurs salariés.

Ce pacte a eu des incidences sur les comités de rémunération.

Permettez-moi ici de vous donner quelques exemples pour illustrer mon propos : Mme Bettencourt présidait le comité de rémunération de L’Oréal et n’avait donc pas grand-chose à refuser à ses principaux dirigeants. M. Minc présidait celui de Vinci et ne refusait rien à son PDG, M. Zacharias. M. Beffa, alors PDG de Saint-Gobain, présidait le comité de rémunération de BNP-Paribas, tandis que M. Pébereau, président de BNP-Paribas, siégeait à celui de Saint-Gobain !

Vous voyez là l’endogamie qui se met en place !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Comme au PS !

M. Richard Yung. Il n’y a alors plus aucun contrôle, plus aucun frein, d’une part, entre les dirigeants eux-mêmes, d’autre part, entre les actionnaires et les dirigeants !

Permettez-moi de vous donner quelques exemples chiffrés.

Souvenez-vous de M. Bernard, ancien PDG de Carrefour, remercié par son actionnaire. Il a alors obtenu 29 millions d’euros de retraite complémentaire et 9 millions d’euros d’indemnités de départ, soit un total de 38 millions d’euros.

M. Philippe Marini, rapporteur. On est loin de la crise financière !

M. Richard Yung. Non ! Ce sont de tels comportements qui sont en partie responsables de la crise financière !

M. Philippe Marini, rapporteur. Le salaire des boutiquiers, c’est autre chose !

M. Richard Yung. Quant à M. Zacharias, l’ancien PDG de Vinci, son indemnité de départ s’est élevée à 250 millions d’euros, soit 21 000 fois le SMIC annuel. Cela dépasse l’entendement !

Les grands oubliés sont les salariés, qui travaillent aujourd'hui six semaines par an pour rémunérer les actionnaires, contre deux semaines au début des années quatre-vingt.

Qu’en est-il du grand débat que M. Sarkozy avait lancé sur la refondation du capitalisme, le partage de la valeur ajoutée entre l’actionnaire, le capital et les dirigeants ? On n’en entend plus parler !

Nos propositions sur les rémunérations sont fondées sur l’observation des faits et sur la volonté d’assurer un fonctionnement harmonieux du système. Je ne les développerai pas en détail, car vous les avez évoquées, monsieur le rapporteur.

Nous proposons notamment – ce sont les alinéas 25, 26 et 27 – d’associer les salariés, par le truchement des comités d’entreprise, à la définition de la politique de rémunération des dirigeants d’entreprise. À cet égard, permettez-moi de rappeler qu’un comité d’entreprise n’est pas qu’une association caritative œuvrant dans les domaines social et culturel. Son rôle est avant tout d’exprimer l’opinion des salariés d’une entreprise.

Nous proposons également de préciser les modalités de versement des bonus – c’est l’alinéa 28 – et de fixer les règles de calcul des rémunérations fixes et variables des dirigeants – ce sont les alinéas 29, 30 et 34.

Je note d’ailleurs que nous nous retrouvons sur la moitié, voire plus, de ces propositions. Il est donc dommage que nous n’ayons pas pu dialoguer ensemble et formuler des propositions.

M. Philippe Marini, rapporteur. Vous êtes trop intransigeants !

M. Richard Yung. Mais nous sommes prêts à dialoguer !

M. Joël Bourdin. Trop tard !

M. Richard Yung. J’évoquerai maintenant la supervision financière en Europe. Nous sommes là réellement au cœur des affaires européennes. Sur ce sujet, nous souhaitons aller plus loin que la Commission européenne, dont les propositions s’appuient sur le rapport Larosière. Nous proposons de fusionner les trois autorités européennes de surveillance dont la création est envisagée – l’autorité bancaire européenne, l’autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles et l’autorité européenne des marchés financiers – en une seule autorité européenne de contrôle, dotée de réels pouvoirs, notamment en matière de sanctions, afin de renforcer la supervision financière européenne.

Sur ce sujet, nous demandons au Gouvernement de ne pas se laisser impressionner par les Britanniques, qui cherchent à botter en touche. Il faut les contraindre, eux qui sont les plus mauvais élèves dans ce domaine, à avancer sur ces questions lors du prochain sommet, au mois de décembre.

Nous souhaitons également la mise en place d’un superviseur unique à l’échelon français. Cette question n’est certes pas européenne, mais elle est une conclusion logique. Le système français va en effet voir se côtoyer deux structures, d’un côté l’Autorité des marchés financiers et, de l’autre, l’Autorité qui résultera de la fusion de la Commission bancaire et de l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles, l’ACAM.

Pour notre part, nous pensons qu’il ne s’agit pas d’une bonne organisation. M. Jean-Pierre Jouyet a lui-même déclaré ne pas voir le lien entre ces différentes institutions. À mon sens, si nous avons une autorité unique au niveau européen, il doit en être de même au niveau national.

M. Philippe Marini, rapporteur. C’est vrai !

M. Richard Yung. Telles sont nos principales propositions.

En guise de conclusion, j’aborderai trois points.

Premièrement, nous souhaitons que soit relancé le débat sur la distinction claire à opérer entre les activités finançant l’économie réelle et les activités de spéculation. Je sais que certains jugent cette question un peu surannée. Les plus cultivés nous rappelleront que les Américains ont abrogé le Glass-Steagall Act en 1999 ; d’ailleurs, ce n’est peut-être pas ce qu’ils ont fait de mieux…

Quoi qu’il en soit, ce débat doit, me semble-t-il, être relancé. À cet égard, je vous signale que Lord Myners, le secrétaire d’État britannique chargé des activités financières, a lui-même insisté sur la nécessité de discuter de la question et d’opérer une distinction entre les deux types d’activités.

Deuxièmement, selon nous, il faudrait également mettre en place un médiateur européen pour protéger les consommateurs en matière de crédit et de taux d’intérêt. Ce médiateur serait également chargé de gérer le fonds européen alimenté par la prime d’assurance supplémentaire que nous proposons d’instituer.

Troisièmement, il nous semblerait souhaitable de sortir de la direction générale du marché intérieur et des services de la Commission européenne la section consacrée aux marchés financiers, afin d’éviter que cette question ne soit abordée sous un angle essentiellement concurrentiel.

Telles sont, monsieur le secrétaire d’État, nos propositions pour renforcer les mécanismes de régulation et de supervision et pour mieux encadrer la prime de risque. Nous souhaitons que nos propositions soient reprises, d’abord au Sénat, puis au conseil des ministres de l’Union européenne, lors de l’examen de la proposition de directive relative aux exigences prudentielles. Enfin, nous serions heureux de disposer du calendrier des discussions au Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Joël Bourdin.

M. Joël Bourdin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de résolution présentée par M. Simon Sutour, Mme Nicole Bricq et les membres du groupe socialiste contient des éléments de convergence avec les réflexions menées par le groupe de travail commun du Sénat et de l’Assemblée nationale sur la crise financière internationale et par celui qui a été créé au sein de notre commission des finances. Elle reprend ainsi quelques-unes des mesures préconisées par ces deux groupes de travail ou s’en inspire largement.

C’est en particulier le cas de l’encadrement des modalités des opérations de retitrisation, de l’établissement d’un rapport annuel sur le niveau d’exposition au risque, de l’encadrement des rémunérations des opérateurs de marché et de la publication semestrielle de stress tests, ou tests de résistance, imposés aux établissements financiers.

À cet égard, le groupe UMP tient à saluer la qualité de l’analyse et la pertinence des propositions présentées la semaine dernière par le groupe de travail de la commission des finances sur la crise financière et la régulation des marchés, en particulier par son rapporteur, M. Philippe Marini, sous la présidence de M. Jean Arthuis.

Le rapport de ce groupe de travail constitue une contribution très utile à la fois pour la compréhension des origines de la crise financière actuelle et pour la prévention des crises futures.

Nous sommes tous d’accord, toutes tendances politiques confondues, sur la nécessité de renforcer la supervision bancaire et financière en atténuant les zones d’ombre et l’hétérogénéité de cette supervision, en limitant la procyclicité et les effets du risque systémique et en réintroduisant la responsabilité et le prix du risque.

À cet égard, il aurait mieux valu soutenir la démarche constructive et consensuelle du groupe de travail plutôt que de chercher à réaliser un « bonus politique » sur le sujet en sortant du champ des directives européennes concernées et en formulant des propositions parfois excessives.

Comme le souligne très bien M. le rapporteur, certaines préconisations du groupe socialiste n’ont qu’un lien microscopique – M. Marini a employé l’adjectif « ténu » – avec le texte de la directive qu’elles sont censées viser, voire avec le droit communautaire.

Notre collègue Philippe Marini relève en particulier que la directive concernée intervient seulement dans le domaine strictement prudentiel et concerne uniquement le seul secteur financier.

Surtout, les préconisations de la proposition de résolution relatives aux rémunérations des dirigeants ne prennent pas en compte la concurrence internationale à laquelle est confronté notre pays. C’est en particulier le cas de celle qui tend à proportionner la rémunération des dirigeants à la rémunération la plus faible versée par l’entreprise. Comme le souligne très bien M. le rapporteur, cela « relève plus de la démagogie que de l’économie » et aurait des effets « désastreux sur la compétitivité ».

Il faut y ajouter toute une série de propositions dont la portée peut légitimement susciter des interrogations.

Là encore, ne nous y trompons pas.

Le groupe UMP du Sénat est favorable à un encadrement des dispositions relatives aux rémunérations des dirigeants d’établissements financiers.

Mme Nicole Bricq. Vous y êtes peut-être favorables, mais vous ne le faites jamais !

M. Joël Bourdin. Cela vient, ma chère collègue !

Notre groupe est très satisfait qu’un consensus se soit dégagé sur cette question et il soutient les mesures prises sur le plan national, dans la ligne des préconisations du groupe de haut niveau, mis en place par la Commission européenne et présidé par M. Jacques de Larosière.

M. Jean-Marc Todeschini. « Paroles, paroles, paroles »…

M. Joël Bourdin. Nous souhaitons néanmoins éviter toute dérive et toute surenchère qui conduirait à pénaliser notre pays par rapport à ses principaux concurrents.

Le groupe UMP n’a pas souhaité rejeter ou modifier la proposition de résolution initiale, afin de lui permettre d’être examinée en l’état en séance publique – c’est le cas –, et ce conformément aux accords entre les groupes politiques. Néanmoins, il votera contre le texte tel qu’il nous est soumis aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Marc Todeschini. « Tout va très bien, madame la marquise » !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite apporter des précisions sur plusieurs points qui ont été soulevés et répondre à un certain nombre de questions abordées par Mme Bricq.

Madame la sénatrice, vous suggérez que les banques alimentent un fonds public européen de garantie. Pour sa part, et sans attendre une directive européenne, le Gouvernement propose que les banques paient le contrôle et la supervision du secteur bancaire au lieu des contribuables, comme c’est le cas actuellement.

Mme Nicole Bricq. C’est très insuffisant !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. L’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité un amendement en ce sens. Lorsque ce dispositif entrera en vigueur, les banques verseront une contribution comprise entre 100 millions et 150 millions d’euros.

De notre point de vue, les banques doivent également payer pour le renforcement de la garantie des dépôts, qui passera de 80 000 euros à 100 000 euros. Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, fera des propositions en ce sens dans le cadre du projet de loi de régulation bancaire et financière qui est actuellement en préparation.

Mme Bricq et d’autres orateurs ont également soulevé des interrogations quant à la supervision européenne. J’aimerais vous faire part de quelques éléments sur ce point.

Sous la présidence française de l’Union européenne, nous avions mandaté un groupe de haut niveau présidé par M. Jacques de Larosière. Ses conclusions, qui ont été rendues au mois de février 2009, constituent le fondement de l’accord politique trouvé au Conseil européen du mois de juin 2009. Elles prévoient la création d’un comité européen du risque systémique, qui serait la véritable tour de contrôle des risques au niveau global, la mise en place de trois autorités européennes de supervision dans le secteur des banques, des assurances et des marchés pour assurer la qualité et la cohérence des normes, ainsi que la surveillance des groupes transnationaux.

Le Conseil européen avait demandé à la Commission européenne de formuler des propositions de règlement, ce qui a été fait au mois de septembre 2009.

Ces conclusions nous conviennent, car elles sont globalement satisfaisantes. Nous avons mis en place un calendrier très serré pour que les propositions soient mises en œuvre dès 2010.

Vous le voyez, la réforme de la supervision que vous demandez est déjà en marche. Cela rejoint ce que j’évoquais tout à l’heure s’agissant du calendrier dans lequel s’insère votre proposition.

Mme Bricq m’a également interrogé sur ce qu’il est convenu d’appeler « l’arrêté bonus ». Reconnaissons-le, c’est sous l’impulsion de la France que le G 20 a adopté des règles fortes pour encadrer la rémunération des opérateurs de marchés, règles que le Gouvernement introduira dans le droit français sans attendre la directive européenne.

Mme Nicole Bricq. Depuis le temps que vous le dites !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Un arrêté sera publié dans les prochains jours, madame Bricq ! Vous voyez donc que vous aurez satisfaction !

Mme Nicole Bricq. J’attends de voir !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Toutes les règles du G 20 sans exception seront traduites dans cet arrêté.

Mais nous irons plus loin. Nous demanderons au Conseil de stabilité financière de contrôler la mise en œuvre des règles dans tous les pays du G 20. Ces normes, pour être efficaces, devront être appliquées partout et par tous.

Le renforcement des fonds propres des banques a également été abordé par Mme Bricq, ainsi que par plusieurs autres orateurs. Sur ce sujet, nous avons un point de convergence, mais également un point de divergence, avec le groupe socialiste.

Le point de convergence réside dans notre volonté partagée de renforcer les exigences en matière de fonds propres pour les banques. Mais la divergence tient à votre proposition d’augmenter les exigences de fonds propres pour toutes les activités, y compris le crédit aux ménages et aux entreprises. C’est bien là toute la contradiction : augmenter les exigences de fonds propres sur le crédit…

M. Philippe Marini, rapporteur. Ça fait moins de crédits !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. … reviendrait à étouffer le crédit au moment où le Gouvernement cherche au contraire à le développer.

Nous voulons, quant à nous, renforcer les exigences sur les activités les plus risquées, sur un segment seulement. Nous serons ainsi plus durs sur le trading, en soutenant une multiplication par trois des exigences de fonds propres, mais uniquement sur ce segment.

Nous attendons de cette réforme qu’elle permette de réduire les risques et le trading, mais également d’augmenter le crédit aux ménages et aux entreprises et de rendre le système bancaire plus solide.

Monsieur Sutour, vous avez abordé, ainsi que d’autres intervenants, le problème des stress tests, c'est-à-dire des tests de résistances des banques. Comme vous l’avez indiqué, des tests de résistance ont été menés au cours de l’été par le Comité européen des superviseurs bancaires sur vingt-deux groupes bancaires transfrontaliers. Je peux vous indiquer que cet exercice s’est déroulé de manière satisfaisante.

Mme Nicole Bricq. La publicité !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Il a témoigné d’une bonne résistance des banques européennes et confirmé que, à l’heure actuelle, les mesures de recapitalisation mises en œuvre étaient suffisantes au regard des risques portés par les bilans bancaires. C’est, me semble-t-il, un point très important.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le secrétaire d’État ?

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Je vous en prie, monsieur le président de la commission des finances.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l’autorisation de M. le secrétaire d’État.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je voudrais que le Gouvernement use de toute son autorité sur les banques pour clarifier la situation de leurs fonds propres.

En 2007, deux grandes banques nationales avaient racheté, l’une pour 2,5 milliards d’euros et l’autre pour 1,5 milliard d’euros, leurs propres actions sur le marché. Je pense donc que les dirigeants des banques doivent recevoir une admonestation très ferme…

M. Robert del Picchia. Ou au moins des incitations !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … de la part du Gouvernement sur les capitaux propres, car, il n’y a encore pas si longtemps, les banques rachetaient leurs propres actions sur le marché !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'État.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Votre remarque, monsieur le président de la commission des finances, est tout à fait pertinente.

Vous souhaitez, monsieur Sutour, que les règles du G 20 soient contraignantes au niveau européen. Sachez que le Gouvernement avance dans deux directions. Ces règles seront mises en œuvre dans les prochains jours en France, comme je l’ai indiqué à Mme Nicole Bricq, mais nous souhaitons qu’elles soient appliquées également à l’échelon européen.

C’est pourquoi la France a soutenu l’intégration des règles du G 20 au sein de la directive bancaire. Ce point est acquis aujourd'hui, et Gouvernement a devancé vos souhaits.

Mme Nicole Bricq. Nous attendons !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Monsieur Vera, vous vous interrogez sur la sollicitude du Gouvernement à l’égard des banques. Cette sollicitude coûte cher à ces dernières puisque le Gouvernement leur fait payer le soutien de l’État : elles devront s’acquitter de 1,4 milliard d’euros en 2009 pour rémunérer la garantie accordée par ce dernier à la Société de financement de l’économie française.

À cette somme de 1,4 milliard d’euros, s’ajoutent 713 millions d’euros que les banques verseront lors du remboursement des 13 milliards d’euros accordés à celles-ci par la Société de prise de participation de l’État.

Ce sont donc près de 2,1 milliards d’euros que les banques paieront in fine à l’État.

En outre, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, nous demandons la multiplication par trois des exigences de fonds propres sur les activités de trading. Concrètement, nous proposons de réduire significativement la rentabilité de ces opérations pour les banques.

Par ailleurs, le Gouvernement propose que les banques paient pour le contrôle du secteur bancaire en lieu et place des contribuables, ce qui représente de 100 millions à 150 millions d’euros.

Vous le voyez, monsieur le sénateur, il s’agit donc d’une sollicitude qui coûte cher aux banques !

M. Richard Yung n’est pas d’accord avec moi quand j’affirme que la proposition de résolution arrive à contretemps. Tous les arguments que j’ai avancés prouvent pourtant que j’ai raison. Soit les dispositifs que vous proposez sont déjà mis en œuvre, soit ils le seront très prochainement dans la prochaine directive européenne.

Prenons un exemple. Vous exigez aujourd'hui la mise en place de règles afin d’encadrer la rémunération des opérateurs de marché.

Le Gouvernement a déjà obtenu l’adoption de telles règles par le G 20 en ce qui concerne les bonus et les rémunérations. Tous les pays du G 20 se sont ralliés à la demande française, et le G 20 a approuvé les règles proposées par le Conseil de stabilité financière, qui prévoit un encadrement des rémunérations, l’interdiction de bonus garantis et le paiement différé, et en actions, d’une partie substantielle de la rémunération. Tout cela figure déjà dans la directive européenne.

Enfin, sur le plan national, le Gouvernement n’en est plus au stade des propositions, mais il publiera dans les prochains jours un arrêté afin d’inscrire dans notre droit les règles du G 20.

Mme Nicole Bricq. Nous le lirons attentivement !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Il va vous falloir patienter seulement quelques jours, madame la sénatrice !

M. Richard Yung, s’inspirant de ce qui s’est fait aux États-Unis, propose de séparer les activités de spéculation des activités de crédit.

Cependant, rien dans votre proposition d’aujourd'hui ne reflète cette orientation. C’est même plutôt le contraire !

Nous, en revanche, nous établissons cette distinction, puisque nous proposons d’augmenter les exigences de fonds propres pour les activités risquées et nous ne prévoyons pas de restreindre l’accès au crédit.

Mme Nicole Bricq. Nous non plus ! Vous avez mal lu notre proposition !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Nous avons demandé la multiplication par trois des exigences de fonds propres sur les activités de trading, car nous voulons moins de spéculation et plus de crédits en faveur des entreprises et des ménages.

Pour terminer, je me félicite des propos de M. Bourdin. (Murmures ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Nicole Bricq. Il n’a rien dit !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Ils rejoignent très largement la position du Gouvernement, ce qui prouve la solidité de la majorité et le soutien qu’elle apporte aux propositions gouvernementales.

Je félicite également M. le rapporteur de la finesse de ses analyses, et je le remercie d’avoir exposé, comme j’ai tenté de le faire après lui, les raisons pour lesquelles il ne faut pas adopter la proposition de résolution dont nous débattons aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Sur la proposition de résolution européenne, je n’ai été saisi d’aucun amendement.

Vote sur l’ensemble

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution européenne portant sur la proposition de directive du 13 juillet 2009 relative aux exigences de fonds propres pour le portefeuille de négociation et pour les retitrisations, et la surveillance prudentielle des politiques de rémunération (E 4632)
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de résolution européenne, je donne la parole à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, il s’agira plus d’un rappel au règlement que d’une explication de vote !

La réforme de la Constitution était censée ouvrir au Parlement un espace de dialogue et lui apporter un droit d’initiative en ce qui concerne les débats.

Or, chaque fois que le groupe socialiste ou le groupe CRC-SPG présente une proposition de loi, les travées de la majorité sont quasi désertes !

La réforme de la Constitution trouve donc ici ses limites.

M. Joël Bourdin. Nous sommes là !

M. Robert del Picchia. Et nous alors ?

Mme Nicole Bricq. Je ne parle pas des collègues présents, notamment de ceux qui viennent d’arriver !

M. Philippe Marini, rapporteur. On ne peut parler qu’aux présents ! (Sourires sur les travées de lUMP.)

Mme Nicole Bricq. Le sujet dont nous discutons ce matin est essentiel, puisqu’il concerne toute la société française. Il est dommage de l’inscrire à l’ordre du jour de notre assemblée, puis de refuser d’en débattre.

J’ajoute que l’intervention du groupe UMP – M. Bourdin n’est pas personnellement en cause – n’a rien apporté au fond du débat, ce qui est regrettable. (M. Joël Bourdin s’exclame.)

Le groupe socialiste ne manquera pas de se poser la question de sa participation à de telles séances. Pourquoi continuerions-nous à proposer des sujets de débat aussi importants s’ils ne trouvent aucun écho ?

On nous a dit que le moment était mal choisi, etc. Nous avons essayé de prouver le contraire.

On peut ne pas être d’accord sur l’opportunité d’un texte, mais il faut que tous les groupes débattent sur le fond, faute de quoi la réforme constitutionnelle perdra tout sens. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. Ma chère collègue, je transmettrai au président du Sénat vos remarques afin qu’elles nourrissent une réflexion plus globale sur les semaines de contrôle et les semaines d’initiative sénatoriale.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Marini, rapporteur. Le propos tenu par notre collègue Mme Nicole Bricq doit nous inciter, sur toutes les travées de l’hémicycle, à nous poser des questions.

Il est de notre devoir de bien utiliser les espaces de temps parlementaire qui nous sont réservés : il en va de la crédibilité du Parlement et des groupes politiques. Le sujet soulevé est donc extrêmement sérieux, et il ne saurait être écarté d’un revers de main.

Mes chers collègues, nous avons le choix entre deux comportements.

Soit nous décidons d’utiliser ces temps parlementaires pour élaborer des textes, pour définir des rédactions et pour les inscrire dans le droit positif. Il nous faudra alors tous accepter des compromis et nous atteler à un vrai travail sur les textes. C’est d’ailleurs ce que nous faisons, souvent dans l’obscurité, à l’occasion de l’examen de nombreux projets de loi et propositions de loi. C’est un travail ingrat, car trouver des compromis suppose par définition quelques sacrifices de part et d’autre par rapport aux positions d’origine.

Soit nous voulons afficher en toute lisibilité, à l’égard de l’extérieur, des thèses. C’est ce que le groupe socialiste a fait en déposant cette proposition de résolution européenne, et c’est parfaitement légitime.

Dès lors que vous voulez être lisibles, dès lors que vous souhaitez porter une initiative, non pour qu’elle s’intègre dans le droit positif mais pour qu’elle fasse évoluer les choses de manière structurelle, vous quittez la logique du dialogue qui conduit à l’élaboration d’un texte puisque tout compromis affaiblirait votre démarche.

De la même manière, toute recherche d’une synthèse nous mettrait en contradiction avec les principes et avec la vision de l’économie qui sont les nôtres.

À la vérité, vous partez du système financier et des règles prudentielles, et vous souhaitez, ce qui est une noble ambition, définir un nouveau droit des rémunérations de l’encadrement des entreprises.

Mme Nicole Bricq. Cela en fait partie !

M. Philippe Marini, rapporteur. C’est aussi ça qui est en jeu, et pas seulement le secteur financier !

Notre collègue M. Richard Yung a en effet bien montré, tout à l’heure, quelle était votre logique, laquelle est respectable en tant que telle.

M. Alain Gournac. Mais ce n’est pas la nôtre !

M. Philippe Marini, rapporteur. Mais c’est une logique politique,…

Mme Nicole Bricq. Et la vôtre, elle est quoi ?

M. Philippe Marini, rapporteur. … et il n’est pas possible que nous nous retrouvions en elle.

En effet, la plupart d’entre nous considèrent qu’il ne revient pas à l’État de définir une échelle des rémunérations dans les entreprises privées. Il n’a aucune légitimité pour fixer l’écart maximum entre les plus hautes et les plus basses rémunérations.

Certains modes d’organisation sociale ont mis le conducteur de tracteur et le professeur d’université sur la même échelle. Je ne vous ferai pas l’injure de supposer que vous vous retrouvez sur ces schémas d’autrefois, qui avaient néanmoins le mérite de la clarté ! Après tout, il se trouve encore des gens pour être les héritiers de ces idéologies, notamment dans les pays qui ont connu des organisations politiques de cette nature.

Quoi qu’il en soit, pour en revenir au texte qui nous occupe ce matin, je rappelle que vous n’avez pas voulu, en commission, entrer dans un travail d’amendements qui aurait permis d’aboutir à une proposition de synthèse : c’était possible, car il existe un large tronc commun – M. le secrétaire d'État l’a dit très justement – entre vos propositions et ce qui figure déjà dans les documents faisant l’objet d’un consensus entre nous.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.

M. Philippe Marini, rapporteur. Nous aurions pu amender le texte et aboutir à une rédaction commune ; nous y étions prêts.

Mme Nicole Bricq. Nous aussi !

M. Philippe Marini, rapporteur. Vous ne l’avez pas souhaité, préférant arriver en séance sous le feu des nombreux projecteurs, devant une assistance fournie (Protestations sur les travées du groupe socialiste.), avec toute la pureté de votre vision de la politique des rémunérations.

M. le président. Monsieur le rapporteur, vous avez épuisé votre temps de parole !

M. Philippe Marini, rapporteur. Pour ces raisons, je ne peux que persister dans la recommandation que la commission des finances a émise tout à l’heure. Et, avec l’accord du président de la commission des finances, je demande un vote par scrutin public.

M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, pour explication de vote.

M. Jean Arthuis. La grande majorité du groupe de l’Union centriste suivra la position de la commission des finances, ceux de mes collègues qui sont membres de la commission des affaires européennes se ralliant à l’avis qu’a exprimé cette dernière.

En ce qui concerne les nouveaux exercices de la vie sénatoriale, je suis pleinement d’accord M. le rapporteur. Il y a un choix fondamental à faire. Soit ces fenêtres sont pour nous l’occasion d’exprimer les positions de fond des groupes, et nous acceptons la règle qui prévaut en matière de vote, soit nous essayons de nous extraire de nos visions quelquefois dogmatiques et de nos tabous habituels, qui nous conduisent parfois à des exercices quelque peu caricaturaux.

Si nous sommes prêts à entrer dans une démarche législative qui fasse justice des considérations partisanes, nous pourrons progresser. Mais si chacun veut pouvoir conserver en séance publique la pureté de la position qu’il avait adoptée lors du dépôt de sa proposition de loi ou de résolution, nous continuerons à rencontrer les mêmes difficultés que ce matin.

Nous devons donc procéder, dès aujourd’hui, à l’évaluation de ces nouveaux dispositifs, qu’il s’agisse de la semaine réservée au contrôle ou de la semaine d’initiative sénatoriale. En fonction de cette évaluation, nous pourrons adapter notre pratique pour la rendre plus constructive ; car il n’est pas démontré qu’elle le soit aujourd’hui.

Quoi qu’il en soit, le débat de ce matin sur les rémunérations conserve tout son intérêt. On pourrait par exemple s’interroger sur la pratique des « retraites chapeau », qui ne me paraît pas exactement conforme aux préconisations des organisations patronales, selon lesquelles les rémunérations exceptionnelles doivent être attribuées en fonction des performances de l’entreprise. Or il n’est pas démontré que leurs bénéficiaires, lorsqu’ils prennent leur retraite, soient encore en phase avec les performances de l’entreprise. Ce constat devrait nous conduire à prohiber une telle pratique.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, pour explication de vote.

M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le président, mon explication de vote sera aussi une réponse à M. le rapporteur.

Il est clair que le groupe socialiste adoptera cette proposition de résolution européenne.

M. Robert del Picchia. Il la votera !

M. Jean-Marc Todeschini. Excusez-moi ! J’oubliais que, la majorité étant présente par l’artifice du scrutin public, notre proposition serait repoussée !

Notre collègue Nicole Bricq a soulevé tout à l’heure de vrais problèmes de fond. On nous avait dit que la révision constitutionnelle de 2008 permettrait d’améliorer le travail parlementaire. Or force est de constater que l’on nous occupe, effectivement, mais que la réalité du travail parlementaire ne s’est pas améliorée !

Je suis d’accord avec les propos de M. le rapporteur et de M. le président de la commission des finances. Mais il ne s’agit pas d’entrer dans la voie de la compromission, car les compromis sont faciles à trouver, et chacun peut défendre la pureté de ses analyses. Mais si le travail parlementaire se résume à laisser parler les orateurs sans tenir compte de leurs propos, il faut effectivement réviser le fonctionnement de cette semaine d’initiative sénatoriale. Il est trop facile pour nos collègues de la majorité de faire « trois petits tours et puis s’en vont », de se contenter d’arriver au moment du vote pour demander un scrutin public ! La qualité du travail parlementaire n’en est pas améliorée.

M. Jean Arthuis. On pourrait remettre en cause la procédure du scrutin public !

M. le président. Sans prolonger indûment le débat ni prendre parti, mes chers collègues, je me permets d’intervenir, puisque j’ai un peu participé à la rédaction de notre règlement et que je suis censé veiller à la manière dont il est appliqué.

Lors de nos travaux préparatoires, la volonté de l’ensemble du groupe de travail s’est clairement exprimée : il a souhaité permettre à la fois l’expression de la position des auteurs des propositions de loi sans que celles-ci soient dénaturées et, dans l’hypothèse où la commission procéderait à un deuxième examen du texte, le dépôt d’amendements.

La proposition de loi ou de résolution peut donc être discutée en séance publique sans qu’aucun amendement soit déposé, mais il est aussi possible de présenter un texte qui conserve sa cohérence, puis de l’amender en séance publique.

Quoi qu’il en soit, je pense que nous serons amenés à reprendre ce débat.

J’en reviens à la proposition de résolution européenne.

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix la proposition de résolution européenne.

Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant de la commission des finances et du groupe de l’UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 8 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Majorité absolue des suffrages exprimés 171
Pour l’adoption 155
Contre 185

Le Sénat n’a pas adopté.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de résolution européenne portant sur la proposition de directive du 13 juillet 2009 relative aux exigences de fonds propres pour le portefeuille de négociation et pour les retitrisations, et la surveillance prudentielle des politiques de rémunération (E 4632)
 

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Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions relatives au financement des régimes d'assurance vieillesse des fonctions publiques hospitalière et territoriale
Discussion générale (suite)

Assurance vieillesse des fonctions publiques hospitalière et territoriale

Adoption d’une proposition de loi

(Texte de la commission)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions relatives au financement des régimes d'assurance vieillesse des fonctions publiques hospitalière et territoriale
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant diverses dispositions relatives au financement des régimes d’assurance vieillesse des fonctions publiques hospitalière et territoriale, présentée par M. Claude Domeizel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 598 rectifié bis, 2008-2009 ; nos 33 et 32, 2009-2010).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de loi.

M. Claude Domeizel. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le paysage de nos retraites se compose de pas moins de trente-cinq régimes obligatoires, qu’ils soient de base ou complémentaires. Il n’est donc pas étonnant que nos concitoyens aient parfois du mal à s’y retrouver !

Parmi ces trente-cinq régimes, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL – je n’ai pas besoin de la présenter longuement ici ! – assure le versement des retraites à plus de 930 000 pensionnés des fonctions publiques territoriale et hospitalière.

Peut-être dois-je tout de même éclairer notre assemblée en rappelant quelques caractéristiques de ce régime, qui est le troisième en importance après le régime général et celui des agents de l’État.

Au début de cette année, la CNRACL comptait 2 036 000 actifs et 932 000 retraités. Son ratio démographique, de 2,18 actifs pour un retraité, est donc toujours favorable du point de vue de son équilibre financier. Mais ce constat ne doit pas masquer la réalité : comme tous les régimes, la CNRACL connaît une dégradation lente mais permanente de ce ratio, qui a atteint son sommet dans les années 1980 avec 4,5 actifs pour un retraité.

Diverses dispositions, telles que le transfert de personnels de l’État dans le cadre de la décentralisation, la compensation entre régimes spéciaux, voire les exonérations de contribution des centres communaux d’action sociale et des centres intercommunaux d’action sociale, les CCAS et les CIAS, ont eu une incidence sur l’équilibre des comptes du régime. La présente proposition de loi a pour objet de neutraliser leurs effets et de clarifier les relations financières entre l’État et le régime de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers.

Le groupe socialiste, apparentés et rattachés considère également qu’il est indispensable de préparer l’avenir, car, dès 2018, l’équilibre financier de la caisse de retraite des fonctionnaires hospitaliers et territoriaux sera rompu négativement.

Pour une meilleure compréhension, il me paraît indispensable de dresser un historique et un bilan de la participation de la CNRACL à la solidarité intergénérationnelle entre régimes.

À cet instant, permettez-moi de rappeler que le système de retraite par répartition est fondé sur la solidarité entre les actifs et les retraités. Néanmoins, pour tenir compte de l’évolution des secteurs d’activité, la solidarité doit aussi s’exercer entre régimes organisés sur le principe de la répartition au sein d’un groupe socioprofessionnel. En effet, les évolutions socio-économiques que le pays a vécues depuis la Seconde Guerre mondiale ont bouleversé le paysage en fonction duquel s’étaient établis les grands principes qui sous-tendent le fonctionnement des régimes de retraite par répartition. Il résulte de ces mutations que certains de ces régimes, comme celui des mines, ont éprouvé, avec le temps, de plus en plus de difficultés pour assurer l’équilibre de gestion que suppose le principe de répartition.

C’est la raison pour laquelle la loi du 24 décembre 1974, relative à la protection sociale commune à tous les Français, a institué une compensation financière destinée à remédier aux déséquilibres démographiques qui se faisaient jour tant entre les régimes d’assurance vieillesse des salariés qu’entre les régimes des salariés et ceux des non-salariés. Cette compensation généralisée entre régimes de retraite de base a pour objet de corriger, dans le respect de l’autonomie des régimes de protection sociale, les déséquilibres de financement provoqués par les mutations socio-économiques que je viens d’évoquer. Fondée sur la pension la plus basse, celle du régime agricole, elle s’est en fait traduite, pour la CNRACL, par un prélèvement atteignant jusqu’à 1,5 milliard d’euros par an, soit 34 milliards d’euros depuis 1975.

Mais venons-en au deuxième étage de la fusée : la célèbre et tant décriée « surcompensation ».

La loi de finances pour 1986 a posé le principe d’une compensation complémentaire interne aux régimes spéciaux d’assurance vieillesse, censée renforcer les mécanismes de solidarité entre ces régimes, qui était fondée sur le montant de la pension moyenne versée par ces régimes. En fait, il s’agissait tout simplement de venir puiser environ 4 milliards de francs de l’époque dans les réserves de la CNRACL.

Cependant, le résultat, issu de calculs complexes, étant nettement supérieur aux 4 milliards de francs attendus, la contribution de la CNRACL fut pondérée, dès 1986, par un coefficient réducteur de 22 %. Depuis cette date, c’est un simple décret qui fait varier ce coefficient, qui fut porté jusqu’à 38 % de 1993 à 2000. La surcompensation fut, en quelque sorte, une pompe très efficace dont la puissance d’aspiration dépendait d’un décret annuel !

Les prélèvements annuels ont atteint jusqu’à 1,5 milliard d’euros, soit plus de 27 milliards depuis 1986. Si on y ajoute la compensation généralisée, la CNRACL, c’est-à-dire le budget des hôpitaux, donc de la sécurité sociale, et des collectivités territoriales, donc de la fiscalité locale, a, depuis 1975, contribué pour plus de 61 milliards d’euros à la solidarité entre régimes.

M. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales. C’est fou !

M. Claude Domeizel. Par nécessité plus que par générosité, la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites a programmé la disparition de la compensation spécifique à compter du 1er janvier 2012.

Certes, c’est un décret annuel qui doit fixer la réduction progressive. Il nous est cependant apparu indispensable que la loi pose des balises, et l’exemple de l’année 2009, qui a vu la réduction progressive stoppée, nous y incite. Il est donc proposé à l’article 1er du présent texte que, pour les exercices 2010 et 2011, cette réduction ne soit pas inférieure à cinq points.

J’ai été un peu long dans la présentation de cette première partie : au moment où la surcompensation va disparaître, je n’ai pas résisté à l’envie de rappeler ce qu’aura été, pendant vingt-cinq ans, un système injuste, dénoncé et vainement combattu par l’ensemble des élus locaux.

Ce dispositif opaque et difficile à comprendre, relevant d’une décision discrétionnaire, a entraîné une hausse de la contribution employeur, et donc de l’impôt local. Le comble fut atteint lorsque la CNRACL, nettement excédentaire, dut emprunter pour faire face, en plus du versement des pensions – c’était la moindre des choses ! –, aux exorbitantes obligations liées à la compensation et à la surcompensation.

Venons-en maintenant aux fonctionnaires transférés de l’État vers les conseils généraux et régionaux, c’est-à-dire les personnels techniciens, ouvriers et de service, ou TOS, et les personnels des directions départementales de l’équipement. Dans la loi du 13 août 2004, il était envisagé, sans trop de précisions, de reporter à plus tard la résolution de cette question.

Combien sont ces fonctionnaires ? À ce jour, un peu plus de 102 000  ont été transférés vers les collectivités locales, dont 79 000 – une grande majorité, donc – ont choisi d’être intégrés. Pour la CNRACL, ces 79 000 intégrations ne sont pas marginales puisqu’elles représentent 6,5 % des fonctionnaires territoriaux et 4 % de l’ensemble des actifs de la caisse. Les autres fonctionnaires, au nombre de 23 000, sont dans une situation de détachement. Ils conservent donc leur droit à retraite au service des pensions de l’État.

Nous examinerons successivement les conséquences financières liées à ces deux catégories : les fonctionnaires intégrés et les fonctionnaires détachés.

La moyenne d’âge des 79 000 fonctionnaires intégrés est de quarante-sept ans, ce qui laisse présager des départs significatifs à la retraite aux environs de 2018. Toutefois, leur taux de féminisation – un peu plus de 50 % pour les plus âgés – est susceptible d’avancer dans le temps plusieurs vagues de départs massifs par l’application des pensions à jouissance immédiate. Celles-ci concernent les agents qui sont parents d’au moins trois enfants et ont accompli quinze ans de service.

Pour ces 79 000 fonctionnaires, mais aussi pour ceux qui seront intégrés ultérieurement, quatre solutions se présentaient aux pouvoirs publics.

La première était le rétablissement, à chaque départ à la retraite, des charges revenant à chacun des deux régimes. Un travail de bénédictin difficile à réaliser !

La deuxième solution consistait dans le versement par l’État d’une soulte à la CNRACL, avec le risque de voir ladite soulte disparaître des comptes de la caisse par le biais de la compensation. Quand je parlais de pompe aspirante... (Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales, et M. Dominique Leclerc, rapporteur, rient.)

La troisième solution était de ne rien faire, ce qui, à long terme, se traduirait par une nouvelle iniquité flagrante au détriment de la CNRACL.

Enfin, la quatrième solution consistait à assurer la neutralité financière des transferts entre le compte d’affectation spéciale des pensions de l’État et la CNRACL.

C’est ce dernier dispositif qui figure dans la proposition de loi. Il prendrait effet à compter du 1er janvier suivant la promulgation du texte.

Pour ce groupe de fonctionnaires intégrés, que je qualifierai de « fermé », et jusqu’au départ à la retraite du dernier d’entre eux, le dispositif se traduira, d’une part, par un reversement à l’État des cotisations perçues par la CNRACL pour ces fonctionnaires et, d’autre part, par un remboursement par l’État des pensions de droit direct et de droit dérivé versées par la CNRACL.

Dans un premier temps, ces transferts seront profitables à l’État puisque le montant des cotisations reversées sera supérieur à celui des « prestations retraite » remboursées par l’État. Toutefois, et compte tenu des projections disponibles, le point d’équilibre financier de la CNRACL devrait être atteint dans les dix ou quinze années à venir, ce qui se traduira alors par une inversion des flux. Les modalités d’application de cet article sont renvoyées à une convention qui devrait être conclue entre l’État et la CNRACL.

Pour la seconde catégorie des transferts, les fonctionnaires en position de détachement, le taux de la contribution employeur est celui du régime des pensions civiles pour les fonctionnaires de l’État, soit 60,14 % à compter du 1er janvier 2009. Il était de 39,5 % en 2007 et de 50 % en 2008 : les cotisations fictives de l’État sont en progression !

Pour ces agents « décentralisés » qui ont opté pour le détachement, il est donc proposé de limiter le taux de la cotisation employeur au taux applicable à la CNRACL, soit 27,3 %. Cela nous paraît logique, car, lorsqu’une collectivité locale accueille des fonctionnaires de l’État en détachement dans les conditions de droit commun et sur la base du volontariat, elle s’engage en toute connaissance de cause, notamment, à verser à l’État une contribution patronale au taux le plus fort. Mais, dans le cas du détachement lié à la décentralisation, c’est le fonctionnaire qui a choisi, et non l’employeur.

Enfin, l’occasion nous est donnée grâce à la proposition de loi d’aborder à nouveau la problématique des centres communaux et intercommunaux d’action sociale, qui bénéficient depuis 1999 d’une exonération de la cotisation patronale d’assurance vieillesse. Cette exonération concerne certains de leurs fonctionnaires en contrepartie des tâches que ceux-ci effectuent au domicile de personnes bénéficiaires de prestations d’aide ménagère.

Afin d’éviter toute confusion sur le champ d’application de cette mesure, il est proposé à l’article 3 de préciser que l’exonération n’est possible qu’au titre des seuls fonctionnaires relevant du cadre d’emploi des agents sociaux. Faut-il ajouter que le montant des cotisations vieillesse ainsi exonérées au détriment de la CNRACL s’élevait à plus de 154 millions d’euros depuis la mise en œuvre du dispositif, en 1999 ?

L’article 3 a également pour objet d’instaurer une compensation intégrale de cette exonération au profit de la CNRACL.

Avant que je ne termine, vous me permettrez, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, d’attirer votre attention sur deux points qui, sans être directement liés à la proposition de loi, n’en concernent pas moins les retraites des agents chargés d’un service public.

Le premier a trait au projet de loi relatif à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales, que nous examinerons la semaine prochaine. Comme le transfert de personnels de l’État vers les collectivités locales, sujet que nous venons d’aborder, ce projet de loi aura des conséquences désastreuses – je dis bien : désastreuses – pour l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques, l’IRCANTEC, si les agents sont transférés vers l’Association générale des institutions de retraite des cadres, l’AGIRC, ou vers l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés, l’ARRCO. Le groupe socialiste présentera d’ailleurs un amendement visant à préserver l’avenir de l’IRCANTEC.

Le second point que je souhaitais aborder concerne trois décrets pris pendant la dernière période estivale, le 26 août 2009 précisément, dont l’objet est de porter création et organisation du service des retraites de l’État et d’instituer un comité de coordination stratégique en matière de retraites de l'État. Faut-il comprendre ces décrets, madame la secrétaire d'État, comme les prémices d’un véritable régime de retraite pour les fonctionnaires de l’État ? Le gouvernement que vous représentez ici a-t-il l’intention de créer, à plus ou moins long terme, un régime de retraite unique pour l’ensemble des fonctionnaires ? Car, je le rappelle, ces derniers n’ont pas de caisse de retraite et sont inscrits au Grand Livre de la dette publique !

Votre réponse, madame la secrétaire d'État, est susceptible d’intéresser non seulement les parlementaires, mais également tous les fonctionnaires, les collectivités locales et les hôpitaux, car une telle disposition aurait sur la cotisation patronale des conséquences que je vous laisse imaginer ! Je vous en rappelle les taux : de l’ordre de 60 % pour les agents transférés et de 27 % pour les agents détachés !

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, vous mesurerez l’importance de la présente proposition de loi, qui tend notamment à clarifier les relations financières entre l’État et les collectivités territoriales. Vous comprendrez également que la solution proposée pour régler les flux financiers entre l’État et la CNRACL, d’une part, et la disparition de la surcompensation, d’autre part, sont étroitement liées. Il y va des bonnes – ou du moins de meilleures – relations entre l’État et les collectivités locales ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales est l’un des principaux régimes spéciaux de sécurité sociale – nous le savons tous, et plus encore son président, notre excellent collègue Claude Domeizel !

En 2008, la CNRACL assurait, grâce aux cotisations versées par un peu plus de deux millions d’actifs cotisants, le paiement des retraites d’environ 900 000 pensionnés, dont 480 000 relevaient de la fonction publique territoriale et les 420 000 autres de la fonction publique hospitalière.

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise vise à préserver l’équilibre financier de la CNRACL, à l’heure où celle-ci est confrontée à deux évolutions qui affectent sensiblement et durablement ses comptes.

La première évolution tient aux mutations démographiques en cours depuis une vingtaine d’années. Comme l’ensemble des régimes de retraite, le régime des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers connaît, sous l’effet du vieillissement de la population, une dégradation continue de son ratio démographique – le rapport entre cotisants et pensionnés –, ce qui entraîne une progression plus rapide des charges de prestations : 8 % en 2008, que des produits de cotisations : 5 % la même année.

La seconde évolution est liée aux transferts de personnels opérés dans le cadre de la décentralisation. La mise en œuvre des transferts de compétences aux collectivités territoriales prévus par l’« acte II » de la décentralisation a en effet pour corollaire l’intégration massive d’agents de l’État dans la fonction publique territoriale, intégration qui se traduit par un afflux à la CNRACL de nouveaux affiliés qui sont non seulement les cotisants d’aujourd’hui, mais aussi les pensionnés de demain.

Les projections financières sont donc particulièrement inquiétantes. Durant la période 2020-2050, le solde de la caisse ne cessera de se dégrader, même s’il semble qu’il doive rester positif jusqu’en 2018 ou 2019. Le déficit atteindrait 1,1 milliard d’euros en 2020 et 11,3 milliards d’euros en 2050. Et encore peut-on craindre que ces prévisions ne soient trop optimistes, car elles ont été élaborées par le COR, le Conseil d’orientation des retraites, en 2007, à partir d’hypothèses de taux de chômage et de productivité du travail rendues caduques par la crise économique. De nouvelles projections du COR devraient prochainement revoir ces déficits à la hausse.

Fortement menacé à moyen et à long terme, l’équilibre des comptes de la CNRACL l’est aussi à plus brève échéance en raison de l’incidence financière de certains dispositifs, telles la surcompensation entre régimes spéciaux ou les exonérations de cotisations patronales dont bénéficient les centres communaux et intercommunaux d’action sociale, les CCAS et les CIAS.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet de remédier à l’ensemble de ces difficultés. Elle vise, d’une part, à neutraliser les effets financiers des mesures évoquées et, d’autre part, à régler la question de la compensation financière des transferts de personnels entre l’État et la CNRACL, dans le cadre de la deuxième vague de décentralisation.

La commission des affaires sociales, qui, bien sûr, est consciente que l’équilibre financier de la caisse est précaire, souscrit pleinement à ce double objectif. Elle apporte particulièrement son soutien à trois mesures.

Tout d’abord, elle est favorable à la poursuite de la diminution du taux de recouvrement de la surcompensation, afin que le dispositif puisse s’éteindre en 2012, conformément à ce que nous avions décidé dans la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites.

Ensuite, elle approuve le rétablissement du champ d’application initial de l’exonération de la cotisation patronale d’assurance vieillesse sur les rémunérations des aides à domicile employées par les CCAS et les CIAS. Elle y est d’autant plus favorable que cette mesure figure à l’article 18 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, que nous examinerons prochainement.

Enfin, elle partage le souci d’instaurer un dispositif de neutralisation des effets financiers des transferts de personnels entre l’État et la CNRACL, dispositif dont le mécanisme, je le précise, est repris à l’article 27 du projet de loi de finances pour 2010.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, nous estimons que le texte qui nous est soumis répond à un certain nombre de préoccupations justifiées. Pour autant, trois des points qu’il contient ne reçoivent pas le plein assentiment de la commission.

En premier lieu, l’article 1er, relatif à la diminution du taux de recouvrement de la surcompensation, relève à ses yeux du domaine réglementaire et non pas législatif.

En deuxième lieu, il lui semble que les collectivités territoriales n’ont pas intérêt à revenir, comme il est prévu à l’article 2, sur les modalités de compensation pour les agents détachés, au risque d’une révision complète des modalités financières de compensation dont les conséquences, à terme, seraient défavorables aux employeurs locaux.

Enfin, l’instauration, à l’article 3, d’une compensation intégrale de l’exonération de cotisation patronale au bénéfice des CCAS et des CIAS nous paraît peu opportune dans le contexte actuel des finances publiques. Elle représenterait en effet une charge supplémentaire pour l’État, alors que celui-ci est déjà soumis à une forte contrainte financière.

Cela étant, afin de respecter le souhait de l’auteur du texte de voir celui-ci débattu en l’état en séance publique et pour bien montrer que, à défaut de soutenir toutes ses propositions, elle partage son diagnostic, la commission a adopté la proposition de loi sans y apporter de modification, tout en faisant valoir les réserves qu’elle lui inspire.

Elle s’en remettra donc au vote du Sénat sur les différents amendements que nous nous apprêtons à examiner. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés. Monsieur Domeizel, votre proposition de loi marque la conclusion des échanges constructifs qui ont été conduits en 2009 entre l’État et vous-même, en votre qualité de président de la Caisse nationale de retraite des agents de collectivités locales, la CNRACL.

Ces échanges, dont la conclusion s’est également traduite par une lettre de mon collègue Eric Woerth qui vous a été adressée au début du mois d’octobre, visaient à trouver une issue consensuelle sur deux points particulièrement importants.

Le premier de ces points est relatif aux conséquences sur les régimes de retraite de la CNRACL et de l’État de la seconde vague de la décentralisation, qui a conduit à transférer aux collectivités locales non seulement certaines compétences, mais également les 110 000 fonctionnaires qui les exerçaient.

Les personnels transférés bénéficient de la possibilité d’intégrer la fonction publique territoriale. De fait, ils ont opté massivement pour cette intégration puisque 75 % d’entre eux l’ont choisie et sont donc désormais affiliés au régime de retraite non plus de l’État, mais de la CNRACL. Celle-ci bénéficie maintenant de leurs cotisations, et aura à verser leurs droits à retraite.

La CNRACL, qui estimait depuis plusieurs années que ces modalités lui étaient préjudiciables à long terme, demandait une compensation de l’État. Pour sa part, l’État considérait également que ces modalités, qui rompaient avec le principe d’un régime par répartition, lui étaient préjudiciables : il perdait le bénéfice des cotisations de ces fonctionnaires tout en conservant à sa charge le paiement des pensions en cours. Ainsi, depuis plusieurs années, les experts s’affrontent, se livrant à une bataille de chiffres.

Tout comme le Gouvernement, vous avez souhaité, monsieur Domeizel, sortir de ce différend par le haut. Naturellement, au cours de nos échanges, une solution a émergé. Plutôt que de chercher à compenser entre les régimes de retraite concernés les effets de ces transferts, ce qui aurait impliqué de déterminer – tâche impossible ! – un perdant et un gagnant, il s’agit tout simplement de revenir à la situation financière antérieure : les droits à retraite des fonctionnaires décentralisés ayant opté pour la fonction publique territoriale resteront à la charge du régime de retraite des fonctionnaires de l’État ; en contrepartie, la CNRACL reversera à l’État le produit de leurs cotisations. Elle conservera uniquement la gestion de ces agents, puisqu’ils sont fonctionnaires territoriaux.

Cette modalité est neutre pour toutes les parties : pour les agents, puisque les règles de retraite sont similaires dans les deux fonctions publiques ; pour les employeurs territoriaux, dont le taux de cotisation reste inchangé ; enfin, pour la CNRACL et l’État, qui trouvent là une solution consensuelle correspondant à la situation antérieure à 2004.

En pratique, la CNRACL établira le solde des cotisations et des prestations au titre de la population concernée. S’il est positif, elle reversera l’excédent au compte d’affectation spéciale Pensions ; s’il est négatif, ce dernier versera le montant nécessaire à l’équilibre de la CNRACL.

Ce dispositif durera plusieurs décennies puisqu’il ne s’éteindra qu’au décès du dernier ayant droit des fonctionnaires décentralisés.

Par conséquent, les modalités de suivi de ce dispositif devront être arrêtées d’ici à la fin de l’année. Elles devront être incontestables, transparentes et « auditables ».

Parallèlement au dépôt de cette proposition de loi, le Gouvernement a souhaité intégrer cette mesure dans le projet de loi de finances pour 2010 afin que le dispositif puisse être mis en œuvre dès le 1er janvier 2010.

Le second point résolu est celui de la suppression de la compensation spécifique, communément appelée « surcompensation ». Il s’agit là d’une mesure fort attendue par la CNRACL, pour laquelle la surcompensation représente une charge importante. Le principe en a été acté en 2003 dans la loi portant réforme des retraites.

En pratique, cette suppression induit une charge élevée pour l’État. En effet, la compensation spécifique représentant une ressource importante pour plusieurs régimes spéciaux, sa disparition oblige l’État à majorer ses subventions d’équilibre. En 2009, la difficile situation budgétaire de l’État, conjuguée aux effets de la décentralisation, a conduit à stabiliser le taux de la compensation à 12 %.

Le Gouvernement est reconnaissant au président de la CNRACL que vous êtes, monsieur Domeizel, d’avoir accepté cette stabilisation. Il n’en a pas moins pour objectif, tout comme vous, de parvenir à la suppression de la compensation spécifique.

Ainsi, la mise en œuvre, à compter de 2010, de la neutralisation des effets de la décentralisation permettra, malgré la persistance d’une situation budgétaire dégradée de l’État, de réenclencher la suppression progressive de la compensation. Il est important que, conformément à la volonté du législateur, cette suppression soit effective en 2012.

Le Gouvernement a retenu une baisse linéaire du taux de la compensation spécifique de 4 points par an. Nous savons que vous souhaitez instaurer un rythme plus rapide, mais l’État ne peut souscrire à une telle proposition en l’état actuel de la situation.

Il est vrai que la CNRACL pourrait être en déficit l’année prochaine, à l’image de la plupart des régimes de sécurité sociale.

Le rythme retenu permet de clore un dispositif qui, depuis 1987, a suscité de fortes réserves, voire une opposition de la part des instances du régime que vous présidez, monsieur Domeizel.

Au total, deux grands dossiers étaient source de difficultés depuis plusieurs années. Les discussions constructives qui ont été engagées nous ont permis de trouver ensemble une solution favorable. Le résultat est donc là !

Au-delà des relations financières entre les régimes de retraite, nous devrons principalement trouver ensemble les modalités permettant d’assurer la pérennité de notre système de retraite. Le rendez-vous de l’année 2010 sera, à ce titre, déterminant pour le devenir de notre système social.

Je souhaite maintenant revenir sur les deux questions qui m’ont été posées.

La première concerne, dans le cadre du changement de statut de La Poste, l’affiliation des agents contractuels de l’entreprise à l’IRCANTEC. Cette question est en cours d’examen. En effet, le Gouvernement ne souhaite pas déstabiliser l’IRCANTEC, qui a été réformée l’année dernière. Par ailleurs, le changement de statut de l’entreprise ne doit en aucun cas être préjudiciable aux salariés. À ce titre, le Gouvernement a demandé aux régimes complémentaires concernés, l’IRCANTEC et l’AGIRC-ARRCO, d’examiner les modalités permettant d’éviter ces écueils.

Le second point sur lequel vous m’avez interpellée, monsieur Domeizel, a trait à la réforme du service des pensions de l’État. La révision générale des politiques publiques a conclu que la chaîne de traitement des pensions de l’État n’était pas suffisamment efficiente : le service rendu aux fonctionnaires serait moindre que celui qui est rendu aux salariés du secteur privé. Nous avons donc pris la décision d’unifier l’ensemble de la chaîne des pensions au sein d’un seul opérateur.

Ainsi, pour améliorer le service rendu et rationaliser la gestion, un service à compétence nationale a été créé au sein du ministère du budget. Cette réforme ne concerne que la gestion des pensions de l’État, et sa mise en œuvre s’échelonnera jusqu’en 2012. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant de vous faire part de mon sentiment et de celui du RDSE sur le fond de la proposition de loi portant diverses dispositions relatives au financement des régimes d’assurance vieillesse des fonctions publiques hospitalière et territoriale, je souhaitais exprimer mon étonnement quant aux reproches adressés à la commission des affaires sociales, laquelle n’a pas souhaité amender ce texte avant son passage en séance.

En effet, le texte n’a pas été modifié en commission afin que le débat en séance publique puisse avoir lieu sur la base de la proposition de loi initiale. Il aurait été facile d’écourter l’examen d’une proposition de loi composée de seulement cinq articles ! La commission en a décidé autrement, ce que certains de mes collègues ont estimé contraire à l’esprit de la révision constitutionnelle adoptée le 21 juillet 2008, au regard du rôle des commissions dans la nouvelle procédure législative.

Pour ma part, je considère au contraire que ce choix, empreint de sagesse, est conforme à l’esprit de la Constitution. Certes, je ne siégeais pas encore sur ces travées au moment de son adoption, mais il me semble que la réforme constitutionnelle vise globalement à revaloriser le rôle du Parlement et, plus spécifiquement, à améliorer la place des groupes minoritaires et d’opposition.

En permettant l’examen en séance publique de la proposition de loi de notre collègue Claude Domeizel, la commission a respecté l’initiative parlementaire, une position d’autant plus louable que celle-ci émanait de l’opposition. Cette attitude découle bel et bien de l’esprit de la Constitution révisée. Je tenais à le souligner, mes chers collègues.

La proposition de loi que nous avons donc la chance d’examiner est destinée à préserver l’équilibre financier de la Caisse nationale des agents de retraite des collectivités locales, la CNRACL. Derrière cet objectif simple se cache une équation plus difficile, dont l’enjeu est la survie de ce régime spécial dans un cadre financier de plus en plus contraint.

En effet, comme c’est le cas pour tous les régimes de la sécurité sociale, la dégradation du ratio démographique de la CNRACL, combinée à d’autres facteurs structurels, laisse entrevoir un déficit abyssal, de l’ordre de 11,3 milliards d’euros, en 2050.

La caisse est certes en équilibre aujourd’hui. Le plan de redressement élaboré en 1992, qui consistait, d’une part, à augmenter le taux de cotisation employeur et, d’autre part, à diminuer la surcompensation, avait permis de rééquilibrer les comptes, ainsi que vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur.

Malheureusement, au regard des projections, le retour à l’équilibre, amorcé en 2003 avec un excédent de 320 millions d’euros, ne va pas durer. La CNRACL bénéficie actuellement d’un effet d’aubaine lié à l’essor des effectifs des collectivités locales. Mais les cotisants sont de futurs pensionnés qu’il faudra bien prendre en charge malgré l’existence de dispositifs très pesants pour l’équilibre de la caisse – dispositifs sur lesquels la proposition de loi entend d’ailleurs agir.

Il s’agit tout d’abord de revoir la surcompensation, spécifique aux régimes spéciaux, destinée à compenser les disparités démographiques entre les régimes spéciaux et de résorber les inégalités de capacité contributive entre les assurés de ces régimes.

La surcompensation, mes chers collègues, part d’une bonne intention puisqu’elle participe du mécanisme de solidarité inter-régimes. Cependant, conduite à dose excessive, elle se retourne contre les caisses qui ont la chance d’avoir le meilleur ratio démographique. Le taux de recouvrement de la surcompensation a atteint des sommets pour la CNRACL, atteignant 38 % en 1993 ; depuis, le législateur l’a fort heureusement orienté à la baisse.

La proposition de loi a donc pour objet de mettre fin à ce mécanisme, dans le prolongement de l’article 9 de la loi portant réforme des retraites adoptée en 2003. Je crois qu’il est en effet nécessaire de mettre un terme à un dispositif trop pénalisant pour les comptes de la CNRACL.

Il est par ailleurs souhaitable de se pencher sur la question de la contribution employeur due par les collectivités territoriales pour couvrir les charges de pension des fonctionnaires de l’État détachés dans ces collectivités sans limitation de durée : c’est l’objet de l’article 2 de la proposition de loi. Toutefois, sur ce point, je m’interroge : disposons-nous de projections permettant de trouver le juste équilibre entre ce qui est bon pour la CNRACL et ce qui est bon pour les collectivités locales ?

L’article 3 vise à préciser le champ d’application de l’exonération des cotisations patronales et d’assurance vieillesse sur les rémunérations des aides à domicile employées par les centres communaux et intercommunaux d’action sociale, et à créer une compensation intégrale de cette exonération, versée directement par l’État. Le premier alinéa de cet article, nous l’avons bien compris, est plutôt consensuel, le Gouvernement l’ayant inscrit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. Nous aurons donc l’occasion d’y revenir très prochainement.

Je terminerai par un mot sur l’article 4, où est prévue la compensation par l’État des charges liées au transfert des personnels de certains de ses services aux collectivités locales. Il s’agit là de corriger une fâcheuse et récurrente tendance de l’État : profiter de la décentralisation pour se délester de charges financières. Les collectivités locales en savent quelque chose, la CNRACL aussi !

Mes chers collègues, ce régime spécial a connu une période faste. Hélas, ce n’est plus le cas. Puisqu’il rencontre les mêmes difficultés que les autres régimes, il est bien normal de neutraliser les incidences financières de dispositifs qu’il supporte difficilement aujourd’hui. Par conséquent, le RDSE est très favorable à la présente proposition de loi.

Pour conclure, mes chers collègues, je rappellerai que ce débat renvoie à celui, plus large, qui porte sur l’avenir très préoccupant de l’ensemble de notre protection sociale. Le déficit du régime général atteindra 30,6 milliards d’euros en 2010. Que va nous proposer le Gouvernement ? Un autre grand emprunt ?

À l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les radicaux de gauche veilleront très attentivement à ce que les réponses apportées ne mettent pas en péril le principe fondateur de la sécurité sociale : la solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Autain.

M. François Autain. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme chacun le sait, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL, gère la retraite des agents des collectivités territoriales ainsi que celle des fonctionnaires hospitaliers, selon un principe fondamental pour le groupe CRC-SPG, celui de la répartition.

L’excédent financier de la CNRACL constitue d’ailleurs la preuve que le système solidaire de retraite par répartition est économiquement efficace, singulièrement en période de crise du système capitaliste. Avec quelque 2 millions de cotisants pour environ 950 000 retraités, la caisse connaît en effet une situation confortable sur laquelle le Gouvernement s’appuie, j’y reviendrai ultérieurement, pour lui imposer la surcompensation.

Permettez-moi aussi de rappeler que, outre ces bons résultats, la CNRACL présente également la spécificité d’être aujourd’hui la seule caisse de retraite dont le conseil d’administration comporte en son sein des représentants des employeurs et des salariés élus, de la même manière qu’est élu son président, en l’occurrence notre collègue Claude Domeizel.

Cette spécificité n’est peut-être pas sans incidence sur la bonne santé de la caisse, comme elle n’est peut-être pas sans incidence sur la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui : j’ai cru comprendre qu’elle avait fait l’objet la semaine dernière d’une présentation et d’une discussion en conseil d’administration.

Je ne vous surprendrai pas, mes chers collègues, en disant que les sénatrices et sénateurs du groupe CRC-SPG voteront en faveur de cette proposition de loi. En effet, comment ne pas souscrire aux quatre articles du dispositif qui visent à supprimer les effets néfastes des premières lois de décentralisation et de la loi Fillon de 2003 portant réforme des retraites ?

D’ailleurs, à la suite d’un bilan sur les conséquences de l’application à la CNRACL des lois de 2003, bilan demandé par la CGT, le conseil d’administration de la caisse avait formulé une série de propositions très proches de celles dont nous discutons aujourd’hui.

Mon groupe avait estimé en son temps que l’application des premières lois de décentralisation aurait pour conséquence le transfert massif de dépenses publiques de l’État vers les collectivités territoriales. Nous redoutions à l’époque que ces dépenses ne soient pas compensées… Malheureusement, la suite des événements nous a donné raison.

Si aujourd’hui le transfert des personnels de l’État aux collectivités locales est effectivement financé, force est de constater que tel n’est pas le cas pour ce qui relève des cotisations dues au titre des pensions civiles des fonctionnaires en détachement n’ayant pas opté, comme le leur permet la loi, pour l’intégration. Pour ces derniers, le taux de la contribution due par l’employeur, c’est-à-dire par les collectivités – qui n’étaient pas nécessairement demandeuses de transfert –, est de 60,14 %, alors qu’il n’est que de 27,3 % pour les fonctionnaires détachés ayant opté pour l’intégration.

Concrètement, les collectivités locales qui se sont vu « imposer » le transfert de certains personnels doivent acquitter une cotisation au même taux que celles qui ont entamé des démarches volontaires pour accueillir des fonctionnaires en détachement.

Que l’on ne s’y trompe pas : je ne veux nullement incriminer, stigmatiser ou, pis, sanctionner des agents qui, comme le leur permet la loi, n’ont pas souhaité être intégrés dans la collectivité locale où ils sont en détachement. Cependant, je refuse que pèsent sur les collectivités des dépenses importantes découlant de la seule volonté de l’État de transférer une partie de ses personnels. C’est pourquoi nous soutenons la proposition formulée par notre collègue Claude Domeizel d’établir un taux de contribution employeur unique pour l’ensemble des fonctionnaires relevant de la CNRACL.

De même, nous sommes favorables à l’article 1er de la proposition de loi, qui a pour objet d’appliquer l’article 9 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites. Aux termes de celui-ci devait intervenir une baisse progressive du taux de la surcompensation qui pèse sur les régimes spéciaux, et ce jusqu’à l’extinction, fixée théoriquement à 2012, de cette dernière. Je dis bien théoriquement, car, contrairement à ce qui était prévu dans la loi, le taux n’a pas diminué en 2009 : il a été maintenu à 12 %. Le Gouvernement ayant par trop tendance à repousser certaines échéances lorsqu’elles lui sont défavorables, il est légitime de nourrir quelque inquiétude à ce sujet !

Mon groupe juge cette surcompensation illégitime. En effet, contrairement aux arguments utilisés pour instaurer cette dernière, les régimes spéciaux, CNRACL en tête, sont en strict équilibre, et dégagent même des bénéfices. Cette vérité, votre gouvernement ne veut pas l’entendre, madame la secrétaire d’État, comme il n’a pas voulu l’entendre en 2007, quand il a été question de la réforme des régimes spéciaux de retraite.

Ce qu’il faut rappeler, c’est que les régimes spéciaux participent à hauteur de 47 % à la compensation, là où le régime général participe pour 46 % seulement. Quant aux bénéficiaires de cette compensation, ce sont principalement les exploitants agricoles, à hauteur de 70 %, et les commerçants et artisans, à hauteur de 24 %, les régimes spéciaux n’en percevant pour leur part que 7 %. C’est pourquoi il nous semble important de soutenir cet article 1er.

Cette question de la surcompensation est centrale, car la situation actuelle fait peser sur la CNRACL d’importantes dépenses. Ces dernières, si elles ne mettent pas en cause, à court terme, l’équilibre de la caisse, pourraient toutefois la fragiliser dans l’avenir, particulièrement si l’on s’en tient aux estimations formulées par le Conseil d’orientation des retraites, estimations assises sur un principe simple : la diminution du nombre de cotisants.

Pour notre part, nous contestons cette analyse qui entérine par avance des choix politiques – car c’est bien de cela qu’il s’agit ! – dogmatiques, destinés à réduire les dépenses publiques, que celles-ci soient nationales ou locales. Cela prend par exemple la forme du recours massif aux agents contractuels en lieu et place de titulaires, ou du non-remplacement de fonctionnaires au bénéfice d’une externalisation des services.

Pour toutes ces raisons, et comme je l’ai indiqué au début de mon intervention, le groupe CRC-SPG votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.

M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, comme l’a souligné de manière fort pertinente notre collègue Claude Domeizel, la proposition de loi dont il est l’auteur a pour objet de conforter la CNRACL et de contribuer à l’amélioration des finances des collectivités locales.

Celles-ci ont été fortement mises à mal ces dernières années, notamment par les transferts de charges de toutes natures en provenance de l’État – lui-même, du reste, en situation financière dégradée, et c’est un euphémisme ! –, transferts dont les compensations n’ont pas suivi, nonobstant les engagements qui avaient été pris.

Je pense en particulier à l’allocation personnalisée d’autonomie, mesure sociale en faveur des personnes âgées et dépendantes particulièrement appréciée par nos concitoyens, dont l’État avait promis de compenser le coût à hauteur de 50 %. Or, en moyenne, nous en sommes aujourd’hui à un taux compris entre 28 % et 30 % suivant les départements, alors que l’état de dépendance lié au vieillissement de la population s’accroît. Cette dépense touche plus spécifiquement les départements, dont les budgets, actuellement en préparation, sont particulièrement difficiles à boucler du fait de la diminution sensible des recettes, par exemple des droits de mutation. Et vous savez bien, mes chers collègues, que ce sera pire dans un avenir proche en raison des modifications annoncées des impôts locaux et de la disparition de la taxe professionnelle.

La proposition de loi contribuera également à soulager les charges d’exploitation des budgets hospitaliers. Cela est particulièrement bienvenu compte tenu de la situation financière extrêmement difficile que rencontrent tous les hôpitaux, situation que nous connaissons tous ici et dont il n’est même pas exagéré d’affirmer qu’elle est catastrophique pour certains établissements, en particulier pour de très nombreux centres hospitaliers universitaires.

Du reste, malgré le vote de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, la situation financière des hôpitaux n’est pas près de s’améliorer compte tenu, d’une part, du niveau de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie prévu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l’exercice 2010, que nous examinerons dans quelques jours, et, d’autre part, de diverses autres mesures figurant dans le même texte qui ne sont pas à la hauteur des enjeux. Le déficit cumulé de l’assurance maladie reste sans précédent.

Pour en revenir plus précisément à l’objet de la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise, je rappelle que, au sein du régime de base des fonctions publiques hospitalières et territoriales, la CNRACL constitue un régime spécial de sécurité sociale.

Elle est confrontée à une double évolution qui fragilise ses comptes à moyen et à long terme.

La première évolution, ce sont les mutations démographiques en cours depuis une vingtaine d’années. En effet, comme l’ensemble des régimes de retraite, celui des fonctionnaires territoriaux et des fonctionnaires hospitaliers connaît une dégradation continue de son ratio démographique, ratio qui s’analyse comme le rapport entre le nombre de cotisants au régime et le nombre de retraités en relevant. De l’avis même de tous les observateurs, cette dégradation est due au vieillissement de la population. Elle entraîne bien évidemment une progression de plus en plus rapide des charges supportées par ce régime, alors que ses ressources, c’est-à-dire le produit des cotisations, stagnent.

La seconde évolution est à rapporter aux effets des transferts de personnels, notamment les plus récents, opérés dans le cadre de l’« acte II » de la décentralisation. Nous touchons là au taux de contribution employeur des collectivités au régime des pensions civiles pour les fonctionnaires de l’État en détachement. Notre collègue Claude Domeizel ayant développé ce point très important, je n’insisterai pas.

Cette proposition de loi vise donc, comme l’a précisé son auteur, d’une part, à neutraliser les effets financiers sur la CNRACL de certaines mesures, telles la surcompensation entre régimes spéciaux ou les exonérations de cotisations pour les personnels des centres communaux et intercommunaux d’action sociale, et, d’autre part, à régler la question de la compensation financière entre l’État et la CNRACL des transferts de personnels opérés dans le cadre de la décentralisation.

L’objectif est de préserver l’équilibre financier de cette caisse, qui, je viens de le rappeler, est confrontée à des évolutions difficiles.

Étant donné la situation, les mesures prévues dans la proposition de loi sont plus que nécessaires.

Il est bon d’insister à nouveau sur ce que proposent ses auteurs. Il s’agit tout d’abord de programmer la suppression progressive, d’ici à 2012, du taux de surcompensation, c'est-à-dire de la compensation démographique entre régimes spéciaux. Il s’agit ensuite de prévoir un conventionnement entre l’État et la CNRACL afin de neutraliser les effets du transfert de personnels de l’État vers les conseils généraux et les conseils régionaux dans le cadre de la décentralisation, de façon que ne soient pas pénalisées les finances de ces collectivités, qui n’ont pas choisi d’accueillir ces agents ; sont ici concernés les personnels techniciens, ouvriers et de service relevant antérieurement de l’éducation nationale et travaillant dans les collèges, pour les départements, ou dans les lycées, pour les régions, ainsi que du personnel en provenance des directions départementales de l’équipement. Il s’agit enfin de compenser les conséquences financières résultant pour l’État et pour les organismes de sécurité sociale de la présente proposition de loi par la création, à due concurrence, d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Cette proposition de loi, claire et nécessaire, permet bien de garantir l’équilibre financier de ce régime spécial à moyen et à long terme et d’étayer les finances des collectivités locales et des établissements publics hospitaliers, ce qui, dans un cas comme dans l’autre, devient une extrême urgence.

Nos collègues de la majorité ayant déposé des amendements, nous aurons l’occasion de préciser nos positions au cours de la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.

M. Alain Gournac. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par notre collègue Claude Domeizel a pour objet le financement des régimes d’assurance vieillesse des fonctions publiques hospitalière et territoriale. Il y est proposé des solutions pour remédier aux difficultés financières rencontrées par la CNRACL.

Comme l’a rappelé le rapporteur, M. Dominique Leclerc, la situation financière de cette caisse est marquée par une double contrainte.

Premièrement, la population vieillit, ce qui provoque un déséquilibre entre le nombre des cotisants et celui des pensionnés, problème que l’on retrouve généralement dans les régimes de retraite. Cette situation présente une acuité particulière pour la CNRACL au vu des projections du Conseil d’orientation des retraites.

Deuxièmement, la caisse doit faire face à un afflux massif de cotisants à la suite des transferts de personnels liés à l’acte II de la décentralisation.

Nous comprenons la préoccupation des auteurs de la proposition de loi, plus particulièrement celle de son premier signataire, président de cette caisse de retraite. De plus, nous sommes d’accord sur la nécessité de préserver l’équilibre financier de celle-ci. Pour autant, nous ne pouvons adopter ce texte en l’état. C’est pourquoi je présenterai, au nom du groupe UMP, deux amendements lors de l’examen des articles.

En effet, l’article 1er répond au problème de la surcompensation, c’est-à-dire la compensation spécifique des disparités démographiques et financières entre les régimes spéciaux de retraite.

Cependant, la proposition d’abaisser le taux de recouvrement de cette surcompensation relève non pas du domaine de la loi, mais du domaine réglementaire. De plus, le Gouvernement a déjà prévu dans le projet de loi de finances pour 2010 une baisse de quatre points et a confirmé la disparition de ce mécanisme en 2012.

Par ailleurs, l’article 2 vise à plafonner le taux de cotisation au régime des pensions de l’État lorsqu’un agent choisit le détachement sans limitation de durée.

Or les collectivités territoriales sont gagnantes dans le système actuel, qui ne prévoit pas de révision du niveau de la compensation au titre de la cotisation retraite employeur, que l’agent choisisse de rester fonctionnaire de l’État ou d’intégrer la fonction publique territoriale. En effet, la proportion des agents intégrant la fonction publique territoriale représente environ 75 % des fonctionnaires transférés, et le taux de cotisation versé à la CNRACL est toujours sensiblement plus faible que celui qui est compensé par l’État.

Il n’est donc pas souhaitable de modifier le dispositif en vigueur, même si l’article 4 de la proposition de loi apporte une solution pour clore le débat entre la CNRACL et l’État sur les modalités de compensation par ce dernier des charges liées aux transferts de personnels opérés dans le cadre de la décentralisation.

Je conclurai par une remarque plus générale.

Je pense que le rendez-vous sur les retraites, dont nous aurons à débattre l’année prochaine, devra être l’occasion d’aller au-delà de l’examen des flux financiers entre les régimes de retraite. Ceux-ci connaissant tous des difficultés financières, il est nécessaire et urgent d’aborder la question de fond des modalités qui permettront d’assurer, dans une logique d’équité intergénérationnelle, la pérennité de l’ensemble de notre système de retraite. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.

M. Christian Cambon. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, dans le contexte d’anticipation de ce que sera la prochaine réforme des retraites, il n’est pas inutile de s’interroger, comme vient de le faire Alain Gournac, sur la charge financière qui pèse sur les finances locales du fait de la CNRACL et de sa contribution à d’autres régimes de retraite. Il peut effectivement paraître utile de modifier certaines dispositions législatives ayant pour effet d’affecter lourdement et durablement l’équilibre financier de cette caisse et d’envisager d’alléger au moins partiellement les charges qui pèsent sur elle.

Même si, en raison du dynamisme du recrutement dans la fonction publique territoriale, la situation démographique et financière de la CNRACL est aujourd’hui relativement meilleure que celle de nombreux autres régimes, d’ici à 2012, près de 40 % des fonctionnaires territoriaux partiront à la retraite. À réglementation constante, les dernières projections du Conseil d’orientation des retraites anticipent un déséquilibre financier de la CNRACL à compter de 2018, et M. le rapporteur a rappelé tout à l’heure les craintes pour l’équilibre financier de cette caisse que suscitent ces projections.

Depuis 1980, en effet, on assiste à une montée en charge du régime, qui se manifeste par une baisse des deux rapports démographiques de la CNRACL. Sur la période 1980-2008, le rapport démographique brut est ainsi passé de 4,53 à 2,21 cotisants pour un retraité.

Dans le même temps, ces dernières années, les mécanismes de compensation généralisée et de surcompensation ont conduit la CNRACL à prendre une part essentielle dans le financement des déficits accusés par certains régimes de retraite, au point que sa propre trésorerie a fini par être menacée.

En effet, dès la mise en place du système de compensation, en 1974, puis de surcompensation, en 1985, la bonne santé financière de la CNRACL et son rapport démographique favorable l’ont placée largement en tête des contributeurs, en proportion des prestations versées, à l’équilibre financier des autres régimes de retraite.

La baisse progressive de la surcompensation a commencé à inverser ce mouvement déficitaire, mais il est essentiel de rappeler deux faits. D’une part, entre 1974 et 2007, la CNRACL a versé 31 milliards d’euros au titre de la compensation généralisée. D’autre part, entre 1985 et 2007, le régime a déboursé 25 milliards d’euros au titre de la surcompensation. Au total, 56 milliards d’euros ont ainsi été prélevés sur les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, mais également sur leurs employeurs. En clair, c’est l’impôt local qui finance les retraites versées par les régimes déficitaires !

Une telle situation ne correspond à aucune logique économique ou sociale, ni même aux principes fixés dans les lois de décentralisation de 1982. La hausse tant décriée de la fiscalité locale est en réalité liée pour partie à des paramètres que les élus locaux ne maîtrisent aucunement.

Au moment où l’État envisage de transformer profondément les budgets des collectivités territoriales en supprimant la taxe professionnelle et en la remplaçant par un ensemble de ressources dont la pérennité n’est pas encore assurée – c’est le moins que l’on puisse dire ! –, on comprend l’inquiétude des élus locaux face à une contribution obligatoire des collectivités dont ils ne maîtrisent ni l’évolution dans le temps ni les critères de financement. La participation d’un régime de retraite au financement du déficit chronique d’autres régimes ne peut que renforcer leur inquiétude.

Il en va de même de la politique de développement des emplois de service ou familiaux : leur financement, nous semble-t-il, doit relever du budget de l’État et non de celui des collectivités locales ou des hôpitaux.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Christian Cambon. Il me paraît utile, après avoir traité de la santé financière des employeurs publics locaux, d’évoquer les droits à pension des fonctionnaires des trois fonctions publiques.

Pour la CNRACL, c’est la tranche de pension mensuelle allant de 1 000 à 1 099,99 euros qui rassemble, au 31 décembre 2008, le plus grand nombre de pensionnés de droit direct, la deuxième tranche de pension la plus importante par l’effectif concerné étant la tranche de 800 à 899,99 euros. Ces deux tranches représentent à elles seules 32 % de la population de droit direct : en d’autres termes, 32% des retraités disposent d’une pension très faible au regard des besoins qu’ils ont à satisfaire, et ce à un âge où ils sont en droit de mener une vie décente, à l’abri de tout risque pécuniaire.

En outre, toutes les études le montrent, les Français sont prêts à cotiser plus et plus longtemps dès lors que le niveau de leur retraite est préservé. Il sera donc utile, madame le secrétaire d’État, de prendre en considération cette attente, qui pourra guider utilement la réforme de 2010 et lui permettre de mieux tenir compte des évolutions démographiques.

En ce qui concerne la proposition de loi de M. Domeizel, je suivrai bien évidemment la position qu’a excellemment défendue M. Alain Gournac. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions relatives au financement des régimes d'assurance vieillesse des fonctions publiques hospitalière et territoriale
Article 2

Article 1er

L’article 9 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites, est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Pour les exercices 2010 et 2011, cette réduction est au moins égale à 5 points. »

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, sur l'article.

M. Claude Domeizel. M. le rapporteur a indiqué que la commission avait choisi de soumettre au Sénat la proposition de loi dans sa rédaction initiale. Cependant, si la commission avait modifié ou supprimé l’article 1er, par exemple, j’aurais pu, par voie d’amendement, en demander le rétablissement : cela n’aurait rien changé sur le fond…

J’ai souligné au cours de la discussion générale qu’il existait un lien entre la suppression de la surcompensation, donc de cet article 1er, et le transfert de fonctionnaires de l’État vers les collectivités territoriales en application des lois de décentralisation.

Je n’ignore pas que la fixation du taux de la surcompensation relève du domaine réglementaire.

M. Claude Domeizel. Je suis très bien placé, peut-être même mieux que quiconque, pour savoir que ce taux est fixé par un décret annuel, qu’il est parfois reconduit, mais qu’il peut aussi fluctuer de manière importante puisqu’il a atteint jusqu’à 38 %.

Pour autant, je considère que le législateur est fondé à encadrer les décrets que doit prendre le Gouvernement : faisant cela, nous ne sortirions de notre rôle !

On m’assure aujourd’hui qu’en 2009 ce taux ne changera pas et restera à 12 %. Mais qui peut me garantir qu’en 2010 il ne sera pas encore à 12 %, qu’il sera effectivement abaissé, par exemple à 8 %, pour arriver à zéro en 2012 ? Qui peut me donner cette garantie alors que le taux de 2008 a été reconduit pour 2009 ?

M. François Autain. Il a raison !

M. Claude Domeizel. Si le processus de réduction de trois points par an avait été engagé dès 2009, le taux aurait été de 6 % en 2010. Or celui que l’on nous promet est de 8 % !

C’est pourquoi je propose à l’article 1er que le taux soit réduit chaque année d’au moins cinq points. Ainsi, le taux de la surcompensation ne pourrait pas être supérieur à 7 % en 2010.

On me répondra sans doute qu’avec 8 % dans un cas, 6 % dans l’autre, 7 % avec ma proposition, la différence n’est pas bien grande. Mais la différence est surtout de l’ordre du symbole : ce point de moins permettra à la caisse de terminer l’exercice 2010 en équilibre, alors que, si le taux de la surcompensation est fixé à 8 %, cet exercice sera clos en déséquilibre.

Je suis étonné que l’on remette en cause une proposition de loi dont l’objet est d’encadrer les choix du Gouvernement. Je le suis d’autant plus qu’en 2010 la caisse déboursera 450 millions d’euros au titre des agents de l’État transférés, alors qu’abaisser le taux de la surcompensation de 8 % à 7 % ne coûterait que quelques dizaines de millions d’euros à ce même État : il me semble qu’il est un peu pingre ! (M. Alain Gournac rit.)

M. Robert del Picchia. Il n’est pas pingre, il est économe !

M. Claude Domeizel. Voter l’amendement de suppression de l’article 1er revient, dans les faits, à adopter cette position.

Je le répète, je suis surpris que l’on refuse le taux de 7 % alors que la contribution cumulée de la caisse s’élève, depuis 1974, à 61,6 milliards d’euros.

Nous avons tout intérêt, symboliquement, à accepter le dispositif proposé pour les agents transférés de l’État vers les collectivités locales tout en préservant, tout aussi symboliquement, l’équilibre annuel.

Pour toutes ces raisons, je considère que la suppression de l’article 1er serait vraiment regrettable.

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par Mme Procaccia, M. Gournac et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Alain Gournac.

M. Alain Gournac. Monsieur Domeizel, l’État n’est pas pingre, il est économe, ce qui est bien différent ! (Sourires.)

M. Domeizel est un expert dans les matières dont nous débattons. Je l’ai donc écouté avec une grande attention, comme il se doit lorsqu’un expert s’exprime. Il nous a expliqué qu’il fallait encadrer le Gouvernement. Pour autant, il ne m’a pas convaincu.

Je considère que la fixation et l’évolution du taux de la surcompensation relèvent du pouvoir réglementaire, comme c’est le cas pour tous les dispositifs de compensation entre régimes sociaux : compensation généralisée, compensation spécifique entre régimes vieillesse, entre régimes maladie… Cela a d’ailleurs été confirmé dans la loi de 2003. Dès lors, les dispositions proposées à l’article 1er ne relèvent effectivement pas du champ législatif.

Le projet de loi de finances pour 2010 intègre dans sa construction budgétaire une réduction du taux de la surcompensation de quatre points à compter du 1er janvier 2010. Ce taux sera ainsi porté de 12 % à 8 %. À ce titre, un nouveau décret modificatif devra être pris avant la fin de l’année.

M. Claude Domeizel. Et après ?

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Après, c’est prévu !

M. Alain Gournac. Laissez-moi terminer, monsieur Domeizel !

Le Gouvernement a par ailleurs confirmé la suppression de la surcompensation en 2012, conformément à la loi de 2003, avec une nouvelle baisse en 2011.

Dans ces conditions, mes chers collègues, je vous invite à supprimer l’article 1er.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Je me réjouis que nous puissions discuter de cette question en séance, après les échanges dont elle a déjà fait l’objet en commission.

Il est vrai, monsieur Domeizel, que les contributions de la CNRACL au titre de la surcompensation sont très élevées. Heureusement, en 2003, le Gouvernement a pris conscience de cette situation et a décidé l’extinction de la surcompensation en 2012. On peut effectivement se demander pourquoi cela n’a pas été fait plus tôt.

Cette compensation doit donc s’éteindre dans deux ans, malgré une pause regrettable de la baisse du taux en 2008.

M. Alain Gournac. Regrettable, en effet !

M. Dominique Leclerc, rapporteur. La fixation de ce taux relevant, cela a été rappelé, du pouvoir réglementaire, il appartiendra au ministre du budget d’en déterminer le niveau. La commission est donc favorable à la suppression de l’article 1er de la proposition de loi.

Cela étant, madame le secrétaire d’État, nous attendons maintenant du Gouvernement qu’il confirme son engagement de supprimer cette surcompensation en 2012, car elle est devenue très difficilement supportable pour la CNRACL.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nora Berra, secrétaire d’État. Comme l’a rappelé M. Gournac, la fixation et l’évolution du taux de la surcompensation relèvent du pouvoir réglementaire, comme c’est le cas pour tous les autres dispositifs de compensation.

Le projet de loi de finances pour 2010 intègre dans sa construction budgétaire une réduction du taux de la surcompensation de quatre points, celui-ci passant ainsi de 12 % à 8 % à compter du 1er janvier 2010. À ce titre, un nouveau décret modificatif sera pris avant la fin de l’année.

Comme l’a indiqué M. Woerth dans sa lettre au président de la CNRACL, le taux de la surcompensation sera ramené à 4 % en 2011, avant de s’éteindre en 2012.

Le Gouvernement est donc favorable à l’amendement de suppression de l’article 1er.

M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote sur l’amendement no 1.

M. François Autain. Je voterai contre cet amendement : l’État est peut-être économe, mais, nous sommes bien placés pour le savoir, il ne tient pas toujours ses promesses.

Je ne citerai qu’un exemple : celui du déficit de la protection sociale. On nous avait affirmé que ses comptes seraient en équilibre en 2003. Ensuite, on a évoqué 2007, puis 2009, puis 2011, puis 2012… Maintenant, on ne sait plus, et le Gouvernement ne semble pas vouloir s’engager sur la date à laquelle les comptes de la sécurité sociale seront en équilibre. Peut-être agit-il ainsi par prudence,…

M. Robert del Picchia. Avec raison !

M. François Autain. … mais force est de constater qu’il n’a tenu aucune de ses promesses ! Il est donc légitime de craindre qu’il ne respecte pas davantage ses nouveaux engagements. Je partage en la matière les inquiétudes de notre collègue Claude Domeizel.

C’est pourquoi l’inscription dans la loi de la suppression de la surcompensation apporterait une garantie supplémentaire, dont nous avons bien besoin. Pour cette raison, mon groupe ne votera pas l’amendement de suppression.

M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn, pour explication de vote sur l’amendement no 1.

M. Jacky Le Menn. Je ne reviendrai pas sur l’équilibre financier très précaire de la CNRACL : le diagnostic est partagé par M. le rapporteur, qui nous en a fait part voilà quelques instants.

Si nous avons, pour notre part, accepté le principe de la surcompensation lorsque l’avenir financier du régime n’était pas menacé, la situation est aujourd’hui tout à fait différente, nous en convenons tous.

La loi de 2003 avait par ailleurs anticipé la situation, puisqu’il y était prévu que la surcompensation devait s’éteindre en 2012 selon un calendrier bien précis. J’y insiste, nous sommes étonnés que la baisse de la surcompensation prévue pour 2009 n’ait pas eu lieu.

La baisse de la surcompensation serait d’ordre réglementaire. Nous ne le contestons pas. Mais si l’on veut rattraper le retard qui a été pris, pour des raisons qui seraient trop longues à expliquer dans le cadre d’une explication de vote, la diminution doit être bien supérieure à cinq points, pour des questions d’équilibre. En effet, si tel n’est pas le cas, le résultat financier de la caisse sera déficitaire, ce que nous ne pouvons envisager. Quel responsable de collectivité locale ou quel dirigeant hospitalier pourrait accepter que le régime des retraites de l’ensemble de ces fonctionnaires soit en danger ?

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera contre l’amendement no 1.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 1er est supprimé.

Article 1er
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Article 3

Article 2

L’avant-dernier alinéa de l’article 46 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Toutefois, dans le cas où un fonctionnaire est détaché auprès d’une collectivité locale ou d’un de ses établissements publics dans le cadre de l’article 109 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales et de l’article x de la loi x du x relative au transfert aux départements des parcs de l’équipement et à l’évolution de la situation des ouvriers des parcs et ateliers, ce taux ne peut être supérieur à celui fixé pour la contribution de ces collectivités et établissements à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales . »

M. le président. L’amendement n° 2, présenté par Mme Procaccia, M. Gournac et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Alain Gournac.

M. Alain Gournac. L’article 2 de la proposition de loi a pour objet, pour les agents décentralisés ayant opté pour le maintien au sein de la fonction publique de l’État sous la forme d’un détachement sans limitation de durée, de limiter le taux de la contribution employeur au taux applicable à la CNRACL, soit 27,3 %, en lieu et place du taux applicable au régime des fonctionnaires de l’État.

Cette proposition n’a pas de justification : le dispositif prévu à l’article 119 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a mis en place, conformément à l’article 72-2 de la Constitution, une compensation financière de l’État aux collectivités locales pour les compétences transférées sur une base non révisable. Les modalités en sont prévues à ce même article.

Pour les agents qui choisissent de conserver leur statut de fonctionnaire de l’État et qui sont en fonction dans la collectivité locale dans le cadre d’un détachement sans limitation de durée ou qui sont détachés d’office à l’expiration du délai de deux ans, l’État compense aux collectivités locales le coût salarial, y compris les charges employeur au titre du régime de retraite de l’État de l’année de transfert. Ultérieurement, l’employeur territorial cotise au taux de droit commun du régime de l’État auquel est resté affilié le fonctionnaire, sans que le niveau de la compensation soit révisé.

Si ces agents intègrent ensuite la fonction publique territoriale, la compensation financière de l’État n’est pas révisée à la baisse quand bien même le taux de cotisation de l’employeur est fortement réduit. Il est en effet de 27,30 % pour la CNRACL, bien plus faible que celui qui est retenu pour établir la compensation initiale et qui s’élève, selon l’année du transfert, à 39,5 %, 50 %, 55 %…

En pratique, les statistiques démontrent que les agents déjà transférés, soit la majorité de la population totale dont il est prévu de décentraliser les compétences, choisissent à 70 % au moins l’intégration dans la fonction publique territoriale, soit immédiatement, soit à terme.

Ainsi, le dispositif mis en place dans la loi du 13 août 2004 est en soi protecteur des intérêts financiers des collectivités locales.

La modification prévue dans la proposition de loi conduirait à réviser les modalités financières de compensation : ses conséquences seraient, en pratique, défavorables pour les employeurs locaux.

L’objet de cet amendement est donc de conserver les modalités de la loi du 13 août  2004.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur l’explication qui nous a été donnée au sujet de l’article 119 de la loi du 13 août 2004 ni sur la possibilité que vise à ouvrir cet article 2 de réviser les modalités financières de la compensation.

D’après les statistiques dont nous disposons, nous pouvons imaginer qu’à terme les collectivités locales seront gagnantes puisque, comme cela a été rappelé, plus des deux tiers des agents déjà transférés choisissent d’intégrer la fonction hospitalière.

La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nora Berra, secrétaire d’État. La disposition prévue à l’article 2 de la proposition de loi serait préjudiciable aux collectivités locales. Le Gouvernement est donc favorable à l’amendement no 2, qui tend à supprimer cet article.

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, pour explication de vote sur l’amendement no 2.

M. Claude Domeizel. J’ai écouté attentivement les explications de notre collègue Alain Gournac, confortées par celles de M. le rapporteur et de Mme la secrétaire d’État.

Cet amendement a été proposé par des présidents de conseil général qui craignaient d’être perdants dans cette opération.

Nos interrogations en la matière nous conduisent à nous abstenir, quitte éventuellement à décider, au moment de la discussion du projet de loi de finances, de déposer un amendement identique à cet article 2. Nous pourrions alors être amenés à remanier la totalité de la loi de 2004 pour ce qui est de l’application de la dotation générale de décentralisation.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 2 est supprimé.

Article 2
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Article 4

Article 3

L’article L. 241-10 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Le début du dernier alinéa du III est ainsi rédigé :

« Les rémunérations des fonctionnaires relevant du cadre d’emploi des agents sociaux d’un centre … (le reste sans changement) » ;

2° Dans le IV, après la référence : « au III » sont insérés les mots : «, à l’exception de celles visées par son dernier alinéa. »

M. le président. L’amendement n° 3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Au dernier alinéa du III de l’article L. 241-10 du code de la sécurité sociale, les mots : « d’un » sont remplacés par les mots : « relevant du cadre d’emplois des agents sociaux territoriaux en fonction dans un ».

La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nora Berra, secrétaire d’État. La CNRACL est confrontée à une lecture extensive du champ de l’exonération des charges patronales pour les centres communaux et intercommunaux d’action sociale. Des décisions de justice récentes tendent à élargir le champ des catégories de personnels exonérées.

Le Gouvernement est favorable à la sécurisation du périmètre de l’exonération. À ce titre, le présent amendement reprend la rédaction d’une disposition allant en ce sens qui a été introduite dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.

Est en revanche écartée la création d’une compensation par l’État, le dispositif similaire pour le régime général ne prévoyant pas une telle modalité et la situation des finances publiques la rendant inopportune.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur. La commission a très vite compris qu’il était essentiel de revenir au champ d’application initial de l’exonération afin d’éviter les possibles dérives.

En revanche, dans un contexte budgétaire difficile, il est impensable d’imaginer une compensation intégrale.

Elle a donc émis un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn, pour explication de vote sur l’amendement no 3.

M. Jacky Le Menn. Notre désaccord porte sur le refus du principe de la compensation par l’État de cette exonération, comme de toute exonération dont il serait redevable.

Le rapporteur général de la commission des affaires sociales, Alain Vasselle, qui s’exprime avec sagesse, ne me démentira pas : nous constatons que, depuis 2004, la quasi-totalité des exonérations et niches sociales ne sont pas compensées. En d’autres termes, comme le formule très bien M. Vasselle, « l’État fait le choix délibéré de mettre à la charge de la sécurité sociale des politiques qui sont de sa responsabilité ».

Nous ne partageons pas un tel choix. Aussi, nous voterons contre cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, pour explication de vote sur l’amendement no 3.

M. Alain Gournac. Le groupe UMP votera l’amendement proposé par le Gouvernement. Après avoir entendu Mme le secrétaire d’État le présenter, nous regrettons même de ne pas l’avoir déposé nous-mêmes ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote sur l’amendement no 3.

M. François Autain. Nous sommes favorables à l’article 3 de la proposition de loi, mais il me paraît nécessaire de préciser certains points.

Comme vous le savez, depuis 1999, les CCAS bénéficient, pour certains de leurs agents, d’une exonération de la part patronale de la cotisation due au titre de la branche vieillesse, exonération qui pèse sur la CNRACL pour un montant estimé à 154 millions d’euros. Si cette somme peut paraître faible par rapport à l’ensemble du budget de la CNRACL, le risque est grand de la voir augmenter avec le temps, puisque l’on sait que de très nombreux CCAS entendent bénéficier de cette exonération pour l’ensemble de leurs agents et non plus seulement pour certains d’entre eux.

À nos yeux, cette tentative pour élargir le champ des bénéficiaires de l’exonération en question traduit les importantes difficultés que rencontrent les centres communaux d’action sociale pour parvenir à l’équilibre, particulièrement pour les missions qui relèvent de la prise en charge ou de l’accompagnement de la dépendance des personnes âgées ou des personnes handicapées.

Ces difficultés financières découlent, là encore, de l’insuffisance des financements, liée notamment au désengagement des départements, qui refusent de financer des activités ne relevant pas de leurs compétences obligatoires.

On assiste même, depuis quelque temps, au refus de certains départements, souvent gérés par la majorité présidentielle – oui, il en reste ! (Sourires.) –, de financer des activités assurées par les CCAS mais relevant de la compétence obligatoire des départements au motif qu’ils accompliraient déjà cette activité.

À titre d’exemple, et pour ne prendre qu’un département, très emblématique il est vrai, le conseil général des Hauts-de-Seine refuse de prendre en charge le traitement des dossiers « handicap » gérés par les CCAS au motif qu’il existerait à l’autre bout du département une maison départementale du handicap. Qu’importe s’il est plus pratique pour ces personnes, dont la mobilité peut être réduite en raison même de leur handicap, de se déplacer dans leurs communes !

Pour en revenir à l’article 3 de la proposition de loi, il nous semble important de préciser qu’il n’appartient pas à la CNRACL de prendre en charge, au prix d’une perte de ressources, des situations économiques difficiles. Ce n’est pas à elle d’assumer les dépenses auxquelles l’État et les départements refusent de faire face !

C’est pourquoi nous voterons contre l’amendement présenté par le Gouvernement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 3 est ainsi rédigé.

Article 3
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Article 5

Article 4

L’article 108 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales est ainsi modifié :

1° La dernière phrase est ainsi rédigée :

« Les effets de cette intégration sont neutralisés jusqu’à l’extinction des droits directs et dérivés nés de l’affiliation de ces fonctionnaires à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales par des transferts financiers entre ce régime et le compte d’affectation spéciale Pensions visé à l’article 51 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 portant loi de finances pour 2006. » ;

2° Il est complété par un paragraphe ainsi rédigé :

« II. – Les dispositions du présent article dont les modalités d’application sont précisées par une convention conclue entre la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales et l’État entrent en vigueur à compter du 1er janvier qui suit la promulgation de la présente loi. »

M. le président. L’amendement n° 4, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

I. - La dernière phrase de l’article 108 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales est remplacée par trois phrases ainsi rédigées :

« La Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales reverse à l’État, pour ces fonctionnaires, les cotisations perçues. En contrepartie, l’État rembourse à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales le montant brut des pensions versées à ces agents ainsi que les charges supplémentaires afférentes dues au titre des dispositions de l’article L. 134-1 du code de la sécurité sociale. Les modalités de mise en œuvre de ce reversement et de ce remboursement sont précisées par un décret pris après avis du conseil d’administration de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. »

II. - L’article 51 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 est ainsi modifié :

1° Après le e) 1° du A du I, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...) Les versements de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales effectués en application de l’article 108 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales ; » ;

2° Après le c) du 2° du A du I, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...) Les versements à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales effectués en application de l’article 108 de la loi du 13 août 2004 précitée ; ».

III. - Les dispositions du présent article entrent en vigueur le 1er janvier 2010. »

La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nora Berra, secrétaire d’État. L’article 4 de la proposition de loi a le même objet que l’article 27 du projet de loi de finances pour 2010 et tend à instaurer les mêmes modalités.

Le présent amendement vise à reprendre la rédaction du projet de loi de finances, qui a bénéficié de l’analyse du Conseil d’État et qui est plus précise dans les modalités de suivi des flux financiers entre les régimes. Sur ce point, il prévoit notamment les règles d’imputation comptable au sein du compte d’affectation spéciale Pensions.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur. Le Gouvernement nous propose une rédaction qui est plus conforme aux recommandations du Conseil d’État et, de plus, reprend l’article 27 du projet de loi de finances pour 2010.

La commission émet donc un avis favorable sur l’amendement no 4.

M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn, pour explication de vote sur l’amendement no 4.

M. Jacky Le Menn. Compte tenu des explications qui viennent d’être apportées, notamment sur le fait que l’amendement vise à reprendre la rédaction de l’article 27 du projet de loi de finances, nous voterons pour.

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, pour explication de vote sur l’amendement no 4.

M. Claude Domeizel. Ce n’est pas parce que le Gouvernement nous propose un texte meilleur que nous allons voter contre ! (Sourires.)

Bien sûr, nous voterons pour l’amendement no 4, puisque cette nouvelle rédaction de l’article 4 a exactement le même objet que la rédaction d’origine.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote sur l’amendement no 4.

M. Christian Cointat. J’avoue mon étonnement : s’il s’agit exactement du même texte, ce n’est pas la peine de le voter, il figurera dans la loi de finances !

Il est tout à fait anormal de voter plusieurs textes identiques. Pourquoi sommes-nous obligés de voter un article qui se trouve dans le projet de loi de finances, lequel se suffit à lui-même ? J’aimerais obtenir quelques précisions à ce sujet.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 4 est ainsi rédigé.

Article 4
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 5

I. – Les conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – Les conséquences financières résultant pour les organismes de sécurité sociale de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

M. le président. L’amendement n° 5, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nora Berra, secrétaire d’État. Le Gouvernement souhaite lever le gage de la proposition de loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique Leclerc, rapporteur. La commission n’a pas pu examiner cet amendement, mais, eu égard au vote précédent, lever le gage me semble tout à fait logique… (Sourires.)

La commission émet un avis favorable.

M. le président. Il serait nouveau et intéressant que le Sénat s’oppose à la levée du gage ! Mais il ne va pas créer cette jurisprudence. (Nouveaux sourires.)

M. Christian Cointat. Il n’y a pas lieu de voter une levée de gage, on en prend acte avec satisfaction !

M. Alain Gournac. Et bonheur !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 5 est supprimé.

Vote sur l’ensemble

Article 5
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Claude Domeizel, pour explication de vote.

M. Claude Domeizel. La proposition de loi ainsi amendée préserve l’essentiel de l’article 3 initial, qui concerne les CCAS, du moins sa partie la plus importante, celle qui détermine le périmètre des personnels concernés. Quant à l’article 4, non seulement l’essentiel est préservé, mais le texte adopté est quasiment identique. Néanmoins, la suppression d’une partie de l’article 3 et surtout celle de l’article 1er dénaturent un peu l’objectif que nous cherchions à atteindre.

Pour autant, nous n’allons pas nous opposer au texte ainsi modifié. À titre personnel, j’aurais même tendance à voter pour.

M. Robert del Picchia. Un petit effort !

M. Claude Domeizel. Cependant, par solidarité avec mes collègues du groupe socialiste, comme eux, je m’abstiendrai.

M. le président. La parole est à M. François Autain.

M. François Autain. La situation est tout à fait inhabituelle !

M. François Autain. En effet, le texte sur lequel nous devions nous prononcer lors de la discussion générale n’est plus le même que celui sur lequel nous devons statuer maintenant. C’est très embarrassant !

M. Robert del Picchia. Vous pouvez voter pour !

M. François Autain. Les amendements qu’a présentés le Gouvernement sont, il est vrai, plutôt positifs ; j’ai d’ailleurs voté pour l’un d’entre eux. Cependant, je reste opposé à la suppression des articles 1er et 2.

Tout bien pesé, la solution médiane me semble être de m’abstenir. (Sourires.) Elle n’est ni très originale ni très glorieuse. Compte tenu de la façon dont la nouvelle rédaction du texte a été élaborée, c’est néanmoins celle que je retiendrai.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Leclerc, rapporteur. C’était aujourd’hui la première fois depuis la révision constitutionnelle que nous examinions une proposition de loi, c’est-à-dire un texte d’origine parlementaire.

Après avoir tenu une séance au cours de laquelle chacun de ses membres a pu s’exprimer, la commission a tenu à ce que le texte soit discuté en séance publique dans sa rédaction initiale. Nous avons ainsi voulu rester fidèles à l’esprit de la réforme constitutionnelle et donner aux membres de l’opposition la possibilité de manifester leur volonté politique sur un point précis, en l’occurrence la CNRACL, comme tout à l’heure ils l’ont fait lors de la discussion d’une proposition de résolution européenne présentée par un membre de la commission des finances.

Nous avons ainsi démontré ce matin que chacun pouvait s’exprimer en fonction de son appartenance politique, face à un Gouvernement qui mène une politique bien précise. Le vote sera donc conforme à la logique.

M. le président. Mes chers collègues, sans prendre parti sur le fond, je vous donne acte que vous avez ce matin, par votre travail, respecté les droits de l’opposition de présenter un texte qui n’a pas été dénaturé et qui est l’expression de sa volonté, et que, une fois cette présentation faite, le Sénat aura voté dans le respect de la décision de chacun.

M. François Autain. Oui, mais sur un texte différent !

M. le président. C’est cet esprit qui permet à la fois que les textes soient examinés dans leur version d’origine – je pense qu’il en ira de même cet après-midi – et que chacun, c’est bien la moindre des choses, exprime ses positions politiques.

M. Alain Gournac. C’est une bonne chose !

M. François Autain. C’est la démocratie !

M. Christian Cointat. C’est un progrès !

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Monique Papon.)

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions relatives au financement des régimes d'assurance vieillesse des fonctions publiques hospitalière et territoriale
 

5

Engagement de la procédure accélérée sur un projet de loi organique

Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.

6

Dépôt de rapports du Gouvernement

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :

- le rapport sur la tarification à l’activité des établissements de santé et ses conséquences sur l’activité et l’équilibre financier des établissements publics et privés, établi en application de l’article L. 162-22-10 du code de la sécurité sociale ;

- le rapport sur les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation, les MIGAC, retraçant l’évolution de la dotation nationale et des dotations régionales affectées à ces missions, établi en application de l’article L. 162-22-13 du code de la sécurité sociale ;

- en application de l’article 1er de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, le rapport sur la mise en œuvre de cette loi.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Les deux premiers ont été transmis à la commission des affaires sociales, le troisième à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Ils seront disponibles au bureau de la distribution.

7

Décentralisation des enseignements artistiques

Discussion d’une question orale avec débat

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 49 de Mme Catherine Morin-Desailly à M. le ministre de la culture et de la communication sur la décentralisation des enseignements artistiques.

Avant de donner la parole à Mme Catherine Morin-Desailly, je vous prie, monsieur le ministre, mes chers collègues, de bien vouloir excuser l’absence de M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui, ayant dû se rendre à des obsèques, regrette de ne pouvoir assister à ce débat.

La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, auteur de la question.

Mme Catherine Morin-Desailly, auteur de la question. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe centriste a demandé, sur mon initiative, l’organisation d’une question orale avec débat concernant la décentralisation des enseignements artistiques.

En effet, ce sujet est important pour beaucoup de nos jeunes et moins jeunes concitoyens, en termes tant de démocratisation culturelle que de politique publique. Or nous sommes aujourd’hui à un moment charnière de l’évolution de cette politique.

Je tiens tout d’abord à rappeler que l’éducation artistique est confiée aux établissements scolaires, afin que tous les élèves aient accès à des connaissances et à une pratique artistiques à l’école, tandis que l’enseignement artistique est dispensé par le réseau des conservatoires et des écoles de musique, de danse ou de théâtre, réseau qui s’est développé d’abord sous l’impulsion de l’État, puis surtout par la volonté des collectivités territoriales, en particulier des communes.

C’est en effet grâce à l’impulsion donnée en 1967 par André Malraux, alors ministre des affaires culturelles, et son directeur de la musique, Marcel Landowski, que notre réseau territorial d’établissements d’enseignement artistique s’est développé, au point de devenir sans équivalent en Europe. Le plan de dix ans dont ils ont pris l’initiative en faveur de l’enseignement musical a accompagné le mouvement de décentralisation culturelle et de démocratisation de l’accès à la culture.

Je rappelle que cette forte volonté de l’État en faveur d’une politique d’enseignement s’est appuyée sur les structures municipales existantes, mais aussi, à l’époque, sur une forte progression de la participation financière de l’État.

Ce réseau a pour double mission de former les futurs musiciens professionnels et de permettre le développement des pratiques amateurs. En effet, seulement 2 % environ des élèves de ces établissements « spécialisés » font finalement de la musique, de la danse ou du théâtre leur métier ; en revanche, tous les élèves concernés tirent, pour leur vie d’adulte, les bénéfices de cet apprentissage artistique, car ils y trouvent une source d’épanouissement personnel, soit en pratiquant librement leur art, soit en devenant un spectateur ou un amateur exigeant et averti.

Notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication a adopté, voilà quinze mois, le rapport que je lui avais présenté sur la décentralisation des enseignements artistiques, liée à la réforme prévue par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

Au cours de cette mission, j’avais rencontré une centaine de personnes et effectué plusieurs déplacements en région. J’avais alors dressé un état des lieux et constaté que la réforme se trouvait au milieu du gué et qu’elle était bien difficile à « orchestrer ». Après un diagnostic, j’avais avancé des préconisations pour sortir de l’impasse. L’heure est largement venue de faire aujourd’hui un point précis sur ce sujet.

Je vous rappelle brièvement la situation.

Le volet « enseignements artistiques » de cette loi de 2004 n’a pas opéré un nouveau transfert de compétence, stricto sensu, mais il a confirmé la capacité d’initiative des collectivités territoriales dans ce domaine.

Dans ce contexte, les articles 101 et 102 de la loi ont eu pour principal objectif de clarifier le rôle respectif de chaque niveau de collectivités publiques dans l’organisation territoriale des compétences, en confiant : premièrement, aux communes et à leurs groupements les responsabilités déjà exercées en termes d’organisation et de financement des missions d’enseignement initial et d’éducation artistiques des établissements, en liaison, dans ce dernier cas, avec les établissements scolaires ; deuxièmement, aux départements l’élaboration d’un « schéma départemental de développement des enseignements artistiques » destiné à améliorer les conditions d’accès à ces derniers ; troisièmement, aux régions l’organisation et le financement du cycle d’enseignement professionnel initial, le CEPI, désormais sanctionné par un diplôme national d’orientation professionnelle, le DNOP, et intégré au plan régional de développement des formations professionnelles, le PRDF.

Quant à l’État, il continue d’exercer ses prérogatives en matière de classement et de contrôle pédagogique des établissements, ainsi que de définition des qualifications des enseignants. Il conserve en outre la responsabilité des établissements d’enseignement supérieur artistique.

Cette répartition, il faut le préciser, a été mûrement réfléchie : elle résultait d’un travail de fond engagé depuis des années.

En parallèle, la loi a prévu le transfert aux départements et aux régions des crédits que l’État continue d’apporter à ces établissements. L’un des objectifs était de rééquilibrer une charge financière pesant à près de 80 %, voire davantage, sur les communes.

Cette loi a été porteuse d’une ambition louable en faveur des enseignements artistiques en clarifiant les compétences des collectivités publiques et les financements. Toutefois, alors que cette réforme a suscité de très fortes attentes chez les élèves, leurs parents, les professionnels et les élus, sa mise en œuvre est toujours « en panne » cinq ans après son adoption.

En réalité, cette réforme, apparue peu prioritaire, a été dès le départ mal engagée et a souffert, au-delà des problèmes financiers sur lesquels je reviendrai ultérieurement, d’un évident déficit de méthodologie à la fois auprès des professionnels et des élus.

Derrière ses aspects certes « techniques », le sujet est pourtant éminemment politique, et je regrette l’intérêt souvent trop limité que lui portent nombre d’élus, qui laissent aux milieux professionnels passionnés le soin de « mettre en musique » une politique pas toujours clairement définie, choisie ou assumée, alors même que l’enseignement artistique est un vecteur essentiel de la démocratisation culturelle et du développement de nos territoires.

Où en sommes-nous, quinze mois après l’adoption de notre rapport d’information ?

Je peux dire aujourd’hui – sans en tirer gloire, car j’aurais préféré que la question ne se pose pas – que tous les acteurs concernés ont partagé mon diagnostic et que la plupart d’entre eux se sont aussi retrouvés autour de mes propositions.

Pour autant, nous ne sommes pas dans le « meilleur des mondes » ! La concertation s’est certes poursuivie entre l’État et les différents niveaux de collectivités territoriales, mais la situation de blocage a persisté. Je dois avouer, sans esprit de polémique, mais pour être parfaitement claire, que la position évolutive et parfois sibylline de l’Association des régions de France a entretenu une certaine confusion.

Je me réjouis néanmoins de la prise de conscience par l’ensemble des acteurs de la nécessité de sortir par le haut de ce dossier, et je voudrais tout particulièrement saluer, à cette occasion, l’esprit très constructif et équilibré de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture, la FNCC ; cette dernière, je le rappelle, est un acteur représentatif de toutes les sensibilités politiques et de tous les échelons territoriaux.

Il me semble en effet essentiel que nos concitoyens ne soient pas, en quelque sorte, les otages de la difficulté des différents partenaires à trouver un accord sur l’organisation et le financement des enseignements concernés. Nos concitoyens attendent de leurs élus, nationaux et locaux, à tous les niveaux de collectivités, qu’ils prennent en considération l’intérêt général. Or celui-ci nous impose aujourd’hui de trouver une solution constructive.

C’est pourquoi j’ai déposé une proposition de loi en juillet 2009 sur le fondement des hypothèses de travail avancées par les associations d’élus. Ces hypothèses résultent à la fois de travaux conduits dans le passé par des professionnels – je pense notamment au rapport de M. René Rizzardo, le fondateur de l’Observatoire des politiques culturelles ! –, de la concertation tardivement engagée par le ministère et de mes propres consultations.

Un premier point de convergence, qui rejoint d’ailleurs l’une des propositions de mon rapport, consiste à reconnaître le rôle de l’échelon régional en matière d’aménagement du territoire et de planification, d’une part, par l’élaboration d’un schéma régional des formations artistiques à vocation professionnelle et, d’autre part, par la création d’une commission régionale des enseignements artistiques, qui pourrait être pilotée par la région, notamment là où elle s’implique dans ce domaine, et qui réunirait, aux côtés de l’État, les autres collectivités concernées. Cette commission devra veiller à prendre en compte l’ensemble des acteurs publics et privés des filières concernées, afin d’encourager les partenariats dans le respect de tous et d’accorder une attention à toutes les esthétiques ; je pense notamment aux musiques actuelles.

Il est évident qu’un « chef-de-filat » régional ne doit surtout pas être perçu par les autres échelons comme une prééminence, mais plutôt comme une force d’impulsion et de coordination. À cet égard, on pourrait d’ailleurs prévoir que le schéma régional de développement des cycles d’orientation professionnelle relatifs aux enseignements artistiques ne soit adopté qu’après l’avis conforme de cette commission régionale.

Cependant, un chef de file me semble de nature à améliorer la nécessaire coordination entre les acteurs, afin d’assurer la cohérence territoriale de l’offre de formation, la complémentarité des actions, voire la mutualisation des moyens d’enseignement. Je note que le projet de réforme des collectivités territoriales pose d’ailleurs le principe du concept de « chef-de-filat ».

Par ailleurs, à la demande légitime des régions, notamment, il apparaît nécessaire de préciser les modalités d’application de la loi.

À cet égard, il me semble essentiel que les communes ne se retrouvent pas seules à assumer le financement des cycles d’enseignement professionnel initial. Le risque serait alors qu’à l’avenir certaines collectivités, notamment des communes, se désengagent, estimant à juste titre ne pas avoir à porter seules la charge résultant d’un enseignement qui bénéficie à une population implantée sur un plus vaste territoire que le leur. Je le rappelle, le problème s’est posé, par exemple, le conservatoire de Versailles et l’École supérieure d’arts de Rueil-Malmaison, dont le maire s’est précisément demandé pourquoi cette école devrait assumer la prise en charge financière de la formation d’étudiants de troisième cycle ?

Il est vrai que la grande hétérogénéité des situations régionales complique la donne : la volonté des régions d’aller de l’avant et de s’engager dans ce domaine reste en effet inégale, même si la majorité d’entre elles comprennent que l’orientation et la formation professionnelle initiale des jeunes artistes, généralement plus précoce que pour d’autres métiers, relèvent bien aussi de leurs compétences. Historiquement, certaines se sont aussi plus impliquées que d’autres.

L’Association des régions de France s’est exprimée au printemps dernier en faveur d’un engagement régional facultatif, quand bien même la région piloterait, en tant que chef de file, l’organisation du réseau, et alors même que les établissements concernés drainent une population issue d’un territoire beaucoup plus vaste que la commune d’accueil.

Cela supposerait que les communes maintiennent un certain niveau de contribution pour les formations, afin de rassurer les régions, alors qu’elles ont aussi vocation à participer au financement de l’éducation artistique des jeunes enfants et des actions de sensibilisation. Elles s’investissent d’ailleurs depuis plusieurs années dans cette mission.

Mais les communes ont-elles pour autant vocation à financer pratiquement seules tous les échelons de la formation, alors que le cycle d’orientation professionnelle, qui se substituera au cycle d’enseignement professionnel initial, sera inscrit dans le plan régional de développement des formations ?

Je relève en tout cas avec satisfaction que les concertations de ces derniers mois, voulues par le Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel, ont permis d’évaluer avec plus de justesse le coût réel du cycle d’orientation professionnelle qui pouvait légitimement inquiéter les régions.

Comme je le supposais dans mon rapport et contrairement aux premières évaluations réalisées par les régions ou par l’Observatoire des politiques culturelles, il apparaît aujourd’hui que le surcoût induit par la formation au diplôme national d’orientation professionnelle, qui se substitue aux diplômes d’études musicales, chorégraphiques ou théâtrales délivrés par les établissements, se limite à 5 %. Je signale que ce surcoût, estimé à partir des expérimentations du CEPI conduites dans certaines régions, a fait l’objet d’évaluations extrêmement variables et pouvait atteindre de 100 % à 400 %.

Par ailleurs, la question des transferts de crédits reste en suspens puisque ceux qui ont été prévus par la loi de 2004 n’ont toujours pas été opérés, compte tenu de la situation de blocage. Le débat porte donc sur la collectivité devant bénéficier du transfert : doit-il s’agir de la région, à charge pour elle de contribuer à due concurrence au budget des établissements éventuellement concernés, ou bien des communes, comme c’est encore le cas aujourd’hui du fait de la non-application de la loi de 2004 ?

La logique et l’ambition me semblent conduire à choisir la première solution, ainsi que je l’ai proposé : le transfert des crédits doit passer par les régions, qu’elles décident de compléter ou non le financement, à charge pour elles de reverser ensuite ces crédits aux communes gestionnaires d’établissements, et cela méritera d’être garanti ; la proposition de loi que j’ai déposée devra donc être précisée sur ce point. Les régions, par la suite, s’impliqueront à leur rythme, peut-être davantage. Tel était l’esprit du législateur en 2004 et tel il doit demeurer, afin d’éviter tout retour en arrière et de rendre effective la concertation entre les différents niveaux de collectivités territoriales.

Si la question ne peut être rapidement tranchée, autant laisser à l’État le soin de continuer à verser chaque année les 5 % à 10 % de crédits qu’il destine aux écoles spécialisées, plutôt que d’adopter une solution de régression, consistant à transférer ces crédits aux communes, ainsi que l’a envisagé un moment la direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles, peut-être pour en finir avec un dossier qui traîne. Ce serait, selon moi, un retour en arrière en théorie, mais un statu quo en pratique.

Je suis d’ailleurs persuadée que, dans les régions qui sont allées de l’avant, en définitive les plus nombreuses, l’attente des professionnels est forte. Ils se sont impliqués avec beaucoup de passion et de compétence et comptent sur une coopération efficace des collectivités

J’avais aussi évoqué dans mon rapport la nécessité de poursuivre la structuration intercommunale des enseignements artistiques, l’adoption d’un statut d’établissement public de coopération culturelle pouvant contribuer à l’élaboration d’un projet partagé. Je suis en effet convaincue que l’intercommunalité doit être l’échelle de référence pour tout nouvel équipement et le moyen d’harmoniser et de mutualiser les pratiques et les enseignements. Il me semble d’ailleurs que les régions soucieuses de l’aménagement harmonieux du territoire dans ce domaine pourraient, par exemple, intervenir sous forme de prime à l’intercommunalité pour aider les écoles « ressources ».

Enfin, j’avais indiqué qu’un « coup de pouce » financier de l’État serait le bienvenu pour soutenir les efforts des collectivités, notamment ceux que déploient les départements pour l’élaboration des schémas prévus par la loi. Je tiens à souligner dans cet hémicycle l’implication très forte des départements dans cette réforme : ils ont établi leur schéma départemental des enseignements artistiques en s’entourant de professionnels de grande qualité.

Il est aujourd’hui urgent de trouver une issue. Les professionnels, dont je salue la très forte implication, mais aussi les élèves des conservatoires et leurs parents attendent désormais des réponses claires car, de leur point de vue, la situation de confusion qui perdure depuis plusieurs années sème le trouble et fait peser une menace sur l’avenir des formations, que l’on ne sait plus comment appeler, notamment en ce qui concerne le troisième cycle. En effet, nous sommes passés du diplôme d’études musicales, le DEM, au CEPI puis au COP...

À la fin du mois de juillet dernier, j’ai déposé une proposition de loi pour que chacun puisse prendre plus clairement position sur ce sujet.

Les récentes consultations que j’ai conduites avec les différentes associations d’élus et avec la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture me donnent à penser que rien ne s’oppose à l’adoption de dispositions allant dans ce sens, sous réserve des aménagements que je viens d’évoquer.

Par ailleurs, les professionnels du secteur, qui sont des acteurs de terrain – je pense notamment à l’association Conservatoires de France – soutiennent la pertinence d’une telle répartition et d’une telle coordination des différentes missions.

En outre, ces propositions me semblent s’inscrire dans le projet de réforme des collectivités territoriales. En effet, d’une part, elles valorisent le couple communes-intercommunalités et, d’autre part, elles visent à respecter le principe de la clause générale de compétences des différents niveaux de collectivités, principe qui devrait être maintenu dans les domaines de la culture et du tourisme.

L’examen à venir de la réforme des collectivités territoriales nous a conduits à demander l’organisation du présent débat – il devait initialement avoir lieu au mois de juin – plutôt que l’inscription de la proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat. Cependant, si un consensus se dégageait rapidement, rien ne nous empêcherait de solliciter cette inscription.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser votre analyse de la situation et la stratégie du Gouvernement pour, enfin, sortir de l’impasse ? Quel est votre point de vue sur les propositions que j’ai avancées ?

Ce sujet est essentiel, car la demande sociale est très forte : la danse, la musique, le théâtre sont des disciplines artistiques plébiscitées par les Français, notamment pour leurs enfants. La musique rythme ainsi la vie de près de cinq millions de Français. Nous pouvons également nous réjouir du renouveau des pratiques amateurs dans notre pays. Pour autant, il faut sans cesse réaffirmer cette volonté, afin de consolider une politique qui est aussi un investissement pour l’avenir.

Je souhaite, par ailleurs, évoquer la réforme du lycée, dont nous avons parlé dans cette enceinte la semaine dernière. Si son ambition affichée est que la série L serve aussi à former aux métiers des arts et de la culture, il serait utile de lier cette réforme à celle des enseignements artistiques, sujet que j’ai largement développé dans mon rapport d’information.

Il est très regrettable que les établissements scolaires s’appuient aussi peu sur les pôles ressources que sont les conservatoires, notamment ; ces derniers devraient pourtant être leurs référents naturels sur le territoire. Alors que la mission d’information du Sénat sur la politique en faveur des jeunes comme le Gouvernement insistent sur la nécessité pour l’éducation nationale de s’ouvrir sur le monde et sur d’autres milieux professionnels, cela nous paraît être une priorité.

C’est pourquoi il me semble indispensable, monsieur le ministre, que vous puissiez vous rapprocher du ministre de l’éducation nationale – point que vous avez évoqué ce matin en commission –, afin de jouer une partition commune au service de cette ambition. Il faut donner aux élèves les meilleures chances de réussite pour accéder à ces métiers nobles mais exigeants, ce qui passe par la professionnalisation des formations concernées et, en amont, par une meilleure sensibilisation des jeunes à l’école.

Enfin, dans mon rapport d’information, j’avais souligné la nécessité de clarifier rapidement le paysage de l’enseignement supérieur artistique, dans le cadre des futurs pôles en région, et d’informer les acteurs des critères retenus pour l’examen des dossiers. La situation a certes progressé depuis lors, mais il me semble utile, sur ce point également, que vous nous disiez où l’on en est.

Sur ces différents sujets, qui concernent à la fois l’enseignement et l’éducation artistiques, je vous remercie par avance de nous apporter, monsieur le ministre, des réponses claires et précises, porteuses d’une vraie ambition.

Je veux croire que, comme moi, vous souscrivez à ces propos récemment tenus par M. Maros Sefcovic, nouveau commissaire européen chargé de l’éducation : « Le renforcement des arts, en vue d’accroître notre potentiel de créativité et d’innovation, doit constituer un élément moteur de toute politique d’éducation visant à améliorer la compétitivité économique, la cohésion et le bien-être des personnes. »

Je forme le vœu qu’il soit entendu. Vous nous avez d’ailleurs dit vous-même ce matin, monsieur le ministre, à l’occasion de votre audition par la commission de la culture : « La mise en place de l’éducation artistique et culturelle est l’un des grands enjeux des années à venir. » (Applaudissements.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que, en application de l’article 82 du règlement, chaque orateur peut utiliser une partie de son temps de parole pour répondre au Gouvernement.

La parole est à M. Laurent Béteille.

M. Laurent Béteille. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier et à féliciter notre collègue Catherine Morin-Desailly d’avoir déposé cette question orale avec débat, qui nous permet de faire aujourd'hui un point opportun sur les responsabilités respectives de l’État et des collectivités locales dans le domaine des enseignements artistiques.

Ce débat, inscrit à l’ordre du jour de la semaine sénatoriale de contrôle, intervient un an après la rédaction du rapport d’information présenté, au nom de la commission des affaires culturelles, par Mme Morin-Desailly.

L’éducation artistique et culturelle est une composante essentielle de la formation des enfants et des jeunes, car elle contribue au développement de leur personnalité, de leur sensibilité et de leur compréhension du monde. Cette éducation, au sein ou hors de l’école, doit permettre une véritable démocratisation de l’accès à la culture. Elle doit aussi être un enjeu constant de l’action publique.

Historiquement, les enseignements artistiques se sont développés grâce à l’action des collectivités territoriales, principalement des communes – elles peuvent en être fières –, pour devenir, au xxe siècle, le réseau territorial le plus dense d’Europe, un réseau envié à l’étranger.

Aux termes de la loi de décentralisation du 22 juillet 1983, les établissements d’enseignement public de musique, de danse et d’art dramatique relèvent de l’initiative et de la responsabilité des communes, des départements et des régions. Mais il est difficile d’identifier les prérogatives de chacun des intervenants.

Dans la pratique, d’une région à l’autre, il existe une grande diversité de modalités de financement des établissements, qui fonctionnent souvent grâce aux contributions croisées de plusieurs collectivités territoriales. Il en résulte une disparité des formations et l’impression d’une grande complexité.

La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a organisé les responsabilités de chaque niveau de collectivité territoriale, afin de rendre le système plus lisible et de favoriser l’accès aux enseignements.

Ainsi, elle prévoit : que les communes ou leurs groupements – communautés de communes et d’agglomération, communautés urbaines – organisent et financent les missions d’enseignement initial ; que les départements établissent les schémas départementaux de développement des enseignements artistiques et participent au financement des établissements pour assurer l’égal accès des élèves à l’enseignement initial ; que les régions organisent et financent les CEPI, ces cycles de formation conduisant à de nouveaux diplômes nationaux d’orientation professionnelle ; que l’État conserve son rôle de classement, de contrôle et de suivi des établissements, ainsi que la responsabilité et l’initiative de l’enseignement supérieur professionnel.

En bref, mes chers collègues, un système assignant à chacun une place déterminée, un parfait jardin à la française, comme nous les aimons tant, mais parfait jusqu’à la caricature !

Les schémas départementaux prévus par la loi de 2004 visent à corriger les déséquilibres territoriaux liés à l’inégale répartition géographique des établissements. Ils doivent également assurer une meilleure représentation des différentes disciplines et, surtout, démocratiser l’accès à ces enseignements, car il existe une surreprésentation des jeunes issus de milieux favorisés.

En effet, l’une de nos principales préoccupations, me semble-t-il, doit être de permettre l’accès à l’enseignement artistique des classes défavorisées, qui est aujourd'hui tout à fait insuffisant.

M. Laurent Béteille. La répartition des responsabilités à travers la loi s’accompagne d’une réorganisation des financements censée déboucher sur un nouvel équilibre. L’article 101 prévoit le transfert aux départements et aux régions, par voie de convention, des concours financiers que l’État accordait aux communes.

Un premier bilan de la loi a été réalisé en juillet 2008 dans le rapport sénatorial d’information, dont la conclusion soulignait que la mise en œuvre de la réforme était « en panne ».

Des schémas départementaux ont bien été réalisés, mais il faut reconnaître que leurs contenus sont très inégaux. Les régions se sont plus ou moins impliquées, et peut-être d'ailleurs plutôt moins que plus…

Le rapport sénatorial a fait le constat d’une mise en suspens du lancement des nouveaux cycles d’enseignement préprofessionnels, même si des études préalables ont bien été réalisées par les régions. Les élus redoutent l’impact financier de la réforme, semble-t-il. Les transferts de crédits aux départements et aux régions ont été reportés. Cette situation crée un contexte financier incertain, qui freine la dynamique engagée sur le terrain et qui constitue une source d’inquiétudes pour les directeurs de conservatoire.

Nombre d’élus ont dénoncé un déficit de méthodologie, de concertation et d’accompagnement de la part de l’État et de ses services déconcentrés. A contrario, certains représentants du ministère ont souligné les difficultés qu’ils rencontraient parfois à mobiliser les élus sur le sujet.

Monsieur le ministre, je crois que des concertations se poursuivent sur les questions de délais et de montants des transferts. Pouvez-vous nous dire où nous en sommes aujourd’hui ?

Je souhaiterais également que vous nous donniez votre avis sur certaines propositions formulées dans le rapport. En particulier, que pensez-vous de l’idée d’une expérimentation de la réforme dans les régions qui le souhaiteraient, puisqu’il est difficile, pour le moment, de parvenir à un consensus ?

Par ailleurs, le rapport suggérait de consolider la gouvernance du dispositif en développant la coordination à l'échelle régionale et en renforçant la coopération intercommunale. Il recommandait de mener une réflexion sur le statut le plus propice au partenariat entre collectivités publiques, qui pourrait être celui de l’EPCC, l’établissement public de coopération culturelle. Sur tous ces points, monsieur le ministre, pourriez-vous nous donner votre sentiment ?

Enfin, je voudrais conclure de la même façon que notre collègue Catherine Morin-Desailly : au-delà de la question posée, notre débat d’aujourd’hui est l’occasion d’évoquer la place des enseignements artistiques dans l’éducation nationale.

Le 14 octobre dernier, le Président de la République a présenté les lignes directrices d’une réforme du lycée dans laquelle l’enseignement des disciplines artistiques et culturelles retrouve toute sa place. Je citerai, en particulier, la création d’un enseignement transversal d’histoire des arts, qui ferait l’objet d’une évaluation au baccalauréat, ainsi que la désignation, dans chaque établissement, d’un « référent culture », c'est-à-dire d’un professeur chargé des relations entre l’établissement et le monde culturel environnant, en particulier les institutions et les services communaux. Des projections, des spectacles de théâtre et des concerts sont envisagés, afin de former le goût des jeunes et de leur faire partager notre patrimoine culturel.

Il s’agit, selon les termes employés par le Président de la République, de modifier « nos manières de penser […], de considérer l’éducation artistique et culturelle comme l’une des missions fondamentales de l’éducation nationale, et non comme un corpus de disciplines secondaires, reléguées à la marge des emplois du temps ».

Je me réjouis que l’art soit ainsi envisagé comme une nécessité, comme une chance – j’y insiste – pour tous nos enfants. Il est de notre devoir – celui de l’État comme celui des collectivités locales – de permettre un véritable essor de la connaissance et de la pratique des arts par tous. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. Enseignement artistique, éducation artistique, tout est en tout et le reste dans Télémaque ! (Sourires.)

Ce qui est certain, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est que les enseignements artistiques sont essentiels à la vie culturelle et sociale et qu’ils constituent l’une des clés de voûte de la nécessaire relance de la démocratisation de la culture.

C’est pourquoi, si le réseau des conservatoires et des écoles de musique, danse et théâtre a pour mission première de former les amateurs et de développer leurs pratiques, il est tout aussi indispensable d’en réaffirmer la mission d’éducation culturelle et artistique, bien trop minorée !

Cette mission appelle le développement tous azimuts de passerelles entre ces écoles spécialisées et les établissements scolaires. C’est là, je le redis après d’autres, une condition essentielle pour remédier à l’insuffisante démocratisation des enseignements artistiques. En effet, le réseau des conservatoires n’est fréquenté que par une minorité de jeunes, de surcroît majoritairement issus de milieux favorisés.

Or le non-partage de l’art, c’est comme une bombe antipersonnel : cela produit des mutilations terribles ! L’art est le champ de tous les possibles. Chaque enfant doit disposer d’une « piste d’envol » pour développer ses potentialités.

M. Ivan Renar. Malgré un consensus apparent sur sa place essentielle dans notre société, l’éducation artistique reste le parent pauvre des politiques publiques. Il est d’ailleurs significatif que, cinq ans après le vote de la loi relative aux libertés et responsabilités locales, le seul article de ce texte qui n’ait pas été appliqué concerne l’enseignement artistique spécialisé !

Ce blocage est en grande partie lié à une concertation non aboutie avec les collectivités territoriales, qui sont pourtant les premières concernées, compte tenu de l’importance de leur engagement financier. La réforme de la décentralisation des enseignements artistiques est donc effectivement « en panne », pour reprendre la formule de notre collègue Catherine Morin-Desailly, que je remercie au passage d’avoir suscité ce débat d’aujourd'hui.

Comment s’étonner de ce blocage dès lors qu’il est, en quelque sorte, demandé aux collectivités territoriales d’assumer la charge de la rénovation et du développement des enseignements artistiques que l’État ne s’est pas donné les moyens de réaliser ! Ces dernières années, les crédits d’État dédiés aux enseignements artistiques sont en baisse continue. Aujourd’hui, 80 %, voire davantage, des financements de fonctionnement pèsent sur les communes, qui se trouvent également bien seules pour faire face aux travaux d’investissement que nécessitent de nombreuses écoles de musique, théâtre et danse.

D’où l’aspiration des grandes villes à réduire les « charges de centralité » qu’elles supportent pour les cycles préprofessionnels en musique, théâtre et danse. Elles pourraient ainsi retrouver des marges de manœuvre en faveur de l’enseignement initial et des actions d’éducation artistique en liaison avec les établissements scolaires.

Ce constat du report financier sur les communes est encore plus criant pour les écoles supérieures d’art plastique, alors même que l’enseignement supérieur relève des compétences de l’État.

S’il est logique de donner à la région un rôle majeur dans l’organisation du schéma régional des formations artistiques, en parfaite cohérence avec les compétences de ce niveau de collectivité en matière d’orientation et de formation professionnelles, je puis néanmoins comprendre la position de l’Association des régions de France. Celle-ci rechigne à ce nouveau transfert, car il ne s’accompagne pas des financements adéquats, dans un contexte de suppression de la taxe professionnelle et de perte d’autonomie fiscale en raison du poids des nombreux transferts non compensés par l’État.

En outre, l’État est incapable d’évaluer le coût par élève du cycle d’enseignement professionnel initial qui reviendrait aux régions. Le ministère aurait dû apporter un appui technique aux régions afin d’aboutir à une évaluation partagée de l’impact financier du CEPI. Comment reprocher aux élus régionaux de ne pas s’être aventurés dans une réforme dont ils ignoraient l’impact financier ?

La question du « différentiel financier » entre le coût de la mise en œuvre de la réforme et le montant des crédits susceptibles d’être transférés par l’État doit être éclaircie.

Il est par ailleurs normal que les élus régionaux puissent définir eux-mêmes la hauteur de leur engagement financier, au lieu de se voir imposer une contribution, même si je reste profondément convaincu que le financement de l’art et de la culture, loin d’être une charge, constitue un investissement d’avenir et un atout.

Pour autant, il est clair que le statu quo actuel pénalise certaines régions plus volontaristes, comme le Nord-Pas-de-Calais, qui a bien avancé sur le CEPI et qui est aussi la seule à avoir expérimenté le protocole de décentralisation sur la question des enseignements artistiques.

Je constate également une fervente volonté des directeurs et des enseignants d’apporter le meilleur pour tous. Monsieur le ministre, je me dois de souligner que les agents de l’État, à tous les niveaux, ont accompli un excellent travail, malgré le handicap du manque de crédits.

À cet égard, parallèlement au CEPI, qui prépare les élèves des conservatoires à une vie artistique professionnelle, il est important de veiller à ce que ceux qui ne souhaitent pas s’engager dans la voie de la professionnalisation puissent continuer à s’épanouir dans leur pratique en jouissant des meilleures conditions.

En effet, les amateurs sont essentiels à la vie musicale. Si le solfège et la technique sont importants, il n’est pas moins crucial de remettre le plaisir et le désir personnels au cœur de la démarche musicale, dès l’enfance. Ce devrait être un impératif pédagogique.

En ce sens, il est également fondamental de promouvoir les pratiques collectives, extrêmement gratifiantes mais trop souvent délaissées dans bien des conservatoires. Le plaisir de jouer ensemble, l’écoute de l’autre et le partage constituent souvent la meilleure incitation à poursuivre les efforts de l’apprentissage, quels que soient les obstacles techniques. Pouvoir se produire face à un public est aussi le meilleur des encouragements à une pratique artistique !

De même, il est indispensable de diversifier l’offre en développant des disciplines encore trop peu représentées, comme les musiques actuelles, les musiques improvisées ou les musiques de cultures non européennes.

Il est également essentiel d’élever le niveau par une meilleure qualification des enseignants et d’ouvrir davantage les conservatoires et les écoles sur la vie de la cité, les associations, les structures de diffusion du spectacle vivant, les établissements scolaires, les maisons des jeunes et de la culture, en un mot de favoriser tous azimuts la rencontre des amateurs et des professionnels ainsi que les allers-retours entre spécialistes et amateurs, chacun ayant à y gagner.

Le rôle des « dumistes », c'est-à-dire des titulaires d’un DUMI ou diplôme universitaire de musicien intervenant, reste trop méconnu, ce que je regrette, car ceux-ci assument une mission essentielle. En effet, ce sont des musiciens intervenants, recrutés par les communes ou leurs groupements, qui possèdent un diplôme universitaire après une formation de deux ans délivrée dans les centres de formation des musiciens intervenants ; j’ai d'ailleurs l’honneur de présider celui de l’université de Lille III. Les « dumistes » permettent ainsi à plus de deux millions d’enfants de notre pays de bénéficier, chaque année, d’un éveil à la musique, à la pratique instrumentale ou au chant, dans le cadre de projets divers, élaborés en étroite concertation avec les instituteurs.

« Les enfants, là est la clé du trésor ! », pour reprendre l’excellente formule d’André Malraux. C’est pourquoi la mission des « dumistes » doit être davantage valorisée auprès des directeurs et équipes pédagogiques d’écoles maternelles et primaires, ce qui suppose, naturellement, un engagement plus résolu de l’éducation nationale et des services académiques.

Il y a beaucoup à faire pour permettre aux enfants de vivre une expérience où la pratique artistique, qui met en jeu le corps, la sensibilité, la maîtrise de techniques et de méthodes, soit rapprochée de l’approche culturelle réunissant les savoirs sur les œuvres du patrimoine et la découverte de la création contemporaine, le tout en lien avec une véritable éducation esthétique.

C’est pourquoi la formation artistique et culturelle devrait être dispensée dans le cadre scolaire par des maîtres spécialisés, comme c’est le cas dans de nombreux pays d’Asie ou d’Europe centrale.

En France, l’éducation artistique et culturelle est perçue comme secondaire et semble condamnée à ne constituer que la variable d’ajustement des politiques éducatives, alors qu’elle est se trouve au centre de la vie, au cœur de l’humain.

En ce qui concerne plus spécifiquement l’enseignement de la danse et l’art dramatique, celui-ci est souvent inexistant ou sans véritable consistance, bien qu’il existe une forte demande en la matière. Les départements souhaitent donc des mesures de rattrapage de l’État en faveur de ces deux spécialités, afin d’apporter plus de cohérence et d’efficacité à leurs efforts de construction d’un cadre territorial structuré et équilibré.

Le processus de Bologne contraint l’ensemble des écoles artistiques supérieures, tels que les conservatoires et les écoles supérieures d’art plastique, à s’harmoniser sur le cursus universitaire européen dit « LMD », licence, master, doctorat.

Cette évolution est positive dans la mesure où une telle convergence des diplômes facilitera la reconversion des artistes. Toutefois, veillons à ce que cette harmonisation ne conduise pas à l’uniformisation. C’est pourquoi tout cursus visant en quelque sorte à « normer » les compétences de l’artiste doit rester souple.

Quant aux écoles supérieures d’art, elles possèdent chacune une histoire singulière qui fait l’originalité de leur formation à « l’art par l’art » ; d’ailleurs, nombre de leurs intervenants sont souvent des artistes en activité. Elles constituent de véritables laboratoires, qui ne doivent pas perdre leur âme en se conformant strictement au modèle universitaire. La pratique artistique elle-même constitue une véritable recherche permanente. C’est pourquoi je suis persuadé que les écoles supérieures d’art et les universités peuvent s’enrichir mutuellement, dans le respect de leur diversité, qui constitue une richesse à sauvegarder.

Il faut le souligner, les écoles supérieures d’art plastique jouent un rôle majeur dans la diffusion de l’art contemporain sur leur territoire. Il est impératif qu’elles continuent également à promouvoir les ateliers de pratiques et la sensibilisation, pour que chacun, quelle que soit sa situation sociale ou géographique, puisse s’approprier la création contemporaine et s’en faire une force de réflexion.

L’apprentissage du sensible ne doit plus être considéré comme facultatif et secondaire, car c’est l’une des plus belles aventures humaines. Il ne faut pas que l’enjeu de la démocratisation culturelle soit abandonné au seul marché. Face aux industries culturelles et à leurs produits de divertissement, le rôle du service public de la culture est plus que jamais déterminant pour former sans formater.

Il est également nécessaire de relancer l’éducation populaire, d’autant que le désir de culture n’a jamais été aussi puissant. D’ailleurs, un nombre impressionnant de nos concitoyens s’adonne à une pratique artistique en amateur.

Le débat que nous menons sur la décentralisation des enseignements artistiques, s’il est bienvenu, n’en est pas moins, d’une certaine façon, en décalage avec la réforme territoriale qui est envisagée pour les prochains mois. Et comment ne pas relayer les inquiétudes profondes que la remise en cause de la clause de compétence générale des collectivités et des cofinancements suscite légitimement, tant chez les élus que dans le monde de la culture dans son ensemble ?

Je reste convaincu que, à l’instar des droits de l’homme, la culture doit demeurer une responsabilité partagée. C’est bien la décentralisation et le fort engagement de l’ensemble des collectivités locales qui ont permis une profonde transformation du paysage artistique et culturel de notre pays, rapprochant partout sur notre territoire l’offre du citoyen.

Il n’en reste pas moins qu’une politique de démocratisation culturelle plus efficace passe par l’éducation. Culture et éducation forment un couple indissociable. Il est donc urgent que les deux ministères concernés agissent enfin de pair. Le service public de la culture doit pouvoir s’appuyer sur le service public de l’éducation, et réciproquement ! C’est une question de justice sociale, de solidarité, d’égalité entre les citoyens et de respect du droit à la culture pour tous.

Le préambule de la Constitution de 1946 n’affirme-t-il pas que « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture » ? Or l’enjeu de la culture pour tous est l’enjeu de la démocratie tout court ! Plus que jamais, face à la montée des intégrismes, il nous faut lutter contre tous les analphabétismes.

Il s’agit d’apprendre l’art comme on apprend à lire et à compter. Les enseignements artistiques et l’éducation culturelle n’ont pas à être optionnels si l’on souhaite n’en écarter personne. C’est à l’épreuve du feu que l’on se brûle, c’est à l’épreuve de l’art qu’on en suscite le désir.

Monsieur le ministre, j’aime à citer l’auteur et metteur en scène Jean-Luc Lagarce, trop tôt disparu : « Une société, une cité, une civilisation qui renonce à l’art, qui s’en éloigne, au nom de la lâcheté, de la fainéantise inavouée, du recul sur soi, qui s’endort sur elle-même, qui renonce au patrimoine en devenir pour se contenter, dans l’autosatisfaction béate, des valeurs qu’elle croit s’être forgées et dont elle se contenta d’hériter, cette société-là renonce au risque, elle oublie par avance de se construire un avenir, elle renonce à sa force, à sa parole, elle ne dit plus rien aux autres et à elle-même. »

Les enseignements artistiques permettent la nécessaire transmission, assurent le passage de témoin de la mémoire, de l’héritage et des générations pour mieux inventer demain.

Je souhaite donc un engagement financier plus résolu de l’État en faveur des enseignements artistiques. Il s’agit bien de réclamer plus d’État non « pour diriger l’art, mais pour mieux le servir », ainsi que l’a si bien exprimé André Malraux. Il faut un État garant du développement équilibré des enseignements artistiques sur l’ensemble du territoire national ; en un mot, il faut un État fort de sa légitimité républicaine et des collectivités fortes de leur proximité et de leur solidarité.

Dans une époque où l’effondrement de la raison produit des monstres, l’art et la culture sont devenus de véritables enjeux de civilisation et la condition même de notre civilisation. Et n’oublions jamais, monsieur le ministre, que l’intelligence est la première ressource de notre planète. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.

Mme Françoise Cartron. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le travail de notre collègue Catherine Morin-Desailly, qu’il s’agisse de son rapport d’information sur la décentralisation des enseignements artistiques, qui est de grande qualité, ou de la proposition de loi qu’elle a déposée en vue de répondre à l’impasse dans laquelle se trouvent actuellement les enseignements artistiques. Face à l’absence d’engagement clair de l’État sur ce sujet, il était également indispensable d’ouvrir le débat devant la Haute Assemblée.

Je m’interroge cependant sur le sort réservé à cette proposition de loi, qui avait le mérite de régler plusieurs problèmes, mais qui n’a pas été inscrite à l’ordre du jour de nos travaux. Nous ne pouvons pourtant pas nous satisfaire du statu quo actuel. Comme beaucoup ici, je considère qu’il est urgent que le législateur se penche de nouveau sur l’organisation des enseignements artistiques dans notre pays. (Mme Catherine Morin-Desailly manifeste son approbation.)

Au premier abord, cette question pourrait apparaître comme essentiellement technique. Mais ne nous y trompons pas : derrière les problèmes de financements et de compétences, se profile un enjeu politique majeur.

Cet enjeu est d’abord national. Quel enseignement des arts, quelle ouverture culturelle voulons-nous pour nos enfants ? Quelles doivent être nos exigences pédagogiques ?

L’enjeu est également local. Comment les enseignements artistiques peuvent-ils ouvrir la voie à un véritable aménagement culturel des territoires ? Comment organiser ces enseignements afin qu’ils puissent remplir pleinement leurs rôles d’émancipation culturelle et de lien social ? Enfin, comment ouvrir ces enseignements à tous et les sortir de l’élitisme dans lequel ils sont trop souvent restés ?

Le rapport d’information de Catherine Morin-Desailly a tenté de répondre à certaines de ces questions et a montré que les réponses dépendaient bien souvent de l’implication de l’État. Pour autant, la question de la démocratisation des enseignements artistiques et de leur inscription dans un projet territorial cohérent n’a pas encore été assez abordée.

Tout d’abord, sur l’attribution aux régions de la compétence en matière d’organisation du cycle d’enseignement professionnel initial, qui constitue le point central du rapport d’information de Catherine Morin-Desailly, nous devons malheureusement constater avec elle l’échec de la loi du 13 août 2004.

Les articles 101 et 102 de la loi relative aux libertés et responsabilités locales ont en effet attribué à chaque niveau de collectivité une compétence spécifique en matière d’enseignements artistiques. Néanmoins, il ne faut pas croire que ce texte fonde la décentralisation de ces enseignements. Les lois de décentralisation de 1983 avaient déjà donné aux collectivités compétence en ce domaine, mais sans en préciser la répartition. Dans les faits, et à l’exception de la dizaine de conservatoires départementaux, ce sont bien souvent les communes qui ont pris les écoles et conservatoires à leur charge.

En ce sens, la loi de 2004 constitue un réel progrès puisque nous pouvons y voir l’amorce de projets territoriaux cohérents, chaque collectivité étant, d’une façon ou d’une autre, impliquée. Dans un souci d’aménagement du territoire et de meilleure organisation des enseignements, il était en effet nécessaire de dépasser l’horizon communal et d’organiser des synergies et des espaces de projet à l’échelle du département et de la région.

Ainsi, la loi donne obligation aux départements de mettre en place, dans les deux ans, un schéma départemental des enseignements artistiques. La nomenclature des établissements d’enseignement artistique a été modifiée en conséquence, et aux anciens conservatoires de région, conservatoires et écoles de musique ont succédé les conservatoires à rayonnement régional, départemental ou communal.

Cette nouvelle nomenclature s’est accompagnée d’un projet pédagogique apparemment ambitieux, sur lequel je reviendrai.

La loi confie en effet aux régions la mission d’organiser et de financer les CEPI, sanctionnés par un diplôme national d’orientation professionnelle, le DNOP. Ce dispositif, qui se substitue aux anciens diplômes d’école, a une vocation nationale et préprofessionnalisante. Aux termes de la loi, l’État conserve le contrôle des enseignements, la définition des cursus et du cahier des charges des établissements, ainsi que la labellisation de ces derniers.

Je le répète, la création des CEPI est ambitieuse, car ce diplôme national ouvre l’accès aux centres d’études supérieures et donne le droit de se présenter à certains concours de la fonction publique territoriale. La compétence devenant régionale, la loi a prévu que les crédits accordés à ce titre par l’État aux départements et aux communes seraient désormais versés aux régions.

Selon moi, le blocage de la décentralisation des CEPI provient justement de l’ambition de ce cycle, car, en même temps qu’il transférait la compétence aux régions, l’État a renforcé ses exigences, donc le coût des formations. Et, comme c’est hélas ! souvent le cas, l’État n’a pas prévu la compensation de cette nouvelle charge. Notre collègue l’a suggéré dans son rapport d’information : c’est bien la non-compensation exacte des charges, et non le transfert de la compétence elle-même, qui a provoqué les réticences des régions à appliquer la réforme. Dans leur grande majorité, celles-ci ont en effet estimé que le surcoût induit par la création des CEPI n’était aucunement compensé et que l’État s’était indûment déchargé sur elles.

Cette compétence nouvelle a donc été majoritairement refusée par les régions, et seules deux collectivités ont mis en place les CEPI. À plusieurs reprises, les régions ont porté cette question devant la commission consultative d’évaluation des charges, mais l’État n’a jamais accepté de faire évoluer sa position. Pourtant, il faut bien le reconnaître, les exigences pédagogiques induites par les CEPI rendent cette compétence très coûteuse pour les régions.

Les régions ont néanmoins fait un pas en avant considérable. Ainsi, l’Association des régions de France a récemment trouvé une position commune et a déclaré que les régions étaient prêtes à participer à l’organisation des CEPI, notamment sur la base du conventionnement. Les régions demandent que les crédits alloués au titre de ces cycles continuent toutefois d’être versés aux communes et groupements intercommunaux, qui demeurent l’acteur majeur en ce domaine.

Le texte proposé par Catherine Morin-Desailly répond à cette demande légitime des régions. Son article 1er précise en effet que, si elles continuent à « organiser » les CEPI, les régions ne font plus que « contribuer à leur financement ». En outre, il donne enfin aux régions un outil de pilotage, en créant une « commission régionale des enseignements artistiques », lieu de concertation entre l’État et les divers niveaux de collectivités territoriales.

L'article 1er complète également le rôle des régions en précisant que ces dernières sont chefs de file au sein de la commission régionale des enseignements artistiques, et en leur attribuant par ailleurs l’établissement d’un schéma régional des enseignements professionnels. Cet outil de pilotage est essentiel, car il permettrait de mettre fin à une situation aberrante : les départements, qui n’ont pas d’obligation de financement, se sont vus chargés de l’élaboration d’un schéma départemental tandis que la région, qui a, elle, une obligation de financement, ne dispose d’aucun outil de mise en cohérence des enseignements artistiques sur son territoire. Cela dit, il serait important de mieux définir le rôle et le fonctionnement de la commission régionale des enseignements artistiques. Si les régions acceptent cette compétence, elles devraient avoir leur mot à dire sur les contenus.

Je crois donc que la proposition de loi de Catherine Morin-Desailly répond, au moins en partie, à ce problème de clarification des compétences, mais que, en revanche, elle ne répond que très imparfaitement aux craintes des régions en matière de financement, ces dernières redoutant que les communes ne se désengagent totalement du financement des CEPI. Les régions auraient alors à leur seule charge la mise aux normes des conservatoires à rayonnement régional et départemental.

Les dispositions de l’article 2 de la proposition de loi prévoient que les crédits seraient versés aux régions, comme c’est déjà le cas aux termes de l’article 102 de la loi de 2004. Cette mesure ne tient aucun compte de la position de l’Association des régions de France, qui a demandé que ces crédits continuent à être versés aux communes et intercommunalités, le financement régional venant en appoint.

Surtout, le texte n’apporte aucune avancée sur la compensation par l’État des conséquences de son ambition pédagogique.

J’appelle votre attention sur un point qui me semble capital : cette proposition arrive dans un contexte d’incertitude totale sur les futures compétences des collectivités territoriales et sur leur avenir financier. C’est d’ailleurs peut-être la raison pour laquelle nous discutons aujourd’hui d’une question orale avec débat et non de la proposition de loi.

Enfin, il est paradoxal que l’État confie cette compétence coûteuse à des collectivités auxquelles le Président de la République ne cesse de reprocher d’’être trop dépensières.

Je l’ai souligné : la proposition de loi apporte un certain nombre de réponses pour sortir de l’impasse actuelle. Toutefois, il faut aller plus loin. La loi de 2004 a réformé les compétences et le financement ; elle a constitué aussi une sorte de révolution pédagogique des enseignements artistiques. Mais cette trop grande ambition est au cœur même du blocage actuel.

Ainsi, il convient de s’interroger sur l’utilité même des CEPI. Ces cycles ne peuvent-ils être considérés comme un prolongement superflu des études dans les établissements d’enseignement artistique, qui retarderait de deux à trois ans l’entrée dans le métier des candidats qui en ont les capacités et ne présenterait guère d’intérêt pour ceux qui resteront amateurs.

De plus, le DNOP délivré à l’issue d’un CEPI restera un diplôme « franco-français », bien loin du standard LMD qui s’impose en Europe. Depuis la rentrée 2008, l’université publique développe au sein des pôles universitaires en musique, danse et théâtre de véritables diplômes professionnels, les diplômes nationaux supérieurs professionnels. Dans ces conditions, pourquoi conditionner l’entrée dans ces pôles à un diplôme intermédiaire, dont la valeur ne serait reconnue qu’en France et qui se révèle extrêmement coûteux pour les collectivités ?

La mise en place du projet pédagogique des CEPI implique la mobilisation de moyens humains qui nous font aujourd’hui défaut. En 2004, le ministère de la culture, qui était à l’origine du projet, n’a tenu aucun compte de la situation des enseignants dans les conservatoires et écoles de musique, faite la plupart du temps de précarité et d’isolement. Trop souvent, les établissements refusent d’accorder à leurs enseignants réguliers des contrats à durée déterminée et ces professeurs deviennent des vacataires perpétuels. Nombre d’entre eux sont contraints à être itinérants pour gagner un salaire décent. Ce morcellement du travail, parfois entre deux départements, est un obstacle évident à l’efficacité et à l’implication de ces enseignants dans un projet pédagogique ambitieux comme les CEPI.

À cette précarité s’ajoute l’absence d’une formation continue de qualité, tant pour les enseignants que pour les directeurs d’établissement. On demande à des personnes parfois formées sur le tas, qui n’ont souvent reçu aucune formation pédagogique, de mettre en œuvre un projet très exigeant. Une réforme ambitieuse ne peut faire l’impasse sur la nécessité de revaloriser le statut et la formation des « encadrants ».

Remarquons tout de même que le projet pédagogique des CEPI représente un progrès sur un point : il fait sortir les conservatoires de ce que j’appellerais une « culture de la médaille d’or », qui forme certes de façon privilégiée des praticiens excellents, mais cela au détriment de la de transmission et du développement culturel par les arts pour le plus grand nombre. Enseigner les arts, cela ne doit pas se limiter à former des petits prodiges ; c’est être capable de former de futurs médiateurs, des amateurs de haut niveau, qui formeront demain le terreau de la vie culturelle locale.

Il faut donc sortir de cette culture du don et du talent que perpétuent trop souvent nos conservatoires. Pour autant, les CEPI n’apportent pas de réponse satisfaisante au manque de démocratisation des enseignements culturels.

Avant de créer ces cycles intermédiaires, la loi de 2004 aurait sans doute dû renforcer les obligations de l’État et des collectivités en matière d’éducation artistique pour tous. La sensibilisation de tous les enfants aux différentes formes d’art est en effet le meilleur facteur de démocratisation des pratiques artistiques.

Les crédits alloués par l’État et les collectivités aux enseignements artistiques méritent d’être revus à la hausse, mais pas uniquement pour créer des CEPI. L’enseignement musical demeure aujourd’hui un luxe pour bien des familles, aux points de vue tant financier que culturel. Même si les communes participent en prenant en charge une très grande partie des frais qui incombent aux familles, les sommes engagées restent parfois considérables.

L’expérience dont vous avez fait mention ce matin en commission, monsieur le ministre, et qui est conduite au Venezuela se rapproche de celle que j’ai pu observer au Chili : dans l’un et l’autre cas, il s’agit de permettre aux enfants de quartiers très défavorisés d’accéder à une pratique artistique, en consacrant les moyens nécessaires pour à cette action de sensibilisation. Ce sont des exemples de réussite que nous devrions avoir à l’esprit dans nos réflexions sur l’avenir. (M. le ministre de la culture fait un signe d’assentiment.)

Ainsi, la question de l’irrigation de nos territoires, particulièrement de nos territoires ruraux, en enseignements artistiques de qualité n’a été que trop peu – et mal – abordée par la loi de 2004. Elle est par ailleurs absente de la proposition de loi déposée par notre collègue.

Les efforts de mise en réseau des enseignements et des enseignants, ainsi que le développement de méthodes pédagogiques innovantes dans les campagnes, restent encore aujourd’hui insuffisants. Si nous voulons corriger les imperfections de la loi, nous devrons impérativement traiter ces problèmes et mettre en place des incitations réelles, sans quoi certains territoires demeureront des déserts culturels.

En conclusion, mes chers collègues, monsieur le ministre, je voudrais réaffirmer ma conviction : derrière ses aspects techniques, la décentralisation des enseignements artistiques constitue un enjeu politique majeur pour le développement culturel de nos territoires. Il y va aussi de l’égalité des chances puisque nous devons réussir la démocratisation de cette transmission de la culture. C’est enfin un enjeu économique parce que de très nombreux emplois, souvent précaires, sont concernés.

La proposition de notre collègue est un premier pas, mais il est insuffisant. Elle constitue une base, qui devra être élargie, afin de mieux redéfinir le rôle de l’État et de créer davantage de liens entre les différentes formations supérieures artistiques.

Pour sortir réellement de l’impasse, il faut donc remettre tout l’ouvrage sur le métier et repenser l’organisation de ces enseignements, en concertation avec les collectivités. C’est justement cette absence de concertation préalable qui a été la cause de l’échec à la fois administratif et pédagogique de la loi de 2004. Ne renouvelons pas cette erreur : donnons aux collectivités les moyens d’être ces conquérants de la culture que Malraux imaginait. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les enseignements artistiques participent de l’aménagement du territoire. Ils contribuent à la richesse de l’offre d’accès à la culture, aussi bien dans le domaine de la danse que dans ceux de la musique ou des arts graphiques.

Les bases de la réforme ont été jetées par la loi relative aux libertés et responsabilités locales, en 2004, qui confiait la responsabilité de ces enseignements aux collectivités territoriales, sans pour autant en définir précisément les tenants et les aboutissants.

De vives inquiétudes se sont immédiatement fait jour, principalement de la part des collectivités locales et des régions, mais aussi du monde associatif et des professionnels, à propos de la définition du périmètre des compétences et des destinataires des crédits de l’État. J’aurai l’occasion de revenir sur ce point.

Mes chers collègues, la réforme de l’organisation des collectivités territoriales est au cœur de nos préoccupations et, avec elle, la problématique des transferts de compétences de l’État vers ces collectivités.

Les transferts de crédits sont malheureusement rarement proportionnels aux besoins et il en va de même dans le secteur des enseignements artistiques. C’est la raison des réticences de certaines collectivités.

Je souhaite dire quelques mots sur les raisons du blocage de la réforme de 2004.

De l’eau a coulé sous les ponts sans que la situation se clarifie et que les décrets d’application soient publiés. Sur le terrain, seules deux régions ont pu procéder à des expérimentations. Les autres ont réalisé des études d’impact, exprimé haut et fort leur refus de prendre en charge la totalité du financement du CEPI et, surtout, demandé une concertation préalable entre les collectivités locales et l’État. Leur requête est restée lettre morte.

Cette situation tendue a conduit à la publication du rapport d’information de notre collègue Catherine Morin-Desailly en juillet 2008. Dans cette publication, conçue pour tracer des pistes de sortie de crise, les raisons du blocage sont exposées sans périphrases et la nécessité pour l’État de donner un « coup de pouce » financier est réaffirmée.

Qui plus est, l’éducation et les enseignements artistiques y sont présentés dans toute leur noblesse en termes de choix de société et d’aménagement territorial. Ce rapport d’information se veut un bilan d’étape de l’application du volet consacré par la loi de 2004 aux enseignements artistiques.

Ses objectifs sont louables : démocratiser l’accès à la culture et aux disciplines artistiques, qu’elles soient pratiquées à titre amateur ou professionnel, notamment en valorisant l’orientation vers les métiers de la culture, mais aussi grâce à la mise en place d’outils de coordination des actions propices au partenariat entre collectivités publiques et acteurs privés, ou encore par une valorisation statutaire.

Les conditions du succès de la réforme envisagée dans ce rapport sont essentiellement d’ordre financier et méthodologique : expérimentations régionales, clarification des débouchés professionnels des formations artistiques, gouvernance régionale des enseignements ou encore coopération intercommunale.

Permettez-moi d’insister sur la nécessaire coordination des actions artistiques et culturelles au sein de nos territoires. Elle est cruciale à mes yeux. En effet, respecter les équilibres entre privé et public, c’est par exemple renforcer les partenariats entre les conservatoires et le secteur associatif, amplifier largement l’effort de formation et assurer la représentation des acteurs du secteur privé dans la commission régionale des enseignements artistiques. Chacun des acteurs – employeurs, enseignants, artistes – a son mot à dire.

Ces changements garantiraient un meilleur accès pour tous à une offre large de pratiques artistiques, y compris les plus innovantes, celles qui sont liées aux nouvelles technologies ou encore, pour ne citer qu’un exemple de champ disciplinaire, au domaine des musiques actuelles.

Depuis 2008, les questions du pilotage et du transfert des crédits restent pourtant sans réponse : qui, des régions ou des communes, exercera la compétence en matière d’enseignement artistique ? S’agira-t-il des unes, des autres ou bien encore des deux à la fois ?

L’Association des régions de France accepte un pilotage au niveau régional, mais avec un transfert de la mise en œuvre aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale.

C’est d’ailleurs pour trancher cette question une fois pour toutes devant le Parlement que vous avez déposé le 24 juillet dernier, chère Catherine Morin-Desailly, votre proposition de loi n° 588 rectifié. Dans votre texte, de nombreuses dispositions méritent mieux que les réticences du Gouvernement.

Vos recommandations sur l’éducation artistique et l’orientation professionnelle, notamment, sont particulièrement précieuses. La question de l’orientation est fondamentale pour la formation des futurs artistes et enseignants. Jusqu’à présent, seuls les élèves les plus doués ou bénéficiant d’un environnement familial favorable pouvaient envisager de faire de leur passion et de leur talent leur métier. Demain, peut-être, chacun pourra prétendre au droit d’être orienté dans son parcours artistique et, ainsi, choisir en connaissance de cause entre la pratique en amateur et le cadre professionnel.

En termes d’emploi, poser la question de l’orientation, c’est aussi s’intéresser aux débouchés professionnels : dans le CEPI, un module traite justement des métiers culturels dans toute leur diversité, rompant ainsi avec le mythe du jeune virtuose, qui était jusqu’à aujourd’hui la seule issue honorable pour un élève de conservatoire.

Pourquoi un jeune pianiste ne pourrait-il pas se réaliser professionnellement en tant que programmateur de festival, disquaire ou encore administrateur d’orchestre ? Cela suppose de ménager le temps nécessaire à l’orientation. À l’heure où les professionnels du spectacle connaissent les difficultés que l’on sait, le fait de créer un cycle d’orientation professionnelle serait une initiative salutaire.

Dans cette même logique, l’harmonisation des diplômes pourrait contribuer à rétablir l’égalité des chances dans un secteur qui se complaît trop souvent dans l’élitisme. Actuellement, chaque conservatoire classé par l’État délivre son propre diplôme, dont la valeur est principalement liée à la réputation de l’établissement.

Le CEPI déboucherait sur le diplôme national d’orientation professionnelle, permettant enfin de gommer les inégalités territoriales. En effet, on sait bien qu’il vaut mieux, par exemple, apprendre la musique à Lyon qu’à Toulouse !

À l’heure où l’État s’attache à restructurer l’enseignement artistique supérieur, à quoi cette réforme servira-t-elle si l’on ne crée pas un diplôme ouvrant la voie aux nouveaux cursus et diplômes supérieurs, tout en garantissant une parfaite transparence des critères d’accès et des prérequis ?

L’affirmation de la vocation première des conservatoires, en ce qui concerne la formation des amateurs, est aussi importante. La dénomination de « cycle d’orientation professionnelle », ou COP, permet, plus que celle de CEPI, de mettre en avant le terme « orientation », clairement énoncé.

Par ailleurs, la création d’une commission régionale des enseignements artistiques doit absolument être encadrée par la loi, de telle sorte qu’elle soit pourvue des prérogatives suivantes : négocier et déterminer l’organisation du COP, définir les contributions financières par voie de convention avec les collectivités ou encore avec l’État.

Celui-ci réapparaît ainsi comme acteur. Dans le texte initial, les régions devaient s’arranger seules, alors que l’État est assurément le mieux placé pour prendre les initiatives de certification.

Avant de conclure, je voudrais préciser que je partage certaines inquiétudes des régions. Pour les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale, la proposition de loi de notre collègue ne présente que des avantages. Pour les régions, même si la transformation du CEPI est susceptible de simplifier les choses, il faudra être vigilant quant à l’augmentation des volumes horaires prévus initialement.

L’actuelle évaluation des coûts devra être ajustée pour que les crédits transférés couvrent effectivement les dépenses provoquées par le pilotage et l’organisation du diplôme.

Je tiens à souligner que l’avis réservé des régions est d’autant plus justifié que cette réforme est une fausse décentralisation, l’État n’ayant jamais exercé cette compétence : s’il contrôle les schémas pédagogiques et le classement des conservatoires, ce sont bien les collectivités gestionnaires qui en assurent la bonne marche et en supportent l’essentiel des dépenses : de 75 à 95 %.

Votre texte, ma chère collègue, s’il est mis à l’ordre du jour du Sénat et adopté, permettra de lever les blocages dans la mesure où les régions ne seront plus contraintes à l’action, mais engagées à piloter la concertation et à passer des conventions, si elles le souhaitent, avec les autres collectivités.

Une ombre persistera pourtant au tableau, car seules les régions volontaires avanceront et financeront le COP au-delà des crédits transférés. Les autres pourront se contenter de reverser ces crédits aux conservatoires. De fait, les collectivités gestionnaires continueront d’agir selon leurs possibilités et les disparités territoriales que la loi était censée résoudre subsisteront. Mais restons optimistes : avec le temps, des améliorations pourront être recherchées et trouvées.

La réforme des enseignements artistiques doit être engagée. Le statu quo conduirait à une profonde régression et mettrait les collectivités en grande difficulté face à l’opinion publique. Passer en force pour imposer une réforme à des collectivités récalcitrantes accentuerait le gâchis.

Suivre les préconisations esquissées par notre collègue permettrait une sortie de crise attendue depuis cinq ans. Pour mieux franchir le cap, il me semble que cela peut attendre quelques mois de plus, sachant que le rapport a été rendu il y a déjà quinze mois !

À partir d’avril 2010, la proposition de loi de Mme Morin-Desailly pourrait être considérée pour ce qu’elle est et examinée sereinement par le Parlement, et non pas exploitée à des fins exclusivement politiciennes, voire électoralistes.

Monsieur le ministre pouvez-vous prendre cet engagement devant nous ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et de lUnion centriste. – M. Jean-Luc Fichet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a posé, dans ses articles 101 et 102, les principes de la répartition des responsabilités sur le volet « enseignements artistiques », domaine si fondamental à l’épanouissement des individus et au développement du « vouloir vivre ensemble ». Mais elle est restée au milieu du gué, ce qui a entraîné les situations de blocage que l’on connaît et qui viennent d’être évoquées. Qu’il me soit donc permis de remercier à mon tour notre collègue Catherine Morin-Desailly d’avoir relancé ce débat.

Je voudrais axer mon propos sur le rôle respectif de l’État et des collectivités territoriales, en les illustrant par des exemples tirés de mon département, le Finistère, et de ma région, la Bretagne.

Cela a été rappelé, l'éducation nationale est le premier acteur concerné. À cet égard, je citerai, moi aussi, le Président de la République, ce qui m’arrive tout de même rarement ! (Exclamations amusées.)

Mme Françoise Laborde. Voilà qui est surprenant !

M. Ivan Renar. Vous pastichez la droite, ma chère collègue !

Mme Maryvonne Blondin. Dans son discours sur la réforme du lycée, il a ainsi déclaré : « Le devoir de l’école est de transmettre à chacun notre patrimoine commun, qui est fondamentalement culturel. […] Dans le lycée de demain, l’art et la culture feront partie de la vie quotidienne des élèves […] » Il a en outre précisé : « La part des enseignements et des activités artistiques ou culturelles au lycée est aujourd'hui, disons-le, scandaleuse. »

Vous-même, monsieur le ministre, avez affirmé ce matin devant notre commission de la culture qu’il s’agissait de l’un des grands enjeux de demain.

Nous avons tous conscience ici du peu de considération accordé à l'enseignement des disciplines artistiques, très souvent relégué en fin de journée et dispensé dans des conditions assez déplorables.

Dans le même discours, Nicolas Sarkozy a également souhaité la désignation, dans chaque lycée, d’un « référent culture », choisi parmi les professeurs, chargé des relations de l’établissement avec le monde culturel environnant.

Monsieur le ministre, si l’on ne peut qu’approuver ces engagements, qu’en est-il de la réalité des moyens qui y sont affectés ? Comment créer de nouvelles responsabilités au sein du lycée si le nombre d’enseignants diminue ? L’éducation nationale annonce, en effet, à chaque rentrée, de nouvelles suppressions de postes et une diminution constante des places offertes au CAPES.

Pour étayer mes craintes, je continuerai de citer le Président de la République, qui a indiqué qu’il demandait à son ministre de l’éducation nationale d’étudier la possibilité de projeter des films dans les lycées professionnels, l’État assumant le financement de ces projections « s’il le faut ».C’est ce « s’il le faut » qui m’inquiète ! On ne peut se contenter d’une telle approximation, d’autant que le projet de loi de finances pour 2010 prévoit une baisse, à hauteur de 50 % dans le premier degré et de 14 % dans le second degré, des moyens de fonctionnement destinés à financer les actions pédagogiques et les partenariats dans les domaines artistique et culturel.

Au final, il est légitime de s’interroger sur la réalité des engagements de l’État pour le développement de l’art et de la culture dans les établissements scolaires. À l’évidence, les paroles sont belles, mais l’air est trop connu et la chanson est bien triste ! Les moyens ne sont pas à la hauteur de l’ambition affichée par le Gouvernement.

Il s’agit pourtant d’une question capitale, car c’est dans le cadre du milieu scolaire que les inégalités sociales en termes d’accès à la culture doivent être corrigées.

La mission commune d’information sénatoriale sur la politique en faveur des jeunes, à laquelle j’ai participé, a fait apparaître, dans son rapport, la nécessité de prendre en compte toutes les compétences de chaque élève « pour mettre un terme aux sorties du système éducatif sans aucun diplôme, certification ou attestation ». Or les aptitudes artistiques font partie de ces compétences susceptibles de révéler des élèves qui ne s’illustrent pas dans les matières traditionnelles. Il faut sortir de la culture linéaire du diplôme et permettre aux élèves les moins « scolaires » d’acquérir d’autres compétences.

« C’est l’éducation culturelle qui apprend à travailler efficacement ensemble dans le respect et la compréhension […] L’éducation artistique donne aux jeunes le courage de franchir les frontières et de développer pleinement leur personnalité, et pas seulement leurs talents intellectuels. L’éducation dans une société démocratique est intrinsèquement liée à ces qualités. » Ce n’est ni un ministre de l'éducation nationale ni un chef d'État qui s’est exprimé ainsi ; c’est une chef d’entreprise autrichienne, Monika Kircher-Kohl.

Dans son rapport du 9 juillet dernier, établi au nom de la commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Christine Muttonen écrit ceci : « Les établissements d’enseignement doivent mettre sur pied des projets internationaux de coopération dans le domaine de l’éducation culturelle […] Les États membres doivent soutenir les établissements d’enseignement dans ces projets par des actions de sensibilisation [ou] l’octroi de financements[…] »

Elle recommande par ailleurs aux responsables du PISA, le programme international pour le suivi des acquis des élèves, mené par l’OCDE, d’inclure « le sens civique » et « les compétences créatives » dans le champ d’évaluation des élèves.

La mission d’éducation culturelle et artistique relevant de la responsabilité de l’État, le rôle de celui-ci en la matière est plus que jamais à l’ordre du jour. L’efficacité de son action sera d’autant mieux garantie qu’il pourra compter sur le relais des collectivités territoriales, dont la proximité est un atout pour démocratiser l’accès à la culture.

Cela a été dit à plusieurs reprises, les collectivités territoriales ont une implication très forte dans le domaine de l’enseignement artistique. Il est, dès lors, incompréhensible que la loi de 2004 se soit contentée d’affirmer le rôle respectif des régions, des départements et des communes, sans préciser la clé de répartition des financements entre ces collectivités.

Le Finistère a choisi de s’investir avec force sur cette question, bien que, je le rappelle, il ne s’agisse pas d’une compétence obligatoire du département. Mais c’est ce dernier qui, par sa connaissance du territoire et sa proximité, est le seul à même d’assurer la cohérence d’une pratique culturelle adaptée et de garantir l’accès de tous à la culture. Telle est bien l’ambition du schéma de développement des enseignements artistiques mis en place dans le Finistère.

Ainsi, un état des lieux des enseignements artistiques a été réalisé en 2007. En concertation avec les acteurs locaux, une définition des différents niveaux d’écoles a été établie, entraînant, bien entendu, des modalités d’attribution financières spécifiques et des primes données au regroupement intercommunal. Les établissements sont ainsi répartis en trois niveaux d’intervention, selon qu’ils ont un rayonnement local, intercommunal ou départemental ; la loi de 2004 impose au département d’introduire un volet « art dramatique et arts du cirque » dans son schéma de développement des enseignements artistiques.

Le Finistère a adopté le sien en janvier dernier, le décret afférent étant enfin paru. Bénéficiant d’une bonne audience, le document commence à remplir ses objectifs : garantir l’accessibilité des enseignements artistiques au plus grand nombre, en améliorant la complémentarité des offres d’enseignements, en dynamisant le secteur et en fédérant l’ensemble des acteurs locaux.

Dans le cadre de ce schéma, le département affiche également son ambition de promouvoir le rôle des pratiques artistiques amateurs dans le développement culturel local, en réaffirmant le caractère prioritaire de cette mission. L’enjeu est important, car il s’agit de toucher le public le plus large possible et de favoriser les passerelles entre les pratiques amateurs et l’enseignement académique.

En décembre 2008, alors que de nombreuses associations s’inquiétaient d’un projet de réglementation des pratiques amateurs dans le cadre du code du travail, j’avais interpellé votre prédécesseur, monsieur le ministre, sur les risques que présenterait une telle mesure. Je rappelle à cet égard l’importance de la culture et de l’identité bretonne, dont les pratiques amateurs sont le terreau. Pour le seul secteur de la musique, du chant et de la danse en Bretagne, ce sont 40 000 à 50 000 personnes, professionnels ou amateurs bénévoles, qui se mobilisent régulièrement.

En réponse à ma question sur le projet de réglementation, Mme Albanel avait précisé : « À cet égard, la voie législative n’apparaît pas adaptée à la diversité des situations et ce sont donc des pistes alternatives, de nature contractuelle, qui seront explorées avec les collectivités territoriales, les professionnels et les artistes amateurs. » J’attends toujours cette exploration concertée !

Pour donner la mesure de l’enjeu, je citerai l’action des deux grandes fédérations de la culture bretonne. Par le biais d’une convention conclue avec le conseil général, elles mènent des actions de sensibilisation et de découverte auprès des scolaires et d’un public plus large, ou encore un accompagnement dans la démarche de création, de diffusion des productions, sans oublier la transmission des savoirs par la formation dispensée aux jeunes dans tout le département.

L’une d’elles, « Musiques et danses en Finistère », propose, en outre, un plan de formation continue non diplômante à destination des enseignants, artistes amateurs et animateurs culturels. Il s’agit d’un outil indispensable à la structuration pédagogique de l’enseignement sur notre territoire. Voilà bien un exemple de collaboration réussie !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’évoquerai maintenant le niveau régional, au travers d’une expérimentation qui est en cours.

En Bretagne, il existe quatre écoles d’arts plastiques à rayonnement régional, dont deux dans le Finistère. Celles-ci ont décidé, à titre expérimental, de se réunir en un seul établissement public de coopération culturelle. Lassées d’attendre la publication du décret d’application, elles ont pris les devants, et la structure est pratiquement opérationnelle. Ce décret – il aurait été signé la semaine dernière, mais le conditionnel ici s’impose – doit préciser les conditions dans lesquelles les établissements d’enseignement supérieur d’arts plastiques sont autorisés à délivrer les diplômes nationaux.

Le projet est soutenu par la direction régionale des affaires culturelles, mais aussi par le conseil régional, qui avait déjà affiché sa volonté de considérer les écoles supérieures d’arts de Bretagne comme l’une des priorités de la politique culturelle régionale. Cet EPCC prendra en charge, avec l’appui des ministères de la culture et de l’enseignement supérieur, les cycles d’enseignement supérieur LMD.

Certes, l’ouverture et le dialogue entre ces écoles existaient bien avant ce rapprochement puisqu’elles avaient l’ambition de développer les partenariats culturels, économiques, universitaires, pour créer une dynamique dans les territoires.

La coopération entre les collectivités territoriales, avec l’appui de l’État, a constitué la seule solution envisageable pour la survie des filières culturelles et artistiques supérieures dans les territoires où elles sont implantées.

La région apparaît donc comme un échelon de coordination pertinent, car c’est sur le mode du dialogue et dans le respect du libre arbitre de chaque collectivité que s’articule le projet. Dans ces conditions et dans cet esprit, le fait de désigner la région comme chef de file me paraît tout à fait concevable.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous avons aujourd’hui se heurte, comme tant d’autres, au problème de la réforme des collectivités territoriales et des finances locales. Aujourd’hui, nous parlons des enseignements artistiques, mais qui, demain, assumera cette compétence ? Et tout ce réseau de coopération, de développement, de formation et de transmission risque de s’écrouler si les différentes collectivités ne sont plus en mesure d’assurer le financement de ce volet. Leur capacité en la matière est en effet appelée à être dramatiquement réduite par les décisions qui s’annoncent, auquel cas elles se recentreront sur les compétences qui leur sont exclusivement dévolues.

Monsieur le ministre, nous espérons vivement que les collectivités territoriales bénéficieront des transferts financiers attendus pour avoir, enfin, les moyens d’agir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. « Tu me dis, j’oublie. Tu m’enseignes, je me souviens. Tu m’impliques, j’apprends. » Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, madame Morin-Desailly, cette maxime de Benjamin Franklin que j’affectionne particulièrement me semble emblématique de la question qui nous occupe aujourd’hui, celle des enseignements artistiques dispensés dans nos conservatoires, sur tous nos territoires.

Tout art, chacun en est convaincu ici, nécessite une initiation, non seulement pour être saisi dans ses beautés, dans ses nuances, dans sa profondeur, mais aussi pour être pratiqué selon ce que l’on appelle, précisément, « les règles de l’art ».

C’est sur cette évidence qui, comme toutes les évidences, a besoin d’être répétée, ou en tout cas rajeunie, que je fonde ma volonté de faire de la transmission l’une des priorités de mon action à la tête du ministère de la culture et de la communication. L’idéal de la transmission doit devenir une réalité non seulement pour ce qui concerne l’accès aux œuvres et la mise en perspective historique, mais aussi pour tout ce qui touche à l’initiation aux pratiques artistiques.

Ces trois exigences, de l’accès, de la culture générale et de la pratique, sont, bien sûr, étroitement liées. Car la pratique d’un art est, bien souvent, la meilleure porte d’entrée pour en comprendre les tenants et aboutissants, pour en découvrir les arcanes.

La pratique est, sans doute, pour reprendre le mot de Benjamin Franklin, ce qui véritablement « implique » le mieux un élève. Et quand bien même elle n’aboutirait pas nécessairement à faire advenir un nouveau Mozart ou un nouveau Gérard Philipe, l’essai de création a souvent été, dans l’histoire, le premier pas des connaisseurs.

La pratique est un peu, toutes choses égales par ailleurs, à l’image des approches « comportementales » prônées par certains psychologues, une manière d’entrer pleinement dans un sujet, de déclencher un changement d’horizon et une ouverture véritable. Vous connaissez tous le mot de Pascal : « Mettez-vous à genoux et vous croirez ». J’ai envie de dire : pratiquez un art et vous deviendrez, a minima, des connaisseurs et des amateurs respectueux des vrais talents.

L’initiation à la pratique d’un instrument de musique, du jeu scénique ou de la danse n’est pas seulement la garantie d’un épanouissement personnel. Elle est aussi une manière d’élever le niveau d’attention aux arts de toute la société. Et cette disponibilité aux arts est, à mes yeux, indissociable de la santé d’une démocratie, parce que les arts aident chacun à se ménager son espace de recul et de réflexion, qui est évidemment aussi un espace de liberté.

Loin d’une « société du spectacle » fondée sur un consumérisme qui se nourrit de la passivité, les arts et leur pratique nous aident et nous ont toujours aidés à bâtir une démocratie ouverte et civilisée, une République dont l’un des piliers, moins visible que d’autres, mais néanmoins omniprésent, est la « culture » : le fait de développer ses talents, de les « cultiver », c’est-à-dire littéralement de ne pas les laisser en friche.

Ces principes généraux forts répondent à la volonté du Président de la République de remodeler profondément notre système d’enseignement, notamment dans le cadre de la réforme du lycée dont il a dessiné certaines grandes orientations le 13 octobre dernier, et qui se traduira et se traduit déjà par une place nouvelle accordée à la culture. Je pense en particulier à l’institution, ambitieuse et tellement attendue, d’une histoire des arts à l’école, à laquelle je travaille assidûment avec mon collègue Luc Chatel. Je vous rappelle que j’ai fait de la transmission, aussi bien dans les établissements scolaires que dans les conservatoires, une priorité de mon action au sein du Gouvernement.

C’est précisément cet apprentissage des pratiques artistiques dans les conservatoires qui nous réunit et nous intéresse aujourd’hui. Nos débats répondent aux incitations intellectuelles judicieuses fournies par les travaux conduits depuis plusieurs années, avec la qualité d’engagement que l’on sait, par Mme Morin-Desailly et qui ont abouti à la question orale qu’elle pose aujourd’hui au Gouvernement.

En la matière, à côté de notre travail avec l’éducation nationale, la politique du ministère de la culture doit reposer, bien évidemment, sur un partenariat solide et clarifié avec les collectivités territoriales.

Il est inutile, je pense, de vous faire un état des lieux de la question des enseignements artistiques dans notre pays. Ce thème a déjà été largement abordé.

Vous connaissez l’importance acquise en quarante ans par ce réseau, depuis l’impulsion donnée par Marcel Landowski en 1967, à tous les niveaux des collectivités. Quelques chiffres suffisent à l’illustrer : environ 150 000 élèves, répartis en un ensemble de 500 établissements, dont 283 conservatoires à rayonnement communal ou intercommunal, 106 conservatoires à rayonnement départemental, 42 conservatoires à rayonnement régional.

Il témoigne de l’ambition de l’État et des collectivités territoriales de favoriser l’accès du plus grand nombre à une pratique artistique, notamment musicale.

Vous savez comment, plus de vingt ans après le vote de la loi de 1983, qui transférait globalement aux collectivités les compétences dans les domaines de l’enseignement de la danse, de la musique et de l’art dramatique, de nouveaux besoins se sont, peu à peu, imposés. C’est, d’abord, celui d’une clarification d’un système devenu trop complexe à force d’interventions mal harmonisées jusqu’à la confusion. C’est, ensuite, la volonté d’une meilleure répartition d’un service qui, de facto, s’était surtout développé dans les communes, c’est-à-dire dans les réalités municipales très diverses et très contrastées de notre pays. C’est, enfin, la nécessité d’assurer la transition entre la pratique amateur et la formation professionnelle et de distinguer les cursus selon les finalités.

Il s’agit, tout en maintenant la possibilité de bénéficier d’un enseignement pour amateurs tout au long de la vie, de dessiner une voie, sinon royale, du moins simplement praticable pour les musiciens, comédiens et danseurs qui sont susceptibles et désireux de devenir un jour des professionnels dans leur activité artistique de prédilection.

La loi du 13 août 2004 sur la décentralisation a cherché à répondre à ces besoins en créant un schéma en quelque sorte idéal d’organisation et de répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités publiques.

Elle a posé, vous le savez, la configuration suivante : aux communes le « gros œuvre », pour ainsi dire, de l’initiation et des pratiques amateurs, un travail forcément très variable selon les villes engagées, mais qui devait être remis en cohérence au niveau des départements, dans les « schémas départementaux de développement des enseignements artistiques », adoptés par les conseils généraux ; à l’État l’enseignement supérieur – des établissements comme le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et celui de Lyon, par exemple – et, de manière plus générale, le contrôle pédagogique de l’ensemble des établissements.

En outre, la loi de 2004, tirant les conséquences des compétences de la région dans le domaine de la formation professionnelle, a chargé ces collectivités de prendre en charge précisément cet échelon intermédiaire de la formation artistique, ce « chaînon manquant » dont nous parlions, entre la simple initiation et la carrière professionnelle. Cette passerelle, vous le savez, c’est ce qu’on appelle le cycle d’enseignement professionnel initial, le CEPI. Il constitue bien, comme son nom l’indique, pour les élèves concernés, le stade initial de la professionnalisation et, en tout état de cause, un cycle de deux ans au cours duquel la motivation et les qualités artistiques des élèves sont mises à l’épreuve avant le « grand saut » dans la carrière.

C’était là le schéma idéal dessiné par la loi. Or vous savez ce qu’il advient souvent des plus belles constructions de l’esprit, de la République idéale de Platon ou de la Cité idéale de Fénelon dans le roman d’éducation qu’est Télémaque. Elles ne trouvent pas toujours, n’est-ce pas, une parfaite application dans la réalité…

En l’occurrence, il faut le reconnaître, les régions ont parfois hésité à se saisir pleinement de cette nouvelle compétence et, pour mille raisons qu’il serait trop long de détailler ici et maintenant, la situation a connu une forme indéniable de blocage.

J’ai envie de dire : « Enfin Mme Catherine Morin-Desailly vint ». (Mme Catherine Morin-Desailly sourit.) Car c’est grâce à vous, madame la sénatrice, et grâce à la commission de la culture du Sénat que le dialogue peut enfin être renoué.

L’immense travail que vous avez accompli et conduit sur le terrain, sans œillères ni préjugés, a abouti à un rapport remis le 24 juillet 2008, un texte d’une grande sagacité et d’une grande solidité qui a permis de poser les bases d’une nouvelle réflexion entre tous les acteurs.

De son côté, l’État, dès le 10 juillet 2008, pour répondre à la demande des collectivités, a réactivé le Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel et a mis en place, en son sein, un groupe de travail spécialement consacré aux enseignements artistiques spécialisés.

Le rapport sans concession que vous avez établi a exploré les causes du blocage et aidé chacun des acteurs à une prise de conscience lucide des problèmes. Il met en évidence ce qui manquait sans doute à la loi de 2004 : un consensus préalable autour du caractère prioritaire des enseignements artistiques en France, ainsi qu’une implication des élus dans un processus de réforme qui était fortement porté par les professionnels.

Les travaux du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel et notre débat d’aujourd’hui montrent que le message a été entendu. Il nous appartient toutefois de faire en sorte que cette prise de conscience se traduise, à moyen terme, par une prise de décision à partir des propositions qui sont désormais sur la table.

Madame Morin-Desailly, vous avez réaffirmé avec justesse les enjeux de ce chantier pour l’avenir : il s’agit de briser la glace de l’intimidation sociale – un thème qui m’est particulièrement cher –, qui éloigne encore trop souvent nos concitoyens des arts et de la culture.

Vous avez raison de souligner clairement le rôle primordial des conservatoires dans le développement de la pratique en amateur. Celle-ci doit être clairement leur première mission. Le débat sur les cycles d’enseignement professionnel initial a en effet confirmé, s’il en était besoin, que la tendance naturelle des établissements est de se focaliser sur le repérage de futurs professionnels, quand ceux-ci ne représentent qu’une petite minorité des élèves qu’ils accueillent.

L’objectif premier des conservatoires doit bien être de toucher un maximum d’élèves, notamment ceux qui sont le plus éloignés de l’offre culturelle, afin d’aider à l’avènement de cette « culture pour chacun » à laquelle je travaille. Ils doivent proposer des possibilités d’épanouissement aux amateurs, y compris adultes, et les encourager à développer les pratiques collectives. Sortir de ce mal bien français de la voie royale, dont l’étroitesse forcée étouffe trop de vocations et d’épanouissements artistiques et culturels : tel est bien l’enjeu.

Vous avez, madame la sénatrice, prôné à fort juste titre que l’on passe d’un système pyramidal, fondé sur l’idée d’une destination professionnelle obligée, à une logique d’aiguillage : substituer, à la « pensée unique » de la professionnalisation, la liberté et la souplesse de l’orientation.

Cette exigence d’orientation est d’ailleurs inscrite dans les exigences générales du Gouvernement en matière d’enseignement, et elle répond aussi pleinement aux compétences professionnelles qui sont celles des régions.

Réjouissons-nous donc que les CEPI puissent être changés en COP, sans qu’il s’agisse de convoquer de manière intempestive l’argot américain : un COP est simplement un cycle d’orientation professionnelle.

Il s’agit là, pour moi, d’une préoccupation essentielle et d’une responsabilité collective, celle de mieux maîtriser le flux des jeunes qui se dirigent vers les métiers du spectacle, celle aussi de mieux former ceux qui font le choix de ces parcours d’exception.

Mme Morin-Desailly a mis en lumière les principaux facteurs qui ont conduit au blocage.

S’agissant de l’estimation erronée des coûts de la réforme, des expérimentations menées dans le Nord-Pas-de-Calais et en Poitou-Charentes depuis 2004 ont permis de rectifier les erreurs et, par là, de dépassionner le débat.

Beaucoup de points ont fait l’objet d’un accord, notamment au niveau du conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel, mais, si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est notamment pour aborder une question cruciale qui reste en suspens, celle des crédits de fonctionnement, qui représentent actuellement près de 30 millions d’euros, soit, en moyenne, 9 % du budget global des enseignements artistiques spécialisés que l’État verse aux communes depuis 1983 pour contribuer au fonctionnement des conservatoires.

Ce versement ne correspond pas à une compétence identifiée. Alors que l’État n’est plus compétent dans le domaine des enseignements artistiques spécialisés depuis plus de vingt-cinq ans, il détient encore les crédits au lieu que ceux-ci soient directement à la disposition des collectivités territoriales qui exercent cette compétence.

La loi de 2004 prévoyait un transfert de ces crédits aux régions et aux départements, selon des clés de répartition fixées par les DRAC. Le rapport de Mme Morin-Desailly et les débats du conseil territorial des collectivités pour le développement culturel ont montré qu’il était indispensable de trouver une solution plus simple et plus lisible. Pourtant, aucun consensus n’a pu se dégager au cours des travaux des derniers mois, malgré la volonté très forte, je crois, des uns et des autres d’aboutir.

Nous avons devant nous trois solutions.

La première consiste à modifier la loi pour élargir aux communes la liste des collectivités attributaires des crédits de l’État qui transitent par les DRAC. Il s’agit donc de mettre fin à une situation où la loi n’est pas appliquée, car trop restrictive, en méconnaissance de la réalité des faits. Chaque DRAC pourra donc, en fonction des réalités locales, attribuer les crédits de l’État aux différentes collectivités en fonction de leur implication réelle.

La deuxième solution, c’est de transférer directement aux communes l’ensemble de ces crédits, c’est-à-dire de prendre acte de manière plus forte encore du fait que ce sont les communes qui créent et financent les conservatoires.

La troisième solution est de transférer les crédits aux régions, c’est-à-dire d’appliquer l’esprit de loi de 2004, et d’accompagner ainsi la mise en place des COP.

Dans ces deux derniers cas, les départements recevraient une contribution unique et forfaitaire correspondant à l’élaboration des schémas départementaux.

La première solution – jouer sur les trois acteurs territoriaux – présente l’avantage d’une grande souplesse et de l’adaptation aux réalités du terrain, mais elle a un inconvénient évident : elle risque de créer des inégalités entre nos territoires.

Le transfert aux communes présente l’intérêt d’épouser l’existant, de le dynamiser et de le mobiliser encore davantage, et donc de renforcer les opérateurs, même s’il sera sans doute moins efficace pour maîtriser le développement de nouveaux COP.

Je rappelle que l’Association des régions de France s’est prononcée officiellement pour cette solution, par une lettre adressée au ministre de la culture et de la communication le 30 juin 2009.

Le transfert aux régions, plus ambitieux, est défendu par la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture et par l’Association des maires de grandes villes de France. C’est, vous le savez, la solution que développe et défend Mme Morin-Desailly dans sa proposition de loi.

Cette solution présente un avantage évident : une répartition de l’offre plus homogène et plus égale, mais aussi plus maîtrisée et plus coordonnée. En outre, elle correspond aux compétences des régions en matière de formation professionnelle et d’emploi.

Il a certainement été utile que nous ayons pris le temps nécessaire à la réflexion, car, quelle que soit l’issue de cette réforme, nous serons passés d’une vision pyramidale de l’enseignement spécialisé, de l’amateur au grand interprète, qui était celle des années soixante, à la mise en place de parcours diversifiés : d’une part, ceux des amateurs, pour qui la pratique d’un art est un vecteur d’épanouissement magnifique ; d’autre part, ceux des artistes, dont il s’agit d’accompagner l’entrée dans une carrière difficile et exigeante.

Nous avons aujourd’hui, grâce à ce travail de décryptage, une vision claire des trois solutions possibles. Chacune implique une modification législative et certaines d’entre elles, une modification de la répartition des compétences dans les différentes collectivités territoriales par rapport à la loi de 2004.

Il est donc certain que cette réforme ne peut être isolée du chantier d’ensemble de réforme des collectivités territoriales qui attend le Gouvernement et les élus.

Un premier projet de loi a été présenté au conseil des ministres le 21 octobre. Un second projet de loi sera présenté par mon collègue Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.

Le débat législatif n’est pas encore engagé. Il me semble donc de bonne administration d’être attentif à la mutation prochaine de notre carte des territoires avant de se lancer dans la réforme et d’opter pour l’une ou l’autre des solutions envisagées.

Ce temps de l’harmonisation nécessaire ne sera pas une attente supplémentaire ; c’est seulement un préalable imposé par la réalité, et ce temps supplémentaire peut être encore employé au débat sur une alternative complexe afin de tirer le meilleur parti du travail remarquable que vous avez réalisé, madame Morin-Desailly. Ce n’est donc en aucune manière un délai dilatoire, mais le temps nécessaire et obligé de l’ajustement.

Une certitude s’impose : je peux vous assurer de ma volonté de régler ces questions, en lien étroit avec mon collègue chargé de l’intérieur, dans le cadre de cette réflexion d’ensemble qui s’ouvre sur les compétences des collectivités territoriales.

Sachez que je suis particulièrement attaché à ce que nous aboutissions rapidement dans notre recherche de la solution la plus adaptée et, bien évidemment, à ce que nous ne perdions pas l’acquis des travaux et des échanges qui se sont tenus tout au long des derniers mois.

Je précise que, dans cette attente, l’État continuera évidemment en 2010 à verser ces crédits aux établissements, comme il a continué à le faire depuis 2004.

J’ai bon espoir que nous réussirons à brève échéance à mettre en place un système d’enseignement spécialisé qui satisfasse également les exigences légitimes des deux pôles en dialogue que sont les amateurs et les professionnels, ainsi que les prérogatives et les ambitions des collectivités territoriales.

Pour cela, nous aurons besoin de la sagesse pragmatique de Franklin, c’est-à-dire de savoir « impliquer » et nous impliquer. (Applaudissements sur les travées de lUMP, de lUnion centriste et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Ivan Renar applaudit également.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, en application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

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Dossier législatif : proposition de loi relative aux recherches impliquant la personne humaine
Article 1er (début)

Recherches sur la personne

Discussion d'une proposition de loi

(Texte de la commission)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative aux recherches sur la personne (proposition de loi n° 177 rectifié, 2008-2009 ; texte de la commission n° 35, 2009-2010 ; rapport n° 34, 2009-2010).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Mesdames les sénatrices, je salue la féminisation de cette séance : Mme la présidente, Mme la présidente de la commission, Mme le rapporteur et la ministre en charge de la santé ! J’espère que ces messieurs ne vont pas se trouver trop seuls ! (Sourires.)

Je tiens tout d’abord à remercier Mme le rapporteur, chère Marie-Thérèse Hermange, et la commission des affaires sociales, chère présidente Muguette Dini, pour la pertinence de l’analyse de la proposition de loi et l’importance des améliorations qu’ils lui ont apportées. La petite loi qui vient en discussion devant vous porte sur une des priorités du ministère dont j’ai la charge : la recherche médicale, la recherche sur la personne.

L’ambition de ce texte est d’augmenter la protection des personnes tout en simplifiant la réglementation actuelle, devenue au fil des années complexe, confuse, parfois, il faut bien le reconnaître, inapplicable.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Son idée maîtresse est l’élargissement du périmètre de la loi, qui s’étendra demain aux recherches observationnelles, ou non interventionnelles. La proposition de loi établit pour toutes les recherches sur la personne un socle réglementaire commun. Celui-ci comporte essentiellement l’avis obligatoire d’un comité d’éthique, le comité de protection des personnes, ou CPP, et la désignation d’un responsable de cette recherche, le promoteur.

Au sein de cet ensemble, trois catégories de recherche ont été identifiées, en fonction du niveau de risque encouru par les personnes qui se prêtent à ces recherches : les recherches interventionnelles, qui impliquent la possibilité d’un risque certain, même s’il n’est que potentiel, les recherches ne comportant qu’un risque négligeable et, enfin, les recherches non interventionnelles.

Cette distinction repose sur l’existence et la dangerosité potentielle de l’intervention qu’introduit la recherche, et qui diffère de la prise en charge habituelle des malades. Cette intervention peut modifier le soin des malades, mais aussi viser à changer le comportement des personnes, le plus souvent dans une optique de prévention. On parle alors de recherche interventionnelle épidémiologique, ou en population.

Votre commission a apporté des améliorations substantielles à cette proposition loi, en élargissant considérablement sa portée et ses ambitions.

Je n’en mentionnerai que trois.

D’abord, vous établissez une commission nationale des recherches impliquant la personne dont l’une des missions sera d’être une instance d’appel pour les projets ayant reçu un avis négatif en première analyse par un CPP. Dans le cadre de cette mission, l’indépendance de l’avis par rapport aux promoteurs des recherches devra être garantie. Cette commission sera également en charge de l’harmonisation des pratiques des comités, une demande récurrente depuis le rapport du sénateur Claude Huriet, en 2001, et celui de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, en 2006.

Le périmètre d’intervention de l’AFSSAPS, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, a ensuite été étendu à l’ensemble des recherches sur les personnes, lui permettant ainsi d’exercer pleinement son pouvoir de police sanitaire.

Enfin, vous étendez aux CPP la possibilité de donner un avis sur des recherches dont le promoteur est français mais qui devraient se dérouler dans un pays tiers à l’Union européenne. Cette disposition répond aux préoccupations de nombreuses institutions internationales, comme le Conseil de l’Europe ou l’UNESCO.

Toutefois, j’ai déposé au Sénat plusieurs amendements destinés à ajuster le texte de votre commission, et je voudrais insister sur deux d’entre eux.

Le premier porte sur le rattachement de la commission nationale dont vous proposez la création à la Haute Autorité de santé, la HAS. Ce choix ne me paraît pas être le meilleur. La recherche n’est pas une mission de la Haute autorité ; elle n’en a ni l’expérience ni la culture. La HAS est elle-même défavorable à ce rattachement.

En revanche, il est pleinement légitime que la commission nationale soit rattachée au ministre de la santé. D’abord, parce que c’est lui qui porte l’ensemble de la politique de recherche clinique dans notre pays. Ensuite, et surtout, parce qu’il est le garant de la protection des personnes, et porte cette responsabilité devant les acteurs de la recherche, devant nos concitoyens, et devant vous, la représentation nationale.

Le second amendement porte sur les modalités d’autorisation des recherches.

Il ne saurait y avoir de recherche sur la personne humaine sans des garanties fortes apportées aux personnes, et notamment l’avis préalable d’un comité d’éthique. Alors qu’aujourd’hui toute une catégorie de recherche en santé publique, dans le domaine de la prévention, se trouve dans une zone grise, la proposition de loi impose l’avis d’un comité de protection de personnes, et je me félicite de ce progrès majeur.

Pour autant, il me semble indispensable que les modalités de recueil du consentement des personnes soient adaptées et proportionnées à la nature de la recherche et aux risques encourus par les personnes. Il n’y a pas de raison, reconnaissez-le, d’avoir les mêmes exigences pour des recherches interventionnelles, avec un certain degré de risque, et pour des recherches où les risques sont minimes et souvent nuls.

Nos concitoyens ne comprendraient pas que des contraintes disproportionnées rendent matériellement impossible la réalisation de certaines recherches, alors que celles-ci présentent un intérêt en termes de santé publique.

Est-il raisonnable, quand on veut comparer l’efficacité de deux campagnes de prévention menées dans deux villes différentes de recueillir le consentement individuel et écrit de l’intégralité des habitants de ces deux villes ? Devons-nous renoncer à cette recherche s’il manque un seul formulaire de consentement ?

Pour cette raison, lorsqu’une recherche présente un intérêt en termes de santé publique, qu’elle est à risque minime voire nul et, enfin, que l’objet même de la recherche rend excessivement lourd le recueil du consentement individuel et écrit – comme en témoigne l’exemple que je viens de citer –, je vous propose que le CPP puisse l’autoriser, dès lors que les personnes concernées bénéficient d’une information collective sur la recherche et qu’elles ont, évidemment, la possibilité de ne pas y participer.

Madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes tout près d’adopter un grand texte législatif,…

M. François Autain. Il ne faut pas exagérer !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. … un texte qui marquera une date, comme la loi Huriet-Sérusclat l’a fait en son temps.

Il ne s’agit rien de moins que d’établir de façon durable l’encadrement de toutes les recherches sur la personne, en le fondant sur des garanties très fortes apportées aux personnes, notamment l’avis préalable d’un comité d’éthique, et ce pour toutes les recherches sur la personne.

Voilà le texte important que nous examinons cet après-midi ! Je remercie de nouveau la présidente Mme Muguette Dini et Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative aux recherches sur la personne, déposée par notre collègue le député Olivier Jardé, est maintenant soumise à notre examen. Celui-ci a été différé du fait de la discussion du projet de loi HPST, « Hôpital, patients, santé et territoires ». Ce délai a permis de prendre le temps de la réflexion, ce qui est toujours particulièrement nécessaire quand il s’agit de recherche et d’éthique.

Mais, vous en conviendrez, il est étonnant que l’on nous présente un texte d’une telle portée à la veille d’un week-end important, que l’on mobilise seulement deux heures de discussion, alors que l’on accorde trois semaines pour un texte sur les OGM ! Je tenais à formuler cette observation, connaissant votre ambition, chers collègues, en matière de recherche médicale, à laquelle vous tenez tout particulièrement.

La question qui nous est posée n’est rien de moins que de décider quel doit être l’équilibre entre le développement de la recherche appliquée en médecine et la protection des personnes qui s’y prêtent.

La recherche médicale est porteuse d’un mieux-être individuel et collectif que nous mesurons à l’aune de l’espérance de vie que nous gagnons chaque année. Entraver la recherche, c’est risquer de ralentir ce progrès social ou de ne pouvoir faire face aux nouvelles menaces sanitaires. Aussi faut-il nécessairement que nous fassions confiance aux chercheurs, car une société qui se défie de la science se destine à la paralysie et à l’obscurantisme.

Pour autant, quel prix sommes-nous prêts, collectivement, à payer pour quelques années de plus et quelles garanties devons-nous exiger de la part des chercheurs pour que les personnes malades engagées dans un protocole de recherche soient prises en compte au mieux de leur intérêt ?

Contrairement à une certaine idée reçue relative à la recherche clinique, celle-ci n’apporte pas nécessairement et systématiquement un bénéfice direct au patient qui y participe. Il peut arriver qu’un malade participant à un protocole expérimental voie sa santé améliorée. Cela est très heureux, mais pas automatique.

Certes, le but de la recherche est de parvenir à une amélioration des connaissances et donc, à terme, de la prise en charge thérapeutique. Mais la recherche est aussi un tâtonnement, une série d’erreurs et d’approximations conduites pour faire avancer la science, pour pouvoir dégager des certitudes. Dans certains cas, elle a une finalité collective, et non individuelle.

Dès lors, il ne s’agit pas de sauver une vie, mais d’étudier une problématique. Le sujet malade est alors considéré comme objet de la recherche. C’est la raison pour laquelle la relation entre le chercheur et le malade – contrairement à la relation entre le médecin et le patient, qui relève du colloque singulier – est régie par les impératifs d’un protocole de recherche.

Ce type de recherche qui n’implique pas nécessairement les soins relève de la science mais nécessite des personnes participantes pour faire progresser les connaissances.

Une personne qui accepte de s’engager dans une recherche médicale le fait pour elle-même mais également pour les autres. Cependant, elle supporte seule le risque qu’elle prend, alors que la société profitera de la connaissance acquise.

À l’évidence nous ne pouvons nous contenter de recueillir les fruits sans examiner ce qui est consenti par celles et ceux qui se prêtent à la recherche. Notre devoir est de limiter le risque le plus possible. Mais jusqu’où aller sans aboutir à l’interdiction pratique de la recherche ?

Cette question de la conciliation de la protection des personnes et de la connaissance est rendue moins complexe parce que nous avons la chance de nous trouver dans une époque où éthique et recherche médicale ne s’opposent plus.

En effet, après le sommet de l’horreur atteint durant la Seconde Guerre mondiale, la justice internationale a dégagé à l’occasion du procès des médecins nazis dix principes, connus sous le nom de « code de Nuremberg ». Ils déterminent les conditions d’une recherche qui, bien qu’elle soit effectuée sur l’homme, n’entache en rien sa dignité.

Plusieurs textes internationaux ont approfondi cette question. Le plus connu est la déclaration d’Helsinki élaborée par l’Association médicale mondiale en 1964. La convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine, signée par la France dans le cadre du Conseil de l’Europe en 1997, est même porteuse d’un droit commun à l’échelle de notre continent.

Si aucun de ces textes n’a encore force contraignante dans l’ordre juridique français, les principes dont ils sont porteurs figurent depuis au moins vingt ans dans notre droit.

Le socle de l’encadrement législatif est constitué par la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, dite « loi Huriet-Sérusclat », du nom des deux membres de la commission des affaires sociales du Sénat qui sont à son origine. Elle a été modifiée par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.

Ces textes ont permis de déterminer ce qui est acceptable en matière de recherche : c’est-à-dire d’offrir tout à la fois aux chercheurs un cadre juridique stable et des garanties en termes de responsabilité pour leur permettre de conduire leurs recherches, et aux personnes acceptant de participer à la recherche, l’assurance que leur intérêt primera toujours celui de la science.

Les instances permettant cette régulation sont, depuis 1988, les comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale, ou CCPPRB, devenus en 2004 les comités de protection des personnes, ou CPP. Ces collèges qui réunissent, depuis 2004 à parité, scientifiques et personnes qualifiées issues de la société civile contrôlent l’éthique des protocoles de recherche biomédicale qui ne peuvent être mis en œuvre sans leur accord.

Dans son examen de la proposition de loi, la commission des affaires sociales du Sénat a cherché à rester fidèle aux principes posés par Claude Huriet et Franck Sérusclat. Je tiens à souligner qu’elle a travaillé dans un esprit de complémentarité entre ses membres.

Tout d’abord, la commission a reconnu l’apport que constitue en matière d’éthique l’examen unifié de l’ensemble des protocoles par les comités de protection des personnes, et accepté la distinction entre recherche interventionnelle et recherche observationnelle proposée par ce texte.

Mais elle a refusé, dès lors qu’il s’agissait d’une recherche interventionnelle impliquant une démarche de soins et une intervention sur la personne, de graduer le consentement des personnes en fonction du risque qu’elles sont supposées courir.

En effet, un risque, même supposé minime, dès lors qu’il y a soin et intervention sur la personne, change la nature de la relation entre le médecin et le malade. À partir du moment où l’on passe de l’intervention et du soin à la recherche, il est nécessaire que le malade qui se prête au protocole comprenne bien cette distinction et l’accepte.

La commission des affaires sociales a estimé – et c’est également ma conviction personnelle – que, dès lors que l’on interfère avec le soin, c’est-à-dire que la recherche est interventionnelle, le consentement « libre et éclairé » ne suffit plus. Il faut non seulement un consentement spécifique, mais un consentement écrit, seul à même d’attester que le patient a bien compris et accepté les risques qu’il va prendre au nom de la société tout entière.

Les arguments employés pour critiquer la lourdeur des modalités de recueil du consentement sont, me semble-t-il, bien inférieurs aux enjeux, comme si l’on considérait, d’une certaine manière, que le temps des chercheurs est trop important pour qu’ils le perdent auprès des personnes participant à ces recherches.

Mais la commission a également cherché à alléger le plus possible les contraintes administratives pesant sur la recherche et a pris en ce sens de nombreuses mesures. Ainsi, entre autres dispositions, elle a amorcé la simplification de l’examen des protocoles de recherche par la Commission nationale de l’informatique et des libertés et il vous appartiendra, madame la ministre, de la conduire à son terme en concertation avec l’ensemble des acteurs.

Ensuite, pour tenir compte de la réalité des chercheurs, ce même souci de pragmatisme m’a conduit à proposer également un amendement tendant à prévoir que les comités de protection des personnes pourront qualifier de manière différente les étapes successives d’une même recherche. Je pense que cette disposition est de nature à lever les inquiétudes des chercheurs.

En effet, les comités pourront ainsi distinguer, dans un même protocole de recherche, entre phases observationnelles et phases interventionnelles. Le niveau de consentement exigible pour la phase observationnelle ne nécessite pas un consentement écrit. Mais, à l’intérieur de ce protocole de recherche, s’il y a une phase interventionnelle, cela requiert un consentement écrit.

C'est la raison pour laquelle nous pensons que la commission des affaires sociales a entendu les chercheurs. Grâce à cette subtile distinction, la recherche ne sera pas entravée par des lourdeurs administratives qui, aux yeux des chercheurs, sont inutiles. Je suis en effet convaincue que les comités de protection des personnes feront une application judicieuses de ces dispositions.

Lorsque ce type de recherches est menée au niveau européen et que la France y participe, elle est contrainte, dans le cadre de protocoles européens, de recueillir un consentement écrit. Nous ne pouvons pas non plus déroger aux règles européennes.

Il faut, je l’ai dit, faire confiance aux chercheurs. Ils constituent obligatoirement la moitié des membres des comités de protection des personnes. C’est donc aux comités dans leur ensemble qu’il faut faire confiance pour préserver l’éthique de la recherche sans poser d’interdiction systématique ou idéologique tout en préservant fermement, madame la ministre, le consentement écrit des personnes.

Je tiens d'ailleurs à rendre hommage à l’action des comités mis en place par la loi Huriet, et la commission des affaires sociales a souhaité qu’ils puissent être renforcés et accompagnés dans l’exercice de leurs compétences étendues. À cette fin, la commission a voulu que la distribution des protocoles de recherche soit faite de manière aléatoire, afin de garantir que tous les comités aient une même expérience des dossiers, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui.

Une commission a également été créée pour harmoniser les pratiques. Nous avons prévu que cette commission nationale soit rattachée à la Haute Autorité de santé, ce qui est conforme à sa mission d’évaluation et d’harmonisation des pratiques. Je suis consciente que cette solution n’est pas parfaite, mais la préservation des finances publiques nous a interdit – alors qu’on le fait presque dans chaque loi ! – de créer une autorité indépendante réunissant la commission nationale et les comités dans un ensemble unique et cohérent. Je pense, madame la ministre, qu’il vous faudra pourtant un jour y parvenir, peut-être dans le cadre de la loi de santé publique.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Le rôle du ministère de la santé est d’orienter la recherche médicale en France et de permettre la mise en œuvre des résultats, le rôle des comités et de la commission nationale est de garantir l’éthique de la recherche, et nous avons pensé très légitimement qu’il était souhaitable que ces deux fonctions soient distinctes.

Au sein de la commission des affaires sociales, nous avons essayé, madame la ministre, mes chers collègues, d’être le plus pragmatique possible, tout en plaçant au plus haut niveau l’éthique de la recherche médicale. Nous sommes convaincus que recherche et protection des personnes ne sont pas antagonistes, qu’elles ne sont que deux aspects d’une même question, celle de la dignité de la personne humaine, préservée dans sa santé et protégée dans l’intégrité de son corps, confiante dans les soins qui lui sont donnés et libre de ses choix. Le texte de la commission et les amendements que nous vous proposons sont notre réponse à cet enjeu fondamental pour l’humanité. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, la conférence des présidents avait décidé que le Sénat arrêterait aujourd'hui ses travaux vers 19 heures 30. Je serai donc dans l’obligation de lever la séance à 20 heures, au plus tard. Pour cette raison, je demande à chacun de respecter strictement le temps de parole qui lui est imparti.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François Autain.

M. François Autain. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes plusieurs sur ces travées à nous interroger sur les raisons qui ont conduit le député Olivier Jardé à nous infliger, toutes affaires cessantes, une septième modification de la loi Huriet-Sérusclat.

Depuis sa promulgation en 1988, cette loi a en effet été modifiée à plusieurs reprises, notamment en 2008, en 2006, deux fois en 2004, etc. On a donc l’impression que cette réforme, pour autant qu’elle soit nécessaire, ne pouvait pas attendre l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique – ce dont je ne suis pas absolument certain – et je le déplore.

Nos collègues députés, sans doute parce qu’ils ne comprenaient pas non plus les raisons de l’empressement de M. Jardé, ont été tentés d’y apporter une justification a posteriori en inscrivant à l’article 1er du texte la nécessité de faire de la recherche sur la personne une priorité nationale. C’est, de mon point de vue, une initiative fort malheureuse. C’est même pour moi un point de total désaccord dans la mesure où ce type de recherche médicale ne doit avoir pour seule vocation que de servir la personne et ne peut consister en un projet à visée scientifique pure réduisant la personne à un objet d’investigation.

La déclaration d’Helsinki, à laquelle la France a souscrit, précise que « dans la recherche médicale sur les sujets humains, les intérêts de la science et de la société ne doivent jamais prévaloir sur le bien-être du sujet ».

La démonstration a donc été faite à l’Assemblée nationale : cette proposition de loi, sans doute parce qu’elle a été examinée en dehors du champ de la révision des lois de bioéthique, n’est pas une initiative judicieuse à mon sens, car elle incite le législateur à s’abstraire du cadre contraignant, mais nécessaire, qui encadre les recherches sur l’homme.

Je suis bien sûr très heureux de constater que je n’étais pas le seul à m’inquiéter de voir la recherche sur la personne – c’est ainsi que les recherches biomédicales sont désormais désignées – érigée en priorité nationale et que notre commission a su sagement rectifier le tir.

Par ailleurs, je dois reconnaître tout de même au texte le mérite de clarifier les différentes catégories de recherche sur la personne, en précisant de la sorte un certain nombre de règles concernant les recherches non interventionnelles qui, parce qu’elles n’étaient pas clairement balisées dans le code, ont fait parfois l’objet de dérives, il faut bien le reconnaître.

Pour ce qui est du travail amorcé au Sénat, je regrette de dire, et en cela je suis en désaccord avec Mme le rapporteur, qu’il a été entrepris dans de mauvaises conditions puisque nous n’avons pas disposé du temps nécessaire pour procéder à des auditions.

Celles-ci nous auraient été d’autant plus utiles que c’est là un sujet pointu qui, comme je le soulignais précédemment, soulève des questions d’éthique particulièrement complexes, subtiles et ardues.

Je me réjouis du travail effectué en commission, et je tiens à saluer tout particulièrement l’ouverture d’esprit de notre rapporteur, Marie-Thérèse Hermange, qui a accepté un certain nombre de nos amendements, ce fait inhabituel méritant d’être souligné.

Aussi la proposition de loi de l’Assemblée nationale a-t-elle pu être corrigée sur deux points fondamentaux à mon sens.

Premier point : les recherches interventionnelles pouvaient, au départ, être menées sur des individus ne bénéficiant pas d’un régime d’assurance maladie, mais, grâce à un amendement adopté en commission, cela n’est plus possible.

Second point : les enfants pouvaient être soumis à de telles recherches avec le seul accord d’un des parents, ce qui nous semblait tout à fait contraire aux règles du droit pénal et, par conséquent, nous avons rétabli la nécessité du double accord.

La commission a également jugé utile de créer une commission nationale chargée d’évaluer, d’harmoniser et de coordonner les activités des comités de protection des personnes. À cet égard, je ne pourrai pas souscrire à l’amendement que vous avez déposé, madame la ministre, consistant à extraire cette commission de la Haute Autorité de santé, la HAS, pour la placer sous votre tutelle directe.

Sa création est pourtant nécessaire en ce qu’elle permet la répartition aléatoire des projets soumis aux comités par les promoteurs, seule garantie de la répartition équitable et de l’indépendance de l’examen de chaque dossier.

Sa création est aussi plus que bienvenue, madame la ministre, car, depuis la promulgation de la loi du 9 août 2004, ni vous ni vos prédécesseurs n’avez jugé bon de permettre l’évaluation effective des comités de protection des personnes, les CPP, alors que c’est en fonction de cette évaluation que vous deviez apprécier la qualité de leur travail pour, le cas échéant, leur retirer leur agrément, conformément aux dispositions de l’article L. 1123-5 du code de la santé publique.

En l’absence en effet de publication de l’arrêté fixant le règlement intérieur des CPP, le groupe de travail, qui avait pourtant été constitué en 2006 au sein de la HAS, a été suspendu en juillet 2008. Il n’a donc pas pu élaborer de référentiel, contrairement à l’engagement pris par vous-même ou par votre prédécesseur.

Grâce à la commission des affaires sociales du Sénat, vous disposerez – enfin ! – avec la création de la commission nationale des recherches impliquant la personne humaine, de l’outil qui vous faisait défaut.

Enfin, même si je considère que certaines dérives ont été contenues grâce au travail de la commission, je constate que, sur la question du financement des recherches, elle a laissé l’article 2 de la proposition de loi en l’état, peut-être par faute de temps et de réflexion suffisante. En effet, il s’agit d’un changement radical dans le financement des recherches interventionnelles qui avait d’ailleurs été amorcé en 2004 dans la loi relative à la politique de santé publique et qui consiste à le faire supporter en quasi-totalité par l’assurance maladie, laquelle, on le sait, dispose d’énormément de moyens financiers en ce domaine !

Cette mesure est inacceptable, même si, dans un effort de générosité sans doute insuffisamment apprécié, les promoteurs, reconnaissants, fournissent « gratuitement les médicaments expérimentaux et, le cas échéant, les dispositifs médicaux utilisés pour les administrer ». Si ces recherches, in fine, débouchent – divine surprise ! – sur un résultat permettant une commercialisation, le promoteur rembourse les sommes engagées aux régimes d’assurance maladie. Encore faut-il veiller à ce que le remboursement de l’indu soit total et il ne semble pas que, sur ce point, toutes les garanties soient offertes.

Ainsi, l’assurance maladie devient, pour ce qui concerne les recherches interventionnelles, une sorte de « capital-risqueur », si j’ose ce néologisme, un mécène indifférent au retour sur investissement.

C’est, de mon point de vue, un rôle qu’elle ne doit pas jouer, et j’aurais préféré que soit mis en place un mécanisme inverse permettant le remboursement total a posteriori des recherches qui se seraient avérées à finalité non commerciale et dont le contenu serait rendu public pour toute la communauté scientifique.

Vous l’aurez compris, même si je me réjouis que notre commission ait rendu ce texte plus acceptable sur le plan éthique, je ne peux le voter en l’état car il pervertit l’idée que j’ai de la finalité de la recherche biomédicale et de sa prise en charge. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi est un texte important en matière de recherche impliquant la personne humaine, le premier d’ailleurs à être intégralement consacré à la question.

Présentée par notre collègue député Olivier Jardé et adoptée par l’Assemblée nationale le 22 janvier dernier, elle répond à la problématique consistant à concilier protection de la personne et encouragement de la recherche, et ce dans un domaine porteur de nombreux espoirs. Tout l’enjeu est de savoir où placer le curseur entre intérêt scientifique et exigence éthique.

Ce texte entend faire évoluer le cadre légal des recherches appliquées sur l’homme en matière médicale. Comme Mme le rapporteur l’a très judicieusement précisé pour bien cerner le débat, il ne traite, au sein de l’ensemble de ces recherches, que de deux d’entre elles : la recherche clinique et la recherche non interventionnelle ou observationnelle.

En tant que texte dont la finalité est avant tout éthique, son apport est d’unifier et de renforcer le régime de contrôle éthique exercé sur les recherches impliquant la personne.

Il crée effectivement une catégorie unique de recherches sur la personne, assortie de règles communes. Pour cela, il transforme la classification des différents types de recherches concernées, qui s’était avérée insatisfaisante depuis la loi Huriet-Sérusclat de 1988, la première consacrée au sujet.

La distinction entre les recherches « avec » ou « sans » bénéfice individuel direct s’étant révélée trop complexe en pratique, elle a été remplacée par une classification des recherches selon le double critère de leur objet et de leur degré de contrainte. Ce mode de classification, lui aussi trop complexe et en rupture avec la pratique scientifique, paraît à son tour inadapté.

Pour remédier à cela, le système unifié qui est proposé reposera sur le risque auquel seront exposés les participants et sur la distinction internationalement reconnue entre recherche interventionnelle et recherche observationnelle. Les types de recherches relèveront alors de régimes juridiques distincts, selon un degré de contrainte proportionné au risque dont ils seront porteurs.

Dorénavant, et c’est l’un des aspects les plus notables du renforcement du contrôle éthique sur les recherches visées, elles seront toutes soumises aux comités de protection des personnes chargés de les autoriser. Ce contrôle fondamental permettra la requalification, par les comités, des recherches présentées de façon erronée au titre d’un régime dans un autre.

De plus, en unifiant le régime de contrôle éthique exercé sur les recherches médicales et en révisant leur classification, la proposition de loi renforce les droits et garanties accordés aux participants de celles qui, jusqu’à présent, étaient les moins encadrées par le code.

Ainsi les personnes participant à des recherches interventionnelles ne comportant « que des risques et des contraintes minimes », autrefois désignées comme les « recherches en soins courants », bénéficieront-elles d’une information plus complète, d’un régime d’expression du consentement bien plus protecteur, d’exigences de compétence de l’équipe de recherche accrues, de la publication de guides de bonnes pratiques et de l’établissement d’un répertoire national.

De même, le texte – c’est d’ailleurs l’un de ses apports majeurs – donne un cadre législatif aux recherches non interventionnelles, celles que l’on désignait par l’expression de « recherches observationnelles », qui en étaient jusqu’ici dépourvues.

Alors qu’elles n’étaient définies que de manière incidente dans le code de la santé publique, ces recherches bénéficient d’une vraie reconnaissance et leur déroulement fera désormais l’objet d’un encadrement qui offrira de nombreuses garanties en termes de traçabilité, de droits des participants et de qualité du travail effectué. D’abord, leurs participants recevront une information préalable avec la possibilité de s’opposer à la recherche. Ensuite, ces projets seront soumis à l’autorisation préalable d’un comité de protection des personnes, ce qui n’était évidemment pas le cas. Enfin, des recommandations de bonne pratique seront publiées par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

L’apport éthique de la proposition de loi Jardé est donc clair.

Mais l’immense intérêt de ce texte est de parvenir à encourager la recherche en améliorant la protection des personnes.

La création d’un droit commun des recherches sur la personne est un acte de reconnaissance fondateur. Il ancre dans la loi la distinction de ces recherches par rapport aux autres à partir de leur sujet d’étude, l’homme, considéré dans son intégralité.

En donnant aux recherches observationnelles un cadre juridique, le texte en garantit la qualité, ce qui est le meilleur moyen de les promouvoir. Jusqu’à présent, par exemple, l’absence d’un répertoire national les concernant était préjudiciable, en termes de ressources disponibles, tant aux professionnels de santé qu’à l’information du grand public.

Pour faciliter la recherche sur la personne, le texte substitue à un droit complexe et incomplet un dispositif exhaustif et transparent, mais également plus simple, puisque les procédures de déclaration auxquelles devront se soumettre les chercheurs seront allégées.

Sur la base d’un texte dont les grandes lignes étaient déjà porteuses d’avancées notables, la commission des affaires sociales a effectué un travail remarquable, et en premier lieu de clarification.

Tout d’abord, elle a procédé à un certain nombre de clarifications. De manière sans doute un peu artificielle, par goût pour le parallélisme des formes, la première mouture du texte substituait au triptyque existant en matière de classification des catégories de recherches un nouveau triptyque. Or il est beaucoup plus rationnel de ne distinguer que deux catégories de recherches sur la personne, les recherches interventionnelles et les recherches non interventionnelles, quitte à identifier au sein des premières des recherches pour lesquelles les risques encourus sont faibles. Le remplacement de la notion floue de risques et contraintes « négligeables » par celui de risques et contraintes « minimes » est également un facteur de clarification.

Ensuite, la commission a encore amélioré la protection des personnes. D’une part, elle a prévu que les recherches ne comportant que des risques et des contraintes minimes feraient l’objet d’une liste fixée par voie réglementaire. D’autre part, elle a renforcé les modalités d’expression du consentement pour ces recherches en exigeant que toute recherche interventionnelle fasse l’objet d’un consentement écrit et non, seulement, « libre et éclairé », sans plus d’impératif formel.

Enfin, la commission a renforcé l’efficacité des comités de protection des personnes en les coiffant d’une commission nationale susceptible d’unifier leur jurisprudence, ce que nous avions, nous-mêmes, proposé.

D’ailleurs, le groupe de l’Union centriste peut s’enorgueillir d’avoir apporté sa pierre à l’édifice puisque, fait suffisamment rare pour être souligné, tous nos amendements, une vingtaine, ont été adoptés ou satisfaits en commission. Certes, beaucoup d’entre eux étaient très techniques.

Mais certains de ces amendements ont infléchi le texte sur des points importants.

Je ne reviendrai pas sur celui qui consiste à créer une autorité de coordination des comités de protection des personnes, mais tel est aussi le cas de celui qui tend à confier à l’AFSSAPS le pouvoir de police sanitaire sur toutes les recherches sur la personne, ou encore de celui qui permet aux comités de protection des personnes de formuler des avis sur les projets de recherche que les promoteurs français envisagent de conduire en dehors de l’Union européenne.

Sur le plan de l’éthique pure, nous nous félicitons tout particulièrement de l’adoption de l’amendement porté par le président Nicolas About visant à interdire le test de la dose maximale tolérée d’un médicament administré sans lien avec la pathologie de la personne lors des essais dits de « phase I ».

Au cours de la présente discussion, nous défendrons encore quelques amendements portant sur deux objets.

D’une part, il s’agira de corriger une erreur du texte relative à la gratuité des dispositifs médicaux utilisés dans le cadre des recherches interventionnelles à risques minimes. Il n’est pas logique de maintenir l’obligation de fourniture gratuite de ces dispositifs sachant que, dans le cadre de ces protocoles, ils sont utilisés de la même manière par les patients observés même en dehors de toute recherche.

D’autre part, nous entendons assouplir les règles de vigilance médicosanitaire pour les recherches interventionnelles à risques minimes, afin de rendre l’ensemble du dispositif cohérent.

Alors, évidemment, reste à trancher la question des modalités d’expression du consentement aux recherches interventionnelles, dernière pierre d’achoppement substantielle. Nous comprenons les préoccupations éthiques ayant conduit la commission et son rapporteur à durcir le texte. Mais, encore une fois, il faut parvenir à concilier éthique et développement de la recherche. Nous en débattrons tout à l’heure.

Il ne me reste plus qu’à féliciter la commission des affaires sociales, sa présidente, Muguette Dini, et son rapporteur, Marie-Thérèse Hermange, pour la qualité de leur travail. Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe de l’Union centriste est très favorable à ce texte. (Applaudissements au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons été très inquiets lorsque nous avons vu arriver cette proposition de loi sur le bureau du Sénat. Certes il s’agit d’un texte court – quatre articles initialement, cinq après le passage à l’Assemblée nationale –, mais dense, puisqu’il procède à une refonte complète de l’architecture du titre II du livre Ier de la première partie du code de la santé publique.

Ainsi, à y regarder de plus près, on s’aperçoit bien vite que, derrière ces quelques articles présentés par leur auteur comme « simplificateurs », se dissimule en fait une véritable réforme des recherches sur la personne en général et, par là même, de la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales.

Or, les conditions dans lesquelles ce texte est arrivé devant le Parlement sont sujettes à caution. Il est nécessaire de rappeler que cette proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par le député Olivier Jardé est en fait directement issue de l’avant-projet de loi HPST, « Hôpital, patients, santé et territoires ». Si l’on peut comprendre aisément la volonté d’alléger un projet de loi, par ailleurs déjà important, d’un chapitre consacré à « la modernisation de la recherche clinique », il me semble tout de même problématique d’utiliser la réforme du travail parlementaire pour faire inscrire à l’ordre du jour des propositions de loi qui sont en fait des textes d’initiative gouvernementale.

Ce qui nous a aussi beaucoup inquiétés, c’est la vitesse à laquelle l’Assemblée nationale a voté le texte : il s’est passé moins de trois semaines entre son dépôt et son vote en séance publique, et la commission a examiné cette proposition de loi en cinquante minutes : quelle efficacité ! Devant à une telle précipitation, ce qui prime, c’est non plus la perplexité, mais la suspicion.

Cette proposition de loi soulève beaucoup de questions, mais, pour laisser mes collègues s’exprimer, je vais m’en tenir en cet instant à la suivante : madame la ministre, compte tenu de la matière, pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas fait le choix d’insérer ces dispositions dans le futur projet de loi de révision des lois de bioéthique ?

La loi Huriet-Sérusclat, véritable socle fondateur de la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, fut la première loi de bioéthique au monde et sert encore largement de modèle au niveau international. S’il n’est pas illégitime d’envisager des évolutions, comme cela fut d’ailleurs le cas à plusieurs reprises depuis 1988, encore faut-il ne pas la dénaturer complètement.

Or, en réalité, cette proposition de loi poursuit la logique entreprise depuis la loi de 2004 relative à la politique de santé publique et confirme le glissement qui s’est alors opéré entre une loi fondatrice destinée à protéger les personnes participant à des recherches biomédicales et, désormais, l’intention de faire de la recherche sur la personne un moyen de développer les connaissances scientifiques. L’inscription dans le texte initial de la proposition de loi, dès le premier alinéa du nouvel article L. 1121-1, du principe selon lequel « le développement de la recherche sur la personne constitue une priorité nationale » était, à cet égard, évocatrice.

Fort heureusement, la commission des affaires sociales a bien vu que cette inscription dans le code de la santé publique était d’autant plus malvenue qu’elle tendait à opposer, au sein du livre Ier, deux principes qui suivent des logiques différentes.

En fait, lorsque nous avons pris connaissance du contenu de cette proposition de loi, nous nous sommes d’abord demandé si une nouvelle évolution législative était réellement nécessaire. À dire vrai, nous n’en sommes pas vraiment convaincus. Dans l’exposé des motifs de son texte, notre collègue Olivier Jardé évoque un dispositif à la fois complexe et incomplet – cela semble tout de même paradoxal – mais, surtout, les difficultés qu’ont les chercheurs à publier dans les grandes revues scientifiques internationales.

C’est un point important sur lequel il est nécessaire de s’arrêter un instant. Les chercheurs français publient-ils moins que leurs collègues étrangers ? M. Jardé le sous-entend, mais ne donne aucun élément pour apprécier une telle affirmation. Pour ma part, j’ai fait quelques recherches et j’ai notamment consulté le dernier rapport biennal de l’Observatoire des sciences et des techniques, l’OST, qui fournit des éléments chiffrés intéressants, mais contrastés.

Précisons d’abord qu’il est difficile de comparer les rendements de systèmes de pays différents en se fondant seulement sur des critères quantitatifs. Ainsi, les Britanniques, qui font la course en tête pour la part des publications médicales, occupent la dernière place dans le classement de l’OMS pour la qualité de leur système de santé.

Cela étant dit, il est exact que la part des publications françaises dans le monde a décru ces dernières années. Comme le précise le rapport de l’OST, en 2006, la France était à l’origine de 4,4 % des publications mondiales en sciences de la matière et de la vie, contre 5,4 % en 1996. Mais précisons d’emblée que la part de tous les pays hautement développés a diminué au cours de la même période de l’ordre de 8 %. Même des pays comme la Suède, la Finlande, Israël ou le Japon, qui font des efforts considérables en matière de recherche, ont du mal à conserver leur position mondiale.

Par ailleurs, il faut aussi tenir compte de l’indice d’impact de ces publications, c’est-à-dire le rapport de la part mondiale de citations sur la part mondiale de publications. Dans ce domaine, la France a nettement progressé, en passant de 0,91 point en 1993 à 0,97 point en 2006.

M. François Autain. Ouh la la !

M. Jean-Pierre Godefroy. De même, il faut tenir compte à la fois des écarts qui existent entre les disciplines – ainsi, la France publie beaucoup plus en mathématiques, soit 6,9 % en 2006, qu’en biologie appliquée-écologie, soit 3,4 % – et de la visibilité de ces publications. À cet égard, selon le rapport de l’OST, « Pendant la période 2001-2006, la contribution française à la production mondiale en sciences de la matière et de la vie fléchit dans toutes les disciplines. En sciences de la vie, ce recul s’est cependant accompagné d’une amélioration significative de sa visibilité internationale, de même qu’en chimie, physique et sciences de l’univers. C’est en biologie appliquée-écologie que les publications françaises ont la plus grande visibilité internationale ».

M. François Autain. Jardé nous ment !

M. Jean-Pierre Godefroy. Ce rapport montre encore que la France copublie beaucoup, d’abord avec ses voisins européens, mais aussi avec les États-Unis, qui, en 2006, étaient ses premiers partenaires avec 24,6 % de ses copublications internationales, en particulier dans le domaine de la recherche médicale, près du tiers des copublications internationales de notre pays concernaient les sciences de l’univers et la recherche médicale.

Dernier élément intéressant, le rapport de l’OST montre parfaitement la corrélation qui existe entre le nombre de publications et l’argent investi dans la recherche académique par chaque pays. Ainsi, la France est aujourd’hui à la quatorzième place mondiale pour la « dépense intérieure de recherche et développement » par rapport au produit intérieur brut. Elle est même au seizième rang si l’on considère le taux de financement de la recherche par habitant. Depuis 1995, le ratio a diminué de 7,4 %, ce qui montre en fait que le vrai problème est bien plus celui du financement de la recherche que celui de la réglementation supposée complexe ou incomplète.

J’ai peut-être été un peu long sur ce sujet, mais il était important d’apporter ces précisions.

M. François Autain. Jardé raconte des histoires !

M. Jean-Pierre Godefroy. Dès lors, est-il réellement opportun de créer, comme le propose le texte, un cadre unique pour l’ensemble des recherches sur la personne ? Là aussi, nous sommes pour le moins circonspects. Il semble que cette proposition soulève plus de questions qu’elle n’en résout.

Sans être exhaustif, on peut en effet se demander quel intérêt il y aurait à réunir sous un cadre législatif unique trois types de recherches qui ne constituent pas des démarches de même nature. En réunissant sous les mêmes termes les recherches relevant de l’innovation et celles qui ne sont en réalité que de l’évaluation, ne risque-t-on pas d’engendrer une banalisation des recherches biomédicales et une confusion qui pourrait être préjudiciable aux personnes qui se prêtent à ces recherches ?

Par ailleurs, si les CPP sont saisis de l’ensemble des recherches, cela ne manquera sûrement pas de créer une surcharge de travail. Avec des moyens limités, on aura peut-être un rendu quantitatif, mais sans doute moins qualitatif. Ces comités auront-ils la capacité de vérifier la qualification de la recherche dont ils seront saisis ?

De façon générale, comment peut-on définir en amont la catégorie à laquelle appartient la recherche et préjuger le risque avant qu’elle ne soit menée ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Godefroy. Si elles sont vraiment sans risque, pourquoi alors saisir des comités dont l’essence est la protection des personnes ?

Quant aux termes choisis, eux aussi, ils nous laissent perplexes.

En ce qui concerne, par exemple, la première catégorie de recherches, pourquoi retenir le terme de « recherches interventionnelles » alors que la réglementation européenne utilise le terme clinical trial et que le protocole additionnel à la convention d’Oviedo vise expressément les recherches biomédicales ?

Pour ce qui est de la deuxième catégorie de recherches – les recherches interventionnelles à risques et contraintes négligeables –, on peut s’étonner de la création d’une catégorie intermédiaire alors même que la législation européenne n’envisage pas de « sous-catégorie » d’essais cliniques. On peut surtout se demander ce qu’est réellement un risque négligeable et comment on peut objectivement l’apprécier.

Selon nous, toute recherche dans le domaine de la biomédecine impliquant une intervention sur l’être humain doit offrir la même garantie de respect des droits et libertés fondamentales aux personnes qui s’y prêtent. À l’inverse, la création de cette catégorie intermédiaire de recherche aurait pour conséquence, au même titre que les recherches visant à évaluer les soins courants, de complexifier la qualification des protocoles de recherche, de retarder la mise en place des recherches, d’isoler la France sur le plan international et de reporter la responsabilité de la qualification des protocoles de recherche du promoteur au CPP et ainsi de dénaturer leurs missions au détriment de la protection des personnes.

Enfin, s’agissant des recherches observationnelles, elles sont définies dans le rapport comme celles dans lesquelles tous les actes sont pratiqués et les produits utilisés de manière habituelle, sans aucune procédure supplémentaire ou inhabituelle de diagnostic ou de surveillance. Il s’agit en fait d’observer afin de collecter des informations et des données personnelles de santé.

Dès lors qu’il n’y a aucune intervention sur la personne, est-il nécessaire de confier leur examen aux CPP ? D’autant plus que, contrairement à ce que voudrait faire croire l’auteur du texte, ces études existent bel et bien aujourd’hui, et ne sont pas conduites dans un vide juridique, mais dans le respect de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Il revient ainsi à la CNIL de s’assurer que la recherche médicale ne porte atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques et d’autoriser ces traitements qui font au préalable l’objet d’un avis du Comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé. A contrario, les CPP n’ont pas de compétences particulières pour garantir la vie privée et les libertés individuelles des personnes dont les données font l’objet de traitements.

En fait, nous craignons que la création de trois types de recherches définies selon le niveau de risque encouru par les personnes qui s’y prêtent ne soit plus une source de confusion que de simplification, voire, ce qui serait pire, qu’elle ne favorise des glissements des recherches de type 1 vers celles de type 2, ce qui reviendrait à appliquer des procédures allégées aux recherches interventionnelles.

Mme le rapporteur a bien perçu tous ces problèmes, puisqu’elle propose de ne retenir que deux catégories de recherche : les recherches interventionnelles et les recherches observationnelles. C’est un progrès notable, puisque, ce faisant, il n’y a plus de procédure allégée concernant les recherches interventionnelles. Néanmoins, il nous semble que cette distinction pose encore un certain nombre de problèmes s’agissant notamment des recherches observationnelles et de la compétence des CPP. Nous y reviendrons plus en détail lors de l’examen des articles.

Les CPP justement, ils sont placés depuis 1988 au cœur du dispositif législatif destiné à garantir la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales. Ils sont au service de l’intérêt général en assurant la défense des droits et libertés fondamentales des personnes se prêtant à des recherches biomédicales et ils ne peuvent pas se mettre au service particulier des chercheurs. À l’origine, leur mission était claire : vérifier que les dispositions législatives et réglementaires qui s’appliquent aux expérimentations humaines sont respectées.

Aujourd’hui, il existe au sein de la communauté scientifique une volonté grandissante de transformer les CPP en comités scientifiques ou en comités d’éthique bis. D’ailleurs, dans la pratique, de nombreux CPP ont déjà entamé leur mutation. Devons-nous pour autant l’accepter ?

Pour ma part, je crois plutôt qu’il faudrait recentrer l’action des CPP sur leur mission initiale, à savoir la protection des personnes, et favoriser en parallèle la création de comités d’éthique de la recherche, CER, au sein des CHU. La mission de ces CER serait de répondre à l’ensemble des besoins exprimés par les chercheurs et les professionnels de santé, notamment en termes de formation et d’information sur la législation et l’éthique de la recherche, de les aider et de les orienter lors de la qualification de programmes de recherche et de délivrer un avis sur les projets d’études non interventionnelles et d’évaluation de soins courants ou de pratiques professionnelles. D’ailleurs, la mise en place des CER ne nécessiterait ni une modification de la loi Huriet-Sérusclat ni l’introduction de nouvelles dispositions législatives, leur existence étant déjà prévue par l’article L. 1412-1 du code de la santé publique, mais simplement la publication d’un arrêté du ministre chargé de la santé après avis du CCNE.

Un autre problème important soulevé par ce texte est celui de la participation à des recherches de personnes non affiliées à un régime de sécurité sociale.

Les personnes qui ne sont pas affiliées à un régime de sécurité sociale sont essentiellement les populations migrantes ou les personnes en situation irrégulière sur notre territoire. Si, comme le précise le rapport, elles sont parfois « porteuses de maladies graves et contagieuses », ce sont surtout des personnes en situation de grande vulnérabilité sociale qu’il convient de protéger. C’est pour cette raison que, depuis 1988, le choix a toujours été fait d’exclure ces personnes d’un protocole de recherche.

Quelles que soient les précautions prises par le texte, autoriser sous certaines conditions la possibilité pour des personnes non affiliées à un régime de sécurité sociale de participer à des recherches sur la personne revient à diminuer la protection de ces personnes vulnérables en autorisant leur participation à des recherches dans un intérêt collectif de santé publique.

Faut-il préciser que le fait de bénéficier d’un régime d’assurance maladie permet en outre de s’assurer que la personne dispose d’un accès aux soins ? Son consentement à participer à une recherche n’est donc pas induit par la possibilité qui lui est ainsi offerte de bénéficier de soins auxquels elle n’aurait pas accès autrement. Je le rappelle, participer ou non à une recherche ne doit jamais être un devoir ni une perte de chance. Dans un contexte où l’accès à l’aide médicale d’État est chaque jour plus difficile et restreint, on voit bien à quel point le risque serait grand d’introduire en France cette problématique bien identifiée dans les pays pauvres.

Un autre sujet qui me tient à cœur, sur lequel ma collègue Patricia Schillinger reviendra plus longuement, est celui de la recherche sur les enfants et l’exercice de l’autorité parentale. Non seulement le texte initial est en recul par rapport aux nouvelles dispositions figurant dans le code civil en matière d’autorité parentale, mais, en outre, il risque d’introduire un nouveau motif potentiel de désaccord entre les parents et l’enfant se retrouvera alors au centre de ce conflit familial. C’est pour le moins dangereux. C’est pourquoi je crois vraiment que l’avis des deux détenteurs de l’autorité parentale doit être impératif dans tous les cas de recherche sur les mineurs.

Comme j’y ai déjà fait allusion, la commission des affaires sociales a profondément modifié le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale. Nous y avons d’ailleurs contribué. Je veux donc saluer ici le travail de Mme le rapporteur et sa capacité d’écoute. Elle a su tenir compte des remarques qui lui ont été faites et des d’amendements qui ont été déposés, et ce quels que soient les groupes dont cela émanait.

Grâce à ce travail collectif, nous avons rectifié les aspects les plus négatifs du texte initial et recentré le débat sur la protection des personnes. Cependant, tous les problèmes ne sont pas réglés. Des sujets font encore débat et des dispositions peuvent être améliorées. C’est pourquoi le groupe socialiste a déposé treize amendements.

À ce propos, je regrette vivement que notre amendement n° 16 ait été déclaré irrecevable par la commission des finances. Je reviendrai lors de l’examen de l’article en question sur le fonctionnement plus que contestable de l’article 40 et son application. Pour nous, c’était un point important. S’agissant d’un texte ayant trait aux droits de la personne, nous étions dans l’esprit de la loi Huriet-Sérusclat à la recherche d’un accord unanime. Cela devient plus difficile.

Comme les membres de la commission des affaires sociales n’ont pas eu connaissance de cet amendement, et pour cause, je vais en dire quelques mots.

Il nous semblait important de donner plus de poids et d’indépendance à la commission créée par Mme le rapporteur dans le seul but d’améliorer le fonctionnement des CPP et de garantir une meilleure protection des personnes. C’est pourquoi nous souhaitions transformer cette commission, actuellement placée près de la Haute Autorité de santé, en autorité indépendante avec des missions élargies. Malheureusement, la jurisprudence applicable en matière d’article 40 nous en empêche. Une fois de plus, je constate que cela restreint fortement l’initiative parlementaire. Je voulais suggérer au Gouvernement de reprendre notre amendement à son compte afin de permettre le débat sur un sujet important. Il s’avère que le Gouvernement a déposé un amendement qui va exactement dans le sens inverse et qui aboutira à mettre cette commission sous son autorité.

Pour finir, j’ajouterai seulement que nous pourrions nous interroger sur le fait que, dès le départ, cette proposition de loi n’ait pas subi les foudres de l’article 40 alors qu’elle crée incontestablement des charges supplémentaires, notamment en confiant aux CPP le contrôle des recherches observationnelles.

Vous comprendrez donc que nous attendions de connaître le sort qui sera réservé à nos amendements avant de vous indiquer le sens de notre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier. (Mme Françoise Laborde applaudit.)

Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi, adoptée le 22 janvier dernier par l’Assemblée nationale et dont nous discutons aujourd’hui, neuf mois plus tard, nécessite de conserver une certaine hauteur de vue. En effet, bien plus que d’autres, son objet porte sur l’être humain, domaine dans lequel il est toujours difficile de trancher, domaine aussi où le législateur doit prévoir le plus grand nombre de précautions juridiques qu’il soit possible et instaurer ainsi un maximum de garanties éthiques. Code de la santé publique à l’appui, nul ne saurait nier, ici comme ailleurs, que « l’intérêt des personnes qui se prêtent à une recherche biomédicale prime toujours sur les seuls intérêts de la science et de la société » et non l’inverse, principe qui doit guider notre réflexion commune.

Notre collègue rapporteur, Marie-Thérèse Hermange, l’a du reste fort bien dit en rappelant le principe de l’inviolabilité humaine, que nous devons toujours avoir à l’esprit, dès lors que, une décennie après la loi Huriet-Sérusclat, nous est soumise cette nouvelle variation du dispositif existant avec pour objectif de donner un cadre unique aux recherches médicales et, par là même, de simplifier les démarches des chercheurs, tout en tentant de renforcer l’attractivité de la France en matière de recherche biomédicale. Un souci légitime, s’il en est, dans la patrie d’Ambroise Paré, de René Laennec, de Claude Bernard ou d’Albert Schweitzer, pour ne citer que quelques noms parmi les plus emblématiques de l’histoire de la médecine en France.

Trois types de recherches sont aujourd’hui distingués, selon le niveau de risque pour les personnes : les recherches interventionnelles avec risques certains, les recherches interventionnelles ne comportant que des risques négligeables et les recherches non interventionnelles ou observationnelles, dans lesquelles les actes sont pratiqués et les produits utilisés de manière habituelle.

En vertu de la loi du 9 août 2004, ces recherches sont soumises à l’autorisation d’un comité de protection des personnes. La proposition de loi modifie seulement ce qui encadre les deuxième et troisième types de recherches que je viens de citer. Ses cinq articles réunissent les trois catégories de recherches sur la personne dans un cadre législatif unique, identifient les recherches à finalité non commerciale, simplifient les autorisations et les déclarations des recherches et fixent les conditions de retrait d’agrément des comités de protection des personnes.

Les précisions que nous avons ajoutées en commission complètent un dispositif d’encadrement certes très technique, mais devant répondre à trois principes généraux que l’on peut ainsi résumer : aucune recherche ne peut être effectuée sur l’être humain si elle ne se fonde pas sur le dernier état des connaissances scientifiques et sur une expérimentation préclinique suffisante, si le risque prévisible encouru par les personnes qui se prêtent à la recherche est hors de proportion avec le bénéfice escompté pour ces personnes ou l’intérêt de cette recherche et si elle ne vise pas à étendre la connaissance scientifique de l’être humain et les moyens susceptibles d’améliorer sa condition.

Cette proposition de loi vise à atteindre deux objectifs : le premier est de sécuriser les médecins qui réalisent des recherches sur l’homme ; le second est de protéger les personnes participant aux recherches biomédicales en mettant en place une série de règles devant être respectées tout au long de la recherche.

Il va sans dire que ces objectifs ne sauraient être contestés par la représentation nationale, dont la mission élémentaire est d’affirmer toujours les règles de l’humanisme, dont la première, vous l’avez rappelé, madame le rapporteur, est le respect le plus absolu de l’intégrité des personnes physiques.

C’est dans cet esprit, je l’espère, que le texte vise à donner un cadre législatif commun à l’ensemble de ces recherches, à clarifier les rôles de promotion et d’investigation, à simplifier et à mettre en cohérence le régime d’autorisation et de déclaration des recherches utilisant des collections d’échantillons biologiques et humains, tout en définissant les conditions de retrait d’agrément des comités de protection des personnes.

Au nom de ces principes, la commission des affaires sociales du Sénat – je m’en réjouis et l’en félicite – s’est montrée très réservée sur la gradation des procédures de consentement prévues par la proposition de loi et a adopté de nombreux amendements destinés à corriger un texte parfois imparfait.

Parmi ces amendements, je veux citer ceux qui visent à préciser le champ d’application de la proposition de loi, à mieux encadrer les définitions des différentes catégories de recherches, à supprimer l’autorisation nécessaire pour mener à bien une recherche hors du lieu de soin lorsqu’elle présente un risque, à prévoir une information individuelle des personnes participant aux recherches, à exiger un consentement écrit pour toutes les recherches interventionnelles et un double accord parental dès qu’un enfant participe aux recherches, ou encore à confier à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l’AFSSAPS, un pouvoir de police sur l’ensemble des recherches.

On ne prend jamais assez de précautions dans ce domaine ; on n’est jamais assez attentif aux dérives possibles ; on ne veille jamais assez à empêcher toute forme d’arbitraire scientifique, qui est parfois aussi excessif – les exemples n’ont pas manqué dans le passé – que l’arbitraire politique ou religieux. C’était le sens de ces amendements.

C’est pourquoi je peux comprendre le principe général ayant présidé à la rédaction de cette proposition de loi – la recherche d’un équilibre entre la protection des personnes et le développement de la recherche biologique –, mais je me pose un certain nombre de questions.

La première, qui relève de la logique la plus élémentaire, me conduit à me demander pourquoi le Gouvernement n’a pas choisi d’aborder cette problématique dans le projet de loi, plus général, de révision des lois dites de bioéthiques, dans lequel elle aurait assurément trouvé toute sa place. En la dissociant du vaste ensemble de réflexions relatives à la bioéthique, auxquelles certains d’entre nous se livrent depuis plusieurs mois, on court le risque de précipiter la réponse législative sans que le cadre général soit bien défini.

De même, sur un plan plus formel, a-t-on bien mesuré la portée des mesures contenues dans cette proposition de loi, en particulier en matière de transparence de la recherche sur la personne ? N’est-on pas en train de banaliser les recherches biomédicales en procédant à un mélange des genres préjudiciable à la protection de ces mêmes personnes, mais aussi à l’essence même du droit, puisque ces recherches ne sont pas toujours de même nature, donc très difficiles à contrôler ? De surcroît, la question des contentieux, toujours possibles et parfois inévitables, ne me paraît pas avoir été véritablement prise en compte. Enfin, comme le suggèrent certains, n’eût-il pas été judicieux de généraliser, au sein des centres hospitaliers et universitaires, ou CHU, les comités consultatifs d’éthique qui, mieux que les comités de protection des personnes, seraient à même de répondre aux questions que nous nous posons ?

Tout cela me conduit à me demander si cette proposition de loi est véritablement applicable dans sa forme. Je n’en suis pas pleinement persuadée. C’est pourquoi, avec la majorité de mes collègues du groupe du RDSE, je m’abstiendrai sur ce texte, tout en demeurant attentive et vigilante à la discussion, aux questions des uns et des autres et aux réponses du Gouvernement, mais aussi à son application dans l’avenir, en sachant qu’il sera probablement inévitable de revenir sur un certain nombre de ses points forts dans le cadre des lois sur la bioéthique que nous aborderons dans un avenir proche. (Mme Françoise Laborde et MM. Jean-Pierre Godefroy et Jacky Le Menn applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Etienne.

M. Jean-Claude Etienne. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, la recherche sur la personne, c’est une grande affaire ! Elle est au cœur de la recherche médicale et mérite d’être singularisée et étudiée comme vous l’avez fait.

Afin de ne pas répéter ce qui a déjà été dit dans cette discussion générale, je me contenterai d’évoquer quelques points qui me semblent importants.

Tout d’abord, la recherche sur la personne devient de plus en plus importante dans les recherches médicales. Des alternatives ont été recherchées, mais elles ne sont pas toujours pleinement satisfaisantes : je pense à la modélisation animale, qui peut être indispensable, mais aussi à la modélisation mathématique, à laquelle je me suis particulièrement attaché, et qui offre de grands espoirs. Mais il est des situations incontournables, en matière de santé et de recherche médicale, où nous ne pouvons avancer qu’à la condition première d’avoir recours aux personnes. D’où l’importance, me semble-t-il, de cette proposition de loi.

La recherche médicale, d’une manière générale, est faite pour affranchir les hommes des problématiques de santé, mais elle ne doit ni aliéner ni « victimiser » ceux qui y participent à quelque titre que ce soit. Au-delà des seuls chercheurs, je pense évidemment à ceux qui, parmi nos concitoyens, veulent bien y apporter leur concours alors qu’ils ne sont pas les promoteurs de la recherche.

Il ne se passe guère de séance de travail à l’Agence de la biomédecine sans que l’on aborde cette question de la recherche sur les personnes. Le travail qui a été réalisé avec ce texte permettra d’apporter un certain nombre de réponses d’ordre juridique dont on avait fondamentalement besoin. Ne serait-ce qu’à ce titre, je tiens à remercier celles et ceux qui s’y sont impliqués.

L’espoir, bien sûr, réside dans l’expérimentation et l’esprit de libre innovation du chercheur, mais l’expérimentation doit respecter l’homme qui s’y prête et se doit de ne pas en faire une victime. C’est l’esprit de cette proposition de loi.

La santé se trouve de plus en plus souvent, elle aussi, offerte en pâture aux procédures de judiciarisation. Nous avons besoin, dans ce domaine, d’être bordés beaucoup mieux que nous ne l’avons été jusqu’à présent.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Absolument !

M. Jean-Claude Etienne. Il existait des zones d’ombre, de grands « scotomes » dans la recherche sur la personne auxquels ce texte apporte un éclairage nouveau et important.

C’est dire que le progrès scientifique appelle un encadrement juridique qui protège à la fois le chercheur et la personne qui accepte de se prêter à la recherche. À cet égard, la loi Huriet-Sérusclat de 1988 a représenté une avancée fondamentale.

Qu’il me soit permis ici de rappeler, s’il en était besoin, les trois principes généraux que nous ne devons pas perdre de vue et qui doivent constituer le socle de ce texte. Ce sont les termes de la loi Huriet-Sérusclat.

Premier principe : aucune recherche ne peut être effectuée sur l’être humain si elle ne se fonde pas sur le dernier état des connaissances scientifiques et sur une expérimentation préclinique suffisante.

À l’époque, je n’étais pas parlementaire ; je travaillais dans la recherche médicale et, avec Claude Huriet, nous étions tombés d’accord sur le fait que le terme « expérimentation » était mal choisi puisqu’il s’agit en fait d’un « recueil » préclinique suffisant. Bref, le mot « expérimentation » a été maintenu, je vous fais part de ma nostalgie : il serait bon, à l’occasion, de réparer cette erreur.

Deuxième principe : aucune recherche ne peut être faite sur l’être humain si le risque prévisible encouru par les personnes qui se prêtent à la recherche est hors de proportion avec le bénéfice escompté pour ces personnes ou l’intérêt de cette recherche.

Troisième principe : aucune recherche ne peut être menée sur la personne si elle ne vise pas à étendre la connaissance scientifique de l’être humain et les moyens susceptibles d’améliorer sa condition.

De fait, ce dispositif juridique a connu, au cours des années qui ont suivi, des préoccupations et des attentes diverses. Il est donc nécessaire de moderniser notre système actuel de recherche sur la personne en assurant à celle-ci, quand elle s’y prête, une information et une protection rassurante pour tous.

Il existe deux types de recherches, cela a été dit : la recherche interventionnelle, avec une démarche de soins, et la recherche observationnelle, qui est en relation avec une discipline aujourd’hui en délicatesse existentielle dans le monde et singulièrement en France, à savoir l’épidémiologie.

M. François Autain. Nous manquons d’épidémiologistes !

M. Jean-Claude Etienne. Je vous suis très reconnaissant, mon cher collègue, d’enrichir mon propos.

La communauté scientifique nous reproche la trop grande complexité des circuits administratifs. Elle a bien raison ! En matière de recherche observationnelle, on doit s’adresser à cinq guichets différents – je vous fais grâce de leur intitulé –, ce qui prend énormément de temps, mais ce n’est pas une raison pour renoncer. En simplifiant les procédures, on gagnerait en efficacité.

Paradoxalement, cette recherche observationnelle à forte connotation épidémiologique, alors qu’elle implique la participation de quelques centaines de personnes, voire de plusieurs milliers, suivant les cas, ne disposait d’aucun cadre législatif.

C’est ainsi que ces recherches ne nécessitent pas le recours à un professionnel de santé. Elles ne présentent donc aucune garantie de qualité et de fiabilité. Pis encore, ces recherches ne requièrent pas non plus une autorisation préalable. Vous pouvez donc les organiser comme vous le souhaitez sur votre territoire. En outre, elles ne sont inscrites dans aucun répertoire national. Par ailleurs, elles ne sont pas toujours reprises, loin de là, dans les grandes revues scientifiques qui marquent, qui donnent le ton.

Ces manquements, entre autres éléments, ont récemment conduit l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques à reprendre, avec l’Académie de médecine, une étude pour un développement nouveau de l’épidémiologie, qui doit s’entendre dans une perspective fondamentale, laquelle s’inscrit tout à fait dans le cadre de la protection des personnes qui se prêtent à des recherches.

La proposition de loi de notre collègue député Olivier Jardé, telle qu’elle a été adoptée par l’Assemblée nationale, crée un socle juridique commun.

Pour ma part, je suis heureux que les dispositions que nous examinons aient été singularisées et non pas intégrées dans les textes sur la bioéthique,…

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Bien sûr !

M. Jean-Claude Etienne. … ce que certains parmi vous regrettent. C’est si important que c’est particulier et que les limites de l’épure à discuter doivent être prises en compte.

La définition de la recherche se fondera sur le critère du degré de contrainte que cette recherche impose aux participants, et sera à proprement dit fondée sur la personne, y compris pour les recherches observationnelles. Merci beaucoup, c’était très important.

Le lancement de toute recherche sera conditionné à une autorisation préalable émanant d’un comité de protection des personnes. C’est là un des apports majeurs de cette proposition de loi.

Les comités de protection des personnes seront systématiquement saisis de l’ensemble des recherches, qu’elles soient interventionnelles ou observationnelles. Ils pourront requalifier les recherches et donc leur appliquer le régime juridique le plus adapté.

L’instauration d’un répertoire national des autorisations, accessible tant aux professionnels de santé qu’aux particuliers, répondra à l’exigence d’une meilleure visibilité de la recherche.

Je tiens maintenant à saluer le travail de la commission des affaires sociales, ainsi que l’engagement de Mme Marie-Thérèse Hermange, son rapporteur. Leur volonté de protéger la dignité des personnes a permis d’apporter des modifications essentielles au texte.

La commission des affaires sociales a estimé que la distinction reposant sur « les risques et contraintes négligeables » n’était pas justifiée. Je partage son point de vue. Pourquoi faire des différences qui engendrent des conséquences considérables alors que ces différences ne sont qu’approximatives, envisagées sur un avenir hypothétique, et ne correspondent même pas à la différence entre un petit tas de sable et un grand tas de sable ? On tire en effet des conclusions aberrantes par rapport à la différence prévue.

Nous adhérons pleinement à la nécessité d’un consentement écrit, quel que soit le niveau de risque encouru par le participant.

M. François Autain. Très bien !

M. Jean-Claude Etienne. Il y a en effet la réalité des choses et l’idée que l’on peut s’en faire. Chacun se fait une idée différente du risque à partir d’une même réalité.

On peut néanmoins concevoir, dans certaines situations, notamment pour certaines enquêtes épidémiologiques – on y revient – portant sur des populations étendues, que le risque apprécié statistiquement prenne alors une dimension mesurable, qui puisse être exprimée en chiffres, même si c’est selon le mode du χ². Eu égard à l’importance de la population concernée, il peut être matériellement difficile de recueillir un consentement individuel écrit. On peut donc envisager des solutions plus adaptées.

Quant au Comité national de recherche sur la personne, il doit s’agir d’une instance indépendante, mais spécifique – Jean-Pierre Godefroy a également insisté sur ce point. Par conséquent, ce qu’elle fera ne sera pas automatiquement assimilable à ce que peuvent faire d’autres organismes intervenant dans le même domaine. L’évaluation des pratiques médicales est une chose, l’accréditation en est une autre.

Par ailleurs, – c’est un autre apport clef du texte – les recherches non interventionnelles bénéficieront désormais d’une méthodologie de référence de la part de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Ce point est très important.

Pour conclure, le texte de la commission réalise un certain équilibre entre la liberté scientifique orientée vers le progrès et la régulation juridique qui s’impose. Ce texte traduit une démarche responsable, orientée vers la protection des personnes. Le groupe UMP y adhère totalement et le votera. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Pierre Raffarin. C’est vrai !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacky Le Menn.

M. Jacky Le Menn. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame le rapporteur, mes chers collègues, dans son intervention d’une grande solidité, mon collègue Jean-Pierre Geoffroy a déjà largement balayé le champ de cette proposition de loi, dont les dispositions auraient effectivement pu trouver place dans la loi HPST, « Hôpital, patients, santé et territoires » ou dans les textes destinés à réviser la loi de bioéthique que nous examinerons prochainement. Un autre choix a été fait par les auteurs de la proposition de loi, qui ont considéré qu’il était aujourd’hui urgent de faire évoluer le cadre juridique des recherches sur la personne. Soit ! Engageons-nous donc dans le débat.

Pour ma part, dans cette discussion générale, je me bornerai à soulever quelques questions que se posent également de nombreux membres des comités de protection des personnes. J’espère que des réponses y seront apportées tout au long de l’examen du texte par le truchement des amendements, qui, à n’en pas douter, seront âprement débattus.

Tout d’abord, les évolutions de notre société et celles de la recherche, prise en son sens générique, imposaient-elles de modifier, toutes affaires cessantes, le cadre législatif dans lequel la recherche s’inscrit ?

Au vu de ces évolutions et de celles de la pratique, y a-t-il une connexion entre la proposition de loi et les problématiques de terrain ?

Dans ce contexte, quels sont les avantages ou les inconvénients de cette proposition de loi ? En particulier, quelle protection pour les patients et quelles responsabilités nouvelles pour les acteurs de la recherche prévoit-elle ?

Enfin, pour tout dire, quelles valeurs ce texte défend-t-il ?

Pour l’heure, cette proposition de loi nous laisse perplexes, surtout si nous nous inscrivons – mais sans doute sommes-nous très naïfs ? – dans une perspective visant la morale dans la science, morale dont le législateur ne devrait, selon nos convictions profondes, jamais se départir.

Ici, dans cette perspective, nous pourrions nous poser la question philosophique – mais n’est-ce pas incongru ? –  du respect de l’être humain et évoquer l’impératif catégorique kantien suivant, tel que le philosophe l’exprime dans Fondation sur la métaphysique des mœurs : « Agis de façon telle que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans tout autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen ».

Cet impératif renvoie au respect de la dignité humaine comme « valeur intérieure absolue ». Cela suppose l’absence d’instrumentalisation de l’être humain, par exemple dans le domaine des expérimentations biomédicales – l’objet du texte que nous examinons aujourd'hui – ou dans celui des transplantations d’organes. Mais là nous sommes déjà dans le champ de l’éthique, qui ne semble pas être la préoccupation centrale des auteurs de cette proposition de loi.

Pourtant, dans ce qu’il est convenu d’appeler sa sagesse, le législateur n’avait écarté cette préoccupation centrale concernant les recherches sur l’homme ni dans la loi de 1988 dite « loi Huriet-Sérusclat », ni dans la loi de 2004 relative à la politique de santé publique.

Oublier la place centrale de l’éthique prépare à la banalisation des objets de la recherche et cette banalisation est l’antichambre, hélas ! d’atteintes potentielles aux libertés fondamentales, ce qui, j’en suis persuadé, mes chers collègues, est totalement inadmissible pour l’immense majorité d’entre nous.

Aussi, à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, veillons à ne pas nous situer à rebours de la doctrine internationale en la matière : la convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, dite « convention d’Oviedo », adoptée par le Conseil de l’Europe, ou encore la déclaration d’Helsinki de l’Association médicale mondiale, amendée à l’occasion de sa cinquantième assemblée générale qui s’est tenue à Séoul en 2008.

J’ajouterai que l’objectif premier de la recherche impliquant des êtres humains est, dans le respect qui est dû à l’homme, à sa santé et à ses droits, de comprendre les causes et le développement des maladies mais aussi d’améliorer les interventions préventives, diagnostiques et thérapeutiques. Ces principes se suffisent à eux-mêmes et rendent accessoire toute autre considération. J’ai cru comprendre, en écoutant ses interventions tant en commission qu’ici même voilà quelques instants, que Mme le rapporteur s’en tenait à cette position, et je m’en félicite.

Cela étant dit, il nous faudra rester vigilants et ciseler les articles de cette proposition de loi afin de parvenir à un nécessaire équilibre, et le moins fragile possible, entre la protection renforcée des personnes et l’assouplissement souhaité par les promoteurs de la recherche, entre l’éthique, qui n’appelle pas de compromis, et le pragmatisme des acteurs de la recherche, qu’elle soit conduite ou non en CHU.

En ce qui concerne l’éthique, rappelons que, dans la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, le législateur a modifié la composition des comités de protection des personnes afin de bien marquer sa prise en considération de la « réflexion éthique », le « contrôle du consentement » ayant progressivement pris le pas sur la simple protection de l’intégrité physique des personnes, qui était historiquement la première mission de ces comités, ainsi que l’a souligné fort à propos Mme le rapporteur lors de son intervention en commission.

Quant au pragmatisme des chercheurs et des promoteurs de toute recherche, n’ayons pas peur d’affirmer qu’il conduit, plus souvent qu’on ne le pense, certains d’entre eux à ne pas exclure a priori – et d’autres même à privilégier – certaines formes de mercantilisme, comme je l’ai soutenu en commission des affaires sociales.

Mercantilisme qui conduit à vouloir gommer toutes contraintes, qualifiées péjorativement d’« administratives », dans lesquelles, bien évidemment, sans que cela soit dit clairement, prennent place toutes les dispositions visant à la protection des personnes. Mercantilisme qui incite à un retour sur investissement le plus rapide possible – je parle des investissements financiers, le coût de la recherche étant souvent élevé – afin de pouvoir promptement faire breveter, après validation et éventuellement publication scientifique, les « produits » et/ou les « résultats » de leur recherche, en vue de leur possible commercialisation.

En fait, cela renvoie, d’une manière plus générale, à deux conceptions de la recherche.

L’une est fondée sur la primauté donnée à l’individu, à la préservation de la dignité de la personne et, plus globalement, à la notion de solidarité humaine. Cette conception est celle, je pense, de la majorité d’entre nous dans cette enceinte.

L’autre privilégie l’aspect commercial de la recherche, notamment lorsque ses promoteurs dépendent de laboratoires organisés en grands groupes internationaux. Là, on n’est jamais très éloigné de la recherche en priorité du profit, l’individu risquant fort de ne plus être qu’un maillon, la partie d’un tout qui constitue une chaîne commerciale naturellement plus préoccupée par ses performances et sa rentabilité, ce que nous ne pouvons accepter s’agissant de la vie humaine.

Pour terminer, je rappelle que nous devons rester vigilants sur les dérives potentielles que pourraient entraîner, par exemple, des recherches épidémiologiques comprenant des populations vulnérables, cela a déjà été dit. Nous devons également demeurer attentifs sur les conditions d’autorisation de recherche sur les mineurs. N’oublions pas en effet que les conséquences des dommages subis par les enfants sont différées, en raison de la fragilité particulière de leur organisme en croissance. N’oublions pas non plus les incidences de ces conséquences sur le plan assuranciel.

Mes chers collègues, devant l’approche de la recherche sur les personnes que nous proposent les auteurs de cette proposition de loi, nos concitoyens nous observent, inquiets et attentifs et ils ne manqueront pas de nous juger sévèrement si nous décevons leurs attentes exigeantes en ce domaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous savons tous aujourd’hui combien la recherche biomédicale est importante. Elle est non seulement nécessaire face à l’apparition de nouvelles maladies et à la persistance des maladies incurables, mais également essentielle pour l’amélioration des techniques d’exploration et de soins.

Afin de tenir compte des avancées de la science et de leurs enjeux pour la société, la loi de bioéthique est régulièrement révisée. Dans le souci du respect des valeurs de notre société, elle cherche à répondre le mieux possible aux questions soulevées par le progrès scientifique et technique, ainsi qu’à garantir le respect de la dignité humaine et la protection des personnes les plus vulnérables contre toute forme d’exploitation.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui, même si elle comporte certaines avancées, nous conduit donc à nous poser quelques questions.

Comme mes collègues, je m’interroge : pourquoi ces dispositions prennent-elles la forme d’une proposition de loi alors qu’elles auraient pu avoir leur place dans la prochaine révision de la loi de bioéthique ?

Était-ce une manière d’éviter un passage devant le Conseil d’État ou l’élaboration d’une étude d’impact ?

Lors des derniers états généraux de la bioéthique, une question fondamentale était au cœur des réflexions : comment permettre à notre pays d’être à la pointe des sciences et techniques biomédicales tout en faisant prévaloir une conception du progrès au service de l’humain, guidée et confortée par des principes éthiques clairement définis ?

Ce sont peut-être ces mêmes principes à vocation universelle qui ont permis l’adoption, lors de la conférence générale de l’UNESCO au mois d’octobre 2005, de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme. En effet, pour la première fois dans l’histoire de la bioéthique, les États membres, et avec eux la communauté internationale, se sont engagés à respecter et à appliquer les principes fondamentaux de la bioéthique énoncés dans un seul et même texte. Partout, les êtres humains doivent pouvoir bénéficier des progrès de la science et de la technologie, dans le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il est donc primordial de protéger les personnes.

Mais nul n’est dupe ! L’intérêt du malade et les préoccupations plus égoïstes que l’on rencontre en matière économique, politique ou même académique sont bien souvent en tension constante. Aussi, face aux risques de dérives et d’abus que le développement de la science pourrait entraîner, il convient de poser des règles et d’être vigilants quant à la protection des personnes, en particulier des mineurs. C’est sur ce point que je souhaite intervenir.

Je voudrais souligner ici la sagesse de la commission des affaires sociales du Sénat, qui a rétabli l’obligation du consentement des deux titulaires de l’autorité parentale pour la participation d’un mineur à la recherche. En effet, le texte initial prévoyait que l’autorisation pour un mineur de participer à un protocole de recherches pouvait être accordée par un seul titulaire de l’autorité parentale. Cela risquait d’être une source de difficultés préjudiciable à l’enfant en cas de conflit entre les parents.

J’avoue avoir été très surprise de constater que l’on avait voulu modifier le code de la santé public pour permettre à un seul des titulaires de l’autorité parentale de laisser son enfant être le sujet d’expériences médicales. Au regard de la protection des personnes, une telle modification ne pouvait constituer qu’une régression. Elle aurait plongé l’enfant au cœur de conflits familiaux en cas de désaccord entre les parents. Dans ce domaine, laisser l’autorité parentale à un seul des parents peut être porteur de dérives. De plus, on peut douter de l’articulation entre de telles dispositions et celles qui sont en vigueur en la matière dans le code civil.

En effet, la minorité légale entraîne une incapacité juridique et un besoin de protection. Or une telle protection ne peut être assurée que par les parents de l’enfant mineur dans le cadre des règles d’autorité parentale et d’administration légale.

Même s’il est indispensable de réaliser des recherches impliquant des enfants afin d’améliorer le traitement existant pour ceux-ci, il est absolument nécessaire de les protéger de manière optimale, car les enfants constituent une population vulnérable.

Par ailleurs, je vous rappelle qu’aux termes de la directive européenne de 2001, « un essai clinique sur des mineurs ne peut être entrepris que si […] le consentement éclairé des parents ou du représentant légal a été obtenu ; ce consentement doit exprimer la volonté présumée du mineur et peut être annulé à tout moment sans que ce dernier en pâtisse ; ».

Ainsi, la simplification du cadre juridique des recherches médicales sur les personnes ne doit pas se faire au détriment de la protection de ces dernières. Je me réjouis donc que la commission des affaires sociales soit revenue sur une telle autorisation, car – il faut le dire – le texte initial affaiblissait les dispositions destinées à protéger les personnes, et ce dans le seul objectif de faciliter la recherche médicale.

Il est impératif que l’avis des deux parents soit requis. Nous resterons toujours vigilants à cet égard.

Tout comme nous serons vigilants quand le projet de loi créant un statut pour les beaux-parents arrivera en discussion au Sénat. En effet, il apparaît légitime de se demander comment ce statut, qui vise à reconnaître les « liens particuliers » existant dans les familles recomposées, s’articulera avec la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui. Si ce prochain texte simplifie les partages d’autorité parentale, il ne doit pas remettre en cause cette autorité dans le domaine de la recherche sur le mineur. L’assouplissement de tels partages ne doit pas se faire en matière de recherche et de santé.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne répondrai pas de manière exhaustive à toutes vos interventions ; nous aurons l’occasion de revenir sur l’ensemble des points qui ont été abordés lors de l’examen des amendements. En revanche, je souhaite resituer notre débat.

Premièrement, l’objectif du Président de la République est bien de faire de notre pays l’un des leaders de la recherche biomédicale dans le monde. C’est un enjeu considérable non seulement en termes de soins et d’amélioration de la qualité de la vie, mais également d’un point de vue économique et social.

D’ailleurs, les débats qui ont été suscités par le grand emprunt, notamment autour de la notion d’« investissement porteur d’avenir à long terme », ont mis en lumière un consensus au sein de l’ensemble des sensibilités politiques pour considérer que la recherche médicale entrait bien dans ce cadre.

Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, et moi-même avons beaucoup réfléchi sur les éléments qui permettraient de placer notre pays en position de leader en matière de recherche biomédicale. Nous avons bien entendu abordé tout ce qui avait un rapport à la « e-santé », à la bio-informatique, à la notion épidémiologique et au concept de « grande cohorte », qui est fondamental en la matière. En effet, c’est à partir des grandes cohortes que nous pourrons avancer, bâtir la notion de médecine personnalisée et, finalement, être à la hauteur des attentes de nos concitoyens et améliorer leur situation. La présente proposition de loi s’inscrit dans cette réflexion.

Deuxièmement, certains nous ont demandé pourquoi nous n’avions pas intégré de telles dispositions dans les lois de bioéthique. En l’occurrence, la confusion, comme le progrès, fait rage (Sourires), et je me permettrai de vous renvoyer à l’excellent travail qui a été effectué par votre rapporteur, Mme Hermange.

Certes, on peut considérer que toute démarche législative est, par nature, éthique, ce qui pourrait conduire à vouloir tout mettre dans les lois de bioéthique. Mais celles-ci ont un champ d’application parfaitement déterminé. À la page 56 de son rapport, Mme Hermange décrit parfaitement la structuration de la recherche médicale et précise les champs d’application respectifs de cette dernière et de la bioéthique.

Je vous en supplie, ne mélangeons pas les choses ! Le professeur Jean-Claude Etienne a souligné, à juste titre, que les questions de recherche souffraient d’un manque de visibilité dans notre pays et qu’un certain nombre de textes spécifiques sur ce sujet s’imposaient. En effet, les implications économiques, sociales et sanitaires de la recherche sont considérables.

Ne nous faites donc pas de procès parce que nous n’avons pas inséré de telles mesures dans les lois sur la bioéthique ! Cela aurait eu pour seul effet de surcharger des dispositions dont nous allons examiner la révision dans quelques mois. Il n’est pas question d’alourdir ces textes sous le seul prétexte que nous abordons des questions présentant un aspect éthique dans des domaines divers. Notre intention est non pas de surcharger, mais de restaurer et, éventuellement, de transformer ce qui fait le cœur des problématiques liées à la bioéthique ; je parle ici devant un certain nombre de spécialistes de ce secteur.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite vous remercier de la qualité de cette discussion générale. Bien entendu, je répondrai plus précisément aux observations qui ont été formulées lors de l’examen des articles, que nous allons aborder dans quelques instants.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi relative aux recherches impliquant la personne humaine
Article 1er (interruption de la discussion)

Article 1er

I. – L’intitulé du titre II du livre Ier de la première partie du code de la santé publique est ainsi rédigé : « Recherches clinique ou non-interventionnelle impliquant la personne humaine ».

II. – Le même titre est ainsi modifié :

1° L’article L. 1121-1 est ainsi modifié :

a) (Supprimé)

b) Les deuxième à quatrième alinéas sont remplacés par quatre alinéas ainsi rédigés :

« Il existe deux catégories de recherches sur la personne :

« 1° Les recherches interventionnelles, qui comportent une intervention sur la personne non justifiée par sa prise en charge habituelle.

« Parmi les recherches interventionnelles, on distingue celles qui ne portent pas sur des médicaments et ne comportent que des risques et des contraintes minimes dont la liste est fixée par voie réglementaire ;

« 2° Les recherches non-interventionnelles, qui ne comportent aucune procédure supplémentaire ou inhabituelle de diagnostic, de traitement ou de surveillance, les actes étant pratiqués et les produits utilisés de manière habituelle. » ;

c) La première phrase du cinquième alinéa est remplacée par une phrase ainsi rédigée :

« La personne physique ou la personne morale qui est responsable d’une recherche impliquant la personne humaine, en assure la gestion et vérifie que son financement est prévu est dénommée le promoteur. » ;

d) Au dernier alinéa, les mots : «, sur un même lieu ou » sont supprimés ;

e) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé : 

« Si, sur un site, la recherche est réalisée par une équipe, l’investigateur est le responsable de l’équipe et peut être appelé investigateur principal. » ;

2° L’article L. 1121-3 est ainsi modifié :

a) Le sixième alinéa est ainsi rédigé :

« Les recherches mentionnées au second alinéa du 1° de l’article L. 1121-1 et qui n’ont aucune influence sur la prise en charge médicale de la personne qui s’y prête peuvent être effectuées sous la direction et la surveillance d’une personne qualifiée. Le comité de protection des personnes s’assure de l’adéquation entre la qualification du ou des investigateurs et les caractéristiques de la recherche. Les recherches non-interventionnelles peuvent être effectuées sous la direction et la surveillance d’une personne qualifiée en matière de recherche. » ;

b) À la deuxième phrase du septième alinéa, après les mots : « autres recherches », est inséré le mot : « interventionnelles » ;

c) Le septième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Pour les recherches mentionnées au second alinéa du 1° de l’article L. 1121-1 et les recherches non-interventionnelles, des recommandations de bonnes pratiques sont fixées par voie réglementaire. » ;

d) Au dernier alinéa, le mot : « biomédicale » est remplacé par les mots : « impliquant la personne humaine » ;

3° L’article L. 1121-4 est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« Les recherches mentionnées au second alinéa du 1° de l’article L. 1121-1 et les recherches non-interventionnelles ne peuvent être mises en œuvre qu’après avis favorable du comité de protection des personnes mentionné à l’article L. 1123-1.

« Lorsque les recherches mentionnées au second alinéa du 1° de l’article L. 1121-1 figurent sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de la santé pris sur proposition du directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, le comité de protection des personnes s’assure auprès de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé que l’utilisation des produits sur lesquels porte la recherche ne présente que des risques négligeables.

« En cas de doute sérieux sur la qualification d’une recherche au regard des deux catégories de recherches impliquant la personne humaine définies à l’article L. 1121-1, le comité de protection des personnes peut saisir pour avis l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Le comité n’est pas tenu par l’avis rendu. » ;

4° Après l’article L. 1121-8, il est inséré un article L. 1121-8-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1121-8-1. – Les personnes qui ne sont pas affiliées à un régime de sécurité sociale ou bénéficiaires d’un tel régime peuvent être sollicitées pour se prêter à des recherches impliquant la personne humaine si ces recherches sont non-interventionnelles. » ;

5° Le cinquième alinéa de l’article L. 1121-11 est supprimé ;

5° bis (nouveau) L’article L. 1121-11 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« À titre dérogatoire, le comité de protection des personnes peut autoriser une personne qui n’est pas affiliée à un régime de sécurité sociale ou bénéficiaire d’un tel régime à se prêter à des recherches interventionnelles impliquant la personne humaine. Cette autorisation est motivée. » ;

6° À la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 1121-13, après les mots : « pour une durée déterminée, lorsqu’il s’agit de recherches », sont insérés les mots : « interventionnelles à l’exception de celles mentionnées au second alinéa du 1° de l’article L. 1121-1 » ;

7° L’article L. 1121-15 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Les recherches mentionnées au second alinéa du 1° de l’article L. 1121-1 et les recherches non-interventionnelles sont inscrites dans un répertoire rendu public dans des conditions définies par voie réglementaire.

« Les résultats des recherches impliquant la personne humaine sont rendus publics dans un délai raisonnable, dans des conditions définies par voie réglementaire. » ;

8° Au premier alinéa de l’article L. 1121-16, après les mots : « fichier national », sont insérés les mots : « consultable par tout investigateur » ;

9° L’article L. 1123-6 est ainsi rédigé :

« Avant de réaliser une recherche impliquant la personne humaine, le promoteur est tenu d’en soumettre le projet à l’avis du comité de protection des personnes désigné de manière aléatoire par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

« Toutefois, en cas d’avis défavorable du comité, le promoteur peut demander un second examen du dossier à la commission mentionnée à l’article L. 1123-1-1. » ;

9° bis (nouveau) Il est inséré un article L. 1123-7 ainsi rédigé :

« Art. L. 1123-7. – Tout promoteur ayant son siège en France, envisageant de réaliser une recherche sur la personne dans un pays tiers à l’Union européenne, peut soumettre son projet à un comité de protection des personnes.

« Le comité de protection des personnes rend son avis sur les conditions de validité de la recherche au regard des principes énoncés à l’article L. 1121-2. » ;

10° À l’article L. 1123-9, après les mots : « du comité et », sont insérés les mots : «, dans le cas de recherches interventionnelles à l’exception de celles mentionnées au second alinéa du 1° de l’article L. 1121-1, », et sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« Lorsque la demande de modification substantielle engendre un doute sérieux sur la qualification d’une recherche au regard des trois catégories de recherches impliquant la personne humaine définies à l’article L. 1121-1, le comité de protection des personnes saisit l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

« En cas d’avis défavorable du comité, le promoteur peut demander au ministre chargé de la santé de soumettre le projet de recherche, pour un second examen, à un autre comité désigné par le ministre, dans les conditions définies par voie réglementaire. » ;

11° Au 1° de l’article L. 1126-5, après les mots : « personnes et », sont insérés les mots : «, dans le cas de recherches mentionnées au premier alinéa du 1° de l’article L. 1121-1, » ;

12° L’article L. 1126-10 est ainsi rédigé :

« Art. L. 1126-10. – Dans le cadre d’une recherche interventionnelle, le fait pour le promoteur de ne pas fournir gratuitement aux investigateurs les médicaments expérimentaux et, le cas échéant, les dispositifs utilisés pour les administrer ainsi que, pour les recherches portant sur des produits autres que les médicaments, les produits faisant l’objet de la recherche est puni de 30 000 € d’amende. » ;

13° L’intitulé du chapitre II est ainsi rédigé : « Information de la personne qui se prête à une recherche impliquant la personne humaine et recueil de son consentement » ;

14° L’article L. 1122-1 est ainsi modifié :

a) Au 2°, après le mot : « attendus », sont insérés les mots : « et, dans le cas de recherches interventionnelles » ;

b) Au début des 3° et 4°, sont insérés les mots : « Dans le cas de recherches interventionnelles, » ;

c) Au 5°, après les mots : « mentionné à l’article L. 1123-1 et », sont insérés les mots : «, dans le cas de recherches interventionnelles à l’exception de celles mentionnées au second alinéa du 1° de l’article L. 1121-1, » ;

d) Le huitième alinéa est ainsi rédigé :

« Il informe la personne dont la participation est sollicitée ou, le cas échéant, les personnes, organes ou autorités chargés de l’assister, de la représenter ou d’autoriser la recherche, de son droit de refuser de participer à la recherche ou de retirer son consentement ou, le cas échéant, son autorisation à tout moment, sans encourir aucune responsabilité ni aucun préjudice de ce fait. » ;

e) À la première phrase du neuvième alinéa, les mots : « ne porte que sur des volontaires sains et » sont supprimés ;

f) (nouveau) La deuxième phrase du dernier alinéa est remplacée par une phrase ainsi rédigée : « À l’issue de la recherche, la personne qui s’y est prêtée est informée de la date effective de la fin de recherche et de la date limite de recevabilité d’une première réclamation éventuelle ; son droit de recevoir les résultats globaux de cette recherche et les modalités correspondantes lui sont rappelées. » ;

g) (nouveau) Au premier alinéa, les mots : « ou un médecin qui le représente, » sont remplacés par les mots : « un médecin qui le représente ou, lorsque l’investigateur est un professionnel de santé qualifié ou une personne qualifiée en matière de recherche, le professionnel de santé qualifié ou la personne qualifiée en matière de recherche qui le représente » ;

15° L’article L. 1122-1-1 est ainsi rédigé :

« Art. L. 1122-1-1. – Aucune recherche interventionnelle ne peut être pratiquée sur une personne sans son consentement libre et éclairé, recueilli par écrit ou, en cas d’impossibilité, attesté par un tiers, après que lui a été délivrée l’information prévue à l’article L. 1122-1. Ce dernier doit être totalement indépendant de l’investigateur et du promoteur.

« Aucune recherche non-interventionnelle ne peut être pratiquée sur une personne lorsqu’elle s’y est opposée. » ;

16° L’article L. 1122-1-2 est ainsi modifié :

a) Dans la première phrase, le mot : « biomédicales » est remplacé par les mots : « impliquant la personne humaine » et, après les mots : « qui y sera soumise, », sont insérés les mots : « lorsqu’il est requis, » ;

b) (nouveau) Après la première phrase, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Le protocole peut prévoir une dérogation à cette obligation en cas d’urgence vitale immédiate laissée à l’appréciation de ce comité. » ;

17° L’article L. 1122-2 est ainsi modifié :

a) (Supprimé)

a bis) (nouveau) Après le quatrième alinéa du II, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsqu’une personne mineure se prêtant à une recherche devient majeure dans le cours de sa participation, la confirmation de son consentement est requise après délivrance d’une information appropriée. » ;

a ter) (nouveau) Après le dernier alinéa du II, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsqu’au moment de la date de la fin de la recherche la personne mineure qui s’y est prêtée a acquis la capacité juridique, elle devient personnellement destinataire de toute information communiquée par l’instigateur ou le promoteur. » ;

b) Le III est ainsi rédigé :

« III. – Le consentement prévu au huitième alinéa du II est donné dans les formes de l’article L. 1122-1-1. Les autorisations prévues aux premier, sixième, huitième et neuvième alinéas du même II sont données par écrit. » ;

18° (nouveau) La dernière phrase du cinquième alinéa de l’article L. 1521-5 et la dernière phrase du seizième alinéa de l’article L. 1541-4 du code de la santé publique sont supprimées.

III. – Le titre II du livre Ier de la première partie du même code est ainsi modifié :

1° Aux articles L. 1121-1, L. 1121-2, L. 1122-1, L. 1122-2, L. 1123-6, L. 1126-3, L. 1126-5 et L. 1126-7 et au premier alinéa des articles L. 1121-10 et L. 1121-11, les mots : « recherche biomédicale » sont remplacés par les mots : « recherche impliquant la personne humaine » ;

2° Au premier alinéa des articles L. 1121-2 et L. 1123-6, les mots : « sur l’être humain » sont supprimés ;

3° Au troisième alinéa de l’article L. 1121-3, les mots : « l’essai » sont remplacés par les mots : « la recherche » ;

4° Aux premier et cinquième alinéas de l’article L. 1121-3, au deuxième alinéa de l’article L. 1121-11, au premier alinéa de l’article L. 1121-13 et au 12° de l’article L. 1123-14, le mot : « biomédicales » est supprimé ;

4° bis Au premier alinéa de l’article L. 1121-14, le mot : « biomédicale » est supprimé ;

5° À la première phrase du septième alinéa de l’article L. 1121-3 et du troisième alinéa de l’article L. 1121-11, aux articles L. 1121-15, L. 1121-16, L. 1125-2 et L. 1125-3, le mot : « biomédicales » est remplacé par le mot : « interventionnelles » ;

6° Aux articles L. 1121-4, L. 1121-12, L. 1123-8, L. 1123-11 et L. 1125-1, le mot : « biomédicale » est remplacé par le mot : « interventionnelle » ;

7° Aux articles L. 1121-5, L. 1121-6, L. 1121-7 et L. 1121-8 le mot : « biomédicales » est remplacé par les mots : « interventionnelles » ;

8° À l’article L. 1121-9 et au quatrième alinéa de l’article L. 1121-10, le mot : « biomédicale » est remplacé par les mots : « interventionnelle » ;

8° bis (nouveau) Le quatrième alinéa de l’article L. 1121-10 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans le cas où la personne qui s’est prêtée à la recherche est âgée de moins de dix-huit ans au moment de la fin de celle-ci, ce délai minimum court à partir de la date de son dix-huitième anniversaire. » ;

9° (Supprimé)

10° À la première phrase du troisième alinéa de l’article L. 1121-10, les mots : « La recherche biomédicale » sont remplacés par les mots : « Toute recherche interventionnelle » ;

11° a) (Supprimé)

b) Au deuxième alinéa de l’article L. 1123-11, le mot : « administrative » est supprimé ;

c) Le quatrième alinéa de l’article L. 1123-11 est ainsi rédigé :

« Le promoteur avise le comité de protection des personnes compétent et l’autorité compétente mentionnée à l’article L. 1123-12 du début et de la fin de la recherche impliquant la personne humaine et indique les raisons qui motivent l’arrêt de cette recherche quand celui-ci est anticipé. » ;

12° Le quatrième alinéa de l’article L. 1121-11 est supprimé ;

13° À la première phrase de l’article L. 1123-2, le mot : « biomédical » est remplacé par les mots : « de la recherche impliquant la personne humaine » ;

14° À la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 1121-13 et au dernier alinéa de l’article L. 1125-1, le mot : « biomédicales » est supprimé et, à l’article L. 1126-10, le mot : « biomédicale » est supprimé ;

15° À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 1123-10, après le mot : « recherche », sont insérés les mots : « impliquant la personne humaine » et, à la première phrase du second alinéa du même article, après la référence : « L. 1123-9 », sont insérés les mots : « et pour toutes recherches impliquant la personne humaine » ;

16° Le dernier alinéa de l’article L. 1123-12 est supprimé ;

16° bis (nouveau) L’article L. 1122-1-2 est ainsi modifié :

a) À la première phrase, le mot : « biomédicales » est remplacé par les mots : « impliquant la personne humaine » ;

b) À la première phrase, après les mots : « personne qui y sera soumise », sont insérés les mots : « lorsqu’il est requis » ;

c) Dans l’avant-dernière phrase, après les mots : « L’intéressé est informé dès que possible et son consentement », sont insérés les mots : « lorsqu’il est requis » ;

17° Au 9° de l’article L. 1123-14, les mots : « l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé » sont remplacés par les mots : « la Haute Autorité de santé », et le même article est complété par un 13° ainsi rédigé :

« 13° Le champ des recherches interventionnelles. »

IV. – L’article L. 1221-8-1 du même code est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, après le mot : « biomédicale, », la fin de la deuxième phrase et la troisième phrase sont remplacées par les mots : « soit dans le cadre d’une recherche impliquant la personne humaine. » et, à la dernière phrase, les mots : « lorsque le sang ou ses composants sont prélevés ou utilisés dans le cadre d’une activité de recherche biomédicale » sont remplacés par les mots : « relatives aux recherches impliquant la personne humaine » ;

2° Les deuxième et troisième alinéas sont supprimés.

IV bis. – Au dernier alinéa de l’article L. 1333-4 du même code, le mot : « biomédicale » est remplacé par les mots : « impliquant la personne humaine ».

IV ter. – Le 2° de l’article L. 1521-5 du même code est ainsi rédigé :

« 2° À l’article L. 1121-11, le dernier alinéa n’est pas applicable ; ».

V. – (Supprimé)

VI. –  Les deux premiers alinéas de l’article 223-8 du code pénal sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés :

« Le fait de pratiquer ou de faire pratiquer sur une personne une recherche interventionnelle sans avoir recueilli le consentement libre, éclairé et, le cas échéant, écrit de l’intéressé, des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur ou d’autres personnes, autorités ou organes désignés pour consentir à la recherche ou pour l’autoriser, dans les cas prévus par le code de la santé publique, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

« Les mêmes peines sont applicables lorsque la recherche interventionnelle est pratiquée alors que le consentement a été retiré.

« Les mêmes peines sont applicables lorsqu’une recherche non-interventionnelle est pratiquée alors que la personne s’y est opposée. »

VII. – Dans l’ensemble des autres dispositions législatives, les mots : « recherche biomédicale » sont remplacés par les mots : « recherche impliquant la personne humaine », et les mots : « recherches biomédicales » sont remplacés par les mots : « recherches impliquant la personne humaine ».

VIII. – (nouveau) Les types de tests de produits cosmétiques ou alimentaires non soumis à l’examen des comités de protection des personnes sont déterminés par arrêté du ministre en charge de la santé pris après avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Jarraud-Vergnolle, sur l'article.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de formuler une remarque. Pour gagner du temps, je renonce à vous rappeler dans quel contexte étrange nous avons travaillé sur ce texte et dans quelles conditions il arrive dans notre hémicycle. Il est certain que cette proposition de loi ne pouvait pas être examinée au Sénat autrement qu’en urgence ; c’est pourquoi elle a mis neuf mois à être inscrite à l’ordre du jour de la Haute Assemblée… C’est sans doute ce que l’on appelle l’« hyper-parlementarisme ».

Mais nous avons désormais l’habitude de ne pas être conviés aux auditions et de ne disposer d’éléments majeurs qu’au dernier moment. Et, par-dessus tout, nous savons désormais que certaines propositions de loi ne sont ni plus ni moins que des projets de loi habilement déguisés, produits au sein des ministères. Ici encore, il semble qu’un conseiller technique ait travaillé de « main de maître » ; je choisis mes termes.

Madame la ministre, grâce à vous, lors de l’examen du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, nous avons également eu l’occasion de nous familiariser avec la méthode consistant à sortir du chapeau un amendement du Gouvernement au milieu de la séance. Pas plus tard que ce matin, le Gouvernement s’est adonné à une telle pratique hyper-parlementaire... Qu’à cela ne tienne ! Attachons-nous donc sans délai au fond.

Dès l’article 1er, qui révèle à quel point ce texte est cousu de fil blanc – pardonnez-moi, mais vos intentions ne sont que très succinctement maquillées –, cette proposition de loi procède d’une confusion qui confine à la manipulation ; en témoignent les termes employés : la recherche sur la personne constitue une priorité nationale.

À notre tour, procédons par dichotomie. Nous avons, d’un côté, la question centrale de la protection de la personne, qui relève d’une mission régalienne de santé publique, et, de l’autre, un objectif avéré de compétitivité de la recherche dite « sur la personne », alors que nous attendons d’ici à quelques mois un texte sur la bioéthique destiné à dire la même chose, mais de manière plus savante.

Je le répète, selon les termes utilisés, la recherche sur la personne constitue une priorité nationale. En soi, c’est un objectif tout à fait louable. Sauf qu’en l’occurrence il s’agit non pas de santé publique, mais d’enjeu économique.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Pourquoi opposer les deux ?

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Sous couvert de santé publique, l’enjeu économique se substitue à ce qui devrait être la première préoccupation de l’État : la protection des personnes.

La santé publique n’a pas vocation à être rentable au sens économique du terme. La protection des personnes et la santé publique sont deux notions distinctes qu’il convient de ne pas mélanger.

Vous comprendrez mieux comment nous vous voyons venir de loin lorsque vous nous expliquez que l’on peut distinguer les phases interventionnelles ou observationnelles.

En ce qui concerne les phases observationnelles, le risque étant minime, voire nul, pourquoi est-il nécessaire de légiférer pour encadrer la responsabilité de l’État ? Cet arbre cache assez mal la forêt et le cœur du problème, c’est-à-dire les phases interventionnelles, celles-là même qui soulèvent les questions éthiques et, a fortiori, le problème crucial de la protection des personnes.

C’est donc sans aucun doute intentionnellement que, pour ne plus avoir à parler de notre sujet, qui est la protection des personnes, vous confondez deux objectifs : le premier relève d’une mission de service public, la santé et la recherche ; le second est le déverrouillage de la protection de la personne, sous couvert de santé publique et de priorité nationale, pour permettre aux laboratoires qui en ont les moyens de mener plus librement leurs recherches sur la personne, afin de s’inscrire en pointe sur un segment de haute compétitivité.

Si la recherche constitue, même de bonne foi pour ce gouvernement, une priorité nationale, la protection de la personne est principielle dans notre République et doit le rester. Or vous tentez de faire passer une priorité nationale, qu’elle soit conjoncturelle, économique, ou tout ce que vous voudrez, devant un principe républicain. Au mieux, c’est maladroit ; au pire, c’est mal intentionné ! L’examen des différents articles de ce texte nous offrira de nombreuses occasions de vous en faire la démonstration.

Dans vos propos liminaires, madame la ministre, vous avez insisté sur deux amendements présentés par le Gouvernement, démontrant ainsi ce que nous dénonçons. Vous admettez que la recherche fonctionne en « zone grise », selon vos termes, ou en zone d’ombre, selon ceux du professeur Jean-Claude Etienne, et vous nous proposerez un amendement faisant tomber « les contraintes disproportionnées » au recueil du consentement des personnes : c’est paradoxal !

Dès lors, permettez-nous de douter de l’orientation de la recherche en France, ainsi que de la protection de la personne dans ce cadre.

Mme la présidente. L'amendement n° 6, présenté par MM. Godefroy et Le Menn, Mmes Schillinger, Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéas 5 à 9

Supprimer ces alinéas.

La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. La proposition de loi affiche une volonté de donner un cadre unique, moins complexe et plus complet, à l’ensemble des recherches sur la personne. La réalité est qu’en poursuivant dans la logique qui prévaut depuis la loi de 2004 relative à la politique de santé publique ce texte confirme le glissement qui s’est opéré entre une loi fondatrice, destinée à protéger les personnes participant à des recherches biomédicales, et l’intention de faire de la recherche sur la personne un moyen de développer les connaissances scientifiques. En d’autres termes, il s’agit d’un texte visant la recherche sur les personnes et non la protection des personnes.

L’inscription dans la proposition de loi initiale du principe selon lequel « le développement de la recherche sur la personne constitue une priorité nationale » était, à cet égard, évocatrice. La commission, en faisant le choix de supprimer cette disposition et en modifiant la proposition de loi sur certains points, a marqué sa volonté de ne pas oublier la protection des personnes.

Cependant l’article 1er, même modifié, reste problématique dès lors qu’il tend à une banalisation des recherches biomédicales en procédant à un mélange des genres pour nous préjudiciable à la protection des personnes.

La suppression pure et simple de la notion de recherche biomédicale au profit de recherches interventionnelles, termes méconnus dans la réglementation européenne comme dans la réglementation internationale, ne relève certainement pas du hasard.

La création d’une troisième catégorie de recherche, c’est-à-dire une de plus qu’en 2004, n’est pas source de simplification, bien au contraire. Il aurait mieux valu se poser la question de l’intérêt que présentait la conservation d’une procédure spécifique visant à évaluer les soins courants.

Si Mme le rapporteur a répondu en partie aux difficultés de catégorisation entre les recherches interventionnelles et les recherches interventionnelles à risques négligeables, elle a fait le choix, en revanche, de conserver les recherches non interventionnelles. Or qu’est-ce qu’une recherche non interventionnelle ? C’est une recherche observationnelle qui consiste à collecter des informations et des données personnelles de santé. Il n’y a donc aucune intervention sur la personne.

Aujourd’hui, ces études ne sont pas conduites dans un vide juridique : elles sont réalisées dans le respect de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Il revient ainsi à la CNIL de s’assurer que la recherche médicale ne porte atteinte ni à l’identité humaine ni à un certain nombre de droits et libertés individuelles ou publiques. Il lui revient également d’autoriser les traitements faisant au préalable l’objet d’un avis du comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé. Ce comité, précisons-le, fonctionne parfaitement depuis de nombreuses années.

A contrario, les CPP n’ont pas de compétences particulières pour garantir la vie privée et les libertés individuelles des personnes dont les données font l’objet de traitements.

Mme la présidente. Veuillez conclure, chère collègue !

Mme Patricia Schillinger. En réunissant sous les mêmes termes les recherches relevant de l’innovation et celles qui ne dépendent, en réalité, que de l’évaluation ou de l’observation, nous risquons non seulement d’engendrer une confusion entre des recherches de nature différente, mais également de dénaturer les CPP.

Or nous ne pouvons ni accepter que les CPP deviennent des comités de lecture ni courir le risque de voir ces comités renoncer à la qualité de leur examen sous l’influence des demandes.

Il nous semble donc opportun de maintenir l’exclusion des recherches non interventionnelles du cadre législatif garantissant la protection des personnes en matière de recherches biomédicales et le consentement, évidemment indispensable, même lorsqu’il s’agit d’observations comparatives : nous disposons à cet effet de la loi Kouchner de mars 2002.

Si nous ne mettons pas en doute votre intention d’œuvrer pour la protection des personnes, madame la rapporteur, nous n’oublions pas la raison d’être de cette proposition de loi : faire de la recherche une priorité nationale et transformer les CPP en instruments au service des chercheurs, afin, notamment, de permettre un nombre plus important de publications.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Cet amendement vise à revenir au texte de 2004, qui n’était pas très satisfaisant.

La proposition de loi, même si telle n’était pas sa vocation principale à l’origine, constitue un apport très important en matière d’éthique de la recherche. Elle permet un contrôle enfin unifié de l’ensemble des protocoles de recherche, quelle que soit la qualification donnée par les chercheurs. C’est un gain en matière de transparence, donc de protection des personnes.

Par ailleurs, la commission a supprimé la notion de priorité nationale et clarifié la question du consentement.

Le texte de la commission concilie à la fois les progrès de la science et l’éthique de la recherche.

Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.

L’apport du texte est précisément de faire entrer dans le champ de la loi relative aux recherches sur la personne des publics qui échappaient jusqu’ici à de telles mesures et d’élever ainsi les garanties offertes aux personnes. En effet, jusqu’à présent, les recherches non interventionnelles ne bénéficiaient d’aucun encadrement. L’avis d’un comité de protection des personnes, en particulier, n’était pas requis.

Ce texte constitue donc une avancée en termes de droit des personnes.

Par ailleurs, il est bon de le rappeler, les recherches seront intégrées au champ de compétence et d’intervention de l’AFSSAPS, qui pourra exercer ainsi son pouvoir de police sanitaire dans un domaine qui lui était fermé jusque-là.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la ministre, vous dites qu’il n’y a aucune protection ! Ce n’est pas exact : il y a celle de la CNIL et de la loi de 1978.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Elle n’est pas aussi complète !

M. Jean-Pierre Godefroy. Si l’on estime que la CNIL n’assure pas de protection, il faudra modifier son fonctionnement !

Que vous préfériez que cette protection s’exerce autrement, soit ! On est d’accord ou non ! Mais il est quelque peu abusif de dire qu’il n’y a pas de protection.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 7, présenté par MM. Godefroy et Le Menn, Mmes Schillinger, Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 23

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Les recherches mentionnées au second alinéa du 1° de l'article L. 1121-1 ne peuvent être mises en œuvre qu'après avis favorable du comité de protection des personnes mentionné à l'article L. 1123-1. Les recherches non-interventionnelles sont mises en œuvre après avis favorable des espaces de réflexion éthique mentionnés à l'article L.1412-6 du présent code. »

II. - En conséquence, alinéa 25

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. La proposition de loi relative aux recherches sur la personne illustre parfaitement une volonté grandissante, au sein de la communauté scientifique, de transformer les CPP en instruments au service des chercheurs, destinés à les soutenir dans leurs efforts de recherche.

La mission essentielle des CPP s’en trouverait alors dénaturée et ceux-ci tendraient à devenir, sous la pression, des sortes de comités d’éthique de la recherche, tels qu’ils existent dans certains pays anglo-saxons.

En France, la création des CPP répondait à un besoin spécifique : protéger les personnes se prêtant à des recherches biomédicales.

Plutôt que de transformer les CPP en comités de lecture, il conviendrait de laisser le soin à d’autres instances déjà existantes d’assurer les missions complémentaires, mais non indissociables des protocoles de recherche, afin de répondre à l’ensemble des besoins exprimés par les chercheurs et les professionnels de santé : formation et information sur la législation et l’éthique de la recherche ; aide lors de la qualification de programmes de recherche ; orientation du responsable de la recherche vers un comité de protection des personnes lorsqu’il s’agit d’une recherche qualifiée de biomédicale ; délivrance d’avis sur des projets d’études non interventionnelles et d’évaluation de soins courants ou de pratiques professionnelles, etc.

Afin, d’une part, de moderniser la recherche clinique française et, d’autre part, de garantir à un même niveau d’exigence la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales, il conviendrait de développer des comités consultatifs d’éthique de la recherche au sein des CHU et d’accroître la légitimité des espaces de réflexion éthique.

Cet amendement vise à apporter une réponse satisfaisante aux chercheurs tout en recentrant les CPP sur ce qui doit rester leur mission exclusive : la garantie des droits et libertés fondamentales des personnes se prêtant à des recherches biomédicales.

Les auteurs de cet amendement proposent donc d’accroître la légitimité des espaces de réflexion éthique et laissent aux CHU ainsi qu’au Gouvernement, par voie d’arrêté, le soin de développer les comités consultatifs d’éthique de la recherche.

Dans la réponse que vous avez faite aux orateurs, madame la ministre, vous avez parlé beaucoup de recherche et peu de protection des personnes. Or la loi Huriet-Sérusclat porte sur la protection des personnes.

Si l’on veut organiser un débat sur la recherche, Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche doit également être présente.

Pour l’instant, le problème auquel nous sommes confrontés est celui de la protection des personnes dans le cadre de ces recherches.

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, le Gouvernement a déposé ses amendements il y a quelques heures seulement. La commission n’a donc pas eu le temps de les examiner.

Je demande une interruption de séance de trente minutes pour que la commission puisse se réunir.

Mme la présidente. Il va être fait droit, bien sûr, à votre demande, madame la présidente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures vingt.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

L’amendement n° 37, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 23

Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :

Le promoteur adresse une copie de cet avis et un résumé de la recherche à l’autorité compétente. Sur demande, le comité de protection de personne concerné transmet sans délai toutes les informations utiles concernant ces recherches à l’autorité compétente.

II. - Après l’alinéa 25

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« À tout moment, le comité de protection de personne concerné informe sans délai l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé de tout problème de sécurité présenté par une recherche mentionnée au 2° ou 3° de l’article L. 1121-1. »

La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Cet amendement tend à obliger le promoteur à transmettre à l’AFSSAPS certains éléments essentiels de la recherche, à savoir son synopsis et l’avis du comité de protection des personnes, pour toutes les recherches impliquant la personne humaine.

Il organise, en outre, un système d’alerte du CPP vers l’AFSSAPS pour toutes les recherches impliquant la personne humaine. En effet, tout le monde s’accordera pour reconnaître la nécessité de permettre à l’AFSSAPS d’accéder à toutes ces informations utiles, afin qu’elle puisse exercer ses nouvelles fonctions de police sanitaire sur toutes les recherches impliquant la personne humaine. Il s’agit donc de donner des garanties supplémentaires à l’AFSSAPS. Cet amendement s’inscrit dans la droite ligne de ce que nous voulons : le respect de la personne humaine et la démarche éthique, à laquelle nous sommes tous attachés.

Mme la présidente. L’amendement n° 8, présenté par MM. Godefroy et Le Menn, Mmes Schillinger, Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 25, dernière phrase

Supprimer cette phrase.

La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Nous partageons, vous l’avez compris, la volonté de conserver le principe de l’indépendance des comités de protection des personnes ; nous souhaiterions même rendre celle-ci plus effective en pratique vis-à-vis des promoteurs comme des chercheurs. Toutefois, lorsqu’un CPP aux prises avec un doute sérieux sur la qualification d’une recherche fait le choix de saisir l’AFSSAPS pour obtenir son avis, il doit être tenu par cet avis. En effet, le CPP n’a pas l’obligation de saisir l’AFSSAPS et son indépendance est donc préservée. Mais s’il estime devoir demander l’avis de cette autorité, il ne paraît pas anormal qu’il soit tenu de respecter cet avis.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. L’amendement n° 7 vise à confier aux espaces de réflexion éthique les protocoles de recherche observationnelle.

La commission y est défavorable par cohérence.

Par ailleurs, les espaces de réflexion éthique ne sont pas les mieux à même d’assurer ce travail. Quand on connaît le fonctionnement d’un certain nombre d’entre eux – nous avons d’ailleurs pu l’observer à l’occasion des états généraux de la bioéthique –, l’impossibilité de leur confier cette mission est évidente.

L’amendement n° 37 du Gouvernement tend à compléter l’information de l’AFSSAPS, en lui permettant de connaître l’ensemble des recherches interventionnelles à risques minimes.

La commission y est bien sûr tout à fait favorable, là aussi par cohérence, et pour faciliter le travail de cette agence.

Enfin, l’amendement n° 8, déposé par le groupe socialiste, tend à rendre l’avis de l’AFSSAPS contraignant. Cette solution me paraît logique dès lors que les CPP auront le choix de consulter ou non l’AFSSAPS.

L’avis de la commission est donc favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je partage tout à fait l’avis de Mme le rapporteur sur l’amendement n° 7. Bien que les espaces de réflexion éthique régionaux réalisent un travail tout à fait remarquable, car ils sont vraiment des lieux d’échange, de réflexion et de formation tout à fait utiles, ces organismes ne me paraissent pas du tout adaptés à ce genre de mission. L’avis du Gouvernement est donc défavorable.

En revanche, j’émets un avis favorable sur l’amendement n° 8.

Mme la présidente. Monsieur Jean-Pierre Godefroy, l’amendement n° 7 est-il maintenu ?

M. Jean-Pierre Godefroy. Oui, madame la présidente, je le maintiens.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 7.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 37.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 8.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 25, présenté par Mme Hermange, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 23

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Le comité peut qualifier de manière différente les phases successives d’un même protocole de recherche.

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Plusieurs chercheurs ont fait état de leur crainte que les exigences en matière de consentement écrit n’empêchent la recherche épidémiologique, qui porte sur des masses importantes de population. Cette inquiétude est infondée dans la mesure où les recherches épidémiologiques sont observationnelles.

Toutefois, afin de ne pas risquer d’entraver des recherches utiles à la santé publique qui seraient à la fois épidémiologiques et interventionnelles, il est proposé de prévoir la possibilité pour les CPP de distinguer, au sein même d’un protocole de recherche, celles qui sont observationnelles et celles qui sont interventionnelles. Pour les premières, un consentement écrit n’est pas requis ; en revanche, pour la phase interventionnelle, le consentement écrit est nécessaire. Ainsi, une étude portant sur les retombées des affiches de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, contre le risque que représente l’alcool est observationnelle, mais la mise en place d’une consultation spécifique en alcoologie est une mesure interventionnelle.

Certains ici savent que des études européennes, auxquelles onze pays, dont la France, ont participé, présentaient une dimension à la fois observationnelle et interventionnelle. Au niveau européen, sur des cohortes tout à fait importantes, la France s’est soumise aux dispositions européennes, en demandant à chaque volontaire de formuler son consentement par écrit.

Cette disposition pragmatique montre que la commission des affaires sociales a entendu la préoccupation des chercheurs. Elle ne souhaite pas entraver, loin s’en faut, les progrès de la recherche, mais, dans le même temps, elle tient à sécuriser la protection des personnes. C’est la raison pour laquelle elle a déposé cet amendement de conciliation, tout en restant ferme sur le principe du consentement écrit.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je partage pleinement ce souci d’équilibre entre la nécessité de conduire des recherches et l’impératif de protection des personnes ; sans doute serons-nous d’accord pour placer en premier la protection des personnes.

Il ne saurait y avoir de recherche sur la personne humaine sans le consentement de celle-ci, comme le précise très clairement la proposition de loi. Je lève ainsi une polémique qui a surgi au cours de la discussion générale et qui n’avait pas lieu d’être. Il est évidemment indispensable que les modalités de recueil de ce consentement soient adaptées et proportionnées à la nature des recherches et des risques encourus par les personnes.

Vous avez raison de souligner que la plupart des recherches épidémiologiques sont observationnelles et qu’à ce titre elles ne sont pas soumises au régime du consentement écrit. Cependant, un certain nombre de recherches épidémiologiques sont de nature interventionnelle, et ce du début à la fin.

J’ai cité l’exemple, dans mon propos liminaire, d’une étude évaluant l’efficacité d’un programme de sensibilisation contre l’alcoolisme mené dans plusieurs communes témoins servant de base de référence. Il s’agit bien là d’une recherche interventionnelle, qu’il ne serait à l’évidence pas possible de mener si le consentement écrit de tous les habitants de la commune était requis.

Je ne suis pas certaine que cet amendement, qui tend à maintenir une exigence systématique de consentement écrit pour toute recherche interventionnelle, permette de lever cette difficulté. Devrions-nous faire signer les personnes qui assistent à des conférences sur le tabac au seul motif qu’elles participent à une recherche interventionnelle, et non plus seulement observationnelle ? Devrions-nous exposer les investigateurs à trois ans de prison s’ils ne respectent pas strictement les modalités formelles de recueil du consentement ?

Nous devons reconnaître qu’il existe des recherches strictement interventionnelles qui ne présentent aucun risque pour les personnes et qui sont menées à une échelle telle qu’il n’est ni possible ni même souhaitable de recueillir le consentement écrit. Je présenterai d’ailleurs un amendement tendant à clarifier le dispositif et à lever un certain nombre de restrictions. Cet amendement vise en effet à prévoir, pour les recherches épidémiologiques interventionnelles sans risque, et exclusivement pour ces recherches, que le Comité de protection des personnes peut autoriser une recherche dès lors que les personnes concernées bénéficient d’une information collective sur la recherche et qu’elles ont la possibilité, si elles le souhaitent, de ne pas y participer.

Au bénéfice de ces explications et de cet amendement, que je vous présenterai ultérieurement, je vous demande, chère madame Hermange, de bien vouloir retirer votre amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Godefroy. On voit bien, au travers de l’amendement présenté par Mme le rapporteur, qu’il y a un vrai problème.

Dans notre logique, nous maintenons un avis négatif, puisque nous ne souhaitons pas que cette disposition soit étendue aux recherches observationnelles.

Je sais gré à Mme le rapporteur de chercher une solution, mais au lieu de simplifier les choses, cet amendement introduit plus de complexité. En effet, l’extension de la compétence des CPP aux recherches observationnelles ne constitue guère une simplification.

Le mélange des genres que nous dénoncions est en train de se vérifier puisque les CPP devront qualifier différemment les phases d’un même protocole de recherche. La cohérence et la garantie de la protection des personnes n’exigent-elles pas plutôt une qualification unique au sein d’un même protocole de recherche ?

L’extension du champ d’investigation des CPP pose donc des problèmes qui seront difficiles à résoudre.

Mme la présidente. Mme le rapporteur, l’amendement n° 25 est-il maintenu ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Je souhaite tout d’abord faire une observation sur l’exemple que vous avez pris, madame la ministre : une conférence de l’INPES portant sur les effets du tabac ou de l’alcool ; on pourrait d’ailleurs en prendre d’autres.

Nous devons, mes chers collègues, distinguer les interventions publiques de celles qui visent directement les personnes. Les interventions publiques, comme les conférences ou les campagnes d’affichage, n’ont rien à voir avec les soins. Seul le fait de vivre en société peut exposer des personnes à ce type d’intervention.

Si la commission des affaires sociales auditionne plusieurs spécialistes sur le sujet du mal-être au travail, tous les propos tenus seront de type interventionnel, et il ne faudra plus faire de distinction entre les différentes catégories de recherche.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Ce n’est pas de la recherche !

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Une démarche de recherche observationnelle qui prend la forme d’une intervention publique ne nécessite pas le recueil du consentement écrit ; ce sont des chercheurs qui le disent, et certains sont aujourd’hui dans les tribunes du Sénat.

En revanche, lorsqu’il y a une démarche de soins et une consultation dédiée, il s’agit d’une intervention sur la personne.

Il se peut enfin qu’un protocole de recherche comporte une phase observationnelle et une phase interventionnelle. C’est la raison pour laquelle nous avons prévu explicitement que les CCP pourront prévoir des qualifications différentes, donc des formes de consentement différenciées, selon qu’il s’agit d’une recherche observationnelle – affiches, conférences, etc. – ou d’une intervention sur les personnes.

Je maintiens donc cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Nous abordons là un point très important : la définition du terme « interventionnel ». Une recherche à processus interventionnel ne comporte pas forcément l’administration d’un médicament ou d’un soin.

Dans une démarche de santé publique, lorsque vous testez un processus, par exemple une campagne d’information dont l’objectif est de modifier le comportement des personnes en les incitant à moins fumer, à moins boire ou à faire attention à leur poids, il s’agit d’une recherche interventionnelle. Nous ne parvenons pas à avancer sur cette question, car les définitions de la recherche interventionnelle et de la recherche observationnelle reposent sur de mauvais critères. Lorsque l’on teste une démarche de santé publique, on fait de la recherche interventionnelle.

Au bénéfice de ces précisions sémantiques, tout à fait capitales, je me permets de demander à nouveau le retrait de cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Nous avons bien entendu vos explications, madame la ministre, mais il me semble impossible de retirer cet amendement qui a été voté par la commission.

Mme la présidente. La parole est à M. Robert del Picchia, pour explication de vote.

M. Robert del Picchia. J’ai entendu les deux arguments et je n’arrive pas à me décider. Il faut dire que je ne suis pas membre de la commission des affaires sociales ...

Je trouve ce texte intéressant. J’ai été convaincu par les arguments de Mme la ministre, mais également par ceux de Mme le rapporteur. J’ai presque envie de jouer à pile ou face. (Sourires.) Je risque en effet de vexer l’une ou de fâcher l’autre.

Je m’abstiendrai donc et me rallierai à l’avis de la majorité.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 25.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 9, présenté par MM. Godefroy et Le Menn, Mmes Schillinger, Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 27

Avant les mots :

Les personnes

insérer les mots :

À titre dérogatoire,

II. - En conséquence, alinéas 29 et 30

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. La proposition de loi crée un nouvel article dans le code de la santé publique, lequel autorise sous certaines conditions la possibilité pour des personnes non affiliées à un régime de sécurité sociale de participer à des recherches sur la personne.

Bien que le travail en commission ait cherché à limiter et à mieux encadrer cette nouvelle autorisation, il n’en demeure pas moins que le fait de revenir sur le choix qui a toujours été fait depuis 1988 d’exclure ces personnes d’un protocole de recherche revient à leur accorder moins de protection.

En effet, les personnes qui ne sont pas affiliées à un régime de sécurité sociale sont essentiellement les populations migrantes, des personnes en situation irrégulière sur notre territoire. Que celles-ci puissent parfois être porteuses de maladies graves et contagieuses ne change rien au fait que ce sont surtout des personnes en situation de grande vulnérabilité sociale, qu’il convient de protéger.

Il est bien entendu évident qu’il ne peut être question de diminuer la protection de ces personnes en autorisant leur participation à des recherches dans un intérêt collectif de santé publique.

Faut-il préciser que le fait de bénéficier d’un régime d’assurance maladie permet en outre de s’assurer que la personne dispose d’un accès aux soins, et donc que son consentement à participer à une recherche n’est pas induit par la possibilité qui lui est ainsi offerte de bénéficier de soins auxquels elle n’aurait pas accès autrement ?

Dans un contexte où l’accès à l’aide médicale d’État est chaque jour plus difficile et restreint, le risque serait grand d’introduire en France cette problématique bien identifiée dans les pays pauvres.

En outre, les conditions relatives aux bénéfices escomptés, individuels ou pour d’autres personnes dans la même situation juridique, ne sont pas valables, même si l’intention de Mme le rapporteur est louable. Cela reviendrait à anticiper ce qui ne peut être connu qu’au terme de la recherche. Il en découle que la non-participation à une recherche ne peut pas être perçue comme une perte de chance.

Pour toutes ces raisons, notre amendement ne prévoit la possibilité de dérogations que dans le cas de recherche non interventionnelle.

Mme la présidente. L’amendement n° 26, présenté par Mme Hermange, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 30

Compléter cet alinéa par une phrase et deux alinéas ainsi rédigés :

Elle doit se fonder au moins sur l'une des conditions suivantes :

« - l'importance du bénéfice escompté pour ces personnes est de nature à justifier le risque prévisible encouru ;

« - ces recherches se justifient au regard du bénéfice escompté pour d'autres personnes se trouvant dans la même situation juridique. Dans ce cas, le risque prévisible et les contraintes que comporte la recherche doivent présenter un caractère minime. »

La parole est à Mme le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 9.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. L’amendement n° 26 vise à encadrer le plus strictement possible les conditions de dérogation prévues à cet article.

S’agissant de ’amendement n° 9, il tend à revenir sur la dérogation permettant aux personnes non affiliées à la sécurité sociale de participer à des recherches interventionnelles. Nous avons eu ce débat en commission et Nicolas About avait fait valoir, à juste titre, que l’on ne peut priver ces personnes d’une chance de bénéficier d’un traitement impossible dans un autre cadre que la recherche.

J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. L’amendement n° 9 procède d’une vision manichéenne dont je souhaite que nous puissions sortir : il y aurait, d’un côté, le gentil législateur, qui prévoit les mesures globales de précaution, car c’est son rôle, et, de l’autre, les chercheurs qui, lors de programmes de recherche, auraient décidé de faire du mal aux personnes.

M. Jean-Pierre Godefroy. C’est une caricature !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je caricature sans doute, mais protéger les personnes, c’est aussi leur permettre d’accéder à des programmes de recherche si leur état de santé le justifie et si elles ne bénéficient pas encore d’un traitement approprié.

M. François Autain. C’est vrai !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je connais des malades du cancer en phase terminale qui me téléphonent pour me supplier de les admettre à des protocoles de recherche, et qui feraient n’importe quoi pour y participer.

Il est aussi des maladies que l’on ne rencontre que chez des personnes non affiliées à la sécurité sociale. Tel est notamment le cas de la tuberculose multirésistante. Vous voudriez empêcher ces personnes de participer à un protocole de recherche qui permettra peut-être de trouver le médicament permettant de les guérir ? Certes, des procédures de protection sont nécessaires ; Mme le rapporteur a d’ailleurs déposé des amendements en ce sens. Les personnes en cause ne sont pas dépourvues de protection, notamment avec le CPP. Monsieur Godefroy, vous ne pouvez pas défendre un tel amendement !

Quant à l’amendement n° 26, le Gouvernement y est favorable.

Mme la présidente. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote sur l’amendement n° 9.

M. François Autain. Je partage le point de vue tant de Mme le rapporteur que de Mme la ministre. De surcroît, l’alinéa 27 résulte de l’adoption par la commission d’un amendement que j’avais déposé. J’aurais donc mauvaise grâce à voter un amendement tendant à le supprimer.

On ne peut pas priver du bénéfice d’une recherche un patient au motif qu’il n’est pas assuré social. Par conséquent, je suis favorable non seulement au maintien du texte, mais aussi à l’amendement n° 26, qui vise à préciser cette dérogation. Je souligne que cette dernière nécessite un avis motivé du comité de protection des personnes. La procédure est parfaitement encadrée et évite certaines dérives.

Mme la présidente. Monsieur Godefroy, l'amendement n° 9 est-il maintenu ?

M. Jean-Pierre Godefroy. Oui, madame la présidente, je le maintiens.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 9.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 26.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 10, présenté par MM. Godefroy et Le Menn, Mmes Schillinger, Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 37

Remplacer les mots :

l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé

par les mots :

la commission mentionnée à l'article L. 1124-1 du présent code

II. - Alinéa 38

Rédiger ainsi cet alinéa :

« En cas d'avis défavorable du comité, le promoteur peut demander un second examen du dossier à la commission mentionnée à l'article L. 1124-1. »

La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Nous avions déposé cet amendement par coordination avec un amendement que nous aurions dû examiner à l’article 4 quinquies et qui visait à créer une commission nationale de protection des personnes. Malheureusement, ce dernier texte, qui devait permettre d’améliorer considérablement le fonctionnement des CPP, du point de vue tant de leur indépendance que leur évaluation, s’est perdu dans les méandres de l’article 40.

Jugé irrecevable, tout le dispositif que nous voulions mettre en place par le biais de différents amendements a ainsi disparu. Nous ne pourrons donc débattre de l’intérêt de créer une autorité indépendante aux missions essentielles telles que la répartition équitable des moyens et du financement, la distribution des dossiers de manière aléatoire au sein de chaque CPP, l’examen en appel des décisions, la coordination, l’harmonisation et l’évaluation de l’action des comités de protection des personnes, ainsi que l’examen des protocoles de projets de recherches organisés dans les pays étrangers.

Tout cela est bien regrettable, car, outre de débat, nous nous privons aujourd’hui d’une instance qu’il faudra nécessairement créer si nous voulons nous donner les moyens d’atteindre les résultats escomptés. Seule une commission nationale aux compétences affirmées et disposant d’une large indépendance le permettrait.

Mme la présidente. L'amendement n° 18, présenté par MM. Autain et Fischer, Mmes David, Hoarau, Pasquet et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :

Alinéa 38

Remplacer les mots :

la commission mentionnée à l'article L. 1123-1-1. »,

par les mots :

un comité désigné de manière aléatoire par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé autre que celui ayant procédé au premier examen du projet

La parole est à M. François Autain.

M. François Autain. La commission propose, à l’article 4 quinquies de la proposition de loi, la création d’une commission nationale des recherches impliquant la personne humaine auprès de la Haute Autorité de santé. Elle suggère de la doter de différentes attributions et de lui permettre, notamment, de jouer un rôle en matière de coordination et d’évaluation des comités de protection des personnes et d’examiner en appel les projets de recherches déposés par les différents promoteurs. La procédure de second examen des dossiers par la commission nationale est prévue à l’alinéa 38 de l’article 1er, alinéa que je vous propose de modifier.

Je considère, en effet, qu’il n’est pas pertinent de confier ce second examen à la commission nationale, dans la mesure où cette procédure introduit, de fait, une hiérarchie entre les décisions prises par cette dernière et les comités de protection des personnes.

Par ailleurs, cela compromet la mission d’amélioration continue, confiée à la commission nationale, qui doit être fondée non pas sur un rapport hiérarchique, mais sur l’appropriation progressive d’un référentiel de bonnes pratiques résultant de l’expérience des comités de protection des personnes.

L’amendement n° 18 tend à résoudre le problème et à confier le second examen d’un dossier à un CPP désigné aléatoirement parmi l’ensemble de ces comités, à l’exclusion de celui qui a déjà donné un premier avis défavorable au projet.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. L’amendement n° 10 vise à transférer la répartition des dossiers de l’AFSSAPS à la commission nationale. Cette solution ne paraît pas la plus pertinente dans la mesure où c’est l’AFSSAPS qui attribue les numéros de dossiers.

La commission émet donc un avis défavorable.

L’amendement n° 18 a pour objet de conserver le système actuel pour le second examen. Ne pas unifier l’appel reviendrait à se priver d’un moyen important d’harmoniser les pratiques et de promouvoir un dialogue utile entre les CPP au moment même où leur sont confiées de nouvelles missions. De surcroît, lorsque cette proposition de loi sera adoptée, une nouvelle impulsion sera donnée à l’ensemble des CPP.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Le Gouvernement est défavorable à ces deux amendements, pour les mêmes raisons que celles que vient d’exposer excellemment Mme le rapporteur.

Mme la présidente. Monsieur Godefroy, l'amendement n° 10 est-il maintenu ?

M. Jean-Pierre Godefroy. Oui, madame la présidente, je le maintiens.

Mme la présidente. Monsieur Autain, l'amendement n° 18 est-il maintenu ?

M. François Autain. Oui, madame la présidente, je le maintiens également.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 10.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 18.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 11, présenté par MM. Godefroy et Le Menn, Mmes Schillinger, Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéas 39 à 41

Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :

bis Le chapitre V du titre II du livre Ier de la première partie du code de la santé publique est complété par un article ainsi rédigé :

« Art. L. 1125-5  -  Les protocoles de recherches financés ou menés dans les pays hors Union européenne par un promoteur français ou une personne morale de droit français sont soumis à l'avis de la commission nationale de protection des personnes qui examine les conditions de validité de la recherche conformément aux dispositions de l'article L. 1123-7 du présent code.

« Ces projets doivent également et indépendamment être étudiés par un comité d'éthique du pays ou de la région où doit se dérouler l'étude projetée. Une liste de ces comités d'éthique locaux ou régionaux, ainsi que des comités de défense des droits de l'homme existants, doit être établie, publiée, et remise à jour annuellement. En l'absence de comité d'éthique ou des droits de l'homme local ou national, des instances régionales fonctionnant sous l'égide de l'Organisation mondiale de la santé, de l'Unesco ou du Centre international de l'enfance peuvent être sollicitées.

« Les analyses et avis de la commission nationale de protection des personnes et des comités locaux, nationaux ou régionaux seront soumis aux autorités assurant le financement du projet et autorisant sa mise en œuvre avant qu'il ne soit entrepris. »

La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Cet amendement soulève une question fondamentale : peut-on encadrer les recherches sur la personne menées sur notre territoire et ne rien faire pour les recherches qui seraient conduites par des promoteurs français hors de l’Union européenne ? Notre positionnement éthique est directement lié à la réponse que l’on apporte à cette question.

C’est pourquoi l’amendement que nous vous proposons tend à mettre en place une procédure d’examen des projets de recherches menés dans les pays en voie de développement, conformément aux dernières recommandations du Conseil d’État – septième partie du rapport du groupe de travail sur la révision des lois de bioéthiques – et du Comité consultatif national d’éthique : avis n° 41 du 17 décembre 1993.

On ne devrait plus se permettre de fermer les yeux ou d’être moins vigilant – ce qui revient à peu près au même – sur ce qui pourrait se passer hors de notre territoire au prétexte que ces faits auraient lieu hors de nos frontières. Dès lors que la protection des personnes est concernée, les recherches menées par un promoteur ou par une personne morale de droit français engagent à l’évidence notre responsabilité.

Aussi n’est-il pas suffisant de prévoir que les protocoles de recherche puissent être soumis à l’avis d’un CPP. Si l’on veut donner du sens à cette disposition, les protocoles visés doivent être soumis à l’avis du CPP, après examen des conditions de validité de la recherche, conformément aux dispositions de l’article L. 1123-7 du code de la santé publique.

Il serait d’ailleurs plus opportun que ceux-ci soient soumis non pas à l’avis d’un CPP choisi par le promoteur, mais à celui de la commission instituée à l’article 4 quinquies.

Mme la présidente. L'amendement n° 27 rectifié, présenté par Mme Hermange, au nom de la commission, est ainsi libellé :

I. - Alinéas 39 et 40

Remplacer la référence :

L. 1123-7

par la référence :

L. 1123-7-1

II. - Alinéa 41

Après les mots :

au regard

insérer les mots :

des deuxième à dixième alinéas de l'article L. 1123-7 et

La parole est à Mme le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 11.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. L’amendement n° 27 rectifié a pour objet de rectifier une erreur de référence et de préciser que les conditions du contrôle par les CPP sont les mêmes que pour les protocoles mis en œuvre en France.

L’amendement n° 11 tend à rendre obligatoire le contrôle des protocoles présentés par un promoteur français et à compléter le dispositif de contrôle, répondant ainsi à une recommandation tant du Conseil d’État que du Comité consultatif national d’éthique.

Cependant, la disposition adoptée en commission est plus pragmatique. C'est la raison pour laquelle je propose de la compléter par l’amendement n° 27 rectifié. Mais le débat méritant d’avoir lieu, la commission s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 27 rectifié, qui tend à corriger une erreur matérielle.

Quant à l’amendement n° 11, il comporte deux parties. La première d’entre elle est assez judicieuse puisque vous vous réjouissez, monsieur Godefroy, de l’initiative de la commission des affaires sociales permettant aux CPP de donner un avis sur des recherches qui ne se dérouleront pas sur le territoire national.

En revanche, je suis beaucoup plus réservée sur la seconde partie de l’amendement, visant les conditions dans lesquelles un avis éthique serait donné dans un pays tiers à l’Union européenne. Cette disposition excède notre champ de compétences et de responsabilités. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle cette demande d’avis en France a lieu dans des structures et selon des procédures qui nous sont familières.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

Mme la présidente. Madame le rapporteur, vous vous en êtes remise à la sagesse du Sénat sur l’amendement n° 11, mais, s’il est adopté, l’amendement de la commission deviendra sans objet.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Se rendant aux arguments du Gouvernement, la commission émet donc un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 11.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 27 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 12, présenté par MM. Godefroy et Le Menn, Mmes Schillinger, Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéas 42, 43 et 44

Remplacer ces alinéas par deux alinéas ainsi rédigés :

10° À l'article L. 1123-9, après les mots : « du comité et », sont insérés les mots : «, dans le cas de recherches interventionnelles à l'exception de celles mentionnées au second alinéa du 1° de l'article L. 1121-1, », et est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« En cas d'avis défavorable du comité, le promoteur peut demander un second examen du dossier à la commission mentionnée à l'article L. 1124-1.  »

La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Il s'agit d’un amendement de coordination avec deux autres de nos propositions ; l’une a été rejetée et l’autre n’a jamais été présentée, puisqu’elle a encouru les foudres de l’article 40 de la Constitution.

Cet amendement a un double objet.

D'une part, il vise à supprimer le deuxième alinéa du 10°du II de l'article 1er. En effet, dès lors que nous considérons que la compétence des CPP doit se centrer exclusivement sur les recherches interventionnelles, aucun doute sérieux sur la qualification d'une recherche ne peut plus intervenir : il n'existerait plus qu’une seule catégorie de recherches impliquant la personne, et non trois, comme le prévoyait la proposition de loi initiale, ou deux, comme le mentionne le texte de la commission.

D'autre part, il tend à réécrire le dernier alinéa du 10° du II de cet article, afin qu’en cas d'avis défavorable d'un comité le projet de recherche puisse être soumis en appel non pas à un autre comité, mais à la Commission nationale de protection des personnes que nous proposons de créer à l'article 4 quinquies.

Du reste, en l'état actuel de cet article, tel qu’il a été modifié par la commission des affaires sociales, la Commission nationale des recherches impliquant la personne humaine se trouve déjà chargée du second examen d'une décision défavorable d'un comité. Un amendement de la commission permettra de rectifier cette erreur rédactionnelle.

Mme la présidente. L'amendement n° 28, présenté par Mme Hermange, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 44

Après les mots :

le promoteur peut demander

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

un second examen du dossier à la commission mentionnée à l'article L. 1123-1-1.

La parole est à Mme le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 12.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. L’amendement n° 28 est de coordination.

En ce qui concerne l’amendement n° 12, je suis défavorable à son premier alinéa, par souci de cohérence, et je considère que son second alinéa se trouve satisfait par la disposition que je propose.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement n° 28, qui est de cohérence rédactionnelle.

En ce qui concerne l’amendement n° 12, son deuxième alinéa est tout à fait intéressant, puisqu’il prévoit qu’un second examen sera demandé à la Commission nationale en cas d’avis défavorable du comité ; c’est d'ailleurs la solution qu’a retenue la commission des affaires sociales dans son amendement n° 28. Toutefois, la référence à un autre comité figurant à l’alinéa 44 est une incohérence rédactionnelle, qui doit être corrigée.

En revanche, je suis défavorable à la première partie de cet amendement.

Certes, madame Schillinger, je comprends tout à fait votre souci : au travers de cet amendement, vous nous interpellez sur les difficultés que les comités de protection des personnes peuvent rencontrer en ce qui concerne la qualification de la recherche. Toutefois, celles-ci proviennent non pas du classement en catégories, mais de la recherche elle-même, qui, par définition, est hétérogène. Si nous ne créons qu’une seule catégorie, se posera toujours la question de savoir quelles recherches y entrent, ou non.

Je suis donc défavorable à l’amendement n° 12 et favorable à l’amendement n° 28, qui tend à régler la difficulté rédactionnelle que j’évoquais à l’instant, me semble-t-il.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote sur l'amendement n° 12.

M. Jean-Pierre Godefroy. Cet amendement visait, en réalité, à alerter la Haute Assemblée sur les conditions d’’application de l’article 40 de la Constitution, qui nous a empêchés de débattre de la commission que nous voulions instaurer.

Bien que nous n’ayons pas exactement la même conception de la Commission nationale que Mme le rapporteur, nous retirons cet amendement et nous nous rallions, par défaut, à l’amendement n° 28.

Mme la présidente. L'amendement n° 12 est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 28.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, la suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance. Il appartiendra à la conférence des présidents de fixer une date.

Article 1er (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux recherches impliquant la personne humaine
Discussion générale

9

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 2 novembre 2009, à seize heures et le soir :

1. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports (n° 68, 2009-2010).

Rapport de M. Francis Grignon, rapporteur pour le Sénat.

2. Projet de loi relatif à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales (procédure accélérée) (n° 599 rectifié, 2008-2009).

Rapport de M. Pierre Hérisson, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (n° 50, 2009-2010).

Texte de la commission (n° 51, 2009-2010).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD