M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Monsieur del Picchia, je vous remercie à mon tour de vos propos. Sachez que nous sommes très attentifs à l’évolution de la situation. La difficulté, comme toujours, c’est de savoir où placer le curseur. Les mécanismes de contrôle sont indispensables, mais ils doivent s’accompagner de mesures de soutien.

Il ne faudrait pas que, sous couvert d’un mode de fonctionnement fondé sur le contrôle permanent, on en vienne à paralyser l’action de l’Union européenne là où elle est nécessaire. J’ai en tête un certain nombre d’exemples où la gestion par la Commission de certains dossiers importants, notamment dans le domaine industriel et scientifique, est fortement handicapée par ce mauvais réflexe qui consiste à « ouvrir le parapluie » en cas de problème. Parfois, l’emploi des crédits fait l’objet d’une telle attention que plus personne, finalement, n’ose prendre de décisions, la Commission elle-même finissant par neutraliser des projets pourtant indispensables.

C’est dans la recherche nécessaire d’un équilibre que les États, le Conseil et la Commission doivent mieux se coordonner. Le respect de l’exigence d’une bonne utilisation des fonds ne doit pas aboutir à bloquer le système. Tout l’art est de faire fonctionner cette Europe à Vingt-Sept, et je peux vous dire que la tâche est très compliquée ! Nous nous efforçons d’être à la fois lucides et efficaces, tout en favorisant les programmes d’action en commun qui sont nécessaires. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le secrétaire d'État, en vous écoutant, je me suis rappelé qu’est en train d’être mis en place un service extérieur de diplomatie européenne. Ce serait une bonne occasion pour harmoniser le travail de l'Union européenne et celui de nos représentations nationales.

Vous l’avez dit, la Roumanie bénéficie d’un soutien à la fois de la France, qui y a détaché des magistrats et des hauts fonctionnaires dans le cadre d’une action renforcée, et de l'Union européenne, laquelle a accordé d’importants crédits communautaires. Tout cela devrait bien fonctionner ensemble, mais, pour l’instant, force est de constater que la mayonnaise n’a pas pris. Voilà donc une occasion de faire avancer les choses !

M. le président. Nous en avons terminé avec ce quatrième thème, et, ce faisant, avec ce débat européen de suivi des positions européennes du Sénat.

9

Débat sur les prélèvements obligatoires

M. le président. L’ordre du jour appelle un débat sur les prélèvements obligatoires.

Dans le débat, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le président de la commission des finances, messieurs les rapporteurs généraux, mesdames, messieurs les sénateurs, comme chaque année et malgré son programme de travail très chargé, le Sénat a tenu à organiser un débat sur l’évolution des prélèvements obligatoires.

Cette priorité, je ne peux que la partager pleinement, surtout à cette époque, de même que Christine Lagarde, actuellement à l’Assemblée nationale.

Ce débat revêt une importance toute particulière pour illustrer la cohérence de notre politique économique. Il permet aussi de prendre la hauteur de vue nécessaire, alors qu’une telle attitude est parfois difficile lorsque les débats sur tel ou tel article du projet de loi de finances ou du projet de loi de financement de la sécurité sociale deviennent trop techniques. Nous renouerons avec le genre ici dans les toutes prochaines semaines.

Depuis trois ans, notre politique en matière de prélèvements n’a pas varié : nous voulons une France plus compétitive, plus écologique et plus juste. C’était déjà notre priorité avant la crise, et elle l’est plus que jamais.

La crise nécessite non pas de reporter les réformes fiscales mais, au contraire, de les mener à leur terme, parce que c’est pendant la crise que se préparent les atouts de la sortie de crise. C’est pourquoi le projet de loi de finances pour 2010 comprend des réformes fiscales très ambitieuses.

La crise nous a donc conduits non pas à infléchir notre politique, mais bien à l’accélérer. Nous sommes pour la réforme fiscale quand d’autres sont, d’une certaine façon, pour la pression fiscale.

La crise a été également, pour le Gouvernement, un test de réactivité. En matière fiscale, une politique fiscale constitue en effet un atout pour une croissance plus forte et plus juste, mais également un instrument que l’on doit savoir utiliser pour amortir cette crise.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a fait des outils fiscaux le cœur du plan de relance. On ne peut donc pas parler aujourd’hui de prélèvements obligatoires en France sans commencer par évoquer ce rôle d’amortisseur de crise qu’ils ont joué.

La réactivité a été la caractéristique principale de notre action en matière fiscale en 2009. Comme vous le savez, nous avons dû nous adapter à la situation.

Nous avons d’abord choisi de laisser les recettes s’ajuster avec le recul de l’activité, sans compenser ce gigantesque manque à gagner sur les finances publiques.

Ce libre jeu des stabilisateurs automatiques, pour employer une terminologie un peu absconse, était recommandé par toutes les institutions internationales. En 2009, l’effet de la crise a été 3,6 points de produit intérieur brut de baisse des prélèvements obligatoires, majoritairement concentré sur les recettes de l’État. Rien que pour l’impôt sur les sociétés, c’est une baisse de 30 milliards d’euros.

Face à cela, nous ne sommes pas restés immobiles, mettant très rapidement en place des mesures fiscales de soutien ciblées et réversibles.

Ainsi, pour soutenir la trésorerie des entreprises, par exemple, nous avons anticipé le remboursement du crédit impôt recherche. Je n’entrerai pas dans le détail de ces mesures, que vous connaissez très bien.

Cette panoplie représente 15 milliards d’euros de soutien à la trésorerie des entreprises à un moment absolument crucial, celui où elles ont à choisir entre mettre la clé sous la porte et essayer de continuer à vivre. Et ces mesures ont permis à beaucoup d’entreprises de survivre !

Contrairement à ce que l’opposition a dit à plusieurs reprises, nous avons également protégé nos concitoyens les plus exposés : 5,5 millions de ménages ont bénéficié du crédit d’impôt sur le revenu de la première et, en partie, de la deuxième tranche.

Voilà pour la réactivité dans l’urgence. Et cela a marché ! J’en veux pour preuve que, d’après les prévisions de la Commission européenne, pour 2009, la récession sera en France deux fois moins forte que dans la zone euro.

Il faut être clair : si, en France, la récession a été moins forte et moins importante que prévu, c’est d’abord parce que nous avons construit un plan de relance équilibré entre les mesures de soutien de la trésorerie, de l’investissement et de la consommation, et en nous appuyant pour moitié sur la fiscalité, sur les prélèvements obligatoires.

En 2010, nous n’assisterons pas encore au retour à la normale du point de vue de la croissance. Nous prolongeons donc l’anticipation du remboursement du crédit impôt recherche. Nous aurons à en discuter.

Par ailleurs, la suppression de la taxe professionnelle en une seule année, sujet brûlant d’actualité, permettra, en plus de ses effets structurels, de dégager l’année prochaine environ 7 milliards d’euros de soutien à la trésorerie des entreprises. Structurellement, cela représente quelque 5,7 milliards d’euros. L’année prochaine, ce seront 5,7 milliards d’euros plus 7 milliards d’euros correspondant à l’incidence de la suppression en une année de la taxe professionnelle.

Par rapport au coût pérenne de la suppression de la taxe professionnelle, c’est un surcoût ponctuel, lourd, mais qui est entièrement justifié dans cette année charnière.

Notre stratégie, c’est la maîtrise de la dépense, le renforcement de la croissance future, et pas la hausse des impôts. Je ne suis pas de ceux qui trouvent bienvenue cette idée d’augmenter les impôts !

Mardi encore, au moment où débutait la discussion du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale, les députés de l’opposition m’expliquaient que, pour relancer la croissance en France, il fallait immédiatement augmenter les impôts d’environ 10 milliards d’euros : j’ai fait le compte devant le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale et j’ai dit que le Gouvernement ne partageait pas cette analyse.

Comme l’a déjà indiqué à plusieurs reprises le Président de la République, nous n’avons pas été élus pour augmenter les impôts ! Et mon rôle de ministre du budget n’est pas davantage d’augmenter les impôts ! Je suis là pour vous proposer d’autres chemins, que vous connaissez d’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs.

Bien sûr, il faut que le niveau des recettes fiscales et sociales se rétablisse. Tel qu’il est aujourd’hui, il n’est pas compatible avec notre modèle économique et social.

La réponse doit passer par plus de croissance, par plus d’activité, et non par un taux d’imposition plus élevé. Lorsque l’on vit dans un pays qui a le cinquième niveau au monde de prélèvements obligatoires, croire que l’on peut faire revenir les recettes en augmentant les impôts n’est pas une bonne solution économique. Comment peut-on penser que la hausse des impôts est la solution de l’avenir ?

L’opposition nous accuse d’avoir, en fait, augmenté les impôts. C’est faux et archi-faux ! Depuis 2007, nous avons baissé les impôts de 16 milliards d’euros, dont plus de 10 milliards d’euros au bénéfice des ménages, avec des axes clairs : valoriser le travail et le pouvoir d’achat, renforcer la compétitivité, encourager les comportements écologiquement corrects.

Par conséquent, 10 milliards d’euros pour les ménages et 6 milliards d’euros pour les entreprises, telle est la réalité des chiffres ! Ils permettent de répondre à l’accusation parfois un peu facile, qui est plutôt lancée à gauche, de « baisse des impôts pour les entreprises, hausse pour les ménages ». (Mme Raymonde Le Texier s’exclame.) Ce n’est pas vrai ! Il y a eu plus de baisse d’impôt pour les ménages que pour les entreprises ! Je m’en tiendrai là, mais je voulais absolument le dire. Je récuse le procédé toujours extrêmement stérile qui consiste à distinguer entre les mesures pour les entreprises et les mesures pour les ménages. Si je l’ai fait, c’est dans un souci de clarification par rapport aux critiques qui nous ont été opposées.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Ce sont toujours les ménages qui paient, à la fin !

M. Eric Woerth, ministre. Pour moi, il y a une seule France, un seul bateau. Nous sommes tous à bord. Pour faire fonctionner la France, il faut des entreprises qui fassent travailler les ménages, lesquels permettent aux entreprises de produire. Le dire ne me vaudra pas le prix Nobel d’économie (Sourires.), mais je pense que c’est la réalité des choses !

Soutenir nos entreprises dans un monde de plus en plus compétitif, c’est évidemment créer de l’emploi et faire la richesse du pays. Le propos est un peu banal, frappé au coin du bon sens, voire un peu simpliste, mais il exprime la réalité.

Je constate d’ailleurs que, entre 1997 et 2002, lorsque l’opposition était au pouvoir, elle n’a pas considéré que la réforme de la taxe professionnelle ou la baisse de l’impôt sur les sociétés qu’elle avait engagée à l’époque était contraire à l’intérêt des ménages !

Que répondre à l’affirmation selon laquelle nous avons créé des taxes ? Est-ce vrai ? Certes, des taxes ciblées ont été créées. Elles étaient destinées à modifier des comportements ou à financer des réformes. Mais d’autres taxes, bien plus importantes, ont été supprimées.

Comment pourrait-on, par exemple, comparer la création de la taxe sur les extractions d’or en Guyane à la suppression de la taxe professionnelle ? En comptabilité pure, cela fait deux – un plus un. Évidemment, en termes de montant, ce n’est pas tout à fait la même chose !

Nous n’avons pas fait d’augmentation générale des prélèvements et nous ne soutiendrons aucune mesure qui irait dans ce sens, qu’il s’agisse de la création de nouvelles tranches de barème de l’impôt sur le revenu, de la diminution de l’ensemble des niches d’un coup de rabot un peu magique ou encore du détricotage du bouclier fiscal, que beaucoup nous proposent. En effet, ne nous y trompons pas, si nous faisions sauter le verrou du bouclier fiscal, la prochaine étape serait immanquablement de faire sauter le verrou des hausses d’impôt pour tout le monde ! Qui croira d’ailleurs à notre engagement de ne pas augmenter les impôts si nous commençons par revenir sur notre engagement de mettre en place un bouclier fiscal ?

Si nous ne voulons pas de hausse générale d’impôt, c’est parce que c’est par la relance de l’activité et par la baisse des dépenses que notre situation financière s’améliorera. C’est notre politique, et nous l’assumons ! La priorité, c’est la baisse des dépenses, pas la hausse des impôts.

C’est d’ailleurs un débat qu’il faut aussi avoir au niveau local. Quand on compare l’augmentation de l’emploi public local, hors charges de décentralisation, et l’augmentation des taux d’imposition locaux, on se dit que cette stratégie-là n’est pas viable.

Il me paraîtrait utile d’avoir un débat sur l’ensemble de l’emploi public. Les fonctions publiques d’État, hospitalière et locale méritent que l’on regarde de près leurs évolutions. Nous devrons en débattre un jour ou l’autre. À un moment, nous avons apporté des réponses pour l’État. Ensemble, nous devrons essayer de donner des réponses plus générales sur l’emploi public.

Mais pas de hausses des prélèvements, cela ne veut pas dire immobilisme. Bien au contraire, le Gouvernement s’est engagé dans une réforme profonde de la fiscalité, autour de trois axes : une fiscalité qui permette plus de compétitivité, une fiscalité garante d’un meilleur respect des normes et de la volonté écologique, et une fiscalité plus juste.

Pour renforcer la compétitivité de notre pays, tout d’abord, nous allégeons la charge fiscale pesant sur les dépenses d’avenir : l’investissement et la recherche et développement.

Après la suppression de l’impôt forfaitaire annuel, l’IFA, Christine Lagarde et moi-même vous proposons, dans le projet de loi de finances, la suppression de la taxe professionnelle. C’est évidemment une réforme majeure. Elle a été préparée par le Gouvernement et par les parlementaires pour lutter contre les délocalisations, pour améliorer l’attractivité du territoire.

J’ai conscience du fait que les collectivités locales ont aussi besoin de leurs financements. Je serai le dernier à dire le contraire ! Mais nous ne réformerons pas la taxe professionnelle sans garantir l’autonomie financière et la stabilité des ressources des collectivités. (Mme Raymonde Le Texier s’exclame.)

C’est d’ailleurs le débat qui se déroule en ce moment à l’Assemblée nationale. Bien évidemment, il se prolongera dans quelques semaines au sein de la Haute Assemblée.

Notre engagement est clair, et le Gouvernement a donné toutes les garanties politiques et techniques – elles peuvent évidemment être améliorées encore – aux collectivités : tout d’abord, la garantie de ressources, assurant à chaque collectivité, à chaque établissement public de coopération intercommunale que ses ressources totales seront inchangées. Je le réaffirme, il n’y a pas une collectivité perdante dans cette réforme !

Par ailleurs, le Gouvernement s’engage à garantir l’autonomie financière des collectivités, ainsi que le lien entre les entreprises et les territoires. Certes, il faut encore l’améliorer. De nombreux amendements sont déposés en ce sens à l’Assemblée nationale. J’imagine que ce sera le cas également au Sénat.

Contrairement à ce que j’ai entendu dire, cette réforme n’est pas une réforme menée pour les entreprises et contre les collectivités. Comme l’a dit le Premier ministre la semaine dernière devant la Conférence nationale des exécutifs, « il n’y a pas d’un côté l’État et puis de l’autre côté les collectivités locales […] il y a une seule République au fonctionnement de laquelle concourent et l’État et les collectivités locales ».

Avant les discussions très denses qui vont nous occuper ces prochaines semaines sur ce sujet, avec Christine Lagarde qui porte ce texte sur la taxe professionnelle, je profite du débat d’aujourd’hui dans la Haute Assemblée pour poser une question simple : qui peut nier que la suppression de la taxe professionnelle soit nécessaire ? Au fond, pas grand monde ! Qui peut nier qu’elle soit bénéfique pour l’économie française ? Pour sa compétitivité ? Pour ses emplois, et donc pour nos territoires ? Personne ! Même à gauche, les personnalités les plus éminentes l’ont reconnu dans le passé et continuent à le reconnaître.

Cette réforme doit donc être faite. Elle est difficile, complexe, bouscule les habitudes, crée de la crainte, j’en conviens aisément. Mais cette réforme est nécessaire. C’est notre rôle d’arriver à surmonter ensemble les obstacles pour aboutir.

J’en viens à un autre point majeur, s’agissant des prélèvements obligatoires : après le Grenelle de l’environnement, la fiscalité doit être tournée de plus en plus vers l’économie verte et vers un modèle de croissance verte.

Ainsi, nous devons déplacer la fiscalité de la production vers la pollution. C’est le cas avec la taxe carbone.

Nous devons également procéder à un certain nombre d’ajustements de nos dispositifs fiscaux pour encourager les comportements écologiques, et donc procéder à un certain nombre de « verdissements », comme l’on dit. On ne peut pas s’engager en faveur de l’écologie uniquement au moment des élections ; il faut le faire dans les textes, et nous le faisons.

Instituer la taxe carbone, c’est évidemment mettre un prix sur ce qui n’était jusqu’à présent qu’un coût pour l’environnement. C’est un signal envoyé aux entreprises et aux ménages. La taxe carbone est tout simplement indispensable et cohérente avec les engagements politiques de la majorité.

Dans le respect d’un autre de nos engagements, celui de ne pas augmenter les prélèvements, nous rendrons le produit de cette taxe aux ménages et aux entreprises. Cependant, et personne d’ailleurs ne s’y trompe, sa mise en place correspond à un changement en profondeur de notre fiscalité.

Enfin, la fiscalité doit être plus juste, ce qui signifie d’abord qu’il faut continuer à agir sur les niches fiscales.

Il est assez facile de caricaturer le débat en la matière, mais j’estime que nous avons progressé au cours des dernières années, notamment avec l’appui du président et du rapporteur général de votre commission des finances, et je tiens à dire que le Gouvernement reste mobilisé.

Au fond, on peut ou poursuivre le plafonnement des niches, en continuant à procéder niche par niche, ou changer de méthode et prendre un rabot.

Je relève toutefois que, comme d’habitude, on commencera par faire faire beaucoup de tours et de détours au rabot pour éviter des niches dont on considère qu’elles ne peuvent être rabotées. Ce sera quasiment du slalom ! Il serait en effet malaisé de raboter la prime pour l’emploi, les diminutions de base taxable pour les retraités, les avantages fiscaux accordés aux personnes handicapées ou encore – d’autant que cela mettrait beaucoup d’emplois en cause – ceux dont bénéficient les quelque 3 millions de personnes qui recourent à des gardes d’enfant ou à des emplois à domicile.

Au fond, compte tenu de tous les virages qu’il devrait faire, le rabot ne servirait pas à grand-chose ! C’est donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à un travail en profondeur que nous allons, ensemble, nous livrer sur la base d’un document qui nous permettra de disposer de tous les éléments d’un débat complet et éclairé.

J’ai en effet demandé l’année dernière à l’Inspection générale des finances de procéder à l’examen et à l’évaluation des 469 niches fiscales, notamment sous l’angle de la rentabilité socio-économique.

Pour effectuer sérieusement cette tâche, qui est considérable, deux ans environ sont nécessaires ; nous connaîtrons donc d’ici à la fin du premier semestre de l’année 2010 les résultats de cet examen pour la plupart des « grandes » niches, et donc les volumes que représentent réellement celles-ci.

Par ailleurs, le projet de loi de finances pour 2010 comprend toute une série de propositions, dans le domaine fiscal comme dans le domaine social, dont nous pourrons, évidemment, discuter.

J’ajouterai que, s’agissant des prélèvements tant fiscaux que sociaux, je suis désormais assez favorable au renouvellement de nos règles pour assurer une bonne gouvernance de nos finances publiques, idée qui, jusqu’à présent, ne m’enthousiasmait guère, car, quitte à dépenser beaucoup d’énergie, j’estimais préférable d’utiliser celle-ci à diminuer la dépense plutôt qu’à définir des règles dont je crains toujours qu’elles ne cachent l’essentiel, à savoir l’action non pas sur la forme mais sur le fond.

En tout état de cause, nous allons avoir à nouveau, d’ici au printemps, un débat dans le cadre d’un projet de loi de programmation, et il serait à mon avis bon que, à l’occasion – donc bien en amont – de la préparation de celui-ci, qui se fera, bien sûr, en étroite collaboration avec la commission des finances du Sénat, nous essayions de construire des règles adaptées à notre pays.

Il ne s’agit pas, par exemple, de copier les règles allemandes – l’Allemagne, chacun ici l’a remarqué, n’est pas tout à fait la France en matière de finances publiques… –, mais bien de définir des règles qui, tout en permettant d’encadrer suffisamment nos finances, respectent nos modes de fonctionnement ainsi que notre culture politique et économique.

Le Gouvernement vous fera des propositions en ce sens, et je ne doute pas que votre commission des finances fera de même ; le débat nous aidera à tracer le chemin de l’assainissement de nos finances publiques pour les trois prochaines années.

Au-delà de la lutte contre la fraude, qui vise en définitive au rétablissement de la vérité, de l’honnêteté et de la réalité de nos prélèvements obligatoires, telles sont les considérations que je souhaitais vous livrer en guise d’introduction à ce débat sur les prélèvements obligatoires. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ouvrons la saison budgétaire avec ce débat.

Vous savez, monsieur le ministre, que c’est dans cette assemblée que s’est manifestée, lors de l’élaboration de la loi organique relative aux lois de finances, la volonté d’organiser un débat « facteur commun » au projet de loi de finances et au projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Cette année, la situation est très particulière parce que nous sommes en période de crise et que cette crise perturbe les ordres de grandeur : en quelque sorte, nous sommes en état d’apesanteur financière.

Nous perdons, dans la crise, nos repères en même temps qu’un paradoxe extraordinaire se produit, pour nous qui avons plaidé si longtemps en faveur de la baisse du taux des prélèvements obligatoires et avons si longtemps soutenu, dans nos engagements politiques et nos programmes d’autrefois, qu’il était nécessaire de faire refluer ce taux jusqu’à 40 % du produit intérieur brut.

Eh bien, c’est fait !

Cependant, si nous sommes passés de 45 % à 40 %, nous y sommes arrivés non pas exactement par le chemin que nous escomptions… mais plutôt par l’enchaînement des circonstances de la crise.

Et, paradoxe, ce taux de 40 %, nous ne l’avions plus jamais connu depuis 1981, ce qui mérite tout de même d’être noté ! Mais c’est justement une façon de souligner l’ampleur de la crise.

Il s’agit là non pas d’un phénomène mineur, mais d’un phénomène qui va impacter très durablement le contexte dans lequel nous vivons et les structures de notre économie, plus particulièrement les éléments structurels de nos finances publiques.

À la vérité, ce taux de 40 % du produit intérieur brut, nous y arrivons du fait d’un affaissement, et même d’un effondrement de certaines des recettes de l’État.

Vous l’avez dit très justement, monsieur le ministre, l’impôt sur les sociétés a ainsi diminué d’à peu près 30 milliards d’euros. Plus exactement, il était dans la zone des 45 milliards à 50 milliards d’euros, et il sera, à la fin de 2009, dans la zone des 15 milliards à 20 milliards d’euros.

Quant à l’analyse des probabilités pour 2010, elle fait apparaître que le rendement de l’impôt sur les sociétés se situera vraisemblablement non pas dans la zone des 45 milliards à 50 milliards d’euros, mais dans celle des 30 milliards d’euros. Autrement dit, nous n’allons pas spontanément retrouver en 2010 le niveau antérieur.

Cela me paraît être un enseignement important à méditer, car, mes chers collègues, le point qu’il va falloir évaluer de manière très approfondie est celui de savoir quelles sont les transformations apportées à l’économie par la crise.

Je suis pour ma part très sincèrement convaincu, monsieur le ministre, qu’après ne sera pas comme avant. La machine ne va pas se remettre à tourner comme avant, et ce ne sera d’ailleurs plus la même machine !

La question sera donc notamment de savoir, en termes techniques, à partir de quel niveau de produit intérieur brut potentiel nous allons redémarrer et quel chemin nous allons suivre.

Avant la crise, l’ordre de grandeur du taux de croissance potentiel, puisque c’est de cela qu’il s’agit, était fixé par les économistes à 2 % l’an. Retrouverons-nous ce taux de 2 % et, je le répète, à partir de quel niveau de produit intérieur brut ?

Toute l’équation des finances publiques dépend de cela, de même que dépend de cela la distinction, excellente, entre déficit conjoncturel et déficit structurel.

Si le point de départ comme le taux de croissance potentiel de l’économie sont plus bas, une proportion importante du déficit, qui aurait été estimée conjoncturelle selon l’ancienne analyse, devient structurelle, ce qui signifie que les efforts à faire pour converger vers l’équilibre devront être plus importants demain qu’ils ne l’auraient été hier, dans la dynamique de l’économie que nous connaissions avant la crise.

Dire cela, monsieur le ministre, n’est pas faire preuve de pessimisme ; c’est ce qu’en cette période d’automne nous pouvons entendre, les uns et les autres, dans toutes les réunions macroéconomiques qui se tiennent, et en France et en Europe, et nous ne pouvons pas faire exception à la réalité, car nous sommes dans la réalité.

Il n’en est que plus nécessaire de suivre les orientations que vous avez évoquées à la fin de votre propos en retenant l’opportunité de principes de gouvernance des finances publiques pour l’avenir.

Pour imaginer ces principes, nous pouvons prendre appui sur ceux qui existent déjà, et en particulier nous fonder sur les articles de la loi de programmation des finances publiques qui induisent un certain nombre de contraintes tout en examinant comment ces contraintes sont respectées, ce qui sera sans doute un bon point de départ pour le raisonnement.

Même si les chiffres de la loi de programmation des finances publiques sont, du fait de la crise, complètement obsolètes, les articles normatifs, eux, ne le sont pas. Ils sont censés devoir s’appliquer.

Ainsi, l’article 11 prévoit l’obligation chaque année de gager les créations et augmentations de niches fiscales ou sociales par des suppressions ou réductions de niches.

L’article 12 crée quant à lui l’obligation de procéder à une évaluation des niches fiscales au plus tard le 30 juin 2011 – vous en avez parlé, monsieur le ministre.

Bien entendu, il faut tenir compte de ce gage des nouvelles niches fiscales année par année.

J’ai cru comprendre que l’interprétation de l’administration était un peu plus globale et qu’il s’agissait davantage d’évaluer le coût des niches « en régime de croisière », ce qui permet d’oublier que, en 2010, selon toute probabilité, les nouvelles niches coûteront 2,2 milliards d’euros, et non pas 200 millions d’euros.

À ces règles relatives aux régimes exceptionnels s’ajoute, en dernier lieu, un autre dispositif, qui interdit de procéder à des allégements d’impôt lorsque les recettes sont inférieures à un certain montant fixé en valeur absolue.

Si l’on applique, comme je crois pouvoir le faire au moins de manière théorique, ce point de droit et si l’on veut respecter pour l’année 2011 cette règle, il faudrait augmenter les ressources, d’ici à cette année-là, de 6,5 milliards d’euros.

Qu’il s’agisse de jouer sur la dynamique de l’assiette ou sur tout autre moyen d’augmenter les ressources, il n’en reste pas moins, mes chers collègues, que c’est ce que nous avons voté !

Bref, monsieur le ministre, il est clairement nécessaire, notamment du point de vue de la « soutenabilité » de notre dette et donc pour favoriser une approche confiante de la part des opérateurs internationaux, que nous tracions des perspectives crédibles et que nous nous dotions d’un corps de principes auxquels il nous faudra bien, quoi que cela coûte, nous tenir.

Je voudrais, avant d’en venir à ma conclusion, appliquer maintenant mes réflexions à quelques dossiers d’actualité.

Vous avez évoqué, monsieur le ministre, la taxe carbone. Pour moi, vous le savez, ce n’est pas une taxe, mais, nous en sommes d’accord, c’est un signal-prix.

Ce dispositif doit normalement induire un ajustement des comportements et être lui-même biodégradable, ce qui suppose, dans les deux cas, qu’il ait un certain coût ; à défaut, rien ne se passera. Nous devrons étudier ce très délicat réglage dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010.

J’en viens à la réforme de la taxe professionnelle.

J’avais participé, en son temps, aux travaux de la commission Fouquet, à laquelle il faut d’ailleurs rendre hommage, car elle avait remarquablement travaillé. Les solutions qui nous sont aujourd’hui soumises en sont d’ailleurs issues.

Si cette réforme peut se faire, monsieur le ministre, c’est parce que nous sommes en période de crise. Et si j’y adhère, malgré mes réserves initiales, c’est parce que nous sommes en crise et parce que cette réforme représente le deuxième acte du plan de relance. Nous allons soutenir la trésorerie des entreprises pour la deuxième année consécutive grâce à un apport d’une dizaine de milliards d’euros. Nous devons le faire ! Mais nous savons tous ici, comme vous-même, que des inquiétudes s’expriment et qu’il faudra y répondre.

Pour limiter les inquiétudes que cette réforme ne manquera pas de susciter et pour répondre aux questions légitimes qui se posent, la première chose à faire est de traiter en une seule fois l’ensemble de la réforme dans le projet de loi de finances pour 2010, mais en « adaptant le temps », c’est-à-dire en distinguant, en première partie, ce qui impacte le solde pour 2010, et, en seconde partie, ce qui n’a aucune vocation à s’appliquer à l’exercice 2010.

Si nous ne votons pas cette réforme dans son ensemble, en choisissant avec soin la place de chaque curseur, je crois, monsieur le ministre, que nous alimenterons encore davantage les inquiétudes et les anxiétés, qui sont parfois instrumentalisées…