Sommaire

Présidence de M. Roger Romani

Secrétaires :

M. François Fortassin, Mme Anne-Marie Payet.

1. Procès-verbal

2. Saisine du Conseil constitutionnel

3. Propriété littéraire et artistique sur internet. – Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire.

Discussion générale : MM. Michel Thiollière, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire ; Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.

M. Serge Lagauche, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Jack Ralite, Jean-Pierre Plancade, David Assouline, Mmes Catherine Dumas, Alima Boumediene-Thiery.

Clôture de la discussion générale.

Texte élaboré par la commission mixte paritaire

Vote sur l'ensemble

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture.

Adoption du projet de loi.

Suspension et reprise de la séance

4. Candidatures à des commissions

5. Rappel au règlement

Mme Annie David, M. le président.

6. Orientation et formation professionnelle tout au long de la vie. – Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée (Texte de la commission spéciale)

Discussion générale : MM. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi ; Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission spéciale ; Mme Catherine Procaccia, présidente de la commission spéciale.

M. Daniel Dubois, Mme Annie David, M. Jean-Pierre Plancade, Mme Christiane Demontès.

Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Isabelle Debré, M. Claude Jeannerot, Mme Gélita Hoarau, MM. Christian Demuynck, Jean Desessard.

Clôture de la discussion générale.

M. le secrétaire d'État.

7. Nomination de membres de commissions

Suspension et reprise de la séance

8. Orientation et formation professionnelle tout au long de la vie. – Suite de la discussion d’un projet de loi en procédure accélérée (Texte de la commission spéciale)

Question préalable

Motion no 20 de Mme Annie David. – MM. Guy Fischer, Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission spéciale ; Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi. – Rejet.

Demande de renvoi à la commission

Motion no 130 de M. Jean-Luc Fichet. – MM. Jean-Luc Fichet, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.

Article 1er

M. Richard Yung, Mme Gisèle Printz.

Amendements nos 18 de Mme Annie David, 133 de Mme Christiane Demontès et 109 de M. Jean Desessard. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Claude Jeannerot, Jean Desessard, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet des trois amendements.

Amendements nos 131 de Mme Christiane Demontès et 25 de Mme Annie David. – Mmes Christiane Demontès, Annie David, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État, Jean Desessard, Claude Jeannerot. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 7 de M. Jean-Paul Virapoullé. – Mme Anne-Marie Payet, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Retrait.

Amendements nos 132 de M. Claude Jeannerot et 26 de Mme Annie David. – Mme Gisèle Printz, MM. Guy Fischer, le rapporteur, le secrétaire d'État, Paul Blanc, Jean-Luc Fichet, Jean Desessard. – Rejet des deux amendements.

Adoption de l'article.

Article additionnel après l’article 1er

Amendement n° 110 de M. Jean Desessard. – MM. Jean Desessard, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.

Article 2

Amendement n° 28 de Mme Annie David. – Mme Annie David, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.

Amendement n° 111 de M. Jean Desessard. – MM. Jean Desessard, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.

Adoption de l'article.

Article 2 bis

Amendement n° 113 de M. Jean Desessard. – MM. Jean Desessard, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.

Amendement n° 116 de M. Jean Desessard. – MM. Jean Desessard, le rapporteur, le secrétaire d'État, Mme Annie David. – Rejet.

Adoption de l'article.

Article additionnel après l'article 2 bis

Amendement n° 134 de Mme Christiane Demontès. – MM. Jean-Luc Fichet, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.

Article 3

Amendements nos 29 à 32 de Mme Annie David. – M. Guy Fischer, Mme Annie David, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État, Mme Christiane Demontès. – Rejet des quatre amendements.

Amendement n° 137 de M. Claude Jeannerot. – MM. Claude Jeannerot, le rapporteur, le secrétaire d'État, Paul Blanc. – Rejet.

Amendements nos 33 de Mme Annie David et 168 du Gouvernement. – Mme Annie David, MM. le secrétaire d'État, le rapporteur. – Retrait de l’amendement no 33 ; adoption de l’amendement no 168.

Renvoi de la suite de la discussion.

9. Dépôt de documents parlementaires

10. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

11. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Roger Romani

vice-président

Secrétaires :

M. François Fortassin,

Mme Anne-Marie Payet.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Saisine du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Président du Conseil constitutionnel une lettre par laquelle il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, le 18 septembre 2009, par plus de soixante députés, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution de la loi tendant à favoriser l’accès au crédit des petites et moyennes entreprises et améliorer le fonctionnement des marchés financiers.

Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

3

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Discussion générale (suite)

Propriété littéraire et artistique sur internet

Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet (n° 623).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Article 1er

M. Michel Thiollière, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Quand on aime, on ne compte pas ! », dit-on familièrement. Comme nous sommes nombreux dans cet hémicycle – et bien au-delà – à aimer l’art, les artistes, la culture et la diversité, en un mot la création, nous ne comptons ni notre temps, ni nos séances, ni notre énergie, ni notre force de conviction pour faire aboutir un texte qui nous paraît important, essentiel même, à l’avenir de la création dans notre pays.

Durant un an, le Sénat a travaillé en s’efforçant de répondre à des questions et de concilier à la fois les nouvelles technologies et la création, de faire en sorte que l’on puisse s’appuyer sur les nouvelles technologies pour renforcer la création, et non pas laisser nos créateurs se faire engloutir par la vague numérique.

Notre mission est bien de concilier les fabuleux apports du monde numérique et les irremplaçables apports de la création.

Or, aujourd’hui, c’est en quelque sorte une « double peine » qui est infligée aux créateurs et à l’économie de la création : le piratage et la crise s’abattent en même temps sur le monde de la création, sur les artistes et sur les filières industrielles qui y sont liées. Dans quelque domaine que ce soit, musique, cinéma, jeux vidéos, livre ou audiovisuel, nos artistes et nos entreprises de création souffrent à la fois de la crise et du piratage.

Je ne citerai que deux chiffres pour rappeler la situation actuelle. On parle beaucoup d’émergence dans notre pays et nous avons évidemment besoin d’artistes qui créent. Or, aujourd’hui, nous ne manquons nullement de créateurs et nombreux sont les artistes qui veulent émerger. En revanche, le piratage et la crise ont fait des dégâts puisque, au cours du dernier semestre de 2008, seulement 107 albums nouveaux de musique francophone ont été édités, quand on en comptait 233 en 2002. On assiste donc bien à un assèchement de la création.

Après avoir élaboré et voté la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite « Hadopi I », Nous en sommes aujourd’hui à « Hadopi II », à savoir le présent projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet.

Pendant des mois, des avancées et des revers ont été enregistrés et je considère que le temps de l’action publique a été beaucoup trop long. Entre-temps, une sorte de fossé tout à fait dommageable s’est creusée entre les créateurs et notre société. Pourtant, je le répète, le Sénat a travaillé, a débattu, a voté en temps et en heure. Mais, dans notre pays, comme le rappelait déjà La Fontaine dans sa fable Conseil tenu par les rats,

« Ne faut-il que délibérer, la Cour en conseillers foisonne ;

« Est-il besoin d’exécuter, l’on ne rencontre plus personne. » (Sourires.)

On en est donc là. Après que les uns et les autres se sont exprimés, il faut bien, un moment donné, délibérer et agir !

Alors, oui, le Sénat tranche et agit. Il a répondu à de légitimes questions. Doit-on avoir peur des nouvelles technologies ? Bien sûr que non, puisqu’elles permettent d’apporter plus d’informations, d’élargir les connaissances, qu’elles favorisent l’émergence de la création et les échanges sur celles-ci. Doit-on pour autant sacrifier la création à la fascination du monde pour ces nouvelles technologies ? Certes pas, parce que, depuis que le monde est monde, l’homme fait confiance aux nouvelles technologies, mais conserve en même temps tout son pouvoir à la création.

Aujourd’hui, c’est donc à nous, et à personne d’autre, qu’il revient d’inventer une voie nouvelle, une voie nouvelle contre tous les courants démagogiques, une voie nouvelle pour infléchir des usages qui nuisent à la création.

Le Sénat a donc pris sa part à ce travail. Le 8 juillet dernier, nous adoptions ici le présent projet de loi après avoir inséré sept nouveaux articles aux cinq articles que contenait le texte initial présenté par le Gouvernement.

Je résumerai les apports du Sénat en quatre points.

En premier lieu, les modifications que nous avons adoptées ont permis d’améliorer là lisibilité, la cohérence et donc l’intelligibilité du texte. Nous avons notamment mieux distingué le délit de contrefaçon de l’infraction de négligence caractérisée visant le titulaire de l’abonnement à Internet.

En second lieu, nous avons renforcé le caractère pédagogique et dissuasif du texte. Je vous rappelle que, à cet effet, nous avons prévu que la sanction de suspension de l’accès à Internet, lorsqu’elle est prononcée dans le cadre de l’infraction contraventionnelle de négligence caractérisée, ne figure pas au bulletin n° 3 du casier judiciaire. En effet, notre objectif est que le caractère pédagogique et dissuasif du nouveau dispositif proposé n’emporte pas de conséquences fâcheuses pour les personnes en recherche d’emploi ou souhaitant se présenter à un concours administratif.

Nous avons aussi renforcé l’information des abonnés et, par ailleurs, augmenté le plafond de l’amende encourue par le fournisseur d’accès à Internet, le FAI, qui ne mettrait pas en œuvre la peine de suspension qui lui aurait été notifiée.

En troisième lieu, le Sénat a adopté des dispositions de nature à mieux garantir le respect des libertés publiques et des principes constitutionnels. En particulier, nous avons fait en sorte que la Haute autorité ne puisse pas garder les données à caractère personnel relatives à l’abonné plus longtemps que la procédure ne l’exige. Nous avons aussi précisé le délai dans lequel les FAI doivent mettre en œuvre la suspension, afin d’encadrer l’appréciation du juge et de respecter ainsi pleinement le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.

En quatrième lieu, nous avons introduit des dispositions permettant aux ayants droit de mieux faire valoir leurs droits auprès des autorités judiciaires. C’est pourquoi la Haute autorité devra informer les représentants des ayants droit sur les éventuelles saisines de l’autorité judiciaire. Ainsi, ceux-ci pourront décider, s’ils le souhaitent, de se constituer partie civile et, dans ce cas, se signaler auprès du procureur de la République. Il serait ainsi fait obstacle à la procédure de l’ordonnance pénale, au bénéfice d’une procédure classique.

L’Assemblée nationale, quant à elle, a inséré trois articles dans le texte issu du vote du Sénat : les articles 1er bis, 3 ter et 5. En outre, elle a encore clarifié certaines dispositions et en a modifié ou précisé utilement d’autres : la prestation de serment des agents de la Hadopi – Haute autorité pour la diffusion des œuvres et le protection des droits sur Internet – devant l’autorité judiciaire ; la limitation du recours au juge unique et à l’ordonnance pénale au seul délit de contrefaçon commis par Internet ; la possibilité pour les ayants droit d’obtenir des dommages et intérêts directement dans le cadre de la procédure d’ordonnance pénale ; enfin, les précisions touchant l’incrimination de négligence caractérisée et les dispositions relatives à l’application du principe de personnalisation et de proportionnalité des peines.

S’agissant de ce dernier point, seront ainsi précisés les critères devant guider l’action du juge dans le prononcé des sanctions, et notamment la suspension de l’accès à Internet.

Par ailleurs, nos collègues députés ont exclu les correspondances privées du champ d’investigation des agents de la Hadopi. Cependant, en cas de sanction de l’abonné consistant en une suspension de son accès à Internet, sa messagerie sera bien suspendue.

Le 16 septembre dernier, sous la présidence de notre collègue Jacques Legendre, président de la commission de la culture du Sénat, la commission mixte paritaire s’est réunie et s’est accordée sur un texte commun.

Nos sociétés contemporaines ne peuvent avancer que si l’on fait preuve de pédagogie, la pédagogie de ceux qui, connaissant tel ou tel domaine, l’expliquent à ceux qui le connaissent mal. Ensuite, notre société avance par le dialogue et le débat. En outre, elle ne peut avancer que dans la mesure où nos concitoyens se sont forgés pour eux-mêmes la conviction que ce qui leur est proposé va dans le bons sens : c’est clairement le cas en matière de santé publique ou de sécurité routière ; il faut que ce soit aussi le cas s’agissant de la création.

Avant de vous appeler, mes chers collègues, à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire, je tiens à rappeler que nous avons, ici, toujours souhaité accompagner la mutation du monde physique vers le monde numérique, tout en faisant prévaloir nos valeurs, quitte à les actualiser.

De ce point de vue, je tiens à saluer la détermination du Président de la République, qui, voilà déjà deux ans, a engagé le débat et souhaité une réforme qui préserve la création.

Je tiens également à rendre hommage au travail de Mme Albanel, qui a, pendant de nombreux mois, suivi l’élaboration de ce texte, mais aussi à souligner, monsieur le ministre, que vous avez repris ce texte en le prolongeant de manière fort opportune à travers une mission, que vous avez confiée à MM. Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti, chargée d’étudier les moyens d’aller plus loin en matière de création dans le monde des nouvelles technologies.

Je tiens enfin à remercier mes collègues et l’administration du Sénat, qui m’ont beaucoup aidé dans ce travail. C’est la traduction de l’exigence du Sénat, sur laquelle nous avons souvent insisté, pour que l’offre légale soit à la fois plus fournie, moins coûteuse, donc plus pratique. Pour réussir, nous devons tout à la fois endiguer le piratage et développer une offre légale de qualité. Il est temps que tous les professionnels concernés se mettent au travail afin que l’offre légale soit une réalité concrète pour chacun de nos concitoyens.

Je dirai en conclusion que les problèmes qui nous occupent ne se posent pas uniquement dans notre pays. Ils concernent aussi nos voisins européens, de même que des pays plus éloignés. Ainsi, la Corée et Taïwan entreprennent des réformes tout à fait comparables à celle que nous avons engagée.

La France, comme elle le fait souvent dans le domaine de l’art et de la culture, doit montrer un chemin. Je ne voudrais pas que l’on oublie l’attente de ceux qui nous observent, l’impatience, voire l’envie, de la manifestation d’une volonté française. Permettez-moi, à cet instant, de citer un extrait de ce qu’avait déclaré, en 1983, l’écrivain argentin Jorge Luis Borges devant l’Académie française : « La France a l’habitude de dons infinis. Depuis la Chanson de Roland, on n’a cessé de monter cette limpide littérature du Grand Siècle, puis cette félicité, cette rare félicité qu’était Voltaire, et puis la voix de Hugo, la musique de Verlaine… Et pourquoi ne pas nommer André Gide, André Malraux ? »

Il revient aujourd’hui au législateur de tenter, avec humilité et courage, de faire en sorte que ce don infini de la France soit effectivement infini. ((Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. le président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, cher Michel Thiollière, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque je suis venu vous présenter, le 8 juillet dernier, le présent projet de loi, j’ai tenu d’emblée à le replacer dans une perspective plus vaste.

J’ai toujours souligné que ce dispositif était, à mes yeux, nécessaire, mais non suffisant. Pour moi, la régulation de l’internet prévue par ce projet et par le précédent, qu’il vient compléter pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin dernier, n’est qu’un premier jalon. C’est le préalable indispensable à une deuxième étape : le développement de nouvelles formes d’offres culturelles sur Internet et l’invention de nouvelles sources de rémunération pour les créateurs.

J’ai donc lancé, voilà quelques jours, une concertation de tous les acteurs de la culture mais aussi de l’internet. J’ai confié cette mission à des personnalités éminentes, indépendantes et respectées de tous : Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti. Je leur ai demandé d’apporter des réponses concrètes et immédiates à trois questions fondamentales. Comment proposer des offres légales de musique et de films encore plus attractives pour les consommateurs ? Comment dégager de nouvelles ressources pour financer la création des œuvres ainsi diffusées ? Comment aboutir à un partage équitable de la richesse ainsi créée entre les artistes, les entreprises de la culture et les acteurs de l’internet ?

Avant la fin du mois de novembre, je ferai des propositions au Président de la République et au Premier ministre. Tous les créateurs de notre pays les attendent : il faut agir vite ; j’y suis déterminé.

Vous le constatez, pendant que le Parlement accomplissait les travaux nécessaires à la discussion et à l’adoption du présent projet de loi, je ne suis pas resté inactif, loin de là.

J’ai tenté de faire en sorte que le dispositif qu’il instaure, celui de la collaboration entre la Hadopi et les autorités judiciaires, prenne tout son sens aux yeux de nos concitoyens : il s’agit d’un mécanisme essentiellement pédagogique de lutte contre le piratage, indissociable de la mise en place d’un nouveau modèle de diffusion et de financement des œuvres culturelles. C’est ainsi que nous garantirons le mieux son applicabilité et son efficacité.

Je ne reviendrai pas sur le détail de ce projet de loi après la présentation que vient d’en faire votre rapporteur, Michel Thiollière, que je veux remercier de sa compétence et de son engagement depuis le 30 octobre 2008, date à laquelle le premier projet de loi, désormais désigné sous le nom de « Hadopi I », était adopté par le Sénat, à l’unanimité.

Je me limiterai donc à souligner que, grâce au Sénat et à l’Assemblée nationale, ce second projet de loi a fait l’objet de plusieurs améliorations qui rendent encore plus claires les intentions des pouvoirs publics.

Je pense notamment à la décision de la commission mixte paritaire de proposer un texte qui retranche la messagerie électronique du champ de la suspension d’accès aux services en ligne qui peut être prononcée par le juge judiciaire.

Par ailleurs, lorsque le juge sera amené à se prononcer sur une peine de suspension, il lui incombera de prendre en compte l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur. De cette façon, la sanction sera la plus adaptée, donc la plus efficace possible. Certes, cette obligation découlait des principes généraux de notre droit. Mais, après le débat passionnel que nous avons connu sur ce texte, il ne faut pas craindre d’être tout à fait explicite.

Je veux, surtout, saisir cette occasion pour continuer à dénouer, inlassablement, les idées fausses dont est tissée l’incompréhension avec laquelle ce texte est parfois encore accueilli.

Je rappelle d’abord que l’édifice dont nous allons poser la dernière brique n’a pas été imaginé par des technocrates coupés des réalités. Il a été conçu par les acteurs de la culture et de l’internet eux-mêmes. Il est l’application des accords historiques signés à l’Élysée, le 23 novembre 2007, par un ensemble de près de cinquante organisations représentatives et entreprises de la musique, du cinéma, de la télévision, ainsi que par tous les fournisseurs d’accès à Internet.

Ensuite, les deux lois apporteront des avancées considérables pour le consommateur.

Ainsi, elles permettront l’accélération de la mise à disposition des films. Désormais, ils seront disponibles en DVD à peine quatre mois après leur sortie en salles, au lieu de six mois, et en VOD – vidéo à la demande – après quatre mois aussi, au lieu de sept mois et demi. Voilà une vraie mesure, concrète, qui devrait changer le comportement du consommateur.

Par ailleurs, les maisons de disques ont retiré tous les « verrous numériques » anti-copie des morceaux de musique téléchargés à l’unité. Autrement dit, dorénavant, lorsqu’on achètera en ligne une musique, on pourra la copier sans difficulté pour son usage personnel et familial, aussi facilement qu’on le faisait naguère avec une cassette.

Il est un autre point sur lequel je veux revenir, et qui est peut-être le plus important après les polémiques déraisonnables, disproportionnées auxquelles les deux textes ont donné lieu : contrairement aux caricatures qui en ont été faites, leur vocation est essentiellement pédagogique. Le cœur de leur mécanisme réside dans les rappels à la loi envoyés par la Hadopi. Les sanctions, sur lesquelles on s’est tellement répandu, n’ont été pensées que comme une force de dissuasion, qui vient coiffer la série d’avertissements envoyés par la Haute autorité.

Les sanctions seront probablement assez rares, car je crois à l’efficacité de cette dissuasion, mais la perspective de la sanction signalera qu’Internet ne doit pas être un lieu de non-droit : c’est un espace rapide, où l’on « surfe » ; ce ne doit pas être un espace où le droit se volatilise et devient virtuel.

Deux avertissements avant toute sanction, dont un par lettre recommandée : quel luxe de précautions, d’explications ! Comme s’il fallait recevoir deux avertissements à domicile avant de se faire retirer un point sur son permis de conduire… Et ces messages sont envoyés par une Haute autorité qui protège l’anonymat des internautes, qui est composée de magistrats et d’agents publics, impartiaux et indépendants.

Le premier décret d’application de la loi Hadopi I, déjà paru au Journal officiel, porte d’ailleurs sur la déontologie. Cela souligne à quel point le souci du Gouvernement a été d’interposer, entre les internautes et les titulaires de droits, une instance médiatrice incontestable, protectrice de leur vie privée.

Cette démarche n’est pas purement réactive et négative. Elle veut construire, sur le long terme, une nouvelle approche de l’internet. Il s’agit bel et bien de poser clairement le principe d’Internet comme espace civilisé, avec ce que cela implique comme protection des droits élémentaires de chacun. Un espace de droit dans lequel non seulement l’internaute ne doit pas être favorisé par rapport à celui qui se rend chez son disquaire, mais où l’internaute malin, trop malin, ne doit pas l’emporter sur l’internaute candide.

Ne soyons pas naïfs : nous savons que ce que nous décidons dans le monde virtuel d’Internet a des implications dans le réel, qu’il n’est pas bon de se laisser aller à l’illusion d’un monde parallèle où rien ne pèse, où triompherait l’insoutenable, l’excessive légèreté du Net. (Sourires.)

Selon Pascal, un paysan qui passe la moitié de sa vie à rêver qu’il est roi vaut bien un roi qui passe la moitié de sa vie à rêver qu’il est un paysan ! (Nouveaux sourires.)

Les « arrière-mondes » que nous créons ont plus d’influence et de puissance que l’on ne croit sur le monde réel ? Ils lui empruntent, mais ils le façonnent en retour, ils lui donnent ses nouvelles formes, ses habitudes. C’est pourquoi, si Internet est un formidable instrument, son champ ne doit pas être laissé en jachère juridique. Il ne doit pas échapper à notre vigilance ni à la régulation qui fonde nos sociétés de droit.

Le Président de la République nous a montré ce que peut la volonté politique : renverser un dogme, celui du laisser-faire, du pillage immoral de l’économie réelle des entreprises par l’économie virtuelle des marchés financiers. Je veux faire la même chose pour le pillage des œuvres, au nom d’une liberté mal comprise. La liberté n’est pas la licence, le libéralisme n’est pas la jungle.

Que veulent-ils, les démagogues du laisser-faire, qui confondent la jeunesse avec le jeunisme ? La gratuité pour toutes les œuvres des artistes sous prétexte qu’elles sont sur la Toile ?

J’ai fait du numérique l’une des priorités de mon action au ministère de la culture et de la communication. J’ai ainsi annoncé une porte d’entrée unique de notre patrimoine numérisé sur Internet, je suis entré dans le débat sur la numérisation des imprimés entre un géant américain et la Bibliothèque nationale de France, j’ai demandé qu’une partie du grand emprunt soit dirigée sur la nécessaire modernisation de notre patrimoine qui réside dans l’accélération et la mise en cohérence de sa numérisation.

Là où la gratuité est possible, j’ai agi concrètement et rapidement : j’ai décidé, dès cet été, de l’appliquer à l’entrée dans les musées et monuments nationaux pour tous les jeunes de moins de vingt-six ans qui résident régulièrement dans l’Union européenne, quelle que soit leur nationalité.

Mais la gratuité des œuvres d’auteurs, de compositeurs, d’interprètes, de scénaristes, de réalisateurs vivants, ce ne serait magnifique que dans un monde idéal ! Le financement de leurs œuvres est assuré non pas, comme pour les musées ou les monuments, par l’impôt des citoyens ou les gratifications d’un mécène, mais par le consentement du public de leurs admirateurs à les rémunérer.

Ensuite, je le redis, le projet de loi vise le grand nombre : il vise à modifier le comportement de la masse des internautes, à attirer l’attention sur les conséquences du piratage pour les créateurs et sur les sanctions encourues.

Évidemment, il sera toujours possible aux « petits malins » d’échapper momentanément aux sanctions en déployant beaucoup de savoir-faire, par exemple en cryptant leurs échanges. Ce sera le fait d’une infime minorité, comme pour toutes les formes de délinquance, et les techniques de détection évolueront en même temps que les techniques de dissimulation ; c’est un processus éternel qui n’a jamais dissuadé de lutter contre la délinquance. Mais il faut arrêter avec le romantisme du « pirate génial » de l’internet et du gangster fascinant. Le piratage sur Internet est beaucoup moins glamour que cela : ce sont des œuvres galvaudées et la diversité culturelle compromise.

D’ailleurs, si notre démarche était si mal fondée, elle ne serait pas, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, de plus en plus imitée.

On disait, on répétait que la France était isolée, qu’elle s’enferrait dans l’opposition, la confrontation ; il semble bien plutôt, à regarder ce que font les autres pays, qu’elle était tout simplement en avance, tant notre philosophie est désormais reprise partout : Irlande, Taïwan, Corée du Sud, pour citer les plus proches de notre modèle. Des résultats spectaculaires sont déjà observés en Suède ; voilà deux semaines encore, des annonces fortes ont été faites par Peter Mandelson, ministre du commerce du Royaume-Uni.

Chacun sait que, dans le domaine de la culture, la France n’est pas un acteur comme les autres, qu’elle a toujours joué un rôle pionnier. Nous célébrons cette année le cinquantenaire du ministre de la culture. On le raillait à sa création, sans doute en prétextant que les arts et les artistes n’avaient pas besoin du soutien public. Eh bien, pour imaginer des solutions contre le piratage, de nombreux pays, et notamment ceux que je viens de citer, nous observent, nous imitent, nous rattrapent même. De même, plusieurs dizaines de pays, en cinquante ans, se sont dotés d’un ministère de la culture. C’est une forme de « piratage » que nous pouvons regarder avec satisfaction...

Peu importe d’ailleurs, en un sens, le contenu exact du dispositif de protection. Les techniques vont évoluer encore avec la vitesse qui les caractérise. Mais les avancées de la technique ne doivent pas conduire à l’obsolescence des principes. Or le principe de base, ici, est bien qu’il ne peut pas y avoir d’impunité totale. Il faut en donner des manifestations bien visibles. Ce sera, en France, le rôle de la Hadopi.

Les artistes l’ont bien compris. Les créateurs, les entreprises du cinéma, de la musique et de l’internet ont apporté un soutien massif au projet du Président de la République et au Gouvernement. Je rappelle tout particulièrement le soutien de toutes les PME de la culture, de ces petites entreprises qui sont les premières victimes du piratage parce que ce sont elles qui prennent le plus de risques, en soutenant de jeunes talents, avec des moyens parfois dérisoires.

Ces structures indépendantes sont au cœur du dynamisme et de la diversité de la scène artistique française et européenne. Elles ont apporté, aussi bien chez nous que chez nos partenaires, un soutien massif et régulièrement renouvelé à la loi. Ce texte n’est donc pas la loi des « majors » ni de quelque intérêt particulier que ce soit. C’est la loi de tous les créateurs et des jeunes talents et, in fine, de leurs publics, de ceux que j’ai vus, entendus, admirés, lors de mes déplacements à travers la France pendant tout l’été, à Marciac, Lussas, Saintes, etc.

Ce sont eux, mais aussi toutes les entreprises qui les produisent et les soutiennent, le réseau fourmillant des « PME culturelles », qui ont les yeux fixés sur nous aujourd’hui. Ils sont la réalité économique de la diversité culturelle. Ils attendent le dernier acte d’un processus législatif dont ils espèrent l’affirmation claire et ferme que, même sur Internet, la protection de leurs droits est une réalité.

Ce texte témoigne de notre attachement aux principes fondateurs d’un espace culturel civilisé. Il vise, dans une conception équilibrée des rapports sociaux, à conjuguer les exigences de l’accessibilité et du droit d’auteur, de la modernité des supports et de la pérennité des principes, et recourt, pour ce faire, à un système d’accompagnement juridique des évolutions techniques et de régulation du marché. Par là, c’est la continuité même de notre conception du monde et des valeurs défendues, depuis toujours, par votre Haute Assemblée, par-delà les clivages et les appartenances, que nous avons l’intention de promouvoir et de prolonger. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur le banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Monsieur le ministre, le 3 septembre dernier, vous avez très solennellement mis en place la mission chargée de proposer des solutions favorisant le développement de l’offre légale des contenus culturels sur Internet. Si cette annonce sonne le glas, pour ne pas dire qu’elle constitue un aveu d’échec, des accords de l’Élysée signés voilà presque deux ans, elle n’en est pas moins salutaire.

Le Gouvernement mesure enfin l’impérieuse nécessité de trouver, pour nos auteurs et nos créateurs, de nouveaux systèmes de rémunération et de financement des industries du secteur.

Trois ans après l’échec de la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite loi DADVSI, deux ans après la signature des accords Olivennes, il aura fallu que le Parlement, majorité et opposition confondues, exprime toutes ses réticences sur le dispositif législatif proposé par la Rue de Valois, sous la tutelle du Président de la République, pour qu’en définitive le Conseil constitutionnel censure le volet sanction de la riposte graduée.

Que de temps perdu, mes chers collègues, depuis le 27 juillet 2006, date à laquelle le Conseil constitutionnel avait déjà censuré le système de contraventions introduit à l’emporte-pièce par M. Donnedieu de Vabres dans la loi DADVSI ! Il aura donc fallu plus de trois longues années et pas moins de trois ministres de la culture pour que le Gouvernement lance enfin une réflexion afin de faire émerger un nouveau modèle économique de diffusion de la culture sur Internet.

Dans cet intervalle, les auteurs, les créateurs, les industries phonographiques et les industries cinématographiques, notamment, n’ont cessé de subir de plein fouet les effets du téléchargement illégal. Les positions pro et anti-Hadopi se sont radicalisées, poussant les uns et les autres à la caricature, parfois même à l’affrontement verbal. Les jeunes internautes n’ont pas compris les positions défensives prises par la plupart des auteurs pour soutenir la loi « Création et Internet », auteurs qui se sont trouvés acculés à défendre un texte finalement déclaré pour partie attentatoire à la liberté d’expression par le Conseil constitutionnel.

On voit là toutes les caricatures et les paradoxes auxquels ce texte a donné naissance : des artistes tantôt libertaires tantôt liberticides, des internautes férus de technologie prêts à tout pour casser les barrières techniques de la riposte graduée, et, enfin, des industries culturelles transformées en Big Brother de la Toile… Rien de tout cela n’est raisonnable !

La loi « Création et Internet » et son pendant judiciaire contraint, le projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet, n’ont au final eu d’autre atout que celui de faire prendre conscience au Gouvernement que la solution était ailleurs.

Je ne reviendrai pas en détail sur le dispositif pénal mis en œuvre par ce texte pour mettre en place la phase répressive de la riposte graduée. Il pourrait d’ailleurs sembler désormais impropre de continuer à employer cette expression de « riposte graduée », expression qui était celle des accords Olivennes. Or la procédure du juge unique et de l’ordonnance pénale n’a plus rien à voir avec les termes de ces accords. Là où ces derniers se voulaient pédagogiques en graduant les réponses au téléchargement illégal par la mise en place d’une procédure administrative, votre texte, monsieur le ministre, porte la marque d’un triste retour en arrière en réinstaurant le délit de contrefaçon, puni, je le rappelle de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende, et en créant la possibilité pour le juge judiciaire de prononcer une peine complémentaire de suspension de l’abonnement à Internet.

Vous nous aviez indiqué en commission, lors de la première lecture de ce texte en juillet dernier, que vous estimiez à 50 000 le nombre de signalements transmis au procureur par la commission de protection des droits de la Hadopi. Il s’agit d’une goutte d’eau en comparaison des 450 000 films piratés chaque jour et du milliard de fichiers numériques à caractère culturel échangés illégalement chaque année !

Par ailleurs, nous restons extrêmement réservés sur la possibilité pour la justice de traiter avec célérité les informations transmises par la Hadopi. Au-delà des risques d’inconstitutionnalité qui planent sur la procédure pénale choisie, nous ne croyons pas que la justice, dont les tribunaux sont déjà très encombrés, disposera des moyens suffisants pour mener à bien cette nouvelle mission.

C’est fondamental, car, dans cette hypothèse, ce serait l’ensemble du dispositif de réponse graduée qui serait rendu inopérant et la Hadopi ne susciterait que l’indifférence des destinataires des courriels d’avertissement.

Nous le répétons aujourd’hui, le groupe socialiste du Sénat espère que la conjugaison de la phase d’avertissement et de la phase judiciaire permettra d’améliorer la lutte contre le piratage des œuvres, piratage qui ne constitue rien de moins qu’un vol. Mais la précipitation et l’entêtement du Président de la République à « aller jusqu’au bout », pour reprendre les termes qu’il a employés lors de la réunion du Congrès à Versailles, risquent de cimenter le marasme économique que connaissent aujourd’hui, et depuis plus de cinq ans, les industries culturelles, grandes et petites, les majors comme les PME indépendantes.

La réussite de l’effet dissuasif de la procédure pénale choisie est fondamentale. Or nous avons le sentiment que le Gouvernement est en train de se fourvoyer en défendant un texte élaboré en quelques jours, sans aucune concertation et avec tous les risques d’inconstitutionnalité dont il pourrait être entaché.

Le groupe socialiste du Sénat n’a eu de cesse de répéter, depuis l’examen en première lecture du projet de loi « Création et Internet », première étape de ce processus législatif chaotique, que la défense de nos auteurs et la promotion de leurs œuvres via Internet devait être abordée de front et de manière complémentaire.

Il faut, d’une part, lutter efficacement contre le piratage, et, d’autre part, créer les conditions du développement d’une offre légale culturelle attractive pour tous, et rémunératrice pour les auteurs. Si l’un des deux aspects de cette bataille culturelle est négligé, alors le dispositif global en résultant ne pourra être que bancal.

Un dispositif gradué d’avertissements, puis de sanctions sera inopérant si l’offre légale ne se développe pas, car il n’y aura pas de report automatique des internautes vers des offres numériques coûteuses et peu développées en termes de catalogue.

De même, une offre légale pléthorique et peu onéreuse ne pourra susciter suffisamment l’intérêt des consommateurs si, en parallèle, les internautes ne sont pas dissuadés de pirater les œuvres.

C’est pourquoi nous souhaitons très sincèrement que l’ensemble du dispositif de la réponse graduée soit efficace, c’est-à-dire dissuasive. Elle nous semble cependant peu adaptée, principalement au regard de l’ampleur du phénomène du piratage et de la faiblesse des moyens dont dispose la justice, elle aussi contrainte par la révision générale des politiques publiques.

Nos collègues de l’Assemblée nationale, où votre texte n’a été adopté qu’à une courte majorité, puis la commission mixte paritaire n’ont modifié que très partiellement les termes du texte voté par le Sénat le 8 juillet 2009. Le groupe socialiste du Sénat réitérera donc son vote contre ce texte.

En revanche, nous restons disponibles pour prendre part aux réflexions qui seront menées dans le cadre de la mission que vous avez confiée à MM. Zelnik, Toubon et Cerutti en vue de dégager de nouvelles sources de rémunérations pour les auteurs et d’inventer de nouveaux modèles économiques de diffusion des œuvres culturelles sur Internet. Nous travaillons depuis maintenant plus de trois ans sur la question et nous sommes, bien entendu, disposés à faire part de notre modeste expertise si elle devait être sollicitée.

À l’occasion de la constitution de cette mission, à qui vous avez demandé, monsieur le ministre, de vous soumettre dès le 15 novembre prochain des propositions simples et concrètes, vous avez déclaré souhaiter qu’aucune nouvelle forme de rémunération ne soit exclue.

Nous vous réitérons notre méfiance vis-à-vis d’offres légales présentées comme gratuites au consommateur, mais qui font en réalité dépendre la rémunération des auteurs de recettes publicitaires variables et incertaines, particulièrement en cette période de crise économique et financière. Prenons garde de ne pas faire dépendre la diversité culturelle de notre pays de ressources publicitaires aléatoires.

La gratuité d’accès pose, en outre, la question de la valeur d’une œuvre et de la perception de cette valeur par les internautes qui seraient incités à se tourner vers de tels modèles économiques. Cette valeur, qui porte en elle la reconnaissance du travail de l’artiste et de tous les corps de métier impliqués dans la création, la production et la diffusion de l’œuvre, pourrait se diluer dans l’océan des offres prétendument gratuites.

En outre, il faudra veiller à ce que les droits moraux et patrimoniaux des auteurs soient respectés. Il ne peut être question de travestir le droit d’auteur au motif d’un prétendu fatalisme technologique. Les auteurs et leurs ayants droit devront rester maîtres de la diffusion de leurs œuvres, tout comme leurs droits exclusifs à rémunération devront rester proportionnels à la diffusion de leurs créations. En d’autres termes, il ne saurait être question de faire glisser le droit d’auteur vers le copyright anglo-saxon.

Pour cela, les sociétés de perception et de redistribution des droits des auteurs et des artistes-interprètes auront un rôle central à jouer, sans quoi la musique, le cinéma et toutes les autres disciplines artistiques diffusées sur Internet seront définitivement dominés par les fournisseurs d’accès et les grandes sociétés d’édition et de production.

Prenons garde également à ce que tous les arts concernés par la numérisation et la diffusion sur Internet soient inclus, monsieur le ministre, dans les propositions que vous remettra M. Zelnik : la musique, le cinéma, les logiciels de loisirs et le livre.

Il faudra bien sûr que les solutions préconisées tiennent compte des usages de lecture et des modèles de financement existants, qui sont propres à chaque discipline. Il ne pourrait, par exemple, être question de remettre en cause la chronologie des médias, pierre angulaire de la diversité cinématographique française, au profit d’un modèle conçu pour la diffusion phonographique.

Je conclurai en évoquant le livre. Les récentes déclarations de M. Denis Bruckman, directeur général adjoint de la Bibliothèque nationale de France, sur l’état d’avancement des négociations engagées par la BNF avec le géant Google pour confier au portail américain la numérisation de son fonds sont des plus inquiétantes. La promotion de la diversité culturelle et l’accès multilingue au patrimoine culturel européen ne sont pas compatibles avec un tel partenariat, qui laisserait la numérisation des savoirs aux mains d’un monopole privé.

Il ne s’agit pas de stigmatiser l’attitude de telle bibliothèque nationale ou de telle autre entreprise de référencement. Il s’agit simplement d’affirmer que l’économie de l’immatériel, l’investissement dans la recherche, l’éducation et la défense des auteurs et de leurs ayants droit constituent la clef de l’avenir et qu’à ce titre il est inacceptable qu’un opérateur privé se substitue aux États européens dans leurs missions régaliennes.

Il faudra assurément que les États augmentent leurs moyens pour mener à bien ces missions. Nous souhaitons donc que le projet de Bibliothèque numérique européenne « Europeana », lancé sous la double impulsion de la BNF et de la Commission européenne, soit renforcé. Quel que soit le statut de l’œuvre – passée dans le domaine public, orpheline, épuisée en librairie ou en cours de diffusion –, il ne peut être question d’accorder une quelconque exclusivité à une entreprise pour accéder à cette œuvre. C’est ni plus ni moins la défense de l’identité culturelle d’un pays et de ses auteurs qui est en cause.

Nous vous savons homme de lettres, monsieur le ministre, et en appelons donc à votre vigilance et à votre volontarisme pour relever ce défi culturel de tout premier ordre.

Pour le livre, le cinéma, la musique et l’ensemble des disciplines artistiques diffusées sur Internet, l’enjeu est majeur. Il nous faut inventer de nouveaux modèles permettant un accès à la culture pour le plus grand nombre dans des conditions respectueuses des droits des auteurs. Sans cela, point de politique culturelle sérieuse, point de volontarisme pour le maintien de cette diversité culturelle dont, monsieur le ministre, vous avez la responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nécessité de prendre des mesures fortes en faveur des artistes et de la création n’a jamais été aussi urgente. Le 9 septembre dernier, le journal Le Monde rappelait les derniers chiffres de l’industrie musicale : le constat est alarmant puisque, au premier semestre, le marché de la musique a encore enregistré une baisse de près de 18 % par rapport à la même période de 2008. Cette baisse représente, en valeur, une perte de 50 millions d’euros sur six mois pour l’industrie du disque. Il faut noter que, dans le même temps, le chiffre d’affaires de la musique numérique n’a augmenté que de 3 %.

Ces nouveaux chiffres démontrent donc une fois encore, s’il en était besoin, que le piratage numérique continue de progresser et met chaque jour un peu plus en péril l’avenir de la création artistique.

Le présent projet de loi doit permettre la mise en place des dernières étapes de la réponse graduée. À l’issue de son examen par chacune des assemblées, la commission mixte paritaire a adopté un texte équilibré, garantissant le caractère à la fois pédagogique et dissuasif du dispositif. Les avancées qui y sont proposées sont réelles, et elles sont attendues par une très large majorité des artistes.

Je tiens à revenir brièvement sur quelques-unes des modifications apportées au texte voté en première lecture au sein de notre assemblée.

Tout d’abord, l’adoption d’un amendement, déposé par le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, a permis d’exclure du champ des investigations de la Hadopi et de l’autorité judiciaire les services de messagerie des internautes, c’est-à-dire la correspondance privée par courriel. Il faut se féliciter de cette modification, qui tend, par la réaffirmation du secret des correspondances, à une défense accrue de la vie privée des internautes.

À l’article 1er, il a été précisé, d’une part, que les agents assermentés de la Hadopi le seraient devant l’autorité judiciaire et, d’autre part, que les agents constateraient seulement les faits susceptibles de constituer une infraction, et non les infractions elles-mêmes. Ces modifications constituent des avancées souhaitables en faveur d’une meilleure protection des droits des internautes.

La protection des droits fondamentaux sur les réseaux numériques doit encore progresser. C’est d’ailleurs dans cette optique que le Nouveau Centre présentait dès cet été, sur l’initiative de son président, un projet de Déclaration des droits fondamentaux numériques destinée à garantir sur Internet, comme partout ailleurs, le respect des droits fondamentaux définis, entre autres, par la Déclaration des droits de l’homme de 1789, ou encore par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il est en effet indispensable, mes chers collègues, de poursuivre la réflexion sur ces thèmes dans les mois et les années à venir afin de parvenir à l’instauration de garde-fous, notamment en matière de protection de la vie privée, mais aussi de préservation de la dignité humaine. Nous avions aussi évoqué ces sujets, je le rappelle, lors de l’examen du projet de loi portant sur l’audiovisuel.

Nos collègues députés ont également précisé les conditions de la procédure de jugement simplifiée. Ainsi, à l’article 2, le recours au juge unique et à l’ordonnance pénale a été expressément limité aux seuls délits de contrefaçon commis via Internet. Parallèlement, dans ce même article, il est prévu que les victimes pourront demander des dommages et intérêts directement dans le cadre de la procédure d’ordonnance pénale.

Enfin, je me félicite que le texte qui nous est soumis aujourd’hui permette de mieux définir l’incrimination de négligence caractérisée.

D’une manière plus générale, et vous l’avez rappelé fort à propos, monsieur le ministre, il est indispensable de poursuivre une réflexion globale et approfondie sur le financement de la création à l’ère d’Internet. Aussi, je me réjouis de la mise en place de la mission, dirigée par M. Zelnik, que vous avez souhaitée et qui doit réfléchir au développement de l’offre légale de téléchargement et aux mesures d’accompagnement de la loi nouvelle.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, l’offre légale est encore largement insuffisante à l’heure actuelle. La loi Hadopi I du 12 juin 2009 permet une mise à disposition plus rapide des œuvres, que ce soit dans le domaine de la musique – grâce à un amendement que j’avais déposé au nom du groupe de l’Union centriste et dont l’adoption a permis, en rendant possible la suppression des DRM, de lever l’un des principaux freins au déploiement des nouvelles offres – ou dans celui des œuvres cinématographiques. Mais cette offre légale doit aussi s’étoffer et être mieux mise en valeur : il est indispensable que le public soit bien informé des innovations concernant l’offre légale et soit associé aux réflexions afin de dégager des offres toujours plus attractives, toujours plus riches et diversifiées.

Enfin, le système que le projet de loi tend à mettre en place tient pleinement compte des critiques formulées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 juin dernier : le volet répressif sera bien confié à un juge et non plus à une autorité administrative.

Les garanties supplémentaires apportées par ce projet de loi dans la mise en place de la Hadopi et la définition de ses missions permettent à une large majorité du groupe de l’Union centriste de voter en faveur de ce texte, même si nous restons persuadés que cette loi ne sera sans doute que transitoire.

À l’avenir, en effet, il faudra trouver les nouveaux équilibres respectueux de chacun : de la liberté des créateurs et des artistes, avec les droits qu’il faut leur reconnaître, et de la liberté des internautes, de leur droit à s’informer et à communiquer. Car Internet, c’est un potentiel d’accès élargi aux œuvres, de soutien à la diversité, d’implication aussi des internautes eux-mêmes dans le champ culturel, qui se réinvente chaque jour avec de nouvelles formes.

Nul ne peut nier qu’Internet a également introduit des perturbations qui déstabilisent aujourd’hui les relations aux savoirs, dérèglent la circulation des œuvres et biens culturels. Les mécanismes économiques et juridiques qui régissent le développement des industries culturelles sont également touchés. Il faut donc donner à ce secteur les moyens de son rebond tout en admettant que les industries culturelles auront de plus en plus de mal à imposer une consommation jusqu’alors synchronisée des œuvres, le temps d’usage de celles-ci étant désormais librement organisé par chacun.

Entre régulation et adaptation, l’’équilibre doit être trouvée. Mais il faut en même temps avoir conscience que la nouvelle société de l’information est chaque jour un peu plus complexe : c’est un défi, si l’on considère qu’Internet signifie une nouvelle manière de vivre ensemble, une nouvelle manière de communiquer, des rapports sociaux réinventés, une représentation du monde et de la culture transformée, qui concernera environ un milliard d’internautes dès 2010. Nul doute, dès lors, qu’il nous faille poursuivre collectivement la réflexion et le travail.

En conclusion, mes chers collègues, je tiens à saluer le travail de chacun, plus particulièrement celui de notre rapporteur, Michel Thiollière, qui, par sa connaissance pointue de l’ensemble de ces problématiques, a permis de parvenir à un texte équilibré. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et du RDSE, ainsi que sur le banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.

M. Jack Ralite. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons émettre un vote sur la loi Hadopi II, qui a suivi la loi DAVDSI puis Hadopi I. La discussion a duré, en urgence, 208 heures et 20 minutes, dont 170 heures et 30 minutes à l’Assemblée nationale et 37 heures et 50 minutes au Sénat.

On a dit : « Quel grand débat ! » Mais il y a débat et ébat ! (Sourires.) À lire les délibérations, on est frappé de constater qu’elles ont eu lieu en réaction à l’initiative présidentielle et trop peu, même s’il y a eu des moments riches, au raisonnement tendu vers la construction de ce qu’exige notre société à l’heure du numérique, qui ne se résume d’ailleurs pas à Internet.

Trop souvent, il s’est agi d’une sorte d’« ébriété technologique » faisant penser à une remarque de Michelet, dans son essai Le Peuple : « La merveille du machinisme, ce serait de se passer des hommes. […] Le machinisme néanmoins veut davantage ; l’homme n’est pas encore mécanisé assez profondément […]. Notre siècle, par ses grandes machines […], attelant les masses à l’aveugle, a progressé dans la fatalité. »

Dans l’Opéra de quat’sous, joué magnifiquement par le Berliner Ensemble au Théâtre de la Ville, on retrouve cette fatalité si bénéfique au couple pouvoir-grandes affaires : « L’Homme ne vit que d’oublier sans cesse qu’il est Homme. » Au xixe siècle et au début du xxe siècle, cela était lié à la machine à vapeur, plus tard au moteur à explosion et aux technologies électriques. Aujourd’hui, ce sont la numérisation et la télé-informatique qui s’imposent et permettent le maniement d’une fatalité encore plus grande. Cela, par l’invasion de la rationalité technico-scientifique dans toutes les sphères de la vie. C’est le « reformater les Français » voulu par M. Sarkozy.

À cette techno-fatalité, le pouvoir a ajouté la surveillance, en opposant deux libertés : le droit d’auteur, œuvre des Lumières et de la Révolution française, et l’accès à Internet, légitimement exigé par le Conseil Constitutionnel et appliqué avec une ferveur que je qualifierai de belliqueuse, au point, par la même occasion, de faire passer l’« ordonnance pénale », procédure accélérée devant un juge unique et sans audience préalable, et d’ignorer la présomption d’innocence.

C’est la fatalité technologique et la justice expéditive. Sur un terrain social bouleversé, où l’internet produit « de la socialité chaude à l’intérieur d’un monde où la socialité froide a la primauté, où le lien social se distend », selon Georges Ballandier, cette loi est grosse de dangers, même si chercheurs et utilisateurs du numérique prédisent son caractère inapplicable.

Par contre, le Parlement, sur une proposition du député communiste Frédéric Dutoit, avait voté en 2006, unanimement, la création d’une plate-forme publique parfaitement réalisable, qui n’a jamais été prise en considération. Le Parlement va voter aujourd’hui une loi inapplicable alors que, depuis plus de trois ans, le Gouvernement n’a pas appliqué un vote unanime des parlementaires !

L’option fondamentale de l’État, l’ultralibéralisme, malgré les discours sur la « moralisation du capital », en fertilisation croisée avec les affaires, ne parvient plus à faire système et rend chaotique la vie, d’où l’angoisse à laquelle il répond – le sens lui étant devenu proprement intolérable – par ce que l’écrivain Bernard Noël appelle la « castration mentale ».

À côté de cette loi, voilà Google ne payant rien des contenus qu’il diffuse et s’installant en Irlande pour s’éviter la fiscalité normale, qui reçoit l’aval du Premier ministre quand le directeur de la Bibliothèque nationale de France renonce, étant donné la pépie financière, à continuer la démarche de son prédécesseur, la numérisation européenne des bibliothèques d’Europe.

Je sais que vous vous interrogez, monsieur le ministre, et demandez une part du grand emprunt qui éviterait cet affront. Je crains que l’emprunt ne soit un mirage où atterriront – les autres issues étant provisoirement fermées – beaucoup de frustrations. Surtout que Mme Viviane Reding, commissaire européenne, s’occupe aussi de ce dossier et fait rediscuter la conception européenne du droit d’auteur.

Autre fait, devant les députés UMP, le Président de la République, adepte de « la concurrence libre et non faussée », a déclaré la semaine dernière, laissant pantois ses amis : « Je suis assez sceptique et réservé sur le choix d’un quatrième opérateur de téléphonie mobile. Le prix le plus bas n’est pas forcément le meilleur. Faut voir la qualité des postulants ».

Quelle illustration de la marchandisation galopante de la politique publique dans le domaine culturel ! La bataille fabriquée internautes-auteurs a là sa source. Avec sa volonté de cliver, le Président a assimilé les internautes à des clients et les auteurs à des industriels, en utilisant abusivement le concept du droit de propriété littéraire et artistique. C’est rétrécir les internautes qui sont citoyens et les auteurs qui sont créateurs ! C’est vicier le rapport auteur, artiste et public qui était la préoccupation essentielle des Conventionnels en 1791 et 1793.

En 1936, le projet de loi Jean Zay déplissait ces lois fondatrices mais n’a pas percé et fut même dénoncé comme un « complot socialiste » spoliant les éditeurs.

Derrière le conflit véhément internautes-auteurs, se trouvent de grands intérêts économiques qui étaient actifs dans la grande loi sur les auteurs de 1957, qui fut même désignée comme la loi de l’éditeur Grasset.

La loi de 1985 a ouvert le chemin d’un « copyright à la française », de « l’entreprise auteur », de « l’œuvre sans auteur ».

Cette histoire du droit d’auteur conduit la société civile des auteurs réalisateurs producteurs, l’ARP, pour ses prochaines rencontres de Dijon, à poser la grave question : « La France va-t-elle vers le copyright ? ». L’entaille est déjà faite et fait son chemin, bousculant deux dimensions : premièrement, la dynastie HADOPI ne concerne pas le droit moral, le met donc au coin, susurrant son oubli ; deuxièmement, l’acquis national proclamant « la culture n’est pas une marchandise comme les autres » est mis au placard.

Le 1er août 2007, il faut le savoir, le Président de la République, dans sa lettre de mission à la ministre de la culture d’alors, était clair : « Veillez à ce que les aides publiques aux créations favorisent une offre répondant aux attentes du public », toujours réduit à être un consommateur.

Cette loi ne défend pas les auteurs, à propos desquels le chercheur en communication Pierre Musso vient de révéler : « Si l’on considère le chiffre d’affaires de l’ensemble des industries du spectacle en France et le total des droits d’auteurs sans les droits voisins, on constate que les auteurs ne perçoivent que 1 % de l’ensemble. » On a donc discuté pendant 208 heures et vingt minutes sur le 1 % des auteurs soi-disant privilégiés, et ignoré ceux qui émargent à 99 %.

Cela donne une piste parmi d’autres pour la mission que vous avez confiée, monsieur le ministre, à trois personnes, dont je regrette que deux représentent les affaires, c'est-à-dire soient majoritaires.

Il y a un équilibre nouveau à définir entre les parts respectives des droits revenant aux auteurs et aux artistes et aux industries culturelles. Cela étant, pour la création, ce « bien commun », il faut d’autres financements.

Pour le numérique, je répéterai inlassablement l’idée de Georges Balandier : « Nous sommes dans l’obligation de civiliser les nouveaux nouveaux mondes issus de l’œuvre civilisatrice. » « L’alliance avec les techniques se négocie ainsi continuellement, celles-ci requièrent moins des utilisateurs fascinés ou apeurés que des sujets éclairés, vigilants et critiques. »

Je ne suis ni prophète technologique ni ignorant qu’au carrefour où se trouve la société il y a des routes d’avenir et des routes du passé. La loi HADOPI est en « retard d’avenir », mutile un grand héritage, le droit d’auteur – il ne lui rapporte rien – et n’est pas à mi-côte pour apprécier le grand dérangement qu’est le numérique.

Le Gouvernement est dans un dédale, un dépaysement. Les commissions créées n’ont pas fait place aux auteurs et aux artistes, aux internautes, aux chercheurs et aux journalistes. Ces concertations sont comme le pont d’Avignon : elles ne vont pas jusqu’à l’autre berge. Certes, on y danse mais en rond. (M. Nicolas About sourit.) L’heure est d’atteindre l’autre rive, en écoutant les uns et les autres, l’inconnu, la découverte. Les puissants écoutent certes, mais beaucoup plus qu’ils ne lisent. Ils sont entourés de conseillers leur fournissant leur savoir par l’oreille. Dans l’individualisme contemporain, la surdité est devenue structurelle. L’excès d’information se transforme en bruit, en brouhaha qui provoque la confusion et laisse échapper ce qu’Yves Bonnefoy appelle « l’énigme du dehors ». Devant ce qui fait souvent naître le renoncement, le poète ajoute que « doit renaître la relation humaine à partir d’un état de dispersion ».

C’est pourquoi, le 28 septembre prochain, les états généraux de la culture – nés en 1987 et évoquant déjà ces problèmes – réuniront ici même toutes les parties, pour un travail s’acharnant, avec respect mutuel, à dépasser les fractures et les procès en tradition. Il faut rassembler les énergies de tous les amoureux de la création autour d’un commun désir : mettre à jour une responsabilité publique et sociale. C’est un travail inouï, que nous avons proposé vainement depuis la loi DAVDSI : relever le grand défi, c'est-à-dire l’acculturation, l’appropriation sociale, artistique et théorique des techniques contemporaines et du passage à une économie et à une culture de l’immatériel.

Le 28 septembre est une continuité qui fixera un calendrier jusqu’en juin 2010, car nous cherchons non pas un truc, une ficelle ou du sparadrap, mais des solutions qui assument courageusement les contradictions.

Nous sommes à quelques jours de l’anniversaire de la chute du Mur de Berlin. Étant donné mon histoire personnelle, j’y attache une importance extrême. La meilleure mise en mots que j’ai trouvée de cet événement de première grandeur est de Claudio Magris. Partant de la certitude que « 1989 marquerait la fin de l’histoire, phrase qui, à l’époque déjà, ne pouvait avoir sa place que dans le sottisier de Flaubert », Claudio Magris ajoute : « 1989, tout au contraire, a dégelé l’Histoire qui était restée un réfrigérateur pendant des décennies. Et celle-ci s’est déchaînée en un enchevêtrement d’émancipation et de régression souvent inséparables ».

Le travail à faire est un travail d’émancipation et malheureusement votre loi tient plus d’une loi de régression, qui ne s’est même pas donnée, prudence élémentaire dans un domaine où évoluent si vite les usages et les techniques, un outil de suivi, des rendez-vous d’évaluation, une revisitation permanente. Le groupe CRC-SPG votera donc contre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Alima Boumediene-Thiery et M. David Assouline applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà de nouveau dans la saga HADOPI, et j’espère qu’elle prendra fin aujourd’hui.

Depuis le début, nous n’avons pas changé d’avis. Le texte est, nous semble-t-il, encore plus équilibré que la première fois. Il est pédagogique et améliore la protection individuelle. Des progrès ont vraiment été réalisés, mais, comme je l’ai dit précédemment, on peut avoir aussi le sentiment que nous construisons un peu la ligne Maginot de l’informatique. Nous en mesurons la nécessité et en même temps l’impuissance. Toutefois, monsieur le ministre, vous l’avez évoqué, la commission que vous mettez en place est nécessaire pour aller plus loin.

Par conséquent, le groupe du RDSE, conformément à sa position initiale, ne s’opposera pas à ce texte. En effet, il est urgent qu’un texte rappelle qu’internet n’est pas un espace de non-droit – il faut le dire et le réaffirmer ! Il est également urgent de rappeler que le téléchargement est un vol, et pas autre chose. Enfin et surtout, – c’est peut-être la raison majeure pour laquelle notre groupe ne s’opposera pas à ce texte – nous voulons dire aux créateurs et aux artistes que nous sommes de leur côté. (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Catherine Morin-Desailly et M. Nicolas About applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’avais préparé une intervention, mais en la relisant je me suis dit que j’avais déjà avancé maintes fois ces arguments depuis quatre ans et qu’il valait mieux me situer dans le débat de demain et réagir aux propos de M. le ministre.

De nombreux malentendus doivent être levés. Ainsi, à entendre M. le ministre, il est clair que les sénateurs socialistes partagent quelques-unes des idées de départ et des objectifs d’arrivée.

Première idée : la création, les ayants droit, les auteurs doivent avoir la juste rémunération de leur travail. La création, comme la culture en général, n’est pas gratuite, elle doit être rémunérée.

Deuxième idée : en général, et pas seulement dans le domaine de la création, l’argumentation que vous avez soulevée, monsieur le ministre, concernant internet et sa régulation, nécessite un débat parlementaire sérieux sur l’ensemble du champ car c’est un gigantesque espace d’échanges. J’ai réalisé un rapport sur l’impact des nouveaux médias sur la jeunesse, en particulier internet, qui pointe un certain nombre de problèmes relatifs à la protection de l’enfance, à l’éducation, à l’information, à sa régulation, à la culture. Nous devons réguler.

Troisième idée : la culture doit trouver ses financements.

Cependant, nous sommes en désaccord sur les moyens pour y parvenir. Il y a eu la loi DADVSI et, au lieu de parler en théorie, on devrait relire les débats de l’époque. Nous avions auditionné des industriels notamment, qui nous disaient : il faut vite bâtir une digue, nos ventes sont en chute libre. On nous disait, surtout dans le domaine de la musique – le cinéma se sentait un peu plus protégé –, que l’économie était en train de s’écrouler, mais on nous promettait des offres alternatives au piratage sur internet, c’est-à-dire des offres à bas prix pour tous ceux qui avaient pris l’habitude d’avoir de la musique gratuitement. Ce passage était nécessaire et les DRM, nous disait-on, constitueraient une dissuasion et le moyen technique empêchant ce piratage.

Mais, comme nous l’avions prévu à l’époque, tout est tombé à l’eau : les DRM n’existent plus. Il faudrait parfois nous rendre grâce de certains avertissements !

Ensuite, les majors notamment, qui voyaient les choses comme toujours à courte vue et par rapport à des bénéfices immédiats, ont attendu d’épuiser leurs vinyles avant de commencer à travailler à des offres plus accessibles pour les jeunes en particulier. Ils ont formulé des offres qui paraissent, aujourd’hui, au regard du mode de consommation, beaucoup trop chères. Ces offres ne sont donc pas une alternative.

À l’époque, le cinéma nous disait : nous ne sommes pas trop touchés, car il était protégé par quelque chose de fondamental dans notre pays, la chronologie des médias. Les techniques ne permettaient pas des téléchargements en haut débit suffisamment rapides pour que ce soit un phénomène massif : des jeunes qui voulaient pirater un film mettaient une, deux, voire trois nuits pour le télécharger.

Les technologies ont évolué. Aujourd'hui, il y a HADOPI, mais la logique reste la même. Internet est devenu une déferlante : des dizaines de millions de personnes se connectent. Avec le haut débit et des technologies qui ne cessent de progresser, une grande partie de la consommation passe par cet élément virtuel. On peut même maintenant y commander ses courses au supermarché.

C’est un nouveau mode de consommation qui s’est installé. Mais, en matière cinématographique et musicale, il n’existe pas de réelle offre commerciale qui réponde aux besoins nés de l’utilisation de cet outil par les jeunes.

On nous demande de légiférer pour sanctionner le téléchargement illégal. Je ne peux qu’applaudir à cette initiative mais, très franchement, mes chers collègues, même si nous ne pouvons pas le reconnaître ouvertement dans cet hémicycle parce que nous voulons tous ici que la loi soit dissuasive et soit respectée, nous qui participons à ce débat savons parfaitement – y compris vous, monsieur le ministre ! – qu’il ne s’agit là que de gagner un peu de temps, avant d’envisager d’autres mesures.

Depuis quatre ans, nous aurions dû nous concentrer sur l’essentiel : que va-t-il se passer dans les dix ans à venir ? Comment va-t-on élaborer, étape après étape, un nouveau modèle de rémunération de la création ? Nous n’aurions pas perdu notre temps à inventer des digues qui n’en sont pas, et ce pour de multiples raisons.

La loi a été décortiquée, vous faites souvent une comparaison, qui vaut ce qu’elle vaut, avec les chauffards. Le législateur aurait-il pensé que le système actuellement mis en place pour sanctionner les dépassements de vitesse était le bon s’il s’était agi de contrôler virtuellement plusieurs millions de personnes qui ont pour habitude de ne pas respecter les limitations de vitesse ? S’il avait pensé rencontrer des difficultés à trouver la personne incriminée et à avoir la preuve irréfutable du délit afin que la justice exerce son pouvoir de sanction, il aurait certainement prévu un système tout autre que celui-là ! On ne peut donc pas faire de comparaison, car il ne s’agit pas du tout de la même chose.

Aurait-on prévu les mêmes moyens de dissuasion si les contrevenants ne mettaient pas en danger leur vie et celle d’autrui ? Car c’est bien la prévention qui est mise en avant dans toutes les campagnes sur la sécurité routière ! Or, en matière de téléchargement illégal, personne n’a l’impression de mettre en danger sa vie ou celle d’autrui.

Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui affirment que des pays nous imitent. Pour ma part, je connais un pays qui nous a précédés, et que l’on oublie souvent, je veux parler de la Suède.

La Suède a mis en place un système semblable à celui qui est proposé dans le texte HADOPI, en essayant de tout concilier. Or qu’a-t-on constaté ? Les effets escomptés – ceux que vous souhaitez également, monsieur le ministre –, à savoir une baisse du nombre de téléchargements illicites et une légère remontée des ventes, ont duré six mois. Ensuite, il y a eu non seulement un rattrapage de ces six mois, mais également une progression constante équivalant à la situation antérieure. J’en ai d’ailleurs parlé avec Nathalie Kosciusko-Morizet, qui suit bien tous les dossiers concernant internet.

Légiférer dans ce cadre en sachant que la loi ne sera pas réellement appliquée – parfois on peut se tromper mais, en l’occurrence, nous savons que nous ne nous trompons pas ! – n’est pas de bonne pédagogie. Cela revient à faire pénétrer dans l’esprit des citoyens, notamment des jeunes, l’idée selon laquelle la loi n’est pas faite pour être appliquée et ils peuvent s’en émanciper.

Beaucoup d’arguments ont été échangés, mais, vous le savez bien, mes chers collègues, les 50 000 avertissements sont une goutte d’eau, une réelle goutte d’eau ! Je ne sais pas s’ils auront un caractère dissuasif. En tout cas, tous ne seront pas traités.

En effet, en vertu des principes du droit et de la décision du Conseil constitutionnel, en cas de contestation, il reviendra à la justice d’apporter la preuve de l’infraction, après instruction, même rapide. Imaginez donc les moyens nouveaux qu’il faudra y consacrer, alors même que les tribunaux sont déjà engorgés par les affaires courantes, certaines d’entre elles n’étant traitées qu’après plusieurs années d’attente.

Les moyens dont dispose la justice sont déjà insuffisants ; la société n’est pas prête à accepter de les consacrer à une action qui, de surcroît, ne sera pas efficace.

Nous avons le même objectif que vous, monsieur le ministre, à savoir préserver les auteurs. Selon vous, le dispositif que vous proposez sera efficace. Eh bien, prenons rendez-vous prochainement ! Ne perdons pas de temps avec la commission de trois personnes que vous avez mise en place. Je conteste cette méthode, car il faut engager un vrai débat national avec tous les acteurs concernés qui portent un intérêt à la culture, les citoyens et les pouvoirs publics.

À cet égard, je tiens à vous interpeller, monsieur le ministre, sur la réforme des collectivités territoriales. Tous les jours, les transferts de charges imposés aux collectivités locales ont des conséquences fâcheuses sur la culture, notamment les arts vivants, et donc sur les créateurs. Une fois que les collectivités se sont acquittées de toutes les dépenses obligatoires que l’État devait prendre en charge, leur marge de manœuvre est si faible qu’elles se sentent obligées de rogner sur les programmes culturels. Or il y a là des choses à faire.

Je ne veux pas accuser les fournisseurs d’accès – je souhaite qu’ils continuent à se développer –, qui profitent aujourd'hui de l’explosion de la diffusion culturelle sur internet. Lorsque la radio a été inventée, c’est elle qui rémunérait les auteurs. On ne lui a pas laissé le choix de faire ce qu’elle voulait, un système a été mis en place. Aujourd'hui, il faut expliquer aux fournisseurs d’accès que si les internautes sont aussi nombreux à surfer sur internet et à s’abonner, c’est parce ceux-ci y trouvent de la diffusion culturelle et une information, et qu’ils doivent donc apporter leur obole à une contribution créative et à l’information afin qu’elle soit libre et indépendante. Voilà quels sont les chantiers de demain !

La mission que vous avez proposée, cette première étape, permettra-t-elle de débroussailler le terrain ? En réalité, il faut réunir autour de la table tous les acteurs concernés, dont les intérêts sont parfois divergents – les entreprises de musique, de cinéma, les créateurs, les pouvoirs publics, les fournisseurs d’accès, les radios, les télévisions – afin d’inventer un système non pas pour six mois, mais qui soit à la hauteur de la fantastique révolution du numérique qui embrase actuellement le monde. Tous les regards seront alors portés sur nous, car nous aurons traité cette question au fond !

Il s’agit là d’une révolution comparable à la révolution industrielle. Lors du passage du charbon à l’électricité, on a cherché à protéger les anciens métiers, ceux qui pouvaient alors être fragilisés, tout en concevant le système qui allait s’imposer, avec ses nouvelles régulations. Alors que le monde était en train de changer en profondeur, on n’a pas pensé qu’il fallait s’accrocher à ce qui existait déjà. Voilà ce que nous devons également faire aujourd'hui avec internet, et c’est à ce chantier que nous voulons nous atteler avec vous, monsieur le ministre. Mais, de grâce, arrêtons de croire que nous allons régler le problème avec cette loi : nous aurons encore perdu beaucoup de temps. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas.

Mme Catherine Dumas. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission de la culture, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je reviendrai, pour ma part, au sujet qui nous occupe aujourd'hui, à savoir la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet.

Nous voici donc parvenus à l’étape ultime qui permettra de mettre en place le dispositif de protection des droits d’auteur, très attendu des artistes et de tous les professionnels touchés par le « piratage ».

En effet, il est incontestable que le téléchargement illégal, s’il est transformé en un véritable comportement social de masse, entraîne automatiquement un manque à gagner considérable pour les créateurs, et constitue donc une menace pour les 130 000 Français qui travaillent dans le secteur de l’audiovisuel et du spectacle vivant.

Dans le domaine de la musique, le chiffre d’affaires des disques compact a diminué de 50 % en six ans ; les effectifs des maisons de production ont baissé de 30 % et le nombre des contrats de nouveaux artistes chute de 40 % chaque année. Les premières victimes sont non pas les majors, comme certains l’ont dit, mais les indépendants : 99 % des maisons de disques comptent moins de vingt salariés.

Concernant le cinéma, les téléchargements illégaux sont aussi nombreux que les entrées en salles, à savoir 450 000 par jour !

Le téléchargement illégal ruine les filières culturelles de notre pays. La loi HADOPI, complétée par ce second texte, est la suite logique des accords de l’Élysée de l’automne 2007, lesquels faisaient déjà suite au rapport de mission confiée à Denis Olivennes. Le Gouvernement s’appuie donc sur un texte approuvé par la quasi-totalité des milieux artistiques et culturels : auteurs connus ou moins connus, compositeurs, artistes, producteurs, réalisateurs et acteurs du monde audiovisuel.

Si nous sommes aujourd’hui réunis, c’est pour mettre le dispositif HADOPI en conformité avec la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 10 juin dernier, en vertu de laquelle la décision de suspension de l’abonnement en cas de téléchargement illégal ne pourra être du ressort d’une autorité administrative indépendante – la HADOPI – et devra nécessairement être prononcée par un magistrat.

Cette décision nous oblige à modifier le projet initial : le Gouvernement souhaitait, en effet, éviter au contrevenant la voie pénale. Il distinguait bien la situation du fraudeur occasionnel, relevant de l’autorité administrative de la HADOPI, du cas plus grave du fraudeur « massif » ou se livrant au piratage dans un but lucratif, jugé pour contrefaçon par les tribunaux.

Comme il n’est pas possible d’éviter une judiciarisation de la procédure, le Gouvernement s’est attaché à mettre en place un dispositif simple et rapide, qui demeure proportionné à la nature de la fraude.

Je tiens à souligner que le Conseil constitutionnel n’a pas abordé avec l’accès à internet la question du droit fondamental. Le cœur du dispositif mis en place par la loi « création et internet » demeure donc, fort heureusement, celui d’une « riposte graduée ». Cela doit être rappelé aux opposants à la loi, qui prétendaient que le Gouvernement menaçait les libertés individuelles.

Concrètement, l’internaute responsable de téléchargements illégaux recevra un premier courriel d’avertissement. S’il n’en tient pas compte, il en recevra un second, accompagné d’une lettre recommandée à son domicile. Ces recommandations visent à expliquer à l’internaute que la loi doit être respectée, y compris sur internet, et qu’il peut charger des fichiers de manière légale, ce qui permet de financer la création en France, et donc de rémunérer les artistes qu’il apprécie ! Enfin, s’il persiste, une sanction adaptée pourra être prise par le juge après transmission du dossier au parquet par la Haute Autorité, le juge pouvant fonder sa décision soit sur le délit de contrefaçon, soit sur la contravention pour négligence caractérisée. Une nouvelle peine est créée, la suspension de l’abonnement internet.

Ce dispositif est judicieux : il restaure la crédibilité de la sanction dans l’esprit des internautes ; certains ont parlé de « pédagogie ». Il est ainsi particulièrement dissuasif et devrait limiter les contentieux. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, la sanction ne tombera pas du jour au lendemain, il faudra vraiment s’entêter pour la subir.

Je me réjouis que des amendements substantiels adoptés par le Sénat et l’Assemblée nationale apportent des garanties supplémentaires aux internautes concernés.

Notre commission, sous l’impulsion de son président Jacques Legendre, a ainsi souhaité clarifier la situation du titulaire de l’abonnement internet « négligent » n’ayant pas protégé suffisamment son accès à internet, en prévoyant un avertissement par courrier recommandé préalablement à toute sanction.

Elle s’est également attachée à éviter des sanctions disproportionnées : le fraudeur qui se réabonnera malgré la décision de suspension n’encourra pas une peine d’emprisonnement.

J’adhère également aux garanties proposées pour protéger la vie privée, notamment l’effacement des données personnelles une fois la période de suspension d’abonnement terminée ou encore, en cas de négligence, l’absence d’inscription de la sanction de suspension au bulletin n°3 du casier judiciaire, qui est accessible aux employeurs.

Je souhaite donc féliciter notre rapporteur, M. Michel Thiollière, qui s’est beaucoup investi dans l’étude des deux textes de loi, en assurant le respect des droits de chacun.

Je tiens également à féliciter le ministre de la culture et de la communication non seulement pour sa brillante intervention, mais également pour sa détermination à engager maintenant une réflexion plus globale sur la rémunération des créateurs et le financement des industries culturelles à l’ère du numérique.

Cela montre à notre collègue David Assouline, que j’ai trouvé très pessimiste, que, si la loi était une étape obligatoire, la réflexion sur l’espace internet ne fait en vérité que commencer. Nous ne pouvons donc que nous réjouir d’avoir à nous revoir prochainement.

Comme le rappelait le Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles le 22 juin dernier, « en défendant le droit d’auteur, nous ne défendons pas seulement la création artistique, nous défendons aussi l’idée que nous nous faisons d’une société de liberté, où la liberté de chacun est fondée sur le respect du droit des autres ». Notre groupe, qui adhère bien entendu pleinement à ces propos, votera bien évidemment ce texte. (Applaudissements sur les travées de lUMP et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le texte dont nous sommes saisis aujourd’hui est le résultat du parcours chaotique de la loi HADOPI, dont le Conseil constitutionnel n’a pas manqué de souligner, dans sa décision du 10 juin 2009, les graves insuffisances et les travers.

Si de nombreuses réserves d’ordre juridique demeurent sur ce texte – je pense, par exemple, au respect des droits de la défense ou au recours à la procédure de l’ordonnance pénale –, je me permettrai toutefois une réserve d’ordre plus général, qui concerne la philosophie même du texte.

Nous regrettons profondément le choix d’une criminalisation du téléchargement sur internet et l’absence d’une réflexion plus poussée sur les moyens et les outils destinés à mieux rémunérer les artistes.

Selon nous, le véritable enjeu du débat était de construire une synergie acceptable entre, d’une part, le droit pour tous d’accéder à une culture diverse et, d’autre part, le financement de la création assurant aux artistes une rémunération équitable de leurs œuvres. Permettez-moi de vous dire qu’avec ce texte nous passons à côté d’un tel enjeu !

Réduisant le droit d’accès à la culture à un désir irréalisable, le Gouvernement a préféré s’attacher avant tout à sanctionner l’internaute, repoussant aux calendes grecques la vraie réflexion qui devait être menée, celle du droit d’accès à la culture et de la rémunération équitable des auteurs.

Non, monsieur le ministre, nous ne sommes pas des démagogues. Nous sommes convaincus que vous avez raté l’occasion d’un vrai débat de société entre la jeunesse et les artistes.

Non, monsieur le ministre, nous n’avons pas pu avoir ce débat. En effet, à la mutualisation des connaissances et des financements, le Gouvernement a préféré la criminalisation, sans aucune compensation pour les auteurs et les artistes. Or nous sommes convaincus qu’un équilibre aurait pu être trouvé ailleurs que devant le prétoire du juge...

Notre position n’est pas d’affirmer que la culture doit être gratuite. Il ne faut pas pratiquer l’amalgame, ni semer l’ambiguïté, monsieur le ministre. Même si c’est une technique, les citoyens, les créateurs et les auteurs ne sont pas dupes ! Nous disons seulement qu’il faut inventer des outils afin de concilier, sans parti pris, les intérêts de ceux qui n’ont pas toujours les moyens d’acheter et de ceux qui ont besoin de vendre pour créer.

Contrairement à ce que prétendent certains, ce qui motive notre démarche d’opposition à ce texte, c’est non pas de vouloir la gratuité sans condition sur internet, mais justement de soutenir les créateurs tout en encourageant le public, du mélomane au spectateur, à accéder à la culture dans les meilleures conditions.

Ce qui nous motive, c’est encore de donner aux artistes et aux créateurs la liberté de choisir le modèle qui leur permettrait au mieux d’assurer leur rémunération, tout en leur garantissant une diffusion maximale.

Or qu’apporte ce texte à la création, au public et à la culture ? Rien, si ce n’est le sentiment que la culture est devenue une affaire de tribunaux, où le plaisir, la découverte et le partage deviennent des infractions caractérisées. Le seul objectif est de satisfaire les sociétés de perception et les bénéficiaires des droits d’exploitation !

Nous sommes bien conscients que les auteurs sont en demande de protection. Mais n’aurait-il pas fallu, alors, plutôt développer les solutions existantes en les adaptant quelque peu ?

Je songe, par exemple, à la plateforme publique de téléchargement, votée ici même au Sénat lors de la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite « loi DADVSI ». Cette proposition, qui aurait pu constituer un socle de réflexion précieux, est restée lettre morte, faute de décret.

Je songe également à d’autres solutions mises en œuvre par des acteurs majeurs de la culture. Par exemple, la plate-forme Création Publique et Internet a développé un modèle de diffusion des œuvres qui assure à la fois un accès à la culture pour tous et un financement équitable pour les artistes et les créateurs.

Fondé sur la concertation et le dialogue, ce projet vise au financement mutualisé de la création, adossé à une licence collective autorisant les échanges d’œuvres numériques entre individus.

Cinq euros par mois et par internaute suffiraient pour engranger 1,2 milliard d’euros de revenus pour la création ! Cette somme serait affectée, pour partie à la rémunération des contributeurs à la création des œuvres échangées sur internet – auteurs, détenteurs de droits voisins – et pour partie à la création à venir.

Mes chers collègues, nous n’avons pas pu réellement discuter de ces propositions, qui étaient pourtant de vraies solutions concrètes.

Nous avons été privés de ce débat puisque, dès le départ, le Gouvernement a souhaité axer son projet autour de la sanction.

La sanction administrative qui figurait dans le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet s’est muée en sanction pénale impersonnelle dans ce texte, chargeant au passage des officines privées du soin de récolter des preuves, qui, pourtant, incombent normalement à l’autorité judiciaire.

Nous aurions souhaité que, pour une fois, le Gouvernement sorte de cette culture de la punition afin d’aborder le problème de manière moins conflictuelle.

Monsieur le ministre, il faut sortir de cette spirale qui consiste à penser que la régulation pénale et répressive est la solution à tout !

Comme dans de nombreux domaines où le Gouvernement est intervenu, on se rendra bientôt compte que la solution adoptée aujourd’hui est un leurre, qu’elle est impraticable et qu’elle générera plus de problèmes qu’elle n’en réglera.

Les sénatrices et les sénateurs Verts voteront contre les conclusions de la commission mixte paritaire, car, pour eux, on n’a pas réussi à relever le défi culturel et social qui était en jeu ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Mes chers collègues, je vous rappelle qu’en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement aucun amendement n’est recevable, sauf accord du Gouvernement.

M. Ivan Renar. Hélas ! (Rires.)

M. le président. En outre, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l’Assemblée nationale, il statue par un seul vote sur l’ensemble du texte.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
(Texte de l'Assemblée nationale)

Article 1er

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Article 1er ter

(Texte de l'Assemblée nationale)

Après l'article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, il est inséré un article L. 331-21-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 331-21-1. - Les membres de la commission de protection des droits, ainsi que ses agents habilités et assermentés devant l'autorité judiciaire mentionnés à l'article L. 331-21, peuvent constater les faits susceptibles de constituer des infractions prévues au présent titre lorsqu'elles sont punies de la peine complémentaire de suspension de l'accès à un service de communication au public en ligne mentionnée aux articles L. 335-7 et L. 335-7-1.

« Ils peuvent en outre recueillir les observations des personnes concernées. Il est fait mention de ce droit dans la lettre de convocation.

« Lorsque les personnes concernées demandent à être entendues, ils les convoquent et les entendent. Toute personne entendue a le droit de se faire assister d'un conseil de son choix.

« Une copie du procès-verbal d'audition est remise à la personne concernée. »

....................................................................................................

(Texte de l'Assemblée nationale)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
(Texte de l'Assemblée nationale)

Article 1er ter

Article 1er ter
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Article 1er quater

(Texte de l'Assemblée nationale)

Le code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 précitée est ainsi modifié :

1° La première phrase du premier alinéa de l'article L. 331-26 est complétée par les mots : « et l'avertissant des sanctions encourues en application des articles L. 335-7 et L. 335-7-1 » ;

1° bis À la dernière phrase du deuxième alinéa de l'article L. 331-26, le mot : «  peut » est remplacé par le mot : « doit » ;

1° ter  À la dernière phrase du deuxième alinéa de l'article L. 331-26, les mots : « d'envoi » sont remplacés par les mots : « de présentation » ;

2° La seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 331-35 est complétée par les mots : « et en application de l'article L. 335-7-1 ».

(Texte de l'Assemblée nationale)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
(Texte de l'Assemblée nationale)

Article 1er quater

Article 1er quater
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Article 1er quinquies

(Texte de l'Assemblée nationale)

L'article L. 331-36 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 précitée est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La personne dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne est tenue d'informer la commission de protection des droits de la date à laquelle elle a débuté la suspension ; la commission procède à l'effacement des données à caractère personnel relatives à l'abonné dès le terme de la période de suspension. »

(Texte de l'Assemblée nationale)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
(Texte de l'Assemblée nationale)

Article 1er quinquies

Article 1er quinquies
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Article 2

(Texte de l'Assemblée nationale)

Au deuxième alinéa de l'article L. 331-37 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 précitée, les mots : « et de tous les actes de procédure afférents » sont remplacés par les mots : « , de tous les actes de procédure afférents et des modalités de l'information des organismes de défense professionnelle et des sociétés de perception et de répartition des droits des éventuelles saisines de l'autorité judiciaire ainsi que des notifications prévues au cinquième alinéa de l'article L. 335-7 ».

(Texte de l'Assemblée nationale)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
(Texte de l'Assemblée nationale)

Article 2

Article 2
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Article 3

(Texte de l'Assemblée nationale)

I. - Après le onzième alinéa (9°) de l'article 398-1 du code de procédure pénale, il est inséré un 10° ainsi rédigé :

« 10° Les délits prévus aux articles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 du code de la propriété intellectuelle, lorsqu'ils sont commis au moyen d'un service de communication au public en ligne. »

II. - Après l'article 495-6 du même code, il est inséré un article 495-6-1 ainsi rédigé :

« Art. 495-6-1. - Les délits prévus aux articles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 du code de la propriété intellectuelle, lorsqu'ils sont commis au moyen d'un service de communication au public en ligne, peuvent également faire l'objet de la procédure simplifiée de l'ordonnance pénale prévue par la présente section.

« Dans ce cas, la victime peut demander au président de statuer, par la même ordonnance se prononçant sur l'action publique, sur sa constitution de partie civile. L'ordonnance est alors notifiée à la partie civile et peut faire l'objet d'une opposition selon les modalités prévues par l'article 495-3. »

(Texte de l'Assemblée nationale)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
(Texte de l'Assemblée nationale)

Article 3

Article 3
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Article 3 bis

(Texte de l'Assemblée nationale)

Après l'article L. 335-6 du code de la propriété intellectuelle, il est rétabli un article L. 335-7 ainsi rédigé :

« Art. L. 335-7. - Lorsque l'infraction est commise au moyen d'un service de communication au public en ligne, les personnes coupables des infractions prévues aux articles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 peuvent en outre être condamnées à la peine complémentaire de suspension de l'accès à un service de communication au public en ligne pour une durée maximale d'un an, assortie de l'interdiction de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur un service de même nature auprès de tout opérateur.

« Lorsque ce service est acheté selon des offres commerciales composites incluant d'autres types de services, tels que services de téléphonie ou de télévision, les décisions de suspension ne s'appliquent pas à ces services.

« La suspension de l'accès n'affecte pas, par elle-même, le versement du prix de l'abonnement au fournisseur du service. L'article L. 121-84 du code de la consommation n'est pas applicable au cours de la période de suspension.

« Les frais d'une éventuelle résiliation de l'abonnement au cours de la période de suspension sont supportés par l'abonné.

« Lorsque la décision est exécutoire, la peine complémentaire prévue au présent article est portée à la connaissance de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, qui la notifie à la personne dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne afin qu'elle mette en œuvre, dans un délai de quinze jours au plus à compter de la notification, la suspension à l'égard de l'abonné concerné.

« Le fait, pour la personne dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne, de ne pas mettre en œuvre la peine de suspension qui lui a été notifiée est puni d'une amende maximale de 5 000 €.

« Le 3° de l'article 777 du code de procédure pénale n'est pas applicable à la peine complémentaire prévue par le présent article. »

(Texte de l'Assemblée nationale)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
(Texte de l'Assemblée nationale)

Article 3 bis

Article 3 bis
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Article 3 ter A

(Texte de l'Assemblée nationale)

Après l'article L. 335-6 du code de la propriété intellectuelle, il est inséré un article L. 335-7-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 335-7-1. - Pour les contraventions de la cinquième classe prévues par le présent code, lorsque le règlement le prévoit, la peine complémentaire définie à l'article L. 335-7 peut être prononcée selon les mêmes modalités, en cas de négligence caractérisée, à l'encontre du titulaire de l'accès à un service de communication au public en ligne auquel la commission de protection des droits, en application de l'article L. 331-25, a préalablement adressé, par voie d'une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date de présentation, une recommandation l'invitant à mettre en œuvre un moyen de sécurisation de son accès à Internet.

« La négligence caractérisée s'apprécie sur la base des faits commis au plus tard un an après la présentation de la recommandation mentionnée à l'alinéa précédent.

« Dans ce cas, la durée maximale de la suspension est d'un mois.

« Le fait pour la personne condamnée à la peine complémentaire prévue par le présent article de ne pas respecter l'interdiction de souscrire un autre contrat d'abonnement à un service de communication au public en ligne pendant la durée de la suspension est puni d'une amende d'un montant maximal de 3 750 €. »

(Texte de l'Assemblée nationale)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
(Texte de l'Assemblée nationale)

Article 3 ter A

Article 3 ter A
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Article 4

(Texte de l'Assemblée nationale)

Après l'article L. 335-6 du code de la propriété intellectuelle, il est inséré un article L. 335-7-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 335-7-2. - Pour prononcer la peine de suspension prévue aux articles L. 335-7 et L. 335-7-1 et en déterminer la durée, la juridiction prend en compte les circonstances et la gravité de l'infraction ainsi que la personnalité de son auteur, et notamment l'activité professionnelle ou sociale de celui-ci, ainsi que sa situation socio-économique. La durée de la peine prononcée doit concilier la protection des droits de la propriété intellectuelle et le respect du droit de s'exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile. »

....................................................................................................

(Texte de l'Assemblée nationale)
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(Texte de l'Assemblée nationale)

Article 4

Article 4
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Article 4 bis

(Texte de l'Assemblée nationale)

Le premier alinéa de l'article 434-41 du code pénal est complété par les mots : «, d'interdiction de souscrire un nouveau contrat d'abonnement à un service de communication au public en ligne résultant de la peine complémentaire prévue en matière délictuelle par l'article L. 335-7 du code de la propriété intellectuelle ».

(Texte de l'Assemblée nationale)
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(Texte de l'Assemblée nationale)

Article 4 bis

Article 4 bis
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

(Texte de l'Assemblée nationale)

I. - Le code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 précitée est ainsi modifié :

A. - À l'article L. 331-17, la référence : « L. 331-26 » est remplacée par la référence : « L. 331-25 » ;

B. - Aux articles L. 331-5, L. 331-6, L. 331-7, L. 331-41, L. 331-44 et L. 342-3-1, la référence : « L. 331-39 » est remplacée par la référence : « L. 331-31 » ;

C. - Aux articles L. 331-5 et L. 331-44, la référence : « L. 331-40 » est remplacée par la référence : « L. 331-32 » ;

D. - Aux articles L. 331-6, L. 331-39 et L. 342-3-1, les références : « L. 331-41 à L. 331-43 et L. 331-45 » sont remplacées par les références : « L. 331-33 à L. 331-35 et L. 331-37 » ;

E. - Les articles L. 331-26, L. 331-32, L. 331-35, L. 331-36, L. 331-37, L. 331-38, L. 331-39, L. 331-40, L. 331-41, L. 331-42, L. 331-43, L. 331-44 et L. 331-45 deviennent respectivement les articles L. 331-25, L. 331-26, L. 331-27, L. 331-28, L. 331-29, L. 331-30, L. 331-31, L. 331-32, L. 331-33, L. 331-34, L. 331-35, L. 331-36 et L. 331-37.

II. - Au II de l'article 19 de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 précitée, la référence : « L. 331-45 » est remplacée par la référence : « L. 331-37 ».

III. - Au second alinéa du 1 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, la référence : « L. 331-32 » est remplacée par la référence : « L. 331-26 ».

....................................................................................................

M. le président. Sur les articles 1er à 4 bis, je ne suis saisi d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?...

Le vote est réservé.

Vote sur l'ensemble

(Texte de l'Assemblée nationale)
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. le président de la commission de la culture, pour explication de vote.

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’espère que nous écrivons aujourd'hui la dernière page d’une discussion qui nous a mobilisés à plusieurs reprises depuis presque un an. Le Sénat a su se rassembler pour marquer, sur toutes les travées, sa volonté d’assurer la protection de la propriété littéraire et artistique.

Nous pensions, d’une part, que ce grand principe né au siècle des Lumières, datant donc maintenant de deux siècles, et reconnu à l’époque comme un grand progrès, n’avait rien perdu de sa valeur de fond. C’est pourquoi il nous paraissait, aux uns et aux autres, nécessaire de légiférer, même si nous savions combien il est techniquement difficile de trouver un équilibre et de combattre une fraude de délinquance – appelons-la par son nom – astucieuse.

M. David Assouline. C’est bon !

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Toutefois, mes chers collègues, même si une délinquance est astucieuse, notre rôle est-il de renoncer à la combattre ? Au contraire !

Nous pensions, d’autre part, qu’il ne fallait pas seulement s’opposer à la manifestation d’un désir de culture qui ne tient pas compte des droits des créateurs. Vient un moment où, compte tenu des techniques, l’offre doit être accessible au plus grand nombre.

Je prendrai un exemple très simple. À l’époque où j’étais étudiant, monsieur le ministre,...

M. Jean-Pierre Plancade. C’était hier ! (Sourires.)

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Effectivement ! (Nouveaux sourires.)

À cette époque, nous avions, les uns et les autres, le goût de la lecture et soif de livres ; mais ces derniers, chers, n’étaient guère accessibles ! C’est l’invention et le développement des livres de poche qui a permis de répondre à cette soif parfaitement justifiée. (M. Jean-Pierre Plancade opine.) Souhaitons aujourd’hui que nous soyons tous capables de trouver l’équivalent pour internet.

Monsieur le ministre, vous nous demandez de voter ce texte complémentaire à la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite HADOPI I, lequel nous contraint à recourir au judiciaire. Certes, c’est ce que nous voulions éviter, mais cela n’est pas de notre fait et, selon nous, il est vraiment nécessaire de trouver une solution pour que les jeunes qui ont peu de moyens puissent, par le biais d’internet, accéder aux formes contemporaines de la culture. Nous sommes donc très satisfaits de votre volonté de mettre en place une commission. Nous lui souhaitons de faire un bon travail. Pour notre part, nous serons très mobilisés pour participer à cette réflexion.

Aujourd'hui, mes chers collègues, il nous faut compléter le dispositif HADOPI. Et, s’il faut nous revoir pour trouver des solutions concrètes, je ne doute pas que le Sénat tout entier sera au rendez-vous. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte proposé par la commission mixte paritaire.

(Le projet de loi est adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
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4

Candidatures à des commissions

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe socialiste a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission de l’économie, de l’aménagement du territoire et du développement durable, en remplacement d’André Lejeune, décédé.

J'informe également le Sénat que le groupe de l'Union centriste a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, en remplacement de M. Michel Mercier, dont le mandat de sénateur a cessé.

Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l'article 8 du règlement.

5

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour un rappel au règlement.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la rentrée parlementaire augure mal des conditions dans lesquelles notre assemblée va être amenée à travailler.

Le projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie aura bénéficié de la création d’une commission spéciale, ce qui est une bonne chose. Cette dernière aura travaillé à la toute fin de la session extraordinaire de juillet dernier, reprenant ses auditions avant la fin du mois d’août, ou plutôt, devrais-je dire, reprenant les auditions menées par son rapporteur, lequel a bien voulu les ouvrir à tous. Il n’en demeure pas moins que, malgré les efforts du rapporteur et des administrateurs du Sénat pour nous faciliter le travail, il n’est plus acceptable, dans un contexte de réforme constitutionnelle censée renforcer le rôle du Parlement et de l’opposition, de travailler dans une telle précipitation.

Cette précipitation s’est accrue du fait du recours du Gouvernement à la procédure accélérée, laquelle a succédé à la procédure d’urgence, dont les effets sont identiques : elle accélère le rythme des débats et prive les parlementaires des quelques avancées obtenues à l’occasion de la réforme constitutionnelle. Texte après texte, leurs nouveaux droits deviennent virtuels.

Il faut y ajouter le court délai – deux jours à peine – entre le moment où le texte issu des travaux de la commission spéciale a été mis en ligne et la date limite pour le dépôt des amendements, alors même que le projet de loi a été, sous l’impulsion de M. le rapporteur, profondément réécrit.

M. Guy Fischer. Il ne faut pas travailler comme cela !

Mme Annie David. Je ne m’attarderai pas sur le déroulement même des travaux de la commission, lesquels ont été suspendus jeudi dernier en fin de matinée durant près de cinq heures, pour permettre à certains de ses membres de participer à un événement élyséen, nous contraignant à reprendre à vingt et une heures, pour suspendre à une heure du matin et nous retrouver le lendemain pendant l’heure du déjeuner.

Par ailleurs, la commission se réunit en ce moment même pour examiner les amendements. Elle poursuivra son travail ce soir et sans doute demain matin.

M. Guy Fischer. C’est inadmissible !

Mme Annie David. Qui plus est, il nous est demandé, en commission, d’aller au plus vite.

Ces conditions de travail ne sont plus acceptables : elles ne permettent pas un travail serein et de qualité. Mme la présidente de la commission spéciale nous a dit ne pas être responsable d’une telle situation, n’étant pas maître de l’emploi du temps. Mais alors, qui l’est ? Qui décide de faire travailler les parlementaires sous pression et dans la précipitation ?

En réalité, cette précipitation fait écho à celle qui a été imposée par le Gouvernement aux partenaires sociaux pour conclure l’accord national interprofessionnel du 7 janvier dernier. C’est à croire que pression, désorganisation et urgence sont devenues les nouvelles méthodes de travail d’un gouvernement qui cherche, plus que jamais, à imposer à tous, y compris à ses propres parlementaires, ses contre-réformes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

6

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie
Discussion générale (suite)

Orientation et formation professionnelle tout au long de la vie

Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

(Texte de la commission spéciale)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (projet n° 578, texte de la commission n° 619, rapport n° 618).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi. Monsieur le président, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux que s’ouvre aujourd’hui la dernière étape du projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie. Ainsi que Mme David vient de le rappeler, ce texte a été examiné par la commission spéciale la semaine dernière. La discussion a été riche, active et nourrie, comme en témoigne la longueur de nos débats, qui ont largement dépassé le temps qui leur avait été imparti. Au final, les améliorations ont été nombreuses, et elles trouvent souvent leur source dans les propositions de M. le rapporteur.

Avant d’aborder le fond du texte, permettez-moi tout d’abord de saluer le travail de la commission. Elle a certes œuvré dans des délais contraints, mais la qualité des débats et des amendements qui ont été déposés montre que le Sénat entend prendre toute sa place dans ce projet.

Je sais en effet que cette question intéresse les sénateurs depuis longtemps, tout particulièrement le rapporteur Jean-Claude Carle, le rapport de la mission commune d’information qu’il a présidée se trouvant à l’origine de cette réforme du financement et des dispositifs de la formation professionnelle. M. le rapporteur est à juste titre considéré comme une référence parmi les spécialistes de la formation, un compliment d’autant plus estimable que ce domaine comprend d’innombrables dédales et recoins…

Pourtant, les sommes en jeu sont considérables : les fonds attribués à la formation professionnelle représentent aujourd’hui 27 milliards d’euros, 12 milliards d’euros étant financés par les entreprises, près de 10 milliards d’euros par l’État – si l’on inclut la formation de ses propres agents – et 4 milliards d’euros par les régions.

Disons les choses clairement : étant donné l’importance des sommes et des intérêts, voire même des lobbies, impliqués, tout le monde pensait qu’une réforme de la formation professionnelle était difficile, voire impossible.

Notre pari fut au contraire de miser sur le dialogue avec les partenaires sociaux, mais aussi d’assumer notre tâche et nos responsabilités pour, enfin, donner un coup de jeune à un système de formation professionnelle qui, en dépit de ses qualités, est à bout de souffle – il faut avoir le courage de le reconnaître. En effet, ce système n’est plus juste, plus efficace, plus transparent. Il est donc urgent de le dépoussiérer en profondeur, et je vous signale d’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, que les projets de loi qui vous sont soumis portent rarement sur de telles sommes d’argent et sur des enjeux aussi importants en termes d’emplois.

L’objectif est de réformer un système de formation professionnelle fondé sur une conception du travail obsolète, héritage de l’après-guerre. Selon cette conception, un salarié entre dans une entreprise à l’issue de sa formation initiale et y accomplit toute sa carrière ou, au mieux, évolue au sein de la même branche. Cela débouche sur un système de formation professionnelle très largement cloisonné, dans lequel les sommes consacrées à la formation ne sont pas concentrés sur les dispositifs qui permettraient à des salariés de rebondir ou d’organiser différentes mobilités professionnelles.

Or, dans la crise actuelle, on voit qu’une formation professionnelle bien utilisée peut constituer une arme décisive. À l’inverse, une formation professionnelle passive, exclusivement défensive, qui se contente de conserver le salarié au sein d’une même branche professionnelle, sans lui offrir de véritables mobilités ou un réel déroulé de carrière, est totalement inefficace.

Les insuffisances de notre système de formation professionnelle apparaissent cruellement dans cette période de crise, et nous devons donc impérativement remédier à tous ses dysfonctionnements.

En premier lieu, pour être parfaitement clair, non seulement ce système se révèle incapable de corriger les inégalités entre salariés, mais il tend au contraire à les renforcer. C’est quand même un comble pour un système censé soutenir l’équité et le juste fonctionnement de notre marché du travail !

Ainsi, si vous êtes ouvrier, vous avez une chance sur sept d’accéder à un dispositif de formation professionnelle, contre une sur deux si vous êtes cadre. Autrement dit, la formation professionnelle finance davantage ceux qui ont déjà beaucoup d’atouts en termes de formation et moins ceux qui aurait plus besoin de formation pour dérouler une carrière.

De même, si vous travaillez dans une entreprise de taille importante, vous avez a priori plus facilement accès à des dispositifs de formation que si vous travaillez dans une petite PME, où vos chances d’y accéder sont quasi nulles. Les chiffres sont éloquents : si vous travaillez dans une entreprise de moins de dix salariés, vous avez cinq fois moins de chances d’accéder à la formation que si vous êtes dans un grand groupe.

Enfin, dernier exemple flagrant de l’inégalité de notre système actuel de formation professionnelle : si vous êtes un senior et que vous passez le cap des cinquante ans, vous avez deux fois moins de chances d’accéder à la formation professionnelle que si vous êtes un salarié âgé de trente à cinquante ans.

Autrement dit, plus vous avez besoin d’une formation professionnelle, moins vous y avez accès ; plus vous êtes employé dans un secteur où vous risquez de connaître des difficultés, moins vous avez de chances d’accéder à une formation.

Or, plus que jamais, surtout dans la période de crise que nous traversons, l’ascenseur social a besoin de formation professionnelle. Au contraire, cette dernière creuse aujourd’hui les inégalités entre les salariés bien formés et ceux qui le sont moins.

En deuxième lieu, ce système ne fait preuve d’aucune transparence, d’aucune lisibilité, et n’est que trop peu soumis à évaluation. C’est aujourd’hui l’une des lacunes majeures de notre système de formation professionnelle, qu’il faut avoir le courage de dénoncer.

En réalité, comme trop souvent dans le champ de l’emploi, on a laissé se développer progressivement des politiques sans prendre le soin de les évaluer. C’est déjà, en soi, un manquement terrible lorsqu’on gère des sommes aussi considérables. Mais il faut ajouter à cela des maux qui sont bien plus inquiétants et endémiques. Les trop faibles contrôles ont en effet fourni un terreau favorable aux dérives, notamment sectaires. Un certain nombre de formations dites de coaching ou de contrôle mental se sont ainsi développées, ouvrant la porte à tous les abus. Il faut aussi reconnaître que certaines règles d’éthique simples n’ont pas été suffisamment appliquées en matière de formation professionnelle, notamment celle qui consiste à dissocier la personne qui paye de celle qui encaisse. Ces règles minimales permettent de garantir que le système est juste et d’éviter une trop grande évaporation entre l’argent collecté et l’argent dont les salariés peuvent bénéficier sur le terrain.

Je donnerai une dernière illustration du manque de contrôle : nous avons aujourd’hui entre 20 000 et 30 000 organismes de formation déclarés qui sont fictifs. Il est temps de braquer nos projecteurs sur ces angles morts de la formation professionnelle, et de faire en sorte que le système soit, de nouveau, plus transparent.

Enfin, en troisième et dernier lieu, nous avons aujourd’hui un système qui est incapable d’accompagner les transitions entre les différents métiers et les différentes branches. Certains dispositifs testés durant la crise nous ont pourtant montré qu’il n’y avait pas de fatalité en la matière. Je pense notamment aux contrats de transition professionnelle, pour lesquels nous mobilisons l’argent de la formation afin que les salariés qui sont dans des secteurs en crise, tels que la vente à distance – un sujet que connaissent bien Mmes et MM. les sénateurs du Nord-Pas-de-Calais –, se reconvertissent dans le domaine des centres d’appel.

Pour cela, le président Jacques Legendre le sait bien, nous avons besoin d’un outil de formation professionnelle qui permette à ces salariés de rebondir, plutôt que les laisser s’enfermer dans des impasses.

À partir de ce diagnostic qui, je crois, est partagé par tous les acteurs de la formation professionnelle, les priorités de la réforme ont clairement émergé. Nous avons ciblé des objectifs précis, de façon à effectuer des frappes chirurgicales sur ce que nous avons considéré comme étant les points névralgiques du système, afin de le faire bouger.

La réforme qui vous est proposée vise en réalité trois objectifs principaux, qui sont simples, lisibles, et parfaitement compréhensibles par tout le monde sur le terrain.

Le premier, c’est la justice et l’équité. L’argent de la formation professionnelle doit aller à ceux qui sont le plus fragilisés et à ceux qui en ont le plus besoin, à savoir les demandeurs d’emploi, les salariés faiblement qualifiés, les employés des PME et des branches qui ne disposent pas de moyens suffisants pour développer les dispositifs de formation, tels que les services à la personne et les emplois verts, dans lesquels nous devons investir massivement pour accompagner les emplois de demain.

En effet, il est inacceptable que, faut d’argent pour la formation, ces secteurs ne se développent pas, et que des métiers, surtout dans cette période de crise, ne trouvent pas preneurs. Le but est donc d’opérer une vraie révolution culturelle, en réorientant 13 % des fonds de la formation professionnelle au profit des secteurs qui en ont réellement besoin.

Le deuxième objectif est l’emploi, seule priorité qui vaille en termes de formation professionnelle. Celle-ci doit permettre à un salarié en activité de conserver son emploi et de progresser dans sa carrière, et à celui qui a perdu son emploi d’en retrouver un le plus vite possible. En dépit des objectifs initiaux et des lois fondatrices de la formation professionnelle, cette culture de l’emploi s’est quelque peu perdue. Le but de ce projet de loi est justement de remettre cet objectif au centre de la formation. Nous devons nous assurer que l’on ne continue pas « d’enfiler des perles », en dispensant des formations fictives ou qui sont surtout de la poudre aux yeux, et qui ne facilitent en rien l’accès à l’emploi ou le maintien dans l’emploi.

Tout d’abord, pour ceux qui ont déjà un emploi, le but est de faire en sorte que les droits individuels à la formation, les DIF, qu’ils avaient acquis ne soient pas perdus. Je sais que ce sujet vous tient particulièrement à cœur, monsieur le rapporteur. Jusqu’à présent, le système était absurde : en effet, c’était au moment où le salarié avait le plus besoin de mobiliser ses droits à formation, c'est-à-dire lors d’une perte d’emploi ou d’une période de transition entre deux emplois, qu’on lui répondait qu’il était trop tard pour les utiliser. Grâce à l’engagement des partenaires sociaux, que je tiens à souligner, nous faisons un véritable pas vers une sécurité sociale professionnelle à l’échelle de notre pays, afin d’accompagner les transitions entre plusieurs métiers.

Ensuite, cette réforme devrait permettre d’effectuer son congé individuel de formation – CIF – en dehors de son temps de travail et, ainsi, de réhabiliter les fameux cours du soir qui, aujourd’hui, ne peuvent pas faire l’objet d’un véritable financement par le biais de la formation professionnelle. Je suis particulièrement attaché à ce point, car ces cours constituent souvent un moteur d’ascension sociale précieux pour les salariés, en leur offrant une chance de progresser dans la carrière en dépit d’une formation initiale insuffisante.

Le dernier exemple de cette culture de l’emploi est le bilan d’étape professionnel. Jusqu’à maintenant, un salarié pouvait passer quasiment toute sa carrière sans que jamais on ne prenne le temps de lui demander où il en est en termes de formation, de qualifications et de compétences acquises. La mise en place d’un tel bilan d’étape, tous les cinq ans, va permettre, à travers la loi, de faire le point et d’orienter le salarié vers les formations les plus importantes.

Il nous reste à parler de ceux qui recherchent un emploi. En tant qu’élus locaux, nous savons mieux que quiconque, pour rencontrer dans nos permanences et sur le terrain des personnes en recherche d’emploi, que celles-ci peuvent avoir un vrai projet professionnel et se heurter, pour autant, à un système qui s’avère incapable de financer une reconversion. Combien de fois a-t-on reçu des demandeurs d’emploi qui souhaitaient passer un certificat d’aptitude à la conduite en sécurité – CACES –, avec à la clef la certitude d’être embauchés dans une entreprise de transports, ou qui désiraient commencer une formation en vue de devenir aide-soignante – domaine dans lequel les communes ont des besoins importants de recrutement –, sans pouvoir obtenir un financement de la formation sur la durée adéquate ?

Notre but est bien de réorienter l’argent pour que les demandeurs d’emploi ne se heurtent pas à des portes closes lorsqu’il existe un vrai projet de reconversion professionnelle.

Plus encore, nous souhaitons mettre en place une préparation opérationnelle à l’emploi permettant à des salariés qui ont perdu un emploi de préparer leur parcours de réorientation. Là encore, le droit individuel à la formation pourra être mobilisé.

La troisième priorité, que j’ai déjà évoquée précédemment, consiste à braquer les projecteurs sur les angles noirs de la formation professionnelle, afin de rendre cette dernière plus transparente, plus lisible, et de mesurer la réalité de son impact.

Il convient tout d’abord de faire un peu de nettoyage dans un système de formation professionnelle où les organismes ont proliféré. On compte aujourd’hui une centaine d’OPCA, ces fameux organismes collecteurs agréés, dont la moitié sont des organismes de branches ou interbranches. Le but est de revenir à quinze OPCA, et ce pour deux raisons simples.

En premier lieu, l’excessif émiettement des OPCA engendre des coûts de fonctionnement trop élevés et, surtout, empêche ces derniers d’avoir une force de frappe suffisante pour déployer une offre de proximité dans chaque territoire et dans chaque bassin d’emploi. Un OPCA qui collecte trop peu d’argent n’a pas les moyens de développer une offre de proximité.

En second lieu, les OPCA sont trop morcelés, enfermés dans des logiques de branches ou de métiers trop étroites. Développer des OPCA de plus grande taille nous permettra d’orchestrer des bascules et des transitions entre métiers.

Prenons un exemple précis : il existe aujourd’hui un OPCA centré sur le crédit agricole, un OPCA concernant les métiers de la banque et un autre relatif à l’assurance. Bon courage pour arriver à faciliter des transitions et faire en sorte qu’il soit possible de suivre une formation afin de passer du secteur de l’assurance à la banque, voire à l’intérieur de la banque au crédit agricole, ce qui n’apparaît pas totalement injustifié ou illégitime !

Notre but est donc que les OPCA aient une taille suffisante et, surtout, qu’ils soient adaptés à la nouvelle réalité du travail, où l’on change de métier plusieurs fois au long d’une carrière.

Par ailleurs, jusqu’à aujourd’hui, un OPCA était au mieux contrôlé tous les trente ans. C’est une perspective certes inquiétante, mais cela laisse tout de même une certaine marge entre deux contrôles.

Notre objectif, je ne m’en cache pas, est de revenir à une situation raisonnable, dans laquelle les OPCA devront désormais rendre des comptes tous les trois ans : ils seront soumis, comme tout le monde, aux délais de paiement et aux règles de la concurrence. C’est une hygiène minimale que l’on peut exiger, me semble-t-il, s’agissant du secteur de la formation professionnelle.

De même, pour que l’ensemble de la profession ne souffre pas du manque de professionnalisme, voire de la malhonnêteté de quelques-uns, minoritaires, l’offre de formation sera mieux contrôlée.

Comme vous le savez peut-être, notamment à travers les rapports de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la MIVILUDES, ou par les médias, la formation professionnelle a vu se développer à l’excès les sectes, qui ont proliféré sur l’argent de la formation.

M. Nicolas About. C’est vrai !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Nous ne pouvons pas accepter que, par paresse politique ou par manque de courage, l’absence de contrôle puisse profiter aux dérives sectaires, qui sont trop répandues, même si elles restent évidemment minoritaires, au sein des organismes de formation. Le président About est sur ce sujet d’une vigilance constante,…

M. Nicolas About. Absolument !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. … qui doit lui être reconnue.

Désormais, le premier venu ne pourra plus se déclarer formateur sans le moindre contrôle. Les règles d’enregistrement des organismes seront plus strictes et les moyens de contrôle renforcés. À la suite d’une simple procédure de déclaration, insuffisamment contrôlée, un organisme pouvait en quelque sorte s’abriter derrière un cachet « bleu, blanc, rouge » pour couvrir un certain nombre de dérives sectaires. De plus, un dispositif de sanction pénale est prévu pour interdire aux membres des sectes de créer des officines de formation. Enfin, quiconque se lancera dans un stage connaîtra à l’avance le contenu, la qualité et les objectifs de la formation.

On reproche souvent à l’univers de la formation professionnelle son manque de pilotage et d’évaluation. Je rejoins sur ce point les objectifs du rapporteur, qui a beaucoup travaillé en améliorant de façon très substantielle le texte tel qu’il était issu des débats de l’Assemblée nationale : la formation est une compétence partagée.

Le projet de loi, de ce point de vue, vise à passer d’un univers où chacun courait dans son couloir de course à un système où le travail en équipe est renforcé et où les passages de relais peuvent s’organiser entre les partenaires sociaux, l’État et les régions – qui sont évidemment la collectivité locale de référence, notamment en matière de formation pour les demandeurs d’emploi.

Au niveau national, un rendez-vous annuel fixera les priorités des politiques de formation professionnelle. Au niveau régional, le plan régional de développement des formations, le PRDF, sera contractualisé. À ce sujet, il faut le dire clairement, il ne s’agit nullement d’une quelconque recentralisation, de mettre sous tutelle ou de reprendre les compétences de tel ou tel.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Très bien !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Simplement, dans un domaine de compétences partagées, on ne peut pas raisonner de façon étroite chacun de son côté sans une prise en compte globale et commune des besoins à l’échelle à la fois nationale et territoriale. De ce point de vue, c’est la logique du contrat qui a été voulue par le rapporteur et qui me semble positive, car elle permet à tous les acteurs de se mettre en lien et d’œuvrer ensemble.

C’est d’ailleurs, monsieur le rapporteur, madame la présidente Procaccia, ce même principe de concertation entre les acteurs qui a donné lieu au texte.

Le projet de loi – c’est le pari que nous avions fait – est le fruit de nombreuses négociations, de groupes de travail qui se sont réunis depuis plus d’un an avec l’ensemble des partenaires du champ de la formation professionnelle : avis du Conseil d’orientation pour l’emploi en avril 2008, groupe multipartite piloté par Pierre Ferracci de juillet 2008, négociation des partenaires sociaux achevée en janvier 2009 – je souhaite une nouvelle fois leur rendre hommage, car l’accord a été signé à l’unanimité par tous les partenaires sociaux –, concertation avec l’Association des régions de France à la fin de 2008 et au début de 2009, et consultation multilatérale avec les partenaires sociaux sur le projet de loi en avril 2009.

Le texte s’appuie en effet sur l’accord unanime auquel les partenaires sociaux sont arrivés le 7 janvier dernier. Mais, et j’y tenais – mon passé de parlementaire a sans doute joué –, il importait dans le même temps de préserver toute l’initiative parlementaire. Je n’ai jamais cru que le Gouvernement était capable de proposer d’emblée un texte qui ne nécessiterait aucune amélioration et auquel le dialogue parlementaire ne pourrait rien apporter. Aussi, nous avons été très attentifs, à l’Assemblée nationale et, plus encore, au Sénat, avec le rapporteur Jean-Claude Carle, à ce que des améliorations très substantielles puissent être apportées au texte. Ce texte est ainsi l’un des modèles les plus aboutis de la coproduction législative, puisque de nombreux points ont été modifiés dans ce cadre.

Ce n’est d’ailleurs que rendre justice à M. le rapporteur, qui est à l’origine de nombreuses propositions sur la portabilité du droit individuel à la formation, la contractualisation du plan régional de développement des formations, le développement des contrats en alternance, le regroupement des OPCA, tous sujets sur lesquels il avait œuvré depuis longtemps.

Le débat réalisé en amont nous a permis de travailler sur un certain nombre de points sur lesquels le rapporteur souhaitait mettre l’accent. Il les développera lui-même plus longuement, mais je tiens à les évoquer pour rendre hommage au travail qui a été fait : la simplification du système, en allant plus loin que ce qui avait été prévu à l’issue des débats à l’Assemblée nationale ; une plus grande exigence pour mettre sous tension le dispositif, notamment les OPCA ; la contractualisation et la gouvernance revues sur le modèle du contrat de plan, ce qui sera certainement positif ; une préoccupation légitime pour les difficultés de formation dans les TPE, pour laquelle votre expérience de terrain a sûrement beaucoup compté.

En outre, sujet qui tenait également à cœur à la présidente Catherine Procaccia et sur lequel des avancées fondamentales pour le fonctionnement de l’apprentissage ont été réalisées, il a été procédé à un assouplissement du système extrêmement contraignant de l’apprentissage.

Le système de l’apprentissage, si l’on y réfléchit, repose chaque année sur un petit miracle. Les étudiants qui souhaitent suivre une formation en apprentissage se réveillent en général à partir de la mi-août. Il faut réussir à trouver pour chaque étudiant – ils sont 300 000 à suivre une formation en alternance – une place en entreprise au plus tard pour la fin du mois de septembre ! À partir du début du mois d’octobre, un CFA qui accepte courageusement un étudiant en faisant le pari de lui trouver une place en entreprise pour éviter de le laisser au bord de la route prend des risques juridiques considérables. Nous sommes en effet dans une situation de vide juridique.

Avec la crise, nous avons craint, au mois de juillet, que près d’un tiers des étudiants en apprentissage ne trouvent pas de place. Nous travaillons inlassablement sur ce point depuis trois mois et nous sommes parvenus aujourd'hui au pourcentage beaucoup plus positif de 5 %. Mais le vide juridique demeure.

Le projet de loi, grâce aux initiatives et aux pressions de la présidente Catherine Procaccia, va nous permettre de faire bouger cette situation en prévoyant qu’un CFA ou un organisme qui finance des formations en apprentissage peut prendre un jeune alors même qu’il n’a pas encore trouvé de place en entreprise, en s’accordant ainsi un délai supplémentaire jusqu’à la fin de l’année. Alors que nous avions mis en place une de ces usines à gaz dont notre pays a parfois le secret, ce nouveau système est plus simple et plus lisible.

Enfin, le président Legendre, dont je salue le travail, et le rapporteur ont souhaité une meilleure articulation entre la formation initiale et la formation continue. Le rapporteur a déposé de nombreux amendements sur ce sujet destinés à mettre la pression pour que le service public de l’information et de l’orientation soit considérablement amélioré. Ce sont des amendements substantiels mais aussi des amendements d’appel déposés par le rapporteur, Jean-Claude Carle, qui doivent nous permettre d’améliorer le texte sur les questions de l’accompagnement des jeunes qui décrochent du système scolaire par les missions locales, ou encore le développement des écoles de la deuxième chance et des contrats en alternance.

En conclusion, je voudrais revenir sur l’état d’esprit qui devrait à mon sens nous animer dans un débat portant sur la formation professionnelle.

Les partenaires sociaux ont donné l’exemple en étant capables de parvenir à un accord unanime constructif, au prix des efforts de tous, chacun faisant une partie du chemin. Il faut du courage politique pour réaliser cet effort, parce que les lobbies et les groupes d’intérêt sont puissants dans ce domaine. Il faut aussi du courage et de la lisibilité pour ne pas se perdre en chemin tant la tuyauterie est subtile, le jeu institutionnel, fort et les risques de renvoi de balles entre les différents acteurs, importants.

Pourtant, nous n’avons pas le droit d’oublier que la formation professionnelle, plus encore en période de crise, est un outil fondamental de justice, d’équité et d’ascension sociale. Cet objectif, attendu par de très nombreux salariés et demandeurs d’emploi sur le terrain, nous oblige, à travers notre débat, à dépasser les écueils. Nous devons enfin passer d’un système devenu trop injuste à un système équitable, d’un système dans lequel la formation est insuffisamment évaluée à un système dans lequel la formation professionnelle devient une vraie arme anti-crise, d’un système dans lequel la formation est opaque vers un système dans lequel la formation est transparente.

Vous l’avez compris, la formation professionnelle a besoin d’être dépoussiérée, elle a besoin d’un bon coup de ménage autour d’un seul objectif : l’emploi ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission spéciale.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet qui nous occupe aujourd’hui n’est sans doute pas aussi médiatique que la taxe carbone ou les bonus des traders, et risque de ne pas susciter dans cet hémicycle autant d’engouement que la réforme à venir des collectivités territoriales.

Je crois pourtant qu’il n’est guère de question plus importante pour une société que celle de l’orientation et de la formation, puisqu’il s’agit d’offrir à chacun la possibilité d’acquérir tout au long de sa vie des connaissances et des compétences qui lui permettront soit de progresser dans le métier qu’il a choisi, soit de changer de direction. Déjà Socrate affirmait il y a vingt-cinq siècles que « la connaissance est la seule chose qui s’accroît quand on la partage ».

C’est pourquoi le projet de loi qui est aujourd’hui soumis au Sénat n’est pas un texte parmi tant d’autres. Il revêt une importance qui va au-delà de ses dispositions souvent très techniques et dans lesquelles on se perd.

Au moment où s’engage ce débat, je tiens de nouveau à exprimer une certaine frustration face aux conditions dans lesquelles nous avons dû travailler, puisque le Sénat n’a eu que la période des vacances parlementaires pour étudier un projet de loi extrêmement technique.

M. Guy Fischer. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de le reconnaître !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Un peu de temps supplémentaire n’aurait pas été de trop et les lois réformant la formation professionnelle ne sont pas si fréquentes pour que l’on puisse considérer que le Parlement peut les examiner en quelques semaines, surtout lorsqu’une seule lecture est prévue dans chaque assemblée. (Applaudissements sur quelques travées de l’UMP, sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de lUnion centriste. – M. Yvon Collin applaudit également.)

Je souhaite, monsieur le secrétaire d’État, que les décrets d’application de la loi soient publiés avec une célérité comparable à celle qui nous a été demandée.

Pour autant, je crois que nous nous sommes donné les moyens de traiter ce sujet le mieux possible dans le délai qui nous était imparti. D’abord en créant cette commission spéciale, qui a permis de faire travailler ensemble les sénateurs de toutes nos commissions, ceux qui s’occupent de l’éducation, ceux qui sont spécialistes du droit social et ceux qui connaissent la vie des entreprises. Je voudrais vous remercier, madame la présidente de la commission spéciale, d’avoir accepté cette responsabilité : votre connaissance du sujet et vos conseils m’ont été précieux.

J’insiste sur la nature transversale de cette commission, parce que tout le monde sait bien que le défaut essentiel, rédhibitoire du système de formation français, c’est le cloisonnement – vous l’avez évoqué, monsieur le secrétaire d’État –, et notamment la séparation rigide entre formation initiale et formation professionnelle. J’espère, mes chers collègues, que nous pourrons contribuer à changer cela.

Par ailleurs, malgré les délais qui nous ont été impartis, nous avons procédé à une soixantaine d’auditions de tous les acteurs du système de formation professionnelle. Notre commission a entendu en réunions plénières trois ministres, l’ensemble des partenaires sociaux signataires de l’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009, ainsi que l’Association des régions de France.

Je tiens à remercier ceux de nos collègues qui se sont mobilisés fin juillet et fin août, à des dates qui évoquent davantage le soleil et la plage que la formation professionnelle,…

M. Jean Desessard. Ce n’est pas normal !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. … pour participer à mes côtés à ces auditions, qui ont été particulièrement riches et qui ont fait mûrir notre réflexion avant le temps des décisions.

Je tiens aussi à vous remercier, monsieur le secrétaire d’État, pour votre disponibilité et pour la qualité de votre écoute. Mes remerciements s’adressent également à vos collaborateurs, dont la très grande compétence m’a été particulièrement utile.

Mes remerciements vont enfin aux fonctionnaires du Sénat qui m’ont accompagné – je ne les citerai pas car leur modestie en souffrirait – et ont accompli un travail considérable et remarquable, travaillant jour et nuit, y compris les week-ends,…

M. Jean Desessard. Ce n’est pas normal non plus !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. … pour que nous puissions disposer d’un texte aujourd'hui. Je les en félicite.

J’en viens maintenant au fond de ce dossier. La complexité extrême des rouages du système de la formation professionnelle le rend quelque peu rebutant. Selon l’un de mes interlocuteurs, ceux qui connaissent réellement le fonctionnement de l’ensemble de ce système se comptent sur les doigts d’une main !

Cette complexité ne doit pas pour autant nous décourager. Ce sujet est trop important pour qu’on le laisse aux seuls spécialistes. La formation professionnelle, c’est l’avenir de nos jeunes et de toute la société. Comme l’a déclaré récemment le Président de la République, « La formation professionnelle, c’est la liberté pour une femme ou pour un homme, quel que soit son statut social, quel que soit son âge, quel que soit le métier qui était le sien ou celui qu’il veut épouser dans l’avenir, d’apprendre pour exercer un nouveau métier. C’est une question clé pour préparer l’avenir de notre pays. »

Question clé, la formation professionnelle est également un enjeu financier considérable puisque la France y consacre 27 milliards d’euros chaque année.

La formation professionnelle, c’est enfin l’une des premières compétences qui a été dévolue aux régions dans le cadre de la décentralisation. Au début de nos débats, je tiens à saluer l’engagement des régions dans l’exercice de cette compétence. J’évoquerai ainsi l’action en Alsace d’Adrien Zeller, disparu voilà quelques semaines, ainsi que celle de Jean-Paul Denanot, venu nous parler avec passion de son engagement sur les questions de formation.

Le moment est maintenant venu pour le Sénat d’apporter sa pierre à l’élaboration de ce projet de loi, afin de rendre plus juste et plus efficace un système de formation professionnelle de plus en plus critiqué.

Qu’en est-il de ce système aujourd’hui ?

Ce système – vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État – est d’abord un système injuste, qui entretient les inégalités au lieu de les résorber, comme il le devrait. Dans notre pays, moins on est qualifié, moins on bénéficie de la formation professionnelle ! Un cadre a en effet une chance sur deux d’accéder à une formation, l’ouvrier, lui, n’a qu’une chance sur sept…

De même, plus une entreprise est petite et ses emplois fragiles, moins ses salariés bénéficient de la formation. Pis encore, si vous êtes chômeur, vous avez moins accès à la formation que si vous avez du travail. D’autres inégalités sont criantes, en raison de l’âge notamment.

Par ailleurs, la formation professionnelle se caractérise par les trois « C » évoqués en 2007 dans le rapport de la mission commune d’information du Sénat, dont notre ancien collègue était le rapporteur et que j’avais l’honneur de présider : « C » pour cloisonnement, pour complexité, pour corporatismes.

Tout d’abord, «  C » comme cloisonnement : chacun des acteurs a tendance à préserver son pré carré plutôt que de travailler avec les autres. La formation initiale est soigneusement séparée de la formation professionnelle ; l’orientation est confiée à une multitude de structures qui ne font pas preuve d’un entrain particulier pour travailler ensemble ; les principaux acteurs de la formation ont encore tendance à s’arc-bouter sur leurs compétences, qu’ils préfèrent exercer de manière séparée plutôt que partagée ; enfin, la logique de branche empêche d’avoir une vue transversale des métiers et des secteurs professionnels, dans un monde où la mobilité devient pourtant bien plus importante que par le passé.

Ensuite, « C » comme complexité, celle du système de la formation professionnelle : qui peut aujourd'hui comprendre les circuits du financement de la formation professionnelle, à part quelques initiés ? Qui est en mesure de s’y retrouver dans la multitude des organismes collecteurs : les organismes collecteurs paritaires agréés, ou OPCA, les organismes paritaires agréés au titre du congé individuel de formation, ou OPACIF, le fonds d’assurance-formation, ou FAF, les organismes de collecte de la taxe d’apprentissage, ou OCTA, et j’en passe ? De même, l’offre de formation est constituée d’un nombre considérable d’organismes – on en dénombre quelque 50 000 –, dont certains n’ont aucune ou presque aucune activité.

Je ne m’étendrai pas sur l’inflation des diplômes, titres et qualifications, qui n’est pas non plus un gage de simplicité.

Enfin, « C » comme corporatismes, question sur laquelle il n’est nul besoin d’insister. La formation professionnelle mobilise des fonds considérables et chacun veut rester maître chez lui, privilégiant trop souvent des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général.

Il est donc temps que les choses changent. Il est temps que la formation professionnelle soit entièrement tournée vers l’emploi et l’employabilité ; il est temps que le secteur de la formation professionnelle soit organisé en fonction des demandes qui lui sont faites et qu’il cesse de faire des offres qui ne correspondent parfois à aucune demande.

La formation professionnelle de demain doit à mon sens reposer sur la prise en compte de cinq paramètres : les aspirations des salariés ; les besoins de l’entreprise ; la logique des branches professionnelles ; le caractère transversal et interprofessionnel de certains métiers ; enfin, la logique territoriale, qui reste beaucoup trop négligée, notamment par les partenaires sociaux, désormais conscients de l’importance d’une organisation à l’échelon des régions et des bassins d’emploi.

La formation professionnelle de demain sera partenariale ou ne sera pas. Tout le monde devra travailler dans la même direction sans que quiconque renonce pour autant à ses compétences. Il revient à l’État d’assurer l’équité du système, car il est le seul à pouvoir le faire. La région doit être l’échelon de la cohérence. Enfin, le bassin de formation, le bassin d’emploi est le niveau pertinent pour l’action elle-même.

Pour préparer la réforme que nous examinons, le Gouvernement a suivi une démarche exemplaire, que je tiens à saluer, monsieur le secrétaire d’État, mettant ainsi pleinement en œuvre la loi de modernisation du dialogue social. Il a mis en place un groupe de travail multipartite, qui a permis de dégager des éléments de consensus sans masquer les divergences des différents acteurs sur certaines questions, puis il a saisi les partenaires sociaux d’un document d’orientation qui leur a permis d’entamer une négociation. Cette négociation a conduit à l’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009, puis à l’élaboration du projet de loi qui nous est soumis.

Ce projet de loi résulte donc d’un accord interprofessionnel signé à l’unanimité, ce qui lui confère une force particulière que nous devons prendre en compte dans cette assemblée. Pour autant, cet accord ne remet pas en cause nos compétences législatives. Il est vrai que certaines des propositions de la commission spéciale ne figuraient pas dans l’accord national interprofessionnel, mais c’était déjà le cas dans le projet de loi initial, comme dans le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.

Mes chers collègues, que contient ce projet de loi ?

Il me semble qu’on peut y distinguer deux objectifs principaux : d’abord, une volonté de réduire les inégalités d’accès à la formation professionnelle et de sécuriser les parcours ; ensuite, la recherche d’une plus grande efficacité et d’une plus grande transparence du système.

Je commencerai par évoquer la sécurisation des parcours professionnels.

La sécurisation des parcours professionnels se concrétise par la création d’un fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, qui devra permettre de mieux diriger les fonds de la formation vers celles et ceux qui en ont le plus besoin. Elle passe également par la création du dispositif de préparation opérationnelle à l’emploi, qui permettra à des demandeurs d’emploi de bénéficier d’une action de formation pour se préparer à occuper un emploi correspondant à une offre identifiée auprès de Pôle emploi.

La sécurisation des parcours professionnels se concrétise également par la mise en œuvre de dispositifs qui attachent le droit à la formation directement à la personne et non à un statut : c’est la portabilité du droit individuel à la formation, qui doit permettre de conserver ses droits à formation en cas de changement d’employeur, c’est aussi la possibilité de faire prendre en charge des formations réalisées hors temps de travail au titre du congé individuel de formation.

La réduction des inégalités, c’est aussi l’extension du contrat de professionnalisation aux publics les plus éloignés de l’emploi, avec la mise en place de conditions particulières pour eux.

En matière de rationalisation des dispositifs et de renforcement de la transparence, il faut évidemment citer la réforme des OPCA. D’abord, ces organismes seront regroupés par l’augmentation très forte du seuil de collecte, qui passera de 15 millions d’euros à 100 millions d’euros dans les deux années à venir. Ensuite, les conditions de leur agrément prendront désormais en compte les services qu’ils apportent aux entreprises et non plus seulement leur capacité financière. C’est une évolution essentielle. Les OPCA doivent se recentrer sur le conseil, l’assistance et l’ingénierie pour les entreprises, notamment pour les petites et les très petites d’entre elles.

Par ailleurs, plusieurs dispositions sont destinées à renforcer un peu les contrôles sur le maquis des organismes de formation afin d’instaurer un peu de transparence dans ce domaine.

Pour ma part, – je serai honnête – j’aurais souhaité qu’on aille plus loin, qu’on se demande par exemple si l’obligation légale de financement est aujourd’hui aussi indispensable qu’il y a quarante ans, alors que nombre d’entreprises savent très bien que la formation de leurs salariés est un investissement nécessaire et bénéfique pour l’employeur autant que pour le salarié. J’aurais souhaité également que l’on décloisonne davantage les dispositifs. Sont-elles vraiment indispensables ces trois cotisations étanches que sont le plan de formation, la professionnalisation et le congé individuel de formation ?

La situation étant ce qu’elle est, la véritable question est de savoir si ce texte marque un progrès. Si on est de bonne foi, on peut difficilement le contester. Je pense sincèrement que ce projet de loi marquera une véritable amélioration du système de formation professionnelle et je salue votre engagement puissant dans ce processus, monsieur le secrétaire d’État.

La commission spéciale a beaucoup écouté et beaucoup travaillé. Elle a souhaité améliorer et compléter ce projet de loi pour lui donner sa pleine efficacité. Elle l’a fait en mettant en avant les trois « P » – par opposition aux trois « C » que j’évoquais tout à l’heure – : la personne, la proximité, les partenariats.

Le texte qu’a adopté la commission spéciale modifie et complète le projet de loi sur cinq axes essentiellement.

J’ai toujours dit que cette réforme ne fonctionnerait que si elle portait sur la formation tout au long de la vie – c’est le premier axe –, donc sur la formation initiale et sur son articulation avec la formation professionnelle. Cette articulation se fait bien sûr au niveau de l’orientation. Sur ce sujet, le projet de loi était trop timide. Une bonne orientation, c’est d’abord une bonne information. Or, aujourd’hui, l’information est réservée à ceux qui savent – ceux dont les parents sont dans le milieu éducatif – et aux plus aisés, qui se tournent vers des structures privées.

La commission spéciale a souhaité faire évoluer cette situation. Elle a donc décidé de donner une cohérence à la politique d’information et d’orientation en renforçant le rôle du délégué interministériel à l’orientation, qui sera désormais placé auprès du Premier ministre et sera chargé de préparer un plan de coordination destiné à rapprocher les principaux acteurs de l’information et de l’orientation. Ces évolutions constituent les bases du service territorialisé d’orientation préconisé dans le Livre vert de la commission sur la politique de la jeunesse, placée sous la responsabilité de Martin Hirsch.

Ce délégué interministériel renforcé apportera son appui aux régions afin qu’elles mettent en place les structures pertinentes permettant à chacun d’être informé et de s’orienter aux moments de son parcours éducatif et professionnel où cela est nécessaire.

La commission spéciale a également décidé que le recrutement des conseillers d’orientation-psychologues qui exercent leur activité dans les lycées devra davantage prendre en compte la connaissance des filières, des qualifications et des métiers. L’élargissement des qualifications de ces personnels ne pourra que renforcer l’utilité de leur rôle auprès des élèves et des familles.

Enfin, la commission a prévu la mise en place d’un livret de compétences pour les élèves du premier et du second degré. Ce livret contiendra des informations sur toutes les activités des jeunes, qu’elles soient sportives, associatives ou culturelles. Tout enfant porte en lui des qualités et des potentialités qui doivent être encouragées. Il faut cesser de réduire certains enfants à leur mauvais livret scolaire, qu’ils traînent comme un boulet durant des années.

Ensuite, – c’est le deuxième axe – la commission spéciale a souhaité renforcer les dispositifs mis en place par le texte. Je veux parler du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, le FPSPP, que la commission spéciale a décidé de consolider. Ce fonds doit permettre d’aider fortement ceux qui en ont le plus besoin. Or le texte adopté par l’Assemblée nationale énumérait une douzaine de publics prioritaires et faisait précéder cette liste de l’adverbe « notamment ». Autant dire qu’il aurait été plus rapide de mentionner les publics qui n’étaient pas prioritaires ! La commission a souhaité changer cela et resserrer les choses.

Elle a également décidé d’encadrer les conditions dans lesquelles le nouveau fonds pourra procéder à une péréquation entre les organismes collecteurs paritaires agréés. En outre, elle a souhaité que les excédents éventuels de ce fonds soient reportés sur l’année suivante, afin d’éviter toute tentative éventuelle de prélèvement à des fins autres que celles pour lesquelles le fonds a été créé.

Sur le droit individuel à la formation, le DIF, la commission spéciale a voulu rendre le texte plus simple et plus cohérent. Elle a également souhaité que la portabilité du droit individuel à la formation, telle qu’elle est prévue par le projet de loi, ne reste pas un droit théorique. Dans le texte adopté par l’Assemblée nationale, un salarié qui changeait d’entreprise et qui conservait son DIF devait l’utiliser pendant les deux années suivantes, faute de quoi il en perdait le bénéfice. Or l’employeur pouvait en refuser l’utilisation pendant deux ans.

La commission spéciale a prévu que le DIF portable pourrait être pris sans l’accord de l’employeur, mais dans des conditions très strictement encadrées. D’ailleurs, je vous proposerai de les préciser lorsque nous examinerons l’article concerné, afin d’éviter toute dérive qui conduirait à détourner ce droit de son véritable objet.

Parmi les autres dispositions que la commission a renforcées figurent celles qui concernent le financement de la formation professionnelle ; je veux bien sûr parler des OPCA, les organismes collecteurs paritaires agréés. La commission a décidé la mise en place d’une charte de bonnes pratiques pour ces organismes. Elle a prévu que leurs conseils d’administration seraient ouverts à des personnalités extérieures, avec voix consultative. Elle a également décidé que ces structures signeraient désormais des conventions d’objectifs et de moyens avec l’État, notamment pour préciser les conditions d’exercice des missions de proximité qui leur sont maintenant dévolues. Par ces modifications, la commission ne veut en aucun cas porter atteinte au paritarisme, qui demeure préservé, mais elle entend inciter davantage à l’émulation et à des échanges avec d’autres cultures, afin de permettre aux OPCA de remplir le mieux possible leur mission de conseil aux très petites entreprises, qui ont besoin qu’on vienne vers elles pour entendre leurs préoccupations et leur faire des propositions.

Le troisième axe, c’est justement les mesures d’accompagnement pour les très petites entreprises, car ce sont elles qui ont le plus besoin de formation pour leurs salariés, mais qui, chacun le sait, en bénéficient le moins. Et on peut bien bâtir tous les dispositifs de formation que l’on veut et prévoir que l’argent des plus petites entreprises ne peut pas financer la formation des grandes, cela ne suffira pas si l’on ne s’occupe pas du remplacement des salariés en formation. Dans une entreprise de quatre salariés, quand l’un d’entre eux part en formation, c’est 25 % de l’effectif qui manque. La solution à ce problème, ce sont les branches et les employeurs qui devront la trouver, comme les agriculteurs ont su le faire depuis des décennies avec les services de remplacement qu’ils ont mis en place.

Mais nous avons voulu encourager un tel mouvement par deux mesures. D’abord, nous avons prévu une possibilité de financement partiel du remplacement des salariés des très petites entreprises par les OPCA. Ensuite, nous avons indiqué que les groupements d’employeurs prévus par le code du travail peuvent mettre à disposition de leurs membres des salariés pour assurer le remplacement en cas de départ en formation. Tout cela n’est pas révolutionnaire, mais nous pouvons en espérer un effet de stimulation.

Le quatrième axe de travail de la commission concerne les mesures spécifiques à la jeunesse. Tout le monde sait que ce sujet est essentiel.

À la suite de l’audition de M. Laurent Hénart, chargé d’une mission sur ce sujet, la commission spéciale a souhaité donner un premier encouragement au développement de l’apprentissage dans le secteur public, en supprimant l’agrément préfectoral qui était prévu jusqu’à présent. Conformément aux propositions de la mission sur les jeunes du Sénat, et sur l’initiative de notre collègue Christian Demuynck, elle a souhaité interdire les stages dits « hors cursus pédagogique » pour mettre fin aux abus qui permettent à certains employeurs de faire travailler sur de vrais postes de production des jeunes auxquels ils ne proposent pas de contrat de travail.

Monsieur le secrétaire d’État, vous savez que j’aurais voulu aller plus loin et engager une réforme de la taxe d’apprentissage pour que celle-ci serve davantage qu’aujourd’hui à financer l’apprentissage lui-même. Une telle évolution met en jeu de nombreux paramètres et de nombreux intérêts. Vous avez estimé cela prématuré, considérant que la réforme de la taxe passait par une réflexion et une concertation préalables. Pour autant, il faudra bien que le sujet soit traité : si on se fixe des objectifs de plus en plus ambitieux en matière d’apprentissage, comme c’est le cas aujourd’hui, les financements devront bien évidemment suivre. Mais je suis d'accord avec vous ; il faut, me semble-t-il, aborder un tel sujet avec sérénité pour ne pas déstabiliser les choses qui marchent. Je partage donc votre point de vue en ce domaine.

Enfin, le dernier axe de notre travail concerne la gouvernance du système de formation professionnelle. Sur ce point, la commission spéciale a pris deux décisions principales.

D’une part, elle a renforcé le conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie. Cette instance, qui rassemble tous les partenaires compétents sur la formation, est la mieux placée pour définir les grandes orientations et procéder aux évaluations. La commission spéciale a décidé d’étendre ses missions, de rehausser son statut et de lui permettre d’obtenir des informations qui lui sont nécessaires.

D’autre part, elle a pris des mesures relatives au PRDF. Le projet de loi esquissait une contractualisation, mais celle-ci était incomplète et bancale. La contractualisation est nécessaire, mais il faut qu’elle associe les trois acteurs, c'est-à-dire la région, l’État et les partenaires sociaux. Dans ce domaine, l’essentiel est d’obliger tous les partenaires à travailler ensemble, afin d’entrer dans la logique des compétences partagées et de quitter celle des compétences séparées ; d’ailleurs, vous venez de le rappeler à la tribune, monsieur le secrétaire d’État. Si nous parvenons à faire cela, nous aurons gagné, parce que tout deviendra facile dès lors que chacun ne se butera pas sur son petit domaine de compétences. De ce point de vue, je crois que le texte de la commission spéciale permettra d’avancer vers un véritable partenariat dans lequel tout le monde aura intérêt à réussir. Et ce partenariat se déroulera dans le plein respect des lois de décentralisation, auxquelles notre assemblée est tout particulièrement attachée.

Mes chers collègues, comme l’a déclaré le Président de la République, « […] depuis le temps que l’on parle des faiblesses de notre système de formation professionnelle sans y toucher, il est venu le temps d’y toucher. »

Ce projet de loi peut constituer une avancée importante dans la modernisation de la formation professionnelle, pour peu que chacun des partenaires accepte non pas de renier ses convictions, mais de sortir un instant de ses certitudes.

Pour ma part, alors que je travaille sur ces sujets depuis quatre ans, je n’ai pas de certitudes, hormis deux. D’une part, je suis convaincu que l’inflation budgétaire n’est pas la réponse aux problèmes de la formation professionnelle. D’autre part, je crois aussi profondément que les améliorations se feront dans le cadre de compétences partagées exercées au plus près du terrain.

M. Jean-Pierre Plancade. Ça, c’est sûr !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce que je n’accepte plus, c’est qu’à un moment où le chômage des jeunes reste dans notre pays à un niveau très élevé, quand un jeune dispose d’une place dans un centre de formation et qu’une entreprise lui propose un contrat, ce contrat ne puisse pas être conclu à cause du statut du jeune, en raison d’un financement insuffisant ou parce que ce jeune ne relève pas d’un secteur prioritaire.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Comme vous l’avez réaffirmé voilà quelques jours, monsieur le secrétaire d’État, cela n’est plus acceptable.

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. De même, je ne supporte plus que la situation de notre système public d’information, d’orientation et de formation conduise nombre de nos concitoyens à recourir à des organismes dont la devise est désormais : « satisfait ou remboursé ». Ce n’est pas acceptable.

Alors que s’engage notre débat, je souhaite que le Sénat prenne toute sa part dans cette modernisation et qu’il marque ce texte de son empreinte comme il sait le faire sur les sujets essentiels pour notre pays. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission spéciale.

Mme Catherine Procaccia, présidente de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après un parcours qui a davantage ressemblé à un sprint qu’à marathon – moi qui suis peu sportive, je vous avoue que je n’ai pas toujours apprécié –, notre assemblée examine aujourd’hui le projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.

Ce texte revêt une importance particulière au moins à deux égards.

D’abord, il a été précédé de nombreux travaux qui ont tous convergé pour montrer que le système de formation professionnelle était « à bout de souffle » ; vous voyez que nous sommes toujours dans la métaphore sportive… (Sourires.) Ce système est devenu terriblement complexe et désespérément injuste. Les sommes considérables qui sont consacrées à la formation ne vont pas à ceux qui en ont le plus besoin ; les deux orateurs précédents l’ont bien rappelé.

Parmi les travaux préalables, il y a eu au Sénat la mission qu’a excellemment conduite Jean-Claude Carle avec notre ancien collègue Bernard Seillier. Il y a également eu les rapports de la Cour des comptes, de l’Inspection générale des affaires sociales et du Conseil d’orientation pour l’emploi, qui ont tous conclu à la nécessité de réformer ce système, non pas dans un esprit de rafistolage, mais avec une véritable ambition.

L’importance de ce texte tient également au fait qu’il résulte d’un accord unanime des huit organisations représentatives d’employeurs et de salariés au niveau national. Un tel accord unanime repose forcément sur des compromis peut-être délicats et des équilibres sans doute imparfaits, mais il manifeste l’importance attachée par les partenaires sociaux à la négociation qu’ils ont menée sur la formation professionnelle.

Pour avoir été rapporteur du texte relatif à la modernisation du dialogue social, je trouve très positif que le Parlement s’appuie dans sa fonction de législateur sur cet accord des partenaires sociaux.

Pour autant, le législateur n’est pas dessaisi de ses compétences – les partenaires sociaux ont bien souligné qu’ils en étaient d'accord – par l’existence d’un accord interprofessionnel ; il conserve son droit d’amendement.

Le Sénat n’a disposé que de peu de temps pour examiner ce texte important, mais il l’a utilisé au mieux au sein de la commission spéciale créée à cette occasion. Je souhaite remercier tous les membres de la commission de l’excellente atmosphère qui a régné pendant nos travaux, y compris pendant les mois de juillet et d’août. Je salue tout particulièrement le rapporteur pour son engagement total dans ce travail, qui l’a conduit – il l’a rappelé – à multiplier les auditions en une période qui n’est pas favorable, mais qui nous ont permis, puisque nous assistions presque tous à ces auditions, d’entendre la quasi-totalité des acteurs de la formation professionnelle et ceux qui l’ont souhaité.

Le texte qui nous est soumis aborde un grand nombre de sujets : droit individuel à la formation, création du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, mise en place de la préparation opérationnelle à l’emploi ou de la révision des conditions d’élaboration du plan régional de développement des formations professionnelles. Jean-Claude Carle ayant parfaitement résumé le contenu du projet de loi et les apports de la commission spéciale, j’aborderai pour ma part quelques questions spécifiques.

J’évoquerai d’abord brièvement l’apprentissage – M. le secrétaire d’État a rappelé l’intérêt que j’accorde à ce dossier – et les formations en alternance. Chacun le sait, ces formations sont un gage de réussite pour de très nombreux jeunes ; il faut continuer à les développer à tous les niveaux de qualification.

À mon sens, nous avons encore beaucoup à faire pour que l’apprentissage se développe partout, notamment dans le secteur public. Est-il normal, sur plus de cinq millions d’agents dans le secteur public, de dénombrer seulement 6 000 apprentis environ ? Ce chiffre est véritablement ridicule. Selon moi, le fait que les fonctionnaires soient recrutés par concours ne justifie pas que l’on interdise à des jeunes de se former par l’alternance dans une collectivité territoriale, une administration d’État ou même dans les assemblées parlementaires. Et j’espère que, grâce aux amendements apportés, le Sénat deviendra exemplaire en la matière.

Nous avons eu la chance d’entendre en commission spéciale M. Laurent Hénart, qui avait été chargé d’un rapport sur l’apprentissage dans la fonction publique. Il nous a détaillé tous les freins au développement de l’apprentissage dans le secteur public.

Certains sont d’ordre réglementaire. La loi de 1992, qui régit l’apprentissage dans le secteur public, est beaucoup plus contraignante que le code du travail.

Comme nous l’a indiqué Laurent Hénart, il conviendrait de rapprocher le plus possible les règles applicables au secteur public de celles qui prévalent dans le secteur privé. Ainsi, la suppression de l’agrément préfectoral, qui a été décidée par notre commission spéciale, est un premier pas. J’espère que cela constituera l’un des apports importants du Sénat dans cette réforme de la formation professionnelle. Mais il conviendra naturellement d’aller plus loin.

Laurent Hénart nous a également précisé que l’alternance dans le secteur public pouvait passer par les contrats « parcours d’accès aux carrières de la fonction publique territoriale ». Ces « contrats PACTE », qui peuvent déboucher sur un emploi, pourraient eux aussi être développés.

Je crois que tout le monde a intérêt à une telle expansion de l’apprentissage. Pour certains fonctionnaires, prendre en charge des apprentis pour assurer leur formation peut être un moyen de diversifier leurs tâches et de valoriser leur travail.

Naturellement, cela ne sera possible que si l’on trouve les financements adaptés. Comme – chacun le sait – il sera difficile de mettre à contribution les collectivités locales ou l’État, au moins dans la conjoncture présente, il faudra faire preuve d’imagination et la solution passera sans doute pour partie par une réforme de la taxe d’apprentissage, évoquée par Jean-Claude Carle tout à l’heure.

Un autre sujet important concerne les stages. Notre commission spéciale a décidé d’interdire des stages hors cursus pédagogique pour éviter les comportements de certaines entreprises qui prennent des jeunes en stage uniquement pour les faire travailler sur de vrais postes en facturant leurs prestations au prix fort aux clients tout en ne payant que très chichement les stagiaires. Ce type de situation n’est pas acceptable.

En revanche, je souhaite que cette mesure que nous allons adopter ne mette pas fin à tous les stages de découverte dans les entreprises, qui peuvent éveiller les jeunes à des réalités qu’ils ignorent. Le décret nous permettra de bien préciser les choses. Nous le suivrons, monsieur le secrétaire d'État, si vous le permettez.

Pour connaître le monde de l’entreprise, je dois dire qu’un stage véritablement utile pour un jeune est un stage qui nécessite que la personne accueillant ce dernier lui consacre beaucoup de temps. Le problème qui se pose aujourd’hui est que les entreprises reçoivent de plus en plus demandes de stage et qu’elles ne sont pas en mesure de répondre à toutes ces demandes. Vous le savez, dorénavant, la plupart des cursus intègrent des demandes de stages obligatoires.

Je dirai maintenant quelques mots sur la formation professionnelle et sur les entreprises. Vous le savez, mes chers collègues, notre système de formation repose sur son obligation légale de financement instituée il y a près de quarante ans, obligation que l’on résume en général en ces termes : « former ou payer ».

La situation a bien changé depuis l’instauration de cette obligation légale et aujourd’hui la plupart des entreprises sont très conscientes de l’importance de la formation continue pour leurs salariés, mais aussi pour le développement de l’entreprise et sa compétitivité. La formation des salariés est un investissement pour une entreprise.

Dans ce contexte, il aurait sans doute été possible d’aller plus loin dans la réforme qui nous est soumise en mettant plus l’accent sur la responsabilité que sur la contrainte.

Le système de formation tel que nous le connaissons aujourd’hui est essentiellement fait d’obligations assorties de sanctions alors qu’un système d’incitations serait sans doute plus efficace.

J’aurais souhaité que ce projet de loi simplifie davantage les mécanismes pour faciliter le travail de l’ensemble des acteurs de la formation professionnelle. On peut s’interroger sur l’opportunité de certains articles qui rajoutent des entretiens individuels pour certaines catégories de salariés alors que plusieurs lois ont déjà créé de tels entretiens au sein des entreprises.

J’aurais également aimé que l’on aille un peu plus loin sur la multiplicité des organismes et que l’on se pose des questions sur l’efficacité des formations actuellement sur le marché et d’un certain nombre de formateurs. J’ai été, pour ceux d’entre vous qui ne le sauraient pas, responsables de formations pendant une dizaine d’années, et je sais de quoi je parle !

En revanche, beaucoup de dispositions vont tout à fait dans le sens de la simplification, en particulier la rationalisation du réseau de collecte des fonds avec la réduction très importante du nombre d’OPCA que devrait entraîner cette réforme.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette réforme de la formation professionnelle n’est sans doute pas, et je l’espère, la dernière, mais elle ouvre la voie à une véritable modernisation du système de formation dans notre pays.

La commission spéciale que j’ai l’honneur de présider a souhaité renforcer ce projet de loi et lui donner davantage de souffle pour qu’il puisse faire preuve de sa pleine efficacité et, surtout, pour répondre harmonieusement aux aspirations des salariés et aux besoins des entreprises. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois.

M. Daniel Dubois. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le présent projet de loi ne constitue certes pas une révolution en matière de formation professionnelle, mais il apporte sans aucun doute des avancées réelles.

Il s’inscrit dans la droite ligne de la réforme vertueuse engagée en 2004. C’est une réforme plus que jamais nécessaire. Nous le savons toutes et tous, la reprise est encore très incertaine et la dégradation de la conjoncture économique ne cesse de faire monter le taux de chômage. La formation professionnelle doit donc devenir un véritable outil au service des politiques de l’emploi. C’est tout l’esprit de l’Accord national interprofessionnel, l’ANI, du 9 janvier 2009 auquel ce texte entend, pour partie, donner une base législative.

Mentionner l’ANI me permet, avant d’entrer dans le vif du sujet, de saluer les conditions d’élaboration du projet de loi qui nous est soumis. S’il est un domaine où le terme de démocratie sociale a un sens, c’est bien celui-ci. Aucune réforme de la formation professionnelle ne s’est faite sans que les partenaires sociaux en soient à l’origine. Celle-ci n’échappe pas à la règle.

Dans ces conditions, le Gouvernement a pleinement pu jouer son rôle d’accompagnateur.

La loi du 31 janvier 2007, qui impose à l’exécutif de saisir les partenaires sociaux préalablement à toute réforme en la matière, a bien été respectée, et nous nous en félicitons.

C’est maintenant au tour du législateur d’achever son œuvre de consolidation et de réaménagement.

Le législateur a pleinement pris la mesure de l’enjeu. Les chiffres rappelés par M. le secrétaire d'État sont éloquents : la formation professionnelle représente aujourd’hui 27 milliards d’euros dans notre pays. Arrivé à maturité, le seul DIF pourrait coûter 10 milliards d’euros.

Il s’agit de masses financières suffisamment significatives pour que la formation professionnelle tout au long de la vie puisse, théoriquement, jouer à plein son rôle de levier en faveur de l’emploi.

Or, tel n’est pas le cas parce que, malgré la réforme de 2004, le système souffre encore de graves insuffisances. Ces insuffisances, M. le rapporteur l’a rappelé, tiennent au caractère inégalitaire du système et à sa complexité.

Pour ce qui est du caractère inégalitaire du système de formation professionnelle, les chiffres parlent d’eux-mêmes : les techniciens et les cadres continuent d’accéder deux fois plus à la formation que les ouvriers ; les salariés des très grandes entreprises y accèdent plus de quatre fois plus que ceux des petites ; enfin, l’accès à la formation professionnelle des demandeurs d’emploi stagne à un niveau bas, moins de 10 % d’entre eux en bénéficieraient.

Quant au problème de la complexité, il n’est un mystère pour personne. Comme bien souvent en France, le système s’est historiquement constitué autour d’une logique de moyens par empilement successif de dispositifs et de structures.

Le résultat est que si les bénéficiaires potentiels de la formation professionnelle sont nombreux, les organismes qui en assurent la gestion ne le sont pas moins. Quant aux organismes prestataires, leur nombre est tout simplement pléthorique. Ce sont autant de facteurs qui expliquent aujourd’hui que les entreprises et les salariés peuvent avoir bien du mal à se retrouver dans ce maquis.

Or le présent projet de loi répond très exactement à ces critiques.

Les mesures de retranscription de l’ANI dans la loi visent à rendre le système plus accessible aux publics qui en auront le plus besoin. C’est évidemment le cas des deux principales d’entre elles : la création du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels et l’organisation de la portabilité du DIF.

Quant aux mesures purement législatives, elles vont dans le sens d’une simplification du système et tendent à le rendre plus transparent. Tel est l’objet des titres V, VI et VII du projet de loi, relatifs à la gestion des fonds de la formation professionnelle, à l’offre et aux organismes de formation, ainsi qu’à la coordination des politiques de formation professionnelle et à leur contrôle.

Nous ne pouvons, monsieur le secrétaire d'État, que souscrire aux grands axes de ce texte. Son architecture globale est cohérente et de nature à répondre à la situation de crise : le système permettra de mieux s’adapter à l’évolution des métiers et d’en changer.

Sur le plan de la philosophie de la politique de formation professionnelle, le projet de loi n’est pas anodin.

En effet, si, comme je l’ai précisé voilà un instant, il ne constitue pas lui-même une révolution, une fois articulé avec la réforme de 2004, ce texte emporte une triple rupture, salutaire, avec la manière dont la formation professionnelle était conçue jusqu’à présent.

Avec ce projet de loi, on passe, d’abord, d’une logique statistique de droits cloisonnés à une logique dynamique de droits portables et d’accompagnement personnalisé.

On passe, ensuite, d’une logique de statut – être salarié ou non – à une logique de besoin grâce au ciblage de publics prioritaires par le fonds de sécurisation.

On passe, enfin, d’une logique de moyens – le financement obligatoire et les OPCA – à une logique de résultats puisque l’objet affiché de réforme est de former annuellement 500 000 salariés peu qualifiés de plus qu’aujourd'hui et 200 000 demandeurs d’emploi.

D’une certaine manière, c’est la même révolution copernicienne que celle qui a été opérée en matière de financements publics avec la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.

Dorénavant, on peut espérer que l’individu et son parcours professionnel seront au cœur du système.

Pour que cela soit effectif, tous nos efforts doivent tendre vers l’intégration de toutes les phases de la formation et de la vie professionnelle en un parcours le plus cohérent possible.

Jusqu’à présent, la vie professionnelle d’un individu pouvait se présenter sous la forme d’une succession de ruptures : formation initiale, orientation, emploi, perte d’emploi ou changement d’emploi. Ce sont ces ruptures qu’il faut aplanir en décloisonnant le système, en sortant des logiques autarciques et corporatistes.

Le texte qui nous est soumis procède-t-il à une telle fluidification ? Dans une large mesure, la réponse est oui, surtout après les améliorations apportées par l’Assemblée nationale et par la commission spéciale du Sénat.

M. Jean Desessard. Avant, il n’était pas bon !

M. Daniel Dubois. Fluidifier, c’est, premièrement, mieux articuler la formation initiale et la formation professionnelle. Il s’agit d’une nécessité qui n’a échappé ni à la sagacité du Gouvernement ni à celle du rapporteur. Le compromis finalement adopté dans la rédaction de l’article 20 relatif au plan régional de développement des formations professionnelles, le PRDF, en est la concrétisation.

Désormais bâti sur le modèle du contrat de plan, le PRDF ainsi reconfiguré est de nature à permettre une articulation bien plus cohérente entre la formation initiale et la formation continue.

De plus, la rédaction issue des travaux de la commission spéciale préserve la logique des lois de décentralisation à laquelle notre Haute Assemblée est particulièrement attachée.

Enfin, l’article 2, tel que modifié par la commission spéciale, précise que la formation professionnelle s’appuie sur le socle commun de connaissances défini dans le cadre de la scolarité obligatoire.

Fluidifier, c’est, deuxièmement, aider les jeunes à s’insérer sur le marché du travail. Ainsi, nous ne pouvons que souscrire aux mesures du titre IV bis inséré dans le texte par nos collègues députés. Ces dernières s’inscrivent tout naturellement dans le cadre de la politique active menée en faveur de la jeunesse par Martin Hirsch.

Fluidifier, c’est, troisièmement, aplanir les transitions professionnelles.

Tel est bien l’objet de la création du fonds de sécurisation qui permettra de consacrer jusqu’à 13 % des sommes de la formation professionnelle aux publics prioritaires. Encore fallait-il que ces publics soient bien ciblés et identifiés, ce qu’a fait notre commission spéciale.

De même, nous attendons que nous soit proposée une solution de financement satisfaisante du fonds pour que sa création n’entraîne pas, mécaniquement, un assèchement de la professionnalisation.

Aplanissement des transitions professionnelles toujours, avec la préparation opérationnelle à l’emploi, mais surtout avec la portabilité du DIF. Là encore, je salue le travail de M. le rapporteur.

Pour que cette portabilité soit effective, il nous semblait fondamental qu’un salarié puisse faire valoir ses droits sans nécessairement requérir l’accord de son nouvel employeur.

Si le texte issu des travaux de la commission spéciale est adopté en l’état, ce sera possible pour les formations effectuées hors temps de travail. Nous avions nous-mêmes déposé un amendement en ce sens.

Mais ne peut-on pas aller plus loin ? Nous défendrons un amendement tendant à empêcher que la portabilité soit limitée dans le temps.

Pour justifier ces verrous posés à la portabilité intégrale du droit individuel à la formation, monsieur le secrétaire d’État, vous évoquez le coût du dispositif. Comme l’a relevé la Cour des comptes, à maturité de ce dernier, le coût s’élèvera à 10 milliards d’euros, somme évidemment colossale. Est-il possible d’évaluer la part de la portabilité au sein de cette masse financière ? Je l’ignore, mais peut-être le savez-vous, monsieur le secrétaire d’État, et votre réponse à cette question clé pourrait éclairer nos débats sur l’article 4.

Quatrièmement, fluidifier la formation professionnelle signifie sortir des logiques autarciques et corporatistes de ses structures : le projet de loi le fait en réformant, par exemple, le régime de l’agrément des organismes paritaires collecteurs agréés. La restructuration de ce paysage encore très morcelé ne pourra que s’avérer positive, notamment pour faciliter l’établissement de passerelles d’un secteur à l’autre, au bénéfice des salariés.

Enfin, cinquièmement, fluidifier consiste à mieux orienter pour mieux anticiper : l’intitulé du projet de loi pouvait, dès le départ, être interprété comme la marque d’un fort volontarisme politique en la matière. Pourtant, le volet relatif à l’orientation, dans la première version du texte, était décevant. Mais l’examen parlementaire, en particulier les travaux de notre Haute Assemblée, est parvenu à l’enrichir substantiellement, en harmonisant le code du travail et le code de l’éducation. C’est sur cette base que pourra se constituer un droit à l’orientation tout au long de la vie digne de ce nom, concrétisant la continuité naturelle du droit à l’éducation, afin que la séparation artificielle entre domaine scolaire et domaine professionnel soit effacée. Sur cette question, beaucoup reste encore à faire pour mettre en place des structures efficaces sans créer un nouveau mastodonte.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Tout à fait !

M. Daniel Dubois. Nous veillerons à la progression de ce dossier.

En conclusion, vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d’État, le groupe de l’Union centriste considère que le présent projet de loi comporte des avancées significatives en matière de formation professionnelle ; il y est par conséquent très largement favorable.

Il me reste à féliciter la commission spéciale pour l’excellence de son travail et, en particulier, sa présidente, Catherine Procaccia, ainsi que notre rapporteur, Jean-Claude Carle. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David. (M. Jean Desessard applaudit.)

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi se donne pour objectif de rénover le dispositif de la formation professionnelle. Cet objectif est également le nôtre, non seulement parce que la formation professionnelle représente 27 milliards d’euros, mais également parce qu’elle s’adresse à l’ensemble des salariés, qu’ils soient en devenir, demandeurs d’emploi ou actifs.

Pourtant, votre texte, monsieur le secrétaire d’État, censé refléter l’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009 adopté à l’unanimité, ce qui lui confère une certaine crédibilité, est caractérisé à nos yeux par le manque d’ambition et de moyens, quand il ne porte pas atteinte au service public de la formation professionnelle.

Aussi me semble-t-il opportun de rappeler les conditions qui ont conduit à la conclusion de cet accord. Les partenaires sociaux, contraints à une négociation à marche forcée et sur la base d’une feuille de route imposée par le Gouvernement, ont été sommés de se mettre d’accord sur les réformes à réaliser pour faire de la formation professionnelle un élément central de la sécurisation des parcours professionnels pour les salariés et les demandeurs d’emploi.

En dépit du délai et des objectifs restreints, alors que la négociation sur la pénibilité au travail est toujours en cours après plusieurs années de discussions, je vous le rappelle, mes chers collègues, les partenaires sociaux ont su assumer leurs responsabilités et proposer des pistes pour la mise en place d’un système de formation au service des besoins de la société et de ses différents acteurs.

Toutefois, lors des auditions auxquelles le rapporteur nous a conviés, et de celles que nous avons par ailleurs menées avec mon groupe, les partenaires sociaux ont souligné que l’accord national interprofessionnel du 7 janvier représentait un compromis et que l’enjeu pour les parlementaires consistait à user de leur droit d’amendement pour aller plus loin et faire de la formation continue un véritable outil de promotion sociale. Le rapporteur lui-même a estimé que le législateur devait « s’appuyer sur l’accord, l’accompagner et l’amplifier » ; je dois reconnaître qu’il a concrétisé en partie ses propos, notamment sur le droit individuel à la formation, le plan régional de développement des formations professionnelles, ou encore le fonds de péréquation ; j’y reviendrai au cours du débat.

Aussi, avec la persistance de la crise et la complexité croissante du marché du travail, qui contraignent les individus à des parcours professionnels chaotiques, ce projet de loi aurait dû permettre une véritable sécurisation des parcours professionnels. Mais il n’en est rien, et plus qu’un rendez-vous manqué, monsieur le secrétaire d’État, votre texte représente, à certains égards, une régression par rapport à l’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009.

Ainsi, vous faites purement et simplement disparaître l’un des points essentiels de cet accord : le droit, pour les salariés sortis du système scolaire sans diplôme, à la formation initiale différée prise en charge par l’État ; ce droit leur permettrait pourtant d’obtenir la reconnaissance de leur qualification en tant que parcours englobant formation initiale et continue, ainsi qu’expérience professionnelle et sociale.

Ensuite, ce texte permet à votre gouvernement de se désengager un peu plus de sa politique en faveur de l’emploi au travers de la mise en œuvre d’une gouvernance floue du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, le fameux FPSPP. Comme si vous n’aviez aucune responsabilité dans la situation actuelle en ce qui concerne tant les inégalités d’accès à la formation, au détriment, notamment, des moins qualifiés, que l’immense besoin de formation nécessaire à l’élévation générale des niveaux de qualification ! Comme si votre politique de l’emploi n’avait pas consisté, ces dernières années, en des attaques répétées contre le service public de l’emploi et celui de l’éducation nationale avec les nombreuses suppressions de postes ! Vous ne proposez que de travailler plus, et si possible le dimanche.

Quant à la préparation opérationnelle à l’emploi, la POE, action de formation de 400 heures au maximum, payée par le fonds paritaire, elle est dévoyée dans votre projet de loi qui prévoit, comme seule issue, un contrat de professionnalisation, alors que l’accord national interprofessionnel prévoyait une embauche. Si le salarié peut parfois être bénéficiaire de cette POE, l’employeur, lui, sera gagnant à tous les coups : la préparation opérationnelle à l’emploi est payée par le fonds paritaire et le contrat de professionnalisation ouvre droit à l’exonération de cotisations sociales. D’autant que vous nous avez indiqué à l’instant, monsieur le secrétaire d’État, que la mise en œuvre du droit individuel à la formation pourra permettre la réalisation de cette préparation opérationnelle à l’emploi. Dès lors, il n’est plus question de portabilité du droit individuel à la formation s’il est utilisé pour la préparation opérationnelle à l’emploi.

Enfin, et alors que rien de tel n’est prévu dans l’accord national interprofessionnel du 7 janvier – sinon, vous le savez bien, cet accord n’aurait pas recueilli l’unanimité derrière laquelle vous vous retranchez –, vous poursuivez le démantèlement de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA, en la vidant de ce qui fait sa spécificité et sa renommée : son service d’orientation.

Contrairement à Pôle emploi, dont la mission première est de mettre au plus vite nos concitoyennes et concitoyens au travail, l’AFPA forme les individus dans la perspective de trouver un emploi pérenne, choisi avec discernement. Et elle accomplit sa mission avec succès : 66 % des personnes qui entament un stage à l’AFPA sont des demandeurs d’emploi, pour la plupart très éloignés de l’emploi ; pourtant, 70 % des stagiaires trouvent un emploi dans les quatre à six mois qui suivent l’issue du stage.

Vous le voyez, monsieur le secrétaire d’État, dénaturer l’AFPA et la conduire de facto à sa perte est un non-sens. À lui seul, l’article concerné nous conduira à voter contre votre texte, même s’il est vrai que l’accord national interprofessionnel et le projet de loi apportent des améliorations. D’autant qu’au regard des difficultés majeures que rencontre Pôle emploi, un an après la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC, le transfert des personnels d’orientation de l’AFPA vers cet organisme sera extrêmement complexe.

En brisant ce qui a contribué au succès de l’AFPA et en faisant de cet organisme un prestataire de formation comme un autre, monsieur le secrétaire d’État, vous vous faites le défenseur de la formation « utilitariste », prônée par les organismes privés qui sont légion et ne visent qu’à faire du chiffre, au détriment du projet professionnel des individus et de leur insertion.

La formation professionnelle est ainsi reléguée au rang de marchandise et, en tant que telle, soumise à la concurrence : il n’est plus question de service public. Mais vous ne vous en cachez pas, puisque l’objet du projet de loi est clairement affiché dans l’exposé des motifs : la formation professionnelle doit « répondre […] aux attentes de l’économie et des personnes ».

Ce texte s’inscrit donc dans la droite ligne de la stratégie de Lisbonne : la formation professionnelle, tout comme l’école, doit servir d’abord à fournir au marché du travail une main-d’œuvre opérationnelle et, autant que faire se peut, coûter le moins cher possible à l’État.

Notre approche de la formation professionnelle est aux antipodes de la vôtre. La crise, la complexification du marché du travail, le constat persistant que la formation continue profite à celles et ceux qui sont les mieux formés, appellent des mesures urgentes et ambitieuses.

Pour pouvoir être un véritable outil de promotion sociale, aboutissant à des formations diplômantes et dans l’objectif d’une sécurisation des parcours professionnels, la formation continue doit pouvoir s’appuyer en premier lieu sur une formation initiale solide, que le socle commun de connaissances et de compétences « minimaliste » issu de la loi du 23 avril 2005 n’est pas à même de fournir. Mais ma collègue Brigitte Gonthier-Maurin reviendra dans un instant sur l’absence de lien, dans ce projet de loi, entre formation continue et formation initiale.

La formation continue, afin d’être véritablement un droit, doit rester « un bien public », elle ne doit pas être laissée à la sphère privée et soumise aux aléas de la concurrence. C’est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche propose de créer une sécurité sociale d’emploi et de formation. Ainsi, dans le cadre d’un service public de sécurisation de l’emploi et de la formation, serait instaurée une couverture universelle par l’affiliation à ce service dès la fin de l’obligation scolaire, ce qui ouvrirait des droits à des revenus minima décents et à des formations continues progressivement relevées, accompagnées de bilans.

Cette proposition s’inscrit donc clairement dans la durée et non pas dans l’adaptation « au mieux » face aux aléas des évolutions subies par l’emploi. Car il est un autre reproche que nous pouvons vous adresser s’agissant de ce projet de loi : avoir attendu la « crise » pour tenter de répondre au besoin de rénovation de notre système de formation professionnelle.

Pour nous, il s’agit au contraire d’aider tout citoyen arrivant dans le monde du travail après sa scolarité à disposer de points d’appui permanents lui garantissant de construire son parcours de vie et d’emploi au moyen d’outils accessibles à tous.

Protection sociale, retraite, formation professionnelle, à laquelle doivent être consacrés au moins 10 % du temps travaillé : telles sont les propositions ambitieuses qui répondraient non seulement aux besoins et aux attentes de nos concitoyennes et concitoyens aujourd’hui, mais également aux enjeux à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, réformer le secteur de la formation professionnelle s’impose aujourd’hui comme une absolue nécessité.

Cette nécessité nous est imposée, tout d’abord, par les limites et les dysfonctionnements de ce secteur que de nombreux rapports ont soulignés, depuis plusieurs années déjà. Monsieur le secrétaire d’État, je tiens à vous féliciter d’avoir eu le courage – personne ne l’a eu avant vous – de vous attaquer à un lobby très puissant : 27 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 40 000 organismes de formation, agréés ou non, plus de cent organismes collecteurs de fonds. Pour autant, tout n’est pas dit ! (Sourires.)

La nécessité de cette réforme a été confirmée par les auditions que nous avons menées avec mes collègues de la commission spéciale. Tous s’accordent aujourd’hui sur l’urgence à faire évoluer un secteur où 27 milliards d’euros sont dépensés chaque année dans des conditions trop peu transparentes, où la collecte des fonds de la formation professionnelle est effectuée par une centaine d’organismes différents et où certains organismes de formation font preuve d’un professionnalisme insuffisant.

La contractualisation, l’évaluation systématique, ainsi que la labellisation des organismes de formation apparaissent donc comme les piliers d’une réforme de la formation professionnelle ; j’aurai l’occasion d’y revenir.

Cette réforme est indispensable, parce que depuis l’accord de 1970 – porté par Jacques Chaban-Delmas et Jacques Delors – et la loi.de 1971 qui a suivi, nous avons superposé des mesures, toutes plus spécifiques les unes que les autres, sans que personne s’en étonne, faisant ainsi perdre toute lisibilité globale à la politique de formation professionnelle.

Il est vrai, d’ailleurs, que, depuis 1945, l’état d’esprit qui prévaut dans ce pays pourrait se résumer ainsi : « ce qui est social est vertueux, et ne justifie donc pas le contrôle ». Malheureusement, l’histoire de la formation professionnelle, tout comme celle d’autres secteurs, nous a démontré que la gestion du social n’était pas toujours vertueuse.

Avant de poursuivre plus avant ma réflexion, je tiens particulièrement à souligner ici que toute réforme législative s’avérera insuffisante tant que notre système éducatif et professionnel restera cloisonné, tant que l’on continuera à entretenir la dictature du diplôme et à dévaloriser, à due concurrence, le savoir-faire non scolaire, tant que l’on ne cessera pas, en somme, d’opposer les études au travail.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Pierre Plancade. Si les études sont importantes, et si je reconnais que notre système scolaire est capable de produire des gens de grande qualité, même des « chevaux de race » (Sourires.), il n’en reste pas moins que cette hyper-sélectivité engendre des exclus, lesquels ont les plus grandes difficultés à s’insérer sur le marché du travail. Cette hyper-sélectivité ne valorise pas suffisamment les intelligences, dès lors que celles-ci ne s’inscrivent pas dans le cadre strictement scolaire ou universitaire ; elle entrave et décourage le développement d’intelligences qui se seraient bien plus épanouies dans un autre contexte.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Eh oui !

M. Jean-Pierre Plancade. Ce constat, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, est accablant. Il est urgent que tous, quels que soient les résultats scolaires, puissent enfin réellement avoir leur chance. Il est donc urgent de briser ce système cloisonné pour le remplacer par un système qui sache reconnaître, valoriser et utiliser les compétences acquises par le travail.

Un véritable changement dans l’organisation du travail s’impose donc aujourd’hui : il faut sortir du taylorisme, de cette « logique de postes » et de cloisonnement qui cantonne l’homme à une fonction particulière, et lui permettre d’utiliser ses compétences pour évoluer dans et hors de l’entreprise, ce qui lui sera par ailleurs, à tous points de vue, extrêmement profitable. C’est une réelle révolution managériale qui est nécessaire.

La réforme qui se prépare aujourd’hui est importante, mais, de mon point de vue, elle ne peut être qu’une étape. Le projet de loi reste relativement technique et n’aborde pas suffisamment, en effet, cette question de la gestion des compétences acquises dans le cadre professionnel. Or cette innovation est plus que jamais indispensable. L’avenir de la formation professionnelle et, par-delà, l’épanouissement individuel au travail sont aujourd’hui en jeu. Ce sont ce contexte et ces enjeux que nous nous devons d’avoir à l’esprit lorsque nous discutons ce projet de loi.

Le présent texte, force est de le reconnaître, comporte des avancées intéressantes, mais il ne me paraît pas, pour autant, être à la hauteur des évolutions de notre société, ainsi que des mutations extrêmement profondes auxquelles doit faire face le monde des entreprises ; je pense d’ailleurs tant aux salariés qu’à l’encadrement et aux dirigeants. Mais peut-être ouvre-t-il une porte et prépare-t-il à ces changements.

S’agissant des incidents graves qui agitent le monde de l’entreprise et du mal-être exprimé, entre autres, par l’encadrement, je voudrais dire, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, que je suis outré que le PDG d’une entreprise française puisse évoquer une « mode du suicide », avant de se perdre en excuses fumeuses.

M. Yvon Collin. C’est minable !

M. Jean-Pierre Plancade. Si cet homme avait un peu de dignité, il aurait démissionné, car ce n’est pas avec un tel état d’esprit que l’on peut continuer à gérer une entreprise.

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Jean-Pierre Plancade. Ce manque d’humanité, ce manque de respect pour ses collaborateurs sont gravissimes !

M. Guy Fischer. Nous partageons ce point de vue !

M. Jean-Pierre Plancade. Je tenais à le dire, même si c’est un peu hors-sujet. Une formation managériale fait sûrement défaut à cet homme.

M. Yvon Collin. C’est sûr !

M. Jean-Pierre Plancade. Ces incidents, ce mal-être, la peur légitime des jeunes face à leur insertion dans le monde économique, l’amertume des seniors qui, de plus en plus tôt, ont l’impression de devenir inutiles sont autant de phénomènes qui me mettent mal à l’aise et me laissent penser que le système de formation professionnelle initiale et continue de notre pays et les modes d’organisation du travail et de management doivent être revisités de fond en comble. Une approche globale et cohérente, visant notamment à clarifier le rôle des différents acteurs, s’impose.

Il faut proposer une ambition claire à tout citoyen de notre pays. Nous devons lui donner les moyens de gérer son parcours professionnel, pour qu’il n’ait plus à le subir ; nous devons l’aider et l’accompagner, mais nous ne devons pas décider à sa place.

Monsieur le secrétaire d’État, se trouve-t-il vingt personnes dans ce pays capables d’expliquer comment fonctionne notre système de formation professionnelle et de le justifier ? Non ! Dès lors, comment voulez-vous que les salariés et les entreprises elles-mêmes s’y retrouvent ?

La formation professionnelle est devenue en France un système d’experts ; ces derniers, quelle que soit leur origine professionnelle, sont parfois plus au service des dispositifs que de la formation elle-même.

Plusieurs questions me viennent à l’esprit.

Comment la France peut-elle être à la fois le pays où la durée des études est la plus longue et celui où les jeunes ont le plus de mal à s’insérer dans le monde de travail et où leur taux de chômage est, de manière quasi-systématique, deux fois supérieur à celui de la population active ?

Comment expliquer que la France, qui est l’un des rares pays occidentaux à avoir une obligation légale de financer la formation professionnelle, ce qui, bien entendu, est formidable, ne se place qu’au milieu des pays de l’OCDE en termes de dépenses de formation par salarié ? C’est une vraie question !

M. Yvon Collin. Eh oui !

M. Jean-Pierre Plancade. C’est, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parce que la France a créé l’obligation de payer sans créer pour autant l’obligation de former.

Par ailleurs, comment ne pas être perplexe face à un système qui, dans les faits, bénéficie principalement aux grandes entreprises et aux salariés les plus qualifiés, alors même que la lutte contre les inégalités constituait, dès 1971, l’un de ses objets ?

Comment, enfin, ne pas être interpellé par le paradoxe des salariés les moins qualifiés, qui ont peu d’appétence pour la formation professionnelle, alors même que leurs qualifications sont le meilleur gage de leur employabilité ?

La formation professionnelle a déjà fait l’objet de plusieurs rapports, notamment le rapport d’information de nos collègues Bernard Seillier et Jean-Claude Carle et le rapport de la Cour des comptes : tous pointent les limites d’un système devenu peu à peu complexe et inefficace ; on a même parlé de « dérive » de la formation professionnelle.

Au fur et à mesure des accords et des réformes, notre système de formation s’est complexifié et est devenu totalement incompréhensible, qu’il s’agisse de son contenu même ou de son organisation qui repose sur un enchevêtrement des dispositifs, des acteurs et des territoires. Vous rendez-vous compte, mes chers collègues ? Moins de vingt personnes, je l’ai dit tout à l’heure, sont capables d’expliquer et de justifier ce dispositif, alors même que nous voudrions que chaque chef d’entreprise et chaque salarié se saisissent des instruments mis à leur disposition pour construire une vraie stratégie d’entreprise visant à la fois la compétitivité de tous et, surtout, l’employabilité de chacun.

J’espère que la loi que nous examinons aujourd’hui marquera la fin d’une longue, d’une trop longue série de textes. Je souhaite que le prochain texte qui sera voté nous donne véritablement les moyens de préparer l’avenir et d’aider à construire un environnement professionnel adapté aux besoins du XXIe siècle.

Face aux mutations considérables auxquelles nos sociétés sont aujourd’hui confrontées, les adaptations que prévoit cette loi nous semblent quelque peu insuffisantes. Nous aurions plutôt voulu que l’on rende rapidement possibles des expérimentations d’entreprise, au cadre légalement fixé, qui bénéficieraient de l’accord des acteurs de l’entreprise et qui seraient évaluées régulièrement. Nous aurions également souhaité que cette recherche englobe l’évolution d’une personne sur une longue durée, de l’école à la retraite, en recherchant la cohérence de son parcours. Nous aurions aimé, enfin, que la défense des systèmes existants ne vienne pas empêcher les innovations et les expérimentations, qu’elle ne vienne pas décourager les volontaires.

Je sais que très nombreux sont les salariés du secteur privé et du secteur public qui, malgré leur bonne volonté, leurs idées et leur énergie, finissent, à force d’épuisement, par se décourager, alors qu’il existe ponctuellement des lieux au sein desquels les modes de management et d’organisation permettent à chacun de développer son potentiel, et ce bien mieux qu’une action de formation ne le ferait.

Nous observons aujourd’hui que le diplôme a peu à peu pris le pas sur le métier et que, dans notre pays, c’est plus le diplôme que l’expérience professionnelle qui a les faveurs des recruteurs. C’est là faire preuve d’une attitude exclusive, et prendre le risque de se priver ainsi de nombreux talents et de nombreuses compétences.

Les expérimentations d’entreprise dont je vous parle devraient permettre de sortir du cadre réglementaire actuel et nous aideraient peut-être à clarifier nos positions. Nous sentons bien, aujourd’hui, que les forces en présence nous empêchent souvent de réfléchir et d’innover en toute sérénité : le système éducatif a ses propres résistances, les partenaires sociaux leurs limites, et les pouvoirs publics, tant nationaux que territoriaux, sont pris dans le jeu contradictoire des lobbies.

Les chefs d’entreprise et les salariés, qui se sentent fréquemment démunis face à la complexité de ces questions, finissent souvent par reléguer le facteur humain au second rang, alors qu’il est l’un de nos principaux atouts pour le futur.

Avant de conclure, je voudrais vous proposer de rêver un peu, de rêver à un pays où chaque salarié aurait conscience de son potentiel et du capital humain qu’il représente, de la responsabilité qui lui incombe de le faire fructifier pour le bien-être de tous, un pays où chaque cadre, chaque chef de service, chaque directeur ou manager aurait conscience qu’il joue un rôle fondamental dans l’évolution des capacités de chacun, ce qui concerne autant le management que la formation, ...

M. Jean Desessard. Vous êtes un idéaliste !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Il en faut !

M. Yvon Collin. On en a besoin !

M. Jean-Pierre Plancade. ... un pays où l’on recentrerait l’école sur l’acquisition des fondamentaux et non sur la course à la professionnalisation – une course de toute façon perdue d’avance face à la rapidité d’évolution des entreprises et des métiers –, un pays où l’on mettrait en place, pour chaque personne, dès la sortie de l’école, un compte-épargne individuel de développement des compétences, tous les acteurs concernés – partenaires sociaux, régions, Pôle emploi et autres – étant là pour aider chacun à en tirer parti et à en négocier l’utilisation avec son employeur.

Je voudrais enfin rêver à un pays où chacun, où qu’il soit, se sente responsable et impliqué dans la performance de son pays, ce qui est le gage d’un modèle social et d’un niveau de vie auquel nous tenons tous. Une seule condition pour cela : une hausse rapide du niveau de compétence et de qualification de chacun, et la mobilisation de tous.

Le système actuel nous y prépare-t-il ? Vous l’avez compris, monsieur le secrétaire d’État, je n’en suis pas certain.

Nous devons dès maintenant réfléchir à la prochaine réforme, nous donner le temps d’élaborer des scénarii qui rompent avec le passé et qui préparent le monde de demain. Nous devons nous donner le temps d’inventer un système souple, adaptable, innovant et précurseur, un système qui n’hésite pas à responsabiliser la totalité des acteurs.

Un jeune qui rentre cette année à l’école primaire ne travaillera pas avant 2029. Que sera alors le monde professionnel ? Un jeune qui rentre dans le monde du travail aujourd’hui travaillera encore en 2050. Que vaudra alors son diplôme ? Qu’en sera-t-il, par conséquent, de son employabilité ?

Nous devons assumer nos responsabilités face à l’avenir, mais notre dispositif n’est plus à la hauteur des enjeux, je viens de l’expliquer. C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je serai très attentif à l’évolution de ce texte devant le Sénat.

Certes, il comporte, je l’ai dit, de nombreuses avancées, mais il ne jette pas toutes les bases d’une grande réforme de la formation professionnelle, dont notre pays a besoin. Il ne traduit pas non plus concrètement, monsieur le secrétaire d’État, les ambitions affichées par le Gouvernement. Il ne permet pas, notamment, d’instaurer, par le biais du « droit individuel différé à la formation », un véritable continuum entre l’école et la formation professionnelle. Je considère qu’il s’agit là d’un oubli important.

Je n’oublie pas non plus, et je tiens à le rappeler ici, que lorsque j’ai moi-même interrogé, une à une, chacune des organisations professionnelles au cours des auditions de la commission spéciale en leur demandant si ce texte constituait une avancée, toutes m’ont répondu par l’affirmative, et ce même si de nombreuses réserves subsistaient.

C’est en ayant à l’esprit à la fois ces avancées, les positions des organisations professionnelles, les critiques que ce texte m’inspire et que le groupe du RDSE partage globalement, et au vu des discussions que nous aurons dans cet hémicycle, que mes collègues du groupe du RDSE et moi-même arrêterons notre position de vote.

Je ne saurais conclure sans féliciter la présidente de la commission spéciale, son rapporteur ainsi que les commissaires de tous bords, qui durant les auditions ont fait preuve d’une réelle conscience professionnelle et d’un vrai professionnalisme. Et même si nous ne partagions pas tous les mêmes idées, nous nous sommes tous accordés sur le même diagnostic. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur les travées de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.

Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui traite d’un sujet ô combien ! important : celui de la formation professionnelle.

Dans une société où le marché de l’emploi s’est considérablement transformé, où chaque individu doit changer plusieurs fois d’emploi et parfois de métier dans sa vie professionnelle, où la mobilité professionnelle se conjugue avec la flexibilité de l’emploi, la formation et la sécurisation du parcours professionnel doivent constituer pour le travailleur les moyens de faire face aux changements qui s’imposent à lui.

La formation constitue donc un élément décisif de notre société, de nos sociétés ; elle conditionne à la fois la qualité de l’emploi des salariés, leurs salaires, mais aussi la compétitivité des entreprises et le développement des économies. Elle participe donc à la dynamique de progrès et de justice sociale dans laquelle devrait s’inscrire notre société.

Nous sommes tous d’accord sur un point : notre système de formation est complexe, cloisonné, inégalitaire, car il favorise les plus qualifiés qui travaillent dans les grandes entreprises et pénalisent ceux qui travaillent dans les petites et très petites entreprises.

Les déficiences du système sont nombreuses.

Le système de formation initiale entraîne chaque année la sortie de quelque 150 000 jeunes sans diplôme, auxquels il convient d’ajouter les près de 80 000 jeunes qui ont engagé sans succès des études universitaires.

La question est simple : monsieur le secrétaire d'État, votre texte permet-il de régler ces problèmes ? Permet-il de réformer, à hauteur des enjeux, ce secteur stratégique dont la complexité et l’opacité actuelle nuisent gravement à son efficacité ?

La méthode utilisée par le Gouvernement pour ce projet de loi n’est pas acceptable. Ce texte nécessitait concertation, échanges, confrontations, dialogues avec tous les acteurs et partenaires.

M. Jean Desessard. Très bien !

Mme Christiane Demontès. La procédure accélérée imposée sur ce projet de loi n’a pas permis de lever certaines ambiguïtés, de combler des manques qui subsistent aujourd’hui. Les conditions dans lesquelles nous avons travaillé n’ont pas été propices à une préparation digne des défis qui sont à relever dans ce secteur. Nous, sénateurs socialistes, comme d’autres, avons été très présents lors des nombreuses auditions auxquelles M. le rapporteur nous a conviés. Nous ressentons aujourd’hui un goût d’inachevé, car certains sujets n’ont pas été abordés dans ce projet de loi.

Ces contraintes ont été telles que le souhait émis par le rapporteur et la présidente de la commission spéciale de voir l’examen de ce texte reporté après la session extraordinaire était largement compréhensible. Malheureusement, ils n’ont pas été entendus. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé de vous aider, madame la présidente de la commission spéciale !

Mme Catherine Procaccia, présidente de la commission spéciale. Tout à fait !

Mme Christiane Demontès. Le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis a été débattu à l’Assemblée nationale du 15 au 17 juillet dernier. Au regard des modifications apportées, il diffère du texte initial du Gouvernement. Il n’en demeure pas moins que son architecture reste identique. Il est construit autour de deux axes principaux : le premier transpose l’accord national interprofessionnel, l’ANI, du 7 janvier dernier, alors que le second a trait aux propositions gouvernementales.

L’accord national interprofessionnel a été signé par l’ensemble des partenaires sociaux – c’est une grande première – et il marque un tournant essentiel : pour la première fois, la formation des demandeurs d’emploi est réellement prise en compte.

Dans cet accord, plusieurs éléments positifs apparaissent, comme la portabilité du droit individuel à la formation, qui permet au salarié privé d’emploi de faire valoir ses droits acquis au titre du DIF pendant deux ans. Cette disposition participe de la sécurisation du parcours professionnel. Dès lors qu’un bon usage en est fait, le bilan d’étape professionnel peut être une mesure positive.

Je citerai également l’extension du contrat de professionnalisation aux bénéficiaires des minima sociaux et autres titulaires des contrats aidés. Nos concitoyens éloignés de l’emploi pourront, grâce à cette mesure, bénéficier de l’efficacité des formations en alternance.

Enfin, la limitation du nombre d’organismes paritaires collecteurs agréés, les OPCA, peut aussi être considérée comme allant dans le bon sens, même si des réponses devront être apportées aux questions des critères de regroupements. Mais faisons confiance aux partenaires sociaux.

Malheureusement, et encore une fois, si le texte qui nous est présenté reprend les éléments très positifs de l’ANI, il « oublie » de transposer des éléments présents dans l’accord et aussi importants que « la formation initiale différée ». Il s’agit pourtant d’un élément fondamental pour qui prétend construire une société du savoir et de la connaissance.

Toutes les statistiques le montrent : ce sont les jeunes les moins qualifiés et non diplômés qui rencontrent les plus grandes difficultés au moment de leur insertion professionnelle. Ce ne sont pas la présidente et le rapporteur de la mission commune d'information sur les jeunes, présents dans cet hémicycle, qui me contrediront. De même, ces jeunes qui n’ont pas bénéficié d’un socle de connaissances suffisamment solide se retrouvent, à l’occasion d’une rupture professionnelle, plus souvent chômeurs de longue durée, voire allocataires de minima sociaux.

La « formation initiale différée », inscrite depuis plusieurs années dans les accords, n’a jamais été transposée dans la loi. La principale raison évoquée pour l’expliquer est le coût de la mesure. Mais nous interrogeons-nous sur le coût des 200 000 jeunes qui sortent chaque année sans diplôme du système de formation initiale, et ce malgré la loi d’orientation et de programmation pour l’école de 2004, qui reprenait les objectifs de celle de 1989 concernant la lutte contre les sorties du système scolaire sans diplôme ?

Au-delà de l’absence de « formation initiale différée » dans ce projet de loi, c’est aussi l’absence de formation professionnelle initiale qui est dommageable. Tout se passe comme si « la formation professionnelle tout au long de la vie » ne commençait qu’à l’issue du système éducatif, laissant de côté le problème de l’échec scolaire et l’incapacité de l’école française à permettre à tous ses élèves d’acquérir un socle de connaissances suffisant pour s’engager dans la vie professionnelle.

Certes, l’article 2 vise à relier et à articuler le socle commun des connaissances tel que le prévoit l’article L. 122-1-1 du code de l’éducation avec les connaissances et les compétences favorisant l’évolution professionnelle, ainsi que le précise l’article L. 6111-1 du code du travail. Reste que cette disposition n’a qu’une valeur déclarative et aucune valeur prescriptive.

Rien non plus ou presque n’est prévu sur l’apprentissage, pourtant considéré comme une voie de formation efficace et dont la réglementation mériterait une simplification et une plus grande transparence. Nous présenterons d’ailleurs un amendement visant à une clarification des compétences et des financements.

Certaines modifications ont été apportées par la commission spéciale, en particulier par le rapporteur, concernant l’apprentissage ; certaines nous conviennent, d’autres non, et nous aurons l’occasion de le dire lorsque nous examinerons les différents articles.

Il n’y a rien non plus dans ce projet de loi sur la formation professionnelle initiale sous statut scolaire, qui concerne plus des deux tiers des jeunes formés chaque année. L’image dévalorisée de certains lycées professionnels n’incite guère nos jeunes à se construire une représentation positive de cette voie de formation. La création du bac professionnel en trois ans, c’est-à-dire une année de moins qu’actuellement, laissera sans doute sur le bord du chemin de nombreux jeunes, qui ont besoin de plus de temps pour apprendre.

Cette absence de lien entre formation initiale et formation continue, qui constituent à elles deux le concept de formation tout au long de la vie, est de notre point de vue tout à fait dommageable, car la continuité des parcours de formation constitue aussi un moyen de lutter contre l’échec scolaire.

Si la portabilité du DIF prévu dans l’ANI va dans le bon sens, et nous l’avons déjà dit, nous constatons qu’aucune disposition ne concerne la réforme du DIF et du CIF créés par la loi de 2003.

Pourtant, le constat dressé par la Cour des comptes est sans appel : « Le DIF et le CIF n’apportent qu’une contribution très incomplète à la correction des inégalités d’accès à la formation professionnelle continue et à la sécurisation des parcours professionnels en raison, notamment, de leur absence de complémentarité, d’un faible nombre de bénéficiaires et de leur absence de ciblage sur les publics les plus fragiles. » Sans doute quelques améliorations sont-elles apportées par la commission spéciale, mais je pense que nous n’allons pas au terme du processus.

Un autre manque important concerne l’orientation. Ce sujet est à peine effleuré dans l’intitulé du projet de loi et dans le titre Ier. Or les propositions du Livre vert de Martin Hirsch, issues de la mission « jeunes » sont beaucoup plus concrètes : elles visent à améliorer la cohérence dans l’organisation du système d’orientation en reprenant l’idée de mettre en place un « service public d’orientation territorialisée ». Mon collègue Claude Jeannerot reviendra plus longuement sur la question de l’orientation et sur celle du rattachement des psychologues de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA, à Pôle emploi.

Je voudrais maintenant évoquer le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, le FPSPP. Sur ce sujet aussi, les questions demeurent. En effet, le FPSPP, prévu par l’Accord national interprofessionnel, avait pour objectif initial de recentrer les actions de formation sur les demandeurs d’emploi et les salariés les moins qualifiés. Au premier abord, l’idée est donc intéressante.

Il aurait été logique de voir se mettre en place un système simple, visant à permettre un financement rapide d’une offre de formation en adéquation avec les besoins de qualification du marché du travail. Peine perdue, c’est une véritable « usine à gaz » que vous nous proposez d’instaurer. Cette architecture est si redoutable qu’il y a fort à parier que le degré d’efficacité en sera très lourdement affecté.

En outre, des interrogations subsistent sur les possibilités d’affectation d’une partie du prétendu pactole de la formation professionnelle, soit 900 millions d’euros. Certains craignent que l’objectif réel du Gouvernement ne soit de renflouer les caisses de l’État.

Mme Raymonde Le Texier. Quel mauvais esprit…

Mme Christiane Demontès. Dans une telle hypothèse, ce fonds connaîtrait le même destin que son prédécesseur, le fonds unique de péréquation. Dès lors, la disposition prévue à l’article 9 peut, in fine, apparaître plus intéressée qu’intéressante.

J’interviendrai sur un dernier point : le plan régional de développement des formations professionnelles des jeunes et des adultes.

Le traitement que lui réserve le Gouvernement consacre un recul évident. Les lois successives de 1993, 2002 et 2004 avaient, peu à peu, permis l’essor d’un outil pertinent, tant au regard de sa dimension prévisionnelle concernant les formations initiales, celles qui étaient dispensées par l’AFPA et celles qui s’inscrivaient dans le secteur sanitaire et social, qu’au regard de son adéquation avec la réalité économique du territoire régional.

Les régions ont acquis un savoir-faire et une expertise incontestables, quelle que soit leur couleur politique. Or le Gouvernement entend revenir sur cet acquis majeur de la décentralisation. En l’occurrence, Il s’agit d’un retour en arrière sur la décentralisation de la formation professionnelle et particulièrement sur l’une des compétences importantes des conseils régionaux.

Cela est contestable à plus d’un titre. Premièrement, les partenaires sociaux, et ils nous l’ont dit, n’étaient pas demandeurs d’une telle réorientation. Deuxièmement, sur le terrain, l’ensemble des acteurs s’accordent pour dire que cette architecture décentralisée est adaptée, car la région constitue un territoire pertinent. Troisièmement, il y a fort à parier que cette nouvelle architecture rigidifiera et alourdira le système, alors que c’est bien tout le contraire qu’il faut faire.

Enfin, chacun le sait, à l’occasion de l’élaboration du PRDF, tous les acteurs se rencontrent, des accords sont passés, des conventions sont signées avec l’État par l’intermédiaire du préfet. Dès lors, pourquoi vouloir ajouter une, voire deux signatures, lesquelles prennent la forme d’une mise sous tutelle qui n’oserait dire son nom ? Nous constatons d’ailleurs avec satisfaction que l’amendement de M. le rapporteur permet d’améliorer quelque peu l’esprit et la lettre de l’article 20.

II n’en reste pas moins que la logique prédominante est celle d’une reprise en main par l’État, à laquelle nous nous opposons fermement.

En lieu et place d’une gouvernance déjà trop éclatée, il aurait été plus constructif de ne pas augmenter le nombre des acteurs. L’expérience nous a montré ce qu’il advient des co-gouvernances : soit elles dérivent vers une opacité encore plus grande, soit l’État reprend seul la main. Cette disposition tourne le dos à une multitude de rapports de la majorité, dont ceux de MM. Balladur et Lambert, lesquels proposaient de positionner la région comme pilote unique de la formation professionnelle.

Par ailleurs, cet article ignore un enjeu essentiel : la capacité collective de tous les acteurs de la formation à coordonner leurs actions après en avoir défini les objectifs.

En lieu et place d’une communication à outrance, vantant l’investissement de millions d’euros que vous n’avez pas et que vous ne cessez de transférer vers les collectivités territoriales, notamment régionales que vous dédaignez tant, il aurait été préférable de faire preuve de volontarisme et de doter notre pays d’un système de formation tout entier tourné vers l’innovation, le savoir et la connaissance. Les partenaires sociaux et les collectivités territoriales étaient prêts à y jouer tout leur rôle.

Ce texte est en définitive une occasion ratée. Le Président de la République l’avait annoncé, la réforme de la formation professionnelle devait être l’un des chantiers prioritaires du quinquennat. À la lecture de ce texte, nous constatons une fois encore qu’entre les discours et les actes, le fossé est immense, et que la montagne a accouché d’une souris. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Annie David ayant précédemment exposé la position de notre groupe sur ce projet de loi, je voudrais, quant à moi, exprimer le profond regret, d’ailleurs partagé par nombre des intervenants auditionnés, que ce projet de loi n’ait pas fait le lien entre formation initiale et formation continue. Dès lors, comment prétendre mettre en place un véritable droit à la formation tout au long de la vie ? Comment rendre cette formation efficace si, simultanément, n’est pas posée la question de son articulation avec une orientation et une formation dès le début du parcours ?

Vous me répondrez qu’il y avait l’ANI ! Le travail issu des négociations entre organisations syndicales et patronales, concrétisé par la signature de l’ANI en janvier dernier, est un acte important de compromis social que l’on doit évidemment prendre en compte. Mais il ne constitue par pour autant un horizon indépassable. Notre rôle de parlementaires est de l’enrichir.

Il aurait fallu élargir davantage nos auditions, réfléchir à la construction d’un système cohérent et complémentaire avec tous les acteurs de la formation initiale et continue.

Notre rapporteur a bien tenté de pallier cet écueil, mais par la seule voie du développement de l’apprentissage, sur lequel je reviendrai.

Trop peu d’occasions nous ont été offertes depuis deux ans de confronter nos conceptions respectives de la formation initiale, alors même que les réformes engagées à l’école et à l’université sont légions et ne font pas consensus.

Pourtant, un chiffre, au moins, aurait dû nous obliger à mener cette réflexion : 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ni qualification. Bien sûr, il ne s’agit pas de sombrer dans la seule visée utilitariste, donc de court terme, de la formation, qu’elle soit initiale ou continue.

L’article 1er de ce projet de loi, relatif à la définition même de la formation professionnelle tout au long de la vie, fixe l’objectif « de progresser d’au moins un niveau de qualification au cours de sa vie ». C’est certes mieux que la version initiale du texte, mais cela manque d’ambition.

Nous proposons que cet article fasse mention des personnes sorties du système scolaire sans diplôme ni qualification professionnelle, celles-là même qui, tous les rapports le soulignent, sont les plus éloignées de la formation alors qu’elles en auraient le plus besoin.

C’est pourquoi nous croyons que l’idée d’un droit à la formation initiale différée avait toute sa place dans ce texte. L’ANI, dans son article 16, en avait d’ailleurs tracé une première ébauche à destination des salariés.

M. Guy Fischer. Très bien !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Pour nous, il s’agit non pas de renoncer à l’ambition du plus haut niveau de formation initiale pour tous, mais bien de créer l’opportunité d’une deuxième chance, que l’État se doit de garantir et où l’éducation nationale doit d’ailleurs prendre toute sa place. C’est le contraire du renoncement et du désengagement de l’État.

C’est la raison pour laquelle l’idée d’un droit à la formation initiale différée me paraît plus positive que l’extension des écoles de la deuxième chance.

La formation professionnelle doit en effet se concevoir sur la base d’une formation initiale solide et réussie, en lien avec le lycée et l’université, s’appuyant sur une éducation nationale à la hauteur des ambitions d’une grande nation.

À ce propos, je tiens à redire avec force que la généralisation du baccalauréat professionnel en trois ans est une erreur. Les expérimentations l’ont d’ailleurs montré : près de 50 % des lycéens concernés ne parvenaient pas jusqu’au diplôme et sortaient alors du système scolaire sans qualification.

Ainsi, loin de revaloriser cette filière qui scolarise tout de même un jeune sur trois, une telle décision, à laquelle s’opposent toujours les acteurs concernés, va tout au contraire l’appauvrir puisque c’est un mode de remédiation important qui se trouve ainsi compromis.

Le texte issu de la commission spéciale fait une large place à l’apprentissage. Si celui-ci constitue une voie réelle d’insertion pour des jeunes, comment ne pas voir qu’il demeure encore grandement l’apanage d’une orientation par l’échec ?

Car indissociablement de la formation se pose la question de l’orientation. Le projet de loi, dans sa version initiale, était terriblement muet sur le sujet. Les avancées adoptées par la commission spéciale méritent d’être soulignées.

Le droit pour toute personne à être « informée, conseillée et accompagnée en matière d’orientation professionnelle » est désormais inscrit au sein même du chapitre du code du travail consacré aux « objectifs et contenu de la formation professionnelle » : c’est un symbole fort ! Mais la loi doit aussi se donner les moyens de le concrétiser. Elle souffre, à cet égard, d’une nouvelle défaillance.

Nous défendrons de nouveau la création d’un grand service public de l’orientation tout au long de la vie.

Se posera, bien sûr, la question des conseillers d’orientation psychologues. Le Gouvernement organise, de fait, leur disparition. Le sentiment répandu de leur relative inutilité est, à mon sens, le fait de perceptions biaisées ; j’y reviendrai lors de nos débats.

Enfin, l’orientation doit devenir une préoccupation principale réelle et non plus simplement nominale du système éducatif, tant initial que continu. Sinon, comment sortir de la spirale destructrice de l’orientation par l’échec, qui ajoute aux inégalités sociales les inégalités scolaires ?

Cet objectif implique de s’inscrire dans une ambition émancipatrice qui implique le développement de l’autonomie des individus et l’élévation de leurs connaissances, c'est-à-dire un haut niveau de culture pour tous.

La formation initiale doit permettre de transmettre des outils intellectuels donnant la possibilité d’avoir prise sur le monde grâce à sa compréhension. À mon sens, c’est l’inverse du socle commun des compétences, socle minimaliste qui distingue le minimum pour tous et le supplément pour quelques-uns.

À titre d’exemple, les enseignements artistiques sont progressivement diminués ; je pense, notamment, au cas de l’enseignement professionnel où les heures ont été divisées par deux.

Quand à la formation continue, une étude de 2006 du Centre d’études et de recherches sur les qualifications, ou CEREQ, montre que, entre 1975 et 2005, deux fois plus de salariés ont bénéficié d’une formation payée par l’employeur. Mais, durant la même période, la durée moyenne des formations a été divisée par deux et on a observé une diminution de près de la moitié du pourcentage de ces formations donnant lieu à une reconnaissance par diplôme ou qualifications, donc ayant un impact sur le salaire.

C’est cette vision utilitariste de la formation, tant initiale que continue, qu’il faut stopper. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré.

Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la formation professionnelle est un enjeu essentiel. Dans un monde ouvert aux échanges, la compétitivité d’un pays repose en grande partie sur la qualification de sa population.

L’enjeu économique se double d’un enjeu social. La formation professionnelle ne conditionne pas seulement aujourd’hui l’accès à l’emploi. Elle détermine pour chacun la possibilité de se maintenir dans celui-ci par l’adaptation de ses connaissances au rythme de l’évolution du progrès technique et de la recomposition des métiers. Elle s’affirme ainsi comme l’instrument majeur de la sécurisation des parcours professionnels.

Dans un discours prononcé après son élection, le Président de la République a déclaré son intention de revoir notre système de formation non seulement parce que la formation professionnelle est une « nécessité économique », mais également parce que « c’est le droit à la seconde chance, […] un modèle de société où, à tout moment, on peut remonter dans l’ascenseur social ».

La formation professionnelle doit, en effet, offrir une possibilité de promotion professionnelle et sociale à chaque salarié. Elle constitue une chance pour celui qui souhaite évoluer dans son emploi, et un atout pour celui qui doit en trouver un autre.

Car la vie professionnelle ne peut plus se résumer à une carrière linéaire, comme à l’époque où les bases du droit à la formation ont été posées. Personne ne peut être assuré qu’il passera toute sa vie dans la même entreprise, qu’il fera le même métier, ou que sa vie professionnelle se déroulera sans rupture. Il s’agit bien désormais d’un véritable parcours.

Or, alors que les enjeux sont considérables et que la France consacre chaque année 27 milliards d’euros à la formation professionnelle, notre système de formation n’a plus l’efficacité souhaitée.

J’ai participé, en 2007, à une mission d’information présidée par notre collègue Jean-Claude Carle. Le rapport publié par la suite, souvent cité depuis, a dénoncé « la grande complexité, les cloisonnements et les corporatismes » – les fameux trois C – de notre système de formation professionnelle. Son plus grave défaut est sans doute d’être fortement inégalitaire, comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État. En effet, un ouvrier sur sept bénéficie d’une formation selon ses besoins, alors qu’un cadre sur deux aura l’opportunité de se former.

Quant aux salariés des PME et à leurs entreprises, ils financent la formation professionnelle sans en bénéficier. La probabilité de se former pour le salarié d’une entreprise de moins de 10 salariés est cinq fois moindre que celle du salarié d’une entreprise de plus de 500 salariés.

On sait par ailleurs que 75 % des demandes de formation des chômeurs n’aboutissent pas, alors même que la formation professionnelle est considérée, depuis près de trente ans, comme l’une des clés de la réinsertion dans l’emploi et comme l’un des meilleurs outils au service de la lutte contre le chômage.

Réformer la formation professionnelle, qui a une longue histoire, n’en est pas moins difficile, car le dispositif de formation est très complexe et fonctionne par compartiments.

La qualité du dialogue social engagé par l’État est un gage de réussite de la réforme. Je souhaite à cet égard souligner que l’accord conclu entre les partenaires sociaux le 7 janvier dernier a été adopté à l’unanimité. Cette réforme doit donc nous rassembler, au-delà des clivages politiques.

Comme nous l’a expliqué M. le secrétaire d’État, le projet de loi est sous-tendu par trois objectifs : assurer une plus grande justice du système, garantir l’emploi ou les conditions d’un retour à l’emploi, la transparence du dispositif, sa lisibilité et son évaluation.

Je me réjouis des principales orientations du projet de loi.

Tout d’abord, la création du fonds de sécurisation des parcours professionnels, qui aura vocation à financer la formation des demandeurs d’emploi, permettra la formation de 500 000 salariés peu qualifiés et de 200 000 demandeurs d’emploi supplémentaires. Ce fonds collectera 900 millions d’euros par an.

Ensuite, et c’est un autre point majeur, la réorientation de la formation professionnelle vers les petites et moyennes entreprises réduira les inégalités. En effet, les sommes que versent les entreprises de moins de cinquante salariés au titre de la formation seront « sanctuarisées ». Au total, chaque année, 1,2 milliard d’euros du plan de formation sera exclusivement consacré à la formation dans ces entreprises.

Enfin, je souhaite souligner l’importance de la réforme du statut des organismes collecteurs paritaires agréés, ou OPCA, dont il faut réduire le nombre et mieux contrôler l’action. La diminution du nombre des OPCA devrait permettre de simplifier la mécanique financière d’une complexité effarante qui régit actuellement la collecte des fonds et de réduire les dérives ainsi que les frais de gestion. Je rappelle que, chaque année, les frais de fonctionnement des OPCA représentent environ 9,9 % de la collecte, soit 600 millions d’euros.

Sur ce point, la commission spéciale a apporté plusieurs améliorations notables. Elle a ainsi instauré l’obligation de conclure une convention d’objectifs et de moyens entre chaque OPCA et l’État. La part prélevée pour les frais de gestion de l’OPCA sera conditionnée à un véritable exercice de programmation et d’évaluation des performances. Il s’agit de tenir compte de la situation particulière de chaque organisation et de garantir à chacune d’elle les moyens nécessaires à son fonctionnement, tout en maîtrisant mieux les dépenses.

Je ne reviens pas sur tout ce qui a déjà été dit, mais je veux souligner l’importance qu’il y avait à élargir le débat sur la question de l’orientation, sujet introduit dans le projet de loi par les députés.

L’idée de la mise en place d’un système de labellisation des organismes d’information et d’orientation est pertinente. La France compte en effet plus de 8 500 organismes d’orientation. Dans ces conditions, il est difficile, il faut l’avouer, de se retrouver dans ce labyrinthe.

La commission a souhaité modifié les dispositifs de labellisation. Les organismes devront offrir leurs services à « toute personne intéressée » et non pas seulement aux personnes s’engageant dans la vie active. Cette mesure permettra de viser les lycéens et les étudiants et de faire un lien entre formation initiale et formation continue.

Nous avons également pris en considération certaines mesures proposées par le Livre vert de la commission de concertation sur la politique de la jeunesse, présidée par Martin Hirsch. Ainsi, un amendement adopté en commission permettra de lancer l’expérimentation d’un livret de compétences. Dans les établissements d’enseignement volontaires, chaque élève disposera pendant trois ans d’un livret de compétences mentionnant ses connaissances, ses liens avec des activités associatives, sportives ou culturelles, ainsi que ses expériences de découverte du monde professionnel. Ce livret sera pris en compte au moment de l’orientation et il pourra suivre la personne dans la vie active.

J’ajoute que l’école devrait développer des liens plus étroits avec le monde de l’entreprise,…

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Tout à fait !

Mme Isabelle Debré. …afin d’apporter aux élèves un éclairage sur les multiples filières d’activité et sur leurs métiers. Mais il s’agit d’un autre débat...

Sur toutes ces questions et bien d’autres, je tiens à souligner la qualité du travail de notre rapporteur, qui maîtrise le sujet de très longue date.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Excellent rapporteur !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Merci !

Mme Isabelle Debré. Je pense que nous avons réussi à créer au sein de la commission, présidée avec une grande compétence par Catherine Procaccia, un espace de réflexion parlementaire qui a permis d’améliorer le projet de loi tout en respectant l’esprit de l’accord national interprofessionnel.

Je veux dire ma conviction que ce texte, que notre groupe votera avec enthousiasme, représente une étape importante vers plus de transparence, plus d’efficacité et surtout plus de justice. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Claude Jeannerot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici réunis pour débattre d’un texte annoncé de longue date et qui, selon le Président de la République, devait être l’un des plus importants de la législature.

La réforme de la formation professionnelle, chacun s’accorde à le dire, est nécessaire. Nous étions prêts, et nous le sommes toujours, à y travailler avec vous sur le plan tant national que local.

Il faut le reconnaître, le projet de loi comporte un certain nombre d’avancées, mais, globalement, il n’est pas à la hauteur des enjeux.

En transposant en matière législative l’accord national interprofessionnel du 9 janvier 2009, ce texte permet en effet deux avancées majeures.

La première tend à renforcer et à réaffirmer le droit individuel à la formation. À l’avenir, l’accès à la formation devrait de plus en plus prendre en compte la dimension des parcours individualisés, avec des droits et un suivi individuel. Ainsi, l’article 4 a pour objet de renforcer le dispositif qui anticipe le mieux cette évolution en facilitant sa « portabilité » en cas de rupture du contrat de travail. Grâce à une intervention des fonds mutualisés, un reliquat de droit non utilisé pourra être mobilisé non seulement pour la période de chômage, mais également dans les deux premières années suivant une nouvelle embauche. Tout cela est positif, et nous le soutenons.

La seconde avancée qui mérite d’être saluée concerne la création du fonds de sécurisation des parcours professionnels, qui figure dans l’accord du 7 janvier 2009. Ce fonds doit permettre aux demandeurs d’emploi d’acquérir une formation ou de se requalifier en dynamisant la période de chômage. Il met ainsi en œuvre une action préparatoire opérationnelle à l’emploi menant à un emploi identifié dans l’entreprise ou en fonction des besoins identifiés dans une branche professionnelle.

Telles sont les avancées ; nous pourrions probablement en citer d’autres.

Monsieur le secrétaire d’État, la volonté d’une telle réforme est unanimement partagée et les conditions sont cette fois-ci réunies pour qu’elle porte une grande ambition. Vous en conviendrez avec moi, chacun pressent, surtout dans le contexte actuel, que la formation peut devenir l’un des outils facilitant la sortie de crise. Pourtant, force est de reconnaître que le projet de loi qui nous est proposé ne constitue pas le grand rendez-vous attendu.

Véritable investissement, la formation aurait mérité d’être retenue parmi les grands chantiers du Gouvernement au titre de la lutte contre la crise. En effet, elle prépare utilement les compétences nécessaires pour demain, elle est créatrice de richesses et – est-il besoin de le démontrer ? – elle permet à l’ascenseur social de fonctionner à nouveau.

Or pour rendre cette ambition effective et productive, un certain nombre d’exigences auraient dû figurer dans ce texte ; elles ne sont pas présentes. J’en citerai trois.

La première était incontestablement de simplifier et de clarifier le système.

La deuxième exigence, qui devait être l’un des éléments centraux de la réforme, était de responsabiliser davantage les acteurs locaux et régionaux. En d’autres termes, pour réussir, il aurait fallu retrouver l’audace de la décentralisation.

La troisième exigence concerne le droit à l’orientation. Vous l’affirmez dans votre texte, mais ce droit sera inopérant, car aucune instrumentation n’est proposée.

Tout le monde en convient, la simplification aurait dû être l’un des objectifs prioritaires de cette réforme. Le système actuel – je n’apprends rien à personne ici – est le résultat de plus de trente années d’empilements de dispositifs répondant chacun à des objectifs spécifiques et faisant appel le plus souvent à des autorités différentes sur le plan tant du financement que de la planification ou de l’exécution.

La simplification des dispositifs n’est pas un aspect secondaire. C’est au contraire un enjeu majeur et, par certains aspects, décisif pour la réussite même de la formation. En auditionnant des dizaines d’observateurs et d’acteurs du système, nous avons constaté que ceux-ci n’en comprennent souvent eux-mêmes qu’une partie, celle qui les concerne.

Nous vous ferons, au cours de ce débat, quelques propositions de simplification. J’ai conscience qu’elles seront marginales et périphériques au regard du chantier considérable, mais nécessaire, qu’il conviendrait de conduire. Il faut le regretter, car cette question n’est pas secondaire. La lisibilité est en effet l’une des conditions essentielles de l’efficacité du système de formation. Or, monsieur le secrétaire d’État, j’y reviendrai dans ma conclusion, c’est la méthode proposée pour l’examen de ce projet de loi qui n’a pas permis la réalisation de cette exigence.

L’ancrage territorial n’est pas non plus au rendez-vous. Ma collègue Christiane Demontès ayant insisté sur ce point, je serai donc bref.

Ce texte marque une régression dans le domaine de la décentralisation. Il aurait fallu mieux garantir l’ancrage territorial des formations, alors que l’on assiste à une recentralisation, qui ne dit d’ailleurs pas complètement son nom. J’attendais de cette réforme qu’elle privilégie une complémentarité active – ce point est essentiel – entre les logiques de branches et les nécessités du territoire. Les présidents de région, c’est une évidence partagée par tous aujourd’hui, pourraient être les acteurs naturels de cette mise en synergie.

Enfin, il aurait été nécessaire d’offrir au public un véritable droit à l’orientation. Vous le savez, l’orientation est le préalable à une formation efficace. Ce droit, je le reconnais, vous l’affirmez dans votre texte, mais vous ne lui offrez aucune garantie d’effectivité. Ce n’est pas pour rien que Martin Hirsch propose, à juste raison, dans son Livre vert, la mise en place d’un réseau public d’orientation. Cette proposition avait toute sa place dans votre projet de loi.

M. Jean Desessard. Exactement !

M. Claude Jeannerot. De plus, il aurait été cohérent de confier aux présidents de région le soin de mettre en réseau ce service d’orientation tout au long de la vie. Non seulement votre texte est muet sur ce point, mais, à défaut de pouvoir proposer une vision globale de l’orientation, monsieur le secrétaire d’État, vous décidez de transférer à Pôle emploi la plupart des psychologues de l’AFPA.

M. Claude Jeannerot. Quel sens prend ce transfert ? Vous nous avez répondu qu’il fallait distinguer, au nom des règles de la concurrence, la fonction d’orientation et la fonction de formation. En d’autres termes, il faut éviter qu’un même organisme puisse être juge et partie.

Monsieur le secrétaire d'État, je vous le dis comme je le pense : l’argument ne me paraît pas très convaincant. Au nom d’un droit supposé et quelque peu flou, vous oubliez le rôle précis et décisif des psychologues du travail de l’AFPA. (M. Guy Fischer applaudit.) C’est précisément cette proximité avec l’appareil de formation qui permet à ces praticiens d’être particulièrement efficaces. Ils ne se contentent pas – et ce point est essentiel – d’orienter les publics vers les formations ; leur technicité et leur professionnalisme leur permettent surtout de garantir aux bénéficiaires de formations une chance effective de réussir leur parcours.

Il est essentiel, pour l’efficacité des formations, de pouvoir vérifier que les publics aient les profils et les capacités nécessaires. Cette démarche est tout aussi essentielle s’agissant des bénéficiaires d’une formation, pour qui, bien souvent, elle représente une deuxième chance. Enfin, vous en conviendrez, monsieur le secrétaire d'État, c’est également nécessaire pour la bonne utilisation de l’argent public. À quoi servirait l’argent public si, au bout du compte, le succès pour l’intéressé n’était pas au rendez-vous ? D’autant que les résultats et les indicateurs de l’AFPA attestent de l’efficacité de ce service public. Alors, pourquoi le remettre en cause ?

Aujourd’hui, sept stagiaires sur dix accèdent à un emploi dans les six mois qui suivent leur formation. En outre, 81 % d’entre eux – et le rôle des psychologues du travail est essentiel dans ce domaine – valident leur formation en obtenant un titre professionnel qui est reconnu sur le marché du travail.

M. Guy Fischer. Voilà la vérité !

M. Claude Jeannerot. Une telle performance serait inenvisageable sans le travail des services d’orientation. Ces derniers permettent aux publics accueillis de s’orienter vers des parcours qualifiants offrant à chacun de vraies chances de réussite. Pôle emploi, reconnaissons-le, confronté à d’autres difficultés, n’est pas, pour l’instant, en l’état de pouvoir apporter une telle garantie de réussite.

M. Jean-Luc Fichet. Bien sûr !

M. Claude Jeannerot. D’ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, en avril dernier, le directeur général de Pôle emploi et le directeur général de l’AFPA vous remettaient une note vous indiquant que l’article 19 du projet de loi faisait « potentiellement courir à l’AFPA un risque global ».

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. C’est faux !

M. Claude Jeannerot. Est-il raisonnable, en cette période de crise économique, de créer des dysfonctionnements supplémentaires qui remettraient en question l’efficacité d’un service public ?

Ne faut-il pas éviter qu’une décision précipitée de transfert de ces services ne prive des publics prioritaires du droit à un parcours qualifiant sécurisé, dont l’efficacité pour le placement dans l’emploi est une nouvelle fois soulignée ?

Monsieur le secrétaire d'État, dans votre belle ville du Puy-en-Velay se trouve un centre AFPA à recrutement national.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Celui de Saint-Germain Laprade !

M. Claude Jeannerot. Si, demain, les psychologues de l’AFPA sont à Pôle emploi, je ne suis pas sûr que vous serez en situation de pouvoir continuer à accueillir des stagiaires venant d’ailleurs.

Je vous demande non pas de renoncer définitivement à votre décision, mais d’accepter, sur ce point, un moratoire. Ma demande n’est pas dilatoire. Je vous propose au contraire, monsieur le secrétaire d'État, une position de sagesse active. Lorsque vous aurez développé une vision de l’orientation tout au long de la vie, lorsque vous aurez décidé des conditions de coordination des différents réseaux, lorsque les régions auront pu assumer, sur ce champ, leurs responsabilités, enfin, lorsque Pôle emploi aura stabilisé son mode de fonctionnement et son organisation, alors, la décision que vous prendrez concernant l’AFPA, quelle qu’elle soit, sera naturellement éclairée et aura du sens. Aujourd’hui, le sens n’est pas au rendez-vous.

L’ensemble des organisations syndicales de l’AFPA sont hostiles à ce transfert. Vous répondrez à cela que c’est bien naturel dans la mesure où elles sont un peu juge et partie. Mais ce qui devrait vous troubler, monsieur le secrétaire d'État, c’est que l’ensemble des confédérations syndicales sont opposées à ce transfert. Elles n’en ont compris ni les attendus, ni les raisons, ni les objectifs. Cela devrait vous troubler d’autant plus que le MEDEF, par la voix de Jean-François Pillard, a, lui aussi, fait part de son opposition. Tous ces partenaires craignent simplement que le dispositif AFPA, qui, aujourd’hui, donne satisfaction tant aux demandeurs d’emploi qu’en matière de développement économique, puisse connaître des dysfonctionnements.

L’AFPA fête aujourd’hui ses soixante ans. Je trouve que vous lui faites un bien mauvais cadeau d’anniversaire.

M. Guy Fischer. Il l’assassine !

M. Claude Jeannerot. Son nom est attaché à l’histoire sociale de ce pays.

M. Guy Fischer. Elle date de la Libération !

M. Claude Jeannerot. Elle est une composante du service public de l’emploi. Les acteurs sociaux, dans leur ensemble, ne comprennent pas que le Gouvernement ait en quelque sorte « l’AFPA honteuse », alors même qu’elle est un outil essentiel à la politique de l’emploi.

Nous y reviendrons dans le cadre du débat, mais chacun comprend que la formation est un moteur pour le développement économique. Elle est un facteur de promotion personnelle et collective, elle est source de cohésion sociale et ce projet de loi, même si l’on peut espérer qu’il conduise aux quelques avancées que j’ai mentionnées, n’est pas à la hauteur de l’ambition à laquelle on pouvait espérer aboutir dans ce contexte.

Si l’ambition n’est pas au rendez-vous, c’est en raison de l’urgence avec laquelle le Gouvernement a souhaité expédier cette réforme. Très franchement, au-delà de ces questions de procédure, j’aurais aimé, monsieur le secrétaire d'État, que nous puissions collectivement engager une sorte de Grenelle de la formation professionnelle, qui nous aurait permis d’aller au terme du processus de simplification, de mobiliser les acteurs dans chacune des régions, de mobiliser largement autour de cet enjeu essentiel. Nous nous y serions associés !

Je ne prendrai qu’un seul exemple, en me tournant vers M. le rapporteur, auquel je rends hommage pour son travail remarquable.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Merci !

M. Claude Jeannerot. La question de l’apprentissage aurait pu être plus largement traitée, vers plus d’innovation. En la matière, les voies de progrès sont potentiellement considérables et si nous avions pu tenir ces assises régionales, alors nous aurions pu soumettre les propositions de M. le rapporteur à l’ensemble des acteurs. Franchement, monsieur le secrétaire d'État, je regrette que le rendez-vous soit manqué. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Jean Desessard. L’anniversaire l’est aussi ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau.

Mme Gélita Hoarau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la durée et, parfois, la violence des événements ayant secoué les départements d’outre-mer ont révélé l’ampleur du malaise qui affecte, d’une part, notre économie et, d’autre part, les classes les plus défavorisées, ainsi que les catégories sociales ayant un travail, et, c’est plus récent, la couche moyenne.

Aujourd’hui, deux constats sont unanimement partagés : l’un sur la gravité de la crise, l’autre sur l’inefficacité des réponses apportées jusqu’à présent.

Cette crise est grave. En effet, le chômage ne cesse de croître. Chaque jour, à l’important chômage structurel que nous connaissions viennent s’ajouter d’autres personnes privées de leur emploi. Cette situation est encore aggravée par la fin d’une série de grands travaux et la rupture qui, du fait d’obstacles juridiques volontairement accumulés, interdit aujourd’hui que le relais soit pris par d’autres grands chantiers pourtant entièrement financés.

Ainsi, 52 % des Réunionnais vivent avec des revenus inférieurs à 817 euros mensuels, le seuil de pauvreté en métropole. Trente mille demandes de logements restent insatisfaites au moment même où les mises en chantier s’effondrent. Au cours des huit premiers mois de 2009, la chambre de métiers a recensé la liquidation de 900 entreprises, dont 350 dans le secteur du BTP. Le nombre d’illettrés ne décroît pas : il est estimé à 120 000.

Les réponses mises en œuvre jusqu’à présent ont atteint leurs limites et ne permettent plus d’envisager de sortir d’une crise aussi grave. Tous les acteurs de la vie politique, économique et sociale conviennent désormais qu’il faut changer de politique.

Cette évidence est également partagée par le chef de l’État, qui a donc proposé la tenue des états généraux de l’outre-mer.

Pour notre part, nous nous y sommes pleinement investis. En qualité de membre de notre assemblée, d’une part, au sein de mon organisation politique, d’autre part, nous avons participé aux huit ateliers. La région et le département ont, pour ce qui les concerne, adopté des propositions conjointes.

De cet ensemble de contributions se dégagent de grandes orientations.

Premièrement, trois mesures immédiates pour l’emploi sont préconisées : la création de deux grands services d’intérêt public, l’un pour faire face aux risques environnementaux et pour sauvegarder la biodiversité, l’autre d’aide à la personne pour tenir compte de la proportion sans cesse croissante des personnes âgées et des besoins pour les personnes handicapées et la petite enfance ; enfin, la mise en œuvre d’un plan d’urgence de construction de logements.

Deuxièmement, il est préconisé de se mettre en capacité de relever les grands défis du monde tels qu’ils se posent dans notre île : les changements climatiques et leurs conséquences, la crise énergétique, la crise alimentaire, la globalisation des échanges commerciaux, la progression démographique, la crise économique et financière.

Il nous faut inventer un type de développement réellement durable, créateur de richesses et d’emplois, respectant notre environnement et notre identité culturelle.

C’est la raison pour laquelle notre projet vise, notamment, l’autonomie énergétique à l’horizon 2025, l’autosuffisance et la sécurité alimentaire en coopération avec nos voisins, une politique de grands travaux pour le logement, les déplacements et l’aménagement du territoire, et, enfin, un projet identitaire unificateur, à savoir la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise.

En plus de cela, face à nos économies traditionnelles en crise et pour lesquelles il faut trouver des solutions, nous nous orientons résolument vers ce qu’il est convenu d’appeler l’économie de la connaissance dans les domaines des énergies renouvelables, de la santé, de la formation, du numérique, etc., qui doivent devenir pour nous des pôles d’excellence. Telles sont nos priorités pour faire face à la crise et aux accords de partenariat économiques que l’Union européenne est en train de passer avec les pays de la zone ACP, Afrique, Caraïbes et Pacifique, voisins de la Réunion.

Troisièmement, ces grandes orientations et l’importance du chômage, ainsi que le nombre d’illettrés exigent que soit mise en place une politique de formation innovante, tant initiale que professionnelle.

En ce qui concerne la formation initiale, université incluse, l’énumération des objectifs nouveaux découlant des défis à relever implique une importante amélioration du système éducatif, afin de l’adapter aux exigences du développement durable.

La formation professionnelle est l’objet de ce projet de loi. Celui-ci vise à créer un fonds paritaire qui, je l’espère, donnera plus de moyens à la formation professionnelle.

À nos yeux, la réussite d’une telle entreprise implique que les compétences de l’État, par le biais du Pôle emploi, et de la région soient coordonnées, voire « synchronisées », irai-je jusqu’à dire. Il faut en effet mettre en place une structure permettant une gestion prévisionnelle de la formation professionnelle prenant pleinement en compte les besoins des nouveaux projets.

Or de grandes inquiétudes existent quant à la survie d’un organisme de formation financé principalement par la région, l’AFPAR, l’Association pour la formation professionnelle des adultes à la Réunion. Certains voient dans l’article 19 du projet de loi l’annonce de sa disparition. Si tel est le cas, ce n’est pas acceptable.

Au moment où il faut renforcer toutes les compétences et mutualiser les moyens pour faire face aux défis que la formation professionnelle doit relever – et cela est particulièrement vrai à la Réunion, pour les raisons que je vous ai exposées –, affaiblir l’un des partenaires, c’est hypothéquer gravement l’avenir.

C’est pour cette raison que, avec d’autres collègues, je vous demande, monsieur le secrétaire d'État, de retirer l’article 19 du présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.

M. Christian Demuynck. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la formation professionnelle est un levier essentiel de lutte contre le chômage et une nécessité en cette période de crise. Elle offre aux salariés qui ont perdu leur emploi une reconversion dans des secteurs qui recrutent ; elle garantit l’employabilité de ceux qui ont un travail en leur permettant de faire évoluer leurs compétences ; elle améliore le capital-emploi de notre pays.

Le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale en juillet dernier, et désormais en discussion au Sénat, vise à rénover le système de formation professionnelle avec deux objectifs ambitieux : sécuriser les parcours et améliorer l’efficacité du système.

L’Assemblée nationale a complété le projet de loi par un nouveau titre IV bis entièrement consacré à l’emploi des jeunes ; je me réjouis de ces mesures.

Vous n’êtes pas sans savoir que le Sénat a décidé de créer, le 11 mars 2009, une mission commune d’information dont l’objectif est de contribuer aux réflexions actuelles sur la situation des 16-25 ans, qui sont plus de huit millions dans notre pays. Voulue par le M. le président du Sénat, Gérard Larcher, cette mission commune, présidée par Raymonde Le Texier et dont je suis le rapporteur, a fait le constat d’une jeunesse inquiète, ayant le sentiment de moins bien vivre que la génération précédente.

Aujourd’hui, les jeunes se heurtent à des problèmes structurels et conjoncturels de manière beaucoup plus forte, notamment dans l’orientation, la formation ou l’insertion professionnelle.

Les jeunes Français rencontrent de graves difficultés à s’insérer dans l’emploi durable. La France est l’un des pays développés où ils rencontrent les plus lourdes difficultés pour s’insérer dans la vie active. Leur taux d’emploi, en 2007, n’était que de 31,5 % pour les 15-24 ans, contre 37,4 % dans l’Union européenne. Quant à celui des jeunes non qualifiés, il atteint près de 40 % trois ans après leur sortie du système éducatif.

Le taux de chômage des actifs est particulièrement élevé : au quatrième trimestre 2008, il était proche de 21,2 % chez les 15-24 ans, contre 7,4 % pour la tranche d’âge 25-54 ans.

Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, leur taux de chômage est presque deux fois plus élevé : 42 % ; la concentration des problèmes sociaux et les phénomènes de discrimination à l’embauche expliquent cette situation.

Les jeunes sont particulièrement touchés par la précarité de l’emploi et doivent patienter en moyenne six à sept ans avant de décrocher un CDI. Ils sont donc les premiers touchés par l’actuelle montée du chômage.

Par ailleurs, les jeunes diplômés sont fréquemment confrontés à un problème de déclassement qui les conduit à accepter des emplois pour lesquels le niveau de qualification requis est inférieur à celui qu’ils ont atteint. Au total, 20 à 30 % des diplômés seraient concernés par ces phénomènes, notamment les bacheliers des filières technologiques et professionnelles.

L’addition de ces difficultés est source de découragement et de perte d’estime de soi. Elle est à l’origine d’un véritable gâchis économique et humain qui appelle une mobilisation de tous les acteurs.

J’en viens à la relation entre l’école et l’entreprise, sujet majeur qui ne relève pas directement de votre compétence, monsieur le secrétaire d’État, mais il apparaît difficile de séparer la formation initiale de la formation continue. C’est l’une des sources de dysfonctionnement de notre système. Il est urgent d’accentuer le rapprochement entre ces deux mondes. Les principes en sont d’ores et déjà inscrits dans la réglementation. La difficulté est de faire vivre cette relation dans les faits. Cela suppose d’insuffler dans le système éducatif et dans le monde professionnel une véritable culture du stage et de combattre les cloisonnements qui paralysent le système français et l’insertion des jeunes.

Je suis convaincu de la nécessaire généralisation des parcours de découverte et des stages. Leur efficacité est liée à l’accompagnement des jeunes par les enseignants et l’organisation de séances de préparation en amont avec des professionnels.

II convient de garder à l’esprit que ces stages sont un moyen de combattre les cloisonnements qui nuisent à l’ensemble du système éducatif, sociologique et économique français.

Les élèves, les étudiants et les salariés vivent dans des univers de travail, de formation initiale ou continue trop éloignés. Les immersions professionnelles jouent donc un rôle irremplaçable : elles permettent aux jeunes de découvrir le monde de l’entreprise, avec ses codes et ses règles, de se confronter à la réalité des métiers. Ceux-ci disposent ainsi d’éléments d’appréciation pour réfléchir à leur orientation et acquièrent une expérience qui favorise leur insertion professionnelle future.

Les stages complètent utilement la formation théorique dispensée aux élèves et doivent donc être encouragés. Cependant, les stages étudiants ont parfois donné lieu à des abus. Il arrive que des stagiaires soient affectés à de véritables postes et ne perçoivent, en contrepartie, que des indemnités dérisoires. Le stage est alors détourné de sa vocation première et se substitue à des emplois qui devraient être occupés par des jeunes diplômés.

M. Christian Demuynck. Le lancement, en septembre 2005, de la pétition du collectif Génération précaire, demandant une réforme de leur statut, a joué un rôle déterminant dans la prise de conscience de ces dérives par les pouvoirs publics et par l’opinion. Leur réglementation a depuis été précisée et une charte a été élaborée, en concertation avec les employeurs et les établissements d’enseignement supérieur.

La loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances a d’ailleurs fixé des règles pour encadrer et moraliser leur pratique. Les stages sont conditionnés à leur inscription au règlement intérieur de l’établissement et dans la scolarité. Ils complètent et valident un enseignement, comme c’est le cas dans les instituts universitaires de technologie, les IUT, les instituts universitaires professionnalisés, les IUP, les écoles d’ingénieur et les écoles de commerce.

En principe, les stages ne peuvent donc plus se dérouler que dans le cadre d’un cursus de formation. En pratique, il apparaît néanmoins que certains jeunes s’inscrivent à l’université dans le seul but d’obtenir une convention de stage et de pouvoir travailler ensuite comme stagiaire dans une entreprise.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Christian Demuynck. Ainsi, il n’est pas rare que de jeunes diplômés soient contraints, à la fin de leurs études, d’enchaîner les stages, alors qu’ils possèdent déjà les qualifications correspondant aux tâches qui leur sont confiées et sont prêts à entrer dans la vie professionnelle.

Le développement des stages hors cursus rallonge donc inutilement le délai d’insertion professionnelle des jeunes. Forte de ce constat, la mission d’information sur la politique en faveur des jeunes a proposé d’inscrire clairement dans la loi l’interdiction des stages hors cursus.

Je me réjouis par ailleurs que la commission approuve l’abaissement de trois à deux mois du délai au terme duquel l’entreprise d’accueil est tenue d’accorder une gratification à l’étudiant stagiaire. En effet, à l’issue de cette période, le stage constitue non plus simplement une séquence d’observation ou de familiarisation avec l’entreprise, pendant laquelle l’absence de rémunération se justifie par la faible productivité de l’étudiant, mais bel et bien une phase d’activité et de production.

Je suis donc très heureux que la commission, présidée par ma collègue Catherine Procaccia, ait souhaité nous suivre sur ce sujet et que, sur l’initiative du rapporteur, Jean-Claude Carle, la commission ait adopté ces amendements, qui vont dans le sens d’un plus grand encadrement.

Compte tenu de l’apport des stages à la formation des jeunes, la mission sénatoriale a proposé de les rendre obligatoires pour toutes les formations de l’enseignement supérieur.

Nous avons proposé, en outre, que l’obtention de la licence soit subordonnée à l’accomplissement de deux stages d’une durée d’au moins un mois.

Même dans le contexte actuel, je ne pense pas qu’il soit juste de dire qu’il vaut mieux un jeune en stage, même s’il est hors cursus, plutôt que rien.

Nous devons donc être à la hauteur des attentes de nos enfants qui construiront la France de demain. Il est de notre responsabilité de parlementaire de ne pas les décevoir. Aujourd’hui, plus que jamais, le droit à la formation professionnelle doit être une réalité pour tous, en particulier pour les jeunes. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi, en cette rentrée parlementaire, de vous dire que nous revenons dans l’hémicycle comme nous l’avons quitté : dans la précipitation. Nos travaux se sont achevés à la fin du mois de juillet, après un débat sur le travail du dimanche agité, où les parlementaires ont dû – cela devient une fâcheuse habitude – travailler dans l’urgence.

M. Jean Desessard. Et aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, vous nous présentez un projet de loi faisant l’objet de la procédure accélérée. Je ne me félicite pas que les sénateurs, les personnels, notamment les administrateurs, aient travaillé au mois d’août.

Monsieur le secrétaire d’État, quelle urgence y avait-il à examiner ce texte ? Nous vous le répétons : à confondre vitesse et précipitation, le Gouvernement nous propose des textes fleuves, mal conçus, sans aucun recul et sans profondeur. D’ailleurs, ils sont parfois retoqués par le Conseil constitutionnel, et même non appliqués par les ministres ; le dernier texte en date est la loi instituant les tests ADN, refusés par M. Besson.

Le présent projet de loi est la parfaite illustration de cette méthode, voire de cette absence de méthode.

Si ce texte comporte des éléments positifs, comme le fait de combler certains vides juridiques, ainsi que le prévoit l’article 6, ou la portabilité du droit à la formation individuelle, il reste de nombreuses imprécisions et même des incohérences ; nous ne manquerons pas de les pointer lors de l’examen des articles.

Dans son discours du 3 mars dernier, le Président de la République a présenté les grands axes de la réforme sur la formation professionnelle. Il a indiqué que l’un des volets de ce projet de loi serait de créer un droit à l’information et à l’orientation. Notons tout d’abord que les salariés non francophones sont largement exclus de ce droit.

Nicolas Sarkozy a évoqué la création d’un centre d’appels téléphoniques et d’un portail internet dédiés à l’information et à l’orientation « pour expliquer les dispositifs, recenser l’offre de formation et orienter vers les interlocuteurs adéquats ». Quid de cette proposition dans le projet de loi ?

Vous me répondrez sans doute, monsieur le secrétaire d’État, qu’il suffit d’un décret pour mettre en place ce système. Dès lors, et si nous étions dans une situation d’urgence, pourquoi avoir attendu six mois pour publier ce décret ?

M. Jean-Luc Fichet. Voilà une bonne question !

M. Jean Desessard. On nous annonçait une « grande réforme » de la formation professionnelle et nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner un texte a minima, une réformette.

Les organisations syndicales et patronales n’ont pas approuvé l’ensemble des propositions de ce texte, loin de là ; de nombreuses organisations nous font part depuis plusieurs semaines de leurs réticences. Certes, ce texte est issu de l’accord national interprofessionnel sur le développement de la formation tout au long de la vie, conclu le 7 janvier dernier, mais il inclut également des dispositions nouvelles proposées par le Gouvernement. Par ailleurs, il ne reprend pas, par exemple, la disposition de l’ANI sur le droit à la formation différée pour les 150 000 jeunes sortis prématurément et sans diplôme du système éducatif.

Mme Annie David. Il n’a repris que ce qui les arrange !

M. Jean Desessard. Je souhaite évoquer maintenant le problème particulier de l’apprentissage, dernier remède miracle trouvé par le Gouvernement pour enrayer la montée du chômage.

Depuis quelques mois, en effet, vous avez soi-disant décidé d’investir massivement dans la formation par l’apprentissage. Et ce pour une raison a priori louable : favoriser l’accès à l’emploi de personnes peu favorisées, notamment les jeunes.

Nous ne pouvons évidemment pas être contre un tel objectif. Mais, en réalité, ce sont les grandes entreprises qui vont tirer leur épingle du jeu du système de l’apprentissage, et pas nécessairement dans le sens souhaité.

M. Jean-Luc Fichet. Exactement !

M. Jean Desessard. Dans notre conception, l’apprentissage est surtout une voie pour former les jeunes à des métiers manuels ou techniques. La notion d’apprentissage est aujourd’hui beaucoup plus vaste et concerne aussi bien des jeunes de 16 ans ayant le brevet des collèges que ceux de niveau bac + 5 sortant d’écoles d’ingénieurs. C’est dans ce second cas que les entreprises, et surtout les grands groupes, sont favorisées par ce système. Car pour faciliter l’accès des apprentis aux stages, l’État accorde aux entreprises accueillantes une exonération de la taxe d’apprentissage. Vous comprenez maintenant l’objet de mon propos : les grands groupes utilisent ce système pour déguiser des emplois, économiser de l’argent et précariser un peu plus la situation des jeunes arrivant sur le marché du travail.

M. Christian Cambon. C’est de la caricature !

Mme Annie David. Pas du tout !

M. Jean Desessard. C’est la réalité qui est caricaturale ! En 2006 et 2007, le nombre de jeunes en apprentissage a stagné. Pourtant, dans le même temps, selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, l’apprentissage dans le cadre des études supérieures a augmenté de 17 %.

M. Jean Desessard. Ce ne sont donc pas les jeunes les plus défavorisés qui profiteront des récents investissements de l’État vers l’apprentissage : ce sont ceux qui ont un niveau d’études supérieur, alors que vous venez de nous dire, monsieur le secrétaire d’État, que votre objectif était de favoriser les jeunes sans diplômes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Et ce sont les grandes entreprises qui bénéficieront encore de ces investissements !

Mme Annie David. Les gagnants sont toujours du côté du MEDEF !

M. Jean Desessard. Rappelons que la première définition du mot « apprentissage » est « l’acquisition de nouveaux savoirs ou savoir-faire ». Cela nous amène à une autre réflexion : la formation a-t-elle pour seul et unique but de répondre aux besoins du marché du travail ?

Mme Annie David. C’est une bonne question !

M. Jean Desessard. Aujourd’hui, nous assistons à une véritable instrumentalisation de la formation. Vous venez de nous dire, monsieur le secrétaire d’État, que la formation professionnelle avait un seul objectif : l’emploi. Pourtant, ce n’est pas seulement un outil qui conduit ou reconduit les personnes vers l’emploi ; c’est également un moyen d’émancipation sociale et culturelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – M. Christian Cambon s’exclame.)

Mme Annie David. C’est un outil de promotion sociale !

M. Jean Desessard. Il faut, bien sûr, favoriser l’accès à la formation professionnelle pour les personnes moins bien formées, mais il faut envisager la formation professionnelle non seulement comme un gain en compétitivité des entreprises, mais également comme un apport personnel pour le salarié ou le demandeur d’emploi, un moyen de s’épanouir.

Enfin, monsieur le secrétaire d’État, en tant que représentant des Verts, je ne peux que m’étonner du peu de cas qui est fait de l’écologie dans ce projet de loi. Nous sommes tous d’accord aujourd’hui pour dire que nous faisons face à une crise d’une ampleur telle qu’elle nous oblige à repenser en profondeur notre mode de vie, nos modes de production, notre manière de travailler et de consommer.

Nous savons aujourd’hui que la prochaine révolution industrielle sera une révolution « verte » génératrice de nombreux emplois. Néanmoins, ce projet de loi ne reprend à aucun moment les engagements du Grenelle.

Nous vous proposerons donc de favoriser les formations liées aux technologies vertes. La France est aujourd’hui en retard dans ce domaine.

Mme Annie David. C’est vrai !

M. Jean Desessard. Par exemple, la branche du bâtiment manque d’experts en éco-construction, l’éolien souffre d’une insuffisance de techniciens. Ces secteurs peinent à recruter, faute de postulants compétents, alors que là se trouvent les emplois du futur. On croit marcher sur la tête ! Il est donc temps de promouvoir les métiers de demain, notamment en favorisant l’accès à ces formations, mais également en développant des formations en adéquation avec l’évolution des métiers. Il faut accompagner les travailleurs dans le processus de transformation écologique de l’économie.

Enfin, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais évoquer à mon tour le sort que votre texte réserve à l’AFPA. De nombreux acteurs du secteur nous ont fait part de leur mécontentement face à votre projet de rapprochement avec Pôle emploi.

L’AFPA joue, dans le paysage social, un rôle de correcteur des inégalités grâce aux formations qualifiantes qu’elle dispense, et un rôle d’accompagnement adapté aux publics les plus fragilisés. En proposant de fusionner une partie des services de l’AFPA avec Pôle emploi, vous affaiblissez une structure efficace et reconnue.

Je citerai quelques chiffres : 66 % des personnes qui entament un stage à l’AFPA sont des demandeurs d’emploi, pour la plupart très faiblement qualifiés, et 8 % d’entre eux sont en situation d’illettrisme. Pourtant, plus de 70 % trouvent un emploi à l’issue du stage.

Une enquête portant sur l’impact des formations effectuées dans le cadre du congé individuel de formation a démontré que 83 % des stagiaires AFPA avaient trouvé un emploi dans les six mois suivants et que plus de 48 % s’étaient reconvertis en choisissant une formation sans rapport avec leur métier antérieur.

Alors, pourquoi amputer d’une partie de ses effectifs un organisme qui fonctionne plutôt bien ? Êtes-vous certain, monsieur le secrétaire d’État, de ne pas pouvoir réaliser des économies autrement, par exemple en supprimant le bouclier fiscal ?

M. Jean Desessard. Une telle mesure fait, encore une fois, partie de votre objectif de « casse » du socle social qui existe dans notre pays. Nous vous demandons donc de revenir sur cette disposition, au nom de la défense de la formation et de la réinsertion professionnelle. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Pour conclure, je souhaite rappeler que la formation professionnelle est une grande idée. Elle constitue une préoccupation majeure de notre société, car elle est au cœur d’enjeux essentiels pour l’avenir de notre économie et de nos concitoyens, qu’il s’agisse de l’emploi, de la capacité d’innovation des entreprises ou de l’épanouissement individuel de chacun. Elle représente également un outil indispensable d’égalité des chances et participe de l’apprentissage de la citoyenneté.

Monsieur le secrétaire d’État, en dépit de quelques points positifs, le texte que vous nous présentez est loin d’être à la hauteur de ces différents enjeux. Il paraît donc difficile pour les sénatrices et sénateurs Verts d’approuver un tel projet…

M. Alain Gournac. Ils ont tort !

M. Jean Desessard. … inégal, négligeant, malgré les discours, le sort des plus vulnérables face au marché du travail, renforçant le pouvoir centralisateur de l’État et oubliant toute référence à la filière verte, pourtant créatrice des emplois de demain.

Monsieur le secrétaire d’État, la formation professionnelle est une grande idée, mais cette petite loi, votée en urgence, ne répond pas aux mutations considérables de notre société ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Avant de répondre aux différentes interventions, je voudrais une nouvelle fois remercier M. le rapporteur de son investissement. J’ai beaucoup apprécié cette façon de remettre en perspective, avec des idées claires, la réforme de la formation professionnelle, en substituant aux « trois C », les « trois P » ; c’était très astucieux.

Je souhaite par ailleurs saluer les avancées majeures apportées par le Sénat, en dépit de conditions de travail difficiles, j’en suis tout à fait conscient.

Je tiens également à rendre hommage à M. le rapporteur pour la décision sage qui a été prise, à mon sens, concernant le financement de l’apprentissage et l’évolution du quota hors quota.

L’apprentissage est un sujet qui me tient à cœur. Je suis convaincu de sa vertu : c’est la faiblesse de l’apprentissage qui explique les difficultés d’insertion des jeunes dans l’emploi en France. De ce point de vue, nous voulons vraiment franchir un cap et entrer dans une nouvelle dimension en termes de chiffres et de qualité de l’apprentissage ; j’y reviendrai en répondant à certaines interventions qui m’ont choqué.

M. Jean Desessard. Elles étaient faites pour cela !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Je m’engage à faire avancer les choses en matière de financement. En effet, la situation ne s’améliorera pas tant que nous n’aurons pas modifié les clés de ce financement.

Madame Procaccia, en ce qui concerne la question des apprentis, sur laquelle vous avez centré votre intervention, nous avons choisi de prendre des mesures simples, mais de bon sens, qui peuvent nous permettre de progresser. De meilleures conditions de révision des examens pour les apprentis – que vous avez mises en place – et une plus grande souplesse dans les conditions de fonctionnement de l’apprentissage sont des aspects positifs.

M. Dubois est intervenu de manière très judicieuse sur notre rôle d’accompagnateur des partenaires sociaux. En prenant le temps de jouer pleinement le jeu de la démocratie sociale, nous avons pu aboutir à un accord unanime. Pour des négociations qui auraient été menées avec un pistolet sur la tempe, le résultat est plutôt positif ! Les accords recueillant l’unanimité des partenaires sociaux ne sont pas si nombreux…

Monsieur le sénateur, vous avez par ailleurs évoqué le compromis qui a été trouvé sur le PRDF : il permettra d’obtenir une gouvernance équilibrée en associant tous les partenaires locaux, dans un souci d’efficacité.

S’agissant du DIF, la volonté conjointe du Gouvernement et de la commission a été de respecter l’esprit de l’accord négocié par les partenaires sociaux, tout en renforçant, partout où cela était possible, les volets de portabilité et de transférabilité du DIF.

Madame David, même si nous ne sommes pas toujours d’accord, loin s’en faut, je sais que vous vous attachez à être très concrète dans vos interventions. Je n’ignore pas que l’AFPA est un sujet qui vous tient à cœur. Je partage votre souci concernant l’évolution de ses personnels, même si notre position diverge sur l’avenir des psychologues de l’AFPA et sur les conséquences du droit communautaire qui s’imposent à nous.

Vous aurez sans doute relevé qu’un geste très important est fait pour renforcer l’AFPA, dont la situation sera consolidée grâce au transfert de son patrimoine. Cela n’a pas été aisé à obtenir lors des négociations à l’échelon de la Commission européenne ; je suis certain que nous en reparlerons.

Enfin, madame la sénatrice, je vous remercie d’avoir souligné les avancées majeures que comporte ce texte.

Monsieur Plancade, je ne reviendrai pas sur les critiques tout à fait pertinentes du système que vous avez émises. Je dirai simplement que nous partageons avec M. le rapporteur une conviction : s’il est important, en matière de formation professionnelle, de bien connaître les dispositifs, il ne faut pas devenir un expert de la tuyauterie, au risque de perdre les grandes lignes. (Sourires.)

M. Alain Gournac. Tout à fait !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. De ce point de vue, votre intervention, pleine de bon sens et de lucidité, était très bien ciblée ; elle est digne d’éloges.

Je vous remercie aussi d’avoir souligné les avancées concrètes figurant dans le projet de loi : le DIF portable, les cours du soir, le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, le tutorat pour les jeunes, ou encore le renforcement de l’alternance.

Avec la même lucidité que celle dont vous avez fait preuve pour critiquer le dispositif, je vous dirai ceci : plutôt que de rêver au Grand soir, nous avons choisi de procéder à un changement concret, opérationnel et de bon sens du dispositif de la formation professionnelle. J’espère que vous vous y retrouverez, au moins partiellement, à l’issue du débat.

Madame Demontès, vous avez estimé que la réforme avait été trop rapide et les délais de réflexion insuffisants. Mais cette réforme a été initiée voilà maintenant plus d’un an et demi, c’est-à-dire au tout début de l’année 2008 ! Et savez-vous à quel moment les salariés, avec le rythme effréné que vous avez décrit, en percevront les changements sur le terrain ? En 2010 !

Je comprends, bien évidemment, votre argument consistant à dénoncer le manque de temps pour mener la réflexion au Sénat et à l’Assemblée nationale. (Mme Christiane Demontès s’exclame.) Mais, comme vous le reconnaissez vous-même, cela n’aurait sans doute pas changé votre point de vue sur le fond.

Vous regrettez également que les partenaires sociaux n’aient pas été suffisamment entendus. Il est vrai que le processus de réforme est long. Nous avons essayé de concilier le respect à la fois des partenaires sociaux et du débat parlementaire, avec la volonté d’aboutir dans un délai de deux ans. C’est un délai respectable !

M. Jean Desessard. Nous n’avons eu que deux semaines sur deux ans !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Comme vous l’avez vous-même souligné, les demandeurs d’emploi, les salariés, les PME attendent ! À force de dire qu’il faut plus de temps, plus de concertation avant d’engager la réforme, rien ne bouge ! Nous avons essayé de sortir de cet immobilisme. Le fait de demander plus de temps pour la concertation sert parfois de cache-misère pour des réformes que l’on n’a pas le courage politique d’entreprendre.

Nous avons consacré quasiment un an et demi à la concertation avec les partenaires sociaux et les collectivités locales, et plusieurs mois aux débats parlementaires, qui ont débuté au début du mois d’avril et se concluront en octobre, à l’issue de l’examen du texte à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Je suis bien conscient que nous aurions sans doute dû faire mieux, mais il était nécessaire que les fonds puissent être opérationnels au début de l’année 2010. Je crois honnêtement que deux ans pour engager une telle réforme représentent un délai respectable, sauf à ne rien vouloir changer dans notre pays. Mais tel n’est pas notre choix !

Madame Gonthier-Maurin, je souhaite revenir sur la critique que j’ai cru percevoir dans votre intervention au sujet des écoles de la deuxième chance. Personnellement, je crois à ce dispositif, et j’ose espérer que vous êtes plusieurs, y compris sur les travées de l’opposition, à partager ce sentiment ! Le système est intéressant et fonctionne très bien, notamment en Seine-Saint-Denis, à Montereau ou à Marseille, grâce à une remise à niveau des savoirs de base et à des formations sur mesure destinées à redonner confiance.

Notre objectif est bien de tripler le nombre de places en écoles de la deuxième chance d’ici à 2010 ; l’État effectuera un réel investissement en apportant son soutien aux régions, qui, jusque-là, ont assuré leur part de financement.

Je souhaite revenir sur la vision « utilitariste » de la formation professionnelle. Cette dernière a-t-elle pour objet d’améliorer la culture générale ou de développer le savoir global des salariés ? C’est une vraie question ! Ma conception, c’est que la formation professionnelle a pour vocation d’aider les salariés à garder leur emploi ;…

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Tout à fait !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. …elle doit leur permettre de progresser tout au long de leur carrière, alors même que leur formation initiale aurait été modeste ;…

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. …elle a pour but de tendre la main à des demandeurs d’emploi et de les aider à retrouver un travail : si c’est ce que vous appelez une vision « utilitariste » de la formation professionnelle, alors, je l’assume !

L’intervention de Mme Isabelle Debré était particulièrement pertinente, notamment sur un point : la formation des demandeurs d’emploi, c’est exact, est aujourd’hui l’un des points faibles de notre système. Trop de demandeurs d’emploi ne reçoivent la réponse à leur demande que trop longtemps après le dépôt de celle-ci, alors qu’un projet qui doit leur permettre de rebondir en dépend.

Aujourd’hui, trois demandeurs d’emploi sur quatre se voient refuser le financement de leur formation professionnelle. Nous ne pouvons pas accepter cela. Il est donc impératif, à nos yeux, d’avancer rapidement en ce domaine.

Monsieur Jeannerot, j’ai un très grand respect pour votre parcours et votre carrière professionnelle, notamment au sein de l’AFPA, mais je pense que la simplification est au rendez-vous dans ce projet de loi portant sur la formation professionnelle, tout comme la territorialité, avec le PRDF. De la même façon, les avancées en matière d’orientation sont réelles.

Sur l’AFPA, nous aurons un débat, et cela est parfaitement légitime. La seule chose que je vous demande de croire, et j’essaierai de l’illustrer, c’est que mon souhait n’est en aucun cas de démanteler ou de fragiliser l’AFPA.

M. Guy Fischer. Ce n’est pas vrai !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Pour autant, je ne veux pas non plus être un marchand d’illusions. Or, et nous en avons eu un exemple très récemment, si nous versions à l’AFPA des subventions et que celles-ci fassent ensuite l’objet d’un recours auprès de la Commission européenne pour non-respect des règles du droit de la concurrence, l’AFPA pourrait se voir obligée de rembourser rétroactivement toutes les sommes qu’elle aurait perçues, et elle serait définitivement « coulée ».

Mme Annie David. Vous pouvez empêcher cela ! Il vous suffit de prendre la bonne décision !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Je choisis de faire le pari suivant : puisque l’AFPA possède un réel savoir-faire, qui est indépassable, aidons-la en termes de cahier des charges et d’appel d’offres, comme d’ailleurs bien des régions, y compris présidées par des élus socialistes, ont déjà choisi de le faire, afin de la conforter et de lui permettre de sortir par le haut, plutôt que de la laisser attendre passivement que le couperet tombe, la plaçant dans une situation particulièrement fragile.

Madame Hoarau, vous avez rappelé la situation douloureuse de l’emploi outre-mer, et il est en effet important que ce point ne soit jamais oublié dans les débats parlementaires.

L’AFPA, sur laquelle vous êtes également revenue, fera l’objet d’un débat approfondi ; ce sera sûrement l’un des points très attendus dans l’hémicycle.

Monsieur Demuynck, je vous remercie des rappels importants que vous avez faits à propos de l’insertion des jeunes dans la vie active, sur laquelle, entre autres, porte la mission d’information dont vous êtes le rapporteur. Je ne reviendrai pas sur les autres aspects de votre intervention qui ne concernaient pas directement le cœur du projet de loi, mais qui avaient toute leur place dans le cadre du débat au Sénat. Je me contenterai de relever que le texte apporte des réponses concrètes sur des sujets que vous avez abordés : le droit à l’orientation, les écoles de la deuxième chance, la possibilité pour les apprentis de trouver plus facilement un employeur, le contrat de professionnalisation renforcé, enfin, la lutte contre ce qui est le vrai tabou insupportable de l’éducation nationale, à savoir ces jeunes qu’on laisse décrocher et sortir silencieusement du système scolaire sans que personne s’occupe d’eux.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. En la matière, nous avons un travail de fond à mener. Ce scandale de la République doit cesser ; nous devons arrêter de nous gargariser des souvenirs républicains de notre éducation nationale si, dans le même temps, celle-ci laisse chaque année 150 000 jeunes sur le bord de la route.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Bravo !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. J’en viens enfin à l’intervention de M. Desessard.

Tout d’abord, monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir souligné – je commence par le meilleur ! – les points positifs que comporte le projet de loi. Du reste, tous les intervenants – et ce n’est finalement pas si courant pour un projet de loi – ont relevé des points positifs. Au demeurant, je n’en revendique pas le mérite : je l’attribue plutôt au travail accompli par les partenaires sociaux.

Pour ce qui est de l’apprentissage, en revanche, la différence qui nous sépare est réelle et, je dois l’avouer, je ne vous comprends pas.

Vous avez indiqué que, dans votre vision des choses, l’apprentissage valait uniquement pour des métiers manuels et à faible qualification.

M. Alain Gournac. Mais c’est faux !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Pardonnez-moi de vous le dire, je ne suis en rien en accord avec cette façon de voir.

M. Christian Cambon. Très bien !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. C’est précisément parce que l’on continue d’avoir cette vision passéiste de l’apprentissage,…

M. Christian Cambon. C’était avant la guerre !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. … parce que l’on persiste à considérer que l’apprentissage ne concerne que les travaux manuels et ne saurait permettre de former des ingénieurs, des commerciaux, des techniciens informatiques, que l’on a enfermé l’apprentissage dans un ghetto. Je trouve ce discours terriblement réactionnaire. Il est temps d’ouvrir les fenêtres !

M. Jean Desessard. Ils n’ont pas l’argent nécessaire, vous l’avez dit vous-même !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Il est temps de montrer que l’apprentissage peut tout à la fois former de brillants élèves de l’ESSEC et des apprentis tout aussi brillants dans le domaine du BTP et de la restauration. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Il faut changer cette vision passéiste, …

M. Christian Cambon. Elle date !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. … car c’est elle qui fait mourir l’apprentissage.

Quant aux emplois verts, monsieur Desessard, peut-être n’avez-vous pas entendu l’ensemble des propos que j’ai tenus devant la commission…

Mme Catherine Procaccia, présidente de la commission spéciale. M. Desessard parle mais n’écoute pas !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. J’ai pourtant centré toute une partie de mes interventions en commission, comme à la tribune, sur le fait que cette réforme de la formation professionnelle était destinée, notamment, à accompagner le développement des métiers de demain, parmi lesquels les emplois verts. Mais je suis heureux de pouvoir vous apporter cette réponse de vive voix, et que vous l’entendiez : les emplois verts sont bien au cœur du projet de refonte de la formation professionnelle. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Catherine Procaccia, présidente de la commission. J’ai le plaisir de rappeler à mes collègues membres de la commission spéciale que celle-ci va se réunir pendant une heure pour examiner la fin des amendements extérieurs.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie
Discussion générale (suite)

7

Nomination de membres de commissions

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste a présenté une candidature pour la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Renée Nicoux membre de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, en remplacement de André Lejeune, décédé.

Je rappelle au Sénat que le groupe de l’Union centriste a présenté une candidature pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Jean-Jacques Pignard membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de M. Michel Mercier dont le mandat de sénateur a cessé.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

8

Discussion générale (interruption de la discussion)
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Question préalable

Orientation et formation professionnelle tout au long de la vie

Suite de la discussion d’un projet de loi en procédure accélérée

(Texte de la commission spéciale)

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.

Je rappelle que la discussion générale a été close.

Nous en sommes parvenus à la discussion d’une motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie
Demande de renvoi à la commission

M. le président. Je suis saisi, par Mmes David, Gonthier-Maurin, Pasquet et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n° 20.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (n° 619, 2008-2009).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Guy Fischer, auteur de la motion.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, présenter une motion tendant à opposer la question préalable sur ce projet de loi pourrait sembler un exercice difficile,…

M. Paul Blanc. En effet !

M. Guy Fischer. … au regard non seulement du fait que celui-ci se fonde partiellement sur l’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009, mais également des exigences légitimes des salariés de notre pays, qui souhaitent bénéficier de formations, particulièrement en période de crise.

Mais, en réalité, mes collègues Annie David et Brigitte Gonthier-Maurin l’ont déjà souligné au cours de la discussion générale, ce projet de loi ne sera pas de nature à apporter durablement les solutions dont les salariés de notre pays ont besoin en termes de formation et de sécurisation des parcours professionnels.

En effet, ce projet de loi, qui privilégie la seule formation tournée vers l’emploi ou, plus précisément, vers les besoins des entreprises, n’est et ne sera, au final, qu’un outil supplémentaire dans votre arsenal de traitement social du chômage. Il s’agit pour vous, monsieur le secrétaire d'État, de poursuivre le chemin tracé à l’échelon européen par la Commission européenne, qui prévoit, dans son Livre vert intitulé « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du xxie siècle », de substituer progressivement aux protections collectives des salariés, principalement inscrites en droit français dans notre code du travail, une nouvelle conception, celle de « flexsécurité », associant sécurité des salariés et satisfaction des attentes des employeurs en termes de flexibilité ou de mobilité.

Or, en réalité, ce sont bien les deux inconvénients de chacun des systèmes que vous entendez imposer aux salariés de notre pays, comme nous l’avions déjà dénoncé à l’occasion de l’examen, par le Sénat, du texte fallacieusement intitulé « projet de loi relatif aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi ».

D’ailleurs, si l’on peut se féliciter du fait que la formation professionnelle des salariés privés d’emploi fasse, pour la première fois, l’objet d’un accord entre partenaires sociaux, nous ne pouvons accepter que le Gouvernement en prenne prétexte pour se désengager financièrement et ne plus assumer les obligations, relevant de la politique de l’État en matière d’emploi, qui sont les siennes, ou faire peser sur les demandeurs d’emploi de nouvelles et importantes pressions, comme avec le dispositif de « préparation opérationnelle à l’emploi », afin de les contraindre à accepter des formations très ciblées, tout en permettant aux entreprises de bénéficier de formations qui leur sont exclusivement destinées et présentent en outre l’avantage d’être financées par la collectivité.

À vos yeux, la formation professionnelle n’a d’intérêt que lorsqu’elle profite directement aux seuls employeurs et favorise la nécessaire adaptabilité des salariés aux mutations économiques. Telle n’est pas notre conception : nous considérons que la formation est un outil qui doit relever d’une logique « gagnant-gagnant », plaçant le salarié, et non l’entreprise, au cœur du système.

Monsieur le secrétaire d'État, les salariés qui bénéficient du DIF, le droit individuel à la formation, lequel repose également sur une obligation légale de financement, ne sont pas des irresponsables. Ils optent souvent pour des formations qui s’inscrivent dans leur parcours professionnel ou dans celui vers lequel ils voudraient se diriger. Lorsqu’ils optent parfois pour une formation plus personnelle, ils le font en pleine conscience, s’y consacrant en dehors de leur temps de travail.

Oui, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous considérons que le droit individuel à la formation, qui doit être prioritairement un levier pour l’accès à la gestion prévisionnelle des emplois et des carrières, doit également permettre aux salariés de notre pays, de plus en plus contraints par des rythmes de travail insoutenables et soumis au stress et aux pressions diverses, de bénéficier d’un temps de formation qui leur permette de s’épanouir pleinement, non plus seulement en tant que salariés, mais en tant qu’individus et citoyens.

Mme Annie David. C’est là toute la différence !

M. Guy Fischer. Nous sommes convaincus que cela participe aussi de l’équilibre et de la réussite des entreprises de notre pays. Or, monsieur le secrétaire d'État, en commission, vous avez tenté, lors de l’examen des amendements relatifs à l’article 4, de faire croire que l’émergence d’une véritable portabilité du DIF aurait pour conséquence de déstabiliser financièrement les entreprises de notre pays.

Pour ce faire, vous avez eu recours à des mots forts, n’hésitant pas à dire que nous nous attaquions à l’un des piliers de l’accord interprofessionnel, allant même jusqu’à tenter de démontrer que cette mesure coûterait 10 milliards d’euros aux entreprises. Toutefois, vous avez oublié de préciser qu’il s’agissait non pas du coût de la portabilité, mais de celui du DIF,…

M. Guy Fischer. … en supposant d’ailleurs que l’ensemble des salariés de notre pays aient acquis l’intégralité de leurs droits à formation, soit 120 heures, et qu’ils demandent à en bénéficier tous en même temps, ce qui est irréaliste. Cette précision éclairera celles et ceux de nos collègues qui seraient tentés d’accorder du crédit à des déclarations destinées à effrayer et à freiner une évolution souhaitable de la portabilité des droits. Une question est pourtant d’actualité : pourquoi, à ce jour, les entreprises de notre pays n’ont-elles pas provisionné ces sommes ?

Toutefois, au-delà de la seule question du financement du DIF, c’est l’ensemble du financement de la formation professionnelle qui nous inquiète. En effet, celui-ci est assis sur la masse salariale brute des entreprises. La crise systémique qui touche de plein fouet notre pays a entraîné, depuis l’année dernière, une hausse du chômage de 25,6 %, les demandeurs d’emploi de catégorie A étant désormais plus de 2,5 millions. Dans ces conditions, comment dégager des financements suffisants pour assurer le même volume de formation, alors que, parallèlement, la demande de formation s’accroîtra ? Nous pensons, pour notre part, qu’il aurait fallu revoir le mode de financement de la formation professionnelle, en abrogeant, par exemple, les ordonnances Villepin visant à relever le seuil de 10 à 20 salariés. Au lieu de cela, vous instaurez un nouveau seuil.

Nous sommes également convaincus qu’il fallait impérativement renforcer la solidarité nationale, en prévoyant notamment que la convention conclue entre l’État et le Fonds de péréquation et de sécurisation des parcours professionnels devrait clairement préciser les engagements financiers de l’État. Votre rejet de ces dispositions nous fait craindre que vous ne fassiez une nouvelle fois porter aux régions le poids de l’effort de solidarité nationale.

De même, nous regrettons que vous ayez refusé, monsieur le secrétaire d'État, d’inscrire dans le projet de loi une disposition prévue par l’ANI du 7 janvier 2009 et attendue par de nombreux salariés, à savoir la création d’un droit à la formation initiale différée, seule véritable seconde chance pour celles et ceux de nos concitoyens qui sont sortis du système scolaire sans que celui-ci ait accompli à leur égard sa mission majeure, qui est de permettre à chaque jeune de sortir du système scolaire avec au moins un diplôme de cycle supérieur. Mais je ne reprendrai pas ici l’excellente argumentation de mon amie Brigitte Gonthier-Maurin, d’autant que nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de nos débats.

Dans un tel contexte d’explosion des attentes et des besoins, nous ne pouvons accepter que vous procédiez, petit à petit, à la casse de l’AFPA, l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, en commençant par le transfert des personnels.

En effet, le transfert de 75 % des personnels de l’AFPA chargés du conseil et de l’orientation ne sera pas sans conséquences sur l’accomplissement de l’une des missions capitales de celle-ci, à savoir l’ingénierie du titre, les compétences des uns – ceux que vous entendez transférer au Pôle emploi – nourrissant les connaissances des autres. Cette décision s’accompagnera inévitablement d’une diminution des compétences particulières des ingénieurs, dont la lecture de ce projet de loi nous apprend que vous entendez les transférer, par convention directe avec l’État, aux opérateurs privés de placement.

Pourtant, disons-le clairement, rien, pas même les règles européennes, ne justifie ce transfert. Monsieur le secrétaire d'État, si ces dernières vous contraignaient réellement à opérer un tel transfert – mais nous ferons la démonstration que tel n’est pas le cas –, il vous aurait alors appartenu de peser de toutes vos forces pour que la formation professionnelle soit exclue du secteur marchand. En effet, vous ne pouvez pas accompagner toutes les dérégulations et soutenir les plus libéraux à Bruxelles tout en déplorant, en France, une situation dont vos amis et vous êtes responsables !

Pour notre part, nous sommes convaincus que la France n’est tenue, en la matière, par aucune règle européenne, l’éducation et la formation professionnelle demeurant de la compétence exclusive des États en vertu du traité instituant l’Union européenne.

Quant au Conseil de la concurrence, il ne reproche pas à l’État, dans sa décision, de privilégier l’AFPA, y compris par le biais du versement de subventions, mais considère qu’il aurait été nécessaire de reconnaître les missions exercées par cet organisme comme relevant véritablement d’un service public qui aurait pu être organisé sous forme de régie ou de délégation de service public. Vous avez délibérément écarté cette solution, privilégiant le démantèlement de l’AFPA, sans doute pour amoindrir le titre au profit des certifications !

En raison de ce démantèlement de l’AFPA, des attaques portées contre le paritarisme, particulièrement à l’article 9, du refus de renforcer les formations professionnelles durant le temps de travail, congé individuel de formation compris, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui ne pourra être l’outil nécessaire à nos concitoyens.

Depuis 1996, les élus, tant locaux que nationaux, du parti dont je suis membre ont développé des pistes de réflexion en vue de sécuriser l’emploi des salariés. Leurs propositions, excellemment présentées par Mme David, sont à l’opposé de celles qui sont contenues dans le présent projet de loi, et pour cause ! Pour permettre une véritable sécurisation des parcours professionnels, il est selon nous nécessaire de créer des outils permettant de rompre avec l’insécurité permanente propre au marché du travail et avec le libéralisme. En effet, il ne peut y avoir de sécurité, pour les salariés, que dans une société qui décide collectivement de renforcer les droits de celles et de ceux qui les représentent. À quoi bon une sécurisation des parcours professionnels si les employeurs peuvent encore, à leur guise, sans se soucier des intérêts collectifs, fermer des usines et procéder à des licenciements boursiers dont le seul objet est d’accroître la rentabilité d’actions détenues par une minorité de personnes ? C’est pourtant ce que nous vivons aujourd’hui !

M. Guy Fischer. Peut-on parler de sécurisation des parcours professionnels quand les entreprises et les élus de la majorité parlementaire refusent l’émergence d’une responsabilité sociale de l’entreprise et ne permettent pas aux salariés, au travers de leurs représentants, de jouer pleinement leur rôle ? Pour notre part, nous plaidons pour un renforcement des droits des salariés.

Mme Annie David. Tout à fait !

M. Guy Fischer. Ces derniers doivent être étroitement associés aux décisions stratégiques des entreprises. Cela passe, par exemple, par un renforcement des droits des représentants du personnel au sein des instances de direction des établissements, à commencer par le conseil d’administration.

À ce propos, nous relevons un paradoxe : dans un souci de transparence, vous autorisez la participation de personnalités extérieures au conseil d’administration des organismes collecteurs paritaires agréés, mais vous refusez encore de doter les salariés d’un droit de vote au sein du conseil d’administration de leur entreprise.

Comment sécuriser les parcours professionnels quand les gouvernements de droite n’ont de cesse, projet de loi après projet de loi, d’amoindrir les droits des salariés et de les assujettir toujours davantage à des contrats de travail précaires qui n’ont pour seul intérêt que de diminuer le coût du travail ? Contrats à durée déterminée, contrats d’intérim, contrats de professionnalisation pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active, contrats d’insertion : autant de dispositifs qui pèsent sur les salariés, les privent de toute possibilité de se projeter dans le futur et donc de se construire un avenir. L’accumulation de ces facteurs de précarité conduit à fragiliser les salariés, les réduit à survivre à la limite de la pauvreté et rend impossible toute mobilité choisie, tout en permettant d’imposer celle que les marchés exigent.

Aussi proposons-nous, comme pour le contrat première embauche, de transformer progressivement tous les contrats de travail précaires en de véritables contrats de travail à durée indéterminée, ce qui permettrait à chacun de nos compatriotes de construire véritablement sa vie. D’ailleurs, tous les observateurs, à commencer par la Cour des comptes, le reconnaissent : les contrats précaires, parce qu’ils s’accompagnent d’exonérations sociales et fiscales, sont de véritables trappes à bas salaires. La précarité appelle donc la précarité : c’est de cette logique qu’il faut sortir pour que les salariés de notre pays puissent être libres de choisir leur parcours professionnel.

Comment garantir la sécurisation des parcours professionnels quand personne, à l’exception de ceux qui les détiennent, ne connaît réellement l’utilisation des capitaux et les chemins qu’ils suivent ? Nous entendons renforcer le contrôle des entreprises qui bénéficient d’aides publiques.

Comment sécuriser les parcours professionnels et la formation des salariés quand ces derniers ne savent rien de la situation réelle de leur entreprise ? Nous considérons que les plans de formation doivent être décidés en association avec les salariés, car ils sont censés permettre à ceux-ci de s’adapter aux mutations économiques ; cela implique de donner aux intéressés l’ensemble des outils nécessaires pour connaître l’entreprise, la situation du marché du travail ou encore les perspectives économiques.

Comment sécuriser les parcours professionnels et garantir l’efficacité des formations alors que, année après année, on ne cesse de réduire les moyens accordés à l’enseignement public et que, en imposant l’émergence d’un socle commun de connaissances et de compétences, on entend contrecarrer la formation d’un élève citoyen, capable de mobilisation et de révolte ?

Parce que nous ne pouvons nous satisfaire que quelque 120 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ni qualification, nous proposons de rendre la scolarité obligatoire jusqu’à l’âge de 18 ans. Parce que nous ne pouvons accepter qu’un nombre trop important de jeunes échouent à l’université du fait qu’ils sont obligés de cumuler travail et études, nous proposons l’instauration d’une véritable allocation d’autonomie jeunesse.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, pour nous, c’est d’un tout autre projet de loi qu’ont besoin les salariés. Son élaboration suppose un changement radical, une renonciation à la culture du marché, à la mise en concurrence permanente, à la précarisation !

Mes chers collègues, nous vous invitons à voter en faveur de cette motion tendant à opposer la question préalable. Nous aurions aimé discuter d’un texte permettant de protéger les parcours de vie, mais nous sommes convaincus que ce projet de loi, malgré quelques avancées obtenues en commission et parce que le Gouvernement a contourné certaines dispositions de l’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009, ne permettra en définitive de sécuriser qu’une seule chose : la flexibilité dont les salariés sont victimes ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission spéciale. Nos collègues communistes, par la voix du président Fischer, proposent de rejeter ce projet de loi sans même en débattre. Cette position m’étonne quelque peu, car rejeter ce texte revient à rejeter l’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009 signé par l’ensemble des partenaires sociaux.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Ce projet de loi comporte pourtant nombre d’avancées, avec la portabilité du droit individuel à la formation, l’institution du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, des mesures pour réduire le chômage des jeunes, trop élevé dans notre pays, d’autres en faveur des « décrocheurs » qui, après avoir quitté le système scolaire, ne sont pris en charge par personne et vivent une année de carence se transformant très souvent en une année d’errance. Le texte permet également de s’appuyer sur le partenariat pour entrer dans une logique de compétences partagées.

Soucieux que la formation profite à celles et à ceux qui en ont le plus besoin, je ne peux émettre qu’un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi. Même avis, monsieur le président.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix la motion n° 20, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion n’est pas adoptée.)

Demande de renvoi à la commission

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie
Article 1er

M. le président. Je suis saisi, par M. Fichet, Mme Demontès, M. Jeannerot, Mmes Blondin, Printz, Le Texier, Schillinger et Bourzai, MM. Patriat, Desessard, Godefroy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 130.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission spéciale le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (n° 619, 2008-2009).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. Jean-Luc Fichet, auteur de la motion.

M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, bien des raisons, tant de forme que de fond, justifient le renvoi à la commission du projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.

Sur la forme, les conditions dans lesquelles ce projet de loi a été examiné ne sont pas acceptables. La révision constitutionnelle visait pourtant à renforcer le rôle du Parlement, notamment celui de l’opposition.

Dès lors, comment se satisfaire qu’un texte aussi important soit examiné dans la précipitation, en session extraordinaire, qui plus est au retour des congés ? Les auditions ont eu lieu alors que le Sénat n’avait pas repris ses travaux. De nombreux parlementaires n’ont pas même été avertis de leur tenue, à une période où peu de réunions étaient possibles au sein des groupes politiques.

Par ailleurs, les amendements, dont nous n’avons eu connaissance qu’au dernier moment, ont été examinés dans des conditions difficiles. On est bien loin de ce que l’on attend du Parlement d’une démocratie moderne ! Où est le sérieux ? Si c’est là ce que l’on appelle renforcer les droits du Parlement, je ne comprends pas l’exercice !

C’est une première raison pour renvoyer ce texte à la commission. Cela aurait au moins le mérite de nous permettre de poursuivre sereinement un travail de fond. Ce projet de loi étant très technique, la moindre des choses serait de laisser aux parlementaires le temps de se l’approprier. Son examen nécessite du temps. Ce ne sont d’ailleurs pas mes collègues de la majorité qui me contrediront ! En commission, plusieurs d’entre eux se sont en effet émus d’un travail bâclé et de la brièveté des délais impartis. Une sénatrice a exprimé très clairement son mécontentement devant le manque de temps pour approfondir l’étude des amendements, reçus la veille. Depuis le début de la discussion générale, tous les intervenants, y compris le rapporteur, se sont prononcés en ce sens !

Ce projet de loi est examiné selon la procédure accélérée. L’urgence est devenue tellement ordinaire que c’est la procédure ordinaire qui devient extraordinaire ! Dois-je citer tous les textes fondamentaux dont l’examen dans ces conditions montre que le Sénat devient lui aussi adepte du taylorisme ? Les sénateurs de la majorité craignent-ils une délocalisation à l’Élysée s’ils ralentissent la cadence ? Actuellement, la procédure accélérée ou l’urgence a été retenue pour douze textes ! Il en est ainsi, par exemple, du projet de loi pénitentiaire, du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet, du projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports, de la proposition de loi réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires et du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.

Encore une fois, les droits du Parlement sont bafoués. Si l’on veut que le Sénat puisse travailler sérieusement sur le fond, un renvoi de ce texte à la commission est nécessaire. Les acteurs de la formation professionnelle attendent une réforme, mais pas une loi bâclée votée dans l’urgence. Une telle procédure est en tout point ennemie de l’excellence.

Le Gouvernement n’avait pourtant pas ménagé ses effets d’annonce sur le projet de loi qui nous occupe. M. Nicolas Sarkozy lui-même avait, le 3 mars dernier, à Alixan dans la Drôme, vanté la réforme dans un discours qui, comme à l’habitude, n’était qu’affichage. Quand on le relit, on ne peut pas être opposé aux conceptions développées :

« Il n’y a aucune honte à démarrer en bas de l’échelle. Le drame, en revanche, c’est de se dire qu’on n’a d’autre perspective que d’y rester toute sa vie. […] La formation professionnelle : une meilleure sécurité et la possibilité d’un nouveau départ. » Comment rejeter de tels propos ?

Le Président de la République avait annoncé l’ouverture de plusieurs chantiers : la lutte contre les « inégalités d’accès à la formation » et le « maquis inextricable des formations », ou encore la réduction des coûts de gestion, trop importants à l’heure actuelle, des OPCA, les organismes paritaires collecteurs agréés.

Je félicite le Président de la République !

M. Paul Blanc. Très bien !

M. Jean-Luc Fichet. J’applaudis des deux mains ses constats et ses bonnes intentions.

M. Alain Gournac. Merci beaucoup !

M. Jean-Luc Fichet. Le renvoi à la commission du texte nous permettrait sûrement de faire en sorte qu’il corresponde véritablement à sa volonté !

Où en est-on sur le fond ? Pour les Françaises et les Français, que représente la formation professionnelle, initiale ou continue ? Il s’agit d’un moyen d’envisager sereinement sa vie, de construire son avenir en toute confiance. La formation professionnelle représente un équivalent du CDI. Elle permet à chacun de se rattraper après avoir « manqué une marche », et ce quels que soient les échecs subis. C’est une chance pour tous ! À l’heure où un prix Nobel, M. Joseph Stiglitz, nous vante le BIB, le bonheur intérieur brut, ce n’est pas rien !

Nous devons nous interroger sur la nécessité d’apporter à chacun cette sécurité professionnelle, levier essentiel pour réussir sa vie et ne pas craindre les lendemains. À l’heure où les plans sociaux se multiplient, la crise servant parfois de prétexte, la formation professionnelle est un vrai moyen de répondre aux attentes et aux craintes des Français.

Or le fond de ce dossier essentiel pour l’avenir de nos concitoyens n’est malheureusement pas abordé dans ce projet de loi. C’est un rendez-vous manqué avec l’histoire sociale de notre pays. Le Président de la République nous a annoncé une réforme importante, et nous avons aujourd’hui devant nous un texte superficiel, qui n’aborde pas les véritables enjeux de la formation professionnelle et ne trace aucun cap. Voilà pourquoi il me semble essentiel, au regard des enjeux de la formation professionnelle, de renvoyer ce texte à la commission spéciale.

Même l’accord historique signé entre les partenaires sociaux le 7 janvier dernier y est dévoyé. D’ailleurs, l’ensemble de ces derniers n’a pas voté ce projet de loi lorsqu’il a été soumis au Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, le 14 avril dernier. Les représentants de l’État l’ont voté, et on les comprend ! Avec la cosignature du plan régional de développement des formations par le préfet et l’autorité académique, c’est une recentralisation de la formation professionnelle qui s’opère, et en toute opacité.

En outre, dans le présent projet de loi, la formation professionnelle est abordée sous l’angle financier et sous celui des intérêts bien compris de certains, notamment du patronat. Je pense ici à l’opacité du fonctionnement du nouveau Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, ainsi qu’à la mainmise de l’État sur une partie des 900 millions d’euros de ce fonds.

Pourtant, d’autres voies auraient pu être trouvées pour faire de ce texte un projet ambitieux. Le Livre vert de Martin Hirsch aurait très bien pu constituer un fil conducteur cohérent de la réforme. Pourquoi ne pas avoir repris certaines de ses préconisations, notamment la mise en place d’un réseau d’orientation, la suppression du délai de carence ou l’obligation de formation jusqu’à 18 ans ? Est-ce la peur d’un projet trop ambitieux ? Savez-vous d’ailleurs ce que va devenir le travail de M. Hirsch ? Osons espérer qu’il ne sera pas enterré…

De même, pourquoi tronçonner la formation professionnelle continue et initiale ? Quel est ce message incohérent que le Gouvernement souhaite adresser aux jeunes qui sortent du système scolaire ?

Ce projet de loi comprend de nombreux manques, que seul un renvoi à la commission pourrait nous permettre de combler. Il ne contient absolument rien sur la formation initiale, dont l’importance est pourtant évidente. Il oublie la formation initiale différée destinée aux jeunes sortis du système scolaire sans qualification. Il ne fixe pas comme objectif à la formation tout au long de la vie de permettre la progression d’un niveau de qualification.

La validation des acquis de l’expérience, la VAE, objet d’une réforme essentielle, n’est qu’à peine abordée, alors qu’elle représente un véritable espoir pour les travailleurs. Il est certain qu’elle a besoin d’être améliorée : dès lors, pourquoi ne pas saisir l’occasion de l’examen de ce texte pour y œuvrer ?

Je souhaite cependant souligner un point positif : à la suite de la présentation d’un amendement par le groupe socialiste, le Gouvernement s’est engagé en commission à mettre en place des campagnes d’information sur la VAE. Il est en effet urgent de faire savoir que ce dispositif existe. Il serait en outre nécessaire de le simplifier et de le rendre accessible à tous.

Il faut également s’interroger de nouveau sur la taxe d’apprentissage : quelle est sa destination ? Comment la prélever ? Que penser de l’amendement déposé par M. le rapporteur, visant à diviser par quatre le montant de son produit disponible pour l’enseignement supérieur ? Son adoption serait catastrophique !

En conclusion, mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir adopter cette demande de renvoi à la commission. Ce projet de loi ne remplit pas son objectif premier : simplifier et rendre plus transparents les dispositifs de la formation professionnelle. C’est une occasion manquée, puisque, malheureusement, le texte ajoute de la complexité à la complexité.

En adoptant cette motion, mes chers collègues, vous nous assurerez le temps nécessaire pour traiter au fond le sujet de l’orientation et de la formation professionnelle tout au long de la vie. Ce serait une décision utile et intelligente. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Je l’ai dit et je le réaffirme, nous n’avons pu travailler sur ce texte dans les meilleures conditions. La situation aurait d’ailleurs été encore plus difficile sans l’intervention de notre ancien collègue Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement, qui nous a permis de bénéficier d’une semaine supplémentaire par rapport au calendrier initial.

Pour autant, je ne crois pas qu’un renvoi à la commission serait opportun.

D’abord, je le redis, si nous sommes obligés d’aller vite, c’est parce que les partenaires sociaux attendent l’entrée en vigueur de ce texte au 1er janvier 2010. Les décrets d’application devront donc être publiés rapidement.

Ensuite, malgré le peu de temps qui nous était imparti, nous avons procédé à quelque soixante auditions, qui se sont déroulées au total sur plus de cinquante heures. Nous avons ainsi entendu les trois membres du Gouvernement concernés, les partenaires sociaux et l’Association des régions de France. La commission spéciale a donc bien travaillé, même si ce fut dans des circonstances difficiles, et toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour que nous puissions examiner ce texte. Certes, nous aurions sans doute pu faire mieux en disposant de davantage de temps, mais le mieux est souvent l’ennemi du bien !

La commission spéciale émet donc un avis défavorable sur cette demande de renvoi à la commission.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Même avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 130, tendant au renvoi à la commission.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

TITRE IER

DROIT À L'INFORMATION, À L'ORIENTATION ET À LA QUALIFICATION PROFESSIONNELLES

Demande de renvoi à la commission
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie
Article additionnel après l’article 1er

Article 1er

La sixième partie du code du travail est ainsi modifiée :

1° Le premier alinéa de l'article L. 6111-1 est complété par deux phrases ainsi rédigées :

« Elle vise à permettre à chaque personne, indépendamment de son statut, d'acquérir et d'actualiser des connaissances et des compétences favorisant son évolution professionnelle, ainsi que de progresser d'au moins un niveau de qualification au cours de sa vie professionnelle. Une stratégie nationale coordonnée est définie et mise en œuvre par l'État, les régions et les partenaires sociaux. » ;

2° Au premier alinéa de l'article L. 6311-1, après les mots : « économique et culturel », sont insérés les mots : «, à la sécurisation des parcours professionnels » ;

3° L'article L. 6123-1 est ainsi rédigé :

«Art. L. 6123-1. - Le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie est chargé :

« 1° De favoriser, au plan national, la concertation entre l'État, les régions, les partenaires sociaux et les autres acteurs pour la définition, dans un cadre pluriannuel, des orientations prioritaires des politiques de formation professionnelle initiale et continue, ainsi que pour la conception et le suivi de la mise en œuvre de ces politiques ;

« 2° D'évaluer les politiques de formation professionnelle initiale et continue aux niveaux national et régional, sectoriel et interprofessionnel ;

« 3° D'émettre un avis sur les projets de lois, d'ordonnances et de dispositions réglementaires en matière de formation professionnelle initiale et continue ; 

« 4° De contribuer à l'animation du débat public sur l'organisation du système de formation professionnelle et ses évolutions.

« Les administrations et les établissements publics de l'État, les conseils régionaux, les organismes consulaires et les organismes paritaires intéressés à la formation professionnelle sont tenus de communiquer au Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie les éléments d'information et les études dont ils disposent et qui lui sont nécessaires pour l'exercice de ses missions.

« Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'État. » ;

4° L'article L. 6123-2 est ainsi rédigé :

« Art. L. 6123-2. - Le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie est placé auprès du Premier ministre. Son président est nommé en conseil des ministres. Il comprend des représentants élus des conseils régionaux, des représentants de l'État et du Parlement, des représentants des organisations professionnelles et syndicales intéressées et des personnes qualifiées en matière de formation professionnelle. » ;

5° (Supprimé)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.

M. Richard Yung. Je profite de l’examen de l’article 1er, qui vise à fixer les grandes orientations en matière de formation professionnelle, pour évoquer les oubliés de ce projet de loi, à savoir les Français de l’étranger.

On recense 2,5 millions de Français à l’étranger, dont 250 000 enfants scolarisés. Tous ne préparent pas l’École normale supérieure ou l’École polytechnique, et quelque 20 000 ou 30 000 enfants français sont en réalité laissés à l’abandon, livrés à eux-mêmes.

Année après année, le système français de formation à l’étranger s’est réduit. Si le ministère des affaires étrangères souffre sur le plan budgétaire, que dire des crédits affectés au domaine social, à la formation professionnelle et à l’emploi ! Alors qu’ils atteignaient 2,5 millions d’euros en 1999, ils ne s’élèvent plus, dans le budget de cette année, qu’à 600 000 euros, dont 130 000 euros seulement sont destinés à la formation professionnelle.

L’État s’est progressivement désengagé du financement des centres d’apprentissage qu’il subventionnait auparavant, laissant à des acteurs locaux le soin de les reprendre, ce qui n’a pas toujours été le cas. Je pense notamment au centre de mécanique de Tananarive, à Madagascar.

La situation est donc tout à fait désastreuse. Certes, les enfants français vivant dans des pays développés peuvent bénéficier du système de formation local. Cela est même recommandé ! Mais pensez, mes chers collègues, à ce qui se passe dans les pays où une telle possibilité n’existe pas, par exemple dans une large partie de l’Afrique et de l’Amérique latine : dans ces pays, aucune solution n’est proposée aux enfants français. Cela n’est pas acceptable, car ces derniers, souvent binationaux et qui vivent parfois dans des conditions précaires, vont partir à la dérive.

On nous répond que l’AFPA internationale assure certaines formations. J’ai le plus grand respect pour cet organisme, mais son action est sans doute entravée par le manque d’argent.

On propose également aux enfants concernés de suivre des cours par correspondance, mais ce n’est guère utile quand il s’agit d’apprendre les métiers de l’hôtellerie et de la restauration ou la mécanique ! Plus paradoxalement, on offre à un tout petit nombre d’entre eux des stages en France, alors que, précisément, il ne faut pas déraciner ces enfants pour les plonger dans une société qu’ils ne connaissent pas. De surcroît, cela coûte évidemment très cher.

Les sénateurs représentant les Français établis hors de France ont exploré d’autres voies. Nous avons notamment réfléchi à l’instauration d’un système qui permettrait aux entreprises implantées à l’étranger de consacrer une partie des sommes allouées à la formation professionnelle à un fonds destiné à financer des actions de formation hors du territoire national. Cette initiative n’ayant pu déboucher, je me tourne donc vers le Gouvernement pour souligner la gravité de la situation. Il est urgent d’agir dans ce domaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz, sur l'article.

Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cet article, qui a trait aux objectifs et aux principes de la formation professionnelle, vise à donner un accès prioritaire aux personnes sans premier niveau de qualification ni baccalauréat. Il répond donc à un souci que nous partageons, celui de réorienter la formation professionnelle vers ceux qui en ont le plus besoin.

Il manque cependant un principe important, celui du droit à la formation initiale différée, mis en avant dans l’accord signé par les partenaires sociaux au début de l’année. Ce principe figurait déjà, d’ailleurs, dans l’accord national interprofessionnel de 2003. Il s’agit, en quelque sorte, d’un droit à la deuxième chance.

En effet, notre système de formation initiale est ainsi fait que toute sortie est perçue comme définitive et vécue comme un échec : à juste titre, car les jeunes sortis de l’école sans diplôme ont plus de mal à s’insérer dans le monde professionnel que les autres.

Il convient donc de dédramatiser la sortie du système scolaire en facilitant une reprise d’études immédiate, comme c’est le cas chez nos voisins européens, où les difficultés rencontrées par les jeunes sur le marché du travail sont moindres.

Ensuite, en dépit du fait que la sécurisation des parcours professionnels figure dorénavant parmi les finalités de la formation, nous restons dubitatifs quant aux moyens que vous vous donnez, monsieur le secrétaire d’État, pour atteindre cet objectif important, inscrit au début du préambule de l’accord national interprofessionnel.

En effet, la principale mesure est la création d’un fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, dont le fonctionnement sera d’une extrême complexité et le financement pour le moins opaque.

Mais qu’en est-il de la responsabilité des entreprises ? Mon département, comme beaucoup d’autres malheureusement, est durement frappé par la crise, et les fermetures d’usines se multiplient. La cokerie de Carling, où 450 personnes vont être licenciées, en constitue le dernier exemple en date. Ce qu’il faut, dans ces cas-là, c’est que les salariés ne soient jamais licenciés, mais se forment à d’autres métiers au sein même de leur entreprise. Cela passe par une forte implication des employeurs, mesure que ne prévoit pas ce texte. En définitive, ce dernier reste loin de jeter les bases d’une véritable sécurité sociale professionnelle, pourtant promise par le Président de la République et à laquelle aspirent nos concitoyens, notamment en cette période de crise.

En ce qui concerne le handicap, l’Assemblée nationale a ajouté une disposition importante, absente de la rédaction initiale du texte, visant à « évaluer les politiques de formation professionnelle menées en faveur des travailleurs handicapés ». C’est une très bonne chose. Nous le savons, l’insertion des personnes handicapées est difficile et leur taux de chômage beaucoup plus élevé que celui du reste de la population. Après avoir eu du mal à trouver une activité professionnelle, ces personnes rencontrent aussi beaucoup de difficultés pour accéder à la formation professionnelle. Nous devons prêter une attention particulière à ce problème, et l’un de nos amendements visera d’ailleurs à aller plus loin en faveur de ce public.

Toutefois, n’oublions pas non plus que d’autres méritent également une attention particulière. Je pense notamment aux personnes détenues, dont il n’est même pas fait mention. Leur ouvrir l’accès à une formation leur permettrait, en particulier, de mieux vivre leur peine et de se réinsérer plus facilement à leur sortie.

De même, il n’est jamais fait référence, dans ce projet de loi, aux organismes de formation, dont on sait pourtant qu’ils peuvent être facilement infiltrés par les sectes, avec les dégâts que cela peut engendrer.

Enfin, si les régions sont mentionnées dans cet article, nous estimons qu’en réalité elles ont été écartées des missions principales. Pourtant, depuis que les lois de décentralisation leur ont donné la compétence en matière de formation professionnelle, elles jouissent d’une certaine expérience dans ce domaine, ainsi que d’une réussite attestée et reconnue. Leur légitimité ne se discute plus : plusieurs rapports ont préconisé de les promouvoir comme pilote unique en matière de formation professionnelle, et non pas comme copilote, ainsi que vous le proposez. Nous pensons que l’hétérogénéité des territoires appelle une politique de formation spécifique et différenciée selon les régions, en liaison avec les objectifs de développement et d’aménagement du territoire que celles-ci se fixent. Nous présenterons donc un amendement visant à renforcer le rôle des régions.

Votre texte manque d’ambition, monsieur le secrétaire d’État, et nous ne le voterons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Jean Desessard. Bien dit !

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 18, présenté par Mmes David, Gonthier-Maurin, Pasquet et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

I. - Ajouter au début du troisième alinéa de cet article une phrase ainsi rédigée :

Elle constitue un élément déterminant de la sécurisation des parcours professionnels et de la promotion sociale des salariés.

II. - Supprimer le quatrième alinéa (2°) de cet article.

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cet amendement, qui peut apparaître comme rédactionnel, est en fait des plus importants, puisqu’il tend à préciser, au premier article du code du travail consacré à la formation professionnelle, que celle-ci « constitue un élément déterminant de la sécurisation des parcours professionnels et de la promotion sociale des salariés ».

La question de l’insertion de cette disposition est très importante puisque les partenaires sociaux ont entendu préciser, dès le préambule de l’accord national interprofessionnel du 7 janvier dernier, que la formation avait pour objectif la sécurisation des parcours professionnels et la promotion sociale des salariés. C’est dire que les dispositifs proposés dans l’ANI visent en réalité à cette fin.

C’est cet équilibre entre la définition des objectifs et la mise en place des outils mis au service de la réalisation de ceux-ci que nous entendons préserver.

Par ailleurs, M. le rapporteur nous ayant fait remarquer, lors des travaux en commission, que notre amendement était en partie satisfait par le 2° de l’article, nous proposons, par cohérence, de supprimer ce dernier.

Cependant, pour reprendre les termes mêmes de M. le rapporteur, notre amendement n’est qu’en partie satisfait, car si la rédaction actuelle fait effectivement référence à la sécurisation des parcours professionnels, elle n’aborde pas la notion, très importante à nos yeux, de « promotion sociale des salariés ». Or, nous en conviendrons tous ici, l’intérêt, pour les salariés, de bénéficier d’une formation choisie et qualifiante est justement de pouvoir s’élever socialement, comme l’atteste l’attachement des salariés de notre pays au congé individuel de formation.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter cet amendement.

M. le président. L'amendement n° 133, présenté par Mme Demontès, MM. Fichet et Jeannerot, Mmes Blondin, Printz, Le Texier, Schillinger et Bourzai, MM. Patriat, Desessard, Godefroy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Au début du troisième alinéa de cet article, ajouter une phrase ainsi rédigée :

« Elle constitue un élément déterminant de sécurisation des parcours professionnels et de la promotion des salariés. »

La parole est à M. Claude Jeannerot.

M. Claude Jeannerot. Mon propos sera bref, car je souscris pleinement aux arguments qui viennent d’être développés par ma collègue.

Loin d’être purement formel, cet amendement symbolique reprend en fait une formule figurant dans le préambule de l’accord national interprofessionnel, aux termes de laquelle « la formation tout au long de la vie professionnelle contribue à renforcer la compétitivité et la capacité de développement des entreprises et constitue un élément déterminant de la sécurisation des parcours professionnels et de la promotion des salariés ».

À nos yeux, la sécurisation des parcours professionnels constitue une avancée importante, et il convient de placer cette notion en exergue du projet de loi.

M. le président. L'amendement n° 109, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Muller et Mme Voynet, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le quatrième alinéa (2°) de cet article :

2° Au premier alinéa de l'article L. 6311-1, les mots : « économique et culturel et à leur promotion sociale » sont remplacés par les mots : « soutenable de l'économie, à leur émancipation sociale et culturelle et à la sécurisation de leurs parcours professionnels ».

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. L’objet de cet amendement est de mettre en conformité le code du travail avec les réalités socio-économiques d’aujourd’hui. La crise que nous traversons est, à première vue, une crise économique, et son dépassement passe par la transformation écologique de l’économie.

Il semble désormais acquis que la sobriété et la soutenabilité ne sont pas les ennemies de la prospérité. L’économie ne peut se contenter de croître ad vitam aeternam, ni se développer envers et contre tout. En conformité avec les engagements du Grenelle, il nous faut envisager le développement maîtrisé de l’économie.

Cependant, la crise économique se double d’une crise sociale : c’est la crise d’une société où l’individualisme a atteint son paroxysme, et où les intérêts particuliers prévalent sur l’intérêt général.

Une vie professionnelle épanouissante passe davantage par une émancipation sociale et culturelle et par la stabilité de la vie active que par la recherche de la promotion et le culte de la performance. Voilà pourquoi il me paraît important de réactualiser l’article L. 6311-1 du code du travail.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. L’amendement n° 18 est partiellement satisfait par la mention, déjà présente à l’article L. 6311-1 du code du travail, de l’objectif plus large de promotion sociale des travailleurs, et non des seuls salariés.

Cet article constitue à mon sens un meilleur lieu d’insertion des précisions souhaitées par les auteurs de l’amendement que l’article L. 6111-1 du code du travail, lequel doit préciser un objectif simple et lisible pour la formation initiale et continue, quel que soit le statut des personnes concernées.

En reprenant les dispositions de l’article L. 6311-1, on ouvrirait la porte à l’inscription de la longue énumération qui y figure déjà : insertion et réinsertion professionnelle des travailleurs, maintien dans l’emploi, développement des compétences, accès aux qualifications, développement économique et culturel.

La clarté, la cohérence et la simplicité doivent prévaloir. En conséquence, la commission sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.

L’amendement n° 133 étant presque identique à l’amendement n° 18, les deux arguments que je viens d’invoquer restent valables. En conséquence, la commission émet un avis défavorable.

Enfin, en ce qui concerne l’amendement n° 109, la commission souhaite conserver les objectifs inscrits progressivement dans l’article du code du travail visé au fil des négociations entre les partenaires sociaux. Elle est également attachée à la notion de promotion sociale, qui constituait déjà l’un des objectifs fondateurs de la « loi Delors » sur la formation professionnelle. Nous restons attachés à cette notion, qui figure encore au préambule de l’ANI du 7 janvier 2009. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Le Gouvernement est défavorable aux trois amendements.

Sans reprendre l’ensemble des arguments exposés par M. le rapporteur, je préciserai que les partenaires sociaux ont bien prévu de viser explicitement la notion de sécurisation des parcours professionnels.

En outre, la notion de promotion sociale, que certains des trois amendements visent à réintroduire, figure expressément à l’article L. 6311-1 du code du travail.

Enfin, l’amendement adopté sur l’initiative de M. le rapporteur a déjà permis d’expliciter la notion. Dans ce projet de loi, nous avons par principe voulu fixer des objectifs concrets et éviter les effets d’affichage « gazeux ». C’est ce que permet la rédaction de la commission, en prévoyant des dispositions opérationnelles, et non pas l’octroi de droits fictifs.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 18.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 133.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 109.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 131, présenté par Mme Demontès, MM. Jeannerot et Fichet, Mmes Blondin, Printz, Le Texier, Schillinger et Bourzai, MM. Patriat, Desessard, Godefroy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

I. - Dans le troisième alinéa de cet article, après les mots :

évolution professionnelle,

insérer les mots :

avec un effort particulier en faveur des personnes ayant bénéficié d'une formation initiale courte,

II. - Après le même alinéa, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Après le premier alinéa de l'article L. 6111-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les salariés qui ont arrêté leur formation initiale avant le premier cycle de l'enseignement supérieur ou qui n'ont pas obtenu de qualification professionnelle reconnue, et qui souhaitent poursuivre ultérieurement des études en vue d'une promotion sociale, ont un accès prioritaire à une formation diplômante ou qualifiante. »

La parole est à Mme Christiane Demontès.

Mme Christiane Demontès. Cet amendement vise à préciser que la formation professionnelle tout au long de la vie doit concerner particulièrement les personnes les moins formées. Il s’agit de freiner la tendance habituelle selon laquelle la formation continue profite aux personnes déjà les plus formées, ce qui n’est pas son objectif initial et peut même s’avérer contre-productif.

La rédaction du paragraphe II de cet amendement correspond précisément à l’article 1.4.3 de l’ANI du 7 janvier 2009, que le projet de loi ne reprend pas. Il pose le principe de l’accès prioritaire des personnes qui n’ont pu bénéficier d’une formation initiale longue ou qui n’ont pas de qualification professionnelle reconnue à une formation diplômante ou qualifiante leur ouvrant une promotion sociale au travers d’une « formation initiale différée ». Faut-il rappeler à nouveau que plus de 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans diplôme et sans qualification, avec les conséquences que nous connaissons tous ?

Sur le plan financier, l’ANI préconise d’une part une prise en charge par l’organisme paritaire collecteur agréé compétent pour les actions d’accompagnement, de bilan de compétences et de validation des acquis de l’expérience, d’autre part un abondement des pouvoirs publics correspondant au coût moyen d’une année de formation, pour lequel les partenaires sociaux demandent l’ouverture d’une concertation avec l’État.

On peut comprendre l’émoi du Gouvernement devant une demande de financement aussi claire, dont on ne connaît pas exactement le coût budgétaire, mais cela ne doit pas empêcher d’ouvrir une concertation, d’autant que les partenaires sociaux, la CGT comme le MEDEF, nous ont fait part de leur attachement à cette mesure et ont demandé qu’elle soit rétablie alors qu’elle avait été écartée du texte initial. Cela montre au moins que les partenaires sociaux s’accordent sur le constat d’une formidable déperdition tant pour notre économie que sur le plan humain.

Le Gouvernement, manifestement, compte sur les écoles de la deuxième chance pour répondre à cette demande, comme d’ailleurs le MEDEF le suggérait. Le Gouvernement croit-il réellement que cette réponse est à la mesure du problème ? S’il doit y avoir un maillage complet du territoire, quand pourra-t-il être réalisé et avec quels moyens ? Que pensez-vous de la création de modules permettant d’acquérir une qualification partielle, qui pourrait être ensuite complétée ?

La formation initiale différée restera une nécessité tant que des jeunes sortiront de l’école sans qualification ou sans diplôme. Il est vrai qu’elle pose de nombreuses questions sur lesquelles il est urgent de se concerter, pour trouver une réponse à la hauteur de l’enjeu.

M. le président. L'amendement n° 25, présenté par Mmes David, Gonthier-Maurin, Pasquet et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Après le troisième alinéa de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Après le deuxième alinéa de l'article L. 6111-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les salariés qui ont arrêté leur formation initiale avant le premier cycle de l'enseignement supérieur, ou qui n'ont pas obtenu de qualification professionnelle reconnue, et qui souhaitent poursuivre ultérieurement des études en vue d'une promotion sociale, ont un accès prioritaire à une formation qualifiante ou diplômante. »

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Cet amendement a pour objet d’insérer, dans l’actuelle rédaction de l’article 1er, un alinéa visant à créer un droit de priorité, dans l’accès à la formation, pour celles et ceux des salariés de notre pays qui ont arrêté leur formation initiale avant le premier cycle de l’enseignement supérieur ou qui n’ont pas obtenu de qualification professionnelle reconnue.

En proposant au Sénat d’adopter cet amendement, nous entendons permettre réellement aux personnes concernées de bénéficier, si elles le souhaitent, de la possibilité de reprendre des études en vue d’une promotion sociale, alors qu’elles sont déjà entrées dans la vie active et travaillent peut-être depuis plusieurs années.

Cette question de la promotion sociale est au cœur de notre conception de la formation professionnelle, qui est à l’opposé de la conception utilitariste inspirant – je le déplore, monsieur le secrétaire d’État – ce projet de loi.

Au cours de nos travaux en commission spéciale, vous avez affirmé ne pas vouloir créer un nouveau droit opposable qui ne serait pas opérationnel, n’hésitant pas à qualifier un tel droit de « gazeux ».

Pourtant, les partenaires sociaux avaient précisément prévu la création de ce droit dans l’accord national interprofessionnel. La rédaction était sans doute trop insatisfaisante et imparfaite pour être transposée directement dans ce projet de loi, je vous l’accorde, mais nous considérons, comme les partenaires sociaux, qu’il était du devoir du Gouvernement de prendre le temps de transcrire en un langage juridique pertinent les propositions formulées par les organisations représentatives des salariés et des employeurs.

Il est urgent d’agir : le rapport de la Cour des comptes d’octobre 2008 rappelle que 56 % de la population active avait, en 2005, un niveau de formation initiale égal ou inférieur au CAP et au BEP, et que 21 % de la population active n’avait aucun diplôme. Ce même rapport souligne que « les personnes peu formées ou mal qualifiées ne constituent pas les principaux bénéficiaires du système de formation […]. » Si un peu plus d’un titulaire de BTS ou de DUT sur cinq bénéficie d’une formation continue dans les trois ans qui suivent les études, le taux est de un sur quinze pour les non-diplômés et d’un peu plus de un sur dix pour les titulaires de CAP.

Nous avons fait de l’éducation et de la formation une obligation nationale, et nous nous en félicitons. Toutefois, quelle valeur pourrait avoir une obligation nationale si les parlementaires et le Gouvernement ne mettaient pas tout en œuvre pour garantir son respect effectif, au bénéfice de tous ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Ces deux amendements ont quasiment le même objet. Je formulerai deux remarques pour étayer l’avis défavorable de la commission.

Tout d’abord, il ne convient pas de cibler un public spécifique au sein d’une définition des objectifs généraux de la formation professionnelle tout au long de la vie. De plus, c’est faire porter à la formation professionnelle une responsabilité particulière, sans préciser parallèlement les devoirs de l’éducation nationale. On ne saurait demander à la formation professionnelle de se substituer à l’éducation nationale : ce serait tout aussi illusoire, voire dangereux, que de demander à l’éducation nationale de se substituer à la famille.

M. Jean Desessard. Que faites-vous des 150 000 jeunes qui sortent sans diplôme du système scolaire ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Par ailleurs, le dispositif présenté tend à créer un nouveau droit opposable à la formation différée sans prévoir ni son instrumentation ni les conditions de sa mise en œuvre effective – durée de reprise des études, modalités d’accès prioritaire et financement.

Cette question importante ne peut être traitée aujourd'hui sans une réflexion préalable sur les conséquences de l’instauration d’un droit à la formation différée pour l’organisation du système.

Ce texte est une étape importante, mais ce n’est qu’une étape. Je souhaite, monsieur le secrétaire d'État, qu’il soit suivi d’autres avancées, en particulier en matière de formation différée. J’ai ainsi suggéré, dans mon rapport, la mise en place d’un compte épargne formation qui pourrait être mis en place dès la sortie du système scolaire.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Le Gouvernement est défavorable aux amendements nos 131 et 25, monsieur le président.

On a déjà créé, par le passé, un certain nombre de droits dits « opposables », en particulier un droit au logement opposable ; ils ont puissamment contribué à décrédibiliser la parole du législateur.

M. Jean Desessard. C’est le Gouvernement qui l’a proposé !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. En effet, avant de commencer à construire un dispositif opérationnel sur le terrain, on instaure un droit purement fictif, sans avoir réfléchi aux conditions de son application.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Cela étant, il est tout à fait vrai que nous n’avons pas le droit de rester inactifs devant cette question fondamentale : comment tendre la main à des jeunes qui ont été insuffisamment formés par l’éducation nationale ? C’est là un vrai sujet.

De ce point de vue, plusieurs articles du texte présentent des solutions concrètes, avec le renforcement des dispositifs en faveur de l’école de la deuxième chance, une meilleure information et orientation des jeunes, le renforcement des contrats d’apprentissage ou des contrats de professionnalisation, l’accompagnement des jeunes en situation de décrochage.

Nous avons donc fait le choix d’inscrire dans le projet de loi des dispositifs concrets et opérationnels qui, à mon sens, valent toutes les affirmations théoriques ne trouvant jamais de traduction, sur le terrain, au profit de nos compatriotes.

L’amendement de Mme David, qui vise pour sa part à accorder aux salariés faiblement qualifiés un accès prioritaire aux fonds de la formation, me paraît inutile, car tel est bien l’objectif explicitement assigné au fonds de sécurisation des parcours professionnels, pour compenser l’actuelle iniquité du fonctionnement de la formation.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote sur l'amendement n° 131.

M. Jean Desessard. M. le rapporteur a dit qu’il ne convenait pas de cibler des publics spécifiques. Or, c’est bien ce que nous avons fait à plusieurs reprises, par exemple en matière d’accès au logement ou de recherche d’emploi. Pourtant, le logement et l’emploi intéressent tout le monde ! Je ne vois donc pas pourquoi on ne désignerait pas un public prioritaire en matière de formation continue, au bénéfice duquel serait mis en œuvre un ensemble de moyens.

Par ailleurs, grâce aux confidences de M. le rapporteur, distillées au fil de la discussion, on commence à y voir clair : le texte magnifique, sensationnel, le grand texte sur la formation professionnelle qu’il nous présentait tout à l'heure n’est plus qu’une étape, qui doit ouvrir sur une suite. C’est ce que nous avons répété tout l’après-midi, et M. le rapporteur commence enfin à le reconnaître ! Au cours des débats, il apparaîtra finalement qu’il s’agit d’un petit texte : j’espère que M. le rapporteur continuera alors à faire preuve de la même franchise…

M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot, pour explication de vote.

M. Claude Jeannerot. Monsieur le secrétaire d'État, j’ai le sentiment que nous sommes d’accord sur le fond. Si nous souhaitons inscrire dans le texte les dispositions en question, c’est que nous pensons que la loi peut nous placer tous sous contrainte vertueuse et nous obliger ensuite à mettre en œuvre ce qui constitue, à nos yeux comme aux vôtres, une obligation nationale. La formation continue n’a de sens que si elle offre une deuxième chance à ceux qui sont sortis dans de mauvaises conditions du système scolaire.

Je conviens que l’inscription d’un nouveau droit dans la loi ne suffit pas à le rendre effectif, mais elle nous contraindra, à l’avenir, à prendre les dispositions nécessaires pour garantir son application. C'est pourquoi nous maintenons notre amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 131.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote sur l'amendement n° 25.

Mme Annie David. De notre point de vue, mettre en place des écoles de la deuxième chance revient à déresponsabiliser l’État.

Certes, ce dispositif répond à une demande, mais il s’agit ici de personnes qui n’ont pas pu bénéficier, au cours de leur scolarité, de la formation qu’elles étaient en droit d’attendre du service public de l’éducation nationale : les faire prendre en charge par les écoles de la deuxième chance, c’est renoncer un peu trop vite, à mon sens, à l’ambition que nous devons avoir pour l’éducation nationale. Les jeunes ne doivent pas quitter le système scolaire sans diplôme.

Par ailleurs, vous dites souvent, monsieur le secrétaire d’État, que le texte que nous examinons est la transcription de l’accord national interprofessionnel signé à l’unanimité par les partenaires sociaux, du MEDEF à la CGT. Or certains d’entre eux n’ont approuvé cet accord, vous le savez fort bien, que parce que la disposition en question y figurait et qu’ils pensaient qu’elle serait transcrite dans le projet de loi. Certes, sa rédaction n’est pas satisfaisante d’un point de vue juridique, mais ce n’est pas ce que l’on attend de ce type d’accord.

En définitive, vous avez retenu dans le projet de loi les dispositions de l’accord national interprofessionnel qui vous arrangeaient, en rejetant les autres ou en en ajoutant de nouvelles. Je pourrais également évoquer, à cet instant, l’article 19, relatif à l’AFPA. Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d’État, comment pouvez-vous vous prévaloir d’un accord signé unanimement par les partenaires sociaux ? Ne vous cachez pas derrière une unanimité que vous savez être de façade !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 25.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 7, présenté par M. Virapoullé et Mme Payet, est ainsi libellé :

Compléter la seconde phrase du troisième alinéa de cet article par les mots :

ainsi que les chambres consulaires

La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Les chambres consulaires ont une très bonne connaissance du tissu économique, ont créé des réseaux et disposent d’une véritable expertise. Cela justifie qu’elles soient associées à la définition et à la coordination des objectifs nationaux en matière de formation professionnelle.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. La gouvernance et le financement du système de formation professionnelle sont assurés par les trois acteurs que sont l’État, les régions et les partenaires sociaux, qui représentent le monde socio-économique. Cette architecture est complexe.

La commission spéciale a été animée par la volonté de promouvoir la coopération et le partenariat entre ces trois acteurs afin d’améliorer le fonctionnement de la formation professionnelle, tant à l’échelon national qu’à l’échelon régional. Leur adjoindre les chambres consulaires, c'est-à-dire les chambres de commerce et d’industrie, les chambres de métiers et les chambres d’agriculture, ne contribuerait, à mon sens, ni à simplifier la gouvernance ni à favoriser la définition d’orientations stratégiques partagées.

J’ajoute que ces chambres sont membres du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie et associées à l’élaboration du plan régional de développement des formations, le PRDF – ce sera l’objet d’un amendement que je vous présenterai ultérieurement. C’est dans ce cadre qu’elles participeront à la définition des grandes orientations.

Votre amendement me paraît donc satisfait, madame Payet. C’est la raison pour laquelle je vous prie de bien vouloir le retirer.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.

Il est vrai que les réseaux consulaires jouent un grand rôle en matière de formation, d’appui et de conseil. Ils mènent des actions intéressantes, notamment dans le domaine de la formation des seniors : je pense en particulier à celles qui ont été mises en œuvre dans la région Rhône-Alpes.

Comme l’a dit M. le rapporteur, les réseaux consulaires sont représentés au sein du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie. Mes services travaillent très étroitement avec eux, et ont notamment des échanges suivis avec les présidents Bernardin et Griset.

Pour les mêmes raisons que la commission, je me permettrai donc de vous demander de bien vouloir retirer votre amendement, madame la sénatrice, tout en soulignant l’intérêt de votre intervention.

M. le président. Madame Payet, l'amendement n° 7 est-il maintenu ?

Mme Anne-Marie Payet. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 7 est retiré.

Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 132, présenté par M. Jeannerot, Mme Demontès, M. Fichet, Mmes Blondin, Printz, Le Texier, Schillinger et Bourzai, MM. Patriat, Desessard, Godefroy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après le troisième alinéa de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Après le premier alinéa de l'article L. 6111-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La stratégie nationale définie au premier alinéa comporte un volet consacré à l'accès et au développement de la formation professionnelle des personnes handicapées. Sur ce volet, elle fait l'objet d'une coordination avec le conseil national consultatif des personnes handicapées défini à l'article L. 146-1 du code de l'action sociale et des familles. Le fonds de développement de l'insertion professionnelle des personnes handicapées visé à l'article à L. 5214-1 et le fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans les fonctions publiques visé à l'article L. 323-8-6-1 sont également consultés sur ce volet. »

La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. L’article 1er du projet de loi prévoit que la formation professionnelle tout au long de la vie doit faire l’objet d’une stratégie nationale mise en œuvre et coordonnée par l’État, les régions et les partenaires sociaux.

Si les travailleurs handicapés sont implicitement visés par le texte, cet article ne contient pas de dispositions particulières les concernant, alors que la formation professionnelle est pour eux un élément important de maintien dans l’emploi ou de sécurisation de leur parcours professionnel.

En effet, les personnes handicapées rencontrent souvent des difficultés pour s’adapter aux mutations technologiques ou se maintenir dans un poste de travail. Certaines d’entre elles sont également réticentes à l’idée de suivre une formation professionnelle. Alors que, dans 82 % des cas, elles ont un niveau inférieur au baccalauréat et qu’elles ont souvent connu des échecs scolaires dans le passé, elles hésitent à s’engager dans un parcours qui leur rappelle de mauvais souvenirs.

Les enquêtes menées par l’AGEFIPH, l’Association pour la gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des handicapés, ont également montré que les employeurs connaissent mal les mesures qu’ils peuvent mettre en œuvre pour la formation des salariés handicapés.

L’objectif essentiel doit être d’éviter que des licenciements pour inaptitude ne soient prononcés alors que des solutions existent, mais qu’elles n’ont même pas été envisagées, souvent par méconnaissance des dispositifs pertinents. Il est donc nécessaire que la « stratégie nationale » comporte un volet consacré à l’information des personnes handicapées, y compris au sein des branches et des entreprises.

Des partenariats peuvent aussi s’établir, notamment entre Pôle emploi et les caisses d’assurance maladie, afin de proposer systématiquement aux personnes handicapées de faire un bilan de compétences pendant leur arrêt de travail, ce qui permettrait d’envisager rapidement une formation adaptée à leur situation.

C’est l’ensemble de ces aspects, et leur déclinaison au travers de mesures relevant non pas forcément de la loi, mais aussi de la réglementation et de partenariats, que la stratégie nationale doit prendre en compte.

M. Paul Blanc. C’est le rôle de Pôle emploi !

M. le président. L'amendement n° 26, présenté par Mmes David, Gonthier-Maurin, Pasquet et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Après le deuxième alinéa (1°) du texte proposé par le 3° de cet article pour l'article L. 6123-1 du code du travail, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« ...° D'évaluer conjointement avec le conseil national consultatif des personnes handicapées défini à L. 146-1 du code de l'action sociale et des familles, le fonds de développement de l'insertion professionnelle des personnes handicapées visé à l'article L. 5214-1 et le fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans les fonctions publiques visé à l'article L. 323-8-6-1, les politiques de formation professionnelle menées en faveur des travailleurs handicapés ;

La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Cet amendement a pour objet de renforcer les compétences du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie en lui confiant la mission d’évaluer, conjointement avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées, le Fonds de développement pour l’insertion professionnelle des handicapés et le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, les politiques de formation professionnelle menées en faveur des travailleurs handicapés.

En effet, tout le monde s’accorde à reconnaître que les personnes en situation de handicap figurent parmi celles qui éprouvent le plus de difficultés à trouver un emploi, malgré l’obligation légale d’emploi instaurée en leur faveur par le législateur.

L’adoption de cet amendement, si elle ne pourrait à elle seule garantir l’emploi de ces personnes, permettrait du moins d’avoir une vision claire de l’offre de formation qui leur est spécifiquement destinée. De très grands efforts doivent être consentis dans ce domaine, car plus les personnes en situation de handicap bénéficient de formations de qualité, plus elles ont de chances de retrouver un emploi. Le travail constitue un outil de sociabilisation et de reconnaissance pour ces personnes, qui en ont précisément grand besoin. Ce n’est pas M. Paul Blanc qui me démentira !

M. Paul Blanc. Si ! (Rires.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Au-delà du seul domaine de la formation professionnelle, la grande cause nationale des personnes handicapées doit être appréhendée d’une manière globale, en considérant des questions telles que l’intégration dans la ville et au travail, l’accès aux transports ou la facilitation de la vie quotidienne. À cet égard, je voudrais souligner l’action menée par notre collègue Paul Blanc.

Cela étant dit, il ne me semble pas nécessaire de prévoir, dans le texte que nous examinons, des dispositions spécifiques aux personnes handicapées, sauf à viser également d’autres publics. C'est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à l’amendement n° 132.

En ce qui concerne l’amendement n° 26, la commission spéciale a renforcé le statut et les pouvoirs du CNFPTLV pour en faire une véritable instance de dialogue stratégique entre les partenaires, ainsi que d’évaluation. Elle a supprimé toute mention d’un public spécifique devant faire l’objet prioritairement de son attention, pour lui laisser la pleine maîtrise de son programme de travail. C’est au CNFPTLV qu’il revient de définir ses priorités dans l’organisation de son activité et, s’il le juge nécessaire, d’évaluer la situation, notamment celle des personnes handicapées, sans qu’il soit nécessaire d’orienter prioritairement ses efforts vers ce public précis.

La commission est donc également défavorable à l’amendement n° 26.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. L’avis de M. Paul Blanc pourrait me tenir lieu d’argumentaire sur ces deux amendements !

L’article L. 6111-1 du code du travail vise la formation professionnelle en général, et non des publics spécifiques. Le livre Ier de la sixième partie de ce code est consacré à la question délicate de la politique de l’emploi en faveur des personnes en situation de handicap. Il traite notamment de l’égalité d’accès à la formation pour les travailleurs handicapés.

Par ailleurs, le Conseil national consultatif des personnes handicapées et le Conseil supérieur pour le reclassement professionnel et social des travailleurs handicapés sont consultés sur tous les projets de texte relatifs aux personnes handicapées.

L’amendement n° 132 me paraît donc satisfait, même si je comprends le souci de ses auteurs de porter une attention particulière à la formation professionnelle des personnes handicapées, l’enjeu étant souvent capital dans leur cas.

Je suis également défavorable à l’amendement de M. Fischer, relatif à une disposition introduite à l’Assemblée nationale et qui a été améliorée au Sénat, comme l’a très bien exposé M. le rapporteur en évoquant le rôle dévolu au CNFPTLV. L’amendement n° 26 me paraît donc lui aussi satisfait.

M. le président. La parole est à M. Paul Blanc, pour explication de vote sur l'amendement n° 132.

M. Paul Blanc. Je rappellerai à nos collègues que la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées prévoit l’établissement d’un projet de vie pour les personnes handicapées – et non pas « en situation de handicap » : on est handicapé ou on ne l’est pas ! C’est dans ce cadre que la personne handicapée doit pouvoir trouver sa place et avoir éventuellement accès à la formation professionnelle.

J’ai plus d’une fois déploré l’absence fréquente, à l’échelon régional, de formations spécifiques. Il faudrait y remédier.

Par ailleurs, je déplore également le mauvais fonctionnement du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique. Monsieur le secrétaire d’État, je compte sur vous pour étudier ce problème avec Mme la secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité, afin d’améliorer le fonctionnement de ce fonds, destiné à permettre la mise en œuvre de formations spécifiques pour les personnes handicapées.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour explication de vote.

M. Jean-Luc Fichet. La loi de 2005 est effectivement une très belle loi,…

M. Paul Blanc. Dommage que vous ne l’ayez pas votée !

M. Jean-Luc Fichet. … mais les moyens nécessaires n’ont pas été mobilisés pour permettre aux personnes handicapées de bénéficier de la formation professionnelle à laquelle elles peuvent prétendre. Aujourd'hui, 80 % des jeunes adultes handicapés ont un niveau d’études inférieur au BEP.

Je voudrais également rappeler que la loi de 2005 a abouti à la disparition de postes d’assistant de vie scolaire, ce qui empêche de jeunes handicapés de poursuivre leur scolarité dans de bonnes conditions. En outre, les places en établissements spécialisés font défaut. (Protestations sur les travées de lUMP.) Nous manquons ici une très belle occasion d’adresser aux personnes handicapées le signal fort de soutien qu’elles attendent de notre part ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Si je vous comprends bien, monsieur Paul Blanc, vous approuvez les amendements qui viennent d’être présentés ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Paul Blanc. Mais non !

M. Jean Desessard. Vous avez pourtant souligné que les personnes handicapées rencontraient des difficultés pour accéder à la formation professionnelle. Or quel est l’objet des amendements dont nous débattons actuellement ? Ils présentent des moyens d’améliorer une situation dont vous reconnaissez qu’elle n’est pas satisfaisante, mais vous refusez de les voter ! Votre logique est quelque peu difficile à suivre…

M. Paul Blanc. J’ai dit que cela relevait de la compétence des régions !

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.

M. Guy Fischer. Les amendements nos 132 et 26 suscitent un débat reflétant une préoccupation qui nous anime depuis longtemps.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Nous la partageons tous !

M. Guy Fischer. Au lendemain de la rentrée scolaire, il est patent que les besoins restant à satisfaire en matière de prise en charge du handicap sont importants. Malgré les efforts qui ont été réalisés, il reste des lacunes à combler dans le dispositif, les plus démunis, vivant dans les quartiers populaires, rencontrant bien souvent les plus grandes difficultés.

M. Jean Desessard. Comme d’habitude !

M. Guy Fischer. Je crois qu’il était important de le souligner. Nous sommes certainement d’accord sur le fond, mais il s’agit de donner une portée concrète aux intentions. Pour l’heure, les bilans dressés par les grandes associations, notamment en début d’année scolaire, mettent en lumière des réductions de moyens qui sont à nos yeux inacceptables ! (Mme Gisèle Printz et M. Jean Desessard applaudissent.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 132.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 26.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie
Article 2

Article additionnel après l’article 1er

M. le président. L'amendement n° 110, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Muller et Mme Voynet, est ainsi libellé :

Après l'article premier, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 4142-4 du code du travail, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :

« Art. ... . - Les cours spécifiques de formation obligatoire pour les travailleurs des chantiers de désamiantage sont compréhensibles, y compris aux salariés ne maîtrisant pas la langue française. »

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. L’objet de cet amendement est d’assurer la protection de la santé au travail pour tous.

L’amiante est désormais interdit. Il a enfin été reconnu comme cancérigène, même inhalé à très faibles doses. Cela a conduit les directions du travail à obliger les entreprises spécialisées dans les activités de désamiantage à équiper leurs salariés de matériels de protection. De surcroît, ces salariés bénéficient d’heures de formation obligatoire sur les dangers de ce minéral et sur les moyens de prévenir la contamination.

Malheureusement, la pénibilité de ce genre de chantiers et le très bas niveau des salaires font qu’une majorité d’hommes étrangers ou immigrés, parfois non francophones, forment le personnel de ces entreprises de bâtiment. Ils assistent aux cours, n’y comprennent rien et signent à la fin de la journée, parfois d’une croix, le document d’attestation de formation requis.

Manipuler de l’amiante présente un danger de mort. S’assurer que tous les travailleurs sont conscients des risques encourus et disposent d’un égal accès à la formation et à l’information, et ce sans discrimination liée à la langue, est donc une mesure de bon sens.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. L’amiante représente un danger réel : pour avoir eu à m’occuper, dans une vie antérieure, de problèmes de désamiantage dans des lycées, j’en suis pleinement conscient. Je n’ignore pas qu’il faut prendre le maximum de précautions.

Par conséquent, je ne nie pas la réalité du problème que vous soulevez, monsieur Desessard. Toutefois, la mesure que vous suggérez relève, me semble-t-il, du domaine réglementaire.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. M. Desessard, qui est très au fait des problèmes relatifs au désamiantage, connaît, je n’en doute pas, l’arrêté du 25 avril 2005 relatif à la formation à la prévention des risques liés à l’amiante, dont l’article 2 prévoit déjà la mise en place des mesures présentées dans son amendement.

Il est ainsi précisé que les travailleurs concernés doivent bénéficier de formations dont le contenu soit adapté à la nature de leur activité, à leur niveau de responsabilité, de qualification et d’expérience professionnelle, ainsi qu’à la langue parlée ou lue.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 110.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article additionnel après l’article 1er
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Article 2 bis (Texte non modifié par la commission)

Article 2

L'article L. 6111-2 du code du travail est ainsi modifié :

1° Avant l'alinéa unique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les connaissances et les compétences mentionnées au premier alinéa de l'article L. 6111-1 prennent appui sur le socle mentionné à l'article L. 122-1-1 du code de l'éducation, qu'elles développent et complètent. » ;

2° Après le mot : « font », est inséré le mot : « également ».

M. le président. L'amendement n° 28, présenté par Mmes David, Gonthier-Maurin, Pasquet et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. L’article 2 opère une articulation entre la formation tout au long de la vie et le « socle commun de connaissances et de compétences » inscrit dans le code de l’éducation. Cela peut sembler cohérent dans la perspective de la promotion sociale des individus, la formation continue devant être complémentaire de la formation initiale.

Or une telle articulation donne à croire que la formation continue se substituerait à la formation initiale, cette dernière étant fondée sur un socle commun défini a minima et selon une vision purement utilitariste. Ainsi, la rédaction de l’article 2 peut s’interpréter comme la conséquence d’une réforme marquée par le renoncement avoué à l’école de la réussite pour tous et à l’ambition de former des citoyens responsables.

En effet, qu’est-ce que la mise en place du socle commun, sinon le renforcement du tri social et des inégalités entre élèves, entre, d’un côté, celles et ceux dont le bagage se réduira à ce seul socle, et, de l’autre, celles et ceux qui accéderont à l’ensemble de la culture scolaire ?

En outre, en effectuant un rapprochement périlleux entre le code du travail et le code de l’éducation, cet article renvoie à une hypothétique formation tout au long de la vie des jeunes à qui l’on n’aura donné qu’un bagage minimal au départ…

Or, vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, la formation tout au long de la vie est conditionnée par le niveau et la qualité de la formation initiale. À cet égard, le socle commun de connaissances et de compétences est insuffisant, à plus forte raison dans une société complexe et en constante mutation !

Ainsi, quelle pourra être la réalité de la formation tout au long de la vie pour les cohortes de jeunes qui sortent tous les ans du système éducatif sans aucune qualification, conduits à l’échec scolaire selon un processus de sélection prolongé par la mise en œuvre de ce fameux socle ? Vous n’avez d’ailleurs pas l’intention de remédier au handicap qu’ils subissent, puisque vous leur refusez aussi le droit à la formation initiale différée.

Je le répète, la formation professionnelle n’a pas vocation à se substituer à la formation initiale ! Au contraire, elle doit renforcer les connaissances et les savoirs acquis durant la scolarité ! C’est pourquoi nous opposons au « socle commun de connaissances et de compétences » une « culture commune de haut niveau pour tous » !

Pour reprendre les mots de Marcel Martinet, l’école de la République doit permettre qu’un maximum de personnes parviennent jusqu’au point critique de la connaissance où « il ne s’agit plus de comprendre le monde, mais de le changer ». Telle est notre ambition pour l’école !

Aujourd’hui, avec l’instauration du socle commun de connaissances et de compétences, qui prive une partie de nos jeunes de la culture dont ils auront besoin dans leur vie future, avec les suppressions successives de postes au sein de l’éducation nationale – 16 000 postes seront encore supprimés en 2010 –, nous sommes loin de cet objectif !

À la lumière de ces éléments, qui révèlent, s’il en était encore besoin, l’incohérence de l’article 2 si l’on se place dans une perspective de formation professionnelle réussie, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir adopter notre amendement de suppression.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. L’articulation du socle commun et de la formation professionnelle continue est non pas importante, mais indispensable pour préparer de véritables parcours de formation tout au long de la vie. Je rappelle que cela répond également à un souhait des signataires de l’accord national interprofessionnel.

En effet, comment exercer son métier, évoluer et, le cas échéant, se reconvertir si l’on ne dispose pas, au minimum, du socle commun de connaissances et de compétences ? Certes, madame David, on peut toujours juger trop restreint le contenu de ce socle, mais, en tout état de cause, si le salarié éprouve des difficultés à s’exprimer, à écrire ou à compter, je doute qu’il puisse s’en sortir.

C'est la raison pour laquelle je crois qu’une telle articulation est absolument indispensable. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. L’avis du Gouvernement est également défavorable.

Je pense que cet amendement s’inscrit dans la continuité du combat des membres du groupe CRC-SPG contre la notion de socle commun de connaissances et de compétences.

Cela étant, madame David, vous critiquez une vision de la formation professionnelle que vous jugez trop utilitariste. Or la référence au socle commun de connaissances et de compétences permettra précisément de ne pas exclure de la formation professionnelle l’acquisition de la culture humaniste et scientifique nécessaire au libre exercice de la citoyenneté.

À mon sens, les dispositions de l’article 2 correspondent donc à vos propres objectifs.

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Monsieur Carle, si ma mémoire est bonne, vous étiez, en 2005, le rapporteur du projet de loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, présenté par M. François Fillon, alors ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Absolument !

Mme Annie David. Je vous renvoie au débat que nous avions eu ici même sur le socle commun de connaissances et de compétences, dont l’instauration avait été rejetée, ce qui prouve bien que nous n’étions pas les seuls à nous opposer à une conception aussi minimaliste de la formation scolaire. Pour finalement réussir à faire adopter cette disposition, le Gouvernement avait dû demander une seconde délibération.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Nous n’allons pas rouvrir le débat sur le socle commun de connaissances et de compétences. Il est vrai que cette disposition avait été adoptée à la suite d’une seconde délibération, qui avait permis à toute la sagesse du Sénat de s’exprimer finalement… (Sourires sur les travées de lUMP.)

M. Alain Gournac. La réponse est bonne !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 28.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 111, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Muller et Mme Voynet, est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

...° L'article L. 6111-2 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Un décret en Conseil d'État précise les conditions dans lesquelles ces actions sont mises en œuvre au bénéfice de toute personne résidant sur le territoire français, notamment en ce qui concerne leur accessibilité, leur contenu, leur durée, ainsi que la validation des connaissances acquises par les bénéficiaires. »

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Cet amendement a pour objet l’amélioration du niveau de langue des salariés non seulement illettrés, mais également non francophones. Le recours à la main-d’œuvre étrangère est un phénomène répandu dans de nombreux secteurs d’activité, sans pour autant qu’une maîtrise minimale du français soit exigée.

Le bénéfice de l’application d’une telle mesure est évident pour l’efficacité de l’entreprise ou de la structure qui emploie le travailleur. La formation linguistique permet à ce dernier de mieux comprendre son environnement de travail et favorise la cohésion des équipes.

De plus, il s’agit d’assurer le respect du droit des étrangers à l’apprentissage de la langue du pays d’accueil. Ces formations doivent être accessibles, adaptées et reconnues, afin que l’on puisse les faire valoir ultérieurement.

Outre ces considérations pratiques, la maîtrise de la langue est un outil fondamental d’intégration et d’accès à la citoyenneté pour les travailleurs non francophones vivant en France. C’est pourquoi il est essentiel de garantir et d’encadrer l’apprentissage de la langue française.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. L’article L. 6111-2 du code du travail précise que l’apprentissage du français et la lutte contre l’illettrisme font partie de la formation professionnelle.

Dès lors, ces actions peuvent être organisées et financées par les employeurs sur les fonds qu’ils consacrent à la formation de leurs salariés.

L’encadrement par un décret en Conseil d’État de ces actions de lutte contre l’illettrisme, qui peuvent prendre des formes diverses, n’apparaît ni nécessaire ni susceptible d’améliorer leur efficacité. Le projet de loi établit déjà un cadre pour toutes ces formations, ce qui paraît suffisant.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement. De nombreux programmes d’accès et de lutte contre l’illettrisme sont financés par l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, l’ANLCI, et l’article du code du travail qui nous occupe ici n’exclut personne.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 111.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

Article 2
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie
Article additionnel après l'article 2 bis

Article 2 bis

(Non modifié)

Le code du travail est ainsi modifié :

1° L'intitulé du chapitre IV du titre Ier du livre III de la sixième partie est ainsi rédigé : « Droit à l'information, à l'orientation et à la qualification professionnelles » ;

2° Le premier alinéa de l'article L. 6314-1 est ainsi modifié :

a) Les mots : « la qualification professionnelle » sont remplacés par les mots : « l'information, à l'orientation et à la qualification professionnelles » ;

b) Les mots : « d'acquérir » sont remplacés par les mots : « de progresser au cours de sa vie professionnelle d'au moins un niveau en acquérant ».

M. le président. L'amendement n° 113, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Muller et Mme Voynet, est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

...° L'article  L. 6314-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les personnes ne maîtrisant pas la langue française bénéficient d'un droit à être informé, conseillé et accompagné en matière d'orientation professionnelle dans une langue compréhensible. »

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. L’objet de cet amendement est d’affirmer une fois de plus le droit à l’information des immigrés et des étrangers non francophones.

L’orientation professionnelle est un élément clef dans la démarche de recherche d’emploi. Une orientation réussie est un premier pas vers une vie professionnelle épanouissante et conforme aux attentes d’un travailleur. Mais comment trouver sa voie si l’orientation se fait dans une langue pour lui incompréhensible ?

Les actifs non francophones ne doivent pas être exclus de ce droit. La documentation et l’information concernant l’orientation doivent être accessibles à tous, y compris aux non-francophones.

Ce projet de loi a pour objet, nous dit-on, de favoriser l’accès à la formation des personnes les moins bien formées. Il serait donc normal, dans cette perspective, que les personnes ne maîtrisant pas ou maîtrisant mal la langue française puissent accéder de manière prioritaire à l’information et à l’orientation professionnelle.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement.

Prévoir une obligation de traduire dans un nombre indéfini de langues une masse considérable de documentation technique paraît tout à fait excessif ! Cela représenterait une charge démesurée et insupportable pour les organismes d’information et d’orientation professionnelles.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Nous avons là un vrai désaccord de fond, monsieur Desessard.

Il est inscrit dans la Constitution que la langue de la République est le français. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour aider au maximum les travailleurs étrangers installés en France à maîtriser le français et accroître les crédits de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, mais je reste pour ma part attaché à la langue française, dont l’usage est aussi le ciment de notre République. Est-ce là ou non du gaullisme, je ne sais, mais je tiens à ce que le principe de l’emploi du français soit maintenu. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 113.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 116, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Muller et Mme Voynet, est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

...° L'article  L. 6314-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« À cette fin, les personnes ne maîtrisant pas la langue française bénéficient d'une information compréhensible et adaptée. »

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Il s’agit d’un amendement de repli par rapport au précédent.

Si vous refusez que l’accès à l’information concernant les formations professionnelles soit un véritable droit pour les non-francophones, je vous demande au moins d’accepter que chaque personne active puisse recevoir, dès que cela est possible, une information compréhensible sur son orientation professionnelle.

Cet amendement tend à compléter l’article L. 6314-1 du code du travail.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Cet amendement relève du même esprit que le précédent. La commission y est également défavorable. Je souscris pleinement aux propos de M. le secrétaire d'État.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Je suis étonnée de la réaction assourdissante suscitée par ces deux derniers amendements.

Nous connaissons tous, dans nos départements, des travailleurs immigrés surexploités, employés au noir, se trouvant dans des situations inacceptables. Vous semble-t-il à ce point intolérable de proposer de les aider à se réorienter, pour qu’ils puissent recommencer leur vie dans d’autres conditions ?

Ces amendements ne méritaient pas, à mon sens, un rejet aussi marqué de notre assemblée. Dans notre pays, des gens sont chaque jour exploités. Il serait peut-être bon de penser à eux de temps en temps, et de leur accorder des droits.

Je voterai donc l’amendement de notre collègue Jean Desessard.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué, pour faire valoir l’intérêt de ce projet de loi, le fait que de nombreux jeunes sortaient du système scolaire sans formation et que la formation professionnelle dispensée ensuite était souvent insuffisante, notamment dans les PME. Bref, vous nous avez noyés sous les bons sentiments, comme sait le faire aussi tous les jours le Président de la République à la télévision ! Mais la question est : que faisons-nous ?

A-t-on analysé pourquoi, dans les petites entreprises, le personnel ne bénéficie pas d’une formation professionnelle ? Cette situation est liée en partie, comme l’a expliqué M. le rapporteur, à la structure particulière de ces entreprises, où un salarié peut représenter 25 % de l’effectif total…

Il faut également envisager le cas des travailleurs immigrés, qui connaissent des difficultés d’insertion et d’adaptation. Si l’on ne consent pas un effort en leur faveur, la formation professionnelle ne les concernera jamais. Il ne faut pas se contenter de dénoncer une situation : il faut prendre le temps d’y remédier.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 116.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 2 bis.

(L'article 2 bis est adopté.)

Article 2 bis (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie
Article 3 (début)

Article additionnel après l'article 2 bis

M. le président. L'amendement n° 134, présenté par Mme Demontès, MM. Fichet et Jeannerot, Mmes Blondin, Printz, Le Texier, Schillinger et Bourzai, MM. Patriat, Desessard, Godefroy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 2 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans le délai d'un an après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la création d'un service public d'orientation associant l'État, les régions et les partenaires sociaux au niveau des territoires, dans la perspective du décloisonnement des filières, de la possibilité de réorientation et de la revalorisation des filières professionnelles et techniques.

La parole est à M. Jean-Luc Fichet.

M. Jean-Luc Fichet. L’article 40 de la Constitution représentant un obstacle infranchissable pour l’initiative parlementaire dès lors qu’elle aboutirait à créer de nouvelles dépenses, nous voici de nouveau contraints de demander au Gouvernement un rapport sur la création d’un service public d’orientation associant l’État, les régions et les partenaires sociaux à l’échelon des territoires.

Le sel de la situation tient à ce que notre demande correspond aux conclusions du Livre vert présenté par la commission de concertation sur la politique de la jeunesse, qui a travaillé auprès d’un autre membre du Gouvernement, Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et haut-commissaire à la jeunesse. Pour la petite histoire, il aurait en quelque sorte été pris de vitesse dans cette affaire…

Plus sérieusement, 150 000 jeunes sortent chaque année sans diplôme ni qualification du système scolaire. Quelle que soit son efficacité, ce n’est pas la formation professionnelle à elle seule qui résoudra leur problème. Il faut donc prendre la difficulté en amont, à la source.

De nombreux jeunes sont démunis devant les choix à faire. Le manque d’information, la multiplication des réseaux et des lieux où cette information est disponible, le sentiment d’être orienté en fonction des places disponibles dans telle ou telle filière et de n’avoir aucun recours devant des choix qui ne sont pas les leurs : tout cela est un facteur de démotivation et d’angoisse, qui pèse lourdement sur leur avenir.

L’originalité de la démarche de la commission Hirsch est de proposer la constitution d’un service public de l’orientation tout au long de la vie, qui interviendrait en lien avec tout le cursus scolaire et universitaire, ainsi qu’avec la formation professionnelle. Ce service public serait territorialisé, associant l’État, notamment l’éducation nationale, les collectivités territoriales et les partenaires sociaux pour travailler sur des objectifs partagés. Il permettrait, en particulier, de mieux mettre en évidence l’intérêt des formations en alternance et de mieux faire appréhender par les jeunes les possibilités qui s’offrent à eux de manière concrète.

Il s’agit là d’une véritable innovation, qui sera certainement difficile à mettre en œuvre en raison des résistances inévitables, mais qui mérite au moins que l’on étudie sa faisabilité, en concertation avec les partenaires potentiels. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Mes chers collègues, vous connaissez mon enthousiasme débordant pour les rapports au Parlement… Comme chacun d’entre vous, j’ai bien dû en solliciter une dizaine. J’attends encore les conclusions de la plupart d’entre eux !

Dans le cas présent, le renforcement du rôle du délégué à l’information et à l’orientation prévu à l’article 3 devrait permettre d’enclencher une dynamique visant à fédérer les différents acteurs de la formation et de l’orientation.

Je ne suis pas sûr qu’il convienne d’aller jusqu’à la création d’un nouvel organisme. Il faut plutôt, à mon sens, fédérer les acteurs, pour sortir à tout prix de la situation actuelle, où chacun fait son travail dans son coin.

L’article 3 prévoit donc que le délégué à l’information et à l’orientation, qui sera placé auprès du Premier ministre, remettra à ce dernier des propositions avant le 1er juillet 2010. Il convient, selon moi, d’attendre cette échéance. Prévoir la remise d’un rapport au Parlement ne ferait, à mon avis, que brouiller le message.

Mon cher collègue, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Le Gouvernement est lui aussi défavorable à cet amendement.

Je partage l’enthousiasme de M. Carle pour les rapports. Quand j’étais parlementaire, je me penchais rarement sur ceux qui nous étaient adressés par piles entières quasiment chaque semaine !

Pour le reste, la nouvelle rédaction de l’article 3 allant encore plus loin que votre amendement, vos préoccupations se trouvent pleinement satisfaites, monsieur Fichet.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 134.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Article additionnel après l'article 2 bis
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie
Article 3 (interruption de la discussion)

Article 3

I. - Le chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la sixième partie du code du travail est complété par deux articles L. 6111-3 et L. 6111-4 ainsi rédigés :

« Art. L. 6111-3. - Toute personne dispose du droit à être informée, conseillée et accompagnée en matière d’orientation professionnelle, au titre du droit à l’éducation garanti à chacun par l’article L. 111-1 du code de l’éducation.

« Art. L. 6111-4. - Selon des modalités définies par décret en Conseil d’État et sur le fondement de normes de qualité élaborées par le délégué visé à l’article L. 6123-3 après avis public du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, peuvent être reconnus comme participant à la mission de service public d’information et d’orientation professionnelle les organismes qui proposent dans un lieu unique à toute personne un ensemble de services lui permettant :

« 1° De disposer d’une information exhaustive et objective sur les métiers, les compétences et les qualifications nécessaires pour les exercer, les dispositifs de formation et de certification, ainsi que les organismes de formation et les labels de qualité dont ceux-ci bénéficient ;

« 2° De bénéficier de conseils personnalisés afin de pouvoir choisir en connaissance de cause un métier, une formation ou une certification adapté à ses aspirations, à ses aptitudes et aux perspectives professionnelles liées aux besoins prévisibles de la société, de l’économie et de l’aménagement du territoire et, lorsque le métier, la formation ou la certification envisagé fait l’objet d’un service d’orientation ou d’accompagnement spécifique assuré par un autre organisme, d’être orientée de manière pertinente vers cet organisme. »

II. - Le chapitre III du titre II du même livre est complété par une section 2 ainsi rédigée :

« Section 2

« Le Délégué à l’information et à l’orientation

« Art. L. 6123-3. - Le Délégué à l’information et à l’orientation est chargé :

« 1° De définir les priorités de la politique nationale d’information et d’orientation scolaire et professionnelle ;

« 2° D’établir des normes de qualité pour l’exercice de la mission de service public d’information et d’orientation ;

« 3° D’évaluer les politiques nationale et régionales d’information et d’orientation scolaire et professionnelle.

« Il apporte son appui à la mise en œuvre et à la coordination des politiques d’information et d’orientation aux niveaux régional et local.

« Art. L. 6123-4. - Le Délégué à l’information et à l’orientation est placé auprès du Premier ministre. Il est nommé en conseil des ministres.

« Art. L. 6123-5. - Pour l’exercice de ses missions, le Délégué à l’information et à l’orientation dispose des services et des organismes placés sous l’autorité des ministres chargés de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de l’emploi, de la formation professionnelle et de la jeunesse. »

III. - (nouveau) Le Délégué à l’information et à l’orientation présente au Premier ministre, avant le 1er juillet 2010, un plan de coordination au niveau national et régional de l’action des opérateurs nationaux sous tutelle de l’État en matière d’information et d’orientation. Il examine les conditions de réalisation du rapprochement, sous la tutelle du Premier ministre, de l’établissement public visé à l’article L. 313-6 du code de l’éducation, du Centre pour le développement de l’information sur la formation permanente et du Centre d’information et de documentation jeunesse.

Le plan de coordination est remis au Parlement et rendu public.

IV. - (nouveau) Au début de la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article L. 313-6 du code de l’éducation, les mots : « Avec l’accord du ministre chargé du travail, il peut participer » sont remplacés par les mots : « Il participe ».

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 29, présenté par Mmes David, Gonthier-Maurin, Pasquet et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le texte proposé par le I de cet article pour l’article L. 6111-4 du code du travail :

« Art. 6111-4. - Il est créé, pour satisfaire aux obligations édictées aux articles L. 6111-1 et L. 6111-3 du même code, un service public national de l’orientation et de la formation professionnelle tout au long de la vie.

« Il permet à ses usagers de disposer dans un seul lieu, de manière gratuite et personnalisée :

« 1° Des informations exhaustives et objectives sur les métiers, les compétences et les qualifications nécessaires pour les exercer, les dispositifs de formation et de certification ;

« 2° De conseils leur permettant de choisir en pleine connaissance de cause un métier, une formation ou une certification adaptée à ses aspirations, ses aptitudes ;

« 3° Des informations quant à la situation actuelle et prévisible de l’emploi ;

« 4° De faciliter la mise en relation entre l’usager et les autres acteurs de l’orientation et de la formation professionnelle. »

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. La rédaction de l’article 3 a été considérablement améliorée par la commission spéciale, dans un sens que nous estimons positif : à la référence à un portail internet déjà existant, qui figurait dans le texte adopté par l’Assemblée nationale, il substitue un lieu physique unique de rencontre et d’accueil des publics. Cette proposition tire, sur cet aspect du moins, les conséquences de la table ronde des partenaires sociaux.

Toutefois, il nous est apparu nécessaire d’apporter deux modifications à la rédaction actuelle.

En premier lieu, nous avons entendu préciser qu’il s’agissait de créer un service public de l’orientation professionnelle et de l’information. En effet, le recours à l’expression « organismes participant à la mission de service public » dans la rédaction actuelle, n’est pas de nature à garantir la qualité des conditions d’accueil et d’information propre au service public.

En second lieu, nous considérons que, en l’état, la rédaction actuelle de l’article 3, et plus particulièrement du texte proposé au 2°, en associant étroitement l’offre de formation qui pourrait être proposée à l’occasion de la consultation dans ce lieu unique et les mutations économiques de la société correspond à une vision trop utilitariste de la formation professionnelle.

La rédaction que nous proposons intègre également la « situation actuelle et prévisible de l’emploi », dont la connaissance est utile et profitable aux personnes en recherche d’information et d’orientation en ce qu’elle est de nature à éclairer leur choix. Elle présente également l’avantage de recentrer la formation envisagée sur les aspirations du public accueilli, pleinement informé et conscient du contexte économique et de l’emploi, formation qui ne sera donc plus fonction des seuls besoins des entreprises constatés à un moment donné.

M. le président. L’amendement n° 30, présenté par Mmes David, Gonthier-Maurin, Pasquet et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Dans le premier alinéa du texte proposé par le I de cet article pour l’article L. 6111-4 du code du travail, remplacer les mots :

de normes de qualité élaborées par le délégué visé à l’article L. 6123-3 après avis public du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie

par les mots :

des règles de continuité, de mutabilité, d’égalité et de neutralité propre aux services publics

La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Le texte proposé par le premier alinéa de cet article pour l’article L. 6111-4 du code du travail précise, en l’état actuel, qu’un décret en conseil d’État reconnaîtra comme participant à la mission de service public d’information et d’orientation les opérateurs et les organismes qui respectent des normes de qualité élaborées par le délégué à l’information et à l’orientation.

Cet amendement tend à remplacer, dans la rédaction de l’article, les normes que pourrait dégager le délégué à l’information et à l’orientation après consultation du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, sans être contraint d’appliquer leurs suggestions, par les règles actuellement applicables à l’ensemble des services publics, appelées « lois de Rolland », qui définissent les principes du service public à la française.

Nous disposons déjà de l’outil, pourquoi ne l’utiliserions-nous pas ?

M. le président. L’amendement n° 31, présenté par Mmes David, Gonthier-Maurin, Pasquet et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

I. - Dans le premier alinéa du texte proposé par le I de cet article pour l’article L. 6111-4 du code du travail, remplacer les mots :

participant à

par le mot :

exerçant

II. - Dans ce même alinéa, après les mots :

les organismes

insérer le mot :

recevant l’agrément du ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, monsieur le président, je présenterai en même temps l’amendement n° 32.

M. le président. Je suis en effet également saisi, toujours en discussion commune, de l’amendement n° 32, présenté par Mmes David, Gonthier-Maurin, Pasquet et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, et ainsi libellé :

Dans le premier alinéa du texte proposé par le I de cet article pour l’article L. 6111-4 du code du travail, après les mots :

les organismes

insérer les mots :

de droit public ou privé ne poursuivant pas de but lucratif

Veuillez poursuivre, madame David.

Mme Annie David. Le groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche est favorable à la création d’un grand service public national de l’information, de l’orientation et de la formation professionnelle tout au long de la vie, dans lequel les régions auraient naturellement un rôle très important à jouer, notamment pour territorialiser ce service public.

C’est dans ce contexte que nous avons déposé ces amendements, pleinement conscients qu’ils ne seraient sans doute pas adoptés, tant la logique dans laquelle ils s’inscrivent est contraire à la vôtre.

En effet, lorsque vous entendez faire de ce lieu d’accueil une mission d’intérêt général, c’est à dire une mission pour laquelle les acteurs doivent respecter toutes les règles relatives à la concurrence et au marché intérieur, nous entendons, nous, créer un service public à part entière qui, par définition, parce qu’il constitue une compétence exclusive des États, ne serait pas soumis aux règles de la concurrence et donc, disons-le clairement, à la marchandisation.

Par voie de conséquence, lorsque vous envisagez des « organismes participant à une mission de service public », nous préférons quant à nous une autre conception, celle de personnes ou d’organismes « exerçant » ces missions.

Par ailleurs, avec l’amendement n° 32 relatif à l’orientation et à l’information, nous persistons dans notre opposition à la privatisation du service public de l’emploi, entreprise à l’occasion de la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC. Cet amendement tend à préciser que seuls des organismes de droit public ou de droit privé sans objet lucratif – à l’image d’associations comme l’AFPA – participent à ces missions.

Il s’agit clairement d’empêcher les opérateurs privés de placement, auxquels vous sous-traitez déjà tout un pan de l’activité de Pôle emploi, ainsi que les entreprises d’intérim de participer à ces missions d’information et de conseil. En effet, leurs besoins sont déterminés par des préoccupations commerciales fondamentalement incompatibles avec une mission d’orientation telle que nous la concevons.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. L’amendement n° 29 tend à supprimer le principe de la labellisation des organismes d’information et d’orientation, au profit de la création immédiate d’un service public national.

Je viens d’expliquer que cette formule ne me paraissait pas la meilleure et que je préférais la rédaction actuelle de l’article 3.

En effet, celle-ci vise, tout d’abord, à renforcer le délégué à l’information et à l’orientation, qui devra évaluer les politiques et préparer la coordination effective, aux niveaux national et régional, de tous les organismes dépendant de l’État. Il préparera spécifiquement, sous la tutelle du Premier ministre, le rapprochement de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions, l’ONISEP, du Centre pour le développement de l’information sur la formation permanente, le Centre INFFO, et du Centre d’information et de documentation jeunesse, le CIDJ.

Ensuite, cette rédaction laisse les régions poursuivre leur action, tout en leur offrant l’appui du délégué à l’orientation. Enfin, elle incite les organismes d’information et d’orientation à se rapprocher, suivant le modèle des Cités des métiers, qui ont émigré de Paris vers diverses régions de France, comme le Limousin, où cette expérience s’est révélée très positive.

Tel est donc l’objectif de la labellisation, placée sous le contrôle du délégué à l’information et à l’orientation et du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, le CNFPTLV, qui s’attacheront à la qualité des services rendus.

Pour répondre à l’autre souci des auteurs de l’amendement, il n’est pas question de forcer les personnes à choisir une formation ou un métier adaptés aux évolutions de la société et de l’économie, mais il s'agit simplement de leur fournir les éléments d’information qui permettront d’éclairer leur choix.

En ce qui concerne l’amendement n° 30, qui vise à supprimer les critères de qualité, il me semble qu’aucun organisme, qu’il s’agisse de personnes morales de droit public ou de droit privé, ne saurait aujourd'hui s’exonérer du respect de critères de qualité.

L’avis de la commission est donc défavorable.

Mme Annie David. On vous propose d’autres critères !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. L’amendement n° 31 prévoit d’instaurer un agrément préalable des organismes d’orientation par le ministre de l’économie.

D’une part, cette procédure serait lourde, si l’on considère le nombre d’acteurs en jeu et, d’autre part, le ministère de l’économie ne me paraît pas l’instance la plus indiquée pour délivrer ces agréments, parce qu’il serait juge et partie, un certain nombre d’organismes relevant de son autorité, les autres de celle d’autres ministères, l’Éducation nationale et l’Emploi, notamment.

Mme Annie David. Si le ministère n’est pas impartial, c’est grave !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. D’ailleurs, M. Hetzel, directeur général pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle, avait lui-même évoqué cet aspect du problème.

L’avis de la commission est donc défavorable.

Enfin, l’amendement n° 32 recueille également un avis défavorable, car les organismes privés participent au service public et sont au service du public.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. Permettez-moi tout d’abord, monsieur le président, de souligner l’apport très important du rapporteur dans la rédaction de cet article 3, qu’il a entièrement réécrit, ou presque, notamment en ce qui concerne la définition du droit à l’information et le rôle du délégué à l’information et à l’orientation.

J’y insiste particulièrement, car, avec l’examen en séance du texte de la commission, le travail de fond qui a pu être réalisé par les sénateurs est moins visible. C’est pourquoi je tiens à signaler, chaque fois que l’occasion s’en présente, les apports résultant de l’adoption en commission d’amendements substantiels : c’est la reconnaissance légitime du travail effectué par les parlementaires.

Je développerai une argumentation globale sur ces quatre amendements en discussion commune.

Tout d’abord, la mission d’information et d’orientation est bien une mission de service public, cela ressort de la rédaction du projet de loi et le rapporteur l’a souligné. Cette précision nous dispense de mentionner, même si cela n’est jamais totalement inutile, les principes jurisprudentiels qui gouvernent les services publics : la continuité, la mutabilité, l’égalité et la neutralité.

L’un des principes fondateurs du service public à la française est bien le principe de continuité, si vous vous souvenez des débats sur le service public minimum !

En ce qui concerne les amendements nos 31 et 32, je tiens à insister sur le fait que le projet de loi ne tend pas à instaurer une démarche d’agrément. Vous pouvez peut-être d’ailleurs vous trouver d’accord avec nous sur ce point, car vous êtes vous-mêmes très attachés à l’existence de certains organismes, comme les centres d’information et d’orientation, les CIO, ou les Cités des métiers ; la majorité, quant à elle, reconnaît en particulier les mérites des Missions locales, des chambres de commerce et d’industrie, les CCI, ou des agences pour l’emploi. La création, du jour au lendemain, d’un seul service public de l’orientation tuerait toutes ces structures : elle reviendrait à supprimer les CIO et mettrait fin au travail d’orientation assuré par des agents motivés qui exercent au sein des Missions locales.

Nous avons fait le choix de ne pas détruire ce travail de terrain, mais d’adopter une démarche pragmatique, consistant à établir un cahier de labellisation qui permette de s’assurer qu’une information de qualité est dispensée.

De ce point de vue, je reconnais que la nouvelle dimension de la mission confiée au délégué à l’information et à l’orientation, telle qu’elle ressort des différents amendements adoptés par la commission, constitue un élément positif en termes de définition de la politique nationale.

Je tiens à rappeler que Centre INFFO assure un travail de grande qualité, auquel je suis particulièrement attaché : des agents très motivés s’investissent au sein de cet organisme et je tiens à défendre leur travail, qui est de qualité. Je suis heureux que nous soyons parvenus, avec le rapporteur, à trouver une rédaction commune permettant de préserver cet organisme.

M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès, pour explication de vote.

Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, mon explication de vote portera sur ces quatre amendements en discussion commune.

Il est vrai que le texte de la proposition de loi et, surtout, la rédaction proposée par le rapporteur de la commission spéciale pour cet article 3 représentent une avancée, puisqu’ils mentionnent explicitement une mission de service public d’information et d’orientation.

Mais il est dommage – en cela, je rejoins nos collègues du groupe CRC-SPG – que le texte du projet de loi ne soit pas plus précis. En effet, je ne pense pas trahir la pensée de mes collègues en disant que la création d’un service public national de l’information et de l’orientation n’implique pas, dans leur esprit, la suppression des organismes existants. Ils souhaitent créer un service public qui coordonne l’action de l’ensemble des structures travaillant soit pour les jeunes, soit pour les publics en difficulté, soit pour les salariés en entreprise, soit encore pour les demandeurs d’emploi adultes.

La comparaison de cet article 3 avec le Livre vert issu des travaux de la commission sur la politique de la jeunesse, placée sous la responsabilité de M. Hirsch, révèle que le second document est beaucoup plus novateur : il parle très précisément de la mise en place, dans les conditions que nous venons de rappeler, d’un service public de l’orientation territorialisé et coordonné au niveau national.

Mme Christiane Demontès. Les propositions de nos collègues du groupe CRC-SPG, en particulier d’Annie David, vont plus loin que celles du rapporteur, et je n’ose pas imaginer, monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État, que vous vous trouviez contredits, d’ici à quelques semaines, par la création d’un service public d’orientation territorialisé, résultat des travaux de M. Martin Hirsch...

J’insiste donc ici, comme je l’ai fait en commission, sur l’absence de cohérence que nous pouvons constater entre les travaux parlementaires et la diversité des initiatives gouvernementales, même si je reconnais l’existence d’avancées.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 29.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 30.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 31.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 32.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 137, présenté par M. Jeannerot, Mme Demontès, M. Fichet, Mmes Blondin, Printz, Le Texier, Schillinger et Bourzai, MM. Patriat, Desessard, Godefroy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après le texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 6111-4 du code du travail, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

« Art. L.... - En application de l'article 47 la loi n° 2005-102 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, les organismes chargés de cette mission de service public veillent à ce que les personnes handicapées disposent de l'ensemble des services offerts, notamment par un accès dans chaque maison départementale des personnes handicapées. Un décret prévoit les modalités d'accès des personnes déficientes auditives. »

La parole est à M. Claude Jeannerot.

M. Claude Jeannerot. Nous en revenons au souci d’intégrer plus spécifiquement les travailleurs handicapés dans le projet de loi, sujet que nous avions, tout à l’heure, commencé d’aborder.

Nous voulions, par cet amendement, permettre effectivement d’intégrer, dans le réseau de services publics d’orientation appelé à se mettre en place sous l’égide du délégué régional à la formation, une véritable fonction d’orientation au bénéfice des travailleurs handicapés, et faire en sorte, par exemple, que les maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH, soient bien comprises dans ce réseau.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. La situation des personnes handicapées a déjà été évoquée.

Le projet de loi impose que les organismes d’information et d’orientation labellisés accueillent toute personne. Je crois inutile de préciser de surcroît qu’ils sont accessibles aux handicapés. Un accès à ces services dans chaque MDPH signifierait qu’ils disposent tous d’une antenne dans une MDPH. C’est une exigence particulièrement excessive qu’il me paraît difficile de satisfaire.

Cependant, les lieux où se trouvent les organismes labellisés seront accessibles aux handicapés.

La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Même avis, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Paul Blanc, pour explication de vote.

M. Paul Blanc. Je voudrais simplement dire à mon collègue Claude Jeannerot que, dans les maisons départementales des personnes handicapées, les Cap Emploi sont présents. N’alourdissons donc pas les textes en y ajoutant ce qui existe déjà.

Les Cap Emploi fonctionnent et font partie des Commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, il n’est donc pas nécessaire d’en rajouter.

Faisons fonctionner ce qui existe déjà, et faisons-le bien fonctionner ! Ensuite, nous verrons.

Mme Annie David. Le problème est précisément que cela ne fonctionne pas !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 137.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 33, présenté par Mmes David, Gonthier-Maurin, Pasquet et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Supprimer le deuxième alinéa (1°) du texte proposé par le II de cet article pour l'article L. 6123-3 du code du travail.

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Cet amendement risque d’être satisfait par l’amendement n° 168 du Gouvernement. Je le présenterai malgré tout.

Selon le deuxième alinéa de l’article L. 6123-3 que l’article 3 du présent texte tend à insérer dans le code du travail, le délégué à l’information et à l’orientation « définit les priorités de la politique nationale d’information et d’orientation scolaire et professionnelle ». Nous considérons que cette définition, qui ne sera pas sans incidences sur l’organisation des missions de service public d’information et d’orientation visées aux alinéas précédents de cet article, doit impérativement faire l’objet de grands débats politiques et ne pas revêtir la forme d’une décision presque administrative.

Considérant que le Gouvernement doit être politiquement responsable de ses choix, des orientations et des arbitrages opérés en ces matières, nous proposons la suppression de cette disposition.

Plus généralement, sur l’article 3, l’amendement adopté en commission a permis un progrès.

Monsieur le secrétaire d’État, lors de chaque audition en commission, M. le rapporteur peut en témoigner, dès lors qu’il était question d’orientation, nous avons fait part de notre volonté d’intégrer l’ensemble des partenaires aujourd’hui responsables de l’orientation, qu’il s’agisse de l’ONISEP, des CIO, du Centre INFFO. Dans ces conditions, comment pouvez-vous prétendre, comme vous le faites, que nous voudrions anéantir tout leur travail ?

M. le président. L'amendement n° 168, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Dans le 1° du texte proposé par le II de cet article pour l'article L. 6123-3 du code du travail, remplacer le mot :

définir

par le mot :

proposer

La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Cet amendement s’inscrit dans le prolongement des réflexions qui ont inspiré l’amendement n° 33.

Il s’agit de faire en sorte que le délégué interministériel joue un rôle et, dans le même temps, que le pouvoir politique assume sa responsabilité, laquelle est de « définir », le délégué, lui, « proposant ».

Madame David, le pouvoir politique ne se dessaisit pas de sa responsabilité au profit de l’expert !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. J’approuve M. le secrétaire d’État. La commission émet donc un avis favorable sur l’amendement n° 168 et demande le retrait de l’amendement n° 33, qui se trouve satisfait.

M. le président. Madame David, l'amendement n° 33 est-il maintenu ?

Mme Annie David. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 33 est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 168.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

Article 3 (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie
Discussion générale

9

Dépôt de documents parlementaires

M. le président. M. le président du Sénat a reçu :

Le vendredi 18 septembre 2009 :

dépôt d’une proposition de loi

- n° 624, 2008-2009 – Proposition de loi de MM. Yvon Collin, Michel Charasse, Jean Michel Baylet, Mme Anne-Marie Escoffier, M. François Fortassin, Mme Françoise Laborde, MM. Jacques Mézard, Jean Milhau, Jean-Pierre Plancade, Robert Tropeano et Raymond Vall étendant l’application de la journée complémentaire aux opérations d’investissement des collectivités ayant signé la convention relative au versement anticipé du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, envoyée à la commission des finances, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

Le samedi 19 septembre 2009 :

dépôt d’une proposition de loi

- n° 625, 2008-2009 – Proposition de loi de M. Gérard César visant à renforcer la procédure de lutte contre les mariages simulés, envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

10

Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre les textes suivants, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :

Le vendredi 18 septembre 2009 :

E 4749 : Position commune du Conseil prorogeant la position commune 2004/694/PESC concernant de nouvelles mesures définies à l’appui d’une mise en œuvre effective du mandat du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. (TPIY).

E 4750 : Proposition de règlement du Conseil portant suspension, à titre temporaire, des droits autonomes du tarif douanier commun à l’importation de certains produits industriels dans les régions autonomes de Madère et des Açores.

E 4751 : Proposition de décision du Conseil relative à l’établissement de la position de la Communauté à adopter au sein de l’Organisation des pêches de l’Atlantique du Sud-Est.

11

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 22 septembre 2009 :

À neuf heures trente :

1. Questions orales.

(Le texte des questions figure en annexe).

À quinze heures et le soir :

2. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (n° 578, 2008-2009).

Rapport de M. Jean-Claude Carle, fait au nom de la commission spéciale (n° 618, 2008-2009).

Texte de la commission (n° 619, 2008-2009).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mardi 22 septembre 2009, à zéro heure vingt-cinq.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD