M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, sur l’article.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec l’article 2, qui organise la généralisation du travail le dimanche, nous en arrivons au cœur de la proposition de loi. Cet article est d’ailleurs tellement central qu’il constituait à l’origine l’article unique du texte présenté par le député Richard Mallié.

Ainsi, sous couvert de faire cesser une situation complexe, reposant sur de nombreuses dérogations – au nombre de 180 –, le député Richard Mallié a-t-il proposé de revenir sur une règle datant de 1906, instaurée pour protéger les salariés et les ouvriers. Cette protection recueille aujourd’hui encore le soutien d’une majorité de nos concitoyens, puisque 55 % d’entre eux refusent le travail le dimanche.

Mais, en lieu et place d’une loi de simplification, nous débattons aujourd’hui d’une loi qui apportera encore plus de troubles et qui fera naître d’importants contentieux, alors même que l’un de ses principaux objectifs était de régulariser la situation de certains centres commerciaux, Plan-de-Campagne en tête, régulièrement condamnés par les tribunaux administratifs. En ce sens, cette proposition de loi s’apparente clairement à une prime aux délinquants, à une loi d’amnistie.

Si les entreprises condamnées ne montraient pas beaucoup d’empressement à payer leur amende, il faut dire que la justice ne faisait pas non plus preuve de beaucoup de rigueur pour exiger ce qui est dû. Alors comment voulez-vous nous faire croire que celles qui étaient hors-la-loi hier ne s’estimeront pas rétroactivement dans leur droit ? Elles seront donc encore moins enclines à payer leurs dettes ! Comment l’État fera-il pour exiger que ces entreprises assument une responsabilité antérieure à ce texte ?

Le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, qui ne cesse de durcir les sanctions, notamment à l’égard des récidivistes, n’hésite pas ici à soutenir une proposition de loi concoctée, faite sur mesure, pour une minorité de magasins appartenant très souvent à de grandes enseignes. Vous créez ainsi les PUCE, les périmètres d’usage de consommation exceptionnel, dans lesquels le travail le dimanche sera généralisé et légalisé, ce qui permet aux centres commerciaux du Val-d’Oise et de Plan-de-Campagne de réintégrer la légalité. Cette réintégration justifie selon vous une loi d’exception, ce que nous ne pouvons accepter.

Durant l’examen de l’article 2 à l’Assemblée nationale, vous avez affirmé que, pour vous, « les Français doivent travailler plus ». Bel aveu de votre défiance à l’égard de nos concitoyens qui, touchés par le chômage et les temps partiels imposés, ne demandent qu’à travailler. Si des hommes et des femmes, majoritairement des femmes d’ailleurs, travaillent le dimanche, c’est précisément parce que leurs revenus hebdomadaires ne leur suffisent pas à vivre dignement.

Vous vous appuyez sur cette situation de précarité pour justifier votre proposition de loi, comme si les salariés de notre pays devaient accepter toutes les déréglementations, la perte de tous leurs repères, l’anéantissement de tous leurs droits pour avoir la possibilité de gagner quelques euros de plus. Reste que tous n’auront pas droit à une majoration de salaire dans les PUCE eux-mêmes. Seuls les nouveaux salariés, ceux qui seront embauchés dans un PUCE après l’adoption de cette proposition de loi auront le droit d’avoir un repos compensateur et de percevoir pour ce jour de travail une rémunération au moins égale au double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente, à moins qu’un accord collectif ne vienne prévoir des contreparties inférieures à celles qui sont prévues légalement.

Indéniablement, cette inversion de la hiérarchie des normes dessert les salariés et permet aux employeurs de s’aménager les lois à leur mesure.

Quant aux salariés contraints de travailler le dimanche dans les zones et villes touristiques, ils n’auront tout simplement droit à aucune contrepartie au motif qu’ils n’auraient pas été volontaires pour travailler le dimanche. Or c’est précisément parce que ce travail s’apparente à une contrainte supplémentaire subie par les salariés qu’il faut organiser une réelle compensation !

Si l’on considère les salariés des PUCE embauchés avant et après l’adoption de cette proposition de loi, les salariés des zones touristiques, les dérogations accordées cinq dimanches par an par le maire, les secteurs où le travail dominical est permanent et les 180 dérogations qui résisteront à ce texte, la législation en sera d’autant plus complexe. Une seule certitude existe : si les actionnaires profiteront pleinement de cette législation, les salariés, eux, seront, une fois encore, les victimes d’une société dédiée au « tout commerce ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l’article.

Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui porte fort mal son nom. Si elle réaffirme en théorie le repos dominical dans son article 1er, l’article 2 légalise de fait les infractions actuelles, étend le champ d’application des exceptions, contient des ambiguïtés problématiques. C’est par ailleurs un curieux procédé que d’affirmer un principe, celui du repos dominical, au seuil d’un texte destiné tout entier à le nier.

On nous dit que l’ouverture dominicale des commerces correspond à une adaptation nécessaire et minime vis-à-vis des comportements nouveaux de la société française. On nous affirme que le travail dominical répond à une nécessité sur le plan de l’emploi et de la lutte contre la crise. On nous indique enfin qu’il se fera dans le respect des droits des salariés en leur permettant de gagner davantage, améliorant ainsi leur niveau de vie. Selon le vocable en vigueur, il s’agirait d’un dispositif « gagnant-gagnant ». C’est faux !

Nous sommes en réalité face à un choix de société. La banalisation du recours au travail dominical cherche à promouvoir une société axée sur la consommation. Si je pense au « grand A » évoqué par Mme Hermange, je dirais que vous nous proposez un onzième commandement : Tu consommeras jour et nuit, 365 jours par an !

À l’heure où la société de consommation est mise à mal, où les citoyens sont de plus en plus inquiets de l’avenir de la planète, on tente de poursuivre dans une voie qui a montré ses limites en encourageant la consommation, en visant à la rendre de plus en plus importante quitte à fragiliser le lien social et familial, comme l’a indiqué M. Madec, quitte à faire perdre son sens à la notion même de semaine qui sous-tend le principe d’un jour de repos identique pour tout le monde.

Voilà la société que cette proposition de loi nous offre à plus ou moins long terme : une société de l’uniformité, du consommer toujours plus, de la fragmentation sociale. Et l’on ose nous parler de progrès !

Le progrès réside surtout dans un meilleur respect de notre planète, que la consommation à outrance fragilise davantage, dans un meilleur respect de l’individu, que l’on soumet à toujours plus de pression, dans une promotion de la culture et du partage plus que dans celle de la consommation. En fait, en guise de centre culturel, vous nous proposez le centre commercial.

M. Roland Courteau. C’est la nouvelle culture !

Mme Bariza Khiari. Après le discours en trompe-l’œil du Président de la République à Versailles nous exposant la nécessité de faire face au considérable défi que constitue la transition sociétale imposée par la crise, après les promesses du Grenelle de mieux respecter notre planète, la proposition de loi qui nous est présentée ici revient de toute évidence à tenter de prolonger à l’excès ce modèle qu’il nous faudrait à l’inverse remettre en cause.

Assiste-t-on à une énième volte-face de la majorité ou bien doit-on considérer que le discours de Versailles faisant référence au Conseil national de la Résistance et les promesses du Grenelle ne se résument qu’à du vent ? À l’heure où il faut préférer de « travailler mieux pour vivre mieux », nous en restons à « travailler plus pour mal consommer ». Cela ne correspond nullement à une adaptation à l’évolution du mode de vie des Français. Je crains que la majorité n’ait fantasmé une France plus qu’elle ne l’a observée.

Mensonges, contre-vérités, affabulations, voilà à quoi se résume cet article 2 proposé pour de mauvais motifs et prévoyant des mesures inacceptables. Je vous invite dès lors, mes chers collègues, à le refuser, car nous ne voulons pas que les salariés travaillent le dimanche sans percevoir de majoration salariale, parce que nous ne voulons pas que le repos dominical devienne un privilège de classe. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, sur l’article.

M. Roland Courteau. Je vais essayer de convaincre les derniers récalcitrants. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Non, mes chers collègues, quoi que la majorité sénatoriale ait pu dire ou répéter, l’article 2 n’est pas anodin. Loin de là ! Quel qu’ait pu être l’habillage qui en a été fait, et quoi que vous puissiez dire, monsieur le ministre, cet article ouvre une grande brèche dans le modèle social français. Ses effets néfastes sur les salariés, le petit commerce et la vie sociale sont patents. Cette banalisation du travail le dimanche nous conduira de fait sur la voie tortueuse de la généralisation.

Bref, il s’agit là d’un recul social de plus d’un siècle. D’ailleurs, si ce texte était vraiment sans grande portée, vous n’auriez pas choisi de le soumettre au Parlement en plein cœur des congés annuels des Français. Si vous ajoutez à cela la multiplication des plans sociaux, vous pouvez craindre, mesdames, messieurs de la majorité, monsieur le ministre, une rentrée particulièrement chaude.

Ce texte est dur, très dur même – je sais que Jean-Jacques Mirassou ne me contredira pas –, concernant les zones touristiques ou thermales et les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente. C’est la banalisation du travail le dimanche, sans contrepartie obligatoire, sans que le volontariat soit mentionné. C’est la généralisation à une grande partie du territoire de la notion de communes touristiques.

Nous ne sommes pas ici dans l’anodin. Vous allez donner le droit aux commerces de telle ou telle ville touristique de faire travailler leurs salariés tous les dimanches de l’année sans contrepartie obligatoire et sans aucune condition de saisonnalité.

Par ailleurs, au-delà de la rhétorique sur la « fin de l’hypocrisie », les « nécessités du tourisme » ou encore le besoin de voler au secours des entreprises hors-la-loi, sachez-le, une grande majorité de Français ne veut pas voir les activités marchandes remplir la totalité de leur vie. Nos concitoyens dans leur grande majorité s’accordent à penser que l’on peut tout de même, une fois par semaine, suspendre le culte marchand pour s’occuper de son développement individuel, de sa vie familiale, et se consacrer à des activités culturelles, sportives ou spirituelles.

Cet article va casser certains équilibres sociaux auxquels nous sommes parvenus à l’issue de nombreuses décennies. Ne laissons pas le PIB l’emporter systématiquement sur les traditions familiales !

Comme notre collègue Claude Jeannerot vous l’a déjà dit, le marché demandait hier la précarisation du salariat ; il réclame aujourd’hui le travail le dimanche. Qu’exigera-t-il demain ?

D’abord, vous nous avez dit qu’il fallait travailler plus. Ensuite, vous nous avez demandé de travailler plus longtemps, après soixante ans. Maintenant, selon vous, il faut travailler le dimanche. Peut-être faudra-t-il demain travailler durant les arrêts maladie, comme certains y ont déjà pensé ?

M. Roland Courteau. Mais quel modèle de société veut-on offrir à nos enfants ?

Vous affirmez que le travail du dimanche aura un effet positif sur la croissance et sur l’emploi. Mes collègues ayant apporté suffisamment d’éléments de réponse sur ce prétendu effet positif, je n’y insiste pas. D’autres ont parlé de leurre économique. Je n’y reviendrai pas non plus.

Selon le CREDOC, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, l’ouverture le dimanche ne créera pas plus d’emplois. Au contraire, elle en supprimera. Au mieux, selon cet organisme, il y aura des déplacements d’emplois stables vers des emplois précaires. Outre les commerçants et artisans installés dans les zones concernées, ce sont tous les commerces de proximité qui subiront l’effet d’aspiration des centres commerciaux ouverts le dimanche.

En Grande-Bretagne, avant l’autorisation d’ouverture le dimanche, on comptait 11 000 magasins de chaussures indépendants. Il n’en reste plus que 350 aujourd’hui. Tout est dit, ou presque !

Quant aux consommateurs, ils n’auront pas plus de pouvoir d’achat, car lorsque la bourse est vide le samedi soir, elle l’est tout autant le dimanche.

Quant aux beaux discours sur le volontariat, ils valent ce que valent les leurres. Bonjour, les discriminations ! Elles se feront à l’embauche : « Vous refusez de travailler le dimanche ! Vous ne serez pas embauché ! »

M. Roland Courteau. Ce sont les employeurs qui fixeront les temps de vie. Voici donc venu le temps du volontariat contraint ou, mieux encore, le temps du volontariat obligatoire !

M. Roland Courteau. J’ai entendu M. le Président de la République nous dire qu’il fallait refonder le capitalisme. Je l’ai entendu évoquer la « politique de civilisation ». À Versailles, récemment, il a semblé se réjouir, avec lyrisme, du « modèle social français ». Il a parlé de ce rêve qui nous vient du Conseil national de la Résistance, où des hommes et des femmes, venus d’horizons si différents, se sont unis autour d’un programme collectif, cette sorte de socle commun d’acquis sociaux dont je parlais à l’instant.

Or, mes chers collègues, monsieur le ministre, encore une fois, force est de constater que les actes ne sont pas en phase avec les discours. Cet article en est, je crois, la claire démonstration. Retirez-le, monsieur le ministre, tant qu’il est encore temps ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, sur l’article.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet article a pour objectif de permettre des dérogations au principe du repos dominical dans les communes, zones touristiques, thermales et grandes agglomérations. C’est donc l’article principal du texte, car il met en place l’ensemble du dispositif et reflète un manque de clarté sur l’étendue réelle des dérogations accordées aux zones touristiques dans lesquelles l’ouverture le dimanche serait autorisée.

Alors que l’ouverture des commerces le dimanche n’était autorisée que pendant les périodes touristiques, cette proposition de loi la généralise sur un grand nombre de communes. Près de 6 000 communes touristiques sont concernées, et non 500, sans contrepartie pour les salariés : ni salaire double, ni repos compensateur, ni volontariat.

Quand vous parlez de doublement de salaire, de volontariat et de repos compensateur, c’est seulement pour les nouveaux salariés des périmètres d’usage de consommation exceptionnel, les PUCE, et des agglomérations de Paris, Lille et Marseille. Seuls les nouveaux salariés travaillant le dimanche bénéficieront du doublement de salaire, et non pas ceux qui étaient déjà concernés.

Nous ne sommes pas dupes. Progressivement, vous démantelez le droit du travail. C’est ainsi que cette proposition de loi s’attaque à un droit fondamental : le droit au repos dominical.

Vous divisez les Français entre ceux qui doivent travailler le dimanche et ceux qui ne travaillent pas le dimanche, entre ceux qui auront le loisir de profiter de leur temps libre et de leurs enfants et ceux qui n’auront pas d’autre choix, pour nourrir ces enfants, que de renoncer à passer du temps avec eux. Vous divisez les salariés, entre ceux qui travaillent le dimanche avec un doublement de salaire et ceux qui n’auront pas ce doublement de salaire.

Cependant, les Français ne sont pas dupes. Selon un sondage IPSOS, 84 % des Français souhaitent que le dimanche reste le jour de repos commun. Ils sont 65 % à refuser l’argument commercial selon lequel il serait plus facile de faire ses courses ce jour-là. Selon le CREDOC, 81 % de nos concitoyens déclarent que cela n’augmenterait en rien leur budget destiné à la consommation. En bref, les Français sont attachés au repos dominical.

On peut donc se poser la question : pourquoi ce texte et pourquoi maintenant ? Répond-il à une demande ? Non ! Les associations de commerçants y sont opposées. La conception de la vie que propose le Gouvernement est une véritable menace pour la sphère familiale, amicale, culturelle, spirituelle et associative. C’est aussi une grave erreur économique que de penser que c’est le temps qui manque aux Français pour remplir leurs caddies.

Cette mesure, qui n’est absolument pas de nature à relancer la consommation, ne peut qu’aboutir à fragiliser les petits commerces de proximité au profit des grandes surfaces. C’est donc ce modèle de société que la droite nous propose aujourd’hui, mais les Français n’en veulent pas ! Or le Gouvernement n’entend pas ou ne veut pas entendre !

Le secteur de l’ameublement, qui bénéficie légalement d’une dérogation à la règle du repos dominical depuis le mois de janvier 2008, nous fournit un exemple parfait, qui montre que le travail dominical n’apporte aucun gain pour la croissance et l’emploi. L’ouverture des magasins le dimanche n’a pas engendré de consommation supplémentaire. La société Conforama a ainsi annoncé, il y a à peine trois mois, qu’elle allait licencier 800 personnes en raison d’une perte de chiffre d’affaires record de 50 millions d’euros.

Ce texte ajoute des difficultés à la vie des familles. Elles devront chercher des moyens supplémentaires pour faire garder leurs enfants. Faudra-t-il ouvrir les crèches sept jours sur sept ? Les communes devront-elles ouvrir des garderies le dimanche ? Les transports en commun seront-ils adaptés à ces nouveaux horaires ? De plus, ce sont les salariés précaires et à temps partiel, en particulier les femmes, qui devront sacrifier un peu plus de leur liberté au nom du volontariat. Or nous savons très bien que le volontariat pour travailler le dimanche deviendra vite un devoir et permettra de considérer le dimanche un jour comme les autres.

Nous ne voulons pas de cette société que vous proposez. Le dimanche est un élément de cohésion sociale permettant aux populations d’avoir des loisirs, de se cultiver, de décompresser après le rythme du travail. Le caractère mercantile de certains et l’individualisme d’autres vont imposer à la société entière un modèle dont nous ne voulons pas. Pour les intérêts mercantiles de quelques grandes surfaces, nous allons remettre en cause un principe fondamental.

Ce texte aura de lourdes conséquences sur la vie des citoyens. Il va créer des inégalités et engendrer à terme des dérives de nature à rendre le travail du dimanche obligatoire. II va créer une société que personne ne souhaite et qui ne résoudra absolument pas les difficultés économiques et sociales auxquelles notre pays est confronté. Et la droite et le Gouvernement s’obstinent encore à présenter ce texte !

On remarque que, pour la majorité et pour le Président de la République, le travail devient une obsession. Après le slogan « travailler plus pour gagner plus », puis « travailler plus longtemps » – « travailler jusqu’à 70 ans » – aujourd’hui, on entend le slogan « travailler le dimanche ». Je crois qu’on n’est jamais tombé aussi bas ! Quelle honte !

Ainsi sommes-nous opposés à cet article 2, qui met à mal les salariés et démantèle le droit du travail. Notre amendement tend à le supprimer, car son application ne créera ni emploi ni richesse.

Je suis heureuse que ce texte n’affecte pas l’Alsace et la Moselle protégées par le droit local. On ne peut d’ailleurs pas prétendre soutenir le droit local – n’est-ce pas, mes chers collègues ? – et voter pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Annie Jarraud-Vergnolle, sur l’article.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne me fais pas d’illusions quant à la suppression de cet article 2, surtout depuis la déclaration, hier, de M. About. Il a d’ores et déjà apporté le soutien mollement conditionnel de son groupe au Gouvernement en vue du prochain vote de cette proposition de loi.

Je n’ai pas d’illusions, car cet article fonde, avec une ironie digne des meilleurs canulars sémantiques, un texte censé réaffirmer le repos dominical, alors que nous ne parlons que d’activité économique, de travail, de salariés, de branches, de création ou non d’emplois... Franchement, quelle blague ! Pour faire rire les Français, vous n’aviez pas encore sorti ce gag de votre manche. Voilà qui est fait !

Pour comprendre vos tours de passe-passe, il convient donc désormais de se pencher sérieusement sur les modalités de votre invention : travailler plus le dimanche pour gagner plus de liberté le week-end !

Au-delà de la plaisanterie, il est navrant de constater que, une fois de plus, à l’instar de la loi dite TEPA ou de la loi de modernisation de l’économie, ce texte est examiné en fin de session extraordinaire, de plus sous la forme d’une proposition de loi, qui ne fait l’objet ni de consultations préalables des partenaires sociaux, ni d’études d’envergure.

Pour le décor, rappelons que ce texte est défendu dans un contexte de crise économique qui engendre une baisse généralisée de l’activité en semaine, phénomène contre lequel ce gouvernement n’est pas plus fort que les autres, au contraire, comme les chiffres du chômage nous l’indiquent cruellement. Il nous est, en définitive, difficile de croire au bien-fondé de cette proposition de prétendue réaffirmation du principe du repos dominical, défendue par un ministre fraîchement nommé – je sais bien qu’il n’y est pour rien –…

M. Jean-Pierre Sueur et Mme Raymonde Le Texier. Il est solidaire, tout de même !

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. … mais il a accepté le poste.

En ce qui me concerne, je me contenterai d’attirer une nouvelle fois votre attention sur le volet de cette proposition de loi qui concerne les zones touristiques. En ma qualité d’élue en charge du développement économique et du tourisme dans ma ville, je connais bien ce sujet et je puis affirmer, en connaissance de cause, que, pas plus que la baisse de TVA à 5,5 % ne crée d’emploi dans la restauration, ni n’aboutit à une réelle baisse des tarifs à la carte, pas plus que le bouclier fiscal n’aura entraîné de tsunami économique ou de capitaux vers la France, le travail dominical ne créera de liberté ni individuelle ni économique.

Je vais rappeler les propos de mes collègues.

Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, ne déclarait-il pas lui-même que « faire croire que tous les salariés qui travailleront le dimanche seront payés double est une grosse bourde » ?

L’étude, commandée par Renaud Dutreil, ministre du commerce sous la présidence de M. Jacques Chirac, ne concluait-elle pas à la destruction de 200 000 emplois en cas d’ouverture des commerces le dimanche ?

M. Roland Courteau. C’est clair !

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Nous serons sûrement nombreux à défendre l’idée que cette proposition de loi entraînera surtout un délitement du lien social et familial, en particulier pour les femmes salariées ; nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir.

Pour la création des richesses, ne nous faisons pas d’illusions. S’opérera un transfert des dépenses hebdomadaires vers le dimanche puisque les Français, plus libres d’acheter le dimanche, n’auront pas plus d’argent à dépenser ce jour plutôt qu’un autre.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Enfin, afin de contrecarrer une idée reçue selon laquelle le repos dominical serait un totem de gauche et le travail le dimanche une innovation de droite, j’attire votre attention sur le fait que le repos dominical, en zone touristique ou non, favorise la consommation de loisirs et de divertissements.

L’idée que des jeunes se réunissent pour pratiquer un sport, que des familles – plusieurs générations confondues – se retrouvent quelques heures pour partager des moments de convivialité, de tendresse, se rendent au théâtre, au cinéma ou au musée, que s’organisent des rencontres culturelles, sportives – pas seulement dans les zones touristiques – et que, en somme, les Français soient plus libres de satisfaire un réel besoin de se retrouver entre amis et de se divertir, me semble plus intéressante que celle d’imaginer toutes ces personnes déambulant anonymement dans les allées d’un grand magasin.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Des concitoyens de mon département, que j’ai rencontrés, m’ont fait part de leurs inquiétudes sur les conséquences de cette proposition de loi. Ils m’ont dit : « La loi de 1906 a réussi à établir un équilibre juste entre les nécessités légitimes d’ouverture le dimanche et l’organisation de la société. C’est cet équilibre que nous voulons maintenir. Celui de la France qui travaille et qui gagne, mais aussi de la France des bénévoles, des balades en forêt, des rires en famille, des parties de rugby entre copains, des chorales lyriques ou jazzy, du verre de blanc sur le comptoir, de la diversité des couleurs et des senteurs des marchés. » (Exclamations sur les travées de lUMP et de l’Union centriste.) Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, les habitants de mon département, doués de raison, souhaitent maintenir autant d’activités conviviales à même de favoriser ce que tout un chacun appelle « la vraie vie ».

Face aux tenants d’un monde transformé en une immense galerie marchande aseptisée, où la culture est en tête de gondole, la nourriture en fast-food, la pensée sous code barre, la salariée aux horaires décalés, la caissière sous-payée, la famille explosée, … (Protestations sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. – Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) … c’est sur une certaine idée de la France au travail que se prononcent mes concitoyens des Pyrénées-Atlantiques.

Aussi, vous comprendrez, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les raisons qui nous amènent à rejeter un article qui vise à désorganiser les équilibres de vie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il suffit d’écouter les débats pour se rendre compte qu’une question de civilisation est posée.

M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit tout simplement de savoir quelle société nous voulons. Cette question peut, on le voit bien, dépasser les clivages politiques.

M. Roland Courteau. Elle devrait !

M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez raison, mon cher collègue : elle devrait dépasser les clivages politiques.

Tout d’abord, il est évident, monsieur le ministre, que cette proposition de loi est contraire au principe d’égalité, à l’égalité républicaine, à laquelle nous devrions tous être attachés.

On comptera, en effet, quatre à six statuts différents pour le travail du dimanche…

M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville. C’est déjà le cas !