compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

Secrétaires :

M. Jean-Noël Guérini,

M. Bernard Saugey.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures cinquante.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Articles additionnels après l'article 1er (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires
Article 2 (Texte non modifié par la commission) (début)

Repos dominical

Suite de la discussion d’une proposition de loi en procédure accélérée

Texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires (nos 557, 561 et 562).

Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’article 2.

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires
Article 2 (Texte non modifié par la commission) (interruption de la discussion)

Article 2

(Texte non modifié par la commission)

I. - L’article L. 3132-3 du code du travail est ainsi rédigé :

« Art. L. 3132-3. - Dans l’intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche. »

bis. - Après l’article L. 3132-3 du même code, il est inséré un article L. 3132-3-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3132-3-1. - Le refus d’un demandeur d’emploi d’accepter une offre d’emploi impliquant de travailler le dimanche ne constitue pas un motif de radiation de la liste des demandeurs d’emploi. »

ter. - Au dernier alinéa de l’article L. 3132-23 du même code, les mots : « peuvent être toutes retirées lorsque » sont remplacés par les mots : « sont toutes retirées lorsque, dans la localité, ».

quater. - Dans les branches couvrant des commerces ou services de détail et dans les commerces ou services de détail, où des dérogations administratives au repos dominical sont applicables, les organisations professionnelles ou l’employeur, d’une part, et les organisations syndicales représentatives, d’autre part, engagent des négociations en vue de la signature d’un accord relatif aux contreparties accordées aux salariés privés de repos dominical lorsque la branche ou l’entreprise n’est pas déjà couverte par un accord.

II. - L’article L. 3132-25 du code du travail est remplacé par sept articles L. 3132-25, L. 3132-25-1, L. 3132-25-2, L. 3132-25-3, L. 3132-25-4, L. 3132-25-5 et L. 3132-25-6 ainsi rédigés :

« Art. L. 3132-25. - Sans préjudice des dispositions de l’article L. 3132-20, les établissements de vente au détail situés dans les communes d’intérêt touristique ou thermales et dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente peuvent, de droit, donner le repos hebdomadaire par roulement pour tout ou partie du personnel.

« La liste des communes d’intérêt touristique ou thermales intéressées et le périmètre des zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente sont établis par le préfet sur proposition de l’autorité administrative visée à l’article L. 3132-26, après avis du comité départemental du tourisme, des syndicats d’employeurs et de salariés intéressés, ainsi que des communautés de communes, des communautés d’agglomération et des communautés urbaines, lorsqu’elles existent.

« Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article.

« Art. L. 3132-25-1. - Sans préjudice des dispositions de l’article L. 3132-20, dans les unités urbaines de plus de 1 000 000 d’habitants, le repos hebdomadaire peut être donné, après autorisation administrative, par roulement, pour tout ou partie du personnel, dans les établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services dans un périmètre d’usage de consommation exceptionnel caractérisé par des habitudes de consommation dominicale, l’importance de la clientèle concernée et l’éloignement de celle-ci de ce périmètre.

« Art. L. 3132-25-2. - La liste et le périmètre des unités urbaines mentionnées à l’article L. 3132-25-1 sont établis par le préfet de région sur la base des résultats du recensement de la population.

« Sur demande du conseil municipal, au vu de circonstances particulières locales et :

« - d’usages de consommation dominicale au sens de l’article L. 3132-25-1

« - ou de la proximité immédiate d’une zone frontalière où il existe un usage de consommation dominicale, compte tenu de la concurrence produite par cet usage,

« le préfet délimite le périmètre d’usage de consommation exceptionnel au sein des unités urbaines, après consultation de l’organe délibérant de la communauté de communes, de la communauté d’agglomération ou de la communauté urbaine, lorsqu’elles existent, sur le territoire desquelles est situé ce périmètre.

« Le préfet statue après avoir recueilli l’avis du conseil municipal de la ou des communes n’ayant pas formulé la demande visée au présent article et n’appartenant pas à une communauté de communes, une communauté d’agglomération ou une communauté urbaine dont la consultation est prévue à l’alinéa précédent, lorsque le périmètre sollicité appartient en tout ou partie à un ensemble commercial, au sens de l’article L. 752-3 du code de commerce, situé sur leur territoire.

« Art. L. 3132-25-3. - Les autorisations prévues aux articles L. 3132-20 et L. 3132-25-1 sont accordées au vu d’un accord collectif ou, à défaut, d’une décision unilatérale de l’employeur prise après référendum.

« L’accord collectif fixe les contreparties accordées aux salariés privés du repos dominical ainsi que les engagements pris en termes d’emploi ou en faveur de certains publics en difficulté ou de personnes handicapées.

« En l’absence d’accord collectif applicable, les autorisations sont accordées au vu d’une décision unilatérale de l’employeur, prise après avis du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, lorsqu’ils existent, approuvée par référendum organisé auprès des personnels concernés par cette dérogation au repos dominical. La décision de l’employeur approuvée par référendum fixe les contreparties accordées aux salariés privés du repos dominical ainsi que les engagements pris en termes d’emploi ou en faveur de certains publics en difficulté ou de personnes handicapées. Dans ce cas, chaque salarié privé du repos du dimanche bénéficie d’un repos compensateur et perçoit pour ce jour de travail une rémunération au moins égale au double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente.

« Lorsqu’un accord collectif est régulièrement négocié postérieurement à la décision unilatérale prise sur le fondement de l’alinéa précédent, cet accord s’applique dès sa signature en lieu et place des contreparties prévues par cette décision.

« Art. L. 3132-25-4. - Les autorisations prévues aux articles L. 3132-20 et L. 3132-25-1 sont accordées pour une durée limitée, après avis du conseil municipal, de la chambre de commerce et d’industrie, de la chambre des métiers et des syndicats d’employeurs et de salariés intéressés de la commune.

« Seuls les salariés volontaires ayant donné leur accord par écrit à leur employeur peuvent travailler le dimanche sur le fondement d’une telle autorisation. Une entreprise bénéficiaire d’une telle autorisation ne peut prendre en considération le refus d’une personne de travailler le dimanche pour refuser de l’embaucher. Le salarié d’une entreprise bénéficiaire d’une telle autorisation qui refuse de travailler le dimanche ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail. Le refus de travailler le dimanche pour un salarié d’une entreprise bénéficiaire d’une telle autorisation ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement.

« L’accord collectif prévu au premier alinéa de l’article L. 3132-25-3 fixe les conditions dans lesquelles l’employeur prend en compte l’évolution de la situation personnelle des salariés privés de repos dominical.

« À défaut d’accord collectif applicable, l’employeur demande chaque année à tout salarié qui travaille le dimanche s’il souhaite bénéficier d’une priorité pour occuper ou reprendre un emploi ressortissant à sa catégorie professionnelle ou un emploi équivalent ne comportant pas de travail le dimanche dans le même établissement ou, à défaut, dans la même entreprise. L’employeur l’informe également, à cette occasion, de sa faculté de ne plus travailler le dimanche s’il ne le souhaite plus. En pareil cas, le refus du salarié prend effet trois mois après sa notification écrite à l’employeur.

« En outre, le salarié qui travaille le dimanche peut à tout moment demander à bénéficier de la priorité définie à l’alinéa précédent.

« En l’absence d’accord collectif, le salarié privé de repos dominical conserve la faculté de refuser de travailler trois dimanches de son choix par année civile. Il doit en informer préalablement son employeur en respectant un délai d’un mois.

« Art. L. 3132-25-5. - Les articles L. 3132-25 et L. 3132-25-1 ne sont pas applicables aux commerces de détail alimentaire qui bénéficient des dispositions de l’article L. 3132-13.

« Art. L. 3132-25-6. - Les autorisations prévues à l’article L. 3132-25-1 sont accordées pour cinq ans. Elles sont accordées soit à titre individuel, soit à titre collectif, dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État, pour des commerces ou services exerçant la même activité. »

III. - Au premier alinéa de l’article L. 3132-13 du même code, le mot : « midi » est remplacé par les mots : « treize heures ».

IV. - L’article L. 3132-21 du même code est abrogé.

M. le président. La parole est à M. Roger Madec, sur l’article.

M. Roger Madec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui est le quatrième texte visant à déréglementer le droit du travail. On notera l’acharnement du Gouvernement à vouloir légiférer sur cette question : le choix d’un débat en session extraordinaire pendant l’été n’est pas anecdotique, pas plus que le recours à la procédure accélérée ou la volonté d’obtenir un vote du conforme du Sénat.

Le Gouvernement ainsi que le Président de la République se réclament de la rupture. Plutôt que de rupture, il s’agit d’un retour en arrière sur les grandes lois fondatrices de notre République.

M. Roger Madec. Nous voulons défendre un projet sociétal plus juste et moins inégalitaire. Or, force est de constater que cette proposition de loi conduira à l’inverse si elle est adoptée.

Le repos hebdomadaire prend sa source dans la loi du 13 juillet 1906, qui établit une journée de repos hebdomadaire pour tous les salariés, dans un objectif de protection de la santé. Nous en retrouvons la substance dans l’article 1er de la proposition de loi, voté cette nuit. Mais, derrière cette façade, se cache un texte qui est une véritable chimère pour le salarié.

Le choix de société que nous préconisons repose sur la liberté du salarié. Or, les nombreuses dérogations que prévoit la proposition de loi ne rentrent pas dans ce cadre et ne correspondent pas au projet de société que nous défendons. À l’inverse, la majorité nous propose une société fondée sur l’injustice, les inégalités et la consommation : une société à plusieurs vitesses, opposant une France à une autre, celle où l’on travaille le dimanche à celle où l’on consomme sans vergogne le dimanche, une France où les liens familiaux sont cassés par la loi du marché !

Nous ne voulons pas d’une société où l’on peut consommer 365 jours sur 365, car loin de niveler les inégalités cette proposition de loi va les aggraver. Quels seront les salariés réellement concernés par ce texte ? La réponse est simple : les emplois à temps partiel ou rémunérés par des bas salaires, essentiellement occupés par des femmes, bref, tous les emplois atypiques.

À ce sujet, permettez-moi de m’arrêter. Nous devons actuellement faire face à une flambée de violence, notamment dans les « cités », selon l’appellation courante. Cette violence s’explique en partie par le fait que les jeunes sont livrés à eux-mêmes. Pensez-vous que les enfants issus de familles monoparentales seront mieux encadrés quand leur mère, ou leur père, devra aller travailler le dimanche ? Je ne le crois pas !

« Travailler plus pour gagner plus », c’est pour le pouvoir d’achat. Alors je vous prends au mot : acceptez les amendements qui obligent l’employeur à doubler le salaire horaire le dimanche !

M. Roger Madec. Épargnez-moi l’argument, madame le rapporteur, monsieur le ministre, selon lequel on ne peut pas doubler la rémunération des infirmières, des médecins ou des pompiers qui travaillent le dimanche !

L’opinion publique et, parfois, les salariés eux-mêmes croient en général que le travail dominical implique le versement d’une majoration salariale et l’octroi d’un repos compensateur. Cela est vrai, mais seulement dans le cas des dérogations accordées par le maire pour le commerce de détail, cinq dimanches dans l’année, et lorsqu’un accord collectif le prévoit. Je vous le rappelle pour mémoire : la majoration salariale et le repos compensateur ne sont pas de droit !

Lors de son discours à Rethel, le 28 octobre 2008, le Président de la République interpellait les maires sur « les familles qui ont le droit, les jours où elles ne travaillent pas, d’aller faire leurs courses dans des magasins qui sont ouverts et pas systématiquement fermés ».

Je serais tenté de dire à mes collègues sénateurs qui sont aussi maires ou élus locaux : pensez donc à ces enfants, issus de familles monoparentales, qui ont aussi le droit de participer à d’autres activités le dimanche que d’attendre le retour du travail de leur parent ! Ainsi, dans son avis sur le rapport de Léon Salto, intitulé Consommation, commerce et mutations de la société, le Conseil économique et social indiquait en 2007 : « Le dimanche doit rester un point fixe structurant permettant de se retrouver et de consolider la cellule familiale de plus en plus éclatée et dispersée. C’est aussi un temps privilégié pour les activités culturelles, sportives, ludiques, touristiques, associatives, la rencontre avec les amis, la disponibilité sociale au service d’autrui, donc le support de la cohésion de la société. »

Le texte de la proposition de loi préconiserait le volontariat. Monsieur le ministre, nous savons bien que le volontariat est absent du code du travail. En raison du lien de subordination entre l’employeur et l’employé, de la précarité de l’emploi et de la faiblesse des salaires, très peu de salariés pourront refuser de travailler le dimanche sans risquer de perdre leur emploi. D’ailleurs, 71 % des salariés du secteur privé pensent qu’ils n’auront pas la possibilité de refuser de travailler le dimanche, si leur employeur le leur demande.

Alors, pensez bien que, dans les zones concernées par les dérogations administratives, l’accord entre l’employeur et les délégués du personnel ira dans un seul sens.

C’est de cette France que nous ne voulons pas, cette France partagée entre ceux qui gagneront plus et ceux qui travailleront plus.

Les conséquences seront désastreuses.

Les trois zones créées – zones touristiques, zones à visée touristique et périmètres d’usage de consommation exceptionnel – finiront par recouvrir la totalité du territoire et seront de facto applicables à l’ensemble des salariés.

Monsieur le ministre, vous considérez que seules 500 communes sont concernées, alors que, pour notre part, nous en dénombrons de 5 000 à 6 000. Le calcul est aussi simple que la loi est floue !

Actuellement, notre pays compte 24,7 millions d’actifs, dont 7,4 millions travaillent le dimanche. Une fois la loi votée, à combien se chiffreront ces derniers ? Je vous ai entendu hier avancer le chiffre de 200 000 personnes. Si tel est vraiment le cas, pourquoi faire une loi ?

Par ailleurs, une étude commandée par M. Renaud Dutreil, ministre du commerce en 2006, qui n’est pas suspecté d’avoir des idées de gauche, concluait à la perte de 200 000 emplois dans les commerces de proximité en cas de généralisation de l’ouverture des magasins le dimanche. Face à cette hémorragie, comment survivront les commerces de proximité, soumis à la concurrence des grandes surfaces ? Hélas, force est de constater que le petit commerce, élément structurant non seulement des grandes villes mais également des zones rurales, disparaît dans beaucoup d’endroits !

Si vous cherchez des faits, regardez plutôt du côté des magasins d’ameublements suédois ouverts le dimanche ! Qui peut s’aligner face à de telles entreprises ?

Le chiffre d’affaires réalisé aujourd’hui par les petits commerces va se déplacer vers les groupes de la grande distribution, pour lesquels cette proposition de loi est une aubaine.

Il est illusoire de penser que le consommateur va dépenser plus. Le pouvoir d’achat n’étant pas extensible, les achats dominicaux se substitueront aux achats de la semaine.

Monsieur le ministre, vous qui êtes enseignant de formation et qui avez été longtemps ministre de l’éducation nationale, vous savez que la meilleure pédagogie, c’est la répétition ! Je serais tenté d’essayer de vous convaincre…

M. Roger Madec. … d’accepter bon nombre de nos amendements, auquel cas nous pourrions éventuellement réviser notre position sur le vote final de cette proposition de loi.

Si votre bonne foi n’est pas en cause, j’ose espérer que vous accepterez au moins l’amendement de mon collègue Jean-Pierre Caffet sur le statut dérogatoire que vous avez prévu pour la capitale. Je ne comprends pas que vous ayez fait figurer dans ce texte une telle provocation ! Mais n’anticipons pas sur les débats que nous aurons tout à l’heure. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, sur l’article.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous engageons la discussion sur le cœur du texte, l’article 2, qui tend, d’une part, à clarifier le régime juridique applicable dans les communes et les zones touristiques et, d’autre part, à offrir un nouveau régime dérogatoire à certaines grandes agglomérations.

Je sais que M. Richard Mallié et Mme Isabelle Debré ont œuvré dans un souci de protection des travailleurs. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Mais, en dépit du caractère rassurant de l’article L. 3132-3 du code du travail, selon lequel « dans l’intérêt des salariés » – termes ajoutés –, « le repos hebdomadaire est donné le dimanche », je ne peux m’empêcher de m’interroger sur le champ des dérogations.

Représentante de la collectivité parisienne, comment admettre d’abord que Paris, ville touristique par excellence, ne soit pas sous le régime du droit commun et que le préfet de Paris décide à la place du maire,…

Mme Marie-Thérèse Hermange. … sans même que celui-ci ou son conseil soit consulté ?

Monsieur le ministre, j’ai bien entendu votre argument selon lequel c’est le préfet qui décide déjà aujourd'hui. Mais nous avons voté récemment une loi portant réforme de l’hôpital, dans laquelle il nous a été demandé de mettre l’AP-HP sous le régime du droit commun. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Marie-Thérèse Hermange. Pourquoi, dans certain cas, Paris doit-il relever du droit commun et, dans d’autres, faire exception ?

Représentante des collectivités locales, je m’interroge sur le déséquilibre territorial que risque d’introduire cet article et ce, à double titre.

D’abord, l’ancrage des entreprises dans un territoire passe par l’implantation d’entreprises à forte valeur ajoutée. Alors qu’elles ne sont pas forcément des grandes surfaces, elles devront pourtant respecter les mêmes conditions que ces dernières.

Par exemple, si une entreprise a obtenu une dérogation, mais qu’elle n’est pas inscrite dans une zone touristique et thermale, devra-t-elle fermer ?

Le travail du dimanche, tel qu’il est conçu dans ce texte, me semble rompre le principe d’égalité des entreprises entre elles. Par conséquent, il risque de déséquilibrer, dans le temps, l’ancrage territorial de certaines entreprises.

Il risque également d’accroître la désertification de certaines communes et de contribuer à créer des villes dortoirs, supprimant ainsi cette place de rencontre qu’était l’agora. Jean-Jacques Rousseau, dans son œuvre intitulée Essai sur l’origine des langues, …

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien ! Vive Jean-Jacques Rousseau !

Mme Marie-Thérèse Hermange. … l’appelait la fontaine : elle permit aux communautés de se rassembler et de faire miroir en sortant ainsi les hommes de leur isolement. Pour d’autres, cet espace est la paroisse.

Pourrons-nous alors compter sur nos concitoyens pour nous aider à développer notre territoire, d’autant que, dans ces villes, l’éclatement du lien familial et social sera manifeste – il est déjà visible –, tant que l’on n’aura pas créé une cité de l’hospitalité ?

Ensuite, je m’interroge sur les conséquences pour les collectivités territoriales en matière d’offre de garde d’enfants. Désormais, à n’en pas douter, la mise en place de dispositifs de garde sera nécessaire pour accueillir les enfants dont les parents, soit par choix, soit parce qu’ils ne pourront faire autrement, devront faire prendre en charge leurs enfants par une structure adéquate ou une assistante maternelle.

Qui devra assurer cette charge ? Les collectivités locales, les parents ? Si les structures n’existent pas, pourrons-nous déplorer que des enfants soient livrés à eux-mêmes ? Nous devrions nous demander si nous faisons preuve de respect et acte de civilisation à l’égard de ces enfants.

Il revient au politique de soulever cette problématique, qui finira par se poser à plus ou moins long terme, et de la nommer. Cela n’a rien à voir avec une peur panique face au changement !

Enfin, monsieur le ministre, en faisant des dérogations le principe, c’est-à-dire autoriser le travail le dimanche, et du principe les dérogations, le travail dominical n’a plus à être justifié ! Bien au contraire, il faudra désormais justifier le repos dominical,…

Mme Bariza Khiari. Très bien !

Mme Marie-Thérèse Hermange. … justifier qu’il doit être un temps de relation avec l’autre. Cet autre, certains l’écrivent avec un grand A, et les catholiques savent que le Christ les appelle à ce rendez-vous, qui est le sommet de leur semaine. D’autres l’écrivent avec un petit a et le perçoivent comme un espace de détente et de gratuité pour la joie toute simple de retrouver les siens ou de vivre des rassemblements familiaux, sportifs ou associatifs.

D’ailleurs, souvenons-nous que, au XIXe siècle, lors des débats houleux sur le dimanche, le repos dominical fut défendu non seulement par le chrétien Ozanam, mais également par le socialiste athée Proudhon.

À vrai dire, le principe du repos hebdomadaire protège la vie des familles ; il doit permettre de se retrouver soi-même et de rompre la solitude. Ce temps, qui n’est pas guidé par des impératifs exclusivement économiques, est celui non pas de l’horizontalité, mais de la profondeur.

Si, dans les faits, cet article de loi n’apporte, pour l’instant, pas de grands changements – pour reprendre l’expression employée par Nicolas About, il n’est « ni panacée ni poison » – il comporte, vous en conviendrez, monsieur le ministre, une modification symbolique.

Aujourd'hui, je voudrais faire part à mes collègues et au président de mon groupe de ma perplexité face à ce texte. Je n’ai dérogé que deux fois à la discipline de groupe dans cette assemblée, lors de la discussion de la proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie et du projet de loi transposant une directive sur le médicament. En ce qui concerne ce dernier texte, je ne suis pas certaine que nous ayons bien tous pris la mesure de notre vote, qui autorise à faire de l’embryon un médicament.

Paradoxalement, je voudrais également, monsieur le ministre, vous remercier, d’avoir amené en discussion cette proposition de loi de M. Mallié, car elle m’a fait redécouvrir le sens du dimanche. À la vérité, le nœud de la controverse ne réside pas dans tel interdit ou telle prescription ou dans le fait de se demander si nous n’allons pas contribuer à faire naître un homme-caddy. Il doit être recherché dans la vocation originelle du dimanche qui est, me semble-t-il, de mettre l’homme en relation avec autrui. (Applaudissements sur plusieurs travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David, sur l'article.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet article 2 aura pour effet d’autoriser, dans les zones et communes touristiques et thermales, le travail obligatoire des salariés le dimanche sans aucune contrepartie, que ce soit une compensation financière ou un repos compensateur : travailler le dimanche deviendra de droit. Mais je devrais plutôt parler de zones de travail de non-droit pour les salariés, puisque leurs intérêts ne seront pas respectés !

Pour ces femmes et ces hommes qui travailleront le dimanche afin de permettre aux touristes internationaux de dépenser leurs devises, il n’y aura rien : ni rémunération supplémentaire, ni repos compensateur ! Comme si, sous prétexte de satisfaire les aspirations commerciales de quelques-uns, notamment les plus fortunés, il fallait sacrifier les équilibres familiaux ou la santé des autres !

Pourtant, chacun s’accorde à dire que les emplois de commerce provoquent fatigue et stress et que ces maux vont grandissants. Les salariés connaissent d’importants troubles musculo-squelettiques, les TMS, douloureux pour les hommes et les femmes qui les subissent, mais dont les conséquences économiques sont importantes. Cette question intéressera certainement notre nouveau rapporteur général de la commission des affaires sociales, Alain Vasselle.

D’après l’assurance maladie, les TMS sont la première cause de reconnaissance de maladie professionnelle : ils ont engendré en 2007 la perte de 7,4 millions de journées de travail et des frais à hauteur de 736 millions d’euros, couverts par les cotisations patronales.

Monsieur le ministre, ces effets néfastes, sur les comptes sociaux comme sur la santé des salariés, auraient pourtant pu être mesurés par une étude d’impact que vous avez refusée et tout fait pour éviter, avec votre Gouvernement, en optant pour la voie d’une proposition de loi plutôt qu’un projet de loi.

Aussi, au regard du travail obligatoire dans les zones touristiques, le second alinéa de cet article 2, suivant lequel « dans l’intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche », prend un goût amer ! Et encore faut-il que l’intérêt des salariés ne vienne pas contredire les intérêts économiques et la loi du marché !

Madame Debré, lors de la discussion de votre rapport, vous avez présenté le principe du repos dominical comme un « principe ancien ». Mme Procaccia a, pour sa part, parlé de disposition « ringarde », voire « archaïque » ! Nous considérons au contraire qu’il est d’une grande modernité face à un principe encore plus ancien, celui de la domination de l’économie sur l’humain. Bien au contraire, ce qui est daté, c’est le retour que vous proposez à la loi de 1802, permettant aux employeurs de choisir le jour de repos de leurs salariés en fonction des impératifs de productivité.

Au-delà de ces considérations d’usage et de santé publique, votre refus de rémunérer celles et ceux qui travailleront le dimanche dans les zones touristiques et thermales est une preuve de votre volonté de banaliser le travail dominical. Vous voudriez faire de cette journée de travail exceptionnel une journée comme une autre – dans les zones touristiques, pour commencer – et justifier l’absence de compensations par des besoins structurels.

Je le dis avec force, les salariés de notre pays, qui, par leur travail, permettront aux entreprises ou aux établissements d’accumuler de la richesse, doivent pour le moins en bénéficier ! Il est vrai que, pour vous, cette rémunération peut être prévue dans les conventions collectives. À vous écouter, sous prétexte d’offrir une plus grande liberté aux salariés, il faudrait demain supprimer le code du travail et l’ensemble des protections collectives au bénéfice de la seule négociation de gré à gré, votre fameux « gagnant-gagnant ».

Tenir un tel discours, c’est méconnaître profondément le monde du travail et les contraintes qui pèsent sur les salariés, liés par un lien de subordination à leurs employeurs ! Ou bien c’est vouloir les tromper, car, vous le savez bien, ce sont les employeurs qui sortent vainqueurs de ces négociations gagnant-gagnant.

Enfin, je voudrais vous mettre en garde sur les conséquences judiciaires de ce texte, qui seront de deux ordres.

Tout d’abord, vous affirmez, madame le rapporteur, que ce texte renvoie la définition des zones touristiques à celle qui est donnée par le code du travail ; or, la rédaction proposée, en recourant à la notion de zone d’intérêt touristique telle qu’utilisée dans le code du tourisme, sera source d’ambiguïté pour les préfets et de contentieux devant les tribunaux administratifs.

Aussi, afin d’éviter que les contraintes qui pèseront sur les salariés, déjà trop nombreux, des quelque 500 communes reconnues touristiques au sens du code du travail ne s’étendent aux salariés des 5 000 communes reconnues touristiques au sens du code du tourisme, nous avons déposé un amendement qui permettra à votre majorité d’affirmer sa volonté de ne pas étendre le travail le dimanche et aux préfets de s’appuyer sur cette rédaction pour les futures désignations.

Enfin, la distorsion des droits des salariés que vous créez dans ce texte aboutira aussi à des contentieux. Comment accepter que, dans une enseigne nationale implantée dans différentes zones – touristiques, PUCE ou sur d’autres parties de notre territoire où il n’y a pas de zones spécifiques – les contreparties accordées aux salariés soient différentes ? Ce point a d’ailleurs fait l’objet de notre motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Malgré vos arguments, qui ne m’ont pas convaincue, je persiste à dire qu’il y aura discrimination entre les salariés à l’issue de l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)