Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le ministre a déjà répondu à toutes les objections !

M. Jean-Pierre Chevènement. Il s’agit là d’une question de philosophie. Je pense, pour ma part, que l’industrie de défense doit demeurer, dans toute la mesure possible, sous le contrôle de la puissance publique. Par conséquent, je ressens d’une manière très négative la privatisation de la SNPE.

Celle-ci a quatre filiales. L’une d’entre elles, la SME, est une entreprise chimique que vous allez fusionner avec un mécanicien privé, Safran. Je ne vois pas quelle synergie industrielle ce rapprochement entre une entreprise chimique et un fabricant de tuyères va entraîner. (M. le ministre tend à M. Chevènement, qui le saisit, le tableau précédemment brandi.)

Je veux bien regarder ce tableau, monsieur le ministre, mais je ne suis pas sûr d’en avoir une compréhension immédiate. Ce que je sais, c’est qu’un mécanicien reste un mécanicien et un chimiste un chimiste. Je ne vois pas très bien, dans ce tableau complexe, ce qui conduit à cette fusion, et à cette privatisation.

Vous avez parlé d’un « pôle munitionnaire », mais savez-vous ce qu’étaient les munitionnaires sous l’Ancien Régime ? Savez-vous qu’on leur reprochait de s’enrichir aux dépens de la puissance publique, alors la puissance royale ? Car ils ont amassé des fortunes !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est bien ce qui se passe maintenant !

M. Jean-Pierre Chevènement. Nous ne savons pas ce qui se passera, et nous ne sommes pas à l’abri de surprises stratégiques. Votre pôle munitionnaire privé fera donc de très bonnes affaires mais, vous demanderai-je, est-ce bien raisonnable ?

M. Hervé Morin, ministre. À qui Nexter appartient-il ?

M. Jean-Pierre Chevènement. Je ne connais pas exactement la composition du capital de cette entreprise…

M. Hervé Morin, ministre. Ce ne sont que des capitaux publics !

M. Didier Boulaud. Et où est passé Manurhin ?

M. Jean-Pierre Chevènement. Dès lors que l’on parle de privatisation, ce n’est pas pour que l’État reste le propriétaire ! Vous nous engagez dans un processus qui ne sera pas sans conséquences pour les différentes filiales de la SNPE : Isochem, Bergerac NC, etc. Il y a suffisamment de chômeurs comme cela, et notre industrie ne se porte pas si bien que l’on puisse penser que le moment est opportun pour réaliser une telle opération.

Il s’agit en tout cas d’une question de philosophie. Vous l’aurez compris, je ne suis pas d’accord avec cette privatisation.

Il me reste maintenant à essayer de comprendre votre tableau. (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner, pour défendre l’amendement n° 89.

M. Daniel Reiner. Cet amendement est dû à l’initiative M. Cazeau, qui s’est exprimé sur le sujet dans la discussion générale. Dans la mesure où le département dont il est un élu, la Dordogne, abrite quelques établissements de la SNPE, ce sujet lui tient évidemment à cœur.

Cet article permettrait le transfert au secteur privé de la SNPE, de ses actifs et de sa filiale SNPE Matériaux énergétiques, ou SME. Lesdits matériaux énergétiques sont nécessaires – on ne l’a pas encore dit – à la fabrication des propergols, utilisés comme carburant aussi bien pour les moteurs à propulsion solide des missiles balistiques de la force stratégique – il s’agit du programme M51, essentiel dans la dissuasion nucléaire – que pour ceux des lanceurs spatiaux civils du programme Ariane.

Les actifs de la SNPE et de SME nécessaires à la recherche dans le domaine des poudres, explosifs et propergols à usage civil ou militaire sont également inclus dans ce périmètre.

Le caractère stratégique de la production de la SNPE n'est donc pas à démontrer : il est évident. La nécessité de sa privatisation est, en revanche, loin d'être évidente.

Quels sont les plans du Gouvernement ? Je vous ai bien entendu, monsieur le ministre, dire ce que vous vouliez faire, en réponse à une intervention d’un sénateur siégeant de l’autre côté de l’hémicycle ; je constate que l’on est traité différemment selon que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre de celui-ci, car M. Cazeau, qui avait posé hier les mêmes questions, n’avait pas obtenu ces réponses.

M. Didier Boulaud. Absolument !

M. Daniel Reiner. Quels sont les rapprochements industriels envisagés ? Vous en évoquez quelques-uns, par exemple avec le motoriste Safran, mais ces carburants sont également utilisés par d’autres motoristes ; pourquoi donc retenir celui-là plutôt qu’un autre ? Nous voudrions donc connaître les contours précis de ces rapprochements, ainsi que les projets à moyen et long terme.

Une privatisation, nous le savons bien, est, par définition, irréversible. Cela requiert donc des informations très précises sur le projet industriel et sur l'avenir des salariés. Nous ne refuserions pas d’examiner la possibilité d’une privatisation si nous disposions de ces précisions, mais nous ne les avons pas obtenues jusqu’à présent. N’étant toujours pas assurés de les obtenir un jour, nous proposons simplement de supprimer l’article et de conserver à SNPE son caractère public.

M. le président. La parole est à M. Michel Billout, pour défendre l’amendement n° 122.

M. Michel Billout. L’État est encore actionnaire à 99,9% de la Société nationale des poudres et explosifs, ce qui semble aujourd'hui insupportable… Cet article 11 vise donc à transférer au secteur privé – cela s’appelle bien une privatisation – la SNPE, ses actifs et sa filiale SME.

La SME n’est pourtant pas une entreprise banale. Comme l’ont souligné avant moi Bernard Cazeau, Jean-Pierre Chevènement et Daniel Reiner, elle produit les matériaux énergétiques nécessaires à la fabrication des propergols utilisés comme carburant pour les moteurs à propulsion solide des missiles M51 qui équipent notre force stratégique nucléaire. Elle produit aussi les carburants de nos lanceurs civils spatiaux. Les actifs de la SNPE et de SME nécessaires à la recherche civile et militaire dans ces différents domaines sont également concernés.

C’est dire l’importance hautement stratégique de ces entreprises, d’un point de vue militaire, mais aussi industriel.

Il faut bien mesurer concrètement les conséquences de la privatisation.

La fabrication du propergol serait assurée par le groupe aéronautique Safran. Ainsi, sous couvert de créer un pôle français de carburants utilisés par nos forces de dissuasion nucléaire et nos lanceurs spatiaux, on s’apprête en fait à céder ce secteur à un groupe dans lequel les intérêts privés américains, la société Général Electric pour ne pas la nommer, sont loin d’être négligeables.

Nous refusons d’envisager une situation dans laquelle des intérêts privés étrangers pourraient, d’une manière ou d’une autre, peser sur des secteurs aussi décisifs pour la sécurité nationale. La notion d’indépendance nationale conserve encore, pour nous, un sens profond.

Nous estimons donc que la préservation de nos intérêts nationaux impose, à elle seule, de conserver la maîtrise de la puissance publique sur ces entreprises, cette maîtrise s’exerçant notamment au moyen d’une présence largement majoritaire de capitaux publics. C’est la principale raison pour laquelle nous souhaitons la suppression de cet article.

En outre, le projet industriel du Gouvernement pour ces entreprises manque cruellement de clarté. Il suscite, par conséquent, une vive inquiétude chez leurs salariés.

M. le président. L'amendement n° 133, présenté par M. Milon, n’est pas soutenu.

M. Didier Boulaud. Je le reprends !

M. le président. Aux termes du règlement, ce n’est pas possible. L’unique signataire de cet amendement n’étant pas présent, celui-ci tombe automatiquement.

M. Didier Boulaud. Comment l’ont-ils fait taire ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Josselin de Rohan, rapporteur. La commission a approuvé le principe de la privatisation de la SNPE, dont il appartiendra au Gouvernement de fixer le calendrier et les modalités, notamment en termes de projet industriel.

Il n’y a pas de raison de conserver dans le giron de l’État des activités de chimie civile ou des entreprises de vernis pour peinture.

En revanche, les branches « propulsion » et « poudres et explosifs » présentent un intérêt stratégique et doivent être durablement préservées.

Je ne crois pas qu’il y ait lieu de redouter les conséquences, pour la dissuasion, de l’adossement de l’activité « propulsion » à un grand groupe privé français de défense. Tous les groupes privés de défense contribuent déjà à la dissuasion sans que celle-ci ait eu à en souffrir.

Cette religion du secteur public concernant les industries de défense est tout de même assez contestable ! Regardez les États-Unis : le secteur privé représente la quasi-totalité de l’industrie militaire de ce qui est la principale puissance industrielle militaire ! De même, depuis plus de cinquante ans, toutes les entreprises de défense de la sociale-démocrate Suède sont privées ! Je ne crois donc pas qu’il y ait lieu de craindre quoi que ce soit de cette privatisation.

Je rappelle en outre que l’État dispose d’une large gamme de moyens de contrôle, allant de sa présence au capital, avec une action spécifique, aux moyens qu’il tient de sa situation de client et de financeur de la recherche.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur les amendements nos 11 rectifié, 89 et 122.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Hervé Morin, ministre. J’ai motivé l’avis défavorable, du Gouvernement sur ces amendements en répondant tout à l’heure à M. Pintat.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 11 rectifié, 89 et 122.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 11.

(L'article 11 est adopté.)

Article 11
Dossier législatif : projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense
Article 12

Article additionnel après l'article 11

M. le président. L'amendement n° 90, présenté par MM. Godefroy, Boulaud, Reiner, Carrère, Vantomme, Badinter, Berthou, Besson, Boutant et Guérini, Mmes Cerisier-ben Guiga, Voynet, Durrieu, Tasca et Klès, MM. Madrelle, Mauroy, Mazuir, Mermaz, Piras, Auban, Cazeau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 11, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement présentera tous les deux ans au Parlement, un rapport sur les orientations de la politique industrielle dans le domaine de la défense et sur la situation de l'emploi dans ce secteur. Ce rapport fera l'objet d'un débat au Parlement.

La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. En préambule à la défense de cet amendement, je voudrais faire observer à M. le ministre que, si DCN a un plan de charge sur quatre ans, il l’a obtenu sans filiales minoritaires. Cela prouve que l’on doit bien pouvoir fonctionner autrement.

S’agissant de cet amendement, nous nous interrogeons : comment préserver nos bases industrielles et technologiques de défense ? Le projet de loi n’apporte pas de réponse, bien au contraire puisqu’il s’attaque à DCNS et SNPE.

Nous nous interrogeons sur la politique industrielle et de recherche et aussi la politique sociale du secteur de la défense. Votre politique, monsieur le ministre, consiste à agir au coup par coup, avec un dessein très clair, mais sans programmation.

Aussi proposons-nous, par cet amendement, afin d’éclairer le Parlement, que le Gouvernement présente un rapport sur les orientations de la politique industrielle dans le domaine de la défense, rapport qui donnerait lieu à un débat.

Bien entendu, ce travail d’information et de contrôle devrait aussi aborder la délicate situation de l’emploi dans ce secteur industriel, l’emploi étant un élément clé pour la préservation d’une base industrielle et technologique performante.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Josselin de Rohan, rapporteur. Cet amendement est satisfait par les dispositions prévues aux paragraphes 499 et 500 du rapport annexé et aux termes desquelles le rapport annuel sur la loi de programmation présentera les grandes orientations de la politique industrielle de défense.

Je vous invite donc, monsieur Godefroy, à retirer votre amendement, auquel, sinon, je donnerai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Hervé Morin, ministre. Monsieur Godefroy, en tant qu’ancien et peut-être futur parlementaire, je ne comprends pas l’idée consistant à demander au Gouvernement de présenter des rapports sur sa politique.

M. Didier Boulaud. C’est son rôle !

M. Hervé Morin, ministre. Dans une démocratie qui fonctionne, le Gouvernement doit être contrôlé par le Parlement et c’est à ce dernier d’établir des rapports afin de contrôler la mise en œuvre de la politique du Gouvernement. Ce n’est certainement pas au Gouvernement de produire des rapports pour expliquer sa propre politique, que, bien entendu, il jugera totalement satisfaisante.

Je n’arrive pas à comprendre comment des parlementaires peuvent, en permanence, réclamer que le Gouvernement fasse le panégyrique de sa propre politique à travers des rapports. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Monsieur Godefroy, l'amendement n° 90 est-il maintenu ?

M. Jean-Pierre Godefroy. Oui, monsieur le président.

Je tiens à dire à M. le ministre que nous ne pouvons pas faire autrement que de demander des rapports au Gouvernement.

M. Hervé Morin, ministre. Faites vous-mêmes les rapports !

M. Jean-Pierre Godefroy. Le rapport, prévu par la loi, sur le plan de charge et l’avenir de DCNS ne nous a jamais été présenté !

M. Hervé Morin, ministre. C’est vous qui avez inscrit cette disposition dans la loi !

M. Jean-Pierre Godefroy. En ne tenant pas les engagements qui sont inscrits dans la loi, vous nous incitez à vous demander des rapports, monsieur le ministre.

M. Hervé Morin, ministre. Cela prouve bien l’inutilité d’une telle disposition !

M. Jean-Pierre Godefroy. C’est le rôle de contrôle du Parlement !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 90.

(L'amendement n'est pas adopté.)

CHAPITRE VI - DISPOSITIONS RELATIVES AU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE

Article additionnel après l'article 11
Dossier législatif : projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense
Article 13

Article 12

I. - Après l'article 56-3 du code de procédure pénale, il est inséré un article 56-4 ainsi rédigé :

« Art. 56-4. - I. - Lorsqu'une perquisition est envisagée dans un lieu précisément identifié, abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale, la perquisition ne peut être réalisée que par un magistrat en présence du président de la Commission consultative du secret de la défense nationale. Ce dernier peut être représenté par un membre de la commission ou par des délégués, dûment habilités au secret de la défense nationale, qu'il désigne selon des modalités déterminées par décret en Conseil d'État. Le président ou son représentant peut être assisté de toute personne habilitée à cet effet.

« La liste des lieux visés à l'alinéa précédent est établie de façon précise et limitative par arrêté du Premier ministre. Cette liste, régulièrement actualisée, est communiquée à la Commission consultative du secret de la défense nationale ainsi qu'au ministre de la justice, qui la rendent accessible aux magistrats de façon sécurisée. Le magistrat vérifie si le lieu dans lequel il souhaite effectuer une perquisition figure sur cette liste.

« Les conditions de délimitation des lieux abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale sont déterminées par décret en Conseil d'État.

« Le fait de dissimuler dans les lieux visés à l'alinéa précédent des procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers non classifiés, en tentant de les faire bénéficier de la protection attachée au secret de la défense nationale, expose son auteur aux sanctions prévues à l'article 434-4 du code pénal.

« La perquisition ne peut être effectuée qu'en vertu d'une décision écrite du magistrat qui indique au président de la Commission consultative du secret de la défense nationale les informations utiles à l'accomplissement de sa mission. Le président de la commission ou son représentant se transporte sur les lieux sans délai. Au commencement de la perquisition, le magistrat porte à la connaissance du président de la commission ou de son représentant, ainsi qu'à celle du chef d'établissement ou de son délégué, ou du responsable du lieu, la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition, son objet et les lieux visés par cette perquisition.

« Seul le président de la Commission consultative du secret de la défense nationale, son représentant et, s'il y a lieu, les personnes qui l'assistent peuvent prendre connaissance d'éléments classifiés découverts sur les lieux. Le magistrat ne peut saisir, parmi les éléments classifiés, que ceux relatifs aux infractions sur lesquelles portent les investigations. Si les nécessités de l'enquête justifient que les éléments classifiés soient saisis en original, des copies sont laissées à leur détenteur.

« Chaque élément classifié saisi est, après inventaire par le président de la commission consultative, placé sous scellé. Les scellés sont remis au président de la Commission consultative du secret de la défense nationale qui en devient gardien. Les opérations relatives aux éléments classifiés saisis ainsi que l'inventaire de ces éléments font l'objet d'un procès-verbal qui n'est pas joint au dossier de la procédure et qui est conservé par le président de la commission consultative.

« La déclassification et la communication des éléments mentionnés dans l'inventaire relèvent de la procédure prévue par les articles L. 2312-4 et suivants du code de la défense. 

« II. - Lorsqu'à l'occasion d'une perquisition, un lieu se révèle abriter des éléments couverts par le secret de la défense nationale, le magistrat présent sur le lieu ou immédiatement avisé par l'officier de police judiciaire en informe le président de la Commission consultative du secret de la défense nationale. Les éléments classifiés sont placés sous scellés, sans en prendre connaissance, par le magistrat ou l'officier de police judiciaire qui les a découverts, puis sont remis ou transmis, par tout moyen en conformité avec la réglementation applicable aux secrets de la défense nationale, au président de la commission afin qu'il en assure la garde. Les opérations relatives aux éléments classifiés font l'objet d'un procès-verbal qui n'est pas joint au dossier de la procédure. La déclassification et la communication des éléments ainsi placés sous scellés relèvent de la procédure prévue par les articles L. 2312-4 et suivants du code de la défense.

« III. - Lorsqu'une perquisition est envisagée dans un lieu classifié au titre du secret de la défense nationale dans les conditions définies à l'article 413-9-1 du code pénal, elle ne peut être réalisée que par un magistrat en présence du président de la Commission consultative du secret de la défense nationale. Ce dernier peut être représenté par un membre de la commission et être assisté de toute personne habilitée à cet effet.

« Le magistrat vérifie auprès de la Commission consultative du secret de la défense nationale si le lieu dans lequel il souhaite effectuer une perquisition fait l'objet d'une mesure de classification.

« La perquisition ne peut être effectuée qu'en vertu d'une décision écrite et motivée qui indique la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci, ainsi que le lieu visé par la perquisition. Le magistrat transmet cette décision au président de la Commission consultative du secret de la défense nationale. Il la porte, au commencement de la perquisition, à la connaissance du chef d'établissement ou de son délégué, ou du responsable du lieu.

« La perquisition doit être précédée d'une décision de déclassification temporaire du lieu aux fins de perquisition et ne peut être entreprise que dans les limites de la déclassification ainsi décidée. À cette fin, le président de la Commission consultative du secret de la défense nationale, saisi par la décision du magistrat mentionnée à l'alinéa précédent, fait connaître sans délai son avis à l'autorité administrative compétente sur la déclassification temporaire, totale ou partielle, du lieu aux fins de perquisition. L'autorité administrative fait connaître sa décision sans délai. La déclassification prononcée par l'autorité administrative ne vaut que pour le temps des opérations. En cas de déclassification partielle, la perquisition ne peut être réalisée que dans la partie des lieux qui fait l'objet de la décision de déclassification de l'autorité administrative.

« La perquisition se poursuit dans les conditions prévues aux sixième alinéa et suivants du I.

« IV. - Les dispositions du présent article sont édictées à peine de nullité. »

bis (nouveau). - Au premier alinéa de l'article 57 du même code, le mot : « précédent » est remplacé par la référence : « 56 ».

II. - Au quatrième alinéa de l'article 96 du même code, les références : «, 56-1, 56-2 et 56-3 » sont remplacées par le mot et les références : « et 56-1 à 56-4 ».

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, sur l’article.

Mme Virginie Klès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici à l’article 12, qui a fait et fera encore couler tant d’encre.

D’autres avant moi se sont insurgés et d’autres après moi s’insurgeront encore contre les dangers engendrés par les modifications, adoptées sans même avoir été débattues, du « secret défense ». Ces dispositions, de surcroît, ne sont absolument pas à leur place dans un texte de programmation militaire.

Je ne reviendrai pas sur les échanges musclés qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale ni sur l’avis unanimement défavorable de sa commission des lois, preuve, s’il en était besoin, de l’absence de consensus sur le dispositif proposé.

Le projet de loi prévoit donc d’étendre la protection du secret défense à des lieux, qui deviendront ainsi inaccessibles à la justice.

Il institue un cadre très contraignant relatif au pouvoir d’enquête des juges d’instruction s’agissant de la perquisition.

C’est pourtant un contexte judiciaire particulier, chacun le sait, qui a en réalité déterminé l’élaboration de ces nouvelles normes : la perquisition effectuée à l’Élysée dans l’affaire Borrel, l’instruction de l’affaire des frégates de Taïwan et la perquisition effectuée dans l’affaire Clearstream au siège de la DGSE.

Monsieur le ministre, lors de votre audition devant la commission des affaires étrangères, le 1er juillet dernier, vous avez confirmé que cette initiative législative découlait de l’avis émis par la plus haute juridiction française, le Conseil d’État. Interprétation pour le moins sujette à caution…

Il n’était pas question pour le Conseil d’État d’admettre la classification de lieux mais de « permettre le recueil d’éléments utiles à la manifestation de la vérité sans enfreindre les dispositions du code pénal qui interdisent à toute personne non habilitée, y compris aux magistrats, de prendre connaissance d’éléments classifiés ». Il a, à cette fin, suggéré d’étendre les compétences de la commission consultative du secret de la défense nationale, la CCSDN, et non les compétences exclusives de son président. Un président en cacherait-il un autre ?

Le résultat ne peut être considéré comme satisfaisant, et nous ne sommes pas les seuls à l’affirmer : le rapport de la section française de l’association Transparency International note que la loi de programmation militaire, au lieu de restreindre le champ du secret défense ou, plus utile encore, de mieux le définir, prévoit au contraire de l’étendre, de façon très imprécise qui plus est, à des lieux devenant inaccessibles ou difficilement accessibles aux autorités judiciaires dans le cadre d’enquêtes pénales.

De surcroît, le respect de la convention de l’OCDE contre la corruption, ratifiée en 2001, impliquerait de limiter la classification du secret défense, qui ne doit pas être utilisé pour protéger une infraction de corruption.

L’équilibre entre l’impératif de sécurité de la nation - que nous ne contestons en rien - et la nécessité d’un contrôle démocratique des actes de l’exécutif, monsieur le ministre, n’est à l’évidence pas garanti par votre choix, qui est fait au bénéfice exclusif de l’exécutif.

Des questions importantes n’ont toujours pas de réponse.

La classification des lieux répondrait à des critères extrêmement restrictifs. Lesquels ?

La liste de ces sites ne comprendrait pas, aujourd’hui, plus de dix-neuf sites à caractère technique ou opérationnel. Comment ces sites seraient-ils strictement délimités ? Qui fera évoluer cette liste, le cas échéant ?

Quels seront les tenants et aboutissants précis de l’arrêté du Premier ministre, dont il est question dans votre texte ? Est-ce réellement dans ses attributions constitutionnelles ? L’avis de la CCSDN, et non de son seul président, lie-t-il le Premier ministre ?

Le cadre juridique qui est proposé à l’article 12 ne sécurise pas suffisamment ces opérations de perquisition. De l’avis même du rapporteur de ce texte, ce n’est qu’« un équilibre globalement satisfaisant » qui a été trouvé à l’Assemblée nationale.

Monsieur le ministre, face à l’enjeu démocratique que constitue le déroulement sans entrave de la justice, alors que l’application de la loi ne pourra plus se faire par les magistrats, on ne saurait se contenter d’un dispositif « globalement satisfaisant ». Le pire se cache toujours dans les détails.

Et ce n’est pas l’instauration de l’incrimination pénale de toute personne qui utiliserait les lieux classifiés en vue de rendre plus difficile la communication à un magistrat de documents n’ayant aucun rapport avec le secret de la défense nationale qui est de nature à nous rassurer. S’il y avait un moyen d’empêcher la délinquance quelle qu’elle soit, il serait aujourd’hui connu !

Les mécanismes d’information et de rendez-vous préalables rendent la discrétion nécessaire à l’efficacité comme à la sécurité de ces perquisitions du domaine du virtuel.

Ce texte crée donc des zones de non-droit parfaitement contraires aux exigences du secret de l’instruction, dans des affaires où, par définition, les faits sont particulièrement sensibles et le risque de fuites très élevé.

Mais, affirmez-vous, tout irait finalement pour le mieux dans le meilleur des mondes, car la « décision de classification du Premier ministre sera rendue publique ». Certes, mais c’est oublier que la liste de ces lieux serait très générale et doublée d’une annexe non publiée, elle-même classifiée.

Ne vouloir apporter aucune correction à un texte aux conséquences si graves au seul motif que « des modifications ponctuelles auraient pour effet de remettre en navette un projet de loi dont l’examen a pris beaucoup de retard depuis son dépôt en octobre 2008 » n’est pas digne des législateurs que nous sommes ! À qui la faute si le texte a pris du retard ? Et qui tente d’empêcher la lutte contre la corruption ? Certainement pas nous !

M. Josselin de Rohan, rapporteur. Lamentable !

Mme Virginie Klès. Pour toutes ces raisons et parce que nous refusons une disposition où se manifestent l’insincérité, voire le mensonge, je m’opposerai, avec le groupe socialiste, à cet article 12 en particulier et à l’ensemble du texte en général. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)