M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.

M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention concernera essentiellement les objectifs de privatisation inscrits à l’article 11, consacré à l’industrie des poudres et explosifs, avec, pour corollaire, la chimie.

Afin de ne pas faire doublon, je ne reprendrai pas les arguments plus généraux avancés par mes collègues socialistes ; vous comprendrez, monsieur le ministre, que je les fais miens. En effet, dans notre pays, depuis plusieurs siècles, la politique militaire est aussi une politique industrielle et d’aménagement du territoire.

L’État s’est donné des leviers d’action par la création de grands groupes industriels spécialisés, détenteurs de technologies et de savoirs spécifiques, en lien avec notre politique d’armement et les intérêts économiques de la nation. Par ce biais, il a pu assurer notre indépendance stratégique grâce à des implantations éloignées des zones traditionnelles de combat et permettre le développement économique de bassins d’emplois défavorisés, tout spécialement dans l’ouest et le sud-ouest de la France.

La Société nationale des poudres et des explosifs fait partie de cet ensemble constitutif de notre socle industriel militaire et civil. Investie dans les matériaux énergétiques et la chimie, cette entreprise publique de 4 000 emplois comporte plusieurs filiales et plusieurs implantations sur notre territoire.

Aussi, la perspective de sa privatisation, prévue par l’article 11 du texte que vous nous soumettez, soulève inquiétude et incompréhension. Inquiétude, bien entendu, car nous savons ce qu’il adviendra des parties les moins rentables du groupe s’il est vendu. Une privatisation, aujourd’hui, c’est une cession demain et, souvent, une restructuration après-demain.

Monsieur le ministre, je ne vous rappellerai pas l’histoire de Molex, cédée à Safran en 2004, revendue à des investisseurs d’outre-Atlantique en 2006 et délocalisée en Slovaquie en 2009. Il n’aura fallu que trois ans pour supprimer 300 emplois à Villeneuve-sur-Tarn !

Ne doutons pas qu’il en sera de même avec des filiales de la SNPE, comme Bergerac NC, dont le niveau de résultat n’est pas satisfaisant pour le secteur privé et dont le métier et le marché se développent désormais davantage en Asie qu’en Europe.

Á Bergerac, la réforme de la carte militaire va supprimer 120 emplois avec la seule fermeture de l’Établissement spécialisé du commissariat de l’armée de Terre, communément appelé ESCAT. Faut-il en ajouter quelques centaines supplémentaires ? Ce texte ne nous rassure pas sur ce point. Il apaise encore moins les inquiétudes des 400 employés des filiales de la SNPE de Bergerac, à savoir Eurenco, Bergerac NC, Durlin et Manuco. Surtout, il n’apporte aucune garantie aux personnels quant à l’avenir de leur emploi.

Mais ces inquiétudes se doublent d’une incompréhension. En effet, les raisons avancées il y a quelques mois ne tiennent plus. Les motifs financiers autrefois invoqués laissent plus que sceptiques. Dans son rapport d’activité pour 2008, le groupe SNPE écrit en toutes lettres que l’encaissement de l’indemnité versée par la filiale de Total Grande Paroisse à la suite du sinistre d’AZF « a pour effet immédiat de réduire de façon significative l’endettement financier net du Groupe et de le ramener autour de 50 millions d’euros. Il aura également une incidence très favorable sur le résultat net de l’exercice 2009. »

Sachant que l’endettement du groupe est aujourd’hui de l’ordre de 250 millions d’euros, peut-on en déduire que l’indemnité transactionnelle serait de l’ordre de 150 millions d’euros ? Sur un chiffre d’affaires du groupe de 700 millions d’euros, ce n’est pas si mal !

Le groupe lui-même l’écrit dans son rapport annuel 2008 : « Le groupe SNPE anticipe […] une progression de son chiffre d’affaires en 2009 », de nature à compenser les incertitudes concernant ses autres activités.

En résumé : un accord transactionnel satisfaisant après AZF, des contrats à long terme pour 2009, une dette en passe d’être comblée, de l’argent pour investir dans de nouvelles activités, des accords salariaux signés dans tout le groupe. Bref, l’entreprise semble renaître ! Et pendant ce temps-là, le Gouvernement s’enferre aveuglément dans sa logique de privatisation. C’est pour le moins paradoxal !

Comment peut-on raisonnablement concevoir que l’État garde ses entreprises dans les transports, dans l’énergie, dans le courrier, dans les médias, dans les jeux à gratter, dans le commerce de gros, mais qu’il les abandonne dans l’armement, compétence régalienne par excellence, ou dans la chimie, industrie exportatrice s’il en est ? Dans quelle logique économique sommes-nous ?

On pourrait quand même concevoir que des entreprises qui travaillent pour le gaz de nos missiles, la propulsion de nos fusées ou la chimie de spécialité demeurent dans le domaine public. Á moins, monsieur le ministre, que le but de tout cela soit de trouver des recettes, puisque la loi de finances pour 2009 a prévu 5 milliards d’euros provenant de privatisations et de cessions d’actifs. C’est sûrement votre principale motivation. Elle ne nous satisfait pas, car elle traduit une précipitation comptable plus qu’une véritable réflexion industrielle

Nous nous opposerons donc à une privatisation précipitée et sans perspective et nous demanderons, sans grand espoir d’être entendus, la suppression de l’article 11 du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Ma réponse sera brève dans la mesure où j’avais anticipé dans mon propos liminaire les réponses aux observations des uns et des autres.

Je tiens tout d’abord à remercier le président Josselin de Rohan, MM. Turcy, Guéné, Dulait et Pintat, qui ont relevé la sincérité et la cohérence de la loi de programmation militaire.

Nous avons essayé de présenter une loi de programmation militaire réaliste et financièrement réalisable.

M. Bernard Piras. On verra cela dans quelque temps !

M. Hervé Morin, ministre. Bien entendu, des aléas existent ; plusieurs d’entre vous les ont évoqués. Mais l’absence d’aléas, c’est la mort : les aléas font partie de la vie ! (M. Bernard Piras s’exclame.)

Les aléas que la commission des finances a relevés et estimés à 7 milliards d’euros sont à relativiser par rapport au volume cumulé des crédits programmés, qui est de 186 milliards d’euros. Sur six ans, cela représente, en pourcentage, …

M. Bernard Piras. Vous l’avez répété à longueur de temps : 4 % !

M. Hervé Morin, ministre. Bravo, monsieur Piras ! Il ne me reste plus qu’à me rasseoir ! (Non ! sur les travées de lUMP.) Il est vrai que l’on ne vous a pas beaucoup entendu jusqu’à présent.

Au-delà des aléas, se pose, bien entendu, la question de l’indexation. Elle nous expose évidemment à quelques difficultés, notamment par rapport à la masse salariale, car les règles d’indexation risquent de provoquer des tensions dans l’exécution budgétaire. Mais je nous incite à voir les choses positivement : cette règle d’indexation jouera dans les deux sens, c’est-à-dire qu’elle nous protégera aussi dans l’hypothèse où l’inflation dépasserait son niveau actuel.

Dans le cadre d’une loi de programmation militaire glissante, avec un budget triennal, nous aurons à gérer cet aléa qui complique aujourd’hui l’exercice budgétaire, mais qui nous préservera le jour où l’inflation sera un peu plus élevée.

Pour ce qui est du financement de l’OTAN, nous avons à trouver les moyens d’assurer les surcoûts liés à la masse salariale supplémentaire. Il ne s’agit en aucun cas pour nous de procéder à de nouvelles réductions d’effectifs afin de financer ces postes complémentaires.

Sur l’A400M, en effet, un certain nombre d’incertitudes subsistent. Si nous abandonnons ce programme, il est fort probable – je parle sous le contrôle d’un expert qui a élaboré un rapport complet sur le sujet – que l’Europe doive renoncer pour des décennies à se doter d’une flotte militaire de transport tactique.

Les surcoûts éventuels, il faut en accepter l’idée et en discuter avec les industriels. Mais, d’ores et déjà, qui pourrait, dans cet hémicycle, prétendre qu’un seul programme militaire n’a jamais connu de surcoût ? Ce serait ignorer les sauts technologiques et industriels majeurs.

Ce programme a été, il est vrai, bâti sur une curiosité : c’est la première fois que l’on établissait un programme militaire à partir d’un contrat civil. Il n’empêche que, dans le combat que je mène avec nos partenaires européens pour préserver ce programme, j’ai en tête, au-delà des emplois et des bureaux d’études, le fait que son abandon signifierait pour les Européens le renoncement, pour les décennies à venir, à toute capacité de construction d’un avion de transport militaire. L’enjeu mérite d’accepter une part d’aléa.

Selon M. Reiner, nous n’aurions pas effectué des choix capacitaires. Mais si nous avons consenti une sérieuse réduction de nos moyens en artillerie et en blindés, n’est-ce pas la preuve de choix capacitaires ? Les restructurations et l’évolution de la carte militaire signifient que nous tirons définitivement les conséquences de l’absence de risques de conflit en Europe centrale. Nous avons opté pour une augmentation de nos moyens satellitaires et un renforcement de notre dissuasion par un système d’alerte avancée.

Monsieur Pintat, votre discours sur la défense antimissile, je le connais ; je l’ai entendu voilà près de vingt ans, quand je faisais partie du cabinet d’un ministre de la défense : des industriels incitaient déjà à se lancer dans la défense antimissile !

Il faut en avoir conscience : outre le fait qu’un tel choix nous engagerait sur le plan budgétaire, il emporterait quantité de problématiques. Sur quelle sorte de défense antimissile allons-nous jeter notre dévolu ? Sur une défense antimissile de théâtre ou sur une défense antimissile balistique ? Quel type de menace visons-nous ? Celle d’un État terroriste ou celle de pays fortement dotés sur le plan nucléaire ? Devons-nous agir seuls ? À l’évidence, c’est impossible ! Dans le cadre d’une alliance, qui détiendra la clé ? Qui disposera du pouvoir d’appréciation ? Qui aura la souveraineté sur les dispositifs ? Toutes ces questions méritent d’être posées ! Au regard du coût d’une telle opération, je vous entends d’ores et déjà nous rappeler la nécessité de financer tel ou tel programme dont nous aurions besoin au quotidien pour assurer nos capacités militaires.

S’il vient un jour à se poser, le choix de la défense antimissile devra être bien pesé, parce que, dans un budget forcément contraint, il nous imposerait des arbitrages cruciaux quant au financement des autres programmes. Pour ma part, je reste extrêmement réservé, car un tel choix ne peut se faire que dans le cadre d’une alliance. Je comprends cependant la volonté de développer le bloc 2 et l’évolution d’Aster.

Selon M. Reiner et Mme Demessine, il faudrait s’interroger sur le fait que le nombre de départs volontaires de militaires soit supérieur à la « déflation » prévue. Mais, dans le même temps, nous n’avons aucun problème de recrutement ! Nous assistons aujourd’hui à une forte remontée des vocations et l’attractivité du métier militaire reste entière. Donc, cessez de voir dans le fonctionnement de notre dispositif une interrogation majeure sur la vocation militaire !

M. Bernard Piras. Nous n’avons pas les mêmes informations !

M. Hervé Morin, ministre. Je ne doute pas un seul instant que les vôtres soient meilleures que les miennes !

Je ne reviens pas sur le concept de sécurité nationale, excellemment évoqué par M. Dulait.

Monsieur Chevènement, nous n’avons pas l’intention de faire pratiquer le métier de policier par des militaires ! Mais dans un monde global, la menace est globale et il faut une double approche, extérieure et intérieure.

Ce débat, nous l’avons déjà eu en commission : il est nécessaire de mutualiser l’ensemble des moyens pouvant concourir à la sécurité du pays ; je pense, par exemple, à la seule question des services de renseignement. L’intérêt de la création d’un Conseil national du renseignement autour du Président de la République ne devrait pas échapper à celui qui fut ministre de la défense, puis ministre de l’intérieur : elle permet de mutualiser l’ensemble des moyens, de faire en sorte que la DGSE et la DCRI travaillent ensemble et échangent leurs informations. Il s’agit de les obliger à œuvrer avec des priorités clairement définies sur le plan politique.

Cela montre, sur l’un des aspects de la sécurité nationale, à quel point la question du terrorisme présente des aspects à la fois extérieurs et intérieurs. Donc, il ne s’agit pas de confier aux militaires les missions qui relèvent de la police nationale.

Je ne reprendrai pas le débat sur l’OTAN ; le sujet a souvent été évoqué. Toutefois, nous sommes membres de l’Alliance atlantique depuis 1949 et, depuis cette date, nous sommes tenus par l’article 5 du traité. Nous participons à toutes les opérations militaires de l’Alliance depuis 1995. Nous avons réintégré, à bas bruit, plus de 150 militaires dans l’ensemble de ses structures et états-majors, sous des gouvernements de gauche comme de droite, sans que cela ait suscité le moindre débat. Nous avons commandé des opérations de l’Alliance et nous affectons en permanence des hommes sur le terrain. Pourquoi, dès lors, renoncerions-nous à participer à la planification, à la préparation et à l’organisation des missions ? Une telle position serait totalement incohérente ! Cela reviendrait à considérer que nos hommes peuvent prendre le risque de laisser leur vie dans des opérations menées sous l’égide de l’Alliance atlantique et, dans le même temps, à refuser de participer à la planification des opérations et à la transformation de l’OTAN.

Comme vous, je considère que l’Alliance atlantique n’a absolument pas vocation à être une ONU bis ou une ONU régionale ; elle n’a pas non plus à remplir une mission globale. Il s’agit d’abord et avant tout d’un système de sécurité collective, et qui doit le rester.

Mais pour influer sur la transformation de l’Alliance, encore faut-il que les Européens, donc les Français, qui ont, me semble-t-il, une parole singulière sur ce sujet, y participent.

Monsieur Vantomme, concernant le surcoût des OPEX, c’est l’hôpital qui se moque de la charité ! Je vous rappelle que, lorsque vous étiez dans la majorité, vous aviez voté, en loi de finances, la somme magistrale de 24 millions d’euros pour financer les OPEX. Or, en 2002, leur coût a atteint 678 millions d’euros. Il n’est pas certain que vous ayez tenu le même discours quand le ministre de la défense s’appelait Alain Richard ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Didier Boulaud. Et comment s’appelait le Président de la République, chef des armées ?

M. Hervé Morin, ministre. Nous sommes sous un régime parlementaire ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

M. le président. Laissez M. le ministre s’exprimer !

M. Hervé Morin, ministre. Nous avons prévu 510 millions d’euros pour 2009; 570 millions d’euros pour 2010 et 630 millions d’euros pour 2011. Nous aurons ainsi couvert, en loi de finances initiale, 70 % à 80 % des besoins, sans compter la réserve de précaution interministérielle, qui n’est pas prélevée sur je ne sais quel budget. Cette somme est gelée en début de budget par chaque ministère, puis mutualisée au niveau de l’État. C’est la même réserve de précaution que vous devez avoir, j’imagine, dans le budget de vos collectivités locales.

M. Didier Boulaud. On aimerait bien en avoir une !

M. Bernard Piras. Avec les transferts de l’État, il est difficile de constituer des réserves !

M. Hervé Morin, ministre. Si vous n’en avez pas, je ne vois pas comment vous pouvez gérer vos collectivités !

Monsieur Cazeau, la SNPE perd tout de même la bagatelle de 30 millions d’euros par an ! Certes, on peut continuer indéfiniment dans cette voie. Les excédents que vous avez évoqués résultaient de la cession d’actifs : ils ont effectivement permis d’améliorer les comptes, mais de manière très ponctuelle.

Vous connaissez le sujet aussi bien que moi, la SNPE contribue à la réalisation de la propulsion de nos missiles balistiques, ce qui représente une activité majeure. De nombreuses entreprises privées, dont EADS, participent à notre dissuasion sans que cela pose le moindre problème. Cet aspect ne permet donc pas de justifier le statut d’entreprise publique de la SNPE. Parce que nous souhaitons préserver ce secteur, nous sommes en train de réfléchir à une alliance avec une autre grande entreprise française.

La SNPE possède également un pôle « munitions », qui retient toute notre attention. Nous étudions ainsi la possibilité d’une construction ou d’une consolidation européenne, avant de nous tourner vers une démarche uniquement nationale.

Enfin, la SNPE intervient dans d’autres secteurs, hérités du passé : ils résultent d’achats effectués au moment où il était bon de se diversifier. Nous essayons de trouver des partenaires pour ces activités.

Nous ne faisons que réaliser ce qu’Alain Richard avait présenté en 2001 avec le projet Héraklès ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Il avait en effet défendu, dans cet hémicycle, l’idée selon laquelle la SNPE devait non pas passer par pertes et profits, mais au contraire avoir un avenir au sein du tissu industriel français.

M. Bernard Cazeau. Espérons-le !

M. Bernard Piras. S’il était là, il vous répondrait !

M. François Trucy, rapporteur pour avis de la commission des finances. Il a été le plus mauvais ministre de la défense qu’on n’ait jamais eu !

M. Hervé Morin, ministre. Sur le secret-défense, M. Badinter a énoncé tant de contrevérités qu’elles méritent d’être signalées.

Tout d’abord, il dénonce la création d’un certain nombre de « sanctuaires ». La liste de ces dix-neuf lieux, qui ont été recensés par l’État, sera publiée. M. Badinter, qui a un sens majeur de la démocratie, sait que l’exécutif est contrôlé par le Parlement (M. Bernard Piras ironise.) et par les médias. On imagine mal l’exécutif publier une liste de lieux classifiés secret-défense tellement longue qu’elle viderait de son sens le texte même. En outre, elle pourrait faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.

Il existe donc d’abord, et avant tout, un contrôle politique, propre à toute démocratie, de cette liste. Ainsi, si celle-ci venait à s’allonger inutilement, comme l’ont suggéré un certain nombre d’orateurs, le Parlement pourrait tout à fait interpeller le Gouvernement sur cette question.

Ensuite, M. Badinter estime qu’il y aurait un lien entre ces sites et la lutte contre la corruption. Jusqu’alors, je n’avais jamais imaginé que les pièces relatives à une éventuelle corruption pouvaient se situer au sein de l’île Longue ou du Centre de planification et de conduite des opérations militaires ! (M. Didier Boulaud s’exclame.) Établir un lien entre ces lieux extrêmement secrets, ou le site de Bruyères-le-Châtel, où s’effectue une partie de notre recherche sur la dissuasion, et la corruption me semble tout à fait abusif, pour ne pas dire plus.

M. Didier Boulaud. Tout le monde sait d’où vient le texte !

M. Hervé Morin, ministre. M. Badinter considère que ces lieux deviendraient inviolables. Or, à l’heure actuelle, en vertu du code pénal, ils ne sont pas accessibles aux magistrats, car le délit de compromission s’appliquerait. Mieux encore, si les militaires responsables de ces sites laissaient y entrer un magistrat, celui-ci tomberait sous le coup de l’article 413-11 du code pénal et pourrait être puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. De plus, aux termes de l’article 413-10 du code pénal, ces militaires seraient considérés comme complices d’un tel agissement.

Donc, considérer que la publication de cette seule liste remet en cause la capacité de la justice à rechercher la vérité et à juger les délits et les crimes qui pourraient être commis, c’est faire un contresens majeur. En effet, en l’état actuel du droit, aucune perquisition n’est possible dans ces lieux, sauf à saisir la Commission consultative du secret de la défense nationale.

Par conséquent, la procédure retenue permet, me semble-t-il, d’assurer un équilibre entre la préservation des intérêts majeurs de l’État et la recherche de la vérité, qui est la mission dévolue à nos magistrats. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Didier Boulaud. C’était laborieux !

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?....

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Voynet, Blandin et Boumediene-Thiery, MM. Desessard, Muller, Boulaud, Carrère, Vantomme, Badinter, Berthou, Besson, Boutant, Reiner et Guérini, Mmes Cerisier-ben Guiga, Durrieu, Tasca et Klès, MM. Madrelle, Mauroy, Mazuir, Mermaz, Piras, Auban, Cazeau, Godefroy et les membres du groupe Socialiste et apparentés, d'une motion n°107.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense (n° 514, 2008-2009).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Dominique Voynet, auteur de la motion.

Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à quoi bon cette séance ? Il nous est demandé d’examiner ce soir un texte important, qui marque, comme toute loi de programmation, nous a dit tout à l’heure le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, une étape majeure.

Chacun le sait, le Gouvernement veut aller vite : l’objectif est d’obtenir un vote conforme des deux assemblées dans les meilleurs délais, au motif d’un retard, certes considérable, pris dans l’examen de ce texte et de l’urgence qu’il y aurait à l’examiner, alors qu’il a été adopté par le conseil des ministres le 29 octobre 2008 et qu’il concerne, entre autres, les dépenses militaires de la période 2009-2014. Je dis « entre autres » parce que l’on aura bien noté que cette loi de programmation militaire comporte également des dispositions hétérogènes, sinon hétéroclites, concernant notamment le secret-défense et la restructuration de certaines entreprises liées à la défense.

Les députés de la majorité, qui, eux, ont été autorisés à déposer des amendements, et les sénateurs seront d’accord sur un point. Ces arguments, le retard et l’urgence, pourraient être recevables. Mais ils le seraient réellement si l’essentiel du retard pris n’était pas de la seule responsabilité du Gouvernement, qui, ces derniers mois, a choisi de surcharger l’agenda parlementaire de textes de circonstance, aussi souvent inutiles qu’invraisemblablement rédigés. Ils le seraient encore si l’urgence, que l’on invoque en toute occasion depuis le début de cette session parlementaire, n’avait été si souvent déclarée pour limiter le rôle du Parlement, d’autant plus concrètement méprisé que l’on prétend vouloir revaloriser son travail.

Les députés de la majorité ont été autorisés à déposer des amendements, disais-je, sur des points qui – il est permis de le penser – ne sont pas absolument essentiels, comme l’accélération des procédures permettant d’attribuer des décorations à des personnels engagés dans des opérations extérieures. Les sénateurs de la majorité sont au régime sec, à tel point qu’ils n’ont pu déposer aucun amendement en commission sur un texte de dix-sept articles et auquel un rapport de plus de cinquante pages est annexé.

Lors de l’examen en commission des amendements déposés par les seuls sénateurs de l’opposition, on a pu entendre des membres de la majorité dire, avec du regret dans la voix : « ah ! ça, c’est intéressant ; si on ne nous avait pas demandé de voter conforme, on l’aurait pris ! »

Le Sénat n’aura droit, sur ce projet de loi relatif à la programmation militaire pour les cinq prochaines années, qu’à une seule lecture. Mais, si je m’en réfère à nos travaux des derniers mois, il aura débattu à deux reprises des manèges forains et des chiens dangereux ! Deux sujets dont, sans chercher à moquer l’importance, on peut légitimement considérer qu’ils relèvent de questions moins cruciales pour l’avenir de notre pays qu’un projet de loi de programmation militaire censé traduire les ambitions d’un Livre blanc qui a tout de même fait l’objet de dizaines d’auditions et d’un travail important de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et prévoit un effort budgétaire important de la nation.

Ce Livre blanc a suscité des analyses critiques, souvent pertinentes, qui méritaient une réponse sérieuse. Je crois savoir qu’on a déployé beaucoup plus d’énergie à conduire une enquête minutieuse destinée à identifier les membres du groupe Surcouf qu’à apporter des réponses concrètes.

Le Gouvernement maltraite le Parlement, c’est un fait entendu. Faut-il pour autant amplifier ce phénomène, en faisant en sorte que ce dernier renonce à ses droits ? Personne n’oblige les sénateurs à renoncer à leur droit d’amendement !

Certains sur ces travées vont peut-être s’en offusquer, mais le Sénat, qui a su à d’autres moments résister à la volonté du Gouvernement pour améliorer un texte – par exemple le projet de loi portant réforme de l’hôpital – ou pour refuser de remettre en cause un dispositif utile – comme celui qui protège le pourcentage de logements sociaux dans la loi de mobilisation pour le logement, présentée récemment par l’ex-ministre Christine Boutin –, ne devrait pas renoncer à une expression autonome, au motif que le président du groupe aujourd’hui majoritaire est devenu récemment ministre chargé des relations avec le Parlement, ou que le président d’un autre groupe, qui a su faire preuve par le passé d’une remarquable autonomie dans des moments importants de la vie de notre institution, a lui aussi hérité d’un portefeuille.

M. Hubert Falco, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants. Cela n’a rien à voir avec le projet de loi !

Mme Dominique Voynet. Il me revient maintenant de vous convaincre de l’irrecevabilité de ce projet de loi au sens de l’article 44, alinéa 2, du règlement du Sénat.

Outre les dispositions relatives à l’extension du secret-défense, sur lesquelles je reviendrai tout à l’heure, deux motifs au moins m’incitent à demander au Gouvernement de revoir sa copie.

Premièrement, ce projet de loi relatif à la programmation militaire est soumis à notre examen alors même que le Livre blanc, qui est censé l’inspirer, n’a pas été adopté par le Parlement.

Résumons-nous : nous sommes en juillet 2009 et le Sénat examine un texte qui, théoriquement, est en vigueur depuis le 1er janvier dernier. Ce projet de loi met en œuvre les orientations d’un Livre blanc qui n’a pas été soumis à l’approbation du Parlement. Et, pour clore le chapitre, il est instamment demandé au Sénat, afin d’éviter les pénibles atermoiements d’une deuxième lecture, de bien vouloir se conformer au texte qui a été voté par l’Assemblée nationale.

Pourtant, le Livre blanc devait proposer une stratégie globale de défense et de sécurité nationale pour les quinze prochaines années, selon la lettre de mission adressée par le Président de la République à Jean-Claude Mallet, qui a présidé, de janvier 2007 à juin 2008, les travaux d’une commission réunissant experts, civils et militaires, personnalités qualifiées et parlementaires.

Le précédent Livre blanc datait de 1994. Entre-temps, le monde a changé : il s’avérait nécessaire de redéfinir la stratégie de défense et de réorganiser les pouvoirs publics en conséquence, via une révision de l’ordonnance du 7 janvier 1959, rédigée dans un contexte historique et stratégique radicalement différent du nôtre.

On se souvient de la démission des parlementaires Patricia Adam, députée, et Didier Boulaud, sénateur, le 8 avril 2008, préoccupés à l’idée que les décisions importantes se prenaient à l’Élysée, sans égard pour le travail conduit par la commission.

Dès la parution du Livre blanc, présenté à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, nous avons demandé au Gouvernement de préciser ses intentions : un projet de loi pour traduire les orientations du Livre blanc ? Un débat, répondit le ministre à Didier Boulaud le 30 mai 2008 ! Un débat sans vote eut donc lieu le jeudi 26 juin 2008, à quelques jours du début d’une présidence française de l’Union dont il était dit qu’en matière de défense elle ferait date. Le débat fut agréable ; nous espérions qu’il fût utile… Au cours de ce débat, le ministre confirma qu’« au regard des avancées de l’Europe de la défense, la France se montre ouverte, sous certaines conditions, à l’idée de retrouver sa place dans le dispositif militaire de l’Alliance atlantique, sauf pour les questions nucléaires ».

On connaît la suite : la présidence française de l’Union, productive dans d’autres domaines, s’est terminée sans avancée notable s’agissant de la défense. Quelques mois plus tard, le Président de la République décidait le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, décision avalisée au sommet de Strasbourg-Kehl. Quiconque se soucie du fonctionnement des institutions ne l’aura pas oublié : nombre de députés de la majorité s’y étant montrés franchement hostiles, le Premier ministre a choisi d’engager la responsabilité de son gouvernement sur les questions de politique étrangère le 17 mars 2009. Dans la foulée, le Président de la République faisait connaître sa position par courrier aux dirigeants de l’OTAN, une bonne semaine avant qu’un os soit donné à ronger aux sénateurs… Devinez quoi : un autre débat sans vote !

Le Livre blanc, rédigé avant même que cette orientation ait été arrêtée, n’en tient pas compte, tout comme il ignore l’infléchissement de la position américaine et les ouvertures faites par le nouveau Président de ce grand pays en matière de nucléaire militaire : réduire le rôle des armes nucléaires et mettre un terme à la production de matières fissiles de qualité militaire pour préparer un monde sans armes nucléaires. Dans le monde entier, on a salué les paroles fortes de Barack Obama à Prague. En France, on a évacué la question d’un revers de main, en considérant qu’il ne s’était rien passé, qu’il n’y avait là rien de nouveau dont il eût fallu tenir compte.

Autre sujet de préoccupation : le texte consacre le renforcement des pouvoirs du Président de la République et de son « domaine réservé », et sa mainmise totale sur les questions de défense et de sécurité, au motif d’inscrire l’effort de défense dans le cadre plus large de la sécurité nationale. En présidant le Conseil de défense et de sécurité nationale, aux compétences élargies, le chef de l’État empiète sur les responsabilités hier dévolues au Gouvernement et à son chef, lesquelles sont réduites à une portion de plus en plus congrue. Comment admettre qu’au motif de prendre en compte les aspects non strictement militaires de la sécurité nationale on procède, au lieu de revaloriser le rôle du Premier ministre, chef d’orchestre et arbitre, à une sorte de redistribution des rôles au sein du Gouvernement, au profit du ministre de l’intérieur, et au détriment du ministre de la défense, comme l’indique le transfert de la gendarmerie, désormais placée sous l’autorité du premier ?

J’en viens au point le plus préoccupant peut-être du projet de loi, qui justifie à lui seul le vote de la motion que je vous soumets. Les articles 12 et suivants de celui-ci étendent ainsi les dispositions visant à protéger les intérêts fondamentaux de la nation au moyen du secret-défense. Il s’agit non plus seulement de couvrir du secret un certain nombre de documents, mais également d’étendre ce secret à des lieux, selon des modalités dont j’ai cru comprendre que quelques-uns mêmes des responsables de la majorité les jugeaient par trop discrétionnaires, et sur lesquelles ils n’ont pas manqué d’exprimer des réserves.

Ces réserves, nous les partageons. Elles doivent fonder le rejet de ce projet de loi. Robert Badinter a évoqué ces questions dans la discussion générale, et nous reprenons son argumentation à notre compte.