Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

MM. Philippe Nachbar, Jean-Paul Virapoullé.

1. Procès-verbal

2. Dépôt d'un rapport en application d'une loi

3. Débat sur l'organisation des collectivités territoriales

M. le président.

I. – Point de vue de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales

MM. Claude Belot, président de la mission temporaire ; Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire ; Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire ; Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire ; Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire.

II. – Point de vue des groupes politiques

MM. Jacques Mézard, Jean-François Voguet, Jean-Claude Peyronnet, Yves Détraigne, Mme Marie-France Beaufils, MM. Charles Guené, Jean Louis Masson, Gérard Collomb, Hervé Maurey, Christian Poncelet, Bruno Retailleau, Claude Bérit-Débat, Bruno Sido, Gérard Miquel, Mme Gisèle Gautier, MM. François Patriat, Bernard Saugey, Louis Pinton.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.

III. – Débat interactif et spontané

MM. François Marc, Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales.

MM. Jean-Pierre Fourcade, le ministre.

Mme Nathalie Goulet, M. le secrétaire d'État, Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire.

MM. Jean-Pierre Chevènement, le secrétaire d'État.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le secrétaire d'État, Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire.

MM. Jean-Paul Fournier, le secrétaire d'État, Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire.

MM. Pierre Mauroy, le secrétaire d'État.

MM. Philippe Dallier, le secrétaire d'État, Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire.

MM. Jacques Blanc, le secrétaire d'État, Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire.

MM. François Fortassin, le secrétaire d'État.

MM. Robert Navarro, le secrétaire d'État.

MM. Louis Nègre, le secrétaire d'État, Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire.

Mme Bernadette Bourzai, M. le secrétaire d'État.

MM. Pierre Bordier, Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire.

MM. René Vestri, le secrétaire d'État.

Mme Anne-Marie Escoffier, M. le secrétaire d'État.

MM. Didier Guillaume, le secrétaire d'État.

MM. Michel Boutant, le secrétaire d'État.

MM. Alain Vasselle, le secrétaire d'État, Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire.

MM. Jacques Berthou, Jean-Pierre Chevènement, le secrétaire d'État, Claude Belot, président de la mission temporaire.

Clôture du débat.

M. le président.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

4. Fin de mission de sénateurs

5. Inceste sur les mineurs. – Adoption d'une proposition de loi en procédure accélérée (Texte de la commission)

Mme la présidente.

Discussion générale : Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés ; M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois.

Mmes Muguette Dini, Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Gilbert Barbier, Jean-Pierre Michel, Mme Isabelle Debré, M. Alain Milon.

Clôture de la discussion générale.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.

Article 1er

Amendement no 1 de M. Jean-Pierre Michel. – MM. Jean-Pierre Michel, le rapporteur, Mme la ministre d’État. – Rejet.

Amendement no 8 rectifié bis de Mme Isabelle Debré. – Mme Isabelle Debré, M. le rapporteur, Mme la ministre d’État. – Retrait.

Amendement no 7 de M. François Zocchetto. – MM. François Zocchetto, le rapporteur, Mme la ministre d’État. – Adoption.

Amendement no 9 du Gouvernement. – Mme la ministre d’État, MM. le rapporteur, Jean-Pierre Michel, Alain Vasselle, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 2. – Adoption

Articles 2 bis et 3 (supprimés)

Articles additionnels après l'article 3

Amendement no 3 rectifié de M. Alain Milon. – MM. Alain Milon, le rapporteur, Mme la ministre d’État. – Retrait.

Amendement no 4 rectifié bis de M. Alain Milon. – M. Alain Milon. – Retrait.

Article 4

Mme Maryvonne Blondin, M. le rapporteur.

Amendement no 5 rectifié de M. Alain Milon. – Retrait.

Adoption de l’article.

Article 5. – Adoption

Article 6 (Déclaré irrecevable)

Articles 6 bis, 7 et 7 bis. – Adoption

Article 8 (supprimé)

Intitulé de la proposition de loi

Amendement no 6 de M. François Zocchetto. – MM. François Zocchetto, le rapporteur, Mme la ministre d’État. – Adoption de l’amendement rédigeant l’intitulé de la proposition de loi.

Adoption de l’ensemble de la proposition de loi.

6. Dépôt de documents parlementaires

7. Ordre du jour

8. Clôture de la session ordinaire

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Philippe Nachbar,

M. Jean-Paul Virapoullé.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt d'un rapport en application d'une loi

M. le président. J’informe le Sénat que M. Jean-Pierre Jouyet, président de l’Autorité des marchés financiers, m’a remis le sixième rapport annuel de cet organisme pour l’exercice 2008, établi en application de l’article L. 621-19 du code monétaire et financier.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.

3

Débat sur l'organisation des collectivités territoriales

M. le président. L’ordre du jour appelle un débat sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales.

Avant d’ouvrir ce débat, je voudrais saluer M. Brice Hortefeux, nouveau ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, ainsi que M. Alain Marleix, secrétaire d'État chargé de l'intérieur et des collectivités territoriales, avec lequel nous sommes déjà accoutumés à traiter de ces sujets.

Messieurs les ministres, nous serons amenés, je crois, à nous rencontrer souvent ! (Sourires.) Nous formons, pour les fonctions qui sont les vôtres, nos meilleurs vœux de réussite. (MM. les ministres remercient M. le président.)

Mes chers collègues, nous étions réunis le 18 mars dernier pour un débat d’initiative sénatoriale s’inscrivant dans le cadre nouveau de la semaine mensuelle dont l’ordre du jour est fixé par notre assemblée sur proposition de la conférence des présidents.

Nous avions choisi alors le thème de la réforme de l’organisation territoriale, parce que ce sujet concerne directement l’un des deux piliers de notre légitimité constitutionnelle, à savoir la représentation des collectivités territoriales.

Le rapport d’étape de notre mission temporaire sur la réorganisation territoriale avait servi de trame à nos débats et aux questions qui suivirent.

Aujourd’hui, nous sommes de nouveau réunis pour discuter du rapport de cette mission. Ensuite, viendra le temps du travail législatif. Parfaitement informés de cette question, nous aurons alors à connaître en première lecture d’un projet de loi touchant au cœur de notre légitimité.

Quelque 87 propositions sont soumises à notre réflexion par cette mission. C’est dire la richesse de ses travaux ! La qualité de nos débats du 18 mars y a sans doute sa part.

Avant que le débat ne commence, je voudrais exprimer ma gratitude aux trente-six membres de la mission, tout particulièrement à son président, Claude Belot, à ses deux corapporteurs, Yves Krattinger et Jacqueline Gourault, ainsi qu’aux vice-présidents, Pierre-Yves Collombat, Rémy Pointereau, Charles Guené, Anne-Marie Escoffier et Jean-François Voguet.

Pendant huit mois, ils ont étudié, auditionné, parcouru le territoire. Leurs travaux s’inscrivent pleinement dans l’esprit du Sénat, qui est un lieu de passage, de dialogue, de rencontre et d’échange nécessaire à la clarté du débat démocratique.

Qu’ils en soient remerciés, au nom du Sénat.

I. – Point de vue de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales

M. le président. Nous allons commencer notre débat par le point de vue de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales.

La parole est à M. le président de la mission temporaire.

M. Claude Belot, président de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans quelques heures, quand tout le monde se sera exprimé, je pourrai dire : « Mission accomplie » !

Pour nous, membres de la mission temporaire, ce fut un moment intéressant, et même passionnant. Au sein d’un groupe de grande qualité, j’ai vu vivre ce Sénat que j’aime, cette maison où, indépendamment de tout ce qui nous divise, de façon naturelle d'ailleurs, une réflexion commune, et même un acte d’intelligence collective, est possible.

Nous avions la légitimité nécessaire pour accomplir ce travail, je l’affirme avec plus de certitude aujourd'hui que lors de la première réunion de la mission. Une addition simple suffit à l’établir : tous ensemble, nous avons accumulé une expérience des collectivités territoriales qui ne se limite pas à quelques milliers d’heures de pilotage, mais qui se mesure en siècles !

Voilà bien longtemps que nous tenons, dans nos territoires respectifs, les manettes de collectivités territoriales quels que soient leur taille et leur niveau. C’est donc avec une grande sérénité que je vous livre ces réflexions.

Je voudrais remercier particulièrement tous ceux qui ont participé assidument à nos travaux pendant huit mois, malgré les nombreux événements qui n’ont pas manqué de survenir au cours de cette période, car la vie continuait tandis que nous allions sur le terrain et rencontrions de nombreux acteurs.

Je tiens à souligner au passage que le bonheur de M. le président du Sénat, au milieu des élus locaux, faisait plaisir à voir. L’attention et les égards que ceux-ci lui témoignaient montrent, me semble-t-il, combien le Sénat est légitime sur les terres de France !

Au cours des dernières décennies, bien sûr, d’importants changements ont eu lieu. Aux départements et aux communes, qui avaient remplacé les provinces et les paroisses, ont été ajoutées les régions et les intercommunalités, avec sans doute les meilleures intentions. Les lois de décentralisation ont été votées, qui étaient destinées à libérer les forces créatrices existant sur les territoires.

Toutes ces réformes ont été réussies : aujourd'hui, un débat qui conduirait à montrer du doigt les collectivités territoriales serait malvenu, car celles-ci représentent seulement 10 % de l’endettement de la France et, l’an dernier, elles assuraient quelque 73 % de l’investissement public, ce qui n’est pas négligeable.

Je suis très heureux que, en 2009, les collectivités territoriales aient consenti à être des acteurs majeurs de la relance, face aux difficultés que traverse la France. Elles ont répondu favorablement à l’appel du Gouvernement, la plupart d’entre elles acceptant de porter des initiatives et des projets. Je ne serai donc pas étonné qu’à l’issue de l’exercice 2009 l’investissement public soit réalisé par les collectivités territoriales à hauteur de 80 % ! (Applaudissements.)

Nous disposons donc d’un outil qui a prouvé sa réactivité et son efficacité et qu’il ne faudrait surtout pas casser, car il contribuera demain, comme il le fait déjà aujourd'hui, à la réussite collective de notre pays ! Il faut insister sur ce point, car il s'agit d’une réalité objective.

Certes, cela ne signifie pas que tout fonctionne parfaitement et qu’il n’existe pas de marges de progression, car il y en a, et d’importantes. Toutefois, ne nous passons pas de ces dizaines de milliers de bénévoles qui gèrent les collectivités territoriales françaises, car ils sont indispensables. Ne les montrons pas du doigt !

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Nous devons mettre de l’ordre dans l’intercommunalité qui, comme la langue d’Ésope, peut être la meilleure et la pire des choses. Certaines communautés accomplissent un travail remarquable et sont excellemment administrées, mais d’autres, nombreuses, n’atteignent pas la taille critique, coûtent cher et enregistrent des résultats qui ne sont pas du tout probants.

M. Yvon Collin. C’est vrai !

M. Claude Belot, président de la mission temporaire. À cet égard, monsieur le ministre, les positions adoptées par la mission ne sont pas molles, car nous avons eu le courage, ensemble, de pointer ce qui n’allait pas et qui devait être changé. Nous serons résolument à vos côtés sur ce dossier.

Par ailleurs, il existe un débat sur la coexistence de la région et du département...

Nous avons beaucoup travaillé sur cette question, dans un cadre contraignant, puisqu’il n’est pas question de modifier la Constitution, et nous avons estimé – à tort ou à raison, mais je persiste à penser que ce n’était pas à tort –, qu’il fallait clarifier les compétences de ces deux collectivités.

Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !

M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Que l’on précise qui fait quoi, puis le département ne pourra faire ce qui incombe à la région, et réciproquement !

Il s'agit là d’un point très important, mais qui ne signifie pas que nous puissions prévoir tout ce qui se passera demain et quelles initiatives devront prendre les collectivités territoriales pour assurer l’avenir.

D’autres solutions sont possibles. Toutefois, monsieur le président, le Sénat, qui, pour ces questions, joue un rôle essentiel dans le dispositif législatif français, doit pouvoir se rassembler et adopter une position consensuelle sur le texte qui lui sera soumis en première lecture et que les services des ministères concernés ont sans doute déjà commencé à élaborer.

Nous ne devons pas voter n’importe comment, …

M. Yvon Collin. Nous devons nous prononcer librement !

M. Claude Belot, président de la mission temporaire. … nous devons adopter un texte à une large majorité. En mon âme et conscience, et avec l’expérience de ce débat que j’ai acquise, je suis convaincu que c’est possible. Nous devrons accomplir un acte d’intelligence collective en élaborant ce texte, dans l’intérêt de notre maison et de notre pays.

Toutefois, les rapporteurs sauront mieux que moi vous présenter le fruit des réflexions de la mission temporaire, et je leur laisse donc à présent la parole. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la mission temporaire.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il est impossible de présenter en quelques minutes les 117 propositions de réformes de l’organisation des collectivités territoriales – précisément 27, auxquelles s’ajoutent 90 autres – adoptées par notre mission.

J’aborderai simplement quelques thèmes qui peuvent refléter nos travaux, et mettre en relief certaines d’entre eux.

La mission n’a pas dressé de réquisitoire contre les collectivités territoriales. Au contraire, elle souhaite plutôt leur adresser un satisfecit, sur le plan des finances, tout d’abord, puisqu’elles ont réalisé 73 % des investissements publics en 2008, et qu’elles représentent seulement 10 % de l’endettement public de notre pays.

En cette année 2009, elles ont massivement répondu favorablement aux sollicitations pressantes du Gouvernement de soutenir l’économie nationale en crise, injectant ainsi des sommes considérables : quatre-vingt-treize départements et vingt régions, un très grand nombre de communes ont signé une convention avec l’État en ce sens.

C’est révélateur de leur bon état d’esprit et de leur bonne santé.

Les collectivités ne méritent pas les critiques injustes qui leur sont adressées par certains responsables publics importants.

Mme Nathalie Goulet. Quels responsables ?

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire. La mission ne propose pas un retour en arrière en matière de décentralisation et d’intercommunalité.

Les textes fondateurs, adoptés depuis 1982, ont provoqué la révolution douce des vingt-cinq dernières années dans les territoires.

Au contraire, c’est le besoin de poursuivre et d’approfondir la décentralisation que nous voulons encourager.

Si la solidarité financière, républicaine, doit être la règle entre l’État et les collectivités locales, elle ne peut, ni ne doit, se traduire par une mise sous tutelle ou une recentralisation rampante, qui iraient à contresens de l’histoire et seraient contraires au principe de la démocratie selon lequel le pouvoir de décider doit être rapproché le plus possible du citoyen.

La mission a toutefois confirmé le besoin de conduire des réformes importantes au plan tant de la répartition des compétences entre les trois niveaux de collectivités, que de la gouvernance et, surtout, de la fiscalité locale.

Enfin, la mission s’est refusé à porter atteinte à notre socle républicain commun, inscrit dans la Constitution, et qui s’appuie sur les trois niveaux de collectivités reconnus : les communes et leurs groupements, les départements et les régions.

Je parlerai tout d’abord des communes et de l’intercommunalité : ce sont les vecteurs de l’action de proximité.

À ce titre, l’intercommunalité a permis d’apporter des réponses aux nombreuses attentes de nos concitoyens et de couvrir des champs de compétences autrefois en friche. Elle doit être rapidement achevée, rationnalisée, rendue plus pertinente, en ce qui concerne tant les communautés de communes que les communautés d’agglomération, les communautés urbaines ou les métropoles.

Les compétences attribuées à chacun de ces niveaux de coopération doivent être augmentées.

En ce qui concerne les métropoles, notre mission propose d’ouvrir la possibilité, pour ces territoires, sur la base de délibérations des membres à une majorité très qualifiée, de franchir le pas de la dotation globale de fonctionnement métropolitaine unique et celui de la fiscalité métropolitaine unique par le chemin d’une harmonisation progressive des taux, comme il a été pratiqué pour la taxe professionnelle unique.

En ce qui concerne la gouvernance de l’ensemble des étages de l’intercommunalité, la mission confirme sa proposition d’élire les délégués communautaires dans les communes de plus de cinq cents habitants par fléchage lors d’un scrutin à la proportionnelle de liste avec prime majoritaire, tout en maintenant la désignation par le conseil municipal dans les communes de zéro à 499 habitants.

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire. Par ailleurs, la mission propose de fixer par la loi le nombre maximum des membres des exécutifs communautaires en fonction de la population des groupements.

Contrairement au comité présidé par M. Balladur, la mission n’a pas retenu l’hypothèse de l’évaporation des communes dans l’intercommunalité.

En ce qui concerne les départements, la mission confirme qu’ils sont les garants de la solidarité sociale et territoriale.

De la même façon, la mission sénatoriale n’a pas retenu la proposition de supprimer à terme les départements.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire. Pour cela, la mission propose la liberté de déléguer certaines compétences aux métropoles et aux agglomérations.

Elle souhaite voir consolidées les recettes des départements par la fiscalité locale plutôt que par des dotations de l’État.

Il est évident que ceux qui proposent le démembrement des territoires départementaux autour des métropoles, des communautés urbaines et des agglomérations avec transfert à celles-ci des compétences sociales départementales, n’ont pas mesuré les inégalités financières considérables que cela générerait en ce qui concerne les ressources des nouvelles collectivités ainsi créées.

Notre mission a retenu l’élection de tous les conseillers généraux en même temps, tous les six ans, des élus de plein exercice désignés par les citoyens pour mettre en œuvre les compétences départementales dans des cantons redécoupés pour tenir compte des évolutions démographiques.

Mme Nathalie Goulet. C’est bien !

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire. La mission n’a pas retenu l’hypothèse des conseillers territoriaux, parce qu’elle ferait évidemment des conseils généraux de simples filiales du conseil régional.

En ce qui concerne la gouvernance territoriale infra-départementale, la mission propose la création officielle d’une conférence des exécutifs aux réunions trimestrielles, rassemblant le président du conseil général et les présidents des intercommunalités, avec, pour mission, le pilotage négocié des politiques territoriales infra-départementales : afin de ne pas être trop long, je ne citerai que le logement et l’habitat, l’accueil de la petite enfance, les équipements sportifs et socio-éducatifs structurants.

Cette conférence des exécutifs serait présidée par le président du conseil général, l’ordre du jour serait fixé par lui et complété à la demande des autres membres.

En ce qui concerne les régions, la mission confirme leur rôle d’élaborer et de mettre en œuvre les stratégies qui préparent l’avenir, la compétitivité des territoires et des entreprises, la formation des hommes.

Elles doivent recevoir plus de compétences qu’aujourd’hui. En particulier, il nous semble qu’elles sont mieux placées pour répartir les fonds européens.

Vous trouverez dans le rapport les détails des nouvelles responsabilités qui devraient leur être attribuées.

Leur rôle de chef de file dans nombre de compétences partagées doit être mieux reconnu.

En ce qui concerne Paris et l’Île-de-France, sans vouloir perturber les réflexions en cours, il semble indispensable à notre mission de faire émerger une gouvernance métropolitaine démocratique sur le périmètre de la mégapole parisienne, d’apporter un soutien au plan de développement des transports en Île-de-France, à condition qu’il soit élaboré conjointement par l’État et le conseil régional, de recourir à des agences pour la mise en œuvre des politiques partagées, par exemple le développement économique, l’habitat et le logement social, de renforcer par la voie législative les instruments et la mise en œuvre des solidarités entre les territoires qui composent la mégapole parisienne.

Après les communes, les départements et les régions, il faut parler aussi de l’État.

Il ne peut être épargné et la mission a souhaité réaffirmer des principes et proposer des transformations : le principe de libre administration des collectivités territoriales, le principe de libre coopération des collectivités territoriales entre elles, qu’elles soient de même niveau ou de niveaux différents, le principe de non-tutelle de l’État sur les collectivités territoriales, de non-tutelle d’une collectivité sur une autre, et le principe, d’ailleurs inscrit dans la Constitution par la majorité actuelle, d’autonomie fiscale et financière des collectivités.

La mission propose d’attribuer les parties du pouvoir réglementaire liées aux compétences transférées aux départements et aux régions, ce qui aurait pour conséquence, dans les compétences transférées, la suppression des interventions des services déconcentrés de l’État.

La mission note que la France est le seul pays d’Europe à avoir conservé ses services déconcentrés dans les domaines de compétences transférés aux collectivités locales, ce qui engendre pour l’État des coûts importants.

Au plan de la gouvernance infra-régionale, la mission constate les rôles essentiels joués par le conseil régional, les conseils généraux, les conseils des communautés urbaines et d’agglomération, ceux des grosses communautés de communes, mais aussi de l’intercommunalité en général, dans le développement du territoire régional.

La mission souligne l’indispensable besoin de coopération entre les partenaires cités précédemment.

Elle propose de créer, par la loi, un conseil régional des exécutifs regroupant les présidents des collectivités suivantes : région, départements, métropoles, communautés urbaines et d’agglomération, ainsi que ceux des communautés de communes de plus de cinquante mille habitants, auxquels se joindrait un représentant des intercommunalités, élu dans chaque département.

Ce conseil régional des exécutifs, présidé par le président de région, tiendrait des réunions obligatoires et trimestrielles.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire. Il aurait pour mission de retenir les grandes orientations stratégiques, devrait faciliter les arbitrages nécessaires à la conduite des politiques territoriales. L’ordre du jour, obligatoire, prendrait en compte les demandes particulières des différents membres.

Le conseil régional des exécutifs harmoniserait les positions des différents partenaires sur les schémas d’orientation. Il organiserait l’exercice des compétences partagées. Il préparerait la rédaction des conventions de délégation de compétences entre les membres. Il organiserait les « chefs de filat », les guichets uniques et l’instruction unique des dossiers de subventions. Il ferait régulièrement le bilan de l’avancement des contrats de projets conclus entre l’État et la région.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire. Sa composition, qui regroupe des partenaires importants autres que les seuls présidents de région et de département, est le meilleur outil pour un pilotage global de l’action publique territoriale à l’intérieur du territoire régional, pour les actions interrégionales et les relations avec l’État et l’Europe.

Je veux aborder aussi la question de la clause de compétence générale, qui nous semble un terme inapproprié, car nous constatons qu’aucune collectivité n’agit en tous domaines, mais répond toujours aux sollicitations des administrés et, très souvent – force est de le constater ! – de l’État.

Ainsi, à la demande de l’État, les collectivités territoriales interviennent dans les financements des lignes à grande vitesse et des routes nationales, dans les politiques du logement ; elles soutiennent de nombreuses actions en matière d’emploi, de téléphonie mobile, de haut débit et, bientôt, de télévision numérique terrestre, TNT. Ce ne sont là que quelques exemples parmi les plus représentatifs. Je pourrais en citer bien d’autres.

La mission propose d’attribuer aux collectivités une simple compétence d’initiative, indispensable, fondée sur l’intérêt territorial.

Pour « border » celle-ci, elle propose que soit prévue une procédure de « constat de carence » favorisant une approche négociée de l’intervention des collectivités dans le cadre de la subsidiarité.

Pour terminer, j’évoquerai les propositions de la mission relatives aux finances locales, qui touchent au fondement actuel du dispositif en place, devenu obsolète.

La mission se prononce pour une refondation des relations financières entre l’État et les collectivités territoriales, subordonnant toute nouvelle décision à une concertation préalable et codifiée avec les trois associations nationales de collectivités.

Après avoir réaffirmé la nécessité de préserver l’autonomie fiscale des collectivités territoriales et de leurs groupements, la mission demande qu’il soit procédé à la révision générale et à la modernisation des valeurs locatives.

Il est indispensable de mettre en place des procédures efficaces pour leur réévaluation régulière, ainsi que de permettre, peut-être, aux collectivités territoriales de prendre toute leur part dans les procédures de révision et d’actualisation des valeurs locatives, dans un cadre fixé au niveau national par le législateur.

La mission demande à l’État de cesser de créer de nouveaux dégrèvements et de nouvelles exonérations et de résorber progressivement ce que j’appellerai le « stock existant ».

Elle retient les principes suivants : l’attribution de deux types de ressources fiscales par niveau de collectivité territoriale, la limitation des cumuls d’impôts sur une même assiette et le maintien d’un impôt lié à l’activité économique pour préserver les relations entre les territoires et les entreprises.

Cet impôt économique local pourrait être scindé en deux parts : la première serait assise sur le foncier, sous réserve d’une actualisation et d’une modernisation des valeurs locatives prises en compte, et la seconde aurait pour base la valeur ajoutée des entreprises.

Il est très important que les collectivités attributaires puissent voter des taux, même s’ils peuvent être encadrés. En complément, la mission propose d’élargir la cotisation minimale de taxe professionnelle.

L’attribution aux collectivités de parts d’impôts nationaux est envisageable, mais ne doit pas avoir pour conséquence une nouvelle diminution de leur autonomie fiscale.

La mission s’est par ailleurs penchée sur la question de la péréquation. Elle a retenu deux solutions complémentaires : une péréquation nationale, responsabilité de l’État, et une péréquation horizontale obligatoire entre collectivités de même niveau.

Pour ce qui est des ressources à dégager afin de mettre en œuvre les dotations de péréquation, la mission propose de partir d’une réforme des dotations forfaitaires, qui doivent être corrigées désormais dans le sens d’une plus grande équité et en évitant les effets de seuil.

La mission propose aussi d’étendre par la loi à l’ensemble du territoire, sur une base régionale, les mécanismes du fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France.

Elle conseille de conserver, en l’adaptant aux nouvelles parts de l’impôt économique local, l’écrêtement existant sur les établissements exceptionnels au titre de la taxe professionnelle.

Elle préconise de réduire le nombre des bénéficiaires des différents mécanismes de péréquation pour rendre ceux-ci plus efficaces. Une dotation ou une ressource de péréquation devrait, par principe, ne jamais bénéficier à plus de la moitié des collectivités d’une même catégorie.

La mission préconise aussi de prendre pour base de comparaison des indices synthétiques en vue de répartir les sommes allouées à la péréquation.

Enfin, elle s’est interrogée sur les modalités de financement par les collectivités locales des grosses infrastructures de transport. Car vous nous demandez de cofinancer ces infrastructures et, de fait, les élus ont souvent envie d’être aux côtés de l’État pour ces réalisations. Nous proposons donc la création d’un livret d’épargne populaire de financement des infrastructures de transport ouvrant droit à des prêts bonifiés.

Ainsi, notre mission a travaillé huit mois, sérieusement et – je le confirme, monsieur le président de la mission – en toute liberté.

Je remercie donc le président de la mission, Claude Belot, Jacqueline Gourault, rapporteur, Pierre-Yves Collombat et Rémy Pointereau, vice-présidents, et tous ceux qui ont pris une part très active au travail de notre mission, dans une ambiance collégiale. Les débats ont été vifs, mais toujours respectueux.

La somme des propositions de notre mission constitue une révolution douce, mais, je vous l’assure, il s’agit au fond d’une vraie révolution, qui doit être mise en œuvre progressivement, en faisant le pari de la confiance à l’intelligence territoriale. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur de la mission temporaire.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme Yves Krattinger, j’ai eu beaucoup de plaisir à être corapporteur de cette mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, qui a été créée sur votre initiative, monsieur le président du Sénat.

De même, j’ai été très heureuse de participer à ses travaux, aux débats, aux déplacements, aux confrontations d’idées, qui ont toujours eu lieu dans un climat de confiance et de respect, tout au long de ces huit mois.

Je remercie le président Claude Belot d’avoir organisé nos travaux et de nous avoir écoutés. Je voudrais aussi dire à Yves Krattinger, ainsi qu’aux vice-présidents, tout le plaisir que j’ai eu à travailler à leurs côtés.

J’ai, comme beaucoup de mes collègues sénateurs, organisé des réunions sur la réforme des collectivités territoriales dans mon département de Loir-et-Cher. Les échanges, très fructueux, qui se sont organisés autour de trois thèmes, indissociables, que sont l’architecture et la gouvernance, les compétences ainsi que les finances locales m’ont définitivement convaincue que les élus sont prêts à parfaire la décentralisation, dont le principe est inscrit dans notre Constitution.

Chacun s’accorde à reconnaître la nécessité de la réforme afin d’éviter l’enchevêtrement des compétences, mais aussi pour améliorer l’efficacité de l’intervention publique et simplifier les procédures et dossiers administratifs, qui sont trop nombreux.

Chacun est également d’accord pour une réforme globale de la fiscalité locale. Les élus ne cachent pas leur vive inquiétude sur la pérennité, à long et moyen terme, des ressources financières des collectivités territoriales.

Chacun se pose aussi la question des missions de l’État. Quelle doit être sa présence sur les territoires ? Quelles doivent être ses relations avec les collectivités territoriales, aussi bien en ce qui concerne la gouvernance que les compétences et l’autonomie financière des collectivités ?

Chacun a pu constater, par ailleurs, la diversité des territoires.

Diversité en fonction de leur localisation : les territoires peuvent être ruraux, urbains, périurbains, situés en zone de montagne, frontaliers, ou encore en bordure de littoral, sans oublier les autres, ceux « de l’intérieur », comme disent les Alsaciens.

Diversité en fonction de leur densité de population : certains territoires sont très peuplés, d’autres gravement dépeuplés ou de densité moyenne.

Diversité en fonction des traditions d’organisation : tradition locale de coopération, comme en Bretagne, appartenance identitaire forte à l’échelle de départements ou de régions ou, au contraire, comme dans ma région, liens historiques si forts avec la capitale que c’est la tradition jacobine qui est très présente et prégnante dans les relations avec l’État.

La première conséquence de cette diversité est que si, comme nous le pensons, il faut effectivement une loi-cadre, il faut aussi conserver suffisamment de souplesse pour adapter à cette diversité territoriale les outils nécessaires à une bonne gouvernance.

La seconde conséquence est que nous avons besoin de lois électorales équilibrées représentant à la fois les territoires, les populations et les courants d’opinion, c'est-à-dire l’unité de la République, dans toute la diversité des éléments qui la composent.

Notre rapport présente quatre-vingt-dix propositions, qui ont été précédées de vingt-sept autres. Ces propositions me semblent faire l’objet d’un consensus. Elles constituent, et il est important que tout le monde entende ce message, le socle sur lequel nous nous sommes tous mis d’accord.

Évidemment, lors des débats parlementaires, chacun pourra défendre son point de vue personnel, enrichir le travail fondateur de la mission et se positionner par rapport aux projets de loi et projets de loi de finances.

Sur la question de la clarification des compétences, la mission souhaite renforcer les compétences obligatoires par niveau de collectivités territoriales, comme nous l’avons fait par exemple pour la compétence accordée aux régions en matière économique.

En même temps, elle souhaite reconnaître à chacun des niveaux de collectivités une « compétence d’initiative » fondée sur l’intérêt territorial, dans le respect de la répartition des compétences entre les différents échelons et, bien sûr, du principe de subsidiarité.

Elle souhaite également ouvrir la possibilité pour une collectivité d’agir sur la base d’une procédure de « constat de carence », favorisant une approche négociée de la répartition des compétences.

Les femmes et les hommes élus de notre pays doivent conserver leur capacité d’initiative pour continuer à mener des politiques créatives, audacieuses et répondant aux besoins de leurs territoires.

On voit bien que ce sont les élus qui portent des projets, dont certains sont une telle réussite pour les habitants de leur territoire qu’ils entraînent une attractivité très forte

À moyens égaux, à compétences égales, les structures sont un élément, mais ce sont les élus qui font la vie quotidienne de leur territoire. Il faut donc garder leur capacité d’initiative et d’action dans les collectivités territoriales.

Exerçant des responsabilités dans le domaine de l’intercommunalité, je souhaite souligner la facilité avec laquelle nous avons obtenu un consensus dans ce domaine.

Notre mission préconise notamment l’achèvement et la rationalisation de la carte de l’intercommunalité, ainsi que la réforme des commissions départementales de coopération intercommunale, les CDCI, qui est absolument nécessaire pour renforcer la place des intercommunalités.

Il convient également que les élus puissent saisir la CDCI, qui se réunit aujourd’hui seulement sur l’initiative du préfet.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. Je passerai rapidement sur la réduction du nombre des syndicats intercommunaux. Il n’est pas question ici d’idéologie : tout le monde sait qu’ils sont très nombreux, même si, bien sûr, certains sont nécessaires et doivent perdurer.

L’élection des conseillers communautaires par fléchage sur les listes des candidats aux élections municipales a fait l’objet d’un accord presque unanime. Le principe a été approuvé par la mission, avec son corollaire, le changement du mode de scrutin, avec l’abaissement des seuils pour le panachage.

À titre personnel, je voudrais cependant attirer l’attention sur les conséquences de ce fléchage, notamment en termes de fonctionnement, dont il faudra prendre la mesure.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, en ce qui concerne les finances locales, je tiens à rappeler, pour compléter les propos de mon collègue Yves Krattinger, le consensus obtenu, là aussi, sur la nécessaire réaffirmation de l’autonomie financière des collectivités territoriales.

Il importe en outre de maintenir le lien entre les entreprises et les territoires, de réviser les bases d’imposition et d’établir une véritable péréquation.

Dans son rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l’État pour l’année 2008, la Cour des comptes, dans sa grande vigilance, s’inquiète avec raison de l’extension, en 2009, du périmètre de l’enveloppe normée incluant le fonds de compensation pour la TVA, le FCTVA. En effet, dans la mesure où ce dernier s’apparente à une dépense dynamique, il nous est permis d’avoir des doutes sur l’évolution des autres dotations.

Nous préconisons donc une plus grande lisibilité dans les finances locales. En la matière, chaque loi de finances contient son lot d’adaptations, voire de changements de méthode : il faut que cela cesse.

Par ailleurs, la mission temporaire, à l’unanimité, a reconnu le fait métropolitain, point que mon collègue Yves Krattinger a longuement développé. La France gagnera à voir ainsi consacrées ses métropoles de taille européenne.

Le rapprochement entre le département et la région est une autre question d’importance.

MM. Belot et Krattinger l’ont rappelé, la mission est favorable à l’instauration d’un conseil régional des exécutifs, perçu comme l’élément essentiel du rapprochement entre les départements et la région. Certains de mes collègues ne partageaient pas cette position et auraient préféré retenir l’idée, avancée par le comité Balladur, des « conseillers territoriaux ».

Je ne sais pas si la création de cette nouvelle catégorie d’élus figurera dans la loi. Ce qui est sûr, c’est que, pour l’instant, le rapport de ce comité n’a pas force de loi ! Au demeurant, ayant entendu M. Balladur s’exprimer sur ce sujet à l’occasion d’une conférence organisée dans mon département, j’ai pu constater que sa position avait d'ores et déjà évolué depuis la publication du rapport, notamment sur le mode d’élection.

M. Yvon Collin. C’est une bonne nouvelle, cela prouve qu’il nous écoute et qu’il est attentif à nos travaux !

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je sais que je touche là un point sensible, mais, n’ayant pas l’habitude de contourner les problèmes, je préfère être directe !

L’intercommunalité en est le plus bel exemple, les consciences peuvent évoluer dans le temps. Je me souviens, comme sans doute beaucoup d’entre vous, que la mise en place des intercommunalités, à son début, s’est heurtée à de nombreuses réticences. M. Chevènement, ici présent, ancien ministre de l’intérieur, peut d’ailleurs en témoigner. Dans certains départements, il y a même eu des mesures de protection prises en réaction.

Je tiens à le souligner, la mission temporaire, dans le cadre de ses travaux, a reconnu l’intercommunalité comme un élément positif et une réussite indéniable, même si, c’est vrai, elle est encore perfectible.

Par conséquent, mes chers collègues, point n’est besoin de nous couvrir d’invectives, car chacun peut évoluer dans ses positions !

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. Monsieur le ministre, à titre personnel, je vous le dis tout net : si l’on engage la réforme territoriale en proclamant qu’il faut supprimer un tiers des élus, c’est, à coup sûr, raté !

J’ai pourtant lu hier des déclarations allant dans ce sens. Cela me fait penser à l’annonce du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. (Murmures sur certaines travées de lUMP.) J’ai tout de même le droit de m’exprimer, mes chers collègues ! Vous pourrez en faire de même tout à l’heure !

Cette suppression serait un très mauvais signal, car chacun connaît l’importance du rôle des élus, notamment communaux, sur notre territoire.

M. Yvon Collin. Très bien ! Arrêtons de les diaboliser ! Nombre d’entre eux sont bénévoles !

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. Absolument !

Monsieur le ministre, si vous supprimez trop de postes d’élus, je crains qu’il ne faille justement augmenter le nombre de fonctionnaires. (Applaudissements les travées de lUnion centriste, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Il pourrait arriver – pourquoi pas ? – que la réforme territoriale, une fois la loi votée, ait pour conséquence une réduction du nombre des élus, mais le fait de poser celle-ci comme un principe de départ est inacceptable pour le Sénat et pour tous ses membres qui défendent le développement de leurs territoires.

M. Yvon Collin. Voilà qui est pertinent !

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. Nous, élus, conscients du contexte difficile que nous traversons et des efforts à faire face à la crise, sommes nombreux à réclamer une clarification et une plus grande efficacité. Mais, mes collègues l’ont rappelé avant moi, la participation des collectivités territoriales aux dépenses publiques est d'ores et déjà très significative.

Monsieur le ministre, j’ai été le rapporteur pour le Sénat du projet de loi relatif à la fonction publique territoriale quand vous-même étiez chargé, au gouvernement, des collectivités territoriales.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. J’en garde un excellent souvenir !

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. Vous savez donc combien cette fonction publique joue un rôle extrêmement important aux côtés des élus.

En conclusion, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, j’espère que l’important travail fait par les sénateurs inspirera, en partie du moins, le Gouvernement dans sa volonté de réforme, dont nous sommes très nombreux à sentir la nécessité. De notre côté, nous sommes tous prêts. Et vous, êtes-vous prêts à faire confiance à l’intelligence territoriale ? (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Bruno Retailleau applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire.

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, « pourquoi, oui, pourquoi [est-il] si difficile de réformer notre pays [ ?] », s’interrogeait à haute voix Nicolas Sarkozy la semaine passée. Peut-être, tout simplement, parce que ce pays a compris que ce qu’on lui présente le plus souvent comme des « réformes »…

M. Patrice Gélard. Il a raison !

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. …est, en fait, des contre-réformes (Exclamations sur certaines travées de lUMP), non pas un progrès, mais une régression.

Toutefois, me direz-vous, aller en avant ou en arrière, c’est toujours bouger. C’est la seule chose qui compte en ces temps médiatiques.

La réforme, pour nos collectivités, c’est pousser plus loin, approfondir la décentralisation. Ce fut un processus lent, d’abord, accéléré depuis 1982, libérant l’initiative et les énergies locales par la démocratie. Il a transformé notre pays, au point que l’on pourrait parler, sans exagérer, des « Vingt-Cinq glorieuses de la décentralisation ».

Aujourd’hui, cela a été dit, les collectivités territoriales assurent les trois quarts de l’investissement public et une part grandissante des dépenses sociales. En 2008, les seules dépenses sociales des départements auront représenté 46,1% de celles du budget de l’État, hors retraite des fonctionnaires, bien sûr, mais déduction faite des concours.

La contre-réforme, ce serait casser cette dynamique, au moment même où la crise rend l’engagement des collectivités encore plus essentiel. Sans leur concours, le plan de relance aurait ainsi perdu son point d’appui le plus solide.

Selon les chiffres annoncés par le Gouvernement, leur effort d’investissement, 53 milliards d'euros, représenterait une hausse de 18,7 milliards d'euros par rapport à la moyenne annuelle constatée sur la période de référence 2004-2007. Ces chiffres sont à comparer aux montants – 4 milliards d'euros chacun – des investissements prévus par l’État et des dépenses supplémentaires des grandes entreprises publiques que sont EDF, la SNCF ou la RATP.

« Les élus territoriaux ont parfaitement joué le jeu de la mobilisation quelle que soit leur casquette politique », a d’ailleurs reconnu le ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance.

Sans les collectivités territoriales, il n’y aurait pas non plus d’accompagnement social de nos concitoyens les plus fragiles.

En ce qui concerne le RMI, après deux ans de baisse, le nombre d’allocataires est reparti à la hausse.

Pour le RSA, 100 000 demandes étaient validées à la fin du mois de mai dernier, et 300 000 à la mi-juin, ce qui représenterait, selon les observateurs, 15 % seulement des bénéficiaires potentiels, l’essentiel des « travailleurs pauvres » ne s’étant pas encore manifesté. Le dispositif RMI basculant sur le RSA, le nombre d’allocataires s’élèvera, au début du mois de juillet, à 1,5 million.

S’agissant de l’APA, vous le savez comme moi, elle poursuit son irrésistible ascension.

Vous vouliez des propositions de réformes, mes chers collègues ? Nos rapporteurs vous en ont donné ! Je citerai les plus significatives, au premier rang desquelles la reconnaissance de l’autonomie fiscale des collectivités, par le biais de trois mesures.

Il s’agit, d’abord, de la mise en place d’un mécanisme permanent de révision des bases de l’impôt sur les ménages.

Il s’agit, ensuite, de l’instauration d’un impôt sur l’activité économique dynamique, équitable, peu sensible à la conjoncture et non pénalisant pour les entreprises qui investissent ou qui sont le plus exposées à la concurrence internationale.

Il s’agit, enfin, de la création de nouvelles ressources, pour permettre aux collectivités de financer les infrastructures de transport, qui relèvent désormais de leur responsabilité. Outre le livret d’épargne populaire dédié, qu’a évoqué Yves Krattinger, il convient d’ajouter la généralisation de la taxe sur les poids lourds et la taxation des plus-values foncières.

Les rapporteurs de la mission temporaire proposent également la mise en place de « dispositifs de péréquation » : péréquation verticale, par une réforme des dotations de l’État et la création d’un fonds national ; péréquation horizontale, sur le modèle du fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France.

Mme Gourault et M. Krattinger préconisent en outre l’achèvement, la rationalisation et la démocratisation de l’intercommunalité.

Ils souhaitent que soient créées des métropoles sur les espaces urbains de rayonnement au moins européen. Ces nouveaux EPCI pourront alors devenir des collectivités locales de plein exercice, avec mutualisation des dotations et des ressources fiscales, sur délibérations concordantes des communes membres. Dotées d’un bloc minimal de compétences obligatoires, mais aussi d’une capacité d’initiative pour la mise en réseau du territoire périmétropolitain, elles seront en mesure d’exercer, par délégation, des compétences du département, de la région ou de l’État.

Par ailleurs, les deux rapporteurs suggèrent l’organisation d’une coordination systématique et institutionnelle entre les acteurs principaux d’un territoire : conseils régionaux des exécutifs et conférences départementales des exécutifs.

Ils veulent conférer aux régions la capacité non seulement d’animer les politiques dans le domaine de l’économie, de la recherche, de l’enseignement supérieur et de la formation, mais également d’exercer la compétence emploi, qui est actuellement de la responsabilité de l’État. Y-a-t-il meilleur moyen de répondre aux besoins des entreprises et des travailleurs, d’impulser des politiques économiques vraiment anticipatrices ?

L’État n’exerçant plus ce rôle, le département verrait affirmée sa vocation à mettre à la disposition des communes rurales et de leurs intercommunalités l’ingénierie publique qui leur manque cruellement.

Toutefois, le fait de réduire le nombre des élus locaux serait une contre-réforme démocratique pour d’hypothétiques économies dérisoires. La mission temporaire ne formule pas une telle proposition, qui reviendrait, pour l’essentiel, à se priver du concours de bénévoles non indemnisés, tandis que l’économie potentielle faite sur ceux qui sont indemnisés serait marginale.

M. Josselin de Rohan. Des voitures pour tout le monde !

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Ne disposant pas de chiffres nationaux, je me suis amusé à évaluer, à partir d’un échantillon, assez représentatif, de cinq départements – l’Aube, les Landes, le Rhône, les Hauts-de-Seine et le Var – le coût de leurs élus pour les contribuables : cela représente 0,28 % des dépenses réelles de fonctionnement !

M. Yvon Collin. Voilà la réalité !

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Le montant total des dépenses réelles de fonctionnement se montant à 45,7 milliards d'euros, d’après le chiffre de 2007, année du dernier compte administratif à notre disposition, la dépense s’élève donc à 128 millions d'euros pour l’ensemble des départements.

M. Yvon Collin. Montant ridicule !

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le fait de réduire de 30 % le nombre des élus départementaux entraînerait donc une économie potentielle, à condition de ne pas créer, comme l’a évoqué Jacqueline Gourault tout à l’heure, des dépenses nouvelles de substitution, de 38, 4 millions d'euros, soit le tiers du budget de l’Élysée pour 2009, fixé à 112,7 millions d'euros, et seulement un peu plus de trois fois l’augmentation de 11,5 millions d'euros dudit budget entre 2008 et 2009 ! Autant dire, une misère ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Yvon Collin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur certaines travées de lUnion centriste.)

M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis de nombreuses années, nous ne cessons, les uns et les autres, de dénoncer l’enchevêtrement des prérogatives des différents acteurs publics locaux et nationaux, source de confusion des responsabilités, de perte de temps, bref, de complexité administrative.

On ne peut donc que saluer la décision du Président de la République d’ouvrir un grand chantier pour réformer les structures des administrations locales.

Créée en octobre dernier par le Président du Sénat, Gérard Larcher, que je tiens à saluer pour cette initiative, la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, rassemblant toutes les sensibilités, s’est vu confier le soin de réfléchir en amont et de formuler des propositions.

Je tiens à féliciter le président Claude Belot pour le travail réalisé, qui n’était pas aisé au regard du nombre et de la puissance des intérêts en jeu, d’ailleurs parfois contradictoires.

Je veux féliciter également les rapporteurs pour le bon climat qu’ils ont su faire régner, respectueux des différentes opinions qui se sont exprimées et des quelques divergences qui ont pu voir le jour, ce qui est bien normal compte tenu du caractère pluraliste de la mission.

Les travaux sont donc le fruit d’un véritable débat démocratique. Pour ma part, je les ai suivis avec assiduité.

Je voudrais vous faire part des points sur lesquels nous sommes tombés d’accord, mais également de nos quelques divergences. Je le rappelle à Mme le rapporteur, nous ne sommes pas parvenus à un consensus sur les quatre-vingt-dix propositions.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. À quelques nuances près !

M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. Sur le fond, je trouve que ce rapport a été assez loin dans le détail.

Je suis en phase sur un certain nombre de points : le renforcement du couple commune-communauté de communes, qui fonctionne bien ; l’élection, par fléchage, des délégués communautaires ; la volonté de conforter le rôle des communes, échelon de proximité par excellence dont 80 % des élus sont des quasi-bénévoles ; le renforcement de la péréquation entre les collectivités territoriales ; la préservation de l’autonomie financière et fiscale des collectivités, avec la révision des valeurs locatives ; l’accent mis sur l’existence du lien fiscal entre les entreprises et les collectivités territoriales, donc le lien avec le territoire.

En fin de compte, les propositions relatives aux finances locales sont, à mes yeux, intéressantes et vont dans le bon sens.

Je me retrouve moins dans les propositions relatives aux compétences territoriales mais, je le disais, les divergences de vue font partie du débat démocratique.

À mes yeux, le couple « département-région » doit fonctionner comme le couple « commune-communauté de communes ». Ainsi, les communes conservant la compétence générale et déléguant des compétences spécifiques aux communautés de communes, leur faisant faire ce qu’elles-mêmes ne peuvent pas faire, le département pourrait, lui aussi, avoir une compétence générale et déléguer des compétences spécifiques aux régions. Si les communes avaient elles seules la compétence générale, certaines, compte tenu de leur taille, ne pourraient tout assumer.

Certaines propositions me paraissent, en outre, complexes à mettre en œuvre, comme la proposition 39, qui prévoit d’« ouvrir la possibilité pour une collectivité d'agir sur la base d'une procédure de "constat de carence", favorisant une approche négociée de la répartition des compétences ». L’arbitrage me paraît difficile à réaliser et risque de nous emmener dans des procédures qui freineront les projets.

S’agissant de la gouvernance territoriale, j’approuve les vingt et une premières propositions. Je serai plus réservé sur les propositions suivantes, concernant le conseil régional des exécutifs ou la conférence départementale des exécutifs, quoiqu’elles puissent être intéressantes sur la forme. Je me demande si cela permettra véritablement de résoudre les problèmes de fond que sont la concurrence institutionnelle ou la cohésion des politiques, car, après ces grands-messes, chacun revient dans sa collectivité d’origine avec des vœux pieux qui ne se transforment que rarement en réelles actions.

Je réaffirme également, comme je l’ai fait dans le cadre de la mission avec certains de mes collègues, dont Charles Guené, que l’idée de remplacer en 2014 les conseillers généraux et régionaux par des conseillers territoriaux qui siégeraient à la fois au conseil général de leur département et au conseil régional me semble être la meilleure solution pour mettre un terme à la concurrence institutionnelle, et donc financière, que l’on a vu apparaître entre régions et départements au cours de ces vingt dernières années. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Cela permettrait, me semble-t-il, de parvenir à une véritable clarification des compétences et à la diminution des financements croisés.

M. Christian Cambon. Très bien !

M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. De même, cela faciliterait la tâche des élus locaux et des acteurs économiques, qui souhaitent que l’on mette fin à la confusion des responsabilités.

M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. Une telle réforme permettrait également de recentrer les actions respectives des départements et des régions et de mettre plus de cohérence entre elles, car elles relèvent de logiques de territoires distinctes dont découlent des missions différentes. Pour cette raison, la suppression de la région ou sa fusion avec le département ne paraissent pas souhaitables. Cela n’empêche pas de chercher une meilleure coordination, une meilleure articulation entre les deux collectivités.

Cela renforcerait enfin le rôle des élus locaux, devenus ainsi « élus territoriaux », qui seraient élus en 2014 selon un mode de scrutin dont il reste à débattre. Même s’il est trop tôt pour en décider, nous pouvons d’ores et déjà envisager plusieurs hypothèses : le scrutin de liste départemental, qui politise davantage ; le scrutin de liste par territoire et bassin de vie au sein même d’un département ; ou encore un dernier mode d’élection, qui aurait ma préférence, un scrutin mixte, combinant la proportionnelle dans les agglomérations de plus de 50 000 habitants et un scrutin uninominal à deux tours sur des cantons élargis, qui permettrait de mieux identifier les élus. (Applaudissements sur les mêmes travées.)

Le scrutin de liste risque de trop politiser et de ne pas faire émerger des élus de qualité qui ne seraient membres d’aucun parti.

Par ailleurs, s’agissant du nombre des élus, même s’il est également trop tôt pour aborder la question au fond, je voudrais que ceux qui n’hésitent pas à évoquer une réduction de 50 % se montrent un peu plus réservés. Le poids démographique relatif des départements d’une même région ne devra pas être le seul critère. Il faudra bien tenir compte de l’étendue et de la spécificité des départements,…

M. Rémy Pointereau, vice-président de la mission temporaire. … notamment les plus fragiles, qui risquent parfois d’être sous-représentés en raison d’une situation économique difficile au sein d’une région où d’autres départements connaîtraient moins de problèmes.

Des territoires ruraux trop grands risqueraient aussi d’être plus difficiles à gérer, avec une multitude de commissions et de réunions, concernant l’action sociale, l’action économique, les lycées, les collèges, les appels d’offres.

Si cette solution est retenue, il faudra donc tenir compte de l’espace rural et des problèmes de désertification. Il ne faut pas que la ruralité soit sacrifiée par rapport aux zones urbaines, comme c’est souvent le cas avec les scrutins de liste départementaux, car les élus territoriaux ruraux devront souvent porter à bout de bras les projets de leur territoire, tout en ayant une vision départementale et régionale.

Je pense qu’une diminution comprise entre 25 % et 30 % du nombre total des élus départementaux et régionaux manifesterait déjà cette volonté de montrer l’exemple à nos concitoyens, qui souhaitent des élus plus identifiables, qui souhaitent aussi plus de lisibilité, plus de réactivité, plus de cohérence entre les deux niveaux de collectivités, et ce tout en conservant une gestion de proximité.

Dans cette réforme des collectivités territoriales, les gains financiers se feront d’ailleurs plus par la mise en cohérence des actions entre collectivités que par une diminution du nombre des élus. En sortant du « jardin à la française », en renforçant la légitimité des élus et en améliorant l’efficience de la gestion publique, on fera mieux, de manière moins coûteuse et plus rapidement. Rappelons qu’il faut, en France, deux fois plus de temps que dans les autres pays européens pour réaliser des projets structurants.

On peut, bien sûr, espérer que, à la suite de l’important travail accompli par la mission sénatoriale, et après le débat d’aujourd’hui, le projet de loi sur la réforme des collectivités territoriales s’inspirera de nos travaux et aussi des réflexions que nous aurons formulées au cours de ce débat.

Nous devons refuser le statu quo, mais le pire serait d’aboutir à une demi-réforme, sans ambition et sans impact sur les défauts les plus criants du système actuel. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Nous devons ainsi faire fi des intérêts particuliers, nous devons faire preuve de courage et d’audace, ne pas nous arc-bouter sur le conservatisme et, finalement, être à la hauteur des enjeux auxquels nous devrons répondre collectivement.

Compte tenu de la responsabilité particulière que la Constitution lui confère dans l’organisation des collectivités territoriales, le Sénat doit avoir un rôle majeur, je dirai même un rôle moteur, à jouer dans cette réforme. Il doit en être, comme l’a dit le président Gérard Larcher lors de son déplacement dans les Pyrénées, un « partenaire actif ».

Voilà, monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les quelques réflexions que je voulais vous livrer à la suite de la présentation d’un rapport riche en propositions qui a le mérite d’aller loin dans le détail et qui est, à mon sens, le point de départ d’une réforme ambitieuse, à la mesure des attentes de tous les Français. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

II. – Point de vue des groupes politiques

M. le président. Nous allons maintenant entendre, dans la suite du débat, le point de vue des groupes politiques.

La parole est à M. Jacques Mézard. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)

M. Jacques Mézard. Pour avoir été, avec ma collègue Anne-Marie Escoffier, un membre assidu de la mission temporaire, je peux témoigner : la sagesse et l’expérience du président Claude Belot en ont fait un espace d’écoute et de proposition, dont le fruit est le rapport de Jacqueline Gourault et Yves Krattinger, avec son éventail de préconisations de nature à améliorer le fonctionnement de nos collectivités.

Je suis de ceux qui considèrent qu’une simplification de nos structures et de la fiscalité locale est nécessaire.

Lors de la remise de son rapport par le comité Balladur, le Président de la République a mis en exergue l’ambivalence des aspirations des Français, valorisant la proximité et l’adaptation aux réalités locales tout en dénonçant le gaspillage engendré par l’empilement des structures. Il en a conclu, à Versailles, qu’il ne se déroberait ni devant la réduction du nombre des élus régionaux et départementaux, ni devant le problème de la répartition des compétences, ni devant l’effort qui sera demandé à toutes les collectivités…

Il nous est demandé d’investir davantage et de réduire nos frais de fonctionnement : le message est clair !

Nous attendions un mot sur la péréquation ; considérons que nous avons satisfaction avec la phrase suivante : « Je veux dire que, pour atteindre l’égalité, il faudra savoir donner plus à ceux qui ont moins ». En ces temps de crise, oserai-je ajouter ce qui devrait en être la conséquence, à savoir qu’il faut « donner moins à ceux qui ont plus » ?

Voilà le véritable enjeu de la péréquation : tant que, à capital foncier égal, les habitants de Mende, d’Aurillac et de tant de villes moyennes paieront cinq à dix fois plus d’impôt local que ceux de Paris, de Toulouse ou de Neuilly, il ne sera pas de vraie réforme !

Mais il ne serait pas bon d’imposer une réforme en passant en force, après avoir préparé le terrain et jeté le discrédit sur les élus locaux dont on aurait persuadé l’opinion publique qu’ils seraient trop nombreux, qu’ils seraient de mauvais gestionnaires, qu’ils ne feraient qu’augmenter l’impôt local et créer du déficit public.

Faciliter la fusion volontaire de communes et d’intercommunalités est un objectif sage, dont la réalisation prendra du temps. N’oublions pas que plusieurs centaines de milliers de conseillers municipaux bénévoles constituent, sur le territoire, un facteur de lien social inégalable.

Si l’enjeu fondamental de la réforme est de diminuer de moitié ou du tiers le nombre de conseillers généraux et régionaux, on passera à côté de l’essentiel, à moins que le véritable objectif ne soit une digestion lente de l’échelon départemental par l’échelon régional. Mais alors, autant le dire clairement, comme M. Jean-François Copé l’a fait ces derniers jours.

Nous attendons des actes en harmonie avec les discours. Je prendrai un exemple totalement d’actualité : le financement des routes nationales.

Voilà quatre ans, l’État transférait aux départements une grande partie de ces routes, en prenant l’engagement formel de « bannir les financements croisés, euro pour euro », et faisant la promesse « de ne plus rien demander aux départements sur le réseau de routes nationales conservé par l’État ». En ce mois de juin 2009, force est de constater que ces promesses n’ont engagé que ceux à qui on les a faites !

M. Jacques Mézard. Dans le cadre du programme de développement et de modernisation des itinéraires, le PDMI, l’État demande aux collectivités locales, d’ici au 15 juillet, au moins 30 % de cofinancement !

Le rapport de la mission sénatoriale a fait l’objet, jusqu’à l’avant-dernier soir, d’un très large consensus. D’aucuns considèrent aujourd’hui que les propositions formulées ne vont pas suffisamment dans le sens de la réforme, chaque strate ayant eu ses farouches zélateurs.

Nous constatons que les représentants de chaque strate ont une tendance manifeste à revendiquer la clause de compétence générale, avec le souci affiché de mieux répondre aux besoins de nos concitoyens. C’est souvent vrai, mais pas toujours !

Il est exact que les dépenses de personnel des collectivités locales sont passées, entre 2001 et 2007, de 32 millions d’euros à 46 millions d’euros. (M. Jean-Pierre Fourcade opine.) Les transferts de compétences et de charges, pas toujours compensés, ont pesé lourd.

M. Jacques Mézard. Mais qui niera que le service décentralisé, donc le service de proximité, est naturellement plus coûteux ? L’exemple des lycées et collèges est, à cet égard, révélateur.

Sachons aussi constater l’accumulation assez fréquente de frais de fonctionnement dans de multiples structures, à chaque strate, telles les agences économiques, les agences touristiques, pour ne citer que ces exemples. Nous constatons également fréquemment, à tous les étages, et au nom de la proximité, des concurrences de pouvoir entre toutes les sensibilités politiques. Je n’irai pas jusqu’à parler de féodalité, ce serait excessif…

Mme Nathalie Goulet. Pas du tout !

M. Jacques Mézard. Reconnaissons que des progrès importants sont à réaliser en matière de mutualisation des services, par exemple entre ville-centre et intercommunalité.

Quant à la jungle de la fiscalité locale, incompréhensible pour le citoyen, mais non dépourvue d’effet sur son portefeuille, les élus locaux n’en sont point responsables. D’échéance électorale en échéance électorale, d’alternance en alternance, la réforme fut en effet repoussée.

Le rapport de la mission sénatoriale peut ouvrir la voie à une réforme profonde et sage.

Sur la question des compétences, réserver la clause de compétence générale aux communes et aux départements est acceptable si les départements et les régions disposent de larges compétences spéciales, complétées par quelques compétences facultatives, un système qui existe d’ores et déjà pour les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI. Il convient en tout état de cause de préserver la possibilité de contractualiser et de planifier sur les dossiers structurels.

En ce qui concerne la gouvernance, l’objectif de boucler la carte intercommunale pour 2011 est bon. Il suppose l’augmentation progressive des compétences obligatoires, le fléchage de l’élection communautaire – même si l’on peut formuler des réserves sur ce point, et je vous renvoie ici aux propos de Jean-Pierre Chevènement –, l’absorption de syndicats intercommunaux et la confirmation de grandes métropoles d’équilibre, indispensables à l’aménagement des territoires.

La question la plus conflictuelle, dans la réflexion actuelle, est certainement celle des conseillers territoriaux. Un nouveau découpage cantonal est indispensable ;...

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Jacques Mézard. ... il devrait coller à la réalité des bassins de vie intercommunaux. Ce peut être un socle pour l’élection des conseillers régionaux, aujourd’hui sans prise directe avec le territoire, mais nous ne voulons pas d’un système qui n’aurait pour but que de servir une manœuvre électorale au reste assez évidente, avec l’instauration du scrutin proportionnel en zone urbaine, et qui conduirait sans le dire à l’effacement progressif des départements, et avec eux des sous-préfectures et de certaines préfectures.

La proposition de la mission sur les conseils des exécutifs est un moyen de coordination, donc d’économie, entre collectivités de toutes sensibilités.

S’agissant des finances locales, la mission a confirmé son attachement à deux principes : préserver l’autonomie des collectivités et ne pas substituer les dotations à l’impôt local.

Oui, les compétences doivent être spécialisées sur un nombre limité de collectivités, lisibles et compréhensibles par le contribuable, avec des assiettes larges et une réelle capacité de fixer les taux. Oui, il convient de cesser de créer de nouveaux dégrèvements et de nouvelles exonérations.

L’actualisation des valeurs locatives relève certainement d’une véritable urgence : elle est prioritaire par rapport à la création de conseillers territoriaux, et elle exige un véritable courage politique. Le système est aujourd’hui obsolète et injuste, aggravant des déséquilibres entre les territoires.

Un large consensus s’est exprimé sur la nécessité de maintenir un impôt économique en lien avec le territoire.

Surtout, la mission a placé au centre de sa réflexion la mise en place d’une véritable péréquation régulant les écarts considérables entre les territoires. La diversité doit être compatible avec la justice. C’est possible en dégageant des ressources pour les dotations de péréquation à partir des dotations forfaitaires, en réduisant le nombre des bénéficiaires des mécanismes de péréquation et en créant un fonds national de péréquation.

Si la réforme des collectivités territoriales n’intègre pas la péréquation comme l’un de ses axes fondamentaux, ce sera une faute lourde de conséquences, le déni d’une véritable politique d’aménagement des territoires ; la décentralisation ne doit pas élargir le fossé entre les territoires.

Le premier jour d’avril 1999, devant cette assemblée, M. Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’intérieur, traçait des lignes claires en rappelant qu’il n’y avait pas de solidarité territoriale sans mutualisation des ressources, qu’il ne convenait pas d’opposer le rural et l’urbain, et expliquait que son projet de loi, s’il était d’apparence modeste, comprenait des dispositions pratiques porteuses d’efforts importants à moyen et long terme. Veillons à ne pas connaître l’inverse !

Il ne s’agit pas de « surfer » sur les attentes contradictoires de nos concitoyens – plus de services et moins d’impôt ! –, mais de rendre le meilleur service au meilleur coût sur l’ensemble du territoire. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.- Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet.

M. Jean-François Voguet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, devant le Congrès, le Président de la République a tranché : « Nous irons jusqu’au bout de la réforme des collectivités locales », a-t-il dit. « Nous ne nous déroberons pas devant la réduction du nombre des élus régionaux et départementaux. Nous ne nous déroberons pas devant le problème de la répartition des compétences. Nous ne nous déroberons pas devant l’effort qui sera demandé à toutes les collectivités ».

Le cap est donné, la feuille de route est affichée, l’objectif est fixé. Il s’agit de réduire le nombre, l’action et les dépenses de nos collectivités locales, avec la volonté de déstabiliser toute l’organisation territoriale de notre République.

M. Jean-François Voguet. Ainsi, après avoir changé « de » République avec la réforme constitutionnelle, nous sommes appelés à changer « la » République.

Dans ces conditions, nous ne pouvons que mesurer les limites de notre mission et de son rapport.

L’avis des sénateurs ne semble pas intéresser le Président de la République. Nous le déplorons car, bien que nous fassions une analyse critique du rapport de notre mission, nous reconnaissons que celui-ci maintient les trois niveaux de collectivités et la clause de compétence générale.

Tout va donc se jouer au cours du prochain débat parlementaire. Il s’agirait même, dit-on, de jouer le peuple contre les élus.

Aussi, avec ce rapport, notre responsabilité est engagée pour soutenir d’autres propositions.

Sous couvert de réorganisation, c’est en fait la suppression des communes qui est planifiée avec le renforcement des intercommunalités. Le périmètre de celles-ci pourra être imposé et leur pouvoir sera étendu. Peu à peu, le rapport de force, le fait majoritaire, remplacera la coopération librement consentie. Dans le cadre des métropoles, c’est le pouvoir des villes-centres qui va s’imposer. Ainsi, sous couvert de coopération, c’est la perte d’autonomie qui s’annonce.

En ce qui concerne les départements et les régions, ne nous y trompons pas, c’est la fin des départements qui est planifiée.

Avec la création des conseillers territoriaux, c’est la disparition de l’autonomie départementale qui est recherchée, et non pas quelques économies, par ailleurs d’un montant ridicule. Les conseillers territoriaux qui ne siégeront qu’en formation départementale verront leur possibilité d’action diminuée du fait tout à la fois de l’encadrement strict de leurs propres compétences, du renforcement des compétences attribuées à la région et de la création de métropoles.

Le but ultime de la réforme, sa logique même, est de créer les conditions d’une évolution lente, un glissement progressif mais assuré vers une organisation territoriale de notre République reposant uniquement sur des intercommunalités et des métropoles plus ou moins importantes, devenues des collectivités locales de plein exercice, et sur des régions au pouvoir étendu, au sein d’un État dont le pouvoir central ne détiendra plus que les pouvoirs régaliens.

L’ensemble des politiques publiques, très encadrées, seraient alors régionalisées et la gestion des affaires courantes, pourrait-on dire, relèverait des intercommunalités.

Si nous ne réagissons pas, c’est toute l’histoire démocratique de notre pays, la forme actuelle de notre République et l’équilibre des pouvoirs qui sont appelés à disparaître. Les lieux de décision s’éloigneront toujours plus des citoyens. Les populations de nos territoires ne pourront plus choisir librement leur destinée. Toute notre vitalité démocratique sera mise à mal. L’investissement citoyen, l’engagement local, le bénévolat au profit de la chose publique, les solidarités locales, vont perdre de leur sens et disparaîtront peu à peu.

Enfin, avec l’encadrement et la réduction drastique des pouvoirs et des moyens financiers de nos collectivités locales, c’est l’avenir même des services publics locaux répondant aux préoccupations de chacun qui est aujourd’hui en question.

Nous sommes donc bien en face d’une vaste et dangereuse opération de remise en cause de nos institutions, de tout ce qui fait la force de nos services publics et de notre conception du « vivre ensemble » et de la fraternité.

Aussi, compte tenu des enjeux, nous en appelons à la mobilisation de l’ensemble des élus locaux et de toute la population pour résister à ce projet de réforme.

Nous sommes conscients qu’il nous faut, pour réussir cette mobilisation, ouvrir la voie à des transformations utiles et porter les modifications nécessaires : le statu quo n’est pas possible, en effet.

Nous le ferons en réaffirmant la nécessité de l’existence de toutes les collectivités locales, de leur autonomie, du développement de leur coopération, en insistant sur l’importance du renforcement de leurs moyens pour répondre aux besoins et aux attentes des populations, et en proposant le développement d’une démocratie locale renouvelée et revivifiée.

Pugnace et déterminée pour résister et proposer, telle sera notre attitude dans le débat qui va s’ouvrir sur le projet de réforme des collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.

M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au nom du groupe socialiste, je crois pouvoir présenter mes félicitations à l’équipe qui a animé, pendant huit mois, les travaux de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales.

Je dis bien « l’équipe », car j’ai le sentiment qu’il est légitime d’englober dans ces compliments le président, les deux vice-présidents et les deux rapporteurs de cette mission, qui ont travaillé dans un esprit de consensus pour aboutir à une position synthétique, reflet de la plus large partie de l’opinion de notre assemblée.

Pour leur part, les représentants du groupe socialiste ont joué le jeu du travail collectif, qui imposait l’écoute, la discussion et le compromis, au point même de demander que des votes intermédiaires soient différés lorsque la gauche se trouvait majoritaire au sein de la mission, considérant que, dans ce cas-là, celle-ci n’était pas représentative du Sénat.

Ils n’en ont été que plus consternés par l’attitude du groupe UMP qui, le 17 juin, dernier jour de nos travaux, a présenté, en fin de matinée, au cours d’une séance de « bouclage », une contribution que l’on a pu penser destinée à se substituer à certaines parties approuvées du rapport.

Finalement renvoyée en annexe et édulcorée par la suppression de certaines propositions aussi surprenantes que la réduction du nombre de conseillers municipaux, y compris ruraux, cette contribution n’en contient pas moins des propositions donnant à penser que, depuis la lettre de mission du Président de la République au comité Balladur, il ne s’est rien passé au Sénat !

Ainsi nombre des propositions de l’UMP sont-elles en contradiction flagrante avec ce que ses représentants ont approuvé au fil des mois au sein de la mission.

Je pense, par exemple, aux compétences des départements, transférées en bloc aux métropoles. Je pense à la clause générale de compétence, que la mission maintient au bénéfice des différents niveaux territoriaux, mais que l’UMP réserve aux seules communes et intercommunalités. Je pense encore, mais j’y reviendrai, à la proposition, il est vrai plus attendue, de substitution des conseillers territoriaux aux conseillers généraux et régionaux.

Tout cela est surprenant : s’il n’y avait pas consensus, il fallait le dire au cours des débats !

La question se pose désormais de savoir quelle est la valeur de l’énorme travail fourni par la mission. Doit-on considérer dès maintenant qu’il a été inutile ? Doit-on considérer qu’en tout état de cause il n’y aura pas de position claire du Sénat sur la réforme des collectivités ? Doit-on considérer que nous travaillerons sur les propositions des seuls conseillers de l’Élysée ?

Si tel était le cas, il s’ensuivrait une situation humiliante pour les animateurs de la mission et, en particulier, pour son président, sénateur de l’UMP, perçu, au fil des débats, comme un homme d’une grande qualité par l’ensemble de ceux qui ont participé aux travaux de la mission.

Mais c’est pour vous, monsieur le président du Sénat, que la situation serait encore plus humiliante. J’avais en effet cru comprendre que votre souhait, au lendemain de votre élection, était de donner toute sa force à l’initiative parlementaire dans le cadre des principes affichés de la dernière révision constitutionnelle.

Il me semble, monsieur le président du Sénat, que vous êtes directement concerné et que vous devez nous dire votre sentiment à ce sujet. Nous saurons alors si cette mission était un leurre ou si vous comptez promouvoir ses travaux, à tout le moins, les utiliser afin que, pour une fois, l’initiative parlementaire, et plus particulièrement sénatoriale, trouve, dans le respect de l’équilibre des pouvoirs, sa juste place.

Y a-t-il moyen dans ce pays d’avancer sans que, systématiquement, la majorité parlementaire, quelle qu’elle soit, se couche devant les propositions de l’exécutif ?

Y a-t-il un moyen pour que l’on reconnaisse enfin, autrement que par de simples pétitions de principe, que l’opposition existe et que l’on peut dialoguer avec elle ?

Pour notre part, nous approuvons, je le répète, les propositions de la mission et nous souhaitons - sans illusion excessive - qu’elle inspire la réforme à venir. Certes, ce n’est pas le big bang qui ferait table rase du passé. Cette réforme est-elle pour autant conservatrice ? Je ne le crois pas et, en matière de reconnaissance du fait métropolitain, de renforcement de l’intercommunalité, de clarification des compétences, de renforcement de la coordination entre les différents niveaux territoriaux, de principes fondamentaux en matière fiscale, de péréquation, notamment, elle propose une mine de retouches qui aboutiraient à une réforme profonde.

Nous approuvons pleinement cette démarche. Nous avons quelque droit à revendiquer la paternité véritable d’une décentralisation qui, dans les années quatre-vingt, a été très violemment combattue par la droite parlementaire. Très vite, cependant, sur tout l’échiquier politique, chacun a reconnu ses mérites et la profonde rénovation de notre vie administrative qui en est résultée. C’est du moins ce qui était proclamé. Mais, à voir ce qui se prépare hors de la mission, on peut se demander si certains ont bien accepté ce qui, pour le coup, était une révolution !

Je le rappelle, la première loi de décentralisation, relativement récente, n’a que vingt-sept ans. Elle fut suivie d’une série d’autres lois de mise en place et le processus initial ne fut achevé qu’en 1988.

Au demeurant, notre conception était, au vu du constat, de la faire évoluer en permanence. C’est ainsi que d’autres dispositions vinrent la compléter, la corriger ; parmi celles-ci, certaines se révélèrent majeures : je pense à la loi du 12 juillet 1999 sur l’intercommunalité. La réforme Raffarin de 2003-2004, dont nous n’avons pas approuvé tous les aspects, relevait du même principe évolutif.

Que nous propose-t-on aujourd’hui en marge de la mission sénatoriale ? De supprimer, à terme, deux niveaux de collectivités, les départements et les communes, pour ne conserver, selon les préconisations du comité Balladur, que l’intercommunalité et la région.

En effet, le mode d’élection qui se profile pour les intercommunalités favorisera l’émergence de « super-maires » qui ne laisseront aux maires des communes de base que la police et l’état civil.

Mme Nathalie Goulet. Et les cimetières !

M. Jean-Claude Peyronnet. C’est en gros ce qui était préconisé dans le rapport Balladur. Au mieux, les communes seront des communes de quartier, qui ne lèveront plus l’impôt et n’auront plus de réelle possibilité d’initiative. La mission n’est pas d’accord. Est-ce que cela se fera malgré tout ?

Quant aux départements, l’évolution sera la même. Dans les endroits où existeront des métropoles, le transfert de l’ensemble des compétences des départements à celles-ci, selon les propositions du groupe le plus nombreux de notre assemblée, signera la mort brutale du département.

Comme nous l’a expliqué l’un des vice-présidents de la mission temporaire, notre collègue Rémy Pointereau, pour le reste du territoire, la création des conseillers territoriaux, qui siégeront à la fois à la région et au département et seront en nombre réduit, fera du département, à court terme, une subdivision hiérarchiquement soumise à la région, laquelle ne s’en portera d’ailleurs pas mieux parce qu’elle aura été d’une certaine façon « cantonalisée ».

Certes, les départements pourront, au début, continuer à distribuer les grandes prestations nationales que sont l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, ou le revenu de solidarité active, le RSA, par exemple, mais cette fonction exclusive de simple guichet est une rupture avec les fonctions actuelles d’une vraie collectivité territoriale.

Par ailleurs, en réduisant de 30% ou de 50% le nombre des conseillers, on rendra leur mission à peu près impossible ou inopérante.

J’ai ici un document qui émane des services de mon département où l’on recense sur pas moins de 142 pages les différentes organisations dans lesquelles le conseil général est officiellement représenté, que ce soit à l’intérieur et, surtout, à l’extérieur de la collectivité, soit quelque 500 organismes - tous ne sont pas utiles, je le concède – et je ne parle pas du tout de la présence du conseiller général dans les associations de son propre canton.

On voit ainsi comment c’est par leurs rapports avec le monde socioprofessionnel, culturel, sportif, administratif – hôpitaux, maisons de retraite - que les conseils généraux ont tissé du lien social, qu’ils ont été et qu’ils sont à l’écoute des besoins réels de la population.

C’est cela, la décentralisation : être à l’écoute des citoyens, directement ou par leurs organismes représentatifs, et répondre à leurs attentes. Et c’est cela que l’on nous propose de casser !

En effet, comment un conseiller territorial pourra-t-il assurer sa présence sur le terrain ? Supposons qu’un vice-président d’un conseil général chargé de l’économie soit en même temps vice-président du conseil régional chargé de la culture : pour connaître ces deux domaines, vous savez bien qu’il lui sera impossible d’accomplir sa tâche.

En clair, le groupe le plus important du Sénat supprime les deux seules collectivités territoriales de proximité. En effet, chers collègues, vous faites également disparaître les départements, en dehors de ceux où il existera des métropoles.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales. Ah bon ? Je ne sais pas où vous avez lu cela !

M. Jean-Claude Peyronnet. Avant de modifier dans ce sens la Constitution, il suffira de constater deux choses : d’abord, que les conseillers généraux sont trop peu nombreux pour assurer une bonne administration ; ensuite que, par carence de l’État, les départements seront en situation de non-paiement. Certains le sont déjà !

Contrairement à beaucoup, je n’avais jusque-là jamais insisté sur une évolution vers une recentralisation. En réalité, je crois que nous allons désormais vers un bouleversement qui marque un retour en arrière. La réforme générale des politiques locales, associée à la mise sous tutelle des collectivités territoriales par le biais de la disparition de leur autonomie financière et surtout fiscale, dessine bien un retour de l’État sous son aspect le plus centralisateur. Tout cela est d’ailleurs cohérent avec la mise au pas des pouvoirs intermédiaires dans d’autres secteurs.

Autre domaine sur lequel je passe très vite, le nombre et le coût des élus. Cet argument, je ne conseille à personne de l’utiliser. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Il flatte les instincts les plus bas de la population, toujours prête à crier que nous sommes « tous pourris », alors que le coût des élus est modique, comme l’a souligné M. Collombat.

Agiter de tels arguments est dangereux pour la démocratie, aussi dangereux que le véritable motif de cette réforme : récupérer au profit de la droite le terrain perdu dans les départements et, surtout, dans les régions. Et peu importe si les citoyens n’y trouvent finalement pas leur compte ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur quelques travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il est un sentiment partagé par la plupart des élus territoriaux de notre pays, c’est bien que la prochaine réforme des collectivités locales doit être, non un simple replâtrage, mais une réforme qui aille dans le sens de la clarification, de la simplification et de la lisibilité, pour les élus comme pour la population. (Applaudissements sur certaines travées de lUnion centriste et de l’UMP.)

Or, force est de constater que les réformes qui ont touché l’architecture des collectivités territoriales depuis la décentralisation des années quatre-vingt n’ont pas toutes été dans ce sens. Je pense, par exemple, à ces lois qui, en quelques mois, ont créé les schémas de cohérence territoriale, les SCOT, les pays et les communautés, chacune de ces entités ayant son propre territoire.

Je pense aussi à la loi relative aux libertés et responsabilités locales d’août 2004, présentée comme l’acte II de la décentralisation, mais qui n’a pas été à même de donner un nouveau souffle aux collectivités territoriales.

La réforme dont nous allons débattre dans les prochains mois ne doit donc pas être en demi-teinte si l’on ne veut pas devoir y revenir dans quelques années.

Le premier objectif qu’elle doit atteindre est bien celui de la simplification et de la lisibilité, pour éviter l’empilement des structures et le chevauchement des compétences qui compliquent la gestion d’un dossier et créent de la confusion. Il s’agit de faire en sorte que ce qui va être mis en place soit parfaitement compris et approprié par les élus et les habitants de notre pays.

Or, si beaucoup de responsables d’exécutifs sont parfois tentés de considérer que la complexité est inévitable et qu’il est impossible de remettre en cause les compétences et la manière dont fonctionne leur propre collectivité, force est de constater que beaucoup d’élus locaux sont souvent interrogatifs face à cette répartition des compétences entre les uns et les autres et qu’ils verraient d’un bon œil que l’on évolue vers un dispositif plus clair et plus simple, comme un nombre croissant de nos concitoyens. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Nous devons donc veiller à ne pas être en décalage avec cette attente. Et, pour cela, peut-être faut-il approcher cette réforme plus en termes de services qu’en termes de pouvoir.

En effet, lorsque j’entends dire que la construction, l’équipement et l’entretien des lycées n’ont rien à voir avec la construction, l’équipement et l’entretien des collèges…

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. Bravo !

M. Yves Détraigne. … et que cela ne peut pas être réuni au sein d’un même service d’une même collectivité mais que cela doit nécessairement dépendre de deux collectivités différentes, je dois avouer que j’ai peine à comprendre et que la nuance m’échappe. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.- Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout cela a déjà été dit !

M. Yves Détraigne. Et je suis tenté de penser que c’est en termes de pouvoir plus que sous l’angle de la simplification, de la clarification et de la lisibilité du service que la question est alors abordée.

M. Yves Détraigne. Être durable constitue le deuxième objectif pour cette réforme. Il faut en effet éviter d’avoir à y revenir dans les prochaines années. Cela passe, bien sûr, par une refonte complète du financement des collectivités territoriales et la fin des modifications au coup par coup et sans visibilité d’ensemble que l’on connaît depuis des années, loi de finances après loi de finances. Mais cela nécessite aussi de mettre fin aux doublons de compétences et à l’empilement sans coordination des structures et des périmètres.

Si la généralisation de l’intercommunalité à fiscalité propre m’apparaît souhaitable, et même incontournable, encore faut-il que cette intercommunalité soit comprise par la population. Pour cela, il faudra insister sur la cohérence des territoires intercommunaux et se donner les moyens de remodeler, là où ce sera nécessaire, les périmètres des communautés existantes. On ne peut pas conserver des communautés à territoires disjoints ou dont le territoire correspond plus à des accointances entre élus qu’à la réalité d’un bassin de vie.

De même, il faudra veiller à faire disparaître bon nombre de SIVOM et de SIVU, dont on se demande parfois pour quelles raisons ils subsistent encore alors que l’intercommunalité à fiscalité propre s’est développée dans leur secteur.

Dans le même ordre d’idées, si l’on réduit le nombre de SIVOM et de SIVU, je ne pense pas que ce soit pour ajouter dans le même temps aux communautés de communes, aux communautés d’agglomération et aux communautés urbaines une forme nouvelle d’intercommunalité urbaine que l’on appellerait « métropole ». Ou alors, cette nouvelle forme d’organisation métropolitaine doit être d’une autre nature : il faut qu’elle soit réservée aux agglomérations de taille très importante et de rayonnement incontestablement international et que ces métropoles exercent sur leur territoire, outre les compétences d’une communauté urbaine, celles qu’exerce aujourd’hui le département.

Il doit s’agir non pas de créer une intercommunalité de plus, mais bien de prendre en compte le caractère spécifique de nos plus grandes métropoles.

Enfin, je ne peux pas m’empêcher de penser que, comme la commune, le département est une collectivité de proximité. Ces deux entités, parfaitement identifiées par la plupart de nos concitoyens, ont vocation à s’épauler et à se compléter, alors que la région a beaucoup plus vocation à s’occuper des grandes infrastructures d’aménagement du territoire, de la politique de la recherche ou de l’université, pour ne citer que ces quelques exemples.

Ce n’est pas parce que le département a plus de deux siècles d’existence qu’il doit faire les frais de la réforme, n’en déplaise à certains.

Si les communes en milieu rural ont besoin du département, l’État et l’Union européenne ont besoin de régions françaises fortes ; il ne faut pas confondre ces deux niveaux de collectivités, qui ont chacun un rôle bien spécifique.

La mission Belot, comme le comité Balladur, a fait du bon travail et a su esquisser des pistes de réforme intéressantes ; le Sénat doit maintenant s’en emparer et aller au bout du débat pour que la réforme soit à la hauteur des attentes des élus de terrain et des besoins de la population de notre pays. (Applaudissements sur la plupart des travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Jean-François Voguet l’a rappelé, la réforme qu’appellent de leurs vœux le Président de la République et le Gouvernement est une véritable casse de l’organisation démocratique de notre pays.

En fait, le Président de la République n’admet pas que les collectivités puissent être des lieux de résistance à sa politique, où la démonstration peut encore être faite qu’une politique publique de services publics est indispensable à la qualité de vie de nos concitoyens.

Les habitants de notre pays doivent pouvoir bénéficier, quel que soit l’endroit où ils vivent, quelles que soient leurs ressources, de services de qualité qui répondent à leurs besoins à tout moment. Les collectivités y consacrent des moyens importants, ce dont les habitants se félicitent.

Le Gouvernement a décidé d’attaquer la réforme sans parler de la profondeur des modifications envisagées. Il est clair, par exemple, que la création des métropoles marque la fin des communes situées dans leur aire géographique, la fin d’une relation privilégiée entre les élus et leurs concitoyens ; c’est la mise en cause d’un système démocratique dont on sait qu’il est facteur de respect et de cohésion sociale et dont on connaît la capacité à faire vivre l’intérêt général.

Lors des auditions de la mission, de nombreux témoignages ont bien montré cette réalité du terrain.

Pour notre part, nous voulons développer cette vie démocratique, permettre aux citoyens de mieux se saisir de tout ce qui façonne leur vie, en quelque sorte. C’est pour cela que nous nous attachons à faire vivre des services publics de qualité dans les collectivités dont nous assumons la responsabilité.

C’est aussi la raison pour laquelle nous ne pouvons partager l’exigence de la suppression d’une part décisive, car une part dynamique, des recettes de nos collectivités : je veux bien évidemment parler de la taxe professionnelle, cet impôt économique grâce auquel les communes et les intercommunalités, les conseils généraux, les conseils régionaux réalisent les infrastructures indispensables à leur développement, organisent la formation initiale et professionnelle aux côtés de l’État, assurant de ce fait aux entreprises des salariés bien formés.

Le Président de la République, dans son discours de Versailles, s’est ainsi interrogé : « Allons-nous continuer à taxer la production et à taxer le travail alors que nous savons bien qu’en faisant peser des charges fixes trop lourdes sur le travail et sur la production, nous détruisons nos emplois et nos industries ? »

Nous ne partageons pas le constat. Si la taxe professionnelle pèse plus sur le secteur de la production – le plafonnement à 3,5 % de la valeur ajoutée a cependant permis d’atténuer l’écart –, c’est parce que, jusqu’à aujourd’hui, personne n’a accepté d’étudier notre proposition de modernisation de cette taxe tendant à intégrer la richesse financière dans les bases de son calcul. Cela permettrait de revenir à une plus grande égalité devant l’impôt et d’alimenter un fonds de péréquation national.

Le Président de la République affirme, comme le Gouvernement, que la taxe professionnelle est une entrave dont il faut se défaire. Une telle mesure serait « un choix stratégique en faveur du travail et de la production ».

Mais si tel est véritablement le cas, pourquoi le Gouvernement refuse-t-il toujours de faire le bilan des réductions successives de taxe professionnelle décidées depuis 1987 ? L’allégement de 16 % des bases, la suppression de la part salaires, les dégrèvements pour investissements nouveaux ont-ils eu une efficacité économique ? Laquelle ? Qui l’a mesurée ?

Le seul document qui donne un éclairage sur ce sujet est le rapport Cotis, alors que tel n’était pas son objet. On peut y lire que la part consacrée à la rémunération des actionnaires augmente ces vingt dernières années, tandis que celle qui est dévolue aux investissements diminue. C’est cette situation qui fait courir de grands risques à notre tissu économique de production.

Lors de la séance du 10 juin, M. le secrétaire d’État chargé de l’industrie et de la consommation ne nous a apporté aucune réponse sur ce bilan. Or n’est-il pas de bonne politique de faire un diagnostic avant de choisir les soins qui seront prodigués au malade ? Si, demain, les collectivités n’ont plus la capacité de répondre aux attentes de nos concitoyens, des entreprises, en particulier des PME qui, avec les artisans, contribuent à la dynamique des territoires, ce sont eux qui vous demanderont des comptes.

Nous ne voulons pas attendre qu’un tel scénario se réalise. Nous voulons au contraire inciter tous ceux qui s’intéressent au développement de l’ensemble de notre pays, de tous ses territoires, de toute sa population, à agir pour que leurs attentes soient entendues. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Charles Guené. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Charles Guené. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le 22 juin dernier, devant le Parlement réuni en Congrès, le Président de la République a réaffirmé sa volonté d’aller « jusqu’au bout de la réforme des collectivités locales » et de ne se dérober ni devant la réduction du nombre des élus régionaux et départementaux, ni devant le problème de la répartition des compétences.

M. Didier Guillaume. Tout est dit !

M. Charles Guené. Les membres du groupe UMP du Sénat soutiennent avec conviction cette volonté réformatrice. Rien ne serait pire qu’une demi-réforme qui s’arrêterait au milieu du gué et se contenterait de repeindre les murs de l’immobilisme et du conservatisme.

Les travaux menés par la mission temporaire présidée par notre excellent collègue Claude Belot, ses déplacements sur le terrain, ainsi que les contacts que nous avons tous eus dans nos départements, montrent l’ampleur des attentes des élus locaux et de l’ensemble de nos concitoyens.

Les maires, en particulier, en ont assez des doublons administratifs, des financements croisés et des procédures interminables, sources d’un gaspillage de temps et souvent aussi d’argent public. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.- Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.) Ils nous demandent de clarifier, de simplifier et de mettre fin au « millefeuille » administratif, en renforçant la légitimité des élus et en redonnant de la lisibilité à notre système, donc à l’action publique. (Protestations continues sur les travées du groupe socialiste.)

C’est un constat que nous partageons, monsieur le président de la mission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, même si nous divergeons sur certaines des solutions à apporter.

Je tiens, à cet égard, à saluer l’esprit de dialogue et d’ouverture dans lequel se sont déroulés les travaux au sein de la mission, sous la présidence de notre collègue Claude Belot.

En matière d’intercommunalité, les propositions de la mission ne sont pas très éloignées de celles du groupe de travail de la majorité parlementaire animé par nos collègues Jean-Patrick Courtois et Dominique Perben et au sein duquel j’ai eu l’honneur d’animer un atelier.

Nous sommes très attachés à la commune, échelon principal de proximité, à laquelle nous souhaitons réserver la clause de compétence générale, ou à l’intercommunalité, par délégation.

Nous proposons également d’achever la carte de l’intercommunalité d’ici à la fin de l’année 2011, de réformer la composition des commissions départementales de coopération intercommunale en renforçant la place des intercommunalités existant en leur sein, et de leur donner davantage d’autonomie, voire un pouvoir de décision, ainsi que je l’ai moi-même proposé.

Un système plus souple de fusion des communes, des intercommunalités et des syndicats pourrait être mis en place avec pragmatisme. Il n’y aurait plus de création de nouveau pays et les pays existants seraient progressivement insérés dans les dispositifs de coopération intercommunale.

Les délégués communautaires seraient élus au suffrage universel direct à l’occasion des élections municipales par un système de fléchage et leur nombre serait plus proportionné à la taille des communes.

Il nous paraît par ailleurs nécessaire de prévoir l’accord de la commune représentant la majorité de la population au sein des communautés d’agglomération pour les décisions la concernant.

Un vote à la majorité qualifiée serait en particulier exigé pour l’adoption de la section d’investissement du budget communautaire, hors remboursement du capital des emprunts, par exemple.

Enfin, pour ce qui concerne les élections municipales, il est envisagé de supprimer le panachage jusqu’à un seuil à déterminer – il pourrait être fixé à 500 habitants – et d’encadrer plus strictement le nombre de membres des exécutifs des intercommunalités.

Vous le voyez, nous partageons non seulement le constat établi à propos de l’intercommunalité, mais aussi la plupart des orientations du rapport présenté par nos collègues Jacqueline Gourault et Yves Krattinger.

Je ne traiterai pas en cet instant de la composante fiscale de la réflexion menée, faute de temps. De surcroît, le 10 juin, lors du débat sur la taxe professionnelle, j’ai très largement développé, à cette même tribune, la nécessité d’une réforme globale de la fiscalité locale.

En revanche, je souhaite évoquer nos divergences, plus importantes, sur la question des métropoles et, surtout, sur celle de la gouvernance, intimement liée à la précédente.

Nous devons les assumer clairement, tout en respectant le point de vue de chacun, dans l’esprit de dialogue insufflé par le Président du Sénat, même si nous avons largement laissé l’opposition développer ses points de vue durant les travaux de la mission. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Quelle grandeur d’âme !

M. Charles Guené. C’est la raison pour laquelle les membres du groupe UMP ont demandé et obtenu légitimement, me semble-t-il, la possibilité de joindre une contribution au rapport de la mission.

Par cette contribution, nous tenons à réaffirmer notre volonté de créer, par la loi, un nombre limité de métropoles aux pouvoirs réellement renforcés – dans un premier temps, sept ou huit – et de donner la possibilité à d’autres agglomérations de s’organiser en « groupements métropolitains de projets », pour tenir compte de leurs spécificités et de leurs initiatives de coopération locale.

Ces métropoles se verraient accorder la clause de compétence générale, les compétences départementales et la compétence économique, partagée avec la région, sur l’ensemble de leur territoire.

Nous pensons en effet qu’en ce domaine nous devons être audacieux pour donner aux métropoles les moyens de leurs ambitions et leur permettre de rivaliser avec les plus grands centres urbains européens, sans les cantonner dans le rôle de communautés d’agglomération bis.

Les conseillers métropolitains seraient élus au suffrage universel direct selon un système de fléchage à l’occasion des élections municipales et à la proportionnelle des résultats obtenus.

Là encore, nous avons besoin d’une gouvernance claire pour conduire des politiques fortes et cohérentes.

La question du périmètre des métropoles devra être aussi franchement posée, tout en privilégiant la recherche de solutions pragmatiques et différenciées pour la partie résiduelle du département non intégrée à la grande métropole, pour respecter son identité et lui assurer un développement durable.

Nous sommes en effet favorables aux grandes métropoles mais opposés à la fracture territoriale.

L’autre principal point de divergence porte sur la clarification de la gouvernance et des compétences entre départements et régions.

Notre collègue Yves Krattinger souligne dans son rapport que deux options ont été débattues au sein de la mission.

La première, qu’il privilégie, vise à mettre en place un conseil régional des exécutifs, pour retenir les orientations et pour faciliter les arbitrages nécessaires à la conduite des politiques territoriales, ainsi qu’une conférence départementale des exécutifs dans chaque département.

M. Didier Guillaume. Très bonne mesure !

M. Charles Guené. La création de ces nouvelles structures, certes légères, suscite certaines réserves, car elle risque de ne pas aller dans le sens de la simplification souhaitée.

M. Didier Guillaume. La souplesse !

M. Charles Guené. Nous savons, en outre, que ces cénacles de rencontre, qui existent déjà sur le terrain, n’ont d’efficacité réelle que grâce aux qualités et à la bonne volonté des femmes et des hommes qui les composent.

Par ailleurs, on voit mal comment leur avis pourrait s’imposer à des collectivités de plein exercice, sauf à nous situer dans la cité idéale de Platon ou de Thomas Moore ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Enfin, et nous avons dès le début de la réflexion posé le problème en ces termes, la réforme des collectivités locales ne peut s’appuyer que sur une clarification nette des compétences…

M. Charles Guené. … et sur une gouvernance rationalisée entre les départements et les régions.

Faute d’avoir tranché sur la répartition des compétences essentielles et, surtout, sur celles qui sont source d’aménagement du territoire et d’enjeux de pouvoir, la mission aurait dû logiquement porter le fer sur la gouvernance.

Une trop grande volonté de consensus l’a amenée sur ce point essentiel à une proposition non aboutie, à une sorte de statu quo qui relève du diagnostic posé.

Le groupe UMP s’est, quant à lui, voulu audacieux et résolument novateur pour proposer à notre pays la réforme qu’il attend (Applaudissements sur les travées de lUMP), en développant une seconde option, à laquelle nous sommes très majoritairement favorables : la création de conseillers territoriaux siégeant à la fois au conseil général et au conseil régional. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP.-Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Nous soutenons la création de conseillers territoriaux, non par idéologie mais par pragmatisme. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Nous souhaitons, en effet, spécialiser les compétences des départements et des régions pour mettre un terme aux doublons et aux financements croisés et accroître l’efficacité de leurs politiques. (Mme Marie-France Beaufils s’exclame.)

Pour atteindre cet objectif, la solution la plus efficace consiste à faire prendre les décisions par les mêmes élus, qui exerceraient un seul mandat mais deux fonctions aux deux niveaux de collectivités qui subsisteraient. (M. Pierre-Yves Collombat, vice- président de la mission temporaire, s’exclame.)

Cette intégration des assemblées départementales et régionales favoriserait l’harmonisation des politiques mises en œuvre et ferait émerger une solidarité territoriale plus forte entre les départements et les régions.

Cette nouveauté permettrait de recentrer l’action des deux collectivités autour d’élus moins nombreux et donc plus identifiables par les électeurs. (Protestations renouvelées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Charles Guené. Cela mettrait également un terme à la concurrence institutionnelle, et donc financière, que l’on a vu apparaître entre les deux assemblées au cours de ces vingt dernières années.

Nous n’ignorons pas qu’il reste des questions d’ordre technique et constitutionnel à examiner ainsi que le mode de scrutin à envisager,…

M. Charles Guené. … même si nous sommes très attachés à l’ancrage territorial et au canton, en particulier en milieu rural. (Applaudissements sur les travées de lUMP.-Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Je le précise pour répondre aux inquiétudes de notre collègue Jacques Mézard.

Afin d’éviter que l’on nous accuse de vouloir changer les règles du jeu à la veille du prochain scrutin, et pour rassurer particulièrement M. Peyronnet, nous proposons d’ailleurs un calendrier de mise en place progressive : les conseillers régionaux seraient élus en 2010 selon le mode actuel, pour un mandat de quatre ans, et la moitié des conseillers généraux en 2011, toujours selon le mode en vigueur, pour un mandat de trois ans.

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Pourquoi trois ans ?

M. Charles Guené. L’élection générale des conseillers territoriaux n’interviendrait donc qu’en 2014.

Ces conseillers territoriaux constituent néanmoins pour nous la pierre angulaire de la réforme ambitieuse que nous appelons de nos vœux. Si nous voulons réellement clarifier les compétences, nous devons impérativement simplifier la gouvernance en faisant confiance aux élus.

M. Michel Boutant. La confiance ? On commence par les éliminer !

M. Charles Guené. Notre objectif est à la fois de faire mieux de manière moins coûteuse, de sortir du « jardin à la française » pour mieux prendre en compte la diversité territoriale de notre pays et de revoir la gouvernance des collectivités pour renforcer la légitimité des élus et améliorer l’efficience de la gestion publique.

Tel est le sens de la réforme majeure que nous souhaitons engager pour répondre aux attentes des élus locaux et de l’ensemble des Français. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. - Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je considère pour ma part que les conclusions de la commission Balladur sont globalement très positives…

M. Jean Louis Masson. … sur plusieurs points : la clarification de l’intercommunalité, la modernisation du mode de scrutin dans les communes de 500 à 3 500 habitants et le fléchage des délégués dans les intercommunalités.

De même, il fallait à l’évidence revoir les rapports entre les départements et les régions : on ne pouvait pas continuer de la sorte. L’interdiction du chevauchement de compétences permettra notamment de réduire les rivalités stériles qui sont tout à fait dramatiques compte tenu des difficultés auxquelles est confronté notre pays. Le problème des financements croisés devra, me semble-t-il être résolu à un moment ou à un autre.

Je suis également partisan de la création de conseillers territoriaux, qui permettra de rapprocher progressivement les départements et les régions, les mêmes personnes gérant les mêmes dossiers en complémentarité.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Jean Louis Masson. Monsieur le ministre, je formulerai toutefois deux réserves importantes. Cette réforme, si elle est faite, doit l’être honnêtement, en dehors de toute logique politicienne. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.) C’est là tout le problème !

M. Jean Louis Masson. Cela suppose, premièrement, que le mode de scrutin pour l’élection des conseillers territoriaux soit cohérent et que l’on ne nous monte pas une usine à gaz comme pour les élections européennes. Pour ma part, je suis partisan soit d’un scrutin proportionnel infra-départemental, comme l’a proposé le comité Balladur, soit d’un scrutin uninominal à deux tours, donc majoritaire à deux tours, mais certainement pas d’un scrutin mixte ménageant la chèvre et le chou.

M. Gérard Collomb. C’est vrai !

M. Jean Louis Masson. Deuxièmement, outre cette clarté du mode de scrutin, il faut aussi, me semble-t-il, que sa mise en œuvre se fasse de manière honnête : je pense en particulier au risque de charcutage, qui est ici fondamental. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)

Il n’y a là rien qui prête à rire, chers collègues ! Au cours de ma carrière politique, j’ai vu bien des projets de redécoupage, notamment en 1986, pour les élections législatives et aujourd'hui même encore. Je sais donc que l’on peut être confronté à des situations particulièrement regrettables. Si l’on veut que les conseillers territoriaux aient une légitimité, si l’on veut que la réforme puisse faire l’objet d’un consensus, il faut alors renoncer à ces pratiques de charcutage que l’on a constatées encore récemment.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jean Louis Masson. Je termine monsieur le président.

Si l’on crée une commission, bien sûr neutre et objective, ou prétendue telle, pour donner un avis sur les projets de découpage, il faudra ensuite la suivre : ce n’est pas la peine de créer une commission si c’est pour ne tenir aucun compte de son avis ! Vous voyez ce à quoi je fais allusion, monsieur le ministre…

En conclusion, je souhaite vivement que l’on prenne en considération cet aspect dans le cadre de la création des conseillers territoriaux et que, s’agissant d’un dossier beaucoup plus actuel, on tienne compte également de l’avis de la commission.

M. le président. La parole est à M. Gérard Collomb. (Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. Gérard Collomb. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mesdames, messieurs les membres de la mission temporaire, j’espère que l’on m’en excusera dans cette enceinte républicaine, mais, pour saluer la venue, au banc du Gouvernement, de notre ancien collègue Michel Mercier, je souhaiterais commencer en citant saint Augustin : « Credo quia absurdum », je crois parce que c’est absurde. (Rires.)

Lorsque j’écoute les rapporteurs et le président de la mission temporaire, j’ai envie de croire, oui j’ai envie de croire à une réforme qui serait guidée par l’intérêt supérieur du pays, à une réforme qui viserait la meilleure efficience des territoires, à une réforme qui ferait en sorte que, dans les zones rurales comme dans les zones urbaines, chacun puisse apporter sa part d’excellence.

Oui, j’ai envie de vous croire, chers collègues, et de croire que le président du Sénat souhaite que nous nous engagions dans cette voie. Hélas, quand j’écoute nos collègues Rémy Pointereau et Charles Guené, tous deux membres de la mission temporaire, je doute.

Mes chers collègues, de deux choses l’une : soit on prend en compte l’intérêt supérieur de notre pays pour que la France soit compétitive par rapport à ses partenaires européens, soit on vise de très petits intérêts, et je reconnais que la démarche peut avoir une efficacité certaine.

De très petits intérêts, disais-je. Cela pourrait commencer, par exemple, par un discours anti-collectivités locales dans lequel on leur reprocherait d’être dépensières, elles qui, pourtant, réalisent 73 % des investissements et dont l’endettement ne représente que 10 % de celui de l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Et pourquoi ne pas réduire l’autonomie financière et fiscale de ces collectivités ? C’est peut-être là, après tout, que se cache le magot ! Il s'agirait alors de faire supporter par les collectivités locales, et en dernier lieu par les ménages, la diminution des charges des entreprises que l’on projette mais que l’on cherche encore à financer…

Enfin – mais je sais que l’idée n’en est venue à personne, et surtout pas à vous, monsieur Marleix – on pourrait en profiter pour créer un nouveau statut de conseiller territorial qui serait élu, au reste de façon assez ubuesque, au scrutin uninominal dans les zones rurales – là où le scrutin majoritaire vous serait favorable –, mais à la proportionnelle dans les grandes agglomérations, là où le scrutin majoritaire vous serait défavorable. Il s'agit tout de même de ne pas perdre trop de terrain, n’est-ce pas ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)

Mais ce ne sont là évidemment que des fantasmes, et telle n’est pas votre volonté, monsieur le secrétaire d’État !

Je crois au développement des territoires, qui est indispensable pour notre pays, qu’il s’agisse des territoires urbains ou des territoires ruraux, tant il est vrai que ce qui se passe dans les régions rurales, où le département constitue l’armature d’un territoire, est aussi important que ce qui se passe dans nos grandes agglomérations.

Vous nous dites aujourd'hui qu’il faut réajuster le couple métropole-communes. Mais il fonctionne déjà très bien, dans ma communauté urbaine, notamment.

Que voulons-nous ? Nous voulons pouvoir organiser notre territoire sur une plus grande échelle pour le rendre plus performant. Tel est le projet que nous portons, nous, c'est-à-dire la métropole lyonnaise avec la métropole stéphanoise, avec la communauté d’agglomération des pays de l’Isère, mais tel est aussi le projet de Metz et Nancy, de Nantes et Saint-Nazaire.

Alors, donnez à cette organisation nouvelle le nom que vous voulez, celui de « métropole », par exemple, mais, que les choses soient claires, il s’agit d’organiser le territoire afin de pouvoir faire face à quatre types de défi.

Premièrement, s’agissant de la planification du territoire, il faut éviter que nos grandes agglomérations ne se déploient de manière tentaculaire, mitant les espaces naturels et les espaces agricoles, et organiser le développement urbain autour des transports en commun.

Deuxièmement, il faut développer, de manière coordonnée, en commun, nos universités, notre recherche et nos pôles de compétitivité.

Troisièmement, il faut des autorités organisatrices des transports conçues à l’échelle des grandes métropoles.

Quatrièmement, nous devons mutualiser les moyens mis en œuvre pour que les grands événements culturels puissent, au-delà de la région, mais aussi au-delà du pays, rayonner dans toute l’Europe.

Alors oui, messieurs les ministres, si vous portez une réforme qui prenne en compte ces quatre types de défi, vous ferez évoluer notre pays !

En revanche, si vous défendez ces très petits intérêts dont je convoquais le spectre en commençant, vous resterez ou redeviendrez peut-être présidents de conseil général ou de conseil régional, mais vous n’aurez gagné que sur tapis vert, et je puis vous assurer que vous ne resterez pas dans l’Histoire ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, compte tenu du temps qui m’est imparti, je me limiterai à évoquer certains points, et sans être exhaustif.

Comme je l’ai déjà dit à cette tribune à l’occasion d’un précédent débat sur les collectivités locales, je suis convaincu que notre pays a besoin, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, d’une réforme réelle et ambitieuse, et certainement pas d’une réformette.

Trop souvent par le passé, le manque de courage politique a abouti à des réformettes successives, qui, aujourd’hui, contraignent les élus locaux à évoluer dans un cadre juridique complexe et changeant sans cesse.

Je voudrais d’ailleurs souligner que les élus locaux sont beaucoup plus ouverts à la réforme qu’on ne le pense, et peut-être même beaucoup plus qu’un certain nombre d’entre nous.

J’ai adressé aux 675 maires de mon département un questionnaire à la suite de la publication du rapport de M. Édouard Balladur, et j’ai été surpris des réponses recueillies.

Ainsi, 88,5 % des élus jugent indispensable ou nécessaire une réforme des collectivités locales ; 68 % d’entre eux souhaitent la fin des financements croisés, ce qui témoigne bien de l’obstacle que ceux-ci représentent en termes de lisibilité ; 77 % des élus considèrent que le rapport Balladur constitue une bonne base de travail ; 59 % d’entre eux - j’en suis moi-même très étonné - sont favorables à un développement des intercommunalités, pouvant aboutir à la création de communes nouvelles.

En revanche, 85 % des maires que nous avons interrogés estiment que les élus sont insuffisamment associés à la réflexion. Il faudra veiller, monsieur le ministre, à ne pas nourrir ce sentiment et à les associer à la prise de décision. La consultation des associations dites représentatives n’est sans doute pas suffisante dans ce domaine.

Lors de notre précédent débat, j’avais exprimé quelques inquiétudes quant à la détermination du Gouvernement sur le sujet. Je craignais que la montagne n’accouche d’une souris ou, pour reprendre l’expression utilisée par Michel Mercier, que l’on ne se limite à « un coup de Ripolin » !

Le Président de la République intervenant devant le Congrès m’a rassuré. J’ai noté avec satisfaction sa volonté de ne pas se « dérober » devant la réduction du nombre d’élus départementaux et régionaux et devant le problème de la répartition des compétences.

Je m’en réjouis car, avec la grande majorité des élus du groupe Union centriste, notamment des sénateurs du Nouveau Centre, je partage pleinement cette vision.

Nous pensons que la mise en place de conseillers territoriaux, dès lors que ceux-ci garderont un lien réel avec le territoire, est positive. Cette évolution permettra de conserver départements et régions, tout en améliorant la cohérence de l’ensemble.

Nous jugeons indispensable de clarifier réellement les compétences de chacun et de mettre fin aux incroyables enchevêtrements de compétences et de financements. Nous voulons rompre avec cette absence totale de lisibilité des politiques publiques.

Nous souhaitons terminer la mise en place de l’intercommunalité et réduire le nombre des syndicats divers et variés. Je crois même qu’il faut aller un peu plus loin, en améliorant le fonctionnement des intercommunalités et en fixant un seuil minimum de compétence.

À terme, dès lors qu’une structure - ou un service - présentera un réel intérêt communautaire, elle devra être reprise par l’intercommunalité. Il n’est pas normal que, encore aujourd’hui, de très nombreux bourgs-centres aient à financer des services ou des équipements qui servent majoritairement à des communes voisines.

Nous souhaitons, bien entendu, que le rôle de la commune, échelon de la démocratie de proximité et échelon du lien social, soit confirmé.

En revanche, s’agissant de la désignation des élus communautaires, je voudrais appeler à la prudence.

Je comprends le souhait de laisser cette désignation aux citoyens, mais je ne suis pas favorable à l’extension du scrutin de liste à toutes les communes de plus de 500 habitants. Il faudrait envisager un seuil plus élevé pour éviter tout risque de politisation de nos petites communes. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Ce sujet mérite donc prudence et réflexion.

Il serait d’ailleurs judicieux que nous désignions une commission spéciale pour examiner les projets de loi qui seront présentés à notre assemblée.

J’ajoute, à la demande de mon collègue Yves Pozzo di Borgo, sénateur de Paris, que, dans le cadre de la réforme des collectivités locales, il faudra aussi traiter la question de la réforme de la loi du 31 décembre 1982, dite loi PLM.

Mes chers collègues, j’ai la conviction que le Sénat doit être aux côtés du Président de la République et du Gouvernement dans sa volonté réformatrice. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Le Sénat, représentant des collectivités locales et des territoires, ne doit pas faire preuve de conservatisme, de frilosité, d’ambiguïté sur un tel sujet, qui interdit les demi-mesures. Nous aurions tout à y perdre ! Au contraire, nous devons être le fer de lance de cette réforme.

Monsieur le ministre, nous attendons donc, avec beaucoup d’impatience et d’espoir, le ou les projets de loi du Gouvernement sur le sujet. Je peux vous assurer que le groupe Union centriste, tout en apportant les modifications qui lui sembleront nécessaires, soutiendra le Gouvernement pour mettre en place une vraie réforme des collectivités locales. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Christian Poncelet.

M. Christian Poncelet. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite à mon tour féliciter le président de la mission temporaire, Claude Belot, ses deux rapporteurs, Yves Krattinger et Jacqueline Gourault, et l’ensemble des membres de cette mission pour la qualité de leur travail.

L’intérêt du rapport que vous avez présenté, mes chers collègues, réside non seulement dans les propositions qu’il contient, et ce en abondance, mais aussi dans la démarche de dialogue et d’ouverture dont il découle.

En effet, la mission que vous a confiée le président du Sénat en octobre dernier vous a conduits – cela a été répété à maintes reprises – à aller à la rencontre des élus locaux sur le terrain. Il s’agissait d’étudier concrètement les problèmes auxquels ces élus se trouvent confrontés, ainsi que les populations qu’ils administrent, particulièrement en zone rurale et, surtout, en territoire de montagne.

J’ai moi-même conduit cette démarche d’écoute et de formulation de propositions avant que soit engagé ce que l’on a appelé « l’acte II de la décentralisation », et j’ai pu en mesurer tout l’intérêt. J’évoque ici les états généraux de la décentralisation, qui ont été menés région par région.

Fort de cette expérience, je souhaite insister aujourd’hui sur le lien nécessaire entre la clarification des compétences et le financement de ces compétences. Ces deux aspects me paraissent effectivement indissociables.

La répartition des compétences des collectivités territoriales est devenue, aujourd’hui, complètement illisible pour les citoyens et pour les élus locaux, qui ne savent plus à qui s’adresser et perdent un temps considérable dans de multiples circuits de décision. Ceux qui sont allés à leur rencontre ont pu entendre toutes les réclamations que les élus avaient à formuler à ce sujet.

La clarification de ces compétences est aujourd’hui indispensable. Elle doit être aussi nette que possible, sans craindre de remettre en cause certaines habitudes.

Je pense par exemple, comme beaucoup de mes collègues, que la clause de compétence générale doit être réservée à la commune ou à l’intercommunalité, par délégation de la commune. En effet, c’est le principal échelon de proximité, celui que nous devons conforter et renforcer.

M. Jacques Legendre. Très bien !

M. Christian Poncelet. Les compétences départementales et régionales doivent, pour leur part, être spécialisées afin de supprimer les doublons et les financements croisés et ainsi de simplifier les procédures. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mais poser la question de la clarification des compétences doit simultanément – j’insiste sur ce terme – nous conduire à poser celle du financement.

Comme tout le monde le reconnaît, les grands principes de compensation de transfert des compétences édictés par les premières lois de décentralisation n’ont pas été respectés.

Ainsi, la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, dite loi Defferre, qui a été promulguée sous le gouvernement de M. Pierre Mauroy, précisait que tout transfert de compétences devait être accompagné d’un transfert de moyens à due concurrence. Personne ne conteste le principe, et pourtant, aucun gouvernement, ni de droite ni de gauche, n’a appliqué rigoureusement cette loi. Aucun, mes chers collègues ! (Nombreuses marques d’approbation.)

Comme la mission temporaire le rappelle dans son rapport, le Sénat avait adopté, le 26 octobre 2000, sur mon initiative, je me plais à le rappeler, une proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières.

La révision constitutionnelle de 2003, votée par l’ensemble des parlementaires réunis en Congrès,...

M. Christian Poncelet. ... a permis un progrès dans ce domaine, même si je reconnais qu’il reste certaines ambiguïtés, notamment sur la notion de « ressources propres ».

En effet, la vraie question est celle du dynamisme comparé des compétences et des ressources transférées. Qui fait quoi et avec quoi ?

Il est un domaine où le dynamisme structurel de la dépense doit nous conduire à nous interroger sur le financement des dépenses transférées : il s’agit de l’action sociale et médicosociale.

Les rapporteurs de la mission temporaire proposent de conforter le département dans son rôle de chef de file de l’action sociale, en renforçant la cohérence de son intervention avec les autres acteurs, en particulier avec l’agence régionale de santé et les organismes de sécurité sociale.

Ils proposent surtout de nouveaux transferts de compétences.

Seraient ainsi transférés aux départements le financement de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, et de l’ensemble des établissements et services d’aide par le travail, les ESAT, ainsi que la compétence en matière de médecine scolaire. Ce dernier transfert, d’abord opéré à titre expérimental, ne tarderait pas à être définitif.

Pourtant, comme le soulignent aussi les auteurs du rapport, l’aide sociale aux personnes âgées, l’aide sociale aux personnes handicapées, l’aide sociale à l’enfance et les dépenses afférentes au revenu minimum d’insertion, le RMI, représentent déjà, aujourd’hui, 89 % des dépenses brutes d’aide sociale des départements.

Et que dire de l’impact financier du revenu de solidarité active, le RSA ? Qui peut prévoir le montant de la dépense enregistrée, en fin d’année, pour ce dispositif ? Personne ! On navigue à vue !

Le problème réside dans le fait que ces dépenses sont particulièrement dynamiques pour des raisons à la fois conjoncturelles et structurelles.

Le RMI, qui constitue le premier poste de dépenses, est, par exemple, très lié à la conjoncture. Compte tenu de la crise que nous traversons, nous pouvons craindre à court terme des difficultés dans ce domaine.

Il faut espérer un retour rapide de la croissance et une amélioration du marché du travail pour contenir l’inflation des dépenses liées à l’insertion.

La situation est plus inquiétante encore pour ce qui concerne l’aide sociale aux personnes handicapées et aux personnes âgées.

Dans ces deux domaines, les dépenses sont non seulement importantes, mais aussi, et surtout, structurellement, et quasi inévitablement, en croissance sur le long terme. C’est particulièrement vrai en matière de dépendance, eu égard au vieillissement de notre population, que certains regrettent peut-être...

Selon les projections de l’INSEE, d’ici à 2015 - c'est demain ! - le nombre des personnes âgées de plus de quatre-vingt-cinq ans va croître de moitié.

À l’horizon de 2025, à la veille du second pic de croissance du nombre des personnes âgées dépendantes, le vieillissement de la population pourrait engendrer des dépenses supplémentaires de l’ordre de deux à trois points de PIB ! À elle seule, la dépendance absorberait un demi-point, pour atteindre 1,5 % de la richesse nationale, et elle toucherait particulièrement les collectivités départementales.

Il s’agit donc là d’un défi considérable pour les finances publiques, notamment pour celles des départements, dont la structure des recettes est aujourd'hui complètement inadaptée à la structure des dépenses sociales et médicosociales.

Aujourd'hui, certains départements sont déjà au bord de la mise sous tutelle – par élégance, je n’en citerai aucun –, mais il faut savoir que les départements concernés seront de plus en plus nombreux.

C’est tout l’enjeu du cinquième risque, comme l’ont très bien souligné mes collègues Philippe Marini et Alain Vasselle, au nom de la mission commune d’information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque.

Je sais, monsieur le ministre de l’intérieur, que cette question ne relève pas essentiellement de votre autorité, mais elle est liée à la réforme des collectivités territoriales. Aussi, je considère que l’on ne peut pas se permettre d’évoquer de nouveaux transferts de compétences sans poser immédiatement la question de leur financement à moyen et long terme, qu’il s’agisse de transferts entre l’État et les collectivités locales ou entre les échelons de collectivités locales.

Il ne saurait y avoir de compétences bien exercées sans compétences bien financées ! C’est l’un des enjeux majeurs de la réforme que nous appelons tous de nos vœux. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le rapport du comité Balladur pour la réforme des collectivités locales présentait la vision d’une France plutôt urbaine, dont la carte territoriale devait s’appuyer sur deux piliers : une intercommunalité « de plein exercice » et des régions beaucoup plus vastes en termes de masse critique.

La mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales - je tiens à saluer ici le travail de son président et de ses rapporteurs, ainsi que la bonne ambiance qui a prévalu tout au long de nos réunions -, n’a pas tenté de faire des contre-propositions ; elle s’est contentée de dégager un socle de propositions consensuelles en vue de procéder à une réforme qui puisse, par-delà nos sensibilités géographiques et politiques, recueillir l’assentiment le plus large possible, notamment sur trois points qui me semblent majeurs.

Concernant tout d’abord l’architecture territoriale, au nom de notre identité, de notre géographie et de notre histoire, nous avons écarté l’idée d’un grand soir de la simplification administrative autoritaire.

C’est ainsi que les fusions entre les départements et entre les régions seront possibles à condition de recueillir le consentement populaire, c'est-à-dire après référendum. De même, la commune restera le chaînon élémentaire de l’organisation de notre vie collective, une conviction là encore partagée par tous, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégions.

Même s’il faut que l’intercommunalité soit renforcée, elle doit toujours procéder des communes et ne pas devenir une intercommunalité de plein exercice sur une base territoriale.

Nous avons beaucoup réfléchi aussi à une meilleure articulation entre régions et départements ; se pose immédiatement la question de la mise en place du fameux conseiller territorial.

Au-delà de la conformité du dispositif à la Constitution, qu’il faudra vérifier, il me semble fondamental de garantir le mode de scrutin uninominal majoritaire, notamment en milieu rural, qui est le scrutin de la responsabilité personnelle et, simultanément, de l’enracinement dans un territoire donné. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Ensuite, concernant la répartition des compétences, la mission temporaire est parvenue à un juste compromis en réaffirmant, tout en l’encadrant, le principe de la liberté d’initiative, forme de clause générale de compétence, et ce au nom du principe constitutionnel de libre administration, mais aussi au nom du principe d’efficacité.

Mes chers collègues, qui peut affirmer aujourd'hui que tous les territoires doivent être gérés de la même façon d’un bout à l’autre de l’Hexagone ?

M. Bruno Sido. Personne !

M. Bruno Retailleau. Effectivement, la liberté d’initiative est parfaitement nécessaire, car elle est consubstantielle aux collectivités et au principe même de l’efficacité.

En revanche, nous l’avons encadrée, car nous poussons plus avant la clarification et la spécialisation. Cette liberté d’initiative s’arrête donc bien entendu là où commence la liberté d’agir d’une autre collectivité, à qui échoit une compétence exclusive ou spécialisée. La clause générale n’a d’ailleurs jamais été l’autorisation de faire n’importe quoi ; il doit y avoir un intérêt local.

Enfin, concernant la fiscalité locale – un sujet important –, la mission temporaire est parvenue à un accord très large, en adoptant des principes forts que je tiens à rappeler.

Il ne saurait y avoir de découplage entre la liberté de décider de la dépense et la responsabilité de voter l’impôt. Mes chers collègues, ce serait, me semble-t-il, une bien mauvaise pédagogie que de les dissocier ! C'est la raison pour laquelle nous confirmons le principe de l’autonomie fiscale, plus que financière encore, qui est un principe de responsabilité pour les élus. (Applaudissements au banc de la commission, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.)

De même, il ne saurait y avoir de dissociation entre les ressources des collectivités et leur activité économique. À ce titre, le principe d’un impôt économique local est confirmé, par la voie d’un double impôt.

M. Bruno Retailleau. Cette proposition intelligente a recueilli l’assentiment de tous les membres de la mission temporaire, et ce quelles que soient leurs sensibilités.

M. Marc Daunis. Très bien !

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il n’y a pas deux France, une France des territoires et une France du pouvoir central ! Il n’y a pas non plus de concurrence entre l’État et les collectivités locales. Le principe de décentralisation n’a jamais blessé le principe républicain de l’unité nationale. Au contraire !

Dans notre société moderne, complexe et ouverte, l’action publique de proximité constitue un gage d’efficacité et de renforcement de la cohésion sociale. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.

M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je centrerai mon intervention sur l’intercommunalité, car cette question est essentielle dans le débat qui nous occupe.

En préambule, je tiens à m’associer aux remerciements qui ont été adressés à la mission temporaire pour le travail réalisé. Je me félicite du climat consensuel qui a régné et de l’esprit d’écoute très constructif dont ont fait preuve tant le président Claude Belot, les vice-présidents que les deux rapporteurs, ce qui nous a permis de parvenir à un consensus sur un certain nombre de points, notamment l’intercommunalité.

Toutefois, après avoir écouté mes collègues du groupe majoritaire, si je me réfère à la contribution déposée le 17 juin dernier et à la première contribution, donc pas celle qui figure dans le rapport de synthèse, il me semble voir très clairement se dessiner en filigrane le projet de loi qui nous sera soumis par le Gouvernement. Je dois l’avouer, cela m’amène à penser que notre travail aura été inutile.

Ainsi que certains de mes collègues l’ont souligné, l’intercommunalité a fait l’objet, au cours de nos travaux, d’un consensus. Il est essentiel de parachever la carte de l’intercommunalité, un point qui faisait partie des propositions formulées dans le rapport d’étape, de revisiter les intercommunalités existantes, avec le double souci de rationaliser les territoires et leurs compétences et de conférer des pouvoirs plus importants à la commission départementale de coopération intercommunale, notamment en consacrant une place plus importante aux représentants de l’intercommunalité afin qu’ils puissent peser dans cette rationalisation.

Je tiens également à souligner l’avancée réalisée pour ce qui concerne l’élection des conseillers communautaires. Le mode de scrutin proposé sera plus démocratique, grâce à un fléchage qui permettra à toutes les communes de plus de 500 habitants d’avoir des représentants à l’intercommunalité élus en même temps que les conseillers municipaux. Je me félicite, là encore, que cette question ait fait l’objet d’un très large consensus.

Concernant les propositions formulées par la mission temporaire sur les compétences, il nous faut non seulement élargir les compétences des communes, mais également les renforcer en matière d’environnement. En effet, de nombreuses communautés d’agglomération et de communes s’intéressent aujourd'hui de très près aux problèmes d’assainissement, d’eau ou encore de déchets. Il ne serait donc pas inutile ou inopportun d’inscrire ces questions au titre des compétences obligatoires.

De la même façon, il me semble indispensable – ce point est d’actualité, avec le Grenelle II ! – de mettre très rapidement une certaine cohérence dans les documents d’urbanisme et de planification ; je veux parler des PLU, les plans locaux d’urbanisme, des PLH, les programmes locaux de l’habitat, et des PDU, les plans de déplacements urbains, qui doivent être élaborés en liaison avec les SCOT, les schémas de cohérence territoriale.

M. Retailleau a déjà parlé de la clause de compétence générale, désormais « clause d’initiative ». Ce point me semble très important dans la mesure où toutes les collectivités pourront ainsi exercer cette initiative à l’échelle de leur territoire en veillant à ne pas empiéter sur les prérogatives des autres collectivités territoriales.

En matière de gouvernance, je me félicite de deux avancées, à savoir, d’une part, à l’échelon de la région, la création d’un conseil régional des exécutifs, au sein duquel siégeront non seulement le président du conseil régional et les présidents des conseils généraux, mais également les présidents des communautés urbaines, des communautés d’agglomération, des communautés des communes de plus de 50 000 habitants et un représentant par département des communautés de communes de moins de 50 000 habitants ; et, d’autre part, à l’échelon départemental, la création d’une conférence départementale des exécutifs, qui regrouperait le président du conseil général ainsi que les présidents d’intercommunalité.

Ces mesures sont, me semble-t-il, nécessaires pour donner une plus grande cohérence et une meilleure complémentarité aux actions menées par les collectivités territoriales.

J’en viens maintenant aux finances locales, un enjeu sur lequel je voudrais m’étendre un peu plus.

Le président de la République a supprimé la taxe professionnelle. Nous n’étions pas d’accord avec cette décision, mais elle a été prise et elle aujourd'hui entrée dans les faits.

Pour remplacer la taxe professionnelle, tout le monde s’est accordé sur un nouvel impôt économique, un impôt qui consacre un lien entre l’entreprise et le territoire.

Comme d’autres, je suis très favorable à un impôt assis sur deux assiettes, d'une part, le foncier bâti « revisité », d'autre part, la valeur ajoutée.

J’irai même plus loin que la mission dans ses conclusions : si le taux sur le foncier bâti est laissé à l’initiative des collectivités, il faut, selon moi, que le taux s’appliquant à la valeur ajoutée le soit également. (M. Roland du Luart s’exclame.) Je ne crois pas à un taux national qui nous serait imposé, ne nous laissant qu’une marge de manœuvre très étroite.

Comme l’ont dit les rapporteurs de la mission, la péréquation, à la fois verticale et horizontale, doit être renforcée. Après un certain nombre de simulations, deux propositions ont été faites. Il me semble important de les inscrire dans le prochain texte de loi.

En effet, je considère que les propositions des parlementaires que nous sommes, nous qui représentons les collectivités territoriales, constituent un socle, l’aboutissement d’une réflexion qui doit permettre d’élaborer une proposition de loi ou d’enrichir un projet de loi tenant compte d’une réalité du terrain que nous connaissons bien, car nous y sommes tous les jours !

Vous l’aurez compris, je souhaite non seulement que les travaux de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales soient pris en compte demain par le Gouvernement, mais aussi que les sénateurs que nous sommes aient leur mot à dire, et même un peu plus, s’agissant d’une décision fondamentale pour l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.

M. Bruno Sido. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réforme des collectivités locales de notre pays peut et doit s’appréhender globalement. Communes, intercommunalités, départements, régions sont autant de pièces d’une même mécanique institutionnelle : la démocratie locale. En modifier une, c’est les modifier toutes !

Le président de la République nous appelle aujourd’hui à mener à son terme une réforme d’ensemble à même de parachever et de rationaliser la décentralisation.

Concernant le constat cent fois répété de l’émiettement communal, permettez-moi de rappeler que la loi de 1971, dite « loi Marcellin », qui encourageait les fusions et regroupements de communes, a été un échec. En revanche, l’intercommunalité, c’est-à-dire la coopération, est une grande réussite. Il nous faut aujourd’hui l’approfondir et la simplifier pour la rendre plus lisible.

C’est aussi à un aggiornamento que nous sommes invités avec la prise en compte du fait métropolitain. Si le phénomène de concentration urbaine n’a rien de nouveau, il s’est accéléré au siècle dernier, rendant obsolètes les limites administratives de nombreuses grandes villes de France. Il convient d’en tirer les conséquences et de réorganiser la gouvernance au sein de l’espace urbain.

La même problématique concerne les départements et les régions. Depuis trente ans, l’État ne cesse de transférer de nouvelles compétences aux départements, preuve, s’il en était besoin, que cet échelon territorial né de l’esprit des Lumières et de la Révolution reste apprécié, efficace et moderne.

De la naissance, avec la protection maternelle et infantile, jusqu’au grand âge, avec le maintien à domicile et les maisons de retraite, les conseils généraux sont présents à chaque étape majeure de la vie de nos concitoyens.

Disposant de la taille critique pour investir massivement, tout en restant une collectivité de proximité capable de faire du « sur-mesure » et d’adapter ses politiques aux besoins de nos concitoyens et aux réalités du terrain, le département est, à mon sens, une collectivité irremplaçable.

La France a éprouvé le besoin d’imiter l’Allemagne en créant des régions, mais on semble parfois oublier qu’en Allemagne les régions sont en fait des États fédérés et que, historiquement, le centre procède de la périphérie, et non l’inverse.

Nos régions n’ont rien à voir avec ce modèle. Depuis 1982, les conseils régionaux sont des collectivités locales qui, indépendamment du talent des hommes et de leur volonté de servir l’intérêt général, semblent avoir du mal à trouver leur place entre l’État, les départements et les grandes agglomérations.

Pour éviter les doublons, réduire les chevauchements de compétences, bref, faire des économies sur le fonctionnement, sans doute faut-il établir un lien organique entre les conseils généraux et les conseils régionaux. Ce lien, les conseillers territoriaux, élus à la fois du conseil général et du conseil régional, peuvent l’incarner.

Inutile de se voiler la face : l’état des finances publiques est très préoccupant. Le Gouvernement, malgré la crise très difficile, mène de courageuses réformes structurelles pour permettre au pays de revenir à l’équilibre une fois la croissance revenue.

Comme l’a dit le président de la République à Versailles, le 22 juin dernier : « Nous ne nous déroberons pas devant le problème de la répartition des compétences. Nous ne nous déroberons pas devant l’effort qui sera demandé à toutes les collectivités [...]. Ce qui est en cause, c’est la même nation, le même citoyen, le même contribuable. L’effort doit être partagé ».

Oui, l’effort doit être partagé. Les conseils généraux, comme l’ensemble des collectivités territoriales, sont appelés par l’État, dans l’intérêt du pays, à supporter une partie du fardeau.

Comme nombre de mes collègues présidents de conseil général, je soutiens le principe d’un redécoupage des circonscriptions d’élections, afin de lutter contre les criantes disparités que nous constatons aujourd’hui d’un canton à l’autre, tout en réaffirmant notre attachement au maintien d’un mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours, à l’exception du milieu urbain, où je comprends le désir de certains d’introduire éventuellement de la proportionnelle.

Mais, globalement, nos concitoyens sont très attachés au maintien d’un mode de scrutin qui leur permette d’identifier clairement leur conseiller général, personne qui peut et doit rendre compte.

La mission Belot, qui, je tiens à le saluer, a manifesté un souci permanent d’associer les élus locaux à sa réflexion, a formulé quelques pistes de réforme partagées par nombre de présidents de conseil général. J’en citerai deux.

En premier lieu, s’il convient de clarifier plus précisément les compétences de chaque collectivité, une définition trop abrupte poserait sans doute plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait. Qu’on l’appelle clause générale de compétence, compétence d’initiative ou transfert de compétence négocié de la commune au conseil général ou au conseil régional, il faut certes mieux préciser qui fait quoi, mais sans tomber dans l’excès inverse qui consisterait à vouloir tout graver dans le marbre. À mon sens, les conseils généraux doivent conserver la possibilité d’investir pour réaliser des projets structurants.

En second lieu, nombre de mes collègues au sein du groupe des départements de la droite, du centre et des indépendants souhaitent qu’il soit procédé au renouvellement des conseillers généraux en une seule fois, tous les six ans. Nous avons besoin d’une période plus longue pour permettre à l’équipe sortie des urnes de mettre en place une politique nouvelle en un seul mandat, lequel correspondrait d’ailleurs à la durée du mandat des conseillers régionaux.

Mieux clarifier les missions de chaque échelon territorial pour mettre un terme aux doublons, tout en laissant aux collectivités une possibilité – pourquoi pas par délégation de compétences ? – de réaliser tel ou tel projet d’envergure, approfondir et simplifier l’intercommunalité, établir un lien organique par les élus entre le département et la région en conservant, en règle générale, le scrutin majoritaire uninominal à deux tours dans un cadre modernisé, voilà, à mon sens, quelques pistes pour réformer les collectivités locales.

Mes chers collègues, les Français réclament très majoritairement cette réforme ; nous la leur devons ! (Applaudissements sur les travées de lUMP ainsi que sur certaines travées de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel.

M. Gérard Miquel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la crise fait ressentir ses effets tous azimuts. Elle affecte les comptes des collectivités et fait grimper les dépenses sociales des départements.

Par exemple, les recettes liées aux droits de mutation subissent, dans tous les départements, une chute spectaculaire de 20 % à 50 %, voire au-delà, depuis le début de l’année.

Cette conjoncture particulièrement défavorable s’ajoute à une situation financière déjà dégradée, due notamment aux insuffisantes compensations par l’État des derniers transferts de charges, qu’il s’agisse du revenu de solidarité active, de l’allocation personnalisée d’autonomie ou encore de la prestation de compensation du handicap, et ce malgré la loi prévoyant la compensation des transferts à l’euro près ! Vous l’avez à juste titre rappelé, cher président Poncelet.

L’avenir ne paraît guère plus réjouissant. En effet, les projets de réforme de la fiscalité locale laissent entrevoir des perspectives inquiétantes pour les conseils généraux.

La disparition de la taxe professionnelle et celle, pour les départements, de la taxe d’habitation, auraient pour effet de diviser par trois les recettes issues de la fiscalité locale directe. Dans ces conditions, qu’en serait-il du respect de la loi qui prévoit l’autonomie financière et fiscale des collectivités ?

Je le dis avec gravité : l’asphyxie financière menace à brève échéance les conseils généraux.

M. Gérard Miquel. Cette épée de Damoclès s’ajoute à un contexte politique qui fait que, depuis plusieurs mois, les départements sont dans l’œil du cyclone.

Dès le lancement de la réflexion sur la refonte de l’organisation territoriale, les conseils généraux ont été cloués au pilori par certains. Le réquisitoire surprend d’autant plus que le département a été lesté de compétences majeures par les lois de décentralisation qui se sont succédé depuis 1982.

Pour certains, la gouvernance locale incarnée dans le nouveau concept d’« élu territorial », à la fois conseiller général et conseiller régional, constituerait la panacée. Cette invention est un leurre en termes de rationalisation et une hérésie sur le plan démocratique.

Ce projet laisse croire à une confusion des responsabilités entre ces deux collectivités, alors qu’il n’existe, en réalité, que très peu de chevauchements entre elles. Par ailleurs, il contredit la volonté affichée de distinguer les compétences entre niveaux territoriaux en diluant l’ancrage territorial des élus.

Nous partageons tous l’idée d’une plus grande clarification des compétences avec, notamment, une refonte de l’intercommunalité permettant d’aboutir à un regroupement de certaines communautés et à un toilettage, voire à la suppression d’un grand nombre de syndicats intercommunaux. L’objectif ne peut toutefois servir de prétexte à la suppression de la clause générale de compétence dévolue aux départements.

À cet égard, je souscris pleinement aux sages conclusions de la mission Belot, qui appelle, à l’unisson des associations d’élus, à préserver la capacité d’initiative des différentes collectivités.

Ne proposons pas une réponse globale, alors que la diversité des territoires exigerait un traitement différencié ! En effet, qu’y a-t-il de commun entre un département de deux millions d’habitants comprenant une métropole, et le mien, le Lot, qui compte 176 000 habitants et une ville chef-lieu de 20 000 habitants ?

Pour esquisser les bonnes réponses, la vraie question à se poser est celle de l’échelon territorial pertinent pour exercer une compétence. Dans de très nombreux départements, le conseil général a apporté la preuve qu’il était le bon niveau d’organisation pour remplir de multiples missions.

M. Yvon Collin. Absolument !

M. Gérard Miquel. Vous me permettrez aussi d’inviter l’État à balayer d’abord devant sa porte avant de donner de belles leçons d’organisation aux collectivités.

L’État a engagé une restructuration de ses services sur le plan local. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, le Lot fut un département test. J’ai soutenu le préfet dans cette orientation. Mais l’État doit aller plus loin encore et supprimer tous les services qui empiètent sur les champs de compétences des collectivités et entravent parfois l’efficacité dans l’action.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la clé de la réussite de la décentralisation, c’est d’abord la confiance dans la capacité des élus locaux à organiser, au plus proche de nos concitoyens, les services dont ils ont besoin et, par voie de conséquence, à mieux gérer les finances publiques.

Il ne faut pas, avec le projet de réforme, tourner le dos à cette relation d’égalité et de respect, sans considération pour les initiatives locales innovantes.

Collectivité pivot des solidarités sociales et territoriales de proximité, le département semble être la première victime de la volonté recentralisatrice des élites. En effet, l’architecture territoriale qui se dessine marque un profond recul de la décentralisation voulue et mise en œuvre par des hommes courageux et visionnaires.

À cet égard, je tiens à saluer notre collègue Pierre Mauroy, qui, lorsqu’il était Premier ministre, a « porté » avec Gaston Defferre la décentralisation. J’ai quelques souvenirs des débats ayant eu lieu alors. Nombreuses étaient les critiques dans les rangs de la majorité sénatoriale. Cette dernière disposant également d’une large majorité dans toutes les collectivités de France, il fallait beaucoup de courage pour défendre ce grand projet.

M. Dominique Braye. Cela a changé !

M. Gérard Miquel. Pierre Mauroy et Gaston Defferre ainsi que l’ensemble du gouvernement de l’époque ont malgré tout engagé le formidable processus de la décentralisation, qui nous a permis de changer complètement notre vision de la France et d’organiser les collectivités territoriales, avec les effets positifs que nous observons aujourd’hui.

M. Gérard Miquel. Je tenais à apporter ce témoignage, afin d’exprimer toute notre reconnaissance à Pierre Mauroy pour le beau travail qu’il a mené. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Dominique Braye. Depuis, les progressistes ont changé de camp ! Et les conservateurs aussi ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Gérard Miquel. Selon moi, la nouvelle vision qui prévaut aujourd’hui va complètement à rebours des nouvelles attentes de nos concitoyens et des urgences, notamment écologiques, auxquelles notre planète et notre pays sont confrontés.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réforme de notre organisation territoriale ne peut se faire au forceps, contre les élus et les citoyens. Le travail de la mission conduite par nos collègues Claude Belot, Jacqueline Gourault et Yves Krattinger a débouché sur des conclusions empreintes d’ambition et de pragmatisme pour toutes les collectivités. Je forme le vœu qu’elles ne restent pas lettre morte et qu’elles contribuent à former l’ossature de la réforme qui nous sera soumise demain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC-SPG et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier.

Mme Gisèle Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite centrer mon propos sur la question des métropoles, qui constituent à elles seules un enjeu majeur en termes de développement, de gouvernance et de financement.

Constituer des grandes métropoles françaises de taille européenne dont les compétences et le territoire soient élargis représente un défi qu’il nous appartient de relever. Ce point a été confirmé par les réflexions et consultations menées de façon pertinente par les rapporteurs de la mission sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales.

Je tenterai donc de répondre aux deux questions suivantes : pourquoi et comment constituer de grandes métropoles ?

Tout d’abord, observons ce qui se passe en Europe. Le Royaume-Uni a créé le Grand Londres ; Lisbonne, Madrid ou Barcelone disposent de statuts particuliers ; Milan ou Francfort ont entamé une réflexion sur la modification de leur statut.

La compétition internationale est aussi territoriale. Dans ce domaine, la France souffre d’un véritable retard sur ses concurrents européens. Il nous faut donc favoriser le développement de grands centres d’attractivité économique, démographique ou universitaire capables de rivaliser avec des villes européennes comme Barcelone, Milan, Turin, Francfort ou Hambourg.

L’objectif est de rendre plus lisible et plus efficace l’action publique pour donner de nouvelles conditions de développement aux grandes aires métropolitaines, afin d’assurer leur compétitivité en Europe et dans le monde. Les nouvelles métropoles doivent avoir un statut, un périmètre et des compétences clairement définies.

Il est selon moi impératif de créer par la loi un nombre limité de métropoles aux pouvoirs réellement renforcés.

Aujourd’hui, le « fait métropolitain » recouvre des situations très disparates. Je prendrai l’exemple de la métropole de Nantes–Saint-Nazaire, que je connais bien pour y être née. Celle-ci a bien sûr le mérite d’exister, mais de façon très floue, en ce qui concerne tant son image et sa visibilité que ses moyens, qui sont mal définis. Mal répertoriée, elle souffre d’un déficit de notoriété, donc d’impact, pour tout ce qui touche les grandes décisions d’aménagement et les implantations potentielles.

Pour moi, il ne s’agit pas de concevoir la métropole comme le simple prolongement des communautés d’agglomération ou des communautés urbaines. Face à la concurrence internationale, il est souhaitable de concevoir un périmètre qui dépasse les limites du département et, encore plus, des intercommunalités.

Pour autant, il ne s’agit pas non plus de couvrir la France de métropoles. Le nombre de métropoles créées par la loi doit, au moins dans un premier temps, être limité à six, par souci de cohérence. Il me semble en effet que, en les multipliant à l’envi, on diluerait indéniablement l’importance que l’on souhaite leur donner. Il faudra bien sûr examiner de près les critères d’accès au statut de métropole.

Huit métropoles sont citées dans le rapport d’information de la mission temporaire excellemment présidée par notre collègue Claude Belot : Lyon, Lille, Marseille, Toulouse, Nice, Bordeaux, Nantes et Strasbourg, en tenant compte des spécificités de cette dernière.

Pour éviter une fracture territoriale éventuelle, il faudra trouver un équilibre entre la métropole et le reste du territoire, en affirmant tout naturellement la pérennité des communes, qui assurent un lien de proximité direct avec nos concitoyens.

Trois politiques ont une véritable cohérence entre elles : elles gagneraient, sur un territoire homogène, à être mises en œuvre par une seule collectivité. Il est donc nécessaire de regrouper et de coordonner sur ces aires fortement peuplées des compétences aujourd’hui dispersées. Il s’agit tout d’abord de la politique urbaine, aujourd’hui confiée à la commune, par ailleurs des politiques sociales, exercées principalement par le département – je considère personnellement que la compétence sociale doit majoritairement rester dévolue au département, mais il convient de rester prudent : les départements auront-ils les moyens financiers d’assurer cette compétence ? – et, enfin, des politiques économiques, qui sont assurées par la région.

Il me paraît important de clarifier les compétences des uns et des autres, pour éviter les doublons et pour limiter les financements croisés, auxquels nous sommes tous opposés depuis longtemps. Cessons cette politique des guichets ! Ayant exercé par deux fois le mandat de vice-président du conseil régional des Pays de la Loire, j’ai souvent entendu François Fillon, qui en était alors le président, critiquer les financements croisés et la politique des guichets.

Les métropoles doivent disposer des moyens financiers de leurs ambitions : rien ne serait pire qu’un colosse territorial aux pieds d’argile.

Il existe des pistes. Je pense notamment à la dotation globale de fonctionnement métropolitaine, que les rapporteurs de la mission temporaire, Mme Jacqueline Gourault et M. Yves Krattinger, proposent d’instituer à la demande des communes membres.

La mission souhaite également permettre l’institution, par décision des communes membres, d’une fiscalité communautaire se substituant progressivement aux fiscalités communales. Nous aurons besoin de débattre de cette question, afin de la clarifier.

En ce qui concerne la gouvernance, le fait urbain s’impose à tous. Il convient donc d’adapter nos institutions locales à cette réalité.

Les métropoles seraient ainsi des collectivités locales qui bénéficieraient sur l’ensemble de leur territoire de la clause de compétence générale, des compétences départementales et de la compétence économique, partagée avec la région. Quant aux communes, elles conserveraient naturellement la clause de compétence générale.

Par ailleurs, les conseillers métropolitains devraient être élus au suffrage universel direct, au moment des élections municipales, selon un système de fléchage. Cette proposition est attendue depuis fort longtemps pour les EPCI, ou établissements publics de coopération intercommunale. Nous en avons tant parlé que je l’avais qualifiée d’« arlésienne » !

Toutes les listes élues seraient représentées à la représentation proportionnelle des résultats obtenus au scrutin municipal : cela s’appelle l’exercice de la démocratie. Il est également proposé d’attribuer, au sein du conseil métropolitain, un siège au moins à chaque commune membre.

Telle est, pour l’essentiel, ma position sur les métropoles.

En conclusion, il est évident que les collectivités locales sont appelées à jouer un rôle croissant dans le développement économique et social de notre pays. Les grandes agglomérations doivent disposer des outils et de l’organisation à la hauteur de ce défi. Ce sera tout l’enjeu de la création des métropoles, qui devra s’accompagner d’une volonté politique forte. La question de leur statut, question véritablement centrale, devra être posée. Mes chers collègues, additionner les poids démographiques, les talents et les atouts des territoires, c’est à coup sûr nous donner les moyens de réussir cet ambitieux projet ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. François Patriat.

M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, même si je ne suis pas convaincu de l’urgence de mener à bien cette réforme, personne ne peut reprocher au chef de l’État et au Gouvernement de vouloir la conduire à terme dans les délais qu’ils se sont impartis.

Le débat qui nous réunit et le long travail que nous avons mené en commun avec M. Claude Belot, président de la mission temporaire, intéressent sans doute les élus. Intéressent-t-ils autant qu’on le dit les Français ? Pour ma part, je n’en suis pas sûr. En revanche, je suis persuadé que ces questions les concernent directement, dans leur vie quotidienne, pour l’éducation de leurs enfants, leur travail, leur santé et leurs déplacements.

Monsieur le ministre, le 8 octobre dernier, lors de la première séance des questions d’actualité au Gouvernement, j’interrogeai votre prédécesseur, Mme Alliot-Marie. Je lui posai en substance la question suivante : le débat sur la réforme des collectivités locales est engagé. Pouvez-vous me dire aujourd’hui si le scénario est déjà écrit ou si le débat qui s’engage va être long, fructueux et ouvert ? Devons-nous, comme l’a dit notre Président, être imaginatifs et ne rien nous interdire ?

Sept mois plus tard, je m’aperçois que j’avais pour partie raison : le scénario était écrit. (Protestations sur les travées de lUMP.) Pourtant, y ayant cru, nous nous sommes engagés dans ce débat avec passion. Le maire de Lyon citait tout à l’heure saint Augustin. Devant tant de personnes souhaitant aboutir à un bon résultat, je me suis dit, comme Teilhard de Chardin, que « tout ce qui monte converge ». Je m’aperçois finalement que, parfois, tout ce qui monte peut diverger.

En partant de l’a priori selon lequel personne ne veut remettre en cause les différentes collectivités, il fallait donc passer ces dernières au peigne fin et, en fin de compte, comme l’a dit tout à l’heure Mme Gourault en évoquant le travail mené par la mission temporaire, faire œuvre de simplification, de clarification et d’efficacité, l’objectif étant aussi sans doute un souci d’économies.

Mais aujourd’hui, à l’issue des travaux menés, les masques sont tombés : il s’agissait en fait, d’une part, de changer le mode de scrutin (M. Dominique Braye fait un signe de dénégation.) et, d’autre part, de créer des conseillers territoriaux.

Monsieur le ministre, peut-être allez-vous nous apporter quelques éclaircissements sur ce que nous apprendrons sans doute à la fin du mois. En effet, le sort de nos collectivités – l’une sera maintenue, l’autre supprimée – dépendra du choix qui sera effectué. Si tous les conseillers territoriaux élus par les départements siègent au conseil régional, le sort des départements est scellé. Si, au contraire, une partie seulement des conseillers territoriaux est « fléchée » pour siéger au conseil régional, nous revenons alors à l’ancien établissement public régional, l’EPR, et le sort de la région est scellé !

Au moment du vote des premières lois de décentralisation – je me tourne vers vous, cher Pierre Mauroy –, j’étais alors député. Je me souviens des débats du mois d’août, qui ont été longs et, parfois, tumultueux. Ils ont abouti à ce que tous, sur ces travées, à droite comme à gauche, considèrent aujourd’hui comme une grande réforme que nous devons continuer de mener à bien.

Tous les orateurs ont évoqué la question des financements. Pour ma part, j’ai rencontré ce matin à la Banque de France les rapporteurs spéciaux des différents budgets. J’ai pu découvrir certains détails de la réforme de la taxe professionnelle. La partie qui reviendra aux régions proviendra, d’une part, d’une dotation de l’État et, d’autre part, d’un tiers de la part assise sur la valeur ajoutée. Le taux de celle-ci étant fixé par l’État, les régions ne disposeront donc plus d’aucune liberté ni autonomie fiscale ! Cela signifie que, demain, les collectivités auront des budgets dédiés, qui leur seront attribués d’autorité.

Ce matin, je rappelais à M. Mariton, le grand pourfendeur des collectivités, celui qui pense que nous dépensons trop, qu’il avait prétendu un jour que nous ne devrions jamais faire ce pour quoi nous n’avons pas été élus. Or je constate que, dans le cadre du plan de relance, l’État envisage de financer à hauteur de 50 % la déviation de Moiry dans la Nièvre, à condition que la région et le département y contribuent chacun à hauteur de 25 %. Je m’interroge donc sur la réelle volonté du Gouvernement. Comment peut-on, d’un côté, reprocher aux collectivités d’être trop dépensières, et, de l’autre, les obliger à financer des compétences pour lesquelles elles n’ont pas été élues ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC-SPG.)

J’aimerais, monsieur le ministre, que vous nous apportiez quelques clarifications et que vous nous dévoiliez une partie du scénario. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Saugey.

M. Bernard Saugey. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de répondre à François Patriat. Contrairement à lui, je ne crois pas que tout soit déjà décidé. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Bernard Frimat. Demandez à Charles Guené !

M. Bernard Saugey. Des voix discordantes se font entendre au sein même de l’UMP. Nous devrions être tous du même avis, mais c’est loin d’être le cas.

La mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales a fait un excellent travail, et je félicite son président Claude Belot, les vice-présidents Pierre-Yves Collombat et Rémy Pointereau, ainsi que les rapporteurs Yves Krattinger et Jacqueline Gourault, ici présents. Pour autant, le contenu de son rapport ne sera pas intégralement repris, loin s’en faut.

Il ne s’agit que d’une boîte à outils parmi d’autres – je pense au rapport du comité Balladur ou à celui de l’Assemblée nationale –, dans lesquelles le Gouvernement va piocher. Nous espérons qu’il en fera bon usage. L’avenir nous le dira.

Il y a des sujets qui coulent de source, comme le maintien des communes. À cet égard, certains de nos collègues me semblent excessivement pessimistes : j’espère bien que nos communes ne se transformeront pas en pots de fleur ! Nous ferons tout pour qu’elles restent bien vivantes et qu’elles conservent des compétences. De même, il faut achever la mise en place de l’intercommunalité : cela tombe sous le sens ! La quasi-totalité des communes sont regroupées en communautés, et il convient d’aller jusqu’au bout de cette logique. Quant aux grandes métropoles, même si nous connaissons quelques divergences, notamment en ce qui concerne le Grand Paris, il nous semble essentiel que la France soit dotée de grands pôles urbains.

La première divergence vraiment sérieuse aurait pu venir de la désignation des conseillers communautaires. En effet, certains voulaient qu’ils soient élus au suffrage universel, tandis que d’autres souhaitaient qu’ils soient désignés par les communes. Finalement, le fameux fléchage sur la liste des candidats aux élections municipales devrait mettre tout le monde d’accord.

La seule révolution concerne donc les conseillers territoriaux, comme nos collègues de gauche l’ont remarqué à juste titre. En lieu et place des 6 000 élus existants – 4 000 conseillers généraux et 2 000 conseillers régionaux –, il ne resterait tout au plus que 3 000 élus. Je peux vous dire que, dans les réunions publiques auxquelles j’ai participé dans mon département, nos concitoyens se réjouissent d’une telle diminution ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

M. François Patriat prétend que cela signifierait la mort d’un conseil ou de l’autre. Pas nécessairement : dans un passé déjà lointain, j’ai été, vers 1974, à la fois conseiller général et régional, et cela ne m’empêchait pas de remplir ces deux fonctions.

M. Gérard Longuet. Fort bien au demeurant ! On s’en souvient !

M. Bernard Saugey. Un conseiller territorial qui cumulerait ces deux fonctions deviendrait incontournable.

Certes, il est difficile de supprimer 3 000 sièges d’élus. Je souhaite bonne chance à MM. les ministres pour le travail qu’ils devront accomplir !

Il faudra aussi regrouper les petits cantons. Le conseiller général que je suis depuis 1973 sait que c’est un vrai problème, qu’il conviendra de résoudre. Dans mon département, trois ou quatre cantons ne comptent que 2 000 habitants lorsque deux autres en regroupent 45 000 chacun.

Mme Nathalie Goulet. C’est la même chose dans mon département !

M. Bernard Saugey. C’est encore pire à Saint-Pierre-et-Miquelon, le département de Denis Detcheverry où j’ai effectué une mission voilà quelques années : il y a un conseil général pour 6 000 habitants, avec dix-neuf conseillers généraux.

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Il y a aussi un sénateur et un député !

M. Bernard Saugey. Je sais que c’est un cas extrême, et même le record de France !

Par ailleurs, avec un mode de scrutin uninominal à deux tours pour les petits cantons et proportionnel dans les grandes villes, où faudra-t-il placer le curseur ? Là encore, je souhaite bon courage aux ministres…

Enfin, même si l’on n’échappera pas aux procès d’intention, on pourrait tous s’accorder sur le problème des compétences. François Patriat a abordé la question des financements croisés. Il n’y a rien de pire que les compétences générales qui s’enchevêtrent. Je suis élu depuis longtemps, et l’expérience m’a appris qu’il vaut mieux que chaque assemblée dispose d’une compétence particulière.

Messieurs les ministres, tous mes vœux vous accompagnent ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Louis Pinton.

M. Louis Pinton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, réformer le fonctionnement de nos collectivités territoriales est une nécessité. Notre réflexion doit être inspirée par des principes et des règles, en conformité avec notre conception républicaine de la vie démocratique.

Simplicité, efficacité, responsabilité : ces trois principes élémentaires et de bon sens devraient toujours guider la pratique de notre démocratie, particulièrement à l’échelon local, qui constitue le premier lieu de rencontre de la politique et du citoyen. Oubliez ces principes, et le citoyen se détourne de l’exercice de la vie démocratique : il boude les urnes et abdique toute implication personnelle dans la vie de la cité pour retourner à sa sphère privée. Ce repli individualiste est fatalement préjudiciable au « vivre ensemble », sentiment civique fondamental qui cimente la collectivité humaine et fonde les solidarités.

La règle constitutionnelle précise que notre république est décentralisée. Il en découle une double interrogation. Comment démultiplier sans excès les lieux de pouvoir tout en les inscrivant dans la diversité territoriale ? Comment faire en sorte que cette démultiplication, qui libère les énergies et favorise une gestion au plus près du terrain, se fasse dans l’efficacité, autrement dit en évitant l’éparpillement des compétences et des financements ?

En réponse à ces questions, on peut esquisser plusieurs propositions.

La première, bien évidemment, concerne le couple formé par les communes et les communautés de communes. Je ne m’attarderai pas sur ce sujet, à propos duquel tout ou presque a été dit et sur lequel tout le monde semble peu ou prou s’accorder. Je soulignerai simplement que, si la communauté de communes ne constitue qu’un outil du fonctionnement communal, rien n’oblige à modifier le mode de représentation des conseillers municipaux à la communauté de communes, cette dernière n’étant pas une collectivité susceptible d’entrer en compétition avec la commune.

En ce qui concerne maintenant l’échelon supérieur, j’oserai faire une analogie entre le bloc formé par les communes et les communautés de communes et le couple constitué par les départements et les régions. Suivant cette logique, je vous propose un couple départements-régions dont les rapports seraient de même nature que ceux qui unissent les communes et les communautés de communes. Il s’agirait de faire des régions des communautés de départements.

M. François Patriat a posé une bonne question : dès lors que ces deux collectivités se rapprochent, il faut savoir laquelle aura la prééminence.

Comme au sein des communautés de communes, le bloc constitué des départements et des régions pourrait se voir attribuer une liste de compétences, dont certaines reviendraient obligatoirement à l’un des deux niveaux, tandis que d’autres seraient facultatives et pourraient être exercées par l’un ou l’autre des deux niveaux. Cela permettrait à chaque territoire de s’adapter au mieux à ses spécificités. Bien évidemment, cette proposition devrait logiquement se traduire par l’élection d’un conseiller territorial, qui siégerait dans les assemblées départementale et régionale.

Ces réformes, simples et lisibles, constituent selon moi le minimum que nous puissions faire. Elles conditionnent l’adhésion du citoyen au pouvoir local et favorisent l’efficacité et l’adaptabilité de nos productions collectives. Tout en donnant leur pleine puissance à ces deux regroupements, elles confortent la place centrale de la commune et du département dans l’esprit républicain.

Cet esprit représente la spécificité première de la démocratie française, la « marque de fabrique » originale de notre République ; il génère une grande partie de nos valeurs communes et imprègne puissamment notre imaginaire et les comportements collectifs.

La réussite de la réforme territoriale rejoint ainsi un enjeu de taille : la réaffirmation de cet esprit républicain qui fait notre Nation. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Mme Françoise Férat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord vous remercier d’avoir organisé ce débat. À l’évidence, en dépit des divergences, des différences et des nuances qui se sont exprimées, chacun des intervenants a pris la peine de dépasser la critique pour apporter sa contribution positive.

Ce débat rappelle de bons souvenirs à l’ancien ministre des collectivités territoriales que je suis : je pense en particulier à la réforme de la fonction publique territoriale, conduite notamment avec l’aide de Jacqueline Gourault, qui a permis de rénover le statut de 1,8 million de fonctionnaires territoriaux.

Quelques jours après avoir pris mes fonctions de ministre de l’intérieur, je suis heureux que la première discussion parlementaire à laquelle je participe porte sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales.

Le Président de la République m’a confié, ainsi qu’à Alain Marleix, la mission importante de préparer – j’insiste sur ce terme, car, si des pistes sont effectivement tracées, le débat reste ouvert – la réforme des collectivités territoriales, qui sera débattue et votée par le Parlement, afin de la mettre en œuvre le plus rapidement possible au service des Français.

Je me réjouis donc d’avoir pu participer à ce débat, en compagnie, notamment, des ministres Michel Mercier et Henri de Raincourt.

Conformément à la logique de notre Constitution, c’est donc ici, au Sénat, qu’il m’appartient aujourd’hui de vous faire part d’un certain nombre d’observations et des orientations privilégiées par le Gouvernement.

Si le Président de la République a souhaité qu’un débat national puisse dessiner l’avenir des collectivités territoriales, c’est parce qu’il a la conviction réelle, sincère et entière que l’organisation territoriale actuelle n’est plus adaptée à notre temps.

Après avoir écouté les différents intervenants, sur quelque travée qu’ils siègent, je constate que cette vision est globalement partagée par la Haute Assemblée.

Lorsqu’il a confié à Édouard Balladur le soin de présider le comité pour la réforme des collectivités locales, en octobre dernier, le Président de la République soulignait ceci : « Depuis vingt ans, on a beaucoup approfondi la décentralisation, on a transféré beaucoup de compétences, on a créé de nouveaux échelons d’administration, mais on a peu réfléchi aux structures profondes de notre organisation locale, presque rien changé à la fiscalité locale, laissé dériver les finances locales. Cette situation ne peut plus durer. Le chantier est d’une grande difficulté, mais personne ne peut en contester ni la nécessité impérieuse ni l’urgence manifeste. »

Encore une fois, je suis heureux de constater que cette analyse est largement partagée. Des nuances s’expriment, comme c’est normal, mais personne ne conteste que l’organisation territoriale de notre pays n’est pas satisfaisante et qu’elle peut et doit être réformée.

C’est la première vertu du rapport remis par Édouard Balladur que d’avoir créé les conditions d’un débat serein. La présence de l’ancien Premier ministre à la tête de ce comité a été décisive : son expérience d’homme d’État, sa parfaite connaissance des affaires publiques et sa sagesse ont permis l’expression de propositions de très grande qualité, dessinant un chemin ambitieux et réaliste pour réussir la réforme des collectivités territoriales.

Rejoignant un certain nombre d’intervenants, j’ajoute que la composition du comité, qui rassemblait des personnalités éminentes, de grande expérience et d’horizons variés, au-delà des clivages partisans, a facilité l’émergence d’un consensus sur un certain nombre de points. Je tiens tout particulièrement à remercier de leur concours actif l’ancien Premier ministre Pierre Mauroy, mais aussi le sénateur Gérard Longuet et les députés Dominique Perben et André Vallini, sans oublier, naturellement, les autres membres du comité.

Qui pourrait contester que ce « jardin à la française » – pardonnez-moi de reprendre le titre d’un ouvrage que j’ai écrit, mais dont la diffusion a été très confidentielle… (Sourires.) – a été envahi, au fil du temps, par de mauvaises herbes, au point de ressembler, ici ou là, sinon à une friche, du moins à une jachère ?

Regardons la réalité en face, avec bonne foi.

Premier constat, les échelons des collectivités sont trop nombreux et mal articulés. Je le dis très directement, la multiplicité des niveaux de décisions et les enchevêtrements de compétences ne sont pas toujours compris par nos concitoyens, pour la simple raison qu’ils sont incompréhensibles.

Chacun d’entre nous mesure que coexistent souvent, dans les zones rurales, dans un même périmètre, les communes, une communauté de communes, des syndicats intercommunaux, un pays, voire la structure spécifique gérant le schéma de cohérence territoriale, sans oublier le conseil général et le conseil régional.

L’empilement des structures n’est pas moins complexe dans les zones urbaines, où les citoyens connaissent généralement leur seul maire et très peu leurs autres élus. Gérard Collomb l’a dit avec beaucoup de talent : cette situation lui convient ! (Sourires.)

Il est parfaitement normal que les citoyens s’y perdent, et il serait parfaitement anormal que l’on se satisfasse d’un statu quo synonyme de confusion pratique et source d’une indifférence civique qui serait inéluctablement amenée à progresser.

M. Gérard Cornu. Très bien !

M. Brice Hortefeux, ministre. Deuxième constat, la confusion des responsabilités et des financements conduit parfois à des dérapages financiers, dont le contribuable supporte la charge.

J’ai bien entendu les remarques assez classiques, parfois fondées, mais pas toujours originales, qui ont été adressées à l’État. Néanmoins, je citerai cet exemple : le taux de prélèvements obligatoires des administrations publiques locales est passé de 5 % à 5,7 % du produit intérieur brut entre 2003 et 2007, soit une augmentation de 14 %. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Dans le même temps, celui de l’État baissait de 14,8 % à 13,9 %, soit une diminution de 6 %. (Vives exclamations sur les mêmes travées.)

Je m’attendais à ce mouvement sympathique d’expression collective !

Cette évolution aurait pu être comprise, compte tenu des effets de la décentralisation, si, dans le même temps, les collectivités locales n’avaient pas augmenté leurs propres dépenses de 23 %, à périmètre constant et sans tenir compte des transferts de compétences.

Troisième constat : la fiscalité locale est devenue totalement illisible. « Chacun mange dans la même assiette », dit l’adage. Les trois niveaux de collectivités territoriales et les intercommunalités prélèvent chacun une part des mêmes impôts locaux, sans que le contribuable sache vraiment qui est responsable. La situation est d’autant plus baroque que l’État est devenu le premier contribuable local,…

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. C’est parce qu’il l’a voulu !

M. Brice Hortefeux, ministre. …en prenant en charge quelque 27 % de la fiscalité locale. Il s’agit là d’une évolution ancienne, le gouvernement de Lionel Jospin ayant montré l’exemple.

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Oui, et alors ?

M. Brice Hortefeux, ministre. Reconnaissons qu’il est difficile d’imaginer un système plus compliqué !

Le moment est venu de réformer vraiment, de réformer profondément, de réformer durablement l’organisation des collectivités territoriales.

Le rapport présenté par le comité Balladur a ouvert des pistes de réforme ambitieuses. J’observe, au demeurant, que seize des vingt propositions qu’il a formulées ont été votées à l’unanimité des membres du comité. J’y vois la preuve que, au-delà du constat partagé, le chemin de la réforme peut, lui aussi, être trouvé de manière globalement consensuelle.

Je me réjouis que le Sénat, qui « assure la représentation des collectivités territoriales de la République », ait souhaité apporter une contribution très forte au débat. Je félicite tout particulièrement le président Claude Belot, les rapporteurs Yves Krattinger et Jacqueline Gourault, ainsi que les vice-présidents Pierre-Yves Collombat et Rémy Pointereau de la qualité des travaux de la mission qu’ils ont animée.

Je remercie également de leur contribution très active les groupes parlementaires, notamment les groupes UMP et Union centriste, dont les orateurs ont été particulièrement éloquents. Disant cela, je n’exclus bien sûr pas les orateurs des autres groupes.

Par ailleurs, j’ai noté les positions contrastées exprimées par les différentes associations d’élus.

Je vous le dis très simplement, nous ne devons pas manquer ce rendez-vous ni décevoir sinon les attentes, du moins les encouragements de nos compatriotes pour plus d’efficacité et de simplicité. Une demi-réforme, réduite au plus petit dénominateur commun des ambitions, ne serait pas une bonne réforme.

En s’exprimant devant le Congrès, le 22 juin dernier, le Président de la République a pris un engagement auprès des Français : « Nous irons jusqu’au bout de la réforme des collectivités territoriales. Nous ne nous déroberons pas devant la réduction du nombre des élus régionaux et départementaux. Nous ne nous déroberons pas devant l’effort qui sera demandé à toutes les collectivités. On ne peut pas exiger de l’État d’être seul face au défi gigantesque qui consiste à faire de l’économie française une économie de production. Ce qui est en cause, c’est la même nation, le même citoyen, le même contribuable. L’effort doit être partagé. »

Je le dis devant la Haute Assemblée, cet engagement sera tenu. (Applaudissements sur les travées de lUMP.) Et il nous appartient désormais, dans les mois qui viennent, de définir ensemble, au Parlement, les voies du possible.

Je vous le dis très solennellement, il est désormais devenu très dangereux de ne rien faire. (M. Jacques Blanc applaudit.)

Le Gouvernement déposera donc sur le bureau du Sénat, au mois de septembre, un texte ambitieux. Je me bornerai, à ce stade de nos débats, à souligner les trois orientations fondamentales de la réforme. Le débat n’est en effet pas figé.

Nous voulons, en premier lieu, mieux dessiner la carte territoriale.

M’exprimant aussi au nom d’Alain Marleix, qui en est totalement convaincu, j’affirme qu’il nous faut tout d’abord achever et rationaliser la carte de l’intercommunalité dans des délais proches. Nous sommes attachés à ce que la commune et son maire restent les interlocuteurs de proximité, au contact direct des citoyens, mais nous tenons aussi à ce que des intercommunalités de projet recouvrent l’ensemble du territoire national.

Je précise, s’agissant du projet du Grand Paris, que la situation de l’Île-de-France devra naturellement faire l’objet d’une attention particulière.

L’intercommunalité à fiscalité propre doit devenir la règle. La couverture totale du territoire devra intervenir dans des délais brefs. J’ajoute que les intercommunalités devront être beaucoup plus larges qu’aujourd’hui, pour disposer d’une assise permettant l’exercice effectif de compétences renforcées.

C’est par la concertation que nous parviendrons à des périmètres intercommunaux plus larges et plus cohérents, qui formeront un cadre plus favorable au développement de nos territoires.

Dans les territoires où cela ne serait pas possible, l’État prendrait ses responsabilités : après avis des commissions départementales de coopération intercommunale renouvelées, il appartiendrait alors aux préfets d’arbitrer et d’indiquer la démarche à suivre.

Parallèlement, nous devrons mener un travail de « toilettage » de très nombreux syndicats intercommunaux qui, en réalité, n’ont plus d’activité ou qui correspondent déjà au périmètre d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. C’était déjà le cas voilà deux ans, lorsque j’ai quitté le ministère délégué aux collectivités territoriales, et je ne suis pas certain que cette situation ait évolué. Il y a là une vraie piste de simplification, de rationalisation, et donc d’économies.

Mieux dessiner la carte territoriale, c’est aussi créer de véritables métropoles, en nombre limité, disposant d’une vraie capacité d’action pour intervenir puissamment à l’échelle de l’agglomération.

J’ai bien entendu que, si le principe de la création de métropoles est largement approuvé, la définition du concept est variable. Ne perdons pas de vue l’ambition portée par le rapport du comité Balladur, qui propose de rassembler les communes de la métropole en une collectivité unique et de transférer à cette nouvelle collectivité les compétences du département, voire certaines compétences de la région. Cette piste ne doit pas être écartée a priori.

Peut-être ce schéma pourra-t-il prendre d’autres formes, mais la perspective est claire : il est indispensable de donner aux métropoles d’envergure européenne les moyens d’agir dans un environnement européen très compétitif. Nous ne saurions nous satisfaire d’un simple ravalement a minima des communautés urbaines.

Écartons ce qui serait la tentation de la facilité.

En deuxième lieu, il faut mieux articuler le niveau régional et le niveau départemental ; c’est l’enjeu majeur de la création du conseiller territorial.

Gardons-nous de tout fantasme, pour reprendre un mot employé tout à l’heure : il ne s’agit pas de supprimer un échelon, qu’il s’agisse de la région ou du département.

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. C’est logique !

M. Brice Hortefeux, ministre. Mais je le dis très clairement, la coexistence de 4 000 conseillers généraux et de 2 000 conseillers régionaux n’est pas bien comprise par nos compatriotes. De plus, je ne suis pas certain que ce soit toujours bien utile. En revanche – et je suis étonné que personne n’ait soulevé ce point –, elle peut favoriser une forme de concurrence institutionnelle – et donc financière – entre ces deux assemblées.

Le Gouvernement souhaite donc proposer au Parlement la création de conseillers territoriaux qui siégeraient à la fois au conseil général de leur département d’élection et au conseil régional. Nous en débattrons le moment venu, en précisant le mode de scrutin, sujet bien légitime de préoccupation.

Vous connaissez la fertilité intellectuelle d’Alain Marleix. Il a plusieurs pistes dans sa besace ! (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Je n’ai pas le sentiment, monsieur le secrétaire d’État, que cela rassure une partie de cette assemblée ! (Sourires sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.) Alain Marleix a examiné et comparé les pratiques en vigueur dans plusieurs grandes démocraties européennes et a donc plusieurs pistes qu’il sera intéressant d’approfondir.

Je proposerai au Président de la République de consulter, en liaison avec Alain Marleix, les partis politiques sur le mode de scrutin, lequel sera défini au service d’une seule exigence : l’expression démocratique, c’est-à-dire l’élection, qui doit permettre de désigner des élus territoriaux représentatifs et efficaces au service de nos concitoyens.

M. Jacques Blanc. Et des territoires !

M. Brice Hortefeux, ministre. En troisième lieu, nous voulons clarifier la répartition des compétences. Quelle que soit la solution juridique qui sera retenue, il faudra sortir enfin de l’ambiguïté en définissant aussi précisément que possible, dans la loi, qui fait quoi.

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Et qui paie !

M. Brice Hortefeux, ministre. Il est indispensable de déterminer des règles plus précises qu’aujourd’hui, car il n’est pas de responsabilité sans règles. Il est souhaitable de mettre fin à l’enchevêtrement incompréhensible des compétences et aux excès – nous en avons tous connu – des financements croisés qui, souvent, produisent des surcoûts pour le contribuable, allongent les délais de prise de décision et de réalisation des projets et mobilisent des frais de fonctionnement.

Il nous faut donc faire preuve de simplification et de précision en énonçant les compétences de chaque collectivité et en interdisant, sauf exception légitime – il peut toujours s’en trouver –, qu’une collectivité intervienne dans le champ de compétence d’une autre.

Je le répète, rien n’est fermé. Il peut y avoir des exceptions. Peut-être les débats à venir nous en apporteront-ils quelques exemples.

Naturellement, nous serons attentifs à la concertation sur ce sujet et nous agirons avec pragmatisme. Mais le pragmatisme ne doit servir ni à cacher ni à justifier l’immobilisme. Puisque nous voulons clarifier, nous devons le faire vraiment, en précisant les compétences des uns et des autres.

Je dirai enfin quelques mots de l’évolution de la fiscalité locale, qui a été évoquée par plusieurs intervenants.

Je tiens à rappeler que la perte de ressources due à la réforme de la taxe professionnelle donnera lieu à une compensation intégrale pour les collectivités territoriales. C’est un engagement qui a été pris au lendemain du sommet social, c’est-à-dire le 19 février. D’ailleurs, vous le savez, depuis 2003, c’est une obligation constitutionnelle. Cela signifie qu’il n’y aura pas de perte de recettes pour les collectivités locales. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

M. Didier Guillaume. Comme pour le RMI !

M. Brice Hortefeux, ministre. C’est vrai sur le plan global : les 22 milliards d’euros que représente la taxe professionnelle sur les équipements et biens mobiliers seront compensés. C’est vrai aussi sur le plan individuel : chaque collectivité retrouvera un niveau de ressources équivalent.

Le principe constitutionnel d’autonomie financière sera bien évidemment respecté. Cela signifie que cette compensation sera assurée pour l’essentiel par des transferts de recettes fiscales. Ces derniers devront autant que possible permettre de maintenir un lien entre entreprises et territoires.

Plusieurs scenarii sont à l’étude, en liaison étroite avec les parlementaires, les associations d’élus, qui sont nombreuses, et le comité des finances locales. Toutes ces propositions seront examinées avec beaucoup d’attention et aboutiront à des propositions.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il appartiendra au Parlement, le moment venu, c’est-à-dire à l’automne, de débattre des dispositions législatives en posant les fondements de cette réforme indispensable.

Je suis, comme Alain Marleix, profondément et sincèrement attaché à la concertation, et nous avons l’intention de la mener réellement. Mais il ne doit pas y avoir d’ambiguïté dans notre message : la concertation n’empêche en rien la détermination ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. –Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

M. Michel Boutant. On l’a compris !

M. Brice Hortefeux, ministre. Le texte proposé par le Gouvernement sera l’expression de la détermination du Gouvernement, à la demande du Président de la République, de tenir tout simplement les engagements qui ont été pris devant les Français : détermination à améliorer l’efficacité des services rendus par l’administration territoriale de notre République, détermination à moderniser notre organisation pour maîtriser les dépenses, détermination à simplifier le paysage des collectivités territoriales pour le rendre lisible et compréhensible par nos concitoyens.

Avec la réforme des collectivités territoriales, nous avons un rendez-vous avec l’histoire institutionnelle de notre République. Réussissons donc ensemble cette réforme ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. –M. Gilbert Barbier applaudit également.)

III. – Débat interactif et spontané

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané.

Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes au maximum. Les membres de la mission temporaire ou le Gouvernement, s’ils sont sollicités, pourront répondre.

La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. M. le ministre vient d’indiquer que les engagements pris par le Président de la République seraient tenus, et que M. Alain Marleix et lui-même y veillaient. Voilà un propos fort plaisant.

Mais on peut se demander si les engagements qui ont été pris par les différents gouvernements UMP depuis 2002 ont été tenus. Qu’en est-il par exemple de la décentralisation ?

On nous a affirmé à l’époque que la décentralisation appelait une dimension solennelle de par son inscription dans la Constitution et le respect scrupuleux de deux exigences : l’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales et la péréquation.

L’autonomie financière et fiscale a donné lieu à une loi d’orientation qui a fixé certains principes.

Monsieur le ministre, les engagements pris de manière solennelle dans le cadre du vote de cette loi de décentralisation seront-ils tenus en matière d’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales ? Les recettes de substitution que vous venez d’évoquer permettront-elles aux collectivités de fixer elles-mêmes les taux des contributions qui sont appelées à financer leurs besoins ? C’est une question simple qui appelle une réponse simple.

En ce qui concerne la péréquation, bien que la Constitution stipule que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales », aucun texte n’a été déposé à cet égard. Les auteurs du rapport qui sert de base à notre discussion ont amplement insisté sur la nécessité d’aller beaucoup plus loin en matière de péréquation.

Monsieur le ministre, certains des engagements inscrits dans la Constitution n’ont pas encore été tenus. Cela jette un doute sur la capacité du Gouvernement à respecter les engagements qu’il prend aujourd’hui ou prendra demain ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, s’agissant de l’obligation constitutionnelle relative aux transferts de compétences, la commission des évaluations s’est réunie vingt-cinq fois. Elle a donc travaillé afin que cette disposition constitutionnelle devienne une réalité. Qu’on le veuille ou non, les choses se sont passées comme le prévoyaient les textes.

Par ailleurs, l’État a le souci d’organiser une péréquation efficace en faveur des territoires les plus défavorisés.

Depuis 2003, ce principe a une valeur constitutionnelle. La dotation globale d’équipement, la DGE, mais surtout la dotation globale de fonctionnement, la DGF, sont réparties de façon à soutenir les collectivités ayant le moins de moyens ou le plus de charges.

La part de la DGF consacrée à la péréquation est en constante augmentation. Pour les communes, elle représentait 19 % de la DGF totale en 2005 et 22 % en 2008 ; pour les départements, elle s’élevait à 9,2 % en 2005 et à 11 % en 2008 ; pour les régions, elle se montait à 1,9 % en 2005 et à 2,9 % en 2008.

J’ajoute que, en 2009, la dotation de solidarité urbaine, la DSU, pour les grandes villes, et la dotation de solidarité rurale, la DSR, progressent chacune de 6 %, évolution positive et constante depuis maintenant six années pour la DSR. C’est trois fois plus que l’augmentation moyenne de la DGF, qui est cette année de 2 % et, vous en conviendrez, bien supérieure à l’inflation constatée.

Dans le cadre de la réforme de la fiscalité locale, je veillerai, avec Brice Hortefeux, à ce que l’objectif de péréquation, qui est une constante, soit réaffirmé. C’est impératif pour assurer l’égalité des chances entre les territoires de nos régions. (M. Roger Romani applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.

M. Jean-Pierre Fourcade. L’excellent rapport de la mission temporaire et le très bon discours d’orientation de M. Hortefeux me laissent un peu sur ma faim. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.)

On nous dit que nos concitoyens ne comprennent rien à l’imbrication des compétences, à la répartition des crédits, aux doubles emplois, etc. Dois-je rappeler que ces sujets débordent très largement le pur domaine institutionnel ? L’eau potable est fournie par un grand syndicat régional, le traitement des déchets est assuré par une autre structure, les questions scolaires dépendent à la fois de la région, du département et de la commune. L’état civil relève de la commune, mais on vient d’imposer à cette dernière la délivrance de passeports dont l’élaboration est très compliquée, surtout avec des machines qui ne fonctionnent pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Monsieur le ministre, une fois que l’on aura achevé l’organisation intercommunale, dans un délai que l’on veut assez court, les nouvelles structures intercommunales auront-elles récupéré toutes les missions qui ont été déléguées aux syndicats mixtes, aux syndicats à vocations multiples, aux syndicats à vocation unique ou à diverses autorités, ce qui permettrait à nos concitoyens d’avoir en face d’eux des élus responsables dotés de compétences précises ?

Je n’ai trouvé de réponse à cette question ni dans les travaux de la commission Balladur, ni dans l’excellent rapport de M. Belot, ni dans le discours de M. le ministre. Va-t-on réintégrer toutes les compétences institutionnelles qui ont été dispersées afin de parvenir à un schéma satisfaisant pour la vie quotidienne de nos concitoyens ? (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Brice Hortefeux, ministre. Votre question masque des affirmations et des considérants tout à fait réels. Bien évidemment, nos concitoyens n’y comprennent rien ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Ils ne comprennent rien à la multiplicité des syndicats intercommunaux ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

Ne plaisantez pas sur ce sujet ! La Fondation nationale des sciences politiques a réalisé, voilà maintenant une dizaine d’années, une étude qui démontrait que le rôle des syndicats intercommunaux était incompréhensible et que, pour 3 % de nos compatriotes, les élections cantonales visaient à élire des cantonniers ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Au-delà de cette anecdote, force est de constater que nos concitoyens ne comprennent pas le rôle, la place, la légitimité institutionnelle des syndicats intercommunaux.

Aujourd’hui, on peut dire que 96 % ou 97 % de cette phase de la réforme ont été traités. Chaque année, un rapport sur l’évolution de l’intercommunalité est présenté en conseil des ministres.

Notre objectif est la rationalisation et la simplification de notre organisation territoriale. Monsieur Fourcade, les compétences que vous avez évoquées – la liste n’est d’ailleurs pas exhaustive – doivent être rassemblées au sein des structures territoriales. On ne peut pas réclamer la rationalisation et la simplification sans en tirer les conséquences.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, lors du dernier débat interactif, qui est une formule innovante et vraiment intéressante, je m’étais interrogée sur l’absence de dispositions relatives au cumul des mandats.

Or aujourd’hui, sur les quatre-vingt-dix propositions figurant dans le rapport de la mission temporaire, aucune ne concerne ce sujet. Bien au contraire, certaines d’entre elles tendent à considérer que le conseiller territorial n’a qu’un mandat alors qu’il exerce deux fonctions.

Le Gouvernement nous proposera-t-il des mesures à cet égard ? Nos concitoyens, qui sont en quête de proximité et de lisibilité, souhaiteraient obtenir des éclaircissements sur ce point.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. La philosophie générale du rapport de la mission temporaire et des travaux de la commission Balladur est de considérer que le conseiller territorial remplit un mandat unique même s’il exerce une double compétence, régionale et départementale. Le problème du cumul des mandats est tout de même un peu différent, vous en conviendrez, de l’exercice simultané de plusieurs fonctions.

En revanche, l’avant-projet de loi relatif à la modernisation des collectivités territoriales que j’avais eu l’honneur de préparer en prenant mes fonctions place Beauvau prévoit tout un dispositif en faveur de l’amélioration du statut des élus locaux.

De nombreuses concertations ont eu lieu sur ce texte, qui comporte des avancées importantes et traite notamment du cumul des mandats. Un débat devra se tenir pour savoir si des fonctions bien définies entrant dans le cadre de l’intercommunalité peuvent être prises en compte dans le cumul des mandats.

Ces dispositions figurant dans l’avant-projet de loi seront certainement reprises, au moins en partie, dans les textes que le Gouvernement présentera dès la rentrée prochaine au Parlement.

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur de la mission temporaire.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. Je remercie Mme Goulet d’avoir soulevé cette question, et la réponse de M. le secrétaire d’État suscite de ma part quelques interrogations.

En effet, je ne vois pas comment le président d’une intercommunalité, qui ne préside pas une collectivité territoriale puisqu’il s’agit d’un établissement public de coopération intercommunale, pourrait être frappé par le cumul des mandats, alors qu’un conseiller territorial, qui représente pourtant deux collectivités territoriales, serait considéré comme n’exerçant qu’un mandat. J’imagine les discussions sans fin qui doivent se tenir au Conseil constitutionnel… (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. Christian Poncelet. C’est sûr !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le secrétaire d’État, l’intercommunalité a été une révolution tranquille qui a permis aux communes d’exercer des compétences stratégiques dans le domaine du développement économique, du logement, de l’habitat, grâce à des ressources également stratégiques, notamment la taxe professionnelle, de plus en plus sous le régime de la taxe professionnelle unique. Cet impôt a apporté à l’intercommunalité des ressources importantes et dynamiques.

Mme Lagarde a avancé l’hypothèse d’un transfert de la cotisation minimale de taxe professionnelle, soit 6,4 milliards d’euros, de l’État au bloc communes-EPCI, à quoi s’ajoutent la hausse de la part foncière de la taxe professionnelle, soit 1,1 milliard d’euros, et la taxe spéciale sur les conventions d’assurances à hauteur de 2,8 milliards d’euros, soit un total de 10,3 milliards d’euros, à comparer aux 16,62 milliards d’euros que rapporte aujourd’hui la taxe professionnelle au bloc local.

La commission des finances de l’Assemblée nationale a, de son côté, formulé une autre proposition, sur laquelle Mme Lagarde a émis un avis favorable. Il s’agit de remplacer la taxe professionnelle par une taxe d’activité économique assise sur le foncier, qui rapporterait 5,67 milliards d’euros, à laquelle seraient ajoutés des taxes sectorielles et des transferts d’impôts.

Cette compensation laborieuse des 16,62 milliards d’euros de ressources provenant de la taxe professionnelle ne résoudrait pas le problème du dynamisme des bases, celui de la taxe professionnelle étant traditionnellement plus élevé que celui des autres taxes locales dont le produit, au demeurant, ne manquera pas d’être affecté par la baisse des valeurs foncières en temps de crise.

Monsieur le secrétaire d’État, comment comptez-vous assurer une compensation dynamique à la suppression de la taxe professionnelle ? Sinon, êtes-vous réellement conscient du rude coup que vous allez porter au développement de l’intercommunalité dans notre pays en privant celle-ci des ressources indispensables à l’offre de services qu’attend légitimement la population aussi bien qu’à des politiques essentielles comme la politique de la ville, pour lutter contre la ghettoïsation de certains quartiers ? N’avez-vous pas d’autres propositions à nous faire ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, avant de répondre à votre question, je voudrais juste rappeler que nous célébrons le dixième anniversaire des lois Chevènement qui ont fondé l’intercommunalité dans notre pays, avec le succès que l’on sait.

M. Christian Poncelet. Et avec la collaboration du Sénat !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Aujourd’hui, 95 % de la population vit sous le régime d’une structure intercommunale – la fraction du territoire concernée est encore supérieure –, et l’objectif prioritaire du Gouvernement est, en liaison avec le Parlement, d’achever la carte de l’intercommunalité, d’approfondir celle-ci et de revoir, comme l’a souhaité la mission temporaire – MM. Claude Belot et Yves Krattinger, ainsi que Mme Jacqueline Gourault en ont parlé tout à l’heure –, la composition, le rôle et les missions de la commission départementale de coopération, pour franchir convenablement ces nouvelles étapes.

Le problème des ressources que vous évoquez est tout à fait fondamental. L’évolution de la taxe professionnelle est actuellement traitée au sein des commissions des finances des deux assemblées, dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2010. C’est en effet au Parlement de voter l’impôt.

Les parlementaires ont donc été consultés par Mme Lagarde et M. Éric Woerth. Les travaux ne sont pas encore achevés, et des simulations importantes sont en cours à Bercy. L’une des préoccupations majeures du Gouvernement est de préserver cette ressource, qui est indispensable au développement de l’intercommunalité, et de lui donner, comme vous le souhaitiez, un véritable dynamisme économique.

Je constate donc avec beaucoup de satisfaction que nous partageons le même objectif.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le secrétaire d’État, vous évoquez, à l’appui de la réforme que vous entendez mener, le coût excessif de l’organisation territoriale de notre pays. Je suppose que l’appréciation du Gouvernement est fondée, mais il serait important que ce dernier éclaire la représentation nationale à ce sujet.

En effet, il est difficile de réaliser des études comparées à l’échelon européen, puisque, chacun le sait, la situation diffère d’un pays à l’autre, même si, dans la plupart des États européens, il existe trois niveaux de collectivités.

D’après une étude récente de la banque Dexia, le coût de fonctionnement des collectivités territoriales en France est assez faible, eu égard aux services publics importants qui sont assurés par nos collectivités territoriales.

Quant aux élus, il semble que la totalité des indemnités des conseillers généraux et régionaux représente un pourcentage très faible des budgets des collectivités concernées, de l’ordre de 0,05 %.

M. Michel Boutant. À peine !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’aimerais avoir plus de précisions sur le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Madame le sénateur, vous posez une question importante.

Vous dites qu’il existe en Europe, en moyenne, trois niveaux de collectivités ; c’est vrai en Espagne ou en Allemagne, contrairement à ce que l’on dit. Mais, chacun d’entre nous, sur quelque travée qu’il siège, l’a constaté, les financements croisés engendrent des surcoûts de fonctionnement importants. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Marie-France Beaufils. Ce n’est pas vrai !

M. Michel Boutant. C’est invraisemblable !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. En revanche, il n’est pas question de considérer que les rémunérations des élus constituent un surcoût. La plupart d’entre eux, nous le savons, travaillent de manière bénévole, et leurs salaires ne représentent que 70 millions d’euros par an, ce qui est, chacun peut en convenir, extrêmement raisonnable. Le problème est ailleurs.

Je souhaiterais évoquer de nouveau la question de l’intercommunalité, que M. Chevènement et moi-même avons abordée à l’instant. Bien que la carte intercommunale soit achevée à plus de 95 %, il est très regrettable de constater qu’il existe encore près de 16 000  syndicats intercommunaux, dont les syndicats intercommunaux à vocation multiple, les SIVOM, et les syndicats intercommunaux à vocation unique, les SIVU. Paradoxalement, ceux-ci n’ont pas disparu avec l’arrivée de l’intercommunalité. Ils contribuent à la lourdeur de la fiscalité nationale, puisque leurs dépenses s’élèvent à 15 milliards d’euros par an, dont plus de 50 % pour les frais de fonctionnement et une petite moitié seulement en direction d’un investissement réel. Ces chiffres sont parfaitement fondés, puisqu’ils sont cités dans les études que le Gouvernement a en sa possession.

Il est donc essentiel, comme l’a d’ailleurs souligné la mission temporaire dans son rapport que j’ai lu avec attention, de parvenir rapidement à la suppression de ces syndicats intercommunaux, qui sont à l’origine, je le répète, de surcoûts tout à fait considérables.

Madame le sénateur, puisque vous avez parlé de l’Europe, je vous rappelle que la France a été, en 2008 – elle le sera encore l’année prochaine –, le premier contributeur net au budget de l’Union européenne avant l’Allemagne, et le dernier consommateur des fonds européens.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. En effet, la complexité de notre structure territoriale est si importante que l’on a du mal à consommer les crédits existants. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Vous avez suggéré d’établir des comparaisons avec les autres pays de l’Union européenne. Je me permets juste de faire celle-ci, qui est extrêmement saisissante ! (Nouvelles protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Paul Raoult. C’est l’administration centrale !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la mission temporaire.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais apporter quelques précisions à ce sujet.

Vous dites que les financements croisés augmentent les coûts. De façon très marginale, seulement ! Le financement croisé ne change rien au coût des projets ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Monsieur le secrétaire d’État, soyons clairs : pour construire une salle polyvalente dont le coût est estimé à un million d’euros, il faut recourir à l’impôt.

Plusieurs sénateurs socialistes. C’est exact !

M. Yves Krattinger. Que l’impôt soit régional, départemental ou communal, il est toujours payé, en définitive, par nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

S’agissant de l’instruction des dossiers, nous avons proposé de mettre en place un dossier unique et une instruction unique selon des modalités simples. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. –Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)

Par ailleurs, puisque l’on parle du nombre des élus, il faut que les choses soient claires : il y a aujourd’hui 4 219 conseillers généraux et à peu près 2 000 conseillers régionaux, soit 6 200 élus au total.

Tout à l'heure, un orateur du groupe UMP affirmait ceci : « Nous réduirons le nombre des élus locaux de 25 % à 30 % ». Mes chers collègues, retenons cette dernière proportion et faisons le calcul. Si l’on supprime 30 % des 6 200 élus locaux, il en restera 4 000 environ, ou je ne comprends plus rien aux mathématiques !

Or ces 4 000 élus conseillers territoriaux seront aussi nombreux que les conseillers généraux actuels, mais ils représenteront le double des conseillers régionaux, qui sont 2 000 aujourd'hui. Il faudra transformer tous les hémicycles régionaux ! Où sera l’économie ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste – M. Jean-François Voguet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Fournier.

M. Jean-Paul Fournier. La réforme des collectivités territoriales est une question tellement importante qu’il faut donner à ce chantier toute l’ampleur qu’il mérite.

Je ne partage pas toutes les conclusions des différents travaux menés sur ce sujet au cours des derniers mois, mais je tiens tout de même à souligner ici la qualité des débats que nous avons menés au sein de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, présidée par notre collègue Claude Belot.

Toutefois, je crois que nos concitoyens attendent de nous que nous fassions preuve d’audace et de détermination, quitte à bousculer quelques habitudes.

Je suis pour ma part convaincu que nous devons avancer clairement vers la fusion des départements et des régions, afin de mieux répondre aux grands enjeux liés à l’économie et à l’aménagement du territoire auxquels la France se trouve aujourd’hui confrontée.

Comme nombre de nos collègues, je crois nécessaire de nous orienter vers la création de conseillers territoriaux.

Toutefois, ce mouvement prendra du temps, j’en suis conscient, ne serait-ce qu’en raison des échéances des futurs renouvellements de ces assemblées. Il nous faut donc agir en parallèle, dès maintenant, pour préparer et pour accompagner ce mouvement dans les meilleures conditions, ce qui passe, selon moi, par une série de décisions simples et d’application immédiate.

Premièrement, il faut renforcer l’échelon intercommunal en favorisant le regroupement des EPCI, les établissements publics de coopération intercommunale. Pour cela, il est nécessaire, notamment, de lever les freins existants. À titre d’exemple, la perte de la dotation de développement rural lors du passage de certains seuils de population en cas de regroupements intercommunaux peut se révéler terriblement dissuasive.

Deuxièmement, il convient d’abroger la clause de compétence générale, qui est source de gaspillage et d’inefficacité des politiques publiques.

M. Claude Bérit-Débat. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Paul Fournier. Cette mesure pourrait s’appliquer dès 2010 aux départements et être progressivement étendue aux autres collectivités par la suite.

Enfin, troisièmement, il est nécessaire de mettre en place un véritable statut de l’élu qui réponde aux problèmes tout à fait concrets vécus par les élus locaux, en particulier les maires des communes rurales, en leur offrant une vraie possibilité de formation, une véritable couverture sociale et une protection juridique adaptée. Il faudrait d’ailleurs faire en sorte que les moyens mis à la disposition des élus pour exercer leurs mandats ne soient pas prélevés sur le budget des communes.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Paul Fournier. En effet, bien souvent, nous le savons tous, en dessous du seuil de 3 500 habitants, les budgets communaux ne permettent pas aux élus de s’accorder des indemnités décentes.

Je souhaiterais, par exemple, qu’un mécanisme soit examiné, afin que, dans les petites communes, ces moyens soient prélevés directement sur le budget de l’État.

Monsieur le secrétaire d'État, voilà, en quelques mots, les sujets sur lesquels je souhaitais recueillir votre sentiment et connaître les intentions du Gouvernement. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, la DSR, la dotation de solidarité rurale, et la DDR, la dotation de développement rural, sont en progression constante, je le répète, et elles continueront bien entendu à s’accroître.

En ce qui concerne l’évolution du statut des élus locaux, le rapport Balladur n’évoque pas ce sujet. La mission présidée par M. Belot y consacre une partie de son rapport, pour indiquer, en particulier, qu’il conviendrait d’améliorer le statut juridique des élus ; elle a parfaitement raison sur ce point. Quant à l’AMF, l’Association des maires de France, elle exprime des demandes récurrentes sur ce sujet.

Monsieur le sénateur, le statut des élus est déjà relativement abouti ; les gouvernements successifs et le Parlement l’ont complété à plusieurs reprises au cours des dernières années. La question de la responsabilité pénale, qui soulevait de nombreuses difficultés, a été réglée, notamment, par la loi Fauchon du 10 juillet 2000 ; il est d'ailleurs à l’honneur de M. Fauchon et de la Haute Assemblée d’avoir porté ce texte.

En ce qui concerne la protection sociale, les règles d’absence et le volet financier ont été améliorés et sont désormais presque complets, notamment grâce à la garantie contre les discriminations de l’employeur liées au statut d’élu local, aux autorisations d’absence, aux crédits d’heures – quelque 105 heures par trimestre pour un conseiller général ou régional –, à la suspension du contrat de travail, au bilan professionnel et aux indemnités différentielles, enfin à l’institution d’une protection sociale comparable à celle des salariés : autant d’objectifs qu’il convient de mettre en œuvre.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Je le répète, l’avant-projet de loi dit « MODELOC », c'est-à-dire portant sur la modernisation de la démocratie locale, prévoit d’autres avancées particulièrement significatives. Celles-ci figureront, d’une façon ou d’une autre, dans les textes présentés à l’automne par le Gouvernement.

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur de la mission temporaire.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. Monsieur le secrétaire d'État, je voudrais revenir en arrière et évoquer les fonds européens, dont vous nous affirmez qu’une grande partie est renvoyée à Bruxelles, faute de consommation.

Premièrement, nous évoquions à l’instant la formation des élus locaux. Il faut à mon avis former ces derniers davantage à l’utilisation des fonds européens. D'ailleurs, en général, les villes ou les départements où s’appliquait naguère un zonage sont, aujourd'hui encore, les collectivités les plus efficaces pour attirer les fonds européens, parce qu’elles avaient l’habitude de « pratiquer » ces derniers. La formation des élus est donc importante en la matière, me semble-t-il.

Deuxièmement, je ne suis pas certaine – je le dis avec le plus de modération possible – que l’État et les fonctionnaires des préfectures de région favorisent toujours la consommation des crédits européens. On nous réclame tant de dossiers, on nous demande de respecter tant de formalités complexes que la tâche n’est pas aisée ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Il serait intéressant d’étudier les statistiques, monsieur le secrétaire d'État, pour déterminer si la consommation des crédits européens n’est pas plus élevée en Alsace, où c’est le conseil régional qui s’occupe de la diffusion de ces fonds.

Nous proposons d'ailleurs dans notre rapport que cette pratique soit généralisée à toutes les institutions régionales ou territoriales, ce qui permettrait peut-être une meilleure coordination des fonds européens avec les politiques publiques territoriales. (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit.)

M. Jean-Pierre Bel. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. L’AMF, et je l’en remercie, a sensibilisé les élus à ce problème que la France ne connaissait pas voilà quelques années, quand s’appliquaient les anciens objectifs 2 et 5b, notamment, mais qui est devenu récurrent et qui porte sur des sommes considérables.

La France, qui était un bon élève en la matière, est devenue, avec l’élargissement, un mauvais consommateur des crédits européens, alors même qu’elle est le premier contributeur à l’Union européenne.

M. Bernard Frimat. Non, le premier contributeur net, ce qui n’est pas la même chose !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Je vous en ferai la démonstration, monsieur le sénateur !

Les préfets de région sont comptables des fonds européens ; leur rôle est de les dépenser, d’expliquer leur fonctionnement aux élus et de mener une politique de formation en direction de ces derniers. Si les crédits ne sont pas consommés, ils repartent pour Bruxelles, ce qui est extrêmement regrettable s'agissant de sommes colossales qui viennent du FEDER, le Fonds européen de développement régional, ou du FSE, le Fonds social européen.

Mme Jacqueline Gourault et M. Yves Krattinger, rapporteurs de la mission temporaire. Nous sommes d'accord !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Madame Gourault, vous soulevez également la question de l’Alsace. Celle-ci, de même qu’une autre région – l’Auvergne, me semble-t-il –, avait été autorisée, à titre dérogatoire, à gérer elle-même les fonds européens au cours des exercices budgétaires 2006 et 2007, si mes souvenirs sont exacts. Or les résultats n’ont guère été probants : les deux régions ont géré tout à fait convenablement les crédits, mais, s'agissant de la consommation de ces derniers, elles n’ont pas fait beaucoup mieux que l’État.

En tout cas, nous donnons des instructions aux services compétents : j’ai eu l’occasion d’expliquer à l’ensemble des préfets, réunis au ministère de l’intérieur voilà quelques jours, qu’ils devaient se mobiliser pour dépenser les crédits dévolus à notre pays et faire un effort pour sensibiliser les élus et les familiariser avec les procédures. Celles-ci sont complexes, certes, mais elles valent pour tous les pays, et il n’est pas normal que la France n’atteigne pas le même niveau de consommation des fonds que la moyenne de ses partenaires européens !

M. le président. La parole est à M. Pierre Mauroy.

M. Pierre Mauroy. J’ai écouté avec beaucoup de plaisir ces débats, mais, au final, j’éprouve les mêmes sentiments que lorsque je participais au comité Balladur. Celui-ci avait très bien commencé, ce dont je me félicite. Nous avions posé vingt questions, et j’ai répondu favorablement à dix-huit d’entre elles, qui portaient d'ailleurs sur des propositions susceptibles de rassembler l’ensemble des sénateurs, quelle que soit leur tendance politique, pour améliorer la décentralisation ou la politique menée dans nos territoires.

Toutefois, nous avons calé sur deux problèmes : d’une part, la taxe professionnelle – on nous annonce, de façon proprement incroyable, qu’elle sera supprimée, alors que le problème de son remplacement reste entier ; mais je ne veux pas m’étendre sur ce sujet – et, d’autre part, les conseillers territoriaux.

Lorsque cette proposition nous est arrivée – elle n’a pas été inventée par la commission, elle est venue d'ailleurs, sans que je sache bien quelle est son origine (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) –, j’ai mesuré que la naissance de ces conseillers territoriaux toucherait au fondement de la politique lancée voilà vingt-cinq ans et reprise par tous les gouvernements, y compris par celui de Jean-Pierre Raffarin. J’ai pensé alors qu’il s’agissait d’une véritable rupture !

Nous avons discuté et demandé pourquoi on voulait instaurer de tels conseillers territoriaux. Est-ce pour supprimer le conseil général, cette institution de proximité que personne ne peut vouloir faire disparaître tant elle est indispensable ? Ou, au contraire, est-ce pour supprimer le conseil régional, alors que la France doit nécessairement disposer d’une telle assemblée, pour fixer le cap ? Nous n’avons pas obtenu de réponse.

Je félicite la mission que vous avez instituée, monsieur le président, de n’avoir pas repris cette proposition et d’avoir formulé d’autres suggestions à la place. En effet, ce débat montre bien que les conseillers territoriaux sont une pierre d’achoppement, le point de départ d’un glissement politique.

Lorsque M. Hortefeux a terminé son intervention en affirmant sa détermination à modifier les fondements d’une politique sur laquelle il existait un large consensus, il a exprimé sans aucun doute sa volonté de rupture.

Monsieur le secrétaire d'État, nous ne pouvons accepter les conseillers territoriaux et ce qu’ils impliquent. Les débats qui reprendront à l’automne devront nous apporter des éclaircissements sur ce point, faute de quoi on aura mis fin au grand élan porté par la décentralisation, la régionalisation et la loi Chevènement, cette politique qui avait pleinement réussi et montré sa capacité à rassembler nos territoires.

Derrière ce projet, il existe une volonté de changer l’organisation territoriale qui va plus loin qu’on ne nous le dit. Le débat reste ouvert, et nous le reprendrons en octobre prochain. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Monsieur le Premier ministre, je vous ai toujours écouté avec beaucoup d’estime et de respect. Vous avez raison : nous n’avons fait aujourd'hui qu’ouvrir ce débat, que nous reprendrons à la rentrée, lors de l’examen du texte que présentera le Gouvernement.

Le Gouvernement a pour seul objectif, en créant les conseillers territoriaux, de rapprocher le département de la région – il n’entend supprimer ni l’un ni l’autre ! –, afin surtout de rendre plus efficaces ces deux institutions, qui sont les piliers de notre système territorial.

M. Pierre Mauroy. Il faudra nous en dire davantage !

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Je tiens à évoquer un sujet qui me tient particulièrement à cœur, le Grand Paris.

Je déplore que, en quatre heures et demie de débats, nous n’ayons entendu que deux fois prononcer l’expression « Grand Paris » : une première fois par M. Bernard Saugey, qui y a fait une simple allusion alors qu’il traitait du problème des métropoles – il voulait évoquer la problématique du Grand Lyon – et une seconde fois par M. le ministre, qui l’a mentionnée à propos de l’intercommunalité, en notant que, dans cet espace, il conviendrait peut-être d’appréhender les choses différemment. Deux fois en quatre heures et demie de débats, c’est peu !

La région d’Île-de-France compte un cinquième de la population française et représente près de 30 % du PIB. Cependant, petit à petit, tout doucement, nous nous apprêtons à discuter à l’automne d’un projet de loi qui ne traitera pas du sujet !

Certes, avec l’apparition des conseillers territoriaux, nous allons probablement, malgré tout, modifier en profondeur les relations entre les départements et les régions. Nous allons décider de la création de six, sept ou huit grandes métropoles.

Pourtant, malgré l’importance que revêt le Grand Paris, nous nous acheminons petit à petit vers une non-réforme de la capitale de notre pays, parce que nous n’avons pas le courage de poser les problèmes sur la table et de déplaire à ceux qui ne veulent pas parler du partage de la richesse fiscale, à ceux qui refusent de partager le pouvoir pour régler les problèmes inhérents à cet espace.

M. François Marc. C’est vous !

M. Philippe Dallier. La région d’Île-de-France, avec le Grand Paris, est la plus riche de France. C’est l’espace où la cohésion urbaine et sociale est le plus en danger. Or, de tout cela, nous ne parlons pas ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

À l’automne, le Parlement sera saisi d’un projet de loi qui – le Président de la République vient de l’affirmer à La Défense – sera relatif à la gouvernance du Grand Paris. Mais il s’agira non pas de la vraie gouvernance politique, mais de la gouvernance des projets : nous débattrons pour savoir quel type d’établissement sera le mieux à même de financer les grands projets prévus pour La Défense – l’établissement public d’aménagement de la défense, l’EPAD, qui est un établissement public à caractère industriel et commercial, ou une société à capitaux publics ? – et pour déterminer comment, autour des gares, faire sauter les règles d’urbanisme.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qui va financer ?

M. Philippe Dallier. Mais le fond du problème n’est pas là !

Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement nous a dit que nous irions vers une réforme de la gouvernance dans cet espace. Moi, je ne vois rien venir. Je vous interroge donc : oui ou non, discuterons-nous de la gouvernance de l’espace du Grand Paris ? Si la réponse est oui, à quelle échéance en débattrons-nous ? Le Gouvernement décrétera-t-il alors un moratoire sur l’intercommunalité dans la première couronne parisienne ?

Il nous faut être bien conscients du fait que, si cette intercommunalité n’a pas fonctionné jusqu’à présent, le rapport Balladur, en proposant de créer la métropole parisienne, lui a cependant donné un formidable coup d’accélérateur : tous les opposants de la veille se sont empressés d’annoncer qu’ils allaient créer une intercommunalité au sein de la première couronne à trois, à quatre, à cinq ou à six !

Dans mon département, quelle a été la logique ? Le parti communiste avec le parti communiste, le parti socialiste avec le parti socialiste, l’UMP avec l’UMP et le Nouveau centre avec le Nouveau centre !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Dallier !

M. Philippe Dallier. Monsieur le secrétaire d’État, j’insiste : oui ou non, et, si oui, à quelle date pourrons-nous débattre de la gouvernance du Grand Paris ? Allez-vous décréter un moratoire sur la mise en place de ces intercommunalités à la petite semaine qui ne peuvent en aucun cas être une réponse à la problématique de cet espace ?

M. Didier Guillaume. C’est une bonne question !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et le financement ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, pour résumer, je dirai : d’abord les projets, ensuite les institutions. Prendre le problème dans ce sens me paraît la meilleure solution.

Le comité Balladur a proposé – vous vous en souvenez certainement – de fusionner les départements de la petite couronne et les départements de Paris dans une structure qui aurait aussi les compétences d’une intercommunalité. M. Balladur, à titre personnel, s’est prononcé ensuite pour une communauté urbaine de Paris englobant les communes voisines, pour préfigurer en quelque sorte cette évolution.

La mission sénatoriale préconise de poursuivre la réflexion.

À l’heure où les métropoles mondiales comptent plus de dix millions d’habitants, permettre à Paris de tenir toute sa place sur l’échiquier mondial est indispensable – je suis sûr que vous en êtes convaincu, monsieur Dallier –, mais les structures doivent découler d’une vision d’ensemble du Grand Paris.

En l’absence de consensus, il convient de commencer par des réalisations concrètes.

Le Président de la République a souhaité que de nombreux projets relatifs au Grand Paris soient étudiés et lancés rapidement. Je suis tout à fait convaincu, comme je vous le disais au début, que les structures aptes à les porter en découleront obligatoirement in fine.

Quant à l’intercommunalité et à son achèvement, le Gouvernement examine très attentivement les projets qui ont été évoqués. Les choses ont bougé vite, les préfets concernés ont été réunis voilà quelques mois et vont l’être à nouveau. C’est là la meilleure façon de faire évoluer les choses.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et le financement ? C’est en projet ?

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la mission temporaire.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire. Peut-être M. Philippe Dallier est-il arrivé en retard, ou peut-être n’a-t-il pas prêté attention à nos propos ? Les membres de la mission temporaire n’ont pas parlé du Grand Paris, certes, mais ils ont évoqué « le périmètre de la mégapole parisienne ». Il serait possible de débattre des heures durant sur des questions de vocabulaire !

En tout cas, selon la mission, il faut faire émerger une gouvernance démocratique sur cette mégapole. M. Philippe Dallier est certainement d’accord sur ce point.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire. Je tenais à rappeler la position de la mission temporaire parce que vous ne l’avez pas notée, mon cher collègue : vous avez prétendu que seules deux personnes, dans cette enceinte, avaient parlé du Grand Paris, alors que la mission en a débattu.

On constate que, aujourd’hui, les choses commencent à bouger s’agissant du Grand Paris, de la mégapole parisienne, sauf, cependant, sur la réflexion interterritoriale.

Nous partageons votre point de vue : c’est effectivement l’un des territoires où les inégalités sont les plus visibles, les moins contestables.

Nous en déduisons, d’une part, qu’il ne faut mettre en avant les mégapoles ou les très grandes métropoles qu’avec prudence, car elles n’ont pas toujours su résoudre ces questions – nous devons donc prendre garde à ce que nous allons écrire et préparer pour l’avenir –, et, d’autre part, qu’il faut apporter des corrections, à savoir qu’il faut prévoir des fonds de solidarité extrêmement renforcés pour remédier autant que faire se peut à toutes les inégalités actuelles.

Nous ne sommes pas loin de dire la même chose : il appartient bien sûr au Gouvernement d’apporter une réponse législative ; mais peut-être, comme tout le monde, attend-il lui aussi d’y voir un peu plus clair dans les projets pouvant être élaborés avec les acteurs locaux ? S’agissant du Grand Paris, on ne peut construire des outils participatifs de façon brutale : ce serait agir à l’inverse de ce qui s’est fait partout en France.

L’intercommunalité, c’est d’abord des projets, et surtout des projets partagés, en aucun cas des projets imposés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. M. Mauroy disait que le débat sur les conseillers territoriaux était au cœur de la réforme. Moi, je ne crains pas d’affirmer qu’ils sont des facteurs fondamentaux du changement. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est çà, la question !

M. Jacques Blanc. Pour que ce changement soit réussi – c’est ce que je souhaite –, il sera indispensable que les conseillers territoriaux soient tous membres de l’assemblée départementale et de l’assemblée régionale.

M. Bruno Sido. Bien sûr !

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. M. Balladur a évolué, sur ce point !

M. Jacques Blanc. Par ailleurs, nous ne devrons pas nous borner à adopter des critères de population ; nous devrons retenir des critères relatifs aux territoires. Les assemblées régionales, de par leur composition, devront refléter non pas exclusivement la population, mais, au contraire, la réalité des territoires.

M. Jean-Pierre Chevènement. La majorité pour la Lozère !

M. Jacques Blanc. Un département comme le mien ne saurait être représenté proportionnellement à sa seule population, d’autant que, le nombre des députés étant exclusivement fonction de celui des habitants, il va déjà perdre l’un de ses députés. Il faut donc que soit assurée au moins une juste représentation des territoires.

Voilà pourquoi je souhaite, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement s’engage résolument dans cette voie, mais en tenant compte des territoires.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. M. Jacques Blanc, vous avez raison : dans le système actuel, la représentation des plus petits départements est un problème.

Si je ne me trompe, votre département compte quatre conseillers régionaux.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. J’étais encore trop optimiste ! Ils sont donc deux sur un total de quatre-vingts conseillers régionaux.

Je reconnais que, pour un territoire aussi vaste que celui de la Lozère, où ne vivent, certes, que 75 000 ou 80 000 habitants, mais qui s’étend sur environ 550 000 hectares,…

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. …n’être représenté que par deux conseillers régionaux à Montpellier pose un réel problème, d’autant que, de surcroît, se rendre de Mende à Montpellier n’est guère aisé.

Le problème se pose aussi pour d’autres départements, dans la région Midi-Pyrénées ou dans la région Auvergne.

M. Jean-Pierre Bel. L’Ariège !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Il est vrai que nous n’assistons pas à un mouvement dynamique de créations de sièges supplémentaires, bien au contraire. Il serait utile de repenser la représentation d’un certain nombre de petits départements au sein des conseils régionaux, tant leur sous-représentation actuelle peut paraître choquante à beaucoup d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire.

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Je tiens à indiquer à M. Jacques Blanc que la création des conseillers territoriaux soulève un certain nombre de problèmes, comme l’a d’ailleurs dit tout à l’heure M. Yves Krattinger.

D’un côté, le nombre de conseillers généraux va diminuer, ce qui fait que le département de la Lozère sera administré par trois ou quatre personnes, voire six,…

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. … quand, de l’autre, le nombre de conseillers régionaux doublera par rapport à ce qu’il est aujourd’hui.

Je veux bien qu’il existe un distinguo subtil entre les fonctions et les mandats, mais le problème n’est pas tant celui du cumul des mandats que celui du cumul des fonctions. C’est une façon très élégante de régler le problème du cumul des mandats : deux, trois, voire quatre élus feront la même chose.

Sur le fond, deux choses justifient la création du conseiller territorial : le problème des financements croisés et un manque de coordination.

Est-ce par vice que les financements croisés sont apparus dans notre pays ? Non ! C’est parce que la réalisation de grands projets nécessitait l’intervention de plusieurs financements. Et l’État a bien montré le chemin à cet égard.

Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt ! On aura beau répartir précisément les compétences : si, en aval, les financements ne sont pas assurés, les collectivités ne pourront plus agir.

Par ailleurs, les conseillers territoriaux permettront, paraît-il, une meilleure coordination des politiques. Cela suppose toutefois que tous les départements et la région soient gouvernés par la même majorité, et qu’une harmonie préétablie règne.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Les conseils des exécutifs, au sein desquels les responsabilités sont précisément réparties, donnent, eux, d’excellents résultats. Selon moi, la création des conseillers territoriaux entraînera beaucoup plus de difficultés qu’elle n’en résoudra.

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a des termes que je regrette de ne pas avoir entendus au cours de ce débat, par ailleurs extrêmement intéressant.

Lorsque l’on fait une réforme des institutions, on doit avoir une ligne directrice.

Or, aujourd’hui, les communes sont quand même le lieu où la démocratie locale s’exerce le mieux, avec le maire, dont le rôle de lien social est extrêmement important. Si on transforme le maire en chef de village, on nie toute son autorité !

Au niveau départemental s’exercent les solidarités territoriales et sociales, mais, si la compétence générale des communes est supprimée, c’est tout l’édifice qui sera anéanti.

Or, si l’on prévoit de faire cette réforme, c’est aussi, me semble-t-il, pour assurer un aménagement harmonieux et équilibré du territoire national. On n’en prend pas le chemin ! Cet objectif n’a même pas été énoncé parmi les lignes directrices essentielles.

Enfin, j’ai tout de même le sentiment – et les interventions précédentes des membres de ce groupe ne m’empêcheront pas de le penser – que la contribution du groupe UMP est arrivée bien tardivement !

Peut-être, en définitive, l’UMP n’est-elle pas animée de la volonté de tailler en pièces le travail de la mission Belot, mais cela y ressemble énormément ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Je ne peux être que d’accord avec M. Fortassin : il n’est pas question de toucher à nos communes ! Nous savons tous qu’elles sont les cellules de base de la démocratie locale, ainsi que le lieu par excellence de la solidarité sociale. Elles sont d’une importance vitale dans l’organisation de notre territoire.

Il n’est pas question non plus, bien entendu, d’ôter à nos communes la clause de compétence générale. Personne n’en a jamais parlé !

Au contraire, nous voulons que les communes puissent disposer de moyens plus importants et participer à de vrais projets en rejoignant, là où ce n’est pas encore le cas, des intercommunalités.

Dans ce domaine, monsieur Fortassin, votre département est d’ailleurs tout à fait exemplaire, car le taux de couverture de l’intercommunalité y est remarquable. Je sais que vous avez contribué à cette situation et vous en félicite.

Les communes, convenons-en, peuvent développer plus facilement des projets structurants et importants dans le cadre de l’intercommunalité qu’en restant isolées. Tout en maintenant la clause de compétence générale pour les communes, nous entendons par conséquent encourager le développement de l’ensemble des communes dans un cadre intercommunal.

M. le président. La parole est à M. Robert Navarro.

M. Robert Navarro. Avant tout, je tiens à exprimer ma fierté de participer depuis le mois d’octobre dernier aux travaux de cette assemblée.

Sur des sujets tels que l’avenir des collectivités territoriales, on mesure à quel point le Sénat est capable de dépasser les discours démagogiques. Cela est particulièrement clair quand on compare les conclusions de la mission temporaire avec d’autres propositions qui se sont fait jour.

Certains, donnant dans le populisme, vont jusqu’à proposer une réduction de 30 % à 50 % du nombre des élus départementaux et régionaux, sous le prétexte que ces élus coûtent cher et ne servent pas à grand-chose. C’est peut-être vrai de ceux qui tiennent ce discours, mais c’est faux dans l’immense majorité des cas ! (Sourires.)

Les élus de tous bords sont dévoués à la cause qu’ils défendent. On peut ne pas partager les mêmes orientations, mais on n’a pas le droit de dire que l’élu qui les porte est inutile !

Je dois remercier M. Claude Belot et les membres de la mission du courage qu’ils ont eu en maintenant leurs positions et en restant fidèles au contenu de leur rapport.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela n’a pas servi à grand-chose !

M. Robert Navarro. On ne peut pas faire de la suppression de 2 000 conseillers généraux l’alpha et l’oméga d’une politique d’aménagement du territoire.

Mme Nathalie Goulet. Ce n’est pas là une idée qui nous soulage !

M. Robert Navarro. Ici, au Sénat, la mission s’est saisie des questions de fond. Par exemple, la création de conseillers territoriaux remplaçant les conseillers généraux et les conseillers régionaux dès 2014 n’a pas été retenue.

La politique, pour intéresser nos concitoyens, a besoin de lisibilité. Or, ces conseillers territoriaux fragiliseraient le maillage du territoire. Pour autant, il faut bien sûr clarifier davantage l’organisation territoriale.

La mission s’est accordée pour dire que chacun des échelons territoriaux doit remplir des missions bien distinctes. Les départements jouent un rôle essentiel en matière de solidarités sociales et de proximité. Les régions, quant à elles, ont des missions stratégiques pour le développement futur du territoire.

Pourquoi donc veut-on casser ces deux institutions qui fonctionnent très bien ?

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Robert Navarro. Les deux mandats de conseiller général et de conseiller régional n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Il serait aberrant de les regrouper. J’espère que, les vacances aidant, les travaux de la mission seront reconnus et écoutés à la rentrée !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. M. Navarro est l’élu d’un département que j’aime beaucoup. Il m’a d’ailleurs fourni par avance des éléments de réponse. Le Gouvernement n’a pas l’intention de « casser » quoi que ce soit. Nous voulons simplement restructurer et clarifier la répartition des compétences entre les départements et les régions.

Cela nous semble obligatoire ; c’est tout le débat que nous avons depuis le début de cet après-midi et que nous reprendrons à la rentrée, lors de l’examen des projets de loi.

M. le président. La parole est à M. Louis Nègre.

M. Louis Nègre. Je me félicite d’abord de l’excellent rapport de la mission présidée par M. Belot. Il apporte sur le sujet un éclairage dont la portée est historique. En effet, depuis la Révolution française, nous n’avions pas connu une évolution institutionnelle aussi puissante. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Didier Guillaume. Quelle lecture de l’histoire !

M. Louis Nègre. Merci donc pour ce travail de fond.

Au-delà de ce constat, je voudrais marquer mon accord et apporter mon soutien au Gouvernement. En effet, les grandes orientations définies tout à l’heure par le ministre de l’intérieur, M. Brice Hortefeux, me conviennent parfaitement.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qu’est-ce que cela a à voir avec le rapport Belot ?

M. Louis Nègre. Je pense en particulier à ce qu’il a dit sur la simplification. Il est grand temps d’améliorer les choses. M. Fourcade l’a rappelé, aujourd’hui, nos concitoyens ne s’y retrouvent plus ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Par ailleurs, nous n’avons pas été élus pour gérer l’immobilisme. Dans ces conditions, vouloir faire avancer les choses au xxie siècle me semble être une bonne initiative !

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. Bravo !

M. Louis Nègre. Cela dit, monsieur le secrétaire d’État, j’ai une question à vous poser.

C’est avec satisfaction que je viens de vous entendre répondre à l’un de nos collègues que la commune reste une institution privilégiée. M. Brice Hortefeux a d’ailleurs exprimé la même position.

En ce qui me concerne, je suis très favorable à un renforcement, voire à une augmentation des compétences structurelles des futures métropoles par rapport à celles dont disposent les communautés urbaines.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. Eh oui !

M. Louis Nègre. Je pense notamment à ce qui concerne l’aménagement du territoire, le développement économique, voire les transports.

La mission conduite par Claude Belot propose de créer une autorité organisatrice unique. En tant que rapporteur du projet de loi dit « Grenelle II », je proposerai d’aller au-delà de ce qui est prévu à l’article 18 de ce texte.

Ma question est donc simple : quelle sera la place des communes dans les futures métropoles ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Le débat est lancé sur cette question des métropoles. Il s’agit d’ailleurs d’un des points forts de la future réforme.

Je sais en outre qu’une ville qui vous est chère, monsieur le sénateur, fait partie du groupe de huit métropoles qui devraient voir le jour. (Sourires.)

Sur ce point, il est toutefois nécessaire d’avoir un débat technique approfondi. Contrairement à ce qui a été dit tout à l’heure, le projet n’est pas écrit, il reste à faire !

La notion de métropole elle-même et la définition que l’on en donne peuvent s’avérer très différentes selon les pays. À cet égard, on va parfois un peu vite. Il ne faut pas, par exemple, confondre les métropoles et les aires métropolitaines.

Même en Europe, il existe toutes sortes de « métropoles ». Barcelone a eu ce statut, puis l’a perdu, et il est maintenant question qu’elle le retrouve. Milan n’a quant à elle jamais vraiment été une métropole. En ce qui concerne Londres, et plus largement le « Grand Londres », il vaut mieux parler d’une aire métropolitaine, de même, d’ailleurs, que pour Berlin : il y a la ville, mais pas grand-chose autour.

Bref, il faut déjà s’entendre sur la définition du terme. Il faut se mettre d’accord aussi bien sur le contenant que sur le contenu. Nous n’allons donc pas entrer ce soir dans ce débat lourd et technique, mais je pense qu’il en va de l’avenir de nos très grandes villes sur l’échiquier européen, de leur dynamisme économique et de leur développement.

Le statut de métropole est avant tout un instrument. Il faut donc réfléchir très sérieusement à ce qu’on veut en faire.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la mission temporaire.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire. La question posée par M. Nègre m’a semblé porter sur l’avenir des communes à l’intérieur des métropoles. (C’est çà ! sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elles enregistreront les enterrements et les mariages !

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire. Je vais donc essayer de préciser la vision que nous en avons, qui s’appuie sur les témoignages des personnes que nous avons rencontrées, tout particulièrement à Lyon et à Bordeaux.

Quand nous les avons rencontrés, les grands élus étaient tous rassemblés : à la tribune étaient présents les présidents de régions, de départements et de communautés de communes, ainsi que les maires de villes centres. Dans la salle, se trouvaient les maires des communes des futures métropoles en question. En effet, quel que soit le contenu que l’on met dans ce terme, les deux villes que j’ai citées me semblent incontestablement mériter ce statut.

Les maires veulent vivre. Ils veulent continuer à être des maires, même si, au fond d’eux, ils accepteraient probablement d’envisager qu’une partie de leurs moyens d’intervention leur soit attribuée par la métropole.

Mais il s’agit là d’un chemin que les uns et les autres doivent parcourir ensemble. Les maires ne veulent pas que de telles décisions résultent de la délibération d’autres personnes, car ils ont besoin de les expliquer à la population qui les a élus.

En ce qui nous concerne, nous avons voulu ouvrir deux portes.

Nous avons tout d’abord suggéré que les différents élus, s’ils le décident ensemble, puissent mettre en place une fiscalité métropolitaine unique.

Une telle démarche a bien été adoptée pour la taxe professionnelle, même si, dans ce cas, la décision était prise sur la base d’une loi reposant sur le volontariat. La loi a donc ouvert la porte, et les élus se sont engouffrés massivement.

Pour ma part, je parie toujours sur le fait que les élus sont intelligents, et qu’ils le sont même encore plus collectivement que quand ils sont tout seuls ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons intitulé notre rapport : Faire confiance à l’intelligence territoriale. Il s’agit donc là d’une porte ouverte.

Nous ouvrons également une seconde porte en proposant aux élus de partager, sur le territoire d’une aire métropolitaine, la dotation globale de fonctionnement.

En effet, il peut être intéressant pour un certain nombre d’élus qu’une répartition transparente entre les membres d’une métropole existe. Mais c’est à eux d’en décider. La loi, quant à elle, se contente d’ouvrir des possibilités, comme l’avait fait la loi Chevènement.

Telle est notre vision de la question : les métropoles ne tueront donc pas les communes.

À Lyon, Gérard Collomb, maire et président de la communauté urbaine, a créé des « conférences des maires » à l’intérieur de l’agglomération pour que les maires puissent se réunir et travailler ensemble. Il a considéré que ce n’était pas à lui de s’occuper des écoles, des crèches ou encore des squares. Ces responsabilités incombent aux maires, qui doivent rester de vrais maires.

Pour autant, vous avez entendu tout à l’heure avec quel talent il a défendu l’avenir de la métropole lyonnaise ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.

Mme Bernadette Bourzai. J’ai organisé dans mon département cinq réunions intercantonales, auxquelles se sont rendus deux cents grands électeurs. Je leur avais adressé la synthèse du rapport Balladur, avec ses propositions, ainsi que celle du rapport d’étape de notre mission temporaire, avec ses vingt-sept propositions initiales. Eh bien, je peux vous dire que je n’ai pas rencontré un seul défenseur des conclusions du comité Balladur ! En revanche, je me dois de transmettre les félicitations de nombreux élus à la mission temporaire pour le caractère responsable et raisonnable de ses propositions.

J’ajoute que j’ai retrouvé les réflexions de ces deux cents personnes et les miennes propres dans les propos qu’a tenus tout à l’heure Mme Gourault.

Mes observations porteront sur la montagne.

Je souhaitais d’abord évoquer la représentation des territoires de montagne, mais, cette question ayant été abordée tout à l’heure par M. Jacques Blanc, je n’y insisterai pas. Je dirai simplement à M. le secrétaire d’État, qui est originaire du Cantal, département très proche de la Corrèze, qu’il peut venir me voir quand il le souhaite : je l’emmènerai sur le plateau de Millevaches et nous ferons le tour des six cantons nécessaires pour élire un conseiller territorial ! Je souhaite bon courage et surtout bonne santé audit conseiller pour assumer ses fonctions aussi bien à Tulle qu’à Limoges, et particulièrement en l’absence de tout statut de l’élu, puisque, jusqu’à présent, je n’ai rien entendu sur cette question…

Je veux attirer l’attention sur les organismes qui existent depuis la loi montagne de 1985, c'est-à-dire le Conseil national de la montagne et les comités de massif. Il serait temps de penser à actualiser les missions de ces organismes, car ils peuvent être des outils extrêmement importants et des facteurs de cohésion territoriale, même si la situation varie d’un massif à l’autre.

Je citerai, en particulier, le programme opérationnel plurirégional du Massif central, qui a permis de mobiliser des fonds structurels européens sur une durée de six ans.

Enfin, les élus de la montagne souhaitent recevoir une juste contrepartie des dépenses qu’ils engagent, à quelques-uns, pour entretenir un espace mis à la disposition de tous. Cela suppose sans doute une fiscalité environnementale spécifique ou une dotation globale de fonctionnement majorée et, surtout, une péréquation entre les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Madame le sénateur, je regrette que vous ne m’ayez pas lancé votre invitation lorsque j’étais à Tulle, à l’occasion de l’assemblée générale des maires de Corrèze ! Cela étant, je reviendrai avec grand plaisir pour visiter le plateau de Millevaches. J’ai, moi aussi, l’habitude des territoires quelque peu désertifiés : ma circonscription d’origine, située dans un département voisin du vôtre, s’étend sur 380 000 hectares et compte près de 200 communes de montagne.

S’agissant des aides à la montagne, il existe d’ores et déjà de nombreux outils : la DSR, la DGE majorée, la DDR, la DFM. En outre, la répartition de ces dotations répond à des critères qui sont tout de même très favorables puisqu’un certain nombre de majorations sont prévues en fonction de la superficie, de la densité et de la voirie.

Pour autant, vous avez raison, il conviendrait de recentrer ces aides spécifiques à la montagne et à ses territoires sur les départements les plus concernés. Un tel recentrage des aides fait d’ailleurs l’objet d’une revendication récurrente de l’Association nationale des élus de montagne.

Lorsqu’elles ont été créées, ces aides concernaient quatre massifs – central, alpin, vosgien et pyrénéen – et une petite vingtaine de départements. Aujourd’hui, plus de cinquante départements en sont bénéficiaires : certains comprennent en fait des zones de piémont présentant des caractéristiques montagnardes, sans être pour autant de véritables départements de montagne.

Il nous faut donc parvenir à un consensus pour recentrer ces aides et leur conférer plus d’efficacité, en les réservant aux départements qui ont des besoins et des problèmes tout à fait spécifiques, liés à leur enclavement, à un long hivernage et à une faible densité de population, laquelle tend d’ailleurs à s’amoindrir d’année en année.

M. le président. La parole est à M. Pierre Bordier.

M. Pierre Bordier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie par avance de bien vouloir excuser la naïveté de mes propos, car je n’irai pas forcément dans le sens de ce que j’ai pu entendre jusqu’à présent.

Pour ma part, je pensais que la réforme des collectivités territoriales serait l’occasion de tout remettre à plat en vue de créer un nouveau système, idéal, en fonction de notre environnement actuel, et répondant à l’ensemble des besoins de nos concitoyens, notamment dans le domaine des transports ou des nouvelles technologies de l’information et de la communication. J’espérais que nous adopterions une démarche identique à celle – même si elle date un peu – des Constituants, qui, en créant les départements, ont fait fi des structures préexistantes, de quelque ordre qu’elles fussent : militaire, administratif, religieux, fiscal.

Même si la perfection est ce vers quoi il faut toujours tendre tout en sachant qu’on ne l’atteindra jamais, nous aurions eu, en procédant de cette manière, une démarche innovante, quitte à procéder à des adaptations ultérieures.

Or force est de constater que le comité Balladur, la mission d’information de l’Assemblée nationale et la mission temporaire du Sénat sont tous les trois partis de l’existant,…

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. On ne peut pas partir de rien !

M. Pierre Bordier. … en l’adaptant.

Cet après-midi, la quasi-totalité des intervenants ont évoqué une « ambition ». Personnellement, je n’en vois pas beaucoup dans ce qui nous est proposé. M. le ministre de l’intérieur nous a dit tout à l’heure que nous avions rendez-vous avec l’histoire institutionnelle. J’ai bien peur que nous ne rations ce rendez-vous ! (MM. Philippe Dallier, Jean-François Humbert et Alain Vasselle applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je m’efforcerai de rester mesuré dans mon propos.

Je veux bien me prêter à l’exercice qui consiste à construire, à partir de la carte de France, un modèle théorique. Je n’en aurai pas pour plus d’une quinzaine de jours avant de rendre ma copie – soit beaucoup moins de temps que n’en a pris l’élaboration du rapport de la mission temporaire ! –, car il me suffira de concevoir ce modèle en fonction de ma propre vision des choses, en laissant aux autres le soin de le mettre en œuvre et en leur souhaitant bon vent ! (Sourires.)

Nous en sommes tous d’accord, une réforme est nécessaire ; encore faut-il qu’elle puisse, une fois votée, être appliquée. Si c’est pour la mettre immédiatement au placard par aveu d’impuissance, cela n’a aucun sens !

Pour formuler nos propositions, nous ne sommes pas partis de l’idée que tout ce qui existe est forcément mauvais. Nous l’avons dit, répété et justifié, nous entendons nous appuyer sur le modèle existant pour essayer de l’améliorer le plus possible, dans la durée, car il est extrêmement difficile de tout traiter d’un seul coup.

En la matière, il ne s’agit pas de proclamer : « Du passé faisons table rase ! » Telle n’a pas été notre intention, et nous assumons complètement notre démarche.

M. le président. La parole est à M. René Vestri.

M. René Vestri. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur les propositions du comité pour la réforme des collectivités locales.

Si celui-ci plaide en faveur d’une synthèse entre la légitimité démocratique des communes, l’efficacité et la vision stratégique que mettent en œuvre leurs structures intercommunales, il faut toutefois noter que les maires s’opposent à toute supracommunalité qui ne serait pas fondée sur une démarche volontaire, car cela conduirait à une dilution imposée des communes dans des ensembles plus larges.

Dans la préparation de la réforme prochaine, qui s’annonce historique, les maires insistent également sur la nécessité d’engager simultanément une réflexion sur la commande publique et sur le maintien d’un lien avec les activités économiques des PME.

En effet, le regroupement des marchés publics à un niveau plus important en volume est susceptible d’écarter, dans les zones rurales, mais aussi périurbaines, les petites entreprises, qui constituent autant d’acteurs économiques de proximité. Or ces petites entreprises ne seraient plus à même de répondre à des appels d’offre portant sur des marchés d’un montant significativement plus élevé et, par là même, soumis à des contraintes formelles plus lourdes.

Les maires demandent surtout que la réforme soit menée en association avec les élus locaux, de façon à « coller » aux spécificités des territoires et à obtenir le plus large consensus.

Je vous prie donc, monsieur le secrétaire d’État, de bien vouloir nous préciser la position du Gouvernement sur ces trois points : volontariat, regroupement de la commande publique en zones rurales et périurbaines, concertation.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, malgré une dizaine d’années de progrès constants en termes de couverture intercommunale, il subsiste aujourd’hui, c’est vrai, un certain nombre de zones qui ignorent cet échelon de l’action publique.

Il est donc nécessaire d’achever la carte de l’intercommunalité. Même si près de 96 % des populations et des territoires sont couverts, le plus difficile reste évidemment à faire, tant les zones en question se sont montrées réfractaires au concept d’intercommunalité. Pour rallier ces « poches de résistance », mieux vaut utiliser la persuasion plutôt que la contrainte.

Cela dit, Brice Hortefeux l’a souligné tout à l’heure, au moment de l’achèvement de la carte de l’intercommunalité, le Gouvernement prendra ses responsabilités et donnera aux préfets les outils qui leur seront nécessaires, encore qu’ils en aient déjà un certain nombre à leur disposition.

Parallèlement, pour répondre au vœu formulé par l’Association des maires de France et l’Assemblée des communautés de France, présidée par Daniel Delaveau, le Gouvernement entend trouver un consensus pour renforcer les moyens de la commission départementale de la coopération intercommunale.

Le Gouvernement privilégiera donc, bien entendu, la concertation, mais il prendra ses responsabilités, je le répète, partout où des blocages seront constatés, et ce dans les délais prévus, c'est-à-dire avant le terme du mandat communal actuel.

Par ailleurs, monsieur Vestri, votre crainte de voir les petites entreprises exclues des commandes groupées des structures intercommunales appelle deux remarques. D’une part, ne perdons pas de vue l’objectif de mutualisation des moyens et des services, qui devrait tout de même dégager des économies d’échelle. D’autre part, le droit de la commande publique permet déjà de procéder à des marchés par lots, plus accessibles aux PME que par le passé.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite revenir sur un sujet qui est au cœur de nos débats.

Saluant à mon tour l’excellent travail de la mission temporaire présidée par Claude Belot, je ferai observer que le groupe UMP a, le dernier jour, d’une façon quelque peu cavalière, déposé une contribution dans laquelle il affiche très clairement sa volonté de créer des conseillers territoriaux. Je dois dire que je m’interroge sur cette proposition, et avec moi de nombreux élus locaux.

Aujourd’hui, le conseiller général est l’élu de terrain, l’élu de proximité. Le fait d’élire un conseiller territorial siégeant à la fois dans les deux assemblées, départementale et régionale, ne reviendrait-il pas à noyer dans l’administration régionale quelques conseillers généraux impuissants à faire entendre la voix de leurs territoires ?

Une réforme paraît certes nécessaire et une simplification de nos institutions locales, souhaitable, mais ne succombons pas à une stricte logique comptable.

La création des conseillers territoriaux va couper certains cantons de leurs meilleurs relais. Face à la réforme qui s’annonce, et malgré les craintes, légitimes, aussi bien des élus locaux que des citoyens, mon groupe entend adopter une attitude ouverte, mais prudente.

Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d’État, je vous demande en quoi l’apparition du conseiller territorial constituera un progrès pour l’exercice de la démocratie locale, à plus forte raison sur des territoires qui sont déjà bien souvent désertés par les services publics.

Quel sera, enfin, l’avenir de l’échelon départemental ?

François Mitterrand, ne disait-il pas, en son temps, que le seul lien avec le territoire, en cas de disparition des services publics, était bien le conseiller général ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. Yvon Collin. C’est vrai !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Madame le sénateur, ne parlez pas du conseiller général à l’imparfait : il n’a pas disparu ! Je suis moi-même très fier d’en être un. C’est d’ailleurs le seul mandat local que j’ai conservé – n’est-ce pas, monsieur Mézard ? – et je m’efforce de l’assumer au mieux.

Brice Hortefeux l’a dit, il n’est absolument pas question de toucher aux départements ni de supprimer les conseillers généraux.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Les conseillers territoriaux auraient la double casquette de conseiller général et de conseiller régional, de façon à rapprocher les deux grandes institutions de notre organisation territoriale.

De toute façon, le Gouvernement a le devoir de procéder à un redécoupage des cantons ; le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État l’ont rappelé à l’ordre sur ce point, qui relève non pas du domaine législatif, mais du domaine réglementaire. Voilà encore une vingtaine d’années, c’était annuellement que le Gouvernement procédait à un tel redécoupage.

Votre département n’est pas concerné, car il n’y a pas un déséquilibre important entre les cantons. Mais d’autres départements connaissent des écarts énormes. Ainsi, dans le Var, le plus grand canton compte 45 fois plus d’habitants que le plus petit ! Dans un tel cas de figure, c’est bien évident, l’article 3 de la Constitution, qui impose l’équité du suffrage universel pour tous les citoyens, est foulé aux pieds.

Si le critère du nombre d’habitants est seul pris en considération pour le découpage des circonscriptions législatives, pour les cantons, la notion de territoire doit, bien sûr, entrer également en ligne de compte. Cela explique que les écarts de population tolérés par le Conseil d’État soient souvent beaucoup plus importants en ce qui concerne les cantons : 30 % au maximum, contre 20 % pour les circonscriptions législatives.

Il s’agit d’un sujet important, car, parallèlement à la réforme, le Gouvernement a effectivement le devoir de procéder, dans des délais très rapprochés, à un redécoupage de la carte des cantons.

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.

M. Didier Guillaume. Depuis le début de l’après-midi, la pierre d’achoppement, nous le voyons bien, c’est le conseiller territorial.

Tout à l’heure, Pierre Mauroy disait que nous ne savions pas d’où il sortait : le rapport du comité Balladur ne le mentionne pas, non plus que celui de la mission sénatoriale. Autrement dit, le Gouvernement n’a tenu compte ni des travaux du comité Balladur ni de ceux de la mission Belot, et l’UMP a décidé de créer le conseiller territorial. Nous en débattrons lors de l’examen du projet de loi. En tout cas, nous pensons très majoritairement à gauche, mais on pense peut-être aussi majoritairement à droite, que c’est un vrai recul pour la démocratie de proximité.

Mon inquiétude porte sur les arguments que vous-même, monsieur le secrétaire d’État, et le Gouvernement employez. Ma grand-mère, sage-femme et femme sage, le disait : « Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage. »

Aujourd’hui, lorsqu’un ministre de la République, lorsque des élus montrent du doigt d’autres élus en prétendant qu’ils ne savent pas gérer, qu’ils sont trop nombreux et qu’ils dépensent trop, on se rapproche du populisme et de la démagogie, et nous savons à quoi cela mène ! Moi, j’ai mal à mon pays, j’ai mal à la République lorsque le Gouvernement montre du doigt des élus qui, pour la plupart, font un travail remarquable et s’engagent vraiment !

Ma question porte sur les finances. Tout à l’heure, M. Hortefeux a déclaré que départements et communes bénéficieraient d’une compensation « à l’euro, l’euro ». S’agit-il d’une compensation aussi rigoureuse que celle qui a été consentie aux départements au titre du RMI et pour laquelle on leur doit encore, selon vos propres dires, monsieur le secrétaire d'État, 2,5 milliards d’euros ? Ou bien pourrons-nous continuer à disposer de la seule ressource indispensable aux collectivités locales, à savoir un impôt portant sur l’activité économique ?

Par ailleurs, vous savez que, dans tous les départements, est pratiqué ce que l’on appelle l’écrêtement de la taxe professionnelle et que des fonds départementaux de taxe professionnelle sont intégralement dédiés à l’aide à l’investissement des communes. Tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État, vous disiez que le Parlement décidait, mais que Bercy faisait tourner ses machines.

Que va-t-il donc advenir des fonds départementaux de taxe professionnelle ? S’ils devaient être supprimés, comme le souhaite Bercy, ce serait une catastrophe pour l’aménagement du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Vous affirmez, monsieur le sénateur, que le conseiller territorial ne figure pas dans les propositions du comité Balladur. Si ! Il s’agit de la proposition n° 3. Je vous en communiquerai le texte, que vous n’avez peut-être pas bien lu. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Par ailleurs, la compensation financière est, vous le savez, une obligation constitutionnelle depuis la révision de 2003. Les compensations sont contrôlées par une commission nationale d’évaluation présidée par M. Carcenac, député socialiste du Tarn, dont je suis certain qu’il accomplit très bien son travail. (Exclamations sur les mêmes travées.)

S’agissant de la taxe professionnelle, dernier point de votre intervention, sachez que le Gouvernement traitera ce problème avec le plus grand soin.

M. le président. La parole est à M. Michel Boutant.

M. Michel Boutant. On voudra bien excuser les quelques redites que pourra comporter mon intervention.

Il s’agit aujourd’hui d’un débat « interactif et spontané ». Or la spontanéité s’est surtout manifestée il y a environ une heure ; maintenant, elle est un peu retombée. (Sourires.)

Je dois avouer, monsieur le président, que j’ai éprouvé quelque peine pour vous lorsque j’ai entendu le ministre de l’intérieur s’exprimer. En effet, la mission Belot, qu’on appelle généralement, hors les murs du Sénat, la « mission Larcher », a en quelque sorte fait l’objet d’un enterrement de première classe puisque, à aucun moment, le ministre de l’intérieur n’a fait référence à ses travaux.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elle n’existe pas !

M. Michel Boutant. Pour avoir assisté, en Charente-Maritime, à l’une des réunions qui ont été organisées – vous y avez d’ailleurs vous-même participé, monsieur le secrétaire d’État –, j’ai pu constater le grand intérêt que ces travaux suscitaient chez les élus. En revanche, le quotidien Sud Ouest n’a pas pu publier les résultats de l’enquête qu’il avait lancée sur le sujet pour la bonne et simple raison que trop peu de personnes y avaient répondu.

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire. Trente-six !

M. Michel Boutant. Voilà qui montre la réalité de l’immense intérêt que les Français accorderaient, selon vous, à la question de l’organisation territoriale de notre pays et de ses éventuelles strates excédentaires !

J’ai eu l’impression, monsieur le secrétaire d’État, que vous intentiez un procès aux collectivités, dont les élus coûteraient trop d’argent. Je suis donc venu avec quelques chiffres.

M. le président. Il vous reste vingt secondes !

M. Michel Boutant. Sur un budget global de 457 832 926 euros, les sommes consacrées aux élus du conseil général de la Charente s’élèvent à 1 136 118,77 euros, montant incluant salaires bruts, charges patronales et frais de déplacement : le budget des élus représente donc 0,002 % du budget du département !

Dans le même temps, d’immenses services sont apportés à la population, qu’il s’agisse des personnes âgées, du transport quotidien des enfants entre leur collège et leur domicile, des personnes handicapées, etc.

M. le président. Je vous prie vraiment de conclure, cher collègue.

M. Michel Boutant. Je voulais donc poser la question de la péréquation, mot que l’on n’a pratiquement pas entendu ici cet après-midi. (Mme et M. les rapporteurs de la mission temporaire manifestent leur désaccord.) Quel partage entre ceux qui ont beaucoup et ceux qui doivent assumer des compétences obligatoires mais aussi d’autres compétences, parce qu’ils sont sollicités par l’État pour construire une ligne ferroviaire à grande vitesse ou accompagner le plan de développement et de modernisation des itinéraires sur la voirie nationale…

M. le président. Il faut conclure !

M. Michel Boutant. … ou encore participer à des établissements publics de coopération intercommunale ? Qu’en est-il vraiment de ce qui était un grand projet pour notre pays, la péréquation ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, je crois que vous avez mal entendu ou insuffisamment écouté le ministre Brice Hortefeux. Il a bien rendu hommage à la mission temporaire, déclarant notamment : « Je remercie tout particulièrement le président Claude Belot, les rapporteurs Yves Krattinger et Jacqueline Gourault. » (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Bernard Frimat. C’est nul !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Non, ce n’est pas nul ! Il l’a dit !

M. Bernard Frimat. C’est un hommage posthume ! (Sourires sur les mêmes travées.)

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Vous me permettrez, alors que nous approchons le terme de ce débat, de féliciter à nouveau M. Belot, Mme Gourault et M. Krattinger, qui ont accompli un travail formidable, très dense, dont le Gouvernement tiendra le plus grand compte.

S’agissant de la péréquation, que j’ai évoquée à plusieurs reprises, j’ai déjà répondu à votre question, monsieur le président. Je vous répéterai donc simplement, pour être bref, que la péréquation est un axe majeur de la politique du Gouvernement dans ce domaine.

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle. Notre collègue de l’Yonne, Yves Bordier, a raison de craindre – je le crains moi-même – que cette réforme ne soit pas à la hauteur des ambitions du plus grand nombre d’entre nous.

Le président et les deux rapporteurs de la mission temporaire m’en excuseront, mais j’ai l’impression que, si les membres de la mission étaient animés par une authentique volonté de réforme, un vent de conservatisme n’en a pas moins soufflé un temps sur eux. (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Pierre-Yves Collombat. Alain Vasselle, un révolutionnaire ! On aura tout vu ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Alain Vasselle. J’en veux pour preuve leurs conclusions.

Trois conditions, au moins, me paraissent devoir être remplies pour que cette réforme soit réussie et je vous demanderai, monsieur le secrétaire d'État, de nous dire si vous partagez ce sentiment.

Tout d’abord, il faudrait que nous parvenions, les uns et les autres, sénateurs de tous bords, à mettre de côté nos arrière-pensées politiques. (Exclamations amusées sur les mêmes travées.) Je pense notamment au conseiller territorial, qui me semble être l’objet de telles arrière-pensées chez quelques-uns de nos collègues. Il faudrait tout de même que certains abandonnent cet esprit de conservatisme qui semble les habiter.

M. Paul Raoult. Vous êtes orfèvre !

M. Alain Vasselle. Ensuite, pour réussir cette réforme, il ne faut pas attendre 2014 : il faut battre le fer quand il est chaud, monsieur le secrétaire d’État. Reculez les élections régionales d’un an et mettez en place la réforme dès 2011 !

Enfin, troisième condition, il faut réformer les finances locales. J’ai participé, comme M. Belot, aux travaux des commissions spéciales qui ont été constituées pour examiner la loi Pasqua et de la loi Voynet sur l’aménagement du territoire. Je crains fort que, en l’absence d’une volonté politique forte et d’ambitions très élevées, et si nous ne mettons pas en œuvre une véritable réforme des finances locales de nature à offrir son autonomie financière à chaque collectivité locale, la réforme de l’organisation territoriale n’aboutisse pas et ne donne pas les résultats que nous espérons les uns et les autres.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Je suis d’accord avec vous, monsieur le sénateur, et je vous rassure : le Gouvernement entend agir vite.

Cela a déjà été dit tout à l’heure, les dispositions portant réforme de la taxe professionnelle figureront dans le projet de loi de finances initiale pour 2010 et seront donc examinées au Parlement dès l’automne prochain.

Quant au texte réformant les bases des valeurs locatives, il sera examiné de manière tout à fait prioritaire, parallèlement à cet ambitieux projet de réforme territoriale que nous présenterons dès la rentrée parlementaire d’octobre.

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la mission temporaire. Peut-être, monsieur Vasselle, n’avez-vous pas suivi avec assiduité les travaux de la mission ; cela n’aurait du reste rien d’anormal, car vous étiez certainement appelé ailleurs par d’autres responsabilités. Quoi qu'il en soit, je tiens à vous dire qu’un travail très important a été accompli.

Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, nombre de mes collègues, de tous partis, ont employé le même mot de « socle ». Il existe effectivement un socle sur lequel nous sommes presque entièrement d’accord et à partir duquel nous avons débattu. Cela ne change rien au fait que chacun, y compris parmi les rapporteurs de cette mission temporaire, reprendra ensuite sa place au sein d’un groupe et aura des positions personnelles dans le débat parlementaire.

Je vous mets en garde. Ne rangez pas les gens dans de petites cases : « conservateurs » ; « progressistes » ; « réformateurs ». Je crains que vous n’ayez un jour prochain quelques surprises à cet égard : les progressistes, les réformateurs et les conservateurs ne sont pas forcément ceux que vous croyez. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’Union centriste, du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Berthou.

M. Jacques Berthou. Tous les élus locaux qui siègent ici mesurent la valeur de la proximité, à laquelle ils doivent souvent la reconnaissance de la population. Le maire est, dans la population française, l’élu le mieux reconnu. Viennent ensuite les conseillers généraux, puis les conseillers régionaux. Plus vous vous éloignez de la décision, moins vous êtes perçu.

Or, monsieur le secrétaire d’État, vous proposez, avec les conseillers territoriaux, d’éloigner les élus et la prise de décision du terrain. Si nos administrés ne comprennent plus grand-chose au « millefeuille institutionnel », il n’en demeure pas moins qu’ils savent apprécier les élus qu’ils rencontrent en permanence et de manière continue ; voilà une certitude.

En outre, ces élus de proximité sont des élus qui rendent compte. Je ne prétends pas que les conseillers territoriaux que vous souhaitez mettre en place ne rendraient pas compte, mais, devant s’occuper des problèmes départementaux et des problèmes régionaux, bref d’être confrontés à d’innombrables tâches, ils perdront leur pouvoir au profit d’une administration beaucoup plus puissante. Nous prendrons ainsi la direction opposée à notre but, car l’élu sera éloigné de la décision. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. S’agissant de l’intercommunalité, avez-vous bien réfléchi, monsieur le secrétaire d’État, au fait que, par le fléchage de l’élection des délégués communautaires, vous alliez politiser – et pas forcément au meilleur sens du terme – l’intercommunalité ? Surtout, par la légitimité que confère l’élection au suffrage universel direct, vous allez faire de l’intercommunalité un quatrième niveau de collectivités, en contradiction avec l’esprit de la loi du 12 juillet 1999.

Cette loi avait simplement créé des « coopératives de communes », chaque maire représentant légitimement sa commune selon des règles de représentation variables en fonction du contexte local. Mme Gourault vous a d’ailleurs invité à y songer.

Me direz-vous que j’exagère ?

L’esprit de la réforme territoriale que vous nous proposez éclate au travers de l’institution des communes dites « nouvelles », que vous souhaitez substituer aux communes existantes : 2 600 communes nouvelles remplaceraient ainsi les 36 800 communes existantes. Ce faisant, monsieur le secrétaire d’État, vous rompriez avec mille ans d’histoire de nos communes, qui sont les héritières des vieilles paroisses. Et vous parlez de la commune comme échelon de base de la démocratie ! De deux choses l’une : ou bien vous pratiquez le double langage, ce que je ne saurais croire, ou bien il vous faut mettre de l’ordre dans vos idées ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Je suis heureux que cette question m’ait été posée par M. Chevènement : cela tombe très bien !

Les intercommunalités votent l’impôt et fédèrent des projets politiques importants, structurants. Il est donc normal qu’elles bénéficient de la légitimité que confère l’onction du suffrage universel. Cette préoccupation du Gouvernement est la raison du fléchage. En permettant la mise en place d’une articulation entre le maire et l’intercommunalité, le fléchage nous paraît constituer pour l’instant la réponse la plus pratique, et en tout cas la plus consensuelle.

Nous avions déjà prévu cette disposition dans l’avant-projet de loi sur le développement de l’intercommunalité, que nous avions préparé à l’occasion du dixième anniversaire des lois Chevènement afin de faire franchir une nouvelle étape à l’intercommunalité. Nous l’avons « testée » devant les assemblées de maires de France, comme à Montpellier, au mois d’octobre 2008, en présence de M. Daniel Delaveau, maire de Rennes et président de l’Assemblée des communautés de France, devant 2 000 à 3 000 élus.

Ainsi, ce système, qui a fait l’objet d’un consensus, constitue une légitimation de l’intercommunalité par l’onction du suffrage universel, sans pour autant créer de confusion des genres entre le maire et le président de l’intercommunalité, le système du fléchage permettant d’éviter cet inconvénient.

Il ne s’agit pas d’un niveau supplémentaire, mais d’une démarche volontaire.

M. Jean-Pierre Chevènement. Et les nouvelles communes ?

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. En conclusion, je souhaite remercier M. Belot, Mme Gourault, M. Krattinger et tous les membres de la mission temporaire. Comme l’a dit fort justement Mme Gourault, leurs travaux constituent un socle. Ils seront très précieux pour le Gouvernement, qui ne manquera pas de s’en inspirer largement. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

J’aime bien ce mot de « socle », car il montre qu’un début de consensus s’est formé, non pas sur tous les points, mais sur la nécessité pour nos collectivités territoriales de procéder à un certain nombre de réformes.

On peut aussi employer le mot de « socle » à propos des travaux du comité Balladur, auxquels ont participé M. Pierre Mauroy, M. Vallini et M. Perben, un accord ayant été obtenu sur seize des vingt propositions. C’est un bon résultat !

M. Pierre Mauroy. Tout de même, monsieur le secrétaire d’État ! Il y avait deux propositions essentielles contre lesquelles j’étais. S’il y avait eu un vote global, j’aurais voté contre !

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Mais vous avez voté, monsieur Mauroy, et nous n’allons pas revenir sur les résultats. Seize sur vingt, c’est une note dont on peut se satisfaire !

M. Alain Vasselle. C’est une bonne note !

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Ne faisons pas marche arrière !

Quoi qu'il en soit, le Gouvernement considère que les travaux de la mission temporaire constituent un socle important, de même que ceux du comité Balladur. Le Gouvernement en tirera la quintessence pour élaborer le projet de réforme qu’il présentera à la rentrée.

Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. On verra alors le résultat du vote !

M. le président. La parole est à M. le président de la mission temporaire.

M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans quelques minutes, la mission que j’ai eu l’honneur de présider n’existera plus.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est dommage !

M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Je le dis sous le contrôle des membres de la mission, qui ont tous beaucoup travaillé, nous avons essayé de faire de notre mieux et je crois que nos propositions méritent attention.

Si vous connaissez mal notre rapport, monsieur le secrétaire d’État, vous avez des circonstances atténuantes : il n’a été imprimé et publié qu’avant-hier ! (Sourires.)

Plaisanterie mise à part, je voudrais rappeler que, tous ici, nous disposons d’une expérience en matière d’organisation territoriale, et vous le premier, monsieur le secrétaire d’État. Sinon, nous ne serions pas là ! Nous sommes en effet les têtes de réseau de tous les élus locaux de nos départements.

Quelle a été notre hypothèse de départ, quel a été le socle de notre réflexion ? Le système existant avait tout de même quelques mérites et ne fonctionnait pas si mal que cela : il a été très performant puisque les collectivités territoriales ont sans doute été à l’origine du renouveau de la France depuis trente ans. (Applaudissements sur diverses travées.)

On peut considérer que cette hypothèse était fausse ; les historiens trancheront ! Mais nous sommes malgré tout assez lucides sur ce qui se passe autour de nous.

Ce constat étant fait, il fallait améliorer le système, faire la « chasse au gaspi », dire qui fait quoi et faire en sorte que la belle horloge France fonctionne mieux qu’aujourd’hui. Tout notre travail a tendu vers cet objectif.

Nous n’avons pas travaillé contre le rapport Balladur. Je tiens à préciser que nous avons rencontré M. Balladur et que je me suis longuement entretenu avec lui sur le sujet. Nous retenons l’essentiel des seize propositions du comité Balladur qui ont fait l’objet d’un consensus, en les mettant « à notre sauce ». Il n’y a donc pas, sur un certain nombre de points, de contradiction entre les propositions de M. Balladur et celles de la mission temporaire.

Il existe cependant des points de divergence. Nous avons voulu, conformément à l’esprit girondin, qui a souvent soufflé entre ces murs, donner aux collectivités territoriales la maîtrise de leur destin. Nous savons tous ici qu’il faut de grandes métropoles de dimension européenne. La mission Balladur l’a dit, et nous le disons également. M. Juppé l’a réclamé pour Bordeaux, M. Collomb l’a fait cet après-midi pour Lyon. Tout cela paraît évident.

Toutefois, si l’on veut que les gens du cru se débrouillent pour construire leur outil, il faut que la loi leur en donne la liberté, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Voilà ce qui a guidé notre démarche.

Pour ce qui est des communes qui, aujourd'hui, restent en dehors de toute intercommunalité, il faut faire en sorte qu’elles en rejoignent une ; si elles ne veulent pas le comprendre, on les y mettra d’office, en les prenant par la peau du dos s’il le faut ! (Sourires.)

Quant aux intercommunalités qui ne produisent rien ou qui coûtent cher, elles doivent être intégrées dans des périmètres plus pertinents. Nous demandons que l’État supprime tous les verrous qu’il avait lui-même créés – nous en citons un certain nombre dans le rapport – pour empêcher les communes de devenir plus grandes, alors que là est l’intérêt général.

J’en viens au département et à la région. Ici, il y a des départementalistes et des régionalistes. L’analyse de François Patriat est la bonne : nous savons tous que le système d’élection des conseillers territoriaux a connu une grande inflexion. La première mouture était plutôt favorable au département. La seconde mouture, plutôt favorable au pouvoir régional, entraînera la dilution des départements, car ils n’auront pas la capacité de faire grand-chose dans ce système.

J’ai été conseiller général pendant trente-huit ans et demi, et je l’étais encore il y a quelques mois. J’ai longtemps été président de conseil général et, dans une autre vie, premier vice-président de région. C’est dire si je connais le sujet !

J’en appelle à la lucidité des nombreux départementalistes qui siègent ici. Il faut qu’ils comprennent bien ce qui se joue. Car le département, comme cela a été dit à plusieurs reprises, est un superbe outil, qu’il faut faire vivre en lui donnant les moyens d’agir. Nous avons tout simplement voulu clarifier les relations entre la région et le département, en fixant des compétences précisément définies, qui interdiront à Pierre de faire ce que fait Paul et inversement.

Il y a dix ans, qui aurait pensé que, en dehors des grandes villes, les collectivités territoriales seraient les actrices majeures du haut débit ? Tel est pourtant le cas aujourd’hui ! Il faut doter ces collectivités territoriales de la capacité d’agir en cas de nécessité. Gardons-nous surtout de les en empêcher par la loi, sauf à anéantir ce formidable élan, cette capacité d’initiative qui nous viennent de la décentralisation !

M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Permettez-moi une considération plus personnelle.

Au sein du conseil général de la Charente-Maritime, je crois avoir joué un rôle significatif. Je suis devenu deuxième vice-président, puis premier vice-président du conseil régional. Au cours de ces différents mandats, j’ai toujours eu la chance d’être professeur à l’université de Poitiers, ville siège du conseil régional de Poitou-Charentes. J’ai réussi à tout faire, mais au prix de combien de kilomètres, de combien d’heures !

Quand on est élu, ce n’est pas uniquement pour avoir son nom sur des cartes de visites. On attend de l’élu qu’il fasse preuve d’une imagination qui n’est pas du ressort de l’administration territoriale. Il lui revient aussi d’accomplir un important travail de contrôle, source d’économies appréciables.

Alors, non, je ne crois pas que les élus locaux soient de trop sur le territoire ! S’il en est parmi eux certains qui ne font rien, c’est à chaque formation politique de faire le ménage chez elle ! Mais cela ne change rien au fait qu’il est d’une impérieuse nécessité de contrôler totalement le pouvoir administratif pour se prémunir contre toute une série de dérives qui peuvent coûter extrêmement cher.

M. Alain Vasselle. Exactement !

M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Je me permets en outre de ne pas partager votre optimisme, monsieur le secrétaire d'État, sur les deux mandats en un. Et je sais, pour m’en être entretenu personnellement avec M. Balladur, qu’il n’est pas du tout sûr de son coup…

On nous cite toujours l’exemple des conseillers de Paris, qui sont à la fois conseillers municipaux et conseillers généraux. Certes, mais sur un même territoire, et cela change tout ! Les juristes que j’ai consultés invoquent un risque majeur devant le Conseil constitutionnel. J’ignore ce que les « princes du droit » diront sur ce sujet, mais je ne peux que vous inciter à la plus grande prudence.

Du temps où j’étais président du conseil général de la Charente-Maritime, je tenais à ce que l’assemblée départementale soit toujours représentée lorsqu’il y avait une décision à prendre ou un contrôle à effectuer. J’avais une quinzaine de vice-présidents – car c’est eux que je sollicitais, et non pas les membres de mon administration –, et le plus difficile était d’en trouver un qui soit disponible. En effet, chacun avait un métier. Mais quelle richesse que d’avoir, à ce niveau-là, des élus qui sont dans la vie ! Au niveau parlementaire, cela devient plus difficile, même s’il y a de brillantes exceptions. En tout cas, il est très important que cet élu local, ce maire, cet homme reconnu, qui vit dans un marigot, petit ou grand, soit dans la vie et exerce un métier. Car le jour où il deviendra tout ce que vous voulez qu’il soit, il cessera d’être un professionnel de quoi que ce soit, sinon un professionnel de la politique, même dans un petit territoire. Et il sera complètement dépendant de son parti, quel qu’il soit, pour les investitures et pour le reste !

M. Alain Vasselle. Avec la proportionnelle, oui !

M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Avec ce que vous voulez créer, ce sera une mission impossible que de concilier vie personnelle, vie professionnelle et fonction d’élu. Ma conviction, fruit d’une longue expérience, c’est qu’il faut trouver des gens exerçant un métier, mais suffisamment disponibles pour assumer la fonction de maire de leur petite commune, de leur petit chef-lieu de canton. C’est à eux qu’il faut confier le contrôle permanent, au fil des déplacements.

Or, si vous allez au bout de votre idée, vous allez changer totalement la sociologie des élus et, ce faisant, vous prendrez un risque majeur.

Cela étant, les choses vont suivre leur chemin, mûrir. Vous allez rédiger un texte. Je suis convaincu que tous ceux qui vous y aideront examineront ce que nous avons écrit.

Nous serons à votre disposition pour vous dire le pourquoi du comment et vous expliquer ce qui nous a conduits à écrire ceci ou cela. Car notre rédaction est le fruit d’une réflexion, non celui du hasard. Si vous voulez nous mettre à contribution, nous serons très sensibles à votre demande et nous tiendrons à votre disposition.

J’ajoute, à l’intention de Gérard Larcher, que si j’ai accepté cette mission, c’est en me souvenant qu’il n’est pas un texte majeur concernant les collectivités territoriales qui ait été écrit contre le Sénat ou qui n’ait pas obtenu ici une large majorité. Et j’espère qu’il en sera ainsi pour la future réforme. Il faut que nous y arrivions ! (Applaudissements.) Sinon, c’est le Sénat lui-même, dans son rôle majeur de représentation des collectivités territoriales, le cœur de notre métier, qui sera mis en question !

J’ai le sentiment d’avoir travaillé, au cours de ces huit mois, avec une équipe d’honnêtes gens, élus et administratifs, tous soucieux d’améliorer l’organisation territoriale. Nous n’avons nullement fait preuve, cher Alain Vasselle, de conservatisme. Nous sommes, au contraire, allés très loin dans l’exploration des voies de réforme. Il faut maintenant que les acteurs locaux s’emparent du sujet, et vous avec eux, monsieur le secrétaire d'État, et nous avec eux. Ainsi, l’horloge France tournera beaucoup plus rond qu’elle ne le fait actuellement ! Elle le mérite ! (Vifs applaudissements sur l’ensemble des travées.)

M. le président. Merci, mon cher collègue, de conclure ainsi ce débat sur un sujet essentiel.

Les échanges qui ont eu lieu au cours de ces cinq heures quarante-cinq, très exactement, me semblent faire honneur à notre assemblée et je tiens à souligner l’intérêt majeur que me paraissent revêtir les travaux de la mission.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre contribution. Je vous suis d’autant plus reconnaissant que je sais, pour l’avoir vécu de l’autre côté du « filet », combien le débat interactif est usant ! (Sourires.)

Je vous donne rendez-vous dans cette enceinte pour de nouveaux débats. Vous nous avez assurés que le Gouvernement serait à l’écoute de l’ensemble des sensibilités de cette assemblée. Je souhaite qu’il en soit bien ainsi pendant les débats et jusqu’au vote du futur texte.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux et je propose que, à titre tout à fait exceptionnel, nous les reprenions dans à peine plus d’une heure, c'est-à-dire à vingt-deux heures, pour mener à bien avant la clôture de la session ordinaire, donc avant minuit, l’examen d’une proposition de loi portant sur un sujet très grave puisqu’il s’agit de la protection et de la lutte contre l’inceste sur les mineurs. En effet, à défaut, ce texte n’étant pas inscrit à l’ordre du jour de la session extraordinaire, son éventuelle adoption serait nécessairement reportée à la session ordinaire 2009-2010. Je demanderai d’ailleurs à chacun de respecter scrupuleusement son temps de parole dans ce débat qui doit durer deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de Mme Monique Papon.)

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Fin de mission de sénateurs

Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, M. le Premier ministre a annoncé la fin, à compter d’aujourd’hui, de la mission temporaire confiée à M. François Zocchetto, sénateur de la Mayenne, et M. François-Noël Buffet, sénateur du Rhône, auprès de M. le ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance, dans le cadre des dispositions de l’article L.O. 297 du code électoral.

Acte est donné de cette communication.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l'inceste sur les mineurs et à améliorer l'accompagnement médical et social des victimes
Discussion générale (suite)

Inceste sur les mineurs

Adoption d'une proposition de loi en procédure accélérée

(Texte de la commission)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l'inceste sur les mineurs et à améliorer l'accompagnement médical et social des victimes
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l’inceste sur les mineurs et à améliorer l’accompagnement médical et social des victimes (nos 372, 465 et 466).

Madame la ministre d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je veux vous rendre attentifs à la contrainte, évoquée par M. le président du Sénat en fin d’après-midi, qui pèse sur nos travaux.

Nous sommes le dernier jour de la session ordinaire, qui s’achève ce soir à minuit. Le texte relatif à l’inceste n’étant pas inscrit à l’ordre du jour de la session extraordinaire, son examen ne pourra pas être poursuivi au-delà de minuit. Je vous invite donc, mes chers collègues, à faire preuve de concision afin que nous puissions en terminer l’examen avant ce terme.

Si tel n’était pas le cas, la suite du débat serait renvoyée à la prochaine session ordinaire, qui sera ouverte le 1er octobre.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la prohibition de l’inceste est une réalité inscrite au fondement même des civilisations.

Même s’il fait l’objet de cet interdit symbolique, l’inceste est toujours présent dans notre société. Magistrats, forces de l’ordre, professionnels de l’enfance, le savent : la nécessité de protéger les mineurs contre les violences incestueuses n’a rien perdu de son actualité.

En tendant à inscrire la notion d’inceste dans le code pénal, la proposition de loi soumise à votre examen vise à combler une lacune de notre droit. Elle adresse un signal fort aux victimes de l’inceste et aux autorités chargées de le combattre. Elle prévoit des moyens de détecter, d’identifier, de prévenir l’inceste et de lutter contre cet acte.

Présenté à l’Assemblée nationale par Mme Marie-Louise Fort, ce texte est le résultat d’un travail législatif approfondi. Je tiens en cet instant à saluer le travail remarquable de la commission des lois de la Haute Assemblée et du rapporteur, M. Laurent Béteille. Les échanges fructueux avec l’Assemblée nationale, la qualité du dialogue, sont un exemple remarquable du travail conjoint des deux assemblées et font honneur à notre démocratie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la clarté de la loi est la condition de l’efficacité de notre action.

En adaptant le code pénal, nous visons à mieux sanctionner les violences sexuelles commises au sein de la famille, d’une part, et à mieux répondre aux attentes des victimes de l’inceste, d’autre part.

En reconnaissant la spécificité de l’inceste, la proposition de loi tend à conforter le fondement juridique de sa sanction pénale.

L’inceste, forme spécifique de violences sexuelles, appelle des dispositions spécifiques du code pénal.

Le texte émanant de la commission en propose une définition dont nous aurons l’occasion de débattre.

Il faut distinguer l’inceste d’autres formes de viol et d’agression sexuelle.

Quatre facteurs sont constitutifs du viol et de l’agression sexuelle : la violence, la contrainte, la menace et la surprise.

La qualification d’inceste ou de violences incestueuses intègre la forme particulière de contrainte morale qui résulte de la différence d’âge et de l’autorité de l’auteur du fait. C’est l’une des avancées de la proposition de loi.

Reconnaître la spécificité de l’inceste implique aussi la prise en compte du cadre familial.

L’inceste repose, c’est là un élément essentiel, sur l’abus de la confiance spontanée des mineurs dans les adultes qu’ils côtoient au sein de la famille. Il transforme un processus de construction de la personnalité en processus de destruction de l’individu.

La proposition de loi prend en compte la réalité du contexte familial en créant une circonstance aggravante nouvelle d’inceste. C’est un gain de clarté et de lisibilité de la sanction.

Mieux sanctionner l’inceste est une nécessité. Mieux prendre en compte les victimes de l’inceste est l’une de nos responsabilités majeures.

Nous le constatons tous lorsque nous côtoyons des victimes de l’inceste : leur désarroi est souvent aggravé par le silence qui entoure cet acte, par le tabou dont il fait encore l’objet. N’aggravons pas la loi du silence par le silence de la loi, n’ajoutons pas un tabou juridique au tabou social !

En inscrivant en toutes lettres la notion d’inceste dans le code pénal, nous contribuerons à mieux répondre à ce besoin de reconnaissance. La prévention s’en trouvera confortée.

La proposition de loi prévoit une information dans les écoles et une sensibilisation du public dans les médias. Pour mieux détecter, signaler et prendre en charge les victimes, elle prévoit également que la formation initiale et continue de certains professionnels, tels que les médecins, les enseignants, les travailleurs sociaux et les avocats, comporte un enseignement spécifique.

La prise en charge des victimes doit aussi être améliorée.

De nombreux progrès dans l’accueil des victimes ont été accomplis au cours de ces dernières années, notamment au sein des gendarmeries et des commissariats. Il faut encore aller plus loin.

La proposition de loi prévoit la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement, avant le mois de juin 2010, sur les améliorations de la prise en charge des victimes. Ce document permettra de présenter le déploiement des unités médico-judiciaires sur l’ensemble du territoire, processus dans lequel la ministre de la santé et moi-même nous sommes engagées.

L’accompagnement des victimes face à des démarches juridiques parfois complexes devra être renforcé. En effet, le droit, la justice, le recours devant les tribunaux, paraissent extrêmement compliqués à ces victimes traumatisées, ce qui constitue souvent un frein supplémentaire à la dénonciation. La proposition de loi prévoit donc la désignation par le magistrat d’un administrateur ad hoc. Le mineur aura ainsi un interlocuteur totalement disponible et prêt à l’aider dans les démarches engagées.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons avoir à l’esprit ce soir que défendre les plus fragiles, protéger l’enfance, préserver la cellule familiale, relève de notre responsabilité partagée, au-delà des clivages politiques.

Adapter notre droit à la lutte contre l’inceste, c’est rappeler nos valeurs : cela est essentiel au moment où notre société fait face à de profondes mutations et s’interroge sur ses fondements et sur ses valeurs. C’est en même temps affirmer notre attachement à la dignité humaine et aux valeurs qui font la pérennité de notre pacte social. (Applaudissements sur les travées de lUMP, de lUnion centriste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, dans notre pays, l’inceste est une réalité très lourde. Elle n’est probablement pas nouvelle : malheureusement, nombre de cas ont sans doute été occultés par le passé. Aujourd’hui, les faits sont un peu plus facilement exprimés. Cependant, beaucoup reste encore à faire pour que l’importance et le poids de cette réalité soient totalement appréhendés.

Pourtant, et c’est un paradoxe, le terme « inceste » ne figure aujourd’hui nulle part dans notre législation.

Certes, le code civil définit un certain nombre d’empêchements au mariage, qui peuvent être absolus ou relatifs, c’est-à-dire susceptibles d’être levés par une dispense. Certes, depuis longtemps le code pénal sanctionne, par le biais de tout un arsenal juridique, les infractions sexuelles commises au sein de la famille.

Cependant, compte tenu de cette lacune, nous ne pouvons disposer d’aucune statistique sur le nombre de victimes de l’inceste. Il faut reconnaître que c’est un grave handicap dans la lutte contre ce fléau.

Si nous ne connaissons pas les chiffres avec exactitude, malgré certains sondages qui, toutefois, ne peuvent apporter d’enseignements définitifs, nous savons qu’il s’agit de violences particulièrement destructrices, qui créent des traumatismes particulièrement profonds.

Face à ce constat, que pouvons-nous faire ? Telle est la question que soulève la présente proposition de loi.

Heureusement, beaucoup a déjà été réalisé dans ce domaine. Christian Estrosi, voilà quelques années, avait rédigé un rapport sur le sujet ; il y avait indiqué qu’en matière de répression de la délinquance sexuelle, notamment de l’inceste, notre législation était l’une des plus sévères et des plus efficaces d’Europe. Pourtant, je le répète, la notion d’inceste n’existe pas dans le code pénal : le droit français a choisi de ne pas sanctionner l’inceste en tant que tel, à la différence des législations des pays germaniques, notamment, qui le répriment y compris lorsqu’il est commis entre majeurs.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C’est juste !

M. Laurent Béteille, rapporteur. Telle n’est pas la tradition française, qui laisse les majeurs consentants agir comme bon leur semble – quelle que soit par ailleurs la réprobation morale qui, me semble-t-il, doit s’imposer.

En revanche, le droit français reconnaît comme une circonstance aggravante le fait que le viol, l’agression sexuelle ou l’atteinte sexuelle sur mineur soit commis par un ascendant. Les peines encourues sont alors lourdes : le coupable est passible de vingt ans de réclusion criminelle.

Récemment, la législation a évolué. Le délai de prescription a été porté à vingt ans, soit le double du délai habituel en matière de crime ; de plus, il court  à partir de la majorité de la victime. Ainsi, jusqu’à ses trente-huit ans, un adulte pourra dénoncer des faits qui se sont produits au cours de son enfance. C’est une bonne chose, car ces infractions ont du mal à être exprimées.

Mme Isabelle Debré. Tout à fait !

M. Laurent Béteille, rapporteur. Les victimes ont besoin d’un certain temps avant de pouvoir se libérer de la chape de plomb qui pèse sur les faits, posée quelquefois par la cellule familiale elle-même.

D’autres dispositions ont été adoptées, parmi lesquelles la possibilité de désigner un administrateur ad hoc lorsque les parents ne sont pas aptes à assurer leur rôle, ainsi que des peines complémentaires diverses, notamment la privation de l’autorité parentale.

Enfin, depuis 2004, le code pénal prévoit que les médecins ne peuvent pas faire l’objet de sanctions disciplinaires lorsqu’ils ont signalé aux autorités compétentes les mauvais traitements dont ils ont pu avoir connaissance.

Il existe donc incontestablement un dispositif pénal efficace qui réprime sévèrement les violences sexuelles incestueuses.

Aujourd’hui, le problème qui nous est posé est l’évaluation des conséquences qu’entraîne notre façon d’aborder ce crime sans le qualifier d’inceste. Les associations concernées nous le disent, c’est un point important pour les victimes, car le fait de ne pas nommer la chose est une façon de la nier. Or nous n’osons pas parler d’inceste, y compris dans notre législation, alors que c’est bien de cela qu’il s’agit.

En outre, comme je l’ai déjà souligné, il est tout à fait regrettable que nous ne disposions pas de statistiques nous permettant d’appréhender la réalité et l’ampleur du phénomène, voire son évolution.

Le texte que nous examinons aujourd’hui, mes chers collègues, est le fruit d’une réflexion qui n’est pas nouvelle. En juillet 2005, je l’évoquais tout à l’heure, M. Christian Estrosi avait remis au Premier ministre un rapport sur l’opportunité d’ériger l’inceste en infraction spécifique. Par la suite, Mme Marie-Louise Fort, députée, a recueilli un grand nombre de témoignages de victimes qui l’ont convaincue de la nécessité de présenter au Parlement un texte visant à inscrire expressément la notion d’inceste dans le code pénal.

Néanmoins, l’un comme l’autre se sont prononcés en faveur non pas de la création d’une infraction spécifique d’inceste, distincte des autres qualifications pénales déjà existantes, mais de la conservation du principe actuel selon lequel l’inceste est considéré comme une circonstance aggravante des infractions que constituent le viol, les agressions sexuelles ou les atteintes sexuelles. C’était un bon choix.

Cette question de l’inscription de l’inceste dans notre législation a fait l’objet, pourquoi ne pas le dire, d’avis contrastés. Ainsi, l’ancienne Défenseure des enfants, Mme Claire Brisset, s’est déclarée réservée sur l’utilité d’une telle démarche, et l’intégralité des associations de magistrats que j’ai auditionnées s’y sont montrées réticents, voire hostiles.

Il ne faut pas, me semble-t-il, négliger cette réaction. J’ai moi-même eu l’occasion, lorsque j’exerçais ma profession d’avocat, de plaider dans de telles affaires. Je me souviens notamment d’avoir obtenu l’acquittement, après deux ans de détention provisoire, d’un homme accusé par sa fille. Aujourd’hui encore, je suis incapable de dire où était la vérité : a-t-on acquitté un coupable, ou bien un innocent a-t-il purgé deux ans de détention ?

Mes chers collègues, j’attire votre attention sur ce point, et le procès d’Outreau, dont il a beaucoup été question voilà quelques mois, nous rappelle l’extrême prudence qui est de mise en ces matières si difficiles à juger. Les magistrats et les jurés entendent le témoignage d’un enfant, le témoignage d’un adulte, et un expert psychiatre leur dit lequel est plus crédible que l’autre. Ils ne disposent d’aucun élément matériel, car il est rare que la police scientifique soit en mesure d’apporter une preuve permettant de se prononcer dans un sens ou dans l’autre : seule l’intime conviction des jurés fait la différence. C’est, à mon avis, l’une des matières les plus difficiles pour un juge, et une responsabilité extrêmement lourde, car il faut envisager les conséquences.

Pour autant, cela ne signifie pas qu’il ne faille rien faire. Au contraire, lorsque les jurés ont l’intime conviction qu’il s’agit bien d’inceste, il faut que celui-ci soit nommé. Je rejoins pleinement les associations de victimes dans ce raisonnement. Pour reprendre les termes de l’exposé des motifs de la proposition de loi, il faut « poser sur l’acte le terme qui lui convient ».

Cependant, le texte qui nous est parvenu de l’Assemblée nationale présentait un certain nombre de difficultés qui auraient rendu son application extrêmement complexe.

Il s’agit ici de droit pénal. La loi pénale est toujours d’interprétation stricte et, en cas d’ambiguïté, celle-ci doit toujours profiter à l’accusé. En outre, lorsque l’on requalifie des infractions, si la loi est plus sévère, elle ne sera pas applicable immédiatement. Elle ne concernera que les infractions qui auront été commises postérieurement à sa promulgation. Or le délai de prescription est de vingt ans. Il ne faut pas se tromper !

Par ailleurs, il faut songer à l’interprétation des nouvelles dispositions. Ainsi, la proposition de loi fixe, pour les auteurs d’actes incestueux, un certain nombre de catégories qui ne figuraient pas dans la loi précédente. Représentent-elles une aggravation ? La loi sera-t-elle plus sévère ? Je ne suis pas en mesure, je l’avoue très humblement, de dire si elle pourra ou non s’appliquer et si elle ne risque pas d’avoir les effets pervers que nous voulons surtout éviter.

La commission des lois a beaucoup réfléchi à ces aspects, et je tiens à remercier l’ensemble de ses membres, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent. Le travail très collectif que nous avons réalisé a permis d’avancer.

La liste retenue dans la proposition de loi nous paraissait excessivement rigide. D’un côté, elle pouvait englober des cas qui ne relèvent pas de façon évidente de l’inceste : on peut prendre l’exemple d’un adolescent qui aurait eu des relations sexuelles avec l’amie de son père, de son oncle ou de son frère. D’un autre côté, elle excluait des situations qui, me semble-t-il, en relèvent de façon beaucoup plus manifeste : je pense aux « quasi-fratries » – les familles recomposées sont de plus en plus nombreuses –, dans lesquelles des violences peuvent être commises sur un enfant par les enfants de son beau-père ou de sa belle-mère. Ces relations me semblent de nature incestueuse, même si elles ne correspondent pas à la définition traditionnelle.

La commission a donc proposé d’inclure dans la loi les notions d’ascendant et de personne ayant autorité au sein de la cellule familiale, et a substitué à l’énumération stricte des auteurs d’actes incestueux la référence plus générale aux violences commises au sein de la famille.

Par ailleurs, elle n’a pas souhaité conserver la nouvelle circonstance aggravante d’inceste, qui risquait de poser de réels problèmes de droit transitoire, et a préféré faire de l’inceste une « surqualification ». La cour d’assises ou le tribunal correctionnel pourra ainsi qualifier les faits de viol, d’agression sexuelle ou d’atteinte sexuelle d’« incestueux », la circonstance aggravante, dont j’ai rappelé tout à l’heure l’efficacité, restant exactement ce qu’elle est actuellement : elle concernera les ascendants et les personnes ayant autorité.

Sur la proposition de notre collègue Jean-Pierre Michel et des membres du groupe socialiste, la commission des lois a par ailleurs souhaité supprimer l’article 2 bis, qui tendait à aggraver les peines en cas d’atteintes sexuelles commises sur un adolescent âgé de quinze à dix-huit ans. Elle a en effet considéré qu’une telle aggravation n’entrait pas dans le champ de la proposition de loi : il n’est pas opportun d’alourdir un dispositif pénal destiné à n’être appliqué que dans de nombreuses années – à supposer que les cours d’assises ou les tribunaux correctionnels pensent, quand la victime a quinze ans ou plus, à prononcer des peines plus sévères !

Enfin, la commission a souhaité atténuer le caractère systématique de la désignation d’un administrateur ad hoc en cas d’inceste afin qu’elle ne soit pas obligatoire même quand les parents sont manifestement aptes à assurer leur devoir d’éducateur : une telle dévalorisation de leur rôle serait alors injustifiée.

En revanche, elle a souhaité conserver – ce débat a été tranché à quelques voix près – la définition de la contrainte figurant à l’article 1er de la proposition de loi.

En effet, la contrainte est l’un des éléments constitutifs des infractions de viol et d’agression sexuelle. Cependant, dans les années quatre-vingt-dix, la Cour de cassation a considéré qu’elle ne pouvait résulter seulement du jeune âge de la victime et de la relation particulière qui la liait à son agresseur, raisonnement qui avait conduit un certain nombre de juridictions à requalifier en atteintes sexuelles des viols commis sur un mineur par une personne de sa famille au motif que la contrainte n’était pas démontrée. Les associations de victimes s’en étaient émues, à juste titre, faisant valoir qu’une telle position semblait sous-entendre que l’enfant aurait pu consentir aux relations sexuelles qui lui étaient imposées : dans ce contexte spécifique, cela constitue de toute évidence une aberration.

Ainsi, la définition de la contrainte figurant à l’article 1er conduira les magistrats à ne plus retenir désormais la qualification d’atteinte sexuelle alors que les violences commises au sein du cadre familial dans lequel grandit l’enfant ou l’adolescent relèvent manifestement du viol ou de l’agression sexuelle.

Telles sont, mes chers collègues, les propositions de la commission des lois.

J’ai évoqué ce que le Parlement a déjà fait et ce qu’il peut encore faire. Il reste que, sur plusieurs points – Mme la ministre d’État a  évoqué la prévention et l’accompagnement des victimes –, nous éprouvons une certaine frustration : soit nos propositions sont écartées au titre de l’article 40 de la Constitution, qui nous interdit d’augmenter les charges de l’État, soit ces matières relèvent du domaine réglementaire.

Néanmoins, l’action de sensibilisation des professions concernées est une très bonne chose. Il faut à l’évidence la poursuivre et l’approfondir.

Il est également nécessaire de créer des centres d’accueil pour les victimes. L’Assemblée nationale a souhaité qu’il en existe un dans chaque département, mais sa proposition a été déclarée irrecevable au regard de l’article 40 de la Constitution. J’y insiste : le Gouvernement doit prendre toute la mesure de la situation afin de l’améliorer.

Madame la ministre d’État, je tiens à vous remercier de vos propos. La balle est maintenant dans le camp du Gouvernement, et nous comptons sur lui. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, pour une femme ou une adolescente, le risque d’être victime de maltraitance ou d’agression sexuelle est plus grand au domicile que dans la rue. Ce constat est encore plus vrai quand il s’agit d’un enfant. Tous les professionnels le disent : la plupart des abuseurs sexuels se trouvent au sein de la famille.

Le droit pénal français prend partiellement en compte les particularités de ces crimes. Pour autant, les spécificités de l’inceste méritent-elles qu’il soit nommé comme un crime différent ? À cette question, les victimes d’inceste répondent par l’affirmative.

Il est vrai que le terme « inceste » n’est inscrit ni dans le code civil ni dans le code pénal. Alors que l’anthropologue, le sociologue, le psychanalyste, l’ethnologue et l’éthologue se sont tous penchés sur l’étude de l’inceste, le juriste lui consacre très peu d’écrits. Le mot n’apparaît que très rarement ! Tout se passe comme si la règle morale sous-jacente aux règles juridiques allait tellement de soi qu’il n’était point besoin, pour notre droit, d’en dire plus.

Étymologiquement, le mot « inceste » va dans le sens d’un interdit social : le dictionnaire de l’Académie française, dans ses vieilles éditions, l’a défini comme la « conjonction illicite entre les personnes qui sont parentes ou alliées au degré prohibé par les lois », cependant que le Littré évoque une « union illicite ».

Au vu de ces premiers éléments, il est clair que la notion d’« inceste » est sous-tendue par celle de famille, voire de parenté. Il n’y a pas d’inceste sans famille au sens large.

Notre droit ne donne pas de définition de l’inceste. Toutefois, les auteurs sont unanimes sur le fait que l’interdit de l’inceste, quoique non désigné explicitement dans les textes, n’en a pas moins été et demeure l’un des fondements mêmes du droit familial et un pilier essentiel de notre société.

Ainsi, notre droit positif civil comporte des dispositions relatives au mariage et à la filiation qui se rattachent à cette notion. Le code civil interdit l’union incestueuse et, dans le prolongement de cette interdiction, pose l’obligation de trouver son partenaire sexuel à l’extérieur de la famille.

Cette prohibition a traversé toutes les réformes du code civil. Un homme ne peut et n’a jamais pu épouser sa mère, ni sa grand-mère, ni sa sœur, ni, en ligne descendante, sa fille ou sa petite-fille. De la même façon, une femme ne peut épouser son père, son grand-père, son fils, son petit-fils, ou encore son frère.

La loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité, le PACS, a posé le même principe de prohibition. En effet, l’article 515-2 du code civil dispose que, « à peine de nullité, il ne peut y avoir de pacte civil de solidarité entre ascendant et descendant en ligne directe [...] et entre collatéraux jusqu’au troisième degré inclus ».

Mais on sait aussi que, actuellement, les couples se forment sans mariage ni pacte civil de solidarité et que certains sont construits sur une situation d’inceste.

La filiation incestueuse s’avère elle aussi indirectement prohibée : l’enfant né de relations incestueuses ne verra sa filiation légalement établie qu’à l’égard de l’un des deux auteurs de l’inceste.

Sur le plan pénal, l’inceste est également réprimé. Il est reconnu comme circonstance aggravante du crime de viol et des délits d’agression sexuelle ou d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans par une personne ayant autorité.

Faut-il en rester là ? Les victimes d’inceste nous demandent d’aller plus loin : elles demandent qu’il soit reconnu que l’inceste n’est jamais pris en considération isolément, qu’il est toujours appréhendé en même temps que tous les autres crimes d’abus d’autorité.

Depuis plusieurs années, sortant de leur silence, les victimes d’actes incestueux parlent, et les poursuites pour des faits de cette nature se multiplient sans que ceux-ci soient jamais qualifiés comme tels.

La répression pénale s’est accrue, notamment depuis la réouverture des délais de prescription par la loi du 10 juillet 1989. Désormais, rien ne fait plus obstacle à une action tardive de la part de personnes majeures ayant été victimes d’un inceste pendant leur minorité.

Toutefois, les victimes ont besoin que les faits soient posés par des mots justes : la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui leur donne satisfaction.

Aucune nouvelle infraction n’est créée, mais, comme je l’indiquais au début de mon propos, ce crime est nommé dans sa spécificité et, de ce fait, reconnu. Surtout, la proposition de loi reconnaît la notion de « contrainte morale » pouvant résulter de la différence d’âge entre la victime mineure et l’auteur des faits ainsi que de l’autorité de droit ou de fait que le second exerce sur la première.

Dans la rédaction actuelle du code pénal, quatre facteurs permettent de constituer une agression sexuelle : la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Or ils ne se retrouvent pas dans les cas d’agression sexuelle intrafamiliale. Le parent n’a pas besoin de se montrer violent avec l’enfant ; les menaces sont souvent postérieures à l’acte, et donc inopérantes ; la surprise, quant à elle, est insuffisante pour rendre compte de la pérennité du phénomène.

La victime est dans une situation très particulière par rapport à l’auteur de l’infraction : elle vit avec lui, mais surtout, souvent, elle l’aime. Ainsi, la situation de l’enfant victime de son parent est une manifestation de l’absence de consentement. Cette dépendance, cette autorité, font de l’inceste un crime différent des autres et créent les conditions du particularisme que réclament les victimes.

Dans cette proposition de loi, l’inceste entre personnes majeures n’est pas évoqué puisqu’il est présupposé que dans ce cas aucune contrainte n’est exercée. Il ne faut cependant pas oublier que, sur le plan de l’interdit social, toute relation sexuelle intrafamiliale reste un inceste. C’est pour insister sur la différence entre inceste imposé et inceste consenti que j’ai cosigné l’amendement de mon collègue François Zocchetto visant à modifier l’intitulé de la proposition de loi.

Je terminerai mon propos en abordant un point qui me paraît incontournable : la prévention.

Nous avons le devoir de faire changer les mentalités. Le travail sera long. Aussi convient-il de l’entamer au plus vite, en particulier à l’école et dans les lieux de loisirs fréquentés par les enfants et les adolescents.

C’est à cette condition que nous pourrons espérer une prise de conscience rapide chez les enfants victimes d’inceste, et c’est à cette condition qu’ils seront moins nombreux, on peut l’espérer, à connaître ce traumatisme. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste, de lUMP et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui aborde l’horreur que représente l’inceste sur les mineurs.

Comme ma collègue Muguette Dini vient de le souligner, nous savons très bien que le sens anthropologique et le sens juridique de l’inceste ne recouvrent pas le même champ, le premier étant plus large que le second.

En effet, si le droit ignore les cas dans lesquels les adultes sont consentants – seule l’interdiction du mariage peut leur être imposée –, il reconnaît les actes d’inceste commis sur les enfants, bien que celui-ci ne soit pas nommé en tant que tel dans le code pénal.

Malgré cela, il faut bien en convenir, la loi restera impuissante tant que les faits demeureront ignorés par la société. C’est le silence entourant l’inceste qui caractérise les difficultés rencontrées par les professionnels pour l’identifier, le prévenir et le sanctionner.

Par ailleurs, tout le monde le sait, la grande majorité des abus sexuels dont sont victimes les enfants sont commis dans le cadre de la famille ou des proches. Pourtant, on a du mal à l’admettre et l’on reste plus attentif à ce qui se passe hors du cercle familial. Souvent, le secret de famille reste de mise.

Un enfant victime d’inceste en garde toute la vie une blessure psychique, morale, affective. Il est agressé dans son corps, mais aussi dans son psychisme. Il est trahi par ceux qu’il aime et qui sont censés lui apporter sécurité et amour pour l’aider à se construire en tant que futur adulte.

Cette trahison enferme l’enfant, puis l’adolescent et l’adulte qu’il devient dans un silence infiniment difficile à briser. L’emprise qu’a sur lui l’auteur des faits, le sentiment de honte et de culpabilité qu’il éprouve, la peur d’être puni ou de ne pas être cru, sont si forts qu’ils contribuent à ce silence. La question de la capacité des victimes elles-mêmes à engager une action en justice est donc une question clé.

C’est la raison pour laquelle, en 2004, j’ai contribué, puisque c’est ma voix qui a fait pencher la balance, à ce que le délai de prescription soit porté de dix à vingt ans ; une telle position n’est pas dans mes habitudes ! Si j’ai agi ainsi, c’est qu’hélas, nous le savons tous, il faut parfois avoir atteint l’âge adulte, voire un âge mûr, pour pouvoir parler de certains événements de l’enfance.

La spécificité de l’inceste nécessite-t-elle une modification de la législation pénale, ou plutôt une amélioration profonde de la prévention, de la connaissance du phénomène, de la prise en charge des enfants victimes de violences sexuelles intrafamiliales ? C’est toute la question !

Le code pénal prend déjà en compte la réalité de l’inceste, bien qu’il ne le nomme pas expressément. Jusqu’à présent, le législateur a fait le choix de sanctionner toute atteinte commise, même sans violence, sur un mineur. Le fait que celui-ci ait moins de quinze ans constitue une circonstance aggravante, tout comme le fait que l’agresseur soit un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime ou ayant abusé de l’autorité que lui confèrent ses fonctions.

Les cas de violences sexuelles sur des mineurs au sein de la famille en sont-ils pour autant moins bien pris en compte par les juridictions ? Si ces dernières n’utilisent pas le terme d’inceste, leur sévérité est en revanche réelle. Le problème principal est donc plutôt que ces affaires parviennent jusqu’à elles. Claire Brisset, la Défenseure des enfants, faisait déjà ce constat en 2005 : « De tels actes sont quotidiennement réprimés par les tribunaux correctionnels et les cours d’assises, d’ailleurs avec une sévérité souvent supérieure en France à celle qui existe dans la plupart des autres pays européens. »

La proposition de loi de Mme Marie-Louise Fort, aussi bien dans le texte présenté par son auteur que dans la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, présentait néanmoins un inconvénient important : elle comportait la stricte énumération des auteurs d’actes incestueux. L’inscription dans le code pénal de cette liste non exhaustive aurait conduit à exclure du champ de l’inceste des cas pourtant vécus comme tels par les victimes.

Notre rapporteur a proposé de ne pas retenir l’énumération initialement prévue et de revenir à la terminologie déjà utilisée dans le code pénal. Je partage cette position – si je ne me trompe, elle a même fait l’unanimité –, car elle me paraît apporter une réponse plus cohérente aux cas d’inceste sur mineur.

Je soutiens également la proposition de nommer l’inceste sur mineur, tant il est vrai que nommer permet de reconnaître les faits et les victimes. Cependant, il faut être prudent.

Comme l’a indiqué le rapporteur, les structures familiales évoluent et évolueront sans doute encore, notamment celles des familles recomposées. Il ne faudrait pas que l’énumération d’un certain nombre de personnes conduise à ignorer d’autres types d’inceste pouvant se produire dans un cadre intrafamilial que ne reconnaissent pas habituellement le code civil ou les habitudes. Je crains donc que l’amendement du Gouvernement, qui tend à réintroduire une liste, ne soit trop précis et, de ce fait même, ne laisse de côté des situations vécues comme des situations d’inceste.

La Défenseure des enfants s’était également interrogée sur ce point et avait estimé qu’il fallait garder une certaine souplesse, non pas, bien entendu, dans l’évaluation de la situation, mais dans la désignation du cadre intrafamilial. Quelle que soit la forme que prend ce dernier, il est, pour les enfants victimes d’inceste, tout aussi important que le serait un cadre familial composé des parents et des frères et sœurs au sens strict.

Je pense donc qu’il faudrait, sur cette question, en rester au texte adopté par la commission des lois.

Par ailleurs, la définition de la contrainte proposée à l’article 1er n’est pas non plus sans poser problème. Je comprends bien qu’elle a pour objet de répondre à la question de l’absence de consentement de l’enfant. Toutefois, il me semble non seulement qu’elle n’y répond pas totalement, mais que, de surcroît, elle crée une certaine insécurité.

Le texte prévoit que la contrainte peut être « physique ou morale », la contrainte morale pouvant « résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ».

La définition retenue présente l’inconvénient de limiter la liberté du juge dans son appréciation de la contrainte qui aura pu être exercée sur l’enfant. Or l’inceste n’est pas nécessairement caractérisé par la différence d’âge entre l’auteur et la victime ; il peut concerner, par exemple, un frère et une sœur. Par ailleurs, on ne sait pas si les deux conditions sont cumulatives.

De manière plus générale, la question du consentement de l’enfant ne se pose pas en ces termes. Certains auteurs considèrent que la victime se trouve dans un état de totale dépendance qui ne lui permet pas de résister à la « demande », si je puis dire. La recherche de l’existence ou de l’absence de consentement de l’enfant est donc, à leurs yeux, un non-sens, puisqu’il n’y a consentement que lorsqu’il y a discernement.

Par ailleurs, la partie consacrée à la prévention des violences et à l’accompagnement des victimes se révèle, je tiens à le souligner, très décevante. Pourtant, la proposition de loi était initialement intéressante.

J’attache également une importance toute particulière à la formation des professionnels. Il est essentiel que ceux-ci disposent des connaissances qui leur permettront de mieux apprécier la parole des enfants et de détecter, parmi les troubles de l’enfant, les signes d’agressions sexuelles sous diverses formes.

Le volet consacré à la prévention et à l’accompagnement des victimes est donc très insuffisant, alors qu’il représente, à mes yeux, une nécessité absolue. Malheureusement, les parlementaires n’ont pas la possibilité de décider eux-mêmes d’y consacrer des deniers publics.

Pour cette raison essentielle, le groupe CRC-SPG a décidé de s’abstenir sur cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, l’examen de cette proposition de loi exige d’autant plus d’humilité qu’elle touche un domaine où la raison le cède souvent à l’émotion, ce qui est parfaitement compréhensible.

Permettez-moi de saluer la contribution de notre collègue députée Marie-Louise Fort, dont les travaux et la réflexion ont été menés, très en amont, dans le prolongement de la mission confiée à Christian Estrosi, ainsi que l’apport de la commission des lois et de son rapporteur, notre collègue Laurent Béteille.

L’inceste produit intuitivement en nous un mélange d’incompréhension et de répulsion. Il transgresse les structures fondamentales de l’organisation de nos sociétés et porte une atteinte intolérable à la dignité de ses victimes, le plus souvent mineures ou handicapées.

Les statistiques peinent à donner une image réelle de l’inceste en France. En extrapolant le nombre d’affaires portées devant la justice, on estime à deux millions le nombre de personnes ayant subi, durant leur enfance, un rapport ou une tentative de rapport sexuel forcé de la part d’un père, beau-père ou autre membre de la famille. Environ 20 % des procès d’assises ont trait à des affaires d’inceste. Tous les enfants sont concernés, quel que soit leur âge, y compris les nourrissons. Phénomène beaucoup moins connu, l’inceste par ascendant peut également être le fait de la mère.

L’inceste constitue la violation la plus totale des droits de la personne et s’apparente à l’une des formes les plus évoluées de la barbarie humaine. Combien de victimes ont trouvé dans la mort la seule réponse à leur souffrance ?

Les conséquences de l’inceste sont toujours graves : suicide, anorexie, boulimie, automutilation, toxicomanie, prostitution, alcoolisme, dépression, trouble bipolaire…

Les cliniciens et professionnels de santé sont unanimes : un abus sexuel intrafamilial – il s’agit le plus souvent d’un acte commis par un père sur sa fille – est un événement traumatisant qui laisse des blessures psychologiques irréversibles. Or l’inceste n’est pas uniquement une affaire de famille, c’est un problème de santé publique, et même un problème de société en ce qu’il insulte nos valeurs. C’est pourquoi il nous appartient de donner aux pouvoirs publics tous les outils permettant non seulement de le combattre et de le réprimer, mais aussi, et surtout, de le prévenir.

Il convient d’inscrire en tant que telle la qualification juridique de l’inceste dans le code pénal. Cette reconnaissance par la loi constituera, à n’en pas douter, un élément important pour les victimes dans leur thérapie : appeler les choses par leur nom empêche le refoulement et le déni de la réalité ; nier l’inceste, c’est se faire complice de l’agresseur.

La proposition de loi que nous examinons place la victime au centre de la problématique ; elle n’a pas pour objet d’aggraver les peines encourues pour les viols, agressions sexuelles et atteintes sexuelles commis de façon incestueuse.

L’article 1er établit une présomption irréfragable d’absence de consentement du mineur victime de viol ou d’agression sexuelle.

Jusqu’à présent, pour reconnaître la constitution de ces deux infractions, la Cour de cassation exigeait que leur commission ait eu lieu avec violence, menace, contrainte ou surprise. Malgré un certain infléchissement de la jurisprudence, ce raisonnement conduit à ce qu’un mineur, en fin de compte, doive prouver qu’il n’était pas consentant, traumatisme venant s’ajouter à celui qui est inhérent à ce type d’acte. Nombre de juridictions pénales ont ainsi été amenées à requalifier un viol ou une agression sexuelle en atteinte sexuelle, délit pour lequel la loi prévoit des peines moins sévères.

La présente proposition de loi apporte donc bien plus qu’une précieuse mise au point sur cette question. En effet, dans le cas de l’inceste, l’agresseur appartient à la sphère quotidienne de la victime ; il assume un rôle d’autorité légitime envers elle et exploite ce modèle socialement accepté de domination pour contraindre la victime, souvent sans violence ni menace, à l’acte sexuel. Les enfants sont projetés hors de leur univers, sans repères ni défense. La force et l’autorité écrasante de l’agresseur les rendent muets, et peuvent même parfois leur faire perdre conscience.

L’accompagnement des victimes est fondamental. À cet égard, il est regrettable que l’article 6, qui prévoyait la création de centres de référence pour les traumatismes psychiques, soit tombé sous le coup de l’article 40 de la Constitution.

L’article 6 bis, quant à lui, ouvre aux associations de lutte contre l’inceste la possibilité de se porter partie civile. Cette mesure est importante, car, malgré l’aménagement d’un délai de prescription spécifique qui ne court qu’à la majorité de la victime, celle-ci ne porte pas toujours l’affaire en justice. Personnellement, je serais même favorable à ce que ces crimes soient imprescriptibles.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Surtout pas !

M. Gilbert Barbier. De la même façon, la nomination d’un administrateur ad hoc, que la commission des lois souhaite systématique, contribuera à éloigner la victime de la cellule familiale qui n’a pas su la protéger.

De plus, la création de circonstances aggravantes nouvelles plutôt que d’une nouvelle infraction permettra d’appliquer immédiatement les dispositions du texte aux procédures en cours.

Au-delà des atteintes corporelles, les séquelles psychologiques, au premier rang desquelles la culpabilisation, constituent un second traumatisme pour les victimes, frappées en quelque sorte d’une double peine. Ces séquelles sont malheureusement souvent présentes tout au long de la vie, et ce en dépit du travail thérapeutique. La prise de conscience des faits n’est pas une acceptation, car l’inceste demeure inacceptable. Les victimes doivent non pas vivre en oubliant, mais vivre avec ce poids, en donnant à la vie tout son sens. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage au travail de la communauté éducative, qui est le premier interlocuteur des jeunes victimes.

Assigner aux établissements scolaires une mission particulière de pédagogie et d’information sur ces sujets me paraît donc souhaitable. Des débats à l’école pourront peut-être libérer la parole des victimes ou leur faire prendre conscience de l’anormalité de ce qu’elles ont vécu.

Ce texte a le grand mérite d’apporter une réponse pénale plus claire aux souffrances des victimes d’inceste. Sans céder à une malheureuse démagogie, il s’adresse aussi aux victimes silencieuses et aux victimes refoulées en affirmant que la société est prête à les entendre.

L’inceste est plus qu’un viol, car il brise le caractère protecteur qui fait de la famille l’un des socles de notre société et annihile irrémédiablement les repères qu’un enfant doit acquérir. Mettre des mots sur les actes, punir ceux qui les commettent, c’est aider les victimes à retrouver leur dignité.

Le groupe du RDSE votera unanimement cette proposition de loi amendée. (Applaudissements sur les travées du RDSE ainsi que sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise doit être examinée avec prudence. Même si nous devons d’abord penser aux victimes de l’inceste, l’émotion ne doit pas prendre le pas sur la raison.

Certes, l’émotion est forte lorsque l’on pense aux victimes, aux témoignages bouleversants que certaines ont osé livrer, aux personnes qui, toute leur vie, ont été hantées par l’inceste. Que l’on songe aux chansons de Barbara ! M’exprimant en présence d’un spécialiste de son œuvre, notre collègue Jean-Pierre Sueur, j’avancerai avec prudence. Je crois cependant pouvoir l’affirmer : il aura fallu attendre que Barbara publie ses mémoires et ose dire ce qu’elle avait vécu pour que, finalement, nous puissions comprendre tout le sens d’Au cœur de la nuit, de L’Aigle noir, ou encore de Nantes, où elle raconte comment, appelée au chevet de son père mourant, de ce père qu’elle n’avait jamais plus revu, elle était arrivée trop tard pour le retrouver avant « l’heure de sa dernière heure ».

Oui, l’inceste provoque des traumatismes aux conséquences graves et indélébiles, tout au long de la vie, non seulement sur la santé physique, psychologique et mentale, mais aussi sur la vie affective, familiale et sociale des victimes, sur leur comportement. Il s’agit là d’un véritable meurtre psychique.

L’inceste touche à l’inavouable. L’interdit est universel, le tabou structure pratiquement toutes nos sociétés, quelles qu’elles soient, sauf peut-être quelques sphères très élevées de sociétés très anciennes, comme ce fut le cas en Égypte. Claude Lévi-Strauss y voit même le fondement des sociétés au sens où le tabou de l’inceste oblige à sortir du premier cercle pour constituer la société et contraint ainsi à élargir le cercle social. Freud, on le sait, a bâti toute sa théorie sur l’inceste entre Œdipe et sa mère. Je suppose cependant que tous deux étaient majeurs …

La demande des victimes est que l’inceste soit nommé afin qu’il soit mieux stigmatisé et qu’elles puissent ainsi, pensent-elles, mieux accomplir le travail psychologique indispensable pour se reconstruire, pour retrouver leur véritable personnalité, alors qu’elles ont été agressées au sein même de la cellule familiale censée les protéger. Pour autant, est-ce vraiment l’objet d’une loi que de compléter le travail des psychiatres et des psychologues ?

Si cette proposition de loi est votée, le ministère de la justice disposera demain de statistiques sur le nombre de condamnations pour inceste ; sur le fond, son adoption ne changera vraisemblablement rien.

La raison nous commande d’examiner sérieusement ce texte sur le plan juridique. Certes, aujourd'hui, l’inceste ne figure pas comme incrimination spécifique dans le code pénal, mais la notion apparaît dans le code civil, à travers toutes les prohibitions au mariage, au PACS et – ce fut un apport du Sénat – au concubinage, et correspond bien au tabou universel de l’inceste entre les membres d’une même famille, quel que soit leur âge. Or, avec la proposition de loi, on arrivera à ce que deux définitions de l’inceste, totalement différentes, soient inscrites l’une dans le code civil, l’autre dans le code pénal. De mon point de vue, c’est une très mauvaise chose.

La prohibition des relations sexuelles entre les membres d’une même famille, quel que soit leur âge, tel est le tabou de l’inceste. C’est Phèdre et Hippolyte, c’est Œdipe et Jocaste…

La question avait été évoquée lors de l’élaboration du nouveau code pénal. Finalement – je parle sous le contrôle de notre cher président de la commission des lois –, il n’a pas été jugé opportun d’incriminer l’inceste, et on a laissé à la jurisprudence, aux magistrats, le soin de déterminer, sur le fondement de circonstances aggravantes, les actes d’inceste avérés et de les condamner – heureusement, très sévèrement ! – au cas par cas.

Toutefois, comme l’a souligné tout à l'heure M. le rapporteur – et j’ai pu moi aussi l’observer en tant que magistrat –, dans bien des cas, aucun élément matériel ne peut conforter la thèse de l’inceste, car aucune constatation médico-légale ne peut être faite, surtout lorsque l’inceste est révélé par des victimes majeures. Ces actes sont par conséquent très difficiles à juger.

Cette position de prudence se retrouve chez toutes les associations de défense des enfants ainsi que dans les rapports de Mme Claire Brisset et le propos de Mme Dominique Versini, ancienne et nouvelle défenseures des enfants.

Bien entendu, par respect pour les victimes, quand on comprend ce qu’elles recherchent, on n’ose finalement pas dire que l’on est contre, mais on le laisse entendre...

Quand on interroge les magistrats, comme je l’ai fait, on constate qu’ils sont extrêmement réticents, notamment ceux qui président des cours d’assises, quant à l’introduction de précisions qui risquent finalement de semer la confusion.

Il sera précisé, nous dit-on, que l’inceste a été commis sur mineurs. Mais de quels mineurs s’agit-il ? Ceux de dix-huit ans ? Ceux de quinze ans ? Nous avons cru comprendre qu’il s’agissait des mineurs de dix-huit ans et que la minorité de quinze ans serait une circonstance aggravante supplémentaire – ce qu’elle est déjà aujourd’hui.

La notion d’inceste est beaucoup large que celle que l’on veut inscrire aujourd’hui dans le code pénal par le biais de cette incrimination nouvelle.

Je remercie le rapporteur, qui a fait un travail très précis en commission des lois...

M. Alain Vasselle. Travail remarquable !

M. Jean-Pierre Michel. ... pour revenir sur certaines des dispositions votées par l’Assemblée nationale. Car, à trop vouloir préciser, non seulement on sème la confusion, mais on risque de créer une insécurité juridique, voire d’instaurer une différence de traitement à l’égard des victimes de l’inceste en fonction des juridictions.

Pourtant, la raison voudrait que l’on pense d’abord à la prise en charge des victimes. L’introduction d’une nouvelle incrimination dans le code pénal changera-t-elle quoi que ce soit à la situation actuelle – qui s’est beaucoup améliorée, c’est exact, par rapport aux années précédentes ? Je crains que non !

La prise en charge des victimes, qui est le point le plus important, ne figure pas dans la loi parce que l’attribution des moyens, tant humains que financiers, qui doivent être mis à la disposition de toutes celles et tous ceux qui connaissent ou suspectent des cas d’inceste est de nature réglementaire.

Je pense d’abord aux médecins scolaires, car c’est souvent à l’école que l’on détecte les cas de violences, notamment sexuelles, au sein de la famille, mais aussi aux membres du corps judiciaire, de la police et de la gendarmerie. À cet égard, madame la ministre d’État, j’en conviens, beaucoup de progrès ont été accomplis ; en particulier, l’arrivée de nombreuses femmes au sein des personnels concernés a permis un meilleur accueil et une meilleure compréhension des jeunes filles, plus fréquemment victimes que les jeunes gens, qui viennent se plaindre d’inceste.

Tout cela reste notoirement insuffisant, et d’ailleurs, des progrès supplémentaires ont été demandés lors de la discussion de la proposition de loi à l’Assemblée nationale. À Paris, il existe des centres d’accueil, je pense notamment à celui de l’hôpital Tenon, qui est exceptionnel ; mais on n’en cite pas beaucoup d’autres...

Ce texte n’apporte rien de vraiment convaincant à la lutte contre l’inceste, hormis qu’il le nomme. Est-ce le prévenir ? Est-ce l’éradiquer ? C’est le stigmatiser un peu plus : est-ce vraiment ce que l’on veut ?

Plus grave, ce texte risque d’engendrer de faux espoirs pour les victimes, de semer la confusion chez les professionnels et, je le mentionnais à l’instant, d’être à l’origine d’inégalités de traitement.

Finalement, je le dis sans engager de polémique, il s’inscrit dans une pratique éprouvée qui consiste à faire croire que les problèmes de société, notamment ceux de ce type, peuvent être réglés simplement au détour d’un texte. C’est faux, car la loi ne peut régler ces situations sociales absolument désastreuses et condamnables !

Les victimes de l’inceste méritent mieux, madame la ministre d’État. Elles méritent que soit menée une action interministérielle afin que, dans le cadre des dispositions réformant la protection de l’enfance que nous avons adoptées, les intervenants soient mieux formés, depuis les personnels en milieu scolaire jusqu’aux magistrats qui devront juger en passant par les policiers, gendarmes, médecins, psychiatres et psychologues qui doivent prévenir et accueillir.

Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, mes collègues du groupe socialiste et moi-même nous abstiendrons sur cette proposition de loi, tout comme le groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Debré. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Isabelle Debré. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, toute violence à l’égard d’un mineur est odieuse et condamnable.

L’acte incestueux, quant à lui, est une violence spécifique qui se nourrit du non-dit. Il constitue l’une des formes les plus abjectes des mauvais traitements infligés aux mineurs, car il est commis par ceux qui auraient dû naturellement protéger l’enfant, le former, l’éduquer et veiller à sa propre sécurité.

Les conséquences de l’inceste sont catastrophiques non seulement sur un plan individuel, mais aussi pour la société dans son ensemble.

Ce fléau remet en cause de façon absolue les droits de l’enfant, mais aussi l’institution familiale elle-même, c’est-à-dire le lieu où se transmettent les valeurs fondamentales de notre société. La famille n’est plus alors l’espace de protection et d’éducation qui assure l’épanouissement de l’enfant ; elle devient au contraire un lieu de souffrance et d’isolement.

La spécificité des violences qui sont infligées à la victime, au regard des traumatismes profonds qu’elles engendrent, mérite d’être reconnue en tant que telle.

En France, deux à trois millions de personnes ont été confrontées à une situation incestueuse et 20 % des procès d’assises concernent des infractions de type incestueux. Or, en dépit des immenses souffrances morales et psychologiques que cause l’inceste, notre droit n’apporte que peu de réponses à celles ou ceux qui en sont victimes.

Certes, le code civil prohibe le mariage et le PACS entre membres d’une même lignée familiale. Certes, le code pénal prévoit des peines aggravées lorsqu’une atteinte sexuelle, une agression sexuelle ou un viol est commis par une personne ayant un lien de parenté avec la victime. Mais il n’existe pour autant ni crime ni délit d’inceste à proprement parler. Or cette absence d’incrimination de l’inceste pèse lourdement sur les victimes et nourrit leur sentiment de ne pas être reconnues de manière spécifique.

Ainsi, cette proposition de loi, qui vise à inscrire pour la première fois dans nos textes la notion d’inceste, est une avancée majeure pour les victimes et pour la justice.

M. Alain Vasselle. Très bien !

Mme Isabelle Debré. Je tiens, à cet égard, à saluer au nom du groupe UMP du Sénat l’initiative prise par Mme Marie-Louise Fort et certains de ses collègues députés de proposer au Parlement un texte visant à inscrire expressément l’inceste dans notre code pénal. Établir une différence entre l’inceste et les autres agressions sexuelles permettra de mieux reconnaître la spécificité des violences subies par les victimes et de combattre plus efficacement ce fléau.

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise préserve un juste équilibre entre trois nécessités : la répression de l’inceste, le développement de sa prévention et le meilleur accompagnement des victimes.

Dans son volet pénal, la proposition de loi prévoit tout d’abord de préciser le contenu de la notion de contrainte lorsqu’elle constitue l’élément constitutif d’un viol. Au lieu d’être nécessairement prouvée par la victime, elle pourra être déduite de la différence d’âge existant entre la victime mineure et son agresseur ainsi que de l’autorité de droit ou de fait qu’il exerce sur elle. Cette disposition importante donnera davantage d’outils au juge pour interpréter cette contrainte.

La nature interprétative de cette disposition lui permettra, en vertu de l’article 112-2 du code pénal, d’être immédiatement applicable à des faits commis antérieurement à la publication de la nouvelle loi. Toutes les victimes verront donc nommé l’acte qu’elles ont subi, quelle qu’en soit la date. Ainsi, la loi du silence qui leur a été imposée si durement depuis leur agression sera brisée.

Pour ma part, s’agissant de la notion de contrainte, je souhaite aller plus loin. Aussi ai-je déposé, avec certains de mes collègues, un amendement dont l’objet est de préciser que la contrainte est caractérisée en cas d’inceste sur mineur.

M. Alain Vasselle. Excellent amendement !

Mme Isabelle Debré. Nous savons en effet qu’un enfant n’est pas en mesure de s’opposer et de résister à son agresseur, a fortiori s’il s’agit de l’un de ses parents ou d’un membre du cercle familial. La question du consentement de la victime ne saurait se poser en cas de relation sexuelle entre un enfant et un membre de sa famille ou une personne ayant autorité sur lui.

L’article 1er du texte qui nous est soumis vise également à inscrire explicitement la notion d’inceste dans le code pénal. Il était grand temps de nommer cette réalité pour mieux la combattre !

Désormais, un viol incestueux pourra être reconnu comme tel par les juridictions pénales. Désormais, notre législation offrira aux pouvoirs publics les outils nécessaires pour mesurer l’ampleur de ce phénomène et adapter en conséquence les modalités de la prise en charge des victimes.

Sur l’initiative de notre rapporteur, M. Laurent Béteille, la commission des lois a souhaité que les auteurs d’actes incestueux ne soient pas énumérés de façon stricte dans la loi. En effet, en matière de violences sexuelles incestueuses, la confiance et l’affection abusées de l’enfant importent au moins autant que la filiation stricte. Il nous apparaît donc essentiel que la cellule familiale soit envisagée avant tout comme la cellule affective dans laquelle évolue l’enfant et qu’une liberté d’appréciation soit laissée aux juges afin de leur permettre de s’adapter à l’ensemble des configurations familiales auxquelles ils pourraient être confrontés.

Nous estimons également indispensable que l’état du droit applicable à l’heure actuelle soit conservé afin que la définition de l’inceste qui sera désormais inscrite dans le code pénal puisse être utilisée immédiatement par les juges dans les affaires en cours.

Au-delà du volet pénal, la proposition de loi prévoit un dispositif de mesures concrètes en matière de soins et de prévention.

La prévention des comportements incestueux pourra être développée au moyen d’une plus grande mobilisation de l’institution scolaire et des sociétés de l’audiovisuel public. Nul ne contestera le rôle positif et majeur que peuvent jouer tant l’école que les médias dans la prévention de ce véritable fléau.

Enfin, l’accompagnement des victimes pourra être amélioré, notamment, par le biais d’une valorisation du travail des associations ayant pour objet de lutter contre l’inceste. Celles-ci auront désormais plus de facilités pour se constituer partie civile dans un procès. C’est une avancée majeure dont je me félicite, car elle permettra aux victimes d’être mieux assistées dans leurs démarches.

Par ailleurs, le texte adopté par l’Assemblée nationale visait à rendre systématique, dans l’instruction des crimes incestueux, la désignation par le juge d’instruction d’un administrateur ad hoc chargé de représenter la victime en lieu et place de ses représentants légaux. Cette mesure nous semble tout à fait essentielle, car il y va de la protection de la victime, qui pourra ainsi être accompagnée durant toutes les étapes de la procédure.

La commission des lois a toutefois souhaité atténuer le caractère systématique de cette désignation. Une telle modification nous semble tout à fait opportune : comme l’a justement indiqué notre rapporteur, il est essentiel de réserver l’hypothèse où l’agresseur n’appartiendrait pas au cercle proche de l’enfant et où les parents de ce dernier, ou l’un d’entre eux, demeureraient à même d’assurer sa défense et sa protection.

Mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui est un texte nécessaire et attendu. Parce qu’elle lève enfin le voile sur une réalité sociale trop longtemps cachée et ignorée de notre droit pénal, parce qu’elle propose également des réponses concrètes et efficaces, le groupe UMP lui apportera son total soutien. (Applaudissements sur les travées de lUMP ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Alain Milon. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise vise à renforcer la sécurité de ce qui constitue le pilier et le fondement de notre démocratie, ce qui garantit sa vitalité : les enfants et la famille. Or, c’est précisément parce qu’il détruit et l’enfant et la famille que l’inceste apparaît comme un danger majeur ; c’est parce qu’il déstructure toute civilisation humaine qu’il est l’interdit fondamental, reconnu universellement.

Pourtant, force est de constater que les cas d’abus sexuels sur mineurs commis dans le cadre intrafamilial, qu’ils soient avérés ou non, représentent les affaires les plus nombreuses portées devant les tribunaux. L’objet de cette proposition de loi est d’en améliorer le traitement afin de mieux identifier, prévenir, détecter et lutter contre l’inceste.

Inscrire l’inceste dans le code pénal permettra qu’il soit mieux identifié. Car, mes chers collègues, c’est d’abord et avant tout le silence, hélas ! qui empêche de le prévenir et de le combattre efficacement.

Le silence qui entoure cette violence spécifique, l’une des plus destructrices pour un enfant, revient de facto à la banaliser, à la ramener à une variante d’agression sexuelle ou de viol parmi d’autres, alors même que toute civilisation humaine s’accorde sur le fait que l’interdit de l’inceste est structurant et permet la transmission de la culture d’une génération à l’autre, aux enfants via leur famille, quels que soient les contours que la société fixe à celle-ci.

Il était temps de nommer l’inceste dans le code pénal et de briser ainsi cette loi du silence : celui-ci doit enfin cesser de constituer, pour ceux de nos concitoyens qui ne semblent pas avoir intégré l’interdit fondamental, une injonction à perpétuer un ordre social qui, par omission, légitime ou banalise de facto cette violence faite aux enfants. Une société humaine ne peut survivre si elle a renoncé à arracher à la violence les membres qui la composent.

La version actuelle de la proposition de loi qui nous est présentée vient remédier à cette carence de notre législation en nommant spécifiquement l’inceste.

Pourtant, l’injonction de rester silencieux demeure extrêmement puissante et frappe d’abord ceux qui, précisément, sont les plus à même de briser cette loi du silence en signalant les cas dont ils ont connaissance – je pense bien évidemment aux médecins.

La spécificité des cas d’inceste réside dans le fait que ce sont les parents, ceux-là mêmes qui ont la responsabilité de la sécurité et de l’intégrité physique et psychique de leur enfant, qui en sont eux les auteurs.

Le médecin et les professionnels de santé jouent alors un rôle incontournable dans l’identification et la détection des cas d’inceste. C’est d’ailleurs leur obligation. Encore faut-il, pour qu’ils la respectent, qu’ils puissent agir en toute liberté et, lors du signalement, s’en remettre avec confiance à la justice, à laquelle revient la responsabilité de déterminer l’opportunité de déclencher une action.

Or la protection insuffisante des médecins et des professionnels de santé empêche la justice d’effectuer son travail correctement. En effet, seules les sanctions disciplinaires ayant été interdites, les poursuites civiles ou pénales restent possibles, si bien que, souvent, les praticiens concernés préfèrent encore se taire.

À chacun son métier : au médecin l’obligation de signaler, sur la base de son diagnostic, un cas présumé d’inceste ; à la justice de déterminer si celui-ci est avéré. Or le maintien de la possibilité de poursuites civiles et pénales contre un médecin signalant un cas d’inceste ensuite non avéré par la justice revient à lui faire porter la responsabilité d’une éventuelle décision de justice. Une telle situation est d’autant moins acceptable qu’elle a des conséquences très graves quant à l’objectif de lutte contre l’inceste : dans 95 % des cas d’inceste, les médecins ne signaleraient pas les abus.

Tel est donc l’objet d’un amendement qu’avec quelques-uns de mes collègues j’ai déposé et dont nous débattrons tout à l’heure. Lutter contre l’inceste, c’est briser la loi du silence qui empêche de le dénoncer lorsque des cas présumés se présentent aux professionnels de santé. L’abandon des sanctions disciplinaires consacré par la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance constituait un premier pas en ce sens ; il demeure toutefois largement insuffisant. Il faut supprimer le maintien des poursuites civiles et pénales contre un médecin qui effectue, de bonne foi, le signalement d’un cas présumé d’inceste.

Après avoir cherché à protéger le médecin de poursuites civiles et pénales, j’ai souhaité déposer un deuxième amendement visant à garantir sa sécurité. En effet, il faut aussi prévoir que l’identité du signalant ne puisse être donnée qu’avec son consentement : c’est indispensable pour garantir sa sécurité et éviter que, par peur d’éventuelles menaces ou représailles affectant sa vie quotidienne, le médecin ne préfère se taire. Il convient sur ce point de s’inspirer de la loi sur la protection de la jeunesse du Québec. Rappelons que, en France, le présumé agresseur peut, dans les heures qui suivent la réception du signalement, avoir connaissance de l’identité de celui qui signale et exercer sur lui des pressions diverses ou engager des poursuites.

Mes chers collègues, vous aurez compris l’importance fondamentale que revêtent ces deux amendements. Mais il est également indispensable que les médecins soient explicitement informés avant même qu’ils n’aient commencé à exercer, c'est-à-dire pendant leur formation. Nul n’est censé ignorer la loi ; mais pour des crimes ou délits qui atteignent le cœur même de notre société et de notre démocratie, à savoir les enfants et la famille, seul un renforcement de la formation initiale des médecins pourra garantir et améliorer les signalements.

Vous l’avez dit, madame le garde des sceaux, une telle disposition relève du règlement plus que de la loi. Je retirerai donc cet amendement, pour me conformer à la demande que, rapportant le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, j’avais adressée aux auteurs d’amendements similaires. Pour autant, je souhaite que cette question puisse être étudiée au niveau réglementaire.

Les auteurs d’une étude américaine réalisée sur un échantillon de 415 pédiatres signalent que 11 % des personnes interrogées n’ont jamais, au cours de toute leur carrière, observé d’enfant suspecté de maltraitance. Ce résultat met en lumière les difficultés, principalement le stress, la peur et la crainte de perdre un patient, rencontrées lors des signalements de cas d’inceste.

Je conclurai en indiquant que, face à ce texte, j’agis – tout comme vous, mes chers collègues – en mon âme et conscience, en tant que citoyen fier d’appartenir à un pays qui sait à quel point la protection de la famille, la protection de l’intérêt de l’enfant, sont les fondements sans lesquels aucune liberté ne peut être garantie, qui sait à quel point il en a besoin pour assurer son avenir et sa vitalité.

Je ne saurais précisément ni a priori définir ce que sont une bonne famille, une bonne éducation, voire l’intérêt réel de l’enfant, tant la liberté pour laquelle nos ancêtres se sont battus est effective et ancrée dans la vie quotidienne de tous les Français : en témoignent la pluralité des familles, la diversité des enfants et de l’éducation qu’ils reçoivent. Je sais simplement que je suis avant tout profondément attaché à la liberté telle qu’elle est inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme, attaché à l’intégrité physique et psychique de l’individu et, a fortiori, de l’enfant.

Je sais aussi, tout comme vous, mes chers collègues, que l’inceste nuit à la liberté de nos concitoyens enfants et de leurs familles, qu’il nuit aussi à l’intégrité physique et psychique des victimes et des agresseurs. Il faut donc nous permettre de le combattre sans relâche, grâce à un texte de loi qui soit le plus équilibré possible. (Applaudissements sur les travées de lUMP, de lUnion centriste et du RDSE.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission.

Je rappelle que la résolution modifiant le règlement intérieur est entrée en vigueur et que le temps de présentation des amendements est désormais fixé à trois minutes.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Madame la présidente, je le répète après vous, il nous reste trente-cinq minutes avant la clôture de la session ordinaire : si nos collègues ne font pas preuve de concision, nous ne parviendrons pas au terme de l’examen de la proposition de loi !

TITRE IER

IDENTIFICATION ET ADAPTATION DU CODE PÉNAL À LA SPÉCIFICITÉ DE L'INCESTE

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l'inceste sur les mineurs et à améliorer l'accompagnement médical et social des victimes
Article 2

Article 1er

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Après l'article 222-22, il est inséré un article 222-22-1 ainsi rédigé :

« Art. 222-22-1. - La contrainte prévue par le premier alinéa de l'article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime. » ;

2° La section 3 du chapitre II du titre II du livre II est ainsi modifiée :

a) Le paragraphe 2, intitulé : « Des autres agressions sexuelles », comprend les articles 222-27 à 222-31 ;

b) Le paragraphe 3, intitulé : « De l'inceste », comprend les articles 222-31-1 et 222-31-2 ainsi rédigés :

« Art. 222-31-1. - Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. » ;

« Art. 222-31-2 (nouveau). - Lorsque le viol incestueux ou l'agression sexuelle incestueuse est commis contre un mineur par une personne titulaire sur celui-ci de l'autorité parentale, la juridiction de jugement doit se prononcer sur le retrait total ou partiel de cette autorité en application des dispositions des articles 378 et 379-1 du code civil.

« Elle peut alors statuer sur le retrait de cette autorité en ce qu'elle concerne les frères et sœurs mineurs de la victime.

« Si les poursuites ont lieu devant la cour d'assises, celle-ci statue sur cette question sans l'assistance des jurés. » ;

c) Après le paragraphe 3, sont insérés deux paragraphes 4 et 5, intitulés « De l'exhibition sexuelle et du harcèlement sexuel » et « Responsabilité pénale des personnes morales », qui comprennent respectivement les articles 222-32 et 222-33, et l'article 222-33-1 ;

3° Après l'article 227-27-1, sont insérés deux articles 227-27-2 et 227-27-3 ainsi rédigés :

« Art. 227-27-2. - Les infractions définies aux articles 227-25, 227-26 et 227-27 sont qualifiées d'incestueuses lorsqu'elles sont commises au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait.

« Art. 227-27-3 (nouveau). - Lorsque l'atteinte sexuelle incestueuse est commise par une personne titulaire de l'autorité parentale sur le mineur, la juridiction de jugement doit se prononcer sur le retrait total ou partiel de cette autorité en application des dispositions des articles 378 et 379-1 du code civil.

« Elle peut alors statuer sur le retrait de cette autorité en ce qu'elle concerne les frères et sœurs mineurs de la victime.

« Si les poursuites ont lieu devant la cour d'assises, celle-ci statue sur cette question sans l'assistance des jurés. » ;

4° (nouveau) L'article 227-28-2 est abrogé.

Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par M. Michel et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer la seconde phrase du  texte proposé par le 1° de cet article pour l'article 222-22-1 du code pénal.

La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Il s’agit d’un amendement d’ordre strictement juridique.

L’article 1er vise à préciser que la contrainte peut être physique ou morale. Or elle constitue, avec la violence, la menace ou la surprise, l’un des éléments qui caractérisent l’agression sexuelle.

L’Assemblée nationale a précisé que « la contrainte morale résulte en particulier de la différence d’âge […] et de l’autorité de droit ou de fait […] ». Ces notions sont très floues, alors que le code pénal est d’interprétation stricte. Que vient donc faire ici l’expression « en particulier » ? La contrainte peut résulter de bien d’autres choses que de la différence physique. Elle peut être liée à un non-dit familial, qui peut s’interpréter comme une quasi-acceptation de la situation. On sait que de telles contraintes morales existent.

Selon moi, cet ajout n’est pas opportun pour la sécurité du texte ni pour l’application qu’en feront les tribunaux. En outre, on confond un élément constitutif de l’infraction et une circonstance aggravante.

La contrainte physique ou morale est un élément intrinsèque de l’infraction d’inceste ainsi définie, et les juges qui demandent aux enfants s’ils étaient consentants posent une question superflue : les enfants ont agi sous la contrainte, que celle-ci soit physique ou morale. Cette dernière constitue l’élément constitutif de l’infraction. Selon moi, il n’est pas bon d’essayer de la qualifier, notamment en utilisant l’expression « en particulier ».

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. Cet amendement a été débattu par la commission des lois, qui s’est d’ailleurs montrée hésitante sur le sujet. Notre collègue Hugues Portelli avait appuyé la position de Jean-Pierre Michel, notamment sur le problème technique soulevé. En effet, les éléments constitutifs d’une infraction ne peuvent pas en constituer une circonstance aggravante. Nous devons donc être très prudents dans les termes que nous employons.

Pour ma part, j’aurais aimé pouvoir donner satisfaction à Jean-Pierre Michel. Toutefois, concrètement, compte tenu des hésitations de la jurisprudence de la Cour de cassation, le texte adopté par la commission me paraît nécessaire.

Il est certes dommage que nous soyons obligés de légiférer sur ce point. Il aurait sans doute été préférable de s’en remettre à la jurisprudence. Mais il se trouve que celle-ci, justement, a été flottante. Je l’ai indiqué dans la discussion générale, à une certaine époque, notamment en 1995, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que la contrainte ne pouvait résulter du seul âge de la victime et de la qualité d’ascendant. Dans ces conditions, un certain nombre de juridictions inférieures avaient requalifié en atteintes sexuelles ce qui était manifestement des viols.

Il se trouve que la chambre criminelle tend aujourd’hui à revenir sur cette position. Elle a en effet validé des décisions rendues par les juridictions du fond, notamment les cours d’assises, qui avaient considéré que la contrainte pouvait être morale et résulter de la différence d’âge et de l’autorité de fait exercée par l’agresseur sur la victime.

Aujourd’hui, une telle évolution n’est encore qu’implicite. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose, à la suite de l’Assemblée nationale, de préciser que la contrainte résulte de l’âge de la victime, en supprimant cependant l’expression « en particulier » dénoncée à l’instant par Jean-Pierre Michel.

Les termes employés dans le texte adopté par la commission correspondent très précisément à des décisions rendues par des juges du fond et validées par la chambre criminelle de la Cour de cassation, notamment dans un arrêt rendu le 3 septembre 2008. Il s’agissait d’un viol commis sur des enfants par leur oncle.

Je vous demande donc, monsieur Michel, de bien vouloir retirer cet amendement. À défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. J’irai dans le même sens que M. le rapporteur : certes, il revient au juge d’interpréter la loi, mais ce n’est pas la première fois que, pour aider à l’interprétation, le législateur précise son intention.

Je vous demande donc à mon tour, monsieur Michel, de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai le même avis défavorable que la commission.

Mme la présidente. Monsieur Michel, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?

M. Jean-Pierre Michel. Oui, madame la présidente, d’autant que je constate que l’amendement suivant, présenté par Mme Debré, va exactement dans le même sens puisqu’il tend à préciser que la contrainte est consubstantielle à l’acte.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 8 rectifié bis, présenté par Mme Debré, M. Lardeux, Mmes Bout et Kammermann, M. Cantegrit, Mmes Rozier et Goy-Chavent, M. Mayet, Mmes Henneron, Desmarescaux et Giudicelli, MM. Gournac, Dériot, J. Gautier et Fourcade, Mme B. Dupont et MM. Vasselle et Juilhard, est ainsi libellé :

Après le 1° de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

 

...° Après l'article 222-22-1, il est inséré un article 222-22-2 ainsi rédigé :

« Art. 222-22-2. - La contrainte est caractérisée en cas d’inceste dans les conditions définies à l'article 222-22-1. »

La parole est à Mme Isabelle Debré.

Mme Isabelle Debré. Permettez-moi tout d’abord de regretter très vivement que nous n’ayons pas davantage de temps, puisqu’il semble que nous devions légiférer avant minuit, pour débattre sereinement de ce problème important.

Il nous paraît absurde d’imaginer qu’un enfant de trois, quatre ou cinq ans puisse être consentant lorsqu’il se fait violer ou agresser sexuellement par un membre de sa famille.

La jurisprudence reconnaît certes que, jusqu’à l’âge de six ou sept ans, un enfant ne peut consentir. Nous souhaiterions toutefois que cela soit expressément inscrit dans la loi afin qu’en aucun cas la question de la contrainte et du consentement éventuel de l’enfant ne puisse se poser dans l’hypothèse d’un viol sur mineur commis au sein d’une famille.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. En prévoyant que la contrainte est caractérisée en cas d’inceste, l’amendement no 8 rectifié bis nous renvoie au problème de la définition de l’inceste. Une interprétation stricte de cette proposition, dont la portée ne se limite pas aux mineurs, pourrait en effet amener à considérer que toute relation sexuelle entre des adultes d’une même famille tombe sous le coup de l’incrimination de viol.

Si nous avons redéfini la contrainte, c’est justement pour que l’on ne puisse jamais prétendre qu’un mineur aurait pu consentir à des relations sexuelles avec un membre de sa famille ayant autorité sur lui.

Ce faisant, il me semble que nous avons très précisément répondu à la préoccupation de notre collègue Isabelle Debré. J’ai personnellement tenu à ce que cette disposition de l’article 1er soit maintenue, malgré les réticences qui ont pu s’exprimer. Il convient, me semble-t-il, de mettre un terme à la jurisprudence laxiste de certains tribunaux qui admettent que l’on puisse se poser la question du consentement du mineur. Ce dernier, tant qu’il reste sous l’autorité de ses parents, et quel que soit son âge, ne peut que subir, jamais consentir.

Pour le reste, soyons prudents, mes chers collègues. Comme Jean-Pierre Michel le soulignait à juste titre, ne confondons pas les éléments constitutifs de l’infraction et les circonstances aggravantes de celle-ci. Gardons en mémoire que l’application des textes de loi par les juges fait l’objet d’un contrôle.

La commission a sérieusement réfléchi à cette question, et je souhaiterais donc que vous puissiez retirer cet amendement, ma chère collègue, sachant qu’il me semble d’ores et déjà satisfait.

Si toutefois vous conservez un doute sur la signification du texte de la commission – lequel, je le répète, considère bien que la contrainte résulte de l’âge de l’enfant et de l’autorité de l’auteur de l’acte –, je suis prêt à prolonger la réflexion.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Votre proposition est intéressante, madame Debré, mais très largement satisfaite par la définition de la contrainte morale.

Pour vous rassurer, j’ajoute que je rédigerai une circulaire d’application du nouveau texte, adressée à toutes les juridictions, qui précisera, notamment en prenant appui sur les débats parlementaires, qu’il résulte sans ambiguïté de cette réforme qu’il est désormais impossible de considérer qu’un jeune enfant, victime sexuelle d’un adulte, aurait pu librement accepter ces actes.

À mon tour, madame la sénatrice, je vous demanderai de bien vouloir retirer cet amendement.

M. Alain Vasselle. Que de sollicitations !

Mme la présidente. Madame Debré, l'amendement n° 8 rectifié bis est-il maintenu ?

Mme Isabelle Debré. Non, madame la présidente, je le retire.

Je vais, une fois encore, vous faire confiance, madame la ministre, et je pense que cette circulaire répondra à mes attentes.

Je compte également sur le Comité interministériel de prévention de la délinquance, qu’a mis en place le Président de la République et qui doit très prochainement recevoir les associations, pour travailler plus avant sur ce sujet et, peut-être, apporter des réponses concrètes.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si je comprends bien, ma chère collègue, vous faites confiance à Mme la ministre mais pas à la commission des lois… (Sourires.)

Mme la présidente. L'amendement n° 8 rectifié bis est retiré.

L'amendement n° 7, présenté par M. Zocchetto et Mme Dini, est ainsi libellé :

Au premier alinéa du b) du 2° de cet article, après les mots :

de l'inceste 

insérer les mots :

commis sur les mineurs 

La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Le texte que nous examinons ce soir présente à mes yeux un danger très important dans la mesure où il ne traite que de l’inceste commis à l’encontre de mineurs. Il pourrait dès lors laisser penser que les incestes commis à l’encontre de personnes majeures sont en quelque sorte banals, voire pourraient être totalement libéralisés.

Personne dans cet hémicycle ne songe à limiter le champ d’application de l’inceste aux seules victimes mineures. Comme la plupart des orateurs l’ont souligné, notamment Mme Dini et M. le rapporteur, le problème est bien plus vaste.

Toutefois, les dispositions pénales évoquées dans la proposition de loi ne traitent que des victimes mineures et n’abordent pas le cas des incestes commis dans d'autres situations. Si nous adoptons le texte en l’état, la relation sexuelle entre un frère et sa sœur mineure pourra être qualifiée d’inceste, mais pas la relation sexuelle entre un garçon de dix-neuf ans et sa mère. Tel n’est pas notre objectif.

C’est pourquoi notre amendement vise à préciser dans l’intitulé du nouveau paragraphe du code pénal que seules les victimes mineures sont concernées.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. Favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 9, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. - Rédiger comme suit le texte proposé par le b du 2° de cet article pour l'article 222-31-1 du code pénal :

« Art. 222-31-1. - Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. »

II. - En conséquence, rédiger comme suit le texte proposé par le 3° de cet article pour l'article 227-27-2 du code pénal :

« Art. 227-27-2.- Les infractions définies aux articles 227-25, 227-26 et 227-27 sont qualifiées d'incestueuses lorsqu'elles sont commises au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. »

La parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Cet amendement vise simplement à clarifier des dispositions qui ont été adoptées par la commission sans modifier le sens que celle-ci a voulu leur donner.

La solution retenue par la commission des lois pour définir l'inceste consiste à faire référence aux actes commis au sein de la famille par un ascendant ou une personne ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait. Une telle rédaction est parfaitement légitime ; elle est même préférable à l'énumération figurant dans le texte adopté par l'Assemblée nationale.

Il me paraît toutefois indispensable de préciser sur deux points le texte adopté par la commission.

Il convient d'abord de réprimer expressément l'inceste entre frère et sœur, qui est un inceste absolu pour le code civil, même si en l’espèce l'auteur n'a pas autorité, au sens juridique du terme, sur la victime.

Il faut ensuite viser expressément les concubins des membres de la famille dès lors qu’ils ont autorité sur le mineur. À défaut, une interprétation restrictive de la notion « au sein de la famille » risquerait de les exclure du texte.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. Cet amendement n’était pas encore officiellement déposé lors de la réunion de la commission, même si nous en avions eu connaissance de manière informelle grâce à l’obligeance de Mme la ministre.

Il vise tout d’abord à inclure les frères et sœurs dans la définition des auteurs de viols, agressions sexuelles et atteintes sexuelles incestueux. Il tend ensuite à préciser que ces auteurs peuvent inclure le concubin d’un membre de la famille dès lors qu’il exerce, compte tenu de la configuration familiale, une autorité de droit ou de fait sur la victime.

L’inclusion des frères et sœurs ne nous semble pas poser de problème puisqu’il s’agit d’un inceste absolu. Le texte de la commission n’englobe ces derniers que s’ils exercent sur la victime une autorité de droit ou de fait. La notion d’autorité présente un intérêt dans ce type d’actes, celle-ci étant de nature à renforcer le traumatisme.

Cet amendement s’inscrit dans la même logique et devrait permettre d’éviter des divergences de jurisprudence. À titre personnel, j’y suis plutôt favorable. Quant à la commission, elle s’en remet à la sagesse du Sénat.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Michel. Notre groupe s’abstiendra sur cet amendement.

Je pense en effet qu’il était bon de mentionner expressément les frères et sœurs, car la différence d’âge ne suffit pas.

En revanche, n’en déplaise à certains, la famille ne se limite pas aux époux et à leurs enfants. Il faut aussi prendre en compte les familles recomposées et décomposées, les concubins et les pacsés.

Sur ce point, je suis en complet désaccord avec cet amendement. Je ne pourrai donc pas le voter.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. Je voterai en faveur de cet amendement.

Je me demande toutefois si des personnes extérieures à la famille, mais qui ont néanmoins une autorité de droit ou de fait sur la victime, tels que les tuteurs de personnes handicapées, relèvent du dispositif.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il n’est plus question d’inceste !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Laurent Béteille, rapporteur. Le cas que vous décrivez ne relève pas de ce texte, monsieur Vasselle, puisqu’il ne s’agit pas d’inceste. Toutefois, il existe d’ores et déjà dans le code pénal une disposition qui aggrave le délit de viol lorsqu’il est commis par une personne ayant autorité : il peut s’agir de l’instituteur, du tuteur ou de toute autre personne. Nous ne modifions évidemment pas ces dispositions.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le fait de revenir à la logique du texte initial présente de réels inconvénients. En effet, il faut pouvoir apprécier le contexte familial du mineur, notamment savoir quelles sont les personnes qui constituent son entourage. Celui-ci peut comprendre un concubin, un « quasi-frère » ou une « quasi-sœur », quelqu’un vivant sous le même toit que la victime ou lui étant très proche.

Pour ces raisons, il me semble préférable d’en rester au texte de la commission.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 9.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
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Article 2 bis

Article 2

I. - Le 4° de l'article 222-24 du code pénal est ainsi rédigé :

« 4° Lorsqu'il est commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ; ».

II. - Le 2° de l'article 222-28 du même code est ainsi rédigé :

« 2° Lorsqu'elle est commise par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ; ».

III. - Le 2° de l'article 222-30 du même code est ainsi rédigé :

« 2° Lorsqu'elle est commise par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ; ».

IV. - Le 1° de l'article 227-26 du même code est ainsi rédigé :

« 1° Lorsqu'elle est commise par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ; ».

V. - Le 1° de l'article 227-27 du même code est ainsi rédigé :

« 1° Lorsqu'elles sont commises par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ; ».

VI (nouveau). - L'article 356 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La qualification d'inceste prévue par les articles 222-31-1 et 227-27-2 du code pénal fait l'objet s'il y a lieu d'une question spécifique. » – (Adopté.)

Article 2
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Article 3

Article 2 bis

Mme la présidente. L’article 2 bis a été supprimé par la commission.

Article 2 bis
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Articles additionnels après l'article 3

Article 3

Mme la présidente. La suppression de l’article 3 a été maintenue par la commission.

Article 3
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Article 4

Articles additionnels après l'article 3

Mme la présidente. L'amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Milon, Mme Giudicelli, M. Mayet, Mme Henneron, M. Leclerc et Mmes Kammermann, Debré, Bout, Desmarescaux et Rozier, est ainsi libellé :

Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 226-14 du code pénal est ainsi modifié :

1° À la première phrase du premier alinéa, les mots : « ou autorise » sont supprimés ;

2° Au deuxième alinéa 1°, le mot « informe » est remplacé par les mots : « est tenu d'informer » ;

3° À la première phrase du troisième alinéa 2°, les mots : « porte à la connaissance du procureur de la République » sont remplacés par les mots : « est tenu de porter à la connaissance du procureur de la République, des autorités judiciaires, médicales ou administratives » ;

4° À la dernière phrase du même alinéa, après le mot : « psychique », sont insérés les mots : « ou de son état de grossesse » ;

5° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :

« Une personne qui alerte les autorités compétentes dans les conditions prévues au présent article ne peut faire l'objet, ni de poursuites ni de sanctions disciplinaires, ni de poursuites ni de sanctions en justice, pour un acte accompli de bonne foi ».

La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. Si le signalement n'est pas obligatoire, les abus sexuels familiaux et les maltraitances risquent de demeurer longtemps cachés. En effet, très peu de parents présumés agresseurs signalent eux-mêmes leurs actes violents et demandent de l'aide ; très peu d'enfants signalent d'eux-mêmes.

Les médecins généralistes, les pédiatres, les pédopsychiatres, les gynécologues et les psychologues sont le plus souvent en première ligne pour dépister l'inceste et les maltraitances qui l'accompagnent et en effectuer le signalement. C'est pourquoi l'obligation de signaler, d'une part, et la protection des professionnels, d'autre part, sont essentielles pour la protection des enfants.

Cependant, malgré la loi du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance et l'introduction dans l'article 226-14 du code pénal de l'interdiction des sanctions disciplinaires à l'encontre des médecins qui effectuent des signalements, ces derniers sont encore confrontés à un dilemme inacceptable : être poursuivis pour avoir signalé ou être poursuivis pour ne pas avoir signalé.

En effet, seules les sanctions disciplinaires ayant été interdites, les poursuites civiles ou pénales continuent, si bien que les médecins concernés préfèrent la plupart du temps se taire. De plus, lorsque des professionnels sont poursuivis, leurs procédures sont utilisées contre les enfants qu'ils avaient souhaité protéger.

Ainsi, seulement 5 % des signalements proviendraient directement des médecins.

D'autres législations, notamment celle du Québec, démontrent de manière magistrale l'intérêt d'une loi claire qui protège ceux qui signalent pour protéger avant tout les mineurs victimes.

En conséquence, le signalement doit être obligatoire et s'accompagner de mesures interdisant toutes poursuites à l'encontre des professionnels qui signalent, y compris ceux qui donnent un avis à titre d'expert. Il est nécessaire de garantir à celui qui signale de bonne foi une immunité disciplinaire, civile et pénale.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. Je comprends bien la préoccupation exprimée par notre collègue, et je la partage très largement. Je rappelle cependant que, lors de la discussion de la loi de 2004, qui, M. Milon l’a rappelé, a créé une immunité disciplinaire au profit des médecins effectuant des signalements, il n’avait pas été envisagé d’étendre le champ de cette immunité. Je ne pense pas qu’il faille aujourd’hui revenir sur cette sage décision.

Cela étant précisé, j’en viens à l’amendement no 3 rectifié, qui soulève plusieurs difficultés.

Tout d’abord, le champ de l’article 226-14 du code pénal est bien plus large que la seule question du secret médical puisqu’il a vocation à s’appliquer également aux professions juridiques, aux journalistes, au secret bancaire, etc. Dans ces conditions, il ne paraît pas souhaitable de supprimer les hypothèses où la loi « autorise » la révélation du secret.

De plus, en droit, l’indicatif a valeur d’impératif. Par conséquent, la disposition selon laquelle le médecin « porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu’il a constatés » constitue juridiquement une obligation. Sur ce point précis, l’amendement est donc satisfait.

Je ne m’étendrai pas sur l’hypothèse de la fragilité causée par l’état de grossesse, qui ne relève pas du champ de la présente proposition de loi.

Au-delà du problème de la sanction disciplinaire, qui est d’ores et déjà écarté, je rappelle que le délit de dénonciation calomnieuse n’est constitué que lorsque la personne dénonce un fait « qu’ [elle] sait totalement ou partiellement inexact ». En d’autres termes, c’est la juridiction éventuellement saisie qui dira si la dénonciation a été faite de bonne foi ou par pure malveillance et si des poursuites pénales doivent être engagées. La loi est suffisamment précise, il n’y a pas lieu d’y revenir.

De plus, il n’est pas possible d’interdire par principe l’exercice de poursuites ou le dépôt de plaintes, car ce serait contraire au principe de droit à un recours effectif posé par l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme.

Compte tenu de l’ensemble de ces explications, et considérant que cet amendement est largement satisfait, je demanderai à son auteur de bien vouloir le retirer. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je fais miens les arguments développés par M. le rapporteur. J’ajouterai simplement que le fait de conférer une immunité en amont serait probablement inconstitutionnel dans la mesure où le principe d’égalité devant la loi s’en trouverait rompu.

Ne doutant pas que les propos de M. le rapporteur auront rassuré M. Milon, je lui demanderai de bien vouloir retirer son amendement.

Mme la présidente. Monsieur Milon, l'amendement n° 3 rectifié est-il maintenu ?

M. Alain Milon. Non, je le retire, madame la présidente.

Néanmoins, je tiens à faire remarquer que les 2 et 3 juin derniers, à Strasbourg, la France a adopté le projet de lignes directrices du Conseil de l’Europe pour l’élaboration de stratégies nationales intégrées de protection des enfants contre la violence. Ce texte recommande explicitement aux États parties, dont la France, de rendre obligatoire le signalement pour tout professionnel travaillant avec des enfants et des familles, et de veiller à renforcer la protection des professionnels qui signalent.

J’espère que nous nous y emploierons.

Mme la présidente. L'amendement n° 3 rectifié est retiré.

L'amendement n° 4 rectifié bis, présenté par M. Milon, Mme Giudicelli, M. Mayet, Mme Henneron, M. Leclerc et Mmes Kammermann, Debré, Bout, Desmarescaux et Rozier, est ainsi libellé :

Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Nul ne peut dévoiler ou être contraint de dévoiler l'identité d'une personne qui a agi conformément à l'application de l'article 226-14 du code pénal, sans son consentement.

La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. Je retire cet amendement, madame la présidente, car il n’a plus d’objet.

D’ores et déjà, je retire également l’amendement n° 5 rectifié dans la mesure où Mme le ministre d’État s’est engagée à prévoir, par voie réglementaire, des programmes de formation à destination des médecins pour leur permettre de signaler les abus sexuels et la maltraitance.

Mme la présidente. L'amendement n° 4 rectifié bis est retiré.

TITRE II

PRÉVENTION

Articles additionnels après l'article 3
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Article 5

Article 4

(Non modifié). - L'article L. 121-1 du code de l'éducation est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Les écoles, les collèges et les lycées assurent une mission d'information sur les violences et une éducation à la sexualité. »

II (Non modifié). - Au premier alinéa de l'article L. 542-3 du même code, après le mot : « maltraitée », sont insérés les mots : «, notamment sur les violences intra-familiales à caractère sexuel, ».

III (Non modifié). - L'article L. 542-1 du même code est ainsi modifié :

1° Après la première phrase, sont insérées deux phrases ainsi rédigées :

« Cette formation comporte un module pluridisciplinaire relatif aux infractions sexuelles à l'encontre des mineurs et leurs effets. (Dispositions déclarées irrecevables au regard de l'article 40 de la Constitution avant l'adoption du texte par l'Assemblée nationale) » ;

2° (Dispositions déclarées irrecevables au regard de l'article 40 de la Constitution avant l'adoption du texte par l'Assemblée nationale).

IV. - (Supprimé)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, sur l'article.

Mme Maryvonne Blondin. Ce sujet très grave de l’inceste méritait un autre traitement que celui qui lui est infligé ce soir dans notre débat sur la présente proposition de loi.

L’invocation de l’article 40 de la Constitution avant même l’adoption du texte par l’Assemblée nationale a tué dans l’œuf les espoirs d’une prise en charge efficace et sérieuse des victimes de violences intrafamiliales. Ces victimes, à travers leurs témoignages douloureux, nous disent combien la reconstruction est longue et difficile et combien un accompagnement de qualité est nécessaire. Imaginez donc leur frustration, et la nôtre, en l’absence de tout moyen pour la prise en charge !

Qu’en est-il de la prévention ?

L’article 4 de la proposition de loi précise la mission d’information dévolue à l’éducation nationale et le rôle central de celle-ci en matière d’information et d’éducation aux questions de violence et de sexualité. Mais l’école seule en a-t-elle encore les moyens ? Je ne le crois pas, car elle ne peut pas tout faire. En outre, compte tenu de l’insuffisance du nombre des médecins scolaires, il me semble fort difficile qu’elle puisse assurer cette mission.

On sait aujourd’hui qu’il faut absolument améliorer la formation et la détection de ces situations de violence. La Convention internationale des droits de l’enfant rappelle les devoirs essentiels des États en matière de protection de l’enfance. L’article 27 de la loi du 5 mars 2007 a créé un fonds national de financement afin de favoriser les actions entrant dans le cadre de la réforme de la protection de l’enfance.

Comme l’a souligné notre collègue Jean-Pierre Michel, on pouvait espérer des moyens pour des actions de prévention. Mais il n’en est rien. Dans le même temps, 35 millions d’euros ont été attribués au fonds interministériel de prévention de la délinquance. C’est un choix politique que, bien évidemment, je ne partage pas tout à fait.

M. Laurent Béteille, rapporteur. L’inceste n’est-il pas un acte délictueux ?

Mme Maryvonne Blondin. Madame la ministre, vous avez évoqué des mesures de prise en charge et d’accompagnement pour 2010. Ces bonnes intentions ne suffiront pas face aux attentes des victimes.

Je demande donc au Gouvernement de tenir ses engagements, notamment en cette période où s’engagent les discussions budgétaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Laurent Béteille, rapporteur. Ma chère collègue, la Constitution distingue ce qui est du domaine de la loi et ce qui n’en est pas. Mme le ministre d’État s’est engagée à prendre des dispositions réglementaires, et je ne vois aucune raison de ne pas lui faire confiance.

Vous avez par ailleurs évoqué le fonds interministériel de prévention de la délinquance. Nous sommes là, précisément, au cœur du sujet : l’inceste est un acte délictueux, je dirais même un acte délictueux particulièrement grave.

Enfin, et bien que ce ne soit pas dans nos habitudes, nous avons souhaité maintenir l’article 7 de la proposition de loi, qui prévoit que le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’ensemble des dispositions de prévention et d’éducation qui peuvent être mises en place pour lutter contre ce fléau. C’est une façon pour nous de souligner l’importance que nous accordons à ces mesures.

Mme la présidente. L'amendement n° 5 rectifié, présenté par M. Milon, Mme Giudicelli, M. Mayet, Mme Henneron, M. Leclerc et Mmes Kammermann, Debré, Bout, Desmarescaux et Rozier, est ainsi libellé :

Rétablir le IV de cet article dans la rédaction suivante :

IV.- À l'article L. 632–9 du même code, après les mots : « santé publique », sont insérés les mots : « notamment en matière de détection, de signalement et de prise en charge des enfants victimes d'abus sexuels et de maltraitance, ».

Cet amendement a été retiré.

Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 est adopté.)

Article 4
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Article 6

Article 5

I. - Le deuxième alinéa de l'article 43-11 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Elles assurent une mission d'information sur la santé et la sexualité. »

II. - Après la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 48 de la même loi, il est inséré une phrase ainsi rédigée :

« Il précise les conditions dans lesquelles les sociétés mentionnées à l'article 44 mettent en œuvre, dans des programmes spécifiques et à travers les œuvres de fiction qu'elles diffusent, leur mission d'information sur la santé et la sexualité définie à l'article 43-11. » – (Adopté.)

TITRE III

ACCOMPAGNEMENT DES VICTIMES

Article 5
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Article 6 bis

Article 6

Mme la présidente. Les dispositions de l’article 6 ont été déclarées irrecevables au regard de l'article 40 de la Constitution avant l'adoption du texte par l'Assemblée nationale.

Article 6
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Article 7

Article 6 bis 

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa de l'article 2-3, après les mots : « personne d'un mineur », sont insérés les mots : «, y compris incestueuses, » ;

2° Après la première phrase du premier alinéa de l'article 706-50, il est inséré une phrase ainsi rédigée :

« Lorsque les faits sont qualifiés d'incestueux au sens des articles 222-31-1 ou 227-27-2 du code pénal, la désignation de l'administrateur ad hoc est obligatoire, sauf décision spécialement motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction. » – (Adopté.)

Article 6 bis
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Article 7 bis

Article 7

Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 30 juin 2010, un rapport examinant les modalités d'amélioration de la prise en charge des soins, notamment psychologiques, des victimes d'infractions sexuelles au sein de la famille, en particulier dans le cadre de l'organisation de la médecine légale. Ce rapport examine les conditions de la mise en place de mesures de sensibilisation du public et notamment des mesures d'éducation et de prévention à destination des enfants. – (Adopté.)

Article 7
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Article 8

Article 7 bis

I. - Les dispositions de la présente loi sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

II. - L'article 5 de la présente loi est applicable dans les Terres australes et antarctiques françaises. – (Adopté.)

Article 7 bis
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Intitulé de la proposition de loi (début)

Article 8

Mme la présidente. La suppression de l’article 8 a été maintenue par la commission.

Article 8
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Intitulé de la proposition de loi (fin)

Intitulé de la proposition de loi

Mme la présidente. L'amendement n° 6, présenté par M. Zocchetto et Mme Dini, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit l'intitulé de cette proposition de loi :

Proposition de loi tendant à inscrire l'inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes incestueux

La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Cet amendement a été défendu lors de l’examen de l’article 1er, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur. Avis favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Avis favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l'intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.) (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Intitulé de la proposition de loi (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à identifier, prévenir, détecter et lutter contre l'inceste sur les mineurs et à améliorer l'accompagnement médical et social des victimes
 

6

Dépôt de documents parlementaires

Mme la présidente. Le mardi 30 juin 2009, M. le président du Sénat a reçu :

dépôt d’une proposition de loi

- n° 504, 2008-2009 – Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement, envoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement  ;

dépôt de projets de loi

- n° 502, 2008-2009 – Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de règlement des comptes et rapport de gestion pour l’année 2008, envoyé à la commission des finances ;

- n° 505, 2008-2009 – Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, envoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement ;

dépôt d’un rapport d’information

- n° 503, 2008-2009 – Rapport d’information de M. Christian Gaudin, fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé par M. Jean Claude Etienne, Premier vice-président, sur la clôture de la 4ème année polaire internationale (actes du colloque des 14 et 15 mai 2009).

7

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 1er juillet 2009 à quatorze heures trente et le soir :

1. Ouverture de la session extraordinaire 2008-2009.

2. Deuxième lecture du projet de loi de programmation relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (n° 472, 2008-2009).

Rapport de M. Bruno Sido, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (n° 488, 2008-2009).

Texte de la commission (n° 489, 2008-2009).

8

Clôture de la session ordinaire

Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que, aux termes du premier alinéa de l’article 28 de la Constitution, « le Parlement se réunit de plein droit en une session ordinaire qui commence le premier jour ouvrable d’octobre et prend fin le dernier jour ouvrable de juin ».

En conséquence, je constate que la session ordinaire de 2008-2009 est close.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à minuit.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD