Sommaire

Présidence de M. Roland du Luart

Secrétaire : M. Daniel Raoul.

1. Procès-verbal

2. Décès d'un ancien sénateur

3. Engagement de la procédure accélérée sur un projet de loi

4. Candidatures à une commission mixte paritaire

5. Débat sur le service civil volontaire

M. Yvon Collin, président du groupe du Rassemblement démocratique et social.

M. François Zocchetto, Mme Éliane Assassi, MM. René Vestri, Jean-Pierre Plancade, Mme Raymonde Le Texier, MM. Antoine Lefèvre, Christian Demuynck.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, haut-commissaire à la jeunesse.

6. Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

7. Crise de l'industrie. – Discussion d'une question orale avec débat

M. Martial Bourquin, auteur de la question.

MM. Jean-Claude Danglot, Gérard Longuet, Aymeri de Montesquiou, Daniel Raoul, Christian Gaudin, Jean-François Mayet, François Patriat, Jean-Claude Etienne, Jean-Jacques Mirassou.

MM. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation ; Martial Bourquin, auteur de la question.

Clôture du débat.

Suspension et reprise de la séance

8. Réforme de la taxe professionnelle. – Discussion d'une question orale avec débat

Mme Marie-France Beaufils, auteur de la question.

MM. Charles Guené, Jean-Michel Baylet, Yves Krattinger, Gérard Le Cam, Jean-Pierre Fourcade, Pierre-Yves Collombat, Claude Biwer.

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation ; Mme Marie-France Beaufils, auteur de la question.

Clôture du débat.

9. Dépôt d'un projet de loi organique

10. Dépôt d'un projet de loi

11. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

12. Dépôt d'un rapport d'information

13. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Roland du Luart

vice-président

Secrétaire :

M. Daniel Raoul.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Décès d'un ancien sénateur

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Marcel Martin, qui fut sénateur de la Meurthe-et-Moselle de 1965 à 1974.

3

Engagement de la procédure accélérée sur un projet de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur le projet de loi relatif à la réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires français, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 27 mai 2009.

4

Candidatures à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.

Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.

5

Débat sur le service civil volontaire

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le service civil volontaire, inscrit à l’ordre du jour à la demande du groupe du RDSE.

Monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, le Président de la République ayant invité à l’Élysée les membres du groupe de l’UMP, je crains que nos collègues n’aient un léger retard. Je prie donc le Sénat de bien vouloir les en excuser.

Mme Éliane Assassi. On croyait qu’ils ne s’intéressaient pas au débat !

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, président du groupe du Rassemblement démocratique et social européen.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, le 22 février 1996, le Président de la République, Jacques Chirac, annonçait sa décision de professionnaliser les armées et de suspendre le service national.

M. Daniel Raoul. Quelle erreur !

M. Yvon Collin. La loi du 28 octobre 1997 suspendait alors le service militaire obligatoire pour les jeunes gens nés après le 31 décembre 1978 et créait par ailleurs un appel de préparation à la défense étendu aux jeunes filles.

Ainsi disparaissait une pratique vieille de plus de deux siècles sur laquelle reposait l’organisation de notre défense. Ce recours autoritaire à tous les hommes de notre pays n’avait été réellement organisé que depuis la Révolution française et assurait à nos armées les effectifs dont elle avait besoin.

C’est la loi Jourdan qui avait institué pour la première fois en France, en 1798, une conscription obligatoire : tous les Français de vingt à vingt-cinq ans, non mariés, seraient dorénavant astreints à un service militaire.

Ce service militaire avait ensuite revêtu différentes formes au cours du XIXe siècle, au gré des guerres et autres menaces qui pesaient alors sur la France, connaissant une très forte impopularité à cause, d’une part, de son coût et de ses conséquences sur les impôts prélevés et, d’autre part, de son caractère trop peu égalitaire.

Face aux critiques et aux insuffisances de ce système, grâce aux pressions de la gauche et après de très longs débats parlementaires, la loi Berteaux a institué en 1905, pour la première fois, un service militaire réellement « universel, personnel et obligatoire ». Tout au long du XXe siècle, ces principes ne seront plus remis en cause ; ils ne feront l’objet que de quelques adaptations législatives, en particulier concernant la durée du service ou certaines modalités de son exécution.

C’est seulement là que commencent réellement à apparaître le rôle social du service militaire et son apport à la construction de la nation par le rapprochement et le brassage des citoyens. Il est acquis dès lors qu’il apporte à beaucoup de jeunes citoyens de multiples bénéfices de tous ordres : détection et rattrapage des faiblesses scolaires, formation complémentaire, amélioration sanitaire ou encore début d’intégration professionnelle.

Au fil de l’évolution des impératifs liés aux besoins en effectifs des armées et aux adaptations souhaitables face aux évolutions de notre société, les différentes ouvertures faites dans les modalités d’accomplissement du service militaire ont affaibli tout doucement le rôle social de ce dernier. Devenu obsolète et très inégalitaire, il était de plus en plus vécu comme une contrainte inutile et parfois traumatisante.

M. Yvon Collin. C’est pourquoi, dans les années quatre-vingt-dix, la question du passage à une armée de métier se pose avec insistance, et ce jusqu’à la décision du Président de la République en 1996. Dorénavant, les armées n’auront plus recours qu’à des militaires professionnels.

Cependant, si cette professionnalisation n’a jamais fait l’objet de contestations, la suspension de l’appel sous les drapeaux a presque immédiatement et unanimement suscité des regrets. Dans l’esprit de nombreux Français, cette conscription universelle contribuait en effet à la cohésion nationale et au brassage social et culturel, à l’apprentissage de la vie en communauté ainsi qu’à la prise de conscience par les jeunes adultes de leur appartenance à une nation – la nation française –, et donc à une communauté politique de citoyens partageant non seulement un destin commun, mais aussi des droits et des devoirs.

Pour l’historien Raoul Girardet, spécialiste de la nation et des questions militaires, la disparition du service militaire « participe sans doute de la fracture sociale ».

M. Yvon Collin. C’est pourquoi le débat relatif à l’instauration d’un service civil n’a cessé de revenir depuis sur le devant de la scène. Si l’idée d’un tel service n’a pas été retenue lors de la suspension du service militaire, elle a cependant trouvé au fil du temps de plus en plus de défenseurs, y compris au sein des responsables politiques et de la jeunesse. Mais si la nécessité de développer un véritable service civil en faveur des jeunes en France fait consensus, on ne peut en dire autant des modalités et des conditions.

M. Yvon Collin. C’est sur celles-ci que je souhaite orienter ce débat, qui ne fait manifestement pas recette cet après-midi …

Tout reste à faire pour que le service civil devienne une réalité satisfaisante pour les jeunes comme pour le pays et permette de renforcer le civisme. Loin de vouloir faire une apologie nostalgique de l’ancien service militaire, j’ai souhaité susciter ce débat au Sénat, dans le cadre de la semaine de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, afin de connaître les intentions précises du Gouvernement sur la mise en place effective d’un service civil digne de ce nom et d’évoquer avec des représentants de tous les groupes de la Haute Assemblée, …

M. Jean-Michel Baylet. Mais il n’y a personne sur les travées de l’UMP !

M. Yvon Collin. … au-delà des clivages partisans, des pistes pour revoir en profondeur un système manifestement insatisfaisant.

Monsieur le haut-commissaire, vous avez vous-même rouvert le dossier du service civil, notamment dans le cadre des réflexions menées sur la mise en place d’une nouvelle politique en faveur des jeunes. Pouvez-vous nous donner aujourd’hui des détails sur le calendrier et le budget de votre projet, qui semble plutôt maintenir le caractère volontaire du service civil ?

Nombre de parlementaires ont défendu l’idée de la création d’un service civil qui serait obligatoire. Je ne ferai pas un inventaire à la Prévert, mais indiquerai simplement que de très nombreuses propositions de loi et questions sur ce thème ont été déposées dans les deux assemblées. Une proposition de loi socialiste a même été examinée en séance publique à l’Assemblée nationale à la fin de l’année 2003, mais elle a été rejetée faute d’accord sur les modalités du service proposé. En effet, encore une fois, c’est sur les modalités que doit porter le débat : volontaire ou obligatoire ? Long ou court ? Quelles offres proposer aux jeunes ? Comment renforcer au quotidien le sentiment de citoyenneté ? Comment faire de ce service un véritable creuset républicain ?

À la suite des émeutes survenues dans les banlieues en 2005, notamment face au malheureux constat d’échec de la politique en direction de la jeunesse qu’elles traduisaient sans doute, un dispositif de service civil volontaire, celui qui est actuellement en vigueur, a été mis en place par la loi pour l’égalité des chances du 31 mars 2006.

Ce nouveau dispositif, a minima selon moi, a pour objectif de permettre à des jeunes âgés de seize à vingt-cinq ans de s’engager pour accomplir une mission d’intérêt général pendant une période de six à douze mois dans une association, une collectivité locale ou encore un établissement public. Mais combien de jeunes potentiellement concernés sont-ils au courant de ces possibilités ?

L’idée est évidemment de tenter de recréer ainsi du lien social, de permettre à des jeunes parfois à la recherche de repères de s’engager au service des autres en acquérant, grâce à cette expérience, une éducation civique et citoyenne offrant de sérieuses perspectives d’insertion. L’objectif est bel et bien de combattre l’individualisme, qui engendre incivilité et violence et qui dilue le sentiment d’appartenance à une collectivité nationale. Mais attention, ce service ne doit pas devenir une voie de secours réservée aux seuls jeunes en situation d’échec scolaire et en mal d’insertion. Il doit être gratifiant pour le parcours du jeune. C’est le meilleur moyen de le valoriser !

Près de trois ans après le début de la mise en œuvre du dispositif, le bilan me semble décevant. Monsieur le haut-commissaire, nous attendons de votre part une lecture objective – nous vous connaissons, et nous n’avons pas d’inquiétudes à ce sujet –, ainsi qu’un bilan à la fois qualitatif et quantitatif du service civil volontaire dans sa forme actuelle. Sans doute devrez-vous également tracer des pistes concrètes pour l’avenir.

Les jeunes qui ont bénéficié de cette expérience la jugent unanimement enrichissante d’un point de vue tant professionnel que personnel et citoyen. Pour certains, ce service civil constitue une première expérience professionnelle qui leur apporte un savoir-faire. Pour tous, elle représente une ouverture sur la société avec l’acquisition d’un savoir-vivre, notamment grâce à la rencontre d’autres personnes venues de divers horizons et à l’apprentissage du civisme, ce dont – chacun en conviendra – nous avons bien besoin.

En préalable, je rappelle que ce dispositif devait concerner progressivement jusqu’à 50 000 jeunes en 2007. Or, si mes chiffres sont exacts, seuls 3 134 volontaires ont été recrutés depuis la création du dispositif. Actuellement, 2 800 jeunes seulement effectuent un service civil volontaire.

Ces chiffres portent à croire que le dispositif reste très fragile. Cela est dû à plusieurs éléments. Il semble que cette formule souffre d’un réel déficit d’information et de visibilité pour les jeunes, de la lourdeur, de la complexité et de l’opacité de ses procédures. Pour l’heure, le dispositif proposé manque également, me semble-t-il, de souplesse et d’adaptabilité. Cela rendra difficile son élargissement, réclamé par le groupe du RDSE et le parti radical de gauche, élargissement indispensable à son adaptation aux besoins de notre société.

Puisqu’il nous faudra sans aucun doute créer un nouveau dispositif pour rendre le service civil plus conforme aux attentes de chacun, des jeunes en tout premier lieu, nous devons aujourd'hui nous interroger précisément sur les différentes caractéristiques qu’il devra revêtir.

Avant tout, l’appellation même du dispositif peut faire l’objet d’un débat. Au nom du rappel symbolique des droits et des devoirs des citoyens envers leur pays, l’expression « service civique » pourrait être préférée, car elle traduit mieux le lien avec la notion de citoyenneté et, plus encore, avec celle, si chère à mon groupe, de « civisme ».

Par ailleurs, nous devons nous poser toutes les bonnes questions s’agissant de la mise en œuvre de ce service, et nous sommes ici pour le faire.

Tout d’abord, il s’agit évidemment de définir qui sera concerné par le nouveau dispositif. Aujourd'hui, personne ne semble remettre en question le fait que ce service doive s’appliquer aux hommes et aux femmes. Mais à quel âge et à quel moment de la vie ? Il conviendra également de préciser quelles seront les dispenses et leur nature.

La question de la durée du service fait ensuite débat. Pour certains, le service pourrait être scindé en plusieurs périodes. Ce fractionnement pourrait se révéler plus aisé à mettre en place, notamment d’un point de vue budgétaire. Mais une durée d’au moins six mois consécutifs permettrait à mon avis d’asseoir beaucoup plus solidement et durablement la crédibilité et l’intérêt du dispositif. Certains pourraient le prolonger par un semestre supplémentaire et effectuer ainsi un service d’un an.

Par ailleurs, il convient de réfléchir sérieusement à la nature des tâches qui seront assignées aux citoyens effectuant ce service, que nous souhaitons, je le répète, civique. Il est important de préciser les structures d’accueil où ce dernier pourrait se dérouler. Cela permettra notamment de définir qui encadrera le déroulement du service et de connaître plus précisément le montant des crédits nécessaires à la mise en place du dispositif. Une telle mesure aura un coût certain pour les caisses de l’État, mais nous sommes sans doute tous d'accord pour dire qu’il s’agit d’une très bonne cause : la formation de notre jeunesse. Il n’y a pas meilleur investissement pour un pays !

On pourrait aussi imaginer un service civique qui se déroulerait en tout ou partie à l’étranger. À l’époque du service militaire, c’étaient souvent les fils des classes aisées qui partaient en coopération. Là, il faudrait au contraire ouvrir la possibilité de partir aux jeunes issus des couches populaires. L’exemple du formidable succès du Volontariat international en entreprise ou en administration doit nous encourager dans cette voie... Il faut développer le service civique.

Ensuite, la nature de ce service devra être clairement définie. S’agira-t-il d’un nouveau « droit » comparable au droit à l’éducation par l’école ou d’un « devoir », c'est-à-dire d’une obligation dans l’intérêt de la nation, à l’image de ce que représentait le service militaire ? De la réponse à cette question découle aussi la nature des contreparties que les citoyens seront en droit d’attendre ou pas de ce service.

Au-delà d’une rémunération financière classique, qui est nécessaire – tout travail mérite salaire –, on pourrait imaginer pour les jeunes un système de validation des acquis de l’expérience et d’obtention de différents avantages, comme le permis de conduire, une formation professionnelle ou, pour leur future carrière, un bonus de points dans la fonction publique, une priorité pour les choix des postes, des facilités dans l’évolution de leur parcours et des évolutions de carrière. En résumé, cette étape doit être gratifiante. Elle pourrait aussi devenir créatrice de droits en matière de cotisations d’assurance maladie, voire de retraite. Le succès du dispositif repose sur son attractivité. Il doit être un atout, et non un handicap, pour les jeunes.

J’en viens à la principale question, qui est aussi la plus complexe. Le service civique devra-t-il être volontaire ou obligatoire ?

Actuellement, le service civil est fondé sur le volontariat. Mais des voix s’élèvent sur toutes les travées pour réclamer un service obligatoire. C’est aussi ma position.

M. Jean-Michel Baylet. Mais pas la mienne !

M. Yvon Collin. Je sais en effet que mon collègue Jean-Michel Baylet ne partage pas cette opinion !

M. Jean-Pierre Plancade. Et il a tort ! (Sourires.)

M. Yvon Collin. Nous avons eu ensemble de grands débats sur ce sujet !

M. Jean-Michel Baylet. Eh oui ! Il y a beaucoup de diversité parmi les sénateurs du Tarn-et-Garonne ! (Nouveaux sourires.)

M. Yvon Collin. Mon point de vue, je le sais, est partagé par plusieurs de nos collègues de l’opposition comme de la majorité. Je pense par exemple à Alain Chatillon, qui connait très bien ce sujet dont nous avons parlé ensemble à de nombreuses reprises.

Il est évident qu’inciter les jeunes peut parfois les aider à mûrir leurs projets. Toutefois, un service obligatoire doit être attractif et valorisant.

Idéalement, tout le monde devrait pouvoir participer à ce service et en bénéficier. En effet, c’est l’occasion de sortir de chez soi, d’apprendre la solidarité et d’aller à la rencontre des autres pour mieux se connaître soi-même. Cette aventure peut se révéler capitale et déterminante pour la suite de sa carrière et, plus largement, de sa vie. Les jeunes sortent parfois totalement transformés de ce type d’expériences très enrichissantes. Mais ne vaut-il pas mieux les encourager à s’impliquer, au lieu de les contraindre à une mission, avec le risque qu’ils la vivent comme une corvée ? C’est là que réside la réussite d’un service civique.

Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, je ne prétends pas apporter aujourd’hui des réponses à des questions aussi complexes. De nombreux spécialistes se sont déjà penchés sur le sujet, et il me paraît désormais temps de passer à l’action.

Si M. Luc Ferry, dans son rapport rendu au Président de la République au mois de septembre dernier, prône un service civique volontaire plutôt qu’obligatoire, il admet néanmoins que les deux modèles se défendent.

Quoi qu’il arrive, il faudra passer par une phase de montée en puissance du service volontaire. Cette transition nous donnera l’occasion de mieux évaluer les besoins en termes d’organisation pratique et de tester des formules pilotes permettant de proposer ensuite un dispositif de qualité et adapté.

Depuis des années, nombreux sont les jeunes qui, pour des raisons personnelles liées à leur regard sur le monde actuel et à la place qu’ils comptent y tenir, s’engagent ou voudraient s’engager, se rendre utiles, trouver leur place dans une société parfois dure envers eux, et être mieux reconnus et valorisés. Ils veulent aussi mieux préparer leur entrée sur le marché du travail. Pourtant, on ne leur offre rien d’adapté.

Mais le risque de conflit ouvert avec la jeunesse est réel si l’option d’un service obligatoire est retenue. Les sondages montrent que les jeunes n’y sont pas tous favorables. En revanche, les jeunes radicaux de gauche, pour ne citer qu’eux, adhèrent pleinement à l’idée d’un service civique obligatoire d’au moins six mois.

À l’instar de l’ancien service militaire, le service civique élargi permettrait de réaffirmer ou d’inculquer les valeurs républicaines à tous les jeunes, en particulier, mais pas seulement, à ceux qui sont issus des milieux les plus défavorisés. Les jeunes pourraient ainsi se retrouver autour du principe de fraternité, dont le sens a été profondément oublié et mis à mal ces dernières années.

Et pourquoi ne pas envisager un jour de relier ce service civique à la réalité européenne, en imaginant une formule commune à l’ensemble des jeunes citoyens européens ? Monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, à mon sens, c’est vraiment avec de telles initiatives et des projets aussi concrets que nous relancerons la construction européenne, qui en a d’ailleurs besoin... En effet, si les jeunes Français profitaient massivement, un jour, d’un service civique à l’échelle européenne, le pourcentage d’abstentions relevé lors du week-end dernier ne serait sans aucun doute plus – je suis un optimiste viscéral ! – qu’un lointain et mauvais souvenir. C’est donc la participation citoyenne et, plus largement, le civisme qui en sortiraient renforcés. N’est-ce pas là l’objectif que nous devons atteindre ? (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, il n’est évidemment pas question de refaire le débat du 27 mai dernier relatif aux travaux de la mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes.

Force est de le constater, monsieur le haut-commissaire, vous affichez un volontarisme que nous ne pouvons que saluer. Disant cela, je pense bien sûr au fonds d’expérimentation pour la jeunesse et à la commission de concertation.

Parmi les actions engagées en faveur des jeunes, le service civil volontaire, ou du moins ce que nous espérons qu’il devienne, devrait occuper une place de tout premier plan.

Moment d’insertion civique autant que d’insertion sur le marché du travail, temps du don de soi à la collectivité et du brassage social, un tel service pourrait être un vecteur irremplaçable de cohésion nationale. Mais il y a une condition à cela : il doit être obligatoire.

Depuis la création du dispositif dans la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, la position du groupe de l’Union centriste est claire, et elle n’a pas changé. Nous sommes favorables à un service de remplacement de la conscription. Mais, de notre point de vue, un tel service n’aura de sens que s’il concerne tous les jeunes d’une même tranche d’âge.

En d’autres termes, de « civil », le service doit devenir « civique », et de « volontaire », nous souhaitons qu’il devienne « universel ». D’ailleurs, à l’époque, nous avions déjà déposé un amendement en ce sens, qui n’a malheureusement pas été adopté.

Près de trois ans après la mise en œuvre du dispositif, le service civil volontaire apparaît comme un rendez-vous manqué, comme une mesure potentiellement bonne mais qui n’a pas pu porter ses fruits. Jusqu’à présent, ce service n’a concerné qu’un petit nombre de jeunes, principalement des jeunes en difficultés.

Dans ces conditions, il n’y a pas de brassage possible entre individus de toutes origines et de toutes conditions sociales. Plus grave encore, ce service civil volontaire, au lieu d’être un intégrateur social, est apparu, nous semble-t-il, comme un facteur supplémentaire de stigmatisation. Or, c’est exactement le contraire de l’objectif qui était poursuivi !

C’est pourquoi nous ne pouvons souscrire que partiellement aux conclusions du rapport de M. Ferry, remis le 10 septembre dernier au Président de la République. Certes, tout comme M. Ferry, nous souhaitons que le service civil monte substantiellement en puissance pour concerner beaucoup plus de jeunes. Mais, lorsque l’auteur du rapport se rallie à l’idée que le service peut demeurer facultatif, nous divergeons totalement.

En réalité, notre inquiétude est réelle, parce que l’avenir du service civil nous semble incertain. Mais peut-être nous rassurerez-vous tout à l’heure sur ce point, monsieur le haut-commissaire.

En effet, l’expérience ayant mis en exergue les insuffisances du dispositif, la question se pose de savoir si l’on ne sera pas tenté d’abandonner ce dernier, plutôt que de le renforcer.

Quelles sont ces insuffisances ?

Je dirai, au risque de me répéter, que, selon nous, la principale insuffisance du dispositif réside dans son caractère facultatif.

Ensuite, le statut mis en place paraît d’une grande faiblesse, laquelle est d’ailleurs abondamment dénoncée par les associations chargées de mettre le dispositif en œuvre. Ces dernières réclament par exemple un horaire de dix à quinze heures par semaine et un assouplissement des contraintes administratives.

Disant tout cela, je ne feins bien évidemment pas d’ignorer que la mise en place d’un véritable service civique universel aurait un coût, probablement compris entre 3 et 5 milliards d’euros, ce qui n’est pas rien. Mais ces 5 milliards d’euros pourraient être dégagés par ventilation de crédits entre le soutien à la vie associative et l’éducation. L’argument financier nous semble donc être un faux argument.

Un autre argument invoqué contre le service civique obligatoire est la difficulté de trouver chaque année 700 000 postes. Il pourrait s’agir, là encore, d’un faux argument si l’on met en balance, d’un côté, le nombre de jeunes par tranche d’âge et, de l’autre, les immenses besoins collectifs actuellement non satisfaits dans la société. Je pense, en particulier, aux services à la personne, secteur très demandeur.

Monsieur le haut-commissaire, bien loin d’être financière ou économique, la problématique du service civique universel nous paraît relever, en réalité, d’un choix de société. Sommes-nous prêts à nous donner les moyens d’enrayer le délitement du lien social, en particulier chez les jeunes ?

Tel est, à nos yeux, le véritable enjeu, auquel je ne doute pas que vous apporterez tout à l'heure nombre de réponses. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, c’est par la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances et son décret du 12 juillet 2006 que le service civil volontaire, promis en 1996 par Jacques Chirac, a été instauré.

C’est donc après une dizaine d’années de débats sur les différentes possibilités de substitution du service militaire et après les émeutes de 2005 que l’idée d’un tel service a été relancée.

Toutefois, alors que le service civil volontaire était censé concerner 50 000 jeunes à la fin de l’année 2007, ces derniers sont à peine 3 000 à s’engager annuellement, soit une part très minoritaire des 750 000 à 800 000 jeunes de la classe d’âge correspondante.

Cette situation n’est donc pas satisfaisante, et ce pour plusieurs raisons : tout d’abord, le champ d’application du service civil volontaire est très limité ; ensuite, outre les difficultés pratiques de la mise en œuvre du dispositif, le problème tient surtout à l’insuffisance des moyens financiers et humains, qui ne sont pas à la hauteur de ce qui devait être une ambition nationale. Si l’on devait appliquer le service civil à toute une classe d’âge, il en coûterait, selon les estimations, de 3 à 5 milliards d’euros par an.

Pourtant, aujourd’hui, l’idée qu’il faut renforcer le service civil volontaire semble faire son chemin.

Ainsi, la mission commune d’information du Sénat sur la politique en faveur des jeunes propose, dans son rapport rendu public le 27 mai dernier, de relancer ce dispositif afin que « 50 000 jeunes y participent chaque année », ce qui, vous l’avouerez, ne nous renvoie qu’à la case départ.

Pour notre part, nous considérons qu’il est urgent de permettre aux jeunes d’accéder à de nouveaux droits pour répondre à leurs aspirations.

C’est un constat largement partagé que, dans notre pays, les nouvelles générations vivent plus mal que celles qui les ont précédées. En effet, les jeunes sont les plus touchés par les maux de notre société, à commencer par le chômage et la précarisation de l’emploi. Les jeunes adultes sont aussi les premiers à rencontrer de grandes difficultés à se loger, à se former, à se soigner, à se déplacer, à s’épanouir... Pour le détail, je vous renvoie aux chiffres figurant dans le rapport précité.

Et quand ils travaillent, très nombreux sont les jeunes faisant partie de la catégorie que l’on appelle aujourd’hui celle des « travailleurs pauvres », puisqu’ils perçoivent un salaire leur permettant à peine de survivre.

Alors que les jeunes femmes et les jeunes hommes – 8,2 millions de jeunes âgés de seize à vingt-cinq ans – représentent l’avenir de notre société, de notre pays et, au-delà, de l’Europe et du monde, l’État investit trop peu sur leur avenir.

Pis, le discours du pouvoir en place relatif aux jeunes a trop souvent une connotation négative : il est question, entre autres, de racaille, de bandes de jeunes, de fouilles des cartables, de portiques dans les collèges et les lycées.

Dans ces conditions, comme s’étonner que 51 % des Français déclarent avoir une image négative de la jeunesse ? Il est donc urgent de changer le regard que notre société porte sur les jeunes.

Pour notre part, nous considérons que les pouvoirs publics, les responsables politiques, ont le devoir de construire avec les jeunes les réponses à leurs difficultés, à leurs besoins, à leurs aspirations.

Pour relever ces défis, nous nous prononçons en faveur d’un dispositif comprenant de nouveaux droits en faveur des jeunes en matière d’emploi, de formation, d’autonomie, de logement, de transports, de santé, de culture.

Ce sont les aspirations et les difficultés des jeunes qui constituent le point de départ de notre réflexion quant à une relance du service civil, que nous préférerions, pour notre part, nommer « service national de solidarité ».

C’est dans la même démarche en faveur des droits des jeunes que je détaillerai à présent la nature de ce que devrait être, selon nous, ce nouveau service national que nous jugeons nécessaire de généraliser, afin de parvenir à un système équitable pour tous les jeunes, contrairement à la situation qui prévaut actuellement.

Fondé sur la citoyenneté, l’égalité des droits, la solidarité et l’attention que les pouvoirs publics doivent porter aux jeunes, le service national de solidarité que nous proposons doit être construit démocratiquement : les contours et les contenus doivent en être définis avec les jeunes, leurs associations, leurs organisations et les conseils de la jeunesse.

Proposé aux jeunes femmes et aux jeunes hommes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans, y compris les résidents de nationalité étrangère, il serait effectué selon un projet élaboré avec l’intéressé au cours de la dernière année de sa scolarité ou dans les deux ans suivant l’obtention d’un diplôme sanctionnant ses études supérieures.

Avec l’instauration de ce service, l’État, les pouvoirs publics marqueraient un engagement nouveau et fort en direction des jeunes. Nous proposons à l’ensemble des jeunes une rencontre forte et utile avec l’institution, à l’âge de la majorité qui marque l’entrée dans la vie d’adulte.

Mme Éliane Assassi. Ouvert sur la société et le monde, ce service doit permettre aux jeunes de réaliser leur goût pour l’engagement, la solidarité et la paix, en France ou à l’étranger, dans les domaines de la défense, de l’action humanitaire, de la coopération, de la prévention, de l’éducation, de l’environnement, dans un cadre institutionnel ou associatif.

Concrètement, s’agissant des modalités pratiques, nous proposons notamment les dispositions suivantes : une durée de six mois fractionnable, validée pour la retraite et prise en compte dans tous les diplômes d’État et dans le cadre d’un processus de validation des acquis de l’expérience, ou VAE ; une rémunération à hauteur de 50% du SMIC pour permettre au jeune d’accomplir son service dans des conditions de vie décentes ; une véritable couverture sociale ; un suivi et une aide à l’insertion.

Bien évidemment, tout cela a un coût. Il va sans dire que la question du financement d’un tel service national est fondamentale. C’est à l'État qu’il revient d’engager un effort national inégalé en faveur de la jeunesse du pays pour répondre avec elle aux difficultés et aux défis auxquels elle est confrontée.

La mise en œuvre de ce service civil ainsi « rénové » doit être assurée par un délégué interministériel, sous la responsabilité du Premier ministre, engageant les efforts de l’ensemble des ministères et des pouvoirs publics. Il serait ainsi chargé d’installer un fonds national de soutien au service national de solidarité, abondé par l’État, l’ensemble des collectivités locales et des associations agréées.

Cette délégation interministérielle aurait par ailleurs la charge de mettre en place les coopérations nécessaires avec les collectivités territoriales, le Conseil national de la jeunesse, les associations et organismes intervenant dans les domaines considérés et de préparer l’accueil et l’accompagnement des jeunes effectuant leur service.

Nous proposons de constituer, aux échelons national et départemental, un comité de suivi constitué des services de l’État, des élus, des représentants des syndicats de salariés, des associations d’éducation populaire, des services sanitaires et sociaux, des représentants de l’éducation nationale, des conseils départementaux de la jeunesse, du Conseil national de la jeunesse, de la Conférence permanente des coordinations associatives, de l’Association des maires de France, de l’Assemblée des départements de France et de l’Association des régions de France.

Ce comité de suivi serait chargé de veiller, notamment, au contenu du service, au respect des droits des jeunes gens, à leur sécurité, au caractère démocratique et pluraliste des concepts républicains transmis aux jeunes.

J’en viens à présent au caractère obligatoire ou volontaire de ce service national, point qui fait débat à gauche comme à droite, …encore qu’il n’y ait pour l’instant pas grand monde sur les travées situées à droite de l’hémicycle ! (Sourires.)

Nous estimons que, après une phase d’expérimentation sur le fondement d’un volontariat fortement valorisé et encouragé, le service national de solidarité pourrait prendre une forme obligatoire, mais différenciée en fonction du projet de chaque jeune.

La transformation éventuelle en service obligatoire devrait être décidée démocratiquement, c’est-à-dire soumise à référendum, et ce cinq ans après la mise en place de ce service. Ce référendum serait précédé d’un important débat national impliquant les élus, les parlementaires, les acteurs des services publics, les associations et organisations de jeunes et d’éducation populaire et, au-delà, chaque citoyen, en particulier les jeunes sur le contenu, la forme, l’organisation de ce service national.

Pour notre part, nous ne concevons l’obligation que de façon individualisée et adaptée à notre époque.

En effet, alors que l’entrée dans la vie active est, à l’heure actuelle, jonchée d’obstacles, marquée par la précarité et l’insécurité sur les plans social, économique et professionnel, un nouveau service national qui s’ajouterait à la précarité des situations et constituerait un obstacle supplémentaire à la réussite scolaire, à la formation, à l’accès à l’emploi ne serait pas acceptable.

Pour nous, le service national obligatoire ne se conçoit que s’il oblige l’institution et les pouvoirs publics à être utiles à ces jeunes femmes et ces jeunes hommes. Ce doit être un temps que l’institution consacre à la jeune personne, et non l’inverse.

Si la généralisation du service civil tel qu’il existe actuellement avait lieu, elle ne devrait en aucun cas se faire au rabais ou sur les ruines de l’éducation nationale, notamment, et encore moins viser à remplacer, par exemple, des cadres d’emplois des fonctions publiques.

Par ailleurs, il ne peut s’agir d’une période « occupationnelle » pour les jeunes. Ce service doit avoir du sens : il faut donner aux jeunes des semaines, des mois, pour leur permettre d’avoir une expérience enrichissante, valorisante, porteuse de sens.

Les jeunes ne sont pas de la main-d’œuvre bon marché que l’on mettrait à la disposition du patronat. Ainsi, il est hors de question qu’ils deviennent un sous-salariat affranchi du code du travail.

Le service civil est présenté par certains comme la panacée censée répondre aux délits, aux troubles sociaux, au chômage massif, au décrochage scolaire. Telle n’est pas notre conception.

Ce service ne doit pas être perçu par les jeunes comme une brimade ou comme le rétablissement du service militaire.

M. Yvon Collin. Je suis d’accord !

Mme Éliane Assassi. Son accès doit être égalitaire, notamment pour ne pas reproduire en son sein des discriminations qui traversent la société.

En d’autres termes et pour terminer, il vaut mieux convaincre que contraindre en la matière. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. René Vestri.

M. René Vestri. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, la République accueille, protège nos concitoyens et forge leur avenir. Mais elle a également ses exigences de solidarité, de valeurs communes, de défense de l’identité nationale.

Autrefois, le service militaire représentait l’application la plus éclatante de ce que la République pouvait légitimement demander à ses concitoyens. Mais ce service a vécu et, quelle que soit la nostalgie d’un temps révolu que d’aucuns pourraient ressentir, il s’agit aujourd’hui d’aller de l’avant et d’imaginer d’autres solutions pouvant renforcer le lien entre les Français et la nation.

Le service civil volontaire constitue, à mes yeux, un excellent moyen de faire comprendre aux femmes et aux hommes de ce pays qu’un don de soi peut renforcer la cohésion sociale et être porteur d’avenir.

L’État, pour sa part, doit avoir un rôle incitatif. C’est la raison pour laquelle je souhaite l’instauration d’un service civil volontaire de la citoyenneté, obligatoirement proposé aux jeunes de seize à vingt-cinq ans.

Cette formulation me paraît pertinente, car chacun des termes a un sens.

S’agissant du premier, « service », il n’en est pas de meilleur, je crois, pour traduire un esprit d’engagement au service du plus grand nombre.

L’adjectif « civil » implique, dans mon esprit, que ce service devrait s’adresser à tous ceux qui vivent sur notre territoire et qui profitent, à un titre ou à un autre, de la générosité de la communauté nationale. Par conséquent, ce service devrait non seulement s’appliquer aux Français, mais s’étendre également aux étrangers qui ont choisi de s’installer en France.

Le service est « volontaire ». En effet, nous le savons tous, la générosité ne s’exerce véritablement que si elle est voulue. C’est une condition essentielle pour que les missions soient remplies avec tout l’enthousiasme propre à la jeunesse. Elles seront considérées comme valorisantes par cette jeunesse dès lors qu’elles s’adressent aux autres.

Le mot « citoyenneté » constitue le cœur de notre projet, celui de faire de chaque citoyen l’ambassadeur des valeurs de la République et d’affirmer sa vocation de les faire partager par ceux qui s’interrogent parfois sur leur bien-fondé.

Enfin, je souhaite que le service civil soit « obligatoirement proposé », car l’État doit témoigner de sa force incitative de puissance publique, tout en déployant un gros effort de pédagogie afin de faire percevoir à nos jeunes l’attractivité d’un tel dispositif. Cela passe par une politique de communication plus active, par un panel plus étendu des activités tenant compte des besoins économiques de chaque région – tourisme, métiers du bâtiment, etc. Cela passe également par un effort financier. Cela passe, enfin, par des moyens matériels plus adéquats.

Aujourd’hui, notre pays compte 475 structures agréées pour 2 131 jeunes sous convention, et 10 000 postes agréés. Faute de crédits, l’organisme gestionnaire, l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, n’a pas pu créer davantage de postes. C’est tout le paradoxe de cet « appel au peuple » que les pouvoirs publics lancent alors qu’ils sont dans l’impossibilité d’accueillir un grand nombre de jeunes par manque de structures d’accueil, de bâtiments et de lieux propices à assurer la formation et la transmission du savoir.

Pourquoi ne pas envisager, par exemple, de créer dans chaque département de France un centre de coordination et de formation pour tous les volontaires, quel que soit leur choix – activités de sécurité civile, activités sociales, économiques, permis auto, permis moto, permis poids-lourds et bateau –, et ce pour une durée de formation, laquelle serait prise en charge par la collectivité, équivalente à l’année scolaire ?

Enfin, dans la mesure où toute peine mérite considération, peut-être faudrait-il s’engager à donner un « petit plus » ou à octroyer quelques avantages à des volontaires dont l’exemple pourra inciter l’ensemble de la jeunesse. Ce principe existait déjà pour le service militaire puisque tous les jeunes qui avaient satisfait aux obligations militaires bénéficiaient d’un accès privilégié aux emplois publics.

Pourquoi ne pas instaurer un « bonus de la citoyenneté » pour certains emplois, pas forcément administratifs, en faveur de ces jeunes volontaires ? Pourquoi ne pas prévoir, par exemple, de mettre en place un taux particulier d’emprunt ? Le caractère universel d’une institution dépend aussi de l’attrait qu’elle présente.

Une telle proposition, me direz-vous, n’est-elle pas discriminante ? Eh bien, c’est ma conception de la « discrimination positive » ! Je la trouve légitime parce qu’il s’agit d’une discrimination constructive, qui renforce notre socle républicain.

Il faudrait également se fixer des objectifs ambitieux. Je voudrais appeler votre attention sur ce point.

Vouloir attirer une frange de quelques dizaines de milliers de jeunes vers une nouvelle forme de creuset républicain n’est pas un objectif suffisant. Il faut avoir pour ambition de drainer vers ce service une partie de la jeunesse au moins égale à celle qui passe son baccalauréat chaque année. Ce n’est que par le nombre que le sentiment d’appartenance à une communauté triomphe. L’idée de Nation est née le jour où l’on s’est aperçu que des millions de gens, sur un territoire donné, parlaient une même langue et partageaient les mêmes valeurs !

Monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, si nous voulons améliorer les choses en la matière, il nous faut résolument changer d’échelle pour construire et pour renforcer la cohésion de notre nation. Il ne faut pas transiger avec les moyens. Pour pertinent que soit l’outil du service civil obligatoire, il gagnerait en efficacité si les moyens matériels et humains étaient plus importants.

Je prendrai l’exemple de mon département, celui des Alpes-Maritimes. Dans le cadre de l’Europe, pourquoi ne pas créer des structures franco-italiennes ou franco-allemandes pour développer l’étude des langues, mettre l’accent sur les métiers découlant du tourisme et former des marins pour la plaisance et les croisières ? C’est une affaire de bon sens. C’est une affaire de cohérence. C’est également une affaire d’intérêt national majeur à une période de notre histoire où la République a parfois donné le sentiment de vaciller sur ses principes fondateurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

J’adresse donc une supplique au Gouvernement de la République pour que l’esprit de volontarisme et de réforme qui l’anime s’incarne dans une politique en faveur de la jeunesse en vue de donner aux valeurs d’intégration et de progrès toute leur ampleur.

Raymond Cartier avait une formule un peu brutale, mais juste : quand on n’a pas les moyens de sa politique, il faut avoir la politique de ses moyens.

Il faut donc nous donner les moyens de la politique que le Gouvernement lui-même souhaite mettre en œuvre pour la jeunesse française. Cela se fera en redonnant à notre jeunesse les codes de la société, car aider et former la jeunesse, c’est non pas dépenser, mais investir. La jeunesse est notre avenir !

Nous devons faire le choix de la volonté et de l’audace. L’enjeu pour la solidité de la République et pour la cohésion de la nation oblige à ne pas se contenter du plus petit dénominateur commun. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, l’avenir des jeunes, le développement de leur sens civique et leur meilleure insertion sociale constituent bien évidemment une préoccupation commune à tous les pays. C’est également une préoccupation commune sur toutes les travées de cet hémicycle.

L’exemple de certains peut nous guider dans la recherche d’une alternative utile, efficace, citoyenne, au service militaire qui a été suspendu à la fin des années quatre-vingt-dix.

Aucun de nos voisins européens ayant opté, comme nous, pour la suppression de la conscription obligatoire n’a, pour l’instant, choisi le service civil obligatoire comme solution de remplacement.

Le cas de l’Allemagne, pays souvent cité en exemple pour la réussite de son service civil, est un peu à part et ne peut nous servir de modèle. En effet, le service civil y est obligatoire, mais il vient en remplacement du service militaire, toujours existant, pour ceux qui ne souhaiteraient pas l’effectuer. Nous sommes donc dans une situation vraiment différente.

En revanche, comme en France, certains pays s’attachent à offrir de nouvelles possibilités de services civils à leur jeunesse après la disparition du service militaire. La question d’un service obligatoire s’est posée avec force, notamment en Belgique, aux Pays-Bas et en Italie. Finalement, tous ont retenu une version volontaire du service.

Il est intéressant d’analyser la réussite de l’exemple italien. Il a réussi à faire monter en puissance, rapidement et de manière significative, un service civil volontaire en remplacement du service militaire obligatoire.

Instauré dès 2001 pour les femmes, puis étendu aux hommes à la suppression du service militaire, ce dispositif a rencontré immédiatement un grand succès. En 2004, 30 000 jeunes filles étaient déjà volontaires.

Aujourd’hui, tous les jeunes italiens, filles ou garçons, peuvent se porter volontaires entre dix-huit ans et vingt-huit ans pour accomplir un service civil de douze mois consacré à un projet utile pour la collectivité au sein d’une structure agréée : association, collectivités territoriales, municipalité, université.

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Jean-Pierre Plancade. Ces projets peuvent s’inscrire dans six grands secteurs : assistance à la personne, protection civile, environnement, patrimoine, éducation et service à l’étranger.

En 2006, 2 800 structures étaient déjà inscrites dans le dispositif et proposaient plus de 57 000 postes de volontaires ; 112 457 jeunes avaient été candidats. Compte tenu des disponibilités budgétaires, 45 890 volontaires ont été retenus, soit 10 % de la classe d’âge. Je profite de la présence dans l’hémicycle du président de la commission des finances pour citer ces quelques chiffres. Connaissant son souci constant de tenir compte de la dette et du déficit budgétaire, je veux lui montrer que la modération n’empêche pas de mener des actions.

Qu’est-ce qui explique ce succès ? Comment s’en inspirer pour développer notre service civil volontaire qui ne connaît pas pour l’instant un franc succès, comme l’ont rappelé les orateurs précédents et mon éminent collègue Yvon Collin ?

En France, dès la suspension du service militaire, le principe d’un service civil volontaire de substitution était déjà posé. L’idée de rendre obligatoire ce service a rapidement été écartée, ce dont, pour ma part, je me réjouis.

Malheureusement, il a fallu attendre la loi sur l’égalité des chances à la suite de la crise des banlieues pour que le service civil volontaire soit institué de façon plus claire. Dès lors, le dispositif s’est voulu plus lisible et plus accessible. Pour autant, le succès n’est toujours pas au rendez-vous.

Aujourd’hui, alors que la crise frappe sans pitié dans notre pays une jeunesse à la recherche de repères et en mal de citoyenneté, nous avons pour devoir d’améliorer ce dispositif.

Les jeunes doivent pouvoir bénéficier de l’expérience extraordinaire d’un service que l’on doit qualifier, selon moi, de « civique ». Sur ce point, je suis d’accord avec la proposition de M. Collin. Ce service doit être un moment privilégié pour sensibiliser les jeunes à l’idée de nation, pour développer leur sens de la citoyenneté et pour parfaire leur éducation civique.

Dès lors, ce service doit porter le nom de « service civique ». Actuellement, la lourdeur des procédures, la complexité du financement, l’absence totale de visibilité du volontariat, auprès tant des jeunes que de leur entourage, y compris professionnel, empêchent le développement de ce service.

Il faut absolument rendre le service volontaire plus attractif. Cette entreprise doit avant tout passer par le développement de la visibilité de ce service en permettant la reconnaissance et la valorisation de l’expérience. Ce point est indispensable pour que le service volontaire tente et attire les jeunes.

Les modalités pratiques retenues jusqu’à maintenant sont à l’origine de l’échec du dispositif actuel.

Monsieur le haut-commissaire, qu’envisagez-vous aujourd’hui pour encourager notre jeunesse, sans la contraindre, à se mettre au service de la société ? Je sais que vous y êtes personnellement très attaché.

Quelles seront demain les nouvelles modalités d’un service civique renouvelé, réhabilité et renforcé ? Nous attendons avec impatience vos propositions, car l’enjeu est de taille.

J’ai entendu comme vous tous ceux qui sont intervenus. Je sais aussi par avance, pour les avoir fréquentés pendant très longtemps, ce que les orateurs suivants vont dire. Globalement, nous ne serons pas en désaccord. Nous sommes tous conscients – je vous le dis en ma qualité de parlementaire – que les jeunes de ce pays doivent se retrouver quelque part, à un moment donné, pour faire quelque chose, que l’on appelle cela « service civique » ou autrement. Ils doivent ainsi rendre à la République ce service qu’elle leur a offert depuis leur naissance.

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Jean-Pierre Plancade. C’est important !

Monsieur le haut-commissaire, je vais écouter attentivement vos réponses et je sais qu’elles seront positives.

M. Yvon Collin. Et de qualité !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Je vous remercie !

M. Jean-Pierre Plancade. Au bout du compte – in cauda venenum ! –, je crains cependant que, malgré une quasi-unanimité sur l’esprit de ce service civique, l’on n’avance pas beaucoup. Vous qui êtes au Gouvernement, monsieur le haut-commissaire, pouvez-vous nous dire pourquoi ?

J’ai vu, voilà quelques années, dans cette assemblée, voter en une nuit des milliards d’euros pour un grand projet industriel, aussi important que celui qui nous occupe aujourd'hui, et ce alors que des communes réclamaient depuis des vingtaines d’années qui un feu rouge pour améliorer la circulation, qui une déviation !

Pourquoi cela ne serait-il pas possible aujourd'hui pour un projet qui aura des retombées importantes en faveur de la jeunesse ? Monsieur le haut-commissaire, pour avoir été l’un des fondateurs et des premiers présidents des missions locales dans ce pays, et avoir participé à la mission Schwartz, je peux vous assurer que je suis très attaché à l’insertion des jeunes ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de lUnion centriste et de lUMP.)

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Je vais essayer de ne pas vous décevoir !

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.

Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, treize ans après l’annonce de la fin de la conscription, qu’en est-il du fameux service civil volontaire censé remplacer le service militaire comme pierre angulaire de notre engagement citoyen ? En réalité, pas grand-chose !

Après maintes réflexions, études et tribunes ; après avoir entendu tous les gouvernements chanter les louanges de cette « magnifique » idée ; après l’avoir un peu « oubliée » puis s’en être souvenu précipitamment lorsque les banlieues brûlaient ; après l’instauration, par la loi pour l’égalité des chances, d’un statut officiel pour le service civil volontaire, nous ne sommes même pas à dix mille volontaires par an, bien loin des objectifs du plan Villepin qui entendait atteindre rapidement les cinquante mille volontaires civils par an. Du simple point de vue quantitatif, il s’agit donc d’un échec.

Les raisons de cet échec sont au nombre de deux et sont parfaitement identifiées, tant par le rapport de Luc Ferry que par celui de la mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes que je préside.

Premier élément de réponse : le budget attribué au service civil volontaire est ridiculement sous-doté au regard des enjeux et des objectifs.

Un jeune en service civil volontaire, dans le cadre de son contrat, reçoit une indemnité mensuelle maximale de 652 euros, dont 90 % sont à la charge de l’État. Si l’on ajoute les cotisations sociales, un volontaire coûte environ 14 000 euros par an. Or, le budget actuel ne permet pas le recrutement des dix mille volontaires, que dire des cinquante mille volontaires initialement souhaités ! En 2008, le rapport Ferry montrait que, dès le premier trimestre de l’année, sept millions d’euros manquaient déjà à l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, l’ACSÉ, pour boucler son budget. L’ACSÉ était donc contrainte de demander aux structures d’accueil des volontaires de « cesser le recrutement de volontaires associatifs ».

S’agissant d’un projet au confluent de la formation, de l’orientation, de l’enrichissement personnel, mais aussi de la solidarité, du vivre-ensemble et de la citoyenneté, l’ambition et la volonté politique, et non les moyens, sont le facteur déterminant. Si l’ambition existe, la question des moyens ne se pose pas !

Ce gouvernement a-t-il vraiment l’ambition de refonder le lien citoyen entre l’individu et la collectivité ? Ce gouvernement a-t-il vraiment l’ambition d’organiser la rencontre de nos jeunes, le brassage de toute une classe d’âge – la mixité sociale, comme certains la nomment, qui n’a cessé de s’étioler ? Ce gouvernement a-t-il la volonté politique de s’attaquer enfin à ce problème ? Si la réponse à ces interrogations est positive, alors la question des moyens ne doit plus se poser.

Le déficit de communication est la seconde raison qui explique le faible développement du service civil volontaire : il résulte directement de la pénurie budgétaire. Le service civil volontaire n’est pas assez connu des jeunes, car aucune publicité n’est faite en ce sens. Seuls ont eu connaissance du service civil volontaire les jeunes ayant effectué une démarche d’information, ou ceux qui se sont adressé aux missions locales, dans le cadre plus général d’une aide à l’insertion professionnelle. Dans la quasi-totalité des cas, les recrutements s’effectuent grâce au bouche à oreille ou par le biais des actions menées ponctuellement par les associations – par exemple, les « cafés civiques temporaires », organisés par Unis-Cité sur la place de la préfecture à Cergy-Pontoise. La première urgence consiste donc à faire connaître le service civil volontaire. Sans vouloir minimiser le formidable travail de terrain que réalisent les associations, c’est à l’État d’agir en ce sens.

En résumé, le service civil volontaire constitue aujourd’hui une politique nationale essentielle, avec des objectifs quantitatifs devant se chiffrer en dizaines de milliers d’individus, voire en centaines de milliers, mais cette politique est promue uniquement par le bouche à oreille et ses crédits sont épuisés dès le premier trimestre de l’année ! Soyons sérieux : à ce stade, tout reste à faire.

En 2007, pendant la campagne présidentielle, le rapport Kouchner, établi au nom des socialistes, proposait une solution qui résolvait à la fois le problème de la diffusion de l’information sur le service civil et la question de l’engagement. Il défendait la mise en place progressive d’un service civique – et non pas seulement civil –, mixte et universel, qui serait « obligatoirement proposé à tout jeune entre 18 et 20 ans ». Nous pensons aujourd’hui que, si cette information était automatiquement intégrée dans la journée d’appel de préparation à la défense, le problème de la méconnaissance du service civil serait ainsi résolu.

Tout le sens du service civique consiste à organiser la rencontre entre l’engagement personnel et le service solidaire à la collectivité. L’individu doit donc être libre de s’engager ou non, libre des modalités de son engagement mais, dans le même temps, pour que le dispositif fonctionne, l’État doit être dans l’obligation de fournir les moyens de cet engagement. Ainsi, en plaçant l’obligation du côté de l’État et non plus du côté de l’individu – comme c’était le cas avec le service militaire –, on rompt également avec la tradition séculaire voulant que l’engagement citoyen soit subi.

Les préconisations du rapport Kouchner proposaient également que ce service civique mixte et universel puisse être fractionné dans le temps, qu’il s’inscrive dans un parcours citoyen en trois temps, commencé dès l’âge de seize ans, et qu’il soit plus largement accessible à toutes les structures – écoles, hôpitaux, associations, entreprises d’économie solidaire…

Aujourd’hui, ce projet s’étend naturellement au-delà des frontières de notre pays et une coordination des divers services civils en Europe, prenant la forme d’un véritable service civil volontaire européen, reste à accomplir. Il est essentiel que les jeunes européens prennent l’habitude de se rencontrer, de partager des projets et des valeurs.

M. Yvon Collin. Très bien !

Mme Raymonde Le Texier. Voilà une ambition qui va bien au-delà du petit cercle des 475 structures agréées pour le service civil volontaire au 1er juin 2008.

Mme Raymonde Le Texier. Cette version du service civil demeure la proposition socialiste en la matière, prouvant ainsi que même quand les hommes changent, les bonnes idées qu’ils ont pu avoir à un moment donné perdurent !

M. Daniel Raoul. J’ai des noms !

Mme Raymonde Le Texier. En termes d’objectifs, après une mise en place progressive sur cinq ans, nous souhaitons aboutir à 500 000 volontaires par an. Ce chiffre peut paraître tout à fait utopique, à moins que nos entreprises mettent fin, en matière de recrutement, à leur obsession du diplôme – et rien que du diplôme –, mais reconnaissent ce parcours personnel comme une plus-value, à l’instar de nombre de pays du nord de l’Europe.

Cette ambition a bien évidemment un coût : deux milliards d’euros, voire plus, si l’on intègre un certain nombre des propositions formulées par Mme Assassi, ou encore l’idée d’une aide à l’obtention du permis de conduire, émise par M. Vestri et qui me paraît excellente. Ce coût est élevé, mais il resterait très nettement inférieur à celui du service militaire antérieur.

M. Yvon Collin. Ou au coût social de l’absence de mesures !

Mme Raymonde Le Texier. Si vous vous inquiétez de savoir où trouver l’argent, je vous parlerai d’exonérations des heures supplémentaires, de niches fiscales, du bouclier fiscal, des superprofits des grandes entreprises – cette liste n’étant pas exhaustive.

M. Yannick Bodin. Il y a le choix !

Mme Raymonde Le Texier. Au niveau qualitatif, le bilan actuel du service civil volontaire est plus intéressant, mais il n’en est pas moins problématique.

En effet, tous les témoignages de jeunes hommes et de jeunes femmes qui effectuent, ou ont effectué, un service civil volontaire montrent qu’ils en ressortent changés, plus mûrs, plus riches d’une expérience marquante, qui a souvent transformé leur regard sur les autres et sur la société.

Mme Raymonde Le Texier. Dans le même temps, l’engagement collectif et l’implication de ces jeunes réalisent partout des projets qui améliorent le quotidien, souvent des personnes les plus fragiles – aide aux personnes sans domicile fixe, réhabilitation de locaux associatif, soutien aux personnes âgées ou handicapées. Nous sommes tous d’accord pour le reconnaître, les gains tirés du service civil volontaire ne bénéficient pas aux seuls jeunes, mais à la société dans son ensemble.

Mme Raymonde Le Texier. Pour autant, malgré notre souhait de voir se développer le service civil volontaire, nous resterons extrêmement vigilants afin que ces jeunes ne constituent jamais une main-d’œuvre bon marché dans laquelle on pourrait puiser à l’excès, ni un dérivatif aux mauvaises statistiques du chômage.

Il y a un autre bémol à ce tableau : bien que toutes les classes sociales soient représentées parmi les volontaires, elles ne sont pas mélangées. Les jeunes sont, en l’état, trop isolés dans des dispositifs séparés. Les enfants de familles aisées s’engagent, par exemple, dans le volontariat civil international, alors que les jeunes venant de milieux défavorisés sont orientés dans des structures locales comme les centres « Défense deuxième chance ». On constate que des jeunes aux origines et aux expériences de vie totalement différentes ne peuvent ni échanger, ni s’enrichir mutuellement du vécu de chacun. C’est l’échec de la mixité sociale, qui est pourtant l’un des principaux enjeux du service civil. Le futur système devra nécessairement veiller à décompartimenter les différents types d’engagement.

Avant de conclure, je souhaiterais évoquer l’expérience des jeunes volontaires effectuant un service civil au sein de l’association Unis-cité du Val-d’Oise, que j’ai déjà nommée. Je les reçois régulièrement et je suis toujours frappée de l’intérêt et de la passion qu’ils mettent à décrire le quotidien de leur action. Certains d’entre eux font partie de ces 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme : grâce au service civil, ils se sont découvert des aptitudes à agir avec d’autres et pour d’autres qu’ils ne soupçonnaient même pas.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Absolument !

Mme Raymonde Le Texier. Ils retrouvent ainsi une image d’eux-mêmes valorisée. Beaucoup m’ont dit posséder, grâce à cette expérience de vie, des acquis que leurs camarades plus favorisés ne découvriront pas nécessairement sur les bancs de l’université.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Absolument !

Mme Raymonde Le Texier. Je pense notamment à ce jeune, « mort de trouille » disait-il, à l’idée de devoir travailler auprès de SDF, et qui concluait pourtant le récit de son expérience en reconnaissant avoir découvert des personnes qui avaient connu, un jour, une existence semblable à la sienne et dont elles n’étaient encore pas si éloignées.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Exactement !

Mme Raymonde Le Texier. Les auditions auxquelles nous avons procédé dans le cadre de la mission commune d’information allaient dans le même sens, ce qui nous a amenés à proposer la prise en compte du service civil volontaire dans la validation des acquis de l’expérience.

En première et dernière analyse, le service civique nous convie à passer d’un modèle de société à un autre, d’un modèle de citoyenneté à un autre : passer d’une société qui vivait dans l’attente de la prochaine guerre au point que la citoyenneté ne pouvait se concrétiser que par le passage dans l’armée, à une société qui peut et veut fonder son « optimum citoyen » sur autre chose que le sacrifice. Pour reprendre les mots d’un sociologue, il s’agit de passer d’une « citoyenneté de sacrifice » à une « citoyenneté de participation ».

Bien sûr, cette perspective progressiste ne nous fait pas oublier le lourd tribut payé par les générations précédentes. C’est précisément parce que, de Jean Monnet à François Mitterrand, nous avons construit l’Europe que ce changement de paradigme citoyen est possible. Si, depuis la fin de la conscription, nous sommes au terme d’un cycle dans lequel une part importante de notre jeunesse a du mal à trouver sa place citoyenne, c’est parce que nous, responsables politiques de tous bords, tardons à franchir le pas vers le nouveau modèle de société que consacrerait la mise en place du service civil volontaire.

Monsieur le haut-commissaire, ce débat relativement consensuel devrait nous permettre, si les parlementaires sont encore un peu écoutés par ce gouvernement…

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. J’écoute beaucoup les parlementaires !

M. Yvon Collin. Mais vous êtes un exemple, monsieur le haut-commissaire !

Mme Raymonde Le Texier. Nous verrons donc si, ensemble, nous sommes écoutés…

M. Gérard Longuet. … et entendus !

M. le président. Poursuivez ma chère collègue, ne vous laissez pas troubler !

Mme Raymonde Le Texier. Mes chers collègues, je vous remercie de saboter ma conclusion ! (Sourires.)

M. Alain Gournac. Mais non !

M. Jean-Pierre Plancade. Nous l’approuvons par avance !

Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le haut-commissaire, il serait donc temps de passer rapidement du décret Borloo à une loi-cadre sur la politique envers les jeunes, qui traiterait de bien d’autres aspects, mais où le service civil volontaire trouverait toute sa place ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, lors de la suppression du service militaire, par la loi du 28 octobre 1997, l’idée du service civil volontaire avait été présentée comme une voie possible pour l’avenir.

Regroupant des dispositifs dispersés entre plusieurs ministères, avec des statuts divers et des ressources budgétaires non consolidées à terme, le service civil volontaire français ne s’est peut-être pas suffisamment inspiré de celui de nos voisins, l’Italie par exemple.

Dans ce pays, il est vrai, son origine est entièrement liée au statut de l’objection de conscience du temps de la conscription. Les intéressés ont par ailleurs toujours été affectés principalement à des tâches d’intérêt général. Pas moins de 60 000 jeunes gens et jeunes filles en Italie et près de 100 000 aux États-Unis sont engagés dans tous les domaines d’activités.

L’Allemagne, en revanche, comme l’a rappelé Jean-Pierre Plancade, a maintenu le principe de la conscription tout en professionnalisant une part importante de ses unités. Elle a conservé les options civiles qui relèvent de moins en moins de la seule objection de conscience. Un service civil obligatoire se substitue donc au service militaire pour les personnes qui refusent ce dernier. Ils représentent environ 150 000 jeunes.

La France n’a, hélas, pas encore su mobiliser l’ensemble de ses structures ni ses jeunes dans la promotion de son service civil volontaire. Ses objectifs sont pourtant louables mais ce programme, que d’ailleurs tout le monde réclame, n’a pas su trouver son public. Il représente cependant un investissement dans l’avenir de notre jeunesse, un facteur de cohésion sociale et de transmission de nos valeurs républicaines.

Ce ne sont guère plus de 3 000 recrutements que l’on comptabilise en 2008 et, à ma connaissance, quasi aucun depuis le début de l’année 2009. Environ 2 200 personnes sont actuellement en poste, dont à peine une trentaine pour la région Picardie et, parmi celles-ci, trois dans mon département, l’Aisne. Nous ne pouvons donc qu’améliorer cette situation.

Si, dans notre pays, les jeunes ignorent dans leur majorité la notion même de volontariat, ils restent cependant demandeurs. Je n’oublie pas ceux d’entre eux qui sont investis dans le bénévolat sportif ou humanitaire, dans les mouvements de jeunesse tels que le scoutisme, où sont développées les valeurs de responsabilité, de citoyenneté et de solidarité.

Tous, nous nous accordons sur la nécessité de réussir la promotion de ce projet. En cette période de crise et de chômage, où les jeunes sont durement touchés, les différents rapports, qu’ils soient de Luc Ferry, dans le cadre du Conseil d’analyse de la société, ou de vous-même, monsieur le haut-commissaire, dans le cadre de la commission de concertation sur la politique de la jeunesse, prônent le renforcement du lien social, la transmission des valeurs de citoyenneté et des règles du vivre-ensemble.

C’est un élan nouveau qu’il nous faut donner dans un cadre réinventé, permettant à notre jeunesse de réaliser concrètement des expériences citoyennes en s’investissant dans des missions d’intérêt général. Cette expérience compléterait le rôle de l’école dans un travail d’intégration et d’apprentissage des valeurs républicaines et civiques.

Il serait dommage, pour des raisons financières, de se contenter d’une simple remise en ordre de l’existant, alors même que la minorité de nos concitoyens et des associations ayant vécu cette expérience y ont trouvé une réponse à leurs attentes.

Certains ont évoqué la possibilité d’un service civil obligatoire. En 2005, un appel lancé par un hebdomadaire avait même recueilli 440 signatures de parlementaires de différentes sensibilités, montrant une adhésion certaine.

Cependant, indépendamment de sa faisabilité logistique et opérationnelle, cette piste n’a pas non plus été suivie par nos partenaires de l’Union européenne. La base du volontariat apparaît la plus fédératrice, surtout auprès des jeunes.

C’est donc à vous, monsieur le haut-commissaire, à nous, mes chers collègues, de trouver ensemble les modalités les plus appropriées à sa mise en place. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.

M. Christian Demuynck. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, je m’exprimerai à la fois en mon nom et en tant que rapporteur de la mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes âgés de seize à vingt-cinq ans, qui a rendu ses conclusions à la fin du mois de mai. Le sujet du service civil a été évoqué assez longuement lors des auditions de notre mission et dans notre rapport.

La mission « Jeunes » a constaté l’existence d’un consensus sur une idée simple : il existe chez les jeunes un désir d’aider et une aspiration à l’engagement. Ils ne veulent pas seulement travailler, consommer, profiter, comme d’aucuns pourraient rapidement le penser ; ils souhaitent aussi et surtout s’engager, participer, s’impliquer dans la société.

M. Jean-Pierre Plancade. Oui, il faut le rappeler !

M. Christian Demuynck. Alors que la moitié des Français a une image négative des jeunes, une très grande majorité les trouvant même individualistes, je souhaite insister sur le fait que les jeunes s’engagent tout autant que nos autres concitoyens dans la vie associative et qu’ils souhaitent le plus souvent s’y investir davantage.

Nos auditions ont apporté de multiples témoignages de cette réalité et les déplacements de la mission en province nous en ont définitivement convaincus. Or ce désir d’engagement n’est réellement satisfait par aucun mécanisme étatique. En outre, le manque de moyens et de notoriété des associations ne leur permet pas d’y répondre.

Il existe bien un service civil volontaire. Comme les précédents orateurs l’ont rappelé, il s’étend sur une durée de trois, six ou neuf mois, et est issu de la loi pour l’égalité des chances du 31 mars 2006. Toutefois, seulement 2 800 volontaires ont pour l’instant bénéficié du dispositif. Le fait que son existence soit assez largement ignorée est la marque de son échec.

Dans ces conditions, nous nous sommes interrogés : faut-il revoir toute notre législation ou s’appuyer sur l’existant ? A-t-on besoin d’une simple rénovation ou d’une véritable reconstruction de notre service civil volontaire ?

La mission a tranché en faveur du maintien du service en l’état. Il permet en effet de rassembler sous un même fronton des dispositifs existants, comme le volontariat associatif, le volontariat civil de cohésion sociale et de solidarité, le volontariat à l’aide technique ou encore le volontariat de solidarité internationale.

Il assure une réelle mixité sociale et répond aux objectifs principaux que l’on peut lui fixer : il satisfait une jeunesse désireuse de servir des causes justes et nobles ; il lui permet d’acquérir une formation et des expériences utiles pour la vie professionnelle ; il permet à la société de bénéficier de la motivation de jeunes soucieux de réaliser des missions d’intérêt général.

En revanche, monsieur le haut-commissaire, sa montée en puissance est un impératif absolu : 2 800 volontaires, ce n’est pas digne du souhait exprimé par le législateur en 2006, ce n’est pas suffisant pour les ambitions que l’on peut avoir pour le « successeur » du service militaire.

Nous avons fixé un objectif de 50 000 jeunes dès 2012. À cette fin, ce sont près de 335 millions d’euros qu’il faudrait investir. Cette somme correspond à la mise en place d’un dispositif à la fois pertinent et consensuel.

Nos collègues Antoine Lefèvre et Jean-Pierre Plancade l’ont rappelé, en Italie, le service civil volontaire concerne 50 000 jeunes et coûte près de 300 millions d’euros à l’État. Les évaluations dont il fait régulièrement l’objet sont extrêmement positives, tant du point de vue des jeunes que des citoyens et des associations. L’un de ses atouts majeurs est de réunir des jeunes de tous les milieux sur des projets associatifs motivants.

Afin de parvenir à ce chiffre de 50 000 volontaires et d’assurer la mixité sociale du public concerné, l’État ne doit pas seulement allouer les moyens nécessaires, il doit aussi mettre en place une communication spécifique. Au vu des habitudes culturelles des jeunes, une campagne télévisuelle et sur internet apparaît nécessaire. Il faut promouvoir très largement ce dispositif aujourd’hui trop méconnu.

Atteindre l’objectif de mixité suppose aussi que les associations et organismes d’accueil mettent en place des projets de dimension collective susceptibles d’accueillir plusieurs volontaires. En outre, le pilotage de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances doit permettre de garantir la mixité sociale dans chaque association.

Selon la mission, le renforcement du service civil doit s’accompagner de la disparition progressive des autres programmes existants – le programme national de soutien à l’engagement et à l’initiative des jeunes, « Envie d’agir », le volontariat associatif, etc. – et de leur unification dans le cadre du service civil.

Par ailleurs, comme le préconise le Conseil national de la jeunesse dans son rapport d’activité de 2007, afin d’ « inscrire le service civil dans un véritable projet de vie pour la personne », il faut le valoriser « dans le cadre de la validation des acquis de l’expérience ou VAE. ».

Enfin, de nombreux jeunes émettent le souhait de s’engager dans des actions internationales. Le volontariat international administratif permet en partie de répondre à ces demandes, de même que le service volontaire européen destiné à encourager la mobilité des jeunes âgés de dix-huit à trente ans.

J’estime pourtant que l’on pourrait développer un service civil européen qui s’appuierait sur une coordination des dispositifs existants dans les différents pays. Il participerait ainsi au développement d’une citoyenneté européenne et répondrait aux souhaits des jeunes européens. C’est à mon sens extrêmement urgent, au vu de l’abstention massive des jeunes lors des élections européennes de dimanche dernier. Le renouvellement du Parlement européen sera sans doute l’occasion de lancer ce débat.

Monsieur le haut-commissaire, notre jeunesse est une chance. Il nous appartient de lui donner tous les moyens nécessaires à son épanouissement.

Il incombe à chaque génération de préparer l’avenir de la suivante. Le service civil contribue à cet épanouissement que nous recherchons tous. Ce dispositif doit pouvoir compter sur un soutien et une mobilisation sans faille. Ne l’oublions pas, pour les jeunes en difficulté, il est aussi le moyen de trouver leur voie, voire de donner un sens à une vie qui peut parfois en manquer.

Notre responsabilité collective appelle chacun de nous, loin de tout clivage politique, à redonner espoir à cette jeunesse qui s’interroge, mais qui est pleine d’énergie, d’ambition et de rêves.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Très bien !

M. Christian Demuynck. Ce service civique est l’un des outils pour y parvenir.

M. Christian Demuynck. Au-delà de ce service civique, il faudrait mettre en place, chaque année, des États généraux de la jeunesse. Ceux-ci nous permettraient de faire un point sur les mesures engagées et de travailler sur celles qu’il convient de mener. Plus largement, ils seraient un moyen efficace de répondre tous ensemble aux attentes des jeunes et de construire une société où chacun d’eux trouve sa place. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. Alain Gournac. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le haut-commissaire.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, haut-commissaire à la jeunesse. Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie d’avoir organisé ce débat sur le service civique, dispositif qui dépasse les clivages politiques. Nous pourrons ainsi avancer ensemble dans une même direction pour passer à l’acte et répondre au besoin d’engagement de la jeunesse.

Deux semaines après le débat sur les travaux de la mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes, présidée par Mme  Le Texier et dont M. Demuynck était le rapporteur, je me réjouis que nous reprenions ce sujet.

Lorsque le Président de la République m’a nommé haut-commissaire à la jeunesse, il m’a demandé de ne pas oublier de mettre en place le service civique.

En 2005, dans le rapport qui a donné lieu au RSA, nous avions travaillé sur les questions sociales, notamment sur le service civique. Nous avions alors proposé qu’il soit obligatoire, étendu sur quelques mois, sur le modèle de l’ancien service national, ou bien, de manière fractionnée, sur quelques jours ou quelques semaines dans l’année, afin de s’adapter aux besoins des jeunes.

La commission de concertation sur la politique de la jeunesse, à laquelle certains d’entre vous participent, a remis ce travail sur le métier. Nous souhaitons aboutir rapidement à un dispositif pour que l’on ne nous reproche pas d’en parler beaucoup et d’en faire peu !

Vous m’avez interrogé sur le bilan du service civil volontaire. Dans Le Cid, partis 300, ils se retrouvent 5 000 à l’arrivée au port ; pour le service civil volontaire, c’est l’inverse : partis 50 000, ils sont moins de 3 000 à l’arrivée ! (Sourires.)

Ce service est presque exclusivement associatif : 96 % des structures d’accueil sont des associations. La moitié de ses missions durent neuf mois. Il est plus ou moins actif selon les régions. Les jeunes qui l’ont rejoint ont entre dix-huit et vingt-cinq ans. On constate également qu’il est socialement discriminant, mais pas dans le sens évoqué par certains d’entre vous : globalement, le service civique attire davantage les jeunes de milieux plutôt favorisés et d’un bon niveau d’études mais il reste peu attractif et peu accessible pour des jeunes de milieux modestes.

Il existe des tentatives pour inverser cette tendance. Par exemple, l’association Unis-cité, que vous avez évoquée, a pour viatique de rassembler des équipes de jeunes d’origines différentes pour favoriser la rencontre sociale.

D’une manière générale, le service civique apparaît quantitativement insuffisant et qualitativement peu mixte socialement. En revanche, il convient de souligner un taux de satisfaction inouï : 93 % des personnes qui ont effectué un service civil en sont satisfaits et 90 % voudraient le recommander à des amis. Les témoignages sur le service civique sont à cet égard tout à fait convaincants.

Après avoir constaté que, faute de crédits suffisants, le service civil était effectivement peu développé, nous nous sommes permis d’utiliser le fond d’expérimentation pour la jeunesse créé par le Sénat, ce qui nous permettra de maintenir le dispositif en 2009 et de relancer le recrutement qui avait été stoppé il y a quelques mois. La démarche conduite est expérimentale et nous soutenons notamment un projet de la Ligue de l’enseignement qui a pour objet, suivant le type d’encadrement du service civique, de voir, un an, deux ans ou trois ans après leur mission, ce que les jeunes sont devenus.

Que proposons-nous ?

Tout d’abord, nous pensons que le service civique doit être volontaire. Il nous paraît en effet difficile, d’autant que nous nous efforçons tous de définir une politique cohérente de la jeunesse, de faire peser une obligation supplémentaire sur les jeunes alors même que la société n’est pas capable de tenir les engagements qu’elle a à leur égard.

Mettre en place un service civique obligatoire serait adresser aux jeunes un signal contre-productif. Il vaut mieux que le service civique soit volontaire et que, débordé par son succès, il soit ensuite étendu et rendu systématique

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Le fait que le service civique puisse au départ être volontaire n’empêche pas d’envisager rapidement une extension de l’engagement civique des jeunes, des élèves, sous une forme un peu plus souple. Cela permettrait – c’est une demande qui est souvent formulée, notamment au titre de l’enseignement populaire – de reconnaître les compétences des jeunes très tôt, autrement que par les notes qu’ils obtiennent à l’école. À tout âge, il serait possible à des jeunes de pouvoir faire reconnaître un engagement au service des autres, notamment en aidant des élèves un peu à la traîne, en s’investissant dans des manifestations collectives au sein de leur école, en participant à des associations, des clubs, des kermesses, etc. Tout le monde serait ainsi incité à remplir cet engagement, qui pourrait figurer sur une sorte de carnet ou de passeport civique. Le civisme ne passe pas simplement par l’éducation civique classique, c’est également une participation active.

Par ailleurs, on peut imaginer un service civique volontaire d’une durée de six, neuf ou douze mois, bien évidemment indemnisé, qui pourrait s’inscrire dans un système plus large d’engagement civique des jeunes sous des formes beaucoup plus souples. Ces missions figureraient dans le passeport civique et le jeune pourrait en faire état lors la journée d’appel de préparation à la défense, qui serait pour lui l’occasion de faire le point sur ses expériences antérieures. À l’inverse, cette journée permettrait également de présenter aux jeunes le service civique et de leur apporter des informations.

Cela ne dispense évidemment pas de mettre en place des campagnes d’information. J’étais tout à l’heure avec des élus qui me confiaient leur souhait de faire appel à des jeunes en service civique et déploraient qu’il n’y ait même pas un site recensant les jeunes volontaires. Une organisation en ce sens est donc nécessaire.

M. Yvon Collin. Il est temps !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Au-delà du service civique classique ou de l’extension à d’autres formes d’engagement civique pour les jeunes, j’aimerais évoquer un troisième aspect : le service civique pour les seniors. Il serait dommage de se priver d’un débat sur cette question. Si l’on doit aider les jeunes, il faut encourager la mobilisation, à l’heure où l’on parle beaucoup de tutorat, de transmission intergénérationnelle, etc.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. La transmission intergénérationnelle ne consiste pas simplement à dire aux jeunes qu’ils doivent être volontaires pour aider les plus âgés. Les plus âgés – et cela commence assez tôt ! – doivent aussi aider les jeunes. L’une des missions que pourraient d’ailleurs remplir des jeunes dans le cadre d’un service civique pourrait être d’organiser le tutorat des seniors pour les jeunes qui ont le plus de difficulté. Les choses doivent fonctionner dans les deux sens.

M. Yvon Collin. Nous sommes bien d’accord !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Ce n’est pas une boutade, c’est au contraire très sérieux. Il faut inciter celles et ceux qui, en leur temps, ont bénéficié des Trente Glorieuses à d’autres formes d’engagement, notamment en aidant les jeunes à s’engager à leur tour.

Le service civique doit pouvoir remplir un certain nombre de missions. Il doit permettre de mobiliser des jeunes sur des missions dites ponctuelles et urgentes. Dans une société susceptible de connaître des crises majeures, entre le système de gestion de crise et le service civique, il doit y avoir une passerelle. Lors de catastrophes, on doit pouvoir mobiliser le service civique. Après une tempête, par exemple, on devrait, dès le lendemain, voir des jeunes accomplissant leur service civique aux côtés des professionnels sur le terrain

Un autre aspect intéressant est le fait qu’un certain nombre de causes puissent inciter les jeunes à s’engager dans le service civique. Il faut que nous demandions aux jeunes, qui souvent jugent notre société injuste, quels sont les trois ou quatre sujets sur lesquels le service civique doit se mobiliser.

Certains d’entre vous ont évoqué les sans domicile fixe, les centres d’hébergement, les personnes âgées, handicapées, l’environnement. Ainsi, aujourd’hui, seuls 185 jeunes effectuent des missions de service civique en lien avec l’environnement alors que les besoins en ce domaine sont considérables. Il ne faut pas se borner au nettoyage des rivières ; il faut aussi voir ce qu’il est possible de faire en matière d’économies d’énergie. Il existe de nombreuses missions dans le domaine de l’environnement sur lesquelles les jeunes pourraient se mobiliser.

Le service civique volontaire, dès lors qu’il est indemnisé, bien identifié comme servant un certain nombre de causes, doit également être valorisé. Le jeune qui aura effectué un service civique pourra le faire reconnaître à l’université. Il doit être un atout qui facilite l’insertion professionnelle et devra être pris en compte pour la retraite. Ces éléments doivent être inscrits dans la définition même du service civique. On répondrait ainsi à l’aspiration des jeunes et à notre projet de société.

Plusieurs d’entre vous ont affirmé que, si le service civique ne s’était pas assez rapidement développé, ce n’était pas en raison d’une insuffisance de moyens mais par manque de volonté politique. Quand la volonté existe, les moyens suivent, ont-ils dit. Soyons réalistes, c’est aussi une question d’argent ! Si les différentes causes sur lesquelles je travaille – je pense en particulier à la pauvreté, l’autonomie des jeunes, le développement de l’alternance – ne dépendaient pas des moyens, les problèmes seraient déjà réglés.

Au-delà de la volonté politique et de la clarté du projet se pose aussi la question des moyens. Actuellement, je me bats pour obtenir les crédits nécessaires et je vous assure que c’est une bataille à l’arme blanche, quelle que soit la volonté politique qui l’anime.

Nous n’avons plus le droit de décevoir ni celui de faire des annonces générales qui, faute de moyens, ne seraient pas suivies d’une mise en œuvre effective.

M. Yannick Bodin. C’est honnête!

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Je préfère que l’on avance d’une manière différente, c’est-à-dire en prenant acte de la modicité des crédits dont nous disposons aujourd'hui, en sachant que, l’année prochaine, une fois le dispositif saturé, nous aurons des crédits plus importants. Si plusieurs dizaines de milliers de jeunes peuvent effectuer un service civique volontaire, ce sera un bon départ. Toutefois, le service civique ne sera ancré dans le paysage que lorsqu’il concernera au moins 10 % d’une classe d’âge, comme dans les pays auxquels il a été fait allusion. Cela ne se fera pas l’année prochaine, mais l’essentiel est que le chemin soit tracé.

Sur l’ensemble des sujets qui concernent les jeunes – comme nous l’avons souligné avec M. Christian Demuynck, il y a quinze jours – peut-être faut-il envisager une programmation sur plusieurs années de la montée en charge de l’ensemble des dispositifs qui concernent les jeunes, de manière qu’un dispositif ne vienne pas en « cannibaliser » un autre. Qu’il s’agisse de l’emploi, des formations en alternance, du service civique, de l’orientation, nous devons programmer l’effort que la nation est prête à consacrer aux jeunes, les résultats qu’elle en attend et les rendez-vous d’évaluation indispensables.

Le service civique peut être l’une des pierres angulaires d’une nouvelle politique de la jeunesse. Il doit être perçu comme une opportunité pour les jeunes, non comme une obligation ou une sanction.

Alors que nous sommes à un tournant démographique, notre société doit reconnaître qu’elle a besoin des jeunes pour la cohésion sociale ; elle a besoin qu’ils puissent s’engager pour la nation mais elle doit aussi être capable de rétribuer l’effort qu’elle demande à ces jeunes, quelle que soit leur origine, leur catégorie sociale, leur niveau d’études.

J’espère que, ensemble, nous nous retrouverons cette fois pour passer à l’acte, qu’il s’agisse des dispositions législatives nécessaires ou de la consécration des crédits qui permettront de donner corps à cette aspiration dont nous partageons, nous l’avons vu, la philosophie et qui est aussi une ardente nécessité. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. Nous en avons terminé avec ce débat sur le service civil volontaire.

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Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.

La liste des candidats établie par la commission des affaires sociales a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.

Je n’ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :

Titulaires : MM. Nicolas About, Alain Milon, Gérard Dériot, Mme Marie-Thérèse Hermange, MM. Bernard Cazeau, Jacky Le Menn et François Autain ;

Suppléants : MM. Gilbert Barbier, Paul Blanc, Yves Daudigny, Guy Fischer, Bruno Gilles, Jean-Pierre Godefroy et Alain Vasselle.

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Crise de l'industrie

Discussion d'une question orale avec débat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 32 de M. Martial Bourquin à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur la crise de l’industrie.

Cette question est ainsi libellée :

« M. Martial Bourquin interroge Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur le caractère particulièrement virulent de la crise qui touche actuellement notre industrie. Selon les derniers chiffres de l’INSEE, en un an, la production industrielle a chuté de 13,8 % et de 16,5 % pour la seule production manufacturière, soit une baisse record comparée à la dernière récession (- 6,8 %). Il s’agit là d’un point bas historique.

« L’année 2009 semble se présenter sous les pires auspices. En janvier, la production industrielle a régressé de 3,1 % et de 4,1 % pour la seule production manufacturière. Et les prévisions des économistes pour les mois à venir sont très pessimistes. Autrement dit, c’est l’avenir même de certaines activités industrielles voire de certaines filières industrielles qui se joue. Les liens et synergies développés au sein de ces filières, les effets d’entraînement sur les territoires (réseaux de sous-traitants, emplois indirects...) risquent de se rompre en accentuant plus encore les effets récessifs de la crise actuelle.

« Si certains secteurs comme l’automobile, le textile, la chimie, le papier-carton sont plus touchés que d’autres, force est de reconnaître que c’est l’ensemble de l’industrie (y compris la sidérurgie, l’électronique...) qui souffre. En termes d’emplois, la facture est très lourde. Elle l’est d’autant plus que ce sont aussi des emplois qualifiés qui sont concernés.

« Il estime que les plans de relance actuels qui se sont traduits notamment par l’injection de milliards d’euros dans les banques et par des aides aux constructeurs automobiles ne suffiront certainement pas à réenclencher une véritable dynamique industrielle fondée sur l’innovation et la recherche et sur la création d’emplois qualifiés et pérennes. Ils atteindront d’autant moins ces objectifs qu’aucune contrepartie n’est exigée de la part des bénéficiaires de ces plans.

« Or, le financement de notre industrie, de ses besoins en matière de recherche et développement, d’innovations et de développement durable et de croissance doit continuer à être assuré. De même, la gouvernance des entreprises doit être rééquilibrée afin que les orientations et les choix stratégiques ne soient pas déterminés par les seuls intérêts des actionnaires et des rémunérations des dirigeants mais le soient avant tout au service de l’emploi avec une visée sur le long terme. La politique industrielle mieux articulée à la politique de la recherche devrait permettre une meilleure anticipation des mutations et des nouvelles dynamiques économiques capables d’ancrer les entreprises sur nos territoires.

« Pour toutes ces raisons, il souhaite l’interroger sur la politique industrielle qu’elle compte mettre en œuvre afin que l’industrie soit au cœur de l’innovation, des nouvelles problématiques du développement durable et in fine au cœur de la relance de l’économie. »

La parole est à M. Martial Bourquin, auteur de la question.

M. Martial Bourquin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’industrie française, pourtant habituée à de très nombreuses variations d’activité, vit l’un des pires moments de son histoire.

Loin d’être un phénomène nouveau, la désindustrialisation progressive de notre pays est une tendance notable de notre économie, qui s’est accentuée depuis une dizaine d’années.

Toutefois, la crise qui nous affecte a considérablement accéléré cette orientation, en provoquant des adaptations très rapides, parfois violentes, qui sont difficilement supportées par les petites entreprises, les salariés fragiles et les bassins d’emplois mono-industriels.

Le paysage industriel français est en train de se modifier considérablement, parfois durablement, avec ou sans le concours de la puissance publique.

Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de vous rappeler quelques données.

Depuis le début de l’année, le taux d’emploi industriel a sérieusement chuté, affectant tous les types d’emploi, qualifiés ou non. Les chiffres de la production industrielle sont très mauvais, en retrait de 16 % en un an, et les perspectives d’avenir sont noires. Des centaines de petites entreprises, partenaires, sous-traitants et activités de service connexe n’ont pas passé le cap des premiers mois de carnets de commande raréfiés. Les projets industriels nouveaux trouvent insuffisamment d’interlocuteurs et, surtout, trop peu de financeurs fiables.

Ces données sont globales et masquent une véritable diversité des situations. Là où le secteur des biens d’équipement et l’industrie pharmaceutique semblent résister, l’automobile, dont la production a chuté de 33 % en un an, traverse une crise plus profonde.

Lors du krach boursier des années deux mille lié à l’effondrement de la net-économie, l’industrie et ses champions français et européens faisaient figure de valeur refuge. L’économie réelle était préférée à l’économie virtuelle, imprévisible et, surtout, la valeur travail prenait le pas sur la seule valorisation du capital.

Il faut le noter, la désindustrialisation constatée aujourd’hui en France comme en Europe n’est pas synonyme de gains de productivité. Elle signifie le déclin des industries traditionnelles et la perte durable d’attractivité, ce qui est, à bien des égards, très préoccupant.

Il s’agit d’une mauvaise nouvelle pour l’économie tout entière, car l’industrie, en permettant de fortes valeurs ajoutées, est un véritable moteur pour la croissance. Cela fait bien longtemps que l’industrie ne se confond plus seulement avec la production manufacturière, mais qu’elle est liée, en amont comme en aval, à de très nombreuses activités de service.

Je souhaite par ailleurs faire remarquer que les pays ayant fait le choix de conserver leur industrie aux côtés des services vivent plutôt mieux cette période de grande turbulence économique et sociale. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Japon ont dû appréhender beaucoup plus vite que nous leur récession, du fait de leur dépendance aux structures bancaires et boursières.

Faire de l’industrie une priorité est, à n’en pas douter, un vrai choix économique et de société. C’est l’un des enseignements les plus importants de la crise financière actuelle.

Ces chiffres, il faut en être conscient, sont également inquiétants pour l’avenir de filières industrielles entières. La disparition rapide de sous-traitants sape ces filières et fait le lit de délocalisations à courte vue, qui répondent à des stratégies de sauve-qui-peut.

Ces données, et ce n’est pas la moindre de mes préoccupations, sont surtout désastreuses pour certains de nos bassins d’emplois mono-industriels, aujourd’hui en péril, car de très nombreuses activités économiques y sont étroitement dépendantes.

On pourra me rétorquer que le mouvement est mondial. C’est vrai, mais certaines spécificités françaises doivent être mises en avant. On pourra aussi faire valoir que des industries sont amenées à disparaître ou à s’adapter, et que l’on ne peut rien y faire. J’entends ces arguments, mais ils sont difficilement recevables. En effet, je ne peux accepter que la structure de notre industrie, tout comme notre ambition industrielle, soient uniquement dépendantes des aléas du marché et que l’État n’ait plus qu’à constater les dégâts.

C’est l’avenir de filières industrielles et de bassins d’emplois qui se joue actuellement.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez mis en place un certain nombre d’initiatives pour tenter de freiner ce décrochage industriel. Vous me permettrez d’en commenter quelques-unes. Rassurez-vous, je ne me poserai pas en donneur de leçons, car je sais combien la situation est tendue et difficile.

Depuis la mi-mars, le Président de la République a nommé huit commissaires à la réindustrialisation, affectés dans autant de régions qui sont particulièrement touchées par la crise de l’industrie. Ceux-ci viennent juste de prendre leurs fonctions, sous l’autorité des préfets de région. Leur mission demande encore à être précisée, mais je crains que ces grands commis de l’État ne soient en fait que des auditeurs, chargés de trier les industries et les sites qui seraient viables, rentables ou susceptibles d’être aidés.

Au titre des interventions économiques, je m’interroge également sur les aides et prêts attribués aux entreprises en difficulté. Avec six mois de recul, je suis aujourd'hui toujours aussi circonspect sur la nature des critères industriels qui sont retenus.

Je souhaite illustrer mon propos en vous rappelant le cas d’Heuliez. Cette entreprise a présenté un projet industriel autour de la voiture électrique, qui, dans sa première mouture, n’a pas été retenu par le FSI au motif qu’il n’était pas viable. La viabilité à court terme, sur des critères discutables, d’un projet industriel ne peut pas être le seul critère des subventions publiques.

Là encore, je ne souhaite pas que nous refondions une politique industrielle avec les seules entreprises qui auront réussi à passer les jours difficiles. Ne nous trompons pas, des entreprises avec une bonne trésorerie peuvent présenter des projets industriels non prioritaires.

Un autre motif d’inquiétude concerne la gestion de l’emploi industriel. Pour faire face aux mauvaises nouvelles sur le front de l’emploi, le périmètre des contrats de transition professionnelle, les CTP, a été élargi : il concernera désormais de nombreux salariés qui s’inscrivent dans des bassins d’emplois industriels fragilisés. Disons-le, les CTP sont une bonne chose : ils nous permettront de mener à bien une politique de transition des trajectoires professionnelles.

Nous allons donc proposer à un grand nombre de salariés de ces bassins d’emplois de se reconvertir vers des activités plus sûres, de laisser de côté un savoir-faire professionnel pour en acquérir d’autres dans le secteur tertiaire. Je comprends votre souci de « sécuriser » les personnes, mais cette politique – si tant est qu’elle porte ses fruits, car des activités sûres dans des bassins d’emplois sinistrés sont très difficiles à trouver – n’est pas sans paradoxe.

Ne faut-il pas chercher, monsieur le secrétaire d’État, à sécuriser à la fois les parcours professionnels et les emplois industriels, sans préférer les uns aux autres ? On le sait très bien, la flexisécurité, telle qu’elle est appliquée au Danemark, qui est si souvent cité en exemple, ne permet pas de sécuriser les emplois.

Ne sécuriser que les personnes reviendrait à conduire une action essentiellement défensive qui ne nous permettrait pas de définir une véritable politique industrielle prospective, multipartenariale, horizontale et sectorielle.

Monsieur le secrétaire d’État, vous partagez sans doute cette analyse. Ce n’est ni aux commissaires à la réindustrialisation, ni aux fonds d’intervention de type OSEO ou FSI, ni aux Pôles emploi de décider en définitive les secteurs, les projets ou les emplois industriels qui méritent d’être pérennisés. C’est à la puissance publique qu’il revient de fixer des caps et des objectifs. C’est à l’État, en collaboration avec les régions et l’Union européenne, qu’il appartient de définir une véritable politique industrielle.

Or nous ne disposons pas d’éléments clairs et précis sur vos orientations et priorités en la matière. Je vous demanderai donc de bien vouloir nous éclairer sur la stratégie industrielle que vous avez choisie.

Actuellement, notre pays a largement opté pour la production de biens de gamme moyenne qui peinent à faire face à une concurrence redoutable. Devons-nous rivaliser sur le plan international avec des produits très peu coûteux, obtenus grâce à un respect anecdotique des normes sociales ou environnementales ? Allons-nous continuer à faire la course au moins-disant social ?

Cette stratégie est éprouvante et dévastatrice pour les entreprises, et n’est pas viable sur le long terme. La lutte contre les délocalisations est nécessaire, mais elle ne doit pas remplacer une politique industrielle offensive.

Selon moi, il nous faut une industrie durable, fournissant des biens de bonne qualité, ce qui nécessite une haute technicité, obtenue grâce à des salariés bien formés et bien rémunérés.

Notre industrie doit, par ailleurs, faire face à un défi historique, celui de l’environnement et du développement durable. Les applications sont très vastes et extrêmement riches en investissements utiles. Je regrette que le plan de relance présenté en janvier n’ait pas été l’occasion de mobiliser des moyens, des infrastructures et des capitaux humains. La croissance verte n’est pas une utopie. Un engagement trop tardif ou trop timide serait une erreur, nos industries devant inévitablement rechercher des partenaires lointains qu’ils auraient dû trouver sur place.

La bataille de l’intelligence et de l’innovation industrielle, indissociable de notre engagement environnemental, est un autre défi de grande ampleur. La recherche, fondamentale et appliquée, est indispensable à l’avenir de notre industrie.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sachons tirer d’utiles conclusions des expériences suivies par nos voisins européens. Ainsi, la Grande-Bretagne a engagé un mouvement durable de désindustrialisation dès les années soixante, à partir du moment où elle n’a plus cherché à innover.

Or notre investissement dans des secteurs d’avenir n’est pas à la hauteur. Nous sommes à la traîne de l’innovation. Nous devons nous donner les moyens de regagner de l’attractivité, des parts de marché dans le secteur industriel en faisant de la recherche une priorité, en produisant des produits haut de gamme et en se fixant l’excellence comme finalité.

Le Président de la République, lors de son discours au Bourget, a indiqué privilégier les projets plutôt que les structures. À mes yeux, il faut, au contraire, débrider les imaginations concernant la recherche. L’innovation industrielle a un coût, exige du temps et nécessite une mutualisation des moyens, y compris humains. C’est ce qui fait sa spécificité, et c’est à ces conditions qu’elle sera efficace.

Le financement des laboratoires de recherche ou des PME n’est ni suffisant ni adapté. On peut citer des exemples de PME ou de TPE ambitieuses, financées il y a encore quelques mois par des fonds de pension ; lorsque ces derniers ont retiré leurs avoirs, les entreprises se sont retrouvées en grande difficulté, fragilisées, et sont aujourd'hui contraintes d’abandonner des programmes de recherche et développement. Elles ont, au contraire, besoin de maintenir un haut niveau de recherche et développement qui soit à la fois durable et ininterrompu.

Si nous voulons garder nos filières, les PME doivent également pouvoir bénéficier de structures de mutualisation d’ingénierie, c'est-à-dire de cadres qui pourraient être mis à leur disposition, sur le modèle de la politique des districts, en Italie, qui a donné d’excellents résultats, notamment pour les stylistes dans le secteur textile. Nous devons creuser ces pistes afin de nous donner les moyens de mettre en œuvre une politique d’excellence.

La nécessaire politique de réindustrialisation doit faire la part belle à l’ancrage régional et européen. Dans ce domaine, l’Allemagne marque des points importants. Je m’interroge sur les pôles d’excellence, sur lesquels deux de mes collègues vont intervenir tout à l’heure : la mise en place de huit commissaires à la réindustrialisation et de soixante et onze pôles de compétitivité ne s’apparente-t-elle pas à du saupoudrage ? La vérité se situe probablement entre ces deux chiffres.

Il n’y a pas, en Europe, de politique industrielle digne de ce nom : nous restons dans une logique de moins-disant social et de concurrence. Alors que nous venons d’élire nos députés européens, que nous avons signé un paquet « climat-énergie » et tandis que le niveau des primes à la casse diffère toujours selon les pays, l’Europe doit apporter, dans un contexte de crise climatique, des réponses concertées à la crise que connaît son industrie.

Je souhaite conclure en vous posant une série de questions, monsieur le secrétaire d’État.

Pouvez-vous nous préciser les missions exactes confiées aux commissaires à la réindustrialisation ? Prévoyez-vous d’augmenter leur nombre ? Quels seront leurs liens avec les pôles de compétitivité ? Qu’allez-vous faire de leurs travaux ?

Quelles directives ont-elles été données aux pôles emploi concernant l’avenir des emplois industriels ?

Quels critères industriels avez-vous retenu concernant les projets industriels susceptibles d’être aidés et promus par les fonds d’intervention publique ?

Avez-vous un projet précis concernant l’avenir des pôles de compétitivité ? Quels seront-ils ? Entendez-vous les regrouper ?

Comptez-vous faire entrer, dès à présent, notre industrie dans l’ère du développement durable ? Il s’agit pour nous d’une priorité. À l’heure où nous abordons en commission la discussion du Grenelle II, il serait incompréhensible que nous ne passions pas à une phase beaucoup plus active, volontaire et concrète.

Comment pensez-vous éviter l’écueil du saupoudrage des aides et des projets en matière de recherche et d’innovation ? Quelle place entendez-vous accorder à la recherche fondamentale dans l’innovation industrielle ?

Enfin, alors que de nombreuses PME et TPE connaissent des difficultés en raison d’un déficit de trésorerie et de l’abandon de projets de recherche, quelles sont vos pistes de travail pour développer le capital risque, soutenir le financement pérenne des PME novatrices et aider à la nécessaire mutualisation de l’ingénierie ?

Ces questions sont très importantes pour nous, car nos bassins d’emplois connaissent de graves difficultés. Dans le territoire dont je suis l’élu, l’industrie automobile vient de perdre plus de 4 000 emplois en quelques mois. La situation est très tendue. Les entreprises en difficulté et leurs salariés attendent donc de l’État et des élus qu’ils mettent en place des politiques offensives pour les protéger. Surtout, ils attendent des signes forts et des perspectives permettant de sortir le plus rapidement possible de la crise. Celle-ci doit aussi être l’occasion pour notre pays de renouer avec sa tradition industrielle, qui a perdu beaucoup de son allant lors des décennies précédentes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Gérard Longuet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Danglot.

M. Jean-Claude Danglot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question de notre collègue Martial Bourquin s’inscrit dans le droit-fil des débats que nous avons eus au sujet de la grave crise qui frappe notre industrie automobile.

Je ne reviendrai pas sur les arguments développés par notre collègue : ils justifient pleinement la création d’une commission d’enquête sur les aides publiques destinées au secteur automobile. J’apporte mon soutien ainsi que celui de mon groupe à cette initiative, à un moment où il semble plus qu’utile d’évaluer les effets réels des aides publiques accordées aux deux constructeurs français, ainsi qu’aux équipementiers et aux sous-traitants.

De nombreux élus locaux s’interrogent sur l’efficacité de ces aides diverses, qui ne sont attribuées qu’à un nombre très restreint d’équipementiers et de sous-traitants, même si, comme vous me l’aviez rappelé lors d’un précédent débat, monsieur le secrétaire d’État, certains présidents de région ont accompagné et approuvé le plan de relance pour l’automobile du Gouvernement.

Si les élus s’interrogent, nos concitoyens et les salariés concernés sont tout aussi dubitatifs, surtout lorsqu’ils apprennent par un communiqué de presse que le groupe Faurecia, filiale de PSA Peugeot Citroën, a émis 65 millions d’actions nouvelles et que cette recapitalisation a rencontré un vif succès auprès des actionnaires, qui ont été plus nombreux à souscrire que lors de l’offre initiale présentée par cette multinationale.

Je pourrais, bien sûr, multiplier les exemples locaux, mais il me paraît plus utile de compléter et d’enrichir le débat par une réflexion plus globale.

La création d’une commission d’enquête est un outil intéressant mais, pour être réellement efficace sur le plan économique, elle doit s’inscrire dans le cadre d’une loi plus générale et contraignante, visant d’abord à définir une stratégie nationale de maintien et de développement d’une politique industrielle. En effet, l’évaluation et le contrôle des aides publiques, même a posteriori, ne sont que des outils permettant de mesurer l’efficacité d’un dispositif plus global, à partir d’une volonté et de choix politiques portant sur les moyens publics à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs fixés par un véritable plan cohérent de soutien à l’industrie. C’était le sens de la proposition de loi proposée, au nom du groupe CRC-SPG, par notre collègue Robert Hue.

Il y a là matière à réflexion, surtout lorsque l’on sait que les problèmes de l’industrie automobile, révélés voilà quelques mois, étaient identifiables depuis des années, et ce dans l’ensemble de la filière.

La contradiction était en effet évidente. Toutes les études démontraient que les vingt grands groupes industriels affichaient 50 milliards d’euros de profits nets au début 2008 ; or, parallèlement, l’industrie française ne cessait d’accumuler les problèmes : recul de la production, creusement du déficit commercial, baisse des emplois industriels.

Il faut rappeler, à ce propos, la situation préoccupante de l’emploi : de 20 000 à 25 000 emplois industriels disparaissent chaque mois. Le recul de l’emploi sur une longue période est tout aussi impressionnant : de 5,6 millions d’emplois industriels à la fin des années soixante-dix, nous sommes passés aujourd’hui à 3,8 millions d’emplois directs. La crise n’a fait qu’accélérer ce processus de destruction.

Si les difficultés rencontrées par l’industrie automobile sont désormais connues et ont reçu dans l’urgence une réponse de la part des pouvoirs publics – que l’on peut approuver ou non –, d’autres dossiers industriels mériteraient d’être examinés attentivement : l’aéronautique, de plus en plus contrainte aux délocalisations, l’industrie agroalimentaire, la pharmacie, l’électronique, le textile, le verre, la chimie, etc.

Afin d’élargir la réflexion, nous devons avoir une vision globale de la situation, dans la mesure où c’est notre industrie tout entière qui est concernée. Cela nous éviterait de multiplier les plans d’urgence ponctuels destinés à soutenir, à grand renfort de finances publiques, l’aéronautique un jour, le BTP le lendemain, puis l’agroalimentaire, etc.

Un second aspect mérite également d’être souligné : dans le cadre d’une économie de plus en plus mondialisée, le rôle de l’Union européenne est essentiel.

Vous avez reconnu devant notre assemblée, monsieur le secrétaire d’État, qu’il n’existait pas de véritable politique industrielle européenne. Nos principaux « concurrents-partenaires » européens ont tous réagi à la crise en apportant des remèdes nationaux : l’Allemagne a conservé son potentiel industriel en s’appuyant sur un réseau de moyennes entreprises et sur la forte qualification de sa main-d’œuvre ; les pays de l’Europe du Nord ont engagé une démarche prospective en matière d’activités industrielles ; d’autres pays, enfin, ont pris discrètement des mesures de protection.

Comment ne pas rappeler, en tordant au passage le cou à une idée reçue, que la concurrence ne vient pas principalement, sauf exception, des pays en voie de développement dans lesquels la main-d’œuvre est bon marché, mais de nos partenaires des pays développés ?

Enfin, il convient d’articuler une stratégie industrielle globale en adoptant de nouvelles règles destinées à renforcer, au plan local, le pouvoir des salariés : augmenter réellement, et de manière permanente, les droits et les moyens des comités d’entreprise ; prévoir par une loi-cadre les droits des salariés à s’informer, à être consultés et à contester les choix de gestion de leur entreprise avant la prise de toute décision. N’oublions pas qu’un quart ou presque des richesses produites par les travailleurs dans les entreprises non financières profitent aux actionnaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier mon collègue Martial Bourquin d’avoir eu l’initiative de cette question orale avec débat sur la crise de l’industrie. Je partage très largement son analyse et ses interrogations. Ce n’est pas tout à fait une surprise : étant élu d’un grand département industriel et originaire du Pays-Haut, en Lorraine, il est « né » dans l’industrie et se préoccupe naturellement de ses problèmes.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous poserai cinq questions d’importance inégale, dont la liste n’est pas exhaustive.

Je rappellerai tout d’abord quelle est la place de l’industrie dans l’économie française. Elle représente bien plus que les 20 % de produit intérieur brut que lui assigne la comptabilité nationale car, en amont, en aval et à côté, de nombreuses activités de service dépendent de l’industrie. Lorsqu’une industrie disparaît, ce sont les activités situées en amont, comme la recherche et développement, ou celles du secteur des nouvelles technologies, qui disparaissent en premier lieu. La France ne peut se contenter d’être un pays d’importation, de logistique et de distribution !

Comment le Gouvernement organise-t-il sa politique industrielle, qui est nécessairement une politique interministérielle ?

Je me réjouis qu’un secrétaire d’État chargé de l’industrie ait été nommé, et plus encore que celui-ci ait l’expérience du secteur privé. Mais j’aimerais savoir comment le Gouvernement prend position face aux questions industrielles, qu’il s’agisse pour lui de réagir à l’actualité – et c’est sans doute ce qu’il fait le mieux – ou de gérer les actifs dont il a la charge.

Ma deuxième question concerne le secteur de l’automobile.

Vous avez mené, monsieur le secrétaire d’État, une politique extrêmement active dans ce secteur de l’économie de marché, en dispensant judicieusement les crédits publics. Je ne rappellerai pas ces mesures : en six minutes, ce serait une gageure !

J’aimerais savoir comment vous comptez sortir de ce système. Comment entendez-vous supprimer la prime à la casse ? Comment ferez-vous évoluer la fiscalité sur le diesel ? Je rappelle que la plus grande usine de fabrication de moteurs fonctionnant au diesel d’Europe est implantée en Lorraine.

Quelle est votre position, non pas en matière de véhicules électriques – nous savons tous que la France sait construire ce type de voitures –, mais de batteries ? J’aimerais obtenir l’assurance que toutes les voies ont été explorées, et pas seulement celle des batteries au lithium-ion, qui sont surtout produites aux États-Unis et au Japon, et non dans notre pays. Pour ma part, je trouve la solution du lithium-polymère intéressante.

Vous menez donc une politique industrielle efficace dans le domaine de l’automobile. Nous avons tous constaté, en effet, que le premier trimestre avait été moins difficile en France que partout ailleurs en Europe. Les interventions d’OSEO en matière de restructuration de trésorerie sont pertinentes, mais elles sont coûteuses. Avez-vous, sur ce point, des raisons d’espérer ?

Ma troisième question concerne la politique industrielle dans le secteur électronucléaire. On compte plus de 450 réacteurs nucléaires dans le monde, et il est vraisemblable que ce nombre aura largement doublé dans les dix ou vingt prochaines années. Ne pensez-vous pas que le réacteur pressurisé européen, l’EPR, un équipement de très haute technicité conçu par les Allemands et les Français pour le marché européen et dont la complexité se traduit par une certaine lourdeur de conception, épuise toutes les forces que l’industrie électronucléaire française devrait mobiliser pour conquérir une part significative sur le marché mondial des réacteurs nucléaires ?

Ma quatrième question porte sur la taxe professionnelle.

Un débat public s’est ouvert sur ce sujet qui vous concerne au premier chef, monsieur le secrétaire d’État. En effet, la part de l’industrie manufacturière dans le produit de cette taxe est, en moyenne, deux fois supérieure à sa part dans la valeur ajoutée nationale. Il faudrait mener une réflexion, afin que l’industrie manufacturière puisse retrouver, dans le cadre de la réorganisation de la taxe professionnelle au 1er janvier 2010, un niveau d’effort conforme à sa valeur ajoutée.

Ma dernière question portera sur le sujet sensible et complexe des charges sociales et de la politique d’allégement de charges.

Je ne vous demande pas, monsieur le secrétaire d’État, de prendre des mesures immédiates, mais de conduire une réflexion de long terme.

Compte tenu du niveau des salaires et de la protection sociale en vigueur en France, auxquels tous nos compatriotes sont attachés, l’emploi industriel ne pourra perdurer que si les entreprises apportent à leurs produits une très forte valeur ajoutée, ce qui suppose à la fois un haut niveau de formation des personnels et une intensité capitalistique considérable par emploi créé.

Alors que j’assumais mes premières responsabilités publiques, l’emploi nécessitait des investissements. Aujourd’hui, le coût de l’emploi d’un ouvrier titulaire d’un brevet de technicien supérieur dans le secteur de la mécanique, par exemple, a été multiplié par dix par rapport aux années quatre-vingt, c’est-à-dire après les deux premiers chocs pétroliers.

Cela signifie que nous avons une industrie de plus en plus capitalistique, avec, pour les emplois exposés à la concurrence, une meilleure formation et des niveaux de salaires plus élevés. Par conséquent, nous nous apercevons que l’essentiel de l’effort consenti par la collectivité nationale en faveur de l’allégement des charges bénéficie non pas à l’industrie soumise à cette compétition mais à des activités de services.

Certes, nous avons ainsi soutenu la croissance en encourageant la création d’emplois. Statistiquement, la chose est incontestable : lors des années de croissance qui ont eu lieu à la fin du siècle précédent et au début des années deux mille, on a constaté que, malgré une croissance plus faible, nous parvenions non seulement à maintenir des emplois, mais même à en créer.

Il faut nous demander si nous n’avons pas en réalité organisé un déplacement des activités à forte valeur ajoutée, que nous souhaitons pourtant localiser dans notre pays, au profit d’activités à plus faible valeur ajoutée, qui ne sont pas exposées à la concurrence internationale. Ces dernières bénéficient d’allégements de charges qui pèsent sur les activités à forte valeur ajoutée, lesquelles auront tendance à ne plus choisir la France pour localiser leurs activités.

C’est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d’État – et ce sera ma conclusion, sinon M. le président me rappellera que j’ai dépassé mon temps de parole… (Sourires) –, je souhaite profondément que le projet industriel de notre pays puisse être porté par une action interministérielle forte, durable et stable, fondée sur une perspective d’ensemble. Il ne doit pas s’agir simplement, comme vous le faites d’ailleurs aujourd’hui avec talent en ce qui concerne l’automobile, de répondre à une question sectorielle : il convient d’avoir une vision globale de la part qui doit être celle de l’industrie dans notre pays. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, celui que l’on appelait, au début du xxe siècle, l’« enfant terrible du patronat français », Auguste Detoeuf, …

M. Gérard Longuet. Personnage remarquable !

M. Aymeri de Montesquiou. … disait : « Il n’est d’industrie durable que celle qui vend de la bonne qualité ». C’est la définition que l’on pourrait donner de notre industrie, aujourd’hui dans la tourmente. Les fers de lance de notre économie industrielle – l’automobile, l’aéronautique ou encore la métallurgie – souffrent durement.

Fortement touchée, la France, néanmoins, n’est pas le plus sinistré des pays industrialisés. Le socle des entreprises du CAC 40 est des plus solides. Quand on considère le tableau des cinq cents groupes mondiaux les plus importants, la France se classe au troisième rang mondial et au premier rang européen avec trente-neuf groupes, devant l’Allemagne et la Grande Bretagne qui en comptent respectivement trente-sept et trente-cinq, mais après les États-Unis, qui totalisent cent soixante-seize sociétés, et le Japon, quatre-vingt-un.

Nos grandes entreprises sont particulièrement performantes dans le premier domaine d’avenir, celui de l’énergie et de l’environnement, notamment en ce qui concerne l’efficacité énergétique. Nous devons absolument favoriser ce secteur pour en faire un vecteur d’exportation pour d’autres activités.

M. Yvon Collin. Excellent !

M. Aymeri de Montesquiou. Nos grandes entreprises font face à la crise ; elles ont des ressources. En revanche, les PME, plus fragiles et moins puissantes, doivent monopoliser tout notre appui. Nous devons en effet soutenir leur développement, en particulier à l’international. Elles doivent constituer votre priorité, monsieur le secrétaire d’État.

Au-delà de cette crise mondiale, la crise de l’industrie française est aussi celle de la recherche et de l’innovation. On ne peut mettre en cause l’État, qui consacre à la recherche un budget en hausse de 3,2 %. Il finançait en 2005 les dépenses intérieures brutes de recherche et développement à hauteur de 38 %, alors que la part de l’État était de 30,5 % en Allemagne et de 33 % au Royaume-Uni.

Au-delà, nos mesures fiscales doivent être plus incitatives car les secteurs de la recherche et de l’innovation peinent à trouver le souffle nécessaire à la créativité. La recherche dans les PME, qui sont souvent sous-traitantes ou fournisseurs de grands groupes, est quasi inexistante. Elles n’ont que peu de produits innovants à exporter ; seules 3 % à 4 % d’entre elles le font.

La culture de l’innovation n’est pas suffisamment encouragée. Pour insuffler cet état d’esprit en France, il faut susciter plus de vocations scientifiques en orientant notre enseignement vers la découverte et l’expérimentation.

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Aymeri de Montesquiou. Les indispensables pôles de compétitivité sont encore insuffisants pour aiguiser la créativité. Les découvertes sont souvent exploitées par d’autres à l’extérieur ; elles doivent être canalisées de façon à trouver une traduction technologique ou industrielle nationale. Pour cela, la recherche privée, qui a une plus forte propension à breveter que la recherche publique, doit absolument se développer.

Mais dans la très dure compétition mondiale, on ne peut se cantonner à une recherche nationale. Il est vital de développer la recherche et l’innovation au niveau européen. Cette coopération a fait la preuve de son efficacité avec, entre autres, Ariane et Airbus, qui sont les fleurons de l’aéronautique européenne. On peut imaginer d’autres grands projets tout aussi prometteurs.

Néanmoins, c’est une réalité : la politique industrielle est, depuis 2005, au cœur des actions communautaires en faveur de la compétitivité. L’Europe fait enfin de l’innovation un facteur essentiel de la croissance, une de ses priorités stratégiques et prévoit la mise en place d’une politique industrielle européenne intégrée qui devrait être opérationnelle à la fin de l’année 2009.

L’industrie manufacturière demeure un fondement de l’économie européenne. Elle emploie plus de 34 millions de personnes, représente les trois quarts des exportations européennes, totalise plus de 80 % des dépenses en matière de recherche et développement du secteur privé et fournit environ un cinquième de la production totale. Le point faible de la France, c’est la taille de ses PME et leur faible implication directe dans le marché international.

M. Yvon Collin. Analyse pertinente !

M. Aymeri de Montesquiou. Nos voisins allemands et italiens font de leurs PME industrielles un véritable moteur de leur économie. Ainsi l’Italie, puissance économique moyenne, compte plus de 500 000 PME, contre 250 000 en France. Ces entreprises emploient 78 % des salariés de l’industrie et représentent près de 62 % du chiffre d’affaires de ce secteur. Ce chiffre d’affaires est même supérieur à celui des PME allemandes, qui comptent davantage de structures moyennes, surtout familiales, refusant l’introduction en bourse.

La France et l’Italie ont privilégié les très petites structures comptant de un à neuf salariés, mais chez notre voisin transalpin, ces entreprises ont su développer une spécialisation haut de gamme et sont particulièrement dynamiques à l’exportation.

La faiblesse de nos PME est manifeste, quel que soit le domaine envisagé. Elles manquent de fonds propres pour se consacrer à la prospection, qui est coûteuse. Leur accès aux marchés publics, dont nous ne pouvons d’ailleurs laisser le monopole aux grandes entreprises, est difficile. Elles souffrent du manque de confiance dans la prise de risque de la part des banquiers et investisseurs. Par ailleurs, la formation internationale des cadres est lacunaire.

Les PME sont donc peu armées pour faire face à la concurrence mondiale, alors que cinq millions d’emplois sont directement ou indirectement liés aux activités d’exportation. C’est pourquoi nous devrions mieux financer les investissements pour la prospection, alléger les contraintes administratives telles que les autorisations ou la fiscalité à l’exportation, favoriser la formation multinationale des cadres et la coopération entre les entreprises.

Le renforcement de la place de nos PME dans le monde pourrait aussi s’inspirer du modèle danois, en créant un tissu interactif sur internet, véritable plateforme mettant en relation les institutions internationales avec nos PME, afin de diffuser au mieux notre savoir-faire où se situe la demande. Plus qu’une diplomatie de la tasse de thé, utilisons celle-ci pour soutenir nos PME.

Soyons pugnaces ! Focalisons tous nos efforts en faveur des PME et donnons raison à notre collègue Pierre Mauroy, qui déclarait : « La crise n’est pas comme une maladie dont on ne peut sortir : elle est comme une nouvelle naissance. » (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de lUnion centriste et de l’UMP.)

MM. Yvon Collin et Jean-Pierre Plancade. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.

M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je profite de la question de notre collègue Martial Bourquin et de l’actualité plus ou moins récente – je pense en particulier à la présidence française de l’Union européenne et au scrutin de dimanche dernier – pour aborder la question de ce que pourrait être une véritable politique industrielle européenne.

Notre système productif est frappé par la crise et entre en récession, avec des restructurations lourdes et douloureuses sur le plan humain. Je suis persuadé que mes collègues Jean-Jacques Mirassou et François Patriat aborderont ces problèmes qu’ils connaissent particulièrement bien sur le terrain, dans leurs départements respectifs.

Pourtant, depuis plusieurs années, on avait pu mesurer la perte de compétitivité qui s’était traduite, entre autres, par des délocalisations ou des fermetures sur notre territoire. La réponse proposée par la stratégie de Lisbonne n’a pu décoller, faute de coordination et de pilotage au niveau européen.

L’industrie représente encore, à l’échelle européenne, 20 % de la production, mais elle perd dans la zone euro environ 16 % par an dans une tendance de long terme. Elle concerne encore plus de 30 millions d’emplois et contribue pour 75 % à l’ensemble de nos exportations.

Une nouvelle politique industrielle est une nécessité dans tous les pays de l’Union, quels que soient leur histoire, leur économie et leur patrimoine industriel. Un plan de relance au niveau européen aurait permis de coordonner les plans nationaux et aurait constitué l’occasion de définir une véritable politique industrielle intégrant les potentiels nationaux et les spécialisations qui existent, mais en assurant une stratégie d’ensemble et en créant une synergie.

En effet, les différents plans de relance nationaux, qui sont verticaux et sectoriels, auraient mérité d’intégrer une perspective horizontale et une coordination. Nous devons dépasser la politique de la concurrence et du marché unique, sur laquelle l’Union a fonctionné jusqu’ici et dont on mesure les limites, voire, parfois, les effets pervers. Je pense par exemple à la concurrence dans le domaine de l’énergie, qui ne fait qu’affaiblir la compétitivité des industries fortement consommatrices d’énergie. Cette politique a donc des conséquences déstructurantes.

Face au déclin de l’emploi industriel et aux délocalisations, une prise de conscience s’est certes opérée, en tout premier lieu pour ce qui est de la nécessité de combler le déficit européen en matière de recherche et d’innovation. Ce déficit aura en effet pour conséquence, à terme, d’augmenter nos problèmes de compétitivité.

Dans ce cadre, nous devons accélérer la mise en place des plateformes technologiques, que vient d’évoquer mon collègue M. de Montesquiou, autour d’un programme commun de recherche. Les domaines éligibles à ces actions sont pourtant très nombreux, comme on le constate avec les pôles de compétitivité ou les clusters, tout spécialement ceux qui ont une vocation mondiale et mériteraient de bénéficier d’une coordination au niveau européen.

Certains enjeux industriels revêtent un caractère stratégique. Je pense à l’énergie, à l’aérospatiale, aux piles à combustible, à l’automobile et en particulier aux véhicules électriques.

Je ne peux pas non plus passer sous silence le développement des nouvelles technologies découlant des avancées de la recherche fondamentale. Je pense tout particulièrement aux nanotechnologies, aux biotechnologies, aux technologies de l’information et de la communication, les TIC, et surtout à la convergence de ces trois domaines.

Nous avons certes en France des potentialités – je pense par exemple au pôle d’innovation Minatec, à Grenoble, qui a su rassembler différents acteurs sur un même site et travailler à l’échelon européen dans ces trois domaines–, mais nous ne pourrons lutter à armes égales au niveau mondial que si nous rassemblons nos moyens au niveau européen. Sinon, nous resterons dans des niches, certes performantes, mais avec un pouvoir de développement relativement limité.

Les États-Unis et le Japon, entre autres, ne s’y trompent pas. Si l’on compare les 450 millions de dollars investis chaque année par les Américains dans le domaine des nanotechnologies avec les crédits consacrés à la recherche au niveau européen, on s’aperçoit que la somme de tous les crédits nationaux représente à peine le dixième de ce montant.

En effet, seuls 15 % des crédits de recherche publics sont coordonnés dans le cadre des programmes communs de recherche et développement européens. La stratégie de Lisbonne a échoué du fait d’une coordination trop souple, fondée sur le volontariat, et de l’absence de priorités stratégiques clairement définies. Il s’agit à la fois de notre indépendance en matière énergétique et de la survie de notre industrie.

La survie et la compétitivité de nos meilleures entreprises passeront par l’échelle européenne face à leurs concurrentes américaines, japonaises, chinoises et indiennes. Encore faut-il favoriser leur développement en créant un environnement législatif et réglementaire favorable. L’accord de Londres sur les brevets européens et la propriété industrielle représente certes une avancée, mais le Conseil européen se doit d’adopter rapidement un brevet européen assurant une sécurité juridique par un système unifié et efficace.

L’élaboration d’une stratégie industrielle dans les secteurs prioritaires ne peut pas non plus être déconnectée d’une coordination plus étroite des politiques économiques, en particulier dans le domaine de l’harmonisation de la fiscalité des entreprises.

Une véritable politique industrielle coordonnée est une nécessité. Elle doit être accompagnée par une priorité dans le budget communautaire, notamment dans les programmes de recherche et développement, voire dans les fonds structurels.

Monsieur le secrétaire d’État, comment la France va-t-elle s’impliquer dans la nouvelle mandature et la nouvelle Commission pour atteindre cet objectif nécessaire à la survie de notre industrie et, au-delà, de l’industrie européenne ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Christian Gaudin.

M. Christian Gaudin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la crise qui touche actuellement notre industrie est grave. Les chiffres de l’INSEE publiés aujourd’hui l’attestent : en un an, la production industrielle a chuté de 13,8 % et de 16,5 % pour la seule production manufacturière.

Au mois d’avril 2009, la production de l’industrie manufacturière se tasse à nouveau de moins 0,5 %, après un net recul déjà enregistré en mars. Pour l’ensemble de l’industrie, la baisse de la production se poursuit également.

Concrètement, les carnets de commandes de nombreuses entreprises se vident, les assureurs crédit se désengagent de plus en plus. Les défaillances d’entreprises et les destructions d’emploi sont en hausse.

Cela a été dit, certains secteurs – notamment l’automobile, le textile, la chimie – sont plus touchés que d’autres. La crise actuelle a cela d’alarmant qu’elle frappe la quasi-totalité des secteurs industriels.

L’enjeu économique est important : l’industrie manufacturière représente 14 % de la valeur ajoutée et occupe 15 % de la population active. En tenant compte du développement de l’emploi temporaire et de l’externalisation de certaines activités, l’emploi industriel équivaut à près de 40 % de l’emploi total.

Nous savons que l’industrie française se caractérise par la présence très importante des PME-PMI, qui représentent près de 90 % des entreprises de ce secteur, 39 % de l’emploi et 30 % de la valeur ajoutée.

En ce sens, il faut souligner qu’aider nos PME, c’est doper notre économie. De nombreuses mesures ont été prises dans ce but. Hier, nous adoptions la dernière en date : la proposition de loi tendant à favoriser l’accès au crédit des petites et moyennes entreprises. Pour soutenir efficacement et rapidement nos PME, la proposition de loi de notre collègue Jean Arthuis, président de la commission des finances, visant à renforcer l’efficacité de la réduction d’impôt de solidarité sur la fortune au profit de la consolidation du capital des petites et moyennes entreprises, que nous examinerons prochainement, me paraît tout à fait opportune.

En effet, elle participe à un objectif stratégique de première importance : les PME et les entreprises de taille intermédiaire sont au cœur de la croissance économique et de l’emploi. Il faut avoir pour ambition de contribuer à l’émergence d’entreprises de plus grande taille en accompagnant et en finançant en priorité les projets innovants.

Aujourd’hui, trop peu d’entreprises industrielles atteignent ce seuil critique. La comparaison avec la situation de notre principal partenaire est édifiante : au niveau des PME industrielles de 20 salariés et plus, on compte en moyenne 170 salariés par entreprise en Allemagne, contre seulement 120 en France.

Je ferai le même constat en ce qui concerne le commerce extérieur : en 2006, en « temps normal », pourrait-on dire, l’Allemagne exportait 786 milliards d’euros de produits manufacturés, soit deux fois plus que la France, avec 318 milliards d’euros. M. de Montesquiou a déjà pris cette comparaison.

Nous savons que pour sauvegarder nos industries, pour améliorer leur compétitivité, la clé, la seule solution durable réside dans l’innovation. Plus précisément et concrètement, il est capital d’encourager le transfert de la connaissance issue de la recherche vers l’innovation industrielle, d’encourager le rapprochement entre recherche publique et entreprises privées, et d’encourager la recherche privée au sein des entreprises.

Certains dispositifs déjà mis en œuvre présentent des caractéristiques intéressantes qui doivent inspirer nos efforts.

Je commencerai par le soutien d’OSEO à l’innovation. Avec l’intégration de l’Agence de l’innovation industrielle en janvier 2008, un nouveau programme national d’innovation stratégique industrielle a été mis en place. Il offre un soutien aux entreprises non seulement pour financer leurs programmes de recherche et développement, mais aussi pour développer la phase d’industrialisation et de mise en marché des innovations industrielles. Cet accompagnement de l’entreprise durant tout le cycle de production est d’importance.

Autre dispositif, le crédit d’impôt recherche a vu sa dotation considérablement augmentée dans la loi de finances pour 2009. Cette mesure fiscale de soutien aux dépenses de recherche et développement permet un allégement du coût de la recherche et développement par une prise en compte de 30 % de cet investissement. Sa particularité tient au fait qu’il est favorable aux petites entreprises.

Déjà, en 2006, les PME indépendantes bénéficiaient de 25 % des crédits d’impôt recherche, alors qu’elles ne représentaient que 13,5 % des dépenses de recherche et développement déclarées.

En tant que rapporteur spécial de la commission des finances pour la mission « Recherche et enseignement supérieur », je conduis, depuis quelques semaines, un rapport d’évaluation budgétaire sur le crédit d’impôt recherche. L’objet de cette mission est de mesurer son utilisation, son effet de levier, sa capacité à rapprocher l’entreprise du monde de la recherche et cela, de la PME à la multinationale implantée sur notre territoire. Ce dispositif est, faut-il le rappeler, en pleine cohérence avec la politique des pôles de compétitivité.

L’Union européenne, l’État, les collectivités doivent soutenir l’innovation : l’avenir de notre industrie en dépend. Ce soutien, qui s’impose maintenant tant la situation est urgente, doit accorder une place particulière à nos PME. J’ajouterai qu’il doit permettre de développer non seulement les industries à forte valeur ajoutée mais aussi, et cela doit aller de pair, les industries d’avenir.

La période durant laquelle l’industrie se développait au détriment de notre environnement est révolue. Elle devra, demain, participer à la réduction des dégâts causés par l’exploitation irraisonnée de nos ressources. L’engagement national pour l’environnement en prend acte : notre activité industrielle de demain devra intégrer la préoccupation environnementale, mais aussi s’intéresser aux nouveaux marchés qui s’ouvrent.

En période de crise, monsieur le secrétaire d’État, la pertinence des choix s’impose, d’autant plus pointue que la marge d’action se réduit. Il nous faut aujourd’hui privilégier l’innovation dans nos entreprises, car c’est ainsi que nous préparerons le retour à la croissance. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Mayet.

M. Jean-François Mayet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je vous remercie de l’honneur que vous me faites en me permettant de m’exprimer à cette tribune pour la première fois. Le sujet n’est pas drôle : c’est la crise. Je n’évoquerai pas pour autant des situations locales ou des cas particuliers.

J’ai rédigé cette intervention avant d’entreprendre, la semaine dernière, un voyage en Chine au cours duquel j’ai rencontré des chefs d’entreprise, leurs cadres et leurs ouvriers. Nous avons échangé sur l’économie, la crise, le chômage et, surtout, la formation. Eh bien, ce que j’ai vu et entendu là-bas m’a conforté dans ce que j’avais préparé !

Si le monde entier affronte cette crise, la France doit, en outre, réussir des réformes nécessaires qui, en raison de leur importance et à cause de notre refus historique de bouger les choses, nous plongent à elles seules dans un climat de forte tension. C’est ce que j’appellerai « la crise dans la crise » !

Malgré les difficultés du moment, j’ai la conviction qu’un libéralisme raisonnable et contrôlé produit de meilleurs résultats économiques et sociaux, et que l’un ne va pas sans l’autre. Mais les dirigeants de certains pays, c’est-à-dire des hommes politiques comme nous, portent la lourde responsabilité d’avoir laissé se construire et prospérer jusqu’à l’explosion une bulle financière compliquée, inutile et malhonnête.

C’est cette cassure brutale qui s’est, en quelques semaines, transformée en crise économique. Dans le monde entier, la consommation s’est fracassée sur l’angoisse et la perte de confiance des habitants, notamment dans des secteurs essentiels comme l’automobile, où les produits et les services étaient déjà techniquement remis en question.

Le constat de cet enchaînement tragique et prévisible n’est contesté par personne, et il devrait donc servir de guide dans le choix des moyens pour sortir de ce marasme.

Chez nous, la doctrine de la relance par l’investissement, c’est-à-dire celle du Gouvernement et du Président de la République, est combattue par les partisans de la relance par la consommation. Pourtant, il suffit de regarder ce qui se passe et de ne pas oublier que la consommation, c’est-à-dire la croissance, ne se décrète pas : elle se mérite ou elle se gagne par la confiance. Et, en France plus qu’ailleurs, lorsque le chômage augmente, l’argent distribué va directement sur des comptes d’épargne, il ne sert pas directement et immédiatement l’emploi.

Seule l’augmentation massive des investissements peut casser ce cercle vicieux et le Gouvernement a raison de privilégier cette démarche, comme il a eu raison de soutenir les banques, afin d’éviter l’asphyxie des entreprises et la ruine des épargnants, surtout des plus petits.

Le rôle des élus que nous sommes sera déterminant dans l’accélération d’une sortie de crise. En effet, nos concitoyens nous regardent, nous jugent et attendent de nous un comportement réaliste, constructif et efficace. Notre attitude et notre action sont aussi des repères, et nous avons le devoir de participer à la restauration de cette confiance.

À ce moment de mon propos, permettez-moi de regretter que, dans une période aussi tendue et dangereuse, nous n’ayons pas le réflexe de réaliser, temporairement bien sûr, une forme d’union sacrée qui existe d’ailleurs chez nos voisins.

N’est-ce pas aux élus que nous sommes, de droite comme de gauche, de nous saisir des grands problèmes pour les traiter et des grandes réformes pour les réaliser sans les dénaturer, afin de servir l’intérêt général ? N’est-ce pas aux élus que nous sommes, de droite comme de gauche, de combattre cette tendance au renoncement, dont la France a trop souvent souffert au cours des soixante-dix dernières années ?

Je regrette, j’ose le dire, que, pour des raisons politico-électorales que les Français viennent d’ailleurs de sanctionner, des sujets comme la mondialisation, ou des réformes telles que la justice ou l’enseignement, unanimement reconnues comme indispensables pour la réussite et le progrès économique et social, aient été combattues et partiellement affaiblies !

Concernant la mondialisation, n’est-il pas malhonnête de la part des élus, de droite comme de gauche, de feindre d’ignorer ou d’ignorer qu’il s’agit d’une évolution inévitable et incontournable de l’histoire de l’industrie et de l’économie mondiale qu’il nous faut savoir accompagner ?

Pour plaire aux électeurs, faut-il leur cacher cela et diaboliser cette évolution jusqu’à décourager encore plus une population fragilisée par la crise ? Est-il si difficile d’intégrer le fait, déjà vérifié, que ces pays qui nous « prennent nos usines » sont les clients de demain qui feront tourner nos industries en nous achetant les produits et les services nouveaux que nous aurons l’intelligence et la volonté de concevoir ?

Pour ce qui concerne les réformes, je n’en prendrai qu’une, vitale pour l’économie : l’éducation. Il faut arrêter l’hypocrisie et promouvoir les changements ! Il est inconséquent, de la part des élus de droite comme de gauche, de feindre d’ignorer ou d’ignorer que cette force de notre République est aujourd’hui à terre et qu’elle ne se redressera pas avant que le problème ne soit honnêtement posé et traité.

C’est aux élus de dénoncer que 75 % de nos enseignants-chercheurs n’ont rien publié depuis cinq ans et que 25 % d’entre eux sont sans équipe et sans projet !

M. Daniel Raoul. Qu’est-ce que cela ?

M. Jean-François Mayet. C’est aux élus de dire que le primaire envoie dans le secondaire des enfants dont 25 % sont illettrés, ou presque !

C’est aux élus de dire que le secondaire se conclut par des baccalauréats qui n’ont plus ni queue ni tête, dénaturés par le fait qu’on a voulu les rendre accessibles à plus de 80 % des candidats !

C’est aux élus de dénoncer le fait, incontestable, que 30 % des étudiants que nos universités accueillent n’ont rien à y faire, et qu’elles fabriquent donc automatiquement autant de chômeurs…

M. Jean-Michel Baylet. Tout cela n’est-il pas un peu excessif ?

M. Jean-François Mayet. ... qui n’en seraient pas s’ils avaient été convenablement orientés plus tôt.

M. Jean-Michel Baylet. Quel sens de la nuance !

M. Jean-François Mayet. Mes chers collègues, je ne suis pas sûr de m’exprimer ici comme un sénateur ; je le fais plutôt comme un citoyen moyen, au travers de son expérience, c’est-à-dire comme un citoyen qui, comme tout le monde à une époque, savait lire, écrire et compter en fin de CE2.

M. Daniel Raoul. Propos de bistrot !

M. Jean-François Mayet. Je le dois à mes deux instituteurs, qui étaient mari et femme, fiers d’être de gauche et libres penseurs ; en tout cas, vrais humanistes tous les deux, ils avaient un sens aigu de leur devoir d’enseignant et de leur responsabilité à l’égard de l’avenir professionnel de leurs élèves.

M. Martial Bourquin. Ici, il s’agit de l’avenir de l’industrie !

M. Jean-François Mayet. Je les ai aimés jusqu’à vouloir leur ressembler, et ils ont été pour moi le repère que je souhaite à tous les jeunes. Donnons à nos jeunes cette même chance que j’ai eue !

Permettez-moi de conclure par ce constat : la crise et les réformes ont en commun de s’imposer à nous. Je crois sincèrement que les réformes réussies peuvent et doivent nous aider à surmonter cette crise plus rapidement. Il faut donc continuer et, si possible, accélérer les réformes.

M. le président. La parole est à M. François Patriat.

M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question posée par notre ami Martial Bourquin a un triple mérite : d’abord, elle rappelle que la France doit avoir un dessein industriel ; ensuite, elle replace ce dessein dans la crise que nous connaissons aujourd'hui ; enfin, elle suscite un débat qui peut dépasser les clivages partisans et, à cet égard, je fais miennes les questions soulevées aussi bien par Martial Bourquin et Daniel Raoul que par Gérard Longuet.

En premier lieu, l’emploi industriel est en effet nécessaire en France, et il l’est particulièrement au moment où nous traversons cette crise, car les grands groupes industriels assurent à eux seuls 80 % des exportations. Or, 1 milliard d’euros de produits industriels exportés, ce sont 15 000 emplois créés en France.

En second lieu, si les emplois perdus dans les services peuvent être retrouvés, les emplois perdus dans l’industrie le sont à jamais.

Dans la crise, ce sont surtout les fermetures de sites importants par les grands groupes qui frappent nos concitoyens, mais elles ne sont pas les principales responsables de la forte et inexorable montée du taux de chômage, qui touche d’abord les emplois intérimaires, les emplois des petites entreprises voisines et, parfois, ceux des sous-traitants.

La région Bourgogne a connu la disparition de Hoover, de Kodak, de Dim, de Thomson et assiste aujourd'hui à celle d’un grand groupe agro-alimentaire néerlandais. Voilà qui marque les esprits !

Pourtant, si nous nous en donnons les moyens à tous les échelons territoriaux, et surtout à l’échelon européen, nous pouvons non pas seulement arrêter la « casse », mais créer des emplois industriels. Ainsi, malgré la crise, un grand groupe industriel sur lequel je reviendrai dans ma conclusion crée actuellement des emplois par centaines.

Cela passe d’abord et avant tout par le nécessaire effort d’innovation et de recherche et développement, aspect évoqué par tous et que j’aborderai pour ma part au travers d’un exemple.

Alors que les États-Unis ont laissé partir toute la fabrication de « ménager blanc » en Asie, nous avons pu garder, en les soutenant chacun à notre échelon, des groupes industriels de ce secteur, et je pense en particulier à SEB. Si ce groupe est aujourd'hui en mesure de maintenir des emplois en France, dans deux régions au moins, c’est parce qu’il a tout misé sur l’innovation et qu’il est ainsi capable de produire des appareils comme la friteuse Actifry, vendue – pour plus de 100 euros – à un million d’exemplaires en un an dans le monde entier !

Vous le savez, monsieur le secrétaire d'État, puisque vous êtes venu dans notre département, c’est grâce à l’innovation que nous produisons encore du « ménager blanc » dans notre pays. Et l’innovation, ce n’est pas ce qu’en a dit le précédent intervenant, avec qui je suis en désaccord. L’innovation est le fruit d’un processus qui, associant recherche académique et recherche privée, doit déboucher sur des brevets, avec pour fin l’accompagnement et la création d’entreprises, ce qui m’amène à un autre point de mon intervention.

Les collectivités locales, notamment les régions, devraient n’être en mesure d’accompagner ce processus qu’à la marge, parce que leurs ressources, qui ne dépassent pas quelques dizaines de millions, voire quelques centaines de milliers d’euros, ne sont pas à la hauteur des enjeux que doivent assumer les grands groupes. Et pourtant, elles l’accompagnent, par le biais des incubateurs, des technopoles, des C2EI, les centres européens d’entreprises et d’innovation, du réseau Retis et d’autres.

C’est précisément là qu’il faut porter l’effort, en particulier à travers les pôles de compétitivité.

Un groupe de travail sénatorial consacré à ces pôles étudie d’ailleurs actuellement la façon dont on pourrait les rendre plus réactifs, plus évolutifs et donc les mettre en état d’apporter davantage d’aide aux différentes structures. Aujourd'hui, les pôles de compétitivité sont en effet encore un peu figés, tant sur le plan la décision que sur celui des moyens et des crédits à apporter à la recherche.

Je souhaite, monsieur le secrétaire d'État, que la réforme des collectivités locales ait pour effet de donner à celles-ci les moyens d’accompagner mieux encore les groupes industriels dans leurs efforts non seulement de recherche et développement, mais aussi de recherche de parts à l’export, car l’exportation doit, comme je l’ai déjà dit, être encouragée.

Enfin, monsieur le secrétaire d'État, je veux vous interroger sur le secteur de l’énergie. En effet, s’il est un secteur qui, à côté de l’aéronautique, porte haut les couleurs de l’industrie, c’est bien celui de l’énergie !

Le groupe AREVA, en particulier, avec ses filiales, ses succursales, ses fournisseurs, crée de l’emploi sur l’ensemble de notre territoire. Cependant, il est aujourd'hui confronté à un fort endettement en même temps qu’à la perte d’un de ses partenaires, le groupe allemand Siemens.

Dans le cadre du débat budgétaire, j’avais déjà demandé à Mme Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, quelle était la vision du Gouvernement en matière énergétique. J’ai entendu le chef de l’État dire avant-hier que, « là où on dépense un euro pour le nucléaire », un euro sera consacré au développement durable, qui conduit effectivement aussi à la création de pôles industriels. Mais pourriez-vous nous indiquer, monsieur le secrétaire d'État, quelle politique le Gouvernement entend mener en ce qui concerne ce pôle créateur d’emplois qu’est le pôle énergétique ?

À côté du secteur automobile, abondamment évoqué cet après-midi, le secteur énergétique, qui répond à une demande mondiale dont on estime qu’elle sera exponentielle au moins jusqu’en 2020, notamment parce que nous ne savons pas encore stocker le carbone comme d’autres énergies fossiles, me paraît en effet tout fait essentiel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l’Union centriste et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Etienne.

M. Jean-Claude Etienne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’industrie est un principe existentiel dans la vie des collectivités humaines. Il y a les sociétés qui ont une industrie et il y a celles qui n’en ont pas. Il faut résolument s’inscrire dans la première catégorie.

Les orateurs qui m’ont précédé ont décrit l’enchaînement infernal qui peut survenir : diminution de l’activité du centre de production, partie émergée – et image de marque – de l’iceberg, mais aussi diminution des activités de sous-traitance, parfois localisées dans des territoires très éloignés du site de production principal ; c’est le problème des équipementiers automobiles, très nombreux dans la Marne, problème méconnu parce que les constructeurs sont en Île-de-France, dans le nord, dans l’est ou dans le centre.

Comme l’a dit Gérard Longuet, l’industrie, dans notre pays, c’est bien plus que 20 % du PIB. Voilà une vérité que nous ne devons pas perdre de vue !

Quant à Martial Bourquin, c’est avec raison qu’il a souligné que la réindustrialisation devait faire la part belle à l’intervention régionale, remarque qui m’a beaucoup frappé, et je le remercie d’ailleurs par avance de bien vouloir la réitérer auprès de ses amis présidents de conseil régional qui, pour certains d’entre eux – pas tous ! –, n’ont pas cru bon d’impliquer leur assemblée de façon formalisée dans des plans de relance…

En tout état de cause, il y a un véritable enjeu dans la localisation même des sites d’activité économique. Au-delà du slogan politique, c’est la question de la compétitivité de nos activités industrielles et de leur localisation sur notre territoire qui est posée, car il faut répondre en profondeur à une interpellation sociale tout à fait légitime.

Un élément souvent majeur de compétitivité du produit fabriqué tient à son caractère innovant. Or, si les grands groupes envisagent volontiers leur développement à travers la problématique de recherche et d’innovation, il n’en est pas toujours de même pour les PME et les PMI, au moins dans notre pays.

Christian Gaudin a rappelé que, même sur le Vieux Continent, dans des pays tels que l’Allemagne, la dimension de l’innovation était très présente dans la culture entrepreneuriale des PME et des PMI, où elle est clairement perçue comme un élément essentiel du développement.

L’innovation est, en effet, le soutien indispensable à l’économie de l’entreprise, grande ou petite. Elle permet d’apporter au produit livré au jeu concurrentiel du marché une valeur ajoutée qui le rendra compétitif, même à un prix de vente plus élevé, soutenant ainsi le pouvoir d’achat des salariés.

Il est vrai que la crise du secteur de l’automobile offre un bon exemple de la difficulté de piloter l’effort de recherche et développement. Vous êtes largement intervenu dans ce domaine, monsieur le secrétaire d'État, et je vous en remercie.

Les grands groupes n’échappent pas au risque de ne pas se montrer assez audacieux ou de ne pas emprunter la meilleure voie en matière de recherche et développement. C’est ainsi que les constructeurs automobiles de notre pays n’ont peut-être pas toujours suffisamment pris en compte l’exigence d’une voiture peu gourmande en énergie et aussi « propre » que possible.

À ce propos – question que Gérard Longuet n’a d’ailleurs pas manqué de vous poser –, qu’en est-il de la voiture électrique ?

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques avait préconisé, dans un rapport présenté voilà près de cinq ans déjà, de faire le choix du développement d’une voiture hybride rechargeable et d’y investir. Cette recommandation n’avait pas, d’emblée, emporté la conviction de nos constructeurs nationaux, qui ont manifesté davantage de désintérêt que d’intérêt pour cette perspective qui s’impose pourtant aujourd’hui.

Cela signifie que les grands constructeurs, les grands groupes peuvent, eux aussi, faire de mauvais choix dans le domaine de l’innovation.

Cependant, l’affaire est plus dramatique encore pour les PME-PMI : on sait quelles peuvent être les conséquences si elles n’ont pas les moyens d’introduire rapidement l’innovation dans leur production.

Vous vous rappelez sans doute mieux que tout un chacun ici, monsieur le secrétaire d'État, ce qui s’est passé dans le bassin nogentais, où la production traditionnelle de coutellerie et même de bistouris avait subi de graves revers face à la compétition économique internationale. La « relève » n’a pu venir que grâce à l’innovation, la recherche sur les traitements de surface ayant porté très haut la compatibilité entre matériel biologique et matériel minéral et permis la fabrication de prothèses ostéo-articulaires.

L’innovation a ainsi démontré qu’elle pouvait sauver des bassins entiers de PME-PMI, y compris parfois dans les zones les plus en difficulté sur le plan économique et les plus désertifiées.

Ce résultat peut aussi être porté au crédit de la mise en place d’un certain nombre de mesures et de structures. Je pense à l’Agence pour l’innovation industrielle, au plan Innovation, qui a fondé le statut de la jeune entreprise innovante, à la réforme du crédit impôt recherche. Je pense aussi à la création des pôles de compétitivité, à celle de l’Agence nationale de la recherche, chargée de soutenir le développement de la recherche fondamentale et appliquée. Je pense encore au rapprochement de l’Agence nationale de valorisation de la recherche et de la banque du développement des PME, avec la création d’OSEO. Je pense enfin aux huit commissaires à la réindustrialisation et aux contrats de transition professionnelle, dont Martial Bourquin a réaffirmé l’intérêt et souligné à quel point ils étaient porteurs d’espoir.

Ces diverses structures, qui agissent chacune à leur manière, doivent développer une stratégie d’approche et de démarchage de l’ensemble du tissu des PME-PMI, afin que ces entreprises, dont l’énergie est véritablement dévorée par leur activité quotidienne de production, s’inscrivent dans une dynamique d’innovation et changent leurs pratiques de développement. C’est en amont que ces organismes doivent intervenir, avant que les entreprises ne le leur demandent ou ne lancent un appel de détresse. C’est même au moment où tout va bien qu’ils doivent leur tendre la main, afin que les PME-PMI s’appliquent à acquérir une culture d’innovation et, ainsi, à renouveler leur production.

Dans cette optique, il faut susciter la volonté des responsables et même leur enthousiasme pour la démarche innovante, qui doit faire partie de la culture de l’entreprise. Henry Ford, ce grand capitaine de l’industrie automobile américaine, affirmait déjà : « L’enthousiasme est à la base de tout progrès. »

Depuis 1960, la Grande-Bretagne n’a plus nourri cet enthousiasme : nous savons ce qu’il est advenu de son industrie.

À vous, monsieur le secrétaire d'État, à nous, parlementaires, de faire souffler partout sur le territoire le vent de la recherche et de l’innovation, pierre angulaire du développement, donc de la compétitivité et de l’emploi sauvegardé. (Applaudissements sur les travées de lUMP, de lUnion centriste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.

M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous me permettrez de rompre avec le caractère généraliste des précédentes interventions pour apporter un éclairage, certes local, mais à mon sens très emblématique, hélas ! de la crise de l’industrie. J’évoquerai en effet la situation de l’entreprise Molex, à Villemur-sur-Tarn, commune du département dont je suis l’élu.

Monsieur le secrétaire d'État, vous connaissez bien ce dossier, mais je crois utile d’y revenir une nouvelle fois, car l’actualité immédiate nous donne matière à réflexion. Cet exemple illustre de manière très aiguë la situation actuelle de la filière des équipementiers et des sous-traitants automobiles, que notre collègue Martial Bourquin a évoquée et dont nous ne saurions admettre qu’elle entraîne, en plus des conséquences économiques que nous savons, des situations humaines inacceptables.

L’entreprise Molex, spécialiste de la connectique automobile, a dégagé au cours de l’année 2008 un bénéfice de 1,2 million d'euros, ce qui, vous en conviendrez, est loin d’être négligeable. À ce jour, pourtant, la direction maintient fermement sa décision de fermer le site au mois d’octobre prochain, après qu’un sursis a été gagné de haute lutte. L’installation et la mise en fonctionnement d’une chaîne de production de remplacement aux États-Unis apportent d’ailleurs la preuve que la suppression du site de Villemur-sur-Tarn était programmée de longue date.

Monsieur le secrétaire d'État, la fermeture de ce site signifie le licenciement de 300 salariés, qui sont dotés de savoir-faire très spécialisés et dont la moyenne d’âge est de quarante-six ans. Il signifie également que 300 familles de Villemur-sur-Tarn et des environs vont voir leur destin basculer au son de ces seuls mots de la direction : « Nous anticipons des pertes éventuelles. »

Je ne suis pas le seul à me demander aujourd’hui si nous pouvons tolérer que le destin d’une population, fût-elle locale, soit gouverné par de telles « éventualités », et l’on admettra aisément que les élus concernés consacrent toute leur attention à cette population.

Il aura fallu beaucoup de détermination et de courage aux salariés de Molex pour obtenir gain de cause, grâce à une décision du tribunal de grande instance qui a permis au comité d’entreprise d’exposer, enfin, son point de vue sur la viabilité du site.

Il est indispensable de rappeler que le groupe PSA se fournissait principalement chez Molex en matière de connectique : ses commandes représentaient 80 % des recettes du site de Villemur-sur-Tarn. En d’autres termes, le maintien de ce site de production, sous une forme ou sous une autre, est étroitement lié au groupe automobile français, au moment où est évoquée une reprise de l’entreprise – je devrais dire : l’espoir d’une reprise.

Dans ce contexte, le pacte automobile mis en place par l’État devrait s’intéresser non pas seulement au sort des constructeurs, mais également à celui des fournisseurs et des sous-traitants. J’ai la conviction, au moment où j’interviens devant la Haute Assemblée, que l’engagement de l’État est indispensable et répond à une double exigence, économique et sociale.

Cette exigence est ressentie par toute la population de Villemur-sur-Tarn : aux côtés des salariés de Molex, elle se livre à une véritable course contre la montre, dans laquelle votre rôle est primordial, monsieur le secrétaire d'État, car nul ne saurait se substituer aux responsabilités de l’État pour mener à bien cette tâche.

D’ailleurs, la perspective de trouver en quatre mois un repreneur pour le site de Villemur-sur-Tarn paraît aujourd'hui beaucoup moins improbable qu’aux mois de février et de mars, car nous disposons maintenant, à partir des éléments figurant dans l’analyse du cabinet Syndex, de la preuve de la viabilité du site, ce qui contredit les affirmations réitérées de la direction de Molex.

On comprendra facilement que la crédibilité de cette direction soit fortement altérée par des faits très précis : d’abord, la décision de sacrifier ce site ; ensuite, les libertés prises – c’est un euphémisme – avec le droit français du travail ; enfin, l’installation, dans la plus grande opacité, d’une chaîne de production de remplacement aux États-Unis, d’où sortent d’ailleurs des produits d’une qualité très discutable.

J’ajoute que la direction de Molex demande actuellement aux travailleurs une productivité supérieure à celle qui était la leur voilà un an, ce qui justifie le recours à du personnel intérimaire. Or, dans le même temps, elle leur présente la fermeture du site comme inévitable !

Si les informations en ma possession sont exactes, le pire est à venir. Lors de la réunion qui vient d’avoir lieu à la préfecture de Toulouse, la direction de l’entreprise a menacé de rompre l’accord de crise si la productivité n’atteignait pas le niveau qu’elle exige, brandissant le spectre de licenciements à court terme. Il y a tout de même là un paradoxe qu’il convient de dénoncer !

Monsieur le secrétaire d'État, c’est de cette situation qu’aurait bien voulu vous entretenir personnellement la délégation des 110 salariés de Molex qui s’est rendue hier à Paris et qui a été reçue par un membre de votre cabinet.

Sans mettre en cause la qualité de l’accueil qui leur a été réservé, monsieur le secrétaire d'État, je pense que votre attitude s’apparente à un « acte manqué » qui n’est pas de nature à rassurer les salariés. Le fait de recevoir cette délégation personnellement aurait en effet attesté votre volonté d’aider l’entreprise Molex.

Pour autant, le Gouvernement et vous-même avez encore le temps de répondre à l’urgence, en vous engageant résolument dans la recherche concertée d’un repreneur, qui doit pouvoir compter sur un débouché commercial avec PSA. Est-il utile de rappeler que, dans le cadre du pacte automobile, PSA a bénéficié d’un prêt de l’État de près de 3 milliards d’euros ? Cela ne vous donne-t-il pas, monsieur le secrétaire d'État, les moyens d’obtenir que ce groupe concrétise par écrit ses intentions à l’égard du site de Molex à Villemur-sur-Tarn ?

C’est du reste ainsi que le Gouvernement pourra crédibiliser le pacte automobile. En effet, comme d’autres l’ont souligné avant moi, nous ne saurions accepter que la structure de notre industrie soit uniquement dépendante des caprices du marché et de décideurs peu scrupuleux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Bourquin, je vous remercie d’avoir posé cette question orale avec débat sur la crise de l’industrie, car cette crise, au-delà de la représentation nationale, intéresse et préoccupe l’ensemble des Français.

Le constat que vous dressez n’est pas nouveau. Le Président de la République réaffirme régulièrement qu’un pays sans industrie est un pays qui ne croit pas en l’avenir de son économie.

L’industrie a des effets qui dépassent largement son poids dans le PIB, de l’ordre de 16 % aujourd'hui. Elle représente en effet 80 % de nos exportations, 85 % de la recherche et développement du secteur privé dans notre pays. En ce début de xxie siècle, elle offre des perspectives de réponse à tous les grands défis qui se posent au monde : l’alimentation, la sécurité, l’environnement.

Alors que, pendant trop d’années, elle a été considérée comme un problème, notamment au regard de l’environnement et du développement durable, l’industrie sera demain une solution. Tout l’enjeu réside dans notre capacité à innover et à investir pour qu’il en soit ainsi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’orienterai mon propos autour de trois axes, ce qui me permettra de répondre à l’ensemble des questions que vous m’avez posées.

Premièrement, le Gouvernement n’a pas attendu la crise que nous traversons actuellement pour prendre des mesures fortes en faveur de l’industrie.

Dès 2007, lors de sa campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a dressé un certain nombre de constats et, aussitôt après son élection, nous avons instauré des mécanismes nouveaux pour assurer la compétitivité de notre économie, et donc de notre industrie.

Lorsque nous décidons de mettre en œuvre le dispositif des heures supplémentaires – je sais qu’il s’agit d’un sujet qui prête à controverse –, donc d’allégements des charges des entreprises, c’est évidemment pour améliorer la compétitivité de notre industrie. Il s’agit d’alléger le coût du travail pour que l’offre industrielle de la France soit meilleure que celle de ses voisins.

Lorsque nous décidons de proposer, entre la démission et le licenciement, une troisième voie de séparation entre l’employeur et le salarié, c’est pour apporter une certaine flexibilité au marché du travail, dont la rigidité est un frein à l’attractivité de notre industrie.

Lorsque nous mettons en œuvre le triplement du crédit impôt recherche, c’est clairement pour stimuler l’innovation, afin de donner un avantage comparatif à l’offre industrielle française. De fait, notre pays dispose aujourd'hui du dispositif le plus attractif des pays de l’OCDE. Ce point est essentiel, car nous savons que l’innovation d’aujourd'hui permettra les investissements industriels de demain.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous vous êtes inquiétés les uns et les autres de l’impact sur le budget de l’État de toutes ces mesures en faveur de l’innovation. Je rappellerai simplement que le crédit impôt recherche devrait représenter cette année environ 3 milliards d'euros. C’est considérable, mais l’effet retour l’est tout autant : si Thales a décidé de maintenir la production du cockpit du futur A 350 en France, c’est grâce au crédit impôt recherche ; si Google ou Microsoft ont pris la décision d’investir dans d’importants centres d’innovation dans notre pays, c’est aussi grâce à ce dispositif.

Vous avez également évoqué, mesdames, messieurs les sénateurs, les pôles de compétitivité. Après les avoir créés en 2005, nous les avons évalués l’année dernière, de manière tout à fait indépendante, et nous avons décidé de les pérenniser, avec une rallonge de 1,5 milliard d’euros sur trois ans, mais en demandant à ceux qui n’avaient pas forcément répondu à nos attentes initiales de réagir. Cet été, c'est-à-dire un an après l’évaluation, nous allons prendre des décisions qui seront d’ailleurs peut-être douloureuses pour certains pôles, mais nous devons concentrer nos moyens sur les pôles dont nous pensons qu’ils ont vraiment vocation à fédérer tous les acteurs d’une filière.

S’agissant des pôles à vocation mondiale, nous avons décidé d’aller plus loin et d’investir davantage. Sans doute faudra-t-il un jour aller vers de véritables technopôles, des clusters physiques, dont cinq ou six pôles de compétitivité offrent d’ores et déjà une esquisse. En tout cas, le Gouvernement a renforcé son investissement sur les pôles de compétitivité.

Voilà pour l’action que nous menons depuis deux ans, mais il ne fait pas de doute que la crise a changé la relation de l’État à l’industrie et modifié notre approche en la matière, ce qui m’amène au deuxième point que je souhaite aborder.

L’industrie a été la première victime de la crise. Il nous fallait donc y répondre vigoureusement par un certain nombre de mesures ciblées, dédiées, volontaristes, réactives. Il y avait effectivement urgence en la matière.

Dans le secteur de l’industrie, l’action du Gouvernement face à la crise s’est articulée en trois temps.

Le premier temps a été celui de la réponse à l’urgence et de la gestion de la problématique de l’assèchement du crédit. La source du mal, c’était la crise financière. Si les entreprises industrielles ont été les premières touchées, c’est parce qu’elles sont particulièrement demandeuses de crédit, qu’il s’agisse d’équilibrer ponctuellement leur trésorerie, de financer des investissements ou même de financer leurs propres clients. Dans ces conditions, le système financier s’étant arrêté de fonctionner normalement, le secteur industriel a été considérablement fragilisé.

C’est pourquoi le Gouvernement a pris une série de mesures qui, toutes ensemble, ont eu de réels effets. Je pense notamment au remboursement anticipé de la TVA, à la réduction des délais de paiement, qui a eu une forte incidence sur l’ensemble des fournisseurs et, notamment, des sous-traitants ; je pense à l’instauration de la médiation du crédit, qui a permis de débloquer plus de 7 000 dossiers d’entreprises qui rencontraient des difficultés avec le système bancaire et de maintenir, dans cette période de crise, 90 000 emplois ; je pense à l’action menée avec OSEO, la banque des PME, en matière de garantie, de lignes de crédit, mais aussi dans le domaine de l’innovation.

Cette crise nous a en outre fourni l’occasion de créer un fonds d’investissement, qui est une première dans notre pays. Nous en parlions depuis longtemps ; le Président de la République a pris la décision d’instituer un fonds souverain de capital-risque, le Fonds stratégique d’investissement, qui a vocation à prendre des participations dans des entreprises stratégiques, pour soutenir des filières et à les dégager des cycles purement financiers en leur permettant d’épouser les cycles économiques qui caractérisent généralement la production industrielle. En effet, on ne peut pas exiger, comme l’ont trop souvent fait d’anonymes et lointains fonds d’investissement, des retours sur investissement à deux chiffres, parfois supérieurs à 15 %, alors que, bien souvent, les modèles économiques de l’industrie ne dégagent pas plus de quelques points de marge dans le résultat.

Je mentionne également le dispositif de réassurance public mis en œuvre par le Premier ministre, qui a permis de pallier la défaillance à cet égard causée par la crise.

Le Gouvernement a donc eu pour objectif, dès que les premiers effets de la crise financière se sont fait sentir, de répondre à l’urgence.

Le deuxième niveau de réponse du Gouvernement face à la crise a consisté en un choix stratégique dont j’ai compris qu’il faisait débat et qu’il n’était pas forcément le vôtre, monsieur Bourquin, ni celui de vos collègues du groupe socialiste. C’est vrai, nous avons décidé de miser sur l’investissement et nous n’avons pas retenu votre solution, qui consisterait en un soutien diffus de la consommation.

Six mois plus tard, force est de constater que nous avons sans doute fait le bon choix.

Nous l’avons vu, aujourd’hui, le gros problème de notre économie est le manque d’activité de nos entreprises, notamment de nos entreprises industrielles. Si nous avons fait le choix de l’investissement, c’est parce que nous pensons que le plan de relance va progressivement permettre de remplir leurs carnets de commande, donc de créer de l’activité économique et de l’emploi, et ainsi d’offrir une vraie réponse à la crise. Or la consommation est, en France, le dernier moteur à continuer de bien fonctionner, et notre pays fait un peu, à cet égard, figure d’exception en Europe.

À mon sens, la réponse du Gouvernement a été plus adaptée puisqu’elle a visé les ménages les plus fragiles, c'est-à-dire ceux qui en avaient le plus besoin. Lorsque nous décidons, par exemple, d’exonérer la première tranche d’impôt sur le revenu du deuxième et du troisième tiers provisionnels, nous envoyons très clairement un message fort aux 2,5 millions de foyers concernés.

M. Jean-Louis Carrère. Et le bouclier fiscal ?

M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Lorsque nous mettons en place, ce mois-ci, le revenu de solidarité active, et que nous anticipons cette mise en place avec la prime de solidarité active qui a été versée le 15 avril dernier, nous prenons une mesure ciblée en faveur des 4 millions de foyer les plus modestes.

M. Jean-Louis Carrère. C’est incroyable !

M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Face à la crise, nous avons donc fait, pour l’industrie, le choix stratégique de miser sur l’investissement plutôt que sur une relance de la consommation.

Le troisième niveau de réponse du Gouvernement à la crise consiste en un accompagnement social en cas de restructurations industrielles, notamment. Nous avons pris un certain nombre de mesures pour amortir le choc et faire en sorte que le licenciement et la fermeture de sites soient vraiment l’ultime recours des entreprises et que l’on maintienne coûte que coûte, en vue du moment où la croissance reviendra, ce capital à la fois industriel et humain, l’industrie française étant forte d’un considérable savoir-faire qui impose de préserver sa main-d’œuvre qualifiée.

Ces orientations ont guidé les mesures de renforcement des quotas d’heures de chômage partiel dans les secteurs les plus fragilisés par la crise ; je songe évidemment au secteur automobile. C’est aussi cela qui a guidé la volonté d’augmenter la rémunération des salariés dans le cadre de l’indemnisation du chômage partiel et, au sein de cette rémunération, la part payée par l’État, afin d’alléger la facture des entreprises et leur permettre d’amortir le choc. C’est encore cela qui nous guide au moment de mettre en place le prêt de main-d’œuvre interentreprises, pour disposer d’une certaine souplesse et bénéficier, là où l’activité repart, …

M. Jean-Louis Carrère. Où la voyez-vous repartir ?

M. Luc Chatel, secrétaire d'État. … des compétences de salariés qui, de ce fait, ne seront pas licenciées dans une autre entreprise.

C’est toujours cela qui nous a guidés lorsque nous avons utilisé la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et mis en place la charte automobile, signée par l’État, les organisations professionnelles de formation et les syndicats ; nous avons mis sur la table trois fois 50 millions d’euros, soit un total de 150 millions d’euros, pour financer la reconversion ou l’anticipation de mutation de salariés.

Un volet de l’accompagnement des restructurations concerne également les cas où l’on n’a pas pu prévenir des catastrophes. Nous avons considérablement dopé notre dispositif en créant une cellule dédiée spécifiquement aux restructurations industrielles et en installant effectivement, monsieur Bourquin, des commissaires à la réindustrialisation, au nombre de dix à ce jour ; leur mission en fera de véritables acteurs, non des spectateurs. Une feuille de route extrêmement précise leur a été donnée, fixée par Hubert Falco et moi-même, et leurs lettres de mission sont adaptées à la problématique de chaque région en matière industrielle.

Leur rôle sera à la fois d’anticiper des situations difficiles à venir dans l’industrie, d’accompagner les restructurations qui n’auront pas pu être évitées, de chercher toute solution alternative aux licenciements secs et de revitaliser les territoires qui auront pu être affectés par des fermetures d’usines ou des licenciements.

Nous avons également pu et su régler au cas par cas un certain nombre de dossiers délicats et douloureux. L’accord signé il y a quelques jours entre l’entreprise et les salariés de l’usine Continental est assez révélateur d’un dossier extrêmement difficile, avec une direction qui n’avait sans doute pas anticipé la situation et des représentants des salariés qui n’avaient pas forcément mis d’emblée tous les atouts de leur côté pour obtenir un traitement apaisé de la situation. Grâce à la médiation des pouvoirs publics, un accord a été conclu.

Je voudrais également évoquer deux autres cas sur lesquels vous m’avez interrogé.

S’agissant tout d’abord de l’entreprise Heuliez, monsieur Bourquin, la date limite de dépôt des dossiers de reprise auprès du liquidateur judiciaire avait été fixée à ce soir. Je dois vous indiquer qu’au moins un dossier de reprise globale de l’activité d’Heuliez, et non de reprise de la seule activité véhicules électriques, a été déposé ; c’est une bonne nouvelle, l’activité véhicules électriques ne concernant que 45 des 1 000 emplois. Je veux bien que l’on fasse tout pour l’électrique – et nous faisons naturellement preuve d’un fort volontarisme dans ce domaine –, mais il faut également penser aux autres salariés, travaillant dans le domaine de l’emboutissage, activité plus traditionnelle d’Heuliez.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, l’État, à travers le Fonds stratégique d’investissement, sera présent dans le futur tour de table pour la reprise de l’activité d’Heuliez, au moins à hauteur de 10 millions d’euros.

S’agissant de Molex, monsieur Mirassou, nous avons beaucoup anticipé. J’ai effectivement fait recevoir, hier, par mon directeur-adjoint de cabinet, les représentants des salariés, mais je les avais déjà reçus moi-même ; j’ai d’ailleurs reçu l’ensemble des acteurs, qu’il s’agisse des représentants des salariés, des représentants de la direction ou des élus locaux. La vérité est qu’il n’y avait, jusqu’à présent, ni volonté de cession de la part de l’entreprise ni repreneur : il est évidemment difficile, dans de telles conditions, de bâtir un projet de reprise d’activité !

Nous travaillons donc avec l’ensemble des acteurs – je note que l’entreprise fait preuve d’un peu plus d’ouverture qu’il y a quelque temps – et notre commissaire à la réindustrialisation est totalement mobilisé sur ce dossier.

Le pacte automobile que plusieurs d’entre vous ont évoqué, est finalement, en quelque sorte, la concrétisation et l’illustration de la façon dont le Gouvernement gère cette crise dans l’industrie, répondant à l’urgence, faisant un choix stratégique fondé sur l’investissement et prenant des mesures d’accompagnement dans le domaine social.

L’une des mesures qui ont sans doute eu le plus d’impact – M. Longuet en a parlé – est la prime à la casse.

Force est de constater que, cinq mois après le début de cette crise, le marché automobile français résiste beaucoup mieux que ses voisins européens puisque l’activité se situe sensiblement au même niveau que l’année dernière : la diminution des ventes n’est que de 1,4 %, alors que l’ensemble du marché européen recule de 18 % – et le marché espagnol, de 40 % ! J’ajoute que les usines des constructeurs automobiles français vont reprendre, à partir du mois de juillet, des cadences comparables à celles de juillet 2008 et à la moyenne des cinq années précédentes. On le voit bien, la mesure de soutien à la demande a eu un réel impact pour amortir le choc de la crise.

M. Jean-Louis Carrère. Là, justement, ce n’est pas du soutien à l’investissement !

M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Naturellement, le dispositif prendra fin un jour. La date prévue est celle du 31 décembre prochain. Il nous appartient d’y réfléchir d’ores et déjà, avec l’ensemble des acteurs, pour éviter le trou d’air que l’on a pu constater lorsque la même mesure avait été appliquée, à deux reprises, au cours des années 90, et dont on peut craindre qu’il ne se reproduise après le 31 décembre.

Bien entendu, mesdames, messieurs les sénateurs, tant les mesures structurelles destinées à restaurer la compétitivité de nos entreprises industrielles que celles que nous avons prises face à la crise nous amènent à nous poser à nouveau un certain nombre de questions et à redéfinir le rôle de l’État pour ce qui concerne le soutien à l’industrie. Je suis convaincu que l’État a un triple rôle à jouer.

Il doit d’abord avoir un rôle de fédérateur et rassembler sur une thématique donnée l’ensemble des acteurs d’une filière.

Lorsque j’ai installé le comité stratégique pour l’avenir de l’automobile, c’était la première fois que tous les acteurs de la filière, depuis les donneurs d’ordre jusqu’aux salariés en passant par les sous-traitants et les pôles de compétitivité, se retrouvaient pour échanger sur l’avenir de ce secteur. Jusque-là, ils ne se rencontraient que pour évoquer les produits, les prix ou pour négocier dans le cadre d’un rapport de force.

Nous avons également mis en place un comité stratégique des éco-industries voilà plus d’un an. Une fois par mois, tous les acteurs de la filière se réunissent.

Nous avons par ailleurs créé le forum des services mobiles sans contact pour définir les solutions technologiques du futur sur ce créneau dans lequel la France se doit d’être présente.

L’État doit jouer aussi un rôle d’investisseur. J’ai tout à l’heure indiqué qu’il pouvait se réserver la possibilité de prendre des participations, certes minoritaires, mais permettant de susciter la constitution d’un tour de table et de donner une visibilité à certaines entreprises.

Il peut également investir dans des secteurs à fort potentiel pour fixer le cap et le pérenniser. Ainsi, à Crolles, près de Grenoble, il a affecté 450 millions d’euros au secteur des micro et nanotechnologies, considéré comme l’un des plus prometteurs. Il a créé un « fonds démonstrateur » pour expérimenter le captage de CO2 ou l’énergie solaire, à hauteur de 400 millions d’euros. Il a aussi orienté les recherches du CEA vers les biocarburants.

Monsieur Patriat, dans le domaine du nucléaire, l’État a créé l’Agence France nucléaire international pour donner toutes leurs chances à nos exportations, aux solutions industrielles nucléaires françaises, si importantes non seulement pour les grands groupes nationaux – Areva, EDF, etc. –, mais aussi pour les PME sous-traitantes de premier et deuxième rangs de ce secteur, entreprises particulièrement présentes dans votre région comme dans la mienne, réunies autour du pôle technologique que le président de votre commission des affaires économiques, M. Emorine, connaît bien également.

L’État a enfin un rôle de détonateur. Il doit être capable de créer les conditions d’existence économique et juridique d’un marché, parfois par le biais d’une commande publique. Ainsi, nous avons demandé à La Poste de fédérer l’ensemble des grandes entreprises qui pourraient faire une commande groupée de véhicules électriques.

Nous pouvons aussi agir dans ce sens par le biais de la fiscalité ou de la réglementation. J’ai installé un groupe de travail avec les Allemands sur la normalisation européenne relative au futur véhicule électrique pour que nous soyons capables de peser sur les choix européens futurs.

Vous le voyez, monsieur Bourquin, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement croit en l’avenir de l’industrie française, qui constitue un réservoir d’emplois important. C’est la raison pour laquelle j’ai créé voilà quelques jours un comité stratégique pour les marchés porteurs. La sortie de crise passera aussi par notre capacité à investir dans les marchés du futur, autrement dit les marchés offrant d’importantes perspectives de croissance, sur lesquels notre pays dispose d’acteurs particulièrement compétitifs, des multinationales aux PME, et sur lesquels l’action de l’État peut, en ayant un véritable effet de levier, s’avérer décisive.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère vous avoir convaincus de la détermination du Gouvernement à soutenir l’industrie de notre pays. (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur plusieurs travées de lUnion centriste.)

M. le président. En application de la décision de la conférence des présidents, la parole est à M. Martial Bourquin, auteur de la question, qui dispose de cinq minutes pour répondre au Gouvernement.

M. Martial Bourquin. Monsieur le secrétaire d’État, je me permettrai de vous faire remarquer que les différentes interventions dans ce débat ont été positives : elles ont montré que nous partagions tous le souci de voir une réelle politique industrielle mise en œuvre. Nous voulons tous faire en sorte que soient trouvées les solutions les plus adaptées à la situation actuelle, particulièrement grave et difficile.

De ce point de vue, le capital humain est l’atout fondamental. Une politique industrielle nécessite donc une formation initiale de qualité, l’assurance d’une formation tout au long de la vie, un effort résolu de recherche et développement.

Je reviendrai brièvement sur deux points.

Aujourd’hui, des entreprises connaissent des difficultés ; le cas de la société Molex, notamment, a été évoqué. Ne conviendrait-il pas que des salariés dont l’entreprise subit des pertes de marché puissent suivre une formation tout en conservant leur salaire et leur statut, puis la réintègrent lorsqu’elle retrouve meilleure fortune, au lieu d’être licenciés ou même de bénéficier d’un contrat de transition professionnelle ?

La flexisécurité à la danoise est fréquemment vantée. La solution que je préconise en matière de formation et de protection des salariés constituerait, dans cette optique, une importante avancée.

Le deuxième point a trait à la mutation écologique. Combien de téléviseurs à écran plat sont fabriqués dans notre pays ? Si, pour faire face aux défis énergétique et climatique, dans le cadre de la « révolution verte », nous multiplions les capteurs photovoltaïques sans, dès aujourd'hui, avoir l’intelligence de susciter, dans les territoires, le développement d’entreprises susceptibles de les fabriquer, il en ira des capteurs solaires comme il en est allé des écrans plats. Cela s’appelle de la prospective !

Bien sûr, nous avons à cœur de conserver l’excellence industrielle française, de sauvegarder nos PME, nos TPE. Mais il convient aussi de mener une politique prospective.

Les 600 000 emplois que vient de perdre notre pays constituent une véritable tragédie. Certes, il faut mener une politique de soutien à l’investissement ; mais il faut aussi, monsieur le secrétaire d'État, une politique de soutien à la consommation, aux salaires. Je déplore d’ailleurs qu’aucun « coup de pouce » en faveur du SMIC ne soit prévu. (M. Paul Blanc s’exclame.) Vous avez tenu à affirmer votre volonté de relancer l’économie uniquement par l’offre ; or une relance par la consommation est également nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

8

Réforme de la taxe professionnelle

Discussion d'une question orale avec débat

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 34 de Mme Marie-France Beaufils à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur la réforme de la taxe professionnelle.

Cette question est ainsi libellée :

« Mme Marie-France Beaufils attire l’attention de Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur les problématiques de la taxe professionnelle.

« Maintes fois, depuis sa création en 1976, la taxe professionnelle a fait l’objet de modifications législatives conduisant à rendre son économie générale de moins en moins évidente et de plus en plus opaque pour les élus locaux.

« La commission Balladur sur la réforme des collectivités territoriales vient d’ajouter, à l’occasion de la publication de ses premières conclusions, à la perplexité et aux interrogations sur le devenir de cette ressource essentielle pour les budgets locaux (plus de 40 % de leurs recettes fiscales propres).

« Les plus récentes déclarations du Président de la République, évoquant la suppression de la taxe professionnelle, ont par ailleurs ajouté à l’inquiétude maintes fois exprimée des associations d’élus locaux.

« Elle l’interroge donc sur le bilan des modifications intervenues, leur impact sur les finances locales et la vie économique, sur les orientations que le Gouvernement entend définir quant au devenir de la taxe professionnelle, à la concertation menée sur ce sujet et aux conséquences de toute évolution sur les futures politiques locales. »

La parole est à Mme Marie-France Beaufils, auteur de la question.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la situation économique dans laquelle nous nous trouvons et qui, selon l’INSEE, a commencé à se dégrader dès le premier semestre de 2008, est devenue un nouveau prétexte pour remettre en cause des équilibres sur lesquels la France a bâti son modèle social.

En effet, à écouter le Président de la République, en quête de l’improbable refondation du capitalisme, le moment serait venu, du fait de la crise, de mettre un terme à l’existence de la taxe professionnelle, considérée comme une incongruité juridique et fiscale dont nous serions les derniers dépositaires en Europe.

Il faudrait, sous le prétexte des contraintes de la mondialisation et au nom de la compétitivité de nos entreprises, alléger encore plus la contribution de celles-ci au financement des collectivités locales.

Toutefois, dans ces arguments qui sont assenés, il n’est jamais question des avantages que tirent ces mêmes entreprises de la mondialisation. En fait, on ne se demande jamais qui en bénéficie réellement. Les salariés ? Certainement pas, non plus que l’assise économique de la France ! Non, les véritables bénéficiaires, il faut plutôt les chercher du côté des actionnaires et des dirigeants !

Cette démarche tendant à supprimer la taxe professionnelle accompagne les nombreuses dispositions qui visent à alléger l’impôt sur les sociétés et, par là même, à rendre les entreprises de moins en moins contributrices à la charge commune. Comme si elles n’avaient pas besoin des dépenses collectives pour assurer leur développement !

À dire vrai, tel qu’il est posé, le débat est pour le moins biaisé.

On explique à chacun des habitants de ce pays que, pour sortir de la crise, il faut encore alléger l’imposition des entreprises, au moment même où les ménages constatent, pour leur part, les effets de la modération et de la stagnation salariale, la persistance des prélèvements fiscaux sur la consommation et la hausse des impôts locaux : cela a tout de même de quoi laisser rêveur, mes chers collègues !

Cette mesure a été présentée par le Président de la République comme un outil de relance économique, mais nous nous interrogeons sur son efficacité, sans doute parce que, instruits par l’expérience, nous nourrissons quelques doutes sur les politiques d’allégements fiscaux et sociaux.

Je ne sais ce que le concept d’« entreprise citoyenne » dont on nous rebattait les oreilles il y a quelques années, deviendra dans ce schéma.

Quoi qu'il en soit, une première série de questions mérite d’être posée, et elle est essentielle dans ce débat : les mesures prises depuis vingt ans afin de réduire le poids de la taxe professionnelle dans les comptes des entreprises ont-elles, oui ou non, porté leurs fruits ? Quel bilan, quelle analyse critique ont été réalisés ? Un rapport sur les emplois créés, les investissements supplémentaires réalisés dans ces activités économiques a peut-être échappé à notre attention, mais cela m’étonnerait…

L’une des grandes faiblesses du discours du Président de la République sur la suppression de la taxe professionnelle, c’est qu’il ne tient pas compte de l’histoire.

Avec l’instauration, dans le cadre de la loi de finances pour 1987, de l’allégement transitoire de 16 % sur les bases imposables, nous avons connu le premier moment clef de la mise en cause de l’équilibre de la taxe professionnelle.

Et l’on sait fort bien ce qu’est devenue la dotation destinée à compenser, pour les collectivités locales, les effets de cet allégement dit « transitoire ». L’incidence de ce dernier doit être mesurée de deux manières : à travers son coût pour l’État, en tenant compte bien entendu des sommes qui sont revenues dans ses caisses par le biais de l’impôt sur les sociétés, et à travers son coût pour les collectivités locales, après déduction du montant de la compensation perçue, naturellement.

On peut estimer que, au cours de la période d’existence de l’allégement transitoire, ce dispositif a coûté à l’État de 60 milliards à 80 milliards d’euros, en valeur de 2009. Il faut déduire 20 milliards à 25 milliards d’euros au titre des recettes de l’impôt sur les sociétés, mais ajouter le montant de la dotation de compensation de la taxe professionnelle. Or celle-ci, comme nous l’observons depuis 1995, sert de variable d’ajustement aux dotations budgétaires, ce qui n’était nullement sa fonction au départ. Je rappellerai que, pour 2009, cette réduction a été portée à 27 %.

Deux chiffres permettent de résumer la situation.

À la fin de 1995, on promulguait une loi de finances prévoyant de consacrer plus de 17,8 milliards de francs, c'est-à-dire, en valeur actuelle, quelque 2,72 milliards d’euros – j’insiste sur ce chiffre ! – à la compensation de la taxe professionnelle. Dans la loi de finances pour 2009, ce montant s’établit à 582 millions d’euros, soit cinq fois moins en euros courants, et la réduction est évidemment encore plus sensible en euros constants ! Cette évolution s’est produite en moins d’une quinzaine d’années, ce qui, bien sûr, n’est pas neutre pour toutes les communes qui ont été privées de cette recette.

Une autre mesure prise au cours de l’histoire de la taxe professionnelle est la suppression de la part imposable des salaires.

On connaît le processus mis en œuvre : suppression progressive par abattement sur la valeur retenue des salaires et compensation quasi intégrale, avant l’intégration de celle-ci dans la dotation globale de fonctionnement.

En 2003, dernière année où la compensation était individualisée, l’État consacrait 9 033 millions d’euros à cette charge. La dotation globale de fonctionnement, pour sa part, représentait un ensemble de 18,9 milliards d’euros. En 2004, la fusion des deux éléments et la création de la dotation globale de fonctionnement des régions permettait de dépasser les 30 milliards d’euros. En 2009, la progression globale de la dotation était fixée aux alentours de 40,8 milliards d’euros, cette évolution générale n’ayant plus aucun lien avec la réalité des bases imposables théoriques.

Depuis 2004, en effet, il est évident que, année après année, le décalage entre la dotation budgétaire perçue et la réalité des produits fiscaux désormais abandonnés s’accroît, ce qui finit par coûter cher et pose une question récurrente : toutes les réformes de la taxe professionnelle, entre changements d’assiette et plafonnements divers, ont-elles atteint les deux impérieux objectifs qu’elles s’étaient fixés, à savoir la relance de l’emploi et celle de l’investissement ?

La réponse à cette question nous est peut-être fournie par M. Jean Philippe Cotis, directeur général de l’INSEE, dans son intéressant rapport sur le partage de la valeur ajoutée, même si, bien évidemment, ce n’était pas l’objet premier de ce document.

Ce rapport rappelle quelques données essentielles.

Tout d'abord, le mouvement de défiscalisation engagé en 1985 et accentué par la désindexation des salaires a conduit à redresser le taux de marge des entreprises et à l’installer durablement autour de 30 %. L’élévation de ce taux masque toutefois certains handicaps pour la progression globale de la valeur ajoutée. En particulier, le développement de l’emploi faiblement rémunéré, souvent précaire et peu qualifié, conduit à réduire la capacité de progression de la valeur ajoutée. A contrario, la part déclinante des emplois qualifiés joue désormais contre la croissance et la qualité de la production comme contre la productivité.

À force de jouer l’incitation aux bas salaires contre le développement de la formation qualifiante, on aboutit à dégrader le tissu économique, ainsi qu’il en va toujours lorsqu’on se contente d’une vision à court terme.

Corrélativement, la part des salaires, cotisations sociales comprises, s’est progressivement réduite dans la valeur ajoutée. Aujourd'hui, la part des cotisations sociales dans la masse salariale globale est de plus en plus marquée, mais celle-ci est au même niveau qu’en 1970 ! Et l’emploi ne s’est pas durablement ni réellement amélioré. Ainsi en est-il dans l’industrie qui, ces dernières années, n’a cessé de perdre des emplois, les entreprises préférant faire appel à des personnels non permanents, par le recours à l’intérim.

Du reste, on voit bien que, dans cette période de crise, les salariés sous contrat d’intérim sont les premières victimes ; ils ne bénéficient aucunement des plans de restructuration engagés.

Enfin, la défiscalisation, marquée par la baisse de la TVA, de l’impôt sur les sociétés ou de la taxe professionnelle a conduit à un accroissement sensible de la part de la richesse créée par le travail, mais consacrée à la rémunération du capital. C’est ce qu’indique très simplement le rapport Cotis quand il précise que la part destinée à la rémunération des actionnaires augmente ces vingt dernières années, tandis que celle qui est dévolue aux investissements diminue, avec tous les risques que cette évolution fait courir au tissu industriel.

L’existence des entreprises installées dans notre pays a ainsi connu, depuis vingt ans, plusieurs phases.

L’apport de la défiscalisation a tout d’abord, parallèlement à un mouvement de réduction des taux d’intérêt, conduit au désendettement et à la reconstitution des fonds propres. Puis, pour financer l’investissement, les entreprises ont fait de plus en plus souvent appel à des capitaux levés sur les marchés, dont la gourmandise est telle que la rémunération des capitaux en question a consommé une part croissante des bénéfices d’exploitation.

Ce processus ne concerne fondamentalement que les entreprises de grande taille, cotées sur les marchés financiers et faisant appel public à l’épargne. Toutefois, il n’épargne pas vraiment les PME, pour lesquelles la période a été marquée par deux processus clefs.

D’une part, l’intégration capitalistique dans des groupes a conduit non seulement à la mise en place des outils juridiques de « remontée financière » des profits des filiales vers la tête des groupes, mais aussi d’exigences de « performance » incompatibles avec le maintien de la rémunération des salariés, qui sont ainsi les premiers à payer le prix de cette évolution.

D’autre part, s’agissant des PME restées indépendantes, l’intégration de plus en plus forte en qualité de sous-traitantes, avec la pratique de contrats aux conditions léonines, a fait, là encore, remonter vers le donneur d’ordre l’essentiel de la valeur ajoutée.

Les résultats, nous les connaissons, mes chers collègues : fragilisation de nos PME et de l’emploi, fuite en avant perpétuelle vers le moins-disant social et fiscal.

Chacun ici sait que les principaux bénéficiaires de la baisse de l’impôt sur les sociétés sont les grands groupes, qui ont fait de l’allégement des cotisations sociales sur les bas salaires un véritable outil de gestion et qui « font leur miel » de la réduction de la taxe professionnelle.

Une éventuelle suppression, unilatérale ou presque, de la taxe professionnelle ne changera rien à cette répartition des avantages fiscaux comparatifs : ce seront les mêmes qui tireront le plus grand profit de ces choix.

Ce qui est nécessaire aujourd’hui, après plus de trente ans de vie de cet impôt, c’est d’en mesurer l’efficacité au vu de l’évolution de l’activité économique depuis 1976, date de sa création. On sait que l’économie, malheureusement, a pris une dimension financière qui était totalement absente des bases de calcul de l’époque.

L’une des critiques que ses opposants adressent le plus souvent à notre taxe professionnelle, c’est de n’avoir aucun équivalent en Europe, ce qui suffirait pratiquement à la condamner, au nom d’une harmonisation fiscale implicite et qui, d’ailleurs, n’est toujours pas à l’ordre du jour, le sacro-saint principe de subsidiarité laissant chaque État européen maître de la définition de sa fiscalité et des composantes de celle-ci. Que je sache, tout ce que fait l’Europe en la matière, c’est encadrer l’application des droits indirects, et non décider de la liste exhaustive des impositions de toute nature que peuvent instaurer les États. On ne s’attaque pas aux principes ni à l’architecture : on ne fait que limiter l’application de telle ou telle règle fiscale.

Le choix de la France de financer une bonne part de l’action des collectivités territoriales par le biais de l’impôt local n’est pas condamnable en soi, bien au contraire. Je pense même qu’il s’inscrit tout à fait dans l’esprit de nos textes constitutionnels, la Déclaration de 1789 exigeant de chacun qu’il contribue à la dépense publique en fonction de ses capacités.

Ce choix garantit aux collectivités locales une certaine autonomie, laquelle, ne l’oublions pas, a d’ailleurs été consacrée par la révision de la Constitution de 2003. Il leur permet d’assumer les compétences et les missions qui leur sont confiées et dont les entreprises bénéficient, à travers les infrastructures, pour l’essentiel, mais aussi à travers les services de qualité mis à la disposition des salariés et de leurs familles.

D’autres pays, plus décentralisés, ont fait des choix différents, qui passent notamment par le recours au partage du produit des impôts d’État.

Pour en revenir à notre taxe professionnelle, plutôt que de l’attaquer sans rémission, ce qui, à force de correctifs, amènerait l’actuel gouvernement à la réduire quasiment à néant, il nous semble, et c’est l’objet de cette question orale avec débat, qu’il faut plutôt réfléchir à son évolution, à sa modernisation.

Devons-nous, comme le Président de la République semble nous y inviter, procéder à l’exclusion définitive des investissements de l’assiette de cette imposition, ce qui la réduirait à une sorte de taxe foncière sur les activités économiques ?

Faut-il, en ce sens, mettre en avant la taxe carbone, cette imposition indirecte appelée à être essentiellement supportée par le consommateur final, sans lien clairement établi avec le territoire, et en répartir le produit pour compenser la mesure précitée ?

Ou faut-il plutôt réfléchir à l’évolution de l’assiette de la taxe, à l’importance et à la pertinence des correctifs qui y sont apportés, et trouver les voies et moyens d’une réforme participant de deux objectifs, à savoir, d’une part, assurer aux collectivités locales les moyens financiers de leur action et, d’autre part, rétablir entre les entreprises contribuables un traitement équitable au regard de l’impôt ?

Permettez-moi de rappeler que, avant le plafonnement de la taxe professionnelle à 3,5 % de la valeur ajoutée, les services de l’État nous avaient permis de mesurer – ils répondaient à la sollicitation que je leur avais adressée en tant que rapporteur de la commission des finances – le poids de la taxe professionnelle selon les activités économiques. Nous avions ainsi appris que, en 2004, le secteur financier ne consacrait que 1,7 % de la valeur ajoutée produite pour payer la taxe professionnelle, le BTP 1,9 %, le commerce 2,3 % et l’énergie 5,6 %.

Monsieur le secrétaire d'État, ne pensez-vous pas que l’intégration de la richesse financière dans les bases d’imposition serait efficace non pas seulement pour rétablir l’équité des entreprises face à l’impôt, mais aussi pour améliorer la vie économique elle-même ?

Ne serait-ce pas une bonne façon de combler le besoin de financement des collectivités territoriales pour leur permettre de répondre aux attentes des populations et des activités économiques, et aussi de faire face aux obligations de plus en plus nombreuses qui leur sont transférées ?

Les collectivités locales sont en attente d’une visibilité plus grande quant à leurs ressources. Vous savez, monsieur le secrétaire d'État, que la taxe professionnelle représente une ressource décisive dans leurs budgets. Vous savez également que l’intercommunalité a été essentiellement fondée sur une taxe professionnelle unique pour son financement.

Tels sont les points qui nous semblent être au cœur de ce débat dont nous avons souhaité la tenue, afin de pouvoir avancer sur cette question, primordiale selon nous, pour la vie de nos collectivités. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Charles Guené.

M. Charles Guené. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’état, mes chers collègues, la réforme de la taxe professionnelle n’est sans doute pas, dans le contexte actuel, un choix facile, mais elle a, entre autres, l’avantage de nous inviter à dresser l’état des lieux. On ne peut, en effet, réformer sans évaluer la marge de manœuvre. Aussi, je vous propose de visiter la maison « fiscalité locale », pour examiner ensuite l’état de la réflexion et les alternatives.

Nous voyons aujourd'hui la conjonction de trois phénomènes qui nous appellent à l’action et qui constituent à n’en point douter une occasion historique.

Oui, la taxe professionnelle est devenue un impôt obsolète et nocif.

Si, dans les années soixante-dix, un tel impôt sur les moyens de production a pu être valablement retenu comme financement localisable pour les collectivités, force est de constater que, malgré la suppression de la part salaires en 1999, il est devenu un impôt anti-économique : son assiette est trop étroite et elle est limitée par les exonérations ; son poids est inégal selon les secteurs d’activité et selon la localisation géographique ; il est sans rapport avec la capacité contributive des entreprises ; la taxe professionnelle constitue un frein à l’investissement ; pis, de nos jours, elle est aussi devenue un obstacle à l’implantation nouvelle, voire un facteur de délocalisation, car l’investissement est infiniment plus volatil que le personnel.

Il convenait donc de songer à réformer profondément cet impôt emblématique, tant sur le plan de ses effets réels que quant à la manière dont il est ressenti par les entreprises nationales ainsi que par les investisseurs internationaux.

À cet instant, je crois utile d’évoquer l’état actuel de la fiscalité locale.

Par le biais des dégrèvements fiscaux et des compensations, l’État prend en charge environ 35 % du produit fiscal dû aux collectivités. Au seul titre de la taxe professionnelle, en 2008, sur un produit perçu de l’ordre de 30 milliards d’euros, l’État a versé près de 13 milliards d’euros, sans compter les compensations de la part salaires, qui sont intégrées dans la dotation globale de fonctionnement et qui se montent à 10 milliards d’euros.

Le système a perdu toute lisibilité, à tel point que l’on ne sait plus qui paie quoi. Dans certaines villes, dont je tairai le nom, l’État contribue en quasi-totalité au paiement de certains impôts locaux.

Sur le plan des dotations, nous sommes désormais soumis à une enveloppe à géométrie variable, dont l’État s’évertue à estomper les contours. L’inclusion du FCTVA n’est qu’un épisode, et je crains que, demain, nous ne devions affronter une nouvelle proposition alambiquée, tant les contraintes budgétaires se resserrent, sans compter que la modification de la taxe professionnelle aura des conséquences sur le potentiel fiscal et sur l’ensemble des dotations qui en dépendent.

Par ailleurs, le vaste mouvement de décentralisation que nous venons de vivre a fait supporter à l’assiette d’impôts qui n’étaient pas conçus pour cela une forte pression, pour les porter à des rendements anormaux. La part de la dépense des collectivités locales dans le PIB s’est, en effet, accrue de 35 % en vingt-cinq ans, sans pour autant que de nouvelles assiettes d’impôt fussent proposées à due concurrence.

Nous devons, à cet égard, renouer avec la clarté, mais aussi avec la responsabilité dans la prise en charge de décisions, en matière de dégrèvement et d’exonération. Il est patent que le système fiscal des collectivités locales est à bout de souffle et que nous devons le refonder, sans oublier de réfléchir à sa gouvernance.

Il devient urgent d’examiner de plus près la manière dont les pays qui nous entourent ont établi un pacte de stabilité interne entre l’État et les collectivités locales.

Je n’entrerai pas ici plus en avant dans ce sujet, mais je vous demanderai de convenir avec moi que la réforme de la taxe professionnelle nous conduit inéluctablement à la réforme complète de la fiscalité locale.

Mme Jacqueline Gourault. C’est sûr !

M. Charles Guené. Je dirai maintenant un mot d’un troisième phénomène qui vient affecter notre doctrine fiscale et qui, à n’en point douter, constitue une petite révolution, à l’instar de ce que fut la réforme Caillaux au début du xxe siècle, avec l’institution de l’impôt progressif.

M. Jean-Michel Baylet. Encore les radicaux ! (Sourires.)

Mme Jacqueline Gourault. Cela s’est mal terminé ! (Nouveaux sourires.)

M. Charles Guené. À l’origine collecteur de ressources, l’impôt devint alors un élément de redistribution, ajoutant au rôle de collecte celui de correcteur social.

Si, depuis un quart de siècle, nous nous interrogeons sur la pertinence de préserver notre planète, les magnifiques images proposées par Yann Arthus-Bertrand dans Home, voilà quelques jours, et l’analyse des résultats des dernières élections européennes nous indiquent que nous venons indubitablement de franchir un cap.

Nos concitoyens l’ont compris : demain, et pour la première fois, la fiscalité va devenir environnementale. En bref, cela signifie qu’elle devra déclencher un « signal prix » en fonction de l’intensité carbone des produits concernés pour faire évoluer notre comportement.

Par conséquent, outre son rôle de collecte et de redistribution, elle devra conduire à une réduction des consommations fossiles pour éviter ou amortir le choc de la transition énergétique que nous devons nous préparer à subir.

Au passage, je précise que cette nouvelle fiscalité devra s’opérer à prélèvement global constant, et que la fiscalité écologique n’étant pas, par nature, sociale, il conviendra d’en corriger les effets par des redistributions, ces deux contraintes étant toutefois rendues surmontables par l’effet d’un double dividende : d’une part, la réduction du dommage lié à la pollution, d’autre part, l’apport de recettes nouvelles.

Si l’on prend en compte ces trois facteurs, à savoir la nécessité d’une réforme de la taxe professionnelle, l’obsolescence du système fiscal et l’émergence de la fiscalité environnementale, il faudrait être aveugle pour ne pas dire, comme Mme Lepetit, directrice de la législation fiscale, lors de la dernière réunion du comité des finances locales : « Nous avons là une chance historique de reformer la fiscalité locale, ne la laissons pas échapper ! »

Pour y parvenir, nous devrons ensemble, à travers la réforme de la taxe professionnelle, poser les bases d’une réforme globale de la fiscalité locale. Il est, à cet égard, indispensable que nous nous débarrassions des préjugés qui encombrent le débat public en profitant de cet instant charnière. Je me contenterai, ici, d’en citer les quelques fondements.

Il faut considérer que la dépense locale est, pour l’essentiel, une dépense maîtrisable et faire en sorte de figer le périmètre de nos dépenses transférées pour délimiter la part contrainte des collectivités par rapport à celle où nous disposons de latitudes.

À partir de ces nouveaux espaces, il importe que les limites de l’autonomie fiscale, à laquelle bon nombre d’entre nous sont attachés, soient clairement établies par rapport à l’autonomie financière que nous avons constitutionnellement définie.

Dès lors, nous pourrons « dé-corréler », si je puis me permettre cette expression, les ressources des collectivités locales, notamment en matière économique, de l’impôt prélevé, et cela nous permettra de trouver les bonnes assiettes.

Il conviendra également de fonder une nouvelle gouvernance qui permettra l’encadrement des dépenses et des taux d’imposition, dans le cadre d’un pacte négocié entre l’État et les collectivités.

Nous pourrons ainsi disposer de prélèvements nationaux, que nous pourrons affecter en conservant les liens avec le territoire.

Nous devrons aussi distinguer les impôts fondés sur les flux de ceux qui sont fondés sur les coûts, afin de corriger la distinction factice, à mon sens, entre fiscalité des ménages et fiscalité des entreprises, et qui anime le seul débat public franco-français.

Nous devrons utiliser les possibilités offertes par la fiscalité environnementale pour compléter les ressources fiscales de l’État, obérées par ces rééquilibrages, mais aussi pour en corriger les inéluctables dérives sociales.

Nous devrons, enfin, refonder aussi le système de péréquation républicaine, qui devra sans aucun doute être beaucoup plus étroitement confié au contrôle du Parlement.

C’est en appliquant déjà quelques-uns de ces principes que la réforme de la taxe professionnelle a progressé, et c’est à leur lumière qu’il faut en lire la position actuelle, que je vais exposer à présent.

La réforme actuelle de la taxe professionnelle porte sur la suppression de la part investissements.

Les entreprises ne verseraient plus que la part correspondant à la base foncière, soit 5,8 milliards d’euros, à savoir environ 20 % du montant total, et la part de la taxe professionnelle relative aux investissements serait supprimée pour être remplacée, pour partie, par une taxation assise sur la valeur ajoutée.

Si la valeur ajoutée est un critère imparfait, elle reste la moins mauvaise des assiettes car, par son amplitude, elle nivelle les distorsions et permet l’application d’un taux faible.

Cette réduction sera intégralement compensée pour les collectivités locales, ainsi que l’a confirmé par deux fois le Gouvernement. Cela est déterminant, et vous ne manquerez pas d’y être sensibles, mes chers collègues.

Par ailleurs, il faut noter qu’aujourd’hui 56 % de la taxe professionnelle prélevée correspond déjà à la valeur ajoutée, par le biais de plafonnements et de la cotisation minimale.

Par l’application mécanique de la cotisation minimale, et grâce au retour, certes hypothétique, via l’impôt sur les sociétés, il en coûterait environ 8 milliards d’euros à l’État.

Les collectivités locales pourraient ainsi être satisfaites en disposant d’un impôt économique reposant, d’une part, sur le foncier avec faculté d’action sur le taux, et, d’autre part, sur la valeur ajoutée, avec un taux national mais avec une dynamique réelle, et dont la répartition comporterait un lien fort avec le territoire. La valeur ajoutée d’une entreprise peut, en effet, être répartie par établissement sur la base d’une clef comportant le nombre de salariés et les surfaces occupées, par exemple.

Néanmoins, au stade actuel de la réflexion, plusieurs alternatives demeurent et un certain nombre de difficultés subsistent.

Les entreprises souhaiteraient limiter le taux national de la valeur ajoutée à 1,5 % et imputer la partie foncière sur le montant de la taxation de la valeur ajoutée, alors que les collectivités souhaiteraient atteindre 2 % avec une petite faculté de variation locale et découpler les deux parts de la taxe professionnelle ainsi rénovée.

À cet égard, l’exigence de pouvoir faire varier le taux sur la valeur ajoutée ne semble pas constituer un casus belli.

En revanche, il paraît délicat de dépasser le seuil de 1,5 % à l’occasion d’une réforme visant à baisser la taxe professionnelle, et le plafonnement envisagé pèsera d’autant plus sur le budget de l’État. Il pourrait en être différemment si un autre plafonnement était imaginé, sur la base du cumul des deux nouvelles parts de la taxe professionnelle. Le débat semble progresser à ce sujet.

Une telle modification suppose également le transfert de la partie départementale et régionale des impôts « ménages » au couple communes-communautés de communes, et son remplacement par des impôts nationaux au profit des départements et des régions.

Ces derniers craignent que les impôts transférés ne soient aussi volatils que les précédents, qui ne leur permettent pas d’assumer les transferts en cours. Il en serait autrement s’ils pouvaient bénéficier de parts des grands impôts nationaux, plus stables et plus dynamiques, de type contribution sociale généralisée ou impôt sur le revenu. Nous rejoignons là la problématique de la réforme globale de la fiscalité locale.

Par ailleurs, la généralisation de la valeur ajoutée pose deux problèmes au monde économique, lesquels doivent être examinés avec circonspection.

Tout d’abord, à l’instar du projet Fouquet, le nouveau système envisagé tend à reporter une partie non négligeable de la charge des entreprises d’industries lourdes sur les entreprises du tertiaire, lesquelles avaient, certes, largement bénéficié de la suppression de la part salaires, mais on comprend qu’il n’y aura pas que des gagnants.

Ensuite, il subsiste tout un réseau de petits et moyens contribuables sur lequel nous ne nous sommes pas encore prononcés.

Enfin, un mouvement fiscal de cette ampleur exige la mise en place de puissants mécanismes de péréquation horizontaux et d’une gouvernance. L’intercommunalité, qui a été l’un des plus grands facteurs de modernisation de la gestion de ces dernières décennies, doit pouvoir bénéficier de perspectives dans le cadre de l’évolution de la taxe professionnelle unique.

Pour terminer, il ne me paraît pas indécent de vous inviter, monsieur le secrétaire d'État, à étudier les incidences d’une telle réforme sur le budget de l’État.

Du taux retenu sur la valeur ajoutée dépendra largement le coût budgétaire de la réforme, dont le montant provisoire est fixé aux alentours de 8 milliards d’euros.

L’État devra disposer de plusieurs années pour résorber le manque à gagner, compte tenu de la conjoncture difficile.

La taxe carbone pourra être partiellement utilisée dans le cadre de son deuxième dividende, mais cela doit être entendu comme une ressource budgétaire et non comme une ressource des collectivités locales.

La résorption des niches d’impôt sur les sociétés devra également contribuer à l’équilibre, et on peut imaginer que, dans un avenir plus radieux, la partie valeur ajoutée puisse venir s’imputer progressivement sur l’impôt sur les sociétés, afin de parvenir à la neutralité fiscale qui conviendrait à la compétitivité de nos entreprises.

Tel est, brossé en quelques traits, le point d’étape auquel nous sommes parvenus, et qui devrait nous permettre, au terme de quelques entretiens complémentaires, de parvenir à une réforme de la taxe professionnelle supprimant la part des équipements et biens immobiliers, sans effet pour les collectivités locales.

Je pense avoir ouvert très largement le champ des incidences, sur le plan tant de la réforme de la taxe professionnelle elle-même que de la fiscalité tout entière, pour que, monsieur le secrétaire d'État, vous puissiez mesurer l’étendue des opportunités qui s’offrent au Parlement de mettre en œuvre une fiscalité moderne et la gouvernance qui doit l’accompagner.

Nos concitoyens attendent, au terme de la concertation ouverte et de qualité que le Gouvernement a bien voulu engager, que le Sénat y contribue à la mesure des pouvoirs particuliers qui lui ont été confiés. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de l’Union centriste. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avec une soudaineté qui ne nous étonne plus, le Président de la République a annoncé, le 5 février dernier, la suppression de la taxe professionnelle à compter de 2010. Depuis, de très nombreux élus et responsables de collectivités ont exprimé, avec raison, leurs inquiétudes et leurs réserves face à un tel projet. Il est en effet inconcevable de prendre unilatéralement une décision aussi importante, qui, de surcroît, heurte plusieurs principes fondamentaux.

Le premier est d’ordre constitutionnel. La suppression de la taxe professionnelle violerait l’article 72-2 de la Constitution, introduit par la réforme du 28 mars 2003, qui consacre le principe d’autonomie financière des collectivités locales. Point n’est besoin de vous rappeler, monsieur le secrétaire d'État, que cette réforme est issue de vos rangs !

En effet, l’article 72-2, en son troisième alinéa, précise notamment : « Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources ». Le niveau de cette fameuse part prépondérante, difficile à définir, a toutefois été fixé par la loi organique du 29 juillet 2004 prise en application de l’article 72-2 de la Constitution relatif à l’autonomie financière des collectivités territoriales : elle ne peut être inférieure au niveau constaté en 2003, soit 60,8 % pour les communes et leurs groupements, 58,6 % pour les départements et 41,7 % pour les régions. Autant dire que la suppression de la taxe professionnelle, qui concentre, sachons-le, 44 % de la fiscalité locale, anéantirait ce principe constitutionnel.

Une telle réforme conduirait également à contredire le principe, déjà malmené par les dernières lois de finances, de la libre administration des collectivités locales. En effet, la multiplication des dotations, au-delà du fait qu’elle opère une recentralisation, porte atteinte au pouvoir fondamental des collectivités de fixer et de prélever librement l’impôt.

M. Yvon Collin. Absolument !

M. Jean-Michel Baylet. Cela entraînerait une rupture du lien contractuel entre les citoyens et leurs collectivités. La centralisation des impôts nuit au pacte, ô combien important, qui soude les individus et leurs territoires. En l’occurrence, la suppression de la taxe professionnelle briserait le lien fiscal entre les entreprises et la collectivité.

Par ailleurs, mes chers collègues, la suppression de recettes dynamiques – les dotations n’étant pas des recettes actives – priverait les collectivités de leviers fiscaux utiles pour impulser des actions économiques locales.

M. Yvon Collin. Ce serait démotivant !

M. Jean-Michel Baylet. Enfin, le caractère figé de la dotation limiterait les capacités budgétaires des collectivités. Or, dans le même temps – nous le savons, nous en discutons souvent, notamment ici même, dans cet hémicycle –, l’État ne se prive pas de transférer régulièrement aux collectivités de nouvelles charges, et non des moindres, ayant de graves incidences financières, en particulier pour les départements.

Ainsi, le RMI, dont la gestion est désormais combinée à celle du RSA, a entraîné un milliard d’euros supplémentaires de dépenses entre 2003 et 2007. Quant à l’allocation personnalisée d’autonomie, dont la charge financière progresse de 8 % par an, elle devait être cofinancée par l’État à hauteur de 50 % : aujourd'hui, sept ans après sa création, la participation de l’État plafonne à 30 %, les 70 % restants étant donc supportés par les collectivités.

Monsieur le secrétaire d'État, les conseils généraux, loin de se défausser, font face à leurs responsabilités. En retour, il leur est indispensable de conserver une visibilité financière et une autonomie, ainsi que de recevoir de véritables compensations à l’euro près, conformément à ce qui a été promis par M. Copé devant l’Association des petites villes de France.

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. Enfin, mes chers collègues, la suppression de la taxe professionnelle est aussi un coup porté à une valeur qui fonde l’esprit républicain. Je pense au principe d’égalité devant les charges publiques inscrit à l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : ce dernier dispose ainsi qu’une « contribution commune est indispensable » et qu’elle « doit être équitablement répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

M. Yvon Collin. Voilà !

M. Jean-Michel Baylet. Or, le risque est grand de ne pas trouver une recette de substitution suffisamment dynamique pour compenser la disparition de la taxe professionnelle.

Les collectivités, qui devront faire face à de fortes charges publiques, feront naturellement, faute d’autres moyens, peser l’effort sur les ménages, au travers de la taxe d’habitation et de la taxe sur le foncier bâti, ce qui sera totalement inéquitable.

Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, au-delà des difficultés structurelles qu’impliquerait cette réforme, on peut se demander s’il est raisonnable de s’attaquer maintenant, dans le contexte actuel de crise économique, à ce chantier.

Les collectivités locales assument toute leur part dans la lutte contre la crise. Elles ont été associées au plan de relance et ont, la plupart du temps, répondu présent. Elles apportent, dans la mesure de leurs moyens, un soutien à l’économie locale. En réalisant 73 % des investissements publics, elles alimentent l’activité du secteur privé, en particulier dans le bâtiment. Dans le même temps, elles font bien évidemment face à l’accroissement de la demande d’aide sociale liée à la conjoncture actuelle.

Alors que les économistes peinent à dater la sortie de crise, pourquoi les déstabiliser avec une annonce qui porte tout de même sur presque la moitié du produit de la fiscalité locale ?

Loin d’apporter une simplification, le projet de suppression de la taxe professionnelle risque de bloquer les marges de manœuvre des collectivités au moment où elles ont besoin de latitude pour remplir leurs missions. Vous connaissez les réticences des élus et les difficultés que rencontrent nos concitoyens. L’heure n’est pas aux réformes hâtives et, disons-le, contre-productives.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous l’aurez compris, les radicaux de gauche, soucieux du respect des différents principes que j’ai évoqués, sont fermement opposés à toute suppression de la taxe professionnelle. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Jacqueline Gourault et M. Jean-Pierre Fourcade applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger.

M. Yves Krattinger. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, pour illustrer mon propos, je commencerai par vous relater un événement auquel j’ai participé lundi dernier.

Ce jour-là, en effet, était inauguré dans un bourg-centre de mon département un hôtel d’entreprises construit par la société d’économie mixte chargée du développement économique de notre territoire. En plus du département, qui en détient 75 % du capital, les autres actionnaires de cette société sont la Caisse des dépôts et consignations, les différentes chambres consulaires et les banques.

Cet hôtel d’entreprises est situé sur une zone d’activité labellisée dans le cadre d’un schéma départemental, lui-même élaboré par la société d’économie mixte en réponse à une commande du conseil général, financeur du projet. Elle est située à proximité d’une route classée « grande liaison d’aménagement du territoire », qui a nécessité des travaux financés à 100 % par le conseil général. Sur cette route, circulent chaque jour plus de mille camions, dont sept cents sont issus du centre mondial des pièces détachées du groupe PSA, implanté dans le chef-lieu du département.

On accède à la zone d’activité, d’une surface de vingt hectares conforme aux normes du label, par un échangeur construit il y a deux ans et financé en totalité par…

Mme Jacqueline Gourault. Le département !

M. Yves Krattinger. …des fonds départementaux.

La communauté de communes concernée a aménagé cette zone avec des subventions du conseil général, de la région et de l’État. Je remercie donc le Gouvernement au passage, monsieur le secrétaire d'État ! Grâce à ces aides financières, elle a mis à disposition, dans le cadre d’un bail à construction, le terrain sur lequel est installé l’hôtel d’entreprises et a réalisé la plateforme et les parkings.

Aujourd'hui, deux mois après sa mise en service, deux des quatre cellules de l’hôtel d’entreprises sont occupées, et une troisième le sera dans quelques semaines, par de jeunes entreprises bénéficiant d’un soutien de la région et d’un prêt d’honneur consenti par la plateforme « Haute-Saône initiative ». Il s’agit d’un fonds en faveur des créateurs d’entreprise, qui rassemble l'Europe, l’État, la région, le département, ainsi qu’un certain nombre d’autres partenaires, notamment des banquiers.

À cette inauguration étaient donc évidemment présents l’État, les collectivités territoriales et les chambres consulaires. Chacun s’est félicité du travail commun réalisé en faveur de l’économie et de l’emploi dans un contexte, c’est vrai, de mobilisation générale – le conseil général a d’ailleurs lui-même signé, comme d’autres, la convention relative au FCTVA –, et personne n’a songé à remettre en cause le lien fiscal entre le territoire et les entreprises.

Une telle situation n’est pas du tout spécifique à ce département ou à cette communauté de communes. Au sein de la mission temporaire du Sénat sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, nous débattons notamment de la fiscalité locale, sujet ô combien central. Et tous les témoignages que nous avons entendus vont dans ce sens.

C’est pourquoi toute reforme de la taxe professionnelle doit être conduite en ayant à l’esprit que les destins des entreprises et des territoires sont étroitement liés. Couper le lien fiscal qui les unit serait donc, d’après un point de vue assez largement partagé, dangereux pour leur avenir commun.

Or, monsieur le secrétaire d'État, je suis éminemment convaincu qu’une telle réforme sera de toute manière imposée au Parlement à l’automne prochain, à l’occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2010.

Dans ces conditions, je souhaite proposer une solution de remplacement au projet défendu jusqu’à présent par le Gouvernement. À cet égard, un certain nombre de principes doivent nous guider.

Il faut ainsi maintenir un lien fiscal étroit entre l’activité économique et les collectivités territoriales. Le temps des abus, que nous avons effectivement pu connaître autrefois, est désormais révolu. Il n’y a plus de contentieux entre collectivités et entreprises.

Nous sommes favorables à la suppression de l’imposition sur les investissements, mais il nous semble tout à fait possible de maintenir une imposition assise sur la valeur ajoutée, conformément, d’ailleurs, aux orientations retenues par M. Fouquet dans son rapport. Lors de son audition, récente, par la mission sénatoriale, celui-ci nous a brillamment exposé les conclusions du travail qui avait été effectué. À écouter les uns et les autres, j’ai eu l’impression que ses conclusions étaient assez largement partagées.

Il importe également de maintenir le niveau actuel des ressources des collectivités territoriales. Le contexte vient de nous être largement rappelé, celles-ci se sont vu transférer des compétences supplémentaires, de façon plus ou moins officielle, qui sont autant de besoins de financement supplémentaires.

Il convient, en outre, de maintenir et de renforcer l’autonomie fiscale des collectivités territoriales, inscrite dans notre loi fondamentale.

Il s’agit, encore, de ne pas opérer de transfert de la fiscalité de l’État. Cela reviendrait à l’appauvrir, et, actuellement, il n’a vraiment pas besoin de cela !

Il faut, de plus, supprimer l’interposition permanente entre l’État, les collectivités territoriales et les entreprises dans le paiement, notamment, de la taxe professionnelle, par la suppression des dégrèvements et des compensations. En la matière, d’ailleurs, l’actuel Gouvernement n’est pas le seul responsable, les torts sont partagés.

Il importe, aussi, d’assurer des gains significatifs à l’industrie, secteur le plus soumis à la concurrence internationale, ce qui devrait, à mon sens, recueillir un large consensus.

Enfin, il est primordial de limiter le nombre des perdants dans le mouvement de réforme qui va être engagé. Faut-il le rappeler, d’après le scénario du Gouvernement et les hypothèses annoncées, il y aurait 212 000 perdants, ce qui est loin d’être négligeable !

Pour atteindre tous ces objectifs, je propose, et je ne suis pas le seul, de découpler l’assiette actuelle de la taxe professionnelle en deux impositions distinctes.

Il s’agirait, d'une part, d’un impôt assis sur les valeurs locatives foncières des propriétés bâties des entreprises, celles qui sont comprises actuellement dans l’assiette de la taxe professionnelle et que M. Fouquet a proposé de prendre davantage en compte. Des minorations seraient prévues pour l’industrie, pour lui permettre de profiter pleinement de la réforme. Tout le monde, à mon avis, pourrait s’accorder sur ce point.

Il s’agirait, d'autre part, d’un impôt assis sur la valeur ajoutée, avec un taux fixé par les collectivités et encadré par un plancher et un plafond. Le Gouvernement nous propose un taux fixe, ce qui priverait les collectivités territoriales de toute liberté.

Le taux de la cotisation minimale de taxe professionnelle payée par les entreprises est aujourd’hui de 1,5 % pour celles dont le chiffre d’affaires est supérieur à 7,6 millions d'euros. Ce seuil pourrait être ramené à un million d'euros, ce qui permettrait de retrouver des bases beaucoup plus larges et de faire contribuer le maximum d’entreprises. En effet, plus la fiscalité se concentre sur un petit nombre, plus les taux appliqués sont importants et contestés.

En ce qui concerne le partage de cette fiscalité, l’imposition sur les valeurs locatives foncières irait aux communes et aux intercommunalités – d’ailleurs, toutes les impositions foncières, à l’exception de la part départementale, pourraient aller au bloc communal – et l’imposition sur la valeur ajoutée irait aux régions et aux départements. Après calcul, je ne suis pas le seul à le dire, cette réforme serait beaucoup moins coûteuse pour les finances de l’État que celle qui est proposée. Le solde pourrait être compensé, comme certains l’ont suggéré, par une modification supportable de l’impôt sur les sociétés, en particulier de la tranche la plus élevée.

Je veux faire une observation complémentaire.

Les communes et les intercommunalités pourraient modifier l’imposition sur les valeurs locatives foncières en fixant localement les taux. Le bloc communal ne disposerait pas de recettes assises sur la valeur ajoutée, mais l’imposition basée sur le foncier aurait sa propre dynamique, car il y aura toujours des constructions. Ce serait donc, pour le bloc communal – communes et intercommunalités –, une situation plutôt favorable.

Le plafonnement global à 3,5 % de la valeur ajoutée pourrait être maintenu pour les impositions cumulées. Ainsi, une entreprise ne pourrait pas payer, au titre de ces deux impôts, un montant supérieur à 3,5 % de sa valeur ajoutée. Si certaines venaient à payer plus, il pourrait être envisagé, comme c’est le cas actuellement, un remboursement de la part excédant 3,5 %.

L’évolution des taux entre les impositions « ménages » et l’imposition économique sur les valeurs locatives foncières devrait être liée afin d’éviter tout dérapage au profit de l’un et au détriment de l’autre.

Je veux souligner les points les plus positifs de ces propositions.

Tout d’abord, elles sont réellement favorables à l’industrie, alors que le Gouvernement propose de réduire l’imposition de l’ensemble des entreprises au détriment des recettes des collectivités locales, ce qui serait douloureux.

Ensuite, elles sont plus justes pour les entreprises, puisque le nombre supposé de perdants serait inférieur aux hypothèses issues de la réforme gouvernementale.

Par ailleurs, elles favorisent une consolidation de l’autonomie fiscale des collectivités territoriales, puisque le montant des dotations allouées aux collectivités serait beaucoup moindre que dans le projet du Gouvernement.

Enfin, comme beaucoup le souhaitent, l’intervention de l’État dans les recettes des collectivités territoriales serait beaucoup plus réduite qu’aujourd’hui.

Je ne veux pas engager de polémique. Je reconnais que des évolutions dans le calcul et la mise en œuvre de la taxe professionnelle sont indispensables ; elles sont même souhaitées par la quasi-totalité des acteurs. Je vous invite, monsieur le secrétaire d’État, à prendre en compte autant que faire se peut dans les projets que vous avez à l’esprit les propositions que je viens de formuler. Je vous remercie par avance de ce que vous pourrez faire en ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remplace mon ami Bernard Vera, empêché au dernier moment de participer à ce débat. Aussi, je vous prie de bien vouloir l’excuser.

La promesse faite au MEDEF par Nicolas Sarkozy de supprimer la taxe professionnelle paraît avoir quelques difficultés à être mise en œuvre. Dans le discours présidentiel comme dans celui des parlementaires de la majorité, le terme « suppression » semble d’ailleurs avoir été « supprimé ». C’est donc une « modification », même pas une réforme, qui semble devoir être appliquée à la taxe professionnelle.

Chacun connaît les données du problème : pour que l’État se retrouve avec 8 milliards d’euros de taxe professionnelle à prendre en charge pour le bénéfice des entreprises, ce qui représente moins d’un demi-point de PIB, lequel est en récession, il faut jouer sur des masses financières de 22 milliards à 26 milliards d’euros.

Passons rapidement sur l’usine à gaz que constitue l’opération. Entre la suppression de l’allégement transitoire, l’impact sur le plafonnement de la valeur ajoutée, les effets indirects sur le produit théorique de l’impôt sur les sociétés et la réaffectation du produit de la cotisation minimale, il est difficile de s’y retrouver. C’est d’autant plus difficile que, d’une collectivité territoriale à l’autre, en fonction des composantes mêmes de la taxe professionnelle, ces différentes mesures n’auront évidemment pas les mêmes effets.

Pensez simplement, mes chers collègues, aux communes de banlieue bénéficiaires de la dotation de solidarité urbaine, où les entreprises assujetties à la taxe professionnelle ne paient que la cotisation minimale et ne versent donc rien, ou presque, en tout cas directement, aux communes concernées.

La « modification » de la taxe professionnelle impose donc, pour le coup, que l’on envisage tous les cas de figure et que l’on se garde de traduire en bloc ses effets, sans tenir compte de simulations précises et diverses du fait même de l’hétérogénéité des situations. Car, qui dit modification de la taxe professionnelle dit aussi, par effet de système, interrogation sur la péréquation, qui demeure pour l’heure un vœu pieux, et modification des critères de répartition de certaines dotations budgétaires dont l’attribution dépend de la réalité des capacités fiscales.

L’autre versant des problèmes posés par l’inconsciente et idéologique promesse sarkozyenne est celui de la fiscalité de « substitution » qui risque d’être mise en œuvre. En effet, il semble bien qu’il faille renoncer, avant longtemps, à tout allégement des prélèvements obligatoires ! Alors, en ce moment, ça cogite, ça carbure et, si nous en étions à rire, je dirai ça carbone…

La commission des finances de l’Assemblée nationale parle de relever aux alentours de 40 % le taux de l’impôt sur les sociétés, au moins de manière provisoire, pour compenser la « modification », en attendant, par exemple, que la taxe carbone, destinée à déplacer encore un peu plus la fiscalité de l’entreprise vers le consommateur final, c’est-à-dire vers la grande masse anonyme des contribuables « obligés », fasse consensus.

Quelle belle idée que de vouloir contenter, en modifiant la taxe professionnelle et en instaurant la taxe carbone, à la fois le MEDEF, toujours peu enclin à demander aux entreprises d’être citoyennes, et les écologistes, dont un certain nombre sont partisans de la culpabilisation générale des individus au regard de la pollution.

Pour ce qui nous concerne, nous sommes extrêmement réservés sur la taxe carbone et nous sommes partisans d’une autre réforme de la taxe professionnelle. Cela étant, je ne vais pas vous parler très longtemps de la taxe carbone. Pour nous, elle peut être vue comme une légitimation du droit à polluer, sous couvert d’une taxe qui, entrant dans le prix de vente final des produits, sera in fine payée par le consommateur tout aussi final. Mais le débat reste ouvert, bien entendu !

Sur la modification de la taxe professionnelle, nous pensons que la réforme doit se fixer un double objectif : renforcer l’égalité de traitement entre les assujettis, c’est-à-dire les entreprises – nous sommes loin du compte de ce point de vue – et renforcer les outils de péréquation.

La taxation des actifs financiers serait, à notre avis, un moyen d’y parvenir. Ma collègue Marie-France Beaufils a rappelé dans son intervention liminaire comment le développement de ces actifs avait été priorisé par les grands groupes depuis vingt ans.

Comme cette taxation ne peut être localisée ailleurs que dans le bilan des entreprises, elle doit devenir l’outil de financement de la péréquation, y compris, en tant que de besoin, de l’allégement ultérieur de l’imposition des autres éléments d’assiette de la taxe.

Enfin, notons que nous sommes également, comme l’Association des maires de France, très attachés au lien entre taxe professionnelle et territoire. Même si la taxe professionnelle constitue l’instrument fiscal privilégié de la coopération intercommunale, elle ne saurait, comme d’aucuns le proposent, devenir la recette fiscale dédiée de tel ou tel échelon de collectivité. Aussi rejetons-nous par avance toute réforme faisant disparaître la taxe professionnelle des ressources des départements, comme cela semble avoir été envisagé un temps, au motif que la compétence sociale primordiale des départements pouvait être prise en compte par partage de recettes fiscales de l’État.

Tels sont les points que je comptais évoquer dans cette intervention. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons cet après-midi d’un sujet très important pour l’ensemble de nos collectivités. À ce stade du débat, je me bornerai donc à faire trois constats et une proposition précise.

Premièrement, lors de sa création, la taxe professionnelle reposait sur trois piliers et un petit strapontin. Les piliers étaient la valeur foncière, les salaires, l’équipement et les biens mobiliers ; le strapontin était les cotisations versées par les professions libérales, les agents commerciaux et un certain nombre de petites entreprises.

La part « salaires » représentait un peu plus du tiers de l’assiette de la taxe professionnelle et les équipements et les biens mobiliers de 42 % à 43 %. En 1998, au moment où a été supprimée la part salaires, tout le poids de la taxe professionnelle s’est donc reporté sur l’équipement et les biens mobiliers. J’ai écrit à cette époque que nous assistions à la fin de la taxe professionnelle, car il était impossible de conserver dans le cadre d’une mondialisation qui se développait un mécanisme fondé essentiellement sur ces éléments.

Deuxièmement, l’imbrication de nos collectivités et la nécessité d’apporter de la transparence nous poussent à la spécialisation des impôts. La logique voudrait donc que l’on aboutisse à une fiscalité pour les collectivités de proximité que sont les communes et les groupements de communes, à une autre pour les départements et à une troisième pour les régions et les chambres de commerce et d’industrie, que j’assimile aux régions, puisque, ne l’oublions pas, elles prélèvent à peu près 1,5 milliard d’euros de ressources sur la taxe professionnelle.

Enfin, troisièmement, je ne crois pas que l’on puisse expliquer aux entreprises françaises qu’on supprime la taxe professionnelle et qu’on instaure une cotisation minimale sur la valeur ajoutée reconstituant les bases de l’ancienne taxe professionnelle, à savoir les valeurs locatives, les salaires, les équipements et les biens mobiliers. Je ne suis donc pas favorable à cette fameuse théorie développée par beaucoup selon laquelle le taux minimal de taxation de la valeur ajoutée pourrait rapporter plusieurs milliards d’euros. En effet, les investisseurs, qu’ils soient Français ou étrangers, auront toujours la crainte que ce taux minimal ne cesse d’augmenter. Il suffit de penser à l’impôt sur le revenu de M. Caillaux, dont on a parlé tout à l’heure. On risque donc de reconstituer un système dangereux pour nos entreprises.

Voilà pourquoi je propose la spécialisation.

La nouvelle taxe perçue par les communes et les intercommunalités, que l’on n’appellera plus « taxe professionnelle » – trouver un nouveau nom sera également l’objet de la concertation – devra continuer à comporter trois éléments : la taxe sur le foncier des entreprises installées sur leur territoire, qui est localisable et qui crée un lien direct entre les besoins de la collectivité et l’entreprise ; la cotisation nationale de péréquation que prélève l’État, qui représente 1 milliard d’euros ; les recettes prélevées sur les cotisations des agents commerciaux et des professions libérales.

La dizaine de milliards d’euros que cela représente ne suffirait pas à compenser la suppression de la taxe professionnelle. C’est pourquoi il faudrait ajouter d’autres recettes en reversant intégralement la taxe d’habitation et la taxe foncière, par exemple, mais bien sûr en actualisant la valeur locative afin que les impôts locaux soient établis sur les bases d’aujourd’hui et non sur celles de 1970. Ce serait ainsi une manière de rétablir un peu plus de justice entre les différentes collectivités.

Au niveau des départements, que faire ? Je constate que l’État prélève une ressource fiscale, à savoir la taxe sur les salaires, dont le volume est à peu près comparable à ce que les départements reçoivent en matière de taxe professionnelle, soit à peu près 9 milliards d’euros. Cette taxe sur les salaires pourrait être affectée aux départements, car son élasticité est beaucoup plus grande que celle de la taxe intérieure sur les produits pétroliers ou de la taxe sur les conventions d’assurance. Les départements ayant une activité sociale très importante, il est logique qu’ils reçoivent le produit d’une taxe dont l’ordre de grandeur est comparable à la perte qu’ils subiront.

En outre, le moment est, me semble-t-il, venu d’affecter le produit d’un panier de ressources fiscales prélevées sur la TVA, l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu aux régions et aux chambres de commerce et d’industrie. En effet, la réforme des chambres consulaires à venir concernera les chambres régionales et il y a vingt-six régions. Concrètement, il pourrait s’agir d’un pacte triennal. En nous inspirant des pratiques en vigueur en Allemagne ou dans certains pays scandinaves, comme le Danemark ou la Finlande, nous pourrions trouver un système de partage permettant aux grandes collectivités locales de disposer d’un certain nombre de ressources.

Néanmoins, cela supposerait que deux conditions soient remplies. D’une part, il faut un pacte entre l’État et les collectivités concernées, afin de déterminer les modalités de la répartition. D’autre part, les produits qui seront versés aux régions et aux chambres consulaires devront être indexés sur l’évolution des recettes fiscales de l’État.

Je souhaite formuler deux observations complémentaires.

La première concerne la péréquation. À mon sens, le fait de n’avoir pas limité, au moment de l’institution de la taxe professionnelle, les gains d’un certain nombre d’entreprises qui ont bénéficié de la réforme a été une erreur.

Parmi les 2,6 millions d’assujettis à la patente passés à la taxe professionnelle, 2 millions ont bénéficié de très fortes baisses – nous n’en avons jamais entendu parler ! –, 300 000 ont dû payer autant qu’avant l’entrée en vigueur de la réforme et 300 000 ont été assez lourdement surtaxés !

Si un mécanisme d’écrêtement avait été mis en place à ce moment-là, nous aurions pu établir une véritable péréquation et faire jouer un certain nombre de dispositifs de stabilisation. Cela nous aurait permis d’éviter les inconvénients que nous avons connus et qui ont conduit à des réformes successives sur les bases, les taux, les plafonds ou les verrouillages divers.

Je pense donc qu’il faut une péréquation entre les collectivités locales de proximité. Elle pourrait être assurée par un fonds national de péréquation chargé de s’assurer qu’aucune collectivité ne reçoive plus que son dû et que la répartition s’effectue sous l’égide du Comité des finances locales. Celui-ci s’occupe déjà de l’ensemble des dotations de péréquation au sein de la dotation globale de fonctionnement.

Deuxième observation, nos entreprises, notamment les entreprises industrielles, que nous avons évoquées juste avant ce débat, doivent affronter une compétition économique mondiale, ainsi qu’une compétition fiscale au sein de l’Union européenne.

Il me semblerait donc dangereux, au moment où nous commençons à discuter des perspectives de reprise, de nous lancer dans des augmentations d’impôts, qu’il s’agisse de l’impôt sur les sociétés ou d’autres prélèvements obligatoires. La seule exception concerne la taxe carbone, mais il nous faudra au moins deux ou trois ans pour la mettre en place et pour trouver une assiette indiscutable.

En résumé, il faut diminuer au moins de moitié le poids de la taxe professionnelle sur les entreprises, supprimer toute taxation sur les investissements, instituer un mécanisme de spécialisation qui conserverait une taxe liée à l’activité économique dans les collectivités de proximité, enfin garantir le financement des départements, des régions et des chambres consulaires. Ainsi, nous aurions un système simple, lisible et susceptible d’améliorer la compétitivité de nos entreprises – c’est bien l’objectif –, sans remettre en cause l’ensemble des regroupements intercommunaux mis en œuvre depuis quelques années et sans traumatiser l’ensemble de nos collectivités locales. (Applaudissements sur les travées de lUMP ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, deux projets de loi relatifs aux collectivités locales – le premier concerne la réforme du paysage institutionnel et le second la suppression de la taxe professionnelle – sont en gestation. Ils ne peuvent pas être séparés.

Une réforme institutionnelle, même judicieuse, qui serait accompagnée d’une stérilisation des ressources des collectivités locales serait inacceptable pour ces dernières. Elle serait donc vouée à l’échec.

Or, toutes « chapelles » confondues, les élus locaux sont inquiets. En effet, ils mesurent la capacité d’influence des groupes de pression patronaux sur le Gouvernement, pour qui « supprimer » la taxe professionnelle signifie non pas remplacer l’impôt assis sur l’activité économique, mais le faire disparaître. Supprimer, c’est supprimer. Comme tout principe idéologique, celui-ci est d’application absolue.

Mme Parisot propose en toute simplicité aux collectivités locales de « travailler sur des gains de productivité et l’optimisation de leur gestion d’un certain type de dépenses, celles de fonctionnement, pour compenser la suppression de la taxe professionnelle » !

Mais ce n’est pas dans les provocations du MEDEF que réside la source principale d’inquiétude des élus locaux. À l’exception de Mme Parisot, tout le monde sait bien que la perte d’en moyenne un peu plus de 40 % des ressources des collectivités et de l’essentiel des ressources de leurs groupements devra être compensée. Même le Gouvernement le sait – cela a été indiqué tout à l’heure –, et vous nous le confirmerez peut-être dans quelques instants, monsieur le secrétaire d’État.

Le principal motif d’inquiétude des élus locaux procède du constat que, dans le discours dominant, réforme institutionnelle et réforme de la fiscalité des collectivités locales visent clairement le même objectif. Il s’agit de réaliser des économies au nom de la réduction des « prélèvements obligatoires » et des « critères de convergence de Maastricht », en un mot du catéchisme libéral qui tient lieu de prothèse mentale à tout ce qui compte dans ce pays depuis une trentaine d’années !

Les rapports des poissons pilotes de la réforme et la campagne médiatique en cours développent le même thème : « les élus locaux jettent l’argent du contribuable par la fenêtre et c’est par pur corporatisme qu’ils renâclent aux changements » !

Pour parvenir au résultat, deux voies ont été ouvertes.

La première, assez routinière, passe par la suppression ou, à défaut, par le dépérissement d’un échelon administratif, par la réduction du nombre de collectivités ou de leurs regroupements, par la constitution de grandes collectivités concentrant les compétences de plusieurs et par la suppression de la compétence générale des départements et des régions…

Une telle voie risquant d’être peu roulante, un chemin de contournement a été ouvert. Il s’agira de brider l’ardeur dépensière des collectivités, en fixant une norme annuelle de dépense nationale, sur le modèle des dépenses de santé. À cet égard, je vous renvoie au rapport Balladur. D’ailleurs, j’ai noté que notre collègue Charles Guené l’avait repris sous une autre forme.

La deuxième possibilité, celle dont on parle aujourd'hui, consiste à stériliser les ressources des collectivités locales. Il s’agit de remplacer tout ou partie de la taxe professionnelle par des dotations ou des impôts moins dynamiques, comme la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers, la TIPP, la taxe spéciale sur les contrats d’assurance, la TSCA, ou la taxe carbone, qui, par construction, a vocation à rapporter de moins en moins, en tout cas si elle est efficace.

Voilà qui nous amène au cœur du problème : par quoi faut-il remplacer la taxe professionnelle ?

Chacun s’accorde à dire que la taxe professionnelle est un « impôt imbécile ». Cela étant, même si tout le monde partage le diagnostic, personne n’a encore remplacé cette taxe par un impôt plus intelligent, comme celui qui est proposé dans le rapport Fouquet et, une fois n’est pas coutume, par le rapport Balladur.

Notre collègue Yves Krattinger a énuméré tout à l’heure les principaux avantages techniques et a évoqué les points essentiels d’un possible accord. Je n’y reviendrai donc pas. Je l’avoue, j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les propositions formulées par notre collègue Jean-Pierre Fourcade. Je regrette que nous n’ayons pas plus de temps pour en discuter. Mais il y a tout de même des propositions sur lesquelles nous pourrions, me semble-t-il, parvenir à un accord ou à un compromis.

Vous l’aurez compris, pour beaucoup d’élus, l’essentiel est que ce nouveau prélèvement assure aux collectivités locales une réelle autonomie fiscale, car c’est la forme la plus aboutie de l’autonomie financière.

S’il est tout à fait positif de remplacer une taxe dont la collectivité ne peut pas faire varier le taux, remplacer une taxe dont elle peut faire varier le taux par un impôt d’État serait une régression pour l’autonomie locale. Et remplacer un véritable impôt par une dotation est encore pire.

Je pense notamment à la dernière proposition que nous avons pu découvrir dans la presse. Il est proposé de remplacer une partie, voire la totalité, de la taxe professionnelle par une fraction de l’impôt sur les sociétés. À terme, cela finira comme la part « salaires » de la taxe professionnelle, c'est-à-dire en dotation d’État.

Enfin, je m’adresserai aux experts ès économies et aux prédicateurs de la productivité, en concluant sur un truisme dont la portée semble leur avoir échappé. Les dépenses des collectivités locales et de l’État sont également des salaires, donc du pouvoir d'achat. C’est autant de débouchés pour les entreprises et de perspectives d’emplois.

Monsieur le secrétaire d’État, qu’aura-t-on gagné quand on aura stérilisé la ressource qui a, jusque-là, permis aux collectivités locales d’assurer les trois quarts de l’investissement public en maintenant un niveau d’endettement quasi constant depuis un peu plus de vingt-cinq ans ? Qu’aura-t-on gagné, à part un droit d’entrée au purgatoire de Maastricht pour la France et ses millions de chômeurs et de sous-employés, d’ailleurs en augmentation ?

Le problème auquel nous sommes confrontés est essentiel pour les collectivités locales, mais pas seulement pour elles. La question fondamentale est de savoir quel rôle on veut leur faire jouer dans la dynamique économique de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, annoncée voilà quelques mois par le Président de la République, la réforme, voire la disparition de la taxe professionnelle a suscité de grands espoirs chez les dirigeants d’entreprise, mais également – il faut bien le dire – une certaine inquiétude chez les élus locaux.

De grands espoirs chez les chefs d’entreprise, car ils sont bien placés pour savoir combien cet impôt, à l’origine fondé sur les salaires et les investissements, était antiéconomique et pénalisait la compétitivité de leurs entreprises, même s’ils se demandent par quoi et quand cette taxe sera remplacée.

Une certaine inquiétude chez les élus locaux, parce que, même si le Gouvernement a pris l’engagement que cette perte de recettes serait intégralement compensée par l’État, ils craignent, instruits par l’expérience, que cette compensation ne soit pas totale et, surtout, progressive et ne se traduise une fois de plus par une réduction de leur autonomie fiscale. Ils se posent aussi la question du remboursement des dettes contractées par les collectivités locales, afin d’investir pour l’économie et l’emploi. Cela repose essentiellement sur les recettes de taxe professionnelle.

Il faut bien le dire, pour l’heure, nous ne savons pas exactement quels seront l’ampleur et le calendrier de la réforme. Tout au plus avons-nous appris que celle-ci pourrait être progressive et se traduire dans la loi de finances pour 2010 par un dégrèvement de taxe professionnelle sur les équipements et biens mobiliers et que s’ensuivrait une période de transition de deux ou trois ans, afin de préparer un nouveau schéma de financement des collectivités territoriales.

Ainsi donc, la disparition de la taxe professionnelle serait actée avant que l’on ne connaisse plus précisément les compensations appliquées. Un tel calendrier n’est ni souhaitable ni soutenable.

Il faut quand même s’en souvenir, la taxe professionnelle représente une ressource essentielle pour les communes, les communautés de communes, les communautés d’agglomération et les communautés urbaines, les départements et les régions, soit 44 % du produit des quatre taxes directes locales et 17 % des recettes réelles de fonctionnement.

Par ailleurs, la taxe professionnelle constitue une recette dynamique et stable, mais également une source importante de flexibilité fiscale permettant aux collectivités territoriales d’ajuster le niveau de leurs recettes et de leurs dépenses.

Or, comme l’a fait observer à juste titre une agence de notation des collectivités territoriales, les ressources envisagées pour remplacer la taxe professionnelle incluraient à la fois des dotations budgétaires et le transfert de recettes fiscales existantes, qui seraient moins dynamiques que la taxe professionnelle et dont les collectivités ne pourraient pas, ou pourraient très peu, modifier la base ou le taux d’imposition.

Ces ressources de substitution réduiraient donc considérablement la marge de manœuvre fiscale des collectivités locales. Ainsi, les taxes modifiables pourraient ne plus représenter que 24 % des recettes de fonctionnement des régions, contre 38 % aujourd’hui et 19 % de celles des départements, contre 34 % à ce jour.

Cette agence de notation conclut que la suppression de la taxe professionnelle pourrait affecter la solvabilité des collectivités territoriales, ce qui pourrait avoir des conséquences néfastes sur leur future capacité d’endettement et d’investissement.

Dans un esprit de modernité, nous ne sommes pas a priori hostiles à la suppression de cette taxe, mais nous nous étonnons qu’une telle annonce ait pu être faite alors que, manifestement, ses conséquences n’avaient pas été correctement mesurées.

Cela étant dit, si le projet de loi de finances pour 2010 doit acter cette suppression, il faut impérativement que, dans le même temps, la représentation nationale ait à statuer sur les recettes de substitution.

Notre collègue Jean-Pierre Fourcade a bien cerné ce problème et a fait des propositions concrètes, sur lesquelles nous aurons l’occasion – j’en suis sûr – de revenir.

Par ailleurs, parmi les recettes de substitution, il faut absolument que les exécutifs des collectivités territoriales puissent disposer d’une marge de manœuvre, sinon leur autonomie fiscale ne sera plus qu’un vague souvenir.

Enfin, même si l’on comprend les préoccupations des entreprises, surtout à un moment où elles souffrent terriblement, l’idée de mettre en place un impôt économique local, avancée par les associations d’élus et combinant, par exemple, le foncier et la production des entreprises, ne doit pas être totalement écartée ; elle doit être étudiée sérieusement avec ses avantages et ses inconvénients, en concertation avec les chefs d’entreprise et les collectivités territoriales elles-mêmes.

J’ajoute qu’il me paraît souhaitable non pas de figer à un moment donné la compensation de la suppression de la taxe professionnelle, mais de continuer à encourager les collectivités territoriales à investir pour l’emploi.

En effet, sans ce retour, qui permettra d’assurer les financements dans l’avenir, les collectivités territoriales ne consentiront plus les efforts utiles pour favoriser l’essor économique.

Or sans recherche et sans approche industrielle comme savent le faire les élus territoriaux, il n’existe pas de solution industrielle, donc pas d’investissement pour l’avenir et, par conséquent, pas d’emplois.

Telles sont les observations que je souhaitais formuler sur cette réforme très importante, qui engage l’avenir de nos entreprises et de nos collectivités territoriales.

Nous attendons des réponses précises, voire des propositions, et nous souhaitons qu’une réflexion soit lancée sur ce sujet dès que possible, à laquelle nous pourrions participer le cas échéant. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et sur de nombreuses travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord d’excuser Christine Lagarde, retenue, qui m’a chargé de la représenter dans le cadre de la discussion de cette question orale avec débat sur la réforme de la taxe professionnelle.

Nous avons passé tout à l’heure deux heures à évoquer la situation de notre industrie, notamment sa perte de compétitivité. Comment reconstituer, dans notre pays, un territoire sur lequel il fait bon investir, travailler, innover et produire ? La suppression de la taxe professionnelle constitue une réponse précise à cette situation.

Depuis 1975 – date de sa création, monsieur Fourcade –, la taxe professionnelle a été modifiée par soixante-huit textes de loi.

Ce seul chiffre suffit, me semble-t-il, à nous convaincre de la nécessité de rebattre complètement les cartes. C’est un prélèvement dont les effets pervers ont justifié des modifications législatives permanentes et ont conduit tous les gouvernements, de gauche comme de droite, à s’emparer de la question, mais sans jamais vraiment y apporter de réponse définitive.

Le temps des atermoiements est révolu. Aujourd’hui, le Gouvernement est décidé à franchir un pas historique. L’époque n’est plus aux rafistolages permanents. Il s’agit désormais d’affirmer haut et fort que la taxe professionnelle ne doit plus peser sur les épaules de nos entreprises industrielles et pénaliser directement leur compétitivité.

Nous l’avons vu dans la mise en place du pacte pour l’automobile, quand on compare la chaîne de valeur d’une automobile produite en France avec celle d’une automobile construite, par exemple, en Europe de l’Est, on s’aperçoit combien la taxe professionnelle est un poids pour la production française. La taxe professionnelle représente, à elle seule, un tiers du différentiel de coût de production existant entre des usines françaises et des usines d’Europe de l’Est.

En outre, il faut bien avoir en tête que la taxe professionnelle ne pèse pas seulement sur les producteurs finals que sont les constructeurs automobiles. En effet, plus de la moitié de la taxe est à la charge des équipementiers, des sous-traitants, qui sont aujourd’hui dans la situation difficile que l’on connaît.

Avec le recul de plus de trente années dont nous disposons aujourd'hui, nous constatons que, en maintenant la taxe professionnelle, nous avons pénalisé non pas les grands actionnaires ni les grands patrons, mais les salariés, les ouvriers et nos territoires.

Il s’agit désormais d’achever définitivement la réforme de la taxe professionnelle.

Comme vous l’avez rappelé, mesdames, messieurs les sénateurs, en 2004 et 2005, Jean-François Copé, alors ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, avait mis en place deux dispositifs importants : un plafond à 3,5 % de la valeur ajoutée et le ticket modérateur, puisque les collectivités ne perçoivent désormais le produit des hausses de taxe professionnelle que pour la part correspondant aux entreprises non plafonnées.

Pour soutenir l’activité en cette période de crise, le Président de la République a d’abord décidé, en octobre dernier, que les investissements productifs effectués avant le 31 décembre 2009 seraient entièrement exonérés de la taxe professionnelle.

Nous travaillons désormais à la suppression de cette taxe pour l’année 2010.

Cette suppression concernera tous les investissements productifs, appelés « équipements et bien mobiliers », qui représentent 80 % du produit actuel de la taxe. Cette imposition des facteurs de production pénalise gravement notre économie et, naturellement, d’abord notre industrie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette réforme se fera avec le souci de préserver résolument les finances locales.

Je suis moi-même maire d’une commune et, à ce titre, je mesure bien l’importance de la taxe professionnelle pour les collectivités locales. Je connais les questions et les angoisses que ce sujet peut faire naître.

Ce n’est d’ailleurs pas la taxe professionnelle en tant que telle qui peut faire débat. Chacun est conscient, je crois, – et vous l’avez évoqué – de ses limites. La vraie question pour les élus est surtout d’obtenir la garantie que des ressources de substitution seront trouvées. Cette garantie, je la confirme aujourd’hui. Le Premier ministre en a donné l’assurance de longue date : chaque euro de recette sera compensé dans le cadre de cette réforme.

La réforme de la taxe professionnelle nécessitera de trouver pour les collectivités un montant total de 23 milliards d’euros : 22 milliards d’euros pour les collectivités locales et 1 milliard d’euros pour les chambres consulaires.

Aujourd’hui, la recette de la taxe professionnelle s’élève à près de 30 milliards d’euros au profit des collectivités et des chambres consulaires. Le poids de la taxe professionnelle pesant sur les entreprises est d’environ 25 milliards d’euros. L’État finance le solde : prise en charge des exonérations, dégrèvements successifs, plafonnement à la valeur ajoutée.

Il est donc souhaitable que nous sortions de l’ambiguïté actuelle où, à force de dégrèvements, l’État se retrouve de facto le premier contributeur local de la taxe professionnelle. En effet, l’État a contribué, au titre des dégrèvements, à plus de 9 milliards d’euros en 2007.

Cependant, cette prise en charge va mécaniquement diminuer, car moins d’entreprises atteindront le plafond. Dans le même temps, la cotisation minimale, correspondant à 1,5 % de la valeur ajoutée et que l’État perçoit au titre des frais de recouvrement, est amenée, par un jeu de vases communicants, à augmenter sensiblement.

Demain, avec la suppression de la taxe sur la totalité des investissements productifs, et une fois pris en compte l’impôt sur les sociétés, 8 milliards d’euros de moins pèseront sur les investissements productifs des entreprises. C’est cet allégement qui a été évoqué par le Président de la République en février dernier. Naturellement, il faudra faire en sorte de trouver le moyen de gérer ce manque à gagner pour les finances publiques de notre pays.

Si l’on taxe l’investissement et le travail, le travail et l’investissement iront ailleurs. C’est alors la taxe professionnelle qui disparaîtra : il n’y aura plus d’assiette, plus de base et, donc, plus de matière à taxer. Telle est la raison pour laquelle nous devons, mesdames, messieurs les sénateurs, être très attentifs au choix que nous ferons de l’assiette pour un nouvel impôt économique local.

Ce qui vient tout de suite à l’esprit – et vous l’avez évoqué –, c’est l’existant : l’assiette foncière ou la valeur ajoutée. On peut aussi imaginer de taxer spécifiquement certaines assiettes, comme les pylônes, qui ont été évoqués par certains – mais la taxe existe déjà –, ou les éoliennes.

Quatre principes devront guider la réforme des finances locales et de la taxe professionnelle.

Le premier, c’est le maintien du niveau de ressources pour chaque collectivité. C’est un engagement du Premier ministre, comme je viens de l’indiquer.

Le deuxième principe, c’est le maintien d’un lien fiscal entre les activités économiques et leur territoire. Ce point est essentiel.

Le troisième principe, c’est le maintien d’un équilibre entre entreprises et ménages.

Enfin, le quatrième et dernier principe, c’est le respect du principe d’autonomie financière des collectivités territoriales.

Le principe de la compensation intégrale a été garanti, lui, par la règle constitutionnelle de 2003, qui dispose que l’autonomie fiscale des collectivités ne peut pas descendre en dessous d’un certain seuil.

S’agissant des ressources qui pourront être données aux collectivités en compensation, je ne peux vous préciser aujourd’hui leur nature exacte, compte tenu de l’état d’avancement du dossier. La concertation est totalement ouverte, et je vous remercie les uns et les autres pour vos contributions. Je peux néanmoins vous affirmer que le montant total sera le même avant et après la réforme. C’est bien là l’essentiel !

Les pistes de compensation sont multiples : un transfert de ressources fiscales alimentant aujourd’hui le budget de l’État, l’utilisation de dotations budgétaires ou bien l’augmentation ou la création de taxes locales. D’autres pistes de compensation des collectivités concernent le transfert de ressources fiscales actuelles d’État : la taxe sur les conventions d’assurance, la taxe intérieure sur les produits pétroliers, ou encore le relèvement des bases foncières et l’affectation de la cotisation minimale sur la valeur ajoutée aujourd’hui perçue par l’État.

L’objectif est de mettre en place des taxes locales sectorielles, qui bénéficient aux collectivités et permettent d’éviter les effets d’aubaine dont certaines entreprises pourraient profiter. Les travaux sont en cours sur ce sujet ; les hypothèses de compensation des collectivités ne sont pas figées. Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, toutes les hypothèses sont actuellement à l’étude.

Mais l’une des propositions du Gouvernement consiste à dire que, quel que soit le rythme de suppression des investissements productifs de l’assiette de la taxe professionnelle – en un an, en trois ans, voire davantage –, les collectivités voient leurs ressources financières mises en place dès 2011. L’État jouerait alors le rôle de chambre de compensation.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme continuera à se faire en concertation avec le Parlement.

Après la remise du rapport Balladur au Président de la République le 5 mars dernier, la Conférence nationale des exécutifs, réunie le 26  mars 2009, a permis de lancer la seconde étape de la concertation. Celle-ci conduira à l’élaboration d’un schéma de compensation des collectivités dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle et nous permettra de mener à bien une réforme globale de la fiscalité locale.

Le Premier ministre a également demandé au ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, Christine Lagarde, d’engager une nouvelle phase de concertation avec les élus et les entreprises, afin de les associer pleinement, en amont, à l’ensemble des travaux préparatoires à cette réforme.

Christine Lagarde et Michèle Alliot-Marie ont rencontré les représentants des associations d’élus, une première fois, le 10 avril dernier, puis le 27 mai à Bercy, et les organisations représentant les entreprises, le 22 avril dernier, pour leur présenter des pistes possibles de compensation.

D’autres réunions sont prévues à la fin du mois. Le 29 juin, les ministres concernés rencontreront, une nouvelle fois, les organisations représentant les entreprises et les associations d’élus, afin de leur préciser davantage l’architecture de cette réforme et les propositions du Gouvernement.

Cette concertation, le Gouvernement la mène également en liaison étroite avec le Parlement. Je tiens à vous en remercier, mesdames et messieurs les sénateurs. Je remercie les présidents des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat. Je remercie surtout le groupe de six parlementaires de la majorité et de l’opposition qui sont impliqués sur ce dossier. Il s’agit de M. Gilles Carrez, rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, des députés Marc Laffineur et Jean-Pierre Balligand, ainsi que des sénateurs Charles Guené, Edmond Hervé et Albéric de Montgolfier.

Le Premier ministre a, enfin, rappelé que l’objectif du Gouvernement, après avoir engagé la concertation la plus large possible, est la mise au point d’un projet de loi d’ici à l’été sur le volet institutionnel afin qu’il soit examiné par le Parlement à l’automne.

La partie financière sera, quant à elle, présentée au Parlement lors du prochain projet de loi de finances. Cela suppose aussi qu’un projet soit prêt avant l’été. Comme vous pouvez le constater, nous travaillons dans un délai contraint. Nous avons l’intention de présenter le projet du Gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous saisissons de cette crise pour en faire une opportunité de modernisation et de changement.

Nous avons débattu tout à l’heure de la situation de l’industrie dans notre pays. La suppression de la taxe professionnelle sera indiscutablement un gage de compétitivité et d’attractivité pour notre territoire en matière industrielle.

Avec cette réforme, nous voulons donner aux collectivités les moyens de leurs politiques et rendre la fiscalité de notre pays plus simple et, surtout, plus favorable à l’investissement, donc à l’emploi. (M. Yvon Collin s’exclame.)

La concertation se poursuit dans un climat de confiance, et je tiens à vous en remercier.

Naturellement, ce débat l’a montré, bien des interrogations restent ouvertes. Le Gouvernement formulera, le moment venu, ses propositions, et nous viendrons les défendre devant vous.

La volonté d’aboutir est partagée par l’État, les collectivités locales et les entreprises, car la prise de conscience du caractère nécessaire de cette réforme est générale, comme notre débat l’a démontré tout à l’heure.

Je vous remercie encore une fois, mesdames, messieurs les sénateurs, de votre contribution à cette réforme importante pour la compétitivité de l’économie française. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le secrétaire d'État, je suis nettement moins optimiste que vous sur l’augmentation de la capacité d’investissement des entreprises lorsqu’elles bénéficieront de l’allégement de taxe professionnelle.

Je l’ai dit tout à l’heure, au cours des vingt dernières années, aucune mesure de ce type n’a fait la preuve de son efficacité en termes de développement économique.

Par ailleurs, nous nous interrogeons sur la financiarisation de notre économie et vous n’avez pas répondu sur ce point. La crise actuelle a montré combien la transformation de l’activité par sa financiarisation est catastrophique.

Nous proposons de taxer les actifs financiers pour améliorer les finances de l’État et celles des collectivités locales. Il en résulterait un complément de ressources intéressant, qui permettrait de faire de la péréquation.

Par ailleurs, grâce à une telle mesure, les entreprises seraient un peu moins tentées par des placements hasardeux et les capitaux dont elles disposent seraient mieux utilisés puisqu’ils seraient orientés vers les collectivités territoriales.

Je rappelle que les collectivités, dont je souligne une nouvelle fois l’importance pour l’activité économique, représentent 73 % des investissements publics.

C’est par conséquent un retour énorme pour les entreprises du bâtiment et des travaux publics, mais aussi pour de nombreux autres secteurs d’activité.

La taxe professionnelle ne doit pas être simplement envisagée comme un coût pour les entreprises puisqu’elle a un effet important sur la richesse de leurs propres activités. L’exemple cité tout à l’heure par notre collègue Yves Krattinger montre combien c’est essentiel au bon fonctionnement des entreprises sur notre territoire.

Nous ne faisons donc pas du tout la même analyse des causes qui sont à l’origine des difficultés que rencontrent actuellement les entreprises.

Si j’ai rappelé le rapport Cotis, c’est qu’il nous permet d’aborder la question différemment. Il montre qu’aujourd'hui l’évolution de la répartition de la valeur ajoutée se fait en faveur de la rémunération des actionnaires, qui augmente, et au détriment des investissements, qui diminuent. C’est le point crucial.

Ces questions devront véritablement faire l’objet d’une réflexion lorsque nous aborderons la nécessaire réforme du financement des collectivités et, surtout, de la taxe professionnelle, qui devrait mieux tenir compte de l’évolution de l’activité économique entre 1976 et aujourd'hui. Je regrette que ces points ne soient pas abordés pour le moment. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

9

Dépôt d'un projet de loi organique

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre un projet de loi organique relatif à l’application de l’article 65 de la Constitution.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 460, distribué et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

10

Dépôt d'un projet de loi

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Maurice relatif au séjour et à la migration circulaire de professionnels.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 459, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

11

Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre les textes suivants, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de décision du Conseil relative à la signature, au nom de la Communauté, de l’arrangement entre la Communauté européenne, d’une part, et la Confédération suisse et la Principauté de Liechtenstein, d’autre part, sur les modalités de la participation de ces États aux activités de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne ; Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion, au nom de la Communauté, de l’arrangement entre la Communauté européenne, d’une part, et la Confédération suisse et la Principauté de Liechtenstein, d’autre part, sur les modalités de la participation de ces États aux activités de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne ; ce texte sera imprimé et distribué sous le n° E-4517 ;

- Recommandation de la Commission au Conseil visant à autoriser la Commission à ouvrir des négociations sur un accord de coopération scientifique et technologique entre la Communauté européenne de l’énergie atomique, d’une part, et la République de Serbie, d’autre part, associant la République de Serbie au septième programme-cadre de la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom) pour des activités de recherche et de formation en matière nucléaire (2007-2011) ; ce texte sera imprimé et distribué sous le n° E-4518 ;

- Recommandation de la Commission au Conseil visant à autoriser la Commission à ouvrir des négociations sur un accord de coopération scientifique et technologique entre la Communauté européenne de l’énergie atomique, d’une part, et la Turquie, d’autre part, associant la Turquie au septième programme-cadre de la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom) pour des activités de recherche et de formation en matière nucléaire (2007-2011) ; ce texte sera imprimé et distribué sous le n° E-4519 ;

- Recommandation de la Commission au Conseil visant à autoriser la Commission à ouvrir des négociations sur un accord de coopération scientifique et technologique entre la Communauté européenne de l’énergie atomique, d’une part, et la République de Croatie, d’autre part, associant la République de Croatie au septième programme-cadre de la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom) pour des activités de recherche et de formation en matière nucléaire (2007-2011) ; ce texte sera imprimé et distribué sous le n° E-4520.

12

Dépôt d'un rapport d'information

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de MM. Jacques Legendre et Josselin de Rohan un rapport d’information, fait au nom de la commission des affaires culturelles et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur la réforme de l’action culturelle extérieure.

Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 458 et distribué.

13

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 11 juin 2009 :

À neuf heures :

1. Question orale avec débat n° 39 de Mme Bernadette Dupont (UMP) à Mme la secrétaire d’État chargée de la solidarité sur le plan autisme 2008-2010.

Mme Bernadette Dupont attire l’attention de Mme la secrétaire d’État chargée de la solidarité sur le plan autisme 2008-2010 annoncé le vendredi 18 mai 2008 dont l’objectif est de « construire une nouvelle étape de la politique des troubles envahissants du développement (TED) et, en particulier, de l’autisme ».

Il y aurait en France plus de 100 000 personnes autistes dont un quart a moins de 20 ans ; 75 % d’entre elles, enfants et adultes confondus, ont besoin d’établissements spécialisés. Si on peut espérer en intégrer peu ou prou 25 %, environ 80 000 personnes resteraient dans leurs familles, accompagnées par quelques prises en charge extérieures de type hôpitaux de jour. Or, on sait aujourd’hui que l’autisme n’est pas un trouble d’origine psychiatrique ou affective, mais un trouble neuro-développemental, entraînant des troubles envahissants du développement (TED) et du comportement avec toutes sortes de symptômes qui, dans tous les cas, sont douloureux à vivre pour la personne atteinte et son environnement. Les familles, parents et fratries, ont à supporter trop seuls la pénibilité d’un enfant, d’un frère ou d’une sœur incompréhensible, imprévisible, souvent incontrôlable, l’impuissance s’accompagnant parfois d’un sentiment de culpabilité qui ne devrait pas être.

Des études ont démontré, expériences à l’appui, la nécessité d’une prise en charge éducative spécifique, avec suivi médical pour améliorer la vie des personnes autistes ou atteintes de troubles de type autistique. Des résultats très positifs sont obtenus, spécialement sur les jeunes enfants, ce qui pose le principe du diagnostic précoce. Même délicat à poser pour un médecin, dur à entendre et à assumer pour des parents, ce diagnostic est le meilleur atout que l’on puisse offrir pour une vie améliorée à défaut de guérison. Or, notre pays est en retard, la médecine et les éducateurs spécialisés, pas ou peu formés et trop peu informés de l’avance de la recherche sur l’autisme. Si l’objectif du plan autisme prend en compte la mise en place d’un dispositif de diagnostic, d’accompagnement et de prise en charge des personnes autistes et TED, tirant pleinement profit des plus récentes connaissances sur ce handicap, quel rapport d’étape peut-on présenter aujourd’hui ?

Ce plan a suscité chez les familles les espoirs les plus grands que l’on ne doit pas décevoir. La solidarité nationale qui s’est prononcée pour avancer doit maintenant passer aux actes, ce qui n’est pas simple. De nombreuses associations œuvrent dans ce domaine et les propositions de pratiques éducatives sont diverses, voire parfois controversées car trop contraignantes pour la personne autiste. Il faut cependant travailler avec ces associations, qui peuvent chacune apporter un éclairage et leur contribution à l’élaboration d’un socle commun pour une prise en charge adaptée des personnes autistes – hors le champ psychiatrique – et à la création de places d’accueil en structures adéquates.

Elle lui demande donc de lui dire, si dès cette rentrée 2009, des structures innovantes seront offertes à un plus grand nombre de familles, comment s’inscriront-elles dans la loi hôpital, patients, santé et territoires et si la date d’application de cette loi aura un impact en la matière ? Les familles attendent dans la souffrance et sont victimes de leur discrétion, aussi elle la remercie de lui indiquer les moyens en vigueur pour accomplir les promesses engagées et y parvenir dans les délais prévus.

2. Débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat :

- Profils nutritionnels (nos 265, 336, 337 et Résolution du Sénat n° 83) ;

- Vin rosé (nos 324, 392, 393 et Résolution du Sénat n° 82).

À quinze heures :

3. Questions d’actualité au Gouvernement.

Délai limite d’inscription des auteurs de questions : Jeudi 11 juin 2009, à onze heures.

4. Question orale avec débat n° 37 de M. Jean-Jacques Mirassou (Soc.) à M. le Premier ministre sur l’avenir du programme de l’Airbus A400M.

M. Jean-Jacques Mirassou attire l’attention de M. le Premier ministre sur le programme de l’avion de transport militaire Airbus A400M, dont l’avenir sera scellé à la date butoir du 1er juillet 2009. Il revêt une importance cruciale à l’échelon européen pour des raisons économiques, de stratégie industrielle mais également en matière de politique de défense. Cette importance avait justifié la confiance de sept pays européens (Allemagne, France, Espagne, Grande Bretagne, Turquie, Belgique et Luxembourg), futurs acquéreurs de 180 exemplaires de cet appareil.

Les difficultés techniques rencontrées au cours de la construction de l’Airbus A400M ont engendré un retard estimé à trois ans pour sa première livraison. Ce retard pourrait, dans le pire des cas, conduire à l’abandon pur et simple du programme.

Les déclarations contradictoires du patron d’Airbus et de la direction d’EADS ne sont pas de nature à conforter l’avenir même si, par ailleurs, le Premier ministre et le ministre de la défense ont récemment affirmé leur volonté de faire aboutir ce projet.

Il est donc temps de clarifier la situation, et la question posée ici est simple : où en sont les négociations menées avec les sept ministres de la défense concernés, et comment le Gouvernement agit-il pour affirmer sa détermination et garantir la poursuite du programme de l’A400M ?

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD