M. Roland Courteau. Ce n’est pas ce qu’on nous a dit !

M. Michel Barnier, ministre. Il est vrai que, dans le paquet global des mesures œnologiques, nous avons laissé passer ce point. Si nous l’avions bloqué, c’est tout le paquet qui aurait été bloqué. Nous avons donc demandé et obtenu l’assurance de pouvoir continuer à discuter avec la Commission sur la question du vin coupé parce que, à côté de cette mesure que nous contestons – et que pour ma part j’ai contestée dès le début –, il y avait de nombreuses autres mesures qui nous intéressaient.

Monsieur Courteau, je n’ai pas attendu que l’on proteste ici ou là pour exprimer mon désaccord à la Commission et je tiens d’ailleurs à votre disposition deux courriers, l’un du 11 février, l’autre du 13 mars, que je lui ai adressés.

M. Michel Barnier, ministre. La Commission nous a répondu qu’elle continuerait de discuter avec nous et je viens d’obtenir de Mme Fischer Boel le report d’un vote au 19 juin.

M. Roland Courteau. Après les élections européennes !

M. Michel Barnier, ministre. Je continue, comme je l’ai fait vendredi au Conseil des ministres à Luxembourg, à essayer de convaincre nos partenaires qu’il s’agit d’une mesure mettant en cause une certaine idée de notre modèle alimentaire.

Nous ne voulons pas qu’il devienne un modèle aseptisé, car nous voulons garder des goûts, des couleurs, des saveurs et des pratiques traditionnelles, et je ne suis pas décidé à laisser compromettre le travail de qualité accompli par de nombreux vignobles français qui produisent du vin rosé traditionnel. C’est pourquoi nous continuerons, avec les professionnels – que je recevrai d’ailleurs le 15 mai prochain – à nous battre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons voulu que toutes ces mesures, que nous évoquons trop rapidement – je compléterai d’ailleurs ma réponse orale par des réponses écrites sur plusieurs points précis –, dessinent une  PAC plus juste avec des aides mieux équilibrées, notamment au profit de l’élevage.

Elles conduisent, et vous avez bien voulu, les uns et les autres, m’en donner acte, à une convergence des niveaux des aides entre les exploitations. La réduction des écarts était indispensable. Nous avons franchi une première étape, tout en gardant des soutiens différenciés pour répondre à la diversité de nos agricultures.

Je répondrai à MM. Bizet et Pastor que nous avons engagé une évolution dans l’attribution de nos aides. Nous avons réduit les écarts et tracé pour l’avenir, en préservant la diversité de notre agriculture, de nouveaux modes de soutien.

Mme Bourzai a évoqué la situation des éleveurs et la réorientation des aides.

La mise en place d’un fonds sanitaire apporte des réponses structurelles à ce secteur. Je ne sous-estime pas les conséquences de la fièvre catarrhale ovine, contre laquelle nous allons mobiliser plus de 130 millions d’euros, sans compter le plan d’urgence qui permet d’alléger les charges financières et sociales des éleveurs.

En outre, pour préparer l’avenir, nous avons installé trois groupes de travail pour que la prochaine campagne se déroule dans de meilleures conditions. Ils rendront leurs conclusions à la fin du mois de juin.

Avant de terminer, je voudrais vous dire que rien ne justifie que nous nous endormions ni que nous fassions montre d’autosatisfaction.

M. Roland Courteau. Et la crise viticole !

M. Michel Barnier, ministre. Nous répondrons, pour la crise viticole comme pour les autres crises, qui sont nombreuses, en utilisant tous les outils du plan de soutien à l’agriculture auxquels les entreprises viticoles ont droit.

Nous devons être vigilants et préparer sans attendre les prochaines échéances. C’est le calendrier fixé par le Président de la République, qui a raison de nous inviter, c'est-à-dire de vous inviter, mesdames, messieurs les sénateurs, à arrêter la position française sur le futur projet pour l’agriculture européenne de l’après-2013.

N’attendons pas, je le répète, que le budget commande : 2010 sera l’année pendant laquelle nous commencerons à parler des perspectives budgétaires. Je préférerais que nous commencions à parler des perspectives politiques et des raisons de construire ou de consolider tout en l’améliorant une grande politique agricole européenne.

Cette politique sera bien entendu orientée vers plus de justice et d’équité.

Il convient de sortir progressivement des références historiques. Il faut également développer de nouveaux modes de soutien pour les productions animales, à travers le soutien à l’herbe couplé à un seuil de chargement. Il s’agit encore d’introduire de la flexibilité avec de nouveaux outils de couverture des risques climatiques et sanitaires et de réfléchir à des moyens susceptibles de limiter les effets des aléas économiques. Il importe enfin de prendre en compte la diversité de nos agricultures et de lier l’attribution des soutiens à une contractualisation des débouchés.

Pour cela, nous devons aussi promouvoir les enjeux pour demain, qu’il s’agisse de la préférence communautaire, de l’organisation économique des filières ou de la gestion des marchés.

MM. de Montesquiou, Baylet, Mme Bourzai notamment ont évoqué la crise alimentaire mondiale. Nous ne pouvons pas vivre retranchés derrière nos frontières européennes, sans regarder ce qui se passe dans le monde.

Voilà pourquoi, lors du dernier G8 agricole, qui s’est tenu à Trévise dimanche dernier, je me suis réjouis que, pour la première fois, la question agricole sorte du cadre de l’OMC. Il est impossible de parler d’agriculture et d’alimentation uniquement d’un point de vue commercial : si les échanges et le commerce suffisaient à nourrir l’Afrique, cela se saurait ! Bien sûr, les échanges et le commerce sont nécessaires, mais il faut surtout développer dans ces pays – qu’il s’agisse de Haïti, des pays d’Afrique ou de ceux d’autres régions du monde – une économie agricole leur permettant d’acquérir une certaine souveraineté alimentaire.

Tous ces enjeux devront faire l’objet d’un examen attentif dans le cadre du projet de loi de modernisation de l’agriculture française. Le Président de la République nous a demandé de déployer d’importants efforts dans les semaines à venir, afin que ce texte puisse vous être présenté au plus tard au début de l’année prochaine.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre attention et de votre soutien. J’ai été touché par les nombreux témoignages que vous m’avez apportés dans ce moment important pour moi, puisqu’il s’agit d’un moment de transition, pendant lequel, soyez-en assurés, j’assumerai totalement mes fonctions.

Loin de constituer deux enjeux distincts, l’agriculture et l’Europe forment un débat unique, puisque la politique agricole commune constitue la première politique économique européenne depuis 1957.

Ma conviction est la suivante : derrière la question agricole, il n’y a pas que l’agriculture. J’ai dit un jour que la question agricole n’était pas seulement la question des agricultrices et des agriculteurs, mais qu’elle était également une question de société, puisqu’elle touche à l’alimentation, à l’emploi, aux territoires, à la recherche, au développement durable.

De la même manière, derrière la politique agricole européenne, il n’y a pas que la politique des agriculteurs ou de la production agricole. Il se joue une certaine idée de l’Europe, laquelle ne se résume pas à une zone de libre-échange et à un supermarché. Si l’Europe est une zone d’économie sociale de marché, elle développe aussi des politiques de solidarité, au rang desquelles il faut mettre la politique agricole commune, et des politiques de régulation, pour ne pas laisser la loi du marché l’emporter, le profit contre le travail l’emporter. Enfin, même s’il s’agit d’un autre sujet, j’espère que l’Europe aura aussi la volonté d’être une puissance politique, développant une politique étrangère et une politique de défense.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si elle doit encore évoluer – ce débat a permis d’œuvrer en ce sens –, la politique agricole commune est symbolique d’une certaine idée de l’Europe, celle des pères fondateurs. C’est cette conception qui reste la mienne. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Le débat est clos.

Monsieur le ministre, nous nous connaissons depuis longtemps. Le Rhône-alpin que je suis remercie le Rhône-alpin que vous êtes.

Au nom de mes collègues, je tiens à saluer la manière dont vous avez participé à ce débat et la clarté de vos réponses aux différents orateurs. Il s’agit d’un débat essentiel, compte tenu des échéances prochaines, notamment européennes, et tous les agriculteurs – tous les paysans, comme certains, dont je suis, se plaisent à dire – y seront confrontés.

Merci, monsieur le ministre ; merci, Michel Barnier !

Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

15

Débat sur l'adoption

M. le président. L’ordre du jour appelle un débat sur l’adoption, organisé à la demande des commissions des finances et des affaires sociales.

La parole est à M. Auguste Cazalet.

M. Auguste Cazalet, au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, les commissions des finances et des affaires sociales ont souhaité mener conjointement un contrôle sur l’Agence française de l’adoption, l’AFA, mission que j’ai menée avec mes collègues Paul Blanc et Albéric de Montgolfier et dont nous avons rendu compte au début du mois de mars en remettant notre rapport d’information.

Nos travaux nous ont conduits à nous intéresser à l’ensemble du système d’adoption français, dans l’optique, notamment, de l’examen du projet de loi qui vient d’être déposé sur le bureau du Sénat.

Je rappelle que l’AFA, créée par la loi du 4 juillet 2005, s’est vu confier trois missions : informer, conseiller et servir d’intermédiaire pour l’adoption de mineurs étrangers de moins de quinze ans. L’Agence, qui n’opère aucune sélection, est autorisée à intervenir comme intermédiaire pour l’adoption dans l’ensemble des départements.

Concernant sa capacité à agir dans les pays d’origine des enfants, l’AFA peut, de droit, intervenir dans l’ensemble des États parties à la convention de La Haye. Elle peut également exercer son activité dans les autres pays, mais uniquement sur habilitation du ministre des affaires étrangères.

Cette agence, dont la création avait suscité de vifs espoirs chez les candidats à l’adoption, a fait l’objet de nombreuses critiques, relatives au faible nombre d’adoptions réalisées, à sa capacité limitée d’accompagnement des candidats à l’adoption, à sa stratégie d’implantation dans les pays d’origine des enfants et aux relations entretenues avec les organismes autorisés pour l’adoption, les OAA. Pourtant, ainsi que nous l’exposons dans notre rapport d’information, certaines difficultés ne lui sont pas totalement imputables.

Afin de lui donner une seconde chance et d’améliorer le fonctionnement du système français d’adoption, nous avons identifié quatre séries principales de recommandations, qui se retrouvent, pour partie, dans le projet de loi précité.

La première d’entre elles concerne la clarification des rôles des différents acteurs en charge de l’adoption et de leurs relations mutuelles.

Il convient, tout d’abord, de renforcer la mission de pilotage et de coordination de l’autorité centrale, tant à l’égard de l’AFA que des OAA. L’autorité centrale doit en effet définir une véritable stratégie coordonnée d’implantation des OAA et de l’Agence dans les pays d’origine des enfants. Cela suppose, notamment, la signature rapide d’une convention pluriannuelle d’objectifs et de gestion avec l’AFA comme avec chacun des OAA, et la création d’un portail unique de l’adoption internationale, afin de garantir la cohérence des informations communiquées aux familles.

Dans le cadre de cette nouvelle stratégie globale, l’efficacité du système français d’adoption internationale nécessite également un renforcement des OAA, dont la situation financière est parfois fragile. Des mécanismes d’incitation financière à la mutualisation de certains moyens, voire aux regroupements d’organismes, devraient ainsi être instaurés. Dans cette perspective, il serait souhaitable que le ministère des affaires étrangères devienne l’interlocuteur budgétaire unique des OAA.

Enfin, nous comptons sur vous, mesdames les secrétaires d’État, pour mobiliser l’ensemble du réseau diplomatique et consulaire, afin de faciliter et d’améliorer le suivi des dossiers d’adoption dès lors qu’ils ont été transmis aux pays d’origine.

Certaines de nos propositions sont reprises au sein de l’article 4 du projet de loi relatif à l’adoption, qui permet notamment à l’AFA d’agir dans l’ensemble des pays d’origine des enfants et donne une réelle compétence à l’autorité centrale pour définir des priorités et s’assurer de la complémentarité des actions menées par l’Agence et par les OAA.

Nous sommes favorables à ce dispositif, mais nous souhaitons, mesdames les secrétaires d’État, que ce débat vous permette de nous préciser l’état de vos réflexions concernant les sujets qui ne nécessitent pas de dispositions législatives. (Applaudissements sur les travées de lUMP, de lUnion centriste et du RDSE. – M. Yves Daudigny applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Albéric de Montgolfier.

M. Albéric de Montgolfier, au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, mesdames les secrétaires d'État, mes chers collègues, je voudrais maintenant aborder de manière plus précise les dysfonctionnements propres à l’AFA et exposer nos recommandations en la matière.

Je rappelle brièvement que l’Agence, constituée sous la forme d’un groupement d’intérêt public, GIP, s’est vu attribuer chaque année une dotation de 4 millions d’euros en loi de finances initiale. Or la mise en place progressive, voire lente de l’AFA s’est traduite par une sous-consommation des crédits qui lui ont été alloués. À cet égard, le maintien à son niveau initial de la subvention accordée à l’Agence a pu apparaître comme relevant d’une volonté d’affichage.

Au regard de cet effort de la collectivité, les premiers résultats obtenus par l’Agence ont été jugés décevants : indépendamment de la question de la place de l’AFA au sein du dispositif d’ensemble de l’adoption internationale, évoquée par notre collègue Auguste Cazalet, on constate une baisse du nombre des adoptions réalisées par l’Agence en 2008. De surcroît, contrairement aux OAA, l’Agence n’assure pas l’accompagnement financier des familles adoptantes.

S’ajoutent à ce constat des faiblesses de gestion, imputables non seulement à l’Agence, mais également aux services de tutelle, qui n’en ont pas assuré un suivi suffisamment attentif. Sur ce point, je vous renvoie à notre rapport d’information.

Pour ces motifs, notre deuxième série de propositions porte sur la rationalisation du fonctionnement de l’AFA, afin de lui permettre de jouer pleinement son rôle, ce qui implique d’adapter ses compétences et sa gouvernance.

La première mesure à prendre devrait permettre à l’AFA de s’acquitter pleinement de sa mission d’intermédiaire dans le domaine de l’adoption en lui donnant la possibilité d’accompagner financièrement les familles dans les pays d’origine, comme peuvent le faire les OAA. Cela suppose la mise en place de régies et la mobilisation du réseau diplomatique, nécessaire pour rendre cette mesure effective au meilleur coût.

J’observe, mesdames les secrétaires d’État, que l’article 4 du projet de loi relatif à l’adoption procède à un aménagement des missions de l’AFA, en mettant davantage l’accent sur le conseil qu’elle doit apporter aux familles. Pouvez-vous nous préciser vos orientations en matière d’accompagnement financier, sujet qui intéresse tout particulièrement les candidats à l’adoption ? Le problème va se poser avec d’autant plus d’acuité que l’Agence aura désormais vocation à intervenir dans l’ensemble des pays d’origine des enfants, qu’ils soient ou non parties à la convention de La Haye.

Nous avons également préconisé une modification législative consistant à autoriser l’AFA à mener des actions de coopération dite « humanitaire », étant entendu que la coopération institutionnelle continuerait à relever du ministère des affaires étrangères. Pour des raisons éthiques, nous avons proposé que ces actions de coopération humanitaire fassent l’objet d’une validation expresse et préalable de l’autorité centrale. Le projet de loi relatif à l’adoption donne une suite à cette proposition, ce dont nous nous félicitons.

Nous avons en outre prôné une meilleure mise en valeur de l’effort global de coopération décentralisée mené par l’État, les collectivités territoriales et les acteurs privés, de manière à renforcer l’image de la France auprès des pays d’origine. La création d’un fonds dédié ou d’une fondation au fonctionnement souple pourrait ainsi être étudiée. Pouvez-vous, mesdames les secrétaires d’État, nous faire part de vos réflexions à ce sujet ?

Enfin, nous avons estimé que, pour remédier à certaines incompréhensions qui ont pu naître, un siège d’« observateur », sans droit de vote, pourrait être accordé aux associations des familles au sein du conseil d’administration de l’Agence.

La rationalisation de l’organisation de l’AFA implique également de remédier à certaines faiblesses administratives, ce qui ne nécessite pas de modification législative, mais requiert une plus grande implication de vos services, mesdames les secrétaires d’État.

Le pilotage des dépenses et des effectifs doit ainsi être renforcé, en liaison avec la tutelle, laquelle devrait exercer un contrôle plus attentif de la structure et mieux analyser les enjeux en amont. Nous considérons que les moyens de l’Agence doivent être analysés de manière globale et que doivent être pris en compte ceux qui sont dévolus à l’adoption internationale par le ministère des affaires étrangères, tant au niveau de l’autorité centrale qu’à celui des postes diplomatiques à l’étranger.

Nous souhaitons donc que le ministère des affaires étrangères procède à un audit des procédures en vigueur, afin de veiller à maîtriser l’évolution des effectifs dans leur ensemble et d’identifier les complémentarités ou les redondances qui peuvent exister. Y êtes-vous prête, madame la secrétaire d’État chargée des affaires étrangères ?

Nous considérons également que le plafond des autorisations d’emplois de l’AFA nécessite un suivi plus attentif que par le passé. Il devra englober, et ce le plus rapidement possible, l’ensemble des effectifs de l’Agence, y compris les correspondants locaux à l’étranger.

Enfin, nous souhaitons que celle-ci s’aligne sur les grilles de référence du ministère des affaires étrangères pour la rémunération des correspondants locaux à l’étranger.

Dans ce contexte, le budget pour 2010 apparaîtra comme un « moment de vérité », destiné à poser un nouveau cadre pour l’AFA. Nous attendrons alors, mesdames les secrétaires d’État, une justification plus précise des crédits qui seront proposés en projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées de l’UMP ainsi que sur quelques travées de l’Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Paul Blanc.

M. Paul Blanc, au nom de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, ainsi que viennent de le souligner mes deux collègues de la commission des finances, les résultats obtenus par l’AFA sont décevants et restent bien en deçà des objectifs de la réforme de 2005, comme des espoirs qu’elle a suscités. Il faut cependant les resituer dans leur contexte, celui d’une baisse généralisée du nombre d’adoptions internationales et d’une réforme qui, à notre sens, est restée inachevée.

Auguste Cazalet a souligné l’importance de l’exercice effectif de la tutelle sur l’Agence par l’autorité centrale afin de mieux piloter son action et définir sa stratégie, en complémentarité avec celle des OAA. Albéric de Montgolfier a mis en évidence la nécessité d’une redéfinition des compétences de l’Agence pour que celle-ci puisse remplir ses missions à l’égard des familles adoptantes.

Pour ma part, je m’intéresserai aux deux autres objectifs de la réforme de 2005 : l’harmonisation des conditions de délivrance des agréments et le développement de l’adoption nationale.

Force est de constater que, dans ces deux domaines, la situation ne s’est guère améliorée. Avec plus de 28 000 agréments en cours de validité, soit sept fois plus de candidats à l’adoption que d’enfants à adopter, et seulement 775 enfants adoptés en France sur les quelque 3 200 pupilles de l’État et la centaine de milliers d’enfants placés à l’aide sociale à l’enfance, il nous faut reconnaître que les pratiques ont encore trop peu évolué.

Certes, le projet de loi que vous avez présenté le 1er avril dernier devant le conseil des ministres, madame la secrétaire d’État chargée de la famille, ne néglige pas ces deux aspects. Il reprend même certaines des recommandations contenues dans notre rapport, ce dont nous sommes très heureux. Il nous paraît néanmoins souhaitable d’aller plus loin.

Pour ce qui est des agréments, nous avons suggéré cinq mesures destinées à mieux en encadrer les conditions de délivrance.

Il s’agit d’abord du renforcement de l’information et de la formation des candidats à l’adoption, avant l’agrément. On observe en effet que les réunions d’information collectives organisées à titre expérimental par certains départements avant la confirmation de la demande d’agrément permettent aux familles de mûrir leur projet d’adoption et les conduisent parfois à y renoncer. Nous suggérons donc la généralisation de ce type de réunions.

Il s’agit ensuite de l’harmonisation des pratiques des conseils généraux grâce à l’élaboration, de façon concertée, d’un référentiel national d’évaluation des candidats à l’adoption. Je crois savoir que la direction générale de l’action sociale, la DGAS, envisage la mise en place, à cet effet, d’un groupe de travail associant les conseils généraux et les associations représentatives des familles. Pouvez-vous nous indiquer, madame la secrétaire d’État, si la réflexion du Gouvernement a progressé sur ce point ?

Par ailleurs, la création d’un fichier nominatif national unique des agréments accordés ou refusés nous semble souhaitable, car elle permettrait d’éviter que des candidats qui se seraient vu refuser l’agrément dans un département ne postulent dans un autre. Y seriez-vous favorable ?

Nous recommandons également un contrôle annuel plus systématique et plus rigoureux de la validité des agréments, contrôle dont le principe est d’ailleurs repris dans le texte du projet de loi puisqu’y est prévue la possibilité pour le président du conseil général de suspendre ou de retirer l’agrément des titulaires qui ne confirmeraient pas chaque année la poursuite de leur projet d’adoption.

Enfin, nous suggérons qu’une réflexion soit engagée sur l’adaptation de la législation de l’adoption aux nouvelles réalités familiales. N’est-il pas en effet singulier que des couples hétérosexuels concubins ou pacsés ne soient pas autorisés à adopter, alors que les célibataires le sont ?

J’ajoute que l’obtention de l’agrément n’exonère pas les candidats à l’adoption d’une certaine éthique dans leur démarche, conformément à l’esprit de la convention de La Haye. L’afflux de demandes exerce en effet une « pression » souvent mal ressentie par les pays d’origine et laisse supposer que le « droit des familles à adopter » primerait sur l’« intérêt de l’enfant ».

Est-il acceptable qu’une même famille puisse mener simultanément plusieurs démarches d’adoption, que ce soit individuellement, par le biais d’un OAA ou par celui de l’AFA, au risque de devoir refuser un enfant au motif qu’elle aurait déjà obtenu satisfaction par ailleurs ? Nous souhaitons que le Gouvernement puisse engager dès que possible, sur ce sujet sensible, une réflexion avec l’Agence, les OAA et les associations de familles adoptantes.

Je me dois aussi d’évoquer la question, chère à la commission des affaires sociales, du suivi des enfants après leur adoption. À cet égard, les pays d’origine ont, non sans raison, plus d’exigences qu’auparavant. Les services de l’aide sociale à l’enfance devront donc, à l’avenir, veiller avec plus de rigueur à ce que les rapports de suivi soient transmis dans les délais impartis.

Je crois également nécessaire de renforcer l’accompagnement des familles, notamment par le déploiement sur tout le territoire des consultations d’orientation et de conseil en adoption.

Enfin, on en conviendra, nous devons développer l’adoption nationale. Cela passe d’abord par une meilleure information des familles sur les voies, bien souvent méconnues, de l’adoption en France. Il faut ensuite favoriser les déclarations d’abandon lorsqu’elles sont dans l’intérêt de l’enfant.

Sur ce dernier point, madame la secrétaire d’État chargée de la famille, vous proposez dans le projet de loi une piste intéressante, consistant à contraindre les travailleurs sociaux à se prononcer chaque année sur l’état d’abandon des enfants placés. Mais, vous le savez, cette disposition ne sera suivie d’effets que si la culture des professionnels de l’aide sociale à l’enfance évolue à cet égard. Cela suppose, à notre sens, un effort de formation, sur la base d’un référentiel national commun des critères objectifs de l’état d’abandon.

Nous regrettons enfin que l’adoption simple ne figure pas dans le projet de loi. Cette forme juridique, plus souple que l’adoption plénière, présente pourtant de nombreux avantages. Elle mériterait d’être réformée et développée, afin que des enfants placés puissent être accueillis plus tôt dans une famille adoptive et grandir en son sein, sans pour autant que les liens avec leur famille d’origine soient rompus. L’enfant aurait ainsi deux familles. Avec la multiplication des familles recomposées, je crois que les esprits y sont aujourd’hui mieux préparés.

Mesdames les secrétaires d’État, permettez-moi pour conclure d’émettre le vœu que notre réflexion et nos propositions contribuent utilement à inspirer votre action et à alimenter le débat sur ce sujet passionnant auquel personne ne peut être insensible. (Applaudissements sur les travées de lUMP, de lUnion centriste et du RDSE.)

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mlle Sophie Joissains.

Mlle Sophie Joissains. Monsieur le président, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, je souhaite souligner ici plusieurs points qui me semblent essentiels. Vous me permettrez également de formuler quelques questions, ainsi qu’une proposition que je soumettrai à votre appréciation.

Le thème de l’adoption implique une double approche, afin de répondre le plus utilement possible à ceux pour qui la concrétisation de leur espoir de fonder une famille est d’une cruelle lenteur. Et que dire de l’attente et de l’angoisse qui sont celles des enfants victimes d’abandon ?

Le premier prisme qui doit nous guider dans cette discussion est l’intérêt de ces enfants.

La supériorité de l’intérêt de l’enfant doit, ainsi que nous l’avons attesté en ratifiant la convention de La Haye, être encore et toujours réaffirmée comme l’objet principal de chacune des évolutions législatives qui nous sont et nous seront proposées.

Ce rappel, mesdames les secrétaires d’État, me permet de saluer, avec un peu d’avance, le travail que vous avez effectué sur le projet de loi qui sera prochainement soumis à la Haute Assemblée.

Cela vaut particulièrement pour l’adoption nationale puisque, en cherchant à accélérer la résolution des situations de délaissement parental, vous confortez la primauté du droit de l’enfant, qui est le fondement même de notre conception de l’adoption.

On le sait, les trois quarts des adoptions effectuées par les Français sont réalisées à l’étranger. Or, dans plus de 40 % des cas, elles sont réalisées de manière individuelle, soit en dehors de tout schéma institutionnel : en dehors de l’Agence française de l’adoption, en dehors des quarante-deux organismes agréés.

Nous avons aujourd’hui le devoir, d’une part, de faciliter et d’accélérer la procédure de l’adoption sur le territoire français et, d’autre part, face à l’ampleur du défi, de provoquer l’établissement d’une stratégie globale de l’adoption internationale, seul moyen de parvenir à la rationalisation des actions menées par les acteurs de l’adoption internationale ; de plus, cela ne manquera pas de faciliter le contrôle scrupuleux devant s’exercer en la matière.

Je déplore d’ailleurs la défaillance de l’autorité centrale en la matière ; car l’AFA ne peut être tenue pour seule responsable de certaines déceptions.

Il serait important que ce débat sur l’évolution de l’adoption internationale, qui se déroule dans le cadre des quarante-neuf pays ayant ratifié la convention de La Haye, s’élargisse aux soixante-douze pays signataires, et même au-delà.

Ne devrait-on pas envisager également d’approfondir la réflexion sur la nature et l’encadrement des liens entre adoption internationale et action humanitaire ? Nous y reviendrons.

La seconde approche de notre débat concerne évidemment l’adoptant qui revendique le droit à un enfant. Les chiffres, sur ce point, sont sans appel : selon la Cour des comptes, 23 000 adultes, sur les 28 000 possédant un agrément, attendent aujourd’hui l’enfant qui, demain, deviendra le leur. Chacun de vous a dans son entourage l’un d’entre eux et connaît la souffrance qui accompagne son attente.

Face à cette réalité, que pouvons-nous faire ?

L’information et l’accompagnement des familles sont et doivent rester des points essentiels dans l’amélioration de notre dispositif. J’évoquerai notamment l’organisation, avant toute délivrance d’agrément, de réunions collectives obligatoires, à l’intention des familles, puis le nécessaire suivi psychologique de l’adaptation des petits enfants étrangers adoptés à une culture différente de la leur.

Il faut également noter que la question des demandes multiples formulées par les familles pose certaines difficultés au regard de la consolidation de notre politique.

Par ailleurs, face à une adoption nationale trop peu développée, je souscris aux propositions des auteurs du rapport d’information concernant l’extension de l’adoption simple, qui pourrait, à mon sens, trouver toute sa place dans le cas d’enfants victimes de délaissement parental avéré.

Sur ces différents points, Mme la secrétaire d’État chargée de la famille pourra nous apporter des précisions, notamment en ce qui concerne les mesures relevant du domaine réglementaire et le calendrier envisagé.

Tout naturellement, l’adoption internationale, grâce à laquelle 3 200 enfants ont pu être adoptés en 2008, constitue le pendant de l’accompagnement des familles. Il est certain qu’elle suscite beaucoup d’espoir, et la mise en œuvre tardive des réformes dans ce domaine était un peu surprenante.

Sans aborder toutes les facettes de ce vaste sujet, je souhaite revenir sur un point qui a retenu toute mon attention. Il s’agit d’une pratique à laquelle recourent certains pays étrangers, qui subordonnent l’agrément donné à l’AFA pour réaliser des adoptions à la conduite d’actions dites « humanitaires ». Cette pratique suscite certaines interrogations que je souhaite formuler ici.

Nous avons tous été témoins d’une affaire bien triste, concernant l’association l’Arche de Zoé ; même s’il s’agissait d’une association, la défaillance de l’autorité centrale s’est trouvée fort malheureusement illustrée par ce regrettable épisode.

Nous connaissons tous les dérives et les effets pervers de certaines bonnes intentions. Les actions humanitaires, nous y sommes bien sûr favorables ! Mais il ne saurait en aucun cas s’agir d’opérations de don contre don. En d’autres termes, l’enfant ne peut avoir un prix.

Chacun comprendra qu’il s’agit non pas de juger du « mieux-fondé » d’un droit par rapport à un autre, mais de mettre en exergue les difficultés que ces situations nouvelles peuvent poser au regard de notre conception de l’adoption et de la personne humaine.

C’est pourquoi, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, j’en appelle à votre vigilance républicaine et à votre sens de l’éthique pour garder la porte du débat ouverte sur ce sujet précis.

En effet, j’ai bien noté que le projet de loi viserait à ce que l’Agence française de l’adoption puisse, pour des microprojets et après accord de l’autorité centrale, financer des projets humanitaires. Certains sont favorables à cet agrément entre l’AFA et certains pays, au nom de la souveraineté des États. D’autres y sont opposés, au nom de l’éthique. Beaucoup, en fait, ne se sont pas encore prononcés.

Il me semble qu’un travail de découplage entre, d’une part, le codéveloppement consacré aux enfants et aux orphelins et, d’autre part, l’adoption internationale pourrait constituer une base de réflexion pour essayer de répondre à cette question.

Au-delà des précisions que pourra nous apporter Mme la secrétaire d’État chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme, la création d’un groupe de réflexion, associant les compétences de la commission des affaires sociales et celles de la commission des affaires étrangères, voire en liaison avec la Commission nationale consultative des droits de l’homme, l’Agence française de l’adoption et les autorités politiques concernées, permettrait peut-être de creuser intelligemment cette problématique.

Mesdames les secrétaires d’État, je vous remercie par avance des réponses que vous voudrez bien apporter à mes interrogations. (Applaudissements sur les travées de lUMP, de lUnion centriste et du RDSE. M. Yves Daudigny applaudit également.)