compte rendu intégral

Présidence de M. Guy Fischer

vice-président

Secrétaires :

M. Jean-Pierre Godefroy,

Mme Anne-Marie Payet.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Désignation d'un sénateur en mission

M. le président. Par courrier en date du 28 novembre, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L. O. 297 du code électoral, Mme Sylvie Desmarescaux, sénateur du Nord, en mission temporaire auprès de M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté.

Cette mission portera sur l’évolution des droits sociaux attachés au statut de bénéficiaire de minima sociaux dans le cadre de la création du revenu de solidarité active.

Acte est donné de cette communication.

3

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce rappel au règlement porte sur l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, fondement de la Constitution et, par conséquent, du règlement du Sénat.

M. Vittorio de Filippis, journaliste et ancien directeur de la publication du journal Libération, a été interpellé le vendredi 28 novembre 2008 à son domicile, à six heures quarante du matin, à la suite d’un mandat d’amener délivré par un juge. Il a été interpellé devant ses enfants, menotté, conduit au commissariat de police du Raincy.

Le journal Libération du 29 novembre a publié le témoignage de M. de Filippis. M. Laurent Joffrin, directeur de Libération, écrit que cette interpellation était « volontairement humiliante ». À lire les récits qui ont paru dans la presse, madame la ministre, j’ajouterai que c’est le moins que l’on puisse dire !

M. Vittorio de Filippis a relaté dans le journal Libération, dans un témoignage repris par le journal Le Monde, que lors de l’interpellation un fonctionnaire aurait déclaré devant son fils : « Vous êtes pire que la racaille ! »

Je rappelle que l’affaire qui a donné lieu aux faits précités est une plainte en diffamation au sujet d’un commentaire hébergé par le site de Libération et publié le 27 octobre 2006. L’avocat du journal Libération, Me Jean-Paul Lévy, déclare : « C’est la première fois que je vois un juge délivrer un mandat d’amener dans une affaire de diffamation. En matière de presse, la détention n’existe pas. Le traitement qui a été réservé à Vittorio de Filippis est invraisemblable. »

Me Baudelot, avocat du journal Le Monde, a déclaré : « C’est invraisemblable et inacceptable, si on permet des […] interpellations de cette nature, on contourne la loi. »

La Société civile des personnels de Libération a dénoncé « des méthodes judiciaires intolérables » et a demandé, à l’instar de nombreuses personnalités politiques qu’une enquête soit ouverte.

Le Syndicat national des journalistes a dénoncé « la démesure avec laquelle sont désormais instruits certains délits de presse ».

Reporters sans frontières a jugé ces faits « intolérables ».

Madame la ministre, devant l’intense et justifiée émotion suscitée par les faits que je viens de rappeler, j’ai l’honneur de vous poser trois questions.

Premièrement, une plainte relative à la présence sur un site d’un commentaire considéré comme diffamatoire vous paraît-elle justifier le traitement qui a été infligé à M. Vittorio de Filippis ?

Deuxièmement, considérez-vous que ces méthodes sont compatibles avec le projet de loi relatif à la protection du secret des sources des journalistes que vous avez défendu ici même ?

M. Jean-Pierre Sueur. Troisièmement, madame la ministre – et nous attendons une réponse très précise sur ce dernier point –, avez-vous demandé une enquête sur les faits précités ? Sinon, allez-vous le faire ? Rendrez-vous publiques les conclusions de cette enquête ?

M. le président. Mon cher collègue, acte vous est donné de votre rappel au règlement. Mme la ministre vous répondra tout à l’heure.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, avec votre indulgence, je reprends la parole pour m’étonner du mutisme du Gouvernement. En tant que parlementaire, j’ai posé des questions précises, à la faveur d’un rappel au règlement qui porte sur une affaire concernant les libertés fondamentales : ce n’est pas par hasard que j’ai cité l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je m’associe aux propos de notre collègue et souhaite que nous obtenions une réponse, puisque Mme la garde des sceaux est présente dans l’hémicycle.

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, si elle le souhaite.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, j’avais l’intention de répondre aux questions qui viennent de m’être posées après les orateurs à l’occasion de l’examen des crédits de la mission « Justice » : à aucun moment je n’ai envisagé de garder le mutisme !

Je voudrais d’abord apporter deux précisions. D’une part, la procédure dont il s’agit est une plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d’instruction, et non une action dont le Gouvernement ou le ministère public aurait pris l’initiative, par exemple à la demande du garde des sceaux. D’autre part, la délivrance d’un mandat d’amener fait partie des décisions qu’un juge d’instruction peut être conduit à prendre dans le cadre d’une procédure, en particulier lorsque la personne n’a pas déféré à plusieurs convocations.

Je n’ai donc aucun jugement à porter, ni même aucun commentaire à faire sur un acte de procédure qui relève du juge d’instruction. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes dans un État de droit, où l’indépendance de la justice est respectée ! Ce point a même été placé au cœur de nos débats lors de l’examen de plusieurs projets de loi que j’ai défendus devant vous.

Que, conformément aux prérogatives attachées à ma fonction, je puisse donner des instructions au parquet, c’est une chose. Mais je n’en ai jamais donné à un juge d’instruction ! Au demeurant, les membres de l’opposition sont souvent revenus sur cette question et se sont très longtemps émus des risques d’atteinte à l’indépendance de la justice que comporterait une telle pratique, à laquelle il n’a jamais été recouru.

Le mandat d’amener a donc été délivré en toute indépendance par le juge d’instruction. Il faut, dans cette affaire, distinguer deux éléments : l’arrestation, d’une part, la procédure menée par le juge d’instruction, d’autre part.

Je rappelle que, lorsqu’il était ministre de l’intérieur, le Président de la République avait souhaité que le déroulement et les conditions des interpellations soient nettement améliorés, ce qu’il a fait, notamment, en limitant les fouilles à corps pour éviter les atteintes à la dignité de la personne.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez lu la presse, madame la ministre !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Par ailleurs, lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle, le Président de la République a pris l’engagement d’améliorer la protection du secret des sources en en faisant un principe général inscrit dans la loi de 1881. Tel est l’objet du projet de loi dont nous avons débattu récemment et dont l’adoption permettra à la fois de mieux garantir le secret des sources et d’encadrer plus strictement les procédures mettant en cause un journaliste.

Enfin, pour répondre sur le dernier point évoqué par M. Sueur, j’ai demandé au parquet de se faire communiquer le dossier de la procédure. Il n’a pas encore été transmis. Bien entendu, nous n’avons rien à cacher, et le ministre de la justice ne se réfugie pas dans le mutisme, mais les juges sont indépendants ! Nous avons fait en sorte de pouvoir disposer de plus d’éléments, que vous serez à même d’avoir en temps utile.

Bref, non seulement les conditions de la garde à vue ont été nettement améliorées, mais nous tenons particulièrement à la liberté d’expression, notamment à la liberté de la presse ; et je rappelle que le Président de la République est le premier à avoir fait en sorte que, pour les journalistes, soient mises en œuvre plus de garanties et plus de protection, ce qui était réclamé depuis longtemps. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

4

Article 35 et état B (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2009
Deuxième partie

Loi de finances pour 2009

Suite de la discussion d'un projet de loi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2009
Justice

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2009, adopté par l’Assemblée nationale (nos 98 et 99).

Justice

Deuxième partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2009
Article 35 et état B

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits relatifs à la mission « Justice ».

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la mission « Justice » est dotée, dans le projet de loi de finances pour 2009, de 6,654 milliards d’euros de crédits de paiement, soit une augmentation de 2,6 %.

Dans un contexte budgétaire globalement tendu, cette progression des crédits illustre l’importance attachée à la justice et la priorité accordée à ses moyens, et cela depuis plusieurs années.

Le programme « Justice judiciaire » compte 2,83 milliards d’euros en crédits de paiement, en hausse de 3,8 %.

Au sein de ce programme, il convient de souligner les progrès remarquables réalisés en termes de maîtrise des frais de justice. Grâce aux efforts conjugués des magistrats et de la Chancellerie, la dynamique à la hausse de ces frais est désormais contenue. En 2009, une dotation de 409 millions d’euros est prévue pour les couvrir, contre 405 millions d’euros en 2008.

Un autre problème récurrent reste toutefois à résoudre : celui de l’insuffisance de greffiers au sein des juridictions, je l’ai souligné à de nombreuses reprises.

Le ratio actuel de 2,5 fonctionnaires de greffe par magistrat traduit une réelle faiblesse du soutien logistique susceptible d’être apporté aux magistrats, tant pour le rendu des décisions de justice que pour la gestion des juridictions. Les efforts afin d’accroître les effectifs de magistrats, en conformité avec la loi d’orientation et de programmation pour la justice, la LOPJ, au cours de la période 2003-2007, méritent d’être salués. Mais ils n’ont de sens que s’ils s’accompagnent d’un effort encore plus important en faveur des greffiers.

Le projet de loi de finances pour 2009 permet également de faire le point sur la réforme de la carte judiciaire et sur son coût.

Depuis de nombreuses années, chacun convenait de la nécessité de réformer la carte judiciaire, mais aucune réorganisation n’avait été entreprise depuis 1958. En dépit des évolutions démographiques, économiques et sociales de notre pays, la carte judiciaire n’avait fait l’objet depuis cette date que d’adaptations ponctuelles.

Elle avait ainsi fini par devenir un frein à la modernisation de la justice et une entrave à sa nécessaire lisibilité pour les citoyens.

Toutefois, cette réforme présente un coût initial.

Pour 2009, le budget qui lui sera consacré s’élève à 37 millions d’euros, supportés par le programme « Justice judiciaire ». Encore faut-il ajouter à cette somme 55 millions d’euros mobilisés sur le compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État », provenant essentiellement des produits de cessions de bâtiments appartenant à l’État.

Au total et sur cinq ans, le coût de la réforme de la carte judiciaire est désormais chiffré par la Chancellerie à 427 millions d’euros, soit un montant très inférieur à celui qui était annoncé initialement, c'est-à-dire 800 millions d’euros.

Il faut toutefois préciser que ce coût n’intègre pas l’opération de réaménagement du tribunal de grande instance de Paris, qui pourrait s’élever, à elle seule, à près d’un milliard d’euros.

Le programme « Administration pénitentiaire » comporte 2,467 milliards d’euros de crédits de paiement, soit une progression de 4 %.

Faut-il le rappeler ? En France, les conditions de détention sont inacceptables. La vétusté de la plupart des prisons y est pour beaucoup, mais surtout l’insuffisance de places est accablante. Le taux de surpopulation carcérale atteignait ainsi 126,5 % au 1er juillet 2008 et ce taux, qui n’est qu’un taux moyen, peut même aller jusqu’à plus de 200 % dans certains établissements…

On ne peut donc que se réjouir de la création nette de 4 588 places en établissements pénitentiaires en 2009, parmi lesquels figure la maison d’arrêt du Mans, ce que je note avec satisfaction. Cependant, à supposer que le nombre de détenus reste au niveau actuel et que les prévisions en matière de créations nettes de places en détention soient respectées, il s’agit de 11 569 places à créer entre 2009 et 2012, le nombre de places n’égalera pas le nombre de personnes détenues au terme de la programmation…

En 2009, la création d’emplois au sein de l’administration pénitentiaire suivra ces ouvertures de places. Le programme enregistrera un nouvel accroissement de ses effectifs de 894 équivalents temps plein travaillé.

S’agissant des conditions de vie et d’accueil dans les établissements pénitentiaires, je souhaite tout particulièrement insister sur la prise en charge défaillante des cas de psychiatrie en milieu carcéral. Notre système souffre d’une grave insuffisance de moyens en la matière, notamment en ce qui concerne le nombre des psychiatres intervenant en établissement pénitentiaire. Je demande instamment que l’on crée des postes, notamment dans les nouveaux établissements.

La question des transfèrements de détenus pose également problème. Une « remise à plat » de la charge de ces missions, qui incombent actuellement à la police et à la gendarmerie, me paraît indispensable. Je reviendrai d’ailleurs sur cette question lors de la présentation de l’amendement proposé par la commission des finances du Sénat sur les crédits de la mission « Justice ».

Le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » s’appuie sur une enveloppe de 787,1 millions d’euros en crédits de paiement, en baisse de 2,1 %.

Il sera marqué par une évolution stratégique notable en 2009 : son recentrage sur la prise en charge des mineurs délinquants.

Au regard de la performance de ce programme, il faut souligner que les taux d’occupation des établissements enregistrent des progrès significatifs. Ainsi, ce taux est-il passé de 71 % pour les centres éducatifs fermés en 2007 à 75 % en prévision actualisée pour 2008, avec une cible de 80 % en 2011.

Un résultat de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, ne doit pas nous échapper : 66 % des jeunes pris en charge au pénal n’ont ni récidivé, ni réitéré, ni fait l’objet de nouvelles poursuites dans l’année qui a suivi la clôture de la mesure. À lui seul, ce chiffre suffirait à justifier l’importance de l’action de la PJJ.

Les moyens du programme « Accès au droit et à la justice » diminuent de 4,3 % en crédits de paiement, en passant de 334,3 millions d’euros à 320 millions d’euros.

Au sein de ce programme, l’aide juridictionnelle voit sa dotation passer de 314,4 millions d’euros en 2008 à 300 millions d’euros en 2009. Cette baisse de 4,6 % doit toutefois être relativisée, dans la mesure où elle pourrait être compensée par un rétablissement de crédits à hauteur de 13 millions d’euros au titre du recouvrement de l’aide juridictionnelle. Par ailleurs, l’hypothèse sur laquelle s’appuie cette prévision budgétaire se fonde sur un non-accroissement du nombre d’admissions à l’aide en 2009, soit 886 000 bénéficiaires.

Il n’en reste pas moins qu’une réforme de ce dispositif s’impose. La commission des finances a déjà eu l’occasion de formuler des recommandations dans ce domaine. Elle souhaite que 2009 puisse être une année de prise de décisions fortes.

Le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice : expérimentations Chorus » constitue une nouveauté relative au sein de la mission « Justice ».

Sa création s’explique par la mise en œuvre, au sein du ministère de la justice et à compter du 1er janvier 2009, du logiciel Chorus, qui doit gérer à terme l’ensemble de la dépense des recettes non fiscales et de la comptabilité de l’État.

Ce programme comporte 238 millions d’euros de crédits de paiement.

Il faut noter, le concernant, que la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, qui était rattachée jusqu’en 2008 au programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice et organismes rattachés », est transférée en direction du programme « Défense des droits des citoyens » de la mission « Direction de l’action du Gouvernement ». Ce transfert de la CNIL sur un programme permettant de mieux individualiser et de mieux « sanctuariser » ses crédits correspond à la satisfaction d’un souhait plusieurs fois émis par la commission des finances du Sénat.

Le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice », enfin, n’a plus qu’une vocation transitoire. Il disparaîtra le 31 décembre 2009, date à laquelle la totalité des crédits de la mission « Justice » seront gérés dans l’application financière Chorus.

En conclusion, mes chers collègues, l’année 2009 sera, pour la justice, une année de continuité. Continuité, tout d’abord, dans les efforts budgétaires consentis pour rattraper des retards trop longtemps accumulés. Continuité, ensuite, dans la volonté de moderniser l’institution judiciaire, pour la rendre plus proche du justiciable et plus lisible par nos concitoyens. Continuité, enfin, dans le souci d’apporter une réponse au problème posé par la surpopulation carcérale et les conditions de détention, trop souvent indignes de notre République.

Dans ces conditions, la commission des finances propose au Sénat l’adoption des crédits de la mission et de chacun de ses programmes. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le programme « Administration pénitentiaire », qui constitue l’un des six programmes de la mission « Justice », représente 37 % de cette mission, soit une enveloppe de 2,467 milliards d’euros.

Les crédits de paiement augmentent de 4 % par rapport aux crédits ouverts en 2008, après une hausse de 6,4 % entre 2007 et 2008, et les autorisations d’engagement progressent de 30,2 % en raison du renouvellement des marchés des établissements à gestion déléguée et de la notification des nouveaux établissements dont la livraison est prévue pour 2010.

Le plafond d’autorisations d’emplois en 2009 s’élève à 33 020 équivalents temps plein travaillé contre 32 126 en 2008, soit une augmentation de 894 emplois. Cette évolution s’explique principalement pour les personnels de surveillance, plus 775 emplois, par la livraison des premiers établissements issus du programme « 13 200 », et pour les personnels d’insertion et de probation, plus 104 emplois à partager avec les métiers du greffe et de l’éducatif, par le développement des mesures d’aménagement de peine et plus particulièrement du placement sous surveillance électronique.

Le budget de fonctionnement de l’administration pénitentiaire devrait ainsi augmenter de 5,6 % entre 2008 et 2009. Afin de prendre en compte les besoins liés au recrutement supplémentaire de personnels, la subvention pour charge de service public versée à l’École nationale d’administration pénitentiaire, l’ENAP, devrait être abondée de 5 millions d’euros.

Au cours des trente dernières années, les gouvernements successifs ont engagé trois programmes immobiliers d’envergure afin d’augmenter le nombre de places de détention opérationnelles : en 1987, le programme Chalandon de 13 000 places avec la construction de vingt-cinq établissements ; en 1994, le programme Méhaignerie de 4 000 places, avec la construction de six établissements ; enfin, la loi d’orientation et de programmation pour la justice de 2002 prévoit la création de 13 200 places avec la construction d’une quinzaine d’établissements pénitentiaires et de sept établissements pour mineurs.

Ces derniers ont été les premiers à ouvrir dès 2007, tandis que la livraison des établissements pour majeurs a débuté cet automne.

Le solde des ouvertures-fermetures de places sur les exercices 2007 et 2008 s’élève à 1 497 places supplémentaires, mais le mouvement s’accélère puisque ce sont 4 590 places nouvelles qui devraient être opérationnelles en 2009 avec les ouvertures des centres pénitentiaires de Rennes, Bourg-en-Bresse, Béziers, Poitiers-Vivonne et Nancy-Maréville, du centre de détention du Havre, de la maison d’arrêt de Le Mans-Coulaines et du quartier courte peine de Seysses.

Si ces différentes observations ne peuvent qu’amener la commission des lois à émettre un avis favorable sur l’adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire », votre rapporteur pour avis souhaiterait cependant attirer tout particulièrement votre attention sur deux points.

Tout d’abord, l’année 2009 devrait être marquée par l’adoption longtemps attendue du projet de loi pénitentiaire.

À l’instigation de son président, la commission des lois a pris l’initiative d’examiner ce texte le 17 décembre prochain afin de permettre son inscription rapide à l’ordre du jour. Or l’évolution des crédits pour 2009, dont la progression significative résulte pour l’essentiel de la livraison des premiers établissements pénitentiaires du programme « 13 200 », n’anticipe guère les effets financiers du projet de loi pénitentiaire.

Si ces conséquences sont difficiles à mesurer, l’étude d’impact accompagnant le texte ne demandant guère d’éléments d’appréciation sur ce point, elles n’en sont pas moins inéluctables.

Certes, le projet de budget ne peut présumer des votes et des choix du législateur, mais comment ne pas craindre que l’irrecevabilité financière appliquée en vertu de l’article 40 de la Constitution n’interdise au Parlement de débattre utilement de certaines options fondamentales pour une réforme pénitentiaire ambitieuse ?

Aussi avais-je souhaité, par exemple, proposer un amendement afin de dégager une enveloppe d’un montant limité permettant aux assemblées de discuter, lors de l’examen du projet de loi pénitentiaire, de la mise en place éventuelle d’un minimum carcéral ou d’une allocation carcérale de réinsertion.

L’étroitesse des marges de manœuvre de ce programme m’a amené à y renoncer, mais je forme le vœu, comme on a bien voulu me le laisser entendre, que ce ne soit pas au prix d’une mise à l’écart du Parlement sur des sujets qui doivent fondamentalement relever de sa responsabilité.

Ensuite, je m’interroge sur la modestie des ambitions de certains indicateurs de performance. Ainsi, alors que le taux de détenus bénéficiant d’une formation professionnelle était de 9,3 % en 2008, la cible pour 2011 demeure identique.

J’aurais également pu prendre l’exemple du taux de détenus bénéficiant d’une activité rémunérée, qui n’évolue guère dans les objectifs 2011 par rapport aux réalités de 2008 et qui s’inscrit même en baisse sensible au regard des objectifs de la précédente loi de finances.

Ces prévisions apparaissent-elles bien conformes, mes chers collègues, à l’obligation de mobiliser les moyens au service d’une politique de réinsertion ?

Vous ayant ainsi associés à mes préoccupations, je n’en suis que plus à l’aise pour rappeler l’avis favorable de la commission des lois et de votre rapporteur pour avis sur l’adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2009. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, rapporteur pour avis.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2009 et le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 marquent un coup d’arrêt à la progression des crédits alloués à la protection judiciaire de la jeunesse depuis quelques années.

Après avoir augmenté de 8,6 % en 2007, puis de 1,6 % en 2008, les crédits de paiement diminueront de 2,2 % en 2009, pour s’établir à un peu plus de 787 millions d’euros en 2009, représentant ainsi 11,8 % de l’ensemble des crédits de la mission « Justice ». Ils diminueront ensuite de 1 % en 2010 et de 1,4 % en 2011.

Au-delà de cette diminution globale, le projet de loi de finances pour 2009 opère, comme M. le rapporteur spécial l’a souligné, un important redéploiement des moyens, afin de recentrer l’action de la protection judiciaire de la jeunesse sur les mineurs délinquants. Ainsi, les crédits de paiement alloués à la prise en charge des mineurs en danger et des jeunes majeurs diminueront de 40 %, tandis que ceux qui sont consacrés à la prise en charge des mineurs délinquants augmenteront de 18 %.

Pour ce qui concerne les effectifs, ce redéploiement concernera 805 équivalents temps plein travaillé, le plafond d’autorisation d’emplois étant fixé à 8 951 équivalents temps plein travaillé, contre 9 027 en 2008. D’ici à un an ou deux ans, seules les mesures judiciaires d’investigation concernant les mineurs en danger et les jeunes majeurs seront encore prises en charge par l’État. Cette évolution prolonge la réduction significative des crédits destinés à la prise en charge des jeunes majeurs qui a été engagée depuis quelques années. Elle est présentée comme la conséquence de la réaffirmation, par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, de la compétence des conseils généraux en matière de protection des mineurs en danger et des jeunes majeurs.

Enfin, elle devrait s’accompagner, sur le plan juridique, d’une réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, que vous aviez annoncée, madame le garde des sceaux, et qui a été confirmée par la récente conférence de presse donnée par le recteur Varinard, et de l’abrogation du décret du 18 février 1975 relatif à la prise en charge des jeunes majeurs que vous avez laissé entendre.

Sans doute cette évolution va-t-elle dans le sens des recommandations de la commission d’enquête sur la délinquance des mineurs mise en place en 2002, en vertu desquelles le secteur public devait se consacrer exclusivement à la prise en charge des mineurs délinquants et le secteur associatif devait être habilité à s’investir davantage au pénal. Mais elle n’en suscite pas moins, par son ampleur, des interrogations et des inquiétudes exprimées notamment par l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, par l’Assemblée des départements de France et par l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, l’UNIOPSS, quant à la continuité et à l’homogénéité du suivi des mineurs en danger et des jeunes majeurs.

La commission des lois souhaite souligner la nécessité de veiller à ce que les jeunes en danger, comme les jeunes majeurs, puissent bénéficier d’un même niveau de protection sur l’ensemble du territoire national. Parallèlement, il convient de noter que la modernisation de la protection judiciaire de la jeunesse se poursuit suivant trois axes : la diversification des modes de prise en charge, la rationalisation des moyens et le développement de l’évaluation.

À cet égard, je ne ferai que quelques brèves remarques, inspirées par les déplacements que j’ai effectués cette année.

Si les structures de prise en charge des mineurs ont été diversifiées afin de permettre l’élaboration d’un véritable « parcours éducatif », il importe aujourd’hui de veiller à leur bonne articulation sur le plan tant géographique que fonctionnel.

À titre d’exemple – et je vous ai d’ailleurs posé cette question en commission –, on peut déplorer qu’aucun centre éducatif fermé n’ait été créé dans les Bouches-du-Rhône et que la région d’Île-de-France n’en compte qu’un, à Savigny-sur-Orge.

Ce centre, que j’ai visité avec M. Lecerf, est l’un des cinq centres éducatifs fermés ayant bénéficié en 2008, à titre expérimental pour améliorer la prise en charge des mineurs atteints de troubles mentaux, de moyens supplémentaires, qui devaient se traduire par le recrutement de deux infirmiers, d’un second psychologue et d’un psychiatre.

Dans le centre que nous avons visité, un second psychologue à temps plein avait bien été embauché, mais l’équipe ne bénéficiait du concours d’un psychiatre qu’à raison d’une vacation d’une demi-journée par semaine et n’avait pu recruter aucun infirmier, faute de candidatures valables. L’équipe du centre a salué l’intervention et l’implication des psychologues dans la prise en charge des mineurs. En revanche, elle a attiré notre attention sur la nécessité de ne pas considérer les cinq centres éducatifs fermés retenus pour l’expérimentation comme des centres spécialisés dans l’accueil de jeunes atteints de troubles psychiatriques graves en provenance de toute la France.

Il nous a été indiqué qu’un jeune, à peine placé dans le centre par un magistrat qui souhaitait mettre un terme à son séjour en hôpital psychiatrique, avait séquestré et menacé le personnel de direction. Cet exemple ainsi que la tentative de suicide d’un mineur placé dans le centre, la veille de notre venue, témoignent des efforts considérables qui restent à accomplir pour améliorer la prise en charge des jeunes atteints de troubles mentaux.

Le bilan d’ensemble des quelque 37 centres éducatifs fermés, les CEF, n’en est pas moins satisfaisant, puisque 66 % des mineurs qui y sont accueillis ne commettent pas de nouvelle infraction dans l’année de leur sortie.

L’un de ceux que j’ai rencontrés à Savigny-sur-Orge venait d’effectuer, avec succès, un stage dans une chocolaterie. Le CEF, nous a-t-il confié, constitue un point d’arrivée pour un nouveau départ. Pour ma part, j’y vois là un motif d’espoir.

En conclusion, je formulerai quelques observations personnelles.

Il faut considérer les crédits alloués à la mission « Justice » dans la durée et les mettre en perspective sur quelques années. En dehors de toute considération partisane dans un secteur aussi sensible que celui de la justice, notamment celui de la protection de la jeunesse, je tiens à rendre un hommage particulier aux éducateurs des centres éducatifs fermés, ces fonctionnaires un peu oubliés de la société civile, qui ne s’intéresse qu’à des questions médiatiques et ignore le travail permanent qu’ils accomplissent jour et nuit au contact de personnes extrêmement difficiles à gérer.