Sommaire

Présidence de M. Guy Fischer

1. Procès-verbal

2. Dépôt de rapports en application de lois

3. Organisme extraparlementaire

4. Candidature à un organisme extraparlementaire

5. Rappel au règlement

MM. Michel Charasse, le président.

6. Modernisation des institutions de la Ve République. – Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle.

Articles additionnels après l'article 1er

Amendement n° 423 rectifié de M. Bernard Frimat. – MM. David Assouline, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur ; Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Jean-Pierre Sueur, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Jacqueline Gourault, MM. Hugues Portelli, Michel Charasse, Bernard Frimat, Robert Badinter, le président, Jean-Claude Peyronnet, Michel Mercier.

Suspension et reprise de la séance

M. Michel Mercier. – Rejet, par scrutin public, de l’amendement n° 423 rectifié.

Amendement n° 424 rectifié de M. Bernard Frimat et sous-amendements nos 512 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 513 de M. Michel Charasse. – MM. David Assouline, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Jean-Pierre Bel, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Bernard Frimat, Robert Bret, Jean-Pierre Sueur, Michel Charasse, Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois ; Michel Mercier, Mme Alima Boumediene-Thiery. – Rejet des sous-amendements et, par scrutin public, de l’amendement.

Article additionnel avant l'article 2

Amendement n° 166 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Robert del Picchia, Mme Josiane Mathon-Poinat. – Rejet.

Article 2

Amendement n° 97 de la commission et sous-amendement no 350 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – M. le rapporteur, Mmes Alima Boumediene-Thiery, le garde des sceaux, Mme Jacqueline Gourault, MM. Michel Charasse, Robert Badinter. – Rejet du sous-amendement ; adoption de l’amendement.

Amendement n° 78 de M. Patrice Gélard. – MM. Patrice Gélard, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Retrait.

Reprise de l’amendement no 78 rectifié par M. Michel Charasse. – M. Michel Charasse. – Retrait.

Adoption de l'article modifié.

Articles additionnels après l'article 2

Amendement n° 168 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Rejet.

Amendement n° 169 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Rejet.

Amendement n° 167 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Rejet.

Article 3 (supprimé)

Article 3 bis

Mme Alima Boumediene-Thiery.

Amendements identiques nos 255 rectifié de M. Adrien Gouteyron et 263 rectifié de M. Yves Détraigne ; amendements nos 68 rectifié de M. Hugues Portelli, 98 de la commission. – MM. Alain Gournac, Yves Détraigne, Jean-René Lecerf, le rapporteur.

Mise au point au sujet d’un vote

MM. Bernard Frimat, le président.

7. Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

8. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire bulgare

9. Modernisation des institutions de la Ve République. – Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle.

Organisation de la discussion des articles

MM. Bernard Frimat, Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement ; Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur.

Article 13 (priorité)

M. Didier Boulaud.

Amendement n° 193 rectifié de Mme Michelle Demessine ; amendements identiques nos 110 de la commission et 139 de M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis ; amendements nos 257 rectifié de Mme Michelle Demessine, 457 de M. Bernard Frimat, 20 rectifié bis de M. Michel Charasse ; amendements identiques nos 111 de la commission et 140 de M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis ; amendements nos 258 rectifié de Mme Michelle Demessine, 459, 458 de M. Bernard Frimat, 279 rectifié de M. Yves Pozzo di Borgo, 341 et 362 de Mme Alima Boumediene-Thiery ; amendements identiques nos 259 rectifié de Mme Michelle Demessine et 460 de M. Bernard Frimat. – MM. Robert Bret, le rapporteur ; Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, rapporteur pour avis ; Didier Boulaud, Michel Charasse, Yves Pozzo di Borgo, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Hervé Morin, ministre de la défense ; Jean-Pierre Raffarin, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Frimat. – Retrait de l’amendement no 20 rectifié bis ; rejet des amendements nos 193 rectifié, 257 rectifié, 457, 341, 458, 362, 259 rectifié et 460 ; adoption des amendements nos 110, 139, 111 et 140, les amendements nos 258 rectifié, 459 et 279 rectifié devenant sans objet.

Adoption de l'article modifié.

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

Article 3 bis (suite)

Sous-amendements, à l’amendement no 98 rectifié bis, nos 264 rectifié de M. Yves Détraigne et 502 de M. Michel Charasse ; amendements nos 170 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 6 rectifié bis de M. Michel Charasse. – MM. Yves Détraigne, le rapporteur, Michel Charasse, Robert Bret, Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice ; MM. Michel Mercier, Alain Gournac, Christian Cointat, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Gérard Longuet, Gérard Delfau, Bernard Frimat, Robert Badinter. – Retrait du sous-amendement no 264 rectifié et des amendements nos 6 rectifié bis, 255 rectifié et 68 rectifié ; rejet de l’amendement no 263 rectifié ; adoption du sous-amendement no 502 et de l'amendement no 98 rectifié bis modifié rédigeant l'article, l’amendement no 170 devenant sans objet.

Article additionnel après l’article 3 bis

Amendement n° 171 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Rejet.

Article 3 ter

Amendement n° 99 de la commission. – M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.

Article 3 quater

Amendement n° 100 de la commission. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.

Articles additionnels après l’article 3 quater

Amendements nos 383 rectifié de M. Jean-Michel Baylet et 265 rectifié bis de M. Pierre Fauchon. – MM. Gérard Delfau, Pierre Fauchon, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Michel Mercier, Jean-Pierre Sueur, Jean-René Lecerf, Nicolas Alfonsi, Robert Badinter. – Retrait des deux amendements.

Article 4

Amendement no 384 rectifié de M. Jean-Michel Baylet. – MM. Gérard Delfau, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Retrait.

Amendements nos 417 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, 385 rectifié de M. Jean-Michel Baylet, 80 de M. Patrice Gélard, 425 de M. Bernard Frimat, 101 rectifié (priorité) de la commission et sous-amendements nos 346 rectifié de Mme Alima Boumediene-Thiery, 147 rectifié de M. Christian Cointat, 344 de Mme Alima Boumediene-Thiery et 7 rectifié ter de M. Michel Charasse ; amendements nos 172 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 174 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Pierre Bel, le rapporteur, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Christian Cointat, Michel Charasse, Mme le garde des sceaux, MM. Jean-Pierre Sueur, Bernard Frimat, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jean-Pierre Fourcade. – Retrait des amendements nos 80, 385 rectifié et des sous-amendements nos 147 rectifié et 7 rectifié ter ; demande de priorité de l’amendement no 101 rectifié ; rejet des sous-amendements nos 346 rectifié et 344 ; adoption de l’amendement no 101 rectifié, les autres amendements devenant sans objet.

Amendement n° 173 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Retrait.

Adoption de l'article modifié.

Mise au point au sujet d’un vote

MM. Bernard Frimat, le président.

Organisation de la discussion des articles

M. le président.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

10. Décision du Conseil constitutionnel

11. Modernisation des institutions de la Ve République. – Suite de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle.

Articles additionnels après l’article 14 (priorité)

Amendements identiques nos 146 de M. Jean Arthuis, 200 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 467 de M. Bernard Frimat ; amendements nos 46 rectifié à 48 rectifié de M. Christian Cointat. – M. Jean Arthuis, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Nicole Bricq, MM. Christian Cointat, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur ; Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique ; Philippe Marini, le président, Bernard Frimat, Michel Charasse, Richard Yung, Jean-François Voguet, Jean-Pierre Fourcade, Michel Mercier. – Retrait des amendements nos 46 rectifié et 47 rectifié ; rejet, par scrutin public, des amendements nos 146, 200 et 467 ; retrait de l’amendement no 48 rectifié.

Reprise de l’amendement no 48 rectifié bis par M. Gérard Delfau. – M. le ministre, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Gérard Delfau. – Rejet par scrutin public.

Amendement n° 310 rectifié bis de M. Alain Lambert. – MM. Philippe Marini, le rapporteur, le ministre, Alain Vasselle, Michel Charasse, Mme Nicole Bricq, MM. Christian Cointat, Nicolas Alfonsi, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Retrait.

Article 11 (priorité)

Amendement n° 302 rectifié de M. Jean Arthuis ; amendements identiques nos 312 rectifié de M. Alain Lambert et 451 de M. Bernard Frimat. – MM. Jean Arthuis, Michel Charasse, Mme Nicole Bricq, MM. le rapporteur, le ministre. – Retrait des trois amendements.

Amendements nos 301 rectifié bis de M. Jean Arthuis et 447 de M. Bernard Frimat. – M. Jean Arthuis, Mme Nicole Bricq, MM. le rapporteur, le ministre, Alain Vasselle, Philippe Marini, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Retrait de l’amendement no 447 ; adoption de l’amendement no 301 rectifié bis.

M. le rapporteur.

Amendements nos 18 rectifié bis de M. Michel Charasse ; amendements identiques nos 190 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 449 de M. Bernard Frimat ; amendements nos 108 rectifié (priorité) de la commission et 19 rectifié bis de M. Michel Charasse. – M. Michel Charasse, Mmes Josiane Mathon-Poinat, Nicole Bricq, MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption, après une demande de priorité, de l’amendement no 108 rectifié, les autres amendements devenant sans objet.

Amendement n° 380 rectifié bis de M. Alain Lambert. – MM. Michel Charasse, le rapporteur, le ministre, Jean Arthuis. – Retrait.

Renvoi de la suite de la discussion.

12. Dépôt d'un rapport

13. Dépôt de rapports d'information

14. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt de rapports en application de lois

M. le président. M. le Président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 22 de la loi organique n° 2007-287 du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats, le rapport faisant état pour 2007 des actions en responsabilité engagées contre l’État du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice.

M. le Président du Sénat a également reçu de M. Michel Bouvard, président du Comité de surveillance de la Caisse des dépôts, le rapport sur les opérations de cet établissement en 2007, établi en application de l’article 114 de la loi du 28 avril 1816.

Acte est donné du dépôt de ces deux rapports.

Ils seront transmis respectivement à la commission des lois et à la commission des finances et seront disponibles au bureau de la distribution.

3

Organisme extraparlementaire

M. le président. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger au sein de la Commission nationale chargée de l’examen du respect des obligations de réalisation de logements sociaux.

Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission des affaires économiques à présenter deux candidatures.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

4

Candidature à un organisme extraparlementaire

M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du comité de surveillance de la Caisse d’amortissement de la dette sociale.

La commission des finances a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Jean-Jacques Jégou pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

5

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour un rappel au règlement.

M. Michel Charasse. Monsieur le président, la Constitution et notre règlement comportent un certain nombre de dispositions qui sont de nature à garantir que les débats du Sénat se déroulent dans le calme et la sérénité.

Je voudrais simplement savoir si notre présence dans cet hémicycle, nos délibérations ne gênent pas trop les travaux des entreprises qui interviennent actuellement un peu partout dans le Sénat. (Sourires.)

À l’étage de la commission des finances, on ne peut plus téléphoner puisqu’on entend un marteau-piqueur toute la journée.

On arrive dans la cour du Sénat, il n’y a plus de places : en effet, on installe encore des tribunes, puisqu’ici le Sénat est devenu une vaste salle de spectacle et ne siège que quand les saltimbanques ne sont pas là ! (Sourires.)

Alors je voulais savoir si on ne dérange pas trop. Or, si c’est le cas, je dirai au Gouvernement qu’il faut changer l’ordre du jour et nous faire revenir quand on ne dérangera plus.

Si le Sénat est encore une assemblée parlementaire, que l’on prie tous ces gens, comme le veut la tradition parlementaire très ancienne que les questeurs connaissent bien, d’attendre les vacances – c’est-à-dire l’époque où le Sénat ne siège pas – pour faire des travaux !

Je vous signale que, dans la cour de la commission des finances, les travaux sont engagés maintenant depuis bientôt un an. C’est infernal et nul n’en voit la fin !

Cela étant, on pourrait aussi proposer aux sénateurs et aux commissions qui ont leurs services ici de permuter avec les fonctionnaires qui sont tranquilles dans leurs bureaux, à l’abri de toute gêne, jusqu’à ce que les travaux soient finis. Moi je suis prêt à le faire avec quelqu’un qui est mieux logé que moi. (Rires.)

En tout cas, monsieur le président, si on dérange, il faut nous le dire. (Sourires.)

M. le président. Monsieur Charasse, il s’agit des travaux de ravalement du Sénat. (Rires.)

M. Bernard Frimat. Il y a du boulot ! C’est mission impossible !

M. Michel Charasse. Même chez l’esthéticienne, on endort parfois ! (Sourires.) Il y en a assez !

M. le président. Monsieur Charasse, comme vous, comme M. Mercier, je vais aussi en subir les conséquences, puisque des travaux débuteront dans nos bureaux à compter du 7 juillet,…

M. Michel Charasse. Franchement, ce n’est plus possible !

M. le président. … alors que le Sénat siégera en session extraordinaire en juillet.

M. Michel Charasse. Jamais dans l’histoire du Parlement, on a autant embêté les parlementaires avec les travaux !

M. le président. Vous avez été entendu, monsieur Charasse, mais je ne crois pas que les travaux de ravalement pourront s’arrêter !

M. Michel Charasse. Le spectacle peut s’interrompre pendant les travaux !

M. le président. Vous avez été questeur, monsieur Charasse.

M. Michel Charasse. Justement, quand j’étais questeur, les travaux avaient lieu l’été !

M. le président. Monsieur Charasse, les travaux qui ont été engagés ont fait l’objet de nombreuses négociations et d’investissements importants.

M. Michel Charasse. Je n’ai jamais été aux ordres de l’administration !

6

Article 1er (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Articles additionnels après l'article 1er

Modernisation des institutions de la Ve République

Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République (nos 365, 387, 388).

Dans la suite de la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’amendement n° 423 rectifié tendant à insérer un article additionnel après l’article 1er.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article additionnel avant l'article 2

Articles additionnels après l'article 1er

M. le président. L'amendement n° 423 rectifié, présenté par MM. Frimat, Assouline, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 4 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé : « Art. ... - Les moyens de communication, écrite, audiovisuelle, radiophonique et numérique concourent, par leur pluralisme, à la libre expression et la libre communication des pensées et des opinions. La loi garantit leur indépendance et met en place les règles limitant les concentrations, assurant la transparence des entreprises de communication et les relations entre les propriétaires de ces entreprises et l'État. »

La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si une Constitution a pour objet de protéger les libertés civiles et politiques et de définir les principes et les règles de l’organisation et du fonctionnement des pouvoirs publics, elle doit aussi, en tant que norme de référence de la vie démocratique d’une communauté nationale, évoluer pour garantir l’effectivité des principes et des règles qu’elle énonce.

De ce point de vue, il est évident que le rôle joué par les médias, dans la société en général et dans l’espace public en particulier, n’est plus comparable à ce qu’il était il y a quarante ou cinquante ans.

Ainsi, la « société de l’information » n’est pas qu’un concept de prospective ou un slogan publicitaire ; elle est une réalité à l’heure où la vie de nos concitoyens, tant dans ses différentes dimensions sociales que dans sa sphère privée, est de plus en plus marquée par les médias.

Selon une étude récente, chaque Français de treize ans et plus a eu en moyenne plus de quarante et un contacts par jour en 2007 avec un « support média ou multimédia », les 15-24 ans ayant eu pour leur part plus de quarante-cinq contacts quotidiens de ce type. De plus, ce sont neuf Français sur dix qui regardent la télévision tous les jours, huit sur dix qui écoutent la radio ou lisent la presse écrite et plus du tiers qui « surfent » sur Internet.

La notion de « média de masse » n’a donc jamais été plus d’actualité et elle doit amener le législateur constitutionnel à considérer le rôle des médias dans la société et l’espace public comme un véritable pouvoir, dont il faut encadrer l’exercice pour éviter que ses utilisateurs n’en abusent.

C’est d’ailleurs bien le sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel quand elle reconnaît comme objectif de valeur constitutionnelle le pluralisme, en affirmant par exemple, dans une décision du 18 septembre 1986 sur la future loi « Léotard » du 30 septembre 1986, que le respect du pluralisme de l’expression des différents courants politiques et socioculturels sur les supports de communication audiovisuelle est « une des conditions de la démocratie ».

Or, l’évolution actuelle de l’économie du secteur de la communication et les liaisons qu’entretient le Président de la République avec la plupart des patrons de presse, de radio et de télévision, nous font penser que cette garantie apportée par le Conseil constitutionnel au pluralisme est devenue notoirement insuffisante.

En effet, à l’heure de la dématérialisation de l’information, des groupes de communication intégrant une multiplicité de supports – presse, radio, télévision, Internet – voire contenants – matériels et réseaux de télécommunication – et contenus – services audiovisuels et presse –, dominent le marché. Mais, en France, cette concentration va au-delà du secteur de la communication : que ce soient Bolloré, Dassault, Lagardère, LVMH, aucun de ces groupes n’a pour métier principal et originel l’information. Qui plus est, à l’exception de LVMH, tous tirent une part substantielle de leurs revenus de commandes publiques.

Ce phénomène de concentration, unique au monde, est d’autant plus inquiétant que l’actuel chef de l’État entretient des relations de proximité avec tous les patrons des groupes cités, et ne se prive pas d’en user et d’en abuser pour influencer la ligne éditoriale des principaux médias du pays.

M. Alain Gournac. N’attaquez personne, ce n’est pas bien !

M. David Assouline. Ces pratiques justifient l’inquiétude des journalistes quant à l’évolution des conditions d’exercice de leur métier, alors que certaines voix, dans la majorité, relaient d’ores et déjà les revendications de ces industriels et de ces financiers ayant investi dans la presse et souhaitant que le législateur assouplisse les règles d’emploi et de déontologie d’une profession dont l’indépendance est une condition absolument nécessaire au pluralisme.

Dans ce contexte, la reconnaissance dans la lettre de notre loi fondamentale du « quatrième pouvoir » que sont les médias et l’affirmation des principes qui doivent en encadrer l’organisation et le fonctionnement – indépendance et pluralisme – nous semblent indispensables.

À cette fin, il s’agit d’ajouter au titre Ier de la Constitution un article 5 relatif aux médias, prévoyant que la loi garantit leur indépendance et détermine les règles encadrant les concentrations dans le secteur de la communication, assurant la transparence de la gestion des entreprises du secteur et régulant les relations entre les propriétaires de ces entreprises et les pouvoirs publics.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, et rapporteur. Les principes visés par l’amendement sont garantis par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et par la loi. Il n’est pas possible de décliner dans la Constitution toutes les composantes de chacune des libertés publiques, sinon le catalogue serait trop long. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.

Toutefois, je précise que la commission des lois a donné un avis favorable à l’amendement présenté par le groupe socialiste à l’article 11, pour inscrire à l’article 34 de la Constitution que la loi détermine les principes fondamentaux du pluralisme et de l’indépendance des médias.

M. Michel Charasse. C’est quoi le pluralisme ?

M. Michel Mercier. C’est ce que vous ne connaissez pas. On vous donnera des cours pendant les vacances !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur le président, je souhaiterais que nos collègues cessent leurs discussions périphériques. Nous avons beaucoup parlé du pluralisme hier soir ; ils ne s’en lassent pas puisqu’ils recommencent ce matin.

M. Michel Charasse. C’est comme le mystère de la création du monde ! (Sourires.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Cet amendement a un objectif tout à fait louable, puisqu’il porte sur la liberté de communication et a pour objet d’inscrire dans la Constitution le caractère pluraliste des courants d’expression. Toutefois, vous savez que le Conseil constitutionnel le reconnaît déjà comme un objectif de valeur constitutionnelle.

Sur ce point, il semble préférable d’attendre les conclusions du Comité Veil dans la lettre de mission duquel est expressément citée la question du pluralisme des courants d’expression et des médias parmi les pistes de réflexion qui lui sont proposées.

C’est la raison pour laquelle nous sommes défavorables à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement porte sur un sujet très important, comme ceux sur lesquels nous avons débattu hier. Il s’agit d’écrire les premiers articles de la Constitution, et il nous apparaît essentiel de garantir à cet endroit la liberté, le pluralisme et l’indépendance de la presse et des médias.

M. Michel Charasse. C’est la Déclaration de 1789 !

M. Jean-Pierre Sueur. Dans la situation actuelle, on ne peut pas méconnaître, à moins d’être sourd et aveugle et de ne s’intéresser à rien, les profondes connivences qui existent. La confusion des genres est totale.

Qui dira que la presse, la télévision, l’audiovisuel sont indépendants du pouvoir économique ? Le contraire est une évidence. Qui dira que le pouvoir économique est indépendant du pouvoir politique majoritairement en place ? La connivence est visible chaque jour. Il n’est que de voir les décisions qui sont annoncées et la manière dont elles sont prises. C’est très grave par rapport à l’idée que nous nous faisons de la République.

L’indépendance de la presse, qui est en quelque sorte un quatrième pouvoir, doit être garantie par rapport aux pouvoirs politique, économique, judiciaire, etc. Or nous ne pouvons pas dire que c’est le cas de la société dans laquelle nous vivons. Cela rend d’autant plus nécessaire le vote de cet amendement.

Je terminerai mon intervention en considérant les objections qui ont été apportées par Mme la ministre et M. le rapporteur.

D’abord, ils nous disent que ces principes figurent dans la jurisprudence. Est-ce un argument ? Il est évident qu’il existe de nombreuses décisions de justice sur ce sujet. Comment peut-on affirmer que, parce qu’il existe des décisions de justice et une jurisprudence sur un principe, il n’est pas pertinent de l’inscrire dans la Constitution ? Raisonnez a contrario, vous verrez que cet argument ne tient pas !

Ensuite, ils nous disent que ces principes sont énoncés dans des lois. Certes, il serait nécessaire d’adopter des lois plus strictes à cet égard. Mais, là encore, cet argument ne tient pas, parce que, s’il suffisait de dire qu’un principe figure dans la loi pour que celui-ci ne soit pas inscrit dans la Constitution, il n’y aurait plus rien dans la Constitution, il n’y aurait même pas de Constitution. Chacun a donc bien conscience de la grande faiblesse de cet argument.

Enfin, madame la ministre, vous avez évoqué le Comité présidé par Mme Simone Veil, pour laquelle nous avons tous beaucoup de respect, mais cet argument n’est pas valable lorsqu’il s’agit de la réforme de la Constitution de la République française, qui a été confiée au Parlement. Le fait de nous dire qu’un comité a été mis en place, fût-il présidé et constitué d’éminentes personnalités, ne saurait en aucun cas constituer un argument pour ne pas inscrire ce principe fondamental de l’indépendance des médias à l’égard de tous les pouvoirs au frontispice de notre Constitution.

En conclusion, je dirai qu’aucun des trois arguments opposés à l’amendement défendu par M. Assouline ne se justifie.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous voterons bien évidemment cet amendement, comme je l’ai dit lors de la discussion générale. Comment ne pas inscrire dans notre Constitution la garantie du pluralisme et de l’indépendance des moyens d’information ?

Moderniser nos institutions, comme vous prétendez le faire, c’est se préoccuper des lacunes de notre loi fondamentale ou des problèmes particulièrement aigus qui se posent aujourd’hui. Or le pluralisme des moyens d’information est à l’heure actuelle un sujet grave.

J’ajoute que des menaces très sérieuses pèsent sur le service public de l’audiovisuel. Quant à la mainmise des grands pouvoirs financiers sur nos moyens d’information, je vous laisse juge de ce que nous constatons tous les jours !

Nous ferions acte de modernité en nous réunissant pour défendre le pluralisme et l’indépendance des grands moyens d’information.

Madame la ministre, vous avez évoqué pour la seconde fois le Comité Veil, qui réfléchit à de nouvelles modifications de notre Constitution. Dès lors, il me paraît paradoxal que nous puissions examiner trente-trois articles visant à modifier la Constitution, sans avoir attendu les conclusions du Comité Veil, qui nous amènera à une nouvelle révision de notre loi fondamentale !

Cette façon de procéder du Gouvernement, qui nous fait subir des révisions constitutionnelles à répétition, est incompréhensible. Les parlementaires en général devraient refuser qu’on les invite aujourd’hui à modifier la Constitution, alors qu’ils savent qu’ils devront prochainement s’interroger de nouveau sur la pertinence de son contenu. Franchement, ce n’est pas une bonne façon de revaloriser le Parlement !

M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Mon propos sera bref, puisque nous devons examiner d’autres amendements et que le débat doit se poursuivre.

Si j’ai bien compris, Mme la garde des sceaux a estimé que l’amendement que j’ai présenté partait d’un bon sentiment, mais qu’il devait être examiné par le Comité Veil. Moi, je voudrais que l’on remette les choses à leur place.

Nous souhaitons que le débat aboutisse à une profonde démocratisation de la Constitution, alors que vous voulez la modernisation de nos institutions. Pour ce faire, vous devez intégrer ce qui, il y a cinquante ans, n’était pas le problème majeur.

Vous ne pouvez pas, d’un côté, continuer à parler de modernisation dans une société où l’information a tout envahi, où les médias sont considérés comme un quatrième pouvoir, voire un vrai pouvoir pour certains politiques, et, de l’autre, nous dire que ce problème n’est abordé dans aucune disposition de la Constitution.

Votre réponse ne témoigne pas d’une très grande modernité d’esprit ! Vous pourriez arguer du fait que cet amendement n’est pas rédigé comme vous l’auriez voulu. Mais invoquer l’examen par le Comité Veil pour ne pas l’adopter, uniquement parce qu’il vient d’un socialiste, ce n’est pas logique !

Concrètement, des désaccords peuvent exister au sujet du temps de parole du président ou d’autres dispositions, mais les principes de pluralisme et d’indépendance des médias audiovisuels et de la presse numérique devraient nous rassembler et être garantis par la Constitution pour que la modernisation que vous souhaitez soit crédible.

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.

Mme Jacqueline Gourault. Même si c’est un amendement socialiste, je le voterai.

M. Michel Mercier. Ce n’est pas le seul motif !

Mme Jacqueline Gourault. Bien évidemment !

Je tiens à rappeler que c’est François Bayrou qui a soulevé le premier, lors de la campagne présidentielle, le problème de l’indépendance des médias et de la nécessité de couper le lien entre les propriétaires des médias et ceux qui sont liés à la commande publique. C’est un des fondements de la démocratie. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Je voudrais intervenir non seulement sur ce qui vient d’être dit, mais sur le débat très intéressant que nous avons depuis hier et qui pose une question de fond.

Le problème n’est pas résolu en disant qu’un éminent comité travaille sur le sujet. Le vrai débat, M. le rapporteur l’a soulevé tout à l’heure, est de savoir s’il est pertinent ou non d’inscrire noir sur blanc ces principes fondamentaux dans la Constitution. Je réponds par la négative, et je vais vous en donner les raisons.

Aujourd’hui, de nombreux documents fondamentaux qui ont été adoptés entrent progressivement dans notre droit. Je pense à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le texte le plus moderne qu’on ait rédigé.

Le juge constitutionnel comme la Cour de cassation et le Conseil d’État ont aujourd’hui intégré dans leur jurisprudence ces droits fondamentaux tels qu’ils sont élaborés à l’échelle européenne. Et nous savons très bien que, si nous pouvons introduire des droits fondamentaux nouveaux dans nos textes, nous pouvons nous engager dans une course de vitesse, mais nous n’arriverons jamais à actualiser notre Constitution en permanence.

Certains se demandent comment faire pour rattraper le retard pris depuis 1958, d’autres depuis 1946 ! Nous n’y parviendrons jamais. D’ailleurs, j’estime que ce n’est pas à nous de le faire, c’est au juge constitutionnel. S’il y a urgence, faisons-le sous la forme législative.

D’ailleurs, dans de nombreux pays voisins où la question s’est récemment posée, le constituant a répondu dans sa sagesse qu’il fallait laisser au juge constitutionnel ou aux autres juges le soin d’adapter le droit en fonction des évolutions techniques. Ne laissons pas le constituant courir en permanence après les évolutions de la société. (MM. Alain Gournac et Roger Romani applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. L’amendement n° 423 rectifié a au moins le mérite de traduire le malaise qui existe actuellement sur ce sujet dans la société française. On sent bien que cela ne va pas très bien, mais on ne sait pas comment faire.

Même si l’amendement présenté par M. Assouline pose sans doute les bonnes questions, il n’apporte pas forcément les bonnes réponses, celles qui permettent d’y donner suite.

Cet amendement pose un certain nombre de principes, notamment celui du pluralisme.

Mes chers collègues, en 1984, le Conseil constitutionnel a tout dit en matière d’information lorsqu’il a été saisi de la loi devant remplacer la loi Hersant et dont Robert Badinter doit se souvenir.

Il a fixé des règles qui se sont ensuite retrouvées dans la loi sur le statut de l’audiovisuel, dans les lois qu’il a examinées visant notamment à créer la Haute Autorité de la communication audiovisuelle, la Commission nationale de la communication et des libertés. La question d’inscrire dans la Constitution les garanties qu’il a définies dans ses diverses décisions peut ne pas paraître essentielle dans la mesure où celles-ci ont valeur constitutionnelle. Donc la jurisprudence existe et je n’irai pas plus loin dans cette affaire.

Même si l’on comprend bien le sens de l’amendement qui nous est soumis, quels sont ses effets pratiques et concrets ?

Mes chers collègues, le texte le plus sacré en la matière, antérieur à la discussion d’aujourd'hui, est l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, que je cite : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. » Finie la dictature de l’Ancien Régime ; on peut désormais penser et écrire librement ! « Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Cet article a eu un effet immédiat ; il a permis aussitôt la parution de toute une série de journaux, de libérer la parole, d’autoriser les réunions publiques, etc.

Or quel sera l’effet de l’amendement n° 423 rectifié ? Excusez-moi, chers amis, mais je ne le vois pas. Quelles règles faudra-t-il définir pour obliger les lecteurs à lire un journal dont ils ne veulent plus et qu’ils n’achètent pas ? Faudra-t-il que l’État crée des journaux pour « boucher les trous » du pluralisme ?

La réponse est très simple : nous avons un service public de l’audiovisuel.

M. Michel Charasse. Il est là pour « boucher les trous », pour couvrir tout l’éventail de la pensée !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Jusqu’à quand l’avons-nous ?

M. Michel Charasse. Il faut donc se poser la question de savoir s’il remplit bien cette mission. À mon avis, non ! Quand les journalistes du service public cesseront de faire de la radio et de la télévision souvent pour se faire plaisir à eux-mêmes en acceptant de couvrir tout l’éventail du pluralisme, on pourra alors dire que la mission que souhaitent mes amis socialistes avec beaucoup d’impatience sera enfin remplie. Malheureusement, ce n’est pas cet amendement qui répondra à la question ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. L’intervention d’Hugues Portelli, que j’ai toujours beaucoup de plaisir à écouter quand ils évoquent les problèmes constitutionnels, me conduit à prendre la parole.

Je n’ai pas l’ambition de rivaliser avec lui, mais je l’invite à engager une course-poursuite au sein de son parti pour rattraper la démocratie.

D’après son argumentation, ce que nous faisons ici serait inutile, parce que les dispositions dont nous débattons sont déjà inscrites soit dans les conventions internationales, soit dans la loi.

Mais, mon cher collègue, ici on parle de la loi fondamentale. Nous n’avons pas à faire des adaptations techniques, …

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas ce qu’a dit M. Portelli !

M. Bernard Frimat. … mais à rappeler un certain nombre de principes. Or, ceux qui figurent dans l’amendement défendu par M. Assouline sont évidents.

Si nous vous poussons dans vos retranchements, mes chers collègues, nous allons participer au même jeu de rôle qu’hier.

Mme la garde des sceaux commence en général ses réponses en affirmant que nos idées sont intéressantes, allant presque jusqu’à reconnaître qu’elles sont bonnes, mais finit, comme d’habitude, par nous rétorquer qu’elle les rejette, tout en indiquant qu’une commission y réfléchit !

Or, vous le comprenez bien, mes chers collègues, lorsqu’une commission nommée par qui nous savons réfléchit, …

M. Bernard Frimat. … il est évident que le Parlement doit immédiatement cesser ses travaux !

M. Robert Bret. Le Parlement ne peut pas réfléchir !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il ne réfléchit pas !

M. Bernard Frimat. Cela devient un sujet tabou !

Pourtant cet amendement concerne le pluralisme. Grâce au débat d’hier soir, qui était intéressant, y compris par les mouvements qu’il a déclenchés dans l’hémicycle, j’ai compris que vous étiez pour le pluralisme, mais à condition qu’il ne se réalise pas ! De la même manière, vous êtes pour le droit de vote des étrangers, mais plus tard !

En ce qui nous concerne, nous ne faisons que conforter notre position en faisant un travail de clarification.

Je vous informe que, à cette fin, le groupe socialiste a demandé un scrutin public sur cet amendement, même s’il a une certaine prescience sur son issue.

Mes chers collègues, votre ligne de conduite me fait penser à la célèbre phrase du Bossu  de Paul Féval : « Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi ! » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Je voudrais tout simplement attirer l’attention de mes collègues sur la réalité du très grave problème qui est posé.

Nous le savons tous, il n’y a pas de démocratie sans liberté d’opinion. Notre collègue Michel Charasse en a d’ailleurs rappelé tout à l'heure le texte fondateur, mais qui s’inscrivait dans une situation différente de celle que nous connaissons aujourd'hui.

Quelle situation ne pouvons-nous plus admettre ? Tous les défenseurs de la démocratie doivent en être conscients.

Nous sommes tous pour le pluralisme des médias. L’indépendance des médias est une chose ; l’indépendance des journalistes au sein de ces médias en est une autre. À cet égard, il faudra s’interroger sur les garanties d’indépendance dont doivent bénéficier les journalistes, mais tel n’est pas l’objet de notre débat aujourd’hui.

Alors que la domination de la vie politique par les médias est un phénomène général, qui n’est d’ailleurs pas nouveau, se pose en France un problème spécifique que nous connaissons tous. Dans notre pays, de grands groupes industriels, qui réalisent des performances internationales brillantes, ont, du fait même de leur importance, des rapports privilégiés avec l’État ou les collectivités territoriales.

Or qui fait aujourd'hui vivre les grands groupes industriels fabriquant du matériel de guerre, ou réalisant des travaux publics, sinon les commandes de l’État, au premier chef, ou des collectivités territoriales ?

Dès lors, comment admettre que ces groupes industriels puissent posséder des médias de première importance ? Peut-on être à la fois celui qui vit des commandes de l’État et celui qui est propriétaire, au sein de son groupe, d’un ou de plusieurs grands médias ? La réponse est « non » ! C’est inadmissible.

On ne peut à la fois vivre des commandes de l’État et influencer, en tant que propriétaire de grands médias, la vie politique ! Dans une démocratie, ce cumul est inacceptable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Je demande à chacun d’entre vous de considérer qu’il faudra bien un jour en finir avec tout cela !

M. Ladislas Poniatowski. L’amendement ne résout pas ce problème !

M. David Assouline. Lisez-le bien !

M. Robert Badinter. Si vous acceptez de dire en cet instant que le problème est posé et si vous vous engagez, au cours de la présente législature, à y porter remède, alors la question sera réglée !

M. Alain Gournac. L’amendement ne la règle pas !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Alors modifiez-le !

M. Robert Badinter. Mais si, au contraire, vous ne répondez pas à la question posée, certains groupes continueront à vivre des commandes de l’État, tout en apportant leur soutien au maître de cet État. Et si vous laissez cette situation que l’on pourrait presque qualifier d’« incestueuse » perdurer, ne parlez plus de pluralisme ou de démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je veux rappeler à mes collègues qui semblent l’avoir oublié que la commission a accepté tout à l'heure un amendement relatif aux principes fondamentaux du pluralisme et d’indépendance des médias déposé par nos collègues socialistes à l’article 11 du projet de loi constitutionnelle, …

M. Bernard Frimat. Il n’est pas encore voté !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … parce qu’il nous a semblé qu’il y avait toute sa place.

Monsieur le président, je veux bien que nous engagions un débat complet sur tous les problèmes de notre société, mais…

M. Bernard Frimat. C’est important !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Certes, mais il y a des moments plus appropriés !

M. Robert Bret. On ne parle pas du sexe des anges !

M. Jean-Pierre Bel. Dites-nous ce qu’il faut dire alors !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Au détour de cet amendement, nous en sommes à parler de la situation de la presse !

M. Robert Bret. C’est le cadre du débat !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Veuillez m’excuser, mon cher collègue, mais nous débattons de la révision de la Constitution !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur le président, nous avons, depuis hier, des débats particulièrement intéressants sur de nombreux sujets. La parole est libre, et je m’en félicite. En revanche, chaque intervention suscite des réactions, qui n’entrent plus dans le cadre des explications de vote ! Nous assistons à de véritables conférences ! Certes, nous abordons des sujets d’importance, mais ils mériteraient mieux que les cinq minutes qui leur sont accordées ! Je vous invite donc, mes chers collègues, à faire preuve de sobriété.

M. le président. Monsieur le président de la commission des lois, j’ai toujours eu le souci de laisser la liberté de parole aux différents orateurs qui souhaitent s’exprimer. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Votre présidence n’est pas en cause !

M. le président. Aujourd’hui, le nombre des explications de vote...

M. Patrice Gélard. Qui ne sont plus des explications de vote !

M. le président. ... est en rapport avec les enjeux de cette réforme institutionnelle et l’importance des différents sujets traités à l’occasion de son examen. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais bien sûr !

M. le président. Ne souhaitant pas rompre avec un mode de présidence que je pense apaisé, je ne voudrais pas susciter des réactions de la part de M. Michel Mercier ou de M. Jean-Claude Peyronnet en ne les autorisant pas à expliquer leur vote sur cet amendement, comme ils me l’ont demandé.

M. Alain Gournac. Avançons !

M. le président. Mais, monsieur le président de la commission des lois, vous avez une expérience bien plus grande que la mienne des grands débats et vous savez que la situation évoluera au fil des jours ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour explication de vote sur l’amendement n° 423 rectifié.

M. Jean-Claude Peyronnet. Mes amis du groupe socialiste ayant expliqué l’importance majeure de l’inscription dans la Constitution de cet article additionnel, je n’y reviens pas.

Selon M. Michel Charasse, la question est réglée, puisque le principe est posé dans la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen. Certes, mais les choses ont évolué depuis ! D’une certaine façon, en employant un langage quelque peu désuet, je dirai que la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen pose le principe de libertés formelles. Mais comment les organise-t-on compte tenu de l’évolution ?

M. Ladislas Poniatowski nous a affirmé, lui, en brandissant cet amendement, qu’une telle disposition ne résoudrait pas le problème. Mais quel est le problème posé par M. Robert Badinter ? « La loi [...] met en place les règles limitant les concentrations, assurant la transparence des entreprises de communication et les relations entre les propriétaires de ces entreprises et l’État. »

Je vais mettre les pieds dans le plat : le fait que le président de la République passe ses vacances sur un yacht appartenant à un grand chef d’entreprise (M. Alain Gournac s’exclame.) ou qu’on lui prête une maison aux États-Unis est présenté comme une économie pour l’État. Mais sommes-nous bien sûr qu’il s’agit d’une économie ? Comment peut-on imaginer qu’il n’y aura pas, consciemment ou non, un retour, à un moment ou un autre, en guise de remerciements ?

À la suite d’un appel d’offres, tout élu local qui se voit offrir un repas par un entrepreneur est menacé des foudres de la chambre régionale des comptes et de la Cour des comptes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Et le président de la République serait au-dessus de tout cela ? C’est inadmissible ! Il faut que la loi règle cette question. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)

M. David Assouline. Je demande la parole. (Protestations sur les travées de lUMP.)

M. le président. Vous avez déjà expliqué votre vote, monsieur Assouline !

M. David Assouline. Je m’exprimerai donc plus longuement sur le deuxième amendement !

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, je suis quelque peu perplexe face à cette question.

Je comprends le principe, qui figure depuis longtemps dans la Constitution. Mais le plus difficile est de le faire appliquer ! Un accès plus large à la justice constitutionnelle permettra-t-il, demain, d’y parvenir ? Peut-être, mais je ne le sais pas.

Sur cette question, je souhaite une brève suspension de séance pour réunir mon groupe.

M. le président. Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande, monsieur Mercier.

Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures cinquante, est reprise à dix heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir accordé à notre groupe une suspension de séance.

Nous pensons que l’examen en première lecture de ce projet de loi constitutionnelle est l’occasion de donner des signaux clairs. C’est ce que nous souhaitons faire aujourd’hui sur cette question.

Selon nous, il convient de rebâtir le droit de la presse et de l’audiovisuel,...

M. Bernard Frimat. Très bien !

M. Michel Mercier. ... car nous ne pouvons pas en rester là. L’amendement n° 423 rectifié n’est sûrement pas parfait pour y parvenir, mais peut-être concourra-t-il à trouver une solution.

La défense du pluralisme constitue l’un de nos objectifs, nous l’avons rappelé hier soir. Aujourd’hui, une réflexion globale sur l’ensemble des médias et leur organisation s’impose avant une nécessaire refonte complète du droit de la presse, lequel remonte, pour l’essentiel, à l’ordonnance de 1945. N’oublions pas que c’est à Pierre-Henri Teitgen, à l’époque ministre du Cabinet Charles de Gaulle, que nous devons une grande partie de la rédaction !

Souhaitant que le droit de la presse soit repensé complètement, nous voterons cet amendement précisément pour donner un signal simple, mais clair et fort à l’occasion de la première lecture de ce projet de loi constitutionnelle. (MM. Jean-Pierre Sueur et David Assouline applaudissent.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 423 rectifié.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 102 :

Nombre de votants 327
Nombre de suffrages exprimés 326
Majorité absolue des suffrages exprimés 164
Pour l’adoption 156
Contre 170

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Robert Bret. Leur majorité s’effrite !

M. Jean-Pierre Sueur. La majorité est de plus en plus courte !

M. Alain Gournac. C’est vous qui devriez être inquiets !

M. le président. L'amendement n° 424 rectifié, présenté par MM. Frimat, Assouline, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 4 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Afin d'assurer l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion, les services de radio et de télévision doivent respecter, au sein de leurs programmes, une répartition des temps d'intervention entre le Président de la République et le Gouvernement, pour un tiers du temps, les personnalités appartenant à la majorité parlementaire, pour un tiers du temps et les personnalités appartenant à l'opposition parlementaire, pour un tiers du temps.

« Par exception aux dispositions qui précèdent, lorsque le Président de la République et le Gouvernement sont issus de majorités politiques d'orientations différentes, les interventions du Président de la République sont décomptées avec celles des personnalités appartenant à l'opposition parlementaire. »

La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication confie au Conseil supérieur de l’audiovisuel la mission d’assurer « le respect de l’expression pluraliste » au sein des médias audiovisuels.

Depuis 1989, l’instance de régulation a repris et adapté la règle des trois tiers, héritée d’une ancienne directive du conseil d’administration de l’ORTF du 12 novembre 1969. Ce texte posait le principe d’un équilibre de la présentation des points de vue sur les deux chaînes de la télévision publique entre les représentants des pouvoirs publics, ceux qui les approuvent et ceux qui les critiquent.

Reprenant cette règle comme principe de référence, le CSA a défini un équilibre entre l’expression audiovisuelle du Gouvernement, celle de la majorité, et celle de l’opposition parlementaire.

L’article 13 de la loi du 30 septembre 1986, complété par les dispositions de la loi du 1er février 1994, octroie désormais au Parlement et aux partis politiques un droit de regard mensuel sur les temps d’intervention tels qu’ils sont relevés par le CSA.

La réglementation en vigueur pour le décompte du temps de parole des responsables politiques sur les antennes a été établie en tenant compte des caractéristiques propres à la ve République.

Ainsi, le CSA a toujours refusé de comptabiliser le temps de parole du Président de la République avec celui du Gouvernement, considérant que la Constitution plaçait le chef de l’État dans un rôle d’arbitre, au-dessus des contingences partisanes.

Saisi de cette question lors de la campagne liée au référendum sur la ratification du projet de traité constitutionnel européen, le Conseil d’État a confirmé, dans une décision du 13 mai 2005, la position du CSA, estimant que, « en raison de la place qui, conformément à la tradition républicaine est celle du chef de l’État dans l’organisation constitutionnelle des pouvoirs publics, le Président de la République ne s’exprime pas au nom d’un parti ou d’un groupement politique ».

Dès lors, le CSA avait exclu « à bon droit » les interventions du chef de l’État du décompte du temps d’expression des partis et groupements politiques à la télévision et à la radio.

Cependant, depuis le mois de juillet 2006, le CSA s’est engagé dans une réflexion sur l’aménagement de la règle des trois tiers, qui n’a pas abouti pour l’instant.

En effet, les institutions de la ve République sont aujourd’hui l’objet d’une présidentialisation accentuée, marquée par une hypermédiatisation du chef de l’État. On assiste ainsi, depuis la dernière élection présidentielle, à une multiplication des interventions du Président de la République dans les médias. Ces prises de position répétées influencent significativement le débat politique et contribuent à rompre les conditions de l’équilibre des expressions politiques tel que défini par le CSA.

Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’une partie des médias audiovisuels et de la presse écrite est la propriété de groupes industriels et financiers proches du pouvoir, certains d’entre eux entretenant des relations économiques importantes avec la puissance publique.

Cette dérive a d’ailleurs conduit le comité Balladur à se pencher sur ce qu’il a qualifié d’« anomalie », ce qui l’a amené, dans sa proposition n° 13, à envisager que « les interventions du Président de la République soient comptabilisées avec celles du Gouvernement ».

Qui plus est, le projet de révision constitutionnelle dont nous débattons renforce de façon significative les pouvoirs de gouvernement du Président de la République. Au cas où cette révision devrait entrer en vigueur, le chef de l’État ne pourrait plus être considéré comme un arbitre se situant au-dessus des intérêts partisans. Vous le savez tous, le Président de la République ne se contente pas, aujourd’hui, de jouer un rôle d’arbitre. Certains membres de la majorité eux-mêmes ne cessent de nous dire que son omniprésence leur laisse peu de place.

C’est pourquoi le projet de loi constitutionnelle doit prévoir d’inscrire dans la Constitution que l’expression du Président de la République, à la télévision et à la radio, sera désormais comptabilisée au titre de l’expression gouvernementale.

Cet amendement tend donc à compléter la Constitution, en y insérant un article nouveau qui précise les modalités d’exercice de l’expression pluraliste des formations politiques sur les chaînes de télévision et les radios, par une référence à la règle des trois tiers ainsi redéfinie : un tiers du temps pour le Président de la République et les membres du Gouvernement, un autre tiers pour les personnalités appartenant à la majorité parlementaire et un dernier tiers pour les personnalités appartenant à l’opposition parlementaire.

Afin de tenir compte de la possibilité d’une cohabitation, nous avons prévu un aménagement à cette règle : en cas de « discordance » des majorités présidentielle et parlementaire, le temps de parole du Président de la République dans les médias audiovisuels serait décompté avec celui des membres de l’opposition, et non avec celui du Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il paraît difficile de distinguer parmi les interventions du Président de la République celles qui relèveraient de l’expression de l’élu de la Nation et celles qui pourraient être comptabilisées dans un objectif de répartition entre majorité et opposition.

Un tel dispositif ne relève pas de la Constitution. Même si le comité Balladur l’avait évoquée, il n’a pas précisé qu’une telle mesure devait figurer dans notre loi fondamentale.

Si la question reste posée, la réponse qui lui sera apportée n’a pas lieu de figurer dans ce projet de loi constitutionnelle.

C’est le seul motif pour lequel la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Comme vient de le dire M. le rapporteur, les dispositions que vous proposez, monsieur Assouline, ne relèvent pas du domaine de la Constitution.

Autant le pluralisme des courants d’expression a valeur constitutionnelle, autant la répartition des temps d’intervention dans les médias relève du domaine de la loi ou, dans une certaine mesure, de la loi organique, notamment pour ce qui concerne les campagnes électorales.

C’est également la loi qui définit la mission du CSA, lequel est chargé de veiller au respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion.

Sur la question du décompte des temps d’intervention du Président de la République, le Gouvernement, vous le savez, ne partage pas votre opinion, monsieur Assouline. En effet, le chef de l’État, compte tenu de ses éminentes responsabilités, est dans une situation tout à fait différente de celle de tous les autres acteurs publics. Quand il rend un hommage national à des anciens combattants, comment s’effectue éventuellement le décompte du temps de parole ?

Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. Jean-Pierre Bel. Il ne s’agit pas de cela ici !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Bel. Mes chers collègues, il faut en avoir conscience, ce sujet est essentiel, en particulier à nos yeux.

En abordant ensemble la question de la rénovation de nos institutions et de la réforme de la Constitution, nous avions clairement indiqué que nous serions particulièrement attentifs au problème du décompte du temps de parole du Président de la République.

Une considération, au moins, est partagée par tous : nos institutions sont marquées par des évolutions, que l’on peut apprécier ou regretter, notamment la présidentialisation du régime et, phénomène plus récent, l’hypermédiatisation du chef de l’État au travers de prises de parole constantes.

Madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, nous l’avons dit, c’est au terme de notre discussion que nous apprécierons l’équilibre général du texte issu de nos travaux et, à cet égard, cette question pèsera lourd !

Vos réponses nous déconcertent parfois quelque peu. En effet, le comité Balladur avait lui-même qualifié la situation actuelle d’« anomalie » et proposé que les interventions du Président de la République soient comptabilisées avec celles du Gouvernement. Or le comité Balladur avait pour objet, que je sache, une révision de la Constitution ! Cependant, vous nous répondez que cet amendement ne peut être pris en considération à ce stade du débat démocratique. Autrement dit, circulez, il n’y a rien à voir !

Il se trouve que nous avions déposé en janvier dernier une proposition de loi tendant à prendre en compte le temps de parole du Président de la République dans les médias audiovisuels. Il y était précisé que « la prochaine réforme de nos institutions devra asseoir cette nouvelle règle sur un fondement constitutionnel que les sénateurs socialistes proposeront lorsqu’un projet de loi révisant la Constitution sera présenté au Sénat ».

Cette proposition de loi n’a jamais pu être examinée par la Haute Assemblée.

Pour résumer, quand nous déposons des propositions de loi, on nous indique que ce n’est pas opportun et, quand nous abordons le sujet à l’occasion de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle important – ce point a été souligné à plusieurs reprises –, nous sommes hors sujet !

Pourtant, notre collègue Robert Badinter a relevé tout à l’heure l’un des dysfonctionnements de notre démocratie, en analysant les conséquences, pour notre démocratie, du fait que certains médias importants sont la propriété de grands groupes industriels. Il est temps de réagir !

De nouveau, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, nous vous demandons, comme nous l’avons déjà fait hier, d’apporter des réponses à cette question.

M. Bernard Frimat. Pas de réponse !

M. Jean-Pierre Bel. Considérez-vous qu’une révision constitutionnelle ne constitue pas l’occasion propice de répondre à cette question fondamentale ? Mais alors, à quel moment accepterez-vous de discuter sur le fond de notre proposition, selon moi extrêmement équilibrée ?

Je vous rappelle l’économie de notre système des trois tiers. Nous proposons que le premier tiers concerne le Président de la République et le Gouvernement, le deuxième tiers, la majorité gouvernementale, et, le troisième tiers, l’opposition. Cela ne me semble pas excessif !

À quel moment allez-vous prendre en considération la contribution que l’opposition entend apporter à ce débat sur la modernisation des institutions de la Ve République ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du groupe CRC.)

M. Robert Badinter. Très bonne question !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est en effet la pratique politique du chef de l’État actuel qui conduit chacun à se soucier de l’évolution inquiétante de nos institutions, une pratique que le Président de la République veut constitutionnaliser derrière un habillage parlementaire, si j’ai bien compris pourquoi nous sommes réunis ici.

J’ai été choquée d’entendre la ministre de la culture et de la communication qualifier la proposition de nos collègues à cet égard de ridicule. Il est donc ridicule, pour une ministre de la République, que des groupes parlementaires se préoccupent du respect du pluralisme dans les médias et du caractère excessif des interventions du Président de la République !

Évidemment, le chef de l’État est bien au-dessus de telles préoccupations !

De fait, le chef de l'État intervient sur tout, dans le moindre détail, et se mêle très activement de l’exercice de tous les pouvoirs, y compris législatif et judiciaire.

M. Michel Charasse. Il n’y a pas de pouvoir judiciaire !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Une telle pratique doit nous inciter à réfléchir.

Je regrette vivement que, à l’occasion de la révision de notre loi fondamentale, qui touche tous les citoyens ainsi que leurs représentants, il ne soit pas estimé fondamental de se préoccuper de l’absence inquiétante de pluralisme dans les médias.

Pour toutes ces raisons, je soutiens cet amendement, avec cependant une petite réserve. Sachant que nos institutions nous poussent au bipartisme dont, vous le savez, je ne suis pas une adepte, je préférerais, mes chers collègues, que la disposition proposée se réfère « aux groupes parlementaires d’opposition » et non à « l’opposition parlementaire », et je dépose un sous-amendement en ce sens, monsieur le président.

M. le président. Je suis donc saisi d’un sous-amendement n° 512, présenté par Mme Borvo Cohen–Seat, et ainsi libellé :

Dans l’amendement n° 424 rectifié, remplacer deux fois les mots :

à l’opposition parlementaire

par les mots:

aux groupes parlementaires d’opposition

La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. J’indique d’emblée que ce sous-amendement complète utilement notre amendement et que je le voterai.

J’en viens à mon explication de vote. Tout à l’heure, lorsque j’évoquais le principe du pluralisme et sa nécessaire concrétisation par la limitation des concentrations, il m’a été répondu, par la voix de M. Michel Charasse, qu’il s’agissait d’une généralité et qu’une telle disposition n’allait pas changer grand-chose.

Sur cet amendement, qui vise encore à concrétiser le principe du pluralisme, il m’est objecté que la disposition n’a pas à être inscrite dans la Constitution et qu’elle peut faire l’objet d’une loi.

Mais vous ne pouvez pas échapper à ce que vous avez vous-mêmes validé, pas plus que vous ne pouvez échapper à ce débat.

À partir du moment où le Président de la République se déclare le chef de l’exécutif, à partir du moment où il assume le rôle de véritable chef du Gouvernement et veut s’exprimer devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, alors, sauf à nier les conséquences de cette pratique que chacun peut constater sur la vie politique, notamment sur le Parlement, vous ne pouvez pas nous dire que son temps de parole est celui du chef de la Nation, arbitre neutre au-dessus de la mêlée.

L’exemple que vous donnez, le plus symbolique de la fonction, celui des hommages rendus par le chef de l’État n’est pas un argument de bonne foi à nous opposer aujourd'hui.

Il est clair qu’il faut revoir les textes à cet égard. Le comité Balladur l’a proposé. Certes, monsieur le rapporteur, il n’a pas dit que la disposition devait figurer dans la Constitution.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. En effet, il ne l’a pas dit !

M. David Assouline. En même temps, on n’a pas demandé au comité Balladur de réfléchir sur autre chose que la réforme constitutionnelle.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. C’est vrai !

M. David Assouline. Lorsqu’il a soulevé le problème, le comité Balladur s’en est remis au Parlement pour trouver les voies et moyens de le résoudre à l’occasion de la discussion à venir sur la modernisation des institutions de la Ve  République. Je ne dis pas autre chose.

Le groupe socialiste, comme son président vient de le rappeler, a fait de cette question un marqueur. La réponse qui lui sera apportée pèsera lourd dans la décision que nous prendrons sur l’équilibre général de la réforme.

Devant ce problème réel, madame le garde des sceaux, au lieu de nous dire, avec autant de désinvolture : « Circulez, il n’y a rien à voir ! », vous auriez pu admettre que le sujet était important et qu’il pouvait donner lieu à une rédaction différente. Au lieu de cela, il nous a été rétorqué que ce point n’avait rien à voir dans le débat constitutionnel.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. C’est le cas !

M. David Assouline. Ainsi donc, perdurera la situation actuelle, où le Président de la République peut s’exprimer autant qu’il l’entend, …

M. Alain Gournac. Le Président de la République est élu par tous les Français !

M. David Assouline. … sans droit de réponse de l’opposition, sur tous les sujets, y compris les hommages – un ministre peut aussi rendre un hommage, et pourtant ce temps d’intervention est décompté.

On voit bien que tout cela pourrait être mieux réglementé.

M. René Garrec. Réglementé ?

M. David Assouline. Madame le garde des sceaux, vous persistez à traiter cette question du pluralisme avec désinvolture et, au moment où le Sénat est réuni pour démocratiser les institutions de la Ve République, vos réponses sont nettement insuffisantes.

M. Alain Gournac. Vous ne voterez pas le texte à Versailles !

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

M. Bernard Frimat. Ayant écouté la brève intervention de Jean-Jacques Hyest, je me dois de dire que l’on ne peut écarter d’un revers de main une partie de son argumentation.

Il est vrai qu’un certain nombre de prises de parole du Président de la République sont strictement inhérentes à sa fonction, par exemple, lorsqu’elles ont lieu au titre de la représentation internationale, dans le cadre de cérémonies patriotiques ou de commémorations. Il ne viendrait à l’idée de personne dans cette enceinte de mettre en cause ces interventions où le Président de la République dépasse de très loin son appartenance politique et représente la Nation.

En revanche, ce n’est une découverte pour personne, nous assistons à une modification considérable de la pratique de la fonction.

Si nous posons le problème, uniquement d’ailleurs en termes de temps de parole – nous n’avons pas eu la cruauté de le faire en temps d’image –, c’est parce qu’il existe, nous ne l’inventons pas !

Le problème est même tellement patent que le comité Balladur, que nous n’avons pas contribué à installer- nous étions plutôt partisans de confier au Parlement la préparation de la réforme de la Constitution -, a lui-même signalé ce problème, à l’unanimité.

Si l’on peut suivre l’argumentation du président de la commission des lois sur un certain nombre d’éléments, madame le garde des sceaux, la réponse du Gouvernement est, comme souvent, une non-réponse.

Vous nous dites que cet amendement n’est pas constitutionnel. Mais il revient au pouvoir constituant de réviser la Constitution. Il n’est pas là pour appliquer une quelconque jurisprudence, comme vous avez trop souvent tendance à le faire. Il est là pour dire ce que veut le peuple souverain par l’intermédiaire de ses représentants, et il n’y a pas de limite à ce pouvoir.

Vous nous renvoyez à la loi, au motif que ce point peut effectivement y figurer.

Mais on voit bien que, en ce qui concerne le Conseil supérieur de l’audiovisuel, l’on touche au ridicule, au grotesque, quand on sait que le CSA s’attache, à certaines périodes, à comptabiliser les interventions à la seconde près, pour laisser le reste du temps une totale liberté, et nous connaissons l’ampleur des dérives auxquelles cela donne lieu !

Si vous renvoyez à la loi, donnez-nous au moins des principes, des indications sur ce que vous voulez y mettre ! Mais, au cours de ce débat de révision constitutionnelle, à chaque fois que vous renvoyez à la loi, vous faites un renvoi muet. « Ce sera dans la loi », dites-vous. C’est un peu comme si vous aviez honte de ce que vous y inscrirez, comme s’il ne fallait surtout pas le dévoiler, soulever, même subrepticement, la page du dossier, pour nous permettre d’entrevoir son contenu.

Nous avons le sentiment que vous êtes en train d’appliquer le « secret défense » à vos projets de loi constitutionnelle.

Nous sommes donc contraints de continuer à vous questionner, non pas pour obtenir des réponses, puisque vous ne voulez pas répondre, mais pour rendre patent votre refus du dialogue, tout en nous montrant courtois les uns envers les autres.

Depuis hier, nous nous heurtons à une fin de non-recevoir, alors que nous voulions débattre.

Vous pouvez persister, tout au long de ce débat, dans cette attitude de fermeture, d’affirmation d’une position majoritaire – nous avons comme l’intuition que nos amendements ne seront peut-être pas tous adoptés –, mais ce n’est pas ce à quoi nous vous avons appelée.

M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour explication de vote.

M. Robert Bret. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le présent projet de loi nous conduit à débattre des lois fondamentales et de la Constitution de notre pays.

La Constitution doit rappeler, dans sa rédaction, les grands principes. Bernard Frimat et, avant lui, Robert Badinter l’ont rappelé, il n’y a pas de démocratie sans liberté d’opinion, sans liberté d’expression, sans pluralisme politique, sans pluralisme dans les médias.

J’ajouterai même, songeant au texte que le Sénat examinera prochainement concernant la représentativité des syndicats, qu’il n’y a pas non plus de démocratie sans pluralisme syndical.

Or qui peut ignorer la mainmise des grands groupes financiers sur les médias et ses conséquences en termes de pluralisme ?

Nous ne sommes plus dans la même situation qu’en 1946, au lendemain de la Libération, époque où la presse démocratique a connu, au contraire, une renaissance et un essor.

Il en va tout autrement aujourd'hui. L’omniprésence du Président de la République dans les médias rompt les équilibres, d’abord dans les médias eux-mêmes, mais aussi et surtout sur le plan du pluralisme politique, qu’elle met à mal.

Certes, il faut distinguer dans les interventions du Président de la République quand il parle au nom de la France et quand il s’exprime en tant que chef de parti.

Pour toutes ces raisons, cet amendement nous paraît fondé, tout comme l’était le précédent. Il a toute sa place dans la Constitution, qui doit garantir l’indépendance des médias et mettre en place des règles dans le cadre d’un « pacte démocratique ».

Je voterai donc cet amendement sous-amendé, et je vous invite, mes chers collègues, à faire de même.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, comme vous le savez, la pratique actuelle du CSA repose sur la théorie des trois tiers.

Mon propos est de vous démontrer que cette théorie des trois tiers est en fait celle du faux quatre-quarts ! (MM. Michel Charasse et Michel Mercier s’exclament.)

Un très beau sujet, monsieur Mercier, gastronomique au surplus, ce qui ne devrait pas vous déplaire ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. En effet, ce peut être aussi une belle référence littéraire, madame Borvo Cohen-Seat !

Un faux quatre-quarts, disais-je, avec un quart du temps dévolu à l’opposition, un quart à la majorité, un quart au Gouvernement et le dernier quart au Président de la République, mais cette dernière portion, étant, en réalité, très supérieure à un quart, de ce fait, le quart de l’opposition se trouve réduit à un cinquième, voire à un sixième.

Par conséquent, il est très facile de démontrer, madame le garde des sceaux, – je pense que vous m’avez suivi –, que nous sommes dans l’injustice et dans l’iniquité. Aussi, puisque vous êtes garde des sceaux, ministre de la justice, je ne doute pas que vous soyez très préoccupée de réparer cette inégalité, ce à quoi nous nous sommes attelés.

C’est pourquoi cet amendement devrait tout à fait vous convenir, et ce d’autant mieux qu’il est mesuré, je dirai même modéré. Après tout, nous serions fondés à demander davantage !

M. David Assouline. La moitié !

M. Jean-Pierre Sueur. Enfin, mes chers collègues, tout le monde sait que coexistent deux conceptions du rôle du Président de la République : d’une part, celle qui fut illustrée par René Coty, ancien sénateur, celle d’un président neutre, en quelque sorte, ce qui n’enlevait rien à ses mérites ; d’autre part, celle qui est illustrée par M. Sarkozy et qui l’a été, dans une moindre mesure, par ses prédécesseurs, celle d’un président fortement engagé.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est sûr, certains présidents ont été totalement effacés !

M. Jean-Pierre Sueur. Lorsque le Président de la République effectue un déplacement dans un département, les parlementaires de l’opposition le rencontrent, en vertu d’un principe républicain. Puis, soudainement, la rencontre prend fin pour permettre au Président de se rendre à une réunion de l’UMP. Certes, il en a parfaitement le droit, mais alors qu’on ne vienne pas nous expliquer qu’il se situe au-dessus de partis et que sa parole ne l’engage pas sur un plan politique !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est chef de parti !

M. Jean-Pierre Sueur. De la même manière, j’ai cru comprendre – peut-être nous le confirmerez-vous, madame le garde des sceaux – que le Président de la République organisait des réunions de l’UMP à l’Élysée. Là encore, il a parfaitement le droit d’organiser autant de réunions qu’il veut à l’Élysée, mais, en l’occurrence, celles-ci concernent un parti politique…

M. Michel Charasse. Il en a toujours été ainsi !

M. Jean-Pierre Sueur. Je n’ignore pas, monsieur Charasse, que François Mitterrand organisait lui aussi de telles réunions ; je sais aussi qu’il lui arrivait parfois d’adresser un message au parti socialiste à l’occasion de la tenue de son congrès. Néanmoins, je vous saurais gré, cher collègue, de ne pas entrer dans les considérations internes aux différents partis politiques, en particulier à l’un d’entre eux que vous connaissez bien et qui vous connaît bien. (Sourires.)

De nos jours, il serait vraiment absurde de considérer que la parole du Président de la République est neutre et incolore, si l’on s’en tient à la définition du mot « neutralité ». Tout le monde sait bien que c’est faux !

M. Alain Gournac. Tout cela a déjà été dit !

M. Christian Cointat. Nous avons compris !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est pourquoi nous proposons que les temps de parole se répartissent entre le Président de la République et le Gouvernement pour un tiers du temps, les personnalités appartenant à la majorité parlementaire pour un autre tiers, et les personnalités appartenant à l’opposition parlementaire pour un dernier tiers. Cette proposition est très mesurée, mes chers collègues.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. Même si je suis de ceux qui considèrent que cet amendement n’a pas forcément sa place dans la Constitution, je suis plutôt enclin à le voter. Cependant, je souhaiterais demander à mes collègues socialistes d’accepter une légère modification, d’une part, en précisant qu’il s’agit des « services publics » de radio et de télévision, et non pas simplement des « services » – on ne sait pas ce que c’est –, d’autre part, en prévoyant que cette règle s’applique « sauf en temps de crise ». En temps de crise, le décompte est quand même très difficile à effectuer !

J’ai vécu, avec d’autres, la guerre du Golfe au sein du pouvoir exécutif. Il s’agissait d’une période de crise. Nous devions faire des communications. Nous ne pouvions quand même pas prendre en considération, toutes les cinq minutes, les compteurs du CSA !

En réalité, l’amendement auquel je serais prêt à me rallier pourrait être ainsi rédigé : « Afin d’assurer l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion, … » - c’est le début de l’amendement de nos collègues – « … une loi organique, adoptée par les deux assemblées à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, fixe, sauf en période de crise, la répartition du temps de parole entre les autorités du pouvoir exécutif, la majorité et l’opposition parlementaire et les conditions de leur mise en œuvre par le service public de la radio et de la télévision. »

M. le président. Tel qu’il est libellé, on peut considérer qu’il s’agit là d’un amendement nouveau, monsieur Charasse !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est un « sur-amendement » ! (Sourires.)

M. Michel Charasse. C’est un sous-amendement qui est fortement teinté d’amendement ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. C’est en effet un « sur-amendement » !

M. Michel Charasse. À tout le moins, je propose que l’on ajoute le mot « publics » après les mots « les services », car je ne sais pas sinon ce que sont ces « services » ; en outre, je propose qu’on ajoute les mots «, sauf en temps de crise » après « leurs programmes ».

Mme Alima Boumediene-Thiery. Qu’entendez-vous par « crise » ?

M. Michel Charasse. La crise, ce peut être la guerre ou l’état d’urgence. Dans ces moments-là, le Président de la République peut être amené à faire des communications. Ce n’est quand même pas le président d’une association de boulistes !

M. Alain Gournac. La crise des présidentiables socialistes ! (Sourires.)

M. Bernard Frimat. En effet, il s’agit d’un « sur-amendement » !

M. le président. Je suis donc saisi d’un sous-amendement n° 513, présenté par M. Michel Charasse, et ainsi libellé :

Dans le premier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 424 rectifié pour l'article 4 de la Constitution, après les mots :

les services

insérer le mot :

publics

et après les mots :

leurs programmes

insérer les mots :

, sauf en temps de crise

La parole est à M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je voudrais faire brièvement une remarque d’ordre général.

La Constitution n’est pas un fourre-tout, mes chers collègues.

M. Alain Gournac. Exactement !

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. On ne doit pas y mettre tout et n’importe quoi !

À une certaine époque, la Constitution suisse contenait tellement de dispositions d’ordre réglementaire ou législatif que les Suisses ont dû la refondre entièrement pour la moderniser. Or je crains que, en nous engageant dans la voie que proposent certains d’entre nous, nous ne négligions complètement la hiérarchie des normes.

Je rappelle que, en vertu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ont pleinement valeur constitutionnelle. Aussi, pourquoi inscrire dans la Constitution ce dont le Conseil constitutionnel a déjà pris acte ?

En outre, n’oublions pas que s’imposent à la France un certain nombre de conventions internationales qu’elle a ratifiées, conventions qui ont une valeur supraconstitutionnelle. Aussi, il est inutile de les constitutionnaliser.

Nous pouvons recourir à d’autres moyens, qu’il s’agisse des lois organiques que nous devrons adopter pour mettre en œuvre certaines des modifications prévues par le présent texte, ou de lois ordinaires, qui ont toute leur valeur, au regard d’une série de points que nous avons abordés aujourd’hui.

M. Bernard Frimat. Oui, mais que mettrez-vous dans ces textes de loi ?

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Mes chers collègues, gardons-nous de banaliser la Constitution et d’en faire un bric-à-brac, même si les problèmes posés sont importants et nous tiennent à cœur. Conservons-lui son rang de loi fondamentale ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les sous-amendements nos  512 et 513 ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien évidemment, la commission n’a pas examiné ces deux sous-amendements. Toujours est-il que l’idée Mme Borvo Cohen-Seat de substituer les mots « aux groupes parlementaires d’opposition » aux mots « à l’opposition parlementaire » est intéressante. Nous aborderons d’ailleurs la question de l’opposition parlementaire lorsque nous débattrons de l’article 24.

S’agissant du sous-amendement n° 513 de M. Charasse, la commission aurait pu émettre un avis favorable, mais elle n’en fera rien, car ce sous-amendement ne modifie absolument pas la nature d’un amendement auquel elle est défavorable.

M. Michel Charasse. Mon sous-amendement vise à préciser les termes de l’amendement n° 424 rectifié, dans le cas où celui-ci serait adopté !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement, qui est défavorable à l’amendement, émet un avis défavorable sur ces deux sous-amendements. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Robert Bret. Pour quelles raisons ?

M. Jean-Pierre Bel. Cette réponse est un peu courte !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il ne me paraît pas utile de compléter les propos de M. Gélard sur ce point, et ce n’est pas de la désinvolture de ma part, monsieur Assouline.

Cette question du temps de parole n’a pas sa place dans la Constitution ; elle relève d’une loi organique ou d’une loi ordinaire.

M. Alain Gournac. Absolument !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Voilà pourquoi le Gouvernement a émis un avis défavorable sur les amendements nos 423 rectifié et 424 rectifié.

Bien évidemment, le pluralisme a valeur constitutionnelle, mais attendons les conclusions du comité Veil pour, éventuellement, inscrire ce principe dans le préambule de la Constitution.

Pour le reste, les dispositions proposées ne sont pas de nature constitutionnelle et n’ont rien à voir avec la modernisation des institutions, objet du présent texte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous ai répondu sur la modernisation des institutions, et c’est en considération de cette préoccupation que je confirme l’avis défavorable du Gouvernement sur l’amendement n° 424 rectifié comme sur les deux sous-amendements dont il est maintenant assorti. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Pierre Bel. Si je comprends bien, M. Balladur raconte n’importe quoi !

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 513.

M. Michel Mercier. Mon explication de vote vaudra aussi pour le sous-amendement n° 512 et pour l’amendement n° 424 rectifié.

Tout à l’heure, nous avons souhaité envoyer un signal clair parce qu’il s’agissait de questions de principe. En revanche, dans le cas présent, il ne me paraît pas opportun que les dispositions proposées soient inscrites dans la Constitution.

L’amendement et les deux sous-amendements soulèvent un certain nombre de questions.

Nous pourrions souscrire à la proposition de Mme Borvo Cohen-Seat, si du moins celle-ci supprimait le dernier mot de son sous-amendement… (Sourires.)

Toujours est-il que nous ne voterons ni les sous-amendements ni l’amendement. (M. René Garrec applaudit.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Si j’ai bien compris, quand les dispositions que nous proposons sont objectivement de nature constitutionnelle parce qu’elles concernent des principes à valeur constitutionnelle, on nous demande d’attendre que le comité Veil rende ses conclusions - ou l’on nous répond que tout est déjà dans la déclaration de 1789. Mais quand, afin d’éviter des interprétations divergentes, compte tenu du contexte et de la présente actualité, nous proposons d’inscrire dans la Constitution ce qui apparaît comme un droit formel, on nous renvoie à la loi, organique ou ordinaire.

Après tout, nous pouvons entendre cet argument, car nous ne nous plaçons pas dans un débat juridique. Nous admettons volontiers que nos propositions trouvent leur place dans une loi, mais, dans ce cas, donnez-nous l’assurance que c’est bien la direction que vous voulez prendre ! Or vous ne nous donnez aucune assurance en ce sens ; c’est pourquoi nous profitons de ce débat pour tenter d’obtenir de votre part quelques indications concrètes.

S’agissant du sous-amendement présenté par M. Charasse, je ne comprends pas la raison pour laquelle il veut ajouter le mot « publics » pour qualifier les services dont il est question. Le CSA veille aux temps de parole sur l’ensemble des services de radio et de télévision !

M. Michel Charasse. Il n’est pas compétent pour les radios privées !

M. David Assouline. Ce n’est pas vrai !

M. Michel Charasse. Sauf en période électorale !

M. Alain Gournac. Radios privées ou pas, en voilà assez !

M. David Assouline. Que les choses soient claires : nous réclamons que la règle des trois tiers qui prévaut pendant les campagnes électorales s’applique aussi en dehors de ces périodes. Dans ce dernier cas, il s’agit bien entendu d’un impératif pour les services publics ; en revanche, pendant les périodes électorales, cette règle s’impose à l’ensemble des moyens de communication. C’est pourquoi nous préférons viser les services de radio et de télévision dans leur ensemble.

S’il était adopté, le sous-amendement de M. Charasse exclurait du champ d’application de notre amendement des médias tels que TF1, Europe 1 ou RTL. Or on ne peut pas dire que ce sont eux qui ont l’impact le plus faible sur l’opinion !

M. Michel Charasse. Mais ils sont privés, tout de même !

M. David Assouline. Pour ces raisons, je suis en désaccord avec ce sous-amendement.

En outre, pourquoi préciser que cette règle des trois tiers ne s’appliquerait plus en période de crise ? Cela va de soi dans ces cas d’exception !

Dans la mesure où il modifie substantiellement l’équilibre de notre amendement, nous n’y sommes pas favorables.

En revanche, le sous-amendement de Mme Borvo Cohen-Seat apporte une précision utile, notamment pour le groupe CRC lui-même… C’est pourquoi nous le voterons.

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Le sous-amendement présenté par Mme Borvo Cohen-Seat est intéressant, car il vise à refléter la diversité de l’opposition.

La modernisation de la Constitution telle qu’elle nous est proposée vise, soi-disant, à donner à l’opposition une place bien plus importante et davantage de pouvoirs. Dès lors, reconnaissons alors sa diversité et votons ce sous-amendement.

Concernant le « sur-amendement » de M. Charasse, j’essaie de comprendre ce que vous entendez par le mot « crise », mon cher collègue, et j’aimerais que vous nous en donniez une définition.

M. Michel Charasse. Vous savez tout de même ce qu’est une crise !

Mme Alima Boumediene-Thiery. La France, en tant qu’État de droit, peut être confrontée à différentes crises, qui demandent chacune un traitement différencié : ce peut être une crise sociale comme une crise économique. Or j’ai le sentiment que notre pays est presque en crise permanente. C’est pourquoi nous devons faire très attention.

M. Ladislas Poniatowski. La crise, c’est quand le parti socialiste vire Charasse ! (Sourires.)

Mme Alima Boumediene-Thiery. Par ailleurs, je suis quelque peu étonnée que vous repoussiez si facilement nos idées, comme d’un revers de la main.

Quels sont les arguments que vous opposez à chacune de nos propositions ? Leur inutilité, et d’invoquer telle convention internationale, telle charte, telle loi qui traiteraient déjà du sujet. Mais alors, à quoi servons-nous, si nous ne pouvons rien proposer, surtout à l’occasion de la révision de la Constitution, c’est-à-dire de notre loi fondamentale ?

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. Mme Borvo Cohen-Seat propose, dans son sous-amendement, de remplacer les mots « à l’opposition parlementaire » par les mots « aux groupes parlementaires d’opposition », ce qui signifie que les parlementaires d’opposition non inscrits n’ont aucun droit !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

M. Michel Charasse. C’est pourquoi cette disposition me gêne.

Madame Boumediene-Thiery, tout le monde sait ce qu’est un temps de crise ou un état de crise. Il suffit d’avoir exercé ne serait-ce que quelques responsabilités dans l’État pour savoir ce que cela veut dire.

Je préfère la réponse de M. Assouline lorsqu’il dit que nous sommes capables de faire preuve de souplesse et de compréhension dans une situation difficile. Il est bien évident que la « guerre des boutons » entre deux villages ne saurait conduire à bouleverser l’équilibre des temps de parole !

M. David Assouline. Mai  68, était-ce un temps de crise ?

M. Michel Charasse. Sûrement ! Si le gouvernement de l’époque n’avait pas assuré la continuité des services publics, des gens auraient pu mourir.

Si ce n’était pas un état de crise, alors je ne sais pas comment cela s’appelle !

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 513.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 512.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 424 rectifié.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 103 :

Nombre de votants 329
Nombre de suffrages exprimés 329
Majorité absolue des suffrages exprimés 165
Pour l’adoption 126
Contre 203

Le Sénat n'a pas adopté.

Articles additionnels après l'article 1er
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 2

Article additionnel avant l'article 2

M. le président. L'amendement n° 166, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 6 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 6. - Le Président de la République est élu pour cinq ans par le Parlement réuni en Congrès.

« Il ne peut accomplir plus de deux mandats consécutifs. »

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mes chers collègues, il s’agit d’un amendement de cohérence, non pas avec la présente réforme constitutionnelle, mais avec notre position constante en faveur d’un régime parlementaire.

Depuis 1962, le Président de la République est élu au suffrage universel. Nous nous étions résignés à ce mode d’élection. Toutefois, au vu de l’expérience acquise depuis maintenant plus de trente ans, nous sommes amenés à remettre en cause notre propre résignation.

Cet amendement est très éloigné de la volonté des auteurs du projet de loi constitutionnelle. Nous considérons que son adoption permettrait une véritable revalorisation du rôle du Parlement ainsi que la restauration, souhaitable, de sa primauté dans nos institutions. (Exclamations sur les travées de lUMP.)

Cet amendement vise à remettre en cause l’élection du Président de la République au suffrage universel.

M. Alain Gournac. Rien que cela ! (Rires sur les travées de lUMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas la peine de vous esclaffer, vous l’auriez su si vous aviez lu notre amendement.

M. Alain Gournac. Nous l’avons lu !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’existence de deux légitimités issues du suffrage universel provoque inévitablement une concurrence dont pâtit l’un des deux pouvoirs.

L’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier, qui ne nous agréent pas, ont accentué encore la domination du Président de la République.

La prééminence d’un seul homme sur les institutions d’un pays apparaît contraire aux principes démocratiques. Les pères de la République seraient d’ailleurs sans doute bien étonnés de voir l’émergence d’une sorte de monarchie présidentielle. (Exclamations sur les travées de lUMP.)

Mme Isabelle Debré. C’est excessif !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sans doute, me direz-vous, notre peuple est-il très attaché à la fonction présidentielle. La participation élevée à ce scrutin en est la preuve.

Nos concitoyens savent que le chef de l’État détient les clés du pouvoir. Ils constatent que le Parlement n’est plus qu’un pouvoir exécutant, que rien ne se décide vraiment dans ses enceintes.

J’ai été choquée à la lecture des résultats d’une enquête d’opinion. Certes, on peut toujours dire que ces enquêtes ne sont pas représentatives. Je conçois qu’elles ne reflètent pas exactement l’état de l’opinion, mais elles donnent des indications. Vous le savez d’ailleurs fort bien, friands que vous êtes des enquêtes d’opinion et, au-delà, de la démocratie d’opinion. La preuve ? À chaque remous dans le pays, vous proposez le vote ou la modification d’une loi !

Selon donc cette enquête, qui portait sur l’image des élus, nos concitoyens considèrent en majorité que les parlementaires ne servent pas à grand-chose. Ce résultat, à la fois triste et choquant, devrait nous inciter à réfléchir.

Nos concitoyens savent que l’élection présidentielle est déterminante. Comme je l’ai indiqué dans la discussion générale, avec le quinquennat et l’inversion du calendrier, le Président de la République est le chef de l’exécutif, le chef de la majorité, le chef du parti majoritaire ! Ce ne sont pas les meilleures conditions pour une république démocratique.

Cet amendement est une invitation à réfléchir. Il faut parfois savoir poser des actes qui montrent que l’on veut quelque chose, en l’occurrence, un régime parlementaire.

La pratique de la fonction présidentielle par l’actuel Président doit nous faire réfléchir. L’opinion – puisque l’on se préoccupe de l’opinion – manifeste d’ailleurs un certain agacement à le voir partout courir après la moindre proposition qu’il veut faire passer dans les médias, dans le pays, dans le Gouvernement, au Parlement. En l’autorisant à venir devant le Parlement réuni en Congrès, on contribue à accentuer encore l’hyperprésidentialisation de nos institutions, ce qui ne laisse pas de nous inquiéter.

En tout état de cause, il n’y a pas de mystère : revaloriser le Parlement exige une réduction du pouvoir du chef de l’État, laquelle passe par une modification de l’actuel mode de scrutin. Certes, dans certains pays, le Président de la République est élu au suffrage universel, mais force est de constater qu’il n’a pas alors les pouvoirs du Président français. Il existe en France une tradition bonapartiste et autoritaire. La modification du mode de scrutin mérite donc un débat. Pourquoi ne pas en poser les bases aujourd’hui ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nos collègues du groupe CRC sont cohérents dans leur analyse des institutions en proposant l’élection du Président de la République par le Parlement réuni en Congrès.

Les Français sont attachés à l’élection du Président de la République au suffrage universel.

M. Alain Gournac. Ils y sont très attachés !

M. Henri de Raincourt. Ils l’ont dit par référendum !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si nous avions plus de temps, il serait sans doute intéressant de savoir combien de parlementaires se rallient à cet amendement.

La commission est elle aussi cohérente dans son attachement à la Ve République et à l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, instituée en 1962. Vous comprendrez donc que j’émette un avis défavorable…

M. Alain Gournac. Très défavorable !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … sur la proposition du groupe communiste.

Madame Borvo Cohen-Seat, votre amendement comprend une seconde partie qui porte sur le nombre des mandats. Vous proposez deux dispositifs différents dans le même amendement, ce qui complique la discussion. La commission est favorable à cette seconde partie de l’amendement, je le précise pour la clarté des débats.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Madame Borvo Cohen-Seat, vous souhaitez que le Président de la République soit élu par le Congrès du Parlement.

La révision constitutionnelle du 6 novembre 1962 a mis fin à l’élection du Président de la République au suffrage universel indirect. Dans son discours du 20 novembre 1962, le général de Gaulle expliquait que : « le pouvoir d’assurer la charge suprême est celui qui résulte de la confiance explicite de la nation ».

L’élection du Président de la République au suffrage universel direct est un élément fondamental de la Ve République. Elle a été décidée par le peuple français par la voie du référendum. Elle confère au chef de l’État une autorité et une légitimité incontestables. Elle crée un lien personnel et fort entre le Président de la République et le peuple français, lequel, M. le rapporteur vient de le rappeler, est très attaché à cette forme de désignation. Il serait donc inconcevable de remettre en cause ce mode d’élection, qui fut une avancée majeure réalisée en 1962.

La seconde partie de votre amendement, relative au nombre des mandats, sera discutée ultérieurement.

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia, pour explication de vote.

M. Robert del Picchia. En somme, ma chère collègue, vous remettez en question la souveraineté du peuple. Venant de vous, venant de votre parti, cela me paraît quelque peu étonnant.

M. Alain Gournac. Tout à fait !

M. Robert del Picchia. Pourquoi vouloir priver le peuple de la possibilité de s’exprimer ?

M. Robert Bret. Et que faites-vous d’autre ?

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Ils ont la nostalgie de la Constitution de 1946 !

M. Robert del Picchia. J’ai essayé de comprendre le pourquoi de votre proposition, et je n’y ai pas trouvé d’explication, sauf une : peut-être, les chances de votre parti d’avoir un élu à la présidence de la République paraissant assez minces, cherchez-vous une autre voie ? (Rires sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote. (Protestations sur les travées de l’UMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur del Picchia, je n’obtiens jamais votre soutien, en aucune circonstance. (Exclamations sur les travées de l’UMP.) J’y suis habituée et ne suis donc pas surprise !

Nous sommes profondément opposés au bipartisme, nous sommes opposés à un régime présidentiel.

M. Alain Gournac. Nous, nous sommes pour que le peuple s’exprime !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous sommes effectivement attachés au suffrage universel.

M. Alain Gournac. Et au parti unique !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais on voit ce que vous en faites : quand le peuple dit « non », vous passez outre ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

Alors, pas de leçon sur le suffrage universel, s’il vous plaît, surtout après le référendum de 2005, surtout après le référendum irlandais : vous n’êtes vraiment pas habilités à le faire ! Vous allez bientôt m’expliquer que, quand le peuple vote mal, il faut changer le peuple ! (Protestations sur les travées de l’UMP.).

M. Gérard Longuet. Ah, Brecht !…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Or là n’est pas la question ! (Nouvelles protestations sur les travées de l’UMP.)

Oui, mes chers collègues, vous estimez que le peuple peut avoir tort, et qu’il faut alors lui faire la leçon, lui dire qu’il commet une erreur, qu’il n’a rien compris, qu’il est stupide… (Protestations sur les travées de lUMP.)

Je l’ai dit, nous nous sommes résignés à l’élection du Président de la République au suffrage universel. Or nous sommes très attachés à la souveraineté populaire, et nous avons l’occasion de le montrer.

Je constate cependant que l’évolution de nos institutions ne va pas dans le sens d’une plus grande démocratie, il s’en faut de beaucoup. C’est pourquoi, au nom de mon groupe, je prends la responsabilité d’affirmer que cela mérite réflexion. (Rires sur les travées de l’UMP.)

Mme Isabelle Debré. C’est tout réfléchi !

M. Alain Gournac. Ça suffit ! Pas de leçon de la part des communistes !

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour explication de vote.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet amendement est sans doute le plus important pour nous. (Rires sur les travées de l’UMP.)

En effet, il repose essentiellement sur un système parlementariste que nous revendiquons depuis fort longtemps.

Certes, nous sommes parfois engagés dans des élections présidentielles,…

M. Gérard Longuet. Avec bonheur…

Mme Josiane Mathon-Poinat. … pour certains, d’ailleurs, à contrecœur, je le reconnais. Cependant nous sommes là pour reconnaître une République sociale.

Je voudrais tout de même, mes chers collègues, rappeler que si Giscard d’Estaing,…

De nombreux sénateurs de l’UMP. « Monsieur » Giscard d’Estaing !

Mme Josiane Mathon-Poinat. … dans son premier projet de Constitution européenne, demandait un président pour l’Europe, celui-ci n’était pas élu au suffrage universel direct ! Pourtant, vous le souteniez ! Je m’en étonne…

Cet amendement est donc à nos yeux le plus fondateur.

M. Alain Gournac. Votre affaire est géniale, madame !

M. Henri de Raincourt. Ce n’est pas mal, en effet !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Notre position est géniale ? Pourquoi ne lui avez-vous pas apporté votre soutien ?

Mme Isabelle Debré. Cela n’a rien à voir !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement no 166.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. Alain Gournac. La réponse est donnée !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Quand bien même !

Article additionnel avant l'article 2
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Articles additionnels après l'article 2

Article 2

Après le premier alinéa de l’article 6 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Nul ne peut être élu plus de deux fois consécutivement. »

M. le président. L’amendement no 97, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le second alinéa de cet article :

« Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le texte initial du projet de loi constitutionnelle prévoyait que « nul ne peut accomplir plus de deux mandats consécutifs ».

Les députés ont estimé cette rédaction ambiguë : le choix du verbe « accomplir » pouvait laisser entendre que la limite posée par la Constitution ne vaudrait pas si l’un des mandats était écourté.

Sur l’initiative de M. Gérard Charasse,…

M. Michel Charasse. C’est mon cousin !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … l’Assemblée nationale a donc retenu une formulation plus claire selon laquelle « nul ne peut être élu plus de deux fois consécutivement ».

Soucieux d’améliorer encore cette rédaction, je propose de revenir au texte du Gouvernement mais de remplacer le verbe « accomplir », qui comporte l’idée d’aller jusqu’au bout, par le verbe « exercer », qui ne suscite pas les mêmes objections. (M. Alain Gournac approuve.)

M. le président. Le sous-amendement no 350, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

À la fin du second alinéa de l’amendement no 97, supprimer le mot :

consécutifs

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Le souhait de la commission des lois est de revenir à la rédaction initiale du projet de loi. Pourtant, comme nous l’avons indiqué – et M. Hyest l’a rappelé à l’instant –, l’amendement de M. Gérard Charasse, adopté par l’Assemblée nationale, avait un objet précis : empêcher qu’un Président de la République ne puisse être élu une troisième fois. La commission souhaite donc rétablir une ambiguïté qui avait été supprimée par l’Assemblée nationale.

Par ce sous-amendement, nous proposons de lever une seconde ambiguïté et d’empêcher que le Président de la République sortant ne puisse, à l’issue de deux mandats consécutifs, choisir d’attendre l’élection suivante et, après cinq années d’absence, se présenter pour un troisième mandat, voire pour deux nouveaux mandats consécutifs, comme le permet le texte en l’état. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

M. Henri de Raincourt. Cela n’est jamais arrivé !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Il convient donc de supprimer l’adjectif « consécutifs » afin de garantir définitivement qu’un Président de la République ne pourra pas, en fait, être élu plus de deux fois.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ce sous-amendement ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le sous-amendement vise à interdire la possibilité pour un Président de la République de se présenter de nouveau à l’élection présidentielle plusieurs années après avoir exercé deux mandats consécutifs. Je ne vois pas au nom de quoi !

M. Henri de Raincourt. Où serait le problème ? Nous sommes en démocratie, tout de même !

Mme Isabelle Debré. Laissez les Français décider !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous ne sommes donc pas favorables à cette proposition, qui est contraire à la fois au texte initial du Gouvernement et à la position de la commission.

M. Henri de Raincourt. Nous y sommes même très défavorables !

M. Alain Gournac. C’est antidémocratique !

M. Robert Badinter. Il s'agit d’interdire plus de deux mandats !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non ! Il s’agit d’interdire l’exercice de plus de deux mandats successifs !

L’histoire le montre, il peut arriver que des hommes politiques reviennent sur la scène publique.

M. Michel Charasse. Poincaré, Doumergue…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Par exemple !

Je ne vois pas au nom de quoi on le leur interdirait, sauf à rétablir à leur égard la mort civile !

Vraiment, mes chers collègues, il me semble qu’il ne faut pas aller trop loin.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. L’amendement no 97 a pour objet d’interdire à un Président de la République de se faire réélire pour un troisième mandat consécutif.

C’est vrai, monsieur le rapporteur, le Gouvernement a été favorable à une modification, apportée par l’Assemblée nationale, destinée à lever toute ambiguïté dans le texte : il ne faut pas qu’un Président de la République puisse se faire élire une troisième fois consécutive, quand bien même il aurait démissionné avant le terme de l’un de ses mandats.

Vous proposez une nouvelle rédaction, plus proche de celle du projet d’origine du Gouvernement, et meilleure. Toutefois, il semble préférable de bien marquer que c’est la participation même à l’élection qui est interdite, avant même d’envisager l’exercice du mandat.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est bien mon avis !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La rédaction retenue par l’Assemblée nationale paraît donc mieux répondre à notre souci. C’est pourquoi nous souhaitons la conserver.

J’y insiste, il faut bien distinguer l’exercice du mandat de la participation à l’élection : on pourrait imaginer que le Président de la République sortant participe à l’élection, mais qu’on lui interdise ensuite l’exercice de ses fonctions ! Notre souhait est qu’il ne participe pas à une troisième élection.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Madame Boumediene-Thiery, vous proposez que la restriction soit encore plus forte que celle que souhaite le Gouvernement, puisque vous voulez exclure toute possibilité d’un troisième mandat, même non consécutif.

Nous n’y sommes absolument pas favorables.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous partons d’une situation dans laquelle il n’existe aucune limite du nombre des mandats. Il est, certes, important de prévoir un renouvellement à la tête de l’État au bout de dix ans : il s’agit de fonctions qui sont particulièrement lourdes et qu’il est difficile d’exercer pendant une très longue durée ; il faut également éviter qu’un Président de la République ne pense qu’à sa réélection au lieu de se consacrer au contenu même du mandat.

Cependant, dès lors que cette respiration démocratique a lieu, il n’est pas nécessaire d’interdire de façon absolue l’exercice d’un troisième mandat : c’est finalement au peuple, souverain, qu’il appartient de trancher, si un ancien Président de la République souhaite se présenter une nouvelle fois devant les électeurs. Sur ce point, je m’associe totalement aux arguments du rapporteur et de Michel Charasse.

C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement – j’en suis désolée, monsieur le rapporteur, car le désaccord porte sur la nuance bien plus que sur l’objectif – et, par voie de conséquence, sur le sous-amendement.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La situation est intéressante puisque, selon le texte issu de l’Assemblée nationale, avoir été élu deux fois consécutivement n’interdit pas de se présenter une troisième fois !

M. Robert Badinter. Exactement !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est bien pour cela que nous sommes revenus à un texte proche de celui du Gouvernement !

On m’objecte qu’il ne serait pas autorisé à exercer un troisième mandat. Est-ce à dire que le Conseil constitutionnel expliquera au candidat qu’il ne peut pas se présenter parce qu’il a déjà exercé deux mandats ?

Franchement, je préfère nettement la rédaction de la commission.

M. Henri de Raincourt. Il a raison !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais nous en discuterons avec l’Assemblée nationale ! Vous savez, la navette est une très bonne chose, surtout quand c’est une navette égalitaire (Sourires.)…

Bien entendu, je maintiens l’amendement de la commission.

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, pour explication de vote.

Mme Jacqueline Gourault. J’avais cru comprendre que, dans l’esprit de la réforme, l’objet de cette disposition était de limiter à deux le nombre de mandats, qu’ils soient consécutifs ou non.

Mme Jacqueline Gourault. Les explications de Mme le garde des sceaux et de M. le rapporteur montrent que je me suis trompée et que, assurément, j’ai mal compris ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. Je ne peux pas imaginer, monsieur le président, que ce soit le dépit qui ait conduit certains membres du comité Balladur à formuler cette proposition. (Sourires.) Quand on ne peut pas soi-même être élu, on a quelquefois la tentation d’empêcher les autres de l’être… (Rires.)

Pour ma part, je n’aime pas ces règles : dans la République, depuis toujours, quand on est électeur, on a le droit d’être élu.

Mme Isabelle Debré. Je suis d’accord !

M. Michel Charasse. Sinon, de proche en proche, ces dispositions seront étendues à tous les mandats, à toutes les fonctions, à l’âge des électeurs, à tout ce que vous voudrez ! Je suis contre ces principes-là.

Et l’électeur n’est pas à ce point benêt : il est tout de même assez grand pour savoir ce qu’il a à faire et choisir librement ! Par conséquent, sur le fond, je conteste absolument cette mesure, qui contraint le libre choix de l’électeur.

Je voudrais en venir très brièvement à la rédaction même et rappeler le texte adopté par l’Assemblée nationale : « Nul ne peut être élu plus de deux fois consécutivement. » C’est donc que l’on peut se présenter trois fois, que l’on peut obtenir la majorité trois fois, mais que l’on ne peut pas être proclamé élu ! Il faut peut-être trouver une autre formule…

Le rapporteur nous propose ce libellé : « Nul ne peut exercer… » Là aussi, cela veut dire que le candidat peut être élu, mais qu’on lui demande ensuite de « circuler parce qu’il n’y a rien à voir », que la porte est fermée, qu’il ne peut pas entrer !…

Quant à la précision : « plus de deux mandats », si le Président de la République démissionne un mois avant la fin de son mandat, on ne peut plus dire qu’il a exercé deux mandats et il peut donc se représenter !

Ce ne sont là que des formules très compliquées pour arriver à quelque chose qui est, à mon avis, un outrage pour les électeurs et pour la démocratie française.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. La discussion terminologique est intéressante, mais je pense que la rédaction proposée par la commission est meilleure : « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. »

Pour exercer, il faut être élu ! Si l’on doit choisir cette voie, il vaut mieux adopter cette rédaction, plus claire que celle de l’Assemblée nationale.

Sur le fond, la question a déjà été longuement évoquée, peut-être s’en souvient-on, en 2000.

Au moment où l’on a ramené la durée du mandat présidentiel de sept ans à cinq ans, on s’est interrogé : faut-il mettre un curseur et interdire plus de deux mandats ?

Finalement, à ce moment-là, le sentiment commun a été de ne pas limiter les mandats. Il peut en effet y avoir des circonstances extraordinaires – on pense à un temps de guerre. Le pays a confiance dans le Président de la République. Se priver de lui dans de telles circonstances ne paraît pas la meilleure des solutions.

Par conséquent, laissons au peuple souverain le choix de décider et laissons au candidat le choix de se présenter ou non.

Simplement, quand on voit la situation actuelle de certains États qui ont inscrit dans leur Constitution cette limitation, on a envie de sourire !

La solution qu’a choisie M. Poutine …

M. Robert Badinter. … de devenir Premier ministre parce qu’il ne pouvait pas être de nouveau président et ne voulait pas avoir l’air de modifier la Constitution de son pays est singulière !

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Il peut redevenir président !

M. Robert Badinter. On voit également en Algérie le président s’interroger.

La question est là : faut-il inscrire ou non cette limitation dans la Constitution pour que les Présidents de la République soient ainsi prémunis contre la tentation de se présenter de nouveau ?

Revient-il vraiment à la Constitution de limiter une décision qui relève tout de même de l’exercice du pouvoir souverain du pays, à savoir le choix par l’électeur de celle ou celui qu’il souhaite mettre à la tête de l’État, même si la personne a déjà exercé deux mandats consécutifs ?

En tout état de cause, je ne suis pas convaincu de la nécessité de cette disposition.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 350.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. Michel Charasse. Je voudrais bien une réponse à la question du mandat interrompu : si le Président de la République démissionne avant la fin du deuxième mandat, peut-il se représenter ?

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour répondre à M. Michel Charasse.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est la différence entre « exercer » et « accomplir », mon cher collègue.

Si le Président de la République n’a pas « accompli » la totalité de son mandat, il peut se représenter. En revanche, s’il a « exercé » deux fois un mandat, c’est la rédaction que nous proposons, il ne le peut plus.

M. Michel Charasse. Je me place dans l’hypothèse où, dans le courant du deuxième mandat, un mois avant la fin, il démissionne.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il aura « exercé » - et non « accompli » - deux mandats et ne pourra pas se représenter !

C'est la raison pour laquelle nous tenons beaucoup au terme « exercer » par rapport à celui d’« accomplir », qui laisserait planer des tas de questions ! (M. Michel Charasse manifeste son scepticisme.)

M. le président. Cette précision étant apportée, qu’elle vous convienne ou non, monsieur Charasse, …

M. Michel Charasse. En cas de nécessité, on trouvera des solutions !

M. le président. … je mets aux voix l'amendement n° 97.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 78, présenté par MM. Gélard, Portelli et Lecerf, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - Le même article est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La situation des anciens Présidents de la République est déterminée par une loi organique. »

La parole est à M. Patrice Gélard.

M. Patrice Gélard. Je présente cet amendement en mon nom propre, et non au nom de la commission.

J’ai plusieurs fois souligné la situation anormale des anciens Présidents de la République, ce qui m’avait amené à déposer trois propositions de loi, notamment pour que les anciens Présidents de la République puissent devenir sénateurs à vie.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’était en effet le summum de la démocratie !

M. Robert Bret. Nostalgie de la Chambre des Pairs !

M. René Garrec. Comme en Italie !

M. Patrice Gélard. Oui, comme en Italie, et l’Italie est une démocratie !

Néanmoins, nous nous trouvons toujours devant une situation qui n’est pas normale.

Premier élément, les anciens Présidents de la République sont membres à vie du Conseil constitutionnel. Je ne m’attarde pas sur cette question, nous en discuterons plus tard.

Deuxième élément, les anciens Présidents de la République, grâce, notamment, à Michel Charasse lorsqu’il était ministre du budget, bénéficient d’un statut qui n’est pas transparent. Je souhaite qu’il le devienne.

Il est normal que les anciens Présidents de la République disposent d’un certain nombre de moyens, matériels ou autres – gardes du corps, logement, secrétariat de fonction, voiture, etc. –, mais tout cela doit être public et non occulte, comme c’est le cas à l’heure actuelle.

Par conséquent, j’aurais souhaité qu’il y ait un statut des anciens Présidents de la République. Cela étant, je suis ouvert à la discussion sur cette question.

M. René Garrec. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pour avoir bien écouté le vice-président de la commission des lois Patrice Gélard, je sais qu’il ne faut pas inscrire trop de choses dans la Constitution. (Sourires.) Je sais également que certaines mesures sont de niveau constitutionnel, alors que d’autres ne le sont pas.

La précision que souhaite introduire M. Patrice Gélard n’est pas de niveau constitutionnel, …

M. Christian Cointat. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. …même si M. Cointat commence à s’agiter, ce qui est toujours dangereux ! (Sourires.)

. Quel est le sens d’un statut ? Il met à disposition un certain nombre de moyens pour permettre à la République, ce qui est tout à fait légitime, de témoigner sa reconnaissance envers les anciens Présidents de la République. Ce n’est franchement pas du niveau constitutionnel. Je ne suis même pas sûr que cela relève de la loi.

M. René Garrec. Si, ça peut !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Par conséquent, la commission demande le retrait de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Vous proposez, monsieur Gélard, qu’il revienne à la loi organique de déterminer la situation des anciens Présidents de la République.

Cet amendement doit être lu en cohérence avec l’amendement n° 73 que vous avez déposé et qui vise à supprimer l’appartenance des anciens Présidents de la République au Conseil constitutionnel.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ah oui !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le statut des anciens Présidents de la République est actuellement fixé par l’article 56 de la Constitution, …

M. Patrice Gélard. Exactement !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. … notamment en ce qui concerne leur appartenance au Conseil constitutionnel, et par l’article 67 de la Constitution pour ce qui concerne leur statut pénal.

Les anciens Présidents de la République bénéficient, par ailleurs, comme vous l’avez souligné, d’un certain nombre de moyens – protection, voiture de fonction, bureau ou collaborateurs – pour leur permettre d’exercer leur magistère moral.

Le Gouvernement ne souhaite pas modifier le statut constitutionnel des anciens Présidents de la République, …

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. … en particulier s’agissant de leur appartenance au Conseil constitutionnel, dont nous débattrons bientôt.

En ce qui concerne les moyens dont bénéficient les anciens Présidents de la République, ils ne relèvent pas de la Constitution. Il s’agit en partie d’usages républicains les plus élémentaires.

De plus, l’expérience, notamment internationale, des anciens chefs de l’État fait d’eux des références dans le monde. Il y va donc de l’intérêt même du pays de leur donner les moyens de faire rayonner leur expertise.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Sans doute ces moyens gagneraient-ils à reposer sur une base juridique – la Cour des comptes l’a d’ailleurs déjà fait observer et le Président de la République a soulevé ce problème lors de la campagne présidentielle.

Il a déjà avancé sur ce point, notamment s’agissant du budget de l’Élysée, comme chacun a pu le constater. C’est un vrai sujet de préoccupation.

Cependant, après M. le rapporteur, j’observe que cette disposition relève non de la Constitution, mais peut-être de la loi, voire de la loi organique, et encore !

En tout état de cause, s’agissant des moyens des anciens Présidents de la République, ils reposent sur l’usage et nous ne souhaitons pas que cela soit modifié.

Nous vous demandons par conséquent de bien vouloir retirer votre amendement, monsieur Gélard. À défaut, le Gouvernement émettrait un avis défavorable.

M. le président. Monsieur Gélard, l'amendement n° 78 est-il maintenu ?

M. Patrice Gélard. Je voulais attirer l’attention du Sénat et du Gouvernement sur un certain nombre d’anomalies qui résultent du statut actuel des anciens chefs de l’État.

Nous reviendrons sur cette question lorsque nous débattrons du Conseil constitutionnel.

En l’état, je retire cet amendement.

M. le président. L'amendement n° 78 est retiré.

M. Michel Charasse. Je le reprends !

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 78 rectifié, présenté par M. Charasse, et ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - Le même article est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La situation des anciens Présidents de la République est déterminée par une loi organique. »

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. J’écoute toujours avec beaucoup d’attention et d’intérêt ce que dit M. Gélard sur les questions institutionnelles, qu’il connaît bien.

Si j’ai repris cet amendement, c’est pour apporter au Sénat une précision que M. Gélard n’a pas donnée lui-même, en commettant peut-être une petite erreur au passage, mais je ne peux pas lui en vouloir.

Lorsque, en 1981 le président Mitterrand a été élu, nous nous sommes trouvés dans la situation suivante : pour la première fois la France comptait un ancien Président de la République encore jeune et qui souhaitait avoir de nombreuses activités publiques. Or, en dehors du fait qu’il était membre de droit du Conseil constitutionnel, comme cela est prévu par la Constitution, et qu’il bénéficiait d’une dotation sous forme de pension de retraite, comme cela est prévu par une loi de 1955, il ne disposait d’aucun autre moyen en sa qualité d’ancien Président de la République, alors qu’il devait exister ès qualités, se déplacer, voyager, etc.

Le président Mitterrand m’a chargé alors, c’est vrai, de prendre contact avec le président Giscard d’Estaing pour trouver les moyens d’élaborer non pas un statut, parce que cela serait vraiment très prétentieux, mais un certain nombre de règles de bon fonctionnement, étant entendu que, sous la IVe République, …

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Il n’y avait rien !

M. Michel Charasse. … en dehors du vote de la dotation de retraite, qui est un traitement de conseiller d’État en service ordinaire – c’est la loi de 1955 –, les présidents Coty et Auriol avaient chacun bénéficié d’un logement de fonction, attribué par les présidents du Conseil après leur départ de l’Élysée. Les appartements étaient situés au dernier étage du palais de Chaillot, de chaque côté.

M. Ladislas Poniatowski. Ce n’est pas désagréable !

M. Michel Charasse. Nous nous sommes donc trouvés dans cette situation. Le président Mitterrand m’a dit : il faut tout de même que le président Giscard d’Estaing ait un local, un secrétariat, quelques personnels, sa sécurité doit être assurée ;…

M. Michel Charasse. … il doit évidemment disposer de quelques moyens téléphoniques ; il faut régler le problème de ses déplacements et de ses voyages, car il sera invité dans le monde entier.

C’est ainsi que j’ai élaboré, à la demande du président Mitterrand, une note d’instruction qu’il a signée pour le Premier ministre, tous ces moyens devant être pris en charge par Matignon, puisque l’Élysée ne dispose pas d’un budget pour cela. Depuis cette époque, chers amis, on fonctionne de cette manière.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !

M. Michel Charasse. Je peux entrer dans les détails, mais cela n’aurait aucun intérêt dans la mesure où il s’agit de moyens raisonnables et assez limités, notamment en personnels.

La note précise, par exemple, le nombre de fonctionnaires de catégorie A, B et C employés – vous pouvez me faire confiance, c’est moi qui l’ai rédigée pour qu’il n’y ait pas d’abus – et donne notamment l’ordre aux compagnies de transport françaises d’assurer la gratuité absolue des voyages pour les anciens Présidents de la République et un accompagnateur.

Nous avions même réglé du même coup, peut-être Robert Badinter s’en souvient-il, car le président Mitterrand lui en avait parlé, la question de la place de l’ancien Président de la République dans le protocole de la République, avant la refonte du décret de 1907.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ah !

M. Michel Charasse. Le président Mitterrand avait décidé que, quand le président assistait à une cérémonie officielle en qualité d’ancien Président de la République, il prenait rang aussitôt après les présidents des assemblées. C’est ce qui a été confirmé par la suite dans le décret que vous trouverez dans Les pouvoirs publics et qui a refondu le décret de 1907.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est très bien !

M. Michel Charasse. L’affaire a été réglée ainsi.

Pour le président Giscard d’Estaing, cela n’a posé aucun problème. Pour le président Chirac, cela n’a posé aucun problème non plus, ni pour le président Mitterrand.

J’ajoute que, en ce qui concerne les locaux, le président Mitterrand avait dit que les anciens présidents auraient le choix entre un appartement de fonction, comme les anciens présidents de la IVe République, un local de secrétariat ou un local mixte bureaux-appartement. Les présidents Giscard d’Estaing et Chirac ont choisi un local de secrétariat. Le président Mitterrand avait choisi un local mixte – appartement et bureaux.

Je crois que les choses fonctionnent bien ainsi. J’ajoute que, si on doit tout réglementer en détail, il faudra aller jusqu’à s’occuper de la question de la situation des veuves des anciens présidents.

Je peux dire simplement, sans dévoiler de secrets touchant à la situation intime des personnes, que le président Mitterrand a toujours apporté une très grande attention au sort personnel et matériel de Claude Pompidou.

M. Henri de Raincourt. Et il a eu raison !

M. Michel Charasse. Il l’a fait en prélevant sur sa dotation et sa cassette personnelles, lorsque la veuve de Georges Pompidou a traversé des moments assez difficiles. Ainsi, elle bénéficiait d’un logement de fonction entretenu par l’État et de personnels de service pris en charge par le président Mitterrand.

Donc, si on entre dans cette voie, il faudra réglementer tout le reste, étant entendu que les épouses et veuves ont droit également à une voiture, à un chauffeur et à une sécurité, même si elles n’ont pas droit à un secrétariat ou à quoi que ce soit d’autre.

Par conséquent, je n’ai repris cet amendement que pour mieux pouvoir signaler que la précision qu’il vise à introduire n’a pas sa place, à mon avis, dans la Constitution, même si je comprends bien les intentions de M. Gélard.

Voilà la raison pour laquelle je retire cet amendement. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Merci, monsieur Charasse !

M. le président. L'amendement n° 78 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l'article 2, modifié.

(L'article 2 est adopté.)

Article 2
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 3

Articles additionnels après l'article 2

M. le président. L'amendement n° 168, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La dernière phrase du premier alinéa de l'article 7 de la Constitution est ainsi rédigée :

« Seuls peuvent s'y présenter les candidats ayant recueilli plus de 10 % des suffrages exprimés. »

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Par cet amendement, qui a été présenté à l’Assemblée nationale et que je trouve intéressant, nous nous plaçons dans le cadre des institutions actuelles dont je n’oublie pas que vous ne souhaitez pas qu’elles évoluent en profondeur.

Cet amendement tend à renforcer le pluralisme dans le cadre de l’élection présidentielle, donc à diminuer le bipartisme et la « peoplelisation » des campagnes électorales que nous connaissons à l’heure actuelle.

Cela va tout à fait dans le sens de ce que nous défendons, vous l’avez compris.

Je considère que la diversité n’est pas un risque en général, et elle ne l’est pas en politique. Elle est une source d’enrichissement et de progrès. À l’évidence, un présidentialisme assis sur un système bipartite ne peut que générer une sclérose du système politique.

D’ailleurs, la crise politique et sociale que traversent de nombreux pays européens doit beaucoup au choix du bipartisme.

Donc, permettre à plusieurs candidats de se maintenir au second tour, dès lors qu’ils ont dépassé le seuil des 10 %, permettrait sans doute de revivifier notre démocratie, et nous aurait évité le désastre de 2002.

Je maintiens notre position de fond, mais je m’inscris ici dans le cadre des institutions telles qu’elles existent actuellement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nos collègues communistes continuent dans leur logique, ce qui est tout à fait normal.

Ils nous présenteront d’ailleurs, par la suite, d’autres amendements qui sont du même…

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Tabac ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pas de propagande pour le tabac dans notre hémicycle ! (Sourires.)

M. Robert Bret. De la même inspiration ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … de la même inspiration, en effet ! (Nouveaux sourires.)

Nos collègues communistes prévoient d’autoriser tous les candidats ayant obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour de l’élection présidentielle à se maintenir au second tour.

Cependant, nous préférons le système actuel, qui consiste en un choix clair entre les deux premiers candidats, ce que permet le droit en vigueur.

La commission est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. L’adoption d’une telle disposition aurait pour conséquence de brouiller totalement le second tour du scrutin.

Le Président de la République doit avoir une forte légitimité et être élu par la majorité des Français.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut que cette majorité existe !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. C’est tout l’intérêt du mode de scrutin actuel et de ses modalités.

S’il y a plusieurs candidats au second tour, ils risquent d’être élus à une majorité relative. Cela dépendra en plus du nombre de candidats.

La légitimité du Président de la République serait donc affaiblie.

M. Michel Charasse. Une perte d’autorité ne serait sûrement pas bonne pour la France !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Ce serait effectivement préjudiciable pour notre présence au plan international.

Nous souhaitons donc que le Président de la République reste élu par plus de 50 % des Français.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 168.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 169, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La première phrase du premier alinéa de l'article 8 de la Constitution est ainsi rédigée :

« Le Président de la République soumet à l'approbation de l'Assemblée nationale la nomination du Premier ministre. »

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement a été défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est un retour à un strict régime parlementaire. Avis défavorable !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le choix du Premier ministre relève aujourd’hui du pouvoir propre du Président de la République. Sous la Ve République, l’exécutif est représenté par le Président de la République et le Premier ministre. Dans ce tandem, il est capital que le Président de la République puisse choisir la personnalité à qui il confie le soin de diriger l’action du Gouvernement.

Donc, soumettre cette nomination à l’approbation de l’Assemblée nationale, c’est modifier totalement l’équilibre de nos institutions et l’esprit même de la Ve République.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Par conséquent, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 169.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 167, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans l'article 9 de la Constitution, les mots : « Président de la République » sont remplacés par les mots : « Premier Ministre ».

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sans vouloir vous infliger de longs développements sur chaque amendement, je veux néanmoins marquer de façon claire que nous sommes pour un régime parlementaire, ce que vous avez sans doute d’ores et déjà compris. Cet amendement s’inscrit donc dans la même logique que les précédents.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cet amendement affecterait notre équilibre institutionnel.

Par ailleurs, je ne vois pas très bien de quelle manière il s’inscrit dans la logique de ceux qui ont été précédemment défendus par nos collègues du groupe CRC.

En effet, le principe de la présidence du conseil des ministres par le Président de la République a été posé dès 1875, et il a été repris, depuis, dans chaque Constitution. Ce principe illustre l’unité du pouvoir exécutif, même lorsque celui-ci s’incarne en deux pôles. De toute façon, c’était la plupart du temps la caractéristique même des régimes parlementaires, le Président de la République assurant alors l’équilibre des institutions.

Donc, après avoir relevé cette légère contradiction avec les autres amendements déposés par le groupe CRC, la commission a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Défavorable !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 167.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Articles additionnels après l'article 2
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 3 bis

Article 3

M. le président. L’article 3 a été supprimé par l'Assemblée nationale.

L'amendement n° 308, présenté par M. Lambert, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

L'article 8 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le nombre des membres du Gouvernement ne peut être supérieur à celui des missions prévues par le budget de l'État, dans des conditions fixées par une loi organique. »

Cet amendement n’est pas soutenu. L’article 3 demeure donc supprimé.

Article 3
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Mise au point au sujet d'un vote (début)

Article 3 bis

Après le deuxième alinéa de l'article 11 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. La régularité de l'initiative, qui prend la forme d'une proposition de loi et qui ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an, est contrôlée par le Conseil constitutionnel dans des conditions fixées par une loi organique. Si la proposition n'a pas été examinée par les deux assemblées parlementaires dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République soumet la proposition au référendum. »

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, chers collègues, cet article concerne la question du référendum d’initiative citoyenne qui, vous le savez, est très cher aux Verts.

Nous devrions être satisfaits de l’introduction d’une telle procédure. Mais il faut admettre que, dans la réalité, nous sommes très loin d’un référendum d’initiative citoyenne véritable.

En effet, cet article prévoit un référendum d’initiative parlementaire, avec un substrat citoyen, en d’autres termes, un référendum à la croisée des chemins, plus parlementaire que citoyen ! Il faut appeler un chat un chat, car, dans cette proposition, il n’y a plus rien de citoyen. En réalité, ce moyen appartiendra à la majorité parlementaire.

Je comprends parfaitement que cette procédure doit être encadrée, mais il n’y a pas de raison d’encadrer l’initiative elle-même.

Les parlementaires doivent recueillir la proposition avec toute la bienveillance qu’elle mérite, sans préjuger de la capacité du peuple de fournir une source précieuse de réflexion. Ils ne se font que le porte-parole des citoyens jusque dans cet hémicycle, rien de plus.

Toutefois, il semble important de délimiter ensuite le champ de ce référendum.

D’une part, il ne doit pas remettre en cause les acquis en matière de protection des droits ou des libertés fondamentales. Ainsi, il n’est pas concevable qu’un tel référendum, sur l’initiative d’un groupe réactionnaire, extrémiste, puisse remettre en cause certains droits, tels que les droits sociaux ou peut-être tout simplement le droit d’entrée et de séjour des étrangers.

D’autre part, il faut distinguer entre les niveaux local et national. En effet, au niveau national, cette pratique me semble très dangereuse. C’est une arme entre les mains d’un mouvement populiste qui peut l’utiliser pendant la campagne en attisant les haines et en créant des peurs.

Il ne doit pas être un outil démagogique à disposition d’une fraction de la population pour imposer des conceptions liberticides contraires à notre République.

J’espère donc que le système qui nous est proposé sera nettement amélioré au cours de ce débat afin de donner plus de place aux citoyens, en encadrant toute velléité liberticide.

M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L’amendement n° 255 rectifié est présenté par MM. Gouteyron et Gournac.

L’amendement n° 263 rectifié est présenté par MM. Détraigne, Merceron, Nogrix, Badré et Biwer, Mmes Férat et Gourault, MM. Dubois, C. Gaudin, Jégou et Zocchetto.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Alain Gournac, pour présenter l'amendement n° 255 rectifié.

M. Alain Gournac. M. Adrien Gouteyron et moi-même sommes opposés à l’article 3 bis, introduit par voie d’amendement à l’Assemblée nationale, qui prévoit un référendum d’initiative populaire.

D’abord, nous voulons supprimer un dispositif complexe, porteur de risques de dérives démagogiques.

L’idée est vieille de plus de deux siècles. Rousseau décrivait la façon dont elle était appliquée en son temps dans les cantons suisses, où la votation existe aujourd’hui encore. Or il s’agit ici d’organiser un référendum non pas dans un canton de quelques dizaines ou centaines de milliers d’habitants, mais à l’échelle d’un pays, dans la République tout entière, ce qui est très différent. Nous réfutons donc l’argument de ceux qui nous disent que cela fonctionne en Suisse, et je ne critique pas du tout la Suisse en disant cela.

Si cette mesure était définitivement adoptée, les pétitions se multiplieraient dans un premier temps, et, comme le dispositif est complexe, les dérives ne tarderaient pas à se multiplier.

Certains ont fait valoir qu’il sera très difficile de réunir quatre millions de signatures. Or, aujourd'hui, avec Internet, avec les nouveaux moyens de communication, ces quatre millions de signatures seront facilement réunis, et dans un délai très court.

Enfin, les référendums d’initiative populaire porteront sur des sujets de société graves. Par le passé, un de ces référendums aurait ainsi pu être organisé pour rétablir la peine de mort ou pour instaurer l’ « immigration zéro », au plus fort du populisme. Pourra-t-on empêcher qu’un référendum ne soit organisé sur telle ou telle question de société, malgré le délai d’un an ?

On tente de nous rassurer en invoquant le nombre de signatures à réunir, le délai. Mais si ces garanties sont autant d’obstacles insurmontables, pourquoi alors prévoir la possibilité d’un tel référendum ?

Pour ces raisons, Adrien Gouteyron et moi-même vous demandons de supprimer cet article 3 bis.

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour présenter l'amendement n° 263 rectifié.

M. Yves Détraigne. Je souscris totalement aux arguments qu’a avancés M. Gournac.

J’ai également entendu certains arguer du fait que réunir les signatures d’un dixième des électeurs sera impossible. C’est faux, avec la légalisation de la signature électronique, cela devient tout à fait possible.

Ce référendum est effectivement la porte ouverte au populisme, mais aussi à la contestation des décisions prises par la représentation nationale. Pour initier une telle opération, il suffirait de 180 à 200 parlementaires. Supposons que ces parlementaires minoritaires contestent la loi de la majorité ; ils mettent en route la procédure, réunissent sans aucune difficulté par Internet les signatures d’un dixième de l’électorat. Dès lors, à quoi sert le Parlement ? Il n’y a plus de loi de la majorité !

C’est la porte ouverte à la démagogie et l’on peut être sûr que les extrémistes, d’une manière ou d’une autre, sauront se saisir de la possibilité ainsi offerte de faire valoir leurs idées.

Je suis totalement opposé, comme MM. Gouteyron et Gournac, et comme les cosignataires de l’amendement n° 263 rectifié, à ce référendum d’initiative mi-parlementaire mi-populaire.

M. le président. L’amendement n° 68 rectifié, présenté par MM. Portelli, Gélard, Lecerf et Béteille, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article :

Après le deuxième alinéa de l’article 11 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un million d’électeurs inscrits sur les listes électorales. La régularité de l’initiative, qui prend la forme d’une proposition de loi, est contrôlée par le Conseil constitutionnel dans des conditions fixées par une loi organique. Si la proposition n’a pas fait l’objet d’un projet ou une proposition de loi adopté par les deux assemblées dans les six mois qui suivent sa validation par le Conseil constitutionnel, elle est soumise au référendum par le Président de la République. La proposition soumise au référendum est approuvée si la majorité des électeurs inscrits a participé au scrutin et si la majorité des suffrages exprimés a été atteinte. »

La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. À la demande d’Hugues Portelli, je défendrai cet amendement qu’il a rédigé.

Notre collègue partait d’un quadruple constat portant sur l’utilisation très limitée du référendum sous la Ve République.

Tout d’abord, cette procédure a été limitée dans son domaine. En cinquante ans, un seul véritable référendum constituant a été organisé en application de l’article 89 et, dans le domaine législatif, on ne relève qu’un référendum tous les six ans environ.

Ensuite, la maîtrise de cette procédure appartient au chef de l’État de A jusqu’à Z. Son usage peut également être biaisé par une dérive plébiscitaire qui peut être volontaire – lorsque le chef de l’État a engagé son destin sur le succès ou l’échec du référendum – ou involontaire – puisque l’électorat répond fréquemment à une question différente de la question posée…

M. Jean-René Lecerf. … ou, plus vraisemblablement, en fonction de la confiance qu’il accorde ou qu’il n’accorde plus à l’auteur de la question.

Un autre biais peut être introduit par ce qu’Hugues Portelli appelle les référendums « post-constituants », comme ceux de 1992 ou 2005, qui ont placé le constituant en porte-à-faux. On sait bien que la révision constitutionnelle votée en 2005 n’a pas pu trouver d’application en raison de l’expression de la volonté du peuple français.

Les référendums peuvent également avoir pour but d’aller à l’encontre de jurisprudences du Conseil constitutionnel ; ce fut le cas, par exemple, du référendum sur la Nouvelle-Calédonie, en 1988.

Enfin, les référendums peuvent être inutiles. Hugues Portelli en donne deux exemples : d’une part, les référendums prévus par la révision de 2005 s’avèrent impraticables parce qu’ils nous obligeraient à voter sur l’adhésion à l’Union européenne d’États comme la Suisse ou la Norvège ; d’autre part, les dispositions introduites par la révision de 1995, sur l’extension des cas d’usage du référendum de l’article 11, n’ont pas été mises en œuvre jusqu’à présent, alors que les occasions ne manquaient pas !

Notre collègue Portelli estime donc que la réforme qui nous est proposée aujourd’hui est un trompe-l’œil : elle instaure un faux référendum d’initiative populaire – réservé en fait aux seuls grands partis parlementaires – qui risque de ne jamais être utilisé, car le texte qui nous est soumis prévoit l’examen de la proposition par les deux assemblées parlementaires. Que signifie « examen » ? Faudra-t-il que la proposition soit inscrite à l’ordre du jour ou suffira-t-il qu’une assemblée décide qu’une commission se charge d’y jeter un coup d’œil ?

C’est la raison pour laquelle Hugues Portelli et les cosignataires de cet amendement proposent un authentique référendum d’initiative populaire. Leur formule paraît résister à toute objection doctrinale, l’article 3 de la Constitution prévoyant que la souveraineté nationale « appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Elle échappe également à toute objection politique, puisque l’argument du populisme qui lui est parfois opposé peut également être invoqué à l’encontre des dispositions actuellement en vigueur, en raison de la dérive plébiscitaire que j’évoquais à l’instant.

Ce référendum d’initiative populaire offre également une solution de rechange à l’initiative des pouvoirs publics : lorsque le référendum répond à une initiative du Président de la République, l’électeur peut être tenté de répondre en fonction de la confiance portée au Président et non en fonction de la question posée ; avec le référendum d’initiative populaire tel que nous le proposons, il sera obligé de répondre à la question posée puisque l’initiative viendra directement du corps électoral.

Par ailleurs, ce référendum permet de faire obstacle au référendum automatique, dangereux et inutile, prévu par l’article 88-5 de la Constitution et permettrait, le cas échéant, de se prononcer sur l’entrée dans l’Union européenne de quelque État que ce soit.

Enfin, les dispositions que nous défendons prévoient un double verrouillage, quant à l’objet du référendum – l’initiative est contrôlée par le Conseil constitutionnel et l’article 11 exclut déjà tout référendum dans le domaine des libertés fondamentales ainsi que sur le rétablissement de la peine de mort – et quant à la procédure – le Conseil constitutionnel exerce un contrôle a priori et un quorum est exigé. En effet, le résultat du référendum ne peut être validé que si une majorité des électeurs inscrits a participé au scrutin.

Tels sont les éléments que souhaitait développer Hugues Portelli, qui vous prie d’excuser son absence, car il pensait que l’examen de cet amendement interviendrait plus tôt dans la matinée.

M. le président. L’amendement n° 98, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article :

L’article 11 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « ou sociale » sont remplacés par les mots : «, sociale ou environnementale » ;

2° Après le deuxième alinéa, sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :

« Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an.

« Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.

« Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum. »

3° Au dernier alinéa, après le mot : « projet », sont insérés les mots : « ou de la proposition ».

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’amendement de la commission des lois entérine le dispositif adopté par l’Assemblée nationale sur le référendum que je qualifierais d’« initiative parlementaire appuyée par un certain nombre de citoyens ». C’est là la principale différence avec le dispositif que suggère notre excellent collègue Portelli, qui connaît très bien le référendum à l’italienne.

Nous avons amélioré la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale. Nous souhaitons en effet préciser que la loi organique prévue pour fixer les modalités du contrôle de l’initiative populaire par le Conseil constitutionnel fixe également les conditions de présentation de cette initiative. On pourrait, par exemple, prévoir qu’une telle initiative ne peut être présentée dans l’année précédant une élection présidentielle.

Je rappelle également qu’on ne peut pas proposer un référendum dans un autre domaine que celui qui est prévu par l’article 11 de la Constitution. On évoque parfois l’éventualité d’un référendum sur le rétablissement de la peine de mort : c’est totalement impossible ! D’abord, parce que la Constitution l’exclut désormais, ensuite parce que nous sommes tenus par des conventions internationales. Face à une proposition de référendum de cette nature, le Conseil constitutionnel, statuant a priori, ne pourrait que rendre une décision négative.

Nous prévoyons également de valider les modifications adoptées par l’Assemblée nationale à l’article 11 de la Constitution, mais en les regroupant au sein de l’article 3 bis du projet de loi.

Cet amendement reprend donc le dispositif de l’article 3 ter, qui étend le champ des référendums législatifs aux réformes relatives à la politique environnementale de la Nation, et celui de l’article 3 quater, qui effectue une coordination.

En conséquence, nous proposerons de supprimer ces deux articles.

M. le président. Mes chers collègues, à cette heure, nous allons interrompre nos travaux.

Je vous rappelle que l’article 13 sera appelé en priorité à la reprise de la séance. Ce n’est qu’ensuite que nous poursuivrons la discussion de l’article 3 bis.

Mise au point au sujet d’un vote

Article 3 bis
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Mise au point au sujet d'un vote (interruption de la discussion)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, à l’occasion du vote de l’amendement n° 420 présenté par notre groupe sur le droit de vote et l’éligibilité des étrangers aux élections locales, notre collègue Pierre-Yves Collombat a été porté comme ayant voté pour, alors qu’il souhaitait voter contre. Je vous remercie donc, monsieur le président, de bien vouloir faire procéder à cette rectification.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue.

Mise au point au sujet d'un vote (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Discussion générale

6

Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire

M. le président. Je rappelle que la commission des finances a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Jean-Jacques Jégou membre du comité de surveillance de la Caisse d’amortissement de la dette sociale.

Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est reprise.

7

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire bulgare

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir et l’honneur de saluer la présence dans notre tribune officielle d’une délégation de parlementaires bulgares, membres du groupe d’amitié Bulgarie-France, reçue conjointement en France par le groupe interparlementaire d’amitié de l’Assemblée nationale et par celui du Sénat présidé par notre collègue M. Jean-François Picheral.

Cette visite confirme les excellentes relations existant entre nos parlements, et particulièrement avec le Sénat français. Je forme des vœux pour qu’elle contribue au renforcement des liens d’amitié qui unissent notre pays à un pays membre de l’Union européenne et de la francophonie. Soyez les bienvenus ! (M. le ministre de la défense, M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

8

Mise au point au sujet d'un vote (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Organisation de la discussion des articles

Modernisation des institutions de la Ve République

Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République.

Organisation de la discussion des articles

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 13 (priorité)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, je souhaiterais un éclaircissement sur l’organisation de nos travaux.

M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement a proposé hier au Sénat l’examen par priorité, d’une part, de l’article 13 cet après-midi et, d’autre part, de l’article 11 et des amendements portant articles additionnels après l’article 11 ce soir, après la suspension de séance.

L’ordre de nos travaux a donc été modifié pour permettre au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique d’être présent ce soir pour la discussion des amendements financiers portant sur l’article 11. Cette démarche me semble saine : si nous pouvons faciliter l’organisation du travail des ministres, nous n’avons aucune raison de nous y opposer.

Je voudrais cependant faire remarquer que le président de la commission des lois avait proposé, au vu du nombre important d’amendements déposés, d’examiner l’article 11 par divisions, proposition qui avait recueilli l’assentiment de tous les groupes politiques.

Je souhaiterais donc obtenir des précisions quant au dérouleur de séance qui nous a été distribué. Je ne doute pas que le service de la séance ait fait remarquablement son travail, comme à son habitude.

M. le président. Merci, mon cher collègue !

M. Michel Charasse. Les socialistes ont toujours défendu les travailleurs !

M. Bernard Frimat. J’aimerais néanmoins m’assurer que seuls les amendements financiers, et non l’ensemble des amendements, déposés sur l’article 11 et nécessitant la présence de M. Éric Woerth seront examinés ce soir, et que le déroulement normal de l’examen des articles reprendra ensuite.

Autant il me semble sain de faciliter l’organisation du travail des ministres, autant il me paraît logique d’examiner le texte dans sa continuité afin d’éviter des allers et retours entre les articles, ce qui serait le cas si nous discutions de l’ensemble de l’article 11 avant les articles précédents.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, afin de répondre aux préoccupations légitimes qui portent sur l’examen groupé des amendements relatifs aux mêmes domaines, je voudrais apporter des précisions quant à la demande de priorité que j’ai formulée hier.

Le Gouvernement souhaite que les amendements portant articles additionnels après l’article 14 puissent être examinés avant l’article 11, et que, au sein de l’article 11, puissent être appelés prioritairement les amendements qui portent tous sur des questions financières et budgétaires : il s’agit des amendements nos 302 rectifié, 312 rectifié, 451, 301 rectifié, 447, 388 rectifié bis, 18 rectifié bis, 190, 449, 108 rectifié, 85, 309 rectifié, 277 rectifié, 401, 19 rectifié bis et 380 rectifié bis.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. C’est bien ce dont nous étions convenus, mais il était bon d’indiquer précisément les numéros des amendements qui seront examinés par priorité. En effet, à la lecture du dérouleur de séance, on aurait pu croire que tous les amendements portant sur l’article 11 seraient examinés ce soir. Nous reprendrons ensuite l’ordre normal de discussion du texte.

M. le président. Mes chers collègues, un nouveau dérouleur de séance tenant compte des précisions apportées par M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement va vous être distribué.

Je vous rappelle que, dans la suite de la discussion des articles, nous avons décidé d’examiner par priorité l’article 13.

Organisation de la discussion des articles
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 3 bis

Article 13 (priorité)

L'article 35 de la Constitution est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« Le Gouvernement informe le Parlement des interventions des forces armées à l'étranger dans les trois jours. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n'est suivi d'aucun vote.

« Lorsque la durée de l'intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l'autorisation du Parlement. En cas de refus du Sénat, le Gouvernement peut demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement sur la prolongation de l'intervention.

« Si le Parlement n'est pas en session à l'expiration du délai de quatre mois, il se prononce à l'ouverture de la session suivante. »

M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud, sur l'article.

M. Didier Boulaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’Etat, mes chers collègues, je souhaite vivement que cet article 13 contribue à figer dans le marbre de notre Constitution une véritable avancée en matière de droits du Parlement.

Depuis très longtemps, les parlementaires socialistes se sont élevés contre le véritable ostracisme dans lequel une certaine pratique de la Constitution de la Ve République place le Parlement dès qu’il s’agit de politique étrangère et de politique de défense.

J’ai en tête les propositions de loi déposées, notamment à l’Assemblée nationale, depuis 1999 et malheureusement abandonnées en chemin, qui étaient destinées à instaurer un contrôle parlementaire sur les opérations extérieures et sur les accords de défense.

Aujourd’hui, la donne est en train de changer. Un relatif consensus semble se dessiner. Il serait donc possible de briser au moins un coin du « domaine réservé ». Nous nous en réjouissons, mais nous ne souhaitons pas nous arrêter en si bon chemin : d’autres débats sur la politique étrangère et la politique de défense nous donneront l’occasion de vous proposer de nouvelles avancées législatives pour en finir avec ce domaine réservé si funeste à la vie politique nationale.

Nous voulons que ce projet de loi constitutionnelle apporte des changements significatifs au rôle du Parlement en matière de politique étrangère, ainsi que sur les questions de défense et de sécurité.

Il faut procéder à l’aggiornamento de nos politiques et de nos institutions qui sont, d’une part, trop marquées par les conséquences de la guerre froide et par les fantômes des confrontations disparues, et, d’autre part, caractérisées par une certaine méfiance, qui n’a pas lieu d’être, à l’égard du Parlement et des parlementaires.

Ainsi, nous avons été agréablement surpris d’entendre le Président de la République expliquer, le 17 juin 2008, qu’il a proposé « dans la révision constitutionnelle qui est en cours d’examen, d’associer de façon transparente le Parlement aux décisions sur les opérations extérieures ».

Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, je vous invite à prêter attention aux termes qu’il a utilisés. Nous ne sommes plus là dans l’information, dans la communication, dans les messages adressés au Parlement. Nous devons être associés aux décisions. Nous répondons : « Chiche ! ». Nos amendements vont dans cette direction ; si vous suivez les vœux du Président, vous ne pouvez que les adopter.

Revenons donc à cet article 13 qui, sous sa forme actuelle, est perfectible.

L’article 13 tend à assurer un droit à « l’information » du Parlement. C’est bien, mais c’est peu. Nous demandons qu’un vote puisse suivre l’information et le débat sur l’intervention des forces armées à l’extérieur. J’y reviendrai au moment de la discussion de l’amendement n° 457.

Il est nécessaire aussi de réunir le Parlement en session extraordinaire si les circonstances l’exigent. On ne peut pas envisager que, en cas de crise grave nécessitant l’envoi des troupes, le Parlement n’ait pas l’occasion de s’exprimer parce qu’il n’est pas en session.

Lors de la guerre du Golfe, en 1991, le Parlement avait été convoqué en session extraordinaire et, après la lecture du message du Président de la République, il s’était prononcé par un vote, organisé selon les modalités propres à chaque chambre, sur une déclaration de politique générale relative à la participation de la France à ce conflit.

Par ailleurs, l’article 13 prévoit que « lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement ». C’est bien, mais nous souhaitons une précision supplémentaire : au-delà des quatre premiers mois, la poursuite des opérations doit également être régulièrement autorisée par le Parlement. Je reviendrai sur ce point dans quelques instants en présentant un amendement.

Je souhaite insister sur un autre point très important : il s’agit de la nécessaire information du Parlement sur le contenu des accords de défense et de coopération militaire.

Le 28 février dernier, le Président de la République, lors de son intervention devant le Parlement sud-africain, a affirmé que les accords de défense entre la France et les pays africains seraient intégralement publiés.

Puis, voilà quelques jours, à l’occasion de sa présentation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, il est allé encore plus loin, en affirmant ceci : « J’ai décidé de rendre publics tous nos accords de défense. » Il a bien dit : « tous nos accords ». Aussi, nous prenons acte de cette promesse et allons lui donner – une fois n’est pas coutume – la possibilité de la tenir.

En effet, il nous semble opportun d’inscrire ce souhait présidentiel de transparence dans la Constitution, en permettant au Gouvernement de tenir le Parlement informé du contenu de tous les accords de défense et de coopération militaire. Bien entendu, cela n’interdit pas de prendre ensuite toutes les précautions nécessaires pour que l’information du Parlement se déroule dans des conditions respectueuses du principe de confidentialité. Là encore, je reviendrai sur le sujet en défendant un amendement.

M. le président. Je suis saisi de seize amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 193 rectifié, présenté par Mme Demessine, MM. Bret, Hue et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article :

L'article 35 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 35. - Toute intervention des forces armées à l'extérieur du territoire de la République est autorisée par le Parlement, au besoin après convocation d'une session extraordinaire. »

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, cet amendement vise à donner au Parlement un réel pouvoir de décision pour toute intervention de nos forces armées à l’étranger.

Comme nous le savons, selon la Constitution de la Ve République, et en vertu de dispositions qui datent de la guerre froide, nos assemblées ne sauraient être concernées par de telles opérations, puisque le Parlement n’est amené à se prononcer qu’en cas de déclaration de guerre.

Si le sujet n’était pas aussi grave, l’idée de déclarer officiellement la guerre dans des conflits d’une complexité sans commune mesure avec ceux d’hier pourrait certainement prêter à sourire. Mais cette disposition obsolète crée une situation dans laquelle la décision finale d’envoi de nos troupes est du seul ressort du Président de la République, en sa qualité de chef des armées.

En vertu d’une telle pratique, qui tient d’ailleurs plus – il faut le souligner – de la coutume que de nos institutions proprement dites, les affaires étrangères et la défense constituent le « domaine réservé » du Président de la République. Cela ne correspond plus aux réalités et aux exigences de notre époque.

Nous souhaitons donc que le Parlement soit amené à se prononcer, par un débat suivi d’un vote, sur l’opportunité d’une intervention à l’étranger et qu’il autorise le Gouvernement à la mener. Pourquoi se limiter à solliciter l’autorisation du Parlement seulement quatre mois après le début d’une intervention ?

C’est d’ailleurs ce que demande, sans fixer le délai, un groupe d’officiers généraux et supérieurs des trois armées qui critique le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale dans Le Figaro d’aujourd'hui. Ces officiers regrettent notamment l’opacité des choix d’intervention, « ne donnant lieu à aucun débat, notamment parlementaire ».

Monsieur le ministre, c’est donc au nom de la France, et forte de l’adhésion des représentants du peuple, que la décision doit être prise.

Certes, il faut s’entendre sur le terme « intervention ». Il ne s’agit pas que le Parlement se prononce sur tous les types d’interventions, notamment les opérations humanitaires, celles qui auraient un caractère d’extrême urgence, comme la protection de nos ressortissants, celles qui nécessitent confidentialité et rapidité pour être efficaces ou encore celles qui entrent dans le cadre d’exercices à l’étranger. Nous excluons également les interventions d’urgence décidées en application de l’article 51 de la Charte des Nations unies, relatif à l’invasion d’un pays.

En revanche, lorsqu’il s’agit de l’envoi de militaires en corps constitués à des fins opérationnelles, qui peuvent donc comprendre des combats dans des situations politiques souvent complexes et dans un cadre international avec un mandat, nous pensons que les élus du peuple doivent prendre leurs responsabilités et se prononcer.

Vous prévoyez de consulter le Parlement au bout de six mois. N’est-il pas préférable de l’avoir associé à la décision initiale, plutôt que de le placer devant le fait accompli ?

Vous l’aurez compris, alors que l’Assemblée nationale a réduit à quatre mois le délai au terme duquel le Parlement autorise la prolongation d’une intervention de nos forces armées à l’étranger, nous souhaitons, pour notre part, que la représentation nationale soit associée dès le départ à la prise de décision.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 110 est présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois.

L'amendement n° 139 est présenté par M. de Rohan, au nom de la commission des affaires étrangères.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Rédiger comme suit la première phrase du deuxième alinéa de cet article :

Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l'étranger, au plus tard trois jours après le début de l'intervention. 

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 110.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il existe une incertitude sur le point de départ du délai de trois jours mentionné à l’article 13.

Ce délai commence-t-il au moment où la décision d’intervenir est prise ? Mais, comme l’avait observé le chef d’état-major des armées, le général Jean-Louis Georgelin, lors de son audition par la commission, le processus de décision complexe, qui peut impliquer des autorités nationales et internationales, ne permet pas toujours d’arrêter précisément la date à laquelle la décision est prise.

S’agit-il de la date de début de l’intervention ? Dans la mesure où celle-ci peut être connue avec précision, votre commission vous propose de la prendre pour référence comme point de départ du délai de trois jours, tout en permettant que l’information puisse être donnée plus tôt si le Gouvernement le juge possible.

Ainsi, le Parlement serait informé au plus tard trois jours après le début de l’intervention.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement n° 139.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur pour avis. L’introduction dans la Constitution d’une procédure d’information et de contrôle du Parlement sur les interventions des forces armées à l’étranger constitue une importante nouveauté.

D’ailleurs, le Sénat avait joué un rôle précurseur dans ce domaine, puisque notre regretté collègue Jean Lecanuet avait déposé une proposition de loi constitutionnelle sur le sujet dès 1991.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. C’est vrai !

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Tel qu’il a été modifié par l’Assemblée nationale, le dispositif proposé me paraît satisfaisant.

En effet, il préserve l’équilibre entre la nécessité d’associer le Parlement et celle ne pas empiéter sur les prérogatives de l’exécutif, afin de ne pas nuire à l’efficacité des interventions de nos forces armées et à la sécurité de nos militaires.

Toutefois, le texte soulève encore quelques interrogations.

Ainsi, la notion d’« interventions des forces armées à l’étranger » reste à préciser. Cela comprend-il, par exemple, les officiers affectés dans les états-majors internationaux ou les interventions à caractère humanitaire ?

Par ailleurs, certaines opérations ne concernent que quelques militaires, comme la mission d’observation de l’ONU au Sinaï, alors que d’autres font appel à plusieurs centaines, voire à plusieurs milliers d’hommes, comme les opérations de l’OTAN au Kosovo ou en Afghanistan.

Monsieur le ministre, je voudrais donc vous interroger sur les critères qui permettent d’établir une distinction entre les interventions devant donner lieu à une information du Parlement et les autres.

D’ailleurs, si cela pouvait nous aider à mieux cerner le problème, nous pourrions éventuellement envisager la constitution d’un groupe de travail auquel participeraient les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des questions de défense, afin d’approfondir la question.

De même, le texte du projet de loi ne précise pas le point de départ du délai de trois jours pour l’information du Parlement. Est-ce la date de la décision prise par le pouvoir politique ou bien le jour à partir duquel les troupes sont engagées sur le terrain ?

Étant donné l’important décalage temporel qui est souvent constaté, par exemple pour l’opération EUFOR au Tchad et en République centrafricaine, une telle question n’est pas sans importance. Compte tenu de la complexité de la chaîne de décision, il est souvent difficile de définir précisément le point de départ d’une intervention. Peut-être pourriez-vous nous éclairer sur ce point, monsieur le ministre ?

M. le président. L'amendement n° 257 rectifié, présenté par Mme Demessine, MM. Bret, Hue et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit la dernière phrase du deuxième alinéa de cet article :

Cette information donne lieu à un débat suivi d'un vote, dans les conditions fixées par le règlement des assemblées, dans les deux semaines suivant le début de l'intervention.

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Notre amendement porte sur un article particulièrement important, qui concerne les conditions d’engagement de nos troupes dans des opérations à l’étranger.

Nous sommes l’un des rares pays européens dans lesquels le Parlement n’est ni informé ni consulté en cas d’intervention des armées à l’extérieur des frontières.

Ce sont pourtant des décisions d’une grande importance, puisqu’elles sont menées au nom de la France et qu’elles engagent souvent la vie des hommes et des femmes qui servent dans nos forces armées.

Or ce type de décision est pris en cercle restreint et, in fine, par un seul homme, le Président de la République.

À notre époque, où l’information circule vite, il n’est plus possible que la représentation nationale soit tenue à l’écart de décisions aussi graves.

En outre, de telles opérations se sont multipliées ces dernières années. Elles sont dangereuses – en tout cas, elles exposent la vie de nos hommes de troupe –, puisque nous avons perdu plusieurs dizaines d’hommes et que nous déplorons plusieurs centaines de blessés. Elles sont également de plus en plus longues et de plus en plus coûteuses. Comme vous venez de le confirmer, leur coût total s’élève à 880 millions d’euros pour l’année 2008, et il est estimé à un milliard d’euros pour l’année 2009.

Dans ces conditions, il semble tout à fait logique et démocratique de proposer un contrôle du Parlement sur l’emploi de nos forces à l’étranger, et pas seulement une information dans un délai donné.

En ce sens, vous proposez de timides avancées, par exemple en modifiant le rapport entre le Parlement et l’exécutif sur un sujet essentiel. Si vous avez vraiment la volonté de renforcer les pouvoirs du Parlement, nous vous proposons de passer effectivement à l’acte !

Vous prévoyez une information rapide sur les conditions et les objectifs de ces opérations extérieures. À mon sens, c’est la moindre des choses.

Le débat est aussi nécessaire pour que le pays, par ses représentants, puisse connaître les tenants et les aboutissants de chaque situation.

Mais, vous l’aurez compris, nous ne pouvons nous satisfaire d’une simple information. Inscrire dans la Constitution l’autorisation du Parlement, accordée par un vote, serait tout simplement la marque du respect du peuple français.

Pour être légitimes, les interventions de nos troupes à l’étranger ne peuvent se réaliser qu’avec le soutien de la nation. Comment peut-on imaginer mener de telles opérations contre l’opinion publique ou contre les forces politiques du pays ? Si l’opération est clairement exposée, en toute transparence, pourquoi douter de l’adhésion du pays ?

Ce sont les raisons pour lesquelles nous proposons, avec cet amendement, que le Parlement puisse voter sur l’opportunité d’une opération extérieure quinze jours après le début de l’intervention. Il s’agit, me semble-t-il, d’un délai raisonnable avant que la mise en place de nos troupes soit difficilement réversible.

M. le président. L'amendement n° 457, présenté par MM. Frimat, Boulaud, Badinter, Bel, Carrère, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit la dernière phrase du deuxième alinéa de cet article :

Cette information donne lieu à un débat qui peut être suivi d'un vote.

La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Cet amendement a pour objet d’inscrire dans le texte même de la Constitution que l’information – elle sera donc désormais obligatoire – des assemblées parlementaires par le Gouvernement de l’intervention des forces armées à l’étranger peut donner lieu à un débat éventuellement suivi d’un vote.

À plusieurs reprises, l’engagement de la France dans des opérations militaires d’importance a fait l’objet de déclarations gouvernementales suivies d’un débat, mais le Parlement n’a pu s’exprimer qu’une seule fois, à l’occasion de l’intervention des forces françaises en Irak, au mois de janvier 1991.

Cet amendement tend donc à réparer une faille structurelle dans le dispositif adopté par l’Assemblée nationale. Selon nous, assurer un droit à « l’information » du Parlement, c’est un peu court quand il s’agit d’exercer un rôle de contrôle parlementaire un tant soit peu efficace.

Un tel contrôle doit s’exercer en prenant en compte les remarques effectuées par les responsables opérationnels des interventions extérieures, s’agissant notamment des aspects tactiques. Il doit également préserver l’équilibre entre deux nécessités : d’une part, celle d’associer le mieux possible le Parlement et, d’autre part, celle de ne pas empiéter sur les prérogatives de l’exécutif, sans recréer toutefois un « domaine réservé » rénové. En outre, et nous en sommes naturellement pleinement conscients, le dispositif que nous adopterons ne doit pas nuire à l’efficacité des interventions militaires.

Selon nous, la nécessaire information du Parlement sur les opérations extérieures peut être soumise à un vote dès l’engagement de nos troupes. Il faut considérer que, devant les graves matières concernant la guerre et la paix, le Parlement saura prendre ses responsabilités.

Le Parlement sera consulté et il devra donner son autorisation au bout de quelques mois. Dès lors, pourquoi ne pas l’associer à la décision initiale, plutôt que de le placer devant le fait accompli en le cantonnant à un débat sans vote ? De quoi a-t-on peur ? La légitimité politique des interventions en sortirait renforcée.

On ne peut plus nier la nécessité d’une consultation du Parlement sur l’engagement des opérations extérieures, de manière à permettre à la représentation nationale de s’exprimer sur une décision mettant en jeu non seulement les intérêts fondamentaux du pays, mais aussi, et surtout, la vie de ses soldats.

En outre, ces engagements ont des conséquences financières. Il suffit de voir le montant des opérations extérieures de l’année en cours, qui vont s’élever à environ un milliard d’euros. Je le rappelle, nous avons dû budgéter plus de 300 millions d’euros.

M. Michel Charasse. Chaque année, c’est pareil !

M. Didier Boulaud. Et cela ira en augmentant.

Pourquoi donc le Parlement, qui est généralement compétent pour la définition des sujétions imposées par la défense nationale aux citoyens, serait-il réduit au silence lorsqu’il s’agit d’exposer les militaires français au risque suprême ? Il faut pouvoir en débattre et voter dès le début de l’intervention.

Je reste persuadé du bien-fondé d’un débat en séance plénière quand des troupes sont envoyées à l’étranger.

Monsieur le ministre, lors du débat à l’Assemblée nationale, vous avez déclaré ceci : « Il importe que Parlement soit informé au moyen de formules souples adaptées à la nature de l’opération ». Il peut s’agir d’un courrier adressé aux parlementaires, aux présidents des commissions compétentes ou d’une déclaration devant ces commissions ou en séance publique. Manifestement, on a oublié les SMS et les pigeons voyageurs... (Sourires.) Pourquoi pas ? Tous les moyens sont bons !

Toutefois, n’oublions pas l’essentiel : les parlementaires que nous sommes souhaitent être mieux armés pour pratiquer un contrôle parlementaire efficace. Informer le Parlement, c’est bien ; débattre et voter, c’est mieux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. L'amendement n° 20 rectifié bis, présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet, MM. Fortassin et A. Boyer, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit la dernière phrase du deuxième alinéa de cet article :

Cette information peut donner lieu à la convocation du Parlement en session extraordinaire, dans les conditions prévues à l'article 29, et à un débat qui n'est suivi d'aucun vote sauf application de l'article 49.

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes dans un domaine qui touche au régalien le plus sacré puisque, dans ce type de situation, on imagine bien que rien n’est facile pour personne. C’est un domaine qui touche à la défense du territoire et à sa sécurité et, ce qui est de plus en plus le cas – et c’est d’ailleurs plutôt ce cas qui est visé –, à l’application de nos engagements internationaux, que ce soit la Charte de l’ONU ou les accords particuliers de défense, par exemple, dont parlait M. Boulaud voilà un instant.

Je vous dis d’ailleurs par parenthèses, monsieur le ministre, que les accords signés au lendemain des indépendances des pays africains n’ont pas tous été ratifiés, tant s’en faut, mais passons !

Je me souviens d’une nuit à l’Élysée, où le Président de la République m’avait demandé, vers quatre heures du matin, de lui trouver l’accord de défense avec le Tchad ou la Centrafrique parce qu’il fallait le mettre en œuvre d’urgence. Ayant trouvé aussitôt cet accord, je lui ai dit : « Monsieur le Président, il est peut-être difficile de l’appliquer car il n’a jamais été ratifié, le Parlement n’en ayant pas été saisi ! »

Par conséquent, à l’occasion de ces dispositions, peut-être le ministère de la défense pourrait-il revoir la pile des accords de coopération – notamment ceux qui ont été signés par le général de Gaulle en matière militaire après les indépendances –, simplement pour que l’on ne se trouve pas un jour dans une situation délicate conduisant à mettre en cause les autorités exécutives qui auraient agi sans base légale.

Bien entendu, les représentants du peuple doivent être informés autant que se peut, de façon qu’ils puissent contrôler, dans les limites qu’impose l’intérêt national. On sait très bien que tout ne peut pas toujours être dit, même si, en 1991 – M. Boulaud l’a rappelé –, au moment de l’affaire de l’Irak, le Président Mitterrand a tenu, contre l’avis de certains dans les états-majors, à aller le plus loin possible dans sa communication parlementaire. Le Premier ministre M. Rocard était en plein accord avec le Président sur ce point. Cela veut dire aussi qu’il ne faudra pas exclure dans ce type d’affaire la réunion des Chambres en comité secret.

M. Hervé Morin, ministre. Un comité secret de 850 personnes !

M. Alain Gournac. Le secret sera bien gardé !

M. Michel Charasse. Après tout, certaines choses ne peuvent pas être rendues publiques mais peuvent être dites en comité secret, comme ce fut le cas notamment en 1914-1918 – comme en 1939-1945 –, et la Haute Cour et les tribunaux ont impitoyablement poursuivi et sanctionné les trahisons et les fuites, car Clemenceau n’était pas tendre en la matière !

De même, je le rappelle, les autorités parlementaires peuvent toujours contrôler les opérations sur place : c’est une décision du Président du Conseil Édouard Daladier en mars 1940, confirmée depuis, étant entendu que les parlementaires sont interdits de contrôler les questions qui touchent à la préparation des opérations. Ces points ont été rappelés très clairement par le rapporteur général du budget, M. Marini, puis par le Conseil constitutionnel, lorsque nous avons décidé fin 2001 un contrôle des fonds spéciaux de la DGSE par une commission spéciale constituée par les deux assemblées du Parlement et la Cour des comptes.

Donc, s’il faut que l’exécutif soit contrôlé et rende compte, il ne faut pas que le Parlement se substitue en quoi que ce soit aux autorités chargées de la conduite des opérations militaires.

Je rappellerai d’ailleurs ce que disait Clemenceau : « La guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires. » Par conséquent, il faut que la haute main reste toujours aux autorités civiles qui en sont chargées.

Pour en revenir à mon amendement, monsieur le président, il ne faut pas se trouver dans une situation où l’on s’interdit, notamment parce qu’on est hors session, de convoquer le Parlement en session extraordinaire. Il faut que cette faculté soit ouverte. Vous me direz peut-être qu’elle l’est : j’ai prévu dans mon amendement de rappeler qu’il en est ainsi.

Dès lors que le Parlement siège, c’est la Constitution de la Ve République qui s’applique, et on ne peut pas exclure la mise en jeu de la responsabilité gouvernementale par le biais de l’article 49 de la Constitution, sur l’initiative de l’Assemblée nationale ou sur celle du Gouvernement lui-même, en vertu de l’article 49, alinéas 1er, 2 et 4, ce dernier concernant le Sénat.

C’est uniquement l’objet de mon amendement, qui rappelle que les droits du Parlement en matière de contrôle et de mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement ne peuvent jamais être prescrits dans ces circonstances.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 111 est présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois.

L'amendement n° 140 est présenté par M. de Rohan, au nom de la commission des affaires étrangères.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Rédiger comme suit l'avant-dernier alinéa de cet article :

« La prolongation de l'intervention au-delà de quatre mois est autorisée en vertu d'une loi. Aucun amendement n'est recevable. 

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 111.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. M. le rapporteur pour avis, qui a déposé un amendement identique, va le présenter.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour défendre l’amendement n° 140.

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. La formulation selon laquelle « en cas de refus du Sénat, le Gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement sur la prolongation de l’intervention » n’est pas la plus heureuse.

L’amendement n° 140 vise donc à prévoir que l’autorisation parlementaire est donnée « en vertu d’une loi », formulation qui me paraît à la fois plus élégante et plus respectueuse de la Haute Assemblée.

S’agissant d’un vote d’autorisation, le droit d’amendement n’aurait pas vocation à s’appliquer.

Le Parlement autorisera ou non la prolongation de l’intervention, mais il ne pourra pas la soumettre à des conditions tenant, par exemple, aux objectifs assignés, à l’ampleur des effectifs engagés ou à la durée de l’intervention.

M. le président. L'amendement n° 258 rectifié, présenté par Mme Demessine, MM. Bret, Hue et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Après la première phrase du troisième alinéa de cet article, insérer une phrase ainsi rédigée :

L'autorisation de cette prolongation est renouvelée de quatre mois en quatre mois.

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Cet amendement tend à éviter les dangers d’enlisement d’une opération extérieure et de combler un vide juridique.

On voit bien que, quand une opération dure trop longtemps et que les raisons qui l’ont motivée ont évolué – je pense précisément à l’Afghanistan ou à la Côte d’Ivoire –, il convient de s’interroger sur l’opportunité de la présence de nos troupes dans le pays dans lequel ces dernières opèrent.

Quelle est la meilleure façon de le faire au bout de trois, quatre ou cinq ans, monsieur le ministre, comme c’est le cas pour certaines opérations aujourd’hui, sinon d’en saisir le Parlement ?

L’Assemblée nationale nous propose d’autoriser la prolongation d’une intervention à l’étranger si celle-ci excède quatre mois. Nous savons que ce délai de quatre mois correspond à la durée moyenne de séjour des unités envoyées à l’étranger. Fort bien ! Mais que se passera-t-il quatre mois après que les assemblées auront voté l’autorisation, si l’opération se poursuit ?

Si rien n’est prévu, comment les assemblées seront-elles informées de l’évolution de la situation, et surtout pourquoi n’auraient-elles pas à se prononcer à nouveau sur le maintien ou le retrait de nos troupes ?

C’est la raison pour laquelle nous proposons de renouveler ou non par un vote tous les quatre mois l’autorisation de prolonger une intervention militaire à l’étranger.

M. le président. L'amendement n° 459, présenté par MM. Frimat, Boulaud, Badinter, Bel, Carrère, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Après la première phrase du troisième alinéa de cet article, insérer une phrase ainsi rédigée :

Au-delà de ce délai de quatre mois, la poursuite des opérations est soumise au vote des assemblées tous les six mois.

La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. La prolongation d’une intervention des forces armées à l’étranger au-delà de quatre mois doit être, de notre point de vue, soumise à l’autorisation du Parlement de six mois en six mois.

Dans notre esprit, la première autorisation donnée par le Parlement ne vaut pas pour une durée illimitée.

Il ne s’agit donc pas simplement d’informer le Parlement de la prolongation sine die d’une opération extérieure, dont on a du mal aujourd’hui à imaginer les contours et les objectifs. Toutefois, s’il est vrai que des opérations courtes – quelques semaines, quelques mois – peuvent avoir lieu, il est aussi certain que, si l’on regarde les cas extrêmes de l’intervention en Afghanistan ou, même si nous ne sommes pas directement concernés, de la guerre en Irak, on doit compter alors sur de très longues périodes, des années parfois.

En prévision de ces cas, il est souhaitable que nous prévoyions que la poursuite des opérations soit soumise au vote des assemblées de manière très régulière. Nous ne pourrions pas nous contenter de simples auditions menées par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ou d’un débat purement budgétaire à l’occasion de la discussion annuelle de la loi de finances.

Un simple débat, selon nous, ne vaut pas autorisation, et c’est de cela justement qu’il s’agit si nous voulons donner au Parlement un rôle autre que celui de spectateur désengagé.

C’est la raison pour laquelle l’amendement présenté ici vise à instituer un renouvellement périodique de l’autorisation des opérations extérieures, avec un débat suivi d’un vote. C’est une question suffisamment importante et grave pour que cela le justifie.

M. le président. L'amendement n° 279 rectifié, présenté par MM. Pozzo di Borgo, Amoudry, Badré et Biwer, Mme Dini, M. Fauchon, Mmes Férat et Payet, MM. Merceron, Nogrix, J.L. Dupont, Dubois, Jégou et les membres du groupe Union centriste-UDF, est ainsi libellé :

Supprimer la seconde phrase du troisième alinéa de cet article.

La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Cet amendement vise à supprimer le droit donné par le projet de loi constitutionnelle à l’Assemblée nationale de se prononcer en dernier ressort sur la prolongation d’une intervention des forces armées françaises à l’étranger.

En effet, l’article 13 du présent projet de loi porte une véritable avancée en matière de rééquilibrage institutionnel en faveur du Parlement.

J’en rappelle brièvement l’économie : il prévoit non seulement que le Gouvernement informe le Parlement des interventions des forces armées à l’étranger mais encore, et surtout, que, en cas d’intervention d’une durée supérieure à quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement. Il s’agit d’une réelle avancée constitutionnelle, eu égard à nombre de constitutions européennes.

C’est là reconnaître un droit de regard et même de décision en matière d’intervention armée de l’organe législatif, ce qui paraît bien légitime. Ce n’est pas d’une matière anodine qu’il est question : c’est de la guerre et de la paix, de la vie d’hommes et de femmes, de la vie des territoires français !

Au regard de ces enjeux, il paraît bien naturel, dans une république moderne, que le Parlement partage avec l’exécutif le pouvoir de décision. L’article 13 s’inscrit pleinement dans la logique générale de la révision.

Néanmoins, alors que l’article 13 modernise la Ve République, il laisse paradoxalement subsister en son sein un archaïsme que je trouve injustifiable, à savoir le membre de phrase prévoyant que, « en cas de refus du Sénat » de prolonger une intervention armée, « le Gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement sur la prolongation de l’intervention ».

Pourquoi, en la matière, une telle primauté serait-elle accordée à la représentation nationale sur la représentation territoriale ?

M. Jean-Pierre Raffarin. C’est aussi la représentation nationale !

M. Yves Pozzo di Borgo. Rien ne le justifie, et ce d’autant moins que cela entre directement en contradiction avec l’objet de la révision qui est de rééquilibrer les pouvoirs du Parlement face à l’exécutif.

Rééquilibrer les pouvoirs du Parlement, c’est renforcer le bicamérisme, et non soumettre arbitrairement l’une des deux chambres à l’autre. L’esprit de la révision, c’est de permettre au Parlement de peser dans ses deux composantes face à l’exécutif.

En l’occurrence, pour une question aussi grave que celle de la prolongation d’une intervention armée, il ne serait guère judicieux de ne pas imposer constitutionnellement la recherche d’un consensus des deux assemblées.

M. le président. L'amendement n° 341, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

I - Après l'avant-dernier alinéa de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« À l'expiration d'un délai de six mois après la première autorisation de prolongation de l'intervention, le Gouvernement soumet toute nouvelle prolongation à l'autorisation du Parlement, dans les conditions fixées à l'alinéa précédent. Cette autorisation devra intervenir, pour toute prolongation ultérieure, tous les six mois dans les mêmes conditions.   

II - Dans le dernier alinéa de cet article, remplacer les mots :

du délai de quatre mois

par les mots :

des délais mentionnés aux alinéas précédents

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Mes chers collègues, si nous décidons à travers cette réforme de mieux contrôler l’envoi de forces françaises à l’étranger, il faut alors les contrôler du début à la fin.

En effet, le contrôle doit commencer en amont, notamment sur la légalité en droit de notre intervention. Si j’ai bien compris M. Charasse, faute de ratification, on peut s’interroger sur la légalité de l’intervention. C’est donc un véritable problème en amont. (M. Michel Charasse s’exclame.)

Par ailleurs, avec l’article 13 tel qu’il est rédigé, il s’agit purement et simplement d’accorder un blanc-seing au Gouvernement, une fois la prolongation de l’intervention votée, au bout de quatre mois de présence.

Notre rôle n’est pas seulement de contrôler l’envoi des troupes ; nous devons également contrôler l’évolution de ces troupes et leur maintien.

Or l’article 13 ne propose rien de ce point de vue : une fois les forces envoyées et la prolongation accordée, le Parlement fermera les yeux sur l’avenir de nos contingents ainsi que sur l’issue de cette intervention.

Pourtant, le véritable risque s'agissant des interventions à l’étranger tient non pas à l’envoi des troupes mais à l’enlisement éventuel dans des opérations militaires aussi coûteuses qu’inutiles, en termes tant financiers qu’humains. L’expérience américaine en Irak tout comme celle des troupes françaises en Afghanistan nous le prouvent.

Ce contrôle sera donc non seulement un contrôle d’opportunité mais aussi un contrôle d’efficacité. Il permettra au Gouvernement de justifier devant la représentation nationale l’utilité stratégique et politique d’une telle intervention.

C’est pourquoi je vous propose, par cet amendement, de mettre en place un contrôle régulier du maintien des troupes françaises à l’étranger. Puisque ce projet de loi vise à octroyer plus de pouvoirs au Parlement, notamment un pouvoir de contrôle, je suggère de donner corps à cette volonté en adoptant notre amendement.

Par ailleurs, notre proposition permettrait aussi aux Français de mieux comprendre l’intervention de nos troupes à l’étranger, car le peuple se pose parfois des questions sur certaines opérations militaires.

M. le président. L'amendement n° 458, présenté par MM. Frimat, Boulaud, Badinter, Bel, Carrère, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le dernier alinéa de cet article :

Si besoin est, le Parlement est réuni en session extraordinaire.

La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Afin que les dispositions de cet article soient réellement effectives, il est nécessaire de compléter le dispositif en précisant que « si besoin est, le Parlement est réuni en session extraordinaire » pour se prononcer sur la prorogation des interventions des forces françaises à l'extérieur. Dans cette hypothèse, il s'agit d'une demande d'autorisation qui engage le Gouvernement et non d'une simple consultation ; celle-ci ne saurait attendre.

Il me semble évident de réunir le Parlement en session extraordinaire si les circonstances l’exigent. En effet, on ne peut pas envisager que, en cas de crise grave nécessitant l’envoi de troupes, le Parlement n’ait pas l’occasion de s’exprimer parce qu’il ne serait pas en session. Personne ici ne souhaite entraver la capacité d’action et de défense de la France ni celle de l’exécutif à décider, mais, pour donner un rôle actif au Parlement en matière d’engagement des troupes françaises, un débat s’impose ainsi qu’un vote dans un délai raisonnable.

Concrètement, si le Parlement n’est pas en session et qu’un conflit débute un 15 juillet, que fait-on ? Doit-on sagement attendre le mois d’octobre ? Ce ne serait pas sérieux.

Pour mémoire, je l’ai dit tout à l’heure, il y a le précédent – il a été rappelé par M. Charasse – de la guerre du Golfe, en 1991. À cette occasion, le Parlement avait été convoqué en session extraordinaire par le Président de la République François Mitterrand et, j’y insiste, il s’était prononcé par un vote.

M. le président. L'amendement n° 362, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Après les mots :

délai de quatre mois,

rédiger comme suit la fin du dernier alinéa de cet article :

il se réunit en session extraordinaire à cet effet. »

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement va dans le même sens que celui que vient de défendre M Boulaud. Il vise en effet à réduire le laps de temps qui peut exister entre l’engagement effectif de troupes dans le cadre d’une intervention à l’étranger et l’autorisation de prolongation donnée par le Parlement.

Admettons que le délai de quatre mois tombe en plein mois de juillet : il faudra donc attendre le mois d’octobre, c’est-à-dire quatre mois de plus, avant que la prolongation ne soit autorisée par le Parlement. C’est donc seulement au bout de huit mois que l’intervention sera autorisée, ce qui semble excessif au regard de l’objectif poursuivi, à savoir l’amélioration du contrôle du Parlement.

L’autorisation de prolongation ne doit pas être une simple formalité prise à la légère. Il peut en effet s’agir de crises internationales extrêmement graves. Il est donc souhaitable que le Parlement puisse se réunir à cet effet.

Si l’avis du Parlement est requis, il doit alors l’être de manière efficace et utile, y compris à l’occasion d’une session extraordinaire. L’amendement concernant le contrôle de la prolongation des interventions à intervalles réguliers s’inscrit dans cette même logique.

Mes chers collègues, je vous demande d’adopter cet amendement afin de permettre une interruption de nos vacances parlementaires. Celle-ci paraît utile afin que le Parlement se prononce par un vote sur l’autorisation de prolongation de l’intervention.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 259 rectifié est présenté par Mme Demessine, MM. Bret, Hue et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

L'amendement n° 460 est présenté par MM. Frimat, Boulaud, Badinter, Bel, Carrère, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Le Gouvernement informe le Parlement du contenu des accords de défense et de coopération militaire en vigueur, dans les conditions fixées par le règlement des assemblées. »

La parole est à M. Robert Bret, pour présenter l’amendement n° 259 rectifié.

M. Robert Bret. Nos interventions militaires à l’étranger, hormis celles auxquelles nous participons en vertu d’un mandat international, se fondent souvent sur des accords de défense signés avec des pays tiers. Pour la plupart d’entre eux, ils l’ont été dans les années soixante, avec des pays africains, dans le contexte particulier de l’époque où ceux-ci accédaient à l’indépendance.

Ce sont ces accords de coopération militaire ou de défense qui légitiment juridiquement et politiquement l’engagement de nos troupes et qui déterminent le caractère de nos interventions.

Voilà plusieurs décennies, par exemple, nous étions brutalement intervenus au Gabon pour rétablir le régime du président M’Ba. En Côte d’Ivoire, en revanche, l’intervention de nos éléments prépositionnés a d’abord eu pour objectif de protéger nos concitoyens, puis d’appuyer l’opération de l’ONU. Plus récemment, au Tchad, nous nous sommes limités officiellement à un soutien logistique. Mais nous savons aussi que la présence de nos troupes a permis au président Idriss Déby de rester au pouvoir.

Pourtant, la caractéristique commune de ces accords est qu’ils n’ont jamais été soumis au Parlement, comme vient de le rappeler M. Charasse, et qu’ils restent donc secrets.

M. Robert Bret. En tout cas, un certain nombre d’entre eux !

Or si, comme vous le prévoyez, monsieur le ministre, les représentants de la nation sont informés par le Gouvernement du contexte et des objectifs d’une intervention, il devient alors nécessaire qu’ils disposent de tous les éléments de la situation. C’est la raison pour laquelle nous pensons décisif pour un fonctionnement démocratique de nos institutions que les documents relatifs à ces accords soient communiqués au Parlement, sous une forme restant à définir et prenant bien sûr en compte une certaine confidentialité.

C’est un principe de transparence démocratique – et même un engagement du Président de la République pris lors de son voyage en République sud-africaine – qui nous semble suffisamment fondamental pour figurer dans un texte constitutionnel.

M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud, pour présenter l'amendement n° 460.

M. Didier Boulaud. Le Parlement n’est pas informé du contenu des accords de défense et de coopération militaire actuellement en vigueur. L’intention annoncée par le Gouvernement de mieux informer le Parlement dans ce domaine ne saurait suffire.

C’est souvent en vertu d’accords de coopération militaire ou de défense que le Gouvernement engage nos forces. Ce fut le cas au Rwanda, au Tchad, en Côte d’Ivoire, et l’on pourrait multiplier les exemples.

Or la plupart de ces accords, qui sont en vigueur depuis plus de quarante ans – il y en a encore un qui mentionne le Dahomey (Sourires.) –…

M. Didier Boulaud. … et qui fondent juridiquement et politiquement l’intervention militaire de la France, sont secrets et n’ont pas été transmis au Parlement. Ces documents ne sont pas publiés au Journal officiel, mais conservés dans la partie la plus impénétrable du ministère de la défense. Nous souhaitons donc que le Parlement en soit destinataire. Mais nous voulons disposer de l’accord complet et pas seulement de ce qui pourrait être publié au Journal officiel, car il existe parfois des clauses secrètes méritant d’être portées à la connaissance du Parlement.

Certaines opérations militaires sont justifiées par l’application de ces accords. L’affaire est sérieuse, puisque nos troupes sont ainsi engagées en fonction de conventions inconnues des parlementaires. L’histoire récente nous a donné de nombreux exemples nous incitant à demander plus qu’une simple information.

Il est indispensable que les termes desdits accords fassent l’objet d’une communication au Parlement, qui pourra ainsi les étudier. C’est d’ailleurs l’une des recommandations du président de la commission chargée de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui a indiqué que « Les membres de la commission ont été unanimes » – même moi, voyez-vous ! – « pour considérer que les accords de défense devraient désormais être transparents et connus au Parlement ».

Nous savons par ailleurs que le Président de la République a pris des engagements dans ce sens lors de son intervention devant le Parlement sud-africain, le 28 février dernier : « […] les accords de défense entre la France et les pays africains seront intégralement publiés. J’associerai également étroitement le Parlement français aux grandes orientations de la politique de la France en Afrique ».

Il est donc temps, monsieur le ministre, de passer à l’acte. Notre amendement vise précisément à obtenir du Gouvernement que le Parlement soit informé de ces accords de défense dans les conditions fixées par le règlement des assemblées afin, bien sûr, d’en préserver la partie confidentielle.

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, j’ai prononcé tout à l’heure une phrase malheureuse. Évoquant l’archaïsme subsistant à l’article 13, avec la phrase prévoyant que, « en cas de refus du Sénat, le Gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement sur la prolongation de l’intervention », j’ai dit ceci : « Pourquoi une telle primauté serait-elle accordée à la représentation nationale sur la représentation territoriale ? » Je faisais bien évidemment référence à la représentation nationale territoriale du Sénat ! (Marques de satisfaction sur plusieurs travées de lUMP.)

M. le président. Merci de cette précision !

Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble de ces amendements ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’amendement n° 193 rectifié ne distingue plus, contrairement au projet de loi constitutionnelle, un temps de l’information et un temps de l’autorisation. Il ne détermine pas davantage de délai. Il apparaît donc très éloigné du projet de loi initial et du texte approuvé par la commission.

Par ailleurs, si l’autorisation de prolongation d’une opération extérieure doit intervenir alors que le Parlement ne siège pas, le texte du projet de révision n’interdit pas, à notre sens, que les assemblées soient convoquées en session extraordinaire. Dans ce cas, la disposition proposée pour le dernier alinéa de l’article 35, selon laquelle le Parlement « se prononce à l’ouverture de la session suivante », ne jouerait pas.

La commission émet donc un avis défavorable.

La commission des lois émet un avis favorable sur l’amendement n° 139, qui est identique à l’amendement n° 110 qu’elle a présenté.

S’agissant de l’amendement n° 257 rectifié, qui prévoit un vote de la représentation nationale dans les deux semaines suivant le début de l’intervention, elle émet un avis défavorable.

L’amendement n° 457 vise à prévoir que le débat peut être suivi d’un vote. La commission estime que, comme l’amendement précédent, cette disposition permettrait au Parlement d’anticiper sur l’autorisation requise pour permettre la prolongation de l’intervention. Elle émet donc un avis défavorable.

L’amendement 20 rectifié bis comporte deux aspects.

Le premier aspect, c’est la possibilité de convoquer le Parlement en session extraordinaire afin de permettre l’information sur l’intervention des forces armées à l’étranger. Cette disposition n’est pas indispensable pour trois raisons.

Tout d’abord, dès lors que l’amendement ne prévoit qu’une simple faculté et non l’obligation de convoquer le Parlement en session extraordinaire, les dispositions actuelles de l’article 30 de la Constitution sont suffisantes ; l’initiative en appartient au Président de la République.

Ensuite, l’organisation d’un débat est une simple faculté et non une obligation ; l’information pourra donc toujours être donnée sous une forme souple, par exemple par la voie d’une audition devant les commissions compétentes du Sénat et de l’Assemblée nationale.

M. Michel Charasse. Cela veut dire qu’une motion de censure est recevable ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Enfin, compte tenu des précisions apportées par l’amendement n° 110 de la commission, le Gouvernement disposera d’une certaine marge pour informer le Parlement. Par exemple, s’il sait que le Parlement ne siégera que lorsque commencera l’intervention, il a la possibilité d’informer les assemblées pendant les sessions ordinaires avant que cette intervention ne commence.

Le deuxième aspect, c’est que le débat sans vote peut faire suite à l’information et serait la procédure de droit commun. Cela n’interdit pas au Gouvernement, s’il le souhaite, d’engager sa responsabilité ou aux députés de déposer une motion de censure.

M. Michel Charasse. C’est ça !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’article 49 de la Constitution peut donc s’appliquer sans qu’il soit nécessaire, comme le propose l’amendement, de le prévoir explicitement.

Compte tenu des précisions qu’elle vient d’apporter, la commission invite l’auteur de l’amendement à bien vouloir le retirer.

M. le président. Monsieur Charasse, l’amendement n° 20 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Michel Charasse. Non, monsieur le président, puisque j’ai l’assurance que l’on ne dira pas un jour aux députés qu’ils n’ont pas le droit de déposer une motion de censure.

M. le président. L’amendement n° 20 rectifié bis est retiré.

Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’amendement n° 140 étant identique à l’amendement n° 111, la commission a bien évidemment émis un avis favorable.

L’amendement n° 258 rectifié vise à renouveler l’autorisation du Parlement à intervalles réguliers. La commission a émis un avis défavorable, de même que sur l’amendement n° 459, qui a le même objet.

M. Didier Boulaud. Le Parlement vote donc une autorisation à perpétuité ! Que fait-on en cas de nouvelle guerre de Cent Ans ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Boulaud, je vous ai écouté avec la plus grande attention. Veuillez en faire de même, s’il vous plaît.

M. Didier Boulaud. Je vous interromps si peu ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est parce que vous n’en avez pas encore eu l’occasion. Si vous restez longtemps, …

M. Didier Boulaud. Cent ans !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … vous aurez peut-être beaucoup trop d’occasions. C’est la raison pour laquelle je prends des mesures préventives ! (Rires.)

S’agissant de l’amendement n° 279 rectifié, la commission des lois a estimé qu’un différend entre les deux assemblées ne devait pas bloquer une intervention à l’étranger. Elle ne voit donc aucune objection à ce que le dernier mot revienne à l’Assemblée nationale.

En revanche, la formulation qu’elle propose à l’amendement n° 111 pour le troisième alinéa de l’article 13 est meilleure et susceptible de satisfaire en partie les auteurs du présent amendement. C’est pourquoi la commission invite ces derniers à un retrait du texte.

La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 341, qui prévoit une autorisation du Parlement pour toute nouvelle prolongation de l’intervention.

En ce qui concerne l’amendement n° 458, comme je l’ai déjà indiqué, le Parlement pourra être réuni en session extraordinaire dans les conditions prévues par l’article 29. La commission invite donc les auteurs de cet amendement à bien vouloir le retirer. Elle formule la même demande aux auteurs de l’amendement n° 362, qui a le même objet.

Les amendements nos 259 rectifié et 460 visent à instaurer une disposition qui n’a pas à être inscrite dans la Constitution. Cependant, le Président de la République a annoncé, lors de son intervention devant le Parlement sud-africain, le 28 février dernier, que « les accords de défense entre la France et les pays africains seront intégralement publiés ». De même, M. Jean-Claude Mallet, président de la commission chargée de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, s’est montré favorable au cours des auditions devant les commissions parlementaires à la communication des accords de défense au Parlement.

Il appartiendra aux règlements des assemblées de déterminer les conditions de cette communication. La commission invite donc les auteurs de ces deux amendements à bien vouloir les retirer.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Je souhaite répondre à l’ensemble des interventions.

Le dispositif qui est présenté par le Gouvernement constitue une avancée importante puisque, depuis assez longtemps déjà, des interventions sont réalisées sur des théâtres d’opérations extérieures sans que le Parlement ait eu à en connaître à un moment ou à un autre et sans que, dans la durée, il ait pu se prononcer, même lors de débats, sur l’opportunité de ces opérations. C’est donc une innovation qu’il convient de saluer.

Permettez-moi maintenant d’examiner le dispositif qui nous est présenté.

L’article 13 prévoit que, dans les trois jours – le délai part-il de la date d’engagement des troupes ou de la date de la décision prise par le pouvoir politique ? –, le Gouvernement informe le Parlement des interventions des forces armées à l’étranger.

Cette mesure est parfaitement satisfaisante.

Pourquoi sommes-nous hostiles à un débat préalable à cette intervention ?

Si une telle disposition avait été précédemment en vigueur, nous n’aurions jamais pu monter une opération comme celle de Kolwezi,…

M. Michel Charasse. Exactement !

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. … qui exigeait rapidité, discrétion,…

M. Michel Charasse. Tout à fait !

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. … et que nos troupes ne soient pas attendues au sol par un comité de réception !

Un sénateur de l’UMP. C’est le simple bon sens !

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. On sait très bien ce qui se serait produit dans ces conditions.

Il est indispensable, lorsque l’on s’engage dans une véritable guerre, qu’il y ait une autorisation, un vote préalable du Parlement. La plupart des conflits dans lesquels nous intervenons ne sont pas des guerres au sens propre du terme. Les temps ont changé. Par conséquent, nous avons besoin d’une rapidité d’intervention, ce qui ne signifie pas pour autant que le Gouvernement ne doive pas rendre des comptes assez rapidement – au contraire – sur l’opération qu’il a engagée.

M. Alain Gournac. Tout à fait !

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Cependant, le fait qu’il soit maître du temps est un préalable à l’efficacité de son action.

M. Jean-Pierre Raffarin. C’est exact !

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Par conséquent, nous sommes hostiles à toute autre formulation.

Le Gouvernement informe le Parlement dans les trois jours. L’opération se déroule. Au-delà de quatre mois, il est absolument normal que l’on fasse un bilan de cette opération et, le cas échéant, que le Parlement se prononce sur l’opportunité de la prolonger ou de l’arrêter.

Pourquoi un délai de quatre mois ?

M. Michel Charasse. C’est un délai maximum, le Parlement peut le raccourcir !

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Ce délai de quatre mois correspond à la durée naturelle de relève des troupes, et aller au-delà serait probablement excessif. Par conséquent, c’est une bonne chose.

Doit-on l’assortir d’autres conditions ? Je n’en vois pas la nécessité.

On a évoqué la convocation d’une session extraordinaire.

S’il se produit des événements d’une particulière gravité nécessitant un engagement très important des forces armées, on ne peut pas imaginer que le Gouvernement laisse le Parlement dans l’ignorance de la situation. Il convoquera une session extraordinaire, comme c’est bien normal.

Enfin, en ce qui concerne les accords de coopération qui ont été conclus avec les pays de l’ancienne communauté, il faut aujourd’hui revoir les conditions dans lesquelles ils s’exercent. Une publicité plus grande est absolument indispensable, et certains de ces accords sont manifestement obsolètes. Une information sera donnée sur tous ces points. Toutefois, je considère que le dispositif qui nous est présenté est particulièrement convenable.

Je formulerai maintenant une remarque à l’intention de M. le ministre.

Si les deux assemblées ont un point de vue différent sur la prolongation d’une opération, nous disons que le fondement de l’autorisation, c’est la loi. Or que dit la loi ? Que, conformément à la Constitution, c’est l’Assemblée nationale qui aura le dernier mot. C’est normal, l’Assemblée nationale doit avoir le dernier mot quand il s’agit de la loi.

M. Robert Bret. C’est le suffrage universel !

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. S’il y a une opposition entre l’Assemblée nationale et le Sénat, c’est l’Assemblée nationale qui décidera.

Je ne peux pas être d’accord avec l’idée selon laquelle le Sénat et l’Assemblée nationale ont les mêmes pouvoirs puisque, en l’occurrence, la loi dispose le contraire.

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. En revanche, je trouve singulièrement peu élégant de souligner à chaque fois que l’Assemblée nationale aura la primauté sur le Sénat ! (M. le ministre sourit.)

M. Alain Gournac. Ce n’est pas la peine, c’est dans la loi !

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. On peut dire les mêmes choses sans être nécessairement inélégant ou lourdaud ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Cela s’appelle la classe !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je formulerai tout d’abord quelques remarques d’ordre général sur le dispositif qui, me semble-t-il, devrait permettre d’obtenir un consensus entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur cette question, dans la mesure où il s’agit de propositions qui émanant depuis des années des groupes tant de la majorité que de l’opposition. De nombreuses propositions de loi ont en effet été déposées par le passé – l’une d’elles avait été présentée par Jean Lecanuet – et un rapport parlementaire avait été rédigé par un député socialiste.

Il s’agit d’une avancée démocratique majeure qui nous permet de nous ranger au même rang que les autres démocraties occidentales puisque, tout en ayant des régimes constitutionnels différents, l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne ont inventé des dispositifs qui permettent au Parlement à la fois d’être informé et de pouvoir contrôler la mise en œuvre des opérations.

J’observe que le Royaume-Uni est en train d’adopter un dispositif à peu près équivalent au nôtre.

Comme l’a très bien fait remarquer M. de Rohan, il faut un système équilibré entre la nécessité de l’efficacité des opérations militaires que nous devons mener, la nécessité – j’y insiste – de la protection des hommes et des femmes qui mènent ces opérations…

M. Alain Gournac. Bien sûr !

M. Hervé Morin, ministre. … et la nécessité naturelle du contrôle parlementaire sur des opérations engageant le pays.

L’équilibre proposé par le Gouvernement, avec les modifications présentées par l’Assemblée nationale et le Sénat, devrait, me semble-t-il, nous permettre d’obtenir un consensus sur le dispositif de l’article 13.

J’en viens maintenant aux amendements.

Comme l’a dit M. le rapporteur, l’amendement n° 193 rectifié est totalement contraire à l’économie générale et à l’esprit du dispositif. Le Gouvernement y est bien entendu défavorable.

Je répondrai, s’agissant des amendements ayant le même objet, que, s’il fallait un vote du Parlement dès le début de chaque intervention, d’une part, on lierait totalement la capacité d’initiative du Gouvernement et, d’autre part, on commettrait à mon sens une véritable erreur de lecture de ce que représente une démocratie, c’est-à-dire un système de séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. Le pouvoir exécutif est chargé d’exécuter, et le pouvoir législatif a pour mission d’élaborer la loi et de contrôler l’exécution de cette dernière par le Gouvernement. Il me semble donc nécessaire d’avoir cette vraie séparation entre les deux pouvoirs.

Par ailleurs, j’imagine le succès que pourrait avoir le débat dans l’hémicycle si l’on faisait voter le Parlement sur une opération comme celle du Libéria où nous avons en tout et pour tout un seul homme, celle de la MONUG en Géorgie où nous avons trois hommes au titre de l’observation, ou celle d’Haïti où nous avons trente gendarmes ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Nous devons avoir un système mesuré. Le Gouvernement émet bien entendu un avis défavorable.

S’agissant des amendements identiques nos 110 et 139, le Gouvernement émet un avis favorable.

Permettez-moi ici de préciser la notion d’intervention des forces armées à l’étranger.

Bien entendu, il s’agit d’abord et avant tout de l’envoi de corps constitués – j’y insiste – à des fins opérationnelles. Cette définition, conformément à l’objectif, exclut donc les échanges de militaires d’états-majors internationaux, qui sont permanents, les exercices que nous menons toute l’année sur l’ensemble de la planète, les opérations confidentielles des services de renseignements – en effet, si nous mettons cela sur la place publique et même en comité secret avec 850 parlementaires, j’imagine la confidentialité et le succès de l’opération ! (Sourires.) –, les troupes prépositionnées en vertu des accords de défense, et je réponds ainsi à l’avance à M. Charasse et aux auteurs d’autres amendements.

Ces accords de défense sont soumis aux mêmes règles que les traités internationaux et, conformément à l’engagement pris par le Président de la République, ils seront désormais connus du Parlement. Par ailleurs, le contenu de ces accords sera transmis aux commissions ou aux parlementaires afin que l’information du Parlement soit la plus complète possible. Il s’agit là aussi d’une innovation majeure. (M. Didier Boulaud s’exclame.)

Monsieur Boulaud, nous avons signé des accords de défense extrêmement contraignants à l’époque d’un Président de la République qui avait votre faveur : il en est ainsi de l’accord de défense nous liant à Abu Dhabi et aux Émirats arabes unis, qui est probablement l’accord de défense le plus contraignant pour la République française, beaucoup plus que ceux que nous avons avec les pays africains ; or, jusqu’à ces derniers jours, vous n’en réclamiez pas franchement la publicité ! (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.–Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Nicole Bricq. Pas de polémique sur un sujet comme celui-là !

M. Michel Charasse. La guerre, c’est la guerre !

M. Hervé Morin, ministre. Je tenais à rappeler un certain nombre d’éléments qui sont exacts.

M. Robert Bret. Personne ne le demande, monsieur le ministre !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous passez du temps à dire quelque chose que personne ne demande !

M. Hervé Morin, ministre. Les opérations spéciales ne peuvent non plus faire l’objet d’une telle procédure. Par exemple, l’opération que nous avons menée en Mauritanie pour récupérer les assassins de touristes français nécessite bien entendu une certaine confidentialité, les opérations humanitaires qui n’auraient absolument aucune fin militaire également. Si nous envoyons des produits alimentaires par bateau pour secourir des populations victimes d’un cataclysme ou d’un séisme, cela n’entre pas non plus, à notre avis, dans le cadre de l’article 13.

Enfin, sont également exclus du dispositif de cet article les déplacements de nos aéronefs dans les espaces internationaux, les déplacements des bâtiments de la marine nationale ainsi que les escales dans les ports lorsqu’ils sont obligés d’en effectuer.

En revanche, toutes les opérations menées à un titre ou un autre – au titre de l’ONU, de l’Union européenne, d’un accord international, d’une décision nationale – doivent, à mon sens, relever de l’article 13.

Enfin, quel est l’acte déclencheur à partir duquel courent les délais de la procédure ? Selon nous, il s’agit du lancement effectif de l’opération, et non des discussions internationales ou des résolutions des Nations unies. Le point de déclenchement est donc, pour nous, l’envoi des forces constituées et non pas les premières forces prépositionnées, telles que les forces spéciales qui viennent d’abord baliser le terrain.

Tels sont les éléments d’information que je souhaitais apporter et compte tenu desquels le Gouvernement émet un avis favorable sur les amendements n° 110 et 139.

J’ai répondu indirectement à l’amendement n° 257, ainsi qu’à l’amendement n° 457, qui prévoit un débat suivi d’un vote.

J’ai également répondu à M. Charasse sur les accords de défense.

J’ajoute que, comme l’a souligné M. le rapporteur, la mise en œuvre de l’article 49 de la Constitution peut intervenir à tout moment. L’Assemblée nationale peut donc déposer une motion de censure, et le Gouvernement engager sa responsabilité devant l'Assemblée nationale en vertu de l’alinéa 1er de cet article.

M. Michel Charasse. Très bien !

M. Hervé Morin, ministre. Les opérations en Irak avaient d’ailleurs fait l’objet d’un vote en 1991 en vertu de l’article 49, puisqu’il n’existait pas d’autre dispositif permettant au Parlement de se prononcer.

M. le président. Monsieur le ministre, je vous rappelle que l’amendement n° 20 rectifié bis a été retiré.

M. Hervé Morin, ministre. Tout à fait, monsieur le président, mais ce point est important.

M. Michel Charasse. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre, pour dire un mot sur les accords de défense ?

M. Hervé Morin, ministre. Je vous en prie.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, avec l’autorisation de M. le ministre.

M. Michel Charasse. Monsieur le ministre, il existe plusieurs catégories d’accords de défense, et tout ne relève pas de cette appellation.

M. Hervé Morin, ministre. C’est vrai !

M. Michel Charasse. Certains accords en bonne et due forme doivent être ratifiés ou approuvés conformément à l’article 53 de la Constitution. En revanche, certains textes que l’on nomme, par simplification, « accords » n’entrent pas dans le cadre de la ratification prévue par cet article. On a souvent pris l’habitude d’appeler « accords de défense » de simples échanges de lettres, qui ne sont d’ailleurs pas toujours publics pour des raisons de secret défense.

Monsieur le ministre, à la suite de ce débat, il serait souhaitable de clarifier la situation pour les commissions compétentes des deux assemblées.

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.

M. Hervé Morin, ministre. S’agissant des amendements identiques nos 111 et 140, j’ai bien entendu le plaidoyer de M. de Rohan en faveur de la navette parlementaire.

Pour sa part, le Gouvernement estime qu’il s’agit d’une procédure longue, qui débouchera éventuellement sur la constitution d’une commission mixte paritaire, et donc sur un nouvel examen du texte par les deux chambres. On peut d’ailleurs parfaitement imaginer qu’une proposition de loi vise à engager cette procédure. Même si j’ai cru comprendre que le Sénat avait décidé d’adopter cette disposition, je pense que son adoption risque de compliquer la situation à l’excès.

M. Didier Boulaud. Et la déclaration d’urgence ?

M. Hervé Morin, ministre. J’y insiste, le fait de vouloir autoriser la prolongation de l’intervention militaire par le biais du vote d’un projet de loi ou d’une proposition de loi risque d’allonger les délais.

Enfin, vouloir soumettre tous les quatre mois la prolongation d’une intervention des forces armées à l’étranger à l’autorisation du Parlement risque de conduire ce dernier à avoir un ordre du jour surchargé. Cela signifie qu’il devra organiser de quinze à vingt débats sur les quinze ou vingt opérations dans lesquelles les troupes françaises sont engagées.

M. Michel Charasse. Si la révision de la Constitution est votée, il faudra bien s’occuper ! (Sourires.)

M. Hervé Morin, ministre. Ce matin, lors de mon audition devant les commissions parlementaires de l'Assemblée nationale, j’ai proposé que le Gouvernement fasse une présentation très claire des missions de toutes les opérations extérieures et de leur coût lors de l’examen du projet de loi portant règlement définitif ou du projet de loi de finances, pour que le Parlement puisse exercer son contrôle, légitime et normal, sur chaque opération.

M. Didier Boulaud. Ce serait un vote bloqué ! Or les opérations ne sont pas traitées de la même manière !

M. Hervé Morin, ministre. Ce serait l’occasion pour lui d’approuver l’opération militaire en cours.

M. Hervé Morin, ministre. S’agissant des autres amendements, j’y ai déjà répondu.

M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour explication de vote sur l'amendement n° 193 rectifié.

M. Robert Bret. Mon explication de vote vaudra pour l’ensemble des amendements présentés sur cet article.

Monsieur le ministre, il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre. Mettons-nous d’accord, il ne s’agit pas pour nous de demander que le Parlement se prononce sur tous les types d’interventions, notamment sur celles qui présentent un caractère d’extrême urgence, comme la protection de nos ressortissants ou celles qui nécessitent confidentialité et rapidité d’action. À cet égard, vous avez évoqué l’intervention des forces spéciales ou encore les opérations qui entrent dans le cadre d’exercices à l’étranger.

De même, je l’ai indiqué tout à l'heure, nous excluons les interventions d’urgence décidées en application de l’article 51 de la charte des Nations unies relatif à l’invasion d’un pays.

En revanche – c’est tout le débat que nous avons avec vous –, lorsqu’il s’agit de l’envoi de militaires en corps constitués à des fins opérationnelles, …

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut que ce soit très clair !

M. Robert Bret. … qui peuvent participer à des combats dans des situations politiques souvent complexes dans le cadre d’un mandat international, nous pensons, contrairement à vous, que les élus du peuple doivent prendre leurs responsabilités…

M. Robert Bret. ... et se prononcer par un vote dans un délai qui reste à fixer.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Raffarin. Je voudrais moi aussi, après M.  Charasse, vous faire part de mon expérience personnelle.

Je me souviens de certaines interventions militaires décidées en comité restreint par le Président de la République avec le Premier ministre et un chef d’état-major des armées dans la salle du sous-sol de l’Élysée, pour n’être ni écouté ni repéré.

Le secret de la décision dans un monde où la guerre est d’abord celle du renseignement, puis de la technologie, est essentiel. Vouloir engager les forces de notre pays après un débat parlementaire, alors que les renseignements ennemis se trouvent au sein de la société française, …

M. Alain Gournac. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Raffarin. … revient vraiment à se paralyser les bras et à s’empêcher d’agir.

M. Michel Charasse. Le secret peut être trahi !

M. Jean-Pierre Raffarin. Sur ce sujet, je soutiendrai la position du président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Nous devons conserver notre capacité d’action, car la guerre, nous le voyons bien, n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était.

Monsieur le ministre, vous consentez des efforts importants en faveur des services de renseignement pour faire évoluer notre système de défense ; c’est bien là, mesurez-le, mes chers collègues, que sont les enjeux de l’avenir ! (Applaudissements sur les travées de lUMP. –Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Fourcade. J’étais membre du gouvernement lors de l’opération Kolwesi, qui visait à protéger nos ressortissants. Une telle opération ne peut se prêter à un débat parlementaire. Nous ne pouvons donc voter l’amendement qui nous est proposé.

Je formulerai deux observations.

Premièrement, j’ai noté avec beaucoup d’intérêt que M. le ministre de la défense a proposé de nous présenter un tableau retraçant le coût des opérations extérieures lors de l’examen du projet de loi de finances ou du projet de loi de finances rectificative. Voilà une excellente idée. Mais je vous propose, monsieur le ministre, d’y ajouter le coût des opérations liées à nos accords de défense. Ainsi, le Parlement disposerait d’une information complète à la fois sur les opérations extérieures et sur les contrats extérieurs, lorsqu’ils entraînent vraiment des dépenses, telles nos bases situées en Afrique ou ailleurs.

Deuxièmement, les deux amendements identiques présentés par la commission des lois et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées tendant à prévoir un délai de trois jours pour informer le Parlement en cas d’intervention de nos forces armées à l’étranger me semble excellent dans la mesure où seul le Gouvernement peut choisir le moment de l’information.

Je ne crois pas que, avec cette révision constitutionnelle, nous diminuions par trop les prérogatives du Gouvernement. Nous sommes dans un système équilibré des pouvoirs entre le Gouvernement et le Parlement. Le Gouvernement dispose de toute une série d’outils pour informer, outils qui vont de la réunion des commissions parlementaires à celle des chefs de groupes politiques, comme on l’a vu pour d’autres opérations. Le texte qui nous est proposé constitue donc une grande avancée. Il faut le voter sans regret, car il est essentiel pour l’information du Parlement et de ceux que nous représentons. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 193 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 110 et 139.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 257 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote sur l'amendement n° 457.

M. Bernard Frimat. Mon intervention vaudra pour tous les amendements, monsieur le président.

Monsieur le ministre, nous vous avons écouté avec intérêt et saluons votre souci de ne pas engager de polémique.

Je veux simplement vous faire remarquer que les problèmes abordés sont difficiles à traiter. Nous nous réjouissons que l'Assemblée nationale ait maintenu les pouvoirs du Premier ministre ; nous aurons peut-être à en débattre à un autre moment.

Sur de nombreux points, nous ne sommes pas en désaccord avec vous, car le sens des responsabilités n’est l’apanage de personne !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Heureusement !

M. Bernard Frimat. À des niveaux divers, les formations politiques ont montré, dans l’exercice des fonctions gouvernementales, qu’elles avaient ce sens des responsabilités.

Personne, au sein du groupe socialiste tout au moins, ne va demander que l’on prévienne par télex notre éventuel adversaire de notre arrivée ! Ne sombrons pas dans un débat de piètre qualité !

Je veux simplement vous faire remarquer, sans esprit polémique aucun, que vous êtes finalement d’accord avec vous-même.

M. Hervé Morin, ministre. C’est déjà pas mal !

M. Bernard Frimat. Ce n’est pas toujours chose aisée ! (Sourires.)

Par ailleurs, vous avez émis un avis favorable sur deux amendements identiques, l’un émanant de la commission des lois et l’autre de la commission des affaires étrangères. Vous avez donc réussi à être d’accord sur un point essentiel de ce texte avec votre majorité, ce qui est aussi un événement !

Toutefois, quand nous avons évoqué l’idée d’organiser un débat pouvant être suivi d’un vote, comme cela se fait ailleurs, vous avez écarté d’un revers de main, tout comme les présidents des deux commissions d’ailleurs, notre proposition. Vous manifestez votre esprit d’ouverture en nous répondant : non, pas question, circulez, il n’y a rien à voir !

Quant à la confirmation de l’engagement, nous nous rallions sans aucun problème à la proposition de M. de Rohan, soit un délai de quatre mois. Mais nous demandons que cet engagement soit ensuite renouvelé. Il n’est pas normal que le Parlement ne puisse plus en délibérer ; on ne peut donner au Gouvernement une autorisation pour l’éternité ! Comme l’a fait remarquer Didier Boulaud sous forme de boutade, que fera-t-on en cas de guerre de Trente Ans ou de Cent Ans ?

Je prends acte du souci que vous avez du travail parlementaire. Quant à la déclaration d’urgence, je sais avec quelle modération le Gouvernement en use pour apprécier tout le caractère sympathique de votre observation ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

La confirmation que nous demandons n’a rien, selon nous, d’exorbitant. Pourtant, là encore, on nous oppose un refus.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui, parce que c’est logique !

M. Bernard Frimat. Sur les accords de défense, que nous répondez-vous ? Que le président a promis ! Nous avons compris…

Dans ce débat, nous apprenons maintenant que des normes dépassent celles de la Constitution. En effet, votre collègue Mme Dati nous a répondu qu’il était inutile de discuter du problème puisque le Président de la République a chargé un comité de s’en occuper. Nous devons donc être sérieux et avoir conscience de la modestie de notre rôle de parlementaires ! À partir du moment où un comité, quelle que soit la sommité qui le préside – Mme Veil ou M. Mazeaud –, a été chargé de réfléchir sur un problème, le Parlement n’a plus, bien sûr, à s’en saisir ; ce serait discourtois ! Pourquoi tous les problèmes ne seraient-ils pas traités en comité ?

La promesse du Président de la République a certainement une très grande valeur, encore que, selon un Président dont vous étiez plus proche que nous et dont je ne citerai pas le nom, « les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent »…Nous, nous attachons plus de valeur au texte de la Constitution qu’aux promesses du Président. Mais, sur ce point encore, circulez, il n’y a rien à voir !

Monsieur le président, nous maintiendrons tous nos amendements. Dans un domaine sur lequel nous avons manifesté notre accord avec l’essentiel, vous nous avez montré votre capacité d’ouverture en refusant toutes nos propositions.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas une question d’ouverture !

M. Bernard Frimat. C’est sans doute la méthode que vous avez choisie pour faire évoluer notre position !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Hervé Morin, ministre. Monsieur le sénateur, le problème réside dans la confusion des genres.

Il existe un pouvoir exécutif, un pouvoir législatif et une autorité judiciaire. Les choses sont ainsi faites car, on le sait, une démocratie fonctionne avec un système de checks and balances, un pouvoir contrôlant un autre pouvoir. Le vote immédiat sur l’ensemble des opérations et des décisions de l’exécutif relève précisément, à mon sens, de la confusion des genres.

Comme je le disais tout à l’heure à M. Charasse, rien n’empêche, à un moment ou à un autre, un gouvernement qui le souhaite d’informer le Parlement…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien sûr !

M. Hervé Morin, ministre. …et de lui demander de se prononcer par un vote sur la décision qu’il a prise, estimant que celle-ci engage gravement et lourdement la nation. C’est ce qu’avait décidé le Président Mitterrand, en accord avec son Premier ministre, en 1991. On pourrait tout à fait imaginer la mise en œuvre d’une telle procédure, qui relève aussi de la Constitution.

Quant au renouvellement permanent de la décision, il existe honnêtement moult procédures !

D’abord, une partie de l’ordre du jour sera désormais aux mains du Parlement. Rien n’empêchera donc l’inscription d’une telle problématique.

Ensuite, si une loi est nécessaire à la suite de la révision définitive de la Constitution, rien n’empêchera non plus l’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de loi, même si, personnellement, je pense que ce n’est pas la bonne solution.

Enfin, rien n’empêche le vote d’une réduction des crédits budgétaires.

Ces diverses procédures permettent à tout moment au Parlement de poursuivre sa mission de contrôle et de se prononcer au bout de quatre mois sur la décision qui a été mise en œuvre et votée par le Parlement.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Monsieur Frimat, si l’on était dans l’obligation de renouveler tous les quatre mois une demande d’autorisation dans une opération dure et complexe, l’adversaire le saurait. Il engagerait une offensive particulièrement meurtrière, justement dans l’espoir d’influer sur le Parlement, afin que celui-ci prenne peur et, redoutant ce qui pourrait advenir, émette un avis négatif.

Dans des cas de ce genre, vous ne pouvez pas donner un signal négatif à l’adversaire ; vous devez conserver la maîtrise du temps. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Didier Boulaud. Ce sera vrai au bout de quatre mois ; l’argument se retourne !

M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour explication de vote.

M. Robert Bret. Il me semble que l’une des fonctions principales du Parlement est le contrôle de la dépense publique.

Tout à l’heure, monsieur le ministre, vous ne m’avez pas contredit lorsque j’ai cité le montant de 880 millions d'euros pour la trentaine d’opérations extérieures pour 2008. Quelle somme avait-elle été programmée dans la loi de finances ? Moins de 400 millions d'euros !

M. Hervé Morin, ministre. Précisément 475 millions d’euros !

M. Robert Bret. Par conséquent, c’est le double qui a été dépensé !

Qui contrôle ? Qui prend la décision à un moment donné ? On voit bien que, de ce point de vue-là, le Parlement est tenu à l’écart, alors qu’il s’agit de l’une de ses fonctions essentielles ! Il est même mis devant le fait accompli.

C’est valable aussi pour ce type de situation, afin d’apprécier s’il faut s’engager et avec quels moyens financiers. Sinon, quel est le rôle du Parlement dans cette affaire ? Celui d’une simple chambre d’enregistrement, en lisant la presse le lendemain matin !

M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud, pour explication de vote.

M. Didier Boulaud. S’agissant tout d’abord des opérations extérieures, j’ai bien entendu la proposition de notre collègue Jean-Pierre Fourcade, qui relaie d’ailleurs la proposition de M. le ministre, à savoir examiner globalement l’ensemble des opérations extérieures au moment de la discussion de la loi de finances rectificative ou de la loi de finances initiale.

Mais si quinze opérations extérieures ont lieu en même temps, elles ne sont pas toutes de même nature. On ne peut pas les juger globalement et faire un vote bloqué !

Pour combien de temps serons-nous en Afghanistan ? Personne ne le sait. L’opération dure depuis des années et elle continuera sans doute encore longtemps,…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Apparemment, oui !

M. Didier Boulaud. …surtout qu’un renfort supplémentaire de 700 hommes vient d’être apporté, contre l’avis de l’opinion publique d’ailleurs. Tout cela n’a pas de sens !

Le Parlement a toujours la possibilité, avez-vous dit, de réduire les crédits budgétaires. Franchement, c’est faire porter aux parlementaires une sacrée responsabilité : ils deviendraient responsables du manque de moyens pour se battre !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah, c’est formidable, ça !

M. Didier Boulaud. C’est à l’exécutif d’assumer ses responsabilités !

Monsieur le ministre, puisque vous n’avez pas engagé de polémique sur l’accord d’Abu Dhabi, permettez-moi de vous rappeler qu’il a été signé le 17 janvier 1995. Le Président de la République était François Mitterrand, et le Premier ministre d’alors s’appelait Edouard Balladur !

M. Hervé Morin, ministre. Oui, et alors ?

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. À l’issue de ce débat, il est donc entendu – mais je préfère que cela ait été affirmé et confirmé ! – que le Parlement a toujours la faculté de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement par l’article 49-2 de la Constitution, ou par l’article 49-3 s’il y a un texte.

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Évidemment !

M. Michel Charasse. Le Gouvernement peut toujours solliciter la confiance par l’article 49-1 ou par l’article 49-4, ou encore les deux.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais oui !

M. Michel Charasse. Mais, au terme de tout cela – et c'est pourquoi les amendements n’étaient pas inutiles forcément –, seul le Sénat ne peut pas, sur son initiative, obtenir un vote.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien sûr !

M. Michel Mercier. Sauf sur une résolution !

M. Michel Charasse. Sauf sur une résolution, mais la résolution est sans vote !

Bref, pour le futur, je dis simplement que, lorsqu’on est engagé dans une opération militaire, surtout si celle-ci est difficile, le Gouvernement a toujours intérêt à s’appuyer sur la confiance et le soutien de la représentation nationale.

M. Didier Boulaud. Absolument !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 457.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques nos 111 et 140.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur le ministre, puis-je me permettre de rappeler à vos honorables conseillers que nous avons repris la formulation de l’article 53 de la Constitution ?

J’ai entendu parler de proposition de loi. Franchement ! Ou alors il faut modifier rapidement l’article 53 de la Constitution, ou alors, si le Sénat refusait de ratifier un traité, le Gouvernement pourrait demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement, et celle-ci aurait le dernier mot !

Monsieur le ministre, vous avez évoqué la navette. Mais l’urgence sera déclarée !

En tout cas, nous ne voulons pas que le Sénat soit présenté explicitement comme une assemblée de second rang ! Notre formulation correspond à l’article 53 de la Constitution de 1958. Les termes et la procédure sont les mêmes. Aucun amendement n’est recevable.

J’ajoute, monsieur le ministre, que la brièveté dans la Constitution a infiniment plus d’élégance ! Cela devrait être aussi la règle pour les lois. Je sais que vous y êtes particulièrement attaché compte tenu de votre formation initiale.

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote.

M. Yves Pozzo di Borgo. Si ces amendements identiques sont adoptés, l’amendement n° 279 rectifié que j’ai déposé deviendra sans objet.

Je rejoins la position du président de la commission des lois et du président de la commission des affaires étrangères. La formulation initiale avait été jugée inélégante, d’où mon vœu, exprimé de façon quelque peu brutale, de rappeler le principe du bicamérisme.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. Dans ces affaires, les choses doivent être claires !

Le rapporteur de la commission des lois nous dit qu’il n’y aura pas d’amendement sur la loi d’autorisation. La Constitution est très précise. Le Parlement, en matière internationale, n’ayant pas le pouvoir de négociation, il ne peut pas voter d’amendements sur le contenu des traités et des accords.

En revanche, il peut toujours amender la loi d’autorisation, comme il l’a fait, je vous le rappelle, au moment de l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct : l’article 1er a été complété et un deuxième article a été ajouté. Je vous renvoie aux textes relatifs aux pouvoirs publics ; c’est dedans ! Par conséquent, on peut toujours amender la loi d’autorisation de ratification d’un traité ou d’un accord.

La loi d’autorisation visée dans votre amendement pourra toujours être amendée. Mais elle ne pourra l’être que pour préciser des conditions spécifiques liées par exemple au contrôle parlementaire – comptes rendus, obligations devant nos commissions,…

Il ne peut pas y avoir d’amendement sur l’autorisation elle-même. Mais la loi pourra toujours préciser que le Gouvernement s’expliquera, par exemple, devant la commission de la défense dans deux mois, dans trois mois, ou autre. Ce sont des amendements de contrôle.

L’interdiction des amendements est donc relative. Elle peut porter sur l’accessoire, mais pas sur l’essentiel.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 111 et 140.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. En conséquence, les amendements nos 258 rectifié, 459 et 279 rectifié n'ont plus d'objet.

Je mets aux voix l'amendement n° 341.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 458.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 362.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 259 rectifié et 460.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 13, modifié.

(L'article 13 est adopté. – Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

(M. Guy Fischer remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. Nous en revenons à l’article 3 bis, dont le Sénat a commencé l’examen ce matin.

Article 13 (priorité)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article additionnel après l’article 3 bis

Article 3 bis (suite)

Après le deuxième alinéa de l'article 11 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. La régularité de l'initiative, qui prend la forme d'une proposition de loi et qui ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an, est contrôlée par le Conseil constitutionnel dans des conditions fixées par une loi organique. Si la proposition n'a pas été examinée par les deux assemblées parlementaires dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République soumet la proposition au référendum. »

M. le président. Je rappelle que, sur cet article, six amendements font l’objet d’une discussion commune. Les amendements identiques nos 255 rectifié et 263 rectifié, ainsi que les amendements nos 68 rectifié et 98 ont déjà été présentés.

Nous en sommes donc parvenus à l’examen des trois sous-amendements affectant l’amendement n° 98.

Le sous-amendement n° 264 rectifié, présenté par MM. Détraigne, Zocchetto, Dubois, Amoudry, Badré, Biwer et Fauchon, Mmes Férat et Payet et MM. Soulage, Merceron, Deneux et Nogrix, et ainsi libellé :

Dans la première phrase du deuxième alinéa du 2° de l'amendement n° 98, après les mots :

premier alinéa

insérer les mots :

, à l'exception de l'organisation des pouvoirs publics,

La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Ce sous-amendement constitue en quelque sorte une position de repli par rapport à l’amendement n° 263 rectifié, identique à l’amendement n° 255 rectifié, que j’ai présenté ce matin. J’ai alors suffisamment expliqué à quel point nous étions défavorables à la mise en œuvre du référendum d’initiative mi-parlementaire mi-populaire.

Maintenir ce sous-amendement de repli pourrait donner le sentiment que, finalement, moyennant quelques ajustements, nous acceptons le principe de ce référendum. Or les signataires de l’amendement n° 263 rectifié– je l’ai dit clairement ce matin – y sont résolument opposés.

Je retire donc le sous-amendement n° 264 rectifié.

M. le président. Le sous-amendement n° 264 rectifié est retiré.

Le sous-amendement n° 79 rectifié, présenté par MM. Gélard et Portelli, est ainsi libellé :

Compléter le 2° de l'amendement n° 98 par un alinéa ainsi rédigé :

« La proposition de loi soumise à référendum est adoptée si la moitié au moins des électeurs inscrits a pris part au vote. »

Ce sous-amendement n’est pas soutenu.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission étant favorable à ce sous-amendement, je rectifie l’amendement n° 98 pour y intégrer la disposition proposée. Il y a en effet lieu de mettre en place un système assurant la sincérité des élections référendaires. Un tel dispositif existe d’ailleurs dans la plupart des États qui utilisent le référendum.

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 98 rectifié, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, et ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article :

L'article 11 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « ou sociale » sont remplacés par les mots : «, sociale ou environnementale » ;

2° Après le deuxième alinéa, sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :

« Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an.

« Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l'alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.

« Si la proposition de loi n'a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum. 

"La proposition de loi soumise à référendum est adoptée si la moitié au moins des électeurs inscrits a pris part au vote."

3° Au dernier alinéa, après le mot : « projet », sont insérés les mots : « ou de la proposition ».

Le sous-amendement n° 502, présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et MM. Fortassin, Laffitte et Marsin, est ainsi libellé :

Compléter le 2° de l'amendement n° 98 rectifié par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque la proposition de loi n'est pas adoptée par le Peuple français, aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date du scrutin. »

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Il s’agit d’un amendement de bon sens, monsieur le président. Lorsque le peuple a rejeté une première proposition de loi qui lui a été soumise par référendum, on ne doit pas pouvoir le ressaisir du même sujet avant qu’un délai de deux ans ne se soit écoulé. Sinon, on pourrait, tous les quatre matins, consulter les Français jusqu’à ce qu’ils cèdent !

M. le président. L'amendement n° 170, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

I. - Dans la première phrase du second alinéa de cet article, remplacer le mot :

un cinquième des membres du Parlement

par les mots :

un groupe parlementaire

et les mots :

un dixième des

par les mots :

un million d'

II. - Dans la deuxième phrase du même alinéa, supprimer les mots :

et qui

et les mots :

, est contrôlée par le Conseil Constitutionnel dans des conditions fixées par une loi organique

III. - Dans la dernière phrase du même alinéa, remplacer les mots :

fixé par la loi organique

par les mots :

d'un mois à compter de son dépôt

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. La création par l’article 3 bis d’un référendum d’initiative parlementaire soutenue par des électeurs me paraît peu judicieuse.

Cette disposition pourrait être examinée de manière plus pertinente à l’occasion du débat sur les articles relatifs au titre V de la Constitution, qui traite précisément des procédures législatives. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement visant à insérer un article additionnel après l’article 22 du projet de loi constitutionnelle.

Par précaution, nous avons cependant souhaité donner sans attendre à l’article 3 bis un peu plus de force. En effet, si la disposition contenue dans cet article constitue, sur le fond, une avancée face à la montée des aspirations des citoyens à intervenir dans les décisions qui les concernent, celle-ci demeure bien timide, madame le garde des sceaux !

Mes chers collègues, quand on se reporte au débat qui s’est déroulé sur cet article à l’Assemblée nationale, on s’aperçoit qu’il était manifestement empreint de la crainte de donner aux citoyens des pouvoirs susceptibles de concurrencer les nôtres. Tel est d’ailleurs le sentiment qui a habité la majorité sénatoriale lors du débat qui a eu lieu ici ce matin.

Cette crainte explique la double exigence prévue pour la mise en œuvre de ce référendum : son initiative revient à 180 députés, qui doivent être soutenus par 4,5 millions d’électeurs. Ces seuils rendront la procédure prévue extrêmement difficile – pour ne pas dire impossible – à mettre en œuvre.

Aussi strictement encadré, ce référendum tient plus de l’initiative parlementaire que de l’initiative populaire. Un tel dispositif témoigne à quel point le concept de démocratie participative ne peut être associé, aux yeux de la majorité, qu’à ce que je qualifierai de « participation sans risque des citoyens ».

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que, dans une société hypermédiatisée où la réflexion se réduit à de petites phrases, comme l’a rappelé ce matin Mme Borvo Cohen-Seat, la démocratie d’opinion se substitue au nécessaire débat démocratique, une démocratie d’opinion légitimée en quelque sorte par la reconnaissance d’un fonctionnement lobbyiste ou communautariste de la vie publique, la substitution du contrat à la loi, bref toutes les formes de vie sociale qui organisent la domination des plus forts.

Il serait pourtant urgent que les parlementaires se posent enfin une question à nos yeux essentielle : par quelle avancée démocratique le peuple pourra-t-il intervenir de façon directe à tous les niveaux et s’approprier les règles institutionnelles, aujourd’hui éloignées de lui ?

En effet, ce n’est pas avec des compromis recherchés du côté de formes très limitées de participation des citoyens à la vie politique que nous répondrons au divorce éloignant ces derniers de leurs élus.

Dès lors, mes chers collègues, acceptez au moins de rendre l’article 3 bis applicable et donnez-lui un minimum de contenu démocratique ! Acceptez avec nous de prévoir, entre autres dispositions, que l’initiative référendaire puisse venir d’un groupe parlementaire et que le seuil des électeurs la soutenant puisse être abaissé à un million.

M. le président. L'amendement n° 6 rectifié bis, présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et MM. Fortassin, Laffitte, Marsin et A. Boyer, est ainsi libellé :

Compléter le second alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :

Lorsque la proposition de loi n'est pas adoptée par le Peuple français, aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date du scrutin.

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Il a déjà été défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission ayant proposé une nouvelle rédaction de l’article 3 bis, elle est bien évidemment défavorable aux amendements identiques de suppression nos 255 rectifié et 263 rectifié.

S’agissant de l’amendement n° 68 rectifié, la proposition de M. Hugues Portelli est intéressante. Cependant, elle ne correspond pas du tout au système qui a été élaboré par l’Assemblée nationale et que nous soutenons. Par conséquent, nous ne pouvons qu’y être défavorables.

Quant au sous-amendement n° 502, il tend à limiter la possibilité d’organiser un référendum d’initiative parlementaire soutenu par une pétition populaire. Il est proposé qu’aucun référendum ne puisse être organisé dans les deux ans suivant le rejet d’un texte portant sur le même sujet.

Ce sous-amendement vise à apporter une garantie intéressante pour encadrer le recours à cette procédure, et la commission y est donc favorable.

En revanche, la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 170 dans la mesure où les seuils proposés sont extrêmement différents de ceux qui sont prévus dans le projet de loi constitutionnelle.

Par ailleurs, la commission demande le retrait de l’amendement n° 6 rectifié bis, qui sera satisfait par l’adoption du sous-amendement n° 502.

M. Michel Charasse. Je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 6 rectifié bis est retiré.

Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Les amendements identiques nos 255 rectifié et 263 rectifié visent à supprimer l’article 3 bis, qui introduit dans notre Constitution le référendum d’initiative populaire.

Cette disposition a été introduite par voie d’amendement à l’Assemblée nationale, avec l’accord du Gouvernement.

Vous redoutez, messieurs Gouteyron et Détraigne, des dérives démagogiques sur ce sujet. À mes yeux, ces craintes ne sont pas fondées, puisque le mécanisme retenu donne aux parlementaires une responsabilité qu’ils sauront exercer à bon escient.

En premier lieu, la mise en œuvre de ce référendum exige une initiative parlementaire et le soutien significatif des électeurs. L’accord d’au moins un cinquième des membres du Parlement, soit aujourd’hui 182 parlementaires, et bientôt 185, et le soutien d’environ 4,4 millions d’électeurs seront nécessaires.

Ces seuils permettent à l’opposition d’être à l’origine d’une telle initiative. Au demeurant, il ne peut s’agir d’une idée isolée, et les modalités de mise en œuvre visent donc à éviter les dérives que vous avez évoquées, messieurs les sénateurs.

En second lieu, c’est au Parlement qu’il reviendra de se prononcer sur les suites données à une telle initiative. Si cette dernière n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un certain délai, que l’on pourrait par exemple fixer à un an, un référendum sera organisé. C’est avant tout un moyen d’obliger le Parlement à se saisir de la question qui serait posée.

En outre, nous sommes favorables à ce que la disposition prévue soit complétée pour qu’il soit clair que le Conseil constitutionnel contrôle la constitutionnalité de la proposition de loi. Ce contrôle devra d’ailleurs intervenir dès la phase de recueil des signatures. Ce sera, encore une fois, un moyen d’éviter les dérives démagogiques auxquelles vous faisiez allusion tout à l’heure.

Au total, le Gouvernement considère que cette disposition est un bon moyen d’introduire un peu plus de démocratie directe dans le fonctionnement de nos institutions. Il est donc défavorable aux amendements identiques nos 255 rectifié et 263 rectifié visant à supprimer l’article 3 bis.

Certains considèrent au contraire que le projet de loi constitutionnelle ne va pas assez loin. Je pense notamment à l’amendement n° 68 rectifié de M. Portelli, qui tend à alléger considérablement les conditions posées pour permettre l’émergence d’une telle initiative populaire. Il suffirait de réunir un million d’électeurs, au lieu des 4,4 millions prévus. Surtout, l’initiative pourrait venir uniquement du corps électoral, sans bénéficier d’aucun soutien parlementaire.

Le Gouvernement n’est pas favorable à un tel dispositif, au regard de l’équilibre du projet. Il s’agit en effet d’un mécanisme nouveau dans notre pays. En combinant l’exigence d’un certain nombre de parlementaires, qui peuvent appartenir à l’opposition, et celle d’un certain nombre d’électeurs, il s’agit d’apporter de fortes garanties pour éviter tout risque démagogique.

L’amendement n° 170 prévoit plusieurs modifications du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.

Tout d’abord, il vise à remplacer « un cinquième des membres du Parlement » et « un dixième des électeurs » par « un groupe parlementaire » et « un million d’électeurs », soit 2,3 % du corps électoral.

Le Gouvernement n’est pas favorable à une telle modification, qui pourrait donner au référendum d’initiative populaire un caractère trop partisan. Les seuils prévus dans le projet de loi constitutionnelle qui vous est soumis sont beaucoup plus raisonnables, si je puis dire. Ils traduisent un équilibre entre l’exigence de sérieux de la démarche et le souci de faisabilité du dispositif pour que ce dernier soit réellement efficient et donc utilisé.

Ensuite, l’amendement tend à supprimer le contrôle du Conseil constitutionnel. Cela paraît dangereux : en effet, l’organisation d’une telle initiative populaire étant complexe, il faut bien qu’un organe soit chargé de son contrôle.

Enfin, l’amendement prévoit que la proposition de loi pourrait être soumise au référendum si elle n’a pas été examinée dans un délai d’un mois. C’est une condition impossible à satisfaire et totalement contradictoire avec le reste du projet de loi constitutionnelle, qui octroie un délai plus long au Parlement pour lui permettre d’effectuer un meilleur travail.

Le Gouvernement est favorable au référendum d’initiative populaire à condition que ce dernier soit raisonnablement encadré. Il ne peut donc suivre les propositions présentées par cet amendement, sur lequel il émet un avis défavorable.

L’amendement n° 98 rectifié vise à préciser et à améliorer la rédaction de l’article 3 bis issu des travaux de l’Assemblée nationale.

Il précise l’objet de la loi organique correspondante. Le législateur organique devra prévoir les conditions de présentation de l’initiative, ce qui est extrêmement important.

Il améliore la rédaction de l’article 3 bis en y regroupant, par souci de cohérence, toutes les dispositions visant à modifier l’article 11 de la Constitution.

Le Gouvernement est extrêmement favorable à cet amendement, tout en estimant que le champ de la loi organique pourrait être élargi, comme nous le verrons dans les débats ultérieurs.

En ce qui concerne le sous-amendement n° 79 rectifié, le Gouvernement est défavorable à la proposition d’exclure l’organisation des pouvoirs publics du champ du référendum d’initiative populaire, rien ne justifiant une telle exclusion. Un référendum d’initiative populaire pourrait être organisé, par exemple, pour consulter les Français sur une réforme administrative d’une grande ampleur.

Par ailleurs, le Gouvernement souhaite un contrôle a priori de la constitutionnalité de la proposition de loi soumise à référendum. Le référendum d’initiative populaire, y compris lorsqu’il portera sur l’organisation des pouvoirs publics, sera entouré de toutes les garanties de conformité à la Constitution.

Sur le sous-amendement n° 502 aux termes duquel, en cas d’échec d’une première initiative, aucune nouvelle proposition de référendum ne peut être présentée avant un délai de deux ans sur le sujet, à l’évidence, le Gouvernement émet un avis favorable, en précisant toutefois que le délai relève de la loi organique.

Le sous-amendement n° 79 rectifié, que M. le rapporteur a intégré dans l’amendement n° 98 rectifié, prévoyait qu’une proposition de loi soumise à référendum ne pourrait être adoptée que si 50 % au moins des électeurs inscrits participaient au vote.

La question est délicate. En effet, si une telle condition existe pour les référendums locaux, elle n’est pas prévue dans le cas des référendums nationaux mentionnés à l’article 11 de la Constitution.

Je rappelle que si la participation au référendum sur le statut de la Nouvelle-Calédonie n’a été que de 37 %, le « oui » a recueilli 80 %, et le référendum sur le quinquennat, tenu le 24 septembre 2000, avec 30 % de votants, a recueilli 73 % de « oui ». Il paraît difficile pour un gouvernement d’ignorer une telle majorité de « oui ».

M. Michel Mercier. Cela paraît difficile !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. C’est la raison pour laquelle il convient de faire preuve d’une extrême prudence en la matière.

Une solution peut résider dans une pondération des deux critères. Par exemple, on pourrait prendre en compte une majorité de « oui » représentant au moins telle part du corps électoral.

En tout cas état de cause, il vaudrait mieux renvoyer ces dispositions à la loi organique pour les référendums locaux prévue à l’article 72-1 de la Constitution Il s’agit de la loi organique du 1er août 2003.

Telles sont les raisons pour lesquelles, à ce stade, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette disposition.

M. le président. Monsieur le rapporteur, l’avis du Gouvernement a-t-il une incidence sur la rédaction de l’amendement n° 98 rectifié ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je suis embarrassé, monsieur le président…

Si l’on retient un seuil, il faut l’inscrire dans la Constitution et pas seulement dans la loi organique. Je rappelle qu’il existe un seuil, par exemple, pour les élections municipales, où une liste ne remporte le premier tour que si elle obtient la majorité absolue des voix représentant au moins 25 % des électeurs inscrits.

Le fait de prévoir un seuil va sans doute donner des idées aux députés. Il me paraît donc souhaitable de voter l’amendement n° 98 rectifié en l’état, quitte à le corriger éventuellement par la suite.

Mme le garde des sceaux me dit que si les seuils ne figurent pas dans la Constitution, ils peuvent être inscrits dans la loi organique.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Comme pour les référendums locaux !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas la même chose ! Nombre d’éléments concernant un référendum local peuvent être inscrits dans la loi organique. En l’occurrence, il s’agit d’un référendum national, qui vise tout de même à changer la Constitution, ce qui n’est pas tout à fait de même niveau.

Cela étant, pour ne pas compliquer les choses, et en espérant que nous aurons l’occasion de revenir sur ce point ultérieurement, je suis prêt à retirer le membre de phrase concerné, tout en soulignant que ce serait une erreur de ne pas prévoir un seuil. (Protestations sur les travées de lUMP.)

M. Christian Cointat. C’était la condition pour que je vote le texte !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Dans ce cas, je maintiens l’amendement tel qu’il est rédigé, monsieur le président ! (Rires.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 255 rectifié et 263 rectifié.

M. Michel Mercier. Les députés ont pris l’initiative d’inscrire dans notre droit une forme de référendum d’initiative parlementaire avec un soutien populaire. Que ce soit le Sénat qui prenne l’initiative de supprimer un tel dispositif ne me paraîtrait pas très malin !

La raison en est simple : la révision constitutionnelle a aussi pour objet de reconnaître des droits nouveaux aux citoyens. Il ne s’agit pas de dire que le texte résultant des travaux de l’Assemblée nationale est parfait, mais on ne peut pas supprimer systématiquement toute nouveauté. Et les parlementaires ne doivent pas montrer de frilosité à l’égard des électeurs !

Pour ma part, je ne confonds pas peuple et populisme. Le référendum a joué un grand rôle dans notre histoire.

M. Gérard Longuet. Je crois me souvenir que vous n’en avez pas toujours été partisan !

M. Michel Mercier. Je n’en ai pas toujours été un chaud partisan, mais je sais aussi qu’il a permis de faire avancer et changer bien des choses.

Très honnêtement, l’amendement prévoit déjà bon nombre de précautions pour l’organisation du référendum. Il exige que l’initiative soit appuyée par cent quatre-vingt-cinq parlementaires, qu’elle soit soutenue par un dixième du corps électoral, qu’elle prenne la forme d’une proposition de loi et prévoit la tenue du référendum uniquement dans le cas où le Parlement ne se serait pas prononcé.

M. Robert Bret. Ce n’est pas une bonne chose !

M. Michel Mercier. Certes, il était nécessaire d’améliorer la rédaction de l’article. Notre rapporteur y a concouru.

Pour ma part, je voterai en l’état l’amendement n° 98 rectifié, qui est un amendement de clarification et de meilleure écriture juridique.

Enfin, je souligne qu’il serait dangereux pour le Sénat lui-même de supprimer une disposition accordant aux citoyens un pouvoir supplémentaire.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, pour explication de vote.

M. Alain Gournac. Je vous remercie, monsieur le président, de me donner la parole afin d’expliquer pourquoi nous allons retirer l’amendement n° 255 rectifié.

Je ne regrette aucunement d’avoir déposé cet amendement avec mon ami Adrien Gouteyron, car il était important d’attirer l’attention du Gouvernement sur la difficulté de mettre en place ce référendum populaire.

Je vous donnerai un exemple : j’ai reçu deux pétitions locales, au sujet de panneaux. L’une avait recueilli quatre-vingts signatures, l’autre, cinquante ou cinquante-deux. Vérification faite, il est apparu que dix-sept personnes seulement avaient apposé leur signature pour toutes les autres sur les deux pétitions !

Cet exemple illustre la raison pour laquelle il nous paraissait nécessaire d’expliquer, par le biais de cet amendement, pourquoi le dispositif introduit par un amendement de l’Assemblée nationale serait difficile à mettre en place. Pensez-donc ! Il va falloir vérifier les signatures de quatre millions de personnes ! Bon courage ! (Exclamations sur les travées de lUMP.)

Mais je retire finalement cet amendement.

M. le président. L’amendement n° 255 rectifié est retiré.

Monsieur Détraigne, l’amendement n° 263 rectifié est-il maintenu ?

M. Yves Détraigne. Je veux d’abord remercier Michel Mercier d’avoir apporté la démonstration de la liberté d’opinion des membres du groupe de l’Union centriste-UDF.

J’ai écouté attentivement toutes les explications, mais, à la différence d’Alain Gournac, je maintiens mon amendement. Je reste solidaire des propos tenus par Alain Gournac ce matin vers douze heures trente, douze heures quarante-cinq, et fidèle à moi-même et aux explications que j’ai données au même moment.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. Je ne suis pas loin de partager l’opinion émise voilà un instant par M. Mercier et, en filigrane de leurs amendements, par les auteurs des deux amendements de suppression.

Cela étant, je souhaite poser trois questions précises à Mme le garde des sceaux.

En effet, le texte qui nous est soumis est, à mon point de vue, très mal rédigé.

Premièrement, la première phrase de l’article 3 bis dispose : « Un référendum […] peut être organisé… » ; par conséquent, il n’est pas obligatoirement organisé.

M. Gérard Longuet. Absolument ! « Peut » n’est pas « doit » !

M. Michel Charasse. Mais la dernière phrase de ce même article prévoit : « le Président de la République soumet », ce qui est une obligation avec compétence liée.

J’aimerais comprendre comment on interprète la première phrase et la dernière phrase ensemble, « peut » signifiant que ce n’est pas obligatoire, « soumet », que c’est obligatoire.

Deuxièmement, dans le membre de phrase : « si la proposition n’a pas été examinée par les deux assemblées… », que signifie le terme : « examinée » ? Cela ne veut pas dire « votée ».

M. Gérard Longuet. Cela ne veut rien dire ! C’est du bricolage !

M. Michel Charasse. Ou bien, simplement, on examine et, par exemple, on vote la question préalable ; dans ce cas, il n’y a pas d’examen, mais on examine tout de même, et il n’y a pas de vote. On fait la même chose dans les deux assemblées, et l’on considère que, dans ce cas-là, l’examen prévu à l’article 11 de la Constitution a été fait.

Madame le garde des sceaux, je souhaiterais avoir une réponse précise sur ces deux points.

En effet, vous imaginez bien que si l’on déclenche un jour la procédure – et l’on ne va pas le faire tous les jours –, cette dernière donnera lieu, parce que ce sera sans doute un sujet sensible, à un certain nombre d’oppositions entre ceux qui seront pour et ceux qui seront contre le référendum.

Il faut éviter une déchirure dans l’opinion et écarter la possibilité d’ergoter sur les textes.

En résumé, si un référendum « peut » être organisé, cela veut dire que ce n’est pas obligatoire, et si le Président de la République « soumet », cela signifie que c’est obligatoire ; enfin, « examiner », ce n’est pas « voter ».

Je souhaite dire à M. Hyest que, dans son amendement, il pourrait remplacer les mots : « si la moitié au moins des électeurs inscrits a pris part au vote » par les mots : « sous réserve d’un seuil de participation des électeurs fixé par une loi organique ».

Ainsi, au lieu de définir nous-mêmes ce seuil – j’ai cru comprendre que c’est ce qui gênait le Gouvernement –, nous en renvoyons la fixation à une loi organique, comme nous l’avons fait pour le référendum local prévu à l’article 72-1 de la Constitution. En effet, mes chers collègues, vous vous rappelez que c’est le Sénat, sur le rapport de Daniel Hoeffel, qui a imposé que, pour que ce référendum soit valable, la participation devait être supérieure à 50 % des électeurs inscrits dans la commune.

Ainsi, le Parlement aura de nouveau la parole pour fixer un seuil lorsqu’il votera la loi organique.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. Dans le monde moderne, il est difficile, et parfois dangereux, de s’en remettre à la démocratie directe non organisée. En revanche, comme l’a fort bien dit Michel Mercier, il ne faudrait pas pour autant se priver de toute possibilité de disposer d’instruments nouveaux. Il est donc utile de pouvoir concilier une forme de démocratie directe et la démocratie représentative.

C’est précisément ce que prévoit l’article 3 bis. Je comprends que certains de nos collègues y soient rétifs, craignant que ce ne soit la porte ouverte à certaines dérives. Je leur répondrai que la commission des lois, en posant un certain nombre de garde-fous, a verrouillé tout risque de dérapage. L’amendement n° 98 rectifié de la commission des lois, avec le verbe « peut », précise bien que l’organisation d’un référendum sur l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement est une faculté soumise à l’appréciation de ce dernier, et non une obligation. Pour que le référendum soit obligatoire, il faudrait que la proposition de loi qui reprend l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement n’ait pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique. Mais si ces dernières se saisissent de cette proposition mais n’y sont pas favorables, le référendum n’est pas forcément organisé. C’est un premier garde-fou.

Ensuite, il est prévu la garantie du Conseil constitutionnel.

Il y a également la garantie des seuils pour la demande de référendum : un cinquième des membres du Parlement, un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales.

Enfin, si le référendum est organisé, il faut, pour que la proposition de loi soit adoptée, que la moitié au moins des électeurs inscrits ait pris part au vote. Voilà pourquoi je suis extrêmement attaché à la disposition qui figurait dans le sous-amendement n° 79 et qui a été reprise par M. le rapporteur dans son amendement n° 98 rectifié. En effet, si un référendum est organisé, il est très important de prévoir un seuil minimal de participation. Cela étant, je suis tout à fait d’accord avec la formulation proposée par notre collègue Michel Charasse : on peut discuter de la manière de fixer ce seuil du moment qu’on en conserve le principe.

Si je comprends que certains de nos collègues veuillent supprimer cet article 3 bis, je considère néanmoins qu’il nous faut faire confiance à la commission, et donc voter son amendement. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À titre personnel, je m’abstiendrai sur cet article, qui nous pose problème.

Nous sommes partisans du référendum d’initiative populaire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons déposé l’amendement n° 170, dont j’admets volontiers qu’il pouvait être discuté. Or, dans le cas d’espèce, c’est non pas un tel référendum qu’on nous propose, mais un référendum d’initiative parlementaire soutenu par une part considérable du corps électoral.

C’est probablement ce point qui nous différencie largement de certains d’entre vous. La possibilité pour les citoyens de proposer un référendum est encadrée, parce que le Parlement peut répondre par une proposition de loi.

Ensuite, le référendum donne évidemment lieu à un débat. Ce n’est pas un référendum-plébiscite, puisqu’il n’est pas proposé par une personne, en l’occurrence le chef de l’État.

En réalité, la procédure est analogue à celle de la motion référendaire prévue dans le règlement des deux assemblées.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À l’Assemblée nationale, pour être valable, cette motion doit être signée par un dixième au moins de ses membres ; au Sénat, elle doit l’être par au moins trente sénateurs, présents en séance. Je vous rappelle d’ailleurs que, au nom du groupe CRC, j’ai récemment présenté une telle motion, que le Sénat a rejetée.

L’amendement n° 98 rectifié prévoit, pour qu’un référendum puisse être organisé, l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement soutenue par un dixième des électeurs inscrits. Dans ces conditions, l’initiative citoyenne est complètement noyée et superfétatoire.

Si vous votiez l’amendement de la commission, vous ne feriez pas preuve, pour autant, d’une audace citoyenne extraordinaire, mes chers collègues !

Néanmoins, si, par extraordinaire, le Sénat devait le rejeter et refuser ainsi la moindre initiative citoyenne, il produirait un effet très négatif, lui qui refuse de se démocratiser un tant soit peu.

Je propose que l’initiative citoyenne en soit réellement une. Ensuite, la majorité parlementaire est libre de réserver une suite favorable ou non à cette demande de référendum.

En tout cas, ne prétendez pas que vous mettez en place un référendum d’initiative citoyenne !

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. Comme l’a rappelé Michel Mercier, cet article 3 bis a été introduit par l’Assemblée nationale. Je le remercie de son intervention, car lui seul m’a vraiment convaincu de ne pas être désobligeant à l’égard de nos collègues députés, que je me garderai bien de provoquer inutilement, ayant moi-même longtemps siégé à l’Assemblée nationale.

Néanmoins, force est de reconnaître que cet article est au mieux inapplicable, au pis parfaitement contradictoire. Surtout, il entretient l’une des faiblesses de la Ve République, à savoir la cohabitation.

Cet article aura en effet pour conséquence d’installer une nouvelle forme de cohabitation : en plus de la légitimité présidentielle et de la légitimité législative, issues l’une et l’autre de l’élection, il crée cette nouvelle légitimité référendaire, qui ne peut apparaître que grâce à la complicité tacite d’une assemblée qui serait « violée », si l’on peut dire, puisque, comme l’a fait remarquer Michel Charasse, la portée du mot « examinée » n’est pas claire du tout.

M. Jean Desessard. En effet, ce n’est pas très clair !

M. Gérard Longuet. Ainsi, c’est une sorte de silence qui permettrait à ce texte d’être soumis à une légitimité référendaire. Il est donc à peu près inapplicable.

Madame le garde des sceaux, pour apaiser cette légitime tension entre l’Assemblée nationale et une fraction importante du Sénat, vous pourriez demander à nos collègues députés de préciser leurs intentions, étant entendu qu’il n’est pas dans notre dessein de les humilier. Naturellement, nous pourrions être tentés de voter les amendements de suppression de MM. Gouteyron et Gournac – mais ces derniers ont retiré le leur – ou de M. Détraigne. Néanmoins, ce serait très désobligeant vis-à-vis de nos collègues députés qui, j’en suis convaincu, ont dû passer des heures à rédiger un article exprimant sans doute une volonté qui, il faut bien l’admettre, n’est ni très bien assumée ni très bien formulée…

Madame le garde des sceaux, si vous vous engagez à demander ces précisions – je ne parle pas d’apaisements – sur l’article 3 bis lors de la deuxième lecture devant l’Assemblée nationale, nous vous faisons confiance. En revanche, si, d’aventure, vous considériez que la rédaction actuelle de cet article est pleinement satisfaisante, vous ne manqueriez pas de susciter l’inquiétude constitutionnaliste de nombreux collègues dans cette assemblée.

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, pour explication de vote.

M. Gérard Delfau. La discussion de cet amendement de suppression de l’article 3 bis me donne l’occasion de faire connaître mon sentiment général sur ce texte et de vous faire part d’un certain nombre de considérations sur ce type de procédure.

Je ne suis pas favorable à la suppression de cet article. Comme notre collègue Michel Mercier, j’estime que le Sénat doit être attentif à l’évolution des mœurs et aux besoins de changements. Pour autant, cela ne doit pas nous empêcher de nous entourer d’un certain nombre de garanties. J’y reviendrai.

J’observe qu’il s’agit non pas d’un référendum d’initiative populaire, mais d’une procédure mixte, « semi-parlementaire semi-populaire », comme j’ai pu le lire dans l’exposé des motifs de l’amendement n° 263 rectifié de M. Détraigne. Cette procédure nouvelle, à la nature mal identifiée, rassure certains de nos collègues, cependant qu’elle en étonne d’autres.

La première réflexion qui vient à l’esprit est la suivante : on accepte de créer ce nouveau droit, mais on subordonne sa mise en œuvre à la réalisation de tant de conditions qu’on rend cette nouvelle forme de démocratie directe soit « inapplicable », pour reprendre l’expression de Gérard Longuet, soit « verrouillée », pour reprendre l’expression de Christian Cointat.

Vous connaissez le proverbe : « Donner et retenir ne vaut ». De deux choses l’une : ou bien l’on accepte de mettre en place cette forme nouvelle de démocratie, en l’entourant de toutes les garanties nécessaires, et l’on permet que ce type de procédure puisse un jour aller jusqu’à son terme ; ou bien l’on vote un texte rédigé de telle sorte qu’il soit strictement inapplicable et impossible à mettre en œuvre.

Je vous avoue bien volontiers ma perplexité. Depuis le début de ce débat, je suis particulièrement attentif à ne laisser passer aucune chance pour faire avancer cette idée. Aussi, si c’est la seule possibilité, je voterai l’amendement n° 98 rectifié de la commission. Toutefois, il est à craindre que bien des efforts soient nécessaires au cours de la navette de la part des deux assemblées, avec le concours du Gouvernement, pour aboutir à un dispositif garantissant la stabilité de nos institutions, car c’est bien de cela qu’il s’agit,…

M. Gérard Longuet. Leur cohérence !

M. Gérard Delfau. …– je fais mien ce terme, monsieur Longuet – tout en rendant notre démocratie plus ouverte, plus attentive à ce que pense la population, sans pour autant la mettre en danger ni affaiblir et défigurer les institutions de la ve République, mais en les enrichissant.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je remercie ceux de nos collègues qui ont fait remarquer que la rédaction de l’article 3 bis, qui vise à créer un référendum d’initiative parlementaire soutenu par une pétition – c’est bien de cela qu’il s’agit –, est améliorée par l’amendement n° 98 rectifié de la commission des lois, notamment en ce qui concerne le contrôle de constitutionnalité.

Un mot pose problème : « examinée ». Je comprends cette préoccupation. L’Assemblée nationale a longuement débattu de ce point. À cet égard, je vous renvoie au rapport du président de sa commission des lois, les rapports parlementaires étant parfois tout aussi intéressants que les projets de loi auxquels ils se rapportent.

Il y a donc une initiative parlementaire qui débouche sur une proposition de loi que le Parlement est obligé d’examiner. Elle peut être repoussée – dans ce cas, elle n’est pas soumise à référendum – amendée ou adoptée conforme. C’est pourquoi le terme « examinée » a été choisi.

On ne peut pas aller au-delà, sauf à rendre obligatoire la soumission à référendum d’un texte qui aurait par exemple été rejeté par une des deux assemblées du Parlement.

M. Michel Charasse. Ou adopté par les deux, ce qui serait pire !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce serait pire, en effet.

M. Gérard Longuet. Le peuple pourrait désavouer le Parlement.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non ! Si une proposition de loi est adoptée par les deux assemblées, elle devient la loi. Il n’y a plus besoin de référendum. En fait, c’est beaucoup plus clair qu’on ne le dit.

M. Michel Charasse. Tout à fait.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La procédure est enserrée dans des limites extrêmement précises.

Madame le garde des sceaux, dans un premier temps, j’étais favorable à la fixation d’un seuil dans le projet de loi constitutionnelle. Toutefois, après avoir entendu M. Charasse, il me paraît préférable de renvoyer la fixation du seuil à la loi organique.

Je rectifie donc mon amendement en remplaçant, au quatrième alinéa du 2°, après les mots : « La proposition de loi soumise à référendum est adoptée – c’est le sous-amendement de M. Gélard que j’ai intégré – les mots : « si la moitié au moins des électeurs inscrits a pris part au vote » par les mots : « sous réserve d’un seuil de participation des électeurs fixé par la loi organique ».

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cette rédaction permet de trouver un équilibre.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On pose le principe et le seuil sera fixé non pas dans la loi constitutionnelle, mais dans une loi organique. Je remercie M. Charasse de sa contribution.

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 98 rectifié bis, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, et ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article :

L’article 11 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « ou sociale » sont remplacés par les mots : «, sociale ou environnementale » ;

2° Après le deuxième alinéa, sont ajoutés quatre alinéas ainsi rédigés :

« Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an.

« Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.

« Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum.

« La proposition de loi soumise à référendum est adoptée sous réserve d’un seuil de participation des électeurs fixé par la loi organique. »

3° Au dernier alinéa, après le mot : « projet », sont insérés les mots : « ou de la proposition ».

Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement était favorable à l’amendement no 98 rectifié. Il l’est plus encore à l’amendement no 98 rectifié bis, qui intègre la proposition de M. Michel Charasse, que je remercie de sa contribution.

Le Président de la République doit soumettre la proposition de loi à référendum si le Parlement ne l’a pas examinée dans le délai d’un an. « Examinée », cela signifie que la proposition a été inscrite à l’ordre du jour d’une assemblée et qu’au moins une lecture a eu lieu dans le délai d’un an.

Monsieur Longuet, la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale nous paraissait suffisante. Si des difficultés subsistent, le Gouvernement s’engage à les clarifier lors de la deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle à l’Assemblée nationale.

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

M. Bernard Frimat. Monsieur le rapporteur, notre débat ne me paraît pas être d’une si grande clarté.

Ma conviction est que d’aucuns s’embusquent, adoptent une position qui semble acceptable, mais qui en cache une autre.

Nos collègues de l’Assemblée nationale sont parvenus à un accord presque unanime en acceptant la création de ce qu’ils ont appelé un référendum d’initiative populaire. J’ai cru entendre le Premier ministre se réjouir, du haut de la tribune, de cette avancée des droits des citoyens.

Aujourd’hui où en sommes-nous ? Certains, comme MM. Gouteyron, Gournac et Détraigne, dont je respecte les opinions, exprimant le fond de leur pensée, nous disent qu’ils ne veulent pas de ce référendum. Ils souhaiteraient renouveler l’opération d’hier, supprimer une disposition qui a fait l’objet d’un consensus à l’Assemblée nationale, même si, d’un point de vue juridique, elle appelle de nombreuses remarques.

Sur le fond, ils veulent supprimer cette disposition. Sans doute me démentiront-ils, mais, lorsque l’on dépose un amendement visant à supprimer une disposition, c’est bien que l’on ne veut pas de ladite disposition.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Supprimer, cela veut bien dire ce que cela veut dire !

M. Bernard Frimat. Mais, après réflexion, ils se disent : si l’amendement de suppression est voté, quelle image allons-nous encore donner de notre assemblée ?

M. Bernard Frimat. Hier, nous avons supprimé une disposition ; aujourd’hui, nous en supprimons une autre. Or toutes deux, à tort ou à raison, étaient présentées comme des progrès. Nous ne pouvons donc pas faire cela.

Comme, au fond, ils ne veulent pas de cette disposition, ils se tournent vers M. le président de la commission des lois, qui a déjà montré en la matière son talent à de multiples reprises.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et ce n’est pas fini ! (Sourires.)

M. Bernard Frimat. Je n’en doute pas un seul instant.

Finalement, faisant preuve d’ingéniosité juridique, dans un premier temps, on propose la création d’un seuil. Nous assistons alors à un curieux dialogue : M. Cointat déclare qu’en l’absence de seuil il ne votera pas l’amendement ; à quoi il lui est répondu que, s’il en fait une condition, on lui donnera satisfaction. Il faudra que je demande à Christian Cointat le secret de sa méthode ! (Sourires.) Nous voudrions bien savoir, nous, quelles conditions nous pourrions poser…

Dans un second temps, considérant qu’un seuil ne fait pas bon effet dans une Constitution, on supprime ledit seuil du projet de loi constitutionnelle pour le renvoyer à un projet de loi organique.

Ainsi, l’amendement no 98 rectifié prévoyait que la proposition de loi soumise à référendum serait considérée comme adoptée si 50 % des électeurs inscrits avaient pris part au vote. Il s’agissait d’un verrou supplémentaire. Maintenant, on nous demande de voter un texte qui renvoie la fixation du seuil à un projet de loi organique, qui nous laisse donc dans un flou total.

Mes chers collègues, il n’est pas interdit d’être contre le référendum d’initiative populaire. Vous en avez le droit.

M. Bernard Frimat. Libérez-vous ! Que vous soyez soucieux de l’image du Sénat, que vous souhaitiez ne pas toujours le faire apparaître comme une chambre rétrograde, nous en sommes heureux et nous saluons ce progrès ! Mais soyez sincères : vous êtes contre, dites-le !

Nous ne nous associerons pas à ce petit jeu. Notre position est claire. Le groupe socialiste n’a pas déposé d’amendement sur le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. Il était prêt à l’accepter, en dépit des critiques fondées auxquelles il donnait lieu, parce qu’il s’agissait d’un compromis. Mais la façon dont vous le tordez, le ravaudez, le videz de son sens ne nous convient pas.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il n’y a rien de changé !

M. Bernard Frimat. Nous ne nous prêterons pas à vos faux-semblants, à vos techniques d’enfumage. (Protestations sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

Le groupe socialiste, je le répète, soutient la rédaction de l’Assemblée nationale.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous ne l’avons pas changée !

M. Bernard Frimat. Vous vous êtes alors donné beaucoup de mal pour rien.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous l’avons améliorée, et vous étiez d’accord en commission.

M. Bernard Frimat. Non, monsieur le rapporteur ! C’est faux ! Je vous demande de me montrer, dans le procès-verbal de la commission, un seul de mes propos allant dans ce sens.

Monsieur le président de la commission, je ne mets jamais votre parole ni votre rigueur intellectuelle en doute.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En effet, vous n’avez rien dit !

M. Bernard Frimat. Bon ! Cela me semble plus exact. Je me permets donc de vous faire profiter des méandres de ma pensée. (Rires sur les travées de lUMP.)

M. Philippe Dallier. Pour ce qui est de méandres ! (Sourires.)

M. Bernard Frimat. Nous voterons contre l’amendement de suppression, si M. Détraigne le maintient. Nous nous abstiendrons sur l’amendement no 98 rectifié bis, parce que, je le répète, nous sommes favorables, en dépit de défauts juridiques importants et de limites dont nous aurions pu discuter, au compromis qui a été élaboré par l’Assemblée nationale.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. J’ai écouté avec un grand intérêt tous les arguments qui ont été avancés, ceux de M. Longuet en particulier.

Mes chers collègues, en dehors de toute pensée politique, je considère que le texte qui vient de l’Assemblée nationale est tout simplement inutilisable. Nous nageons dans la confusion juridique la plus complète.

Soyons clairs, il n’est en aucun cas question d’un référendum d’initiative populaire !

Il s’agit d’une initiative ouverte aux parlementaires…

M. Gérard Longuet. Aux parlementaires minoritaires !

M. Robert Badinter.… et, en aucun cas, de droits nouveaux donnés aux citoyens. Ne vous y trompez pas !

Pour user de ce droit, les parlementaires devraient être si nombreux que cette initiative ne pourrait qu’être le fait d’une des deux grandes formations du Parlement : soit la majorité, soit l’opposition. À mon sens, cela ne pouvait qu’être l’opposition.

Je développe ma pensée. Le Parlement aura donc une initiative de proposition de loi, laquelle fera l’objet – innovation, on le reconnaîtra, extraordinaire dans notre droit par rapport à la démocratie et aux pouvoirs du Parlement – d’une campagne de signatures. Les parlementaires mèneront ainsi une campagne non pas pour soutenir une initiative des citoyens, mais bien leur propre initiative. Comme cette démarche viendra nécessairement d’une des grandes formations du Parlement, je suis convaincu qu’ils obtiendront ces signatures.

Une fois les signatures recueillies, après que les parlementaires, c’est-à-dire le parti ou les partis politiques concernés, auront conduit une sorte de pré-campagne référendaire, la proposition sera, innovation dans notre droit, soumise au Conseil constitutionnel. Ce dernier ne statuera donc pas sur la constitutionnalité d’une loi qui aura passé les filtres et les discussions parlementaires. Il rendra un avis, a priori, sur une proposition de loi. (M. le rapporteur manifeste son impatience.)

Monsieur le président de la commission, il n’est pas inutile d’analyser la mécanique que l’on a forgée et qui se présente devant vous sous des traits qui ne correspondent pas à la réalité.

Le Conseil constitutionnel vérifie donc que l’objet de la proposition entre dans le champ du référendum. Ensuite, que fait-on ? On revient tout simplement devant le Parlement ! Et voilà ce qu’il en est de ce référendum que l’on a agité et présenté comme un progrès des droits des citoyens !

Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer en commission des lois, autant je suis favorable au développement et à la pratique du référendum, y compris d’initiative populaire, à l’échelon municipal, départemental ou régional, autant je combattrai toujours le référendum d’initiative populaire national.

Le référendum d’initiative populaire est l’instrument préféré des démagogues les plus extrêmes, de ceux qui, en toutes occasions, utilisent les passions pour énerver la démocratie : regardons autour de nous !

Je sais très bien, au premier crime atroce, quels sujets on verra fleurir, quelle démagogie anti-immigrés on verra prospérer… Mais ce n’est pas l’objet de notre débat.

J’en reviens à l’analyse de la mécanique qui nous préoccupe. Que se passe-t-il à ce point du processus ? En clair, l’opposition parlementaire, s’appuyant sur un certain nombre de signatures, reprend le texte pour le soumettre à nouveau au débat parlementaire.

Que l’on ne vienne pas me dire que c’est là un progrès quelconque des droits des citoyens ! C’est tout simplement une nouvelle forme d’initiative parlementaire : à côté de la proposition de loi classique apparaît une proposition de loi renforcée par une campagne de pétition.

Je me suis interrogé : qu’est-ce, au regard des droits du Parlement, que ce mélange bizarre qui nous est présenté ? Les parlementaires peuvent déjà déposer une proposition de loi – et j’espère que, grâce à l’amélioration de nos procédures, ils seront nombreux –, ils peuvent la faire inscrire à l’ordre du jour, et elle sera débattue. Si elle est votée, elle ira devant le Conseil constitutionnel ; si elle n’est pas votée, on en restera là… Véritablement, l’innovation que l’on nous dépeint comme un progrès de la démocratie directe n’est rien d’autre qu’une construction des plus étranges !

Giraudoux avait raison : l’imagination est la première forme du talent juridique. Ici, elle a simplement pris le tour que Clemenceau se plaisait à dénoncer sarcastiquement : « Vous savez ce que c’est qu’un chameau ? C’est un cheval dessiné par une commission parlementaire. » (Rires.) Aujourd’hui, nous avons affaire à un chameau comme, depuis plus de douze ans que je suis sénateur, je crois n’en avoir jamais rencontré.

Il ne me paraît pas possible que l’on puisse raisonnablement voter ce dispositif en l’état. Laissons-le en discussion, nous verrons bien dans la navette si nous pouvons en tirer quelque chose ; mais, pour l’heure, je ne concevrais pas que le Parlement s’inflige à lui-même cette extraordinaire innovation.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement no 263 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote sur l’amendement no 68 rectifié.

M. Jean-René Lecerf. Nous vivons des moments rares, à la fois intéressants et surprenants.

Il y a quelques instants, je me suis senti beaucoup plus proche de Mme Borvo Cohen-Seat que de mon collègue et ami Gérard Longuet. (Sourires.) Rassurez-vous, cela ne va pas durer ; mais il est tout de même intéressant de le signaler.

Je reconnais parfaitement la légitimité présidentielle, je reconnais parfaitement la légitimité parlementaire, mais il me semble qu’il y a une première légitimité, une légitimité source : la légitimité populaire.

Selon l’article 3 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Aussi, je ne suis pas mécontent que, par l’intermédiaire de cet amendement no 68 rectifié, quelques collègues de la majorité sénatoriale, plus précisément de l’Union pour un mouvement populaire – sans doute, au demeurant, de dangereux aventuriers : Hugues Portelli, Patrice Gélard, Laurent Béteille et moi-même –, non seulement aient approuvé l’initiative prise par nos collègues députés, mais, estimant qu’elle n’allait pas suffisamment loin, aient souhaité mettre en place un véritable, un authentique référendum d’initiative populaire. Peut-être tout cela permettra-t-il au moins à l’opinion de savoir que les clivages au sein de notre assemblée ne sont pas nécessairement aussi stéréotypés et aussi manichéens qu’on le présente généralement !

Cela étant, comme on peut être à la fois aventurier et pragmatique, je retirerai l’amendement no 68 rectifié et, dans un premier temps, je considérerai que l’amendement présenté par M. le rapporteur, surtout tel qu’il a encore été amélioré en séance, marque déjà un progrès tout à fait considérable. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. le président. L’amendement no 68 rectifié est retiré.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est dommage ! Je l’aurais voté ! (Sourires.)

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement no 502.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement no 98 rectifié bis, modifié.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 3 bis est ainsi rédigé et l’amendement no 170 n’a plus d’objet.

Article 3 bis
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 3 ter

Article additionnel après l’article 3 bis

M. le président. L’amendement no 171, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’article 3 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 11 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque le référendum a conclu au rejet d’un projet de loi, tout nouveau projet de loi contenant des dispositions analogues ou autorisant la ratification d’un traité contenant des dispositions similaires à celles du traité ayant fait l’objet de la consultation, doit être soumis au référendum. »

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement vise à rendre obligatoire le recours au référendum pour l’adoption de tout projet de loi qui contiendrait des dispositions précédemment rejetées par le peuple consulté par référendum. Cela vous évoque certainement quelque chose…

Notre proposition est évidemment motivée par le souci que la parole du peuple soit respectée. En effet, nous considérons que, à partir du moment où le peuple a clairement signifié par référendum son refus d’un projet de loi, il ne peut pas être acceptable qu’un nouveau projet de loi contenant des dispositions similaires à celles que comportait le précédent puisse être adopté par voie parlementaire. Le parallélisme des formes et le respect de l’expression directe de la souveraineté nationale exigent donc d’encadrer le pouvoir législatif du Parlement sur les sujets ayant précédemment fait l’objet d’une consultation populaire.

Surtout, il convient de garder à l’esprit que ce qui fonde la légitimité de la démocratie parlementaire, c’est l’élection par le peuple au suffrage universel : les citoyens délèguent leur souveraineté à leurs représentants, non qu’ils soient incapables de décider eux-mêmes de leur avenir, mais essentiellement pour des raisons pratiques évidentes.

Dès lors, il est parfaitement injustifiable d’opposer la légitimité parlementaire à la légitimité populaire, la première n’existant que par délégation de la seconde.

Notre amendement tient compte, bien entendu, du cas spécifique des traités internationaux et prévoit, afin d’éviter un contournement de la disposition constitutionnelle envisagée, l’organisation obligatoire d’un référendum pour autoriser la ratification d’un traité contenant des clauses qui figuraient déjà dans un précédent traité rejeté par référendum. Vous avez bien compris ce qui est ici visé !

L’expérience que nous avons vécue avec le référendum de 2005 mériterait vraiment que les parlementaires fassent leur mea culpa et considèrent qu’ils ne peuvent pas revenir sur le vote du peuple.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission ne souhaite pas que l’on revienne sur le vote du peuple… à condition qu’on lui soumette la même chose !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’était la même chose !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est vous qui l’affirmez !

L’amendement du groupe CRC prévoit que, dans l’hypothèse du rejet par référendum d’un projet de loi, tout nouveau projet de loi contenant des dispositions analogues ou autorisant la ratification d’un traité contenant des dispositions similaires doit être soumis à référendum.

Ce mécanisme est beaucoup trop rigide par rapport à la procédure de l’article 11 de la Constitution. Laissons de la souplesse au Président de la République, qui, en général, n’est pas porté à abuser des initiatives référendaires !

La commission a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Cet amendement tend à ce que, lorsqu’un référendum a conclu au rejet d’un projet de loi, tout nouveau projet concernant des dispositions analogues ne puisse être adopté que par voie référendaire.

Votre assemblée a eu l’occasion de conduire un débat approfondi sur cette question en janvier dernier, lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle destiné à permettre la ratification du traité de Lisbonne.

Le Gouvernement n’a pas changé de position depuis le mois de janvier et reste défavorable à une telle proposition, puisque la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. La voie référendaire – nous vous avions déjà opposé cet argument au mois de janvier – n’est pas supérieure à la voie parlementaire : le Parlement a la même légitimité que le peuple se prononçant par référendum.

Avec le mécanisme qui nous est soumis, le Parlement n’aurait pas pu adopter, par exemple, la loi de décentralisation de 1982, puisque la révision de 1969, qui conférait aux régions le statut de collectivités territoriales, avait été rejetée par voie de référendum.

M. Michel Charasse. Ce qui avait été rejeté, à l’époque, c’était la suppression du Sénat !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Nous avons eu l’occasion, au mois de janvier, de vous citer plusieurs cas allant en ce sens, concernant notamment la décentralisation.

Nous sommes donc défavorables à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement no 171.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Article additionnel après l’article 3 bis
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 3 quater

Article 3 ter

Dans le premier alinéa de l’article 11 de la Constitution, les mots : « ou sociale » sont remplacés par les mots : «, sociale ou environnementale ».

M. le président. L’amendement no 99, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination avec les votes intervenus sur l’article précédent, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement no 99.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 3 ter est supprimé.

Article 3 ter
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Articles additionnels après l’article 3 quater

Article 3 quater

Dans le dernier alinéa de l’article 11 de la Constitution, après le mot : « projet », sont insérés les mots : « ou de la proposition ».

M. le président. L’amendement no 100, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Même situation !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Même avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement no 100.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 3 quater est supprimé.

Article 3 quater
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 4

Articles additionnels après l’article 3 quater

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement no 383 rectifié, présenté par MM. Baylet, A. Boyer, Collin, Delfau, Fortassin et Vendasi, est ainsi libellé :

Après l’article 3 quater, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 12 de la Constitution est abrogé.

La parole est à M. Gérard Delfau.

M. Gérard Delfau. L’objet principal de cet amendement est de rappeler notre insatisfaction quant à l’équilibre qui résulterait de la modification de la Constitution qui nous est proposée. Il nous semble en effet que ce texte est encore inachevé s’agissant des pouvoirs de l’exécutif et des prérogatives du législatif.

Nous réitérons donc, à l’occasion de l’examen de cet amendement – qui ne sera pas soumis au vote de nos collègues –, notre souhait que soit mise en place une véritable réflexion sur une évolution vers un régime de type présidentiel à la française. Le débat dans lequel nous sommes entrés ne nous permet sans doute pas d’aller jusque-là, mais nous voulions rappeler l’esprit qui avait présidé au dépôt d’une proposition de loi par les députés et sénateurs radicaux de gauche.

M. le président. L’amendement no 265 rectifié bis, présenté par MM. Fauchon, Zocchetto, Amoudry, J.-L. Dupont, Biwer et Détraigne, Mmes Férat et Payet et MM. Deneux, Nogrix et C. Gaudin, est ainsi libellé :

Après l’article 3 quater, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – L’article 12 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 12. – Dans les quinze jours suivant l’adoption ou le rejet d’un projet de loi par l’Assemblée nationale, le Président de la République peut demander à l’Assemblée nationale de statuer par une seconde délibération sur le texte du projet de loi modifié, le cas échéant, par les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement. En cas de rejet de ce texte, le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale.

« Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution.

« L’Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a lieu en dehors de la période prévue pour la session ordinaire, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours.

« Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit ces élections. »

II. – En conséquence, les trois premiers alinéas de l’article 49 sont supprimés et les articles 50 et 51 de la Constitution sont abrogés.

La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Cet amendement procède du même souci de nous donner l’occasion de surmonter les questions particulières, d’ailleurs passionnantes et d’une importance majeure, que nous traitons les unes après les autres à travers des débats tout à fait intéressants.

Il s’agit d’élever notre regard au niveau d’une perspective plus générale et de poser, à la suite des propos de M. Delfau, le problème de savoir si, au point où nous en sommes, ce ne serait pas un progrès, une simplification et, peut-être, un certain choc dans notre vie politique que de mettre en place un régime présidentiel comme en connaissent les États-Unis. Il faut bien convenir que, ces dernières années, et cette année même, la vie politique américaine a montré à quel point ce régime était réellement démocratique, réellement vivant.

Il y a deux raisons à cela. La première relève d’une analyse juridique, la seconde est plus pratique – et c’est peut-être celle qui me motive le plus.

Je m’appuierai pour exposer la raison d’ordre juridique sur une citation dont je ne révélerai l’auteur qu’après vous en avoir donné lecture.

Je cite : « Le régime présidentiel me paraît ainsi être la meilleure voie pour concilier l’existence d’un président élu au suffrage universel direct et doté d’importantes prérogatives, et celle d’un parlement puissant. Ce serait aussi le chemin le plus sûr pour marier ces deux traditions qui se sont toujours affrontées dans notre histoire : la tradition de l’exécutif fort, monarchique, plébiscitaire par moments, et la tradition révolutionnaire de l’exercice du pouvoir législatif par la souveraineté nationale à travers ses représentants. Ainsi établirons-nous le compromis le plus démocratique, le plus à même de briser ce terrible cercle vicieux qui conduit continuellement depuis deux siècles de la domination sans partage des assemblées à l’hyperpuissance de l’exécutif. »

Qui est l’auteur de cette citation ? C’est Jack Lang !

M. Gérard Longuet. C’est vrai !

M. Pierre Fauchon. Je pourrais également faire référence à Édouard Balladur. L’ancien Premier ministre, ici même, au Sénat, nous a formellement dit lors d’auditions devant la commission qu’il eût été, à titre personnel, partisan d’un régime présidentiel pur et simple.

Je me sens donc en quelque sorte conforté dans la réflexion que je vous propose ; je ne suis pas complètement isolé.

En ce qui me concerne, j’ai une approche plus concrète, car je n’ai pas la qualification de juriste de ces grands personnages, approche que j’ai exposée lors de mon intervention liminaire.

Le problème de notre démocratie est qu’il faut redonner un peu plus de pouvoir au Parlement, ce que nous sommes en train de faire. J’approuve entièrement cette démarche quasiment inespérée, il faut bien le dire. J’espère qu’elle aboutira, mais je ne suis pas sûr qu’elle suffise à réveiller la vie parlementaire.

Disons-le à mi-voix : dès lors que l’on n’a pas osé toucher au cumul des mandats, comment arriverons-nous à réanimer la vie parlementaire ? Je parle bien de réanimer la vie parlementaire, car, bien entendu, nous fonctionnons en réaction : nous examinons les textes qui nous sont soumis, nous avons des délibérations – ce débat est exemplaire de ce point de vue. Mais, chaque fois, nous agissons en réaction. En réalité, nous ne sommes pas créatifs.

Or le Parlement devrait être créatif. Pour cela, il faudrait un choc psychologique. Ce choc pourrait venir du passage au régime présidentiel. J’appelle ce choc de mes vœux, d’autant qu’il permettrait – je reviens un instant sur ce qui a été dit il y a quelques heures – une élection à la proportionnelle de l’Assemblée nationale. On aurait, en effet, beaucoup moins besoin de dégager une majorité.

En renouvelant le personnel politique, on donnerait également un choc à notre vie publique. C’est la raison pour laquelle il faudrait faire ce pas ou, à tout le moins, envisager de le faire.

Cela étant, on ne peut imiter purement et simplement le système américain. Avec l’autonomie du législatif d’un côté, puisque l’article 49 serait supprimé et que serait abrogé le droit de dissolution, et l’autonomie de l’exécutif de l’autre côté, les deux pouvoirs pourraient finir par se regarder en chien de faïence et aboutir à un blocage.

Nous sommes des Français. Dans les sociétés anglo-saxonnes, on trouve des terrains d’entente, des compromis, etc. Mais nous, dans notre tradition française, je ne suis pas sûr que nous évitions les blocages, avec un Parlement qui voudrait absolument imposer une loi au Président de la République, lequel la jugerait dangereuse, et, ce qui arriverait plus fréquemment, un Président de la République qui ne parviendrait pas à faire voter une loi qu’il jugerait, cette fois-ci indispensable.

Comment résoudre ce blocage ? Il faut trouver une solution. C’est ce qui ferait le caractère français du système.

En tout état de cause, je ne vois qu’une solution, qui nous est inspirée, d’ailleurs, par un vieux texte de Jules Ferry : dès lors qu’il y a une opposition insurmontable entre l’exécutif et le législatif, l’un et l’autre légitimes, il faut aller à la source du pouvoir. Or la source du pouvoir, c’est le souverain, c’est le peuple. Il faut donc rouvrir la possibilité de la dissolution, possibilité qui offre cet avantage d’être une arme à double tranchant.

On ne sait pas à l’avance qui sera le gagnant. C’est pourquoi cette arme est bonne. Le Président de la République peut gagner la partie comme il peut la perdre – on a vécu cela récemment. Dans ce cas, on reviendrait devant le souverain.

La méthode est simple. On peut en imaginer d’autres. M. Balladur, quand nous l’avons interrogé, a suggéré d’exiger que le texte concerné soit voté aux trois cinquièmes, mais comment une loi pourrait-elle être adoptée à la majorité des trois cinquièmes alors qu’elle n’a pu l’être à la majorité simple ? Je ne comprends pas bien l’intérêt d’une telle solution.

M. Balladur pensait également au référendum, mais cela ne me paraît pas non plus une bonne solution.

Monsieur le président, je suis désolé d’avoir parlé un peu longuement, mais la question méritait une petite exception.

M. Gérard Longuet. C’était passionnant !

M. Pierre Fauchon. Je souhaite beaucoup qu’elle suscite des commentaires capables de répondre aux interrogations qui se posent.

Premièrement, sommes-nous, oui ou non, décidés à franchir ce pas, pour obtenir les effets de clarification et de réanimation de notre vie politique ?

Deuxièmement, si nous pensons qu’il faut franchir ce pas, quid du blocage que j’ai évoqué et quid de la solution à lui apporter ?

Telles sont les questions sur lesquelles je me permets d’attirer votre attention, mes chers collègues, en espérant qu’elles donneront lieu à un débat. Je déciderai ultérieurement de ce qu’il me restera à faire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Devant l’ampleur des propositions faites par nos collègues, je reste pratiquement sans voix ! (Sourires.)

Si nous vous suivions, mes chers collègues, nous opérerions un bouleversement complet de nos institutions…

M. Michel Charasse. Rétablissons la monarchie, tant qu’on y est !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur .… nous irions vers un autre régime.

Je sais que des réflexions sont menées sur ce sujet, et je connais celles de Pierre Fauchon comme celles d’Édouard Balladur. Même le Premier ministre, à une certaine époque de sa vie politique, était favorable à un régime présidentiel.

Nous nous sommes d’ailleurs déjà tous demandé : pourquoi ne pas instaurer un régime présidentiel ? Surtout à partir du moment où le Président de la République a été élu au suffrage universel direct.

Même si j’admire toujours les analyses de Pierre Fauchon, je dois lui dire que la République qu’il propose pourrait être d’un fonctionnement extrêmement brutal. On pourrait peut-être trouver des solutions moins abruptes que celle de dissoudre le Parlement dès qu’il y a un désaccord entre ce dernier et le Président de la République.

En outre, mon cher collègue, si vous maintenez le principe de la dissolution, il ne s’agit plus d’un régime présidentiel tel qu’il existe dans un certain nombre de pays.

M. Pierre Fauchon. La dissolution interviendrait après une seconde lecture !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Certes, mais le Président de la République serait désavoué !

M. Michel Charasse. C’est génial !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Notre histoire constitutionnelle a connu à peu près tous les systèmes, des systèmes purs et des systèmes mélangés, qui avaient ou non leur cohérence. Certains, d’ailleurs, n’ont pas survécu longtemps. En tout cas, je me permets de vous rappeler que la Constitution de la Ve République, malgré toutes les difficultés, a offert à notre pays une stabilité politique que nous n’avions jamais connue auparavant et qui nous a permis de traverser de graves crises.

S’il n’y a pas toujours eu de consensus sur les problèmes économiques et sociaux – c’est bien naturel –, il y en a eu généralement sur la place de la France dans le monde, sur la politique étrangère et sur la politique de défense, ce qui a tout de même été extrêmement précieux pour notre pays. Je souhaite que nous poursuivions dans cette voie.

Par conséquent, mon cher collègue, à mon grand regret, je ne peux donner un avis favorable sur votre proposition. Néanmoins, je pense que nous devons continuer à réfléchir à ces grands sujets qui touchent à nos institutions. Il serait dommage que l’alacrité d’esprit qui vous caractérise ne puisse pas se développer dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres ! (Sourires.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le droit de dissolution fait partie des dispositions essentielles aux équilibres de la Ve République.

Monsieur Fauchon, vous proposez que l’on change et d’équilibres et de régime. Or nous souhaitons maintenir les deux.

Le droit de dissolution permet d’éviter les blocages des institutions. C’est ainsi lorsque la majorité de l’Assemblée nationale ne correspond pas à la majorité exprimée lors de l’élection du Président de la République, comme ce fut le cas en 1981.

La dissolution est aussi un moyen de sortir d’une période de crise, comme cela a été le cas en 1962 et en 1968.

Le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral réduisent, il est vrai, les risques de discordance entre la majorité de l’Assemblée nationale et la majorité exprimée lors de l’élection du Président de la République, mais ils ne les suppriment pas.

La dissolution n’est en aucun cas un instrument de dévalorisation du Parlement, bien au contraire !

Le Gouvernement est donc défavorable à l’amendement n° 383 rectifié, qui vise à abroger l’article 12 de la Constitution.

Quant à l’amendement n° 265 rectifié bis, il ne tend pas à supprimer le droit de dissolution, mais il en réduit tellement l’usage que cela reviendrait pratiquement au même. Le Gouvernement n’y est pas favorable non plus puisque la dissolution ne pourrait être utilisée que dans l’hypothèse d’une majorité divisée sur l’adoption d’un texte que le Président de la République jugerait essentiel. Ce n’est pas suffisant car cela ne peut pas couvrir toutes les hypothèses possibles de blocage, comme l’a rappelé M. le rapporteur.

Par ailleurs, monsieur Fauchon, vous souhaitez supprimer la possibilité pour l’Assemblée nationale de censurer le Gouvernement. Vous proposez donc purement et simplement un changement de régime, ce à quoi le Gouvernement n’est absolument pas favorable.

M. Gérard Delfau. Je retire l’amendement n° 383 rectifié.

M. le président. L’amendement n° 383 rectifié est retiré.

La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote sur l’amendement n° 265 rectifié bis.

M. Michel Mercier. Je souhaite insister sur l’actualité de la proposition que fait Pierre Fauchon en présentant cet amendement, avant d’autres qu’il exposera par la suite et qui bâtissent un système présidentiel.

Il y a un an ou deux, lors de la discussion d’un texte difficile – ce qui nous arrive souvent – j’ai cherché une définition de la démocratie. Comme je n’en trouvais pas de simple, j’ai eu l’idée lumineuse d’appeler Mme de Romilly et de lui demander quelle était la première définition de la démocratie. Elle m’a répondu : c’est tout simple, la démocratie, telle qu’elle a été définie à Athènes, c’est le régime de la loi écrite, c’est-à-dire le régime qui dispose d’une règle du jeu grâce à laquelle chacun sait ce qu’il peut faire ou ne pas faire.

La question que j’ai envie de poser est la suivante : la loi écrite, telle que nous l’avons aujourd’hui, fixe-t-elle véritablement les règles du jeu et tient-elle compte du vrai fonctionnement de notre régime républicain ?

Sommes-nous bien sûrs lorsque nous essayons de modifier telle ou telle disposition – l’article 20, l’article 21 – d’être bien près de la réalité des choses ? La réalité des choses, en l’occurrence, n’est-ce pas d’abord et avant tout ce qu’avait dit le général de Gaulle le 31 janvier 1964 sur l’autorité particulière du Président de la République ?

On essaye de sauver les apparences en disant que nous sommes non pas dans un régime présidentiel, mais dans un régime présidentialiste. En fait, il est bien difficile de distinguer les deux régimes.

Dès lors que le pouvoir exécutif est tout entier confié au Président de la République, il doit y avoir des contrepoids et des équilibres. Tout système démocratique est un système de contrepoids et d’équilibres entre les divers pouvoirs. Ne serait-il pas aujourd’hui plus clair, plus simple de reconnaître véritablement le pouvoir du Président de la République et de construire à côté, pour l’équilibrer, un pouvoir parlementaire aussi fort ?

Aller vers un régime présidentiel ne nous éviterait-il pas de nous disputer sur des lois électorales ? Il faudrait, alors, que le Président de la République trouve sa majorité. Plus il aurait de possibilités de négocier pour trouver sa majorité, plus il y aurait un Parlement représentatif et plus il pourrait gouverner correctement.

Le régime présidentiel n’est-il pas le plus adapté lorsque l’on veut que le Président de la République soit élu au suffrage universel, lorsque l’on veut que le Président de la République gouverne et lorsque l’on veut que le Parlement ait une véritable représentativité et un véritable pouvoir ?

Sommes-nous prêts à franchir le pas ? Je crois qu’il y a bien longtemps que nos compatriotes l’ont fait. Si on leur demande qui gouverne, la réponse sera claire et simple.

M. Bernard Frimat. L’argent !

M. Michel Charasse. La presse ! Les journalistes de la télé !

M. Michel Mercier. Comme les Français ne sont pas tous aussi malins que vous, monsieur Charasse, il y a de fortes chances que beaucoup répondent que c’est le Président de la République qui gouverne, pour une raison simple : parce qu’ils l’ont élu. Il faudrait qu’on en tire toutes les conséquences.

L’idée même de régime présidentiel ne doit pas nous faire peur. Pierre Fauchon n’a pas eu peur. Il pose la question. On va probablement lui répondre que ce n’est pas le bon jour, pas le bon moment, encore que… et, en définitive, on ne le suivra pas.

Nous voyons bien les difficultés qu’il y a à trouver le bon équilibre. Cela fait déjà bientôt deux jours que nous le cherchons.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous nous sommes consacrés à beaucoup d’autres choses !

M. Michel Mercier. Peut-être, mais la recherche de l’équilibre est fondamentale, monsieur le rapporteur !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas seulement ! Nous travaillons sur les institutions !

M. Michel Mercier. C’est aussi l’équilibre social qu’il faut trouver parce que les institutions, cela ne sert qu’une société, vous le savez bien. (M. le rapporteur acquiesce.)

Pierre Fauchon a raison de poser la question et nous serions fondés à y réfléchir. Certains disent que cette solution n’est pas possible ; peut-être !…. Mais ce serait pourtant la condition nécessaire pour que nous ayons un vrai régime démocratique. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF. – M. Gérard Longuet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, n’ayant cessé d’écouter avec beaucoup d’attention ce débat, j’ai le sentiment que la succession de dissertations brillantes à laquelle nous assistons a quelque chose d’un peu surréaliste. Finalement, tout se passe comme si nous participions à un colloque où l’on disserterait du régime idéal.

M. Michel Charasse. Ce n’est pas le cas ici !

M. Jean-Pierre Sueur. J’aime beaucoup ce travail intellectuel, c’est très intéressant.

M. Pierre Fauchon. On a le droit de réfléchir !

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur Fauchon, vous avez tout à fait le droit et le devoir de réfléchir, et nous ne saurions trop vous en remercier.

Cela dit, mes chers collègues, de deux choses l’une.

Ou bien le Gouvernement nous propose une réforme de la Constitution afin d’instaurer un régime présidentiel. Cela aurait des avantages, notamment celui de la clarté, et ce serait un choix clair et assumé. On sait très bien ce qu’est un régime présidentiel : c’est un régime dans lequel le Parlement a plus de pouvoir que n’en a aujourd’hui le Parlement français. On le voit bien aux États-Unis, où le président doit négocier avec le Sénat, la chambre des représentants, pour faire passer le budget. (M. Michel Mercier fait un signe d’approbation.) Le pouvoir du Parlement américain est donc bien supérieur à celui qui est reconnu au Parlement français.

M. Gérard Longuet. Cela, on le sait !

M. Jean-Pierre Sueur. Mais, dans ce cas-là, il n’y a plus de dissolution, plus de motion de censure et il y a cohabitation entre un exécutif fort et un Parlement qui a beaucoup de pouvoir. Il n’est pas possible de faire cohabiter deux morceaux d’exécutif, comme cela se passe chez nous, ce qui n’est pas toujours la meilleure solution pour notre pays.

Ce choix, qui eût été très clair pour une réforme et une modernisation de nos institutions, vous ne l’avez pas fait. Dès lors quelle est l’utilité de faire des discours, comme s’il y avait des buttes témoins d’une logique qui a été refusée, en disant : « on aurait pu, on pourrait peut-être… » ? Le conditionnel a beaucoup d’avantages, mais il a aussi l’inconvénient d’être le conditionnel ! Le conditionnel passé, quant à lui, cumule les désavantages du conditionnel et du passé…

Il était possible de proposer une réforme forte et, dans ce cas, il eût fallu qu’elle fût vraiment claire. En effet, nous proposer un régime présidentiel dans lequel la dissolution est maintenue, c’est quand même très ambigu. Dans un régime présidentiel, le président doit accepter la cohabitation, à laquelle il ne peut finalement pas échapper, avec un pouvoir législatif.

Il y avait une autre possibilité qui consistait à conserver le système existant, avec le Président de la République tel qu’il est dans notre Constitution, mais en rééquilibrant fortement les pouvoirs en faveur du Parlement. Or, depuis le début de ce débat, nous constatons que, malheureusement, la plupart des mesures qui sont proposées afin de rééquilibrer les pouvoirs en faveur du Parlement sont des faux-semblants, des mesures formelles qui ne permettront en aucun cas d’aboutir à ce nécessaire rééquilibrage.

Donc, vous n’avez pas voulu une réforme claire dans le sens du régime présidentiel, avec les avantages et les inconvénients qu’il implique. Vous n’avez pas non plus voulu, dans le cadre actuel, donner au Parlement la plénitude des pouvoirs qu’il doit avoir, ce qui est pourtant indispensable. Comme vous n’avez fait ni l’un ni l’autre, vous nous délivrez un certain nombre de considérations, qui sont très intéressantes, mais qui n’ont aucun effet concret.

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.

M. Jean-René Lecerf. Je souhaite tout d’abord dire à M. Fauchon que je suis d’accord avec lui sur bien des points de son argumentation.

Je suis en parfait accord avec lui sur le diagnostic, notamment lorsqu’il évoque, dans l’exposé des motifs de son amendement, le déséquilibre actuel des pouvoirs. Il souligne que ce déséquilibre est le fruit à la fois de l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct, de la rationalisation du parlementarisme, de l’avènement du fait majoritaire, en rappelant que le fait majoritaire, malgré tout, est très lié au mode de scrutin et que ce fait majoritaire ne nous est peut-être pas acquis pour l’éternité, et que ce déséquilibre est également le fruit de l’inversion du calendrier électoral.

Cette inversion du calendrier électoral a, dans une certaine mesure, « satellisé » l’Assemblée nationale autour du Président de la République et a renforcé encore l’esprit d’indépendance du Sénat. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

Je partage également l’opinion de Pierre Fauchon sur la pertinence et sur l’importance du rééquilibrage que ce projet de loi de révision constitutionnelle vise à mettre en place et sur le fait qu’il constitue une chance, sans doute unique pour longtemps, de rendre au Parlement toute sa place dans nos institutions.

J’admire, mais je ne suis pas le seul, l’imagination créatrice de notre collègue : il invente en fait une nouvelle forme de régime présidentiel par cet amendement qui prévoit qu’une demande de seconde délibération présentée par le Président de la République à l’Assemblée nationale pourrait, en cas d’échec, déboucher sur la dissolution et de nouvelles élections.

Réintroduire la dissolution dans le régime présidentiel, alors qu’il s’agit théoriquement d’un régime de séparation stricte des pouvoirs, permettrait effectivement de remédier à des situations de blocage entre exécutif et législatif qui sont, on le sait, le risque majeur du régime présidentiel. La France a d’ailleurs connu de tels blocages lorsqu’elle a pratiqué ce type de régime. Je ne rappellerai que pour mémoire le Directoire ou la Seconde République, qui ont débouché sur des blocages dont on n’est sorti que par les coups d’État du 18 Brumaire et du 2 décembre.

M. Michel Charasse. Napoléon III et la défaite de Sedan !

M. Jean-René Lecerf. On pourrait aussi évoquer le régime de 1791, qui a mal fini pour le Président de la République de l’époque, si vous me permettez cette assimilation au sujet de Louis XVI !

Alors, sur quoi suis-je en désaccord, fort amicalement d’ailleurs, avec Pierre Fauchon ?

Je suis en désaccord sur le fait qu’il nous faille absolument choisir entre le régime parlementaire et le régime présidentiel, sur le fait que le régime parlementaire nous serait à tout jamais interdit en raison de l’élection au suffrage universel direct du chef de l’État, réforme sur laquelle on ne reviendra pas puisqu’elle fait partie des acquis sociaux de la République, si je peux m’exprimer ainsi.

La seule solution qui lui paraît efficace aujourd’hui serait l’évolution vers un régime présidentiel. Nous serions donc, avec cette réforme, en quelque sorte au milieu du gué, mais dans une évolution incontournable vers le régime présidentiel de type américain, que l’on baptise, pour se faire plaisir, « régime présidentiel à la française ». C’est sur ce point que ma conviction est un peu différente.

On doit pouvoir ne pas entrer dans les schémas préétablis et n’avoir ni régime parlementaire à la française ni régime présidentiel à la française. On peut imaginer un compromis entre les aspects positifs de l’un et de l’autre. Jusqu’à présent, et durant cinquante ans, ce compromis nous a permis de bénéficier d’une stabilité gouvernementale remarquable, même si c’est au prix d’un déséquilibre entre les pouvoirs.

On nous donne aujourd’hui l’opportunité avec cette réforme de renforcer le pouvoir législatif sans supprimer pour autant l’existence d’un gouvernement responsable.

Pour ma part, je parie pour un chef de l’État élu au suffrage universel direct, un gouvernement responsable devant l’Assemblée nationale - et parce qu’il est responsable et parce que le pouvoir suit la responsabilité, conservant une partie non négligeable du pouvoir - et un Parlement bicaméral tel qu’il existe aujourd’hui.

Le Gouvernement nous offre une opportunité de trouver un régime spécifique, sui generis, capable de nous donner à la fois la démocratie et l’efficacité. Je propose que nous répondions à ce pari de manière positive.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour explication de vote.

M. Nicolas Alfonsi. Permettez-moi de prolonger le colloque qu’évoquait notre collègue Jean-Pierre Sueur, pour vous livrer une réflexion personnelle.

S’il y a eu crise pendant trente ans et si la société française s’est trouvée déconnectée par rapport à la société politique pendant les quinze dernières années, cela est dû à la cohabitation, problème que Jean-Pierre Sueur a également évoqué.

Un régime bon est un régime qui fonctionne bien, et personne ne peut m’assurer que le dispositif actuel, avec l’inversion du calendrier, donnera, demain, une majorité. Par conséquent, nous pourrions nous retrouver dans des situations de crise.

Quand un Président de la République sera élu « au couteau », de façon extrêmement serrée et que la majorité parlementaire ne sera pas celle du Président de la République - c’est pour l’instant une hypothèse d’école mais cela pourrait se produire - la situation sera la suivante : ou il y aura crise ou il y aura cohabitation et, dans ce dernier cas, ce sera ingérable.

Il est certain que notre culture ne nous permet pas d’adopter le régime présidentiel à l’américaine. Les propos de Jean-René Lecerf tentent de concilier l’inconciliable, mais, pour l’instant, notre système ne permet pas un fonctionnement sain des pouvoirs publics. Il pourra y avoir, demain, des situations de crise.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. Il était délicieux de se retrouver dans une atmosphère de colloque scientifique et non plus au cœur d’un débat sur une révision de la Constitution.

Je ferai tout d’abord remarquer à Jean-René Lecerf qu’il donne à l’entreprise de révision actuelle une dimension qu’elle ne comporte pas réellement.

Ainsi que j’ai eu l’occasion de m’en expliquer assez longuement lors de l’ouverture de ce débat, nous sommes dans un régime singulier qui, à partir du parlementarisme rationalisé à la faveur des deux modifications les plus importantes, l’élection du Président de la République au suffrage universel - sur laquelle on ne reviendra pas, il faut bien se le dire -, le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, a abouti à ce que l’on ne peut désigner que par un seul nom : la monocratie.

Il n’y a aucun doute, après l’élection démocratique, indiscutable, du Président de la République, c’est fini. Pour cinq ans, nous avons une majorité qui s’appelle elle-même « majorité présidentielle » et qui, à ce titre, ne peut pas répondre – hélas, dirai-je ! - aux exigences d’une véritable séparation des pouvoirs. La majorité présidentielle, c’est la majorité que dirige le Président de la République, patron du principal parti de la majorité.

Nous sommes dans un régime original, qui a le mérite de répondre à une exigence d’exécutif fort. Il a de grands inconvénients : c’est le pouvoir d’un seul, avec tout ce que cela signifie.

Je dirai ensuite à Pierre Fauchon que l’exposé des motifs de son amendement, d’une certaine manière, est plus prometteur que le dispositif qu’il propose, qui n’est pas, il faut le reconnaître, de nature à révolutionner nos institutions.

Cher Pierre Fauchon, l’exercice du droit de dissolution, en cas de rejet d’un texte après une seconde délibération, aboutit encore à renforcer le pouvoir du Président de la République sur l’Assemblée nationale.

Vous me direz que c’est un enjeu, celui qui est inhérent à la dissolution telle qu’elle est pratiquée actuellement. Si, après la dissolution, le Président de la République se retrouve avec une majorité politique qui lui est opposée, il aura le choix entre démissionner ou cohabiter. Je ne suis pas sûr que ce soit exactement ce que nous devons envisager comme le meilleur des régimes possibles.

Mais, mon cher collègue, tout ce que vous avez exposé sur ce mouvement, à mon avis irrésistible, qui nous entraînera, à la suite de l’élection du Président de la République au suffrage universel – sur laquelle on ne reviendra pas –, vers un régime présidentiel, assorti de nos spécificités nationales, me semble très juste.

Il faut accompagner ce mouvement ! La révision actuelle ne le fait pas, mais nous reprendrons certainement la question dans l’avenir. Aujourd’hui, nous procédons plus à un aggiornamento qu’à autre chose.

Je conclurai en disant que nous sommes un peuple admirable, et je ne résiste pas au plaisir de vous raconter une petite anecdote à ce sujet.

Lorsqu’a été célébré le deux centième anniversaire de la Constitution des États-Unis, en 1987, le président de la Cour suprême avait invité tous les présidents des cours constitutionnelles des démocraties. Comme j’avais le privilège d’être alors le plus jeune, mes collègues m’ont chargé de répondre en leur nom à tous. J’étais très honoré et j’ai travaillé pendant huit jours. Je suis parti avec la tenue du doyen Vedel : il en fallait une, et sa tenue me paraissait plus belle que la mienne, une simple robe de professeur ; je lui avais donc demandé de me prêter le costume de doyen. J’ai ainsi assisté à la cérémonie dans toute ma splendeur ! (Sourires.)

Le discours du Chief Justice Rehnquist a été une exaltation inouïe de la Constitution américaine. À la longue, le tempérament national a fini par se réveiller en moi et j’ai répondu en rappelant la contribution de l’Europe dans le domaine de l’invention constitutionnelle. J’ai fini en ces termes : « C’est vrai, vous avez eu depuis deux siècles la même Constitution et vingt-six amendements. Mais, franchement, pendant la même période, la France a usé trois monarchies, deux empires et elle en est à la Ve République, sans compter les innombrables amendements. En fait, comme la cuisine, le constitutionnalisme est chez nous un art national ! » (Sourires.)

M. le président. Monsieur Fauchon, l’amendement n° 265 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Pierre Fauchon. Je suis conscient du caractère saugrenu de ma démarche, mais il faut bien saisir les occasions qui se présentent !

Je suis, je l’avoue, quelque peu désespéré par notre vie politique et extrêmement inquiet du devenir de notre pays. Je ne trouve pas que la France évolue de manière satisfaisante, je le dis depuis des lustres ! Je pense que notre régime politique n’y est pas pour rien et que nous sommes enfermés dans des routines qui nous ankylosent et dont nous ne parvenons pas à nous extraire. C’est une des raisons pour lesquelles j’estime qu’une réanimation politique exigerait un choc profond : un changement de régime, tel que je le propose, serait une manière de provoquer ce choc.

Je dois admettre aussi, même si mon pessimisme n’a pas totalement pris fin, qu’il se trouve un peu tempéré depuis un an, dans la mesure où le nouveau chef de l’État, en bousculant nos habitudes, nos modes de pensée, en mettant en œuvre une politique de réforme, en nous incitant à nous interroger sur ce que nous faisons et en nous proposant, par-dessus le marché, cette révision constitutionnelle – ce qui est un assez beau geste de sa part – nous donne une nouvelle chance.

M. Gérard Longuet. Il a fait une partie du chemin !

M. Pierre Fauchon. Comme mon ami Lecerf, je l’observe avec confiance, une confiance non dépourvue d’une certaine inquiétude. Mais enfin, il faut toujours choisir l’espérance ! Le cardinal de Retz disait que « l’on est plus souvent dupe de sa défiance que de sa confiance ». J’opte donc pour la confiance et j’espère que cette réforme permettra cette réanimation de notre vie politique et, plus spécialement, du Parlement, que nous souhaitons de tout cœur !

Dans cet esprit – mais c’est peut-être reculer pour mieux sauter ! – je retire mon amendement.

M. le président. L’amendement n° 265 rectifié bis est retiré.

Articles additionnels après l’article 3 quater
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Mise au point au sujet d'un vote

Article 4

L’article 13 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Une loi organique détermine les emplois ou fonctions, autres que ceux mentionnés au troisième alinéa, pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la réunion des deux commissions permanentes compétentes de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque la réunion des commissions permanentes compétentes a émis un avis négatif à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. La loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés ainsi que les modalités selon lesquelles les avis sont rendus. »

M. le président. L’amendement n° 384 rectifié, présenté par MM. Baylet, A. Boyer, Collin, Delfau, Fortassin et Vendasi, est ainsi libellé :

Au début de cet article, ajouter un paragraphe ainsi rédigé :

… - L’avant-dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution est complété par les mots et trois phrases ainsi rédigées :

« après avis conformes des commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Les règlements des assemblées parlementaires précisent les commissions permanentes qui ont compétence pour chacune des nominations mentionnées ci-dessus. Elles statuent à la majorité des trois cinquièmes, et si au moins l’une d’entre elles se prononce contre une nomination alors celle-ci ne peut avoir lieu. Leurs avis sont publics. »

La parole est à M. Gérard Delfau.

M. Gérard Delfau. Nous sommes parvenus à l’article 4, relatif au pouvoir de nomination du Président de la République aux postes de haute responsabilité.

L’amendement n° 384 rectifié a pour objet de donner clairement au Parlement la capacité d’influer sur ces nominations ou de les refuser. Pour cela, nous estimons qu’il n’est pas nécessaire de constituer une commission ad hoc et qu’il convient de confier aux commissions permanentes des deux assemblées le pouvoir de vérifier si la proposition de nomination correspond à l’intérêt général de la nation.

Par exemple, les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat pourraient se prononcer, à la majorité des trois cinquièmes, sur la nomination des conseillers d’État. Si l’une des deux commissions émettait un avis défavorable, la nomination en question ne pourrait avoir lieu.

Nous ne sommes pas les seuls à proposer des amendements en ce sens. Leur adoption permettrait un renforcement significatif du pouvoir du Parlement, puisque c’est lui qui, après avoir examiné la proposition du Président de la République, pourrait soit la confirmer soit, au contraire, la refuser. Nous ne proposons pas d’instaurer le système américain, mais nous nous sommes inspirés de son esprit et nous souhaitons que nos collègues accordent toute leur attention à cette proposition. J’ajoute que l’avis rendu par chacune des commissions devrait évidemment être public.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien entendu, nous aurions le plus grand plaisir à donner notre avis sur la nomination des conseillers d’État, du grand chancelier de la Légion d’honneur, des ambassadeurs, des conseillers maîtres à la Cour des comptes, des préfets, des représentants de l’État dans les collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, des officiers généraux, des recteurs d’académie et des directeurs d’administrations centrales… Mais, franchement, mes chers collègues, ce serait excessif !

Je suis favorable à un tel contrôle pour les autorités qui garantissent les droits fondamentaux ou les organismes qui régulent la vie économique, parce qu’il s’agit d’autorités indépendantes : il est donc normal que le Parlement émette un avis.

En revanche, il appartient à l’exécutif de nommer les représentants de l’État et les membres des grands corps : c’est ce qui se fait depuis toujours. La remise en cause de ce système serait une transformation considérable !

Certes, comme vous avez proposé, auparavant, l’instauration d’un régime présidentiel, votre amendement a sa logique. Mais, cher collègue, pouvez-vous imaginer que les commissions parlementaires émettent un avis sur la nomination des préfets, des officiers généraux, du chef d’état-major des armées, des procureurs généraux ? Croyez-vous vraiment que cela ferait progresser la République ? En réalité, il n’y aurait plus de séparation des pouvoirs ! Or, c’est un des principes fondamentaux de la démocratie et de la République.

Mon cher collègue, je souhaiterais donc vivement que vous retiriez cet amendement, sinon je me verrais dans l’obligation d’émettre un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le projet de loi renforce les garanties qui entourent l’exercice par le président de la République de son pouvoir de nomination aux postes les plus importants pour la vie de la nation. Le Parlement sera mieux associé, dans un souci de transparence et de démocratie irréprochable.

Deux catégories d’emplois sont visées.

La première l’est à raison de la garantie des droits et libertés. On peut penser au président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, ou à celui de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL.

La seconde catégorie l’est au titre de la vie économique et sociale de la nation. Il s’agit, là encore, de la présidence de certaines autorités administratives indépendantes, comme le Conseil de la concurrence ou l’Autorité des marchés financiers. II s’agira aussi de certains établissements ou certaines entreprises publiques qui, par l’importance des services publics qu’ils gèrent, exercent une influence déterminante sur les équilibres économiques et sociaux de notre pays. On peut penser à la Caisse des dépôts, à la Régie autonome des transports parisiens, la RATP, ou encore à la Société nationale des chemins de fer français, la SNCF.

Vous proposez l’extension de cet encadrement aux nominations auxquelles il est procédé en conseil des ministres en application de l’article 13 de la Constitution. Le Gouvernement estime que cette extension n’est pas justifiée puisque la plupart de ces emplois sont la traduction du lien qui unit l’exécutif à l’administration. Je pense en particulier aux préfets, aux ambassadeurs, aux recteurs, aux directeurs d’administration centrale ou encore aux procureurs généraux.

En vertu de l’article 20 de la Constitution, qui dit : le Gouvernement « dispose de l’administration et de la force armée », le comité présidé par M. Edouard Balladur proposait que les emplois que vous visez restent en dehors de la nouvelle procédure. Ils sont le lien qui permet au Gouvernement de mobiliser l’administration pour mettre en œuvre la politique sur laquelle sa majorité a été élue. Ces autorités sont là pour faire corps avec le pouvoir exécutif ; elles ne peuvent dépendre que de lui.

Par ailleurs, vous exigez des commissions des assemblées un avis conforme à la majorité des trois cinquièmes, ce qui leur attribue un pouvoir de codécision en la matière.

Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. Monsieur Delfau, l’amendement n° 384 rectifié est-il maintenu ?

M. Gérard Delfau. Monsieur le président, j’avais conscience, en présentant cet amendement, qu’il s’écartait de la nature du régime institutionnel dans lequel nous vivons. Mais, comme je l’ai dit lors de la présentation de l’amendement n° 383 rectifié, je m’étais donné comme mission, au nom de mon groupe, de rappeler qu’un autre type de fonctionnement démocratique existait et que, peut-être, au fil des décennies, la France en emprunterait un certain nombre d’éléments.

M. Michel Charasse. Ça, c’est la Révolution !

M. Gérard Delfau. Cette réflexion étant faite, je retire l’amendement n° 384 rectifié.

La même argumentation risquant de m’être opposée, je retirerai également l’amendement n° 385 rectifié, qui relève de la même inspiration.

M. le président. L’amendement n° 384 rectifié est retiré.

Je suis saisi de huit amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 417, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le second alinéa de cet article :

« L’ensemble des emplois auxquels nomme le Président de la République est soumis à avis conforme d’une commission constituée des membres des deux assemblées du Parlement désignés à la proportionnelle des groupes parlementaires. Elle statue à la majorité des trois cinquièmes. »

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Le Président de la République tient de l’article 13 de la Constitution un pouvoir de nomination étendu qui participe d’ailleurs du caractère fondamentalement présidentiel de ce texte : « Il nomme aux emplois civils et militaires de l’État », et la plupart des très hauts fonctionnaires de l’État sont nommés lors du conseil des ministres qu’il préside.

La pratique institutionnelle a montré que les différents présidents qui se sont succédé, sans aucune exception, ont largement usé et abusé de ce pouvoir. Ils ont puisé dans le vivier de quelques milliers de managers publics et privés, souvent coupés des réalités vivantes du pays, formés selon les mêmes références idéologiques, sollicitant davantage leur allégeance que leur esprit de service public.

Or le clientélisme – pour ne pas dire le népotisme – gangrène trop souvent la vie publique, discrédite dangereusement les institutions et le personnel politique aux yeux de nos concitoyens.

Le projet de loi de modernisation des institutions reconnaît ces dérives et propose d’associer le Parlement à la procédure de nomination.

Les députés ont modifié le dispositif initial afin de confier le soin à la réunion des deux commissions permanentes compétentes de chaque assemblée de formuler l’avis sur ces nominations et de donner à une majorité représentant les trois cinquièmes des suffrages exprimés un pouvoir d’opposition dans le cas où la réunion de ces commissions aurait émis un avis négatif.

Cette procédure ne nous semble pas satisfaisante au regard de l’objectif affiché, qui est de renforcer les pouvoirs du Parlement. Elle ne saurait, en effet, garantir l’indépendance et la compétence des personnes auxquelles seraient attribués les postes concernés.

C’est pourquoi nous proposons, par cet amendement, d’adopter une autre procédure.

Nous considérons tout d’abord qu’il est nécessaire d’étendre le champ d’application de la nouvelle procédure à l’ensemble des emplois auxquels nomme le Président de la République, sans faire exception de ceux qui sont mentionnés au troisième alinéa de l’article 13. En effet, au-delà des connivences politiques et du fait que, aux termes de l’article 20 de la Constitution, le Gouvernement dispose de l’administration, l’intérêt général conduit toujours à privilégier la compétence et la qualité des personnalités. D’ailleurs, contrairement à ce qui ressort des travaux du comité Balladur, il ne nous semble pas que le fait d’associer le Parlement à la nomination à ces emplois méconnaîtrait l’article 20 de la Constitution.

Ensuite, alors que le projet prévoit deux commissions permanentes et renvoie à une loi simple la détermination des commissions compétentes selon les emplois ou fonctions concernées, nous proposons que les nominations soient soumises à l’avis conforme d’une seule commission constituée de membres des deux assemblées du Parlement désignés à la proportionnelle des groupes parlementaires. Cette composition assurerait une représentation de l’ensemble des tendances politiques présentes au sein des assemblées parlementaires.

Enfin, l’avis négatif voté à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, qui a pour effet d’interdire la nomination et d’obliger le Président à soumettre un autre candidat à l’examen du Parlement, constitue, selon nous, une contrainte excessive et empêche d’atteindre l’objectif recherché, c’est-à-dire le renforcement des droits du Parlement.

À ce titre, l’interprétation faite par M. le rapporteur des conditions qui doivent être réunies pour que le veto s’exerce semble encore diminuer les chances de réalisation d’une telle procédure. Ainsi, nous pouvons lire dans le rapport que « le principe d’un veto mérite d’être conservé et supposerait qu’il ait été exprimé par les trois cinquièmes des suffrages exprimés à la commission du Sénat et à celle de l’Assemblée nationale ». Est-ce à dire qu’il ne suffirait pas qu’une des deux commissions exprime son désaccord ? Nous pouvons le craindre.

Afin d’éviter de conférer un droit au Parlement dont l’exercice serait quasiment impossible, nous souhaitons que le Président ne puisse nommer une personnalité que si sa candidature recueille un avis positif de la commission statuant à la majorité des trois cinquièmes.

M. le président. L’amendement n° 385 rectifié, présenté par MM. Baylet, A. Boyer, Collin, Delfau, Fortassin et Vendasi, est ainsi libellé :

I. - Dans la première phrase du second alinéa de cet article, remplacer les mots :

avis public

par le mot :

accord

II. - Dans la deuxième phrase du même alinéa, remplacer les mots :

lorsque la réunion des commissions permanentes compétentes a émis un avis négatif

par les mots :

si les commissions permanentes compétentes ont rejeté celle-ci

III. - Après le mot :

concernés

supprimer la fin de la dernière phrase du même alinéa.

Cet amendement a été retiré précédemment.

L’amendement n° 80, présenté par MM. Gélard, Portelli et Lecerf, est ainsi libellé :

Après les mots :

après avis

rédiger comme suit la fin du second alinéa de cet article :

d’une commission composée de façon paritaire de membres des deux assemblées du Parlement. Elle détermine la composition de cette commission ainsi que les modalités selon lesquelles son avis est rendu. »

La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, je retire cet amendement dans la mesure où l’amendement n° 101 rectifié de la commission permet de répondre à nos préoccupations.

M. le président. L’amendement n° 80 est retiré.

L’amendement n° 425, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après les mots :

avis public

rédiger comme suit la fin du second alinéa de cet article :

d’une commission, désignée en début de législature, constituée paritairement de membres des deux assemblées du Parlement, à la proportionnelle des groupes parlementaires. Cette commission statue à la majorité des trois cinquièmes. »

La parole est à M. Jean-Pierre Bel.

M. Jean-Pierre Bel. Cet article 4, qui s’inspire vaguement de procédures analogues existant aux États-Unis, est un nouvel exemple du consensus qui règne entre la majorité et l’opposition sur les principes, mais aussi du désaccord qui règne entre elles quant à la mise en œuvre de ces principes, surtout lorsque, comme nous pouvons le constater, la pratique tourne le dos aux intentions initiales.

Nous sommes d’accord avec M. Édouard Balladur pour constater que les Français veulent avoir la garantie que les nominations aux plus hautes responsabilités ne relèvent pas du fait du prince ou du « bal des courtisans », et qu’elles reposent bien sur la seule compétence des intéressés. On ne peut admettre que seuls certains emplois à discrétion du Gouvernement soient concernés par le dispositif.

Madame la garde des sceaux, certaines nominations récentes contredisent ainsi totalement les intentions que vous affichez. Nous serions pourtant prêts à soutenir vos bonnes intentions, à condition que vous les meniez jusqu’à leur terme.

Or, dans cet article, il n’y a ni veto sur le plan juridique ni effectivité du contrôle parlementaire sur le plan politique. Il faudrait une majorité négative des trois cinquièmes pour que l’avis de chacune des commissions soit négatif et empêche le Président de la République de procéder à la nomination.

Cela revient à faire croire que la minorité pourra convaincre la majorité de s’opposer à une candidature présentée par le chef de l’État. Mais que se passera-t-il si les deux commissions des assemblées ont des avis différents ?

Finalement, et c’est là le plus grave, avec l’amendement de la commission, le droit de veto d’une commission parlementaire ne sera opérationnel que dans un cas de figure seulement : lors d’une cohabitation, une commission du Sénat pourra s’opposer à la majorité des trois cinquièmes à une nomination du Président de la République. Dans l’état actuel du rapport de forces, c’est conférer un nouveau droit de veto à la majorité de droite du Sénat, qui est inamovible, contre un Président de la République de gauche.

Je tiens à souligner que le pouvoir de révocation du Président de la République n’est entouré d’aucune garantie ou procédure analogue.

Autant dire que, compte tenu des conditions qui sont ainsi posées, l’objectif ne pourra être atteint. Tout ce dispositif est un leurre et participe au marché de dupes que constitue cette révision.

Par l’amendement n° 425, nous préconisons que la commission de contrôle des nominations soit composée à la proportionnelle des groupes et qu’elle statue à la majorité des trois cinquièmes afin que nous puissions atteindre l’objectif recherché, qui est d’associer réellement l’opposition au choix des nominations.

M. le président. L’amendement n° 101 rectifié, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Après les mots :

avis public

rédiger comme suit la fin du second alinéa de cet article :

d’une commission mixte paritaire issue des commissions permanentes compétentes de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque cette commission a rendu un avis négatif à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Bel, la plupart de vos objections portent sur la version initiale de l’amendement. Elles ne sont donc plus fondées après la rectification que nous y avons apportée. Désormais, avec la formule que nous proposons il n’y aura plus de veto du Sénat.

La commission a largement approuvé la nouvelle procédure introduite à l’article 13. Cette dernière contribue non seulement à renforcer les pouvoirs du Parlement, mais aussi à donner un gage de la qualité des personnalités désignées. Le choix de l’exécutif aura en effet été éclairé à la fois par une délibération nourrie de la diversité des expressions politiques et par l’expérience des parlementaires.

Par lui-même, le dispositif devrait conduire à écarter les candidatures de complaisance. Cela étant posé, le système proposé par l’Assemblée nationale, fondé sur la réunion des commissions permanentes de chaque assemblée, n’a pas complètement convaincu la commission des lois, notamment parce que le nombre de parlementaires par commission n’est pas du tout comparable entre les deux assemblées.

Dans un tel système, les sénateurs seraient-ils vraiment en mesure de peser sur le sens de l’avis rendu ? Si nous prenons l’exemple de la commission chargée des affaires culturelles, celle du Sénat comprend 54 membres, alors que celle de l’Assemblée nationale en compte 144 ! Si on voulait que le système soit équilibré, il fallait prévoir une représentation paritaire.

Il importe aussi de ne pas négliger les difficultés pratiques liées à la réunion conjointe, à intervalles réguliers, des commissions permanentes dans leur formation plénière pour donner un avis. Nous aurions pu envisager un système plus souple permettant aux commissions compétentes de chaque assemblée de donner des avis séparés, sur le modèle de l’expérience récente qui a permis aux commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale de se prononcer successivement sur la nomination du contrôleur général des lieux de privation de liberté. Mes chers collègues, il faut bien le reconnaître, c’était tout de même une bonne idée de prévoir dans la loi, en quelque sorte par anticipation de la révision constitutionnelle, que nous donnerions notre avis sur la nomination du responsable d’une autorité indépendante qui nous semble fondamentale pour l’avenir de la condition pénitentiaire.

Nous avons souhaité nous rapprocher davantage de la logique retenue par les députés en revenant au principe d’un organe commun, tout en répondant aux exigences de souplesse et en posant le principe d’une composition paritaire.

Le système proposé s’inspire très directement de celui des commissions mixtes paritaires : sera prévu un organe non permanent constitué pour rendre un avis sur une ou plusieurs nominations, issu des commissions permanentes compétentes dans le secteur pour lequel interviendra la nomination. Comme les amendements de l’opposition le prévoient d’ailleurs, la composition de cet organe serait paritaire, à l’instar du système prévu pour les commissions mixtes paritaires : les groupes politiques seraient représentés en fonction de leur importance numérique. Le nombre de membres de cette commission ne serait pas forcément limité à sept ; il devrait être beaucoup plus important, mais cette précision n’a pas à figurer dans la Constitution.

Le principe d’un droit de veto rendu à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés serait conservé, même si, je le sais, l’opposition aurait souhaité que nous allions plus loin. Il appartiendra au règlement de chaque assemblée de déterminer les conditions de mise en œuvre de ce dispositif. Il faudra aussi que les deux assemblées, comme nous l’avons prévu pour les commissions mixtes paritaires, définissent dans leurs règlements un même dispositif.

Notre proposition est donc le fruit de nombreux débats et réflexions et s’inspire des amendements qui ont été déposés par nos collègues sur cet article.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. C’est la démocratie !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En effet, à part la question du caractère positif ou négatif de l’avis, sur laquelle nous ne suivons pas l’opposition, nous avons, sur l’essentiel, essayé de faire la synthèse de tous les amendements qui avaient été déposés par les uns et par les autres.

M. le président. Le sous-amendement n° 346 rectifié, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Dans le dernier alinéa de l’amendement n° 101 rectifié, après le mot :

rendu

insérer les mots :

, après audition publique de la personne envisagée pour l’emploi ou la fonction,

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. La rédaction proposée par la commission me semble comporter un petit oubli concernant les auditions publiques. Notre sous-amendement a pour objet de lever l’ambigüité sur ce point.

Monsieur le rapporteur, pouvez-vous apaiser mes craintes et me confirmer que l’avis, qui est qualifié de « public » dans le texte sera précédé d’une audition publique ? En effet, selon moi, avis public et audition publique sont deux choses différentes ; or, dans le compte rendu des débats de l’Assemblée nationale, il semble que les deux choses soient confondues. Pourquoi ne pas avoir mentionné expressément l’audition dans l’article 4 du projet de loi ?

Nous savons quels effets peuvent produire sur un candidat le fait, l’idée même, d’être auditionné par une commission. Une audition n’est rien d’autre que l’expression la plus aboutie d’un débat démocratique. Cette transparence empêche d’ailleurs toute tentation de nomination de convenance et pousse le Président à ne présenter que des personnes qui offrent des garanties de sérieux et de compétences.

Mon sous-amendement vise à réintégrer, dans le dispositif qui est créé, l’audition publique avant que la commission ne rende son avis.

M. le président. Le sous-amendement n° 147 rectifié, présenté par M. Cointat et Mme Kammermann, est ainsi libellé :

À la fin du dernier alinéa de l’amendement n° 101, supprimer les mots :

à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés

La parole est à M. Christian Cointat.

M. Christian Cointat. Ce sous-amendement avait été rédigé pour modifier la rédaction initialement proposée par l’amendement de la commission des lois, lorsque celui-ci prévoyait l’avis de la commission compétente de chaque assemblée. Réunir une majorité des trois cinquièmes dans les deux assemblées paraissait alors extrêmement difficile.

Ce sous-amendement perd de son intérêt depuis que la commission des lois a substantiellement modifié le dispositif en prévoyant dorénavant une commission paritaire.

J’avais déposé cet amendement parce qu’il me semblait qu’un Président de la République aurait du mal à justifier, auprès de l’opinion publique qui suivrait de près ces questions, la nomination d’une personne qui aurait reçu un avis négatif de la commission chargée de l’auditionner, même si la majorité des trois cinquièmes n’avait pas été atteinte. C’est la raison pour laquelle il me semblait préférable de s’en tenir à une solution qui paraît logique : si une commission rejette une nomination, cela signifie qu’il n’y a pas de consensus sur la personne et qu’il est donc préférable de ne pas la nommer.

Au demeurant, je m’interroge : est-il réellement indispensable de faire figurer ce point dans la Constitution ? La pratique s’instaurera vraisemblablement dans ce sens. Je m’en remets donc à la sagesse de notre assemblée et, si M. le rapporteur me le demande, je retirerai mon texte.

. M. le président. Le sous-amendement n° 344, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Dans le dernier alinéa de l’amendement n° 101, supprimer les mots :

des trois cinquièmes

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce sous-amendement porte également sur la question de la majorité des trois cinquièmes.

Comme cela a été souligné, la mise en place d’un contrôle parlementaire sur les nominations doit permettre une véritable prise en compte de l’opposition. C’est d’ailleurs l’un des objectifs du présent projet de révision constitutionnelle.

Or, exiger que la commission compétente émette un avis négatif à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés pour pouvoir refuser une nomination souhaitée par le Président de la République revient à museler l’opposition. Dans les faits, celle-ci n’aura aucun pouvoir pour peser sur les nominations. En réalité, le droit de veto ainsi créé est inapplicable.

L’idéal aurait été d’imposer le principe d’un vote positif à la majorité des trois cinquièmes. À défaut, il aurait au moins fallu fixer un vote négatif à la majorité, voire à la minorité de blocage des deux cinquièmes, des suffrages exprimés. C’est d’ailleurs ce que j’ai proposé dans un autre amendement.

En l’état, une telle disposition ne servira à rien. En réalité, le contrôle exercé sera une chimère, car il sera tout simplement impossible d’obtenir une majorité des trois cinquièmes pour s’opposer à une nomination.

De deux choses l’une : soit on introduit des dispositions cosmétiques, soit on prend réellement en compte les droits de l’opposition.

C’est la raison pour laquelle je souhaite la suppression des mots : « des trois cinquièmes », au profit d’un système de veto à la majorité simple.

M. le président. L’amendement n° 172, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Dans la première phrase du second alinéa de cet article, après les mots :

avis public

insérer le mot :

impératif

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. La nomination aux emplois publics constitue une prérogative essentielle du pouvoir exécutif.

En organisant la possibilité d’associer le Parlement à cette nomination, et en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la nation, le projet de loi vise un nombre étendu de cas. Je pense notamment à la présidence des autorités administratives indépendantes, ainsi qu’à la direction des entreprises ou des grands établissements publics, même s’il en reste de moins en moins…

Au regard de l’importance des fonctions exercées, il est essentiel de garantir la qualité des personnalités qui dirigeront de telles instances, ainsi que la transparence de la procédure conduisant à leur nomination.

La réforme qui nous est aujourd’hui proposée pourrait paraître intéressante, en tout cas pour ceux qui veulent bien se contenter de déclarations de principe. Ce fut d’ailleurs le cas d’un certain nombre de députés appartenant à la majorité de l’Assemblée nationale.

En l’occurrence, la lecture de l’article 4 du présent projet de révision constitutionnelle nous confirme que Nicolas Sarkozy a une conception quelque peu particulière de la notion de « partage ». Selon lui, « partager », c’est seulement recueillir un avis, à condition, bien entendu, de ne pas être obligé d’en tenir compte pour décider.

En réalité, en prévoyant une simple consultation des deux commissions permanentes compétentes de chaque assemblée, mais sans conférer la moindre force contraignante à l’avis émis, le texte crée un droit sans véritable portée.

C’est la raison pour laquelle, selon nous, il est nécessaire que l’avis émis par les commissions compétentes ait un caractère impératif.

M. le président. L’amendement n° 174, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit la deuxième phrase du second alinéa de cet article :

Le Président de la République procède à une nomination lorsque la réunion des deux commissions permanentes compétentes l’a approuvée à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Dans la version actuelle du projet de révision constitutionnelle, l’avis émis par les deux commissions permanentes compétentes ne s’impose pas au Président de la République.

Ce constat suffit déjà à démontrer que l’objectif affiché, c’est-à-dire le renforcement des prérogatives du Parlement, est en réalité un leurre.

La suite du dispositif, qui prévoit un droit d’opposition aux propositions du Président de la République, appelle d’ailleurs les mêmes critiques.

Le texte prévoit un véritable pouvoir d’opposition, mais il verrouille tout aussi vite le système, en exigeant l’obtention d’une majorité trop contraignante.

En réalité, le droit de veto ne sera jamais exercé. D’ailleurs, comment pourrait-on obtenir un avis négatif à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, alors que le fait majoritaire se retrouvera dans la composition des commissions ?

Ainsi, exiger une majorité des trois cinquièmes pour pouvoir refuser une désignation proposée par le Président de la République, et ce même si les suffrages exprimés sont pris en compte, revient à exclure l’opposition des choix de nomination pour ces institutions, dont les membres doivent pourtant être irréprochables.

Par conséquent, afin d’attribuer au Parlement un véritable pouvoir de contrôle sur les nominations concernées, nous souhaitons que ces désignations soient approuvées à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés des commissions permanentes compétentes.

M. le président. L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et MM. Fortassin, Laffitte, Marsin et A. Boyer, est ainsi libellé :

À la fin de la deuxième phrase du second alinéa de cet article, remplacer les mots :

des suffrages exprimés

par les mots :

de ses membres

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Monsieur le président, je souhaite transformer cet amendement en sous-amendement à l’amendement n° 101 rectifié de M. Hyest.

Il s’agirait, à la fin du texte de l’amendement de la commission des lois, de remplacer « des suffrages exprimés » par la mention « de ses membres », ce qui n’est pas la même chose.

Comme vous le savez, mes chers collègues, dans les commissions parlementaires, il n’y pas de quorum. À ma connaissance, aucun quorum n’a jamais été institué dans les commissions parlementaires permanentes.

Il suffirait, par exemple, qu’il y ait cinq présents, deux pour et trois contre pour que les trois cinquièmes soient atteints, puisqu’il s’agit des suffrages exprimés.

Dès lors, je propose, s’agissant de nominations importantes à des postes importants, que la décision émane d’un minimum de présents.

C’est pourquoi je suggère de remplacer les trois cinquièmes des « suffrages exprimés » par ceux des « membres » de la commission. (M. Robert Badinter manifeste son désaccord.)

Excusez-moi, mais quand on a des raisons sérieuses de s’opposer à une nomination envisagée par le Président de la République, on se dérange ! Si c’est pour laisser l’avis de nomination à cinq membres de la commission, avec trois contre et deux pour, je trouve que cela n’a pas de signification et je pose le problème.

Bien entendu, les règlements des assemblées peuvent y pourvoir. Il suffirait que la règle du quorum soit introduite, pour les commissions permanentes, dans les règlements des deux chambres, pour que le problème soit réglé. Je pose donc la question.

Il restera un problème à régler – mais il peut l’être par la voie des règlements des assemblées – c’est la question de savoir si, dans cette commission unique proposée par la commission, le vote aura lieu à bulletin secret ou non. Comme il s’agit de nominations et donc de questions qui traitent du cas de personnes nommément désignées, il me paraîtrait tout à fait normal que le scrutin ait lieu à bulletin secret et non pas à main levée comme c’est toujours le cas dans les assemblées.

M. le président. Je suis donc saisi d’un sous-amendement n° 7 rectifié ter, présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et MM. Fortassin, Laffitte, Marsin et A. Boyer, et ainsi libellé :

À la fin du dernier alinéa de l’amendement n° 101 rectifié, remplacer les mots :

des suffrages exprimés

par les mots :

de ses membres

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’amendement n° 417 vise à soumettre l’ensemble des emplois auxquels le Président de la République nomme à l’avis conforme d’une commission constituée des membres des deux assemblées du Parlement. Cela concernerait donc tous les emplois civils et militaires de l’État.

Tout à l’heure, l’auteur d’un autre amendement proposait un dispositif similaire, mais limité aux seuls préfets.

M. Michel Charasse. Et aux ambassadeurs !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais, si l’amendement n° 417 était adopté, c’est l’ensemble des membres du corps préfectoral qui seraient concernés !

M. Michel Charasse. Même les sous-préfets !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En outre, alors que l’on suggérait tout à l’heure de soumettre la nomination des généraux à une telle exigence, ce seraient désormais tous les officiers qui seraient concernés.

C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous pourriez au moins être favorable à la deuxième partie de notre amendement !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais, ma chère collègue, votre amendement est un tout. Si vous vouliez n’en retenir que la deuxième partie, vous auriez pu déposer un sous-amendement à l’amendement que j’ai présenté, au nom de la commission.

J’en viens à l’amendement n° 425, présenté par M. Jean-Pierre Bel.

Mon cher collègue, la commission des lois approuve les principes de parité entre les deux chambres et de composition à la proportionnelle des groupes parlementaires, principes que j’ai d’ailleurs repris dans l’amendement n° 110 rectifié. En revanche, elle est défavorable à la création d’une commission permanente qui serait spécialisée dans les nominations et aux modalités d’adoption des avis telles que vous les proposez.

C’est la raison pour laquelle la commission sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.

Le sous-amendement n° 346 rectifié vise à préciser que la commission compétente doit auditionner la personne dont la nomination est proposée avant d’émettre un avis. Si cette pratique nous semble positive, une telle disposition n’a pas à figurer dans la Constitution. Par ailleurs, il n’est pas souhaitable d’envisager une publicité systématique.

C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur ce sous-amendement.

Le sous-amendement n° 147 rectifié vise à faire en sorte que les commissions compétentes puissent émettre un avis négatif à la majorité simple et non plus à la majorité des trois cinquièmes.

Pour des raisons que j’ai déjà eu l’occasion de formuler, il me paraît souhaitable de maintenir l’exigence de la majorité des trois cinquièmes. Par conséquent, si notre collègue Christian Cointat acceptait de retirer son sous-amendement, je lui en serais extrêmement reconnaissant.

M. le président. Monsieur Cointat, le sous-amendement n° 147 rectifié est-il maintenu ?

M. Christian Cointat. Non, je le retire, monsieur le président. Comme M. le rapporteur m’en demande le retrait si gentiment, je ne peux naturellement pas lui résister. (Sourires.)

M. le président. Le sous-amendement n° 147 rectifié est retiré.

Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le sous-amendement n° 344, présenté par Mme Alima Boumediene-Thiery, a le même objet que le sous-amendement qui vient d’être retiré. Par conséquent, la commission en demande également le retrait. À défaut, elle émettra un avis défavorable.

L’amendement n° 7 rectifié bis est devenu le sous-amendement n° 7 rectifié ter. Il faut être vigilant avec les amendements de M. Michel Charasse, car ils se transforment comme cela en sous-amendements. (Sourires.)

M. Michel Charasse. C’est normal, puisque l’on amendera désormais non plus le projet de loi initial, mais le texte issu des travaux de la commission ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous n’en sommes pas encore là, mon cher collègue. Vous anticipez un peu sur la réforme institutionnelle.

Quoi qu’il en soit, la commission demande le retrait de ce sous-amendement.

En effet, le système proposé par la commission sur le modèle d’une commission mixte paritaire devrait répondre aux préoccupations de M. Charasse sur la nécessité que l’avis soit vraiment représentatif du sentiment des parlementaires. Comme pour les commissions mixtes paritaires, on pourrait imaginer un système de suppléance, qu’il appartiendra aux règlements des assemblées de définir.

M. Michel Charasse. Ce n’est pas un problème de suppléance ; c’est un problème de quorum !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est vrai, mais cela ne relève pas de la Constitution,

M. Michel Charasse. La question est : « Peut-on introduire ce dispositif dans les règlements des assemblées ? ».

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui ! Tout à fait !

M. Michel Charasse. Si la réponse est oui, alors, je retire mon amendement. Si c’est non, je le maintiens.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mon cher collègue, je vous confirme qu’on peut mettre cette précision dans les règlements des assemblées parlementaires.

M. Gérard Cornu. Mais on ne le fera pas forcément !

M. Michel Charasse. Dans ces conditions, je retire le sous-amendement n° 7 rectifié ter.

M. le président. Le sous-amendement n° 7 rectifié ter est retiré.

Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’amendement n° 172 vise à préciser que l’avis public est « impératif ». Dans ce cas, il s’agirait non plus d’un avis, mais bien d’une décision.

M. Michel Charasse. Cela fait penser au mandat impératif.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

En tout état de cause, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Le dispositif que l’amendement n° 174 vise à instituer est contraire à la position de la commission des lois.

En effet, la nécessité d’une majorité des trois cinquièmes pour approuver une nomination pourrait avoir deux effets négatifs : soit rendre très difficiles les nominations au risque de bloquer durablement de nombreuses institutions, soit donner lieu à des accords entre groupes qui pourraient conduire, en pratique, à une forte politisation des nominations. Ce n’est certainement pas cela que nous attendons de ce texte.

Par conséquent, la commission demande le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.

M. Bernard Frimat. Et quelle est votre position sur la publicité des auditions ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je me suis déjà exprimé sur le sujet, mon cher collègue.

La commission n’est pas favorable au principe d’une publicité automatique et systématique des auditions.

À cet égard, je voudrais vous faire part de mon sentiment personnel. Ayant participé à des commissions d’enquête dans lesquelles toutes les auditions étaient publiques, je sais que cela ne favorise pas obligatoirement la sérénité des débats. Si nous adoptions aujourd’hui un tel dispositif, les journalistes scruteraient tout, et cela compliquerait les nominations. Ce serait horrible.

Croyez-moi, la publicité des auditions n’est pas toujours souhaitable.

Mme Nicole Bricq. Vous exagérez !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais non ! J’ai participé à beaucoup de commissions d’enquête. Lorsque les auditions ne sont pas publiques et lorsque la confidentialité des débats est respectée par tous, le système se révèle très efficace. Nous pouvons obtenir des informations qu’il ne serait pas possible de recueillir autrement.

Mais, lorsque les auditions sont publiques, cela devient…

M. Michel Charasse. Du cinéma !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … une émission de « show-biz ».

Mme Nicole Bricq. C’est excessif !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas du tout !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement s’est montré favorable aux amendements de l’Assemblée nationale qui prévoyaient un avis public émis par la réunion des deux commissions compétentes de chaque assemblée et un droit de veto en cas de vote négatif à la majorité des trois cinquièmes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, plusieurs d’entre vous souhaitent aller plus loin.

Ainsi, des amendements visent à instituer soit un avis conforme, soit un avis impératif, soit un accord de la commission appelée à rendre un avis, ce qui revient d’ailleurs au même. C’est notamment le cas de l’amendement n° 172.

Certains exigent même un vote favorable à la majorité des trois cinquièmes. Je pense notamment aux amendements nos 417, 174 et 425.

Le Gouvernement n’y est pas favorable. Cette exigence nous paraît excessive puisqu’elle changerait radicalement la nature du pouvoir confié au Président de la République. Elle donnerait un pouvoir de codécision au Parlement, ce que nous ne désirons pas. Nous souhaitons simplement encadrer le pouvoir de nomination, en instaurant un processus qui garantisse la transparence des choix. Nous ne voulons aboutir ni à un partage de responsabilité ni à un transfert de pouvoir au Parlement.

Il s’agit pour le Parlement de donner un avis sur le candidat qui est présenté par le Président de la République. La seule solution qui paraisse raisonnable, c’est celle d’un veto acquis à la majorité des trois cinquièmes, comme cela a été proposé à l’Assemblée nationale. C’est pourquoi le Gouvernement est également défavorable aux sous-amendements nos 147 rectifié et 344.

Monsieur Charasse, vous proposiez que la majorité soit calculée non pas par rapport au nombre de suffrages exprimés mais par rapport au nombre de membres de la commission. Mais vous avez retiré ce sous-amendement compte tenu des observations du rapporteur.

D’autres amendements concernent la composition de la commission compétente pour rendre un avis. Le groupe socialiste, par son amendement n° 425, propose que les nominations fassent l’objet d’un avis d’une commission composée paritairement des membres des deux assemblées. Monsieur Hyest, vous faites la même proposition, au nom de la commission des lois, en précisant que cette commission est issue des commissions permanentes compétentes de chaque assemblée ; c’est l’objet de l’amendement n° 101 rectifié.

Le Gouvernement a considéré qu’il était intéressant que les commissions permanentes compétentes se prononcent et qu’il n’était pas nécessaire de créer une commission ad hoc.

Je comprends que la solution issue de l’Assemblée nationale ne vous satisfasse pas totalement. La réunion des commissions de chacune des deux assemblées peut aboutir à additionner des formations finalement assez dissemblables. Toutefois, il me paraît possible de trouver un compromis entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur ce point, et nous devons continuer à y travailler. À ce stade de nos débats, je suis donc réservée sur l’amendement tel qu’il est rédigé, non pas sur le fond, mais simplement parce que je crois que nous parviendrons à trouver une solution satisfaisante en deuxième lecture.

M. Michel Charasse. Il ne faut pas qu’une assemblée écrase l’autre en raison de son effectif !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. En ce qui concerne la procédure d’audition publique que propose d’instaurer Mme Boumediene-Thiery par le sous-amendement n°346 rectifié, nous considérons que de telles modalités n’ont pas leur place dans la Constitution.

Nous ne nous étions pas montrés défavorables à une telle disposition à l’Assemblée nationale, mais l’article 4, tel qu’il est rédigé, renvoie à la loi le soin de déterminer les modalités selon lesquelles les avis sont rendus. Il conviendra sans doute à ce moment-là d’examiner les modalités en fonction des types de poste.

Le groupe CRC souhaite que cette nouvelle procédure vise l’ensemble des emplois auxquels le Président de la République nomme. J’ai indiqué, à propos de l’amendement n° 384 rectifié, qu’il n’était pas souhaitable de soumettre à cette procédure les nominations qui traduisent le lien entre le Gouvernement et l’administration.

Il n’est pas non plus souhaitable d’englober toutes les autres nominations, parce que certaines ne sont pas du niveau de la commission parlementaire. Si l’on souhaite que cette commission puisse procéder à des auditions, il vaut mieux qu’elle puisse se concentrer sur les nominations les plus importantes pour la protection des libertés et la vie économique de la nation.

Finalement, le Gouvernement est défavorable à la totalité des amendements et sous-amendements, en émettant des réserves sur celui de la commission.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame le garde des sceaux, à la faveur des arguments qui sont exposés, ne pourriez-vous pas, de temps en temps, souscrire à telle ou telle proposition de l’opposition ? Serait-il possible que vous nous surpreniez par des réponses qui ne soient pas trop stéréotypées, et que surgisse de l’inattendu ?

Par exemple, j’aurais aimé que vous puissiez souscrire aux amendements défendus par nos collègues du groupe CRC ou à ceux du groupe socialiste. M. Bel, particulièrement, a exposé la situation. De quoi s’agit-il ?

Les nominations au Conseil constitutionnel, au CSA ou au CSM sont opérées par le Président de la République et par diverses autorités, et il peut leur être reproché de nommer des amis politiques. L’avis du Parlement ou des commissions parlementaires a pour objet de mettre fin à ce soupçon, afin que ces personnalités, nommées pour leur grande qualité, leur impartialité, leur hauteur de vue – « leur compétence », me souffle Robert Badinter – suscitent l’assentiment.

C’est pourquoi, madame le garde des sceaux, nous proposons une procédure positive plutôt qu’une procédure négative. Il est en effet fort peu probable que la majorité cherche à rallier l’opposition pour rassembler trois cinquièmes des voix contre la nomination proposée par le Président de la République issu de cette majorité !

Nous demandons simplement qu’un avis positif soit rendu. Nous pensons que cet avis aura une force morale que la personne qui nommera prendra en compte. À partir du moment où une majorité des trois cinquièmes est sollicitée, il faut forcément que l’opposition et la majorité trouvent un accord sur un certain nombre de personnes, ce qui conférera forcément une grande crédibilité à ces nominations.

Monsieur Charasse, ou bien on n’évoque pas les nominations, ou bien on veut changer les choses. Dans ce dernier cas, l’avis doit procéder d’une majorité qui ne soit pas partisane et qui, par conséquent, aille au-delà de la majorité en place. C’est pourquoi il est indispensable d’opter pour une procédure positive.

Si vous vouliez bien prendre en considération ces arguments, madame le garde des sceaux, ce serait un pas dans le sens de la démocratie !

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, vous nous reprochez de ne pas prêter suffisamment attention aux amendements de l’opposition et de ne pas y répondre favorablement. En fait, nous y répondons de manière circonstanciée et la plupart d’entre eux renvoient à la loi organique ; nous n’y sommes pas défavorables sur le fond.

Je rappelle en outre qu’à l’Assemblée nationale de nombreux amendements de l’opposition ont été acceptés par le Gouvernement et votés.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est plus dur au Sénat !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. S’agissant des modes de nomination, nous souhaitons certes renforcer les pouvoirs du Parlement et encadrer le pouvoir de nomination du Président de la République, mais le pouvoir de nomination aujourd’hui dévolu au chef de l’État ne doit pas être transféré au Parlement.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous ne l’avons pas demandé !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. L’actuel Président de la République veut une démocratie irréprochable, notamment s’agissant des nominations. Il s’est engagé à ce que les nominations ne soient plus « le fait du prince » et s’effectuent dans la plus grande transparence.

Sur l’initiative du Sénat, accueillie favorablement par le Gouvernement, vous avez vous-mêmes pu expérimenter ce nouveau mode de nomination avec M. Delarue.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous l’avons auditionné.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il a en effet été auditionné par votre commission des lois, qui a décidé, à l’unanimité, de donner un avis favorable à sa nomination.

Par conséquent, le Président est allé assez loin dans l’engagement qu’il avait pris pendant la campagne électorale d’encadrer son pouvoir de nomination.

Vous évoquiez la suspicion : je ne crois pas que quiconque ait contesté la désignation de M. Robert Badinter au Conseil constitutionnel par François Mitterrand.

M. Michel Charasse. Il n’y a eu aucune objection !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Président Sarkozy souhaite aller plus loin, mais il ne s’agit pas d’un transfert de pouvoir, il s’agit simplement d’encadrer un pouvoir de nomination.

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

M. Bernard Frimat. Je voudrais poursuivre brièvement ce dialogue dont je me réjouis.

Je reconnais, monsieur le président de la commission des lois, que la rectification apportée à l’amendement n° 101 rapproche votre proposition de la nôtre. Les critiques formulées par Jean-Pierre Bel sur la première version étaient fondées. Nous avions proposé que cette commission mixte soit désignée en début de législature, vous en faites une commission issue, pour chaque circonstance, des commissions permanentes compétentes : ce n’est pas sur ce point que nos avis divergent, et je vous en donne acte. Ce qui nous sépare, c’est le veto négatif aux trois cinquièmes, auquel vous adhérez, alors que nous souhaitons une approbation positive.

Madame le garde des sceaux, je ne vous demande pas de changer de position, je vous prie de ne pas travestir la nôtre. Vous avez parlé de codécision, de transfert de pouvoir de nomination : nous n’avons jamais demandé cela !

Jean-Pierre Bel a rappelé, en citant M. Balladur, que nos concitoyens veulent être sûrs que les nominations sont faites en fonction des compétences et ne sont pas « le fait du prince ».

Nous demandons que soit donné un avis simple, et non pas conforme, à la majorité positive des trois cinquièmes. Cet avis aura d’autant plus de force que l’approbation aura dépassé le champ de la majorité.

Il se pourrait qu’un Président de la République passe outre un avis sur des nominations. C’est déjà arrivé. En tout cas, il reviendra au Président, une fois que la commission parlementaire se sera exprimée, de décider. De toute façon, il aura déjà exercé sa responsabilité dans le choix de la personne sur laquelle il sollicitera un avis.

La nomination de M. Delarue a été approuvée à l’unanimité sur le fondement de sa personnalité et de ses compétences ; nous n’aurions rencontré aucune difficulté pour réunir la majorité des trois cinquièmes.

La force d’une telle procédure est d’offrir une reconnaissance extraordinaire à la personne nommée.

Je le répète, nous ne demandons ni le transfert des pouvoirs de nomination du Président de la République ni la codécision. Nous voulons simplement que ce ne soit pas seulement 40 % de la commission, c’est-à-dire moins que la majorité, qui puisse finalement décider.

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Alors que l’on n’arrête pas de parler de transparence – vous avez prononcé ce mot à plusieurs reprises, madame la ministre –, je ne comprends pas que l’on se montre réticent à l’idée d’organiser une audition publique. Non seulement cette disposition me semble indispensable pour nous aider à nous forger un avis, mais elle coïncide également, je le répète, avec la démarche de transparence.

On nous dit que ce principe sera inscrit dans la loi. Pourquoi pas, mais j’aurais préféré qu’il figure dans la Constitution, quitte à déroger à cette règle en cas de situation exceptionnelle.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Une audition est prévue !

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. Il y a eu tout à l’heure un mini-débat soulevé par Mme Boumediene-Thiery sur la question de l’avis public.

Avis public, ça ne veut pas dire avis en audition publique. Ce n’est pas incompatible, mais ce sont deux choses différentes.

Je voudrais dire qu’il faudra que le règlement précise si c’est un avis public motivé ou non, c’est-à-dire si la commission adoptera ou non une délibération dans laquelle elle donnera son avis. La nuance est importante dans la mesure où nous avons actuellement une procédure d’avis qui est à peu près analogue.

Ceux qui étaient au gouvernement à l’époque s’en souviennent, Pierre Mauroy a fait voter une loi en 1984 instituant un « tour extérieur » dans les inspections générales et complétant le tour extérieur dans les grands corps, Cour des comptes et Conseil d’État. Cette loi a été remise en cause par M. Balladur au moment de la première cohabitation. Une loi de 1986 est donc revenue sur ce système. Il a été institué à ce moment-là une procédure d’avis du bureau de la Cour des comptes, du bureau du Conseil d’État ou de ce qui en tient lieu prévoyant de rendre public le « sens de l’avis » et non pas le contenu de l’avis détaillé.

Il y aura donc sans doute une précision à apporter. De ce point de vue, il faudra que les choses soient claires.

Je me souviens qu’à l’époque du Président Mitterrand il y a eu un avis négatif à propos d’une nomination au Conseil d’État. Le Président de la République a alors estimé que c’était un avis politique et insolent et il est passé outre. Pour le reste, il n’y a jamais eu à ma connaissance pendant quatorze ans de protestation particulière, sauf une fois. Je la signale à titre anecdotique, sans m’étendre dessus, tout le monde comprendra ce que je veux dire.

Lorsque les membres du Conseil supérieur de la magistrature étaient nommés par le Président de la République, à partir de listes présentées par le bureau de la Cour de cassation ou par la Cour de cassation elle-même parmi les magistrats de la Cour de cassation, des cours d’appel et des tribunaux de grande instance, la Cour de cassation présentait trois noms pour chaque catégorie. Dans l’une des catégories, en numéro trois, était présenté un monsieur qui s’appelait Didier. Le Président Mitterrand m’a demandé de vérifier s’il était parent avec le seul magistrat, qui s’appelait Paul Didier, qui avait refusé de prêter serment au maréchal Pétain. C’était son fils. Le Président Mitterrand, bien que M. Didier soit présenté en numéro trois, l’a nommé. C’est la seule fois où il a reçu des protestations venant de certains groupes du corps judiciaire !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Au-delà des différentes appréciations sur le périmètre des nominations, je reconnais que notre amendement n° 417 n’était pas approprié.

Cela dit, pourquoi ne pourrait-on retenir un avis positif ? Il serait quand même bon que l’article 4 soit modifié en ce sens.

Avec le dispositif actuel, on accorde au Parlement un droit qui s’avère en fait être un non-droit. Les choses pourraient en aller autrement, ce qui ne retirerait rien aux pouvoirs du Président du République en matière de nominations.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Fourcade. Il y a une différence très importante entre l’avis donné au Président de la République sur la nomination d’un haut fonctionnaire et l’avis négatif, qui, selon la commission, empêcherait le Président de la République de le nommer.

Par ailleurs, je constate que, depuis hier, le Sénat semble s’ingénier à modifier toutes les dispositions venant de l’Assemblée nationale. Or celle-ci a adopté le principe de l’avis négatif.

Pour ma part, je trouve beaucoup plus représentatif des droits du Parlement d’émettre un avis négatif qui empêcherait le Président de la République de nommer un candidat qui ne plaît pas aux membres des commissions que d’obliger les commissions permanentes à examiner la totalité des nominations et de donner un avis positif à la majorité des trois cinquièmes. Cette dernière proposition créerait en outre un nouveau désaccord avec l’Assemblée nationale. Or il faudra bien parvenir à l’adoption d’un texte commun. C’est la raison pour laquelle je soutiens l’amendement présenté par la commission des lois.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le principe de la majorité des trois cinquièmes existe dans certains pays. Cela s’appelle la partitocratie : si les partis ne négocient pas, ils ne peuvent aboutir à rien.

Or il est évident que, si la commission émet un avis négatif, même à la majorité simple, la candidature sera plombée. Il faut donc parvenir à un consensus souple afin de nommer des personnes non pas en fonction de leur appartenance politique, mais en tenant compte de leurs qualités et surtout de leur personnalité, ce qui est parfois indispensable dans certains organismes.

Mes chers collègues, c’est tout de même formidable : le Président de la République propose de nous demander notre avis sur certaines nominations afin d’introduire plus de transparence alors qu’à une époque, il faut bien le dire, c’était le fait du prince ! Et certains estiment que ce n’est pas assez ; ils voudraient prendre la décision, et ce à la majorité des trois cinquièmes. Ce n’est pas ce qui avait été prévu au départ.

L’Assemblée nationale a eu un long débat sur ce sujet et a adopté la rédaction qui nous est proposée à la quasi-unanimité. L’amendement de notre commission vise simplement à mettre en place une commission mixte paritaire afin que les deux chambres soient représentées à égalité, mais elle est d’accord sur le fond.

Nous pourrions indéfiniment entendre les mêmes arguments. Je demande donc, pour faire avancer le débat, que l’amendement n° 101 rectifié soit mis aux voix par priorité, et je vous invite, mes chers collègues, à l’adopter.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Favorable.

M. le président. La priorité est de droit.

Je vais donc mettre aux voix les sous-amendements qui visent à modifier l’amendement n° 101 rectifié.

La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. Je comprends fort bien la position de ceux qui souhaiteraient que le Parlement donne un avis positif. Mais reconnaissons-le, mes chers collègues, le droit de veto qui nous est proposé représente une avancée considérable par rapport à la situation actuelle, encore faut-il que la majorité requise pour que le veto puisse s’exercer ne soit pas déraisonnable.

Je voterai l’amendement de la commission des lois, car il découle du rapprochement d’idées différentes. Il tente de faire une synthèse des opinions qui ont été émises par les uns et les autres en vue d’aboutir à une proposition équilibrée.

Certes, la majorité requise est un peu forte, mais je peux m’y résoudre. En revanche, je ne pourrai pas me résoudre à suivre M. Charasse, même si j’apprécie un certain nombre de ses amendements, qui sont souvent novateurs et audacieux. Si l’on adoptait le principe d’une majorité des trois cinquièmes des membres composant une commission, il serait pratiquement impossible de parvenir à une décision de veto.

D’ailleurs, lorsque nous rédigerons le règlement de notre assemblée, nous devrons faire attention à ne pas verrouiller ce droit de veto.

En revanche, il est un point sur lequel je rejoins M. Charasse : l’avis doit être motivé. Un avis négatif motivé, même émis à la majorité simple, rendra impossible la nomination en cause.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 346 rectifié.

(Le sous-amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 344.

(Le sous-amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 101 rectifié.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, les amendements nos 417, 425, 172 et 174 n’ont plus d’objet.

L’amendement n° 173, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Un groupe parlementaire peut, dans les quinze jours suivant la nomination, demander à auditionner publiquement toute personne nommée aux emplois concernés par le présent article. »

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

M. le président. L’amendement n° 173 est retiré.

Je mets aux voix l’article 4, modifié.

(L’article 4 est adopté.)

Mise au point au sujet d’un vote

Article 4
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Organisation de la discussion des articles (début)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, je souhaite faire une mise au point au sujet du vote de M. Jean-Pierre Godefroy concernant les langues régionales.

Notre collègue m’a chargé de préciser qu’il avait voté en faveur des amendements de suppression de l’article 1er A.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue.

Organisation de la discussion des articles

Mise au point au sujet d'un vote
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Organisation de la discussion des articles (interruption de la discussion)

M. le président. Mes chers collègues, en accord avec le Gouvernement et la commission, je vais vous faire une communication sur la suite de notre discussion.

Conformément à ce qui a été décidé en début d’après-midi, à la reprise de ce soir, nous examinerons les dispositions financières.

Nous commencerons d’abord par les amendements portant article additionnel après l’article 14, puis, au sein de l’article 11, par l’amendement de rédaction globale n° 187 rectifié bis, de Mme Borvo Cohen-Seat, et l’ensemble des amendements allant de l’amendement 302 rectifié à l’amendement 380 rectifié bis.

Puis, pour répondre notamment à la demande de M. Bernard Frimat, nous reprendrons le cours normal de l’examen des articles, là où nous l’avons arrêté avant la suspension.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Nous examinerons donc le reste de l’article 11 à sa place dans le texte.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq,

est reprise à vingt et une heures cinquante, sous la présidence de M. Roland du Luart.)

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Organisation de la discussion des articles (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Discussion générale

10

Décision du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date de ce jour, le texte d’une décision rendue par le Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi relative aux organismes génétiquement modifiés.

Acte est donné de cette communication.

Cette décision du Conseil constitutionnel sera publiée au Journal officiel, édition des lois et décrets.

11

Organisation de la discussion des articles (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Articles additionnels après l’article 14 (priorité)

Modernisation des institutions de la ve république

Suite de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.

Je rappelle que, dans la suite de la discussion des articles, nous avons décidé d’examiner en priorité les articles additionnels après l’article 14 et les amendements à l’article 11 relatifs aux dispositions financières.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 11 (priorité) (début)

Articles additionnels après l’article 14 (priorité)

M. le président. Je suis saisi de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les quatre premiers sont identiques.

L’amendement n° 146 est présenté par M. Arthuis.

L’amendement n° 200 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

L’amendement n° 335 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.

L’amendement n° 467 est présenté par M. Frimat, Mme Bricq, MM. Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Massion, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste et apparentés.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 40 de la Constitution est abrogé.

La parole est à M. Jean Arthuis, pour présenter l’amendement n° 146.

M. Jean Arthuis. L’amendement n° 146 vise à tirer les conséquences de la philosophie du projet de modernisation des institutions de la Ve République. L’objectif est de responsabiliser le Parlement, de lui donner les moyens d’assumer pleinement ses prérogatives.

Cet amendement concerne l’article 40 de la Constitution, qui est souvent vécu par les auteurs d’amendements au sein de cette assemblée comme une contrainte parfois difficilement supportable.

Mes chers collègues, depuis le 1er juillet 2007, nous appliquons l’article 40 de la Constitution dans la rigueur de sa rédaction…

M. Michel Charasse. Comme à l’Assemblée nationale !

M. Jean Arthuis.… comme à l’Assemblée nationale, en effet. Nous y avons été invités par le Conseil constitutionnel, qui avait censuré plusieurs dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 et qui avait déclaré, avec une grande fermeté, que, si le Sénat n’assumait pas sa responsabilité, il se substituerait à lui pour y mettre bon ordre.

Depuis le 1er juillet 2007, donc, nous appliquons l’article 40 avec rigueur certes, mais dans des conditions qui n’ont pas soulevé de difficultés marquantes.

J’ai eu l’occasion de présenter devant la conférence des présidents, il y a deux semaines, un bilan de cette nouvelle pratique ; mes chers collègues, vous recevrez ce rapport dans les prochaines heures.

Nous avons donc rempli nos obligations, me semble-t-il, je dis « nous » puisque c’est la commission des finances qui est chargée de veiller au respect de l’article 40 et de déclarer irrecevables les amendements qui auraient pour conséquence de réduire les recettes publiques ou d’accroître la dépense publique.

Le pourcentage d’amendements déclarés irrecevables est relativement faible, de l’ordre de 3 %, par rapport aux quelque 4 000 amendements examinés par le Sénat. La commission des finances s’est efforcée d’être le conseil des auteurs d’amendements pour qu’ils modifient leur rédaction et échappent à l’irrecevabilité.

Cela étant, nous devons débattre ce soir des avantages et des inconvénients de l’article 40, qui constitue une sorte de garde-fous contre les tentations des parlementaires de laisser filer la dépense publique.

Je dirai, en premier lieu, que, en dehors de l’article 40, le Gouvernement dispose d’une large palette d’articles de procédure lui permettant de s’opposer publiquement aux initiatives qu’il juge inopportunes, qu’il s’agisse du vote bloqué, de l’article 49, alinéa 3, éventuellement d’une seconde délibération. Le Gouvernement a donc les moyens de prévenir les dérives des dépenses publiques.

Je dirai, en second lieu, que l’article 40 n’a pas empêché l’accroissement, depuis 1958, tant des dépenses publiques que de la constitution d’un stock de dettes publiques qui dépasse aujourd’hui 1 200 milliards d’euros.

Il est vrai que certaines dispositions de l’article 40 restent virtuelles, notamment celles qui visent la réduction des recettes publiques, puisque nous pouvons gager nos initiatives tendant à réduire certaines recettes par l’accroissement de la taxe sur le tabac, ce qui est un gage totalement virtuel…

M. Jean Arthuis.… tout à fait « bidon » comme le souligne notre collègue Michel Charasse. C’est donc une véritable fiction.

Les parlementaires, nonobstant les doutes que d’aucuns pourraient encore avoir, sont des sages de la rigueur budgétaire, et nous en faisons la démonstration depuis le 1er juillet 2007, puisque très peu d’amendements ont été déclarés irrecevables.

Par ailleurs, la réforme constitutionnelle que nous examinons va apporter deux novations importantes.

Premièrement, les textes qui viendront en discussion devant le Sénat ne seront plus ceux qui auront été adoptés en conseil des ministres, lorsque nous auront été saisis les premiers, ou adoptés par l’Assemblée nationale, lorsque c’est elle qui aura été saisie en premier : en séance publique sera examiné le texte issu des travaux de la commission saisie au fond. Par conséquent, la commission pourra prendre des initiatives, dont certaines pourraient éventuellement être déclarées irrecevables au titre de l’article 40.

Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait qu’il ne sera pas aisé d’appliquer l’article 40 dans ces conditions. En effet, ce nouveau mode d’examen des projets de loi correspond au mode d’examen actuel des propositions de loi déposées par des membres de notre assemblée : le texte dont nous débattons en séance publique est, non pas la proposition de loi telle qu’elle a été rédigée par ses auteurs, mais le texte issu des travaux de la commission.

Je me permets de vous faire observer, mes chers collègues, que nous ne faisons pas application aux propositions de loi de la procédure que nous avons mise en place pour les amendements.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jean Arthuis. Or, si la réforme constitutionnelle est adoptée, nous aurons une plus grande latitude pour fixer l’ordre du jour de nos travaux et nous pourrons donc examiner un plus grand nombre de propositions de loi.

Dans ces conditions, l’application de l’article 40 sera particulièrement malaisée.

M. le président. Votre temps de parole est épuisé, mon cher collègue ! La règle s’applique à tout le monde !

M. Jean Arthuis. Voilà, mes chers collègues, ce qui a motivé le dépôt de cet amendement.

M. le président. Veuillez m’excuser, monsieur Arthuis, mais si je ne demande pas à chacun de respecter son temps de parole, nous ne pourrons pas rester dans le cadre horaire que nous nous sommes fixé.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l'amendement n° 200.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est énoncer une évidence que de rappeler que l’article 40 de la Constitution constitue une arme particulièrement importante laissée à la disposition du Gouvernement ou de la majorité parlementaire…

M. Michel Charasse. Ou de tout sénateur !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … ou de tout sénateur, en effet,…

M. Michel Charasse. Ou sénatrice !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … pour mettre en question l’exercice du droit d’amendement.

M. Arthuis, président de la commission des finances, s’est plu à rappeler que l’article 40 se présentait de plus en plus comme un outil de procédure particulièrement important, voire exorbitant. Or il n’a pas été le dernier à en user et à en perfectionner l’usage, comme l’a montré la procédure mise en place en juillet 2007, qui a conduit, dans les faits, à limiter le droit d’amendement, tant en commission qu’en séance, puisque l’irrecevabilité est invoquée avant même que l’amendement ne vienne en discussion.

M. Arthuis indique dans l’objet de son amendement qu’assez peu d’amendements – autour de 4 % de ceux qui ont été déposés depuis le début de la session – ont été déclarés irrecevables avant même leur diffusion publique, mais les données statistiques sont en réalité légèrement différentes.

Je prendrai quelques exemples.

La loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, dite loi Chatel, a donné lieu au dépôt de 141 amendements, dont 12 ont été purement et simplement déclarés irrecevables avant même leur diffusion. Or, il faut le souligner, ces 12 amendements émanaient exclusivement de membres de la minorité sénatoriale.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a évidemment fait l’objet d’un nombre élevé d’amendements, ce qui est logique compte tenu de l’importance que lui accordent légitimement les parlementaires de tous les groupes. Sur les 474 amendements déposés, 74 ont été déclarés irrecevables par la commission des finances avant même leur diffusion. Notons au passage que 4 d’entre eux émanaient du rapporteur, 16 de parlementaires ou groupes de la majorité sénatoriale et, donc, 54 de groupes ou parlementaires de la minorité sénatoriale.

S’agissant de la loi de finances pour 2008, ce sont au total 591 amendements qui ont été déposés. En première partie, 10 amendements ont été déclarés irrecevables et 10 autres ont connu le même sort en deuxième partie.

L’invocation de la recevabilité financière varie donc très largement au gré des circonstances. De ce point de vue, la palme revient sans doute au projet de loi portant réforme des retraites en 2003, dont la discussion a été marquée par un recours massif aux différents outils de procédure.

Ce texte, qui avait occupé une part importante de la session extraordinaire, avait fait l’objet du dépôt de 1 153 amendements. Or 233 de ces amendements, c’est-à-dire plus de 20 % du total, avaient été déclarés irrecevables au titre de l’article 40.

Pour bien illustrer ce que représentent les autres outils de procédure, notons que 247 amendements avaient été rejetés en application de la règle de priorité invoquée sur un amendement par la commission des affaires sociales ou le Gouvernement.

En clair, la réforme des retraites a donné lieu à un débat tronqué puisque plus de 40 % des amendements ont été « victimes » des multiples outils de procédure dont l’usage n’a dépendu que de la seule application de la règle majoritaire.

N’oublions pas le recours aux motions d’ordre qui, dans le cas précis de la réforme des retraites, avait notamment conduit à rejeter en fin de discussion une part importante des amendements portant articles additionnels au texte transmis par l’Assemblée nationale.

De manière assez symbolique, seule la partie du texte relative à la généralisation des fonds de pension et à l’épargne retraite avait été sauvée de la fièvre procédurale du Gouvernement et de sa majorité.

Ainsi, la suppression de l’article 40 de la Constitution marquerait une avancée incontestable des droits du Parlement, car elle éviterait probablement les dérives que nous avons pu constater à plusieurs reprises lors de la discussion de textes importants.

M. le président. L’amendement n° 335 n’est pas défendu.

La parole est à Mme Nicole Bricq, pour présenter l'amendement n° 467.

Mme Nicole Bricq. L’objet de la réforme qui nous est présentée est la revalorisation du Parlement. C’est donc, me semble-t-il, le moment et le lieu de vérifier la sincérité de cette annonce.

En effet, la suppression de l’article 40 de la Constitution lèverait l’hypocrisie dans laquelle nous baignons depuis cinquante ans. Loin de constituer un garde-fou, comme l’a affirmé M. Karoutchi à l'Assemblée nationale, cet article a caché, mais à peine, en vérité, toutes les dérives concernant l’inflation des dépenses, laquelle s’est dangereusement accrue au cours des cinq dernières années par le biais des dépenses fiscales. Nous reviendrons sur ces dernières puisque nos collègues Alain Lambert et Philippe Marini ont déposé, également après l’article 14, un amendement à leur sujet.

L’abrogation de l’article 40 accroîtrait la responsabilité des parlementaires, une responsabilité que leur a déjà offerte la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, puisqu’ils peuvent déplacer, au sein d’une même mission, des crédits d’un programme à un autre.

Le président Arthuis s’est tout à l'heure fait l’écho du rapport dressant le bilan de l’application de l’article 40 depuis le 1er juillet 2007 qu’il a remis lors de la réunion de la conférence des présidents, ainsi qu’il s’y était engagé voilà un an.

Pour ma part, je ne crois pas que l’on puisse dire, madame Borvo Cohen-Seat, que cette procédure a contraint le droit d’amendement. Je vous recommande d’ailleurs, mes chers collègues, la lecture attentive de ce rapport, puisque la commission des finances vient d’en autoriser la diffusion.

Il est vrai que certains de mes collègues du groupe socialiste, comme d’autres groupes d’ailleurs, ont mal vécu l’application de cette irrecevabilité à tel ou tel de leurs amendements, même si celle-ci était motivée et préventive. Cela étant, il y a suffisamment de vraies occasions de discussion entre l’opposition et la majorité – nous avons encore pu le vérifier avant la suspension de séance – pour éviter les faux débats.

Quoi qu’il en soit, nous nous honorerions en abrogeant l’article 40. C’est le moment ou jamais de le faire ! Il y a suffisamment d’arguments historiques et pratiques qui militent en ce sens ! (M. Richard Yung applaudit.)

M. le président. L'amendement n° 46 rectifié, présenté par M. Cointat, Mme Kammermann et M. Duvernois, est ainsi libellé :

Après l'article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans l'article 40 de la Constitution, les mots : « d'une charge publique » sont remplacés par les mots : « des charges publiques ».

L'amendement n° 47 rectifié, présenté par M. Cointat et Mme Kammermann, est ainsi libellé :

Après l'article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans l'article 40 de la Constitution, après le mot : « aggravation » est inséré le mot : « directes ».

L'amendement n° 48 rectifié, présenté par M. Cointat et Mmes Garriaud-Maylam et Kammermann, est ainsi libellé :

Après l'article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 40 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le Conseil constitutionnel ne peut être saisi de cette irrecevabilité ou s'en saisir d'office que si cette question a été soulevée devant la première assemblée ayant adopté le texte en cause. »

La parole est à M. Christian Cointat, pour présenter ces trois amendements.

M. Christian Cointat. Le projet de loi constitutionnel a pour objet d’accroître les pouvoirs du Parlement. Or, dans ce cadre, l’article 40 de la Constitution pose un problème.

Je ne suis pas favorable à sa suppression, car j’en accepte l’esprit. C’est la façon dont on en a interprété la lettre qui me paraît contestable, car il y a malheureusement eu des dérapages : on applique cet article d’une manière de plus en plus draconienne, au point que l’on peut se demander si, un jour, nous pourrons déposer un amendement concernant nos concitoyens, tant il est vrai que tout ce qui touche à la vie quotidienne de nos concitoyens entraîne forcément, au moins indirectement, une dépense.

L’article 40 de la Constitution, par l’usage que l’on en fait aujourd'hui, est donc devenu dangereux. S’y ajoute, à propos de l’application de cet article, ce que j’appellerai une dérive inquiétante du Conseil constitutionnel quant au rôle du Parlement.

Puisque tout ce qui concerne nos concitoyens a, tôt ou tard, une incidence budgétaire et donc un lien avec l’article 40, nous devons faire en sorte qu’une certaine souplesse dans son application soit officiellement reconnue.

J’avais été frappé par l’argumentation du président de la commission des finances, M. Arthuis, sur la nécessité, pour le Sénat, de se montrer plus rigide dans l’application de l’article 40 compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel.

Il nous avait brillamment démontré qu’un singulier n’était pas pluriel et que ce pluriel était singulier ! (Sourires.) J’espère avoir bien compris votre démonstration, mon cher collègue, car cet amendement vise à aller dans ce sens. Je propose en effet, par l’amendement n° 46 rectifié, que le terme « charge publique » soit mis au pluriel, de manière à offrir, au niveau des dépenses, une plus grande marge aux propositions des parlementaires, à l’image de ce qui existe déjà pour les ressources publiques.

L’amendement n° 47 rectifié a un lien direct avec ce que je viens d’expliquer. L’aggravation des charges doit, selon moi, être directe pour être prohibée. Cela va, encore une fois, dans le sens d’une plus grande souplesse.

Quant à l’amendement n° 48 rectifié, il concerne la question de l’irrecevabilité financière. Si l’irrecevabilité n’a pas été soulevée dans une assemblée, il serait curieux qu’elle puisse être invoquée dans l’autre assemblée.

Mes chers collègues, accroître les pouvoirs du Parlement signifie reconnaître ses responsabilités. Si l’on veut être crédible, on ne peut proposer un accroissement des pouvoirs du Parlement en refusant, parallèlement, de reconnaître qu’il est responsable. Tel est l’esprit de mes amendements.

J’ajoute que, en France, contrairement à ce qu’il en est dans d’autres pays européens, le budget n’est qu’une simple autorisation de dépenses : il n’est donc pas exécutoire en lui-même. Dès lors que le Gouvernement a la possibilité de ne pas dépenser les crédits, qui sont pourtant l’expression d’une politique que l’on demande au Parlement d’approuver, il est bien évident qu’une certaine marge de souplesse doit également être offerte aux parlementaires. Si la souplesse est la règle pour le Gouvernement, le Parlement doit, lui aussi, pouvoir en bénéficier, fût-ce dans une moindre mesure.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Lors de la présentation de son amendement d’abrogation de l’article 40, M. Arthuis a arboré un sourire qui prouve qu’il est amateur de paradoxes, …

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … eu égard aux éminentes fonctions qu’il a exercées il n’y a pas si longtemps et qui l’ont obligé à faire en sorte que l’article 40 s’applique dans toute sa rigueur,…

M. Jean Arthuis. Je respecte la Constitution !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … et aussi à celles qu’il exerce aujourd'hui, en tant que président de la commission des finances.

Mes chers collègues, il est toujours intéressant de faire un peu d’histoire. D’où vient l’article 40 de la Constitution ? Son existence remonte en fait plus loin que 1958, mais il n’était pas appliqué.

M. Michel Charasse. Juin 1956, Guy Mollet !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il est né à la fin de la IVe République, dans un décret organique du 19 juin 1956.

Mme Nicole Bricq. Alors, c’est son anniversaire !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Chacun sait qui était alors Président du Conseil !

M. Gérard Longuet. Guy Mollet !

Mme Nicole Bricq. On le sait !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je peux quand même en faire état si cela ne vous ennuie pas, madame Bricq ! De toute façon, vous savez tout !

Mme Nicole Bricq. J’ai encore beaucoup à apprendre, mais ça, je le sais !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le projet de révision de l’article 17 de la Constitution tel qu’il fut adopté par l'Assemblée nationale le 21 mars 1958 frappait d’irrecevabilité toute proposition de loi ou tout amendement parlementaire ayant pour conséquence une diminution des recettes ou un accroissement des charges publiques.

Bien entendu, ces amendements nous invitent à une réflexion sur cet article auquel tout parlementaire est confronté un jour ou l’autre.

La décision du Conseil constitutionnel du 14 décembre 2006 a entraîné l’application dans notre assemblée, à compter du 1er juillet 2007, d’une procédure de contrôle de la recevabilité financière des amendements, analogue à celle de l’Assemblée nationale.

Chacun de nous a pu ressentir les effets de ce contrôle préalable, en constatant que des amendements qui étaient autrefois discutés en séance ne pouvaient désormais plus l’être. Les conditions posées par l’article 40 peuvent ainsi paraître trop rigides. Faut-il pour autant le supprimer ?

Il convient sans doute d’en assurer l’application de façon à préserver au mieux le droit d’amendement des parlementaires. Je sais que vous y veillez, monsieur le président Arthuis.

Les efforts de conseil et de concertation de notre commission des finances permettent d’atteindre un taux d’irrecevabilité financière faible puisqu’il n’est au Sénat que de 3,8 %, alors qu’il atteint 8 % à l’Assemblée nationale.

Je crois toutefois qu’une suppression de l’article 40 n’est pas souhaitable. Si l’on peut se fonder sur l’esprit de responsabilité des parlementaires, on peut aussi craindre qu’une telle suppression n’ouvre la voie à une multiplication d’amendements de portée financière, ce qui ne me paraît pas souhaitable.

Il s’agit d’un outil de régulation qui s’impose depuis longtemps et qui fonctionne au moins depuis 1958. La commission des lois donne par conséquent un avis défavorable sur les amendements identiques nos 146, 200 et 467.

J’ajouterai, madame Borvo, que, contrairement à ce qui est dit dans l’objet de votre amendement, la LOLF a étendu le droit d’amendement des parlementaires lors de l’examen des projets de loi de finances puisqu’elle autorise les amendements à répartir autrement, au sein d’une même mission, des crédits entre programmes. Je sais que certains voudraient aller plus loin, en autorisant des transferts d’une mission à une autre, mais c’est peut-être trop demander !

L’amendement n° 46 rectifié de M. Cointat reprend une proposition du comité Balladur visant à appliquer l’irrecevabilité au titre de l’article 40 aux amendements aggravant « des charges publiques », et non, comme actuellement, « d’une charge publique ». Le singulier interdit en effet aux auteurs d’amendements de compenser la création ou l’aggravation d’une charge publique par la diminution d’une autre charge ou par l’augmentation d’une ressource publique. Il résulte de cette impossibilité de gager que l’essentiel des amendements déclarés irrecevables au titre de l’article 40 le sont en tant qu’amendements de charge.

On peut imaginer que nombre de parlementaires concevraient le passage du singulier au pluriel comme une extension considérable du droit d’amendement en matière financière. Une telle modification ne manquerait sans doute pas d’avoir des effets considérables – que nous ne pouvons mesurer – sur le dépôt des amendements de charge.

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il semble donc préférable de s’en tenir à l’équilibre défini en 1958. La commission émet par conséquent, sur cet amendement, un avis défavorable.

M. Philippe Marini. Elle a raison !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’amendement n° 47 rectifié propose très subtilement de viser à l’article 40 de la Constitution la création ou l’aggravation « directes » d’une charge publique. Cette modification rendrait recevables, selon l’auteur, les amendements ayant pour effet indirect une telle aggravation.

Cette modification répondrait-elle pour autant aux difficultés qu’a notamment pu rencontrer notre commission lors de la présentation de certains amendements, par exemple pour l’extension à l’outre-mer de l’application de dispositions pénales ? Si tel était le cas, elle pourrait se révéler pertinente, mais je souhaite connaître l’avis du Gouvernement.

L’amendement n° 48 rectifié tend à inscrire dans la Constitution la règle du préalable parlementaire qu’appliquait le Conseil constitutionnel dans sa jurisprudence relative à l’irrecevabilité de l’article 40, jusqu’à sa décision du 14 décembre 2006.

Selon cette règle, le Conseil constitutionnel ne pourrait examiner la question de l’irrecevabilité financière des amendements parlementaires adoptés par les assemblées que si celle-ci avait été soulevée lors des débats. On en reviendrait donc au système qu’appliquait le Sénat avant juillet 2007 ; il se heurterait peut-être à l’hostilité de l’Assemblée nationale. Rien n’empêcherait toutefois celle-ci de maintenir son système d’examen des amendements au moment de leur dépôt.

Sur cet amendement, la commission s’en remet donc à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette série d’amendements ?

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique. Sur les amendements visant à abroger l’article 40 de la Constitution, l’avis du Gouvernement est défavorable, en dépit de la qualité des sénateurs qui les ont défendus. Je fais miens, à cet égard, les arguments du président et rapporteur de la commission des lois.

J’ajouterai que la situation de nos finances publiques nécessite une maîtrise sans faille. Quand on souhaite que l’État s’impose plus de discipline, notamment en matière fiscale, au moyen de règles que nous évoquerons tout à l’heure, il est un peu paradoxal de vouloir, d’un autre côté, relâcher l’effort dans le déroulement du débat budgétaire.

Dans un contexte budgétaire tendu – c’est un euphémisme ! –, supprimer l’article 40 s’apparenterait à ouvrir la porte au moment précis où l’on essaye de fermer les fenêtres ! Le moment n’est guère opportun.

L’article 40 évite, selon ce que rappelle le Conseil constitutionnel dans une décision de 1975, « que des dispositions particulières ayant une incidence financière directe puissent être votées sans qu’il soit tenu compte des conséquences qui pourraient en résulter sur l’ensemble des finances publiques ».

En tout état de cause, il me semble par ailleurs – et ce point n’est pas moins important que le précédent – que la suppression de l’article 40, avec la multiplication des amendements qu’elle entraînerait automatiquement, nuirait à la qualité de nos débats. L’article 40 a soulevé un nombre considérable de discussions, parfois très techniques, mais il ne faut pas sous-estimer son apport en termes de qualité et d’efficacité des débats au Parlement. Il contribue indiscutablement à éviter l’encombrement de nos discussions, et je pense que c’est là un objectif auquel nous pouvons tous souscrire.

Enfin, la proportion relativement faible d’amendements déclarés irrecevables au titre de l’article 40 montre que cet article suscite chez les parlementaires une sorte d’autodiscipline que je crois absolument nécessaire de conserver.

Je prie donc les auteurs des amendements nos 146, 200 et 467 de bien vouloir les retirer, faute de quoi le Gouvernement en demandera le rejet.

L’amendement n° 46 rectifié évoque très habilement « des charges publiques », mises en parallèle avec les « ressources publiques » qui figurent dans l’article 40, ce qui permettrait de gager sur « des » augmentations de charges.

Je pense – et cette remarque vaut aussi pour les autres amendements – que la LOLF a introduit dans le débat budgétaire les souplesses nécessaires.

Mme Nicole Bricq. Pas assez !

M. Éric Woerth, ministre. Le président Hyest l’a d’ailleurs indiqué : il est possible de transférer des crédits entre les programmes d’une même mission. Je pense que les choses avaient été soigneusement pesées au moment du vote de la loi organique. Ce serait un risque supplémentaire d’aggravation de la charge publique que d’élargir les possibilités très bien calibrées par la LOLF.

Par l’amendement n° 47 rectifié, monsieur Cointat, vous proposez que ne soient visées que des aggravations « directes » des charges publiques. Cela pourrait nous entraîner dans le débat très complexe de savoir ce qu’est une charge directe et ce qu’est une charge indirecte. Je ferai simplement remarquer que, très souvent, dans la pratique qu’elles ont développée, les commissions des finances des deux assemblées interprètent avec sagesse, c’est-à-dire de façon assez souple, l’article 40 en acceptant des amendements qui contribuent parfois à la création de charges indirectes. Voilà pourquoi je ne suis pas favorable à cet amendement.

Enfin, l’amendement n° 48 rectifié tend à restaurer la règle du préalable parlementaire, qui interdirait au Conseil constitutionnel d’examiner d’office et de censurer un amendement adopté si l’article 40 n’avait pas été invoqué dans la première assemblée saisie du texte. Cela reviendrait à interdire au Conseil constitutionnel de se prononcer sur des amendements inconstitutionnels. Cette limitation ne me semblant pas opportune et .je propose également le rejet de cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, contre les amendements identiques nos 146, 200 et 467. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Bernard Frimat. Pourquoi contre ? Il n’a pas le droit ! C’est une explication de vote !

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, en vertu de l’article 49, alinéa 6, du règlement, sur chaque amendement, après qu’ont été entendus l’un des signataires, le président ou le rapporteur de la commission et le Gouvernement, un sénateur d’opinion contraire peut s’exprimer, avant qu’on ne passe aux éventuelles explications de vote.

La parole est donc bien à M. Philippe Marini pour qu’il s’exprime contre ces amendements.

M. Philippe Marini. Je souhaiterais en effet expliquer, à la suite de la commission et du Gouvernement, pourquoi il me semble nécessaire de rejeter ces différents amendements.

Le président Jean Arthuis a eu raison de nous rappeler que la Constitution n’est pas tout : il est des constitutions parfaites qui ne garantissent ni une gouvernance optimale ni le bonheur des peuples. Ainsi, la constitution que l’on commentait comme étant la plus parfaite du temps où j’étais étudiant était celle de l’Union soviétique ! (Rires.)

M. Gérard Delfau. Mais où donc avez-vous fait vos études ? (Nouveaux rires.)

M. Philippe Marini. Elle prévoyait tout, avait été rédigée par d’admirables juristes, mais, bien entendu, elle était très loin de la réalité de la société.

Pour en venir à l’article 40, il est vrai que l’essentiel en matière de prévision et de gestion des finances publiques, c’est la volonté, et même la volonté partagée d’un Gouvernement et d’une majorité parlementaire.

M. Gérard Delfau. Eh oui ! D’un gouvernement !

M. Philippe Marini. Que l’article 40 puisse être perçu comme une discipline quelque peu artificielle, parfois comparable à un paravent, voire à un rideau de bambous que l’on déploie un peu à sa convenance, soit. Le président Arthuis a eu, là aussi, le mérite de nous le rappeler. Cependant, quelle que soit la période de la Ve République que l’on considère, et étant entendu que l’article 40 n’a jamais garanti la vertu budgétaire (Sourires.),…

M. Philippe Marini. … il n’en reste pas moins que, d’un point de vue pédagogique, et pour la bonne organisation des travaux du Parlement, le fait de demander aux parlementaires d’être vertueux est, à mon sens, une excellente chose. C’est assurément une orientation utile que d’inciter les parlementaires à faire travailler leur imagination dans tous les domaines possibles, mais sans que s’en trouve détérioré le solde des finances publiques.

M. Gérard Delfau. Tout à fait !

M. Philippe Marini. Si cela était vrai en 1958, à l’époque où la présente Constitution a été élaborée, cela le reste évidemment aujourd’hui.

Par ailleurs, nous sommes désormais en mesure d’appliquer l’article 40 de façon transparente, plus que ce n’était le cas autrefois, du moins en ce qui concerne le Sénat. Notre commission des finances a en effet élaboré un document qui a été présenté, assorti de commentaires, à toutes les autres commissions et qui définit les règles du jeu, c’est-à-dire les conditions d’interprétation de cet article de discipline budgétaire.

Mes chers collègues, sachant les défis auxquels nous sommes confrontés et la difficulté que nous aurons à respecter les critères de convergence vers l’année 2012, de grâce, conservons les procédures qui permettent d’organiser nos débats et qui, dans le droit fil de la volonté des fondateurs de la Ve République, incitent les législateurs que nous sommes à avoir le sens des responsabilités !

Il est toutes sortes de choses qui peuvent se traduire en initiatives parlementaires ; il suffit d’y réfléchir un peu ! Les marges d’amélioration sont si considérables dans tous les domaines qu’il faut vraiment faire preuve de peu d’imagination pour demander des dépenses supplémentaires qui ne soient pas correctement gagées. On peut faire, au sein du Parlement, l’exposé de toute alternative politique en respectant scrupuleusement l’article 40 de la Constitution.

Pour ce qui est de la vertu du Gouvernement lui-même, bien entendu, l’article 40 n’est pas fait pour la garantir. Ce sont les débats à venir, en particulier sur les différents projets de loi qui émaillent le calendrier parlementaire et qui sont susceptibles d’induire des dépenses supplémentaires sans que l’on ait fait l’effort de les resituer dans un cadre global, ce sont ces débats qui nous permettront peut-être, monsieur le ministre, de dialoguer avec vous pour trouver les bonnes règles, les bons principes, les bonnes méthodes afin que le Gouvernement accepte de s’appliquer cette autodiscipline que la Constitution impose aux parlementaires. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

M. Bernard Frimat. Tout d’abord, je me réjouis que l’on ait pu concentrer notre discussion sur les amendements financiers et faciliter ainsi la gestion de l’agenda du ministre concerné.

Je n’ai pas d’affection particulière pour les professeurs de vertu. Prôner la vertu est un exercice difficile et celui qui s’y livre s’expose toujours dangereusement. En effet, à professeur de vertu professeur de vertu et demi ! Je n’aborderai donc pas le problème sous cet angle-là.

J’ai été frappé par l’inanité des arguments présentés en faveur du maintien de l’article 40.

Premier argument vain : on peut garder l’article 40 puisqu’il est peu souvent invoqué. On nous dit en quelque sorte, traduit dans le langage simple de quelqu’un qui, comme moi, n’est pas membre – forcément éminent ! – de la commission des finances : « Puisqu’il ne sert pas ou presque pas, cela nous fait plaisir de le garder ! »

Deuxième argument : il est efficace dans la maîtrise des dépenses publiques. (Mme Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) Dans la suite de la discussion, le rapporteur et président de la commission des lois nous soumettra un amendement visant à préciser, à l’article 24 de la Constitution, que le Parlement, outre qu’il vote la loi, « en mesure les effets ».

S’il s’agit de mesurer les effets de l’article 40, on pourra inscrire le record d’efficacité au Guinness book !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il n’y a pas que les lois financières !

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Ce serait encore pire si l’article 40 n’existait pas !

M. Bernard Frimat. Ainsi, notre satisfaction est totale ! L’article 40, bouclier brandi par les différents professeurs de vertu qui se sont succédé, nous a protégés de tout déficit, au point que la situation de nos finances publiques fait l’admiration de l’Europe entière ! Et celle-ci, c’est évident, nous envie l’article 40 ! Si nous pouvions toucher des droits d’auteur sur cet article, sans doute pourrions-nous résorber une partie non négligeable de notre déficit ! (Sourires.)

J’ai récemment lu dans la presse une tribune rédigée par deux personnes dont la qualité pour traiter de ces sujets est indiscutable. Il n’est tout de même pas anodin que le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale et le président de la commission des finances du Sénat aient éprouvé le besoin d’écrire ensemble,…

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. C’est dangereux ! (Sourires.)

M. Bernard Frimat. Il faut vivre dangereusement, monsieur de Rohan !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Pas toujours !

M. Bernard Frimat. … et j’ai pourtant cru comprendre qu’ils n’étaient pas d’accord sur tout, …

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. C’est vrai !

M. Bernard Frimat. … pour demander que l’on permette aux parlementaires d’être responsables et que l’on arrête de considérer ces derniers comme des enfants, dont les doigts doivent régulièrement subir les coups de cette espèce de règle de bois qu’est l’article 40 ! (Sourires.)

Monsieur Marini, quel est l’intérêt de maintenir un article qui est inefficace, qui est rarement invoqué et qui ne sert guère qu’à se donner le sentiment de défendre la vertu ?

Entre la contrainte et la responsabilité, j’ai la faiblesse de croire à la responsabilité. Celle-ci peut être exercée par le Gouvernement et par les parlementaires dans leur ensemble.

Le groupe auquel j’appartiens soutiendra sans réserve l’initiative tendant à accroître la responsabilité du Parlement.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Il est vrai que l’article 40 paraît à beaucoup de parlementaires, et depuis longtemps, assez anachronique,…

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Pas du tout !

M. Michel Charasse. … et même insupportable,…

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Mais non !

M. Michel Charasse. … dans la mesure où nous avons tous en mémoire l’origine du Parlement en France : en 1789, le vote de l’impôt, le vote des ressources, le vote des dépenses, c'est-à-dire quelque chose qui était considéré, à l’époque, comme la première liberté formidable conquise par le peuple et exercée par l’intermédiaire de ses représentants.

Je comprends Jean Arthuis et les auteurs des autres amendements : il est vrai que c’est une discipline très stricte qui a été introduite par Guy Mollet dans le décret du 19 juin 1956 – le rapporteur de la commission des lois l’a rappelé tout à l’heure – et qui a été reprise ensuite dans la Constitution de 1958. Une discipline d’une rigueur tellement absolue qu’il a fallu que les chambres elles-mêmes apportent quelques assouplissements à son application. Je signale en particulier que si, l’on appliquait strictement l’article 40, depuis 1958, nous ne pourrions jamais, par exemple, proposer, sans la gager, une réduction des amendes pénales, pour ne rien dire de leur suppression. On a donc considéré que, dans le domaine pénal, il ne fallait pas appliquer l’article 40, bien qu’il soit applicable.

Depuis 1958, la pratique a conduit à rendre obligatoires et indispensables les gages en ce qui concerne les recettes, mais, comme l’a souligné notre collègue M. Cointat tout à l’heure, il est impossible de gager en dépenses, en raison de l’emploi du singulier et non du pluriel.

On a assisté alors au développement de pratiques très simples : en matière de recettes, des gages, mais il s’agit la plupart du temps, tous les ministres du budget qui se sont succédé le savent bien, de faux gages, la dernière invention étant les droits sur les tabacs. Quant aux dépenses, des gages assez fantaisistes ont été inventés dans les propositions de loi, puisque l’on a admis pour celles-ci – sinon, on ne pourrait jamais en déposer – la possibilité de gager en dépenses, bien que ce soit tout à fait contraire à l’article 40.

Le président Arthuis nous dit que le Gouvernement dispose des moyens de faire écarter les amendements dépensiers. Mais, moi, je ne sais pas quels sont ces moyens ! À part l’article 44, troisième alinéa, sur le vote bloqué ou l’exigence absolue de l’examen préalable des amendements avant qu’ils n’arrivent en séance publique, soit l’article 44, deuxième alinéa, je ne vois pas d’autres solutions ! Par conséquent, ce n’est pas si facile que cela.

Au-delà de ces considérations, je pense que lâcher là-dessus serait un très mauvais signal au moment où la France doit faire des efforts colossaux pour être « dans les clous » de Maastricht en 2012, étant entendu que, pour la première fois dans leur histoire, les Français vont devoir payer leurs dettes, puisqu’ils n’ont plus à leur disposition l’inflation et la dévaluation pour « voler » le livret des caisses d’épargne des grands-mères et les faire payer à leur place.

Au moment où nous devons faire un effort formidable à faire et où il faut mobiliser la nation pour que la France ne perde pas la face en 2012 et ne soit pas ravalée au rang d’État secondaire en Europe, c’est donc un très mauvais signal que de relâcher les disciplines là-dessus.

M. Philippe Marini. Très bien !

M. Michel Charasse. Même si cela ne plaît pas, j’ajoute que l’habitude qui a été prise voilà quelque temps par les parlementaires, surtout dans une autre assemblée – la nôtre n’est pas très coutumière du fait et ce n’est pas particulièrement elle que je vise –, de suivre systématiquement les cortèges de la rue ne me conduit pas à être optimiste dans ce domaine. (M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État, rit.)

Voilà ce que je voulais dire pour justifier les raisons qui font que, à mon grand regret, et même si l’amitié peut peser d’un certain poids, je ne voterai pas les amendements qui visent à supprimer l’article 40.

Il est vrai, mes chers collègues, que cet article n’a pas empêché d’accumuler les déficits, et Jean Arthuis a raison de le souligner. Mais il est vrai aussi ce n’est pas son objet : l’article 40 est un article de discipline à l’usage des seuls parlementaires.

En réalité, la question qui se pose est celle de l’exclusivité de l’initiative sans contrainte qui est donnée au pouvoir exécutif en matière de dépenses. Mais c’est un autre débat. Ce n’est pas le débat sur l’article 40 ; c’est le débat sur la loi organique relative aux lois de finances en ce qui concerne le droit d’initiative en matière de dépenses.

Voilà les motifs pour lesquels, à mon grand regret, je ne pourrai pas suivre les collègues qui proposent une mesure apparemment séduisante.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. J’ai subi, comme certainement beaucoup d’entre nous, les foudres de l’article 40. Cela m’a fait penser à la Sublime Porte : avant de vous étrangler avec le lacet, on vous couvrait de bonnes paroles et de décorations !

Le lacet, c’est le courriel que l’on reçoit : « La commission des finances a décidé que… »

M. Philippe Marini. C’est rédigé autrement !

M. Richard Yung. Cela étant, le président Arthuis, lorsqu’on va le voir, a toujours la courtoisie d’expliciter les méandres du raisonnement qui a conduit à l’application de l’article 40.

Ma première réflexion a consisté à penser que les critères d’application n’étaient pas clairs. Je dirai même qu’ils sont à géométrie variable ! La règle est déjà discutable en elle-même si les critères ne font pas l’objet d’un accord assez large.

Plusieurs d’entre vous ont souligné que l’article 40 était peu efficace, voire inefficace. Cette idée que l’on peut contourner l’article 40 par les gages, soit en recettes, soit en dépenses, n’est pas très sérieuse ; en tout cas, elle affaiblit le dispositif. Nous savons tous que les gages sur les tabacs ou autres ne sont pas très sérieux. Le dispositif présente donc une faiblesse structurelle.

Sur le fond, à partir du moment où il ne peut pas faire de proposition qui ait des conséquences financières, qu’il s’agisse de dépenses ou de recettes, le parlementaire n’a plus la possibilité d’élaborer et de proposer une politique. C’est comme essayer de sauter en hauteur avec une jambe attachée !

L’article 40 empêche donc les parlementaires, quels qu’ils soient, de faire des propositions alternatives, ce qui constitue pourtant, me semble-t-il, le cœur de notre travail. Sans cette possibilité, ils sont des gestionnaires et des contrôleurs, mais alors on n’est plus dans le domaine de la politique.

Mon intervention s’inscrit donc tout à fait dans le sens de la revendication tendant à restituer au Parlement sa fonction fondamentale en donnant des responsabilités pleines et entières aux parlementaires. Je voterai donc ces amendements.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Je pense que, comme moi, au terme de « vertueux » vous préférerez tous celui de « responsable ». Et je ne crois pas que les parlementaires le soient moins que les ministres !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Cela dépend des jours !

Mme Nicole Bricq. Monsieur Woerth, je ne sais plus très bien si vous parliez de fermer la porte, d’ouvrir les fenêtres ou du contraire… (Sourires.)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Les deux ! Sans oublier le balcon !

Mme Nicole Bricq. Quoi qu’il en soit, je le dis préalablement à toute autre considération, en matière de responsabilité ou de vertu, comme on voudra, nous ne pouvons donner une prime à tel ou tel gouvernement, car tous, je vous en donne acte, ont eu recours à cet artifice.

M. Michel Charasse. Bien sûr !

Mme Nicole Bricq. Cela étant, pour n’évoquer que la période récente, monsieur le ministre, vous pratiquez des baisses ciblées – j’en resterai à ce qualificatif – d’impôts et, dans le même temps, vous comprimez la dépense. Vous créez ainsi des niches fiscales nouvelles qui viennent s’ajouter à la longue liste de celles qui existaient déjà, et je peux citer nombre d’exemples.

À la fin du mois de mai dernier, le Premier ministre présidait la Conférence nationale des finances publiques, laquelle est censée promouvoir la vertu budgétaire. Or, la veille même, le Président de la République avait annoncé la mise en place d’un crédit d’impôt pour les entreprises qui développent l’intéressement. En l’espèce, où est la vertu ?

N’accusez donc pas les parlementaires de manquer d’esprit de responsabilité ! M. Arthuis, à travers le bilan qu’il a dressé pour l’année qui vient de s’écouler, a montré qu’ils avaient su faire preuve de responsabilité.

Si, lors de l’examen d’un texte dont l’un des objectifs affichés est la revalorisation du Parlement – vous l’avez dit souvent, monsieur le secrétaire d'État, tout comme Mme la garde des sceaux –, nous n’abrogeons pas l’article 40 de la Constitution, nous ne le ferons jamais ! (M. Jean-Pierre Sueur applaudit. – M. le secrétaire d’État s’exclame.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet.

M. Jean-François Voguet. Cette discussion montre bien que personne n’est dupe, chacun s’accordant à reconnaître que l’article  40 est inefficace.

Pour ce qui nous concerne, nous pensons qu’il vise avant tout à réduire l’initiative des parlementaires dans le cadre de l’ensemble de la procédure législative. Je m’efforcerai rapidement de le démontrer, en me fondant sur des exemples concrets.

Le projet de loi pour l’égalité des chances avait donné lieu au dépôt de 900 amendements et sous-amendements, dont 160 ont été déclarés irrecevables. Sans surprise, 151 de ces amendements émanaient de parlementaires de l’opposition.

Quant au projet de loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, il a fait l’objet de 663 amendements, dont 21 ont été déclarés irrecevables et une dizaine a été « victime » de la procédure du vote bloqué.

Ces chiffres montrent que, sur des textes essentiels, structurants, déterminants quant au sens que l’on souhaite donner à une politique, l’article 40, comme les autres outils de procédure, peut être largement utilisé pour couper court à la controverse parlementaire.

Cependant, quand on veut faire autrement, on le fait ! Ainsi, lorsque le Sénat a examiné en première lecture le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, seuls 4 des 976 amendements déposés sont tombés sous le coup de l’article 40. Et aucun des 450 amendements déposés en seconde lecture n’a fait l’objet d’un tel traitement, alors qu’il est fort probable que certains tendaient à détériorer les comptes publics !

Derrière l’habillage constitutionnel, se profile clairement ce que nous supposions : l’article 40 ne sert qu’à brider, autant que faire ce peut, l’expression des parlementaires, notamment ceux de la minorité, alors même qu’il de voter contre un amendement déclaré irrecevable pour qu’il ne soit pas introduit dans la loi.

L’article 40, c’est le bâton qu’on utilise quand on veut faire sentir que l’on est fort, alors même que le débat parlementaire suffit à faire valoir la règle majoritaire.

Pourquoi, en effet, « organiser » le débat sur la réforme des retraites ou sur le texte pour l’égalité des chances en recourant massivement aux instruments de procédure, notamment à l’article 40, sinon pour brider l’expression de l’opposition, tandis qu’on laissera s’exprimer sans limite les groupes et les parlementaires de la majorité sur d’autres textes, comme ce fut le cas lors de la discussion du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux ?

Rien, dans les faits, ne justifie aujourd’hui que l’article 40 soit maintenu dans notre Constitution. Cet élément de procédure est, en fait, largement détourné de son objet et dévalué au profit d’une utilisation tactique et circonstancielle, uniquement guidée par des impératifs politiques.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat.

M. Christian Cointat. Bien entendu, je n’ai pas été étonné de l’avis que vous avez formulé, monsieur le ministre, sur les trois amendements que j’ai présentés. J’aurais même pu écrire votre réponse ! Au reste, il en aurait été de même avec tout gouvernement, quelle que soit sa sensibilité, parce que, malheureusement, dès qu’on touche aux finances, les financiers font bloc ! Il ne faut toucher à rien ! Tout le problème est là !

Par conséquent, si je ne vous en veux pas d’avoir tenu de tels propos, je les regrette cependant. En effet, la souplesse, ce n’est pas uniquement des mots : elle doit aussi se traduire par des actes.

Pour ma part, je suis très attaché, contrairement à d’autres, à l’article 40. Effectivement, moins il servira, mieux sera administrée la preuve qu’il joue son rôle de garde-fou.

Je suis cependant attaché à un article 40 appliqué avec bon sens et réalisme.

Quand on reprend un amendement qui a été d’abord imaginé par Jean Arthuis, puis repris par le comité Balladur, on s’appuie tout de même sur des références solides ! Je rappelle que M. Balladur a été ministre des finances, puis Premier ministre, que M. Arthuis a, lui aussi, été ministre des finances. Bien sûr, n’étant plus aujourd’hui ministres des finances, ils voient les choses autrement ! Toute la différence est là !

Tout se passe en effet comme si nous étions prisonniers de quelque chose d’immuable. J’ai d’ailleurs ressenti cette impression en écoutant les propos extrêmement intéressants de notre excellent collègue Philippe Marini. Son discours montre qu’il y a ceux qui sont les maîtres de la connaissance en matière financière et les autres ! Malheureusement, je fais partie des autres !

M. Philippe Marini. Les maîtres de l’international sont beaucoup plus puissants ! (Sourires.)

M. Christian Cointat. Et pourtant, je crois qu’il faut faire quelque chose.

Je vais vous montrer, monsieur le ministre, que je peux, moi aussi, faire preuve de souplesse : je retire l’amendement n° 46 rectifié, …

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Très bien !

M. Christian Cointat. … qui, prétendument, introduirait un facteur de dépense, alors qu’il s’agit en réalité d’un facteur de compensation. Pas plus que vous, cher collègue Philippe Marini, nous n’avons le désir de mettre en péril l’équilibre des finances publiques.

S’agissant de l’amendement n° 47 rectifié, qui autoriserait une aggravation indirecte des finances publiques, je comprends votre réaction, monsieur le ministre. Je le retire donc également.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Très bien !

M. Christian Cointat. En revanche, je maintiens l’amendement n° 48 rectifié, qui ne touche pas véritablement au domaine financier. Sur ce dernier point, il me semble que nous pouvons être crédibles.

Pendant quarante-huit ans, de 1958 à décembre 2006, l’article 40 n’a mis ni rien ni personne en péril ! Dès lors, pourquoi devrions-nous nous incliner devant la décision du Conseil constitutionnel, qui, le 14 décembre 2006, a décidé de changer sa jurisprudence ? Nous devons lui dire : non, ce que nous faisions auparavant était bien et nous voulons continuer à le faire !

C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous demande d’adopter cet amendement. D’ailleurs, la commission ne s’y est pas trompée puisqu’elle a émis un avis de sagesse.

M. René Garrec. Il ne s’agit pas d’une sagesse positive !

M. Christian Cointat. Cela signifie que ce que nous faisions jusqu’au 14 décembre 2006 était bien. Et je vous recommande de signifier au Conseil constitutionnel, mes chers collègues, que vous voulez continuer dans cette voie, qui est celle de la sagesse et du bon sens. Il s’agit en effet d’une application raisonnable et équilibrée de l’article 40.

M’adressant aux financiers, je souligne que, avec cet amendement, nous ne touchons qu’au domaine du droit.

M. le président. Les amendements nos 46 rectifié et 47 rectifié sont retirés.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Cointat a raison, le Conseil constitutionnel a mis le feu aux poudres, en tout cas au Sénat, puisque l’Assemblée nationale avait déjà adopté la procédure permettant de déclarer un amendement irrecevable au titre de l’article 40 préalablement à sa diffusion.

On aurait pu imaginer que, à l’occasion d’une réforme constitutionnelle par laquelle on prétend conférer plus de pouvoirs aux parlementaires, les choses seraient « remises à l’endroit », en donnant aux parlementaires quelques responsabilités – je ne parle pas de pouvoirs ! – en matière de recettes et de dépenses publiques.

Le refus opposé à ces amendements identiques, qu’il s’agisse de celui qui a été déposé par M. Arthuis ou de ceux émanant de l’opposition, montre clairement ce qu’il en est de cette réforme constitutionnelle : il ne s’agit absolument pas de donner des pouvoirs supplémentaires au Parlement. Cela, au moins, c’est très clair !

M. Arthuis nous a donné toutes les raisons pour supprimer l’article 40 : le Gouvernement dispose toujours d’une large palette d’instruments pour s’opposer à des dépenses inconsidérées ou à des initiatives jugées inopportunes. Le premier de ces instruments, c’est en fait la LOLF, qui encadre strictement tout pouvoir budgétaire des parlementaires. Je n’oublie pas pour autant la procédure du vote bloqué et les dispositions des articles 49 et 44 de la Constitution.

M. Arthuis rappelle aussi que toutes ces procédures n’ont pas empêché le gonflement des dépenses publiques et l’aggravation du déficit public.

Franchement, il y a tout de même quelque chose de risible, pour un parlementaire, à se faire administrer des leçons de bonne gestion des dépenses publiques par ceux-là mêmes dont la seule préoccupation est de diminuer les recettes publiques en abaissant les impôts des plus riches, en nous faisant voter le paquet fiscal dès leur arrivée aux affaires, ceux-là mêmes qui ne songent qu’à réduire les dépenses publiques – surtout celles qui, liées aux services publics, sont directement utiles à la population –, ceux-là mêmes qui bradent le patrimoine de l’État, par exemple en vendant pour trois sous à des fonds de pension américains les locaux de l’Imprimerie nationale pour les racheter aussitôt après au prix fort, permettant ainsi aux fonds de pension en question de ramasser au passage beaucoup d’argent !

Ce gouvernement est donc singulièrement mal placé pour donner des leçons de gestion aux parlementaires.

Vous pourriez faire confiance aux élus, y compris à ceux de votre propre majorité, en leur concédant un certain pouvoir dans la gestion des recettes et des dépenses publiques. Cela vous permettrait, du même coup, de faire preuve de modestie et de mettre en accord vos actes et vos paroles puisque vous prétendez vouloir accroître les prérogatives du Parlement !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.

M. Jean-Pierre Fourcade. Dans ce débat passionnant, que j’entends depuis trente ans, puisque j’ai eu souvent affaire à l’article 40, deux idées reviennent sans cesse, que je me permettrai de qualifier d’erronées.

Premièrement, à entendre certains de mes collègues, on ne peut réformer ce pays qu’en réduisant les recettes ou en augmentant les dépenses. Pourtant, on peut envisager des réformes d’organisation, des réformes tendant à accroître la productivité des services ou à modifier certaines procédures. Mais nombre de gouvernements ont, hélas, suivi la voie de la réduction des recettes et de l’augmentation des dépenses, ce qui finit évidemment par se traduire à terme par un déficit considérable. Voilà la première idée fausse.

La seconde idée, et j’en ferai le reproche amical à mon ami le président Arthuis, consiste à dire que l’article 40 ne sert à rien. Mais permettez-moi de répondre qu’il ne sert à rien parce qu’il existe !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Voilà !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Eh oui !

M. Jean-Pierre Fourcade. Si l’on supprime l’article 40, à l’évidence, nous serons confrontés à une marée d’amendements visant à réduire les recettes ou à augmenter les dépenses et nous aurons des débats d’ordre exclusivement financier.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le Parlement votera !

M. Jean-Pierre Fourcade. Par conséquent, comme tout élément de dissuasion, l’article 40 a une valeur précisément parce qu’il existe.

Enfin, à l’heure où nous sommes fortement critiqués par tous nos partenaires européens pour notre déficit budgétaire, où nous peinons – et M. Woerth le sait encore mieux que nous – à trouver les bons chemins de convergence pour y mettre fin, la suppression, ce soir, de l’article 40 par le Sénat constituerait aux yeux de l’ensemble de nos partenaires, de l’Eurogroupe d’abord et des Vingt-sept ensuite, un acte politique tout à fait contraire aux intérêts de notre pays en ce qu’il nuirait gravement à son image internationale.

Il est clair que, pour toutes ces raisons, je suis contre les amendements nos 146, 200 et 467 visant à abroger l’article 40 de la Constitution.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Je sortirai de la technique financière, dont je suis beaucoup moins spécialiste que les éminents collègues qui viennent de s’exprimer (Rires sur les travées de lUMP), et je replacerai l’article 40 dans le cadre de la réforme de la Constitution.

L’article 40, tel que nous le connaissons, rêvé par Tardieu, mis en place par Guy Mollet, est un des éléments les plus raffinés du parlementarisme rationalisé.

Cette disposition était parfaitement justifiée à l’époque, car un ensemble de règles concouraient à l’indiscipline budgétaire et financière. Ainsi, les bureaux des assemblées, notamment celui de la Chambre des députés, avaient toute liberté en matière d’examen budgétaire et aucun délai ne leur était fixé : on arrêtait la pendule…

M. Michel Charasse. Les douzièmes provisoires !

M. Michel Mercier. … et, en effet, on avait recours aux douzièmes provisoires en attendant que cet examen soit achevé.

Devant l’énorme laxisme financier qui régnait, il fallait introduire des règles pour empêcher les parlementaires de réduire les recettes ou d’augmenter les dépenses, afin d’introduire un premier élément de rationalisation.

Dès lors, il est normal que ces règles soient apparues comme un progrès en 1956 et qu’elles aient été reprises, en 1958, par les constituants, Michel Debré en tête, qui souhaitaient mettre en place un régime parlementaire rationalisé, tel qu’il avait été théorisé dans les années trente.

Mais l’article 40 conserve-t-il la même pertinence aujourd'hui, dans le cadre de la révision constitutionnelle dont nous débattons ?

Permettez-moi d’apporter une réponse du point de vue financier – elle sera brève parce que tout a été dit –, mais aussi du point de vue constitutionnel.

Du point de vue financier, un argument imparable a été développé : l’article 40 est fondamental puisqu’on ne s’en sert pas ! C’est tout de même un peu facile, un peu vain.

Nous aurons quelque peine, je le crains, à faire avaler à nos partenaires européens que nous supprimons une règle dont nous ne nous servons pas pour supprimer un déficit qui croît chaque jour. Mais après tout, pourquoi pas, s’ils y croient ?

Mme Nicole Bricq. Plus c’est gros, plus ça passe !

M. Michel Mercier. Du point de vue constitutionnel, qu’allons-nous voter ? Nous allons voter des dispositions entièrement nouvelles. Enfin peut-être, car nombre de ceux qui se sont déclarés contre la suppression de l’article 40 s’apprêtent sans doute à voter la présente révision constitutionnelle.

L’un des principes affirmés dans cette réforme est de sortir du parlementarisme rationalisé.

Mme Nicole Bricq. C’est ce qu’ils disent !

M. Michel Mercier. Cela figure à la quatrième ligne du rapport de M. Balladur.

L’époque est différente, les parlementaires se sont disciplinés et vivent autrement leur fonction. On peut donc maintenant mettre en place de nouvelles règles. Si nous changeons tout pour ne rien changer, ce qui est souvent le cas, ce n’est pas la peine de poursuivre notre réforme !

Au titre de ces nouvelles règles, les textes discutés en séance seront non plus ceux du Gouvernement ou ceux transmis par la première assemblée saisie mais les textes issus des travaux de la commission, à l’exception du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Forcément !

M. Michel Mercier. Pour ces deux derniers textes, une règle essentielle de discipline est maintenue : c’est le texte du Gouvernement qui viendra en discussion et non pas le texte issu des travaux de la commission.

Par ailleurs, l’article 44 relatif au vote bloqué demeure. D’autres articles, notamment l’article 49, peuvent être utilisés. Le Gouvernement conserve donc l’essentiel de ses prérogatives pour faire passer son budget et garde l’entière maîtrise à la fois des recettes et des dépenses.

Il est donc bien vrai que l’article 40 ne sert plus à rien. Il n’est plus que le symbole d’un temps révolu, où le parlementarisme rationalisé était indispensable et constituait le fondement de nos institutions.

Si le Gouvernement veut vraiment aller au-delà du parlementarisme rationalisé, qu’il aille jusqu’au bout de sa démarche en supprimant l’article 40 !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et après, on aura un parlementarisme irrationnel ! (Sourires.)

M. Michel Mercier. Monsieur le président de la commission des lois, je vous connais suffisamment pour savoir que vous pensez comme moi ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis.

M. Jean Arthuis. Mon amendement exprime une conviction, et je me réjouis du débat qu’il a suscité.

Il faut cesser de croire que les parlementaires seraient enclins à accroître systématiquement la dépense publique parce qu’ils auraient un déficit de conscience et de responsabilité.

M. Philippe Marini. Absolument !

M. Jean Arthuis. Je m’élève contre cette idée, car je parie, pour ma part, sur la responsabilité des parlementaires, qui suppose la sincérité des comptes publics.

Ce qui nous a largement égarés, c’est l’archaïsme des comptes publics et toutes ces petites astuces qui faisaient la réputation des directions du budget et qui permettaient de présenter ces comptes de manière à ne pas trop inquiéter l’opinion.

La seule façon de nous en sortir, mes chers collègues, c’est de nous attacher à éditer des comptes publics sincères, à présenter des situations patrimoniales et à ne rien faire qui soit de nature à masquer la gravité de la situation des finances publiques.

Le meilleur support de la lutte contre les dépenses publiques, c’est aussi la conscience de nos concitoyens. Là se situe notre responsabilité première.

Madame Borvo, la LOLF nous donne, en effet, un instrument de lucidité. Je me félicite, tout comme vous, que cet instrument ait été forgé par le Parlement et que nous puissions en disposer pour assumer pleinement nos prérogatives et nos responsabilités.

C’est parce que la LOLF permet de clarifier la comptabilité publique que les comptes publics deviennent « auditables » et contrôlables et que le Parlement peut exercer cette grande prérogative que constituent le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques.

Monsieur Cointat, si le Conseil constitutionnel a pris une telle décision sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, c’est parce que d’étranges pratiques s’étaient développées.

Il pouvait arriver qu’un ministre n’ayant pas obtenu des arbitrages interministériels favorables trouve une complicité parmi nous, parlementaires, pour déposer un amendement que ses services avaient en fait rédigé. Le ministre se gardait bien entendu d’invoquer l’irrecevabilité de cet amendement qui, une fois voté, accroissait la dépense publique.

Mais enfin, dans quel monde sommes-nous, mes chers collègues ! Sommes-nous prêts à jeter le masque et à évoquer avec une plus grande sincérité de la situation de nos finances publiques ?

Pour ma part, depuis le 1er juillet 2007, je m’efforce d’appliquer l’esprit et la lettre de l’article 40 de la Constitution, et je me tiens à la disposition de chaque auteur d’amendement lorsque son texte est irrecevable.

Encore une fois, je me réjouis de ce débat, qui nous permet d’avancer dans l’examen critique de nos méthodes de travail, d’analyse et de vote.

J’ai déposé cet amendement en conscience et, je le répète, en faisant le pari de la responsabilité parlementaire.

Ne nous y trompons pas, la maîtrise des dépenses publiques, l’équilibre des finances publiques, ce n’est pas une affaire d’article 40, c’est une question de volonté politique !

MM. Philippe Marini, René Garrec et Gérard Delfau. Très bien !

M. Jean Arthuis. C’est pourquoi, monsieur le président, je maintiens mon amendement.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre. Ce débat sur l’article 40 est extrêmement important et je note que des voix très autorisées se sont exprimées dans des sens différents.

Pour le Gouvernement, l’article 40 est un article sage, au regard tant de la qualité des débats parlementaires que de nos finances publiques et aussi de l’image internationale de la France. Ce n’est donc pas une petite affaire.

Aussi, je demande un scrutin public sur les amendements identiques nos 146, 200 et 467 visant à abroger l’article 40 de la Constitution.

M. Philippe Marini. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 146, 200 et 467.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 104 :

Nombre de votants 328
Nombre de suffrages exprimés 326
Majorité absolue des suffrages exprimés 164
Pour l’adoption 155
Contre 171

Le Sénat n'a pas adopté.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur l'amendement n° 48 rectifié.

M. Michel Charasse. Je voudrais simplement préciser que l’amendement de M. Cointat n’est pas si incongru que cela, contrairement à ce que certains pourraient croire, puisqu’il tend à revenir à la jurisprudence initiale du Conseil constitutionnel.

Jusqu’aux années 1990, le Conseil constitutionnel considérait que, lorsque l’article 40 n’avait pas été soulevé devant la première assemblée saisie, il ne pouvait plus être invoqué devant lui. Subitement, et sans explication, il a changé de jurisprudence il y a quelques années.

Je partage l’opinion de M. Cointat sur cette question : après tout, il revient au Gouvernement et aux assemblées de faire respecter la discipline de l’article 40.

C’est pourquoi je voterai cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat.

M. Christian Cointat. Mon amendement faisant l’objet d’une demande de scrutin public, je tiens à préciser que je ne veux pas créer un problème politique qui n’a pas lieu d’être. Il me semblait que j’avais soulevé une question de bon sens. Au sein de cette assemblée, nous nous sommes tous élevés contre la décision du Conseil constitutionnel. Pendant quarante-huit ans, l’application de l’article 40 n’avait suscité aucune difficulté. Or tel ne semblait plus être le cas.

Puisque, en réalité, c’est ce à quoi je suis invité, je retire mon amendement, monsieur le président, ne voulant pas mettre en difficulté le Gouvernement, que je soutiens. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

M. le président. L'amendement n° 48 rectifié est retiré.

M. Gérard Delfau. Je le reprends, monsieur le président.

M. le président. Il s’agit donc de l’amendement n° 48 rectifié bis.

La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre. Je remercie M. Cointat de la qualité de son intervention et de ses propositions. Je le remercie aussi d’avoir accepté de le retirer.

Puisqu’il a été repris, je répète que cet amendement est très embarrassant puisqu’il revient à interdire au Conseil constitutionnel de se prononcer, le cas échéant, sur une disposition inconstitutionnelle.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais nous sommes le constituant !

M. Éric Woerth, ministre. Il serait en effet assez curieux d’interdire au Conseil constitutionnel de se saisir d’office ou d’être saisi d’une irrecevabilité au titre de l’article 40 dès lors que cette question n’a pas été soulevée devant la première assemblée ayant adopté le texte en cause.

M. Michel Charasse. C’est sa jurisprudence initiale !

M. Éric Woerth, ministre. C’est pourquoi je demande aussi qu’il soit statué par scrutin public sur cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, nous procédons à une révision de la Constitution. Permettez-moi de vous rappeler que, en tant que constituant, nous avons le droit de contrevenir aux avis du Conseil constitutionnel, par lesquels nous ne sommes pas liés.

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.

M. Gérard Delfau. Ce débat, qui nous réunit depuis mardi, n’est pas un débat ordinaire. Il a été voulu au plus haut sommet de l’État comme un acte fondateur du quinquennat. Il se trouve qu’un certain nombre d’entre nous ont pris cette proposition à la lettre : nous voulons effectivement rééquilibrer les pouvoirs au profit du Parlement, nous voulons que celui-ci réaffirme son rôle, qu’il se le réapproprie, qu’il reconquière une souveraineté que les institutions de la Ve République ont tout fait pour amoindrir.

Agir de la sorte, c’est rendre service aux pouvoirs publics et à la démocratie. Si nous parvenons à nos fins, le parlementarisme y puisera les marques d’une nouvelle vitalité.

Par ailleurs, tous les parlementaires respectent infiniment le rôle du Conseil constitutionnel ; mais nous sommes un certain nombre, sans doute une majorité, à penser que le Conseil constitutionnel et, plus généralement, les juges prennent parfois le pas sur les représentants du peuple.

Dans ce contexte, l’amendement initialement déposé à juste titre par notre collègue Christian Cointat est plus symbolique que réellement important. Michel Charasse, qui vient d’évoquer la jurisprudence en cause du Conseil constitutionnel, l’expliquerait mieux que moi, compte tenu de son expérience.

Cet amendement offre au Sénat l’occasion de mettre en pratique ce qui est la philosophie même de ce projet de loi constitutionnelle, à savoir un rééquilibrage des pouvoirs au profit du Parlement. Il permettra de lui redonner confiance et, ce faisant, de redonner confiance à nos concitoyens.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 48 rectifié.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 105 :

Nombre de votants 324
Nombre de suffrages exprimés 323
Majorité absolue des suffrages exprimés 162
Pour l’adoption 134
Contre 189

Le Sénat n'a pas adopté.

L'amendement n° 310 rectifié, présenté par MM. Lambert et Marini, est ainsi libellé :

Après l'article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 40 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Les dispositions fiscales dérogatoires qui ont pour conséquence une diminution des ressources publiques ou l'aggravation d'une charge publique sont abrogées dans un délai de trois ans à compter de leur entrée en application, à défaut de la présentation par le Gouvernement au Parlement d'une évaluation de leur coût et de leur efficacité. »

La parole est à M. Philippe Marini.

M. Philippe Marini. Puisque l’article 40 est maintenu, il convient de le compléter dans l’esprit du débat qui vient de se dérouler.

M. Gérard Delfau. Il faudrait le durcir un peu ! (Sourires.)

M. Philippe Marini. Le présent amendement tend à obliger le Gouvernement à présenter au Parlement une étude d’impact des dérogations fiscales et à se donner les moyens d’évaluer leur coût et leur portée.

M. Philippe Marini. L’objectif est de créer les conditions d’une modernisation et d’une simplification de notre législation fiscale.

Nous assistons en effet, année après année, à la multiplication des incitations, imputations, dégrèvements de toute nature, bref, à la prolifération des niches fiscales.

Afin de les encadrer et, je l’espère, d’en supprimer un grand nombre, il convient de procéder à des évaluations et de veiller à ce que les régimes dérogatoires ne s’appliquent que pour un temps déterminé.

En conséquence, nous souhaitons que ces régimes soient automatiquement abrogés dans un délai de trois ans, sauf si le Gouvernement est en mesure de plaider pour leur maintien par une évaluation convaincante.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Marini, vous soulignez, à raison, que la prolifération et la sédimentation des niches fiscales sont préjudiciables à l’efficacité des prélèvements obligatoires et à l’égalité devant l’impôt. Et encore n’avons-nous pas supprimé la digue que constitue l’article 40 !

Pour autant, il ne paraît pas conforme à notre tradition juridique de prévoir que des dispositions votées par le Parlement seraient automatiquement abrogées à l’issue d’un délai déterminé – quand bien même une telle mesure aurait sans doute une certaine efficacité – si le Gouvernement n’a pas présenté au Parlement une évaluation de leur coût et de leur efficacité.

La commission des lois s’interroge sur cet amendement et sollicite l’avis du Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Monsieur Marini, voilà un sujet qui a souvent donné lieu à des discussions animées dans cette enceinte !

Je suis, vous le savez, favorable à l’encadrement des niches fiscales et je déplore leur prolifération, que vous venez de dénoncer, et dont la presse se fait l’écho depuis maintenant plusieurs semaines. Il s’agit en effet d’un sujet d’actualité.

Vous proposez l’abrogation automatique des régimes fiscaux dérogatoires dans un délai de trois ans à défaut d’une évaluation par le Gouvernement de leur coût et de leur efficacité. En d’autres termes, vous encadrez la durée d’application du régime dérogatoire et vous définissez les conditions de son maintien.

Le Gouvernement est favorable à votre proposition, sous réserve de quelques rectifications.

Tout d’abord, la durée de trois ans est trop brève pour permettre une réelle évaluation. Je vous propose donc de la porter à cinq ans.

Ensuite, plutôt que de définir des modalités d’application dans la Constitution, mieux vaut renvoyer à une loi organique le soin de déterminer sous quelle forme et dans quelles conditions s’appliquera cette disposition.

Je vous propose donc la rédaction suivante : « Les dispositions fiscales dérogatoires qui ont pour conséquence une diminution des ressources publiques cessent de s’appliquer le 31 décembre de la cinquième année suivant leur entrée en vigueur, dans les conditions et sous les réserves fixées par une loi organique. »

M. le président. Monsieur Marini, acceptez-vous la suggestion de M. le ministre ?

M. Philippe Marini. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 310 rectifié bis, présenté par MM. Lambert et Marini, et ainsi libellé :

Après l'article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 40 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Les dispositions fiscales dérogatoires qui ont pour conséquence une diminution des ressources publiques cessent de s'appliquer le 31 décembre de la cinquième année suivant leur entrée en vigueur, dans les conditions et sous les réserves fixées par une loi organique. »

La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. MM. Alain Lambert et Philippe Marini auraient été bien inspirés d’associer dérogations de nature fiscale et dérogations à caractère social, car les dérogations suscitent des problèmes de même nature dans l’un et l’autre cas.

Dois-je rappeler au Gouvernement les difficultés qu’ont éprouvées les gouvernements successifs pour honorer la compensation des exonérations de cotisations sociales en faveur du budget de sécurité sociale ? Si ces exonérations avaient donné lieu à des études d’impact, le Parlement et le Gouvernement auraient été mieux éclairés sur leurs incidences sur le budget de la sécurité sociale.

Monsieur le ministre, il serait donc sage de prévoir, pour les dépenses à caractère social, un encadrement similaire à celui que vous venez d’accepter pour les dérogations fiscales. Je conçois que nous ne puissions pas le faire maintenant, car cela suppose une réécriture complète de l’amendement, mais nous pourrions profiter de la navette pour aller dans le sens que je souhaite.

La commission des finances, qui a le souci d’une approche globale en la matière, ne peut pas se désintéresser des mesures de caractère social, qui ont évidemment des incidences sur les lois de financement de la sécurité sociale.

Le Sénat examinera d’ailleurs dans un instant l’amendement n° 301 rectifié, soutenu par la commission des finances et par la commission des affaires sociales, lesquelles ont une approche similaire des exonérations qui sont décidées au fil de l’eau, au détour de la discussion de tel ou tel texte. Je considère que les études d’impact valent aussi bien pour les dépenses fiscales que pour les dépenses sociales.

M. Philippe Marini. Tout à fait !

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Si, sur le fond, je partage l’esprit qui a guidé la démarche de MM. Lambert et Marini, sur la forme, je suis quelque peu gêné, car je ne suis pas convaincu qu’une telle disposition, qui a par ailleurs reçu l’accord du Gouvernement, ait sa place dans la Constitution. Elle me semble plutôt relever d’une loi de finances.

Le projet de loi de règlement viendra en discussion devant le Sénat dans quelques jours. Cette disposition y aurait eu toute sa place.

Par ailleurs, je me demande – et je ne sais pas si M. Philippe Marini a la réponse – qui va décider et énumérer les dispositions fiscales dérogatoires. Le Conseil constitutionnel se livrera-t-il à des interprétations ? Devra-t-on établir une liste dans la loi organique ?

Je ne vois pas très bien ce que cela recouvre. S’il s’agit de tous les régimes dérogatoires, comment traitera-t-on le quotient familial ou l’exonération des allocations familiales ? Est-ce, ou non, dérogatoire ?

M. Michel Charasse. Il s’agit tout de même d’une règle qui vise à réduire la portée de l’impôt sur le revenu ! C’est donc bien une disposition dérogatoire par rapport à un barème. Mais, à cette heure tardive, je n’entrerai pas dans le détail.

Le fait que cet amendement ne me paraisse pas avoir sa place dans un texte aussi noble que la Constitution et le caractère imprécis de la mention « dispositions fiscales dérogatoires » me conduisent, à mon grand regret, à ne pas le voter. En revanche, s’il était présenté dans le projet de loi de règlement, qui sera discuté dans quinze jours, je me ferais un plaisir, un bonheur de le voter ! On pourrait sans difficulté y déposer ce type d’amendement puisqu’il s’agit d’une loi de finances.

M. le président. La parole est à M. Philippe Marini.

M. Philippe Marini. Je suis souvent en accord avec Michel Charasse, mais cette fois-ci, mon cher collègue, j’ai le regret de vous dire que votre propos me semble contradictoire.

Nous discutons d’un projet de loi constitutionnelle. Nous utilisons donc des formulations de caractère général : une disposition dérogatoire est une disposition qui déroge à une législation de droit commun.

Avec l’accord du Gouvernement, nous renvoyons les mesures plus précises à un projet de loi organique. Nous affinerons alors la limite entre le droit commun et les dérogations.

Permettez-moi de prendre quelques exemples. Lorsqu’un matériel déterminé, pour une profession donnée, bénéficie d’une durée d’amortissement qui n’est pas la durée de droit commun, il s’agit clairement d’une dérogation.

M. Philippe Marini. De la même manière, lorsqu’une profession bénéficie, pour le calcul de son impôt sur le revenu, d’un coefficient de réfaction qui lui est propre – je ne citerai aucune profession, même pas celles qui vous sont le plus chères –, il s’agit clairement d’une dérogation.

M. Philippe Marini. À l’inverse, on peut s’interroger sur le point de savoir si des règles de calcul de l’impôt qui s’appliquent de manière horizontale à tous les assujettis ont ou non le caractère d’une dérogation.

M. Michel Charasse. Tout à fait !

M. Philippe Marini. Je considère que le crédit d’impôt recherche n’est en rien un régime dérogatoire, car il est défini d’une manière générale. Il en est de même du quotient familial, qui constitue modalité générale de calcul de l’impôt sur le revenu.

En tout état de cause, notre débat porte sur la Constitution et nous n’avons donc pas, en cet instant, à entrer dans une telle casuistique. Ce sera la responsabilité du législateur quand il élaborera la loi organique.

Pour l’heure, restons-en aux principes. Et parmi les principes, il en est un qui est essentiel et à l’application duquel le Conseil constitutionnel apporte un soin très vigilant, c’est l’égalité devant l’impôt. En incluant ce principe dans la Constitution, nous mettons l’égalité devant l’impôt au premier plan. Il en résulte que toute dérogation devra être pesée au trébuchet de l’équité et de l’efficacité.

Il me paraît utile d’inscrire ce principe dans la Constitution, tant pour des raisons juridiques que pour le bon ordonnancement des règles générales du droit.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Je suis très étonnée de la célérité avec laquelle nous avons traité cette question. En dix minutes, M. Marini a présenté son amendement, le Gouvernement lui a apporté son soutien, sous réserve d’une rectification. Nous allons maintenant passer au vote alors que, pendant près de deux heures, nous avons débattu de l’article 40 et que le Gouvernement a résisté à une pression forte d’une grande partie du Sénat, comme l’a démontré le résultat du scrutin public.

Je note, monsieur Marini, que le texte de l’amendement no 310 rectifié bis ne correspond plus à l’objet qui l’accompagne. À la demande du Gouvernement, vous avez porté la durée d’application des dispositions fiscales dérogatoires de trois à cinq ans et l’évaluation de leur coût ainsi leur portée, que vous exigiez dans l’amendement no 310 rectifié, ne figure plus dans l’amendement no 310 rectifié bis.

M. Philippe Marini. Ce sera prévu dans la loi organique !

Mme Nicole Bricq. Cela étant, il s’agit d’une pratique qui n’est pas nouvelle. Compte tenu de la célérité avec laquelle cet amendement important a été présenté, je présume que sa rédaction a donné lieu à des discussions préalables avec le Gouvernement.

Les niches fiscales, que M. Marini évoque lors de l’examen de chaque projet de loi de finances, font actuellement l’objet d’un débat. Nos collègues députés, opposition et majorité réunies, leur ont consacré un rapport. Des propositions de plafonnement les visant toutes, et pas seulement les trois qui figurent dans le rapport que nous a remis Mme Lagarde, sont en discussion. Le débat vient juste d’être ouvert. Or, en adoptant cet amendement, nous le refermerions !

Le rapporteur général de l’Assemblée nationale, M. Carrez, travaille sur l’encadrement de la dépense fiscale. Il veut, comme pour la norme de dépense budgétaire, fixer une norme de dépense fiscale. Et là, en dix minutes, nous ferions avorter ce débat qui ne fait que commencer ?

Je ne suis pas d’accord, mon groupe n’est pas d’accord pour voter cet amendement, qui nous apparaît comme un piège et qui va refermer le débat sur les niches fiscales. C’est trop facile ! Nous ne l’acceptons pas.

M. Éric Woerth, ministre. Il ne referme rien du tout !

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat.

M. Christian Cointat. La question qui est soulevée est loin d’être anodine. Néanmoins, je me prononcerai non pas sur le fond, mais sur la forme.

Une disposition pareille n’a pas sa place dans la Constitution.

M. Michel Charasse. Bien sûr que non !

M. Christian Cointat. Elle aura des conséquences que nous ne mesurons pas, et je trouve véritablement dangereux de procéder de cette manière. Je suis persuadé que, si cette disposition figure dans la Constitution, tout gouvernement, de gauche, de droite ou d’ailleurs, sera tôt ou tard placé dans une situation d’extrême difficulté.

Il faut être conscient de la portée des dérogations : pour certaines professions, je tiens à le souligner, elles sont essentielles, et la durée joue dans de nombreux cas. Le risque est que soient remis en cause, entre autres choses, des accords professionnels. Ce serait mettre le doigt dans un engrenage que nous ne maîtriserons plus.

Aussi, je vous mets en garde, mes chers collègues : attention ! Arrêtons ! Réfléchissons ! Et, comme nous y invitait tout à l’heure M. Charasse, inscrivons cette mesure dans une loi, mais certainement pas dans la Constitution ! Ce serait nous lier les mains dans une affaire dont nous ne mesurons pas aujourd’hui les dangers.

Voilà pourquoi, cher collègue Marini, si je suis d’accord avec votre approche, je suis désolé de devoir vous dire que je ne peux pas voter votre amendement dans la mesure où il ferait entrer cette disposition dans la Constitution.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je dois avouer, monsieur le président, que je suis de plus en plus inquiet.

Ce n’est pas la teneur de nos débats qui est en cause, car je suis tout à fait d’accord avec la proposition de M. Marini, rectifiée selon le vœu du Gouvernement.

Néanmoins, si la Constitution devient…

M. Michel Charasse. Un arrêté municipal ! (Rires.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non, je n’irai pas jusque-là ! Pour autant, il faut respecter une certaine hiérarchie des normes. Puisqu’il existe une loi organique relative aux lois de finances,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … pourquoi ne pas y inscrire une disposition telle que celle-là ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Notre Constitution court le risque de devenir un écheveau incompréhensible.

M. Christian Cointat. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Qu’y figure un principe tel celui que pose l’article 40, oui, bien sûr !

M. René Garrec. C’est clair !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Les principes sont ensuite déclinés dans les lois organiques, la jurisprudence, etc.

Pour ma part, je m’étonne un peu de cet amendement et de ceux qui suivent : certes, la question est intéressante, mais elle n’est pas à sa place quand c’est de la Constitution qu’il s’agit. Nous aurons bien d’autres occasions de discuter de ces sujets puisqu’il nous faudra revisiter bien des lois organiques, en particulier la loi organique relative aux lois de finances. Alors, gardons le débat pour ces moments-là ! (Très bien ! et applaudissements sur quelques travées de l’UMP et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis moins fin juriste que vous, mais je ne suis pas certain que la durée de vie des niches fiscales puisse être fixée dans la loi organique.

M. René Garrec. Les délais ne relèvent jamais de la Constitution !

M. Éric Woerth, ministre. Il me semble au contraire qu’il s’agit d’un principe plus élevé, dont les modalités, assurément, restent à définir, mais qui ne peut pas être inscrit dans la loi organique.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La durée est fixée par la loi !

M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour explication de vote.

M. Nicolas Alfonsi. Mon propos rejoindra ceux qui viennent d’être tenus : malgré l’intérêt et l’amitié que je porte à M. Marini, je ne peux pas voter cet amendement.

Si, demain, des constitutionnalistes allaient s’interroger sur ce qui, à un moment donné, a conduit à introduire cette disposition dans la Constitution, ils pourraient être atterrés ! Il y a toujours des causes à tout, certes, mais on peut imaginer que le Gouvernement dispose de quelques moyens pour s’attaquer aux niches fiscales sans que nous soyons obligés d’emprunter la voie constitutionnelle pour régler ces questions !

La loi fondamentale pose des principes généraux ; elle ne traite pas des dispositions dérogatoires, elle ne traite pas de problèmes de délais de quatre ans, de cinq ans… On a ici l’impression de légiférer dans un domaine qui relève d’une loi de finances !

Je voterai contre cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement est trop beau pour être honnête ! On inscrirait en vitesse dans la Constitution une telle disposition, qui, tout à coup, serait très générale ?

Vous voulez afficher votre volonté de réduire les niches fiscales. Mais ce terme général de « dérogations » touche aussi bien d’autres choses que les niches fiscales ! En revanche, il ne concerne certainement pas l’efficacité des politiques fiscales en général !

Tel qu’il est formulé, l’amendement permettrait de s’en prendre, par exemple, à l’exonération de la redevance télé pour les vieux !

M. Michel Charasse. Aux allocations familiales…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Franchement, non !

Si la Constitution doit servir à prendre au moment opportun des petites mesures d’affichage sur les niches fiscales, autant s’en dispenser tout de suite ! Le Gouvernement a refusé bien d’autres dispositions au motif qu’elles n’étaient pas d’ordre constitutionnel : refusons donc cet amendement et ayons un véritable débat sur l’efficacité des politiques fiscales qui sont mises en œuvre depuis un certain temps !

M. le président. La parole est à M. Philippe Marini.

M. Philippe Marini. J’ai l’impression que les choses ne sont pas mûres et que nous aimons notre clientélisme. (Protestations.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas du tout ça !

M. Philippe Marini. Nous sommes tous des conservateurs ! Nous adorons les dégrèvements ! Nous adorons les cas particuliers ! Nous adorons les dérogations !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. D’ailleurs, le rapporteur général n’en a jamais proposé, bien entendu !

M. Philippe Marini. Et tant pis si cela peut creuser des trous dans les assiettes fiscales ! Cela n’a aucune importance ! (Vives protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Continuons de faire des cadeaux, sans limites, sans ordre, sans méthode, et refusons un minimum de discipline et de méthode !

Mme Josiane Mathon-Poinat. C’est l’arroseur arrosé !

M. Philippe Marini. C’est Alain Lambert qui a, fort opportunément, rédigé cet amendement.

M. Philippe Marini. Je me suis associé à son initiative parce que j’estime qu’elle est utile et vertueuse.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est plus le même amendement !

M. Philippe Marini. Vous pouvez rire, mes chers collègues ! Vous pouvez trouver drôle que, de temps en temps, une initiative parlementaire « passe ».

Mme Nicole Bricq. Celle-ci arrange bien le Gouvernement !

M. Philippe Marini. Peut-être est-ce risible !

Mme Josiane Mathon-Poinat. C’est grotesque !

M. Philippe Marini. Mais ne venez pas, dans des débats ultérieurs, vous targuer d’avoir des finances publiques une vision responsable ! (Nouvelles protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

On se bornait ici à prévoir une règle de péremption en cinq ans – et cinq ans, c’est long ! – de tous les régimes dérogatoires, une règle obligeant à les réexaminer : c’est bien un principe général, et c’est un principe d’égalité devant l’impôt !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On n’a pas besoin de nouveaux textes pour le faire !

M. Philippe Marini. Je pense qu’Alain Lambert avait profondément raison de prendre cette initiative. Mais, naturellement, le jeu conjugué de tous les conservatismes, de tous les clientélismes, de toutes les provinces, de toutes les professions, est tel que l’on ne peut même pas faire voter un tel amendement !

Il est donc retiré ! (M. Laurent Béteille applaudit. – Rires sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. L’amendement no 310 rectifié bis est retiré.

Articles additionnels après l’article 14 (priorité)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 11 (priorité) (interruption de la discussion)

Article 11 (priorité)

L’article 34 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est supprimé ;

2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Sauf motif déterminant d’intérêt général, la loi ne dispose que pour l’avenir. » ;

3° Dans le cinquième alinéa, après les mots : « l’amnistie ; », sont insérés les mots : « la répartition des contentieux entre les ordres juridictionnels, sous réserve de l’article 66 ; »

4° Après le onzième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales. » ;

5° L’avant-dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’État.

« Des lois de programmation définissent les orientations pluriannuelles des finances publiques. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques. »

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement no 302 rectifié, présenté par MM. Arthuis, Marini, Badré, de Montesquiou, Gaillard et Bourdin, Mme Keller et MM. Charasse, Dallier, Dassault, Doligé, Ferrand, Fréville, Girod, C. Gaudin, Gouteyron, Jégou, Longuet et Guené, est ainsi libellé :

Après le 4° de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

…° Avant l’antépénultième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions relatives aux recettes des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale font l’objet d’un projet de loi de finances publiques. Une loi organique précise l’allocation de ces ressources. » ;

La parole est à M. Jean Arthuis.

M. Jean Arthuis. Cet amendement a pour objet d’éclairer le Parlement en allant jusqu’au bout d’une recommandation qui a été souvent formulée, notamment par nos collègues Didier Migaud, président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, et Alain Lambert.

Convenons qu’il devient difficile d’appréhender les prélèvements obligatoires dans leur globalité. Aussi notre initiative vise-t-elle à les regrouper tous dans un texte unique, qu’il s’agisse des ressources contribuant à financer le budget de l’État, des ressources affectées à la sécurité sociale ou de celles qui seront dirigées pour partie vers les Communautés européennes et pour partie vers les collectivités territoriales.

Il est bien évident que les ressources de la protection sociale sont de plus en plus fiscales et proviennent de moins en moins de cotisations assises sur les salaires ou sur les revenus professionnels : aujourd’hui, c’est pratiquement le tiers du budget du régime général de la sécurité sociale qui est issu de ressources fiscales, et je prédis qu’à échéance rapprochée il faudra aller bien au-delà et fiscaliser une partie plus significative encore des ressources sociales si nous voulons que le travail et les entreprises retrouvent leur compétitivité.

Telle et donc l’inspiration de cet amendement. Je ne suis pas sûr que, techniquement, il soit totalement achevé, et je ne voudrais pas, à cette heure tardive, prendre le risque de susciter un large débat. Néanmoins, je serais heureux d’entendre l’avis du rapporteur de la commission des lois et du Gouvernement sur cette proposition.

M. le président. L’amendement no 312 rectifié, présenté par MM. Lambert et Charasse, est ainsi libellé :

Avant le 5° de cet article, insérer les cinq alinéas suivants :

…° Les dix-neuvième et vingtième alinéas de l’article 34 de la Constitution sont remplacés par quatre alinéas ainsi rédigés :

« Dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique, les lois de finances :

« – déterminent les ressources et les charges de l’État ;

« – déterminent les conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent le plafond global de ses dépenses.

« Les lois de financement de la sécurité sociale, compte tenu des conditions générales de l’équilibre financier déterminé par les lois de finances, fixent ses objectifs de dépenses dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. »

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Alain Lambert ne pouvant être avec nous ce soir, il m’a demandé de cosigner cet amendement. Cela m’a d’autant moins gêné qu’il reprend en réalité les termes d’un amendement déposé à l’Assemblée nationale par Didier Migaud.

Mme Nicole Bricq. Pas tout à fait !

M. Michel Charasse. Sinon la lettre, du moins l’inspiration, à trois mots près.

La rédaction que propose le projet de loi pour l’article 34 de la Constitution ne tient pas totalement compte de la création, à côté des lois de finances, des lois de financement particulières pour la sécurité sociale.

Alain Lambert, après Didier Migaud – tous deux sont les pères de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances –, propose simplement de préciser dans l’article 34 que, sous réserve bien sûr d’une loi organique, les lois de finances déterminent non seulement « les ressources et les charges de l’État », mais aussi « les conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent le plafond global de ses dépenses ». Ainsi, une loi de financement unique comporterait l’ensemble des ressources et des charges concernant à la fois les dépenses de l’État et les dépenses des régimes sociaux.

Je ne serai pas plus long, à cette heure tardive, monsieur le président. Je tiens cependant à souligner que l’adoption de cet amendement clarifierait grandement la rédaction proposée pour l’article 34 et que, avec les dispositions que comporte déjà celui-ci concernant les lois de financement de la sécurité sociale, il formerait un ensemble complet prenant en compte les problèmes d’objectifs de dépense, auxquels échappent les lois de finances proprement dites.

M. le président. L'amendement n° 451, présenté par M. Frimat, Mme Bricq, MM. Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Massion, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant le 5° de cet article, insérer cinq alinéas ainsi rédigés :

...° - Les dix-neuvième et vingtième alinéas de l'article 34 de la Constitution sont remplacés par quatre alinéas ainsi rédigés :

« Dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique, les lois de finances :

« - déterminent les ressources et les charges de l'État ;

« - déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent les objectifs de dépenses.

« Les lois de financement de la sécurité sociale, compte tenu des conditions générales de l'équilibre financier déterminé par les lois de finances, fixent ses objectifs de dépenses dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. »

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Notre amendement part du constat selon lequel le fractionnement de l’examen du projet de loi de finances, d’un côté, et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, de l’autre, constitue un empêchement à l’exercice du contrôle du Parlement.

M. Michel Charasse. Il est identique à l’amendement n° 312 rectifié !

Mme Nicole Bricq. Non, ce n’est pas tout à fait le même amendement.

Ce fractionnement permet au Gouvernement, quel qu’il soit, de faire montre d’une inventivité qui nuit à la lisibilité de son action.

En effet, on l’a observé régulièrement, à la faveur des changements de périmètre, des substitutions de recettes fiscales affectées à des cotisations sociales, des créations de niches sociales non compensées, le Gouvernement peut jouer dans son jardin !

Nous proposons donc que les prélèvements soient examinés conjointement et votés au même moment. Si notre amendement modifie l’organisation de l’examen de ces deux projets de loi, il ne touche pas aux compétences respectives du Gouvernement et du Parlement.

De la même manière, la compétence de la commission des affaires sociales reste entière. Il faut sortir du débat habituel entre la commission des finances et la commission des affaires sociales, car il stérilise notre fonction commune qui est de faire la loi et de contrôler son exécution par le Gouvernement.

Reste la question de la dépense – c’est en cela que notre amendement est légèrement différent de ceux qui viennent d’être présentés, y compris celui qui a été défendu par Michel Charasse, mais il s’agit d’une différence de nature politique – et de son adéquation avec les recettes. Nous faisons, nous, mention d’« objectifs de dépenses » et non, comme Alain Lambert et Michel Charasse, d’« un plafond global » de dépenses. Je veux m’en expliquer.

On peut considérer que les dépenses d’assurance maladie représentent une pure consommation médicale. Dès lors, il n’y a pas de raison de les reporter sur les générations futures. Pour autant, interdire le déficit de l’assurance maladie revient à bloquer les dépenses, et il est très difficile de définir le niveau optimal des dépenses de santé. Du reste, aucun pays n’a réussi à les freiner.

C’est pourquoi, tant que la question n’a pas été posée clairement aux Français, nous préférons considérer que l’augmentation des dépenses de santé relève d’un choix collectif de leur part.

C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité faire mention d’objectifs de dépenses, sans vouloir à toute force contraindre la dépense.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La fusion des premières parties de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale peut, a priori, apparaître comme un élément de clarification en matière de prélèvements obligatoires.

Toutefois, cette globalisation se heurterait à la différence de logique entre les finances de l’État et les finances sociales : logique de non-affectation des recettes pour le projet de loi de finances ; logique d’affectation pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale, cette affectation permettant, par exemple, de mesurer les équilibres entre les cotisations et les retraites versées pour la branche vieillesse.

S’agissant d’une question très importante pour nos finances publiques, la commission n’a pas donné d’avis sur ces amendements et souhaite connaître l’avis du Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale sont, dans leur format actuel, des textes relativement récents puisqu’ils résultent des lois organiques de 2001 et de 2005.

Je partage votre opinion : il faut essayer de coordonner tous ces dispositifs qui « miroitent » les uns par rapport aux autres. Il me semble néanmoins important de conserver des textes séparés pour un certain nombre de raisons.

Ces textes sont aujourd'hui élaborés en pleine cohérence. Ils sont d’abord défendus par le même ministre. Les équipes travaillent en coordination, ce qui n’était pas nécessairement le cas auparavant. Les deux projets sont bâtis sur des hypothèses macroéconomiques identiques. Le débat d’orientation budgétaire porte à la fois sur le projet de loi de finances et sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

En ce qui concerne les dépenses, la cohérence des dispositions est assurée par des annexes. Je pense tout particulièrement aux mécanismes de compensation des exonérations de charges sociales.

Je souhaite insister sur un point qui me semble assez important en faveur du maintien de deux textes plutôt que de fusionner au moins une partie d’entre eux : ils appellent une approche sensiblement différente.

Par ailleurs, la loi de financement de la sécurité sociale est obligatoirement soumise à l’avis des conseils d’administration des caisses de sécurité sociale, comme tous les textes les concernant : l’amputer de la partie « recettes » peut remettre en cause la portée de cette saisine et le vote qui s’ensuit.

Le cadrage annuel des finances publiques est bien réalisé d’une manière globale. Nous débattrons prochainement sur l’institution d’un projet de loi pluriannuelle des finances publiques, qui assurera la cohérence entre le budget de l’État et les budgets sociaux.

Beaucoup d’éléments qui n’existaient pas auparavant relient maintenant les deux textes tout en conservant la nature et la spécificité de chacun d’entre eux.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement n’est pas favorable aux amendements qui viennent d’être présentés.

M. Alain Vasselle. Très bien, c’est sage !

M. le président. Monsieur Arthuis, l'amendement n° 302 rectifié est-il maintenu ?

M. Jean Arthuis. Monsieur le ministre, c’est vous qui nous avez encouragés à prendre cette initiative puisque vous êtes le ministre « des comptes publics ». Nous avons pensé que, dans ces conditions, il était cohérent de suggérer qu’il y ait une loi relative aux finances publiques, c'est-à-dire aux comptes publics.

Je comprends que les dispositions pratiques ne sont pas encore tout à fait au point.

Pourriez-vous prendre un engagement, ou à tout le moins donner votre opinion sur l’idée d’une loi pluriannuelle des finances publiques qui procéderait à cette consolidation ?

Si nous adoptons la réforme constitutionnelle, il sera question de loi pluriannuelle de programmation des finances publiques.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

M. Jean Arthuis. Dans ce cadre, nous pourrions imaginer une présentation consolidée des comptes de la sécurité sociale et des comptes de l’État. En tout cas, s’agissant des recettes, l’exercice me paraît à portée de main.

Dans ces conditions, je retire cet amendement.

M. le président. L'amendement n° 302 rectifié est retiré.

La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre. M. Arthuis, j’abonde dans votre sens.

Bien évidemment, si vous votez – le débat reste à tenir – l’idée d’une loi de programmation des finances publiques, s’inscrivant d’ailleurs dans la trajectoire des finances publiques telles que nous en transmettons à certains moments les données à nos partenaires européens et dont nous débattons avec eux, l’ensemble des finances publiques – dépenses sociales et dépenses de l’État – s’en trouveront consolidées.

M. le président. Monsieur Charasse, l'amendement n° 312 rectifié est-il maintenu ?

M. Michel Charasse. C’est par amitié que j’ai accepté de cosigner cet amendement avec M. Lambert, même si je ne suis pas en désaccord, et il ne m’a pas particulièrement autorisé à le retirer.

Cependant, compte tenu de ce qu’a dit le ministre et de l’existence d’un amendement très voisin, qui est celui du groupe socialiste, je n’insisterai pas.

Je signale amicalement à M. le ministre qu’il a la chance, en tant que ministre chargé de l’ensemble des comptes publics – c’est une conquête importante à l’intérieur du Gouvernement, mais elle est provisoire, car elle dépend de la composition du Gouvernement et du décret de nomination des ministres –, d’avoir, institutionnellement parlant, une vision globale de l’ensemble des sujets concernés par ces deux amendements – ainsi que par l’amendement défendu par M. Arthuis tout à l’heure –, qui découlent de ce que j’appellerai, dans un souci de simplification, « le Migaud ».

Si le ministre dispose d’une vision globale des comptes, ce n’est pas le cas des parlementaires puisque, institutionnellement, nous devons nous en tenir à un système de lois organiques séparées, au moins en ce qui concerne le montant global des recettes et le plafond global des dépenses ou les objectifs de dépenses – appelez-les comme vous voudrez !

Par conséquent, nous sommes, au Parlement, dans une situation défavorable. Ce n’est pas une question d’orgueil ni une volonté de faire comme le ministre, mais il me semble que le dialogue entre le Gouvernement et le Parlement sur ce sujet, au moment où la France est tenue de consentir des efforts particulièrement importants pour la gestion de ses finances publiques, au sens le plus large du terme, doit se faire dans la cohérence, et le Gouvernement y a également intérêt.

Cela étant, je retire mon amendement puisque Alain Lambert a au moins la satisfaction que nous en ayons discuté.

Le débat suivra son cours avec l’amendement de mes collègues du groupe socialiste.

M. le président. L'amendement n° 312 rectifié est retiré.

Madame Bricq, l'amendement n° 451 est-il maintenu ?

Mme Nicole Bricq. Malgré tous mes efforts, et bien que M. Vasselle m’ait écouté attentivement, je n’ai pas été suffisamment rassurante en ce qui concerne les dépenses, puisque qui dit recettes dit dépenses.

Je constate, comme M. Marini tout à l’heure – mais, moi, sans me mettre en colère (Sourires) –, que le débat n’est pas mûr. Il faut néanmoins avancer vers une solution.

Je retire donc mon amendement après avoir entendu M. le ministre et pris bonne note de sa promesse de présenter une loi pluriannuelle des finances publiques susceptible de nous apporter une lecture consolidée des comptes.

M. Alain Vasselle. C’est une grande sagesse !

M. le président. L'amendement n° 451 est retiré.

Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 301 rectifié, présenté par MM. Arthuis, About, Marini, Vasselle, Badré, de Montesquiou, Gaillard, Bourdin, Charasse, Dallier, Dassault, Doligé, Ferrand, Fréville, Girod, C. Gaudin, Jégou, Lambert, Longuet, du Luart et Guené, est ainsi libellé :

Après le 4° de cet article, insérer trois alinéas ainsi rédigés :

...° Après l'antépénultième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures entrent en vigueur lorsqu'elles sont approuvées par une loi de finances.

« Les mesures de réduction et d'exonération de cotisations et de contributions concourant au financement de la protection sociale ainsi que les mesures de réduction ou d'abattement de l'assiette de ces cotisations et contributions entrent en vigueur lorsqu'elles sont approuvées par une loi de financement de la sécurité sociale. » ;

La parole est à M. Jean Arthuis.

M. Jean Arthuis. Ce soir, nous avons évoqué les voies et moyens pour améliorer nos méthodes, tenir la dépense publique et assumer pleinement nos responsabilités.

Le moment de pleine lucidité en matière fiscale comme en matière de finances sociales a lieu lors de l’examen des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale. Or nous voyons se développer des pratiques de vote de mesures dérogatoires, d’abattements, de réductions, de déductions, de défiscalisations. C’est de la dépense fiscale et de la dépense sociale.

Nous avons le sentiment que votre rigueur, monsieur le ministre, l’objectif de « zéro volume dans les dépenses » que vous vous êtes fixé, prive les ministres de moyens pour assurer la promotion de lois qu’ils soumettent au Parlement en cours d’année. Faute de crédits budgétaires, ils cèdent à la tentation de consentir des dépenses fiscales et des dépenses sociales.

Nous voudrions donc poser un principe. L’idéal eût été que l’on prohibe le vote de mesures fiscales et de mesures sociales en dehors des lois de financement de la sécurité sociale et des lois de finances. À défaut, nous proposons que, si le vote de telles mesures doit avoir lieu lors de l’examen de lois en cours d’année, en dehors des lois de financement de la sécurité sociale et des lois de finances, aucune des mesures adoptées ne soit effective tant qu’elle n’a pas été validée dans une loi de finances ou dans une loi de financement de la sécurité sociale.

Cette initiative conjointe de la commission des affaires sociales et de la commission des finances vise à permettre au Parlement d’émettre ses votes en parfaite lucidité, en pleine connaissance de cause quant à l’impact des mesures budgétaires dérogatoires fiscales ou sociales.

M. le président. L'amendement n° 447, présenté par M. Frimat, Mme Bricq, MM. Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Massion, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après le 4° de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Après le vingtième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ainsi que celles relatives à l'assiette des cotisations sociales ne peuvent figurer dans d'autres lois que les lois de finances ou de financement de la sécurité sociale, sauf dérogations prévues par une loi organique. » ;

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Cet amendement vise à restaurer la capacité pleine et entière du Parlement de prendre la mesure de toute disposition visant les impositions de toutes natures et l’assiette des cotisations sociales dans les véhicules législatifs qui sont prévus à cet effet, lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale.

Trop souvent, au moment de l’examen de l’une ou de l’autre, nous sommes mis devant le fait accompli, et l’exercice budgétaire peut se réduire à entériner des mesures prises dans d’autres véhicules législatifs.

J’ai personnellement en mémoire le plan de cohésion sociale présenté par M. Borloo à la rentrée parlementaire de 2004, qui avait pour objet d’augmenter substantiellement la DSU, la dotation de solidarité urbaine, jusqu’en 2009. C’était, certes, un objectif louable, mais nous n’avons pu en appréhender la portée que lors de l’examen ultérieur du projet de loi de finances. Et nous avons pu alors constater que le financement de cette mesure s’effectuait au détriment de l’enveloppe de la dotation globale de fonctionnement.

Cette pratique n’est malheureusement pas occasionnelle. J’en veux pour preuve certaines dispositions qui sont contenues dans le projet de loi de modernisation de l’économie que nous allons examiner à la fin du mois.

Cet amendement se justifie donc par la réalité que nous rencontrons assez souvent dans l’exercice législatif et dans notre mission de contrôle.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Après les exposés extrêmement complets du président Jean Arthuis et de Mme Nicole Bricq, j’ai parfaitement compris les dispositions proposées et la cohérence qu’elles apporteraient.

Cela étant, il est parfois souhaitable de prévoir dans une loi l’ensemble du dispositif, notamment les mesures fiscales. Si, dans une loi sur les successions, on ne prévoit pas un certain nombre de dispositions fiscales, la loi ne pourra pas être mise en œuvre.

En vérité, je m’interroge sur deux points.

Tout d’abord, la rédaction de l'amendement n° 301 rectifié me paraît susceptible d’être améliorée. Il est écrit : « Les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures entrent en vigueur lorsqu’elles sont approuvées par une loi de finances. » Or il s’agit de dispositions qui ont déjà été votées ; elles seraient seulement confirmées par une loi de finances. Même si l’on comprend bien l’idée contenue dans cet amendement, mais la rédaction mérite quelques ajustements. Nous n’allons peut-être pas y procéder ce soir, car cela relève davantage d’un travail de commission.

Autre interrogation, qui trouvera peut-être également une réponse au cours de la navette : un tel dispositif a-t-il sa place dans l’article 34, consacré au domaine de la loi ? Ne devrait-il pas plutôt figurer aux articles 47 et 47-1 relatifs aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale ? Des règles de validation des dispositifs d’exonération ne pourraient-elles pas être fixées également dans la loi organique, sur le fondement d’un renvoi qui serait introduit aux articles 47 et 47-1 ?

Des améliorations rédactionnelles doivent donc être apportées. La commission des lois, qui a eu connaissance de ces amendements assez tardivement et a dû quand même examiner quelque cinq cents amendements, n’a pas eu le temps de les mettre au point.

Je souhaite par conséquent connaître l’avis du Gouvernement, en indiquant que la commission incline plutôt à s’en remettre à la sagesse de notre assemblée sur l'amendement n° 301 rectifié, ainsi que sur l'amendement n° 447, qui porte sur le même sujet.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. L’amendement n° 301 rectifié est important. Voilà en effet longtemps que l’on discute pour savoir de quelle manière pourraient être rapatriées sur les lois de finances les mesures financières égrenées dans divers textes.

L'amendement n° 447 donne une compétence exclusive, un monopole, en quelque sorte, aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale. L'amendement n° 301 rectifié a ma préférence, qui est de considérer que sont validées par la loi de finances des mesures de nature financière prises dans une autre loi.

Nous préférerions toutefois que cette validation n’empêche pas la mesure de s’exécuter dans un premier temps ; par la suite, s’il n’y avait pas de validation, la mesure deviendrait. Cela épargnerait au Gouvernement de déposer, éventuellement dans l’urgence, un collectif pour prendre une mesure qui, pour telle ou telle raison, doit s’appliquer rapidement et ne peut être différée jusqu’au vote de la loi de finances.

Il serait donc souhaitable que vous puissiez modifier votre amendement en ce sens, monsieur Arthuis. Si vous préférez en rester à la rédaction actuelle, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis.

M. Jean Arthuis. Monsieur le président, je rectifie mon amendement en substituant au mot « approuvées » le mot « validées », dans les deux alinéas. La navette parlementaire permettra de lever les ambiguïtés éventuelles.

Toutefois, monsieur le ministre, je ne vous cache pas que votre souhait nous laisse un peu perplexe : en effet, il sera bien difficile, lorsqu’on aura voté au mois de mai une disposition, qu’elle aura produit ses premiers effets, de la remettre en cause au moment du vote de la loi de finances.

Ainsi que vous l’avez dit ce soir, nous avons besoin d’instruments qui nous disciplinent, et l’on a vu que le Gouvernement avait, au moins autant que le Parlement, besoin de s’autodiscipliner.

Dans ces conditions, s’il vous faut une loi de finances, peut-être pourrez-vous, en tant que de besoin, déposer des lois de finances rectificatives. Au moins, ce sera l’occasion de remettre à jour les compteurs, d’avoir une image globale des ressources fiscales ou sociales et de valider ainsi les choix fiscaux ou sociaux opérés par le législateur.

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 301 rectifié bis, présenté par MM. Arthuis, About, Marini, Vasselle, Badré, de Montesquiou, Gaillard, Bourdin, Charasse, Dallier, Dassault, Doligé, Ferrand, Fréville, Girod, C. Gaudin, Jégou, Lambert, Longuet, du Luart et Guené, et ainsi libellé :

Après le 4° de cet article, insérer trois alinéas ainsi rédigés :

...° Après l'antépénultième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures entrent en vigueur lorsqu'elles sont validées par une loi de finances.

« Les mesures de réduction et d'exonération de cotisations et de contributions concourant au financement de la protection sociale ainsi que les mesures de réduction ou d'abattement de l'assiette de ces cotisations et contributions entrent en vigueur lorsqu'elles sont validées par une loi de financement de la sécurité sociale. » ;

Quel est maintenant l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. S’efforçant d’être aussi sage que le Gouvernement, la commission en reste à la sagesse !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote sur l'amendement n° 301 rectifié bis.

Mme Nicole Bricq. Si les deux amendements diffèrent dans leur rédaction, ils visent le même objectif. Je vais donc retirer mon amendement et me rallier à celui de M. Arthuis, en faisant confiance à la navette parlementaire.

M. le président. L'amendement n° 447 est retiré.

La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. Je me réjouis de cet amendement, dont je suis d’ailleurs cosignataire, avec Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, et plusieurs de mes collègues de la commission des finances.

Nos deux commissions, comme l’ensemble de la Haute Assemblée, devraient tirer des enseignements de cette initiative. M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général appellent d'ailleurs de leurs vœux depuis longtemps une approche globale des comptes publics, à laquelle la commission des affaires sociales ne s’est jamais opposée. Nous considérons même que cette approche globale est tout à fait possible, ce que M. le ministre des comptes publics, Éric Woerth, vient de confirmer.

M. Charasse a, certes, raison de souligner que, compte tenu de la répartition des compétences au sein du Gouvernement, un seul ministre a la responsabilité de l’ensemble des comptes publics à travers la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale. C’est, me semble-t-il, un précédent heureux qu’a créé l’actuel gouvernement, dont gagneront à s’inspirer les gouvernements qui lui succéderont.

L’initiative que nous prenons aujourd’hui s’inscrit dans cette logique d’approche globale des comptes publics. Je regrette, au passage, que l’amendement n° 302 rectifié n’ait pas fait, en amont, l’objet d’une concertation avec la commission des affaires sociales.

J’ai suffisamment dénoncé, devant la Haute Assemblée, l’absence de compensation des exonérations qui avaient été décidées au fil de l’eau, à travers divers textes de loi, absence que nous constations lors de l’examen de la loi de financement de la sécurité sociale. Même si cette absence de compensation ne suffit pas, à elle seule, à expliquer le déséquilibre important des comptes de la sécurité sociale, elle ne contribue certes pas à leur amélioration. Ce déséquilibre, nous le verrons, même s’il reste important, tend à se résorber, au moins pour certaines des branches. Toutefois, le déficit de la branche vieillesse reste préoccupant pour les années qui viennent.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela n’a rien à voir avec l’amendement !

M. Alain Vasselle. Cet amendement reprend une initiative que nous avions prise avec Nicolas About et qui avait été adoptée par la Haute Assemblée dans le cadre d’une loi organique.

À l’époque, monsieur le ministre, vous nous aviez opposé le risque d’inconstitutionnalité. C’est d'ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement s’en était remis à la sagesse de notre assemblée sur cette proposition. Il ne s’y était pas opposé, considérant qu’il y avait lieu de la valider à l’occasion d’une réforme constitutionnelle, ce que, je l’espère, nous allons faire dans un instant.

C’est un enjeu majeur. Faut-il vous rappeler que les exonérations représentent globalement, aujourd’hui, 30 milliards d’euros, et que les réductions d’assiettes, avec la participation, l’intéressement, etc., représentent, quant à elles, 40 milliards d’euros ?

Voilà, mes chers collègues, une raison supplémentaire pour laquelle la commission des affaires sociales a accepté de s’associer à la commission des finances sur cet amendement ; j’espère que la Haute Assemblée nous suivra.

M. le président. La parole est à M. Philippe Marini.

M. Philippe Marini. Mes chers collègues, c’est une avancée réellement très importante que nous nous apprêtons à réaliser.

Nous voyons bien, au fil des années, que la loi de finances comme la loi de financement de la sécurité sociale risquent d’être privées d’une partie significative de leur substance si beaucoup de décisions ayant une incidence sur le solde des finances publiques sont prises dans des textes sectoriels divers et variés. Ces textes ont assurément d’excellentes justifications, mais leurs conséquences doivent être appréciées en fonction des autres données et d’une analyse globale des ressources et des charges de l’État comme de la sécurité sociale.

Certains de nos collègues auraient voulu aller plus loin. Malgré les propos assez désagréables que les membres du groupe socialiste ont tenus tout à l’heure à l’égard de l’amendement que j’ai défendu (Mme Nicole Bricq s’exclame), je ne ferai pas de même et je salue leur amendement n° 447. La solution qu’ils préconisaient allait en effet au bout des choses puisque cet amendement affirmait de façon encore plus claire le domaine exclusif des lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale. Cela prouve que, parfois, d’un endroit à l’autre de cet hémicycle, on peut avoir une même vision de l’État !

Pour en revenir au texte soumis à notre vote, tel qu’il a été rectifié avec l’accord de son premier signataire, le président Jean Arthuis, il constitue un réel progrès car il marque mieux la hiérarchie des textes. Il ne retire rien à l’initiative législative, gouvernementale ou parlementaire, dans tous les domaines où elle s’exerce, mais précise bien qu’il existe un rendez-vous annuel, s’agissant de la définition des ressources et des charges, tant de l’État que de la sécurité sociale : d’un côté, la loi de finances et, de l’autre, la loi de financement de la sécurité sociale.

Les grands équilibres sont appréciés au moment du vote de ces textes fondamentaux annuels ; d’où la disposition sur la validation : ne peuvent être validées que les mesures de réduction ou d’exonération qui entrent dans l’épure macroéconomique et qui satisfont aux orientations générales des finances publiques.

Dans le combat parfois un peu solitaire – j’ai pu le constater tout à l’heure –…

Mme Nicole Bricq. Mais non !

M. Philippe Marini. …que je mène contre certains dispositifs trop spécifiques ou des visions trop catégorielles, je me réjouis de constater un progrès tout à fait réel, grâce à l’avis de sagesse que vous avez exprimé avec beaucoup de modération, monsieur le président de la commission des lois, et grâce aussi au Gouvernement qui a bien voulu soutenir notre initiative.

De nombreux amendements restent encore à examiner, mais celui-ci méritait particulièrement d’être souligné.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote sur l’amendement n° 301 rectifié bis.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si je comprends bien, l’amendement n° 301 rectifié bis rend virtuel tout débat parlementaire sur un sujet ayant des implications financières qui se tiendrait avant les mois de novembre et de décembre. Nous voterons donc contre cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 301 rectifié bis.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’en appelle au bon sens de nos collègues. Beaucoup d’amendements restent encore à examiner ; nous n’avons adopté que cinq articles du projet de loi initial qui en compte trente-cinq. De nombreux sujets extrêmement importants restent à discuter mais nous avons accepté, essentiellement pour des questions de disponibilité de M. le ministre – et c’est tout à fait normal – d’interrompre le débat engagé cet après-midi.

Bien entendu, tous les débats sont intéressants mais je vous demande de faire un effort de concision. Nous ne sommes pas des imbéciles et nous pouvons comprendre assez vite certaines notions sans qu’elles soient développées à l’excès. Il serait appréciable que nous puissions terminer ce soir la discussion de ces articles, parce que tout retard pris maintenant aurait une incidence sur la fin des débats. Je ne suis pas certain que les collègues présents ce soir seront encore là vendredi dans la nuit, samedi, lundi ou mardi…

Des questions fondamentales restent encore à examiner, il serait dommage de ne pas pouvoir le faire.

M. le président. Je suis saisi de dix amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 388 rectifié bis est présenté par MM. Baylet, A. Boyer, Collin, Delfau, Fortassin et Vendasi et est ainsi libellé :

Supprimer le 5° de cet article.

Cet amendement n’est pas soutenu.

L’amendement n° 18 rectifié bis, présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et MM. Fortassin et A. Boyer, est ainsi libellé :

I. - Au début du deuxième alinéa du 5° de cet article, ajouter les mots :

Sous réserve des lois organiques prévues aux articles 47 et 47-1

II. - Au début du dernier alinéa du même 5°, ajouter les mots :

Sous les mêmes réserves,

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Il s’agit d’un amendement de pure forme qui vise à inscrire, au 5° du texte proposé pour l’article 11 du projet de loi concernant les lois de programmation, la référence aux articles 47 et 47-1 de la Constitution, afin de préciser que ces lois de programmation ne peuvent pas empiéter sur le domaine des lois organiques relatives aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale.

M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 190 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

L’amendement n° 449 est présenté par MM. Frimat, Badinter et Bel, Mme Bricq, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Massion, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer le dernier alinéa de cet article.

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l’amendement n° 190.

Mme Josiane Mathon-Poinat. La question de l’équilibre budgétaire est évidemment posée dans les faits et dans les textes, chaque fois que nous discutons et votons les lois de finances. Quels moyens permettent d’y parvenir ? D’une part, l’action sur les recettes, de l’autre, l’action sur les dépenses.

Agir sur les recettes pose dès lors une question essentielle, abordée dans le rapport de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur les niches fiscales : il s’agit de la politique de défiscalisation compétitive mise en œuvre depuis plus de vingt ans, qui n’a jamais été véritablement évaluée sur le fond.

Les lois de finances votées depuis le milieu des années quatre-vingt et, notamment, depuis 2002 contenaient un grand nombre de dispositions fiscales dérogatoires, techniquement complexes, qui ont singulièrement asséché les recettes de l’État.

Le rapport de l’Assemblée nationale est très précis sur cette question : il évoque, depuis 2003, un total de 23 milliards d’euros de moins-values de recettes fiscales, faisant de fait de la dépense fiscale le premier budget de l’État. Rapprocher ces 23 milliards d’euros du montant du déficit budgétaire annoncé par la loi de règlement du budget pour 2007 donne une idée de la réalité de la situation.

Ainsi donc, tout se passe comme si l’État avait admis l’idée d’un alourdissement du déficit public, espérant en tirer les fruits avec la croissance économique et le développement de l’emploi. Mais cette politique a été menée à fonds perdus et la traduction de ces incitations fiscales n’est pas manifeste, ni en termes de croissance, ni en termes d’emplois.

Entrons maintenant dans le champ des dépenses publiques. L’une des dépenses publiques les plus dynamiques de ces dernières années résulte de la substitution de la contribution de l’État à celle des entreprises pour financer la protection sociale. Ce n’est pas la réduction du temps de travail qui a coûté cher, mais plutôt sa non-généralisation, qui a gonflé la facture de l’exonération des cotisations sociales pour les comptes publics. Or rien ne laisse penser aujourd’hui que ces exonérations ont permis de progresser, ne serait-ce que d’un pouce, en termes de qualité et de nombre d’emplois. Ce surcoût pour l’État, nous pouvons l’évaluer à 31 milliards d’euros.

C’est pourquoi nous rejetons sans équivoque les termes de l’article 34 de la Constitution tels qu’ils résultent de la modification de son avant-dernier alinéa.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour présenter l’amendement n° 449.

Mme Nicole Bricq. L’Assemblée nationale a ajouté à l’article 34 un alinéa qui nous semble présenter trois défauts.

Tout d’abord, le caractère inopiné de cette insertion. En effet, la commission Balladur n’ayant pas abordé ce sujet, cet ajout nous apparaît donc comme une manifestation d’opportunisme politique. Ensuite, cet alinéa est confus dans sa rédaction et la Constitution ne saurait se satisfaire de l’ambiguïté. Enfin, ces dispositions sont dangereuses en raison de l’interprétation qui pourrait en être faite.

En revanche, cet alinéa mérite un vrai débat. On comprend la motivation de ses auteurs : pourquoi notre pays n’a-t-il connu qu’un seul budget en équilibre en trente ans ? Pourquoi notre pays est-il plus affecté que les autres par les déficits ? Les règles contraignantes sont-elles efficaces ?

Mais surtout : faut-il proscrire tout déficit, jusqu’à occulter les cycles économiques ? Car telle serait, en effet, la conséquence de l’insertion de ces dispositions. Or, les solutions apportées par la puissance publique peuvent être différentes selon les moments : en période de croissance rapide, la production intérieure brute augmente et la part des dépenses publiques reste stable, mais en période de croissance faible, comme celle que nous vivons actuellement, les choses se compliquent. Être vertueux ou responsable supposerait de conserver des marges de manœuvre en période d’activité pour les utiliser en période de vaches maigres.

Vous admettrez que, pour nous socialistes, tous ces aspects ne sont pas purement techniques et restent subordonnés à la question essentielle du recours au marché ou à l’État pour satisfaire chaque besoin économique. Si ce débat se dessine en filigrane derrière les dispositions ajoutées par l’Assemblée nationale, il n’est pas franchement abordé.

C’est pourquoi nous demandons la suppression de ces dispositions.

M. le président. L’amendement n° 108 rectifié, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le dernier alinéa du 5° de cet article :

« Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission des lois adhère pleinement aux dispositions adoptées par l’Assemblée nationale mais elle présente un amendement rédactionnel qui évite une répétition à la fin de l’article 34 de la Constitution.

Monsieur le président, je demande le vote par priorité de cet amendement de la commission.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité formulée par la commission ?

M. Éric Woerth, ministre. Avis favorable.

M. le président. La priorité est de droit.

L’amendement n° 85, présenté par MM. Gélard, Portelli et Lecerf, est ainsi libellé :

Dans la première phrase du dernier alinéa du 5° de cet article, après les mots :

lois de programmation

insérer le mot :

financières

Cet amendement n’est pas soutenu.

L’amendement n° 309 rectifié, présenté par MM. Lambert et du Luart, est ainsi libellé :

Compléter la première phrase du dernier alinéa du 5° de cet article par les mots :

ainsi que la liste des missions du budget de l’État

Cet amendement n’est pas soutenu.

L’amendement n° 277 rectifié, présenté par MM. Vanlerenberghe, Amoudry, Biwer et Fauchon, Mme Gourault, MM. Soulage et Deneux, Mme Morin-Desailly et MM. Nogrix, J.L. Dupont, Jégou et Zocchetto, est ainsi libellé :

Dans la seconde phrase du dernier alinéa du 5° de cet article, remplacer les mots :

s’inscrivent dans l’objectif d’

par les mots :

respectent l’

Cet amendement n’est pas soutenu.

L’amendement n° 401, présenté par M. About, est ainsi libellé :

Dans le dernier alinéa du 5° de cet article, après les mots :

objectif d’équilibre

insérer les mots :

pluriannuel, calculé sur une période de quatre ans,

Cet amendement n’est pas soutenu.

L’amendement n° 19 rectifié bis, présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et MM. Fortassin, Laffitte et A. Boyer, est ainsi libellé :

Dans la dernière phrase du dernier alinéa du 5° de cet article, remplacer les mots :

des administrations publiques

par les mots :

des recettes et des dépenses publiques et sociales

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Cet amendement tend à remplacer, au 5° des dispositions prévues par l’article 11 du projet de loi, l’expression « des administrations publiques », qui me paraît trop restrictive, par l’expression « des recettes et des dépenses publiques et sociales » pour bien couvrir l’ensemble des dépenses du budget de l’État et de la loi de financement de la sécurité sociale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 18 rectifié bis, 190, 449 et 19 rectifié bis ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement n° 108 rectifié et défavorable sur tous les autres.

M. le président. Je mets aux voix, par priorité, l'amendement n° 108 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, les amendements nos 18 rectifié bis, 190, 449 et 19 rectifié bis n'ont plus d'objet.

L'amendement n° 380 rectifié bis, présenté par MM. Lambert, du Luart et Charasse est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

...° Avant le dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« À compter de l'exercice de l'année 2012, les comptes publics de la France sont exécutés en équilibre, conformément aux engagements pris par la France auprès de ses partenaires de l'Union Européenne. L'application de cette règle tient compte du cycle économique. »

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Lorsque j’ai accepté tout à l’heure de suppléer notre collègue Alain Lambert pour défendre l’amendement n° 380 rectifié bis, je ne pensais pas avoir l’honneur de le faire aussi pour le président du Luart !

Du point de vue rédactionnel, nous aurions pu nous dispenser d’ajouter « en équilibre » et prévoir que les comptes sont « exécutés conformément aux engagements pris par la France ». En effet, si le Conseil, le comité Juncker ou la Commission décidaient d’apporter pour des raisons d’opportunité ou conjoncturelle quelque modification ou assouplissement que ce soit aux règles de discipline budgétaire, nous serions alors plus royalistes que le roi !

Monsieur le président, je ne souhaite pas aller plus loin à cette heure tardive. Nous pouvons dire que cet amendement est loyalement défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. S’il nous faut progresser vers un retour à l’équilibre de nos finances publiques, faut-il pour autant inscrire dans la Constitution une règle aussi contraignante ?

Ce débat a déjà eu lieu. Une telle disposition pourrait s’avérer dangereuse en cas de déficit imposé par un grave retournement de conjoncture. Le budget devrait-il alors être annulé par le Conseil constitutionnel ? Le Parlement serait dessaisi de ses prérogatives. Il semble préférable de retenir, ce que nous venons de faire, l’organisation d’un cadre pluriannuel pour les finances publiques, qui constitue un progrès notable.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il s’agit de définir des perspectives d’évolution qui devront respecter l’objectif d’équilibre des finances publiques. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. M. Charasse le sait très bien, on ne peut pas exécuter les comptes publics en équilibre. L’objectif est fixé, c’est déjà bien ! Le Gouvernement a émis un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis.

M. Jean Arthuis. Peut-être serait-il bon, dans cet amendement, de préciser que l’emprunt peut contribuer à l’équilibre ?

M. le président. Monsieur Charasse, souhaitez-vous maintenir votre amendement ?

M. Michel Charasse. Un certain nombre d’amendements ont fait allusion à la notion d’équilibre. Franchement, il ne me semble pas nécessaire de l’introduire dans la Constitution pour la raison très simple qu’elle y figure déjà à l’article qui approuve le traité de Maastricht…

Mme Nicole Bricq et M. Jean Arthuis. Et oui !

M. Michel Charasse. …et qui autorise la ratification et l’application par la France des traités européens. Cette indication est superflue. Mais n’en parlons plus : l’amendement est retiré ! Nous pouvons aller nous coucher !

M. le président. L'amendement n° 380 rectifié bis est retiré.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 11 (priorité) (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Discussion générale

12

Dépôt d'un rapport

M. le président. J’ai reçu de M. Philippe Richert un rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles sur le projet de loi instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires publiques pendant le temps scolaire obligatoire (n° 389, 2007-2008) (urgence déclarée).

Le rapport sera imprimé sous le n°408 et distribué.

13

Dépôt de rapports d'information

M. le président. J’ai reçu de M. Serge Dassault un rapport d’information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur la fusion de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) et du réseau de l’assurance chômage (Unédic).

Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 49 et distribué.

J’ai reçu de Mme Jacqueline Alquier et M. Claude Biwer un rapport d’information fait au nom de la délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire sur le niveau d’équipement de la France en infrastructures de transports et ses conséquences sur le désenclavement des régions françaises.

Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 410 et distribué.

14

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, vendredi 20 juin 2008, à neuf heures quarante-cinq, à quinze heures et le soir :

Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 365, 2007-2008), modifié par l’Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République.

Rapport (n° 387, 2007-2008) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

Avis (n° 388, 2007-2008) de M. Josselin de Rohan, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le vendredi 20 juin 2008, à zéro heure quarante-cinq.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD