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Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes
Discussion générale (suite)

Traité de Lisbonne

Adoption définitive d'un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes
Exception d'irrecevabilité

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes (n°201).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le 4 juillet dernier, je vous présentais les résultats du Conseil européen des 21 et 22 juin, qui venait de s'accorder sur un mandat pour une conférence intergouvernementale. Je vous faisais part alors de notre optimisme quant au rapide aboutissement de cette conférence intergouvernementale.

Puis les choses sont allées vite, conformément à la volonté du Président de la République, parce qu'il y avait une volonté commune pour sortir l'Europe de l'impasse.

Je ne reviendrai pas sur les dernières étapes d'une négociation serrée et délicate ; nous avons déjà eu l'occasion d'échanger à ce sujet à de très nombreuses reprises.

L'essentiel est là : pour la première fois, vingt-sept États signent un traité européen, et l'Europe concilie, après plus de dix ans de débats, approfondissement et élargissement.

Les chefs d'État de pays qui avaient dit « oui » et ceux de pays qui avaient dit « non » ont trouvé, sous l'impulsion de la France, de l'Allemagne, du Portugal et de tous nos autres partenaires, l'énergie d'écrire une nouvelle page de notre histoire commune.

Le 4 février, le Congrès a approuvé la loi constitutionnelle qui nous permet aujourd'hui de procéder à la ratification du traité de Lisbonne.

Que de chemin parcouru en quelques mois ! J'entends encore les sceptiques et les pessimistes de tous bords qui se lamentaient au printemps dernier sur l'incapacité de l'Union européenne à faire face à ses propres échecs, les Cassandre qui stigmatisaient la perte d'influence irrémédiable de notre pays dans une Union qu'il avait tant contribué à créer et à façonner, et redoutaient qu'on ne puisse aboutir à un nouveau traité fondé sur de nouvelles valeurs !

J'en retire pour ma part une confirmation de plus que nous avons collectivement créé, avec l'Union européenne, une organisation unique au monde, fondée sur le droit, la confiance et la réconciliation entre les peuples, une organisation qui, à chaque échéance importante, sait trouver l'équilibre entre les intérêts de chacun de ses membres et l'intérêt collectif.

Nous sommes plus efficaces à vingt-sept pour régler des problèmes qui nous concernent tous. Et, justement, ce traité nous permettra de mieux répondre aux défis auxquels l'évolution du monde nous confronte.

Avec le traité de Lisbonne, nous tournons la page des doutes et des atermoiements pour passer à une autre étape, plus constructive, car il est urgent d'agir pour une Europe plus démocratique, plus active, et plus protectrice aussi. (M. Jean-Luc Mélenchon rit.)

Le traité incarne en effet une Europe plus démocratique et plus active : à cet égard, nous remplissons bien la tâche que nous nous sommes assignés lors de la ratification du traité d'Amsterdam ou lors de la conférence intergouvernementale réunie en 2000, lorsque, conscients que nous étions de l'insuffisance des traités, nous demandions le renforcement de la démocratie européenne.

C'est le cas avec le droit d'initiative citoyen et avec le renforcement des pouvoirs du Parlement européen, qui devient enfin un véritable colégislateur, à égalité avec le Conseil, tant en matière budgétaire que dans un nombre important de domaines passant dans le champ de la procédure de codécision.

C'est surtout le cas, mesdames, messieurs les sénateurs, avec votre nouvelle implication dans le processus de décision européen. Comme l'a déjà dit M. Haenel, c'est une « révolution juridique ». La représentation nationale pourra désormais davantage se prononcer sur les projets européens et veiller au respect des compétences entre les États et l'Union européenne à travers le contrôle de la subsidiarité. Pour la première fois, les parlements nationaux contribueront à la prise de décision européenne et seront les gardiens de la répartition des compétences entre l'Union et les États membres.

Avec la présidence stable, avec le haut représentant pour les affaires étrangères, avec de nouveaux moyens juridiques, nous pourrons mieux répondre à la demande sans cesse renouvelée d'action de l'Europe dans le monde.

Agir à l'échelon national n'est plus suffisant, ni dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, ni dans le combat pour une meilleure sécurisation de l'approvisionnement énergétique, ni pour lutter contre le changement climatique, ni pour dialoguer sur les migrations avec les pays d'origine, ni pour la promotion de la paix. À vingt-sept, incontestablement, nous serons plus efficaces.

Grâce à ces avancées, l'Europe pourra devenir un acteur global sur la scène internationale.

C'est aujourd'hui une urgence, et nous ne voulons pas que cette grande ambition se trouve réduite à une zone de libre-échange.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Pour exister aux yeux du monde, l'Union européenne a d'abord besoin de prouver son efficacité et sa puissance.

Le traité de Lisbonne incarne également une Europe plus protectrice, fondée sur un nouvel humanisme et sur un nouvel idéal européen. Pour la première fois, nos valeurs sont clairement affirmées.

Avec la Charte des droits fondamentaux, avec l'obligation de prendre en compte les objectifs sociaux de l'Union dans toutes les politiques européennes, avec la solidarité entre États membres face aux catastrophes naturelles, avec le remplacement de l'objectif de la concurrence libre et non faussée par celui de la protection des citoyens, avec la reconnaissance du droit des États d'offrir à tous un service public de qualité, sur tout le territoire de l'Union, peut-on considérer qu'il n'y a là aucun progrès dans les politiques sociales ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Aucun ! Zéro !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Certes, mesdames, messieurs les sénateurs, le traité de Lisbonne ne réglera pas tout. (Ah ! sur les travées du groupe CRC.)

M. Robert Bret. Loin s'en faut !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Un traité n'est jamais un projet. Il permet d'en inventer un et de le préserver, de passer des intérêts communs à l'idéal commun.

À cette fin, il faut d'abord que le traité entre en vigueur le 1er janvier 2009 et, pour cela, il faut que l'ensemble des États membres l'aient ratifié. C'est un processus long. C'est la raison pour laquelle le débat du Parlement français revêt, aujourd'hui, une dimension particulière.

Ce traité doit aussi nous permettre de mettre en oeuvre des politiques ensemble.

Je prendrai l'exemple de la coordination des politiques économiques. Elle sera ce que nous voudrons bien en faire.

Le traité nous permet de consolider la portée juridique des décisions prises par l'Eurogroupe, dans lequel ne décident que les membres de la zone euro, et d'unifier notre représentation dans les enceintes financières internationales. Mais c'est par la pratique et par la volonté politique que nous la ferons évoluer.

Je voudrais ainsi citer l'exemple de la démarche effectuée par le président de l'Eurogroupe, le commissaire en charge des questions économiques et financières et le président de la Banque centrale européenne en Chine pour aborder la question du taux de change entre l'euro, le dollar et le yuan.

Il en est de même pour la régulation financière, si indispensable dans ce monde instable.

Enfin, il ne dépend que de nous de faire en sorte qu'il y ait une plus grande réciprocité dans les échanges commerciaux et économiques pour maintenir nos activités en Europe.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce sont les pays de l'ancien bloc communiste qui, les premiers, ont ratifié ce traité.

M. Jean-Luc Mélenchon. Ils sont habitués à la soumission !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Quel symbole ! Quel signe de confiance dans l'Europe nouvelle : c'est de Budapest, cinquante ans après la première insurrection contre le totalitarisme de l'après-guerre, qu'est venue la première ratification !

Redonnons confiance aux peuples, soyons au rendez-vous d'un monde qui attend et qui espère l'Europe.

Soyons fidèles à la France, à ce qu'elle a été pour l'Europe et à ce qu'elle sera demain pour une Europe plus politique et plus influente.

Poursuivons ensemble la formidable aventure humaine que nous avons entreprise ensemble - tous gouvernements et toutes majorités confondus, grâce en particulier aux grands « Européens » qui sont dans cet hémicycle et que je salue -, au service de la paix ainsi que du développement économique et social.

C'est au nom de cette aventure unique au monde que je vous demande ce soir l'autorisation de ratifier le traité de Lisbonne. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Ce sera fait !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le vote du traité de Lisbonne mettra fin à une période de trouble et d'immobilité en Europe : de trouble, parce que les « non » français et néerlandais, exprimés par deux pays fondateurs de la Communauté économique européenne, ont ébranlé l'Union et l'ont fait douter de son avenir ; d'immobilité, parce que la règle de l'unanimité et la recherche de compromis improbables ou précaires empêchaient tout progrès significatif de la construction européenne et, à terme, la condamnaient à l'impuissance, voire au délitement.

Il faut savoir gré au Président de la République de s'être employé avec ardeur et conviction, dès son élection, à rechercher les moyens de sortir de l'impasse et, tout en tenant compte du vote des Français, à donner un nouveau départ à l'Europe.

Il faut également rendre hommage au Chancelier d'Allemagne, Angela Merkel, qui a su convaincre nos partenaires d'aboutir à un règlement acceptable par tous, conciliant le respect de la souveraineté des États membres avec une extension du domaine d'action communautaire.

Comme le constate M. Sauron, « traité réformateur plutôt que refondateur », le traité de Lisbonne ne se substitue pas aux traités existants et il ne les remplace pas : il les complète et les améliore.

Notre excellent rapporteur Jean François-Poncet, dans un rapport remarquable par sa clarté, son exhaustivité et sa concision, décrit avec minutie le dispositif du traité, les nouvelles instances qu'il crée, la nouvelle répartition des compétences comme les avancées importantes qu'il permettra. Aussi me garderai-je de paraphraser, avec moins de talent que lui, ses propos.

Nous ne pouvons que nous féliciter de voir l'Union européenne dotée d'une gouvernance plus efficace et cohérente, de compétences clarifiées, plus étendues et mieux définies, d'un contrôle démocratique perfectionné grâce à l'extension des pouvoirs du Parlement européen et de ceux qui sont reconnus aux parlements nationaux, grâce aussi et surtout à l'extension du domaine des votes à la majorité qualifiée qui rendra possible l'adoption de véritables politiques communes.

Le traité de Lisbonne nous fournit des outils pour forger ces politiques censées apporter des réponses et des solutions concrètes aux questions que se posent les citoyens européens comme aux grands problèmes auxquels ces derniers se trouvent confrontés.

Le Président de la République a énuméré les grands chapitres qu'il entendait ouvrir lors de la présidence française, au second semestre 2008. Il s'agit de l'immigration, de l'énergie, de l'environnement, de la politique étrangère et de défense et, sans attendre l'échéance de 2013, de l'étude des nouveaux fondements d'une politique agricole commune.

Les Européens doivent comprendre que, devant les défis que leur posent l'immigration incontrôlée, le réchauffement climatique, la raréfaction des énergies fossiles et les menaces mettant en cause leur sécurité, la coopération intergouvernementale est insuffisante. Dans ces domaines, seules des actions globales menées sur l'ensemble du territoire de l'Union et financées par le budget communautaire peuvent désormais conduire à des résultats indéniables.

Il est non moins clair que, sans une coopération véritablement harmonieuse entre les instances chargées d'élaborer les politiques budgétaires et fiscales et celles qui s'occupent de la politique monétaire, le développement de l'économie européenne sera constamment freiné. Par exemple, faute de disposer d'un taux de change unique, l'Europe se trouve désarmée devant les États qui utilisent leur monnaie pour promouvoir leurs exportations.

Enfin, pour préserver les acquis de la politique agricole commune, à laquelle la France est profondément et justement attachée, il nous faudra nous adapter aux nouvelles règles du jeu et nouer des alliances nous permettant d'obtenir la majorité qualifiée. Cette recherche demandera autant d'habileté que de constance.

Nous sommes tous conscients de l'importance que revêt, pour l'Europe, l'existence d'une véritable politique étrangère qui soit à l'image de la puissance démographique et économique de l'Union. Or il n'est pas sûr que les instances prévues par le traité favorisent son émergence, tant les attributions respectives du président du Conseil européen, du haut représentant, du président du Conseil des affaires étrangères et du président de la Commission risquent de se chevaucher. Cette complexité peut nuire à l'action commune : il faudra beaucoup de diplomatie et de souplesse pour éviter les conflits, et bien de l'imagination pour les transcender.

Toutefois, sans une défense européenne, la politique étrangère de l'Europe n'aura pas de consistance. La politique de défense ne verra le jour que si elle trouve sa place dans une OTAN rénovée, ce qui suppose un accord préalable avec les États-Unis. Le choix est non pas entre la politique de défense et l'OTAN, mais entre le maintien d'une vision et de structures de l'Alliance qui datent de la Guerre froide et une nouvelle répartition des tâches, au sein de l'Alliance, qui confierait aux partenaires européens une mission propre et une large autonomie.

La seconde condition est l'acceptation, par les pays de l'Union européenne, d'une contribution plus équilibrée à l'effort de défense, qui se traduirait par un accroissement des crédits budgétaires des États membres. L'Agence européenne de défense peut être l'instrument de cette ambition.

Enfin, je voudrais affirmer une conviction : le maintien et le renforcement de l'entente entre la France et l'Allemagne constitue une condition essentielle de la redynamisation de la construction européenne. Chaque fois que nos deux pays ont agi de concert et se sont efforcés de faire converger leurs politiques et leurs analyses, la construction européenne a réalisé des progrès décisifs.

Toutefois, pour que nos politiques convergent, encore faut-il qu'elles soient assises sur des valeurs partagées. La France aura du mal à convaincre ses partenaires si elle ne procède pas à un redressement rapide de ses finances publiques et à des réformes fondamentales qui ne fassent plus douter de son aptitude à s'adapter au monde moderne.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Tout à fait !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. À ceux qui estiment que le traité de Lisbonne ne va pas assez loin dans le sens de l'unité européenne, comme à ceux qui jugent qu'il porte un coup fatal à l'indépendance ou à la souveraineté du pays, je livre cette réflexion formulée par Jean Monnet dans ses Mémoires : « Ceux qui ne veulent rien entreprendre parce qu'ils ne sont pas assurés que les choses iront comme ils l'ont arrêté par avance se condamnent à l'immobilité. Personne ne peut dire aujourd'hui la forme qu'aura l'Europe où nous vivrons demain, car le changement qui naîtra du changement est imprévisible ».

Oui, mes chers collègues, l'avenir de l'Europe réside dans le mouvement, car l'immobilité entraînerait inévitablement son déclin ! C'est pourquoi nous voterons ce traité, avec l'espoir qu'il libère des énergies qui conduiront l'Union sur la voie de prospérité et de la puissance. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean François-Poncet, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, parmi les nombreux accords qui ont jalonné l'histoire de la construction européenne, trois traités ont marqué les avancées les plus décisives : le traité de Rome, qui a créé en 1957 une union douanière entre les six pays du marché commun ; l'Acte unique européen de 1986, qui a supprimé les protections réglementaires et les monopoles d'État fragmentant cette union douanière et qui a donc créé un espace économique sans frontières ; le traité de Maastricht de 1992, qui a fait naître la monnaie unique et lancé la coopération européenne en matière de politique étrangère, de défense, de justice et de police.

Le traité de Lisbonne mérite d'être considéré comme le quatrième texte fondateur. En effet, il résout le problème sur lequel l'Union européenne s'était cassé les dents depuis quinze ans et qui consistait à adapter les institutions de l'Union au choc de l'élargissement

Il s'agissait, en réalité, d'un double choc. Celui du nombre, tout d'abord. À vingt-sept États membres, bientôt à trente et davantage, l'Union, si elle était restée soumise à la règle de l'unanimité, n'aurait pu ni décider ni agir. L'Europe, pour éviter la paralysie, n'avait d'autre choix que de généraliser le vote à la majorité. À vingt-sept, par ailleurs, la règle de l'alternance semestrielle privait la présidence du Conseil européen de continuité et de visibilité. Et le tour de présidence pour des pays comme la France, le Royaume-Uni ou l'Allemagne ne revenait que tous les quatorze ou quinze ans !

Au choc du nombre s'est ajouté celui de l'hétérogénéité. Je pense ici non pas aux écarts considérables de niveau de vie et de développement entre les anciens membres de l'Union et les nouvelles démocraties de l'Est, mais à un autre choc : depuis le dernier élargissement, l'Union ne compte que six pays dont la population atteint ou dépasse quarante millions d'habitants, à savoir la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Pologne, contre vingt et un dont la population est inférieure à dix millions d'habitants - certains États, comme Malte, Chypre ou le Luxembourg, n'en comptent même que quelques centaines de milliers.

En application des règles en vigueur, un député maltais au Parlement européen représente 67 000 électeurs, contre 860 000 pour un député allemand !

M. Bernard Frimat. Et le Sénat ?

M. Jean François-Poncet, rapporteur. La pondération des votes au Conseil européen et au Conseil des ministres corrigeait cette inégalité, mais très imparfaitement. Aussi une nouvelle définition de la majorité qualifiée s'imposait-elle.

Enfin, la Commission, composée d'un commissaire par État, soit de 27 membres qui tendent tous à se considérer comme les porte-parole de leur pays, cesse de remplir le rôle qui lui est dévolu, c'est-à-dire celui d'un organe collégial veillant au respect des traités et défendant l'intérêt général de l'Union.

Pour reprendre une terminologie qui a beaucoup servi, mais qui résume bien la situation, l'élargissement exigeait un approfondissement. C'est cet approfondissement, recherché en vain pendant quinze ans à travers les traités d'Amsterdam et de Nice, que le traité de Lisbonne réalise.

Je n'ai pas le temps de rappeler la part essentielle prise par la Convention pour l'avenir de l'Europe, présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing, dans l'élaboration des innovations institutionnelles qui ont été reprises par le traité de Lisbonne. Permettez-moi seulement de souligner le rôle que deux de nos collègues, MM. Hubert Haenel et Robert Badinter, ont joué, avec beaucoup de distinction, au sein de cette Convention.

Je ne reviendrai pas non plus sur les circonstances qui ont conduit au rejet par la France - je n'évoquerai pas le cas des Pays-Bas - du traité constitutionnel, lors du référendum du 29 mai 2005.

Toutefois, je ne veux pas ignorer la position de ceux qui, dans notre assemblée et hors d'elle, demandent que le traité de Lisbonne soit, comme l'a été le traité constitutionnel, ratifié par référendum.

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Je ne m'arrêterai pas aux changements de vocabulaire. Le traité de Lisbonne ne parle plus de Constitution.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est dommage !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Les symboles de l'Union - drapeau, devise, hymne - ont disparu. La libre concurrence cesse d'être un objectif pour n'être plus qu'un moyen. Les services publics obtiennent officiellement droit de cité. Certains jugent que ces changements sont de peu de portée. Je ne partage pas leur sentiment, mais je le respecte.

Je veux, en revanche, attirer l'attention de la Haute Assemblée sur deux données essentielles qui justifient pleinement, à mes yeux, que le Gouvernement ait choisi de faire ratifier le traité par le Parlement.

Tout d'abord, le traité de Lisbonne fait disparaître la troisième partie du traité constitutionnel, celle qui rassemblait en un texte unique l'ensemble des dispositions économiques et sociales dispersées dans les traités et les textes antérieurs. Ce travail de collationnement, de codification ne changeait rien au fond, mais il a créé le sentiment, erroné, que l'Union mettait le cap sur une sorte de libéralisme débridé.

Que la construction européenne ait été, depuis le premier jour, une entreprise d'inspiration libérale ne fait évidemment aucun doute ! Mais le traité constitutionnel n'y ajoutait rien. Que cette vérité n'ait pas été reconnue tient au vent de polémique, pas toujours loyale, ...

M. Jean François-Poncet, rapporteur. ... qui a soufflé sur le pays.

Le traité de Lisbonne ne reprend que la première partie du traité constitutionnel, celle qui concernait les institutions.

M. Robert Bret. Contre-vérité !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Or cette partie n'avait suscité, au cours du débat référendaire, que peu d'attention et presque aucune critique - et je fais partie de ceux qui ont animé une bonne cinquantaine de réunions électorales ! -, d'autant qu'elle ne modifiait pas l'équilibre existant entre les dimensions communautaire et intergouvernementale de l'Union.

Aux avancées accordées à la Commission européenne correspondaient, en effet, celles dont bénéficie le Conseil européen. La « supra-nationalité » ne progressait pas. Certains européens le déploraient. Mais le fait était là.

Dans le débat sur le recours à la procédure parlementaire, une seconde donnée doit, à mon avis, être prise en considération.

Contrairement au traité établissant une Constitution pour l'Europe, le traité de Lisbonne n'est pas un traité nouveau remplaçant tous les traités antérieurs. Il s'agit d'un traité « réformateur », comme ceux qui l'ont précédé. Il rassemble dans un texte unique un grand nombre d'amendements aux textes existants. Ceux-ci restent en vigueur, de sorte qu'il faut rapprocher chaque amendement du texte qu'il modifie pour en comprendre la portée.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C'est sûr !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. C'est un véritable travail de chartiste ! (Sourires.)

M. Guy Fischer. Nous sommes d'accord !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Lire et comprendre les 448 articles du traité établissant une Constitution pour l'Europe était - chacun l'avait admis - un exercice rebutant, auquel bien peu d'électeurs...

M. Jean-Luc Mélenchon. Et de parlementaires !

M. Jean François-Poncet, rapporteur.... avaient eu le courage de se livrer. Pourtant, c'était un jeu d'enfant comparé à l'effort qu'imposeraient à chaque citoyen la lecture et la compréhension du traité de Lisbonne.

Mes chers collègues, s'il est un texte qui appelle une ratification parlementaire, c'est bien le traité de Lisbonne. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous mesurez ce que vous approuvez ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez vidé la démocratie de sa substance !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Nous aurons l'occasion d'en débattre, puisque deux motions dont l'intérêt est indéniable ont été déposées. Nous y répondrons de notre mieux.

M. Robert Bret. Ce sera dur !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Il m'incombe, en tant que rapporteur, de vous rappeler maintenant les principales dispositions du texte qui vous est soumis. Je me contenterai de les énumérer de façon succincte.

Le traité de Lisbonne confère la personnalité juridique à l'Union européenne. Ce n'est pas neutre, car cela lui permettra de siéger dans les institutions internationales, telles que l'ONU, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent.

Le traité de Lisbonne ne reprend pas le texte de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, mais il rend celle-ci juridiquement contraignante.

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Le Royaume-Uni ainsi que la Pologne ont obtenu de déroger à cette obligation.

M. Robert Bret. C'est l'Europe à géométrie variable !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Dans le cas du Royaume-Uni, cette dérogation s'ajoute à celles dont elle bénéficie pour l'euro, la convention de Schengen, la coopération judiciaire et policière. Son statut de membre de plein exercice de l'Union européenne se trouve, de ce fait, implicitement posé.

M. Robert Bret. Sans oublier le chèque !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Le traité de Lisbonne établit pour la première fois une répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres. Il distingue trois catégories de compétences, celles qui sont l'apanage exclusif de l'Union européenne, celles qui sont partagées entre l'Union européenne et les États, celles qui appartiennent en propre aux États, ce qui n'empêche pas l'Union européenne d'appuyer leur mise en oeuvre.

Le président du Conseil européen sera désormais élu pour un mandat de deux ans et demi, renouvelable une fois.

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Le traité de Lisbonne substitue une présidence stable, exercée à plein-temps, à la présidence semestrielle tournante instaurée par le traité de Rome.

La pondération des droits de vote entre les États disparaît. Pour réunir une majorité qualifiée, un vote devra rassembler au moins 55 % des États membres représentant au moins 65 % de la population. Ce système dit de « la double majorité » règle le différend qui a si longtemps opposé petits et grands États. Il fait droit tout à la fois au principe démocratique de la représentation proportionnelle des populations et à celui de l'égalité entre les États, qu'ils soient petits ou grands.

À partir de 2014, l'effectif de la Commission européenne sera réduit d'un tiers, soit dix-huit commissaires dans une Union à vingt-sept.

Le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui, à la demande du Royaume-Uni, ne portera pas le titre de « ministre des affaires étrangères de l'Union », sera désigné à la majorité qualifiée par le Conseil européen. Il cumulera cette fonction avec les attributions de commissaire européen chargé des relations extérieures, et il sera en outre chargé de coordonner les autres aspects de l'action extérieure de l'Union européenne. Il aura rang de vice-président de la Commission européenne.

Le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité disposera d'un « service européen pour l'action extérieure » - on n'a pas voulu l'appeler « service diplomatique -, qui rassemblera sous son autorité les services extérieurs de la Commission européenne, du Secrétaire général du Conseil européen ainsi que des membres des services diplomatiques des États.

Le traité de Lisbonne reprend les dispositions antérieures sur les coopérations renforcées et introduit la possibilité de créer, dans le domaine de la défense, ce que l'on appelle des « coopérations structurées permanentes » - il faut excuser cette logomachie bruxelloise ! (Sourires.) Cela signifie qu'entre des États membres qui remplissent des critères de capacité militaire et qui ont souscrit à des engagements plus contraignants en la matière peut se constituer un groupe qui a une réalité permanente.

Par ailleurs, le traité de Lisbonne prend trois mesures destinées à combler le déficit démocratique dont souffrait l'Union.

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Premièrement, il généralise la procédure de la codécision, qui aligne les pouvoirs législatifs et budgétaires du Parlement européen sur ceux du Conseil des ministres, le dernier mot en matière budgétaire revenant au Parlement.

Deuxièmement, il instaure un droit d'initiative citoyen.

Troisièmement, il dispose que, si un tiers des parlements nationaux estime que la Commission européenne n'a pas respecté le principe de subsidiarité, celle-ci devra reprendre l'examen du texte incriminé. Si 55 % des parlements nationaux prennent une telle position et que celle-ci est soutenue par une majorité des membres du Parlement européen, le texte visé ne peut être adopté.

M. Robert Bret. Quelle avancée !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Enfin, et ce n'est pas le moins important, si la présidence du Conseil européen devient stable, il en va différemment des différents Conseils des ministres - agriculture, industrie, recherche scientifique... -, qui restent soumis à la règle de la rotation semestrielle entre les États membres.

Cela signifie concrètement que quatre personnalités se partageront la conduite de l'Union européenne : le président du Conseil européen, le président de la Commission européenne, le président « tournant » du Conseil des ministres, et le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui présidera de droit le conseil Affaires étrangères. Il est évident que ce « quadripole » ne simplifiera pas le système, mais il a été l'un des éléments constitutifs de l'accord entre grands et petits pays.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j'espère que vous me pardonnerez l'aridité de cette énumération que j'ai résumée à l'extrême, mais que le rapport écrit de la commission développe avec force détails. (Sourires.) Les curieux seront récompensés ! (Nouveaux sourires.)

M. Jacques Blanc. C'est vrai !

M. Jean François-Poncet, rapporteur. Je formulerai maintenant quelques observations sur les problèmes que soulève la mise en oeuvre du traité de Lisbonne. Elles prendront essentiellement la forme d'interrogations.

La première interrogation concerne le rôle du président du Conseil européen. Il exercera son mandat à plein temps. Il est élu pour deux ans et demi et sera rééligible une fois, de sorte qu'il pourra rester en fonction pendant cinq ans. Ainsi, son mandat aura une durée identique à celui du président de la Commission européenne.

De quel type de présidence s'agira-t-il ? Le président du Conseil européen se contentera-t-il d'être un chairman, sur le modèle anglo-saxon, c'est-à-dire de fixer les ordres du jour et de présider les réunions du Conseil, de faire en sorte, comme le traité l'y incite, qu'un consensus se dégage au sein du Conseil européen ? Ou bien veillera-t-il, entre les sessions du Conseil européen, comme le mandat à plein-temps qu'il exerce semble l'impliquer, à faire respecter par la Commission européenne et les Conseils des ministres les décisions et les orientations du Conseil européen ?

S'il entend sa mission de cette façon-là, le président du Conseil européen deviendra le coordonnateur suprême de l'action de l'Union européenne. Le traité de Lisbonne le charge de représenter « à son niveau » l'Union européenne à l'étranger. Le fera-t-il seul ou se fera-t-il accompagner par le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ? Quelle autorité exercera-t-il sur ce dernier ? Qui portera la parole de l'Union à la Maison Blanche ?

De quels services le président du Conseil européen disposera-t-il ? Se pourrait-il qu'il soit un « général sans armée » ou bien disposera-t-il des centaines de fonctionnaires des services du Secrétariat général du Conseil des ministres ?

La deuxième interrogation porte sur le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui porte deux casquettes. Laquelle l'emportera sur l'autre : celle qu'il tient du Conseil européen et qui lui donne la haute main sur la politique étrangère et de sécurité ou celle qui fait de lui le vice-président de la Commission européenne ? J'ai posé cette question à Bruxelles, dans le cadre de la mission d'investigation organisée par la commission des affaires étrangères. Où installera-t-il ses bureaux ?