M. le président. La parole est à M. Georges Mouly.

M. Georges Mouly. Madame la ministre, je vous remercie de la réponse que vous venez de m'apporter, au nom du Gouvernement. Depuis le vote de la loi de 2005, je n'ai jamais douté de la volonté de ce dernier d'agir en faveur des personnes handicapées, quel que soit le domaine dans lequel il intervient ; dans le secteur du travail, je pense aux ESSAD ou encore aux entreprises adaptées.

Mais, à l'heure actuelle, ces entreprises connaissent les problèmes que je me suis permis de dénoncer. Cela étant, je sais que je ne suis pas le seul à m'intéresser à cette question, que je m'efforcerai de suivre à l'avenir, comme je l'ai fait jusqu'à maintenant.

J'ai bien noté les quelques pistes de réflexion que vous avez avancées. Vous avez évoqué le suivi mensuel de la consommation des crédits affectés aux aides au poste, ainsi que d'éventuels redéploiements, si nécessaire. Vous avez également envisagé un certain assouplissement et vous jugez utile de préciser concrètement la notion d'efficience réduite, ce qui n'est pas facile. Vous avez également mentionné la commande publique. Tous ces éléments peuvent aider les entreprises adaptées.

Je ne manquerai pas de suivre l'évolution du dossier et je ne doute pas que la volonté du Gouvernement lui permette d'aller dans le bon sens.

M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures quinze.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est reprise.

3

éloge funèbre de Serge Vinçon, sénateur du Cher

M. le président. Un éminent collègue que beaucoup d'entre nous appréciaient particulièrement nous a quittés dans les derniers jours de l'année 2007. (M. le Premier ministre, Mme le garde des sceaux, M. le secrétaire d'État, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

Serge Vinçon, sénateur du Cher et président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de notre Haute Assemblée, est mort le 16 décembre dernier.

C'est peu de dire que, toutes et tous, nous avons ressenti, à l'annonce de son décès, une grande douleur, une profonde tristesse et une extrême affliction.

Serge Vinçon a été emporté dans la force de l'âge, au faîte d'une carrière qui était loin d'être achevée.

Vous me pardonnerez de penser aussi, en cet instant, aux trois gendarmes morts tragiquement alors qu'ils accomplissaient leur devoir, et que nous avons enterrés ce matin.

La mort de Serge Vinçon a mis un terme brutal et prématuré à un parcours sans fautes ni failles.

Son dernier combat, il l'a livré voilà un an, après l'accident cardiovasculaire qui l'avait brutalement atteint, nous plongeant déjà dans la consternation, à quelques jours des fêtes de fin d'année.

Serge Vinçon était un homme doté d'une force morale peu commune. Il a puisé jusqu'au bout, jusqu'à son dernier souffle, dans cette formidable énergie qui l'a toujours habité le courage infini de faire face aux lourdes responsabilités que lui avaient confiées ses concitoyens et ses collègues du Sénat, qui l'estimaient tant.

Serge Vinçon était aussi un grand serviteur de la personne humaine, unanimement respecté, au parcours exceptionnel et à l'engagement républicain exemplaire, un homme à la fidélité inaltérable, aux convictions intransigeantes, à l'engagement passionné.

Né à Bourges il y a moins de cinquante-neuf ans, au coeur même de ce département du Cher qu'il aimait tant, Serge Vinçon était l'aîné d'une famille de neuf enfants. Il revendiquait ses origines modestes et y était demeuré profondément fidèle.

Professeur au collège de Saint-Amand-Montrond, il se fera très vite remarquer pour ses qualités pédagogiques et sera unanimement apprécié et aimé de ses élèves comme de ses collègues.

Très tôt, il manifeste aussi un goût aigu pour les affaires publiques.

Élu une première fois en 1977 conseiller municipal de la capitale du Boischaut, il en deviendra maire en 1983, à trente-quatre ans.

Il sera réélu sans discontinuer jusqu'à ce que la vie le quitte. Son attachement indéfectible à sa ville ne sera jamais démenti et c'est pour distinguer son action dynamique que lui sera notamment remise, en 1995, une « Marianne d'or » à la mairie de Saint-Amand-Montrond.

Parallèlement, presque naturellement, Serge Vinçon deviendra président de l'association des maires du Cher en 1995. En 2001, il sera distingué du titre de président de Ville et Métiers d'Art, avant de devenir, l'année suivante, président de l'association homologue européenne.

Passionné par sa ville, Serge Vinçon le fut aussi par son département du Cher.

Élu sénateur en septembre 1989, il sait, dès son arrivée au sein de la Haute Assemblée, se faire apprécier de tous. Qui ne se souvient de son extrême courtoisie, de son attention aux autres, de la finesse de son intelligence et du respect qu'il apportait aux opinions de chacune et de chacun ?

Approfondissant encore son implication locale, Serge Vinçon fut élu, en 1992, conseiller général du canton de Saint-Amand-Montrond. Réélu en 1998, il présida alors aux destinées de l'assemblée départementale jusqu'en 2001. Il y déploya l'efficacité qui est très vite devenue sa marque, en faveur de l'aménagement du territoire et du développement économique de son département. Il fut toujours soucieux de mettre en valeur l'histoire et la richesse culturelle de ce département central dans lequel, dit-on, « battent puissamment les trois coeurs de la France ».

Auditeur de la quarante-septième session de l'Institut des hautes études de défense nationale en 1994-1995, il cultiva un intérêt jamais démenti pour les questions de défense. À ce titre, il fut désigné, en 1995, au Rassemblement pour la République, secrétaire national chargé de la défense, puis, en 1996, président fondateur de l'association Diplomatie et Défense.

Il fut aussi, à partir de 1993, rapporteur pour avis du budget des forces terrestres au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Une nouvelle page de son activité parlementaire s'écrivit alors.

Dès février 1996, il fut élu au bureau de cette même commission, à laquelle il allait montrer tant d'attachement.

Réélu au Sénat en 1998, il fut porté à la fois aux fonctions de vice-président de la commission des affaires étrangères et de la défense et de secrétaire national chargé des affaires européennes du Rassemblement pour la République. Dans ces nouvelles responsabilités, Serge Vinçon suscitera l'estime de tous par la pertinence de ses analyses, mais aussi par ses qualités humaines incomparables.

Continuant à remplir ses différents mandats, il décida en mars 2001 de ne pas se représenter à la présidence du conseil général du Cher, afin de privilégier le lien direct avec ses chers administrés saint-amandois. Ces derniers lui manifesteront sans réserve leur confiance en le renouvelant, encore une fois, à la tête de la commune.

Fort de ce parcours exemplaire, Serge Vinçon fut alors désigné par ses pairs aux fonctions de vice-président du Sénat. Chacun, dans cet hémicycle, se souvient de son doigté, de sa compétence et de son savoir-faire, et - pourquoi ne pas le dire ? - de sa gentillesse dans la conduite, parfois délicate, de nos débats.

La douce et talentueuse autorité dont Serge Vinçon fit preuve dans ces fonctions, puis, plus tard, à la tête de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, révélait à l'évidence une facette de sa personnalité : un homme profondément cultivé, subtil, à l'intelligence aiguisée, et qui aimait les autres sans faire de distinctions selon les fonctions ou les grades.

Parallèlement à son engagement politique, Serge Vinçon avait montré, dès son adolescence, une réelle passion pour la poésie et l'écriture. Sa réserve naturelle l'avait conduit à ne révéler que tardivement ce jardin secret. Il aura attendu l'an 2000 pour publier son premier recueil, intitulé Proésie, craignant jusqu'au dernier instant de se révéler sous un jour singulier. Il nous fit parfois, au Sénat, le plaisir de quelques démonstrations de son talent, rosissant, chaque fois, sous les compliments, comme un débutant.

« L'art est un jeu. Tant pis pour celui qui s'en fait un devoir », écrivait Max Jacob. Il est vrai que la poésie était pour Serge Vinçon, comme il l'avouait lui-même, l'achèvement de sa liberté de pensée, la soupape par laquelle il exprimait ses émotions les plus profondes.

Sa ville de Saint-Amand-Montrond fut l'objet constant de son inspiration, allant jusqu'à la mise en musique d'une de ses poésies.

En 2004, élu de la région Centre, Serge Vinçon démissionnera de son mandat, en application de la loi sur le cumul des mandats, mais il réalisera alors son voeu le plus cher en étant élu, en octobre de la même année, président de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Il ne cessera alors d'être ce président plein de finesse, compétent, dynamique, assidu et efficace, que tous ici ont apprécié.

Assurant parallèlement la présidence active de groupes d'amitié, avec la Slovénie et avec la Jordanie, Serge Vinçon portait haut les couleurs du Sénat et ne dédaignait pas de porter aussi haut son engagement au service d'une certaine idée de la grandeur de notre nation.

C'est dans cet esprit qu'il prit une part active à la réforme du service national et à la professionnalisation de nos forces armées.

Serge Vinçon était de ces hommes publics chaleureux, toujours bienveillants et sachant s'intéresser à chacun, un homme d'une absolue fidélité envers les siens, d'une réelle authenticité dans l'engagement : double exigence qui s'impose, oui, qui s'impose à chacune et à chacun d'entre nous et qui demeure, sans aucun doute, la qualité éminente des grands serviteurs de la République.

Serge Vinçon restera pour tous une référence. Jusqu'au bout, jusqu'à l'extrémité de ses forces, jusqu'à ses derniers jours, il poursuivit sa tâche.

Il avait insisté, en juillet dernier, pour que la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, dont il était membre, se réunisse au Sénat, ce lieu où il apporta, avec modestie et efficacité, sa contribution personnelle à la démonstration permanente qu'il est une enceinte privilégiée de la réflexion et de la sagesse.

Ainsi fut Serge Vinçon, notre collègue, notre ami. Ce fils de la République en fut un serviteur éminent. S'il fit honneur au Sénat, à son département et à sa ville, il fut aussi l'honneur de la République.

À ses collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, unanimement touchés par la disparition de leur cher président, j'exprime toute la compassion du Sénat.

À ses collègues du groupe de l'UMP, cruellement éprouvé par la disparition, en moins d'un an, de quatre des siens, j'adresse mes sentiments de vive et profonde sympathie.

À son épouse, Bernadette, à sa fille, Maud, à ses parents et à tous ses proches qui vivent intensément la douleur de la séparation d'un être aimé, je tiens à dire combien nous partageons leur chagrin. Qu'ils soient assurés que, dans ces murs, la figure, la voix et le souvenir de Serge Vinçon resteront présents, à la mesure de l'homme d'exception qu'il fut.

Que Serge Vinçon repose en paix !

Je vous invite maintenant, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à observer une minute de silence en mémoire de notre collègue. (M. le Premier ministre, Mme le garde des sceaux, M. le secrétaire d'État, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)

La parole est à M. le Premier ministre.

M. François Fillon, Premier ministre. Madame, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat est une tribune. Les hommes y existent d'abord par leur voix. Nous n'entendrons plus celle de Serge Vinçon.

Cette voix qui, je m'en souviens, se mêla à plusieurs reprises à la mienne lors de combats politiques communs, cette voix qui parlait avec douceur des Français, mais avec fermeté de la France, cette voix s'est éteinte le 16 décembre dernier.

Au moment de rendre hommage au sénateur du Cher, ancien vice-président du Sénat, j'ai relu quelques-unes de ses dernières interventions. J'ai retrouvé dans leur ton tout ce qui nous rendait Serge Vinçon si précieux, et qui, je m'empresse de l'ajouter, le rendait si utile à la France.

La justesse des termes, signe d'une connaissance exacte et, pour ainsi dire méticuleuse, des dossiers ; l'équilibre de la réflexion, indice de sa probité intellectuelle ; la parfaite courtoisie de l'homme, reflet de son élégance tranquille : tout cela recommandait le sénateur Vinçon à l'estime de tous.

Propriété des termes, équilibre des parties, ces qualités étaient d'abord celles de l'enseignant. Serge Vinçon avait su en faire celles de l'élu.

Le professeur de lettres était devenu maire de Saint-Amand-Montrond en 1983, président du conseil général du Cher en 1998, président de la commission de la défense, des affaires étrangères et des forces armées du Sénat en 2004.

Cette trajectoire récompensait l'homme de convictions et de rassemblement qu'il était.

Au sein de la commission de la défense, sa maîtrise des dossiers l'avait imposé comme l'un des plus brillants avocats de l'ambition stratégique et militaire française.

Serge Vinçon voulait une défense réactive, dotée de la doctrine et des équipements les plus modernes et les plus adaptés aux conditions géopolitiques. Il avait, je m'en souviens, oeuvré de manière décidée en faveur de la professionnalisation des armées.

Dans ce combat déjà ancien, j'avais trouvé en lui l'appui d'une conviction libre et éclairée.

Bourbonnais, Berry, Boischaut : Serge Vinçon avait son territoire aux confins de ces vieux pays français. Il en connaissait presque chaque famille, chaque paysage. Son amour de la nation trouvait là ses sources.

Pour Saint-Amand-Montrond, sa ville, il avait composé des poèmes. Reconnaissons la sincérité de l'homme à cette attention inattendue. Nous avons tous l'amour de nos territoires ; Serge Vinçon, homme de lettres, homme de coeur, avait pris le temps de l'exprimer, à sa manière attachante. En consacrant une Cité de l'or à la tradition locale de l'orfèvrerie, il avait montré que le raffinement, la richesse et le rêve existent au coeur des pays les plus discrets.

Serge Vinçon obéissait à la rigueur de ses mandats sans étouffer la sensibilité de son tempérament. Son engagement politique n'altérait pas la tempérance de ses jugements, ne rompait jamais le fil de son humanisme.

Il avait le sens des responsabilités historiques, la conscience profonde de ce que chaque homme doit à sa ville, à sa terre et à son pays.

Il honorait cette assemblée de son dévouement et de sa droiture.

Sa hauteur morale et intellectuelle était mise au service d'une certaine idée de la France. Je serai fidèle à son souvenir si j'ai pu rappeler en quelques mots tout ce que la République lui doit.

Au nom du Gouvernement, mais aussi en mon nom personnel, j'adresse à sa famille et à ses proches le témoignage de notre affection.

M. le président. Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, de vous associer personnellement et au nom du Gouvernement à la tristesse qui est la nôtre.

Mes chers collègues, conformément à notre tradition, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants en signe de deuil.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures.)

M. le président. La séance est reprise.

4

 
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution
Motion tendant à demander un référendum (début)

Titre XV de la Constitution

Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution (nos 170, 175).

Motion tendant à demander un référendum

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution
Motion tendant à demander un référendum (interruption de la discussion)

M. le président. J'informe le Sénat que, en application de l'article 67 du règlement, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat présente une motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution.

Ce n'est pas la première fois qu'une motion tendant à renvoyer un projet de loi au référendum est déposée sur le bureau de notre assemblée, mais c'est la première fois qu'une telle motion concerne un projet de loi de révision constitutionnelle, dont la procédure d'adoption est prévue par l'article 89 de la Constitution.

Certes, il est arrivé que l'article 11 de la Constitution, auquel renvoie notre règlement, ait pu être utilisé pour réviser la Constitution, mais il s'agit d'un point de droit controversé sur lequel il me paraît préférable, avant de constater la recevabilité de cette motion, de consulter la commission des lois.

Je propose donc de suspendre la séance pour laisser le temps à celle-ci de donner son avis sur ce point.

Monsieur le président de la commission des lois, de combien de temps souhaitez-vous disposer pour examiner la recevabilité de la motion ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Quinze minutes au moins me paraissent nécessaires. Mais nous sommes à vos ordres, monsieur le président !

M. Jean-Luc Mélenchon. À quoi bon réunir la commission avant de savoir si la motion est recevable ? Vérifions d'abord cela : nous gagnerons du temps !

M. le président. C'est justement l'objet de la réunion de la commission.

M. Robert Bret. Nous tiendrons bon, monsieur le président !

M. le président. Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. le président de la commission des lois, pour faire part des conclusions de la commission sur la motion déposée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois La commission des lois a examiné cette motion.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et elle s'est prononcée grâce à des pouvoirs donnés par des absents ! C'est une honte !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Elle a constaté, d'une part, que le projet de loi dont le Sénat est saisi était, non un projet de loi simple, mais un projet de loi constitutionnelle et, d'autre part, qu'il nous était soumis dans le cadre de la procédure de l'article 89 de la Constitution, sur l'initiative du Président de la République, non dans le cadre de la procédure de l'article 11.

Pour ces deux motifs, la commission des lois estime que la motion tendant à soumettre à référendum ce projet de loi est irrecevable.

M. le président. Le Sénat va se prononcer sur la recevabilité de cette motion référendaire.

J'indique d'ores et déjà que j'ai été saisi par M. Henri de Raincourt, au nom du groupe UMP, d'une demande de scrutin public.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ferai d'abord observer que le bureau du Sénat aurait, en principe, dû être saisi pour se prononcer sur la recevabilité de cette motion.

En tout état de cause, la décision appartient à notre assemblée tout entière et non à la commission des lois, qui a d'ailleurs statué avec des pouvoirs d'emblée suspects puisque ceux qui les ont donnés ne savaient pas qu'elle allait se réunir. (M. le président de la commission des lois fait un signe de dénégation.)

Nous avons déposé, en vertu de l'article 67 de notre règlement, une motion tendant à soumettre au référendum le projet de loi constitutionnelle dont nous devons débattre aujourd'hui.

L'article 67 indique que seuls les textes portant sur les matières définies à l'article 11 de la Constitution relèvent de ce type de motion.

Avec les cosignataires de cette motion, j'affirme que notre demande est légitime, et cela pour deux raisons.

Premièrement, un débat doctrinal existe depuis les deux précédents de 1962 et 1969, dates auxquelles deux projets de loi portant révision de la Constitution ont été soumis au référendum par le général de Gaulle.

M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Non, ce ne sont pas des précédents puisque ces révisions s'appuyaient sur l'article 11, qui a d'ailleurs été modifié depuis !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qu'on conteste ou non le bien-fondé du recours, à l'époque, à l'article 11, ces précédents existent et, dès lors, soumettre au référendum ce projet de révision est juridiquement acceptable.

MM. Pierre Avril et Jean Gicquel, dans leur ouvrage de référence sur le droit parlementaire, le confirment : « L'application de l'article 89 de la Constitution n'est pas exclusive en matière de révision, comme l'a montré le précédent de la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962, dont les articles 1er et 2 révisent les articles 6 et 7 de la Constitution en instituant l'élection au suffrage universel du Président de la République. Adoptée suivant la procédure de l'article 11 de la Constitution par le référendum du 28 octobre 1962, cette loi avait naturellement été soustraite à l'élaboration parlementaire. »

Rien n'empêche une mise en oeuvre de l'article 11 sur une révision constitutionnelle. Certains pourraient tenter de s'opposer à cette démarche, ce que fait apparemment la majorité de la commission des lois, en indiquant que l'article 11 s'appliquerait aux seuls projets de loi, excluant de son champ les lois organiques et constitutionnelles.

Là encore, si le doute peut exister, la doctrine est claire. MM. Prélot et Boulouis, dans leur ouvrage Institutions politiques et droit constitutionnel, sont explicites : « L'article 11 mentionne ?tout projet de loi?. Or cette formule englobe bien les projets de loi de révision comme les autres. Il ne pourrait en être autrement que si une exclusion particulière était indiquée. Tel n'est pas le cas. »

J'ajouterai que le fait que nous soyons dans une procédure globale de ratification, dont la révision est l'un des éléments au titre de l'article 54 de la Constitution, légitime plus encore notre démarche.

Notre deuxième argument, une fois la recevabilité juridique démontrée, est plus politique.

Je vous rappelle que l'article 89 de la Constitution pose le principe du référendum pour le vote d'une révision de la Constitution.

C'est le Président de la République, et lui seul, qui décide de s'interposer entre le Parlement et le peuple pour clôturer la discussion en convoquant le Parlement en Congrès.

Contrairement à ce qui est prétendu, il n'est pas valorisant pour les assemblées de supplanter le peuple. Affirmer les droits du Parlement, c'est lui permettre de répondre à la démarche du Président de la République en se déclarant en quelque sorte incompétent et en renvoyant la décision au peuple.

À l'heure où l'on parle beaucoup des droits du Parlement, n'est-ce pas un point fondamental que de permettre aux parlementaires de ne pas accomplir un déni de démocratie en ne validant pas définitivement une révision de la Constitution que le peuple avait, de fait, censurée deux ans auparavant ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Non ! Le peuple n'a rien censuré !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous estimons donc que, politiquement et juridiquement, cette motion tendant à soumettre le présent projet de révision constitutionnelle est pleinement recevable et doit être maintenant discutée par notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous entamons en cet instant un débat qui n'est ni secondaire ni médiocre : nous allons traiter de l'avenir politique du continent européen et de la place particulière de notre patrie républicaine en son sein.

Je crois que l'importance du sujet mérite de la délicatesse dans l'écoute des arguments qui vont être présentés.

Enfin quoi ! Notre assemblée ne se prévaut-elle pas souvent de sa sagesse, de la distance qu'elle met à l'égard des passions ? Et voilà que, au moment où s'amorce la discussion sur l'une des questions clés du débat - il s'agit, ni plus ni moins, de la méthode ! -, est convoquée de manière impromptue une commission qui, bien sûr, a toute légitimité à donner son avis, mais dont nous savons tous qu'elle n'est pas l'organe qui aurait dû se prononcer sur la recevabilité de cette motion : c'est le bureau du Sénat qui aurait dû le faire.

Et elle tranche, alors qu'elle vient d'être convoquée à l'instant même, en votant avec des procurations !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et alors ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Comment pouvons-nous croire que les collègues absents avaient eu la prescience de la question qui allait leur être posée cet après-midi au point d'avoir signé des pouvoirs pour trancher à leur place ? (Fortes manifestations d'approbation et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

MM. Jean-Pierre Michel et Michel Dreyfus-Schmidt. C'est scandaleux !

M. Marcel Rainaud. C'est lamentable !

M. Jean-Pierre Raffarin. N'exagérons rien !

M. Jean-Luc Mélenchon. Personne ne peut le croire ! Ce sont des facéties que l'on croyait réservées à des assemblées moins constitutionnelles que les nôtres...

Nous allons en fait devoir répondre à deux questions de fond.

M. le président. Pardonnez-moi de vous interrompre, monsieur Mélenchon, mais je tiens à préciser, pour la clarté du débat, que les pouvoirs dont disposaient certains de nos collègues ont été déposés ce matin. Par conséquent, les intéressés ne savaient pas que ce débat aurait lieu à l'ouverture de cette discussion. (Vives exclamations sur les mêmes travées.)

Mme Alima Boumediene-Thiery. On vous l'avait bien dit !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est contraire au règlement !

M. Jean-Luc Mélenchon. Je vous remercie de cette précision, monsieur le président. J'ai presque le sentiment qu'elle vient à l'appui de ma démonstration !

M. Jean-Luc Mélenchon. En effet, nos collègues, ce matin, ne pouvaient pas savoir pour quoi ils donnaient pouvoir, par définition. Merci de l'avoir précisé !

M. Jean-Pierre Michel. Tout mandat impératif est nul !

M. Jean-Luc Mélenchon. Nous savons tous que deux questions nous sont posées.

La première porte sur l'appréciation que nous portons, en conscience, librement, sur le contenu du traité.

La seconde concerne la façon de trancher.

Cette seconde question n'est pas purement formelle. Elle touche à l'idée qu'on se fait, non seulement du fonctionnement de la démocratie française, mais, plus généralement, de la crise que traverse l'Union politique européenne, qui est d'abord une crise de confiance des peuples, quelle que soit l'analyse qu'on fasse des racines de cette crise.

Car enfin, cela éclate aux yeux de tous ! C'est ce qui explique pourquoi, de manière folle, les gouvernements signataires ont pu décider que faisait partie de la méthode du traité le fait que l'on ne consulterait nulle part les peuples par référendum !

Et l'on a pu voir la Slovénie, présidant pour la première fois l'Union européenne, donner des leçons au Portugal, démocratie confirmée, pour qu'il n'organise pas un référendum !

Quant aux électeurs roumains, appelés pour la première fois à désigner leurs représentants au Parlement européen, ils ont été plus de 70 % à s'abstenir. C'est bien la preuve d'une crise immense de la démocratie sur ce continent...

M. Robert Bret. Déficit démocratique !

M. Jean-Luc Mélenchon. ...et la première des réponses que l'on devrait apporter, c'est de tout faire pour y augmenter la force de la démocratie !

Certes, nous pouvons être minoritaires. Vous pouvez ne pas nous suivre dans nos arguments. Vous pouvez considérer que nous nous trompons, qu'il convient de ratifier ce traité par la voie parlementaire, et cette argumentation a d'ailleurs sa dignité. Mais que l'on ne nous cloue pas la bouche avec des procédés aussi artificiels que ceux que vous utilisez ! Nous voulons pouvoir parler...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous aurez tout le temps de le faire !

M. Jean-Luc Mélenchon. ...et dire qu'en cette matière nous croyons que, conformément à notre histoire la plus profonde et à nos traditions, il n'est d'autre souverain que le peuple, qui s'est déjà prononcé sur ce même sujet...

M. Patrice Gélard, rapporteur. Non !

M. Jean-Luc Mélenchon. ...et à qui, toujours plus durs et entêtés, vous annoncez par vos méthodes brutales que vous entendez le priver de son droit à la parole !

Voilà ce qui est en cause et il me coûte de devoir dire, car j'ai beaucoup de respect pour le président de la commission des lois, que le procédé utilisé est misérable ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Monsieur le président, sans vouloir aborder le fond d'un débat qui peut nous diviser...

M. Josselin de Rohan. Surtout vous ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Robert Bret. Ne parlez pas trop vite !

M. Robert Hue. Pas de leçon !

M. Michel Charasse. Vous savez, en matière de division...

Plusieurs sénateurs socialistes. Combien de divisions ?... (Sourires.)

M. Michel Charasse. Oui : combien de divisions ?

Donc, sans vouloir aborder le fond, je pense, monsieur le président, que nous touchons, avec cette affaire de recevabilité - et je m'en tiendrai à ça - à un point particulièrement sensible et délicat s'agissant du sujet qui nous occupe et des procédures constitutionnelles qui peuvent être mises en oeuvre.

J'aurais préféré, moi aussi, que ce soit le bureau qui soit appelé à trancher. Mais, après tout, vous avez choisi de consulter la commission des lois, elle a donné un avis : ne chipotons pas... 

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n'est pas elle qui tranche !

M. Michel Charasse. ...puisque vous allez tout à l'heure, monsieur le président, demander au Sénat de se prononcer sur la recevabilité,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !

M. Michel Charasse. ... et que toute autre manière de faire aurait été un coup de force contre la libre décision de cette assemblée. Donc, je vous donne volontiers acte de cette demande.

Mais le problème, c'est que, pour la première fois depuis longtemps, le Sénat nous suggère de revenir sur la doctrine fondamentale selon laquelle la révision constitutionnelle peut emprunter soit la voie de l'article 11 soit celle de l'article 89.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est faux !

M. Michel Charasse. Je vous ai écouté, monsieur le président de la commission des lois, et je parle sans pouvoirs ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Charles Gautier. Mais avec conviction !

M. Michel Charasse. Par conséquent, vous pouvez m'écouter !

L'article 11 de la Constitution dit que peut être soumis au référendum « tout projet de loi » : il ne précise pas constitutionnelle ou ordinaire !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est vrai !

M. Michel Charasse. J'ajoute que, quand on lit l'article 89, on s'aperçoit que, si le « projet de loi constitutionnelle » existe en pratique, il ne figure pas dans cet article, qui ne parle que de « projet ou proposition de révision ».

C'est pour des raisons purement pratiques qu'on a pris l'habitude d'appeler ces textes « projets de loi constitutionnelle » pour les distinguer des projets de loi ordinaire, dont l'initiative appartient au Premier ministre, alors que, pour les projets de révision, appelés donc par commodité « projets de loi constitutionnelle », l'initiative appartient au président de la République.

Les autorités constitutionnelles n'avaient, avant 1962, qu'une seule solution, la voie de l'article 89, pour modifier la Constitution - en tout cas, c'est ce qu'ont toujours pensé les rédacteurs et les commentateurs de la Constitution de 1958. Jusqu'au jour où le général de Gaulle a décidé qu'un projet de loi ordinaire - puisque les projets de loi constitutionnelle, ça n'existe pas - dont il n'était pas formellement l'auteur serait, sur proposition du Gouvernement et par la voie de l'article 11, soumis au référendum pour modifier une disposition de la Constitution, et non des moindres : l'élection du Président de la République au suffrage direct.

La doctrine s'est divisée. Cette assemblée, sous l'autorité du président Monnerville, s'est très vivement opposée au Président de la République,...

M. Jean-Michel Baylet. La forfaiture !

M. Michel Charasse. ... mais il se trouve que les Français ont adopté par un référendum de l'article 11 et ont ainsi validé sans contestation possible la procédure choisie par le général de Gaulle. Aussi, lorsqu'en 1969 le général de Gaulle a engagé, à nouveau en vertu de l'article 11, un processus référendaire pour réformer les règles constitutionnelles concernant le Sénat et les régions, il n'y a plus eu de controverse sur la question du choix entre l'article 11 et l'article 89.

J'en veux pour preuve qu'un président que j'ai aimé et servi, et qui, en 1962, n'a pas été le dernier à s'opposer à la procédure alors choisie par le général de Gaulle, a dit et a écrit dans la revue Pouvoirs en avril 1988 que, dès lors que le peuple français avait validé la procédure de l'article 11, il fallait admettre qu'il y avait bien deux procédures, celle de l'article 11 et celle de l'article 89.