Sommaire

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

1. Procès-verbal

2. Grenelle de l'insertion. - Débat sur une déclaration du Gouvernement

MM. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté ; Nicolas About, président de la commission des affaires sociales ; Paul Blanc, au nom de la commission des affaires sociales ; Bernard Seillier, au nom de la commission des affaires sociales ; Mmes Raymonde Le Texier, Isabelle Debré, Odette Terrade, M. Jean Desessard.

M. le haut-commissaire.

Clôture du débat.

3. Transmission d'un projet de loi constitutionnelle

4. Texte soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

5. Ordre du jour

compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

GRENELLE DE L'INSERTION

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur le « Grenelle de l'insertion ».

La parole est à M. le haut-commissaire.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les politiques d'insertion ont besoin de nouvelles perspectives. Le « Grenelle de l'insertion », qui réunit l'ensemble des acteurs concernés, est l'occasion de les fonder sur des bases nouvelles.

Il nous a semblé opportun d'en débattre en amont avec vous, et non de venir vous demander de simplement ratifier a posteriori ce qui aurait été élaboré dans d'autres enceintes.

Les questions d'insertion sont trop souvent abordées à partir d'éléments techniques dans lesquels seuls quelques rares spécialistes se retrouvent. Nous avons aujourd'hui la possibilité de discuter des grandes lignes, de répondre à des questions de principe, de confronter des visions différentes et de dégager des enjeux prioritaires.

Nous pouvons dire que nous sommes à la fin d'un cycle d'une vingtaine d'années. Notre pays a, par touches successives, forgé une politique d'insertion dont certains résultats positifs ne doivent être ni oubliés ni niés.

Avant 1988, on pouvait, dans ce pays, se trouver sans aucune ressource et ne dépendre que de la charité publique ou privée. La loi du 1er décembre 1988 a créé le revenu minimum d'insertion, le RMI, qui est une incontestable avancée sociale. Avoir un revenu minimum est même désormais une caractéristique de l'Europe sociale.

Avant 2000, on pouvait, dans ce pays, n'avoir aucune assurance maladie et se voir refuser l'accès aux soins, faute de ressources. La loi du 27 juillet 1999 a créé la couverture maladie universelle, la CMU.

Des millions de personnes sont passées par des emplois aidés, et des centaines de milliers par des entreprises ou des structures d'insertion ; elles n'auraient pas travaillé ou pas retravaillé sans ces dispositifs spécifiques.

Certains parcours d'insertion sont des réussites formidables. À eux seuls, ils justifieraient l'invention de l'insertion.

Et pourtant, nous sommes collectivement obligés de constater un échec. Notre pays n'a pas des résultats à la hauteur de sa richesse économique, ni de son ambition sociale.

Il ne devrait pas compter tant de personnes exclues du monde du travail, tant de personnes qui ne peuvent pas dépasser le revenu minimum, tant de personnes dont la majorité des ressources proviennent de la solidarité et trop peu de leur travail, tant de personnes qui, après avoir remis un pied à l'étrier, sont renvoyées à la case départ, tant de personnes qui se débattent en vain dans une foultitude de difficultés où s'entremêlent l'isolement et les problèmes de santé, de logement, de surendettement, de formation ou d'emploi.

Ce n'est pas faire injure aux constructions d'un passé récent, à leurs inventeurs, à leurs promoteurs, à leurs soutiens ou à ceux qui les ont mises en oeuvre de dire qu'il faut bâtir autre chose.

Quand tant de personnes perdent de l'argent en reprenant du travail, c'est qu'il faut changer le système. Quand on vous écrit pour vous proposer de rembourser une partie de son salaire pour pouvoir de nouveau bénéficier de la couverture maladie universelle, il faut changer de système. (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Quand on veut travailler, que l'on donne satisfaction dans son emploi dans une entreprise d'insertion, mais que, selon la loi, on ne peut pas rester plus de deux ans dans un contrat et que, du fait de l'application des textes, on se retrouve au chômage à l'âge de cinquante-huit ans, il faut changer de système. (M. Jean Desessard acquiesce.)

Quand vous voulez travailler à plein temps et que le contrat de travail dont vous êtes titulaire dans le cadre des politiques d'insertion ne vous permet pas de travailler plus de 26 heures et de gagner plus de 750 euros, il faut changer de système.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Quand un pays compte parmi ses adultes pauvres, à l'âge actif, autant de personnes pauvres parce qu'exclues du travail que de travailleurs pauvres, il faut changer de système.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Pourtant, toutes les mesures prises au cours de ces dernières années l'ont été avec de louables intentions et n'ont pas été adoptées dans l'intention de nuire ou d'exclure. Mais, mises bout à bout, elles produisent un système de relégation. Ce n'est pas l'une d'entre elles qu'il faut modifier, c'est l'ensemble des politiques d'insertion qu'il faut repenser, reconcevoir et rebâtir.

Parfois, face à des constats si désolants, on recherche des boucs-émissaires. Ici, ce n'est pas le cas. Pris isolément, aucun des acteurs n'est en lui-même coupable. Ce n'est pas tel ou tel qu'il faut montrer du doigt. C'est une responsabilité collective ou, plus exactement, une irresponsabilité collective qu'il faut dénoncer et à laquelle il faut tenter de mettre fin.

Comment en est-on arrivé là ? Pour changer un système malade, il faut établir un diagnostic. Je vous en suggère un. Le responsable, c'est le comportement de « centrifugeuse ».

Ce que j'appelle la « centrifugeuse », c'est ce moteur qui, depuis des décennies, s'est mis à renvoyer à la périphérie, d'abord insidieusement, puis avec violence, certains de ses membres considérés par la société comme les moins performants. Le moteur a tourné de plus en plus vite. Plus il tournait, plus le nombre de personnes rejetées contre des parois glissantes a augmenté.

Pas assez performant, parce que trop jeune, parce que trop vieux - et, dans le monde du travail, on est vieux de plus en plus tôt ! -, parce que pas assez qualifié, parce que trop qualifié, parce que mal qualifié, parce que toujours disqualifié ou parce que discriminé !

Selon une enquête de 2005, les annonces d'emploi en France comportent un critère d'âge dans 20 % des cas, contre seulement 1 % des cas au Royaume-Uni, un critère de formation dans 73 % des cas, contre 63 % en Espagne et 27 % au Royaume-Uni, une demande de photographie dans 9 % des cas, contre 3 % et 0 % dans ces deux autres pays européens !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il faut adopter le CV anonyme !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Le moteur de notre société a cru gagner en efficacité parce qu'il s'allégeait, mais il s'est privé de carburant.

Le compartiment le plus productif était le plus sélectif, mais il a rejeté directement dans le compartiment de l'assistance. Certes, pour que l'éviction ne soit pas trop douloureuse, des mécanismes de compensation ont été mis en place. On a compensé l'éviction au lieu de la combattre. La première cause, c'est la centrifugeuse.

La deuxième cause, ce sont des mécanismes qui compensaient l'exclusion au lieu de provoquer l'intégration. C'est comme cela que nos politiques de lutte contre la pauvreté ont été construites. Trop déconnectées du travail. Trop déconnectées de l'éducation et de la formation. Trop déconnectées de l'économie. Trop déconnectées des aspirations des personnes. Elles dépendaient de l'aide sociale ? On les a accusées de rechercher l'assistanat, sans voir qu'on les y condamnait.

Troisième cause, dans notre pays, il a manqué un compartiment intermédiaire entre le secteur le plus compétitif et le secteur de la solidarité. Il a manqué un secteur où l'on développe des emplois, peut-être à plus faible productivité, mais qui restent rentables pour l'économie d'un pays, en tout cas infiniment plus rentables que lorsqu'il faut payer le prix du chômage et de l'exclusion.

On dit souvent de la santé qu'elle n'a pas de prix, mais qu'elle à un coût. L'exclusion a un coût pour la société, mais elle a également un prix pour ses membres, un lourd tribut que payent d'abord les personnes exclues et, désormais, la collectivité.

Nous avons cru que nous pouvions passer par une phase transitoire, celle d'un chômage que l'on attribuait à des chocs externes, en conservant un modèle social et la qualité de l'emploi qui l'accompagnait. Nous avons finalement eu à la fois le chômage et la pauvreté au travail, à la fois l'exclusion et la précarité.

À cela, nous avons répondu par des systèmes de plus en plus sophistiqués, de plus en plus complexes, de plus en plus coûteux, de moins en moins compréhensibles, de moins en moins efficaces et de moins en moins justes au fur et à mesure qu'ils s'enchevêtraient ou se neutralisaient.

Le résultat, nous le connaissons. Nos politiques d'insertion sont à bout de souffle. Mais l'énergie n'est pas morte. Nous l'avons vu au moment du lancement du Grenelle à Grenoble, voilà un mois et demi. Tous les pionniers et ceux qu'ils ont formés, c'est-à-dire les générations d'après, étaient là, toujours pleins d'énergie pour relever le défi. Nous le voyons dans les départements. Il s'y passe quelque chose depuis que des responsabilités leur sont conférées. Ils cherchent à inventer de nouvelles politiques. Nous le voyons dans les réseaux associatifs, qui ont inventé des solutions originales, parfois en devant se débrouiller aux marges de la légalité. Nous le voyons dans le dynamisme de l'insertion par l'activité économique, qui était déjà à la pointe du développement durable quand le concept n'intéressait personne.

Dans ce contexte, nous percevons quelques raisons d'être optimistes et de nous pousser à agir.

La première de ces raisons, c'est ce que nous disent les personnes concernées. Selon un sondage que nous avons réalisé, les allocataires du RMI souhaitent travailler, ont conscience des obstacles qu'ils rencontrent et sont demandeurs de formation, de mobilité et d'accompagnement.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Nous en recevons des témoignages tous les jours, par exemple l'implication forte des RMIstes dans les groupes de travail constitués dans les départements qui expérimentent le revenu de solidarité active, le RSA.

La deuxième raison d'être optimistes réside dans ce que nous montrent les acteurs de l'insertion. Ils réussissent à redonner leur dignité aux personnes les plus fragiles, avec des moyens faibles. Et la société dans son ensemble, avec des moyens forts, n'y parviendrait pas ?

La troisième raison, c'est un impératif qui semble désormais mieux compris. L'attitude du secteur économique change. Trop lentement certes, mais elle change. La prise de conscience évolue, notamment dans les entreprises, qui ont besoin de main-d'oeuvre.

En réalité, si les politiques d'insertion sont à bout de souffle, elles n'ont jamais été aussi nécessaires. Elles représentent une chance. Nous devons les construire non pas en nous référant au passé, mais en nous projetant vers l'avenir.

Il y a des secteurs dits « en tension ». Pour montrer l'absurdité du système, on a l'habitude de rapprocher, et à juste titre, les offres d'emplois non satisfaites et les demandeurs d'emplois. Mais si on regarde les offres d'emploi actuellement non satisfaites et si on les convertit en équivalents temps plein, on trouvera peut-être aujourd'hui de quoi satisfaire à peine 10 % des besoins !

Si nous nous projetons dans les dix prochaines années, les proportions changent. Ce sont des millions d'emplois qui seront à pourvoir. Cela modifie profondément la donne, même si le combat n'est pas gagné par avance, loin de là. En continuant les politiques actuelles, nous connaîtrons simultanément des pénuries considérables de main-d'oeuvre et des taux de chômage massifs dans certaines catégories de la population.

Si nous transformons, bouleversons et révolutionnons les politiques d'insertion, nous pouvons faire reculer la pauvreté en créant de la richesse !

Pour cela, il faut débattre. Nous souhaitons que les partenaires réunis dans les collèges du Grenelle puissent le faire. Ils pourront d'autant mieux le faire qu'ils auront été éclairés par la représentation nationale. Que pouvons-nous proposer ?

Nous suggérons de discuter dix principes d'action susceptibles de guider les travaux du Grenelle et les propositions de réforme qui pourront y être débattues.

Premier principe, simplifier de façon drastique les dispositifs, s'agissant tant des minima sociaux que des aides au retour à l'emploi ou des contrats aidés. Simplifier, c'est difficile. Simplifier, c'est complexe. Mais simplifier, c'est indispensable.

Pourquoi tant de complexité ? Parce que l'on a, chaque fois, ajouté un dispositif au précédent. Parce que l'on a opté pour des logiques de cloisonnement. Parce qu'il n'y a pas de responsable bien identifié. Parce que l'on fonctionne sur une logique de défiance, qui se traduit par des critères d'une précision presque diabolique.

La complexité est aujourd'hui source d'exclusion. Vous avez un problème ? Nous avons une solution, mais elle ne s'applique pas à vous, parce que vous êtes assujetti à l'allocation de parent isolé, API, et pas au RMI, parce que vous êtes trop vieux d'un an ou trop jeune de deux ans, parce que vous n'êtes pas encore assez éloigné de l'emploi ou suffisamment surendetté !

Nous proposons plusieurs simplifications majeures.

Avec le RSA, c'est la substitution d'une prestation unique à plusieurs minima sociaux et à plusieurs aides. Avec le contrat unique d'insertion, c'est la simplification de l'enchevêtrement des contrats. Avec le bouclier sanitaire, s'il est accepté, c'est potentiellement une simplification considérable du système des « copaiements » et des prises en charge par l'assurance maladie. Avec une meilleure connexion entre le nouveau service public de l'emploi et l'insertion professionnelle, c'est la suppression des critères d'accès en fonction des statuts.

Cependant, simplifier impose de pouvoir donner de la souplesse aux acteurs ayant la responsabilité directe des publics en insertion, afin de leur permettre de répondre par oui ou par non en fonction non pas d'un « paragraphe d'une circulaire expliquant un arrêté qui résulte d'un décret pris en application d'une loi » (Sourires), mais des besoins de la personne, qui ne résultent pas nécessairement de son statut administratif ou de ses engagements.

Une bonne législation est une législation qui pose les principes de la solidarité et qui en laisse la traduction concrète aux acteurs de terrain.

C'est la première question. Peut-on mettre en place des prestations moins normées réglementairement en améliorant l'équité et sans laisser filer les dépenses ?

Deuxième principe, assurer des revenus du travail supérieurs aux revenus de la solidarité.

Bien évidemment, je fais référence à la création du RSA, qui vise à atteindre trois objectifs : supprimer les effets de seuil pour les allocataires de minima sociaux qui reprennent du travail, lutter contre la pauvreté au travail et simplifier, rendre lisible et prévisible un système qui ne l'est plus.

Le dispositif est expérimenté, sous une forme très incomplète, dans des départements volontaires. À terme, le RSA a pour ambition de se substituer à de nombreux dispositifs en garantissant que toute augmentation de revenu du travail se traduira par un accroissement des ressources du ménage et de soutenir le pouvoir d'achat des travailleurs à bas salaires de manière plus lisible que la prime pour l'emploi.

Pour qu'il soit juste, il faut qu'il soit complet. Nous le concevons comme un système qui donne - à travail égal et à composition familiale équivalente - les mêmes revenus à tous, que l'on soit passé par les minima sociaux ou que l'on soit simplement un travailleur aux revenus modestes.

Quel sera le périmètre du revenu de solidarité active ? C'est la deuxième question que nous vous adressons. Faut-il laisser certains minima sociaux connaître les mêmes règles ? Faut-il inclure l'allocation de solidarité spécifique ?

Les indications que vous nous donnerez seront utiles aux partenaires sociaux, qui sont au premier chef concernés par l'évolution de l'allocation de solidarité spécifique, au moment où ils discutent de l'évolution de l'assurance chômage.

Ne faut-il pas appliquer les mêmes règles pour l'allocation adulte handicapé, les personnes concernées ayant souvent besoin, dans leur activité, de continuer à bénéficier de la solidarité ?

Mais, si le RSA supprime certains effets de seuil, vous savez que l'un des effets les plus importants est lié à la santé et à la couverture maladie universelle. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé le bouclier sanitaire.

Le bouclier sanitaire, c'est aussi une réponse à ce problème, dans la même logique. Dès lors que le reste à charge est fonction du revenu, il n'y a plus d'effort qui pèse sur ceux qui sont juste au-dessus du seuil d'exonération de la participation de l'assuré. C'est pourquoi je souhaite qu'il voie le jour.

Il faudra également s'interroger sur le mode de calcul des aides au logement ou sur leur prise en compte dans les barèmes du RSA.

Il faudra enfin être suffisamment incitatif pour que les autres aides connexes ne neutralisent pas les effets de cette remise en ordre des prestations.

Troisième principe : une conception plus souple, plus large et plus réaliste de la notion d'employabilité.

Il y a aujourd'hui une distinction implicite entre personnes employables et personnes considérées comme inemployables.

Il y a des personnes considérées comme éloignées de l'emploi, alors que c'est l'emploi qui s'est éloigné d'elles. Oui, il y a des personnes pour qui l'emploi est directement accessible, qui demandent un emploi et qui en ont besoin ; et puis, il y a celles pour lesquelles une formation, une qualification nouvelle ou supplémentaire est nécessaire pour accéder à l'emploi ; il y a aussi celles qui ont besoin d'un accompagnement social ; il y a encore celles pour lesquelles l'emploi ne pourra peut-être jamais prendre une forme classique, mais nécessitera d'être durablement soutenu ou de prendre la forme d'une activité plus adaptée.

Mais aucune ne peut se voir refuser de manière irréversible la dignité par le travail, quitte à ce que les exigences du travail puissent être considérablement adaptées à leurs difficultés.

Certains évoquent la notion de « handicap social », de « COTOREP » sociale. Ils sous-entendent qu'il vaut mieux prendre acte d'une difficulté à travailler, plutôt que de s'acharner à aller vers une insertion impossible. Permettez-moi de pointer les risques d'une telle approche, même prise avec les meilleures intentions du monde, et de ses possibles dérives.

Certes, on peut reconnaître que certaines personnes ont une probabilité très faible d'être embauchées dans une entreprise, et presque nulle de l'être sur un contrat de droit commun, mais travailler dans un chantier d'insertion, ce n'est pas être inemployé, et donc ce n'est pas être inemployable.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Je pense à certaines associations, dont l'une m'est particulièrement chère, et qui font travailler dans les métiers de la récupération des milliers de personnes que la société avait décrétées inemployables.

Quatrième principe : passer d'un système de contrats aidés à une logique de contrats aidants fondée sur la notion de parcours.

Depuis vingt-cinq ans qu'existent les contrats aidés, les sigles ont changé, la logique est restée la même, les insuffisances n'ont été corrigées qu'à la marge : instrument ambigu, pour lequel la pression quantitative l'a trop souvent emporté sur la pression qualitative ; instrument décrié mais demeuré indispensable. Il n'y a qu'à voir les difficultés provoquées par les périodes de freinage, comme celle que nous vivons actuellement.

Que peut-on leur reprocher ?

Un lien trop distant avec un parcours d'insertion débouchant sur un emploi pérenne ; une limite dans le temps qui ne correspond pas aux besoins ; une durée du travail contingentée, comme la limite des vingt-six heures ; un contenu en formation à la qualification toujours trop faible, souvent absent ; des effets d'aubaine mal maîtrisés ; une complexité administrative ingérable.

Quels peuvent être les axes d'évolution ?

Moins de contrats différents, mais un contrat plus souple ; le même support de contrat pour différents publics qu'on peut appeler « contrat unique d'insertion » ; une aide des pouvoirs publics qui ne soit pas principalement ou exclusivement une subvention qui abaisse, parfois artificiellement, les coûts du travail, mais qui puisse financer du tutorat, de l'accompagnement social et professionnel, des besoins spécifiques de formation ou d'adaptation à l'emploi, modulée au cas par cas en fonction des besoins couplés des salariés et des employeurs ; une réorientation vers des contrats qualifiants, reposant sur le principe de l'alternance, en accélérant la montée en charge des contrats de professionnalisation et des contrats d'apprentissage, ce qui suppose de ne pas pénaliser les adultes par un coût pour l'employeur plus élevé - nombre de personnes auxquelles on prescrit des contrats aidés, ou qui subissent la diminution du nombre de ces contrats, pourraient trouver davantage de perspectives dans les contrats de professionnalisation ; enfin, une possibilité d'adaptation aux besoins des personnes pour qu'il n'y ait plus de « couperet » à l'issue d'un terme administratif.

À partir de ces principes, si vous les retenez, il doit être possible de déterminer une politique plus cohérente pour les différents secteurs d'emploi : le secteur privé, le secteur public, le secteur de l'insertion par l'activité économique et le secteur associatif. Pour chacun, les défis ne sont pas les mêmes.

Pour le secteur privé, il s'agit de limiter les effets d'aubaine : financer l'accompagnement et le tutorat plutôt qu'abaisser spécifiquement le coût du travail devrait y contribuer.

Pour le secteur public, il s'agit de tendre vers le principe selon lequel les contrats aidés ne sont justifiés que lorsqu'ils permettent d'acquérir une compétence ou une qualification réelle ou qu'ils peuvent être pérennisés.

Lorsqu'un employeur public sait pertinemment qu'une personne qui a donné satisfaction en contrat aidé ne trouvera pas d'emploi au terme du contrat, il ne devrait pas la renvoyer vers le RMI ou le chômage.

Cinquième principe : une universalité effective de l'accès au service public de l'emploi, de l'insertion et de la formation.

Au moment où se met en place un grand service public de l'emploi et dans la perspective d'une unification des minima sociaux, nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce qu'une minorité d'allocataires du RMI bénéficie du service public de l'emploi et une proportion infime des personnes en difficulté de la formation professionnelle.

Toute personne en capacité de travailler et privée d'emploi doit, indépendamment de son statut, pouvoir bénéficier du service public de l'emploi et de la formation. C'est un double défi quantitatif et qualitatif.

Prenons l'exemple de la formation professionnelle.

Nous savons qu'une partie trop faible des fonds va vers les publics qui en ont le plus besoin. Il y a quelques exceptions. Ainsi, dans la branche professionnelle de la propreté, l'OPCA, l'organisme paritaire collecteur agréé, s'est engagé à consacrer 10 % de son budget aux actions de lutte contre l'illettrisme.

Ne faut-il pas prévoir qu'une proportion des fonds de la formation de chacune des branches - 10 %, 15 %, 20 % ? - soit orientée vers les publics prioritaires en matière d'insertion professionnelle ? (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit.) Si nous ne résolvons pas ce sujet, nous ne pourrons pas avoir une insertion active.

Sixième principe : une priorité donnée à l'accès à la mobilité et à la garde d'enfants.

Emploi, formation, logement et santé sont bien évidemment des facteurs clés. On aurait pu consacrer l'ensemble du débat au logement ou à la santé, et j'espère que vous aurez l'occasion de le faire, mais deux autres freins à l'insertion et au retour à l'emploi ne doivent pas être négligés, tant ils sont fréquents : l'accès à la garde d'enfants et l'accès à la mobilité. Ils se posent tant en milieu urbain, en centre-ville, que dans nos banlieues et dans les zones rurales.

Si l'on parvient à mieux organiser les aides financières autour du revenu de solidarité active, ne faut-il pas que l'État et les collectivités territoriales joignent leurs efforts pour apporter des réponses plus satisfaisantes, plus complètes, moins onéreuses à ces freins à l'emploi et à l'insertion, et peut-être aussi moins de normes et plus de réponses concrètes ?

Septième principe : organiser une logique de responsabilité pour les pouvoirs publics laissant une large place à l'initiative locale.

Par exemple, dans un département que je connais bien, une plate-forme unique pour les droits et les devoirs des personnes qui commencent à percevoir le RMI a été mise en place, avec des résultats assez spectaculaires - une plate-forme unique, cela signifie que, le même jour, dans un même lieu, sont rassemblés notamment les représentants du conseil général, du CCAS, de l'ANPE, de la Caisse primaire d'assurance maladie, de la Caisse d'allocations familiales.

Grâce à ce dispositif, on passe de 20 % à 95 % de la population couverte par un contrat d'insertion, dans un délai ramené en moyenne de trois mois à trois jours ; on passe de moins de 80 % à 100% de personnes couvertes par la CMUC ; on passe d'un faible pourcentage de personnes contactées par le service public de l'emploi à 100 % des personnes qui ont un lien avec celui-ci dès le premier jour.

Ce département a-t-il fait des choses absolument exceptionnelles ? A-t-il demandé une modification de la Constitution ? A-t-il bénéficié de milliards d'euros ? Non ! Ne serait-ce pas plutôt les autres, ceux qui ne fonctionnent pas comme cela, qui seraient hors normes ? Comment généraliser ce dispositif sans passer par la contrainte ni par des années de discussions ? Voilà les questions qui se posent, et nous devons pouvoir y apporter des réponses.

La situation de l'emploi est également différente d'un bassin à l'autre. Certains bassins d'emplois doivent résoudre des problèmes liés au travail saisonnier, d'autres des problèmes liés aux services à la personne. Faut-il que l'État impose un barème, des règles juridiques identiques sur l'ensemble du territoire, ou qu'il se porte le garant de principes, en laissant aux collectivités territoriales les marges de manoeuvres juridiques pour le faire ?

Comment la logique de responsabilité et de cohérence est-elle compatible avec des compétences réparties entre l'État, les régions, les départements, les communes et les organismes de protection sociale ?

On pourrait spécialiser ces différents échelons par public ou par fonction. Mais cela ne reviendrait-il pas à maintenir des cloisonnements, alors qu'on cherche le contraire ou à disloquer des leviers pourtant complémentaires ? C'est ainsi que, à un an d'âge près ou à quelques dizaines d'euros près de revenu, on passe d'un dispositif à l'autre, d'une collectivité à l'autre, on n'est plus pris en charge par les mêmes.

Encore une fois, comment peut-on faire une politique d'insertion sans la formation professionnelle ?

Pourquoi ne pas laisser aux collectivités le soin de définir leur « pacte territorial d'insertion », en se répartissant les rôles et les responsabilités dans un contrat dans lequel l'État s'engagerait également ?

Si, sur un territoire, c'est le CCAS qui est le lieu où se font les premières démarches d'insertion, pourquoi imposer que cela soit dans une maison départementale ou dans une caisse d'allocations familiales ? Si, dans un département, l'accompagnement professionnel est confié à la même équipe que celle qui assure l'accompagnement social, pourquoi contraindre à passer par un autre opérateur ?

La condition, pour que ce pacte soit réel, c'est qu'on ne puisse pas dire à une personne qu'elle ne peut pas avoir accès à une formation, reconnue comme nécessaire, parce que cela dépend d'un autre acteur, alors même que les financements existent ; c'est qu'on ne puisse pas répondre à une entreprise qu'on ne peut pas lui proposer de la main-d'oeuvre qualifiée dans des délais compatibles avec ses besoins parce que les politiques d'insertion, de formation et de qualification ne sont pas coordonnées. C'est pourtant ce qui arrive tous les jours !

Huitième principe : clarifier la notion de droits et de devoirs pour les publics d'insertion.

Cette notion centrale ne doit être ni virtuelle, et donc non crédible, ni contre-productive parce que rigide. La logique des droits et des devoirs n'exclut pas la notion de confiance. Il faut se méfier de raisonnements séduisants, mais simplistes et inapplicables, pouvant conduire à des désillusions.

Soulignons, d'abord, que le passage au revenu de solidarité active devrait en lui-même supprimer l'une des causes principales du brouillage de cette logique. Lorsque, dans de nombreux cas, le retour au travail ne procure pas de revenus supplémentaires, il est difficile d'appliquer une logique de droits et de devoirs, et de dire qu'on n'a pas fait son devoir en acceptant de perdre de l'argent en reprenant du travail.

Si on élargit le recours au service public de l'emploi, il n'y a pas de raison de faire peser sur les publics en insertion des obligations plus lourdes que celles qui pèseraient sur les autres demandeurs d'emplois. Nous devons aller vers une situation clarifiée.

Nous proposons deux principes.

Le premier principe, c'est que tout travail doit s'exercer dans le cadre d'un « vrai emploi », avec un salaire, ou avec un statut de travailleur indépendant. La logique de droits et de devoirs ne doit pas conduire à créer une catégorie de travailleurs au rabais. Si une contrepartie doit être demandée à la solidarité, elle doit alors se transformer en salaire. Cela évite deux effets pervers : une relégation dans un sous-statut et une concurrence malsaine entre salariés et allocataires de minima sociaux.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Imaginez que, demain, on annonce aux allocataires du RMI qu'ils ne travaillent plus que quelques heures : que se passerait-il pour ceux qui ont un statut de salarié ? Nous voyons bien à quelles dérives nous pourrions alors être confrontés.

M. Jean Desessard. Tout à fait !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Il convient peut-être de revenir au fondement des contrats aidés. On estime qu'un allocataire de minimum social doit pouvoir travailler et que le marché du travail ne lui permet pas de le faire. Alors, un contrat d'insertion doit lui apporter un salaire et l'acquisition de droits à la retraite.

Le deuxième principe est celui du parcours d'insertion. On ne fait pas prendre conscience à la majorité des personnes passées par une action d'insertion de leurs droits et devoirs si on les renvoie à la case départ au bout d'un an. On peut avoir des exigences si l'on s'engage dans la durée. La logique des droits et devoirs doit également s'appliquer à ceux qui n'ont en réalité ni droits ni devoirs : je pense en particulier aux jeunes sans allocation, sans formation, sans travail.

Pourquoi ne pas travailler à l'établissement d'un contrat dans la durée, avec une régularité garantie des revenus, en contrepartie de l'engagement d'accepter emplois et formations proposés pendant la durée du contrat ?

Neuvième principe : faire entrer dans une logique de droits et de devoirs les employeurs.

Question symétrique : faut-il faire peser sur les entreprises une obligation d'insertion ? Cette logique, qui a conduit à définir un pourcentage de salariés handicapés, peut poser le même type de difficultés.

Ne rien faire expose à ce que le comportement des employeurs favorise peu l'insertion. Imposer une contrainte risque de se retourner contre l'objectif recherché.

Que peut-on proposer ?

Tout d'abord, il convient de pouvoir satisfaire les entreprises ou les branches professionnelles qui ont des besoins ou qui sont prêtes à réaliser des efforts d'insertion. Là, la balle est parfois dans notre camp : on ne peut pas se ridiculiser en mobilisant un certain nombre d'entreprises qui se disent prêtes à prendre des publics en insertion et leur dire, ensuite, qu'on ne trouve personne à leur proposer. Cette situation est absolument inacceptable !

Si l'on ne répond pas aux défis que nous posent les entreprises, les pôles de compétitivité, les branches qui ont du mal à recruter, on ne sera pas crédible quand on leur demandera un effort supplémentaire.

Parallèlement, ne faudrait-il pas être capable de mesurer l'effort d'insertion d'une entreprise ou d'une branche ? Ce n'est pas chose facile, mais on arrive bien à mesurer les efforts en matière d'égalité salariale ou de développement durable ! On pourrait prendre en compte les conditions d'embauche, l'effort de formation, le partenariat avec des sous-traitants ou des entreprises d'insertion.

On peut imaginer que l'État employeur fasse davantage jouer les clauses d'insertion dans les marchés publics, ce qui représente un potentiel considérable, mais aussi qu'il y ait un équivalent de ces clauses pour les grandes entreprises privées qui ne recruteraient pas assez de personnes en insertion. Ce n'est pas très compliqué. Je citerai l'exemple d'une grande entreprise de communication dans laquelle je me suis rendu et qui n'emploie pas de personnes en insertion, mais met en place un restaurant d'entreprise d'insertion. Il y a donc mille et une manières d'agir si l'on veut.

Ne peut-on pas multiplier les dispositifs du type « contribution textile », qui a été adopté ici à l'unanimité, en faisant financer les filières d'insertion dans le domaine de l'environnement, par exemple, par une contribution au moment de l'achat ?

Pourquoi ne pas faire financer par quelques centimes additionnels au prix du péage d'autoroute des activités d'insertion afin de pouvoir les entretenir ou assurer un service ?

Pourquoi ne pas étendre à d'autres filières la notion « d'éco-contribution sociale » ? Il ne s'agit pas de taxe nouvelle. Mieux vaut financer des emplois d'insertion que de verser des revenus de remplacement à des personnes qui pourraient travailler.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Le dixième principe c'est de savoir passer de la petite à la grande échelle en se fondant sur l'évaluation et l'expérimentation.

En matière d'insertion, notre pays ne manque ni d'idées ni de projets. Chacun ici pourrait citer des expériences réussies. Pourquoi ont-elles tant de mal à se développer, à se dupliquer, parfois même à survivre ? Elles sont souvent perçues comme coûteuses alors que sans elles le coût pour la collectivité serait sans doute plus élevé. Les politiques publiques doivent s'inspirer de ces initiatives plutôt que de les brider.

Pour cela, l'évaluation et l'expérimentation doivent être des méthodes privilégiées. Nous proposerons que les réformes réservent systématiquement une part de financement à l'évaluation et que l'on continue, comme nous l'avons fait avec le RSA, d'utiliser l'expérimentation comme voie de réforme.

Voilà quelques pistes que nous vous soumettons pour aller vers une politique d'insertion au service de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences de notre pays - l'insertion, ce n'est pas rattraper le passé, c'est préparer l'avenir, l'avenir des personnes comme celui des entreprises ; pour aller vers une simplification considérable des dispositifs ; pour ne plus avoir le record d'Europe du nombre de minima sociaux et de ceux qui y sont scotchés ; pour aller vers le sur-mesure et non mener une politique de « petites cases » pour les « incasables » ; pour une politique d'insertion qui adapte les personnes aux défis du monde du travail et qui adapte aussi les exigences du travail aux difficultés des personnes ; pour une politique d'insertion plus fondée sur les territoires et la responsabilité des acteurs locaux ; bref, pour une politique de solidarité active !

Nous attendons beaucoup de ce débat. Vous voyez que les sujets de négociation entre l'ensemble des acteurs concernés ne manquent pas et que les questions de principe sont dignes d'intérêt. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le haut-commissaire, permettez-moi d'abord de vous dire - ce n'est pas mon habitude, et je crois même que c'est la première fois que je le fais - combien j'ai trouvé votre intervention dense, riche et de très grande qualité. Je regrette cependant, le temps dont vous disposiez vous y a peut-être contraint, que vous ayez adopté un rythme trop rapide. Je souhaite donc que chacun la relise à tête reposée et la médite. Je crois qu'elle le mérite tant elle contient de propositions et a de sens.

Mme Isabelle Debré. Nous la relirons !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Le cadre très exceptionnel de ce débat sur l'insertion me donne l'opportunité de choisir, en quelque sorte, mon sujet. Mes collègues ne seront donc pas surpris que mon choix se porte sur l'insertion professionnelle des personnes handicapées, pour lesquelles le problème ne se pose pas tout à fait dans les mêmes termes que pour le reste de la population active.

Notre commission s'est mobilisée, et continue de l'être, afin que le handicap, lorsqu'il est compatible avec une vie professionnelle, ce qui est très souvent le cas, ne constitue pas l'unique motif de refus d'emploi.

Nous avons fixé un objectif clair dans ce domaine, celui de parvenir au taux légal de 6 % d'emploi de personnes handicapées. Or la part des salariés handicapés dans les entreprises assujetties à l'obligation d'emploi n'est pas encore atteinte.

Elle s'est certes accrue, passant de 2 % en 1987 à 4,4 % aujourd'hui, mais les fameux 6 % ne sont atteints ni dans la fonction publique ni dans le secteur privé et 23 000 entreprises n'ont encore embauché aucun salarié handicapé.

Alors, bien sûr, on ne peut que constater que le taux de chômage des personnes handicapées représente plus du double de celui de la population valide, soit 17 %.

Cette situation résulte d'une collusion de facteurs bien connus.

Tout d'abord, ils sont d'ordre psychologique, en raison des réticences de certains employeurs, qu'ils soient publics ou privés, plus par ignorance que par rejet d'ailleurs. Mais je crois sentir que cela évolue dans le bon sens.

Ensuite, ils sont d'ordre financier, en raison des coûts que représente parfois la mise en accessibilité des postes. Pourtant, il y a des moyens.

Ils sont également d'ordre structurel, car le système de solidarité est de façon générale encore trop peu incitatif à la reprise d'une activité. On le constate aussi pour d'autres catégories de la population.

Enfin, le véritable obstacle est à mon sens lié au faible niveau de qualification des personnes handicapées et à leur difficulté d'accès aux dispositifs de formation professionnelle de droit commun. Les employeurs sont incontestablement à la recherche de personnels qualifiés et certains sont parfois conduits à organiser eux-mêmes ces formations lorsqu'ils veulent atteindre le seuil de 6 %.

La loi du 11 février 2005 a certes apporté des avancées en matière d'emploi des personnes handicapées, mais certains de ces aspects sont moins convaincants. Je l'avais d'ailleurs indiqué au moment de son adoption. Globalement, je dirais que la prise de conscience est réelle et sincère, mais qu'il reste encore beaucoup à faire.

En premier lieu, il s'agit de favoriser le premier pas de l'employeur vers l'embauche des personnes handicapées.

Cela suppose de faire disparaître tout a priori ou appréhension des directions des ressources humaines en multipliant les actions d'information et de sensibilisation. Sur ce point, je rappelle que la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a malheureusement porté un mauvais coup en changeant les règles et en appliquant désormais celle du 1 pour 1 : une personne handicapée pèse un emploi ! En changeant cette règle, prétendument au nom de la dignité, il s'est exactement passé ce que nous avions annoncé : les personnes les plus lourdement handicapées sont désormais écartées de l'emploi. Ce n'est pas la seule anomalie à dénoncer.

Je confirme également que la décision prise en loi de finances rectificative pour 2007 d'exonérer le ministère de l'éducation nationale de sa contribution au fonds de la fonction publique, à hauteur de sa participation au financement des auxiliaires de vie scolaire, n'a pas forcément été bien vécue ni même bien comprise.

M. Paul Blanc. Tout à fait !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. L'État aurait pu avoir à coeur de se montrer exemplaire en la matière.

M. Jean-Pierre Godefroy. C'est la moindre des choses !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Le deuxième axe de progrès est d'inciter davantage les personnes handicapées à travailler et de faciliter leur accès à l'emploi lorsqu'elles en ont la faculté.

La question des ressources ne doit donc pas être un frein. Le cumul désormais possible, pour un certain montant, de l'AAH et d'un revenu d'activité constitue déjà un progrès, qui permet de maintenir un niveau de ressources suffisant même dans le cas d'une reprise d'activité à temps partiel.

Mais ce n'est pas le cas pour les personnes handicapées qui créent leur propre emploi, ce qu'elles sont souvent contraintes de faire en l'absence d'offres adaptées. Aussi, le maintien de l'AAH pour les créateurs d'entreprise, à l'image de ce qui existe pour les chômeurs, devrait être également possible.

Par ailleurs, je crois que vous étudiez, monsieur le haut-commissaire, la possibilité de verser le revenu de solidarité active aux bénéficiaires de l'AAH.

C'est une question sensible qui mérite une attention particulière. Il faut en effet considérer la question des ressources des personnes handicapées de façon globale, en tenant compte du complément de l'AAH et en séparant clairement les prestations qui relèvent de la stricte compensation du handicap. Le montant du RSA devrait ainsi être fixé en conséquence afin que la reprise d'activité soit particulièrement attractive.

Le troisième moyen d'action est de rendre effectif l'accès des personnes handicapées aux dispositifs de formation de droit commun.

Concrètement, cela suppose de mettre à disposition des places supplémentaires pour les personnes handicapées dans le plan régional de formation, de mieux adapter l'offre de formation professionnelle aux personnes handicapées en prévoyant, par exemple, un accueil à temps partiel ou continu, une modulation de la durée de la formation, des méthodes et des supports pédagogiques compatibles avec les handicaps des participants, conformément aux exigences définies dans ce domaine par le décret du 9 janvier 2006. Enfin, il faut mieux préparer les formateurs et les travailleurs sociaux aux difficultés que peuvent rencontrer les personnes handicapées, la méconnaissance du handicap étant le premier frein à l'application de la loi.

Certaines régions ont déjà réalisé des efforts importants en signant les conventions « Handicompétence » en partenariat avec l'AGEFIPH, l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées.

Il faut multiplier ces initiatives afin que les personnes handicapées puissent suivre des formations adaptées à leur handicap et aux emplois disponibles après établissement d'un bilan de ce qu'elles peuvent et veulent faire. Cela n'exclut pas, par ailleurs, de développer les capacités d'accueil dans le secteur protégé, en établissement et service d'aide par le travail, ESAT, et en entreprises adaptées, en augmentant le nombre d'emplois disponibles.

Le passage dans ces structures représente une étape souvent décisive dans le parcours d'insertion professionnelle des personnes handicapées. Encore faudra-t-il qu'on ne les y retienne pas lorsque l'on peut passer à un autre stade.

C'est la raison pour laquelle notre commission est très favorable à l'expérimentation de places d'ESAT « hors les murs » destinées à faciliter la transition vers le milieu ordinaire en maintenant un encadrement rassurant pour le salarié. L'objectif final est bien sûr l'accès des personnes handicapées à l'emploi en milieu ordinaire, que ce soit dans la fonction publique ou dans les entreprises privées.

Le premier moyen d'action est évidemment financier : l'AGEFIPH, association pour la gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés, et le FIPHFP, fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, ont pour mission de financer des primes d'incitation à l'embauche ou des aides à l'aménagement des postes de travail.

Les actions menées par l'AGEFIPH ont déjà donné des résultats encourageants : plus de 230 000 interventions chaque année, une augmentation de 4 % en 2006 des salariés handicapés et 111 000 personnes prises en charge par le réseau Cap emploi.

En revanche, les interventions du FIPHFP demeurent embryonnaires, ce qui explique un excédent de trésorerie « dormant » qui atteint plus de 150 millions d'euros. Je crois que les choses vont changer. Notre commission s'était d'ailleurs vivement inquiétée de cette situation et du contexte particulier dans lequel ce fonds a commencé de fonctionner. Il faut espérer que désormais doté d'un nouveau président, il puisse prendre la mesure de sa mission et engager des actions adaptées aux besoins et demandes des employeurs publics.

Bien évidemment, la mise en accessibilité des bâtiments, de la voirie et des transports est une absolue nécessité pour permettre l'accès à l'emploi. On dépasse ici, j'en suis conscient, la question de l'insertion professionnelle stricto sensu, mais les deux sujets sont indissociables. L'échéance fixée par la loi - 2015 - est bien trop lointaine. Mais l'ampleur des investissements à financer justifie que les communes s'en préoccupent dès à présent.

C'est maintenant qu'il faut mettre en place la commission d'accessibilité chargée d'établir, avant la fin de l'année 2008, le diagnostic d'accessibilité des constructions, des voiries et des moyens de transport.

Les entreprises et les administrations qui souhaitent accueillir des personnes handicapées sont, elles aussi, concernées au premier chef.

Il me semble donc que l'AGEFIPH et le FIPHFP pourraient utilement contribuer au financement de ces opérations.

Je crois beaucoup, comme vous, me semble-t-il, monsieur le haut-commissaire, à la méthode des « petits pas » qui font progressivement évoluer les esprits. Je crois aussi à la vertu de l'exemple.

Je suis convaincu que cette méthode et la vertu de l'exemple pourront sensibiliser et convaincre, y compris les petites entreprises, celles de moins de vingt salariés, qui ne sont pas assujetties à l'obligation d'emploi, mais qui constituent le vivier d'emplois proches susceptible d'accueillir nos concitoyens handicapés en attente d'un emploi.

Tel est le message que je souhaitais vous délivrer aujourd'hui. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Paul Blanc, pour la commission des affaires sociales.

M. Paul Blanc, pour la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, en préambule, je souhaite dire que la France n'a pas à rougir des efforts qu'elle déploie en faveur de l'insertion des plus démunis.

Plusieurs textes y ont été consacrés ces dernières années : la loi de 1988 créant le revenu minimum d'insertion, le RMI, la grande loi de 1998 contre les exclusions et, plus récemment, la loi en faveur du retour à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux, sans oublier les dispositions spécifiques en faveur de l'insertion professionnelle des personnes handicapées, comme l'a indiqué le président de la commission des affaires sociales, Nicolas About.

Pour autant, notre système de solidarité, bien que largement doté, n'a pas donné les résultats escomptés.

Trop complexe, tout d'abord, il n'est guère compréhensible aujourd'hui pour nos concitoyens, y compris pour les travailleurs sociaux eux-mêmes !

Cette complexité entraîne également des incohérences et des iniquités, que ce soit entre les bénéficiaires de minima sociaux ou entre ceux-ci et les salariés les plus modestes.

Enfin, le système actuel reste trop peu incitatif à la reprise d'activité, et ce en dépit de nos efforts.

Il en résulte une efficacité limitée des politiques d'insertion et de solidarité, qui maintiennent leurs bénéficiaires dans un régime d'assistance dont ils veulent le plus souvent sortir sans pouvoir prendre le risque d'une diminution de leur revenu d'existence.

À l'occasion de ce débat, et alors que se prépare une réforme globale des minima sociaux, permettez-moi de proposer quelques axes de réflexion.

Tout d'abord, le futur système doit être plus incitatif à la reprise d'activité et assortir obligatoirement le versement d'un minimum social d'une contrepartie de la part du bénéficiaire.

De l'assistance nous devons passer à une «politique d'inclusion sociale active », ainsi que le préconise l'Union européenne.

Je crois en la vertu rédemptrice du travail et de l'effort, ainsi qu'au bonheur donné par la récompense méritée. L'individu trouve sa dignité dans le travail et dans sa contribution au fonctionnement de la société.

Une large majorité des bénéficiaires des minima sociaux sont d'ailleurs désireux de travailler. Cela suppose, néanmoins, un accompagnement et un suivi sérieux. C'est la grande faille du RMI, alors même que la loi avait prévu la signature d'un contrat d'insertion. Je crois donc indispensable de contrôler désormais l'existence d'un tel contrat et de sanctionner les bénéficiaires d'un minimum social qui le refuseraient ou qui n'en respecteraient pas le contenu.

Il faut, dans le même temps, professionnaliser les métiers de l'insertion : les travailleurs sociaux doivent être en mesure de réaliser avec la personne concernée un bilan professionnel valable, de lui proposer un véritable projet d'insertion et d'en assurer le suivi jusqu'à son terme.

Cela suppose que les travailleurs sociaux soient plus formés et préparés à ces entretiens. Dans la perspective d'une évaluation des politiques d'insertion, il me paraît même pertinent de leur fixer des objectifs de résultats.

Le deuxième principe fondamental est que notre système doit garantir l'équité entre les bénéficiaires des minima sociaux, d'une part, et entre ces derniers et les salariés les plus modestes, d'autre part.

Il existe dans notre pays une trop grande variété de statuts et une disparité dans le montant des allocations versées, la fixation des plafonds de ressources et les conditions d'attribution des aides, créatrices d'effets pervers.

Tous ces points ont été décrits dans le rapport d'information que la commission des affaires sociales a consacré à ce sujet en 2005.

La fusion des minima sociaux que vous envisagez constituerait, bien sûr, une garantie de simplification et d'équité, mais la simple harmonisation des conditions de versement et d'accès aux droits connexes pourrait remplir, me semble-t-il, le même office.

En outre, la généralisation du revenu de solidarité active, le RSA, s'il était versé à tous les bénéficiaires de minima sociaux reprenant une activité, mais aussi aux travailleurs les plus pauvres, supprimerait nos craintes d'une distorsion entre ces deux catégories, tout en incitant au retour à l'emploi.

Il s'agit de garantir la perception d'un revenu supérieur à celui qui est versé dans les périodes d'inactivité. Nos réserves portent sur le coût d'une telle mesure.

C'est pourquoi, une remise à plat complète du système, y compris des droits connexes versés en fonction du statut du bénéficiaire et des charges liées à la reprise d'activité, nous semble indispensable.

Le troisième principe est la sécurisation du parcours d'insertion professionnelle. Toute reprise d'activité, y compris de courte durée, ne doit comporter, pour le bénéficiaire, aucun risque de perte de revenu.

Or les parcours d'insertion alternent souvent activité et inactivité. Aussi faut-il éviter les ruptures brutales de droit, en neutralisant les ressources devenues inexistantes.

Le RSA, que vous devez expérimenter dans quarante départements au profit des bénéficiaires du RMI et de l'API, allocation de parent isolé, répond en partie à ces objectifs.

Nous avons pourtant des questions concernant son éventuelle généralisation.

Le RSA a-t-il vocation à intégrer l'ensemble des minima sociaux ou bien seulement l'ASS, allocation de solidarité spécifique, l'API et le RMI ? L'AAH, allocation aux adultes handicapés, est-elle concernée ? Comment s'articulera-t-il avec chaque minimum social ? Quel doit être le montant du RSA ? Sera-t-il fixé uniformément par l'État ou librement par chaque département ?

La commission des affaires sociales a déjà eu l'occasion de se prononcer à ce sujet : elle souhaite que les modalités de calcul du RSA soient identiques sur l'ensemble du territoire national et que les droits connexes soient obligatoirement pris en compte. Cela permettra à la fois de simplifier notre système, de limiter les disparités de revenus entre les bénéficiaires du RSA et les travailleurs modestes, et de réduire le coût global du nouveau système de solidarité.

Une autre question centrale est celle du partage des responsabilités.

Suivant les préconisations de notre collègue Alain Lambert, les départements -continueront-ils à exister ? -, échelons de proximité, pourraient conserver leur responsabilité de chef de file dans la conduite des politiques d'insertion.

Leur mobilisation et leur implication active en faveur des bénéficiaires du RMI justifieraient qu'ils reçoivent de l'État une juste compensation des dépenses qu'ils engagent dans ce domaine, et qu'ils soient récompensés des actions innovantes et efficaces qu'ils mettent en oeuvre.

Ces nouvelles pratiques pourraient faire l'objet d'une évaluation annuelle et être diffusées lorsqu'elles ont fait leurs preuves.

Pourrait s'ajouter à ces mesures une récompense financière destinée aux départements vertueux, à l'instar de la prime versée, dans le cadre du fonds de mobilisation départemental pour l'insertion, aux départements qui s'efforcent de mettre en place des politiques sociales innovantes.

Concernant la formation professionnelle, l'action des régions destinée aux bénéficiaires des minima sociaux demeure insuffisante. Elle doit être mieux coordonnée avec celle des départements et le système de formation professionnelle doit être plus largement ouvert aux bénéficiaires de minima sociaux.

Il est vrai que tous les bénéficiaires de minima sociaux ne sont pas inscrits à l'ANPE, ce qui a pour conséquence qu'ils ne peuvent pas bénéficier pleinement des offres de formation du service public de l'emploi.

Monsieur le haut-commissaire, à quand un Grenelle de la formation professionnelle ?

Pour conclure, je souhaite que la future réforme des politiques d'insertion passe par une redéfinition des droits et des devoirs de tous les acteurs : bénéficiaires de la solidarité nationale, entreprises, travailleurs sociaux, État et collectivités locales concernées. J'y vois le préalable à une politique d'inclusion sociale active, assortie d'une véritable exigence de résultats.

Je crois également à l'émulation créée entre les départements par la décentralisation et aux vertus de l'expérimentation.

C'est ainsi que nous parviendrons à rénover nos politiques publiques et à les rendre plus efficaces, en évaluant leur mise en oeuvre et en diffusant les bonnes pratiques. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier, pour la commission des affaires sociales.

M. Bernard Seillier, pour la commission des affaires sociales. Monsieur le haut-commissaire, après votre exposé complet, qui a fait l'inventaire aussi bien de l'existant que des pistes ouvertes par ce Grenelle de l'insertion, je suis en grande difficulté pour ajouter quelque chose de pertinent, d'autant que je partage très largement les analyses que vous avez développées.

La référence aux accords de Grenelle de 1968 me permet toutefois de prendre quelques libertés puisqu'elle signifie l'ambition de remettre à plat toute la problématique de l'insertion de chaque citoyen dans la vie économique et sociale.

Ainsi que vous le disiez vous-même, monsieur le haut-commissaire, lors lancement de cette vaste opération, à Grenoble, où j'ai eu la chance de pouvoir vous écouter, il s'agit de réviser le régime de répartition des droits et des devoirs de tous les acteurs autour de cette problématique de l'inclusion sociale.

Le champ est donc très vaste et mérite d'être segmenté ou, pour le moins, mis en perspective. C'est ce que j'essaierai très simplement, et sans aucun doute trop sommairement, de faire.

Tout d'abord la problématique même de l'insertion peut être posée par référence à la logique de développement de la société dans laquelle nous vivons.

Si nous admettons, à ce titre, que la dominante de nos sociétés développées est la performance d'un système technologique concurrentiel, nous admettrons que l'impératif d'une insertion réussie sera de permettre à chacun d'accéder à un haut niveau de compétence scientifique et technique. C'est donc la qualité du système éducatif et de la formation professionnelle qui devra être considérée comme prioritaire.

La mobilisation des moyens financiers, notamment ceux du système de formation professionnelle, qu'elle soit initiale ou continue, devra suivre cette logique. Le rapport de la mission sénatoriale de 2007 sur ce sujet a montré que nous étions loin de satisfaire à cette nécessité. Cependant, nous connaissons désormais la voie à suivre.

Si nous remarquons, ensuite, que l'acquisition d'un haut niveau de qualification professionnelle requiert un effort intense et prolongé tout au long de la vie, nous mettrons en évidence le lien étroit qui existe entre la satisfaction de cette exigence personnelle et ce que j'appellerai la stabilité mentale, la force de caractère et de volonté des intéressés.

C'est donc la formation morale qui se trouve mise en jeu, de même que tout le contexte culturel dans lequel nous baignons. Nous devons nous interroger, alors, pour savoir si la pédagogie de l'effort intense et continu que sous-tend cet objectif est bien la caractéristique dominante de notre éducation et de notre existence quotidienne. Je ne me prononce pas sur la qualité de cette existence dès lors qu'elle est soumise à une telle tension ; néanmoins, la question doit être posée, et je laisse chacun s'interroger en son for intérieur et répondre à cette question.

La fréquentation des publics en difficulté d'insertion dans les missions locales rend dubitatif à ce sujet. Il y aurait donc, là aussi, une voie évidente de progrès dans la prévention de l'exclusion. Trop de jeunes ne sont, à l'évidence, pas armés pour affronter les conditions de la vive compétition inhérente aux économies de la connaissance quand on constate les difficultés qu'ils rencontrent en découvrant à la fin de l'adolescence les règles élémentaires de l'hygiène de vie, si une pratique sportive de bon niveau ne les a pas préalablement éveillés en ce domaine.

La responsabilité de l'échec de l'insertion ne saurait, a fortiori dans de telles conditions, être imputable aux victimes. Ceux qui disposent du pouvoir de décider de la formation des jeunes et de la dispenser sont les premiers responsables du succès ou de l'échec de leur bonne insertion.

Autrement dit, c'est sur nous que repose cette responsabilité.

Il serait trop facile de construire, ensuite, le mythe d'une inadaptation insurmontable de quelques personnes et d'inventer l'inacceptable concept de « handicapé social » quand on a préalablement tout fait pour qu'il en soit ainsi !

Nous pouvons aussi aborder la problématique de l'insertion par un examen critique de notre modernité, ce que vous avez très largement fait. Permettez-moi toutefois de préciser quelques points auxquels je suis particulièrement sensible.

On peut notamment se demander si les contraintes inhérentes à nos sociétés technologiques, libérales, capitalistes, individualistes et compétitives ne sont pas en définitive excessives, au point d'engendrer des forces centrifuges telles - nous avons les mêmes références mécaniques ! - que l'exclusion est un sous-produit systémique, aussi bien au niveau du volume d'emplois que de la rémunération du travail et de la distribution des revenus.

La question n'est pas indécente, au contraire. La difficulté tient à l'inaccessibilité à ce jour d'un système de régulation non destructeur du système de base producteur de richesses.

On identifie le mal, mais on ne maîtrise pas le remède, au moins au niveau global.

C'est pourquoi, à l'expérience, je pense qu'une fois admis que l'effort de prévention de l'exclusion passe par l'éducation fondamentale et la formation professionnelle initiale et continue telle que je viens de l'évoquer, il faut déployer toute la panoplie de ce que l'ingénierie de l'insertion a mis au jour et en oeuvre progressivement depuis plus de trente ans maintenant, jusqu'à l'invention du revenu de solidarité active, dont vous êtes le concepteur.

Il est essentiel que cette ingénierie soit connue par tous et spécialement par les ministres et leurs conseillers. Surtout, il importe de prendre très au sérieux la gravité et l'ampleur de la question et de rejeter toute conception superficielle des moyens à mettre en oeuvre dans la lutte contre l'exclusion, conception selon laquelle il ne s'agirait que d'un secteur d'ajustement conjoncturel alors que nous sommes confrontés à un phénomène structurel.

Cette observation, cela va de soi, ne concerne pas le haut-commissariat et les conseillers qu'il regroupe. (Sourires sur le banc du Gouvernement et sur celui de la commission.)

L'expérience que j'ai de la formation continue depuis vingt ans me permet de mesurer la nécessité que les lois du secteur de l'insertion soient connues à un bon niveau, car je sais quelles menaces récurrentes de variation conjoncturelle pèsent sur les crédits dégagés à ce titre.

Je n'ai pas le temps ici de décrire dans le détail ce que j'appelle l'« ingénierie de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion ». Je soulignerai simplement que la panoplie des structures mobilisées dans ce combat va du lieu de vie, en marge des marchés compétitifs, pour la remise en selle des personnes les plus blessées par la vie et dont on ne peut jamais dire à l'avance qu'elles sont perdues pour toute vie sociale et vie économique classiques, jusqu'à l'Association pour le droit à l'initiative économique, fondée en France par Maria Nowak et qui accompagne les créateurs d'entreprise par le système du microcrédit. Dix mille prêts ont été ainsi distribués par son entremise l'année dernière. Ils ont permis de sortir dix mille personnes du chômage par la création d'entreprise et donc par une insertion par le haut. Je rappelle que l'économiste Muhammad Yunus né au Bangladesh en 1940 et inventeur du microcrédit a reçu le prix Nobel de la paix en 2006. Ce n'est pas indifférent.

Entre ces deux extrémités de la panoplie, on observe toute la gamme progressive des chantiers d'insertion, chantiers-écoles, associations et entreprises intermédiaires, entreprises d'insertion, dont les revenus proviennent à 80 % de la vente sur les marchés compétitifs, jusqu'aux entreprises courantes placées au coeur des marchés internationaux et qui s'impliquent de plus en plus en amont dans l'invention de parcours de réinsertion de personnes en situation d'exclusion ou menacées d'exclusion au coeur même de leur entreprise.

Ainsi que vous en avez également fait la remarque, monsieur le haut-commissaire, je pense qu'une des grandes attentes que suscite le Grenelle de l'insertion repose sur cet engagement progressif, et relativement nouveau pour certains, du tissu économique dans la grande cause nationale de l'insertion.

Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale comprend en son sein, depuis juillet 2005, les syndicats professionnels et de salariés. J'ai pu noter de leur part la volonté de se tourner collectivement vers cette problématique de la lutte contre l'exclusion par les politiques d'insertion.

En effet, si, comme je le disais précédemment, nous devons affronter un problème structurel de nos systèmes économiques et sociaux, il est clair que la persistance du phénomène engendre des pénalités considérables pour notre avenir économique et social. Sa résorption ne peut, dès lors, que se traduire par une meilleure performance économique : c'est donc notre intérêt.

Mais l'enjeu est aussi l'obtention d'un degré supérieur de cohésion sociale : c'est donc aussi notre obligation politique.

Avant de conclure, je souhaite attirer votre attention sur une dimension cachée de cette problématique.

Il faut s'interroger en effet sur ce qui blesse notre corps social au point de fournir des cohortes de personnes en situation de pauvreté et d'exclusion d'une participation normale à la vie commune et à la répartition équitable des biens. Il y a là la marque d'un échec politique majeur.

Lorsqu'on essaie de systématiser les processus d'insertion, on constate qu'ils comportent tous deux dimensions : une dimension financière, car l'insertion a un coût, et une dimension humaine, car l'insertion exige toujours un accompagnement individualisé, professionnel ou social, ou professionnel et social.

On comprend donc aisément que, s'il y a un aspect technique de la problématique - une qualification à acquérir et une rémunération de transition à offrir -, il y a également un aspect de lien social, de relation interpersonnelle qui est en cause.

Cette dernière dimension est essentielle, et je crois qu'elle n'est plus niée par quiconque.

Cette découverte m'avait conduit à proposer en 2003 la création d'un « contrat d'accompagnement généralisé » tant pour l'insertion par un contrat de travail que pour l'insertion par une création ou reprise d'entreprise.

Mais il est intéressant de se demander si ce recours subitement nécessaire à un accompagnement lors d'un processus d'insertion ou de réinsertion ne révèle pas une blessure plus chronique et plus structurelle du lien social lui-même en tant que protection contre l'exclusion sociale.

Qu'il me soit permis ici d'orienter notre réflexion sur un sujet grave et délicat que j'aborde sans aucune agressivité.

L'émergence du problème de l'insertion commence très tôt dans notre existence puisqu'on peut affirmer que le premier acte de notre insertion est notre naissance. Notre existence s'impose au monde depuis que l'infanticide a été banni de nos sociétés. Cette insertion ne peut être refusée par la société, et c'est un progrès de civilisation. Les législations de solidarité sociale, au moins dans nos pays, ont reconnu la nécessité de soutenir financièrement cet événement, cet avènement, dirai-je, cette première insertion.

Une ombre s'est cependant répandue depuis que de nombreux régimes démocratiques ont libéralisé la possibilité d'interruption des grossesses, rendant ainsi précaire la phase préliminaire de préparation de l'insertion initiale de l'être humain dans la société.

Je me place ici d'un point de vue peu exploré, qui n'est ni d'ordre démographique ni d'ordre juridique, mais qui est d'ordre relationnel qualitatif et relève donc de la morale collective.

Il est incontestable que l'avènement de l'autre dans notre conscience, son accueil dans notre mentalité et la reconnaissance de ses droits imprescriptibles par notre volonté sont déportés à un moment qui dépend de notre enregistrement à l'état civil et ne se produisent pas en amont de la naissance, à un stade qui ferait abstraction de notre sensibilité.

Cette solution a pour elle l'avantage de la force du fait, mais elle a contre elle la faiblesse de ne pas être inconditionnelle et indépendante de la qualité, de la situation et de l'état de l'être humain en cause, de son stade de développement. Cette problématique est celle-là même de l'insertion tout au long de la vie.

Aujourd'hui, la législation protectrice de l'insertion et des droits des handicapés est une garantie importante contre les dérives eugéniques de notre humanité.

Notre situation demeure cependant pénalisante pour toute la philosophie exigeante de l'inclusion sociale. Elle suppose en effet, pour être vraiment digne d'une haute conception du corps social, c'est-à-dire d'une conception unifiée indépendante des valeurs et des performances individuelles, un respect absolu de la dignité de l'être humain dans son essence.

Mère Theresa avait coutume de dire que l'avortement légal était le principal ennemi de la paix dans le monde.

Mme Odette Terrade. C'est complètement hors sujet !

Mme Raymonde Le Texier. Il y a une loi sur l'IVG !

M. Bernard Seillier. Ses propos méritent, je pense, un peu de respect.

Il m'a fallu du temps pour comprendre ce qu'elle voulait ainsi signifier. Je crois avoir compris que, selon elle, toute l'anthropologie sociale et la philosophie de l'insertion au sens général du terme étaient contenues dans la gestation de l'être humain.

M. Paul Blanc, pour la commission des affaires sociales. Voilà une définition de la « politique de civilisation » !

M. Bernard Seillier. Dans une situation initiale de grande dépendance, incapable de faire valoir ses droits par lui-même, il est soumis à la protection du corps maternel avec lequel il ne fait presque qu'un. Il y a ainsi, pendant neuf mois, un accompagnement biologique et affectif qui débouche sur la naissance au monde.

À partir de là, être homme est une succession ininterrompue d'actions, d'initiatives et de consentements qui ne se posent pas de manière isolée dans le milieu vital ni indépendamment de lui.

Ce qu'est de manière archétype l'accompagnement maternel avant la naissance, puis, après la naissance, pendant la première éducation, doit se poursuivre ensuite durant toute notre vie dans une inter-relation continue entre les personnes composant la communauté de société.

Nous ne cessons de nous engendrer mutuellement pour composer le corps social que nous voulons le plus harmonieux, pacifique et juste possible.

Si nous ne sommes pas mus fondamentalement par cette conception de notre humanité, par cette caractéristique de notre civilisation, en un mot par cet humanisme de l'interdépendance de nos actes, nous serons dans l'impossibilité d'avoir une conception de l'insertion autre que purement fonctionnelle et technique, et qui repose donc in fine sur la responsabilité peu partagée de celui qui est en situation d'exclusion. Nous ne saurons jamais l'écouter puisqu'il lui appartient de nous dire ce dont il a besoin même quand il sait difficilement l'exprimer, alors que c'est la condition même de la réalisation de notre humanité.

Ainsi, nos sociétés modernes n'auraient pas beaucoup changé par rapport aux sociétés antiques qui rejetaient sur le pauvre la responsabilité de son indigence et appelaient « esclaves » ce que nous appellerions « inadaptés ».

Or nous savons maintenant que le bouc émissaire est innocent, ainsi que René Girard nous le rappelle avec insistance.

Pardonnez-moi, mes chers collègues de vous avoir entraînés sur ce terrain inattendu mais que, sincèrement, je ne crois pas hors sujet...

M. Bernard Seillier. ... si nous voulons remonter à la source du problème de l'insertion et reconnaître qu'il s'agit du sens fondamental de nos vies, de cette obligation nationale, de cette mobilisation de tous inscrite dans la loi de 1998. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. Je rappelle que les interventions des autres orateurs ne peuvent dépasser dix minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à Mme Raymonde Le Texier.

Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, chers collègues, dans notre pays, une personne sur dix vit grâce aux minima sociaux, mais, dans une telle situation, il est difficile de faire la part de ce qui relève de la persistance d'un chômage de masse, de ce qui est dû à la complexité du champ de l'insertion ou à l'existence de trappes à inactivité.

On a d'ailleurs pu constater que le nombre de RMIstes restait très élevé, même lorsque le chômage reculait. Cela n'est pas étonnant puisqu'une part des reculs constatés en la matière correspond moins à des créations d'emplois qu'à des baisses statistiques, liées au glissement de statut de demandeur d'emploi à RMIste.

La question de l'insertion n'est que la pointe émergée de l'iceberg du marché du travail, où précarisation, bas salaires, chômage et démantèlement des protections sociales sont les véritables fléaux qui minent notre société, engendrant de plus en plus d'exclus ainsi qu'un fort sentiment d'insécurité.

Selon une étude réalisée auprès de l'ensemble des pays de la communauté européenne, à la question « avez-vous personnellement peur d'être exclu ? », 55 % des Français répondent par l'affirmative.

Plus étonnant encore, ce pourcentage est le plus élevé parmi tous les pays consultés. Cela prouve que l'exclusion est perçue comme liée à des phénomènes que non seulement l'individu ne maîtrise plus mais sur lesquels l'État semble ne plus avoir de prise.

C'est sur le changement des fondamentaux économiques qui provoquent ces situations qu'il faut aujourd'hui réfléchir, car on ne peut se satisfaire ni de cette inquiétude croissante ni de la situation de l'insertion dans notre pays.

Le bilan que vous en dressez, monsieur le haut-commissaire, est juste, précis et nous interpelle.

Se retrouver dans le maquis des contrats aidés relève de l'exploit : contrat de qualification, contrat de professionnalisation, contrat d'insertion dans la vie sociale, contrat d'insertion lié au revenu minimum d'activité, contrat d'accès à l'emploi, contrat d'avenir... Et cet inventaire n'est pas exhaustif.

Quant au contenu réel de ces contrats, beaucoup d'entre nous ont du mal à le décrire. Pis encore, les professionnels eux-mêmes sont perdus dans cette jungle de propositions où les individus sont découpés en tranches, répartis en cases et n'ont accès aux différentes propositions qu'en fonction de conditions qui ne cessent d'être redéfinies et réaménagées au gré des annonces ministérielles, des besoins statistiques et des financements disponibles.

Il faut ajouter à cet empilement des dispositifs l'énergie incroyable que les acteurs doivent déployer pour suivre ces changements dont ils ne comprennent plus le sens, ce qui, à terme, aboutit à une démobilisation générale.

Si nul ne peut encore prédire ce qui sortira du Grenelle de l'insertion, les questions que vous soulevez, monsieur le haut-commissaire, sont pertinentes et la démarche qui sous-tend la procédure que vous avez mise en place nous change agréablement des habituelles méthodes de travail de ce gouvernement : le temps de la réflexion et de l'écoute est pris, le diagnostic doit être établi à partir des réalités du terrain, la question de la gouvernance et du financement est posée, la volonté d'achever le processus avec des solutions concrètes et partagées est affichée.

La mise en place de politiques d'insertion efficaces nécessite une évaluation sérieuse des dispositifs existants, qu'il s'agisse de l'accompagnement social des titulaires de minima sociaux, du professionnalisme des entreprises intervenant dans le champ de l'insertion, des parcours de retour à l'emploi, sans oublier la question du partenariat, qui reste posée : en parler à l'envi ne signifie pas pour autant qu'il fonctionne ; de mon point de vue, ce serait plutôt l'inverse !

Il est indispensable que les élus, les entreprises et les employeurs publics s'impliquent réellement dans la démarche ; ils en étaient découragés jusqu'alors par la complexité des processus, le peu de résultats constatés sur le terrain comme l'attitude de l'État, qui semblait s'en laver les mains...

L'Assemblée des départements de France, l'ADF, se plaint depuis longtemps du désengagement de l'État des politiques d'insertion. En effet, le transfert aux conseils généraux de la gestion du RMI s'apparente plus à la gestion de la « patate chaude » qu'à une saine répartition des tâches entre ce qui relève de la solidarité nationale et ce qui doit être pris en charge au niveau local. La situation s'est trouvée aggravée par le manque de parole des gouvernements successifs qui n'ont jamais tenu les promesses de remboursement aux départements.

Face à un accroissement de plus de 18 % du nombre de bénéficiaires du RMI observé entre 2004 et 2006, les départements n'ont eu de cesse de dénoncer le décrochage entre la part du financement incombant à l'État et le coût réel assumé par leurs budgets. Dès 2004, les dépenses ont progressé de 8,5 % du fait de la dégradation du marché du travail et de la réforme de l'UNEDIC, laquelle a entraîné une augmentation du chômage non indemnisé ainsi que le basculement plus fréquent et plus précoce des demandeurs d'emploi vers le RMI.

Les départements ont assumé financièrement les choix de la politique d'emploi de l'État, alors même que celui-ci se défaussait des obligations contractées à leur égard. Mais il n'est pire sourd que celui qui ne veut entendre : aujourd'hui encore, la dette de l'État s'élève à 2 milliards d'euros, sans compter les différentes formes de contrats aidés que financent également les départements !

Face à la désinvolture de l'État et à la détresse croissante de leurs administrés, les conseils généraux auraient pu choisir de consacrer la majeure partie de leur budget au versement des allocations, en réduisant de manière drastique les efforts nécessaires aux actions d'insertion. Ce n'est pas ce qu'ils ont décidé. Cependant, quand l'explosion des dépenses liées à l'APA s'ajoute à l'augmentation du coût de l'insertion, les marges budgétaires tendent à se réduire comme peau de chagrin. À terme, le risque de devoir choisir entre le nécessaire et l'indispensable devient de plus en plus réel.

Voilà pourquoi l'annonce de la généralisation avant 2009 du revenu de solidarité active, le RSA, rend les départements plus que circonspects. Claudy Lebreton déclarait devant le congrès de l'ADF en octobre 2007 : « Le Gouvernement a prévu d'inscrire 25 millions d'euros pour financer le surcoût du RSA et nous savons que cette somme sera largement insuffisante. » Au vu de ce qui s'est passé pour le RMI, le président de l'ADF parle d'expérience. Si l'expérimentation du RSA est intéressante, conduisons-la à son terme, car, en l'état, son coût obère ses chances de succès, et ce n'est pas l'annonce de crédits manifestement sous-évalués qui restaurera la confiance.

Enfin, si l'insertion par le travail est un objectif dont on peut difficilement contester la légitimité, il reste que nombre de bénéficiaires des minima sociaux nécessitent encore une prise en charge lourde. La question de la revalorisation du travail ne doit pas servir de prétexte à l'occultation des problèmes de logement, de formation, d'éducation et de santé qui pèsent sur l'avenir des plus fragiles d'entre nous.

La perte de crédit de la parole de l'État n'est pas liée uniquement aux mauvais rapports entre le Gouvernement et les collectivités territoriales. Pour les citoyens aussi, les promesses de l'élection présidentielle ont fait place au pain noir de la réalité. Depuis quelque temps, les discours gouvernementaux sur la revalorisation du travail servent de paravent à la réalité d'une politique où stagnation des salaires rime avec baisse du pouvoir d'achat, où la modernisation du marché de l'emploi se résume à la destruction du droit du travail, où la réforme de la sécurité sociale remet en cause les principes de notre pacte social.

Si l'on met les malheureux 25 millions d'euros consentis aux plus fragiles en regard des 4 milliards d'euros de cadeaux fiscaux offerts aux plus aisés, on comprend vite quelles sont les vraies priorités du Président de la République ! (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit.)

La politique du Gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le haut-commissaire, ne se soucie ni de l'accroissement des inégalités ni de la baisse du pouvoir d'achat. Tandis que vous cherchez des pistes pour que l'accès à l'emploi ne soit plus un horizon lointain et instable, le Gouvernement, lui, alimente avec constance le flux de la précarité. C'est dommage, car votre démarche mérite mieux. Mais, dans la vie comme en politique, « il vaut mieux allumer une bougie que maudire l'obscurité ».

Monsieur le haut-commissaire, nous partageons le diagnostic que vous posez : aujourd'hui, l'insertion fonctionne mal et, pour sortir de cette impasse, il faut renoncer au discours compassionnel, procéder à une analyse sans concessions de la transformation de notre société, définir des objectifs clairs pour ceux qui sont proches des normes de l'emploi, pour ceux dont la situation exige un dispositif transitoire et pour ceux qui auront toujours besoin d'être soutenus.

Quels sont les droits et obligations de ceux qui relèveront de cette prise en charge ? Comment impliquer réellement l'entreprise dans ces actions au-delà d'une énième charte qui, finalement, ne l'engage à rien ? Et, surtout, quelle est la place de l'État dans ce processus ?

L'État doit se sentir concerné par l'insertion et non instrumentaliser la décentralisation pour s'exonérer de son devoir de solidarité. D'autant que l'insertion est plutôt un bon investissement pour notre société : non seulement celui qui retrouve un emploi stable et correctement payé reconquiert aussi sa dignité, mais surtout il casse la spirale de la reproduction de l'inadaptation sociale. Car, à abandonner les personnes à leur sort, on reproduit, génération après génération, les mêmes fractures, les mêmes souffrances et les mêmes destinées. Casser la chaîne de l'échec social est une mission fondamentale pour qui se pique de mener une « politique de civilisation ».

Mieux que de longs discours, les moyens, tant humains que financiers, mis sur la table par l'État à l'issue du Grenelle de l'insertion témoigneront de la réalité de cette prise de conscience.

Monsieur le haut-commissaire, c'est avec intérêt et attention que nous allons suivre la démarche que vous mettez en place pour rendre l'insertion par le travail à la fois efficace et cohérente, et nous y participerons avec la volonté partagée de la voir aboutir. Mais, dans le même temps que se conduit cette indispensable réflexion, nous ne devons jamais perdre de vue l'urgence de travailler sur une question désormais incontournable : comment cesser de produire de la pauvreté ?

Monsieur le haut-commissaire, j'ai lu sur les murs de vos bureaux une devise qui semble vous être chère : « Au possible nous sommes tenus ». À l'instant, j'aurais envie de conclure : « À l'impossible nous sommes tenus ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Gérard Longuet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré.

Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer la détermination de M. le haut-commissaire et son engagement constant en faveur des plus défavorisés. Cet engagement s'est forgé sur le terrain, au contact des plus démunis, au contact de ceux dont le mode de vie et la souffrance ne leur permettent pas d'exercer tous leurs droits, de ceux qui sont dans la survie, de ceux qui ont perdu confiance en eux et dans la société.

Avec volontarisme, monsieur le haut-commissaire, vous avez lancé le Grenelle de l'insertion pour lutter contre la misère en France. Aujourd'hui, dans notre pays, sept millions de personnes se trouvent sous le seuil de pauvreté, dont deux millions d'enfants.

Certains groupes sont particulièrement affectés par la pauvreté et l'exclusion sociale. Les familles monoparentales avec un enfant à charge sont les plus touchées. Les personnes seules et les couples ayant au moins trois enfants sont également fortement concernés. Je suis frappée par le fait que, selon les sondages, sur dix Français de moins de cinquante ans, six craignent de connaître un jour l'exclusion.

La pauvreté n'est pas une fatalité. Si l'amélioration de la croissance permet de réduire la pauvreté, le lien entre conjoncture économique et pauvreté reste partiel. Outre un bon fonctionnement du marché du travail, il nous faut également un système éducatif efficace, capable d'aider les jeunes à trouver un travail et une politique du logement qui limite les « ghettos ». Enfin, il faut mettre en place des politiques efficaces pour aider les personnes menacées par l'exclusion sociale à sortir durablement de cette situation.

Les prestations sociales - aides au logement, revenu minimum d'insertion et autres minima sociaux - jouent un rôle majeur dans la réduction de ce fléau. Mais la lutte contre l'exclusion ne doit pas se réduire à la mise en place d'une assistance pour tous, dont le seul but serait de faire face aux besoins élémentaires de l'existence. Si notre société fait son devoir en assurant aux plus fragiles un minimum de sécurité matérielle, elle doit également tout mettre en oeuvre pour ouvrir aux personnes aidées la voie de la réinsertion, du retour à un emploi ; parmi les personnes pauvres, 67 % sont sans emploi.

Lorsque viennent s'ajouter au chômage la solitude, la maladie ou la perte du logement, la spirale de la désocialisation risque de s'enclencher : il est alors urgent d'intervenir. La réinsertion doit briser le cercle vicieux de la destruction du lien social et de la perte de l'estime de soi.

La présentation des objectifs du Grenelle de l'insertion suscite beaucoup d'espoirs. Sur votre demande, la SOFRES a interrogé un échantillon représentatif d'allocataires du RMI depuis plus d'un an : 74 % d'entre eux pensent que les décisions du Grenelle pourront améliorer leur situation ; de la même manière, 86 % des RMIstes pensent que le revenu de solidarité active les encouragerait à retrouver une activité professionnelle.

Le Grenelle de l'insertion donne la parole aux acteurs de l'insertion - professionnels, associations et bénéficiaires - et vise à impliquer davantage les entreprises et les employeurs publics. Les contributions de tous doivent permettre de dégager des pistes de réforme.

L'extrême complexité du système d'aide au retour à l'emploi nécessite en effet une réforme en profondeur.

Je dois vous dire que je suis extrêmement intéressée de participer aux travaux du Grenelle de l'insertion. Dans mes responsabilités d'élue, j'ai pu dialoguer avec les associations, les services de l'État, les entreprises. À leur contact, j'ai pu évaluer les difficultés des acteurs de terrain, prendre connaissance des actions innovantes dans la lutte contre l'exclusion.

Je fais partie du groupe de travail étudiant la mobilisation des employeurs, privés, associatifs ou publics, pour favoriser l'emploi de personnes en difficulté. Il s'agit notamment de réfléchir aux moyens de desserrer les freins qui empêchent les entreprises classiques de s'impliquer davantage dans l'insertion. Notre groupe de travail s'attachera à émettre un avis sur la réforme des contrats aidés et à étudier le secteur de l'insertion par l'activité économique.

Je voudrais donc évoquer plus précisément ces deux points.

En ce qui concerne les contrats aidés, la Cour des comptes a publié en 2006 une enquête soulignant les défauts du système : éclatement, complexité, forte instabilité. Un rapport élaboré par notre collègue Serge Dassault, au nom de la commission des finances, est parvenu aux mêmes conclusions. En effet, malgré un début de simplification apporté par le plan de cohésion sociale, les dispositifs restent peu lisibles pour leurs bénéficiaires et leur application est difficile pour les opérateurs. Les différents types de contrats - une dizaine environ - ont connu d'incessantes modifications, coûteuses en termes d'efficacité et de délais de mise en oeuvre.

Comme vous l'avez souvent dit, monsieur le haut-commissaire, les contrats aidés doivent être non pas des impasses, mais des passerelles vers l'emploi durable. J'espère que nos travaux conduiront, comme le souhaite le Président de la République, à la création d'un contrat unique d'insertion, qui aurait une certaine souplesse pour s'adapter à la diversité des situations. La création d'un tel contrat est attendue depuis très longtemps par les acteurs du secteur, qui souhaitent que soient prévues dans ce cadre des prestations de formation et d'accompagnement adaptées aux besoins des personnes concernées.

L'entreprenariat social peut par ailleurs constituer une autre solution. Il s'agit d'entreprises opérant dans le secteur concurrentiel, avec des employés en difficulté, tels que des anciens chômeurs de longue durée ou des bénéficiaires de minima sociaux. Elles sont soumises au code du travail, notamment en matière de salaires, mais reçoivent des aides de l'État pour compenser la faible productivité des salariés et le taux d'encadrement élevé. En général, ces aides sont dégressives dans le temps, pour inciter les entreprises à devenir rentables.

Les associations et les entreprises d'insertion jouent un rôle important au coeur des politiques de l'emploi et de lutte contre les exclusions. Elles permettent aux individus de se refamiliariser avec le monde du travail, de bénéficier d'une formation adaptée et d'un accompagnement. Au terme de ce parcours d'insertion, la personne doit pouvoir retrouver un emploi satisfaisant sur le marché « ordinaire » du travail.

Les entreprises d'insertion emploient plus de 30 000 personnes par an. Selon des chiffres de 2006, 36 % des personnes trouvent un emploi à leur sortie, 9 % débutent une formation qualifiante, 6 % poursuivent leur parcours d'insertion dans une autre structure.

Mais surtout, la première performance des entreprises d'insertion est de salarier dans des conditions de marché des personnes réputées « non employables ». Elles font progresser l'idée essentielle selon laquelle personne n'est a priori inemployable. Ce présupposé est essentiel pour lutter contre les inégalités, l'exclusion et ses représentations négatives.

Je ne parlerai pas ici des personnes handicapées, M. About ayant parfaitement exposé leur situation.

Les structures du secteur perçoivent des financements publics en contrepartie du service qu'elles rendent à la collectivité. Le montant et la nature de ces financements varient en fonction du type de structure. Il leur a été reproché d'être dans l'ensemble « insuffisants, complexes et instables ». Cette question du financement devra donc être débattue pour éviter que des structures de l'insertion par l'activité économique puissent rencontrer des difficultés financières.

D'autres sujets devront également être traités : je pense, par exemple, à la professionnalisation de ceux qui travaillent dans les associations d'insertion, thème que nous avons abordé récemment, monsieur le haut-commissaire.

Par ailleurs, il faut étudier le rôle des entreprises « classiques ». Aujourd'hui, trop d'entreprises refusent de jouer le jeu de l'insertion et d'embaucher des personnes passées par exemple par des structures de l'IAE, faisant ainsi échouer un certain nombre de parcours d'insertion pourtant bien entamés.

Vous avez évoqué, monsieur le haut-commissaire, la possibilité de bâtir des critères de performance, négociés et non pas imposés, ou de recourir à une clause d'insertion. Je voudrais souligner l'intérêt, pour l'employeur, de lutter contre l'exclusion et la précarité : l'entreprise peut y trouver son compte à plusieurs niveaux, en bénéficiant bien sûr d'un financement par l'État, mais aussi d'une motivation supplémentaire des personnes concernées.

Je voudrais dire encore quelques mots au sujet du revenu de solidarité active.

Il faut transformer nos prestations sociales, avoir le courage d'accomplir une remise à plat complète des minima sociaux. Trop souvent, le retour à l'emploi s'accompagne d'une réduction des ressources de la famille, au mieux de leur stagnation. Il est essentiel que le travail permette de ne pas être pauvre et de vivre dignement. (M. Paul Blanc approuve.)

Le RMI a été conçu comme un moyen de ne pas laisser sans ressources ceux qui passaient au travers des mailles du filet de la protection sociale. Il était destiné à être une réponse à des phénomènes de grande exclusion. Près de vingt ans après sa mise en place, on voit que tel n'est plus le cas. Le RMI est devenu la seule ressource d'un nombre considérable de ménages, souvent de manière durable. Ainsi, en 2003, 45 % des bénéficiaires du RMI le percevaient depuis plus de trois ans.

Les minima sociaux dans leur ensemble ne conduisent pas les personnes vers l'emploi. Un peu plus de 25 % des personnes qui percevaient le RMI ou l'allocation de solidarité spécifique à la fin de 2004 avaient un emploi au premier trimestre de 2006. En outre, ces emplois sont, pour une large part, des emplois temporaires, à temps partiel ou aidés par l'État.

En fait, quand l'allocataire perçoit un salaire, son RMI diminue d'autant. Lorsqu'il s'agit d'un emploi à temps plein et correctement payé, le gain de revenu existe, mais la plupart des postes accessibles aux RMIstes sont aujourd'hui des postes à temps partiel et payés au SMIC. L'intérêt financier d'un retour à l'emploi devient alors faible, voire nul.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

Mme Isabelle Debré. Bien entendu, des mécanismes d'intéressement ont été mis en place pour lutter contre ces « trappes à inactivité ». Le RMIste qui retrouve un travail peut ainsi cumuler, pendant les trois premiers mois, salaire et RMI. Si ses horaires de travail excèdent ceux d'un mi-temps, il touche également une prime de 1000 euros le quatrième mois. Cependant, ces dispositions manquent de cohérence et demeurent peu lisibles pour les bénéficiaires. Surtout, leur application reste limitée dans le temps : l'intéressement décroît sensiblement après le quatrième mois, et disparaît au bout d'un an.

En fin de compte, en écartant les personnes de l'emploi, le RMI les pénalise au lieu de les protéger.

Le dispositif du RSA a donc été conçu pour remédier à ces carences. Le RSA vient compléter le salaire tiré de l'activité, s'agissant notamment des emplois à temps partiel. Le RSA procure une incitation financière dès la première heure d'activité. Ainsi, pour un RMIste, reprendre un travail n'est plus synonyme de perte de revenu, et ce mécanisme s'applique pendant trois ans.

La fusion des minima sociaux serait la suite logique de la mise en oeuvre du RSA, actuellement en expérimentation dans quarante départements.

Je pense que sortir les allocataires de l'angoisse du court terme augmente les chances de retour durable à l'emploi. En sécurisant leur situation, on leur permet de se projeter dans l'avenir. Je me réjouis de la méthode employée, qui privilégie l'expérimentation, en permettant d'éprouver la pertinence du dispositif avant de l'étendre à tout le pays. La clef de la réussite du dispositif est son évaluation constante.

En 2005, le rapport de la commission que vous présidiez, monsieur le haut-commissaire, et qui suggérait de très intéressantes innovations sociales, dont la création du RSA, avait été unanimement salué. Cependant, je pense que peu d'observateurs croyaient en la mise en oeuvre de ces propositions. Aujourd'hui, vous faites heureusement mentir ce pronostic.

Pour conclure, je citerai le titre de ce rapport : « Au possible, nous sommes tenus ». En effet, nous devons faire tout notre possible pour que les plus fragilisés de nos concitoyens retrouvent respect et dignité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, avant que je n'entre dans le vif du sujet, permettez-moi de dire un mot sur l'intitulé « Grenelle de l'insertion sociale », choisi par le Gouvernement. Le projet qui nous occupe aujourd'hui aurait aussi pu être appelé « plan pour l'insertion sociale », mais les échanges intervenus, par le biais de la presse, entre deux des membres du Gouvernement sur la notion de « plan » expliquent que vous vous soyez refusé, monsieur le haut-commissaire, à retenir une telle formulation.

Ce sera donc un second Grenelle, celui de l'insertion sociale succédant à celui de l'environnement. Ce choix de vocabulaire ne laisse pas d'étonner pour un Président de la République qui disait vouloir faire fi des références à mai 68 ! (Sourires.) J'espère toutefois que le Grenelle qui s'annonce sera plus fructueux que celui de l'environnement, décrié aujourd'hui par une large majorité des participants au motif que les promesses alors faites ne sont pas tenues.

On a fait naître des espoirs, on fait aujourd'hui beaucoup de déçus avec le Grenelle de l'environnement. Mais si, en mai 68, il y a eu un Grenelle, je tiens à rappeler que celui-ci s'est conclu, le 27 mai 1968, sur un accord créateur de droits et qui améliorait considérablement la vie des travailleurs de notre pays, avec par exemple une augmentation de 25 % du SMIG, le salaire minimum interprofessionnel garanti, une hausse des salaires de 10 %, ou encore la création de sections syndicales d'entreprise.

Je ne crois pas trop m'avancer en disant qu'il n'en sera pas de même avec le Grenelle de l'insertion sociale, et je le regrette pour les quelque 8 millions de nos concitoyens qui vivent, ou plutôt survivent, avec à peine plus de 800 euros par mois. Pour autant, notre groupe ne néglige pas les nombreuses propositions que vous venez de détailler au cours de votre intervention liminaire, monsieur le haut-commissaire.

Dans le courrier que vous avez adressé aux sénateurs, vous présentez les trois thématiques qui seront abordées au fil des travaux du Grenelle de l'insertion sociale : comment redéfinir les objectifs de la politique d'insertion et sa gouvernance ; comment développer la mobilisation des employeurs pour l'insertion ; comment construire des parcours d'insertion adaptés.

Pour être franche, à une certaine époque, j'aurais pu, avec mes collègues du groupe CRC, être simplement sceptique. C'était avant les huit premiers mois de présidence de M. Sarkozy, avant l'adoption de la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat et la dilapidation de 15 milliards d'euros pour financer des mesures inefficaces ou des cadeaux fiscaux, mais aussi avant l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 ou bien, plus récemment encore, avant la fusion forcée de l'ANPE et de l'UNEDIC. Mais depuis, je dois vous dire que mon scepticisme a viré au doute sérieux...

On connaît d'ailleurs déjà la conclusion que vous allez tirer de ce Grenelle : la généralisation du revenu de solidarité active. Pas plus tard qu'hier soir, sur une chaîne de télévision d'information en continu, vous n'avez pas dissimulé votre volonté d'étendre le RSA sans pouvoir aujourd'hui, vous le reconnaissiez vous-même, faire le moindre bilan de son expérimentation.

Je vous poserai donc deux questions : pouvez-vous nous indiquer le nombre précis de bénéficiaires du RSA dans les quelque quarante départements qui expérimentent ce dispositif ? Pouvez-vous nous indiquer quel est le montant moyen de leurs revenus ?

Je crois savoir que vous ne le pouvez pas, naturellement, et c'est là que le bât blesse. En effet, vous le savez, cette mesure est profondément inégalitaire.

Le dispositif est d'abord inégalitaire parce que vous renvoyez aux départements le soin de le mettre en oeuvre. Cela veut dire que le montant de l'allocation perçue sera différent selon que le bénéficiaire résidera dans un département riche ou dans un département plus pauvre.

Le dispositif est ensuite inégalitaire parce qu'il renvoie, comme toutes les autres mesures prises par le Gouvernement auquel vous appartenez, à l'individu, puisque le montant de l'allocation pourrait également varier entre deux bénéficiaires d'un même département.

Cela étant, quel est le contenu de ce fameux RSA ? En quoi consiste-t-il ?

Vous souhaitez, dites-vous, inciter les demandeurs d'emploi, les personnes en difficulté, à retourner sur le marché du travail. Est-ce à dire que vous considérez les demandeurs d'emploi comme des personnes qu'il faudrait supplier pour qu'elles acceptent de travailler ? Telle n'est pas notre conception des choses.

Pour nous, les chômeurs sont des salariés privés d'emploi par des politiques libérales de spéculation et de recherche du bénéfice, politiques où l'être humain est toujours la variable d'ajustement.

Pour vous, « l'incitation » passe par un complément de revenu attribué aux bénéficiaires de minima sociaux en cas de reprise partielle de l'activité. Pour ce faire, vous souhaitez fusionner tous les minima sociaux. Vous partez du postulat que le demandeur d'emploi ne doit pas perdre d'argent en raison de la reprise de son activité professionnelle, raison d'être de ce complément de revenu.

S'il est présenté ainsi, comment s'opposer à la mise en oeuvre du dispositif ? Mais voyez-vous, monsieur le haut-commissaire, nous ne voulons pas « donner une activité » aux demandeurs d'emploi ; nous voulons leur donner un travail, qui leur permette de vivre dignement du revenu de leur labeur. C'est là toute la différence entre nous !

Même dans vos rangs, on doute de la pertinence de votre revenu de solidarité active. Déjà, en mai 2005, un rapport d'étude du Sénat réalisé par Valérie Létard, actuelle secrétaire d'État chargée de la solidarité, avertissait en ces termes : « Le soutien très important apporté par le RSA dès les premières heures d'activité fait craindre des pressions à la baisse sur les salaires, et un renforcement du recours par les entreprises à des emplois à temps partiel. »

J'en reviens à vos trois thématiques. II y manque la question des moyens et du financement. Et cela n'est pas anodin, monsieur le haut-commissaire ! Le Président de la République avoue lui-même ne rien pouvoir faire pour le pouvoir d'achat en raison de la situation des comptes publics : les caisses seraient vides ! On peut le croire ; il ne le sait que trop puisque c'est lui qui les a vidées.

On devine où le Président de la République veut en venir : demain, ou plus tard, viendra une nouvelle vague de décentralisation. Il ne restera alors plus qu'à l'État la charge très partielle des missions régaliennes, réduites à une portion congrue, et aux départements et aux régions le financement des politiques de solidarité. Tout cela pour réduire les dépenses publiques, ce qui est l'obsession de M. Sarkozy.

Alors, monsieur le haut-commissaire, permettez-moi de formuler une suggestion. Le 23 janvier prochain, le Sénat examinera le projet de loi pour le pouvoir d'achat. Avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, nous interviendrons dans le débat de manière constructive en proposant des actions concrètes pour relancer le pouvoir d'achat des Français et pour favoriser l'emploi.

Cela passe notamment par la suppression des exonérations de cotisations sociales, allégrement offertes aux patrons pour poursuivre leur politique de sous-emploi et d'emplois précaires. Le Conseil économique et social et même certains élus de l'UMP ont d'ailleurs émis des réserves sur les effets de telles largesses. Il faut en finir avec ce non-sens qui veut que, systématiquement, les gouvernements de droite subventionnent les employeurs pour favoriser les emplois précaires, alors qu'ils sont source de trappes à bas salaires.

Je m'étonne également que vous ne vous soyez pas opposé aux franchises médicales lors du vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ce mécanisme est profondément non solidaire ; il fait payer aux malades le prix de leur maladie. Le Gouvernement a même refusé d'exonérer les malades les plus atteints. Il s'agit pourtant d'un cercle vicieux : la maladie précarise et diminue les ressources ; puisqu'ils manquent de ressources, les franchises médicales aidant, les malades sacrifient l'accès aux soins ; sans soins, la situation s'aggrave, et les malades se précarisent de plus en plus.

Monsieur le haut-commissaire, vous avez dit qu'il fallait changer le système. Nous craignons que votre Grenelle ne soit en réalité qu'un cache-misère. Si vous y croyez fortement - et nous voudrions bien, nous aussi, y croire fortement -, nous savons que M. Fillon, quant à lui, y voit le moyen de dissimuler les réels projets du Gouvernement.

À n'en pas douter, le Gouvernement auquel vous participez est profondément cohérent : il recodifie le code du travail en diminuant les droits des salariés ;...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est pas vrai ! C'est à droit constant.

Mme Odette Terrade. ...il modernise le marché du travail en le rendant toujours plus flexible ; il réorganise l'accueil des demandeurs d'emplois en réalisant une structure sui generis publique dont les missions sont privatisables à merci.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais non !

Mme Odette Terrade. Et, aujourd'hui, vous modifiez l'aide sociale en la conditionnant à la reprise d'activité.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vos propos sont caricaturaux !

Mme Odette Terrade. À n'en pas douter, en appliquant la règle, voulue par le Président de la République, de la sanction au second refus d'une offre d'emploi acceptable, c'est vers les personnes concernées par le RSA que vous vous tournerez, pour les contraindre à accepter les quelques milliers d'emplois très précaires et sous payés que le patronat vise à satisfaire.

Telles sont les raisons pour lesquelles les sénatrices et les sénateurs du groupe CRC sont dubitatifs. Car derrière les déclarations, il y a les faits tenaces d'un gouvernement. Je crains fort que votre Grenelle n'y puisse rien, à moins qu'enfin le Président de la République ne se décide à mettre fin à cette politique de casse sociale et de rupture des solidarités. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Je voudrais tout d'abord vous féliciter, monsieur le haut-commissaire, de votre exposé introductif, que j'ai trouvé excellent tant sur la forme que sur le fond. J'aurais même pu croire que c'était un discours de gauche ! (Rires.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh non !

M. Gérard Longuet. C'est l'ouverture !

M. Jean Desessard. Je voudrais ensuite vous faire part de ma satisfaction s'agissant des méthodes que vous employez : expérimentation, débat de société, consultation des associations, débat au Parlement, groupes de travail en amont ; a priori, les formes sont là ! J'espère qu'elles seront respectées.

Je vous incite, monsieur le haut-commissaire, à consulter non seulement les associations qui s'occupent d'insertion, mais également celles qui soutiennent les chômeurs, comme l'Association pour l'emploi, l'information et la solidarité des chômeurs et travailleurs précaires, le Mouvement national des chômeurs et précaires, Agir ensemble contre le chômage, Droit au logement, le Comité des sans-logis, et d'autres.

Ces associations sont à l'image du public qu'elles rassemblent, ou organisent puisqu'elles veulent rendre la dignité aux chômeurs : elles ont des difficultés financières, elles luttent pour leur survie économique, et elles sont dans une grande précarité. Si l'on veut que les chômeurs aient la parole, il faut donner des moyens financiers à ces associations, car les cotisations des adhérents sont insuffisantes. Une solution pérenne doit être trouvée pour assurer le financement des associations de chômeurs, qui rencontrent aujourd'hui des problèmes avec les administrations.

Monsieur le haut-commissaire, vous parlez de droits et de devoirs pour les bénéficiaires. Une société humaine doit être solidaire de l'ensemble de ses citoyens, y compris et surtout les plus faibles. Assurer la garantie d'un revenu à toute femme ou à tout homme qui n'a pas de ressources, c'est une marque de respect des droits humains, mais c'est également une façon de réaliser des économies pour la société.

En effet, à moins que l'on n'accepte cyniquement que les pauvres ne soient plus logés et fassent la manche pour survivre, il faudra bien, vous en conviendrez, qu'ils aient un logement, qu'ils puissent se nourrir, et que leurs enfants puissent accéder à l'éducation. Cela a un coût, qui est aujourd'hui assuré par l'État et, surtout, par les collectivités locales, les services publics et les associations caritatives.

Pourquoi tout simplement ne pas garantir un revenu social suffisant à toute personne sans ressources pour éviter les expulsions, les coupures d'électricité et de chauffage ?

Pourquoi vouloir absolument imposer des contreparties à cette solidarité nécessaire ?

Les premières conditions de l'insertion, c'est de pouvoir se nourrir, conserver son logement, s'habiller et assurer l'éducation des enfants. C'est pourquoi il est nécessaire d'augmenter le montant des minima sociaux. Sur ce point, je vous ai trouvé bien timide, monsieur le haut-commissaire : vous avez parlé d'une petite taxe sur le textile, de « mesurettes » ; j'attendais une plus grande contribution de la part de l'État.

Il faut rendre ces minima sociaux inconditionnels et indépendants des revenus des autres membres de la famille ; il faut les élargir aux 18-25 ans.

L'une des questions porte sur les emplois aidés.

Les écologistes considèrent qu'il faudra bien en venir à une réduction de la consommation. Vous allez me dire que nous sommes d'accord ! Mais cela signifie, à terme, une diminution de la production. Nous ne pouvons donc avoir comme objectif la course à la croissance, qui risquerait d'entraîner un appauvrissement des ressources naturelles de la planète.

En conséquence, un jour ou l'autre - bientôt ! - il faudra nécessairement dissocier le revenu du travail si l'on veut éviter une catastrophe écologique.

Néanmoins, dans le système actuel, il importe de permettre à chaque individu de pouvoir trouver une activité salariée. Monsieur le haut-commissaire, vous avez évoqué un service public national de l'emploi. Il faudrait qu'il repose non pas sur la rentabilité, mais sur l'intégration de tout un chacun. Il n'est pas normal que les payeurs décident qui a droit à une allocation.

À une certaine période, on considérait comme justifié qu'un chômeur touche 90 % de son ancien salaire. Les valeurs morales ont-elles changé ? Non ! C'est le nombre de chômeurs qui a augmenté. Ce n'est pas à ceux qui cotisent de fixer le montant de l'allocation ; cela relève de la solidarité nationale.

On doit garantir, pour tout emploi aidé, au minimum le SMIC mensuel, et non pas horaire. Il faut arrêter les « mesurettes », monsieur le haut-commissaire !

Il faut développer le secteur de l'économie solidaire et les travaux d'utilité publique, sociale ou écologique.

Il faut revaloriser les métiers dans les secteurs qui ne parviennent pas à recruter. On dit souvent que les gens ne veulent pas travailler. Mais il faut voir quelles sont leurs conditions de vie et de travail : ils sont souvent obligés de se lever tôt le matin et de travailler le week-end pour gagner peu. Des compensations doivent être prévues ! C'est à l'État d'accompagner la transformation et la valorisation de ces métiers.

Monsieur le haut-commissaire, j'approuve votre volonté de permettre le cumul des minima sociaux et des revenus de l'activité pour éviter de pénaliser les chômeurs qui retrouvent un travail peu rémunéré et qui perdent tout à coup de nombreuses aides sociales. Cela évite les effets de seuil et rend toute reprise du travail financièrement intéressante.

Mais ces avantages se retrouvent dans une proposition plus générale que j'ai déjà présentée ici même : le revenu d'existence universel. Son montant serait fixé en fonction du seuil de pauvreté ; ce serait un droit individuel, sans condition de ressources, ouvert à tous les citoyens majeurs, et cumulable avec d'autres ressources, ressources du travail ou du capital. Le financement de cette mesure serait compensé par l'impôt sur le revenu.

Cette solution serait plus simple pour l'administration et pour le bénéficiaire, car elle remplacerait toute une série d'aides éparpillées pour le logement, les transports, la santé, ou les loisirs ; elle serait également moins intrusive, moins stigmatisante et plus égalitaire pour les chômeurs et les travailleurs à faible revenu.

Si le but est de faire baisser le pourcentage des personnes sous le seuil de pauvreté, la mesure que je propose, sans pour autant ruiner nos finances, serait immédiatement efficace. Évidemment, elle coûterait un peu plus cher que le modeste RSA. Pour mémoire, l'expérimentation du RSA qui a été votée cet été coûte 50 millions d'euros pour 90 000 personnes. C'est loin d'être suffisant pour changer la vie des personnes ciblées par cette mesure. Pourtant, on ne peut pas dire que la France soit particulièrement généreuse avec ses chômeurs. À titre de comparaison, pour chaque chômeur, le Danemark dépense 2,6 fois plus que la France.

Et ce n'est pas près de changer ! Le 31 décembre dernier, le Président de la République, qui se revendique comme « président du pouvoir d'achat », a augmenté le RMI de 1,6 % pour une personne seule et l'AAH de 1,1 %, tandis que le complément AAH réservé aux handicapés qui ne peuvent plus travailler reste stable à 179,31 euros. Pour les prestations familiales, l'augmentation sera de 1 %. Enfin, le minimum vieillesse a été relevé de 1,1 %. Or la hausse des prix, en rythme annuel, est de 2,4 % !

Monsieur le haut-commissaire, quand on baisse le revenu réel des 7 millions de personnes qui dépendent des minima sociaux l'année où l'on donne 15 milliards d'euros de cadeaux fiscaux aux plus riches, cela nous laisse perplexe.

Le projet d'une société solidaire et respectueuse des droits pour tous paraît difficilement compatible avec une politique économique basée sur la croissance à tout prix, la concurrence exacerbée, la compétition économique et la diminution du rôle de l'État.

Je doute que ce système capitaliste - vous avez utilisé l'image de la centrifugeuse, mais il faut bien appeler les choses par leur nom ! -, qui privilégie le profit au détriment de l'individu, soit compatible avec les objectifs affichés dans votre discours.

Néanmoins, monsieur le haut-commissaire, vous voulez associer les parlementaires à votre démarche. Les élus Verts répondent présents. Ils adhèrent à votre démarche et s'associeront à toutes initiatives et propositions susceptibles d'améliorer les conditions des plus démunis, même si cela s'apparente à un travail de Sisyphe, dans notre société inégalitaire et discriminatoire.

En conclusion, monsieur le haut-commissaire, je vous remercie de cette analyse rigoureuse, documentée et pertinente. C'est une excellente base pour le travail à venir. Bon courage à vous ! Je souhaite également bon courage aux parlementaires et à tous les acteurs qui participeront à ce Grenelle de l'insertion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le haut-commissaire.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos réactions et de vos interventions, qu'elles visent à m'encourager ou à m'inciter à la vigilance.

Je reviendrai d'abord sur les propositions et les analyses que vous avez faites. Elles confirment l'intérêt d'associer le Parlement aux travaux du Grenelle de l'insertion, parce qu'il a déjà effectué de nombreux travaux et rédigé de multiples rapports sur lesquels nous pouvons nous appuyer, y compris sur des questions difficiles. J'espère que cette collaboration pourra continuer. Je sais que vous avez des projets de commission et de mission d'information. Tout ce travail est essentiel, en plus de celui des groupes de travail.

Monsieur le président de la commission, vous avez consacré votre intervention à la question du handicap et vous avez bien fait. Nous essaierons d'en tenir compte. Sur ce sujet, une chose m'a frappé. Lorsque nous nous sommes fixés un objectif de réduction de la pauvreté, nous avons cherché à savoir combien de personnes handicapées vivent en dessous du seuil de pauvreté dans notre pays, mais cette statistique n'existe pas ! (M. le président de la commission des affaires sociales opine.) Nous ne sommes pourtant pas un pays sous-développé en matière de statistiques ! Une telle statistique est pourtant fondamentale. Nous en avons besoin afin de savoir quelles catégories de la population sont surreprésentées en termes de pauvreté et quels sont leurs problèmes.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Cela dit, même sans statistiques, nous nous doutons que les personnes handicapées sont surreprésentées et qu'elles sont plus nombreuses que les autres à vivre en dessous du seuil de pauvreté.

Par ailleurs, vous avez pointé les insuffisances des textes pour concilier une activité adaptée à un handicap et le bénéfice de la solidarité nationale.

Notre démarche est simple : Valérie Létard et moi-même travaillons avec l'ensemble des associations pour personnes handicapées, réunies dans un groupe de travail que nous co-pilotons. Soit elles choisissent de maintenir l'allocation aux adultes handicapés en modifiant ses règles de calcul selon les principes qui seront appliqués aux autres minima sociaux - ce sera alors la solution retenue -, soit elles décident qu'il n'y aura plus qu'une prestation unique, le RSA, qui intégrera alors un barème spécifique pour les personnes handicapées. Si cette solution est retenue, elle sera proposée au Parlement.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. La logique est la même.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Cette question doit faire l'objet d'une négociation, comme toutes les réformes envisagées dans le cadre du Grenelle de l'insertion.

Sur tous ces sujets, la concertation est indispensable, afin de ne pas se heurter à un refus. De la même façon, nous réunissons autour de la table les employeurs et les salariés, car si l'on fait plaisir aux uns tandis que les autres renâclent, on se retrouve avec un système qui ne fonctionne pas.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Monsieur Paul Blanc, vous avez insisté sur la valeur du travail pour l'ensemble de la société. Permettez-moi de revenir sur la question des contreparties, qui est très difficile. Tout le monde le reconnaît : bénéficier de la solidarité nationale suppose, en retour, de prendre des engagements. Toutefois, ces engagements ne doivent pas enfermer les bénéficiaires de la solidarité dans un statut. Ils ne doivent pas non plus être de simples procédures.

Il n'est pas sain de demander aux bénéficiaires de la solidarité nationale de venir pointer tous les mois, en contrepartie de cette solidarité, pour finalement les renvoyer vers un autre service, sans leur proposer de solution.

Il ne faut pas instaurer dans la précipitation une contrepartie d'intérêt général pour certains, sous-entendant ainsi qu'ils ne seraient pas dignes de travailler. Il faut permettre aux personnes qui vivent aujourd'hui des minima sociaux, une fois qu'elles sont sur une pente ascendante, de retrouver un emploi salarié. Le cas général doit être celui-là. Je reviendrai tout à l'heure sur les critiques qui ont été formulées contre le RSA.

Il doit donc y avoir plus de places dans les entreprises et les structures d'insertion qu'il n'y en a aujourd'hui. La question de leur financement est essentielle. Ce financement suppose une évaluation du service qu'elles rendent et de leurs performances. Cela évitera que les présidents de conseils généraux ne se déclarent prêts à arrêter de financer un certain nombre de structures d'insertion parce qu'ils considèrent qu'elles ne permettent pas aux personnes de sortir de leurs difficultés.

Il est vrai que, dans certains cas, en accord avec la personne concernée, on décide que le fait de travailler n'est pas la solution à un moment donné. La priorité est alors de permettre un accès aux soins et à un certain nombre de services. Dans ce cas, il ne faut pas demander de contreparties artificielles, qui se retourneraient contre la personne.

Avec le revenu de solidarité active, nous disons que la seule manière de travailler, c'est avec un salaire.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On est d'accord !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Il m'a semblé que vous le contestiez !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Non, non ! Il faut un emploi et un salaire !

Mme Odette Terrade. Un salaire suffisant, qui permette de vivre de son travail !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. La contrepartie ne doit pas être demandée en dehors du cadre salarial.

Monsieur Seillier, je me suis inspiré de nombre des travaux que vous avez conduits pour définir certains principes, notamment de votre rapport sur la formation professionnelle du printemps dernier. Vous me permettrez en revanche de ne pas vous suivre sur un certain nombre de développements - j'y réfléchirai à tête reposée - qui m'ont semblé un peu éloignés de nos préoccupations directes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Je sais que vous avez été l'un des défenseurs du contrat unique d'insertion quand cela n'était pas encore à la mode. Je me souviens qu'au moment où vous déposiez votre rapport sur le contrat unique d'insertion, on recloisonnait les différents contrats. Nous nous retrouverons sur ce sujet très prochainement.

M. Paul Blanc, pour la commission des affaires sociales Il n'est jamais bon d'avoir raison trop tôt !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Trop tard non plus ! (Sourires.)

Madame Le Texier, vous avez manifesté votre inquiétude sur la généralisation du revenu de solidarité active.

Madame Terrade, vous m'avez mis au défi de vous indiquer le nombre de bénéficiaires du RSA. Je ne peux pas vous dire combien ils sont aujourd'hui, en revanche, je peux vous indiquer combien ils étaient au 31 décembre dernier. On en dénombrait 2 300, dans les dix premiers départements où le RSA est expérimenté. Je rappelle en effet que les quarante départements concernés ne le mettent pas tous en place au même moment. Dans certains départements, il est mis en oeuvre en janvier, dans d'autres, il le sera en février. Par ailleurs, soyons précis, ce dispositif a démarré au mois de novembre. Il est donc très récent.

En outre, on a laissé le choix à la plupart des départements. Un certain nombre d'entre eux ne versent le revenu de solidarité active qu'à celles et ceux qui ont recommencé à travailler après la date de mise en place du dispositif. D'autres départements en font bénéficier des personnes ayant recommencé à travailler avant leur entrée dans le nouveau dispositif.

Au cours des trois prochains mois, nous allons assister à une reprise d'activité d'un plus grand nombre de personnes. Le nombre de bénéficiaires du RSA va augmenter. Le chiffre des toutes premières semaines n'est absolument pas préoccupant. Il montre au contraire une montée en charge satisfaisante.

Cette montée en charge s'explique par une raison bien simple : contrairement à ce qui se pratique habituellement dans ce domaine, personne n'a imposé à des départements comme le Val-d'Oise, l'Eure, la Seine-Saint-Denis ou la Côte-d'Or de mettre en oeuvre le RSA. On leur en a simplement donné la faculté.

Si les présidents de conseils généraux se sont engagés dans ce dispositif, malgré les contentieux qu'ils ont avec l'État et qu'ils me rappellent tous les matins, à l'instar de Claudie Lebreton que j'ai vu hier, c'est pour deux raisons. La première, c'est qu'ils savent qu'il en résultera une amélioration pour les allocataires du RMI avec lesquels ils travaillent quotidiennement. La seconde, c'est que les acteurs de terrain, y compris les travailleurs sociaux, l'ont demandé et s'impliquent dans la conception et la mise en oeuvre du RSA.

Ne condamnons donc pas un dispositif que les acteurs locaux ont la possibilité d'adapter, ce qu'ils font, quelle que soit leur couleur politique. C'est le point positif du dispositif.

Alors faut-il attendre trois ans avant de généraliser le RSA ? J'ai annoncé la couleur dès le départ en indiquant qu'il s'agissait d'une expérimentation sur trois ans, afin de donner de la visibilité à ceux qui souhaitent le mettre en oeuvre, mais que le but était de passer rapidement à l'étape suivante, pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, le législateur a accepté que le dispositif ne soit mis en oeuvre que sur une partie du territoire. Les présidents de conseils généraux ont eux accepté, ce qui est un risque politique, que certaines personnes, dans leurs départements, bénéficient d'une prestation nouvelle et que d'autres n'en bénéficient pas. Je pense que ce système ne peut pas durer très longtemps. S'il commence à fonctionner - si cela frémit, si cela bout un peu -, il faudra aller plus loin.

Ensuite, depuis des années, on maintient des inégalités, dont le RSA n'est pas à l'origine, entre personnes qui ont bénéficié des minima sociaux et personnes n'en ayant pas bénéficié. Ainsi, on ne peut laisser perdurer très longtemps le fait que, dans une même entreprise, deux personnes effectuant le même nombre d'heures de travail ne perçoivent pas le même montant, l'un continuant à bénéficier de la CMU ou cumulant une partie de son allocation antérieure avec son salaire, l'autre non, parce qu'il n'a pas bénéficié du RMI ou qu'il a commencé à travailler avant l'âge de vingt-cinq ans. Telle est la deuxième raison pour laquelle il faut étendre au plus vite le dispositif aux travailleurs pauvres.

Enfin, troisième raison, vous nous mettez au défi de mettre des moyens dans ce dispositif. On devra en mettre. Plus vite on les mettra, plus grandes seront nos chances de disposer de moyens à la hauteur de nos ambitions.

Ce n'est pas rendre service aux personnes devant être aidées, à savoir les allocataires du RMI, de l'API, de l'AAH, les travailleurs pauvres, et peut-être même les jeunes, que de leur dire qu'il faudra attendre 2011. Le moment est peut-être venu de faire entrer les jeunes dans un mécanisme. Il pouvait être justifié de refuser le RMI avant l'âge de vingt-cinq ans, mais il est sans doute judicieux, désormais, de mettre en place un dispositif qui s'applique aussi à eux, dès lors qu'il concilie la solidarité et le travail.

Vous l'aurez remarqué, je suis toujours prudent : je ne prétends pas tirer d'enseignements de situations qui ne nous permettent pas d'en tirer. Nous disposons d'un comité d'évaluation, de tableaux de bord, d'enquêtes qui doivent nous permettre de tirer, à la fin de l'année 2008, les enseignements de l'expérimentation et de passer à l'étape suivante. Il sera bien entendu possible de rester dans une phase d'évaluation, si est laissée à chaque département la possibilité de maintenir son barème et de comparer.

Si notre politique consistait à basculer tout d'un coup dans un système où les règles seraient figées, je conviendrais qu'il ne faut pas aller trop vite. Maintenir des possibilités d'adaptation permettra à chaque collectivité de pouvoir adopter le nouveau dispositif.

Madame Le Texier, c'est dans cet esprit que nous travaillons. Vous êtes élue d'un département qui expérimente le dispositif. Comme vous le savez, nous nous sommes engagés à déposer devant le Parlement un rapport sur le sujet.

Je vous remercie, madame Debré, d'avoir fait le lien entre le nombre de pauvres et les objectifs des politiques d'insertion, d'avoir cité le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, c'est-à-dire avec moins de 817 euros par mois, et d'avoir rappelé que les politiques d'insertion visent à faire diminuer leur nombre.

Vous avez évoqué la pauvreté des enfants : 2 millions d'enfants vivent sous le seuil de pauvreté. Le meilleur moyen de le leur faire franchir, c'est de permettre à leurs parents de disposer de revenus dignes, le revenu du travail constituant le socle, auquel s'ajouterait un complément émanant de la solidarité.

Dans certaines configurations familiales, il faudrait travailler seize mois dans l'année pour parvenir à franchir le seuil de pauvreté. Une année ne comptant que douze mois, il faut bien pouvoir compléter le revenu. On peut travailler à plein temps, toucher le SMIC, avoir des enfants à charge et, malgré tout, ne pas franchir le seuil de pauvreté. Ce cas de figure doit devenir impossible, grâce au revenu de solidarité active. Il s'agit là d'un objectif simple. Je vous remercie, madame la sénatrice, en ayant mis en parallèle la question du RSA et celle du contrat unique d'insertion, de l'avoir replacé dans la perspective de réduction de la pauvreté.

Madame Terrade, vous avez été particulièrement sévère et vous avez voulu démonter le processus dans lequel nous nous engageons.

M. Alain Gournac. Ils sont gênés !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Je profite de la présence de Mme Borvo Cohen-Seat pour dire combien je regrette que votre groupe, alors que tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat étaient invités à participer au Grenelle de l'insertion, soit le seul à n'avoir désigné aucun représentant. (M. Alain Gournac sourit.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Fischer a été désigné !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Si vous aviez désigné un représentant plus tôt, peut-être un certain nombre des malentendus auraient-ils été évités.

M. Alain Gournac. Très bien ! Il faut le dire !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous seriez convaincue, Mme Borvo Cohen-Seat !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quand nous aurons plus de sénateurs, nous pourrons participer à tous les groupes de travail !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Je me réjouis que vous participiez dorénavant aux réunions de travail et je serai heureux de collaborer avec M. Fischer.

Je tiens à insister sur le fait que le revenu de solidarité active est, à l'évidence, un compromis. Il a été conçu comme tel. C'est ce qui fait non pas sa faiblesse, mais sa force. La commission qui l'a élaboré, après concertation entre les associations de lutte contre l'exclusion, les syndicats, les employeurs et l'ensemble des collectivités territoriales, l'a pensé comme un point d'équilibre, et non comme quelque chose d'abstrait faisant tomber tout cuits des emplois de bonne qualité.

Je suis choqué par un certain état de fait, et je suis prêt à reprendre le débat sur ce sujet : on ne peut pas priver les personnes qui prennent aujourd'hui des emplois de quelques heures par semaine, notamment dans le secteur des aides à la personne, d'un mécanisme de cette nature-là, garder le système actuel, car ce ne sont pas elles qui l'ont choisi, et leur dire qu'elles peuvent avoir un travail gratuit, ce qui est leur cas aujourd'hui.

M. Alain Gournac. Il a raison !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Un système dans lequel une personne travaille huit heures ou seize heures par mois sans gagner un centime de plus que le RMI impose le travail gratuit. Il faut en sortir.

Ce que je constate, c'est que, aujourd'hui, contrairement, d'ailleurs, à mes propres craintes - les statistiques sont intéressantes -, le temps moyen travaillé par personne dans le service des aides à la personne, notamment, qui est l'un des secteurs où les travailleurs pauvres sont nombreux, est supérieur à ce qu'il était voilà trois ou quatre ans, grâce à l'effort accompli en matière de formation et de qualification.

M. Paul Blanc, pour la commission des affaires sociales. De formation !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Pour que les revenus augmentent, l'action combinée de trois leviers est nécessaire : les mécanismes de solidarité doivent être bien appliqués, là où il le faut, et conjugués avec le travail ; ensuite, il faut mettre fin à la précarisation, sortir du temps partiel ; enfin, il faut favoriser l'accès à la qualification.

Je ne suis pas le seul à penser ainsi, puisqu'il est écrit noir sur blanc dans le rapport de la commission : « au possible, nous sommes tenus ». Je vous remercie d'avoir rappelé cette devise, qui signifie, d'une part, que réduire la pauvreté n'est pas impossible et, d'autre part, que c'est une obligation qui pèse sur nous.

Madame Terrade, j'ai donc trouvé que vos critiques pouvaient se retourner contre celles et ceux que vous souhaitiez défendre.

Monsieur Desessard, je vous remercie de l'analyse que vous avez faite. Je regrette que, dans votre discours, vous ayez défendu le revenu d'existence, qui n'est pas une mesure de gauche (M. Alain Gournac s'esclaffe), et n'est d'ailleurs pas défendu principalement par des personnalités politiques de gauche.

Pourquoi n'est-ce pas une mesure de gauche, alors que le RSA, lui, peut être considéré comme une mesure de gauche aussi bien que de droite, comme le montre l'implication de conseils généraux de gauche ou de droite dans sa mise en place ?

Si, avec le revenu d'existence, vous garantissez à tout le monde 817 euros sans condition, le seuil du retour au travail se trouve situé à un niveau totalement infranchissable. (M. Jean Desessard est dubitatif.)

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Tel est le problème du revenu d'existence.

Si, tout d'un coup, le RMI était fixé à 817 euros, plus de gens seraient « scotchés » à 817 euros et moins pourraient franchir cette barre. (M. Jean Desessard le conteste.)

M. Alain Gournac. Mais oui !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. C'est cela le problème, et je suis prêt à en débattre. Telle est la raison pour laquelle le RSA est beaucoup plus social que ne le serait un revenu d'existence, qui, en réalité, se retourne contre ceux auxquels il est censé venir en aide.

Je me bats donc contre le revenu d'existence et pour le RSA, et je vous en fiche mon billet, si j'ose dire, instaurer le RSA permettra de faire sortir beaucoup plus de gens de la pauvreté que créer un revenu d'existence à 817 euros.

Mme Isabelle Debré. C'est logique !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Cela me paraît primordial.

En revanche, je vous approuve sans réserve sur la nécessité de faire participer les associations de chômeurs ou les personnes concernées directement à nos travaux. D'ailleurs, je vous l'assure, elles ne demandent pas, elles, le revenu d'existence.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Nous en reparlerons. Les associations de chômeurs ne sont pas les seules à être représentées au sein des groupes de travail que nous avons mis en place à l'occasion du Grenelle de l'insertion : ces derniers accueillent également des représentants des syndicats, du patronat, des collectivités territoriales, de l'État, mais aussi des acteurs de l'insertion, et un collège des usagers.

Afin de remédier à la sous-représentation des usagers, nous avons fait appel à certaines personnes, en accord avec les représentants des syndicats et des associations, qui oeuvrent en faveur de l'insertion et de la lutte contre l'exclusion via leur appartenance à certaines associations, notamment au Mouvement national des chômeurs et précaires, ou leur implication dans les groupes de travail sur le RSA. Leur collaboration est fondamentale, parce qu'elle nous permet de vérifier que ce que nous proposons correspond aux aspirations de ceux qui ont besoin d'aide, et de les aider plus efficacement à lutter contre les obstacles qu'elles rencontrent au quotidien.

Je citerai l'un des obstacles que la mise en place du RSA permettra de supprimer : nous avons parlé des effets de seuil, mais le mode de calcul des minima sociaux lui-même, fondé sur un trimestre pris dans sa globalité, fait qu'une personne à qui l'on aurait donné un travail de vingt-six heures hebdomadaires le 1er janvier, avec ces 750 euros que j'évoquais tout à l'heure, se verrait demander, à la fin janvier, le remboursement d'une partie du RMI perçu légalement mais au mois de novembre et au mois de décembre, sous prétexte que le calcul aurait été effectué sur l'ensemble du trimestre.

C'est à ce système que nous devons mettre fin.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Les personnes concernées ne nous font pas toujours part de cette situation. En effet, le système tourne tellement sur lui-même que celui qui envoie la demande de remboursement d'un indu n'est pas forcément celui qui a fait signer le contrat : le travailleur social ou l'accompagnant de l'ANPE qui a fait signer le contrat d'insertion ou a incité à la souscription d'un contrat aidé ne sait pas obligatoirement que, par ailleurs, un autre service administratif va demander le remboursement d'à peu près la même somme. Nous marchons sur la tête !

Faire participer directement les usagers aux groupes de travail permet, par exemple, de contrecarrer le discours souvent tenu par les administrations : les gens en difficulté préfèrent qu'on leur donne des prestations trimestrielles. Or, ce n'est pas ce que nous disent ces derniers ! Ils veulent être considérés comme tout salarié : tout salaire étant versé mensuellement, il doit donc en aller de même pour le RSA et pour les différentes prestations.

M. Alain Gournac. Bien sûr !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Nous sommes parvenus à nouer ce dialogue, ce qui me laisse espérer la mise en place de ces différentes mesures, sans être, comme vous, pessimiste.

Les choses ne sont pas mâchées à l'avance : s'agissant du RSA, nous savons sur quoi mettre le cap, grâce à la concertation que nous avons eue avec l'ensemble des partenaires concernés ; pour l'étape suivante, sa traduction dans la réalité, nous tiendrons compte de l'avis des représentants des conseils généraux et des différents acteurs.

Je conclurai en soulignant qu'il a été fait référence à mai 1968. Pourquoi le mot « Grenelle » est-il particulièrement approprié ? Parce que, jusqu'à présent, les questions d'insertion et de pauvreté ne faisaient pas partie des enjeux des négociations sociales. Or, il faut négocier sur ces questions.

La signature de contrats de travail un peu spécifiques nécessite l'accord des uns et des autres. Une simple annonce de l'État, relative à l'existence d'un nouveau contrat de travail, ne saurait suffire.

Si nous voulons que les entreprises s'engagent, nous devons les associer à la négociation.

Nous avons réussi à obtenir, au moment de l'élaboration de l'agenda social, avec l'ensemble des syndicats et des organisations d'employeurs, sous la présidence du Président de la République et du Premier ministre, que soient évoqués tout à la fois la question de la pauvreté, le Grenelle de l'insertion et le revenu de solidarité active. L'ensemble de ces acteurs ont d'ailleurs décidé à l'unanimité de s'impliquer et de faire en sorte que les discussions débouchent sur quelque chose de concret.

C'est là une garantie fondamentale : tant que d'autres choses étaient négociées et qu'était laissé uniquement aux pouvoirs publics ou aux associations le soin de s'occuper des 7 millions de personnes en situation de pauvreté ou de précarité, nous n'avions plus que les miettes à leur distribuer (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit), tandis que si ce sujet est traité à la grande table des négociations, nous pouvons espérer obtenir davantage.

Enfin, le juge de paix - les milliards contre les millions -, c'est l'objectif de réduction de la pauvreté.

De deux choses l'une : soit l'objectif de réduction de la pauvreté d'un tiers en cinq ans ne sera pas atteint, la pauvreté n'aura pas régressé et vos quolibets auront été justifiés, soit cet objectif sera atteint...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et d'aucuns devront demander pardon !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. ...et nous nous en réjouirons ensemble ! (Applaudissements.)

M. Alain Gournac. La gauche est déboussolée ! C'est dur !

M. le président. Je constate que le débat est clos.

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n° 169 et distribuée.

Au nom du Sénat, je vous remercie, monsieur le haut-commissaire, pour la qualité de ce débat, qui honore cette institution. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

3

Transmission d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution.

Le projet de loi constitutionnelle sera imprimé sous le n° 170, distribué et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

4

Texte soumis au SÉnat en application de l'article 88-4 de la Constitution

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Recommandation de décision du Conseil concernant l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à la convention du 23 juillet 1990 relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d'entreprises associées. Proposition de décision du Conseil portant modification de l'annexe I de l'acte d'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3758 et distribué.

5

ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 22 janvier 2008 :

À dix heures :

1. Désignation d'un membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne en remplacement de notre regretté collègue Serge Vinçon.

2. Discussion de la question orale avec débat n° 10 de M. Jean-Claude Carle à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité sur l'avenir de la formation professionnelle en France.

M. Jean-Claude Carle interroge M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité sur l'avenir de la formation professionnelle française.

La réforme de la formation professionnelle représente en effet l'un des grands chantiers du président de la République et doit contribuer à résoudre la crise de l'emploi. Ce dernier a d'ailleurs rappelé à plusieurs occasions que notre système de formation professionnelle est à bout de souffle tant dans son organisation que dans son financement, soulignant aussi que la formation ne va pas vers ceux qui en ont le plus besoin.

C'est le constat formulé, il y a quelques mois, par la mission sénatoriale dont le rapporteur a présenté un tableau relativement pessimiste d'un système marqué par la complexité, les cloisonnements et le corporatisme. De nombreuses propositions ont été formulées pour recentrer le dispositif sur la personne, les partenariats et la proximité.

Il faut rendre la politique de la formation professionnelle plus réactive et plus efficace, car elle constitue l'investissement le plus important pour notre pays et nos concitoyens.

À seize heures et, éventuellement, le soir :

3. Discussion de la proposition de loi (n° 47, 2007-2008) visant à améliorer la santé au travail des salariés et à prévenir les risques professionnels auxquels ils sont exposés, présentée par Mme Michelle Demessine et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Rapport (n° 167, 2007-2008) de, fait au nom de la commission des affaires sociales.

4. Discussion de la question orale avec débat n° 9 de M. Jean Puech à Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sur la création d'un véritable statut de l'élu local.

M. Jean Puech interroge Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sur les perspectives de création d'un véritable statut de l'élu local. La mise en place de ce statut répondrait à des attentes fortes de la part des élus locaux à l'heure où la relance de la démocratie locale implique de susciter des vocations dans les divers milieux professionnels, notamment dans le secteur privé et parmi tous les talents que l'on trouve dans la société. Un sondage réalisé l'année dernière par l'institut TNS-SOFRES, à l'initiative de l'Observatoire sénatorial de la décentralisation, auprès d'un échantillon représentatif de 500 exécutifs locaux, révélait la profonde insatisfaction des élus sur plusieurs questions majeures : le « statut » proprement dit (58 % de mécontents), la protection sociale (55 % de mécontents), le régime de responsabilité pénale (62 % de mécontents), les conditions de travail (66 % de mécontents), les possibilités de reconversion (58 % de mécontents)... N'est-il pas temps d'engager aujourd'hui le débat, à quelques semaines de l'arrivée dans nos communes d'une nouvelle génération d'élus municipaux ? C'est pourquoi il souhaiterait connaître la position du Gouvernement sur ces sujets ainsi que les suites qu'il pourrait donner aux dix propositions formulées par l'Observatoire dans son rapport publié le 7 novembre 2007 sur l'émancipation de la démocratie locale. Parmi celles-ci figure, en particulier, la création d'un régime statutaire spécifique adapté aux nouvelles responsabilités des exécutifs locaux, et notamment des maires des grandes villes et des présidents des conseils généraux et régionaux, afin de mettre un terme à une situation qui n'est plus conforme aux exigences d'une démocratie moderne et décentralisée.

5. Examen des conclusions de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi organique (n° 140, 2007-2008) tendant à prévoir l'approbation par les lois de financement de la sécurité sociale des mesures de réduction et d'exonération de cotisations et de contributions de sécurité sociale adoptées en cours d'exercice, présentée par MM. Alain Vasselle et Nicolas About.

Rapport (n° 163, 2007-2008) de M. Alain Vasselle, fait au nom de la commission des affaires sociales.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée à midi.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD