M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement tient à s'associer à l'hommage que le Sénat rend aujourd'hui à Jacques Pelletier, sénateur de l'Aisne et président du groupe du RDSE.

Sa disparition laisse ici un vide que rien, semble-t-il, ne viendra jamais combler.

Certaines existences sont si riches et marquent tant leur entourage que, une fois achevées, elles laissent en chacun bien plus que de la tristesse : un indicible sentiment d'amoindrissement.

Faisant montre d'une précocité politique rare, Jacques Pelletier devient en 1953 maire de son village de Villers-en-Prayères, où il était né vingt-quatre ans plus tôt. Il le restera cinquante-quatre ans, liant ainsi profondément son destin à celui de sa commune et livrant une éclatante leçon à ceux qui pensent que la rapidité d'ascension exclut l'oeuvre inscrite dans la durée.

Dix ans après son accession à la mairie, Jacques Pelletier donne une nouvelle preuve de son talent en devenant, à trente-six ans, le plus jeune sénateur de la Haute Assemblée. Il restera passionné sa vie durant par l'action locale, faisant son entrée en 1974 au conseil régional de Picardie, alors qu'il était déjà président du conseil général de l'Aisne depuis 1964.

Une telle réussite ne devait rien au hasard. Elle était la conséquence de son don exceptionnel pour les relations humaines et d'un travail inlassable. Jacques Pelletier, nous nous en souvenons tous, avait cette sensibilité aiguë que possèdent en partage les hommes voués à aider et à comprendre autrui, sensibilité qui lui permettait de rentrer en empathie avec ses interlocuteurs, comprenant d'instinct ce que les mots, par pudeur, n'avaient pu ou voulu exprimer.

Il était de ces sondeurs d'âmes dont le regard bienveillant vous perce à jour, sans toutefois vous juger. Au sein du groupe de la Gauche démocratique, puis du groupe du RDSE, dont il aura été jusqu'à sa mort le président, il appliquait avec constance sa politique, faite de respect de l'autre et de dialogue.

Jacques Pelletier a toujours placé l'homme au coeur de son action. Prenant l'être humain comme point fixe permanent, il a assuré à plusieurs reprises la charge de président de l'intergroupe de défense des droits de l'homme.

Cet engagement humaniste inconditionnel s'est également traduit durant son mandat de Médiateur de la République, ou dans sa volonté de dépasser les clivages partisans pour pratiquer ce qu'il est convenu d'appeler depuis « l'ouverture ». En audacieux précurseur, il a incarné cette ouverture en acceptant le poste de ministre de la coopération et du développement dans le gouvernement dirigé par Michel Rocard entre 1988 et 1991, après avoir assumé la charge de secrétaire d'État à l'éducation dans celui de Raymond Barre.

Comment ne pas parler également de l'immense investissement de Jacques Pelletier dans la coopération française et la solidarité internationale ? Cette formidable énergie déployée à travers de nombreux groupes d'amitié auxquels il participait était aussi un moyen pour lui d'étancher sa soif de dialogue et d'écoute.

Depuis le 3 septembre 2007, nous avons tous perdu un ami ; le Sénat, l'un de ses membres les plus remarquables ; la France, l'un de ses plus fidèles serviteurs.

Jacques Pelletier faisait partie de ces figures politiques dont la dignité, le dévouement et l'énergie font honneur au pays qu'elles servent.

Son exemple lui survivra toujours, indiquant pour les vivants un chemin de droiture et d'engagement au service du bien commun. Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'un sentiment de solidarité plus fort que la mort lie encore beaucoup d'entre vous à Jacques Pelletier.

À sa famille, à Isabelle son épouse, à ses enfants, à ses chers petits-enfants, à ses collègues de la commission des finances, à ses collègues du groupe du Rassemblement démocratique social et européen, et à tous ses amis du Sénat, j'exprime, au nom du Gouvernement, nos condoléances très sincères.

M. le président. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, de bien vouloir vous associer, au nom du Gouvernement, à la peine qui est la nôtre.

Mes chers collègues, conformément à notre tradition, nous allons, en signe de deuil, interrompre nos travaux.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinq, sous la présidence de M. Roland du Luart.)

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Modification de l'ordre du jour

M. le président. Par lettre en date de ce jour, M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement a demandé au Sénat, en raison de la tenue d'une réunion sur le Grenelle de l'environnement, de bien vouloir commencer l'examen des textes inscrits à l'ordre du jour prioritaire de sa séance de demain, mercredi 24 octobre, à dix-sept heures au lieu de quinze heures.

Il n'y a pas d'opposition ?....

Il en est ainsi décidé.

Le Sénat siégera donc demain à dix-sept heures et, éventuellement, le soir avec l'ordre du jour suivant :

- projet de loi relatif au parc naturel régional de Camargue ;

- projet de loi ratifiant l'ordonnance du 7 décembre 2006 relative à la valorisation des produits agricoles, forestiers ou alimentaires et des produits de la mer.

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Dossier législatif : projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile
Discussion générale (suite)

Immigration, intégration et asile

Adoption définitive des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile
Article 1er

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile (n° 30).

La parole est à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile est parvenue à un accord lors de sa réunion du 16 octobre dernier.

Le projet de loi présenté en conseil des ministres comportait dix-huit articles. Après son examen en première lecture par l'Assemblée nationale, il en comptait quarante-sept.

Sur ces quarante-sept articles, vingt-deux avaient été adoptés dans des termes identiques par le Sénat, soit près de la moitié. Le Sénat ayant adopté vingt-six articles additionnels, cinquante et un articles restaient en discussion.

Toutefois, la plupart des différences entre les deux assemblées n'étaient pas synonymes de désaccords, seuls quelques points posant en réalité des difficultés. Près d'une quarantaine d'articles sur les cinquante et un restants en discussion ont été adoptés dans le texte du Sénat ou sous réserve de simples modifications rédactionnelles ou de coordination.

Sur les quelques points de désaccord, un débat serein a eu lieu qui a permis d'aboutir à des solutions équilibrées.

Parmi les principales dispositions restant en discussion, je commencerai par l'article 5 bis, relatif au test ADN.

Après un long débat, la commission a adopté la rédaction issue des travaux du Sénat sous réserve d'une précision du rapporteur de l'Assemblée nationale limitant strictement le champ de cet article au regroupement et au rapprochement familial.

Sur cette question très sensible, je crois qu'il est utile de faire oeuvre de pédagogie en rappelant les nombreuses garanties introduites par le Sénat.

Sur le plan juridique, le texte renvoie au tribunal de grande instance de Nantes, spécialisé dans les aspects internationaux d'état civil, la décision d'autoriser le test. Le juge vérifiera au préalable que les investigations utiles relatives à l'état civil et à la possession d'état auront été effectuées.

La compétence judiciaire prévue par les autres procédures civiles acceptant le test ADN est ainsi respectée. Il n'y a pas de dérogation au droit commun.

Le caractère subsidiaire du recours au test est affirmé, le projet de loi disposant clairement qu'il ne pourra y être recouru que si ni les documents d'état civil, en premier lieu, ni la possession d'état, en second lieu, n'ont permis de prouver la filiation.

Notre collègue Pierre Fauchon aurait souhaité que le texte mette mieux en évidence le recours préalable à la possession d'état. La commission a estimé que le texte issu du Sénat était déjà suffisamment clair. Toutefois, je suis persuadé comme lui que le recours à la possession d'état est de nature à rassurer ou à convaincre de nombreux opposants au recours au test ADN. Je tiens d'ailleurs à cette occasion à saluer Pierre Fauchon pour cet apport essentiel au projet de loi.

En vue du respect de la vie privée, le projet de loi prévoit que le test ne pourra être effectué que sur la demande et avec le consentement des intéressés et qu'il ne permettra d'établir la filiation qu'à l'égard de la mère seulement. Sont ainsi écartées les craintes de voir remise en cause à cette occasion une paternité légalement établie.

Par ailleurs, il sera dressé une liste des pays dans lesquels cette mesure pourra être expérimentée sur une période de dix-huit mois à compter de son entrée en application. Cette disposition permettra de vérifier préalablement que les pays concernés acceptent, au vu de leur propre législation et de leur culture, la mise en oeuvre d'une telle procédure. Cela permettra aussi d'éviter des appréciations fluctuantes des consulats à l'égard de carences de l'état civil.

Enfin, l'avis du Comité consultatif national d'éthique devra être recueilli sur le projet de décret et les analyses seront réalisées aux frais de l'État.

Je crois, mes chers collègues, que la plupart des raisons qui ont pu motiver une opposition résolue et fondée au dispositif initialement proposé par l'Assemblée nationale n'ont plus lieu d'être désormais eu égard à l'ensemble de ces mesures proposées par le Sénat et acceptées par la commission mixte paritaire.

À l'article 2, relatif aux conditions de ressources pour bénéficier du regroupement familial, la commission a décidé de renvoyer au décret la modulation des ressources dans la limite de 1,2 fois le SMIC.

Toutefois, monsieur le ministre, ce retour à la rédaction du projet de loi initial a été accepté par la commission à la condition qu'il soit clairement précisé devant les deux assemblées que le décret d'application ne prévoira la modulation des ressources jusqu'à 1,2 fois le SMIC que pour les familles de six personnes ou plus. Pouvez-vous sur ce point nous préciser le contenu du décret à venir ?

Au même article, la commission a supprimé la dispense de la condition de ressources accordée aux étrangers titulaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées. La commission a en effet constaté que cette disposition créait une inégalité entre les titulaires de cette allocation et les autres retraités percevant de faibles pensions.

À l'article 4, relatif à la formation préalable pour les conjoints de Français, la commission a rétabli le texte de l'Assemblée nationale en fixant à deux mois la durée maximale de la formation dispensée aux conjoints de Français. Elle a jugé qu'une durée de quinze jours ne permettait pas de fournir une formation utile. En revanche, elle a maintenu l'exception prévue par le Sénat pour les conjoints de Français expatriés.

La commission a par ailleurs maintenu la disposition de la loi du 24 juillet 2006, introduite sur l'initiative de notre regretté collègue Jacques Pelletier, qui permet aux conjoints de Français, entrés régulièrement sur le territoire et mariés en France, de déposer leur demande de visa de long séjour auprès de la préfecture. Le projet de loi initial tendait à la supprimer. Il reviendra donc à l'administration de mettre en oeuvre les moyens nécessaires à l'application effective de cette disposition, qui va d'ailleurs dans le sens d'un rapprochement du travail des consulats et des préfectures.

La commission mixte paritaire a maintenu la suppression de l'article 9 ter, relatif au délai de recours devant la Commission des recours des réfugiés. Ainsi, comme le souhaitait le Sénat, le délai pour déposer un recours est toujours d'un mois.

Nous avons réaffirmé à l'occasion qu'il était important de donner à la Commission des recours des réfugiés les moyens de remplir sa mission dans de bonnes conditions, afin que les réponses puissent être données rapidement.

À l'article 12, relatif aux salariés en mission, la commission a supprimé la possibilité, introduite par le Sénat, de moduler la durée de validité de la carte de séjour « salarié en mission », d'une durée de trois ans selon le droit en vigueur, en fonction de la durée de la mission elle-même. On pouvait craindre en effet que cette souplesse supplémentaire a priori ne soit, en définitive, source d'une plus grande complexité administrative et qu'elle ne soit interprétée abusivement par l'administration.

En plus de ces points de désaccord, la commission a souhaité revenir sur deux dispositions.

En premier lieu, bien qu'adopté conforme par notre assemblée, l'article 10 ter, relatif à la suspension des droits des étrangers pendant leur transfert vers le lieu de rétention, a été rappelé pour coordination à la suite de l'adoption du projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation des libertés. Ce projet de loi prévoit que le contrôle des conditions de prise en charge des personnes privées de liberté s'appliquera aussi aux modalités de leur transfèrement. Il a donc semblé contradictoire à la commission de prévoir simultanément la suspension des droits accordés aux étrangers pendant leur transfèrement vers un lieu de rétention.

En second lieu, la commission mixte paritaire a souhaité supprimer l'article 21, relatif au droit à l'hébergement d'urgence des étrangers en situation irrégulière. Il est apparu préférable de ne pas laisser penser que le droit des étrangers en situation irrégulière à être accueillis dans les structures d'hébergement d'urgence et à y demeurer était remis en cause.

En première lecture, le Sénat avait adopté un amendement tendant à clarifier et à lever certaines ambiguïtés du texte initial. Toutefois, face aux craintes des très nombreuses associations qui ont la charge au jour le jour d'accueillir ces personnes, seule la suppression pure et simple de l'article était de nature à apporter l'apaisement nécessaire et à rétablir les conditions d'un travail que l'on souhaite serein.

Mes chers collègues, ce projet de loi porte incontestablement l'empreinte de notre assemblée.

Outre les points précités, le Sénat a rappelé son souci de renforcer l'effectivité des droits. On ne peut être ferme que si l'on est exemplaire en matière de respect des procédures.

À cet égard, à l'article 6, le Sénat a porté de vingt-quatre à quarante-huit heures le délai laissé à un étranger auquel l'entrée sur le territoire a été refusée au titre de l'asile pour déposer un recours contre cette décision.

Le Sénat a également précisé, à l'article 1er, que l'évaluation et la formation linguistiques et civiques préalables à l'entrée en France des bénéficiaires du regroupement familial sont mises en oeuvre à compter du dépôt du dossier complet de la demande de regroupement familial en préfecture. De même, pour garantir la rapidité de la procédure et éviter qu'elle ne retarde le regroupement familial, notre assemblée a prévu que les résultats de l'évaluation ainsi que l'attestation de suivi de la formation devaient être remis immédiatement à l'étranger.

Enfin, à l'article 20, relatif à une meilleure mesure de la diversité et des discriminations, un amendement tendant à préciser que la présentation des résultats de ces études ne devait en aucun cas permettre l'identification directe ou indirecte des personnes concernées a été adopté par le Sénat en première lecture.

À cet égard, je rappelle à l'intention de ceux qui critiquent ces dispositions, par crainte d'un fichage ethnique, que la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, et la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la Halde, ont officiellement émis un avis favorable sur ce dispositif.

J'ajouterai que, contrairement à ce qui a été dit, la loi française permet déjà de mener, dans certaines conditions, des études sur la diversité. Ce dispositif n'est donc pas inédit dans notre ordre juridique. Il s'agit simplement d'un instrument supplémentaire qui restera sous l'entier contrôle de la CNIL.

Par ailleurs, notre assemblée a de nouveau marqué son souci de relancer le rôle des commissions départementales du titre de séjour.

Déjà, lors de la discussion de la loi du 24 juillet 2006, le Sénat avait confié aux commissions du titre de séjour, dans chaque département, la mission de rendre un avis sur les demandes de régularisation émanant d'étrangers justifiant de dix années de résidence habituelle en France.

En première lecture, le Sénat a adopté un amendement modifiant la composition de ces commissions en écartant de celles-ci le représentant du président du tribunal administratif et le représentant du tribunal de grande instance. Cette modification part du constat que de nombreuses commissions départementales ne se réunissent pas, ou que très rarement, en raison de la faible présence de ces magistrats, déjà surchargés de travail.

Plusieurs dispositions tendent également à simplifier les procédures.

Ainsi, à l'article 1er, le Sénat a supprimé la création d'une commission ad hoc chargée de concevoir le test de connaissance des valeurs de la République. En tout état de cause, un tel test relève du seul pouvoir réglementaire.

À la suite de l'adoption d'un amendement de notre collègue Pierre Laffitte, les scientifiques étrangers souhaitant poursuivre en France des travaux entamés dans un autre État membre de l'Union européenne pourront obtenir un titre de séjour sans avoir à demander au préalable un visa de long séjour.

Enfin, les salariés en mission et les titulaires de la carte « compétences et talents » ainsi que les membres de leur famille seront dispensés du contrat d'accueil et d'intégration pour la famille, car ils n'ont pas vocation à s'installer durablement sur notre territoire.

D'autres dispositions encore ont été insérées par notre assemblée - je ne les citerai évidemment pas toutes -, qu'il s'agisse de l'accompagnement personnalisé pour les réfugiés, du respect de l'obligation scolaire dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration pour la famille ou de la suppression de l'interdiction de contester la validité du mariage d'une mineure en cas de grossesse survenue dans un délai de six mois.

Tout ayant été dit au cours de la première lecture, qui a été très sérieuse, je terminerai mon propos en exprimant mes remerciements à tous ceux et à toutes celles qui ont participé activement à l'élaboration de ce texte et qui ont incontestablement contribué à son amélioration, ce qui fait qu'aujourd'hui je vous demande, mes chers collègues, d'adopter les conclusions de la commission mixte paritaire dont je viens de vous rendre compte, je l'espère, le plus fidèlement possible. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, m'exprimer devant vous aujourd'hui, trois semaines après vous avoir soumis, au nom du Gouvernement, le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, me donne l'occasion de constater à quel point ce texte a pu être, en si peu de temps, commenté, débattu, mais aussi enrichi.

Je note d'ailleurs - j'imagine que chacun s'en réjouira - que le Sénat a eu toute sa place dans ce débat. C'est une bonne chose. Cela démontre une nouvelle fois l'intérêt que peut présenter pour une démocratie le fait d'être dotée d'une seconde chambre. (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.)

Après quarante-cinq heures de débats parlementaires, ce projet de loi parvient à son point d'orgue. La commission mixte paritaire a adopté, la semaine dernière, un texte équilibré, avec l'entier soutien et les encouragements du Gouvernement. Je voudrais tout particulièrement en remercier le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, ainsi que le rapporteur, M. François-Noël Buffet.

Le moment était donc venu de soumettre ce projet de loi au vote final des deux assemblées. L'Assemblée nationale s'est exprimée cet après-midi ; c'est maintenant au tour de la Haute Assemblée.

Plus qu'un aboutissement, ce vote constitue une étape, qui permet de répondre à la double ambition du Président de la République et du Gouvernement : nous voulons être plus fermes à l'égard des immigrés qui ne respectent pas les lois de la République et, dans le même temps, nous voulons être plus protecteurs à l'égard de ceux des immigrés qui respectent nos règles et partagent nos valeurs. C'est ainsi que nous favoriserons l'intégration des immigrés légaux et que nous préserverons la cohésion de notre communauté nationale.

J'observe d'abord que les dix-huit articles du projet de loi que j'ai soumis au Parlement ont été adoptés, avec des améliorations, mais sans être dénaturés.

Je ne reviendrai pas sur chacune des réformes contenues dans le texte, je les rappellerai simplement pour mémoire.

Première réforme : nous nous donnons les moyens de mieux encadrer le regroupement familial, et d'abord avec l'évaluation du degré de connaissance de la langue française et des valeurs de la République.

Je l'ai déjà dit, je suis convaincu que la langue est le meilleur vecteur d'intégration. Elle est la clef de l'accès à l'emploi, au logement, aux services publics et à une vie normale au sein du pays d'accueil.

Je rappelle que cette mesure est très clairement attendue par nos compatriotes. Selon une enquête parue le mois dernier, 74 % des Français l'approuvent. Demander aux candidats à l'immigration familiale de passer un test de français et d'apprendre notre langue, c'est à la fois combattre le communautarisme et récompenser les efforts des étrangers qui souhaitent véritablement s'intégrer.

De même, l'étranger souhaitant faire venir sa famille en France devra prouver qu'il dispose de revenus adaptés à la taille de celle-ci. Cette disposition a fait l'objet d'un dialogue en commission mixte paritaire. Je me réjouis qu'il ait permis de revenir à la position du projet de loi initial.

À ce sujet, monsieur le rapporteur, vous m'avez posé une question. Je peux vous répondre que c'est bien un décret en conseil d'État qui fixera le barème, lequel devra être raisonnable. (M. le rapporteur fait un signe d'approbation.)

Enfin, nous renforçons le parcours d'intégration grâce à la création d'un contrat d'accueil et d'intégration pour la famille.

En signant ce contrat avec l'État, les parents des enfants ayant bénéficié du regroupement familial recevront une formation sur les droits et les devoirs des parents en France. Ils s'engageront, notamment, à respecter l'obligation d'instruction. Je suis convaincu que, en agissant ainsi, ils renforceront les chances de leurs enfants de réussir leur intégration dans notre pays.

La deuxième réforme a été largement soulignée : nous confortons les procédures d'examen des demandes d'asile, tout en honorant notre tradition d'accueil des réfugiés politiques.

Je ne citerai pas le préambule de la Constitution de 1946, qui est à l'honneur de notre pays, je rappellerai simplement que l'asile est devenu une tradition qui est toujours respectée, puisque 124 000 personnes bénéficient aujourd'hui, en France, du statut de réfugié politique.

Je répète très solennellement, de manière qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, que la question de l'asile et celle de l'immigration sont distinctes et doivent le rester. L'asile n'est pas et ne sera pas une variable d'ajustement de la politique d'immigration.

Dans cet esprit, le projet de loi tient compte, très logiquement, de la nouvelle organisation gouvernementale en me confiant la tutelle de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA. Toutefois, ce n'est pas moi qui, demain, déciderai si tel ou tel étranger doit être reconnu comme réfugié. L'OFPRA restera souverain dans ses décisions sur les cas individuels, sous le contrôle de la Commission des recours des réfugiés.

Je me réjouis d'ailleurs que le débat parlementaire ait permis de renforcer l'indépendance de cette juridiction, qui devient la Cour nationale du droit d'asile.

Au-delà de ces dix-huit articles, vous avez enrichi et complété ce projet de loi, tout en respectant sa cohérence, grâce à un travail parlementaire d'une grande qualité.

Le texte initial a été étoffé de près de 50 articles. Il comprend 65 articles au total. Je vous rappelle que 460 amendements ont été discutés, que 150 d'entre eux ont été adoptés, sans aucun préjugé sur leur origine partisane. Sur toutes les travées, des idées ont emporté l'adhésion. Ainsi, 41 amendements ont été adoptés sur l'initiative de l'UMP, 5 sur celle des Centristes, 15 sur celle des Socialistes, 4 sur celle des Verts et 2 sur celle des Communistes.

J'ajoute que 34 amendements ont été adoptés à l'unanimité. Je me félicite de la capacité des uns et des autres à dépasser les clivages et à trouver des points d'accord sur des sujets rassembleurs.

Pour mémoire, j'évoquerai brièvement quatre amendements importants.

Ainsi, la création du livret épargne codéveloppement manifeste l'engagement du Parlement en faveur du codéveloppement. Je ne peux d'ailleurs évoquer ce sujet sans rendre un dernier hommage à Jacques Pelletier, dont l'éloge funèbre a été prononcé cet après-midi.

Ensuite, la généralisation du bilan de compétences pour tous les étrangers s'installant en France a marqué votre souhait d'encourager l'intégration par le travail. Nous nous efforçons de rééquilibrer les flux migratoires en augmentant la part de l'immigration de travail ; il est logique que, dans le même temps, l'ensemble des immigrés s'installant en France, y compris d'ailleurs, bien évidemment, les migrants familiaux, bénéficient d'un bilan de compétences pour les orienter vers le marché du travail.

De même, vous avez marqué votre refus absolu des régularisations massives, en confirmant que les régularisations doivent conserver un caractère tout à fait exceptionnel. C'est dans ce cadre que vous avez souhaité donner aux préfets la possibilité, au cas par cas, de tenir compte de la capacité d'intégration par le travail. Il s'agit non pas de régulariser tous les travailleurs clandestins, mais d'admettre au séjour, à titre exceptionnel, les étrangers en situation irrégulière dont la compétence professionnelle est particulièrement recherchée.

En outre, comme je l'avais proposé, vous avez souhaité créer une carte de résident permanent à durée indéterminée, et ce afin de faciliter la vie des étrangers qui séjournent depuis très longtemps dans notre pays et qui y sont parfaitement intégrés.

J'en viens enfin à la mesure qui a suscité les discussions les plus vives. Je fais naturellement référence à la possibilité d'apporter une preuve de filiation dans le cadre du regroupement familial au moyen d'un test ADN.

Nous savons tous à quel point cette disposition, issue de l'adoption d'un amendement proposé par le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Thierry Mariani, a provoqué des débats,...

Mme Isabelle Debré. C'est le moins que l'on puisse dire !

M. Brice Hortefeux, ministre.... notamment au sein de la Haute Assemblée, du moins si j'en crois le nombre d'heures pendant lesquelles le sujet a été débattu.

Que ce soit dans l'hémicycle ou dans les médias, et c'est également un point positif, chacun a pu s'exprimer autant qu'il le souhaitait.

Bien sûr, il y a eu des caricatures ! Bien sûr, il y a eu des excès ! Bien sûr, il y a eu des faux procès ! Et, bien sûr, la tactique politique s'est parfois confondue avec les désaccords de principe ! Peu importe, tout cela fait sans doute partie des règles du jeu démocratique.

En définitive, grâce à la contribution du président de la commission des lois et de M. Fauchon - je tiens à les en remercier -, nous sommes parvenus à un dispositif qui est, me semble-t-il, très satisfaisant.

Entourée des garanties nécessaires au respect de la vie privée, la procédure des tests ADN donnera aux étrangers de bonne foi un droit nouveau qui leur permettra, s'ils le souhaitent, d'apporter un élément de preuve de leur filiation en soutien d'une demande de regroupement familial. Il s'agit de cela, et il ne s'agit que de cela.

Pour mémoire, je rappellerai les garanties qui ont été apportées par les députés, puis confortées et renforcées par la Haute Assemblée.

D'abord, le dispositif sera facultatif.

Ensuite, il n'aura pas un caractère général et sera institué à titre expérimental. En effet, comme vous le savez, seuls certains pays dont les systèmes d'état civil sont déficients seront concernés.

En outre, il ne constituera pas un obstacle financier, puisque les tests seront gratuits.

De surcroît, la procédure ne conduira à aucun fichage génétique. J'ajoute que seul un élément de preuve de la filiation avec la mère pourra être recherché, ce qui devrait permettre d'éviter, par exemple, la révélation publique d'un viol.

Enfin, nous avons surtout souhaité que le test ADN soit explicitement autorisé par le juge civil. C'est donc l'autorité judiciaire qui décidera d'autoriser ou non l'identification du demandeur de visa au moyen de ses empreintes génétiques.

Très concrètement - et je remercie M. Mercier d'avoir été le premier à le souligner - la procédure ainsi instituée sera similaire à ce que prévoit l'article 16-11 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain. (M. Michel Mercier acquiesce.) En effet, aux termes de cet article, « l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques » peut être recherchée « en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation ». (M. Bernard Frimat s'exclame.)

En réalité, monsieur Frimat, il n'y a qu'une seule différence. Dans le cadre de l'instruction de la demande de regroupement familial, c'est un élément de preuve de la filiation, et non l'établissement de la filiation, qui sera recherché grâce au test ADN.

Ainsi, entouré de garanties, ce dispositif pourra être mis en oeuvre par la France à titre expérimental, comme c'est déjà le cas dans douze pays européens. (M. Bernard Frimat manifeste son scepticisme.)

M. Frimat s'inquiète...

M. Bernard Frimat. Pas de provocation, monsieur le ministre !

M. Brice Hortefeux, ministre. Justement, ne prenez pas pour une provocation ce que je vais vous dire maintenant !

M. Bernard Frimat. Alors, ce doit en être une !

Mme Bariza Khiari. En effet, monsieur le ministre ! Si vous nous prévenez, c'est bien qu'il doit y avoir un problème !

M. Brice Hortefeux, ministre. Mais non, madame la sénatrice, je ne fais qu'anticiper !

Lorsque j'ai pris connaissance des travaux de la commission des lois de l'Assemblée nationale, j'ai souhaité me renseigner et approfondir le sujet, afin de mieux comprendre le mécanisme des tests ADN, notamment en me rendant dans les pays ayant déjà institué de telles pratiques.

C'est ainsi que je suis allé dans le pays dirigé par le gouvernement le plus à gauche de toute l'Europe : l'Espagne. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) J'y ai rencontré le ministre du travail et des affaires sociales, qui est également en charge du dossier des immigrés légaux.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est déjà mieux qu'en France !

M. Brice Hortefeux, ministre. Je me suis également entretenu avec le ministre de l'intérieur, qui s'occupe, lui, des immigrés illégaux.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quelle belle organisation ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

M. Brice Hortefeux, ministre. J'ai vu la secrétaire d'État en charge de l'immigration, qui est une ancienne syndicaliste. Cela devrait vous plaire, madame Borvo Cohen-Seat. (Sourires sur les travées de l'UMP.) Enfin, j'ai rencontré la première vice-présidente du gouvernement, Mme Fernandez de la Vega Sanz.

Je vous le rappelle, l'Espagne est un pays perçu comme étant de gauche, mais qui est aussi de tradition catholique.

M. Henri de Raincourt. Ce n'est pas incompatible !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L'Espagne est également une monarchie !

M. Brice Hortefeux, ministre. Or l'Espagne pratique les tests ADN comme trois autres pays, en l'occurrence la Chine, le Pakistan et le Nigeria. Mes interlocuteurs m'ont indiqué que le système était réellement satisfaisant et qu'il allait être étendu à huit pays supplémentaires.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J'ai peur qu'ils ne l'étendent aux Français souhaitant s'installer en Espagne ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

M. Brice Hortefeux, ministre. Le lendemain, je me suis rendu au Royaume-Uni, pays dont le gouvernement est travailliste. Si Mme Borvo Cohen-Seat peut se montrer sarcastique à l'égard des travaillistes britanniques, le groupe socialiste ne peut pas en faire autant... (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Après avoir rencontré le ministre britannique en charge de l'immigration, j'ai été interrogé par la presse sur les tests ADN. Alors que je déclarais aux journalistes que le Royaume-Uni, pays de l'habeas corpus, pratiquait 10 000 tests ADN par an, le ministre britannique, qui ne parle pas le français - ce qui est d'ailleurs fort dommage -, m'a interrompu après avoir entendu la traduction pour apporter une rectification : cette année, le nombre de tests ADN effectués au Royaume-Uni s'est élevé non pas à 10 000, mais à 12 000 !