PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. La parole est à M. André Lardeux.

M. André Lardeux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réforme de l'université était l'une des nombreuses arlésiennes de notre système sociopolitique. Nous ne pouvons donc que nous réjouir de voir enfin apparaître un texte engageant cette réforme. Cette dernière est nécessaire au vu de l'état de l'université française dont l'un des plus grands scandales est le nombre considérable d'échecs dès la première année. Mais cette situation est suffisamment connue ? vous l'avez d'ailleurs évoquée, madame la ministre ? pour que je ne m'y attarde pas.

Les dispositions du présent projet de loi vont dans le bon sens, mais elles ne sont qu'un premier pas vers la modernisation de l'université, les prémices de réformes futures plus ambitieuses encore.

Le principe d'autonomie est incontestable, et je me réjouis que des discussions aient permis sa généralisation, car il faut mettre tout le monde en face de ses responsabilités.

Le conseil d'administration aura une nouvelle configuration, encore trop pléthorique à mon sens. J'espère qu'elle lui permettra de sortir du rôle de comité Théodule qu'il avait trop souvent jusqu'alors. Il est à souhaiter que de son sein émergeront de véritables managers ; je ne suis néanmoins pas certain que le mode de fonctionnement présent et passé de l'université le permette toujours. Le risque de désigner la personnalité susceptible de faire le moins de vagues et la plus adepte du consensus mou est loin d'être écarté, et les manoeuvres d'évitement d'un certain nombre de présidents lors de la dernière crise du CPE ne sont pas faites pour nous rassurer.

Si le président est mauvais, la limitation des mandats est la bienvenue ; s'il est bon, se priver de ses compétences est alors regrettable. Huit années de présidence semblent néanmoins constituer un compromis acceptable et un progrès par rapport au passé.

Le projet de loi comporte des dispositions relatives au patrimoine immobilier. Lorsque celui-ci appartient à l'État, le transfert ne soulève guère de difficultés. Mais quelles mesures sont-elles prévues pour préserver les intérêts des collectivités locales, qui ont largement contribué à la création et à l'amélioration de ce patrimoine depuis vingt ans et qui en sont parfois propriétaires ?

Le projet de loi prévoit aussi la possibilité de moduler les obligations de service des personnels enseignants et de recherche, ce qui me semble en soi une bonne chose. Pour les personnels contractuels, cela ne devrait pas être trop difficile à mettre en oeuvre. En revanche, s'agissant des fonctionnaires titulaires, qu'envisagez-vous pour que ces modulations soient compatibles avec le statut général de la fonction publique et avec les statuts particuliers de chaque corps d'enseignants ?

Votre projet de loi est d'une grande timidité sur deux questions majeures liées entre elles : l'entrée à l'université et les droits d'inscription. Il s'agit de deux tabous qui restent non traités. Il en résulte que la réforme est pour l'instant au milieu du gué, si je puis m'exprimer ainsi. (Mme la ministre fait un signe de dénégation.)

Notre système d'enseignement supérieur repose sur une profonde hypocrisie. Il comprend des secteurs où règne une sélection très exigeante et d'autres où c'est le laisser-aller le plus complet. Tout le monde accepte la sélection féroce des classes préparatoires et des grandes écoles, dont le poids reste trop modeste pour peser sur le plan international. Il faudra donc, à mon sens, qu'elles se rapprochent davantage des universités. Par ailleurs, on peut se demander si la forme de sélection qu'elles pratiquent est toujours bien adaptée. Ce n'est pas certain !

La sélection est aussi de droit dans les IUT, dans les STS, pour les études médicales et paramédicales, sans compter un certain nombre de formations extrêmement spécialisées et de plus en plus nombreuses.

En revanche, dès qu'il s'agit du tout-venant de nos universités, c'est le refus intégral, contraire à l'intérêt des étudiants et au bon fonctionnement universitaire.

Le premier projet de loi prévoyait une sélection à l'entrée en master, ce qui constituait un progrès. Mais le flot des corporatismes et des conservatismes a emporté cette intention. Pourtant, la sélection à l'entrée en quatrième année est bien tardive pour être vraiment efficace.

Le problème à résoudre se situe à l'entrée en première année. Une sélection à ce stade paraît particulièrement nécessaire si l'on observe ce qu'est devenu le baccalauréat. Je ne sais s'il faut être aussi sévère que Paul Valéry, lequel considérait que « le baccalauréat est le certificat que donne l'État et qui atteste à tous que le jeune Untel ne sait absolument rien faire », mais il est quasi certain que le « bac pour tous » est de plus en plus un « bac pour rien ». (M. David Assouline s'exclame.) Cela laisse la porte ouverte non pas aux plus aptes ou aux plus courageux, mais à ceux qui connaissent les arcanes du système ou à ceux qui ont des relations. Facteur aggravant, le laxisme de la notation gagne désormais l'université ? c'est non pas moi, mais un président d'université qui le dit ?, certains étant plus préoccupés du maintien de filières dépassées que de l'avenir des étudiants.

Aussi, appelons-la comme on veut, mais l'orientation ou la sélection à l'entrée de l'université est indispensable. Sinon, on continuera de voir des titulaires d'un bac professionnel s'y fourvoyer, d'autres s'engager dans des études de psychologie, de sociologie, d'éducation physique, d'histoire de l'art ou d'histoire, qui ne mènent à rien sinon à des diplômes dévalués ! (MM. David Assouline et Jean-Luc Mélenchon protestent.)

M. Alain Gournac. C'est malheureux !

M. André Lardeux. Des milliers d'autres étudiants continueront d'échouer dès la première année de droit, alors que des filières offrant des débouchés manquent cruellement de candidats. Et ce sont les enfants des classes populaires qui continueront de faire les frais d'une sélection par l'échec sur laquelle tout le monde, ou presque, ferme les yeux.

Nous devons adapter les filières aux besoins de la société et aux capacités des étudiants afin de rendre l'université plus attractive et plus performante.

Et que doit-on penser des filières qui, à l'issue du master, n'offrent pour débouché qu'un nombre très réduit de places en doctorat ? Ceux qui ne sont pas admis sont éjectés sans autre forme de procès.

À l'entrée dans les universités et aux problèmes que cela pose se rattache la question des moyens financiers, et donc des droits d'inscription et de leur montant. Certes, la dépense par étudiant est insuffisante comparée aux grandes écoles ou aux pays étrangers. Si l'on rapproche ces données du nombre de diplômés, la statistique s'améliore un peu, et l'on progresse encore si l'on tient compte des « faux étudiants » ?  ils représenteraient de 10 % à 20 % des étudiants rien qu'à la Sorbonne ! Toutefois, même sur cette base, on ne peut considérer que l'université dispose de moyens suffisants. À cet égard, les engagements qui sont pris amélioreront la situation.

Nous préférons, en toute hypocrisie, la gratuité qui, pourtant, consiste à faire payer par le peuple les études des enfants de la bourgeoisie tout en privant l'université de moyens indispensables. Le résultat est le caractère antidémocratique et inégalitaire qui conduit à exclure de l'université les enfants des milieux modestes, notamment ceux du monde ouvrier.

Il est vrai que l'université n'est pas la seule responsable de cette situation. Il convient de s'interroger sur le fonctionnement de l'orientation dans l'enseignement secondaire.

Une éventuelle majoration des droits d'inscription suppose bien entendu la mise en place d'un véritable système de bourses et de prêts dignes de ce nom. Par ailleurs, les prêts et les bourses devront être attribués sur des critères sociaux et universitaires, ce qui implique que les filières débouchent réellement sur un emploi.

Pour l'heure, la coalition des intérêts, des corporatismes et des conservatismes a triomphé. Toutefois, nous ne pourrons pas indéfiniment écarter ces deux sujets. Le conservatisme de ceux qui prétendent représenter les étudiants est extraordinaire, car ils donnent l'impression d'être plus préoccupés de sécurité et de retraite que de l'aventure de la vie. S'ils ont vingt ans à l'état civil, ils en ont apparemment beaucoup plus dans leur tête. Avec de tels positionnements, l'égalitarisme a encore de beaux jours devant lui, au détriment de l'équité.

Mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir écouté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. David Assouline. Nous avons eu du mal !

M. le président. La parole est à M. Yves Dauge.

M. Yves Dauge. Madame la ministre, permettez-moi d'attirer votre attention sur un point.

Les constats dressés par MM. les rapporteurs et par plusieurs intervenants sont certes assez durs à entendre. Toutefois, si nous sommes trop critiques à l'égard de nos universités ? plusieurs présidents d'université m'ont alerté sur ce sujet ?, nous risquons de créer un état d'esprit de défaitisme et une situation d'échec avant même d'avoir entraîné tout le monde dans le mouvement que nous espérons voir naître à la suite de votre projet de loi.

En effet, au cours des dernières années, nombre d'universités, malgré des conditions de fonctionnement difficiles, ont obtenu des résultats assez remarquables.

Il ne s'agit pas de gommer le constat, madame la ministre. Néanmoins, le ministère pourrait réaliser avec les universités un travail collectif en vue, d'une part, de valoriser le savoir-faire et les nombreuses innovations dans de multiples domaines ?  cela donnerait le moral aux « troupes » ? et, d'autre part, de fonder les perspectives sur un capital qui est loin d'être négligeable. Comptez-vous agir ainsi, madame la ministre ?

Dans cette affaire, je pense aussi au rayonnement international de la France. Les universités proposent une offre de formation et de coopération qui est considérable. L'attractivité des universités françaises est réelle. Permettez-moi de prendre l'exemple de l'université de Tours, dont vous connaissez l'excellent président.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Excellent syndicaliste !

M. Yves Dauge. Cette université est très impliquée dans les programmes de coopération internationale, et ce dans des champs nouveaux. Ainsi les universités d'Orléans, d'Angers, de Nantes et de Tours ont-elles créé l'Institut international fleuves et patrimoine, placé sous l'égide du Centre du patrimoine de l'UNESCO. Cet institut, qui allie formation initiale et continue, recherche et expertise, s'intéresse à des fleuves tels que le Niger, le Mékong ou le Sénégal.

L'action des universités dans ce domaine est vraiment trop peu connue. D'ailleurs, la coopération internationale figure bien parmi les missions du service public de l'enseignement supérieur, définies à l'article 1er du présent projet de loi.

Comme beaucoup de mes collègues, au nombre desquels M. Jacques Pelletier, je suis très concerné par la coopération. Il faut absolument faire valoir le travail de nos universités. D'autres orateurs l'ont dit avant moi, notamment MM. Assouline et Laffitte, il faut prendre garde à ne pas scier la branche sur laquelle on est assis.

Madame la ministre, la question des moyens va se poser avec de plus en plus d'acuité. Une fois ce texte adopté, vous serez soumise à une pression considérable, qui se manifeste d'ailleurs déjà.

J'ai moi-même été sollicité par certains des universitaires sur le sujet, toujours mis en avant, du lien entre les deux premières années de faculté et les lycées : comment créer des ponts pour résoudre ce problème récurrent de l'orientation ? M. Fourcade vous a questionnée sur ce point. Je suis certain qu'il faut répondre d'urgence à cette interrogation.

Les universitaires estiment avoir surtout besoin d'un volume d'heures pour accompagner les étudiants.

D'après ce que l'on m'a dit, les étudiants de la génération actuelle, quand ils ne sont pas en cours, sont dans la rue ou au bistrot ! Peut-être, à notre époque, étions-nous plus studieux ? (Sourires.)

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Mais non !

M. Yves Dauge. Nous ne l'étions peut-être pas plus, mais nous étions moins nombreux, et les choses s'en trouvaient facilitées. Et nous avons tous, bien évidemment, fait d'excellentes études.

Les enseignants sont d'avis qu'il faut retenir les élèves entre les murs de l'université, en leur offrant des lieux d'études et la possibilité de suivre des travaux pratiques. Pour cela, il faut les encadrer. Ils suggèrent que des professeurs des lycées viennent les aider. Selon eux, ce n'est pas tant le nombre de postes que le volume d'heures qui compte : comme vous le savez peut-être, madame la ministre, ils ont estimé qu'il leur faudrait 140 millions d'euros. Ce n'est pas rien !

Vous annoncez que 5 milliards d'euros vont être alloués aux universités ; en fait, il convient non pas de leur octroyer 1 milliard d'euros de temps en temps, mais de débloquer très vite des fonds pour régler d'urgence les problèmes, notamment celui-là. D'autres se posent, notamment celui de la revalorisation des carrières, sur lesquels je n'insiste pas, car vous connaissez mieux que moi les urgences.

Vous ne pouvez pas trop attendre pour indiquer, par un signe extrêmement fort, que vous entendez répondre à cette question de la revalorisation de l'image des universités, à laquelle je suis particulièrement attaché.

Pour remédier à l'échec des étudiants, une solution immédiate s'offre à vous, à condition que vous trouviez 140 millions d'euros ! Cela dit, ce n'est pas à moi de dire quelle somme est nécessaire.

Vous ne pouvez pas vous dispenser de répondre à cette interrogation.

Tous ceux qui soutiennent ce projet de loi ? ils sont nombreux, finalement ? attendent un geste de votre part.

Il n'a pas été annoncé officiellement qu'il n'y aurait pas de collectif budgétaire, mais ce serait une bonne chose qu'il y en ait un. Vous justifiez votre hâte à présenter cette réforme par le fait qu'une nouvelle année universitaire ne saurait s'ouvrir en l'état. Vous êtes pour ainsi dire obligée de faire le geste attendu avant la rentrée, en proposant un collectif permettant de débloquer les 5 milliards d'euros promis : sur toutes les travées, des voix s'élèveront alors pour affirmer que vous êtes une bonne ministre de l'enseignement supérieur ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Henri Revol.

M. Henri Revol. Voilà vingt-cinq ans qu'est évoquée la nécessité de donner plus d'autonomie, une meilleure gouvernance et de nouvelles missions à nos universités. Au nom du Gouvernement, vous nous proposez enfin la réforme attendue, madame la ministre, et, comme beaucoup de mes collègues, j'applaudis cette initiative.

On entend, ici ou là, des commentateurs professionnels dénoncer la précipitation qui a présidé à la présentation au Parlement de ce projet de loi durant cette session extraordinaire, mais vous avez rappelé que le calendrier serré n'a pas empêché une concertation dense et approfondie. La preuve en est l'évolution du texte entre sa première mouture et celle qui nous est soumise aujourd'hui, à laquelle le Sénat ne manquera pas d'apporter encore des perfectionnements.

Permettez-moi, madame la ministre, de saluer l'impressionnante maîtrise de ce difficile sujet dont vous faites preuve, maîtrise qui ne manquera pas de désarmer les détracteurs de cette réforme.

Je félicite nos collègues rapporteurs et je remercie le président de la commission des affaires culturelles d'avoir invité tous les sénateurs aux principales auditions.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'était la moindre des choses !

M. Henri Revol. Il était grand temps ? nombre de mes prédécesseurs à cette tribune l'ont souligné ? de réformer la gouvernance des universités.

J'ai siégé pendant plusieurs années au sein du conseil d'administration d'une université en qualité de représentant d'une collectivité locale ; avec un autre élu local siégeant dans cette instance, nous avions coutume de dire que nous y avions sans doute gagné notre paradis ! Si, en effet, j'ai eu l'occasion de siéger dans des conseils d'administration d'écoles maternelles et primaires, de collèges, de lycées, le pire a bien été de siéger au sein du conseil d'administration de cette université, et j'ai bien souvent plaint et admiré son président pour sa patience, sa courtoisie et le calme qu'il savait garder.

Réduire le nombre des membres du conseil d'administration des universités est donc une mesure de salut public. Certains la déplorent, mais il n'y a pas lieu que chaque membre représente une seule discipline, une seule catégorie.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Très bien !

M. Henri Revol. Adhérer à un projet pour son université, défendre et soutenir pour cela l'action exécutive d'un président font de l'administrateur un représentant de la communauté universitaire tout entière, de la même façon qu'un conseiller municipal représente l'ensemble des administrés de sa commune. C'est de la démocratie et non du corporatisme.

Toutes les mesures qui tendent à faire du président du conseil de l'université un vrai « patron », un « manager » sont bonnes. Le président devra définir la stratégie à long terme de l'université, la faire adopter et la conduire, veiller à une gestion dynamique des ressources humaines et pouvoir influer fortement sur le recrutement, en particulier celui des enseignants-chercheurs, dont il devra vérifier le haut niveau de compétences, qu'ils soient français ou étrangers. Il devra éviter ? on en a parlé ? le « localisme » dont souffrent certaines de nos universités, notamment en province.

Des mesures incitatives, sur ce sujet, devraient d'ailleurs être mises en place pour éviter, par exemple, une attractivité plus grande des universités parisiennes par rapport à certaines universités de province et l'abondance de « professeurs TGV », qui, sitôt leur cours donné en province, rentrent à Paris.

M. Daniel Raoul. Des « turbo-profs » !

M. Henri Revol. Quant à l'épouvantail de la sélection, notamment à l'entrée, il semble bien qu'il n'ait pas lieu d'être brandi. Il nous est dit que, cette année, 83 % des lycéens ayant passé le bac l'ont réussi. Cependant, une observation attentive de la situation de l'ensemble de la classe d'âge correspondante révèle que seulement un peu plus de 63 % des jeunes gens et jeunes filles sont bacheliers.

Beaucoup de ces nouveaux bacheliers se tournent vers des formations courtes mais qualifiantes : STS, IUT, et ce le plus souvent avec un baccalauréat de filière classique, alors que les titulaires d'un baccalauréat professionnel butent à l'entrée de l'université, où beaucoup d'entre eux se trouvent très vite en difficulté.

D'autres s'orientent vers des classes préparatoires aux grandes écoles mais, le plus souvent, après s'y être préparés : ce choix a été opéré après mûre réflexion et répond à une réelle volonté.

Un grand nombre de bacheliers n'ont pas d'idées précises au lendemain de leur succès à cet examen.

Ces jours-ci, j'ai interrogé, dans ma propre commune, de jeunes bacheliers : beaucoup d'entre eux hésitaient, par manque d'informations ou par insouciance, et n'avaient pas encore choisi précisément la voie dans laquelle ils allaient s'engager. Droit ? Histoire de l'art ?

Il faudrait donc que l'orientation soit mieux encadrée, commence dès le lycée ? en classe de seconde ? et soit réalisée en partenariat entre les universités et les lycées. Pour une meilleure information dans les lycées, il faudrait qu'il soit systématiquement fait appel, comme cela se fait heureusement déjà dans certains établissements, à des représentants de divers métiers et branches professionnelles.

Le projet de loi qui nous est soumis et qui confère aux universités une large autonomie devrait enfin permettre de reconfigurer les ensembles immobiliers d'enseignement, de culture, de recherche, de loisirs et de résidence en faisant de nos campus universitaires des lieux où il fait bon vivre, des lieux où les jeunes ont envie de vivre et d'étudier. Hélas ! les édifices sont trop souvent délabrés, sales, maculés de graffitis, et l'insécurité y règne. Ce sont là des conditions bien peu propices à l'étude et peu attrayantes.

Un sénateur de l'UMP. C'est vrai !

M. Henri Revol. Il faudra trouver, madame la ministre, des moyens pour aider les universités et accompagner la dévolution à leur profit de leur patrimoine immobilier.

Il conviendra également d'accentuer les efforts pour que de véritables partenariats se développent entre laboratoires de recherche publics et privés et les universités, comme cela se pratique à l'étranger et déjà, heureusement, dans quelques-unes des universités françaises.

J'ai eu l'occasion, voilà quelques mois, de visiter l'université Behang, à Pékin. À l'intérieur du campus, d'ailleurs paysagé, propre et vraiment superbe, des sociétés privées ont été invitées ? et pourtant, c'est la Chine ! ? à construire des laboratoires de recherche où collaborent des enseignants-chercheurs de l'université et des étudiants.

M. Jean-Luc Mélenchon. La Chine est un modèle pour vous ? On aura tout vu !

M. Henri Revol. Avec les membres de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, j'ai visité également, voilà un an, un laboratoire privé de recherche pharmaceutique édifié et exploité en collaboration avec l'université de Toulouse.

L'autonomie devrait favoriser de tels développements.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Henri Revol. À tort ou à raison ? mais c'est un fait ?, le classement de Shanghai devient une échelle internationale de classement des universités.

Nous ne pouvons certes pas prétendre, compte tenu de la dimension de l'Hexagone, avoir nos quatre-vingt-cinq universités dans les cent premières du classement.

Ne pourrions-nous pas, toutefois, utiliser systématiquement la possibilité offerte par la loi de programme pour la recherche de l'an dernier de créer des PRES, des pôles de recherche et d'enseignement supérieur, associant universités, grandes écoles, laboratoires de recherche, et leur donner un nom, un identifiant propice à la communication ? Peut-être ces « grands noms » pourraient-ils alors être bien, voire très bien placés dans le classement Shanghai.

L'autonomie est la voie ouverte à un grand progrès pour nos universités.

Il faudrait également permettre aux établissements d'enseignement supérieur et aux nombreuses grandes écoles bénéficiant déjà d'une gouvernance forte et ayant fait la preuve du bon usage qu'ils en font de n'être pas tenus à l'écart des dispositions en matière d'autonomie qu'ils appellent de leurs voeux de longue date et qui pourront contribuer à améliorer leurs performances. Ce serait là un pas de plus vers la mise en cohérence de nos grandes écoles et de nos universités. Quelques-uns de mes collègues et moi-même avons d'ailleurs déposé des amendements en ce sens.

Ce projet de loi est historique. Il fait entrer dans le XXIe siècle nos universités dotées de nouveaux et bons atouts. Les universités les plus réputées du monde sont en effet des universités autonomes.

Je voterai donc bien entendu ce texte, amélioré par la contribution du Sénat, lequel est remarquablement piloté par M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, sous la houlette de son brillant président, professeur d'université, et par M. le rapporteur pour avis. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Louis de Broissia. Excellente intervention !

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous vous attendez sûrement à ce que le peu de temps dont je dispose me conduise à tenir des propos quelque peu rugueux.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Mais non !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Cela ne vous ressemble pas, monsieur le sénateur !

M. Jean-Luc Mélenchon. Après tout, la rugosité n'est pas toujours l'ennemie de la pédagogie, surtout quand il s'agit d'exposer des arguments auxquels je tiens.

Madame la ministre, vous avez souvent évoqué le contexte à propos du développement de l'université française. Vous avez raison : l'université ne s'appartient pas ; elle appartient au pays, lequel est en droit de lui demander de se mettre en ligne avec ses objectifs de développement humain, culturel et scientifique.

Pour autant, plutôt que d'étudier ce contexte sous le seul angle de la compétition, mieux vaudrait en comprendre le contenu. Or, chaque année, sur les 1 400 milliards de dollars consacrés aux dépenses d'éducation, 21 milliards sont appropriés par des firmes privées.

Il s'agit bien d'un secteur d'accumulation, comme bien d'autres, notamment la santé. La production du savoir n'échappe pas à l'appétit de la concurrence et du marché. Tel est bien l'objectif de nombreux acteurs financiers sur la scène internationale. À mon sens, il faut y résister. Vous pensez qu'il faut s'y résigner : je ne suis pas d'accord !

Mme Annie David. Très bien !

M. Jean-Luc Mélenchon. Selon moi, ce texte ne porte pas sur l'autonomie des universités, dont le parti socialiste est d'ailleurs partisan. En réalité, l'autonomie n'est qu'un prétexte. C'est bien la « liberté » des universités qui est en jeu ? vous avez d'ailleurs mis ce terme en exergue dans le titre même du projet de loi ?, c'est-à-dire l'instauration du marché.

De même, la gouvernance, qui pose effectivement de vrais problèmes, est un alibi. L'accueil dans le premier cycle, l'articulation de l'enseignement avec la recherche, la lisibilité des filières de formation ne sont que quelques-unes des nombreuses questions qui restent en suspens. Or comment se fait-il que, pour aborder des problèmes aussi complexes, vous commenciez par la gouvernance ? Il y a là un véritable vice de forme !

Il faut commencer par traiter les objectifs et identifier les moyens, non seulement sur le plan financier mais également sur le plan de la réorganisation des filières, eu égard, notamment, à la professionnalisation, et seulement, ensuite, s'intéresser à la gouvernance. C'est ce vice de forme qui me fait dresser l'oreille et me fait dire à quel point je ne peux être d'accord avec vous.

Madame la ministre, à quelle extrémité n'en êtes-vous pas rendue pour justifier la mise en place de la liberté de recrutement et de rémunération des enseignants ? Voilà, en effet, le coeur du sujet, qui ne manquera pas de déboucher sur un mercato des enseignants...

M. Philippe Adnot, rapporteur pour avis. Il existe déjà !

M. Jean-Luc Mélenchon. ...et sur une inégalité croissante entre les universités, entre celles qui pourront recruter les professeurs renommés et celles qui ne le pourront pas, faute de ressources financières suffisantes. Cette inégalité de moyens résultera de la capacité des établissements d'avoir accès, ou non, à des fonds passant dans leurs fondations et à la gestion de leur patrimoine immobilier.

Au final, quelle aberration ! Avec ce système, vous allez contre l'effort fait par les Français, génération après génération, pour disséminer l'implantation universitaire sur tout le territoire et féconder partout les capacités productives du pays par le savoir. Vous avez choisi une logique inverse, en favorisant la concentration sur quelques pôles uniquement, lesquels capteront tous les moyens. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Mais comment vous y prenez-vous, mes chers collègues, pour faire accepter cette réalité, sans autre forme de procès ? Ici même, nombre de voix, ô combien éminentes, se sont élevées pour affirmer que l'université française ne vaut rien et que ses résultats sont « à la traîne de tout le monde » !

M. Alain Gournac. Mais non ! Pas du tout !

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est l'inverse !

M. Jean-Luc Mélenchon. Comment pouvez-vous accepter le classement de Shanghai, alors que celui-ci n'intègre aucune des valeurs de service public et d'accueil auxquelles nous croyons tous ici, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégions ?

Mes chers collègues, savez-vous que ce classement n'intègre ni le CNRS, ni l'INRA, ni même l'ENSIA, l'école nationale supérieure des industries agricoles et alimentaires ?

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Absolument !

M. Jean-Luc Mélenchon. Sachez que l'index des publications scientifiques sur lequel s'appuie le classement des universités, dans lequel la France est si mal placée, est géré par une entreprise privée nord-américaine ! C'est moi qui vous l'apprends, et vous pourrez le vérifier ! (Sourires.)

Dans ces conditions, comment expliquez-vous qu'étant à ce point en bas de l'échelle la France figure parmi les trois premiers pays au monde pour le nombre de scientifiques pour 100 000 habitants, et ce devant le Japon, l'Allemagne et les États-Unis ? Comment expliquez-vous de telles performances, sinon par la qualité de ce système que tant viennent décrier à cette tribune ?

Le perfectionner ? Oui ! Le détruire ? Non !

Mes chers collègues, nous n'avons rien à faire du marché ni de la concurrence dans l'éducation et dans l'enseignement supérieur !

Puisque vous affirmez que notre patrie est « à la remorque » pour ce qui concerne l'accueil des étudiants étrangers, comment expliquez-vous que 35 % des personnels du CNRS soient des professeurs étrangers ? Et que la participation des étudiants étrangers croisse dans les universités françaises tandis qu'elle stagne dans les universités américaines et anglaises ?

Souvenez-vous de tout cela avant de montrer du doigt la qualité du système universitaire français, car votre manière d'agir ne fait que transformer le Journal officiel de la République française en un recueil d'argumentaires critiques contre nos performances !

Mme Annie David. Très bien !

M. Jean-Luc Mélenchon. Madame la ministre, mes chers collègues, voilà donc présentées, en peu de temps, les raisons de mon désaccord. Personnellement, je crois au service public et à la logique qui a été la nôtre de dissémination du savoir et de développement du maillage universitaire dans notre pays. Comprenez-le, l'université française souffre non pas d'un manque de liberté, mais d'un manque d'égalité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est le choc des civilisations !

M. Serge Dassault. Madame le ministre, je n'aurai ni la fougue ni le talent de mon ami Jean-Luc Mélenchon pour défendre l'université comme il l'a fait.

M. Jean-Luc Mélenchon. C'est grâce à notre université que l'on construit des Rafale ! (Sourires.)

M. Serge Dassault. Si je n'interviendrai pas sur le fond de ce projet de loi, je tiens néanmoins à vous exposer un certain nombre d'éléments complémentaires, certes plus modestes, mais qui me paraissent tout de même dignes d'intérêt.

Ainsi faut-il, à mon sens, prendre conscience que la formation de nos jeunes par l'éducation nationale et les universités ne correspond pas aux résultats que nous serions en droit d'attendre.

En effet, en dehors des excellents résultats, dont il faut se réjouir, qu'obtiennent les élèves les plus doués, force est de constater que les moins doués subissent un nombre d'échecs trop important, et ce en raison d'une double erreur.

Première erreur, chaque année, 50 000 jeunes de seize ans arrêtent leurs études au sortir du collège, à l'issue de la classe de troisième, sans aucun horizon professionnel. Sous prétexte que l'obligation scolaire se termine à cet âge, ils ne sont plus redevables de rien.

Seconde erreur, chaque année, 140 000 jeunes échouent au baccalauréat ou arrêtent leurs études universitaires au bout d'un ou deux ans, par manque de motivation et de résultat. En sortant du système scolaire ou universitaire sans aucun espoir professionnel, ils se retrouvent dans une dangereuse inactivité.

Face à ce constat d'échec, que pouvons-nous faire ?

En réalité, il aurait fallu se préoccuper de ces jeunes bien avant, dès la classe de quatrième. Pour certains, en effet, la formation scolaire ne convient pas, et il faudrait les orienter immédiatement vers l'apprentissage d'un métier. De même, un certain nombre d'étudiants, après une année d'université, se sentent fourvoyés parce qu'ils n'ont pas choisi une formation leur plaisant.

Madame le ministre, vous le soulignez vous-même dans l'exposé des motifs de ce projet de loi, « l'échec endémique dès les premières années de licence est un fléau que nous devons affronter sans délai. » Certes, mais comment ?

À mon avis, mieux vaut orienter et mieux accompagner les étudiants pour leur permettre de trouver leur voie. Vous évoquez à juste titre une politique d'« orientation active », mais vos propositions ne sont pas suffisamment précises.

Plus grave encore est la situation des étudiants qui, ayant étudié à l'université et obtenu des diplômes, ne trouvent aucun débouché professionnel, à la suite, là encore, d'une mauvaise orientation.

Pour tous ces cas d'échecs, la raison dominante est la même : mauvaise orientation des études, d'un côté, mauvaise adaptation des enseignements à la capacité réelle des élèves et à leur motivation, de l'autre.

En définitive, personne n'a demandé à ces jeunes ce qui pouvait les intéresser et personne ne leur a proposé une formation adaptée à leurs besoins.

Madame le ministre, le moins que l'on puisse dire, c'est que l'ensemble des étudiants sont livrés à eux-mêmes, dans le plus grand des hasards, à l'image de ces automobilistes qui ont emprunté une voie sans savoir où elle va les mener.

Or, à l'instar du GPS utilisé par certains automobilistes pour se faire guider, pourquoi ne mettriez-vous pas à la disposition de chaque étudiant un logiciel spécifique, une sorte de « GPS d'orientation professionnelle », afin que ses études aboutissent à une activité professionnelle en rapport non seulement avec ses capacités et sa motivation, mais aussi avec les possibilités d'embauche ? Cela permettrait d'éviter l'hécatombe actuelle, dont la gravité est sans limite, surtout au regard des sommes très importantes dépensées pour l'éducation nationale et les universités.

Voilà donc une première proposition que je vous soumets.

Permettez-moi de vous en présenter une autre, qui m'a été indiquée par l'un de mes amis, lequel préside une importante université de la région parisienne. Il souhaite en effet que les présidents d'université soient élus à la fois par les représentants des enseignants-chercheurs et des étudiants, mais également par les personnalités extérieures à l'établissement membres du conseil.

Ne l'oublions pas, l'objet même de la formation des jeunes et des étudiants est de permettre à ces derniers, au bout de leurs études, de trouver un emploi et d'entrer dans la vie active.

Cela nécessite d'assurer au minimum un rapprochement entre les entreprises et les universités et, au mieux, une véritable coopération. Entreprises et universités devraient travailler main dans la main, au lieu de s'ignorer et de s'opposer.

Au fond, que ce soit dans les classes primaires et secondaires ou à l'université, qu'apprennent les jeunes de la vie économique dans les entreprises ? Que savent-ils des salariés, des clients, des actionnaires, des règles de la concurrence et des métiers qu'ils pourraient un jour assumer ?

À cet égard, d'excellentes mesures pourraient être prises. Nombre de chefs d'entreprise sont en effet capables sinon d'enseigner, du moins de faire des conférences dans les écoles et les universités pour décrire la vie réelle des entreprises, faire état de leurs expériences et servir ainsi d'exemples.

Nous oublions trop souvent que la finalité de la vie étudiante est non pas d'accumuler les diplômes, mais bien de participer un jour à la vie économique dans des entreprises qui créent des emplois et assurent la croissance, plutôt que dans les administrations, lesquelles consomment le budget de l'État et ne créent aucune richesse.

Voilà, madame le ministre, mes chers collègues, quelques idées simples que je me suis permis de vous soumettre. À mes yeux, le « GPS d'orientation professionnelle », l'élection des présidents d'université par l'ensemble du conseil et le rapprochement entre l'université et les entreprises représenteraient des avancées importantes.

Je voterai bien évidemment ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, je souhaiterais que nous puissions reprendre la séance à vingt-deux heures. En effet, la commission des affaires culturelles doit se réunir à vingt heures pour commencer l'examen des amendements déposés sur ce texte. Nous nous réunirons d'ailleurs à nouveau demain matin avant la séance, à partir de neuf heures, pour poursuivre cet examen.

M. le président. Le Sénat va bien sûr accéder à cette demande, monsieur le président de la commission ; nous reprendrons donc nos travaux à vingt-deux heures.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif aux libertés et responsabilités des universités
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