Sommaire

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert

1. Procès-verbal

2. Récidive des majeurs et des mineurs. - Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président.

Discussion générale : Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois ; Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Robert Badinter, Yves Détraigne, Jean-René Lecerf, Nicolas Alfonsi, Richard Yung, Jean-Claude Carle, Jacques Mahéas, Hugues Portelli, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Christian Demuynck, Jacques Peyrat.

Mme le garde des sceaux.

Clôture de la discussion générale.

Exception d'irrecevabilité

Motion no 11 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Mme Josiane Mathon-Poinat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

3. Dépôt de rapports

4. Communication d'avis d'une assemblée territoriale

5. Déclaration de l'urgence de projets de loi

6. Récidive des majeurs et des mineurs. - Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Question préalable

Motion no 50 de M. Louis Mermaz. - MM. Louis Mermaz, François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois ; Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. - Rejet.

Demande de renvoi à la commission

Motion no 51 de M. Pierre-Yves Collombat. - MM. Pierre-Yves Collombat, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Rejet.

Article additionnel avant l'article 1er

Amendement n° 28 de M.  Jean-Pierre Sueur. - MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, Mmes le garde des sceaux, Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Louis Mermaz, Jacques Mahéas, Dominique Braye, Pierre-Yves Collombat. - Rejet.

Article 1er

MM. Charles Gautier, Jean-Pierre Sueur, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Amendements identiques nos 29 de M.  Robert Badinter et 53 de Mme  Nicole Borvo Cohen-Seat ; amendements nos 30 à 33 de M.  Robert Badinter, 13 à 15 de Mme  Alima Boumediene-Thiery, 1 de la commission et 54 de Mme  Nicole Borvo Cohen-Seat. - M. Robert Badinter, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Alima Boumediene-Thiery, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. le président de la commission, Jean-Pierre Sueur, Jacques Mahéas, Pierre-Yves Collombat, Dominique Braye. - Retrait de l'amendement no 54 ; rejet des amendements nos 29, 53, 14, 32, 15, 13, 30, 1 et 33 ; adoption de l'amendement no 31.

Adoption de l'article modifié.

Article 2

MM. Charles Gautier, Jean-Pierre Sueur, Mme le garde des sceaux.

Amendements identiques nos 34 de M.  Robert Badinter et 55 de Mme  Nicole Borvo Cohen-Seat ; amendements nos 56, 57 de Mme  Nicole Borvo Cohen-Seat, 16 à 24 de Mme  Alima Boumediene-Thiery, 36 à 38 de M.  Robert Badinter et 2 à 4 de la commission. - M. Robert Badinter, Mmes Éliane Assassi, Alima Boumediene-Thiery, MM. Richard Yung, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Retrait des amendements nos 3 et 37 ; rejet des amendements nos 34, 55, 56, 21, 24, 16, 17, 19, 20, 18, 22, 23, 35, 57 et 38 ; adoption des amendements nos 2, 36 et 4.

Adoption de l'article modifié.

Articles additionnels après l'article 2

Amendement n° 5 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Dominique Braye, Pierre-Yves Collombat, Richard Yung, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Robert Badinter, le président de la commission. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Amendements nos 6 de la commission et 39 de M.  Robert Badinter. - MM. le rapporteur, Robert Badinter, Mme le garde des sceaux. - Retrait de l'amendement no 39 ; adoption de l'amendement no 6 insérant un article additionnel.

Article 3

Mme Éliane Assassi.

Amendements nos 40 de M.  Robert Badinter, 58, 59 de Mme  Nicole Borvo Cohen-Seat, 52 et 25 à 27 de Mme  Alima Boumediene-Thiery. - M. Robert Badinter, Mmes Éliane Assassi, Alima Boumediene-Thiery, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Jean-Pierre Sueur, Dominique Braye, Jean-René Lecerf, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Rejet des sept amendements.

Adoption de l'article.

7. Candidature à une commission

Suspension et reprise de la séance

8. Nomination d'un membre d'une commission

9. Récidive des majeurs et des mineurs. - Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence

Article 4

Amendements identiques nos 41 de M.  Robert Badinter et 60 de Mme  Nicole Borvo Cohen-Seat. - M. Richard Yung, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois ; Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. - Rejet des deux amendements.

Adoption de l'article.

Articles additionnels après l'article 4

Amendement n° 12 rectifié de M. Michel Charasse. - M. Jean-Pierre Sueur. - Retrait.

Amendement n° 42 rectifié de M.  Robert Badinter. - MM. Jacques Mahéas, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Retrait.

Amendement n° 68 de Mme Nathalie Goulet. - Mme Nathalie Goulet. - Retrait.

Article 5

Mmes Alima Boumediene-Thiery, Éliane Assassi, M. Jean-Pierre Sueur.

Amendement n° 43 de M.  Robert Badinter. - MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, Mmes le garde des sceaux, Isabelle Debré, MM. Robert Badinter, Dominique Braye. - Rejet.

Adoption de l'article.

Article 6

Amendement n° 44 de M.  Robert Badinter. - MM. Jacques Mahéas, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Jean-Pierre Cantegrit. - Rejet.

Adoption de l'article.

Article 7

Mme  Alima Boumediene-Thiery.

Amendement n° 45 de M.  Robert Badinter. - MM. Richard Yung, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet.

Adoption de l'article.

Article 8

Mme  Alima Boumediene-Thiery.

Amendements identiques nos 46 de M.  Robert Badinter et 61 de Mme  Nicole Borvo Cohen-Seat ; amendements nos 7 et 8 de la commission. - M. Jacques Mahéas, Mme Éliane Assassi, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet des amendements nos 46 et 61 ; adoption des amendements nos 7 et 8.

Adoption de l'article modifié.

Article 9

Amendements identiques nos 47 de M.  Robert Badinter et 62 de Mme  Nicole Borvo Cohen-Seat ; amendement n° 9 de la commission. - M. Richard Yung, Mme Éliane Assassi, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet des amendements nos 47 et 62 ; adoption de l'amendement no 9.

Adoption de l'article modifié.

Division et article additionnels après l'article 9

Amendements nos 63 rectifié et 64 rectifié de Mme  Nicole Borvo Cohen-Seat. - Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois ; Mme le garde des sceaux. - Retrait des deux amendements.

Article 10

Amendements nos 48 de M.  Robert Badinter et 10 de la commission. - MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet de l'amendement no 48 ; adoption de l'amendement no 10 rédigeant l'article.

Article 11

Amendement n° 49 de M.  Robert Badinter. - Rejet.

Adoption de l'article.

Vote sur l'ensemble

M. Jean-Pierre Sueur, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jacques Mahéas, Mme Nathalie Goulet, MM. Yves Détraigne, Christian Cointat, André Ferrand.

Adoption du projet de loi.

Mme le garde des sceaux.

10. Dépôt d'une proposition de loi

11. Dépôt d'une proposition de résolution

12. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

13. Ordre du jour

compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

 
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Discussion générale (suite)

Récidive des majeurs et des mineurs

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Rappel au règlement

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs (nos 333 rectifié, 358).

Je vous rappelle que ce projet de loi a donné lieu à la première application de la nouvelle procédure de contrôle de la recevabilité financière des amendements au regard de l'article 40 de la Constitution, telle qu'elle a été retenue par notre conférence des présidents à la suite des travaux de la commission des finances.

Depuis le 1er juillet, tous les amendements déposés et enregistrés au service de la séance sont soumis au préalable à la commission des finances en vue de l'examen de leur recevabilité financière.

Pour le projet de loi que nous allons discuter, je tiens à vous informer qu'aucun amendement n'a été déclaré irrecevable.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un immense honneur pour moi de me présenter aujourd'hui devant vous, au nom du Gouvernement, pour présenter un texte relatif à la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

Je voudrais vous dire le respect et l'admiration que j'ai pour le travail réalisé par les élus de la Haute Assemblée.

Le Sénat est le dépositaire d'une expérience, d'une culture de la loi, d'une mémoire de nos institutions, mais aussi de la vie quotidienne de nos compatriotes, de leurs attentes, de leurs questions.

Le Sénat est, dans sa sagesse, un des gardiens du pacte républicain.

Il est aussi, et je voudrais le souligner, par sa capacité d'imagination, par son inventivité, un défricheur de voies nouvelles. Il l'a été en particulier sur les sujets sensibles et importants qui m'amènent aujourd'hui devant vous. J'ai ainsi en mémoire le rapport remarquable réalisé en 2002 sur la délinquance des mineurs.

Je tiens également à remercier le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, son rapporteur, M. François Zocchetto, et l'ensemble des membres de la commission.

Je suis venue ce matin vous parler aussi de la justice.

Cette justice, notre justice, ne doit pas être un idéal figé et inaccessible. Ce n'est pas une affaire de spécialistes. La justice, c'est l'affaire de tous.

Notre justice est une réalité humaine, c'est-à-dire qu'elle est imparfaite. Elle est donc perfectible. C'est pourquoi je veux pour la France une justice adaptée au monde dans lequel elle agit et qui accompagne les changements qui rythment nos vies.

Je veux pour notre pays une justice paisible, proche des citoyens ; une justice sereine, qui constitue une présence vigilante et rassurante ; une justice dont chacun soit certain de l'efficacité en cas de nécessité ; une justice dont la temporalité ne soit pas trop décalée de celle de la vie de nos concitoyens qui ont besoin d'être confortés, rassurés, aidés.

C'est une tâche immense, car la justice pacifie les relations sociales, familiales ou économiques.

La justice, c'est la garantie de vivre en bonne intelligence les uns avec les autres. C'est l'instauration de la paix sociale, là où règnent parfois le désordre, l'épreuve de force ou le chaos.

La justice est tout simplement la première de toutes les institutions humaines, la première des conquêtes de la civilisation et de la culture.

Le projet de loi dont je suis porteur devant vous, ce matin, s'inscrit dans cette vision de la justice. Ce n'est pas un texte technique. Ce n'est pas, non plus, un texte dicté par la seule volonté d'aménager des règles existantes, ou d'améliorer tel ou tel dispositif.

C'est un texte fondé sur une double conviction : la justice est un pilier de la démocratie et sa mission est d'être le ciment de notre pacte républicain.

C'est un texte rendu indispensable par l'état de notre société et de notre justice. Il est indispensable parce qu'il répond à quatre ambitions, qui fondent la politique pénale que je veux pour notre pays.

La première de ces ambitions est de bâtir une justice proche des Français, une justice que nos compatriotes comprennent, dans laquelle ils se reconnaissent, en laquelle ils aient confiance. Ce texte est, à ce titre, indispensable : en matière de récidive, l'attente de nos concitoyens est à la mesure de leurs doutes et de leurs inquiétudes.

Le manque de respect de l'autre, les incivismes de toutes sortes et la délinquance violente exaspèrent au quotidien les Français et sapent leur confiance dans la justice. Ces comportements insupportables traduisent l'état d'esprit d'une société ravagée par l'individualisme, une société de droits, une société sans obligations.

Nous nous devons de répondre à cette France exaspérée, dont l'obsession n'est pas la sécurité, mais la tranquillité et la sûreté.

Cette inquiétude est justifiée parce qu'elle s'ancre dans une réalité difficile. Il suffit pour en prendre la mesure de considérer les chiffres. On pourrait en citer de nombreux. Je n'en retiendrai que quatre. Ils parlent d'eux-mêmes.

Entre 2000 et 2005, le nombre de condamnations en récidive pour des crimes et délits a augmenté de près de 70 %.

Les condamnations en récidive pour des délits violents ont augmenté de 145 %.

Le nombre des mineurs condamnés pour des délits de violence a augmenté de près de 40 %.

En 2006, 46 % des personnes mises en cause pour des vols avec violence étaient des mineurs. (M. Jacques Mahéas proteste.)

La sûreté des citoyens est le premier devoir de l'État.

La délinquance répétitive, spécialement la récidive, porte une grave atteinte à cette sûreté. Il est impossible de laisser sans réponse les interrogations angoissées suscitées par cet état de fait.

Il est de notre devoir de responsables politiques de veiller à ce que soient mises en oeuvre des réponses nouvelles, à la hauteur des difficultés rencontrées, des réponses susceptibles de redonner du sens, car c'est en produisant du sens que l'on restaure la confiance.

La deuxième ambition à laquelle s'attache ce projet de loi est de contribuer à bâtir une justice qui protège les plus faibles et, en premier lieu, les victimes.

Nous devons bien sûr aux coupables une justice digne, garantissant l'équité et le respect des droits. Mais ce respect, cette équité, nous les devons au premier chef à ceux qui ont souffert, dans leur chair ou dans leurs biens, des agissements des délinquants et des criminels.

La troisième ambition à laquelle répond ce texte est celle d'une justice vraiment sereine, qui donne aux femmes et aux hommes ayant la charge d'en exercer l'administration des outils adaptés.

Je veux ici, solennellement, leur rendre hommage.

Ils exercent un métier difficile. Je connais bien la difficulté d'analyser les situations qui leur sont soumises, la capacité qu'ils ont de transformer une abstraction légale en une décision fine, juste et concrète.

Je sais les contraintes auxquelles sont soumis les magistrats. Je les connais, comme je connais celles qu'affrontent au quotidien tous ceux qui composent la chaîne judiciaire.

Je veux saluer chacun des magistrats, des greffiers, des fonctionnaires, des éducateurs, des policiers, des gendarmes, des responsables d'associations, des auxiliaires de justice et des élus.

Je veux, au nom de nos concitoyens, au nom du Président de la République, au nom du Gouvernement, saluer ici, dans l'enceinte du Sénat, le dévouement et l'esprit de service public dont ils font preuve au quotidien.

Ils sont, en première ligne, l'incarnation de la justice. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)

Leur donner les moyens dont ils ont besoin est au coeur de la mission du garde des sceaux. J'entends y veiller sans relâche. Devant vous, je veux leur dire qu'ils peuvent compter sur moi.

La quatrième ambition, enfin, est l'affirmation d'une justice ferme.

Il n'y a pas de justice forte, crédible et respectée qui ne sache adapter et renforcer ses sanctions pour faire face à des circonstances exceptionnelles ou à des formes de délinquance exceptionnelles.

Nous ne parlons pas ici de justice en général ou de délinquants en général. Nous parlons d'un champ de délinquance et de criminalité bien particulier.

Il s'agit, tout d'abord, des récidivistes, c'est-à-dire des délinquants ou des criminels, majeurs ou mineurs, déjà condamnés et à l'égard desquels la menace de la sanction, puis la condamnation ont échoué à exercer leur rôle de dissuasion et de réinsertion.

Il s'agit, ensuite, des délinquants sexuels.

Dois-je vous rappeler qu'au 1er avril 2007, 20 % des détenus l'étaient pour des infractions de nature sexuelle ?

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce n'est pas nuire à la sérénité qui sied à la justice et à l'examen d'un projet de loi la concernant que de penser à la douleur que ces comportements font naître.

Je vous le dis clairement, mon devoir est de tout mettre en oeuvre pour éviter autant que possible que de tels drames ne se reproduisent. Rien ne me détournera de ce but.

À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. À situation nouvelle, réponse nouvelle.

En matière d'environnement, le principe de précaution est inscrit dans la Constitution ! Pourquoi ne pas l'appliquer aux victimes ?

La récidive est aujourd'hui une réalité d'une ampleur et d'une gravité nouvelle et exceptionnelle. Ces comportements intolérables doivent être réprimés sans faiblesse.

Mais il ne suffit pas, pour cela, de renforcer l'existant. Il faut apporter à ces situations extrêmes une réponse claire aux yeux de nos concitoyens, légitime aux yeux des victimes, efficace à l'encontre des criminels !

Cela exige de nous un véritable effort d'innovation. C'est pourquoi ce projet de loi prévoit, en réponse à la récidive, l'instauration d'un régime pénal nouveau.

Il vise à instaurer, en premier lieu, des peines minimales d'emprisonnement dès la première récidive, applicables tant aux majeurs qu'aux mineurs.

En cas de seconde récidive, c'est-à-dire lorsqu'une personne commet pour la troisième fois des crimes ou des délits violents, la loi sera encore plus ferme. Face à un récidiviste, le tribunal correctionnel sera tenu de motiver le choix de sa peine lorsqu'il décidera de prononcer une peine d'un quantum inférieur à la peine minimale.

Le deuxième axe de ce projet de loi concerne les mineurs.

Un mineur de plus de seize ans qui aura commis deux vols avec violence et qui en commettra un troisième encourra désormais les mêmes peines qu'un majeur.

Aujourd'hui, sous prétexte que des délinquants endurcis sont mineurs, nous considérons qu'ils ne peuvent être sévèrement punis avant leur majorité.

Certains ne cessent de m'objecter qu'il faut laisser sa chance au mineur multirécidiviste parce qu'il n'est pas un adulte. Mais il s'agit d'une vision bien éloignée de la réalité : 30 % des mineurs condamnés récidivent dans les cinq années qui suivent. Ce chiffre est terrible.

Une nouvelle fois, n'oublions pas les victimes dont le sort doit nous préoccuper. Elles ne comprennent pas qu'un mineur de plus de seize ans puisse bénéficier d'un régime favorable alors qu'il a commis trois fois des faits extrêmement graves.

C'est pour répondre à cette violence de plus en plus dure, à cet ancrage dans la délinquance, que le projet de loi prévoit des sanctions adaptées aux mineurs multirécidivistes.

M. Jean-Claude Carle. Très bien !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. En l'absence de réponse appropriée, les mesures inadaptées se répètent. Elles renforcent le sentiment d'impunité.

M. Jean-Claude Carle. Tout à fait !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Enfin, le troisième axe de ce projet de loi concerne le suivi médical et psychiatrique nécessaire aux personnes condamnées, notamment pour des infractions de nature sexuelle.

À cette fin, le recours à une injonction de soins deviendra le principe dès lors qu'une expertise aura conclu à une possibilité de traitement.

Les détenus seront incités fermement à se soumettre aux soins et l'acceptation de celle-ci sera un préalable à la possibilité de bénéficier d'une libération, voire d'une remise de peine.

Les soins constituent la première mesure contre la récidive. Nous devons favoriser cette prise en charge médicale.

Je crois fondamentalement aux vertus de l'injonction. Elle peut aider les personnes concernées à consentir aux soins qui leur sont proposés.

J'ai donc souhaité un projet qui renoue avec une loi pénale dissuasive. C'est, d'abord et avant tout, un signal de fermeté envoyé à des délinquants endurcis. Ils connaîtront clairement les risques qu'ils encourent. Il en va de la vie en société et du respect du contrat social.

Ce projet de loi, que je vous demande d'adopter, est clair, lisible, intelligible et sans ambiguïté : oui, il instaure des peines minimales ; oui, je crois que nul n'est censé ignorer la loi pénale ; oui, je crois que chacun comprendra les peines minimales encourues et leur sévérité.

Pour autant, je ne me laisserai pas enfermer dans des caricatures. Si ces peines minimales sont indispensables, c'est aussi pour garantir l'efficacité du travail de prévention. Celui-ci doit pouvoir, pour être crédible, s'adosser à la menace d'une sanction claire, précise et ferme.

De même, si ces peines sont indispensables, c'est parce qu'elles offriront aux magistrats la possibilité d'affirmer une autorité dont il est intolérable qu'elle soit mise en cause.

Je ne laisserai pas prospérer les idées reçues selon lesquelles la répression et la prévention seraient antagonistes. Á ceux qui croiraient cela, je dis qu'il faut rompre avec les vieux schémas et les vieilles pensées.

La répression et la prévention sont indissociables. Elles concourent au même objectif et se renforcent l'une l'autre dès lors que leur action est clairement perçue par le citoyen.

L'humanisme judiciaire, l'appréciation fine des circonstances de commission d'un crime ou d'un délit, je les prends en considération.

L'humanisme judiciaire, la considération pour les personnes ne sont le monopole de personne. On peut être ferme, mais juste et humain.

C'est la raison fondamentale pour laquelle le projet de loi n'instaure pas de peines automatiques. Je ne puis évidemment, à cet égard, que déplorer ces autres caricatures qui, à partir d'une vision mécanique, ont fait dire que la loi aurait pour effet d'augmenter le nombre de détenus.

M. Jacques Mahéas. En tout cas, il ne va pas diminuer !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Cette loi n'est pas mécanique. Si elle ne l'est pas, c'est précisément parce qu'elle préserve la marge d'appréciation du juge. La justice repose tout entière sur l'examen approfondi des cas qui lui sont soumis.

Même en cas de première récidive, le juge pourra prononcer une peine inférieure aux peines minimales prévues par la loi à raison des circonstances de l'infraction, de la personnalité de l'auteur et des garanties d'insertion ou de réinsertion.

J'ai voulu que cet élément d'individualisation figure expressément dans mon projet. Il est la garantie d'une justice équitable. Il témoigne du profond respect que j'ai, tant pour les magistrats que pour les avocats, dont le métier est d'apprécier les situations humaines concrètes, de situer la justice au plus près des réalités humaines et sociales, des drames humains, de la misère.

Pour les personnes déjà condamnées à deux reprises de crimes ou délits de nature violente ou sexuelle, le juge pourra aussi prononcer une peine inférieure aux peines minimales fixées par la loi à raison de circonstances exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion.

Lorsque l'on est jugé pour la troisième fois, il est normal que la sanction soit plus ferme, plus claire et, donc, plus exemplaire.

Il ne peut en aller autrement, sauf à remettre en cause l'idée même que nos concitoyens se font de la justice.

Pour autant, alors même que les actes commis par ces délinquants sont insupportables, le projet de loi permet au juge d'adapter la peine à des situations humaines qui, même si elles sont rares, méritent considération.

Comme vous le voyez, ce projet de loi est un texte ferme, mais juste et qui préserve l'équité.

Il ne mérite pas les outrances dont il a été l'objet.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C'est bien vrai !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je voudrais, avant de terminer, dire que ce projet de loi est conforme à notre Constitution et à nos engagements internationaux.

Il y est conforme parce que nous l'avons souhaité, parce que le respect de la Constitution est, non un risque, mais un devoir. C'est le premier devoir d'un garde des sceaux.

Encore faut-il ne pas oublier pour autant la nécessaire répression des infractions et la prévention des atteintes à l'ordre public.

Mon devoir, notre devoir, c'est non d'opter pour ces garanties contre le respect de l'ordre public, mais de concilier entre elles toutes ces exigences.

Ce projet de loi porte la marque de cette conciliation : d'abord, parce que les peines minimales instaurées présentent un caractère proportionné, parce que jamais le juge n'est contraint de prononcer une peine automatique.

L'individualisation des peines n'est pas remise en cause. Je le redis avec force : j'y suis attachée. C'est pour moi un principe, ce n'est pas une exception.

S'agissant des mineurs, je connais les exigences constitutionnelles et internationales : atténuation de la responsabilité pénale, nécessité de rechercher leur relèvement éducatif et moral, jugement par une juridiction spécialisée. Là encore, ces exigences doivent être conciliées avec la défense de l'ordre public.

Ce projet de loi est un texte d'équilibre : la majorité pénale reste fixée à dix-huit ans. Tous les mineurs, même ceux de plus de seize ans, demeureront jugés par des juridictions pour mineurs.

Le principe de l'atténuation pénale est maintenu.

Il est vrai que, par exception, certains mineurs de plus de seize ans, condamnés trois fois pour des faits particulièrement graves, encourront les mêmes peines que les majeurs. Apporter une exception, ce n'est pas remettre en cause le principe.

Il n'y a donc aucune remise en cause de la philosophie du droit pénal applicable aux mineurs.

Remettre en cause cette philosophie aurait consisté à faire juger les jeunes de plus de seize ans par un tribunal correctionnel, ce qui n'est pas le cas.

Remettre en cause cette philosophie aurait consisté à ne plus les faire bénéficier d'une atténuation de responsabilité.

Je n'ai pas pris ce parti, et vous le savez bien. La tradition juridique française s'est toujours gardée de tout dogmatisme. Ce projet de loi s'inscrit dans la même ligne.

Loin des caricatures, j'ai choisi un texte strictement conforme à nos engagements internationaux et à nos valeurs constitutionnelles.

La justice, ce n'est pas le laxisme ou la répression aveugle.

M. Jean-Claude Carle. Très bien !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. C'est la recherche d'un compromis.

La justice, c'est la recherche d'un juste équilibre entre la protection de la société et celle des individus.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si je suis devant vous ce matin, c'est parce que les Français ont donné un mandat clair au Président de la République.

L'insécurité, les incivismes, l'impunité de certains exaspèrent nos concitoyens.

Nous devons apporter une réponse ferme à cette France exaspérée dont l'obsession, comme je l'ai entendu ici ou là, est non une obsession sécuritaire, mais une demande légitime de sécurité et de tranquillité. Car tel est le premier devoir de l'État, assurer la sécurité des Français. Il me revient d'y veiller

Si je suis devant vous ce matin, c'est au nom de cette justice qui est pour moi une valeur fondamentale, cette justice qui est le pilier de la démocratie. Elle établit l'égalité des droits. Elle rappelle les devoirs.

La justice doit protéger la société. Elle instaure des règles qui garantissent l'ordre public. Elle permet le respect du bien commun et l'exercice du droit de chacun. Elle rétablit l'égalité et corrige les inégalités.

En ma qualité de garde des sceaux, je veillerai à ce que la justice soit impartiale, juste et indépendante.

Je veillerai à ce qu'elle fasse la balance entre l'ordre au sein de la société et la liberté de chacun. C'est toute la philosophie du projet de loi que j'ai l'honneur de défendre devant vous.

Ce texte sera efficace parce qu'il s'appuiera sur la compétence et le dévouement des hommes et des femmes qui servent la justice.

Il sera efficace aussi parce qu'il s'appuiera sur une volonté politique claire, constante et forte. Cette volonté, c'est la politique pénale dont je suis la garante.

Cette politique pénale n'est pas antagoniste avec l'indépendance et la bonne administration de la justice.

Elle en est, au contraire, la meilleure alliée parce qu'elle est tout entière tendue vers un seul objectif, restaurer le lien de confiance entre les Français et leur justice.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les plus belles pages de l'institution judiciaire n'ont pas été écrites sous la contrainte du pouvoir politique. Elles n'ont pas non plus été dictées par la volonté d'entrer en lutte avec celui-ci. Les plus belles pages, ce sont celles qui ont été écrites à deux mains.

La justice n'existe pas sans celles et ceux qui l'incarnent au quotidien. Elle n'existe pas non plus sans la vigilance du politique qui doit veiller à protéger et à nourrir le lien unissant la justice et le peuple pour qu'ils demeurent en adéquation.

Ce rôle, c'est de donner du sens. Il est au coeur du pacte républicain. Il est doté d'une mémoire : celle de l'héritage commun de la nation, de Michel de l'Hospital à d'Aguesseau, de Portalis à Michel Debré.

C'est ce souffle qu'incarnait Simone Veil montant à la tribune pour défendre le droit des femmes.

C'est ce souffle qu'incarnait Robert Badinter montant à la tribune pour défendre l'abolition de la peine de mort.

C'est ce souffle qu'incarnait et résumait Albert Camus en écrivant : « Si l'homme échoue à concilier la liberté et la justice, alors il échoue à tout ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des lois estime que le projet de loi aujourd'hui soumis à l'examen de notre assemblée est utile, adapté et raisonnable.

En premier lieu, il est utile, car la récidive, au sens large du terme, reste l'un des traits majeurs et incontestables de la délinquance actuelle.

Pour mieux mesurer cette réalité, je me crois obligé de dissiper certaines confusions : confusion sur les notions, confusion sur les chiffres.

La notion de récidive légale répond, vous le savez, à des exigences juridiques très précises.

D'abord, il faut une condamnation définitive suivie d'une nouvelle infraction.

Ensuite, en matière correctionnelle, dans le cas le plus fréquent, cette nouvelle infraction doit être identique ou assimilée à l'infraction qui a été à l'origine de la première condamnation.

En outre, elle doit avoir été commise dans un délai de cinq ans suivant l'expiration ou la prescription de la peine. Le délinquant en état de récidive légale encourt alors le doublement des peines maximales prévues par le code pénal.

Toutefois, les infractions commises après une condamnation définitive, mais ne répondant pas aux conditions de délai ou d'identité prévues par la récidive légale, relèvent de la notion beaucoup plus large de réitération.

Dans l'esprit du public, les notions de récidive légale et de réitération se confondent le plus souvent, alors même qu'elles recouvrent des réalités très différentes.

En 2005, selon les données du casier judiciaire, l'état de récidive légale concernait 2,6 % des personnes condamnées en matière criminelle et 6,6 % en matière correctionnelle. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.)

En revanche, le taux de réitération est nettement plus élevé, puisque 30 % des personnes condamnées en 2005 avaient déjà fait l'objet d'une condamnation.

Le contraste est encore plus marqué pour les mineurs : en 2005, l'état de récidive légale n'a été relevé que pour 0,6 % des mineurs, mais le nombre de mineurs ayant fait l'objet d'une nouvelle condamnation au cours des cinq années suivant une première condamnation faisait apparaître en 2004, dernière année pour laquelle nous disposons des chiffres, un taux de réitération de 55 % sur un échantillon de 16 000 mineurs. On le constate, l'écart entre taux de récidive légale et taux de réitération est considérable pour les mineurs.

Personne ne peut donc nier que la délinquance d'habitude reste un phénomène préoccupant. Mais, vu à travers le prisme de la récidive légale, ce phénomène tend à être minoré.

L'écart s'explique par les raisons juridiques que je viens d'exposer, mais il tient aussi au fait que les juges ne relèvent pas systématiquement l'état de récidive légale, même lorsque les conditions juridiques sont réunies.

Cependant, du fait d'une politique pénale plus déterminée, conjuguée avec la volonté du législateur, le nombre de condamnations en récidive pour les crimes et les délits a augmenté de manière très significative au cours des dernières années, comme vous venez de le signaler, madame le garde des sceaux.

Je me permets toutefois de rappeler qu'il faut que le juge puisse connaître le passé pénal de l'intéressé. Or les délais d'inscription des condamnations au casier judiciaire ne le permettent pas toujours, comme nous l'avons souligné à maintes reprises. Il convient, c'est vrai, de relever des progrès au cours des derniers mois : en moyenne, et malgré des disparités selon la taille des juridictions, six mois s'écoulent désormais entre le prononcé de la condamnation et l'inscription de celle-ci au casier judiciaire. La durée était deux fois plus importante il y a encore peu de temps. Il s'agit donc d'un progrès, mais il faut faire mieux.

Le projet de loi prolonge, comme cela n'a échappé à personne, des initiatives prises avec la loi du 12 décembre 2005, qui, précisément, traitait de la récidive des infractions pénales, et fait également suite à la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.

Il complète ces dispositifs et n'est donc pas redondant. En plus, il innove avec l'instauration de peines minimales privatives de liberté pour les récidivistes. Il est donc utile.

En deuxième lieu, ce projet de loi apportera-t-il une réponse efficace ?

Premier indice, comme le fait apparaître un document récemment produit par la division des études de législation comparée du Sénat, de nombreux pays démocratiques ont déterminé des peines minimales obligatoires pour certaines catégories d'infractions. L'évolution proposée dans le projet de loi que nous présente Mme le garde des sceaux s'inscrit donc dans un mouvement plus large dans lequel beaucoup de nos partenaires européens sont déjà engagés.

Ensuite, l'impact des dispositions du projet de loi doit être apprécié au regard des peines actuellement prononcées par les juridictions et il est vrai qu'en matière correctionnelle - en matière criminelle, la problématique est un peu différente - il sera incontestable.

À titre d'exemple, pour les délits passibles de dix ans d'emprisonnement, le quantum moyen des peines prononcées par les tribunaux alors même que la personne se trouve en état de récidive légale est aujourd'hui de 1,6 an, durée à comparer aux dix ans de la peine maximale encourue.

Dans ce cas précis, le projet de loi prévoit de fixer une peine minimale d'emprisonnement de quatre ans. Une conclusion s'impose : le dispositif devrait, pour le moins, exercer un réel effet dissuasif sur la délinquance d'habitude.

En troisième lieu, le dispositif de ce projet de loi est apparu comme raisonnable à la commission des lois, et cela pour trois raisons : d'abord, parce qu'il respecte le principe de personnalisation de la peine ; ensuite, parce qu'il ne remet pas en cause les principes fondamentaux de la justice des mineurs ; enfin, parce qu'il a été judicieusement complété par un dispositif destiné à généraliser l'injonction de soins, qui constitue, nous l'avons souvent dit, un moyen de favoriser la réinsertion des personnes condamnées.

D'abord, le texte nous paraît respecter l'exigence constitutionnelle de la personnalisation de la sanction, aspect que, bien sûr, nous avons examiné de très près.

Cette exigence est respectée à deux titres. Le juge pourra toujours adapter le mode d'exécution de la peine en décidant, par exemple, un sursis avec mise à l'épreuve, voire un sursis simple. Comme vous l'avez rappelé, madame le garde des sceaux, il pourra, sous certaines conditions, prononcer une peine inférieure aux peines minimales.

Sur ce point cependant, je me dois de vous dire que, selon la grande majorité des praticiens du droit que nous avons entendus au cours des auditions, les conditions dans lesquelles le juge pourra prononcer une peine inférieure peuvent paraître excessivement restrictives en cas de multirécidive. Dans cette hypothèse, le juge ne pourra déroger aux seuils minimaux que si l'accusé ou le prévenu présente des « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion », sans être autorisé à prendre en compte, si l'on retient le texte qui nous est proposé, les circonstances de l'infraction ou la personnalité de l'auteur.

Nous nous sommes enquis des effets de cette disposition auprès d'éminents magistrats et une interrogation a vu le jour au sein de la commission : ne faudrait-il pas dès lors retenir pour la multirécidive également les critères tenant à la personnalité de l'auteur et aux circonstances de l'infraction, en particulier lorsqu'il s'agit d'un mineur ?

Nous souhaitons obtenir quelques informations complémentaires sur ce que l'on entend par « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion » et sur ce que pourra être le pouvoir d'appréciation de la plus haute juridiction, la Cour de cassation, lorsque le juge de première instance et la cour d'appel auront statué sur ces garanties.

Il nous a semblé aussi que, pour donner toute son effectivité à la capacité d'appréciation du juge, il fallait que celui-ci disposât des éléments d'information nécessaires. C'est pourquoi nous proposerons un amendement prévoyant que le ministère public ne peut prendre aucune réquisition tendant à retenir la circonstance aggravante de la récidive s'il n'a préalablement requis une enquête de personnalité propre à éclairer la juridiction de jugement, ce qui correspond à une demande formulée par la totalité des magistrats que nous avons rencontrés et qui nous paraît judicieuse. Je pense que les magistrats sont aptes à exercer leurs responsabilités. Ils demandent d'ailleurs à les assumer, mais nous devons en tant que législateurs leur donner les moyens de le faire, ce qui suppose qu'ils aient une parfaite information concernant la personne qui est devant eux avant de décider s'ils l'envoient en détention ou si, au contraire, ils la laissent en liberté.

Il nous a enfin semblé nécessaire de renforcer le caractère dissuasif des dispositions proposées en posant pour principe que le président de la juridiction avertira systématiquement la personne condamnée après une première infraction de l'aggravation de la peine qu'il encourt en cas de récidive. Mieux vaut prévenir que guérir !

Ensuite, le projet de loi nous apparaît raisonnable parce qu'il ne met pas en cause les principes constitutionnels de la justice des mineurs, point sur lequel que je me dois d'insister, car de nombreux articles ou entretiens parus dans les médias conduisaient à penser le contraire.

Il ne modifie pas la majorité pénale et il maintient le caractère de spécialité des juridictions pour mineurs. Pour l'essentiel, il élargit les exceptions que le droit en vigueur prévoit d'ores et déjà à l'application de l'« excuse de minorité » pour les mineurs de seize à dix-huit ans. Un examen rigoureux et attentif des dispositions du projet de loi ne nous paraît donc pas donner prise aux inquiétudes qui se sont parfois exprimées sur ce volet du texte.

Enfin, le projet de loi a utilement intégré de nouvelles dispositions permettant la généralisation et la systématisation de l'injonction de soins.

Le Sénat s'est toujours montré très favorable à cette mesure, qui lui semble indispensable pour favoriser l'insertion ou la réinsertion des personnes condamnées, en particulier pour les infractions à caractère sexuel.

Il faut souligner que, d'après le texte, le juge de l'application des peines pourrait toujours s'opposer par une « décision contraire » motivée à l'injonction de soins.

Sur ce point, la commission a souhaité compléter le dispositif en permettant que le juge de l'application des peines conserve aussi la possibilité de s'opposer à la suppression, motivée par un refus de soins, d'une réduction de peine supplémentaire pour une personne incarcérée. Les juges de l'application des peines, qui assument souvent avec beaucoup de détermination et de courage leurs responsabilités depuis plusieurs années, doivent conserver le rôle déterminant qu'ils jouent dans la réinsertion des personnes condamnées et donc dans la lutte contre la récidive.

La commission estime donc que le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs répond à une nécessité, qu'il peut exercer un effet dissuasif et qu'il ne met en cause aucun des grands principes de notre droit.

Il nous semble néanmoins, madame le garde des sceaux, que l'effort pour lutter contre la récidive doit, au-delà de l'adoption de ce projet de loi, connaître deux prolongements indispensables.

Tout d'abord, et sans tomber dans les lieux communs, je veux insister sur la nécessité de la mise en oeuvre de moyens humains et financiers, aujourd'hui nettement insuffisants, pour assurer un meilleur suivi des personnes soumises à une obligation ou à une injonction de soins. Peut-être pourriez-vous nous indiquer, madame le garde des sceaux, quelles initiatives vous comptez prendre dans ce domaine de concert avec Mme la ministre de la santé ?

Je me permets par ailleurs de faire observer, avec regret, que l'adoption de la disposition votée en décembre 2005 et visant à permettre l'intervention de psychologues dans le suivi socio-judiciaire, à laquelle le Sénat tenait beaucoup, n'a, à ma connaissance, toujours pas été suivie de décret d'application.

Ensuite, l'efficacité de la lutte contre la récidive passe par l'exécution effective et rapide des décisions de justice. Chacun le sait, rien n'est pire que le sentiment d'impunité, en particulier lorsqu'il s'agit de la délinquance des mineurs. Nous nous inquiétons de ce que les condamnations à des peines d'emprisonnement d'un an et moins dans un pourcentage très significatif ne soient pas suivies d'effet parce que les jugements ne sont pas toujours transcrits dans le temps et aussi parce que l'administration pénitentiaire a ses contraintes. C'est une situation qui ne peut satisfaire le législateur non plus que nos concitoyens.

Je note que des efforts sensibles ont été engagés, en particulier avec la mise en place des bureaux d'exécution des peines. Madame le garde des sceaux, quel premier bilan peut-on dresser de ces structures et quelles nouvelles orientations pouvons-nous attendre dans ce domaine ? Par avance, je vous remercie des éclaircissements que vous pourrez apporter au Sénat.

En conclusion, sous réserve de ces observations et des amendements que je vous proposerai au nom de la commission, je vous invite, mes chers collègues, à adopter le projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 61 minutes ;

Groupe socialiste, 40 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 17 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 13 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le premier projet de loi présenté par le Gouvernement au Parlement, dont le Sénat a, en quelque sorte, l'honneur de commencer l'examen législatif, est un texte d'aggravation pénale. C'est tout un symbole, celui de la poursuite aggravée d'une politique mise en oeuvre depuis cinq ans : « Plus vite, plus fort, plus loin », comme aime à le dire le Président de la République !

Je rappelle que la dernière législature a commencé, en 2002, par deux lois de programmation relative à la sécurité et à la police et qu'en cinq années huit lois sécuritaires ont été votées sur l'initiative du gouvernement précédent.

À quoi donc servent toutes ces lois ?

Je note, néanmoins, une nouveauté dans les rapports entre le Gouvernement et le Parlement. La volonté présidentielle a désormais force de loi. Vous avez déclaré, madame le garde des sceaux : « Je respecte les engagements du Président de la République. Le débat a eu lieu ». Autrement dit, les parlementaires n'ont plus qu'à entériner les projets de loi !

C'est ce que nous propose notre rapporteur, malgré l'opposition générale de tous les professionnels au texte dont nous discutons.

Certes, ce ne sont pas les juges, les avocats, les éducateurs, les conseillers d'insertion et de probation qui font la loi, mais je me souviens, madame le garde des sceaux, que vous avez insisté en d'autres lieux sur la nécessité d'engager des réformes de la justice dans le « consensus ».

Or je suis au regret de constater qu'il n'y a point de consensus sur ce texte, pas plus qu'il n'y a eu de dialogue social : sinon, vous n'auriez pas pu aboutir à un tel résultat.

J'ai la faiblesse de penser que le législateur, en vertu de la Constitution, doit pour le moins s'interroger sur le bien-fondé des projets de loi qui lui sont présentés par l'exécutif ou sur l'efficacité de ces derniers au regard des ambitions de l'exécutif.

J'ai d'ailleurs souvent entendu les parlementaires réclamer une étude d'impact des projets de loi qui leur sont soumis ainsi qu'une évaluation des lois votées.

C'est pourquoi il m'est permis de dire que, au regard tant des éléments fournis que des auditions effectuées par la commission et par moi-même, ou encore du rapport de notre commission, tout conduit à rejeter cet énième texte pénal.

Il convient de s'interroger sur plusieurs points.

En premier lieu, ce texte est-il justifié du point de vue de l'objectif affiché par le Président de la République ?

Vous voulez, madame le garde des sceaux, montrer une plus grande sévérité à l'encontre des récidivistes, sous-entendant que les juges sont laxistes. Mais dois-je vous rappeler que le discrédit dont souffrent les juges depuis l'affaire d'Outreau était à l'inverse de ce postulat ?

Bien évidemment, nos concitoyens sont inquiets quand ils apprennent que des crimes sont commis par des récidivistes. On le serait à moins ; leur inquiétude est légitime.

Savent-ils que nous en sommes à la huitième loi pénale depuis cinq ans ?

Savent-ils que nous avons déjà voté une loi sur la récidive en 2005 - dont nous ne connaissons pas l'impact puisqu'elle n'est pas appliquée - et une loi sur la prévention de la délinquance en mars dernier ?

La première renforce déjà les sanctions à l'encontre des récidivistes, majeurs et mineurs ; la seconde remet également en cause l'atténuation de responsabilité pénale pour les mineurs.

Savent-ils que la grande majorité des récidivistes se voient aujourd'hui condamnés à une peine ferme et que les peines prononcées actuellement par les juridictions sont supérieures aux peines planchers prévues dans le projet de loi ?

En matière criminelle, en cas de récidive, les juges prononcent des peines qui s'échelonnent, en moyenne, entre 15,9 ans et 15,7 ans quand le projet de loi prévoit des peines planchers de cinq, sept et dix ans.

En revanche, comme l'a dit M. le rapporteur, il est vrai qu'en matière délictuelle les données sont inversées. Les peines prononcées par les juridictions sont moins lourdes que les peines planchers prévues et s'échelonnent entre 5,7 mois et 1,6 an, quand le projet de loi prévoit des peines planchers de un, deux, trois et quatre ans.

Contrairement à ce qui a été promis par le Président de la République, ce sont non pas les crimes et les délits les plus graves qui sont visés par ce texte, mais bien la petite délinquance, la délinquance ordinaire, et de préférence commise par des jeunes, qui se trouvent ainsi une fois de plus stigmatisés.

Nos concitoyens savent-ils que la Chancellerie est dans l'incapacité de citer de manière fiable les chiffres de la récidive postérieurs à 2005 ? Savent-ils d'ailleurs ce qu'est la récidive par rapport à la réitération ?

Savent-ils que, s'agissant de la délinquance quotidienne, les peines ne sont pas exécutées faute de moyens ?

Par facilité, on leur assène que tout sera différent avec des peines automatiques. Mais, pour respecter la Constitution, le Gouvernement s'est trouvé dans l'obligation d'habiller le dispositif des peines planchers afin qu'elles ne soient pas totalement automatiques. Cela n'empêche pas la communication présidentielle de se faire sur les peines automatiques.

Enfin, nos concitoyens savent-ils qu'à l'étranger le système des peines automatiques est loin d'avoir prouvé son efficacité ? Les États-Unis détiennent des taux record en matière de violence et d'incarcération, alors qu'ils appliquent des peines automatiques.

L'Australie a abandonné ce dispositif, jugé par la suite inefficace en ce qu'il a conduit à une augmentation de la population carcérale sans pour autant représenter un moyen efficace de dissuasion.

À défaut de créer un effet dissuasif à l'encontre des délinquants, ce projet de loi engendrera un double effet pervers : l'augmentation du nombre de personnes détenues, mais surtout l'allongement de la durée des détentions.

Quelle que soit l'imprécision des prévisions actuelles concernant l'augmentation des peines carcérales, il est évident que le présent texte augmentera le nombre de personnes en prison ainsi que la durée de l'emprisonnement, ce qui est, bien évidemment, contre-productif en matière de prévention.

Les annonces que vous avez faites, madame le garde des sceaux, d'une loi instaurant un contrôle extérieur et indépendant des prisons pour la fin de juillet, ainsi que d'une loi pénitentiaire avant la fin de l'année sont intéressantes. Mais n'aurait-il pas été plus judicieux de commencer par ces textes avant de nous infliger une énième loi d'affichage ?

Ce projet de loi peut-il malgré cela être efficace ?

Malheureusement, il n'existe pas de corrélation entre la peur de la sanction et la commission d'une infraction et je mets au défi quiconque de me démontrer le contraire. La peine de mort, vous le savez, madame le garde des sceaux, n'est pas dissuasive.

À l'inverse, certains éléments sont bien connus et nos concitoyens doivent en être informés.

Les prisons sont criminogènes pour les jeunes et les primo-délinquants et, à ce titre, elles favorisent la récidive.

Les sorties sèches sont également criminogènes, car elles ne permettent pas la nécessaire réinsertion à long terme du condamné qui, dès lors, se retrouve livré à lui-même du jour au lendemain. C'est pourtant ce à quoi tendent régulièrement les grâces présidentielles destinées à libérer des prisonniers pour en limiter le nombre.

En revanche, il est un dispositif qui donne des résultats en matière de lutte contre la récidive, je veux parler des aménagements de peines, tels que les sursis avec mise à l'épreuve, les réductions de peine et surtout la libération conditionnelle. Sans les moyens pour les mettre en oeuvre, ces aménagements de peine sont insuffisamment mis en oeuvre. CQFD !

Nous sommes en plein paradoxe : pourquoi les parlementaires de la majorité, qui, pendant cinq ans, ont repoussé la volonté affichée du précédent ministre de l'intérieur de créer des peines planchers, s'apprêtent-ils aujourd'hui à les adopter ? Ils en ont pourtant eu plusieurs fois l'occasion. Je pense, notamment, à la proposition de loi de M. Estrosi en 2004, ou encore au débat sur la loi de 2005 dont j'ai déjà parlé. Hélas, tout a changé du jour au lendemain !

Le précédent garde des sceaux a installé, en 2005, une commission d'analyse et de suivi de la récidive. Hélas ! nous ne connaissons pas les conclusions de cette commission et pour cause : non seulement la loi de 2005 n'est pas appliquée, mais on croit savoir que la commission n'est pas favorable à ce nouveau texte. Il est regrettable que les parlementaires soient traités de cette manière, ce qui les prive d'éléments pourtant indispensables à leur réflexion.

Ce projet de loi n'est donc pas seulement un texte d'affichage ; c'est aussi un texte dangereux.

En effet, il procède à une inversion complète de notre système judiciaire, les magistrats étant conduits à devoir motiver des décisions de clémence et non celles qui prévoient des peines d'emprisonnement.

Le Gouvernement met ainsi les magistrats en demeure. En fin de compte, ce texte est moins destiné aux récidivistes qu'aux magistrats. Ces derniers étant considérés, je le répète, comme laxistes, la solution consiste donc à les contraindre en instaurant des peines planchers, balayant par là même le nécessaire principe de l'individualisation de la peine, quoi que vous en disiez, madame le garde des sceaux.

Les magistrats sont ainsi pris au piège : s'ils ne veulent pas risquer de subir les foudres du pouvoir politique et de l'opinion en cas de récidive, ils prononceront systématiquement une peine minimale.

En matière de justice des mineurs, ce texte va à contre-courant de l'évolution des droits des enfants. Mme la défenseure des enfants elle-même s'inquiète et dénonce un projet de loi qui « renforce la répression de la récidive pour les mineurs, par parallélisme au droit des majeurs sans réellement tenir compte de la spécificité de la justice des mineurs », même s'ils continueront à être jugés par les tribunaux pour mineurs.

La délinquance des mineurs nécessite des réponses judiciaires progressives et adaptées.

Avec ce projet de loi, les peines minimales seront applicables de plein droit aux mineurs et l'atténuation de responsabilité pénale sera écartée pour les mineurs dès la deuxième récidive. Un mineur de seize ans pourra donc être jugé comme un majeur, ce qui est en contradiction totale avec nos principes fondamentaux.

Les jeunes sont de plus en plus vieux dans les catégories sociales défavorisées et de plus en plus jeunes tardivement dans les catégories sociales favorisées. Voilà qui est particulièrement intéressant !

Pourtant, magistrats et professionnels de l'enfance sont unanimes, ainsi que nous avons d'ailleurs pu le constater lors des auditions auxquelles a notamment procédé la commission des lois.

Les jeunes sont dans l'immédiateté de l'acte. Ils commettent des actes de délinquance à répétition - cela s'appelle la réitération - sans attendre d'avoir été jugés. Ce projet de loi ne va rien changer à cela. Il va surtout favoriser l'incarcération des mineurs.

Les dispositions applicables aux mineurs traduisent en réalité l'incapacité du Gouvernement - cette remarque vaut non seulement pour le Gouvernement actuel, mais aussi pour ceux qui l'ont précédé - à trouver des réponses adaptées à la délinquance des mineurs, le seul remède résidant dans l'incarcération.

C'est la seule voie empruntée depuis 2002 : ainsi, conformément à la loi d'orientation et de programmation pour la justice, sept établissements pénitentiaires pour mineurs doivent être construits d'ici à 2008.

En revanche, aucun moyen supplémentaire n'est accordé à la protection judiciaire de la jeunesse, alors que le coût d'un établissement d'incarcération avoisine les 15 millions d'euros. Ne pourrait-on pas un jour débattre de ce qui fonctionne en matière de lutte contre la délinquance des mineurs, c'est-à-dire avant qu'ils ne commettent des actes graves ?

Vous avez dit, madame le garde des sceaux - argument que nous avons déjà entendu à de multiples reprises - que la prévention et la sanction ne sont pas incompatibles. Certes, mais le problème, c'est que vous appelez prévention « sanction », alors que ce sont deux notions très différentes. Si la sanction est nécessaire, encore faut-il qu'elle soit comprise, intelligente et effective, ce qui, hélas ! n'est pas le cas, faute de solutions adaptées aux jeunes.

J'ajoute qu'en matière de sanction l'absence d'exécution affecte sa crédibilité aux yeux des jeunes. Dès lors, la promptitude de la réponse pénale peut effectivement constituer un élément en soi contre la récidive, à condition que la sanction soit intelligente pour que le jeune l'accepte et s'engage ensuite dans un programme lui permettant d'avancer dans son devenir d'adulte ; en effet, quels que soient les actes qu'il commet, un mineur n'est pas un adulte.

Or, faute de moyens suffisants, les magistrats et les éducateurs se retrouvent totalement démunis face aux jeunes en grande difficulté.

Cette question des moyens m'amène à aborder la dernière partie de ce texte, ajoutée à la hâte au projet de loi, relative à la délinquance sexuelle.

Dans ce domaine, c?est l'absence de moyens qui ne permet pas l'application de la loi du 17 juin 1998 comprenant des dispositions relatives au suivi socio-judiciaire, qui ne permet pas la possibilité aux détenus souffrant de troubles mentaux d'être suivis par des médecins psychiatres, en nombre insuffisant, enfin, qui ne permet pas aux conseillers d'insertion et de probation, également en nombre insuffisant, de suivre correctement les personnes durant et après leur détention, afin d'organiser au mieux leur réinsertion sociale.

Le Gouvernement a une démarche qui me paraît donc en total décalage avec les besoins existants en matière de lutte contre la récidive : d'abord, il procède à un amalgame douteux entre délinquance et pathologie mentale et, ensuite, il instaure le soin contraint comme le remède à la récidive.

Les personnes détenues seront désormais « incitées » à accepter un traitement qui pourrait leur être proposé. En réalité, elles y seront plutôt contraintes, puisque le juge de l'application des peines ne pourra prononcer une réduction de peine ni une libération conditionnelle si elles refusent le traitement proposé.

Quelle est la pertinence d'un tel dispositif quand on sait que le sursis avec mise à l'épreuve, les réductions de peine et la libération conditionnelle, accompagnés d'un suivi socio-éducatif donnent de bien meilleurs résultats en matière de récidive que les sorties sèches ?

À la suite du constat que je viens de faire sur ce projet de loi, je tiens à signaler que, même si les amendements proposés par la commission sont a minima, nous les voterons tout de même, car ils donnent quelques garanties.

Il n'en demeure pas moins que le texte qui nous est soumis est à la fois dangereux eu égard à la philosophie qui le sous-tend et mensonger quant à l'affichage.

La prison est le seul remède à la délinquance : voilà ce que vous affichez. Hélas, madame le garde des sceaux, ce n'est pas le cas ! Je le répète une nouvelle fois : actuellement, 3 millions de personnes, dont beaucoup de mineurs, sont incarcérées aux États-Unis. Quel bel exemple d'une diminution de la délinquance et de la violence ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Madame le garde des sceaux, c'est la première fois aujourd'hui que vous intervenez devant le Sénat, et je tiens à souligner, même si le sentiment est très répandu au sein de cette assemblée, que j'ai observé avec beaucoup de sympathie votre accession à la Chancellerie. J'y vois en effet un symbole extrêmement important de l'intégration républicaine à laquelle nous sommes tous si profondément attachés.

M. Christian Poncelet, président du Sénat. Très bien !

M. Robert Badinter. Cela dit, j'aurais préféré, je le confesse, que vous fassiez vos débuts dans cet hémicycle avec un autre texte !

Il ne manque pourtant pas de sujets brûlants susceptibles de susciter ici, certes, des critiques, mais aussi, bien sûr, une volonté constructive. Je pense en particulier - parmi tant d'autres problèmes, et en me limitant aux plus urgents - à la réforme de la carte judiciaire et à l'amélioration de la situation carcérale. Voilà un sujet qui, plus que tout autre, devrait nous tenir à coeur et constituer la priorité de vos efforts, aboutissant au vote d'une nouvelle loi pénitentiaire, trop longtemps différée et depuis tant d'années souhaitée par le Sénat tout entier.

S'agissant du projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui, je traiterai seulement de la partie générale. Mes amis interviendront ensuite successivement sur la question spécifique, et très importante, des mineurs, sur la situation dans les prisons et sur le tribunal de Bobigny, qui constitue un cas particulier.

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux souligner avec force que ce texte est inutile, implicitement vexant pour la magistrature et, plus grave encore, potentiellement dangereux.

Pourquoi inutile ? C'est une évidence : nous ne vivons pas dans un désert législatif en matière de récidive ! Tous les gardes des sceaux successifs, tous les parlementaires, tous les citoyens, même, souhaitent qu'on lutte contre ce phénomène, et le moins que l'on puisse dire est que le législateur et les gouvernements ne sont pas demeurés inertes.

On n'a pas pris conscience de l'importance de ce problème il y a un mois ou deux !

Tout à l'heure, madame le garde des sceaux, on a rappelé à juste titre qu'au cours des trois dernières années nous avions adopté pas moins de trois textes concernant la lutte contre la récidive ! La loi dite Perben I incitait déjà les magistrats à être plus fermes, mais c'était plus particulièrement vrai de la loi dite Perben II, adoptée en mars 2004, et vrai aussi, ô combien, de la loi que votre prédécesseur, M. Clément, a entièrement consacrée au traitement de la récidive des infractions pénales, en s'inspirant des travaux réalisés par la commission de l'Assemblée nationale qu'il présidait avant de devenir garde des sceaux. Cette loi a été promulguée le 12 décembre 2005, c'est-à-dire, faites le calcul, madame le garde des sceaux, voilà à peine plus de dix-huit mois ! Et, alors que nous achevions nos travaux au titre de la précédente législature, c'est le ministre d'État et ministre de l'intérieur de l'époque qui, sauf erreur de ma part, nous a présenté un texte sur la prévention de la délinquance dans lequel figuraient également des dispositions sur la récidive.

Tous vos prédécesseurs cédaient-ils à je ne sais quelle tentation laxiste ? Croyez-vous que les membres des deux commissions des lois et le reste de leurs collègues parlementaires auraient négligé, il y a quelques mois ou même quelques années de cela, les mesures nécessaires pour faire face à la récidive ? Certainement pas !

Donc, l'utilité et même la nécessité de ce texte ne semblent pas évidentes, à moins que vous ne taxiez implicitement vos prédécesseurs d'incompétence, ce que je ne crois pas.

Parlons clair : les effets de toutes ces lois se seraient-ils révélés décevants ? Nous n'en savons rien, car, et c'est tout à fait remarquable, on nous demande aujourd'hui d'adopter un texte sans qu'il y ait eu ni étude de suivi des lois précédentes, comme le Conseil d'État l'a noté, ni étude d'impact des conséquences probables de ce projet de loi sur la situation carcérale !

En réalité, on présente ce texte au Parlement pour traduire un engagement pris par un candidat à la présidence de la République. Certes, ce candidat a été élu, nous le savons tous, mais pour autant, faut-il penser qu'il a raison jusque dans les moindres détails de son programme ?

Mes chers collègues, revenons à l'essentiel : un texte de loi doit répondre à une utilité et viser une finalité claire. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne dit pas autre chose quand elle précise, en son article VIII, que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».

À cet égard, monsieur le rapporteur, j'ai trouvé particulièrement intéressant le tableau des peines effectivement prononcées qui figure à la page 33 de votre rapport écrit.

En effet, la question posée aujourd'hui est celle de savoir si les magistrats qui doivent juger les récidivistes ont aujourd'hui les moyens légaux de prononcer ces peines que souhaite introduire le Gouvernement et qu'il est convenu d'appeler les « peines planchers ». Or la réponse est évidemment positive, et cela vaut pour tous les magistrats, comme l'ensemble des données disponibles le montrent. Pourquoi, dès lors, présenter ce texte ?

Le tableau dressé par M. le rapporteur permet d'apprécier la pratique des juridictions au regard des peines d'ores et déjà inscrites dans le code pénal. On y constate une distinction tout à fait saisissante entre les crimes et les délits.

En matière criminelle, les magistrats et les jurés vont au-delà, très au-delà des peines planchers, ce qui se conçoit parfaitement compte tenu de la gravité des faits. Mes chers collègues, croyez-moi : quiconque a fréquenté la cour d'assises sait que la qualité de récidiviste ne constitue pas la meilleure carte à jouer pour obtenir l'indulgence du jury, et rien n'est plus difficile pour un avocat que de défendre un récidiviste !

S'agissant donc des cours d'assises, ce texte ne sert tout simplement à rien, car, dans la pratique, les magistrats prononcent déjà des sanctions bien supérieures aux peines planchers.

En ce qui concerne les délits, qui sont plus nombreux que les crimes et représentent donc un contentieux quantitativement plus important pour l'institution judiciaire, la moyenne des condamnations prononcées se situe, il est vrai, au-dessous des peines planchers. Les magistrats pourraient, certes, prononcer des sanctions plus rigoureuses, mais ils en décident parfois autrement, et cela toujours en leur âme et conscience. Car, ne l'oublions jamais, ce sont eux qui engagent leur responsabilité morale à l'instant de la décision.

Pourquoi agissent-ils ainsi ? Pour des raisons qui tiennent, dans le respect des textes applicables, à la multiplicité des circonstances des infractions ainsi qu'à la diversité des êtres humains. Car ce dont les magistrats, eux, ont à connaître, ce sont des affaires, c'est-à-dire des actes de femmes et d'hommes, et des circonstances !

M. Jacques Mahéas. Très bien !

M. Robert Badinter. Et ils jugent comme ils doivent le faire, en toute liberté de conscience, au regard des éléments de l'affaire.

C'est pourquoi, à ma connaissance, il ne s'est pas trouvé une seule association de magistrats pour réclamer ces peines planchers. Je laisse de côté les avocats - ils voient poindre un système de peines automatiques et se déclarent eux aussi opposés au projet de loi - car, ce qui importe ici, c'est la réaction de la magistrature tout entière.

À ma connaissance, donc, et les auditions de la commission des lois l'ont confirmé, toutes les associations de magistrats, y compris celles dont les membres ont à s'occuper de mineurs, refusent ce texte, et les magistrats eux-mêmes déclarent qu'ils n'en ont nul besoin.

Pourtant, madame le garde des sceaux, vous le leur imposez. Pourquoi ? Tout simplement parce que vous considérez que les décisions des magistrats ne correspondent pas aux voeux de la majorité, du Gouvernement et du Président de la République.

M. Jean-Claude Carle. Et des Français !

M. Robert Badinter. Voilà ce qu'est la réalité de ce projet de loi : une sorte d'injonction adressée par le Gouvernement aux magistrats pour qu'ils punissent selon les normes qu'il juge, lui, adaptées.

M. Robert Badinter. Quand le candidat, devenu depuis lors Président de la République, évoquait à la télévision les peines planchers, chacun de nos concitoyens pensait à des peines fermes s'appliquant automatiquement aux cas les plus graves.

Mais une telle réforme n'était pas possible, et c'est pourquoi le projet de loi se présente sous des allures aussi contournées. C'est qu'elle se heurte au principe constitutionnel de l'individualisation des peines, c'est-à-dire à la faculté pour les juges d'adapter leurs décisions aux cas qui leur sont soumis, sans être tenus par une peine plancher, ce qui constitue d'ailleurs une exigence de bonne justice.

Pour contourner l'obstacle, des fenêtres - des interstices, plutôt -, ont été pratiquées dans l'obligation de prononcer des peines planchers, ce qui vous permet, madame le garde des sceaux, de prétendre que la liberté de juger des magistrats se trouve sauvegardée.

Soyons réalistes ! Il s'agit pour le législateur d'imposer au juge le prononcé de peines minimales pour certaines infractions commises par des récidivistes, en lui laissant toutefois la possibilité de déroger à cette obligation en considération des circonstances, et dans des conditions étroitement définies sur lesquelles nous reviendrons au cours de la discussion des articles.

Madame le garde des sceaux, imaginez-vous un magistrat expliquer, dans la motivation que l'on exige de lui désormais, pourquoi il ne prononce pas la peine recommandée et ne cède pas à la pression qui s'exerce en faveur de l'enfermement ? Indépendamment de la contrainte quotidienne des affaires qui pèse sur lui, et qui ne lui laissera guère le temps de motiver, ce serait prendre un risque important. Car, si le récidiviste réitère, qui sera stigmatisé ? Qui portera la responsabilité de cette décision devant l'opinion publique ? Qui aura parfois même à l'assumer devant certains membres du Gouvernement ? Le magistrat !

Je sais qu'il y aura toujours des âmes intrépides et des coeurs courageux, mais la plupart des magistrats auront tendance à s'aligner sur les peines prévues par la loi et à ne pas prendre le risque d'être critiqués ou stigmatisés.

M. Jacques Mahéas. Tout à fait !

M. Robert Badinter. C'est pourquoi, je le répète, ce texte a quelque chose de blessant pour les magistrats : en définitive, on leur signifie qu'ils sont laxistes, qu'ils n'exercent pas comme il conviendrait les pouvoirs que la loi leur confère, qu'ils ne satisfont pas aux exigences de la sécurité, toutes accusations que les magistrats ressentent profondément, et je les comprends.

Permettez à un vieux praticien de la justice d'affirmer que la magistrature française n'a pas que des vertus, certes, mais qu'elle possède bien plus de qualités que le public ne lui en reconnaît habituellement, et qu'en tout cas le laxisme et la faiblesse à l'égard des récidivistes n'ont jamais été et ne seront jamais ses caractéristiques !

Plus grave encore, ce texte risque d'emporter de fâcheuses conséquences. Je le répète, il est inutile, vexatoire et même, je le crains, dangereux. En effet, il n'indique qu'une seule direction, celle de la prison !

M. Jacques Mahéas. C'est vrai !

M. Robert Badinter. Madame le garde des sceaux, vous serez inévitablement confrontée à un accroissement de la population carcérale. Vous connaissez comme nous la situation et l'inflation qui la caractérise : les personnes placées sous main de justice, dont le nombre a augmenté de 18 % ces cinq dernières années, seraient 63 600 aujourd'hui.

Or, sans même retenir les prévisions pessimistes qui font état d'un accroissement de la population carcérale de près de 10 000 personnes, à quoi pouvons-nous nous attendre alors que, nous le savons, certaines maisons d'arrêt - cela ne vaut pas dans les centrales ni dans les centres de détention - connaissent déjà des taux d'occupation de 120 %, 130 % ou 140 %, voire - j'ai pu le constater en les visitant - de 180 % ou 200 % ? Il s'agit là d'un constat biséculaire, et non d'hypothèses sur l'éventuel bienfait des peines planchers.

La commission d'analyse et de suivi de la récidive, présidée par le professeur Jacques-Henri Robert, si elle avait rendu son rapport, aurait souligné de façon saisissante que les sociétés anglo-saxonnes, qu'elles soient américaine, canadienne ou britannique, qui ont eu fortement recours à la peine plancher constatent aujourd'hui que ses effets ne sont pas ceux qu'elles attendaient, puisqu'elle engendre souvent un accroissement de la récidive.

Le foyer premier de la récidive, c'est la prison, nous le savons ! Les maisons d'arrêt confinent dans les mêmes cellules des chevaux de retour et des primo-délinquants qui n'ont pas encore été jugés, c'est-à-dire des professionnels du crime et des jeunes gens. Et ces derniers en ressortent avec les adresses, les indications, pour ne pas dire les leçons qui les transformeront en criminels ou en délinquants plus dangereux.

Le constat est ancien : le centre de détention, la maison d'arrêt surpeuplés, qui ne peuvent offrir une cellule pour chacun des prévenus ou des condamnés, sont la source première de la récidive. Et c'est à cela que vous destinez un plus grand nombre de primo-délinquants encore, madame le garde des sceaux : ils seront les premiers à récidiver !

Pardonnez-moi de le dire, mais votre politique est celle du pompier pyromane. Voilà pourquoi vos prédécesseurs n'ont pas voulu des peines planchers qui étaient alors évoquées.

Aujourd'hui, notre groupe ne doit pas se contenter de critiquer : il doit être le héraut d'une opposition toujours plus ferme, mais constructive.

La seule question qui vaille porte sur la signification qu'il convient d'accorder à la récidive. Qu'implique-t-elle ? De la part du récidiviste, elle témoigne bien évidemment d'une faute. Mais elle est également la marque d'un échec qui le dépasse. Échec souvent familial, parce que les liens auront été rompus en prison. Échec souvent social, aussi, parce que le délinquant ne trouve pas à la sortie les possibilités de réinsertion qu'il lui faudrait. Échec toujours de l'institution judiciaire elle-même, puisque, s'agissant d'un récidiviste, il a par définition déjà été condamné.

L'institution judiciaire n'a pas vocation à fabriquer des récidivistes : elle est vouée à la réinsertion et à la réintégration. À ce titre, il faut s'interroger : si la récidive est un tel échec pour l'institution judiciaire, que faire pour l'empêcher ? La réponse est simple : le contraire de la récidive, c'est la réinsertion réussie.

À cet égard, nous avons, dans les deux dernières décennies, et je pourrais même remonter un peu plus loin dans le temps, multiplié les moyens légaux pour permettre la réinsertion et éviter ce que l'on appelle les sorties sèches : la libération conditionnelle, la semi-liberté, le placement extérieur, pour ne citer que ces dispositifs. Mais ils sont, hélas ! insuffisamment mis en oeuvre, alors que nous savons, par exemple, que la libération conditionnelle prévient la récidive. Il n'est qu'à regarder les chiffres.

Le même constat s'impose pour tous ceux qui peuvent contribuer à prévenir la récidive, et la liste est longue, que ce soient les éducateurs, les travailleurs sociaux, les psychiatres : ils ne sont pas en nombre suffisant.

Nous luttons avec des textes là où il faudrait combattre avec des moyens. C'est du papier que nous produisons, de l'inflation juridique : cela ne sert à rien ! Madame le garde des sceaux, tant que vous ne donnerez pas les moyens non seulement humains, mais aussi matériels, y compris pour l'exécution des jugements, vous ne pourrez pas vaincre la récidive. Tout ce que l'on nous propose, c'est cette accumulation de textes que j'évoquais en commençant.

Je n'en dirai pas plus en ce qui concerne la délinquance des mineurs. Quant à l'injonction de soins, le découragement m'envahit à la pensée de ce que sont les moyens dont nous disposons.

Nous nous opposons à ce texte. Nous le discuterons âprement, article après article, amendement après amendement. Je vous le dis franchement, madame le garde des sceaux : vous vous fourvoyez à cet instant si vous croyez que c'est avec un tel texte que vous réduirez le phénomène que vous voulez combattre. D'autres voies existent : c'est une question de volonté politique, car c'est une question de moyens.

Non, madame le garde des sceaux, nous ne voterons pas ce texte, qui est mauvais ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, on le sait, les infractions commises en état de récidive suscitent toujours beaucoup d'émotion et donnent lieu à des réactions toujours vives dans l'opinion, ce qui, je crois, est tout à fait légitime. Elles mettent en lumière les insuffisances de notre système répressif et peut-être, plus généralement, de notre modèle social.

C'est pourquoi nous partageons pleinement l'idée de combattre plus efficacement ce phénomène pour mieux protéger la société.

Il nous faut effectivement nous interroger sur la manière de réduire la récidive.

Je ne reviendrai pas sur l'ampleur et l'importance des infractions qui sont commises en état de récidive. Vous avez cité quelques chiffres, madame le garde des sceaux, tout comme M. le rapporteur, je n'insiste donc pas.

D'ailleurs, c'est moins aux chiffres dans leur globalité qu'à leur spécificité en fonction du type d'infraction et de la personnalité du délinquant qu'il faut s'intéresser si l'on veut appréhender plus efficacement le phénomène.

Avec ce texte, madame le garde des sceaux, vous avez décidé de vous attaquer aux infractions les plus graves, c'est-à-dire à l'ensemble des crimes et des délits passibles de trois ans d'emprisonnement. En modifiant l'ordonnance de 1945, ce projet de loi entend également permettre de déroger plus facilement à l'excuse de minorité pour les personnes de plus de seize ans qui sont multirécidivistes ou pour les auteurs d'infractions les plus graves. C'est certainement sur ces cas qu'il faut porter l'effort.

Loin d'être taboues, ces questions sont importantes et méritent que le Gouvernement et le Parlement les examinent attentivement et sereinement.

Je tiens toutefois à faire remarquer, madame le garde des sceaux - cela a été souligné précédemment, mais c'est la réalité et cela ne peut pas manquer de nous frapper -, que nous avons déjà discuté spécifiquement de ces questions voilà quelques mois. Ainsi, pour ne s'en tenir qu'aux deux dernières années, le Parlement a examiné la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales - son intitulé est pratiquement identique à celui du texte dont nous débattons aujourd'hui - et, plus récemment, la loi du 7 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, dont un certain nombre de dispositions touchent aux problèmes considérés aujourd'hui.

Je m'inquiète donc, comme ceux qui m'ont précédé à cette tribune et sans doute comme un certain nombre de ceux qui m'y succéderont, de cette inflation législative, qui se caractérise par une multiplication de modifications par petites touches, sans jamais qu'une loi globale vienne poser - voire redéfinir - les principes d'ordre général que ces rectifications auraient vocation à mettre en oeuvre.

En raison de cette inflation législative, nous sommes aujourd'hui confrontés à un véritable problème de lisibilité des textes. Les acteurs judiciaires, qu'ils soient magistrats ou avocats, ont raison de s'en plaindre et de s'en inquiéter.

Il n'est pas raisonnable de continuer à légiférer de la sorte d'autant qu'a d'ores et déjà été annoncée la discussion prochaine de plusieurs projets de loi sur des sujets qui, de la même manière, ont déjà été traités au cours des deux dernières années sur proposition du précédent ministre de l'intérieur, aujourd'hui Président de la République et inspirateur de ces textes. Je pense par exemple - même si cela ne relève pas de votre domaine, madame le garde des sceaux - à certain projet de loi sur l'immigration.

M. Jean-Pierre Sueur. Alors, ne votez pas ces textes !

M. Yves Détraigne. Le Sénat en a discuté ici même il n'y a pas si longtemps.

Quelques questions me semblent donc devoir être posées au préalable.

La loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, promulguée voilà un peu plus de dix-huit mois, était-elle inefficace ? A-t-on pris le temps de la mettre en oeuvre et d'en faire le bilan ?

M. Jean-Pierre Sueur. Bonnes questions !

M. Yves Détraigne. Ou bien était-elle simplement une loi d'affichage ?

M. Jean-Pierre Sueur. Excellente question !

M. Yves Détraigne. Ne faudrait-il pas attendre les conclusions de la commission d'analyse et de suivi de la récidive, qui devaient être remises le 15 janvier 2006 et qui, à ma connaissance, n'ont toujours pas été déposées ?

Mon dessein n'est pas ici de polémiquer, madame le garde des sceaux. Au contraire, prenant très au sérieux cette importante question, je vous invite, vous et vos collègues du Gouvernement, à réfléchir sur l'impact de ce phénomène d'inflation législative qui, dans le domaine judiciaire, ne laisse pas aux magistrats le temps d'assimiler une nouvelle loi qu'elle est déjà modifiée.

M. Jacques Mahéas. C'est exact !

M. Yves Détraigne. Nous qui, parlementaires, et du fait de nos fonctions, avons l'habitude de fréquenter les audiences solennelles de rentrée du mois de janvier, nous pouvons tous témoigner que, depuis quelques années, le procureur de la République ou le président de la juridiction ne manquent jamais l'occasion d'appeler notre attention sur les « dégâts collatéraux » de cette inflation législative qui fait que les magistrats n'ont pas le temps d'assimiler les textes qu'ils sont chargés de mettre en oeuvre.

Il me semble vraiment indispensable, madame le garde des sceaux, de prendre à l'avenir le temps d'évaluer les effets des lois précédentes avant de légiférer à nouveau sur le même sujet, surtout lorsque tous ces textes sont issus de la même majorité.

Cela étant, un nouveau projet de loi nous est aujourd'hui soumis et je vais maintenant m'attacher aux questions de fond qu'il soulève.

Ce texte aborde trois sujets : d'abord, la mise en place de peines minimales pour tous les crimes et délits passibles de trois ans d'emprisonnement, ensuite la dérogation de plein droit à l'excuse de minorité pour les personnes de plus de seize ans en état de multirécidive, enfin l'obligation de soins pour les auteurs d'infractions les plus graves, notamment les infractions sexuelles.

J'axerai mon intervention sur la question de la peine, car le projet de loi, tel que vous nous le présentez, madame le garde des sceaux, suscite de ce point de vue quelques questions.

En effet, si la fonction de la peine est notamment d'être efficace et dissuasive, je ne suis pas certain que l'aggravation et la systématisation des peines d'emprisonnement soient la meilleure manière de lutter efficacement contre la récidive.

À en croire les articles et les études qui fleurissent dans la presse ces derniers jours, il n'est pas démontré que la menace d'une sanction plus lourde soit un frein à la récidive : aucune corrélation n'a jamais pu être établie de manière certaine en ce sens.

Ce en quoi les membres de l'Union centriste croient plus volontiers, c'est en un mécanisme qui fonctionnerait à différents niveaux, notamment plus en amont. En effet, pour être efficace et éviter les récidives, notre système judiciaire dans sa globalité doit être plus volontaire quand il a affaire à un primo-délinquant, que ce soit pour la condamnation, pour l'application de la peine, pour le suivi en prison ou pour la sortie.

La trop grande bienveillance - je n'ose dire le laxisme - dont il est parfois fait preuve à l'égard des primo-délinquants mineurs ou jeunes majeurs peut donner le sentiment aux auteurs d'infractions qu'ils ne risquent pas grand-chose et, finalement, pour certains d'entre eux, être vécu comme un facteur d'encouragement à poursuivre dans la voie de la délinquance.

Il ne faut pas être naïf : le mineur ou le jeune majeur qui comparaît pour la première fois devant une formation de jugement n'en est pas à sa première infraction, mais à sa quatrième, cinquième, voire sixième. Et s'il avait senti, dès la première fois, passer le vent du boulet, on aurait sans doute dans bien des cas évité cette dérive vers une délinquance plus grave.

Malheureusement, la réalité est telle que, lorsqu'il reçoit sa première sanction pénale, l'auteur de l'infraction est souvent d'ores et déjà entré dans la spirale de la délinquance et aura donc d'autant plus de mal à en sortir.

Il faut donc offrir une meilleure réponse à ces mineurs afin que la sanction n'arrive pas trop tardivement et qu'elle ait encore un sens. Je m'interroge sur l'exclusion systématique de l'excuse de minorité dans certains cas : pourquoi pas, mais n'est-ce pas déjà trop tard ?

Ne faudrait-il pas améliorer en amont notre système préventif, en recentrant par exemple les missions de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, sur les auteurs d'infractions pénales et en laissant les services sociaux des collectivités territoriales - je pense évidemment aux conseils généraux - s'occuper des jeunes qui connaissent des problèmes sociaux ? Il faut que nous nous donnions les moyens de nous concentrer sur les auteurs d'infractions pénales dès leur première infraction.

À ce stade, on peut légitimement se poser la question du rôle de cette sanction qui intervient tardivement et de l'efficacité du parcours judiciaire du délinquant.

C'est pourquoi, s'il peut être intéressant de fixer des peines minimales, encore faut-il laisser la justice adapter la peine à l'importance des faits et à la personnalité de l'auteur qui les a commis, comme l'exige, d'ailleurs, le principe constitutionnel.

Certes, le projet de loi garantit que l'individualisation de la peine n'est pas remise cause, mais à partir du moment où l'individualisation devient, en quelque sorte, l'exception, il est légitime de s'interroger. En effet, comme je l'ai indiqué précédemment, la certitude de la peine ne garantit pas que l'infraction ne sera pas commise. Derrière un même fait se trouvent des hommes et des femmes différents, avec un passé propre, une histoire personnelle, un profil psychologique différent.

Force est donc de constater que l'individualisation de la peine est essentielle pour tenter de sortir la personne condamnée de la spirale de la délinquance. On ne peut pas adhérer au principe de systématisation de la sanction.

La peine doit servir à quelque chose. La volonté de la société est non seulement que le délinquant paie les conséquences de son acte, mais aussi qu'il ne recommence pas.

J'aborde donc maintenant la question de l'effectivité de la peine et de son caractère dissuasif. Ne serait-il pas plus utile d'appliquer réellement les sanctions dès la première infraction (M. Jean-Claude Carle approuve), d'avoir une politique de l'application des peines plus sévère, mieux adaptée, disposant de plus de moyens, et d'assurer, en tant que de besoin, un véritable suivi socio-judiciaire à la sortie de prison, alors qu'actuellement la personne qui sort d'un établissement pénitentiaire n'est bien souvent pas mieux préparée, voire encore moins bien, à affronter la réalité du monde ?

Il est aujourd'hui indispensable d'améliorer les conditions d'exécution de la peine, qui sont aussi importantes - voire plus - que le niveau de la peine lui-même.

À ce titre, je voudrais saluer, madame le garde des sceaux, les dispositions contenues dans la lettre rectificative qui généralisent et systématisent les soins pour les auteurs d'infractions les plus graves. Personnellement - mais je ne suis pas le seul sur ces travées -, j'avais du mal à comprendre que l'on ne se montre pas plus directif à l'endroit de ceux des détenus pour lesquels ces soins sont possibles et présentent précisément une utilité.

Mais, pour être efficaces, ces dispositions doivent être accompagnées d'une augmentation significative, et rapide, des moyens. En effet, on peut toujours rendre obligatoires les soins ; si le nombre de médecins et de personnels pénitentiaires est insuffisant, on attendra en vain l'effet escompté. De ce fait, de nouvelles déceptions se feront jour dans l'opinion. Sera-t-il alors nécessaire d'adopter une loi supplémentaire en matière de récidive ? À titre personnel, je ne pense pas que ce soit la bonne solution.

Par ailleurs, il me paraît urgent d'engager une grande réforme de notre système pénitentiaire. Notre collègue M. Alfonsi, rapporteur pour avis des crédits de la PJJ, doit intervenir ultérieurement sur ce sujet. Nous connaissons l'état dramatique dans lequel se trouvent aujourd'hui les prisons françaises. Il est urgent d'y remédier.

Force est de reconnaître qu'en raison de l'état de surpopulation de nos établissements pénitentiaires ainsi que du manque de moyens en termes de formation, d'aide à la réinsertion ou de soins, on envoie des condamnés et des mineurs moins dans des lieux de réinsertion que dans ce que nous pouvons qualifier, pour reprendre une expression grand public, certes, peut-être exagérée, « d'écoles du crime ». C'est bien là que se situe le problème.

Madame le garde des sceaux, le « tout répressif » a montré ses limites. C'est pourquoi nous comptons sur vous pour convaincre le Premier ministre d'engager rapidement la grande réforme de notre système pénitentiaire, de telle sorte que le passage en prison non seulement soit le moyen pour le détenu de payer sa dette mais apporte aussi l'assurance que ce dernier ne sera pas tenté de replonger dans la délinquance à sa sortie.

Si cette réforme intervient trop tardivement, alors le projet de loi que nous étudions aujourd'hui manquera son objectif, d'autant plus que, selon certaines sources, le dispositif proposé pourrait accroître sensiblement la surpopulation que connaissent déjà les prisons.

Madame le garde des sceaux, tels sont les différents points sur lesquels je voulais insister. Ils dessinent les orientations de notre participation à la discussion des amendements que nous examinerons ultérieurement, en attachant une attention particulière à ceux qui ont été déposés par M. le rapporteur, au nom de la commission des lois, dont je salue la qualité du travail. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite, tout d'abord, exprimer mon étonnement devant bon nombre des commentaires dont a fait l'objet ce projet de loi et que l'on a pu lire ou entendre ces derniers jours.

Les dispositions nouvelles qui nous sont aujourd'hui proposées faisaient clairement partie des engagements de campagne de Nicolas Sarkozy. D'aucuns peuvent sans doute encore être surpris qu'un président élu tienne les promesses du candidat, mais je suis convaincu qu'il faudra nous y habituer !

Peut-on oublier que les électeurs se sont exprimés, qu'un nouveau Président de la République ainsi qu'une nouvelle Assemblée nationale ont été élus ? Faudra-t-il rappeler un jour que c'est bien le Parlement qui décide de la loi, et nulle autre autorité, si estimable soit-elle, dans le respect de nombreux principes, dont celui de la personnalisation des peines ?

M. Jean-René Lecerf. Le phénomène de la récidive demeurerait faible, pour ne pas dire anodin, nous affirme-t-on. Rapportées au nombre total des condamnations prononcées, les récidives ne représenteraient qu'environ 6 % des condamnations pénales, ce qui relativiserait d'autant les pourcentages relatifs à l'augmentation des infractions commises, pourtant considérables. Ainsi, les seuls crimes et délits violents ont augmenté de 145 % en cinq ans.

M. Jacques Mahéas. C'est un tout petit nombre !

M. Jean-René Lecerf. Malheureusement, tout change, si l'on délaisse un instant la définition juridique de la récidive au profit de la signification que ce mot revêt dans l'opinion, qui l'assimile avec la réitération ou avec le concours d'infractions. Les chiffres deviennent cette fois impressionnants.

Selon une étude réalisée par le ministère de la justice datant du mois d'avril 2005, plus d'un condamné à la prison sur deux récidive, au sens commun du terme, dans les cinq ans qui suivent sa libération. Le taux de récidive atteint 70 % lorsqu'il s'agit de violences volontaires avec outrages, et 72 % pour ce qui concerne des personnes condamnées pour vol avec violences. Parmi les personnes condamnées pour agressions ou atteintes sexuelles sur mineurs, près du tiers récidivent dans les cinq ans qui suivent leur sortie de prison.

La situation se révèle tout aussi préoccupante pour les mineurs. Dans le rapport sur le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, dont l'élaboration m'avait été confiée, je faisais état d'une étude menée en 2002, sous les auspices du ministère de la justice, aux termes de laquelle, sur 18 000 mineurs condamnés en 1996, 49 % avaient été condamnés de nouveau dans les cinq années suivantes.

Notre excellent rapporteur, François Zocchetto, cite une étude plus récente qui nous révèle que, des 16 000 mineurs condamnés en 1999, 55,6 % avaient été de nouveau condamnés dans les cinq années suivantes.

Il est difficile, dès lors, de ne pas en conclure qu'il y a urgence à intervenir !

Je suis désolé de devoir ajouter que, contrairement à une conviction quasi unanimement répandue, le mode de libération des détenus, s'il n'est pas sans conséquences, apparaît assez peu discriminant. Je gardais en mémoire des taux de récidive de l'ordre de 26 % pour les personnes ayant fait l'objet d'une libération conditionnelle, alors que ce taux atteint 30 % en ce qui concerne les détenus en fin de peine, et les chiffres cités par notre rapporteur vont plutôt dans le même sens. La solution miracle reste donc à inventer.

Je m'étonne davantage encore des commentaires à l'emporte-pièce selon lesquels le caractère dissuasif de ce projet de loi relèverait du fantasme. La plus grande certitude de la sanction non seulement ne faciliterait en rien la lutte contre la récidive, mais pourrait même la compliquer.

C'est fort étrange, lorsque l'on sait que nombre de délinquants, quel que soit leur âge, assimilent parfaitement la portée de la règle de droit.

Vous évoquiez récemment, madame le garde des sceaux, ce mineur du centre éducatif fermé de Rouen qui vous interpellait en ces termes: « Madame, est-ce vrai que, si nous recommençons, on va être jugés comme des majeurs ? »

Je me souviens, pour ma part, de l'audition du père Guy Gilbert devant la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs -notre collègue Jean-Claude Carle en était le rapporteur -, au cours de laquelle il nous a raconté l'histoire de Yann, douze ans et trois mois, qui lui avait été confié par le juge des enfants de Lille. Je vous cite ses propos, en les expurgeant quelque peu : « Dix fois, le juge des enfants a demandé au petit chéri de venir. Il n'a pas voulu. Enfin, il arrive avec son paquetage et me tient un grand discours. J'ai fini par lui dire : ?Tu as commis je ne sais combien de cambriolages. Tu vas avec des mecs de seize ans qui profitent de toi et tu es impuni.? Vous ne savez pas ce que m'a répondu le môme, un juriste distingué ? Il m'a dit : ?Moi, monsieur, j'ai neuf mois à tirer?. Cela signifie qu'à douze ans et trois mois il peut vivre dans l'impunité totale ».

Mes chers collègues, dans ces conditions, il est difficile de ne pas croire à certaines vertus dissuasives de la sanction.

Enfin, j'ai lu que ce texte crée des peines automatiques et supprime l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs. Ceux qui font de tels commentaires ont-ils lu le projet de loi ? On peut en douter, alors que la liberté d'appréciation du juge, de la juridiction, sera préservée.

Quant au caractère exprès de la motivation, s'avère-t-il une charge si accablante, alors qu'il ne s'agit guère que d'exprimer des arguments dont on peut légitimement être convaincu qu'ils servaient déjà de base à la conviction du juge ?

Pour ce qui est de l'extension des conditions dans lesquelles le juge pourra écarter l'excuse de minorité pour les mineurs de plus de seize ans auteurs d'infractions d'une particulière gravité, elle ne saurait être assimilée un seul instant à l'abandon de l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs, règle érigée par le Conseil constitutionnel en principe fondamental reconnu par les lois de la République.

Une dernière objection, sans doute davantage partagée, porte sur le risque d'augmentation du nombre de détenus.

M. Jean-René Lecerf. Nous gardons tous en mémoire le rapport de la commission d'enquête, que présidait notre collègue Jean-Jacques Hyest, sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France et dont le titre Prisons : une humiliation pour la République, résume un constat assez tragique : maisons d'arrêt surpeuplées, droits de l'homme bafoués, règne de l'arbitraire carcéral, loi du plus fort, contrôles inexistants et inefficaces...

Depuis 2000, la situation a certes évolué, avec des créations d'emplois permettant d'améliorer le fonctionnement des services pénitentiaires, notamment des services pénitentiaires d'insertion et de probation, les SPIP, le lancement, en 2002, d'un ambitieux programme de développement et de modernisation du parc immobilier des prisons, la création d'établissements exclusivement réservés aux mineurs et des efforts en termes d'humanisation et de réinsertion.

Aujourd'hui, le moment est venu de passer de progrès quantitatifs à une évolution qualitative décisive.

Les deux textes qui seront très prochainement soumis au Parlement, comme vous l'avez annoncé, madame le garde des sceaux, portent l'un, sur la mise en place d'un contrôle général de tous les lieux privatifs de liberté, l'autre, sur une grande loi pénitentiaire révolutionnant les conditions de détention et d'insertion. Ils devraient nous permettre d'assurer, en ce domaine, une salutaire rupture, que nous attendons tous, sur toutes les travées de cet hémicycle.

La prison serait ainsi à tout jamais lavée de l'accusation d'être parfois une école de la récidive et pourrait devenir un lieu permettant au détenu, tout en payant sa dette vis-à-vis des victimes et de la société, d'accéder à l'éducation, à la formation et de travailler à sa réinsertion.

Il est bien temps d'échapper enfin à l'opposition stérile entre les partisans de l'éducation et de la répression et de réhabiliter la sanction d'un point de vue éducatif.

Lorsque la prison permettra de contribuer à la restructuration de l'individu, elle sera elle-même, à côté de bien d'autres outils, de nature à faire reculer la récidive. C'est à ce prix que pourrait être accepté un impact limité sur la population carcérale à court terme - le développement des peines alternatives pourrait d'ailleurs l'éviter -, sachant qu'à moyen et à long terme, c'est l'effet contraire que nous sommes en droit d'espérer.

Il me semble enfin important de terminer mon intervention en insistant sur l'étroite cohérence de ce projet de loi et des deux textes relatifs à la transformation profonde de nos prisons que nous examinerons l'un et l'autre avant la fin de cette année.

Il va de soi, madame le garde des sceaux, que vous pouvez compter sur l'entier soutien du groupe UMP. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.

M. Nicolas Alfonsi. Madame le garde des sceaux, j'aborde l'examen de ce texte sans préjugés. Cette attitude est d'autant plus justifiée que j'ai rendu hommage à la forte augmentation des crédits de la justice due à vos prédécesseurs depuis cinq ans.

Je suis le représentant d'un groupe dans lequel toutes les sensibilités s'expriment, mais mes collègues sont, d'une certaine manière, unanimes aujourd'hui pour exprimer beaucoup de réserves - c'est un euphémisme ! - sur ce texte.

J'ai déjà dit dans cette enceinte que le Sénat était un récidiviste, compte tenu des très nombreux textes qu'il avait pris l'habitude de voter sur ce même sujet. Je manquais alors du sens de la nuance : j'aurais dû dire qu'il n'en était que le coauteur et que sa responsabilité était beaucoup plus réduite que celle de vos prédécesseurs, madame le garde des sceaux, qui, pendant cinq ans, n'ont cessé de nous présenter des projets de loi concernant directement ou indirectement la récidive.

S'il est un domaine où il n'y a donc pas de rupture - mot employé si souvent depuis quelque temps - mais où il y a, au contraire, une très grande continuité, c'est bien celui-là.

Si votre prédécesseur, M. Clément,...

M. Jean-Pierre Sueur. Il était contre !

M. Nicolas Alfonsi. ...n'avait eu la sagesse de résister à la pression et de créer une commission de suivi pour éviter de s'engager dans la voie de l'instauration d'une peine plancher, défendue par le futur Président de la République, nous aurions sans doute déjà eu à nous prononcer sur ce texte.

J'ai le sentiment qu'il exprime, sinon une frustration, du moins une volonté très forte du nouveau Président de la République, quelques semaines à peine après son élection, dans cette matière extrêmement difficile qu'est la matière pénale.

On juge généralement de la qualité d'un texte à celle de son exposé des motifs.

Or, la lecture de quelques lignes de l'exposé des motifs du présent projet de loi initial révèle qu'il s'agit bien d'un texte de circonstance : « Le commencement d'une nouvelle présidence et d'une nouvelle législature constitue le moment propice pour compléter le processus législatif amorcé au cours des dernières années afin de disposer des moyens juridiques adéquats pour lutter contre la récidive... »

Soit, mais le moment est plus ou moins propice selon la nature du texte présenté. Quelques semaines après l'élection présidentielle, le moment est-il si propice pour instaurer des peines planchers ?

En cette matière pénale, si complexe, deux écoles doctrinales s'affrontent depuis deux siècles : celle de Portalis, soucieux de la stricte application de la règle pénale, et celle de Benjamin Constant, partisan, lui, de donner au juge un grand espace de liberté.

Tout cela ne peut, bien entendu, que nous troubler.

Vous invoquez comme arguments fondamentaux à l'appui de ce texte qu'il s'agit de tenir une promesse faite pendant la campagne par le candidat élu aujourd'hui Président de la République, que l'opinion publique attend ce texte avec une impatience considérable et, enfin, qu'il y a urgence à trouver une mesure dissuasive face à l'augmentation de 145 % de la récidive en cinq ans.

Dans son excellent rapport, M. Zocchetto clarifie les notions de récidive et de réitération, trop souvent confondues dans l'esprit du public.

Nous ne pensons pas que les peines planchers constituent la réponse qu'il faut apporter. À la brutalité de ce constat d'une croissance de la récidive de 145 % se substitue une autre brutalité, celle des mesures que vous proposez, alors que rien n'est démontré, et que les expériences américaines et canadiennes, notamment, ont prouvé que les peines planchers ne sont pas aussi efficaces qu'on veut le faire croire.

Les taux de récidive légale vont de 2 % à 6 %, selon qu'il s'agit de crimes ou de délits.

En matière de réitération, le procureur de Bobigny l'a parfaitement mis en lumière, se pose un problème de lisibilité de la réponse pénale, lorsque celle-ci intervient une quinzaine de mois après la commission des infractions.

Je le répète : rien ne démontre que les solutions proposées soient efficaces, par rapport aux possibilités actuelles d'aménagement des peines. Il existe en effet toute une batterie de moyens permettant d'obtenir de meilleurs résultats. Il semble, au vu des statistiques disponibles et d'après le rapport, que l'aménagement de la peine entraîne moins de récidive que la peine à sortie « sèche ».

Demeure le problème essentiel, je veux dire le Conseil constitutionnel. J'ai le sentiment que, s'il n'avait tenu qu'à vous, vous auriez certainement laissé moins de latitude au juge, mais la décision de juillet 2005 s'imposait à vous, ce qui vous a conduite à introduire la possibilité pour le juge, dans des circonstances exceptionnelles, de prendre la responsabilité de prononcer, moyennant une motivation spéciale, donc après mûre réflexion, une peine inférieure à la peine plancher en cas de nouvelle récidive.

La commission des lois, avec toutes les nuances qui s'attachent à la rédaction de ses rapports, évoque le problème de la responsabilité des juges.

Ce même problème est également soulevé par la commission de suivi mise en place par votre prédécesseur, madame le garde des sceaux, dans un avis dont il eût été utile de pouvoir prendre connaissance : c'eût été un premier exemple de cette transparence que M. le Premier ministre évoquait devant nous hier...

M. Pierre-Yves Collombat. Pour plus tard, la transparence !

M. Nicolas Alfonsi. ...en disant sa volonté d'instaurer des relations parfaites avec le Parlement. Nous ne connaissons de cet avis - je ne vous en fais pas le reproche ! - que ce qui s'en trouve dans quelques commentaires de presse.

Un certain nombre de problèmes y seraient évoqués, au nombre desquels la surpopulation carcérale et l'incapacité de démontrer que les peines planchers permettent réellement de réduire la récidive.

Faut-il, d'ailleurs, que le trouble soit grand dans votre esprit pour que la Chancellerie ait été appelée à répondre à un expert du CNRS, notamment, qui déplorait que nul ne soit capable de prouver l'efficacité des peines planchers !

S'agissant des mineurs, je relève ceci dans le rapport de la commission : « Comme pour les majeurs, il ne semble pas qu'il y ait une relation linéaire entre le taux de réitération et la durée de la peine d'emprisonnement ferme ».

M. Jean-Pierre Sueur. C'est très bien !

M. Nicolas Alfonsi. Il y est fait observer tout de même que le taux de la récidive légale chez les mineurs est parfaitement insignifiant.

Comment donc surmonter la contradiction qui consiste tout à la fois à supprimer la clause d'atténuation de responsabilité du mineur, c'est-à-dire l'excuse de minorité, et à annoncer la création de vingt-neuf centres éducatifs fermés, sachant que les centres de ce type donnent des résultats dont l'excellence est saluée par la Commission européenne ? Est-il raisonnable, dans ces conditions, de persévérer dans la voie qui consiste à infliger aux mineurs les mêmes peines d'emprisonnement qu'aux majeurs, alors qu'il existe d'autres solutions, de nature éducative, comme les centres éducatifs fermés ?

Je reconnais l'intérêt des dispositions relatives à l'injonction des soins, introduites par la lettre rectificative.

Je conclus en disant que votre texte, madame le garde des sceaux, est un texte promis, un texte différé, mais un texte d'affichage : il va laisser l'illusion, dans l'esprit de nos concitoyens, qu'ils peuvent dormir tranquilles. Cette illusion sera vite dissipée et nous attendons avec impatience la parution, dans quelque temps, des premières statistiques sur la décélération de la récidive ...

En fait, il aurait fallu interpréter avec plus de nuances les causes du phénomène de la récidive. Les moyens financiers dont il faudrait disposer sont trop faibles pour que votre texte, texte de circonstance, puisse contenir l'explosion de la violence que nous connaissons.

Nous avons noté avec intérêt les engagements du Gouvernement concernant l'élaboration d'une grande loi pénitentiaire et la création d'un contrôleur général des lieux d'enfermement que réclamait depuis longtemps notre commission des lois.

Sans doute votre texte aurait-il été mieux compris s'il s'était inscrit dans la suite logique de ces deux réformes et nous ne pouvons que regretter qu'il n'en soit pas allé ainsi.

Toutefois, nous attendons avec intérêt - car votre bonne foi ne saurait être mise en doute - les éclaircissements qu'au cours de la discussion des articles vous ne manquerez pas de nous apporter, éclaircissements qui pourront peut-être mettre fin aux incertitudes de quelques-uns de mes collègues, mais qui ne suffiront sans doute pas à lever toutes nos réserves. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Madame le garde des sceaux, M. Robert Badinter, premier intervenant au nom du groupe socialiste, l'a dit : nous considérons, comme vous, qu'il faut prévenir, combattre, punir la récidive sous toutes ses formes, ce d'autant plus si elle est multiple et, surtout, quand elle concerne les mineurs.

Cependant, nous ne pensons pas que c'est par le biais d'un énième texte, au demeurant mal ficelé, permettez-moi de le dire, et non gagé financièrement que l'on pourra atteindre ce triple objectif.

Pour ma part, je souhaiterais souligner les nombreux risques que fait peser le présent projet de loi sur l'autorité judiciaire, qui est la « gardienne des libertés individuelles ».

Permettez-moi tout d'abord - je réponds là à mon collègue M. Lecerf - de balayer l'idée, fausse, mais que l'on arrive à faire accréditer dans l'opinion publique, selon laquelle les juges sont laxistes. Bien au contraire !

Monsieur le rapporteur, dans votre rapport bien connu et souvent cité du 2 février 2005 sur la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, vous indiquiez vous-même que « le juge se montre [...] plus sévère avec les récidivistes qu'avec les primo délinquants. ».

Deux ans plus tard, vous dressiez vous-même un constant identique : l'emprisonnement ferme est prononcé pour 57 % des récidivistes, contre 11 % pour les primo-délinquants.

En outre, le nombre de condamnations en récidive pour les crimes et délits a augmenté de 68,5 % entre 2000 et 2005. C'est là un accroissement considérable.

Bien sûr, on joue avec les chiffres. On nous présente la récidive comme étant de l'ordre de 2 %, mais ensuite, on nous explique que le taux de réitération est de 50 % ou de 55 %.

Au final, l'opinion publique n'y comprend plus rien, car elle ne fait pas la distinction entre récidive et réitération. Ce faisant, elle retient, et donc accrédite, le chiffre de 50 %.

Or, si l'on s'en tient à la définition exacte des mots, qui doit évidemment prévaloir, le vrai chiffre de la récidive, c'est bien 2 %.

Le même constat s'impose également pour les mineurs délinquants, qui sont, eux aussi, traités avec de plus en plus de sévérité. Ainsi, bien que l'état de récidive légale soit très rarement relevé devant les juridictions chargées du jugement des mineurs, les peines prononcées par elles sont de plus en plus sévères.

D'ailleurs, madame le garde des sceaux, puisque vous avez vous-même cité Michel Leiris dans une tribune libre parue récemment, je reprendrai à mon compte les mots de ce grand auteur pour dire que la tendance actuelle consiste à faire passer plus rapidement les jeunes délinquants « du chaos miraculeux de l'enfance à l'ordre féroce de la virilité ». Ce n'est malheureusement pas l'inverse qui se produit !

De plus, j'ai pris connaissance ce matin de la prise de position de l'UNICEF, le fonds des Nations unies pour l'enfance, qui a stigmatisé hier la partie consacrée aux mineurs dans le présent projet de loi.

En revanche, en expliquant que le sentiment d'impunité découlait bien davantage de l'inexécution des peines, vous avez voulu avancer un argument qui, à mon sens, doit effectivement être repris et développé, car le problème est à l'évidence majeur.

Cela étant, comme l'a souligné Robert Badinter, au lieu de décider une hausse des crédits budgétaires alloués à la justice et de lancer une réflexion approfondie sur le sens de la peine, vous avez préféré répondre à une demande sociale forte, alimentée par l'instrumentalisation de certains faits divers.

Les juges qui, dans le cas de la récidive, essaieront de motiver une peine inférieure ou alternative, risqueront ainsi d'être critiqués par l'opinion publique, voire de subir un « lynchage » médiatique et de devenir les boucs émissaires de votre politique.

Avec une telle épée de Damoclès au-dessus de la tête, ils n'auront guère d'autre choix que d'aller contre leur propre conviction et de suivre votre politique de répression. En appliquant ces nouvelles dispositions législatives, ils iront dans le sens général de cette « direction prison » qu'évoquait mon prédécesseur à cette tribune.

Vous enfermez donc les juges dans un dilemme moral dont ils devront eux-mêmes sortir. Si, dans un certain nombre de cas, ils choisiront de ne pas appliquer les peines minimales que vous avez prévues, dans un certain nombre d'autres cas, ils suivront la direction que vous avez fixée.

Cela a été dit, vis-à-vis des juges, ces dispositions s'apparentent à une mesure de défiance tout à fait vexatoire.

Enfin, lorsque vous pointez du doigt le prétendu angélisme, voire le laxisme de l'institution judiciaire, vous défiez en même temps le peuple français, au nom duquel la justice est rendue. En voulant instaurer un système de peines minimales, vous remettez aussi en cause les délibérations des jurys populaires des cours d'assises, ainsi que celles des tribunaux pour enfants, dans lesquels, comme vous le savez, aux côtés du juge professionnel siègent des juges citoyens représentant la société civile.

La politique de défiance que vous avez développée vis-à-vis du corps judiciaire s'applique donc également à ces juges qui représentent la société.

À mon sens, le rejet massif de ce texte par les magistrats et par l'ensemble des associations professionnelles montre qu'il ne permettra pas de résoudre sérieusement les problèmes posés.

Au surplus, cela soulève la question de la méthode d'élaboration des textes de loi en France. Alors que l'on nous a vanté l'ouverture et le dialogue, la réalité est tout autre : des textes d'une telle importance sont élaborés dans la précipitation, sans consultation ni prise en compte sérieuses des organisations professionnelles et des spécialistes de ces dossiers.

Pour toutes ces raisons, madame le garde des sceaux, et même s'il y aurait bien d'autres critiques à formuler sur les différents articles, vous comprendrez que ce projet de loi nous inspire avant tout de la défiance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.

M. Jean-Claude Carle. Madame le garde des sceaux, permettez-moi tout d'abord de vous dire combien nous sommes honorés et fiers, un certain nombre de mes collègues et moi-même, de vous voir siéger au banc des ministres. Nous avons en effet pu apprécier jusqu'à très récemment encore vos compétences lorsque vous siégiez sur le banc d'à côté ! (Sourires.)

Mes chers collègues, durant la campagne électorale, le 8 mars dernier, le Président de la République déclarait au cours de l'émission À vous de juger, sur France 2 : « Je souhaite qu'on crée des peines planchers pour les multirécidivistes, parce que 50 % des délits, c'est 5 % des délinquants. »

M. Jean-Claude Carle. Nicolas Sarkozy continuait en ces termes : « Et celui qui ne comprend pas qu'on ne doit pas revenir vingt-cinq fois devant le même tribunal pour la même chose, je souhaite qu'il soit puni sévèrement avec la certitude de la sanction.

« Je veux des peines doublées pour les multirécidivistes. Je veux résoudre enfin le problème des mineurs. Le mineur multirécidiviste de seize à dix-huit ans sera puni comme un majeur. » (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.)

Madame le garde des sceaux, je me réjouis que les engagements pris par le Président de la République devant les Français soient aujourd'hui tenus.

Le texte qui nous est aujourd'hui soumis traite d'un problème très sérieux, auquel est confrontée notre société et auquel nous devons apporter des réponses pertinentes.

Il existe, en effet, des personnes que notre droit pénal actuel ne dissuade pas avec assez de fermeté de commettre de nouveau un délit ou un crime, alors même qu'elles ont déjà été condamnées et qu'elles ont effectué une peine pour ce même type d'actes.

La récidive des crimes et délits, qu'elle soit le fait de majeurs ou de mineurs, exaspère nos concitoyens et appelle des sanctions plus sévères et plus fermes.

La récidive est toujours préoccupante, quand elle n'est pas proprement insupportable et, tout simplement, inadmissible.

La population a du mal à comprendre que certaines personnes, qui s'étaient pourtant déjà tristement illustrées et dont la dangerosité était avérée, aient pu ainsi être relâchées « dans la nature ». (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

La fermeté à l'égard des récidivistes est donc une nécessité.

M. Jean-Claude Carle. Il me paraît opportun de garantir le caractère certain, plus ferme et également plus rapide de la sanction pour les cas de récidive les plus graves.

Trois grandes pistes sont ici lancées.

Premièrement, le texte prévoit d'instaurer des peines planchers pour tous les crimes et pour tous les délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement qui ont été commis en récidive.

Deuxièmement, le texte tend à exclure l'excuse de minorité pour les multirécidivistes violents de plus de seize ans.

À ce sujet, madame le garde des sceaux, je ferai une remarque d'ordre sémantique : l'expression « excuse de minorité » me semble mal appropriée, car elle laisse penser à la victime et à la société tout entière que l'on excuse le mineur d'avoir commis un crime ou un délit ; les termes de « minoration » ou d'« atténuation des peines » seraient donc plus adéquats, car mieux perçus par nos concitoyens.

Enfin, troisièmement, le texte vise à prévenir plus efficacement la récidive, en imposant un suivi médical et judiciaire obligatoire aux personnes condamnées pour les infractions les plus graves, principalement de nature sexuelle.

M. Jean-Claude Carle. Qui refuserait de souscrire à de telles intentions ?

Il faut être ferme sur le respect de la loi. Il est impératif que les coupables soient jugés pour les délits commis et que les délinquants qui récidivent ne puissent plus ignorer les risques encourus.

Cela étant dit, je souhaiterais, madame le garde des sceaux, centrer mon intervention sur la délinquance des mineurs. Il s'agit d'un vrai sujet de préoccupation pour les Français, qui a d'ailleurs fait l'objet, lui aussi, d'un engagement clair du Président de la République et du Gouvernement.

Depuis 2002, la délinquance a nettement diminué dans notre pays.

C'est non pas le fruit du hasard, mais bel et bien le résultat de la politique efficace et courageuse engagée par le précédent gouvernement et qui se poursuit aujourd'hui au travers de l'examen de ce texte.

Pour autant, la délinquance des mineurs augmente, et ce n'est pas un phénomène nouveau. La commission d'enquête sur la délinquance des mineurs, constituée en 2002, présidée par Jean-Pierre Schosteck et dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur, l'avait déjà mis en exergue.

Ainsi, dans notre rapport du 27 juin 2002 intitulé Délinquance des mineurs : la République en quête de respect, nous avions tout d'abord affirmé que cette délinquance était non pas un fantasme, comme certains à l'époque voulaient le faire croire, mais bien une réalité.

Il est vrai, madame le garde des sceaux, que, depuis, les esprits ont évolué. En effet, ceux qui nous reprochaient à l'époque de faire du « tout répressif », de vouloir enfermer ou incarcérer les jeunes à tout va, sont les mêmes qui, aujourd'hui, proposent un placement des adolescents dans des « structures à encadrement militaire ».

M. Jacques Mahéas. C'est mieux que la prison !

M. Jean-Claude Carle. Je m'étonne donc du procès d'intention qui vous est fait.

La délinquance des mineurs se caractérise par ce que j'appelais déjà à l'époque « les trois plus ».

Elle est plus importante : le nombre de mineurs condamnés pour des délits de violence a augmenté de près de 40 % en cinq ans.

Elle est plus violente : 1 567 mineurs ont été condamnés pour des délits de nature sexuelle en 2005, contre 1 135 en 2000, soit une augmentation de 38 %.

Enfin, les auteurs des actes de violence sont de plus en plus jeunes.

Ces constats sont préoccupants.

Quant aux mineurs délinquants multirécidivistes, ce ne sont pas les plus nombreux, mais ils commettent les actes les plus graves.

C'est cette escalade qu'il faut enrayer par des mesures appropriées et plus fermes, car le mineur délinquant de 2007 n'a plus rien de commun avec celui de 1945.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Encore cet argument !

M. Jean-Claude Carle. L'adolescent de seize ans de 2007 ne ressemble plus à celui de 1945, et ce dans de nombreux domaines, ne serait-ce que par son aspect physique : il mesure 10 centimètres de plus et pèse 10 kilos de plus. (MM. Robert Badinter et Jacques Mahéas s'exclament.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nicolas Sarkozy n'est pas non plus le général de Gaulle !

M. Jean-Claude Carle. L'adolescent délinquant est donc physiquement plus grand, plus fort et, par voie de conséquence, plus impressionnant face à sa victime, victime que nous avons d'ailleurs eu trop tendance à oublier.

Madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les raisons qui ont conduit à cette augmentation massive de la délinquance des mineurs sont multiples.

L'une des raisons majeures est liée à l'insuffisance, à la défaillance, voire à la faillite des trois cercles de proximité qui structurent notre société autour du jeune : la famille, l'école et le tissu associatif.

En ce qui concerne la famille, très souvent, en l'absence du père, les relations familiales sont essentiellement conflictuelles, et c'est l'enfant qui fait la loi.

Dans un cadre urbain déserté par les parents, les jeunes, notamment les adolescents, découvrent rapidement qu'un profil délinquant est susceptible de leur offrir une intégration au sein du « quartier ».

M. Jacques Mahéas. Et la police de proximité ? Vous l'avez supprimée !

M. Jean-Claude Carle. L'école de la rue les entretient dans l'illusion que le crime paie. La rue concurrence alors l'école.

Quant à l'école, elle éprouve de grandes difficultés à transmettre le savoir à ces jeunes qui, très rapidement, se sentent exclus par le système, en particulier du collège, lequel ne les intègre plus et n'apparaît plus comme un sanctuaire à l'abri de la violence.

Enfin, le tissu associatif se révèle lui aussi insuffisant et connaît également de grandes difficultés pour intégrer les jeunes par la voie du sport ou des activités culturelles.

Si bon nombre de bénévoles démissionnent, ils le font d'abord parce qu'ils sont confrontés à des situations de violence auxquelles ils ne peuvent plus faire face, ensuite parce que les contraintes administratives et juridiques les conduisent souvent à baisser les bras.

Cette défaillance des trois cercles de proximités, certains jeunes l'ont parfaitement intégrée.

Il convient donc de briser la spirale infernale et de disposer d'outils adaptés pour lutter efficacement contre cette délinquance.

M. Jean-Claude Carle. Il est en effet de notre devoir de faire respecter les lois et les règles de la République.

À cet égard, un grand nombre de propositions que nous avions formulées au nom de la commission d'enquête sénatoriale ont été mises en oeuvre soit dans la loi Perben I du 9 septembre 2002, soit dans la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.

Je pense ainsi à la création des sanctions éducatives, échelon intermédiaire entre les mesures éducatives et les peines.

Je pense également à la mise en place de la procédure de jugement à délai rapproché, qui permet la comparution d'un mineur devant le tribunal pour enfants dans un délai de dix jours à un mois.

Je pense encore aux sanctions plus sévères prononcées à l'encontre des majeurs qui utilisent des mineurs pour commettre des infractions.

Il convient, toutefois, d'aller encore plus loin. En effet, le fonctionnement de la justice doit être tel qu'un mineur ne puisse plus « s'enfoncer » dans la délinquance. Lorsqu'une peine d'emprisonnement ferme est prononcée, elle ne doit plus susciter incrédulité et révolte.

À ce sujet, permettez-moi de citer Jean-Marie Petitclerc, éducateur spécialisé, qui déclarait devant la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs : « Le système judiciaire de réponse à la délinquance, non explicité, mais tellement inscrit dans les pratiques, qui a peut-être sa légitimité du côté des adultes, mais qui, à mes yeux, s'avère désastreux d'un point de vue pédagogique : ?la première fois, ce n'est pas grave ; ce qui est grave, c'est de recommencer.? Or, je suis de ceux qui pensent, comme bon nombre de parents, que si l'on n'apporte pas une réponse crédible à la première transgression, on se discrédite pour la suite. »

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous faites une drôle d'interprétation de ces propos !

M. Jean-Claude Carle. Comment ne pas partager cette opinion ? Une telle attitude est désastreuse, car elle persuade le mineur qu'il n'y aura jamais de vraie réponse. Et je vous présenterai dans quelques instants, madame le garde des sceaux, une proposition, que je vous avais déjà transmise, destinée à améliorer cette situation et qui pourrait d'ailleurs répondre à l'interrogation formulée par M. Détraigne

Le sentiment d'impunité de certains mineurs s'enracine dans le constat que la justice ne fait pas ce qu'elle dit.

Cette dernière se doit donc de réagir fermement et d'apporter une réponse systématique à chaque acte de délinquance. Il faut redonner un sens à la sanction, laquelle doit être mise en oeuvre rapidement afin d'être comprise par le délinquant, par la victime et par la société.

Ne nous y trompons pas : une plus grande sévérité des sanctions permettra de parvenir à une meilleure dissuasion.

Bien évidemment, la commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs n'a jamais plaidé en faveur d'un emprisonnement massif de ces jeunes. Elle a toutefois constaté que l'accumulation, s'agissant d'un même mineur, de remises à parents, de sursis simples, puis de sursis avec mise à l'épreuve constituait un moyen certain d'ancrer ce mineur dans la délinquance.

Les mineurs comprennent très vite ce mode de fonctionnement et ceux qui n'ont pas été dissuadés de récidiver dès leur premier passage en justice ne risquent guère de l'être lors des suivants.

L'enfermement des mineurs délinquants est parfois, malheureusement, une nécessité, pour la société, qui demande à être protégée de jeunes particulièrement violents, mais aussi pour les mineurs ancrés dans un parcours d'autodestruction.

Ce projet de loi va donc dans le bon sens, car il s'adapte à l'évolution de la délinquance, laquelle, je le répète, est plus massive, plus violente et perpétrée par des mineurs de plus en plus jeunes.

Ce projet de loi va dans le bon sens, car il fixe une politique pénale claire, cohérente, efficace et dissuasive.

Ce projet de loi va, enfin, dans le bon sens (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.), car il donne aux juges des principes directeurs de sanction, afin de dissuader la récidive, tout en respectant les exigences constitutionnelles et les engagements internationaux que vous avez rappelés tout à l'heure, madame le garde des sceaux.

Je ne vois pas dans ce texte de mesures scandaleusement répressives. Au contraire, il vise à répondre à une réalité et à une attente forte de nos concitoyens. Les délinquants sauront désormais qu'il existe une ligne à ne pas franchir.

Je souhaite également insister sur la nécessité d'appréhender notre politique pénale dans sa globalité.

Si notre arsenal juridique doit être renforcé, afin de nous prémunir face à des cas de récidive parfois très graves, il convient toutefois d'accorder toute sa place aux impératifs d'insertion et de réinsertion à la sortie de prison.

Si l'emprisonnement devient désormais la règle pour les récidivistes majeurs ou mineurs, il ne faut pas occulter la dimension éducative de la sanction. L'enfermement des mineurs doit revêtir une véritable dimension éducative et s'inscrire dans un parcours dynamique vers la réinsertion.

La sanction fait partie intégrante de l'éducation ; de même, la sanction sans l'éducation n'a pas de sens. C'est ce que chaque parent applique au quotidien envers ses propres enfants lorsqu'ils commettent une bêtise, la sanction étant bien évidemment proportionnelle à la gravité de cette dernière.

La sanction doit être sévère et aller jusqu'à l'enfermement, parce que la gravité de l'acte commis l'exige, parce que le comportement du mineur le nécessite, parce que la société l'attend. La sanction est non pas une fin en soi, mais un moyen de remettre le jeune sur la bonne voie.

Dans son rapport, la commission d'enquête avait formulé le principe suivant : « Mettre de la contrainte dans l'éducation, de l'éducation dans la contrainte ».

Nous nous étions prononcés pour la mise en oeuvre de véritables parcours éducatifs permettant un suivi effectif des mineurs durant l'incarcération. En effet, il n'est pas normal qu'un grand nombre de mineurs n'aient, à ce jour, aucune activité en prison. Ils doivent pouvoir être mis en situation de réfléchir à leur insertion professionnelle.

À cet égard, je salue, madame le garde des sceaux, votre projet de développer la formation en alternance en milieu carcéral. En effet, nous ne devons pas faire l'impasse sur l'impératif d'insertion qui doit accompagner toute mesure de sanction, et lui donner tout son sens.

L'assistance éducative constitue l'une de vos priorités et nous vous accordons toute notre confiance pour mettre en oeuvre une justice non seulement plus ferme, mais également plus humaine.

Je conclurai mon intervention en vous soumettant de nouveau l'une des propositions que j'avais émise lors des débats sur le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance : pourquoi ne pas soulager nos juridictions en en excluant les primo-délinquants grâce à la création de ce que je nommais alors des « maisons de la réparation », à l'instar de ce qui se pratique aux Pays-Bas ?

Ces structures seraient chargées de mettre en oeuvre des mesures obligatoires de réparation proposées par le procureur de la République pour certaines infractions commises par des mineurs jusqu'alors inconnus de la justice. Une telle mesure s'appliquerait pour les contraventions, les vols simples, les destructions et les dégradations.

Cette solution présente selon moi de sérieux avantages. Il s'agit tout d'abord d'interrompre immédiatement le processus d'ancrage dans la délinquance d'un mineur, par une mesure concrète, rapide, éducative et dotée d'une réelle signification.

La réparation permettrait en effet au mineur de restaurer la situation qu'il a dégradée par son infraction et de transformer un comportement négatif en comportement positif.

Cette mesure soulagerait également des juridictions très encombrées, leur permettant ainsi d'apporter des réponses plus rapides aux délits d'une certaine gravité, notamment ceux qui sont le fait de récidivistes.

Je souhaite connaître votre sentiment sur cette proposition, qui, je l'espère, pourrait être reprise au sein d'un prochain projet de loi.

Madame le garde des sceaux, mes chers collègues, sachons protéger la société en ne laissant pas s'installer le sentiment d'impunité. Sachons prévenir, éduquer, sanctionner, mais sachons aussi favoriser la réinsertion des personnes les plus vulnérables.

Au vu de ces quelques observations, les membres de mon groupe et moi-même soutiendrons ce texte, qui permettra d'accroître la sévérité de notre droit dans les situations qui le justifient, tout en respectant les principes et les traditions juridiques qui sont les nôtres. (Applaudissements sur les travées de l'UMP ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas.

M. Jacques Mahéas. Madame le garde des sceaux, vous comprendrez que je m'associe aux propos de mon ami Robert Badinter pour saluer votre nomination à la Chancellerie. En tant qu'élu de Seine-Saint-Denis, j'y suis particulièrement sensible.

Mais j'en viens au texte.

Inutile, inopérant, disproportionné, irréaliste et contre-productif : toute personne qui considère avec attention et honnêteté ce projet de loi renforçant la lutte contre la récidive ne pourra, madame le garde des sceaux, que vous opposer ce même registre désolant.

Les magistrats que nous avons auditionnés sont unanimement consternés, non par réflexe corporatiste ni repli idéologique, mais parce qu'ils mesurent simplement, comme nous, la seule dimension évidente de ce texte, à savoir l'affichage. N'est-ce pas la conséquence de la chicaya née sous la dernière législature entre le tribunal de grande instance de Bobigny, notamment son tribunal pour enfants, et le ministre de l'intérieur d'alors, qui négligeait ainsi la séparation des pouvoirs ? Ce ministre, en effet, avait cru bon d'accuser ces magistrats de « démission », déclenchant ainsi une polémique inutile.

Voici venir, en moins de deux ans, le troisième projet de loi relatif au traitement de la récidive. Pour autant, aucune évaluation des mesures précédentes n'a été effectuée. Au demeurant, la loi relative à la répression - pardon ! - à la prévention de la délinquance est si récente - elle date de mars 2007 - que fort peu de décrets en sont publiés.

En ce qui concerne ce nouveau texte, nous ne disposons pas non plus d'études d'impact : aucune projection officielle n'anticipe l'inflation carcérale qui va mécaniquement en découler, comme l'a d'ailleurs indiqué M. le rapporteur, en prenant l'exemple d'une peine de 1,6 année d'emprisonnement transformée désormais, en moyenne, en 4 ans d'emprisonnement.

Vous n'avez pas cru bon d'attendre jusqu'au 14 juin le rapport de la commission d'analyse et de suivi de la récidive mise en place par votre prédécesseur, M. Pascal Clément. Est-ce parce que vous deviniez que ce rapport serait susceptible de contrarier vos propositions ? Pourquoi avoir institué cette commission et ne même pas l'avoir consultée, selon les dires de son président, le professeur Jacques-Henri Robert ?

Rien ne vous arrête, tant il semblerait qu'en matière d'inflation législative à visée répressive votre majorité soit plutôt multirécidiviste !

Madame le garde des sceaux, j'ai là les chiffres transmis par vos services, et dont je vous remercie. Je me suis attardé sur ceux qui intéressent les mineurs, érigés depuis quelque temps en catégorie particulièrement dangereuse.

S'agissant des crimes, deux condamnations ont concerné des mineurs récidivistes en 2000 ; une seule condamnation est intervenue dans ce cadre en 2002 et 2005, et aucune en 2004 !

S'agissant des délits - c'est une appellation floue ! -, le nombre de condamnations s'échelonne progressivement, passant de 128 à 316 cas. Admettez toutefois que, s'il y a augmentation en pourcentage, les effectifs sont, eux, minimes !

Quelle urgence y avait-il donc à légiférer ? Aucune, évidemment, sinon l'urgence de tenir une promesse électorale qui sonne comme un slogan, sinon, pour le Président de la République, de mener un grand battage médiatique, lui qui s'improvise, à ses heures, Premier ministre ou garde des sceaux.

Il ne faut pas confondre pragmatisme et précipitation. Tous les acteurs de terrain savent que seul le suivi éducatif donne des résultats et qu'il faut le mettre en oeuvre dès la première peine, notamment pour les mineurs. Or, depuis 2002, vous centrez toute votre action sur le carcéral, au détriment des mesures en milieu ouvert.

L'exemple du travail d'intérêt général, ou TIG, est flagrant. La commune dont je suis maire, Neuilly-sur-Marne, a adopté ce dispositif dès sa mise en place, en 1984. À ce jour, nous disposons de quinze fiches de postes, ce qui permet d'accueillir bon nombre de condamnés, puisque la durée d'un TIG ne peut excéder 210 heures. Or, après deux années sans presque aucune affectation, nous avons reçu... trois personnes depuis le début de l'année 2007 !

Les postes étant également ouverts aux non-Nocéens, j'aimerais comprendre les raisons pour lesquelles cette peine alternative à l'emprisonnement est si largement sous-appliquée, alors qu'elle présente un réel intérêt pour les jeunes délinquants, puisqu'elle conjugue sentence et possibilité de réinsertion par le travail.

En 2005, je formulais déjà ce point de vue dans une question écrite adressée au garde des sceaux de l'époque. Il m'avait alors répondu qu'il partageait mon « souci de voir se développer les peines de travail d'intérêt général, qui, tout en présentant un caractère de sévérité, participent de la réinsertion du condamné par le travail et de la prévention de la récidive ». Vous comprendrez que j'insiste sur les derniers mots de cette citation.

Faute de temps, je terminerai sur une note plus personnelle. Dans un entretien accordé à un grand quotidien et paru aujourd'hui, votre frère, madame le garde des sceaux, affirme : « Ma soeur ne lâche rien. Elle aime décider seule. Elle veut toujours avoir le dernier mot. » Démentez aujourd'hui ces propos, madame le garde des sceaux !

M. Alain Gournac. Mauvaise lecture !

M. Jacques Mahéas. Mais, si vous ne pouvez pas retirer ce texte, puisque vous êtes en service commandé,...

M. Hugues Portelli. Comme vous !

M. Jacques Peyrat. C'est honteux !

M. Christian Demuynck. Provocateur !

M. Jacques Mahéas. ...au moins, acceptez nos amendements ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis n'est pas le premier à traiter du problème de la récidive.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est le moins qu'on puisse dire !

M. Hugues Portelli. Plusieurs des lois récentes que nous avons votées ont déjà fixé l'essentiel du dispositif pénal. Le texte que nous examinons aujourd'hui a néanmoins un double objectif.

D'une part, il vise à introduire dans notre droit des mesures utilisées de façon croissante dans les pays voisins, notamment l'échelle des peines minimales, dites peines planchers, pour des infractions commises en état de récidive légale.

D'autre part, il vise, en la matière, à encadrer le rôle du juge, lequel, il faut rappeler, juge, en France, et depuis 1789, au nom du peuple français ; il est donc tenu d'appliquer, quoi qu'il en pense, l'expression de la volonté générale telle qu'elle est formulée par les représentants de la nation.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Hugues Portelli. Bien entendu, le législateur n'est pas libre de faire ce qu'il veut, notamment lorsqu'il s'agit du droit pénal applicable aux mineurs.

M. Alain Gournac. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est absurde, ces mots creux !

M. Hugues Portelli. Le juge constitutionnel a dégagé une série de principes qui s'appliquent en la matière.

En faveur du législateur jouent les principes de légalité en matière pénale et de soumission du juge à la loi. Limitent ses pouvoirs le principe d'individualisation de la peine et celui de la fonction rééducative de la peine. Le Conseil constitutionnel a ainsi qualifié de principe fondamental reconnu par les lois de la République « l'atténuation de la responsabilité des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge ». Ce principe trouve ses fondements dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs et surtout dans l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.

Ajoutons à cette jurisprudence constitutionnelle celle de la Cour européenne des droits de l'homme - c'est le fameux article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatif au droit à un procès équitable - qui impose des procédures pénales particulières pour les mineurs.

Pour autant, nous devons souligner que le juge constitutionnel s'aventure avec prudence dans le domaine pénal et qu'il tend, en France comme à l'étranger, à respecter le pouvoir discrétionnaire du législateur, pour peu que celui-ci ne remette pas en cause de façon manifeste les principes qui ont été rappelés.

Qu'en est-il du projet de loi que nous examinons et qui a été approuvé sans difficulté par la commission des lois et son rapporteur, dont je salue l'excellent travail ? C'est un texte que nous estimons équilibré et proportionné. Tout en mettant en place des peines minimales, il n'exclut pas pour autant l'individualisation de la peine. Tout en permettant d'écarter l'excuse atténuante de minorité pour les mineurs de plus de seize ans, il ne remet pas en cause l'âge de la majorité pénale à dix-huit ans.

Respecte-t-il les principes constitutionnels ?

Oui, puisqu'il conserve au juge un pouvoir d'appréciation, sous la réserve, déjà formulée en mars dernier et étendue cette fois aux peines minimales, qu'il motive ses décisions, ce qui est tout de même la moindre des choses pour une juridiction.

Oui, puisqu'en matière de mineurs il respecte les principes de l'ordonnance du 2 février 1945, notamment de l'article 20-2 repris par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 3 mars 2007 à propos de la loi relative à la prévention de la délinquance, affirmant ainsi que le juge a la possibilité de décider que certains mineurs de plus de seize ans peuvent être assimilés à des majeurs sur le plan pénal « soit compte tenu des circonstances de l'espèce et de la personnalité du mineur, soit parce que les faits constituent une atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne et qu'ils ont été commis en état de récidive légale. »

Nous devons être réalistes : la délinquance des mineurs a profondément évolué en un demi-siècle. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC.)

Maintenir le statu quo reviendrait, en la matière, à accepter une violence de plus en plus forte, à renforcer un sentiment d'impunité de plus en plus grand et à faire preuve d'un véritable mépris pour la victime.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Combien de fois avons-nous entendu ce refrain !

M. Hugues Portelli. Néanmoins, à l'occasion de la discussion de ce projet de loi qui vise à enrayer la récidive des majeurs comme des mineurs, je souhaiterais mettre l'accent sur certains points.

D'abord, la certitude de la peine est plus efficace que la sévérité de celle-ci.

La certitude de la peine signifie que l'on met à mal le sentiment d'impunité. Pour cela, il faut davantage de greffes et de moyens ; il faut aussi une justice plus rapide, non seulement pour les victimes, mais également parce que, on le sait, un mineur délinquant « réitériste » ne se souvient plus véritablement, plusieurs mois après les faits, de l'infraction qui lui est reprochée. Ces jeunes mineurs vivent dans l'instant ; la réponse judiciaire, pour qu'elle ait un sens, doit donc être rapide. Beccaria l'écrivait déjà dans son célèbre ouvrage Des délits et des peines : « Plus le châtiment sera prompt et suivra de près le délit commis, plus il sera juste et utile. ».

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. « Châtiment » ... Bientôt le bagne !

M. Hugues Portelli. De même, s'il est évident qu'il faut une réponse ferme face à des actes de délinquance de plus en plus violents et, surtout, de plus en plus dirigés gratuitement contre les personnes, même à l'occasion d'une infraction contre les biens, il faut aussi s'interroger sur le sens de la prison. Les statistiques ont montré que la récidive est plus faible quand certains détenus ont pu bénéficier de la libération conditionnelle, cette dernière étant elle-même une mesure d'individualisation de la peine proposée aux détenus qui montrent une réelle volonté de réinsertion sociale.

De même, la prison n'a de sens que si elle aide le détenu à préparer sa réinsertion. Pour cela, il faut que les collectivités territoriales soient davantage associées à cet effort et, madame le garde des sceaux, je tiens à vous dire d'expérience que cela marche !

Dans le même esprit, il faut donner plus de moyens au suivi socio-judiciaire, le suivi post-carcéral étant souvent défaillant, ...

M. Hugues Portelli. ... comme le suivi psychiatrique des détenus souffrant de troubles mentaux.

M. Hugues Portelli. Dès lors qu'une personne est condamnée à une peine autre que la perpétuité, il faut l'aider pour « l'après », sinon sa chance de survie sociale, psychologique et médicale en dehors de la prison est extrêmement réduite, alors même que le risque de récidive est accru.

Enfin, si la peine est dissuasive, elle ne peut, à elle seule, être l'incarnation de la prévention de la délinquance. Si la prévention situationnelle s'est développée ces dernières années, avec de plus en plus de collectivités territoriales se dotant d'équipements de vidéosurveillance, de particuliers utilisant des digicodes et autres contrôles d'accès, la prévention sociale, moins visible pour l'opinion, ressentie par elle comme moins rapide et moins efficace, doit être mise au même niveau que la politique, essentielle, de répression systématique de la délinquance.

S'agissant des mineurs délinquants, on sait que, pour une grande majorité d'entre eux, ils ont commencé par être des enfants en danger.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C'est vrai !

M. Hugues Portelli. Le texte qui nous est proposé, et que nous approuvons sans réserve, est donc nécessaire, car il parachève la mise à jour de notre code pénal en la matière. Mais il n'aura de sens et d'effet durable que s'il s'accompagne d'un effort considérable, d'une part, dans le domaine de la prévention sociale, d'autre part, dans le suivi socio-judiciaire, dont l'injonction de soins, justement ajoutée au projet de loi, est une dimension essentielle.

Nous comptons sur vous, madame le garde des sceaux, pour que nous ne perdions jamais de vue que ces délinquants, quelle que soit la gravité de leur faute, même réitérée, ou en état de récidive légale, sont et resteront des êtres humains dont nous devons restaurer la dignité perdue. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, chers collègues, bien que nous souscrivions à la nécessité de lutter efficacement contre la récidive, nous souhaitons apporter quelques rectificatifs aux postulats qui fondent le projet de loi aujourd'hui discuté.

Lors du débat télévisé qui opposait M.  Nicolas Sarkozy à Mme Ségolène Royal, notre actuel président de la République évoquait « un taux considérable de récidive en matière d'infractions sexuelles ». Il est évident que les statistiques dont dispose M. Sarkozy ne correspondent pas tout à fait à la situation, pas plus que ce texte ne prend en compte tous les aspects d'une réalité qui, visiblement, madame le garde des sceaux, vous échappe. En tout cas, nous n'avons pas la même lecture des chiffres. Ce taux, dit considérable, est en fait de 0,6 % !

Une confusion règne entre ce que, dans les médias, vous avez nommé la récidive et la réalité de ce qu'est la récidive légale visée par ce texte.

Les Français doivent savoir par quel moyen vous avez instrumentalisé les mots pour mieux convaincre de la nécessité d'un tel projet de loi : la récidive légale n'est pas la réitération.

Autant dire que ce projet de loi n'est qu'un « coup de couteau dans l'eau » en termes de lutte contre la récidive, mais il rassure une opinion publique que vous avez apeurée, angoissée, par des propos faussement alarmistes !

En matière pénale les mots ont un sens que l'on ne peut pas dévoyer et utiliser à des fins démagogiques. Vous avez fait d'une notion juridique un concept gadget dans lequel, aux yeux de l'opinion publique, réitération, récidive, concours d'infractions se confondent, ce qui n'est pas le cas !

Les Français doivent savoir qu'aujourd'hui seule la récidive légale sera étudiée et que celle-ci représente 2,6 % des crimes, 6,6 % des délits en 2005. Ces chiffres sont même inférieurs à ceux de l'année 2004 et supérieurs aux données actuelles, ce qui indique un mouvement de décélération.

Vous avez profité de l'affaire Crémel pour « gonfler » la nécessité émotionnelle de ce projet de loi, sans prendre en compte les moyens de sa mise en oeuvre. En réalité, ce texte est inutile, inconsidéré et dangereux. Il exclut toute possibilité d'aborder le phénomène de la délinquance sous l'angle de la prévention et il relègue la nécessité d'une approche socio-éducative au rang de pis-aller.

Concernant les effets attendus de ce dispositif, permettez-moi de rappeler que des peines minimales n'ont jamais dissuadé le délinquant de la récidive, pas plus que la peine de mort n'a empêché des criminels de commettre des crimes avant son abolition.

La dissuasion n'est rien si elle n'est pas accompagnée d'une politique active de prévention, d'éducation, de passage à l'acte et de suivi des condamnés. La preuve en est que plusieurs des États qui avaient adopté le système des peines minimales l'ont abandonné du fait de son inefficacité.

Le bilan coût-avantage de ce projet de loi est d'ores et déjà simple à établir : il aura un effet désastreux sur le travail des juges, qui sera ralenti du fait de l'obligation qui leur sera faite de motiver chacune de leur décision. Le prononcé de la peine prendra bientôt plus de temps que son exécution !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est extraordinaire !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous allons assister à un engorgement sans précédent des tribunaux.

L'atteinte délibérée de ce projet de loi au principe de l'individualisation de la peine va se traduire par un chantage aux responsabilités. Si les juges motivent, comme cela est prévu, cela ralentira encore les procédures, alors que leur prétendu laxisme tient, en fait, à un problème de moyens.

Pour sortir de ce piège, les juges appliqueront les peines minimales de manière automatique pour ne pas avoir à justifier leur décision. Or ce pouvoir souverain d'appréciation du juge doit rester intact, car il est la garantie d'une bonne administration de la justice.

La complexité des profils appelle à une approche flexible des sanctions. Le délinquant n'est pas un être type ; il est constitué d'une variété de profils qu'une réponse unique ne peut, à elle seule, appréhender. Par conséquent, le pouvoir d'individualisation est justement l'outil idoine pour cerner au mieux cette variété.

Ce projet aura également un effet immédiat désastreux sur la population carcérale. En effet, les statistiques fournies par le CNRS sont claires : en un an, les prisons devront accueillir plus de 10 000 personnes. C'est le taux d'accroissement de la population carcérale sur les cinq dernières années. Donc, en un an, vous allez faire plus que ce qu'une législature entière n'a pu éviter ! Alors que les prisons sont sur le point d'exploser, vous allez doubler en un an le nombre de détenus en surnombre !

M. François Zocchetto, rapporteur. C'est faux !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est faux et vous vous contredisez, puisque vous venez de dire que le taux de récidive était faible !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce texte aura également pour effet de focaliser le prononcé des peines d'emprisonnement sur les couches sociales les plus défavorisées, en exigeant, pour que le juge prononce des peines autres que l'emprisonnement, que le prévenu présente des garanties d'insertion ou de réinsertion.

La raison pour laquelle le projet de loi vise ce critère est simple : les statistiques démontrent que les personnes qui ont le bac et qui déclarent une profession au moment de la condamnation ont un taux de récidive proche de zéro, tandis que, pour les personnes qui n'ont pas le bac, pas d'emploi déclaré, mais qui ont un passé judiciaire, le taux de récidive est égal à 80 %.

Le recours à un tel critère n'est pas digne de notre justice. En effet, les personnes issues des couches sociales les plus modestes, qui souffrent de conditions de vie déplorables, qui ne disposent pas de revenus, qui n'ont pas de garanties de réinsertion, se verront appliquer des peines planchers de manière automatique.

Les enfants dont les parents sont à même de leur apporter des garanties d'insertion satisfaisantes et ceux qui, issus de couches plus favorisées, ont des moyens financiers se verront alors appliquer des peines plus clémentes, voire des peines alternatives à l'emprisonnement.

Il est vrai que, pendant la campagne, madame le garde des sceaux, vous avez déclaré, sur le ton de la plaisanterie, vouloir être la ministre de la « kärchérisation » des banlieues, plaisanterie que vous semblez prendre au sérieux aujourd'hui.

Pensez-vous réellement que mettre en prison des jeunes, des exclus, des pauvres, qu'ils soient français, arabes ou noirs, puisse éviter l'exclusion et régler le problème des banlieues ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ils peuvent être noirs et français !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Lier les peines d'un prévenu à ses origines sociales, familiales et socioprofessionnelles, c'est privilégier encore plus les riches au détriment de ceux qui luttent pour avoir des conditions de vie décentes.

Il est intolérable qu'un projet de loi stigmatise à ce point une partie de la population et mette en place une justice à deux vitesses. Selon le condamné, ce sera la justice du riche et la justice du pauvre.

C'est proprement inique et contraire au principe d'égalité de tous devant la loi.

Concernant la justice des mineurs, permettez-moi de vous dire combien ce projet de loi est une abdication totale devant les principes élémentaires qui la régissent.

L'atténuation de la responsabilité des mineurs est un principe fondamental reconnu par les lois de la République. L'excuse de minorité doit être la règle et son exclusion, l'exception. Le projet de loi qui nous est soumis renverse complètement ce principe.

En effet, le tribunal pour enfants ou la cour d'assises des mineurs vont devenir des juridictions de droit commun. Il sera bientôt inutile de les qualifier de juridictions spécialisées puisqu'elles pourront bientôt dire le droit dans les mêmes conditions que si l'accusé était majeur.

L'emprisonnement devient la règle pour les mineurs, alors que les obligations internationales de la France lui imposent une approche inverse de ce type de délinquance.

Le projet de loi foule aux pieds l'article 37 de la Convention internationale sur les droits de l'enfant, aux termes duquel l'emprisonnement d'un enfant ne peut être « qu'une mesure de dernier ressort et être d'une durée aussi brève que possible ».

En alignant le régime du mineur sur celui des majeurs, vous ruinez l'économie générale de l'ordonnance du 2 février 1945.

Par ailleurs, les mesures que vous entendez instituer ne sont pas accompagnées des moyens nécessaires à leur mise en oeuvre.

En effet, aucun bilan n'a été dressé des lois votées en ce domaine, que ce soit en 2004, en 2005 ou en mars 2007. Aucune évaluation n'a été faite du fonctionnement des unités d'accueil, que vous souhaitez pourtant développer. Ce texte ne fait aucunement référence aux mesures d'éducation. Il ne contient aucun volet socioéducatif, non plus qu'il n'établit aucun diagnostic sur les moyens nécessaires aux acteurs de terrain ou à la protection judiciaire de la jeunesse. Rien !

Lorsqu'on s'attaque à une réforme aussi importante, il convient au préalable d'en évaluer la faisabilité. Or, madame le ministre, vous construisez une maison en commençant par le toit. Comment voulez-vous que l'édifice tienne ?

À quoi bon annoncer devant la commission des lois vouloir « engager une action déterminée en faveur de la réinsertion des personnes les plus vulnérables, en particulier les mineurs et les détenus », s'il s'agit de les mettre en prison pour un vol de bonbons en récidive ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est faux ! C'est caricatural !

M. Alain Gournac. Quel niveau !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Bien sûr, qui vole un oeuf vole un boeuf. Mais, vous le savez, la prison n'est pas un lieu de réinsertion ; elle est même la principale école de la délinquance. Emprisonnez quelqu'un et son avenir est tout tracé : ce sera la récidive !

Les statistiques montrent parfaitement que le taux de récidive est largement inférieur lorsque le prévenu a fait l'objet d'une mesure alternative à l'emprisonnement. Ce n'est pas en entretenant le ressentiment et la marginalisation qu'on luttera efficacement contre la récidive.

Concernant le volet psychiatrique de ce projet de loi, permettez-moi de vous faire part des craintes non seulement des acteurs du monde judiciaire, mais également des médecins et des experts psychiatres, qui sont les principaux destinataires des articles 5 à 10 de ce projet de loi.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

M. Jean-Pierre Sueur. Ce que dit notre collègue est très intéressant, monsieur le président !

Mme Alima Boumediene-Thiery. La généralisation de l'injonction de soins ici prévue procède d'une grave confusion entre délinquance et pathologie. La majorité des délinquants ne présentent aucune pathologie. Votre projet de loi vise à une psychiatrisation de la justice, ce qui n'a pas sa place dans un État de droit.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce projet de loi a pour principal effet de transférer le pouvoir et la responsabilité de prononcer une injonction thérapeutique du juge vers le médecin.

M. Jean-Pierre Sueur. Il n'y a pas assez de médecins !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce transfert de compétence est non seulement difficile à mettre en oeuvre, mais également dangereux : le juge est le gardien de la liberté individuelle et non un exécutant de décisions relevant de l'appréciation souveraine d'un médecin.

Dans ce projet de loi, le pouvoir d'individualisation de la peine par le juge est quasi inexistant et le médecin devient un juge de droit commun. Le médecin doit pouvoir soigner, certes, mais dans la limite de ce qui est requis de lui par le juge. Et pas le contraire !

Or ce projet de loi ne prend pas en compte la réalité du travail du médecin coordonnateur et de l'expert psychiatre : la difficulté de recrutement, les salaires bas sont autant de freins à l'exercice par ces médecins de leur profession, notamment en milieu judiciaire et en milieu carcéral. (Marques d'impatience sur les travées de l'UMP.)

Le projet de loi impose plus de sujétions qu'il n'apporte de réponses claires et pratiques à la situation actuelle. La raison en est simple : il n'existe aujourd'hui, s'agissant en particulier de ce volet, aucun bilan des lois précédentes ni aucune connaissance statistique des régimes existants.

Madame le garde des sceaux, avec ce projet de loi, vous allez greffer un corps étranger sur un malade sans avoir établi au préalable de diagnostic. Ne vous étonnez donc pas que ce greffon soit rejeté : il est immature, inadapté et dangereux pour notre société.

Il serait préférable de soigner nos prisons de leurs maux plutôt que de chercher à les remplir à tout prix. Il est préférable, en tout état de cause, de privilégier une approche humaniste à une approche répressive, élevant l'incarcération au rang d'outil ultime de lutte contre la délinquance. En effet, vous oubliez la politique de prévention, vous oubliez les moyens nécessaires à la réinsertion, qui sont pourtant les meilleures armes dans la lutte contre la délinquance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.

M. Christian Demuynck. Madame le garde des sceaux, à l'heure où nous abordons ce texte, qui figure parmi les engagements prioritaires du programme du Président de la République, je tenais à vous faire part de ma très grande joie de vous voir dans cet hémicycle.

En effet, vous avez été, dans une vie antérieure, si j'ose dire, auditrice de justice au tribunal de grande instance de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, où le problème de la récidive est peut-être plus qu'ailleurs un véritable fléau.

Ainsi, qui mieux que vous, qui avez vécu de l'intérieur le manque de cohérence de notre justice en la matière, aurait pu élaborer ce texte et le soumettre au Parlement ?

Pour ma part, j'ai été particulièrement sensible aux mesures relatives à la lutte contre la récidive des mineurs que contient votre projet de loi.

En 2004, Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, m'avait confié une mission temporaire sur la violence scolaire. Dans le cadre de cette mission, je m'étais notamment penché sur le rapport des jeunes à la loi. Dans bien des cas, les auteurs de violences en milieu scolaire manquent de repères dans leur rapport à la norme. Rétablir ce rapport, c'est replacer les élèves dans un cadre normatif et, finalement, dans un repère social.

Il s'agit donc de leur faire prendre conscience de la gravité de leurs actes par le biais de la prévention, mais également, selon les cas, par le biais de la sanction.

À ce titre, les chefs d'établissement et les éducateurs que j'avais été amené à rencontrer m'avaient tous affirmé que la clé de la lutte contre la violence scolaire réside dans la célérité de l'action.

Le fait est que, dans la plupart des cas, l'attitude des élèves consiste à tester la capacité de réponse de l'adulte, symbole de l'autorité. Chaque fois qu'un incident, si petit soit-il, n'est pas sanctionné, c'est une bataille perdue dans la lutte contre la violence.

Je crois que le rapport à la loi, à la sanction, au sein de l'école est exactement le même qu'à l'extérieur, à la seule différence qu'au sein d'un établissement scolaire un mineur est soumis à un règlement intérieur, alors qu'à l'extérieur il est protégé par ce qui est aujourd'hui, dans certains cas, une aberration, à savoir, évidemment, l'excuse de minorité, forme d'impunité que beaucoup ont parfaitement intégrée et avec laquelle ils jouent. (M. Jacques Mahéas fait des signes de dénégation.)

En effet, il n'est pas rare, dans mon département comme, malheureusement, dans d'autres, de constater que non seulement certains mineurs ne fuient pas à l'approche des forces de l'ordre, mais encore les provoquent ou, pire, les affrontent, puisqu'ils savent que leur âge les rend de fait pratiquement intouchables.

M. Christian Demuynck. J'ai donc été particulièrement sensible au fait que vous ayez déclaré : « Une infraction, une réponse » lorsque, nouvellement nommée ministre, vous vous êtes rendue au tribunal de grande instance de Bobigny. Vous avez indiqué dans le même temps que 70 % des mineurs sanctionnés ne récidivent pas.

La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, loi à la préparation de laquelle vous avez très largement contribué, a déjà constitué une avancée notable. Je pense notamment au durcissement de certains points de l'ordonnance de 1945 sur l'enfance délinquante comme la procédure de présentation immédiate ou le placement sous contrôle judiciaire des mineurs délinquants dans des centres éducatifs fermés.

Néanmoins, vous me permettrez, au simple regard des chiffres de la délinquance des mineurs en Seine-Saint-Denis, de souligner que le texte que nous allons discuter est plus que nécessaire : il est indispensable.

Quand on voit que tous les indicateurs de la délinquance des mineurs sont à la hausse ; quand on voit que, dans mon département de la Seine-Saint-Denis, 70 % des vols avec violence sont commis par des mineurs, alors que ce taux n'était « que » de 52 % en 2004 ; quand on fait le constat inquiétant qu'au-delà de la part des mineurs dans les agressions, celles-ci ont augmenté de 15,95 % en 2006 pour atteindre le chiffre vertigineux de 13 199 faits rapportés, faits souvent d'une violence rare, alors on est en droit de considérer que ces jeunes délinquants n'ont pas à être excusés par le simple fait de leur minorité.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il ne s'agit pas de les excuser !

M. Christian Demuynck. On est également en droit de se demander si les récidives constatées - parfois par dizaines - ne sont pas justement liées au fait que ces jeunes n'ont rien à craindre de la loi.

Lorsque, en 2005, année des émeutes, seuls 132 mineurs ont été écroués sur les 1 651 qui ont été déférés, soit à peine 8 %, on ne doit pas s'étonner du fait que les magistrats de Bobigny sont surnommés les « pères Noël ».

M. Jacques Mahéas. Ce que vous dites est insultant pour les juges !

M. Alain Gournac. Vos propos aussi !

M. Christian Demuynck. À leur décharge, et comme s'en défendait d'ailleurs le parquet à l'époque de la polémique suscitée par la missive du préfet Cordet, dans laquelle il mettait en cause ces magistrats, beaucoup de délinquants étaient mineurs et ne pouvaient donc être incarcérés. (M. Jacques Mahéas proteste vivement.)

Mon cher collègue, c'est la réalité ! Allez au tribunal de grande instance de Bobigny et vous verrez comment sont qualifiés les juges !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous nous faites honte !

M. Christian Cambon. Et ceux qui incendient des crèches ?

M. Christian Demuynck. C'est donc pour cette raison, et forts de ce constat, que nous devons revoir l'approche de la délinquance des mineurs, mais surtout de leur récidive. Car la majorité de nos concitoyens ne supportent plus cette situation. Ils n'acceptent plus de voir toujours les mêmes délinquants mettre en coupe réglée un quartier, semer la terreur ou se livrer à des trafics.

M. Jacques Peyrat. Bien sûr !

M. Alain Gournac. Absolument !

M. Christian Demuynck. Vous avez raison, madame le garde des sceaux, de nous présenter ce projet de loi. Un jeune, parce qu'il est dans une période de construction dans sa vie sociale, doit apprendre les limites : la faute est déjà un mal en soi, mais le fait de la renouveler doit être considéré comme une circonstance aggravante et ne peut donc rester impuni.

M. Christian Cambon. Très bien !

M. Christian Demuynck. Il ne s'agit pas non plus, comme le dénonce le Syndicat de la magistrature, dont on connaît la légendaire impartialité politique, de jeter en prison tous ces jeunes et de créer, au moyen de ce texte, une machine à incarcération. Toutefois, à choisir, je préfère personnellement une machine à incarcération qu'une machine à laxisme !

En vérité, la prison doit toujours, et particulièrement dans le cas des mineurs, rester le dernier recours, c'est-à-dire qu'il convient plutôt de favoriser, lorsque cela est possible, les solutions telles que les mesures d'éloignement, les classes passerelles ou les centres éducatifs fermés, l'idée étant que le jeune ait conscience que cela constitue une sanction. Surtout, il importe qu'on puisse, dans le cadre de ces structures, permettre à ces jeunes de s'insérer à leur sortie dans la vie sociale et professionnelle, ce qui, bien entendu, exige que l'on y mette les moyens, comme vous le souhaitez, madame le garde des sceaux.

Pourtant, il est des cas où la gravité des actes est telle que la prison est la seule solution. Il faut que chaque jeune délinquant, avec ce projet de loi, sache que, s'il faute, il sera dans tous les cas sanctionné et que, s'il récidive, il sera dans tous les cas condamné plus durement. Enfin, il faut qu'il sache que ce n'est pas parce qu'il est mineur qu'il échappera, selon la gravité de ses actes, à l'incarcération.

La motivation première de ce texte est bien plus préventive, je dirai même dissuasive, que strictement répressive.

Il n'est donc pas question, comme le dénonce la secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, de faire exploser les 188 prisons françaises, qui sont, il est vrai, surpeuplées.

À ce titre, la mise en place d'une loi pénitentiaire, comme vous l'avez indiqué, ainsi que la création, dès cet été, d'un contrôleur général des prisons et des autres lieux privatifs de liberté, annoncée par le Premier ministre, devraient contribuer à lever les dernières réticences que suscite votre texte.

Parce que ce projet de loi tend à régler durablement le problème de la récidive en général et, surtout - enfin -, celle des mineurs, je le soutiendrai sans réserve. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Discussion générale

M. Jacques Mahéas. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas.

M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, j'ai été particulièrement choqué par l'intervention de M. Demuynck...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et nous par la vôtre !

M. Jacques Mahéas. ... traitant les magistrats de la Seine-Saint-Denis de « pères Noël ». Je demande que notre collègue retire cette insulte à la magistrature.

M. Alain Gournac. Il n'y a pas d'insulte !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est une mise en cause personnelle, monsieur le président, ce n'est pas un rappel au règlement !

M. le président. Acte vous est donné de votre déclaration, monsieur Mahéas.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jacques Peyrat.

Rappel au règlement
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Exception d'irrecevabilité (début)

M. Jacques Peyrat. Comme l'écrit Paul aux Corinthiens, « l'esprit vivifie, la lettre tue ».

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, je suis de ceux qui pensent que le Président de la République a eu raison de pointer du doigt dans son programme le ressenti d'insécurité de notre nation et, plus précisément, entre autres mesures qui viendront sans doute ultérieurement, de se préoccuper de la récidive. Et, pourquoi pas, viendra aussi le moment de s'intéresser à la réitération.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah oui ! Et à toutes les délinquances !

M. Jacques Peyrat. Dans votre intervention liminaire, madame le garde des sceaux, vous avez indiqué que la toile de fond de votre projet était la volonté de « vivre en bonne intelligence les uns avec les autres ». Tel est bien l'objectif qui est le nôtre dans cette assemblée, que nous nous situions à gauche ou à droite.

M. Jacques Mahéas. Parlez pour la droite !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui à l'aggravation des peines pour la délinquance financière !

M. Jacques Peyrat. Mais, où nous divergeons, c'est sur le prix à payer pour y parvenir.

Je retiens à cet égard, madame le garde des sceaux, le quatrième point de votre propos introductif : l'affirmation d'une justice ferme. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.)

Je vois dans votre texte non pas, comme d'autres l'ont avancé ici même, la volonté de punir selon des normes prescrites par le Gouvernement, mais plutôt celle de punir selon des normes nouvelles approuvées par le Parlement, reflet des mêmes aspirations populaires que celles qui ont porté à la présidence de la République notre Président actuel.

M. Jacques Peyrat. Bien sûr, les précédents gouvernements, et donc les précédents gardes des sceaux, soutenus par la représentation nationale majoritaire du moment, ont essayé différentes mesures pour le traitement de la récidive. Force est de constater qu'ils n'ont pas réussi.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce serait difficile : les mesures ne sont pas encore appliquées !

M. Jacques Peyrat. Au-delà des chiffres, et des contestations qu'ils suscitent, la récidive augmente et vos prédécesseurs - y compris ceux qui étaient issus de la gauche, d'ailleurs - se sont fourvoyés, victimes du sort dont on a prédit tout à l'heure qu'il serait celui de votre propre réforme, madame le garde des sceaux.

Dans la ville que j'administre, au demeurant une petite ville,... (Rires.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ne soyez pas si modeste !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elle n'est pas si petite que cela ! Il y a beaucoup de voyous !

M. Jacques Peyrat. Mes chers collègues, il suffit d'aller en Chine et de rencontrer des maires chargés de gérer des collectivités de plusieurs dizaines de millions d'habitants pour se sentir vraiment un peu petit !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais ici, nous sommes en France !

M. Jacques Peyrat. Dans la petite ville que j'administre, donc, et je crois qu'il en est ainsi dans la plupart des autres villes de France, plusieurs réalités se télescopent. C'est la multiplicité des actes d'incivisme, des actes de vandalisme, de violence, d'agression, actes souvent irrémédiables dans leurs conséquences. C'est le désarroi de notre population, qui ne se sent plus protégée et qui ne semble plus avoir confiance en ce que nous sommes. Ce sont les policiers eux-mêmes, qui se découragent, de même que les gendarmes ou les gardiens de prison. C'est le coût des procédures, des politiques de la ville, des travailleurs sociaux et des éducateurs, qui s'accroît en proportion inverse des résultats objectifs obtenus.

M. Jacques Mahéas. Qu'a fait le gouvernement précédent ?

M. Jacques Peyrat. Insupportable pour les victimes est l'impunité dont semblent jouir les malfrats de toute nature, parmi lesquels ceux que l'on qualifiait naguère de « délinquants d'habitude », contre lesquels avait été inventée en 1970 la tutelle pénale comme substitut de la relégation.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La drogue, les mafias, tout cela, c'est insupportable !

M. Alain Gournac. Il faut penser aux victimes !

M. Jacques Peyrat. Vous l'avez compris, madame le garde des sceaux, je m'attache plus à l'esprit de votre texte et de sa présentation qu'à la lettre, sur laquelle d'autres ont déjà commencé de débattre.

M. Jacques Peyrat. Entre la crise de l'autorité que connaît notre société et une certaine forme de fatalisme quant à la délinquance quotidienne, ce n'est assurément pas un luxe que de réserver la perspective d'une sanction ferme à tous ceux qui, mineurs ou majeurs, croient, hélas ! pouvoir poursuivre sur la voie des exactions délictuelles ou criminelles.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas la même chose, déjà !

M. Jacques Peyrat. Vous avez affirmé, madame le garde des sceaux, que ce n'était pas l'affaire des spécialistes, fût-ce d'un avocat pénaliste de métier, que de contribuer à l'élaboration de la loi. Certes, mais je pense, après trente-cinq ans d'exercice professionnel, que le voleur, le violeur, l'assassin, quelles que soient les motivations de leur délit ou de leur crime et la façon de l'accomplir, ont en commun un mépris total de la victime sur laquelle ils s'abattent.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et de la peine plancher !

M. Jacques Peyrat. C'est d'ailleurs de cela que se souvient le plus souvent la victime - quand elle a survécu -, hormis la cruauté de la perte, l'importance des dégâts ou la gravité de l'exaction.

C'est pour cette raison, plus que pour d'autres, que la coercition ferme se justifie.

Cela m'amène à vous dire tout le respect que j'ai pour des magistrats auxquels on demande souvent, dans la solitude de l'exercice de leurs responsabilités, d'être, outre les juristes que l'on sait, tout à la fois des psychologues, des sociologues, des moralistes, des diagnosticiens et même des éducateurs sociaux.

Souffrez enfin, assurée que vous êtes de mon soutien total, que je vous alerte sur les dangers qu'il y a pour notre société à ne pas entreprendre vite la construction de nouvelles prisons, et là, M. Badinter avait raison. Nous avons atteint des sommets inacceptables, mais vous n'en êtes pas responsable, madame le garde des sceaux. Nos maisons d'arrêt et nos centres de détention sont des incubateurs de délinquants professionnels, notamment du fait de la surpopulation carcérale.

Je me souviens, en 1986 ou en 1987, voilà une vingtaine d'années, donc, d'une séance de nuit à l'Assemblée nationale où nous étions déjà nombreux à attirer l'attention du Gouvernement sur la dégradation funeste de notre univers carcéral.

M. Albin Chalandon,...

M. Jacques Peyrat. ... l'un de vos prédécesseurs, avait alors avancé des propositions originales qui, hélas ! n'ont pas été suivies. L'eussent-elles été, et le problème était derrière nous, alors que nous le vivons encore et qu'il est devant nous, gravissime, menaçant, polluant. Car il s'agit d'une composante majeure de l'augmentation de la délinquance, qui subsistera tant que ce problème ne sera pas résolu ou, à tout le moins, en voie de résolution.

Mais, madame, je vous ai dit toutes ces choses parce que vous êtes magistrate, parce que vous êtes ministre, parce que vous êtes garde des sceaux, et parce que vous avez toute ma confiance ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai assez rapidement, parce que j'aurai l'occasion cet après-midi, dans le cadre de la discussion des articles, de répondre très précisément, point par point, à chacune des questions qui ont été soulevées.

Il ne s'agit pas d'être dogmatique, et je me réjouis, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'un même objectif nous rassemble, quelles que soient les travées sur lesquels vous siégez : la lutte contre la récidive.

Tout à l'heure, M. Carle soulignait que les mineurs de 1945 ne ressemblaient pas aux mineurs de 2007...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Rien n'est pareil aujourd'hui par rapport à 1945 ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Jacques Peyrat. Je suis d'accord pour qu'on m'interrompe, mais pas le ministre !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je dis simplement, madame le sénateur, que les réalités ne sont plus les mêmes, que les environnements ne sont plus les mêmes, que la délinquance n'est plus la même. Je vous donnerai des exemples concrets cet après-midi, et je vous répondrai point par point, dans le détail.

Quand vous visitez, comme cela m'est arrivé, des centres éducatifs fermés, des établissements pour mineurs ou des quartiers pour mineurs, vous êtes confrontés à des mineurs qui n'ont même pas seize ans, disons entre treize et quinze ans, et qui sont déjà des multirécidivistes, qui sont déjà ancrés dans la délinquance. Car, vous le savez très bien, madame le sénateur, dans ce type d'établissements, on trouve les mineurs auteurs d'infractions graves, des délits, certes, mais aussi, pour la grande majorité, des crimes.

Un de ces mineurs, âgé de quinze ans, m'a interpellée : « Madame le ministre, est-ce que c'est vrai que, à la rentrée, on sera jugés comme des majeurs » ? Voilà quelle était sa seule préoccupation : savoir s'il risquait plus s'il commettait de nouveau un délit ou un crime !

Que pouvais-je lui répondre, sinon la vérité, c'est-à-dire ce qu'il encourra ? Car, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons une responsabilité, et une responsabilité politique : dire la vérité aux mineurs, la vérité sur la gravité de leurs actes et sur la gravité des peines qu'ils risquent, cette vérité qui leur a été cachée pendant trop longtemps ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Quant à ceux que l'institution judiciaire qualifie de primo-délinquants, madame Borvo Cohen-Seat - et, encore une fois, je pourrais vous citer aussi bien des cas concrets que des statistiques -, nous savons qu'en réalité ils n'en sont jamais à leurs premières infractions, mais que les premiers actes commis n'ont tout simplement pas été sanctionnés.

Il n'y a pas en France de politique pénale destinée aux mineurs, vous ne l'ignorez pas. Aussi ai-je adressé aux parquets une circulaire d'action publique claire fondée sur le principe : une infraction, une réponse. (Très bien ! sur les mêmes travées.)

Monsieur Badinter, ce projet de loi n'induit pas d'effet mécanique, vous le savez très bien : la sanction n'est pas obligatoirement synonyme d'incarcération. Cependant, s'agissant d'individus ancrés dans la délinquance, en particulier de mineurs, la sanction implique nécessairement une prise en charge.

Il s'agit de signifier à un mineur que, maintenant, la délinquance, c'est terminé. Parce qu'il nous revient aussi de protéger les victimes. Nous en sommes en effet à excuser des comportements alors que nous devrions bien plutôt nous préoccuper des traumatismes que les actes commis entraînent aussi bien pour les victimes que pour la société en général. Nos concitoyens ont besoin de tranquillité, ils ont besoin de sûreté.

De quoi traite ce projet de loi ? De formes de délinquance extrêmement graves. Et non, madame Boumediene-Thiery, nous ne nous intéressons pas aux vols de bonbons !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Jacques Mahéas. Ce n'est pas le débat !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Parlons de la réalité : il s'agit de viols en réunion, il s'agit d'incendies volontaires commis sur des personnes, il s'agit de vols à main armée, il s'agit de braquages, il s'agit de toute la délinquance sexuelle, qui a fortement augmenté chez les mineurs !

Comment pouvons-nous accepter que l'on puisse ainsi s'installer dans la multirécidive ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On ne l'accepte pas, c'est sûr !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Si nous n'abandonnons pas cet angélisme qui nous pousse à tout excuser, à refuser l'incarcération ou toute forme de contrainte, bref, si nous nous contentons de ne rien faire, ne nous étonnons pas, demain, d'une recrudescence des actes de torture et de barbarie, car telle sera la réalité !

Ceux d'entre vous qui sont en Seine-Saint-Denis sont très bien placés pour savoir ce qui se passe dans ce type de départements.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Arrêtez de stigmatiser la Seine-Saint-Denis !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je ne stigmatise pas la Seine-Saint-Denis, madame Borvo Cohen-Seat ; je connais très bien ce département et je connais très bien ses juridictions, aussi. (M. Pierre Fauchon applaudit.)

Il a été dit que la prison pouvait susciter la récidive. C'est vrai des sorties sèches, je vous rejoins sur ce point. Vous le voyez, loin de toute idéologie, je serai extrêmement pragmatique et attentive à la réalité de tous les jours, celle du terrain.

Nous ne pouvons plus tolérer que non seulement nos concitoyens soient en danger, mais les mineurs eux-mêmes, qui finissent par ne plus se rendre compte de la gravité des actes commis. À les écouter, le vol à main armée qu'ils ont perpétré n'est pas un crime parce qu'ils n'ont tué personne, les coups de couteau qu'ils ont donnés ne sont pas un crime parce qu'il n'y a pas eu de mort. Bref, si nous adoptons leur point de vue, il ne s'agit que de bêtises.

Non, mesdames, messieurs les sénateurs, encore une fois, il faut leur dire la vérité, celle qu'on leur a refusée jusqu'ici.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Car, à force de ne pas dire les choses, de ne pas dire que la loi pénale doit aussi avoir un effet dissuasif, on arrive à ce résultat que la délinquance augmente, ainsi que la récidive, et que des mineurs de plus en plus jeunes sont impliqués.

Je pourrai vous communiquer les statistiques, comme je l'ai fait pour M. Mahéas, mais sachez d'ores et déjà que, pour la tranche d'âge des treize à seize ans, on constate une forte augmentation de la délinquance avec violences. Il faut donc en finir avec une vision angélique, une vision idéologique de la délinquance des mineurs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

S'agissant de la loi pénitentiaire, je présenterai le 11 juillet au conseil des ministres un texte portant création d'un contrôleur des lieux privatifs de liberté indépendant, ce qui nous était demandé de toutes parts. C'est une réelle avancée, aussi bien pour nos prisons que pour les centres de rétention, puisque la mission de contrôle s'étendra à tous les lieux dans lesquels des personnes sont privées de leur liberté.

Ce texte, qui constituera donc le premier acte de ce gouvernement en faveur des droits les plus élémentaires et les plus fondamentaux des personnes détenues ou retenues, sera en principe débattu au Parlement à l'automne. Mais, dès le 11 juillet, les travaux commenceront.

Car, s'il on doit être ferme et incarcérer le cas échéant, il faut le faire dans la dignité. Or les prisons françaises ne respectent pas les standards européens et sont dans un état pitoyable.

M. Jacques Peyrat. Bien sûr !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Ce projet de loi traitera des droits élémentaires et fondamentaux des détenus et des conditions de travail du personnel pénitentiaire, auquel je souhaite à cette occasion rendre un grand hommage. D'ailleurs, les organisations professionnelles, lorsque je les rencontre, loin de ne m'entretenir que des personnels et des catégories qu'elles représentent, me parlent bien plutôt, il faut que vous le sachiez, des conditions de vie des détenus. Ces salariés sont très dévoués au service, non seulement des détenus, mais aussi de la réinsertion.

La loi pénitentiaire comportera de grands principes, mais on envisagera aussi le travail et l'éducation en centre pénitentiaire. Il faut savoir que, dans les quartiers pour mineurs, les seize à dix-huit ans ne sont soumis à aucune obligation d'activité. Est-il normal que des jeunes détenus dorment toute la journée dans leur cellule ? Non !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Voilà qui, pour le coup, favorise la récidive.

Vous le savez, nous avons développé les centres éducatifs fermés, les foyers de placement, les alternatives à l'incarcération, et encore récemment, dans le cadre de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, nous avons pris une mesure en faveur de l'activité de jour des mineurs. Nous allons, de même, favoriser la formation professionnelle et l'éducation en prison.

Je m'engage plus généralement à consacrer tous les moyens nécessaires aux aménagements de peine et au développement des alternatives à l'incarcération, qu'il s'agisse du travail d'intérêt général - cela va dans le sens de ce que vous préconisiez, monsieur Mahéas - mais aussi de toutes les mesures de semi-liberté comme le bracelet électronique.

De cette réforme nous débattrons ensemble, et sans aucun a priori. J'espère que vous nous soutiendrez, mesdames, messieurs les sénateurs.

Pour revenir au présent projet de loi, on me dit qu'il est inutile et dangereux : s'il est inutile, il ne peut pas être dangereux.

M. Robert Badinter. Au mieux, inutile !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Quant au danger, je vous le demande, qu'est-ce qui est le plus dangereux ? fournir des outils à des magistrats pour qu'ils répriment cette délinquance...

M. Jean-Pierre Sueur. Ils les ont déjà !

M. Alain Gournac. Pas pour les mineurs !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. ... ou accepter que la situation perdure sans rien faire ?

Vous me dites que les magistrats disposeraient déjà des moyens nécessaires. C'est feindre d'oublier qu'il n'existe pas de régime pénal adapté à la récidive.

M. Alain Gournac. Exactement !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. C'est ce dont nous voulons doter nos juridictions grâce à ce texte.

Pour l'heure, nous ne disposons pas d'une jurisprudence cohérente sur la récidive qui nous permettrait de lutter efficacement contre ce phénomène.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Sueur. Qu'ont donc fait MM. Perben et Clément !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Plus généralement, je me réjouis que nous ayons comme objectif commun de lutter contre la récidive. Cet après-midi, je vous décrirai concrètement en quoi ce texte est un apport, une réelle innovation en ce sens.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pourquoi ne l'avez-vous pas dit avant !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je ne caricature pas vos propos, madame le sénateur, alors, ne caricaturez pas les miens.

Mais, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je n'anticipe pas davantage sur les débats que nous aurons cet après-midi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Exception d'irrecevabilité

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Exception d'irrecevabilité (interruption de la discussion)

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat,  Mathon-Poinat,  Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 11, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs (n° 333 rectifié, 2006-2007) (urgence déclarée).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, auteur de la motion.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, c'est désormais un rituel institutionnalisé : la session extraordinaire vient à peine de commencer et nous voici réunis pour une nouvelle réforme du code pénal et de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.

Le projet de loi qui nous est présenté par le Gouvernement affiche l'objectif de « renforcer la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs », thème ultra-médiatisé par Nicolas Sarkozy depuis cinq ans.

Le Président de la République avait promis pendant la campagne électorale qu'il instaurerait des peines automatiques pour les récidivistes et supprimerait la bien mal nommée « excuse de minorité » pour les mineurs de seize à dix-huit ans. Et s'il fallait modifier la Constitution pour cela, eh bien, ce serait fait.

Au final, le projet de loi défendu par la Chancellerie n'est pas tout à fait conforme au souhait présidentiel. S'il instaure bien des peines planchers, celles-ci ne sont pas à proprement parler automatiques. Et si le principe de l'atténuation de responsabilité pénale est bien remis en cause, la majorité pénale reste fort heureusement fixée à dix-huit ans.

La Constitution n'aura donc pas besoin d'être modifiée, car le Gouvernement a pris de multiples précautions rédactionnelles afin de ne pas encourir la censure du Conseil Constitutionnel, inévitable si les peines dont il s'agit avaient été automatiques.

Malgré ces précautions, je considère que ce projet de loi porte atteinte à plusieurs de nos principes fondamentaux et constitutionnels.

Il procède à une inversion de notre logique judiciaire, voire de notre philosophie pénale, dans le seul but de rassurer l'opinion et sacrifie la spécificité de la justice des mineurs sur l'autel de la surenchère médiatique.

Le Gouvernement a fait tout d'abord le choix de renverser le fondement de notre logique judiciaire.

Aujourd'hui, le principe est que les magistrats doivent motiver leurs décisions, notamment celles qui prévoient des peines privatives de liberté. Conformément à l'article 66 de la Constitution, l'autorité judiciaire, « gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. » Or dans ce projet de loi, ce principe est bafoué parce qu'il est inversé : ainsi le juge motive non plus la privation de liberté mais le maintien en liberté et l'on peut s'inquiéter d'un État qui considère la perte de liberté comme un élément mineur.

Certes, le juge pourra prononcer, dans des conditions limitativement énumérées, une peine inférieure à la peine minimale encourue ou une peine autre que l'emprisonnement en matière délictuelle par une décision spécialement motivée. Mais la liberté d'appréciation du juge est strictement encadrée et bien mince.

Et se pose le problème du respect du principe de l'individualisation des peines.

En cas de première récidive, le juge peut déroger à une peine minimale si les circonstances de l'infraction, la personnalité de son auteur ou ses garanties d'insertion ou de réinsertion le justifient. En cas de nouvelle récidive, pour les crimes et les délits les plus graves, le juge ne pourra y déroger que si le prévenu présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion. Et, si dérogation il y a, obligation est de toute façon faite au juge de prononcer une peine d'emprisonnement.

Le principe de l'individualisation des peines devient ici l'exception, face à la quasi-automaticité de la sanction.

Les garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion n'existent pas dans le code de procédure pénale, même au stade de l'application des peines. Par ailleurs, comment envisager qu'un multirécidiviste puisse présenter de telles garanties au moment de son jugement pour un crime ou un délit grave ? Celles-ci ne peuvent donc pas raisonnablement s'apprécier au moment de la condamnation.

Cette condition pour pouvoir déroger à une peine minimale est un leurre pour le juge ; dans les faits, elle sera inopérante.

Le Conseil constitutionnel a pourtant reconnu une valeur constitutionnelle au principe de l'individualisation des peines dans sa décision du 22 juillet 2005, ce principe découlant de l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Ce qui est dangereux dans ce reniement de l'individualisation des peines, c'est que l'on prend pour acquis qu'il n'existe aucune circonstance particulière dans la réalisation d'un acte délictueux ou criminel, qu'il est déconnecté de tout et qu'il est vain ou inutile d'analyser la personnalité de son auteur.

Les amendements de la commission des lois, qui traduisent toutefois le trouble ressenti, visent à prévoir que le juge prend en compte les circonstances et la personnalité de l'auteur. Cela laisse apparaître le malaise face au renoncement à l'individualisation de la peine et à l'étude objective des faits.

D'ailleurs, sur ce point, la recommandation 92/17 du Conseil de l'Europe précise que les condamnations antérieures ne devraient jamais être considérées comme un facteur aggravant et que la peine devrait être proportionnelle à la gravité de l'infraction en cours de jugement. Je partage totalement ce point de vue, puisque, pour ma part, je remets en cause à la fois la récidive et la réitération.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est vaste !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Il me semble que, si la peine a un sens, nous ne devrions jamais rejuger quelqu'un sur un acte qui pourrait être identique. La peine ne veut rien dire si l'on prend en compte sans cesse les actes antérieurs.

Cela est encore plus vrai s'agissant des mineurs : par rapport à la réalité du développement de la délinquance des mineurs, l'individualisation de la peine est plus que nécessaire, car il faut prendre en compte l'évolution personnelle d'un adolescent encore en construction afin d'aboutir à des solutions efficaces pour lui, et non pour l'opinion.

Appliquer le régime des peines planchers aux mineurs revient à s'engager dans l'exclusion des jeunes les plus difficiles. Ce que propose le Gouvernement avec l'instauration de ces peines planchers revient à ne juger que les faits, et simplement les faits, en niant la personnalité de l'accusé. Même si les peines ne sont pas totalement automatiques, le système proposé se rapproche étrangement de l'automaticité.

Et force est de constater que le projet de loi rompt avec notre tradition. Cette rupture apparaît d'autant plus flagrante en ce qui concerne la justice des mineurs.

Sous prétexte que l'ordonnance de 1945 serait désuète, alors qu'elle a été modifiée une vingtaine de fois, et que les mineurs seraient délinquants plus tôt et feraient preuve d'une plus grande violence, les réformes qui se multiplient et se superposent tendent, les unes après les autres, à faire disparaître la spécificité de la justice des mineurs.

Le caractère spécifique du droit pénal des mineurs ne date pourtant pas de l'ordonnance de 1945. Le Conseil constitutionnel, lorsqu'il a reconnu la valeur constitutionnelle de ce principe dans sa décision du 29 août 2002, a par ailleurs précisé que « l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ; que ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante... »

Nous apparaissons aujourd'hui en totale contradiction avec ces principes.

Tout d'abord, le Gouvernement remet en cause le principe de l'atténuation de responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge.

Un mineur de seize ans pourrait, si ce projet de loi était adopté en l'état, être jugé comme un majeur en cas de deuxième récidive.

Alors que, jusqu'à présent, le juge devait motiver sa décision quand il écartait le principe de l'atténuation de responsabilité pénale, il devra désormais motiver l'application de ce principe et devra donc justifier la soumission d'un mineur à un droit qui lui est pourtant spécifiquement applicable. Le principe est ici renversé : de règle qu'elle était, l'atténuation de responsabilité pénale devient l'exception.

Cette disposition sous-entend qu'un enfant de seize ans n'est plus réellement considéré comme un mineur sur le plan pénal. Pourtant, l'âge de la majorité civile en France est fixé à dix-huit ans, avec tout ce que cela suppose sur le plan juridique, à savoir, entre autres, que les mineurs ne jouissent pas de leurs droits civils et politiques et n'ont pas la capacité de contracter. Nous avons même voté, voilà quelque temps, un texte imposant aux jeunes filles d'avoir dix-huit pour se marier.

Les mineurs seraient donc incapables civilement jusqu'à dix-huit ans, mais pourraient être jugés comme des majeurs dès seize ans, à moins que le juge n'en décide autrement.

Cette disposition du projet de loi ne semble respecter ni nos exigences constitutionnelles ni la convention internationale sur les droits de l'enfant qui, dans son article 1er, prévoit que, au sens de ladite convention, « un enfant s'entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt, en vertu de la législation qui lui est applicable ».

L'âge de la majorité étant fixé à dix-huit ans, le droit pénal des mineurs doit pouvoir s'appliquer de façon générale jusqu'à cet anniversaire et, partant, le principe constitutionnel de l'atténuation de responsabilité pénale rester opérant.

Partout, ou presque, en Europe, l'âge de la majorité pénale est de dix-huit ans. Plusieurs pays permettent même d'étendre le régime des mineurs aux jeunes adultes, jusqu'à vingt et un ans.

La Convention internationale des droits de l'enfant précise, quant à elle, dans son article 40, que « tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d'infraction à la loi pénale [a] droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, qui renforce son respect pour les droits de l'homme et les libertés fondamentales d'autrui, et qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci ».

Cela n'empêche pas l'existence d'exceptions. En effet, avant même la loi du 5 mars dernier relative à la prévention de la délinquance et modifiant l'article 20-2 de l'ordonnance du 2 février 1945, le juge pouvait écarter l'atténuation de responsabilité pénale. Cette modification et plus encore celle qu'envisage le présent projet de loi sont donc totalement inutiles. Surtout, elles sont dangereuses du point de vue des principes fondamentaux régissant le droit pénal des mineurs.

Dominique Versini elle-même s'en est émue, puisqu'elle a demandé, dans un communiqué du 27 juin dernier, que soient maintenues « les dispositions actuelles qui permettent au juge de décider au cas par cas d'écarter l'excuse atténuante de minorité en fonction de la gravité des faits ».

La remise en cause prévue par le présent projet de loi de l'atténuation de responsabilité pénale est donc plus que discutable d'un point de vue constitutionnel.

Ce n'est d'ailleurs pas la seule disposition à revêtir un caractère anticonstitutionnel.

Ainsi, l'article 3 du projet de loi prévoit que les peines automatiques seront de plein droit applicables aux mineurs. Ce n'est pas la première fois, hélas ! que le Gouvernement et sa majorité décident d'appliquer les mêmes dispositions aux majeurs et aux mineurs.

En effet, la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales est applicable aux mineurs. La procédure de jugement à délai rapproché, en tous points semblable à la comparution immédiate, est un autre exemple de ce rapprochement insidieux, mais réel, de la justice des mineurs vers la justice des majeurs.

En effaçant un peu plus la spécificité de la justice des mineurs, l'application de plein droit des peines minimales aux mineurs me semble aller à l'encontre de la décision du Conseil constitutionnel du 29 août 2002.

Les procédures appropriées aux mineurs constituent désormais des ersatz de procédure pénale applicable aux majeurs. Surtout, l'application des peines minimales aux mineurs, parce qu'elle favorisera l'incarcération de ces derniers, ne semble pas correspondre à la nécessité du devoir éducatif et moral envers des enfants délinquants.

Comme ma collègue Nicole Borvo l'a souligné dans son intervention lors de la discussion générale, ce texte aboutira nécessairement à l'augmentation du nombre de mineurs incarcérés.

La priorité est donc clairement donnée à l'enfermement. L'objectif visé n'est plus - et depuis longtemps, hélas ! - de rechercher les solutions à la délinquance des mineurs par des mesures éducatives et préventives. Le projet de construction de sept établissements pénitentiaires pour mineurs correspondant à la création de quatre cent vingt places de prison en fournit une parfaite illustration. La réponse de Mme la ministre aux interventions dans la discussion générale le confirme également.

Le seul problème est que cette orientation, comme la décision qui est prise aujourd'hui par le Gouvernement de renforcer l'arsenal répressif à l'encontre des mineurs, me semble contraire non seulement à la Constitution - et je vous renvoie à la décision du Conseil constitutionnel précitée -, mais également à la Convention internationale des droits de l'enfant. Cette dernière prévoit, en effet, dans son article 37, que la détention ou l'emprisonnement d'un enfant ne peut être « qu'une mesure de dernier ressort et être d'une durée aussi brève que possible ». La France s'éloigne de plus en plus de cet engagement.

La preuve en est que le Comité des droits de l'enfant a déjà eu l'occasion à plusieurs reprises de critiquer notre pays sur cette question de l'emprisonnement des mineurs.

Dans son communiqué du 4 juin 2004, « Le Comité réitère ses préoccupations en ce qui concerne la législation et la pratique dans le domaine de la justice juvénile, ainsi qu'en ce qui concerne la tendance à favoriser les mesures répressives sur les mesures éducatives. ».

Mais tout se passe comme si la France n'était pas signataire de la Convention internationale des droits de l'enfant. Le respect des engagements internationaux n'est pas une priorité pour ce pays, pas plus d'ailleurs que le respect des principes constitutionnels et fondamentaux qui forment la base démocratique de notre société.

Qu'il s'agisse des majeurs ou des mineurs, le Gouvernement agit comme si le travail des professionnels de terrain et les recommandations des magistrats n'existaient pas. Pourtant, tous disent et répètent que les peines minimales n'auront aucun effet dissuasif sur les majeurs, et encore moins sur les mineurs, et que l'incarcération crée plus de récidive qu'elle n'en prévient. Il suffit de regarder les chiffres en la matière ! Mais il est vrai que chacun peut les analyser comme il l'entend, et que les choix idéologiques pèsent bien plus lourd dans la balance que la réalité des faits et la préservation des droits de nos concitoyens.

Si vous estimez qu'il doit en être autrement, je vous invite, mes chers collègues, à voter notre motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Madame Mathon-Poinat, si les précautions oratoires que vous avez prises en défendant votre motion sont appréciables - « il semble », « il paraît », « cela est discutable » -, nous attendions cependant de votre part une analyse juridique plus détaillée en vue d'établir l'inconstitutionnalité de ce projet de loi.

Vous avez évoqué deux thèmes, la personnalisation des peines et l'atténuation des peines pour les mineurs.

Voilà des éléments qui ont retenu toute l'attention de la commission. Lors de nos auditions, nous avons cherché à nous assurer que ce texte respectait bien les principes constitutionnels ; avec la majorité de la commission, j'en ai acquis la conviction absolue.

En premier lieu, le principe de personnalisation des peines est un principe à valeur constitutionnelle. Il conduit sans aucun doute à l'interdiction des peines automatiques. Convenez, ma chère collègue, que le présent texte ne s'inscrit pas dans un système de peines automatiques,...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est pourtant ce qui est affiché !

M. François Zocchetto, rapporteur. ... sinon nous n'aurions pas manqué de nous y opposer !

En outre, ce principe d'individualisation des peines ne revêt pas une valeur absolue. Il doit se concilier avec d'autres principes constitutionnels, tels que le droit à la sécurité et à un environnement tranquille pour tous les citoyens vivant en France.

Enfin, comme vous l'avez d'ailleurs souligné vous-même, le projet de loi permet au juge de conserver toute sa liberté d'appréciation en la matière.

Par conséquent, de ce point de vue, la Constitution est respectée.

En second lieu, s'agissant de la justice des mineurs, le texte ne contient aucune remise en cause des grands principes de l'ordonnance de 1945. En effet, la majorité pénale demeure fixée à dix-huit ans. Le principe de l'atténuation de la responsabilité pénale reste entier, même s'il est sous le contrôle du juge - mais, dans ce pays, les juges ont des moyens d'exercer des responsabilités. Enfin, le droit des mineurs à des juridictions spécialisées est maintenu.

Par conséquent, il n'y a pas lieu pour nous d'être inquiets sur ce point.

Telles sont les raisons pour lesquelles j'émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur cette motion.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur le président, partageant pleinement l'avis exprimé par M. le rapporteur, je ne peux émettre qu'un avis défavorable sur cette motion.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ça, c'est une explication !

M. Jean-Claude Carle. Elle est efficace !

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 11, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quinze heures trente, sous la présidence de M. Guy Fischer.)

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Exception d'irrecevabilité (début)
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Discussion générale

3

Dépôt de rapports

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Roger Beauvois, président du conseil d'administration du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, en application de l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001, le rapport annuel d'activité de cet organisme.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des affaires sociales et sera disponible au bureau de la distribution.

M. le président du Sénat a reçu de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, le rapport annuel pour 2006 de la Commission bancaire.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.

M. le président du Sénat a reçu de M. Paul Champsaur, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, en application de l'article L. 135 du code des postes et des communications électroniques, le rapport d'activité pour 2006 de cet organisme.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des affaires culturelles ainsi qu'à la commission des affaires économiques et sera disponible au bureau de la distribution.

4

Communication d'avis d'une assemblée territoriale

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de l'Assemblée de la Polynésie française par lettre en date du 19 juin 2007, les rapports et avis de l'Assemblée de la Polynésie française sur :

- le projet de loi autorisant la ratification de l'acte portant révision de la convention sur la délivrance des brevets européens, signé à Munich le 29 novembre 2000 ;

- le projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, adoptée le 16 mai 2005 à Varsovie ;

- le projet de loi autorisant la ratification de la convention relative à l'adhésion des nouveaux États membres de l'Union européenne à la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouvert à la signature à Rome le 19 juin 1980, ainsi qu'aux premier et deuxième protocoles concernant son interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes, signée à Luxembourg le 14 avril 2005.

Acte est donné de ces communications.

5

Déclaration de l'urgence de projets de loi

M. le président. Par lettres en date du 5 juillet 2007, M. le Premier ministre a fait connaître à M. le président du Sénat que, en application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement déclare l'urgence :

- du projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (n° 363, 2006-2007)

- et du projet de loi relatif aux libertés des universités (n° 367, 2006-2007).

6

Exception d'irrecevabilité (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Question préalable

Récidive des majeurs et des mineurs

Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

Nous en sommes parvenus à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale
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Rappel au règlement

M. le président. Je suis saisi, par MM. Mermaz et  Badinter, Mme M. André, MM. Collombat,  Dreyfus-Schmidt,  C. Gautier,  Mahéas,  Peyronnet,  Sueur et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 50, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

  En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des mineurs et des majeurs (n° 333 rectifié, 2006-2007) (urgence déclarée).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Louis Mermaz, auteur de la motion.

M. Louis Mermaz. Madame le garde des sceaux, je rappellerai brièvement la situation dont vous héritez, j'essaierai de démontrer les dangers, pour la société et pour l'institution judiciaire, du projet de loi que vous défendez et j'y opposerai un certain nombre de propositions, qui supposeraient évidemment que la motion tendant à opposer la question préalable fût votée.

Je commencerai donc par un premier constat : depuis cinq ans, la délinquance des mineurs mais aussi la délinquance dans son ensemble n'ont cessé d'augmenter, et ce sont les violences envers les personnes, c'est-à-dire les actes les plus graves, qui ont fait un bond spectaculaire.

C'est la conséquence éclatante de l'absence de politique d'ensemble visant à s'attaquer aux causes réelles et profondes de ce mal et à le soigner dans toute son ampleur.

Nous connaissons en France des zones où la vie des habitants est désormais insupportable, des zones qui sont devenues des secteurs de non-droit et où la présence permanente de la puissance publique s'est en grande partie évanouie. Les institutions locales, les acteurs sociaux, les enseignants se sentent de plus en plus abandonnés. Oui, il convient ici de rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui n'ont pas déserté ces territoires et s'obstinent à accomplir des missions de service public dans des conditions de plus en plus rudes !

Depuis 2002, ceux qui nous gouvernent ont, à mon sens, tout fait à l'envers : ils ont mis fin dans les villes et dans l'enseignement aux emplois-jeunes qui contribuaient efficacement à l'encadrement des enfants et des adolescents. Ils ont détruit la police de proximité par idéologie et, faute d'avoir compris son utilité, ont substitué à la surveillance, à la prévention, à la coercition, quand c'est nécessaire, des opérations coup-de-poing déclenchées sans discernement et causant de véritables ravages.

Les syndicats de police se sont d'ailleurs élevés à de nombreuses reprises contre une utilisation à contre-emploi des forces de sécurité, car les précédents gouvernements, par des contrôles au faciès à répétition et des actions intempestives, ont réussi depuis cinq ans à développer un sentiment d'exaspération dans la jeunesse et la population de nombreux quartiers. On a ainsi pratiqué des amalgames scandaleux à l'ombre desquels la délinquance n'a cessé de proliférer.

Plus la situation empirait, plus le pouvoir aurait voulu faire croire à l'opinion qu'il était indispensable. Il a demandé au Parlement depuis 2002 le vote de sept lois prétendument destinées à enrayer la montée de la délinquance. Pourquoi ce nouveau texte, alors que la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance attend toujours ses décrets d'application - mais faut-il vraiment se plaindre du ralentissement de la mise en oeuvre de cette panoplie inefficace et dangereuse ? -, alors que la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales - déjà ! - attend toujours son étude d'impact, s'il doit jamais y en avoir une ?

Depuis 2002, les gouvernements ont également fait procéder à quatre révisions de l'ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs. Ils ont à chaque fois durci la répression, considérant avec cynisme qu'une partie de l'opinion accorderait plus de prix à une volonté de répression qu'à la prévention ou aux actions d'insertion ou de réinsertion.

Aujourd'hui, les dégâts sont considérables. Mais à peine le nouveau gouvernement est-il en place qu'il tend à persévérer dans une voie sans issue !

En examinant le présent projet de loi, nous allons voir maintenant comment, loin de tenir compte des enseignements du passé et de l'aggravation de la situation, vous entendez poursuivre la politique qui a totalement échoué, vous défaussant sur l'institution judiciaire, parent pauvre de notre République, prenant le risque évident de voir, par vos carences et par des contresens à répétition, les choses aller de mal en pis.

Ainsi, la surpopulation carcérale atteint en France des seuils jamais égalés depuis 1945. Le nombre de détenus au 1er mai 2007 dépassait 61 000 personnes. Le taux moyen d'occupation dans les maisons d'arrêt est en moyenne de 150 % avec parfois des pointes à 200 %. L'état des prisons est d'ailleurs unanimement dénoncé. L'immense majorité des détenus sont des pauvres, des hommes et des femmes en situation de précarité et d'exclusion.

M. Pierre Tournier, chercheur au CNRS, considère dans une étude récente que l'une des principales conséquences de l'établissement de peines planchers aboutirait à 10 000 détenus supplémentaires. Au bout d'un an d'application de cette loi, la population carcérale dépasserait 70 000 prisonniers. Souhaitons qu'il n'en soit pas ainsi !

Aujourd'hui, pour bénéficier d'une mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur ou de placement sous surveillance électronique, le reliquat de peine qui reste à purger pour les détenus ne doit pas être supérieur à un an. Dès lors, la plupart des peines planchers prononcées ne pourront pas être aménagées rapidement. De plus, notons aussi que la libération conditionnelle, s'agissant des condamnations prononcées en récidive, ne pourra intervenir qu'aux deux tiers de la peine et non à mi-peine.

On va donc assister de par ce projet de loi à un accroissement de l'emprisonnement des mineurs. (Mme le ministre s'entretient avec un collaborateur.)

Monsieur le président, je souhaiterais faire un rappel au règlement.

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Question préalable

M. le président. Peut-être souhaitez-vous que l'on prête plus d'attention à vos propos...

M. Jacques Mahéas. Les socialistes, quant à eux, sont attentifs !

M. Louis Mermaz. J'aimerais que l'on ne distraie pas inutilement Mme le garde des sceaux, même si elle connaît bien le sujet ! Plutôt que d'avoir une discussion fantomatique au cours de laquelle Mme le garde des sceaux et ses collaborateurs n'écoutent pas et sont simplement là pour parler entre eux, mieux vaut ne pas nous réunir ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Luc Miraux. C'est petit...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est déjà ce qui s'est passé ce matin !

M. Louis Mermaz. On nous parle beaucoup des droits du Parlement, mais je constate que le Gouvernement ne les respecte pas toujours. Sous les gouvernements de MM. de Villepin et Raffarin, de tels faits ne se produisaient pas !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oh !

M. Louis Mermaz. Même si les ministres ne sont pas d'accord, ils doivent écouter !

M. le président. Je vous donne acte de votre déclaration.

M. Louis Mermaz. J'en reviens à mon intervention. On va donc assister de par ce projet de loi, disais-je, à un accroissement de l'emprisonnement des mineurs. Leur taux d'incarcération est d'ailleurs en constante augmentation. Or, on connaît les effets criminogènes de la prison, les taux de récidive étant toujours plus élevés après la prison qu'après une peine alternative à l'incarcération. Les sursis avec mise à l'épreuve ou l'accomplissement d'une peine en milieu ouvert constituent au contraire une prévention efficace de la récidive.

M. Jacques Mahéas. Très bien !

M. Louis Mermaz. Or, votre projet de loi privilégie les peines d'emprisonnement, les peines alternatives devenant l'exception.

Certains États des États-Unis, pays pourtant répressif en diable, qui jugent les mineurs comme des majeurs, constatent que le taux de récidive progresse en proportion de l'augmentation du taux d'incarcération.

Ne faudrait-il pas, aujourd'hui, faire un vrai diagnostic de la situation, établir une réelle concertation pour s'attaquer aux causes du mal plutôt que de recourir de plus en plus souvent à l'emprisonnement, puisque cette politique du tout-répressif a précisément échoué ?

Si la répression est souvent nécessaire dans certaines circonstances - nous sommes tous d'accord sur ce point -, il y a, en amont, l'impérieuse nécessité de la prévention et, en aval, l'exigence de l'insertion et de la réinsertion, aussi difficiles et coûteuses soient-elles.

Il faut comprendre pour traiter le mal. La délinquance doit être considérée dans son contexte. Il faut la traiter, non pour éliminer ou se venger, mais pour guérir.

M. Jacques Mahéas. Très bien !

M. Louis Mermaz. Avec le présent projet de loi, vous recherchez bien sûr un effet d'affichage. Mais des risques de dérive existent aussi.

Il y a un effet d'affichage, puisque l'ancien ministre de l'intérieur a cru devoir viser le prétendu laxisme des magistrats, notamment celui des juges pour enfants.

Mais les risques de dérive sont évidents. Personne ne conteste le droit pour la société de punir sévèrement des crimes et des délits graves. Si les crimes et les délits d'une exceptionnelle gravité doivent être sévèrement sanctionnés, il faut toutefois se garder des généralisations abusives, en jetant la suspicion sur la liberté d'appréciation des magistrats, voire en soumettant ces derniers au chantage d'une partie de l'opinion publique, aux pressions éventuelles de leur hiérarchie ou encore en leur imposant des conditions d'exercice encore plus difficiles dans l'accomplissement de leur mission, lorsqu'il s'agit pour eux de rédiger leurs jugements, avec le manque de moyens et de temps que l'on sait.

Oui, on retrouve ici la question lancinante du manque de moyens dont vous ne portez pas la responsabilité, madame le garde des sceaux, puisque vous arrivez au Gouvernement, mais dont vous devrez tenir compte tant que vous n'aurez pas réussi à redresser la situation, ce qui suppose que vous vous en donniez les moyens.

Considérons aujourd'hui le manque de personnel et parfois de matériel dans les greffes, la lenteur inacceptable, là aussi faute de moyens, dans la mise en oeuvre des mesures éducatives, qui sont pourtant décidées par le juge dès la première présentation, en attendant qu'intervienne le jugement au fond. Ce n'est pas la justice des mineurs qui n'est pas au rendez-vous : ce sont les gouvernements qui se sont succédé depuis 2002 !

M. Charles Gautier. Très bien !

M. Louis Mermaz. Le dispositif combiné des peines planchers avec l'abaissement de l'âge auquel intervient l'excuse de minorité risque à coup sûr d'enfermer le juge dans un carcan, de le transformer en distributeur automatique de peines. Il pourra toujours, direz-vous, motiver un jugement plus clément, en prenant en compte la personnalité, le parcours du jeune lors d'une première récidive, les conditions exceptionnelles de réinsertion lors d'une seconde. Mais, du reste, que signifie cette notion vague et insaisissable de « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion » ? Encore une fois, aura-t-il le temps d'apporter à son jugement les motivations exigées, par exemple, lors des comparutions immédiates rendues plus fréquentes depuis la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance ?

Pour ce qui est des peines planchers, les gouvernements précédents et les deux gardes des sceaux qui vous ont précédée s'y sont toujours opposés.

Le 10 novembre 2006, le Premier ministre Dominique de Villepin affirmait, quant à lui, ceci : « Faut-il aller jusqu'aux peines planchers ? Je ne le crois pas. Pour qu'une peine soit efficace, il faut qu'elle soit personnalisée. »

Un parlementaire de l'UMP, M. Jean-Luc Warsmann, déclarait déjà devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, le 8 décembre 2004 : « les peines planchers sont une inspiration du droit anglo-saxon. Les instaurer reviendrait à bouleverser la philosophie du droit français, remettrait en cause l'individualisation des peines. Et ça, nous ne le souhaitons à aucun prix. »

Le code pénal en vigueur au 1er mars 1994 avait supprimé la notion même de « minimum de la peine », préférant, dans un esprit de protection des libertés, fixer plutôt un maximum.

Enfin, est-il juste d'abaisser l'âge de l'excuse de minorité quand tant de jeunes enfants ou adolescents, faute de discernement, sont soumis à la contrainte et à la manipulation par leurs aînés dans divers trafics ?

Tous les actes européens et internationaux auxquels la France a adhéré entraînent des règles qui revêtent une force juridique supérieure à notre droit interne et s'imposent donc au législateur. Il en résulte que l'enfermement des mineurs doit être l'exception, alors que vous allez accentuer par votre texte, madame le garde des sceaux, la tendance qui se dégage depuis 2002 à donner la préférence à l'emprisonnement sur toute autre mesure. À cet égard, l'ensemble des magistrats et des associations du monde judiciaire manifestent vigoureusement leur inquiétude.

Vous tendez à ignorer qu'un jeune, même âgé de seize ans à dix-huit ans, n'est pas un adulte. Il est en construction. Telle est la philosophie de l'ordonnance de 1945 prise après une longue période de barbarie. Cette ordonnance affirme à juste titre que la France a besoin de tous ses enfants. Dès lors, pourquoi abaisser en fait l'âge de la majorité pénale, même si cette mesure est hypocritement quelque peu masquée, alors que les jeunes accèdent de plus en plus tard à une véritable autonomie ?

Le comité des ministres du Conseil de l'Europe a adopté en 2003 une recommandation qui prévoit même des dispositions de procédure adaptées aux jeunes majeurs, afin de tenir compte de cette période de transition qui précède l'âge adulte.

Ainsi, avec cette loi, la France agirait à contre-courant d'une évolution humaniste et intelligente, même si, aujourd'hui, certains pays européens, nous emboîtant le pas, cèdent à la tentation du « tout-répressif ».

Pourtant, plutôt que d'empiler les textes répressifs, il conviendrait de donner au préalable à la justice et à la société les moyens nécessaires pour prévenir le mal, et pour réduire ce dernier quand il est déjà là.

Nous attendons impatiemment de connaître le budget de la justice pour 2008 et les moyens qui seront alloués à la police dans les quartiers, à la protection judiciaire de la jeunesse ainsi qu'aux éducateurs, aux services médicaux dans les prisons, à l'éducation nationale, menacée au demeurant par des milliers de suppressions d'emplois. Nous attendons également de connaître les moyens qui seront donnés aux greffes, aux magistrats, aux fonctionnaires des tribunaux et à l'administration pénitentiaire.

Nous souhaitons enfin que, lors de la révision de la carte judiciaire, vous gardiez le souci de ne pas éloigner la justice du justiciable et que vous fassiez en sorte que rien ne soit entrepris dans ce domaine sans une concertation sérieuse.

Madame le garde des sceaux, mes chers collègues, prenons conscience de tout ce qui reste à faire pour que la situation dans les prisons soit décente, qu'elle ne soit plus l'objet des critiques des institutions européennes. N'oublions pas non plus l'état de la société, le creusement des inégalités de toutes sortes, que la politique du nouveau gouvernement - du bouclier fiscal à la TVA sociale - ne fera qu'aggraver.

Le vote par le Sénat de la question préalable nous permettrait d'opposer à ce projet de loi des propositions d'une autre nature et d'une autre portée. Il nous faut d'abord connaître les moyens qui seront alloués aux budgets des ministères de l'intérieur et de la justice. Il faut non pas réduire arbitrairement le nombre d'enseignants, mais consacrer plus de moyens aux établissements scolaires des quartiers en difficulté. Il faut revenir aux emplois jeunes dans ces quartiers, rétablir la police de proximité, doter la protection judiciaire de la jeunesse de moyens qui soient à hauteur des besoins, revoir de fond en comble notre politique pénitentiaire et, là aussi, prévoir les budgets nécessaires.

Nous aurions, en effet, préféré vous voir venir devant nous, madame le garde des sceaux, pour défendre d'abord un projet de loi pénitentiaire et proposer la création d'un contrôleur des prisons. Mais vous nous avez annoncé que vous le feriez dès l'automne prochain ; nous attendrons donc.

Toutes ces décisions politiques auraient permis un traitement efficace de la délinquance, mais le présent projet de loi lui tourne le dos.

Vous avez certes habillé votre intervention de formules pleines de bonté, me rappelant la présentation faite dans cet hémicycle, en 1827, sous la Restauration, par l'un de vos prédécesseurs, le garde des sceaux Peyronnet, d'une loi dite « de justice et d'amour », qui visait en fait à détruire la liberté de la presse. J'espère que votre projet de loi ne tend pas à détruire l'indépendance judiciaire, madame le garde des sceaux !

Pour toutes ces raisons, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir voter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Alain Gournac. Eh bien non ! Il y a eu des élections, quand même !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Rappel au règlement
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Demande de renvoi à la commission

M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur Mermaz, après vous avoir écouté attentivement, je suis encore plus convaincu de la nécessité pour le Parlement de débattre du thème de la récidive.

M. Alain Gournac. Très bien ! Il a donné tous les arguments !

M. François Zocchetto, rapporteur. J'en conviens avec vous, ce n'est pas la première fois que nous en débattrons, mais la discussion est loin d'être close puisque, comme vous l'avez souligné, le problème perdure et n'est pas prêt d'être réglé.

Votre discours très argumenté alors que la discussion générale est terminée prouve bien qu'il y a matière à discuter.

Mme Isabelle Debré et M. Alain Gournac. Très bien !

M. François Zocchetto, rapporteur. Nous serions tous ici très frustrés que, après avoir écouté tous vos arguments, nous arrêtions là le débat.

M. François Zocchetto, rapporteur. Par conséquent, au nom de la commission des lois, j'émets un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Je partage tout à fait l'argumentation que vient de développer M. le rapporteur. Monsieur Mermaz, il est nécessaire d'ouvrir le débat.

C'est pourquoi le Gouvernement est également défavorable à la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 50, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

Demande de renvoi à la commission

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Article additionnel avant l'article 1er

M. le président. Je suis saisi, par MM. Collombat et  Badinter, Mme M. André, MM. Dreyfus-Schmidt,  C. Gautier,  Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet,  Sueur et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 51, tendant au renvoi à la commission.

Cette motion est ainsi rédigée :

  En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs (n° 333 rectifié, 2006-2007) (urgence déclarée).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n'est admise.

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la motion.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, vouloir honorer une promesse électorale suffit-il à justifier cette contribution à l'inflation législative et à l'alignement de la justice des mineurs sur celle des majeurs, à justifier le risque d'envoyer toujours plus d'hommes et de femmes en prison ? Telle est la question qui nous est ici posée avec ce projet de loi.

La réponse sera « oui » s'il s'agit non pas d'un ixième ravaudage du code pénal en cinq ans, mais d'un texte cohérent et complet, laissant raisonnablement espérer qu'il résistera au prochain fait divers sanglant.

La réponse sera encore « oui » si ce texte a de bonnes chances d'être efficace et si ses effets secondaires ne le rendent pas plus délétère que le mal qu'il est censé combattre.

C'est pour répondre à cet ensemble de questions complexes qu'un renvoi à la commission est nécessaire.

Ce texte est-il cohérent et complet ? Aborde-t-il la délinquance et la récidive dans leur complexité, suffisamment en tout cas pour que l'on n'y revienne pas avant la prochaine élection présidentielle ?

Les conditions de son élaboration en font douter fortement.

En effet, quatre articles visent d'abord à créer les peines planchers et à supprimer, dans certaines conditions, l'atténuation des peines pour les mineurs. Puis, après passage express en conseil des ministres, six articles qui n'ont rien à voir rendent obligatoire le suivi médical et judiciaire pour les personnes condamnées pour infractions sexuelles graves.

Comment toutes ces dispositions s'articulent-elles avec les lois précédentes, notamment avec la loi Perben II ? Qui peut le dire ?

Rappelons en particulier que, pour favoriser « l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive », la loi Perben II prévoit que « l'individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire ».

De son côté, le rapporteur rappelle que « l'efficacité de l'action contre la récidive passe aussi par une meilleure exécution des décisions de justice ainsi que par un effort accru en faveur de la réinsertion ».

Nulle trace cependant de ce souci dans le présent projet de loi, d'inspiration totalement opposée.

Ce projet est « déraisonnable », indique le président de la chambre des mineurs de la cour d'appel de Paris, Philippe Chaillou, dans un article publié dans Libération. Il aboutit à ce que des délits mineurs commis en état de récidive soient plus sanctionnés que des délits graves commis une première fois, et donne quelques exemples en la matière. J'en citerai un.

« S'il s'agit d'une troisième infraction, un mineur, âgé de seize ans et quelques jours, qui, dans le RER, aura dérobé cinq euros à un autre jeune de son lycée, en le tenant et en compagnie d'un camarade, se verra obligatoirement condamné à un minimum de quatre ans d'emprisonnement et encourra un minimum de vingt ans d'emprisonnement. » Ce même mineur de seize ans, pour un viol commis en première infraction, ne sera pas soumis à une peine plancher et encourra une peine maximale de sept ans et demi d'emprisonnement. Où se trouve la cohérence ? Où se trouve la raison ?

Mais l'erreur fondamentale de ce texte, comme des textes précédents, est de traiter la récidive comme un phénomène générique auquel s'appliqueraient des solutions générales, par ailleurs simplistes.

Or, les formes ainsi probablement que les mécanismes déclencheurs de la récidive sont très divers. Quel rapport existe-t-il entre la récidive que je viens d'évoquer, la récidive massive des jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans condamnés pour vol avec violence et celle des criminels de sang dont le taux de récidive est de 5 ? ou celle des délinquants sexuels, dont le taux de récidive est de 14 % pour les délits et de l'ordre de 1 % pour les crimes ?

Quel rapport existe-t-il entre, d'une part, des délits qui sont avant tout une activité économique - vol à main armée, trafic de stupéfiants - et sont, en tant que tels, sensibles au rapport risques/avantages et, d'autre part, les violences quasiment initiatiques de bandes de jeunes ?

Parler de délinquance sexuelle en général a-t-il même un sens ? Des spécialistes comme Xavier Lameyre en doutent.

Manifestement, il s'agit donc là d'un texte de circonstance, bâclé, qui en appellera d'ailleurs d'autres. Madame le garde des sceaux, vous avez d'ailleurs d'ores et déjà annoncé que d'autres textes étaient en préparation.

Ce texte apportera-t-il une réponse efficace à la délinquance et à la récidive ?

La commission de suivi de la récidive mise en place par votre prédécesseur, madame le garde des sceaux, aurait pu le dire à la commission des lois du Sénat, ce qui aurait probablement évité à cette dernière d'accepter aujourd'hui les peines planchers qu'elle refusait hier.

Mais nous n'avons vraiment pas de chance ! En décembre 2005, puis à nouveau en mars 2007, faute de pouvoir fournir un rapport, la commission de suivi de la récidive n'a pas pu nous éclairer. Aujourd'hui, ce rapport existe, mais il est seulement connu par des fuites dans la presse. Est-ce parce que cette commission émet des doutes sur l'efficacité des peines planchers que son rapport est toujours sous votre coude, madame le garde des sceaux ?

La commission de suivi de la récidive rappelle que les peines minimales ont existé en France et qu'elles ont été abandonnées sous la pression de la pratique. Je ne reviendrai pas sur le long mouvement qui a abouti à cette décision.

En analysant les expériences étrangères, notamment anglo-saxonnes, la commission conclut ainsi : « il n'existe pas de travaux qui aient démontré l'effet attendu de diminution de la récidive. Plusieurs études enregistrent même une augmentation de la récidive, en particulier celle des mineurs ayant commis des faits de violence grave ».

Comment peut-on croire, comme vous l'avez dit tout à l'heure, qu'il s'agit simplement d'une question d'information, que les récidivistes n'étaient pas informés des risques qu'ils encouraient ? Être pragmatique, comme vous le souhaitez, ce serait tenir compte de ces études et ne pas se fonder uniquement sur les rencontres que l'on peut faire ici ou là.

Il n'existe pas de travaux qui aient démontré l'effet attendu des peines planchers sur la diminution de la récidive.

Le bon sens enseigne non plus : « Dans le doute, abstiens-toi ! », mais : « Dans le doute, ne t'abstiens pas ! »

Le « principe de précaution » qui, vous l'avez rappelé ce matin, est inscrit dans la Constitution française vaut pour l'environnement, « patrimoine commun des êtres humains ». Vous nous avez dit qu'il valait aussi pour les victimes. Mais il semble qu'il ne vaille ni pour les adolescents, que vous condamnez sans rémission, ni pour les innocents injustement condamnés, pour les victimes de milliers d'« Outreau silencieux », pour reprendre l'expression de la commission parlementaire.

Plusieurs études enregistrent même une augmentation de la récidive, en particulier de celle des mineurs ayant commis des faits de violence grave. Ces derniers sont pourtant visés en priorité par le projet de loi.

Permettez-moi d'évoquer la conclusion identique de Pierre Tournier qui, s'agissant de l'usage extensif de la prison, considère que la lourdeur des peines n'est pas un gage d'efficacité : « À une exception près, le taux de nouvelle condamnation ou les taux de nouvelle condamnation à l'emprisonnement ferme sont plus élevés après la prison qu'après le prononcé d'une peine alternative. »

On entend aussi, indique M. le rapporteur, « exercer un effet dissuasif sur les délinquants d'habitude ». Mais il cite une étude canadienne établissant que « les lois sur les peines minimales obligatoires dissuadent davantage les délinquants occasionnels que les délinquants d'habitude ». Comprenne qui pourra !

« La loi sur la récidive sera contreproductive » ; tel est le titre d'un article de Sebastian Roché recensant les études étrangères les plus sérieuses sur le sujet. Peut-on être plus clair ? Cet article démontre qu'il n'y a pas de rapport entre la sévérité des peines, quelle que soit la façon de la mesurer, et l'effet sur la délinquance et sur la récidive.

« Les études disponibles sur les effets des transferts des mineurs vers une cour pour adultes - juger les mineurs comme des majeurs - ne montrent aucun effet positif. »

C'est d'ailleurs ce que confirme l'exemple de la Grande Bretagne - Le Monde a publié un article sur ce sujet voilà deux jours -, pays dans lequel l'alourdissement des peines et la quasi-suppression de la spécificité de la justice pour mineurs n'ont eu aucun résultat.

Alourdir les peines, traiter les mineurs comme les majeurs n'entraînent aucune amélioration en matière de délinquance et de récidive, au contraire. Et toutes les conversations que vous pourrez avoir avec tels ou tels délinquants n'y changeront rien, madame le garde des sceaux !

Mais que pèsent des études objectives face aux promesses électorales ? Que pèsent nos pauvres raisons et nos rêves de civilisation lorsque l'on s'adresse à l'inconscient et à la partie la plus archaïque des électeurs ?

M. Dominique Braye. Merci pour 53% des électeurs !

M. Alain Gournac. C'est la démocratie !

M. Pierre-Yves Collombat. Vous vous adressez à tous les électeurs, pas seulement à 53% d'entre eux !

M. Dominique Braye. Mais 53% se sont exprimés pour cette politique !

M. Alain Gournac. Vive la démocratie !

M. Pierre-Yves Collombat. Vous vous adressez à tous les électeurs. Cela n'a aucun sens !

Que pèsent les dégâts collatéraux probables de ce texte inefficace ? Pourtant, ils ne manqueront pas !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Même Ségolène Royal est pour la sécurité !

M. Pierre-Yves Collombat. Outre la probabilité d'alimenter la récidive des délinquants qui posent le plus de problèmes et de briser un peu plus les innocents injustement embastillés,...

M. Christian Cointat. Et les victimes ?

M. Pierre-Yves Collombat. ...trois effets secondaires de ce texte méritent d'être soulignés.

M. Christian Cointat. Et les victimes ?

M. Pierre-Yves Collombat. Soyez efficaces, c'est tout ce que l'on vous demande !

M. Christian Cointat. Et c'est ce que nous faisons !

M. Pierre-Yves Collombat. Les études montrent que ce n'est pas le cas !

M. Dominique Braye. Les électeurs ne vous ont pas compris ! Nous, nous avons entendu les Français ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Respectez l'opposition, monsieur Braye !

M. Christian Cointat. Et vous, respectez la majorité !

M. Pierre-Yves Collombat. Ces trois effets sont l'augmentation de la population carcérale, le découragement de la magistrature et l'accroissement de la confusion entre le médical et le judiciaire.

S'agissant d'abord de la confusion entre le médical et le judiciaire, le texte élargit encore le champ de l'obligation du suivi médical et judiciaire avant même de disposer d'une seule étude prouvant son efficacité.

M. Alain Gournac. Il n'a jamais parlé des victimes !

M. Pierre-Yves Collombat. La commission de suivi de la récidive demandait que l'on puisse disposer d'une telle étude. Ma demande ne me semble donc pas excessive.

Par ailleurs, l'injonction de soins est généralisée alors que les moyens manquent pour appliquer la législation existante : 800 postes de personnels soignants en prison sont vacants, un tribunal de grande instance sur deux ne dispose pas d'un médecin coordonnateur, il est difficile de trouver des experts psychiatres, le secteur privé se désintéresse de la prise en charge des condamnés alors que le secteur public est débordé. Telle est la situation.

Dans ces conditions, rendre obligatoires des peines dont on sait qu'elles ne pourront être appliquées, faire jouer au psychiatre le rôle du juge, cela a-t-il un sens ?

On peut ensuite s'interroger sur les effets de ce texte sur l'évolution de la population carcérale. Cette dernière a littéralement explosé dans les pays qui ont appliqué la politique que vous voulez « acclimater » en France, madame le garde des sceaux. Comment penser que les mêmes causes ne produiront pas les mêmes effets en France ? D'autant que, contrairement à ce que vous avez déclaré, la loi s'appliquera aussi aux petits délinquants.

Déjà, ces cinq dernières années, la population carcérale a augmenté de 20 %. La seule chose que l'on ignore est la croissance qui résultera des dispositions du nouveau texte : y aura-t-il 2 000, 4 000, 10 000 détenus supplémentaires ? Il serait intéressant de le savoir !

Le troisième effet secondaire de ce texte sera le découragement de la magistrature. M.  Robert Badinter a beaucoup insisté sur ce point, et je n'y reviendrai donc pas.

Des magistrats qui doutent de la confiance de ceux au nom desquels ils jugent ne pourront rendre une bonne justice.

Vous avez déclaré ceci, madame le garde des sceaux : « C'est la fonction première de la loi pénale d'être dissuasive. Elle doit retrouver cette vertu. » Vous parlez d'or. Toute la question est de savoir comment y parvenir. Certainement pas en transformant les juges en distributeurs de peines de plus en plus lourdes, en dispensateurs de « renforçateurs négatifs », pour utiliser le jargon behavioriste, ou de médicaments obligatoires par soignants requis interposés.

La justice républicaine n'est pas réductible à une quelconque forme d'ingénierie sociale. Le sentiment que rien n'est définitivement joué, l'humain avec ses incertitudes, ses échecs mais aussi sa capacité à se relever, y tient un rôle central : avant et au moment du jugement, dans le processus d'accomplissement de la peine, et après.

Mardi, le Premier ministre, dans la péroraison de sa déclaration de politique générale (Sourires sur les travées du groupe socialiste.),...

M. Dominique Braye. Ce n'était pas une péroraison !

M. Pierre-Yves Collombat. ...évoquait ces grandes figures qui, pour le monde, sont le visage de la France : Voltaire, Rousseau, Clemenceau, Gambetta, de Gaulle et Victor Hugo.

M. Jean-Claude Carle. Bonnes références !

M. Pierre-Yves Collombat. Visiblement, s'il a évoqué ces noms, c'est plus pour leur sonorité que pour le message auquel ils nous renvoient !

Pour un lecteur de Victor Hugo, l'archétype du récidiviste, c'est Jean Valjean. Un Jean Valjean ramené par les gendarmes devant Mgr Bienvenu, son bienfaiteur, qu'il vient de voler. (M. Dominique Braye s'exclame.)

Loin de le dénoncer, comme l'attend l'opinion publique inquiète, il lui remet deux chandeliers en argent prétendument oubliés.

« Jean Valjean - écrit Victor Hugo - était comme un homme qui va s'évanouir.

« L'évêque s'approcha de lui, et lui dit à voix basse :

« - N'oubliez pas, n'oubliez jamais que vous m'avez promis d'employer cet argent à devenir honnête homme.

« Jean Valjean, qui n'avait aucun souvenir d'avoir rien promis, resta interdit. L'évêque avait appuyé sur ces paroles en les prononçant. Il reprit avec une sorte de solennité :

« - Jean Valjean, mon frère, vous n'appartenez plus au mal, mais au bien. C'est votre âme que je vous achète ; je la retire aux pensées noires et à l'esprit de perdition, et je la donne à Dieu. »

Le Premier ministre a raison : la France de Victor Hugo a de l'élan, elle a de l'allure, en tout cas une autre allure que la France du ressentiment que vous êtes en train de fabriquer avec lui, madame le garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Alain Gournac. Merci pour les victimes !

M. Dominique Braye. Vous n'avez pas dit un mot sur les victimes !

M. Christian Cointat. Allez tenir ce discours aux personnes âgées qui se font attaquer !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je n'ai, hélas ! trouvé aucun argument, dans la péroraison très littéraire de notre excellent collègue Pierre-Yves Collombat (Sourires.), pour justifier le renvoi du texte à la commission. Ce renvoi a d'ailleurs à peine été évoqué.

Dois-je rappeler, mon cher collègue, que le rapporteur a procédé à vingt-cinq auditions sur le texte et sur la lettre rectificative ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elles n'allaient pas dans le sens du Gouvernement !

M. Alain Gournac. Laissez parler le président de la commission des lois !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n'étiez pas présent, alors pourquoi intervenez-vous ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous avons souhaité être éclairés par les personnalités qu'il nous semblait utile d'entendre. Mais entendre ne veut pas dire suivre.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dans ces conditions, ne les entendons plus !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Sinon, le Parlement ne serait plus qu'une machine à enregistrer la volonté des lobbies, lesquels vont toujours dans le même sens.

Monsieur Collombat, vous avez cité des auteurs qui tiennent le même discours depuis maintenant trente ans. Pourtant, il faut bien que les choses changent en matière de récidive.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Sous prétexte qu'il y a des spécialistes, nous n'aurions plus qu'à nous taire. Eh bien non, car, jusqu'à présent, c'est le Parlement qui fait la loi !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Supprimez les auditions !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous avons donc procédé à vingt-cinq auditions, y compris à celle de M. Robert, président de la commission de suivi de la récidive.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vos propositions et vos objections démontrent d'ailleurs, monsieur Collombat, que vous avez parfaitement intégré les travaux de la commission.

Nous sommes donc en mesure de délibérer, et c'est pourquoi je vous invite à rejeter la motion tendant au renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je salue la péroraison de M. Collombat, mais, la société française ayant beaucoup changé depuis Victor Hugo, je suis contre la motion tendant au renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. -Exclamations sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le fauteuil de Victor Hugo était voisin de celui que j'occupe aujourd'hui !

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 51, tendant au renvoi à la commission.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

chapitre Ier

Dispositions relatives aux peines minimales et à l'atténuation des peines applicables aux mineurs

Demande de renvoi à la commission
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Article 1er

Article additionnel avant l'article 1er

M. le président. L'amendement n° 28, présenté par MM. Sueur et  Badinter, Mme M. André, MM. Collombat,  Dreyfus-Schmidt,  C. Gautier,  Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

  Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Le garde des sceaux présente chaque année au Parlement, un rapport sur la situation dans les établissements pénitentiaires. Il rend compte du nombre des détenus au regard des places disponibles, de l'état des locaux, des conditions d'encellulement et de la situation sanitaire des détenus. Il rend compte également des mesures prises pour que les peines remplissent leurs missions : favoriser, dans le respect de la société et des droits des victimes, l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Après les arguments développés par M. Louis Mermaz voilà un instant et par M. Robert Badinter ce matin, cet amendement se justifie par son texte même.

Nos collègues ont fort bien exprimé - vous l'avez vous-même souligné, madame le garde des sceaux - combien les conditions de détention, d'incarcération, souvent déplorables, contribuent en fait à la récidive.

Si nous voulons lutter efficacement contre la récidive, il faut en effet s'assurer que la détention se fasse dans d'autres conditions et surtout que les moyens existent afin que le séjour en détention soit l'occasion de préparer la sortie de prison. Si l'on ne se soucie pas de réinsertion sociale et professionnelle, on favorise la récidive.

Par cet amendement d'appel, nous vous proposons, madame le garde des sceaux, de présenter chaque année au Parlement un rapport sur la situation dans les établissements pénitentiaires rendant compte des évolutions quant à un certain nombre de données précises, tout particulièrement « des mesures prises pour que les peines remplissent leurs missions », à savoir « favoriser, dans le respect de la société et des droits des victimes, l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive »..

Nous aurions souhaité, comme nous vous l'avons dit en commission, que les choses soient prises dans le bon ordre : d'abord un texte sur la situation pénitentiaire, puis sur les moyens de la justice, avant d'éventuelles mesures spécifiques.

À défaut, nous espérons pour le moins que vous souscrirez à cet amendement.

M. Jacques Mahéas. Très bien !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. M. Sueur propose que le garde des sceaux présente chaque année au Parlement un rapport sur la situation dans les établissements pénitentiaires. Sur le fond, c'est une bonne idée, mais qui trouvera davantage sa place dans le cadre de la loi pénitentiaire annoncée pour l'automne par Mme le garde des sceaux.

En attendant ce prochain débat, je vous demande, mon cher collègue, de bien vouloir retirer cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je suis d'accord avec vous, monsieur le sénateur, sur la nécessité de rendre compte de l'état des prisons. Ce sera la mission du futur contrôleur indépendant, qui contrôlera les lieux privatifs de liberté et rendra compte publiquement de ses observations. Nous pourrons donc examiner cet amendement dans le cadre du futur projet de loi pénitentiaire.

Je rappelle au passage que, contrairement aux gouvernements de gauche, le dernier gouvernement a consenti un effort sans précédent en matière de création de places. Depuis 2002, la construction de 13 200 places nouvelles a ainsi été lancée.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il ne s'agit pas de cela !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Près de 420 places seront ainsi créées dans les établissements pour mineurs et 500 places dans les centres éducatifs fermés, dont nous savons qu'ils favorisent la baisse de la récidive.

Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'amendement n° 28.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je voterai cet amendement qui, selon moi, à toute sa place dans ce projet de loi. On nous demande de légiférer en urgence sur la sanction de la récidive, mesure qui aura pour première conséquence - peut-être y en aura-t-il d'autres ? - d'augmenter le nombre de personnes incarcérées.

Madame le garde des sceaux, vous nous avez annoncé une grande loi pénitentiaire. Tant de ministres de la justice ont déjà évoqué un tel texte, depuis la publication, en 2000, des premiers rapports d'enquête parlementaires sur les prisons, que nous sommes désormais prudents !

Un sénateur socialiste. Dubitatifs !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous sommes échaudés.

Ces rapports de 2000 décrivaient la situation pénitentiaire dans ses aspects les plus divers et préconisaient diverses mesures, et pas uniquement une augmentation du nombre de places en prison, laquelle correspond à la progression du nombre des personnes incarcérées.

Qu'en est-il des résultats de la hausse permanente du nombre de personnes incarcérées, des conditions de détention, de la question oubliée de la réinsertion ?

Ce qui est urgent, c'est que nous puissions disposer d'une information régulière permettant de rendre compte de la situation dans les établissements pénitentiaires. Les dernières enquêtes sur les prisons datent de 2000 : sept ans ont passé !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On s'est amélioré depuis !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous avons connu, depuis lors, plusieurs gardes des sceaux, plusieurs gouvernements, plusieurs premiers ministres, et même plusieurs présidents de la République ! Or les parlementaires ne disposent toujours pas d'un état précis des facteurs d'amélioration des conditions de vie dans les lieux de privation de liberté, pas plus que d'informations sur la réinsertion, facteur important justifiant une augmentation du nombre des incarcérations. Il est sous-entendu que le rôle de la prison est de sanctionner mais aussi de permettre, à terme, la réduction du nombre de crimes et de délits.

Il est donc important que cet amendement soit adopté afin que les parlementaires soient informés de ce travail.

M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, pour explication de vote.

M. Louis Mermaz. Je m'étonne, monsieur le rapporteur, que cet amendement puisse poser problème. En évoquant la nécessité de « favoriser, dans le respect de la société et des droits des victimes, l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive », il est pourtant au coeur du sujet. Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras !

En quoi le fait d'insérer cet article additionnel peut-il gêner la suite des opérations ? Nous attendons avec impatience le projet de loi pénitentiaire. Le texte présenté sur ce sujet par Mme Lebranchu n'avait malheureusement pas pu aboutir.

Nous attendons également la création du contrôleur général des prisons.

J'avais interpellé votre prédécesseur, M. Pascal Clément, sur l'état de la prison Saint-Paul-Saint-Joseph de Lyon. Lors d'une visite de cet établissement, nous avions croisé, avec Mme la sénatrice Christiane Demontès, des cohortes de rats. Ce n'est pas Victor Hugo, c'est le Moyen Âge ! Une horreur !

J'avais donc demandé par courrier à M. Clément de se rendre dans cette prison. Il m'avait répondu lors du débat budgétaire, à la tribune du Sénat : « C'est tellement horrible que je n'ose pas y aller ! »

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qu'il y aille un peu, pour voir !

M. Louis Mermaz. Il faut regarder les choses en face, et le vote de cet amendement serait une bonne chose.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas, pour explication de vote.

M. Jacques Mahéas. Nous souhaitons ardemment avoir des informations sur la récidive.

L'OND, l'Observatoire national de la délinquance, dont je suis membre, devrait normalement disposer de telles informations, puisque tel était le voeu de M. Sarkozy. Or quelle n'est pas ma surprise de constater qu'il n'en a aucune !

Nombre d'autres informations, assez mineures, sont transmises à cet observatoire, au sein duquel siègent seulement deux sénateurs et deux députés, aux côtés des plus hautes autorités du ministère de l'intérieur, d'un représentant du maire, etc.

Pour travailler avec impartialité - qualité qui n'a pas caractérisé son président pendant la campagne présidentielle -, cet organisme doit disposer de rapports d'information. Que ces derniers soient transmis directement ou par l'intermédiaire des parlementaires siégeant au sein de l'OND, peu importe.

Constatant cette carence d'informations, vous m'avez apporté personnellement, madame le garde des sceaux, des précisions concernant l'évolution de la récidive, et je vous en remercie.

Si tous les parlementaires pouvaient disposer de ces indications, ils pourraient prendre connaissance, s'agissant des crimes et des délits, non seulement des pourcentages mais aussi du nombre de cas. Or, si les pourcentages peuvent impressionner, le nombre de cas est infime : si l'on cite des pourcentages pour 250 à 300 cas, le chiffre des délits paraît important ; sur 500 000 délits, en revanche, c'est finalement peu de chose. En citant des chiffres tronqués, chacun peut donc avoir raison !

Par ailleurs, s'agissant des crimes, la récidive n'a concerné que deux mineurs en quatre ans.

Il est absolument nécessaire que le Parlement dispose de ces informations, comme l'avait promis le Président de la République. Votre premier geste dans cet hémicycle sera-t-il, madame le garde des sceaux, de ne pas répondre à notre attente ?

M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, pour explication de vote.

M. Dominique Braye. Chacun convient ici que les conditions pénitentiaires doivent être améliorées. L'amendement n° 28 de M. Sueur devra cependant, comme l'a dit notre éminent rapporteur, être examiné dans le cadre de la loi pénitentiaire qui sera présentée avant la fin de l'année.

Je trouve cette idée de rapport excellente et je souhaite, pour ma part, qu'il concerne aussi les décennies précédentes - à partir des années quatre-vingt -, afin que l'on sache quelle fut l'action des uns et des autres.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les commissions n'existent que depuis 2000 !

M. Dominique Braye. Je souhaite également, rendre hommage au Gouvernement qui a fait, comme l'a rappelé Mme la ministre, un effort sans précédent.

La communauté d'agglomération de Mantes-en-Yvelines, que je préside, ouvre actuellement un établissement pour mineurs au sein duquel les plus jeunes seront séparés des adultes. C'est en effet là que réside le problème.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Séparer les majeurs des mineurs est une obligation !

M. Dominique Braye. Un rapport d'information pourrait servir d'aiguillon au Gouvernement et lui permettre de rester vigilant sur ce problème urgent de la récidive.

Considérant cette idée d'un très bon oeil, je ne voterai pourtant pas cet amendement qui, pour le sérieux de nos débats, devra être examiné en même temps que le texte sur l'administration pénitentiaire.

M. Jacques Mahéas. M. Sarkozy ne va pas être content !

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Je soutiens également cet amendement.

Si une légère augmentation du nombre de places de prison a bien eu lieu, une nette progression du nombre de prisonniers - de l'ordre de 20 % - s'est également produite.

Jusqu'où veut-on aller ? Si cet effort sans précédent consiste à produire plus de prisonniers que de places de prison, faut-il s'en féliciter ? Le nombre de pensionnaires des prisons est également sans précédent !

M. Dominique Braye. Laissons les délinquants en liberté !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 28.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article additionnel avant l'article 1er
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Article 2

Article 1er

Après l'article 132-18 du code pénal, il est inséré un article 132-18-1 ainsi rédigé :

« Art. 132-18-1. - Pour les crimes commis en état de récidive légale, la peine d'emprisonnement, de réclusion ou de détention ne peut être inférieure aux seuils suivants :

« 1° Cinq ans, si le crime est puni de quinze ans de réclusion ou de détention ;

« 2° Sept ans, si le crime est puni de vingt ans de réclusion ou de détention ;

« 3° Dix ans, si le crime est puni de trente ans de réclusion ou de détention ;

« 4° Quinze ans, si le crime est puni de la réclusion ou de la détention à perpétuité.

« Toutefois, la juridiction peut prononcer une peine inférieure à ces seuils en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.

« Lorsqu'un crime est commis une nouvelle fois en état de récidive légale, la juridiction ne peut prononcer une peine inférieure à ces seuils que si l'accusé présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion. »

M. le président. La parole est à M. Charles Gautier, sur l'article.

M. Charles Gautier. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les professionnels concernés par un projet de loi sont sans doute les mieux placés pour nous éclairer sur ses conséquences futures. Or, sur ce sujet, ils sont unanimes.

Lors d'une conférence sur les peines planchers, les premiers présidents de cours d'appel ont rappelé « l'attachement des juges à l'individualisation des peines, principe confirmé par l'expérience et partagé par la plupart des pays démocratiques » et ont indiqué que « toute limitation du pouvoir d'appréciation du juge crée un risque d'inadéquation de la décision judiciaire sans pour autant garantir une meilleure efficacité de la politique pénale ».

Magistrats et avocats s'entendent pour dire que ce texte est au mieux inutile, au pire dangereux.

Inutile ? L'article 1er du projet de loi que nous examinons instaure des peines dites « planchers ». Ce durcissement des peines, présenté par le Gouvernement comme une mesure dissuasive, nous paraît tout à fait illusoire.

Une étude réalisée par le Sénat en septembre 2006 établit une comparaison entre les législations de divers pays ayant opté pour ce système. Aucun de ces huit États n'a pu démontrer l'efficacité des peines minimales. Pis, l'Australie a même conclu, après six ans d'exercice, à l'inefficacité du système et a décidé d'y renoncer.

En outre, cette étude rappelle que les peines minimales ont été abandonnées lors de la rédaction du nouveau code pénal.

L'effet dissuasif de la sanction pénale est compliqué à évaluer, mais personne n'a aujourd'hui réussi à établir un véritable parallèle entre durcissement de la peine encourue et baisse de la délinquance. C'est d'ailleurs un argument qui nous a permis, en son temps, d'obtenir l'abolition de la peine capitale.

Enfin, j'aimerais rappeler qu'en matière criminelle le taux de récidive est de 2,8 %, soit 84 personnes ! A-t-on besoin de réformer les principes fondamentaux du droit pénal pour un nombre aussi faible de délinquants concernés ?

M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !

M. Charles Gautier. De plus, cet article semble constituer la plus belle mesure d'affichage du projet de loi puisque, dans les faits, les peines prononcées par les cours d'assises françaises en cas de récidive de majeurs sont très proches de ce qu'il prévoit. Par conséquent, l'effet de ce texte en matière criminelle des majeurs sera proche de zéro.

Par ailleurs, cet article est dangereux en ce sens qu'il constitue une mesure de défiance à l'égard des magistrats, considérés comme trop laxistes, comme systématiquement du côté des délinquants et, surtout, des récidivistes. Or toutes les études montrent que, au contraire, l'évolution actuelle tend vers un alourdissement des peines prononcées.

Pour nous, cet article est donc trompeur et inutile. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l'article.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, mes chers collègues, cette affaire pose une question vraiment fondamentale, que vient d'évoquer mon collègue Charles Gautier : peut-on démontrer l'existence d'un lien entre la durée de l'emprisonnement et la récidive ou la non-récidive ?

Il se trouve que la commission des lois a auditionné longuement M. Tournier, directeur de recherches au CNRS. Ce dernier nous a présenté ses études, lesquelles montrent qu'« il n'y a pas de relation évidente entre quantum de la peine prononcée et taux de recondamnation ».

L'un de ses articles datant du 30 mai 2007 montre que « les taux de recondamnation sont plus faibles pour les libérés conditionnels que pour les sortants fin de peine : 26 % contre 29 % pour les homicides, 24 % contre 31 % pour les agressions sexuelles et 50 % contre 59 % pour les vols de nature criminelle. »

Une autre étude, dirigée par le même chercheur, réalisée avec l'université de Lille II et la direction de l'administration pénitentiaire, a pris en compte un très grand nombre de situations. Portant sur 5 234 dossiers répartis sur 32 catégories, cette étude, dont l'ampleur me paraît la plus considérable sur ce sujet, vient à conclure : « À une exception près, les taux de nouvelle condamnation ou les taux plus restrictifs de nouvelle condamnation à l'emprisonnement ferme sont plus élevés après la prison qu'après le prononcé d'une peine alternative. »

Madame la ministre, nous avons également pris connaissance des chiffres de votre ministère. Ils ne contredisent pas ceux des chercheurs du CNRS.

Cela m'amène à conclure qu'il n'y a pas de corrélation entre le nombre d'années passées en prison et la récidive ou la non-récidive. En revanche, d'une part, il y a moins de récidive quand il y a libération conditionnelle ; d'autre part, il y a moins de récidive quand il y a mesure alternative à l'emprisonnement.

Madame la ministre, je vous pose une question très précise à laquelle j'espère que vous allez me répondre : êtes-vous d'accord avec ces constats ou contestez-vous ces études scientifiques ?

Si vous êtes d'accord avec ces constats, comment pouvez-vous instaurer ces peines planchers et considérer que celles-ci feront baisser la récidive?

Mais ces études montrent aussi tout l'intérêt qu'il y aurait à travailler sur la libération conditionnelle, sur des alternatives à l'emprisonnement, sur la condition pénitentiaire pour favoriser la réinsertion sociale et professionnelle, tout l'intérêt qu'il y aurait à accompagner ceux qui sortent de prison afin d'éviter une sortie « sèche ».

Il n'y a pas, dans cet hémicycle, certains qui seraient pour ou contre la lutte contre la récidive, certains qui seraient pour ou contre le fait de prendre en considération les victimes. Tous, nous les prenons en compte, mais nous vous demandons, compte tenu des faits que nous citons, comment vous pouvez justifier les propositions que vous nous faites et comment vous pouvez assurer qu'elles sont fondées en termes d'efficacité.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l'article.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le postulat de départ est que la justice ne serait pas assez sévère à l'encontre des récidivistes. Par conséquent, des réponses « fermes et hiérarchisées » doivent leur être données.

Des peines planchers apporteraient donc la clarté manquant aujourd'hui à la politique pénale - vous l'avez dit ce matin, madame le garde des sceaux - et le projet de loi adresserait ainsi, selon les propos de M. le rapporteur, un « indicateur » à ceux qui sont tentés d'enfreindre la loi, comme à ceux qui sont chargés de veiller à son application, autrement dit délinquants et magistrats.

Par conséquent, il faut bien constater que le projet de loi entend faire de l'emprisonnement la peine de principe pour les récidivistes.

On ne peut pas prendre ces arguments à la légère parce notre conception de la justice est en cause. Je m'en tiens au constat, au fait que les récidivistes sont punis plus sévèrement que les primo délinquants - cela, tout le monde le sait - et se voient déjà condamnés à des peines d'emprisonnement, ce que nul n'ignore non plus. Il suffit de regarder les chiffres : lorsque le juge relève des cas de récidive, il prononce une peine plus sévère - d'ailleurs, nul ne le conteste -, plus sévère même que les peines planchers que l'on nous propose, en tout cas pour les crimes et délits graves. À cet égard, je vous renvoie au quantum moyen des peines d'emprisonnement prononcées.

Historiquement, dans la période contemporaine, et sans remonter jusqu'au XIXème siècle, la durée moyenne des peines ne cesse d'augmenter, ce qui pose quelques problèmes !

L'élément fondateur tant du projet de loi que de cet article, c'est le sous-entendu selon lequel les juges prononcent des peines trop légères. Non seulement c'est faux, mais en plus, au fil du temps, les peines sont de plus en plus lourdes.

En outre, s'il s'agit de faire les choses correctement, peut-on dire que ces peines de plus en plus lourdes font barrage à la récidive ? La réponse est négative bien que la matière soit sujette à caution. En tout cas, la récidive serait en augmentation croissante, ce qui est évidemment ennuyeux pour qui voudrait adhérer à votre projet.

En revanche, ce que nous savons, c'est que les aménagements de peine sont les véritables facteurs de prévention de la récidive. D'une manière générale, le taux de recondamnation paraît plus faible pour les condamnés ayant bénéficié d'une libération conditionnelle que pour ceux qui ont profité d'une sortie sèche.

Je n'ai pas inventé les arguments que je viens de citer : des magistrats, des professionnels, des travailleurs sociaux et des chercheurs les ont avancés. Notre rapporteur lui-même les a repris.

Pourtant, que constate-t-on dans la période contemporaine ? Qu'il y a de moins en moins de libérations conditionnelles et que les moyens du suivi socio-judiciaire, des peines alternatives, de l'éducation, sont en général en baisse.

Pour toutes ces raisons, il paraît normal de s'interroger sur l'efficacité éventuelle de cet article 1er.

M. le président. Sur l'article 1er, je suis saisi de onze amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Les deux premiers amendements identiques.

L'amendement n° 29 est présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat,  Dreyfus-Schmidt,  C. Gautier,  Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet,  Sueur et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 53 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat,  Mathon-Poinat,  Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

  Supprimer cet article.

La parole est à M. Robert Badinter, pour défendre l'amendement n° 29.

M. Robert Badinter. Pourquoi proposer la suppression de cet article ? Pour deux raisons.

Tout d'abord, cet article est totalement inutile. Visant la récidive criminelle, il se borne en effet à indiquer que l'on prononcera des peines dont le minimum est fixé par la loi.

Grâce aux travaux conduits par la commission des lois et aux renseignements que nous avons obtenus de la direction des affaires criminelles, il ressort d'une façon irréfutable que les cours d'assises en France prononcent des verdicts de culpabilité et, ensuite, des peines très supérieures aux peines planchers figurant dans le texte. Par conséquent, la disposition prévue ne servira à rien.

M. Dominique Braye. C'est le verdict du peuple !

M. Robert Badinter. Par ailleurs, une autre raison de supprimer cet article tient à l'« efficacité » des dispositions proposées.

Après les travaux d'une commission parlementaire présidée par M. Clément, ce dernier, devenu garde des sceaux, a élaboré un projet de loi entier consacré à la lutte contre la récidive. C'était en décembre 2005 - hier donc ! Or, depuis, les choses n'ont pas changé ! On peut donc s'étonner de ce que la même majorité - un peu réduite à l'Assemblée nationale, mais peu importe - considère les dispositions qu'elle a adoptées dix-huit mois plus tôt comme très insuffisantes. Voilà un exemple d'une rare autocritique d'une majorité ! Mais je préfère laisser cet aspect de côté !

Qu'une commission d'analyse et de suivi de la récidive ait été créée, on ne pouvait que s'en féliciter. En effet, il est bon de savoir comment les choses évoluent. Nous nous plaignons suffisamment et à juste titre de ne jamais disposer du bilan des lois que nous votons, pas plus que d'études d'impact.

Cette commission, dont les membres ont été choisis par M. Clément, a rendu le 8 juin 2007 un avis sur le projet dont nous débattons, avis dont je regrette que la commission des lois n'ait, semble-t-il, pas eu connaissance. Je tiens à en lire les premiers paragraphes tant ils sont éclairants.

« La commission observe que ce projet vise à favoriser l'emprisonnement comme réponse à la récidive simple ou multiple et qu'il aura nécessairement comme conséquence l'augmentation de la population carcérale des majeurs et des mineurs. » On ne saurait être plus clair !

« À cet égard, elle souhaite rappeler que, en France, les peines minimales ont existé et ont été abandonnées sous la pression de la pratique par étapes successives entre 1832 et 1994. »

Cette commission de spécialistes objectifs ajoute ceci : « À l'étranger, elles ont trouvé un nouvel essor aux États-Unis et au Canada à compter de 1978 avant de décliner également ces dernières années, étant observé que le taux d'incarcération aux États-Unis est aujourd'hui sept fois supérieur à celui de la France. »

Si nous suivions la voie ouverte par les Américains, nous devrions avoir dans les prisons françaises environ 420 000 détenus, prélevés sur une population mâle de vingt à quarante ans. Je laisse à penser ce que serait alors la désertification de certains quartiers...

Mais le plus important, c'est la suite de l'avis : « Depuis 1978, des études scientifiques ont été publiées dans les revues les plus réputées aux États-Unis et au Canada pour mesurer l'efficacité de ces conséquences sur la récidive et notamment celle des mineurs. Il n'existe pas de travaux qui aient démontré l'effet attendu de diminution de la récidive. Plusieurs études enregistrent même une augmentation de la récidive, en particulier celle des mineurs ayant commis des faits de violence grave.

« Le résultat de ces recherches, les pratiques des magistrats américains et le poids budgétaire des incarcérations expliquent en partie l'inversion de tendance dans le sens d'une moindre automaticité de la réponse carcérale. »

Enfin, « La commission ne dispose pas d'informations équivalentes sur l'évaluation de la pertinence de ces systèmes dans les pays européens qui ont adapté les mêmes principes. »

Quelle éclatante illustration ! On a voulu des peines planchers aux États-Unis et au Canada, où elles ont été largement pratiquées depuis onze ans, et le constat est celui d'un échec : une augmentation de la population carcérale avec la conséquence qu'elle emporte nécessairement, les prisons étant ce qu'elles sont, à savoir les foyers de la récidive et du crime : une récidive accrue, particulièrement des mineurs.

On ne saurait dire plus objectivement que l'inspiration de ce texte, à mes yeux directement emprunté aux États-Unis, va à l'inverse de tout ce que nous souhaitons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l'amendement n° 53.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J'ai donné les raisons qui motivent cet amendement de suppression en m'exprimant sur l'article et je ne voudrais pas lasser nos collègues de la majorité (Mais non ! sur les travées de l'UMP)...Mais je suis sûre qu'ils sont eux aussi sensibles au grave problème auquel, en tant que législateurs, nous sommes confrontés et sur lequel je veux tout de même m'arrêter un instant.

D'une part, l'impact éventuel du projet de loi n'est pas évident du tout : la seule chose certaine est que nous allons envoyer plus de gens en prison ! L'impact - inconnu - sur le coût est peut-être secondaire, mais l'impact positif sur la récidive n'est absolument pas prouvé. Il semble même que l'on puisse plutôt s'attendre à un impact négatif !

D'autre part, l'évaluation de la loi de 2005 est impossible.

Comme vient de le dire M.  Badinter, les travaux réalisés par la commission d'analyse et de suivi de la récidive ne sont pas pris en compte par le Gouvernement. Le législateur pouvait espérer, à l'annonce de la création de cette commission, être éclairé par les travaux de celle-ci : il n'en est rien !

Dans ces conditions, il est vraiment inopportun de légiférer en urgence en ce mois de juillet 2007 sans être en mesure d'apprécier ce qui est efficace en matière de prévention de la récidive, aspect tout de même le plus important pour la société.

Les facteurs dont on sait qu'ils jouent dans le recul de la récidive, par exemple la libération conditionnelle ou le suivi socio-judiciaire, ne sont pas pris en compte ou ne font en tout cas pas actuellement l'objet de l'attention du Gouvernement ; ce dernier déclare que l'on s'en occupera « plus tard », étant sous-entendu que, plus tard, nous aurons les moyens de le faire. Mais, dès lors, pourquoi se précipiter pour légiférer en urgence et à nouveau sur la récidive ?

M. le président. L'amendement n° 31, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat,  Dreyfus-Schmidt,  C. Gautier,  Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet,  Sueur et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

  Après le cinquième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Seules les sanctions pénales prononcées par le tribunal pour enfants ou la cour d'assises des mineurs sont prises en compte pour l'établissement de l'état de récidive des mineurs.

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Cet amendement relatif aux sanctions pénales prononcées par le tribunal pour enfants ou par la cour d'assises des mineurs vise à préciser que seules les sanctions pénales, et non pas les mesures éducatives, sont prises en compte par le projet de loi.

Cette précision va de soi, mais, en l'état actuel des choses, il est important qu'elle soit inscrite dans le texte.

M. le président. L'amendement n° 14, présenté par Mmes Boumediene-Thiery,  Blandin et  Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

  Supprimer l'avant-dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement de repli vise à supprimer un alinéa qui encadre le pouvoir d'individualisation de la peine par un juge.

Le pouvoir d'individualisation de la peine est un principe général du droit pénal qui s'impose même dans le silence de la loi. Il n'a donc pas à être détaillé ou encadré par une disposition législative. En tout état de cause, il est déjà repris par l'article 132-24 du code pénal, et les critères visés par cet article suffisent à établir les conditions d'exercice par le juge de son pouvoir d'appréciation.

Les critères détaillés qui encadrent le pouvoir d'appréciation du juge pour fixer des peines inférieures aux peines minimales prévues dans l'alinéa dont nous demandons la suppression vont au-delà des exigences de l'article 132-24 du code pénal.

Ils sont en outre contraires à l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires [...].»

M. le président. L'amendement n° 32, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat,  Dreyfus-Schmidt,  C. Gautier,  Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet,  Sueur et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

  Dans les deux derniers alinéas du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal :

après les mots :

inférieure à ces seuils

insérer (à deux reprises) les mots :

, ou pour les mineurs, une mesure éducative,

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Il s'agit d'une nécessaire précision. Je développerai cependant un peu le propos, car nous sommes en présence d'une mesure concernant les mineurs et nous touchons là à l'ordonnance de 1945.

Les articles 2 et 20 de l'ordonnance de 1945 prévoient que, en principe, le juge prononce à l'égard d'un mineur une mesure éducative, la sanction pénale devant demeurer exceptionnelle, selon le choix délibéré de la juridiction, et toujours par une décision motivée.

Ces deux articles s'inscrivent directement dans le cadre de la convention de New York relative aux droits de l'enfant, laquelle rappelle que l'enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d'une protection juridique appropriée.

Par ailleurs, dans une de ses recommandations, le comité des ministres du Conseil de l'Europe souligne que les mineurs sont des « êtres en devenir » - c'est bien là le coeur du problème dont nous sommes saisis aujourd'hui - « et que, par conséquent, toutes les mesures prises à leur égard devraient avoir un caractère éducatif ».

Le projet de loi qui nous est soumis ne modifie pas les articles que je viens de citer. J'en déduis que ses dispositions sur les peines planchers, lorsqu'elles sont appliquées aux mineurs, doivent être lues à la lumière des dispositions de l'ordonnance de 1945. Ce n'est qu'un rappel de principe, mais il est important : cette ordonnance constituant la loi spéciale applicable aux mineurs - chacun connaît l'axiome juridique sur la valeur des dispositions spéciales par rapport à celle des dispositions générales -, toutes ses dispositions spéciales doivent prévaloir sur les dispositions générales du code pénal.

On doit en déduire - et c'est la raison d'être de l'amendement - que le juge doit d'abord s'interroger sur la nécessité de prononcer une sanction pénale ; il ne doit prononcer une peine d'emprisonnement que par exception, et en motivant sa décision.

M. le président. L'amendement n° 15, présenté par Mmes Boumediene-Thiery,  Blandin et  Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Après les mots :

des circonstances de l'infraction

rédiger comme suit la fin de l'avant-dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal :

ou de la personnalité de son auteur

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Si vous le permettez, monsieur le président, je défendrai les amendements nos 13 et 15 en même temps car ils se ressemblent.

Le projet de loi précise que le juge ne peut déroger à l'obligation de prononcer les peines minimales qu'en considération « des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion » présentées par le multirécidiviste.

Ces deux amendements visent à supprimer ces critères, dont la pertinence est mise en cause par au moins cinq notions, pour préserver tant la clarté de la loi que le principe de l'individualisation de la peine.

La première notion est empruntée au code de procédure pénale. Le juge de l'application des peines apprécie les possibilités d'amendement des peines. Rien à voir avec le prononcé d'une condamnation !

Deuxième notion, la marge d'appréciation du juge serait à géométrie variable ! Quelle est en effet l'étendue de ces critères ? Que recouvrent-ils ? Est-il possible d'apprécier des garanties dans le cadre d'une condamnation alors même que les enquêtes de personnalité sont souvent bâclées par manque de temps et de moyens ?

La troisième notion est l'inutilité. Ces dispositions ne présentent en effet aucun intérêt dans la mesure où le juge est libre d'adapter la peine, en vertu du principe de l'individualisation de celle-ci, en fonction des autres critères déjà connus.

La quatrième notion est l'impossibilité à apprécier, au moment de la condamnation, que ces critères sont remplis, puisque cette appréciation suppose un suivi de l'individu, comme celui qu'exerce le juge d'application des peines. Le juge pénal qui prononce la condamnation ne peut raisonnablement pas connaître les garanties d'insertion de l'individu puisqu'il n'en assure pas le suivi !

Enfin, comme je l'ai déjà dit lors de la discussion générale, c'est la notion de justice à deux vitesses qui s'oppose à ces critères. En effet, selon que le prévenu est riche ou pauvre, instruit ou non, les garanties d'insertion et de réinsertion varieront et la peine risque donc de s'appliquer de manière différente.

Je demande par conséquent la suppression de ces « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion », d'une part, pour que le principe de l'individualisation de la peine continue à être mis en oeuvre par le juge et, d'autre part, au nom du principe de l'égalité de tous devant la justice.

M. le président. L'amendement n° 13, présenté par Mmes Boumediene-Thiery,  Blandin et  Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

  Après les mots :

la juridiction

rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal :

peut prononcer une peine inférieure à ces seuils en considération des circonstances de l'infraction ou de la personnalité de son auteur. »

Cet amendement a déjà été défendu.

L'amendement n° 30, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après les mots :

« inférieure à ces seuils »

rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal :

qu'en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties suffisantes d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Cet amendement rejoint pour l'essentiel celui qu'a déposé la commission des lois. Peut-être cette dernière souhaite-t-elle défendre tout de suite son texte ?

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après les mots :

« inférieure à ces seuils

rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal :

qu'à titre exceptionnel, en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.

La parole est à M le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur. Cet amendement fait suite à l'audition par la commission de magistrats : ces derniers ont fait part de leurs préoccupations concernant la situation des multirécidivistes dans la mesure où, pour écarter la peine minimale dans les cas de multirécidives, on ne pourrait viser, si le texte présenté par le Gouvernement était retenu, que les seules « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion ».

Certains magistrats ont appelé notre attention sur le fait que, pour certains crimes ou délits, le fait de ne retenir que les garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion pourrait entraîner un caractère étonnant voir inique des jugements prononcés.

En effet, il semble que les garanties exceptionnelles d'insertion et de réinsertion ne soient pas faciles à appréhender pour les magistrats, et la commission n'a pas réussi, au terme de ses travaux, à déterminer ce que l'on pouvait entendre par les termes « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion ».

Aussi a-t-il paru souhaitable à la commission, au moment où elle a statué, de prendre en compte deux autres composantes permettant d'écarter la peine minimale tout en motivant, bien sûr, la décision : il s'agit de tenir compte, d'une part, des circonstances de l'infraction et, d'autre part, de la personnalité de l'auteur.

La commission souhaite toutefois que soit établie une différence nette entre les cas de première récidive et les cas de multirécidives. C'est dans cette optique, pour bien marquer cette gradation, qu'elle a proposé l'utilisation en facteur commun des mots « à titre exceptionnel », tout en ayant l'impression que cette gradation était peut-être insuffisante et que le résultat obtenu ne donnerait pas forcément satisfaction aux magistrats qui nous ont interrogés sur ce sujet.

Dès lors, le problème qui se pose, madame le garde des sceaux, est le suivant : premièrement, qu'entend-on par « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion » et cette terminologie permet-elle de ménager la liberté d'appréciation des juges, même dans les cas de multirécidives ? Deuxièmement, quelle peut être l'appréciation de la Cour de cassation sur les décisions qui seraient prononcées par les juges du fond, autrement dit par les juges de cours d'appel, si l'on applique le texte dans la version telle qu'elle nous est transmise par le Gouvernement ?

Pour parler plus simplement, les juges du fond, c'est-à-dire les juges de la cour d'appel, seront-ils souverains lorsqu'ils prononceront une motivation sur les garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion ?

Je me permets de poser la question, car la jurisprudence de la Cour de cassation dont j'ai pris connaissance ces derniers jours m'incite à penser que celle-ci ne statuera pas sur ces questions et que, dès lors, les juges du fond seront souverains, auquel cas cela changerait évidemment l'appréciation que l'on peut porter sur ce texte et relativiserait considérablement l'amendement que je défends au nom de la commission.

Par conséquent, madame le garde des sceaux, je serais très intéressé, comme sans doute le Sénat tout entier, d'entendre les précisions que vous voudrez bien nous apporter sur ce sujet.

M. le président. L'amendement n° 54, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article  132-18-1 du code pénal, remplacer les mots :

« garanties exceptionnelles »

par les mots :

« gages sérieux »

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je ne défendrai pas cet amendement de repli tel qu'il est rédigé, car j'ai omis de le rectifier. Or les mots : « gages sérieux » ne me paraissent pas appropriés.

En revanche, je voudrais dire que la raison pour laquelle nous souhaitons modifier l'article 1er reste valable, étant donné que les garanties exceptionnelles ne constituent pas une notion juridique.

C'est la raison pour laquelle je me rallie à l'amendement du groupe socialiste qui, à mon avis, correspond mieux à ce que je souhaitais proposer moi-même et qui me paraît préférable à celui de la commission des lois. En effet, les termes « qu'à titre exceptionnel, en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci » semblent se suffire à eux-mêmes. Il est donc inutile de répéter « à titre exceptionnel », cela étant sous-entendu dans la philosophie même de l'article 1er.

En revanche, l'expression « garanties suffisantes » est judicieuse, la moindre des choses étant que le juge puisse apprécier de telles garanties.

Compte tenu de ces observations, je retire l'amendement n° 54.

M. le président. L'amendement n° 54 est retiré.

L'amendement n° 33, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Compléter le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal par une phrase ainsi rédigée :

Toutefois lorsque le crime est commis en état de récidive légale par un mineur, la juridiction ne peut prononcer une peine inférieure à ces seuils qu'en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Je profiterai de cette intervention pour revenir sur l'amendement n° 30 que je n'ai en définitive pas exposé.

La question qui est ici posée est importante, puisqu'elle concerne le cas du récidiviste qui réitère ou qui récidive - il ne s'agit en effet pas toujours d'un multirécidiviste. Or, dans ce cas, selon le principe de la loi, la peine plancher est applicable et il n'est prévu qu'une dérogation, à savoir « les garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion » ; je souligne que nous sommes ici en matière criminelle.

Je tiens à rappeler que le principe de l'individualisation des peines est un principe fondamental, constitutionnel : on doit juger en considération des circonstances de l'affaire, de la gravité de celle-ci, de la personnalité de celui qui est condamné et, ainsi que cela a été ajouté à juste titre, de la prise en compte des intérêts de la victime.

En l'occurrence, pour ouvrir une fenêtre sur l'automaticité de la peine plancher et assurer le respect a minima de l'exigence constitutionnelle, à savoir l'individualisation de la peine - c'est aussi une condition de bonne justice -, le principe inscrit dans la loi est la prise en compte par une décision motivée des caractères que j'ai évoqués tout à l'heure - gravité, circonstances, personnalité de l'accusé - auxquels sont ajoutées les « garanties de réinsertion ».

Or, dans le texte que j'évoque, les deux premières conditions ont disparu. Ainsi, la personnalité de l'accusé n'importe plus ; c'est absolument contraire à l'individualisation des peines, et on l'évacue donc. Quant aux circonstances, qui sont celles que le juge apprécie, on les évacue également, quelles qu'elles soient. Elles ne sont plus de nature à empêcher d'échapper à la mise en oeuvre quasi automatique de la peine plancher. Seule la garantie de réinsertion subsiste.

Dès lors, je voudrais poser une question, car j'ai rarement vu pareil escamotage dans un texte !

Comment voulez-vous que les magistrats et les jurés, au moment où ils vont prononcer une peine criminelle très lourde, puissent déterminer s'il y aura à la sortie de prison - six, sept, dix ou quinze ans plus tard - des garanties exceptionnelles d'insertion ? C'est impossible ! Aucun jury de cour d'assises n'est en mesure de le savoir.

Il est un seul cas dans lequel une telle affirmation pourra être avancée, et j'attire l'attention de la Haute Assemblée à cet égard tant je le trouve profondément injuste. Jadis, du temps de ma jeunesse, on débattait beaucoup de l'existence d'une justice de classes.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela n'a pas changé !

M. Robert Badinter. En fait, les seuls qui pourront justifier de garanties exceptionnelles de réinsertion à leur sortie - cela se voit en particulier aux États-Unis, mais cela pourrait également se produire chez nous -ce sont les fils de famille, ceux dont les parents peuvent affirmer devant la cour d'assises que, dans dix ans, ils assureront à leur fils, au moment de sa sortie de prison - on pense à certains crimes qui ont défrayé dans le temps la chronique -, les garanties d'une réinsertion grâce aux moyens dont ils disposent et parce qu'ils auront pu produire au préalable des contrats indiquant que leur fils sera, à ce moment-là, apte à entrer dans telle ou telle entreprise étrangère.

Mais croyez-vous que les autres pourront justifier de telles garanties ? Ce sera toujours, et seulement, le fils du banquier ou de la grande avocate qui pourra en bénéficier.

Par conséquent, en ne retenant que cette disposition, on crée, à l'intérieur d'une disposition pénale d'exception, un véritable clivage social en permettant à certains, en fonction de leur situation sociale ou de celle de leurs parents, de pouvoir, remplir les conditions qu'il sera impossible aux justiciables des banlieues de jamais réunir !

Voilà pourquoi il faut absolument en revenir au principe général que j'ai mentionné : les circonstances, la personnalité de l'accusé.

C'est la raison pour laquelle nous soutenons l'amendement de la commission des lois.

Comme d'autres, je me suis, moi aussi, demandé si la mention « à titre exceptionnel » ne voulait pas dire « garanties exceptionnelles ».

Nous proposons une formule que je crois plus satisfaisante, à savoir les circonstances de l'infraction, la personnalité de son auteur, des garanties suffisantes d'insertion ou de réinsertion, et nous supprimons l'expression « à titre exceptionnel ».

Quoi qu'il en soit, sur le principe et en dehors de ces mentions de texte, il ne fait aucun doute qu'on ne peut laisser figurer seulement la garantie de réinsertion tant il est vrai que cela revient à nier le principe de l'individualisation des peines et, pis encore, à effectuer une sélection entre des accusés en fonction de leur situation sociale ou de celle de leur famille.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. En fait, il y a trois séries d'amendements.

En premier lieu, viennent des amendements de suppression. À cet égard, la discussion générale a mis en évidence deux points de vue tout à fait différents.

Dans la logique que vous avez exposée les uns après les autres à la tribune, vous proposez, mes chers collègues, la suppression de chaque article. Pour ma part, j'ai défendu, au nom de la commission, un point de vue différent, et vous ne serez donc pas étonnés que j'émette un avis défavorable sur ces amendements de suppression.

La deuxième série d'amendements correspond en fait à un seul d'entre eux : je veux parler de l'amendement n° 31. Or ce dernier m'intéresse particulièrement, puisque, dans mon rapport, j'ai pris la liberté d'écrire que le premier terme de la récidive au sens légal ne pouvait être constitué par une mesure éducative. En effet, il apparaît très clairement - je crois d'ailleurs que cet avis est partagé par la quasi-totalité des membres de la commission des lois - que seule une sanction pénale peut constituer le premier élément de la récidive. Cet élément revêt toute son importance en matière de justice des mineurs.

Cet avis de la commission s'appuie sur la doctrine. D'excellents auteurs considèrent en effet que « La condamnation doit être pénale pour constituer le premier terme de la récidive. Ainsi, les condamnations à des sanctions autres que pénales telles que les mesures éducatives, les sanctions fiscales, administratives ou disciplinaires, notamment, ne peuvent donc davantage constituer le premier terme de la récidive ».

Madame le garde des sceaux, une telle profession de foi nous semble aller de soi. C'est pourquoi nous vous serions reconnaissants de bien vouloir confirmer ce point de vue en séance publique devant le Sénat. Si tel n'était pas le cas, nous préciserions alors ce point à travers l'amendement n° 31. Mais peut-être pourrions-nous faire l'économie de dispositions supplémentaires et inutiles dans le code pénal ou dans le code de procédure pénale ?

Enfin, les amendements nos 14, 32, 15, 13 et 33 visent la façon dont le juge pourra écarter la peine minimale en se référant, ou non, aux garanties d'insertion et de réinsertion, en déterminant si elles comportent un caractère exceptionnel et en invoquant éventuellement la personnalité de l'accusé.

Mes chers collègues, je le rappelle, notre discussion porte sur la matière criminelle, mais nous aurons tout à l'heure exactement le même débat s'agissant des délits. Or, le juge pourra-t-il retenir également les circonstances de l'infraction ? Pour ma part, je vous renvoie à l'amendement n° 1 que j'ai présenté au nom de la commission, et j'émets par conséquent un avis défavorable sur les amendements nos 14, 32, 15, 13 et 33.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. S'agissant des amendements de suppression nos 29 et 53, et compte tenu des explications fournies lors de la discussion générale, le Gouvernement émet un avis défavorable.

Monsieur Badinter, nous sommes ouverts à toutes les propositions formulées par les groupes de l'opposition, et je suis donc favorable à l'amendement n° 31.

M. le président. Quel est en définitive l'avis de la commission sur l'amendement n° 31 ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Puisque Mme le garde des sceaux suggère que cet amendement peut être adopté, j'émets un avis favorable, au nom de la commission.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les autres amendements en discussion commune ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. S'agissant de l'amendement n° 14, le Gouvernement émet un avis défavorable : la faculté laissée aux juridictions de prononcer une peine inférieure aux peines minimales reviendrait à créer des peines automatiques. Comme nous sommes défavorables à la création de telles peines, nous le sommes également à cet amendement.

L'amendement n° 32 est inutile, car le projet de loi ne modifie pas l'article 2 de l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante. Le dispositif proposé par cet amendement existe déjà dans le texte du projet de loi comme dans l'ordonnance, et nous sommes donc évidemment défavorables à cet amendement.

En ce qui concerne les amendements nos 15 et 13, le Gouvernement émet un avis défavorable, pour les mêmes raisons qui l'ont conduit à demander le rejet de l'amendement n° 14.

S'agissant des amendements nos 30 et 1, je rappelle que le présent projet de loi créé un régime pénal adapté à la récidive.

La première récidive est constituée par deux faits de même nature ou assimilés et qui sont qualifiés de délits ou de crimes graves, d'atteintes aux personnes ou de troubles graves à l'ordre public.

Pour la première récidive - deux faits graves -, nous instituons un régime spécifique avec des peines planchers. Le juge pourra y déroger dans une décision motivée et prononcer des sanctions inférieures aux peines minimales, en tenant compte des circonstances de l'infraction, de la personnalité de l'auteur, et des garanties d'insertion et de réinsertion qu'il présente.

Nous prévoyons également un second régime, qui concerne la deuxième récidive, c'est-à-dire trois faits de même nature ou assimilés commis dans un délai très court, car leur auteur doit se trouver en état de récidive. Dans un tel cas, il faut en outre que le troisième fait commis soit une atteinte aux personnes, comporte un élément de violence ou constitue un trouble grave à l'ordre public, tel qu'un trafic de stupéfiants.

Or si les critères permettant de déroger aux peines minimales étaient les mêmes pour les deux régimes, le traitement de la première récidive ne se distinguerait plus de celui de la deuxième, troisième, quatrième ou cinquième récidive !

Nous considérons donc que le critère de la personnalité de l'auteur est intégré de facto dans l'infraction qu'il a commise. Pour pouvoir déroger aux peines planchers, le juge devra démontrer que le récidiviste présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion. Ce sont les garanties exigées - et non la décision du magistrat - qui seront exceptionnelles.

Par exemple, un trafiquant de stupéfiants ne devra pas seulement apporter un bail ou une attestation de travail, il devra démontrer qu'il est prêt à mettre fin à la spirale de délinquance et de récidive dans laquelle il se trouve entraîné.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Et comment fera-t-il concrètement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il devra présenter des garanties exceptionnelles d'insertion et de réinsertion, madame Mathon-Poinat ! Je fais totalement confiance aux magistrats pour apprécier ce genre de situation, car ils savent le faire.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur les amendements nos 30 et 1.

De même, le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 33.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout d'abord, s'agissant de l'amendement n° 31, je précise que nous avions hésité, lors de nos débats en commission, à proposer une disposition similaire, à laquelle nous avons renoncé car elle nous semblait aller de soi. Comme Mme le garde des sceaux se déclare favorable à cet amendement, nous nous rallions naturellement à son avis, d'autant que nous avions eu la même idée au départ.

Toutefois, dès lors que nous distinguons dans le projet de loi les mesures éducatives des sanctions pénales, il faudrait pouvoir coordonner cette disposition avec les autres textes en vigueur, ce que nous ne sommes pas en mesure de faire ; il s'agit d'un problème récurrent, et lorsque nous rencontrons certains textes par la suite, nous nous demandons pourquoi ils n'ont pas été mieux coordonnés !

En ce qui concerne les amendements visant les multirécidivistes, je sais bien que certains ici ne veulent pas même entendre parler de peine minimale en cas de récidive ; mais à partir du moment où nous entrons dans le système proposé par le Gouvernement, que nous soutenons quant à nous, il nous faut être cohérents.

D'ailleurs, si le droit pénal prévoit l'individualisation des peines, il existe également un principe de légalité des peines, et vous savez, mes chers collègues, que nos ancêtres révolutionnaires (Sourires.) y étaient extrêmement attachés, au point d'en faire une obligation.

Je rappelle également que, jusqu'en 1994, et pour tous les crimes et délits, le code pénal fixait des peines minimales, qui ne constituent donc pas une monstruosité juridique !

Ces peines ne sont pas non plus, monsieur Badinter, une invention récente, comme le soutient, avec des arguments très peu fondés, la commission d'analyse et de suivi de la récidive dans l'avis que vous avez lu. Quant à l'amendement n° 31 que vous avez présenté, il est tout de même assez différent de l'amendement n° 1 défendu par la commission. En effet, vous souhaitez aligner complètement le régime de la multirécidive sur celui de la récidive, alors que nous voulons individualiser la peine encourue seulement à titre exceptionnel.

En effet, madame le garde des sceaux, nous reconnaissons qu'il s'agit tout de même de crimes, d'atteintes particulièrement graves commis contre des personnes ou de troubles à l'ordre public - les délits, nous en discuterons tout à l'heure. Par exemple, nous pouvons tenir compte des circonstances de l'infraction pour un dealer qui récidive pour la première fois, mais pas pour la deuxième ou la troisième fois !

Le législateur et même, me semble-t-il, le peuple que nous représentons ont affirmé clairement qu'ils en avaient assez de telles infractions et qu'il fallait sanctionner plus lourdement la récidive, en maintenant une hiérarchie par rapport à la multirécidive, sinon la justice ne serait plus compréhensible.

L'un de nos collègues a affirmé que de tels récidivistes étaient peu nombreux. Certes, mais il s'agit des cas les plus graves ! Il est heureux que des viols aggravés ne soient pas commis tous les jours, qu'ils ne se comptent pas par centaines ou par milliers chaque année ! Mais quand bien même il n'y en aurait que cent ou cinquante, la récidive doit être sanctionnée plus lourdement !

Il faut exiger que les magistrats qui souhaitent prononcer une peine inférieure aux planchers prescrits par la loi fournissent des éléments de plus en plus probants.

M. Jacques Mahéas. Les juges ne sont pas si sots !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n'est pas la question, monsieur Mahéas ! C'est à nous de leur donner des indications, parce que c'est nous qui faisons la loi !

Or il existe de telles différences de jurisprudence selon les juridictions en matière de récidive et de multirécidive - certes moins pour les crimes, qui sont sanctionnés par des jurys populaires, que pour les délits - qu'il y a tout de même quelque chose à tenter, me semble-t-il.

Madame le garde des sceaux, M. le rapporteur vous a interrogée sur l'amendement n° 1 de la commission. Nous avons pensé que les circonstances de l'infraction et la personnalité de l'auteur devaient pouvoir être prises en compte, mais nous avons bien précisé que ce serait seulement « à titre exceptionnel », avec une gradation dans les décisions du juge.

Madame le garde des sceaux, je répète la question de M. le rapporteur : la Cour de cassation contrôlera-t-elle les garanties d'insertion ou de réinsertion ou laissera-t-elle les juges du fond les apprécier ? Il s'agit d'un point important, car, si nous laissons au juge une liberté d'appréciation souveraine, l'amendement n° 1 de la commission ne sera plus aussi indispensable.

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La Cour de cassation ne contrôlera pas les garanties exceptionnelles d'insertion et de réinsertion. Ce rôle incombera au juge du fond. La gradation entre la récidive et la multirécidive résidera donc dans les garanties qui seront fournies par le récidiviste.

Je le répète, ce sont les garanties exigées qui doivent être exceptionnelles, et non la décision prise par le juge. Il s'agit d'ailleurs d'une jurisprudence constante.

M. le président. L'amendement n° 1 est-il maintenu ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous ne pouvons pas retirer un amendement voté par la commission, monsieur le président.

M. Jacques Mahéas. S'il y avait eu une seconde lecture, peut-être ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mes chers collègues, je suis tout à fait respectueux des décisions de la commission, mais j'ai le droit de donner mon opinion à titre personnel. Or, compte tenu des explications apportées par Mme le garde des sceaux, et sans préjuger l'avis de M. le rapporteur, il me semble que l'amendement n° 1 n'est plus indispensable, même s'il est formellement maintenu.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur. Je n'ai pas d'autres commentaires à faire. Pour ma part, en ma qualité de rapporteur, je maintiens l'amendement n° 1 élaboré par la commission. Le Sénat statuera à la lumière des explications apportées par les uns et les autres.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 29 et 53.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame le garde des sceaux, à ce stade de notre débat, je dresserai un certain nombre de constats.

Premièrement, on comprend mal pourquoi, sur un sujet qui est aussi sensible et complexe, comme la preuve vient d'en être apportée, le Gouvernement a déclaré l'urgence. Il s'agit d'une question difficile, et les moyens de la mise en oeuvre du projet de loi, comme l'injonction thérapeutique, dont nous discuterons tout à l'heure, n'existent pas dans un nombre non négligeable de cas. Pourtant, il nous faut adopter ce texte dans les huit jours, tout simplement parce que l'affichage politique doit être le plus rapide possible !

Madame le garde des sceaux, déclarer l'urgence sur un texte comme celui-ci pose à mon avis quelques difficultés. À l'évidence, la navette parlementaire serait très profitable à ce projet de loi.

Deuxièmement, je ne comprends pas pourquoi vous n'avez apporté aucune réponse, à ce stade, aux constatations qu'un certain nombre d'entre nous ont rappelées, s'agissant de l'absence de corrélation entre le quantum des peines, le nombre d'années de détention et l'existence ou non d'une récidive.

Libre à vous, madame le garde des sceaux, de contester tous les chiffres qui ont été apportés, tous les faits qui ont été établis par les chercheurs, mais il faut alors fournir des arguments ! Dans le cas contraire, nous ne comprenons pas pourquoi vous persistez à considérer que les dispositions de ce texte auront une quelconque efficacité en matière de lutte contre la récidive.

Troisièmement, la discussion qui vient d'avoir lieu sur l'amendement n° 30 est tout à fait instructive. En effet, la mise en cause de l'individualisation des peines suscite un grand débat dans ce pays et une vive inquiétude chez nombre de magistrats.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !

M. Jean-Pierre Sueur. Dans le dispositif prévu à l'article 1er, la peine plancher devient la règle. Elle est donc automatique, sauf si une considération exceptionnelle est reconnue, auquel cas il y a alors individualisation de la peine.

Or, dans notre droit, selon la Constitution, l'individualisation des peines est la règle.

Je me suis replongé dans le rapport tout à fait intéressant qu'avait rédigé M. le rapporteur au mois de février 2005. Il contenait de bonnes pages ! (Sourires.)

M. François Zocchetto, rapporteur. Merci !

M. Dominique Braye. Elles sont toutes bonnes !

M. Jean-Pierre Sueur. On y trouve cette question : « Quel intérêt y aurait-il à revenir à un système supprimé il y a plus de douze ans ? ».

M. Jean-Pierre Sueur. C'est le Zocchetto d'avant, mais il avait du bon !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le Zocchetto nouveau est arrivé ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. Ce rapport citait un certain nombre de bons auteurs qui insistaient, à juste titre, sur l'individualisation des peines.

Madame le garde des sceaux, je n'ai pas compris pourquoi vous considériez que, en cas de première récidive, il serait légitime de prendre en compte et les circonstances et la personnalité de l'auteur de l'infraction, alors que, en cas de deuxième récidive, pour une affaire de stupéfiants, par exemple, il ne faudrait prendre en compte que « les garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion », à propos desquelles notre collègue Robert Badinter a très bien montré que cela engendrerait toutes sortes de discriminations. En effet, le juge ne pourrait plus prendre en compte la personnalité de l'auteur ni les circonstances de l'infraction.

Vous mettez ainsi en oeuvre un système de décision automatique, mécanique, avec des gradations. Mais comment pouvez-vous justifier auprès des magistrats le fait qu'à un certain moment de la procédure la personnalité de l'individu n'est plus digne d'être prise en considération ? C'est un système totalement théorique,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est vous qui êtes un théoricien !

M. Jean-Pierre Sueur.... contraire aux principes de l'individualisation des peines, et ce pour des raisons d'affichage politique.

Nous regrettons que soient de ce fait altérés notre droit et, surtout, la confiance qu'accordent aux magistrats nos concitoyens et leurs élus.

M. Charles Pasqua. Et les délinquants ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas, pour explication de vote.

M. Jacques Mahéas. Madame la ministre, sans doute vous êtes-vous interrogée comme nous sur les récidivistes. Qui sont-ils et pourquoi récidivent-ils ? À ces questions, vous n'apportez qu'une seule réponse : c'est parce que les peines qu'ils encourent ne sont pas assez fortes ; il suffit donc de les alourdir pour améliorer la situation.

J'ai cru un instant que vous alliez faire d'autres propositions lorsque vous avez évoqué les centres éducatifs fermés. En Île-de-France, si mes renseignements sont exacts, un seul établissement existe actuellement ; ils seront peut-être bientôt deux. Ils se développent donc à dose homéopathique, mais ce serait une voie à suivre...

Notre approche est différente de la vôtre. Nous nous interrogeons sur la récidive. Pourquoi y a-t-il récidive ? Pourquoi les peines de prison entraînent-elles plus de récidives que les peines alternatives ?

Nous nous intéressons plus particulièrement au « noyau dur » des récidivistes, qui est constitué essentiellement de personnes mal insérées et de toxicomanes. Nous nous sommes aperçus qu'à leur sortie de prison ils n'avaient bénéficié d'aucune aide - pas de RMI, par exemple -, d'aucun soin.

Notre attention s'est portée également sur les circonstances qui entourent les cas de récidive : le chômage, la ghettoïsation, la crise du logement, le surpeuplement des maisons d'arrêt. Le juge en tiendra-t-il compte ? Ces éléments pourront-ils entraîner une diminution de la peine ?

Madame le garde des sceaux, vous ne vous êtes pas posé toutes ces questions.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si !

M. Jacques Mahéas. J'ose espérer que, plus tard, nous y reviendrons.

Pis encore, s'agissant des mineurs, votre texte contrevient à l'esprit de la Convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par la France. Est-il donc bien adapté aux mineurs ?

Bref, madame le garde des sceaux, vous êtes en service commandé : vous nous avez présenté ce texte beaucoup trop rapidement, sans avoir suffisamment réfléchi, un mauvais texte sur lequel l'urgence ne s'imposait pas.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Un certain nombre de nos collègues veulent nous faire croire - sans doute pour s'en persuader eux-mêmes ! - qu'il faut choisir entre les délinquants et les victimes.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !

M. Pierre-Yves Collombat. Or toutes les études, qu'elles soient étrangères ou françaises, montrent que ce type de disposition est non seulement inefficace, mais contreproductif : il engendre plus de délinquance, donc plus de victimes. En d'autres termes, avec ce texte, le nombre de victimes augmentera.

Vos raisonnements ne tiennent pas et, en votre for intérieur, vous savez bien que ce texte est mauvais. Vous êtes en service commandé.

M. Dominique Braye. S'il-vous-plaît, nous ne sommes pas en service commandé ! Nous ne sommes pas socialistes !

M. Charles Gautier. On l'avait remarqué !

M. Pierre-Yves Collombat. Cela viendra peut-être ! Des passerelles sont lancées en ce moment ! (Sourires.)

En fait, vous savez bien que ce texte ne sert à rien et même qu'il produira des effets contraires à ceux qui sont recherchés. Vous serez ainsi confrontés demain - et nous aussi ! - à des problèmes encore plus grands qu'aujourd'hui.

Dans ces conditions, je ne vois pas pourquoi nous voterions ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La discussion est difficile : cela augure mal de la revalorisation du débat parlementaire...

M. Dominique Braye. Pas du tout !

M. Charles Pasqua. Pour qu'il y ait débat, il faut opposer des arguments !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.... et des rapports entre l'exécutif et le législatif, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.

Mes collègues et moi réclamons des informations sur l'efficacité supposée des peines planchers en cas de récidive. Mais vous n'apportez aucune réponse ! En fait, il n'existe aucune corrélation entre le quantum des peines et la récidive. Les exemples étrangers où sont appliquées des peines planchers ou des peines automatiques confirment cette absence de corrélation. Dès lors, le débat tourne court.

Puisqu'il n'y a pas de corrélation et puisque vous avez déjà aggravé les peines en cas de récidive, pourquoi vouloir ajouter des peines planchers, qui, en plus, modifient totalement le travail de la justice ? Vous répondez que c'est nécessaire pour la seule raison que le Président de la République l'a annoncé...

Ce qui intéresse nos concitoyens, ce sont les mesures qui empêchent la récidive et qui font baisser la délinquance. Le débat se révèle alors beaucoup plus vaste. Or les dispositions dont l'efficacité contre la récidive est reconnue sont totalement occultées. Nous constatons même qu'elles diminuent de plus en plus et sont de moins en moins utilisées : je pense à la libération conditionnelle, aux peines alternatives, au suivi socio-judiciaire.

La méthode Coué ne nous a pas convaincus pendant cinq ans, elle ne nous convainc pas davantage aujourd'hui.

Le peuple attend des résultats. En tant que législateur, nous nous demandons comment les obtenir, et l'on nous fait toujours la même réponse : alourdissons les peines ; les résultats suivront. Hélas ! il n'en est rien.

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.

Mme Alima Boumediene-Thiery. J'avoue ne pas avoir très bien compris les explications de Mme le garde des sceaux. Il n'était absolument pas dans nos intentions de demander des peines automatiques, au contraire !

Nous voulons réaffirmer le pouvoir d'appréciation du juge, ainsi que le principe d'individualisation des peines, principe général qui est reconnu puisqu'il figure déjà dans un article du code pénal. Nous souhaitons donc réaffirmer ce principe, mais nous n'entendons pas du tout l'encadrer ou le limiter par la fixation de critères pas plus que nous sommes pour la fixation de peines planchers ou de peines automatiques.

Lorsque l'on examine dans le détail les critères que vous prévoyez, madame le garde des sceaux, on s'aperçoit qu'ils vont au-delà des exigences. C'est là le danger. En effet, il importe de rappeler que le pouvoir d'appréciation du juge ne peut exister sans le principe d'individualisation des peines.

Vous affirmiez tout à l'heure vouloir être concrète. Peut-être, mais l'exemple du dealer que vous avez pris n'était pas convaincant. En effet, quelles garanties peut-on apporter en dehors du logement, du travail ? En outre, seules les familles qui ont des connaissances pourront fournir des garanties pour leurs enfants. Ce ne sera certainement pas le cas de celles qui connaissent la discrimination, l'exclusion ou la précarité.

M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, pour explication de vote.

M. Dominique Braye. L'écoute des différentes interventions me conduit à penser que nous sommes très loin des préoccupations de nos concitoyens qui se trouvent sur le terrain.

Par ailleurs, je regrette que notre collègue M. Mahéas ait quitté l'hémicycle. En effet, nous avons tous deux fait partie de la commission qui a étudié les conséquences des événements qui se sont produits dans les banlieues à l'automne 2005.

M. Jean-Pierre Sueur. Il a dû se rendre à une réunion de conseil municipal !

M. Dominique Braye. Les élus et les citoyens, quelle que soit leur sensibilité politique, formulaient à l'époque unanimement la même demande, y compris les élus du 9-3 que vous évoquiez et dont M. Mahéas fait partie. Or il me semble qu'il a oublié leur message. Ainsi, tous les maires nous demandaient d'adopter des mesures applicables aux multirécidivistes, qui ne représentent en fait qu'un faible pourcentage de la population demeurant dans les quartiers frappés par les incidents susvisés.

En cet instant, nous répondons donc non pas aux désirs de quelques personnes qui s'appuient sur telle ou telle statistique...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous ne faites absolument rien !

M. Dominique Braye.... mais à un vrai problème qui se pose sur le terrain. Monsieur Badinter, nous essayons surtout de protéger les plus modestes de nos concitoyens qui sont les premières victimes de ces multirécidivistes.

Par ailleurs, les éducateurs spécialisés nous ont fait remarquer à nous, politiques, que, s'il y a tant de multirécidivistes actuellement, c'est parce que nous n'avons pas adopté, en temps utile, les bonnes dispositions...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On parle des majeurs !

M. Dominique Braye. Ils ont récidivé en raison de l'impunité dans laquelle ils ont été laissés. L'impunité est la pire des choses.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il s'agit des majeurs ! Vous vous trompez de débat !

M. Dominique Braye. Je me souviens qu'un prêtre polytechnicien éducateur de rues, célèbre à Argenteuil, qui a aussi travaillé à Chanteloup-les-Vignes, nous disait : « Messieurs les politiques, n'oubliez jamais que la répression est la première marche de la prévention ! » (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mes chers collègues, tous les élus des quartiers sensibles - vous vous en êtes peut-être quelque peu éloignés - formulent la même requête.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On traite des majeurs ! Vous êtes hors sujet !

M. Dominique Braye. Je terminerai mon intervention en rendant hommage à Mme le garde des sceaux, qui s'est sûrement posé toutes les questions, contrairement à ce qu'a affirmé M. Mahéas. Notre collègue ayant, lui, oublié de s'interroger sur certains points, c'est probablement la raison pour laquelle il n'arrive pas à la même conclusion que nous.

Je veux également rendre hommage au travail de M. le rapporteur. Au vu des conclusions des groupes de travail qui se sont réunis après les événements qui ont eu lieu à l'automne 2005, il sait bien sûr que la société évolue et que les moyens juridiques à notre disposition doivent faire de même. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il s'agit des majeurs ! Vous ne savez pas lire !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 29 et 53.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 31.

(L'amendement est adopté à l'unanimité.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 14.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 32.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 15.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 13.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 30.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. Jean-Pierre Sueur. La commission est désavouée !

M. Dominique Braye. C'est le débat !

MM. Charles Pasqua et Dominique Braye. Le Sénat est souverain !

M. Pierre-Yves Collombat. Le souverain est à l'Élysée !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 33.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Articles additionnels après l'article 2

Article 2

Après l'article 132-19 du code pénal, il est inséré un article 132-19-1 ainsi rédigé :

« Art. 132-19-1. - Pour les délits commis en état de récidive légale, la peine d'emprisonnement ne peut être inférieure aux seuils suivants :

« 1° Un an, si le délit est puni de trois ans d'emprisonnement ;

« 2° Deux ans, si le délit est puni de cinq ans d'emprisonnement ;

« 3° Trois ans, si le délit est puni de sept ans d'emprisonnement ;

« 4° Quatre ans, si le délit est puni de dix ans d'emprisonnement.

« Toutefois, la juridiction peut prononcer, par une décision spécialement motivée, une peine inférieure à ces seuils ou une peine autre que l'emprisonnement en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.

« Le tribunal ne peut prononcer une peine autre que l'emprisonnement lorsqu'est commis une nouvelle fois en état de récidive légale un des délits suivants :

« 1° Violences volontaires ;

« 2° Délit commis avec la circonstance aggravante de violences ;

« 3° Agression ou atteinte sexuelle ;

« 4° Délit puni de dix ans d'emprisonnement.

« Par décision spécialement motivée, le tribunal peut toutefois prononcer une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure aux seuils prévus par le présent article si le prévenu présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion. »

M. le président. La parole est à M. Charles Gautier, sur l'article.

M. Charles Gautier. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, mes propos précédents relatifs à l'inutilité de ce texte s'appliquent également, pour la plupart, à l'article 2 ; je ne les reprendrai donc pas.

Je veux néanmoins souligner un paradoxe du projet de loi que nous examinons et qui a été relevé par l'Union syndicale des magistrats.

Ce texte fixe des peines minimales d'emprisonnement, ce qui n'exclut pas le sursis, accompagné ou non de travaux d'intérêt général ou de mise à l'épreuve. Le condamné peut alors repartir libre sans que le magistrat ait quoi que ce soit à justifier.

Or, si le magistrat veut prononcer une peine d'emprisonnement ferme mais inférieure à la peine minimale, il devra motiver sa décision. Cela peut sembler curieux, mais ne fait que démontrer une nouvelle fois que l'objectif recherché est de frapper l'opinion publique, sans réel souci d'efficacité.

C'est à l'article 2 que la dangerosité du projet de loi concernant les peines planchers apparaît véritablement. Je continuerai à me limiter, en l'espèce, au cas des majeurs. Le taux de récidive est plus important pour les délits que pour les crimes.

Pierre Tournier, sociologue, spécialiste des questions carcérales, a élaboré une projection de l'application de la nouvelle loi, en termes d'augmentation de la population carcérale et évalue la hausse du nombre des détenus à 10 000 par an.

Ces dernières années, la surpopulation carcérale a atteint un taux considérable. Au 1er juin 2007, le nombre de détenus en France s'élevait à 63 598. Les taux d'occupation explosent dans certains établissements. Alors, madame le garde des sceaux, comment allez-vous loger ces nouveaux détenus ? Existe-t-il un plan de construction de nouveaux établissements dont vous n'auriez pas encore parlé ?

Pour terminer, j'ajouterai qu'il n'a été fait, préalablement à l'examen de ce projet de loi, aucune étude d'impact. Il en fut d'ailleurs de même à propos des quatre précédents textes concernant la délinquance. Cette attitude est pour le moins curieuse pour qui se targue d'une volonté de contrôler au mieux les finances de l'État.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame le garde des sceaux, je me permets d'insister. Les membres de mon groupe posent de nombreuses questions et nous souhaiterions vraiment obtenir des réponses.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est une injonction au Gouvernement ! On ne peut pas lui imposer de répondre !

M. Jean-Pierre Sueur. Selon certains chercheurs, si ce projet de loi devait produire les effets que vous en attendez, cela se traduirait par une augmentation du nombre de détenus dans des prisons déjà surpeuplées. On sait que, depuis trois ans, le nombre de détenus supplémentaires s'élève à 10 000. Or il a été estimé que ce texte engendrerait une nouvelle hausse équivalente - chaque année ou sur une période plus longue, je ne sais. Quoi qu'il en soit, un problème se pose.

Madame le garde des sceaux, nous savons fort bien qu'un plan de construction de prisons est prévu, mais il n'est pas à la mesure des effets à court terme du projet de loi que vous nous soumettez aujourd'hui. Par conséquent, je vous serais très reconnaissant de bien vouloir nous apporter une réponse.

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, je vais vous fournir quelques chiffres. Sachez que 80 % des mineurs sanctionnés ne récidivent pas. Encore faut-il qu'une sanction ait été prononcée ; je rejoins sur ce point M. Braye. Si la première infraction n'est pas sanctionnée,...

M. Jean-Pierre Sueur. Personne ne dit qu'il ne faut pas sanctionner !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.... comment voulez-vous que les mineurs puissent intégrer la notion même de récidive ?

La sanction n'implique pourtant pas l'incarcération, comme je vous l'ai déjà indiqué.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh non !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le projet de loi qui vous est soumis ne remet absolument pas en cause les possibilités d'aménagement de l'incarcération, ab initio, dès le prononcé de la peine, ni toute alternative à l'incarcération.

Aujourd'hui, le taux des aménagements de peines, et donc de la baisse de la récidive, est sans précédent. En un an, entre le 1er avril 2006 et le 1er avril 2007, 30 % de peines supplémentaires ont été aménagées. Le nombre de placements sous bracelet électronique a augmenté de 59 %. Les placements extérieurs enregistrent une hausse de 33 %.

Le Gouvernement est favorable aux alternatives à l'incarcération. Telle est et telle sera encore et toujours sa politique.

D'ailleurs, dès le 29 juin, j'ai envoyé à tous les parquets une circulaire afin de les inciter à favoriser les aménagements de peines, les placements extérieurs, la semi-liberté, les alternatives à l'incarcération, le placement sous bracelet électronique.

S'agissant des soins, je vous indique dès maintenant, monsieur le sénateur, qu'ils seront une condition de la libération conditionnelle, laquelle joue, vous le savez, en faveur de la diminution de la récidive. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Sueur. C'est très bien, mais cela ne justifie pas les peines planchers !

M. le président. Je suis saisi de vingt amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L'amendement n° 34 est présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus - Schmidt, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene - Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 55 est présenté par Mmes Borvo Cohen - Seat, Mathon - Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Robert Badinter, pour présenter l'amendement n° 34.

M. Robert Badinter. En l'espèce, il s'agit non plus de crimes mais de délits. Ce matin, j'ai déjà eu l'occasion d'exposer longuement à quel point ce texte heurtait la nécessaire individualisation de la peine et aboutirait inévitablement à un accroissement de la population carcérale.

En matière de délits, les observations de la commission d'analyse et de suivi de la récidive prennent toute leur valeur, et l'on peut dire qu'à cet égard ce texte est parfaitement inutile.

En fait, cet article 2 comporte une critique implicite mais très forte de nos magistrats. Or un moyen d'intervention plus simple existait déjà en l'espèce. Mme le garde des sceaux peut toujours adresser à tous les parquets une circulaire recommandant, en cas de récidive concernant des délits précis, de se référer aux casiers judiciaires dans leurs réquisitions. À partir de là, les magistrats du siège, dont c'est la responsabilité, décident.

L'ensemble de la magistrature a été profondément choqué que le législateur pèse sur le juge pour le prononcé des peines dans des affaires individuelles ; il a donc eu une réaction de rejet, avant même l'adoption du texte.

Il ne s'agit ni de la création d'infractions nouvelles ni du changement de quantum, qui relèvent du législateur. Il s'agit en l'occurrence de conduire les juges, en matière de délits, à condamner le contrevenant à une peine minimale, quelles que soient les circonstances de fait. Reste l'exception, dont nous aurons l'occasion de reparler ultérieurement.

Quoi qu'il en soit, ce texte ne peut produire que des fruits amers, comme je l'ai dit ce matin : un nombre plus élevé de délinquants, envoyés dans des prisons surpeuplées, un taux de récidive plus important...

Cette politique judiciaire répond à une demande que l'on comprend de la part de ceux qui subissent ces atteintes, mais elle est totalement inefficace. Le devoir des hommes et des femmes politiques est, non pas de céder constamment à la pression de l'opinion publique,...

M. Dominique Braye. Ce que vous avez fait !

M. Robert Badinter.... mais de chercher où sont les voies de la raison et de l'équilibre dans la cité.

M. Dominique Braye. Absolument !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il faut que les juges soient raisonnables aussi !

M. Robert Badinter. Ils sont élus pour cela et non pour être l'écho des angoisses - même si on les comprend - des populations : ils doivent y répondre en remontant jusqu'aux causes.

À l'heure où Tony Blair disparaît de la scène politique, je rappellerai le propos qu'il a toujours tenu : « dur avec le crime, dur avec les causes du crime ». Madame le garde des sceaux, vous avez oublié la seconde partie de cette maxime...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas du tout !

M. Robert Badinter.... pour ne garder que la première ! (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 55.

Mme Éliane Assassi. Selon nous, l'instauration des peines planchers en matière de délits entraînera, plus encore qu'en matière de crimes, des effets pervers en cascade pour les juges, puis, bien évidemment, pour la population carcérale.

D'après le Gouvernement, les peines ne seront pas automatiques, puisque les juges pourront y déroger, mais les magistrats eux-mêmes en conviennent : motiver une décision prend du temps, particulièrement en correctionnelle, et les jugements sont donc rarement motivés.

Les juges finiront fatalement, par manque de temps et de moyens, par prononcer une peine minimale, ce qui aura forcément des conséquences sur les populations carcérales, dont l'augmentation est inévitable si ce projet de loi est adopté.

Ce problème se pose de façon plus accrue s'agissant des délits car, aujourd'hui, les criminels récidivistes sont déjà condamnés à des peines d'emprisonnement ferme. Le mécanisme des peines planchers institué aux termes de l'article 2 est particulièrement répressif et apparaît donc excessif, voire disproportionné, surtout en matière d'atteinte aux biens.

Il serait d'ailleurs fort étonnant que les peines planchers aient le moindre effet dissuasif sur les délinquants. Par conséquent, si l'on conjugue ce facteur avec le fait que les juges seront peu nombreux à motiver une dérogation à la peine plancher, nous verrons le nombre de détenus augmenter. On en prévoit 10 000 de plus par an. Cela a été dit à plusieurs reprises : nos prisons vont difficilement pouvoir faire face à cette inflation, compte tenu de l'état dans lequel elles se trouvent déjà ; mais peut-être le Gouvernement compte-t-il sur les décrets de grâce présidentielle pour vider rapidement les établissements pénitentiaires les plus surpeuplés ?

Plus sérieusement, cette projection est d'autant plus inquiétante que la prison est criminogène et qu'elle engendre de la récidive.

L'aggravation permanente des sanctions ne change rien. J'en veux pour preuve qu'après cinq ans de mise en oeuvre de lois toujours plus répressives et faisant de l'enfermement la seule solution la délinquance ne baisse pas.

Pourquoi un tel entêtement alors que l'on connaît les mesures à prendre afin d'améliorer la prévention de la délinquance et de diminuer les cas de récidive ?

Au lieu de renforcer l'arsenal répressif, tellement surchargé qu'il en devient incompréhensible, on devrait donner priorité à l'augmentation des moyens en direction des magistrats, des greffes et des personnels pénitentiaires.

L'objectif est, d'une part, de s'assurer de la promptitude de la réponse pénale et de l'exécution de la sanction et, d'autre part, de permettre la mise en oeuvre des aménagements de peine.

Beaucoup d'entre nous le savent, le constat en a été fait : les sorties de prison préparées et un suivi régulier après la libération sont facteurs de prévention de la récidive.

Je terminerai mon propos en citant l'avis du 14 décembre 2006 de la commission consultative des Droits de l'homme sur les alternatives à la détention : « Autant la prison est reconnue comme efficace pour mettre à l'écart et neutraliser, autant elle s'avère le plus souvent contreproductive en termes de réinsertion et de prévention de la récidive. Les alternatives à la détention obtiennent de meilleurs résultats que la prison en termes de lutte contre la récidive et représentent un moindre coût pour la collectivité. »

Tel n'est pas, de toute évidence, le choix qui nous est proposé aujourd'hui avec ce texte.

Pour notre part, nous refusons la logique des peines planchers. C'est pourquoi nous demandons la suppression de l'article 2.

M. le président. L'amendement n° 56, présenté par Mmes Borvo Cohen - Seat, Mathon - Poinat, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Dans le sixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, après le mot :

juridiction

insérer les mots :

, réunie en formation collégiale,

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Cet amendement est un amendement de repli : nous souhaitons soulever le problème de la responsabilité du juge dans le processus qui s'engage des peines planchers.

Il sera demandé au juge de prononcer des peines quelles que soient la gravité objective des faits et la personnalité du prévenu. Si le juge veut y déroger, il devra motiver spécialement sa décision, et ce selon des critères encadrant strictement sa liberté d'appréciation.

Les magistrats se retrouvent ainsi plus ou moins pris au piège : soit ils appliquent la loi et prononcent systématiquement une peine supérieure ou égale à la peine minimale, soit ils décident de déroger mais, dans ce cas, ils savent qu'ils risquent d'être mis en cause sur le plan politique, médiatique et disciplinaire en cas de nouvelle récidive du condamné.

Nous nous souvenons tous de l'affaire Nelly Cremel et des propos du ministre de l'intérieur de l'époque appelant à « faire payer » un juge à la suite de la participation présumée au meurtre d'un récidiviste alors que la libération conditionnelle de ce dernier avait pourtant été décidée collégialement.

Afin de préserver les magistrats de telles prises à partie et d'éviter que leur responsabilité ne soit mise en cause en cas de nouvelle récidive, nous souhaitons que les juridictions ayant à juger et donc à se prononcer sur les infractions commises par les récidivistes soient systématiquement réunies en formation collégiale.

M. le président. L'amendement n° 21, présenté par Mmes Boumediene - Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Dans le sixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, supprimer les mots :

, par une décision spécialement motivée,

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame le garde des sceaux, par votre projet de loi, vous obligez le juge qui souhaite appliquer des peines inférieures aux peines minimales à motiver sa décision quelle que soit la nature de la peine prononcée : emprisonnement ferme, emprisonnement avec sursis, peine alternative à l'emprisonnement.

Cet amendement, comme, d'ailleurs, l'amendement n° 22, qui sera examiné dans quelques instants, tend à éviter d'imposer au juge de devoir motiver systématiquement ses décisions.

En effet, l'obligation de motivation est un facteur d'inflation procédurale : elle induit un allongement de la procédure, si bien qu'il pourra être reproché aux juges, parce qu'ils seront débordés, d'être laxistes. Leur imposer un rallongement des procédures ne peut que justifier cette lourdeur et cette impossibilité à motiver.

L'obligation de motivation du juge ne devrait porter que sur les peines les plus graves, autrement dit les peines d'emprisonnement ferme, et ne devrait pas concerner toutes les peines, y compris les peines alternatives à la prison.

Je rappelle les termes du second alinéa de l'article 132-19 du code pénal : « En matière correctionnelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d'emprisonnement sans sursis qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine. Toutefois, il n'y a pas lieu à motivation spéciale lorsque la personne est en état de récidive légale. »

Ce projet de loi va donc mettre en distorsion ce second alinéa de l'article 132-19 et le futur article 132-19-1, puisqu'il va imposer une obligation de motivation en cas de peine prononcée contre un récidiviste.

Enfin, parce qu'il est de notre devoir non seulement d'éviter toute inflation judiciaire, mais aussi de permettre un traitement diligent des affaires et de veiller à ce que les juges bénéficient de conditions de travail respectueuses et dignes, nous refusons la motivation obligatoire et systématique. Cet amendement vise donc à supprimer la référence à une obligation de motivation en laissant jouer, bien entendu, l'alinéa 2 de l'article 132-19, qui - je le rappelle - tend à exclure l'obligation de motivation en cas de récidive légale.

M. le président. L'amendement n° 37, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus - Schmidt, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene - Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

I - Dans le 6ème alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, après les mots :

inférieure à ces seuils

insérer les mots :

, ou pour les mineurs, une mesure éducative,

II - Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, après les mots :

inférieure aux seuils prévus par le présent article

insérer les mots :

, ou pour les mineurs, une mesure éducative,

La parole est à M. Richard Yung

M. Richard Yung. Cet amendement est le pendant de l'amendement n° 32, que nous avons déjà examiné à l'article précédent.

Je rappellerai simplement que l'ordonnance de 1945 doit s'appliquer de toute façon. Or elle prévoit explicitement que le juge doit s'interroger pour déterminer s'il doit prononcer une peine pénale ou s'il peut prononcer un autre type de peine, par exemple ordonner des mesures éducatives.

M. le président. L'amendement n° 24, présenté par Mmes Boumediene - Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Après les mots :

circonstances de l'infraction

rédiger ainsi la fin du sixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal :

ou de la personnalité de son auteur.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à supprimer la référence à un critère qui encadre de manière trop restrictive le principe d'individualisation de la peine, principe que nous voulons réaffirmer, notamment parce qu'il exprime le pouvoir d'appréciation du juge.

Je l'ai déjà expliqué tout à l'heure : le critère de la personnalité de l'auteur ainsi que celui des circonstances de l'affaire devraient suffire pour permettre au juge d'individualiser la peine et de décider d'appliquer des peines inférieures sans qu'il soit nécessaire de se référer à des garanties exceptionnelles, qui sont pratiquement impossibles à donner pour le commun des mortels.

M. le président. L'amendement n° 16, présenté par Mmes Boumediene - Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

I. Après le sixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque le prévenu est jugé en comparution immédiate selon la procédure prévue par l'article 395 du code de procédure pénale, la juridiction n'est pas tenue d'apprécier, dans le prononcé de peines inférieures à celles prévues par les deuxième à cinquième alinéas du présent article ou d'une peine autre que l'emprisonnement, les garanties d'insertion ou de réinsertion visées à l'alinéa précédent ».

II. Compléter in fine cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque le prévenu est jugé en comparution immédiate selon la procédure prévue par l'article 395 du code de procédure pénale, la juridiction n'est pas tenue de motiver sa décision ni d'apprécier, dans le prononcé de peines inférieures à celles prévues par les deuxième à cinquième alinéas du présent article, les garanties exceptionnelles d'insertion visées à l'alinéa précédent ».

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Je présenterai en même temps l'amendement n° 17, puisque tous deux concernent la comparution immédiate.

M. le président. J'appelle donc en discussion l'amendement n° 17, présenté par Mmes Boumediene - Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, qui est ainsi libellé :

I. Après le sixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque le prévenu est jugé en comparution immédiate selon la procédure prévue par l'article 395 du code de procédure pénale, la juridiction n'est pas tenue, dans le prononcé de peines inférieures à celles prévues par les deuxième à cinquième alinéas du présent article ou d'une peine autre que l'emprisonnement, de motiver sa décision. »

II. Compléter in fine cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque le prévenu est jugé en comparution immédiate selon la procédure prévue par l'article 395 du code de procédure pénale, la juridiction n'est pas tenue, dans le prononcé de peines inférieures à celles prévues par les deuxième à cinquième alinéas du présent article, de motiver sa décision. »

Veuillez poursuivre, ma chère collègue.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Le principe de la comparution immédiate veut que le prévenu soit jugé dans la journée. Comment un juge peut-il apprécier en une journée si un prévenu présente des garanties d'insertion et de réinsertion telles qu'elles sont prévues par l'article 2 du projet de loi ? Nous considérons que cela n'est pas possible.

Les enquêtes de personnalité sont difficiles à mener et il nous a été dit, au cours des auditions auxquelles nous avons procédé, qu'elles étaient souvent un peu bâclées.

De deux choses l'une : soit le juge se risquera à justifier sa décision, mais comme, la plupart du temps, il manquera d'éléments objectifs et qu'aucune enquête préliminaire n'aura pu être réalisée, il aura des difficultés à la motiver, soit il ne pourra pas la justifier et, dans ce cas-là, c'est la peine plancher qui s'appliquera de manière automatique, ce que nous ne pouvons pas accepter.

M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :

I. - Au début du septième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, remplacer les mots :

Le tribunal

par les mots :

La juridiction

II. - Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, remplacer les mots :

le tribunal

par les mots :

la juridiction

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de clarification.

M. le président. L'amendement n° 19, présenté par Mmes Boumediene - Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Supprimer le huitième alinéa (1°) du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet alinéa vise le délit de violences volontaires, pour lequel les peines minimales s'appliqueront presque automatiquement.

Or ce délit recouvre des situations très variées : vol avec bousculade, atteinte aux biens sans atteinte à la personne. Ainsi, des peines de prisons fermes seront appliquées pour un vol avec bousculade comme à une agression violente.

Cet amendement vise à circonscrire le champ de ces délits par le jeu combiné de l'article 132-16-4 du code pénal et du futur article 132-19-1 amendé. Les délits les moins graves relèveront du premier alinéa de l'article 132-19-1 et le juge pourra, dans ce cas, prononcer des peines autres que l'emprisonnement.

Les délits de violences volontaires les plus graves relèveront de cette disposition, mais par le jeu de l'article 132-16-4 du même code, lequel prévoit : « Les délits de violences volontaires aux personnes ainsi que tout délit commis avec la circonstance aggravante de violences sont considérés, au regard de la récidive, comme une même infraction. »

Par conséquent, le délit commis avec la circonstance aggravante de violences étant déjà visé par le neuvième alinéa du texte proposé par l'article 2 pour l'article 132-19-1 du code pénal, il est à mon sens inutile de faire apparaître cette référence aux délits de violences volontaires dans le huitième alinéa.

M. le président. L'amendement n° 20, présenté par Mmes Boumediene - Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Compléter le huitième alinéa (1°) du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal par les mots :

ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 10 jours

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, je souhaite présenter en même temps l'amendement n° 18.

M. le président. J'appelle donc également en discussion l'amendement n° 18, présenté par Mmes Boumediene - Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, qui est ainsi libellé :

Compléter le neuvième alinéa (2°) du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal par les mots :

ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 10 jours

Vous avez la parole pour défendre ces deux amendements, ma chère collègue.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Les dispositions du présent projet de loi, par le caractère général des délits qu'elles visent, présentent un énorme risque, car les juges pourront envoyer en prison des individus ayant commis des actes, certes répréhensibles, mais d'une gravité très variable. Avec l'obligation combinée de motiver toute peine inférieure, les juges prononceront de manière automatique des peines de prison pour un vol de DVD comme pour un vol avec agression.

Aux termes de l'article 2, les juges pourront appliquer les peines minimales lorsque le mineur récidiviste aura commis un délit de violences volontaires : mais que recouvre donc cette notion ? Le vol avec bousculade et le vol ayant entraîné une interruption temporaire de travail, ITT, de vingt jours ont-ils véritablement les mêmes conséquences sur la victime ? Devront-ils donc être traités de la même manière ? À mon sens, ces questions n'ont pas encore reçu de réponses.

Les peines minimales auront vocation à s'appliquer de la même manière pour tous les délits commis en état de récidive, quelle que soit leur gravité. Si, effectivement, selon l'adage populaire, qui vole un oeuf vole un boeuf, il ne faudrait tout de même pas exagérer : les délits d'une gravité différente doivent être traités différemment !

Or le projet de loi ne fait pas de distinction valable entre, d'une part, le simple vol ou le vol avec bousculade, et, d'autre part, les vols qui ont entraîné des blessures ou des dommages physiques importants.

Ainsi, le multirécidiviste qui aura commis indistinctement ces deux types de vols sera condamné à une peine d'emprisonnement ferme, sans que la gravité des faits reprochés ait été évaluée à sa juste mesure : il pourra donc aller en prison pour un simple vol, voire pour deux vols avec une simple bousculade. Si ces derniers sont certes condamnables, ils ne méritent peut-être pas d'être sanctionnés de la même manière que d'autres délits.

Par conséquent, ces amendements visent à prévoir que les circonstances de l'affaire ainsi que le préjudice subi par la victime sont pris en compte. Nous proposons de réduire le champ d'application des peines planchers pour les récidivistes et d'endiguer, dans la mesure du possible, la portée de ce projet de loi. À nos yeux, si un vol avec une simple bousculade doit faire l'objet d'une sanction, ne peuvent être concernés par ce texte que les délits les plus graves commis par des multirécidivistes violents, à l'image des vols avec violences physiques.

M. le président. L'amendement n° 36, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene - Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Seules les sanctions pénales prononcées par le tribunal pour enfants ou par la cour d'assises des mineurs peuvent être prises en compte pour la détermination de l'état de récidive.

La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Tout d'abord, nous ne sommes pas persuadés que les mesures proposées auront bien un effet dissuasif. Selon nous, les mineurs condamnés n'ont pas toujours réellement conscience des peines qu'ils encourent lorsqu'ils ont commis les faits pour lesquels ils sont jugés. Ils ont souvent du mal à saisir l'ensemble de la « mécanique ».

Par ailleurs, concernant les mineurs, le problème est non pas tant la récidive, même si elle existe, que la réitération.

Compte tenu des lourdeurs de la procédure, de la charge de travail des juges et de l'encombrement des tribunaux, les mineurs sont souvent jugés plusieurs mois après la commission des faits. Au tribunal de Bobigny, cette durée est au minimum de six mois, mais elle est souvent supérieure.

Or le texte n'exclut pas les mesures éducatives ni les sanctions éducatives, notamment les mesures de réparation ou l'interdiction de paraître, lesquelles sont pourtant prononcées pour des faits de moindre gravité et qui ne devraient pas constituer, à nos yeux, le premier terme de la récidive légale à l'encontre d'un mineur. De ce point de vue, seules les sanctions pénales doivent être prises en compte.

M. le président. L'amendement n° 22, présenté par Mmes Boumediene - Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, supprimer les mots :

Par décision spécialement motivée,

Cet amendement a déjà été défendu.

L'amendement n° 23, présenté par Mmes Boumediene - Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Après les mots :

présent article

rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal :

en considération des circonstances de l'infraction ou de la personnalité de son auteur.

Cet amendement a également été défendu.

L'amendement n° 35, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus - Schmidt, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après les mots :

inférieure aux seuils prévus par le présent article

Rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal :

en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties suffisantes d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Compte tenu de ce qui s'est passé à l'article précédent, j'ai l'impression que tout est déjà jugé puisque nous nous retrouvons dans une situation similaire. Dans ces conditions, connaissant d'avance le verdict, je me contenterai, mes chers collègues, de défendre cet amendement en vous renvoyant aux propos que j'ai déjà tenus.

M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après les mots :

présent article

rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal :

, à titre exceptionnel, en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur. Monsieur le président, je retire cet amendement, compte tenu du vote qui est intervenu tout à l'heure sur l'amendement n° 1.

M. le président. L'amendement n° 3 est retiré.

L'amendement n° 57, présenté par Mmes Borvo Cohen - Seat, Mathon - Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, remplacer les mots :

garanties exceptionnelles

par les mots

gages sérieux

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Je ne vais pas m'appesantir non plus sur cet amendement, qui est un amendement de repli ayant le même objet que celui que nous avons déposé à l'article 1er.

M. le président. L'amendement n° 38, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Compléter le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal par une phrase ainsi rédigée :

Toutefois lorsque le crime est commis en état de récidive légale par un mineur, la juridiction peut prononcer une peine inférieure à ces seuils en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.

Cet amendement a déjà été défendu.

L'amendement n° 4, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions du présent article ne sont pas exclusives d'une peine d'amende et d'une ou plusieurs peines complémentaires. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur. Cet amendement vise à rappeler expressément que le tribunal peut prononcer, en plus de l'emprisonnement, une peine d'amende ou une peine complémentaire.

Il serait en effet paradoxal que, tout en voulant réprimer plus sévèrement la récidive, on fasse en sorte qu'un escroc multirécidiviste ne puisse être également condamné à une amende et à toutes les peines complémentaires habituellement encourues, telle l'interdiction d'exercer une activité de confiance.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'ensemble des amendements ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Chacun comprendra évidemment les raisons pour lesquelles la commission émet un avis défavorable sur les amendements identiques de suppression nos 34 et 55.

Madame Assassi, l'adoption du texte que vous et vos collègues proposez dans l'amendement n° 56 aurait un effet paradoxal : d'une part, cela conduirait les juges uniques à prononcer systématiquement une peine égale ou supérieure aux peines minimales pour tous les contentieux qui leur sont réservés ; d'autre part, cela placerait le prévenu dans une situation tout à fait différente selon qu'il serait jugé par un juge unique ou par une formation collégiale, ce qui introduirait une inégalité devant la loi. La commission est donc défavorable à cet amendement.

La commission émet également un avis défavorable sur l'amendement n° 21, car la suppression de la motivation tend à vider le texte de sa portée.

Par ailleurs, je demande aux auteurs de l'amendement n° 37 de bien vouloir retirer celui-ci dans la mesure où il s'agit d'un amendement de repli ayant le même objet que l'amendement n° 32, présenté à l'article 1er.

L'amendement n° 24 a le même objet que l'amendement n° 15 que nous avons déjà étudié à l'article 1er. La commission y est donc défavorable.

L'adoption de l'amendement n° 16 produirait, elle aussi, un effet paradoxal puisque, s'agissant d'un multirécidiviste, elle exonérerait la juridiction de toute motivation pour déroger aux seuils minimaux de peine, tandis que, s'agissant d'une personne pour la première fois en état de récidive, le juge devrait motiver sa décision. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Elle émet le même avis sur l'amendement n° 17, puisque son adoption reviendrait en pratique à exclure du champ d'application du projet de loi toutes les infractions jugées en comparution immédiate.

En outre, je rappelle que, même en comparution immédiate, le juge dispose d'éléments d'appréciation sur la personnalité de l'intéressé puisque, dans ces circonstances, l'enquête de personnalité est obligatoire. S'il n'y a pas été procédé, la juridiction peut d'ailleurs toujours renvoyer l'affaire.

La disposition prévue dans l'amendement n° 19 contredit la nécessité d'une réponse plus ferme en cas de multirécidive. La commission y est donc défavorable, ainsi qu'aux amendements nos 20 et 18, qui ont le même objet.

Monsieur Yung, l'amendement n° 36 a le même objet que l'amendement n° 31, mais le premier s'applique aux délits alors que le second s'applique aux crimes. Une telle disposition s'est avérée nécessaire. Dès lors, j'émets, au nom de la commission, un avis favorable sur cet amendement, en me référant aux explications données par Mme le garde des sceaux voilà quelques instants.

L'amendement n° 22 ayant le même objet que l'amendement n° 21, la commission y est défavorable.

De même, la commission émet un avis défavorable sur les amendements nos 23, 35, 57 et 38, qui ont respectivement le même objet que les amendements nos 15, 30, 54 et 33, présentés à l'article 1er.

Mes chers collègues, si je renvoie à chaque fois à d'autres amendements, c'est tout simplement parce que nous déclinons pour les délits les mesures dont nous avons débattu tout à l'heure pour les crimes à l'article 1er. L'avis de la commission est par conséquent identique.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Pour les mêmes raisons que celles qui ont été exposées à l'article 1er, je suis défavorable aux amendements identiques de suppression nos 34 et 55.

Le Gouvernement est également défavorable à l'amendement n° 56, qui vise à renvoyer certains délits à la collégialité, alors même qu'ils doivent être jugés par un juge unique. En tout état de cause, le juge doit juger dans la formation que le code a prévue. Au demeurant, si l'affaire est complexe ou si le délit n'est pas adapté à la formation « juge unique », les dispositions actuelles du code permettent déjà de renvoyer à la collégialité. Cet amendement est donc inutile.

Je suis défavorable à l'amendement n° 21, qui vise à supprimer la motivation, suppression qui avait déjà été demandée à l'article 1er.

L'amendement n° 37 renvoie à un amendement similaire défendu à l'article précédent. Nous ne touchons pas à l'article 2 de l'ordonnance de 1945. Par conséquent, d'un point de vue juridique, l'amendement est inutile.

M. le président. Monsieur Badinter, l'amendement n° 37 est-il maintenu ?

M. Robert Badinter. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 37 est retiré.

Veuillez poursuivre, madame le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Concernant les garanties exceptionnelles, je ferai les mêmes observations qu'à l'article 1er. Je suis donc défavorable à l'amendement n° 24.

Les amendements nos 16 et 17 visent, eux aussi, à supprimer l'exigence de motivation de la dérogation en cas de comparution immédiate. J'y suis bien sûr défavorable.

En revanche, j'émets un avis favorable sur l'amendement rédactionnel n° 2.

Si les amendements nos 19, 20 et 18 étaient adoptés, les violences volontaires entraînant une ITT inférieure à dix jours seraient considérées comme moins graves et devraient être exclus du champ de la récidive.

Il faut le savoir, les victimes de telles violences subissent souvent des traumatismes psychologiques ou psychiques. Or toutes ne se rendent pas dans les UMJ, les unités médico-judiciaires, pour avoir un certificat médical et bénéficier d'une ITT.

Je suis donc défavorable à ces amendements, car il est inconcevable de ne pas prendre en compte ces victimes de violences.

À l'inverse, je suis favorable à l'amendement n° 36.

Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'amendement n° 22, qui vise à supprimer la motivation.

Il est défavorable aux amendements nos 23, 35, 57 et 38.

Enfin, le Gouvernement émet un avis favorable sur l'amendement n° 4.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 34 et 55.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 56.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 21.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 24.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 16.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 17.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 19.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 20.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 18.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 36.

(L'amendement est adopté à l'unanimité.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 22.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 23.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 35.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 57.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 38.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié.

(L'article 2 est adopté.)

Article 2
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Article 3 (début)

Articles additionnels après l'article 2

M. le président. L'amendement n° 5, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Avant le dernier alinéa de l'article 41 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le procureur de la République ne peut prendre aucune réquisition tendant à retenir l'état de récidive légale s'il n'a préalablement requis, suivant les cas, l'officier de police judiciaire compétent, le service pénitentiaire d'insertion et de probation, le service compétent de la protection judiciaire de la jeunesse ou toute personne habilitée dans les conditions prévues par l'article 81, sixième alinéa, afin de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale de l'accusé ou du prévenu et de l'informer sur les garanties d'insertion ou de réinsertion de l'intéressé. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur. Aux termes du projet de loi, la reconnaissance de la situation personnelle de l'accusé ou du prévenu, et en particulier de ses garanties de réinsertion, sera déterminante pour permettre à la juridiction de décider d'appliquer ou non les peines minimales d'emprisonnement.

Or, malheureusement, les enquêtes de personnalité sont très loin d'être systématiques, bien que le procureur de la République ait la possibilité de les prescrire et soit même tenu de le faire dans certains cas, en particulier lors de comparutions immédiates ou de comparutions de mineurs.

Il semble donc opportun, afin de donner une pleine effectivité au pouvoir d'appréciation reconnu au juge par le projet de loi, de prévoir que le ministère public ne puisse prendre aucune réquisition tendant à retenir la circonstance aggravante de récidive s'il n'a préalablement requis la réalisation d'une enquête de personnalité propre à éclairer la juridiction de jugement sur la personnalité de l'intéressé et ses garanties d'insertion ou de réinsertion.

Tel est l'objet de cet amendement, qui se fait l'écho des préoccupations exprimées par des juges de différents niveaux hiérarchiques que nous avons rencontrés. Ces juges sont prêts à assumer leurs responsabilités dès lors que le législateur leur en donne les moyens. Or, parmi ces moyens, figure la nécessité de disposer d'une information complète concernant l'accusé ou le prévenu.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, cet amendement, qui vise à rendre obligatoire l'enquête sociale dès lors que le parquet retient l'état de récidive légale, me gêne quelque peu.

Le parquet a déjà la possibilité d'ordonner des enquêtes sociales et de personnalité. Si cet amendement était adopté, elles deviendraient obligatoires pour les récidivistes.

Tout d'abord, une telle mesure a un coût, puisque ces enquêtes sont facturées de 40 à 77 euros. Ensuite, son adoption ajouterait une contrainte procédurale. Est-ce vraiment le meilleur moyen pour juger les récidivistes, alors que le parquet a déjà la possibilité de faire procéder à de telles enquêtes ? Par ailleurs, celles-ci sont d'ores et déjà obligatoires pour les mineurs, les jeunes majeurs et en cas de réquisition de détention provisoire.

Dans la pratique, les primo-délinquants de plus de vingt-deux ans ne bénéficient pas de ces enquêtes en matière de délit. Or, avec cet amendement, pour les récidivistes, voire troisièmes ou quatrièmes récidivistes, « ancrés » dans la délinquance, dont on commence à connaître l'environnement, l'État devrait prendre à sa charge une enquête de personnalité ou une enquête sociale, au cours de laquelle, finalement, on s'efforcerait de leur trouver une circonstance atténuante. Car c'est bien cela, la réalité de l'enquête !

Devons-nous créer, aux frais de l'État, un régime plus favorable pour les récidivistes, alors que c'est à eux d'apporter des garanties d'insertion ou de réinsertion ? Cela paraît tout de même gênant.

Par conséquent, le Gouvernement se voit contraint d'émettre, à son grand regret, un avis défavorable sur l'amendement n° 5.

M. Charles Pasqua. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, pour explication de vote.

M. Dominique Braye. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, vous le savez, je ne suis pas expert dans ce domaine...

M. Dominique Braye.... et je ne fais pas partie de l'éminente commission des lois. Je souhaiterais donc recueillir certaines précisions sur le sujet que nous sommes en train d'évoquer.

Premièrement, madame le garde des sceaux, voter des dispositions que nous ne mettrons pas en place par manque de moyens financiers me pose un vrai problème. Comme l'a dit le Président de la République lui-même, cela discrédite la politique.

Deuxièmement, mes interrogations sont également d'ordre moral. En effet, tous ceux qui travaillent sur le terrain, notamment dans les quartiers sensibles, savent que les enquêtes doivent être effectuées au moment de la première infraction. En effet, par la suite, on connaît de mieux en mieux le délinquant. Dès lors, pourquoi prévoir des dispositions spécifiques obligatoires pour un délinquant majeur multirécidiviste, alors que celles-ci ne le seraient pas pour un primo-délinquant, lequel devrait bénéficier de toutes les dispositions permettant de lui éviter de récidiver ?

M. Charles Gautier. Généralisons cette obligation !

M. Dominique Braye. Une enquête sociale est d'abord destinée à éviter la récidive ! Par conséquent, je ne comprends pas pourquoi cette enquête serait rendue obligatoire pour les récidivistes. À ce moment-là, rendons-la obligatoire aussi pour les primo-délinquants !

Je souhaite donc avoir des précisions sur les dispositions prévues par cet amendement, qui soulève à mes yeux un vrai problème. Cela permettra d'ailleurs d'éclairer l'ensemble de nos collègues, qui se posent également des questions.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Ce projet de loi est censé respecter le principe d'individualisation de la peine, c'est-à-dire permettre au juge de surseoir à l'application de la peine plancher en cas de récidive. Si celui-ci n'a pas les moyens de connaître la personnalité du prévenu ou de l'accusé, ses possibilités de réinsertion, comment pourra-t-il individualiser la peine ?

C'est là qu'est le problème. Et ne venez pas nous parler de gros sous, car si le juge n'a aucune possibilité d'appréciation, le principe d'individualisation de la peine disparaît et le dispositif devient inconstitutionnel.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. J'abonderai dans le sens de mon collègue Pierre-Yves Collombat. Même si je comprends les interrogations de M. Braye, j'aurais tendance à dire que ce qui vaut pour le primo-délinquant vaut également pour le récidiviste ou le multirécidiviste.

Les délais entre les différentes condamnations peuvent être très longs et les situations peuvent avoir changé. Il est important que le juge dispose des éléments les plus récents concernant le prévenu ou l'accusé pour pouvoir prononcer le jugement le plus individualisé possible.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Malheureusement, l'absence d'enquête rend inapplicable les dispositions que vise à instaurer le texte pour déroger à la règle générale, à savoir les peines planchers. En effet, si le juge ne dispose d'aucun élément d'enquête, on ne voit pas comment il pourrait prendre la responsabilité de déroger à la peine plancher.

Monsieur Braye, vous qui aimez que les textes soient appliqués, je peux vous dire que l'absence de l'enquête prévue par l'amendement n° 5 rendrait inapplicable le texte qu'il nous est demandé de voter.

M. le président. La parole est à Mme Lucette Michaux-Chevry, pour explication de vote.

Mme Lucette Michaux-Chevry. Rendre obligatoire les enquêtes de personnalité est superfétatoire. En effet, aucun dossier n'est présenté au pénal s'il ne comporte les éléments indispensables pour permettre au juge d'individualiser la peine.

En matière de récidive, le prévenu ou son conseil peuvent, à l'audience, demander une enquête supplémentaire. En rendant cette décision obligatoire, on va incontestablement créer une surcharge de travail, tant pour le parquet que pour les assistantes sociales.

C'est la raison pour laquelle je soutiens la position de Mme le garde des sceaux.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. Mes chers collègues, je suis étonné de notre discussion ! En effet, la commission des lois a unanimement adopté cet amendement. Croyez-vous qu'elle l'ait fait à la légère, sans savoir ce dont il était question, en se livrant à des impressions ou pour satisfaire à je ne sais quel penchant laxiste ?

Lorsqu'il s'agit de crimes, la question est réglée, puisque l'enquête de personnalité est nécessairement obligatoire et complète. Dans ce cas, nul besoin des dispositions prévues par cet amendement !

Aujourd'hui - c'est inscrit dans toutes les statistiques -, les procédures de comparution immédiate, les procédures les plus rapides, sont la loi commune. Or elles ne permettent pas de recueillir les renseignements nécessaires. Dans de telles conditions, il nous a paru évident que, pour garantir une bonne justice, le magistrat devait pouvoir apprécier en connaissance de cause l'existence ou non de garanties de réinsertion.

S'agissant de peines de cette importance - je rappelle qu'il s'agit d'emprisonnement ferme -, la commission des lois a estimé que le ministère public, dans tous les cas, et pas seulement selon les possibilités du moment, devait procéder à cette enquête.

En outre, reconnaissez que l'argument selon lequel une telle mesure coûterait cher, alors qu'il s'agit de décisions pouvant entraîner des peines d'emprisonnement ferme, ne saurait être déterminant.

La commission était donc unanime : il s'agit d'une mesure de bonne justice, qui doit accompagner le développement des comparutions immédiates. En effet, la justice doit être éclairée avant de décider, en particulier pour des peines d'emprisonnement ferme. Je ne vois donc pas ce qui pourrait empêcher nos collègues d'adopter cet amendement.

M. le président. Vous avez la parole, monsieur le président de la commission. Je vous demande de me pardonner de ne pas vous l'avoir donnée plus tôt. Je pensais que vous souhaitiez vous exprimer en dernier.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je n'ai pas pour habitude, monsieur le président, de prendre la parole à tout bout de champ ! Lorsque je la demande, c'est, a priori, pour l'avoir à ce moment-là.

M. le président. Je serai désormais plus attentif, monsieur le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En fait, la commission des lois a recherché un équilibre.

À partir du moment où il existe des peines minimales en cas de récidive et que l'on doit tenir compte de la personnalité du prévenu et des circonstances de l'infraction, la commission considère que la réquisition du parquet ne peut intervenir qu'après une enquête de personnalité, laquelle peut être menée, notamment, par un officier de police judiciaire.

Cela pose, bien entendu, des questions de moyens : on ne dispose pas d'assez d'enquêteurs ; cela risque de retarder les procédures... Tout cela est vrai. Je comprends bien votre souci, madame le garde des sceaux, mais comprenez aussi le nôtre !

Pour nous qui croyons à la nécessité d'instaurer des peines minimales, cette disposition nous semble de nature à garantir un équilibre. À partir du moment où l'on entre dans le système, la logique veut que l'on adopte cet amendement. En tant que président de la commission des lois, malgré l'opposition du Gouvernement, j'incite mes collègues à le faire.

M. Charles Pasqua. L'assemblée fait ce qu'elle veut !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le juge devra prononcer une peine minimale. C'est une responsabilité ! Il devra connaître la personnalité du prévenu pour aller en deçà. Il peut avoir un doute. Il convient de le prévoir.

L'enquête devrait-elle être demandée par le magistrat, puisqu'elle n'est pas forcément indispensable ? La formule reste à trouver, madame le garde des sceaux. Quoi qu'il en soit, ne pas poser le principe ne nous semble pas satisfaisant.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2.

Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 6, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 132-20 du code pénal, il est inséré un article 132-20-1 ainsi rédigé :

« Art. 132-20-1.- Lors du prononcé de la peine, le président de la juridiction avertit le condamné des conséquences qu'entraînerait une condamnation pour une nouvelle infraction commise en état de récidive légale. »

L'amendement n° 39, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus - Schmidt, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene - Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 132-20 du code pénal, il est inséré un article 132-20-1 ainsi rédigé :

« Art. 132-20-1.- Lors du prononcé de la peine, le président de la juridiction doit avertir le condamné des conséquences qu'entraînerait une condamnation pour une nouvelle infraction commise en état de récidive légale. »

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 6.

M. François Zocchetto, rapporteur. J'espère que cet amendement sera plus consensuel dans la mesure où les moyens nécessaires à son application risquent de poser moins de problèmes !

Les délinquants ignorent parfois, surtout lorsqu'ils sont mineurs, qu'ils encourent une aggravation de la peine en cas de récidive. Cela nous paraît étonnant, à nous qui discutons régulièrement de la récidive ; mais c'est la réalité.

Aussi, à titre dissuasif, semble-t-il utile d'inviter le président de la juridiction à avertir le condamné des conséquences qu'entraînerait une condamnation pour une nouvelle infraction commise en état de récidive légale.

Cela revient à appliquer l'adage : « Mieux vaut prévenir que guérir. » On préviendra la personne condamnée une première fois que, lors de la prochaine condamnation pour des faits similaires ou assimilés au regard de la récidive légale, elle encourra non pas un travail d'intérêt général, mais une peine d'emprisonnement.

Cette façon de faire est déjà pratiquée dans un certain nombre de juridictions. Les présidents de tribunaux correctionnels ont spontanément constaté que, en avertissant le condamné sur ce qu'il encourait s'il recommençait, ils contribuaient à la lutte contre la récidive.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour présenter l'amendement n° 39.

M. Robert Badinter. Cet amendement est pratiquement identique à celui de la commission. La seule différence tient aux mots « doit avertir » alors que, dans le texte de la commission, il est dit : « avertit ». Au demeurant, je préfère l'emploi de l'indicatif présent ; aussi, je suis prêt à retirer notre texte.

Nous avons déposé cet amendement pour une raison simple. Au cours des auditions auxquelles a procédé la commission des lois, j'ai tenu à demander aux magistrats si, pour prévenir la récidive, il ne leur paraissait pas opportun, au moment de prononcer une condamnation, de lancer un avertissement à l'intéressé : « Faites attention, si vous recommencez, vous encourrez telle peine ! » Peut-être alors se rendra-t-il compte de ce qui peut advenir s'il réitère. On parle de dissuasion par la peine encourue.

Ne rêvons pas ! Lorsque, après sa condamnation, le délinquant quitte le tribunal correctionnel, il n'est pas, croyez-moi, conscient de ce que contient le code pénal. Il ne le connaît même pas. En revanche, en cet instant précis du prononcé de la peine, si l'on insiste sur le fait que cette peine sera plus grave s'il recommence, il y a une chance, et il faut la tenter, qu'un tel avertissement s'imprègne en lui.

Chacun des magistrats en est convenu. Comme M. Zocchetto, nous avons estimé utile de prévoir cette forme de dissuasion spécifique, immédiate, individualisée. Nombre de magistrats font déjà cet avertissement ; il faut généraliser cette pratique. Non seulement cela ne coûtera rien, mais on peut espérer que cela permettra de prévenir la récidive plus sûrement que le vote de textes complexes, que les intéressés ne connaissent certainement pas.

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur cet amendement ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Je considère qu'il est satisfait par l'amendement n° 6 de la commission, mais j'avais compris que M. Badinter le retirait.

M. Robert Badinter. Effectivement, je le retire.

M. le président. L'amendement n° 39 est retiré.

Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 6 ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement y est favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement est adopté à l'unanimité.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2.

Articles additionnels après l'article 2
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Article 3 (interruption de la discussion)

Article 3

I. - L'article 20-2 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est complété par la phrase suivante : « La diminution de moitié de la peine encourue s'applique également aux peines minimales prévues par les articles 132-18, 132-18-1 et 132-19-1 du code pénal. » ;

2° Le deuxième alinéa est remplacé par les alinéas suivants :

« Toutefois, si le mineur est âgé de plus de seize ans, le tribunal pour enfants ou la cour d'assises des mineurs peut décider qu'il n'y a pas lieu de le faire bénéficier de l'atténuation de la peine prévue à l'alinéa précédent dans les cas suivants :

« 1° Lorsque les circonstances de l'espèce et la personnalité du mineur le justifient ;

« 2° Lorsqu'un crime d'atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne a été commis en état de récidive légale ;

« 3° Lorsqu'un délit de violences volontaires, un délit d'agressions sexuelles, un délit commis avec la circonstance aggravante de violences a été commis en état de récidive légale.

« Lorsqu'elle est prise par le tribunal pour enfants, la décision de ne pas faire bénéficier le mineur de l'atténuation de la peine doit être spécialement motivée, sauf pour les infractions mentionnées au 3° ci-dessus commises en état de récidive légale.

« L'atténuation de la peine prévue au premier alinéa ne s'applique pas aux mineurs de plus de seize ans lorsque les infractions mentionnées aux 2° et 3° ci-dessus ont été commises une nouvelle fois en état de récidive légale. Toutefois la cour d'assises des mineurs peut en décider autrement, de même que le tribunal pour enfants qui statue par une décision spécialement motivée. »

II. - Le treizième alinéa de l'article 20 de la même ordonnance est remplacé par les dispositions suivantes :

« 2° Y a-t-il lieu d'exclure l'accusé du bénéfice de la diminution de peine prévue à l'article 20-2 ou, dans le cas mentionné au septième alinéa de cet article, de faire bénéficier l'accusé de cette diminution de peine ? »

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l'article.

Mme Éliane Assassi. Avec cet article 3, c'est la cinquième fois en cinq ans que le Gouvernement modifie l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante. J'ajouterai qu'il modifie la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, texte qui n'est toujours pas appliqué.

L'article 3 s'attaque au principe de l'atténuation des peines. Celui-ci deviendrait l'exception à la seconde récidive, puisque le juge devra motiver sa décision s'il entend l'appliquer. Ainsi, l'atténuation de la peine pour les mineurs, principe à valeur constitutionnelle, serait remise en cause puisqu'il ne serait plus nécessairement tenu compte de la gravité réelle des faits commis ou de la personnalité de l'auteur.

Or, si l'automaticité des peines est interdite, c'est justement parce qu'elle ne permet pas d'assurer la proportionnalité des peines à laquelle, je vous le rappelle, la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs était attachée.

Notre commission des lois n'hésite d'ailleurs pas à se contredire, puisqu'elle précise, d'une part, que la réponse carcérale doit rester le dernier recours et, d'autre part, qu'il faut prévoir, avec ce texte, une augmentation du nombre des mineurs en détention.

Autre contradiction : son rapport indique que le taux de récidive légale, fondement du projet, est très faible pour les mineurs et qu'il n'y a pas de relation linéaire entre le taux de réitération et la durée de la peine de prison ferme. Dans ces conditions, à quoi sert ce texte ?

En réalité, ces dispositions qui limitent la marge d'appréciation du juge, mais qui accroissent leur responsabilité, révèlent une véritable défiance à l'égard de l'institution judiciaire, notamment des juges des enfants. Rappelons-nous les accusations de laxisme proférées à leur encontre par le précédent ministre de l'intérieur, l'actuel Président de la République.

Pourtant, le taux de réponse pénale est plus élevé pour les mineurs que pour les majeurs. Vous avez dit, madame le garde des sceaux : « une infraction, une réponse ». Mais où sont les réponses quand les délais d'attente annulent tout sens au prononcé de la sanction et ne permettent pas aux jeunes concernés de trouver l'aide nécessaire pour s'inscrire dans un parcours de sortie de la délinquance ?

Tous les professionnels insistent sur l'urgence qu'il y a à renforcer les structures de prise en charge et de suivi. Or la quasi-totalité des crédits supplémentaires affectés à la protection judiciaire de la jeunesse sont imputés à l'enfermement, une orientation constante depuis la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice. Pourtant, vous le savez bien, la prison n'insère pas ; elle élimine provisoirement du circuit.

L'ensemble des professionnels de la justice, de l'enfance, leurs organisations, sont opposés à ce texte. Ils vous l'ont fait savoir, comme ils le font régulièrement depuis cinq ans - sans beaucoup d'effet, hélas ! On est en droit de se demander où est le dialogue social, pourtant tant vanté.

Mme Dominique Versini, défenseure des enfants, a rappelé que ce texte contrevenait aux exigences de la Convention internationale des droits de l'enfant et du Comité des droits de l'enfant de l'Organisation des nations unies.

Le Conseil d'État a émis une réserve d'interprétation sur l'article 3, estimant qu'il ne pouvait être contraire aux articles 2 et 20 de l'ordonnance de 1945. Il serait sage en conséquence, me semble-t-il, de rejeter cet article 3.

M. le président. Je suis saisi de sept amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 40, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus - Schmidt, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene - Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Nous abordons le point le plus saisissant et, dirai-je, le plus regrettable de ce texte.

L'esprit de ces dispositions est en effet contraire à la jurisprudence et aux principes du Conseil constitutionnel en matière de droit des mineurs, aux conventions internationales et, ce qui est plus important encore, au système que nous avons édifié depuis un demi-siècle concernant le traitement judiciaire des mineurs.

En matière de droit des mineurs, on est parti d'une évidence : le mineur est un être en devenir. On en a déduit des conséquences : une juridiction spécialisée, la primauté des mesures éducatives et, dans le cas de recours à l'emprisonnement, une atténuation qui est de l'ordre de la moitié. Tels sont les fondements constitutionnels de la justice pour mineurs. Les conventions internationales et l'évolution internationale vont dans le même sens.

Or, avec cet article 3, nous tournons d'un seul coup le dos à tout cela en créant des peines planchers qui comportent, certes, un niveau d'atténuation de peine, mais dont le ressort premier est l'emprisonnement, et c'est pourquoi j'ai utilisé l'expression « tourner le dos ». Voilà précisément ce que l'on ne doit pas faire !

Je tiens à dire que je suis de cette génération - triste privilège ! - que visait l'ordonnance de 1945. Datée du 2 février, elle n'a pas été prise après la victoire. La France était, pour l'essentiel, libérée, mais la guerre continuait. Pourquoi le législateur de 1945, sous la présidence du général de Gaulle, certes, mais avec la totalité des forces de la Résistance, a-t-il voulu qu'un texte relatif à la délinquance et à la protection de la jeunesse soit pris sans délai ? C'est parce que, dans la France telle qu'elle était à ce moment-là, il était absolument nécessaire de traiter ce problème.

La génération concernée a grandi alors même que plus d'un million et demi de pères de famille étaient prisonniers - ils l'étaient encore en février 1945 - alors que des centaines de milliers de déportés ne reviendraient pas. Ce sont les mères qui ont dû faire face à cette situation. Cette génération, qu'on a appelée les J3, qui a souffert de carences alimentaires, qui a vu autour d'elle tant d'exemples de corruption, qui a été le témoin du marché noir, de relâchements en tout genre et, pis encore, d'abandons et de trahisons, était tellement déboussolée que la délinquance y était considérable. C'est pour cette raison que, toutes affaires cessantes, dans une France à reconstruire, a été prise l'ordonnance de 1945 définissant les bases de ce que devait être le traitement judiciaire de la jeunesse en danger ou délinquante.

Si, à cet instant-là, l'éducatif a prévalu sur le répressif, ce n'était pas par laxisme - pensez aux rédacteurs de l'ordonnance -, mais par souci de prendre impérativement en compte la spécificité de l'adolescence, qui avait été si cruellement oubliée durant cette terrible époque. Les hommes qui portaient ces principes n'étaient pas mus par l'angélisme. La spécificité de l'adolescence est, depuis lors, devenu le fondement de notre droit des mineurs.

Les temps ont évidemment changé. L'ordonnance de 1945 a fait l'objet de plus de vingt révisions. Elle est un peu comme ces meubles de familles dont on remplace le tiroir, puis les serrures, mais dont on conserve la structure. En dépit de ces modifications, les principes qui l'avaient inspirée sont demeurés. Ce n'est ni par angélisme ni par laxisme qu'on se refuse à l'incarcération des mineurs, mais pour les raisons que j'ai évoquées plus haut. La prison, même si les bâtiments sont neufs, même avec la présence d'éducateurs, favorise grandement les risques de récidive. En l'espèce, c'est toujours avec une extrême prudence qu'il faut recourir à l'incarcération. Pour cette raison, ce projet de loi va dans le mauvais sens ; il nous conduit dans le mur.

J'entends dire que le moment est venu de traiter comme des adultes les mineurs de seize à dix-huit ans parce qu'ils sont plus musclés et mieux solides que leurs aînés, parce que leurs performances athlétiques sont supérieures. Comme si la maturité et la responsabilité pénale se mesuraient à la taille des biceps ! On perd le sens des choses ! Dans le même temps, tous les pays européens, notamment l'Allemagne, considèrent au contraire que les jeunes âgés aujourd'hui de dix-neuf ou de vingt ans manquent de maturité et qu'ils doivent relever de la protection judiciaire de la jeunesse. Aussi, non seulement c'est un non-sens que de traiter les mineurs comme des majeurs, mais encore c'est dangereux. Je le répète, on ne mesure pas la dangerosité d'un individu à sa taille ou à sa masse musculaire- à cet égard, il est vrai que ma génération n'était pas particulièrement ni bien nourrie ni athlétique.

En tout cas, ce qui continue d'être impératif, c'est de protéger la jeunesse, y compris contre elle-même, et non de recourir à la solution carcérale en la considérant comme une panacée. Cela dit, je peux comprendre ce réflexe de la part de ceux qui ont subi les actes de violence de jeunes dévoyés.

Enfin, ce qui caractérise la délinquance des adolescents, et spécialement de ceux qui sont âgés de quinze à dix-sept ans, c'est la révolte, révolte contre leurs parents et révolte contre la société. Cette délinquance se caractérise par la réitération. On ne vole pas une fois dans un supermarché, mais dix fois. On ne vole pas un vélo, on en vole cinq. On ne vole pas une voiture, on en vole trois. Ces périodes propices à la délinquance de l'adolescent prennent fin dès lors qu'une réponse appropriée lui est apportée. Or, en séparant les actes délictueux les uns des autres par une sorte de « saucissonnage » et en les jugeant indépendamment les uns des autres, ce projet de loi sur la réitération et la récidive nous conduit droit au désastre.

De cette génération qui est soumise à tant de tentations et dont les problèmes éducatifs sont si prégnants, on verra émerger un nombre croissant de délinquants qui, alors, ne seront plus des délinquants juvéniles.

C'est pourquoi, au nom du groupe socialiste, je demande avec fermeté la suppression de cet article. Il sera toujours temps de mettre à jour l'ordonnance de 1945 et d'en améliorer les procédures. Mais ne mêlez pas dans un même texte la révision de cette ordonnance et le traitement de la récidive des majeurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. L'amendement n° 58, présenté par Mmes Borvo Cohen - Seat, Mathon - Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L'article 60 de la loi n°2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance est abrogé.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Compte tenu de ce que vient de dire notre collègue Robert Badinter, je considère que cet amendement a été défendu.

M. le président. L'amendement n° 59, présenté par Mmes Borvo Cohen - Seat, Mathon - Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Compléter le deuxième alinéa (1°) du I de cet article par une phrase ainsi rédigée :

Toutefois, le tribunal pour enfants peut, dans tous les cas, prononcer une mesure éducative.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Nous avons déjà eu ce débat tout à l'heure lors de l'examen des articles 1er et 2, mais il nous semblait plus judicieux d'inscrire dans l'ordonnance de 1945, texte qui régit encore le droit pénal des mineurs, le fait que dans tous les cas le tribunal peut prononcer une mesure éducative à l'encontre d'un mineur délinquant.

Cet amendement a donc pour objet de traduire la réserve d'interprétation que le Conseil d'État a émise sur ce projet de loi concernant la justice des mineurs. Celui-ci a en effet rappelé que ce texte s'inscrivait dans le cadre de l'article 2 de l'ordonnance de 1945 et que l'emprisonnement n'était pas l'objectif premier du droit des mineurs, mais restait une exception.

Ainsi, il importe de rappeler que le dispositif des peines planchers n'a vocation à s'appliquer que si la juridiction décide de prononcer une peine d'emprisonnement.

Les fondements de l'ordonnance de 1945 sont toujours valables : le problème ne vient pas tant des jeunes eux-mêmes que de la diminution progressive des moyens alloués aux magistrats et aux éducateurs pour mettre en oeuvre les mesures éducatives. Et c'est bien souvent cette absence de rapidité dans la réponse pénale qui favorise la récidive.

Mais le Gouvernement fait le choix de la visibilité : asséner que les jeunes sont de plus en plus violents pour ensuite faciliter leur emprisonnement est beaucoup plus intéressant d'un point de vue médiatique que financer des personnels supplémentaires pour la protection judiciaire de la jeunesse. Le travail sur le long terme, avec un véritable projet éducatif, n'est pas suffisamment parlant pour l'opinion.

Le Gouvernement propose aujourd'hui une justice mécanique, à l'encontre de ce qu'il faut faire avec les mineurs délinquants.

Cet amendement de repli a pour objet de préciser que les juridictions pourront toujours faire le choix de prononcer une mesure éducative, même en cas de récidive du mineur.

M. le président. L'amendement n° 52, présenté par Mmes Boumediene - Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Dans le septième alinéa (3°) de cet article, supprimer les mots :

un délit de violences volontaires,

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. L'article 3 du projet de loi dispose que le juge aura la faculté d'écarter l'excuse de minorité du mis en cause lorsque celui-ci aura commis en état de récidive légale un délit de violences volontaires.

Cet amendement vise à supprimer du texte cette mention, qui est beaucoup trop large. À cet égard, je citerai Mme la ministre elle-même, qui, dans un article paru dans l'édition de lundi du quotidien Libération, a écrit : « C'est à ces mineurs-là, auteurs de violences graves et réitérées aux personnes, et à ces mineurs-là seulement, que mon projet de loi s'adresse. » Or, en l'état actuel des choses, ce projet de loi vise également toutes les atteintes aux biens, et pas seulement les atteintes aux personnes.

Le délit de violences volontaires recouvre des situations trop variées. Cet amendement vise à en circonscrire le champ, pour distinguer, d'une part, les délits les moins graves, d'autre part, les délits de violences volontaires les plus graves et, enfin, les délits commis avec la circonstance aggravante de violences, au regard de la récidive.

Le délit commis avec la circonstance aggravante de violences étant déjà visé par ce même alinéa de l'article 3, il est inutile de faire apparaître la référence au délit de violences volontaires.

M. le président. L'amendement n° 25, présenté par Mmes Boumediene - Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Dans le septième alinéa du I de cet article, après les mots :

délit de violences volontaires

insérer les mots :

ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 10 jours

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Je défendrai en même temps l'amendement n° 26, monsieur le président.

M. le président. J'appelle donc en discussion l'amendement n° 26, présenté par Mmes Alima Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, qui est ainsi libellé :

Dans le septième alinéa du I de cet article, après les mots :

délit commis avec la circonstance aggravante de violences

insérer les mots :

ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 10 jours

Veuillez poursuivre, ma chère collègue.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce projet de loi concerne tous les types de délits, sans considération de la nature des infractions ni de leur gravité.

Or il est important de traiter les délits différemment selon leur nature. J'ai proposé tout à l'heure d'établir une distinction entre l'agression, l'agression avec violence et les violences volontaires ayant entraîné ou non une interruption temporaire de travail. Mais Mme la ministre m'a opposé une fin de non-recevoir.

Ces amendements ont pour objet de rappeler l'importance de cette distinction.

M. le président. L'amendement n° 27, présenté par Mmes Boumediene - Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Compléter in fine le I de cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« La décision de ne pas faire bénéficier le mineur de l'atténuation de la peine ne peut être prononcée par le tribunal pour enfants ou le juge des enfants lorsque le mineur est poursuivi en vertu de la procédure prévue à l'article 14-2. »

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à ce que le mineur de plus de seize ans bénéficie obligatoirement d'une atténuation de peine lorsqu'il est poursuivi devant le tribunal pour enfants selon la procédure de présentation immédiate devant la juridiction.

L'exclusion de l'atténuation de la responsabilité du mineur par le juge impose par principe un délai de réflexion et une appréciation approfondie de la personnalité du mineur et, par conséquent, un rallongement nécessaire des investigations avant le prononcé de la peine.

Ce principe d'atténuation de la peine pour le mineur est un principe constitutionnel. Il s'oppose donc à ce que l'excuse de minorité soit écartée dans le cadre de cette procédure accélérée ou procédure de présentation immédiate.

La présentation immédiate devant le juge n'est pas une procédure adaptée à une décision d'exclusion du principe de l'atténuation de la peine pour le mineur. En effet, cette décision ne peut intervenir que dans le cadre de la procédure « classique » de jugement, avec les délais qui y sont attachés entre la présentation au procureur de la République et l'audience devant le tribunal pour enfants.

En cas de première récidive, le projet de loi impose au juge de motiver sa décision lorsque les circonstances de l'espèce et la personnalité du mineur le justifient. La décision prend du temps et la procédure de présentation immédiate ne permet pas de telles investigations en raison de son caractère assez expéditif.

En cas de deuxième récidive, le juge ne peut décider d'atténuer la peine qu'à la condition de motiver de manière spéciale sa décision. Cela suppose donc des investigations approfondies qui ne sont pas possibles dans le cadre d'une procédure accélérée.

Cet amendement tend à supprimer cette incompatibilité factuelle. Des investigations plus poussées s'imposent par principe lorsqu'il s'agit d'appliquer à un mineur des règles du droit pénal.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Je crois utile de rappeler au Sénat le cadre dans lequel nous évoluons en matière de justice pénale des mineurs afin d'éviter toute erreur d'interprétation et afin de savoir ce dont il est question dans ce texte.

Aujourd'hui, il existe des situations extrêmement différentes selon l'âge du mineur.

Les mineurs capables de discernement âgés de moins de dix ans ne peuvent faire l'objet que de mesures éducatives. Ils ne sont pas visés par le texte.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils le seront l'année prochaine...

M. François Zocchetto, rapporteur. Mais non ! Vous le savez bien... vous souriez !

Les mineurs de dix à treize ans ne peuvent pas être condamnés à une peine, mais ils sont susceptibles de faire l'objet de sanctions éducatives - mesures intermédiaires introduites par la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice, qui se situent à mi-chemin entre des mesures éducatives et des peines. Eux non plus ne sont pas concernés par ce texte.

Les mineurs de treize à seize ans - dont certains, malheureusement, commettent des actes graves, voire très graves, y compris, parfois, en situation de récidive - peuvent être condamnés à certaines peines, mais ils bénéficient toujours, en toute circonstance, d'une diminution des peines privatives de liberté et des peines d'amende. Ce principe n'est pas modifié par le présent texte.

Enfin, les mineurs de seize à dix-huit ans bénéficient en principe de l'atténuation de leur responsabilité, laquelle peut cependant être écartée par la juridiction de jugement sous certaines conditions. De fait, ce projet de loi prévoit d'apporter des modifications à la législation actuelle s'agissant de cette dernière catégorie de mineurs.

Le texte prévoit en premier lieu d'étendre les conditions dans lesquelles le juge peut décider d'écarter l'excuse de minorité pour les auteurs d'infractions d'une particulière gravité commises en état de récidive. Il s'agit des crimes d'atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique, des délits de violences volontaires, des agressions sexuelles et des délits commis avec la circonstance aggravante de violences.

En second lieu, en cas de nouvelle récidive de ces infractions les plus graves, c'est-à-dire quand l'acte est commis pour la troisième, quatrième ou cinquième fois, l'atténuation de la peine sera exclue à moins que la juridiction n'en décide autrement. Le juge a donc toujours la possibilité de revenir à l'excuse de minorité, laquelle n'est en aucun cas une exonération de responsabilité, mais conduit à une atténuation de la peine.

Je me permets de rappeler tous ces points, parce qu'il me semble qu'il règne une certaine confusion sur le sujet.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Dans la presse !

M. François Zocchetto, rapporteur. Dans la presse, et peut-être aussi dans l'esprit de certains d'entre nous.

En conclusion, je soulignerai que, selon la commission, le chapitre du projet de loi que nous étudions ne remet pas en cause l'âge de la majorité pénale, qui reste, comme dans la quasi-totalité des pays, fixée à dix-huit ans ; il y a un pays européen dans lequel elle est fixée à quinze ans.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et dans d'autres à vingt et un ans !

M. François Zocchetto, rapporteur. Le texte ne remet pas non plus en cause le principe d'atténuation de la responsabilité, puisque celui-ci reste posé comme principe et que le juge a toujours la possibilité de prononcer l'excuse de minorité.

Enfin, le texte ne remet évidemment pas en cause ce qui est un acquis fondamental de l'ordonnance de 1945 : la spécialisation des juridictions pour mineurs. En d'autres termes, le mineur de moins de dix-huit ans restera toujours passible du juge pour enfants ou du tribunal pour enfants.

Ces observations étant faites, vous comprendrez que, au nom de la commission, je m'oppose aux amendements qui ont été présentés.

Il en va ainsi de l'amendement de suppression n° 40, mais également de l'amendement n° 58, qui tend à supprimer l'article 60 de la loi du 5 mars 2007 ayant récrit l'article 20 de l'ordonnance de 1945 ; de l'amendement n° 59, qui a le même objet que l'amendement n° 32 que nous avons écarté tout à l'heure.

La commission a également émis un avis défavorable sur les amendements nos 52, 25 et 26, qui visent à réduire les conditions dans lesquelles le juge peut écarter le principe d'atténuation de la peine pour un mineur récidiviste de plus de seize ans, parce que ce serait contraire à l'esprit du texte.

Enfin, elle s'est prononcée défavorablement sur l'amendement n° 27, qui tend quant à lui à réduire excessivement le champ d'application du projet de loi.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. À propos de l'amendement n° 40, qui vise à supprimer l'article 3, je rappelle ce que j'ai déjà indiqué précédemment : le projet de loi ne modifie aucunement l'article 2 de l'ordonnance de 1945 et les mesures éducatives seront toujours possibles. J'émets donc un avis défavorable.

L'amendement n° 58 tend à supprimer l'exclusion de plein droit de l'excuse de minorité, disposition essentielle du texte, qui prolonge la loi du 5 mars 2007 ; j'y suis bien entendu défavorable.

Je citerai à ce propos, en réponse à Mme Assassi, quelques statistiques concernant les mineurs âgés de treize à seize ans - ce sont des données provenant du casier judiciaire national, que je tiens à sa disposition. Entre 2000 et 2005, les condamnations pour crimes d'homicide volontaire, de violence ayant entraîné la mort et de viol ont augmenté de 28 % ; les condamnations pour violence volontaire avec ITT supérieure à huit jours ont connu une hausse de 19 % ; les condamnations pour délits à caractère sexuel sont en augmentation de 43 %.

L'amendement n° 59 reprend la proposition formulée par M. Badinter. Dans la mesure où nous ne touchons pas à l'article 2 de l'ordonnance de 1945, il est superflu et j'y suis défavorable.

L'amendement n° 52 a pour objet de modifier légèrement l'article 20-2, qui a été récrit par la loi du 5 mars 2007. Or la rédaction de l'article 3 du projet de loi rend plus lisible cet article 20-2, ce dont le Conseil d'État s'est d'ailleurs félicité. Je suis donc défavorable à cet amendement.

L'amendement n° 25 vise à limiter la possibilité d'écarter le principe d'atténuation de la peine aux violences volontaires ayant entraîné une ITT supérieure à dix jours. Je ferai la même observation que tout à l'heure : même lorsque l'ITT est inférieure à dix jours, les victimes peuvent souffrir de traumatismes extrêmement graves. De plus, elles ne vont pas systématiquement consulter un médecin dans une unité médico-judiciaire pour faire constater l'ITT. J'émets donc un avis défavorable.

Il en va de même pour les amendements nos 26 et 27.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur l'amendement n° 40.

M. Jean-Pierre Sueur. Au moment où nous sommes appelés à nous prononcer sur cette disposition, qui est bien sûr essentielle, permettez-moi de laisser parler un magistrat qui connaît très bien le sujet, puisqu'il s'agit de M. Philippe Chaillou, président de la chambre des mineurs à la cour d'appel de Paris. Ce magistrat très respecté et très compétent a écrit : « Ce qui est certain, c'est que ce projet est parfaitement contraire à l'esprit de la Convention internationale des droits de l'enfant que la France a ratifiée. »

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n'est pas vrai !

M. Jean-Pierre Sueur. « Or nous devons, comme chaque pays qui a ratifié cette convention, régulièrement rendre des comptes à la communauté internationale des Nations unies sur son application. Il ne faudra pas s'étonner qu'à cette occasion notre pays soit à nouveau montré du doigt. »

Ce magistrat écrit également : « La question de la récidive des mineurs reste une question préoccupante, difficile et complexe, mais qui mérite mieux que ce texte illusoire. Notre pays dispose en effet déjà de toute une gamme de mesures qui permettent de lutter contre le phénomène de la récidive des mineurs. [...] Une des innovations les plus fortes, qui n'est plus guère contestée aujourd'hui, a été la création en 2002 des centres éducatifs fermés, qui connaissent, dans ce domaine, des résultats salués par le commissaire européen aux Droits de l'homme. »

Mes chers collègues, ces centres éducatifs fermés sont certainement une bonne solution ; ce magistrat le dit, d'autres ont pu le constater. Je poursuis la lecture de ce texte de M. Philippe Chaillou, paru hier dans le journal Libération,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah ! C'est une référence !

M. Jean-Pierre Sueur. C'est un journal !

M. Dominique Braye. Très orienté !

M. Jean-Pierre Sueur. Peut-être, mon cher collègue, mais ce que je veux citer n'est pas orienté puisqu'il s'agit de faits.

« De la même manière, la région parisienne, qui compte, rappelons-le, plus de 12 millions d'habitants, dont un certain nombre vivent dans des banlieues en difficulté, ne dispose que d'un centre éducatif fermé, et ce depuis le mois d'avril 2007. Il y a actuellement six mineurs entre seize et dix-huit ans [...]. » Il paraît qu'un second centre ouvrira peut-être en 2008.

Il est clair que la prison a souvent un effet négatif bien connu sur les mineurs et que, en dépit du dévouement et du travail réalisé par les personnels, ce n'est certainement pas le milieu pénitentiaire qui permet le mieux de réussir la réinsertion, en tout cas d'éviter la récidive. Il y a cette solution des centres éducatifs fermés ; mais, pour la plus grande région de France - 12 millions d'habitants ! -, il n'y en a aujourd'hui qu'un, qui accueille six personnes.

Madame la ministre, vous êtes venue, parce que c'est votre fonction - nous l'avons bien compris - nous présenter cette loi d'affichage. Je vous assure que, si vous étiez venue en nous disant quels moyens allaient être dégagés en priorité pour que la région d'Île-de-France dispose de trois centres, de quatre centres, de cinq centres, cela aurait été nettement plus positif que ce que vous affichez là, qui, certes, impressionnera peut-être quelque temps une partie de l'opinion, mais qui, concrètement, n'aura pas l'effet que nous attendons et que seules des structures spécialisées pourront apporter.

Nous pensons donc qu'il y a vraiment mieux à faire que d'adopter l'article 3.

M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, pour explication de vote.

M. Dominique Braye. J'ai bien entendu l'explication de vote de notre collègue M. Sueur ; mais elle aurait pu s'appliquer à n'importe quel article du projet de loi et l'on pourrait citer bien des avis opposés ! Tout cela ne présente pas grand intérêt.

En revanche, tout à l'heure, l'intervention de notre collègue M. Badinter m'a personnellement interpellé, et je souscris tout à fait à son propos.

Le devoir de l'homme politique, disait-il, n'est pas de suivre l'opinion publique ; j'ajouterai : parce que celle-ci apporte souvent de mauvaises réponses à de vraies questions. Pour autant, je crois profondément que le devoir de l'homme politique est d'entendre les vraies questions que se posent nos concitoyens qui ont des difficultés de vie, qui sont dans le désarroi, et que c'est à lui d'apporter les bonnes réponses.

M. Dominique Braye. C'est pour cela que nous sommes ici. Tous, nous devrions nous poser des questions. Vous, monsieur Sueur, devriez vous demander pourquoi nous n'avons qu'un centre éducatif fermé en Île-de-France et vous interroger sur ce que vous avez fait pendant si longtemps pour résoudre ces problèmes. Pourquoi en sommes-nous là ?

M. Jean-Pierre Sueur. C'est vous qui êtes là depuis cinq ans !

M. Dominique Braye. Je reviendrai toujours, parce qu'elles m'ont profondément marqué, aux conclusions de la commission spéciale sur l'analyse des événements de l'automne 2005. Je me souviens encore de l'appel au secours que nous lançaient tous les élus, quelle que soit leur sensibilité politique - et ils étaient davantage de la vôtre, parce que, dans le 9-3 ou chez nous, dans les Yvelines, ils sont plus nombreux -, qui nous suppliaient de faire quelque chose.

Le projet de loi va-t-il provoquer une augmentation des incarcérations ? Personnellement, et je vais peut-être à l'encontre de ce qu'affirment certains de mes collègues, je crois que, dans un premier temps, oui.

Mais je me suis aussi posé la question de savoir pourquoi, et j'en reviens à toutes les auditions auxquelles la commission spéciale a procédé. Je pense en particulier à celle de ces spécialistes qui nous expliquaient comment, en laissant des jeunes aussi longtemps impunis, nous les avions ancrés dans la délinquance. Je pense à ces éducateurs motivés qui nous avouaient franchement ne plus savoir quoi faire pour une génération qui est définitivement ancrée dans la délinquance.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Toute la génération ? Quelle horreur !

Mme Éliane Assassi. Vous savez ce que c'est, une génération ?

M. Dominique Braye. Oui, ils nous l'ont dit ! Revoyez le compte rendu des auditions !

Nous avons entendu des éducateurs, dont la profession est de sauver des jeunes, nous dire que, parce que nous, élus, ne leur en avons pas donné les moyens, ils ne savent plus quoi faire pour ces jeunes si profondément ancrés dans la délinquance. Alors, en homme politique responsable, je ne veux pas qu'il y ait d'autres générations comme celle-là, génération dans le destin de laquelle j'estime, mes chers collègues, que vous avez une part de responsabilité immense.

Nous n'en voulons plus, et c'est pour cela que nous votons ce projet de loi : pour faire en sorte qu'au premier méfait il y ait une sanction, pour éviter que ces jeunes ne soient définitivement installés dans la délinquance, pour que des éducateurs dont c'est pourtant la profession ne viennent plus nous dire, à nous politiques, qu'ils ne savent plus quoi faire.

C'est tout simplement pour remédier à cet état de fait que nous voterons le projet de loi qui nous est présenté et dont je suis persuadé qu'il est bon.

Et puis, mes chers collègues, que nous proposez-vous de concret, que nous proposez-vous qui soit applicable sur le terrain ? Pour l'instant, je n'ai entendu de votre part aucune proposition qui pourrait faire avancer le débat.

M. Jean-Pierre Sueur. Construisons de nouveaux centres fermés de façon qu'il y en ait plus d'un ! Voilà qui est concret !

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. Nos collègues de l'opposition me semblent quelque peu céder au manichéisme et à la caricature : selon eux, il y aurait d'un côté des élus exclusivement préoccupés de répression et de sanction, ceux de la majorité, et de l'autre côté des élus qui, eux, se soucieraient d'éducation et de réinsertion, ceux de l'opposition, bien sûr.

M. Charles Gautier. Quand avez-vous entendu cela ?

M. Jean-René Lecerf. Il y a quelques instants !

Les propos de Mme Assassi me paraissent tout aussi caricaturaux lorsqu'elle explique que nous aurions oublié, dans notre fureur ou acharnement répressif, de donner les moyens élémentaires à l'aspect éducatif. Je voudrais tout de même rappeler que le budget de la justice a augmenté de 38 % en cinq ans et que les effectifs des services pénitentiaires d'insertion et de probation ont augmenté entre 2002 et 2007 dans des proportions jamais égalées auparavant. Telle est la réalité !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !

M. Jean-René Lecerf. Par ailleurs, je suis en désaccord total avec la conception de la prison qu'ont un certain nombre de mes collègues de gauche, pour qui j'ai au demeurant beaucoup d'estime et parfois même de l'admiration. Pourquoi la prison devrait-elle éternellement rester ce qu'elle est depuis des dizaines d'années, en tout cas depuis trop longtemps ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est ce qu'elle est pour l'instant !

M. Jean-René Lecerf. Pourquoi faudrait-il accepter que, pour l'éternité, dans les établissements pénitentiaires, les mineurs soient mêlés à des majeurs, à des délinquants d'habitude ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Jean-René Lecerf. Dans ce cas, c'est vrai, la prison devient effectivement une école de la récidive. Mais, précisément, l'ambition de la majorité est de mettre fin à cet état de choses, et nous attendons beaucoup, à cet égard, de la prochaine loi pénitentiaire.

M'intéressant de près à ces problèmes, j'ai longuement discuté avec des personnels de santé qui travaillent dans les prisons, avec des psychiatres et des psychologues. Ils m'ont tous déclaré que, pour un certain nombre de délinquants, notamment de mineurs délinquants, l'action éducative ne pouvait se faire que dans un milieu fermé, qu'elle était impossible au dehors.

Nous avons commencé à le démontrer avec les centres éducatifs fermés. Dans un premier temps, les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse y étaient violemment hostiles. Or l'expérience a montré depuis que, grâce à ces centres, des progrès pouvaient être réalisés : les taux de récidive sont particulièrement encourageants au regard de l'état de délabrement des jeunes qui y entrent.

Notre volonté est ferme de faire en sorte que les établissements pénitentiaires pour mineurs soient non pas des lieux où on laisse les jeunes faire ce qu'ils veulent ou ne rien faire du tout,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !

M. Jean-René Lecerf. ...mais des endroits où ils apprennent, sont éduqués et reçoivent une formation professionnelle. Alors, je le crois profondément, les dérogations qui sont faites à l'excuse de minorité et l'éventualité, pour un certain nombre de jeunes, de connaître un peu plus facilement l'enfermement sera parfois pour eux une chance et non un handicap. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut être vigilant. Lorsqu'on entend dire au Sénat que « toute une génération est dans la délinquance », il y a de quoi s'inquiéter.

M. Dominique Braye. Je n'ai fait que citer ! Reprenez les travaux de la commission !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Toute une génération n'est pas dans la délinquance, loin s'en faut ! Il convient tout de même que cela soit dit !

M. Dominique Braye. Vous refusez de voir la réalité !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais oui, bien sûr !

Le problème, c'est que le présent projet de loi ne soulève pas la question de savoir s'il faut sanctionner les mineurs : les textes actuellement en vigueur prévoient déjà de sanctionner les mineurs délinquants, mais en essayant de leur épargner, dans la mesure du possible, la prison.

Toutes les personnes qui s'occupent des mineurs, éducateurs, personnels des collectivités territoriales, magistrats, membres d'associations, lancent un appel au secours afin que des moyens soient mis en oeuvre pour répondre à la délinquance des mineurs.

Or le texte qui nous est proposé est très limité. Après la loi portant prétendument sur la « prévention » de la délinquance des mineurs - prétendument, puisqu'il ne s'agissait déjà que de sanctionner -, ce projet de loi prévoit d'emprisonner plus longuement les mineurs. La question est donc de savoir si l'emprisonnement des mineurs a un effet sur la récidive.

Madame la ministre, vous m'avez dit ce matin que vous m'expliqueriez ce qu'est un mineur délinquant. J'ai lu ce que vous avez écrit à ce propos dans le journal Libération. Vous avez longuement évoqué les mineurs, leurs actions, l'état dans lequel ils sont le plus dangereux, mais vous n'avez pas du tout parlé des prisons. C'est dommage parce que, en l'occurrence, c'est bien de cela qu'il s'agit.

Évidemment, le leitmotiv des défenseurs de la sévérité à l'égard des mineurs, de l'incarcération des mineurs délinquants, est que les jeunes d'aujourd'hui ne sont plus ceux de 1945. C'est une lapalissade ! Nous l'avons entendue cent fois, hier, aujourd'hui, et je suis certaine que nous l'entendrons encore demain.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Effectivement !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Badinter nous a expliqué que l'ordonnance de 1945 avait été prise pour endiguer la délinquance, qui était trop importante. Mais beaucoup de choses ont changé depuis cette époque : les téléphones mobiles, les ordinateurs, les GPS n'existaient pas, il n'y avait guère de voitures ; on ne voyait pas les riches étaler leur argent avec une incroyable insolence ni la violence gratuite se déverser dans les médias de l'époque comme aujourd'hui à la télévision et sur Internet. Donc, la délinquance était différente.

Et puis, à l'époque, le viol n'était pas considéré comme un crime, et le viol d'une jeune fille était bien souvent simplement passé sous silence. De même, l'inceste était très répandu, mais il faisait l'objet d'un tabou absolu. Ainsi, tous ces actes ne pouvaient pas apparaître dans la délinquance des jeunes.

J'ajoute que les responsables politiques de l'époque, ceux qui avaient libéré la France et repoussé la barbarie, croyaient en l'homme, croyaient en la jeunesse. Évidemment, ce n'est pas du tout le cas de ceux qui affirment aujourd'hui que toute la jeunesse est délinquante ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Autre différence par rapport à aujourd'hui : l'entrée des jeunes dans une collectivité de travail constituait pour eux un passage initiatique de l'adolescence à l'âge adulte, y compris pour les mineurs délinquants.

M. Dominique Braye. N'importe quoi !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'était un lieu de solidarité où l'on signifiait au jeune que le temps des égarements éventuels était passé et que, désormais, il entrait dans l'âge adulte.

Aujourd'hui, la société est de plus en plus envahie par l'argent, une société où la délinquance financière est particulièrement florissante et n'est pratiquement pas sanctionnée. (M. Dominique Braye s'exclame.) En face : pas d'emplois, mais de la désespérance, du repli, des solidarités en baisse !

M. Dominique Braye. Madame Borvo, continuez ainsi et la prochaine fois vous ferez 0,8% à l'élection présidentielle !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En revanche, ce qui n'a pas changé depuis 1945, c'est que les mineurs ne sont pas des majeurs, qu'un adolescent n'est pas un adulte,...

M. Dominique Braye. Q'un garçon n'est pas une fille !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... quel qu'il soit, quoi qu'il fasse.

Dans les familles aisées, les adolescents restent de plus en plus longtemps à la charge de leurs parents et ne prennent parfois leur autonomie qu'à vingt-huit ans, voire trente ans ! En revanche, pour les jeunes des milieux défavorisés...

M. Dominique Braye. Surtout, restez comme vous êtes, ne changez rien, et vous ferez 0,8% aux élections !

Mme Éliane Assassi. Occupez-vous de vous, monsieur Braye ! Nous en reparlerons dans d'autres lieux, si vous êtes courageux !

M. Dominique Braye. Je prédis 0,8% !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Permettez-moi de conclure, monsieur Braye !

Les adolescents sont des adultes en devenir, tout le monde vous le dira. Ils sont quelquefois déstructurés, désocialisés, désorientés, ils n'ont rien à faire. Tout cela est vrai, mais ce sont des adolescents.

M. Dominique Braye. Quand ils vous entendent, comment voulez-vous qu'ils s'en sortent ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En tout cas, pour les jeunes, la prison est criminogène, cela reste parfaitement exact.

Bien que des traités internationaux aient été bâtis sur le modèle de l'ordonnance de 1945, bien que de nombreux pays européens aillent plus loin dans ce sens-là, vous, vous ne cessez de revenir sur cette avancée extraordinaire qu'a été la justice des mineurs en reconnaissant qu'un mineur n'est pas un adulte et ne peut donc être traité comme tel par la justice.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 40.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 58.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 59.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 52.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 25.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 26.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 27.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 est adopté.)

Article 3 (début)
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Discussion générale

7

Candidature à une commission

M. le président. J'informe le Sénat que le groupe socialiste a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires économiques à la place laissée vacante par Mme Sandrine Hurel, élue députée.

Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du règlement.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

8

Nomination d'un membre d'une commission

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste a présenté une candidature pour la commission des affaires économiques.

Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.

La présidence n'a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Alain Le Vern membre de la commission des affaires économiques, à la place laissée vacante par Mme Sandrine Hurel, élue députée.

9

Article 3 (interruption de la discussion)
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Article 4

Récidive des majeurs et des mineurs

Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, déclaré d'urgence, renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l'article 4.

Discussion générale
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Articles additionnels après l'article 4

Article 4

La première phrase du premier alinéa de l'article 362 du code de procédure pénale est complétée par les mots : « , ainsi que, si les faits ont été commis en état de récidive légale, de l'article 132-18-1 et, le cas échéant, de l'article 132-19-1 ».

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 41 est présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat,  Dreyfus-Schmidt,  C. Gautier,  Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet,  Sueur et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 60 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat,  Mathon-Poinat,  Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

  Supprimer cet article.

La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l'amendement n° 41.

M. Richard Yung. Cet article vise à compléter l'article 362 du code de procédure pénale afin de permettre aux présidents de cour d'assises d'informer les jurés des dispositions des nouveaux articles relatifs à l'application des peines minimales aux récidivistes.

Par coordination avec les amendements de suppression que nous avons déposés aux articles 1er et 2, nous proposons de supprimer cet article.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l'amendement n° 60.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est également un amendement de coordination.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Par coordination, la commission émet un avis défavorable, car ces amendements n'ont plus lieu d'être.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 41 et 60.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 est adopté.)

Article 4
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Article 5

Articles additionnels après l'article 4

M. le président. L'amendement n° 12 rectifié, présenté par M. Charasse, Mme M. André, MM. Collombat,  C. Gautier,  Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet,  Sueur,  Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

  Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le chapitre unique du titre IV du livre Ier du code de l'organisation judiciaire est complété par un article ainsi rédigé :

« Art. L. 141-3. - La sûreté des locaux occupés par une juridiction est placée sous la seule responsabilité du président de cette juridiction, qui est chargé de prendre, au nom de l'État, les mesures nécessaires pour assurer l'ordre et la sécurité des biens et des personnes.

« Lorsque les mêmes locaux sont occupés par plusieurs juridictions, cette responsabilité est exercée par le président de la juridiction ayant le rang le plus élevé.

« Un décret pris après avis du Conseil supérieur de la magistrature précise les modalités d'application du présent article. »

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous retirons cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 12 rectifié est retiré.

L'amendement n° 42 rectifié, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat,  Dreyfus-Schmidt,  C. Gautier,  Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet,  Sueur et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

  Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans le septième alinéa de l'article 41 du code de procédure pénale, après le mot :« prescrites » sont insérés les mots : « , à peine de nullité, ».

La parole est à M. Jacques Mahéas.

M. Jacques Mahéas. Le sixième alinéa de l'article 41 du code de procédure pénale prévoit que « le procureur de la République peut requérir, suivant les cas, le service pénitentiaire d'insertion et de probation, le service compétent de l'éducation surveillée ou toute personne habilitée dans les conditions prévues par l'article 81, sixième alinéa, de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale d'une personne faisant l'objet d'une enquête et informer cette dernière sur les mesures propres à favoriser l'insertion sociale de l'intéressé ».

Le septième alinéa de ce même article 41 prévoit, quant à lui, que « ces diligences doivent être prescrites avant toute réquisition de placement en détention provisoire, en cas de poursuites contre un majeur âgé de moins de vingt et un ans au moment de la commission de l'infraction, lorsque la peine encourue n'excède pas cinq ans d'emprisonnement, et en cas de poursuites selon la procédure de comparution immédiate prévue aux articles 395 à 397-6 ou selon la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité prévue aux articles 495-7 à 495-13 ».

Or force est de constater que, dans de nombreux cas, ces diligences ne sont pas faites faute de moyens humains et matériels et qu'un constat de carence est produit permettant de passer outre.

Cet amendement tend à prévoir que ces diligences doivent être faites sous peine de nullité.

D'une manière générale, je veux faire observer que le manque de moyens pèse lourd sur l'ensemble de ces dispositions. Si, dans ce domaine, le budget a enregistré une légère progression, il est vraiment temps de lui faire faire un bond, et ce pourrait être le cas dans le cadre du prochain collectif budgétaire, afin de décupler les moyens humains et matériels nécessaires.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Il est vrai que, aujourd'hui, le défaut de diligences concernant l'enquête de personnalité ne constitue pas une cause de nullité.

Cependant, dans certains cas comme la comparution immédiate, l'affaire peut être renvoyée à une audience ultérieure lorsque la juridiction s'estime insuffisamment informée. Les juges, qui sont des personnes responsables, le font d'ailleurs très souvent.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !

M. François Zocchetto, rapporteur. En la matière, il faut conserver une certaine souplesse.

En outre, la préoccupation que vous exprimez, monsieur Mahéas, me paraît satisfaite, pour l'essentiel, par l'amendement n° 5 de la commission, qui prévoit que le ministère public ne peut prendre aucune réquisition tendant à retenir la circonstance aggravante de récidive s'il n'a préalablement requis la réalisation d'une enquête de personnalité.

Par conséquent, compte tenu du vote intervenu voilà deux heures en faveur de cet amendement, mon cher collègue, je vous suggère de retirer le présent amendement, qui ne me paraît pas s'imposer.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. Monsieur Mahéas, l'amendement n° 42 rectifié est-il maintenu ?

M. Jacques Mahéas. Monsieur le rapporteur, faisant plus confiance aux magistrats que la majorité de cette assemblée, j'ai été heureux de vous entendre déclarer, pour une fois, que les magistrats étaient capables de prendre une responsabilité.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il n'a jamais dit le contraire !

M. Jacques Mahéas. Compte tenu de ce nouvel état d'esprit, je retire l'amendement, monsieur le président.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est vous qui avez maintenant un bon état d'esprit, monsieur Mahéas ! C'est bien, continuez !

M. le président. L'amendement n° 42 rectifié est retiré.

L'amendement n° 68, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

  Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Dans la première phrase de l'article 88 du code de procédure pénale, après les mots : « par ordonnance, », sont insérés les mots : « dans un délai de 30 jours, ».

II. - Après la première phrase de l'article 88 du code de procédure pénale, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Le non-respect de ce délai entraînera la caducité de la plainte. ».

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, je retire cet amendement, qui est très éloigné du texte.

M. le président. L'amendement n° 68 est retiré.

CHAPITRE II

Dispositions relatives à l'injonction de soins

Articles additionnels après l'article 4
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Article 6

Article 5

I. - À l'article 131-36-4 du code pénal, le premier alinéa est abrogé et les deux premières phrases du deuxième alinéa sont remplacées par la phrase suivante :

« Sauf décision contraire de la juridiction, la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire est soumise à une injonction de soins dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique, s'il est établi qu'elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement, après une expertise médicale ordonnée conformément aux dispositions du code de procédure pénale. »

II. - 1° Les deux premières phrases du troisième alinéa de l'article 763-3 du code de procédure pénale sont remplacées par les phrases suivantes :

« Si la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire n'a pas été soumise à une injonction de soins, le juge de l'application des peines ordonne en vue de sa libération une expertise médicale afin de déterminer si elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement. S'il est établi à la suite de cette expertise la possibilité d'un traitement, la personne condamnée est soumise à une injonction de soins, sauf décision contraire du juge de l'application des peines. » ;

2° À la dernière phrase du même alinéa du même article, les mots : « de l'alinéa précédent » sont remplacées par les mots : « des deux alinéas précédents ».

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Dans la logique de défiance du projet de loi à l'égard des juges, cet article vise à retirer littéralement au juge une faculté jusqu'ici discrétionnaire, celle de prononcer une injonction de soins.

Dans le régime actuellement en vigueur, le juge dispose d'une marge d'appréciation qui lui permet de ne pas ordonner l'injonction de soins même si une expertise conclut à sa nécessité.

Cette liberté nous semble importante : elle traduit un respect du principe d'individualisation de la peine et donne au juge la possibilité d'adapter le prononcé de l'injonction de soins sans que cette dernière prenne le caractère d'une sanction.

L'article 5 vient balayer le caractère facultatif du prononcé de l'injonction de soins en le transformant en obligation : le juge ne pourra plus se soustraire à l'avis de l'expert psychiatre.

Une telle psychiatrisation de la justice appelle quelques commentaires.

Tout d'abord, elle porte atteinte au pouvoir du juge d'individualiser la peine. Gardien des libertés individuelles en vertu de la Constitution, le juge se transforme en un simple exécutant, qui obéit à une autorité médicale devenue omnipotente et omnisciente.

Il convient tout de même de rappeler que le principe d'individualisation de la peine est un des principes fondamentaux de notre droit pénal. Il permet à un juge de reconnaître une personne responsable, même si une expertise psychiatrique a conclu à l'irresponsabilité.

Il est une garantie de l'étanchéité des compétences : un médecin soigne, un juge prononce des sanctions, tous deux collaborant dans la recherche d'une meilleure prise en compte de l'intérêt du condamné.

Confier un pouvoir quasi juridictionnel à un expert psychiatre porte gravement atteinte aux principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance des juges.

Par ailleurs, il impose à ces mêmes psychiatres des sujétions qui vont bien au-delà de leur champ de compétence.

Dès lors que l'injonction de soins devient une obligation, un transfert des responsabilités du juge vers le médecin s'opère, et cela dans une indifférence totale vis-à-vis de la déontologie médicale.

Penser que l'expert peut à lui seul décider d'une injonction de soins, c'est miser de manière aveugle et simpliste sur les vertus des soins imposés pour lutter contre la récidive.

Un second point mérite toute notre attention : la suppression de l'exigence d'une double expertise pour certains crimes.

La double expertise psychiatrique n'est pas, dans ce domaine, une procédure factice : elle permet une meilleure appréhension de la nécessité de l'injonction de soins et, en l'absence d'une concordance des expertises, rend caduque toute tentative d'imposer des soins à une personne qui n'en a pas besoin.

La nécessité d'une concordance des expertises, qui constituait une garantie d'objectivité, devient une chimère avec ce projet de loi.

La généralisation de l'injonction thérapeutique se révèle dangereuse, non seulement en ce qu'elle entame le pouvoir d'appréciation du juge, mais également en ce qu'elle transfère sur les épaules d'un seul expert la responsabilité d'une mission périlleuse : imposer des soins, en contradiction totale avec le principe du consentement aux soins, corollaire du principe de l'inviolabilité du corps humain.

Pour toutes ces raisons, nous avons déposé un amendement visant à supprimer l'article 5.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Avec l'article 5, nous entamons l'examen des dispositions relatives à l'injonction de soins, ajoutées à la dernière minute par le Gouvernement, et mon propos concernera l'ensemble des dispositions du chapitre II.

Celui-ci vise à systématiser l'injonction de soins pour les auteurs d'infractions sexuelles et à en étendre l'application.

L'article 5 prévoit que la juridiction qui condamne une personne à un suivi socio-judiciaire devra aussi ordonner une injonction de soins. Ce qui n'était jusqu'à présent qu'une possibilité pour le juge devient une obligation dès lors qu'une expertise médicale établit que cette personne est « susceptible de faire l'objet d'un traitement ».

L'article 6 introduit l'injonction de soins dans les mesures susceptibles d'être prononcées dans le cadre d'un sursis avec mise à l'épreuve et l'article 7 rend obligatoire l'injonction de soins en cas de surveillance judiciaire.

Enfin, les articles 8 et 9 interdisent les réductions de peine et la libération conditionnelle aux personnes refusant les soins proposés pendant leur détention.

Je souhaiterais faire ici plusieurs remarques sur ces différentes dispositions.

La loi instaurant le suivi socio-judiciaire a été votée voilà presque dix ans, en 1998, mais son application est, dans l'ensemble, au point mort.

Les raisons sont multiples : faibles moyens financiers, manque cruel de conseillers d'insertion et de probation, de médecins psychiatres et coordonnateurs. Ces raisons sont connues de tous, à commencer par les gouvernements qui se succèdent, et pourtant rien n'a été fait pour permettre la mise en oeuvre d'une loi dont tout le monde s'accorde à dire qu'elle serait efficace si elle était appliquée.

En matière de récidive et de délinquance sexuelle, la priorité est donnée à l'incarcération et au fichage, au détriment de la prévention, alors qu'on sait depuis longtemps qu'ils ne sont pas la bonne solution.

Nous pourrions donc considérer que l'extension de l'injonction de soins aux délinquants sexuels est une bonne mesure. Le seul problème, s'agissant de l'article 5 par exemple, est que le champ des infractions pour lesquelles le suivi socio-judiciaire est encouru a été considérablement élargi et ne concerne plus uniquement les infractions sexuelles. La confusion s'installe donc petit à petit entre criminalité, délinquance et pathologie mentale.

Par ailleurs, les médecins, en particulier ceux que nous avons auditionnés, sont unanimes sur le fait que le principe du consentement aux soins de la personne doit être respecté. Or ce n'est pas ce qui est prévu par le projet de loi, surtout pas par les articles 8 et 9, qui instaurent un véritable soin contraint. Si la personne refuse le traitement, elle ne bénéficiera ni d'une réduction de peine ni d'une libération conditionnelle.

Je crains donc que toutes ces mesures, qui pourraient a priori constituer une avancée, ne soient en fait que des mesures d'affichage.

D'une part, aucun moyen ne les accompagne. M. Zocchetto indique lui-même dans son rapport « souhaiter que l'élargissement par le projet de loi de l'application de cette mesure - l'injonction de soins - conduise à adapter les moyens nécessaires pour une meilleure prise en charge médicale des personnes soumises à l'injonction de soins ».

Autrement dit, on nous invite à voter d'abord la loi, en attendant de voir si les moyens suivront. À défaut, une énième loi pénale viendra renforcer l'arsenal répressif à l'égard des délinquants sexuels...

D'autre part, tant du point de vue médical que du point de vue de la prévention de la récidive, ces mesures risquent d'être contre-productives. Donnons-nous déjà les moyens d'appliquer celles qui existent. !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l'article.

M. Jean-Pierre Sueur. Il s'agit là d'une question très difficile, sur laquelle je tiens à dire d'emblée ceci : nous ne sommes pas contre l'injonction de soins et nous pensons que celle-ci doit pouvoir être décidée par le juge dans des circonstances très précises.

Toutefois, madame le garde des sceaux, il y a dans votre texte une nouveauté importante par rapport au dispositif existant, à savoir l'obligation faite au juge, dans certaines circonstances, d'ordonner l'injonction de soins. Au reste, cette mesure est cohérente avec la peine plancher puisque celle-ci, sauf exception, est définie de telle manière que le juge ne peut s'y soustraire sauf à s'en expliquer : vous créez ici un automatisme de même nature.

La première chose que je vous demande, madame le garde des sceaux, c'est de nous expliquer le fondement de cet automatisme. Pourquoi faut-il que, dans certaines conditions, le juge n'ait aucune capacité d'appréciation ? J'espère que nous obtiendrons une réponse à cette question car nous sommes tout de même là pour essayer de comprendre !

Par ailleurs, les dispositions proposées ici s'inscrivent dans un contexte général, celui que nous avons vu se dessiner ces cinq dernières années lors de l'examen de plusieurs projets de loi.

En effet, il y a une nouvelle manifestation de ce que Jacques-Alain Miller a appelé l'« hygiénisme », c'est-à-dire cette conception en vertu de laquelle il faudrait donner à la médecine le soin de gérer toute une série de problèmes qui ne relèvent pas toujours exclusivement de ses compétences. J'en veux pour preuve l'amendement Accoyer, que nous avons longuement discuté, et dont la première version, mes chers collègues, visait à affirmer que seuls les médecins ou les psychologues diplômés pouvaient traiter de la souffrance psychique, à l'exclusion donc des psychanalystes ou des psychothérapeutes. Il y avait là une volonté d'instaurer un pouvoir médical sur l'ensemble du champ de la souffrance psychique.

Dans le même ordre d'idée, nous avons eu aussi deux rapports publiés par l'INSERM, dont l'un - qui a beaucoup intéressé l'actuel Président de la République - visait à démontrer - vainement, d'ailleurs, parce qu'il ne s'agissait que de pures affirmations - qu'il était nécessaire de détecter, sous l'égide du ministère de la santé - j'insiste sur ce point -, les futurs délinquants dès l'âge de un an, voire si possible avant.

Cette réalité n'est bien entendu pas étrangère aux déclarations faites par celui qui n'était encore que candidat à la Présidence de la République à l'occasion d'un dialogue avec un philosophe organisé par une revue, au cours duquel il s'est employé à expliquer que la criminalité provenait pour une large part de l'inné. Déclaration extrêmement lourde d'implications : si l'on considère que la criminalité potentielle ou l'esprit suicidaire relèvent des gènes d'un quelconque autre déterminisme biologique, cela a des effets considérables sur la conception que l'on a de la société, de l'éducation, de l'homme.

Et voilà que, toujours dans le même ordre d'idée, on nous explique qu'il est des circonstances, énumérées dans les articles 5, 6, 7, 8 et 9, où un expert décidera de la nécessité ou non, de la pertinence ou non de l'injonction thérapeutique. Après quoi, cette décision - car il s'agit bien, en fin de compte, d'une décision - de l'expert s'imposera au magistrat, qui ne pourra faire autrement que d'y donner suite, sauf à fournir d'amples explications.

Ainsi, la règle, c'est désormais que l'expert détermine la position du juge, qui n'a aucune liberté d'appréciation vis-à-vis de l'expert.

Voici l'analyse qu'en font certains magistrats : « Les psychiatres relèvent d'une déontologie médicale et ont besoin d'instaurer une relation de confiance avec leurs patients. Les instituer auxiliaires de justice pour prévenir la récidive apparaît non seulement contraire à l'éthique médicale mais contre-productif. »

Je conclurai en citant cette autre déclaration d'un magistrat : « Avec ce nouveau texte, dès lors que l'expertise sera en faveur du soin, le tribunal devra prononcer l'injonction de soins. » Madame le garde des sceaux, je vous interroge très précisément sur ce mot « devra », car je veux en comprendre la signification.

Le texte que vous nous proposez vise donc à confier aux experts un pouvoir quasi juridictionnel. Le pouvoir d'appréciation du juge est une nouvelle fois remis en cause, au détriment du principe d'individualisation de la peine. Cette soumission de la décision juridictionnelle à l'appréciation de l'expert apparaît contraire au principe de la séparation des pouvoirs.

M. le président. L'amendement n° 43, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat,  Dreyfus-Schmidt,  C. Gautier,  Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet,  Sueur et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

  Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. J'ai posé dans mon intervention sur l'article 5 la question de principe à laquelle je l'espère, madame la ministre, vous répondrez.

J'en viens maintenant aux questions pratiques.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 1998, qui a instauré le suivi judiciaire avec injonction de soins, aucun bilan n'a été dressé pour évaluer le fonctionnement de cette mesure. Pourtant, son champ d'application n'a cessé d'être étendu, notamment par la loi du 12 décembre 2005.

Or les constats sont alarmants.

L'injonction de soins suppose d'abord de recruter des médecins coordonnateurs, chargés de faire l'interface entre le juge de l'application des peines et le médecin traitant du condamné.

Le rôle du médecin coordonnateur a été défini de manière très générale par un décret du 18 mai 2000, aux termes duquel le médecin coordonnateur oriente le condamné vers un traitement adapté. Il rend compte au juge de toutes les difficultés, comme l'interruption de traitement.

Cependant, les juridictions ont le plus grand mal à recruter ces médecins coordonnateurs, ne serait-ce que parce que le milieu psychiatrique se désertifie : de nombreux postes sont vacants, non seulement dans les hôpitaux, mais également, c'est clair, dans les prisons. De plus, la rémunération de ces médecins, qui n'a pas été revalorisée depuis 2001, est peu attractive.

Ainsi, dans de nombreuses juridictions, le suivi socio-judiciaire avec injonction de soins ne peut pas être mis en place. Telle est la réalité d'aujourd'hui, mes chers collègues ! C'est pourquoi il serait sage de ne pas adopter les articles 5 et suivants.

Quant à la situation des médecins traitants, elle n'est pas meilleure.

En effet, peu de psychiatres travaillant dans le secteur privé acceptent de prendre en charge des condamnés, et le secteur public est débordé.

En détention, la situation est encore plus inquiétante. Dans de nombreux établissements, il n'y a pas de psychiatre ; il y a tout juste un psychologue, voire simplement un infirmier.

J'en viens à l'expertise psychiatrique, qui occupe une place considérable dans le dispositif.

La situation est tout aussi alarmante. En effet, les cours d'appel ont de plus en plus de difficultés à recruter des experts psychiatres. Dans certaines zones, l'expert psychiatre désigné est bien souvent le psychiatre de l'hôpital général du secteur et n'a donc aucune compétence particulière pour analyser le passage à l'acte délinquant, notamment en matière sexuelle, et déterminer la dangerosité et le risque de récidive.

Si l'on confie à ces médecins une responsabilité d'expertise déterminante, il est à craindre qu'ils ne soient tentés de conclure systématiquement à la nécessité du soin, ce qui induira nécessairement une décision similaire du juge.

Madame le garde des sceaux, à ce stade du débat, je veux souligner que vous proposez d'adopter en urgence, c'est-à-dire dans les huit ou quinze jours, un projet de loi visant à modifier profondément les dispositions actuelles relatives à l'injonction de soins puisqu'une expertise médicale déterminera la position du juge, le psychiatre intervenant par la suite. Or il n'y a pas suffisamment d'experts ni de psychiatres, tant s'en faut !

Dès lors, pourquoi voter dans l'urgence un projet de loi tendant à modifier le dispositif existant, alors même que nous n'avons pas les moyens de mettre celui-ci en oeuvre dans de nombreuses juridictions ? Il eût tout de même été préférable de se préoccuper des moyens avant de changer un dispositif qui, dans de nombreuses juridictions, ne peut être appliqué, précisément faute des moyens nécessaires.

M. Jacques Mahéas. Très bien !

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Après vous avoir écouté avec beaucoup d'intérêt, monsieur Sueur, je vous avoue mon étonnement.

Vous avez, en effet, pris la précaution de dire que vous étiez tout à fait favorable à l'injonction de soins.

M. Jean-Pierre Sueur. Dans les conditions prévues par la loi actuelle !

M. François Zocchetto, rapporteur. Au moment où l'on se préoccupe de prévenir la récidive, il me semble très difficile d'ignorer tout le chapitre relatif aux soins des délinquants.

M. Jean-Pierre Sueur. Je ne l'ignore pas !

M. François Zocchetto, rapporteur. Vous le savez bien, le fait d'apporter des soins aux délinquants malades est une excellente façon de lutter contre la récidive.

Quels sont les dispositifs existants en matière de soins ?

Avant la condamnation, une obligation de soins peut être décidée par le juge au stade pré-sentenciel, dans le cadre du contrôle judiciaire, ou comme alternative totale ou partielle d'une peine d'emprisonnement, dans le cadre d'un sursis avec mise à l'épreuve.

En vertu de la législation actuelle, la violation de cette obligation peut conduire, dans le cadre du contrôle judiciaire, à une mise en détention provisoire et, dans celui du sursis avec mise à l'épreuve, à la révocation du sursis, donc à l'incarcération de l'intéressé.

Vous en conviendrez, le dispositif proposé par le Gouvernement n'est donc pas, en l'espèce, totalement novateur.

Par ailleurs, les traitements en prison se font sur une base volontaire, hormis évidemment le cas de l'hospitalisation d'office. Si le refus de soins n'est pas punissable en tant que tel, il peut néanmoins conduire à limiter les réductions de peine supplémentaires. Là encore, on retrouve dans la législation existante l'esprit des dispositions proposées par le Gouvernement.

M. Jean-Pierre Sueur. Alors, pourquoi la changer ?

M. Dominique Braye. Laissez-nous donc écouter ce que le rapporteur a à nous dire, monsieur Sueur !

M. François Zocchetto, rapporteur. S'agissant ensuite de l'injonction de soins, le suivi socio-judiciaire peut comprendre une telle mesure.

M. Jacques Mahéas. Il « doit » la comprendre !

M. François Zocchetto, rapporteur. Non, dans l'état actuel des textes, le suivi socio-judiciaire peut comprendre une injonction de soins.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. François Zocchetto, rapporteur. L'injonction est, en principe, prononcée par la juridiction de jugement...

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. François Zocchetto, rapporteur. ... et elle est déjà subordonnée à une expertise médicale.

M. Jean-Pierre Sueur. Oui, mais le juge reste libre !

M. François Zocchetto, rapporteur. Vous nous dites, mon cher collègue, que l'intervention d'un expert médical dans la procédure est inadmissible. Mais elle existe déjà ! Certes, vous avez le droit de la contester, mais nous avons déjà débattu de cette question.

L'expert médical établit que la personne poursuivie est susceptible de suivre un traitement. Je ne vois là rien de choquant. J'estime qu'il est parfaitement normal que le magistrat prenne l'opinion d'un médecin spécialiste pour savoir si la personne est ou non accessible à un traitement.

M. Jean-Pierre Sueur. À condition que ce soit au juge de décider ensuite !

M. François Zocchetto, rapporteur. Dans la quasi-totalité des cas, c'est vrai, il sera établi que cette personne sera susceptible de suivre un traitement.

M. Jean-Pierre Sueur. Encore une fois, pourquoi, dès lors, changer la loi ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Mais, les psychiatres que nous avons auditionnés ont indiqué que, dans certains cas, ils pourraient déclarer que la personne n'est pas susceptible de faire l'objet d'un traitement.

Le dispositif vise à généraliser l'injonction de soins pour les auteurs d'infractions sexuelles, et je ne vois vraiment pas où est le problème. En effet, la plupart des délinquants sexuels, notamment s'ils ont pu participer à une psychothérapie de groupe, reconnaissent qu'ils sont malades et déclarent qu'ils veulent pouvoir bénéficier d'un traitement. Ainsi, dans la plupart des cas, il n'y aura aucune difficulté.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous le savez, c'est plus compliqué que ça, monsieur le rapporteur !

M. François Zocchetto, rapporteur. Le projet de loi entend également subordonner les réductions supplémentaires de peine ainsi que la libération conditionnelle à un suivi médical.

Dès lors que, dans un premier temps, l'expert médical a décidé que la personne poursuivie est susceptible de faire l'objet d'un traitement, il ne me semble pas choquant que, dans un second temps, le juge décide de prononcer l'injonction de soins. De plus, contrairement à ce que vous avez voulu nous faire croire tout à l'heure, mon cher collègue, ce n'est pas une obligation.

M. Jean-Pierre Sueur. Si, sauf par exception !

M. François Zocchetto, rapporteur. Le juge a toujours la possibilité de ne pas suivre l'avis de l'expert...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !

M. François Zocchetto, rapporteur. ... et de ne pas prononcer l'injonction de soins. Cela change donc la donne.

À partir du moment où l'expert médical, d'abord, estime que la personne poursuivie peut suivre un traitement et que, ensuite, le juge dit qu'elle doit le suivre, je ne vois pas pourquoi on ne prendrait pas en compte l'effectivité de ce traitement.

La personne qui ne suivra pas ce traitement assumera ses responsabilités. Et son refus sera lourd de conséquences puisqu'elle pourra voir, le cas échéant, son sursis révoqué, ou ne pourra bénéficier d'aucune remise de peine complémentaire, etc.

Il est essentiel de savoir si une personne susceptible de faire l'objet d'un traitement accepte ou non de le suivre.

J'en conviens, les situations seront parfois complexes, car les détenus qui accepteront, dans un premier temps, de suivre le traitement pourront avoir la tentation de ne pas le mener à terme.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils l'accepteront évidemment pour sortir !

M. François Zocchetto, rapporteur. Le fait que le juge de l'application des peines ou tout autre magistrat puisse savoir si la personne a suivi ou non son traitement me semble être un élément essentiel.

Nous parlons là principalement de la délinquance sexuelle, mais il peut également s'agir d'actes déviants tels que les actes de barbarie ou de torture, par exemple. Très franchement, le fait de savoir que la personne poursuivie se soigne a plutôt tendance à me rassurer, et à rassurer aussi, je pense, nos concitoyens.

M. Dominique Braye. Absolument ! Pensons aux victimes !

M. François Zocchetto, rapporteur. Je ne comprends donc pas votre intervention, mon cher collègue, sauf à considérer qu'elle se place sur un plan purement théorique, ...

M. Dominique Braye. Comme toujours !

M. François Zocchetto, rapporteur. ... évoquant même dans d'autres questions qui n'ont rien à voir avec le débat, tel l'amendement Accoyer.

M. Jean-Pierre Sueur. Mais si, c'est la même logique !

M. François Zocchetto, rapporteur. La commission des lois du Sénat a été d'accord pour adopter l'extension de la prise en charge du suivi socio-judiciaire par les psychologues.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. François Zocchetto, rapporteur. À cet égard, je me permets d'ailleurs, madame le garde des sceaux, de revenir sur les questions que j'ai posées ce matin.

Nous souhaiterions que le décret d'application permettant aux psychologues d'intervenir dans la procédure de suivi socio-judiciaire soit prochainement publié. Et je ne peux passer sous silence la question des moyens qui a été, je le reconnais, très judicieusement exposée par M. Sueur. C'est une préoccupation que nous partageons tous, et que j'ai d'ailleurs reprise dans mon rapport.

Dans la mesure où nous adoptons un projet de loi visant à faciliter le suivi médical des auteurs d'infractions, notamment sexuelles, nous souhaiterions que soient prévus les moyens nécessaires pour le mettre en place. Il faut que les médecins coordonnateurs soient désignés et que les médecins traitants puissent travailler. Je le sais, cette question ne dépend pas uniquement de vous, madame le garde des sceaux, puisqu'elle dépend également et principalement du ministère de la santé. Mais, nous serions, il est vrai, rassurés si vous nous donniez des informations en la matière.

Bien entendu, la commission est défavorable à l'amendement n° 43.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je veux simplement rappeler que, en matière criminelle, les expertises psychiatriques sont obligatoires.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je vous renvoie à cet égard à l'article 122-1 du code pénal.

Il importe en effet de savoir si la personne poursuivie est, oui ou non, responsable pour prévoir la sanction pénale.

Les magistrats sont liés par ces expertises, et je ne vois pas en quoi les dispositions proposées introduisent une innovation extraordinaire. Nous ne faisons que rappeler les principes.

S'agissant d'un délinquant sexuel, si l'expertise conclut à la nécessité de soins, il devra s'y soumettre, sauf décision contraire de la juridiction, si le tribunal estime, par exemple, qu'il est déjà soumis à un traitement et qu'il n'est pas utile d'en prévoir un second.

Vous prétendez, monsieur Sueur, que l'expert médical devient le juge. C'est faux et, de toute façon, le code pénal confère déjà à l'expert une responsabilité de même nature dans les affaires criminelles.

L'article 5 vise à prévenir la récidive des délinquants sexuels. Or tous les médecins s'accordent à dire que le risque de récidive chez les délinquants sexuels est réduit dès lors qu'ils se soignent.

Par ailleurs, nous avons souhaité que les remises de peine et les libérations conditionnelles soient subordonnées à l'obligation de soins, car, il faut le savoir, les délinquants sexuels sont souvent des détenus modèles. Ils le reconnaissent eux-mêmes : en prison, n'étant pas soumis aux tentations que leur offre la vie à l'extérieur, ils ne sont pas livrés à leurs pulsions. Il me semble donc préférable de les obliger à se soigner en prison pour protéger nos enfants, et la société tout entière.

Dans ces conditions, le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 43.

M. Dominique Braye. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.

Mme Isabelle Debré. Mes chers collègues, dérogeant pour une fois à la règle que je me suis fixée, je souhaite évoquer une expérience personnelle.

Depuis plus de quinze ans, je travaille au sein d'une association qui lutte contre la maltraitance des enfants. J'ai eu à connaître, à mes débuts dans cette association, d'un cas qui m'a frappée pour la vie : un monsieur d'un certain âge, un grand-père, venait de violer sa petite-fille. Eh oui, cela arrive, et malheureusement beaucoup plus souvent qu'on ne le croit !

C'était la quatrième fois que cette personne commettait un viol, et elle n'avait jamais bénéficié d'un suivi médical, ni d'une thérapie.

Franchement, mes chers collègues, si vous veniez de temps en temps dans l'association dans laquelle j'ai l'honneur de travailler, si vous voyiez ce que vois, je vous assure que vous n'aborderiez plus ces questions comme vous venez de le faire. Avant de penser à ceux qui commettent ces actes barbares, pensez un peu aux petites victimes ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Dominique Braye. Eh oui, pensez aux victimes !

Mme Éliane Assassi. Nous parlons du projet de loi, ma chère collègue !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Tout d'abord, je tiens à dire que nous sommes tous très attachés à la défense des victimes. Je n'accepte pas le procès que l'on nous fait en affirmant que, parce que nous n'approuvons pas certaines dispositions de ce texte, nous ne serions pas attentifs au sort des victimes.

Madame Debré, j'ai moi aussi eu l'occasion de côtoyer un certain nombre de victimes. Je connais leur douleur et leur souffrance. Et c'est justement parce nous prenons cette douleur et cette souffrance en compte qu'il nous faut en tirer des conclusions. D'un autre côté, on ne peut ignorer que des détenus, parfois des criminels, se trouvent également dans des situations douloureuses, difficiles, graves. Certains souffrent de profonds troubles de la personnalité, qui relèvent en effet de la médecine, de la biologie, de la chimie. Mais croire que l'on va remédier à tous les problèmes uniquement par le recours au médical, c'est une erreur.

Mme Isabelle Debré. Je n'ai jamais dit cela !

Mme Éliane Assassi. Vous n'avez rien dit, et c'est bien le problème !

M. Jean-Pierre Sueur. D'ailleurs, madame le garde des sceaux, vous avez vous-même reconnu le rôle important qui doit être accordé à d'autres approches pour traiter les troubles de la personnalité. On ne peut pas laisser croire à nos concitoyens qu'ils seront protégés uniquement grâce à des traitements médicamenteux.

Mme Isabelle Debré. Pas uniquement !

M. Jean-Pierre Sueur. Soyons clairs : je n'ai jamais prétendu que les médicaments étaient inutiles. Dans certains cas, le recours à la médecine et à la pharmacopée est nécessaire.

En revanche, on ne peut pas laisser croire que l'on pourra remédier à tous les troubles psychiques lourds grâce aux médicaments. Certaines écoles de pensée - et pas seulement des « écoles de pensée » - cherchent à accréditer cette idée, mais elle est erronée.

Une fois que l'on a dit cela, on doit se demander ce qu'il faut faire.

J'ai bien écouté ce qu'ont déclaré, voilà un instant, Mme le garde des sceaux et de M. le rapporteur, et il me semble qu'ils ont fait tous les deux un très bon plaidoyer en faveur de la loi existante.

M. Jean-Pierre Sueur. La loi actuelle prévoit déjà l'injonction de soins et, comme je l'ai dit tout à l'heure, dans certains cas, le juge doit pouvoir décider l'injonction de soins.

C'est là que se situe la nouveauté introduite par le présent texte, qui dispose que le juge « ordonne » l'injonction de soins. Nous, nous considérons que le juge a un pouvoir d'appréciation, pouvoir qui est bien entendu éclairé par l'expertise. Comme l'a souligné Mme Boumediene-Thiery, la pluralité des expertises est souvent une nécessité dans ces matières très complexes.

Madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, vous avez très bien montré les avantages de la loi existante et expliqué en quoi elle prenait en compte certaines nécessités par rapport au problème posé. Dès lors, je ne comprends pas pourquoi il est indispensable de la modifier aujourd'hui.

Monsieur Braye, on peut discuter des peines planchers : c'est l'objet du présent texte. En revanche, la question de l'injonction thérapeutique ne figurait pas dans la première mouture du projet de loi. Au départ, le Gouvernement n'avait pas l'intention de modifier la loi sur ce point.

M. Dominique Braye. On l'améliore tous les jours !

M. Jean-Pierre Sueur. D'ailleurs, madame le garde des sceaux, vous n'avez pas présenté d'arguments très forts en faveur de la modification de la loi.

Tous les magistrats que j'ai consultés au sujet du suivi socio-judiciaire et de l'injonction de soins m'ont dit qu'il était très difficile, voire impossible dans certaines juridictions, de trouver des experts. Et il n'y a pas davantage de psychiatres pour faire appliquer les décisions qui sont prises.

Or, après l'adoption du présent projet de loi, le juge aura les mains liées : si un expert décide qu'il faut prononcer une injonction de soins, le juge devra l'ordonner, même si sa juridiction ne dispose pas des moyens nécessaires pour appliquer sa décision.

Madame le garde des sceaux, je me permets donc de vous suggérer une démarche pragmatique. Pourquoi ne pas en rester aujourd'hui à la loi existante, loi dont vous avez, avec M. le rapporteur, reconnu la nécessité et les aspects positifs ? Parallèlement, nous nous doterons des moyens nécessaires en matière d'expertise et de psychiatrie, ce qui demandera de l'argent et du temps. Ensuite, nous pourrons peut-être revoir la législation.

Cette démarche me paraît plus conforme au réalisme que de vouloir à toute force modifier un dispositif qui permet déjà l'injonction de soins lorsqu'elle est indispensable.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Mes chers collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous nous sommes à maintes reprises inquiétés de savoir ce que devenaient les textes que nous votons. Nous avons évoqué l'attente de l'opinion publique. Je considère que l'une des fautes les plus graves que le législateur et un Gouvernement peuvent commettre est de laisser croire que l'on prend une mesure alors que, dans la pratique, elle n'est pas appliquée.

M. Robert Badinter. Le Conseil d'État a relevé - et j'ai fait le même constat - qu'en matière de suivi socio-judiciaire avec injonction de soins il n'y avait aucun compte rendu, aucun bilan, aucune appréciation des progrès réalisés, aucune évaluation des besoins, aucune étude d'impact.

Or je crois savoir que la commission d'analyse et de suivi de la récidive instaurée par la loi de 2005 a analysé les aspects matériels du suivi socio-judiciaire avec injonction de soins, et je me permettrai de livrer ici certains éléments importants qui, semble-t-il, ressortent de ses travaux, puisqu'on ne nous donne pas ces informations par ailleurs.

La première préconisation de la commission d'analyse et de suivi de la récidive serait d'évaluer l'efficacité actuelle de la peine du suivi socio-judiciaire, notamment avec injonction de soins.

En l'état actuel, seul le nombre de peines de suivi socio-judiciaire serait connu : 1 063 auraient été prononcées en 2004 contre 853 en 2003. Au 1er janvier 2005, 426 suivis socio-judiciaires auraient été en cours. Le nombre de mesures prononcées serait très faible par rapport au nombre d'infractions relevant potentiellement de ce dispositif.

Vous vous rappelez sans doute, mes chers collègues, le rapport sur les réponses à la dangerosité que le député Jean-Paul Garraud a remis au précédent ministre de la justice. Notre collègue préconisait, à mon grand étonnement, pour ne pas dire à mon effroi, d'étendre le prononcé de la peine de suivi socio-judiciaire - écoutez bien, mes chers collègues ! - à l'ensemble des infractions concernant les atteintes aux personnes.

M. Robert Badinter. Lorsqu'on prend la mesure de la situation actuelle et qu'on la rapproche de cette proposition, on est effaré de ce que le public peut penser du sérieux de nos travaux.

En dépit de ses interrogations, la commission d'analyse et de suivi de la récidive n'a jamais pu connaître le nombre d'injonctions de soins actuellement en cours.

Quant aux médecins coordonnateurs, seulement 90 sont recensés au sein des 181 tribunaux de grande instance.

Ces données mettent en évidence que, dans le meilleur des cas, l'injonction de soins ne s'applique que dans une petite moitié des tribunaux français, ce qui est particulièrement regrettable.

Aucune évaluation ou étude n'a jamais été réalisée en ce qui concerne l'effet de ce suivi dans la durée ou encore la pertinence de cette peine en termes de prévention de la récidive.

On vote des textes et on croit que tout est fait ! Mais, comme je le rappelais ce matin, le vrai problème c'est celui des moyens.

Écoutez les magistrats, écoutez ceux qui contribuent à l'oeuvre de justice : tous vous diront qu'ils n'en peuvent plus de tous ces textes qui s'enchevêtrent, qui s'entremêlent, dont on ne parvient même plus à distinguer l'objet. C'est au point que le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui est certainement le meilleur expert en procédure pénale en France, nous a déclaré qu'il n'était plus sûr de rien et qu'il lui fallait à tout instant se référer aux textes pour s'assurer qu'il ne se trompait pas, parce qu'il lui fallait toujours s'assurer qu'il prenait bien en compte la énième et dernière modification intervenue.

Et, pendant ce temps, sur le terrain, il n'y a rien, ou presque rien, pas de moyens !

Certains praticiens estiment que, dans ces conditions, un suivi peut, avec le temps, devenir contre-productif. De ce point de vue, il est essentiel d'étudier la pertinence des suivis qui peuvent être prononcés sans limitation de durée à l'issue d'une peine d'emprisonnement parfois très longue.

En conclusion, si, dans l'absolu, on ne peut qu'être favorable à l'extension de la peine de suivi socio-judiciaire et de l'injonction de soins,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Quand même !

M. Robert Badinter. ... en pratique, cette extension peut se révéler dangereuse, voire contre-productive au regard de l'insuffisance des moyens existants. Il faut savoir que certains condamnés, en particulier en matière de crimes sexuels, demandent une injonction de soins, mais qu'on ne peut pas la leur offrir en raison du manque de moyens.

Je déplore - et je suis convaincu que c'est un sentiment très largement partagé - que l'on poursuive dans une voie où la loi n'est plus qu'un affichage, où elle ne sert qu'à prendre des postures ! Comment la réalité observée après le vote de telles lois produirait-elle autre chose que des déceptions, déceptions insupportables pour tous les justiciables français et pour nous tous ?

Mieux vaut bien faire ce que l'on entreprend qu'ajouter une loi d'affichage à une autre loi d'affichage ! Pourquoi promettre que l'on donnera à tous ceux qui en ont besoin l'accès à un suivi socio-judiciaire, déclarer qu'on leur prodiguera des soins, alors que, dans la réalité carcérale - bien affligeante réalité, le plus souvent -, il n'y a ni médecin coordonnateur ni psychiatre disponibles, ni traitement possible. C'est cette situation que dénonce la commission d'analyse et de suivi de la récidive.

Madame le garde des sceaux, je souhaite que, dans un an, puisque vous avez le privilège de prendre maintenant vos fonctions, vous présentiez à la Haute Assemblée l'état de la réalité du suivi socio-judiciaire et, surtout, de l'injonction de soins.

Je souhaite également que, comme on le fait en matière financière, on ne vote pas des textes sans prévoir les moyens de leur application.

M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, pour explication de vote.

M. Dominique Braye. Monsieur Badinter, votre souci est partagé par l'ensemble des membres de cet hémicycle.

M. Dominique Braye. Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que, à l'heure actuelle, nous ne disposons pas des moyens nécessaires à une bonne application de la loi.

Toutefois, mon cher collègue, si vous me le permettez, je vous retournerai les arguments qui m'ont été opposés lorsque j'étais rapporteur pour avis du projet de loi instituant un droit au logement opposable. Dans vos rangs, on soutenait un argument qui était puissant : les moyens font actuellement défaut, mais adoptons tout de même ces dispositions, car la loi sera un aiguillon pour augmenter les moyens.

Eh bien, nous souhaitons que cette loi-ci devienne un aiguillon afin que le pays se donne les moyens d'apporter, lorsque c'est nécessaire, un suivi médical aux personnes qui en ont besoin.

Monsieur Sueur, le fait de soigner un malade ou de l'encourager à se soigner ne nous paraît pas aberrant.

M. Jean-Pierre Sueur. Je n'ai jamais dit que c'était aberrant !

M. Dominique Braye. Je me souviens des réactions qu'ont suscitées dans vos rangs notre proposition de création d'un fichier des empreintes génétiques. Je ne vous ferai pas l'outrage de mentionner le nombre de criminels et de délinquants sexuels qui ont depuis été identifiés, grâce à ce dispositif, ce qui a permis d'éviter des récidives.

Le présent projet de loi va dans la bonne direction, même si, nous le savons, il ne sera pas possible de mettre immédiatement en oeuvre toutes les dispositions qui y sont inscrites.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 43.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 5.

(L'article 5 est adopté.)

Article 5
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Article 7

Article 6

Il est inséré après l'article 132-45 du code pénal, un article 132-45-1 ainsi rédigé :

« Art. 132-45-1. - Sauf décision contraire de la juridiction, la personne condamnée à une peine d'emprisonnement assortie du sursis avec mise à l'épreuve pour l'une des infractions pour lesquelles le suivi socio-judiciaire est encouru est soumise à une injonction de soins dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique, s'il est établi qu'elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement, après une expertise médicale ordonnée conformément aux dispositions du code de procédure pénale.

« En cas d'injonction de soins, le président avertit le condamné qu'aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement, mais que, s'il refuse les soins qui lui seront proposés, l'emprisonnement prononcé pourra être mis à exécution.

« Lorsque la juridiction de jugement prononce une peine privative de liberté qui n'est pas intégralement assortie du sursis avec mise à l'épreuve, le président informe le condamné qu'il aura la possibilité de commencer un traitement pendant l'exécution de cette peine. » 

M. le président. L'amendement n° 44, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat,  Dreyfus-Schmidt,  C. Gautier,  Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet,  Sueur et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

  Supprimer cet article.

La parole est à M. Jacques Mahéas.

M. Dominique Braye. Rendez-nous Badinter !

M. Jacques Mahéas. La droite n'a manifestement pas compris notre philosophie.

M. Dominique Braye. C'est bien vrai !

M. Christian Cointat. Elle est incompréhensible !

M. Jacques Mahéas. Madame Debré, ne nous faites pas l'offense de dire que nous ne pensons pas aux victimes. Ces propos sont fondamentalement injustes ! Au contraire, nous pensons d'abord aux victimes.

M. Dominique Braye. Vous ne parlez jamais des victimes ! Vous ne parlez que des délinquants !

M. Jacques Mahéas. Et le meilleur moyen de les protéger, c'est d'obtenir les moyens de lutter efficacement contre la récidive.

Or ce texte n'est que pur affichage. Robert Badinter eu raison de le dire, avec sa fougue habituelle : nous ne disposons d'aucun chiffrage, d'aucune étude d'impact des lois précédentes.

M. Dominique Braye. Ne répétez pas ce qu'a dit M. Badinter !

M. Jacques Mahéas. Nous sommes, certes, collégialement responsables de ces mauvaises habitudes. Nous devons d'ailleurs nous habituer à prendre nos responsabilités, en fonction de la situation économique de notre pays et de nos différentes convictions. Cela ne devrait pas poser de problème dans un système démocratique.

L'article 6 étend le champ de l'injection de soins au cas de sursis avec mise à l'épreuve.

M. Dominique Braye. L'injonction, pas l'injection ! Cela peut se faire par voie orale ! (Sourires.)

M. le président. Monsieur Braye, vous passez les limites !

M. Dominique Braye. J'essaie de faire profiter M. Mahéas de ma modeste expérience de vétérinaire ! (Nouveaux sourires.)

M. Jacques Mahéas. Mais, d'une manière générale, monsieur le président, M. Braye ne sait pas ce que sont les limites !

Au passage, il a eu la gentillesse de faire remarquer que je m'étais absenté tout à l'heure : je me suis effectivement rendu à une séance de mon conseil municipal. Mais je vous retourne le compliment, monsieur Braye : vous n'étiez pas présent au début de la séance !

Actuellement, en vertu de l'article 131-6-1 du code pénal, le sursis avec mise à l'épreuve ne peut-être prononcé en même temps qu'un suivi socio-judiciaire. Sursis avec mise à l'épreuve et suivi socio-judiciaire comportent en effet des obligations pour partie identiques et qui, selon qu'elles ont été prononcées dans le cadre de l'un ou l'autre de ces régimes, obéissent à des règles différentes. Rendre ces dispositifs exclusifs l'un de l'autre répond au souci d'éviter toute difficulté d'exécution.

En conséquence, il est interdit de prononcer une injonction de soins dans le cadre d'un sursis avec mise à l'épreuve puisque cette mesure relève aujourd'hui du seul suivi socio-judiciaire.

Or le projet de loi prévoit non seulement d'étendre l'injonction de soins au sursis avec mise à l'épreuve pour les auteurs d'infractions pour lesquelles le suivi socio-judiciaire peut être encouru, mais également de la rendre systématique. Par l'intermédiaire du psychiatre, le juge perdra de son libre arbitre.

Mes arguments sont homothétiques de ceux qu'a avancés précédemment M. Sueur : absence de bilan du fonctionnement actuel de l'injonction de soins, difficultés pour recruter les médecins coordonnateurs, manque de moyens, de médecins et d'experts, confusion entre délinquance et pathologie psychiatrique, dans la lignée de la loi relative à la prévention de la délinquance. Vous aviez d'ailleurs dû reculer sur ce dernier point.

Je souhaite, moi aussi, vous faire part de mon expérience de terrain. La ville dont je suis maire abrite deux grands hôpitaux psychiatriques. Depuis de nombreuses années, je participe à leur conseil d'administration et côtoie les psychiatres qui y exercent. Tous ces médecins disent, unanimement, qu'à partir du moment où il y a injonction de soins, le consentement n'est pas acquis. Or le travail d'un psychiatre est d'amener, dans le cadre d'un long parcours, des personnes à se soigner. Si le malade est opposé au traitement, c'est l'échec assuré !

Cette généralisation de l'injonction de soins n'est donc pas opportune. Essayons plutôt d'établir un bilan et assurons-nous, avant de changer le droit, de l'application effective des textes existants.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Je n'ai pas grand-chose à ajouter par rapport à mon intervention sur l'amendement n° 43.

Je me demande, monsieur Mahéas, si vous avez pris la peine de lire le projet de loi !

M. Dominique Braye. Cela ne vaut pas la peine de leur répondre !

M. François Zocchetto, rapporteur. Ce texte dispose que le juge « pourra » prononcer l'injonction de soins. C'est une simple faculté. Comme je l'ai indiqué noir sur blanc dans le rapport, il n'est pas question d'obliger quelqu'un à se soigner contre sa volonté.

M. Dominique Braye. Absolument !

M. François Zocchetto, rapporteur. Ne suscitez pas la confusion !

M. Jacques Mahéas. Et s'il refuse d'être soigné ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Si la personne concernée refuse de se conformer à l'injonction de soins prononcée par le juge, après avis des médecins, elle devra alors assumer ses responsabilités.

Les conséquences de ce refus sont clairement fixées et encadrées par le projet de loi : soit révocation du sursis, soit annulation des réductions de peines, soit maintien en détention dans les cas de libération conditionnelle.

L'avis de la commission est défavorable à l'amendement.

Mme Lucette Michaux-Chevry. Le juge reste souverain !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je partage l'avis de M. le rapporteur. L'injonction de soins et l'obligation de soins sont deux régimes différents.

L'obligation de soins est une obligation limitée dans le temps, en l'occurrence limitée à la durée du sursis avec mise à l'épreuve. Le texte ne prévoit pas, dans ce cas, la présence d'un médecin coordonnateur, mais simplement d'un médecin traitant.

Dans le cas de l'injonction de soins, et c'est tout l'intérêt de cette mesure, un médecin coordonnateur, c'est-à-dire un spécialiste, un expert, incite la personne à se soigner et rend compte à l'autorité judiciaire de la réinsertion, de la thérapie et de leurs effets sur la prévention de la récidive.

Vous parliez de « bâton » : je préfère pour ma part qu'il soit pour le délinquant plutôt que pour la victime !

M. Dominique Braye. Ce n'est pas leur avis !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. S'agissant des moyens, je rappelle qu'on dénombre actuellement 1 000 mesures de suivi socio-judiciaires et 192 médecins coordonnateurs.

Nous allons en outre lancer un plan de recrutement massif de médecins coordonnateurs, psychologues et psychiatres, d'ici au 1er mars 2008, date d'entrée en vigueur de cette mesure.

Le Gouvernement est défavorable à l'amendement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

MM. Jacques Mahéas et Jean-Pierre Sueur. Il faut dix ans pour former un psychiatre !

M. Dominique Braye. Vous en avez rêvé, nous le ferons !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Cantegrit, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Cantegrit. Je regrette que M. Badinter ait quitté l'hémicycle, car c'est à lui que s'adressent mes premiers mots.

J'étais présent dans cet hémicycle, en 1981, lorsque Robert Badinter, alors garde des sceaux, a défendu l'abolition de la peine de mort et j'avais été fort impressionné par son plaidoyer, même si j'étais déjà convaincu de la nécessité de voter cette loi. C'était un grand moment de l'histoire du Sénat, un grand moment de la vie parlementaire.

J'ai été, je dois le dire, moins impressionné par ses interventions dans ce débat. J'ai entendu un grand avocat, défendant avec talent tantôt les victimes, tantôt les agresseurs, mais je ne retrouve pas la fougue qui l'animait alors.

M. Jacques Mahéas. Ce jugement de valeur n'a rien à voir avec notre débat !

M. Jean-Pierre Cantegrit. Je suis très étonné de la position de nos collègues socialistes, qui connaissent pourtant bien le dossier.

M. Dominique Braye. Sûrement pas !

M. Jean-Pierre Cantegrit. Trouvez-vous vraiment la situation actuelle satisfaisante ? (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.). Ce n'est pas mon cas. Il est vrai que je ne suis pas un spécialiste du sujet : je siège à la commission des affaires sociales et non à la commission des lois.

Pour nous, comme pour l'opinion publique, ces dérives - récidive, délinquance sexuelle - sont inadmissibles.

Vous préférez, semble-t-il, en rester à la situation actuelle et arguez d'un manque de moyens financiers.

MM. Jean-Pierre Sueur et Jacques Mahéas. Nous demandons des moyens supplémentaires !

M. Jean-Pierre Cantegrit. Ce texte va permettre de les accorder !

M. Jacques Mahéas. C'est la septième loi !

M. Jean-Pierre Cantegrit. Qu'avez-vous fait quand vous étiez au gouvernement ? Le nombre de délinquants a augmenté !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On est dans le pathos le plus total !

M. Jean-Pierre Cantegrit. Pour ma part, je me félicite de ce souffle nouveau. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 44.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 6.

(L'article 6 est adopté.)

Article 6
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Article 8

Article 7

I. - L'article 723-30 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Au troisième alinéa, les mots : « par les articles 131-36-2 (1°, 2° et 3°) et 131-36-4 » sont remplacés par les mots : « par l'article 131-36-2 (1°, 2° et 3°) » ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Sauf décision contraire du juge de l'application des peines, le condamné placé sous surveillance judiciaire est soumis à une injonction de soins, dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique, lorsqu'il est établi, après expertise médicale prévue à l'article 723-31, qu'il est susceptible de faire l'objet d'un traitement. » 

II. - À l'article 723-31 du même code, il est ajouté après les mots : « la conclusion fait apparaître la dangerosité du condamné », les mots suivants : « et détermine si le condamné est susceptible de faire l'objet d'un traitement, ».

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet article vise à étendre l'obligation de l'injonction de soins à la procédure de surveillance judiciaire instituée par la loi du 12 décembre 2005.

Dès leur libération, les personnes considérées comme dangereuses devront se soumettre à une injonction de soins.

Dans cette distribution généralisée de l'injonction de soins, intervenant autant dans le cadre de la surveillance judiciaire que dans le cadre d'un sursis avec mise à l'épreuve ou du suivi socio-judiciaire, il est évident que la question des moyens se pose.

Vous justifiez cette généralisation en invoquant la nécessité de lutter efficacement contre la récidive. Avec quels moyens comptez-vous réaliser une telle généralisation ?

Comment convaincrez-vous les médecins coordonnateurs d'oeuvrer pour cette généralisation, alors qu'un suivi complet par individu leur rapporte seulement 426 euros à l'année ?

Vous n'êtes pas sans savoir que les juridictions ont de grandes difficultés à recruter ces médecins chargés de faire l'interface entre le juge d'application des peines et le médecin traitant. Comme l'a dit M. Badinter, il n'existe que 90 médecins coordonnateurs et plus de la moitié des tribunaux de grande instance ne disposent pas d'un tel médecin.

Les effectifs actuels de médecins et de psychiatres ne sont déjà pas suffisants : comment comptez-vous faire face à l'accroissement des injonctions qui vont découler, fatalement, de l'application de cette loi ? Obligerez-vous les médecins à prendre en charge un détenu libéré ?

Si l'objet de ce projet de loi est de permettre un meilleur suivi du délinquant à sa sortie de prison et de lutter contre la récidive, vous devez, madame la ministre, vous donner les moyens de cette politique.

Vous nous dites que vous allez lancer, l'an prochain, un grand plan de recrutement de médecins coordonnateurs, mais vous n'évaluez pas les conséquences pratiques, notamment en termes de coût, des dispositions que vous proposez.

Comment est-il possible d'évaluer toutes les conséquences des dispositions relatives à l'injonction de soins quand celles-ci ont été déposées, à la hâte, le 27 juin au Sénat pour un débat en séance publique le 5 juillet ?

Comment est-il possible d'évaluer la faisabilité d'un tel projet sans avoir, au préalable, rencontré les principaux intervenants - médecins, psychiatres, infirmiers - qui oeuvrent dans ce domaine ?

Comment est-il possible d'élargir à ce point le champ de l'injonction de soins, sans avoir auparavant dressé un bilan pour évaluer l'efficacité et le coût de l'injonction de soins déjà mise en place par la loi du 12 décembre 2005 ?

Comment pouvez-vous valablement étendre l'application d'un système qui fonctionne mal, faute de moyens et de personnel, et vouloir le généraliser ?

Le temps, la concertation, la maturité et des moyens importants auraient pu rendre ce texte applicable et acceptable. Toutefois, en l'état, sa mise en oeuvre est impossible.

C'est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement visant à supprimer cet article

M. le président. L'amendement n° 45, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat,  Dreyfus-Schmidt,  C. Gautier,  Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet,  Sueur et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

  Supprimer cet article.

La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Cette discussion se situant dans le prolongement de la précédente, je ne reprendrai pas les différents arguments qui ont été excellemment développés par mes collègues Jean-Pierre Sueur et Robert Badinter.

Je m'en tiendrai à deux remarques.

Premièrement, je comprends la volonté de recruter un certain nombre de médecins psychiatres dans les prochains mois. Mais il est clair qu'il faudra leur offrir plus de 420 euros par an et par patient si on veut inciter des médecins à s'engager dans cette voie. Ce tarif actuellement pratiqué est une des raisons pour lesquelles nombre de psychiatres sont dissuadés de travailler.

Deuxièmement, bien qu'on ait essayé de nous enfermer dans cette case, nous ne sommes évidemment pas opposés aux soins. Des condamnés, voire des libérés de peines longues, doivent bien sûr suivre des soins.

Cela étant dit, il faut envisager que certains de ces condamnés, souvent des pervers, demandent à bénéficier des soins en sachant très bien qu'ils ne pourront pas être pris en charge sur le plan médical. Je vous mets donc en garde contre le risque d'un effet boomerang qui leur permettra de se blanchir eux-mêmes, sans avoir suivi de soins effectifs. Je vous demande de réfléchir à cet aspect de la question.

En tout cas, pour l'ensemble de ces raisons, nous demandons le retrait de l'article.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Il me paraît vraiment très difficile de s'opposer à l'article 7, car il traite de la surveillance judiciaire, c'est-à-dire des personnes qui ont été estimées dangereuses et susceptibles de récidiver.

Cette proposition de suppression de l'article me semble pire que les précédentes. Si la problématique est la même, avec le mécanisme de l'expertise médicale et la possibilité pour le juge de prononcer ou non l'injonction de soins, cet article apporte, de surcroît, un complément utile : lorsque le juge de l'application des peines aura décidé de demander une expertise médicale pour évaluer la dangerosité, cette expertise devra en outre déterminer si le condamné est susceptible de faire l'objet d'un traitement.

Il y a donc lieu de se féliciter de l'amélioration apportée par l'article 7. Aussi, la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 45.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 45.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 7.

(L'article 7 est adopté.)

Article 7
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Article 9

Article 8

La deuxième phrase du premier alinéa de l'article 721-1 du code de procédure pénale est remplacée par les dispositions suivantes :

« Aucune réduction supplémentaire de la peine ne peut être accordée à une personne condamnée pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru qui refuse pendant son incarcération de suivre le traitement qui lui est proposé. »

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Aux termes de l'article 8, aucune remise de peine ne pourra être accordée à un détenu condamné pour une infraction punie du suivi socio-judiciaire s'il refuse les soins qui lui sont proposés.

Après un chantage aux responsabilités imposé aux juges, c'est littéralement un chantage à la libération que cet article impose aux détenus bénéficiant de réductions de peine.

En dehors de tout avis médical, le juge ne pourra prononcer de remises de peine ou de libération conditionnelle si le détenu refuse les soins proposés. Là encore, le pouvoir du juge d'individualiser l'exécution de la peine est réduit à une coquille vide : sa liberté d'appréciation n'a plus aucune valeur.

Cet article, contraire à l'article 66 de la Constitution, écarte de manière scandaleuse le juge de son rôle de gardien de la liberté individuelle.

Il convient de rétablir la possibilité pour le juge de l'application des peines de disposer, dans tous les cas, d'une marge d'appréciation.

Le juge doit avoir la possibilité d'aménager une peine indépendamment du refus, par le détenu, de se soumettre à un traitement proposé.

Là encore, vous surestimez la valeur des soins sur l'impact de la récidive.

À cet égard, il est évident que n'importe quel détenu acceptera des soins pour se soustraire à l'emprisonnement. Dans tous les cas, le résultat sera le même : des libérations conditionnelles seront prononcées, mais l'effet de ce volet psychiatrique aura pour conséquence de gonfler de manière dramatique la demande de médecins et de personnel psychiatrique.

Ce personnel déserte déjà les prisons et les tribunaux : comment allez-vous le ramener vers une prétendue collaboration constructive dans la lutte contre la récidive ?

Vous misez sur la collaboration d'acteurs dont vous n'avez requis ni les avis ni les doléances : vous leur imposez l'impossible ; vous leur imposez l'inacceptable.

Ne soyez donc pas surpris de les retrouver bientôt dans les rues pour vous réclamer à bon droit les moyens nécessaires à la mise en oeuvre de ce projet !

Pour toutes ces raisons, nous voterons en faveur de la suppression de cet article.

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L'amendement n° 46 est présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat,  Dreyfus-Schmidt,  C. Gautier,  Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet,  Sueur et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 61 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat,  Mathon-Poinat,  Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

  Supprimer cet article.

La parole est à M. Jacques Mahéas, pour présenter l'amendement 46.

M. Jacques Mahéas. Cet article tend à interdire l'octroi d'une réduction supplémentaire de peine à un condamné qui, ayant commis une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, refuse de suivre le traitement proposé.

Actuellement, les personnes condamnées bénéficient de deux types de réduction de peine. D'abord, un crédit de réduction de peine calculé sur la durée de la condamnation prononcée, selon une formule mathématique compliquée dont je vous épargne les détails. D'autre part, - et je préfère insister sur ce point - une réduction supplémentaire de peine pour les condamnés qui manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment en suivant une thérapie destinée à limiter les risques de récidive.

Cependant, si une personne condamnée pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru refuse le traitement proposé, elle ne peut être considérée comme manifestant des efforts sérieux de réadaptation sociale, sauf si le juge de l'application des peines en décide autrement après l'avis de la commission de l'application des peines.

Réfléchissons un instant à la réalité de cette thérapie dans nos hôpitaux, nos établissements psychiatriques notamment. Chacun le sait ici, c'est le recours à la camisole chimique. Le détenu l'acceptera si la réduction de sa peine est à ce prix.

Or, la chimie ne règle pas tous les problèmes. Elle peut même exposer à de très grandes surprises sans l'accompagnement d'un travail beaucoup plus approfondi par un psychiatre. Si je ne peux que me féliciter de l'annonce, par Mme le garde des sceaux, de créations de poste, je doute qu'en 2008 on trouve suffisamment de psychiatres. En effet, nos hôpitaux en manquent déjà et il faut une dizaine d'années pour les former. Je crains quelques réveils très brutaux quand les condamnés sous camisole chimique recouvreront la liberté.

Ne disposant pas de statistiques dignes de ce nom, je ne suis pas certain que cette technique nous prémunisse contre la récidive.

De plus, le pouvoir d'appréciation du juge de l'application des peines est restreint et, comme je l'ai démontré, il est difficile de mettre en place l'injonction de soins.

Voilà pourquoi cet article ne nous semble pas opportun.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour défendre l'amendement n° 61.

Mme Éliane Assassi. Avec l'article 8, le choix qui est fait consiste à réduire un peu plus encore la mise en oeuvre des aménagements de peine.

Pour mémoire, je rappellerai que la loi du 12 décembre 2005 sur la récidive limite déjà les crédits de réductions de peine pour les récidivistes. Aujourd'hui, ce sont les réductions supplémentaires de peine qui sont visées.

Désormais, si la personne, délinquant sexuel récidiviste, refuse le traitement dont elle estime ne pas avoir besoin, il y a peu de chance qu'elle sorte un jour de prison - je vous l'accorde, je force sans doute un peu le trait...

Toujours est-il que les durées des peines d'emprisonnement seront de fait rallongées avec ce texte, ce qui contribuera à détériorer un peu plus les conditions d'incarcération.

Il me semble qu'il faudrait réfléchir en termes d'efficacité. En l'occurrence, le juge de l'application des peines n'aura plus la liberté d'aménager la peine d'un condamné en lui octroyant une réduction de peine supplémentaire. Or, on le sait, cet aménagement, accompagné d'un suivi socio-éducatif, est positif en matière de récidive. On peut donc s'interroger sur la pertinence d'un tel dispositif en matière de lutte contre la récidive.

Par ailleurs, les personnes concernées n'auront pas le choix : si elles veulent bénéficier de réductions de peine, elles seront contraintes d'accepter le traitement, ce qui apparaît en totale contradiction avec les données scientifiques actuelles.

L'injonction de soins est donc présentée comme seul remède à la récidive. Mais alors que le système actuel de l'injonction de soins et du suivi socio-judiciaire souffre d'un manque criant de médecins coordonnateurs, il semble dangereux, voire inefficace, d'instaurer aujourd'hui une injonction de soins obligatoire et, de surcroît, conditionnant un aménagement de peine.

Tel est le sens de notre amendement de suppression.

M. le président. L'amendement n° 7, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Au début du texte proposé par cet article pour la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 721-1 du code de procédure pénale, ajouter les mots :

 Sauf décision contraire du juge de l'application des peines,

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur. Cet amendement prévoit que le juge de l'application des peines pourra prendre une décision contraire et décider ainsi de ne pas supprimer le crédit de réduction de peine.

Il semble, en effet, utile de maintenir le pouvoir d'appréciation dont disposent actuellement les juges de l'application des peines. Nous avons une grande confiance en ces magistrats dont les fonctions, relativement nouvelles, se sont révélées au cours des années qui viennent de s'écouler et notamment durant les derniers mois. Les juges de l'application des peines ont un rôle déterminant à jouer dans la lutte contre la récidive. Ils prennent de plus en plus à coeur leurs fonctions. Cet amendement vise à conforter leur rôle.

M. le président. L'amendement n° 8, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Compléter la fin du texte proposé par cet article pour la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 721-1 du code de procédure pénale par les mots :

par le juge de l'application des peines en application des articles 717-1 et 763-7.

La parole est à M. le rapporteur, pour défendre cet amendement et pour donner l'avis de la commission sur les amendements identiques nos 46 et 61.

M. François Zocchetto, rapporteur. L'amendement n° 8 est un amendement de précision.

S'agissant des amendements de suppression, je suggère à leurs auteurs de les retirer au profit de l'amendement n° 7, qui, ils en conviendront, modifie sensiblement l'article 8. À défaut, la commission émettrait un avis défavorable.

M. le président. Monsieur Mahéas, l'amendement n° 46 est-il maintenu ?

M. Jacques Mahéas. Oui, monsieur le président.

M. le président. Madame Assassi, qu'en est-il de l'amendement n° 61 ?

Mme Éliane Assassi. Je le maintiens, monsieur le président.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'ensemble de ces amendements ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable aux amendements de suppression et favorable aux deux amendements de la commission.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 46 et 61.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas, pour explication de vote.

M. Jacques Mahéas. Hélas ! nos amendements n'ont pas été adoptés...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Grâce aux amendements de la commission, vos arguments tombent !

M. Jacques Mahéas. Non, nos arguments ne sont pas les mêmes, mais je conçois que, en effet, le juge de l'application des peines puisse avoir une opinion différente et « limiter les dégâts ». Il peut tout de même être parfois bon d'encourager un condamné à bien se conduire avec la perspective d'obtenir une réduction de peine.

Nous voterons donc en faveur des amendements présentés par M. Zocchetto.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 8, modifié.

(L'article 8 est adopté.)

Article 8
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Division et article additionnels après l'article 9

Article 9

I. - L'article 729 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque la personne a été condamnée pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru, une libération conditionnelle ne peut lui être accordée si elle refuse pendant son incarcération de suivre le traitement qui lui est proposé. Elle ne peut non plus être accordée au condamné qui ne s'engage pas à suivre, après sa libération, le traitement qui lui est proposé. »

II. - À l'article 731-1 du même code, le premier alinéa est remplacé par les dispositions suivantes :

« La personne faisant l'objet d'une libération conditionnelle peut être soumise aux obligations prévues pour le suivi socio-judiciaire si elle a été condamnée pour un crime ou un délit pour lequel cette mesure est encourue. Sauf décision contraire du juge de l'application des peines ou du tribunal de l'application des peines, elle est soumise à une injonction de soins dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique, s'il est établi, après l'expertise prévue à l'article 712-21, qu'elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement. »

III. - L'article 712-21 du même code est ainsi modifié :

1° Dans la première phrase, les mots : « mentionnée à l'article 706-47 » sont remplacés par les mots : « pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru » ;

2° L'article est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Cette expertise détermine si le condamné est susceptible de faire l'objet d'un traitement. » 

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L'amendement n° 47 est présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat,  Dreyfus-Schmidt,  C. Gautier,  Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet,  Sueur et  Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 62 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat,  Mathon-Poinat,  Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

  Supprimer cet article.

La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l'amendement n° 47.

M. Richard Yung. Les termes de la discussion sont les mêmes que pour les articles précédents, si ce n'est qu'il s'agit cette fois des libérations conditionnelles. Je me bornerai donc à souligner un argument déjà évoqué pour expliquer nos réserves sur le texte.

La pression exercée sur les personnes condamnées libérables qui, pour bénéficier de la libération conditionnelle, devront accepter de se plier à l'injonction de soins sera, à l'évidence, très forte. On comprend fort bien qu'elles seront poussées à aller dans cette voie, mais c'est précisément ce qui pose problème, car il faut un accord réel entre le patient et le médecin pour que les soins aient une chance d'être efficaces. Or, on risque de n'obtenir que des accords de façade, des accords factices de la part des condamnés soumis à cette pression.

M. Dominique Braye. Alors vaut-il mieux ne rien faire ?...

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 62.

Mme Éliane Assassi. Il est défendu.

M. le président. L'amendement n° 9, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Compléter la fin du texte proposé par le I de cet article pour le dernier alinéa de l'article 729 du code de procédure pénale par les mots :

par le juge de l'application des peines en application des articles 717-1 et 763-7.

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l'avis de la commission sur les amendements identiques nos 47 et 62.

M. François Zocchetto, rapporteur. L'amendement n° 9 est un amendement de précision.

Pour des raisons qui paraissent évidentes à ce stade des débats, je m'oppose, au nom de la commission, aux deux amendements de suppression.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable aux amendements de suppression et favorable à l'amendement de la commission.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 47 et 62.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 9, modifié.

(L'article 9 est adopté.)

Article 9
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Article 10

Division et article additionnels après l'article 9

M. le président. L'amendement n° 63 rectifié, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat,  Mathon-Poinat,  Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

  Après l'article 9, insérer une division additionnelle ainsi rédigée :

CHAPITRE ...

Dispositions relatives au contrôle général des lieux de privation de liberté

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je rassure mes collègues, mon intervention portera sur cet amendement et sur le suivant.

M. Dominique Braye. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dispensez-nous de ce type de commentaire, monsieur Braye !

M. le président. J'appelle donc en discussion l'amendement n° 64 rectifié, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, et ainsi libellé :

Après l'article 9, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

 

I. - Il est institué un contrôleur général des lieux de privation de liberté, chargé de contrôler l'état, l'organisation et le fonctionnement des établissements concernés, ainsi que les conditions de vie dans ces lieux et les conditions de travail des personnels.

 

II. - Le contrôleur général des lieux de privation de liberté est nommé en conseil des ministres pour une durée de six ans non renouvelable. Il est assisté de contrôleurs, dont le statut et les conditions de nomination sont définis par décret en Conseil d'État.

 

III. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté et les contrôleurs peuvent visiter à tout moment les établissements concernés. Ils ont accès à l'ensemble des locaux composant ces établissements. Ils peuvent s'entretenir avec toute personne, le cas échéant à sa demande, au sein de ces établissements dans des conditions respectant la confidentialité.

Les autorités publiques doivent prendre toutes mesures pour faciliter la tâche du contrôleur général. Les agents publics, en particulier les dirigeants des lieux de privation de liberté, communiquent au contrôleur général toutes informations et pièces utiles à l'exercice de sa mission.

Le caractère secret des informations et pièces dont le contrôleur général demande communication ne peut lui être opposé, sauf en matière de secret médical.

 

IV. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté établit chaque année un rapport sur les résultats de son activité. Ce rapport est remis au Président de la République et au Parlement avec les réponses du garde des sceaux. Il est rendu public.

Veuillez poursuivre, madame Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nos amendements visent à étendre à l'ensemble des lieux privatifs de liberté les dispositions relatives au contrôle général des prisons adoptées dans le cadre de la proposition de loi de MM. Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel votée par notre assemblée le 26 avril 2001.

Six ans ont passé, mais, malgré les relances faites par mon groupe, qui a en outre déposé - il n'était d'ailleurs pas le seul - des amendements en ce sens les nombreuses fois où nous avons eu l'occasion de discuter des prisons, et malgré les relances des professionnels et des associations, cette proposition de loi n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Je rappelle qu'elle était le fruit des constats et réflexions des commissions d'enquête parlementaires sur les prisons, qui, bien que leurs conclusions n'aient toujours pas été suivies d'effet six ans plus tard - utilité relative du Parlement... -, ont bien évidemment eu leur utilité.

Je fais partie des quelques parlementaires qui mettent en oeuvre régulièrement leur droit de visite - visites impromptues, je le précise - dans les prisons et dans les centres de rétention. La réalité y est souvent insoutenable. Elle constitue bien, hélas ! une « humiliation pour la République », comme le relevaient les rapports des commissions d'enquête.

Au cours des cinq dernières années, l'accumulation de lois toujours plus répressives a conduit à la dégradation des conditions de vie des détenus en accroissant encore la surpopulation carcérale.

Notre commission des lois confirme le risque d'une nouvelle augmentation du nombre des détenus. Les prévisions, nous le savons, sont difficiles à établir et nous espérons qu'elles ne se réaliseront pas, mais nous ne sommes pas naïfs...

Dans ces conditions, la création d'un contrôle extérieur devient tout à fait urgente et particulièrement adaptée dans le cadre du texte dont nous discutons. Si je me félicite donc, madame la ministre, de votre soutien à la création d'un tel contrôle, j'estime qu'il n'est nul besoin d'un nouveau débat parlementaire sur un futur projet de loi pour instituer le contrôleur général des lieux privatifs de liberté : il suffit d'adopter aujourd'hui même nos amendements.

Notre pays a été montré du doigt à l'échelle internationale pour l'état inacceptable de ses prisons et de ses centres de rétention par le précédent commissaire européen aux droits de l'homme, M. Gil-Robles, ce qui, évidemment, a profondément déplu au précédent garde des sceaux, ainsi que par le comité contre la torture de l'ONU.

Dans son rapport de novembre 2005, ce comité recommandait à la France de ratifier dans les meilleurs délais le protocole facultatif à la convention contre la torture de 1984, adopté le 18 décembre 2002 par l'Assemblée générale des Nations unies.

Ce texte impose aux États d'autoriser des visites régulières, impromptues et sans autorisation préalable dans tout lieu du territoire où des personnes sont privées de liberté. Il prévoit que les visites sont effectuées par le biais, d'une part, d'un sous-comité d'experts internationaux indépendants et, d'autre part, d'experts nationaux également indépendants.

Madame la ministre, votre prédécesseur, que j'ai interpellé à plusieurs reprises, s'était engagé à soumettre la ratification de ce protocole au Parlement.

Hélas ! il ne l'a pas fait et le protocole est donc entré en vigueur le 22 juin 2006 sans l'aide de notre pays, ce que tous les défenseurs des libertés que nous sommes ici ne peuvent manquer de regretter.

La création du contrôleur général permettra tout simplement de répondre sur le plan national aux exigences de ce protocole.

En 2006, contre notre avis, votre prédécesseur a confié au Médiateur de la République la responsabilité de la mise en oeuvre du mécanisme. Cette solution n'est pas du tout satisfaisante, car le contrôle doit être extérieur, indépendant et être assuré avec l'expertise nécessaire. Il est donc bien évidemment indispensable de modifier les textes.

Je connais d'avance la réponse que je vais obtenir, mais si je défends néanmoins aujourd'hui ces amendements, c'est pour faire respecter les débats parlementaires. Sur ce point, la discussion a déjà eu lieu dans cette enceinte et une proposition de loi a été adoptée ; sans doute faut-il qu'il y ait un débat à l'Assemblée nationale, mais il est parfaitement inutile d'engager une nouvelle discussion ici !

M. le président. Quel est l'avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Je suis bien moins qualifié que le président de la commission des lois, qui a participé aux travaux ayant conduit à l'adoption de la proposition de loi du 26 avril 2001 alors que je ne suis devenu sénateur que quelques mois après, pour répondre à vos questions et je me contenterai donc d'exprimer l'opinion de la commission, sachant toutefois, madame Borvo Cohen-Seat, que, comme vous l'avez vous-même dit, vous connaissez d'avance la réponse.

Convenez cependant que, cette fois, la réponse est très sensiblement différente de celles qu'ont reçues les amendements similaires que vous avez, en effet, systématiquement déposés sur les textes traitant de procédure pénale, textes dont nous nous sommes plu à rappeler qu'ils ont été assez nombreux ces derniers temps...

Vous avez sans doute eu raison de prendre ces initiatives, de même que le président de la commission des lois a eu raison de demander à chaque changement de législature que la proposition de loi relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons soit reprise à l'Assemblée nationale.

Ces efforts conjoints paraissent devoir aboutir à un résultat positif. Les préoccupations du Sénat semblent en effet partagées par le nouveau gouvernement puisque Mme le garde des sceaux a indiqué en d'autres lieux qu'elle envisageait de nous soumettre avant la fin de la session extraordinaire, c'est-à-dire très prochainement, un texte traitant du contrôle général des prisons mais aussi, plus largement, de tous les lieux privatifs de liberté.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les textes internationaux l'y obligent !

M. François Zocchetto, rapporteur. Je vous engage donc, madame Borvo Cohen-Seat, à patienter encore quelques jours : le débat que nous aurons alors vous permettra d'exposer à nouveau vos propositions et nous parviendrons peut-être à élaborer un texte encore plus satisfaisant que le texte adopté en 2001 par le Sénat.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Certainement !

M. François Zocchetto, rapporteur. Vous avez cette fois des assurances très précises en termes de calendrier et je vous invite à retirer les amendements que vous avez réintroduits à la faveur du présent texte.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame Borvo Cohen-Seat, je n'y peux rien si, au cours de deux législatures successives, l'Assemblée nationale n'a pas repris cette proposition de loi qu'à la suite du rapport de la commission d'enquête du Sénat j'avais déposée avec Pierre-Guy Cabanel.

Certes, nous avons déjà voté l'institution d'un contrôle général des prisons, que préconisait d'ailleurs aussi un rapport de l'ancien Premier président de la Cour de cassation, aujourd'hui membre du Conseil constitutionnel, M. Guy Canivet. Mais la rectification que vous avez apportée à vos amendements, qui, au départ, visaient le contrôle général des seules prisons, démontre que vous savez que nous allons débattre d'un projet de loi qui concernera tous les lieux privatifs de liberté...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les textes internationaux nous obligent à le faire !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mme le garde des sceaux voudra sans doute bien confirmer que ce projet de loi est de plus inscrit au programme de la session extraordinaire et que nous pourrons donc délibérer avant la fin du mois de juillet ou au tout début du mois d'août.

Dans ces conditions, il ne me paraît pas opportun d'aborder aujourd'hui, à la fin de l'examen d'un texte concernant la récidive, un sujet qui, à mon avis, mérite un débat plus vaste. Même si nous estimions que notre proposition de loi était bonne, sans doute peut-elle être améliorée. Nous disposerons ainsi d'une partie du mois de juillet pour étudier en toute sérénité les questions qui se posent encore, par exemple quant à l'organisation du contrôle général des prisons.

Par ailleurs, vous laissez sous-entendre que le rapport de notre commission d'enquête n'aurait servi à rien. Je ne suis pas d'accord.

Nous préconisions, s'agissant des mineurs, la création d'établissements qui ne soient plus des quartiers pour mineurs, mais conçus de façon complètement différente avec un fort encadrement éducatif, les premiers sortent de terre. Auparavant, on entendait souvent dire que les quartiers pour mineurs, c'était affreux, que ce n'était pas complètement étanche - on l'a vu dans un certain nombre d'établissements - ; or, maintenant, c'est fait !

Quant à l'augmentation du nombre de personnels pénitentiaires, elle est tout de même à porter au crédit de la loi d'orientation et de programmation pour la justice.

Certes, il faut un certain temps pour construire les prisons. S'agissant, par exemple, de la prison de Meaux-Chauconin, belle réalisation s'il en est, que nous sommes allés visiter, de quel programme dépendait-elle ? Pas de celui de Mme Guigou ou de celui de Mme Lebranchu, entre autres. Elle est le fruit du plan arrêté par Pierre Méhaignerie lorsqu'il était garde des sceaux. Vous vous rendez compte du temps qu'il a fallu pour mettre en oeuvre ce programme !

La Chancellerie a pris les choses en main avec l'Agence de maîtrise d'ouvrage des travaux et l'on va donc pouvoir aller beaucoup plus vite. Ainsi, le plan que nous avions voté en 2002 se traduit aujourd'hui par des créations, des rénovations d'établissements, des fermetures de prisons vétustes. De cette façon, - même s'il faudra peut-être faire un effort supplémentaire en ce sens, madame le garde des sceaux - nous pourrons disposer d'un parc pénitentiaire avec des personnels en nombre suffisant de manière à rendre la vie dans les établissements pénitentiaires digne. Je crois que cela est extrêmement important et il ne faut quand même pas oublier les efforts accomplis dans ce domaine.

Quand on dit que les prisons sont en mauvais état, il conviendrait de se poser la question : qu'avait-on fait avant ? Lorsqu'on voulait construire des établissements pénitentiaires, certains disaient soit qu'il y avait trop de places, soit qu'il ne fallait pas construire de nouvelles prisons. Or cela est, au contraire, indispensable, ne serait-ce que pour rendre la vie des détenus digne. Personnellement, je me félicite de tout ce qui a été fait et j'espère que nous continuerons dans cette voie pour améliorer encore la vie des détenus, élément qui constitue tout de même le gage d'une bonne réinsertion.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Nous souhaitons le retrait de cet amendement. En effet, le prochain conseil des ministres examinera le projet de loi instituant le contrôleur général indépendant des lieux privatifs de liberté, texte qui ira plus loin que le simple contrôle général des prisons. Cela nécessite, certes, des dispositions législatives s'agissant d'une autorité indépendante dont les missions seront encore plus élargies. Par conséquent, voilà qui devrait vous satisfaire, mesdames, messieurs les sénateurs, et répondre aux exigences des conventions internationales.

S'agissant du programme immobilier, je crois pouvoir dire que, depuis 2002, des efforts sans précédent ont été accomplis qui se traduisent par plus de 13 200 places ; avant 2012, nous disposerons de 60 000 places de détention, de 500 places en établissements pour mineurs - il ne s'agira plus de quartiers de mineurs au sein de centres pénitentiaires ou de maisons d'arrêt - et de près de 420 places en centres éducatifs fermés.

Par conséquent, dans le domaine des structures immobilières, il convient de saluer cet effort sans précédent.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

M. le président. Madame Borvo Cohen-Seat, les amendements nos 63 rectifié et 64 rectifié sont-ils maintenus ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je ne souhaitais pas lier la question du nombre de places de prison à celle de l'instauration d'un contrôleur général des lieux de détention. On s'égare !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais le contrôle sera facilité si les conditions de détention sont dignes !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je suis sûre que vous avez très bien compris ce que j'ai voulu dire, monsieur Hyest, à savoir que la philosophie qui sous-tend ces deux dispositifs est assez différente.

Cela étant dit, je retire ces amendements.

Je constate simplement que le projet de loi n'a pas encore été examiné en conseil des ministres. Nous verrons à quel débat fantastique ce texte donnera lieu ici même à la fin du mois et combien de sénateurs seront présents pour y participer.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous serons tous là, madame Borvo Cohen-Seat !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est tout à fait regrettable que les gouvernements précédents n'aient pas pris en compte un texte d'origine parlementaire.

D'ailleurs, chaque fois que j'ai déposé des amendements allant dans ce sens, nos collègues se sont empressés de les repousser...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pace que cela avait déjà été adopté !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous me retournez le compliment, monsieur Hyest : on tourne en rond !

Certes, aujourd'hui, poussés par les textes internationaux auxquels nous sommes bien obligés de nous plier et aux termes desquels notre dispositif de médiateur ne tient pas la route, nous allons peut-être toucher au but. Quel parcours !

Quoi qu'il en soit, si cela se produisait, nous serions bien sûr satisfaits.

M. le président. Ma chère collègue, vous aurez pris une part prépondérante au débat et contribué à l'aboutissement de ce texte futur. (M. Dominique Braye s'esclaffe.)

M. Dominique Braye. Le texte est déjà prêt !

M. le président. Peut-être, mais, croyez-moi, mon cher collègue, Mme Borvo Cohen-Seat y est pour beaucoup. J'ajoute que nous visitons régulièrement les prisons.

M. Dominique Braye. C'est la solidarité du parti !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur Braye, ça suffit !

M. le président. Les amendements nos 63 rectifié et 64 rectifié sont retirés.

CHAPITRE III

Dispositions diverses et transitoires

Division et article additionnels après l'article 9
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Article 11

Article 10

Les dispositions du chapitre II de la présente loi entrent en vigueur le 1er mars 2008. Toutefois, le II de l'article 5 et les articles 7 à 9 de la présente loi sont immédiatement applicables aux personnes exécutant une peine privative de liberté.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 48, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Il s'agit d'un amendement de coordination.

M. le président. L'amendement n° 10, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article :

Le I de l'article 5 et l'article 6 de la présente loi entrent en vigueur le 1er mars 2008.

Le II de l'article 5 et les articles 7 à 9 de la présente loi sont immédiatement applicables aux personnes exécutant une peine privative de liberté.

La parole est à M. le rapporteur, pour défendre cet amendement et pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 48.

M. François Zocchetto, rapporteur. L'amendement n° 10 est un amendement de clarification.

Quant à l'amendement n° 48, la commission y est défavorable puisqu'il s'agit d'une coordination avec un amendement qui n'a pas été adopté.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 48 et favorable à l'amendement n° 10.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 48.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 10.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l'article 10 est ainsi rédigé.

Article 10
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 11

La présente loi est applicable dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.

M. le président. L'amendement n° 49, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Je considère que cet amendement est défendu.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Zocchetto, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 49.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 11.

(L'article 11 est adopté.)

Vote sur l'ensemble

Article 11
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'examen des articles de ce projet de loi a finalement permis de révéler, au fil du débat, que l'hypothèse que nous avions formulée dès le départ, à savoir que ce projet de loi avait pour objet de faire entrer rapidement dans la législation certaines mesures annoncées pendant la campagne électorale avec une volonté d'affichage, était la bonne.

Concernant la volonté d'affichage, madame la ministre, on peut dire que vous avez réussi !

Toutefois, si l'on reprend trois points principaux de ce texte, on constate que, malheureusement, il n'y a pas grand-chose derrière cet affichage.

S'agissant, en premier lieu, des peines planchers, vous nous avez longuement expliqué qu'elles étaient nécessaires pour lutter contre la récidive. Or nous n'avons cessé de mettre en avant les statistiques, les vôtres d'abord, puis celles de chercheurs du CNRS, qui montrent qu'il n'y a pas de corrélation entre les durées d'incarcération, le quantum des peines, d'une part, et la récidive ou la non-récidive, d'autre part.

En revanche, nous savons qu'il existe un rapport entre la récidive et la libération conditionnelle. En d'autres termes, il y a moins de récidive quand il y a libération conditionnelle ; il y a moins de récidive lorsqu'il y a des peines alternatives à l'incarcération ; il y a moins de récidive quand il existe un meilleur suivi des détenus à l'intérieur de la prison ; il y a moins de récidive lorsqu'il y a un meilleur accompagnement des personnes qui sortent de prison - je pense, notamment, au suivi socio-judiciaire -, à condition, bien sûr, que les moyens soient suffisants pour permettre au dispositif d'être effectif.

Nous avons démontré la nécessité de prendre des mesures pour lutter contre la récidive, objectif que nous partageons. Toutefois, ces mesures ne sauraient en aucun cas mettre en cause la liberté des magistrats, notamment leur capacité d'individualiser les peines, en les transformant en distributeurs automatiques de peines planchers !

Il faut des moyens concrets pour la libération conditionnelle, le suivi socio-judiciaire, l'accompagnement des personnes qui sortent de prison, pour revoir la condition pénitentiaire. Cela est apparu avec beaucoup de netteté.

En deuxième lieu, concernant les mineurs, on a pu constater qu'il n'était pas souhaitable de mettre en cause le dispositif qui accorde une place importante à l'éducation ; bien au contraire, ce dernier est nécessaire. Sur ce point, je veux dire à notre collègue Lecerf que je partage son propos quand il regrette la présence de certains mineurs en prison. J'ajouterai simplement que nous ne sommes pas voués éternellement à ce que les prisons, ou les lieux spécifiques réservés aux mineurs dans les prisons, soient de mauvaise qualité ; mais, pour que cela change, il faut beaucoup de moyens.

De même, il faut des centres éducatifs fermés. Je rappelle une nouvelle fois qu'il n'existe qu'un seul centre de ce type, qui accueille six personnes, pour les 12  millions d'habitants de la région d'Île-de-France ! Alors, on peut, certes, tenir tous les discours que l'on veut ou adopter un texte d'affichage concernant les mineurs, mais il serait beaucoup plus utile de créer un deuxième, puis un troisième centre éducatif fermé. Bref, il faudrait les moyens nécessaires.

Enfin, en troisième lieu, s'agissant de l'injonction thérapeutique, vous avez, madame la ministre, tenté de démontrer que nous ne comprenions pas pourquoi il fallait changer la loi. Or, la législation en vigueur permet d'ores et déjà au juge de prononcer l'injonction thérapeutique.

Nous ne proposons nullement de remettre en cause ce dispositif. L'injonction thérapeutique ne peut, à elle seule, tout régler. Il y a des troubles de la personnalité dont le traitement ne passe pas forcément par la voie médicamenteuse ou purement médicale. Mais dans un certain nombre de cas, cette injonction est indispensable.

Nous l'affirmons : la loi permet aujourd'hui d'avoir recours à l'injonction thérapeutique ; cette loi existe. Simplement, la grande difficulté - on l'a vu en long, en large et en travers -, c'est que les experts et les psychiatres ne sont pas assez nombreux. Par conséquent, si on veut être utile, cette loi d'affichage ne servira à rien tant que l'on n'aura pas fait les efforts correspondants. Certes, cela est difficile, mais c'est indispensable pour améliorer la situation et pour créer les postes de professionnels qui sont nécessaires, comme le demandent un grand nombre de magistrats.

En conclusion, nous ne pouvons approuver ce projet de loi. Nous nous attendions à ce que vous veniez d'abord nous parler de ce qui est nécessaire, madame le garde des sceaux. Or vous avez dû satisfaire aux nécessités politiques de l'affichage, en faisant adopter très rapidement un projet de loi. Aussi, l'essentiel reste devant nous, car l'affichage ne peut le remplacer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est regrettable que nous n'ayons pas eu un véritable débat sur l'efficacité éventuelle de ce texte.

Il est tout aussi regrettable d'entendre nos collègues de la majorité continuer de nous traiter de laxistes, tout justes bons à s'émouvoir du sort réservé aux auteurs de crimes sexuels !

Madame Debré, je suis très émue d'apprendre que beaucoup de délinquants sexuels n'ont jamais affaire à la justice et se baladent librement dans les rues et dans la vie, mais convenez qu'avec des banalités de ce genre on peut, pendant longtemps, animer des discussions de café du Commerce !

Notre position sur ce texte est claire : je le répète, nous sommes par principe défavorables à l'introduction des peines planchers dans notre droit pénal. Nous sommes d'ailleurs inquiets de constater que le Sénat qui, dans sa majorité, avait jusqu'à présent toujours repoussé les peines planchers s'apprête aujourd'hui à les voter avec enthousiasme. Voilà le travail parlementaire sérieux dont se targuent les sénateurs !

M. Jean-Pierre Sueur. C'est la rupture ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Hélas ! les amendements présentés par M. le rapporteur n'ont guère amélioré le texte, tandis que ceux des autres parlementaires se voyaient, bien sûr, tous repoussés.

M. François Zocchetto, rapporteur. Pas tous !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Aussi, les peines planchers, qui ne sont certes pas automatiques, mais qui inversent le principe du jugement et nient de façon continue et aggravée la différence entre un mineur et un majeur, ont été maintenues.

Avant 1994, le juge devait prononcer une sanction inscrite dans une fourchette de peines, mais il pouvait estimer que des circonstances atténuantes s'appliquaient et personnaliser la peine en fonction du contexte de l'infraction et de la personnalité de son auteur. Tous ceux qui ont de la mémoire voulaient donc réintroduire ces dispositions. Ont-ils été entendus ? Que nenni !

S'agissant du respect d'un droit aussi fondamental que l'individualisation des peines, ce texte traduit un recul qui est, tout simplement, dangereux.

Par ailleurs, les magistrats, qui ne disposeront d'aucune marge de manoeuvre pour décider d'une condamnation moins sévère, n'auront d'autre choix que de prononcer une peine minimale, sauf à servir de boucs émissaires pour la justice et les peurs de nos concitoyens.

Malgré les arguments avancés par le Gouvernement, ce texte aura pour principale conséquence un accroissement de la surpopulation carcérale. Nous verrons plus tard, quand le nombre des prisons aura augmenté, s'il faut encore aggraver les peines afin de pouvoir les remplir encore davantage !

En ce qui concerne la délinquance des mineurs, madame le garde des sceaux, nous n'avons décidément pas la même approche. Depuis 2002, l'avalanche législative n'a pas cessé dans ce domaine, et il s'agit toujours de durcir les sanctions à l'égard des mineurs.

Bien entendu, - je le répète, car il faut toujours le préciser - nous ne sommes nullement opposés à la sanction des actes délictueux, même lorsque ceux-ci sont de peu d'importance et qu'ils sont commis par des mineurs. Mais encore faut-il que la sanction serve à quelque chose et se distingue de la prévention !

Or, pour la deuxième fois en un court laps de temps, on confond à dessein sanction et prévention - pire, on assimile la prévention à la sanction ! Nous ne pourrons donc pas vous suivre, madame le garde des sceaux.

Aucune réflexion de fond n'est menée sur l'évolution de la société dans laquelle grandissent les jeunes. Rien n'est envisagé pour pallier le manque de moyens de la Protection judiciaire de la jeunesse et résoudre l'impossibilité matérielle de faire exécuter les décisions des juges des enfants, notamment après un premier acte de délinquance, car c'est à ce moment qu'il faut agir pour les empêcher de recommencer.

Quant à la mansuétude dont bénéficieraient les mineurs, elle n'est attestée ni par un taux de réponse pénale de 88 % ni par un taux de détention provisoire de près de 80 %.

Pourtant, la solution proposée par le Gouvernement, c'est toujours davantage d'enfermement ! Pour les mineurs comme pour les majeurs, la liberté d'appréciation du juge des enfants sera restreinte. Or, plus encore que pour les majeurs, c'est l'adaptation la plus juste de la sanction à l'infraction commise qui permet de prévenir la récidive des mineurs, à condition que la sanction soit exécutée. Si celle-ci est comprise, puis mise en oeuvre, il existe une chance que le mineur ne récidive pas.

Or le projet de loi que vous allez adopter, mes chers collègues, s'éloigne de ce principe. Il inverse notre philosophie pénale : jusqu'à présent, le juge devait motiver la privation de liberté ; le projet de loi suit une logique contraire : c'est le maintien en liberté que le juge devra motiver. Les principes fondamentaux de notre justice pénale sont donc mis en cause, ce qui est dangereux, je le répète.

Enfin, il n'y a eu ni étude d'impact de ce projet de loi ni évaluation des textes précédemment votés, notamment les plus récents, et pour cause : ils ne peuvent à l'heure actuelle être évalués !

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas, pour explication de vote.

M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme d'une discussion, qui, hélas ! ne sera pas renouvelée dans cet hémicycle, et nous nous interrogeons encore sur l'opportunité d'avoir déclaré l'urgence sur un tel texte. Certes, eu égard au peu d'amendements que nous avons pu voter en commun - en l'état actuel du texte, seuls deux amendements présentés par M. le rapporteur -, la navette parlementaire eût effectivement semblé bien inutile !

Naturellement, tout le monde dans cet hémicycle souhaiterait qu'il n'y ait pas de récidiviste. Sans récidiviste, il n'y aurait pas de nouvelles victimes - permettez-moi cette lapalissade.

D'aucuns ont cru déceler dans les positions du groupe socialiste un certain laxisme, qui nous rendrait plus enclins à défendre les délinquants que les victimes, ce qui est un non-sens total !

En tant qu'élu de la Seine-Saint-Denis, j'ai pu constater ces dernières années une augmentation de la délinquance, notamment celle qui gêne le plus nos concitoyens, à savoir la délinquance de voie publique, qui s'est accrue de 15 % en 2006. Bien entendu, parmi les auteurs de ces faits on compte un certain nombre de récidivistes.

Mes chers collègues de la majorité, vous nous aviez promis une rupture tranquille, mais en ce qui concerne ce texte, c'est totalement raté ! Vous vous situez en effet dans la continuité des politiques antérieures : toujours augmenter le quantum des peines - cette loi en rajoute encore ! - et imposer aux juges des peines planchers, alors que la justice des mineurs, notamment, a besoin de sur-mesure.

La philosophie de votre texte est claire : il s'agit d'une loi d'affichage, manifestement destinée au grand public et qui n'emportera aucune conséquence. Si nous n'examinons pas très vite les véritables causes de la délinquance, nous risquons fort d'être déçus par l'application de cette loi.

Comme l'opposition doit tout de même avancer quelques propositions lorsqu'elle examine un tel texte, nous suggérons que le Gouvernement offre aux maires, puisqu'ils sont devenus des agents de prévention en vertu la loi du 5 mars 2007, les moyens financiers nécessaires pour mettre en place des associations dans les quartiers difficiles et recruter un certain nombre de professionnels.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il ne faut pas rêver !

M. Jacques Mahéas. Or, pour l'instant, il n'en a rien été.

Madame le garde des sceaux, j'ai été étonné que vous ne me répondiez pas au sujet des travaux d'intérêt général. Il faut pourtant sortir les jeunes de l'ornière, et il n'est pas concevable que les collectivités locales ne s'impliquent pas davantage en la matière. Les travaux d'intérêt général sont bien compris de nos concitoyens. Il ne s'agit en aucun cas d'humilier les délinquants, mais de leur faire la courte échelle afin qu'ils retrouvent toute leur place dans la société.

Par ailleurs, vous êtes en train de massacrer l'éducation nationale, avec quelque 10 000 suppressions de postes, qui s'ajouteront à la disparition des emplois-jeunes. Mais le fondement de nos lois républicaines, c'est tout de même l'éducation dispensée par l'école de la République !

Travaillons aussi à mieux coordonner la justice et la police. Très franchement, en tant qu'élu de la Seine-Saint-Denis, j'en ai vraiment assez de voir les difficultés du passé systématiquement montées en épingle, notamment par l'ancien ministre de l'intérieur.

Informons les parlementaires et l'OND, l'Observatoire national de la délinquance, chiffrons le coût de nos lois, réalisons des études d'impact des textes précédents et demandons-nous, les uns et les autres, si les ghettos, le chômage, les discriminations, la crise du logement, les maisons d'arrêt surpeuplées, entre autres éléments, ne seraient pas le premier terreau de la récidive ?

Enfin, madame le garde des sceaux, je regrette profondément que, dans cet hémicycle, les paroles aient parfois dépassé la pensée de ceux qui les proféraient. Je suis véritablement choqué, outré et quelque peu blessé (M. Dominique Braye s'esclaffe. - Sourires sur les travées de l'UMP) que mon collègue de la Seine-Saint-Denis ait traité les juges du tribunal de Bobigny de « Pères Noël ». Franchement, ce n'est pas digne d'un sénateur !

M. Dominique Braye. On va essayer de vous rasséréner, monsieur Mahéas !

M. Jacques Mahéas. Monsieur Braye, je pensais qu'en lui tendant la main et en lui demandant de retirer le mauvais mot qu'il a eu, nous pourrions, nous les élus, les représentants du peuple, respecter les juges, qui accomplissent un travail si difficile.

M. Dominique Braye. Il n'y a pas plus grand compliment que d'être traité de Père Noël !

M. Jacques Mahéas. D'ailleurs, madame le garde des sceaux, mes chers collègues de la majorité, je ne suis pas certain qu'avec cette loi vous ne leur compliquiez pas encore un peu plus la tâche.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi prolonge les lois du 12 décembre 2005 et du 5 mars 2007, en même temps qu'il innove en instaurant des peines minimales pour les récidivistes.

Cette réponse du législateur doit être entendue avant tout comme un outil de dissuasion. En effet, l'efficacité de ce projet de loi repose sur son caractère dissuasif, et il ne comporte aucun volet consacré à la prévention, ce que nous pouvons regretter.

Le projet de loi intègre, notamment, et utilement, des dispositions permettant la généralisation de l'injonction de soins, à laquelle le Sénat a toujours été favorable, en particulier dans le cas des condamnés pour des infractions à caractère sexuel.

La majorité des membres du RDSE considère que ce projet répond, malgré son examen en urgence, à la fois à une nécessité et à une forte demande de nos concitoyens. Nous estimons que ce texte exercera un effet dissuasif sans remettre a priori en cause les grands principes de notre droit.

Toutefois, il nous semble indispensable de poursuivre l'effort de lutte contre la récidive au-delà de l'adoption de ce projet de loi. Comme l'a rappelé très justement M. le rapporteur, et comme l'ont montré nos débats, la mise en oeuvre de moyens supplémentaires est nécessaire afin d'assurer un meilleur suivi des personnes, une meilleure efficacité des décisions de justice et une plus grande rapidité dans l'exécution des peines.

En effet, l'exécution effective et rapide des décisions est essentielle. Il ne faut pas laisser au très redoutable sentiment d'impunité le temps de se diffuser et de s'installer, ce qui plongerait la victime dans le désarroi. C'est pourquoi, pour être pleinement efficace, ce texte doit s'accompagner d'une augmentation significative et rapide des moyens humains et financiers de l'institution judicaire. Nous attendons donc avec beaucoup d'intérêt la grande réforme du système pénitentiaire qui nous est promise et que nous devrions examiner avant la fin de la session. Nous connaissons tous les problèmes de surpopulation, de manque de moyens, de formation et d'aide à la réinsertion.

S'agissant du manque de soins, mon département, l'Orne, connaît une complète désertification médicale, comme d'autres départements ruraux. Aussi, je ne vois pas comment nous trouverons des médecins coordonnateurs ou des psychiatres pour les centres de détention. Madame le garde des sceaux, il faudra veiller à l'application de ce texte, lors de la réforme en profondeur de la carte judiciaire. Il faudra faire attention à l'emplacement des juges de l'application des peines et garder ces services à proximité des centres de détention. Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour attirer votre attention sur le tribunal d'Argentan, qui est menacé. Cette ville comptant un grand centre de détention, il faut maintenir un important service d'exécution des peines.

Sous ces réserves, la majorité du groupe du RDSE votera ce texte.

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, cette loi ne laisse personne indifférent, c'est le moins que l'on puisse dire au terme de nos débats.

Ce texte a-t-il autant de défauts que d'aucuns l'ont prétendu dans cet hémicycle ? Je ne le pense pas, dès lors notamment qu'est préservé et garanti le principe d'individualisation de la peine, auquel nous sommes particulièrement attachés.

Cela me paraît assuré pour tous les cas de récidive, à l'exception toutefois de celui du criminel multirécidiviste pour lequel je doute fort que l'accusé soit en mesure de présenter « les garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion » pouvant lui permettre d'échapper à la peine minimale automatique, comme le requerra désormais le code pénal. Mais ne soyons pas angéliques s'agissant de criminels multirécidivistes. Ce serait prendre une lourde responsabilité devant l'opinion et la société.

Si ce texte n'a pas tous les défauts, a-t-il toutes les qualités qu'on lui prête et permettra-t-il de réduire sensiblement le phénomène de récidive en matière délictuelle ou criminelle ? Je le souhaite vivement, mais je crains que son impact ne soit pas tout à fait à la hauteur des espoirs mis en lui par ses promoteurs. D'une part, parce qu'il n'est pas prouvé - cela a été souligné à plusieurs reprises - que la prison fasse peur aux délinquants endurcis. D'autre part, parce que les conditions de détention que l'on connaît en France - ce point a également été souvent abordé - ne préparent pas vraiment à la réinsertion.

C'est pourquoi, madame le garde des sceaux, cette loi doit très rapidement être accompagnée d'une réforme qui permette de donner à notre système pénitentiaire les moyens dont il a absolument besoin pour favoriser la réinsertion des détenus. Cela coûtera cher, bien sûr, mais c'est indispensable et même urgent pour que cette loi ne crée pas plus de déception que d'espoir.

Il ne faut pas non plus laisser les primo-délinquants mineurs penser - comme c'est trop souvent le cas - qu'ils sont intouchables et glisser dans la spirale de la délinquance.

C'est donc avec l'espoir que nous serons entendus et que les indispensables moyens complémentaires que je viens d'évoquer rapidement viendront compléter le dispositif que le groupe Union centriste-UDF votera ce projet de loi.

Madame le garde des sceaux, pour conclure, vous me permettrez de vous féliciter de la manière dont vous avez affronté votre baptême du feu parlementaire. J'émets le voeu que vous n'oublierez pas que ce n'est pas nécessairement en multipliant les textes que l'on règle un problème. Avant de proposer un nouveau projet de loi, il faut savoir prendre le temps de mettre en oeuvre le texte précédent et d'en mesurer tous les effets.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, au cours de ce débat qui vient de lancer la nouvelle législature, j'ai eu à plusieurs reprises - pour ne pas dire tout le temps ! - l'impression de rêver. En effet, j'avais vraiment le sentiment d'être encore sous la législature précédente.

J'ai retrouvé, du côté de l'opposition, les techniques mises en oeuvre depuis 2002. Elles n'avaient pas changé : motion tendant à opposer la question préalable, motion tendant au renvoi à la commission, motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, amendements de suppression pour chaque article, amendements servant à alimenter la logorrhée. Je n'ai entendu aucune idée constructive ! (M. Jacques Mahéas s'exclame.)

M. Dominique Braye. Très bien !

M. Christian Cointat. Pourtant, mes chers collègues, et j'imagine que vous le savez, des événements très importants ont eu lieu voilà quelques semaines. Plus de 85 % des Français ont voté lors de l'élection présidentielle et M. Nicolas Sarkozy a été largement élu, avec près de 20 millions de voix.

Or vous n'en tirez aucune conséquence. Vous avez perdu cette élection et vous ne changez pas vos pratiques !

M. Dominique Braye. Qu'ils continuent ainsi !

M. Jacques Mahéas. C'est invraisemblable !

M. Christian Cointat. Je ne devrais pas vous le dire, car le fait que vous poursuiviez en ce sens nous réussit assez bien ! Mais c'est très inconfortable car cela ne permet pas le débat démocratique.

Malheureusement, vous n'avez pas changé. Je ne suis pas le seul à l'affirmer : Dominique Strauss-Kahn l'a reconnu, affirmant que la droite avait su se moderniser, alors que la gauche n'avait pas pu le faire et ne le faisait toujours pas.

Si vous voulez être à la hauteur de vos principes,...

M. Jacques Mahéas. Pas de leçons ! Il n'y a pas longtemps, vous étiez contre !

M. Christian Cointat. ...acceptez un débat démocratique constructif.

M. Jacques Mahéas. Demandez à Dominique de Villepin ce qu'il pense de ce texte !

M. Christian Cointat. Ne faites pas de blocage. Vous avez su jongler, avec talent, je le reconnais,...

M. Dominique Braye. Non ! Sans talent !

M. Christian Cointat. ...avec les mots, mais jamais avec les idées. Or ce sont les idées qu'il faut mettre en avant, ce sont elles qui doivent être confrontées.

Énoncez des contre-propositions ! On n'en entend pas.

Nous, nous avons au moins le mérite de chercher à agir et de répondre à l'attente de nos concitoyens. À force de répéter qu'on ne peut rien faire, mes chers collègues, vous me faites penser à Paul-Henri Spaak, cet homme politique belge éminent, qui aimait à dire - les Belges ont beaucoup de bon sens - : « Les bons experts sont ceux qui rendent possibles les idées politiques que l'on veut adopter ; les mauvais sont ceux qui expliquent qu'elles sont inapplicables. » C'est ce que vous avez fait. Vous n'avez pas cessé de répéter qu'il était impossible de rien proposer, qu'il n'y avait pas d'argent, que les moyens manquaient.

Or, il faut agir, car nos concitoyens l'attendent, le veulent, l'ont demandé. Ils ont voté pour cela, avec fougue, avec force ; et ils étaient très nombreux. À qui ont-ils donné la compétence et le pouvoir ? Pas à vous ! Car ils ne vous ont pas fait confiance, à force de vous voir toujours tourner autour du pot sans jamais parvenir à résoudre les problèmes.

M. Jacques Mahéas. Pas de triomphalisme !

M. Christian Cointat. Essayez de mieux travailler avec la majorité pour faire valoir vos idées, car, souvent, celles-ci sont bonnes, mais vous ne savez malheureusement pas les mettre en pratique. C'est le drame.

Il serait temps de changer de méthode, car cela devient monotone. Cela fait cinq ans que je m'ennuie dans cet hémicycle à cause de l'obstruction que vous pratiquez.

M. Jacques Mahéas. Quittez-le !

M. Christian Cointat. Il faudrait changer pour que nous puissions mieux servir nos concitoyens.

J'en arrive au sujet. Ce texte a le mérite d'exister et de chercher à répondre à l'attente de nos concitoyens. Ceux-ci réclament la sécurité : ils ne veulent pas que des délinquants multirécidivistes restent dans la rue, libres de recommencer. Ce n'est pas pour autant qu'ils veulent une sanction permanente : au contraire, ils veulent une réinsertion réussie.

Ce texte a également le mérite d'apporter une réponse. Il renforce la dureté des peines pour essayer de faire comprendre qu'on ne peut pas faire n'importe quoi, mais il laisse toujours aux magistrats la liberté d'y déroger.

Je tiens à m'inscrire en faux contre les propos de l'opposition : aucun procès n'est fait aux magistrats. Pour ma part, je vois au contraire dans les nouvelles dispositions la preuve d'une grande marque de confiance et de respect en la magistrature.

M. Dominique Braye. Très bien !

M. Christian Cointat. En effet, les magistrats auront toujours le pouvoir, comme le leur confère la Constitution, de passer outre. Certes, s'ils ne veulent pas tenir compte des peines minimales prévues, ils devront s'en expliquer, mais n'est-ce pas la moindre des choses pour ceux qui rendent la justice au nom du peuple français ? Ce dernier veut une justice beaucoup plus efficace.

Voilà pourquoi ce texte est équilibré et solide. C'est un premier pas. Il faudra aller beaucoup plus loin, madame le garde des sceaux, notamment en dégageant les moyens. Je le reconnais, les moyens doivent suivre, sinon ce texte ne sera pas efficace. Or nos concitoyens espèrent qu'il le sera.

Puisque dans cet hémicycle de grands noms ont été cités - Chateaubriand, Victor Hugo,... -, permettez-moi de rappeler cette phrase de Clemenceau : « Le gouvernement a pour mission de faire que les bons citoyens soient tranquilles, que les mauvais ne le soient pas. » Madame le garde des sceaux, c'est ce que nous attendons de vous. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. André Ferrand, pour explication de vote.

M. André Ferrand. Nous sommes parvenus au terme de l'examen du projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

Je commencerai par vous rendre hommage, madame la ministre, au nom de l'ensemble de mes collègues de l'UMP.

Notre assemblée se réjouit d'avoir été saisie en premier de ce projet de loi, qui constitue l'un des engagements forts du Président de la République en matière de sécurité des personnes et des biens.

Je tiens également à saluer le rapporteur, M. François Zocchetto, et le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, qui a su, comme à son habitude, diriger efficacement nos débats.

Comme le soulignait le Président de la République, « le meilleur moyen de lutter contre la récidive, c'est la certitude que la sanction va tomber ».

Nous disposons, grâce à ce texte, de moyens juridiques efficaces et adéquats pour lutter, sans faiblesse, contre ce fléau qu'est la récidive, sans négliger le respect dû aux personnes.

Le message adressé aux juridictions gagne en clarté. Il précise que le récidiviste doit être sanctionné avec une plus grande fermeté.

Le juge conserve, toutefois, une marge de manoeuvre et pourra prononcer une peine inférieure à la peine minimale, par une décision spécialement motivée.

Le projet de loi maintient donc la possibilité d'individualiser les peines et, par conséquent, ne remet pas en cause les principes fondamentaux de notre droit pénal.

Nous nous réjouissons que ce texte comporte un volet imposant un suivi médical et judiciaire aux personnes condamnées pour les infractions les plus graves, principalement de nature sexuelle.

Les membres de l'UMP voteront donc ce texte sans aucune réserve et avec la conviction qu'il apporte de réelles réponses pour lutter contre la récidive.

Soyez assurée, madame la ministre, de notre soutien à votre volonté de promouvoir une justice plus moderne, plus efficace, plus ferme, mais aussi plus humaine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Avant que la séance soit levée, je remercie très sincèrement les membres de la commission des lois, en particulier son rapporteur, M. François Zocchetto, pour le travail en profondeur et très constructif qu'il a fourni, ainsi que son président, M. Jean-Jacques Hyest, pour la finesse de ses analyses.

Je remercie également tous les orateurs qui m'ont apporté leur soutien tout au long de cette discussion. Le travail parlementaire a indéniablement enrichi le projet de loi qui vient d'être adopté.

J'ai émis, au nom du Gouvernement, un avis favorable sur sept amendements importants de la commission et sur deux amendements de l'opposition. Au total, dix amendements ont été adoptés.

L'équilibre du projet de loi, auquel je tenais, a été préservé. Le texte adopté concilie ainsi la nécessaire fermeté, qui doit s'appliquer aux récidivistes, et les principes constitutionnels, comme l'individualisation des peines et l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs.

Je remercie l'opposition du caractère constructif de sa contribution aux débats. (Rires et exclamations sur l'ensemble des travées.)

M. Dominique Braye. Vous êtes gentille, madame la ministre.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. J'ai été très honorée de défendre mon premier texte devant la Haute Assemblée. Je tiens à remercier Mmes et MM. les sénateurs pour le travail que nous avons accompli ensemble, dans un climat qui fait honneur au Parlement. J'espère vous avoir fait honneur en défendant ce premier texte. Nous nous retrouverons bientôt pour examiner l'instauration d'un contrôle général indépendant des lieux privatifs de liberté. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
 

10

Dépôt d'une proposition de loi

M. le président. J'ai reçu de M. Ladislas Poniatowski une proposition de loi tendant à autoriser les consommateurs particuliers à retourner au tarif réglementé d'électricité.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 369, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

11

Dépôt d'une proposition de résolution

M. le président. J'ai reçu de MM. Bernard Vera, Michel Billout, Jean-Claude Danglot, Mmes Michelle Demessine, Evelyne Didier, M. Gérard Le Cam, Mmes Eliane Assassi, Marie-France Beaufils, Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Robert Bret, Mme Annie David, MM. Guy Fischer, Thierry Foucaud, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Gélita Hoarau, M. Robert Hue, Mmes Hélène Luc, Josiane Mathon-Poinat, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Jean François Voguet, François Autain et Pierre Biarnès une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête chargée d'examiner les causes et les conséquences des transactions immobilières concernant les anciens locaux de l'Imprimerie nationale, rue de la Convention à Paris dans le XVe arrondissement.

La proposition de résolution sera imprimée sous le n° 368, distribuée et renvoyée à commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation et, pour avis, à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

12

Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord de coopération scientifique et technologique entre la Communauté européenne et la République arabe d'Égypte.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3574 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Projet de décision du Conseil relative à la signature, au nom de l'Union européenne, d'un accord entre l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique sur le traitement et le transfert de données des dossiers passagers (données PNR) par les transporteurs aériens au ministère américain de la sécurité intérieure.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3575 et distribué.

13

ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 11 juillet 2007, à quinze heures et le soir :

- Discussion du projet de loi (n° 367, 2006-2007) relatif aux libertés des universités.

Rapport de M. Jean-Léonce Dupont, fait au nom de la commission des affaires culturelles.

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 10 juillet 2007, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 11 juillet 2007, à l'ouverture de la discussion générale.

Délai limite pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des amendements

Discussion du projet de loi (n° 367, 2006-2007) relatif aux libertés des universités :

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 10 juillet 2007, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 11 juillet 2007, à l'ouverture de la discussion générale.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée le vendredi 6 juillet 2007, à zéro heure quinze.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD