sommaire

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

1. Procès-verbal

2. Candidature à une commission

3. Interdiction de la peine de mort. - Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale : MM. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice ; Robert Badinter, rapporteur de la commission des lois ; François Zocchetto, Mme Catherine Troendle.

4. Souhaits de bienvenue à une délégation d'Argentine

5. Interdiction de la peine de mort. - Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale (suite) : M. Jacques Pelletier, Mme Éliane Assassi, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Paul Girod, Mme Alima Boumediene-Thiery.

Clôture de la discussion générale.

Article unique

M. Richard Yung.

Amendement no 1 rectifié bis de M. André Lardeux. - MM. André Lardeux, le rapporteur, le garde des sceaux. - Retrait.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jean-Pierre Sueur.

Adoption, par scrutin public, de l'article unique du projet de loi constitutionnelle.

6. Nomination d'un membre d'une commission

Suspension et reprise de la séance

présidence de M. Philippe Richert

7. Candidatures à une commission mixte paritaire

8. Modification du titre IX de la Constitution. - Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale : MM. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice ; Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur ; Patrice Gélard, Nicolas Alfonsi.

MM. le président, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois ; le garde des sceaux.

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Roland du Luart

9. Conférence des présidents

10. Nomination de membres d'une commission mixte paritaire

11. Modification du titre IX de la Constitution. - Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale (suite) : Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Bernard Frimat, Pierre Fauchon, Hugues Portelli, Robert Badinter, Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice ; Jean-René Lecerf, Mme Alima Boumediene-Thiery.

Clôture de la discussion générale.

12. Mise au point au sujet d'un vote

MM. Michel Mercier, le président.

13. Modification du titre IX de la Constitution. - Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi constitutionnelle

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice.

Article additionnel avant l'article unique

Amendements nos 7 de M. Robert Badinter et 9 rectifié de M. Jean-Pierre Bel. - MM. Robert Badinter, Pierre-Yves Collombat, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur ; le garde des sceaux, Hugues Portelli. - Rejet des deux amendements.

Article unique

Amendement n° 11 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. - Rejet.

Amendements nos 12 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, 8 de M. Jean-Pierre Bel, 6 rectifié de M. Pierre Fauchon, 4 et 5 de M. Jean-René Lecerf. - Mme Éliane Assassi, MM. Robert Badinter, François Zocchetto, Jean-René Lecerf, le rapporteur, le garde des sceaux, Pierre Fauchon. - Retrait des amendements nos 4 et 5 ; rejet des amendements nos 12, 8 et, par scrutin public, de l'amendement n° 6 rectifié.

Amendement n° 2 rectifié de M. Jean-René Lecerf. - MM. Jean-René Lecerf, le rapporteur, Pierre Fauchon. - Devenu sans objet.

Amendements nos 1 de M. Jean-René Lecerf, 10 de M. Jean-Pierre Bel et 13 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - MM. Jean-René Lecerf, Bernard Frimat, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux, le président, Hugues Portelli. - Retrait de l'amendement no 1 ; rejet des amendements nos 10 et 13.

Amendement n° 3 de M. Jean-René Lecerf. - MM. Jean-René Lecerf, le rapporteur. - Retrait.

Adoption de l'article unique.

Article additionnel après l'article unique

Amendement n° 14 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. - Rejet.

Vote sur l'ensemble

MM. Bernard Frimat, Patrice Gélard, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Robert Badinter, Michel Mercier.

Adoption, par scrutin public, du projet de loi constitutionnelle.

14. Dépôt d'un projet de loi

15. Transmission de projets de loi

16. Dépôt d'une proposition de loi

17. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

18. Dépôt de rapports

19. Dépôt d'un rapport d'information

20. Dépôt d'un avis

21. Ordre du jour

compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

CANDIDATURE À UNE COMMISSION

M. le président. J'informe le Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires sociales, à la place laissée vacante par Marcel Lesbros, décédé.

Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du règlement.

3

 
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort
Discussion générale (suite)

interdiction de la peine de mort

Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort (n°s 192, 195).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la peine de mort ne laisse personne indifférent, même dans un pays comme le nôtre où elle a été abolie voilà maintenant plus de vingt-cinq ans.

Elle fut un débat politique majeur, dans les assemblées, dans les prétoires, dans les lieux publics ou, simplement, dans l'intimité des consciences. Elle eut ses défenseurs, elle eut ses pourfendeurs.

Aujourd'hui, je voudrais vous demander de l'exclure clairement, et définitivement, du champ des discussions et des propositions politiques. Nous devons montrer que la peine de mort n'a de place que dans les livres d'histoire et marquer cette volonté en l'inscrivant au coeur de notre pacte fondamental, dans le texte même de notre Constitution. Tel est le sens du projet de loi constitutionnelle qui vous est présenté aujourd'hui.

Votre rapporteur, M. Badinter, le sait bien : je fus moi-même un opposant à l'abolition et, accessoirement, l'un de ses adversaires. En effet, voilà vingt-six ans, je pensais naïvement que la peine de mort détruisait des vies pour en sauver d'autres. Je croyais que la mort était un supplice terrible, mais qu'elle était légitimée par l'horreur du crime commis par le coupable. Or, j'avais oublié que la peine de mort est non pas un acte de justice, mais une pratique barbare.

Il est un moment où chaque homme est seul avec son intime conviction, avec ses principes. Parmi ces derniers, aucun n'est plus important que celui qui vous réunit aujourd'hui : la vie humaine a un caractère inviolable et sacré. Chaque femme, chaque homme ne peut être réduit aux atrocités qu'il a pu commettre ; il a, avant tout, une part d'humanité que nous devons protéger, entretenir, parfois sauver. On juge une société à ses membres, mais aussi à ses règles.

Dans ses Réflexions sur la guillotine, Albert Camus écrivait très justement que la peine de mort « n'est pas moins révoltante que le crime et que, loin de réparer l'offense au corps social, elle ajoute une nouvelle souillure à la première ».

Éliminer d'autres hommes n'est pas une règle propre à une société évoluée, et ce d'autant plus que la justice humaine est faillible. Elle est nécessaire, mais elle conserve une capacité d'appréciation qui parfois peut mener à une erreur.

Le juge, dans sa difficile mission de dire le droit et le juste, peut se tromper. L'erreur judiciaire est un scandale et la peine de mort ne se contente pas d'en aggraver les effets : elle transforme fondamentalement la condamnation en crime de la société, que la France soit en paix ou en guerre.

Aujourd'hui, j'imagine avec effroi un procureur placé sous mon autorité requérir la peine de mort contre un criminel, quelle que soit l'horreur de son crime. J'imagine le poids de ma responsabilité, en tant que garde des sceaux, en lisant ces quelques mots elliptiques et hypocrites dans le texte d'un décret du Président de la République : « Décide de laisser la justice suivre son cours ».

Le terme de la justice ne peut être l'exécution capitale ; ce serait abandonner toute foi dans la dignité humaine. C'est pourquoi la peine la plus grave encourue par l'auteur d'une infraction doit être la réclusion criminelle à perpétuité. La prison à vie, même si elle est réduite à une peine de sûreté, est une épreuve terrible pour les condamnés et suffit largement à faire craindre la justice aux criminels.

Comme tant d'autres Français, j'ai évolué sur cette question. Une majorité d'entre eux est désormais favorable à l'abolition de la peine de mort, mais cette majorité est précaire. J'en fais maintenant partie, mais je sais que nous ne sommes pas encore tous sur cette ligne.

Je veux donc me tourner en priorité vers ceux qui croient que la peine de mort est le meilleur instrument de prévention du crime, qu'elle inspire la peur et pousse à réfréner les pulsions. Ce n'est pas vrai ! La peine de mort satisfait simplement un esprit de vengeance. Or, la vengeance est un instinct que combat la justice. La vengeance abaisse la société qui y recourt. La vengeance nous éloigne de l'État de droit.

Comme l'écrivait le célèbre auteur du traité Des délits et des peines, Cesare Beccaria, « si je prouve que cette peine n'est ni utile ni nécessaire, j'aurai fait triompher la cause de l'humanité ».

Justement, elle est inutile. La peine de mort n'a jamais sauvé de vies et elle n'a jamais retenu l'arme d'un crime, même lorsque la justice est expéditive. Les taux de criminalité ou de décès par mort violente dans les pays ayant conservé la peine de mort sont là pour nous le prouver.

Les États abolitionnistes ne sont pas les pays où la criminalité est la plus élevée, bien au contraire ; ce sont des pays où l'échelle des peines intègre le respect de l'homme, où la fermeté n'est pas la complice du crime.

La peine de mort n'est pas non plus nécessaire pour garantir la sécurité aux citoyens. Le droit à la sûreté est réellement un droit de l'homme, mais la sécurité se construit aussi par le respect des droits des justiciables.

Ces droits ne sont plus bafoués en France par la peine de mort. Elle fut pour beaucoup un combat de longue haleine, votre rapporteur en a vécu les grandes heures. Pour d'autres, elle fut une prise de conscience, plus ou moins tardive.

Ce combat n'est pas terminé et donne l'occasion à chacun d'oeuvrer, désormais, en faveur de l'abolition universelle de la peine de mort.

Ce choix n'est pas seulement celui du Président de la République, qui s'en est fait l'avocat inlassable et a personnellement voulu que ce projet aboutisse. Ce n'est pas celui du Gouvernement et des assemblées parlementaires, dont les membres plaident l'abolition de la peine de mort dans leurs déplacements internationaux. C'est celui de la collectivité nationale tout entière, fière et rassemblée autour des droits de l'homme, quelles que soient les frontières politiques.

L'abolition de la peine de mort par la loi du 9 octobre 1981 a permis à la France, en 1986, de ratifier le protocole n° 6 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme concernant l'abolition de la peine de mort en temps de paix. Ce protocole permet néanmoins le rétablissement de la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre. La France souhaite maintenant que tous les pays puissent écarter cette hypothèse.

Le mouvement international en faveur de l'abolition se traduit par deux nouvelles conventions : le protocole n° 13 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, abolissant la peine de mort en toutes circonstances, et le deuxième protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté à New-York le 15 décembre 1989.

Aujourd'hui, la France n'a ratifié aucun de ces deux textes. Elle ne souhaite pourtant pas rester à l'écart de ces initiatives, qui portent un message conforme à ses valeurs.

Dans sa décision du 13 octobre 2005, le Conseil constitutionnel a jugé qu'une révision constitutionnelle était nécessaire pour que la France puisse ratifier le deuxième protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans la mesure où celui-ci ne comporte pas de clause de dénonciation et prescrit une abolition définitive de la peine de mort. Il méconnaît donc les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, car cet engagement serait irréversible.

Il n'existe qu'un seul dispositif juridique pour répondre à la décision du Conseil constitutionnel : modifier notre loi fondamentale, comme nous l'avons fait par le passé pour d'autres textes internationaux, notamment lors de la ratification par la France du Traité de Rome instituant une Cour pénale internationale.

La révision constitutionnelle prendra place à l'article 66-1 de la Constitution, au sein du titre VIII sur l'autorité judiciaire. Elle dispose : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

Notre pays rejoindra ainsi les seize pays européens et les quarante-cinq États dans le monde qui ont inscrit dans leur texte fondamental l'abolition de la peine de mort. La France ne sera donc pas la première nation à entamer cette démarche. C'est regrettable, mais elle doit continuer d'avancer sur cette voie.

C'est pourquoi cette révision est nécessaire. Elle montrera, en outre, que les crimes de guerre, aussi terribles soient-ils, ne doivent pas être punis de la peine de mort. On ne répond pas à l'horreur par la barbarie. Nos principes ne s'arrêtent pas aux portes des conflits.

Tel n'est malheureusement pas encore l'avis de tous les pays membres de l'Organisation des Nations unies, où les États abolitionnistes « en toutes circonstances » demeurent minoritaires. Quelles que soient nos conceptions de la politique étrangère, il y va de notre devoir commun d'oeuvrer à l'avenir, par notre action diplomatique, à la proscription de la peine de mort.

Déjà, de nombreux pays condamnent des criminels à la peine de mort, mais n'exécutent plus les jugements. Il nous faut les aider à mettre en conformité le fait et le droit. L'existence d'une vie humaine ne peut être suspendue au seul droit de grâce, droit nécessaire mais bien trop aléatoire pour satisfaire l'exigence de justice.

Ce combat est plus difficile dans les pays qui considèrent que la mort n'est qu'une peine normale et banale. La société civile doit continuer à se mobiliser et elle doit savoir qu'elle n'est pas seule à lutter pour le respect des droits de l'homme. La France est à ses côtés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà vingt-six ans, votre vote permettait de mettre un terme aux exécutions capitales dans notre pays. Aujourd'hui, il permettra de rendre tout retour en arrière irréversible et de faire avancer la cause des droits de l'homme partout dans le monde. (Applaudissements sur l'ensemble des travées)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Robert Badinter, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d'abord à remercier de sa confiance M. le président de la commission de lois, ainsi que l'ensemble des commissaires, qui m'ont confié ce rapport et en ont approuvé à l'unanimité les conclusions, lesquelles tendent à ce que le Sénat vote l'inscription, dans le titre VIII de notre Constitution relatif à l'autorité judiciaire, d'un nouvel article 66 : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

Cette révision constitutionnelle apparaît comme l'aboutissement solennel du long combat qui a été mené pendant deux siècles en France par tant de hautes consciences, de Voltaire à Hugo et à Camus, de Condorcet à Jaurès, Clemenceau et Blum, et dont la victoire fut acquise ici même, voilà un peu plus de vingt-cinq ans, le 30 septembre 1981, à midi cinquante exactement - j'ai regardé la pendule ! -, quand le Sénat a adopté le texte, déjà  voté par l'Assemblée nationale, abolissant la peine de mort en France.

Ce fut un grand moment d'émotion pour tous ceux qui avaient tant lutté, ici et ailleurs, pour la cause de l'abolition et, avant d'aller plus loin, je veux rappeler le nom, sinon de tous les sénateurs qui la votèrent, du moins de tous ceux qui menèrent le bon combat et dont certains ne sont plus là aujourd'hui : Charles Lederman, pour le parti communiste ;...

M. Robert Badinter, rapporteur. ...Félix Ciccolini, pour le parti socialiste, aux côtés du toujours présent, toujours ardent et toujours juvénile Michel Dreyfus-Schmidt ; Jean-Marie Girault ; Marcel Rudloff, pour le groupe centriste, et Maurice Schumann, qui a joué un rôle très important.

Tout au long de ces débats incertains, j'ai retrouvé ce qu'était la grandeur parlementaire des républiques antérieures, quand l'éloquence faisait évoluer les consciences jusqu'à la décision finale. Chacun était libre de son vote ; nul ne savait à l'avance quelle serait la décision du Sénat. Finalement, il s'est prononcé comme nous l'espérions.

Que tous ceux dont j'ai évoqué ici le souvenir - j'y ajouterai  le président Jozeau-Marigné - soient remerciés.

Et surtout, je tiens à rappeler ici, en cet instant solennel, la mémoire du Président Mitterrand. C'est à son courage et à sa volonté politique que nous devons, nous Français, l'abolition de la peine de mort, voilà vingt-cinq ans.

Je tenais à lui rendre ce filial hommage au moment où, grâce à son successeur, le Président Chirac - qui fut toujours abolitionniste - le Parlement va faire de l'abolition un principe constitutionnel. Ainsi aurai-je eu le privilège extraordinaire - il faut le souligner -, à vingt-cinq ans de distance, de monter à la tribune du Sénat pour y soutenir et, je pense, y voir triompher la grande cause de l'abolition de la peine de mort.

En ma qualité de rapporteur, je ferai remarquer que la constitutionnalisation de l'abolition aura des conséquences juridiques. Ne nous y trompons pas, il ne s'agit pas de l'irréversibilité de l'abolition, comme je l'entends dire çà et là, puisque cette irréversibilité est acquise depuis la loi du 31 décembre 1985 - paradoxalement, le dernier texte que j'ai eu l'honneur de soutenir devant le Parlement - qui autorisait la ratification du sixième protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, interdisant aux États adhérents de recourir à la peine de mort.

Ce jour-là, je savais que, dans les faits, nous ne reviendrions pas en arrière. En effet, le protocole ne pouvant être dénoncé que par un Président de la République, je n'imaginais pas - pas plus que je ne l'imagine aujourd'hui ou que je ne l'imaginerai demain - qu'il se trouverait jamais un Président de la République française pour dénoncer un texte essentiel, qui s'inscrit dans la Convention européenne des droits de l'homme. Ce serait se déshonorer lui-même et mettre la France au ban des nations, ce qui est inconcevable pour un Président qui, assumant la plus haute fonction, doit à ce titre soutenir haut et fort la cause des droits de l'homme dans le monde et, d'abord, en Europe.

Donc, l'irréversibilité était déjà acquise, mais la constitutionnalisation nous permettra de ratifier le deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies, conformément à la décision du Conseil constitutionnel. M. le garde des sceaux l'a rappelé tout à l'heure, avec une éloquence que j'ai appréciée, me souvenant de l'axiome que chacun connaît : « Il y a plus de joie... », je n'insisterai pas !

Nous souhaitons, comme cela nous a été annoncé, que la France ratifie sans tarder le treizième protocole. Mais, au-delà de cet effet juridique, chacun ici mesure que l'inscription de l'interdiction de la peine de mort dans notre Constitution revêt une portée symbolique et une force morale considérable.

Elle marque que le refus absolu de recourir à la peine de mort est un principe fondamental de notre société dans la France du XXIe siècle. Et son inscription dans le titre de notre Constitution consacré à l'autorité judiciaire traduit de façon éclatante qu'il ne saurait plus jamais y avoir, en France, de justice qui tue au nom du peuple français.

Cette proclamation s'inscrit dans les progrès constants de la cause de l'abolition en Europe et dans le monde. À dire vrai, mes chers collègues, je ne pensais pas, voilà vingt-cinq ans, que la marche vers l'abolition universelle progresserait aussi vite, et aussi largement !

Quand le Sénat s'est prononcé, le 30 septembre 1981, nous étions le trente-cinquième État dans le monde à abolir la peine de mort. Aujourd'hui, sur environ deux cents États membres des Nations unies, près de cent trente sont abolitionnistes. L'abolition est devenue largement majoritaire sur cette terre.

L'Europe, particulièrement, est libérée complètement -ou presque - de la peine de mort, puisque quarante-quatre États sur quarante-cinq l'ont abolie. Un seul la pratique encore, la Biélorussie, ce qui ne surprendra pas, puisque c'est le dernier des États staliniens de l'Europe.

Quel progrès pour un continent qui a été tant ravagé par les tragédies de l'histoire et par le crime, surtout - et chacun y pense - dans le cours de la première partie du XXe siècle !

Mais ce progrès ne concerne pas seulement l'Europe. En Afrique, trente et un États sur cinquante-trois sont abolitionnistes, quatre États africains seulement pratiquant encore l'exécution.

Sur l'ensemble du continent américain, vingt et un États sur trente-cinq sont abolitionnistes. Il n'en reste qu'un seul qui recourt encore à l'exécution ; j'ai peine à le dire, ce sont les États-Unis d'Amérique !

L'Asie compte seize États abolitionnistes sur quarante-sept et l'Océanie, seize sur seize.

Dans l'ordre international, les conventions internationales se sont succédé.

Au sein du Conseil de l'Europe, foyer des libertés européennes, il s'agit des protocoles nos 6 et 13, que vous avez évoqués.

Dans l'Union européenne, aucun État ne peut être accepté s'il n'a pas aboli la peine de mort et ratifié le sixième protocole à la Convention européenne des droits de l'homme interdisant le recours à la peine de mort. La France sera le dix-septième État européen à inscrire l'abolition dans sa Constitution.

Je pense également à la Charte des droits fondamentaux, qui constitue le socle des valeurs européennes. Adoptée et signée à Nice, on s'en souvient, elle figure dans le projet de traité établissant une constitution pour l'Europe, lequel, même s'il n'a pas encore de force juridique puisqu'il n'a pas été adopté, apparaît comme la proclamation des valeurs communes de l'Europe. L'article 2 de la Charte des droits fondamentaux énonce : « Nul ne saurait être condamné à mort ni exécuté. »

En outre, - c'est peut-être moins connu, mais c'est tout aussi important - la Cour européenne des droits de l'homme a pris position dans des arrêts de principe qui sont de conséquence, et d'une portée extrême, en matière d'extradition.

Tout d'abord, dans l'arrêt Soering, elle a rappelé le caractère inhumain et dégradant non pas de la peine de mort, mais des conditions dans lesquelles les condamnés à mort attendent leur destin. On pense aux quartiers qui leur sont réservés aux États-Unis.

Ensuite, dans sa dernière décision - l'arrêt Ocalan contre Turquie du 12 mars 2003 -, la Cour européenne a déclaré que la peine de mort est incompatible avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui proclame le droit à la vie, et elle a conclu : « La peine de mort en temps de paix [à l'intérieur de l'espace du Conseil de l'Europe] en est venue à être considérée comme une forme de sanction inacceptable, voire inhumaine, qui n'est plus autorisée par l'article 2 [de la Convention]. »

On ne peut pas mieux, et plus fortement, exprimer le lien entre une société de femmes et d'hommes libres et l'exigence de l'abolition de la peine de mort. Car c'est là le socle où s'enracinent l'abolition et le droit à la vie, le premier des droits de l'homme.

S'agissant de l'ONU, le deuxième protocole facultatif au Pacte relatif aux droits civils et politiques a été ratifié, à ce jour, par soixante États, dont trente-sept membres du Conseil de l'Europe. Il le sera demain par la France, et c'est la raison pour laquelle cette révision constitutionnelle était nécessaire.

Enfin, je citerai un élément peut-être plus significatif, plus riche de portée morale que tout autre instrument international, et qui est cependant moins connu. Il faut se souvenir que, en 1998, cent vingt nations se sont réunies à Rome pour créer la Cour pénale internationale, dont la mission est de veiller à ce que soient punis, partout à travers le monde, les auteurs des pires crimes qui puissent déshonorer la surface de la terre : les crimes contre l'humanité, les génocides, les viols collectifs, les purifications ethniques, les massacres collectifs. C'est ainsi que le traité de Rome et les statuts de la Cour pénale internationale ont exclu le recours à la peine de mort, expression ultime de la victoire de la conscience sur la barbarie humaine.

Voilà où nous en sommes, et c'est pourquoi je peux dire que je ne pensais pas, voilà vingt-cinq ans, que les progrès iraient si vite et si loin.

Malgré ces avancées, il demeure, hélas ! bien des régions et des États où la peine de mort sévit encore cruellement.

C'est le cas en Extrême-Orient et, en premier lieu, en Chine, mais aussi à Singapour ou en Indonésie.

J'évoquerai surtout la Chine, très grande puissance - je ne la qualifierai pas de « superpuissance », car je n'aime pas ce terme. Chacun mesure son poids dans le monde aujourd'hui. Plus que tout autre État, la Chine a recours à la peine de mort. On estime à 1770 le nombre d'exécutions en 2005. Selon les organisations humanitaires, la réalité est infiniment plus sombre et plus sanglante, puisqu'elle avoisine les 10 000 exécutions par an.

Nous, abolitionnistes, avons là un grand effort à faire. M'étant rendu en Chine et ayant oeuvré pour la cause, je peux dire que j'en suis revenu plus optimiste, convaincu que l'on assiste, là aussi, au frémissement de la conscience humaine, qui est le prélude à toute abolition.

J'ai rencontré nombre d'abolitionnistes chinois, dans les professions judiciaires, les universités, ou qui le sont simplement par conviction morale personnelle.

Débattant avec des membres des plus hautes autorités judiciaires chinoises, j'ai été frappé par cette phrase prononcée, à la fin de nos rencontres, par le plus important d'entre eux : « Je pense, monsieur Badinter, que l'abolition est, en effet, ce qui est la voie de l'humanité. ». Il a simplement ajouté, propos que j'avais entendu si souvent, voilà bien des années : « Mais le moment n'est pas encore venu. »

Il viendra, là aussi comme ailleurs, j'en suis sûr, comme il viendra dans cette autre région, le Moyen-Orient et le Proche-Orient, où des pays, hélas ! recourent beaucoup à la peine de mort. J'évoquais le chiffre pour la Chine : on trouve sur la seconde marche de ce sinistre podium l'Iran, qui avoue une centaine d'exécutions pour l'année 2005, davantage en 2006, avec cette particularité propre à la région que ce sont notamment les femmes qui sont ici condamnées à mort et suppliciées.

Il en va de même en ce qui concerne l'Arabie saoudite et, hélas ! encore, mais à un moindre niveau, chez nos amis égyptiens.

Je dirai clairement, au nom de la commission, que le recours, ici, à la peine de mort doit provoquer une mobilisation particulière des consciences. L'enjeu est d'une très grande importance pour toutes nos sociétés et, à mon sens, le pire serait que s'établisse dans les consciences, à travers le monde, l'idée qu'il y a entre la religion musulmane, entre l'islam et la peine de mort un lien indestructible.

Or, cela n'est pas exact. Et c'est pourquoi je considère que l'action actuellement conduite au Maroc et que, nous le savons, Sa Majesté le Roi voit avec intérêt et sympathie, tendant à l'abolition de la peine du mort dans ce pays, aura, quand elle aboutira, une importance considérable pour tous les pays arabes et, plus généralement, musulmans.

Reste, chacun le sait, le cas des États-Unis, grande et ancienne République, vieille amie, État de droit assurément, sauf lors d'errements récents, les États-Unis qui ont cette particularité d'avoir vu, en 1972, la Cour suprême déclarer la peine de mort châtiment cruel, inhumain et dégradant, c'est-à-dire inconstitutionnelle au regard de la loi suprême des États-Unis, « dans les conditions où elle est pratiquée ». En raison de cette précision, cinq ans plus tard, on assistait au processus suivant : changement de majorité au sein de la Cour suprême, évolution, lois successives modifiant les procédures et les procédés d'exécution, retour à la peine de mort.

Là aussi, je voudrais dire ma confiance ; là aussi, je voudrais dire les progrès auxquels nous assistons depuis quelques années et qui ne sont pas suffisamment perçus ici.

Progrès, car il suffit de regarder le nombre des exécutions, qui a diminué de moitié dans les cinq dernières années.

Progrès, parce que le champ légal dans lequel peut être prononcée la peine de mort s'est sensiblement réduit, sous l'influence de la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis. On ne condamne plus à mort et on n'exécute plus - j'ai presque peine à le dire à cette évocation d'un passé récent ! - ni les débiles mentaux, ni les mineurs à l'époque des faits.

Progrès, enfin, car les droits de la défense ont été améliorés.

Surtout, la conscience se fait de nouveau progressivement jour aux États-Unis que la peine de mort charrie, dans sa pratique judiciaire, tous les poisons d'une société. Dans le cas de nos sociétés occidentales, c'est l'inégalité sociale, c'est l'inégalité financière, c'est l'injustice culturelle et - pourquoi ne pas le dire ? - c'est le poison du racisme, avec le résultat que l'on sait, à savoir tant d'erreurs judiciaires que l'on ne peut appeler autrement que des crimes judiciaires !

Alors, devant la révélation de cette situation, devant cette prise de conscience, on a assisté ces dernières années, et tout récemment encore - car cela va croissant - à des moratoires, à des grâces.

C'est le gouverneur de l'Illinois, le Républicain Ryan, qui, se rendant compte qu'il y avait dans les quartiers des condamnés à mort des innocents, a décidé de gracier tous ceux qui avaient été condamnés à la peine capitale et qui étaient en instance d'exécution.

Ce sont des moratoires dans d'autres États ; je songe, notamment, à l'Illinois et au New Jersey, où nous pensons qu'interviendra bientôt, pour la première fois depuis longtemps, l'abolition de la peine de mort dans un État des États-Unis.

Tel est, mes chers collègues, le tableau du monde dans lequel s'inscrit le sens de la décision que vous prenez aujourd'hui. Et pour nous Français, et pour la France, quelles actions doit-on entreprendre ?

Elles sont simples, elles sont évidentes, elles sont nécessaires.

D'abord, il appartient au Président de la République, au Gouvernement et, je dirai, à nous tous, en toute occasion, chaque fois qu'il y a menace de mort et, plus encore, menace d'exécution, d'intervenir pour que la vie du condamné soit épargnée.

À cet instant, je tiens à rappeler que, dans les prisons libyennes, se trouvent cinq infirmières bulgares et un médecin palestinien qui ont été condamnés à mort en outrage à toutes les exigences de la justice et qui sont là, otages du gouvernement libyen à des fins que nous devons dénoncer ! Je souhaite que le Gouvernement continue d'exercer, le plus hautement et le plus fermement du monde, comme cela a déjà été fait, je le sais, par le Président de la République, la pression qui permettra d'interdire qu'aille plus avant ce qui s'annonce comme l'un des pires crimes judiciaires des années écoulées. (Applaudissements.)

Au-delà, je rappelle l'initiative récente prise par nos amis parlementaires italiens, qui, avec la présidence allemande de l'Union européenne, ont demandé que soit votée une résolution - elle a été adoptée il y a quelques jours, le 1er février 2007, à la faveur du congrès pour l'abolition mondiale de la peine de mort -, afin que tous les Parlements s'unissent pour que « soit mis en place, immédiatement et sans condition, un moratoire universel sur les exécutions capitales, en vue de l'abolition universelle de la peine de mort, à travers une résolution [...] de l'Assemblée générale des Nations unies », et sous le contrôle du secrétaire général. C'est notre devoir que de soutenir cette démarche, c'est notre devoir que d'oeuvrer pour ce moratoire universel !

Oui, notre devoir ne s'arrête pas là, et j'ai tenu à le dire au moment du troisième Congrès mondial contre la peine de mort. Il ne suffit pas d'un moratoire sur les exécutions, encore faut-il un moratoire sur les condamnations. En effet, un moratoire sur les exécutions sans moratoire sur les condamnations, ce sont encore, assurément, des condamnés à mort qui iront dans les quartiers que nous connaissons et que, je le rappelais, la Cour européenne a dénoncés comme constituant en eux-mêmes un châtiment inhumain et dégradant.

Nous ne saurions donc nous contenter d'un moratoire sur les exécutions. Il nous faut, et c'est au gouvernement français de toujours le rappeler, un moratoire sur les condamnations.

J'ajouterai que les circonstances, à cet égard, sont, je n'ose dire particulièrement favorables, mais symboliques. Nous savons que les prochains jeux Olympiques se tiendront à Pékin, en août 2008. Or, j'ai évoqué la situation en Chine. Il est évident, compte tenu de la sensibilité et de la grande fierté de son peuple, que demander au seul gouvernement chinois de suspendre par un moratoire les exécutions, de façon que les stades ne servent qu'aux événements sportifs et aux compétitions entre athlètes, serait mal ressenti. Pourquoi arrêterait-on d'exécuter à Pékin si l'on continuait d'exécuter dans le Texas ?

C'est donc le moratoire universel que, à l'occasion de ce qui, depuis la Grèce antique, a toujours été qualifié de « trêve olympique » -  l'on pense aux coursiers qui parcouraient la Grèce en demandant que l'on cesse toute hostilité et toute violence mortelle -, et dans le cadre d'une résolution des Nations unies, il appartient au gouvernement français de soutenir, voire de prendre l'initiative d'en faire la demande.

Au-delà de ces actions qui relèvent du Gouvernement et, je dirai, des gouvernements, il y a ce qu'à cet instant je tiens à rappeler : l'exigence pour chacun d'entre nous de refuser la peine de mort parce que, au-delà du débat moral, au-delà du débat philosophique, au-delà du débat juridique, il s'agit de vies ; il s'agit de femmes et d'hommes ; il s'agit de ceux qui, dans les quartiers de condamnés à mort que j'ai évoqués, attendent, à chaque aube, d'être exécutés ; il s'agit de ce qu'il y a de plus important pour nos sociétés démocratiques ; il s'agit d'une situation que nous ne pouvons pas accepter !

La peine de mort, je le dis ici comme je l'ai déclaré ailleurs, est une honte pour l'humanité. Elle n'a jamais protégé la société des hommes libres, mais elle l'a déshonorée. Si l'on veut réduire la violence mortelle, alors il ne faut pas, jamais, nulle part, en faire la loi de la Cité.

La peine de mort, sacrilège contre la vie, est inutile, ainsi que M. le garde des sceaux l'a rappelé. Jamais, à aucun endroit, elle n'a réduit la criminalité sanglante ; elle nous a toujours abaissés sans jamais nous protéger.

On comprend, dès lors, pourquoi il suffit de regarder une carte pour mesurer que la peine de mort est, toujours et partout, le signe de la barbarie totalitaire. Le maître, le chef, le Führer dispose de la vie et du corps de ses sujets comme jadis le maître de son esclave.

Et je pose la question : qu'avons-nous à voir, nous, enfants de la liberté, avec ces sacrilèges sanglants ? Tant qu'on fusillera, qu'on empoisonnera, qu'on gazera, qu'on décapitera, qu'on lapidera, qu'on pendra, qu'on suppliciera, où que ce soit dans le monde, il ne pourra pas y avoir de répit pour tous ceux qui croient que la vie, le droit à la vie de chacun, serait-ce du plus misérable, est pour l'humanité tout entière la valeur suprême : il ne peut y avoir de justice qui tue.

Ma conviction, mes chers collègues, est depuis longtemps absolue. Mais ce dont je suis aujourd'hui plus convaincu encore, c'est que la peine de mort est vouée à disparaître de ce monde, et plus tôt que les sceptiques, que les nostalgiques, que les amateurs de supplices ne le croient.

Malgré les génocides, les déportations, les massacres, l'humanité avance. Nous avons trop vu la face sombre de l'espèce humaine, nous la retrouvons encore trop dissimulée dans le monde sous tous les masques du tribalisme, du nationalisme, du fanatisme, de l'intégrisme, du racisme.

Nous la connaissons bien dans notre histoire la longue traînée sanglante que la violence mortelle nous a laissée et c'est pourquoi je suis heureux que, avec cette constitutionnalisation, nous proclamions, nous, Français, que plus jamais, sous couleur de justice, la mort ne sera notre loi. De la justice, nous ne devons connaître que le visage serein de Minerve. « Vive la vie » s'écrie l'homme de paix et de liberté.

Pendant la guerre civile en Espagne, un général fasciste, à Tolède, sur les ruines, s'écriait dans un délire blasphématoire : « Viva la muerte ». Nous, c'est l'inverse, c'est l'absolu : « Que vive la vie ! » Mes chers collègues, c'est tout le sens de ce combat pour l'abolition de la peine de mort.

Aujourd'hui, nous réalisons le voeu du plus grand des abolitionnistes, qui fut aussi sénateur. Vous êtes, chère Hélène Luc, assise à sa place, et je me souviens de l'avoir regardée, avec Léon Jozeau-Marigné, au moment où tombait la décision d'abolition prise par le Sénat. Oui, aujourd'hui, nous réalisons enfin le voeu de Victor Hugo en 1848 : « Je vote l'abolition pure, simple et définitive » ; j'ajouterai seulement : « et demain universelle. » (Applaudissements prolongés sur les travées de l'UC-UDF et sur de très nombreuses travées de l'UMP. - Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste, du groupe CRC et certains sénateurs du groupe RDSE se lèvent et applaudissent longuement. - M. le président du Sénat applaudit également.)

M. le président. Monsieur le rapporteur, je vous remercie de cette excellente prestation, particulièrement émouvante !

J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 48 minutes ;

Groupe socialiste, 31 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le combat contre la peine de mort est un long combat. Il sera bientôt terminé dans nos lois, mais il n'est pas fini dans nos têtes, comme l'illustre le récent débat en France sur l'exécution de Saddam Hussein.

Depuis Voltaire et Hugo, deux cents ans après que Le Peletier de Saint-Fargeau a demandé en 1791 l'abolition de la peine capitale, le vote, par le Parlement, de l'interdiction de la peine de mort dans notre Constitution est, souhaitons-le, le dernier pas d'une longue marche.

Refuser la peine de mort, c'est un acte d'espoir dans l'amélioration de l'homme, mais c'est aussi un acte de raison.

L'abolition répond à une triple exigence : morale, politique et juridique.

La première exigence est morale. En effet, personne ne soutient plus que la peine de mort aurait une quelconque valeur en ce domaine. À l'inverse, son abolition, par l'hommage insigne qu'elle rend au droit à la vie, porte au plus haut point le refus d'une justice qui utiliserait les mêmes armes que ceux qu'elle condamne, car se servir de la peine de mort contre ceux qui tuent, c'est, pour une démocratie, faire siennes les valeurs de ces derniers. Et que dire également de l'exigence morale qui est la nôtre, au regard des erreurs judiciaires avérées, malheureusement répétées, réelles et prouvées ?

La deuxième exigence est politique. Sur le plan international, l'inscription de l'interdiction de toute peine capitale dans notre Constitution, par son caractère quasi irréversible, rapproche la France de toutes les nations qui ont opté - elles sont nombreuses -, à titre individuel ou collectif, pour le rejet de l'exécution.

La troisième exigence, enfin, est juridique. En effet, pour participer pleinement au concert des nations abolitionnistes, la France se doit de ratifier les instruments internationaux qui bannissent le recours à la peine de mort. Or, en ce qui concerne le deuxième protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Conseil constitutionnel a très clairement « estimé que sa ratification exigerait une révision de la Constitution ».

Ainsi, le présent projet de loi constitutionnelle ouvrira à la France le verrou de la ratification et permettra à notre pays de participer à cet instrument d'abolition universelle de la peine de mort.

Mais l'inscription de l'interdiction de la peine de mort dans notre Constitution, c'est aussi un message aux Chinois, qui exécutent « allègrement » - si j'ose dire - les opposants, qu'ils soient politiques, de droit commun ou supposés coupables. C'est également un message à certains pays du Golfe, qui lapident des femmes seulement coupables d'avoir été amoureuses. C'est encore un message aux Etats-Unis, qui ont oublié qu'ils sont aussi le pays des droits de l'homme. Car le travail est désormais à mener sur un plan international.

Je voudrais m'attarder quelques instants sur le cas de la Chine.

Ce pays est en tête des nations par le taux élevé de sa croissance, mais il l'est aussi pour le nombre des condamnations à mort et des exécutions capitales : 95 % des exécutions perpétrées dans le monde frappent des Chinois. Bien que le mystère plane sur le nombre exact des condamnés, on estime que plus de 100 000 personnes ont été exécutées dans ce pays depuis dix ans, sans que le rythme se ralentisse ces derniers temps. Rapporté à la population de la France, cela correspondrait à cinq cents exécutions par an dans notre pays.

De plus, les informations récoltées sur le cas chinois, çà et là, font frémir. Ainsi, il est avéré que les organes principaux des condamnés sont prélevés pour être greffés sur d'autres personnes. Pire, un marché de la greffe d'organes existe, pour les personnes riches, évidemment. Les exécutions sont programmées en fonction de commandes déjà enregistrées, à partir de tarifs bien connus...

Bref, comme le dit le directeur d'un grand quotidien régional français : « Ces pratiques abominables sont des crimes contre l'humanité. »

Il n'est pas question de passer sous silence une telle situation, au moment où la Chine se prépare à accueillir les jeux Olympiques, au moment aussi, monsieur le garde des sceaux, où la France s'apprête à signer un traité d'extradition avec la Chine, qui permettra aux Chinois de réclamer à notre pays l'extradition de ressortissants qu'elle voudrait condamner. Je crois utile de rappeler tout cela, car certains, même dans notre pays, peuvent se laisser entraîner par le mirage chinois et évoquer la célérité de la justice en Chine.

Cette situation n'est pas définitive. Elle peut évoluer, comme l'ont dit M. le rapporteur et M. le garde des sceaux, si nous poursuivons nos efforts, chacun d'entre nous, dans la mesure de nos moyens et de nos responsabilités respectives.

Enfin, avec l'adoption de ce projet de loi constitutionnelle, l'utilisation de l'article 16 de la Constitution ne pourra en aucun cas servir à rétablir la peine de mort, même de manière temporaire. Sur ce point, le pouvoir constituant que nous représentons doit être bien clair.

Pour conclure, je me permettrai d'indiquer que la multiplication des dispositions à portée symbolique - dans les articles mêmes du texte constitutionnel et non seulement dans son préambule - présente des risques : d'une part, la portée normative de ces déclarations de principe reste incertaine ; d'autre part, cette nouvelle habitude introduit une confusion dans la hiérarchie des valeurs, en situant sur le même plan des dispositions très hétéroclites, alors que, sans nul doute, l'interdiction de la peine de mort figure au sommet de cette hiérarchie des valeurs.

Une fois cette mise en garde faite, je tiens à préciser que le groupe UC-UDF votera à l'unanimité ce projet de loi constitutionnelle, qui consolide le choix abolitionniste fait par le législateur en 1981. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur de nombreuses travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « ce que j'écrirai ainsi ne sera peut-être pas inutile. Ce journal de mes souffrances, heure par heure, minute par minute, supplice par supplice, si j'ai la force de le mener jusqu'au moment où il me sera physiquement impossible de continuer, cette histoire, nécessairement inachevée, mais aussi complète que possible, de mes sensations, ne portera-t-elle point avec elle un grand et profond enseignement ?

« N'y aura-t-il pas dans ce procès-verbal de la pensée agonisante, dans cette progression toujours croissante de douleurs, dans cette espèce d'autopsie intellectuelle d'un condamné, plus d'une leçon pour ceux qui condamnent ?

« Peut-être n'ont-ils jamais réfléchi, les malheureux, à cette lente succession de tortures que renferme la formule expéditive d'un arrêt de mort.

« Que ce que j'écris ici puisse être un jour utile à d'autres, que cela arrête le juge prêt à juger, que cela sauve des malheureux, innocents ou coupables, de l'agonie à laquelle je suis condamné. »

C'est avec une certaine émotion que je souhaitais introduire mon propos en citant cet extrait du Dernier jour d'un condamné, ouvrage qui m'a profondément marquée.

Comment, en effet, ne pas faire référence à Victor Hugo, dont le seul nom est si intimement et si définitivement lié à l'abolition de la peine de mort, et ce pas simplement parce qu'il était sénateur - il le fut bien plus tard - mais surtout parce que, telle une sentinelle, il éclaira le XIXe siècle par sa clairvoyance et son opiniâtreté dans tous les combats de cette époque ? Et cela, au point de faire presque oublier l'autre abolitionniste que compta notre Haute Assemblée ; Alsacienne moi-même, je n'omettrai pas de rendre à Victor Schoelcher un hommage appuyé.

Mon émotion est sincère. En effet, si je n'étais pas parmi vous, je garde en mémoire la teneur des débats parlementaires de l'époque et bien, au-delà de cette enceinte, les discussions que provoquait, dans tous les foyers, cette question fondamentale dès lors qu'elle attente à la vie.

Mais si le nom de Victor Hugo demeure indéfectiblement lié à l'abolition, il en est un autre que personne ne peut omettre : je me tourne vers vous, monsieur Badinter.

M. Robert Badinter, rapporteur. Merci !

Mme Catherine Troendle. Nous ne partageons pas toujours les mêmes points de vue. Bien souvent même, je considère que, malgré le talent de vos plaidoiries, les positions que vous défendez altèrent la réalité équilibrée de notre politique pénale, équilibrée car aussi ferme que juste.

Mais cela n'affecte en rien l'estime que je vous porte pour le courage qui fut inlassablement le vôtre dans le combat de toute une vie, celui de l'abolition. Ce combat fut si vaste et si total que nous en venions même à ne plus achever nos phrases, comme si « l'abolition » ne pouvait, bien entendu, n'être que celle de la peine capitale.

De l'étudiante que j'étais, passionnée par ce débat, au sénateur que je suis devenue, je mesure le formidable chemin parcouru en un quart de siècle. Deux tiers de nos concitoyens étaient alors favorables au maintien de la peine de mort ; le rapport s'est, aujourd'hui, exactement inversé.

Quelle magnifique preuve que, à défaut de prendre toute la hauteur et la distance nécessaires, le suivisme n'est jamais une forme applicable de gouvernement !

Quelle magnifique démonstration qu'il ne sert à rien de se retrancher derrière une quelconque enquête d'opinion pour justifier un refus ou arrêter sa feuille de route !

Quel magnifique exemple, qui prouve que le courage en politique peut être payant !

La loi s'est instaurée. Qui, aujourd'hui, prône encore un retour en arrière ? Et pourtant, cela n'était pas gagné, tant les premières années de la décennie quatre-vingt furent émaillées de crimes monstrueux qui, comme autant de coups de boutoir, pouvaient affaiblir la position des abolitionnistes.

Il a fallu du courage à cette majorité de parlementaires qui s'était dégagée dans chaque chambre en faveur de l'abolition.

Il a fallu du courage à ces députés et à ces sénateurs, animés uniquement par leur intime conviction, pour passer outre l'avis grondant de l'opinion.

Je tiens ici à rendre hommage à ceux de nos collègues qui avaient fait ce choix en 1981. En effet, je le rappelle, ce projet de loi fut adopté conforme par le Sénat. Il avait donc fallu qu'une majorité s'y dégage, une majorité dont il ne faut pas oublier l'importante composante que représentaient les groupes RPR et UDF de l'époque.

Quelle image écornée aurait été donnée à l'abolition de la peine de mort si l'une des deux assemblées s'y était opposée ?

Je veux saluer ceux de mon groupe qui, déjà présents dans notre enceinte, firent ce choix. Je pense à Paul Girod, qui fut alors rapporteur de ce texte et qui s'exprimera dans un instant. Je pense aussi à Jean-Pierre Cantegrit, Jean-Pierre Fourcade, Adrien Gouteyron et Jean Puech, sans oublier notre collègue Jacques Blanc, qui émit quelques jours auparavant le même vote à l'Assemblée nationale, puisqu'il était alors député.

Je tenais à rappeler leur action, car c'est aussi grâce à eux que la peine de mort put être abolie.

Encore parmi nous, d'autres n'avaient pas fait ce choix. Je les respecte. Il serait trop facile de juger a posteriori leurs convictions qui pouvaient s'entendre et se justifier dans le contexte de l'époque et à la vue du saut dans l'inconnu que constituait cette réforme. Permettez-moi seulement de me réjouir qu'ils aient eu tort.

Les arguments du rôle dissuasif de la peine de mort pour les criminels sont aujourd'hui usés. Je me souviens d'un titre qui fit la une du Petit Journal, en 1908 : « La prison n'effraye pas les apaches, la guillotine les épouvante ». Dans cette formule lapidaire était condensé l'argumentaire des tenants de « l'hygiène sociale ».

On sait bien aujourd'hui que les choses ne se passent pas ainsi, a fortiori en matière de terrorisme. C'est, d'ailleurs, ce que l'on peut rétorquer à ceux que Paul Girod qualifiait « d'abolitionnistes partiels ».

Nous avons assisté à la renaissance de ce débat, en première lecture, à l'Assemblée nationale, puisque quelques députés ont proposé le rétablissement de la peine capitale en matière terroriste.

Tous les arguments avaient déjà été avancés dès 1981 pour démontrer le caractère inapproprié d'une telle mesure. Permettez-moi de vous rappeler les paroles du garde des sceaux de l'époque devant notre Assemblée : «A propos du terrorisme, je pense qu'il faut le dire très nettement, envisager l'utilisation de la peine de mort, c'est commettre une lourde erreur d'appréciation. C'est méconnaître complètement la mentalité des terroristes.

« S'il est un type d'hommes que la mort ne fait pas reculer, c'est bien le terroriste qui, au cours de l'action violente, n'hésite pas à engager sa vie. S'exerce alors sur lui - qui généralement est un homme jeune - la fascination ambiguë, terrible de la mort que l'on donne et qu'on l'on risque en même temps.

« L'histoire et l'actualité internationale nous montrent que jamais la mort ne fait reculer le militant politique et encore moins le criminel politique. [...]

« Par un retournement des valeurs, celui qui n'était que terroriste devient une sorte de héros et la crainte, bien fondée, apparaît alors que se lèvent, de l'ombre, pour le venger, vingt jeunes gens qui prendront sa place.

« A cette considération de fait, j'en ajouterai une autre. Utiliser contre les terroristes la peine de mort qu'ils pratiquent si volontiers, c'est pour une démocratie faire siennes les valeurs des terroristes. C'est, d'ailleurs là, le piège insidieux qui est tendu à une démocratie ».

J'ajouterai à ces propos que la démocratie a tort de se croire faible, sous prétexte qu'elle ne manie pas le fer et le feu des tyrans.

Nous ne devons jamais sous-estimer la force du droit. C'est par le droit et la foi en la justice que la démocratie trouve l'énergie de la victoire. C'est une force et non une faiblesse. C'est parce qu'elle a la force du droit qu'elle n'a jamais été vaincue, in fine, par aucune dictature.

J'en viens aux faits. Le texte qui nous est soumis aujourd'hui vient fermer la boucle. Il a été déposé sur l'initiative du Président de la République, Jacques Chirac, dont je tiens à rappeler qu'il fut l'un de ceux qui votèrent en faveur de l'abolition ; il s'agit donc, pour lui, d'une conviction profonde, ancrée au coeur de son engagement politique.

Quel est le motif de la discussion d'aujourd'hui ?

Le fait qu'elle vise à mettre en conformité notre Constitution avec le « deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort », adopté par les Nations unies, à New-York, protocole qui ne comporte aucune faculté de dénonciation et qui serait, par conséquent, contraire aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale puisqu'il impliquerait une abolition irrévocable, est, de mon point de vue, parfaitement anecdotique.

Que la ratification du protocole suppose nécessairement la révision de la Constitution, soit ! Cependant, ce que je souhaite y voir est beaucoup moins prosaïque : je souhaite y voir, en effet, l'occasion d'inscrire ce principe d'abolition dans notre loi fondamentale ; je veux y voir la consolidation définitive de l'édifice bâti voilà un quart de siècle.

Nous connaissons les raisons pour lesquelles une loi plus forte, une loi constitutionnelle, n'aurait pas pu être adoptée en 1981 : la voie du référendum était irréaliste et il n'aurait sans doute pas été possible non plus de réunir la majorité des trois cinquièmes du Parlement siégeant en Congrès à Versailles.

L'impossibilité de réviser la Constitution demeurait, aux yeux de certains, comme un éclat sur le joyau que représentait cette mesure. Voilà le constituant de 2007 en mesure de parachever l'intention du législateur de 1981.

En 1981, la France ne pouvait pas s'enorgueillir de montrer la voie au monde, comme elle avait su le faire tant de fois dans son histoire. Nous n'étions, en effet, que le trente-cinquième pays à abolir la peine de mort. En Europe, seules la Grèce, qui ne la pratiquait plus dans les faits depuis la fin de la dictature des colonels en 1972, l'Irlande, qui était frappée de plein fouet par la guerre civile, et la Turquie, dont on peut s'interroger sur la dimension réellement européenne, ne l'avaient pas abolie.

De surcroît, nous ne serons aujourd'hui que le dix-septième État membre de l'Union européenne à inscrire une disposition de cet ordre dans sa Constitution.

Au-delà de ce débat franco-français, je veux surtout rappeler à cette tribune que, partout dans le monde, l'abolitionnisme avance et, même, s'accélère.

Depuis 1981, ce ne sont pas moins de cinquante-trois États qui ont rejoint le concert des nations abolitionnistes pour tous les crimes. Aujourd'hui, dans l'espace européen, seule la Russie n'a pas aboli cette peine, de jure, bien qu'elle ne l'applique plus depuis onze ans.

Ces signaux encourageants ne doivent néanmoins pas nous faire oublier que, au moment où nous débattons, soixante-neuf pays continuent d'appliquer la peine de mort. Pour la seule année 2005, 5 000 personnes ont été condamnées à la peine capitale et 2 000 ont été exécutées.

Quel constat appelle ce progrès indéniable à l'échelle de l'humanité ?

Peut-on en déduire que le monde se civilise au fur et à mesure que les sociétés n'appellent plus à la vengeance comme si celle-ci était, à défaut de réparation, la seule expiation possible d'un crime trop insoutenable ?

Peut-on en déduire que la barbarie recule au fur et à mesure que les peuples ne suivent plus les processions jusqu'à leur respective place de Grève ?

La disparition du gibet de Montfaucon que Victor Hugo - encore lui ! - avait si sobrement décrite, dans les ultimes pages de Notre-Dame de Paris, est-elle le signe annonciateur d'un palier que la société humaine aurait irrémédiablement franchi ?

L'optimisme est-il seulement une posture raisonnable ?

C'est la République de Weimar, modèle de démocratie, qui a engendré le monstre pestilentiel du nazisme. C'est l'assemblée du Front populaire qui a voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain et qui a précipité la France dans les pages les plus sombres de son histoire.

Aucun acquis n'est jamais définitif. Soit ! Mais profitons de cette trêve que nous accorde l'Histoire et réjouissons-nous de participer, en ce jour, à la consécration de l'abolition de la peine de mort dans notre Constitution ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur de nombreuses travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort
Discussion générale (suite)

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souhaits de bienvenue à une délégation D'argentine

M. le président. Mes chers collègues, il m'est particulièrement agréable de saluer la présence, dans nos tribunes, de Mme Cristina Fernandez de Kirchner, épouse du chef de l'État argentin et sénatrice nationale de la province de Buenos-Aires. Elle mène une action remarquable en matière de lutte contre l'impunité et de réforme de la justice.

Elle est accompagnée de M. Jorge Taiana, ministre des affaires étrangères de la République d'Argentine.

Ils effectuent ensemble une visite à Paris dans le cadre de la signature de la convention internationale sur les disparitions forcées.

Avec M. Roland du Luart, président du groupe interparlementaire d'amitié France-Amérique du Sud, je suis convaincu que cette visite contribuera à raffermir les relations très profondes entre la France et l'Argentine.

Au nom du Sénat, je vous souhaite la plus cordiale bienvenue et je forme des voeux pour que votre séjour en France concoure à renforcer les liens et l'amitié entre nos deux pays. (M. le garde des sceaux, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort
Discussion générale (suite)

interdiction de la peine de mort

Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort
Article unique (début)

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jacques Pelletier.

M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en 1981, sur l'initiative du Président François Mitterrand et de son garde des sceaux, Robert Badinter, et à l'issue des votes favorables des deux assemblées, la France a renoncé à la peine de mort, rejoignant, enfin ! le camp des nations abolitionnistes.

Aujourd'hui, grâce à la volonté du Président Jacques Chirac, le Parlement est sur le point de donner une valeur constitutionnelle à l'abolition de la peine de mort, en ajoutant au titre VIII de notre Constitution ces quelques mots d'une grande force symbolique, juridique et politique : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort. »

Je garde un grand souvenir des débats que nous avons eus pendant trois jours à la fin du mois de septembre 1981, animés par le talent du garde des sceaux de l'époque et rapporteur d'aujourd'hui, Robert Badinter.

J'avais alors, bien entendu, joint ma voix à celles des cent soixante sénateurs qui ont permis l'abolition de la peine de mort. Je crois que c'est le projet de loi qui m'a le plus marqué au cours de mes quarante ans de vie parlementaire et ministérielle.

Aujourd'hui, avec la même force et avec la même conviction, je voterai bien évidemment l'inscription de l'interdiction de la peine de mort dans la Constitution. Et je ne doute pas que notre Haute Assemblée approuvera largement -et pourquoi pas à l'unanimité ? - le très court texte qui lui est proposé.

Au sein du RDSE, l'unanimité sera au rendez-vous. Sur un tel sujet, qui touche aux valeurs de la dignité humaine et au caractère sacré de toute vie humaine, les clivages partisans de notre vie démocratique doivent s'effacer.

En effet, mes chers collègues, comme le soulignait Albert Camus, « la personne humaine est au-dessus de l'État ». C'est l'humanisme véritable qui doit triompher sur toute autre considération ! C'est cet humanisme que partagent tous les sénateurs du groupe du RDSE ; c'est aussi cet humanisme qui doit motiver les votes en provenance de toutes les travées de cet hémicycle.

Souvenons-nous de ce que déclarait Jean Jaurès, voilà plus d'un siècle, à la tribune de l'Assemblée nationale : « La peine de mort est contraire à ce que l'humanité, depuis deux mille ans, a pensé de plus haut et rêvé de plus noble. La peine de mort est contraire à la fois à l'esprit du christianisme et à l'esprit de la Révolution ». Voilà une magnifique citation, qui devrait tous nous rassembler.

L'abolition de la peine de mort est un acquis de notre histoire et de la République depuis un quart de siècle. Il s'agit à présent de lui donner la plus haute valeur juridique qui soit, en l'introduisant au sommet de notre hiérarchie des normes. Nous pourrons ainsi en finir définitivement avec la peine capitale, cette peine « barbare », comme la qualifiait déjà, en 1764, Cesare Beccaria dans son ouvrage Des délits et des peines.

Nous sommes à une étape fondamentale de notre histoire politique Ne nous y trompons pas : cette révision constitutionnelle n'a pas seulement une portée juridique ; elle n'est certainement pas purement formelle !

Au-delà de sa valeur de puissant symbole, le vote auquel nous allons procéder revêt, comme celui de 1981, une grande et réelle portée politique. De ce point de vue, l'adoption de ce projet de loi constitutionnelle est véritablement utile pour au moins trois raisons bien précises.

Premièrement, l'inscription dans la Constitution de l'abolition de la peine de mort nous permettra de renforcer nos engagements internationaux en matière de droits de l'homme, puisqu'elle rendra possible la signature et la ratification du deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, adopté à New York le 15 décembre 1989. M. le garde des sceaux et M. le rapporteur ayant longuement évoqué ce sujet, je n'y insisterai donc pas.

Deuxièmement, l'adoption de cette révision constitutionnelle constituera un signal très fort envoyé par notre patrie des droits de l'homme en direction du monde entier, et plus particulièrement des pays réfractaires à l'abolition. La liste de ces pays, encore beaucoup trop longue, est bien connue. On y trouve aussi bien des régimes autoritaires comme l'Iran, l'Arabie saoudite ou le Nigeria que des grandes puissances comme la Chine, le Japon, l'Inde ou encore les États-Unis, depuis que, en 1976, la Cour suprême a décidé que l'application de la peine de mort n'était pas contraire à la constitution américaine.

En ce début du XXIe siècle, une véritable démocratie ne doit-elle pas se définir selon des standards plus larges que le seul respect du critère électoral ? L'achèvement du processus démocratique ne passe-t-il pas également par le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, parmi lesquels doivent se trouver le respect de la vie humaine et l'interdiction de la peine de mort ?

Par notre vote, nous adresserons aussi un formidable encouragement à tous les militants abolitionnistes qui luttent de par le monde. Ces hommes et ces femmes se battent avec courage, dignité et conviction pour faire reculer la barbarie. Ils prennent parfois des risques pour leur intégrité physique, voire pour leur vie.

Presque toujours, ils constituent une minorité qui brave les opinions publiques et tente de convertir les masses à la raison. Il en fut, d'ailleurs, ainsi en France en 1981, puisque, au moment où le législateur a voté pour l'abolition, il a voté contre l'opinion publique qui s'exprimait dans les sondages. C'est aussi cela une démocratie éclairée, mes chers collègues.

Que tous ces militants résolus à en finir avec la peine de mort dans le monde n'oublient jamais ces quelques mots du génie de l'absurde que fut Eugène Ionesco : « C'est toujours une poignée de quelques hommes, méconnus, isolés au départ, qui change la face du monde ».

À cet égard, c'est un hommage appuyé que je tiens à adresser à notre illustre rapporteur, M. Robert Badinter, qui milite infatigablement, depuis toujours, pour l'abolition de la peine de mort.

Troisièmement, mes chers collègues, l'inscription dans notre Constitution de la phrase : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort. » nous protégera davantage contre la tentation récurrente de certains de rétablir la peine de mort.

En effet, de façon régulière, ce faux débat resurgit dans notre pays en fonction de l'actualité dramatique de certains crimes, parmi les plus abjects et les plus horribles, notamment les meurtres d'enfants ou les attentats terroristes. Voilà trois ans, par exemple, quarante-sept de nos collègues députés ont déposé une proposition de loi tendant à « rétablir la peine de mort pour les auteurs d'actes de terrorisme ».

De telles revendications, largement guidées par l'émotion et la colère, nous rappellent que le combat et le militantisme en faveur du maintien de l'abolition dans notre droit positif doivent être permanents et continus.

Revenir sur cette grande avancée et changer la loi nécessitera désormais d'engager au préalable une révision de la Constitution. C'est là un verrou juridique supplémentaire qu'il ne faut pas négliger ! Toutefois, le principal verrou se situera toujours dans les consciences.

De même que l'abolition n'a pas d'effet sur une élévation du taux de criminalité, la peine de mort n'est en rien dissuasive.

Le droit à la vie des personnes, la nécessité du pardon de la part de la société, le droit à la rédemption de celui qui transgresse les règles et la loi sont des impératifs d'ordre moral que nous nous devons de mettre en oeuvre, ce qui ne signifie pas qu'il faille laisser impunis les actes répréhensibles. Par ailleurs, s'agissant de la proposition de loi déposée par quarante-sept députés, que je viens d'évoquer, la condamnation à mort offrirait aux terroristes la satisfaction de devenir des martyrs de leur cause.

Mes chers collègues, en adoptant, aujourd'hui, ce texte au Sénat et, très prochainement, au Congrès, nous inscrivons dans la Constitution l'interdiction de la peine de mort, ce qui signifie que nous nous éloignons encore davantage du crime et de la barbarie qu'elle représente, a fortiori pour un État démocratique.

Ainsi, nous donnerons raison à Cesare Beccaria, qui déclarait : la peine capitale n'est « ni utile ni nécessaire » : elle n'est qu'un « crime judiciaire ». (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avant toute chose, je voudrais dire combien je suis honorée d'intervenir aujourd'hui, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort.

Ainsi, un peu plus d'un quart de siècle après la loi du 9 octobre 1981 initiée par notre éminent collègue Robert Badinter, laquelle marqua un progrès indéniable, une avancée notoire vers l'humanisme, je suis fière de pouvoir participer, en toute modestie, à ce moment solennel et symbolique qui va nous permettre d'inscrire dans le marbre de notre Constitution que « nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

En 1981, alors que 63 % des Français étaient favorables à la peine de mort, notre pays a réalisé l'un des plus grands progrès de notre civilisation. Les plus grands noms de l'histoire de France, Louis-Michel Le Peletier de Saint-Fargeau, Jean Jaurès, Victor Hugo et tant d'autres sont associés au combat en faveur de l'abolition de la peine de mort.

Les communistes, fervents partisans de l'abolition de la peine capitale, se sont engagés de longue date pour la suppression de cette barbarie. Les parlementaires communistes ont, en effet, dès 1973, puis en 1979, déposé des propositions de loi en ce sens.

Mme Hélène Luc. Absolument !

Mme Éliane Assassi. Ici, au Sénat, c'est mon camarade Charles Lederman, ardent défenseur des droits de l'homme, qui prit la parole le 29 septembre 1981, au nom du groupe communiste, pour exprimer son soutien au texte qui devait devenir la loi historique du 9 octobre 1981.

Dans le prolongement de ce vote, les communistes se sont associés aux abolitionnistes du monde entier pour tenter de parvenir à l'abolition universelle de la peine capitale.

Le 12 février 2002, mon amie Nicole Borvo Cohen-Seat faisait adopter, à l'unanimité de notre Haute Assemblée, une proposition de loi du groupe CRC tendant à créer une journée nationale pour l'abolition universelle de la peine de mort. Alors que ce texte marquait la volonté de réaffirmer avec force l'engagement de la France en faveur de l'abolition de la peine capitale et de promouvoir la généralisation de sa mise en oeuvre à l'échelle internationale, il n'a jamais été examiné par l'Assemblée nationale. Nous ne pouvons que déplorer une telle situation et nous demandons, par conséquent, que ce texte soit de nouveau soumis au Parlement.

Aujourd'hui, nous nous réjouissons évidemment de l'inscription - nous l'attendions depuis longtemps -, dans notre Constitution, de l'abolition de la peine de mort.

Hautement symbolique, cette inscription est aussi rendue nécessaire pour des raisons juridiques. En effet, l'adoption du présent projet de loi constitutionnelle, qui sera définitivement adopté par le Parlement réuni en Congrès à Versailles, répond à une recommandation du Conseil constitutionnel. D'une part, la présente modification constitutionnelle permettra à la France d'adhérer au deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté à New York en 1989, qui rend l'abolition de la peine de mort définitive et irréversible. D'autre part, elle autorisera la ratification du protocole additionnel n° 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, c'est-à-dire en temps de paix comme en temps de guerre, protocole que la France a signé mais n'a pas encore ratifié.

Jusqu'à présent, en effet, la loi du 9 octobre 1981 laissait ouverte la possibilité de rétablir la peine capitale en cas de guerre. Il devenait donc nécessaire de rendre toute marche arrière impossible en matière d'abolition.

Le présent texte confirme ainsi la volonté de la France de faire triompher la cause de l'humanité à l'intérieur de ses frontières et au-dehors, au plan européen comme au plan international. Le projet de loi devrait avoir valeur d'exemple pour les soixante-dix-huit pays qui n'ont pas encore renoncé à la peine capitale et où près de deux mille personnes attendent leur exécution.

C'est un signal fort qui va être envoyé à tous ces pays. Espérons qu'il pèsera en faveur du mouvement abolitionniste dans le monde, car si ce mouvement est en marche, le chemin est encore long pour éradiquer ce châtiment suprême, qui est toujours en vigueur en Biélorussie, aux États-Unis, en Chine, au Japon, dans les pays du Proche-Orient et du Moyen-Orient et en Iran, où ce sont les femmes qui sont les plus nombreuses à tomber sous les coups des bourreaux.

M. Robert Badinter, rapporteur. Absolument !

Mme Éliane Assassi. Il est indispensable de continuer à oeuvrer pour aboutir à la disparition totale et inconditionnelle de la peine capitale au sein des textes répressifs de tous les États du monde.

L'abolition universelle demeure un objectif difficile à atteindre tant la situation internationale est contrastée et, donc, préoccupante. Dans le monde, des femmes et des hommes continuent à être exécutés pour leurs opinions, des homosexuels sont pendus, des femmes victimes de viol sont lapidées. Nous sommes solidaires des voix, aussi timides soient-elles, qui s'élèvent dans les pays appliquant encore la loi du talion.

Je veux réaffirmer ici que l'universalité de l'abolition de la peine de mort ne saurait souffrir de concepts à géométrie variable ni connaître d'exceptions ou de justifications d'ordre religieux. Il est d'autant plus essentiel de le rappeler que, à la suite des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis et de ceux, plus récents, de Madrid et de Londres, la lutte contre le terrorisme, qui a déjà justifié une vague de lois sécuritaires et liberticides en France, en Europe et dans le monde, sert aussi de prétexte au renforcement, dans certains pays, de la législation en faveur de la peine de mort.

Y compris en France, la tentation est grande, chez certains nostalgiques de la guillotine qui n'hésitent pas à instrumentaliser les peurs et les désordres de la société, de rétablir la peine de mort pour certaines catégories de criminels, en particulier les terroristes, les meurtriers d'enfants et les violeurs.

Depuis 1981, ce sont plus de vingt propositions de loi qui ont ainsi été déposées, dont une sous la présente législature, en 2004, par quarante-sept députés issus des rangs de l'UMP, de l'UDF et des « Villieristes », sans parler des amendements déposés sur ce texte lors de son examen au Palais-Bourbon.

On le sait, les terroristes fanatiques ne craignent pas d'être condamnés à mort, eux qui sont prêts à mourir pour défendre leur cause ! Les démocraties ne doivent donc pas tomber dans le piège de la violence qui leur est ainsi tendu, ni répondre à la violence par d'autres formes de violences, sauf à employer finalement des méthodes qu'elles disent combattre par ailleurs.

Le présent texte doit ainsi jouer un rôle de garde-fou pour nous prémunir contre toute tentative de retour en arrière. Son caractère irréversible empêchera, en tout état de cause, de rétablir cette peine inhumaine par une loi simple, même si la Constitution reste toujours révisable.

Il faudra, par la suite, rester vigilant et veiller à ce que la France ratifie rapidement le deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, adopté par les Nations unies en 1989. S'agissant d'un traité « onusien », il sera alors beaucoup plus difficile à notre pays de revenir en arrière.

Toutefois, adopter le présent texte ne nous exonère pas de continuer à dénoncer la peine de mort, qui est une violation des droits de l'homme les plus fondamentaux partout où elle est pratiquée. Outre la barbarie qu'elle représente, cette peine est inutile et inefficace en termes de lutte contre la criminalité.

Contrairement à ce qu'avancent certains, elle est dénuée de toute valeur d'exemplarité et aucune statistique n'indique que la peine de mort pourrait être dissuasive. D'ailleurs, là où elle est appliquée, elle n'a jamais fait baisser le nombre de crimes graves. Il suffit de regarder du côté des États-unis pour s'en convaincre : les États qui l'ont rétablie n'ont pas enregistré de baisse de la criminalité ; inversement, ceux qui l'ont abolie n'ont pas connu d'augmentation. Quant au Canada, qui a aboli la peine de mort en 1976, il a vu son taux de criminalité baisser de 20 % !

La criminalité ne baisse-t-elle pas davantage grâce à l'amélioration des conditions économiques et sociales qu'en fonction des peines encourues ?

La peine de mort est une peine inhumaine, qui nie toute évolution de l'homme ravalé au rang d'objet et donc considéré comme irrécupérable.

C'est une peine irréversible, alors que la justice, elle, reste faillible. Comment accepter en toute conscience cette peine de mort au caractère si irrévocable, si irréparable, délibérément infligée à un homme par d'autres hommes dans l'incertitude la plus totale : incertitude de la loi, du jugement et, finalement, de la culpabilité du condamné ? L'arrivée des tests ADN n'a-t-elle pas mis en évidence des erreurs judiciaires irréparables par essence ?

Mme Éliane Assassi. On peut s'interroger ! Au total, combien d'innocents ont-ils été tués dans le monde ?

De plus, tous les hommes ne sont pas égaux devant la justice. La peine de mort - à l'instar de toutes les condamnations, d'ailleurs - reflète les dysfonctionnements de nos sociétés, révèle les inégalités sociales et géographiques - la peine capitale n'existe pas dans tous les États d'Amérique - ainsi que les discriminations racistes - aux États-Unis, les condamnations à mort de personnes noires sont trois fois plus nombreuses.

L'inscription dans notre texte fondamental de l'abolition de la peine capitale honore donc notre pays au lendemain de la tenue, à Paris, du troisième congrès mondial contre la peine de mort, qui s'est achevé par une marche de trois mille personnes exigeant l'abolition universelle de cette pratique d'un autre âge.

La France devient ainsi le dix-septième pays de l'Union européenne et le quarante-cinquième au monde à accomplir cet acte, dont la valeur symbolique est indéniable.

Cette loi vient parachever le mouvement historique entamé en France au Siècle des lumières et symbolisé par la loi du 9 octobre 1981. Mais le combat en faveur de l'abolition universelle ne s'arrête pas là, il continue !

Un moratoire universel des exécutions doit intervenir au plus vite. À cet égard, je me félicite de l'adoption par les députés européens, voilà seulement quelques jours, d'une résolution allant dans ce sens, même si je partage l'idée qu'il faut aller plus loin encore avec l'adoption d'un moratoire sur les condamnations.

Permettez-moi de finir mon allocution en évoquant Mumia Abu-Jamal, condamné à mort aux États-Unis en 1982. Victime innocente d'un système judiciaire impitoyable en vigueur dans une grande démocratie, il croupit depuis des années dans le couloir de la mort d'une geôle américaine.

Nous, les communistes, en avons fait le symbole de la lutte contre la peine de mort. Je sais que, du fond de sa cellule, il est très attentif à ce qui se passe non seulement dans notre pays, mais aussi dans le monde, pour soutenir cette exigence universelle. En ce 7 février 2007, toutes mes pensées vont vers lui et vers toutes celles et tous ceux qui croupissent dans les couloirs de la mort des pays qui n'ont toujours pas aboli la peine de mort. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme à son habitude, Robert Badinter a tout dit, sauf la fierté qui est la nôtre, au sein du groupe socialiste, de le compter dans nos rangs. Je suis là pour le faire et aussi pour souligner ses mérites personnels dans le combat contre la peine de mort, avant la loi de 1981 et après cette même loi, tous les jours à travers le monde.

Robert Badinter a beaucoup plaidé devant les cours d'assises à l'époque où la peine de mort n'était pas abolie et où il n'y avait pas d'appel en matière criminelle. Il a en particulier accompagné Bontemps, qui, pourtant, n'avait sans doute pas tué lui-même. Robert Badinter n'avait pu faire état, ce qui l'a beaucoup marqué, de ce qui s'était passé au cours de la procédure, qui l'avait empêché de faire mention d'une pièce annulée. Sa première victoire importante contre la peine de mort a été d'éviter à Patrick Henry la condamnation à mort.

Comment ne pas souligner également le courage de François Mitterrand, courage que nul ne peut nier, car il n'est pas habituel qu'un candidat à une élection annonce qu'il prendra une mesure allant à l'encontre de tous les sondages du moment ? C'est un grand mérite qu'il a eu et qui comptera beaucoup dans l'histoire de la France et de François Mitterrand.

Entre le débat de l'époque et celui d'aujourd'hui, il y a une différence importante : l'hémicycle était plein. C'est moins le cas aujourd'hui, car personne ne doute plus du résultat du vote, alors qu'en 1981 personne ne savait comment voterait chaque sénateur.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Eh oui !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Au contraire, on avait des raisons, à la suite du « faux » débat de réflexion et d'orientation, sans vote, intervenu antérieurement après une déclaration de M. Alain Peyrefitte, de craindre que le Sénat ne soit pas d'accord pour abolir la peine de mort.

Le débat qui a conduit à l'abolition a duré trois jours, à une époque où - c'est important ! - la discussion n'était pas organisée, ce qui n'est pas fréquent aujourd'hui.

M. le président. Le Sénat examine toujours sérieusement les textes qui lui sont proposés. C'est pour cela qu'il prend un peu de temps !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Que le débat ne soit pas organisé, c'est vraiment exceptionnel !

Au cours de ce débat, nous étions allés de surprise en surprise : certains collègues dont nous pensions qu'ils voteraient contre la peine de mort n'ont pas voté le texte et, au contraire, d'autres qui semblaient défavorables à l'abolition ont voté pour ! Je ne vous citerai aucun nom, vous renvoyant aux débats de l'époque.

En définitive, c'est à une très grande majorité que le Sénat a voté l'abolition. Il est vrai que c'était alors un Parlement et que c'était aussi un vrai débat ! Il y a bien longtemps que nous n'avons pas connu pareil débat... C'était hier, en 1981 !

À certains qui demandaient une peine incompressible, nous répondions que le problème n'était pas là. À l'époque, les condamnés à mort graciés sortaient de prison au bout de dix-sept ans en moyenne. Là aussi, les choses ont changé : Lucien Léger, qui a été incarcéré en 1964, a été libéré en 2005, après quarante et un ans de prison !

Mais il n'y a plus eu de peine de mort, ni en France, ni en Europe. À l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, où j'ai l'honneur de représenter le Sénat au sein de la délégation française, nous avons la joie de constater que les pays adhérents au Conseil de l'Europe -  ils sont maintenant au nombre de quarante-quatre - ont tous, à l'exception, comme l'a dit Robert Badinter, de la Biélorussie, aboli la peine de mort. Les progrès sont, par conséquent, considérables.

Il y a eu, et il y a toujours, des débats importants, car deux des États observateurs, les États-Unis et le Japon, pratiquent encore la peine de mort. Avec des membres de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme et de la sous-commission des droits de l'homme du Conseil de l'Europe, nous nous sommes rendus dans ces deux pays pour entendre leurs représentants et les menacer de leur enlever le statut d'observateur. Si les choses évoluent au Japon, ce n'est pas le cas aux États-Unis, du moins pas encore.

Je voudrais aussi, comme cela vient d'être fait, citer le travail du Congrès mondial contre la peine de mort et celui de Michel Taub, qui préside avec beaucoup d'ardeur et de succès l'association « Ensemble contra la peine de mort ».

M. Robert Badinter, rapporteur. Très bien !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Par ailleurs, je crois savoir, de bonne source, que le livre L'Abolition de Robert Badinter, dans lequel ce dernier rappelle le combat contre la peine de mort, va être...

M. Robert Badinter, rapporteur. Est !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... est traduit en chinois et, c'est primordial, diffusé en Chine même.

À cet égard, le Sénat s'honorerait en faisant traduire ce livre dans toutes les langues, en particulier l'espagnol et l'anglais, si ce n'est pas le cas, ainsi que le livre intitulé Écrits sur la peine de mort de Victor Hugo, qui constitue une somme exceptionnelle.

Président du groupe d'amitié France-Caraïbes, j'avais fait envoyer ce livre - à mon échelle, je me suis efforcé, modestement, de poursuivre moi aussi le combat ! - à Fidel Castro par l'intermédiaire de l'ambassadeur de France, Jean-Raphaël Dufour ! N'existant qu'en langue française, il n'a malheureusement pas pu le lire.

Puis, M. le président du Sénat ayant bien voulu me demander de l'accompagner à Cuba, où nous étions invités par le président Fidel Castro, en sortant de table, vers quatre heures du matin,...

M. le président. Le repas avait commencé à vingt et une heures ! (Sourires.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... j'ai, en présence de tous, et notamment de Jean-Pierre Elkabbach., interpellé Fidel Castro à propos de la peine de mort.

Fidel Castro a répondu qu'il était philosophiquement favorable à l'abolition de la peine de mort, mais qu'il lui était impossible de la mettre en oeuvre dans le contexte actuel. (Murmures.)

M. Josselin de Rohan. Comme Staline !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voilà qui me rappelle les propos de Robespierre en d'autres temps !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si Robespierre était le seul à avoir tenu de tels propos, cela se saurait !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Par la suite, quatre Cubains, auteurs du détournement d'un bateau, ont été condamnés à mort au cours d'un procès de quelques minutes, totalement inadmissible, sans instruction ni avocat ! Au nom du groupe sénatorial d'amitié France-Caraïbes, nous avons adressé un courrier à Fidel Castro dénonçant de telles pratiques.

Le même jour, nous écrivions au président des États-Unis pour lui rappeler qu'il n'a, en la matière, aucune leçon à donner à Cuba. En effet, nous connaissons tous les conditions d'application de la peine de mort aux États-Unis - je pense, notamment, aux couloirs de la mort -, au plan fédéral et dans la plupart des États.

Pourtant, là encore, nous avons quelques raisons de constater des progrès. Outre que certains États ont aboli la peine de mort, des difficultés apparaissent là où elle est encore pratiquée. Ainsi, certains considéraient auparavant que les conditions d'application de la peine de mort étaient « idéales ». Aujourd'hui, ils réalisent qu'il n'y a pas de solution parfaite ; il peut y avoir des souffrances horribles dans tous les cas, même lorsque l'on croyait cela impossible.

En clair, le combat continue.

Je voudrais remercier Robert Badinter d'avoir mentionné tous ceux qui sont intervenus dans la discussion sur l'abolition de la peine de mort en 1981, y compris moi-même. À l'époque, dans la mesure où le débat n'était pas véritablement organisé, chacun avait pu exprimer ce qu'il souhaitait. J'avais alors conclu en faisant référence à un discours de Victor Hugo, qui déclarait en effet, le 15 septembre 1848 : « Je vote l'abolition pure, simple et définitive de la peine de mort. »

Il y a un instant, Robert Badinter m'a emprunté cette chute. (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais Victor Hugo appartient au patrimoine !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument ! Et c'est dans l'enthousiasme que, avec le groupe socialiste, avec Robert Badinter, avec le Sénat, nous inscrirons dans la Constitution de la France l'abolition pure, simple et définitive de la peine de mort. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.) )

M. le président. La parole est à M. Paul Girod.

M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, selon un célèbre adage, « il ne faut toucher à la Constitution qu'avec une main tremblante ».

Parfois, dans la vie d'un parlementaire, il arrive qu'il tremble un peu. Cela pourrait être mon cas aujourd'hui, notamment après tout ce qui vient d'être évoqué dans cet hémicycle depuis deux heures. J'ai l'impression que ce que je veux ajouter est de peu d'importance, même si je m'apprête à « toucher à la Constitution » d'une main qui ne tremblera pas.

À mon sens, en effet, on ne peut avoir ni hésitation ni tremblement sur un tel sujet. L'inscription de la suppression de la peine de mort dans notre loi fondamentale vient consacrer des événements qui nous mettaient déjà face à face voilà vingt-cinq ans, monsieur le rapporteur.

Le trouble de l'opinion était alors important et l'interrogation du Sénat ne l'était pas moins. À l'exception de quelques sénateurs qui s'étaient spontanément engagés sur cette question, la majorité des parlementaires présents dans l'hémicycle n'avaient pas véritablement eu l'occasion de réfléchir avec leurs électeurs sur un sujet aussi grave.

On sentait donc bien que les convictions étaient diverses et, parfois, incertaines, à tel point que la commission des lois de l'époque n'avait pas pu dégager de position en la matière.

En tant que rapporteur du projet de loi portant abolition de la peine de mort, j'avais conclu mon propos en me référant à l'instruction donnée par un président de cour d'assises, qui, lorsque les jurés se retirent pour délibérer, leur déclare ceci : « La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, (...) La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : ?Avez-vous une intime conviction ?? ». Comme je l'avais précisé à nos collègues, nous étions alors dans cette situation-là.

La discussion a été d'une immense richesse ; vous avez rappelé tout à l'heure ceux qui y avaient contribué. Nombre de nos collègues avaient modifié leur position à la lumière du débat.

Il est, me semble-t-il, à l'honneur du régime parlementaire...

M. Paul Girod. ... de se rappeler dans quelles conditions certains, se rendant aux arguments des abolitionnistes - vous étiez depuis longtemps à leur tête, monsieur le rapporteur -, ont permis à la France de ne pas se poser pas trop longtemps de questions sur le sujet, d'entrer dans le camp des abolitionnistes et d'abolir la peine de mort sur son territoire. Aujourd'hui, nous consacrons définitivement et irrévocablement ce choix.

Je me souviens d'une question qui était lancinante pendant ce débat. Certains s'interrogeaient sur le sort de ceux qui auraient normalement dû être condamnés à mort. Depuis, la fameuse peine de substitution a plus ou moins trouvé son équilibre dans notre code pénal, et ce de manière relativement satisfaisante pour l'opinion publique. Toutefois, il reste un point de dérogation, sur lequel je voudrais insister un instant : je fais référence à la possibilité d'appliquer la peine de mort en temps de guerre.

Un certain nombre d'États abolitionnistes se sont interrogés sur le sujet et plusieurs d'entre eux ont maintenu une telle possibilité. Le dispositif que nous nous apprêtons à adopter nous l'interdit, ce dont je me réjouis. Pour autant, cette question se posera peut-être demain au sein de l'opinion publique lorsque les comptes rendus de nos débats et du Congrès de Versailles seront consultables.

De mon point de vue, l'inscription irréversible de l'abolition de la peine de mort en France dans la Constitution doit également nous conduire à nous interroger sur ce que serait notre attitude en temps de guerre. Il y a là, je le crois, matière à approfondir notre réflexion sur la peine de substitution et sur la manière dont la justice française traiterait les grands criminels de guerre ou les grands génocidaires si un jour, ce que je ne souhaite évidemment pas, elle était conduite à les juger.

C'est une simple réflexion que je me permets d'apporter dans un débat qui doit garder une immense dignité, car il dépasse largement nos personnes et même notre pays. Cela a d'ailleurs été très largement souligné à cette tribune.

Monsieur le rapporteur, alors que l'une des dernières pages du combat que vous avez mené et gagné en 1981 va se tourner et que nous nous retrouvons dans de meilleures conditions vingt-cinq ans plus tard, je voudrais vous exprimer mon espoir : puisse le pas de civilisation que nous marquons être irréversible et adopté totalement, sans restriction, par l'ensemble du peuple français.

Certes, cela nécessitera sans doute quelques approfondissements, notamment ceux que j'ai évoqués voilà quelques instants. Pour autant, mes chers collègues, dans quelques jours à Versailles, nous aurons tout lieu, je le crois, d'être fiers de notre Parlement. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous nous retrouvons solennellement en vue de réaliser un acte d'une haute portée tant symbolique que politique : l'inscription de l'interdiction de la peine de mort dans notre Constitution.

Tout d'abord, permettez-moi d'exprimer tout l'honneur et le respect que m'inspire la présence de Robert Badinter en cette Haute Assemblée.

M. Robert Badinter, rapporteur. Je vous remercie, ma chère collègue !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Voilà un peu plus d'un quart de siècle, en tant que ministre de la justice et garde des sceaux, il défendait et obtenait devant les représentants du peuple, avec le talent qu'on lui connaît, l'abolition de la peine de mort en France.

À l'heure où un « populisme pénal » de plus en plus prononcé et une démocratie d'opinion semblent régner sans partage sur la vie politique, il est essentiel de noter que l'abolition de la peine de mort représentait, à cette époque, un acte courageux et un vote osé contre l'opinion publique et les sondages. En effet, rappelons-le, en 1981, l'opinion publique était largement favorable à la peine capitale, ce qui prouve bien que le peuple n'a pas toujours raison et que la démocratie d'opinion est parfois dangereuse !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Mais revenons à notre situation actuelle. Pourquoi inscrire l'abolition de la peine de mort dans notre Constitution ? Cette marche en faveur de l'humanité doit-elle s'arrêter à nos frontières ?

À la première question, on pourrait tenter de répondre, comme l'ont évoqué plusieurs collègues avant moi, qu'un tel choix résulte directement de la volonté du Président de la République, ce dont je lui sais gré. Mais l'inscription de l'abolition de la peine de mort dans notre Constitution ne relève pas seulement de l'acte symbolique ; elle marque la véritable évolution de notre société et revêt une haute portée juridique.

Dans notre ordre juridique interne, cela aura pour effet de placer l'abolition de la peine de mort au sommet de la hiérarchie des normes. Aussi se retrouvera-t-elle hors de portée de toute velléité de retour en arrière législatif, qui ne relève malheureusement pas de la simple hypothèse d'école.

Ne l'oublions pas, il n'y a pas si longtemps, en 2004, quarante-sept députés, parmi lesquels les tristement célèbres Christian Vanneste et Georges Mothron, ont déposé une proposition de loi tendant à rétablir la peine de mort.

La volonté d'inscrire son interdiction dans la Constitution constitue un sévère revers politique pour eux : ils sont non seulement totalement désavoués, mais également empêchés de mettre en oeuvre leur inacceptable projet.

Par ailleurs, une telle inscription aura une portée internationale. Elle ferme ainsi définitivement la porte que le protocole n° 6 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort, ratifié en 1985, avait laissé ouverte en maintenant la possibilité de prévoir la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre, ce qui pouvait être dénoncé.

L'adoption de ce projet de loi constitutionnelle nous permettra de signer et de ratifier le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, adopté à New York le 15 décembre 1989, qui fait obstacle au rétablissement de la peine capitale, y compris en cas de guerre et de circonstances exceptionnelles, parce qu'il interdit toute réserve et ne peut pas être dénoncé.

Cela nous permettra également de signer le protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, adopté par le Conseil européen le 3 mai 2002.

Le pas que nous nous apprêtons à franchir tous ensemble est un pas historique et fondamental, d'une portée internationale. Ce que nous mettons en oeuvre est essentiel non seulement pour notre démocratie, mais également pour la démocratie européenne.

Cependant, aussi significatif soit-il, ce pas est encore incomplet. En inscrivant l'abolition de la peine de mort dans la Constitution, nous ne rendons pas complète l'oeuvre de la lutte contre l'inhumain et l'insoutenable.

En effet, deux champs d'une importance primordiale demeurent à conquérir.

Le premier champ concerne la lutte à mener partout dans le monde pour l'abolition totale de la peine de mort.

Après Strasbourg en 2001 et Montréal en 2004, Paris a accueilli le troisième Congrès mondial contre la peine de mort du 1er au 3 février 2007. L'édition « Paris 2007 » a rassemblé des abolitionnistes venus des quatre coins du monde, juristes, mais également décideurs et acteurs de l'abolition, citoyens et militants, qui sont venus débattre des stratégies en cours.

Désormais, l'abolition universelle de la peine capitale doit être notre objectif à tous et à toutes. C'est dans ce sens que notre vote constituera un encouragement pour celles et ceux qui se mobilisent aujourd'hui encore dans de trop nombreux pays contre la mise à mort par l'État.

L'expression de ce vote, ainsi que les différentes positions internationales, dont la dernière résolution du Parlement européen et la directive du Conseil de l'Europe, doivent se retrouver dans toutes les actions de notre diplomatie.

Ainsi devons-nous tout mettre en oeuvre, notamment dans nos relations économiques et commerciales, pour influer afin que tous ces pays abandonnent cette pratique inhumaine.

Au premier rang de ces pays se trouvent les États-Unis d'Amérique, qui, non contents de dispenser des leçons de démocratie dans le monde à coups de balles et de missiles, sont incapables de faire respecter le plus essentiel des droits : le droit à la vie.

Mais l'ombre des États-Unis ne doit pas nous faire occulter d'autres pays, comme la Chine ou l'Arabie Saoudite. La lutte contre la peine de mort et la défense de l'ensemble des droits humains valent plus que tous les contrats commerciaux et économiques !

L'autre champ à conquérir concerne le domaine pénal.

Certes, la peine de mort directe, immédiate, n'est plus appliquée en France depuis 1981 et on ne pourra plus y revenir, notamment grâce à l'inscription de son abolition dans la Constitution.

Toutefois, nous ne pouvons pas rester aveugles et sourds face à une autre peine de mort, lente et insidieuse, mais tout aussi implacable et inhumaine : celle que constituent les longues et très longues peines.

Je sais que mes propos, en ce moment de consensus et d'autocongratulation, vont paraître discordants. Mais nous ne pouvons pas, légitimement, nous contenter d'offrir à chaque citoyenne et citoyen de ce pays la garantie que jamais plus l'un d'eux ne se verra exécuter, et n'apporter aucune garantie à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui se voient condamner à de très longues peines, parfois incompressibles, voire condamner à perpétuité.

Lorsqu'une personne est condamnée à quinze ou vingt ans de prison, à perpétuité avec des peines de sûreté, c'est ni plus ni moins qu'une condamnation à mort, à mort lente !

Savez-vous ce que représente une privation de liberté de quinze ou vingt ans ? Quelqu'un, tout à l'heure, a évoqué une peine de quarante-deux ans, ce qui m'a semblé tout à fait incroyable ! Ce n'est pas la lame de la guillotine qui s'abat alors avec fracas mais, en revanche, c'est bien la lame du temps, de la maladie, des troubles psychiques, souvent de la déchirure familiale et de l'extinction sociale et morale qui s'abat dans un silence complice, un silence de mort.

Je ne peux m'empêcher de vous lire cet extrait d'une lettre de dix condamnés à vie de la centrale de Clairvaux, l'une des prisons au régime le plus sévère de France : « Dès lors qu'on nous voue en réalité à une perpétuité réelle, sans aucune perspective effective de libération à l'issue de notre peine de sûreté, nous préférons encore en finir une bonne fois pour toutes que de nous voir crever à petit feu, sans espoir d'aucun lendemain après bien plus de vingt années de misères absolues. »

Rappelez-vous de votre réponse, monsieur le ministre : « Si on les prenait au mot, combien se présenteraient ? » Ces propos, qui m'avaient effrayée moi-même, n'étaient pas dignes de notre République, et je vous l'avais dit à l'époque ! Espérons au moins que cette inscription dans la Constitution empêchera désormais toute mauvaise plaisanterie, car il y a des sujets sur lesquels on ne peut pas plaisanter !

De nombreux rapports remettent profondément en cause notre système carcéral, le dernier en date étant celui de l'ancien commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Álvaro Gil-Robles.

Notre pays, qui revendique l'esprit des avocats de l'abolition, tels que Voltaire, Hugo, Gambetta, Clemenceau et Jaurès, qui ont tracé notre chemin, verrait la lutte de ces derniers encore inachevée ! Une abolition complète passe obligatoirement par une profonde modification de notre droit pénal. Par cohérence avec les valeurs humanistes que nous défendons, il convient donc d'interdire les condamnations à perpétuité et les longues peines. Nous ne voulons pas non plus de peines incompressibles, parce que le condamné amendé doit pouvoir, après la punition, retrouver sa liberté. Nous croyons en l'être humain, nous savons qu'il peut changer, nous sommes convaincus qu'aucune raison valable ne peut le condamner pour la vie, ni le condamner à cette mort lente.

Aujourd'hui, nous prenons rendez-vous avec l'histoire. Nous avons fait une grande partie du chemin. Ce qui a été accompli avec courage par des personnes d'honneur doit être salué et inscrit dans le marbre de la Constitution. La part de chemin qui reste parcourir, la part de l'oeuvre qui reste à compléter exige de nous, personnes responsables, de faire preuve de la même bravoure ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l'article unique.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort
Article unique (fin)

Article unique

Il est ajouté au titre VIII de la Constitution un article 66-1 ainsi rédigé :

« Art. 66-1. - Nul ne peut être condamné à la peine de mort. »

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l'article unique.

M. Richard Yung. Je souhaite réaffirmer les raisons pour lesquelles le groupe socialiste suivra l'avis du rapporteur et votera unanimement en faveur de ce projet de loi constitutionnelle.

Ce débat symbolique et historique honore notre République et la mémoire de ses pères fondateurs. En gravant dans la Constitution le principe selon lequel « nul ne peut être condamné à la peine de mort », nous allons lancer un message particulièrement fort à l'endroit de celles et de ceux qui, dans notre pays - il y en a encore ! -, continuent de prétendre que le rétablissement de la peine capitale pourrait constituer - je cite Jean-Marie Le Pen - « une garantie de limitation de l'ensemble de la criminalité et une prérogative indispensable à l'exercice de la souveraineté de l'État ».

Les derniers avocats de ce châtiment cruel sont décidément bien aveugles et sourds ! Pour tenter de les convaincre de reconsidérer leur point de vue, je reprendrai ces propos, extraits de la correspondance de Julien Green avec Jean Paulhan, le « pape » de la NRF, qui méritent réflexion : « on ne devrait jamais condamner un homme à mort parce que nous ne savons pas ce que c'est que la mort ».

Je voudrais ici rendre hommage à François Mitterrand et à notre collègue Robert Badinter, qui s'est tant battu pour bannir de notre droit la peine capitale, cette « expression légalisée de l'instinct de mort », selon sa formule.

Grâce à Robert Badinter, le 30 septembre 1981, le Sénat votait l'abolition de la peine de mort par 161 voix contre 126. L'écart n'était pas si grand. Nous espérons tous aujourd'hui que le vote qui sera exprimé par la Haute Assemblée sera unanime.

La révision constitutionnelle qui nous est présentée aujourd'hui est le prolongement de ce combat humaniste. Elle est d'abord un préalable à la ratification du deuxième protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort. Elle permettra aussi la ratification du protocole n° 13 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui consacre « l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances » et dont les dispositions ne peuvent faire l'objet d'aucune dérogation. Ce sont des points importants qu'il faut garder en mémoire dans notre débat.

Nous devons aussi rester modestes car, comme cela a été dit, la France n'a pas montré la voie dans l'abolition de la peine de mort. Je rappelle en effet, après d'autres orateurs, que la dernière exécution capitale remonte à trente ans : le 10 septembre 1977, Hamida Djandoubi était guillotiné.

Je souhaite enfin souligner la valeur d'exemple de cette réforme qui nous conduira prochainement au Congrès. Cette dernière marquera en effet une étape supplémentaire sur le chemin de l'abolition universelle de la peine capitale, à la fois dans les textes mais aussi dans la pratique. Aujourd'hui, cent vingt-huit pays sont abolitionnistes ; il en reste donc quatre-vingts à convaincre !

L'exécution récente de Saddam Hussein et la reprise, dans des conditions que l'on peut qualifier de « pénibles », des pendaisons au Japon, où quatre condamnés à mort ont été pendus le 25 décembre dernier, nous rappellent l'urgence de soutenir davantage les abolitionnistes partout dans le monde, dans les pays qui maintiennent cette « forme légale de barbarie ».

Voilà donc les raisons essentielles pour lesquelles le groupe socialiste votera unanimement la réforme proposée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié bis, présenté par M. Lardeux, Seillier et Fournier et Mmes Desmarescaux et Dupont est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour l'article 66-1 de la Constitution :

« Art. 66-1. - La dignité de l'être humain est intangible :

« - Chacun a droit à la vie et à l'intégrité physique.

« - Nul ne peut être condamné à la peine de mort. »

La parole est à M. André Lardeux.

M. André Lardeux. Je considère que la prohibition de la peine de mort est un progrès décisif de l'humanité et qu'il n'y a pas lieu de revenir sur le vote de 1981, ce vote qui est tout à l'honneur de ceux qui l'ont émis alors. En dehors du risque d'erreur dû à une décision irréparable, il est en effet inacceptable que quiconque s'arroge le droit de priver son semblable de la vie.

Mais je regrette que l'on se contente d'une simple transcription dans la Constitution d'une disposition de toute façon déjà irréversible et que l'on ne profite pas de cette occasion pour rappeler certains grands principes.

En effet, pour moi, la défense de la vie humaine est indivisible. Celle-ci doit être protégée le plus possible, notamment en ce qui concerne les plus faibles d'entre nous. Il serait donc bon, à mon avis, de faire en sorte que ces grands principes se voient reconnaître une valeur constitutionnelle.

La protection de la vie est indivisible, car toutes les vies humaines ont la même valeur : le fait d'être atteint d'un handicap ou d'être frappé par la maladie ne diminue en rien l'appartenance à l'humanité des personnes concernées. Il en est de même pour tous ceux qui ne sont pas en situation de s'exprimer.

C'est pour moi l'occasion de rappeler l'inquiétude que m'inspirent certaines idées plus ou moins en vogue actuellement. Je citerai, entre autres, les courants utilitaristes, représentés notamment par M. Peter Singer, un Australien, qui prétend qu'« un bébé sans conscience » - moins d'un mois, selon lui - « n'est pas une personne ». (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas le sujet !

M. André Lardeux. Il serait donc normal de rappeler que, de façon générale, le fait de donner délibérément la mort reste un interdit et que le droit ne peut accorder un permis de tuer.

Tel est le sens de cet amendement qui se résume à l'introduction dans le texte de la Constitution de deux éléments déjà présents dans la constitution allemande.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Robert Badinter, rapporteur. Au nom de la commission, je tiens à souligner l'intérêt que présente sur le plan de l'humanité et des principes le problème soulevé ici.

Cependant, compte tenu de l'objet de notre discussion, à savoir la constitutionnalisation de l'abolition de la peine de mort, ce n'est ni le lieu ni le moment d'évoquer cette question. Ce débat, je le rappelle, est d'ordre judiciaire. Nous insérons l'interdiction de la condamnation à mort dans le titre consacré à l'autorité judiciaire, et nous ne pourrions pas aller au-delà dans ce titre. Je l'ai rappelé, le Président de la République, M. Chirac, est à l'origine de cette constitutionnalisation qui représente un pas considérable.

Pour répondre plus précisément aux auteurs de cet amendement, notamment à M. Lardeux, le premier signataire, je rappelle que la préoccupation exprimée est déjà satisfaite dans des conventions internationales de première importance auxquelles la France est partie, notamment à l'article 2 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 6 du pacte international relatif aux droits civils et politiques.

C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur Lardeux, contrairement à ce qui se pratique dans certaines grandes démocraties, comme l'Allemagne ou les États-Unis, l'inscription d'un catalogue des droits fondamentaux dans la Constitution ne correspond pas à la tradition française. Et si tel devait être le cas, ce ne serait pas au titre VIII de la Constitution que l'on pourrait ajouter une telle disposition, puisque ce titre est consacré à l'autorité judiciaire.

Je vous rappelle, monsieur le sénateur, que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 27 juillet 1994, a consacré le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et l'a élevé au rang de principe à valeur constitutionnelle.

Quant au droit à la vie, il est déjà consacré et garanti par l'article 3 de la déclaration universelle des droits de l'homme et l'article 2 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

L'adoption de cet amendement n'aurait donc pas pour effet d'améliorer la protection des droits fondamentaux en France, et, en tout état de cause, l'objet de la présente modification de la Constitution n'est pas d'inscrire dans celle-ci de nouveaux droits fondamentaux.

Voilà pourquoi le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

M. le président. Monsieur Lardeux, l'amendement n° 1 rectifié bis est-il maintenu ?

M. André Lardeux. J'ai noté les explications d'ordre juridique et technique fournies par M. le ministre et M. le rapporteur.

Je n'ai pas, dans ce domaine, leur maîtrise technique, et je suis bien d'accord pour dire que les ajouts que je propose devraient figurer à un autre endroit du texte constitutionnel.

Cela étant, on me répond qu'il n'y a pas dans notre Constitution de catalogue de droits, à la différence par exemple de la constitution allemande ; ce n'est cependant vrai qu'en partie, puisque le préambule de la Constitution de 1958 fait expressément référence à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au préambule de la Constitution de 1946, qui sont bien des catalogues de droits ! Il en est d'ailleurs de même de la Charte de l'environnement !

Les objections techniques sont certes importantes, mais je n'ai pas reçu d'objection de fond. J'en conclus donc que mes préoccupations sont partagées, et je retire par conséquent mon amendement.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'aurais voulu répondre sur le fond aux propos de M. Lardeux et faire l'éloge de Mme Veil !

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié bis est retiré.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote sur l'article unique.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il s'agit pour moi d'un jour important.

Je voudrais tout d'abord remercier les militants d'Ensemble contre la peine de mort, qui ont organisé la semaine dernière à Paris, trois jours durant, le troisième congrès mondial contre la peine de mort. Le succès a été grand : mille participants sont venus de tous les pays, y compris de certains qui n'ont toujours pas aboli la peine de mort mais où commencent à émerger des courants abolitionnistes.

Voilà qui constitue un réel espoir pour les prochaines années.

Mme Hélène Luc. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un certain nombre de ces militants ont assisté à la plus grande partie de nos débats. Ils en ont été heureux et nous remercient de les avoir invités.

Je voudrais également vous dire à quel point je suis personnellement heureuse aujourd'hui, car le combat pour l'abolition de la peine de mort est le mien depuis très longtemps.

M. Robert Badinter, rapporteur. C'est vrai !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je ne peux donc évidemment que me réjouir du fait que cette révision constitutionnelle nous permette de ratifier les textes internationaux qui rendront l'abolition de la peine de mort irrévocable en toutes circonstances.

Pour avoir moi-même, au nom de mon groupe, demandé à plusieurs reprises au Président de la République la ratification de ces textes, je suis très heureuse que cela devienne possible.

Je vous rappellerai toutefois, comme l'a déjà fait ma collègue Éliane Assassi, que j'ai défendu ici même, le 12 février 2002, une proposition de loi visant à créer en France une journée nationale pour l'abolition universelle de la peine de mort, fixée, en hommage à M. Robert Badinter, au 9 octobre et consacrée par exemple à des actions éducatives pour l'abolition universelle ou à l'accueil de délégations étrangères.

J'éprouve, je dois le dire, une certaine amertume du fait que cette proposition, adoptée par le Sénat, n'a pas même été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Mais aujourd'hui et lors de la réunion du Congrès, je n'aurai aucune amertume à voter le présent texte. C'est au contraire avec beaucoup de plaisir que je le ferai, de même que tous les sénateurs du groupe CRC.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. C'est avec beaucoup d'émotion que nous avons entendu ici le plaidoyer de Robert Badinter.

Nous tenons, après les intervenants dans la discussion générale, à lui rendre un très grand hommage pour tout ce qu'il a fait et continue de faire.

Nul n'a su dire mieux que lui les raisons si fortes qui plaident en faveur de l'abolition de la peine de mort.

Une première raison réside dans le caractère faillible de la justice des hommes, caractère mis en évidence à de nombreuses reprises. Et puisque la justice des hommes est faillible, il n'est pas juste qu'il existe une peine sans retour possible.

Une autre raison plaidant en faveur de l'abolition de la peine de mort tient au fait que cette abolition est nécessaire à la civilisation dans la mesure où il n'est de civilisation humaine qu'à partir du moment où l'on refuse absolument de désespérer de tout être humain. Or, condamner à mort une personne, c'est désespérer de toute évolution possible de sa part. Voilà pourquoi cette peine n'est pas acceptable.

Aujourd'hui, nous allons donc tous ensemble voter le texte qui nous est proposé, et la réunion du Congrès sera un jour important pour notre République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique du projet de loi constitutionnelle.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 100 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 326
Majorité absolue des suffrages exprimés 164
Pour l'adoption 324
Contre 2

Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)

Je constate que le Sénat a adopté le projet de loi constitutionnelle dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale.

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort
 

6

NOMINATION D'un MEMBRE D'UNE COMMISSION

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales.

Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.

La présidence n'a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame :

M. Pierre Bernard-Reymond membre de la commission des affaires sociales à la place laissée vacante par Marcel Lesbros, décédé.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures cinq, sous la présidence de M. Philippe Richert.)

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

7

Candidatures à une commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats.

J'informe le Sénat que la commission des lois a fait connaître qu'elle a procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à cette commission mixte paritaire.

Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l'article 9 du règlement.

8

 
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution
Discussion générale (suite)

Modification du titre IX de la Constitution

Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, portant modification du titre IX de la Constitution (nos 162, 194).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le régime de la responsabilité du chef de l'État interpelle tous les démocrates, quelle que soit leur époque. Au vieux principe monarchique selon lequel « le Roi ne peut mal faire », la IIe République avait substitué un régime de responsabilité politique très large du Président, sa constitution précisant que celui-ci est responsable des « actes du Gouvernement et de l'administration ».

Depuis les lois constitutionnelles de 1875, la responsabilité politique du chef de l'État ne peut être mise en cause devant les assemblées parlementaires à raison des actes qu'il accomplit en cette qualité. Le Président n'est responsable politiquement que devant le peuple qui lui a donné son mandat et peut choisir de ne pas le lui renouveler.

La tradition constitutionnelle conduit dans le même temps à ce que la responsabilité pénale du chef de l'État ne puisse être mise en jeu qu'en cas de « haute trahison ». La Constitution du 4 octobre 1958 dispose, en son article 68, que « le Président de la République [...] ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice ».

Ainsi rappelées, ces règles posées par le titre IX de notre Constitution semblent simples. Elles sont pourtant apparues, à l'expérience, sources d'ambiguïtés.

Par sa décision du 22 janvier 1999, relative à la Cour pénale internationale, le Conseil constitutionnel a interprété l'article 68 comme instituant un privilège de juridiction. Il a en effet précisé que le Président de la République, pendant la durée de ses fonctions, ne peut voir sa responsabilité pénale mise en cause que devant la Haute Cour de justice, selon les modalités fixées par le même article.

Ainsi, pour le juge constitutionnel, la Haute Cour de justice a compétence pour connaître de l'ensemble de la responsabilité pénale du Président de la République, y compris s'agissant des actes antérieurs ou détachables de l'exercice de ses fonctions. Le chef de l'État bénéficie d'un privilège de juridiction de portée générale.

Par son arrêt du 10 octobre 2001, la Cour de cassation a confirmé que le Président de la République, hors le cas de haute trahison, ne peut être poursuivi devant aucune juridiction pendant l'exercice de son mandat, et ce y compris à raison de faits antérieurs à son élection ou sans rapport avec l'exercice de ses fonctions.

Pour autant, la Cour de cassation a estimé que le chef de l'État ne bénéficiait pas d'un privilège de juridiction. Elle a en effet jugé que « la Haute Cour de justice n'étant compétente que pour connaître des actes de haute trahison du Président de la République commis dans l'exercice de ses fonctions, les poursuites pour tous les autres actes devant les juridictions pénales de droit commun ne peuvent être exercées pendant la durée du mandat présidentiel, la prescription de l'action publique étant alors suspendue ».

Pour l'autorité judiciaire, le chef de l'État est donc passible, hors le cas de haute trahison, des tribunaux de droit commun, mais il bénéficie d'une inviolabilité temporaire pendant la durée de son mandat, la prescription étant suspendue pendant le même temps.

Ainsi, les deux juridictions s'accordent sur l'essentiel : le Président de la République, hors le cas de haute trahison, ne saurait, pendant son mandat, être mis en cause devant aucune juridiction pénale de droit commun. Toutefois, une divergence d'analyse révèle un doute sur la portée exacte des dispositions de l'article 68 de la Constitution. Par ailleurs, les termes de cet article, notamment ceux de « haute trahison », nécessitent d'être précisés.

Toutes ces considérations ont conduit le Président de la République, conformément à l'engagement exprimé devant l'ensemble de nos concitoyens, à demander à une commission, présidée par le professeur Pierre Avril, de « réfléchir et [lui] faire, le cas échéant, des propositions sur le statut pénal du Président de la République ».

Cette commission a proposé une révision complète du titre IX de la Constitution, procédant à une réécriture intégrale des articles 67 et 68. Le chef de l'État et le Gouvernement ont choisi de faire leurs les propositions de la commission, dont les principaux éléments peuvent être résumés comme suit : réaffirmation du principe d'immunité du Président pour les actes accomplis en cette qualité ; inviolabilité durant le mandat pour les autres actes avec cependant la possibilité de destitution « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».

L'article unique du projet de loi qui vous est présenté modifie l'intitulé du titre IX de la Constitution, qui devient « La Haute Cour », au lieu de « La Haute Cour de justice ». Ce titre est toujours composé des articles 67 et 68, mais, comme je viens de le dire, une réécriture totale de ceux-ci est proposée.

L'article 67 nouveau pose les règles de fond applicables à la responsabilité du chef de l'État. Il est constitué de trois alinéas.

Le premier alinéa réaffirme le principe traditionnel d'immunité du Président de la République pour les actes accomplis en cette qualité. La rédaction ainsi retenue fait disparaître l'ambiguïté de l'expression « dans l'exercice de ses fonctions ». Ainsi, pour tous les actes accomplis par le chef de l'État pendant la durée de son mandat, l'irresponsabilité est la règle.

Deux limites sont toutefois posées à ce principe : celle qui résulte de l'instauration, par l'article 68 nouveau, d'une procédure de destitution et celle qui procède de la compétence, déjà reconnue à l'article 53-2 de la Constitution, de la Cour pénale internationale.

Le deuxième alinéa est consacré à tous les autres actes du Président de la République, c'est-à-dire à ceux accomplis pendant la durée de son mandat, mais sans lien avec celui-ci, et à ceux commis antérieurement à son élection. Il pose un principe d'inviolabilité de portée générale.

L'Assemblée nationale a adopté, avec l'accord du Gouvernement, deux amendements précisant la portée de ce principe.

Le premier amendement permet d'expliciter que, durant son mandat, toute action à l'encontre du Président est exclue, quels qu'en soient l'objet ou la finalité, devant toute juridiction, y compris civile, ou autorité administrative.

Le Président ne peut notamment pas être requis de témoigner, ce qui ne fait nullement obstacle à un témoignage spontané. De manière générale, aucun acte de procédure ne peut être imposé au chef de l'État, mais il lui est toujours loisible d'y répondre.

Le second amendement vise à préciser que les délais de prescription et de forclusion sont suspendus pendant la durée du mandat.

Le projet de texte proposé par la commission Avril comportait, à cet alinéa, un renvoi au législateur organique, afin que ce dernier définisse les conditions dans lesquelles doit se réaliser le retour à l'application du droit commun à l'issue du mandat. Il est toutefois apparu que la détermination de ces conditions constituait un point fondamental de la réforme, qui méritait de figurer dans la Constitution elle-même.

C'est la raison pour laquelle ce renvoi a été remplacé par un troisième alinéa, qui fixe à un mois après la cessation des fonctions le délai à l'issue duquel prend fin la suspension des procédures et des prescriptions.

L'article 68 nouveau est sensiblement plus novateur. Composé de six alinéas, il tend à introduire dans nos institutions une procédure de destitution.

Cette destitution du Président de la République ne pourra, compte tenu du rôle éminent de ce dernier, être décidée qu'« en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ». La notion de « haute trahison », aux contours incertains, est abandonnée au profit d'une expression qui, sans qualifier ce manquement, ni par référence à sa nature ni par le degré de sa gravité, consacre un critère tenant exclusivement au fait que ce manquement serait incompatible avec la poursuite du mandat, c'est-à-dire avec la dignité de la fonction.

Le recours à l'adverbe « manifestement » marque que la reconnaissance de ce manquement ne saurait procéder d'une logique partisane et qu'elle doit transcender les clivages politiques.

Le caractère unique de cette responsabilité, qui suppose l'appréciation du comportement d'un homme au regard des exigences de ses fonctions, imposait qu'elle fût mise en cause devant un organe non juridictionnel qui soit doté d'une légitimité démocratique égale à celle du chef de l'État. C'est ce qui a conduit à conférer ce pouvoir au Parlement, siégeant, dans son intégralité, en Haute Cour.

C'est ce qui a conduit à conférer ce pouvoir au Parlement siégeant, dans son intégralité, en Haute Cour.

La procédure est aménagée en deux temps. La proposition de réunion de la Haute Cour doit d'abord être adoptée successivement par chacune des deux assemblées. La Haute Cour, présidée par le président de l'Assemblée nationale, statue ensuite par un vote à bulletins secrets.

Cette procédure a été améliorée par l'Assemblée nationale sur deux points très importants.

D'abord, afin d'éviter les dérives partisanes, les votes intervenant en application de ce dispositif devront être acquis à la majorité qualifiée des deux tiers. Cette modification est parfaitement en adéquation avec l'objectif poursuivi, qui est de sanctionner des comportements tout à fait incompatibles avec l'exercice de la fonction présidentielle, indépendamment de toute logique politicienne.

Ensuite, toute délégation de vote est désormais interdite. La mise en oeuvre de la procédure suppose en effet une appréciation délicate de la compatibilité des faits avec l'exercice de la fonction présidentielle. Une telle appréciation ne peut être que personnelle et ne saurait se faire par procuration. Au surplus, la gravité des conséquences qui pourraient s'attacher à la mise en oeuvre de cette procédure implique que chacun soit amené à se déterminer en conscience lors des deux phases de la procédure.

L'Assemblée nationale a également modifié, avec l'accord du Gouvernement, les conséquences qui s'attachent à la décision conjointe des deux chambres de réunir la Haute Cour. En effet, il est apparu difficile de prévoir une période de suspension du Président de la République pendant le déroulement de la procédure parlementaire. Si cette procédure ne devait pas aboutir à la destitution du chef de l'État, son autorité, après une période de suspension, serait affaiblie.

Dans le même temps, il n'est pas souhaitable que le Président de la République demeure trop longtemps sous la menace d'une éventuelle destitution. C'est pourquoi il est apparu nécessaire de réduire de deux mois à un mois le délai imparti à la Haute Cour pour se prononcer.

La décision de la Haute Cour de destituer, ou pas, le Président de la République est d'effet immédiat. En cas de destitution, il est définitivement mis fin au mandat en cours du Président de la République, qui redevient par le même fait un justiciable ordinaire.

Enfin, l'article 68 dispose qu'une loi organique fixe ses conditions d'application. Celle-ci pourra notamment, conformément aux propositions de la commission Avril, prévoir des règles relatives à la recevabilité des propositions de résolutions tendant à la réunion de la Haute Cour, imposer non seulement des délais, afin que ne dure pas trop longtemps la période de mise en cause du chef de l'État, et des précautions, afin que celui-ci puisse assurer sa défense.

Le texte ne prévoyant pas de disposition transitoire ou d'application différée, les règles qu'il fixe à l'article 67 trouveront à s'appliquer au mandat en cours. Celles qui sont relatives à la Haute Cour deviendront applicables dès l'entrée en vigueur de la loi organique nécessaire à sa mise en oeuvre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi constitutionnelle qui vous est présenté est inspiré par la volonté de dissocier les logiques judiciaire et politique. De ce fait, il confie aux représentants du peuple, et pas à une juridiction spéciale, la responsabilité de destituer, le cas échéant, le chef de l'État élu au suffrage universel direct.

Il ne s'agit nullement là de changer la nature du régime ni même d'en modifier l'équilibre. Au contraire, ce choix s'inscrit dans le prolongement des constituants de 1875, de 1946 et de 1958. Il s'agit, pour l'essentiel, d'apporter des précisions nécessaires quant à l'irresponsabilité du chef de l'État et de consacrer la simple suspension de la prescription en ce qui concerne son inviolabilité. Le dispositif proposé par le Gouvernement a été amélioré de manière consensuelle par l'Assemblée nationale, sans que l'équilibre du texte soit remis en cause.

Certains parlementaires se sont interrogés sur l'opportunité de présenter en fin de la législature une réforme constitutionnelle sur cette question. Permettez-moi cependant de souligner l'intérêt d'une telle réforme.

Tout d'abord, il s'agit là d'un engagement pris par le Président de la République lors de la campagne présidentielle. Chacun a à coeur de montrer que les engagements électoraux de notre majorité ont vocation à être respectés.

M. René-Pierre Signé. Il serait temps d'y penser !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ensuite, cette réforme clarifie un point de droit et supprime, dès lors, une polémique politique stérile.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Tout à fait !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Elle permettra donc aux Français de se prononcer, en conscience, sur les vrais enjeux de la campagne présidentielle.

Enfin, ce projet de loi constitutionnelle est l'occasion de montrer que, au-delà de nos clivages, nous partageons un même respect pour la fonction présidentielle et la règle du jeu démocratique.

Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à adopter ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)

M. René-Pierre Signé. Les applaudissements sont maigres...

M. Gérard Delfau. L'effort est méritoire...

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les Français ont une relation particulière avec leur Président de la République. Ils l'élisent directement, et ce mode d'élection donne à ce dernier une légitimité sans égale au sein de nos institutions.

La Constitution confie en outre au Président de la République le rôle éminent de garant de la continuité de l'État. Le général de Gaulle résumait la place centrale du Président de la République dans nos institutions en le définissant, en 1964, comme « l'homme de la nation, mis en place par elle-même pour répondre de son destin ».

Investi de la confiance de la nation et chargé de la représenter, le chef de l'État est supposé observer un comportement vertueux. Mais il doit aussi être protégé à l'égard des poursuites qui pourraient viser à paralyser ou à amoindrir la fonction présidentielle.

Nécessaire, et d'ailleurs établie dès la constitution du 3 septembre 1791, cette protection doit cependant être conciliée avec nos principes fondamentaux. Parmi ces principes, figure celui de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ».

C'est la conjugaison de ces deux exigences qui doit guider le pouvoir constituant lorsqu'il définit les règles applicables aux poursuites pénales dirigées contre les plus hautes autorités de l'État.

Le titre IX de la Constitution du 4 octobre 1958, qui ne traite plus que du statut pénal du chef de l'État depuis que le régime de responsabilité des membres du Gouvernement a été inscrit au titre X, reprend les dispositions en vigueur sous la IIIe et la IVe République.

Ce statut établit par conséquent un principe d'irresponsabilité du chef de l'État pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions. La possibilité de mettre en accusation le Président de la République et de le juger pour haute trahison est définie dès la IIIe République comme la seule exception au principe d'irresponsabilité présidentielle. Le privilège de juridiction du Président avait alors une portée générale.

En revanche, sous la IVe République, la mise en accusation devant la Haute Cour de justice ne concerne que le cas de haute trahison.

L'article 68 de la Constitution de 1958 reprend, dans sa seconde phrase, le principe restrictif de l'article 12 de la loi du 16 juillet 1875 et autorise, hélas ! deux lectures opposées.

Si l'on considère que les deux phrases forment un tout indissociable, le Président de la République est alors soumis au droit commun pour les actes accomplis hors l'exercice de ses fonctions.

En revanche, si l'on fait des deux phrases une lecture disjointe, la responsabilité pénale du chef de l'État ne peut être mise en cause, y compris pour les actes étrangers à l'exercice de son mandat, que devant la Haute Cour de justice.

L'ambiguïté du statut défini en 1958 réside également dans la notion de haute trahison, reprise de constitution en constitution depuis l'an III.

La haute trahison demeure indéfinie et conserve une connotation pénale excessive. On ne sait s'il s'agit d'un crime politique - c'était l'interrogation de Maurice Duverger -, de la simple trahison de la France au profit d'une puissance étrangère, ou d'une expression absorbant l'ensemble des crimes et délits prévus par le code pénal, comme l'estime Dominique Chagnollaud. En raison de son imprécision, la haute trahison ne respecte pas le principe de légalité des délits et des peines.

Notre regretté collègue Etienne Dailly, qui aimait beaucoup le droit constitutionnel, avait proposé en 1993 une énumération des faits constitutifs de haute trahison, visant notamment les cas où le Président « s'arroge un pouvoir qu'il ne tient pas de la Constitution ».

M. Robert Badinter. C'est possible !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cette tentative inaboutie montre bien qu'il s'agit avant tout de permettre la sanction des manquements aux devoirs de la charge présidentielle.

La Haute Cour de justice, chargée d'apprécier souverainement les faits constitutifs d'une haute trahison, est tout aussi inadaptée. Sa composition et son fonctionnement lui donnent un caractère juridictionnel, alors que la seule incrimination dont elle puisse connaître est de nature politique et que les peines qu'elle pourrait prononcer ne sont pas définies.

Par ailleurs, en tant que juridiction, la Haute Cour de justice ne satisfait sans doute pas aux exigences du procès équitable définies à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Bien entendu, les incertitudes du statut pénal du chef de l'État ont été soulignées et mises en lumière par les jurisprudences divergentes du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation.

Si ces deux hautes juridictions ont exclu toute poursuite ou instruction à l'égard du Président de la République pendant la durée de son mandat, elles font cependant des interprétations opposées de l'article 68 de la Constitution, le Conseil constitutionnel estimant que la compétence de la Haute Cour de justice est générale, en vertu d'un privilège de juridiction, alors que la Cour de cassation considère cette compétence limitée au cas de haute trahison.

Néanmoins, la Cour de cassation a conclu à l'inviolabilité temporaire du Président de la République, précisant qu'en contrepartie de l'interdiction des poursuites pendant la durée de son mandat les délais de prescription étaient suspendus. La Cour de cassation a ainsi, au passage, interprété la jurisprudence constitutionnelle.

Tenant compte de ces ambiguïtés et des insuffisances du texte en vigueur, le projet de loi constitutionnelle précise et modernise le statut pénal du chef de l'État.

En effet, l'actuel régime de responsabilité du Président de la République n'est pas seulement ambigu, il paraît aussi inadapté à l'évolution du rôle du chef de l'État sous la Ve République.

À la fin du XIXe siècle, après la crise du 16 mai 1877, le Président de la République exerçait une magistrature protocolaire. Mais aujourd'hui, le Président n'est plus le « manchot constitutionnel » que décrivait Raymond Poincaré ; c'est un personnage central de nos institutions. Seul représentant élu par l'ensemble de la nation, il est le garant de la continuité de l'État, de l'indépendance nationale et de l'intégrité du territoire, et le chef des armées.

Dès lors, la protection de la fonction présidentielle contre les risques de déstabilisation paraît plus indispensable encore sous la Ve République que sous les précédentes républiques.

Dans un contexte de pénalisation de la vie publique et de médiatisation des affaires, des plaintes pourraient en effet viser à déstabiliser en permanence le chef de l'État.

En outre, l'indépendance nécessaire à l'exercice du mandat présidentiel et la séparation des pouvoirs exigent que le chef de l'État, garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, ne puisse être mis en cause par les tribunaux.

Il est par conséquent dans la logique de nos institutions d'accorder au chef de l'État une protection complète pendant la durée de son mandat.

Dans cette logique, et suivant les recommandations du rapport Avril, le projet de loi constitutionnelle préserve, à l'article 67, le principe d'irresponsabilité du Président de la République pour les actes accomplis en qualité de chef de l'État, sous réserve des dispositions relatives tant aux compétences de la Cour pénale internationale qu'à l'hypothèse de la destitution.

Le Président de la République fera par ailleurs l'objet d'une inviolabilité complète pendant la durée de son mandat, s'agissant des actes détachables de ses fonctions. Cette immunité prend fin avec le mandat du Président de la République, qui relève alors du droit commun.

À l'issue d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions, les instances et procédures rendues impossibles pendant le mandat pourraient être engagées, si elles avaient été déclarées irrecevables, ou reprises, si elles avaient été engagées avant l'élection présidentielle et suspendues ensuite.

S'il convient de protéger la fonction, il paraît tout aussi indispensable d'organiser une procédure permettant de sanctionner les atteintes que pourrait porter à l'institution le comportement même du Président de la République.

À cette fin, le projet de loi constitutionnelle crée, à l'article 68 de la Constitution, une procédure de destitution du chef de l'État en cas de manquement manifestement incompatible avec l'exercice de ses fonctions.

Comme l'indique le rapport Avril, la destitution est conçue comme « une "soupape de sûreté" qui, dans des cas exceptionnels et graves, préserve la continuité de l'État en mettant fin, par des mécanismes présentant toutes garanties, à une situation devenue intenable ».

Le Parlement, constitué en Haute Cour, devrait alors se prononcer non sur la qualification pénale de ce manquement, mais sur l'atteinte portée à la dignité de la fonction.

L'atteinte à une institution issue du suffrage universel ne peut être appréciée que par le représentant du peuple souverain. Il revient donc au Parlement de rendre le Président de la République à la condition de citoyen ordinaire.

Bien entendu, le Président de la République serait susceptible d'être poursuivi devant les juridictions de droit commun si le manquement à l'origine de sa destitution constituait par ailleurs une infraction.

La destitution est une procédure dépénalisée : pour la Haute Cour, il s'agit non pas de se substituer à la justice afin de juger le chef de l'État, mais de se prononcer sur la capacité de ce dernier à poursuivre son mandat, compte tenu des manquements qui lui sont reprochés.

La procédure de destitution n'est donc pas de nature juridictionnelle. Aussi n'est-elle pas liée par le principe de la légalité des délits et des peines. Elle s'impose logiquement comme la sanction institutionnelle ou politique d'un manquement portant atteinte à la fonction présidentielle et rompt par conséquent avec l'ambiguïté du régime initialement défini par la Constitution de 1958. J'ajoute que cette procédure existe dans toutes les démocraties, et pas seulement outre-Atlantique.

Le manquement à l'origine d'une procédure de destitution peut tenir aussi bien au comportement privé du Président de la République qu'à son comportement politique.

Le chef de l'État pourrait, par exemple, être destitué parce qu'il a souhaité mettre en oeuvre l'article 16 de la Constitution alors que les conditions n'étaient pas réunies, ou parce qu'il a commis un délit ou un crime patent, avant ou après le début de son mandat. Cette hypothèse est improbable, mais certains souhaitent que tous les cas soient envisagés, y compris celui où le Président de la République élu serait un voyou !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est absolument impossible !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est improbable en effet !

M. René-Pierre Signé. C'est vous qui le dites !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La procédure de destitution pourrait être indifféremment déclenchée par l'Assemblée nationale ou par le Sénat, chacune des deux assemblées étant d'abord appelée à se prononcer sur la décision de réunir, ou pas, la Haute Cour, avant de statuer ensemble sur la destitution.

Le dernier alinéa de l'article 68 renvoie à une loi organique la définition des conditions d'application de cette procédure. Cette loi organique, qui est en partie relative au Sénat, devra par conséquent être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées, conformément à l'avant-dernier alinéa de l'article 46 de la Constitution.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Cela va sans dire !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela va sans dire, mais il vaut toujours mieux le préciser !

L'Assemblée nationale a précisé l'ensemble du dispositif proposé.

S'agissant du régime de responsabilité défini à l'article 67, elle a ajouté que le chef de l'État ne pourra faire l'objet d'une quelconque action, afin de ne laisser aucun doute sur l'étendue de l'inviolabilité devant les juridictions civiles ou les autorités administratives.

Nos collègues députés ont en outre souhaité inscrire dans le texte constitutionnel la suspension des délais de prescription pendant la durée du mandat présidentiel, bien que ce principe se déduise de l'inviolabilité temporaire du chef de l'État. Pendant la durée du mandat présidentiel, les droits des tiers sont en effet préservés.

La suspension des délais de prescription en matière civile comme en matière pénale est le corollaire de l'inviolabilité du chef de l'État, selon le principe contra non valentem agere non currit praescriptio !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il est inutile de dire amen, c'est du droit romain ! (Sourires.)

M. René-Pierre Signé. La messe n'est pas en latin !

M. Michel Charasse. Moi, je dis : Amen !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Certains sont influencés par leur éducation religieuse... (Nouveaux sourires.)

Cet adage du droit romain signifie que la prescription ne court pas contre celui qui ne peut valablement agir. Je tiens à rappeler, à cet égard, que l'immunité ainsi définie vise à protéger non pas l'homme, mais la fonction. Cette protection est d'autant plus complète que les limites dans le temps en sont clairement définies.

L'Assemblée nationale a également renforcé l'équilibre de la procédure de destitution, prévue à l'article 68 - vous l'avez d'ailleurs indiqué, monsieur le garde des sceaux, en approuvant ces modifications -, en supprimant l'empêchement du Président de la République après l'adoption par les deux assemblées d'une proposition de réunion de la Haute Cour, en réduisant à un mois, au lieu de deux, le délai à l'issue duquel celle-ci doit statuer, et surtout - c'est important - en prévoyant que la réunion de la Haute Cour et la destitution doivent être décidées à la majorité des deux tiers des membres composant l'assemblée concernée et non à la majorité absolue. Quel progrès ! Qu'auraient dit, si nous en étions restés à la majorité absolue, ceux qui voient en cette réforme un coup politique ?

L'empêchement pouvait apparaître comme une sanction, préjugeant la décision finale de la Haute Cour. Le raccourcissement du délai à l'issue duquel la Haute Cour doit avoir statué est la contrepartie du maintien en fonction du Président de la République.

La majorité des deux tiers finalement retenue par les députés paraît offrir les garanties nécessaires à la mise en oeuvre d'une procédure dont l'ultime objet est de permettre à la représentation nationale de mettre fin au mandat de l'élu de la nation tout entière.

Ce renforcement de la majorité nécessaire au déclenchement de la procédure évitera le détournement de ce dernier à des fins partisanes. L'une des principales objections de M. Badinter sur les propositions de la commission Avril - je partageais l'avis de notre collègue à cet égard - portait d'ailleurs sur la majorité simple.

L'Assemblée nationale a enfin souhaité interdire toute délégation de vote pour l'ensemble des scrutins prévus par l'article 68. De fait, la décision de réunir la Haute Cour comme celle de destituer le chef de l'État supposent, par leur gravité, que ne prennent part au vote que les parlementaires présents.

En définitive, les modifications adoptées par l'Assemblée nationale confortent l'équilibre d'une procédure de destitution conçue comme la contrepartie indispensable d'une protection fonctionnelle très étendue.

C'est pourquoi la commission des lois vous invite, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi constitutionnelle sans modification. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 48 minutes ;

Groupe socialiste, 31 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Patrice Gélard.

M. Patrice Gélard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avec la Constitution de 1958, nous avons hérité d'un statut du Président de la République totalement obsolète et inadapté. Depuis le XIXe siècle, nos constituants n'ont en effet jamais réussi à définir le statut du chef de l'État parce qu'ils ne savaient pas - ils ne le savent toujours pas ! - ce qu'était un Président de la République par rapport à un monarque.

M. Patrice Gélard. On a donc essayé de trouver une côte mal taillée, entre les régimes du roi, tels qu'ils découlaient de la tradition monarchique, ...

M. René-Pierre Signé. Quelle horreur !

M. Patrice Gélard. ... et un nouveau régime, qui était à inventer - il l'est d'ailleurs toujours -, celui de Président de la République. Ce statut n'a donc jamais été bien défini.

Tout au long du XIXe siècle, malgré nos révolutions et nos coups d'État, nous n'avons jamais poursuivi nos chefs de l'État destitués, sauf dans deux cas, mais jamais dans les règles qui avaient été initialement prévues. (M. Jean-Luc Mélenchon s'exclame.) Charles X, Louis-Philippe et Napoléon III n'ont pas été poursuivis, contrairement à leurs ministres. En réalité, la haute trahison que nous avons mise en place, calquée sur le système britannique, dans lequel le roi ne pouvait pas être jugé, ne visait en réalité que les ministres. Ce sont donc ces derniers qui ont été poursuivis traditionnellement pour haute trahison, et pour d'autres raisons sous la IIIe République.

Chacun se rappelle en effet la poursuite d'un ministre, par deux fois, devant la Haute Cour de justice, la seconde fois pour complicité dans le meurtre par son épouse du directeur du Figaro.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. L'affaire Calmette !

M. René-Pierre Signé. Le ministre s'en est tout de même bien tiré ! (Sourires.)

M. Patrice Gélard. Le régime actuel est donc l'héritier du régime juridique du chef de l'État mal conçu par les constituants.

De surcroît, le terme de haute trahison n'a jamais pu être correctement défini par quiconque, comme l'a rappelé M. le rapporteur. Y a-t-il haute trahison en cas de crime, de délit, dans d'autres cas ? On ne le sait pas !

Par ailleurs, chacun se souvient que, au Royaume-Uni, à l'époque d'Henri VIII, la sanction en cas de haute trahison était la décapitation ! En droit français, aucune sanction n'a jamais été prévue.

M. René-Pierre Signé. Sauf pour Louis XVI !

M. Patrice Gélard. Non seulement les dispositions relatives à la responsabilité du chef de l'État étaient inappliquées, mais elles étaient en outre inapplicables. Peut-être était-ce d'ailleurs ce que souhaitaient les constituants ? En instaurant des procédures complexes, peut-être ont-ils voulu rendre impossible la poursuite du chef de l'État devant la Haute Cour de justice ?

Bien sûr, les choses ont évolué, mais depuis peu. Le régime mis en place sous la Ve République n'a pas été appliqué, malgré quelques tentatives, qui n'ont pas dépassé le stade des balbutiements.

En fait, c'est la ratification du traité portant statut de la Cour pénale internationale qui nous a interpellés sur le statut du chef de l'État, traité au sujet duquel le Conseil constitutionnel avait été saisi. Sa décision du 22 janvier 1999 a malheureusement été contredite, de façon à mon avis inconstitutionnelle, par l'arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2001. Je précise à cet égard que la Cour de cassation s'était selon moi arrogée un pouvoir de constituant d'autant plus étonnant qu'un arrêt de la Cour peut être révisé par un autre de ses arrêts. Par conséquent, l'insécurité juridique pouvait, dans cette matière si sensible, s'imposer. Elle devait donc être corrigée.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, et M. Roger Romani. Très bien !

M. Patrice Gélard. Il était donc nécessaire de réviser la Constitution. Le chef de l'État s'en était d'ailleurs rendu compte. Il a en effet demandé que la Constitution soit modifiée concernant son propre statut.

M. René-Pierre Signé. Au moment de partir !

M. Patrice Gélard. Il fallait donc satisfaire la demande du chef de l'État, arbitrer entre l'interprétation du Conseil constitutionnel et celle de la Cour de cassation, transformer et moderniser un texte devenu complètement obsolète, inapplicable et inappliqué.

Telles sont les raisons pour lesquelles la réforme qui nous est proposée aujourd'hui me semble parfaitement satisfaisante, après l'adoption des amendements de l'Assemblée nationale. Quelques petits problèmes subsistent, bien sûr, et il faudra les régler. Je n'oublierai pas de les mentionner tout à l'heure.

Tout d'abord, nous inscrivons dans l'article 67 de la Constitution le principe de l'immunité du chef de l'État. Par la même occasion, les délais de prescription et de forclusion sont suspendus. Ils reprendront une fois le mandat du chef de l'État achevé.

Dans ce domaine, il fallait éviter un revirement de la Cour de cassation. Peut-être est-il dommage d'inscrire dans la Constitution l'impossibilité de toute poursuite, tant administrative que civile ? M. le rapporteur a déjà répondu à cette question.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous y reviendrons !

M. Patrice Gélard. Il a bien précisé qu'une procédure ne devait pas être employée à la place d'une autre, que la procédure civile ne devait pas être utilisée pour harceler le Président de la République. Par conséquent, l'immunité doit être pleine et entière, et non partielle.

J'estime d'ailleurs que le chef de l'État, si sa responsabilité civile était engagée et qu'il faisait la sourde oreille, manquerait alors aux devoirs de sa charge.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Voilà !

M. Patrice Gélard. Dès lors, la mise en jeu prévue par le projet de loi pourra parfaitement s'appliquer, car le Président de la République ne jouera plus le rôle normal qui est le sien et ne respectera plus les devoirs qui sont ceux de tout citoyen.

M. René-Pierre Signé. C'est déjà arrivé !

M. Patrice Gélard. On a évoqué l'impossibilité d'un divorce, envisagé le cas où le Président de la République serait responsable d'un accident corporel. Ne nous leurrons pas : ce sont des hypothèses d'école qui ne se produiront pas. Si jamais ce dernier cas se présentait, faites confiance aux mass media : ils interviendraient immédiatement...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ça oui !

M. Patrice Gélard. ... et obligeraient le Président de la République à agir, à se soumettre ou à se démettre. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Gérard Delfau. C'est extraordinaire !

M. Michel Charasse. On donne à la presse le droit de régler la question ! Ce n'est pas son rôle, elle n'a aucune légitimité !

M. Jean-Luc Mélenchon. C'est la dictature !

M. Michel Charasse. L'abaissement du pouvoir !

M. Patrice Gélard. Il était nécessaire, à partir du moment où nous « constitutionnalisons », dans une certaine mesure, la jurisprudence de la Cour de cassation, de mettre en place une nouvelle procédure, l'ancienne devenant inapplicable. Cette nouvelle procédure exceptionnelle permet de sanctionner les manquements du Président de la République aux devoirs de sa charge qui rendent manifestement impossible l'exercice du mandat présidentiel.

Nous ne sommes plus en face d'une responsabilité pénale du chef de l'État. Pourtant, tout le monde semble réagir comme si c'était encore le cas ! Il s'agit d'une responsabilité politique qui peut être assimilée à celle du Premier ministre lorsqu'il est mis en cause lors du vote d'une motion de censure.

N'oubliez pas que nous sommes passés du septennat au quinquennat,...

M. Patrice Gélard. ...ce qui est tout autre chose ! Le Président de la République va véritablement devenir le chef de l'exécutif, celui qui va agir et diligenter l'action gouvernementale. Il sera évidemment directement visé par les motions de censure successives qui pourront toucher le Premier ministre.

M. Gérard Delfau. Justement !

M. Patrice Gélard. Il s'agissait donc de replacer la responsabilité du chef de l'État non plus dans le domaine de la responsabilité pénale mais dans celui de la responsabilité politique. C'est la raison pour laquelle il n'y a plus de commission d'instruction, comme cela existait avec le système de la Haute Cour de justice ; la quasi-juridiction qu'était la Haute Cour de justice est remplacée par la Haute Cour, c'est-à-dire le Parlement tout entier. L'évolution est considérable !

Mais il y a également une différence avec la motion de censure, qui sanctionne la politique gouvernementale.

Là, il s'agit de sanctionner un comportement manifestement incompatible avec les devoirs de la charge de Président de la République ; c'est d'une nature différente. Cela signifie qu'il y a des attitudes, qu'aucun Président de la République n'a d'ailleurs eues jusqu'à présent.

M. René-Pierre Signé. Qu'est-ce que c'est, alors ?

M. Patrice Gélard. Tous les présidents de la République ont été dans la ligne qu'il fallait respecter pour assurer leur charge. Un jour, peut-être, un Président de la République aura un comportement critiquable, comme celui que l'on peut prêter au président israélien ou à l'ancien président brésilien. Cela n'a jamais été le cas en France. C'est donc le comportement, et non pas la politique, qui sera mis en cause, ce qui est différent. (MM. Bernard Frimat et Jean-Luc Mélenchon s'exclament.)

Dès lors, nous ne sommes plus dans le champ de la haute trahison comme auparavant. Ce sont les comportements, éventuellement de la vie privée, qui pourront être mis en cause par la Haute Cour.

Naturellement, il faut des garde-fous. Le premier d'entre eux, je le rappelle, est permanent : c'est le droit de dissolution du Président de la République, qui peut être une réponse à la menace de mise en jeu de cette responsabilité nouvelle. À ce moment-là, c'est le peuple qui arbitre. Nous sommes donc bien dans la tradition de la Ve République.

L'Assemblée nationale a prévu d'autres garde-fous, avec la majorité qualifiée des deux tiers que nous avons évoquée tout à l'heure. De ce fait, ce dispositif ne devrait jamais être mis en place, sauf en cas de manquements inadmissibles de la part d'un Président de la République en fonction.

Cependant, quelques problèmes subsistent, soulignés notamment par la commission des lois.

La Constitution a prévu que les anciens présidents de la République sont membres à vie du Conseil constitutionnel. Un Président de la République destitué peut-il continuer à y siéger ?

Je ne suis pas le seul à considérer que le statut du Président de la République siégeant au Conseil constitutionnel est une anomalie grave. J'ai d'ailleurs déposé trois propositions de loi sur cette question.

M. Robert Badinter. Je vote pour !

M. Patrice Gélard. Un député a déposé un amendement sur cette question à l'Assemblée nationale. Je ne l'ai pas fait au Sénat pour ne pas mélanger les genres. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Patrice Gélard. Il faudra tout de même traiter un jour cette question. Compte tenu de leur statut, les membres du Conseil constitutionnel doivent s'abstenir de toute action politique ; ils ne peuvent être élus ou prendre la parole sur des questions de politique en public.

Or, il n'est pas normal qu'un ancien Président de la République ne puisse ni s'exprimer ni se présenter à des élections. Ce dernier peut pourtant tout faire, comme l'a montré M. Valéry Giscard d'Estaing : se faire élire député, président de conseil régional, critiquer l'attitude des uns ou des autres sur la Constitution européenne...

Par conséquent, même si ce n'est pas le moment de le faire, il faudra corriger cette anomalie et engager un jour la réflexion sur le statut réel des anciens présidents de la République. La coutume veut que les anciens présidents bénéficient d'un certain nombre d'avantages ; cela ne figure pas dans la loi.

M. Michel Charasse. C'est dans une instruction relative au Président de la République !

M. Patrice Gélard. Le statut de membre du Conseil constitutionnel, de membre du Conseil constitutionnel à mi-temps, de membre du Conseil constitutionnel en vacance, etc. n'est pas normal non plus. Il faudra donc que cette question soit réglée un jour.

Mais la révision constitutionnelle dont nous discutons aujourd'hui concerne autre chose : la réforme de la haute trahison, de la Haute Cour de justice : ne mélangeons donc pas les genres ! Mais j'espère que, dans un avenir pas trop lointain, nous examinerons cette question du statut des anciens présidents de la République. Selon moi, la place normale d'un ancien président de la République est parmi nous !

M. René-Pierre Signé. Comme en Italie !

M. Jean-Luc Mélenchon. Comme au Chili !

M. Patrice Gélard. Mais je ferme là la parenthèse !

En outre, un Président destitué n'est pas un Président condamné. Il reste un citoyen à part entière. Évidemment, il pourra ensuite être traduit devant une juridiction pénale, mais il n'y a aucune raison de lui appliquer la même sanction que s'il était condamné par la Cour internationale de justice ou par un tribunal de droit commun. C'est un comportement inadmissible dans l'exercice du mandat de Président de la République qui est mis en cause. Il importe donc d'abandonner l'idée que nous sommes face à une action pénale.

Je conclurai comme le président de la commission des lois, rapporteur pour l'occasion : le projet de loi constitutionnel, modifié par l'Assemblée nationale, est tout à fait correct. Il convient donc de l'adopter conforme ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.

M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de réforme constitutionnelle concernant le statut pénal du chef de l'État, proposé par le Président de la République, confirme les engagements de ce dernier.

Si ce texte arrive bien tard, je ne saurais, pour ma part, m'associer aux critiques qui contestent son examen à la fin de la mandature. Si l'on peut regretter ce dépôt tardif, cette considération n'est cependant pas essentielle. Il fallait mettre un terme à l'ambiguïté actuelle et accepter que le chef de l'État ait décidé de présenter le texte au Parlement.

On connaît la situation, et je ne m'y attarderai pas.

Notre loi fondamentale a réitéré une tradition républicaine bien établie depuis les lois constitutionnelles de 1975 - je dois d'ailleurs dire que les constituants de la Ve République n'ont pas fait, sur ce point, preuve d'une grande originalité -...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est le moins que l'on puisse dire !

M. Nicolas Alfonsi. ...qui affirme l'irresponsabilité du Président de la République, lequel n'est passible que des actes de haute trahison devant la Haute Cour de justice.

L'article 67 - le rapport de Jean-Jacques Hyest est sur ce point d'une grande clarté - fait bien apparaître toute l'ambiguïté du texte constitutionnel dans la mesure où deux interprétations pouvaient être données selon que l'on adopte une lecture « à la suite » ou « séparée » de ses dispositions.

Dans la première hypothèse, c'est seulement en cas de haute trahison que le Président de la République est passible de la Haute Cour de justice, la responsabilité civile et pénale des actes « détachables » de sa fonction relevant, bien entendu, du droit commun.

Dans la lecture « séparée », le principe du privilège de juridiction est affirmé, la Haute Cour de justice étant la seule juridiction devant laquelle le Président peut comparaître, même pour un délit de chasse, selon l'exemple de Barthélémy et de Duez, dans l'hypothèse où il serait poursuivi pour cet acte.

Cette ambiguïté n'a pas été levée par la décision du Conseil constitutionnel de 1999 ni par l'arrêt de la Cour de cassation de 2001, puisqu'il est résulté de ces décisions deux interprétations contradictoires auxquelles il fallait mettre un terme.

Rappelons que si ces interprétations concordent pour reconnaître l'irresponsabilité du chef de l'État sauf en cas de haute trahison, le Conseil constitutionnel, dans une interprétation « séparée », a affirmé un privilège général de juridiction au bénéfice du chef de l'État.

Or la Cour de cassation a refusé ce privilège de juridiction, mais a jugé que, si le Président pouvait être poursuivi pour des actes « détachables » de sa fonction devant les juridictions de droit commun, il bénéficiait durant son mandat de l'immunité, rendant temporairement impossible l'action publique.

Ainsi, mes chers collègues, la « cause » de la réforme qui nous est proposée aujourd'hui réside dans la nécessité de ne pas laisser perdurer une situation constitutionnelle incertaine.

Il appartient au constituant de lever cette ambiguïté en choisissant l'interprétation donnée par la Cour de cassation et en l'élargissant. Notre collègue Patrice Gélard soulignait le caractère pseudo-constituant de la Cour de cassation. Je constate que le projet de loi constitutionnelle reprend l'interprétation de cette dernière plutôt que celle du Conseil constitutionnel. Le texte a d'ailleurs été amélioré par l'Assemblée nationale.

Soucieux de clarification constitutionnelle, le projet de loi réaffirme le principe de l'irresponsabilité du Président, supprime la notion de haute trahison, affirme la notion d'inviolabilité durant l'exercice du mandat présidentiel, rendant impossible toute poursuite de quelque nature qu'elle soit, et suspend dans cette hypothèse la prescription afin de ne pas léser les intérêts des tiers. Mais surtout, le projet édicte deux réserves à cette irresponsabilité : la première réaffirme celle qui est prévue par la Cour pénale internationale, la seconde - et c'est la disposition essentielle du texte - évoque la possibilité d'une destitution

Il est heureux que soit supprimée l'hypothèse de « haute trahison ». Le rapport Avril a bien insisté sur le caractère ou trop étroit ou trop large de cette dernière. On connaît les efforts des constitutionnalistes pour énumérer les hypothèses de haute trahison : ils sont demeurés vains ; trahison au profit d'une puissance étrangère et intelligence avec l'ennemi, abstention d'un acte auquel le Président est tenu, usage abusif de l'article 16, accaparement d'un pouvoir qu'il ne tient pas de la Constitution., tout conduit à l'impossibilité de rédiger une liste exhaustive d'un tel concept !

En substituant à la haute trahison un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat », le texte évoque essentiellement une situation politique. Les hypothèses que je viens d'évoquer, sans être exhaustives, y prennent toute leur place.

Comment doit-on apprécier ce manquement aux devoirs de la charge ?

Selon nous, il s'agit d'un comportement, d'une action, d'une omission ressentis par l'ensemble de la communauté nationale dans son subconscient collectif comme une attitude politique ou privée si anormale qu'elle pourrait s'étonner qu'un Président de la République puisse continuer son activité après de tels manquements.

Si cette notion recouvre tous les comportements de caractère politique, pénal ou civil, la destitution doit aller de soi pour l'opinion publique.

Le dispositif prévu, dont la mise en oeuvre a été améliorée par la substitution d'une majorité des deux tiers à une majorité absolue afin d'éviter tout comportement partisan, recueille notre approbation. Toutefois, trois objections pourraient être soulevées concernant l'interdiction de toute action civile, l'exercice du droit de dissolution et la présence au Conseil Constitutionnel du Président de la République après sa destitution.

Tout d'abord, à partir du moment où le texte s'efforce de clarifier le statut du Président de la République, autant veiller à ce qu'il n'existe plus aucune ambiguïté et que sa protection soit désormais totale à l'égard de toute action pénale ou civile concernant des actes détachables de sa fonction. Quand on connaît la médiatisation actuelle, toute protection serait vaine si on allait offrir à des tiers la possibilité d'un acharnement procédural à son égard.

Les inconvénients qui pourraient résulter pour le crédit et l'image du Président ne sauraient être comparés à ceux, si importants soient-ils, que connaîtrait un tiers ayant été momentanément privé d'un droit. Il y a là un prix à payer pour garantir notre stabilité institutionnelle !

Ensuite, en rétablissant le droit de dissolution qui avait été supprimé par le projet gouvernemental, l'Assemblée nationale a fait preuve de sagesse.

La présomption d'innocence, la prise à témoin éventuelle de l'opinion par l'exercice de ce droit, le raccourcissement du délai à un mois entre la mise en accusation et le jugement par la Haute Cour sont autant de raisons justifiant la possibilité pour le Président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale dès le lendemain de sa mise en accusation.

Il serait illusoire d'imaginer qu'un Président, après sa mise en accusation, demeure inactif et que la destitution puisse intervenir un mois après. En réalité, tout incline à penser que c'est l'opinion publique, après la dissolution éventuelle et sauf dans l'hypothèse extrême où un Président serait devenu incapable de prendre une décision, qui sera l'arbitre d'une telle situation.

Enfin, demeure la difficulté la plus importante : on peut regretter que l'Assemblée nationale n'ait pas introduit l'impossibilité pour le Président de la République de siéger au Conseil constitutionnel après sa destitution. En effet, il serait paradoxal que le Président, s'il venait à être destitué, puisse censurer, de par sa présence au Conseil constitutionnel, des lois votées par ses juges.

Nous sommes tous conscients de cette difficulté. N'eût été l'urgence qui nous est imposée, et que nous déplorons, le texte aurait pu être amélioré sur ce point. On pourrait toutefois imaginer une solution, celle d'une pratique prétorienne que le Conseil constitutionnel a déjà connue par une ferme invitation à la mise en congé du Président destitué.

Imparfait, mais utile, ce texte améliore notre loi fondamentale. Il ne peut cependant prévoir toutes les situations qui iraient d'un manquement consistant à « grimper aux arbres de l'Élysée » jusqu'à l'usage abusif de l'article 16. Sur ce point, le spectre des hypothèses est inépuisable.

Soucieux de mettre un terme à cette ambiguïté constitutionnelle et prenant acte du consensus très large qui s'est dégagé à l'Assemblée nationale, la majorité du groupe du Rassemblement démocratique et social européen votera le projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. Mes chers collègues, compte tenu de l'heure et de la durée prévisionnelle du texte dont nous sommes en train de discuter, il paraît difficile de reprendre ce soir l'examen du projet de loi tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale. Mieux vaudrait donc, pour une bonne organisation de nos travaux, prévoir dès à présent que la suite de ce projet de loi sera examinée demain matin, après le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.

Quel est l'avis de la commission des lois sur ce point ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Il serait effectivement raisonnable de reporter l'examen du projet de loi tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale, d'autant qu'il est impératif que nous terminions nos travaux à minuit et demi au plus tard.

En commission, le débat sur le statut pénal du chef de l'État a été très riche, et je pense donc que, lorsque nous aurons terminé l'examen de ce texte, notre journée aura été bien remplie.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Le Gouvernement est à la disposition du Sénat. (Sourires.)

M. le président. Il n'y a pas d'opposition ? ...

Il en est ainsi décidé.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Roland du Luart.)

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution
Discussion générale (suite)

9

CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS

M. le président. La conférence des présidents a établi comme suit l'ordre du jour des prochaines séances du Sénat :

Jeudi 8 février 2007 :

À 9 heures 30 :

1° Dépôt par M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, du rapport annuel de la Cour des comptes ;

Ordre du jour prioritaire

2° Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale (n° 133, 2006-2007) ;

À 15 heures et le soir :

3° Questions d'actualité au Gouvernement ;

(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures) ;

Ordre du jour prioritaire

4° Suite de l'ordre du jour du matin.

Lundi 12 février 2007 :

Ordre du jour prioritaire

À 15 heures et le soir :

- Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, réformant la protection de l'enfance (n° 154, 2006-2007) ;

(La conférence des présidents a fixé à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

Les délais limites pour les inscriptions de parole et le dépôt d'amendements sont expirés) ;

Mardi 13 février 2007 :

Ordre du jour réservé

À 10 heures :

1° Question orale avec débat (n° 28) de M. Jean-Paul Emorine à M. le ministre délégué à l'aménagement du territoire sur les pôles de compétitivité et pôles d'excellence rurale ;

(La conférence des présidents a fixé à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 12 février 2007) ;

2° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux modalités de dissolution de la mutuelle dénommée Société nationale « Les Médaillés militaires » (n° 184, 2006-2007) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au lundi 12 février 2007, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 12 février 2007) ;

À 16 heures et le soir :

3° Éventuellement, suite de l'ordre du jour du matin ;

4° Proposition de loi tendant à modifier certaines dispositions relatives au fonctionnement de la collectivité territoriale de Corse, présentée par M. Nicolas Alfonsi (n° 156, 2006 2007) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au lundi 12 février 2007, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 12 février 2007) ;

5° Proposition de loi visant à organiser le recours aux stages, présentée par M. Jean Pierre Godefroy et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 364, 2005-2006) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au lundi 12 février 2007, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à une heure trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 12 février 2007) ;

6° Conclusions de la commission des Affaires culturelles (n° 211, 2006-2007) sur la proposition de loi relative à la création de l'établissement public CulturesFrance, présentée par M. Louis Duvernois (n° 126, 2006-2007) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au lundi 12 février 2007, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 12 février 2007) ;

Mercredi 14 février 2007

À 11 heures 30 :

Ordre du jour prioritaire

1° Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament (n° 197, 2006-2007) ;

(Pour les quatre projets de loi suivants, la conférence des présidents a décidé de recourir à la procédure simplifiée selon les modalités approuvées lors de la réunion du 31 mai 2006.

Selon cette procédure simplifiée, le projet de loi est directement mis aux voix par le président de séance. Toutefois, un groupe politique peut demander, au plus tard le lundi 12 février 2007 à 17 heures que le projet de loi soit débattu en séance selon la procédure habituelle) ;

2° Projet de loi autorisant la ratification de l'accord de dialogue politique et de coopération entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la Communauté andine et ses pays membres (Bolivie, Colombie, Équateur, Pérou et Venezuela) (n° 72, 2006-2007) ;

3° Projet de loi autorisant la ratification de l'accord de dialogue politique et de coopération entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et les Républiques du Costa Rica, d'El Salvador, du Guatemala, du Honduras, du Nicaragua et du Panama (n° 73, 2006-2007) ;

4° Projet de loi autorisant l'approbation du protocole visant à modifier la convention relative à l'Organisation hydrographique internationale (n° 71, 2006-2007) ;

5° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord de sécurité sociale entre le gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Corée (n° 143, 2006-2007) ;

À 15 heures et le soir :

6° Désignation d'un membre de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne en remplacement de M. André Dulait ;

(Les candidatures devront être remises au service de la séance au plus tard le mardi 13 février 2007, à 17 heures) ;

Ordre du jour prioritaire

7° Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions intéressant la Banque de France (n° 169, 2006-2007) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au mardi 13 février 2007, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 13 février 2007) ;

8° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme de la protection juridique des majeurs (n° 172, 2006-2007) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au lundi 12 février 2007, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 13 février 2007) ;

Jeudi 15 février 2007

À 9 heures 30 :

Ordre du jour prioritaire

1° Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme de la protection juridique des majeurs ;

À 15 heures et le soir :

2° Communication de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, sur son rapport annuel, en application de la loi n° 2000-23 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration ;

Ordre du jour prioritaire

3° Suite de l'ordre du jour du matin.

Mardi 20 février 2007

À 10 heures :

1° Dix-huit questions orales :

L'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement.

- n° 1197 de M. Gérard Delfau à M. le ministre de la santé et des solidarités ;

(Formation universitaire au métier de sage-femme) ;

- n° 1205 de M. Yves Détraigne à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

(Zonage recherche et développement du pôle de compétitivité industries et agro-ressources de Champagne-Ardenne et Picardie) ;

- n° 1206 de M. Robert Hue transmise à M. le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ;

(Conséquences de la sécheresse de 2003) ;

- n° 1207 de M. Philippe Leroy à M. le ministre délégué à l'industrie ;

(Gestion de l'après-mines) ;

- n° 1225 de M. Xavier Pintat à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;

(Conservation du phare de Cordouan) ;

- n° 1228 de M. François Marc à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

(Budget de l'université de Bretagne Occidentale pour 2007) ;

- n° 1230 de M. Jean-François Le Grand à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

(Conciliation d'une profession d'enseignant avec une fonction élective) ;

- n° 1232 de M. Robert Del Picchia à M. le ministre des affaires étrangères ;

(Arrêt de la diffusion du journal de France 2 aux États-Unis) ;

- n° 1233 de M. Christian Gaudin à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ;

(Financement des contrats enfance dans le Maine-et-Loire) ;

- n° 1236 de M. Michel Doublet à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche ;

(Relations entre l'Office national des forêts et le syndicat des eaux de la Charente-Maritime) ;

- n° 1237 de M. Michel Billout à M. le ministre délégué à l'industrie ;

(Conditions de dérogation pour les prestataires du service postal universel) ;

- n° 1238 de M. Thierry Repentin à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable ;

(Élaboration du plan de prévention des risques d'inondation en Combe de Savoie) ;

- n° 1243 de M. Jean-Pierre Sueur à M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;

(Projet de train à grande vitesse Paris-Orléans-Limoges-Toulouse) ;

- n° 1246 de M. Jean-Marie Vanlerenberghe à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire ;

(Conditions de retour à l'autonomie d'une commune associée) ;

- n° 1247 de M. Philippe Madrelle à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ;

(Financement des maisons départementales des personnes handicapées) ;

- n° 1248 de Mme Nicole Bricq à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

(Situation de l'emploi chez Nestlé France) ;

- n° 1249 de M. Claude Domeizel à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales ;

(Augmentation croissante pour les communes du nombre et du coût des analyses de l'eau potable) ;

- n° 1250 de M. Serge Dassault à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales ;

(Calcul de la dotation globale de fonctionnement : prise en compte de l'accroissement de la population) ;

À 16 heures et le soir :

2°) Éloge funèbre de Marcel Lesbros ;

Ordre du jour prioritaire

3° Question orale avec débat (n° 27) de M. Gérard Cornu relative à l'application de la loi en faveur des petites et moyennes entreprises ;

(En application des premier et deuxième alinéas de l'article 82 du règlement, la conférence des présidents a fixé à deux heures la durée globale du temps dont disposeront dans le débat les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le lundi 19 février 2007) ;

4° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant modifications du code de justice militaire et du code de la défense (n° 219, 2006-2007) ;

(La conférence des présidents a fixé au lundi 19 février 2007, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte) ;

5° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant les articles 414-8 et 414-9 du code pénal (n° 218, 2006-2007) ;

(La conférence des présidents a fixé au lundi 19 février 2007, à 16 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte) ;

Mercredi 21 février 2007

À 11 heures 45 :

Dans l'hémicycle du Sénat, cérémonie de dévoilement d'une plaque commémorative à l'effigie du Président Edgar Faure ;

À 15 heures et, éventuellement, le soir :

Ordre du jour prioritaire

1° Question orale avec débat (n° 26 rect.) de M. Jean-Paul Virapoullé à Mme la ministre déléguée au commerce extérieur, relative à la création d'un Observatoire des pratiques du commerce international et de la mondialisation ;

(La conférence des présidents a fixé à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 20 février 2007) ;

2° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la Commission nationale consultative des droits de l'homme (n° 221, 2006-2007) ;

(La conférence des présidents a fixé :

- au mardi 20 février 2007, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce texte ;

- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe ;

Les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 20 février 2007) ;

(Pour les deux projets de loi suivants, la conférence des présidents a décidé de recourir à la procédure simplifiée selon les modalités approuvées lors de la réunion du 31 mai 2006.

Selon cette procédure simplifiée, le projet de loi est directement mis aux voix par le président de séance. Toutefois, un groupe politique peut demander, au plus tard le lundi 19 février 2007 à 17 heures, que le projet de loi soit débattu en séance selon la procédure habituelle) ;

3° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg portant rectification de la frontière franco-luxembourgeoise suite, d'une part, à la convention-cadre instituant la coopération relative au développement transfrontalier liée au projet Esch Belval et, d'autre part à la convention relative à la réalisation d'infrastructures liées au site de Belval-Ouest (n° 198, 2006-2007) ;

4° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation du protocole à la convention de 1979 sur la pollution atmosphérique transfrontalière à longue distance relatif à la réduction de l'acidification, de l'eutrophisation et de l'ozone troposphérique (ensemble neuf annexes) (n° 199, 2006-2007) ;

5° Projet de loi autorisant la ratification du traité entre le Royaume de Belgique, la République Fédérale d'Allemagne, le Royaume d'Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et la République d'Autriche, relatif à l'approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale (n° 150, 2006 2007).

Jeudi 22 février 2007

À 9 heures 30 :

Ordre du jour prioritaire

1° Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur ;

À 15 heures et le soir :

2° Questions d'actualité au Gouvernement ;

(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures) ;

Ordre du jour prioritaire

3° Sous réserve de leur dépôt, conclusions des commissions mixtes paritaires sur les :

- Projet de loi relatif à la prévention de la délinquance ;

- Projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats ;

- Projet de loi tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale ;

- Projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs ;

- Projet de loi instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale ;

Éventuellement, vendredi 23 février 2007

À 9 heures 30 et à 15 heures :

Ordre du jour prioritaire

- Navettes diverses.

Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...

Ces propositions sont adoptées.

Par ailleurs, la conférence des présidents a décidé de ne pas inscrire à l'ordre du jour du Sénat la proposition de résolution de la commission des affaires économiques sur l'achèvement du marché intérieur des services postaux de la Communauté.

En conséquence, la proposition de résolution de la commission devient la résolution du Sénat.

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NOMINATION DE MEMBRES D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats.

La liste des candidats établie par la commission des lois a été affichée conformément à l'article 12 du règlement.

Je n'ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :

Titulaires : MM. Jean-Jacques Hyest, François Zocchetto, Patrice Gélard, Laurent Béteille, Christian Cointat, Robert Badinter, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Suppléants : MM. Christian Cambon, Pierre Fauchon, Jean-René Lecerf, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Hugues Portelli, Richard Yung.

11

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution
Discussion générale (suite)

Modification du titre IX de la Constitution

Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, portant modification du titre IX de la Constitution (nos 162, 194).

Huit intervenants doivent encore intervenir dans la discussion générale, pour une durée totale d'une heure et vingt minutes.

Je veillerai scrupuleusement au respect des temps de parole des groupes, car nous devons impérativement terminer nos travaux à zéro heure vingt-cinq au plus tard.

M. Bernard Frimat. Nous n'y arriverons pas !

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, je tiens à faire remarquer que discuter d'un tel sujet en séance de nuit laisse présager un débat d'une haute tenue !

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « La justice doit passer librement en disposant des moyens nécessaires à son efficacité ». M. Jacques Chirac posait ce principe dans son livre La France pour tous, publié lors de la campagne électorale de 1995, dans lequel il évoquait ses conceptions de l'État républicain.

Pourquoi avoir attendu douze ans et l'extrême limite de son long mandat présidentiel pour proposer une évolution du régime de responsabilité de chef de l'État ? Pourquoi avoir laissé passer quatre années depuis la publication le 12 décembre 2002 du rapport de la commission présidée par M. Avril et constituée pour l'élaboration de ce nouveau statut ?

Cette précipitation tardive, alors que la campagne pour les prochaines élections présidentielles bat semble-t-il son plein, nuit au sérieux du débat parlementaire.

Elle écarte, de toute évidence, toute réforme plus large, qui pourrait encadrer, selon moi, l'évolution du statut du Président de la République.

Pis, vous demandez que, pour cause de délai, aucun amendement ne soit adopté, empêchant ainsi toute discussion. Voilà où nous en sommes !

Je dirai quelques mots sur la fonction du chef de l'État. En effet, le débat aujourd'hui a souvent été présenté comme un simple débat sur la responsabilité pénale du chef de l'État. Or il s'agit, à mon sens, d'un débat beaucoup plus vaste.

Au travers de la responsabilité ou de l'irresponsabilité pénale du chef de l'État, c'est la nature du régime dans lequel nous vivons qui est en cause. Depuis des décennies, des polémiques opposent les professeurs de droit constitutionnel au sujet de l'influence du régime de responsabilité sur la puissance réelle du Président de la République.

Le rappel par M. Hyest, président de la commission des lois et rapporteur sur ce texte, des origines du principe de la protection du chef de l'État est intéressant à ce titre.

En effet, notre éminent collègue nous rappelle que c'est la Constitution du 3 septembre 1791 qui a posé le principe de l'irresponsabilité. Comme chacun le sait, aux termes de l'article 2 de la section 1 du chapitre II du titre III du texte, « la personne du Roi est inviolable et sacrée ».

Ainsi, comme l'indiquait M. Olivier Beaud, professeur à l'université Paris II, « dans les lois constitutionnelles le Président de la République a chaussé les bottes du Roi constitutionnel ».

En vérité, il est nécessaire de démocratiser en profondeur nos institutions.

Chacun y va, durant ces semaines préélectorales, de son couplet sur la nécessité de réconcilier nos concitoyens et la représentation politique. Mais qui va réellement s'engager pour une nouvelle République, en rupture avec une Ve République qui a décidément fait son temps ? Où en sommes-nous aujourd'hui ?

Un exécutif surpuissant, un parlement dévalorisé, une politique européenne incontrôlée et le sentiment de plus en plus fort que, décidément, la politique se fait plus à la corbeille de la Bourse - même si les réseaux Internet ont supplanté cet antre financier - qu'au Parlement, au conseil des ministres ou au sein des institutions décentralisées.

Alors que le peuple aspire à participer aux décisions, on « présidentialise » progressivement notre système politique.

Aux manifestations de 1995, il a été répondu « quinquennat » et « inversion du calendrier », accentuant ainsi considérablement la soumission du scrutin législatif au scrutin présidentiel !

La toute-puissance du chef d'État est telle que ce dernier peut se permettre de ne pas tenir compte du choix de la majorité des Français qui se sont prononcés par référendum le 29 mai 2005 en refusant le traité constitutionnel, lequel inscrivait dans le marbre une conception libérale de l'Europe.

Le Président de la République n'en a cure ; il ne porte pas la parole populaire au sein des instances européennes.

Il est urgent, pour nous, de prendre à contre-pied cette évolution institutionnelle qui risque d'élargir progressivement le fossé entre les citoyens et la représentation politique.

Comment ne pas souligner la réduction du rôle des assemblées à celui de chambres d'enregistrement, chargées de valider les décisions de l'exécutif ?

La boulimie législative de ces cinq dernières années, portée à la caricature lors des ultimes semaines de ce quinquennat, montre bien que le Parlement est non plus un lieu de débat ou d'élaboration de la loi, mais une instance de validation des décisions du conseil des ministres, présidé par le chef de l'État.

La présidentialisation du régime pousse à la bipolarisation. Le choix d'un homme ou d'une femme providentiel prend le pas sur le choix politique. La « peopolisation » - le terme est devenu, hélas ! approprié - de la vie politique entérine l'idée d'une « monarchisation » progressive de nos institutions. Mais c'est une « monarchisation » au seul profit des vrais décideurs : les décideurs économiques, grands bénéficiaires de l'appauvrissement démocratique !

Ce vaste débat institutionnel, nous ne l'avons pas eu durant ces cinq années. À quelques semaines de l'élection présidentielle, la seule question qui nous est posée est celle de la responsabilité du chef de l'État. Or nos concitoyens expriment surtout leur souhait de participer davantage aux décisions, de voir rétablie la souveraineté populaire et leurs élus agir dans la transparence et la concertation.

Oui, il faut parler de la responsabilité du chef de l'État dans l'exercice de ses fonctions, et de sa responsabilité civile et pénale. Mais nous souhaiterions, pour notre part, débattre aussi de ses pouvoirs.

Les parlementaires du groupe CRC, leur parti, leur candidate, sont résolument partisans d'une réduction des pouvoirs du Président de la République, du rétablissement de la primauté du Parlement et d'un Premier ministre chef de l'exécutif et responsable devant le Parlement.

Aujourd'hui, vous nous proposez une réforme, très modeste, de l'article 67. Encore faut-il qu'il ne s'agisse pas d'un petit arrangement entre amis qui, si l'on y regarde bien, pose beaucoup de problèmes.

L'objectif annoncé est une clarification du régime de la responsabilité du chef de l'État. Or nous avons, hélas ! l'impression que la réforme proposée imbrique en définitive davantage encore responsabilité politique et responsabilité civile ou pénale. En tout état de cause, elle ne répond en rien à la nécessaire évolution d'un Président monarque vers un Président citoyen.

Pour les sénateurs du groupe CRC, il est clair que la protection de la fonction est intangible ; mais, en dehors des actes commis par le Président dans le cadre de ses fonctions, et ce à tout moment, un seul principe doit prévaloir : le Président est un citoyen. Il est donc redevable de ses actes devant les tribunaux de droit commun, y compris au cours de son mandat.

Cette attitude n'a rien d'irresponsable ou de provocatrice. Elle ne constitue pas non plus une innovation ; bien au contraire, toutes les études montrent que le point de vue doctrinal dominant jusqu'à ces dernières années prônait une responsabilité du Président pour les infractions de droit commun.

Ainsi, Léon Duguit indiquait, dès 1924, en évoquant l'article 6 de la Constitution de 1875 : « Le Président n'est responsable que dans le cas de haute trahison ». Il ajoutait : « On s'est demandé quelquefois si cette formule excluait la responsabilité du Président pour les infractions de droit commun. Évidemment non. Dans un pays de démocratie et d'égalité comme le nôtre, il n'y a pas un citoyen, quel qu'il soit, qui puisse être soustrait à l'application de la loi, échapper à la responsabilité pénale. »

Jean Foyer lui-même, l'un des rédacteurs de l'article 68 de la Constitution dont nous débattons, écrivait ceci, en mars 1999 : « En tant que personne privée, le Président de la République ne bénéficie d'aucune immunité ni d'aucun privilège de juridiction. Il est pénalement et civilement responsable, comme tout citoyen, des actes commis avant le début de ses fonctions. L'affirmation paraît être remise en question par certains de nos jours, elle est pourtant juridiquement indiscutable ».

Les « certains » qu'évoque M. Foyer sont les membres du Conseil constitutionnel qui, le 22 janvier 1999, ont sacralisé la fonction présidentielle, en établissant pour le chef de l'État un privilège de juridiction générale durant son mandat. Sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de justice.

Deux ans plus tard, la Cour de cassation s'opposait en apparence à cette jurisprudence, en rappelant la compétence des tribunaux de droit commun. Mais les deux vénérables institutions se mettaient d'accord sur un point non négligeable : l'inviolabilité temporaire de la fonction présidentielle. Ainsi, durant cinq ans, qui peuvent facilement se transformer en dix ans, le chef de l'État ne peut être déféré devant aucune juridiction, à moins, bien entendu, d'être destitué.

Le projet de loi constitutionnelle est donc limpide, après décryptage : le Président de la République sera irresponsable ad vitam aeternam des actes commis en qualité de chef de l'État. Pour le reste, il faudra attendre la fin du mandat. Il y a un grand progrès : les prescriptions et forclusions sont suspendues ! N'est-ce pas la moindre des choses dans un cadre aussi favorable à la fonction présidentielle ?

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cinq ans, n'est-ce pas bien long pour préserver des preuves ? N'est-ce pas bien long pour permettre aux témoins de conserver la mémoire des faits ?

Cette inviolabilité concerne tant le pénal que le civil et l'administratif. Ainsi, le Président ne serait pas immédiatement responsable dans le cadre d'une procédure de divorce, d'un accident de la circulation ou d'une fraude fiscale - et je n'ose pas imaginer pire...Nous abordons là, me semble-t-il, un aspect dangereux aujourd'hui mal maîtrisé et porteur d'effets pervers.

Le seul recours dans le cadre d'une situation manifestement inacceptable sur le plan juridique, mais aussi sur le plan politique puisqu'il s'agit de l'autorité de la France, serait, en effet, la mise en oeuvre de la procédure de destitution prévue dans le projet de loi constitutionnelle.

Alors que l'objectif affiché est celui d'une séparation nette entre le juridique et le politique, symbolisée par l'abandon de la référence à la haute trahison et d'une conception ancienne de la Haute Cour, composée de juges, nous assisterons fatalement à une politisation de la moindre affaire judiciaire, puisque seul le Parlement pourra engager une mise en oeuvre de la responsabilité du Président et que seul le Parlement, réuni en Haute Cour, pourra le destituer.

La référence contenue dans le nouvel article 68 au « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » laisse la porte grande ouverte à cette évolution.

Le souhait du Sénat est-il vraiment de créer une procédure d' « empêchement » à l'américaine ? Pourtant, l'Assemblée nationale avait, me semble-t-il, montré la voie, plus conforme à notre conception de la séparation entre fonctions et vie privée, en 2001.

Pour préserver le chef de l'État d'un mélange des genres, le projet de l'époque opérait une clarification en prévoyant que les tribunaux de droit commun étaient compétents pour les actes commis par le Président de la République comme citoyen ordinaire et pendant l'exercice de son mandat. Le Président n'était pas destitué durant la procédure.

Avec le système qui nous est proposé aujourd'hui, la destitution politique est le préalable nécessaire à toute procédure judiciaire durant l'exercice du mandat. Cette démarche s'inscrit donc de manière maladroite dans le cadre d'une présidentialisation du régime, de sa médiatisation et de sa personnalisation.

Certains affirmeront qu'il s'agit d'un renforcement du pouvoir du Parlement. C'est oublier bien vite que la majorité des députés est élue dans la foulée de l'élection présidentielle et soumise à l'exécutif. Mais il est vrai que le Sénat trouve une nouvelle fois ses pouvoirs renforcés. Notre assemblée, qui, rappelons-le, est élue sur la base d'un scrutin indirect, pourra prendre l'initiative, alors que l'Assemblée nationale ne le ferait pas, de destituer un Président élu au suffrage universel. Il est évident que cela ne se fera qu'à l'égard d'un Président de gauche.

À l'issue des débats à l'Assemblée nationale, la majorité a été portée aux deux tiers. Mais peut-on imaginer le statut d'un Président maintenu, alors que plus de 60 % des parlementaires auraient voté sa destitution ?

Vous l'aurez compris, les sénateurs du groupe CRC ne sont pas favorables - et c'est le moins que l'on puisse dire ! - à ce texte, révision constitutionnelle circonstancielle qui ne répond en rien tant aux exigences d'une profonde réforme de nos institutions qu'à une clarification du statut du chef de l'État.

Nous voterons donc contre ce texte. Nous ne participerons pas à l'illusion de démocratisation de la fonction que pourrait donner le vote de ce projet de loi constitutionnelle, l'illusion que tous les citoyens sont égaux devant la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, préciser le statut pénal du chef de l'État est-il d'une telle nécessité qu'il faille, à toutes fins, l'inclure dans la prochaine révision constitutionnelle ? Bien évidemment non !

Cette question a été au coeur d'une brûlante actualité politico-médiatique, à la fin des années quatre-vingt-dix, à la suite des péripéties judiciaires suscitées par les affaires concernant la Mairie de Paris et le financement du RPR. Mais la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, puis l'arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2001 ont, depuis, précisé le cadre de la mise en cause, sur le plan pénal, du Président de la République, tant pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions que pour ceux qui auraient été effectués antérieurement.

Monsieur le garde des sceaux, si le projet de modification constitutionnelle s'en était tenu à la simple transcription de l'arrêt de la Cour de cassation, il aurait sans nul doute recueilli un très large assentiment de la Haute Assemblée. De la même manière, le remplacement du concept flou et à connotation trop militaire de « haute trahison » par celui, qui n'est guère plus précis, de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » n'aurait pas rencontré de difficultés.

Le Congrès aurait ainsi confirmé que le Président de la République, chargé d'assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l'État, n'est pas un justiciable ordinaire tant que, par sa fonction, il n'est pas un citoyen ordinaire. (M. le rapporteur acquiesce.) Une fois son mandat achevé, la protection dont il bénéficie temporairement sur le plan pénal disparaît et l'ancien Président, redevenu simple citoyen, répond, comme tout citoyen, de ses actes devant la justice.

Mais le projet de loi dont nous débattons ce soir ne se limite pas, tant s'en faut, à l'octroi au Président d'une immunité telle qu'elle est définie par la Cour de cassation. La rédaction nouvelle de l'article 67 pose un principe d'inviolabilité de portée générale pour tous les actes accomplis pendant ou avant son mandat par le Président.

Le cours de la justice pénale, mais aussi civile et administrative, est suspendu à l'égard de la personne du Président pour la durée de ses fonctions.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. En raison de ses fonctions !

M. Bernard Frimat. Pendant cette période, il est au-dessus de la loi, quand bien même il serait hors la loi.

Les sénateurs du groupe socialiste ne peuvent donner leur accord à cette inviolabilité. Il leur paraît bien sûr indispensable, au nom de l'intérêt général, que la fonction présidentielle soit protégée et qu'en conséquence, selon les termes mêmes de l'arrêt de la Cour de cassation, le Président ne puisse « pendant la durée de son mandat, être entendu comme témoin assisté, ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun ; qu'il n'est pas davantage soumis à l'obligation de comparaître en tant que témoin ».

En revanche, étendre cette immunité en soustrayant le Président à toute action civile ou administrative relative aux événements de la vie ordinaire de tout citoyen et donc totalement étrangers à son mandat nous semble inacceptable.

Si le texte est adopté conforme par le Sénat, il peut demain donner naissance à des situations invraisemblables qui priveraient de manière choquante, pour une période de cinq ou dix ans, et peut-être davantage, des citoyens du droit de réclamer à la justice le respect des droits les plus élémentaires concernant leur personne ou leurs biens du simple fait que le Président serait concerné.

Nous proposerons donc un amendement pour revenir stricto sensu à la position de la Cour de cassation.

Le nouvel article 68 proposé introduit dans notre vie politique une procédure qui n'est pas dans notre culture, en créant un mécanisme de destitution du Président par le Parlement.

Destituer un homme ou une femme dont la légitimité découle de l'élection au suffrage universel direct par le peuple souverain est un acte d'une telle gravité qu'on en imagine facilement le caractère exceptionnel. Cet acte doit échapper, si toutefois c'est possible, à toute manoeuvre politicienne. En ce sens, l'obligation de réunir une majorité des deux tiers des membres tant pour la proposition de réunion de la Haute Cour que pour la destitution elle-même apporte des garanties que ni le rapport de la commission Avril ni le projet de loi initial ne comportaient. Nous en prenons acte positivement.

Lors de leur audition par la commission des lois, les membres de la commission Avril ont affirmé, sans aucune ambiguïté, que la procédure de destitution n'avait à leurs yeux aucune dimension judiciaire et qu'elle relevait uniquement du champ politique, qu'elle était une mise en jeu de la responsabilité politique du Président et qu'elle constituait à ce titre un moyen de censure de l'exécutif.

L'Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct, dispose seule de ce pouvoir de censure vis-à-vis du Premier ministre et de son gouvernement, dont les membres sont nommés par le Président. En contrepartie de cette spécificité, l'Assemblée nationale peut seule se voir frappée par une décision de dissolution.

Le projet de loi constitutionnelle modifie cet équilibre initial de la Constitution sur deux points fondamentaux : d'une part, il crée la responsabilité politique du Président ; d'autre part, il donne au Sénat un nouveau pouvoir, celui de mettre en jeu cette responsabilité politique.

Cette seconde modification ne peut recueillir l'accord des sénateurs du groupe socialiste. En matière de censure de l'exécutif, le Sénat ne peut et ne doit disposer des mêmes pouvoirs que l'Assemblée nationale, et ce pour une double raison : tout d'abord, il n'est pas élu au suffrage universel direct ; ensuite, il ne peut être frappé par une dissolution.

Si j'entends souvent la majorité sénatoriale réclamer une égalité de pouvoirs avec l'Assemblée nationale, je ne l'ai encore jamais entendue demander ni l'élection des sénateurs au suffrage universel direct ni le droit pour le Président de dissoudre le Sénat.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Très bien !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Elle n'a jamais demandé une égalité des pouvoirs entre les deux chambres !

M. Bernard Frimat. Il faut tirer de cette légitimité démocratique différente toutes les conséquences.

À une proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par l'Assemblée nationale, le Président peut répondre par une dissolution mettant fin à l'existence de cette même assemblée.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Tout à fait !

M. Bernard Frimat. Le peuple souverain tranchera alors le conflit.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Absolument !

M. Bernard Frimat. En revanche, si cette même initiative provient du Sénat, le Président ne peut rien faire, et surtout pas renvoyer le Sénat, seule assemblée à ne pouvoir être dissoute.

Il faut préserver l'équilibre institutionnel existant et réserver à la seule Assemblée nationale la possibilité de demander la réunion de la Haute Cour. Le groupe socialiste présentera un amendement à cette fin.

De plus, était-il vraiment dans l'esprit des auteurs de la procédure de destitution d'étendre les pouvoirs d'une Haute Assemblée dont le mode de désignation ne permet pas l'alternance démocratique ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est vous qui le dites !

M. Bernard Frimat. Le groupe socialiste présentera un troisième amendement visant à modifier l'article 56 de la Constitution. En effet, ni le Gouvernement ni l'Assemblée nationale n'ont remarqué qu'un président destitué au titre du nouvel article 68 siégerait à vie, en application de l'article 56, au Conseil constitutionnel comme membre de droit. Ainsi, le Président, alors qu'il aurait été destitué en raison d'un manquement grave incompatible avec sa fonction, pourrait juger de la constitutionnalité des lois votées par le Parlement qui aurait voté sa destitution !

Cet oubli manifeste doit être réparé. Il suffirait à lui seul, monsieur le garde des sceaux, à montrer qu'on légifère toujours dans de mauvaises conditions quand les impératifs de calendrier l'emportent sur toute autre considération.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce sont les députés qui ont mal fait leur travail !

M. Bernard Frimat. En conséquence, vous l'aurez compris, mes chers collègues, le groupe socialiste ne peut en l'état approuver ce projet de loi constitutionnelle, dont le Parlement aurait pu, en fin de législature, faire l'économie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la question de la responsabilité pénale du chef de l'État présente à mes yeux un intérêt plus intellectuel que véritablement politique. C'est sans doute ce qui lui donne un certain charme.

Ce charme est encore accru par la divergence des points de vue exprimés sur ce sujet successivement par le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation. Il faut atteindre ce haut niveau de quintessence pour produire des décisions qui aboutissent à peu près au même résultat tout en divergeant sur les modalités. Seule une élite des plus « triées », selon la formule de Saint-Simon, peut entendre ces choses comme il faut les entendre. (M. Pierre-Yves Collombat rit.)

Ne prétendant pas appartenir à cette élite, nous nous contenterons de relever avec notre sagesse habituelle ce qui, dans ce projet de loi, peut être considéré comme raisonnable et politiquement significatif, mais aussi de rejeter résolument ce qui paraît tantôt absurde - je veux parler de l'accès au Conseil constitutionnel d'un président déchu -, tantôt abusif - je fais référence à l'immunité présidentielle à l'égard des actions civiles.

Pour l'essentiel, nous comprenons qu'il convenait d'actualiser l'article 68 de la Constitution en fixant de manière plus appropriée les règles de destitution du Président pour faire de celle-ci, comme l'a bien souligné notre collègue Patrice Gélard, une sanction plus politique que pénale, une sorte de censure, et en confiant au Parlement tout entier la décision à cet égard, autant qu'une majorité des deux tiers est réunie.

Nous avons la conviction que notre régime politique a pris une tournure excessivement « présidentielle », au sens politique du terme et non au sens où l'entendent les constitutionnalistes. Pour cette raison, il convient de rétablir un meilleur équilibre entre le Président et le Parlement. Aussi, ce dispositif, pour extraordinaire qu'il soit et aussi peu de chances ait-il de fonctionner réellement, n'en constitue pas moins un progrès vers un rééquilibrage de ces pouvoirs.

Pour autant, nous ne saurions accepter que l'on profite de cette occasion pour introduire furtivement...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Furtivement...

M. Pierre Fauchon. ...dans le statut du chef de l'État une immunité s'étendant aux actions de caractère civil. Il s'agit là non plus d'une adaptation, mais d'une innovation. Cette dernière est d'autant plus surprenante que rien dans le passé n'en fait apparaître la nécessité et que l'on n'en a pas trouvé d'exemple dans les institutions des grandes démocraties, spécialement européennes.

Monsieur le garde des sceaux, a-t-on bien mesuré la portée d'une telle mesure qui aura pour conséquence de faire supporter à des tiers le prix d'une immunité totale du Président pour une durée non pas de cinq, mais au moins de dix ans, voire plus, si l'on en juge par l'exemple des deux derniers présidents ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oh !

M. Pierre Fauchon. Monsieur le garde des sceaux, a-t-on bien mesuré la gravité des préjudices qui pourraient être ainsi causés ? Certains d'entre eux, en particulier dans les affaires de caractère familial, pourraient ne jamais être réparés au terme de ce délai de cinq ou de dix ans.

A-t-on pris conscience de l'inégalité qui résulterait de cette décision entre un Président qui conserverait le droit d'agir en justice - c'est ce qui est le plus fort dans cette décision ! - et des tiers qui n'auraient pas la faculté d'introduire une instance contre celui-ci ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Heureusement !

M. Pierre Fauchon. Dès lors qu'une instance serait introduite à leur encontre, les tiers en question ne pourraient même pas faire une demande reconventionnelle puisque celle-ci aurait, d'un point de vue juridique, le caractère d'une action. Ainsi, le Président pourrait impunément attaquer des gens qui ne pourraient se défendre. Mes compliments !

Est-il pensable que la victime d'un préjudice résultant d'une action commise par le Président ou par une personne dont il est civilement responsable - par exemple un enfant mineur ou un employé - ou bien encore causé par un bien placé sous sa responsabilité - une piscine, un barbecue, un engin quelconque, un escalier situé dans sa propriété - doive attendre cinq à dix ans, voire plus, et sans tenir compte des délais de procédure, pour obtenir réparation de son préjudice ? Sommes-nous dans un État de droit ou dans un État de droit divin ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un État de droit divin !

M. Pierre Fauchon. Est-il pensable que, dans l'hypothèse d'un conflit familial, le conjoint du Président soit privé de la possibilité de divorcer et voie sa vie personnelle bloquée pendant toute cette durée, sans possibilité de formuler une demande reconventionnelle, alors que, de son côté, le Président conserverait quant à lui sa faculté d'ester en justice ?

Une éventuelle recherche en paternité - cela peut arriver à tout le monde ! (Exclamations amusées.) - devra-t-elle être paralysée pour une période aussi démesurément longue ? (M. le rapporteur rit.)

Monsieur le rapporteur, nul n'est à l'abri de ce genre de situation ! (Sourires.)

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Le Sénat est un bain de jouvence ! (Nouveaux sourires.)

M. Pierre Fauchon. Je regrette de vous faire sourire, car la matière est grave !

On pourrait envisager bien d'autres situations non moins troublantes. En revanche, autant l'hypothèse de la destitution a fort peu de chances de se présenter - surtout avec la majorité envisagée -, autant est probable, sur une telle durée, celle d'une difficulté de caractère civil, d'autant que les faits qui en seront à l'origine auront pu apparaître avant le début du mandat et que cela pourra concerner des procédures en cours.

On cherchera en vain les raisons d'une telle immunité civile dans les débats de l'Assemblée nationale, que j'ai relus. Celle-ci a voulu purger le texte de toute difficulté d'interprétation, mais ne s'explique aucunement sur ce point.

On cherchera en vain ces raisons dans le rapport de la commission Avril, qui croit pouvoir surmonter la difficulté en retenant que la responsabilité du Président sera tout simplement couverte par une assurance, laquelle ne manquera pas, selon la commission, de répondre à une action directe, comme s'il était dans les habitudes des assurances de réparer sans décision de justice des préjudices contestables et comme si les contentieux à l'égard desquels l'immunité est la plus contestable, tels les affaires familiales ou les litiges liés au travail, relevaient du domaine de l'assurance.

Nous sommes donc en présence d'une disposition qui viole les principes fondamentaux de l'égal accès des citoyens à la justice et de l'égalité de leurs droits, sans que soit avancée aucune justification juridique d'une disposition aussi exorbitante et sans que soit démontrée d'ailleurs sur le plan des faits la nécessité d'une telle immunité.

En effet, ce qu'il y a de plus surprenant dans cette affaire, c'est que cette immunité en matière civile n'existe pas actuellement dans notre droit et que nul n'invoque un précédent pouvant la rendre nécessaire.

Certains disent que cette immunité protégera le Président d'un harcèlement judiciaire. Mais si cette possibilité était avérée, elle aurait fait florès au cours des quinze à trente dernières années. Or tel n'a pas été le cas. En outre, l'absence de harcèlement procédural n'empêchera pas le harcèlement par voie de presse. Et la presse parlera bien davantage d'une situation qui ne pourra être réglée par la voie judiciaire en raison de l'immunité du Président ! Les campagnes de presse qui s'ensuivront seront finalement bien plus préjudiciables pour lui que ne l'aurait été son implication dans une procédure.

Autant nous considérons que le Président de la République assume sans doute la plus haute responsabilité de la République, autant nous estimons qu'il n'en est pas moins un citoyen. Le groupe de l'Union centriste-UDF, ne pouvant souscrire à de telles dispositions, s'abstiendra ou votera contre ce texte s'il ne parvient pas à les faire supprimer.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Oh non !

M. Pierre Fauchon. Je ne saurais mieux conclure qu'en rappelant l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, lequel dispose que la loi « doit être la même pour tous [...]. » Monsieur le garde des sceaux, vous êtes le gardien de cette loi !

On peut déroger à cette règle en matière pénale parce qu'il existe des raisons convaincantes pour ce faire, parce qu'il existe une tradition établie et parce que personne n'est lésé en définitive. Mais il en va tout autrement en matière civile. C'est pourquoi nous croyons fermement qu'il ne faut pas adopter une telle disposition. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle qui est soumis à l'appréciation du Sénat et qui modifie substantiellement le statut du Président de la République est le résultat d'un débat amorcé depuis plusieurs années.

Ce débat était inévitable pour plusieurs séries de raisons.

La première est l'inadéquation du texte constitutionnel dès l'origine. En effet, l'article 68 de la Constitution, écrite en quelques semaines, a repris en grande partie les dispositions des constitutions antérieures en déclarant le chef de l'État irresponsable pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions, sauf cas de haute trahison.

Cette rédaction, compréhensible dans les constitutions antérieures aux termes desquelles le Président ne disposait pas de pouvoirs propres dépourvus du contreseing ministériel, pose problème dans un contexte institutionnel nouveau où les actes non soumis à contreseing portent sur des sujets aussi essentiels que le recours à l'article 16, la dissolution de l'Assemblée nationale ou le référendum.

Il est vrai que le dispositif en vigueur n'est pas sans effectivité potentielle : si, par exemple, le Président recourt inconstitutionnellement à l'article 11, l'Assemblée nationale peut censurer le Premier ministre qui le lui a proposé - cela s'est produit en 1962 - et le Président peut répliquer par la dissolution : dans ce cas, le conflit entre Parlement et Président est tranché par les électeurs, comme ce fut le cas en novembre 1962.

De même, le recours abusif à l'article 16 pourrait entraîner le déclenchement de la procédure de haute trahison, puisque, durant cette période, l'Assemblée nationale ne peut pas être dissoute et le Parlement se réunit de plein droit.

Bien entendu, la notion de haute trahison n'a pas de définition unanimement reconnue, et la procédure prévue depuis 1875 crée une sorte de justice politique utilisant une procédure hybride, mi-pénale, mi-politique, qui n'est pas satisfaisante.

S'agissant d'une pratique empruntant au code de procédure pénale, sa compatibilité avec les critères du procès équitable qu'exige l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est, comme on l'a souvent relevé, plus que douteuse.

La refonte des dispositions de l'article 68 est apparue d'autant plus nécessaire que le constituant n'a pas hésité, au lendemain de l'affaire du sang contaminé, à réécrire intégralement les dispositions applicables aux membres du Gouvernement en créant sans ambiguïté possible un mécanisme de justice politique empruntant ouvertement aux règles du droit et de la procédure pénale au lieu et place de la haute trahison. Le moins que l'on puisse dire est que cette juridiction et cette procédure d'exception n'ont pas donné à ce jour de résultats probants et que c'est dans une autre direction qu'il fallait s'orienter pour le chef de l'État.

Pourtant, si nous sommes réunis aujourd'hui, ce n'est pas directement pour effacer les ambigüités de la responsabilité du Président pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions ; c'est pour adopter une procédure claire à propos des actes détachables de l'exercice du mandat présidentiel, qu'ils aient été accomplis avant ou durant celui-ci.

Les diverses procédures judiciaires concernant l'actuel chef de l'État pour des faits survenus avant son élection de 1995 ont contraint les différentes juridictions suprêmes à se prononcer sur un sujet d'autant plus difficile que la Constitution est muette. Faut-il solliciter les textes - en l'occurrence l'article 68 de la Constitution - et les interpréter dans un sens qui n'est pas indiscutable, comme a tenté de le faire le Conseil constitutionnel en 1999, ou bien, à la faveur d'une jurisprudence prétorienne, faut-il chercher dans la logique d'ensemble des dispositions constitutionnelles un fil conducteur donnant au juge pénal une solution raisonnable - c'est la solution qu'a retenue la Cour de cassation en 2001 ? La réponse n'est pas unanime et le constituant est d'autant plus contraint de se prononcer que deux jurisprudences contradictoires, entre lesquelles le Parlement devrait choisir, ne peuvent cohabiter.

Le Président de la République a demandé à un comité d'experts d'éclairer son jugement, et ce sont les conclusions de ce comité, présidé par le professeur Pierre Avril, qui ont été reprises presque mot à mot par le projet de loi constitutionnelle.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est exact !

M. Hugues Portelli. Le comité a d'abord tranché entre deux solutions jurisprudentielles possibles : celle du Conseil constitutionnel, qui créait un privilège de juridiction au profit du chef de l'État en confiant à la Haute Cour de Justice le soin de juger aussi bien des actes extérieurs à la fonction présidentielle que de ceux constituant une haute trahison, et celle de la Cour de cassation, créant une inviolabilité temporaire du chef de l'État pour les actes extérieurs à sa fonction au nom de la continuité de l'État dont il est le garant, mais le renvoyant devant le juge ordinaire au terme de son mandat tout en maintenant la compétence de la Haute Cour de justice pour les actes accomplis par le Président dans l'exercice de ses fonctions.

Le comité Avril a opté pour la solution proposée par la Cour de cassation mais en a profité pour l'infléchir dans deux directions : d'abord, en étendant l'inviolabilité à toutes les procédures, qu'elles soient pénales, civiles ou administratives, au motif du lien croissant entre toutes ces procédures dans les actions en responsabilité ; ensuite et surtout, en évitant de créer une inviolabilité totale, y compris en cas de flagrance.

Ce faisant, le comité a infléchi son raisonnement pour considérer que l'instance parlementaire de jugement n'avait pas à interférer dans une procédure à caractère juridictionnel, mais devait se contenter de lever l'immunité pour des cas graves rendant la poursuite du mandat présidentiel impossible. Dans ce cas, la procédure - purement politique - la plus simple et la plus appropriée était la destitution, faisant du Président révoqué un simple citoyen à nouveau passible des tribunaux.

Considérant que la procédure de destitution pourrait être également utilisée pour les fautes constitutionnelles commises dans l'exercice de la fonction présidentielle - cela permettrait de sortir des incertitudes de la haute trahison -, le comité Avril a opté pour une rédaction commune aux deux cas de figures : les infractions pénales graves rendant impossibles à la fois la poursuite de l'immunité et celle du mandat, et les fautes constitutionnelles commises dans le cadre de ses fonctions. Ce que le comité et, après lui, le projet de loi constitutionnelle ont appelé « le manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » permet d'englober ces deux hypothèses avec la même sanction politique : la destitution.

La solution reprise par le projet de loi constitutionnelle répond donc à plusieurs objections.

Elle n'interfère pas avec la procédure pénale, puisque la sanction unique - la destitution - est purement politique.

Elle ne crée pas une inviolabilité totale du chef de l'État, puisque celle-ci peut être levée, dans les cas les plus graves, par la destitution.

Elle ne laisse pas le Président à la merci d'un détournement politique de la procédure, puisque le chef de l'État peut toujours dissoudre l'Assemblée nationale - ou démissionner - pour laisser au peuple souverain le soin de trancher.

En cas de faute constitutionnelle, elle n'enferme pas la définition de cette faute dans un cadre trop étroit ou dépassé, en l'occurrence celui de la haute trahison.

Les objections contre les limites de ce texte ont été en grande partie levées par nos collègues députés : d'abord, en supprimant l'empêchement du Président en cas de recours à cette procédure, ce qui aurait aggravé l'affaiblissement du chef de l'État et préjugé de son sort ; ensuite, en imposant une majorité qualifiée telle, aussi bien lors du vote des assemblées pour lancer la procédure que lors du vote du Parlement réuni en Haute Cour, que le détournement partisan de cette procédure devienne impossible.

Les objections qui demeurent ou en tout cas qui ont fait l'objet de débats au sein de la commission des lois se résument à trois arguments.

Premièrement, pourquoi étendre au-delà du domaine pénal l'immunité présidentielle ? À cette objection, il est facile de répondre que, en matière de responsabilité, la séparation entre les voies civiles, pénales et administratives est devenue très franchissable.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Oui !

M. Pierre Fauchon. N'essayez tout de même pas ! (Sourires.)

M. Hugues Portelli. Laissez-moi parler !

Le juge administratif renvoie systématiquement au juge pénal pour une série de fautes administratives - c'est notamment le cas pour les institutions locales -, et le juge civil connaît d'actions en responsabilité conduites parallèlement au civil et au pénal. Les inconvénients qui sont liés à cette extension sont bien inférieurs aux dommages causés par une limitation au seul champ pénal de l'inviolabilité, et le législateur organique aura tout loisir d'y trouver des solutions.

Deuxièmement, pourquoi confier au Parlement et non à l'Assemblée nationale la mise en oeuvre de la destitution ? À cette réserve envers le rôle du Sénat, il convient de répondre que le chef de l'État ne peut faire l'objet d'une procédure de défiance politique devant l'Assemblée nationale qui soit parallèle à celle du Gouvernement et que, si l'on voulait respecter le parallélisme des formes, c'est par et devant le peuple souverain qui l'a élu que cette procédure devrait être instaurée. Mais la France n'est pas un État américain et le recall de type californien n'est pas encore prêt d'entrer dans nos moeurs ! Dans ces conditions, seul le Congrès, qui est compétent pour réviser la Constitution au même titre et au lieu et place du peuple souverain, est légitime pour conduire cette procédure.

Quant à l'argument tiré du statut de membre de droit à vie du Conseil constitutionnel pour les anciens présidents de la République, la destitution éventuelle de ces derniers n'implique pas leur maintien dans leur nouvelle fonction. En effet, la lecture de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et du décret d'application du 13 novembre 1959 relatifs à l'organisation du Conseil constitutionnel, tout comme celle de la jurisprudence du Conseil constitutionnel -  je vous renvoie à la décision du 7 novembre 1984 relative à l'élection de M. Valéry Giscard d'Estaing dans la deuxième circonscription du Puy-de-Dôme - démontre, d'une part, que « tous les membres du Conseil constitutionnel sont soumis aux mêmes obligations », et, d'autre part, que les membres du Conseil peuvent constater à la majorité simple la démission d'office de celui d'entre eux qui aurait manqué aux obligations de sa fonction, et en particulier - je cite le décret - à « l'indépendance et à la dignité de celle-ci ».

M. Robert Badinter. Un décret contre la Constitution : bravo !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Cela n'a rien à voir ! Ce n'est pas un décret contre la Constitution !

M. Hugues Portelli. Monsieur Badinter, permettez-moi de conclure mon intervention !

M. le président. Mon cher collègue, veuillez laisser M. Portelli s'exprimer !

M. Hugues Portelli. Il n'y a pas de privilèges ici !

Dès lors que la révision de la Constitution était devenue inévitable et que celle-ci nécessitait de régler le problème à la fois de l'inviolabilité temporaire du Président et du respect, par ce dernier, de ses obligations constitutionnelles, la voie choisie par le projet de loi constitutionnelle me semble - je partage en cela l'avis du groupe UMP - la plus rationnelle et la plus conforme aussi bien au principe de continuité de l'État qu'à celui de respect des règles essentielles d'un État de droit.

Cette réponse équilibrée vise à résoudre un problème qui ne peut plus être réglé par des textes dépassés ou laconiques. Elle concilie des solutions jurisprudentielles qui concordent sur l'essentiel et reprend, sans les copier servilement, des procédures prévalant dans les autres États démocratiques. Elle le fait avec clarté, précision et bon sens. Il est donc normal que nous la soutenions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Dans le temps qui m'est imparti, j'irai droit aux questions qui nous importent.

Première remarque, lors de la campagne électorale de mars 2002, le Président de la République a affirmé que cette réforme concernait « les fondements mêmes de la République ». Dans ce cas, doit-on y procéder dans les conditions où nous sommes ? Je réponds par la négative.

Deuxième remarque, si cette réforme avait trait aux fondements mêmes de la République et était essentielle, expliquez-moi pour quelles raisons le projet de loi se trouve sur le bureau du Président de la République depuis le mois de juillet 2003 très exactement ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Sur le bureau de l'Assemblée nationale !

M. Robert Badinter. Si cette réforme était aussi excellente que l'un de nos éminents juristes vient de le dire, pourquoi le chef de l'État s'est-il gardé de l'appliquer et en a-t-il laissé le soin à ses successeurs ?

J'évoquerai maintenant la réforme proprement dite.

Elle est parfaitement inutile en ce qui concerne le statut pénal du Président de la République, parce que, depuis la décision du Conseil constitutionnel et l'arrêt de la Cour de cassation - surtout d'ailleurs depuis l'arrêt de la Cour de cassation -, les choses sont aussi claires que possibles. On connaît les principes républicains : le Président de la République française ne peut pas être poursuivi pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions ; il bénéficie d'une immunité, à l'exception de l'hypothèse de la haute trahison - cela résulte sans doute du souvenir du coup d'État du 2 décembre 1851 -, qui n'a jamais joué.

Quoi qu'il en soit, tout le monde s'accorde à dire que l'immunité du Président de la République s'applique pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions. S'agissant d'éventuelles poursuites pour des actes antérieurs ou étrangers à son mandat, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer lors des affaires liées à la Ville de Paris, qui ont à l'époque défrayé la chronique mais qui n'intéressent aujourd'hui, semble-t-il, plus personne.

Peu importent les actes, la réponse de la Cour de cassation est très claire : c'est non. Tant que le Président de la République est en fonction, il bénéficie d'une immunité - que l'on conçoit -, à la fois pénale et juridictionnelle, contre tous les actes de poursuite. L'horloge judiciaire est arrêtée et il y a suspension des prescriptions.

Le jour où le Président de la République quitte ses fonctions, il redevient un citoyen ordinaire. À ce moment-là, l'horloge se remet en marche et les poursuites reprennent à l'encontre du président sortant.

Pourquoi cette réponse de la Cour de cassation ? Parce qu'il s'agit tout simplement, et nul ne le conteste, de protéger le Président de la République non pas en tant que personne, ce qui ne peut nous intéresser au regard du principe de l'égalité devant la loi, mais au titre de sa fonction.

Ce que nous voulons, c'est protéger la présidence. En effet, spécialement sous la Ve République, le Président de la République est non seulement « l'homme de la nation », comme disait superbement le général de Gaulle, mais aussi le représentant de la France à l'étranger. De surcroît, c'est lui qui négocie avec les puissances étrangères, et même constamment avec les États de l'Union européenne. (M. Michel Mercier approuve.)

Il faut donc que le Président de la République, lorsqu'il incarne la République, soit à l'abri de toute poursuite pénale, car un président poursuivi est un président affaibli.

Il n'y a donc véritablement aucune raison que nous nous lancions dans cette direction. Les choses sont très claires à cet égard.

Le texte n'apporte rien, hormis le fait qu'il va jusqu'à l'extrême limite, ce que personne ne demandait, s'agissant des actions civiles et même de l'hypothèse de haute trahison.

Nous pourrions parfaitement, mes chers collègues, en y consacrant un peu de temps et de soin, définir dans un aggiornamento législatif, constitutionnel en l'occurrence, ce qu'est la haute trahison dans l'État moderne où nous sommes - atteinte à la sûreté intérieure et extérieure, atteinte aux intérêts financiers de l'État, etc.

Ce serait facile, mais le texte ne le prévoit pas. Non seulement il ne définit pas la haute trahison, mais il supprime toute référence à cette notion. Il n'y a plus aucune possibilité de poursuivre le Président de la République lorsque, dans l'exercice de ses fonctions, il serait allé jusqu'à trahir les intérêts de la patrie.

De ce fait, il supprime évidemment la Haute Cour de justice. L'immunité totale qui en résulte aura une conséquence s'agissant de la Cour pénale internationale, et nous y reviendrons lors de l'examen des amendements.

En effet, ne pouvant pas être poursuivi pour des actes commis dans l'exercice de ses fonctions comme chef des armées, ayant éventuellement une responsabilité pénale dans une opération d'intervention extérieure à l'étranger où des crimes de guerre seraient commis, le Président de la République française sera jugé, non pas en France, mais à La Haye, par la Cour pénale internationale. Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure solution ! (M. Patrice Gélard fait un signe de dénégation.)

Ne hochez point la tête, monsieur Gélard ! C'est une certitude, et vous ne pourrez pas me démontrer le contraire !

M. Robert Badinter. Mais laissons de côté ce point qui n'est qu'une hypothèse, pour en revenir au sujet essentiel, excellemment développé par M. Fauchon : au nom de quoi donnez-vous au Président de la République française cette extraordinaire immunité totale ?

Le texte le place sous globe au regard des actions civiles qui peuvent être intentées légitimement contre lui, avec les conséquences qui peuvent s'ensuivre. Ainsi, l'épouse du Président de la République serait la seule Française à ne pas pouvoir divorcer, pendant cinq ans, dix ans, à moins que son mari n'y consente : c'est de la répudiation !

Si le président de la République a eu un enfant illégitime, ce dernier sera le seul enfant illégitime qui ne pourrait pas saisir le juge pour obtenir une reconnaissance de paternité !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Cela s'est déjà produit !

M. Robert Badinter. Si le Président de la République a traité avec un éditeur et obtenu, avant d'être en fonction, un très gros à-valoir pour un livre qu'il a promis, mais qu'il n'écrira pas ou qu'il remettra à une date indéterminée, l'éditeur sera le seul en France à ne pas pouvoir réclamer le paiement des arriérés !

L'immunité totale au regard de ces actes est-elle nécessaire au salut de la patrie et à la protection de la présidence de la République ? En quoi cette dernière est-elle concernée par tous ces actes ? Avec Pierre Fauchon, on peut se demander à quel titre on pourrait déroger au principe fondamental du code civil, qui s'appliquait déjà à Napoléon, en vertu duquel tous les Français sont égaux devant la loi civile.

Oui, je souhaite, comme tout le monde, protéger la présidence de la République, mais je dis « non » quand il s'agit de protéger le Président lui-même pour des actes civils ! Et qu'on ne me parle pas de harcèlement judiciaire...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ah si ! C'est bien le débat !

M. Robert Badinter. Si vous croyez que le harcèlement médiatique, la couverture people...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Justement !

M. Robert Badinter.... ne créent pas une émotion plus grande et ne risquent pas de porter plus grand tort au président de la République que l'action judiciaire, permettez-moi de dire que, pour le garde des sceaux, c'est une singularité !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Puis-je vous interrompre, monsieur Badinter ?

M. Robert Badinter. Permettez-moi de terminer, monsieur le garde des sceaux.

L'immense avantage d'une procédure judiciaire, c'est qu'elle est contradictoire et publique. Les propos qui sont tenus ne s'adressent pas au grand public, mais au magistrat qui écoute. Son jugement intervient à la fin du débat, afin d'établir le vrai et le faux. Il est à même de refouler les actions abusives et de condamner à des dommages et intérêts les plaideurs mal fondés.

Cela n'est pas possible face à une campagne de ragots ou de rumeurs entretenus par la presse people. Par conséquent, il est aussi de l'intérêt du Président de la République que ces affaires-là puissent, le cas échéant, aller en justice.

Au regard des victimes, que l'on n'invoque pas le harcèlement judiciaire ! Il s'agit d'actes privés qui leur ont causé dommage et pour lesquels il est normal qu'elles obtiennent réparation. Tant mieux si l'assurance peut jouer, mais reconnaissons que ce ne sera pas le cas pour les actes que j'ai évoqués !

Il n'y a donc aucune raison de protéger le Président de la République des actes civils. Et je vais même plus loin...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, me permettez-vous de vous interrompre ?

M. Robert Badinter. Je vous en prie, monsieur le ministre.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, avec l'autorisation de l'orateur.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Peut-être ai-je tort de vous interrompre dans votre propos, monsieur le sénateur, mais ce point précis touche effectivement le problème essentiel.

Pourquoi voulons-nous donner l'immunité au Président de la République pour les actes civils également ?

D'abord, je rappelle que c'est la commission Avril qui a eu l'idée de cette proposition, sinon j'avoue que nous ne l'aurions pas présentée. Cette commission est essentiellement composée de juristes et non pas de politiques - ces derniers ne sont pas à la mode aujourd'hui !

Ensuite, vous dites que le problème est lié aux médias. Je vous donne raison sur ce point, mais le raisonnement que je tiens est totalement différent. En effet, s'il n'y a pas de procédure civile, il n'y a pas de médias, monsieur Badinter !

Quand survient un choc médiatique qui harcèle un homme politique, c'est bien parce qu'il y a eu un début de quelque chose, qui est précisément le lancement de la procédure.

MM. Robert Badinter et Pierre-Yves Collombat. Non !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Dès qu'une mise en examen est prononcée, le harcèlement médiatique commence.

Si toute procédure est empêchée par le biais de ce texte, je ne vois pas comment interviendra un harcèlement médiatique.

En revanche, si une affaire est de notoriété publique, le Président de la République ne pourra pas invoquer cette inviolabilité et acceptera de répondre aux questions. Il rentrera même dans le processus civil, parce qu'il sera publiquement mis en cause par l'opinion publique.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien sûr !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Par conséquent, le problème est réglé.

M. Robert Badinter. Non, cela ne le règle que pour vous !

Si une femme dénonçait le Président de la République qui aurait eu à son égard des gestes incivils...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela relève du domaine pénal !

M. Robert Badinter. Non, pas nécessairement pénal !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est complètement pénal !

M. Robert Badinter. Dans ce cas-là, quelle importance ? Pourquoi passez-vous sous silence tous les cas que j'ai évoqués ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Lesquels ?

M. Robert Badinter. Je pense au divorce, à la reconnaissance de l'enfant, à l'éditeur à payer, au fisc. Tout cela ne compte pas !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Le Président acceptera la procédure ! Il n'y aura pas d'inviolabilité dans ces cas-là puisque l'affaire sera publique !

M. Robert Badinter. Comment cela, pas d'inviolabilité ? On ne peut pas l'assigner au civil !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Le Président de la République l'acceptera de lui-même ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Robert Badinter. Vous dites que le Président de la République acceptera la procédure de lui-même. En clair, cela signifie qu'il pourra consentir à aller devant les tribunaux, mais qu'il pourra aussi refuser.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. S'il veut être condamné, il pourra être condamné !

M. Robert Badinter. Cela s'appelle le bon plaisir dans toutes les sociétés monarchiques, monsieur le garde des sceaux !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur Badinter, puis-je vous interrompre ?

M. Robert Badinter. Je vous en prie, monsieur le ministre.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, avec l'autorisation de l'orateur.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je veux bien que l'on discute, mais essayons de ne pas verser dans la polémique !

M. Robert Badinter. Nous ne faisons pas de la polémique !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Nous voulons tenter de protéger le Président de la République des harcèlements infondés. Il ne s'agit nullement ici du bon plaisir du chef ou du président !

L'idée est d'empêcher tout harcèlement infondé. En revanche, lorsque la dénonciation est fondée, l'affaire connue, le Président se conformera, comme tout citoyen, aux demandes des parties.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On décidera que c'est infondé !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Vous, vous voulez faire de la polémique !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Les présidents ne sont pas des voyous !

M. Robert Badinter. Non, je ne fais pas de la polémique,...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Si, totalement !

M. Robert Badinter.... je veux seulement vous ramener au sens des réalités !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ce n'est ni réaliste ni fondé.

M. Robert Badinter. Je ne peux pas admettre cette idée inouïe selon laquelle le Président de la République française est le seul Français sous cloche immunisante, ne répond de rien pendant la durée de son mandat, ni de ses actions pénales, ni de ses actions civiles, ni même de la haute trahison ! Personne ne bénéficie d'une immunité comparable !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il est inviolable !

M. Robert Badinter. J'en arrive maintenant à l'essentiel. Il s'agit de l'innovation introduite par nos éminents collègues, pour lesquels j'éprouve respect, considération et amitié, mais qui - je le sais pour avoir beaucoup vécu avec eux, de colloques en colloques, d'articles en articles - travaillent souvent dans l'abstraction.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas tellement !

M. Robert Badinter. On nous dit que le Président sera destitué et qu'à ce moment-là il subira les conséquences de tous ses actes susceptibles de poursuites.

S'agissant des causes de la destitution, il nous a été dit, d'abord, que la haute trahison était une expression trop vague. S'étant beaucoup penché sur cette question qui le passionnait, le doyen Vedel avait défini, dès 1948, la haute trahison comme « une violation grave des devoirs de la charge ». C'était une formule générale, mais qui pouvait être mise en oeuvre.

Voyez-vous une différence avec les termes du texte qui nous est proposé : « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » ? C'est simplement plus mal écrit ! Je préférais le style du doyen Vedel.

Cette formule laisse ouverte l'interprétation souveraine du Parlement, qui décidera lui-même, au coup par coup, de la gravité du manquement. Rien de tout cela ne respecte les premiers principes de la légalité que nous évoquions tout à l'heure ! J'aurais préféré que l'on définisse la haute trahison.

En ce qui concerne le domaine des actes du Président, le principe appliqué aujourd'hui est celui des actes accomplis « dans l'exercice de ses fonctions ». On ne peut pas imputer au Président de la République, avant la fin de son mandat, des infractions qu'il aurait pu commettre dans le cadre d'autres fonctions.

Mais avec le texte qui nous est soumis, c'est fini ! À en croire les écrits des plus distingués auteurs qui sont intervenus dans cette commission, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la révélation d'actes antérieurs peut être prise en considération.

Des exemples sont cités. Supposons que l'on s'aperçoive - on voit très bien pourquoi - que le Président de la République aurait commis des actes de torture en Algérie, dans un très lointain passé. Pour les futurs candidats, on peut se demander ce que cela peut signifier. À défaut de ces réminiscences de faits historiques - que l'on connaîtra très bien avant l'élection d'ailleurs compte tenu de la façon dont on cherche dans le passé et même dont on invente ce qui ne s'y trouve pas -, on évoquera des affaires de corruption liées à des fonctions antérieures de la Présidente ou du Président de la République, à sa compromission dans des affaires de marchés publics, ou tout simplement ses liens avec un réseau de corruption qui finissait à la mairie ou à la présidence du conseil général ou du conseil régional... Tout cela n'est pas impossible !

Comment cela va-t-il se passer ? Je pose la question, parce que je connais la réalité des choses, je sais ce qui se passe ! Imaginons une instruction en cours à propos de laquelle le nom du Président ou de la Présidente de la République est cité : à quel moment le Parlement pourrait-il dire qu'il y a révélation d'un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » ? Mes chers collègues, réfléchissez ! La présomption d'innocence interdirait que l'on agisse et le Président ne pourrait pas paraître dans l'instruction en cours !

Alors, on se réunirait, on destituerait, on estimerait que les journaux fournissent suffisamment d'éléments pour que l'on considère qu'il y a manquement incompatible - puisqu'il s'agit d'une appréciation souveraine... Et si le Président, une fois destitué, bénéficiait d'un non-lieu ou d'un acquittement, on le réintégrerait ?

M. Jean-Luc Mélenchon. C'est l'argument fort !

M. Robert Badinter. Le Parlement adopterait-il une motion de repentance ?

Réfléchissons ! C'est des fondements de la République qu'il est question, comme le soulignait le Président Chirac ! Tant qu'une instruction sera en cours, il est évident que jamais nous n'oserons prendre de résolution de destitution, c'est cela la réalité ! Alors, à quoi est-il fait allusion ici ? Qu'est-ce que cela signifie ?

Voilà pour les manquements concernant les actes antérieurs. Mais je poursuis.

M. le président. Mon cher collègue, il faut songer à conclure !

M. Robert Badinter. Monsieur le président, tout à l'heure, entre dix-sept et dix-huit heures, chacun, et je m'en réjouis, a largement pris son temps, à commencer par M. Gélard.

M. Patrice Gélard. Non ! J'ai parlé quinze minutes exactement !

M. Robert Badinter. Je vous ai suivi avec passion, c'était fabuleux !

M. le président. Mon cher collègue, je suis tenu de faire respecter le temps de parole imparti à chaque groupe. Je me permets de vous rappeler que, si vous épuisez le temps du groupe socialiste, il me sera difficile d'accorder la parole à Mme Boumediene-Thiery !

M. Robert Badinter. Chère amie, à vous ! Je vous cède la place. À moins que vous ne me laissiez continuer un peu...

Mme Alima Boumediene-Thiery. Vous me placez devant un choix difficile !

M. Robert Badinter. Je reprends, mais très rapidement, monsieur le président. Vous avez tout de même décompté de mon temps les interruptions dues au garde des sceaux ?

M. le président. J'ai tout déduit !

M. Robert Badinter. Quant aux manquements étrangers à sa fonction, on évoque le cas où l'on s'apercevrait, horresco referens, que le Président de la République a tué sa maîtresse ou, nouvel Othello, sa femme... Soyons sérieux ! Après la révélation d'un tel crime, il ne résisterait pas cinq minutes dans sa fonction ! Le pays accepterait-il d'être dirigé par un Président assassin ou meurtrier ? Il faut en rester à ce qui est exact !

Ce qui est exact, c'est ceci, et seulement ceci - et c'est là qu'est le péril : en vérité, les manquements graves, et on l'a dit, ne peuvent qu'être des manquements aux fonctions présidentielles ; il ne peut ici s'agir de corruption, car, dans les faits, la procédure serait tributaire de l'instruction. En clair, le projet de loi propose que le Président soit destitué parce que le Parlement aurait estimé qu'il a abusé de ses pouvoirs présidentiels.

M. Patrice Gélard. Non ! Il ne s'agit pas d'abus de pouvoirs, il s'agit de manquements !

M. Robert Badinter. On peut aimer ou ne pas aimer la Ve République, on peut très bien songer à retourner à une république parlementaire, mais on ne peut pas mélanger les genres. On ne peut pas insérer ici une sorte de frère jumeau de l'impeachment américain à la sauce française.

M. Patrice Gélard. Cela n'a rien à voir !

M. Robert Badinter. Car jamais nous ne manquerons de vieux Caton ni de jeunes Saint-Just pour, à toute occasion, sous tout prétexte, déposer une motion tendant à la destitution du Président de la République parce qu'il aurait manqué à ses devoirs.

Vous m'objecterez que cela n'a aucune importance puisque la majorité requise a été fixée aux deux tiers, et ce d'ailleurs grâce à des protestations très fortes dont celui qui parle est pour une bonne part l'auteur. Mais cela revient à dire - et c'est là où le dispositif est fondamentalement inégalitaire - qu'il sera impossible à une majorité de gauche de jamais destituer un Président de droite. La composition électorale du Sénat est telle que jamais, je dis bien jamais, la gauche ne pourra obtenir cette majorité des deux tiers, pas plus d'ailleurs que celle des trois cinquièmes, majorité initialement requise. Jusqu'à la dernière élection, la droite détenait les deux tiers des sièges ; nous verrons bien ce qu'il en sera après la prochaine élection.

Quoi qu'il en soit, nous serons face à cette conséquence prodigieuse d'inégalité, factuelle, réelle, indiscutable tant que le mode d'élection du Sénat n'aura pas été réformé : la procédure que vous inventez peut être éventuellement utilisée par la droite, mais par elle seule. Elle aurait été possible, par exemple, entre 1993 et 1995, quand les deux tiers de l'Assemblée nationale étaient à droite, comme les deux tiers du Sénat. Souvenez-vous également de la crise de la signature des ordonnances en 1986 ! Et j'ai encore dans l'oreille les cris de « Démission ! Démission ! » à l'intention du Président Mitterrand, en 1984, lors de la crise scolaire !

Dans un cas semblable, la droite parlementaire sera en mesure si elle le veut, puisque c'est une appréciation souveraine, de destituer le Président de la République ; la gauche parlementaire, jamais. Telle est la réalité du projet de loi qui nous est proposé ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Charles Revet. Ce n'est pas sérieux !

M. Josselin de Rohan. Ce sont les socialistes qui ont proposé ce seuil !

M. Robert Badinter. À partir de là, mes chers collègues, vous ne pouvez pas voter ce texte inégalitaire, précisément à cause de ce déséquilibre.

M. le président. Si vous voulez bien conclure...

M. Robert Badinter. On me répond que je n'ai pas de souci à me faire, que cela ne marchera jamais, que les deux tiers ne seront jamais réunis... C'est très bien ! Mais alors, qu'êtes-vous en train d'inventer ? Un sabre de bois ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Une arme de dissuasion !

M. Robert Badinter. Je vais vous dire ce que vous inventez : vous inventez une tribune pour toutes les attaques démagogiques possibles. C'est à cela que l'on est en train d'aboutir, et sans aucune nécessité !

La moindre des choses eût été que le Parlement travaille longuement sur cette question, qu'il s'interroge pour déterminer jusqu'où il est possible d'aller dans la mise en cause de la responsabilité du Président de la République.

M. le président. Veuillez conclure, s'il vous plaît !

M. Robert Badinter. Je voterai absolument contre le projet de loi constitutionnelle tel qu'il nous est présenté. Je souhaite, dans l'intérêt général, qu'il ne voie pas le jour - ce ne serait pas la première fois qu'un texte s'arrêterait avant le Congrès ! - et qu'au contraire nous le reprenions après l'élection présidentielle, après la constitution d'une nouvelle Assemblée nationale. Car la majorité actuelle est expirante, le mandat du Président de la République s'achève : et c'est dans ces conditions que l'on toucherait à ce que le Président lui-même dit être les fondements de la République ? Eh bien oui, je le dis franchement : je souhaite que nous nous arrêtions là, et que nous retravaillions ultérieurement sur le problème autant qu'il le mérite, sérieusement, pas en nocturne, pas en comptabilisant les secondes et les minutes.

Oui, je voterai contre. Et si je devais utiliser un seul adjectif, je dirais que, au regard de la réalité des institutions politiques françaises, la réforme qui nous est proposée est... comment disait-on ? abracadabrantesque ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Je rappelle au Sénat que le rôle du président de séance est de faire respecter les temps de parole attribués par la conférence des présidents.

La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de remercier l'UMP d'avoir accepté de me confier une partie de son temps de parole alors que je défends une position contraire à celle qui a été très majoritairement adoptée par le groupe dont je suis membre. Je m'exprime donc ici à titre personnel.

J'exposerai très rapidement les deux raisons principales de mon hostilité à cette révision constitutionnelle.

D'une part, et c'est là pour moi l'essentiel, j'estime que cette réforme bouleverse les fondements de la Ve République, auxquels je suis profondément attaché. D'autre part, un certain nombre de ses modalités m'apparaissent ou dangereuses pour la sérénité du fonctionnement de nos institutions, ou préjudiciables au respect qui doit leur être porté.

La doctrine a disserté à perte de vue sur la nature originale de la Ve République et sur le caractère semi-parlementaire et semi-présidentiel du régime qu'elle met en place. Je pense pour ma part - je peux me tromper, mais c'est ma conviction - qu'elle établit une double responsabilité politique : celle du gouvernement devant le Parlement et celle du Président de la République devant le peuple français.

À l'accusation selon laquelle un président irresponsable disposerait désormais de considérables pouvoirs propres, dispensés du contreseing ministériel - dissolution, référendum, article 16 -, il est aisé de répondre qu'à l'irresponsabilité du Président devant le Parlement s'est substituée sa responsabilité devant le suffrage universel, aujourd'hui à l'occasion des échéances présidentielles, mais aussi, lorsque le général de Gaulle était chef de l'État, lors de chaque référendum, voire de chaque élection législative.

La réforme actuelle vise à introduire une responsabilité politique du Président de la République devant le Parlement, étrangère selon moi tant à l'esprit de nos institutions qu'à la volonté des constituants.

Lorsque l'on cherche des exemples de ce « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » qui devrait se substituer à la notion de haute trahison, ce n'est pas tant à certains faits divers réels ou supposés que l'on se réfère, c'est bien plutôt à certains choix dans l'exercice du pouvoir opérés par le premier Président de la Ve République : utilisation du référendum direct de l'article 11 pour réviser la Constitution, mise en oeuvre et durée d'application de l'article 16, refus de convocation du Parlement en session extraordinaire. L'idée même, mes chers collègues, que l'on aurait pu songer à traduire le général de Gaulle devant l'Assemblée nationale et le Sénat réunis donne un frisson rétrospectif,...

M. Robert Badinter. Très juste !

M. Jean-René Lecerf.... et l'on se prend à redouter que, face à pareille initiative, la tentation de l'éloignement du pouvoir n'eût été bien difficile à surmonter !

Mais si je passe outre à cette objection de fond pour m'interroger sur les modalités de cette révision, je ne suis pas davantage convaincu. Même en laissant de côté la question, déjà fort contestable, de l'immunité du Président de la République sur le plan civil, il est au moins deux difficultés sur lesquelles, mes chers collègues, je souhaite attirer votre attention.

D'une part, la majorité des deux tiers désormais exigée devant chaque chambre et devant la Haute Cour pour aboutir à la destitution du Président garantira sans doute le dépassement des clivages partisans, mais elle favorisera aussi les votes calibrés dont la IVe République était si coutumière dans la mise en cause de la responsabilité gouvernementale. Ils consisteraient ici à désavouer un Président sans atteindre la majorité qualifiée nécessaire à sa destitution. Qu'adviendrait-il alors du crédit du Président, de son autorité nationale et internationale ?

M. Robert Badinter. C'est exact !

M. Jean-René Lecerf. Ne nous berçons pas d'illusions : comme le soulignait l'illustre collègue qui s'est exprimé avant moi, il ne manquera pas de petits Saint-Just, à gauche comme à droite de l'échiquier politique, pour s'offrir une médiatisation à bon compte par une proposition de réunion de la Haute Cour !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Cela a déjà été fait !

M. Jean-René Lecerf. D'autre part, il n'est pas convenable d'imaginer qu'un Président destitué puisse devenir membre de droit à vie du Conseil constitutionnel. Comment ériger en juge de la constitutionnalité et en instrument de contrôle d'un législateur qui l'aurait par hypothèse condamné celui qui aurait commis ce que Maurice Hauriou appelait une « haute trahison vis-à-vis des institutions constitutionnelles » ?

M. Bernard Frimat. Bien sûr !

M. Jean-René Lecerf. Avouez que tout cela a de quoi surprendre !

Je conviens volontiers qu'il était utile de s'affranchir des interprétations divergentes du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation et même que la constitutionnalisation de la jurisprudence de la Cour de cassation pouvait recueillir un large consensus.

M. Robert Badinter. Absolument !

M. Jean-René Lecerf. Mais n'était-il pas possible, mes chers collègues, de s'arrêter là plutôt que d'utiliser pour écraser une mouche - car nous nous situons là largement dans le virtuel ! - un marteau-pilon qui risque de causer bien d'autres dégâts ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Mes chers collègues, le temps de parole du groupe socialiste est épuisé. Cependant, par courtoisie, j'accorde cinq minutes à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à quelques jours de la fin de la session parlementaire, à quelques semaines à peine de l'élection présidentielle, alors que la majeure partie des citoyens se trouve captivée par ce début de campagne, le Gouvernement nous propose un projet de loi constitutionnelle qui, supposé porter réforme du statut et de la responsabilité du Président de la République, aura de lourdes conséquences sur l'équilibre des pouvoirs parlementaires. En réalité, il nous est demandé de statuer sur la responsabilité politique, ou plutôt sur l'irresponsabilité politique du chef de l'État !

Il est vrai que les deux mandats du Président de la République auront été jalonnés de faits divers qui ont relancé la question récurrente du statut pénal. Par trois fois, en effet, des juges d'instruction se sont finalement déclarés incompétents à l'égard du Président.

Pour le Conseil constitutionnel, le Président de la République bénéficie pendant son mandat d'un privilège de juridiction ; pour la Cour de cassation, il jouit d'une immunité. Dans les deux cas, sa responsabilité pénale est neutralisée.

Le sujet est trop grave, il mérite que l'on ne se disperse pas sur d'autres éléments. En fait, c'est bien du sens même de notre démocratie qu'il est ici question !

Au lieu d'apporter des clarifications sur les lacunes que présentent nos institutions héritées de la Ve République, ce projet de loi accentue davantage les déséquilibres qui lui sont inhérents.

Tout d'abord, il aboutit à modifier le statut juridique du chef de l'État de façon inacceptable. En effet, il étend la protection du statut juridique de celui-ci du domaine pénal au domaine civil et administratif. Le Président de la République devient ainsi un citoyen hors du commun, surprotégé et bénéficiant de privilèges dans tous les actes de la vie civile, y compris dans sa vie privée et familiale.

Ce projet de loi met le Président de la République à l'abri de toute responsabilité, il en est fini du privilège de juridiction. Avec cette réforme, il devient tout simplement intouchable durant toute la durée de son mandat, sachant que cette immunité ne se limite plus au domaine pénal, mais qu'elle s'étend à l'ensemble des juridictions, civiles et administratives.

Désormais, en plus de ne rendre aucun compte pour tous les actes relevant du régime pénal, le Président de la République sera également irresponsable pour tous les actes relevant du domaine civil.

Mon collègue Robert Badinter a donné suffisamment d'exemples pour montrer que ce ne sont pas des hypothèses d'école. En effet, nous sommes de simples hommes et femmes et rien n'est impossible dans les relations humaines !

Avec ce projet de loi constitutionnelle, rien, absolument rien ne pourra être judiciairement reproché au Président de la République durant son mandat.

En plus de cette institutionnalisation d'une discrimination entre le Président de la République et ses concitoyens, ce texte renforce un déséquilibre structurel en faveur du Sénat et il introduit une certaine instabilité juridique.

En effet, la possibilité de destituer le Président de la République par la Haute Cour constituée par le Parlement est introduite dans notre droit. Cette nouveauté dans nos institutions aurait pu se révéler bénéfique pour la démocratie. Or elle risque, au contraire, de devenir un danger pour elle ! En l'état actuel de la Ve République, le Président bénéficie d'un privilège exclusif : celui de pouvoir dissoudre l'Assemblée nationale.

S'inspirant des travaux de certains constitutionnalistes français plaidant pour un rééquilibrage des pouvoirs entre exécutif et législatif, la possibilité de destitution est présentée comme une sorte de panacée institutionnelle.

Or les États-Unis d'Amérique ne sont pas la France. Ce qui est copié là est souvent mal transposé ici, notamment parce que, là-bas, le Parlement dispose de largement plus de pouvoirs que le Parlement français.

En France, un rééquilibrage effectif entre exécutif et législatif doit passer par d'autres réformes plus urgentes, nécessaires à une réconciliation des citoyens avec leurs responsables politiques, indispensable à la rénovation de notre démocratie.

Nous devons oeuvrer pour de réelles capacités d'investigation du Parlement, dans les domaines des affaires étrangères, de la défense, des renseignements, de l'énergie, de l'industrie, mais aussi pour l'instauration d'une parité effective entre les hommes et les femmes, pour une limitation drastique du cumul des mandats et pour la reconnaissance d'un droit d'initiative législatif citoyen auprès du Parlement.

Ici, nous assistons à un rééquilibrage en trompe-l'oeil. Cette « fausse vraie réforme » ou cette « vraie fausse réforme » s'inscrit dans l'exception constitutionnelle et démocratique française : notre chère institution, le Sénat.

En effet, de par son mode d'élection, le Sénat se trouve être structurellement ancré à droite. Dès lors, cette réforme pensée et préparée au sein de la commission qu'animait Pierre Avril montre toutes ses limites.

En adoptant cette réforme, c'est une prodigieuse inégalité qui est instaurée : une inégalité entre un Président de la République de droite et un Président de la République de gauche, comme l'a également démontré Robert Badinter.

Un Président de gauche pourra d'autant plus être à la merci d'une destitution que les conditions qui mènent au déclenchement de cette procédure sont des plus floues. Il est fait mention du constat d'un « manquement manifestement incompatible avec les devoirs de son mandat ». Mais que recoupe cette notion d'incompatibilité avec les devoirs de la charge ?

Avec ce texte, en cas de grave crise politique, une opposition parlementaire pourra qualifier de « manquements manifestement incompatibles avec les devoirs de son mandat » un nombre presque infini de décisions du Président.

Des exemples récents de notre histoire politique peuvent alimenter cette thèse pendant les périodes de cohabitation ; je pense à la crise des lycées en 1986, à celle de la grotte d'Ouvéa en 1988 ou récemment aux émeutes dans les banlieues : si nous avions été sous un gouvernement de gauche, la destitution aurait été demandée !

Tout et n'importe quoi pourrait être reproché à un Président de gauche par un Parlement de droite. Ce flou implique une instabilité juridique dangereuse pour notre démocratie.

En outre, cette réforme est inacceptable en l'état. Elle a pour fonction de faire diversion, de détourner l'attention des citoyens des vrais problèmes.

Ce n'est pas en instituant un droit « d'exception » en faveur du Président de la République, contre le droit commun, que l'on renforce la démocratie de notre pays.

Alors que nos concitoyens en appellent à une meilleure justice, à une fin de l'impunité de ses dirigeants, à plus de sévérité pour la délinquance en col blanc, le message qui. lui est communiqué ici n'est vraiment pas le meilleur pour redonner confiance en la vie politique.

Le Président est et doit être reconnu comme un citoyen comme les autres. Le privilège de sa fonction doit être respecté, voire protégé, mais cela ne doit en aucun cas le soustraire aux exigences de la justice, notamment dans ses actes personnels de la vie quotidienne.

Ce n'est pas en important de façon caricaturale et imparfaite la procédure américaine de l' « impeachment » que l'on aboutit à rééquilibrer les pouvoirs entre exécutif et législatif.

En optant pour cette réforme, on se détourne de la voie d'une VIe République, citoyenne, féministe, écologique, pleinement démocratique et solidaire.

Pour toutes ces raisons, comme nos collègues députés Verts, les sénateurs Verts voteront contre ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution
Discussion générale (suite)

12

MISE AU POINT AU SUJET D'UN VOTE

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour une mise au point.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, cette mise au point porte sur le vote du projet de loi constitutionnelle relatif à l'interdiction de la peine de mort. M. Nicolas About souhaitait voter pour et une erreur matérielle a conduit à le faire s'abstenir.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue.

13

Modification du titre IX de la Constitution

Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution
Articles additionnels avant l'article unique

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, portant modification du titre IX de la Constitution.

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, compte tenu de l'heure, je répondrai brièvement aux différents intervenants. Je préciserai tout d'abord que ce projet de loi constitutionnelle a été préparé par une commission de juristes, présenté il y a maintenant un peu plus de trois ans au Conseil des ministres et déposé immédiatement après sur le bureau des deux assemblées, même s'il n'a pas été inscrit plus tôt à l'ordre du jour.

Je suis toujours quelque peu surpris de constater que l'on veut raccourcir les mandats. La légitimité de l'élection vaut, aussi bien pour un parlementaire, député ou sénateur, pour le Président de la République, pour le Gouvernement, jusqu'au dernier jour du mandat. Prétendre que l'on ne pourrait pas faire une réforme très largement préparée, réfléchie pendant plusieurs années, parce que le vote intervient à la fin de la législature est tout à fait inadmissible. Si la réflexion avait commencé il y a quinze jours, l'argument aurait été fondé, mais ce n'est pas le cas.

Par conséquent, le vote de ce projet de loi constitutionnelle aujourd'hui me semble tout à fait normal. En revanche, c'eût tout à fait dommageable si ce sujet avait été traité dans le seul mois de février.

Monsieur Gélard, vous avez rappelé à juste titre que le texte actuel sur le statut du Président de la République était inapplicable en raison du flou concernant la notion de haute trahison et de l'absence de sanction.

Vous avez eu raison de souligner que la nouvelle procédure de destitution était non pas une procédure pénale mais une procédure politique, même si elle ne doit pas être utilisée à des fins politiciennes. C'est pourquoi la Haute Cour qui remplace la Haute Cour de justice est composée des deux assemblées du Parlement, qui représentent ensemble les Français.

Sur l'éventuelle participation du Président destitué au Conseil constitutionnel, question que M. Portelli a largement traitée,...

M. Henri de Raincourt. Largement et précisément !

M. Pascal Clément, garde des sceaux.... je répondrai plus longuement lors de la discussion des amendements.

Monsieur Alfonsi, vous avez indiqué que l'Assemblée nationale avait rétabli le droit de dissolution du Président objet d'une procédure de destitution. Les choses sont un peu plus complexes. En supprimant la procédure d'empêchement, l'Assemblée nationale a supprimé l'intérim du président du Sénat, qui effectivement ne dispose pas de l'ensemble des prérogatives du Président de la République, notamment du droit de dissolution.

À partir du moment où cette procédure de l'Impeachment est supprimée, le Président conserve les pouvoirs qui sont les siens aux termes de la Constitution.

Je ferai observer que, à partir du moment où le Parlement se réunirait pour voter la destitution du Président de la République, il n'est pas inconcevable que le Président se défende et en appelle au peuple par la dissolution de l'Assemblée nationale. Cela me semble une symétrie raisonnable et un droit de réponse qui pourrait d'ailleurs réfréner les manoeuvres politiciennes dont certains craignent l'existence à la suite de cette modification constitutionnelle.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Chacun a les pouvoirs que lui donne la Constitution. Le Sénat a ses pouvoirs et sa spécificité, l'Assemblée nationale les siens, et cela ne change pas.

Le Président peut ainsi, tout au long de la procédure, dissoudre l'Assemblée nationale et provoquer des élections. Même si des garde-fous ont été mis en place par l'Assemblée nationale, la procédure peut toujours être détournée à des fins partisanes ; certains d'entre vous ont fait observer que cette destitution pourrait être utilisée de façon politicienne.

La Constitution actuelle prévoit la réunion de la Haute Cour de justice pour juger le Président de la République en cas de haute trahison. Or, lors de la dernière législature, un député a tenté de réunir cette instance en déposant une proposition de résolution qui n'a pas réuni les suffrages nécessaires. Ce n'est pas cette modification constitutionnelle qui ouvre ce droit, c'est déjà le cas avec la Constitution en vigueur.

Madame Borvo Cohen-Seat, je ne vous étonnerai pas en vous disant que je ne partage pas votre vision du fonctionnement des institutions de la Ve République ni votre projet de la VIe République.

Vous ne pouvez pas affirmer que vous souhaitez protéger la fonction présidentielle de manière « intangible » - j'ai noté votre expression - et en même temps refuser toute protection pour des actes accomplis en dehors de l'exercice de ses fonctions. Il y a une contradiction entre votre déclaration de principe et les conclusions que vous en avez tirées.

Monsieur Frimat, vous avez critiqué l'inviolabilité temporaire dont bénéficie le Président de la République en matière civile et administrative.

Je reconnais, avec M. Badinter et avec tous les parlementaires, que la question s'est posée et qu'elle a été tranchée par la commission Avril.

Vous m'objecterez qu'il est un peu facile de se protéger derrière cette commission d'experts, mais, je le répète, les Constitutions sont généralement rédigées par des professeurs de droit - Maurice Duverger a été l'un des principaux auteurs de la Constitution de la IVe République ; on en a fait les frais ! -, mais aussi par des conseillers d'État, comme ce fut le cas de la Constitution de la Ve République, qui fut rédigée par Michel Debré, conseiller d'État et qui fut d'ailleurs notablement meilleure. Bref, le constituant délègue à des professionnels du droit et à des experts la rédaction de la Constitution.

Sur le problème de la responsabilité civile, je me suis expliqué tout à l'heure, dans la passion de la discussion, avec M. Badinter.

Je tiens à préciser que nous voulons éviter le harcèlement. Souvenez-vous de l'affaire Paula Jones aux États-Unis, cette affaire qui a tellement tracassé le Président Clinton, et qui, au-delà, a stupéfait le monde entier. On n'en revenait pas qu'une affaire de cette nature puisse déstabiliser une démocratie aussi puissante et forte que les États-Unis. Et pourtant, c'est ce qui s'est passé.

Sans doute nourrie de cette expérience, la commission Avril a voulu couvrir le Président de la République d'une inviolabilité civile car, à partir d'une affaire civile, on peut déstabiliser une démocratie. On a failli le voir aux États-Unis, il n'est pas impensable de l'imaginer en France. Telle est la raison pour laquelle je considère que ce choix est prudent, même si on peut le discuter.

Monsieur Fauchon, vous avez longuement évoqué la question de la responsabilité civile du Président. Je pense que, d'une manière générale, les hommes ou les femmes que nous élirons demain à la Présidence de la République seront honnêtes et, s'ils sont face à une affaire civile patente, une affaire familiale, ils ne refuseront pas de se prêter à cette procédure et de témoigner. Bref, ils n'iront pas se camoufler derrière cette inviolabilité pour ne pas remplir leur devoir...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Alors ce n'est pas la peine de légiférer !

M. Pascal Clément, garde des sceaux.... ou alors nous aurions, nous, Français bien mal choisi notre Président.

Je remercie M. Portelli, qui a fait un remarquable exposé et qui a eu raison de souligner la perméabilité entre le droit pénal, le droit civil et le droit administratif ; tout le monde en convient, les frontières sont aujourd'hui de plus en plus franchissables.

Ce projet de loi constitutionnelle est équilibré. Il garantit la continuité de l'État, tout en mettant en place une procédure permettant la destitution du Président de la République.

Monsieur Badinter, je ne pense pas que la situation soit aujourd'hui satisfaisante. Vous considérez que ce projet est mauvais. Faut-il pour autant en rester là ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Certes, on aurait pu considérer que, à partir du moment où le Conseil constitutionnel, première cour suprême, s'était prononcé et où la Cour de cassation, deuxième cour suprême, s'était également prononcée, on pouvait en rester là. Mais une telle position ne stabiliserait pas le droit, car, nous le savons tous, la jurisprudence d'une cour suprême peut évoluer. La jurisprudence qui vaudrait pour le président Jacques Chirac ne vaudra pas nécessairement, demain ou après-demain, pour son ou ses successeurs.

Voilà pourquoi, monsieur Badinter, je ne partage pas votre point de vue lorsque vous déclarez que la situation actuelle est satisfaisante.

M. Robert Badinter. Je n'ai pas dit cela ! J'ai évoqué la nécessité de redéfinir la haute trahison et de corriger la procédure de la Haute Cour.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Vous savez mieux que moi qu'aucun professeur de droit - j'en ai reçu de nombreux - n'est parvenu à dire précisément ce qu'est la haute trahison. Tous reconnaissent qu'elle est indéfinissable ; c'est d'ailleurs pourquoi on a fini par se débarrasser de cette notion. Évidemment, on peut toujours se référer à 1875, mais cela n'éteint nullement la discussion.

M. Pierre-Yves Collombat. Ce par quoi vous remplacez la haute trahison n'est pas mieux !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Si, monsieur le sénateur : lorsqu'on parle de comportement « manifestement incompatible » avec la fonction présidentielle, on voit de quoi il s'agit. Avec la haute trahison, que trahit-on : la Constitution, ses devoirs, sa famille ? On peut trahir tout ce qu'on veut ! C'est donc très flou.

Les juristes sont unanimes sur ce point : la haute trahison est très difficilement définissable et c'est pourquoi nous y avons substitué un concept politique relevant du comportement.

Le Président de la République ne peut, pendant son mandat, être mis en cause devant aucune juridiction pénale de droit commun. Il demeure toutefois une divergence, à savoir le privilège de juridiction que lui maintenait le Conseil constitutionnel et l'inviolabilité temporaire que lui accorde la Cour de cassation. Il fallait donc trancher ce différend, et c'est l'objet du présent projet de loi.

En ce qui concerne l'immunité totale, je vous rappelle, monsieur Badinter, que le texte prévoit une procédure de destitution du Président de la République en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ». C'est le Parlement qui appréciera la nature de ce manquement. S'agissant d'une procédure pénale, il n'est pas anormal que le manquement ne soit pas strictement défini sur le plan juridique.

Il est, en revanche, évident que la notion de manquement aux devoirs des fonctions de Président de la République dépasse le cadre institutionnel et s'applique à des infractions graves. Vous avez évoqué le meurtre d'une maîtresse, mais un tel crime serait tellement médiatisé qu'il tomberait dans le droit commun.

Monsieur Lecerf, je ne partage pas votre inquiétude quant au bouleversement institutionnel que provoquerait la réforme.

Il ne faut pas en exagérer les conséquences pour faire trembler le Sénat. Inutile d'imaginer le général de Gaulle « traîné » devant la Haute Cour ! M. Badinter nous a d'ailleurs dit en substance qu'une telle procédure serait peu praticable et qu'il vaut donc mieux ne pas s'engager sur cette voie. Je considère pour ma part que, dans l'hypothèse où la France serait scandalisée par le comportement d'un Président de la République, il est souhaitable de pouvoir demander la constitution d'une Haute Cour qui réunirait les deux chambres du Parlement. Je pense toutefois que l'engagement d'une telle procédure ne se produira pas avant fort longtemps, si tant est qu'il se produise un jour, en tout cas avec une chance d'aboutir.

Madame Boumediene-Thiery, le présent projet de loi ne met pas le Président de la République à l'abri de toute responsabilité. Nous suivons simplement la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel. Vous pourriez me répondre que nous la consacrons. Le texte n'a pas cette ambition : il a pour objet de fixer une jurisprudence et non pas de compléter les décisions de la Cour de cassation.

Je vous trouve bien pessimistes, mesdames, messieurs les sénateurs de gauche. Il est vrai que le Sénat de la Ve République a toujours été à droite, mais vous oubliez de rappeler qu'il fut à gauche pendant toute la IIIe République.

La situation peut parfaitement évoluer et bien malin qui peut dire aujourd'hui si, dans cinq ou dix ans, le Sénat sera de droite ou de gauche. Nous n'avons aucune certitude à cet égard.

Nous constatons d'ores et déjà que l'introduction de la proportionnelle, à partir de quatre sénateurs, a rééquilibré les choses et elle continuera de le faire.

Telles sont les précisions que je souhaitais apporter. J'espère qu'elles rassureront ceux qui s'inquiètent du bouleversement institutionnel que pourrait provoquer l'adoption de cette réforme, qui est présentée à la fin de la législature, mais qui est préparée depuis son début, ce qui a permis à tous d'y réfléchir. Je pense qu'elle permet de perfectionner notre Constitution, sans pour autant la bouleverser. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. Je rappelle que la discussion générale a été close.

Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi constitutionnelle.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution
Article unique

Articles additionnels avant l'article unique

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 7, présenté par MM. Badinter, Collombat, Peyronnet et Yung et Mme Boumediene - Thiery, est ainsi libellé :

Avant l'article unique, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

À dater de la prochaine élection présidentielle, le deuxième alinéa de l'article 56 de la Constitution est supprimé.

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Nous avons longuement évoqué la destitution du Président de la République. Mais un ancien Président condamné par la Cour pénale internationale, cela a été dit à juste titre, ne saurait non plus siéger au Conseil constitutionnel.

En fait, le problème est plus simple et il est posé depuis longtemps. Il nous faut y apporter une réponse.

J'ai une affection particulière pour le Conseil constitutionnel. Cette institution a lentement, difficilement, gagné ses lettres de noblesse. Elle est née d'une vision différente de celle qui a présidé à la création des cours constitutionnelles européennes. Il s'agissait à l'origine d'un organe créé par l'exécutif pour veiller à ce que le législatif n'outrepasse pas ses compétences.

Par ailleurs, afin d'assurer au président René Coty une sortie honorable et confortable de sa vie publique, les auteurs de la Constitution de la Ve République ont prévu que tout ancien Président de la République serait, à vie, membre de droit du Conseil constitutionnel.

C'est une singularité française. Aucune cour constitutionnelle, c'est-à-dire aucune cour qui juge, comme c'est devenu le cas du Conseil constitutionnel, avec un corpus juris extrêmement important, n'accueille un ancien Président de la République qui y siège à vie. D'autant qu'il peut décider de ne plus y siéger afin de reprendre, pour un temps, une activité politique, en espérant par exemple - et il est dommage que cela ne se soit pas fait - une grande destinée européenne, avant de réintégrer le Conseil constitutionnel. Cette situation est propre à notre pays et il convient d'y remédier.

L'amendement n° 7 ne vise pas l'actuel Président de la République qui, dans quelques mois, quittera ses fonctions. Nous prévoyons simplement qu'à partir de la prochaine élection présidentielle, c'est-à-dire celle qui suivra celle de 2007, les Présidents de la République ne seront plus membres de droit à vie du Conseil constitutionnel.

Je ne pense pas que le général de Gaulle ait jamais songé à siéger au Conseil constitutionnel. Le Président Pompidou est, hélas ! mort prématurément. Nous connaissons le choix de M Giscard d'Estaing. Le président Mitterrand n'envisageait pas non plus d'y siéger. Tout cela n'est pas sérieux. Il est temps que cette grande institution soit, à l'instar des grandes cours constitutionnelles européennes, composée de membres qui offrent de façon permanente des garanties d'impartialité, de réserve, d'éloignement de la vie politique, ce que l'on ne peut attendre d'un ancien Président de la République.

J'ajoute que les candidats actuels à la présidence de la République sont jeunes et je pense que l'on assistera de plus en plus à un rajeunissement de la fonction présidentielle. Il en résulte qu'avec le temps le Conseil constitutionnel comptera un nombre croissant d'anciens Présidents de la République, membres de droit à vie, qui finiront alors par avoir une sorte de contrôle majoritaire sur cette institution de juges.

Le Conseil constitutionnel a été pensé dans une optique propre aux débuts de la Ve République. Depuis 1974, les choses ont changé : le Conseil constitutionnel est devenu juge de la constitutionnalité. Les anciens Présidents de la République n'y ont donc plus leur place.

L'adoption de cet amendement résoudrait en outre définitivement la question de savoir si un ancien Président destitué peut, ou non, être membre à vie du Conseil constitutionnel, puisque personne ne le sera plus.

M. le président. L'amendement n° 9 rectifié, présenté par MM. Bel, Badinter et Frimat, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus - Schmidt, C. Gautier, Peyronnet, Rainaud, Sueur, Sutour, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article unique, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Le deuxième alinéa de l'article 56 de la Constitution est complété par les mots : «, hormis ceux qui ont été destitués par la Haute Cour ou condamnés par la Cour pénale internationale ou qui, à l'issue de leur mandat, ont fait l'objet d'une condamnation pour un crime ou pour un délit ayant entraîné la déchéance de leurs droits civiques par une juridiction française ».

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Tous les anciens Présidents de la République sont de droit membres à vie du Conseil constitutionnel. Il en résulte des problèmes redoutables, a fortiori lorsque le Président de la République a été destitué par la Haute Cour ou condamné par la Cour pénale internationale ou encore condamné par une juridiction pénale française à l'issue de son mandat.

Les dispositions prévues dans l'amendement n° 9 sont fondamentales. Sans elles, rien ne pourrait empêcher un ancien Président de la République de siéger au Conseil constitutionnel quand bien même il se serait rendu coupable d'un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat », qu'il s'agisse d'un crime contre l'humanité ou d'un crime de droit commun.

M. Portelli nous a dit tout à l'heure que cela était prévu par l'article 10 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, complété par l'article 7 du décret du 13 novembre 1959. Mais ces dispositions ne s'appliquent pas aux membres de droit. La doctrine est unanime sur ce point, à la seule exception de Maurice Duverger, dont M. le garde des sceaux ne semble pas penser le plus grand bien.

La note de service des études législatives du Sénat du 9 février 1984 est sans équivoque sur ce point. Lorsqu'il s'agit de membre de droit à vie du Conseil constitutionnel, cette jurisprudence ne s'applique pas. C'est d'ailleurs logique. Le fait que le Président de la République est membre de droit à vie du Conseil constitutionnel est prévu par la Constitution et une loi, fût-elle organique, ne peut pas revenir sur une disposition inscrite dans la Constitution.

Ces dispositions s'imposent aussi au membre lui-même, qui ne peut pas démissionner. Vincent Auriol, confronté à cette situation, avait décidé de ne plus siéger au Conseil constitutionnel, en déclarant : cela équivaut pour moi à la démission que la Constitution m'empêche de donner.

Les dispositions de l'ordonnance de 1958 et du décret de 1959 s'imposent donc au membre de droit à vie, qui ne peut pas démissionner, et au Conseil constitutionnel, qui ne peut pas renvoyer un membre de droit.

J'ajoute qu'elles lient toujours la démission au remplacement du membre démissionnaire. Or un membre de droit à vie n'est pas nommé ; il ne peut donc pas être remplacé.

Pour cet ensemble de raisons, il nous semble cohérent et de bonne législation de prévoir que les membres de droit qui auraient manqué à leur devoir, ou qui seraient condamnés par ailleurs, ne puissent pas siéger au Conseil constitutionnel.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L'amendement n° 7 vise le deuxième alinéa de l'article 56 de la Constitution. Or le présent projet de loi porte non pas sur le titre VII, relatif au Conseil constitutionnel, mais sur le titre IX, relatif à la Haute cour de justice et au statut pénal du chef de l'État.

Cet amendement n'ayant pas de lien direct avec l'objet du texte que nous examinons - il existe, sur ce point, une jurisprudence constante -, j'en demande le retrait. À défaut, j'y serai défavorable.

Quant à l'amendement n° 9 rectifié, il est un peu différent.

Il peut sembler étrange qu'un Président de la République destitué puisse ensuite siéger au Conseil constitutionnel. Ce point pourrait sans doute être évoqué lors de l'examen de la loi organique, qui devra préciser les conditions de mise en oeuvre de la destitution. (M. Badinter lève les bras au ciel.)

Nous avons une divergence d'opinion sur ce point, monsieur Badinter. Permettez-moi de vous donner mon interprétation, qui s'appuiera, comme les brillantes interventions de M. Portelli en commission et en séance publique, sur une décision du Conseil constitutionnel. Je sais que vous dites le contraire, monsieur Collombat. Mais vous vous contredisez parfois ! (Sourires. - M. Pierre-Yves Collombat proteste.)

Actuellement, l'article 10 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel donne au Conseil constitutionnel la faculté de constater la démission d'office de celui de ses membres qui n'aurait pas la jouissance de ses droits civils et politiques.

La loi organique pourrait préciser la situation des présidents destitués, a fortiori lorsqu'ils ont ensuite fait l'objet d'une condamnation pénale. Une modification de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958 permettra de préciser que les présidents destitués et déchus de leurs droits civiques ne peuvent siéger au Conseil constitutionnel.

En définitive, je ne vois vraiment pas où est le problème ! Je rappelle que, lors de l'élection de M. Giscard d'Estaing à l'Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel avait précisé que, sous la seule réserve de la dispense de serment expressément prévue par l'article 3 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, les membres à vie sont soumis aux mêmes obligations que les autres membres du Conseil constitutionnel. La jurisprudence est parfaitement claire.

À la lecture des travaux préparatoires à la rédaction de cette ordonnance, on constate que, si les anciens Présidents de la République sont amenés à siéger de droit à vie au Conseil constitutionnel, c'est en raison de leur expérience des pouvoirs publics et de l'arbitrage constitutionnel. S'ils se retirent de la vie publique, je ne vois pas en quoi leur présence au sein du Conseil constitutionnel serait nuisible.

La commission est donc défavorable aux amendements nos 7 et 9 rectifié.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur Badinter, en dehors du fait que l'amendement n° 7 n'est pas recevable dans la mesure où ce projet de loi constitutionnelle ne concerne pas le titre VII de la Constitution, je souhaite vous apporter deux réponses.

Tout d'abord, ce qui pose problème, ce n'est pas qu'un ancien Président de la République soit membre du Conseil Constitutionnel. En effet, comme l'a rappelé M. le rapporteur, son expérience du pouvoir est sans doute très précieuse et enrichissante pour cette institution, dont aucun des membres n'a exercé les mêmes fonctions.

En revanche, ce qui est nouveau, qui découle de l'évolution de la pratique constitutionnelle, et non pas de la lettre, je vous l'accorde volontiers, c'est que le devoir de réserve est différent pour un membre désigné et un membre à vie.

Vous savez comme moi qu'en droit constitutionnel il y a la lettre et la pratique, nous y sommes aujourd'hui confrontés. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Nous pourrions également gloser sur l'article 11 de la Constitution !

Vous auriez pu, monsieur Badinter, défendre une autre idée qui a d'ailleurs été évoquée par d'autres ; je veux parler de la proposition selon laquelle les anciens Présidents de la République deviendraient sénateurs à vie, ce qui leur permettrait de continuer à participer au débat politique, avec la distance qui sied aux sénateurs et en défendant une opinion partisane, sans risque de choquer quiconque.

Mais la presse s'est empressée de se précipiter sur une mauvaise piste et de dénoncer cette proposition au prétexte qu'elle servirait à exonérer le Président de la République de toute responsabilité pénale.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Avancer un tel argument, c'est méconnaître complètement le droit en vigueur puisqu'aucun parlementaire n'est exonéré de quoi que ce soit, comme le montre le nombre de sénateurs et de députés mis en examen et même condamnés. D'ailleurs, en matière d'abus de bien social, ils deviennent automatiquement inéligibles pour dix ans sans même qu'on ait le temps de s'en apercevoir... Seuls les journalistes ne sont pas au courant !...

Bref, la situation actuelle crée deux sortes de devoir de réserve, selon qu'il s'agit d'un membre nommé pour neuf ans ou d'un membre nommé à vie. La pratique a démontré que ce sont deux situations différentes.

En fait, plutôt que de prévoir qu'un ancien Président de la République devienne membre à vie du Conseil constitutionnel, il me semblerait préférable de le nommer sénateur.

Autre question : un ancien Président de la République destitué pourrait-il siéger au Conseil constitutionnel ? La réponse est « non », et ce pour deux raisons.

Premier cas, comme M. Portelli l'a expliqué tout à l'heure, si le Président est privé de ses droits civils à la suite d'une condamnation, c'est l'article 10 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 qui s'applique. Le Conseil constitutionnel doit alors simplement constater la démission d'office de celui de ses membres qui n'aurait pas la jouissance de ses droits civils et politiques. Ce premier cas est donc réglé.

Deuxième cas, le Président de la République destitué n'est pas condamné à la privation de ses droits civiques. Le Conseil constitutionnel apprécie alors au scrutin secret, à la majorité simple, si les faits qui sont reprochés sont de nature « à compromettre l'indépendance et la dignité des fonctions des membres du Conseil constitutionnel ».

Le problème est donc totalement réglé par les textes, qui sont sans ambiguïté. En effet, on n'imagine pas que le Conseil constitutionnel puisse garder un membre qui déshonorerait l'institution. On n'imagine pas non plus qu'un Président de la République ayant commis un acte justifiant la censure des deux assemblées et la condamnation de la Haute Cour, ayant à subir une peine de prison avec sursis ne soit pas, au bout du compte, privé de ses droits civiques ! C'est une hypothèse hautement improbable !

Si le Parlement décide de destituer un Président de la République, celui-ci aura commis des actes suffisamment graves pour être également privé de ses droits civiques. Le problème est donc complètement réglé. Disant cela, je m'adresse également à M. Lecerf, qui s'était inquiété de cette question.

Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement est défavorable aux amendements nos 7 et 9 rectifié.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote sur l'amendement n° 7.

M. Pierre-Yves Collombat. J'ai noté avec intérêt une certaine différence d'appréciation entre M. le garde des sceaux et M. le rapporteur.

S'agissant du premier point, il m'a semblé que M. le rapporteur n'était pas insensible au problème que nous soulevons, puisqu'il a précisé qu'une loi organique permettra d'y apporter des éléments de réponse. La situation est donc moins claire que vous ne voulez nous le faire croire, messieurs ! La question est la suivante : les ordonnances qui ont été évoquées s'appliquent-elles aux membres à vie du Conseil constitutionnel ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le Conseil constitutionnel l'a spécifié !

M. Pierre-Yves Collombat. Sur le second point, M. le garde des sceaux, contrairement à M. le rapporteur, ne pense pas que les membres de droit à vie aient les mêmes obligations que les membres désignés.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je ne le pense pas ; je le constate, c'est différent !

M. Pierre-Yves Collombat. Certes ! Il s'agit donc d'une pratique tout à fait courante.

Il a également été signalé que ces membres à vie ne sont pas soumis au serment et ne peuvent donc être parjures. Quand bien même auraient-ils les mêmes obligations, cela ne signifierait pas qu'ils pourraient être sanctionnés de la même façon !

Empêcher que les Présidents de la République ayant été confrontés à ce genre d'affaire puissent siéger au Conseil constitutionnel est donc une proposition de bon sens ! Nous en serions tous convenus, s'il n'y avait pas obligation de vote conforme. L'urgence étant là, vous cherchez absolument à justifier votre position !

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. Monsieur le garde des sceaux, vous avez évoqué la déchéance des droits civiques. Or, s'il s'agit d'une destitution politique pure et simple, il n'y aura ni condamnation ni déchéance des droits civiques ! Toutefois, je vous l'accorde, cet aspect de la question n'est pas essentiel.

Je vous le dis avec amitié, monsieur le rapporteur, rien ne peut prévaloir dans la hiérarchie des normes sur une disposition constitutionnelle. Ce n'est pas une question nouvelle, elle fut longuement débattue, croyez-moi, au Conseil constitutionnel. Vous ne pouvez pas, au nom de mesures prévues dans une loi organique, modifier les dispositions prévues par l'article 56 de la Constitution, dont je rappelle les termes : « En sus des neuf membres [...], font de droit partie à vie du Conseil constitutionnel les anciens Présidents de la République ».

Il ne s'agit pas de l'obligation de réserve ou du cumul avec des mandats électoraux ! Il s'agit de l'impossibilité de déchoir un ancien Président de la République de sa qualité de membre à vie du Conseil constitutionnel. Seule une révision constitutionnelle pourrait le permettre. Si d'aventure on se lançait dans cette voie par le biais d'une loi organique, je vous garantis que le Conseil constitutionnel censurerait une telle disposition. En effet, la Constitution est claire ! Par conséquent, le plus simple est de ne pas prévoir qu'un ancien Président de la République puisse être membre à vie du Conseil constitutionnel.

MM. Fauchon et Gélard ont évoqué la possibilité, pour les anciens Présidents de la République, de devenir sénateur. M. Gélard avait même déposé une proposition de loi relative au statut des anciens Présidents de la République française, qui visait à permettre à ces derniers de devenir sénateur à vie. Si la République, depuis fort longtemps, a perdu ses sénateurs à vie, je ne verrais, pour ma part, aucun inconvénient à cette proposition. Cela vaudrait certainement beaucoup mieux que de voir un ancien Président devenir membre à vie du Conseil constitutionnel !

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.

M. Hugues Portelli. Monsieur Badinter, à titre personnel, je suis contre l'existence de membres à vie du Conseil constitutionnel. Si j'avais été député ou sénateur à l'époque où la proposition de loi constitutionnelle déposée sous le gouvernement de Michel Rocard a été débattue, je l'aurais sûrement votée.

Cela dit, votre proposition constitue un cavalier constitutionnel.

Par ailleurs, je ne partage pas votre analyse concernant la notion de membre de droit à vie. S'il existe des membres de droit à vie, c'est parce que les autres membres du Conseil constitutionnel sont nommés pour neuf ans. Le fait que leur procédure d'introduction dans l'institution et que la durée pendant laquelle ils y siègent soient différentes ne signifie pas que l'ensemble des membres du Conseil constitutionnel ne sont pas soumis aux mêmes obligations, comme le précise d'ailleurs la décision de 1984 du Conseil constitutionnel.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

M. Hugues Portelli. Si l'on avait voulu qu'il en soit autrement, on aurait déclaré que ces membres sont inamovibles, comme les soixante-quinze sénateurs qui avaient été déclarés tels en 1875.

Or les anciens Présidents de la République, s'ils sont membres de droit à vie, ne sont pas inamovibles, et ils sont soumis aux mêmes obligations que les autres. S'ils ne les remplissent pas, ils sont susceptibles d'être démissionnés d'office.

Plusieurs sénateurs de l'UMP. C'est très clair !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Depuis cet après-midi, je dis que, pour mettre en cause le chef de l'État qui aurait commis un manquement grave dans l'exercice de ses fonctions, il est nécessaire d'exiger des majorités qualifiées dans les deux assemblées, afin que la décision ne soit pas partisane.

Pour la Haute Cour de justice, il suffisait de majorités simples. Un président de la République qui aurait commis un acte de haute trahison, un manquement extrêmement grave à ses obligations, aurait pu être jugé par la Haute cour de justice. S'il avait été jugé coupable, il aurait pu tout de même siéger au Conseil constitutionnel à vie. Il est quand même extraordinaire que l'on s'aperçoive de cela aujourd'hui, alors que cette situation existe depuis la Constitution de 1958 !

En fait, il s'agit de viser non pas la responsabilité politique, mais le comportement du chef de l'État qui provoquerait une crise institutionnelle. Ce n'est donc pas comparable à la responsabilité politique d'un gouvernement qui serait désavoué par une majorité parce que sa politique ne plaît pas. Cela n'a rien à voir non plus avec une sanction pénale. Mais, si les actes commis par le Président de la République constituent des crimes ou des délits, il sera bien entendu justiciable des juridictions ordinaires.

C'est la raison pour laquelle je ne comprends absolument pas certains raisonnements. Le dispositif qui a été voté à l'Assemblée nationale est beaucoup plus clair que ce qui existait auparavant. De plus, il n'a rien à voir avec la procédure américaine ; il est, en revanche, comparable aux dispositifs de destitution de toutes les grandes démocraties occidentales et, sur ce point, je vous renvoie à mon rapport. Le dispositif a été bien élaboré. !

Je maintiens qu'il existe une jurisprudence (Protestations sur diverses travées)...

Mais si, en vertu du principe d'assimilation ! Cela dit, on pourrait bien sûr discourir à perte de vue sur l'évolution du Conseil constitutionnel. Les débats seraient certainement très intéressants et académiques, comme nous les aimons beaucoup !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Articles additionnels avant l'article unique
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution
Article additionnel après l'article unique

Article unique

Le titre IX de la Constitution est remplacé par les dispositions suivantes :

« TITRE IX

« LA HAUTE COUR

« Art. 67. - Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.

« Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.

« Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions.

« Art. 68. - Le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour.

« La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l'autre qui se prononce dans les quinze jours.

« La Haute Cour est présidée par le Président de l'Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d'un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d'effet immédiat.

« Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l'assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.

« Une loi organique fixe les conditions d'application du présent article. »

M. le président. L'amendement n° 11, présenté par Mmes Borvo Cohen - Seat, Assassi, Mathon - Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 67 de la Constitution, remplacer les mots :

en cette qualité

par les mots :

en rapport direct avec la conduite des affaires de l'État

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Notre amendement concerne le point très important du champ de l'irresponsabilité du chef de l'État. A contrario, il vise à établir, de manière claire et nette, le domaine de sa responsabilité pénale, civile et administrative.

Lors de la discussion générale, j'ai présenté la position des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sur l'ensemble du texte. Pour nous, ce qui n'est pas acceptable, c'est l'inviolabilité temporaire accordée au président de la République pour tous les actes relevant des tribunaux de droit commun.

Dans quelques instants, nous présenterons un amendement important, le plus significatif, qui tend à supprimer cette inviolabilité temporaire pour autoriser une compétence immédiate des juridictions.

Selon le projet de loi, seuls les actes commis en qualité de Président de la République déclenchent l'irresponsabilité. Nous estimons que les termes « en qualité de » ne sont pas encore assez précis. J'ai bien noté, monsieur le rapporteur, votre explication. Actuellement, l'irresponsabilité concerne les actes accomplis « dans » l'exercice des fonctions.

Le projet de loi institue donc une irresponsabilité pour les actes commis « en qualité de chef de l'État ». Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, que cette évolution se fonde sur un arrêt de la Cour de cassation du 26 juin 1995. Cette institution, « appelée à se prononcer sur la responsabilité des membres du Gouvernement - qui relèvent de la Cour de la justice de la République pour les « actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions » -, a défini ces actes comme « ceux qui ont un apport direct avec la conduite des affaires de l'État ». »

Un texte constitutionnel doit être clair, mais, dans ce domaine particulièrement sensible, il faut lever toute ambiguïté. Voilà pourquoi nous proposons cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je confirme ce que j'avais dit et vous venez de répondre vous-même à la question que vous posez !

L'amendement prévoit que l'irresponsabilité du chef de l'État ne vaut que pour les actes « en rapport direct avec la conduite des affaires de l'État ». La rédaction proposée dans le projet de loi répond, semble-t-il, aux préoccupations que vous avez exprimées.

Il prévoit, en effet, que le chef de l'État est irresponsable pour les actes accomplis « en qualité » de président de la République. Cette formulation est plus satisfaisante que celle qui est actuellement retenue par le texte constitutionnel, lequel vise l'irresponsabilité pour les actes commis « dans » l'exercice des fonctions, ce qui pourrait laisser entendre que l'irresponsabilité couvre tous les actes accomplis pendant l'exercice du mandat. Il apparaît donc que, lorsqu'il agit en tant que personne privée, le président n'est pas couvert par l'irresponsabilité.

Par conséquent, je demande le retrait de cet amendement et, si ce n'était pas le cas, j'émettrais un avis défavorable.

M. le président. Madame Nicole Borvo Cohen-Seat, l'amendement n° 11 est-il maintenu ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, monsieur le président.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 11.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 12, présenté par Mmes Borvo Cohen - Seat, Assassi, Mathon - Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit les deuxième et dernier alinéas du texte proposé par cet article pour l'article 67 de la Constitution :

« Pour les actes relevant des juridictions ou des autorités administratives françaises, qu'ils aient été commis antérieurement ou au cours de son mandat, et qui sont sans rapport direct avec la conduite des affaires de l'État, le Président de la République est responsable. Les poursuites ne peuvent être engagées contre lui que sur décision d'une commission des requêtes, saisie par le parquet ou la partie qui se prétend lésée. Celle-ci ordonne soit le classement de la procédure, soit sa transmission au parquet.

« Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Cet amendement reprend, en l'adaptant au texte dont nous débattons, la proposition de loi déposée par les députés du groupe socialiste et adoptée par l'Assemblée nationale en 2001. À l'époque, nous avions voté cette proposition en soulignant qu'il n'y avait pas beaucoup d'espoir qu'elle prenne force de loi ! La majorité du Sénat s'était d'ailleurs opposée frontalement à cette proposition, bloquant de fait toute évolution.

Comme l'a rappelé ma collègue au cours de la discussion générale, la doctrine a longtemps défendu l'idée que les tribunaux de droit commun étaient compétents pour tous les actes ne relevant pas de la fonction de chef de l'État. C'est parallèlement au renforcement de la présidentialisation du régime que l'idée a fait son chemin du privilège de juridiction ou de l'inviolabilité temporaire.

Refuser que le Président de la République puisse relever des tribunaux de droit commun conforte la dérive monarchique de nos institutions. Bien entendu, l'importance de la fonction exige l'instauration d'un filtre pour que le Président ne soit pas poursuivi pour tout et n'importe quoi. C'est pour cela que nous proposons la mise en place d'une commission des requêtes. Il faut surtout entendre l'aspiration du peuple à la justice, à l'égalité devant la justice, à la transparence !

Avant d'en terminer, je voudrais ajouter, en faveur de notre proposition, un argument de cohérence : instaurer l'inviolabilité temporaire, comme il est proposé dans ce texte, tendra inévitablement à élargir le champ de la destitution.

La moindre affaire plus ou moins relayée par les journaux à sensation ou par la presse dite politique pourra être utilisée par des parlementaires à des fins politiciennes. En clair, ce qui nous est présenté ici comme la mise en oeuvre d'une responsabilité politique, la destitution, deviendrait le seul moyen de mettre en cause, sur le plan judiciaire, un Président en exercice.

En tout état de cause, nous estimons que la transparence, la recherche de la justice exigent l'adoption de la proposition que nous vous soumettons à présent.

M. le président. L'amendement n° 8, présenté par MM. Bel, Badinter et Frimat, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus - Schmidt, C. Gautier, Peyronnet, Rainaud, Sueur, Sutour, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit la première phrase du deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 67 de la Constitution :

Il ne peut, durant son mandat, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite, par une juridiction française dans le cadre d'une procédure pénale.

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Cet amendement recoupe celui qui a été déposé par MM. Fauchon et Zocchetto.

Il vise à limiter au domaine pénal, de procédure pénale pour être plus précis, le champ de l'immunité juridictionnelle du Président de la République pendant la durée de son mandat. C'est la reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation.

M. le président. L'amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Fauchon et Zocchetto, est ainsi libellé :

Dans la première phrase du deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 67 de la Constitution, après les mots :

Il ne peut,

insérer les mots :

en matière pénale,

La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Cet amendement a pour objet de limiter l'inviolabilité du chef de l'État, au cours de son mandat, à la seule matière pénale. Mon confrère et collègue Pierre Fauchon s'est longuement exprimé sur ce sujet.

En effet, l'immunité civile, qui ne semble pas avoir d'équivalent à l'étranger non plus que de précédent en France, apparaît contestable dans son principe. Elle crée une dissymétrie entre les droits respectifs des tiers et du chef de l'État, puisque ce dernier pourrait engager une action civile contre une personne, alors que celle-ci serait privée de toute possibilité en la matière.

À titre d'exemple, le Président pourrait demander le divorce, mais son conjoint n'en aurait pas la faculté. Les droits des tiers ne pourraient être exercés qu'à l'issue du mandat présidentiel : de longues années pourraient se passer - en particulier dans l'hypothèse d'un mandat renouvelé, ce qui est plausible lorsque ce dernier est de cinq ans - avant même que le justiciable qui s'estime lésé ne puisse saisir la justice. Dans certains cas, le préjudice causé peut se révéler irrémédiable, dans une affaire conjugale par exemple, mais pas seulement.

Au regard des atteintes portées à l'équilibre du procès civil, les bénéfices attendus de cette protection pour le chef de l'État n'apparaissent pas clairement. En effet, il ne semble pas que la fonction du Président de la République ait jamais été mise en cause par un contentieux civil et, si des litiges sont déjà survenus dans cette matière, il semble qu'ils aient toujours été réglés sans que ni la personne du Président ni le mandat qu'il assume ne soient fragilisés. L'immunité civile ne semble donc aucunement proportionnée à l'objectif recherché par la révision constitutionnelle.

En outre, l'immunité civile opère un effet rétroactif, contraire aux principes fondamentaux du droit, puisqu'elle peut concerner des actions dont la cause est antérieure à l'élection du président, voire des actions en cours lors de cette élection.

M. le président. L'amendement n° 4, présenté par M. Lecerf, est ainsi libellé :

Dans la première phrase du deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 67 de la Constitution, supprimer les mots :

d'information

L'amendement n° 5, présenté par M. Lecerf, est ainsi libellé :

Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 67 de la Constitution, supprimer les mots :

instances et

La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour présenter ces deux amendements.

M. Jean-René Lecerf. La concision doit effectivement être l'une des qualités premières d'un texte constitutionnel. Or je crains parfois que ce projet de loi ne soit quelque peu bavard, pour reprendre l'expression d'un président de Conseil constitutionnel.

J'ai trouvé deux exemples qui font l'objet des amendements nos 4 et 5.

L'amendement n° 4 concerne l'extrait de l'article 67 dans lequel il est dit que le président « ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite ».

Lorsque je lis l'excellent rapport de notre président rapporteur, j'y vois notamment - et je rejoins cette opinion - que l'information n'a de sens qu'en matière pénale où elle se confond avec l'instruction préparatoire. C'est la raison pour laquelle je considérais que le terme « d'information » était superflu.

Il en est de même pour l'amendement n° 5. Dans l'alinéa suivant du même article, il est précisé que les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre le président à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation de ses fonctions.

Encore une fois, je rejoins le rapport lorsqu'il y est dit que la notion de procédure recouvre celle d'instance. Maintenant, si l'on me démontre que j'ai tort, et je pense que l'on y parviendra aisément, je retirerai bien volontiers ces deux amendements.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Avec l'amendement n° 12, madame Assassi, vous en revenez clairement à un autre dispositif, puisque les poursuites devraient être autorisées par une commission des requêtes. Comme l'écrivait le professeur Chagnollaud, le système de la Haute Cour de justice est mort avant d'avoir commencé !

La commission est donc défavorable à cet amendement en contradiction avec le principe approuvé par la commission.

S'agissant de l'amendement n° 8, nous avons déjà longuement débattu de l'immunité civile ; je n'y reviens pas, même s'il est vrai que la société a évolué. Les Présidents de la République ont certainement eu des litiges d'ordre civil au cours de leur mandat, mais ceux-ci ont été réglés à l'amiable. Le Président de la République, en raison de ses fonctions, doit en effet avoir un comportement d'une dignité exemplaire. Le contraire serait grave !

Par conséquent, de tels propos me semblent exagérés. Manifestement, pour certains de nos collègues, le Président de la République devrait systématiquement être un voyou. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)

Bien entendu, des dispositions peuvent être adoptées pour éviter que le Président de la République ne fasse l'objet de litiges en matière civile pendant son mandat. Je pense notamment, et cela a déjà été évoqué, à des transferts de contrats ou à certaines propositions, par exemple en matière d'assurances, que certains pourraient émettre prudemment.

En outre, on peut très bien admettre que des actions soient intentées pour des litiges portant sur la vie privée. D'ailleurs, plusieurs dispositifs existent. Je vous le rappelle, la procédure de divorce a tout de même évolué depuis de nombreuses années. Je ne vois donc pas pourquoi cela poserait un problème pour le Président de la République.

En revanche, la « perméabilité » entre les procédures civiles et les procédures pénales est un phénomène à la fois nouveau et de plus en plus fréquent. À terme, il pourrait donc exister un risque de harcèlement permanent du chef de l'État, notamment dans des affaires de responsabilité civile.

Tout bien pesé, il y aurait, me semble-t-il, plus d'inconvénients que d'avantages à extraire la responsabilité civile de l'immunité juridictionnelle du président de la République pendant la durée de son mandat.

C'est la raison pour laquelle je soutiens totalement la position du Gouvernement, qui me paraît sage et prudente. La commission émet donc un avis défavorable sur les amendements nos 8 et 6 rectifié.

Par ailleurs, M. Lecerf a déposé les amendements nos 4 et 5 tendant à supprimer des mentions qu'il juge inutiles dans le présent projet de loi constitutionnelle.

M. Michel Mercier. Il n'a pas tort !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est vrai, mais il n'a pas entièrement raison non plus.

Sans doute la rédaction du projet de loi constitutionnelle aurait-elle pu être différente, mais elle est parfaitement claire actuellement. D'ailleurs, comme je l'avais souligné à propos d'un précédent amendement, le terme « instances » permet de préciser celui de « procédures ».

C'est pourquoi je souhaite connaître l'avis du Gouvernement sur les amendements nos 4 et 5, même si je suis personnellement enclin à demander à leur auteur de bien vouloir les retirer.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Le dispositif que l'amendement n° 11 tend à instituer renvoie à un autre texte et M. le rapporteur vient de s'exprimer sur le sujet.

Bien entendu, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

Les amendements nos 8 et 6 rectifié visent à exclure la responsabilité civile du champ de l'immunité juridictionnelle du président de la République. Je me suis déjà exprimé à plusieurs reprises sur cette question, me permettant même d'interrompre, avec son accord, M. Badinter. La position du Gouvernement est donc connue de tous et j'émets un avis défavorable sur ces deux amendements.

Je le rappelle, nous ne faisons que reprendre les propositions de la commission présidée par M. Pierre Avril ; nous assumons ce choix.

M. le rapporteur a souhaité connaître la position du Gouvernement sur les amendements nos 4 et 5.

L'amendement n° 4 vise à supprimer les mots « d'information », qui, selon M. Lecerf, pourraient être redondants avec le mot « instruction ». Or les deux notions ne sont pas identiques ; je voudrais vous en fournir quelques illustrations.

D'abord, le réquisitoire aux fins d'informer est un acte d'information préalable à la saisine du juge d'instruction. Ce n'est donc pas la même chose qu'une instruction.

Ensuite, alors que la notion de mesure d'instruction a un sens en procédure civile, celle de mesure d'information n'existe nullement.

Par ailleurs, l'amendement n° 5 tend à supprimer la notion d'« instances », que M. Lecerf juge voisine de celle de « procédures ». Or, je vous le rappelle, contrairement à une instance, qui débute lorsqu'une demande est formulée, une procédure, du moins en matière pénale, peut être entamée avant toute demande, voire en l'absence de demande, notamment lors de l'ouverture d'une enquête de flagrance ou préliminaire par le parquet.

Il y a donc bien une distinction entre les « instances » et les « procédures ».

C'est pourquoi, monsieur Lecerf, je vous suggère de retirer les amendements nos 4 et 5.

M. le président. Monsieur Lecerf, les amendements nos 4 et 5 sont-ils maintenus ?

M. Jean-René Lecerf. Non, je les retire, monsieur le président.

M. le président. Les amendements nos 4 et 5 sont retirés.

Je mets aux voix l'amendement n° 12.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote, sur l'amendement n° 6 rectifié.

M. Pierre Fauchon. Je ne répéterai pas ce que j'ai dit tout à l'heure, mais je voudrais répondre à quelques-uns des arguments qui ont été avancés.

Selon certains, il n'est pas grave que le président de la République ne puisse pas faire l'objet d'une action civile, puisqu'il peut avoir la sagesse d'accepter lui-même une telle action.

Pour ma part, je suis un peu sceptique quant à une telle « sagesse ». (M. le rapporteur s'exclame.) Certes, je ne doute pas qu'elle habite M. le président de la commission des lois, mais il n'est pas président de la République. Lorsqu'il le sera, nous pourrons certainement nous fier à sa sagesse (Sourires), mais je demeure un peu dubitatif quant à celle des autres.

De toute façon, nous inscrivons un principe d'ordre public dans la Constitution. Il n'est pas possible à un juge d'y contrevenir. Par conséquent, une action civile, même si elle était acceptée par l'intéressé, serait tout simplement irrecevable.

Ensuite, M. le garde des sceaux s'est réfugié dans une formule que je trouve plutôt curieuse. Il a affirmé s'en être remis à l'avis des juristes sur les questions relatives à la Constitution. Très bien ! C'est son droit. Voilà un grand témoignage de confiance. (Sourires sur les travées de l'UC-UDF et sur les travées du groupe socialiste.) Mais, jusqu'à nouvel ordre, les projets de loi constitutionnelle sont adoptés par le Parlement. Bien entendu, l'avis des juristes est très intéressant, mais, dans la mesure où il est rarement unanime - vous l'avez vous-même souligné, monsieur le garde des sceaux -, nous sommes bien tenus de prendre nous-mêmes nos décisions.

Certains invoquent la commission Avril pour justifier leur position. Il est vrai que l'on ne trouve d'explications sur l'extension de l'immunité juridictionnelle du président de la République au domaine civil ni dans les comptes rendus des débats de l'Assemblée nationale ni dans l'exposé des motifs du présent projet de loi constitutionnelle.

J'ai voulu moi-même connaître les conclusions de cette commission. J'ai donc consulté le rapport issu de ses travaux, qui dit ceci : « Naturellement, doivent être prévues dans la loi organique, parce que c'est impératif, les dispositions destinées à protéger effectivement et immédiatement les droits des tiers qui pourraient être lésés par l'impossibilité d'engager des poursuites. »

Pour ma part, je ne vois pas comment une loi organique pourrait revenir sur un principe d'immunité juridictionnelle énoncé par la Constitution.

Le rapport continue ainsi : « L'existence d'assurances obligatoires doit normalement suffire à régler l'essentiel des problèmes, grâce à l'intervention des compagnies d'assurance pour des cas aussi variés et prosaïques que des dommages accidentels, tels que des dégâts des eaux trouvant leur origine dans l'appartement privé du chef de l'État. »

Comme je le soulignais voilà quelques instants, une telle confiance envers les assurances n'est tout simplement pas sérieuse. Les assurances font ce qu'elles veulent. Si elles souhaitent attendre avant qu'un litige soit résolu, ce qui peut prendre cinq ans, voire dix ans, elles pourront toujours le faire. Je ne crois donc pas qu'il faille leur faire trop confiance.

Le rapport poursuit ainsi : « En revanche, pour ce qui n'est pas normalement couvert par une assurance, » - en l'occurrence, il s'agit des cas les plus graves - « ni réglé par une transaction, sans doute serait-il sage de prévoir un dispositif particulier, tel que, par exemple, l'obligation faite au président de la République, dès après son élection, de transférer à un tiers tout contrat de travail dans lequel il serait employeur, afin d'éviter des contentieux prud'homaux, ou de désigner un mandataire. »

Ainsi, le rapport de cette commission reconnaît l'existence d'un problème et recommande d'adopter des dispositions particulières pour le résoudre, mais sans préciser lesquelles, à l'exception d'une seule mesure, au demeurant un peu farfelue, relative aux contentieux prud'homaux.

En réalité, la commission Avril ne règle en rien la situation ; elle laisse simplement la question ouverte en disant qu'il faudra imaginer un dispositif particulier. Et, comme cela n'a pas été fait, il y a une véritable lacune dans le présent projet de loi constitutionnelle.

Ainsi, monsieur le garde des sceaux, non seulement le prétendu support que vous invoquez n'existe pas, mais, en plus, la lecture du rapport que vous mentionnez se retourne contre vous, puisque vous n'avez même pas suivi ses recommandations concernant la nécessité d'instituer un dispositif spécifique en ce qui concerne ces actions civiles.

M. Patrice Gélard. Mais il y aura une loi organique !

M. Pierre Fauchon. J'ai également entendu un autre argument curieux.

Selon certains, l'impossibilité d'intenter une action en responsabilité civile contre le président de la République le préserverait de tout risque de harcèlement par la presse. Mais depuis quand la presse a-t-elle besoin qu'une affaire fasse l'objet d'une procédure judiciaire pour en parler ?

D'ailleurs, et j'insiste sur ce point, lorsqu'une affaire sera importante, par exemple dans le cas d'un accident ou d'un conflit familial, l'impossibilité d'intenter une action en responsabilité civile contre le président de la République aura vraisemblablement pour effet d'inciter la presse à en parler davantage. Cela risque donc de faire beaucoup plus de bruit qu'une procédure civile. Vous le voyez, votre argument se retourne contre vous.

Enfin, certains ont osé affirmer, et cela m'a beaucoup surpris, qu'il n'y avait que peu de différences entre le civil et le pénal.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Pierre Fauchon. Sans doute ces personnes ne perçoivent-elles pas la différence entre le fait de passer devant une juridiction civile et une comparution devant une chambre correctionnelle ou entre une convocation chez le juge d'instruction et un rendez-vous avec un avocat pour préparer des conclusions. (Sourires sur les travées de l'UC-UDF et sur les travées du groupe socialiste.)

Pourtant, à l'exception de ceux qui osent employer de tels arguments, la plupart de nos concitoyens savent parfaitement la différence entre une procédure pénale et une procédure civile.

Je souhaite donc que, dans sa sagesse, la Haute Assemblée adopte cet amendement. De mon point de vue, l'extension de l'immunité juridictionnelle du président de la République au domaine civil est totalement dépourvue de fondement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 101 :

Nombre de votants 329
Nombre de suffrages exprimés 304
Majorité absolue des suffrages exprimés 153
Pour l'adoption 133
Contre 171

Le Sénat n'a pas adopté.

L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Lecerf et Fauchon, est ainsi libellé :

Compléter le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 68 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée :

Le président, dont il est ainsi mis fin au mandat, ne peut siéger au Conseil constitutionnel.

La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. Si cet amendement peut paraître, sur certains points, similaire à un amendement qui a déjà été rejeté, je me permettrai de faire observer, d'une part, qu'il ne porte pas sur le même article de la Constitution et, d'autre part et surtout, qu'il n'a absolument pas la même portée. En effet, il ne concerne pas un Président de la République qui aurait été condamné par la Cour pénale internationale.

Pour le reste, ce problème a déjà été assez largement abordé. Nous voulons empêcher les anciens Présidents de la République qui auraient été destitués de siéger au Conseil constitutionnel.

Divers arguments ont été échangés, qui ne m'ont pas pleinement convaincu. Je crains que, vers trois heures du matin, on ne finisse par nous expliquer que la Constitution peut être modifiée par circulaire !

Lors des auditions qui ont été organisées par notre président-rapporteur, M. Didier Maus, président de l'Association française des constitutionnalistes, avait fait observer que la Constitution aurait pu être utilement modifiée sur ce point afin que les Présidents destitués ne soient plus membres de droit à vie du Conseil constitutionnel.

Hier soir, je participais à un débat sur Public Sénat avec un autre professeur de droit qui partageait le même sentiment, alors qu'il était favorable à la réforme dans son ensemble. Selon lui, le Sénat réglerait cette question sans difficulté par le vote d'un amendement !

À mon humble avis, nous ne devons pas légiférer seulement pour les candidats au concours de l'agrégation de droit public, mais aussi pour le peuple français. Nous aurons beaucoup de difficultés à faire comprendre à ce denier qu'un Président de la République dont les parlementaires auraient considéré qu'il a outrepassé ses fonctions puisse être membre de droit à vie du Conseil constitutionnel.

Je suis prêt à accepter bien des choses, notamment les opinions qui ont été émises sur l'article 10 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, auquel je me réfère d'ailleurs dans l'objet de mon amendement. Dans certaines hypothèses, le Conseil constitutionnel pourra constater la démission d'office de celui de ses membres qui n'aurait pas la jouissance de ses droits civils et politiques. Mais il existe bien sûr toute une série d'hypothèses où la destitution du Président de la République résultera de l'appréciation des autres pouvoirs constitutionnels sans qu'aucune infraction ait été commise et donc sans que le Président ainsi destitué perde ses droits civils et politiques.

C'est la raison pour laquelle je maintiendrai cet amendement !

M. le président. Compte tenu des votes qui sont intervenus, il me semble que cet amendement peut être considéré comme n'ayant plus d'objet. J'aimerais cependant recueillir l'avis de M. le rapporteur sur ce point.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Habilement, M. Lecerf a fait porter son amendement sur l'article 68 ; il aurait également pu l'insérer dans les dispositions concernant le Conseil constitutionnel.

Sur le fond, tous les arguments ont été développés. Nous avons déjà voté à plusieurs reprises sur le fait qu'il n'y avait pas lieu, dans la révision constitutionnelle, d'évoquer la question d'un Président destitué.

D'une part, Hugues Portelli nous a rappelé qu'il existe une jurisprudence du Conseil constitutionnel. D'autre part, ce problème peut être réglé dans la loi organique, car c'est une question d'application. Aujourd'hui, la Constitution comporte très peu de dispositions relatives au Conseil constitutionnel.

Imaginez un peu la confusion si nous adoptions cet amendement, alors que nous en avons rejeté un précédent qui revenait exactement au même !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas le même article !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L'avis de la commission ne peut donc qu'être défavorable puisque nous avons déjà rejeté un amendement qui visait les anciens Présidents de la Républiques destitués.

M. le président. Vous me confirmez donc que cet amendement tombe, monsieur le rapporteur ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 2 rectifié est donc sans objet.

La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, lorsqu'un amendement tombe, la règle voudrait qu'on l'annonce immédiatement après le vote qui le fait tomber.

Après avoir discuté d'un autre amendement, on s'aperçoit soudain que celui-ci tombe. Dans ce cas, ne dites pas qu'il tombe mais qu'il est déjà tombé ! (Sourires.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 1, présenté par M. Lecerf, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 68 de la Constitution :

« La proposition de réunion de la Haute Cour n'est recevable que si elle est signée par un cinquième au moins des membres de l'Assemblée nationale ou du Sénat. Si elle adoptée par une des assemblées du Parlement, elle est aussitôt transmise à l'autre qui se prononce dans les quinze jours. »

La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. Si j'ai bien compris, monsieur le président, pour que l'amendement n° 2 rectifié ne devienne pas sans objet, j'aurais dû voter un amendement allant plus loin, prévoyant ainsi la possibilité d'interdire à un ancien Président de devenir juge constitutionnel dans des hypothèses que je n'envisageais même pas. C'est une manière assez curieuse d'envisager les choses !

M. Bernard Frimat. En commission, cet amendement n'était pas tombé !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il avait été rejeté !

M. Bernard Frimat. Oui, mais après un vote ; il n'était pas tombé !

M. Jean-René Lecerf. L'amendement n° 1 tend, à l'exemple de ce qui est prévu par l'article 49 de la Constitution, à imposer l'exigence d'un certain nombre de signatures pour qu'une proposition de résolution de mise en accusation devant la Haute Cour puisse être recevable.

Il me semble en effet qu'il serait fâcheux que les mêmes personnes déposent, de manière systématique et récurrente, des propositions de résolution. Ce serait particulièrement déstabilisant pour le titulaire de la fonction de chef de l'État.

Cela dit, si cet amendement peut être interprété comme un appel à la loi organique, je n'en serai pas particulièrement fâché.

M. le président. L'amendement n° 10, présenté par MM. Bel et Frimat, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Peyronnet, Rainaud, Sueur, Sutour, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

I. - Après les mots :

Haute Cour

rédiger comme suit la fin du deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 68 de la Constitution :

est adoptée par l'Assemblée nationale

II. - Dans la première phrase de l'avant-dernier alinéa du même texte, remplacer les mots :

l'assemblée concernée

par les mots :

l'Assemblée nationale

La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Cet amendement a pour objet de réserver à la seule Assemblée nationale l'initiative de convoquer la Haute Cour. Nous avons développé ce point dans la discussion générale.

La commission Avril, qui a tant d'importance et réunit des gens de si grande qualité, explique que la mise en accusation devant la Haute Cour n'a rien à voir avec un procès et que le Président de la République qui comparaîtra devant les 908 parlementaires ne sera pas du tout dans la position d'un justiciable. C'est dire qu'il s'agit bien de la mise en cause d'une responsabilité politique ! Lors des auditions que M. le président de la commission des lois a organisées et auxquelles il a eu l'amabilité de nous convier, la quasi-totalité des personnes entendues l'ont déclaré de la manière la plus claire.

Nous envisageons donc la destitution potentielle de la personne qui détient la plus grande légitimité dans notre pays, puisqu'elle est élue au suffrage universel direct par la totalité du peuple souverain. Or la mise en jeu de la responsabilité politique n'est pas dans les pouvoirs du Sénat, elle est le monopole de l'Assemblée nationale, qui, seule, peut voter une motion de censure et, seule, encourt la dissolution. Tel n'est pas le cas du Sénat !

Vous rompez l'équilibre des pouvoirs de manière indiscutable. À une mise en jeu de ce nouvel article 68 par l'Assemblée nationale, le Président de la République peut répondre par la dissolution et laisser le peuple trancher. Si le Sénat engage cette procédure, le Président ne peut rien faire : il n'a aucune arme contre le Sénat.

Soit, dans la même logique, vous proposez - ce qui serait une innovation intéressante - la dissolution du Sénat comme contrepartie de la mise en jeu de la responsabilité politique du Président. Soit vous restez dans l'équilibre actuel des pouvoirs, ce qui me semblerait plus normal, et vous ne donnez pas au Sénat le pouvoir de déclencher la procédure de destitution.

Ce sera plus clair et le combat se déroulera, d'une certaine façon, à armes plus égales : nous ne voulons pas qu'un des combattants, dont les spécificités et les résistances à l'alternance ont été mesurées par tous les instruments de précision imaginables, puisse rester totalement irresponsable de ses actes tout en jouissant du privilège de pouvoir remettre en cause l'existence même du Président de la République élu, lui, au suffrage universel direct - car le Sénat est élu au suffrage universel, nous ne le contestons pas, mais il n'est pas élu au suffrage universel direct.

En aucune façon cet amendement ne remet en question le bicamérisme ni les pouvoirs législatifs du Sénat. Il tend simplement à le situer dans son équilibre : la responsabilité politique de l'exécutif ne peut être mise en cause devant le Sénat car le Sénat ne peut être dissous.

M. le président. L'amendement n° 13, présenté par Mmes Borvo Cohen - Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Dans le deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 68 de la Constitution, remplacer les mots :

une des assemblées du Parlement

par les mots :

l'Assemblée nationale

et les mots :

à l'autre

par les mots :

au Sénat

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L'amendement n° 1 est tout à fait pertinent dans la mesure où il convient effectivement de préciser le nombre de signataires d'une proposition de résolution de mise en accusation dans chaque assemblée.

Aujourd'hui, je le rappelle, chaque assemblée décide de la mise en accusation du Président par la Haute Cour de justice à la majorité absolue de ses membres. En ce qui concerne le nombre de signataires de la proposition de résolution portant mise en accusation, cette condition n'est même pas fixée par la loi organique, puisqu'elle se trouve dans les règlements des assemblées : pour être recevable, la résolution doit être signée par au moins un dixième des membres de l'assemblée. D'ailleurs, ce seuil est peut-être insuffisant.

Faire figurer cette condition dans la loi organique serait indispensable. Nous devrons forcément adopter une loi organique et celle-ci concernera le Sénat : nous aurons donc l'occasion d'exercer un contrôle. Dans cette loi organique, le Gouvernement pensera sans doute à préciser les conditions de recevabilité et nous pourrons, non seulement prévenir, grâce à la règle des deux tiers, les coups politiques et partisans, mais aussi empêcher l'action des trublions, des Saint-Just de chef-lieu de canton...

M. Bernard Frimat. Des Caton de service !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Exactement ! Il faut bien encadrer la procédure.

Je propose donc à M. Lecerf de retirer son amendement.

S'agissant de l'amendement n° 10, je suis étonné, monsieur Frimat, de votre raisonnement. Vous parlez de la mise en jeu de la responsabilité politique du Président de la République, que vous comparez immédiatement à la motion de censure. Veuillez m'excuser, mais vous avez tort ! La mise en cause du Président de la République en raison de ses fonctions parce qu'il a manqué aux devoirs de sa charge n'a rien à voir avec la responsabilité politique.

S'agissant de la Haute Cour de justice, les deux assemblées étaient à égalité. Or cette cour avait, elle aussi, à juger des faits de « haute trahison », qui correspondaient également à un manquement grave du président de la République à ses fonctions. Je ne vois pas au nom de quoi, aujourd'hui, sous prétexte que l'on distingue bien la responsabilité pénale du chef de l'État de la mise en cause de sa responsabilité pour manquement grave dans l'exercice de ses fonctions, les deux assemblées ne seraient plus à égalité.

La commission émet donc un avis défavorable sur les amendements nos 1 et 10, car je crois qu'il s'agit d'un mélange entre deux choses très différentes. C'est pourquoi votre raisonnement, monsieur Frimat, quoiqu'il soit très subtil, ne tient pas.

Sur l'amendement n° 13, l'avis de la commission est également défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur le président Hyest a tout dit !

J'émets un avis défavorable sur l'amendement n° 1 de M. Lecerf. Effectivement, la loi organique prévoira le nombre de signatures requis.

L'avis du Gouvernement est également défavorable sur les amendements nos 10 et 13.

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, il va être minuit trente ; je vous rappelle que je vais devoir impérativement lever la séance, le Sénat devant entendre demain matin, à neuf heures trente, le rapport de M. le Premier président de la Cour des comptes. (Vives protestations sur l'ensemble des travées.)

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur le président, je crois qu'il est important que la discussion, qui est presque achevée, puisse se terminer sans report.

M. le président. Dans ce cas, j'invite chacun à faire preuve de concision.

La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.

M. Hugues Portelli. L'argumentation de M. Frimat me semble parfaitement réversible.

M. le rapporteur a en effet très bien expliqué pourquoi la procédure de destitution n'avait rien à voir avec une procédure d'engagement de la responsabilité.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Absolument !

M. Hugues Portelli. En revanche, si on réserve cette procédure à la seule Assemblée nationale, on fait tout pour créer une procédure nouvelle de responsabilité politique du Président devant l'Assemblée, ce qui est totalement contraire à l'esprit des institutions.

Le fait que le Sénat participe à cette procédure constitue précisément une garantie puisque lui-même ne peut justement pas engager la responsabilité politique

En outre - j'ai déjà évoqué l'idée tout à l'heure - dans la Constitution, il n'existe actuellement qu'une seule procédure dans laquelle le peuple souverain, qui élit le Président de la République, peut être remplacé par le Sénat et l'Assemblée réunis en Congrès : c'est la révision de la Constitution. Désormais, il y aura un deuxième cas. Ainsi, quand le peuple souverain ne se prononce pas, il est remplacé non pas par l'Assemblée nationale, mais par le Congrès.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !

M. le président. M. Lecerf, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?

M. Jean-René Lecerf. Non, monsieur le président, je le retire.

M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.

La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président de la commission, il faut que les mots aient un sens.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ils en ont un !

M. Bernard Frimat. Vous nous avez expliqué que les pouvoirs des deux assemblées étaient égaux quand il s'agissait d'une procédure judiciaire devant la Haute Cour de justice. Mais alors il n'était pas question d'une mise en cause politique, il s'agissait d'une affaire judiciaire, ce qui est totalement différent.

Je pense que l'argument développé avec beaucoup de talent par M. Portelli n'est pas fondé. Tout au moins, mon cher collègue, nos interprétations sont différentes.

La responsabilité politique ne se divise pas. Notre amendement porte sur la mise en jeu de cette responsabilité. Nous ne mettons pas en cause votre conception du Congrès. En revanche, ce que nous contestons, c'est la mise en jeu de la responsabilité politique. En effet, si une telle mise en jeu s'effectue à l'initiative de l'Assemblée nationale, le Président de la République dispose d'un instrument de contre-attaque, ce qui n'est pas le cas s'agissant du Sénat. Nous faisons donc bien la différence.

Votre argumentation n'a que l'apparence de la logique. Elle est intéressante, mais elle ne porte pas sur le contenu de notre amendement.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je ne me situe pas dans la même logique que celle qui vient d'être exposée.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Effectivement !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. De mon point de vue, l'assemblée élue au suffrage indirect ne peut pas engager la procédure de destitution du Président de la République élu au suffrage direct. C'est tout ! Cela n'a donc rien à voir avec le droit de dissolution qui vient d'être évoqué.

Je parle bien de la question de l'engagement de la procédure. Je ne dis pas que le Sénat ne peut pas participer à la procédure elle-même dans le cadre d'un Congrès.

Le problème est que l'engagement de la procédure par le Sénat n'aurait lieu que pour un Président de gauche ! (Protestations sur les travées de l'UMP.) C'est l'évidence !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 10.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 13.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Lecerf, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit la première phrase du troisième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 68 de la Constitution :

La Haute Cour est présidée par le président du Sénat.

La parole est à M. Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. La commission Avril avait envisagé, par une référence à la IIIe République et au système américain, que la Haute Cour soit en fait le Sénat, avant qu'il ne lui apparaisse que la représentation nationale dans son ensemble devait être associée à une procédure qui la concerne tout entière. Cette commission n'avait vraisemblablement écarté la présidence de la Haute Cour par le président du Sénat que dans la mesure où celui-ci, dans le texte initial, était amené à exercer l'intérim des fonctions de Président de la République.

Cette disposition ne figure plus dans le projet de loi constitutionnelle, puisqu'elle a été supprimée par l'Assemblée nationale.

Il ne paraît donc pas totalement incongru, dans le cadre d'un bicamérisme modéré et partageant le pouvoir, que la présidence de la Haute Cour soit dévolue au président du Sénat.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur le président, vous vous doutez bien que je suis fortement tenté de donner un avis favorable à cet amendement. (Sourires.) Mais je ne suis pas persuadé que ce serait une bonne chose...

M. Portelli a évoqué tout à l'heure, à juste titre, le Congrès : c'est le président de l'Assemblée nationale qui préside le Congrès. Il doit en être de même pour la Haute Cour.

Au demeurant, je ne pense pas qu'une navette ouverte sur ce sujet grandirait particulièrement notre assemblée.

Je demande donc à son auteur de bien vouloir retirer cet amendement.

M. le président. Monsieur Lecerf, l'amendement est-il maintenu ?

M. Jean-René Lecerf. Je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 3 est retiré.

Je mets aux voix l'article unique du projet de loi constitutionnelle.

(L'article unique est adopté.)

Article unique
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article additionnel après l'article unique

M. le président. L'amendement n° 14, présenté par Mmes Borvo Cohen - Seat, Assassi, Mathon - Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article unique, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Le second alinéa de l'article 88-1 de la Constitution est supprimé.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J'ai bien conscience du fait que cet amendement constitue à l'évidence un « cavalier constitutionnel ».

Cela dit, l'ordre du jour du Congrès du Parlement qui se tiendra dans les jours à venir, probablement le 19 février, comporte des thèmes aussi divers que le collège électoral de la Nouvelle Calédonie, l'abolition de la peine de mort ou une modification du régime de responsabilité du chef de l'État. C'est dire si cette révision englobe des sujets divers qu'il importe de traiter avant la fin du mandat du Président de la République.

Pourquoi donc ne pas intégrer à cet ensemble l'abrogation d'un alinéa constitutionnel qui, selon le voeu du peuple français, n'a plus lieu d'être ?

Rappelez-vous, le 28 février 2005, le Parlement s'est réuni à Versailles. Par une écrasante majorité de 92 %, les députés et les sénateurs ont alors validé le traité constitutionnel européen en inscrivant dans la Constitution l'alinéa précisant que la République « peut participer à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité établissant une Constitution pour l'Europe. »

Les membres de mon groupe ainsi que les députés communistes de l'Assemblée nationale ont alors dénoncé un déni de démocratie à l'égard de nos concitoyens qui devaient se prononcer par référendum quelques semaines plus tard.

Or le peuple a voté « non » à ce référendum à une large majorité, en dépit d'une campagne à sens unique en faveur du « oui ».

L'humilité devrait donc être aujourd'hui de mise, ainsi que la rigueur politique.

Ne serait-ce pas la moindre des choses que les parlementaires, qui ont été désavoués lors du référendum, révisent la Constitution pour tenir compte du verdict populaire ?

La démocratie l'exige de même qu'une certaine conception de la politique. Que peut en effet signifier l'exercice du droit de vote si ni les parlementaires ni le Président de la République ne tiennent compte d'un choix aussi important que celui qui a été exprimé alors ?

Une immense majorité de nos compatriotes ignore que le texte fondateur de notre régime politique, la Constitution, est aujourd'hui en contradiction explicite avec leur vote. Refuser la modification que je propose témoignerait d'une volonté implicite de revenir demain sur le choix fait par le peuple.

Chacun sait qu'existe, à droite, mais aussi, malheureusement, à gauche, la volonté de relancer le projet de traité. Un passage en force au lendemain de l'élection présidentielle par le biais d'un Congrès, et non plus par référendum, entre dans les plans de certains.

C'est pour cela que la modification de l'article 88-1 n'a pas eu lieu. Certains se disent en effet qu'il pourra toujours servir !

L'actualité européenne de ces derniers mois m'incite en outre vivement à vous demander de corriger cet article 88-1.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cet amendement est sans lien avec le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis.

La question du traité établissant une constitution pour l'Europe est en suspens. Il nous appartiendra de l'examiner ultérieurement en fonction des évolutions de ce dossier. L'avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 14.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Vote sur l'ensemble

Article additionnel après l'article unique
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi constitutionnelle, je donne la parole à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

M. Bernard Frimat. Mon propos sera bref, car le groupe socialiste a suffisamment expliqué au cours du débat qu'il aurait été possible de trouver un accord sur le statut pénal du chef de l'État si vous vous en étiez tenu à l'arrêt de la Cour de cassation. Vous ne l'avez pas souhaité.

Vous allez ce soir voter ce texte conforme pour des questions de calendrier, et ce même si vous êtes nombreux à considérer au fond de vous-mêmes que les observations que nous avons faites sont de bon sens et que le texte auquel nous sommes arrivés n'est pas satisfaisant. Pour parler sans euphémisme, ce texte d'ailleurs est mal écrit et il pose toute une série de problèmes.

Au demeurant, le groupe socialiste s'abstiendra, de façon à montrer qu'il est attaché à ce que le statut pénal du chef de l'État soit précisé, mais que la manière dont vous l'avez fait ne lui convient pas.

M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard.

M. Patrice Gélard. Le groupe UMP se félicite de l'adoption de ce texte.

Je ferai simplement deux remarques.

La première est que le travail n'est pas terminé. Nous devrons en effet adopter la loi organique, qui sera très importante puisqu'elle devra compléter le présent texte. Il faudra également, bien sûr, compléter le règlement du Sénat, en vertu de ce qui aura été décidé dans la loi organique.

Par ailleurs, s'agissant du statut futur du chef de l'État, je me félicite de ce que M. le garde des sceaux ait trouvé bonne l'idée, que M. Badinter a d'ailleurs reprise (M. Bernard Frimat proteste), de nommer sénateur le Président de la République au terme de ses fonctions. Sur ce point aussi, il faudra un jour remettre l'ouvrage sur le métier ; ce sera sans doute à la satisfaction générale.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si notre débat doit se conclure sur l'affirmation que les anciens présidents de la République ont vocation à devenir sénateurs à vie, c'est encore plus volontiers que je voterai contre ce projet de loi !

Il est très dommage que nous ayons abordé l'examen de ce texte en toute fin de mandat présidentiel et de législature et que, de surcroît, nous ayons dû débattre dans la précipitation, un vote conforme étant nécessaire en vue de la réunion du Congrès le 19 février prochain.

En effet, le sujet de la responsabilité du chef de l'État selon qu'il s'agit ou non d'actes commis dans l'exercice de ses fonctions aurait vraiment mérité une discussion plus approfondie. Ce texte n'apporte pas grand-chose et laisse de côté la véritable question, qui est de savoir si le chef de l'État est, en dehors de l'exercice de ses fonctions, un citoyen comme les autres.

En tout état de cause, comme je l'ai déjà dit, il faudrait à mon sens également revoir les pouvoirs du président de la République et l'organisation de nos institutions.

Quoi qu'il en soit, ce projet de loi constitutionnelle ne nous satisfait absolument pas, et nous voterons contre.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. Pour moi, les choses sont claires depuis le début : dès juillet 2003, j'ai dénoncé ce que je considère être les défauts structurels de ce projet. À mes yeux, le moindre d'entre eux n'est pas que ce texte ouvre à une partie de la représentation nationale une possibilité dont l'autre ne bénéficiera jamais, sauf si l'on se décide à réformer le mode d'élection des sénateurs.

Les débats ayant abouti à ce que le texte demeure tel qu'il était issu des travaux de l'Assemblée nationale, je n'ai aucune raison de changer d'opinion : je voterai contre ce projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.

M. Michel Mercier. Je déplore que le Gouvernement et la majorité qui approuvera ce texte ne s'en soient pas tenus au simple statut pénal du Chef de l'État, ce qui nous aurait permis à tous de voter ce projet de loi. Pour des raisons que Pierre Fauchon et d'autres orateurs ont excellemment expliquées, il n'en ira pas ainsi. Je regrette que nous n'ayons pu convaincre le Sénat.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?....

Je mets aux voix le projet de loi constitutionnelle.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 102 :

Nombre de votants 326
Nombre de suffrages exprimés 224
Majorité absolue des suffrages exprimés 113
Pour l'adoption 164
Contre 60

Le Sénat a adopté.

En conséquence, le projet de loi constitutionnelle est adopté dans les mêmes termes qu'à l'Assemblée nationale.

14

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution
 

DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif aux transports routiers internationaux et au transit des voyageurs et des marchandises.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 222, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

15

TRANSMISSION De PROJETs DE LOI

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant les articles 414-8 et 414-9 du code pénal.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 218, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant modifications du code de justice militaire et du code de la défense.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 219, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la Commission nationale consultative des droits de l'homme.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 221, distribué et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

16

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. Aymeri de Montesquiou une proposition de loi portant simplification du code du travail.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 210, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

17

TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur les redevances aéroportuaires.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3441 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 234/2004 imposant certaines mesures restrictives à l'égard du Liberia.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3442 et distribué.

18

DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président. J'ai reçu de M. Gérard Roujas un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Corée (n° 143, 2006-2007).

Le rapport sera imprimé sous le n° 209 et distribué.

J'ai reçu de M. Louis Duvernois un rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles sur sa proposition de loi, relative à la création de l'établissement public CulturesFrance (n° 126, 2006-2007).

Le rapport sera imprimé sous le n° 211 et distribué.

J'ai reçu de M. Henri de Richemont un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, portant réforme de la protection juridique des majeurs (n° 172, 2006-2007).

Le rapport sera imprimé sous le n° 212 et distribué.

J'ai reçu de M. Patrice Gélard un rapport fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi de M. Nicolas Alfonsi, tendant à modifier certaines dispositions relatives au fonctionnement de la collectivité territoriale de Corse (n° 156, 2006-2007).

Le rapport sera imprimé sous le n° 214 et distribué.

J'ai reçu de M. Jean-Pierre Godefroy un rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi de MM. Jean-Pierre Godefroy, Jean Desessard, Charles Gautier, Roger Madec, Richard Yung, Jean-Pierre Bel, Mme Michèle André, MM. Bernard Angels, David Assouline, Bertrand Auban, Mme Marie-Christine Blandin, M. Yannick Bodin, Mmes Nicole Bricq, Claire-Lise Campion, M. Bernard Cazeau, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Pierre-Yves Collombat, Roland Courteau, Yves Dauge, Mme Christiane Demontès, MM. Claude Domeizel, Michel Dreyfus-Schmidt, Bernard Frimat, Jean-Noël Guérini, Claude Haut, Mme Sandrine Hurel, MM. Alain Journet, Yves Krattinger, Serge Larcher, André Lejeune, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Mahéas, François Marc, Jean-Pierre Michel, Jean-François Picheral, Bernard Piras, Mme Gisèle Printz, MM. Thierry Repentin, Claude Saunier, Mme Patricia Schillinger, M. Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Tasca, MM. Michel Teston, Jean-Marc Todeschini, Pierre-Yvon Trémel, André Vantomme et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, visant à organiser le recours aux stages (n° 364, 2005-2006).

Le rapport sera imprimé sous le n° 215 et distribué.

J'ai reçu de Mme Janine Rozier un rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux modalités de dissolution de la mutuelle dénommée Société nationale « Les Médaillés militaires » (n° 184, 2006-2007).

Le rapport sera imprimé sous le n° 216 et distribué.

J'ai reçu de M. Philippe Marini un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions intéressant la Banque de France (n° 169, 2006-2007).

Le rapport sera imprimé sous le n° 217 et distribué.

19

DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION

M. le président. J'ai reçu de M. Maurice Blin un rapport d'information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur l'enquête de la Cour des comptes relative au fonctionnement de l'Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR) et à sa transformation en OSEO-ANVAR.

Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 220 et distribué.

20

DÉPÔT D'UN avis

M. le président. J'ai reçu de Mme Bernadette Dupont un avis présenté au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, portant réforme de la protection juridique des majeurs (n° 172, 2006-2007).

L'avis sera imprimé sous le n° 213 et distribué.

21

ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, jeudi 8 février 2007 :

À neuf heures trente :

1. Dépôt par M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, du rapport annuel de la Cour des comptes.

2. Suite de la discussion du projet de loi (n° 133, 2006 2007), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale.

Rapport (n° 177, 2006 2007) de M. François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

À quinze heures et le soir :

3. Questions d'actualité au Gouvernement.

4. Suite de l'ordre du jour du matin.

Délais limites pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des amendements

Question orale avec débat (n° 24) de M. Jean-Paul Émorine à M. le ministre délégué à l'aménagement du territoire sur les pôles de compétitivité ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 12 février 2007, à dix-sept heures.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux modalités de dissolution de la mutuelle dénommée Société nationale « Les Médaillés militaires » (n° 184, 2006-2007) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 12 février 2007, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 12 février 2007, à seize heures.

Conclusions de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi tendant à modifier certaines dispositions relatives au fonctionnement de la collectivité territoriale de Corse, présentée par M. Nicolas Alfonsi (n° 156, 2006 2007) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 12 février 2007, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 12 février 2007, à seize heures.

Conclusions de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi visant à organiser le recours aux stages, présentée par M. Jean Pierre Godefroy et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (n° 364, 2005-2006) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 12 février 2007, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 12 février 2007, à seize heures.

Conclusions de la commission des affaires culturelles sur la proposition de loi relative à la création de l'établissement public CulturesFrance, présentée par M. Louis Duvernois (n° 126, 2006-2007) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 12 février 2007, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 12 février 2007, à seize heures.

Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions intéressant la Banque de France (n° 169, 2006-2007) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 13 février 2007, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 13 février 2007, à dix-sept heures.

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme de la protection juridique des majeurs (n° 172, 2006-2007) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 13 février 2007, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 12 février 2007, à seize heures.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 8 février 2007, à zéro heure cinquante.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD