compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

CANDIDATURES À UN ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE

M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation des sénateurs appelés à siéger au sein du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie.

La commission des affaires sociales a fait connaître qu'elle propose les candidatures de MM. Alain Vasselle et Bernard Cazeau pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition, à l'expiration du délai d'une heure.

3

DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT

M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2006-436 du 14 avril 2006, relative aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins et aux parcs naturels régionaux.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera disponible au bureau de la distribution.

4

 
Dossier législatif : projet de loi de modernisation du dialogue social
Discussion générale (suite)

Modernisation du dialogue social

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de modernisation du dialogue social
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de modernisation du dialogue social, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence (nos 117 et 152.)

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre, que nous avons toujours beaucoup de plaisir à retrouver en cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes. Je vous remercie, monsieur le président, de vos mots de bienvenue.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la mondialisation et la construction du marché unique européen sont à l'origine d'une reconfiguration de l'économie française.

Notre pays a fait le pari - pouvait-il en être autrement ? - de l'ouverture au commerce international, et il s'est inséré dans les flux des échanges mondiaux.

La compétitivité de nos entreprises se mesure désormais à l'échelle planétaire. Pour continuer à faire face à la concurrence mondiale et conquérir de plus vastes marchés, elles doivent faire preuve de réactivité et d'audace. Cela n'exclut pas, toutefois, que les conditions du marché soient équilibrées, et que ni le dumping social ni le dumping financier ne viennent perturber les règles de loyauté.

Le besoin de souplesse des entreprises doit se concilier avec la préservation et le renforcement de la cohésion sociale. La modernisation de notre modèle social impose une démarche collective, avec un principe qui se nomme concertation. Les réformes nécessaires ne peuvent s'accomplir que dans un climat de confiance, dans lequel chacun prend et prendra ses responsabilités.

Tel est le défi auquel nous devons répondre.

C'est pour ces raisons que la modernisation du dialogue social est, aux yeux du Gouvernement, un enjeu essentiel. C'est pour ces raisons que le projet de loi dont nous commençons aujourd'hui la discussion au sein de votre assemblée vise à introduire dans le code du travail un chapitre préliminaire qui associe les partenaires sociaux à l'élaboration des normes et des réformes sociales. Il reprend ainsi les principes exposés par le Président de la République devant le Conseil économique et social, le 10 octobre dernier.

C'est une rénovation profonde de notre démocratie sociale que nous engageons avec ce texte. En fixant une nouvelle méthode de travail, en appelant à un pacte de confiance, en faisant du dialogue social la pierre angulaire de notre modèle social, nous nous donnons les moyens de relever le pari de la modernisation de notre pays, en préservant la valeur et la richesse de sa cohésion sociale.

Ce projet s'inscrit dans la continuité des actions menées par le Gouvernement depuis 2002

Si ce projet « marque une avancée historique », pour reprendre les termes d'une organisation syndicale auditionnée par la commission des affaires sociales du Sénat, il s'inscrit dans la continuité des actions législatives menées par le Gouvernement, qui ont visé à développer le dialogue social et la négociation collective.

Cette évolution s'est concrétisée, en premier lieu, par une extension du champ de la négociation collective en ce qui concerne la plupart des textes intéressant le champ des relations du travail. Citons, par exemple, les récentes lois sur le temps de travail, ou les dispositions de la loi de programmation pour la cohésion sociale de janvier 2005 relatives aux mutations économiques et à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Les textes qui ont été adoptés ces dernières années dans le champ du droit du travail organisent, selon des modalités diverses, un renvoi à la négociation collective, le plus souvent au niveau de l'entreprise, tout en préservant les exigences de l'ordre public social.

À ceux qui viendraient à en douter, les résultats de 2005 et, bientôt, de 2006 démontreront que l'activité conventionnelle a été soutenue : rappelons-le, en 2005, 44 accords interprofessionnels sont intervenus, 1 144 accords de branches ont été passés, et 20 000 accords d'entreprise au moins ont été signés, selon le bilan de la négociation collective.

La loi du 4 mai 2004 a représenté la deuxième étape de cette évolution. Il s'agit là d'un texte essentiel quant au droit de la négociation collective.

Dans la ligne de la « position commune », signée par la plupart des partenaires sociaux en 2001, ce texte a introduit un principe majoritaire dans la signature des accords et donne davantage de place et d'autonomie aux accords d'entreprise, les plus proches des réalités et des contraintes concrètes de l'entreprise et de ses salariés.

Pour franchir une troisième étape, il nous était impératif d'associer étroitement les partenaires sociaux. Nous avons donc choisi d'élaborer ce projet de loi en concertation avec eux. Nous avons fait le choix d'avancer ensemble, progressivement, en nous appliquant la méthode que nous souhaitions organiser par ce projet de loi.

Inspiré des préconisations du rapport de Dominique-Jean Chertier, annoncé le 12 décembre 2005 devant la Commission nationale de la négociation collective, la CNNC, et remis au Premier ministre en avril 2006, ce projet a fait l'objet d'une large concertation avec les partenaires sociaux.

Les rencontres bilatérales se sont d'abord déroulées sur la base de fiches présentant plusieurs scénarios d'évolution, ce qui était nouveau, puis sur la base d'un avant-projet, susceptible d'évolutions.

À la fin du mois de septembre, accompagné d'une délégation des partenaires sociaux, je me suis rendu aux Pays-Bas et en Espagne, deux pays qui ont su moderniser leurs relations sociales, de manière différente. L'expérience de ces deux pays nous a permis de comprendre qu'un dialogue social nourri et plus apaisé reposait d'abord sur une relation de confiance entre les partenaires sociaux et l'État, permettant la recherche de convergences et, parfois, d'un consensus.

La concertation s'est achevée le 6 novembre 2006, devant la Commission nationale de la négociation collective. Cette réunion a permis de procéder aux derniers ajustements, aux amendements, pourrait-on dire, que souhaitaient certaines organisations syndicales et professionnelles.

Pour illustrer le souci de convergence, l'option initialement envisagée, qui consistait à modifier au travers de ce texte l'architecture de nos instances de consultation, comme le préconisait le rapport de M. Dominique-Jean Chertier, n'a pas finalement été retenue. Non que la question ne se pose pas, mais les remarques des partenaires sociaux ont montré que c'était un exercice différent. La priorité était bien, ici, de poser les principes de nouveaux rapports entre les partenaires sociaux et l'État. Cette rationalisation des instances n'en reste pas moins nécessaire, me semble-t-il, et elle devra se réaliser en concertation avec les partenaires sociaux.

Sans pouvoir prétendre à un caractère totalement consensuel, ce projet de loi constitue un point de convergence fort avec les organisations représentatives. Même si certaines organisations auraient souhaité que le projet traite aussi de la représentativité syndicale, toutes ont reconnu qu'un pas important avait été franchi au profit de la rénovation des relations sociales.

Quels sont les objectifs et le contenu du projet de loi ?

Comme je l'ai indiqué, ce texte vise à modifier la pratique qui s'est instaurée dans les rapports entre les gouvernements et les partenaires sociaux.

Alors que les pouvoirs publics ont très souvent le sentiment que les textes sociaux sont élaborés en concertation avec eux, qu'ils sont consultés sur ces textes, les partenaires sociaux ont le sentiment inverse : ils se sentent écartés de l'élaboration des textes essentiels qui régissent notamment les relations du travail. Cette situation n'est pas nouvelle.

Il fallait donc inventer de nouvelles règles du jeu, en partie inspirées de celles qui s'appliquent au niveau de l'Union européenne, de façon à donner un cadre clair et organisé au dialogue social.

Ces nouvelles règles résident en trois principes : la concertation, la consultation, l'information.

Premier principe : la concertation. Lorsque le Gouvernement envisage une réforme concernant les règles générales du droit du travail, à savoir les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle, il doit, dans un premier temps, se concerter avec les organisations syndicales et professionnelles représentatives au niveau national et interprofessionnel.

Cette concertation se fait sur la base d'un document d'orientation, adressé aux organisations syndicales et professionnelles représentatives au niveau national et interprofessionnel, à charge pour ces dernières de dire si elles envisagent ou non de négocier un accord, dans un délai qu'elles indiquent.

Deuxième principe : la consultation. Les textes législatifs et réglementaires élaborés par le Gouvernement au vu des résultats de la concertation et de la négociation devront être présentés devant les instances habituelles du dialogue social que sont la Commission nationale de la négociation collective, pour tout ce qui concerne les relations du travail, le Comité supérieur de l'emploi, en matière d'emploi, et le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, pour ce qui touche la formation professionnelle.

À cette occasion, je précise que nous comblons un vide de notre droit du travail, qui ne prévoyait aucune consultation préalable obligatoire en cas de réforme portant, notamment, sur le contrat de travail. La compétence de la Commission nationale de la négociation collective n'est donc plus cantonnée aux règles de la négociation, mais elle est étendue aux relations individuelles du travail. Par ailleurs, la compétence consultative du Conseil supérieur de l'emploi, qui était jusqu'alors facultative, devient obligatoire.

Troisième principe : l'information. Est prévu un rendez-vous annuel entre le Gouvernement, au niveau du Premier ministre - le texte est très clair sur ce point -, et les partenaires sociaux devant la Commission nationale de la négociation collective, au cours duquel les pouvoirs publics et les organisations représentatives feront part de leur calendrier de réformes et de négociations. C'est l'expérience très positive de la Fondation du travail aux Pays-Bas qui a inspiré l'instauration de cette rencontre annuelle.

L'Assemblée nationale a souhaité garantir la publicité des échanges qui auront lieu à cette occasion et a prévu que soit publié le compte rendu des débats. Il s'agit d'un complément qui me paraît utile.

Nous avons eu des échanges approfondis avec Mme le rapporteur, qui a réalisé un travail dont je souhaite saluer la qualité : elle a, notamment, soulevé des questionnements qui n'avaient pas été abordés par l'Assemblée nationale, même si certains l'avaient été devant le Conseil d'État.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Quel talent !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Les échanges avec votre commission des affaires sociales, le 9 janvier, n'ont pas été moins intéressants. C'est pourquoi je voudrais plus particulièrement insister devant votre assemblée sur les équilibres auxquels répond le projet de loi qui vous est soumis, et tout d'abord sur les équilibres sociaux.

Sur ce point, comme m'y ont invité Mme le rapporteur et la commission, j'apporterai pour commencer plusieurs précisions qui me paraissent s'imposer pour répondre à certaines interrogations.

Ainsi que je l'ai fait devant la commission des affaires sociales pour éclairer un amendement déposé par M. Alain Gournac, je souhaite rappeler quelles sont les organisations concernées par le projet de loi. Celui-ci concerne les organisations représentatives au niveau national et interprofessionnel, à savoir, aujourd'hui, les cinq confédérations syndicales : CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC, et les trois organisations interprofessionnelles représentant les employeurs qui sont en mesure de négocier un accord interprofessionnel : MEDEF, CGPME, UPA. Naturellement, cette liste peut changer en fonction de l'évolution des règles de la représentativité ; j'y reviendrai dans un instant.

J'insiste sur le fait que l'équilibre du dispositif repose sur le caractère interprofessionnel - et ce mot a un sens particulier - de la concertation. En effet, la nouvelle procédure est réservée aux projets de réforme présentant un caractère général et ayant à ce titre vocation à s'appliquer à l'ensemble des entreprises du secteur privé. Seules les organisations reconnues comme étant représentatives au niveau interprofessionnel sont donc concernées.

Lors des débats de l'Assemblée nationale, des inquiétudes légitimes sont apparues quant à la place de certains secteurs essentiels d'activité : je pense notamment à l'agriculture, avec la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, mais le raisonnement doit être étendu aux professions libérales, avec l'UNAPL, l'Union nationale des associations de professions libérales. (M. Alain Gournac approuve.)

J'ai eu l'occasion d'échanger sur ce point avec les organisations concernées, et je l'ai dit devant votre commission, mais, à la tribune du Sénat, cela prend un sens particulier : il va de soi, et je m'y engage solennellement, que des projets de réforme relatifs au droit du travail qui concerneraient spécifiquement ces secteurs d'activité impliqueraient des procédures de concertation, sur l'initiative des pouvoirs publics, avec les organisations représentatives de ces secteurs, donc, par exemple, avec la FNSEA et l'UNAPL. C'est là une évidence, mais il est essentiel de le répéter pour éviter tout malentendu.

À titre d'exemple, et nous l'avions évoqué devant la commission, il n'est pas imaginable que des dispositions spécifiques concernant les salaires ou les contrats de travail dans l'agriculture puissent être prises sans concertation avec l'organisation professionnelle représentative du secteur.

Cependant, le projet de loi qui vous est soumis, je le répète, ne vise pas ce cas de figure. Il porte sur les réformes à caractère général et sur le seul niveau interprofessionnel. Il reste donc volontairement neutre quant à la question du dialogue social et de la négociation collective au sein des secteurs d'activité, et ne modifie en rien l'équilibre existant, dans lequel la FNSEA et l'UNAPL occupent une place particulière qui doit être préservée.

Le souci du Gouvernement a par ailleurs été d'organiser une concertation effective. Cela s'est traduit par la volonté d'engager le dialogue sur la base d'un document d'orientation qui pose un diagnostic et des objectifs, mais qui ne préjuge en rien le contenu de la négociation. Il est en effet essentiel que le Gouvernement ne présente pas aux partenaires sociaux un projet de loi précis qui préjugerait des résultats de la négociation éventuelle.

Dans le même esprit, et pour répondre à une interrogation de Mme le rapporteur, les délais de négociation ne sont pas prédéfinis par la loi : ils dépendront de l'objet de la négociation et seront proposés par les partenaires sociaux eux-mêmes.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et arrêtés par le ministre !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Naturellement !

À l'issue des concertations avec les partenaires sociaux, il est apparu nécessaire, à l'image des exemples espagnol et néerlandais, de conserver de la souplesse et de ne pas prévoir de délais trop rigides. La réponse des organisations devra donc intervenir dans un délai « raisonnable », permettant à la négociation de se dérouler dans des conditions satisfaisantes pour l'ensemble des parties et d'éviter des manoeuvres dilatoires, notamment.

Enfin, je dirai un mot des règles d'engagement de la négociation.

Afin qu'une telle négociation s'engage dans de bonnes conditions et aboutisse, il conviendra que le plus grand nombre d'organisations syndicales de salariés et d'organisations représentant les employeurs s'impliquent dans ce processus. Au minimum, il faudra qu'un nombre suffisant d'organisations pour pouvoir conclure éventuellement un accord donnent une réponse positive.

C'est aujourd'hui la règle de la validité des accords. Si demain elle vient à changer - c'est d'ailleurs l'un des points qu'aborde le Conseil économique et social dans son avis -, nous appliquerons naturellement, par automatisme, la nouvelle règle de validité des accords.

Au demeurant, je rappelle qu'un bilan de la loi du 4 mai 2004 devra être établi à la fin de cette année - naturellement, le Parlement y sera associé - pour nous permettre de décider si nous allons plus loin en direction de l'accord majoritaire. Sur ce point, l'avis du Conseil économique et social est assez balancé, puisqu'il passe par la phase intermédiaire de la majorité relative avant d'envisager le passage à la majorité d'engagement, sachant que le dialogue social, c'est aussi un apprentissage.

J'en viens aux équilibres institutionnels.

Il était nécessaire de sortir du domaine de la seule déclaration sans portée normative telle qu'elle était contenue dans l'exposé des motifs de la loi du 4 mai 2004.

En même temps, si l'on ne voulait pas bouleverser les équilibres constitutionnels, il fallait s'en tenir au champ des procédures instituées très en amont des projets de loi, sans affecter les attributions constitutionnelles du Gouvernement ni du Parlement en matière d'initiative des lois et de procédure législative. De fait, la procédure prévue par le projet de loi s'arrête là où commence l'article 39 de la Constitution sur le dépôt des projets et propositions de lois.

S'agissant du Parlement, et je sais combien le Sénat y est attaché, la procédure législative n'est pas englobée et le texte ne vise pas le dépôt des projets et propositions de loi ni les actes qui leur sont postérieurs. En effet, la réforme proposée concerne les seuls rapports entre le Gouvernement et les partenaires sociaux et ne peut s'étendre à la procédure législative ni au droit d'amendement. Cela aurait nécessité une modification de la Constitution que je n'ai pas vue inscrite au programme du rendez-vous de février à Versailles.

Pour autant, l'esprit de la réforme modifiera sans aucun doute les pratiques et devrait empêcher toute dérive permettant des contournements de la procédure de concertation. C'est en tout cas l'exemple que nous montrent un certain nombre de pays où ni les règles constitutionnelles ni les règles parlementaires n'ont été bouleversées, et où un nouvel état d'esprit s'est progressivement institué. Les Pays-Bas sont de ce point de vue particulièrement intéressants : ayant connu d'importantes tensions sociales avant 1982, ils ont vu la signature d'un accord, l'accord de Wassenaar - le texte n'est guère plus long que le présent projet de loi -, dont on constate vingt-cinq ans après qu'il a donné naissance à des pratiques de dialogue social qui, encore au printemps dernier, ont permis à ce pays de traverser une crise sociale dans la concertation et la recherche de convergences. Voilà pourquoi la pratique de certains de nos voisins européens est très éclairante : même sans modification législative ou constitutionnelle, la procédure de consultation des partenaires sociaux est désormais, de fait, respectée.

Je voudrais aussi apporter une précision sur un point important qui n'avait pas été abordé à l'Assemblée nationale mais qu'a soulevé à juste titre votre rapporteur : la transposition des directives européennes par le législateur. Soit la directive laisse au Gouvernement, puis au Parlement un large pouvoir d'appréciation dans la définition du contenu de la transposition : le texte assurant la transposition sera alors constitutif d'une « réforme » au sens du projet de loi, et la procédure de concertation préalable sera applicable. Soit la directive enserre les autorités nationales dans un cadre très précisément défini qui, en droit et en fait, prive d'objet et d'utilité la procédure de concertation : ce sera donc non plus une « réforme » au sens du projet de loi, mais une simple transposition de directive adaptant le droit national au droit communautaire, et la procédure de concertation préalable ne sera pas applicable. Cette question a été étudiée par le Gouvernement, dont les réflexions ont été éclairées par le Conseil d'État dans la phase d'élaboration du projet de loi. Il me semblait important de répondre au questionnement de fond de Mme le rapporteur sur ce sujet.

S'agissant du Gouvernement, le projet de loi prévoit une réserve en cas d'urgence. Je sais que ce point a suscité des interrogations, mais les améliorations apportées par l'Assemblée nationale devraient permettre de les dissiper.

Si personne ne contestait le principe du recours à l'urgence prévu dans la plupart des procédures administratives, budgétaires, juridictionnelles, la crainte existait que ce recours ne puisse être abusif, permettant, là encore, de contourner la procédure. Pour cette raison, l'Assemblée nationale a souhaité préciser que, avant de prendre toute mesure nécessitée par l'urgence, le Gouvernement devra faire connaître sa décision aux partenaires sociaux et la motiver dans un document qu'il transmettra à ces derniers. Une chose est sûre : l'urgence décidée par le Gouvernement, motivée et expliquée aux partenaires sociaux, devra être réservée à des situations exceptionnelles tenant, notamment, à des motifs d'ordre public ou de santé publique. C'est là, je crois, un point de juste équilibre.

Toujours sur l'urgence, j'ajouterai que, si nous ne pouvons pas, en droit, faire de lien automatique entre l'urgence pour la procédure avec les partenaires sociaux et l'urgence dans la procédure législative, en fait, elles devraient, à terme, être le plus souvent convergentes.

Enfin, se pose la question du sort réservé à l'accord, fruit de la négociation interprofessionnelle. Si, à l'issue de la phase de concertation, un accord interprofessionnel est conclu, et si son application implique des dispositions législatives ou réglementaires - ce qui ne sera pas nécessairement toujours le cas -, il constituera la colonne vertébrale du futur projet de loi - sur lequel vous garderez une entière liberté d'appréciation et d'amendement - ou du futur décret.

Parlons des équilibres dans le temps.

Je voudrais enfin rappeler que le dialogue social est par nature dynamique et vivant, et que ce projet de loi n'a pas la prétention d'être un texte exhaustif.

D'autres questions devront être traitées dans un avenir proche. Je pense aux sujets soulevés par le rapport du président Hadas-Lebel, à propos desquels le Conseil économique et social a rendu son avis le 29 novembre dernier.

Cet avis du Conseil économique et social donne des orientations sur les évolutions qui devront intervenir sur les règles existantes en matière de représentativité des organisations syndicales, de validité des accords collectifs, de négociation collective dans les PME et de financement des organisations syndicales. Il constitue une étape importante afin de poursuivre la recherche de compromis sur le choix des solutions à mettre en oeuvre.

Si le Gouvernement est conscient que ces questions devront faire l'objet de réformes, il n'est pas paru opportun de les traiter dans le texte qui organise les rapports entre les partenaires sociaux et les pouvoirs publics.

Du point de vue de la méthode, il aurait été en effet paradoxal de faire figurer dans un texte organisant un nouveau mode de dialogue social entre partenaires sociaux et pouvoirs publics des dispositions qui sont essentielles pour les partenaires sociaux et qui n'auraient pas été examinées et discutées de manière suffisamment approfondie avec eux et avec la commission !

Sur le fond, les propositions du Conseil économique et social ne sont pas simplement techniques. Elles impliquent une transformation profonde du paysage syndical. Pour autant, elles se limitent à fixer des orientations qui sont à l'heure actuelle trop générales pour faire, en l'état, l'objet d'une transposition législative.

Nous devons donc procéder par étapes.

C'est la raison pour laquelle, à la demande du Premier ministre, Jean-Louis Borloo et moi-même allons rencontrer dès la fin du mois de janvier, après l'examen de ce texte, l'ensemble des organisations syndicales et professionnelles, pour aborder les questions qui restent ouvertes. Le critère de l'élection doit-il être exclusif ou être couplé avec d'autres critères ? Sur quelles élections fonder la représentativité ? Quel seuil faut-il retenir ? Quelle organisation et quel financement ? (Mme Gisèle Printz s'exclame.) Ce sont des interrogations majeures, qui doivent être approfondies et sur lesquelles nous devons encore rapprocher les points de vue.

En conclusion, je voudrais insister sur le fait que le projet de loi que nous vous proposons aujourd'hui pose un socle indispensable à la modernisation du dialogue social dans notre pays. Il a été conçu pour être « adaptable » aux réformes futures. Il constitue un levier pour de nouvelles réformes,...

Mme Gisèle Printz. Tu parles !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ...que nous aborderons sans doute avec plus de sérénité.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de m'excuser d'avoir été un peu long, mais je tenais aussi à vous faire part des échanges fructueux que nous avons eus avec la commission des affaires sociales du Sénat et Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Catherine Procaccia, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de modernisation du dialogue social que nous examinons cet après-midi marque, en dépit de sa brièveté - deux articles seulement -, une étape importante dans l'histoire des relations sociales dans notre pays, puisque dorénavant, après le vote de ce texte, elles devraient être profondément modifiées, en tout cas, nous le souhaitons.

Ce texte a parfois été présenté, et le sera sans doute encore cet après-midi, comme une réponse à la crise ouverte par le contrat première embauche, le CPE. Pour ma part, je considère qu'il s'agit d'une lecture erronée et réductrice car la réalité est bien différente.

Comme M. le ministre l'a rappelé, ce texte s'inscrit dans la continuité d'une action qui a déjà été entamée depuis décembre 2005 avec le rapport demandé à M. Dominique-Jean Chertier, ancien conseiller social de M. Jean-Pierre Raffarin. Ce rapport a servi à des entretiens bilatéraux avec les organisations syndicales et professionnelles qui ont abouti à l'élaboration d'un avant-projet de loi, soumis à la Commission nationale de la négociation collective en novembre 2006. Le texte qui est présenté aujourd'hui au Sénat a été enrichi par un certain nombre d'amendements adoptés par l'Assemblée nationale.

Il devrait permettre une réelle amélioration du dialogue entre le Gouvernement et les partenaires sociaux. Cette réforme a un objectif très clair : sortir de la logique du conflit « à la française » et faire évoluer les pratiques.

Aujourd'hui peu organisée, la concertation préalable à l'adoption des réformes est de qualité et de portée très variables selon les dossiers. Cela a été rappelé par les partenaires sociaux que nous avons auditionnés en commission.

Il arrive que ces derniers soient étroitement associés à la conception des réformes : dans ce cas, le législateur renvoie même parfois à la négociation collective le soin de définir les contours d'une réforme avant de reprendre les termes de l'accord ainsi conclu dans la loi. C'est, par exemple, la procédure qui a été suivie pour la convention de reclassement personnalisé de 2005 ou le plan pour l'emploi des seniors de 2006. Mais, malheureusement, il arrive aussi que les pouvoirs publics, dans un souci de rapidité, choisissent d'agir seuls et négligent quasi complètement la phase de concertation. Chacun a en mémoire un ou plusieurs exemples...

Ce projet de loi vise donc à généraliser de meilleures pratiques : il prévoit de formaliser davantage et de systématiser la concertation avec les partenaires sociaux.

Il repose sur un triptyque que l'on peut résumer ainsi : concertation, consultation et information.

Concertation, tout d'abord : le texte prévoit que toute réforme touchant aux relations du travail, à l'emploi ou à la formation professionnelle fera obligatoirement l'objet d'une concertation avec les organisations syndicales et patronales, en vue de l'ouverture d'une négociation nationale interprofessionnelle.

Les partenaires sociaux, s'ils le souhaitent, pourront informer le Gouvernement de leur intention d'engager une négociation, en indiquant le délai qu'ils jugent nécessaire pour la mener à bien.

En revanche, le Gouvernement pourra se dispenser d'appliquer cette procédure en cas d'urgence. Pour mieux encadrer cette dérogation, l'Assemblée nationale a adopté un amendement qui impose, à notre avis, utilement au Gouvernement de motiver sa décision de déclarer l'urgence et d'en informer les partenaires sociaux. L'urgence ne devrait être utilisée que dans des cas exceptionnels, qui ont été précisés sur notre demande en commission par M. le ministre, une crise sanitaire par exemple.

Consultation, ensuite : le projet de loi prévoit que le Gouvernement devra soumettre aux différentes instances du dialogue social les projets de loi et de décret, élaborés au vu des résultats de la concertation et de la négociation entrant dans le champ de la compétence. Ces instances sont la Commission nationale de la négociation collective, le Comité supérieur de l'emploi et le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie.

Les partenaires sociaux, qui siègent dans ces structures et qui ne sont pas les seules organisations dites « représentatives », comme l'a rappelé M. le ministre en les citant nominativement tout à l'heure, auront ainsi l'occasion d'exprimer leur point de vue. Ils pourront notamment faire part de leur désapprobation si le texte présenté par le Gouvernement s'éloigne sensiblement de l'accord qu'ils auront préalablement conclu.

Information, enfin : le projet de loi institue un rendez-vous annuel d'échanges entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, dans le cadre de la Commission nationale de la négociation collective, inspiré de l'idée, qui m'avait beaucoup plu dans le rapport de Dominique-Jean Chertier, d'« agenda partagé ».

Un rapport sera remis chaque année au Parlement pour l'informer des procédures de concertation. Bien qu'aucun d'entre nous ne soit traditionnellement favorable à la remise de rapports, pour une fois, nous avons pensé que ce document pourrait avoir son utilité, en tout cas dans les premières années, pour voir si l'expérience mérite ou non d'être confirmée.

La réforme du dialogue social ne sera cependant couronnée de succès que si elle s'accompagne d'un changement des pratiques. C'est bien au-delà des termes l'objectif de ce texte.

Il faut souligner, en premier lieu, que le texte ne modifie en rien les prérogatives constitutionnelles du Gouvernement et du Parlement : le Gouvernement n'est pas tenu de reprendre intégralement le contenu de l'accord des partenaires sociaux, et les parlementaires conservent la plénitude de leur pouvoir d'amendement. J'y suis, comme vous je présume, particulièrement attachée.

M. Philippe Nogrix. Très bien !

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Lors des auditions, il nous a été rappelé que la démocratie sociale complétait la démocratie représentative sans la concurrencer, et c'est bien ainsi que nous entendons exercer notre pouvoir d'amendement.

Dans ces conditions, un équilibre devra être trouvé entre la nécessité de respecter le compromis négocié, sans quoi le renvoi à la négociation aurait peu d'utilité, et le respect de la volonté du Gouvernement et du Parlement, dont l'approche est complémentaire.

Il faut reconnaître, ensuite, qu'il sera juridiquement relativement simple de « contourner » la nouvelle procédure de concertation. Dans la mesure où elle ne s'applique pas aux propositions d'origine parlementaire, le Gouvernement - quelle que soit sa couleur politique - pourrait être tenté de gagner du temps en demandant à un parlementaire de déposer une proposition de loi reprenant le contenu d'une réforme qu'il aurait lui-même élaborée.

Mme Raymonde Le Texier. Pas possible !

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Toutefois, la commission est persuadée que la volonté de l'ensemble des acteurs que nous avons entendus au début du mois est de respecter l'esprit de la réforme et que nous serons donc prémunis contre de telles dérives, qui porteraient atteinte à la confiance indispensable entre le Gouvernement et les partenaires sociaux.

Les travaux que nous avons menés ont permis à M. le ministre de préciser devant la commission, et aujourd'hui devant la Haute Assemblée, le sort des transpositions des directives européennes. Je ne reviendrai pas sur les deux cas qui s'appliqueront en matière de directives européennes, puisque M. le ministre les a précisés. Je tiens simplement à dire que le rapport annuel pourra nous permettre d'analyser le sort de ces transpositions et la validité de cette approche.

Enfin, on observe que le projet de loi n'encadre la négociation des partenaires sociaux par aucun délai. On ne peut donc écarter le risque de manoeuvres dilatoires qui pourraient ralentir les discussions dans l'espoir d'« enterrer » une réforme.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. L'expérience montre que certaines négociations sont parfois longues : la loi portant réforme des retraites avait invité les partenaires sociaux à négocier sur la pénibilité du travail ; trois ans et demi plus tard, la négociation n'a toujours pas abouti, pour ne pas dire qu'elle est enlisée.

Notre commission s'est interrogée sur l'opportunité d'enserrer la procédure dans des délais plus stricts, mais a finalement préféré renoncer à cette idée, dans la mesure où, après les différentes auditions, il nous est apparu difficile sinon impossible de déterminer a priori ce que doit être la durée maximale d'une négociation. Il convient donc de s'en remettre, sur ce point, à l'esprit de responsabilité de l'ensemble des acteurs, lesquels, me semble-t-il, ont à coeur de négocier de bonne foi, ne serait-ce que pour éviter que le nouveau rôle qui leur est reconnu dans l'élaboration des normes ne leur soit par la suite retiré.

Par ailleurs, le Gouvernement conservera in fine la maîtrise du calendrier, puisqu'il pourra toujours couper court à une négociation qui s'éterniserait en présentant un projet de loi devant le Parlement.

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Absolument !

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Pour conclure, je voudrais souligner que l'adoption de la réforme du dialogue social devrait nous conduire à réfléchir, dans les mois et les années qui viennent, à plusieurs sujets intimement liés.

Tout d'abord, renforcer le dialogue social pose la question de la légitimité et de la représentativité de ses acteurs. S'il est prématuré de trancher aujourd'hui ce débat, notre commission considère que cette question doit constituer l'une des premières applications de la loi de modernisation du dialogue social.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. C'est une demande que, en qualité de rapporteur, j'ai présenté à M. le ministre, lequel s'est engagé, voilà quelques instants, à ouvrir la concertation à la fin de ce mois, avant de légiférer sur la représentativité syndicale.

C'est la raison pour laquelle notre commission a émis un avis défavorable sur tous les amendements allant dans ce sens.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est logique ! Il faut respecter l'esprit de la loi.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Ensuite, le rapport Chertier préconise de rationaliser les nombreuses instances de consultation et d'expertise qui se sont multipliées dans le domaine social. Nous sommes très favorables à cette proposition, qui suppose cependant au préalable un examen approfondi des activités et du rôle de chacune de ces structures. Je me réjouis que vous partagiez notre avis sur ce point, monsieur le ministre.

Enfin, la réforme du dialogue social nous invite à réfléchir sur notre propre mode de fonctionnement pour l'examen des réformes touchant au code du travail.

Si les parlementaires veulent être en mesure de consulter les partenaires sociaux, il importe que les commissions des affaires sociales des deux assemblées disposent d'un délai suffisant avant la discussion des textes en séance publique.

On pourrait également imaginer qu'un délai minimal soit prévu entre le dépôt des amendements extérieurs et leur examen en commission, afin que les rapporteurs puissent consulter les organisations représentatives et connaître leur point de vue autrement que par téléphone, en supposant qu'on puisse les joindre immédiatement.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il faut plus de vingt-quatre heures !

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Tout à fait ! S'agissant du présent texte, le délai limite pour le dépôt des amendements était fixé à hier, en fin de matinée. La commission s'est réunie ce matin. Elle avait donc vingt-quatre heures pour travailler, en comptant la nuit. Je présume que les partenaires sociaux n'auraient pas été enchantés qu'on leur téléphonât au milieu de la nuit pour connaître leur avis.

De telles garanties amélioreraient le fonctionnement de nos assemblées, mais leur mise en oeuvre suppose une révision de la Constitution et une réforme du règlement des assemblées. (M. le président de la commission des affaires sociales applaudit.) Messieurs les présidents et vice-présidents, j'espère que vous aurez à coeur de les mener à terme puisqu'elles permettront à chacun d'entre nous de mieux accomplir notre tâche de parlementaire.

La réforme du dialogue social qui nous est proposée ne constitue donc que la première étape d'une transformation beaucoup plus vaste de notre système de relations sociales.

Le projet de loi présente un équilibre satisfaisant. Il a fait l'objet d'un large dialogue, d'un consensus certain et il a été enrichi des amendements adoptés par l'Assemblée nationale. C'est pourquoi notre commission vous propose de l'adopter dans la rédaction de l'Assemblée nationale.

En conclusion, je remercie le ministre, ainsi que ses collaborateurs, de sa participation. Il a répondu, avant même mon intervention, à toutes les requêtes et questions qui ont été soulevées en commission. Il convenait en effet que nos collègues qui ne sont pas membres de la commission des affaires sociales disposent des éléments de réponse que M. le ministre nous avait apportés.

Enfin, à titre personnel, je remercie également M. le ministre des engagements de concertation qu'il a pris du haut de cette tribune voilà quelques instants, aussi bien envers la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, la FNSEA, qu'envers les professions libérales. En tant que salariée agricole et ancien rapporteur pour avis du projet de loi en faveur des petites et moyennes entreprises, j'y suis, vous vous en doutez, particulièrement attachée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 48 minutes ;

Groupe socialiste, 31 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Alain Gournac.

M. Alain Gournac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de remercier mon ami M. Philippe Nogrix de m'avoir permis de m'exprimer à cet instant, ce qui me permettra de participer à une réunion sur la formation professionnelle.

L'État a trop longtemps hésité entre deux attitudes : favoriser la négociation collective nationale ou régler par la voie législative les grandes questions sociales.

Aussi, le renforcement de la négociation collective constitue-t-il aujourd'hui autant une exigence démocratique qu'un facteur de compétitivité favorable à la croissance et à l'emploi.

Pour cela, l'action des pouvoirs publics et celle des organisations patronales et syndicales doivent aller dans le sens de la complémentarité.

Faisons un rapide état des lieux.

En France, l'État ne détient pas officiellement le monopole de la production des normes sociales. En effet, le préambule de la Constitution de 1946 affirme que tout salarié « participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ».

Ce principe est confirmé par l'article L. 131-1 du code du travail, qui reconnaît « le droit des salariés à la négociation collective de l'ensemble de leurs conditions d'emploi, de formation professionnelle et de travail, et de leurs garanties sociales ».

Or, si la négociation collective est reconnue comme source du droit, elle apparaît cependant dans les faits largement régie par la loi.

Le cadre législatif de la négociation collective est en effet très précis. La loi établit une distinction entre la convention collective, qui détermine l'ensemble des conditions de travail et des garanties sociales, et l'accord collectif, qui ne porte que sur quelques-uns de ces sujets.

Elle définit également la qualité des signataires des conventions et des accords collectifs.

La loi détermine aussi la valeur juridique des conventions et des accords.

Deux procédures, à savoir l'extension et l'élargissement, qui supposent toutes deux l'intervention du ministre du travail, permettent d'appliquer une convention ou un accord au-delà de leur champ initial.

Par ailleurs, la loi du 13 novembre 1982 oblige à mener des négociations périodiques, sans toutefois imposer d'obligation de conclure.

De plus, et de façon traditionnelle, il arrive que la loi française impose aux partenaires sociaux de négocier sur un point donné dans un délai déterminé, sous peine de voir le législateur intervenir.

La loi du 4 mai 2004, en affichant la volonté du gouvernement de promouvoir le dialogue social, constitue une étape décisive.

Elle a su, avec succès, procéder à la transposition de l'accord national interprofessionnel du 20 septembre 2003, relatif à l'accès des salariés à la formation tout au long de la vie professionnelle.

Mais il est vrai qu'elle n'a pas transcrit sous forme normative l'affirmation d'un dialogue social préalable systématique.

Dans la pratique, cependant, la négociation collective progresse. Une étude récente de la direction de la recherche, des études et des statistiques du ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement a mis en évidence le dynamisme de la négociation collective en France. Celle-ci a progressé entre décembre 1997 et décembre 2004, passant de 93,7 % à 97,7 % des salariés du secteur concurrentiel non agricole.

Désormais, seuls 2,3 % des salariés, soit un peu plus de 350 000 personnes, ne sont toujours pas couverts par un texte conventionnel ou statutaire.

Le rapport de notre excellente et compétente collègue Catherine Procaccia rappelle que « à côté des négociations traditionnelles sous la forme d'avenants, en matière de retraite complémentaire et d'assurance chômage, les années 2003 et 2004 ont été particulièrement marquées par la signature de l'accord national interprofessionnel sur la formation professionnelle du 20 septembre 2003 et de l'accord national interprofessionnel relatif à la mixité et à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes du 1er mars 2004 ».

Quant à l'année 2005, elle a été également une année de négociations interprofessionnelles particulièrement riches autour de thèmes innovants : l'emploi des seniors, le télétravail et la convention de reclassement personnalisé.

L'articulation entre la loi et la négociation collective demeure cependant perfectible.

Nous avons un engagement ancien en faveur de la négociation collective et du paritarisme. Ce dernier, instauré en 1967, est un acquis de notre démocratie sociale.

Pour autant, les relations entre l'État et les partenaires sociaux, en France, demeurent complexes, alors que de nombreux exemples européens - vous en avez fait état, monsieur le ministre, et nous nous sommes rendus dans les pays concernés avec M. le président de la commission des affaires sociales - nous démontrent qu'il est possible d'oeuvrer différemment et de façon plus efficace.

Notre mode de fonctionnement, ou plus exactement de non-fonctionnement, présente de nombreux inconvénients.

Tout d'abord, il fait pâtir les entreprises de conflits parfois durs qui réduisent leurs performances et ainsi les pénalisent. Ensuite, il porte préjudice aux usagers, victimes des conflits sociaux. Enfin, il ternit l'image de l'État et des syndicats, qui apparaissent incapables de dialoguer.

Or il n'y a pas de fatalité. Les réformes sont acceptées quand elles reposent sur un diagnostic partagé et que les modalités en sont négociées au préalable. (M. Philippe Nogrix applaudit.) Cela demande du temps mais, à terme, c'est bien plus constructif, bien plus profitable à tous.

M. Alain Gournac. On ne dira jamais assez que l'État et les partenaires sociaux ont des rôles complémentaires. Il appartient à l'État de fixer les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale. Il revient aux acteurs sociaux de définir et de mettre en oeuvre la norme sociale qui doit permettre de concilier progrès social et développement économique.

Les rapports des partenaires sociaux avec l'État doivent cesser d'être conflictuels, car ils n'ont pas à être concurrents.

Bien entendu, il faudra que les partenaires saisissent cette opportunité et acceptent de se mettre autour de la table.

Face à ce constat, le Gouvernement agit en présentant le texte qui nous est proposé et qui inscrit dans la loi un nouveau principe. Désormais, le partage des compétences entre le législateur et les partenaires sociaux est éclairci.

Le Gouvernement a d'abord commandé un rapport, en décembre 2005, à Dominique-Jean Chertier, c'est-à-dire bien avant les événements du printemps 2006 autour du contrat première embauche.

Ce rapport, remis au Premier ministre, souligne que « la question du domaine réservé aux partenaires sociaux n'est pas tant une question juridique qu'une question pratique de juxtaposition des temps de la délibération sociale et de la délibération parlementaire ».

Devant le Conseil économique et social, le Président de la République a souhaité, voilà quatre mois, que cette juxtaposition soit en quelque sorte déterminée par la loi et que soit ainsi franchie « une nouvelle étape».

C'est non plus dans l'exposé des motifs, cette fois, mais dans le corps de la loi que se trouveront gravées les règles que le Gouvernement nous propose d'adopter.

Désormais, un gouvernement ne pourra plus procéder à une réforme touchant au marché du travail ou à l'emploi sans avoir auparavant proposé aux partenaires sociaux d'engager une négociation sur le sujet.

Libre à eux de s'emparer de cette possibilité s'ils pensent pouvoir parvenir à un accord, ou de laisser le gouvernement travailler seul s'ils redoutent de ne pouvoir s'entendre.

Bien entendu, une fois la négociation aboutie, le Parlement sera saisi des dispositions d'ordre législatif et gardera toute latitude pour les examiner.

Le texte instaure également une rencontre annuelle entre les organisations syndicales et patronales, d'un côté, et le Gouvernement, de l'autre. Les organisations syndicales et patronales « présentent l'état d'avancement des négociations interprofessionnelles en cours ainsi que le calendrier de celles qu'elles entendent mener ou lancer dans l'année à venir ». Le gouvernement, lui, présente les orientations de sa politique sociale ainsi que « le calendrier envisagé pour leur mise en oeuvre ».

Les partenaires sociaux se voient donc confier une lourde responsabilité et nous ne doutons pas qu'ils s'en saisiront avec détermination et succès.

Cela ne signifie nullement que le Gouvernement, s'il veut efficacement jouer son rôle de garant et préserver sa capacité d'impulsion, doive s'effacer. Il demeure l'inspirateur des réformes, mais leur mise en oeuvre appartient aux partenaires sociaux.

Quant à la possibilité de recourir à l'urgence, elle ne doit pas être mal interprétée. Il est en effet tout à fait normal de prévoir pareille possibilité afin de pouvoir réagir à une situation grave.

Ce recours a d'ailleurs été encadré par les députés, puisque le gouvernement, dans le respect des principes constitutionnels, ne pourra se dispenser de la concertation qu'après avoir justifié cette décision.

Monsieur le ministre, le groupe UMP votera ce texte sans aucune réserve, avec la conviction qu'il marque une étape importante dans l'instauration d'un dialogue, riche et renouvelé, du Gouvernement avec les partenaires sociaux, et des partenaires sociaux entre eux.

Un dernier mot, si vous me le permettez. La prochaine étape sera l'engagement des partenaires sociaux dans la réforme de leur représentativité.

Ce sujet n'est pas sans susciter quelques réticences, certains craignant de se voir retirer des prérogatives auxquelles ils tiennent. Le rapport Hadas-Lebel et l'avis que vient de rendre le Conseil économique et social contiennent de nombreuses pistes de réflexion fort intéressantes pour apprécier la représentativité des syndicats : prise en compte des résultats des élections, de l'importance des effectifs, de l'implantation territoriale, de la présence dans les secteurs public et privé, de la diffusion dans les branches professionnelles.

Soyez assuré, monsieur le ministre délégué, de notre soutien dans cette future étape en faveur d'un dialogue social apaisé à même de bâtir une nouvelle démocratie sociale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix.

M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, l'année dernière, si les partenaires sociaux avaient été consultés, la plus grave crise sociale de la législature, celle du CPE, aurait pu être évitée. Un tel constat donne le vertige.

Mais, à l'époque, le Gouvernement a voulu passer en force, par le biais d'un simple amendement déposé sur le projet de loi sur l'égalité des chances. Et ce, c'est ce qui est sans doute le plus grave, après s'être engagé, dans l'exposé des motifs du projet de loi du 4 mai 2004 relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, à « renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle toute réforme de nature législative relative au droit du travail ».

Aujourd'hui, le Gouvernement semble prendre acte de son échec. Trop tard, diront les esprits chagrins. Mais nous ne sommes pas chagrins et nous pensons que mieux vaut tard que jamais. À condition, toutefois, que la réforme qui nous est soumise soit à la hauteur de l'enjeu. Hélas, ce n'est pas tout à fait le cas !

Le présent projet de loi va, certes, dans le bon sens, mais il demeure toujours très en deçà de ce que l'on pourrait attendre d'une modernisation du dialogue social digne de ce nom.

Nous demandions depuis longtemps que le principe d'une négociation préalable avec les partenaires sociaux, au moins avant toute réforme touchant au droit du travail, devienne contraignant. Un engagement dans l'exposé des motifs d'un projet de loi, si solennel fût-il, ne suffisait pas. Les faits l'ont prouvé, hélas !

Le présent texte donne valeur législative à ce principe. C'est une étape importante, mais, à notre avis, insuffisante. En effet, c'est bien connu, ce que fait une loi, une autre loi peut le défaire. Le principe d'une concertation avec les partenaires sociaux préalable aux réformes du droit du travail devrait être inscrit dans la Constitution. Notre socle constitutionnel consacre déjà l'existence du dialogue social, en reconnaissant le droit à la négociation collective, qui fait partie des principes particulièrement nécessaires à notre temps inscrits dans le préambule de la Constitution de 1946.

En intégrant dans notre loi fondamentale le principe défendu dans le présent projet de loi, nous donnerions corps au droit constitutionnel que je viens d'évoquer. Prochainement, le Congrès devrait se réunir. N'y a-t-il pas là une occasion à saisir ? À cet égard, nous déplorons que, aux dernières nouvelles, il n'en soit pas question.

Que ce principe ne soit inscrit qu'au niveau législatif n'est pas la seule chose que nous regrettons. Il y a en effet plus grave. L'exception d'urgence prévue par le projet de loi risque très fortement de le vider de sa substance. Selon nous, ce texte pourrait contenir en lui-même le germe de son inefficacité.

En effet, si l'on se fie à la pratique législative récente, prévoir que la procédure de concertation, de consultation et d'information n'est pas applicable en cas d'urgence, c'est la condamner à rester lettre morte la plupart du temps. Pratiquement tous les textes sociaux de cette législature, en tout cas tous ceux qui ont réformé le code du travail, ont fait l'objet, comme d'ailleurs - ironie du sort ! - le présent projet de loi, d'une déclaration d'urgence de la part du Gouvernement. Cela signifie que, selon les termes du texte que nous allons examiner, ils n'auraient pas donné lieu à négociation avec les partenaires sociaux !

À cet égard, le CPE a battu tous les records : après avoir été créé par voie d'amendement, il a été supprimé par l'adoption d'une proposition de loi émanant du groupe de l'UMP. Avec de telles pratiques, et en l'absence de réels garde-fous juridiques, le dialogue social a bien lieu, mais dans la rue, hélas !

Sur ce point, l'Assemblée nationale a notablement amélioré le présent texte, en précisant que le Gouvernement sera tenu de justifier auprès des partenaires sociaux sa décision lorsqu'il invoquera l'urgence.

Mais ce n'est pas suffisant ! Nous vous présenterons un amendement tendant à supprimer, purement et simplement, cette exception d'urgence. A minima, il nous semble nécessaire que le Gouvernement, s'il invoque l'urgence, réunisse les partenaires sociaux. Les syndicats devront en effet pouvoir s'exprimer sur le recours à cette procédure.

Par ailleurs, pour un projet de loi de « modernisation du dialogue social », on nous présente un texte singulièrement léger ! Or beaucoup doit être fait pour redynamiser, donner corps à la démocratie sociale dans notre pays. Apparemment, telle n'est pas du tout l'ambition du projet de loi dont nous entamons l'examen.

Ce projet de loi traite des textes d'origine gouvernementale. Les propositions de loi, donc d'origine parlementaire, sont, elles, comme d'habitude, passées sous silence. Elles sont pourtant apparues, au cours de la législature - j'y ai fait allusion tout à l'heure -, comme des moyens commodes, pour le Gouvernement, de se tirer de mauvais pas. Avec le texte qui nous est proposé aujourd'hui, ce genre d'arrangement, par-dessus les partenaires sociaux, sera toujours possible. Quelles leçons avons-nous donc tirées du CPE ? (Mme Gisèle Printz s'exclame.)

Toujours au chapitre des questions institutionnelles, ce texte n'apporte aucune réponse à la question pourtant fondamentale de la répartition des compétences entre les domaines législatif et réglementaire, d'une part, et le domaine de la négociation collective, d'autre part.

La rénovation du dialogue social, c'est aussi la double question de la représentativité des organisations syndicales et de leur financement. Sur ces deux thèmes, le Conseil économique et social et M. Hadas-Lebel, dont vous avez évoqué le rapport, monsieur le ministre délégué, ont émis des propositions très intéressantes, dont rien ne transparaît ici, mais que nous serions bien inspirés de prendre en compte plutôt que d'attendre un nouveau projet de loi. Pourquoi donc toujours attendre et remettre à plus tard ?

Pourtant, il faudra bien reconnaître l'émergence de nouveaux acteurs syndicaux. Pour ce faire, le critère de l'élection sera déterminant, mais il ne devra pas être le seul. Il conviendra aussi de prendre en compte l'importance des effectifs de chaque organisation, leur implantation territoriale et leur présence dans les secteurs public et privé et dans les branches.

Monsieur le ministre délégué, nous savons que, sur la base de toutes les propositions qui ont été faites, vous avez été chargé d'élaborer un avant-projet de loi destiné à modifier les règles de la représentativité. Croyez bien que nous serons très attentifs à son contenu.

Il est un autre serpent de mer, sans doute le plus important de tous, la désaffection des syndicats, autrement dit l'essoufflement de l'engagement syndical, engagement que nous avons le devoir de revaloriser si nous voulons faire vivre le dialogue social. Or des solutions existent. Notre collègue député Francis Vercamer propose un système dans lequel les résultats de la négociation ne s'appliqueraient qu'aux adhérents des syndicats. À première vue, c'est vrai, une telle proposition semble iconoclaste. Mais ne faut-il pas y réfléchir ? Avec un tel système, les salariés bénéficiant d'accords d'entreprise seraient incités à adhérer et aucun syndicat ne serait plus tenté de ne pas participer à un accord avantageux, sachant que ses adhérents ne pourraient pas, dès lors, en profiter. C'en serait fini des comportements de passager clandestin !

D'autres solutions, moins radicales, peuvent être envisagées, comme celle qui consisterait à faire profiter, au titre de leur cotisation, les adhérents non imposables d'un crédit d'impôt, ou à valider les acquis de l'expérience acquise dans le cadre de fonctions syndicales.

Pour rénover le dialogue social, les instances de négociation doivent aussi être simplifiées, monsieur le ministre délégué, comme le recommande M. Chertier dans son rapport. Mais aujourd'hui, il n'est nullement question de tout cela. La frilosité de votre texte est, à notre avis, révélatrice de quelque chose de très profond et de très grave. Dans le fond, en France, on ne veut pas croire aux vertus d'une démocratie sociale vraiment consensuelle ; on ne veut pas croire aux vertus d'un dialogue constructif qui ferait avancer les choses. La démocratie sociale souffre du même mal que la démocratie politique. C'est un mal, hélas, bien français, dont nous devrons un jour nous guérir, et cela demandera du courage.

Démocratie sociale et démocratie politique sont aujourd'hui paralysées par des clivages d'un autre temps, des affrontements idéologiques surannés : d'un côté, c'est le patronat contre les salariés ; de l'autre, la droite contre la gauche. Tout cela est dépassé ! Nos électeurs, les citoyens, le disent, mais nous ne voulons pas l'admettre.

En matière de dialogue social, la France est véritablement en retard, ce qui n'est pas étonnant. De même que nous sommes incapables de dépasser les vieux clivages idéologiques gouvernementaux, nous ne parvenons pas à considérer salariés et employeurs comme de vrais partenaires sociaux, des partenaires qui se respectent, se comprennent et parlent pour construire. Aujourd'hui, les pays européens gouvernés par des coalitions centristes sont aussi ceux où la démocratie sociale est la plus dynamique et ceux qui s'en sortent le mieux dans la compétition économique internationale. C'est un tout !

À cette culture poussiéreuse et bipolaire de l'affrontement, l'UDF souhaite voir se substituer une véritable culture du consensus, du débat et de la construction. C'est pourquoi nous croyons en la démocratie sociale et pensons qu'il est urgent de miser sur son dynamisme. La France, nous le savons tous, nous le répétons tous, a besoin de réformes. Or seules des réformes préparées avec ceux auxquels elles s'appliqueront et ceux qui seront chargés de les mettre en oeuvre, pourront être acceptées.

Nous-mêmes, parlementaires, n'acceptons pas que des textes nous soient imposés et voulons donner notre point de vue, pour enrichir les propositions qui nous sont faites. Car il n'existe pas un point de vue unique dans une démocratie ! Telle est la raison pour laquelle nous ne pourrons jamais réformer structurellement notre pays sans rénover véritablement la démocratie sociale. Sur cette voie, le présent projet de loi permet de faire un pas, mais un pas minuscule. Nous le ferons ensemble, monsieur le ministre délégué, car le groupe de l'UC-UDF votera ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.- Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier.

M. Bernard Seillier. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui constitue une étape décisive dans l'histoire des relations sociales en France. Il s'agit d'instaurer et de développer une pratique dynamique de la négociation et de la coopération.

Il faut en effet éviter les impasses du conflit telles que nous avons pu les connaître dans le passé. Il est certes arrivé que la loi reprenne intégralement le contenu d'un accord collectif. Tel fut notamment le cas avec la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. À l'inverse, il faut avoir l'honnêteté de reconnaître le coût social d'un affrontement et d'un blocage conduisant à l'éviction totale des propositions de l'une des parties en présence, quelle qu'elle soit.

Conformément au discours du Président de la République prononcé devant le Conseil économique et social le 10 octobre 2006, nous devons aider les syndicats à se libérer d'une tradition protestataire, qui débouche trop souvent sur l'affrontement et, au bout du compte, sur le conservatisme, faute d'un itinéraire de progrès balisé. Il convient, de même, d'aider les organisations patronales à lutter contre la tentation de se réfugier, faute, là encore, d'une perspective de développement suffisamment assurée, dans une vision trop étroite des intérêts de l'entreprise.

Cette dynamique nouvelle devrait permettre d'appréhender l'ensemble des enjeux sociaux, notamment ceux que les relations sociales ont trop souvent occultés ces dernières années : la mondialisation des échanges, les nouvelles formes de relations de travail, la sous-traitance et les contraintes de mobilité pour les entreprises et les salariés.

Nous sentons tous que nous engageons ici une évolution décisive en ce qui concerne le dialogue social et que nous sommes à l'aube de changements importants.

Ainsi, il ne doit plus être possible de modifier le code du travail sans que les partenaires sociaux aient été mis en mesure de négocier le contenu de la réforme proposée. De même, aucun projet de loi ne doit être présenté au Parlement sans que les partenaires sociaux soient consultés sur son contenu. Rien n'interdisait jusqu'ici une telle démarche pour l'élaboration des normes dans les relations du travail. Mais les conditions de son avènement n'étaient peut-être pas réunies, sa dimension éthique n'étant pas suffisamment perçue comme une exigence. Les syndicats sont également conscients que de vastes réformes concernant la représentativité devront, dans leur propre intérêt, être engagées.

Ce projet de loi de modernisation du dialogue social est d'abord le fruit d'une réflexion bâtie à partir du rapport de Dominique-Jean Chertier, à qui le Premier ministre avait demandé de formuler des propositions sur les moyens d'améliorer le dialogue entre le Gouvernement et les partenaires sociaux.

Ces propositions étaient de trois ordres.

Tout d'abord, il s'agissait d'établir une formalisation du programme de réformes d'initiative gouvernementale axée à la fois sur un calendrier et un partage des rôles entre pouvoirs publics et partenaires sociaux.

Ensuite, il était proposé d'instaurer un temps réservé à la concertation pour l'ensemble des réformes, c'est-à-dire d'exiger le respect d'un délai minimal entre l'annonce d'un projet de réforme et l'adoption du texte correspondant en conseil des ministres.

Enfin, il s'agissait de restructurer les lieux du dialogue social. À cet égard, le rapport contient de nombreuses pistes, en particulier la réforme du Conseil économique et social, qui deviendrait ainsi un lieu central et privilégié de consultation, mais aussi l'examen de l'utilité et de la composition des instances de concertation existantes et la réduction de leur nombre, ou encore la révision des dispositifs de consultation obligatoire. Les problèmes de la réduction du nombre d'instances de consultation sociale et de la clarification de leurs attributions restent un chantier pour l'avenir.

Suite à ce rapport, le Premier ministre a entamé la discussion avec les partenaires sociaux et la Commission nationale de la négociation collective s'est réunie pour examiner l'avant-projet de loi. La procédure suivie est donc un modèle en termes de concertation ; elle a donné naissance à ce texte, lequel repose sur trois axes.

Premier axe, tout projet de réforme portant sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle fera l'objet d'une procédure de concertation préalable avec les partenaires sociaux qui leur permettra, s'ils le souhaitent, d'ouvrir une négociation nationale et interprofessionnelle.

Le deuxième axe est la consultation. Des instances de consultation existent et certaines sont très récentes, à l'image du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie. Par une extension des domaines couverts par de telles instances de consultation et une systématisation de leur intervention avant la mise en oeuvre de tout projet de nature législative ou réglementaire en matière de relations individuelles et collectives du travail, d'emploi et de formation professionnelle, le présent projet de loi transforme de manière radicale les pratiques de consultation en matière de droit du travail.

Le troisième axe est l'information. Un grand rendez-vous annuel permettra un véritable échange, un réel dialogue entre le Gouvernement et les organisations syndicales, de manière que puissent être présentés à la fois les grandes orientations du Gouvernement en matière de relations individuelles et collectives du travail, d'emploi et de formation professionnelle avec un calendrier de mise en oeuvre, et l'état d'avancement des négociations interprofessionnelles conduites par les partenaires sociaux en cours ainsi que le calendrier de celles qui sont encore à venir.

Cette clarification des différentes étapes et des champs du dialogue social est essentielle, car elle institue un itinéraire dans la progressivité des enjeux et elle « phase » les étapes du dialogue. Elle est indispensable pour donner à la négociation le maximum de chances de fécondité.

Par ailleurs, on ne peut aborder la question du dialogue social sans traiter de la faiblesse de la représentativité syndicale dans notre pays. Le rapport de M. Raphaël Hadas-Lebel nous a considérablement aidés dans cette réflexion : seuls 4 % des salariés du secteur privé sont en effet syndiqués. Nous nous trouvons là dans un cercle vicieux. L'insuffisance de la responsabilité reconnue aux partenaires sociaux dans le processus d'élaboration des normes n'est pas favorable aux taux de syndicalisation ; elle n'incite pas à l'adhésion syndicale. Au contraire, elle incite à une surenchère dans la protestation, puisque l'habileté et le savoir-faire dans la négociation ne sont pas valorisés, faute de cadre d'application.

Nombre de syndicats souhaitent la réforme des règles de la représentativité syndicale afin d'améliorer la démocratie sociale. Aujourd'hui, un accord peut être signé par une seule organisation syndicale ; chaque organisation se voit reconnaître le même poids. La représentativité syndicale doit être mesurée à partir du résultat des élections professionnelles sur le lieu de travail. Celle-ci implique l'abandon de la présomption irréfragable de représentativité accordée à cinq syndicats. Je salue le sens des responsabilités des syndicats qui acceptent cette révision.

Dans son rapport, le Conseil économique et social reconnaît majoritairement le principe selon lequel le choix par les salariés des organisations appelées à les représenter dans les négociations doit se fonder, entre autres, mais principalement, sur des élections ; il importe de définir les clauses qui doivent figurer expressément au cahier des charges de cette mesure de la représentativité des organisations.

De plus, le Conseil considère que la représentativité des organisations devrait résulter de consultations permettant aux salariés d'élire leurs délégués.

La question de la représentativité patronale ne se pose pas dans les mêmes termes que celle de la représentativité syndicale. Le système a su évoluer, comme le montre la reconnaissance de la représentativité de l'Union professionnelle artisanale, l'UPA, mais les critères de représentativité doivent être encore réformés en conservant une place importante au critère du nombre d'adhérents.

La faiblesse de la représentativité syndicale en France fait que, jusqu'ici, le contrat n'a pas suffi à réguler le champ social ; il ne le pourra jamais complètement, mais sa place peut être substantiellement élargie. La loi conservera son utilité, en tout état de cause comme garant de la cohérence nationale, si le rapport de force entre les partenaires sociaux est trop inégal pour aboutir à un accord satisfaisant. Mais on pourra concrètement mesurer la corrélation directe entre le taux de syndicalisation et la reconnaissance de la compétence syndicale.

Quoi qu'il en soit, le débat de la représentativité syndicale devrait constituer l'une des premières applications de la loi de modernisation du dialogue social.

De plus, si les parlementaires veulent être en mesure de consulter les partenaires sociaux, il est indispensable que les commissions des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat disposent d'un délai suffisant avant l'examen des textes en séance publique.

Enfin, ce projet de loi ne modifie pas les prérogatives constitutionnelles du Gouvernement et du Parlement. Dans ces conditions, un équilibre devra être trouvé entre le respect du compromis négocié par les partenaires sociaux et le respect de la souveraineté nationale.

Mes chers collègues, avec ce texte, notre objectif fondamental est d'aller vers une paix sociale dynamique, facteur de compétitivité et d'efficacité, un syndicalisme puissant et responsable et des relations contractuelles fortes en vue de remplacer la protestation sociale par la coopération conciliatrice entre intérêts ou points de vue différents ; c'est essentiel. Il s'agit donc d'une méthodologie concrète et pratique pour que le bien commun ne reste pas dans le domaine des essences, mais puisse être actualisé à chaque étape historique de la vie politique, économique et sociale.

Je ne saurais terminer sans saluer et remercier notre rapporteur de nous avoir aidés dans la clarification et l'analyse de ce texte essentiel. Je suis certain que cette démarche de progrès que nous engageons aujourd'hui aura d'heureux effets sur le climat dans notre pays et même sur le dynamisme et la compétitivité de son économie. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, tout d'abord je vous prie d'excuser l'absence de mon collègue Roland Muzeau, souffrant, qui a été la cheville ouvrière de la réflexion du groupe CRC sur ce texte. Je vais donc me faire son interprète.

Aspiration largement partagée, s'il en est, le renforcement de la négociation collective s'est imposé, depuis la création du ministère du travail, comme une exigence à satisfaire afin de favoriser et de concilier le progrès social et les conditions d'emploi des salariés avec la croissance économique.

Depuis une dizaine d'années déjà, tout le monde semble se plaindre de la faiblesse des protagonistes sociaux, de la place étroite de la politique contractuelle dans la sphère sociale et du déclin du syndicalisme...

Bien que ce soit pour des raisons différentes, pour ne pas dire opposées, leaders syndicaux et politiques en appellent à la modernisation du dialogue social. Cette question est devenue un vrai enjeu politique.

Or, comme n'a pas manqué de le relever le Conseil économique et social dans l'introduction de son avis intitulé Consolider le dialogue social, « La notion de ?dialogue social? est aujourd'hui couramment utilisée mais rarement définie avec précision, les différents acteurs pouvant dès lors lui donner des significations éminemment variables : dans la mesure où elle ne désigne, a priori, ni une forme identifiée, ni un niveau précis  -information, consultation, concertation, négociation -, chacun peut y mettre le contenu qu'il souhaite, avec les questions de méthode et tous les risques de malentendus que cela induit quant au degré d'implication des interlocuteurs dans la décision. »

Ainsi, le 14 juillet dernier, Jacques Chirac, redécouvrant les mérites du dialogue social et défendant un syndicalisme de compromis, s'est fort opportunément servi de ce thème de la modernisation du dialogue social pour tenter de redorer son blason après l'échec cuisant de son gouvernement sur le CPE.

En posant le principe qu'« il ne soit plus possible de toucher au code du travail sans avoir, préalablement, eu une concertation entre les organisations syndicales et professionnelles », le président de la République a ni plus ni moins réitéré, trois ans après, un de ses anciens engagements, celui de renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle les réformes de nature législative relatives au droit du travail. Cet engagement, je vous le rappelle, mes chers collègues, était déjà inscrit dans l'exposé des motifs du projet de loi Fillon relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, mais il « n'a pas depuis formellement donné lieu à une mise en oeuvre concrète », ainsi que l'a justement constaté M. Dominique-Jean Chertier dans son rapport.

Annonçant la présente réforme en octobre dernier devant le Conseil économique et social, le chef de l'État a plaidé en faveur de la construction « d'une nouvelle architecture de la responsabilité » entre l'État, les syndicats et le patronat, en faveur « de plus de contrat et moins de loi ».

Avant lui, dans la Position commune du 16 juillet 2001 et le rapport de M. Michel de Virville, notamment, avait déjà été abordé dans cet esprit le thème de la place respective et des relations entre la législation et la négociation en prenant le parti « du contrat libérateur dont les excès et les illusions ont été maintes fois décrits », comme le rappelle Marie-Armelle Souriac, professeur à l'Université de Paris-X dans un article de doctrine publié dans le numéro de la Revue de droit du travail d'octobre dernier.

Dans le même ordre d'idées, le MEDEF, sous la présidence d'Ernest-Antoine Seillière, a développé son projet de « refondation sociale » instrumentalisant la relance du dialogue social et de la négociation pour consacrer la prééminence du contrat sur la loi.

Début 2004, le même patron des patrons se satisfaisait des résultats obtenus. Je le cite : « Nous avons obtenu une première étape essentielle dans la modernisation de notre système de négociations collectives en privilégiant l'accord d'entreprise dans la négociation... ».

Il est vrai que la loi de M. Fillon réformant le dialogue social était passée par là, balayant l'ordonnancement juridique en vigueur et le principe de faveur afin de permettre qu'il soit dérogé, par accord d'entreprise, dans un sens moins favorable aux salariés, aux droits consacrés dans les conventions collectives et à l'ordre public social.

Toujours pour illustrer cette approche singulière de la réforme du dialogue social et ses grands enjeux, voyons maintenant les intentions de la nouvelle patronne du MEDEF.

Laurence Parisot a choisi le moment où Jacques Chirac montait en première ligne afin de défendre sa réforme pour lancer « la délibération sociale ». Cette modalité nouvelle de dialogue social dans la forme n'en poursuit pas moins les mêmes objectifs.

« Revoir les règles du droit du travail pour permettre l'adaptation des entreprises et de la société aux évolutions du contexte économique, réduire l'insécurité juridique, corriger les dérives jurisprudentielles, revoir les sanctions... » Bref, mettre tout en oeuvre afin que, surtout, rien de conséquent ne change s'agissant de la légitimité des acteurs syndicaux, tout en s'assurant du caractère bienveillant, moins contraignant de la réglementation. Il s'agit aussi d'empêcher l'ingérence du politique dans la sphère économique.

Je partage le sentiment de Rémi Baroux, journaliste au journal Le Monde, qui voit également dans cette démarche « la volonté affichée par le MEDEF d'éviter notamment que l'État et le gouvernement - l'actuel comme celui qui sera issu de l'élection présidentielle de 2007 - n'interviennent trop dans les affaires sociales ».

Nous ne partageons évidemment pas cette approche de la démocratie sociale et encore moins l'articulation proposée avec la démocratie politique. Comme nombre de syndicats auditionnés, nous tenons avec force à la souveraineté du législateur et pensons que démocratie politique et démocratie sociale doivent se compléter, la seconde n'ayant pas vocation à supplanter la première.

À ce titre notamment, le rapport Chertier est intéressant dans la mesure où l'on n'y propose pas, à la différence de la Position commune, de séparer les domaines de compétence du Gouvernement, du Parlement et des partenaires sociaux. On y fait même la démonstration, à l'appui d'exemples étrangers - notamment allemands - que cette séparation, qui n'est pas sans incertitudes, fait débat.

Cela n'empêche aucunement le MEDEF de continuer à peser pour qu'une révision constitutionnelle vienne compléter le projet de loi que nous examinons, lequel se contente d'inscrire dans la loi une répartition des temps plus que des domaines. M. Jacques Creyssel, directeur général du MEDEF, l'a encore rappelé lors de son audition par la commission des affaires sociales.

Outre cette exigence de réforme constitutionnelle, il a beaucoup insisté sur la transcription législative des accords, sur la nécessité de respecter l'équilibre issu des négociations.

Il s'est élevé contre la pratique des amendements d'appel dont l'initiative revient à certains partenaires ayant, dans la négociation, échoué à faire aboutir leur position, feignant d'oublier que le MEDEF ne se privait pas de gentiment transmettre aux parlementaires des amendements remettant en cause un accord signé. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Je pourrais rappeler cela à M. Gournac !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et la CGT ? Et la CFDT ? Nous verrons leur amendement tout à l'heure !

M. Guy Fischer. Sur la question de la légitimité des acteurs, je peux, sans trop la trahir, résumer la pensée de M. Creyssel en disant que, pour lui, il est surtout urgent d'attendre. Cette position n'a pas manqué de susciter des réactions, tant la légitimité des accords dépend de la représentativité des organisations syndicales.

Comme vous, monsieur le président de la commission, je suis d'avis « que le pouvoir politique peut ne pas sentir tenu de respecter un accord si celui-ci ne jouit pas d'une profonde légitimité. »

C'est pourquoi, mes chers collègues, nous ne pouvons que déplorer la frilosité du Gouvernement...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh !

M. Guy Fischer. ...qui, à quelques mois d'échéances électorales, a enterré la véritable réforme, à savoir celle de la représentativité.

Il ne suffit pas de se déclarer personnellement favorable à la consolidation du dialogue social ; encore faut-il ne pas être politiquement hostile à sa mise en oeuvre immédiate !

Dialogue social et représentativité syndicale sont étroitement liés. Le Gouvernement a tenté de disjoindre ces deux questions. L'actualité l'a heureusement rattrapé puisque le Conseil économique et social a remis son avis au moment même où s'ouvrait à l'Assemblée nationale le débat sur le projet de loi de modernisation du dialogue social.

Malgré les demandes conjointes de la CGT et de la CFDT, le Gouvernement a refusé d'intégrer les deux principaux axes de cet avis, à savoir la refondation de la légitimité syndicale sur le vote de tous les salariés - y compris ceux des petites entreprises - et l'affirmation du principe majoritaire comme condition de validité des accords.

Une fois de plus, tout en sachant que cette question a fait l'objet d'une concertation et que les blocages sont tels que seule l'intervention du législateur s'impose, le Gouvernement a choisi de botter en touche. Pour les tenants de la rupture, même tranquille, cette peur des bouleversements ô combien nécessaires de notre paysage syndical et de ses pratiques pose question.

Il est vrai que, à l'instar du MEDEF, le Gouvernement préfère sûrement des signataires dociles et minoritaires.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh !

M. Guy Fischer. Au final, tant de l'avis du Conseil économique et social que des rapports Hadas-Lebel et Chertier, il ne reste plus grand-chose, comme en témoignent les deux articles du texte dont nous entamons l'examen. Nous regrettons qu'il en soit ainsi, messieurs les ministres.

C'est pourquoi, tout en reconnaissant l'importance des dispositions législatives visant à définir de nouvelles pratiques en termes de concertation, de consultation et d'information des partenaires sociaux sur les réformes touchant au coeur du code du travail, nous tenons, par le biais de nos amendements, à défendre notamment la position portée par la CGT, la CFDT et l'UNSA, et ce avec d'autant plus de conviction que cette position, qui vise à améliorer le fonctionnement de la démocratie sociale, est la nôtre depuis 1982.

Nous proposerons de préciser certaines dispositions de ce texte pour éviter des pratiques dilatoires, qu'il s'agisse de certaines organisations patronales, qui pourraient être tentées de négocier pour mieux enterrer les réformes, ou du Gouvernement, qui pourra toujours contourner les partenaires sociaux en cas d'urgence.

L'exemple récent des négociations sur la pénibilité implique justement que l'on définisse mieux les modalités de la procédure de concertation et de négociation.

Là encore, et bien que le discours actuel soit à la promotion officielle du dialogue social, nous entendons prendre un maximum de précautions contre les passages en force de l'exécutif. Il est vrai que nous avons toutes les raisons de craindre la notion d'urgence, laquelle a permis de justifier au cours de cette législature nombre d'entorses à la démocratie sociale et aux droits du Parlement.

La liste est longue, mais je me dois tout de même d'illustrer mon propos de quelques exemples dans la mesure où vos mauvaises pratiques des rapports sociaux expliquent en partie notre prudence vis-à-vis du présent texte.

Ainsi, dans le passé, cette majorité, sous le gouvernement de M. Raffarin, a profité de la transcription d'un accord national sur la formation professionnelle signé à l'unanimité des partenaires sociaux pour donner à l'accord d'entreprise sa pleine autonomie par rapport à l'accord de branche, chamboulant ainsi la hiérarchie des normes en droit social.

La loi Fillon, dont il est question, a préféré la majorité d'opposition à la majorité d'engagement.

Toujours en 2004, vous vous êtes cachés derrière la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, examinée selon la procédure d'urgence, pour satisfaire le MEDEF dans sa demande de modification des règles en matière de licenciements économiques.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il y a aussi des syndicats qui ne signent jamais aucun accord !

M. Guy Fischer. Manipulant le Parlement et contournant les organisations syndicales, vous avez accepté les amendements livrés clés en main par le MEDEF mettant à mal des jurisprudences constantes de la Cour de Cassation, affaiblissant substantiellement le rôle et les pouvoirs d'intervention des comités d'entreprise et verrouillant l'action collective des salariés.

Pas moins de treize amendements sur les vingt-deux estampillés « MEDEF » ont été finalement retenus. M. Dassault a réussi à cette occasion à changer les règles régissant le travail de nuit dans la presse.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'était M. de Broissia !

M. Guy Fischer. Certes, mais il était l'employé de M. Dassault ! (Sourires.)

En 2005, faute de courage politique, c'est par le biais d'une proposition de loi, c'est-à-dire sans l'information préalable des instances habilitées et sans l'obtention de l'aval des syndicats, que la législation sur le temps de travail a été assouplie.

Vous avez accepté, par la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, de porter de deux à quatre ans la durée du mandat des membres du comité d'entreprise, témoignant ainsi de votre volonté de distendre le lien entre les salariés et leurs élus.

La même année, à l'exigence de respect, de plus démocratie et de moins d'insécurité sociale exprimée par le « non » au référendum, vous avez répondu par le changement dans la continuité et par le passage en force. C'est par ordonnance, et en raison de l'urgence de la situation de l'emploi, que M. de Villepin a décidé de prescrire la précarité généralisée en instituant le CNE, le contrat nouvelles embauches.

L'année suivante, en miroir à la crise des banlieues, le Gouvernement a tenté de faire passer au forceps le CPE, le contrat première embauche, par le biais de la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances.

Après avoir déclaré l'urgence, bousculé le calendrier parlementaire et introduit par la voie d'un amendement une disposition majeure, le CPE, le Gouvernement, pour finir, a eu recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution.

Dans un passé encore plus proche, et alors que le présent texte était déjà dans les tuyaux, un important volet a été ajouté à la loi du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social. Gênés par la multiplication de mesures modifiant le code du travail sans lien avec l'objet du texte, certains parlementaires de droite ont tenté de sortir du rang, pour mieux le réintégrer en acceptant ces pratiques, par « pragmatisme ».

Au titre de ces amendements, qui étaient autant de cavaliers, de multiples questions ont été traitées. Je pense au temps de travail dans les transports, au temps de déplacement des salariés agricoles, au calcul de l'effectif des entreprises, à l'information dont disposent les comités d'entreprise et à la rémunération des activités prud'homales.

Enfin, que dire de la validation par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 des dispositions de l'accord de 2004 sur le temps de travail dans les hôtels, cafés et restaurants, dispositions annulées par le Conseil d'État, si ce n'est qu'elles traduisent la négation du dialogue social par le Gouvernement ?

Je ne peux terminer cette énumération, qui est loin d'être exhaustive, sans ajouter que l'accord du 12 décembre 2001 relatif au développement du dialogue social dans l'artisanat, signé par toutes les organisations syndicales de salariés, reste à ce jour encore lettre morte, faute d'avoir obtenu l'aval du Gouvernement.

Monsieur Borloo, quand allez-vous signer cet accord ?

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement. Nous y travaillons !

M. Guy Fischer. Décidément, les solutions de nature à relancer et à enrichir effectivement le dialogue social restent suspendues à la bonne - mauvaise, en l'occurrence - volonté du MEDEF et de cette majorité.

Chers collègues de l'UMP, l'autoritarisme de votre candidat à la présidentielle, qui annonce une loi sur le service minimum et sur les relations de travail, laquelle porterait atteinte au droit de grève, liberté fondamentale des salariés, renforce encore davantage nos doutes sur votre capacité à tenir les engagements inscrits dans le présent projet de loi.

Nous croyons à l'utilité et à la qualité du dialogue social. C'est la raison pour laquelle, à l'issue de nos débats, nous nous abstiendrons sur ce texte, que j'aurais pu qualifier d'hypocrite, ...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Non !

M. Guy Fischer. ...dans la mesure où il évacue, pour avoir toutes les chances d'être adopté avant la fin de la session, les vraies solutions.

Jean-Christophe Chanut, dans La Tribune, a bien résumé notre sentiment sur le projet de loi, en ces termes : « L'efficacité et la rapidité en lieu et place de l'ambition. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Borloo, ministre. L'excellent Jean-Christophe Chanut !

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.

Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la modernisation du dialogue social est une préoccupation toute récente au regard de la pratique de cette législature. Jusqu'à présent, messieurs les ministres, ce gouvernement préférait en effet faire passer les textes touchant au travail, à l'emploi et à la formation en ignorant complètement les représentants des salariés. Mais, quand on a comme bilan social le passage en force du CNE par voie d'ordonnance, l'imposition du CPE par amendements du Gouvernement dans la loi pour l'égalité des chances, l'apprentissage dès 14 ans ou encore l'élargissement du travail de nuit, on comprend que la perspective d'échéances électorales fasse redécouvrir les vertus du dialogue.

Sans doute le revers subi par le chef du Gouvernement sur le CPE l'a-t-il conduit à ouvrir les yeux sur une évidence : le changement ne se décrète pas et la réforme ne s'impose pas.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai ! Moi aussi, je l'avais dit !

Mme Raymonde Le Texier. La rue lui a ainsi appris le mode d'emploi du dialogue social : utile pendant, nécessaire après, mais surtout indispensable avant ! À moins que, une fois encore, cette loi ne serve qu'à afficher des intentions que vos actes démentiront par la suite.

Il faut dire que vous nous avez prouvé ce que valent vos garanties avec la loi Fillon du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

Dans son exposé des motifs, le Gouvernement écrivait ceci : « Le Gouvernement prend l'engagement solennel de renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle toute réforme de nature législative relative au droit du travail. Par conséquent, il saisira officiellement les partenaires sociaux, avant l'élaboration de tout projet de loi portant réforme du droit du travail (...) »

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

Mme Raymonde Le Texier. À peine avait-il été pris que cet engagement, pourtant solennel, a été démenti dans les faits. À la demande du MEDEF, et par voie d'amendements de dernière minute, cette loi a permis d'imposer aux partenaires sociaux deux changements majeurs dans notre droit du travail : la remise en cause du principe de faveur et celle de la hiérarchie des normes.

C'est ainsi qu'aujourd'hui un accord de rang inférieur peut fixer des dispositions moins favorables aux salariés qu'un accord de rang supérieur.

M. Guy Fischer. C'est vrai !

Mme Raymonde Le Texier. Cette mise à mal de la hiérarchie des normes s'est ainsi faite au détriment de la protection et de la sécurité juridique des salariés.

Messieurs les ministres, cet épisode de triste mémoire suffirait à expliquer notre manque de confiance en ce projet de loi.

Nos réticences ne viennent pas du soupçon, mais de l'expérience. Nos doutes ne naissent pas d'une posture idéologique, mais de la connaissance de vos méthodes. Si, en 2004, vous étiez convaincus qu'il était indispensable de réserver du temps à la négociation, pourquoi alors l'avoir systématiquement bafouée ?

Nos réserves sont d'autant plus fondées qu'en examinant ce texte il n'est pas difficile d'y retrouver les outils qui vous permettent de vous soustraire aux obligations qu'il semble poser.

D'abord, on observe que cette procédure ne concerne pas les textes d'origine parlementaire. Cela permet au Gouvernement de contourner l'obstacle, par exemple en faisant présenter une proposition de loi par des amis politiques. Certes, le procédé n'est pas élégant, mais gageons qu'il sera efficace.

Selon le rapport de Mme Procaccia, le ministre a indiqué « ne pas craindre de telles dérives ». Ce sont là les seules assurances que nous aurons. Quand on voit la façon dont vous avez fait passer le CPE et le CNE, la simplicité de contournement de cette nouvelle procédure de concertation apparaît comme une véritable aubaine.

Ensuite, ce texte n'est pas applicable en cas d'urgence. Bien sûr, nul ne conteste la possibilité de circonstances exceptionnelles. Mais, ce qui est en cause ici, c'est le choix d'une procédure qui vous est devenue habituelle : l'urgence sans urgence.

Une fois de plus, nous parlons d'expérience. Depuis le début de la législature, à l'exception de la loi du 23 mars 2006 relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, tous les textes ayant trait au dialogue social ont fait l'objet d'une déclaration d'urgence afin que soit réduit le temps accordé aux débats. Le texte que nous examinons aujourd'hui n'échappe pas à cette règle.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il est urgent !

Mme Raymonde Le Texier. D'ailleurs, consciente de cette manipulation, l'Assemblée nationale a voté un amendement afin que la notion d'urgence soit motivée et ne soit plus l'excuse facile du passage en force.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !

Mme Raymonde Le Texier. Vous ne vous êtes jamais privés d'utiliser cette excuse. Ainsi, vous avez instrumentalisé les violences urbaines pour tenter d'imposer le CPE ou les chiffres du chômage pour mettre en place le CNE.

Avec vous, l'urgence est seulement l'alibi de la pratique discrétionnaire du pouvoir exécutif. À trop l'avoir employée, vous l'avez vidée de toute substance.

Or la démocratie sociale mérite mieux qu'un texte fade et sans ambition.

En voulant substituer le contrat à la loi, ce n'est pas un hommage à la responsabilité des syndicats que rend le Gouvernement, ce sont les intérêts du MEDEF qu'il a choisi de servir, une fois de plus.

Je ferai plusieurs observations.

Alors que le terme de « négociation collective » est contraignant et identifié, celui de « dialogue social » n'est pas encadré par les textes, et sa définition est floue. C'est une pratique et non une notion juridique. Sa mise en avant par le Gouvernement fait craindre que, sous couvert d'ouverture et d'échange, l'on ne tende à évacuer le formalisme de la négociation au profit de la souplesse du dialogue.

Le flou entoure également les conditions dans lesquelles les organisations syndicales de salariés et d'employeurs feront connaître leur intention d'engager une négociation. Qui décide ? comment ? avec quelle majorité ? Quel sénateur, après avoir examiné ce texte, peut répondre à ces questions ? Or le dialogue social suppose non seulement des syndicats forts et légitimes mais aussi des procédures claires et opposables. En préconisant un nouvel équilibre entre la loi et le contrat sans remettre à plat la représentativité syndicale, sans vous poser la question de la réalité du rapport des forces des partenaires sociaux, vous avez, pour le moins, monsieur le ministre délégué, mis la charrue devant les boeufs !

Vous ne cessez de vous référer aux expériences allemandes, danoises, voire espagnoles. Mais si vous savez y puiser les exemples qui vous servent, vous oubliez le contexte particulier qui est le nôtre.

La France affiche le taux de syndicalisation le plus faible de tous les pays développés, puisqu'il est de 8 %. Au Danemark, ce taux atteint 87,5 % ; il est de 52 % en Belgique, et de 26 % aux Pays-Bas.

Or, comme le montrent les exemples étrangers, c'est essentiellement la reconnaissance mutuelle que les organisations syndicales et patronales s'accordent qui détermine leur capacité à trouver des accords. Cette reconnaissance passe par la capacité de poser, en cas de besoin, un rapport de force.

En France, avec des taux de syndicalisation aussi faibles, il n'est pas étonnant que de nombreux conflits trouvent leur issue dans la rue.

Comment parler de démocratie sociale et continuer dans le même temps à appliquer un système où la représentativité repose sur des critères administratifs, puisqu'un arrêté datant de 1966 accorde une présomption de représentativité à cinq organisations syndicales ?

À ces questions cruciales, ce projet de loi se garde bien de répondre. Or, faute d'avoir abordé ces problèmes, de lourdes interrogations portent sur le résultat de la mise en oeuvre d'une telle loi.

Aujourd'hui, il suffit de trois syndicats sur cinq parmi les organisations représentatives au niveau national pour valider un accord, même si celui-ci est minoritaire parmi les salariés. Comment aborder sereinement la question de la place de la loi et du contrat dans de telles conditions ? Tant que la possibilité d'accords minoritaires demeurera, la démocratie sociale aura du mal à trouver son souffle.

C'est pourquoi le groupe socialiste vous proposera une série d'amendements pour que cette loi de modernisation du dialogue social soit le point de départ d'un véritable essor de la démocratie sociale.

Nous vous proposerons notamment d'appuyer la représentativité des syndicats sur le vote des salariés. Toutes les organisations syndicales légalement constituées pourront ainsi y concourir.

Nous proposerons également le respect de la règle de l'accord majoritaire. Tout accord, pour être valide, devra avoir obtenu la majorité des suffrages exprimés lors du scrutin de représentativité le plus récent.

Ces propositions sont conformes aux recommandations du Conseil économique et social. Elles sont surtout indispensables si vous voulez donner à ce projet de loi l'envergure que son sujet mérite.

La loi protège souvent le plus faible, quand le contrat affermit la position du plus fort, si le rapport est inégal. Or, entre employeurs et employés, il existe une inégalité de fait. Si nos syndicats ne gagnent pas en représentativité et en force, cette inégalité de fait risque de se traduire en une inégalité de droit.

Cela est d'autant plus inquiétant que, dans les petites entreprises, c'est la question même de la présence syndicale qui se pose. Pour dialoguer, encore faut-il avoir un interlocuteur.

Comment vous faire confiance, monsieur le ministre délégué, alors que, depuis 2002, votre majorité s'est opposée à l'extension, donc à l'application d'un accord remarquable sur la présence syndicale dans les très petites entreprises, accord signé par tous les syndicats de salariés et l'Union professionnelle artisanale, représentant 800 000 entreprises ? Lorsque ces partenaires sociaux arrivent à un tel accord pour donner une réalité au dialogue social, ils trouvent, pour leur barrer la route, le MEDEF, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME, et la complicité active du gouvernement UMP.

M. Guy Fischer. C'est vrai !

Mme Raymonde Le Texier. Pour vous, le dialogue social tend surtout à substituer le contrat à la loi. Dans un paysage syndical faible et morcelé, c'est une aubaine pour les organisations patronales. Il n'y avait qu'à voir leur mine gourmande lors des auditions, à l'idée que, peut-être demain, le législateur n'interférerait plus du tout dans ce qu'ils considèrent comme leur pré carré... Un avenir qui rendrait impossible les lois Auroux, les 35 heures et tant d'autres avancées. Un rêve, vous dis-je !

Heureusement, nous n'en sommes pas là, et le projet de loi que nous examinons est bien trop restreint pour changer réellement la donne.

Pour les organisations de salariés, ce texte, qui donne du temps à la négociation, est tout de même une avancée. Il faut dire qu'elles ont été habituées à pire...

Ce texte aurait pu être l'occasion d'engager un véritable débat sur les exigences de la démocratie sociale. Ne reste pour nous, parlementaires, que la déception face à un rendez-vous manqué. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.

M. Serge Dassault. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi privilégie le dialogue social entre le Gouvernement et les partenaires sociaux. Mais pourquoi oublie-t-il le dialogue au sein de l'entreprise, qui est loin d'être négligeable si l'on veut sortir de la logique des conflits ?

Je voudrais à cet égard formuler une observation, qui n'a pas encore été faite, sur la qualité des personnes que l'on appelle les partenaires sociaux. Qui sont-ils ? Ce sont ceux qui ont été désignés en vertu de la loi du 23 décembre 1946 et qualifiés alors de « représentatifs ». Mais le sont-ils encore aujourd'hui ? En réalité, ils le sont de moins en moins dans la mesure où le nombre de salariés syndiqués est de plus en plus faible.

Il faudra donc revenir sur la qualité de ceux que l'on appelle les partenaires sociaux et faciliter, comme certains le proposent, l'élection de représentants des salariés n'appartenant à aucun de ces syndicats dès le premier tour. Ces mesures favoriseraient la démocratie et le contact direct au sein des entreprises. À ce propos, je tiens à rappeler que les partenaires sociaux ne représentent pas uniquement les syndicats, mais qu'ils expriment aussi la voix des salariés, qui sont directement impliqués dans le fonctionnement de l'entreprise.

Il est nécessaire qu'un dialogue social direct puisse s'instaurer entre les salariés et les responsables de l'entreprise, avec ou sans les syndicats. En effet, la paix sociale dans l'entreprise dépend beaucoup plus des salariés que des syndicats, puisque les premiers participent directement à la vie de l'entreprise, qui est leur travail, leur emploi, contrairement aux seconds.

C'est la raison pour laquelle je souhaite que les salariés soient plus largement et directement informés par le chef d'entreprise de tout ce qui concerne cette dernière, notamment sa situation financière, l'état de ses outils industriels et technologiques, la position de ses concurrents et les difficultés qu'elle rencontre.

Chaque année, le chef d'entreprise ou son représentant devrait réunir l'ensemble de son personnel pour lui fournir les mêmes informations que celles qu'il adresse aux actionnaires lors des assemblées générales. C'est précisément ce que j'ai fait lorsque j'étais président de Dassault Électronique, et tout se passait très bien ! Plusieurs centaines de salariés étaient présents qui écoutaient, posaient des questions et étaient informés de la réalité de l'entreprise : le bilan, le compte d'exploitation, le plan de charges, les commandes obtenues, car tout cela intéresse les salariés.

Il faudrait aussi expliquer les raisons pour lesquelles l'entreprise a échoué dans la négociation de certains contrats ou dans l'exécution de commandes spécifiques, qu'il s'agisse d'un manque de compétitivité, de performances insuffisantes ou de coûts trop élevés.

Cette pratique montre aussi la considération dont fait preuve le chef d'entreprise à l'égard des salariés, qui constatent qu'il se déplace lui-même dans le but de leur expliquer directement la situation exacte de l'entreprise et les mesures à prendre pour l'améliorer.

Mais, pour cela, il faudrait aussi que les salariés soient formés, comme les syndicats, au fonctionnement des entreprises et qu'ils en connaissent les objectifs. Ils devraient être initiés à la gestion financière et à la promotion commerciale. Surtout, ils devraient comprendre que l'entreprise travaille pour satisfaire des clients et pas uniquement pour les actionnaires, les salariés ou les syndicats. En effet, ce sont en fait les clients qui dirigent l'entreprise, puisque ce sont eux qui décident ou non d'acheter les produits mis sur le marché.

Ainsi, tout doit être fait, dans l'entreprise, pour que les salariés, les syndicats et la direction travaillent ensemble à la satisfaction des besoins des clients. En cas d'échec, les salariés perdent leur emploi et se retrouvent au chômage, et, à terme, l'entreprise disparaît.

Je vous proposerai en ce sens un amendement visant à rendre obligatoires, d'une part, l'information directe des salariés sur la situation financière de l'entreprise par les responsables de l'entreprise au moins une fois par an, comme cela se fait dans les assemblées générales pour les actionnaires, et, d'autre part, une formation économique suffisante pour que les salariés comprennent les données qui leur sont communiquées ainsi que le fonctionnement de l'entreprise. Il faut donc informer les employés, mais également les former, pour qu'ils soient encore mieux informés ! (Sourires.)

Telles sont les réflexions, messieurs les ministres, mes chers collègues, que m'inspire la présentation de ce projet de loi, dont l'esprit me semble généreux. Encore faut-il savoir avec qui l'on discute... (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui vise à accorder aux partenaires sociaux un temps de négociation avant tout examen parlementaire d'un texte portant sur le travail, l'emploi et la formation professionnelle. Ce projet de loi arrive en fin de législature, après que des changements importants ont été apportés au code du travail - remise en question des 35 heures, plus de flexibilité et moins de sécurité - et après que les relations sociales ont été régulièrement malmenées - les exemples sont nombreux.

Ainsi, en 2004, le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social nous proposait un volet « dialogue social » qui était la traduction pure et simple des voeux du MEDEF. Ce texte revenait sur des acquis fondamentaux en permettant que des négociations en entreprises puissent aboutir à un résultat moins favorable que les conventions collectives de branche. Ce texte s'inscrivait tout à fait dans l'air du temps du gouvernement Raffarin, quand les licenciements étaient légion, quand les droits sociaux se trouvaient en régression permanente et quand commençait à poindre la nouvelle tendance : celle du salarié serviable et corvéable à merci, traité comme quantité négligeable.

A-t-on progressé sur le plan du dialogue social sous le gouvernement Villepin ? Pas vraiment, si l'on considère les mesures prises depuis juin 2005. Il y a eu, d'abord, le contrat nouvelles embauches, imposé par voie d'ordonnance alors qu'il réformait en profondeur le droit du travail. Il y a eu, ensuite, le contrat première embauche, adopté grâce au recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, puis abandonné face à la mobilisation des syndicats et de la jeunesse.

N'oublions pas non plus le récent tour de passe-passe visant à revoir la définition des critères qui établissent la représentativité des syndicats médicaux. Le Gouvernement a tout simplement changé les règles peu de temps après des élections syndicales dont les résultats lui ont été défavorables.

M. Guy Fischer. C'est vrai !

Mme Gisèle Printz. Grâce à un artifice, il a fait en sorte que les gagnants ne soient plus représentatifs. Grosso modo, il s'est réservé le droit de choisir ses interlocuteurs, car ceux qui ont été élus démocratiquement ne lui plaisaient pas.

M. Guy Fischer. Très bien !

Mme Gisèle Printz. Enfin, alors que le Président de la République avait vanté les mérites du dialogue social devant le Conseil économique et social, le 10 octobre dernier, le Gouvernement nous soumettait, quelques jours plus tard, le projet de loi pour le développement et la participation de l'actionnariat salarié, dont le titre III intitulé « Dispositions relatives au droit du travail » visait, une fois encore et sans aucune concertation, à remettre en cause les droits collectifs des salariés et à fragiliser le contrat de travail.

Le présent projet de loi se veut donc celui du rachat, de la réconciliation avec les partenaires sociaux, après les avoir ignorés systématiquement. Mais avec un bilan aussi peu flatteur, on ne pouvait que douter de la capacité de ce gouvernement à rétablir le déséquilibre qui s'est instauré entre la loi et la négociation depuis le début de la législature. Les doutes ont été rapidement confirmés, car le texte qui nous est soumis est incomplet et insuffisant.

Il est incomplet, car il ne porte que sur les mécanismes du dialogue social, laissant de côté la question de la représentativité des partenaires sociaux. Pourtant, le Conseil économique et social vient de rendre un avis qui retient le principe d'une modification des règles de représentativité et de validation des accords. Les règles actuelles sont manifestement obsolètes !

Nous ne pouvons continuer d'appliquer un système qui repose sur une présomption de représentativité établie au profit de cinq organisations syndicales par un arrêté de 1966 selon lequel la validité d'un accord repose sur la seule signature d'une de ces cinq organisations. On ne peut plus parler de démocratie sociale, alors que les dispositions actuelles du code du travail privent un salarié sur deux du secteur privé du droit de participer à la désignation de représentants.

L'arrêté de 1966 répondait à des circonstances historiques particulières, mais le monde du travail a profondément changé depuis quarante ans. Cet arrêté doit donc être abrogé et remplacé par un dispositif aux termes duquel la représentativité des syndicats est démocratiquement vérifiée - et non plus administrativement octroyée - et fondée sur des élections professionnelles généralisées à tous les salariés.

Concernant la validation des accords, depuis la réforme « Fillon » du 4 mai 2004, un accord est considéré comme majoritaire s'il est signé par la majorité des syndicats en nombre, qu'ils représentent ou non la majorité des salariés. On peut ainsi se trouver en présence d'accords dits « majoritaires », mais qui ne sont approuvés que par une minorité de salariés. Cela n'est pas très démocratique !

Il serait donc préférable que tout accord, pour être valide, soit conclu par une ou plusieurs organisations syndicales ayant obtenu la majorité des suffrages exprimés lors du scrutin de représentativité le plus récent.

Mais le texte qui nous est soumis est également insuffisant. Tout d'abord, il ne comprend aucune précision s'agissant des modalités selon lesquelles les partenaires sociaux feront connaître leur intention d'engager une concertation. Comment cette dernière sera-t-elle formalisée ? Tout reste flou à cet égard.

Ensuite, cette procédure ne concerne pas les textes d'origine parlementaire, ce qui maintient intact le droit d'initiative parlementaire, mais permet ainsi au Gouvernement de « contourner l'obstacle » en faisant éventuellement présenter une proposition de loi par des amis politiques.

Par ailleurs, les questions essentielles de la protection sociale sont sorties du champ de la consultation annuelle, ce qui est regrettable.

Enfin, l'article 1er précise que ce texte n'est pas applicable en cas d'urgence. Or la déclaration d'urgence est une procédure précise, qui a été mise en oeuvre pour la totalité des textes concernant le droit du travail depuis 2002, à l'exception du texte relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes. Il aurait donc suffi de saisir le Parlement en urgence d'un projet de loi, comme ce fut le cas pour le contrat première embauche, pour ne pas avoir à consulter préalablement les partenaires sociaux. On ne progresse pas vraiment !

Aujourd'hui, tout salarié doit se voir reconnaître un droit effectif à la représentation syndicale et à la négociation collective. Ce principe, inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, doit devenir une réalité. L'ambition d'une démocratie sociale forte et renouvelée doit concerner tous les salariés, notamment ceux des petites entreprises, qui restent trop souvent exclus du dialogue social.

Votre texte, messieurs les ministres, ne répond pas à cette ambition. Faute de traiter de l'indispensable rénovation de notre démocratie sociale, il n'est pas à la hauteur des enjeux. Il ne s'agit que d'une démarche d'affichage, car le Gouvernement a beaucoup à se faire pardonner en matière de dialogue social...

M. Guy Fischer. C'est le moins que l'on puisse dire !

Mme Gisèle Printz. ... et il essaie d'effacer, par ce petit coup de publicité, tout le mal occasionné.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh bien !

Mme Gisèle Printz. Pour ma part, ayant été déléguée du personnel dans le secteur de la sidérurgie durant de nombreuses années, je sais l'importance des syndicats, de leur représentativité et le rôle primordial qu'ils jouent dans le monde du travail. Je connais aussi leurs difficultés à se faire entendre du patronat.

Je peux vous dire qu'un texte sur le dialogue social était très attendu. Malheureusement, celui qui nous est soumis aujourd'hui ne manifeste que des intentions vagues. Il devra donc être reconsidéré pour que nous ayons un outil de concertation digne de ce nom.

Pour conclure, messieurs les ministres, c'est avec étonnement que j'ai lu dans le journal Les Échos en date du 15 janvier que le Gouvernement avait décidé d'anticiper l'adoption de ce projet de loi, en réformant les règles de consultation des syndicats et en leur accordant un droit de saisine avant toute modification du code du travail. Honnêtement, on est en droit de se poser la question, à quoi sert le Parlement ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. À quoi sert le débat ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous ne serez pas contournée, madame Printz ! Vous serez consultée et vous trancherez !

M. le président. La parole est à M. Roger Madec.

M. Roger Madec. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, le développement du dialogue social constitue l'un des principaux leviers de modernisation de notre pays.

Il est l'un des fondements d'une nouvelle démocratie sociale. Cette démocratie renouvelée suppose la mise en mouvement de toute la société, la participation de tous ses acteurs à l'élaboration des règles qui organisent la vie collective.

Encourager la confrontation réglée des différents intérêts, valoriser la négociation collective, assumer les conflits en les dépassant par des compromis, trouver un équilibre entre le contrat et la loi, délimiter les rôles respectifs de l'État et des partenaires sociaux, voilà quelques-uns des enjeux du dialogue social.

Appliqué aux relations individuelles et collectives du travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, le dialogue social peut être un puissant moteur de progrès. Il permet l'affirmation de nouveaux droits pour les travailleurs en les accordant à l'efficacité économique. À travers le dialogue social, l'intérêt collectif peut se construire au plus près de la réalité des situations et des besoins.

Dès lors, comment ne pas proposer une modernisation du dialogue social ? Comment ne pas faire de la concertation, de la consultation et de l'information - auxquelles j'ajoute volontairement la négociation -, autant de principes s'imposant à l'État lorsqu'il s'agit de légiférer sur le code du travail ?

Alors je dis « oui », bien sûr, à la modernisation du dialogue social !

Mais pourquoi si peu et si tard ?

Quel crédit pouvons-nous vous accorder ? Comment concilier la pratique souvent autoritaire de votre gouvernement et de votre majorité avec la modeste volonté aujourd'hui affichée ?

Il y a les mots, d'un côté, et la pratique, de l'autre.

Les mots, nous les avons déjà entendus : la loi Fillon de 2004 portait réforme du dialogue social. L'engagement était pris, d'une part, de renvoyer à la négociation interprofessionnelle tout projet de réforme du droit du travail et, d'autre part, de demander aux partenaires sociaux s'ils souhaitaient engager une négociation sur les projets de réforme envisagés.

Votre pratique, nous l'avons éprouvée : les travailleurs en ont subi les conséquences ! Qu'il s'agisse de la remise en cause du principe de faveur et de la hiérarchie des normes par le biais d'amendements, de l'institution du contrat nouvelles embauches par ordonnance, ou encore du contrat première embauche déposé sans concertation, vous avez démontré, avec une remarquable constance, le peu d'attention que vous accordiez à la délibération collective et, singulièrement, à la concertation avec les partenaires sociaux.

La politique par la preuve commence en rapportant les mots aux actes. Une bien étrange schizophrénie politique vous a conduits à entrer systématiquement en contradiction avec vous-mêmes. Cinq années où vous aviez tous les pouvoirs, à défaut de toutes les audaces, pour en arriver là !

Trop tard, donc ! Et aussi trop peu !

D'abord, le recours à une loi ordinaire ne paraît pas à la mesure des ambitions. Une loi organique serait plus à même de pérenniser l'obligation du dialogue social. D'autant qu'il s'agit de délimiter le champ d'action des pouvoirs publics, de préciser les relations entre l'État et les partenaires sociaux.

Ensuite, la possibilité de déroger à l'obligation légale par le biais d'une procédure d'urgence soulève bien des questions.

Certes, une telle procédure est un principe de notre droit public et elle se trouve désormais encadrée par une utile obligation d'information et de motivation. Mais ce qui est en cause en l'occurrence est non pas la lettre ni même l'esprit, mais bien votre pratique, constante et récurrente.

Depuis cinq ans, tous les textes réformant le code du travail, sauf un, ont fait l'objet d'une déclaration d'urgence. Dans ces conditions, votre texte s'annule lui-même, à moins qu'un nouveau gouvernement ne se montre demain plus respectueux des prérogatives du Parlement et des partenaires sociaux.

Il en va de même pour le recours à des textes d'origine parlementaire, ou encore à l'introduction de dispositions relatives au droit du travail par le biais d'amendements gouvernementaux.

À ce titre, l'épisode du contrat première embauche, introduit par un amendement cavalier, puis supprimé par une proposition de loi du groupe UMP, constitue l'archétype du détournement de procédure et du mépris du dialogue, qu'il soit parlementaire ou social.

Après le rappel de ces faits, vous comprendrez mieux, monsieur le ministre délégué, notre scepticisme et notre méfiance à l'égard des principes affichés aujourd'hui.

Par ailleurs, les modalités pratiques du dialogue social, tel que vous le préconisez, demeurent très floues dans votre texte. À commencer par les délais de saisine et de consultation des partenaires sociaux.

Au-delà, la concertation préalable avec les partenaires sociaux, puis leur déclaration d'intention en vue d'ouvrir une négociation, posent l'évident problème de leur représentativité.

Vous présentez comme un fait que la concertation préalable se déroulera avec « les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel ». Mais justement, ni les premières et encore moins les secondes ne disposent aujourd'hui d'une vraie et pleine légitimité.

Comment se formera la décision majoritaire nécessaire à l'engagement de la négociation en ce qui concerne les organisations syndicales de salariés ? Quelle sera la légitimité de pseudo-accords majoritaires passés par des organisations qui ne représentent pas la majorité réelle des salariés ?

Moderniser le dialogue social ne consiste pas à en répéter indéfiniment la nécessité : il s'agit de le rendre possible, d'en améliorer concrètement la pratique. Tel aurait dû être l'objectif de ce texte. Aidés par de nombreux rapports et avis, vous aviez cinq ans pour être à la hauteur de cette tâche.

D'autant que, en ce qui concerne la représentativité, le financement des organisations syndicales et, plus largement, l'architecture des instances de consultation, les pistes de réforme sont déjà là.

La présomption de représentativité accordée par un arrêté de 1966 au profit de cinq organisations syndicales est désormais caduque.

L'idée même d'une représentativité présumée est aujourd'hui illégitime. D'autant que l'égalité de traitement est constamment bafouée, puisqu'il est demandé aux nouvelles organisations de prouver leur représentativité en répondant à un ensemble de critères contraignants.

La représentativité devrait désormais être mesurée à l'aune d'élections professionnelles généralisées à tous les salariés. Ces élections organisées dans les entreprises et à travers des structures territoriales de branches permettraient une mesure légitime de la représentativité réelle, et non pas supposée. La représentativité des syndicats serait ainsi démocratiquement vérifiée, et non plus administrativement décrétée.

À cette condition, le principe de l'accord majoritaire prend enfin tout son sens.

Pour qu'un accord collectif soit validé, il doit être ratifié par des organisations représentant ensemble la majorité des salariés, ou ne rassemblant pas contre elles une majorité. Une telle règle pourrait s'appliquer à tous les niveaux : à l'échelon interprofessionnel, dans la branche professionnelle et dans l'entreprise.

Concernant le financement de l'activité syndicale, pourquoi ne pas envisager un plan de financement public transitoire et modulable ? Sans remettre en cause le principe de la cotisation, fondement de l'indépendance des organisations, la ventilation des moyens alloués pourrait être fonction des résultats obtenus aux élections de représentativité et du nombre d'adhérents. Par ailleurs, la rémunération des représentants syndicaux ainsi que leurs parcours professionnels doivent être garantis.

Mais il convient d'aller plus loin encore, car le dialogue social ne se décrète pas : il s'organise. Il repose largement sur l'existence d'un syndicalisme de masse, représentatif et acteur de négociations permanentes et étendues.

Afin de ne pas continuer à exclure l'essentiel des salariés des très petites entreprises, des logiques territoriales devraient s'imposer : non seulement au niveau d'une branche, mais aussi - pourquoi pas ? - à l'échelle d'un site, lorsque l'éclatement des activités le justifie.

Pour favoriser les adhésions, et au-delà des incitations fiscales, nous devrions évoluer vers un syndicalisme dans lequel l'appartenance à une organisation syndicale permet aux salariés, ou aux demandeurs d'emploi, de bénéficier de droits et de services spécifiques, comme c'est déjà le cas en Belgique ou en Allemagne.

Enfin, les processus de codécision gagneraient à être développés et institutionnalisés dans les conseils de surveillance des entreprises, avec une codification accrue des conditions de négociation collective et une délimitation responsable du droit de grève.

Par ailleurs, pourquoi ne pas reprendre à votre compte la proposition de création d'un conseil du dialogue social donnant davantage de lisibilité au fonctionnement des processus de consultation et de négociation ?

Dans le même esprit, la répartition entre les domaines législatif et réglementaire et celui de la négociation collective n'est toujours pas clairement précisée. La Position commune sur les voies et moyens de l'approfondissement de la négociation, signée en 2001, avec les partenaires sociaux, aurait mérité un utile prolongement dans le présent texte.

Ce sont là les ingrédients d'un nouveau contrat de démocratie sociale, d'un échange « gagnant-gagnant », qui réconcilierait la recherche de l'efficacité, la production des richesses avec le partage de nouveaux droits et de solidarités accrues.

Tels sont les éléments qui auraient dû être aujourd'hui au centre de nos débats !

Votre projet de loi ne fait qu'entamer ce processus : il pose une première pierre, mais sans aller assez loin. Nous ne nous y opposerons pas, mais nous nous abstiendrons.

Cependant, quel dommage, monsieur le ministre délégué, de ne pas être allé au-delà de l'incantation, de la pétition de principe ! Quel dommage de ne pas être allé plus avant dans la construction et dans l'organisation effective du dialogue social !

Si les mots n'avaient pas pris le pas sur la pratique, votre gouvernement et vous-même seriez aujourd'hui au rendez-vous !

Mais la politique par la preuve est encore à venir ... (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de répondre aux orateurs, je souhaite compléter mes échanges avec Mme le rapporteur.

Madame le rapporteur, une fois encore, je vous remercie sincèrement de la qualité de vos travaux et des échanges que nous avons eus, qui nous ont permis de répondre à un certain nombre d'interrogations.

Je vous remercie également d'avoir bien compris les équilibres constitutionnels dont ce texte, qui est délicat, doit tenir compte. Il s'agit de modifier les pratiques du Gouvernement sans affecter les prérogatives constitutionnelles du Parlement et du Gouvernement, telles qu'elles sont prévues par l'article 39 de la Constitution, singulièrement les prérogatives du Parlement en matière d'amendement et de transposition des accords collectifs, qui doivent être respectées.

L'essentiel est qu'il existe un dialogue entre le Parlement et les partenaires sociaux, mais tel n'est pas l'objet du présent texte. Ce dialogue relève de la responsabilité de la Haute Assemblée, et du Parlement en général.

Madame le rapporteur, la notion d'agenda partagé, formule utilisée par Dominique-Jean Chertier dans son rapport, est inspirée de la pratique sociale constatée en Europe, plus particulièrement aux Pays-Bas.

Même si nous connaissons les limites des rapports dont le Parlement est demandeur et si nous savons qu'ils sont souvent lourds pour le Gouvernement, le rapport sur les concertations et les consultations effectuées au cours de l'année ne me paraît pas être une simple formalité. Il est en effet important pour la transparence du dialogue social que les échanges soient rendus publics. Cela est conforme aux principes qui ont été posés lors de la préparation du projet de loi et au cours des échanges que nous avons eus avec les partenaires sociaux.

J'ai bien entendu, madame le rapporteur, vos préoccupations concernant la procédure parlementaire et le respect d'un certain nombre de temps. Certains éléments relèvent toutefois du règlement des assemblées. En préparant le texte, j'ai eu l'occasion d'en discuter avec le président du Sénat et celui de l'Assemblée nationale, mais ce sujet relève de la seule décision de chacune des assemblées.

M. Gournac a rappelé, et il était important de le faire, le fondement constitutionnel de la négociation collective, à savoir le préambule de la Constitution de 1946, ainsi que la place de la loi et du contrat.

Ce texte s'inscrit dans une longue histoire. Brièvement, il est le fruit d'un dialogue social. Ainsi, l'accord sur les seniors et les dispositifs en matière de suivi salarial sont le résultat d'un dialogue social approfondi.

Je tiens à dire à M. Gournac que la couverture conventionnelle globale a beaucoup progressé entre 1997 et 2005, passant de 93,7 % à 98 % des salariés non agricoles. Vous le voyez, nous n'avons pas été en panne d'accords et de dialogue social !

M. Nogrix s'est exprimé avec le tempérament que nous lui connaissons. Je rappelle simplement que la CFDT et le MEDEF souhaitaient une réforme constitutionnelle. Il nous a semblé, aux uns et aux autres, y compris en définitive à ces deux organisations, qu'une telle réforme n'était sans doute pas nécessaire. Je rappelle le principe posé dans le préambule de la Constitution de 1946.

Les relations du travail seront profondément modifiées. Un décret devra être pris après un temps de concertation et de consultation devant la Commission nationale de la négociation collective. Cela va changer la donne, j'en prends le pari, et ce quel que soit le gouvernement.

Ce pari, je l'ai déjà en partie gagné ce matin. J'ai en effet eu à opposer à l'un de mes collègues venu me trouver le texte qui impose que la Commission nationale de la négociation collective soit saisie de tout avant-projet de loi et puisse en discuter. Nous allons assister à une évolution des mentalités et nous nous rendrons compte dans vingt-cinq ans, à la manière des Pays-Bas, que ce texte aura changé la donne dans le domaine des rapports sociaux.

M. Nogrix ayant évoqué la loi pour l'égalité des chances, j'informe la Haute Assemblée que, entre les mois de septembre et de décembre 2006, nous avons permis à 22 000 jeunes sans aucune qualification d'entrer dans la vie active, dans une entreprise, et de bénéficier d'une formation, à la suite de l'adoption de la loi sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise qui est elle-même due à une initiative du président du groupe UMP à l'Assemblée nationale.

Vous le voyez, les dispositions que vous avez votées au printemps - les décrets d'application ont été publiés au mois de septembre - ont des effets concrets. Je tenais à vous donner cette information, car les statistiques du mois de décembre viennent de nous être communiquées.

M. Bernard Seillier a évoqué le coût social de l'absence de dialogue social, et il a raison, mais il ne faut pas oublier son coût économique. Nous devons, les uns et les autres, le mesurer. Il a par ailleurs abordé la question de l'architecture du dialogue social. Je l'ai dit tout à l'heure, une simplification est nécessaire. Ce sera une deuxième pierre, monsieur Madec, sur laquelle il faudra continuer de construire.

Par ailleurs, la question de la représentativité a été évoquée. En revanche, celle de la validité des accords n'a pas été abordée, sauf par vous, monsieur Fischer. Le Conseil économique et social mène une réflexion sur ce sujet. Entre la majorité relative qu'il propose et l'accord majoritaire et le droit d'opposition, il y a sans doute une voie à trouver, en même temps que le dialogue social se construira.

Un autre point très important a été abordé : le financement de la vie syndicale. En la matière, à l'instar de ce qui a été fait voilà un peu plus d'une quinzaine d'années pour les partis politiques, il est nécessaire de se pencher sur la transparence des financements des organisations, qu'elles soient professionnelles ou syndicales, d'ailleurs.

Monsieur Fischer, je peux vous le garantir, il s'agit non pas d'instrumentaliser le dialogue social, mais tout simplement d'apporter une souplesse à la négociation collective. Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des textes que vous avez évoqués.

S'agissant des dispositions relatives aux mutations économiques, les partenaires sociaux ont négocié pendant plus d'un an avant de constater qu'ils étaient en désaccord. Ces dispositions ont été soumises à la Commission nationale de la négociation collective. Le processus s'est poursuivi, car, constitutionnellement, le Gouvernement et le Parlement conservent naturellement leurs capacités d'initiative. Il s'agit là d'un exemple typique de négociations engagées, mais sans aboutir. Le Gouvernement s'en est néanmoins largement inspiré pour son texte sur les mutations économiques.

Il suffit de voir combien d'accords de méthode et d'accords de gestion prévisionnelle des emplois et compétences sont aujourd'hui signés par toutes les organisations.

Certes les négociations n'aboutiront pas toutes, parce que certains sujets sont très difficiles, mais nous poussons pour que cela soit le cas.

Ainsi, s'agissant d'un sujet d'actualité, la pénibilité au travail, nous disons que les partenaires sociaux doivent reprendre leurs négociations. Hier soir, nous leur avons proposé qu'un groupe d'appui interadministratif, piloté par l'Inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, les aide, comme nous l'avons fait pour l'accord sur les seniors ou dans le cadre de la négociation de la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles, non pas pour négocier à leur place, mais simplement parce que cela peut avoir un effet catalyseur qui leur permettra d'avancer. Toutefois, il appartient aux partenaires sociaux de faire avancer les négociations. Voilà pourquoi nous leur avons proposé de les reprendre sur ce sujet important.

Enfin, sur l'articulation entre la modernisation du dialogue social et la réforme de la représentativité, si l'avis du Conseil économique et social est important, il n'a pas pour autant réglé les problèmes. Concernant les seuils de représentativité, quels sont les critères ? Certains ont évoqué le nombre d'adhérents, ainsi que la question de la transparence concernant ce nombre. Il s'agit là de sujets importants, que nous aborderons dans quelques jours.

Madame Le Texier, la loi du 4 mai 2004 ne remet pas en cause le principe de faveur. (Mme Raymonde Le Texier s'exclame.) Je tiens à le dire devant la Haute Assemblée. L'accord collectif ne peut pas déroger à la loi, sauf s'il est plus favorable que la loi.

Vous évoquiez le CPE ; j'ai déjà mentionné les concertations sur l'emploi des seniors ou sur les salaires. Je pourrais également parler du travail qui a été fait s'agissant de la loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social

Monsieur Dassault, vous avez évoqué, ainsi que Mme Le Texier, la question du nombre de salariés adhérant à une organisation syndicale.

Je crois qu'on ne peut pas comparer la France au Danemark. Il n'est pas non plus possible de la comparer à la Belgique, car les organisations y sont distributrices. Or, s'agissant de la possibilité évoquée par M. Nogrix que l'adhésion ait pour contrepartie des bénéfices, ou plutôt des dividendes, versés à l'adhérent, une telle conception n'appartient pas, me semble-t-il, à notre culture.

Je rappelle par ailleurs qu'il existe au Danemark une procédure de sauvegarde pour les 13 % de salariés n'adhérant pas à une organisation syndicale. Vous m'accorderez toutefois que cette procédure constitue une sorte de principe de « défaveur ».

Je ne suis pas non plus certain que la proposition de Mme Royal de rendre obligatoire l'adhésion à un syndicat soit réellement compatible avec la liberté syndicale, ni qu'elle constitue une avancée de la démocratie sociale ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et si les salariés sont récalcitrants, on les enverra à l'armée !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Je crois d'ailleurs que cette proposition est contraire à la Constitution (Nouvelles protestations sur les travées du groupe socialiste.) ...

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ...et je vois avec satisfaction que le doyen Gélard semble m'approuver sur ce point.

En ce qui concerne le rôle du chef d'entreprise, monsieur Dassault, celui-ci est naturellement essentiel, mais je rappelle que, dans le cadre des accords de gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences, les GPEEC, le chef d'entreprise a le devoir d'informer ses salariés.

Madame Printz, monsieur Madec, je tiens à vous dire qu'il ne s'agit vraiment pas ici d'un texte du MEDEF ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Voilà !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Je vois que cette précision soulage M. le président de la commission des affaires sociales. (Sourires.)

Le texte que souhaitait au départ le MEDEF était d'une nature différente.

Mme Raymonde Le Texier. Il était pire !

M. Guy Fischer. Vous avez déjà fait tellement de cadeaux aux patrons qu'ils n'ont pas de raison de se plaindre !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Quant à la question du dialogue social dans l'entreprise, je voudrais simplement rappeler à Mme Printz qu'en 2004 des négociations collectives ont eu lieu dans 87 % des établissements comptant au moins vingt salariés. Voilà qui témoigne de la vitalité du dialogue social.

Monsieur Madec, vous parliez d'une « première pierre »... D'autres pierres doivent naturellement être posées. Le prochain sujet traité concernera certainement les questions de la représentativité des syndicats et de la validité des accords. Je crois que nous nous dirigeons dans ce domaine vers une transformation profonde.

En effet, personne jusqu'à présent n'avait osé remettre en cause l'arrêté de 1966, pas plus sous la précédente législature que sous les autres. Or le Gouvernement, à travers les missions qu'il a confiées à Raphaël Hadas-Lebel et à Dominique-Jean Chertier, a montré qu'il acceptait l'idée que l'on revoie en la matière toutes les « règles du jeu ».

Je pense que l'on peut reconnaître à notre gouvernement d'avoir eu le courage d'aborder ce sujet, ce que personne jusqu'ici n'avait fait, et ce qui nous conduit à avoir aujourd'hui ce débat sur le dialogue social ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de modernisation du dialogue social
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