sommaire

présidence de M. Jean-Claude Gaudin

1. Procès-verbal

2. Décès d'un ancien sénateur

3. Candidature à un organisme extraparlementaire

4. Organismes extraparlementaires

5. Saisine du Conseil constitutionnel

6. Dépôt de rapports en application de lois

7. Questions orales

imputation budgétaire des contributions aux organismes de regroupement

Question de M. Bernard Fournier. - MM. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire ; Bernard Fournier.

répartition du produit de la taxe intérieure sur les produits pétroliers et des amendes de police

Question de M. Jean Boyer. - MM. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire ; Jean Boyer.

finances locales et transferts de responsabilités vers les collectivités territoriales

Question de M. Georges Mouly. - MM. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire ; Georges Mouly.

couverture des zones « grises » en téléphonie mobile

Question de M. Michel Teston. - MM. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire ; Michel Teston.

création d'un centre de rétention à villeneuve-le-roi

Question de Mme Hélène Luc. - M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire ; Mme Hélène Luc.

création d'un traitement de données à caractère personnel dénommé eloi

Question de Mme Alima Boumediene-Thiery. - M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire ; Mme Alima Boumediene-Thiery.

couverture du risque « catastrophes naturelles outre-mer » par la caisse centrale de réassurance

Question de Mme Anne-Marie Payet. - M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État ; Mme Anne-Marie Payet.

avenir de la monnaie de paris

Question de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État ; Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

retards de délivrance des certificats de nationalité aux français établis hors de France

Question de Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État ; Mme Monique Cerisier-ben Guiga.

devenir de la société eurenco

Question de M. Alain Milon. - Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense ; M. Alain Milon.

préoccupations des exploitants forestiers privés de bourgogne

Question de M. René-Pierre Signé. - MM. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche ; René-Pierre Signé.

représentation du département dans les conseils d'administration des collèges

Question de Mme Muguette Dini. - M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche ; Mme Muguette Dini.

devenir de la base de données thériaque sur le médicament

Question de Mme Marie-Thérèse Hermange. - M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ; Mme Marie-Thérèse Hermange.

réglementation des parapharmacies

Question de M. Alain Gournac. - MM. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ; Alain Gournac.

prise en charge des soins dentaires

Question de M. Louis de Broissia. - MM. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ; Louis de Broissia.

promotion des médicaments génériques dans le cadre du régime local d'assurance maladie d'alsace-lorraine

Question de Mme Esther Sittler. - M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ; Mme Esther Sittler.

situation des praticiens hospitaliers détachés dans un établissement psph

Question de M. Jean-Pierre Michel. - MM. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ; Jean-Pierre Michel.

avenir des groupements de coopération sociale et médico-sociale

Question de M. Gérard Delfau. - MM. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ; M. Gérard Delfau.

8. Nomination d'un membre d'un organisme extraparlementaire

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

9. Article 77 de la Constitution. - Adoption d'un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale : MM. François Baroin, ministre de l'outre-mer ; Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur ; Louis Le Pensec, Michel Mercier, Jean-Paul Virapoullé, Nicolas Alfonsi, Bruno Retailleau, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Dominique Voynet, MM. Simon Loueckhote, Robert Laufoaulu.

M. le ministre.

Clôture de la discussion générale.

Suspension et reprise de la séance

Question préalable

Motion no 1 rectifié decies de M. Simon Loueckhote. - MM. Simon Loueckhote, Jean-Luc Mélenchon, le rapporteur, le ministre. - Rejet par scrutin public.

Articles additionnels avant l'article unique

Amendements nos 2 et 3 de M. Simon Loueckhote. - M. Simon Loueckhote. - Retrait des deux amendements.

Article unique

Amendements nos 4 à 6 de M. Simon Loueckhote. - Retrait des trois amendements.

Mme Catherine Tasca, MM. Charles Pasqua, Josselin de Rohan, Bernard Frimat, le président.

Adoption, par scrutin public, de l'article unique du projet de loi constitutionnelle.

M. le ministre.

10. Transmission d'un projet de loi

11. Dépôt de propositions de loi

12. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

13. Renvoi pour avis

14. Dépôt de rapports

15. Ordre du jour

compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures dix.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

DÉCÈS D'UN ANCIEN SÉNATEUR

M. le président. J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Raymond Brun, qui fut sénateur de la Gironde de 1959 à 1989.

3

Candidature à un organISME EXTRAPARLEMENTAIRE

M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein de la Commission centrale de classement des débits de tabac.

La commission des finances a fait connaître qu'elle propose la candidature de M. Auguste Cazalet pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.

4

ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES

M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation des trois sénateurs appelés à siéger au sein du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie.

Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite la commission des affaires sociales à présenter deux candidatures et la commission des finances à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.

5

saisine du conseil constitutionnel

M. le président. M. le président a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel une lettre par laquelle il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, le 12 janvier 2007, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante députés, d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titre et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique et habilitant le Gouvernement à modifier les dispositions relatives aux soins psychiatriques sans consentement.

Acte est donné de cette communication.

Le texte de cette saisine est disponible au bureau de la distribution.

6

DÉPÔT DE RAPPORTS en application de lois

M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre, en application de la loi n°2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, les rapports sur la mise en application des lois suivantes :

- loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ;

- loi n° 2005-270 du 24 mars 2005 portant statut général des militaires ;

- loi n° 2005-371 du 22 avril 2005 modifiant certaines dispositions législatives relatives aux modalités de l'exercice par l'État de ses pouvoirs de police en mer ;

- loi n° 2005-1550 du 12 décembre 2005 modifiant certaines dispositions relatives à la défense ;

- loi n° 2006-449 du 18 avril 2006 modifiant la loi n°99-984 du 22 octobre 1999 portant organisation de la réserve militaire et du service de défense ;

- loi n° 2006-457 du 21 avril 2006 sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise.

M. le président a reçu également en application de l'article L.125 du code des postes et des communications électroniques, le rapport annuel 2005-2006 de la Commission supérieure du service public des postes et communications électroniques.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Les premier et sixième rapports seront transmis à la commission des affaires sociales, le dernier à la commission des affaires économiques et les quatre autres à la commission des affaires étrangères.

Ils seront disponibles au bureau de la distribution.

7

Questions orales

M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

imputation budgétaire des contributions aux organismes de regroupement

M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier, auteur de la question n° 1140, adressée à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales.

M. Bernard Fournier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite attirer une nouvelle fois votre attention et celle du Gouvernement sur le problème de l'imputation en section de fonctionnement des contributions aux organismes de regroupement.

Le développement de l'intercommunalité et des transferts de compétences des communes vers des groupements supra-communaux a pour objet de réaliser de manière rationnelle des investissements très lourds, notamment en matière de réseaux.

Mais ces transferts de compétences, nombreux, aboutissent de fait à un risque certain de déséquilibre de la section de fonctionnement. Le transfert d'une compétence communale à un organisme de regroupement conduit ainsi à requalifier, pour un même équipement, en dépenses de fonctionnement des dépenses comptabilisées auparavant en section d'investissement.

Des simulations très réalistes, que je tiens à votre disposition, monsieur le ministre, montrent que la part du chapitre 65 dans la section est facilement doublée avec seulement une ou deux opérations importantes, entraînant ainsi une dégradation de l'autofinancement, qui peut aboutir à un résultat négatif.

La possibilité de fiscalisation de ces contributions ne peut être qu'une réponse partielle, la fiscalité ne pouvant augmenter en proportion des dépenses en question. De plus, cette possibilité n'est actuellement pas offerte aux syndicats mixtes « ouverts ».

Le maintien des dispositions actuelles ne laisse donc aux communes qu'une alternative : soit dégrader le budget de la section de fonctionnement, et donc conduire une politique de mauvaise gestion ; soit demander aux organismes de regroupement de ne plus faire d'investissements lourds et ainsi pénaliser la réalisation ou le renouvellement d'installations et d'équipements, donc l'économie.

D'un point de vue législatif, l'amendement n° 88553 déposé sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie par M. Jean-Claude Lenoir, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, avait été adopté en septembre dernier par les députés, contre l'avis du Gouvernement.

Cet excellent amendement avait l'avantage de résoudre entièrement ce problème en permettant l'inscription des contributions équilibrant des dépenses d'investissement en section investissement.

En supprimant l'article 9 ter, contre l'avis de la commission des affaires économiques du Sénat, la Haute Assemblée a réintroduit ce problème. Après avoir écouté les explications de notre collègue Yves Fréville, la commission des affaires économiques du Sénat avait souhaité que cet article ne soit pas adopté conforme afin de poursuivre les réflexions sur ce sujet. Le rapporteur, Ladislas Poniatowski, avait reconnu que les situations évoquées pouvaient « avoir des conséquences très graves pour les budgets communaux ». Au final, la commission mixte paritaire a confirmé la suppression de cet article.

Enfin, je vous rappelle que les membres du comité syndical du syndicat intercommunal d'énergies du département de la Loire, que je préside, et qui représentent plus de 4 000 élus municipaux, ont présenté une motion au préfet le 5 décembre 2006 dans laquelle ils lui demandent de bien vouloir relayer leur action auprès des ministères concernés, dont le vôtre, monsieur le ministre, afin que les contributions versées aux organismes de regroupement correspondant à des travaux d'investissement soient imputées en section d'investissement.

En conséquence, je souhaiterais savoir si vous envisagez de résoudre ce problème crucial et, si oui, comment ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, vous souhaitez savoir si le Gouvernement envisage de permettre l'inscription des contributions des membres d'un syndicat mixte ouvert dans leur propre section d'investissement lorsque ces dernières équilibrent des dépenses d'investissement du budget du syndicat.

Le Gouvernement, vous le savez, n'est pas favorable à cette proposition pour les raisons suivantes.

D'abord, le code général des collectivités territoriales - articles L. 5212-19 et L. 5212-20 - classe les contributions budgétaires des collectivités membres d'un syndicat comme dépenses de la section de fonctionnement.

Autoriser dès lors les membres d'un syndicat à imputer dans leur section d'investissement une partie de leur contribution les conduirait à pouvoir recourir à l'emprunt pour financer ce type de dépense au profit d'un tiers, le syndicat mixte.

Il m'appartient à cet égard d'attirer l'attention de la Haute Assemblée sur les conséquences d'un tel montage financier, qui peut s'avérer très dangereux pour les finances des collectivités concernées. En effet, cela reviendrait à financer l'emprunt mobilisé par le syndicat mixte pour asseoir ses investissements par de l'emprunt mobilisé par ses communes membres.

Cependant, je vous signale que ces syndicats peuvent utiliser d'autres solutions, parfaitement orthodoxes, pour financer leurs investissements. En application du principe d'exclusivité qui régit les établissements publics locaux, je vous rappelle qu'un syndicat mixte ouvert décide souverainement du mode de financement des travaux qu'il entreprend dans le cadre de l'exercice de ses compétences, notamment en matière de réseaux.

Il dispose en particulier de la possibilité d'étaler dans le temps la charge pour les budgets de ses membres. En effet, le syndicat peut décider de recourir à l'emprunt pour financer ses investissements et ainsi étaler son financement. La contribution des membres, imputable en section de fonctionnement, devra alors couvrir simplement la charge de remboursement de l'emprunt, mais de manière étalée et donc budgétairement parfaitement soutenable, et cela sans porter atteinte à la règle d'or des finances locales. Celle-ci conduit à ne mobiliser de l'emprunt que pour couvrir des dépenses d'investissement directes.

Je terminerai en vous rappelant, comme vous l'avez fait, monsieur le sénateur, que, lors de l'examen du projet de loi relatif au secteur de l'énergie, votre assemblée, saisie d'un dispositif similaire à votre proposition adopté à l'Assemblée nationale contre l'avis du Gouvernement, s'est finalement ralliée à la position du Gouvernement en supprimant cette disposition.

Cela étant, si j'ai bien compris, monsieur le sénateur, vous souhaitez qu'au-delà de ces réponses, qui ne peuvent vous satisfaire pleinement, nous puissions engager une réflexion sur un mécanisme qui permettrait, de manière plus opérationnelle et pragmatique, de régler durablement le problème de l'investissement par les syndicats mixtes concernant directement les communes.

Au nom du Gouvernement, je puis vous assurer que nous prenons pleinement en compte cette revendication. En l'état actuel, je ne peux vous faire d'autre réponse, car votre proposition nécessite une adaptation du code général des collectivités territoriales ; c'est donc dans cette voie qu'il nous appartient de réfléchir ensemble aujourd'hui.

M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier.

M. Bernard Fournier. Monsieur le ministre, je suis quelque peu déçu par votre réponse.

J'ai essayé de vous expliquer les raisons qui incitaient les quatre mille élus municipaux de mon département adhérents au syndicat d'énergies à adopter cette démarche, car la façon de procéder qui nous est dorénavant imposée met à mal les budgets de certaines petites communes pour réaliser de lourds investissements, même si ceux-ci sont étalés dans le temps.

Dans la dernière partie de votre réponse, monsieur le ministre, j'ai noté que vous laissiez une place au dialogue, afin que nous parvenions à résoudre ce crucial problème. Je vous remercie de cette ouverture et je ne manquerai pas, dans les jours ou les semaines à venir, de reprendre contact avec vous-même ou avec votre cabinet afin que nous puissions trouver des solutions.

répartition du produit de la taxe intérieure sur les produits pétroliers et des amendes de police

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer, auteur de la question n° 1153, adressée à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales.

M. Jean Boyer. Monsieur le ministre, il faut reconnaître que la multiplicité des contrôles ainsi que la mise en place des radars fixes, répartis sur l'ensemble du territoire, ont permis une vraie amélioration en matière de sécurité routière.

L'augmentation des contraventions assure des recettes supplémentaires dans le budget de l'État. La majeure partie de ce produit semble affectée à des aménagements allant dans le sens de l'objectif recherché.

Dans ce cadre précis, monsieur le ministre, pourriez-vous m'indiquer la part revenant aux collectivités locales ainsi que les conditions de son affectation ?

Les collectivités apprécient ces retombées sans lesquelles certains aménagements sécuritaires bien localisés ne pourraient être réalisés.

Par ailleurs, l'évolution sensible de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, liée directement à la hausse du prix du baril de pétrole, peut surprendre si l'on regarde le coût de la matière première et le coût pratiqué à la pompe.

Nous le savons tous, cette taxe est pour l'État une recette qui lui permet d'accorder des dotations aux collectivités. Afin d'appréhender avec plus de netteté les affectations fiscales, il me paraît nécessaire de donner à nos concitoyens une transparence plus grande en la matière.

Cela est d'autant plus important que les régions semblent pouvoir bénéficier dorénavant d'un pouvoir de décision déterminant sur le coût final. Qu'en est-il réellement ? Mieux connaître son utilisation permettrait aussi à nos compatriotes de bénéficier d'une plus grande compréhension face à ces écarts de prix.

L'amende de police et la taxe intérieure sur les produits pétroliers sont « deux mamelles » du financement local indispensable à la bonne concrétisation des projets et des initiatives municipales, monsieur le ministre.

Dans notre société actuelle, la transparence par la communication est une démarche nécessaire. Les deux éléments que j'évoque ce matin me semblent complémentaires et nécessaires à une information objective pour tous.

Monsieur le ministre, je vous remercie de votre attachement à donner à nos concitoyens des réponses à leurs préoccupations quotidiennes.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, je décèle dans votre intervention une préoccupation relative au financement des initiatives locales, mais aussi une réflexion plus profonde sur la recherche du niveau territorial le plus pertinent pour porter ces initiatives. Dans ce cadre, vous interrogez le ministre délégué aux collectivités territoriales sur les modes de répartition du produit des amendes de police et de la TIPP.

Vous relevez avec pertinence le poids croissant que le produit des amendes forfaitaires de police relatives à la circulation routière a pris depuis plusieurs années. Les collectivités bénéficiaires en sont les communes et les groupements de plus de 10 000 habitants, les communes et les groupements de moins de 10 000 habitants, la région Île-de-France et le Syndicat des transports d'Île-de-France.

En réponse à votre question, je vous indique que les masses mises en répartition au profit de ces collectivités locales ont quasiment doublé en quatre ans, puisqu'elles ont augmenté de 99,82 % entre 2002 et 2005. Sur la même période, le nombre d'amendes dressées sur le territoire a augmenté de 21,91 %. Pour 2006, le montant total à répartir atteint plus de 565 millions d'euros. Le Comité des finances locales les répartira en février prochain.

S'agissant des modalités de répartition, la moitié des sommes à répartir est principalement attribuée aux communes et groupements de plus de 10 000 habitants, ce qui représentait 54,69 % de l'enveloppe en 2002 et 57,16 % en 2005. Le Syndicat des transports d'Île-de-France recevait en moyenne 22 % de l'enveloppe à distribuer en 2005, les 23 % restants étant attribués pour moitié respectivement aux communes de moins de 10 000 habitants et à la région Île-de-France.

Le produit des amendes de police des communes de moins de 10 000 habitants est lui mutualisé au niveau départemental afin de permettre des taux de subvention significatifs. Les conseils généraux établissent la liste des projets bénéficiaires selon l'urgence et le coût des travaux à réaliser. Les préfets procèdent ensuite à l'élaboration des arrêtés attributifs correspondants. Cette mutualisation permet de disposer d'enveloppes financières suffisantes pour financer des opérations de transports en commun et d'amélioration de la sécurité routière.

À titre exceptionnel, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2006, le Parlement a adopté une disposition visant à affecter 100 millions d'euros ouverts en loi de finances initiale pour 2006 et en loi de finances rectificative pour 2005 à d'autres politiques de développement local.

La péréquation en faveur des communes et des EPCI défavorisés sera tout d'abord confortée par l'affectation de 50 millions d'euros à la dotation d'aménagement des communes et de leurs groupements ; 50 millions d'euros reviendront également à l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances afin de permettre la réalisation d'actions de prévention de la délinquance.

Je vous indique également que, comme Brice Hortefeux s'y était engagé devant votre assemblée le 28 novembre dernier lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2007, un groupe de travail sera prochainement créé afin d'examiner la possibilité de mettre en place une nouvelle clef de répartition du produit des amendes dressées par voie de radars automatiques.

Je vous rappelle que le Gouvernement avait accepté en 2005 qu'une partie des amendes perçues par ce biais soit affectée aux communes. Plusieurs voix se sont élevées depuis en faveur d'une répartition au bénéfice des départements. Dans la mesure où certaines routes nationales sont désormais de la compétence des départements, je comprends que les conseils généraux revendiquent la perception de ce produit. Nous devons en discuter, et ce sera l'objet du groupe de travail.

Vous vous interrogez également sur la répartition et l'utilisation de la TIPP.

Cette taxe est aujourd'hui partagée entre trois niveaux de collectivité : l'État, les départements et les régions.

La loi de finances pour 2004 a d'abord attribué aux départements une part du tarif de la TIPP en contrepartie de la décentralisation du revenu minimum d'insertion, le RMI, et du revenu minimum d'activité, le RMA, pour un montant annuel de 4,942 milliards d'euros.

La loi de finances pour 2005 a ensuite attribué, cette fois-ci aux régions, une autre quote-part du tarif de la TIPP en contrepartie des compétences décentralisées par la loi du 13 août 2004. Le montant des compétences transférées est évolutif, puisque le processus de transfert s'échelonnera jusqu'en 2008. Pour votre information, sachez que 1,4 milliard d'euros sont inscrits dans la loi de finances pour 2007.

Comme vous le savez certainement, l'assiette de la TIPP a été régionalisée à compter de 2006 afin de préparer le terrain à la modulation que les régions sont actuellement en train de décider. Dès 2007, les tarifs de TIPP seront donc différents d'une région à l'autre en fonction des décisions propres des conseils régionaux.

Conformément aux engagements du Gouvernement depuis le début du nouveau processus de décentralisation, il s'agit de donner aux régions des marges de manoeuvre supplémentaires en matière fiscale. Contrairement à ce qu'affirment les régions, il s'agit réellement de marges supplémentaires, car l'État remplit intégralement ses obligations constitutionnelles. Il est même allé au-delà des objectifs en termes de couverture des dépenses transférées, puisque, en acceptant de modifier la méthode d'évaluation du droit à compensation pour certains transferts, le Gouvernement a consenti au profit des régions un effort supplémentaire de 135,4 millions d'euros.

La modulation de la TIPP constitue donc bien un accroissement des marges des régions. On peut d'ailleurs l'estimer à environ 515 millions d'euros, soit environ 20 % de l'ensemble des charges transférées de 2005 à 2007. Ces marges supplémentaires s'ajoutent à l'autofinancement actuel des régions. Celui de 2006 n'est pas encore connu, mais je rappelle que celui de 2005 s'élevait déjà à 5,2 milliards d'euros.

J'ajoute qu'un récent rapport d'information de la commission des finances de l'Assemblée nationale rédigé par les députés Marc Laffineur et Augustin Bonrepaux, qui n'appartiennent pourtant pas au même groupe de pensée politique, indique que les transferts de compétences de l'État aux collectivités locales dans le cadre de l'acte II de la décentralisation, conformément à la loi constitutionnelle, se sont opérés à l'euro près, voire plus. Cela démontre bien que la marge de manoeuvre accordée avec la TIPP par le Gouvernement aux régions a été utilisée à d'autres fins que la compensation des nouvelles compétences transférées.

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Monsieur le ministre, j'ai apprécié votre réponse claire, précise et concrète. Il y a tant d'interprétations erronées de la réalité qu'elle était nécessaire.

Même si je connais votre trempe et votre compétence, je ne pensais pas que vous auriez répondu avec autant de netteté à mes questions. Je vous en remercie sincèrement.

Je me permets également de féliciter le Gouvernement pour son action dans le domaine de la sécurité routière. Même si la répression est parfois choquante, de nombreuses vies humaines sont ainsi sauvegardées.

finances locales et transferts de responsabilités vers les collectivités territoriales

M. le président. La parole est à M. Georges Mouly, auteur de la question n° 1173, adressée à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales.

M. Georges Mouly. Monsieur le ministre, la fin de votre réponse à la question de mon collègue Jean Boyer pourrait servir en quelque sorte de conclusion à ma question, que je me permets néanmoins de développer.

Le processus de décentralisation, qui s'est considérablement accéléré au cours des dernières années, a permis de rapprocher le « pouvoir » des citoyens. Cette plus grande proximité est sans conteste une avancée majeure dans l'exercice de la démocratie. La décentralisation est une réalité dans notre pays !

Néanmoins, la décentralisation n'a pas toujours eu pour les contribuables toutes les conséquences espérées. Ainsi, je pense à la diminution des coûts, qui était l'un des objectifs recherchés, par une gestion plus proche du terrain.

Certes, le financement par l'État des transferts de compétences est aujourd'hui une réalité : la loi est respectée et la méthode d'évaluation des charges, je le reconnais, paraît satisfaisante. C'est du moins le constat formulé par un rapport d'information de l'Assemblée nationale. Lors de certains transferts, l'État est même allé au-delà de ses obligations légales.

Cependant, l'une des mesures phare de l'acte II de la décentralisation, prévue par la loi du 13 août 2004, provoque l'inquiétude des responsables politiques locaux en termes de charges financières nouvelles, directes ou indirectes : le transfert des personnels TOS, techniciens, ouvriers et de service, des collèges et lycées et celui des agents de la direction départementale de l'équipement, la DDE.

En réalité, grâce à l'exceptionnelle mobilisation des collectivités pour garantir la continuité du service public local, la réforme se déroule plutôt bien sur le terrain et les agents, malgré les réticences de syndicats, optent en majorité pour le statut de la fonction publique territoriale. Mais le transfert de ces personnels génère des coûts importants en raison, d'une part, d'un régime souvent plus favorable et d'un déficit de personnel de l'État, notamment de cadres - la majorité des départements et des régions envisagent de procéder à des recrutements supplémentaires après avoir fait le constat que les établissements transférés ne pouvaient fonctionner dans de bonnes conditions et, pour ce qui concerne les DDE, les élus évoquent une rétention des emplois d'encadrement par l'État - et, d'autre part, des incidences inéluctables sur le compte de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, la CNRACL, avec l'arrivée massive des personnels TOS relativement plus âgés. C'est donc mathématique !

Les collectivités doivent gérer ces nouveaux transferts et poursuivre parallèlement la mise en oeuvre des transferts précédents qui font l'objet de surcoûts imprévus, mais que personne ne songerait à regretter - je pense au revenu minimum d'activité ou aux contrats d'avenir - ou qui sont susceptibles de connaître une augmentation importante, et là aussi c'est une affaire de chiffres, s'agissant des personnes âgées ou des personnes handicapées.

L'Observatoire de la décentralisation du Sénat a dressé un bilan encourageant des transferts des personnels TOS et des agents de la DDE, mais face aux perspectives inquiétantes pour les finances publiques locales, il avance des propositions intéressantes.

À ces surcoûts imprévus ou prévisibles s'ajoutent des disparités gommant l'image d'équilibre qui prévaut à l'échelle du pays. Certes, grâce au pacte de croissance et de stabilité, les collectivités disposent de marges de manoeuvre, mais les situations sont très variables : l'afflux de recettes ne se réalise pas toujours là où les dépenses sociales sont les plus fortes, et les ressources restent fragiles. S'imposent une mise en oeuvre du principe de péréquation, ce qui suppose un ciblage plus fin des collectivités les plus fragiles - c'est peut-être plus facile à énoncer qu'à faire, mais c'est bien le fond du problème -, notamment en zone rurale, ainsi qu'une prise en compte de leurs inégalités objectives de ressources et de charges.

Monsieur le ministre, quelles dispositions pourraient-elles être envisagées pour apaiser l'inquiétude des élus locaux face à l'ampleur des défis à relever dans le cadre d'une maîtrise de la dérive des dépenses publiques, tout en permettant de définir un lien véritable entre le contribuable et la collectivité, lien cher aux élus locaux, pour donner corps aux principes de péréquation et d'autonomie financière ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, la question de la compensation financière des transferts de compétences est effectivement sujette à de nombreux débats et rumeurs. Votre question me fournit donc l'occasion d'apporter les clarifications nécessaires.

Premièrement, l'acte II de la décentralisation ne peut en aucun cas être accusé de toutes les difficultés rencontrées par certaines collectivités.

Tout d'abord, parce que le Gouvernement a honoré ses obligations constitutionnelles et législatives en matière de compensation.

Ensuite, parce que l'impact des transferts issus de la loi relative aux libertés et responsabilités locales sur les finances des départements et des régions doit être ramené à ses exactes proportions : les charges transférées en 2005 et 2006 représentent 0,5 % des budgets départementaux et 5,9 % des budgets régionaux.

Enfin, parce que l'autofinancement des régions a progressé en 2005 de 15 % et celui des départements de 13 %. Le taux d'épargne qui rapporte l'autofinancement aux recettes de fonctionnement atteint 33,7 % pour les régions et 18,3 % pour les départements.

Plus que jamais auparavant, les gouvernements successifs depuis 2002 ont témoigné de leur volonté de soutenir fermement les collectivités territoriales et la décentralisation. En renouvelant le contrat de croissance et de solidarité, alors que l'État s'applique à lui-même des contraintes drastiques, en compensant de façon transparente et irréprochable les transferts issus de la loi relative aux libertés et responsabilités locales du 13 août 2004, en accompagnant les départements dans la prise en charge du RMI, le Gouvernement continue d'en donner des gages incontestables.

M. René-Pierre Signé. C'est insuffisant !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Deuxièmement, les transferts de compétences effectués au profit des collectivités locales ont fait l'objet d'une compensation financière intégrale.

S'il en avait été autrement, le Conseil constitutionnel n'aurait pas manqué de le rappeler au Gouvernement et au Parlement en censurant les différentes lois dont il est saisi. Il ne l'a pas fait ! Il faut donc en conclure que le Gouvernement a respecté l'ensemble de ses obligations constitutionnelles en ce domaine.

En outre, 2007 sera la troisième année de mise en oeuvre des transferts de compétences prévus par cette loi. Au total, les charges ainsi transférées en trois ans, au titre de 2005, 2006 et 2007, s'élèvent à plus de 3,5 milliards d'euros.

Dans un certain nombre de cas, dans le cadre des débats au sein de la commission consultative sur l'évaluation des charges, la CCEC, le Gouvernement a accepté de déroger à la loi du 13 août 2004, dont l'article 119 prévoit une compensation des charges de fonctionnement sur la base de la moyenne des dépenses actualisées de l'État au cours des trois années précédant le transfert de compétences. Il a accepté une solution plus favorable adossant le droit à compensation à la dépense de l'État au cours de l'année précédant le transfert.

Au total, par rapport à un droit à compensation théorique, le Gouvernement a été conduit à faire un effort supplémentaire de 157,755 millions d'euros.

Enfin, s'agissant des transferts de personnels, plusieurs décisions favorables aux collectivités locales ont été prises : la compensation des personnels se fera, s'agissant des cotisations « patronales », sur la base des dépenses supportées par les collectivités territoriales ; ....

M. René-Pierre Signé. Mais il manquait des personnels !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. ... les dépenses sociales, les dépenses annexes liées au fonctionnement courant des structures ainsi que la nouvelle bonification indiciaire, la NBI, seront également intégrées dans le calcul du droit à compensation ; le 1 % formation sera compensé pour un montant supérieur à celui consacré par l'État au cours des trois années précédant le transfert ; les comptes épargne-temps, acquis au moment du transfert de services, seront compensés en une seule fois au moment du transfert effectif aux collectivités territoriales des premiers agents ayant pris leur option ; s'agissant des dépenses de médecine préventive, notamment de la compensation de la visite médicale, le droit à compensation sera calculé non pas sur la base des dépenses de l'État au cours des trois dernières années, mais dans le souci de permettre aux collectivités territoriales d'appliquer les obligations de la fonction publique territoriale en la matière.

Troisièmement, je tiens à vous rassurer quant à l'équilibre de la CNRACL.

Effectivement, les agents transférés qui opteront pour l'intégration dans la fonction publique territoriale seront affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. Celle-ci leur versera une pension pour l'ensemble de leur carrière dans la fonction publique, État et collectivité territoriale confondus.

En 2005, la caisse dénombrait 1,849182 million de cotisants. À supposer que les 125 000 fonctionnaires transférés optent pour l'intégration dans la fonction publique territoriale, cela se traduirait par une augmentation d'environ 7 % de ses affiliés.

L'âge moyen des personnels concernés se situe aux alentours de quarante-cinq ans.

Tout porte à croire que les personnels en fin de carrière opteront plutôt pour le détachement et que les personnels plus jeunes demanderont leur intégration. Nous nous situerons donc sur un volume et une moyenne d'âge inférieurs

S'agissant des agents qui conserveront leur statut de fonctionnaires d'État, à savoir ceux qui opteront pour le détachement, ils continueront de relever du code des pensions civiles et militaires de retraite ; en d'autres termes, c'est l'État qui continuera de payer leurs pensions.

Quant aux conséquences que cela aura sur l'équilibre général de la CNRACL, elles ne peuvent être appréciées tant qu'on ne connaît ni le volume exact ni le profil démographique des personnels transférés. Cependant tout laisse à penser qu'il s'agit pour la CNRACL plutôt de « bons clients » qui ne viendront pas modifier son équilibre.

Quoi qu'il en soit, il faut rappeler que l'État est garant de l'équilibre de la caisse et qu'il existe des mécanismes de solidarité entre les différents régimes.

Je vous précise, enfin, monsieur le sénateur, que l'État compense les dépenses sur la base des taux de cotisation de la fonction publique territoriale. Or les cotisations à la CNRACL, s'agissant des agents détachés sans limitation de durée, sont passées au 1er janvier 2007 de 33 % à 39,5 %. C'est donc sur cette nouvelle base que l'État compensera ces cotisations.

Par ailleurs, qu'il me soit permis sur ce sujet qui me passionne en tant qu'élu local de vous dire que je me suis toujours enthousiasmé pour les lois de décentralisation.

Vous l'avez très bien souligné, monsieur le sénateur, dans un certain nombre de domaines, plus on rapproche le lieu de décision et de compétence de l'ensemble de nos administrés, et mieux l'action publique est comprise !

M. Alain Dufaut. Et efficace !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. J'ai soutenu les premières lois de décentralisation de Gaston Defferre.

M. René-Pierre Signé. Cela n'a pas été le cas de tous les parlementaires de droite !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. En ce qui me concerne, je veux le dire devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui êtes des représentants des élus locaux, chaque loi de décentralisation dans notre pays, qu'elle ait été mise en place par un gouvernement de gauche ou par un gouvernement de droite, a largement contribué à la modernisation de la France.

Pourtant, les lois de décentralisation de Gaston Defferre, je le dis devant M. Jean-Claude Gaudin, n'ont jamais été compensées, ni en moyens humains, ni en moyens matériels, ni en moyens financiers !

Le transfert par l'État au 1er janvier 1986 des collèges aux conseils généraux et des lycées aux conseils régionaux sans les transferts de moyens, alors que le parc d'établissement scolaire dans notre pays n'avait pas évolué depuis trente ou quarante ans et se trouvait dans un état déplorable, témoigne combien cette loi a été porteuse de modernité en matière d'éducation nationale.

Pourquoi, d'ailleurs, les rectorats ont-ils conservé l'ensemble du personnel qui gérait ces établissements scolaires au lieu de le transférer vers les collectivités ? La charge a été énorme en matière de dépenses publiques, entre les personnels qui sont restés à tort affectés aux services de l'État et ceux qui ont été recrutés par les collectivités locales pour leur permettre de faire face à leurs nouvelles compétences !

Quoi qu'il en soit, cet état de fait n'a pas empêché les conseils généraux et les conseils régionaux de moderniser le patrimoine scolaire avec rapidité, j'en veux pour exemple la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, que présidait à l'époque M. Jean-Claude Gaudin, et son plan « lycées réussite ».

M. Alain Dufaut. Très bien !

M. René-Pierre Signé. Et les écoles primaires !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Regardons aujourd'hui les lycées et les collèges de France : dans chaque région, dans chaque département, il s'agit d'établissements qui, pour la plupart d'entre eux, satisfont aux exigences modernes en matière de sécurité et d'optimisation de l'accueil des élèves !

Cette loi, je me répète, a donc été porteuse de modernité pour ce qui concerne l'éducation nationale.

Nous sommes passés à l'acte II de la décentralisation et nous avons choisi de procéder de manière différente que lors des lois Defferre.

D'abord, nous avons fait adopter une loi constitutionnelle. Ensuite, nous avons garanti que tous les transferts de compétences seraient assortis des transferts de moyens humains, matériels et financiers.

Bref, là aussi, dans le prolongement des lois Defferre, notre pays ne pourra que se réjouir d'ici à quelques années de cet acte fort du gouvernement français et de l'État, acte qui contribuera, une fois de plus, à moderniser les territoires de France. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Georges Mouly.

M. Georges Mouly. Monsieur le ministre, je vous remercie vivement de votre réponse détaillée, précise et concrète !

Tout comme vous, je ne pense que du bien de la décentralisation dont on perçoit aujourd'hui, de façon tangible, les heureux résultats.

Je suis tellement partisan de la décentralisation que, à l'époque des lois Defferre, nouvellement arrivé au Sénat, j'avais été l'un des rares à les approuver !

C'est dire, quant au fond, que je suis tout à fait d'accord avec vous.

En tout état de cause, il est difficile d'aborder le problème des transferts de compétences et de charges tant ces derniers donnent lieu, vous l'avez dit, monsieur le ministre, parfois, voire souvent, à des rumeurs.

J'ai cru devoir traduire ici le sentiment des élus de terrain. Je suis heureux de pouvoir leur apporter en toute conscience cette réponse précise, détaillée concrète, dont, encore une fois, je vous remercie beaucoup.

couverture des zones "grises" en téléphonie mobile

M. le président. La parole est à M. Michel Teston, auteur de la question n° 1169, adressée à M. le ministre délégué à l'aménagement du territoire.

M. Michel Teston. Monsieur le ministre, le plan de couverture des zones blanches en téléphonie mobile se déroule au rythme prévu, en raison principalement de l'engagement fort des collectivités territoriales qui ont à ce jour, en qualité de maîtres d'ouvrage pour la phase 1, déjà mis à la disposition des opérateurs un peu plus de 700 sites sur les 1 250 sites prévus.

En revanche, demeure entière à ce jour la question de la couverture des zones grises, c'est-à-dire des communes qui ne sont desservies que par un ou deux opérateurs.

En janvier 2006, lors d'une réunion tenue à l'Assemblée des départements de France, en présence notamment de l'un de vos conseillers et du président de l'Association française des opérateurs mobiles, il avait été convenu que vous consulteriez l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ainsi que le Conseil de la concurrence sur les solutions à apporter à la situation des zones grises.

Un an après, monsieur le ministre, pouvez-vous me dire si ces consultations ont été effectuées et quelles sont les solutions envisagées ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, vous abordez un sujet qui me passionne.

Lorsqu'en juin 2005 j'ai été nommé ministre délégué à l'aménagement du territoire, 3 000 zones blanches avaient été identifiées. À l'époque, avait été engagé un programme qui n'assurait que la couverture de 91 communes sur ces 3 000 communes recensées en zones blanches.

Je ferai un point de presse demain avec l'ensemble des opérateurs pour confirmer que, moins de vingt mois plus tard, plus de 1 500 communes sont couvertes, et ce grâce aux collectivités locales, vous l'avez rappelé, monsieur le sénateur, mais également grâce à l'État !

M. Michel Teston. Oui, mais un peu seulement !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Le plan que nous avons bâti avec les opérateurs était un bon partenariat.

Les deux tiers des communes en zones blanches étaient inscrites en phase 1, avec un financement de l'État à hauteur de 44 millions d'euros et une exonération de TVA à hauteur de 20 millions d'euros. À ces sommes, venaient s'ajouter les aides des collectivités locales.

Vous avez donc eu raison de souligner, monsieur le sénateur, que les collectivités locales se sont beaucoup investies pour permettre à cette phase 1 d'aboutir.

Pour le tiers restant des communes, les opérateurs se sont engagés à financer totalement la phase 2 dès lors que 50 % de la phase 1 serait atteinte.

Aujourd'hui, nous sommes entrés de plain-pied dans la réalisation de cette phase 2. Comme vous l'avez souligné, monsieur le sénateur, nous ne pouvons que nous réjouir ensemble de ce partenariat entre les collectivités territoriales, l'État et les opérateurs, qui permet d'apporter une réponse aux 3 000 communes situées en zones blanches.

Vous soulevez aujourd'hui, monsieur Teston, plus particulièrement le problème des zones grises.

Ce sont des territoires, vous l'avez précisé, monsieur Teston, qui ne sont couverts que par un ou deux opérateurs. Cet état de fait est antérieur à la définition d'un programme en zones blanches, toute la difficulté est là !

Il faut signaler également que ces territoires offraient l'avantage, à l'époque, de disposer d'une couverture. En d'autres termes, le résident avait la possibilité d'accéder au réseau en s'abonnant à l'opérateur qui couvrait cette zone grise. La gêne existait donc, surtout pour sont ceux qui traversaient la zone ou qui y résidaient de manière temporaire ; je pense notamment aux touristes. Les résidents permanents, eux, en réalité n'étaient pas gênés.

Pour autant, le Gouvernement, j'y ai tenu personnellement, a souhaité s'impliquer dans les zones grises.

Au début de l'année 2006, 3 % de la population était couverte par deux opérateurs et 1,5 % de la population n'était couverte que par un seul opérateur.

Vous l'avez rappelé, monsieur Teston, j'ai souhaité consulter l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'ARCEP, selon laquelle il existe une dynamique naturelle de résorption des zones grises, liée à la concurrence entre opérateurs et au développement du programme de couverture des zones blanches qui incite les opérateurs à constituer des plaques de couverture cohérentes autour de ces zones rurales.

L'ARCEP récuse, en revanche, un système de financement public ou un modèle d'itinérance qui créeraient une incitation à ne plus investir, en constituant en quelque sorte une prime au réseau le moins étendu, et seraient contraires à l'exercice d'une concurrence loyale entre opérateurs.

Un opérateur qui a pris le risque de s'installer en zone grise il y a cinq ou six ans et à qui on imposerait aujourd'hui qu'un concurrent se branche sur le même équipement que lui pourrait se plaindre de concurrence déloyale. C'est donc là que réside toute la difficulté, pour le Parlement comme pour le Gouvernement.

Dans ce contexte, j'ai demandé à l'ARCEP d'accélérer la publication de cartes détaillées de couverture afin que les citoyens soient correctement informés du ou des réseaux disponibles là où ils se trouvent.

J'ai également demandé aux trois opérateurs de s'engager en faveur de la résorption des zones grises, chacun pour ce qui le concerne.

Deux d'entre eux ont répondu favorablement à cette demande.

Nous nous trouvons dans une situation de concurrence, et pour ne pas être confronté à un opérateur installé qui se plaindrait de la concurrence exercée par d'autres opérateurs, j'essaie de rapprocher les opérateurs entre eux afin que, ensemble, grâce aux collectivités et à grâce à l'État, soit mis en oeuvre le programme « zones blanches ».

Je demande donc aujourd'hui aux opérateurs de se répartir sur les zones de manière équilibrée. Je les incite à faire des échanges, à titre de compensation, quand certains opérateurs sont absents de telle zone grise mais présents dans telle autre zone grise.

Pour avoir contacté les trois opérateurs et leur avoir proposé ce principe du « donnant-donnant » ou du « gagnant-gagnant », je puis vous annoncer que deux d'entre eux ont répondu favorablement à ma demande.

En 2006, ils ont ainsi déployé plus de deux cents sites en zones grises, et prévoient la mise en service d'un nombre de sites équivalent pour 2007.

Que ce soit pour la téléphonie mobile, pour le haut débit ou pour la télévision numérique, l'objectif du Gouvernement est d'apporter des réponses à 100 % de la population.

Vous avez eu raison, monsieur le sénateur, de mettre l'accent sur le problème des zones grises. Je vous ai indiqué quelle était ma méthodologie.

Nous avons déjà obtenu de premières avancées et je suis à peu près convaincu qu'en 2007 nous parviendrons quasiment à un accord entre les trois opérateurs.

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. M. le ministre considère que l'existence de zones grises en téléphonie mobile résulte principalement de différences entre les plans de déploiement des trois opérateurs.

J'en tire la conclusion qu'il n'est désormais plus question de se tourner vers les collectivités territoriales, en particulier vers les moins peuplées d'entre elles, souvent les moins riches, ...

M. Christian Estrosi, ministre délégué. C'est clair !

M. Michel Teston. ... pour aider financièrement tel ou tel opérateur à déployer son réseau.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. On est d'accord.

M. Michel Teston. Cela étant, rien n'empêche la puissance publique, tout particulièrement le ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, de suivre de très près la question de la résorption des zones grises en téléphonie mobile.

Création d'un centre de rétention à Villeneuve-le-Roi

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc, auteur de la question n° 1186, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.

Mme Hélène Luc. Monsieur le ministre, voilà dix-huit mois, en mai 2005, le préfet du Val-de-Marne a informé le maire de Villeneuve-le-Roi de la prochaine réalisation d'un centre de rétention administrative, un CRA, et d'une zone d'attente pour étrangers en situation irrégulière au sein de l'aéroport d'Orly, sur un terrain situé dans la commune de Villeneuve-le-Roi.

Ce centre serait implanté au coeur d'un quartier résidentiel, à la population modeste, et serait construit à quelques pas d'une ferme pédagogique accueillant notamment des enfants d'un centre de loisirs et d'un centre de jeunes en difficulté suivant un stage de réinsertion, qui représente déjà, pour ledit quartier, une lourde charge.

M'étant rendue sur place, j'ai pu me rendre compte du bouleversement que l'installation d'un tel centre apporterait dans ce quartier, avec des allées et venues incessantes de voitures de police, sirènes actionnées, sans parler du bruit des avions, puisque le centre serait situé derrière les grillages des pistes d'Orly.

Bien que ce ne soit pas une prison, cela y ressemble fort. Pourtant, les personnes qui doivent y être accueillies ne sont pas des délinquants ; ce sont des victimes du sous-développement économique de leur pays et de la politique particulièrement dure et répressive de l'actuel gouvernement à l'égard des miséreux. Vous conviendrez, monsieur le ministre, que cet environnement n'est pas le mieux adapté à l'implantation d'un tel établissement.

Dans ces conditions, je comprends l'inquiétude et le mécontentement des riverains, qui se sont constitués en association et s'expriment par de nombreuses banderoles et affiches.

Le maire de la ville est, semble-t-il, également opposé à ce projet, qui serait, de plus, réalisé sur un terrain nécessaire au développement économique de la commune.

En outre, je déplore, pour ma part, l'absence d'information, de transparence et de concertation dans le traitement de ce dossier. Il y a trois mois encore, les élus locaux, les riverains, les habitants de Villeneuve-le-Roi étaient tenus dans une ignorance totale, puisque ni le maire ni le préfet n'avaient fait connaître l'existence d'un tel projet, dévoilée par Michel Herry, conseiller municipal d'opposition et ancien maire de Villeneuve-le-Roi, et Daniel Guérin, conseiller régional, qui avaient d'ailleurs été informés tout à fait par hasard.

Depuis, devant l'opposition résolue et légitime des riverains, le ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire tente de temporiser en proposant une demi-mesure. En effet, sans s'engager sur l'étude d'une nouvelle implantation, il a demandé à M. le préfet du Val-de-Marne de proposer, en guise d'aménagement, un accès au centre par la plate-forme aéroportuaire, sans passer par Villeneuve-le-Roi.

Cette solution ne satisfait pas les riverains et ne les convainc pas du bien-fondé de l'implantation du centre de rétention administrative ; ils la refusent et je les soutiens dans leur opposition.

D'une façon plus générale, la situation à laquelle nous sommes confrontés à Villeneuve-le-Roi est le fruit d'une politique qui se durcit et qui devient de plus en plus répressive à l'encontre des immigrés vivant en France.

Il résultera de cette politique sécuritaire excessive que de plus en plus de personnes seront enfermées dans les centres de rétention administrative et y séjourneront de plus en plus longtemps, puisque le délai légal de rétention a été porté de douze à trente-deux jours par la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité. C'est pourquoi le Gouvernement envisage de faire construire trente-deux nouveaux centres de rétention administrative, ce qui l'amène, selon la presse, à rechercher des terrains pouvant les accueillir.

À leur manière, et parce qu'ils risquent d'en subir les conséquences, c'est aussi cette politique que contestent les habitants du quartier de Villeneuve-le-Roi que j'évoquais.

Monsieur le ministre, vous savez mieux que quiconque que la très grande majorité des personnes retenues dans ces centres sont des sans-papiers, arrêtés à l'occasion de contrôles d'identité. J'ai pu maintes fois le constater, étant intervenue en faveur de ces personnes auprès du préfet du Val-de-Marne et de celui de Paris.

À cet égard, le dernier exemple en date, pour n'en citer qu'un, est celui de M. Houcine Ghafsi, arrêté à la suite d'un contrôle d'identité.

Ce père de deux enfants nés en France, qui sont scolarisés à Vitry-sur-Seine, comparaît ce matin devant le tribunal administratif de Melun. Je m'y serais d'ailleurs rendue avec les habitants de Vitry-sur-Seine si je n'avais dû être présente ici pour poser cette question orale.

M. Ghafsi a été envoyé au centre de rétention administrative de Roissy, et il s'en est fallu de quelques heures qu'il ne soit expulsé vers l'Algérie, vendredi dernier, avant que son recours ne soit examiné à Melun. Il a fallu l'intervention énergique de son avocat pour éviter cette expulsion. Ses enfants, sa femme, sa famille, les enseignants concernés sont tous sous le choc.

Monsieur le ministre, la place de M. Ghafsi n'est pas dans un de ces centres de rétention, qui sont en réalité des centres de détention ! Il doit être traité non pas comme un délinquant, mais comme un homme en infraction avec la législation sur l'entrée et le séjour en France des étrangers.

En premier lieu, en attendant que son dossier soit examiné par la préfecture, on pourrait l'assigner à résidence, au lieu de le placer en détention.

En second lieu, il fait naturellement partie des sans-papiers qu'il faut régulariser. C'est ce que je demande, avec le maire de Vitry-sur-Seine et le réseau Éducation sans frontières, que je félicite pour la mobilisation qu'ils ont engagée. L'affaire de Cachan, qui a sensibilisé de si nombreuses personnes, devrait vous inspirer.

En conséquence, je demande au Gouvernement de bien vouloir reconsidérer sa décision d'implanter un centre de rétention administrative dans le département du Val-de-Marne, qui n'en veut ni à Villeneuve-le-Roi, ni à Choisy-le-Roi - nous demandons d'ailleurs, avec le maire de cette ville, la suppression du local de rétention situé à l'intérieur du commissariat -, ni ailleurs !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Madame la sénatrice, ce n'est pas nous qui avons inventé les centres de rétention. Lorsque la gauche était au gouvernement, que je sache, tous ceux qui n'avaient pas de papiers, qui séjournaient irrégulièrement en France, avaient vocation, comme aujourd'hui, à y être placés.

La seule différence, c'est que, à cette époque, on a laissé les centres de rétention se dégrader et que les conditions d'accueil y étaient inhumaines, alors que nous avons choisi au contraire, pour notre part, de les moderniser et d'améliorer leur fonctionnement, afin que soit mieux respectée la dimension humaine de la personne, quelle qu'elle soit, qu'elle ait des papiers ou qu'elle n'en ait pas.

Cela étant, le Gouvernement, je le réaffirme, entend lutter fermement contre l'immigration irrégulière : ou l'on a des papiers et l'on est en règle, ou l'on en est dépourvu et l'on n'est pas en règle !

Nous avons fait le choix, dans cette perspective, d'augmenter la capacité d'accueil en centres de rétention administrative, en respectant des normes très exigeantes  - c'est pour nous une préoccupation essentielle -, ce que n'ont pas forcément fait des gouvernements que vous souteniez, madame la sénatrice.

Ainsi, nous avons fermé des centres de rétention qui ne répondaient pas à ces normes mais que des gouvernements de gauche avaient maintenus, par exemple à Arenc ou à Paris, et nous construisons des centres modernes. Alors que moins de 800 places existaient en 2000, une partie de ce parc étant très dégradée, 1 565 places en centres de rétention conformes aux normes actuelles sont maintenant disponibles.

Dans ce cadre, le Gouvernement souhaite disposer d'un centre de rétention administrative et d'une zone d'accueil pour personnes en instance d'éloignement sur la plate-forme aéroportuaire d'Orly.

À cet égard, plusieurs hypothèses sont à l'étude.

À la demande du sénateur Christian Cambon, deux réunions ont été tenues au ministère de l'intérieur cet automne, afin d'examiner différentes possibilités. En outre, le préfet du Val-de-Marne a organisé un certain nombre de réunions avec Aéroports de Paris.

Sept projets ont été envisagés, au regard des différents critères pertinents. Il faut en effet tenir compte du cahier des charges, en ce qui concerne la proximité des pistes et la zone réservée de l'aéroport. Il faut aussi prendre en considération les différents éléments de voisinage, comme l'a tout particulièrement souligné, à plusieurs reprises, le maire de Villeneuve-le-Roi, M. Didier Gonzalez.

La plupart des options envisagées ne conviennent pas, soit parce que les terrains sont trop éloignés du lieu d'embarquement, soit pour des raisons de desserte ou de viabilisation, soit, enfin, parce que leur mise en oeuvre engendrerait un décalage trop important dans le calendrier de réalisation de cet équipement indispensable à la réussite de la politique gouvernementale de maîtrise de l'immigration irrégulière.

L'éventualité de l'implantation d'un CRA à Villeneuve-le-Roi reste donc à l'étude.

Dans cette hypothèse, qui reste à confirmer, je veux souligner qu'il serait évidemment exclu de construire le CRA au coeur d'une zone pavillonnaire. Le centre serait implanté au sein de la zone réservée actuelle de l'aéroport, non accessible aux riverains. Le CRA serait totalement et hermétiquement séparé du quartier d'habitation situé à proximité.

Aussi un aménagement paysager serait-il inclus dans le projet, afin d'éviter toute incidence visuelle pour les riverains et d'empêcher toute communication, en véhicule ou à pied, entre le centre de rétention et la zone pavillonnaire mitoyenne.

De même, la connexion du CRA au réseau public de circulation serait aménagée hors du territoire de la commune de Villeneuve-le-Roi.

Ces pistes de travail doivent être explorées en pleine concertation avec les élus locaux, comme ceux-ci l'ont souhaité. Le préfet du Val-de-Marne reste donc en contact avec le maire de Villeneuve-le-Roi pour envisager de manière plus approfondie l'hypothèse de la construction d'un CRA dans cette ville, mais d'autres options restent parallèlement à l'étude.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.

Mme Hélène Luc. Monsieur le ministre, que ce soit un gouvernement ou un autre qui a créé les centres de rétention, là n'est pas le problème à mes yeux. Si vous pensez que c'était une mauvaise décision, il faut la remettre en cause. En tout cas, nous pensons, et ma collègue Nicole Borvo l'a déjà dit dans cette enceinte, qu'il faut revoir cette question des centres de rétention administrative. Le cas des personnes entrant dans notre pays sans être munies d'un passeport peut être traité dans un autre cadre.

Vous prévoyez de reconduire à la frontière 26 000 personnes en 2007, alors que 25 000 l'ont été en 2006. M. Sarkozy s'apprête donc à expulser encore plus d'étrangers, ce qui ne règle pas le problème, vous le savez.

Monsieur le ministre, nous en avons discuté longuement lors de l'examen des textes relatifs à l'immigration : il faut régulariser la situation des personnes installées en France, qui ont des enfants, qui travaillent et qui, pour un certain nombre d'entre elles, paient des impôts.

C'est pourquoi nous demandons la suppression des centres de rétention administrative, qui ne permettent pas de résoudre les problèmes et qui coûtent très cher. Nous proposons de remplacer les mesures de rétention par des assignations à résidence, car là est à notre avis la solution.

Par conséquent, ne vous appuyez pas sur des décisions qui ont été prises par d'autres gouvernements, envisagez ce qui doit être fait maintenant, dans la situation actuelle, en tenant compte du fait que M. Sarkozy lui-même estime nécessaire de faire venir de la main-d'oeuvre immigrée.

J'espère et je pense que, très prochainement, vous ne serez plus au pouvoir, parce que la gauche aura remporté les élections.

M. Louis de Broissia. Oh, ce n'est pas fait !

Mme Hélène Luc. En attendant, je vous demande de prendre une mesure concrète en ce qui concerne le centre de rétention qu'il est prévu d'implanter à Villeneuve-le-Roi. Je vous assure que les habitants de cette ville, ainsi que les conseillers généraux du Val-de-Marne, sont déterminés à ne pas accepter son installation.

création d'un traitement de données à caractère personnel dénommé eloi

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, auteur de la question n° 1189, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le ministre, le gouvernement auquel vous appartenez est, me semble-t-il, obsédé par les fichiers électroniques, par le contrôle continu et automatisé des citoyens, permettant un contrôle social, administratif et policier permanent.

Depuis près de cinq ans, vous avez multiplié les fichiers. Leur nombre est aujourd'hui alarmant. Cette extension s'effectue bien entendu contre tout bon sens, toute utilité objective, et, surtout, au détriment du respect de nos droits et de nos libertés.

À une liste qui semble sans fin vient de s'ajouter un nouveau fichier : celui, dénommé ELOI, qui a été créé par un arrêté du 30 juillet 2006.

Cet énième fichier présente une spécificité : y figureront non seulement les étrangers en instance d'éloignement, mais également leurs enfants, ainsi que les personnes hébergeant un étranger en situation irrégulière assigné à résidence, les visiteurs d'une personne étrangère placée en rétention administrative, les amis de ces étrangers et les associations qui leur viennent en aide.

Une fois n'est pas coutume, l'instauration de ce fichier s'est effectuée sans intervention de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL.

En effet, dans le texte de l'arrêté, on ne trouve aucune référence à une quelconque délibération de la CNIL, contrairement à ce que dispose la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

En outre, la CNIL semble ne pas avoir respecté une autre obligation légale, selon laquelle elle doit se prononcer dans un délai de deux mois à compter de sa saisine, ce délai pouvant être renouvelé une fois sur décision motivée de son président. Si l'avis n'est pas rendu à l'expiration de ce délai, il est réputé favorable.

Or la CNIL, saisie le 18 mai 2006, n'avait pas rendu d'avis deux mois plus tard. Certes, son président n'a pas usé de son pouvoir pour demander la prolongation du délai, mais, de son côté, le ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire n'a pas relancé la CNIL avant de publier l'arrêté, contrairement à l'habitude.

L'arrêté créant le fichier a fait l'objet de multiples recours. Il a été attaqué conjointement par plusieurs associations, notamment le Groupe d'information et de soutien des immigrés, le GISTI, la Ligue des droits de l'homme, la Cimade, l'association IRIS - Imaginons un réseau internet solidaire -, ainsi que par le Syndicat de la magistrature.

Dans leur recours, les associations s'attachent à démontrer que le fichier ELOI ne respecte pas les principes fondamentaux régissant la mise en oeuvre des traitements informatisés de données à caractère personnel.

Je le rappelle, ces principes découlent de différents textes de droit interne, par exemple la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, mais aussi de droit international, notamment de droit communautaire, comme la convention du 28 janvier 1981 du Conseil de l'Europe sur la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel ou la directive du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel.

En fait, il s'agit des principes de pertinence et de proportionnalité, de finalité et d'exigence de garanties suffisantes. Cela signifie, d'une part, que les données à caractère personnel doivent être collectées à des fins déterminées, explicites et légitimes, et, d'autre part, qu'elles doivent être adéquates, pertinentes et non excessives. C'est au regard de la finalité du traitement que l'on peut évaluer le caractère proportionné et adéquat des données et de leur utilisation.

Or la finalité du fichier ELOI est bien vague : celui-ci vise à « faciliter l'éloignement des étrangers se maintenant sans droit sur le territoire par la gestion des différentes étapes de la procédure d'éloignement », et ce dans un objectif de « lutte contre l'immigration clandestine ». On en conviendra, il s'agit là d'une définition très large.

Compte tenu de l'existence de nombreux autres fichiers répondant à des finalités voisines - je pense notamment au fichier qui était tenu par toutes les préfectures et au fichier central des étrangers -, il n'est nullement pertinent que ce nouveau fichier contienne des informations relatives aux étrangers en situation irrégulière.

Deux autres catégories de données sont elles aussi plus que contestables.

D'une part, le recueil de données relatives à la « filiation complète », qui incluent le nom, le prénom et la date de naissance des enfants, avec pour conséquence le fichage de ceux d'entre eux qui ne peuvent pas faire l'objet de mesures d'éloignement forcé, n'est manifestement pas pertinent au regard de la finalité du fichier, à moins que l'objectif inavoué ne soit de compromettre les chances des intéressés d'obtenir ultérieurement un titre de séjour.

D'autre part, la collecte de données liées à la « nécessité d'une surveillance particulière au regard de l'ordre public » et concernant des étrangers qui ne sont pas en instance d'expulsion, mais font l'objet de mesures d'éloignement justifiées par l'irrégularité du séjour, sans représenter a priori une menace pour l'ordre public, suscite également des interrogations.

Monsieur le ministre, pouvez-vous clarifier les critères d'évaluation du caractère menaçant pour l'ordre public que peut présenter une personne ? Doit-elle avoir fait l'objet d'une condamnation, d'une arrestation, ou peut-il s'agir d'un simple sentiment subjectif ?

Par ailleurs, l'enregistrement des données relatives à l'hébergeant lorsqu'un étranger en situation irrégulière est assigné à résidence et au visiteur d'une personne étrangère placée en rétention administrative n'a pas lieu d'être. En effet, cela n'a aucun rapport avec la mise en oeuvre des mesures d'éloignement.

Nous assistons, ni plus ni moins, à l'élargissement sans fin de l'application d'une logique du soupçon généralisé, s'étendant par cercles concentriques des clandestins aux immigrés, des étrangers à leurs amis, à leurs familles ou aux associations qui les aident.

Ces glissements progressifs de la xénophobie ont une finalité politique simple : l'intimidation. En effet, il s'agit de décourager la solidarité qui s'est exprimée dans notre pays depuis plus d'un an, notamment à travers le réseau Éducation sans frontières.

M. Louis de Broissia. C'est un discours fleuve !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Je l'ai dit et je le répète, il me semble indispensable de faire preuve d'une grande vigilance à l'égard de tous ces fichiers, qui nous rappellent des pages sombres de notre histoire. Il serait tout de même incroyable que ce passé puisse revivre. (Murmures sur les travées de l'UMP.)

Monsieur le ministre, nous vous demandons donc solennellement, devant cette auguste assemblée, de bien vouloir nous fournir quelques explications sur ce nouveau fichier, afin d'apaiser nos craintes, ou alors de le supprimer.

M. le président. Madame la sénatrice, le temps de parole qui vous était imparti était de trois minutes. Or vous vous êtes exprimée pendant six minutes ! Nous avons déjà pris beaucoup de retard, et j'invite donc les orateurs à faire preuve de concision.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Madame la sénatrice, vous avez souhaité obtenir des éclaircissements sur les finalités du logiciel ELOI.

Comme vous le savez, par arrêté du 30 juillet 2006, et après saisine de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, le ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire a procédé à la création d'un logiciel de traitement de données à caractère personnel relatif à la procédure d'éloignement, dénommé ELOI.

Ce logiciel, élaboré à l'usage des préfectures et des centres de rétention administrative, vise à améliorer le suivi des procédures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière, ainsi qu'à faciliter la gestion des différents centres de rétention administrative. Il assure ainsi l'informatisation de procédures jusqu'alors écrites.

Dans ce cadre, le logiciel ELOI enregistrera effectivement les données relatives à l'étranger en situation irrégulière, au visiteur d'une personne placée en rétention administrative, ainsi qu'à l'hébergeant d'un étranger en situation irrégulière faisant l'objet d'une assignation à résidence prononcée par le juge des libertés et de la détention.

C'est précisément sur l'utilité de la saisie informatique de telles données que vous vous interrogez.

En premier lieu, le logiciel assure l'enregistrement des identités des personnes retenues, qu'elles soient majeures ou mineures. En effet, il peut s'agir des mineurs présents dans les centres de rétention administrative spécialement aménagés. Je rappelle que le placement de familles en centre de rétention administrative n'est possible que dans les seuls lieux spécialement équipés à cette fin et limitativement énumérés par arrêté interministériel.

En deuxième lieu, il convient d'indiquer que le terme « visiteurs » ne s'applique qu'aux particuliers effectuant des visites à titre individuel, personnel et privé. Sont donc exclus du champ de cette définition les avocats, mais également les parlementaires ou les membres d'institutions telles que la Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administrative et des zones d'attente. Le souci du maintien de l'ordre public au sein des centres de rétention et la nécessité, pour le préfet à l'origine du placement, de pouvoir suivre l'ensemble des étapes de la procédure d'éloignement constituent les uniques motifs d'enregistrement.

En troisième et dernier lieu, s'agissant des personnes qui hébergent des ressortissants étrangers assignés à résidence par le juge des libertés et de la détention, il convient de rappeler que la législation et la jurisprudence de la Cour de cassation limitent les possibilités d'assignation à résidence aux seuls étrangers en possession d'un passeport en cours de validité et disposant d'un domicile ou de l'adresse d'une personne acceptant de les héberger.

En outre, cette assignation à résidence est ordonnée aux fins d'exécution de la mesure d'éloignement dont l'étranger en situation irrégulière fait l'objet. Dans ce cadre, l'enregistrement de l'adresse et du nom de la personne qui héberge apparaît indispensable pour pouvoir disposer, le moment venu, de l'ensemble des informations nécessaires au suivi de l'exécution de la mesure.

Au total, l'ensemble des données enregistrées visent à améliorer l'exécution des mesures d'éloignement par un meilleur suivi des procédures et l'utilisation d'un outil commun par les différents acteurs de la lutte contre l'immigration irrégulière.

Si l'arrêté constitutif du logiciel ELOI fait actuellement l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État, il convient de souligner que le référé-suspension a été rejeté par le juge des référés dans sa décision du 8 novembre 2006. Par ailleurs, dans l'attente de la décision rendue au fond par la haute juridiction, des instructions confirmant l'absence de mise en oeuvre effective du logiciel jusqu'à nouvel ordre ont été données aux préfectures.

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Vous venez de rappeler des éléments d'information dont j'avais déjà fait part, monsieur le ministre, mais vous n'avez pas répondu aux questions essentielles que j'ai soulevées.

Quelle définition donnez-vous de la notion de menace à l'ordre public ? Quelles garanties pouvez-vous nous apporter s'agissant du respect des droits et libertés, au regard notamment de l'enregistrement, de la conservation, voire de la consultation ou du droit de modification de certaines données ? Pourquoi instituer un énième fichier de ce type, alors qu'il en existe déjà d'autres répondant à des visées similaires, notamment dans les préfectures ?

En réalité, le fichier ELOI enfreint aujourd'hui les principes régissant la protection des données à caractère personnel. Nous n'avons obtenu aucune réponse sur les points que je viens de rappeler.

couverture du risque "catastrophes naturelles outre-mer" par la caisse centrale de réassurance

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, auteur de la question n° 1064, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mme Anne-Marie Payet. Ma question porte sur la volonté apparente de la Caisse centrale de réassurance de se désengager de la couverture des risques de catastrophes naturelles dans les départements d'outre-mer.

Grâce au dispositif mis en place par la loi du 13 juillet 1982 relative à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles, qui est fondé sur la solidarité, il est possible d'indemniser les personnes exposées aux risques précités au moyen de primes perçues sur l'ensemble des assurés.

La Caisse centrale de réassurance ayant été habilitée à couvrir les risques de catastrophes naturelles, les assureurs ont ainsi pu facilement se réassurer, alors qu'ils faisaient preuve de frilosité sur la scène internationale. Cette caisse, qui ne jouit d'aucun monopole, opère avec la garantie de l'État et propose une couverture qui peut être quasiment totale.

De surcroît, le champ de la loi du 13 juillet 1982, qui ne couvrait au départ que les départements métropolitains, a été étendu aux départements d'outre-mer en 1989, suite aux dégâts considérables causés par le cyclone Hugo aux Antilles.

Deux modifications majeures du dispositif ont résulté de cette extension.

D'une part, le taux de la surprime payée par les assurés a été porté de 9 % à 12 %, le tiers de cette augmentation correspondant à la couverture des catastrophes naturelles, y compris les cyclones, dans les départements d'outre-mer.

D'autre part, la partie conservée par les assureurs a été augmentée, afin d'atténuer les conséquences de l'extension pour la Caisse centrale de réassurance.

En justification d'une revalorisation importante des coûts de réassurance outre-mer due à une forte dégradation des résultats des assurances contre les risques de catastrophes naturelles, la Caisse centrale de réassurance invoque une nécessaire prise en compte des spécificités des DOM en termes d'intensité et de fréquence de tels événements. Si elle devait être confirmée, une telle décision aurait des conséquences dramatiques, d'autant que certains assureurs pourraient bien adopter la même démarche.

D'ailleurs, selon des articles de presse parus récemment, des départements métropolitains situés dans des zones à risques, qu'il s'agisse d'inondations ou d'avalanches, seraient également concernés et commencent à s'inquiéter.

Enfin, je voudrais insister sur le fait que, selon les statistiques connues pour la période 1983-2003, les événements concernant les départements d'outre-mer ne représentent que 3,2 % de l'ensemble des catastrophes naturelles qui se sont produites sur le territoire national.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, je vous demande de bien vouloir intervenir auprès de la Caisse centrale de réassurance en vue d'obtenir un tableau chiffré décrivant la situation outre-mer.

Par ailleurs, pouvez-vous nous préciser si, à la suite des auditions menées par le Gouvernement sur le régime des catastrophes naturelles, un projet de réforme est en cours d'élaboration ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État. Madame la sénatrice, vous appelez mon attention sur les conditions de la réassurance des risques de catastrophes naturelles outre-mer et, plus largement, sur le régime applicable aux catastrophes naturelles, institué voilà vingt-cinq ans.

Comme vous le savez, la CCR est une société anonyme détenue par l'État. Elle a pour mission principale la réassurance des risques de catastrophes naturelles avec la garantie de l'État.

S'agissant des territoires ultramarins, j'ai entendu votre appel et je souhaite vous rassurer pleinement.

En effet, la Caisse centrale de réassurance n'a pas l'intention de se désengager de son rôle de réassureur des risques de catastrophes naturelles en métropole et outre-mer. Les rumeurs de retrait de la CCR du marché des risques de catastrophes naturelles outre-mer sont tout simplement infondées. Elles tendent à troubler les esprits, alors que rien de tel n'est envisagé.

S'agissant du régime des catastrophes naturelles dans son ensemble, le Gouvernement a souhaité analyser les vingt années de retour d'expérience sur son fonctionnement.

Une mission d'inspection interministérielle a donc été mandatée et a mis en évidence la possibilité d'aménagements pour améliorer la transparence du dispositif, abréger et simplifier l'organisation du processus d'indemnisation et favoriser la prévention des risques naturels.

Bien entendu, l'ensemble de ces mesures s'inscriraient dans le cadre du principe de la solidarité nationale, l'État continuant d'accorder sa garantie financière au régime via la Caisse centrale de réassurance.

M. Nicolas Sarkozy et M. Thierry Breton ont engagé une phase de consultation sur ce projet de réforme. M. Emmanuel Constans, président du Comité consultatif du secteur financier, a été chargé d'y procéder, avec l'appui des services du ministère de l'intérieur et de celui de l'économie, des finances et de l'industrie.

Par ailleurs, le Gouvernement a pris bonne note de la demande formulée par de nombreuses parties prenantes, dont les associations d'élus, de voir les consultations approfondies sur certains aspects.

Par conséquent, le Gouvernement proposera dans les prochaines semaines une méthode pour prolonger la concertation, afin que la prochaine législature puisse envisager sans retard les dispositions législatives nécessaires aux évolutions souhaitées.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Je voudrais remercier M. le ministre de sa réponse très précise et très satisfaisante, qui va dissiper l'inquiétude des collectivités territoriales situées dans les zones à risques, tant en métropole qu'en outre-mer.

avenir de la monnaie de paris

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la question n° 1192, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je souhaiterais évoquer la situation de l'Hôtel des monnaies, établissement cher à mon coeur et à celui des Parisiens, mais peut-être pas au vôtre, monsieur le ministre...

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État. Cela commence très mal ! (Sourires.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Soit, je veux bien croire qu'il est également cher à votre coeur !

Je ne m'attarderai pas ici à retracer l'histoire de la monnaie, car M. le président ne le permettrait sans doute pas. (Nouveaux sourires.)

Quoi qu'il en soit, l'avenir de la Monnaie de Paris, qui compte 712 salariés dont 516 ouvriers d'État, suscite quelques inquiétudes au sein du personnel et parmi les Parisiens.

Il a été question, lors des débats budgétaires, de céder à l'Institut de France, d'ici à 2010, la parcelle dite « de l'an IV », actuellement comprise dans le périmètre des activités de l'administration des Monnaies et médailles, sise au 11, quai de Conti.

C'est sur ce terrain qu'a été bâti le grand hall de frappe sous verrière, inauguré en 1896 par le président Félix Faure. Ce terrain est dédié depuis 1795 à des activités de fabrication de l'Hôtel des monnaies. À ce jour, il abrite l'essentiel des presses d'estampage des médailles d'art et des décorations officielles, ainsi que des infrastructures lourdes comme la station d'alimentation en énergie électrique du bâtiment et du parc de machines-outils ou la station de traitement des eaux.

Céder cet espace et ces locaux porterait gravement atteinte aux activités parisiennes regroupant les métiers d'art des Monnaies et médailles et menacerait plus de 300 emplois d'ouvrier, d'employé ou de technicien très qualifié.

En effet, il est évident que la cession de la parcelle de l'an IV et des activités qui y sont assurées conduira, à plus ou moins long terme, à une délocalisation des derniers ateliers d'art encore en activité au coeur de la capitale. Paris se trouverait ainsi privé d'un savoir-faire et d'un patrimoine culturel considérables. Après le départ de l'Imprimerie nationale, ce serait un nouveau coup dur porté aux activités industrielles parisiennes.

La commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2007, dont les conclusions ont été adoptées le 19 décembre 2006, est fort heureusement revenue sur la disposition de l'amendement présenté par M. Marini concernant la parcelle de l'an IV, ce dont bien entendu je me réjouis.

Je ne suis cependant pas totalement rassurée, car mes collègues de la majorité sénatoriale, en particulier M. Marini, persistent à vouloir obtenir du Gouvernement l'engagement que les ateliers considérés soient déménagés d'ici à 2010.

Je maintiens donc ma question : comment l'État compte-t-il agir dans la durée en faveur du maintien, au coeur de la capitale, du périmètre actuel de la Monnaie de Paris, de l'ensemble de ses activités manufacturières, artistiques et patrimoniales, ainsi que de tous ses emplois ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Copé, ministre délégué. Madame Borvo Cohen-Seat, il n'y a pas d'un côté une gentille sénatrice de la capitale qui se préoccupe de l'avenir de la Monnaie de Paris et de l'autre un méchant ministre du budget qui ne s'en soucie pas ! Je rappellerai que la Monnaie de Paris est placée sous la tutelle du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et que je suis de très près ce dossier d'une importance majeure, dont nous avons longuement débattu lors de la discussion budgétaire, à laquelle vous avez participé. Les questions orales peuvent certes permettre de se dire les choses, mais alors disons-les jusqu'au bout !

S'agissant tout d'abord de la concertation, Thierry Breton et moi-même nous étions donné un an, entre l'annonce du changement de statut, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2006, et sa réalisation, le 1er janvier 2007.

Cette année 2006 a donc été mise à profit pour mener une concertation très approfondie avec la direction des Monnaies et médailles et les représentants du personnel. Que ce soit au sein des comités d'entreprise ou avec mon cabinet, le dialogue social a été permanent.

D'ailleurs, la rédaction de l'article 36 de la loi de finances initiale pour 2007 tient largement compte de ces discussions, en ce qui concerne notamment la sécurisation du régime de retraite, le maintien des règles statutaires applicables aux ouvriers et la confirmation du monopole des Monnaies et médailles pour la fabrication des pièces.

Après le temps de la concertation avec la direction et le personnel est venu celui du débat parlementaire, au cours duquel les dispositions précitées ont été amendées.

J'observe enfin que le dialogue social se poursuit dans un esprit de responsabilité, dans l'optique de la préparation du décret en Conseil d'État prévu par l'article 36 de loi de finances initiale pour 2007 et en vue de la signature d'un véritable accord d'entreprise.

S'agissant maintenant du projet industriel, on ne peut à la fois en demander un et regretter le changement de statut, puisque l'un et l'autre sont étroitement liés !

En effet, la transformation de la direction des Monnaies et médailles en un établissement public industriel et commercial vise précisément à permettre à la Monnaie de Paris de développer un véritable projet industriel : je n'ai cessé de le répéter lorsque nous en avons débattu. Le statut antérieur de direction d'administration centrale contraignait la direction des Monnaies et médailles dans le développement de son activité, notamment pour répondre à des appels d'offres internationaux. Le délai de réponse était extraordinairement long, en raison de contraintes administratives inadaptées à un projet moderne. Nous travaillons donc à un contrat d'entreprise pluriannuel.

S'agissant enfin de la fameuse parcelle de l'an IV, dont l'histoire est longue et tumultueuse, j'ai réitéré l'engagement pris en 2004 par Nicolas Sarkozy de la restituer à l'Institut de France à l'horizon de 2010.

En effet, cette parcelle n'avait été affectée que provisoirement à l'administration des Monnaies et médailles, en 1795. Le décret du 28 mars 1805 avait ensuite affecté l'ensemble du domaine à l'Institut de France.

La cession étant programmée à l'horizon de 2010, la totalité des activités d'art situées à Paris peut donc être maintenue à court et à moyen terme. J'ai demandé que la cession soit minutieusement préparée, en prévoyant la réimplantation au sein des autres locaux de la Monnaie de Paris de la partie, minoritaire, des ateliers de production établie sur ladite parcelle.

C'est non pas cette question immobilière qui va déterminer l'avenir des métiers d'art, mais le contrat d'entreprise. Je peux vous confirmer que, en cette matière comme en d'autres, je ne manque pas d'ambition pour cette activité fondamentale.

Comme vous pouvez le constater au travers de ma réponse, madame la sénatrice, je suis ce dossier de très près et j'attache la plus grande importance à ce que cette belle institution qu'est l'établissement des Monnaies et médailles puisse continuer son développement dans des conditions d'équilibre financier et de cohérence industrielle, sans jamais négliger la dimension sociale et humaine du projet.

Par conséquent, je me sens très concerné par cette question, c'est le moins que l'on puisse dire. Vous ayant entendue, j'ai compris que vous l'étiez aussi : nous nous rejoignons, dans ce domaine, pour servir l'intérêt général !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, ne prenez pas la mouche ! J'ai dit que l'Hôtel des monnaies était cher à mon coeur, je ne savais pas qu'il l'était également au vôtre ; vous venez de l'affirmer, j'en prends donc acte !

Cela dit, je ne suis pas totalement rassurée par votre réponse.

Un projet industriel me paraît effectivement nécessaire, les perspectives de développement étant réelles. Toutefois, celles-ci n'ont pas été évoquées, à ma connaissance, lors du débat sur le changement de statut de l'administration des Monnaies et médailles.

Ainsi, le conseil ECOFIN, qui réunit les ministres de l'économie et des finances des États membres de l'Union européenne, a décidé de faire graver et frapper une nouvelle face commune pour les pièces en euros. La gravure actuelle, qui ne comporte que le contour de la petite Europe des Quinze, sera remplacée par une nouvelle gravure figurant l'Europe des Vingt-Sept. Même si elle est de moyen terme, la mise en oeuvre de cette décision représente un besoin de frappe nouveau, ce qui contredit l'annonce du déclin de la part régalienne des activités de la Monnaie de Paris. Ce point est important, même s'il ne s'agit pas de l'ensemble des activités de l'établissement.

Monsieur le ministre, vous vous étiez effectivement engagé sur le maintien de la situation du personnel, qu'il s'agisse des fonctionnaires techniques régis par le décret n° 68-270 du 19 mars 1968 ou des personnels ouvriers régis par voie réglementaire. Je crois comprendre que vous entendez tenir vos engagements,...

M. Jean-François Copé, ministre délégué. Comme toujours ! (Sourires.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... mais, pour l'instant, les choses n'ont pas abouti.

Permettez-moi, en conclusion, de réaffirmer notre refus de la marchandisation des activités de la Monnaie de Paris. Vous m'avez dit que le Gouvernement avait doté les Monnaies et médailles du statut d'établissement public à caractère industriel et commercial pour que les activités industrielles puissent être développées. J'espère bien sûr que l'avenir vous donnera raison, monsieur le ministre, mais, pour notre part, le précédent malheureux de l'Imprimerie nationale, qui a vu son activité s'effondrer après sa transformation en société anonyme, nous inquiète fortement !

retards de délivrance des certificats de nationalité aux français établis hors de france

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, auteur de la question n° 1191, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Je souhaite appeler l'attention de M. le garde des sceaux sur les très graves retards de délivrance des certificats de nationalité française aux Français établis hors de France.

En certaines circonstances importantes, l'État français exige la production de ces certificats de nationalité française, en particulier des Français nés et résidant à l'étranger, mais il est incapable de les fournir à ces derniers dans des délais inférieurs à deux ou trois ans.

On avait annoncé, en 2004, que le regroupement à Paris de la compétence en matière de délivrance des certificats de nationalité aux Français résidant à l'étranger améliorerait la situation ; or elle s'est au contraire dégradée !

On enregistre de nombreux mois de retard dans le traitement du courrier par le tribunal d'instance du Ier arrondissement de Paris, pour deux raisons : d'une part, l'afflux des demandes, leur nombre étant passé de 10 000 en 2005 à 28 000 en 2006, soit une augmentation de 160 % ; d'autre part, le manque de personnel, d'autant plus alarmant que, depuis juin 2005, les consulats n'aident plus les demandeurs à constituer leur dossier, le travail des greffiers s'en trouvant considérablement alourdi.

Désormais, au moins dix mois d'attente sont nécessaires avant de recevoir un accusé de réception dudit tribunal d'instance attestant que le dossier est bien parvenu à ses services. Ensuite, selon la complexité du dossier, le délai de traitement atteint un an, deux ans, voire trois ans, soit un total de trois à quatre ans d'attente pour obtenir le certificat de nationalité française, dont la production est nécessaire pour demander une carte nationale d'identité, liquider une retraite ou s'inscrire à un concours de recrutement de la fonction publique.

J'affirme qu'une telle « thrombose » n'est pas une fatalité. D'autres ministères donnent l'exemple à cet égard : ainsi, le ministère des affaires étrangères a bien résolu le problème pour le service central de l'état civil à Nantes ; le ministère chargé de la cohésion sociale, quant à lui, a beaucoup progressé s'agissant du fonctionnement de la sous-direction des naturalisations.

Je demande donc que le système de délivrance des certificats de nationalité française aux Français établis à l'étranger soit modernisé, qu'il soit, si possible, installé à Nantes et que des moyens humains et matériels suffisants soient enfin dégagés pour que l'État cesse d'infliger aux Français de l'étranger un préjudice très grave en ne leur permettant pas d'obtenir dans des délais raisonnables la preuve de leur nationalité, qu'il exige pourtant d'eux.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État. Madame la sénatrice, je voudrais tout d'abord vous prier d'excuser l'absence de M. Pascal Clément, qui, empêché, m'a demandé de vous répondre en son nom.

Vous avez souhaité l'interroger sur la longueur des délais de délivrance des certificats de nationalité française aux Français établis hors de France. Pour avoir eu récemment l'occasion d'en parler avec vous, je sais que ce sujet vous tient à coeur.

J'avais alors déploré le travers bien français consistant à voir le verre à moitié vide plutôt qu'à moitié plein ! En effet, nous venons tout de même de loin en matière de délivrance des certificats de nationalité - documents qui peuvent certes être indispensables -, puisque ce n'est que depuis un décret du 13 mai 2005 que le traitement des demandes est centralisé à Paris. Il s'agissait de simplifier les démarches administratives, par un regroupement de l'accomplissement de cette tâche au sein d'une seule juridiction, et d'unifier la jurisprudence, pour éviter que des cas identiques ne fassent l'objet de réponses différentes à Bordeaux et à Marseille.

Je tiens à souligner que le regroupement à Paris des moyens affectés à la délivrance des certificats de nationalité s'était accompagné d'un transfert de moyens humains : cinq fonctionnaires ont ainsi été affectés au tribunal d'instance du Ier arrondissement de Paris.

En outre, tous les postes de greffier et de fonctionnaire de catégorie C sont actuellement pourvus. L'emploi de greffier en chef, qui était vacant, sera pourvu dans les toutes prochaines semaines, à compter du 5 mars 2007.

Plusieurs objectifs de la réforme sont d'ores et déjà atteints, grâce au recours à des fonctionnaires spécialisés. Cependant, un effort accru doit être fourni pour améliorer le délai de traitement des demandes, qui n'est toujours pas satisfaisant.

Le ministre de la justice a donc décidé de faire procéder à une expertise approfondie de la situation, pour déterminer les points de blocage. Dans le cas où cette expertise établirait l'existence d'un déficit de fonctionnaires, M. Pascal Clément, à qui j'en ai parlé personnellement, s'est engagé à prendre toutes les dispositions utiles pour y remédier. Je lui ai indiqué que je veillerais, en tant que ministre délégué au budget, à ce qu'il ne rencontre pas d'obstacles financiers dans cette démarche.

Le Gouvernement se félicite de la réforme du processus de délivrance des certificats de nationalité et va continuer à adapter le service rendu à nos concitoyens résidant à l'étranger. Nous y sommes très attachés, et je suis certain que vous approuverez le Gouvernement sur ce sujet, même si, par ailleurs, nous ne partageons pas toujours les mêmes idées.

L'ensemble des sénateurs représentant les Français établis hors de France seront tenus informés de l'évolution de la situation, car je sais que vos collègues siégeant au sein du groupe de l'UMP sont également très attentifs à cette question.

J'espère vous avoir montré que, à défaut d'être réglé, le problème que vous avez soulevé est en voie de l'être. Le Gouvernement est mobilisé pour trouver les voies d'une solution alliant sagesse et efficacité.

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Cependant, j'estime que l'on n'a pas encore pris la mesure du problème, qui a changé non pas seulement d'échelle, mais aussi de nature.

Il faut, d'une part, cesser de demander d'une façon injustifiée la production d'un certificat de nationalité, et, d'autre part, modifier le mode de délivrance de celui-ci.

À cet égard, centraliser en un seul lieu le traitement d'une tâche qui était auparavant réparti entre quatre tribunaux ne changera pas vraiment les choses. Pour ma part, je demande la création et l'implantation à Nantes d'un service central de la nationalité des Français nés et résidant à l'étranger, afin de permettre à tous les intervenants de collaborer efficacement : les services du procureur de la République de Nantes compétents en matière d'état civil pour les Français de l'étranger, le service d'état civil des Français à l'étranger du ministère des affaires étrangères et les services de la sous-direction des naturalisations, installés à Rezé.

En matière de nationalité, nous devons disposer d'un service centralisé doté d'archives informatisées et relié électroniquement aux autres services concernés par la preuve de la nationalité, que je viens de mentionner.

Si la trace de tous les certificats de nationalité délivrés et des pièces fournies à cette occasion était gardée, les possibilités aujourd'hui offertes par l'informatique rendraient inutile de produire, à quelques mois d'intervalle, les mêmes pièces d'état civil pour constituer les dossiers des différents membres d'une même famille.

Il faut donc donner au ministère de la justice les moyens de l'efficacité. Le contribuable doit cesser de financer ces formalités totalement improductives, qui ne font qu'engendrer, pour le citoyen, des tracasseries inacceptables. Ce dernier paie des contributions pour recevoir un service, non pour être persécuté.

devenir de la société eurenco

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, auteur de la question n° 1194, adressée à Mme la ministre de la défense.

M. Alain Milon. Le capital d'Eurenco, créée le 1er janvier 2004, est détenu à hauteur de 60,2 % par la société industrielle SME, filiale spécialisée dans les matériaux énergétiques de la Société nationale des poudres et explosifs, la SNPE, les 38,8 % restants étant répartis à égalité entre la société Saab, basée en Suède, et le groupe finlandais Patria.

L'établissement Eurenco de Sorgues, ville du Vaucluse dont je suis le maire, est le leader mondial dans son domaine, tant par la qualité de son explosif hexogène que par la production d'explosifs composites dits « murat », pour « munitions à risques atténués ».

À la création d'Eurenco France, l'établissement vauclusien avait vocation à être spécialisé dans la production des explosifs granulaires et composites. Les autres sites, Bergerac en France, Clermont en Belgique, Vihtavuori en Finlande et Karlskoga en Suède, devaient quant à eux être voués à la fabrication de poudre et d'autres produits explosifs.

Depuis quelque temps, malheureusement, les résultats économiques de cette société ne sont plus satisfaisants, puisque des pertes récurrentes sont constatées.

Cette situation perdurant, il semblerait que les partenaires concernés étudient différents scénarios de rationalisation des productions et des sites, devant permettre de retrouver le chemin d'une certaine sérénité économique.

Vous comprendrez, madame la ministre, l'inquiétude des salariés de cette entreprise et leurs interrogations quant à leur avenir.

Alors que, depuis plusieurs mois, le Gouvernement a donné la priorité à la lutte contre le chômage et la précarité, ce qui a permis une baisse non négligeable du nombre des demandeurs d'emploi, il serait dommageable et préjudiciable à l'industrie de la défense française et à la nation de voir partir à l'étranger de telles productions. Cela entraînerait inéluctablement, à terme, la fermeture de l'unité de Sorgues, qui représente à ce jour quelque 250 emplois.

Je souhaiterais connaître votre point de vue, ainsi que celui du Gouvernement, devant cette situation économique, sachant que l'État français, par l'intermédiaire du groupe SNPE, est actionnaire majoritaire d'Eurenco.

Je tiens en outre à vous remercier, madame la ministre, de vous être déplacée ce matin pour répondre à une seule question. J'apprécie cette manifestation de votre respect pour le Sénat.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. L'avenir de la SNPE, tout particulièrement de sa filiale Eurenco, est pour notre pays une question stratégique.

La situation économique d'Eurenco France est préoccupante, essentiellement en raison d'un volume d'exportations ne correspondant pas aux prévisions qui avaient été établies au moment de la création de la société.

La France, à la fois comme cliente et comme actionnaire, a essayé de mener des actions spécifiques pour conforter Eurenco, par des achats mais aussi par un certain nombre d'incitations et de mesures de soutien à la recherche et au développement.

Ainsi, Eurenco a bénéficié d'une avance remboursable pour le financement d'une nouvelle ligne de chargement d'obus en explosifs composites, qui est installée à Sorgues.

De même, une commande pluriannuelle de munitions de gros calibre destinées à l'armée de terre a été notifiée à la fin de l'année 2006 à Nexter Munitions. Cela inclut une commande de 20 000 obus d'artillerie, qui engendrera dès cette année, pour l'établissement Eurenco de Sorgues, une charge de production d'explosifs composites ainsi que d'explosifs granulaires, dès que la SNPE aura achevé leur mise au point.

Comme vous pouvez le constater, nous menons une action très déterminée.

Par ailleurs, nous essayons de conforter Eurenco dans son ensemble. Ainsi, l'établissement de Bergerac s'est vu notifier, à la fin de 2005, un contrat de développement, d'industrialisation et de production de charges modulaires destinées au canon Caesar, ce qui permettra d'assurer le repositionnement de cet établissement autour de la fabrication d'un produit d'avenir.

Le ministère de la défense est donc présent et actif aux côtés d'Eurenco. Au-delà de ces actions, et pour tenir compte des difficultés que vous avez, à fort juste titre, mentionnées, le Gouvernement, en tant qu'actionnaire, essaie de faire prévaloir auprès des différents acteurs, notamment les actionnaires nordiques, l'esprit de réalisme économique et de responsabilité sociale auquel nous sommes particulièrement attachés.

M. le président. La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. En juillet dernier, j'ai effectué un stage d'immersion chez Eurenco. À cette occasion, j'ai rencontré des hommes et des femmes particulièrement compétents et attachés à leur entreprise. Je vous remercie de la réponse que vous m'avez donnée : elle est claire et largement satisfaisante, ce qui ne me surprend pas.

préoccupations des exploitants forestiers privés de Bourgogne

M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé, auteur de la question n° 1125, adressée à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. René-Pierre Signé. Monsieur le ministre, j'espère que vous ne vous êtes pas déplacé pour une seule question, sinon je serai moi aussi obligé de vous en remercier. Cela étant, j'ignorais qu'il fallait regrouper les questions pour que le ministre accepte de venir au Sénat ! C'est sans doute une nouveauté...

Je souhaitais attirer votre attention, monsieur le ministre, sur les préoccupations des exploitants forestiers privés de Bourgogne, qui paraissent pénalisés dans le cadre de la mise en oeuvre du nouveau Fonds européen de développement régional pour la période 2007-2012.

Comme vous le savez, la forêt est l'une des richesses de la France et un réservoir de biodiversité. Toutefois, elle est peu rentable et soumise aux fluctuations économiques, ainsi qu'à une réglementation contraignante, notamment en matière de plans de gestion.

Ainsi, le temps de retour des investissements forestiers est exceptionnellement long et incertain, si l'on tient compte de divers risques climatiques et naturels contre lesquels on ne peut s'assurer. En outre, l'application de la réglementation augmente les coûts d'exploitation.

Les forestiers de Bourgogne émettent donc le souhait que l'État intervienne, tout d'abord sur le plan fiscal, en instaurant une réduction de l'impôt sur le revenu liée aux investissements forestiers plus importante que celle qui est consentie au titre de 2006, ensuite sur le plan réglementaire, en substituant l'écocertification au plan de gestion.

Enfin, monsieur le ministre, les forestiers privés de Bourgogne ont présenté un dossier afin d'obtenir la reconnaissance d'un pôle de compétitivité. (M. Louis de Broissia applaudit.) Ils souhaitent que leur demande soit examinée avec bienveillance. Cette reconnaissance leur permettrait de gagner en compétitivité, de préserver une certaine rentabilité et de s'adapter au changement climatique.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche. Pour vous, monsieur Signé, je viendrais dans cet hémicycle même si vous ne posiez qu'une demi-question ! (Sourires.)

En l'occurrence, nous ne sommes pas dans ce cas de figure, car la forêt tient une place importante en Bourgogne. M. Louis de Broissia pourrait le confirmer. J'ai d'ailleurs eu le plaisir de participer à une passionnante université d'été de la forêt bourguignonne qui s'était tenue à Autun.

Je voudrais maintenant faire le point sur la situation de ce secteur forestier, qui connaît un réel développement. En effet, nos concitoyens l'ignorent, mais la forêt gagne du terrain en France. Je signale à M. Gaudin, qui connaît bien l'histoire de notre pays, que la couverture forestière est maintenant quasiment redevenue ce qu'elle était au Moyen Âge. Ensuite, l'utilisation intensive du bois, notamment pour la sidérurgie, avait provoqué une déforestation.

Par la loi d'orientation agricole, nous avons mis en place, grâce à l'adoption d'un amendement qui avait été déposé par M. Gérard César, une incitation fiscale pour les travaux réalisés par les propriétaires forestiers. Cette mesure va s'appliquer pour la première fois au titre des revenus de 2006, qui seront déclarés en 2007.

Ainsi, le dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement forestier, le « DEFI-forêt », permet désormais une réduction de l'impôt sur le revenu, fixée au taux de 25 % et calculée sur la base des dépenses de travaux, dans la limite de 2 500 euros pour un couple. Ce plafond est relevé à 11 400 euros en cas de travaux consécutifs à un sinistre. Le décret d'application a été pris en septembre dernier.

Les propriétaires forestiers m'ont demandé un relèvement du plafond, quelle que soit la situation. Nous allons commencer par tirer, en 2007, les enseignements de la première année de mise en oeuvre de la mesure avant d'envisager une évolution du dispositif.

Par ailleurs, le nouveau Conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux, regroupant l'ensemble des instances qui existaient auparavant, est en train d'analyser la manière dont les garanties de gestion durable pourraient être simplifiées ou allégées, notamment par substitution ou par mise en cohérence des documents de gestion, comme les plans simples de gestion, avec les certifications forestières. La mission rendra ses conclusions à la fin du premier trimestre de 2007.

La certification est un dossier très important, monsieur Signé, dont nous débattons beaucoup avec les ministres de l'agriculture du monde entier, car c'est une voie d'avenir. Il existe cependant des problèmes de cohérence entre les signes de certification reconnus par les différents États, et nous devons encore travailler sur ce sujet.

J'ajoute que la France, par une circulaire du Premier ministre, a obligé les collectivités territoriales à ne pas utiliser de bois qui ne seraient pas issus de méthodes de production durable.

Enfin, je tiens à saluer la démarche très dynamique des acteurs de la filière forêt-bois en Bourgogne. La région dispose d'un bon tissu d'entreprises de transformation et de bois de grande qualité. Le pôle de compétitivité projeté pourrait associer les différents partenaires de la filière. Je soutiendrai donc résolument ce bon projet.

La Bourgogne, en matière de politique forestière, se montre actuellement exemplaire à plusieurs titres. Nous essayerons d'aider les propriétaires et les exploitants de votre région.

M. Louis de Broissia. Très bien !

M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.

M. René-Pierre Signé. Je ne peux que remercier M. le ministre de sa réponse.

Toutefois, on m'a rapporté que les services du ministère ont supprimé les financements annuels contribuant à l'amélioration et au développement des forêts dans le cadre de la mise en oeuvre du Fonds européen de développement régional pour la période 2007-2012. Nos exploitants forestiers sont donc pénalisés à cet égard.

En outre, je le répète, la réduction de l'impôt sur le revenu accordée est trop faible et mériterait d'être augmentée.

Par ailleurs, vous avez souligné que l'écocertification est une voie intéressante et qu'il faut la développer. Or l'obligation de mettre en place un plan de gestion, qui concernait auparavant les exploitations de plus de 25 hectares, s'applique désormais à partir de 10 hectares, alors que l'écocertification, qui ne consiste pas en une étude en amont mais est un système déclaratif, visant à un engagement pour une gestion durable, a, quant à elle, régressé. Les forestiers privés de Bourgogne demandent donc que l'on adopte une démarche beaucoup plus souple et que l'on se tourne davantage vers l'écocertification.

Enfin, s'agissant de l'accueil favorable que vous semblez réserver à la constitution d'un pôle de compétitivité, je ne peux que vous remercier. J'espère que cette demande aboutira, au terme de votre réflexion bienveillante.

représentation du département dans les conseils d'administration des collèges

M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini, auteur de la question n° 1128, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Muguette Dini. Monsieur le ministre, ma question porte sur la composition des conseils d'administration des collèges et sur les droits de vote qui s'y rattachent.

En effet, ces organes de décision sont actuellement composés, pour un tiers, de représentants des collectivités territoriales, de représentants de l'administration de l'établissement et d'une ou de plusieurs personnalités qualifiées, pour un autre tiers, de représentants élus du personnel de l'établissement, et, pour le dernier tiers, de représentants élus des parents d'élèves et des élèves.

Au sein du premier tiers, les représentants des collectivités territoriales sont au nombre de trois ou quatre, en fonction de l'effectif du conseil d'administration - qui comprend vingt-quatre ou trente administrateurs -, dont, dans tous les cas, un seul représentant du conseil général.

Depuis la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, le département s'est vu confier de nouvelles missions dans les collèges et a reçu la charge de financer et de gérer les postes des personnels techniciens, ouvriers et de service, les TOS.

Si l'on considère le budget global de fonctionnement d'un collège, incluant tous les salaires, tant des enseignants de l'éducation nationale que des TOS relevant du conseil général, ainsi que les dotations diverses, on constate que la part du conseil général représente de 25 % à 30 % de son financement.

Il me semblerait donc logique de prévoir, pour les conseils d'administration des collèges, la création par voie réglementaire de droits de vote supplémentaires, réservés au conseil général, afin de lui permettre de disposer de 25 % des voix au sein de ces organismes qui engagent, il faut le rappeler, les dépenses des établissements.

Monsieur le ministre, pour ces raisons, je propose que, au regard de l'implication des départements dans le fonctionnement des collèges et dans l'hypothèse du maintien du nombre actuel d'administrateurs, les droits de vote des conseils généraux soient ainsi attribués : sept droits de vote sur les vingt-neuf répartis dans les conseils d'administration de vingt-quatre membres, et neuf droits de vote sur les trente-six répartis dans les conseils d'administration de trente membres, ce qui représente environ 25 % de l'ensemble des droits de vote au sein des conseils d'administration des collèges. Ces droits de vote pourraient être confiés à deux conseillers généraux titulaires, deux suppléants étant prévus.

Monsieur le ministre, je vous remercie par avance de l'attention que vous porterez à cette demande, qui reflète, j'en suis sûre, la position de nombreux départements.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche. Madame le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser mon collègue Gilles de Robien, qui ne pouvait être présent ce matin dans cet hémicycle et dont je suis le messager.

Vous l'avez rappelé, les conseils d'administration des collèges comprennent, pour un premier tiers, des représentants des collectivités territoriales, des représentants de l'administration de l'établissement et des personnalités qualifiées, pour un deuxième tiers, des représentants élus du personnel de l'établissement, et, pour un dernier tiers, des représentants élus des parents d'élèves et des élèves.

Vous avez, à juste titre, constaté que, selon qu'il est composé de vingt-quatre ou de trente membres, le conseil d'administration du collège comprend trois ou quatre représentants des collectivités territoriales : un représentant du conseil général, le département étant la collectivité territoriale de rattachement, un représentant de l'établissement public de coopération intercommunale et un ou deux représentants de la commune siège. Il arrive souvent aussi, comme c'est le cas dans le conseil d'administration dont je suis membre, qu'un conseiller régional soit désigné par la communauté communale ou intercommunale pour siéger en son nom, ce qui n'est pas sans créer quelques complications supplémentaires.

Le conseil d'administration du collège règle, par ses délibérations, les affaires de l'établissement.

Si l'adoption du budget de l'établissement constitue la compétence essentielle du conseil d'administration, elle est loin d'être la seule. L'ensemble des décisions prises par le conseil d'administration visent à garantir le bon fonctionnement du service public de l'enseignement, dont l'objet est d'assurer la réussite de tous les élèves.

La part prise par le conseil général dans le financement des dépenses de fonctionnement du collège est certes importante, mais le ministère de l'éducation nationale estime que cela constitue un critère trop partiel pour déterminer le pourcentage des droits de vote susceptible d'être attribué à la collectivité territoriale de rattachement. En tout état de cause, ce critère ne pourrait être appliqué aux autres membres du conseil d'administration.

Aux termes de la réflexion actuelle du ministre de l'éducation nationale, la loi a établi un équilibre entre les trois catégories de membres, qu'il n'est pas, pour l'heure, envisagé de rompre.

J'ajouterai, madame le sénateur, une réflexion personnelle.

Siégeant depuis 1985 dans les conseils d'administration de différents collèges, j'ai pu constater les bienfaits de la décentralisation ; je le dis d'autant plus volontiers que, à l'époque, nous l'avions combattue. Elle a incontestablement changé la vie dans les collèges : auparavant, il fallait téléphoner au rectorat quand une porte était cassée ; désormais, les services du département interviennent et les choses vont plus vite. Nous avons ainsi pu, dans tous les départements, quelles que soient les majorités en place, rénover les collèges et renforcer la proximité. C'est un acquis formidable pour notre système éducatif.

Mon expérience de membre des conseils d'administration de trois établissements de mon canton, deux publics et un privé, m'amène à estimer que ce mode de fonctionnement est satisfaisant et permet une grande réactivité. Cela étant, il est vrai que l'évolution du rôle des collectivités peut conduire à approfondir la réflexion.

Quoi qu'il en soit, je ne manquerai pas de faire part de vos remarques, ainsi que de celles qu'elles m'ont inspirées à titre personnel, à mon collègue le ministre de l'éducation nationale, dont je vous ai communiqué la réponse.

M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir fait référence à votre propre expérience. Pour ma part, je suis responsable des collèges dans mon département. Peut-être suis-je allée un peu loin dans ma demande, mais il n'en demeure pas moins qu'il y a vraiment une réflexion à engager sur ce nouveau rôle des conseils généraux dans les établissements, s'agissant, en particulier, de la gestion des TOS. La loi du 13 août 2004 a changé la donne.

Devenir de la base de données Thériaque sur le médicament

M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, auteur de la question n° 1174, adressée à M. le ministre de la santé et des solidarités.

Mme Marie-Thérèse Hermange. En ma qualité de co-rapporteur de la mission sénatoriale intitulée « Médicament : restaurer la confiance », je me suis intéressée au devenir de la base de données Thériaque sur le médicament. Outil fiable au service d'une meilleure gestion des risques liés à l'utilisation des médicaments, cette base de données a été créée en 2004 par les trois caisses d'assurance maladie et le Centre national hospitalier d'information sur le médicament, le CNHIM.

Contrairement aux deux bases privées existant actuellement, Vidal et la banque Claude Bernard, cette base de données possède une indépendance certaine à l'égard des laboratoires pharmaceutiques et présente un caractère d'exhaustivité, notamment en matière de génériques et d'informations émanant des agences de sécurité sanitaire, notamment l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l'Afssaps, et la Haute Autorité de santé, la HAS. Son financement est assuré en quasi-totalité par les caisses d'assurance maladie, sous la forme d'une contribution annuelle.

Or il apparaît que, cette année, ladite contribution a été réduite. Le budget octroyé au financement de la base de données Thériaque, d'un montant de près de 1 million d'euros, est devenu insuffisant pour assurer une mise à jour correcte et donc un fonctionnement acceptable de cet outil précieux.

C'est la raison pour laquelle je vous demande, monsieur le ministre, si le Gouvernement envisage de se préoccuper du maintien et de la consolidation de la base de données Thériaque, sachant que l'objectif initial assigné au groupement d'intérêt public créé le 1er janvier 2004 était d'évoluer vers la formation d'un groupement d'intérêt public avec l'Afssaps.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Madame le sénateur, vous avez exprimé des préoccupations que partage entièrement le Gouvernement.

La base de données Thériaque sur le médicament comprend un très grand nombre d'informations destinées à permettre d'améliorer l'analyse des ordonnances. Elle présente en outre l'avantage d'être gratuite et accessible sur internet, et joue donc un rôle important au service des hôpitaux et des caisses d'assurance maladie.

L'abandon de la seule base de données indépendante sur le médicament serait un très mauvais signal, particulièrement au moment où les logiciels d'aide à la prescription vont être certifiés par la HAS et où la question de l'indépendance des bases de données qui alimentent ces logiciels va être soulevée.

Très attaché à ce que cette base de données soit maintenue, le cas échéant en l'améliorant, le Gouvernement ne méconnaît pas les conflits ayant surgi entre le CNHIM et l'assurance maladie au sein du GIE « Système d'information sur les produits de santé », désormais propriétaire de Thériaque. Les objectifs de ces organismes semblaient différents.

Par conséquent, il est nécessaire de faciliter, sous l'égide du ministère de la santé et des solidarités, le rapprochement des points de vue au sein du GIE. Ce travail, nous l'avons engagé, et une réunion de concertation avec l'ensemble des partenaires se tiendra ce vendredi 19 janvier. Nous en attendons l'émergence de solutions très concrètes.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Il est parfois utile de poser des questions ! Peut-être serez-vous, monsieur le ministre, en mesure d'apporter une réponse concrète à celle-ci avant la fin du mois de février, à la suite de la réunion qui va se tenir vendredi.

Réglementation des parapharmacies

M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, auteur de la question n° 1179, adressée à M. le ministre de la santé et des solidarités.

M. Alain Gournac. Ma question s'adresse en effet à M. Xavier Bertrand, mais je suis très content que ce soit M. Philippe Bas, un ministre que j'apprécie, qui y réponde !

Cette question, qui porte sur l'organisation du système de distribution des médicaments et des produits de parapharmacie en France, est, tout simplement, une question d'égalité, et elle se pose avec d'autant plus d'acuité que M. Xavier Bertrand souhaite étendre le rôle des pharmacies en matière de distribution de médicaments.

Sachant que, dans les pharmacies, la règle est qu'un pharmacien, capable de répondre à toutes les questions, par exemple en matière d'hygiène, soit constamment présent, je m'étonne que la plupart des parapharmacies que l'on voit actuellement foisonner, en particulier dans les centres commerciaux, et qui sont ouvertes - j'ai fait l'enquête - jusqu'à soixante, voire quatre-vingts heures, par semaine, n'emploient qu'un seul pharmacien. Certes, cela n'est pas systématique et je ne veux pas jeter l'opprobre sur ce secteur économique, mais telle est la situation générale.

En tout état de cause, je ne suis pas d'accord ! Par exemple, dans la pharmacie voisine de la mairie de ma ville, deux pharmaciennes se sont associées et se relaient pour assurer une présence continue. Je ne m'explique donc pas le laisser-faire qui règne s'agissant des parapharmacies, non plus que l'absence de contrôles, même si je ne suis pas toujours pour les contrôles.

C'est en tout cas une situation qu'il faudrait examiner plus soigneusement, d'autant que j'ai appris, en préparant cette question, que de jeunes diplômés des facultés de pharmacie, qui ont réussi des études difficiles, peinaient à trouver du travail. C'est tout de même inquiétant ! Or le respect de l'exigence de la présence continue d'un pharmacien diplômé dans les espaces de parapharmacie permettrait de développer l'emploi dans ce secteur.

Dès lors, monsieur le ministre, ma question est la suivante : alors que, dans les grandes surfaces, on renforce les contrôles sur les produits alimentaires, quand va-t-on s'assurer, par l'intermédiaire de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, du respect absolu de l'exigence que j'évoquais, pendant toute la durée d'ouverture des établissements concernés ?

J'insiste, monsieur le ministre, sur l'importance de cette question. À l'heure où M. Xavier Bertrand veut élargir le rôle des officines de pharmacie, à très juste titre car il n'est pas toujours possible d'obtenir immédiatement un rendez-vous chez le médecin, faisons en sorte que pharmacies et parapharmacies soient traitées sur un pied d'égalité !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Monsieur le sénateur, je vous réponds en effet au nom de Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités.

Vous vous êtes fait le relais des préoccupations d'un certain nombre de pharmaciens d'officine, liées au fait que se développent actuellement, notamment dans les grandes surfaces, des « espaces » de vente de produits parapharmaceutiques, en réalité surtout de cosmétiques.

Certains fabricants de produits cosmétiques ont ainsi élaboré des contrats de distribution sélective, qui imposent aux revendeurs la présence d'un personnel qualifié pour donner des conseils sur les produits vendus. Toutefois, les qualifications exigées sont variables selon les contrats, lesquels ne prévoient pas toujours la présence d'un pharmacien diplômé d'État.

Cette question a été portée à la connaissance de la plus haute juridiction en la matière, le Conseil de la concurrence, qui a pris voilà maintenant dix ans une décision, laquelle régule le secteur des produits cosmétiques et d'hygiène.

Le Conseil de la concurrence a accepté ces contrats de distribution sélective, dans la mesure où ils ne constituent pas une entrave au marché. Il n'a pas limité la définition du personnel qualifié devant être présent aux heures d'ouverture aux seuls pharmaciens. Il exige en revanche un niveau de qualification professionnelle, « qu'il s'agisse d'un diplôme de pharmacien, d'un diplôme universitaire équivalent ou d'un diplôme scientifique ou professionnel ».

Aussi les parapharmacies ne sont-elles pas dans l'illégalité quand elles n'emploient pas un pharmacien si elles emploient une personne qualifiée ayant un diplôme équivalent.

Par ailleurs, les relations entre les fabricants de produits cosmétiques et leurs distributeurs relèvent du droit privé. Les contrats de distribution sélective prévoient des pénalités en cas de non-respect des clauses, notamment s'agissant des exigences posées en matière de qualification des personnels, mais la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes n'est pas compétente pour contrôler la mise en oeuvre de ces pénalités. En cas de litige entre les parties, c'est au juge civil de trancher. Ce dispositif satisfait actuellement l'ensemble des parties.

La question que vous soulevez, monsieur le sénateur, est donc d'ordre législatif et non pas administratif.

M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.

M. Alain Gournac. Si le titulaire d'un diplôme équivalent au diplôme de pharmacien était toujours présent dans les parapharmacies, je n'aurais rien à redire, monsieur le ministre, mais, si je vous pose aujourd'hui cette question, c'est parce que je sais bien que ce n'est pas le cas ! Parfois, ce sont de simples vendeuses, que je respecte tout à fait mais qui n'ont pas les qualifications requises, qui travaillent dans ces établissements, avec les risques de dérapage que cela implique.

Par conséquent, même si c'est le juge civil qui est compétent en la matière, je vous demande, monsieur le ministre, d'être très attentif à cette situation. En ce qui me concerne, je le serai. Le Gouvernement ne doit pas se contenter de laisser la profession s'organiser : on doit être aussi exigeant avec les parapharmacies qu'on peut l'être avec les officines de pharmacie !

prise en charge des soins dentaires

M. le président. La parole est à M. Louis de Broissia, auteur de la question n° 1190, adressée à M. le ministre de la santé et des solidarités.

M. Louis de Broissia. Monsieur le ministre, je souhaite obtenir de vous une réponse à une question que j'avais déjà posée par écrit en octobre 2004, mais qui n'en conserve pas moins une grande actualité.

Il s'agit de la mise en oeuvre de la couverture maladie universelle dans le domaine de la chirurgie dentaire.

Les parlementaires sont très sensibles à l'application des lois. La couverture maladie universelle a été voulue par un précédent gouvernement, celui de Lionel Jospin. Elle a succédé à l'aide médicale gratuite que pratiquaient les départements, chacun essayant de faire un peu mieux que son voisin, ce qui permettait peut-être de parvenir à de bons résultats.

En tout état de cause, les chirurgiens-dentistes, mais aussi l'ensemble des associations qui s'occupent des bénéficiaires de la CMU, s'inquiètent de l'absence de prise en charge par le dispositif d'un nombre important de soins ou d'actes lourds, en particulier en matière d'orthodontie.

Par ailleurs, les praticiens ont dénoncé l'interdiction quelque peu étonnante qui est faite aux patients de financer eux-mêmes, s'ils le souhaitent et selon leurs moyens, certains actes sortant du champ de la couverture maladie universelle. En d'autres termes, le bénéficiaire de la CMU est moins bien couvert que l'assuré social ordinaire, ce qui est assez paradoxal.

Or les professionnels de la dentisterie considèrent que les tarifs auxquels ils sont soumis sont très souvent inférieurs aux simples coûts de revient. On va donc en arriver à une chirurgie dentaire à deux vitesses, certains professionnels réservant leurs soins aux patients qui peuvent payer, d'autres se consacrant aux bénéficiaires de la CMU.

Ces dispositifs ayant été modifiés en 2006, je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, si des améliorations ont pu être constatées et si une voie peut être trouvée pour assurer dorénavant l'accès à la médecine, en particulier à la médecine dentaire, à l'ensemble de la population française, à commencer par ceux de nos concitoyens qui sont couverts par la CMU.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Monsieur le sénateur, le Gouvernement est, naturellement, très conscient de la nécessité de favoriser l'accès aux soins dentaires pour les plus démunis.

La nouvelle convention nationale des chirurgiens-dentistes, approuvée par un arrêté de juin 2006, comporte des mesures financières importantes de revalorisation, qui concernent notamment les forfaits dentaires pris en charge dans le cadre de la couverture maladie universelle complémentaire.

Je précise que le coût en année pleine de la revalorisation des soins conservateurs et chirurgicaux est estimé à près de 300 millions d'euros.

La démarche privilégiée par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie répond à un souci de santé publique. L'ensemble des mesures ont été prises en étroite concertation avec les organismes représentant les chirurgiens-dentistes.

Quant à la revalorisation des forfaits dentaires dans le cadre de la couverture maladie universelle complémentaire, qui constitue l'objet principal de votre question, son coût en année pleine s'élève à 35,5 millions d'euros. Cette mesure, vous le savez, est entièrement financée par le budget de l'État, et non par celui de l'assurance maladie.

Il convient, dans ce cadre, de distinguer deux types d'actes : les soins conservateurs, qui sont pris en charge dans la limite des tarifs imposés à tous les assurés, et les soins réparateurs, qui font l'objet de tarifs libres pour les assurés de droit commun et d'un prix maximal pour les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire. Il s'agit notamment des prothèses dentaires adjointes, des prothèses dentaires conjointes, c'est-à-dire des couronnes, et de l'orthopédie dento-faciale.

Les tarifs de ces actes pris en charge par la couverture maladie universelle faisaient l'objet, depuis plusieurs années, de demandes réitérées de réévaluation de la part des professionnels, car ils n'avaient pas été revus depuis 1999.

Afin d'améliorer l'accès aux soins pour les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire dans le cadre de la renégociation de la convention nationale des chirurgiens-dentistes, une évolution de ces tarifs a été approuvée par les partenaires conventionnels. Cette augmentation des tarifs varie selon la fréquence des actes et atteint en moyenne, pour les actes concernés, 30 %. Ces propositions ont été reprises le 30 mai 2006 et sont entrées en vigueur au 1er juillet 2006.

J'ajoute qu'il n'est aucunement interdit à un chirurgien-dentiste d'effectuer un acte qui ne serait pas prévu dans le panier de soins de la couverture maladie universelle complémentaire. Toutefois, il lui appartient alors de veiller à ce que l'assuré ait bien conscience des conséquences financières que cela implique.

M. le président. La parole est à M. Louis de Broissia.

M. Louis de Broissia. Monsieur le ministre, je remercie le Gouvernement d'avoir pris en compte cette préoccupation de santé publique, dont l'importance s'est accrue avec le vieillissement de la population, alors que la santé dentaire a longtemps fait figure, me semble-t-il, de « mal aimée » de la médecine.

La médecine dentaire, qui a fait d'immenses progrès, s'agissant par exemple des bridges et des implants, et qui fait appel à des techniques très coûteuses, était couverte par certains départements, comme la Côte-d'Or, dans le cadre de l'aide médicale gratuite. Or l'instauration de la CMU a plutôt entraîné un nivellement par le bas de la prise en charge, ce qui est paradoxal.

Même s'il reste encore beaucoup à faire, je me réjouis donc, premièrement, que les forfaits dentaires aient été revalorisés, et, deuxièmement, que les bénéficiaires de la CMU ne soient pas pénalisés s'agissant de ce domaine très particulier de la médecine.

promotion des médicaments génériques dans le cadre du régime local d'assurance maladie d'Alsace-Moselle

M. le président. La parole est à Mme Esther Sittler, auteur de la question n° 1188, adressée à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.

Mme Esther Sittler. Monsieur le ministre, je souhaiterais attirer votre attention sur les obstacles réglementaires auxquels est confronté le régime local d'assurance maladie d'Alsace-Moselle pour mener sa politique de développement des médicaments génériques.

En effet, l'article D. 325-7 du code de la sécurité sociale stipule que « sous réserve des cas où, par application de l'article L. 322-3 et du premier alinéa de l'article R. 322-1, l'assuré en est exonéré, la participation de l'assuré aux frais de soins ambulatoires mentionnés au chapitre II du titre VI du livre Ier du code de la sécurité sociale et aux frais mentionnés aux articles L. 314-1 et L. 321-1 (2°) est au minimum égale à 10 % ».

Cette limitation empêche le régime de prendre en charge au-delà de 90 % des parcours de soins ou des bonnes pratiques dont il souhaiterait favoriser la diffusion, notamment en ce qui concerne les médicaments génériques.

Une telle limite, qui relevait du respect d'un principe de prudence par le législateur lors de la mise en place du dispositif réglementaire en 1995, constitue une sécurité excessive dans la mesure où le régime est déjà strictement encadré en ce qui concerne tant la fixation des cotisations que son nécessaire équilibre économique.

Ne conviendrait-il pas, par conséquent, monsieur le ministre, de lever ces obstacles réglementaires dans les meilleurs délais ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Madame le sénateur, la réponse à votre question est positive : il conviendrait de modifier la réglementation.

Je remercie les acteurs du régime de sécurité sociale d'Alsace-Moselle de partager la préoccupation du Gouvernement de développer l'utilisation des médicaments génériques, ce qui est bénéfique à tous points de vue, notamment pour les comptes de l'assurance maladie.

Le Gouvernement prépare actuellement un décret dont l'objet est précisément de permettre au régime local d'Alsace- Moselle de supprimer le reste à charge de 10 % pour ses assurés s'agissant de la prise en charge des médicaments génériques, à l'exception de ceux dont le taux de remboursement a été fixé à 15 % au regard du service médical insuffisant qu'ils rendent, de ceux qui sont soumis au tarif forfaitaire de responsabilité et, enfin, de ceux dont le prix est supérieur ou égal à celui du médicament princeps.

Ces réserves étant faites, l'évolution réglementaire a été décidée par le Gouvernement, et il ne nous reste plus qu'à publier ce décret dans les meilleurs délais, en concertation étroite avec le régime local d'Alsace-Moselle.

M. le président. La parole est à Mme Esther Sittler.

Mme Esther Sittler. Je vous remercie de votre réponse très concrète, monsieur le ministre. Je compte sur vous pour que ce décret soit publié rapidement !

Situation des praticiens hospitaliers détachés dans un établissement PSPH

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, auteur de la question n° 1187, adressée à M. le ministre de la santé et des solidarités.

M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le ministre, je voudrais appeler votre attention sur la situation des praticiens hospitaliers détachés dans un établissement privé participant au service public hospitalier, un PSPH.

En effet, les dispositions de l'article 6 du décret n° 2006-1221 du 5 octobre 2006 portant réforme du statut de ces praticiens ont purement et simplement abrogé l'article R. 6152-57 du code de la santé publique, qui prévoyait que les praticiens hospitaliers détachés dans un PSPH pouvaient bénéficier d'une majoration de 15 % de leurs émoluments, afin de compenser le fait que ces praticiens ne peuvent avoir de clientèle privée.

Après la circulaire n° 2004-559 du 25 novembre 2004 relative à l'assujettissement des employeurs d'agents publics au régime d'assurance-chômage, qui impose aux praticiens détachés de cotiser aux ASSEDIC plutôt que d'acquitter la contribution de solidarité comme leurs confrères du public, force est de constater que le nouveau statut des praticiens hospitaliers détachés n'est pas favorable.

Cette évolution est très préoccupante en ce qu'elle privera bientôt les établissements privés qui participent au service public de santé de la possibilité de recruter des praticiens hospitaliers.

Monsieur le ministre, dans la mesure où vous souhaitez que subsiste, au sein de l'organisation générale de la santé, des établissements privés participant au service public, je vous demande de revenir sur cette disposition très contestée.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Monsieur le sénateur, votre demande est satisfaite : un décret du 5 octobre 2006 a notamment eu pour effet de supprimer la règle limitant le montant de la rémunération versée aux praticiens hospitaliers détachés dans des établissements privés participant au service public hospitalier aux émoluments des praticiens hospitaliers, majorés éventuellement de 15 %.

En application dudit décret, la rémunération servie au praticien détaché en établissement PSPH durant son détachement peut correspondre à la rémunération servie aux autres praticiens de cet établissement, sans aucun plafonnement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Je me félicite d'avoir obtenu une réponse venant d'un ministre de plein exercice, et non pas du porte-parole d'un candidat à l'élection présidentielle !

Cela étant, le décret que vous avez évoqué semble donner lieu à des interprétations différentes, monsieur le ministre, selon que l'on s'adresse, par exemple, à certains de vos services ou à l'Agence régionale de l'hospitalisation.

Par conséquent, il serait souhaitable que vous procédiez à une rapide concertation afin de clarifier la situation.

Avenir des groupements de coopération sociale et médico-sociale

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, auteur de la question n° 1195, adressée à M. le ministre de la santé et des solidarités.

M. Gérard Delfau. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur le devenir incertain des « groupements de coopération sociale et médico-sociale », créés par un décret du 6 avril 2006 afin de faciliter le rapprochement d'établissements oeuvrant dans le secteur de la santé et du handicap.

Ces nouvelles structures ont pour mission de mettre fin à l'isolement de nombreux établissements en mutualisant les moyens et en améliorant l'offre de services ; elles sont donc particulièrement utiles pour les petites et moyennes associations.

Ces structures doivent favoriser les économies d'échelle, dans un souci légitime de meilleure utilisation des ressources de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Encore faut-il que le dispositif soit opérationnel.

Or un courrier en date du 8 juin 2006, signé par les grandes associations du secteur de la santé et du handicap et reflétant le point de vue des petites et moyennes associations du secteur médico-social, souligne que l'obligation de confier cette tâche à un administrateur bénévole, choisi au sein du conseil d'administration, est irréaliste, tant il est vrai qu'il s'agit d'une mission délicate, ne pouvant être assumée que par un professionnel dégagé, par ailleurs, de fonctions au sein de l'un des établissements.

Le même courrier suggère que des fonds affectés au financement de réseaux soient consacrés au travail en amont nécessaire à la mise en place de cette nouvelle structure, puis à la budgétisation de la fonction d'administration générale, quitte, bien sûr, à ce que, dans le contrat pluriannuel de dotation budgétaire - autre possibilité offerte récemment -, il soit prévu une prise en charge progressive de ce poste.

À moyen terme, la puissance publique obtiendrait ainsi ce qu'elle recherche, à savoir une simplification de la carte des structures de santé et du secteur médico-social, ainsi qu'une meilleure allocation de l'argent public.

Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, que, au moins à titre expérimental, il convient que vos services, en accord avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, permettent cette évolution et donnent leur chance à ces « groupements de coopération », dont nous sommes nombreux à attendre beaucoup ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Monsieur le sénateur, le Gouvernement est tout à fait favorable au développement de ces groupements sociaux et médico-sociaux : cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant !

C'est la raison pour laquelle il a pris, en avril dernier, un décret en application duquel ces groupements se mettent désormais en place très rapidement. Leur développement, depuis la parution de ce décret, n'a subi aucune entrave, s'agissant en particulier des conditions de nomination de l'administrateur exécutif.

Mes services accompagnent les projets en cours, et une expérimentation, quatre ans après le vote de la loi de 2002, ne me paraît donc pas utile. Un bilan devra bien sûr être dressé après un délai raisonnable de montée en charge, et nous pourrons alors voir si des freins existent.

Vous vous inquiétez, monsieur le sénateur, du fait que les conditions de nomination de l'administrateur exécutif prévues n'imposent pas que cette fonction soit exercée par un professionnel.

Je vous ferai observer, à cet égard, qu'elles ne l'interdisent pas non plus. Pour notre part, nous n'avons pas voulu créer, alors que ces groupements sont de taille variable, des contraintes excessives. Nous avons préféré faire confiance aux membres du groupement pour désigner soit un administrateur professionnel - ce sera certainement le cas le plus fréquent -, soit un administrateur bénévole, car nous savons combien les bénévoles s'engagent souvent avec beaucoup d'efficacité, et parfois à temps plein, dans ces activités. C'est le cas de nombre de nos jeunes retraités qui appartiennent à ce nouvel âge actif et sont aujourd'hui très engagés dans les activités bénévoles.

Par conséquent, ne privons pas ces personnes de la possibilité d'exercer ce type de fonctions, car elles offrent des garanties parfois supérieures à celles que tel ou tel professionnel pourrait apporter.

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.

M. Gérard Delfau. À vrai dire, monsieur le ministre, je pourrais m'estimer comblé. En effet, si vous n'avez pas répondu à ma seule question, qui portait sur le financement, vous avez répondu à une autre question concernant les administrateurs bénévoles ou professionnels, que je n'avais pas posée !

Par conséquent, monsieur le ministre, sortons de la note que vos services vous ont rédigée et parlons clair !

Le problème du financement de ce travail professionnel, qu'il soit assumé par un administrateur issu de ce secteur ou par un bénévole - je ne souhaite pas ouvrir ici ce débat -, vous a été posé par le biais d'une lettre cosignée notamment par le président de la Mutualité française, le président de la Fédération des établissements d'hospitalisation et d'assistance privés à but non lucratif, la FEHAP, le président de la Fédération hospitalière de France, le président de l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, l'UNIOPSS, le président de l'Union nationale des caisses d'allocations familiales, l'UNCAF.

Ce problème existe donc bel et bien, monsieur le ministre, vous le savez - en tout cas vos services le savent -, et il convient de le traiter.

En effet, cette question apparemment technique - je m'intéresse ici plus précisément au secteur médico-social, que je connais bien pour y exercer une activité depuis de longues années -, cache le problème suivant : devant l'émiettement des associations qui, avec beaucoup de générosité, gèrent le secteur médico-social et l'ensemble de ses établissements, vous souhaitez, monsieur le ministre, à juste titre, qu'une forme de regroupement un peu similaire à celle qui s'est faite dans le cadre de l'intercommunalité puisse s'opérer.

À cela nous répondons : oui, faisons-le, inscrivons cette démarche dans une nouvelle procédure que vous eu raison de créer, à savoir le contrat d'objectifs et de moyens, mais trouvons aussi le financement nécessaire pour les petites et moyennes associations, puisque même les associations les plus importantes le réclament.

À défaut, monsieur le ministre, si le refus persistait, cela signifierait - on me le dit, mais je ne veux pas le croire - que vous avez donné mandat à vos services pour regrouper par fusion-absorption, arbitrairement et contre leur avis, un ensemble de petites et moyennes associations qui, n'ayant pas les moyens d'unir leurs efforts, se verraient contraintes d'adhérer à l'une des trois ou quatre grosses associations nationales que vous auriez choisies.

Cela ne peut pas être votre propos et, au surplus, le secteur ne l'accepterait pas.

En résumé, monsieur le ministre, je souhaitais simplement aujourd'hui lancer le débat. Nous y reviendrons, mais admettez avec moi que votre réponse était loin de la problématique que j'avais soulevée. Peut-être m'étais-je mal exprimé et, dans ce cas, ma seconde intervention aura clarifié les choses.

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nomination d'un membre d'UN ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE

M. le président. Je rappelle que la commission des finances a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.

La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.

En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Auguste Cazalet membre de la Commission centrale de classement des débits de tabac.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures dix, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution
Discussion générale (suite)

Article 77 de la Constitution

Adoption d'un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution
Question préalable

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant l'article 77 de la Constitution (nos 121, 145).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter le projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution. Le mot « honneur » prend ici tout son sens : pour un ministre de la République, défendre devant le Sénat une réforme constitutionnelle sur la Nouvelle-Calédonie est effectivement un honneur, tant la Haute Assemblée a toujours su être attentive aux questions calédoniennes.

Quand bien même cette démarche ne s'inscrirait pas dans la tradition parlementaire, qu'il me soit permis, dans un premier temps, de vous remercier, monsieur le président, de votre action déterminée et jamais démentie en faveur des collectivités d'outre-mer, collectivités à part entière de la République.

Le regard attentif du président de la Haute Assemblée et de bon nombre d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, constitue un soutien précieux pour l'action des pouvoirs publics, quel que soit le secteur dans lequel nous intervenons.

Dans le même esprit, je souhaite souligner le degré d'implication personnelle de M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois : le rapport qu'il va présenter témoigne, là encore, d'une profonde maîtrise des enjeux calédoniens.

Mes remerciements vont également à M. Patrice Gélard qui, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi constitutionnelle par votre commission, a montré, comme à l'accoutumée, son intérêt pour l'histoire de la Nouvelle-Calédonie et ses conséquences institutionnelles.

Cette histoire, nombre d'entre vous s'en souviennent, fut parfois tragique. Cette histoire mérite notre respect. Cette histoire impose de préparer l'avenir.

Ce qui m'anime aujourd'hui, c'est le souci de respecter l'histoire et la logique des accords de réconciliation et de préciser devant la Haute Assemblée leur contenu et leur portée, afin - tout simplement, mais c'est essentiel -, de respecter la parole donnée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la démarche qui nous conduit à vous présenter ce projet de loi constitutionnelle ne serait pas compréhensible si nous n'avions pas tous à l'esprit le contexte historique, politique et humain dans lequel s'inscrit l'évolution de la Nouvelle-Calédonie depuis plus de vingt ans.

Chacun garde en mémoire les événements tragiques qu'a connus le territoire entre 1984 et 1988, les trop nombreuses victimes dans les deux communautés ainsi que parmi les serviteurs de l'État, le cycle infernal de la violence, qui aurait pu dégénérer en une véritable guerre civile, mais également le sursaut, qui a permis de rétablir la paix.

Le rétablissement de la concorde civile n'a pas été facile. Nous pouvons être fiers, collectivement - et il faut rendre hommage aux acteurs de l'époque -, d'y être parvenus. En 1988, les accords de Matignon ont réussi à établir un équilibre entre ceux qui se prévalent de leur qualité de premiers occupants et tous ceux qui, depuis le XIXe siècle, ont contribué à la mise en valeur de ce magnifique et sublime territoire.

Ces accords n'ont pas été conclus sans compromis de part et d'autre.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. C'est vrai !

M. François Baroin, ministre. Je crois qu'il faut prendre la mesure de cet état d'esprit, de cette philosophie, de ce souci d'équilibre inhérent à la notion de compromis ; celle-ci constitue d'ailleurs le principe même de toute négociation, de toute discussion, surtout lorsqu'il s'agit de faire la paix.

Christian Blanc, dont chacun connaît le rôle important qu'il a joué dans le processus de réconciliation en Nouvelle-Calédonie, a eu l'occasion d'évoquer devant l'Assemblée nationale, le 13 décembre dernier, la proposition d'accord en huit points, approuvée à l'époque par MM. Lafleur et Tjibaou, qui allait constituer la trame des accords de Matignon.

Le point 7 de ce document indiquait ceci : « La question de l'indépendance sera mise entre parenthèses pour dix ans grâce au renvoi à un scrutin d'autodétermination sur le territoire. Cela implique que les évolutions démographiques ne soient pas perturbées et que donc, l'immigration soit très strictement contrôlée. »

Par « immigration », il faut naturellement entendre, ici, le peuplement du territoire par de nouveaux apports de population extérieure, notamment métropolitaine.

L'esprit des accords de Matignon était donc bien, dès l'origine, marqué par la volonté de restreindre aux seules personnes ayant un lien suffisamment fort et durable avec la Nouvelle-Calédonie le corps électoral pour les scrutins qui décideraient de l'avenir du territoire.

Le point 6 des accords de Matignon prévoyait une telle mesure : « Les électeurs et les électrices de Nouvelle-Calédonie qui seront appelés à se prononcer sur ce projet de loi référendaire, ainsi que leurs descendants accédant à la majorité, constituent les populations intéressées à l'avenir du territoire. Ils seront donc seuls autorisés à participer jusqu'en 1998 aux scrutins qui détermineront cet avenir : scrutin pour les élections aux conseils de province et scrutin d'autodétermination. » Il s'agit d'un des aspects essentiels de l'architecture des accords de Matignon.

N'oublions pas aujourd'hui les conditions sans lesquelles ce pari de la réconciliation n'aurait pas été gagné.

Je voudrais saluer ici ceux qui se sont engagés pour la paix et qui ont permis de dépasser les clivages politiques, les logiques partisanes, les intérêts particuliers, au bénéfice de la plus haute conception de l'intérêt général. En Nouvelle-Calédonie, les perspectives économiques, sociales et culturelles qui s'ouvrent devant nous sont le fruit de la ténacité de ces acteurs, qui ont choisi la paix.

Le statut de la Nouvelle-Calédonie du 9 novembre 1988, adopté directement par le peuple français, était prévu pour dix ans. À l'approche de cette échéance, il est apparu qu'un nouveau scrutin aboutissant à opposer deux camps antagonistes ne pourrait que contribuer à la détérioration de la paix civile instaurée en 1988.

Pardonnez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de dresser un tableau historique détaillé, mais lui seul permet de mettre en lumière et en perspective ce qui nous rassemble aujourd'hui autour de ce sujet si important. Dès 1991, Jacques Lafleur, avec sagesse, avait préconisé ce qu'il appelait la « solution consensuelle » pour échapper à un engrenage qui aurait pu être destructeur. À l'époque, en effet, un scrutin d'autodétermination aurait été de nature à faire renaître les affrontements. Les responsables politiques d'alors se sont donc dirigés, avec le concours de l'État, vers la recherche d'une solution consensuelle permettant de dépasser des positions en apparence irréconciliables.

Demeurer dans l'esprit des accords de Matignon, c'était renoncer à ces affrontements, entretenir le dialogue et maintenir la méthode du consensus. L'accord de Nouméa, qui a été signé le 5 mai 1998 et qui est le prolongement direct des accords de Matignon, a entendu exclure ce qui est source de division pour s'appuyer sur ce qui rassemble.

L'accord de Nouméa - vous le savez mieux que quiconque, mesdames, messieurs les sénateurs - a acquis force constitutionnelle en 1998 par l'effet de l'article 77 de la Constitution, qui assigne pour mission au législateur organique d'« assurer l'évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en oeuvre ». Il s'agissait de surmonter ainsi les obstacles de nature constitutionnelle susceptibles d'empêcher l'adoption des mesures prévues par l'accord, en particulier celles qui sont relatives à la définition d'un corps électoral restreint pour l'élection des assemblées délibérantes locales.

Quel est le contenu exact de l'accord de Nouméa ?

Outre une organisation originale des pouvoirs publics fondée sur un partage territorial des responsabilités et sur un gouvernement collégial, et un principe de rééquilibrage économique du territoire, cet accord instaure, dans la nationalité française, une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, qui concrétise la participation au destin commun des communautés qui vivent sur ce territoire.

La question de la définition du corps électoral est dès lors étroitement liée à celle de la citoyenneté calédonienne. Ce fait est indiscutable. En effet, c'est le droit de vote qui fonde la citoyenneté, de quelque origine que l'on soit.

Tout d'abord, pour obtenir le droit de participer aux scrutins d'autodétermination qui seront organisés entre 2014 et 2018, la cause est entendue - cet élément a d'ailleurs permis de restaurer la paix et les débats sur ce sujet n'ont plus cours. Ne voteront que les électeurs inscrits sur les listes électorales en 1988 ou pouvant justifier d'une durée de résidence continue de vingt ans au 31 décembre 2014, ou d'autres conditions telles que la naissance en Nouvelle-Calédonie ou la possession du statut coutumier.

Le principe de ce corps électoral particulièrement restreint n'est contesté par personne.

Ensuite, s'agissant de la définition du corps électoral pour l'élection des assemblées des provinces et au congrès, la question de principe est également tranchée. L'existence même d'un corps électoral restreint a déjà été validée, d'une part, par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie que le Parlement, réuni en Congrès, a adoptée à la quasi-unanimité de ses membres, d'autre part, par les électeurs de Nouvelle-Calédonie, qui ont approuvé largement l'accord de Nouméa, le « oui » remportant 72 % des suffrages exprimés, lors du scrutin du 8 novembre 1998.

Il nous revient toutefois aujourd'hui - c'est ce qui nous réunit - de lever la dernière difficulté que soulève la lecture de l'accord de Nouméa et qui résulte de l'interprétation du Conseil constitutionnel de 1999.

Pour les élections au congrès et aux assemblées des provinces, l'accord de Nouméa distingue trois catégories d'électeurs au sein du corps électoral : d'abord, les personnes pouvant justifier de dix ans de résidence qui ont ou auraient pu participer à la consultation du 8 novembre 1998 ; ensuite, celles qui auront résidé dix ans sur le territoire au moment des élections provinciales et sont inscrites au « tableau annexe » ; enfin, dès qu'ils deviennent majeurs, les enfants de ces personnes.

Les articles 188 et 189 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie fixent les modalités d'établissement de la liste électorale spéciale : les personnes ne pouvant prétendre au droit de vote sont inscrites sur un tableau annexe.

Or la définition du tableau annexe a soulevé une difficulté d'interprétation, alors même que les deux rapporteurs du projet de loi organique - en particulier le président de votre commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, à qui le Gouvernement exprime à nouveau sa reconnaissance pour la qualité du travail qu'il a accompli, son implication et ses efforts constants, puisque de nombreuses années nous séparent de 1999 - s'étaient exprimés sans ambiguïté sur ce point lors des débats parlementaires.

Pour deux des signataires au moins, dont l'État, le tableau annexe était celui qui avait été établi à l'occasion du scrutin du 8 novembre 1998.

Dans sa décision du 15 mars 1999, le Conseil constitutionnel a jugé que la rédaction de l'accord de Nouméa conduisait à considérer que le tableau annexe devait être évolutif et qu'il avait vocation à accueillir toutes les personnes arrivées après 1998. Ainsi pourraient voter à partir de 2009, c'est-à-dire pour les scrutins locaux, les personnes arrivées en 1999, et, en 2014, celles qui étaient arrivées en 2004, c'est-à-dire après la signature de l'accord de Nouméa. Le corps électoral devenait donc « glissant ». Sur la définition du corps électoral restreint et glissant, aucune ambiguïté ne subsiste, et aucune contestation ne s'élève plus de part et d'autre de l'échiquier politique calédonien.

Nous sommes malgré tout ici au coeur de la difficulté. Le temps a passé, mais la notion d'esprit des accords de Matignon et de Nouméa demeure. On peut la refuser - après tout, chacun est libre -, mais on ne peut nier la logique des accords. Cette dernière était bien de réserver la participation « aux scrutins qui détermineront l'avenir de la Nouvelle-Calédonie » - dont les élections provinciales - aux « populations intéressées à l'avenir du territoire », c'est-à-dire aux électeurs présents sur le territoire à une certaine époque et à leurs descendants. Voilà pourquoi, de façon constante depuis 1999, l'État, signataire de ces accords, considère qu'il s'agit d'un corps électoral gelé.

Le gouvernement de l'époque s'est engagé à réviser la Constitution afin de permettre une définition « gelée » du corps électoral. Le Président de la République a accédé à sa demande.

Rappelons que l'Assemblée nationale et le Sénat ont déjà adopté en 1999, à une très large majorité et en termes identiques, un projet de loi constitutionnelle destiné notamment à compléter l'article 77 de la Constitution.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

M. François Baroin, ministre. Il se trouve - chacun s'en souvient - que les circonstances du moment, sans lien aucun avec cette affaire, n'ont pas permis que ce texte soit soumis à l'approbation définitive du Parlement réuni en Congrès. Un accord n'avait en effet pu être obtenu à l'époque entre le Président de la République et le Premier ministre sur la question de la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Même si un vote en termes identiques avait eu lieu dans les deux assemblées, le Parlement n'avait pu être réuni en Congrès pour ratifier ces propositions.

L'unique article du projet de loi constitutionnelle qui vous est aujourd'hui soumis reprend précisément les dispositions figurant dans le projet de 1999, en y apportant une mesure complémentaire destinée à s'assurer que les dispositions des articles 188 et 189 seront interprétées dans un sens conforme à nos intentions. L'Assemblée nationale a, en première lecture, fort utilement précisé le texte du projet de loi constitutionnelle.

Les juridictions administratives et judiciaires seront naturellement liées par l'interprétation du pouvoir constituant et par le véritable sens ainsi rétabli des articles 188 et 189 de la loi organique du 19 mars 1999, lorsqu'elles seront appelées à statuer sur d'éventuels contentieux.

Je tiens à souligner ici très précisément la portée exacte de la réforme qui vous est proposée.

Tout d'abord, avec le corps électoral « gelé », ce sont environ 700 électeurs, inscrits en 1999, qui seront écartés du droit de vote pour les élections de 2009.

Ensuite, cette réforme, je le rappelle, revêt une portée purement transitoire : elle n'a vocation à s'appliquer que pour les élections territoriales et provinciales de 2009 et de 2014, ou pour des élections partielles ou consécutives à une dissolution de ces assemblées. Au terme de la période d'application de l'accord de Nouméa, la Nouvelle-Calédonie aura à décider de son avenir.

Enfin, la réforme n'affecte en rien l'exercice du droit de vote en Nouvelle-Calédonie pour les élections autres que territoriales et provinciales. Tous nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie continueront donc de participer aux scrutins présidentiels, législatifs, municipaux et européens, ainsi qu'aux référendums nationaux, dans les conditions du droit commun.

Au-delà de la nécessaire clarification juridique, c'est plus fondamentalement encore le respect de la parole donnée qui est en jeu. Nous tenons beaucoup à cette idée, car l'esprit de responsabilité politique doit prévaloir sur toutes les travées de cet hémicycle.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

M. François Baroin, ministre. Si rien n'est fait, nombre de Calédoniens auront le sentiment que les accords passés sont remis en cause et que l'État n'a respecté ni sa signature ni l'engagement qu'il a pris en 1999 de conduire cette réforme jusqu'à son terme. Ce serait mettre en péril l'équilibre qui a permis à la Nouvelle-Calédonie de retrouver une paix civile, qui reste néanmoins encore fragile.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j'invite chacun d'entre vous à peser les conséquences de son vote et à ne pas négliger les leçons du passé. Ce qui a été accompli en Nouvelle-Calédonie depuis vingt ans est grand ; ce qui reste à faire est plus grand encore.

Les institutions issues de l'accord de Nouméa sont à l'évidence le fruit d'un compromis. Il faut les faire vivre, en s'attachant à lever les ambiguïtés qui sont la source de problèmes et de tensions. Ce projet de loi constitutionnelle contribuera largement, par son adoption, à faire disparaître la dernière équivoque qui subsiste dans l'application des accords de Nouméa.

J'entends les objections et je conçois les réticences de certains. Je leur affirme qu'ils sortiront grandis de s'être élevés au-delà de considérations particulières pour embrasser l'intérêt général.

L'avenir de la Nouvelle-Calédonie dépend à nouveau de notre faculté à nous réunir pour que les plaies se referment et pour que cette collectivité territoriale poursuive le chemin qui est le sien dans le cadre de la République.

La Haute Assemblée a toujours exprimé une sensibilité particulière pour l'outre-mer de la République. L'avenir de la Nouvelle-Calédonie est une question que le Sénat a toujours su aborder avec hauteur de vue et mise en perspective.

Je connais l'attachement du plus grand nombre d'entre vous à ce que l'avenir de la Nouvelle-Calédonie s'accomplisse dans la République, et d'abord celui de Simon Loueckhote, qui est un ami. Qu'il me soit permis à cette tribune de rappeler que j'étais moi-même le benjamin de l'Assemblée nationale lorsque Simon Loueckhote était celui du Sénat ; nous nous connaissons et nous nous parlons depuis longtemps. Je connais sa conviction et je la respecte, car elle est estimable.

La raison supérieure du respect de la parole donnée est l'un des éléments qui créent les conditions d'un destin apaisé en Nouvelle-Calédonie. Celui-ci sera défini et décidé par les Calédoniens, et par eux seuls ; il pourra se poursuivre, le moment venu, au sein de la République. Mesdames, messieurs les sénateurs, rien de ce que vous déciderez aujourd'hui ne s'oppose à cet équilibre entre le maintien du consensus et le choix des Calédoniens à construire leur propre avenir.

Le Chef de l'État s'était engagé à ce que cette question soit traitée avant la fin de ce quinquennat. Le Gouvernement tient aujourd'hui, devant vous, cet engagement solennel.

C'est notre devoir, et c'est ma responsabilité en tant que ministre de l'outre-mer.

C'est donc avec beaucoup de conviction et une grande espérance pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie que je vous invite à adopter conforme ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur de nombreuses travées de l'UMP, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF, du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Nouvelle-Calédonie est le deuxième territoire de la République le plus éloigné de la métropole, après Wallis-et-Futuna. Souvent, elle fascine, en raison de ses richesses naturelles exceptionnelles, de ses paysages - forêts, montagnes, lagons -, mais elle n'est pas toujours bien connue.

Au moment de revenir sur une question dont le Parlement a déjà discuté par deux fois depuis 1999, le prix du consensus retrouvé sur les institutions de la Nouvelle-Calédonie ne peut se mesurer sans un rappel de l'histoire récente : vous l'avez déjà fait, monsieur le ministre, mais la répétition est un acte de pédagogie.

La question du corps électoral prend en effet ses racines dans l'équilibre auquel sont parvenus les signataires des accords de Matignon et de Nouméa, mettant fin à des années d'instabilité et de violence.

Je rappelle que la Nouvelle-Calédonie est devenue un territoire d'outre-mer en 1946. C'est d'ailleurs avec la loi du 7 mai 1946 tendant à proclamer citoyens tous les ressortissants des territoires d'outre-mer que les Mélanésiens ont accédé au droit de vote.

Dès les années soixante-dix, le développement de la production de nickel a attiré de nouveaux arrivants.

Dans ce contexte, au cours de la seconde moitié du XXe siècle s'affirme progressivement l'opposition de deux camps regroupant, d'une part, les personnes pour lesquelles l'évolution de l'archipel pourra s'accomplir dans le cadre de la République française et, d'autre part, celles pour lesquelles l'affirmation de la souveraineté et de l'indépendance est indispensable. Il doit également être tenu compte de la situation géopolitique de la région.

Alors que les camps loyaliste et indépendantiste s'opposent, l'instabilité institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie s'accentue dans les années quatre-vingt : entre 1946 et 1988, l'archipel connaît huit statuts différents, dont quatre entre 1984 et 1988.

La Nouvelle-Calédonie se retrouve peu à peu dans une situation voisine de la guerre civile, dont le paroxysme est atteint le 22 avril 1988, lors de la tragédie d'Ouvéa.

Pour mettre fin aux violences, le premier ministre de l'époque, Michel Rocard, engage des négociations. Ainsi, en 1988, pour ramener la paix civile en Nouvelle-Calédonie, des hommes ont fait prévaloir ce qui les rassemblait sur ce qui les séparait. Pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, ils ont surmonté leurs antagonismes. Ils ont imaginé les voies et moyens d'un destin commun à toutes les communautés de l'archipel.

Au premier rang de ces hommes, les négociateurs des accords de Matignon, figurent, bien sûr, Jacques Lafleur et Pierre Frogier, ainsi que Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné, tous deux assassinés en 1989. Je veux ici leur rendre hommage.

Les négociations ont bénéficié de la garantie d'impartialité de l'État, qui s'est appuyé, à cette fin, sur des fonctionnaires d'exception. Je ne les citerai pas ; nombre d'entre vous, mes chers collègues, les connaissent. Ces négociations ont, en outre, respecté la tradition d'équilibre des échanges, qui est au coeur de la culture kanak.

Les accords de Matignon fixent le principe d'une consultation sur l'autodétermination à échéance de dix ans et définissent une nouvelle organisation institutionnelle. Approuvés à 80 % lors du référendum national du 6 novembre 1988, ils apportent un nouvel équilibre à la Nouvelle-Calédonie.

De ce fait, au début des années quatre-vingt-dix, alors qu'approche l'échéance fixée par les accords, Jacques Lafleur propose que soit à nouveau recherchée une « solution consensuelle ». Le Gouvernement et le Front de libération nationale kanak et socialiste, le FLNKS, se rallient à cette idée et s'accordent sur la nécessité de repousser la consultation sur l'autodétermination, susceptible de raviver les antagonismes.

C'est ainsi qu'est signé, le 5 mai 1998, l'accord de Nouméa, qui détermine, pour une période transitoire de quinze à vingt ans, l'organisation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, les modalités de son émancipation et les voies de son rééquilibrage économique et social.

Je salue d'ailleurs les signataires de cet accord qui sont présents aujourd'hui, tant dans cet hémicycle que dans les tribunes, et, en premier lieu, notre collègue Simon Loueckhote.

Lors de la mission d'information que Christian Cointat, Simon Sutour et moi-même avons effectuée sur place voilà trois ans, nous avons pu constater que les institutions issues de l'accord de Nouméa fonctionnaient.

Comment cet accord fondamental a-t-il consolidé la stabilité de l'archipel ? Son préambule établit la nécessité de « poser les bases d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, permettant au peuple d'origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun ».

L'accord comporte plusieurs innovations juridiques. Il reconnaît une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie au sein de la nationalité française. Il définit un contrat social entre toutes les communautés, en faisant une large place à l'identité kanak. Il prévoit que le congrès de Nouvelle-Calédonie puisse adopter des lois du pays, intervenant dans le domaine législatif.

Ces innovations ont impliqué une révision de la Constitution, mise en oeuvre par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998.

L'accord de Nouméa est ensuite largement approuvé par la population de l'archipel lors de la consultation du 8 novembre 1998, le « oui » recueillant 72 % des suffrages exprimés.

La reconnaissance d'une citoyenneté propre à la Nouvelle-Calédonie, qui fonde la définition d'un corps électoral restreint, était une revendication ancienne du mouvement indépendantiste.

Dès la signature des accords de Matignon en 1988, l'État, le Rassemblement pour la Calédonie dans la République, ou RPCR, et le FLNKS conviennent que les « populations intéressées » à l'avenir du territoire seront seules autorisées à se prononcer lors des scrutins déterminants pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, c'est-à-dire lors non seulement du scrutin d'autodétermination, mais aussi des élections aux assemblées des provinces et au congrès. Monsieur le ministre, j'insiste, comme vous, sur cet aspect des accords de Matignon. Les « populations intéressées » sont celles qui justifient d'une implantation ancienne et solide dans l'archipel.

L'accord de Nouméa reprend cet objectif, non mis en oeuvre en 1988 en raison de l'obstacle constitutionnel à la restriction du corps électoral. Il stipule que, conformément au « texte signé de Matignon, le corps électoral aux assemblées des provinces et au congrès sera restreint ». On ne peut pas être plus clair !

La définition du corps électoral pour la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté et pour les élections provinciales est donc un point essentiel de l'équilibre défini par le processus de Nouméa et exprime une continuité avec les accords de Matignon.

L'article 77 de la Constitution permet au législateur organique de définir la nouvelle organisation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, conformément aux orientations de l'accord de Nouméa.

La loi organique du 19 mars 1999 définit, par conséquent, trois listes électorales distinctes qui, dans leur principe, n'ont jamais été remises en cause : la liste électorale pour les scrutins européens, nationaux et municipaux, qui comprend tous les citoyens français inscrits sur les listes électorales de droit commun en Nouvelle-Calédonie ; la liste électorale pour la ou les consultations sur l'accession à la pleine souveraineté qui interviendront entre 2014 et 2018, cette liste comprenant, notamment, les personnes qui ont pu participer à la consultation du 8 novembre 1998, c'est-à-dire celles qui étaient déjà installées à cette date depuis dix ans dans l'archipel, et les personnes justifiant d'une durée de vingt ans de domicile en Nouvelle-Calédonie ; enfin, la liste électorale spéciale pour les élections au congrès et aux assemblées des provinces. Définie à l'article 188 de la loi organique en des termes très proches de l'accord de Nouméa, cette dernière liste comprend les personnes remplissant les conditions pour participer à la consultation du 8 novembre 1998, les personnes inscrites sur le tableau annexe et domiciliées depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection et les personnes ayant atteint la majorité après le 31 octobre 1998 et qui, soit justifient de dix ans de domicile en Nouvelle-Calédonie en 1998, soit ont un parent qui était électeur à la consultation de 1998, soit ont un parent inscrit au tableau annexe.

Le tableau annexe - cela n'a pas été très bien compris par certaines institutions - est un document qui dresse la liste des personnes satisfaisant aux conditions générales pour être électeurs mais ne remplissant pas les conditions particulières pour participer au scrutin considéré. Si cela paraît clair, cela ne l'est pas forcément pour certains !

Le Conseil constitutionnel a jugé que le tableau annexe visé à l'article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie était celui qui intègre chaque année les nationaux français, au fil de leur arrivée en Nouvelle-Calédonie, que la date de leur établissement dans l'archipel soit antérieure ou postérieure au 8 novembre 1998.

Il définit donc un corps électoral glissant, puisque progressivement, dès qu'elles peuvent justifier de dix ans de résidence dans l'archipel, les personnes quittent le tableau annexe pour entrer dans le corps électoral spécial.

Cette interprétation n'était pas celle qu'a retenue le législateur organique et ne correspond ni aux accords de Matignon ni à l'accord de Nouméa.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il suffit, pour s'en convaincre, de relire les travaux parlementaires de l'époque, qu'il s'agisse du rapport de notre collègue député René Dosière ou de mon propre rapport.

Le tableau annexe devait s'entendre comme étant celui qui a été établi pour la consultation du 8 novembre 1998, comprenant donc les électeurs non admis à participer à cette consultation.

Cette seconde interprétation vise, par conséquent, un corps électoral figé, cristallisé, ne pouvant intégrer les personnes arrivées après la consultation de 1998.

Après la décision du Conseil constitutionnel, qui nous avait surpris à l'époque, une modification de la Constitution fut très rapidement engagée, afin de préciser la nature du tableau annexe visé à l'article 188.

Adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées aux mois de juin et d'octobre 1999, le projet de loi constitutionnelle concernait, à titre principal, la Polynésie française. Je rappelle que le Sénat avait adopté par 306 voix contre 7 l'article 1er du projet de loi constitutionnelle qui portait sur le corps électoral, et par 310 voix contre 3 l'ensemble du texte.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le Parlement fut convoqué en Congrès, avant que cette réunion ne soit ajournée, pour des raisons extérieures au texte sur la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie. Vous avez déjà rappelé, monsieur le ministre, les raisons pour lesquelles les parlementaires ne furent pas réunis en Congrès, et je ne reviendrai donc pas sur ce point.

Depuis, la Polynésie française a reçu un statut d'autonomie rendant sans objet le projet de loi de révision de 1999.

C'est pourquoi nous sommes à nouveau saisis d'un texte relatif au corps électoral appelé à élire les assemblées des provinces et le congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Des années se sont écoulées depuis 1999, et l'on peut regretter que la divergence d'interprétation entre le législateur et le juge constitutionnel n'ait pas pu être réglée plus tôt. Mais ce temps écoulé nous a permis de nous assurer que la définition d'un corps électoral restreint pour les élections provinciales était compatible avec les engagements internationaux de la France, en particulier avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. C'est ce qu'a établi la Cour de Strasbourg dans son arrêt Py contre France, au mois de janvier 2005.

Surtout, au-delà de l'ambiguïté des textes évoquée par certains, il est temps d'inscrire dans notre Constitution une disposition interprétative respectant l'esprit de l'accord de Nouméa. Il est temps de le faire aujourd'hui, parce que la différence d'interprétation n'a pas encore eu d'impact sur le corps électoral. Elle n'en aurait eu qu'à partir du scrutin de 2009, lorsque les personnes arrivées après 1998 auraient atteint la durée de résidence de dix ans.

Rappelons d'ailleurs que l'enjeu présent est le corps électoral pour les élections des assemblées des provinces et du congrès, qui interviendront en 2009 et en 2014.

Le dispositif dont nous discutons est, en effet, de nature transitoire. Il prendra fin à l'issue du processus défini par l'accord de Nouméa, c'est-à-dire entre 2014 et 2019.

À ce moment-là, soit les populations intéressées voteront l'accession à la pleine souveraineté, soit une nouvelle organisation devra être mise en place, avec une redéfinition de la citoyenneté calédonienne. (M. Jean-Luc Mélenchon acquiesce.)

C'est l'esprit, et même la logique, de l'accord de Nouméa, qu'il s'agit de rétablir.

Pourquoi, en effet, l'accord et la loi organique préciseraient-ils que les électeurs de la consultation de 1998 peuvent participer aux élections provinciales, s'il s'agissait seulement de satisfaire une condition de résidence de dix ans, quelle que soit la date d'arrivée dans l'archipel ? Le texte est incompréhensible s'il ne vise pas un corps électoral gelé.

La cristallisation du corps électoral n'aura d'ailleurs qu'une incidence limitée sur les effectifs de la liste électorale spéciale. La réduction du nombre d'électeurs admis à participer aux élections provinciales du fait du gel du corps électoral concernera 712 électeurs pour le scrutin de 2009 et 4 722 pour celui de 2014.

Le projet de loi constitutionnelle qui nous est présenté reprend le texte de la loi organique, en l'améliorant et en tenant compte des observations formulées à l'époque par le Sénat, notamment par notre excellent collègue Lucien Lanier. (M. le ministre acquiesce.) L'Assemblée nationale a apporté au texte quelques précisions rédactionnelles tout à fait opportunes.

Mes chers collègues, ceux d'entre vous qui ne sont pas au fait de tout l'historique des accords de Matignon et de Nouméa pensent-ils franchement que le Président de la République, par deux fois, les assemblées, par deux fois, deux premiers ministres se soient trompés à ce point sur l'interprétation d'un texte qui constitue un engagement de l'État ? Pour ma part, tel n'est pas mon sentiment. Le Sénat ne l'a pas cru non plus, que ce soit en 1999 ou avant. C'est pourquoi je vous invite à adopter le projet de loi constitutionnelle, sans modification.

Je voudrais terminer cette intervention en formant le voeu qu'une fois ce texte adopté les parties en présence retrouvent, avec l'appui de l'État, la voie d'un dialogue apaisé et constructif. Monsieur le ministre, je vous remercie de la part que vous prenez à l'établissement et à la poursuite de ce dialogue, dont l'enjeu essentiel est le destin de la Nouvelle-Calédonie et son ancrage dans la République.

Au sein de l'ensemble mélanésien, dans le Pacifique Sud, la Nouvelle-Calédonie constitue aujourd'hui un pôle de stabilité, alors que d'autres îles sont encore marquées par des troubles politiques.

Renforcée par le dialogue et la stabilité, la Nouvelle-Calédonie pourra affronter les défis de l'avenir. Terre de diversité et d'échanges, elle mérite les efforts que nous pourrons consentir, afin d'assurer cet avenir. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP et du groupe socialiste, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 48 minutes ;

Groupe socialiste, 31 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Louis Le Pensec. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Louis Le Pensec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après le vote de l'Assemblée nationale le 13 décembre dernier, le Sénat est aujourd'hui saisi d'un projet de loi constitutionnelle complétant l'article 77 de la Constitution, pour rétablir l'interprétation conforme à l'accord de Nouméa de la définition du corps électoral de la Nouvelle-Calédonie pour les élections propres à cette collectivité, compte tenu de l'interprétation restrictive du Conseil constitutionnel.

C'est un moment important pour la Nouvelle-Calédonie, comme l'atteste la présence dans les tribunes d'un nombreux public, et je salue en particulier l'imposante délégation du FLNKS, qui compte en son sein certains acteurs de ces événements.

C'est, disais-je, un moment important pour la Nouvelle-Calédonie : si le texte qui nous est soumis ne bouleverse pas l'état du droit - il ne modifie qu'à la marge la définition de ce corps électoral -, il est cependant un test de la capacité de l'État à respecter ses engagements et à être fidèle à l'esprit des accords politiques successifs qui ont établi la paix en Nouvelle-Calédonie.

Je n'expliquerai pas ce qu'est l'accord de Nouméa ; d'autres l'ont fait, notamment M. Jean-Jacques Hyest, dans son excellent rapport, éclairé par son implication personnelle dans tout le processus législatif et constitutionnel de cet accord depuis 1998, ou le feront mieux que moi.

Je dirai en revanche à cette tribune d'où vient l'accord de Nouméa.

Il y a, en effet, comme cela a été dit, une continuité entre les accords de Matignon, signés le 26 juin 1988 par Jean-Marie Tjibaou, dont je salue la haute mémoire, Michel Rocard et Jacques Lafleur, et l'accord de Nouméa, signé dix ans plus tard par Lionel Jospin, Jacques Lafleur et Rock Wamytan.

Puisque la confiance dont m'ont honoré tant le Président François Mitterrand que le Premier ministre Michel Rocard m'a valu, comme ministre de l'outre-mer, de mener la négociation des accords dits d'Oudinot, qui ont précisé les accords de Matignon en vue du référendum du 6 novembre 1988, par lequel le peuple français a approuvé ces derniers, et de veiller ensuite, pendant cinq années, rue Oudinot, à leur bonne application, je veux porter témoignage des conditions dans lesquelles ces discussions ont abouti et dire les conséquences que j'en tire pour notre débat d'aujourd'hui.

Près de vingt ans après, il faut en effet se souvenir de la situation dans laquelle était la Nouvelle-Calédonie au moment où Michel Rocard a pris la responsabilité de chef du gouvernement, non, certes, pour juger avec les yeux d'aujourd'hui les comportements d'hier, encore moins pour régler des comptes politiques, mais parce que savoir d'où l'on vient est indispensable pour éviter de commettre aujourd'hui des erreurs qui conduiraient à revenir en arrière, ce qui n'est jamais exclu dans l'histoire.

M. Louis Le Pensec. Dans sa Lettre à tous les Français, écrite pour l'élection présidentielle de 1988, François Mitterrand notait justement ceci : « La Nouvelle-Calédonie avance dans la nuit, se cogne aux murs, se blesse. La crise dont elle souffre rassemble, en miniature, toutes les composantes du drame colonial. Il est temps d'en sortir. Je forme des voeux pour que les communautés en présence évitent le piège d'un affrontement, ces prochaines semaines. Ensuite, j'userai du pouvoir que vous me confierez pour que l'histoire de France, à l'autre bout du monde, retrouve sa vieille sagesse. »

La Nouvelle-Calédonie a retrouvé la sagesse, juste avant le précipice qui l'aurait plongée dans une guerre civile terrible, dans laquelle elle aurait compromis pour longtemps son avenir, et la France, son honneur.

Rappelons-nous un instant les heurts, les barrages, les assassinats, les institutions politiques impuissantes, le tissu social qui se défait, la peur, la défiance, la vengeance qui se répandent partout, et le paroxysme d'Ouvéa, en pleine campagne présidentielle : des gendarmes pris en otage et tués, des commandos de guerre envoyés sur place, de nombreuses victimes parmi les Kanak. Était-ce cela, la France, en 1988 ?

Cette situation était le résultat d'erreurs politiques récentes sur lesquelles je ne reviendrai pas. Elle était sans doute plus fondamentalement la conséquence de causes plus lointaines et permanentes : le refus de reconnaître la population mélanésienne, le non-respect de la parole donnée au nom de la France dans plusieurs moments clés et un bouleversement démographique au détriment du peuple d'origine constaté sinon organisé.

Si certaines de ces causes n'étaient pas propres à la Nouvelle-Calédonie et s'étaient retrouvées dans d'autres situations issues de la colonisation, force est de reconnaître que la situation en Nouvelle-Calédonie était particulièrement grave : une culture riche et rare niée par l'irruption d'un modèle opposé, conduisant, par exemple, à une dépossession foncière de grande ampleur et traumatisante pour un peuple issu de la terre, une promesse d'autonomie remise en cause quand l'enjeu économique du nickel triomphant a paru la rendre risquée, un poids démographique des Kanak devenu minoritaire, et menaçant de l'être chaque année davantage, du fait de l'immigration de nationalité française, européenne ou océanienne.

Imagine-t-on le sentiment des Kanak à la suite de cette négation de leur culture et de leur identité, qui paraissait ne leur offrir pour seule perspective, à terme, que le sort de minorités plus ou moins bien protégées, comme les Indiens d'Amérique du Nord ou les Aborigènes d'Australie ?

La question démographique est donc centrale dans le débat calédonien.

Les accords de Matignon ont engagé la Nouvelle-Calédonie dans des voies à l'opposé de ces évolutions, qui ne pouvaient déboucher que sur l'impasse et le drame.

Tout d'abord, l'identité et la culture kanak ont été reconnues, et cette communauté a bénéficié d'un important rééquilibrage pour la formation et l'économie.

Par ailleurs, l'organisation institutionnelle a donné l'essentiel des pouvoirs aux assemblées locales et à leurs exécutifs élus, notamment à trois provinces.

Enfin, le principe a été posé d'une limitation du corps électoral pour certains scrutins.

Je citerai à mon tour les accords de Matignon, très précis sur ce point : « Les électeurs et les électrices de Nouvelle-Calédonie qui seront appelés à se prononcer sur ce projet de loi référendaire, ainsi que leurs descendants accédant à la majorité, constituent les populations intéressées à l'avenir du territoire. Ils seront donc seuls autorisés à participer jusqu'en 1998 aux scrutins qui détermineront cet avenir : scrutin pour les élections aux conseils de province et scrutin d'autodétermination. »

Il faut bien comprendre ce que ce texte veut dire, car les principes qu'il pose sont aussi ceux qui inspirent l'accord de Nouméa, et ils suffisent selon moi à dissiper les ambiguïtés supposées de celui-ci sur la question du corps électoral.

Le premier principe est que, puisqu'il n'est pas possible ni, sans doute, dans une large mesure, souhaitable de restreindre l'installation de personnes de nationalité française en Nouvelle-Calédonie, c'est leur droit de vote qui sera restreint. Ceux qui, faute d'une durée de résidence suffisante, ne pourront établir leur attachement à la Nouvelle-Calédonie ne pourront participer aux décisions politiques la concernant fondamentalement.

C'est la condition pour que ceux qui ont un lien fort avec la Nouvelle-Calédonie ne soient pas dépossédés du pouvoir politique et social par le vote de citoyens français de passage.

Le deuxième principe posé est que ceux qui auront le droit de voter pour les scrutins ayant une incidence importante pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie seront ceux qui sont présents au moment de l'adoption des accords de Matignon.

À ce moment, les électeurs inscrits en Nouvelle-Calédonie ont conclu, en quelque sorte, un contrat politique, qui est aussi social et moral, pour toute la durée des accords. Ce sont eux qui en sont partie. Les personnes qui s'installeront ensuite, que l'on ne connaît pas, qui ne sont pas partie à l'accord, n'acquerront pas ce droit de vote pendant la durée de l'accord.

Le troisième principe est que l'on distingue les scrutins qui ont une incidence sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie de ceux qui n'en ont pas, soit parce qu'ils ont une incidence nationale, soit parce qu'ils ont une incidence seulement locale.

Le référendum d'autodétermination qui était prévu en 1998 était naturellement un scrutin d'une importance décisive pour la Nouvelle-Calédonie. Seuls les électeurs présents en 1988 pourraient donc voter. Ils constitueraient les « populations intéressées » au sens de l'article 53 de la Constitution, prévoyant une restriction du corps électoral à ces populations pour un tel scrutin.

Toutefois, le scrutin d'autodétermination n'était pas le seul qui, pour reprendre la formule des accords, détermine l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Tel était aussi le cas des élections aux conseils de province et au congrès - les mêmes, pourrais-je dire, puisque les membres du congrès sont aussi ceux des assemblées des provinces : tous, à l'époque, seulement une partie aujourd'hui - pour la raison que les grandes compétences de ces institutions locales leur permettent de voter des textes déterminants pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Au contraire, le corps électoral n'est restreint ni pour les élections nationales ou européennes ni pour les élections communales. Aucune disposition de la Constitution ne permettant alors de restreindre le corps électoral pour des élections locales, cette disposition des accords de Matignon restreignant le corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées des provinces ne fut pas appliquée, faute de révision de la Constitution.

Tels sont les principes que je me suis efforcé de traduire le plus fidèlement possible dans les accords d'Oudinot, que j'ai négociés tout au long de l'été 1988, sous l'autorité du Premier ministre, avec Jean-Marie Tjibaou et Dick Ukeiwé, représentant Jacques Lafleur. Notre collègue Simon Loueckhote était également présent. C'est cet accord qui a validé le projet de loi soumis au référendum national du 6 novembre 1988 et détaillé les engagements des accords de Matignon pour permettre leur mise en oeuvre.

Pendant cinq années, ces accords - je peux l'attester, comme peut également le faire la commission des lois, qui m'auditionnait pratiquement chaque trimestre sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie - ont fonctionné et permis le rétablissement durable de la paix civile, l'accession des Calédoniens, en particulier d'un nombre croissant de Kanak, aux responsabilités, un effort considérable de formation notamment en faveur des groupes culturels et sociaux qui en bénéficiaient le moins, le développement d'activités nouvelles sur tout le territoire et un accroissement très sensible du nombre des équipements collectifs, ainsi qu'une meilleure répartition géographique de ceux-ci.

L'intuition de Jacques Lafleur quant au fait que la situation politique ne rendait pas utile l'organisation, en 1998, d'un référendum sur la question binaire de l'indépendance ou du maintien dans la République et que la recherche d'une solution consensuelle était bien préférable a ouvert la voie à l'accord de Nouméa après une longue et difficile négociation et la signature par Dominique Strauss-Kahn de l'accord de Bercy sur la métallurgie du nickel.

Tel est le témoignage que je voulais apporter sur cette période fondatrice, qui ne doit pas s'effacer trop tôt de notre mémoire.

L'accord de Nouméa a prolongé et a enrichi les accords de Matignon.

La limitation du corps électoral est devenue une conséquence de la définition de la citoyenneté calédonienne, qui comporte aussi des droits particuliers en matière d'accès au travail. Cette limitation s'étend aux scrutins aux assemblées des provinces et au congrès local, comme cela était prévu dès 1988, puisque, cette fois-ci, une révision de la Constitution l'a permis expressément. Le corps électoral limité accueille les électeurs présents en 1998, mais pas ceux qui sont arrivés après la conclusion de cet accord : ces derniers n'étant pas partie à l'accord ne pourront donc, pendant toute la durée de celui-ci, acquérir la citoyenneté calédonienne et ses attributs.

Une différence importante entre les accords est leur durée d'application. Celle de l'accord de Nouméa est de vingt ans, mais serait ramenée à quinze ans si les parties le décidaient de manière consensuelle. Cette durée plus longue a d'ailleurs été demandée par les non-indépendantistes, afin de stabiliser plus longtemps la situation politique en Nouvelle-Calédonie. Si elle a, de fait, pour effet de priver du droit de vote aux élections locales les personnes installées après l'accord de Nouméa pendant une durée double de celle qui a été prévue en 1988, elle ne peut avoir pour conséquence de modifier le principe cardinal des accords : ils sont conclus avec ceux qui sont présents en Nouvelle-Calédonie. Ceux qui arrivent ensuite ne peuvent être accueillis dans les mêmes conditions ; ils le seront éventuellement, dans des conditions à déterminer, dans la nouvelle organisation de la Nouvelle-Calédonie, qui résultera du référendum d'autodétermination.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'esprit des accords de Matignon s'est transmis à l'accord de Nouméa. Prenons garde de ne pas le perdre : il ne peut y avoir d'à-peu-près sur la question centrale de l'immigration en Nouvelle-Calédonie, et donc sur celle du droit de vote. Les accords de Matignon-Oudinot n'auraient pas été signés s'il avait été prévu que de nouveaux électeurs pourraient acquérir le droit de vote entre 1988 et 1998 en vue des scrutins déterminants pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

M. Louis Le Pensec. Je n'ai pas de doute que le même raisonnement vaut pour l'accord de Nouméa. Je n'imagine pas que ce dernier aurait pu être conclu si les parties concernées avaient admis, après sa signature, une irruption dans le corps électoral, pour les institutions locales spécifiques, d'un nombre inconnu de nouveaux électeurs arrivés après cet accord, alors même que, du fait des compétences croissantes qu'il aura à mettre en oeuvre, le congrès local jouera un rôle de plus en plus déterminant dans la préparation de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

L'interprétation des dispositions sur le corps électoral que le projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution fera prévaloir en la portant au niveau constitutionnel est donc bien la seule interprétation qui est cohérente avec les principes régissant les accords de Matignon, lesquels sont aussi ceux de l'accord de Nouméa.

Or, il n'y a pas d'autre voie, pour la Nouvelle-Calédonie, que l'application loyale et complète de ces accords. Ils forment un tout : toute modification substantielle, tout renoncement à l'une de leurs dispositions, toute tentative de renégociation anticipée ne peuvent apporter que l'insécurité juridique, le trouble politique et le risque économique.

Peut-être aurait-on pu en discuter plus ouvertement en Nouvelle-Calédonie, pour tenter de maintenir, sur ce sujet aussi, le consensus entre les partenaires des accords. Mais le calendrier électoral calédonien rendait sans doute cette discussion franche difficile, voire vaine. L'approche du dixième anniversaire de l'accord de Nouméa devrait conduire le nouveau gouvernement national à ouvrir des discussions qui, sans remettre cet accord en cause, permettraient d'en faire un bilan complet et d'engager à nouveau le débat, ce qui sera nécessaire avant même les élections locales de 2009, pour éviter que celles-ci ne soient marquées par une surenchère dangereuse.

Ce sont des perspectives que je crois raisonnables. En effet, le modeste rétablissement de la bonne interprétation de l'accord de Nouméa, auquel nous sommes aujourd'hui conviés, ne doit pas se conclure par le sentiment qu'il y a des vainqueurs et des vaincus. Disant cela, je m'adresse en particulier à notre collègue Simon Loueckhote, qui représente la Nouvelle-Calédonie dans notre assemblée avec l'engagement et la sincérité que nous lui reconnaissons tous : je tiens ici à l'assurer de mon estime et de mon amitié.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette rectification constitutionnelle, qui n'a que trop tardé, doit être opérée. Ce n'est pas le moment d'agir en fonction de perspectives électoralistes, ni à Nouméa ni à Paris.

Il faut donc d'abord refuser toute action en ce sens à Nouméa. En effet, chacun sait désormais comment nous en sommes arrivés à la situation actuelle et à la nécessité de rétablir l'interprétation correcte du corps électoral in extremis, à la fin de la législature : après la signature de l'accord, pour des raisons liées à la proximité des élections locales de 1999, certains craignaient que l'annonce selon laquelle le corps électoral était figé aux électeurs arrivés jusqu'en 1998 - c'est pourtant la logique suivie depuis les accords de Matignon -- ne leur fasse perdre des voix au profit des partis hostiles à l'accord.

Certains ont donc dit le contraire lors de la campagne électorale, affirmant que le corps électoral n'était pas figé et se réservant le droit de clarifier les choses plus tard.

Le temps de la clarification est aujourd'hui venu. Ceux qui espèrent à Nouméa, par une prise de position hostile à la révision, attirer les voix aux élections législatives des électeurs exclus du corps électoral figé font un calcul à courte vue. On ne renie pas l'accord de Nouméa, qui a fondé une paix durable, pour un désaccord, artificiel, sur la confirmation d'un simple ajustement.

M. Bernard Frimat. Très bien !

M. Louis Le Pensec. Il ne faut pas non plus accepter toute intention électoraliste à Paris. C'est la parole de la France qui est en jeu. Il faut donc résister à la tentation de se positionner en vue de prochaines échéances en s'affichant hostile ou réticent, tout en souhaitant que le texte soit voté par les autres, car on joue alors sur les deux tableaux.

M. Louis Le Pensec. Après le vote du Congrès, seul l'accord de Nouméa et, donc, la construction d'un destin commun en Nouvelle-Calédonie auront gagné à cette clarification.

La page du corps électoral enfin tournée, il faudra rapidement que tous les Calédoniens se retrouvent pour parler de tous les autres sujets qu'ils ont à traiter ensemble, afin que ces accords vivent toujours, non seulement dans leur lettre mais aussi dans leur esprit, en vue de préparer l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, lequel, même s'il est mieux engagé qu'il y a vingt ans, doit pourtant être construit continuellement avec vigilance.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour cette tâche toujours lourde mais ô combien exaltante, nous avons plus que jamais besoin du concours de tous en Nouvelle-Calédonie. C'est pour cette raison que notre groupe votera le projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du RDSE et de l'UC-UDF. - M. Jean-Paul Virapoullé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes donc appelés aujourd'hui à délibérer sur le projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution et visant à inscrire définitivement dans les tables de la loi les conséquences de l'application des accords de Matignon et de Nouméa.

Après les interventions de M. le ministre de l'outre-mer, de M. le président de la commission des lois et de M. Le Pensec, qui ont bien dessiné le paysage dans lequel s'inscrit ce projet, ont rappelé l'histoire de ce dernier et précisé les éléments justifiant les propositions qui nous sont faites aujourd'hui, je vais, au nom de l'UDF, qui n'a pas pris part à l'accord de Nouméa et ne participe pas aux responsabilités gouvernementales actuelles, présenter les raisons pour lesquelles nous voterons très clairement le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis, aujourd'hui, au Sénat, et, demain, au Congrès.

Si nous étudions l'évolution de la situation de la Nouvelle-Calédonie, depuis les accords de Matignon de 1988 jusqu'à aujourd'hui, nous pouvons faire un double constat.

Tout d'abord, les accords de Matignon, confirmés par l'accord de Nouméa, ont permis à la fois d'établir la paix civile en Nouvelle-Calédonie et d'instituer des règles stables de gouvernance de l'archipel. Ensuite, ils forment un ensemble de règles et de principes, d'observations et de projections dans l'avenir, qui est le résultat de concessions mutuelles. Bien entendu, ils laissent en suspens un certain nombre de principes constitutionnels et constituent des dérogations à ces derniers.

C'est justement au travers de ces deux idées que je voudrais formuler la position de notre groupe.

Premièrement, donc, les accords de Matignon et l'accord de Nouméa ont établi la paix civile, et c'est bien l'essentiel. Nous étions au bord de la guerre civile, des événements graves s'étaient produits. Avant que l'on aille trop loin, des hommes et des femmes ont décidé de se réunir et de discuter, pour étudier les moyens permettant d'éviter que l'inéluctable ne se produise. Ils en ont conclu que des concessions, de la part des uns et des autres, étaient nécessaires. Voilà d'ailleurs en quoi consistent, avant tout, ces accords : chacun a accepté de faire des concessions.

À cet égard, l'une des concessions essentielles porte, très naturellement, sur la constitution du corps électoral, qui devait finalement trancher pour ce qui concerne la vie de la Nouvelle-Calédonie et son devenir. Ainsi, un corps électoral spécifique a été institué tant pour voter aux élections provinciales que pour définir le statut ultime de ce territoire.

Ces concessions ont permis à l'ensemble des habitants de la Nouvelle-Calédonie de retrouver la volonté de vivre ensemble et de développer culturellement et économiquement le territoire. La constitution du corps électoral est un élément essentiel, intrinsèque de ces accords : sans une telle définition restrictive, il n'y a plus ni accords de Matignon ni accord de Nouméa. Le compromis sur la composition du corps électoral est constitutif de la paix civile. À mon sens, c'est un fait dont nous devons tenir compte et qu'il nous faut accepter.

Deuxièmement, ce corps électoral spécifique constitue, bien évidemment, une dérogation à un certain nombre de principes et de règles de nature constitutionnelle. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il a fait l'objet d'un texte et d'un accord spécifiques. La question que nous pouvons donc légitimement nous poser est la suivante : les dispositions constitutionnelles sont-elles supérieures à ces accords ?

Personnellement, je comprends parfaitement qu'un certain nombre de nos concitoyens vivant en Nouvelle-Calédonie éprouvent quelque tristesse à ne pas pouvoir participer à l'ensemble des scrutins concernant ce territoire. Mais, nous le savons, il a fallu tenir compte d'un impératif supérieur à tout autre, à savoir la préservation de la paix civile.

Cela étant, je le répète, la question est posée : cette définition restrictive du corps électoral pour les élections provinciales et pour la détermination du statut de la Nouvelle-Calédonie est-elle contraire à toutes nos règles constitutionnelles et à tous les principes juridiques ?

Lorsque l'on cherche des principes, il faut toujours retenir ceux qui sont véritablement fondateurs.

Pour moi, il en est un tout à fait fondateur, celui que les juristes des Lumières ont exprimé dans une maxime célèbre : Pacta sunt servanda. Cette dernière signifie que, lorsque l'on a donné sa parole, lorsque l'on a signé un accord, il n'y a pas d'autre voie légitime.

M. Jean-Luc Mélenchon. Ce n'est pas un argument ! Il ne s'agit pas d'un pays étranger !

M. Michel Mercier. Monsieur Mélenchon, le juriste Hans Kelsen visait non les pays étrangers, mais les conventions conclues entre les individus !

Je veux bien que vous sachiez tout et que vous interrompiez toujours tout le monde, mais, pour une fois, vous auriez gagné à vous taire ! (Sourires sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. Michel Mercier. Pour en revenir à ma démonstration, je considère que lorsque l'on a donné sa parole, il faut tout simplement la tenir, et rien d'autre. L'accord de Nouméa a conduit à la restauration de la paix civile, et l'État s'est engagé. Voilà deux raisons de voter ce projet de loi constitutionnelle. Si l'on veut que nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie aient une confiance quelconque dans la République, il faut que nous leur donnions l'occasion de constater que la République, lorsqu'elle a donné sa parole, la tient. Nous voterons donc le projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste. - M. Charles Revet applaudit également.)

M. Jean-Luc Mélenchon. La conclusion est bonne, mais vos raisons sont mauvaises !

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé.

M. Jean-Paul Virapoullé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe de l'UMP, je voudrais aujourd'hui porter témoignage devant vous, avec une certaine émotion, car, ce qui est en jeu, c'est la vie d'hommes et de femmes.

Modeste député, j'ai eu l'occasion, en 1986, aux côtés de Pierre Méhaignerie, de rencontrer, à Paris, les divers interlocuteurs. Originaire d'un département d'outre-mer, j'ai beaucoup souffert - je tiens à vous le dire - du drame calédonien.

J'ai souffert de voir cette société cloisonnée dans laquelle les populations d'origine kanak n'avaient pas encore les mêmes droits que les autres. J'ai souffert de voir que des gendarmes et des indépendantistes ont été tués. Peu importe, d'ailleurs, qu'ils aient été gendarmes ou indépendantistes : ce sont des êtres humains qui ont été tués ! Et tout cela en raison d'une incompréhension, d'une absence de dialogue et de tout sentiment de fraternité !

Je vous demanderai d'abord de ne pas confondre l'outre-mer dans un même ensemble.

Il y a, au sein de la République, plusieurs entités que l'on désigne sous le terme d'« outre-mer » : les départements français d'outre-mer, les collectivités sui generis, les territoires d'outre-mer, telles la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie.

Peu importe la nature juridique, ce qui certain, c'est qu'à chaque fois que la République a fait confiance à la volonté des populations de ces départements ou de ces territoires et l'a respectée, la paix en est résultée.

Personne n'a imposé à la Réunion, à la Martinique, à la Guadeloupe, à la Guyane, le statut de département français. Qu'il s'agisse de la désignation de nos représentants, du refus du congrès à la Réunion et en Guyane, ou du « non » opposé, par un vote démocratique, en Martinique et en Guadeloupe, à l'évolution institutionnelle proposée en 2003, nous avons choisi, lors de chaque vote, notre destin au sein de la République française. Par le biais de l'article 73 de la Constitution, nous avons voulu la voie de l'intégration adaptée.

En Nouvelle-Calédonie, après les événements douloureux, les Calédoniens, indépendantistes et loyalistes, se sont rencontrés, sous l'autorité de l'État. Jacques Lafleur y était, et Simon Loueckhote également.

Ensemble, vous avez dialogué pour construire la paix. Et vous n'avez pas fait un accord juridique. Lorsqu'il y a une guerre civile ou une guerre tout court, on ne fait pas d'accord juridique, on fait un accord politique. Et les accords de Matignon, que j'ai votés et dont, en tant que député, j'ai demandé la ratification par référendum, sont, d'abord, des accords politiques : on apprend à se parler et on prend des engagements. Ce sont des accords de réconciliation en faveur de la paix, de la fraternité et du progrès auxquels a droit la Nouvelle-Calédonie.

À partir du socle des accords de Matignon a été construit, en 1998, l'accord de Nouméa, qui renforce la paix et le dialogue.

Aujourd'hui, la date prévue pour le scrutin d'autodétermination ayant été différée à la demande de certaines parties aux accords, on nous dit qu'il faudrait peut-être revoir la composition du corps électoral.

Mon cher Simon Loueckhote, personne, et surtout pas moi, ne remet en cause la sincérité de votre interprétation. Mais, élu d'un département d'outre-mer, je sais que le soleil attise la sensibilité des caractères. (Sourires.) Je sais aussi que, dans un pays où une tension aussi forte a tout de même conduit à des morts d'hommes, vouloir aujourd'hui introduire dans le fruit de ces accords de Matignon et de Nouméa, durement conquis, le ver de la suspicion, du parti pris, de la discorde, de la tension, c'est remettre en cause la paix civile, la fraternité retrouvée, c'est remettre en cause ce décloisonnement progressif de la société calédonienne et son progrès économique. Il y a vingt ans, je le rappelle, le produit intérieur brut de la Nouvelle-Calédonie atteignait 50 % de celui de la métropole. Aujourd'hui, l'écart est réduit à 30 %.

Ces accords - je le dis ici avec beaucoup de conviction à nos amis de Nouvelle-Calédonie, qu'ils soient loyalistes ou indépendantistes - vont permettre à la Nouvelle-Calédonie d'atteindre une autonomie beaucoup plus forte que l'autonomie institutionnelle.

Vous voulez mieux gérer vos affaires vous-mêmes. C'est le propre de tout élu, qu'il soit élu de Bretagne, de la Réunion ou de Nouvelle-Calédonie. C'est vrai que la distance, l'histoire, celle de votre peuplement notamment, attisent cette volonté. Mais souvenez-vous que l'autonomie institutionnelle dépend également de la qualité des compétences que vous devez établir localement.

Ces accords sont bons parce qu'ils ont incité à la formation des hommes et parce qu'ils ont permis à ceux qui étaient exclus des responsabilités d'y accéder. Mais s'ils sont bons, c'est aussi parce qu'ils ont permis au temps de passer et aux vérités d'aujourd'hui d'éclairer la route de demain.

En 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, toutes les anciennes colonies criaient : « Vive l'indépendance ! », parce qu'elles y croyaient et voyaient en elle l'accession au bonheur absolu. Mais regardez le résultat aujourd'hui ! Regardez dans quel état se trouvent l'Afrique, Madagascar !

Que reste-t-il aujourd'hui de la notion d'indépendance, même pour un grand pays comme la France ?

Sommes-nous indépendants ? Non ! Nous sommes dépendants des directives communautaires. Nous sommes dépendants d'un ensemble communautaire auquel nous appartenons. Nous sommes dépendants des accords de l'Organisation mondiale du commerce ! Nous sommes dépendants des règles internationales et des accords que nous avons signés. L'indépendance absolue n'existe pas !

Quand vous aurez conquis votre souveraineté, si vous le souhaitez, vous serez, sachez-le, les appâts de puissances nouvelles qui ne sont pas, elles, les nations des droits de l'homme, celles qui protègent les plus faibles, celles qui ont su, comme notre nation, marquer, à travers l'histoire, par leur Constitution, le respect des droits de l'homme. Vous serez les otages de nouvelles puissances, qui seront plus soucieuses du nickel néo-calédonien que des droits des Calédoniens.

C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, le groupe de l'UMP va voter cette réforme. Ce n'est pas un vote de résignation, parce que nous avons confiance en la Nouvelle-Calédonie et dans les Calédoniens.

Nous le savons et nous le souhaitons : de la souffrance de l'histoire, vous voulez tirer, demain, une nation unie, réconciliée et prospère au sein de la République française.

Notre vote est un vote de confiance. C'est aussi un vote de paix, un vote de fraternité.

Comment des accords politiques aussi importants que ceux de Matignon et de Nouméa pourraient-ils souffrir aujourd'hui un soupçon de légitimité, alors que les votes de demain, ceux de 2013 et de 2014, permettront à la Nouvelle-Calédonie de choisir son destin ? N'introduisons pas dans ces votes une contestation quant à la composition du corps électoral qui risquerait de faire renaître des tensions dont des vies humaines ont déjà été les victimes !

Confiance, paix et fraternité, tel est le sens du vote du groupe de l'UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.

M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est un problème difficile qu'évoque votre projet de loi constitutionnelle.

Il arrive souvent que les textes portant sur des problèmes difficiles soient réglés à l'unanimité ou à la quasi-unanimité. Je pense, notamment, aux votes concernant les adhésions à l'Union européenne que nous devons émettre dans une belle unanimité avant de constater, finalement, que le trouble nous gagne et que nous ne sommes pas toujours très convaincus de notre vote.

Ce trouble, on peut l'imaginer aux antipodes. On peut ainsi comprendre le trouble de la population européenne. Imaginons ces compatriotes, qui pensent à ce qui se passe aujourd'hui dans cet hémicycle, à 18 000 kilomètres d'eux. Ils se demandent ce que nous allons faire et si l'expression de leurs droits  ne va pas être réduite à la portion congrue. Il y a là un problème qui nous interpelle.

Mais on peut penser aussi au trouble de la communauté mélanésienne, qui a vocation - et c'est le produit de l'histoire depuis vingt ans - à faire valoir ses droits historiques.

Si ce problème est difficile, il nous appartient donc de remercier ceux, qui, voilà vingt ans, comme l'ont rappelé Louis Le Pensec et Jean-Jacques Hyest, se sont attelés à cette tâche. Nous nous devons aujourd'hui de rendre hommage à Michel Rocard, à Jacques Lafleur, à Jean-Marie Tjibaou et à tous les autres. Tous ces noms résonnent, tous ces événements nous interpellent, et on ne peut que se réjouir de la coexistence pacifique qui s'est établie, depuis six ou huit ans, en Nouvelle-Calédonie.

On connaît la suite. L'article 7 des accords de Matignon disposait que, lors d'un éventuel scrutin d'autodétermination, il y aurait un corps électoral particulier.

En 1998, Jacques Lafleur déclare que c'est trop tôt et que le processus doit se poursuivre. Cela aboutit à l'accord de Nouméa.

Puis, le Conseil constitutionnel interprète le concept de corps électoral à sa manière, c'est-à-dire d'une manière restrictive : il fait prévaloir la théorie du corps électoral « glissant » par rapport à celle du corps électoral « gelé ».

Nous sommes là, aujourd'hui - et c'est l'aspect juridique du problème -, pour contredire le Conseil constitutionnel et pour revenir, s'agissant du corps électoral, à la première lecture, celle qui a été faite par le Parlement en 1999 mais qui n'a pas été conduite à son terme, la réunion du Parlement en Congrès ayant été ajournée. Il nous faut revenir aux éléments fondateurs, c'est-à-dire à un corps électoral non plus glissant, mais gelé.

Le Conseil constitutionnel a assumé sa fonction, il ne pouvait aller au-delà : il s'est prononcé, comme il le devait. Le Parlement, de son côté, dans l'expression de sa souveraineté, se doit de procéder à une réforme constitutionnelle. Il reprend ses droits et il met un terme à l'expression juridique du Conseil constitutionnel.

Sur le plan juridique, nous sommes évidemment troublés : un certain nombre de questions nous interpellent.

Nous comprenons l'état d'esprit de la communauté européenne : elle serait partiellement amputée de ses droits légitimes, tandis que la communauté mélanésienne bénéficierait d'un double statut positif, même si cela reste marginal par rapport à l'importance et à la portée du problème sur le plan historique. En tout cas, c'est bien cette contradiction qu'il s'agit de surmonter.

Au-delà des considérations juridiques, au-delà du droit constitutionnel tel qu'on le considère dans les facultés de droit se pose un problème politique qui demeure, un noeud que nous devons trancher.

Nous revenons ici au thème qu'évoquait à l'instant Michel Mercier : le concept de la parole donnée. La parole de l'État est engagée dans ce contrat passé entre deux communautés. La confiance est un sentiment qui se construit chaque jour, qui s'acquiert en permanence. Il ne faudrait pas, à un moment donné, qu'un trouble quelconque vienne perturber cette confiance. Le sentiment doit s'en pérenniser. La parole donnée doit donc être respectée. Il y va de la parole de la France.

C'est avec précaution que je parle de « la France ». Nous nous trouvons en effet dans une situation juridique originale. Deux partenaires sont en présence, qui sont à la fois différents et semblables : deux partenaires qui forment « la France ».

En ce qui concerne la position de mon groupe, je ne m'étendrai pas plus longtemps, le temps presse. Je dirai simplement que le groupe du RDSE votera le projet de loi constitutionnelle.

N'a-t-on pas dit : « Les hommes font leur histoire, même s'ils ne savent pas l'histoire qu'ils font » ? En achevant cette intervention, je forme le voeu que nous fassions mentir cette formule en plaçant tout notre espoir en des relations pacifiques et humaines.

Dans cette hypothèse, le scénario catastrophe qui s'ébauche dans l'esprit de quelques-uns de nos compatriotes ne se réalisera pas. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous m'autoriserez à apporter une voix quelque peu dissonante au sein de cet unanimisme.

Le texte qui nous est soumis ce soir n'est pas un texte ordinaire, me semble-t-il, et vous le reconnaissez vous-même, puisqu'il touche aux conditions même de l'exercice de la citoyenneté.

Si cette révision va à son terme, des citoyens français seront définitivement privés, pour certaines élections seulement certes, de leur droit de suffrage sur le sol de France.

C'est la raison pour laquelle il me paraît nécessaire, sans remettre en cause ni les accords de Matignon ni l'accord de Nouméa, d'examiner soigneusement ce projet de révision au regard de trois questions essentielles : le gel du corps électoral pour les élections provinciales territoriales était-il vraiment dans l'accord de Nouméa ? Ce projet est-il conforme à nos principes juridiques ? Ce projet est-il légitime ; respecte-t-il notre modèle civique ?

L'accord de Nouméa prévoit-il le gel du corps électoral ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je l'ai prouvé !

M. Bruno Retailleau. La réponse me semble moins évidente que ce que vous nous avez affirmé, monsieur le rapporteur.

En fait, le point 5 du préambule de cet accord ne laisse aucun doute puisqu'il y figure que « le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie sera restreint aux personnes établies depuis une certaine durée ».

L'intérêt de la langue française est qu'elle est précise. La définition ici retenue est bien celle d'un corps électoral glissant. Elle permet à chaque citoyen français vivant depuis « une certaine durée » en Nouvelle-Calédonie de voter aux élections des assemblées de province.

Cette interprétation est d'ailleurs celle qu'a retenue le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 mars 1999. Objectivement, la lettre est tellement claire qu'il ne pouvait en être autrement.

Face à cette jurisprudence rigoureuse, vous justifiez cette révision de la Constitution en affirmant que le Conseil constitutionnel n'a pas respecté l'esprit de cet accord et s'en est tenu à une lecture trop littérale. Je le répète, les travaux parlementaires de l'époque ainsi que les déclarations des principaux signataires de cet accord vous contredisent.

Ainsi, lors de son audition par la commission des lois de l'Assemblée nationale, le secrétaire d'État à l'outre-mer, Jean-Jack Queyranne, indiquait, comme il l'avait toujours fait savoir au cours des négociations, qu'il lui paraissait légitime que l'on puisse, après dix ans de présence en Nouvelle-Calédonie, voter aux élections provinciales.

De même, les trois parlementaires néo-calédoniens, les députés Jacques Lafleur et Pierre Frogier ainsi que le sénateur Simon Loueckhote, qui ont participé à la négociation de l'accord de Nouméa, affirment sans ambiguïté que l'esprit de ce dernier était bien d'établir un corps électoral glissant.

Je trouve quelque peu étrange l'attitude du Gouvernement, qui balaie d'un revers de main la voix avisée et unanime de tous les parlementaires de la Nouvelle-Calédonie.

Monsieur le ministre, la révision que vous nous demandez d'adopter ne peut en aucun cas être légitimée par l'accord de Nouméa.

Cette révision constitutionnelle est-elle acceptable au regard de nos principes juridiques ? C'est peu que de le nier.

Tout d'abord, cette révision est en opposition avec le principe de l'universalité du suffrage, selon lequel un homme égale une voix. Ce principe, qui figure à l'article 3 de la Constitution, n'est pas une petite chose : c'est le coeur même de la Constitution. Il constitue, pourrait-on dire, l'ADN de notre démocratie.

En vertu du gel du corps électoral que vous nous proposez, un Français, électeur à toutes les élections en métropole, pourrait être en situation de se voir privé, une fois pour toutes, de son droit de vote aux élections provinciales de Nouvelle-Calédonie.

Cela signifie aussi qu'après le 8 novembre 2008 il n'y aura plus d'autre moyen d'accéder au droit de suffrage pour ces élections que l'héritage : il faudra être né de parents citoyens calédoniens.

Ainsi, on instaure en France le droit du sang. Il est d'ailleurs assez paradoxal que ce soit ceux qui sont le plus farouchement opposés au droit du sang, ceux qui sont les plus chauds partisans du droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales...

M. Bruno Retailleau.... qui approuvent cette aberration juridique.

Monsieur le ministre, cette réforme ne se contente pas de tordre le cou au principe d'universalité du suffrage, elle viole aussi le principe républicain d'égalité, en créant une citoyenneté au rabais à côté d'une citoyenneté de plein exercice, pour un motif que l'on dit de « domiciliation », mais qui tient en réalité aux origines.

Dès lors, que dire d'une Constitution qui autoriserait un maltais à voter aux élections municipales marseillaises, mais qui interdirait à un citoyen français de voter sur une partie du territoire français lors d'élections territoriales ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Je l'expliquerai tout à l'heure.

M. Bruno Retailleau. Pour en finir avec la question des principes juridiques, je voudrais ajouter deux remarques.

Vous nous dites, en quelque sorte : « Que valent les principes abstraits face aux situations concrètes ? »

Je ferai observer que cette critique n'est pas nouvelle. Elle est née au XIXe siècle, sous l'impulsion de Karl Marx. (Sourires.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais que vient faire Karl Marx ici ?

M. Bruno Retailleau. Elle a par la suite prospéré, vous vous en souvenez, sous la forme de l'opposition entre droits formels et droits réels. Nous avons su depuis ce que valait cette dialectique.

On voudrait, par ailleurs, minimiser la portée de cette réforme en suggérant que, finalement, le gel du corps électoral correspondrait, à peu de chose près, au corps électoral glissant.

Rien n'est moins vrai. La différence est énorme : dans un cas, il s'agit d'une exclusion provisoire, dans l'autre, d'une exclusion définitive du corps électoral.

Ce qui est en question, ce n'est donc pas une simple différence de degré, c'est une différence de nature. Soyons clairs sur ce point.

Enfin, ce projet est-il légitime au regard de notre modèle civique ?

On nous dit qu'il faut accepter ce texte sans y regarder de trop près, parce qu'il y a eu parole donnée.

De quelle parole est-il question ? Lorsqu'il s'est rendu en Nouvelle-Calédonie, M. Jacques Chirac s'est offusqué de ce que les fiches de recensement comportaient mention de l'origine ethnique.

M. Jean-Luc Mélenchon. C'était très bien, cela !

M. Bruno Retailleau. Le 31 décembre dernier, lors de ses voeux télévisés, le Président de la République a condamné avec la dernière énergie le communautarisme, en le plaçant sur le même plan que le racisme ou la xénophobie. Souvenez-vous-en : c'était il y a quelques jours !

Aujourd'hui cependant, on ne nous demande rien de moins que de consacrer constitutionnellement le communautarisme en tant que principe politique.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !

M. Bruno Retailleau. S'il fallait ne retenir qu'une seule bonne raison de ne pas adopter ce projet de réforme, ce serait cette inoculation dans notre loi fondamentale du virus du communautarisme.

En effet, la Constitution ne codifie pas seulement l'organisation institutionnelle des différents pouvoirs entre eux ; elle exprime aussi un modèle civique, une conception française du vivre ensemble, qui est précisément à l'opposé de ce modèle communautariste.

La question s'est posée, à chaque génération, de faire vivre ensemble des populations issues de collectivités historiques ou culturelles différentes. La réponse française, c'est, invariablement, la « communauté des citoyens », selon l'excellente expression de Dominique Schnapper.

Or l'acte solennel qui marque la participation de chacun à cette communauté, mes chers collègues, c'est bien l'exercice du droit de vote.

Le modèle républicain est nécessairement universaliste. L'universel est certes un horizon lointain et abstrait, qui repose sur le principe de l'unité du genre humain, qui reconnaît que l'autre est un autre semblable, un autre soi-même.

L'universel, cependant, est également une idée utile et régulatrice. Il ne se confond avec aucune culture particulière. L'universalisme moderne ne s'oppose pas au particulier. Il n'implique pas que soient supprimés les particularismes - il est même la condition de leur dialogue -, mais il exige que ces spécificités se maintiennent dans l'ordre privé, tout simplement pour protéger l'espace public de conflits multiculturels.

Monsieur le ministre, ce projet de réforme introduit, en matière de droit de vote, pour les citoyens français, non pas une discrimination positive, ce qui serait un oxymore, mais une discrimination négative, ce qui est un pléonasme : il consacre constitutionnellement le communautarisme institutionnel.

MM. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, et Jean-Luc Mélenchon. Non !

M. Bruno Retailleau. L'excuse que vous invoquez est celle de la paix civile. La paix civile, pensez-vous - légitimement peut-être -, peut justifier ce sacrifice : le sacrifice de nos principes les plus chers.

Et si l'inverse était vrai ? Si la logique du communautarisme était celle de l'affrontement plutôt que de la réconciliation ? Sans vous en rendre compte, car je postule que vous êtes de bonne foi, vous enclencheriez alors par cette réforme deux mécanismes conflictuels.

Le premier dresserait, sur le sol de France, un mur infranchissable entre Français selon leurs origines. L'existence même d'inégalités injustifiables entre catégories différentes alimenterait une compétition intracommunautaire, dans la quête mimétique de leurs intérêts respectifs.

Ainsi, la communauté politique n'aura plus d'unité et les frontières se reformeront et se multiplieront, dans l'espace territorial comme dans l'espace social.

Le second mécanisme conflictuel agirait par un enfermement naturel de chaque communauté sur elle-même.

Alors que l'universalisme donnait une chance aux hommes de s'arracher aux conditions, aux déterminismes imposés par la naissance, le communautarisme soumet les individus aux préférences de groupe et les maintient sous la tutelle de chefferies éthnoculturelles.

M. Jean-Luc Mélenchon. Ce n'est pas ce qui figure dans le projet de loi !

M. Bruno Retailleau. Croyez-vous vraiment, monsieur le ministre, que ce système favorise la tolérance civile ? Croyez-vous que la stabilité de la Nouvelle-Calédonie, entourée de situations instables, soit un pur hasard ? C'est sans doute à notre modèle démocratique et républicain qu'elle doit sa stabilité.

C'est en pensant à la Nouvelle-Calédonie, mais aussi à la France tout entière, où les enclaves territoriales se sont multipliées et où, demain, un droit dérogatoire pourrait être là aussi revendiqué, que je ne voterai pas ce texte. (M. Simon Loueckhote applaudit.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous ne pouvez applaudir cela ! Ce n'est pas vrai !

M. Michel Doublet. Laissez-le applaudir s'il le souhaite. Il est libre !

M. le président. Chacun ici est libre d'exprimer sa propre appréciation.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir entendu les propos de l'orateur précédent, je soulignerai que chaque réalité humaine s'inscrit dans une histoire. À l'évidence, l'histoire de la relation que la République entretient avec les territoires d'outre-mer n'est pas semblable à celle qu'elle entretient avec les territoires métropolitains.

Le vote que nous sommes appelés à effectuer aujourd'hui est important. Il s'agit de dire la volonté du législateur en sa qualité de constituant, de respecter la parole de l'État. Ce n'est pas rien ! Nous devons le faire avec conviction et solennité.

Les accords signés à l'hôtel Matignon le 26 juin 1988 par le Premier ministre de l'époque, huit représentants du RPCR et cinq représentants du FLNKS, repris, précisés et confortés par l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, ont mis fin à une période particulièrement dramatique de la Nouvelle-Calédonie. Le sang a coulé à Ouvéa en 1988 - ne l'oublions jamais ! - et les difficiles négociations menées à l'époque, qui ont débouché sur un statut accepté par les deux parties calédoniennes - non sur une base ethnique - et les représentants de la République française, ont sans doute permis d'éviter une guerre civile. À cet égard, je voudrais à mon tour saluer la mémoire de Jean-Marie Tjibaou, hélas disparu.

Ces accords ont déjà été approuvés par la représentation nationale à deux reprises. Le Parlement réuni en Congrès a inscrit les accords de Matignon et de Nouméa dans la Constitution en 1998, puis l'Assemblée nationale et le Sénat ont décliné cette révision constitutionnelle en adoptant une loi organique promulguée le 19 mars 1999.

Je précise que les accords de Matignon ont été approuvés par référendum national le 6 novembre 1988 et que l'accord de Nouméa, qui était précis sur le corps électoral, pour des raisons qui ont été largement exposées, a été validé par 72 % des 74 % de participants de Nouvelle-Calédonie lors du référendum du 8 novembre 1998.

L'engagement de la représentation nationale, donc du peuple français, a été une nouvelle fois confirmé au lendemain de la décision du Conseil constitutionnel du 15 mars 1999, dans laquelle il émettait des réserves d'interprétation - c'est le moins que l'on puisse dire ! - sur la composition du corps électoral pour les élections des membres des assemblées de province et du congrès. En effet, une nouvelle loi constitutionnelle permettant de garantir le respect des accords initiaux sur ce point a été votée par l'Assemblée nationale et le Sénat, respectivement le 10 juin 1999 et le 12 octobre 1999. La réunion du Congrès qui devait avoir lieu le 24 janvier 2000 a été annulée du fait du retrait précipité du texte relatif à l'indépendance de la justice. Au fond, la Nouvelle-Calédonie et les accords signés, et votés par le Parlement, ont fait les frais de la justice.

Le point d'achoppement porte sur les conditions d'établissement du collège électoral, sur le fait qu'il soit « gelé » ou « glissant ».

Dans la première hypothèse, conformément aux accords passés et aux votes successifs du Parlement, seuls les habitants de la Nouvelle-Calédonie y résidant depuis dix ans en 1998 pourront voter lors des élections des membres des assemblées de province et du congrès. Cette disposition d'exception, déjà validée pour les référendums à venir, relative à l'accession à la pleine souveraineté, correspond à la volonté fondatrice d'une citoyenneté calédonienne au sein de la citoyenneté française. Ce concept constitue le socle de l'équilibre qui a été trouvé, même s'il est fragile.

Cette originalité institutionnelle, dérogatoire certes à la conception générale et républicaine, est la condition de l'arrêt des violences, d'une cohabitation sereine entre communautés, tournée vers l'avenir, porteuse de développement et de progrès.

Il est fort étonnant que le Conseil constitutionnel se soit enfermé dans un juridisme étroit et ait fait fi de la réalité politique, du besoin de paix, de la reconnaissance partagée par les peuples eux-mêmes d'une nécessaire évolution historique après des décennies de colonialisme, avoué ou masqué.

Je rappelle à mon tour, et cela est fondamental, que cette citoyenneté a été constituée à titre transitoire dans un objectif précis : l'autodétermination, choisie par les Calédoniens.

Les accords de Nouméa prévoient un transfert progressif et irréversible de toutes les compétences à la Nouvelle-Calédonie, à l'exception des compétences régaliennes, sur une durée de quinze à vingt ans. Au terme de cette période, l'accession ou non de ce territoire à la pleine souveraineté sera décidée lors d'un ou plusieurs référendums.

Il était tout à fait logique que le corps électoral existant au moment de l'accord prévale lors de son application, car il est lié à un objectif politique précis, accepté par tous les signataires.

Il est tout à fait évident que cette construction juridique est spécifique. Elle correspond aux accords conclus entre les parties en 1988 afin de mettre fin à un engrenage dramatique.

La Cour européenne des droits de l'homme a d'ailleurs pleinement pris en compte le caractère exceptionnel de ces dispositions et a jugé que la restriction du corps électoral était possible lorsque deux conditions sont remplies, ce qui est le cas : un caractère transitoire et l'objectif d'un scrutin d'autodétermination.

De même, le comité des droits de l'homme de l'ONU n'a relevé aucune violation du pacte international relatif aux droits civils et politiques s'agissant de l'instauration d'un corps électoral « gelé ».

Au-delà de cette argumentation d'autorité politique et juridique, il est un argument incontournable : celui du respect de la parole donnée.

Présidents de la République, gouvernements et parlements successifs se sont engagés. La parole de la France est donc acquise. Les accords de Matignon et de Nouméa doivent être pleinement appliqués et le seront.

Comment ne pas se féliciter que le Gouvernement présente enfin ce projet de loi constitutionnelle ? À cet égard, je me réjouis des rapports fidèles aux engagements de M. Quentin à l'Assemblée nationale et de M. Hyest au Sénat, déjà rapporteur en 1999.

En revanche, on peut s'inquiéter ou regretter que le débat soit si tardif et ait lieu quelques semaines avant l'élection présidentielle. Il serait en effet regrettable que, à l'approche de ce scrutin, cette validation définitive de la parole donnée soit soumise à des jeux politiques internes à la majorité. La motion tendant à opposer la question préalable déposée par certains membres de la majorité relève, me semble-t-il, d'une telle manoeuvre. Son rejet massif par la Haute Assemblée est une obligation démocratique et morale.

Aux quelques nostalgiques d'une période coloniale qui s'éloigne, je dis que la société calédonienne avance, qu'un rééquilibrage entre provinces est amorcé et surtout que l'objectif d'un développement profitable à l'ensemble de la population peut devenir réalité, même si d'importantes inégalités subsistent aujourd'hui.

À ces nostalgiques, il faut rappeler quelques vérités : les droits d'un peuple implanté depuis plus de quatre mille ans dans ces îles ont été fondamentalement remis en cause durant plusieurs décennies.

Il faut en effet rappeler que les Kanak ont été chassés de leur terre, refoulés et parqués dans leurs réserves. Il faut se souvenir que ces femmes et ces hommes ont été exhibés en métropole au titre de curiosités exotiques.

Des massacres ont été perpétués en 1878 et en 1917. Les difficultés et les conditions de vie redoutables infligées à la population mélanésienne ont inversé la courbe démographique de ce peuple et mis en péril son existence même.

La crise des années quatre-vingt et les accords qui ont clos cette période ont pour toile de fond une vérité historique : la domination, l'exploitation et souvent l'humiliation d'un peuple par les autorités françaises et ceux qui, de fait, ont colonisé la Nouvelle-Calédonie.

L'accord de Nouméa évoque fortement cette réalité : « Le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière. » Cette phrase, évocatrice du compromis passé, explique à elle seule les particularismes institutionnels du processus d'autodétermination qui est en cours.

Le Président de la République, lors de son voyage en Nouvelle-Calédonie en juillet 2003, a rappelé que les engagements sur le projet de loi calédonien seraient tenus. Mme Brigitte Girardin l'a confirmé le 21 janvier 2005 devant le comité des signataires, instance qui assume le suivi de l'accord de Nouméa. Vous avez vous-même confirmé cette ambition présidentielle, monsieur le ministre. Nous y sommes et, je le répète, il est grand temps !

Je réfute l'idée qu'une réunion du Parlement en Congrès serait incongrue dans la période actuelle. L'avenir de la Nouvelle-Calédonie, le destin d'un peuple n'ont cure de querelles politiciennes. Trop de textes détestables à nos yeux ont été adoptés durant cette législature pour que la force de notre soutien à ce projet de loi ne soit pas remarquée.

La représentation nationale se doit d'être unie et déterminée pour aider la Nouvelle-Calédonie à entrer dans une nouvelle période de son histoire.

Le groupe communiste républicain et citoyen votera avec satisfaction ce projet de loi constitutionnelle, comme il le votera à Versailles, lors du Congrès. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.

Mme Dominique Voynet. Je veux tout d'abord indiquer à M. le ministre que, même si je suis administrativement « rattachée » au groupe socialiste, c'est bien au nom des Verts que je m'exprime aujourd'hui pour confirmer que nous voterons le projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution, qui permettra aux accords de Matignon et de Nouméa de s'appliquer désormais dans tous leurs éléments.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que nous soyons enfin conduits à examiner ce projet de loi constitutionnelle, qui permet de rétablir une disposition de la loi organique fixant le périmètre du corps électoral pour les élections des membres des assemblées de province et du congrès, ainsi que pour les scrutins d'autodétermination, qui a été cassée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 mars 1999.

Je comprends les réserves de ceux, même si je mesure aussi leurs arrière-pensées, qui voient dans les dispositions qui nous sont proposées un dangereux précédent conduisant à restreindre dangereusement le droit de vote et à en réserver l'exercice aux personnes enracinées sur telle ou telle portion du territoire, dans telle ou telle région. Je serai claire : ce n'est pas ma façon de voir. Les Verts, et cela a été rappelé par tels de nos collègues, sont d'ailleurs favorables à une citoyenneté de résidence. Nous défendons, notamment dans notre projet politique pour la France, le droit de vote des résidents étrangers aux élections locales.

Nous sommes ici dans un contexte très différent : il s'agit de tenir la parole donnée et de respecter l'esprit et la lettre de l'accord de Nouméa.

Nous n'avons pas oublié cette période douloureuse de l'histoire de la Nouvelle-Calédonie et de la France, qui a vu, après plus de cent cinquante ans de colonisation, après quatre années de violences, après le massacre de la grotte d'Ouvéa, les ennemis d'hier tendre la main.

Je mesure ce qu'il a fallu de courage et d'audace à ceux qui ont choisi de renouer les fils du dialogue, du côté du FLNKS, du RPCR, mais aussi du Gouvernement, parce qu'il est si aisé finalement, dans une situation difficile, d'accuser ceux qui font un pas de brader leurs idéaux, d'enfreindre les règles du jeu de la République.

Je voudrais saluer tout particulièrement la mémoire de Jean-Marie Tjibaou et de Yéwéné Yéwéné, assassinés en 1989 après avoir posé des actes essentiels pour l'avenir de leur pays.

C'est ainsi : c'est avec ses adversaires que l'on prépare et que l'on conclut la paix. Sortir d'un conflit, ce n'est pas seulement sortir de positions balisées, renoncer à l'affirmation de son bon droit. C'est choisir l'inconfort du compromis, surmonter des deuils, des doutes et des moments de défiance solidement ancrés.

Du point de vue des Mélanésiens, les accords de Matignon et de Nouméa ne sont pas seulement des accords de paix. Ils sont bien davantage. Ce sont des accords de décolonisation au sens du droit international.

En même temps, ces accords reposent sur la reconnaissance par le peuple kanak de la citoyenneté calédonienne des populations d'origine métropolitaine installées et engagées depuis longtemps dans la vie du pays.

De façon symétrique, ces accords reposent sur la reconnaissance par les citoyens calédoniens d'origine métropolitaine, les Caldoches, du droit de la Nouvelle-Calédonie à l'autodétermination sur la question de son indépendance.

La mise en place d'une partie significative de l'accord de Nouméa a permis d'instaurer progressivement un climat de confiance sur les territoires. Soyons conscients du fait que cette confiance mutuelle est au moins aussi précieuse que le contenu de l'accord lui-même.

Revenir sur notre promesse serait irresponsable. Nous ne l'entendrons évidemment pas de cette oreille. Les accords de Matignon-Oudinot, puis l'accord de Nouméa ont permis de mettre un terme à la violence, d'ébaucher un véritable rééquilibrage économique et de mettre en place un partage plus équitable des responsabilités politiques.

Des mots et des actes très forts ont été posés : la citoyenneté calédonienne, pierre angulaire des accords, a été reconnue aux populations impliquées. C'est cela précisément qui a conduit au resserrement du corps électoral pour les élections des assemblées régionales, du congrès et des scrutins d'autodétermination.

La Cour européenne des droits de l'homme elle-même a accepté ces dispositions en 2005, compte tenu du contexte propre à la Nouvelle-Calédonie et de leur caractère transitoire.

C'est cela, le point d'équilibre de l'accord de Nouméa, celui qui a conduit à croire désormais à la construction d'un destin commun par tous les citoyens de la Nouvelle-Calédonie.

Alors, il reste évidemment beaucoup à faire. La Nouvelle-Calédonie a pris son destin en main et le rééquilibrage qui a commencé à s'opérer au profit des populations jusqu'ici oubliées de la redistribution des richesses n'est pas terminé.

Je voudrais, à ce stade de mon intervention, évoquer quelques-uns des dossiers qui sont sur la table.

L'explosion de l'activité minière, il y a trente ans, a fait de la Nouvelle-Calédonie un eldorado du nickel. Elle a aussi engendré une immigration importante en provenance de métropole, d'Europe, du Pacifique, ce qui a accentué la confiscation des terres, de la manne financière, et aggravé le sentiment d'injustice sociale.

Je voudrais attirer votre attention sur les conditions d'exploitation du site minier de Goro Nickel, créé par le groupe Inco et soutenu par l'État avec l'accord d'une partie de la classe politique néocalédonienne bénéficiant d'un régime extraordinairement avantageux de défiscalisation, qui s'exercent sans aucun respect de l'impact social et environnemental du projet.

Le tribunal de grande instance de Paris a donné raison aux associations et au sénat coutumier, le 14 novembre 2006, sur la question de l'illégalité des travaux relatifs à la réalisation du site de stockage des résidus terrestres. Nous devons étudier de près ce dossier.

Mme Dominique Voynet. Je voudrais aussi que nous regardions de près d'autres difficultés, d'autres déséquilibres. Ainsi, l'agriculture ne représente plus que 2 % de l'activité du pays. Les conditions de desserte du port de Nouméa apparaissent menacées par l'arrivée de très grosses compagnies maritimes de statut mondial comme Maersk ou MSC.

On ne peut passer sous silence la frustration liée, en Nouvelle-Calédonie comme en Polynésie française, à la Réunion ou aux Antilles, à l'arrivée de nombreux retraités qui choisissent la douceur des mers du Sud, profitant d'indices correcteurs abusifs pour leur pension. Cette installation, le plus souvent hémi-annuelle, crée une économie de type néocolonial artificielle qui contribue au maintien de prix élevés sur les biens de consommation.

Les défis que la Nouvelle-Calédonie doit relever sont nombreux. Il s'agit de choisir son destin. Pour ce faire, ce pays dispose de bien des atouts et je voudrais, pour conclure, évoquer trois d'entre eux.

Le premier, c'est la redécouverte et la mise en valeur de la culture kanak, que l'on doit largement au travail de Jean-Marie Tjibaou. Elle a depuis vingt ans redonné aux communautés ethnoculturelles kanak, si longtemps niées par un État sourd aux questions de la diversité culturelle et des langues régionales, fierté et dignité.

Le deuxième, c'est le patrimoine naturel exceptionnel, hélas menacé par le défi du changement climatique provoquant une montée des océans, ainsi que par l'érosion d'une biodiversité endémique et magnifique. La protection d'un récif corallien unique, maintes fois promise, a été sabotée en 2003 par le ministre de l'environnement de l'époque.

Le troisième atout, c'est la jeunesse du pays, si diverse, si importante, qui doit trouver toute sa place dans la construction d'un avenir économique durable, adapté à l'insularité du pays et à son extraordinaire richesse culturelle.

Il est difficile de pronostiquer l'avenir... Alain Christnacht, qui connaît bien la Nouvelle-Calédonie, décrit trois scénarios possibles. Nous avons donc le choix : il y a le scénario de l'échec, celui de l'évolution apaisée vers une indépendance pluriethnique en association avec la France et celui du maintien dans la République par l'approfondissement de l'accord de Nouméa.

Nous ne pouvons pas prédire l'avenir mais, en votant ce projet de loi constitutionnelle, nous permettrons à la Nouvelle-Calédonie d'aller au bout du processus de construction d'une gouvernance responsable, adaptée aux spécificités de l'archipel et à la volonté de ses citoyens ; nous permettrons de conjurer le spectre du premier scénario évoqué par Alain Christnacht, du scénario de l'échec.

C'est tout l'enjeu du vote d'aujourd'hui et de celui qui nous attend lors de la réunion du Congrès à Versailles. C'est pourquoi nous voterons « oui » aux questions qui nous seront posées ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Simon Loueckhote. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. Simon Loueckhote. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de saluer mes compatriotes calédoniens qui sont venus nombreux assister à notre débat dans les tribunes.

Au lendemain de l'approbation de l'accord de Nouméa, en novembre 1998, par une très large majorité de Calédoniens, nous avons constaté que l'un des fondements de cet accord, notamment la définition du corps électoral admis à participer aux élections des assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie, était remis en cause par nos partenaires indépendantistes.

Le gouvernement socialiste de l'époque a aussitôt relayé cette nouvelle revendication en proposant au vote du Parlement, dans le cadre de l'examen d'un projet de loi constitutionnelle relative à la Polynésie française, une modification de l'article 77 de la Constitution visant à geler le corps électoral à l'année 1998.

Cette réforme constitutionnelle n'ayant pas abouti, en janvier 2000, pour les raisons que nous connaissons tous, nous sommes aujourd'hui invités à trancher définitivement cette question, dans la précipitation et sous la pression.

Je tiens, à cet égard, à remercier publiquement tous mes collègues qui ont accepté, à mes côtés, de présenter une motion tendant à opposer la question préalable et de me soutenir dans mon action, compte tenu des réactions qu'elle a pu susciter.

J'ai eu l'occasion de m'exprimer à plusieurs reprises au sujet du corps électoral depuis 1998 et j'ai souhaité plus récemment expliquer à chacun d'entre vous ma position sur ce nouveau projet de texte. Je ne vous surprendrai donc pas en vous annonçant que je voterai contre.

Vous comprendrez qu'il s'agit, pour moi aussi, du respect de la parole donnée et que je tiens à honorer l'engagement que j'ai pris à l'égard des Calédoniens en signant l'accord de Nouméa.

Je veux revenir sur l'enjeu politique de cette nouvelle réforme constitutionnelle.

Nous avons mesuré en mars 1999, lors de l'examen de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, la difficulté de traduire dans le droit ce qui fut avant tout un accord politique.

J'ai fait partie en 1998 de ceux qui ont accepté et justifié la nécessité de remettre en cause l'un des principes fondamentaux de notre République, le suffrage universel, au nom du maintien de la paix.

Or le point 5, alinéa 7, du préambule de l'accord de Nouméa prévoit que « le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie sera restreint aux personnes établies depuis une certaine durée », sans préciser une origine fixe de cette durée dans le temps.

Il est donc bien inscrit dans le texte de l'accord que le corps électoral est glissant, et c'est conformément à cette interprétation que les articles 188 et 189 de la loi organique ont été rédigés.

Pour autant, ce qui me heurte dans le débat que nous menons aujourd'hui, c'est qu'à défaut de pouvoir mettre en avant la lettre de l'accord de Nouméa, on en arrive à interpréter les intentions de ceux qui l'ont négocié et à parler même de conformité de ce projet de loi aux intentions des signataires, dont j'ai fait partie.

C'est pourquoi je tiens à rappeler et à affirmer sans aucune ambiguïté que, si ce projet de loi est adopté, il le sera contre la volonté de l'une des parties signataires, le RPCR, qui a accepté, par sa signature, le principe d'un corps électoral glissant.

Le RPCR a très clairement voulu maintenir la possibilité d'obtenir le droit de vote aux élections des assemblées locales au bout de dix années de résidence en Nouvelle-Calédonie, étant entendu que le gel du corps électoral était limité à la consultation de sortie de l'accord de Nouméa.

Choisir de voter ce projet de loi, c'est satisfaire arbitrairement la revendication politique d'un des partenaires calédoniens, au nom d'un consensus qui n'existe pas et d'un engagement que ceux qui sont partisans du maintien dans la République n'ont pas pris.

De plus, le législateur, s'il adopte ce texte aujourd'hui, décidera d'imposer son interprétation d'un accord politique, ce qui avait pourtant été évité depuis la signature des accords de Matignon. Ce sera une entorse à l'esprit et à la pratique qui ont toujours prévalu entre les signataires.

Par ailleurs, aucune disposition de ce projet de loi constitutionnelle n'envisage une consultation des populations intéressées.

Or je voudrais tout de même appeler votre attention sur l'objet de l'article 2 de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998, qui prévoyait la consultation des populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998.

Le bon sens voudrait, mes chers collègues, que l'interprétation de l'accord de Nouméa qui nous est aujourd'hui présentée et qui n'est pas fidèle à l'esprit et à la lettre de l'accord fasse l'objet d'une nouvelle consultation des Calédoniens.

Pourquoi refuser aux Calédoniens la responsabilité de décider ou non d'imposer une nouvelle restriction au corps électoral au-delà des années prévues par l'accord de Nouméa ?

Il faut que cette obligation de consultation figure dans la Constitution et que soient également définies les conditions pour participer à ce scrutin.

C'est pourquoi je proposerai, par la voie d'un amendement, que les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie soient appelées à se prononcer, avant le 31 décembre 2007, sur l'interprétation qui résultera de l'adoption de ce projet de loi constitutionnelle.

Je suggère en outre que soient admises à participer au scrutin les personnes qui, à la date de cette consultation, disposent du droit de vote aux élections des membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie et des provinces.

Le second argument régulièrement invoqué est le respect de la parole du Chef de l'État donnée lors de sa visite en Nouvelle-Calédonie en 2003.

J'ai entendu, comme nombre de nos compatriotes présents ce jour-là sur la place des cocotiers, l'engagement pris par le Président de la République de régler cette question avant la fin de son mandat, mais je ne me souviens pas qu'il ait à cette époque préjugé de son issue, puisqu'il s'agissait d'obtenir l'assentiment des différentes parties concernées.

Ainsi, dans le contexte du nouveau paysage politique créé par les élections de 2004, il appartenait à l'État de réintroduire les conditions du dialogue entre les signataires pour retrouver la voie du consensus sur cette question. Cette voie n'a pas été privilégiée et nous le regrettons vivement, car il était nécessaire de revenir à la table des négociations.

On nous présente enfin cette nouvelle restriction apportée au corps électoral pour les élections locales en Nouvelle-Calédonie comme la condition du maintien de la paix sur notre territoire.

Permettez-moi de dire que c'est une vision à très court terme, qui est davantage dictée par les prochaines échéances électorales nationales, et on peut le comprendre, que par la réalité calédonienne.

Je considère au contraire que le gel du corps électoral à l'année 1998 va créer une fracture dans la société calédonienne qui porte en elle les germes du retour au conflit. Nous en mesurerons d'ailleurs très vite les conséquences, en particulier au moment de l'organisation des consultations d'autodétermination prévues par l'accord de Nouméa.

L'urgence qui accompagne l'examen de ce projet de loi constitutionnelle, présenté comme un règlement définitif de la question du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, vous a sans doute fait oublier, mes chers collègues, que vos compatriotes calédoniens vivent une période de transition.

Le titre XIII de la Constitution, qui lui est spécifiquement consacré, s'intitule précisément « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie », et ni l'accord de Nouméa ni la loi organique de 1999 qui en a résulté ne permettent de déterminer de manière définitive le régime futur de notre archipel. Les Calédoniens pourront, à partir de 2014, être confrontés au choix de leur maintien ou non dans la République.

Cette nouvelle restriction imposée au corps électoral nous conduit par conséquent à nous interroger sur les perspectives d'avenir pour la Nouvelle-Calédonie en tenant compte de ses particularismes, de ses identités plurielles et de sa culture en émergence.

Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou ont eu la force et le courage de ramener la paix civile en Nouvelle-Calédonie en 1988. On oublie trop souvent qu'au-delà de leurs divergences politiques ils ont, l'un et l'autre, constamment été animés par la même détermination : inclure et intégrer dans l'évolution de la société toutes les communautés de Nouvelle-Calédonie, en particulier la communauté mélanésienne. Nous avons reconnu, en 1998, la place essentielle qu'elle doit occuper dans la communauté humaine de Nouvelle-Calédonie, qui a affirmé, par l'approbation massive de l'accord de Nouméa, son destin commun.

Sur un plan politique, c'est précisément le sens de la provincialisation, qui est à la fois la clé de voûte et la grande réussite des accords de Matignon.

Le dispositif de rééquilibrage économique et social, qui en était le corollaire, n'a pas été pleinement efficace. Nous avons très vite mesuré la complexité de ce processus et la difficulté à corriger, en quelques années, un déséquilibre qui s'est installé pendant plusieurs décennies.

En outre, la Nouvelle-Calédonie ne peut plus aujourd'hui vivre en marge du phénomène de la mondialisation. Les grands projets miniers en sont une illustration frappante. En effet, la mondialisation affecte les personnes jusque dans les tribus et on ne peut ignorer le phénomène. La mondialisation extrait aussi du monde rural calédonien une partie de ses forces vives : les jeunes qui veulent accéder à l'emploi salarié, à l'existence urbaine, à la modernité. Les statistiques sont là pour nous le démontrer.

Parallèlement à ce phénomène, les valeurs fondamentales mélanésiennes que sont notamment la solidarité, le partage et l'hospitalité doivent être affirmées, affichées, proclamées. Ces valeurs sont d'essence sociale, car tout dans l'existence du Mélanésien relève de cette sphère du vécu quotidien. Toutes les aspirations individuelles vont dans ce sens pour le bénéfice de la communauté : la cohésion du tissu social prime sur le reste.

La philosophie kanak s'articule autour des concepts d'équilibre, de respect et d'unité. Le politique et l'économique sont au service du social et non l'inverse. « On ne laisse personne sur le bord de la route », comme l'indique un dicton de chez nous.

Pourtant, dans l'esprit de certains, pour lesquels tout processus évolutif s'arrête à l'accord de Nouméa de 1998, il convient en fait de laisser le pays divisé, fracturé, éclaté. Cela relève-t-il de l'éthique mélanésienne dont je viens de vous rappeler les fondements ? Non, bien au contraire !

Le Kanak que je suis ne peut pas et ne veut pas exclure dans la mesure où toute exclusion est un vecteur de déséquilibre, de déchirure et de blessure.

La société kanak ne peut pas vivre repliée sur elle-même parce qu'elle est fondée sur une philosophie d'inclusion et non d'exclusion et qu'elle a, de tout temps, été exposée à l'apport de populations extérieures. Peut-on aujourd'hui prétendre qu'elle a perdu son identité dans ce processus ? Bien au contraire !

L'arrivée de populations extérieures a toujours été considérée par les plus faibles comme une source de déséquilibre entre les communautés et elle continue à alimenter la crainte d'une perte de pouvoir.

Pour autant, nos partenaires ont reconnu, eux aussi, que « les communautés qui vivent sur le territoire ont acquis par leur participation à l'édification de la Nouvelle-Calédonie une légitimité à y vivre et à continuer de contribuer à son développement. Elles sont indispensables à son équilibre social et au fonctionnement de son économie et de ses institutions sociales. » Mes chers collègues, je ne fais là que citer l'accord de Nouméa.

Tout le monde est convaincu que le développement de la société calédonienne ne peut se faire sans le recours à des capitaux et à des forces humaines venant de l'extérieur. Est-il par conséquent concevable d'envisager, sur le long terme, la privation définitive du droit de vote comme une réponse satisfaisante à la modification des équilibres au sein de la société, qui est de toute façon inéluctable ?

Si l'on songe que l'issue de l'accord de Nouméa sera vraisemblablement comprise entre l'année 2018 et l'année 2022, ce projet de loi constitutionnelle aura pour effet de priver de droit de vote pendant plus de vingt ans des personnes qui sont arrivées tout juste après 1998. Il est indispensable de s'interroger sur le sort réservé à cette frange de la population qui aura fait le choix de vivre, de travailler, d'investir en Nouvelle-Calédonie pendant deux décennies. Si ces personnes ont trouvé leur place et jouent un rôle socialement et économiquement, pourquoi n'en serait-il pas ainsi politiquement ?

L'un des grands principes républicains porte sur le suffrage universel. C'est ce principe fondamental qui fonde l'équilibre citoyen. Par conséquent, je proposerai par voie d'amendement d'y revenir pour l'ensemble de la Nouvelle-Calédonie si, au terme du processus d'autodétermination, les populations intéressées refusent l'indépendance. Il me paraît en effet indispensable de souligner que cette révision de la Constitution s'inscrit dans un cadre transitoire, celui de l'accord de Nouméa.

Prévoir le retour au suffrage universel n'exclut pas que toutes les solutions soient examinées, pour le maintien d'un équilibre auquel je suis profondément attaché, dans le nouveau contexte de la sortie de l'accord de Nouméa et que des négociations soient menées sur les conditions de maintien de cet équilibre.

Mes chers collègues, en 1998, après m'être exprimé de cette tribune sur l'accord de Nouméa, j'ai eu la satisfaction d'obtenir votre soutien. Aujourd'hui, j'ai encore l'espoir de vous convaincre de la justesse de mon analyse bien que l'enjeu de l'adoption de ce projet de loi constitutionnelle dépasse les intérêts de la seule Nouvelle-Calédonie.

Je voudrais évoquer un instant la parole de nos « Vieux ». En effet, en Océanie, nous témoignons beaucoup de respect aux personnes âgées, que nous appelons ainsi avec beaucoup d'affection.

Tous ceux avec qui j'ai parlé de cette philosophie d'inclusion ont regretté que l'on renie ces principes de base de l'existence de l'homme. Ce sont des principes humanistes que tous partagent. Ce sont aussi des valeurs religieuses chrétiennes, lesquelles, chez nous, revêtent encore toute leur importance.

Les « Vieux » disent que la sérénité et la paix sociale sortent renforcées lorsque nos valeurs coutumières sont maintenues et mises en avant. Je n'ai aucun doute sur le fait que nous sommes très nombreux en Nouvelle-Calédonie à partager ce point de vue, bien au-delà des clivages politiques. Or le gel du corps électoral, objet du projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis aujourd'hui, porte en lui les germes de fractures sociales et de conflits dans une société qui est en devenir.

Je terminerai mon propos par une célèbre citation du général de Gaulle, datant du 4 septembre 1966, lorsqu'il est venu à Nouméa. Les documents de l'époque témoignent qu'il y a été reçu dans une immense joie par une foule représentant toute la communauté humaine de la Nouvelle-Calédonie. Cette citation a d'ailleurs été reprise par le président Jacques Chirac, en 2003, lors de sa visite du « caillou ».

S'adressant aux Calédoniens, le Général de Gaulle a dit : « Vous devez être, pour toute la communauté nationale, un exemple d'effort, de fraternité et de progrès. »

Mes chers collègues, pour vos compatriotes de la Nouvelle-Calédonie, cette exhortation trouve plus que jamais tout son sens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Robert Laufoaulu.

M. Robert Laufoaulu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parce que c'est la France, la Nouvelle-Calédonie est une passion pour chacun de nous - nos débats et surtout l'importance des décisions que nous allons prendre le prouvent -, une passion qui est incarnée par des visages ainsi que des lieux précis et bien nommés pour quiconque y a vécu, car la Nouvelle-Calédonie, ce sont des femmes et des hommes, des communautés, des paysages magnifiques, un environnement exceptionnel, des potentialités immenses et, bien sûr, une histoire, celle que nous connaissons tous.

À tous les Calédoniens, à toute la Nouvelle-Calédonie, à tous ses représentants qui sont ici, j'adresse un salut fraternel et chaleureux en leur souhaitant une bonne, heureuse et prospère année 2007.

La Nouvelle-Calédonie se trouve dans la grande région océanienne, à la fois l'île la plus proche du Paradis et presque un maillon de la ceinture de feu du Pacifique. Son destin, sans doute plus que ceux de bien d'autres pays de la région, chemine ainsi sur cette crête aux versants si abrupts et si contrastés. Il dépend des femmes et des hommes qui l'habitent, avec la France, de la faire avancer sur le chemin de la fraternité, de la prospérité et du bonheur.

Nous sommes appelés aujourd'hui à apporter une lourde contribution à la préparation de cet avenir. J'aurais préféré que les Calédoniens se saisissent eux-mêmes directement, une fois encore, de leur destin commun pour tracer, avec l'aide de l'État, des perspectives d'existence commune et de développement, comme l'ont fait Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur il y a maintenant une vingtaine d'années, comme l'a fait Jacques Lafleur avec les partenaires de l'accord de Nouméa il y a une dizaine d'années.

Pour autant, les contraintes constitutionnelles nous conduisent à nous prononcer ici et maintenant sur le gel ou non du corps électoral pour les élections aux assemblées provinciales et au congrès.

Mon propos ne portera pas sur le débat qui est en cours en Nouvelle-Calédonie ou en métropole, à savoir si oui ou non les intentions premières étaient de geler le corps électoral. M. le ministre, M. le rapporteur, que nous remercions, et d'autres intervenants ont suffisamment bien exposé cette question. Je voudrais simplement apporter un modeste témoignage sur une petite période de la vie de la Nouvelle-Calédonie, qui jouit aujourd'hui dans la région, il faut le dire, d'une image positive, voire exemplaire, liée au consensus trouvé et à l'application des accords ainsi qu'à son développement économique.

Une réelle gestion démocratique du pays se réalise concrètement sous les différents gouvernements qui se succèdent depuis une vingtaine d'années. Le Forum des îles du Pacifique, thermomètre exigeant et parfois incommode de la température politique régionale, est élogieux sur cette bonne gouvernance. C'est un acquis majeur et un privilège qu'il nous faut préserver, voire améliorer.

Dans ce contexte, remettre en cause les principes de la République peut paraître superflu et désinvolte. Ce serait même susceptible d'irriter, voire de révolter, comme l'ont souligné plusieurs personnes et intervenants.

Si je comprends, je me souviens également. Je me souviens de tout ce qui a été réalisé depuis une vingtaine d'années comme je viens de l'évoquer : un consensus et des accords. Je me souviens surtout de ce qu'était la Nouvelle-Calédonie il y a seulement une cinquantaine d'années. Quel changement ! Quelle différence entre aujourd'hui et ce que j'ai connu lorsque j'ai débarqué pour la première fois à Nouméa un matin de janvier 1963 : un pays en développement, des populations plutôt différenciées, des modes de vie assez tranchés. Le premier Mélanésien venait d'obtenir son baccalauréat quelques mois auparavant seulement.

Durant une trentaine d'années, j'ai eu le privilège de vivre dans ce beau pays - l'île la plus proche du Paradis -, de participer à sa vie et, modestement, à son développement à travers l'enseignement. J'ai appris au milieu des gens et de la bouche des uns et des autres ce qu'était une partie des réalités de leur vie et de leur histoire. Leurs témoignages éclairaient mon esprit, me permettant de comprendre certains débats ou points de confrontation.

Durant des années, cette tension silencieuse et latente a été mon cauchemar. Comment feront-ils pour résoudre une telle situation ? Comment faire pour que personne n'en sorte perdant ?

Les irruptions violentes des années quatre-vingt sont gravées à jamais dans mon esprit et ne s'effaceront plus de ma mémoire, comme il en est, bien évidemment, pour ceux qui les ont vécues et surtout pour ceux qui ont été en premières lignes dans ces conflits. J'ai été touché par tous les drames qui ont émaillé cette période, et je me souviens plus particulièrement des morts d'Ouvéa, où la plupart des victimes comptaient parmi mes anciens élèves.

Que de chemin parcouru ! Que de progrès économiques, sociaux et culturels réalisés ! Que de préjugés levés ! Que d'erreurs acceptées et réparées ! Que de fautes pardonnées ! Que de promesses mutuelles pour bâtir ensemble un destin commun ! Que de fraternités construites ou en construction !

Tout cela a été le fruit d'intenses négociations, menées dans la douleur. Les accords de Matignon et l'accord de Nouméa ont été le résultat de ces grands moments de vérité pendant lesquels les Calédoniens ont pu regarder ensemble une partie difficile de leur histoire et ont accepté de la poursuivre en commun, dans la pacification et la conquête de la fraternité. Cette logique constitue le socle de la paix et du développement de la Nouvelle-Calédonie. C'est le pari de l'intelligence, qu'il faut sans cesse dynamiser pour le faire gagner.

Je salue ces accords qui ont pris en compte les différentes communautés vivant sur le territoire. La Nouvelle-Calédonie est la terre d'accueil pour des populations venant de toutes les parties du monde, surtout de l'Europe, de l'Asie et de l'Océanie.

Nos compatriotes Wallisiens et Futuniens qui y vivent actuellement sont estimés à environ 20 000 personnes. Cela fait un peu plus de soixante ans qu'ils ont commencé à y émigrer pour répondre à des demandes de l'administration et pour chercher un emploi. Je me plais à souligner avec fierté leur forte contribution au développement de la Nouvelle-Calédonie, très souvent au travers des tâches les plus dures et peut-être même les plus ingrates.

Chers compatriotes originaires de Wallis et Futuna vivant en Nouvelle-Calédonie, je vous salue et vous remercie de cette importante contribution que vous apportez à la construction de votre beau pays d'accueil. Vous êtes nombreux à bénéficier de la citoyenneté calédonienne. C'est la reconnaissance, par les accords et par la loi, de votre présence et de votre implication. Vos droits et vos devoirs sont ainsi les mêmes que ceux des autres citoyens Calédoniens. À l'occasion, quand c'est nécessaire, rappelez les premiers et toujours soumettez-vous aux seconds ! Continuez à apporter votre participation à la construction de votre pays. Que votre présence et votre apport spécifique, dans le respect et l'attention aux autres, bâtissent la société multiraciale, multiculturelle de Nouvelle-Calédonie !

Les difficultés sur le chemin de cette construction du pays calédonien ne manqueront pas, comme il y en a eu déjà depuis 1998. Mais je sais que les femmes et les hommes de bonne volonté ne manquent pas et ne manqueront pas, que l'État, gardien du respect des droits de chacun, assumera ses responsabilités, que le pari sur l'intelligence ne sera pas trahi.

L'étape que nous nous préparons à franchir est, bien sûr, difficile, car elle comporte des questionnements divergents, des positions différentes, voire opposées, mais, quels que soient le résultat et la décision finale, le ralliement se fera sans faute pour que continue à progresser et à se développer la Calédonie que nous aimons tous. C'est l'avantage et l'honneur du débat ainsi que de la décision démocratique que nous envient bien des pays !

Je salue mon ami Simon Loueckhote, à qui je dis mon admiration et mon plus grand respect. Il défend ses positions avec tant de conviction et de brio ! L'affection et les convictions personnelles ont cette grande qualité de ne pas être subordonnées l'une à l'autre. Nos divergences de vue ne remettent pas en cause notre amitié ; elles traduisent simplement, mais différemment, une même passion pour la Nouvelle-Calédonie.

Comme en 1999, je me propose d'apporter mon vote à ce texte, parce que j'avoue très humblement être convaincu que ce choix est le bon pour la Nouvelle-Calédonie.

Ma décision n'est aucunement un rejet des compatriotes qui ne voteront pas aux élections pour les assemblées provinciales et pour le congrès. Elle est un soutien à la consolidation d'un jeune processus fragile, accepté et souhaité, qui nous fait avancer sur le bon chemin et sur lequel il faut concentrer l'attention, l'affection et l'action. Ici, il s'agit encore d'un pari sur l'intelligence qui ne peut se contenter du slogan !

Mon vote est le fruit d'une réflexion approfondie et, certes, difficile. Je prends acte du fait que cette mesure est transitoire, car elle expire avec la fin de la période de mise en oeuvre de l'accord de Nouméa. Des comptes seront demandés à ceux qui l'auront mis en application, et je sais que les Calédoniens seront exigeants et lucides lorsqu'il s'agira de prendre les décisions et les orientations qui s'imposeront.

Personnellement, je suis fier que la Calédonie soit aujourd'hui française ; la région l'envie pour cela et je souhaite, pour l'avenir, que ses liens avec la France soient encore plus forts. Le renforcement de la citoyenneté calédonienne est un chemin vers cet attachement. Il revient aux Calédoniens de le réaliser. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François Baroin, ministre. Compte tenu de la très grande qualité des interventions, je pense que la Haute Assemblée est pleinement informée des enjeux du débat. Au nom du Gouvernement, je remercie tous les orateurs qui se sont exprimés pour leur contribution au débat, tout en respectant les positions de chacun.

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant l'article 77 de la Constitution.

Je rappelle que la discussion générale a été close.

Nous passons à l'examen de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution
Articles additionnels avant l'article unique

M. le président. Je suis saisi, par MM. Loueckhote, Pasqua, Balarello, Cointat, Vasselle, Saugey, Guerry, Leroy, Dufaut, Beaumont, de Richemont, Lecerf, de Broissia, Puech, César, Marini, Grillot, Legendre, Haenel, Goulet, Longuet, Courtois et Doublet, Mme Payet et MM. Rispat, Lardeux, Masson, Retailleau, Adnot, Biwer, Souvet et Peyrat, d'une motion n° 1 rectifié decies, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3 du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, complétant l'article 77 de la Constitution (n° 121, 2006-2007).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Simon Loueckhote, auteur de la motion.

M. Simon Loueckhote. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le droit de vote est un droit fondamental, dont on ne saurait restreindre le périmètre avec légèreté.

La vocation de la France, celle des héritiers de Montesquieu que nous sommes, est d'étendre ce périmètre et non pas de le restreindre.

Nous sommes le pays des Lumières ; que ce pays n'assombrisse pas l'horizon des droits de nos concitoyens, de nos compatriotes, fussent-ils des antipodes !

J'ai entendu ceux qui se sont exprimés à l'Assemblée nationale, je viens d'écouter ceux d'entre vous qui l'ont fait ici, mes chers collègues, et je suis attristé. Aucun orateur, à l'Assemblée nationale ou, aujourd'hui, au Sénat ne m'a convaincu. Je sens votre gêne. (M. le président de la commission des lois fait un signe de dénégation.)

Dois-je rappeler qu'il y a eu un référendum en Nouvelle-Calédonie et qu'à 72 % les électeurs de ce territoire, qu'ils soient indépendantistes ou non, Kanaks ou non, ont adopté un texte novateur et audacieux, prévoyant que, pour le référendum de sortie de l'accord de Nouméa, le corps électoral était figé et que, pour les élections locales, appelées là-bas les provinciales, le corps électoral devait être composé des électeurs ayant dix ans de présence sur le sol calédonien ?

Les populations concernées ont voté ces dispositions, elles les ont admises.

Le parallélisme des formes auxquelles les juristes sont attachés aurait dû conduire le Gouvernement à donner de nouveau la parole aux Calédoniens et à les consulter. Alors seulement, le Parlement, réuni en Congrès, aurait pu être convoqué à Versailles.

On voit bien l'empressement du Gouvernement : c'est une course contre la montre.

C'est en fait une course contre la démocratie. Et elle le restera tant que vous refuserez de donner la parole sur ce point aux Calédoniens.

Est-ce bien à moi, en ce lieu prestigieux de la République, devant vous, mes chers collègues, qui avez, par le passé, montré à quel point vous êtes les garants des libertés individuelles et des droits fondamentaux, d'exprimer ce rappel ?

Ce texte est choquant ; il est juridiquement condamnable et politiquement critiquable. Il n'est pas digne de notre pays (Exclamations sur les travées du groupe socialiste), de la France que j'aime. Il n'est pas digne du gaullisme, que j'admire et respecte.

J'essaie pourtant de vous comprendre. Je sais que, après ce vote, beaucoup d'entre vous, qui se seront prononcés au nom d'une discipline qui leur tient lieu de seule logique, viendront me voir, penauds, et me diront que j'ai eu raison, qu'ils auront voté quasiment en fermant les yeux. Que ceux-là pensent aux conséquences de leur vote !

Je sais que mon appréciation juridique et morale de ce texte est partagée par la plupart d'entre vous.

Mme Dominique Voynet. Il ne faut pas exagérer !

M. Simon Loueckhote. Je ne doute pas que, politiquement, vous n'êtes pas, dans la majorité, favorables à la rupture de la Nouvelle-Calédonie avec la France, rupture qui ne serait pas sans conséquence sur la Polynésie et, plus généralement, sur la place et le rôle de la France dans le Pacifique.

Le leitmotiv que j'entends pourtant, en particulier chez les plus ignorants de la réalité politique calédonienne, est que certains n'accepteraient pas que ce texte ne soit pas voté, et que des violences reprendraient sur l'île. Le chantage à la violence, air bien connu, est stérile. Ceux qui s'expriment ainsi ne mesurent pas le chemin parcouru depuis vingt ans en Nouvelle-Calédonie.

De la violence, plus personne ne veut. En tout cas, elle ne saurait servir d'alibi au cadeau que vous faites à ceux qui, en Nouvelle-Calédonie, sont animés par un certain rejet.

À l'heure de la primauté des arts premiers, chers au Président de la République, je me demande si les « Monsieur Jourdain » qui voteront ce texte n'ont pas davantage une démarche ethnologique ou ethnographique. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Bernard Frimat. C'est insupportable !

M. Simon Loueckhote. Chers collègues qui, dans ce débat, avancez à tâtons, comme des aveugles, ressaisissez-vous !

Mme Dominique Voynet. Dites-nous au moins que c'est une blague !

M. Charles Pasqua. Laissez-le parler ! Il connaît mieux que vous la Nouvelle-Calédonie !

M. le président. Seul M. Loueckhote a la parole !

M. Simon Loueckhote. Mesurons les conséquences morales, juridiques et politiques de ce vote ! Mesurons le mal qui, probablement, sera fait à la Nouvelle-Calédonie, fait à la France !

Après la restriction de ce droit fondamental qu'est le droit de vote, à quoi allons-nous toucher ? À la restriction du droit de propriété ?

Prenons bien conscience que nous allons probablement ouvrir la porte à une restriction exceptionnelle de certains droits : des droits supprimés ou des droits accordés avec dérogation.

Montesquieu ne conseillait-il pas à ceux qui envisageaient de modifier la loi de ne le faire que « d'une main tremblante » ?

M. André Lejeune. Cela a déjà été dit !

M. Simon Loueckhote. Beau conseil de prudence, que je vous invite à suivre !

La France n'a-t-elle pas de mauvais souvenirs historiques ? À une époque où je n'étais pas né, où mes parents n'avaient pas le droit de vote, ils venaient quand même mourir en « indigènes » pour que vive la France. Ce n'est donc pas à moi de vous faire des rappels historiques. Mais pensons-y quand même !

Je rends hommage à ceux qui m'ont dit qu'ils ne voteraient pas ce texte. Ils ont fait preuve de sagesse et de clairvoyance. C'est la même lucidité que je vous demande d'avoir, mes chers collègues, en refusant de voter aujourd'hui le projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution, et de le faire avec conviction, sans trembler.

Il y va de l'honneur de notre assemblée, de l'honneur de la République. Vive la République ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP. - M. Bruno Retailleau applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, contre la motion.

M. Jean-Luc Mélenchon. Cher collègue Simon Loueckhote, c'est un honneur pour moi d'être celui que le groupe socialiste a désigné pour vous répondre sur cette motion tendant à opposer la question préalable.

Vous êtes un homme de conviction et, à ce titre, chacun vous respecte dans cette assemblée. Si vous pensez ce que vous nous avez dit - et nous n'avons aucune raison d'imaginer qu'il en soit autrement -, je comprends que vous souffriez, que vous soyez malheureux de la situation qui se crée.

Mon intention, en montant à cette tribune, n'est pas de régler des comptes, ni avec vous ni avec qui que ce soit d'autre, mais plutôt d'essayer de convaincre.

En effet, mon intérêt pour le dossier de la Calédonie, auquel j'ai eu le bonheur, un peu étrange par moments, d'être associé depuis que je siège dans cette assemblée et tous les débats qui y ont été consacrés m'ont conduit à des joutes parfois fort vives avec votre prédécesseur, le sénateur Dick Ukeiwé, également respecté. En tout cas, Nouméa, Bourail, Koné, Poum, Maré, Lifou, Sarraméa ne sont pas pour moi de simples points sur une carte : ce sont des lieux que j'ai eu la joie de connaître et où j'ai été reçu par ceux qui y vivent, que ce soit en ville ou en brousse.

De ce que m'ont dit les anciens du territoire que j'ai rencontrés - peut-être ceux de Nimaha disent-ils la même chose -, j'ai retenu que les paroles ne sont pas comme les oiseaux : une fois qu'elles se sont envolées, on ne peut plus les reprendre. Chacun des mots qui vont être prononcés ici sera entendu à 12 000 kilomètres et il ne pourra plus être rattrapé.

Nous avons donc la responsabilité très grande de ne rien dire ici qui rende quoi que ce soit plus compliqué là-bas, sur ce chemin unique et original qui nous a été ouvert à partir des accords de Matignon, lesquels ne résultent pas simplement d'une inspiration soudaine de quelques hommes, mais qui sont avant tout la conséquence d'une situation tragique. Nous ne nous sommes pas arrêtés avant d'avoir été trop loin : nous étions déjà allés trop loin puisqu'il y avait eu mort d'homme.

Je sais que tout ce que nous disons sera lu, entendu. Les anciens, vous les avez évoqués, y seront attentifs. Je me réfère à eux et je les salue, comme je salue avec une chaleur particulière nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie présents ce soir dans les tribunes, notamment le président Paul Néaoutyine.

Mes chers collègues, vous me connaissez : je suis un républicain intransigeant et j'assume le fait d'être un jacobin. C'est pourquoi je suis si heureux d'entendre dans un débat comme celui-ci notre collègue Bruno Retailleau et d'autres se réclamer - vous venez encore de le faire à l'instant, cher Simon Loueckhote - de l'esprit des Lumières.

Nous sommes à cet instant au service de la France d'une manière particulière : nous avons à nous exprimer non pas au nom de la France en tant que nation, en fonction des intérêts de ses ressortissants, mais du point de vue de ce qu'elle incarne pour l'univers tout entier, c'est-à-dire les principes des Lumières ! Nous ne posons aucun acte qui soit contraire à cette vision du monde. Le présent projet de loi constitutionnelle y est totalement conforme, et c'est ce que je voudrais montrer rapidement.

Qu'est-ce qui fonde l'unité et l'indivisibilité de la République ? Ce ne sont pas ses frontières ! C'est l'unité et l'indivisibilité de la communauté légale ! Qu'est-ce qui fonde l'unité et l'indivisibilité de la communauté légale ? C'est l'unité du souverain, c'est-à-dire du peuple ! La loi s'applique à tous et pour qu'elle puisse s'appliquer légitimement à tous, il faut qu'elle soit décidée par tous. La loi est légitime si le souverain est uni.

C'est ce qui ne s'est pas passé sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie. Ce n'est pas moi, Jean-Luc Mélenchon, qui l'affirme : cela figure dans le texte de l'accord de Nouméa, qui part d'un examen lucide et tranquille de la réalité. Ce texte, que vous avez vous-même signé, cher Simon Loueckhote, reconnaît l'existence d'un « peuple kanak » distinct du peuple français. Il évoque également une « souveraineté partagée ». Or pour qu'il y ait une souveraineté partagée, il faut bien qu'il y ait deux souverains !

Simon Loueckhote, cela me fait aussi mal qu'à vous de devoir constater que ces deux souverains sont fondés sur un fait politiquement reconnu dans le texte : le fait colonial. Et si vous vous êtes réclamé à l'instant du général de Gaulle, ce dont je vous félicite, rappelez-vous qu'il aura été le premier décolonisateur dans ce pays. C'est une grande tâche pour la France de sortir d'une situation coloniale pour construire quelque chose de différent, dans la paix et le respect de la dignité des personnes.

À cet égard, je suis certain que nous partageons le même objectif. Peut-être pouvons-nous hésiter sur les moyens. C'est d'ailleurs bien normal, puisque personne n'a jamais fait ce que nous sommes en train de réaliser.

C'est cela qui fonde l'existence d'un corps électoral restreint, dont vous admettez le principe, puisque vous l'avez accepté pour les consultations à venir. Vous le contestez sur un seul point, l'élection aux assemblées locales. Examinons donc rapidement cette question : pourquoi y a-t-il un corps électoral restreint pour les assemblées locales ?

Tout d'abord, est-ce la première fois ? Non, ce n'est la première fois ni en Nouvelle-Calédonie - vous le savez bien, puisque vous avez approuvé et signé les accords - ni dans l'histoire de France. Le corps électoral restreint, cela a commencé en 1947. À l'époque, pour suivre le traité de capitulation de l'Italie fasciste, nous avons fait voter les seules populations concernées - cette possibilité était inscrite dans la Constitution de la IVe République, tout comme elle figure aujourd'hui dans notre Constitution - de Haute Vésubie, c'est-à-dire ses habitants ; ce territoire est dorénavant constitutif du département des Alpes-Maritimes. Nous avons fait de même pour le Territoire français des Afars et des Issas en 1966, désignant un corps électoral restreint avec une durée minimale de présence sur le territoire. Et pourquoi l'avons-nous fait ? Sans hypocrisie, le législateur de l'époque - il n'était pas majoritairement de gauche - a précisé qu'il s'agissait de faire en sorte que les militaires et les fonctionnaires, dont la durée de présence sur place est souvent inférieure à trois ans, ne participent pas au vote parce qu'ils n'étaient pas concernés par l'avenir du territoire.

La notion de « populations intéressées » figure à l'article 53 de notre Constitution. Or qui est intéressé ? Ce sont nécessairement ceux qui sont concernés par l'avenir du territoire et qui doivent ainsi en constituer le souverain.

Nous devons donc en passer par là, monsieur Loueckhote, et je voudrais vous en convaincre même si cela vous choque. D'ailleurs, je vous en fais l'aveu, à maints égards, cela me choque également, moi qui suis un universaliste. Mais je sais que nous devons passer par la citoyenneté calédonienne pour pouvoir retrouver la citoyenneté française. La condition de la paix, c'est l'existence de la citoyenneté calédonienne.

Et pourquoi faut-il le faire pour les élections locales ? Parce que l'assemblée locale peut adopter des « lois du pays ». Il faut donc bien définir le souverain de ces lois. Voilà pourquoi il y a une citoyenneté calédonienne distincte de la citoyenneté française !

Cher collègue Bruno Retailleau, contrairement à ce que vous avez affirmé, ce que nous faisons, ce n'est pas offrir une « prime au communautarisme ». Si c'était le cas, je ne voterais certainement pas cette révision constitutionnelle, dussé-je déplaire à mes camarades ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Mais ce n'est pas le cas. La citoyenneté calédonienne n'inclut aucune ethnie en particulier. Elle n'est réservée ni au seul « peuple kanak » ni aux seuls Caldoches, mais elle concerne tous ceux qui sont installés sur le territoire depuis un certain nombre d'années. C'est totalement différent d'une mesure communautariste ! C'est le droit du sol qui est confirmé.

Et vous avez de la chance d'avoir des indépendantistes à l'esprit suffisamment ouvert et au coeur assez grand pour considérer que la citoyenneté calédonienne, telle que nous l'établissons à cet instant, pourrait constituer demain la base de la nationalité calédonienne, s'ils venaient à l'emporter lors du futur référendum. Vous avez véritablement de la chance, car, dans d'autres départements qui étaient autrefois français, certaines personnes n'ont aujourd'hui plus aucun droit, et vous le savez aussi bien que moi !

Ce que nous faisons en Nouvelle-Calédonie est un laboratoire de l'humanisme républicain ! Aucun des droits que notre République et l'idéal des Lumières ont toujours reconnus n'est méprisé.

Si nous souhaitons que la décision prise le moment venu soit - notre collègue Jean-Paul Virapoullé le rappelait - totalement libre, nous devons accepter la citoyenneté calédonienne. Ensuite, si la population et les citoyens calédoniens optent pour la France et la République française, ils auront fait ce choix tous ensemble, et ce pour la première fois de leur longue histoire. La France sortira alors par le haut et avec honneur de cette situation. Et chacun, qu'il soit indépendantiste ou non, pourra convenir du résultat de ce scrutin sans perdre la face, sans être humilié, car ce sera une décision juste, prise librement et sans le moindre doute.

Bien sûr qu'il nous en coûte ! Il en coûte de ne pas pouvoir proclamer la France tout de suite, à vous et à nous qui l'aimons passionnément, qui l'aimons comme des républicains. Mais il faut en passer par là.

M. Charles Guené. Il vaut mieux entendre ça que d'être sourd !

M. Jean-Luc Mélenchon. Et si nous n'en passons pas par là - ce n'est certainement pas ce que vous souhaitez, Simon Loueckhote, car je vous connais et je sais que vous n'êtes pas un sanguinaire -, le doute subsistera. Or, vous le savez comme moi, ni les accords de Matignon ni l'accord de Nouméa n'auraient été conclus si le principe d'un corps électoral restreint pour les assemblées locales n'avait pas été retenu. Nous devons le répéter sur les tons.

À ce sujet, monsieur Retailleau, vous avez légèrement sollicité le texte de l'accord à l'appui de votre démonstration, qui méconnaît le fait colonial. (M. Bruno Retailleau fait un signe de désapprobation.) Je comprends que vous n'admettiez pas ce principe, mais les protagonistes locaux, eux, l'admettent. Vous ne pouvez donc pas le nier à vous tout seul ! Mais, surtout, vous ne pouvez pas affirmer comme vous l'avez fait que le droit au suffrage sera retiré ; je suis certain que c'était par inadvertance.

M. Jean-Luc Mélenchon. Il sera simplement restreint pour certaines catégories de personnes et seulement lors de certaines élections.

Pour le reste, tous les citoyens de la Nouvelle-Calédonie désigneront le Président de la République française, désigneront leurs députés européens, désigneront leurs députés, désigneront leurs sénateurs. Ils ne sont privés de rien du point de vue de la communauté nationale, de l'unité du souverain français. Mais il en va autrement sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, et cela provisoirement.

M. Bruno Retailleau. Mais l'assemblée locale fait les lois du pays !

M. Jean-Luc Mélenchon. Précisément ! L'article 53 de la Constitution dispose que toute sécession ou tout rattachement de territoire suppose le « consentement des populations intéressées ». Naturellement, ce n'est pas au sens matériel du terme que l'on évoque l'intérêt, encore que l'on puisse quelquefois s'interroger... En l'occurrence, il s'agit des personnes concernées, impliquées par l'avenir du territoire.

Or vous ne pouvez pas affirmer que des résidents provisoires, comme un fonctionnaire en poste pour une durée de deux ans ou trois ans ou un salarié du privé temporairement installé sur un territoire pour des raisons professionnelles, même inscrits sur les listes électorales s'ils sont de bons citoyens, seraient aussi concernés par l'avenir de ce territoire que des familles sur place depuis plusieurs générations.

J'en conviens, nous pourrions dire cela à propos de n'importe quel département métropolitain. Qu'est-ce qui fait la différence ? Je l'ai dit tout à l'heure, c'est le fait colonial, qui a été admis par tout le monde. Et ce n'est pas pour nous flageller ou nous culpabiliser que nous l'évoquons ; c'est pour en sortir, parce que plus personne ici n'en veut ! À droite comme à gauche, nous nous accordons tous sur ce point. Nous voulons la France, toute la France, c'est-à-dire la République !

C'est parce que l'on n'a pas suffisamment fait la République, que l'on n'a pas suffisamment fait la France, que nous rencontrons maintenant cette difficulté en Nouvelle-Calédonie. Si la population et les citoyens calédoniens décident qu'ils veulent rompre avec la France, ils le feront librement ! Quant à nous, la France, nous ne serons coupables de rien du point de vue de la morale, des principes et des Lumières, auxquelles nous sommes attachés. Et ce qui nous importe, c'est la France, notre patrie, je précise même « notre patrie républicaine », car elle n'est notre patrie que parce qu'elle est la République ! Et, vous le savez comme moi, quand la France n'est plus la République, elle n'est plus tout à fait la France ! Quelques-uns ici ont payé assez chèrement dans leur jeunesse pour le savoir.

M. le président. Absolument !

M. Jean-Luc Mélenchon. Pour conclure, monsieur Loueckhote, je m'adresserai à vous non pas pour vous viser personnellement - vous le savez, nos relations ne sont pas de cet ordre, elles sont bonnes, nous pouvons le dire -, mais pour parler à tous nos compatriotes. En effet, vous l'avez à juste titre rappelé tout à l'heure, vous êtes dans votre rôle, vous représentez un secteur de l'opinion de la Nouvelle-Calédonie. C'est à tous nos compatriotes que nous voulons dire que la France des Lumières n'abandonne personne. Au contraire ! À travers cette décision, c'est l'esprit même des Lumières qu'elle met en partage. Certes, le moment n'est pas facile, mais, dans la vie, il est des moments difficiles ! Dans nos vies personnelles, nous en vivons, nous en subissons, mais nous les acceptons, parce que nous voulons aller plus loin, parce que nous souhaitons un ordre des choses qui tende vers le meilleur.

Mes chers compatriotes, mes chers collègues, il faut essayer la fraternité. Il faut essayer de guérir la Nouvelle-Calédonie par la fraternité.

Permettez-moi de faire ici référence au président François Mitterrand, qui déclarait ceci : « La raison dit « séparons-nous » et le coeur dit « restons ensemble ». Mais il n'y aura pas d'autre logique pour maintenir enracinée la paix et faire la France que la logique du coeur. » Pour cela, il faut que la raison ne l'empêche pas et que des mécanismes électoraux trop abstraits ne viennent pas jeter un doute sur la sincérité de cette affection.

Mes chers collègues, si vous voulez la France en Nouvelle-Calédonie, tout le travail est pour vous : il s'agit d'en convaincre une majorité de nos compatriotes. Moi, je le souhaite de tout mon coeur. Mais si ce n'est pas le cas, je veux que la décision soit tout de même prise librement et dans la fraternité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission étant favorable à l'adoption de la présente révision constitutionnelle, elle ne peut naturellement qu'émettre un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable.

Cher Simon Loueckhote, j'ai bien aimé votre intervention lors de la discussion générale. En revanche, j'ai moins apprécié ce que vous avez dit pour présenter cette motion. En effet, vous prétendez que nous ferions preuve de légèreté avec le suffrage universel et que nous serions quelque peu gênés pour défendre notre position.

Cher collègue et ami, permettez-moi de vous rappeler que l'accord de Nouméa a valeur constitutionnelle. Cela a été voté par le Congrès du Parlement en 1998.

En outre, s'agissant de l'interprétation de l'accord de Nouméa, j'ai naturellement recueilli les avis des différents acteurs concernés et tous ne partagent pas votre sentiment.

En 1999, par deux fois, sur la loi organique et sur le projet de loi constitutionnelle, le Parlement a adopté ces dispositions à une très forte majorité. Je rappelle que, sur la réforme constitutionnelle qui n'a finalement pas abouti, le Sénat s'était prononcé par 306 voix contre 7, soit à la quasi-unanimité, en interprétant cet accord dans le sens que nous confirmons aujourd'hui.

Vous estimerez peut-être qu'il s'agit de juridisme, mais, en l'absence de gel du corps électoral, l'accord de Nouméa est juridiquement incompréhensible. En effet, pourquoi aurait-on institué des exceptions, toujours en référence à la consultation du 8 novembre 1998, si le corps électoral pouvait évoluer ? En réalité, la rédaction de l'accord est très claire. Dès lors que l'engagement de la nation tout entière a conféré une valeur constitutionnelle à cet accord, il n'est pas possible de changer d'avis aujourd'hui.

Cela dit, mon cher collègue, vous faites preuve de cohérence, et je ne puis vous le reprocher, puisque vous avez été l'un des seuls sénateurs à ne pas voter ce texte en 1999. En revanche, j'espère que tous ceux qui l'avaient alors voté resteront sur la même ligne.

M. Henri de Raincourt. Ce n'est pas sûr !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La situation, dit-on, a évolué. Mais elle n'a nullement évolué s'agissant des engagements solennellement pris par la France, d'autant qu'ils ont, faut-il le rappeler, une valeur constitutionnelle. Il en va de même pour ce qui a été évoqué à propos du partage de souveraineté défini par l'accord de Nouméa.

Nous ne pouvons pas, me semble-t-il, changer d'avis en fonction des circonstances. Il serait extrêmement grave que le titre XIII de notre Constitution, qui concerne les dispositions relatives à la Nouvelle-Calédonie, ne soit pas respecté.

C'est pourquoi je demande à nos collègues de rejeter la motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. François Baroin, ministre. Monsieur le président, je n'ai rien à ajouter. Les arguments de M. le rapporteur sont identiques à ceux que je souhaitais développer et, bien entendu, le Gouvernement demande le rejet de la motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1 rectifié decies, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 90 :

Nombre de votants 311
Nombre de suffrages exprimés 306
Majorité absolue des suffrages exprimés 154
Pour l'adoption .18
Contre 288

Le Sénat n'a pas adopté.

En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution
Article unique (début)

Articles additionnels avant l'article unique

M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Loueckhote, est ainsi libellé :

Avant l'article unique, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Au troisième alinéa de l'article 72-3 de la Constitution, après les mots : « Le statut de la Nouvelle-Calédonie », sont insérés les mots : «, collectivité territoriale de la République, ».

La parole est à M. Simon Loueckhote.

M. Simon Loueckhote. J'ai eu le sentiment, lorsque j'ai défendu la motion tendant à opposer la question préalable, de heurter la sensibilité de certains, voire de beaucoup de mes collègues.

J'en tire, monsieur le président, toutes les conséquences : pour bien montrer que je ne suis animé d'aucune intention électoraliste dans le combat que je mène ici pour la Nouvelle-Calédonie, j'ai décidé de retirer mes cinq amendements.

Après le débat que nous venons d'avoir sur la motion et le vote auquel elle a donné lieu, je sais bien quel sort leur est réservé. Certes, je pourrais, pour mon plaisir personnel, défendre chacun d'entre eux, mais cela n'aurait guère de sens et ne ferait que heurter davantage ceux de mes collègues qui ne partagent pas mon point de vue. Je prends donc la décision d'y renoncer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Les amendements n°s 2, 3, 4, 5 et 6 sont retirés.

Je rappelle les termes de l'amendement n° 3 :

Avant l'article unique, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Le troisième alinéa de l'article 72-3 de la Constitution est complété par les mots et une phrase ainsi rédigée : « jusqu'au terme de la période transitoire fixé six mois après la dernière consultation en date des populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie défavorable à l'accession à la pleine souveraineté. À ce terme, le suffrage universel est rétabli de plein droit en Nouvelle-Calédonie. »

Articles additionnels avant l'article unique
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution
Article unique (fin)

Article unique

L'article 77 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Dans le troisième alinéa, après le mot : « délibérante », sont insérés les mots : « de la Nouvelle-Calédonie » ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, le tableau auquel se réfèrent l'accord mentionné à l'article 76 et les articles 188 et 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est le tableau dressé à l'occasion du scrutin prévu audit article 76 et comprenant les personnes non admises à y participer. »

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, sur l'article unique.

Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la société néo-calédonienne demeure profondément marquée par une réalité historique qu'il faut prendre en compte avec lucidité : le fait colonial.

Face à cette réalité, un mouvement s'est forgé chez les populations autochtones, qui les a conduites à revendiquer la maîtrise de leur propre destin politique. Ce mouvement a connu des épisodes sanglants, que nul ici ne peut oublier.

C'est la gauche au pouvoir qui a enfin noué le fil du dialogue et ouvert la perspective d'une issue démocratique que l'ensemble de la représentation nationale souhaite aujourd'hui.

Les accords de Matignon-Oudinot, signés en 1988 par Michel Rocard, puis l'accord de Nouméa, signé en 1998 par Lionel Jospin, ont engagé un processus de paix et de développement que nous espérons maintenant irréversible.

Chacun ici a rappelé la chronologie du processus législatif et constitutionnel. Comme l'a indiqué notre rapporteur, les règles fixant la définition du corps électoral en Nouvelle-Calédonie ont été clairement fixées par la loi organique du 19 mars 1999 dans ses articles 188 et 189, qui mettent en application la réforme constitutionnelle de 1998.

La réserve d'interprétation exprimée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 mars 1999 oblige cependant aujourd'hui à une nouvelle modification constitutionnelle. Contrairement à la thèse du corps électoral « glissant », l'article unique du présent texte vise à « geler » le corps électoral néo-calédonien au 8 novembre 1998 pour les élections aux assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces de l'archipel, et seulement pour celles-là. Par ailleurs, cette disposition est provisoire.

Je ne dirai rien de plus sur la rédaction de cet article unique, car elle a été parfaitement précisée et clarifiée par le rapporteur à l'Assemblée nationale, Didier Quentin, puis ici même par notre rapporteur, Jean-Jacques Hyest.

En revanche, je veux rappeler ici pourquoi la définition d'un corps électoral restreint est au coeur du débat.

La population kanak, sur ce territoire si éloigné de la métropole, ne peut oublier qu'elle fut autrefois spoliée de sa terre par le colonisateur.

Mme Catherine Tasca. Elle le peut d'autant moins que le rapport à la terre est constitutif de l'identité kanak et de sa culture d'origine, encore vivante aujourd'hui grâce à la coutume.

C'est la reconnaissance de cette spécificité culturelle par François Mitterrand, Edgard Pisani, Michel Rocard, Louis Le Pensec et Lionel Jospin qui a permis une approche institutionnelle ouverte et des solutions juridiques originales.

Après tant d'années d'exclusion, il était nécessaire de garantir aux Kanaks un accès réel à la maîtrise des affaires qu'on peut qualifier de « locales », c'est-à-dire au niveau où se jouent le destin particulier du territoire et la construction d'une nouvelle citoyenneté. Il était indispensable de leur garantir qu'au moins à ce niveau-là ils ne seraient pas périodiquement submergés ou noyés par des afflux, souvent temporaires, de métropolitains.

C'est cela, et cela seulement, cher Simon Loueckhote, que nous vous demandons d'admettre.

La remise en cause de ce long processus de négociation aurait des conséquences très graves. Il serait à coup sûr dangereux de faire ressurgir le conflit sur la définition d'un corps électoral spécial.

Les accords de 1988 ont été largement approuvés par le peuple français par référendum en novembre 1988. Les accords de Nouméa, signés en 1998 par le FLNKS, le RPCR et l'État, ont confirmé la restriction du corps électoral pour les élections aux assemblées locales.

C'est une péripétie politique qui a empêché que le texte adopté par l'Assemblée nationale et le Sénat en 1999 soit présenté comme prévu à nos deux assemblées réunies en Congrès. Lors d'un déplacement en Nouvelle-Calédonie en juillet 2003, le Président de la République a publiquement indiqué que la question serait réglée avant la fin de son mandat. Il est donc primordial que cette parole soit enfin tenue.

L'Assemblée nationale a adopté le présent projet de loi constitutionnelle ; le Sénat doit faire de même pour qu'intervienne la ratification par le Congrès à la fin du mois de février. C'est le seul moyen de prolonger la paix que nous connaissons depuis 1988. C'est aussi la seule façon de dépasser les questions institutionnelles pour permettre aux Néo-Calédoniens de se consacrer tous ensemble au développement économique et social de leur territoire.

Le rééquilibrage économique entre les provinces, avec notamment la construction de l'usine de nickel, au nord, et le développement volontariste de la formation et de l'emploi pour les Kanaks étaient deux des conditions essentielles des accords. La longueur du processus, les hésitations du gouvernement actuel jusqu'à ces dernières semaines, la position ambiguë du candidat Sarkozy (Murmures de protestation sur les travées de l'UMP) et les divergences qui sont apparues au sein de l'actuelle majorité constituent un signal négatif, qui a contribué à focaliser le débat public en Nouvelle-Calédonie sur la question du corps électoral.

Il est grand temps d'avancer. Nous le devons aux acteurs de la paix en 1988, Jean-Marie Tjibaou, Yéwéné Yéwéné, mais aussi Jacques Lafleur. Nous le devons également aux négociateurs de 1998. Nous le devons surtout à la jeunesse de Nouvelle-Calédonie, qui ne doit pas être otage de pseudo-débats juridiques. Nous le devons enfin aux peuples de cette région du monde, qui regardent la Nouvelle-Calédonie avec intérêt et espoir, comme l'a rappelé notre collègue M. Laufoaulu.

Les sénateurs socialistes sont décidés à respecter scrupuleusement l'esprit et la lettre d'accords longuement négociés, afin que soient enfin réunies les conditions de la confiance qui permettra à toutes les populations de Nouvelle-Calédonie de librement choisir leur destin. C'est pourquoi nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. J'avais été saisi par M. Loueckhote de trois amendements, nos  4, 5 et 6, qu'il a décidé de retirer. J'en rappelle néanmoins les termes :

L'amendement n° 4 était ainsi libellé :

Dans le dernier alinéa de cet article, après le mot :

provinces,

insérer les mots :

chaque assemblée de province peut décider, par délibération au scrutin public, adoptée à la majorité absolue de ses membres d'ici au 6 novembre 2008, que, pour les citoyens de la Nouvelle-Calédonie domiciliés dans la province concernée,

L'amendement n° 5 était ainsi libellé :

Compléter le dernier alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :

Toutefois, les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer, avant le 31 décembre 2007, sur l'interprétation qui résulte de la révision opérée par la loi constitutionnelle n°..... du....... ; sont admises à participer au scrutin les personnes qui, à la date de cette consultation, disposent du droit de vote aux élections des membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces.

L'amendement n° 6 était ainsi libellé :

Compléter le dernier alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :

Toute personne de nationalité française, inscrite sur la liste électorale en vigueur pour les élections nationales en Nouvelle-Calédonie et mariée à un conjoint bénéficiant de la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, bénéficie de plein droit, et sans délai, de cette même citoyenneté pour la durée de son mariage.

M. le président. Avant de mettre aux voix article unique, je donne la parole à M. Charles Pasqua, pour explication de vote.

M. Charles Pasqua. Monsieur le président, je n'avais pas l'intention de prendre la parole mais les propos tenus par Mme Tasca m'amènent à le faire.

J'ai été tout à fait convaincu par la présentation de la question préalable faite par notre collègue Simon Loueckhote et j'ai, de même, partagé l'analyse de notre collègue Bruno Retailleau.

Le Gouvernement est dans son rôle : il soutient ce qui a été décidé par le Président de la République. Mais nous, nous sommes libres de nos paroles et de nos décisions.

Certains nous ont dit que le Sénat s'était déjà prononcé, notamment en 1999. Tout à l'heure, notre collègue Mélenchon nous a même dit que le Sénat s'était déjà saisi du problème de la Nouvelle-Calédonie en 1988. Il n'était pas encore là, donc il ne peut pas savoir ce qui s'est passé...

M. Jean-Luc Mélenchon. Si, j'étais là !

M. Charles Pasqua. Alors, vous devriez vous en souvenir !

M. Jean-Luc Mélenchon. Je m'en souviens très bien !

M. Charles Pasqua. En 1988, nous nous sommes saisis du problème de la Nouvelle-Calédonie. Vous êtes allé là-bas à plusieurs reprises, monsieur Mélenchon ; moi aussi. En temps utile et opportun, nous avons fait ce qu'il fallait faire.

Je ne peux pas laisser dire ni même sous-entendre que le gouvernement de Jacques Chirac aurait eu la moindre responsabilité dans les incidents qui se sont produits en Nouvelle-Calédonie ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Catherine Tasca. Vous appelez cela des « incidents » ?

M. Charles Pasqua. J'avoue que la rengaine de la repentance et les attaques sur le colonialisme commencent vraiment à me peser !

Le Gouvernement est donc libre de présenter ce texte : il est dans son droit ! Mais j'aime autant vous dire que, si j'avais été ici en 1999, je n'aurais pas voté le texte présenté à l'époque, et cela pour une raison simple : je considère que vous alors ouvert une brèche dans les droits constitutionnels fondamentaux qui forment les bases mêmes de la République. Que vous le vouliez ou non, un jour, cette décision vous sera reprochée. C'est une novation que nous risquons de payer très cher !

Je considère donc que le texte qui nous est présenté va à l'encontre des intérêts de la République et, par conséquent, je voterai contre. (M. Bruno Retailleau applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Josselin de Rohan.

M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous serez peut-être été étonnés d'entendre des expressions différentes au sein d'un même groupe.

M. le président. C'est la démocratie !

M. Josselin de Rohan. On nous a suffisamment reproché d'être des inconditionnels du Gouvernement ou du Président de la République pour nous donner acte du fait que nous nous exprimons librement !

Si quelqu'un a le droit de réitérer le vote qui avait précédemment été le sien, c'est bien notre ami Simon Loueckhote. Nous saluons d'ailleurs avec amitié et affection ce collègue loyal et droit. Nous lui reconnaissons parfaitement le droit d'avoir une analyse différente de la nôtre. Comme l'a dit un orateur, même si nous ne votons pas de la même manière, cela n'empêche pas les sentiments !

La plus grande partie de notre groupe estime qu'un engagement est un engagement. Celui qui a été pris s'est traduit dans nos votes en 1999. Si nous ne maintenions pas ce vote, simplement parce que le Conseil constitutionnel a décidé qu'il fallait passer par la procédure de révision constitutionnelle, nous ne ferions rien d'autre que nous déjuger ! Eh bien, nous ne nous déjugerons pas et nous ne voulons pas manquer à l'engagement pris par le Premier ministre de la France, quel qu'il soit. Il a engagé la signature de la République, avec la caution du Président de la République. Ce dernier nous demande de voter ce texte, qu'il s'est lui-même engagé, devant les Calédoniens, à faire adopter parce qu'il l'estime bon pour la paix civile. Nous aussi !

En réalité, l'essentiel a été dit par notre collègue Jean-Paul Virapoullé : lorsque les Calédoniens se prononceront lors des futurs scrutins, qu'il s'agisse de la consultation prévue pour 2014, des élections provinciales ou des élections municipales, on ne doit pas pouvoir contester la légalité ou la légitimité de leur vote. C'est indispensable pour que la parole de la France soit reconnue.

Je sais que ce texte peut heurter et la sensibilité et la conscience d'un certain nombre d'entre nous, parce qu'il est parfaitement dérogatoire au droit public habituel. Mais nous ne sommes pas dans un contexte habituel ni dans une situation ordinaire. Des événements tragiques se sont déroulés en Nouvelle-Calédonie ; ils se sont traduits ensuite par un accord, scellé par des hommes de bonne volonté, qui ont voulu transcender leurs oppositions pour essayer d'établir une société qui pourrait vivre en harmonie.

Mon collègue Henri de Raincourt et moi-même avons reçu récemment une délégation du FLNKS. Ses membres ont souligné qu'ils avaient fait, eux aussi, une concession de taille en acceptant l'allongement du délai précédant la consultation sur l'autodétermination.

Je voudrais rappeler, notamment à Mme Tasca, que nous avons mené, dans cette assemblée, un combat - et je ne le renie pas en aucune manière - contre les entreprises de M. Pisani, qui voulait accorder de manière subreptice l'indépendance à la Nouvelle-Calédonie, sans que le peuple français ait pu être consulté sur ce point. C'est la bataille livrée au Sénat qui l'en a empêché. Je suis fier de ce combat, tout en reconnaissant bien volontiers que l'accord de Nouméa a permis de fonder la paix.

C'est parce que le texte que l'on nous demande de voter aujourd'hui est une conséquence de ce qui a été décidé à Matignon et continué à Nouméa que nous le voterons, en formulant un voeu fervent : nous souhaitons que, lorsque les Calédoniens se prononceront, en 2014, sur leur maintien ou non dans la République française, ils se prononcent pour ce maintien ! Car nous avons profondément conscience que nous pouvons leur apporter beaucoup, comme eux-mêmes d'ailleurs nous ont apporté, en particulier dans un moment tragique de notre histoire : nous n'oublions pas ce que la France libre doit aux Calédoniens !

M. le président. Très bien !

M. Josselin de Rohan. Nous souhaitons donc qu'ils puissent se déterminer en toute liberté et en toute confiance, avec le sentiment que, s'ils choisissent la République, c'est aussi parce qu'elle a su tenir sa parole ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Mme Muguette Dini applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où s'achève ce débat, permettez-moi, au nom du groupe socialiste, d'en saluer la qualité. Nous savons tous comment, sur un tel sujet, la passion peut faire déraper. Or nous avons, les uns et les autres, su conserver la lucidité permettant à ce débat de se dérouler dans la sérénité qui lui est indispensable.

Le groupe socialiste, ce n'est pas une surprise, votera le texte présenté. Il ne le votera pas par discipline mais par conviction, ayant le sentiment que ce vote permettra de clore une étape et d'en ouvrir une autre.

En effet, si nous sommes réunis ce soir - je ne reviendrai pas sur le fond, excellemment présenté par mes collègues Louis Le Pensec, Jean-Luc Mélenchon et Catherine Tasca -, c'est parce que le Conseil constitutionnel a procédé à une interprétation différente de celle qui ressortait des travaux du législateur.

Quand le Conseil constitutionnel, dans le cadre de ses pouvoirs, interprète la loi au regard de la Constitution dans un sens différent de celui qui a été voulu par le législateur, le seul moyen de trancher consiste à saisir le peuple souverain, parce que la souveraineté, dans notre République, n'appartient pas au Conseil constitutionnel. La souveraineté appartient au peuple, qui, en tant que constituant, peut s'exprimer de deux manières : par référendum ou à travers la réunion du Parlement en Congrès.

Il fallait franchir cet obstacle juridique et faire litière de ces interprétations besogneuses d'une réalité politique que tout le monde connaît. Les travaux préparatoires de 1999 expliquent avec une grande clarté, même à ceux qui n'étaient pas là, ce qu'a voulu le législateur, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.

Ce soir, notre mission est de remettre les choses en ordre, de permettre à la souveraineté du peuple français de s'exercer et de créer les conditions qui nous permettront, à Versailles, de clore définitivement une étape, celle qui aurait dû être franchie voilà longtemps, mais qui ne l'a pas été pour des raisons sur lesquelles il est inutile de revenir.

Nous nous réjouissons donc que le Président de la République et le Gouvernement aient présenté ce texte. Cependant, en le votant, nous répondons moins à l'appel du Président de la République qu'à celui de nos convictions, mettant un point final à un processus qui a été entamé par d'autres, conformément au principe de la continuité républicaine.

Je me réjouis encore une fois de la qualité de ce débat et du calme dans lequel il s'est déroulé. Le calme est généralement bien plus propice que la passion au traitement des problèmes. Pour ce qui est d'écrire ou de réécrire l'histoire, laissons cela aux historiens ! Nous, nous faisons de la politique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de passer au vote, je crois pouvoir dire, en écho aux propos qui ont été prononcés, que ce débat a été d'une exceptionnelle qualité. C'est la fierté du Sénat que chacun de ses membres puisse exprimer ses opinions en toute sérénité.

Il ne s'agissait pas d'un débat droite-gauche, mais d'un débat de convictions. Nous avons très bien senti, dans les interventions des uns et des autres, que c'est le coeur qui parlait, surtout en ce qui concerne Simon Loueckhote. Il nous a exposé loyalement son sentiment et nous comprenons sa position, qui est courageuse. Je sais qu'il comprend aussi la position des autres, et je l'en remercie très sincèrement.

C'est cela, la vraie démocratie : chacun s'exprime librement, dit ce qu'il ressent et quelle est sa volonté.

Merci à toutes et à tous d'avoir honoré, ce soir, par ce débat, l'institution à laquelle nous sommes si attachés.

Personne ne demande plus la parole ?....

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi constitutionnelle.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 91 :

Nombre de votants 316
Nombre de suffrages exprimés 309
Majorité absolue des suffrages exprimés 155
Pour l'adoption 296
Contre 13

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - Mme Muguette Dini applaudit également.)

La parole est à M. le ministre.

M. François Baroin, ministre. Je tiens tout d'abord à remercier la Haute Assemblée de ce vote très important.

Monsieur le président, comme j'ai eu l'occasion de le souligner dans mon propos introductif, il est précieux qu'un haut représentant de l'État porte une attention personnelle aux questions ultramarines. Il faut bien l'avouer, la plupart de nos compatriotes métropolitains connaissent mal les problèmes de l'outre-mer, qu'il s'agisse de leurs aspects sociaux et économiques ou de la manière dont ils sont vécus par les habitants des territoires considérés.

L'avenir de la place de l'État, aux côtés de nos collectivités territoriales, d'une part, et aux côtés de nos compatriotes ultramarins, d'autre part, est une question majeure pour tout gouvernement - quelle que soit sa sensibilité politique - et notamment, je peux le dire à la lumière de mon expérience, pour tout ministre de l'outre-mer.

Lorsqu'on a cette responsabilité, qu'on incarne l'État vis-à-vis des populations ultramarines et de leurs élus, on doit d'abord chercher à respecter l'histoire de ces territoires et à connaître le quotidien de ceux qui y vivent avant de définir les politiques publiques à mener : c'est une exigence de tous les instants.

Voilà pourquoi, en conscience, je me suis engagé, au sein du Gouvernement, aux côtés du Premier ministre et du Président de la République, afin que le respect de la parole donnée puisse garantir à l'État toute sa place et lui permettre de garder à l'avenir toute sa crédibilité, toute sa puissance d'impartialité, afin que soit donc conforté son rôle de partenaire loyal, durable et constructif.

Au nom du respect de la parole donnée, nous nous sommes engagés - et différentes majorités ont successivement apporté leur pierre à l'édifice -, sans aucune réticence ni réserve, pour permettre à l'État de demeurer le partenaire que les Calédoniens sont en droit d'attendre.

Maintenant que ce projet de loi a été adopté en des termes identiques à l'Assemblée nationale et au Sénat, nous devons nous interroger sur la question du rôle et de la place de l'État en outre-mer. Nous avons eu ces débats lors de la discussion du projet de loi portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer. La question de la présence de l'État se pose pour l'ensemble de nos territoires, quel que soit l'océan qui les baigne. Cette expression de besoin d'État doit être intégrée dans les politiques publiques que nous devons conduire.

Je tiens à souligner la qualité des convictions exprimées dans cet hémicycle et à faire part aux orateurs de la reconnaissance du Gouvernement, car ce sujet sensible requiert un éclairage précis.

Je remercie tout particulièrement le président Jean-Jacques Hyest de son implication.

J'ai manifesté dans mon propos liminaire mon amitié à Simon Loueckhote. Il la conserve, car l'amitié ne se négocie pas, ne se monnaie pas ; elle est indéfectible et ne peut en aucune façon se trouver altérée par quelque événement que ce soit. Je respecte sa position. J'ai entendu tous ses messages, en retenant particulièrement certains d'entre eux. Quoi qu'il en soit, je veux rendre hommage à la manière noble, responsable et élégante dont, sans rien renier de ses convictions, il a retiré ses amendements. (Applaudissements sur les travées de l'UMP - M. Claude Biwer applaudit également.)

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution
 

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TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 155, distribué et renvoyé à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

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DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. Nicolas Alfonsi une proposition de loi tendant à modifier certaines dispositions relatives au fonctionnement de la collectivité territoriale de Corse.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 156, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

J'ai reçu de MM. Louis de Broissia, Laurent Béteille, Jean-Paul Alduy, Jean-Paul Amoudry, Pierre André, Jacques Baudot, René Beaumont, Claude Belot, Jacques Blanc, Paul Blanc, Mmes Brigitte Bout, Paulette Brisepierre, MM. Jean-Claude Carle, Auguste Cazalet, Gérard César, Marcel-Pierre Cléach, Christian Cointat, Gérard Cornu, Philippe Dallier, Serge Dassault, Robert Del Picchia, Christian Demuynck, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Éric Doligé, Michel Doublet, Alain Dufaut, Ambroise Dupont, Louis Duvernois, Michel Esneu, Hubert Falco, André Ferrand, Alain Fouché, Bernard Fournier, Yann Gaillard, René Garrec, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Jean-Claude Gaudin, Patrice Gélard, Alain Gérard, Charles Ginésy, Daniel Goulet, Alain Gournac, Mme Adeline Gousseau, MM. Adrien Gouteyron, Francis Grignon, Louis Grillot, Michel Guerry, Hubert Haenel, Pierre Hérisson, Mme Marie Thérèse Hermange, MM. Michel Houel, Jean-François Humbert, Mme Christiane Hummel, MM. Benoît Huré, Pierre Jarlier, Mme Christiane Kammermann, MM. Roger Karoutchi, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Jean François Le Grand, Philippe Leroy, Gérard Longuet, Simon Loueckhote, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean-Louis Masson, Alain Milon, Mme Monique Papon, MM. Charles Pasqua, Jacques Peyrat, Jackie Pierre, Bruno Retailleau, Philippe Richert, Mmes Esther Sittler, Catherine Troendle, MM. André Trillard, François Trucy, Jean-Pierre Vial et Jean-Paul Virapoullé une proposition de loi visant à la reconnaissance de l'État et à l'instauration de mesures de réparation en faveur des pupilles de la Nation et des orphelins de guerre ou du devoir.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 157, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

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TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de décision du Conseil portant création de l'Office européen de police (EUROPOL).

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3383 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Position commune du Conseil 2007/.../PESC du... renouvelant les mesures restrictives instituées à l'encontre de la Côte d'Ivoire. PESC Côte d'Ivoire 01/07.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3384 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Position commune du Conseil 2007/.../PESC du... modifiant et renouvelant les mesures restrictives instituées à l'encontre du Liberia. PESC LIBERIA 01/07

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3385 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Position commune du Conseil 2007/.../PESC du... modifiant la position commune 2002/960/PESC du Conseil concernant des mesures restrictives à l'encontre de la Somalie. PESC SOMALIE 01/07.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3386 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 396/2005 concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux d'origine végétale et animale, en ce qui concerne les compétences d'exécution conférées à la Commission.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3387 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1829/2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, en ce qui concerne les compétences d'exécution conférées à la Commission.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3388 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Avant-projet de budget rectificatif n° 1 au budget général 2007 - État général des recettes. État des recettes et des dépenses par section. Section III. Commission. Annexe 1.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3389 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/87/CE afin d'intégrer les activités aériennes dans le système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3390 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la communication de statistiques sur l'aquaculture par les États membres.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3391 et distribué.

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Renvoi pour avis

M. le président. J'informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention internationale contre le dopage dans le sport (n° 153, 2006-2007) dont la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est saisie au fond, est renvoyé pour avis à sa demande, à la commission des affaires culturelles.

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DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président. J'ai reçu de Mme Valérie Létard un rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi de Mme Valérie Létard, M. Nicolas About, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Jean Marie Vanlerenberghe, Mme Anne-Marie Payet, MM. Michel Mercier et Bernard Seillier, portant réforme des minima sociaux (n° 425, 2005-2006).

Le rapport sera imprimé sous le n° 158 et distribué.

J'ai reçu de M. Francis Giraud un rapport fait au nom de la commission des Affaires sociales sur la proposition de loi de MM. Francis Giraud, Paul Blanc, Mme Brigitte Bout, M. Jean-Pierre Cantegrit, Mme Isabelle Debré, M. Gérard Dériot, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Alain Gournac, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Christiane Kammermann, MM. Jean-Marc Juilhard, André Lardeux, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Alain Milon, Mmes Catherine Procaccia, Janine Rozier, Esther Sittler et M. Louis Souvet, relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur (n° 90, 2006-2007).

Le rapport sera imprimé sous le n° 159 et distribué.

15

ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 17 janvier 2007 à quinze heures et le soir :

Discussion du projet de loi (n° 117, 2006-2007) de modernisation du dialogue social, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence.

Rapport (n° 152, 2006-2007) de Mme Catherine Procaccia, fait au nom de la commission des affaires sociales.

Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.

Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

Délai limite pour les inscriptions de parole

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à l'accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé (n° 108, 2006-2007) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 17 janvier 2007, à dix-sept heures.

Conclusions de la commission des affaires économiques (n° 147, 2006-2007) sur la proposition de loi portant création d'un établissement public de gestion des équipements publics du quartier d'affaires dit de « La Défense », présentée par M. Roger Karoutchi (n° 140, 2006-2007) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 17 janvier 2007, à dix-sept heures.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-deux heures quarante.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD