compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures quarante.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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quartiers en difficulté

Débat sur les travaux d'une mission d'information commune

Ordre du jour réservé

M. le président. L'ordre du jour appelle un débat sur les travaux de la mission d'information commune sur le bilan et les perspectives d'avenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté depuis une quinzaine d'années.

Par-delà les événements du mois de novembre 2005, le Sénat, toujours au plus près des inquiétudes des Françaises et des Français, a pris l'initiative, dès le mois de décembre 2005, de mettre en place une mission d'information commune aux six commissions permanentes, afin d'effectuer un bilan des politiques de la ville conduites depuis 1990.

L'objet de cette mission dépassait l'analyse immédiate de la crise des banlieues pour englober une réflexion plus large, plus sereine et plus ambitieuse sur les politiques mises en oeuvre depuis environ quinze années en faveur des quartiers en difficulté.

Ce travail parlementaire de neuf mois s'inscrit dans un contexte révélateur de l'attention que porte le Sénat à la situation des quartiers en difficulté et, en particulier, à l'avenir des jeunes qui y habitent.

N'est-ce pas un rapport de notre collègue Pierre André qui a permis en 2002 de relancer, au niveau européen, les zones franches urbaines ?

Vous me permettrez aussi de rappeler que le Sénat organise depuis 2002, avec le ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, le concours appelé « Talents des cités ». Lorsque les trophées ont été remis aux lauréats par des sénateurs de toutes tendances politiques voilà quelques semaines, il y avait de l'émotion et, surtout, un vent d'optimisme qui nous rendaient confiants dans l'avenir. Vous pouvez en témoigner, madame le ministre, puisque vous étiez présente.

La mission a beaucoup et bien travaillé.

Je tiens à féliciter son président, M. Alex Türk, et son rapporteur, M. Pierre André, ainsi que l'ensemble des membres de la mission, de la majorité comme de l'opposition,...

M. Thierry Repentin. Très bien !

M. le président. ...pour le remarquable rapport issu du travail qu'ils ont fourni tous ensemble.

Je ne peux que me réjouir de ce que la conférence des présidents ait décidé, à travers l'ordre du jour réservé et avec l'accord de tous, de donner à ces travaux un retentissement particulier en permettant au Sénat d'en débattre en séance plénière, devant un auditoire important.

En cet instant, je voudrais, au nom du Sénat tout entier, qui représente toutes les collectivités territoriales, rendre un hommage solennel à l'action des maires qui, comme à l'accoutumée, se retrouvent dans certaines situations en première ligne.

Saluons aussi l'action des services publics qui, au plus près du terrain, assurent leur mission dans des conditions difficiles.

Mes chers collègues, place maintenant au débat. Nous entendrons d'abord le président et le rapporteur de la mission d'information. L'ensemble des groupes politiques pourront ensuite exprimer leur point de vue, puis le Gouvernement aura la possibilité de réagir aux propositions de la mission d'information, afin que s'engage une véritable réflexion d'ensemble.

Je donne sans plus tarder la parole à M. Alex Türk, président de la mission commune d'information.

M. Alex Türk, président de la mission d'information. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, en tant que président de la mission d'information commune sur les quartiers en difficulté, je vous proposerai un mode d'emploi du rapport qu'elle a publié, puis M. le rapporteur traitera le fond des questions.

Je veux donc vous faire part de l'état d'esprit des membres de cette mission tout au long de leurs neuf mois de travaux.

Tout d'abord, à la lecture du rapport, vous pouvez constater que la mission a fourni un travail très important et riche de propositions, qu'elle a entendu de très nombreuses personnes et qu'elle a effectué plusieurs déplacements tant à l'étranger qu'en France, que ce soit en métropole ou dans les territoires d'outre-mer. Ces déplacements nous ont permis à chaque fois de faire des comparaisons et de relancer notre mécanique de questionnement.

Ensuite, j'indiquerai que, s'il y a eu quelques abstentions, aucun vote hostile n'est intervenu lors de l'adoption de ce rapport. Je souligne ce point parce que, bien souvent, certains rapports, encensés à leur sortie, sont mis aux oubliettes de l'histoire parlementaire.

Il importe qu'un tel rapport serve de référence à tous les débats qui se dérouleront au cours des prochains mois, ou alors ce serait à désespérer de notre démocratie parlementaire !

Sur ce sujet, il nous faut éviter certaines chausse-trappes, et détruire certains mythes, qui se transforment parfois en rumeurs.

Premièrement, il n'existe pas une cause unique aux problèmes que nous avons essayé d'analyser. Moi-même, au tout début des travaux de la mission, je ne vous cache pas que je n'ai eu de cesse de demander au rapporteur d'en rechercher la causalité essentielle. Or, je me suis rendu compte qu'il existait un faisceau de motifs. Même si cela dérange nos esprits cartésiens, il faut tenir compte de cette réalité.

S'il n'y a pas une seule cause, il n'y a pas non plus une seule solution. Je tiens à le dire à l'intention des charlatans et des apprentis magiciens qui prétendent qu'il faudrait mettre en place telle mesure pour que, instantanément, tout aille bien dans les banlieues. Si c'était vrai, les personnes compétentes au sein de la mission d'information commune et dans cette enceinte nous l'auraient dit ! En réalité, il faut essayer de mettre en harmonie plusieurs solutions pour traiter ces problèmes.

Deuxièmement, il convient de repousser certaines tentations médiatiques et politiciennes, ce qui n'est pas toujours simple. À cet égard, je prendrai l'exemple de la police, dont la presse parle beaucoup.

Évidemment, il est plus excitant de dire que l'on est passé de telle solution à telle autre, puis à telle autre. Hier soir, j'ai relu longuement et dans le détail le rapport de la mission d'information. Le rapporteur explique que, dans un premier temps, le ministère de l'intérieur a choisi de relancer l'action judiciaire, puis, dans un second temps, il a mis en place des référents. Il faut mettre l'accent sur cette seconde étape et en accélérer le processus, car il faut aller encore plus loin. En la matière, je soutiens totalement la position du rapporteur.

Plutôt que d'engager des polémiques stériles sur un tel sujet, on aurait d'ailleurs beaucoup à gagner en ayant une sémantique plus adaptée aux circonstances. En fait, l'objectif final est que la police arrête les délinquants et fasse, en même temps, un travail de prévention dans les quartiers.

Troisièmement, il convient d'isoler certains paradoxes pour les intégrer dans notre réflexion. J'en évoquerai notamment deux.

Le premier paradoxe concerne le maire. J'ai exercé des responsabilités municipales, mais je ne suis pas maire, ce qui m'a permis d'avoir un certain recul par rapport à mes collègues qui sont, pour la plupart, plus impliqués. Le rôle du maire en la matière est insupportable, car son champ de compétences est limité sur le plan juridique, mais on veut lui faire porter toutes les responsabilités. Il faut donc vraiment traiter cette question de manière approfondie, car le maire est dans une position délicate.

Le deuxième paradoxe concerne les jeunes. Chaque fois que nous sommes allés à leur rencontre, nous avons tous été frappés de constater que ces jeunes manifestaient leur attachement au quartier et exprimaient en même temps un sentiment de relégation. On imagine le déchirement du jeune qui a le sentiment de ne pas être heureux dans son quartier, qui a la tentation d'en partir, mais qui souhaite aussi y rester. Aucune mesure ne sera efficace et juste si elle ne tient pas compte de cet état psychologique.

Enfin, le dernier problème que chacun ressent fortement a trait à la gestion du temps ; c'est la grande difficulté à laquelle nous sommes confrontés.

Ces derniers jours, on m'a apostrophé pour me dire que rien n'avait changé en un an. Mais si, les choses ont changé ! Ne tombons pas dans ce travers et soyons réalistes. Ce n'est pas, hélas ! en un an que nous allons transformer la situation dans ces quartiers ; ayons tous le courage et l'honnêteté de le dire. Nous le savons, la situation s'est fortement dégradée depuis quelques années dans ces quartiers, où vit bien souvent une société duale. Il est urgent de réagir.

Or, le temps de la réponse est lent, qu'il s'agisse des délais de procédure et d'investissement pour les programmes de rénovation urbaine. Chacun comprend bien que ces réalisations posent des problèmes techniques. C'est également vrai dans d'autres domaines, compte tenu de l'inertie naturelle de l'esprit humain.

Même si nous proposons des réponses techniques dans les deux domaines qui me préoccupent beaucoup, à savoir l'éducation et l'emploi, il va falloir faire une véritable révolution dans les esprits pour aborder de front la question des relations entre l'entreprise et le secteur éducatif. On peut d'ailleurs dire la même chose au sein même du secteur éducatif et de l'entreprise.

Au point où nous en sommes aujourd'hui, rien ne serait plus dangereux que de corriger successivement la trajectoire suivie ou de rompre la continuité des actions entreprises. Cela pourrait susciter au mieux l'incompréhension et, au pire, le découragement.

Mes chers collègues, pour éviter les ruptures, toutes les forces de notre pays doivent agir de manière conjointe, convergente et continue. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pierre André, rapporteur de la mission d'information. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pendant ces dix mois, la mission commune d'information a travaillé dans un climat républicain, empreint de dignité et de responsabilité. Je tiens tout d'abord à en remercier son président, M. Alex Türk, ainsi que l'ensemble de mes collègues membres de la mission

Monsieur Türk, la feuille de route que vous nous aviez confiée était très claire. Il s'agissait de réaliser un travail sur plusieurs mois pour dresser le bilan le plus objectif possible des politiques qui ont été menées en faveur des quartiers en difficulté depuis une quinzaine d'années et de formuler les propositions qui semblaient intéressantes pour notre pays.

Il n'était pas question de constituer une quelconque commission d'enquête sur les événements qui se sont déroulés au cours de l'automne dernier, pas plus que de distribuer des bons points ou des mauvais points à tel ou tel gouvernement ou à tel ou tel ministre. Bien au contraire !

Nous avons sillonné une partie de la France, entendu plus de soixante personnes et rencontré des responsables dans l'Europe entière, de Barcelone à Londres, de l'Allemagne aux Pays-Bas, pour voir si notre politique en la matière était en retard et si nos partenaires européens avaient de meilleures solutions. Non, ils ne font pas mieux que nous ! Nos collègues des autres grandes villes européennes ont dit qu'ils pouvaient eux aussi, du jour au lendemain, être confrontés, dans les mêmes conditions, aux mêmes événements que ceux que nous avons connus l'automne dernier.

À l'issue de nos travaux, nous faisons aujourd'hui soixante-dix propositions qui concernent le logement, l'école, l'emploi, la cohésion sociale, la sécurité, les crédits et la gouvernance de la politique de la ville.

Nous avons eu pour souci, toutes tendances politiques confondues, de ne pas tomber dans le spectaculaire ou de proposer des solutions miracles. Si de telles solutions existaient, nous le saurions certainement déjà. Nous avons donc voulu apporter des réponses concrètes et réalistes.

Le consensus qui s'est dégagé au sein de la mission d'information constitue un signal fort adressé aux habitants des quartiers en difficulté et aux acteurs qui, tous les jours, se battent sur le terrain pour que la vie y soit meilleure.

J'en viens à présent au constat et aux propositions de la mission d'information.

Le constat général, nous le connaissons tous : une certaine dégradation de la situation économique et des politiques de peuplement menées depuis trente ans dans certains quartiers qui ont abouti à la constitution de ghettos urbains où se concentrent aujourd'hui toutes les difficultés. Je rappelle que le taux de chômage y est le double de la moyenne nationale.

Face à cette situation, nous avons estimé qu'un nouveau pacte de solidarité en faveur des quartiers devait se nouer autour de quatre axes prioritaires.

Le premier axe de ce pacte, le plus urgent, concerne la jeunesse.

Les quartiers en difficulté comptent, aujourd'hui, une proportion de jeunes très supérieure au reste du territoire. C'est donc, d'une certaine façon, l'avenir de notre pays qui s'y joue. Or la déscolarisation et le chômage touchent davantage les jeunes de ces quartiers puisque 36 % des jeunes âgés de quinze à vingt-cinq ans sont au chômage. C'est pourquoi notre première priorité doit être de faire en sorte que 100 % de ces jeunes soient occupés à travers un emploi, une formation, un service civil ou un contrat aidé. Aucun jeune ne doit rester au bord du chemin.

Pour ce faire, il faut les réconcilier avec le système scolaire, dont ils se sentent bien souvent rejetés. La mission d'information estime donc urgent d'améliorer l'offre scolaire dans les quartiers, notamment en plafonnant la taille des établissements, en rémunérant mieux les enseignants et en recrutant également de nouveaux intervenants pour encadrer les études, comme les retraités, les mères de famille ou les étudiants, afin d'aider ceux que nous appelons « les orphelins de seize heures trente ».

La mission estime indispensable de renforcer les liens entre l'école et les entreprises. Dans cet objectif, elle propose notamment de développer les programmes de parrainage avec les entreprises, de mettre en place dès le collège des modules de sensibilisation aux exigences de la vie professionnelle et d'organiser des stages en entreprises pour les enseignants et les personnels d'orientation.

Enfin, la mission propose la création d'un « compte mobilité emploi » pour permettre aux jeunes de ces quartiers en difficulté de postuler à des emplois sur l'ensemble du territoire national.

Le deuxième axe de ce pacte concerne le renforcement de la présence de l'État et des services publics dans les quartiers.

Les membres de la mission ont constaté, tout au long de leur étude, que, dans les quartiers les plus sensibles, la présence de l'État ne peut pas se limiter à celle des forces de l'ordre. Il faut que l'ensemble des services de l'État soient à nouveau présents dans ces quartiers.

Les maires des communes de France de plus de 10 000 habitants, consultés par écrit, mais aussi des responsables des associations, ont fait part de leur souhait d'avoir en face d'eux des référents policiers qui les écoutent, afin qu'une sécurité plus grande règne dans ces quartiers.

Je n'hésite pas à évoquer la présence de la police de proximité, à propos de laquelle un faux débat s'instaure. Car on donne l'impression de condamner un Premier ministre par rapport à un autre. Or, l'enjeu n'est pas là. Nous enfermer dans un tel raisonnement nous conduirait à coup sûr une nouvelle fois droit dans le mur.

Nous ne voulons pas une police de proximité telle que nous l'avons connue entre 1999 et 2002, période au cours de laquelle la délinquance, dans les quartiers difficiles, a enregistré une hausse de 14,5 %, alors que, depuis quatre ans, elle baisse d'environ 8 %. Nous voulons une police qui vienne en complément de la police actuellement en place avec des moyens d'investigation efficaces.

En lisant la presse, ce matin, j'ai eu l'impression que s'engageait une nouvelle guerre des polices, que le Sénat ouvrirait les hostilités. Il n'en est rien.

Quelles propositions faisons-nous ?

Il faut réactiver la police de proximité, assurer des rémunérations et des perspectives de carrière valorisantes pour les policiers et les gendarmes intervenant dans les zones urbaines sensibles, développer une véritable coordination entre la police municipale et la police nationale, rappeler au parquet son rôle de direction de l'action de la police, ouvrir le service volontaire citoyen de la police nationale aux résidents étrangers, améliorer la formation des gardiens de la paix en prévoyant des modules ciblés sur la jeunesse et sur la lutte contre les discriminations, généraliser la pratique des référents policiers, prévue pour les établissements scolaires, les syndics de copropriété, les offices d'HLM ou les assistances sociales, améliorer la transparence des données en matière d'effectifs et de forces de l'ordre, généraliser la création de cellules de veille auprès des comités locaux de prévoyance de la délinquance dans les zones urbaines sensibles, publier le décret relatif à l'étude préalable de sécurité prévu par la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995 et développer des équipes de prévention spécialisées.

Telles sont nos propositions en matière de sécurité. Nous n'avons déclaré la guerre à personne. Notre unique volonté est de voir la population de ces quartiers vivre en sécurité, comme elle en a le droit.

Nous souhaitons qu'un signal fort soit adressé aux agents publics de ces quartiers afin que les professionnels les plus expérimentés - nous songeons, en particulier, aux enseignants et aux policiers - soient affectés dans ces zones.

Il n'est pas normal que ce soient les policiers et les professeurs les plus jeunes qui soient envoyés auprès de populations qu'ils ne connaissent pas et qu'ils cherchent ensuite à quitter au plus vite.

C'est pourquoi nous proposons que soit très fortement majorée l'indemnité de résidence des fonctionnaires affectés dans ces quartiers et que soient améliorées leurs perspectives de carrière.

Enfin, la présence de services publics de qualité est indissociable d'un maillage associatif dense, libéré de toutes les contraintes qui pèsent sur lui, en particulier de la chasse aux subventions.

À cet égard, madame la ministre, la création de l'Agence pour la cohésion sociale et l'égalité sociale, faisant suite aux anciennes procédures des contrats de ville, garantira aux associations la pérennité de leurs subventions pluriannuelles. C'est un progrès.

Le troisième axe de ce pacte, qui s'inscrit dans une ambition à plus long terme, est la redéfinition d'un projet urbain cohérent pour casser les ghettos.

Tous les acteurs s'accordent à dire que la création de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine a suscité sur le terrain une immense mobilisation et le grand espoir que la physionomie et les fonctionnabilités de ces quartiers s'améliorent enfin. C'est pourquoi la mission souhaite que les crédits de cette agence, qui s'élèvent à 30 milliards d'euros, ce qui représente un effort sans précédent, soient sanctuarisés, car elle devra faire face, dans les années à venir, à des besoins de financement très importants.

La mission désire qu'un travail de mémoire sur le patrimoine soit fait lors des destructions des immeubles, que les personnes qui perdent leur logement puissent se reloger dans les meilleures conditions possible, qu'un effort soit fait sur les loyers.

Il faut engager une réflexion, au cours des mois et des semaines à venir, sur des mesures nouvelles destinées à enrayer la dégradation des copropriétés concentrant des populations exclues du logement social, souvent parmi les plus pauvres, victimes des marchands de sommeil.

La rénovation urbaine ne doit pas se limiter à la démolition de logements. Elle doit être l'occasion d'accroître la mixité sociale et la mixité des fonctions urbaines, notamment en favorisant le développement économique des quartiers concernés.

À cette fin, la mission propose de créer des pôles de développement économique dans les quartiers en lançant des appels à projets bénéficiant de fonds publics et de fonds privés.

La réussite des zones franches urbaines, que le Gouvernement a bien voulu relancer, avec la création de plus de 60 000 emplois, montre qu'aucune fatalité ne s'oppose à la création d'entreprises ou d'emplois dans les zones les plus en difficulté.

S'agissant de la mixité sociale, des travaux récents ont démontré l'existence d'une faible mobilité résidentielle, qui accroît la ghettoïsation. Ce sont les personnes les plus fragiles qui arrivent dans ces quartiers et y restent alors que les autres poursuivent des trajectoires résidentielles vers d'autres quartiers.

C'est pourquoi la mission estime indispensable de permettre aux habitants d'effectuer des parcours résidentiels ascendants au sein des quartiers.

Une politique ambitieuse d'accession sociale à la propriété doit être mise en oeuvre. Elle pourrait passer, notamment, par des exonérations de droits de mutation ou par une majoration des prêts à taux zéro.

En outre, il est important de pouvoir, à l'occasion des opérations de rénovation urbaine, reconstruire des logements sociaux en dehors des quartiers qui en concentrent déjà le plus.

C'est pourquoi la mission insiste fortement sur le respect par les communes de leurs obligations en matière de construction de logements sociaux.

Enfin, toujours dans un souci de mixité sociale, elle propose de favoriser le retour des classes moyennes dans les quartiers par des incitations fiscales, à l'image de ce qui a été mis en place dans certains pays européens, notamment aux Pays-Bas.

Le dernier axe de ce pacte concerne l'invention d'une nouvelle gouvernance. Des observateurs ont dénoncé, au moment des émeutes, la « faillite de la politique de la ville » et ont évoqué les milliards investis depuis vingt ans, qui seraient partis en fumée.

Une telle analyse, qui est fausse, néglige deux faits très importants.

D'une part, cette politique, si elle a permis indéniablement de limiter les effets négatifs des processus de ségrégation, n'a jamais eu pour vocation de lutter contre les racines profondes du mal, faute de moyens.

D'autre part, alors que les autres politiques, celles de l'emploi, du logement, de l'éducation, auraient dû se concentrer prioritairement sur ces quartiers, nous avons constaté que, bien souvent, les crédits de la politique de la ville se substituaient à ceux des autres ministères. Or, c'est là l'inverse de l'objectif que l'on cherche à atteindre.

C'est pourquoi il faut impérativement inventer les outils qui permettront cette nouvelle gouvernance de la politique de la ville : à l'avenir, toutes les politiques mises en oeuvre devront inclure, en faveur de ces quartiers, un effort particulier et permanent, qui ne soit plus limité aux seules périodes de crise. Pour cela, nous proposons plusieurs mesures.

Nous souhaitons, tout d'abord, confier la responsabilité des quartiers en difficulté à un ministre d'État, qui serait ainsi compétent pour l'aménagement du territoire, la ville et le logement. Madame la ministre, quelle belle promotion s'offre à vous ! (M. Jean-Pierre Raffarin applaudit.)

M. Pierre André, rapporteur. Nous suggérons, ensuite, que le Gouvernement prépare un projet de loi d'orientation et de programmation quinquennale, afin de sanctuariser les moyens affectés aux quartiers sur l'ensemble de la législature, au-delà des aléas de l'annualité budgétaire.

Enfin, l'heure est venue d'apporter une réponse spécifique aux problèmes du département de la Seine-Saint-Denis, qui concentre un grand nombre de difficultés. La mission propose donc d'élaborer un texte de loi spécifique pour ce département, qui pourrait déroger au droit commun, notamment dans les domaines de l'emploi, de l'éducation et du logement, et prévoir des compétences accrues aux collectivités locales.

Dans cette gouvernance nouvelle, il faut rappeler, comme vous l'avez fait, monsieur le président, la place essentielle du maire, qui est en effet au coeur du dispositif et qui est le plus à même de répondre aux préoccupations quotidiennes de ses concitoyens.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Pierre André, rapporteur. De Clichy-sous-Bois à Marseille, de Strasbourg à Lille, de Grenoble au Havre, sans l'implication des maires, qu'ils soient de droite, de gauche ou du centre, les flammèches des banlieues auraient provoqué l'embrasement des villes.

Au nom de la mission, je tiens à leur rendre hommage et à les remercier de leur contribution à notre rapport écrit.

M. le président. Le Sénat tout entier s'associe à cet hommage, monsieur le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Le Gouvernement aussi !

M. Pierre-Yves Collombat. Il faut leur donner des moyens !

M. Pierre André, rapporteur. Mes chers collègues, vous le savez, mais il faut le rappeler, l'oisiveté est source de délinquance et socle de désespérance. Notre objectif prioritaire, c'est donc que 100 % des jeunes puissent avoir une activité.

L'État, la République, doit être plus présent encore dans les quartiers. À cette fin, nous vous proposons des dispositifs pour renforcer les services publics sur ces territoires.

M. Roland Muzeau. Il y a du boulot !

M. Pierre André, rapporteur. Ceux-ci doivent devenir des lieux de vie et ne pas rester de simples cités-dortoirs. Les erreurs du passé doivent servir de leçon : hier, il fallait faire face à des problèmes quantitatifs ; aujourd'hui, c'est la qualité de vie qui doit guider notre approche de la ville. Dans ce domaine, notre ambition est de redéfinir un projet urbain cohérent, pour « casser » les ghettos.

Actuellement, près de 80 % de la population française vit en milieu urbain, et près de 10 % dans des quartiers difficiles. Les évolutions en matière d'aménagement du territoire ont permis d'obtenir des réussites importantes : les transports se sont modernisés, grâce au TGV et à l'amélioration du réseau autoroutier, plusieurs centres de recherche et de développement ont été construits, notamment dans le domaine des nouvelles technologies. Au final, nombre de nos régions ont connu un développement économique certain.

Une telle évolution change la donne, car, face à ces progrès, nous sommes malheureusement obligés de constater que les quartiers difficiles deviennent encore plus difficiles. Or, parce que nous ne pouvons pas laisser s'instaurer des « poches explosives de pauvreté », nous devons imaginer un nouveau projet et inventer une nouvelle gouvernance de la politique de la ville.

Telles sont, madame la ministre, mes chers collègues, les grandes lignes du rapport de la mission commune d'information. Ces propositions, si elles peuvent paraître nombreuses et diverses, impliquent l'utilisation de tous les dispositifs existants et la mobilisation de tous les acteurs concernés, qu'il s'agisse de l'État, des collectivités territoriales, des associations, des populations, mais aussi des entreprises.

Contrairement à ce qui peut parfois se dire ou se lire ici ou là, je crois pouvoir dire que la politique de la ville, notamment en faveur des quartiers en difficulté, n'a pas démérité et a contribué à prévenir d'autres embrasements. Il convient de la poursuivre et de l'amplifier, en utilisant toute la palette des outils disponibles. Ainsi, sur le plan financier, les crédits devront être « sanctuarisés ».

Tout cela représente une oeuvre de longue haleine, qui permettra, non pas immédiatement, mais dans un délai que nous souhaitons le plus court possible, de faire entrer de nouveau dans ces quartiers la République, qui en était sortie, et d'y apporter plus de solidarité.

Monsieur le président, la création de cette mission commune d'information témoigne du souci de la Haute Assemblée d'être à l'écoute des habitants de ces quartiers, notamment des plus jeunes. Elle s'inscrit ainsi dans le prolongement des manifestations dont le Sénat est l'organisateur ou le partenaire, à l'image du concours « Talents des cités » et des « Rendez-vous citoyens du Sénat ». Je forme le voeu que les conclusions de notre rapport puissent, au moins en partie, répondre aux attentes des habitants des quartiers en difficulté et contribuer fortement à redonner à la population respect, dignité et considération. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de cette excellente présentation.

J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Jacques Mahéas.

M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de rappeler le contexte dans lequel a été créée, en décembre 2005, la mission commune d'information sur le bilan et les perspectives d'avenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté depuis une quinzaine d'années, autrement appelée « mission sur les quartiers en difficulté ».

En effet, le 27 octobre 2005, deux adolescents, Zyed et Bouna, meurent électrocutés dans un transformateur de Clichy-sous-Bois. À compter de la nuit suivante, certaines communes de la Seine-Saint-Denis deviennent la cible d'incendiaires, qui s'en prennent aux véhicules, au mobilier urbain et aux bâtiments publics. Puis ces émeutes s'étendent à toute l'Île-de-France et à la province, et ce jusqu'à la mi-novembre. Au total, plus de 9 000 véhicules ont ainsi été brûlés, ainsi que des dizaines d'édifices publics, écoles, gymnases ou médiathèques. Durant les affrontements, 126 policiers et gendarmes ont été blessés. Jamais nos communes n'avaient connu un tel embrasement.

Le 8 novembre 2005, le Gouvernement choisit de déclarer l'état d'urgence sur le territoire métropolitain. Or, si un état d'urgence méritait d'être décrété, c'était bien l'état d'urgence sociale !

Ce qui fait le terreau d'une telle révolte, aussi inexcusable soit-elle, c'est bien l'insécurité sociale et économique grandissante dans ces quartiers. Elle est due à un chômage massif, dont le taux est deux fois supérieur à la moyenne nationale, à une crise du logement sans précédent, à l'abandon de la prévention éducative au profit du tout répressif, au sacrifice d'une politique de la ville digne de ce nom, à la suppression des emplois-jeunes et aux coupes claires dans les crédits des associations.

Or, madame la ministre, le Gouvernement, « engoncé » dans une logique sécuritaire à outrance, n'aura fait que quelques promesses non honorées par la suite.

Où sont les crédits promis aux associations ? À cet égard, j'avais déjà attiré votre attention sur la situation de la MOUS, la maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale, dans la ville de Neuilly-sur-Marne dont je suis le maire : alors que les associations concernées avaient vu leurs crédits réduits de 40 %, il a fallu attendre ces émeutes pour qu'elles puissent recevoir un peu plus de crédits !

Où sont les forces de l'ordre supplémentaires et les commissariats ? Pourtant, selon les promesses de M. Sarkozy, 300 policiers supplémentaires devaient être affectés en Seine-Saint-Denis en très peu de temps. Nous les attendons toujours !

M. Roland Muzeau. C'est du bidon !

M. Jacques Mahéas. En réalité, les postes non pourvus dans ce département s'élèvent à 500. Même mon collègue sénateur-maire des Pavillons-sous-Bois déplore des sous-effectifs dans le commissariat de sa commune. À Neuilly-sur-Marne, il manque au moins une vingtaine de policiers.

Madame la ministre, mes chers collègues, en quoi la situation des quartiers en difficulté s'est-elle concrètement améliorée depuis un an ?

Au contraire, nous ne pouvons que constater l'échec de la politique du Gouvernement dans ce domaine, à en juger par les nouveaux épisodes de violence auxquels nous avons assisté ces jours derniers : agressions contre les forces de l'ordre, « caillassages » et incendies de voitures et de bus. Rien n'a été plus terrible, un an après les émeutes, d'avoir de nouveau à déplorer de tels incidents, dans des villes, comme la mienne, où les élus et les agents municipaux se sont tous mobilisés.

Au demeurant, l'élément déclencheur, ce fut l'arrivée soudaine, vers vingt-trois heures, d'un hélicoptère, qui n'a rien trouvé de mieux que de braquer ses projecteurs sur nos cités ! Aussitôt après cette provocation évidente, les jeunes ont voulu se venger et ont malheureusement commis des actes criminels, que nous condamnons fermement, car rien ne doit entraver la paix civile et l'ordre républicain.

Pourtant, ce serait faire outrage à ces quartiers que de les cantonner à une misère qui ne trouverait d'exutoire que dans la violence. J'étais présent lors de la remise des « cahiers de doléances » par le collectif ACLEFEU, qui a été créé à Clichy-sous-Bois en réaction aux événements de l'an passé. Cet acronyme signifie « Association, collectif, liberté, égalité, fraternité, ensemble, unis ».

L'inscription de notre devise républicaine au coeur de ce nom traduit bien un espoir que nous ne devons pas décevoir. Le collectif s'est rendu dans 120 villes et a recueilli 20 000 constats. Une telle démarche constructive a été l'occasion d'un dialogue qu'il nous faut absolument poursuivre, même si nous ne sommes pas d'accord avec toutes les propositions que formule ACLEFEU.

Toutes ces personnes méritent mieux que des promesses non tenues et une énième loi sécuritaire, à l'image du texte relatif à la prévention de la délinquance que nous avons examiné en première lecture en septembre dernier et dont tout porte à croire qu'il sera encore « durci » par l'adoption d'amendements supplémentaires.

En ce sens, la création de la mission sur les quartiers en difficulté avait un grand intérêt, chercher à dépasser les événements récents pour dresser un bilan des politiques menées et pour envisager l'avenir. Nous avons ainsi procédé à de nombreuses auditions et effectué des visites de terrain.

Ce travail important a donné lieu à un rapport imposant, contenant 72 propositions. À l'origine, il n'y en avait que 63, mais mes collègues et moi-même, socialistes et apparentés, nous nous sommes élevés contre certaines d'entre elles, d'inspiration trop libérale. Nous avons ainsi rejeté ce qui relevait d'une vision « utilitaire » de l'école. Nous avons également refusé ce qui nous semblait trop stigmatisant, à l'instar de cette proposition aberrante de créer un secrétariat d'État à la Seine-Saint-Denis ! Nous n'avons pu faire valoir toutes nos positions. C'est pourquoi nous nous sommes abstenus lors du vote du rapport, même si nous nous félicitons des avancées obtenues.

Pour notre part, il nous paraissait également essentiel de faire inscrire parmi ces propositions la lutte contre la violence scolaire, dont la recrudescence est très inquiétante. Nous avons donc fait préciser dans le rapport que le développement des structures d'accueil de la petite enfance doit se faire « en coordination avec les écoles maternelles ». Cependant, nous envisageons d'aller plus loin, en créant un véritable service public de la petite enfance.

Nous sommes également satisfaits par la réforme envisagée de la dotation de solidarité urbaine, la DSU : à notre sens, elle devrait se traduire par une véritable péréquation des communes les plus riches vers celles dont le potentiel financier est le plus faible. Nous avons ainsi souhaité que des crédits supplémentaires financent le traitement préventif des copropriétés dégradées et la lutte contre l'habitat indigne.

Nous ne pouvons qu'approuver M. le rapporteur quand il en appelle, dans son rapport, à une application stricte de la mixité sociale dans la construction de logements sociaux, reconnaissant ainsi le bien-fondé de l'article 55 de la loi SRU, pourtant fort malmené par la majorité qui a encore cherché à en détourner le principe lors des récents débats sur le projet de loi portant engagement national pour le logement.

Et que dire de la mise en oeuvre de la loi dans une commune comme Neuilly-sur-Seine, contre-exemple absolu de mixité sociale ! En effet, dans cette commune, le taux de logements sociaux, l'un des plus bas de France, plafonne à 2,6 %, ce qui est très éloigné de l'objectif des 20 %.

Conscients de la situation d'enclavement de certains quartiers, nous nous réjouissons que l'on fasse de nouveau appel à l'État pour financer des projets de transports en commun desservant les zones urbaines sensibles, contrairement à l'orientation prise par le ministre des transports à partir du moment où M. Raffarin est devenu Premier ministre.

Enfin, comment ne pas se féliciter de ce que la police de proximité, plébiscitée par les élus, redevienne une priorité, n'en déplaise à l'actuel ministre de l'intérieur, qui avait mis fin à cette action dès 2003, après une visite musclée aux policiers de Toulouse, auxquels il avait assené qu'ils n'étaient pas des travailleurs sociaux ?

Sur le terrain, la validité de ce choix est quasi unanimement démenti, car les élus, comme la population, savent bien qu'une politique de sécurité reposant sur le travail de proximité et la prévention est absolument nécessaire, à condition de lui laisser le temps de porter ses fruits. Dans ma ville, grâce à cette police de proximité, à la fin 2002, le dialogue était établi entre les jeunes et les policiers. Aujourd'hui, en revanche, nous assistons à des « caillassages » systématiques à l'encontre des forces de police. Cherchez l'erreur !

Au-delà de ces motifs de satisfaction, nous estimons que d'autres propositions que nous avions faites mériteraient d'être retenues.

Ainsi, selon nous, l'éducation doit être une priorité absolue, ce qui nous conduit à penser que la scolarisation devrait être obligatoire dès l'âge de trois ans dans les zones d'éducation prioritaire et qu'il faudrait accueillir les enfants dans les écoles dès l'âge de deux ans.

À cet égard, je souhaite balayer l'idée reçue selon laquelle l'éducation coûte plus cher dans les ZEP qu'ailleurs. Ce n'est pas exact ! Au contraire, l'éducation dans les ZEP coûte moins cher, ne serait-ce que parce que les enseignants y sont plus jeunes et reçoivent une rémunération inférieure en moyenne de 30 % par rapport aux autres secteurs scolaires.

Nous proposons d'ailleurs de remettre à plat tout le système des ZEP, en renforçant les moyens financiers, en diminuant le nombre d'élèves par classe, en formant spécialement les enseignants, en leur offrant des perspectives d'évolution de carrière, ce qui est prévu partiellement dans le rapport, et en leur donnant, grâce à l'aménagement des locaux, les moyens de rester plus longtemps dans les établissements.

Nous souhaitons également prendre en compte la mixité sociale dans les dotations accordées aux écoles privées sous contrat et supprimer la participation financière des communes pour les élèves scolarisés dans un établissement privé situé hors de la commune de résidence.

En outre, il faudrait implanter des classes préparatoires aux grandes écoles dans les établissements sensibles.

Pour que la solidarité urbaine soit effective, établissons une réforme ambitieuse des dotations de l'État et de la fiscalité locale, permettant aux communes pauvres de bénéficier de mesures d'urgence et d'une péréquation financière importante.

Instaurons également un « pacte de solidarité urbaine » pour les agglomérations les plus défavorisées, comprenant des objectifs chiffrés et concentrant les moyens de l'État comme des collectivités.

Enfin, élaborons un plan d'urgence pour la Seine-Saint-Denis en dotant ce département de moyens financiers à la mesure des difficultés qu'il peut rencontrer.

Comme je l'ai déjà dit à propos du rétablissement de la police de proximité, il convient de mener une politique de sécurité où la prévention retrouverait toute sa place.

Afin de lever les doutes qui pèsent sur les chiffres de la délinquance, il est grand temps de supprimer les mains courantes et de simplifier le dépôt de plainte.

Vous vous gargarisez de l'amélioration des chiffres de la délinquance. Malheureusement, l'Office national de la délinquance, dont je suis membre, dit exactement le contraire. Selon une enquête de victimisation, 500 000 cas ont été classés en main courante, c'est-à-dire non comptabilisés, alors qu'ils auraient dû faire l'objet d'un dépôt de plainte.

Il n'y a donc pas de diminution de la délinquance - que j'aurais évidemment applaudie des deux mains - mais, hélas, une augmentation de ce phénomène.

Il faudrait aussi établir un plan gouvernemental ambitieux de prévention précoce de la violence, comprenant notamment des cellules de veille éducative, assurant l'application réelle des mesures éducatives et des sanctions prononcées à l'encontre de mineurs, ainsi que la promotion des alternatives à la prison - développement de centres d'éducation, de chantiers d'apprentissage et d'insertion pour éviter la récidive - et des sanctions par le travail d'intérêt général. En effet, ce dispositif n'existe plus dans nos communes, contrairement à ce que l'on observait il y a une dizaine d'années.

Dans le même temps serait instauré un plan de lutte contre les violences conjugales et familiales, et pour la protection de l'enfance et de l'adolescence en danger.

Améliorer la situation des quartiers en difficulté passe également par la reconnaissance d'un droit au logement. Nous proposons de réaliser 120 000 logements sociaux par an, intégrés dans les villes, et non situés en dehors, comme dans la situation actuelle où, bizarrement, trop de logements demeurent vacants.

Dans l'esprit du respect du principe de mixité sociale, réaffirmé dans le rapport, il faut absolument accroître les sanctions contre les communes qui ne respectent pas le taux de 20 % de logements sociaux. Nous prévoyons aussi de contraindre les programmes immobiliers privés à consacrer un quart de leurs opérations à la production de logements sociaux sur les territoires qui en manquent.

Par ailleurs, une véritable politique d'accession à la propriété doit être relancée.

Pour lutter contre le chômage qui frappe durement ces quartiers, nous devons nous fixer comme objectif l'offre d'emplois de qualité pour tous, et particulièrement pour les jeunes. Cela passe par un programme d'entrée dans la vie active et par la relance des emplois jeunes, dont le rôle était indispensable dans bien des associations et établissements scolaires, mais aussi par le maintien ou la création de services publics de qualité et le soutien actif de l'économie sociale et solidaire, notamment par le biais des entreprises d'insertion.

Actuellement, à Neuilly-sur-Marne, une entreprise d'insertion spécialisée dans la restauration attend toujours la subvention d'État de 90 000 euros qu'elle devait recevoir au titre de l'année 2006. De telles pratiques ne laissent pas d'étonner. Pour ma part, je suis tout à fait favorable à la délivrance et au maintien de ces subventions pendant trois ans, comme le propose M. le rapporteur.

Enfin, il importe de renforcer la cohésion sociale, en augmentant notablement l'aide aux associations et en confortant de façon particulière la position des mouvements associatifs sportifs, culturels et d'éducation populaire dans les instances de concertation et de décision.

Nous proposons ainsi la création de 500 « maisons de la citoyenneté » avec l'aide de l'État, notamment à partir du réseau des centres sociaux et socioculturels, afin de développer les initiatives collectives et individuelles, en commençant par les quartiers en difficulté.

Or que se passe-t-il actuellement ? Ce gouvernement, hélas, plombe les quartiers !

Pardonnez-moi, madame la ministre, de citer encore le cas de ma ville.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Il faudrait peut-être en sortir de temps en temps !

M. Jacques Mahéas. À Neuilly-sur-Marne, nous avons accueilli, dans des quartiers connaissant déjà des difficultés, des familles fragilisées originaires d'autres villes qui, à la suite d'opérations de démolition-reconstruction, ne les ont pas relogées sur place. (M. Christian Cambon proteste.) Évidemment, ces personnes sont venues allonger la liste de nos habitants en difficulté.

Madame la ministre, vous avez décidé de façon autoritaire, sans concertation avec le maire, de placer à Neuilly-sur-Marne des personnes sans domicile fixe de Paris. Je vous ai d'ailleurs récemment écrit à ce sujet.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Et vous n'étiez pas là pour entendre la réponse !

M. Jacques Mahéas. Or nous ne pouvons pas gérer cette situation !

L'association Coeur des Halles, qui connaît elle-même des difficultés, vous a d'ailleurs écrit qu'il ne s'agissait plus d'un problème social, mais d'un problème de police.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Ce n'est pas tout à fait ça !

M. Jacques Mahéas. C'est tout à fait cela, au contraire ! Je peux vous relire mon courrier.

M. Christian Cambon. Et que fait le maire de Paris ?

M. Jacques Mahéas. Vous qui êtes maire de Saint-Maurice, monsieur Cambon, dites-nous combien il y a de logements sociaux dans votre commune ! Après, nous pourrons discuter !

M. Christian Cambon. Il y en a 25 % !

M. Jacques Mahéas. Eh bien, ce n'est pas beaucoup ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Christian Cambon. C'est déjà plus que ce qu'exige la loi !

M. Jacques Mahéas. Par ailleurs, toujours dans mon département, l'établissement psychiatrique de Ville-Evrard accueille déjà les personnes sans domicile fixe de Seine-Saint-Denis pendant la période hivernale.

Vous ne pouvez donc pas dire que nous ne sommes pas généreux ou que nous ne tendons pas la main aux plus déshérités.

Venez à Neuilly-sur-Marne ! Une très belle exposition sur l'abbé Pierre s'y tient actuellement.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Je préfère les réalisations concrètes aux expositions !

M. Jacques Mahéas. Vous pourrez constater que nous avons toujours aidé les plus démunis, et ce depuis le milieu du siècle dernier !

J'ai tracé les grandes orientations d'une politique globale en faveur des quartiers en difficulté. La violence qui s'y exprime, notamment ces derniers jours, pour être totalement répréhensible, ne peut recevoir comme seule réponse celle d'un ministre de l'intérieur affirmant que « l'État républicain ne peut pas se préoccuper uniquement de ceux qui se comportent mal, mais aussi de ces millions d'anonymes qui vivent sans rien demander, mais qui entendent être respectés ».

C'est au nom de ce même respect que les habitants des quartiers en difficulté peuvent espérer voir se réduire l'ampleur des discriminations et le cumul des inégalités dont ils souffrent. Car nous ne pouvons pas exonérer la droite de ses choix politiques dramatiques, qui n'auront résolu ni la fracture sociale ni l'insécurité, grands thèmes de campagne électorale en 1995 et 2002.

En Seine-Saint-Denis, un plan d'urgence s'impose, comparable à celui qui avait été mis en place par Lionel Jospin, conduisant à la création de 3 000 postes supplémentaires dans le secteur de l'éducation. Il faut qu'apparaisse également dans les autres domaines l'évidence d'une urgence telle que l'on puisse obtenir au moins les effectifs théoriques nécessaires et, si possible, bien plus.

Ce rapport contient des propositions qui sont aux antipodes de la politique gouvernementale menée par MM. de Villepin et Sarkozy. Espérons donc que se produise au moins un infléchissement - dans le bon sens, s'entend ! - de l'actuelle politique de la ville. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Gournac. Pour les applaudissements, il y a du retard à l'allumage !

M. Roland Muzeau. Tiens, M. Gournac est arrivé !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Je souhaite revenir sur un point qui ne concerne pas directement l'objet de ce débat : l'hébergement des personnes sans domicile fixe et, plus particulièrement, l'hébergement de stabilisation, qui relève de l'autre pan de mes fonctions ministérielles.

Je rappelle que l'hébergement d'urgence dans notre pays représente 100 000 places d'accueil et un budget de plus de 1 milliard d'euros. À l'heure actuelle, le Gouvernement mène effectivement une expérimentation afin de mettre en place une approche plus complète, associant l'insertion et le logement des personnes sans domicile fixe.

Sur les 550 places disponibles en Île-de-France au 1er novembre, 50 se trouvent à Neuilly-sur-Marne, dans un ancien hôpital, aujourd'hui désaffecté. Je reconnais bien volontiers, monsieur le sénateur-maire, que nous avons rencontré quelques difficultés avec des personnes sans domicile fixe, notamment un problème d'alcoolémie très lourd, mais l'association Coeur des Halles les a gérées avec beaucoup de professionnalisme. Actuellement, les quinze personnes concernées ne se trouvent plus dans ces locaux.

Comme dans toute expérimentation, nous suivons l'évolution de ces démarches semaine après semaine.

M. Jacques Mahéas. Mais l'hôpital du Raincy n'a-t-il pas également des places ?

Mme Raymonde Le Texier. À Neuilly-sur-Seine aussi, on doit pouvoir trouver des places !

M. Christian Cambon. Et à Paris ? Tout ce qu'on voit, ce sont des tentes un peu partout !

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Ce problème des personnes sans domicile fixe est suffisamment lourd dans notre pays pour que, les uns et les autres, nous réfléchissions aux moyens d'assortir la première réponse, d'urgence, à savoir l'hébergement, d'une réponse plus durable : l'accompagnement vers l'insertion. Tel est le sens de la démarche du Gouvernement.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, un an après la « crise des banlieues » de l'automne 2005, le rapport de la mission commune d'information sénatoriale nous donne l'occasion de débattre de la situation des quartiers en difficulté et des perspectives qui leur sont offertes.

L'actualité nous le rappelle cruellement, hélas, la fracture sociale et urbaine a atteint un niveau de gravité très préoccupant. Au-delà des actes de violence inadmissibles, révoltants, qui ne sont en rien excusables et dont de pauvres innocents se trouvent être les victimes, il y a tout ce quotidien vécu dans près d'un millier de quartiers cumulant toutes les difficultés : chômage, surpeuplement des logements, concentration des familles issues de l'immigration, urbanisme exclusivement dédié à l'habitat, échec scolaire...

Cette addition de difficultés subie depuis tant d'années rend les solutions à mettre en oeuvre complexes, parfois longues et aléatoires, et nécessitant des moyens financiers importants. Tous ceux qui ont oeuvré dans ce domaine le savent : réparer le tissu urbain est un travail de dentelle, qui incite à la modestie.

Le constat dressé par la mission est donc pertinent. Je salue le travail considérable, fait d'auditions, de déplacements et d'analyse, qu'elle a entrepris. De nombreux responsables et acteurs de la politique de la ville ont pu, à cette occasion, apporter leur contribution à la réflexion.

En guise de synthèse, notre mission a choisi de présenter sept orientations, listant, thématique par thématique, pas moins de soixante-dix propositions.

Nous tenons à souligner l'implication de notre rapporteur, Pierre André, pour mener à bien cet « état des lieux » avec précision et exhaustivité, sa volonté d'être à l'écoute de toutes les sensibilités qui ont pu s'exprimer parmi les membres de notre mission et son souci de prendre en considération, autant que faire se peut, les propositions que nous lui avons apportées.

Nous nous félicitons à ce propos de la suppression de la proposition particulièrement discutable visant à créer un secrétariat d'État à la Seine-Saint-Denis.

Toutefois, le groupe UDF a choisi, sur un sujet que nous jugeons décisif pour l'avenir de notre pays, de présenter un ensemble cohérent de propositions, sous la forme d'une contribution qui reflète notre conception des politiques à mener dans les quartiers « sensibles ».

Je tiens à préciser que j'ai travaillé de concert avec ma collègue Valérie Létard, qui ne peut être présente aujourd'hui.

Si nous avons été entendues sur certains points, nous avons d'autant plus regretté que le rapport n'ait pas repris dans sa rédaction finale certaines observations formulées sur le contenu. Nous regrettons aussi le ton parfois tranché et stigmatisant utilisé à l'encontre des populations de ces quartiers.

De même, si nous approuvons les objectifs fixés par la mission, notamment l'exigence de mixité sociale, l'amélioration de l'offre de services publics, la présence des commerces de proximité, le désenclavement des quartiers, la gestion urbaine de proximité, l'accompagnement social des populations, la lutte contre les discriminations - point essentiel pour les jeunes de ces quartiers, comme nous l'ont dit les représentants du collectif « AC Le Feu » que certains d'entre nous ont reçus il y a quelques jours -, nous restons un peu sceptiques quant aux moyens proposés pour les atteindre.

J'énoncerai quelques principes qui, à nos yeux, doivent fonder une politique de la ville à la hauteur des enjeux et des attentes de nos concitoyens.

Si la politique de la ville existe, c'est parce que nos politiques de droit commun n'ont jamais réussi à donner une vraie priorité à leurs interventions en direction des territoires et des populations cumulant les plus grandes difficultés sociales, économiques et urbaines de notre pays.

La politique de la ville a été amenée, indirectement, à pallier l'absence de plus en plus évidente de crédits et de moyens de droit commun, qui étaient pourtant nécessaires au développement de ces quartiers.

Or, comment juger l'action et l'impact de la politique de la ville quand celle-ci a été détournée de son objectif premier, à savoir innover et expérimenter de nouvelles formes d'intervention adaptées aux besoins des populations des quartiers en difficulté ?

Comment la politique de la ville peut-elle encore avoir un effet de levier si, en amont, les moyens humains et financiers de l'État font défaut ? Par exemple, comment mettre en place une police de proximité efficace, ô combien nécessaire et d'ailleurs plébiscitée par tous les élus dans les quartiers, alors que les effectifs de base sont déjà insuffisants dans les commissariats et qu'on se contente de réduire le nombre d'élèves par classes dans les zones d'éducation prioritaire ?

Il y a donc un premier enjeu fondamental, qui consiste à redonner son caractère innovant à la politique de la ville en remobilisant fortement notre droit commun dans les domaines de l'emploi, de l'éducation, de la culture, de la santé, sur les territoires qui en ont le plus besoin.

Une autre clé de la réussite de l'action en faveur de ces quartiers est le partenariat. En effet, l'accélération de la décentralisation et le renforcement des compétences des collectivités locales, dont le rôle est fondamental dans les projets de développement social, nous obligent à la mise en cohérence des politiques publiques.

Une action efficace est une action élaborée collectivement et concertée localement. Or, la nouvelle organisation de la politique de la ville, s'appuyant sur la mise en place d'agences nationales, pose la question de l'amélioration et de la coordination des politiques publiques. Comment, avec cette nouvelle organisation, favoriser une véritable convergence des politiques vers des objectifs prioritaires et partagés par tous ?

Ainsi, et alors que le rapport se félicite de la mise en place de I'ANCSEC, l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, et du lancement des CUCS, les contrats urbains de cohésion sociale, nous aurions souhaité que notre mission souligne le nécessaire dialogue avec les institutions régionales et départementales, le risque étant, dans le cas contraire, de voir éclater l'aspect partenarial de la politique de la ville.

La mutualisation des financements est aujourd'hui parfois abandonnée et les collectivités locales se sentent mises à l'écart des projets qu'elles financent.

Parallèlement, il est nécessaire, à notre sens, que les moyens de l'État, conjugués avec ceux d'autres partenaires de la politique de la ville, puissent faire preuve d'une meilleure adaptabilité aux situations locales. Nos territoires et les acteurs de terrain souffrent du changement perpétuel des politiques publiques, sans véritable bilan ou évaluation des résultats. En ce sens, la généralisation de conventions pluriannuelles avec les collectivités ou les associations constitue une avancée significative.

La question de l'évolution des territoires doit, elle aussi, faire l'objet de notre attention. Au-delà des critères de pauvreté ou de précarité sociale, nos territoires ont des rythmes de développement différents. Ainsi, dans une politique qui s'appuie essentiellement sur des zonages, savoir tenir à jour l'évolution des territoires est indispensable pour concentrer les moyens humains et financiers de l'État là où ils sont le plus nécessaires. Il faut donc, indéniablement, bâtir de nouveaux outils d'évaluation, de nouveaux indicateurs partagés pour que nos politiques soient les plus réactives possibles aux évolutions des territoires.

Dans cette perspective, chaque territoire concerné doit pouvoir être accompagné pour entrer ou sortir d'un dispositif. C'est une piste que le rapport aurait dû explorer plus précisément.

Les zones urbaines sensibles constituent un exemple criant puisque ce zonage, qui s'appuie sur une « photographie » sans réactualisation des difficultés sociales, urbaines et économiques des quartiers d'il y a dix ans, constitue toujours un critère de base dans le choix des priorités territoriales qui se dégagent des interventions de l'État.

S'agissant du volet « accompagnement social et humain », qui apparaît souvent secondaire en France par rapport aux opérations de reconstruction et de rénovation urbaine, auxquelles l'ANRU consacrera 30 milliards d'euros jusqu'en 2013, il importe de rappeler le rôle essentiel que joue dans ce domaine le tissu associatif dans les quartiers, qui mérite donc d'être conforté.

Cependant, il faut savoir différencier deux types d'associations et, donc, distinguer deux types d'approches.

De notre point de vue, les associations professionnalisées, souvent délégataires de services publics, doivent faire l'objet d'une approche plus qualitative. Au-delà des périodes d'évaluation, il convient d'instaurer une relation durable entre les associations et nos institutions, permettant des échanges constants tout au long de la réalisation des contrats d'objectifs.

L'État ainsi que toutes les institutions désireuses de s'impliquer dans la politique de la ville doivent être présents à chaque moment du projet, et pas seulement en fin de course, au moment de l'évaluation.

Le tissu associatif est un outil essentiel pour la cohésion sociale de nos quartiers. Cet outil, nous devons le conforter en sécurisant les moyens des associations, c'est-à-dire en les pérennisant, ce qui revient à établir avec elles une relation de confiance.

Parallèlement, pour les associations de quartiers qui mobilisent des bénévoles, nous préconisons de généraliser la mise en place d'outils plus réactifs, permettant le financement de micro-projets et renforçant les moyens destinés à la formation et la qualification des habitants.

J'en viens à deux sujets qui me tiennent particulièrement à coeur et qui me semblent essentiels dans le débat qui nous occupe.

Si, de façon générale, investir dans la formation, le progrès des connaissances, la culture, est vital pour l'avenir de notre société, c'est encore plus vrai dans les quartiers difficiles, où l'investissement est non seulement financier, mais aussi humain, et de longue haleine.

J'aimerais rappeler ici les propositions de la commission Thélot sur l'école en matière de mixité sociale, propositions qui n'avaient malheureusement pas été retenues dans le projet de loi Fillon. Je m'étonne d'ailleurs que le rapport n'en fasse pas mention, car elles tendaient à promouvoir une politique ambitieuse de différenciation maîtrisée, c'est-à-dire de réduction volontariste des inégalités territoriales et sociales en allouant des moyens nettement accrus aux élèves confrontés aux difficultés sociales liées à leur environnement.

En outre, la commission Thélot insistait sur le recours à des procédures exceptionnelles. Je pense notamment à la constitution d'équipes pédagogiques motivées et stables, conditionnant le recours à des enseignants débutants au fait que ceux-ci se soient portés volontaires. Je pense aussi à des pratiques pédagogiques adaptées et innovantes, à la collaboration avec les partenaires de l'école.

À cet égard, je ne soulignerai jamais assez - j'avais déjà insisté sur ce point lors du débat consacré au projet de loi sur l'école - l'absolue nécessité de se pencher sur la question de la formation initiale et continue des enseignants : va-t-on continuer longtemps à affecter dans ces établissements les enseignants les moins aguerris, les plus jeunes, certes pleins d'enthousiasme, mais confrontés de plein fouet à des réalités auxquelles ils ont été mal préparés ?

Comme le montre le rapport, ce sont les jeunes enseignants à peine sortis de l'IUFM qui sont nommés dans les ZEP, ce qui explique, au passage, que celles-ci ne coûtent en fin de compte pas plus cher à l'État que les écoles de centre-ville.

Pourquoi ceux qui sont si prompts à prôner la suppression de la carte scolaire ne sont-ils pas aussi incisifs sur la question de l'affectation des enseignants non en fonction de leur ancienneté, mais de leur expérience ? Nous avons effectivement besoin, dans ces écoles, d'enseignants chevronnés, motivés, formés, qui constituent des équipes éducatives stables et solides.

S'agissant de la carte scolaire, même si elle est, en effet, devenue, du fait de la ségrégation spatiale, un instrument de ségrégation supplémentaire, sa suppression n'est pas pour moi la réponse : retrouver un collège paisible garantissant l'égalité des chances ne sera possible qu'avec un encadrement renforcé en professeurs expérimentés, en éducateurs, psychologues et surveillants, sans parler de la présence, ô combien importante, de la médecine scolaire ; c'est ce que propose le rapport, reprenant ainsi les amendements que nous avions défendus en mars 2005.

Tout se jouant très tôt, l'éducation des jeunes est la priorité des priorités, et je partage totalement l'analyse de notre collègue Pierre André à cet égard. C'est la raison pour laquelle nous sommes très favorables - c'était du reste une de nos propositions - aux expériences de « crèches-écoles » pour accueillir les enfants dès deux ans. Accueillir les enfants, oui, mais pas dans n'importe quelles conditions !

L'école est la clé de la réussite de ces quartiers, même si ce n'est pas à travers elle seule que l'on parviendra à remédier au phénomène de la ghettoïsation. Pour que la réussite soit possible dans ces quartiers, il faut implanter des filières d'excellence dans les écoles et instituer des structures de petite taille avec une pédagogie adaptée et une surveillance renforcée.

Accorder à l'école une priorité absolue est, en tout cas, essentiel s'agissant d'une institution dont la mission est de transmettre les valeurs de la République, qui ne sont ni celles de la rue ni celles de la « Star ac' », valeurs qui fondent le lien social et doivent être un outil d'épanouissement et de réussite.

J'en viens à la dimension culturelle.

Alors que le rapport, dans sa proposition 52, rappelle l'importance de l'accès à la culture, celle-ci est réduite, par ailleurs, à la portion congrue : une phrase, une phrase seulement, dans les 121 pages que compte le rapport ! Ce n'est même plus la cerise sur le gâteau, comme aime à le dire notre ministre de la culture ! C'est à l'image de la place qui lui était malheureusement réservée dès le projet de loi sur l'égalité des chances, en mars dernier. Souvenez-vous, mes chers collègues : la politique culturelle se résumait, pour le Gouvernement, à faciliter l'implantation des multiplexes !

Le groupe UDF avait quand même réussi à faire inscrire in extremis « l'accès aux savoirs et à la culture » dans les missions de l'ANCSEC, ce qui permet aujourd'hui très concrètement à certains préfets d'inscrire une ligne budgétaire pour ces actions.

Pourtant, le rôle de la culture, comme des pratiques sportives d'ailleurs, dans les quartiers en difficulté est un vecteur d'intégration, de construction d'une identité et d'apprentissage de règles collectives. Parce qu'elle contribue à la construction d'une identité commune, elle participe également au sentiment d'appartenance, au partage de valeurs communes et au pacte républicain. Or, les problématiques de démocratisation culturelle et d'accessibilité à la culture sont, je dois le dire, encore plus criantes dans les cités qu'ailleurs.

C'est pourquoi nous aurions aimé qu'une vision d'ensemble des politiques culturelles à mener dans ces quartiers soit développée autour de quelques axes forts.

C'est d'abord travailler à la mise en oeuvre d'une politique culturelle de proximité en incitant et en soutenant les collectivités locales à mettre en place et à bien répartir sur leur territoire des services publics culturels de proximité, qu'il s'agisse d'écoles de musique, de bibliothèques, de maisons des jeunes et de la culture ou de salles de spectacles.

Ces équipements sont des services de proximité mais ce sont aussi des lieux de rencontres et d'animations qui, s'ils sont bien constitués en réseau sur l'ensemble d'une ville, peuvent mener des actions de sensibilisation très ciblées.

C'est ensuite aider à l'implantation de grands équipements culturels structurants qui, fréquentés par l'ensemble des habitants de la ville, permettent aux quartiers de rompre leur isolement géographique, à l'exemple de la future médiathèque qui sera implantée dans un quartier inscrit en politique de la ville à Rouen ou de la salle des musiques actuelles à Perpignan, dont la réussite a été évoquée par notre collègue Jean-Paul Alduy lors d'une des auditions. Ce peut être aussi la mise en place dans un quartier d'un festival ou d'un événement référent. Ainsi, à Rouen, le cinéma d'été en plein air « Écran Total » attire désormais tous les habitants de l'agglomération.

Ce sont autant de façon d'ouvrir aux habitants l'accès aux pratiques culturelles. Toutes les actions de sensibilisation ciblées facilitent nécessairement l'accès à la culture.

Dans ce domaine, j'aurais d'ailleurs souhaité que le rapport fournisse une sorte de « livre blanc » des réussites, car il y en a : on pourrait s'inspirer des expérimentations menées ici et là, dont certaines mériteraient d'être pérennisées.

Enfin, comme je l'ai déjà fait lors de l'examen du projet de loi pour l'égalité des chances, je veux insister sur l'importance de l'éducation artistique et culturelle.

Évidemment, ces actions exigent des moyens. Aussi, nous proposons que soit créée une ligne budgétaire spécifique de droit commun dans la mission Culture du budget de l'État pour développer les initiatives culturelles dans les quartiers et que soit également prévue une ligne budgétaire spécifique pour les actions culturelles dans le budget de l'ANCSEC.

Enfin, subsiste le problème à l'évidence le plus important : l'emploi.

Des maux profonds restent à soigner, comme le désoeuvrement des jeunes que soulignait Pierre André. Dans ces quartiers, le taux de chômage des jeunes atteint ainsi entre 20% et 40%. Certes, il y a les contrats avenir et les contrats d'accompagnement dans l'emploi, mais c'est aux zones urbaines sensibles qu'il faut s'adresser, avec ce que cela suppose de travail plus ciblé quant à la manière de traiter la question du travail, celles de la discipline de vie, de la citoyenneté, et de favoriser la prise de conscience que le travail peut être un outil de réussite et de promotion.

C'est très tôt que tout se joue, et il faut réfléchir au moyen d'intensifier, de développer, tous ces programmes de prévention des difficultés qui associent famille, école, commune, travailleurs sociaux, police et qui permettent d'intervenir très tôt.

En conclusion, si notre groupe salue le travail de la mission et le diagnostic souvent juste qu'elle donne de la situation de nos quartiers, nous pensons que le rapport aurait pu déboucher sur des propositions plus ambitieuses, s'attaquant plus directement aux causes du « malaise » des banlieues, car les propositions qu'il contient nous semblent parfois insuffisamment novatrices ou manquer un peu d'originalité.

Or le propre de cet exercice parlementaire est bien de tracer des perspectives qui pourraient à l'avenir aider à rendre nos politiques publiques plus efficaces.

J'ajoute que la mise en oeuvre de ces politiques devrait transcender les traditionnelles frontières de la droite et de la gauche. Je crois en effet qu'après plusieurs décennies ce sujet qui a été traité par des gouvernements successifs, avec des échecs mais aussi avec des réussites indéniables, est trop grave, comme l'est aussi l'importance du nombre de Français qui se trouvent dans l'exclusion - plus de 4 millions ! - ou qui en sont menacés, pour que nous nous offrions le « luxe » d'une guerre de tranchées.

Plutôt que de « fêter » l'anniversaire des émeutes en banlieues, comme l'ont fait les médias ces derniers jours, d'une manière qui n'est pas toujours bien ressentie par les habitants de ces quartiers, qui sont toujours stigmatisés et qui craignent que cela n'incite à toujours plus de violences, il faut rassembler toutes les personnes de bonne volonté qui partagent les principes d'une politique moderne et rénovée pour une action soutenue et dans la durée. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)