sommaire

présidence de Mme Michèle André

1. Procès-verbal

2. Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information. - Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Rappel au règlement

M. Michel Charasse, Mme la présidente.

Discussion générale

MM. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication ; Michel Thiollière, rapporteur de la commission des affaires culturelles ; Mme Catherine Morin-Desailly, MM. David Assouline, Alain Dufaut, Bernard Seillier, Bruno Retailleau, Jack Ralite, Philippe Nogrix, Mme Catherine Tasca, M. Christian Cambon, Mme Marie-Christine Blandin.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

3. Questions d'actualité au Gouvernement

logement en guadeloupe

MM. Daniel Marsin, François Baroin, ministre de l'outre-mer.

bilan des dégâts dans les universités

MM. Joël Billard, François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche.

affaire clearstream

MM. Louis Mermaz, Dominique de Villepin, Premier ministre.

taxe sur les véhicules de société

MM. Jean Arthuis, Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État.

politique économique de la France

MM. Michel Billout, Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

les relations entre la france et israël et la francophonie

M. Philippe Richert, Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie.

politique de l'immigration

MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire.

situation au tchad

M. Robert Del Picchia, Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie.

sorties illicites d'enfants du territoire national

Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie.

violences urbaines

MM. Didier Boulaud, Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire.

4. Souhaits de bienvenue à une délégation de la République du Kazakhstan.

Suspension et reprise de la séance

présidence de M. Guy Fischer

5. Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information. - Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Discussion générale (suite) : MM. Serge Lagauche, Richard Yung.

Clôture de la discussion générale.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication.

Question préalable

Motion no 197 de M. Jack Ralite. - MM. Ivan Renar, Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles ; le ministre, David Assouline, Philippe Nogrix. - Rejet.

Article 1er (supprimé)

Article 1er bis

Mme Catherine Morin-Desailly.

Amendement no 168 de M. Jack Ralite. - Mme Annie David, MM. Michel Thiollière, rapporteur de la commission des affaires culturelles ; le ministre, Michel Charasse, Jack Ralite. - Rejet.

Amendement no 1 de la commission et sous-amendements nos 203 de Mme Marie-Christine Blandin et 260 de M. Michel Charasse ; amendements identiques nos 47 de M. Jean-Léonce Dupont et 198 de Mme Marie-Christine Blandin ; amendement no 121 de M. David Assouline et sous-amendement no 231 de Mme Marie-Christine Blandin ; amendement no 96 de M. René Garrec. - M. le rapporteur, Mmes Marie-Christine Blandin, Catherine Morin-Desailly, MM. David Assouline, René Garrec, Michel Charasse, le ministre.

Suspension et reprise de la séance

Article 1er bis (suite)

Amendement no 1 rectifié de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Jack Ralite, Richard Yung, Mme Catherine Morin-Desailly. - Retrait du sous-amendement no 203 ; adoption du sous-amendement no 260 et de l'amendement no 1 rectifié, modifié, les amendements nos 47, 198, 121, le sous-amendement no 231 et l'amendement n° 96 devenant sans objet.

Amendement no 167 de M. Jack Ralite. - Mme Annie David, MM. le rapporteur, le ministre. - Rejet, par scrutin public, de l'amendement.

Amendement no 2 rectifié de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption.

Amendement no 3 rectifié de la commission et sous-amendements nos 66 et 67 de M. Michel Charasse ; amendement no 61 de M. Michel Charasse. - MM. le rapporteur, Michel Charasse, le ministre. - Retrait des sous-amendements nos 66 et 67 ; adoption de l'amendement no 3 rectifié, l'amendement no 61 devenant sans objet.

Amendement no 4 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption.

Amendement no 62 de M. Michel Charasse et sous-amendements nos 261 du Gouvernement et 262 de M. Jacques Valade. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, le ministre, le président de la commission ; Mme Catherine Tasca. - Adoption du sous-amendement no 262 et de l'amendement, modifié, le sous-amendement no 261 devenant sans objet.

Amendements nos 63 de M. Michel Charasse, 6 de la commission et sous-amendements nos 106 de M. Alain Dufaut, 68 de M. Michel Charasse, 244 et 245 de M. Jack Ralite ; amendements nos 119 de M. David Assouline, 166 et 138 de M. Jack Ralite. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Christian Cambon, Mmes Annie David, Catherine Tasca, M. le ministre. - Retrait de l'amendement no 63 et du sous-amendement no 68 ; rejet des sous-amendements nos 244 et 245 ; adoption du sous-amendement no 106 et de l'amendement no 6, modifié ; les amendements nos 119, 166 et 138 devenant sans objet.

Amendements nos 199 de Mme Marie-Christine Blandin, 7 rectifié bis de la commission et sous-amendement no 202 de Mme Marie-Christine Blandin et sous-amendements identiques nos 246 de Mme Marie-Christine Blandin et 259 de M. Jack Ralite ; amendement no 120 de M. David Assouline et sous-amendement no 230 de Mme Marie-Christine Blandin ; amendements nos 200 de Mme Marie-Christine Blandin, 177 et 140 de M. Jack Ralite. - Mme Marie-Christine Blandin, M. le rapporteur, Mme Annie David, MM. David Assouline, le ministre. - Retrait de l'amendement no 199 et du sous-amendement no 202 ; adoption des sous-amendements nos 246 et 259 et de l'amendement no 7 rectifié bis, modifié ; l'amendement no 120, le sous-amendement no 230, les amendements nos 200, 177 et 140 devenant sans objet.

Amendements nos 201 de Mme Marie-Christine Blandin, 64 de M. Michel Charasse et 143 de M. Jack Ralite. - Mme Marie-Christine Blandin, M. Michel Charasse, Mme Annie David, MM. le rapporteur, le ministre. - Rejet des trois amendements.

Amendements identiques nos 48 de Mme Catherine Morin-Desailly et 65 de M. Michel Charasse ; amendements nos 169 de M. Jack Ralite, 8 rectifié ter de la commission. - Mme Catherine Morin-Desailly, M. Michel Charasse, Mme Annie David, MM. le rapporteur, le ministre. - Retrait des amendements nos 48 et 65 ; rejet de l'amendement no 169 ; adoption de l'amendement no 8 rectifié ter.

Amendements nos 9 de la commission, 139 de M. Jack Ralite, 123 et 122 de M. David Assouline. - M. le rapporteur, Mme Annie David, MM. David Assouline, le ministre. - Adoption de l'amendement no 9, les amendements nos 139, 123 et 122 devenant sans objet.

Amendement no 142 rectifié de M. Jack Ralite. - Mme Annie David, MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption.

Adoption de l'article 1er bis, modifié.

Renvoi de la suite de la discussion.

6. Retrait de l'ordre du jour d'une question orale

7. Dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle

8. Dépôt d'une proposition de loi organique

9. Dépôt de propositions de résolution

10. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

11. Dépôt d'un rapport

12. Dépôt d'un rapport d'information

13. Ordre du jour

compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

 
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information
Rappel au règlement

Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (n°s 269, 308).

Rappel au règlement

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information
Discussion générale (début)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Charasse, pour un rappel au règlement.

M. Michel Charasse. Madame le président, vous venez d'annoncer la discussion du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, portant transposition d'une directive européenne.

Rarement dans la vie parlementaire, les élus de la nation, députés et sénateurs, auront été assaillis d'autant de lettres, de courriels, de mises en garde, de menaces, de pressions, etc. Néanmoins, nous délibèrerons - je l'espère en tout cas - comme d'habitude, en faisant normalement notre travail, indifférents aux pressions, d'où qu'elles viennent.

Nos débats sont publics. Mais c'est ici dans cet hémicycle, dans les tribunes du public que cela se passe, et non dans la salle des conférences et dans les couloirs.

Madame le président, je vous demande de prier les services du Sénat de faire rigoureusement leur métier d'ordre et de sécurité en « nettoyant » les couloirs des lobbyistes de tout poil qui ne manqueront pas de nous sauter dessus dès que nous sortirons de la salle des séances pour qu'on les aide à se voler entre eux quand nous discuterons des articles qui les intéressent.

Si le Sénat ne devait pas faire son métier et mettre les parlementaires à l'abri de telles pressions dans l'enceinte du Palais, comme on l'a vu à l'occasion de précédents débats portant sur le même sujet, il ne faudra pas s'étonner que certains sénateurs soient tentés de faire le ménage eux-mêmes.

Par conséquent, pour éviter cela, je demande que les lobbyistes soient dégagés de la salle des conférences, du salon Victor Hugo, de la buvette et des couloirs du Sénat pendant la discussion de ce texte. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement.

J'espère que nous n'en arriverons pas à une telle situation. Je ne doute pas que les services du Sénat seront attentifs à ce que l'ordre règne dans les couloirs.

Discussion générale

Rappel au règlement
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, que je soumets aujourd'hui au nom du Gouvernement à la Haute Assemblée, est au coeur d'un véritable débat de société sur l'accès aux oeuvres et à la culture et sur le financement de la création à l'ère d'Internet. Sa discussion à l'Assemblée nationale, longue, vive et passionnée, a ouvert ce débat utile, au fort retentissement, parce qu'il concerne la vie quotidienne de nos concitoyens et en particulier celle des plus jeunes. L'enjeu est majeur, car plus d'un Français sur deux est internaute aujourd'hui et, à terme, la plupart le deviendront, grâce à la politique résolue menée en particulier par ce gouvernement pour résorber la fracture numérique et développer l'usage des nouvelles technologies, ainsi que pour étendre la couverture de notre territoire.

Garantir l'avenir de la création dans l'univers numérique constitue un défi difficile à relever et tel est bien l'objectif du projet de loi qui vous est soumis.

Tout au long du débat à l'Assemblée nationale, j'ai défendu avec force et conviction une juste rémunération du travail des créateurs. Le travail remarquable réalisé par votre commission des affaires culturelles, monsieur le président, prévoit de suivre cette voie en la consolidant.

Deux principes essentiels fondent le texte adopté par l'Assemblée nationale. Ils sont au coeur de ma mission de ministre de la culture et de la communication.

Le premier est le respect du droit d'auteur, droit fondamental et intangible. Sans remonter jusqu'à Platon ou Vitruve, comme vous le faites, monsieur Thiollière, dans votre remarquable rapport, avec beaucoup de science et de sagesse, en montrant son élaboration progressive au cours de l'histoire, ce droit, tel que nous l'aménageons aujourd'hui, est pour l'essentiel l'héritier des Lumières. Vous montrez combien il a su s'adapter aux innovations technologiques, des plus anciennes aux plus récentes, comme l'invention du disque et de la vidéo. Il est de notre responsabilité aujourd'hui, de notre responsabilité à tous, et particulièrement de votre responsabilité de législateurs, de réussir son adaptation à l'ère d'Internet.

Le deuxième principe fondamental est l'accès le plus large aux oeuvres. Il s'agit de la préservation d'une liberté qui, dans l'univers numérique, doit permettre d'accéder à l'offre la plus diversifiée. Cette liberté de communication nécessite aussi, bien sûr, de préserver le respect de la vie privée des internautes.

L'enjeu central du présent projet de loi est de construire, sur le fondement de ces deux principes, un Internet équitable.

Tout le monde n'a pas les mêmes attentes et chacun doit trouver sur Internet l'offre qui lui convient. L'objectif premier de ce texte est aujourd'hui mieux compris : il s'agit de développer les offres culturelles en ligne, avec des modèles innovants et différenciés, pour satisfaire les attentes de chacun. Je pense notamment, à titre d'exemple, à « l'écoute en ligne » pour un concert en direct, à la location en ligne, qui permet de télécharger un film de chez soi, pour le regarder pendant vingt-quatre heures, aux offres de découverte, qui permettront d'écouter un artiste gratuitement, pendant une certaine durée, ou de le faire écouter à d'autres. Je pense également à l'offre lancée la semaine dernière par l'Institut national de l'audiovisuel, qui rend accessible à tous nos concitoyens près de cent mille émissions issues de notre mémoire audiovisuelle.

Le projet de loi vise précisément à créer les conditions pour que se multiplient ces offres de qualité, sécurisées, diversifiées, à des prix raisonnables et lisibles sur tous les supports.

Ce projet de loi est un texte d'avenir. Internet sera bientôt utilisé quotidiennement par tous les Français. Aussi l'enjeu n'est-il pas d'inventer un financement supplémentaire pour la création, mais de préparer, dans les meilleures conditions juridiques possible, le passage d'un modèle culturel, économique et social à un autre, un modèle nouveau où les internautes font appel à cette offre légale de musique et de films sur Internet.

C'est dans cette perspective qu'a été bâti l'équilibre du projet de loi. Ce nouveau modèle préservera le droit d'auteur et sera appelé à devenir un élément essentiel du financement de la création.

J'ajoute que l'accès aux oeuvres est l'un des facteurs clefs qui incitent les Français à devenir internautes et participent de manière décisive à l'essor des fournisseurs d'accès. C'est pourquoi les acteurs de la distribution des oeuvres par Internet ou sur d'autres réseaux numériques seront appelés à participer davantage à l'effort de contribution à la création. C'est le sens de l'accord pour la vidéo à la demande, qui a été signé en décembre 2005 au ministère de la culture et de la communication, avec l'ensemble des organisations professionnelles du cinéma, des fournisseurs d'accès et des diffuseurs. Un tel accord, précédé de dizaines de réunions, sert la diversité culturelle et préfigure l'application de ce que la France a obtenu dans le cadre de la renégociation de la directive « télévision sans frontières ».

Bâtir la loi sur la primauté du droit d'auteur et la volonté de l'accès le plus large aux oeuvres entraîne trois conséquences directes : elle doit mettre en valeur les oeuvres en leur offrant un cadre clair ; elle doit garantir le droit à la copie privée ; elle doit affirmer l'interopérabilité.

Mettre en valeur les oeuvres en leur offrant un cadre clair, c'est d'abord inscrire dans la loi un principe simple, qui doit être rappelé à l'ère numérique : l'auteur est libre de mettre gratuitement ses oeuvres à la disposition du public. Ce principe s'entend bien sûr sous réserve des droits des tiers, des droits des éventuels coauteurs et dans le respect des conventions qu'il a conclues.

Il apparaît ensuite nécessaire de créer un registre des oeuvres disponibles. Ainsi, chaque internaute pourra se référer à ce registre afin de savoir s'il acquiert une oeuvre protégée ou libre de droit. La création d'un tel registre sera un élément clef pour développer en toute légalité l'usage de logiciels d'échange pair-à-pair.

Enfin, je suis attaché à ce qu'une réflexion soit engagée pour la mise en place d'une plate-forme publique de téléchargement de musique, visant notamment à la diffusion des oeuvres des jeunes créateurs dont les oeuvres ne sont pas disponibles à la vente sur les plates-formes légales de téléchargement. À cet égard, des initiatives existent. Je veux les encourager et je souhaite qu'elles s'épanouissent et se multiplient. Parmi les plus récentes, je citerai celles du Centre national des variétés et du Hall de la chanson, qui viennent de lancer une plate-forme du patrimoine de la chanson.

Élément fondamental du texte, le droit à l'exception pour copie privée est garanti, tout en préservant l'équilibre économique et l'avenir de la création française.

La copie privée permet de réaliser, en fonction du type de support, pour son usage personnel ou celui de ses proches, un nombre limité et raisonnable de copies des oeuvres auxquelles on a accédé légalement. Elle se distingue du partage illicite, qui dépasse le cercle de famille pour s'adresser à tous les internautes.

Le projet de loi affirme le principe de l'interopérabilité, c'est-à-dire la liberté pour l'internaute de lire une oeuvre acquise légalement sur tout type de support. En encadrant les mesures techniques de protection, le projet de loi crée les conditions pour que se développe davantage l'offre légale. Puisqu'un Français sur deux est internaute, tous les acteurs qui contribuent à ces offres musicales ont intérêt à rester présents sur un marché qui va se développer. L'encadrement des mesures techniques de protection implique en effet de pouvoir lire sur tous les supports l'oeuvre achetée. Si un internaute est prêt à payer un morceau de musique, il est compréhensible qu'il puisse écouter ce morceau de musique sans être prisonnier d'un seul système qui correspondrait à la gamme de produits d'une seule société.

L'ensemble des États sera confronté à cette question, qui devra être portée au niveau européen. Avec le projet de loi, soyez-en fiers, la France est la première à l'affronter, dans l'intérêt du consommateur, des artistes, du rayonnement de leurs oeuvres et de la diversité culturelle.

Je tiens à souligner, c'est également très important, que l'interopérabilité n'est d'aucune manière une voie pour la piraterie : rendre des mesures techniques compatibles afin qu'elles soient adaptées aux différents supports ne peut être possible que si les droits des créateurs sont respectés.

Cette interopérabilité devra également permettre d'établir des conditions de saine concurrence et favoriser l'innovation, parce que nous disposons, en Europe, de compétences fortes, notamment dans le domaine de la téléphonie mobile.

Un parlementaire en mission sera nommé afin de travailler, avec toutes les parties concernées, à aboutir à des propositions équilibrées qui pourront ensuite être examinées au niveau européen.

Une difficulté centrale d'Internet est le risque pour l'État d'être en retard, voire déconnecté de l'évolution technologique qui est rapide, constante et largement diffusée dans la société.

Cette évolution technologique crée des comportements nouveaux qui s'imposent vite comme des habitudes. La loi, sitôt adoptée, ne doit pas être obsolète. Pour que ce ne soit pas le cas, il faut qu'elle fixe des principes et que leur application soit assurée en tenant compte d'un contexte technologique en mutation permanente.

Le projet de loi qui vous est soumis crée donc un collège de médiateurs, que votre commission des affaires culturelles propose de consolider en une autorité des mesures techniques, pour garantir et concilier à la fois le droit d'auteur, la copie privée et l'interopérabilité, tout en étant en phase avec l'innovation technologique et avec la modification des pratiques des internautes.

Je tiens à saluer, une fois encore, le travail remarquable accompli par votre commission des affaires culturelles et votre rapporteur, pour donner à l'autorité de régulation l'ampleur que nécessitait le problème de société auquel nous sommes confrontés.

L'autorité de régulation, qui pourrait être composée de cinq membres, aura notamment pour mission de déterminer les modalités de copie en fonction du type de support et sera un élément clef pour assurer l'interopérabilité, car elle pourra imposer sous astreinte aux ayants droit de modifier les protections techniques.

Monsieur le rapporteur, comme vous le soulignez justement dans votre rapport écrit, l'autorité de régulation a vocation à être un « dispositif souple, capable de répondre à la diversité et à la complexité des situations, ainsi qu'à l'évolution technologique et économique rapide d'un secteur en pleine métamorphose : celui de la diffusion des oeuvres culturelles à l'ère numérique ».

L'extension de sa mission aux questions d'interopérabilité ne saurait constituer un recul quant à la portée de ce principe, dont je viens de dire combien il est essentiel.

C'est la raison pour laquelle je vous propose d'instaurer une procédure de saisine réciproque de l'Autorité et du Conseil de la concurrence. Une telle procédure permet d'instaurer une articulation cohérente et claire entre les deux instances concernées.

Pouvoir mettre en ligne et télécharger des oeuvres protégées ne peut se réaliser que si, d'une part, chaque internaute est responsabilisé et, d'autre part, la petite minorité de ceux qui sont à l'origine des systèmes de piratage sont empêchés d'agir.

Le texte met donc en place tout d'abord une politique de prévention vis-à-vis des internautes, dont la mise en oeuvre sera précisée par un décret. Les fournisseurs d'accès à Internet transmettront à leurs abonnés des messages électroniques généraux de sensibilisation aux dangers du piratage pour la création artistique, dans le respect absolu de la personne et de la vie privée.

Le projet de loi différencie clairement les responsabilités et instaure une véritable gradation proportionnée des sanctions, adaptée aux fautes commises, pour créer un régime dérogatoire au délit de contrefaçon. Un internaute qui télécharge illégalement de la musique ou un film sur Internet pour son usage personnel ne risquera plus la prison !

La recherche des infractions consistera à surveiller les échanges illégaux d'oeuvres protégées. Je dis bien les oeuvres, et non les internautes. Les constatations ne sont pas nominatives : les agents des services enquêteurs de la police ou de la gendarmerie relèveront des numéros d'adresse Internet. Cette recherche n'entraîne aucune surveillance des communications privées et préserve l'anonymat des internautes.

La contravention sera de première classe pour un téléchargement seul, soit 38 euros maximum, et de deuxième classe si le téléchargement s'accompagne de mise à disposition, soit 150 euros maximum. Un décret en Conseil d'État, prévu par le projet de loi, fixera et encadrera ces contraventions. Il précisera notamment les critères pour lesquels s'appliquera une contravention.

Un groupe de travail interministériel associant le ministère de la justice, le ministère de l'intérieur, le ministère de l'industrie et le ministère de la culture et de la communication est d'ores et déjà chargé d'évaluer et de déterminer les modalités des sanctions, ainsi que de préparer les circulaires d'application.

Je sais que certains d'entre vous s'interrogent sur la nécessité de responsabiliser les titulaires de l'abonnement à Internet. Je pense comme vous qu'il est nécessaire de les responsabiliser davantage afin de diffuser et de faire partager une culture de la responsabilité sur Internet, afin d'éviter des enquêtes intrusives dans la vie privée des internautes. Je sais que certains d'entre vous ont déposé un amendement sur ce point important. Aussi aurons-nous l'occasion d'y revenir au cours de notre discussion.

Les sanctions concernant le téléchargement illégal, accompagné ou non d'une mise à disposition, ont été conçues pour être adaptées et elles seront effectives. Parce qu'elles seront appliquées, ces sanctions seront proportionnées et responsabiliseront les internautes.

Mais surtout, ces sanctions sont indissociables du dispositif général que met en place le texte. Elles sont d'un montant peu élevé, car - et c'est ma priorité - les sanctions pour ceux qui organisent le piratage de la musique et du cinéma seront lourdes, qu'il s'agisse d'abord de ceux qui conçoivent et donnent les moyens de casser les mesures techniques de protection, et plus encore de ceux qui éditent des logiciels manifestement destinés à la mise à disposition non autorisée d'oeuvres protégées.

Le texte garantit ainsi la neutralité technologique et préserve l'avenir du logiciel libre. Il faut préserver le logiciel libre, mais je serai clair : un éditeur de logiciel dont l'objectif délibéré est de porter atteinte aux oeuvres protégées et dont l'ambition est d'attirer ainsi un grand nombre d'utilisateurs doit être sanctionné, car il détruit ainsi sciemment l'économie de la musique et du cinéma, et l'avenir de la création dans ces domaines. Je suis particulièrement sensible à l'effort constructif de clarification et de pédagogie mené par votre commission.

Sans anticiper sur l'exposé de vos amendements, monsieur le rapporteur, permettez-moi dès à présent de donner un avis favorable à votre proposition tendant à ce que, au-delà des cas où l'on pourra prouver l'intention coupable, lorsqu'un logiciel est utilisé à des fins illicites et que cette utilisation est principale ou prépondérante, donc dans des cas bien ciblés, le président du tribunal de grande instance puisse ordonner à l'éditeur d'un tel logiciel de prendre des mesures pour en empêcher ou en limiter l'usage illicite. Ces mesures pourront s'appuyer sur un registre des oeuvres afin d'identifier les droits.

L'auteur est donc au centre de ce texte. Cela fonde certains choix. Je pense en particulier à l'exception pédagogique : le Gouvernement a privilégié la voie de la négociation contractuelle, particulièrement appropriée à la fois aux besoins et aux usages connus de l'enseignement, sur un modèle proche de celui qui a déjà fait ses preuves en matière de photocopie ou de panoramas de presse.

Cette négociation a abouti en mars dernier à la signature d'accords entre le ministère de l'éducation nationale et l'ensemble des titulaires de droit. Il faut nous en féliciter. Elle permettra en outre des adaptations plus faciles aux évolutions techniques rapides dans ces domaines.

Je pense aussi à l'exception en faveur des personnes handicapées, cause incontestable, qui exige de trouver le juste équilibre entre l'accès légitime aux fichiers numériques pour les associations de personnes handicapées et les risques réels d'abus entraînant une violation du droit des auteurs.

Enfin, ce projet de loi est l'occasion de transposer une autre directive européenne relative au droit d'auteur, la directive sur le droit de suite. Nous avions la date butoir du 31 décembre 2005 pour ce faire. Le droit de suite est un pourcentage versé aux artistes plasticiens et à leurs héritiers lors de chacune des ventes successives de leurs oeuvres sur le marché.

Comme vous l'exposez dans votre excellent rapport, la directive européenne du 27 septembre 2001 uniformise le droit de suite et les taux applicables à l'ensemble des pays de l'Union. Cette directive permettra à nos professionnels, à terme, de travailler dans des conditions de concurrence égales par rapport à Londres et par rapport au reste du marché intérieur. J'approuve l'amendement rédactionnel déposé par votre commission.

Au total, madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte, qui fera l'objet d'un rapport au Parlement sur son application tous les dix-huit mois afin de s'assurer de son adéquation à un contexte technologique en rapide mutation, est un texte d'équilibre, d'équité et d'efficacité.

C'est un texte de liberté et de responsabilité, qui donne un avenir à la diversité culturelle, entrée dans le droit international en octobre 2005, avec l'adoption, à la quasi-unanimité de la communauté internationale, de la convention de l'UNESCO.

C'est un texte de législation moderne, en phase avec les défis de notre temps, qui respecte à la fois, d'une part, l'émergence d'une société d'internautes, où l'offre et la demande d'oeuvres et de produits culturels ne cessent de croître et de se diversifier, et, d'autre part, ce droit fondamental nécessaire à l'éclosion et à la pérennité des créations et des talents, ce droit d'auteur que personne n'a su mieux résumer que Beaumarchais : « Rendre à chacun ce qui lui est dû ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Thiollière, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous abordons un texte difficile parce qu'il se situe aux avant-postes de la société, et on pourrait presque dire aux avant-postes d'une nouvelle civilisation, celle de l'univers numérique.

Avec ce texte, nous défrichons de nouveaux territoires d'une envergure inégalée : nouveaux territoires de la création, sous toutes ses formes, les artistes étant par nature des éclaireurs ; nouveaux territoires de la technologie, chercheurs, ingénieurs, industriels, inventant des modes de vie jamais encore expérimentés ; nouveaux territoires du droit international, européen et français ; nouveaux territoires qu'explorent les individus, avides de découvertes, désireux d'appréhender de nouveaux usages.

Il est donc normal que ce texte invite à des réflexions multiples.

J'évoquais une envergure inégalée. En effet, l'univers numérique est mondial, les directives sont européennes, les pratiques et les technologies n'ont pas de frontières. L'art, par nature, est universel.

Finalement, il s'agit ni plus ni moins d'une conception nouvelle de la vie en société, au sens de l'émergence et de la cohérence de la loi au sein de la République.

Puisque les pratiques de l'Internet empruntent avec le surf au langage de la mer, on peut risquer une image : celle du navire et de la mer. Et les questions qui les accompagnent sont les suivantes : qui embarque ? Sur quel navire ? Pour aller où ? Sur quelle mer ? Et pour quelles découvertes ? S'intéresse-t-on à la course du navire ? Se penche-t-on sur la résistance de la vague ?

À regarder de trop près les points de friction entre la mer et le navire, on risque d'échapper à l'essentiel. Car l'essentiel, pour nous, à travers ce projet de loi, c'est bien, d'abord, la protection, chez nous et dans le monde, mais surtout chez nous et dans le monde francophone, de lieux rares et sensibles où s'enracine et émerge la nouvelle création sous toutes ses formes. Cette création nourrit notre identité et esquisse la société dans laquelle nous vivrons demain.

C'est aussi la liberté de découvrir des oeuvres anciennes, nouvelles, proches ou lointaines.

Le texte que nous abordons doit donc nous aider à fixer le cap et à borner la route, tout en favorisant toutes les aventures et toutes les explorations, celles d'un métissage intelligent et respectueux du monde de la culture et de l'univers numérique.

C'est une tâche difficile, mais passionnante. Nous devons l'aborder avec l'envie de réussir, mais en gardant aussi un haut degré d'humilité.

Cette envie et cette humilité ont déjà inspiré le législateur dans notre pays, ce qui a permis de bâtir les fondations d'une législation stable sur ce sujet du droit d'auteur.

Les grandes notions autour desquelles il s'articule ont été posées par les deux lois de référence de la période révolutionnaire, les lois de janvier 1791 et de juillet 1793. Ses principes ont été progressivement dégagés par une série de lois qui se sont échelonnées tout au long du xixe siècle, contribuant à dessiner le profil original du droit d'auteur « à la française », face à l'autre modèle, celui du copyright anglophone, introduit notamment par la loi fédérale américaine de 1790.

Cette construction législative a trouvé en France son aboutissement avec l'adoption de la grande loi du 11 mars 1957, dont les dispositions sont, pour l'essentiel, encore en vigueur aujourd'hui.

Elles ont été complétées par celles de la loi du 3 juillet 1985, dite « loi Lang », qui ont créé des « droits voisins » au profit des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, ainsi que des entreprises de communication audiovisuelle.

J'ajoute, pour finir de planter le décor du droit français, que l'ensemble de ces dispositions ont été, depuis lors, codifiées par une loi de 1992 dans le code de la propriété intellectuelle, dont elles constituent la première partie, la seconde étant consacrée à la propriété industrielle.

Dans le domaine de la propriété littéraire et artistique, nous ne jouissons pas d'une entière marge de manoeuvre, car nous devons tenir compte d'un grand nombre de traités internationaux et de plusieurs directives européennes. C'est inévitable : les productions de l'esprit ont tendance, plus que les autres peut-être, à s'affranchir des frontières.

Ces accords internationaux tracent en quelque sorte le cadre général dans lequel nous intervenons en qualité de législateur national, et nous les évoquerons souvent dans nos débats. Je les énumère rapidement : il s'agit de la fameuse convention de Berne de 1886, de la convention de Rome de 1961 sur les droits voisins, ainsi que des deux conventions de 1996 de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l'OMPI, qui ont, pour la première fois, invité les États à consacrer juridiquement les mesures techniques de protection, un des volets les plus significatifs du projet de loi que nous examinons.

Quant aux directives européennes, qui nous assignent des obligations plus précises encore, je ne citerai que les deux directives dont le projet de loi doit assurer la transposition : la directive n° 2001/29 du 22 mai 2001 relative à l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information et la directive n° 2001/84 du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale.

Pardon pour ce rappel, mais je crois qu'il n'est pas inutile de situer ainsi nos travaux dans ce contexte juridique global, même si les débats publics récents vous ont peut-être familiarisés avec ces références.

J'en viens maintenant à l'analyse du présent projet de loi.

Son titre Ier a pour objet d'assurer la transposition de la directive européenne du 22 mai 2001, et l'Assemblée nationale a sensiblement enrichi et modifié son dispositif.

Je passe rapidement sur les dispositions relatives à l'harmonisation de la durée des droits voisins et de la définition des droits qui n'imposent que des ajustements ponctuels à notre droit et ne soulèvent apparemment pas de difficultés.

L'harmonisation des exceptions aux droits d'auteur et aux droits voisins constitue, en revanche, un sujet plus délicat.

Outre une exception technique obligatoire que le projet de loi transpose fidèlement, la directive européenne dresse une liste exhaustive et limitative des exceptions que les États sont autorisés à prévoir et qui correspond à peu de chose près à l'addition de celles qui existaient déjà ici ou là.

Parmi les exceptions facultatives, l'exception en faveur des handicapés mérite une mention particulière : c'est la seule à avoir été reprise dans la quasi-totalité des États. Les articles ler, 2 et 3 du projet de loi l'ajoutent, eux aussi, à la liste des exceptions que nous reconnaissons respectivement au droit d'auteur, aux droits voisins et aux droits des producteurs de bases de données. Le dispositif proposé, qui confie la réalisation des supports adaptés à des personnes morales spécialisées dans leur conception, ainsi qu'à certains établissements documentaires agréés, paraît adéquat, et l'Assemblée nationale a amélioré son efficacité en invitant les éditeurs à procéder au dépôt systématique du fichier numérique pour tous les documents imprimés. Cette obligation étant peut-être inutilement lourde, la commission vous proposera de lui substituer une obligation de fournir à la demande les fichiers numériques.

Ces fichiers pourraient d'ailleurs être déposés au Centre national du livre, comme la suggestion nous en a été faite.

Sur le plan des principes, la volonté de défendre le droit d'auteur doit nous rendre très circonspects face aux demandes de nouvelles exceptions.

Pour cette raison, je vous proposerai la suppression d'un certain nombre de nouvelles exceptions adoptées par l'Assemblée nationale, notamment celle de l'article 4 bis, qui prévoit d'étendre le régime de la licence légale de l'article L. 214-1 aux reproductions de phonogrammes du commerce nécessaires à la sonorisation des programmes de télévision, alors qu'il est actuellement réservé à la radiodiffusion, et celle de l'article 4 ter, qui instaure une exception en faveur des actes nécessaires aux procédures parlementaires de contrôle.

Dans le même ordre d'idée, la commission vous proposera de supprimer l'article 5 quater, qui dispensait du paiement de la rémunération pour copie privée les organismes utilisant des supports d'enregistrement vierges à des fins d'imagerie médicale. Certes, l'extension de l'assiette de cette rémunération aux supports numériques, dont les fonctions ne se résument pas à la copie privée, pose un vrai problème. Mais on ne peut y répondre par des dérogations qui auraient vite fait de mettre à mal le principe de mutualisation sur lequel repose tout le système.

En contrepartie, je crois que nous pouvons nous montrer plus ouverts sur un certain nombre de points.

Je vous proposerai ainsi de conserver, moyennant quelques aménagements, l'exception créée par l'Assemblée nationale en faveur des bibliothèques publiques, des musées et des archives, ainsi que celle qui concerne la reproduction des oeuvres graphiques, plastiques ou architecturales par voie de presse. Ces nouvelles exceptions, très limitées et bien circonscrites, ne causent aucun tort majeur aux auteurs.

Plus significative, je le reconnais, est l'exception que la commission vous propose d'instituer en faveur de l'enseignement et de la recherche, et que vous avez évoquée, monsieur le ministre.

Dans un premier temps, nous étions convenus, le président de la commission, Jacques Valade, et moi-même, de nous rallier à la démarche du Gouvernement qui préférait à la création d'une nouvelle exception légale une démarche contractuelle pour définir les usages autorisés.

Nous avions, en effet, jugé encourageante la déclaration commune, que vous avez mentionnée, monsieur le ministre, signée le 14 janvier 2005 par le ministre de l'éducation nationale et le ministre délégué à la recherche et à l'enseignement supérieur.

Mais nous nous sommes alarmés des retards successifs que prenait la publication des accords qui ne sont parus qu'alors que les débats à l'Assemblée nationale sur le projet de loi étaient déjà engagés. Ils ne nous paraissent malheureusement pas pleinement satisfaisants. Car, malgré leur publication tardive, leur négociation semble avoir été précipitée au détriment de la participation de certains partenaires importants comme la conférence des présidents d'université. En outre, le contenu de ces accords nous paraît parfois exagérément restrictif.

Ces raisons nous ont conduits à recommander l'introduction en droit français, dans des termes mesurés, d'une exception pédagogique, qui existe déjà chez nombre de nos partenaires, notamment en Allemagne, en Autriche, en Grande-Bretagne, en Belgique, au Portugal et au Luxembourg.

Dans le même temps, où s'harmonisent l'enseignement et la recherche au niveau européen, notamment avec le schéma LMD, ou licence-master-doctorat, il est nécessaire de franchir avec cette exception un pas de caractère européen.

Second sujet sensible, la consécration juridique des mesures techniques de protection, qui nous fait entrer au coeur du problème de la défense du droit d'auteur et des droits voisins dans l'univers numérique.

Nous commençons de percevoir à quel point la révolution numérique entraînera, sur la diffusion des oeuvres et de la culture, des conséquences aussi significatives que l'invention de l'imprimerie, de la radio ou de la télévision.

Les conséquences de la révolution numérique sont de trois ordres : la numérisation des oeuvres les rend infiniment reproductibles et rien ne différencie plus l'original de la copie ; en outre, la compression numérique démultiplie les capacités de stockage - les baladeurs numériques en sont l'illustration frappante ; enfin, elle facilite également, grâce au développement parallèle du haut débit, leur transmission facile, rapide et peu coûteuse à travers les réseaux numériques ; l'essor des réseaux appelés peer to peer profite de ces nouvelles potentialités.

Ces mutations technologiques et l'impact qu'elles ont, ou qu'elles auront à coup sûr, sur les pratiques culturelles des nouvelles générations et, par contrecoup, sur l'économie de la filière culturelle, sont connus ou, en tout cas, sinon prévisibles, du moins probables.

Nous devons faire le pari que les formidables potentialités qu'offre la révolution numérique pour la diffusion des oeuvres sont conciliables avec le respect de la propriété intellectuelle, grâce aux mesures techniques de protection et au développement des plateformes de téléchargement légales. Ces mesures, qui reposent également sur des technologies numériques, peuvent permettre aux ayants droit de reprendre le contrôle de l'accès à leurs oeuvres et de leur diffusion, si, dans le combat inégal qui les oppose aux dispositifs de contournement, on leur donne l'avantage d'une protection juridique.

Tel est le choix qu'ont opéré, dès 1996, les deux traités de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, relayés cinq ans plus tard par la directive européenne du 22 mai 2001, que le chapitre III du projet de loi transpose à son tour en droit français.

La définition et la consécration juridique des mesures techniques que l'article 7 du projet de loi insère dans les deux premiers alinéas d'un nouvel article L. 331-5 du code de la propriété intellectuelle sont une reprise quasi littérale des paragraphes 2 et 3 de l'article 6 de la directive.

Nous retrouvons, en revanche, une marge d'appréciation dans deux domaines où la directive est moins précise : l'interopérabilité des mesures techniques et la conciliation de ces dernières avec le bénéfice effectif des exceptions, en particulier de l'exception pour copie privée.

Nous avons tout d'abord souhaité mieux garantir le bénéfice effectif de certaines exceptions, en particulier de l'exception de copie privée, de l'exception en faveur des bibliothèques et de l'exception en faveur des personnes handicapées.

Certes, l'Assemblée nationale avait déjà complété le projet de loi initial en adoptant plusieurs dispositions tendant à garantir l'information des consommateurs et le maintien de la copie à partir d'une source télévisuelle. Nous les avons conservées et confortées. L'Assemblée nationale avait, en outre, confié au collègue des médiateurs la mission supplémentaire de fixer les modalités d'exercice de la copie privée, sans toucher à sa composition et à son fonctionnement.

Cette nouvelle responsabilité d'ordre quasi réglementaire nous a incités, au contraire, à aller jusqu'au bout de cette démarche et à ériger le collège en une autorité administrative indépendante, « l'autorité de régulation des mesures techniques de protection », composée de six membres, de façon à intégrer, à côté de magistrats, des personnalités qualifiées dans le domaine des technologies de l'information, ainsi que, le cas échéant, dans les secteurs de la propriété littéraire et artistique et dans celui de la propriété industrielle.

Cette nouvelle autorité indépendante, outre son rôle de conciliation, pourra fixer notamment le nombre minimal de copies autorisées dans le cadre de l'exception de copie privée, en fonction du type d'oeuvres, de leurs modes de communication au public et du contexte technique. Cette solution souple et évolutive nous a paru préférable à la fixation définitive d'une règle rigide.

C'est également à cette autorité que notre commission vous propose de confier la responsabilité de garantir l'interopérabilité, c'est-à-dire, une nouvelle liberté, offrant de nouvelles possibilités d'échanges et de découvertes.

Nos auditions nous ont convaincus que les deux solutions successivement envisagées par l'Assemblée nationale n'étaient pas satisfaisantes aujourd'hui : le Conseil de la concurrence, qui est certes le juge des entreprises, n'était sans doute pas le mieux placé pour garantir l'interopérabilité ; quant au second dispositif, il prenait trop de libertés avec la propriété industrielle et la protection des logiciels, qui ont aussi leur légitimité, ne l'oublions pas, et qui sont garanties tant par le droit français que par le droit européen.

Notre volonté de mettre sur pied un dispositif à la fois efficace et respectueux des droits existants nous a conduits à procéder à sa refonte complète au sein d'un nouvel article additionnel.

Je serai plus bref sur le chapitre des sanctions, car nous n'avons dans l'ensemble retouché qu'à la marge les dispositions qui s'y rapportent.

Nous avons approuvé la volonté du Gouvernement de moduler l'échelle des peines et de sortir les actes de téléchargement du champ de la contrefaçon pour les requalifier de simples contraventions.

La définition des contraventions relevant du pouvoir réglementaire, nous souhaiterions que vous nous donniez davantage de précisions, monsieur le ministre, quant aux procédures qui seront utilisées pour la recherche, le constat et l'établissement des procès-verbaux de ces infractions. Nous sommes, en outre, confrontés à une interrogation récurrente : y aura-t-il autant de contraventions que d'oeuvres téléchargées, ou bien la contravention sanctionnera-t-elle un acte de téléchargement susceptible d'englober un grand nombre de fichiers protégés ?

Nous avons également partagé votre analyse suivant laquelle la lutte contre le peer to peer ne doit pas passer uniquement par la répression des internautes.

Nous avons d'emblée approuvé le dispositif adopté par l'Assemblée nationale à l'article 12 bis tendant à instaurer une responsabilité pénale des éditeurs et fournisseurs de logiciels, dès lors que leur intention délictuelle est bien établie. Nous nous sommes montrés en revanche plus réservés, à l'origine, à l'égard du dispositif civil envisagé par l'article 14 quater.

Les contacts et les réflexions que nous avons poursuivis tout au long de ces derniers mois et jusqu'à ces derniers jours nous ont permis de remédier d'abord à un certain nombre d'imprécisions rédactionnelles.

Compte tenu de l'importance qu'y attachent les milieux artistiques, nous avons pu en même temps élaborer, au terme d'une démarche constructive avec le Gouvernement, un nouveau dispositif, mieux centré sur les éditeurs de logiciels susceptibles d'être concernés et adossé à un registre public qui ouvre de nouvelles perspectives.

Enfin, je serai plus bref encore sur les autres dispositions du projet de loi, consacrées au droit d'auteur des agents publics, au dépôt légal des contenus diffusés sur Internet et à la transposition de la directive relative au droit de suite.

Ne voyez surtout pas là un manque d'intérêt de ma part pour ces questions. Il convient toutefois de constater qu'elles sont moins problématiques que les précédentes et seront par conséquent probablement moins débattues, en dépit de leur importance, voire, pour certaines, de leur nécessité.

Concernant les articles consacrés au droit d'auteur des agents publics, j'estime que le texte est parvenu à un équilibre qu'il convient de préserver. Tout en proposant de renverser l'économie juridique de l'avis rendu par le Conseil d'État en novembre 1972 afin de reconnaître aux agents publics un droit de propriété sur les oeuvres créées dans l'exercice de leurs fonctions, le projet de loi prend soin d'encadrer l'exercice des droits moraux et patrimoniaux de l'auteur dans le but de les concilier avec les nécessités du service public.

On peut certes s'interroger, comme l'ont fait tant le CSPLA que certains de nos collègues, sur l'opportunité d'encadrer si strictement les différents attributs du droit moral des agents publics. Je ne doute pas, d'ailleurs, que nous aurons l'occasion de revenir sur cette question au cours du débat. Mais, en faisant naître désormais les droits d'auteurs sur la tête des agents publics concernés, et non plus sur les collectivités publiques qui les emploient, et en ouvrant la possibilité d'intéresser ceux-ci au produit tiré de l'exploitation de leurs oeuvres, le projet de loi a au moins le mérite de mettre fin à une exception contraire à notre conception personnaliste du droit d'auteur.

Qu'il me soit permis de souligner dès à présent la pertinence des corrections apportées par l'Assemblée nationale à ces articles : en soustrayant du champ d'application de ces dispositions les agents publics jouissant d'une certaine indépendance, au premier rang desquels les enseignants et les chercheurs, les députés ont à mon sens opportunément corrigé un dispositif susceptible, dans le cas contraire, de brider les travaux et la créativité du corps professoral.

Concernant l'extension de l'obligation de dépôt légal aux contenus diffusés sur Internet, je tiens, monsieur le ministre, à féliciter le Gouvernement de nous proposer des dispositions permettant de garantir la sauvegarde du patrimoine numérique tout en préservant les intérêts des ayants droit. Ce cadre juridique novateur s'appuyant sur un régime de collecte mixte des documents numériques devrait en effet permettre de dépasser la phase d'expérimentation menée par la Bibliothèque nationale de France et par l'INA, et d'assurer une collecte efficace de ce nouveau patrimoine.

Concernant l'INA, je vous proposerai d'adopter une disposition permettant à l'Institut d'exploiter plus efficacement les archives, qu'elle a par ailleurs mission de numériser.

J'en viens enfin à l'article 28 A du texte, tendant à transposer la directive du 27 septembre 2001 relative au droit de suite. Celui-ci ne bouleverse pas l'esprit du droit de suite tel qu'il a été défini par le législateur en 1920. S'inspirant très largement des dispositions de la directive, mais également de celles de l'article 14 ter de la convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques, il se contente d'en rappeler le principe, le domaine et les modalités d'application au sens le plus large du terme. Ce faisant, ce nouvel article ne propose qu'une transposition a minima de la directive, la plupart des détails relatifs aux seuils, aux taux et aux délais devant être fixés par un décret en Conseil d'État.

Il permet toutefois d'acter vis-à-vis des instances communautaires la transposition formelle d'un texte applicable depuis le 1er janvier 2006, ce qui constitue en soi une satisfaction compte tenu des délais moyens de transposition des textes communautaires dans notre pays.

Permettez-moi en conclusion de vous remercier très sincèrement, monsieur le ministre, ainsi que vos collaborateurs, de la qualité de votre écoute. Je remercie également le président de la commission, Jacques Valade, de la qualité de ses conseils et de sa disponibilité, mes collègues de la commission et l'ensemble de nos collaborateurs, et, bien entendu, toutes celles et tous ceux que nous avons auditionnés et qui nous ont éclairés sur leur métier, leurs craintes et leurs souhaits. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 103 minutes ;

Groupe socialiste, 67 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 26 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 15 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mon cher collègue, avec l'ère numérique, nous vivons une véritable révolution des modes de diffusion des oeuvres et de la culture. Les conséquences de cette révolution sur les droits d'auteur sont multiples : les oeuvres sont reproductibles à l'infini et à qualité identique ; leurs capacités de stockage sont démultipliées et, à travers les réseaux numériques, elles peuvent être diffusées très facilement et très rapidement. On pressentait depuis plusieurs années que la portée économique et culturelle du numérique serait comparable à celle de l'apparition de l'imprimerie. C'est aujourd'hui une certitude, car sont remis en cause les modes de fonctionnement et les fondements mêmes de la propriété intellectuelle et artistique.

Le projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information dont nous entamons aujourd'hui l'examen a pour objet d'adapter notre législation à cette révolution numérique. Or, convenons-en, l'examen d'un texte aussi complexe aurait mérité plusieurs lectures par chaque chambre, propices à une plus grande maturation de notre réflexion. En outre, les discussions engagées au Parlement français nous semblent intervenir soit trop tôt, soit trop tard.

Trop tard, car non seulement le projet de loi transpose une directive européenne qui date déjà de cinq ans, mais, qui plus est, reprend pour les États de l'Union européenne des dispositions des traités de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle datant de 1996, soit d'il y a dix ans ! D'ailleurs, la France, qui est avec l'Espagne le dernier pays de l'Union européenne à transposer la directive alors qu'elle aurait dû le faire au plus tard le 22 décembre 2002, a été condamnée par la Cour européenne de justice en janvier 2005 pour non-respect de son obligation. De par sa vocation européenne, le groupe UC-UDF, qui est favorable à la construction d'une Europe de la culture, laquelle suppose aussi l'harmonisation des législations des États membres en matière de droit d'auteur, regrette que la France ait été, une nouvelle fois, mauvais élève de la classe européenne.

À cela s'ajoutent le dépôt tardif du projet de loi, en novembre 2003, sur le bureau de l'Assemblée nationale, et son inscription à l'ordre du jour plusieurs fois repoussée. Autant dire que nous attendons ce texte depuis plusieurs mois ; d'ailleurs, le débat de société qui s'est engagé à l'occasion de son examen - mouvementé - à l'Assemblée nationale a démultiplié l'intérêt pour la question des droits d'auteur et du téléchargement dans notre pays.

Comment penser, dans ces conditions, que les dispositions juridiques élaborées voilà maintenant dix ans sont encore valables et applicables aujourd'hui, à la vitesse où vont les innovations technologiques dans le secteur du numérique ? Sur de nombreux aspects, le projet de loi peut paraître en décalage avec la réalité des techniques et des pratiques. Je ne citerai comme exemple que le téléchargement avec les logiciels de peer to peer et le développement récent des connexions Internet à haut débit en France. Ne risquons-nous pas de légiférer à contretemps et de voir les mesures législatives devenir obsolètes quelques semaines après leur adoption, voire dès leur promulgation ?

C'est sans doute trop tard, mais c'est peut-être également trop tôt. Trop tôt, car nous sommes à la croisée des chemins : la révolution numérique est en cours, de nouveaux modèles économiques émergent dans le secteur culturel. Ainsi, les distributeurs de vidéo ont récemment annoncé aux États-Unis la vente de l'oeuvre vidéo sous format numérique au même moment que la mise en vente du DVD. Il ne faudrait pas que, par des dispositions juridiques contraignantes, le législateur « fige » des positions industrielles et des modèles en plein développement.

Trop tôt également, car nous sommes à un tournant technologique et nous ne savons pas, pour l'instant, comment vont évoluer les techniques et les pratiques de téléchargement. Nous sommes au milieu du gué, et aucune solution idéale ne semble se dégager. Aussi, tout en garantissant certains principes clairs, il faut à mon avis créer un cadre législatif le plus ouvert et le plus souple possible pour qu'il puisse s'adapter aux évolutions technologiques futures, pour lesquelles - vous en conviendrez, mes chers collègues - on ne peut nous demander de jouer un rôle d'expert.

Parmi ces principes, le groupe UC-UDF est particulièrement attaché à la juste rémunération des auteurs et des artistes ; au maintien d'un environnement libre sur le Net ; à la reconnaissance du droit à la copie privée ; à l'interopérabilité et à un régime d'exceptions équitable.

Comme l'ont montré les débats à l'Assemblée nationale, les évolutions technologiques sont au centre des préoccupations. Alors que les discussions se sont concentrées sur les propositions de licence globale ou légale, celle-ci ayant pu apparaître à un moment comme une solution séduisante sur le papier - je tiens ici à rappeler que le groupe UC-UDF a été le seul à adopter une position claire et cohérente à ce sujet -, elles portent désormais davantage sur la question de l'interopérabilité et des mesures techniques de protection, qui forment d'ailleurs le coeur de la directive.

Reste la question du téléchargement, celle qui concerne le plus grand nombre de citoyens. Le débat, qui portait initialement sur le droit d'auteur, est devenu plus complexe et plus technique, nécessitant une maîtrise complète du fonctionnement des logiciels de téléchargement, des mesures de protection, des méthodes de cryptage et de brouillage, des codes sources... Pourtant, derrière ces questions et les multiples intérêts concernés par le projet de loi - ceux des auteurs, des artistes-interprètes, des ayants droit, des sociétés de perception, des industries culturelles, des consommateurs-internautes, qui sont tous légitimes -, il faut rappeler la primauté du droit d'auteur, qui, vous l'avez dit, monsieur le ministre, est intangible et inaliénable.

L'enjeu du projet de loi, il ne faut pas le perdre de vue, est bien la création culturelle dans notre pays. Mais il faut viser, dans l'univers numérique, un nouvel équilibre entre les auteurs, les créateurs et la diffusion de la culture, facilitée par le développement de l'internet et des supports dématérialisés.

Personnellement, je reste attachée à un juste équilibre entre les droits légitimes des auteurs, droits sans lesquels il ne saurait y avoir de création artistique et culturelle, et les droits de la société à l'accès, au partage et à la diffusion de la culture, des savoirs et de l'information, sans lesquels il ne peut y avoir de liberté. C'est en cela que l'élargissement des exceptions aux bibliothèques publiques, archives et musées, ainsi qu'aux fins d'enseignement et de recherche, est important. Si le projet de loi doit rappeler et réaffirmer que la création a une valeur, qu'elle a un coût, que tout n'est pas gratuit, comme peuvent le laisser croire l'utilisation et le développement d'Internet et du peer to peer, nous savons également que les mesures techniques de protection peuvent favoriser des monopoles industriels, limiter l'accès à la culture, ou encore restreindre l'exception pour copie privée.

C'est pourquoi, en même temps que de la reconnaissance juridique des mesures techniques de protection, qui permettent de préserver les droits exclusifs des auteurs en limitant les reproductions abusives, je me réjouis de constater que le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale apporte des garanties sur l'interopérabilité, peu présente dans le texte du projet de loi initial. En effet, il ne faut pas minimiser les risques que les mesures techniques de protection souhaitées par les majors des industries culturelles font peser sur les consommateurs, mais aussi sur les auteurs et sur les artistes-interprètes mêmes, qui, ne figurant pas tous au « Top 50 », ne sont pas tous en mesure de négocier des contrats sécurisés. En maîtrisant la technologie, elles peuvent rendre impossible la lecture sur l'ensemble des supports d'un bien culturel acquis légalement et restreindre l'exception pour copie privée et, à terme, en faire disparaître la rémunération en tarissant ses sources de financement.

Je défendrai donc, avec mon groupe, plusieurs amendements visant à revenir à l'équilibre trouvé à l'article 7 par l'Assemblée nationale, unanime sur l'interopérabilité. Au demeurant, cet équilibre nous semble quelque peu remis en cause par l'amendement proposé par la commission des affaires culturelles.

Je me réjouis également que nos collègues députés aient apporté à l'article 8 des précisions et des garanties sur le bénéfice de l'exception pour copie privée, que menaçait le développement des mesures techniques de protection.

Pour ce qui est des sanctions, je m'interroge sur leur efficacité. Si tout le monde admet que, faute de moyens, il ne sera pas possible de poursuivre l'ensemble des internautes téléchargeant illégalement, que des technologies plus perfectionnées permettront la pratique « anonyme » du peer to peer sans être repéré par les logiciels, et que les peines encourues figurant dans la première mouture du projet de loi étaient manifestement excessives, il reste que le dispositif proposé aujourd'hui nous laisse dubitatifs. La crédibilité de la loi ne repose-t-elle pas sur l'effectivité des sanctions ? Celles-ci auront-elles une réelle efficacité sur les internautes ? Seront-elles applicables ? La pédagogie et la prévention ne devraient-elles pas être encouragées ? Pour ma part, je regrette que la partie préventive du système dit de « réponse graduée », c'est-à-dire l'envoi de courriels personnalisés aux internautes téléchargeant illégalement, n'ait pu aboutir. Cette mesure me paraissait pourtant de nature à dissuader de nombreux internautes d'actes de téléchargement illicite. Je voudrais également insister ici sur l'importance de la nécessaire éducation de nos jeunes concitoyens à la culture, tant le débat de société et les pratiques de téléchargement peuvent accréditer chez les jeunes générations l'idée que la culture ne coûte rien.

L'internet a bouleversé les « modes de consommation » des biens culturels. Plutôt que de prévoir une panoplie répressive largement illusoire et des mesures techniques prétendument inviolables, une éducation artistique et culturelle citoyenne pourrait rappeler la valeur de la création, par exemple que l'artiste interprète répète tous les jours avant d'enregistrer un CD ou de faire un concert, que la confection d'un CD coûte de l'argent, le prix que représente la production et la réalisation d'un film. C'est toute cette prévention éducative qui manque dans le projet de loi.

Nous veillerons, en outre, à ce que les sanctions prévues contre le contournement des mesures techniques de protection garantissent le respect de la vie privée contre les menaces intrusives, notamment lors des procédés mis en place pour repérer les contrevenants, comme l'a fait remarquer la CNIL, lors de la mise en place par les fournisseurs d'accès à Internet de la charte pour lutter contre la piraterie.

Celles-ci doivent également veiller à laisser se développer l'activité des logiciels libres, qui favorisent la capacité de recherche, la créativité et l'inventivité. Il y a là un enjeu pour la compétitivité de l'industrie française.

Pour finir, je voudrais insister sur le fait que nous sommes ; dans l'univers numérique ; à une période charnière où les lignes ne sont pas encore fixées ; nous en avons tous conscience

Les acteurs économiques spécialisés dans les industries culturelles doivent innover, inventer de nouvelles formes de création et de mise à disposition des oeuvres sur Internet.

Comme dans d'autres secteurs culturels, plusieurs modèles d'accès aux biens avec des modes de financement différents pourraient cohabiter : les plates-formes légales payantes, les logiciels libres, le peer to peer légal, dans lequel les ayants droit négocient avec les éditeurs de logiciels pour la diffusion de leurs oeuvres. Cette cohabitation des modèles - vous en avez évoqué plusieurs exemples, monsieur le ministre - permettrait de satisfaire l'ensemble des acteurs en garantissant une juste rémunération aux auteurs, tout en favorisant l'accès à la culture et sa diffusion.

Le projet de loi doit permettre la transition vers ces nouveaux modèles économiques de la culture. Cette mutation, ce bouleversement pose aussi, bien sûr, la question de l'impact du numérique sur les modes de financement des filières culturelles. C'est la raison pour laquelle je défendrai un amendement d'appel qui vise à assujettir les fournisseurs d'accès à Internet au paiement de la rémunération pour copie privée et donc à les faire participer au financement de la culture.

En effet, Internet est aujourd'hui un mode de diffusion essentiel des oeuvres et prestations artistiques protégées. Ne serait-il pas logique que les fournisseurs d'accès à Internet participent aussi au financement des filières culturelles dont ils tirent bénéfice ?

C'est pourquoi le groupe UC-UDF restera très attentif à la préservation du difficile équilibre entre le droit d'auteur et l'accès du public aux biens culturels, au respect de la création mais aussi de la créativité engendrée par de nouveaux modes de collaboration interactive entre internautes responsables, au respect de la vie privée.

Notre vote dépendra du sort réservé à nos amendements, en particulier à ceux qui concernent l'interopérabilité, à nos yeux essentielle, et avant tout, bien sûr, de l'équilibre général du texte qui sortira des débats du Sénat, équilibre qui, nous en avons tous conscience, est très délicat à atteindre, tant, de toute évidence, les enjeux sont multiples : culturels, techniques, financiers, économiques, sociétaux et les intérêts catégoriels parfois contradictoires.

L'examen du projet de loi aura au moins ce mérite pédagogique : avoir éveillé les esprits sur les questions culturelles et les problématiques de financement de la musique et du cinéma et avoir rappelé la spécificité du droit d'auteur hérité de Beaumarchais.

Enfin, je remercie le président de la commission des affaires culturelles, son rapporteur et ses services de la qualité de leur travail sur ce dossier difficile. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion que le Sénat ouvre aujourd'hui aurait dû, dans l'esprit du Gouvernement, être close depuis longtemps, dans les premiers jours de l'année 2006 exactement.

En effet, après avoir fait délibérer l'Assemblée nationale à la veille de Noël, M. le ministre pensait pouvoir faire enregistrer le texte par le Sénat au tout début du mois de janvier et, ainsi, avoir adapté le droit d'auteur et ses droits voisins à la société de l'information à peine la trêve des confiseurs achevée.

Mais vu la confusion qui régnait dans les rangs de la majorité au moment où le débat aurait dû être clos, le Premier ministre s'est résigné à suspendre l'examen du texte par les députés. Celui-ci n'a pu reprendre qu'après trois mois de tergiversations de votre part, monsieur le ministre, période qui ne vous a même pas donné l'occasion d'organiser quelque concertation que ce soit, ni avec les professionnels du secteur ni avec les parlementaires. Étiez-vous donc si sûr de votre fait ?

Certes, ce gouvernement a tenté d'imposer au pays et à sa jeunesse le CPE sans chercher à comprendre comment il a pu soulever une telle contestation à l'égard de son action. Dès lors, on voyait mal comment ce même gouvernement aurait pu concevoir qu'un projet qui touche à la vie quotidienne de millions d'internautes et de milliers d'artistes puisse susciter des discussions aussi passionnées que celles qui ont émergé à l'Assemblée nationale au mois de décembre dernier.

Pourtant, en France, le droit d'auteur conserve une dimension historique et révolutionnaire indéniable. Comme l'affirmait Lakanal lors des débats qui aboutiront aux lois fondatrices de 1791 et de 1793 consacrant le droit de représentation et le droit de reproduction, « si quelque chose doit étonner, [...] c'est qu'une si grande révolution que la nôtre ait été nécessaire pour reconnaître le droit d'auteur ».

En tout état de cause, si nos prédécesseurs de 1789 doivent nous apprendre un principe dans l'art de gouverner, c'est que les textes longuement délibérés sont souvent les plus stables car les moins contestés. Ainsi, les lois de 1791 et de 1793 n'ont-elles été profondément modifiées qu'en 1957, puis en 1985. Et souvenons-nous que la réforme de 1957 a été préparée dès 1944 et que celle de 1985 a fait l'objet de trois ans de concertation préalable avant d'être adoptée à l'unanimité durant une législature pendant laquelle les sujets de consensus furent pourtant peu nombreux.

Ce que les révolutionnaires, la IVe République et le gouvernement d'Union de la gauche avaient su faire, ce gouvernement, qui dispose de tous les leviers de commande institutionnels, n'a pas su ou pas voulu le réaliser, contribuant, une fois de plus, à créer les conditions du conflit dans une société qui a décidément besoin de cohésion.

Pourtant, votre prédécesseur et vous-même, monsieur le ministre, avez disposé du temps nécessaire pour ne pas légiférer dans l'improvisation.

Faut-il rappeler que le texte qui nous est soumis aujourd'hui a pour principal objet de transposer une directive européenne relative à l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information qui date du 22 mai 2001 et que le projet de loi initial du Gouvernement a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 12 novembre 2003 ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Qu'a fait Lionel Jospin ?

M. David Assouline. Vous avez beau jeu de justifier le recours à la procédure d'urgence pour l'examen de ce texte par le retard très significatif pris pour la transposition de la directive de 2001, retard qui a d'ores et déjà exposé la France à des rappels à l'ordre on ne peut plus légitimes de la part de la Commission européenne et qui l'expose désormais à de non moins légitimes sanctions.

La France est en effet l'avant-dernier État membre de l'Union à transposer la directive de 2001 dans un domaine dans lequel, à juste titre, elle se vante pourtant d'être pionnière. Sans parler des conditions de préparation du premier projet par M. Aillagon, votre prédécesseur : ni les orientations de la directive communautaire ni les modalités de transposition retenues par le texte n'ont fait l'objet d'un minimum d'explication, alors même qu'il aurait fallu de la pédagogie, pendant la longue période qui s'est déroulée avant le début du débat à l'Assemblée nationale.

Le ministre de la culture et de la communication a toujours semblé considérer ce texte - peut-être plus aujourd'hui, mais à l'origine - comme d'ordre purement technique, sans enjeu politique.

Cette absence de clairvoyance, pour ne pas dire cet aveuglement, a contraint le Président de la République en personne à intervenir pour appeler à trouver « un équilibre entre lutte contre le piratage et liberté des utilisateurs » - c'était avouer que cet équilibre ne figurait pas dans le texte - et à « sortir de la logique de répression systématique des internautes » ; c'est donc qu'il voyait une telle logique dans le texte qui était soumis à l'Assemblée nationale.

Reprise le 7 mars à l'Assemblée nationale, la discussion n'est pourtant pas repartie sur des bases sereines, le Gouvernement tentant même de recourir à un artifice de procédure pour supprimer l'article 1er, coupable d'avoir été amendé par l'Assemblée nationale au mois de décembre, avant de devoir y renoncer, dans la plus grande confusion et en ayant mis au passage gravement en cause - il faut tout de même le préciser - le droit constitutionnel d'amendement des députés.

Comme le soulignait alors un grand quotidien du soir, le débat parlementaire a pris, devant nos collègues députés et du seul fait de l'improvisation du Gouvernement, des « allures de farce », indignes d'une démocratie adulte.

Mais là n'est pas le plus grave. Le débat à l'Assemblée nationale a en fait été le réceptacle d'un affrontement beaucoup plus vaste, profond et préoccupant mettant en scène, par le biais notamment de très nombreux blogs créés pour l'occasion, internautes et créateurs ou, pour être plus précis, droit des usagers de l'internet - citoyens et consommateurs - et droit des créateurs et de leurs « employeurs » - producteurs, diffuseurs et autres industriels de la culture.

Ainsi que le dit très justement maître Pierrat dans son ouvrage La guerre des copyrights, paru récemment, c'est en fait un conflit entre droit à la culture et droit de la culture auquel on assiste aujourd'hui, conflit qui ne laisse pas de préoccuper les responsables politiques de gauche dont je suis, car ce gouvernement, notamment au travers de la préparation de ce texte, n'a semblé que l'aviver sans chercher de réponses politiques aux questions posées dans l'espace public par, d'une part, des citoyens et des consommateurs et, d'autre part, des acteurs de la création et de la culture, tous confrontés à des évolutions économiques et technologiques majeures.

Je voudrais donc essayer de montrer en quoi la gestion désastreuse de ce dossier par le Gouvernement a transformé un vrai beau débat en faux débat, puis en vrai conflit, alors que les pouvoirs publics auraient dû cerner au préalable les défis à relever collectivement, comme ce fut le cas avec la loi « Lang ».

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Bien sûr !

M. David Assouline. Faux débat en effet que celui qui a émergé du fait du Gouvernement en opposant, dès l'avant-projet de loi, d'une part, internautes et concepteurs de logiciels libres et, d'autre part, créateurs et industries culturelles.

Le Gouvernement a joué un jeu malhabile, dangereux, ayant abouti à exacerber les tensions existantes entre deux mondes vivant l'un de l'autre, mais ne se comprenant pas toujours.

Ainsi le ministre a-t-il dans un premier temps confirmé, comme solution majeure, la pénalisation à outrance de l'acte de téléchargement,...

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. C'est totalement faux !

M. David Assouline. ...même à des fins d'usage strictement privé, en reprenant sans nuance l'argumentation des grandes multinationales de l'entertainment.

Ce faisant, M. le ministre a surtout donné l'impression de vouloir verrouiller l'usage de l'internet en cédant aux seules revendications des multinationales de l'industrie culturelle pour leur garantir le contrôle des modes de diffusion de la culture.

Le mal était malheureusement fait dès lors que le débat allait être uniquement alimenté par les positions de groupes d'intérêts constitués.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous le demande solennellement : qui peut croire que le législateur peut dégager l'intérêt général, dès lors que, sans vision et sans projet cohérent, il cherche uniquement à empiler les intérêts particuliers ?

C'est pourquoi il est essentiel de replacer le débat dans son contexte plus général, qui explique largement les incompréhensions, les inquiétudes et les craintes, tant des internautes que des artistes.

Le développement de la consommation de masse de biens culturels voit effectivement des groupes industriels à vocation mondiale dominer le marché de ce que les Anglo-Saxons appellent l'entertainment, apparemment sans contrepoids économique ni régulation publique.

Depuis les années quatre-vingt, la mondialisation touche largement les biens culturels du fait de la convergence des changements industriels, du développement des technologies et des politiques de dérégulation. La culture se démocratise : un public de plus en plus nombreux visite les grandes expositions rassemblant des oeuvres du monde entier et circulant dans les grandes capitales, bibliothèques et musées virtuels se visitent depuis les ordinateurs individuels.

La massification de la consommation de biens culturels qui accompagne ce mouvement se traduit par une concentration de la fréquentation ou de la consommation d'un nombre d'oeuvres de plus en plus restreint.

La mondialisation de la culture se caractérise de fait par un mouvement paradoxal : une inflation du nombre des oeuvres produites, tant dans le cinéma que dans la musique, et une réduction concomitante de leur diffusion et de leur exposition au public, les campagnes de promotion et de médiatisation étant concentrées sur quelques productions seulement, et ce à l'échelle mondiale.

En effet, pour contrebalancer les risques de production de plus en plus importants, l'industrie culturelle, dont l'activité touche à la création, la production et la commercialisation de biens et de services dont la particularité réside dans l'intangibilité de leurs contenus à caractère culturel, généralement protégés par le droit d'auteur, développe des stratégies particulières de gestion marquées par la valorisation du star-system, par la recherche de la production de hits ou de blockbusters.

Pour optimiser leur modèle économique, les firmes du secteur ont été conduites à développer des logiques d'intégration verticale entre production et distribution, voire à lancer des opérations de concentration horizontale qui ont conduit dix entreprises américaines à figurer parmi les douze premiers groupes mondiaux d'entertainment et à réaliser près de la moitié du chiffre d'affaires des cinquante premiers.

Des oligopoles sont donc apparus sur le marché des biens culturels. L'industrie des phonogrammes est dominée par Universal Music, Sony-BMG, Warner et EMI, celle du cinéma par les studios intégrés dans des groupes plurimédias - Warner-Bros de Time Warner, Disney, Universal Pictures, Paramount Pictures de Viacom. Autrement dit, près de 85 % de la distribution mondiale des disques sont assurés par cinq majors et plus de 80 % de la diffusion de films en salle sont contrôlés, dans la plupart des pays, par les grands studios américains.

Ces stratégies ont donc favorisé non pas une sous-production - jamais il n'a été produit et diffusé autant de films, de phonogrammes, de livres, etc. - mais une sous-représentation des oeuvres produites. Ainsi, en France, soixante-deux références de phonogrammes, soit 0,00002 % des références disponibles, réalisent 10 % des ventes de disques et 4,4 % des références génèrent 90 % du chiffre d'affaires. Et ce sont sensiblement les mêmes références qui constituent la quasi-totalité de la musique radiodiffusée et des ventes des plates-formes de téléchargement.

Qui plus est, la convergence des entreprises et des biens culturels et l'intégration croissante des marchés se traduisent aussi par la montée en puissance des offreurs de technologie dans le monde de la culture.

Aujourd'hui, les opérateurs de télécommunications et de réseaux, les éditeurs de logiciels, Microsoft par exemple, et les constructeurs de matériel, Sony notamment, disposent de moyens considérablement plus importants que les majors de la culture et sont à même de peser très directement sur l'orientation et le développement des différents marchés de biens culturels.

Ainsi, le marché mondial des biens culturels est dominé par quelques grands opérateurs, généralement anglo-saxons, qui intègrent de plus en plus activités de contenus et de contenants, et qui développent des stratégies, perçues comme prédatrices, de captation des droits de propriété littéraire et artistique des oeuvres qu'ils exploitent.

Cette situation interroge effectivement la capacité de l'État nation à préserver la diversité culturelle et déforme profondément les discussions sur l'adaptation du droit de la propriété intellectuelle à l'économie numérique, d'autant que les politiques de maîtrise des droits de propriété des oeuvres pratiquées par les grands groupes d'entertainment s'inscrivent clairement dans une logique de copyright issue du droit américain plutôt que dans la tradition juridique française.

En somme, le contexte porte en lui-même tous les éléments du conflit.

Ce panorama, tous les observateurs et les praticiens du monde de la création et de la culture le connaissent parfaitement. Dès lors, il n'est pas excusable de donner à ce point l'impression du double langage en criant victoire, légitimement d'ailleurs, lors de l'adoption par l'UNESCO de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle le 20 octobre dernier, tout en ignorant, parallèlement, les interrogations et les attentes des internautes et des créateurs quant aux modalités concrètes d'exercice des droits de propriété intellectuelle à l'ère du tout numérique. Politiquement, ce n'est ni très visionnaire ni très responsable.

La gauche, pour sa part, ne peut que refuser d'entrer dans un affrontement qu'elle juge « perdant-perdant ». La démocratisation de la diffusion de la culture est inscrite au coeur de ses valeurs comme l'est la protection des créateurs, car l'une ne peut aller sans l'autre.

En revanche, ce qui s'inscrit profondément en faux avec notre conception de la culture et de sa démocratisation, ce sont les tendances actuellement à l'oeuvre d'uniformisation du goût, de « peoplelisation » des auteurs, d'impérialisme des industries de contenants et des publicitaires, qui se nourrissent l'une l'autre au détriment de la diversité et de la qualité des oeuvres mises à disposition du public.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Qui a lancé la TNT ?

M. David Assouline. Dans ce contexte, la position des producteurs en général ne peut être caricaturée. Assumer les risques de production est un réel défi économique, surtout lorsqu'il s'agit de maintenir et de renouveler un fonds d'oeuvres important.

Bien sûr, on trouvera ça et là de belles expériences d'artistes utilisant la liberté créatrice de l'internet pour inventer de nouvelles relations avec le public. Mais l'hypothèse d'un auteur échangeant directement avec l'utilisateur final est hautement simplificatrice et tend à nier le rôle de découvreur et de médiateur des éditeurs producteurs. Ceux-ci assurent, et depuis longtemps, dans l'économie de la culture, une fonction qui est souvent pour le consommateur un label de qualité professionnelle.

C'est pourquoi il faut comprendre la réaction de la plupart des labels indépendants, et pas seulement des majors, à la proposition d'introduire un droit général à la copie privée sur l'internet en échange du paiement d'une licence globale qui aurait été acquittée par les fournisseurs d'accès.

Mme Catherine Tasca. Très juste !

M. David Assouline. La licence globale n'est pas une solution à rejeter dans les années qui viennent au regard de l'évolution extrêmement rapide des technologies de l'information et de la communication. Toutefois, telle qu'elle a été formalisée dans les débats à l'Assemblée nationale, elle ne semblait pas être un dispositif suffisamment mûr pour pouvoir être institué dans notre droit de la propriété intellectuelle sans prendre plusieurs risques non marginaux.

Le premier risque est de légaliser la circulation, alimentée par de véritables réseaux, parfois mafieux, d'oeuvres piratées dont la mauvaise qualité remet fondamentalement en cause le droit moral des auteurs sur les exploitations de leurs oeuvres.

Le deuxième risque est de tuer dans l'oeuf le développement de plates-formes de téléchargement légal qui, certes, ont mis du temps à voir le jour et qui restent trop chères pour être suffisamment attractives pour les jeunes, au détriment des entreprises de contenus qui, comme nous l'avons déjà montré, jouent un rôle essentiel dans la diffusion de la culture.

Le troisième risque enfin, en affirmant dans la loi la gratuité des biens culturels, est de réduire les citoyens à consommer des fichiers numériques. Les citoyens ne se sentiraient dès lors plus concernés directement par la rémunération des artistes, pour ne pas dire par le financement de la création, désormais impartis aux industriels des contenants.

Il ne faudrait pas que, la neutralité de la technologie étant ce qu'elle est, les industries de contenants, éditeurs de logiciels et groupes de télécommunications, notamment les fournisseurs d'accès à Internet, profitent de ce dispositif pour faire définitivement main basse sur les industries de contenus, réduisant ainsi l'économie de la culture à un face-à-face entre quelques groupes de télécommunications ou d'informatique et les internautes.

N'oublions pas que, dans ce domaine comme dans d'autres, la menace du tout libéral nous guette. Souvenons-nous que, depuis le xixe siècle, les partisans les plus farouches du libre-échange réclament à grands cris l'abolition de la propriété intellectuelle, qu'ils perçoivent uniquement comme un frein à la liberté des échanges de biens culturels, destinés à devenir des produits de consommation comme les autres, soumis à la seule loi de l'offre et de la demande.

Il paraît donc encore risqué de remettre à plat la chaîne de valeur actuelle de la création artistique et culturelle en liant l'essentiel de la rémunération des auteurs au produit d'une licence prélevée sur un chiffre d'affaires des fournisseurs de tuyaux.

Ne plus lier l'accès à un contenu culturel au paiement direct d'une contrepartie financière laisserait peut-être symboliquement s'établir dans l'esprit des internautes que l'accès à la culture est gratuit, comme si la production culturelle l'était aussi. Or la création d'une oeuvre a un coût. Ainsi, nous laisserions s'installer l'idée - qui existe ! - que l'on peut se ruiner pour une paire de Nike, pourtant fabriquée scandaleusement à très bas prix par des enfants du tiers-monde sous-payés, mais ne rien payer pour une oeuvre intellectuelle ou artistique dont la production a été onéreuse !

Autrement dit, chez nombre d'adolescents, de moins en moins sensibilisés aux arts à l'école du fait de la politique scolaire de la droite au pouvoir, se développerait l'idée déjà présente qu'écouter un album de musique ou visionner un long métrage n'a pas d'autre prix que celui de payer un abonnement à l'internet à haut débit.

Le risque serait d'autant plus élevé que, si dix millions de foyers français ont aujourd'hui accès à l'internet à haut débit, leur nombre ne devrait que croître à l'avenir avec le développement rapide de l'ADSL et, je l'espère, avec une démocratisation et la fin de la fracture numérique - très sociale - qui existe encore dans notre pays.

Les défaillances des pouvoirs publics dans la poursuite d'une politique ambitieuse de démocratisation de l'accès à la culture, dégageant notamment les moyens nécessaires pour réduire la fracture numérique et offrir à tous les Français, sur l'ensemble du territoire national, la possibilité de fréquenter des bibliothèques et des médiathèques publiques de qualité, ne peuvent justifier la libéralisation totale de l'accès aux oeuvres de l'esprit sur l'internet au nom du libre partage de la connaissance et de la culture.

La reconnaissance et la protection de la propriété intellectuelle en général et du droit d'auteur en particulier figurent au coeur des valeurs de la gauche en ce qu'ils doivent être considérés parmi les critères fondamentaux d'un État de droit et d'une société libre.

Il faut là citer un grand Ancien, qui a siégé dans cet hémicycle : dans son discours d'ouverture du congrès littéraire international de 1878, Victor Hugo affirmait : « L''écrivain propriétaire, c'est l'écrivain libre. Lui ôter la propriété, c'est lui ôter l'indépendance. »

Il faut donc réaffirmer ici avec force que le principe de liberté des créateurs d'oeuvres de l'esprit, sans lequel une démocratie n'en serait plus vraiment une, serait dépourvu de toute effectivité, donc de toute réalité, sans garantie juridique au droit exclusif. C'est pourquoi l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose : « L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. »

Le droit exclusif est donc non seulement un droit pour l'auteur de percevoir une rémunération pour l'exploitation de son oeuvre, mais aussi un droit d'autoriser et d'interdire à quiconque d'utiliser son oeuvre, l'auteur ayant seul le droit de décider du sort de sa création.

Ce droit de dire non, qu'il s'agisse de refuser les conditions d'exploitation ou d'exiger le respect de l'oeuvre, est ainsi une arme essentielle pour la défense des intérêts des auteurs.

Remettre en cause ce droit ne peut donc être un objectif en soi. Même si des évolutions ne sont pas à écarter au regard des évolutions du marché des biens culturels liées à la « révolution numérique », de telles adaptations du droit ne doivent être réalisées qu'en pesant tout leur impact sur la reconnaissance et la protection de la propriété littéraire et artistique.

Permettez-moi moi de vous renvoyer à cet égard à l'action de l'Institut national de l'audiovisuel, l'INA, et aux propositions de Jean-Noël Jeanneney, président de la Bibliothèque nationale de France.

Certes, les mesures techniques de protection peuvent être le cheval de Troie qui permettraient à Microsoft ou à Apple de prendre progressivement le contrôle du marché de la culture en occident, puis dans le monde, en ayant en plus accès aux données personnelles des internautes. L'usage de ces mesures doit donc être rigoureusement encadré afin d'éviter tout débordement dans l'atteinte à la vie privée et dans le contrôle des échanges.

Les pouvoirs publics doivent aussi garantir que la concurrence sera assurée sur le marché de l'édition des mesures techniques de protection en n'enfermant pas celui-ci dans les seules mains des grandes firmes éditrices de logiciels propriétaires. Sur ce point, l'interopérabilité est en effet un enjeu essentiel et nous réaffirmons que nous en serons les plus ardents défenseurs.

À ce stade de l'analyse des enjeux du débat, il apparaît sans contestation qu'il est impossible de légiférer sur l'évolution du droit d'auteur et des droits voisins à l'heure de la révolution numérique en improvisant des amendements dans le cours de la discussion, comme le Gouvernement a pu le faire.

Le groupe socialiste aurait souhaité que l'on en reste à une transposition fidèle et modeste de la directive et qu'un large débat soit ouvert pour élaborer une grande loi portant sur le fond.

Aujourd'hui, nous ne pouvons que déplorer les atermoiements et les approximations du Gouvernement sur le collège des médiateurs - nous y reviendrons lors de l'examen des amendements - ou sur l'effectivité des sanctions et leur rôle pédagogique ; nous vous poserons des questions précises.

Un vaste débat est nécessaire. Il faudra une grande loi et nous remettrons ce chantier à plat dès que ce sera possible, bientôt je l'espère. La société tout entière attend ce débat. Nous savons qu'elle sera capable de s'en emparer. C'est le seul moyen de dégager une orientation générale et d'unifier les intérêts, que l'on n'a pas de raison de considérer comme contradictoires, du droit à la culture et du droit de la culture.

Nous ouvrirons ce chantier, nous relèverons ce défi difficile. À bientôt ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Dufaut.

M. Alain Dufaut. Rassurez-vous, monsieur le ministre, je serai plus positif, moins agressif que l'orateur qui m'a précédé et, surtout, je m'efforcerai de m'en tenir au texte qui nous est proposé.

Nous assistons aujourd'hui, avec le développement de l'internet, à une révolution technologique fascinante. Ce nouveau moyen de communication et d'information a connu un essor fulgurant. Il a rapidement rendu possible la distribution en ligne de contenus culturels : musique, livres, jeux vidéo, films ou programmes télévisés. Le champ des oeuvres téléchargeables s'étend de plus en plus et l'équipement des consommateurs accroît toujours davantage les possibilités de consommation des contenus numérisés.

Espace de liberté et de découverte, Internet constitue aujourd'hui un outil sans égal d'accès à la culture. Mais cette avancée bouleverse la sphère culturelle et met à mal nos principes juridiques : chacun a désormais accès aux différentes oeuvres et peut les diffuser sans limite par des dispositifs d'échanges de « pair à pair ».

La copie illégale se substitue de plus en plus à l'achat de disques, DVD et livres et le piratage de la musique et des films est malheureusement entré dans les habitudes de consommation.

Dans le domaine musical, même si certains consommateurs utilisent les échanges de « pair à pair » pour développer leurs connaissances musicales et peuvent générer ensuite une consommation supplémentaire de CD, la plupart des « pirates » remplacent purement et simplement la consommation des CD par la consommation sur Internet.

Ainsi, bien sûr, la gratuité se banalise. Aujourd'hui, des millions d'internautes peuvent accéder gratuitement à toutes les musiques du monde. Un ordinateur, un modem et une prise téléphonique suffisent pour se constituer une discothèque complète au prix d'un appel local.

Cette situation, mes chers collègues, a donc de lourdes conséquences économiques et culturelles. Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, les industries musicales de la plupart des pays occidentaux subissent une baisse de leurs ventes de disques, après des années de croissance florissante. En 2003, par exemple, 150 milliards de fichiers musicaux auraient été téléchargés sur les réseaux de « pair à pair », chiffre qu'il faut comparer aux 2,7 milliards d'albums vendus en magasin et aux 150 millions seulement de titres vendus en ligne. Effectivement, le différentiel est énorme !

La France n'échappe évidemment pas à ce phénomène, puisque 16 millions de fichiers musicaux circuleraient illégalement chaque jour entre les internautes. Parallèlement, les ventes de disques au détail ont baissé de 8 % en 2005. La plupart des analystes attribuent l'essentiel de ce recul au piratage.

Comment est-il possible, dès lors, de financer la création et de rémunérer les artistes ? Comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, il y a urgence, car le modèle économique de la création est en jeu, celui de la prise de risque et de l'investissement tant financier que personnel, sans lesquels il n'y a pas de création, donc de diversité culturelle.

Le groupe UMP est particulièrement attaché à la protection de notre système français de filière de création. Aussi, je me réjouis que la transposition de la directive du 22 mai 2001 permette aujourd'hui de traiter de manière beaucoup plus vaste de l'avenir de la création dans l'univers de la numérisation et d'internet.

En fait, comme cela a été dit, la règle de droit doit trouver le juste équilibre entre les divers intérêts économiques en présence, tout en étant au service de la culture et en protégeant les libertés individuelles. Lors de ses voeux à la nation, le Président de la République soulignait lui aussi la nécessité de trouver cet équilibre. Et force est de constater que le présent texte répond à ce souci.

Il était grand temps, en effet, de mettre un peu d'ordre dans la « jungle » qui règne aujourd'hui sur Internet en matière de téléchargement.

Je ne détaillerai pas l'ensemble du dispositif, qui vient d'être décrit, mais je soulignerai plusieurs avancées que je considère déterminantes.

J'évoquerai tout d'abord le mécanisme des sanctions. Le projet de loi instaure un régime gradué et proportionné de sanctions, avec le souci de différencier le simple téléchargement illégal de toute une série d'autres agissements. Il prévoit ainsi des peines particulièrement lourdes pour les personnes qui fournissent des moyens de contournement des mesures de protection.

En revanche, il ne sera plus question de prison pour l'utilisateur ordinaire, ce qui est tout à fait normal. Si peu de fraudeurs ont été poursuivis jusqu'ici, ils risquaient néanmoins jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende, ce qui était manifestement excessif.

Il était important de faire la part des choses en soulignant que les personnes qui téléchargent ou qui permettent des échanges illégaux d'oeuvres ne relèvent pas du même niveau de responsabilité.

Dans cet esprit, le Gouvernement présente un dispositif à la fois cohérent et réaliste, avec, pour le « simple » fraudeur, un système d'amendes qui a déjà été mis en oeuvre avec succès dans différents pays voisins.

Pour ma part, je présenterai un amendement visant à responsabiliser davantage le titulaire de l'abonnement. En le désignant comme personne responsable, on éviterait les problèmes d'identification de l'auteur des faits, lesquels peuvent véritablement bloquer le système des sanctions. Cette responsabilisation inciterait par ailleurs le titulaire de l'abonnement à la prudence et à la surveillance de son accès Internet. Une telle mesure me paraîtrait beaucoup plus efficace.

Concernant les sanctions qui visent les éditeurs de logiciels, je tiens à souligner qu'il est essentiel de condamner ceux qui encouragent délibérément les échanges d'oeuvres protégées. À mon sens, c'est la bonne cible. Le dispositif prévoit fort justement des sanctions lourdes, identiques à celles qui sont appliquées pour la contrefaçon, non seulement pour les éditeurs et les fournisseurs de logiciels de « pair à pair » qui distribueraient sciemment un dispositif manifestement destiné à l'échange illicite d'oeuvres protégées, mais aussi pour ceux qui encourageraient son usage.

Ainsi, on peut espérer que l'ensemble du dispositif créé par le projet de loi sera dissuasif et permettra d'accélérer la mise en oeuvre d'offres légales.

Comme je vous le disais le 4 avril dernier, monsieur le ministre, à l'occasion de votre audition devant la commission des affaires culturelles du Sénat, l'efficacité de cette loi reposera, bien sûr, sur la fiabilité des contrôles et sur l'effectivité des sanctions. Il est certain qu'avec l'évolution permanente des technologies et des systèmes de « parade », ce ne sera pas simple, sans parler de la nécessité d'une coopération internationale et d'une harmonisation des législations.

En effet, je crois que l'offre de téléchargement légal est tout de même une solution d'avenir. Le Gouvernement encourage à juste titre ce nouveau modèle, qui permet de préserver le droit d'auteur et qui devrait être, dans l'avenir, un élément clef du financement de la création.

Près de 20 millions de titres de musique ont déjà été achetés sur Internet en France, l'année dernière, soit cinq fois plus qu'en 2004. Un titre sur quatre et un album sur cent sont ainsi vendus en ligne. Cependant, si le téléchargement légal explose, il ne représente encore, hélas ! que 1 % du marché de la musique et reste freiné par la concurrence de l'échange gratuit.

Certes, le consommateur est prêt à payer pour obtenir légalement de la musique en ligne. À l'évidence, il y trouve une meilleure qualité d'écoute et une sécurité appréciable. Il me semble en outre que la plupart des internautes ne souhaitent pas porter préjudice aux artistes dont ils sont, par ailleurs, de fervents admirateurs.

Mais si le Gouvernement appuie le téléchargement légal, encore faudra-t-il que les services payants s'adaptent et proposent davantage de titres en ligne Car par un effet pervers, les investissements des maisons de disques consacrés aux offres de disques se concentrent sur le petit nombre de produits capables de toucher le plus rapidement possible un large public payant, au détriment, encore une fois, de la création, ce qui constitue un paradoxe regrettable.

Le Gouvernement devra donc être vigilant pour que le système n'aboutisse pas à un appauvrissement de la création musicale. Il y va de toute façon de l'intérêt des producteurs et des distributeurs, car le consommateur risque de se détourner d'offres payantes s'il trouve leur catalogue trop limité.

Bien sûr, pour être attractive, l'offre légale devra pouvoir être lue sur tous les supports. J'en viens donc au sujet vital de l'interopérabilité et aux mesures techniques de protection.

Conformément à la directive du 22 mai 2001, le projet de loi prévoit le recours à différentes mesures techniques afin de protéger les droits d'auteur. En effet, dans l'environnement numérique, l'une des manières les plus efficaces de protéger les créations des titulaires de droits de propriété intellectuelle consiste à assurer leur protection par la technologie elle-même. Le projet de loi reconnaît donc expressément la légitimité des mesures techniques de protection.

Cependant, certaines mesures de protection ont pour effet de rendre purement et simplement illisibles, par un certain nombre d'appareils, les supports numériques. Elles entrent ainsi en conflit direct avec les droits des consommateurs, qui se trouvent prisonniers d'un format de lecture et, par voie de conséquence, de monopoles technologiques. Il était donc important de veiller à ce que les mesures techniques n'entravent pas l'interopérabilité, car cet aspect est fondamental.

Le projet de loi énonce d'ailleurs que les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d'empêcher la mise en oeuvre effective, dans le respect du droit d'auteur, de l'interopérabilité. Cependant, comme l'a relevé la commission des affaires culturelles, l'Assemblée nationale est allée très loin dans l'application de ce principe, en permettant à tout intéressé de demander au président du tribunal de grande instance d'enjoindre sous astreinte à un fournisseur de mesures techniques d'apporter les informations essentielles à l'interopérabilité.

Si le principe d'interopérabilité doit effectivement être consacré, il est essentiel de l'encadrer en tenant compte des impératifs du marché et de la nécessaire préservation des secrets industriels. Je me réjouis donc que notre Haute Assemblée, notamment M. le rapporteur, propose de revoir l'ensemble du dispositif et charge une autorité indépendante de régulation de statuer sur la fourniture des informations essentielles à l'interopérabilité et de garantir l'interopérabilité des mesures techniques.

Cette autorité administrative indépendante, chargée de remplacer le collège des médiateurs initialement prévu, aurait une mission de veille dans le domaine des mesures techniques de protection. En outre, elle aurait le soin de déterminer par recommandation les modalités d'exercice des exceptions. La mise en conformité de notre droit avec la directive du 22 mai 2001 a permis au Gouvernement d'introduire dans le projet de loi de nouveaux cas d'exceptions. En effet, la directive n'était pas contraignante sur ce point : elle suggérait une liste d'exceptions possibles, les États étant libres d'introduire celles qu'ils jugent appropriées.

J'en profite pour souligner l'intérêt des nouvelles exceptions pour copie privée, notamment dans les domaines de l'enseignement, de la recherche et des bibliothèques. En tant qu'élus locaux, nous en constatons la réelle nécessité sur le terrain.

De plus, l'autorité de régulation pourra préciser, dans l'exercice de sa mission, le nombre de copies privées autorisées. En effet, s'il est normal - et légal - qu'une personne puisse copier un film pour son usage privé, encore faut-il fixer les contours de cette exception, notamment le nombre de copies ainsi réalisables par une même personne. N'oublions pas, mes chers collègues, que toute exception est d'interprétation stricte et qu'elle ne constitue pas un droit.

Cette question sera d'ailleurs particulièrement importante dans le domaine du cinéma. En effet, le fonctionnement de l'industrie cinématographique, qui est spécifique, repose sur une commercialisation des films en plusieurs étapes : d'abord en salles, ensuite en DVD ou cassettes vidéos, en diffusion télévisée, par des chaînes payantes et gratuites.

La production d'un film nécessite évidemment un investissement en temps et en argent sans commune mesure avec la production d'un album. Or, aujourd'hui, les téléchargements de films sur Internet viennent remettre en cause cette chaîne de financement, ce que condamne notre jurisprudence. Il faut savoir, mes chers collègues, qu'un tiers des films est disponible sur Internet avant même la sortie en salles. Il est donc primordial qu'une autorité permette de limiter le nombre de ces copies.

L'autorité de régulation des mesures techniques de protection permettra de prendre en compte l'évolution des technologies et des pratiques de consommation, ce qui est essentiel dans un domaine en perpétuelle transformation. La remise d'un rapport annuel fera état de ce suivi. On voit donc bien qu'il s'agit non pas d'une institution technocratique de plus, mais d'une nécessité.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Très bien !

M. Alain Dufaut. Pour finir, je tiens à remercier le président de la commission, Jacques Valade, et le rapporteur, Michel Thiollière, de la qualité de leurs travaux et de leur écoute afin d'adapter le texte aux divers intérêts en présence. Il est vrai que les auditions furent nombreuses et variées en raison des intérêts divergents qui étaient représentés.

Ce projet de loi est une pièce d'un ensemble qui se construit par étapes et qui devra être appréhendé à l'échelle de la mondialisation. L'industrie des oeuvres culturelles doit se réinventer si elle veut survivre à la révolution numérique.

Nous ne sommes qu'au début du chemin, mes chers collègues, sur un terrain en perpétuelle mutation. Objectivement, je pense que le texte, à l'issue de nos travaux, posera les bases nécessaires, qui permettront de mieux construire l'avenir dans ce domaine. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Seillier.

M. Bernard Seillier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un véritable débat de société s'est ouvert dans notre pays sur le thème de l'accès à la culture à l'ère du numérique.

Avec le projet de loi que nous commençons à examiner, nous touchons à la vie quotidienne de nos concitoyens, notamment à celle des plus jeunes.

Si plus d'un Français sur deux utilise déjà Internet aujourd'hui, à terme, grâce aux efforts mis en oeuvre pour résorber la fracture numérique, une grande majorité des Français deviendra internaute.

Dès lors, nous devons relever un extraordinaire défi : concilier une large diffusion de la production artistique et technique liée à l'essor exponentiel des nouvelles technologies avec la sauvegarde des droits des auteurs et celle de la production artistique et littéraire.

Pourquoi les artistes qui en ont fait le choix ne pourraient-ils pas vivre de leurs créations ? La rémunération due n'a pas une valeur différente si le travail est de nature artistique ! Cela concerne non seulement les musiciens, les acteurs, mais aussi les écrivains.

Par ailleurs, l'accès à la culture, l'accès aux oeuvres grâce à l'univers numérique est un élément fondamental. L'accès de tous à la connaissance et à l'information doit donc être protégé.

L'objectif est de tendre vers un point d'équilibre entre les droits des auteurs et les aspirations légitimes du public.

Le droit d'auteur est un droit fondamental et intangible. Les créateurs sont propriétaires de leurs oeuvres. Ce droit a jusqu'à présent joui d'une certaine stabilité en France. Les grandes notions autour desquelles il s'articule sont issues de deux lois de la période révolutionnaire. Un droit d'auteur « à la française » s'est peu à peu ébauché face au modèle anglo-saxon du copyright.

Cette construction progressive a trouvé son aboutissement avec l'adoption de la grande loi du 11 mars 1957, complétée par la loi du 3 juillet 1985, dont les dispositions sont, pour l'essentiel, encore en vigueur aujourd'hui dans le code de la propriété intellectuelle.

Ce droit a aussi su s'adapter aux innovations technologiques, notamment à l'invention du disque et de la vidéo. Aujourd'hui, il est de notre responsabilité de l'adapter à Internet.

Internet doit être un espace de respect des valeurs de liberté auxquelles nous sommes tous très attachés : liberté d'accès du public aux oeuvres, liberté de création des auteurs, liberté des créateurs de choisir les conditions d'accès à leurs oeuvres ainsi que les conditions de leur rémunération, y compris la gratuité.

Il s'agit donc d'augmenter les offres culturelles en ligne pour satisfaire les attentes de chacun. Cette diversité culturelle est un enjeu essentiel pour la France dans la mondialisation, un enjeu pour la croissance, pour la compétitivité, pour la préservation de nos métiers et de nos savoir-faire, pour la création d'emplois et, tout simplement, pour l'émergence et l'épanouissement des talents.

Le développement d'une offre légale en ligne, c'est une plus grande diversité de produits culturels mis à la disposition des internautes, de nouvelles recettes apportées à la création, l'amélioration de la qualité technologique des enregistrements du son et de l'image pour les internautes.

Le texte encadre la mise en place des mesures techniques de protection afin de protéger les droits des auteurs sur Internet. Mais, par ailleurs, l'article 1er bis reconnaît de nouvelles exceptions au droit d'auteur, l'objectif étant de contribuer positivement à la diffusion des oeuvres.

La directive que nous transposons autorise les États à prévoir des limitations au droit exclusif des auteurs en faveur des bibliothèques, des musées et des archives.

Cette exception que l'Assemblée nationale a choisi de retenir ne peut être acceptée que dans la mesure où son application est limitée. Comme le propose la commission des affaires culturelles, la limitation à l'archivage et à la consultation sur place permettrait d'éviter toute atteinte à l'exploitation normale des oeuvres, c'est-à-dire des livres, qui ne serait pas acceptable.

La commission propose dans le même registre d'introduire une exception en faveur de l'enseignement et de la recherche, qu'elle entend limiter en la subordonnant à des fins d'analyse ou d'illustration et en réservant le bénéfice de cette exception à un cercle restreint. Cette nouvelle exception permettra de sortir de la zone grise dans laquelle nous nous trouvons actuellement en la matière.

Comme l'a rappelé le directeur général de l'UNESCO le 7 avril dernier, à l'occasion de la onzième Journée mondiale du livre et du droit d'auteur, le livre est un « outil unique d'expression, d'éducation et de communication ». Le livre reste en effet aujourd'hui un ciment essentiel du tissu éducatif et culturel d'une société. Cependant, il s'agit d'un produit double et complexe, à la fois marchandise et oeuvre de l'esprit, produit industriel et fragment du patrimoine immatériel de l'humanité. Il est indispensable au développement économique, social et culturel de tous les pays du monde.

Il semble donc plus que jamais important de rappeler que la création littéraire se doit d'être considérée et rétribuée à sa juste valeur, sans quoi la créativité et la richesse culturelle mondiales risquent fort de décliner.

Nous devons être d'autant plus vigilants que si, aujourd'hui, les technologies ne permettent pas encore de consulter agréablement des livres sur un support numérique, nous aurons très bientôt - n'en doutons pas - des écrans portables tout à fait propices à la lecture. L'équivalent littéraire des lecteurs portables de musique ou de vidéo ne saurait tarder.

Le monde de l'écrit n'est pas à l'abri de ce que traversent déjà, depuis quelques années, les industries de l'audiovisuel, même si je reste convaincu que le lecteur de demain aura encore de l'attachement pour le livre en tant qu'objet. Cet amour du livre et de la lecture dans son ensemble doit continuer à être transmis par l'école ainsi que par les parents. C'est un défi que nous devons relever tous ensemble et je sais à quel point le ministre de l'éducation nationale tout comme celui de la culture y sont attachés.

Par conséquent, le groupe du RDSE se prononcera en faveur de ce texte, sous réserve du sort qui sera fait aux amendements proposés par la commission des affaires culturelles et traduisant un travail d'autant plus considérable qu'il s'agit d'un sujet très technique et difficile à appréhender.

C'est pourquoi je tiens à rendre hommage au président de la commission et tout spécialement à son rapporteur pour le travail accompli, qui va nous permettre d'examiner convenablement ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'évidence, ce projet de loi a une portée culturelle. Mais ses conséquences, ses retombées, seront aussi éminemment économiques.

J'en veux pour preuve que les oeuvres dont il traite ne sont pas uniquement culturelles. Ce sont aussi des oeuvres produites par des entreprises. Lorsque nous reprenons l'expression favorite de l'ancien patron de la FED, Alan Greenspan, qui parlait de dématérialisation du PIB, on voit bien que ces nouvelles oeuvres numériques à portée économique imprègnent l'ensemble des différentes activités économiques non seulement dans la nouvelle économie, mais aussi dans l'ancienne économie.

C'est la raison pour laquelle je crois vraiment que la commission et, notamment, son rapporteur ont réalisé un travail très important sur un texte difficile. Ils me permettront toutefois d'avoir une vision quelque peu différente de la leur. J'aurais souhaité, en effet, que nous ayons une approche plus interdisciplinaire de ce texte, car il n'a pas seulement une portée culturelle ; il a aussi une portée économique fondamentale.

Monsieur le ministre, grâce à votre ténacité et à un certain courage aussi, il faut le dire, vous êtes parvenu, à l'Assemblée nationale, à un équilibre, sans doute fragile, mais nécessaire, entre l'auteur et la protection de l'oeuvre. C'est une autre conséquence économique, car cette approche personnaliste établissant un lien entre l'auteur et l'oeuvre est aussi l'un des fondements de l'économie de marché.

En schématisant, alors qu'il y avait à l'Assemblée nationale, avec la licence globale, trop de liberté et pas assez de protection, on pourrait ici, avec les différents amendements qui vont être présentés, tomber dans l'excès inverse, à savoir trop de protection et pas suffisamment de liberté (M. Philippe Nogrix applaudit.), c'est-à-dire une protection trop verrouillée et un défaut d'ouverture. Autant l'excès à l'Assemblée nationale avait des conséquences culturelles, autant l'excès contraire aura d'abord des implications d'ordre économique et c'est sur ce point que je souhaite intervenir.

Concrètement, il est absolument nécessaire de protéger les oeuvres et les artistes, mais jusqu'où doit aller cette protection ? En fait-on un principe général, absolu ? La protection doit avoir pour contrepartie une bonne interopérabilité et connaître un certain nombre de limites.

Je commencerai par les enjeux économiques fondamentaux.

Premier enjeu : les pratiques anticoncurrentielles. La semaine dernière, la Cour de justice des communautés européennes a rappelé, à juste titre, que l'affaire Microsoft était d'abord un abus de position dominante et des pratiques anticoncurrentielles.

Second enjeu économique : les éléments stratégiques, en France particulièrement, du secteur du logiciel libre. Monsieur le ministre, la France est, vous le savez, l'un des trois leaders mondiaux du logiciel libre avec l'Allemagne et le Japon. Dans ce secteur, le marché croît très rapidement : 46% en 2004, contre 7 % pour le logiciel propriétaire.

Nous n'avons pas le droit de négliger ce fait économique, d'autant que, outre les PME qui développent ces logiciels, toutes nos grandes entreprises sont aussi, si j'ose dire, des championnes du monde en matière de développement de ces programmes et de ces logiciels. : Thales, Airbus, Renault, notamment. Ce sont des éléments qu'il faut prendre en compte.

Monsieur le ministre, je voudrais maintenant « tordre le cou » à deux idées fausses.

La première est celle qui consiste à dire que l'interopérabilité pourrait s'opposer au droit de la propriété intellectuelle. Tout cela est faux, bien sûr ! L'article L. 122- 6- 1 du code de la propriété intellectuelle et le considérant 50 de la directive européenne sont parfaitement clairs : on y recommande l'interopérabilité. Il n'y a donc ni hiatus ni contradiction entre ces deux notions.

La seconde idée fausse est de s'imaginer que l'interopérabilité pourrait finalement devenir une sorte d'arme, une grenade à fragmentation, antiaméricaine. Là aussi, je voudrais rendre justice à l'interopérabilité en citant le grand journal américain Wired - en français : branché - qui, aux États-unis, a salué d'un vibrant « Vive la France » le fait que les députés aient, à l'Assemblée nationale, adopté à l'unanimité le dispositif d'interopérabilité. C'est suffisamment rare pour être cité !

Pour terminer avec ce côté de l'Atlantique, monsieur le ministre, je constate, en lisant l'entretien que vous avez donné au quotidien américain Herald Tribune, que je suis parfaitement d'accord avec la conception que vous avez de l'interopérabilité. Toutefois, il me semble que la conception de l'Assemblée nationale et ce qui deviendra peut-être celle du Sénat sont difficilement conciliables.

En effet, les députés ont voté à l'unanimité une interopérabilité de principe, alors que l'on va proposer à notre Haute Assemblée une interopérabilité éventuelle, potentielle, et surtout négociée sous l'égide d'une autorité de régulation. J'ai peu d'amour pour la multiplication de ces instances administratives !

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Que faire d'autre ?

M. Bruno Retailleau. Lorsqu'on avait un problème au XXe siècle, on créait des commissions ; au XXIe siècle, on crée de nouvelles autorités indépendantes !

Il aurait été plus sage, me semble-t-il, de s'en remettre à une autorité existante parfaitement compétente : le Conseil de la concurrence. Le problème est en effet le suivant : ou bien la nouvelle autorité administrative indépendante n'aura pas de moyens et elle ne servira à rien face au lobby énorme et très puissant de Microsoft en Europe qui, je vous le rappelle, représente 500 millions de dollars - donc, combien de divisions pour cette autorité de régulation ? - ou bien elle sera très richement dotée en services, ce qui signifie qu'elle aura un coût, et nous serions alors en droit d'invoquer l'article 40 !

Ces deux visions étant difficilement conciliables, je vous inciterai à aller au bout de ce que vous avez déclaré dans le Herald Tribune, car c'est, à mon avis, une bonne conception de l'interopérabilité.

J'en viens très rapidement aux trois limites de la protection des oeuvres.

La première limite aux mesures techniques de protection est l'article 7 bis, que des collègues députés ont inséré dans la loi et qui concerne les logiciels espions. La multiplication des piratages a forcé des développeurs à intégrer ces « bestioles informatiques » pour tenter de contrôler à distance des fonctionnalités des ordinateurs, y compris des accès à des données, ce qui pose un problème en termes de liberté fondamentale individuelle, ainsi qu'un problème de sécurité des systèmes d'information.

Les députés ont été sages en prévoyant un dispositif comportant trois mécanismes : la déclaration préalable, le rappel de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, et la possibilité pour l'État de déterminer les règles d'utilisation de ces logiciels par ses propres administrations, par les collectivités territoriales et même par les opérateurs publics ou privés gérant des installations d'importance vitale au sens des articles du code de la défense.

La solution de sagesse consiste à maintenir absolument cet article, même s'il y a un léger doute, car il existe en France une vulnérabilité de nos systèmes. D'autant que nous avons un service parfaitement compétent : la Direction centrale de la sécurité des systèmes d'information.

La deuxième limite concerne le peer to peer, sujet abordé à l'article 12 bis. Supprimer les trois dérogations prévues par l'Assemblée nationale s'agissant de la recherche et du travail collaboratif, qu'il faut sans doute mieux définir pour ce qui concerne l'échange de fichiers qui ne donne pas lieu à la rémunération du droit d'auteur, revient à interdire une technique au motif que celle-ci peut conduire à des usages illicites. Mais, mes chers collègues, interdit-on la voiture en France sous prétexte que sa mauvaise utilisation peut tuer des personnes ? Il faut donc maintenir ce dispositif.

Enfin, la troisième limite est relative à la copie privée. Je me contenterai d'évoquer cette application plus culturelle, car la loi de 1985, et bien d'autres, reconnaissent cette exception. Je suis d'avis de la consolider. L'un de mes collègues a fait tout à l'heure allusion à l'arrêt rendu le 28 février dernier par la Cour de cassation dans l'affaire Mulholland drive.

À terme, si nous ne sanctuarisons pas ce droit à l'exception pour la copie privée, nous risquons de rencontrer des problèmes, car il y aura des dérives. Permettre aux Français de passer une oeuvre d'un support à un autre dans un cercle intime constitue également un droit à portée tant culturelle qu'économique.

En conclusion, je salue encore une fois, monsieur le ministre, le fait que vous soyez parvenu à instaurer un bon équilibre entre, d'un côté, la protection nécessaire et, de l'autre, la liberté. Toutefois, cet équilibre est fragile. Pour paraphraser Montesquieu, je dirai qu'il ne nous faut toucher au texte de l'Assemblée nationale que d'une main tremblante. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jack Ralite. (M. Guy Fischer applaudit.)

M. Jack Ralite. Avant d'aborder l'examen du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information et visant à transposer la directive européenne de 2001, je ne peux taire un malaise face à cette loi difficile à élaborer, insuffisante et parfois dangereuse quant au résultat que l'on nous soumet, alors qu'elle concerne la place de la pensée, de l'imagination et de la création artistique dans la société en ce début de XXIe siècle.

Tel est l'enjeu. On le cherchera vainement dans le texte. Et pourtant, il nous faut l'aborder, sauf à rester en crise dans les domaines du travail, de l'éducation, de la recherche, des médias et de la création. Il nous faut l'aborder en sachant qu'en France cela ne peut se faire qu'en avançant sur un terrain dont il n'est pas question d'oublier l'économie concernée, et concernant de plus en plus la connaissance et les productions de l'esprit, mais surtout, et avant tout, en considérant les hommes, les femmes, leur vie dans toutes ses dimensions - ainsi de la création artistique - et avec tous ses moyens - ainsi des nouvelles technologies - comme priorité dans la société.

C'est ce que ces derniers dix mois disent et souvent crient les expressions, les actions et les espérances du peuple de notre pays, au milieu de l'Europe et à plein dans le monde, où tant de territoires croient résoudre les mêmes problèmes en reculant.

En vérité, nous ne parvenons plus à faire société dans un monde de plus en plus régi - et nous, législateurs, sommes directement concernés - par le dogme d'un nouvel « esprit des lois » qui se condense ainsi : « Imposer à tous et pour tout la concurrence libre et non faussée. » La société française avec ses contradictions n'arrive plus à être « une ». Les différences deviennent indifférentes aux autres différences. Notre société respire mal, elle est précarisée, elle est dans l'impasse. On a l'impression d'une société des « issues fermées », de la seule « vie immédiate », dirait Éluard.

À défaut de société, se développent alors dangereusement les communautarismes tendant à instituer des microsociétés fermées sur elles-mêmes, tournant le dos à l'en-commun d'hier et bloquant la construction de celui de demain. Et ce communautarisme gagne quantité de composantes de notre société, bousculant les anciennes identités et solidarités collectives au profit d'identités de groupes singuliers, voire de corporatismes éclatés.

À une question posée sur le sens de l'une de ses natures mortes avec deux pommes, Braque répondit : « Ce qui est important, ce ne sont pas les pommes, c'est l'entre-deux. » « L'entre-deux », le lien. Cette expression peut nous aider dans l'examen du projet de loi à propos duquel s'affrontent apparemment auteurs et internautes, derrière lesquels se cachent les vrais pilotes, les lobbies des industries culturelles par lesquelles, reprenant un terme utilisé par Gracq en 1950, nous vient toujours plus du « vilain ». Et ce n'est pas un hasard si cela éclate si fort et si profond. Il s'agit de la culture, et celle-ci concerne l'être, qui revendique comme auteur d'art, de science, de technologie, d'objet, de sa vie, un nouveau contrat social.

La directive de mai 2001 est confrontée à cette réalité contradictoire et en mouvement, à l'unisson des grandes affaires qui veulent encore plus s'accaparer le droit d'auteur et verrouiller le développement d'Internet. Il suffit de la lire. Le marché y est comme sans rivage et occupe la première place. Le considérant 7 dit : « Le cadre législatif communautaire relatif à la protection du droit d'auteur et des droits voisins doit [...] être adapté et complété dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur ». Seulement ensuite vient la préoccupation culturelle et, au point 19, on trouve cette phrase anodine : « Le droit moral reste en dehors du champ d'application de la présente directive. » Tu parles !

Et dans le débat à l'Assemblée nationale, qui cherchait l'équilibre, j'ai relevé, sur dix-sept séances, le droit moral évoqué douze fois et le marché cent quatorze. Dans la première séance, préface pourrait-on dire, c'est encore plus caricatural : droit moral, zéro fois, marché, vingt-neuf fois ! Qu'on ne dise pas que le droit d'auteur est au coeur de la directive ! Quant au droit moral, il n'y est qu'un hochet.

Cette directive ultralibérale et administrée fait partie d'un bouquet de textes libéraux publiés actuellement et qui veulent la conforter. Je pense à la recommandation du 18 octobre 2005 mettant en concurrence les sociétés d'auteur. Non qu'elles ne soient pas critiquables, mais c'est à elles de réfléchir à leur évolution et non à la concurrence marchande de leur imposer. Tout se passe comme si le système de propriété intellectuelle était en train de basculer d'une logique visant à protéger l'invention et l'auteur vers une logique tendant à encourager l'investissement et la commercialisation des produits et des services d'information à l'échelle internationale.

Akhénaton, leader du groupe IAM, a pu dire à ce propos que « le directeur artistique devient chef de produit ». La culture est décidément une marchandise et vient le moment où l'homme lui-même deviendra une marchandise.

C'est dire la gravité de nos débats, et cela exige de la longue durée. Or le Premier ministre a déclaré l'urgence. Quelle désinvolture après cinq ans de silence. Le résultat est là, une loi puzzle, une sorte de bricolage opportuniste, truffé comme la directive de zones d'ombre ; tous les juristes rencontrés disent leur questionnement quant à son applicabilité.

La Commission européenne ne vient-elle pas de décider une étude d'impact approfondie, car le terrain n'est pas stabilisé ? Donc, le « présentisme » n'est pas la réponse. Cette étude a été confiée au professeur de droit Bernt Hugenholtz qui, dès 2000, critiquait la directive 2001 : « La pression importante des industries du copyright pour que le travail soit achevé le plus rapidement possible, et en particulier des industries américaines, principaux détenteurs de droits dans le monde, n'a pas permis aux États membres et à leurs parlements, ni même au Parlement européen, de réfléchir de façon adéquate aux questions qui se posaient à eux [...], la seule sécurité juridique que produit l'élaboration de la loi dans ces conditions est un nouveau round de lobbying et de pressions au niveau national. »

Ainsi, la Commission n'est pas sûre - en tout cas, elle le dit -, elle s'interroge, lance une étude et exige, en la menaçant, que la France tranche.

Cette loi et son environnement ne font pas société, le Sénat et l'Assemblée nationale n'ayant pas su pratiquer une souveraineté à plusieurs, s'étant laissés aller avec le Gouvernement et d'autres à ce que l'on peut appeler une « violence d'institutions ». N'est-ce pas de cela qu'il s'agit quand, le 28 février 2006, la Cour de cassation, étrangement rapide, se mêle de notre ordre du jour et tranche avant nous du devenir de la copie privée ?

Vous comprendrez, monsieur le ministre, que notre groupe ait décidé de déposer une motion tendant à opposer la question préalable, que défendra Ivan Renar.

Je voudrais maintenant aborder trois questions, celle du droit d'auteur, celle des internautes, c'est-à-dire d'Internet et des nouvelles technologies, et celle enfin de l'intérêt général, de la responsabilité publique et de l'avenir, en n'oubliant pas que se constitue un grand ensemble stratégique et d'affaires, un complexe international concernant éducation, médias et culture, dont les actionnaires sont plus des prédateurs que des investisseurs, et en n'oubliant pas non plus que la « société de l'information », par quoi l'on définit notre société, est source de dérives - je citerai l'exemple de Microsoft brevetant le corps humain comme transmetteur et récepteur d'informations ; il faut le faire ! -, mais aussi de perturbations conceptuelles, les oeuvres tendant à devenir des informations comme les autres.

Le droit d'auteur est né, plusieurs l'ont dit, à la Révolution française à travers deux lois, l'une de 1791 sur les représentations théâtrales d'oeuvres dramatiques, l'autre de 1793 sur le droit d'édition et de reproduction. C'est un droit de civilisation qui concerne autant l'auteur que le public.

Le droit d'auteur est un droit qui protège l'oeuvre dès sa création à partir d'un critère, son originalité, c'est-à-dire son reflet d'une certaine expression de la personnalité de l'auteur. L'auteur est celui ou celle qui est à l'origine de quelque chose, qui crée, accroît, augmente, fonde et offre à la collectivité ce don de soi.

Le droit d'auteur a deux branches, les droits « patrimoniaux » et les droits « moraux ». Les premiers investissent l'auteur du droit de contrôler l'exploitation de son oeuvre par les droits de reproduction et de communication, qui lui valent une rémunération proportionnelle ; les seconds traduisent le lien indéfectible de l'oeuvre à son auteur, disposant des droits de divulgation, d'attribution et d'intégrité de ce qu'on appelle le droit exclusif.

Arrêtons-nous sur le droit moral, création historique de ce pays. C'est l'un des droits « fondamentaux » constitutif de l'homme au sens où il définit son humanité, c'est-à-dire sa capacité créatrice, que je ne sépare pas de la mémoire au sens où Aragon dit « se souvenir de l'avenir » et Heiner Müller « l'herbe même il faut la faucher afin qu'elle reste verte ».

Pierre Boulez a travaillé cette question dans l'un de ses cours au Collège de France, « La mémoire, l'écriture et la forme ». J'y ai lu ceci à propos d' « entrer en mémoire » : « La mémoire du créateur ne doit pas le rassurer dans l'immobilité illusoire du passé, mais le projeter vers le futur avec peut-être l'amertume de l'inconfort mais plus encore avec l'assurance de l'inconnu. » « Comment vivre sans inconnu devant soi », écrit René Char. Boulez poursuit : « Avoir le sens de l'aventure ne veut pas dire pour autant brouiller les traces, ignorer l'antécédent. Curieusement, la création s'appuie constamment sur deux forces antinomiques, la mémoire et l'oubli. »

Je n'ai pas trouvé de plus forte métaphore de la mémoire, que je ne sépare pas, je le répète, du droit moral, que dans le Soulier de satin, où Claudel fait dire à Rodrigue : « La création est un jeu de racines qui font éclater la pierre, l'organique détruisant le minéral. » C'est dire si ces droits doivent être défendus avec intransigeance, le droit d'auteur devenant comme un mode de résistance à la mercantilisation de l'humain.

Il me souvient que Le Chapelier, à la Convention, ayant déclaré que le droit d'auteur est « la plus inattaquable des propriétés » poursuivit : « Cependant, c'est une propriété d'un genre tout à fait différent des autres propriétés. Quand un auteur a livré son ouvrage au public, quand cet ouvrage est entre les mains de tout le monde, [...] il semble que dès ce moment l'écrivain ait associé le public à la propriété ou plutôt la lui ait transmise tout entière. »

C'est une question toujours aussi fraîche et récusant toute instrumentalisation, comme l'ancien représentant des majors américaines du cinéma Jack Valenti nous y a habitués. Contre le peer to peer, il déclara : « C'est notre guerre à nous contre le terrorisme. »

En 1980, il jurait contre le magnétoscope, qu'il comparait à l'étrangleur de Boston s'attaquant aux femmes seules à la maison. Je me rappelle une des si riches rencontres organisées par l'ARP à Beaune. Jack Valenti y fait l'éloge du droit d'auteur à la française. J'applaudis et je l'interroge : « pourquoi ce ralliement ? » Sa réponse est sans bavure : « j'ai besoin de tout le monde contre les pirates. »

Mais les pirates, ne sont-ce pas ceux qui transforment le droit d'auteur en droit financier, en droit de fournisseur de contenus, en droit protecteur des investissements culturels, c'est-à-dire qui dépossèdent les auteurs en absorbant la substance de leurs droits, allant jusqu'à ce que le juriste Bernard Edelman nomme « le droit d'auteur sans auteur » ?

Les vrais pirates rabattent le droit moral sur le droit à la concurrence et le droit des marques, inventant l'auteur sans droit moral, c'est-à-dire la société sans mémoire. On s'explique alors que la propriété intellectuelle soit attaquée et nourrisse des antipathies. Les sirènes financières, notamment des fonds de pension spéculatifs, et la raison du plus fort ont trop la parole.

Dans ce débat, je traquerai tous les virus possibles du droit d'auteur, y compris celui de sa dilution consécutive à certaines de ses extensions qui lui sont préjudiciables. Je serai en ramage avec le droit d'auteur et sa spiritualité qui est son humanité. Le droit moral, c'est le droit d'un homme, d'une femme qui le crée et de l'humanité qui le reçoit. Je ne me déchargerai pas sur les juges pour trouver des solutions de pérennité au droit d'auteur avec ses bougés qui sourdent et apparaissent dans le mouvement des mutations. Comme Victor Hugo, je pense que « le livre, comme livre, appartient à l'auteur, mais comme pensée il appartient- le mot n'est pas trop vaste - au genre humain ».

Considérons maintenant les nouvelles technologies et Internet, leur figure emblématique. Elles sont porteuses de promesses et de dangers.

Les promesses, c'est l'accès aux biens immatériels, c'est l'étonnant moyen d'information, d'échange, à travers les réseaux électroniques, c'est l'excellence à proximité, ce sont des outils nouveaux à la disposition des créateurs et des artistes qui, disait prophétiquement dans les années vingt Paul Valéry, peuvent conduire jusqu'à « faire bouger la notion même de l'art », « ce nouvel art [portant] l'accent sur le processus davantage que sur l'oeuvre achevée », disait Franck Popper.

Il n'est plus possible de parler culture et art en ignorant cette dimension nouvelle où la science et l'imaginaire se mêlent, mais le temps est encore aux hésitations, aux tâtonnements, aux emballements, voire aux illusions. Marc Bloch écrivait : « L'invention n'est pas tout, encore faut-il que la collectivité l'accepte et la propage. Ici, plus que jamais, la technique cesse d'être seule la maîtresse de son propre destin ». Il reste que l'utopie technologique, qui est belle et dont Jules Verne fut un des grands inventeurs, est proposée comme un simple substitut à l'utopie sociale.

Internet, objet de culte qui fait rêver, a été présenté comme solution à tout, comme la fin de toutes les inégalités sociales, culturelles, économiques, territoriales.

Faut-il chanter : « L'internet-national sera le genre humain » ? (Sourires.) C'est l'internet évangéliste. C'est ne retenir de l'Internationale, ce chant qui m'est toujours très cher, que la seule phrase scorie qu'il contient : « du passé faisons table rase ». Et là, songez au droit moral et à la mémoire, qu'un Pierre Lévy écarte allègrement : « Grâce à la fin de la censure et des monopoles culturels, tout ce que la conscience peut explorer est rendue visible à tous », dit-il.

C'est sauter à pieds joints sur les monopoles, oligopoles et autres conglomérats des grandes affaires qui, avec un savoir-faire hypocrite, censurent, comme dans le passé les rois et les évêques à travers le mécénat, ou, comme hier, l'Union des écrivains au service de l'État soviétique. C'est masquer, et non rendre visible, Microsoft, Apple, Sony, etc. Certes, il y a des moteurs de recherche, mais le plus important d'entre eux, Google, Jean-Noël Jeanneney a pu le caractériser par la formule : « De la matière en veux-tu, de la matière en voilà ! ».

Pascal Lardellier dans son livre Le pouce et la souris note que « la pêche en ligne » a ses limites, celles que favorise la consommation instantanée, que M. Madelin caractérise ainsi et sans rire : « Ce ne sont plus des gros qui triomphent des petits, ce sont les rapides contre les lents ». Je ne nie pas l'extraordinaire outil qu'est Google, mais le « savoir » Google, qu'est-ce ? La diversité de tous les fruits ou la diversité des raisins de la même grappe ? Il mêle, comme ajoute Pascal Lardellier, « omniscience et amnésie ».

Le moteur de recherche sélectionne les sites en fonction de leur fréquentation, renforçant les plus forts, à commencer par les sites nord-américains. C'est « une multinationale jeuniste parlant aux jeunes, à toutes fins utiles ». Mais il ne faut pas oublier, Pascal Lardellier le note, que « le thème des mondes doubles et des univers parallèles a toujours constitué une source d'inspiration très féconde pour la jeunesse. [...] La Toile constitue en fait cet univers souterrain et aérien à la fois, dans lequel ces jeunes s'attribuent des qualités magiques : tout savoir, voyager tout en restant chez soi, être "seuls ensemble", se délier du corps, du temps, de l'espace ».

Et que dire du téléchargement ? C'est par lui qu'a été connu le slameur Grand corps malade. Il vient d'éditer un disque Midi 20, qui lui vaut 5 000 connections journalières, dont 20 % disent vouloir acheter le disque et ne pas télécharger.

L'idée d'accès gratuit sur Internet a été présentée comme le « Sésame, ouvre-toi ! ». Je l'abandonnerai moins vite que ses supporters, il y a quelque temps enthousiastes. À certaines périodes, cette idée a eu d'éclatantes fonctions en France. Ainsi, la décision de la bourgeoisie républicaine, au xixe siècle, d'instaurer la gratuité de l'école publique, laïque et obligatoire. Ainsi, à la fin de la dernière guerre, dans une France très détruite et sans beaucoup d'argent, les forces démocratiques et nationales décidant la gratuité de la santé par des cotisations mutualisées. Dans ces deux cas, il s'agissait d'une gratuité construite, conquise pour conquérir de nouveaux droits, et non pas trouvée au bord de la Toile avec, comme financement compensatoire, la remise en cause du droit d'auteur.

J'imagine mal tous ceux qui luttent pour obtenir précisément de nouveaux droits, par exemple les jeunes qui se sont battus contre le CPE, c'est-à-dire pour un droit au travail digne, rémunéré et non précarisé, foulant aux pieds le droit d'auteur qui garantit le droit au travail des auteurs, leur dignité, leur rémunération et leur non-précarisation. Ce serait un rendez-vous sauvage.

Matisse disait : « Ordonner un chaos, voilà la création et si le but de la création est de créer, il faut un ordre dont l'instinct serait la mesure ». Cela me fait penser à Vilar parlant d'Avignon : « une foire culturelle ordonnée », à Jouvet parlant du théâtre : « un désordre ordonné ». Eh bien ! « l'entre-deux » par lequel j'ai commencé ce propos se retrouve là et je n'accepterai pas une politique « à la thermidorienne ».

Quelle politique, alors ? Au gré des amendements, nous en esquisserons le contenu, face à une sorte d'« anarcho-capitalisme pro copyright et anti-copie privée », issu de la tradition américaine vieille de deux siècles. Chez nous, cela s'appelle souvent le libéralisme libertaire.

En fait, comment cela nous est-il venu ?

J'étais à l'UNESCO, invité avec Alain Minc. Celui-ci commença ainsi son exposé : « Si vous voulez comprendre le monde et la pensée que je m'en fais, je voudrais vous convaincre de faire vôtre cette phrase : le marché est naturel comme la marée ». Ainsi, le marché, inventé par les humains pour s'en servir, Alain Minc le naturalisait et réduisait hommes et femmes à des êtres subsidiaires, des invités de raccroc, dont le marché se servait. C'était le monde à l'envers.

Curieusement, quelques jours auparavant, dans l'un des nombreux colloques du Sénat sur les nouvelles technologies, qui doivent beaucoup à nos deux collègues Pierre Laffitte et René Trégouët, Alain Madelin déclara : « Les nouvelles technologies sont naturelles comme la gravitation universelle ». Encore une fois, le vol aux inventeurs, les êtres humains, de leur oeuvre pour la retourner contre eux.

Non seulement marché et technologies étaient déclarés naturels mais, depuis, la « grande oeuvre » a été leur dérégulation, leur livraison au soleil libéral, habillée d'une liturgie citoyenne de façade et d'une histoire réduite à la commémoration, tout cela dans un marché politique et son discours de management, l'État intervenant comme une prothèse soutenant des additions d'intérêts. C'est la politique-expert et sa langue si technicienne qu'elle en devient étrangère et nous - moi, en tout cas -, comme nos concitoyens, ses orphelins.

Nous, en revanche, sommes pour l'exploration des territoires de l'inédit sachant se nourrir des éclats du passé.

Nous sommes pour travailler dans l'espace du doute actif. Inspirés par le poète palestinien Mahmoud Darwich quand il dit : « Je ne reviens pas, je viens », nous sommes non pour retrouver mais pour trouver l'intérêt public, noyau dur d'une société de justice et d'égalité qu'intronisent si bien deux grands intellectuels français, Georges Balandier : « Nous sommes dans l'obligation de civiliser les nouveaux Nouveaux Mondes issus de l'oeuvre civilisatrice », et Henri Michaux : « La pensée avant d'être oeuvre est trajet ».

Je veux évoquer quelques idées, certaines étant dans le projet de loi, d'autres étant souhaitées lui être adjointes, et une perspective.

Nous rejetons tous les aménagements « confettis » au droit d'auteur, qui le grignotent.

Nous sommes pour que les auteurs salariés soient respectés dans leurs deux dimensions, auteurs et salariés, et donc que le juge des prud'hommes ne soit pas compétent pour trancher des droits d'auteur.

Nous sommes pour rechercher des modalités de rémunération des auteurs en dehors du destin de leurs oeuvres sur le marché.

Nous sommes pour que la loi continue à garantir les auteurs face aux contrats et que la règle du contrat écrit et de la rémunération proportionnelle continue à protéger les auteurs, dont il faudra revoir pour la hausser la part qui leur revient du droit d'auteur.

Nous sommes pour une exception : enseignement, recherche, bibliothèque. C'est un devoir social et culturel, que la jurisprudence a commencé à faire prévaloir en s'appuyant sur l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. Inscrit dans la tradition des Lumières, il demande à être bien défini et bien compensé.

Nous sommes pour que les exceptions ne piétinent pas le droit moral.

Nous sommes pour travailler dans le sens d'un investissement public en faveur de la création. Moins on peut maîtriser en aval, plus il faut investir en amont.

Nous sommes pour une plate-forme publique de téléchargement, diffusant les nouvelles créations que les majors laissent sur le bas-côté, votée à l'unanimité à l'Assemblée nationale sur proposition de notre collègue Frédéric Dutoit.

Nous sommes pour le droit à la copie privée, le nombre de copies ne pouvant être inférieur à un.

Nous sommes pour l'interopérabilité, n'en déplaise à Apple et consorts. Il est inadmissible que se développent des chasses gardées de programmes.

Nous sommes pour que les producteurs acceptent un accord avec les artistes interprètes pour leur rémunération liée à la diffusion des oeuvres sur Internet.

Nous sommes pour la possibilité de développer librement les logiciels libres.

Nous sommes pour préciser le rôle des MTP : ce qu'elles doivent faire, par exemple mentionner tous les ayants droit de l'oeuvre, et ne peuvent pas faire, en particulier contrôler à distance certaines fonctionnalités des ordinateurs personnels. Elles ne doivent pas, en tout cas, être pilotées par les grandes affaires.

Nous sommes pour que le régime des peines soit revu, notamment pour que soit exclu le recours à la prison.

Nous sommes pour que le collège des médiateurs soit renforcé dans sa composition, en intégrant notamment des juristes, et placé sous la responsabilité d'un magistrat.

Nous sommes pour ne pas écarter dans notre réflexion le postulat de l'incontrôlabilité de ce domaine nouveau qu'est la diffusion massive des oeuvres sur Internet.

Nous sommes pour la mise en débat et en place d'une responsabilité publique et sociale visant à répondre aux préoccupations de chacun, à la fois passerelle et pratique entre un passé vécu comme luisant et un avenir appréhendé comme incertain.

Il n'y a pas d'avenir sans les incessantes trouvailles de la création artistique, sans la liberté de leur confrontation, sans la volonté d'en faire le bien commun des artistes et du peuple, ce qui suppose d'émanciper l'imaginaire du pécuniaire. Cette responsabilité serait assumée par un nouveau fonds de soutien lié au numérique, bâti autour d'une économie des compteurs, d'un apport légitime des fournisseurs d'accès et des distributeurs d'oeuvres sur Internet et d'une contribution publique.

L'économie des compteurs permettrait de facturer à chaque internaute, sans que sa vie privée soit atteinte, son utilisation d'Internet avec, comme conséquence, la rémunération normale et proportionnelle des auteurs concernés. Elle permettrait de redistribuer cette facture entre divers contributeurs, l'internaute, les entreprises, notamment les fournisseurs d'accès à Internet, les FAI, les collectivités publiques, pour garantir la juste rémunération des auteurs, des créateurs de services et des développeurs de logiciels.

Pour les internautes serait créée une « carte Internet » comparable à la « carte orange » dans les transports franciliens, permettant de réduire très sensiblement leur contribution, la compensation étant assurée par une partie de l'apport des FAI, l'autre partie étant cumulée avec la participation des pouvoirs publics pour une politique de la nouvelle création et de compensation des pertes occasionnées aux auteurs et aux « indépendants » de toutes les disciplines artistiques consécutives à l'exception « enseignement, recherche, bibliothèque ». Les sociétés d'auteurs géreraient les droits et négocieraient le droit exclusif.

Les MTP ne joueraient plus un rôle répressif. Rebaptisées « mesures numériques de gestion des droits », ce qui est d'ailleurs la traduction littérale de cette expression en anglais, elles assureraient l'information et les comptages, en conformité avec les recommandations de la CNIL.

Nous sommes pour que cette loi soit transitoire, un transitoire amélioré, et qu'un conseil appelé « Beaumarchais-Internet-Responsabilité publique », comprenant auteurs, artistes, écrivains, juristes, bibliothécaires, parlementaires, universitaires, chercheurs, architectes, informaticiens, internautes, fournisseurs d'accès et industriels travaille pour proposer d'ici à deux ans une alternative négociée à la loi d'aujourd'hui. Ce serait comme une « cité créatrice », comme un outil de travail et un espace public à la fois.

Nous sommes pour qu'une politique européenne, fédérant et/ou croisant celles des nations qui la composent, soit développée en faveur de la création et de l'innovation.

Nous sommes pour qu'avant deux ans la France prenne l'initiative d'une rencontre européenne sur « droit d'auteur, droit du public, responsabilité publique et nouvelles technologies », laquelle comprendrait obligatoirement une journée internationale sur les mêmes questions.

Il ne s'agit pas de clore ces démarches dans un assemblement, mais de travailler, vivre ensemble, conflictuellement sans doute, avec des contradictions évolutives pour fabriquer des processus qui mèneront progressivement, en arrachant le chiendent de l'ignorance de l'autre, vers des bornes que l'on voudrait infranchissables pour protéger « l'irréductible humain ».

Le mot « désespoir » n'est pas politique. Le mot « respect » n'a pas à connaître la pénurie. Il faut oser sortir dans la rue, la rue d'ici, la rue d'Europe, la rue du monde, et charger sur ses épaules, pour la vérité, les dissonances de la société. Il y a là la charge d'une socialité nouvelle.

Nous devons, nous pouvons faire société, une société où le mot « égalité » ne serait plus un gros mot, une société où les « rejetés » se retrouveraient comme individus de l'histoire du monde, conscients d'une « communauté qui vient », qui aurait une citoyenneté sociale permettant à chacune, chacun, de sortir de la délégation passive, de voir le bout de ses actes, de ne plus se dévaloriser, de prendre la parole, de promouvoir de nouveaux droits et une nouvelle logique sociale dans une nouvelle vie publique.

Tout cela est capital pour les auteurs, dont tant gagnent si peu, et pour les artistes, notamment les intermittents, dont le MEDEF persiste à vouloir précariser la précarisation.

Ainsi, nous refusons de nous laisser embarquer sur une galère lancée à travers « les eaux glacées du calcul égoïste ».

Ainsi, nous résistons contre le malmenage et le démembrement qui assaillent les arts, tous les arts.

Ainsi, nous voulons la liberté d'échapper au pur empire de la prétendue nécessité et créer du sens.

C'est notre ordre du jour d'aujourd'hui et des deux prochaines années. Ce sont les nouvelles lettres à l'alphabet des créations de leurs auteurs et de leurs publics que nous vous proposons d'écrire sans cesse, notamment à travers une deuxième lecture.

J'emprunte à Debureau, personnage des Enfants du paradis, mes mots conclusifs : « Pourquoi impossibles ces choses, puisque je les rêve ? » (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Nogrix.

M. Philippe Nogrix. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons, nous sommes appelés à nous prononcer sur un sujet des plus sensibles. La société française nous regarde : les médias, les groupes d'intérêts, des entreprises, des artistes, mais également des centaines de milliers d'internautes qui ont bien perçu les véritables enjeux de ce texte, au-delà des apparences.

Souvenez-vous, c'est presque un psychodrame qui s'est noué, peu avant Noël, autour de la licence globale à l'Assemblée nationale, sans vouloir qualifier le forum mis en ligne aux frais du ministère de la culture. Ces deux épisodes auront été autant « d'écrans de fumée » visant à détourner l'attention des observateurs des enjeux de ce texte. Au-delà de la lettre, dans son esprit, ce projet de loi correspond en effet à un certain nombre de renoncements et d'adhésions dont nous devons savoir à quoi ils nous engagent.

Soyons concrets. La transposition d'une directive prise sur le fondement de l'harmonisation du marché intérieur, dans la mesure où elle réduit la protection du droit d'auteur à sa seule dimension marchande, sonne déjà le glas de celui-ci. Via les DRM, ce sont bien les produits dérivés de l'oeuvre, c'est-à-dire les droits voisins, dont les principaux bénéficiaires sont les producteurs, qui focalisent essentiellement les attentions du législateur.

Ce faisant, notre conception continentale du droit d'auteur bascule petit à petit dans la logique américaine du copyright.

Autre renoncement, celui qui consiste à affaiblir de plus en plus le statut d'exception de la copie privée, restreinte à un statut de copie contrôlée. En tout état de cause, on offre aux industriels une rente de situation en demandant aux consommateurs de renouveler leurs achats à mesure qu'ils changeront leurs supports.

Au-delà, à travers le statut juridique des DRM, ces dispositifs anti-copies ou limitant la copie, se posent les questions de l'interopérabilité et de l'avenir des logiciels libres.

La pénalisation du contournement des DRM constitue bien en effet le coeur du « DADVSI code ».

La mouture de ce texte est en l'état tout à fait insatisfaisante.

Les travers pointés à l'Assemblée nationale risquent de se trouver aggravés par les propositions de la commission des affaires culturelles. Je me demande véritablement si la technicité du sujet ne rend pas en effet les uns et les autres plus perméables aux argumentaires distillés par certains groupes de pression.

C'est vers la société civile que je me suis notamment tourné pour nourrir ma réflexion. C'est vers les forums surgis, çà et là, sur Internet que je me suis dirigé pour mettre à jour ma connaissance de pratiques dont je n'ai pas personnellement, il est vrai, un usage expert. N'oublions pas que la société tout entière nous regarde.

Alors que les échéances et les rendez-vous manqués accusent sans cesse davantage le décalage qui nous éloigne de la nation et qui éloigne la nation de ses représentants, nous avons, avec ce texte, le devoir de ne pas la décevoir.

Force est de constater qu'à ce stade l'objectif me paraît très loin d'être atteint.

Monsieur le ministre, je ne m'attarderai ni sur l'agenda ni sur la forme, qui nous imposent de nous prononcer en urgence sur un texte présenté en conseil des ministres il y a de cela deux ans. Soit dit en passant, je précise que la Commission européenne a annoncé que les deux directives transposées feraient l'objet tout prochainement d'une évaluation quant à la réalisation des objectifs qui leur avaient été assignés à l'époque. Nous avons donc à nous prononcer sur un texte déjà obsolète avant même d'avoir été voté.

Il suffit, pour s'en convaincre, de se livrer à une rapide prospective ; le numérique en général et l'internet en particulier induisent, par exemple, de profondes mutations dans le modèle économique de la musique.

Ce sont d'ailleurs là, vous le savez, monsieur le ministre, les conclusions du rapport Cocquebert sur le financement de l'industrie du disque, remis à votre ministère en 2004 et dont il aurait été heureux de s'inspirer.

En guise de réponse à cela, on érige quelques digues pour permettre aux bénéficiaires du système actuel de retarder l'échéance. Je me trompe peut-être, mais j'ai le sentiment que l'on ne changera pas grand-chose au sens de l'histoire.

Admettons que les hypothèses relatives à l'avènement de ce nouveau modèle inclinent à s'accommoder temporairement de la proposition a minima du Gouvernement. Quel est alors le diagnostic ?

Monsieur le ministre, vous nous avez répété vouloir une « loi d'équilibre ». Or on peut craindre le pire de la mise en application d'un texte qui, à force de chercher à concilier les intérêts les plus contradictoires, risque à l'usage d'être inopérant. On le sait, les grands gagnants de la loi DADVSI ne seront ni les créateurs, ni les interprètes, ni les consommateurs, mais les intermédiaires.

Je me demande si l'on a bien su dépasser les intérêts catégoriels et particuliers pour résoudre ce qui apparaît comme la quadrature du cercle : rémunération des ayants droit, accès du public aux oeuvres et garantie de l'interopérabilité.

Cette interrogation est étayée par la version que nous propose la commission des affaires culturelles du Sénat. On avait atteint à l'Assemblée nationale un équilibre ténu : le verrouillage des DRM permettait le développement des offres légales mais, en contrepartie, il offrait la possibilité - certes au prix de contorsions contentieuses en perspective - de les lire sur tous les supports numériques. La réécriture de l'article concerné remet ici en cause un principe pour nous cardinal.

Les DRM ou DCU, dispositifs de contrôle d'usage, apparaissent sous des formes aussi diversifiées que l'anti-usage - la lecture n'est possible que sur certains types de support -, l'identification de l'utilisateur, le tatouage de l'oeuvre et le traçage de l'usage.

Outre qu'elle heurte de front le droit à la copie privée, la pénalisation du contournement des DCU pose problème en limitant la liberté de l'utilisateur, qui, rappelons-le, n'est qu'un citoyen de notre pays.

Le fichier légalement acheté se voit assigné un usage précis dans un lecteur particulier. Les dispositifs de contrôle d'usage anti-usage bloquent, de fait, l'interopérabilité. Il faut acquérir un lecteur compatible avec le fichier qui vient d'être acheté.

Or, l'interopérabilité, c'est véritablement la liberté du consommateur. Celui-ci n'a pas à faire les frais des prétentions des sociétés à proposer le standard de demain.

Rappelons-nous la lutte sanglante des formats de magnétoscope au début des années quatre-vingt entre le VHS et le Betamax. Rappelons-nous le « flop » que fut le vidéodisque au début des années quatre-vingt-dix et, par conséquent, le haut degré d'aléas pour un format avant de parvenir à s'imposer. C'est le pragmatisme qui doit l'emporter, pas le dogmatisme !

On doit s'inquiéter lorsqu'on lit dans le rapport de la commission que « l'autorité de régulation des mesures techniques de protection » destinée à venir en substitution du collège des médiateurs aurait notamment pour rôle de « favoriser ou susciter une solution de conciliation » avec ceux qui souhaitent « améliorer l'interopérabilité ». Mais, monsieur le rapporteur, l'interopérabilité, elle est ou elle n'est pas ! Elle ne peut pas être « améliorée ». Elle existe ou elle n'existe pas !

Plus inquiétante encore est la disposition aux termes de laquelle les concepteurs de standard de lecture pourront imposer aux bénéficiaires des données techniques de renoncer à la publication du code source s'ils démontrent à l'autorité que « celle-ci aurait pour effet de porter gravement atteinte à la sécurité et à l'efficacité de ladite mesure technique ».

Étant donné qu'il est par nature impossible de distribuer le code source d'un logiciel interopérable avec un DRM sans que cela porte atteinte à son efficacité, il sera dans les faits impossible à la communauté du logiciel libre de proposer un lecteur capable de lire un fichier enregistré dans un format « propriétaire ».

En l'occurrence, il me semble que le bon sens commande de ne pas pénaliser le contournement des dispositifs de contrôle d'usage dans le cas où le contournement a uniquement pour but de pouvoir lire une oeuvre achetée ou prêtée, d'effectuer des copies privées à des fins de sauvegarde ou d'interopérabilité, ou d'assurer sa sécurité informatique, comme le précédent du Rootkit de Sony en a montré la nécessité évidente.

C'est le même bon sens et le même souci d'équilibre qui nous conduisent à réclamer la modification de l'amendement dit « Vivendi ». Ici, on condamne non plus l'usage, mais l'outil. Nous proposons de n'appliquer les sanctions pénales que s'il y a volonté manifeste de créer un logiciel mettant illégalement à la disposition du public une oeuvre protégée. N'ajoutons pas l'injustice au ridicule : les logiciels de « pair à pair » ne servent pas qu'à la circulation d'oeuvres protégées.

Autre motif d'inquiétude de notre part : l'incompatibilité des dispositifs de contrôle d'usage avec les logiciels libres. En effet, ces dispositifs ne pourront être compatibles avec des produits du commerce sans intégrer à leur code source des programmes de traçage dont le fonctionnement ne respectera pas le principe de l'open source.

En outre, les utilisateurs seront dans l'impossibilité d'utiliser des produits portant des droits d'auteur sous peine d'être accusés de contrefaçon. Ainsi, les Français utilisateurs de GNU/Linux devront acheter le système d'exploitation Windows et l'installer sur leur PC pour pouvoir lire légalement les oeuvres qu'ils auront achetées. Merci Microsoft !

Or les logiciels libres ont permis un progrès inespéré des programmes informatiques ; nos scientifiques l'ont prouvé et nos universités sont très bien placées pour le démontrer. On en mesure toute l'incidence en termes de libertés individuelles et collectives, sur le plan économique, mais également sur celui de la sécurité nationale, lorsqu'on réalise que les administrations françaises - et parmi elles l'armée, qui se fait développer sur mesure un système d'exploitation Linux - se convertissent massivement aux avantages qu'offrent de tels systèmes.

Nous resterons donc attentifs au sort réservé aux amendements destinés à lever les incertitudes qui subsistent avant de décider de notre vote sur l'ensemble du texte. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat est un moment de vérité. C'est le moment de prendre position sur le rôle que nous voulons accorder à la culture dans notre société.

Le respect des droits moraux et économiques des auteurs et interprètes, l'accès de tous à la culture, la promotion de la diversité culturelle, dans un contexte de véritable révolution technologique, constituent des enjeux décisifs pour la vie culturelle de notre pays. La transposition de la directive européenne sur le droit d'auteur et les droits voisins aurait donc dû être l'occasion de relever ces défis en plein accord avec tous les acteurs culturels.

La directive date de 2001. Un projet de loi a dormi dans les cartons depuis 2003. Vous pouviez, monsieur le ministre, vous borner à la simple transposition d'une directive déjà ancienne, comme se sont contentés de le faire nos partenaires européens, vingt-trois sur vingt-cinq à ce jour.

Or voici maintenant un texte qui a été bien mal engagé et bien malmené. Comme le fait si souvent votre gouvernement, vous avez confondu action et précipitation en imposant l'urgence, alors qu'il eût fallu donner plus de temps à la réflexion et à la concertation. Et surtout, en choisissant dans la première version un système « tout répressif » totalement disproportionné, vous avez suscité chez les internautes inquiétude et indignation.

Comme, hélas ! depuis quatre ans, les politiques que mène le gouvernement auquel vous appartenez réussissent presque immanquablement à le faire, votre projet de loi a dressé les Français les uns contre les autres, dans un duel absurde où la raison n'a plus sa place et où la quête de l'intérêt général est reléguée derrière des analyses incomplètes et des affrontements destructeurs entre intérêts particuliers.

Plutôt que d'opposer auteurs et internautes, il s'agissait, avec ce texte, de trouver les moyens de concilier le respect des droits des auteurs et les progrès de l'accès à la culture grâce au numérique. L'impréparation de ce texte a malheureusement conduit au résultat inverse. Saurons-nous lui donner une deuxième chance d'être juste et utile dans un univers numérique en pleine expansion, tout en acceptant l'idée qu'il n'est qu'une étape, car beaucoup de questions techniques restent encore sans réponse ?

Nous devons d'abord faire preuve de modestie. L'ère numérique est, reconnaissons-le, encore largement une terra incognita. L'évolution technologique galope et souvent nous dépasse. La découverte de ce nouveau monde est encore très inégalement partagée, puisque seulement la moitié des Français ont accès à Internet.

Cependant, ce même Internet ouvre des perspectives immenses pour la communication entre les êtres et pour la diffusion des oeuvres de l'esprit. Il ne s'agit pas là d'un simple progrès technique ; il s'agit d'un tournant radical, d'un changement d'échelle qui modifie la nature et la capacité des échanges. Comment ne pas rêver d'en faire un instrument privilégié d'accès à la culture pour tous, sans toutefois tomber dans la naïveté, car il est clair que la Toile sert également de vecteur à bien d'autres choses que la culture : commerces de toutes sortes, pornographie, appels à la haine et au racisme ?

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Vous avez raison, hélas !

Mme Catherine Tasca. En tout cas, s'agissant des oeuvres, de leurs auteurs et de leur public, peut-on renoncer à réguler une telle « machine » ? Pouvons-nous, devons-nous, pour entrer dans l'ère numérique, oublier nos principes, renoncer à ce qui fonde depuis des siècles le respect de la propriété intellectuelle, artistique et littéraire ?

Certes, le temps de Beaumarchais est loin de nous, mais les enjeux d'une société de la connaissance et de la création, à laquelle nous disons tous être attachés, demeurent pleinement actuels.

Or ces enjeux imposent à la fois une ferme protection, aujourd'hui comme hier, des droits d'auteur et des droits voisins et, certainement, l'invention d'une nouvelle économie de ces biens très particuliers. Sur ce dernier point, la réflexion collective ne fait que commencer. Il nous faudra mener la véritable concertation que vous n'avez pas suffisamment organisée, monsieur le ministre.

Si ce débat a été mal engagé, c'est parce que des concepts essentiels ont été sources de nombreuses confusions. Je voudrais relever certains des amalgames et des idées fausses qui sont entretenus depuis des mois et qui obscurcissent le débat. J'en citerai quatre.

Tout d'abord, il nous faut rappeler que le droit d'auteur n'est pas divisible : droit matériel à une juste rémunération et droit moral à disposer personnellement de ses oeuvres sont inséparables. L'apparition des nouveaux supports numériques, si riches de potentialités, ne saurait nous faire oublier ce diptyque. Le fait que les auteurs se soient organisés, le plus souvent collectivement, pour la gestion de leurs droits, dans des sociétés multiples, ne doit nullement aboutir à rompre le lien personnel entre l'auteur et son oeuvre.

Ce qui est en jeu, au travers du droit d'auteur, ce n'est pas seulement la défense d'une « propriété » qui, aux yeux de certains, est forcément un droit suspect, c'est aussi l'émergence et la vitalité des activités créatrices. Si l'on recule sur le respect du droit d'auteur, on tarit la source, on assèche le vivier, on ravale les oeuvres de l'esprit au rang des marchandises interchangeables. On se réveillera dans un désert, et on laissera la main à ces quasi-monopoles que l'on prétend combattre. Il en sera alors fini de la création et de la diversité culturelle.

Ce n'est assurément pas ce que veulent les uns et les autres, et ce n'est assurément pas l'intérêt général. Notre soutien au droit d'auteur doit donc être sans faille. Les exceptions à ce droit d'auteur ne peuvent être fondées que sur un intérêt général bien identifié, comme c'est le cas s'agissant de l'éducation, de la recherche et de l'accès des personnes handicapées à la culture.

La copie privée constitue un deuxième sujet de confusion. Elle a beaucoup été invoquée pour justifier les nouvelles pratiques d'échange d'oeuvres sur le Net. Or la loi de 1985 n'a pas créé un droit à la copie privée ; elle a reconnu l'exception pour copie privée dans un cadre strictement limité au cercle familial et amical et défini par une commission ad hoc, sans déroger au droit exclusif des auteurs quant à l'exploitation de leurs oeuvres. Bien sûr, cela ne s'appliquait qu'à des biens légalement acquis. C'est là une nuance de taille qu'il faut rappeler.

Cette loi de 1985, en créant une redevance forfaitaire sur les supports amovibles destinés aux copies, a permis d'autoriser cette copie privée tout en la rémunérant. C'est un progrès reconnu par tous, que l'on doit à la gauche.

Cependant, prétendre aujourd'hui que l'on peut transposer ce système purement et simplement au nouvel environnement numérique n'est pas réaliste. Ce que l'on appelle copie privée aujourd'hui n'a plus rien à voir avec ce que l'on entendait par là voilà vingt ans, ou même voilà cinq ans. Les pratiques ont été bouleversées. En effet, les moyens techniques permettent de diffuser des fichiers musicaux ou audiovisuels en très grand nombre et instantanément, alors que la copie sur les anciens supports était longue, relativement coûteuse et forcément limitée en quantité. D'ailleurs, la jurisprudence a toujours confirmé que la copie privée devait être pratiquée en nombre limité.

L'appropriation d'un support permettant d'écouter ou de voir une oeuvre ne doit en aucun cas être confondue avec l'appropriation de celle-ci. Il ne faut pas confondre la copie privée pratiquée depuis des décennies avec l'aspiration à des échanges sans limites et avec le piratage des oeuvres.

Je rappelle que la copie privée n'a jamais eu vocation à se substituer aux droits d'auteur. Or c'est ce glissement qui sous-tend l'idée d'une licence globale. Nous ne pouvons pas accepter un tel glissement, si nous voulons, comme l'a rappelé Jack Ralite, nous opposer fermement à la tentation du copyright.

Le logiciel libre est une troisième source de confusion.

Nous reconnaissons tous le rôle bénéfique des logiciels libres qui sont l'oeuvre d'un travail bénévole collaboratif. Ils constituent, à côté des logiciels propriétaires, un secteur très vivant d'innovation et de participation, qui change positivement le rapport à la technique et qui crée un espace de liberté devant l'extension des monopoles.

En revanche, ils ne peuvent pas, ils ne doivent pas être un moyen d'organiser le piratage. Présenté souvent comme un moyen de lutter contre les multinationales, contre des quasi-monopoles, le logiciel libre n'échappe d'ailleurs pas au système capitaliste. Avec le logiciel libre, on voit se mettre en place tout un nouveau marché publicitaire lui-même très lucratif.

Une chose est sûre : il faut soutenir le développement du logiciel libre, mais celui-ci ne peut se faire contre une économie viable de la culture. Dans l'intérêt même du logiciel libre, ce dernier ne doit pas se confondre avec les échanges illégaux d'oeuvres. L'Assemblée nationale en a d'ailleurs convenu en établissant, à l'article 12 bis, une responsabilité des éditeurs au regard du respect des droits d'auteur.

Enfin, l'interopérabilité est une quatrième notion pouvant susciter des confusions.

Lors de la première lecture à l'Assemblée nationale a été introduit dans ce texte un concept qui en était absent à l'origine : celui d'interopérabilité. Il y a là une revendication très légitime des usagers des nouvelles technologies, qui doivent pouvoir jouir des oeuvres légalement acquises sur les multiples supports que leur offre le marché, sans en être empêchés par l'incompatibilité des matériels. Ce texte aurait dû être l'occasion d'obliger les industriels à résoudre ce problème d'interopérabilité.

En revanche, on ne peut pas inscrire dans un texte de transposition d'une directive qui impose la protection des oeuvres l'autorisation, pour les particuliers, de contourner eux-mêmes ces mesures de protection. C'est pourquoi nous proposons de supprimer le septième alinéa de l'article 7, qui contredit la protection des oeuvres.

Nous verrons, lors de l'examen des articles, si les points de confusion que je viens d'évoquer sont ou non clarifiés. À vrai dire, je doute que ce texte puisse permettre d'apporter les meilleures solutions, compte tenu de la manière dont sa discussion s'est engagée.

Quoi qu'il en soit, le groupe socialiste sera vigilant quant au point central de notre débat : le respect du droit d'auteur et des droits voisins. Pour que cet objectif soit atteint, l'efficacité des sanctions est un élément crucial, et il reste beaucoup à faire pour définir les modalités de celles-ci, sans faire peser sur les internautes la menace d'une intrusion à domicile. Cela relèvera des décrets d'application. Vous aurez à les élaborer, monsieur le ministre, en pratiquant cette fois une véritable concertation.

Pour conclure, je voudrais sommairement tracer quelques perspectives, car le débat ne sera pas clos ici.

Nous avons devant nous un chantier important. Il s'agit de dessiner les contours d'une économie de la culture consolidée, adaptée à la révolution technologique en cours. À mes yeux, cela ne peut se faire que si chaque maillon de la chaîne, de la création jusqu'à l'internaute, contribue équitablement au financement de la culture.

Nous devons en outre faire évoluer la gestion des sociétés d'auteurs vers plus de transparence et plus de coopération entre auteurs et interprètes.

Nous devons par ailleurs développer un véritable espace numérique public. Je le disais déjà en 2001 : créer un espace public numérique dense et riche est essentiel pour que la diversité culturelle sur l'internet soit réelle. C'est là une responsabilité qui incombe aux pouvoirs publics. Le texte n'évoque pour le moment que l'élaboration d'un rapport ; nous attendons du Gouvernement de véritables engagements.

Il faudra aussi aider à la constitution d'offres légales réellement abordables. Cela n'a que trop tardé, et les producteurs de contenus feraient bien d'accélérer le mouvement.

Enfin, et c'est pour moi très important, il faut tirer la leçon de la méthode exécrable qui a présidé à l'élaboration de ce texte, et notamment assurer une véritable concertation à chaque étape de l'évolution des technologies.

Car on le voit bien, aucune solution n'est satisfaisante s'il n'y a pas eu, au préalable, écoute de chaque point de vue et effort de tous pour dégager l'intérêt général. Or l'intérêt général ne saurait être d'avoir à choisir entre création et droit d'auteur d'une part, accès à la culture et liberté de l'internaute d'autre part. Ce serait absurde. C'est solidement arrimée au respect du droit d'auteur qu'une politique de démocratisation de la culture doit mettre à profit les nouvelles technologies. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Philippe Nogrix applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Cambon.

M. Christian Cambon. En présentant ce projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, vous avez accepté de relever un défi de taille, monsieur le ministre. Il s'agit en effet d'un texte technique, qui aborde des sujets aussi complexes que la DRM, la copie privée, le peer to peer, l'interopérabilité, l'exception de décompilation.

Cette complexité peut paraître rebutante, mais elle doit être dépassée, car, dans le même temps, ce texte porte sur des notions fondamentales, telles la liberté de création et les protections qu'elle impose, mais aussi la liberté de consommer cette culture à travers les supports liés à l'internet, comme des centaines de milliers de jeunes le font aujourd'hui.

Autant dire qu'il était difficile pour vous de déposer un texte équilibré, conforme aux directives européennes mais aussi marqué par cette exception culturelle française à laquelle nous sommes attachés. C'est pourtant ce résultat auquel vous êtes parvenu, monsieur le ministre, et notre groupe vous en félicite.

Le débat de décembre à l'Assemblée nationale fut rude, mais il ne fut pas inintéressant. Il a en effet permis de transformer un sujet réservé aux techniciens en un sujet de société, qui concerne bel et bien le quotidien de nos concitoyens, comme l'a si bien rappelé notre excellent rapporteur, Michel Thiollière.

Par conséquent, devant un texte complexe, revenons à des principes simples et à des objectifs autour desquels notre majorité a toujours gardé une parfaite cohérence.

Premier principe, qu'il est bon de rappeler : tout travail mérite salaire !

Monsieur le ministre, ce principe, vous l'avez défendu contre vents et marées. Oui, vous trouvez parmi nous un écho et vous avez notre soutien lorsque vous vous portez garant du respect du travail du créateur et de sa juste rémunération.

En la matière, un peu de cohérence serait bienvenue dans le discours de certains.

Il n'est pas possible, d'un côté, d'afficher un soutien incantatoire aux artistes et aux techniciens et, de l'autre, d'accepter, au nom du principe d'une liberté absolue, de brader leur travail et leur rémunération dès lors que leurs oeuvres seraient disponibles sur Internet.

C"est en effet le deuxième principe sur lequel s'appuie votre projet de loi : il faut cesser de confondre la démocratie culturelle avec la gratuité culturelle.

Là aussi, la circulation des oeuvres sur Internet, en raison même de sa facilité et de sa vitesse, nous pose avec une acuité nouvelle la question de l'accès aux oeuvres pour le plus grand nombre. Si nous souhaitons bien sûr tous atteindre cet objectif, il faut respecter un équilibre entre, d'une part, la liberté et la soif d'accès des internautes et, d'autre part, le respect des droits et de la rémunération des auteurs. Vous êtes parvenu, monsieur le ministre, à cet équilibre.

Ainsi, nous créerons les conditions pour faire d'Internet une chance pour une plus grande démocratisation de l'accès à la culture au sein même de la société de l'information.

Encore faut-il respecter deux conditions : faire oeuvre de pédagogie, notamment à l'égard des plus jeunes de nos concitoyens, et demander aux professionnels de développer une véritable stratégie de l'offre adaptée à l'évolution des modes de consommations qui émergent.

Monsieur le ministre, la pédagogie sur cette question est essentielle. Certes, nous donnons une sécurité juridique en permettant une adaptation du respect du droit d'auteur. Mais donner du corps, du sens et de la légitimité à cette évolution passe obligatoirement par un travail d'explication. Or force est de constater que lorsque nous, élus locaux, évoquons ce sujet avec les jeunes de nos communes, ce travail d'explication est loin d'être satisfaisant. En effet, depuis des années, les jeunes, par milliers, par centaines de milliers, se sont habitués à ce nouveau mode de transmission. Ils ont ainsi trouvé une parade facile au prix trop lourd, voire prohibitif, des produits culturels.

Quand nous tentons de leur expliquer le mécanisme de cette loi, les jeunes ne perçoivent pas le lien entre la copie d'une oeuvre, geste devenu familier, et les conséquences sur le travail et la rémunération des artistes.

Il faut expliquer aux jeunes pourquoi il est indispensable de respecter le travail et la rémunération des créateurs. Il faut leur expliquer en quoi notre pays est l'un des rares à présenter une telle capacité de création. Il faut enfin en éclairer le lien avec la diversité culturelle, fierté française consacrée sur le plan international et qui doit tous nous rassembler.

Plutôt que de laisser les majors de l'édition culturelle monopoliser la parole pour défendre leurs seuls intérêts, pourquoi ne pas inviter nos artistes, nos créateurs, nos chanteurs à aller au-devant des jeunes pour les sensibiliser à ce problème. Faute de ce travail, de cette pédagogie, nombre de jeunes considéreront que cette loi est uniquement répressive et limitative de liberté.

De même, comme la pédagogie est un art de la répétition, il est important de mettre en avant les avancées de ce texte.

Non, il ne s'agit pas d'interdire le téléchargement sur Internet, comme beaucoup le pensent et comme je l'entends encore. Il s'agit, au contraire, d'assurer la protection des oeuvres sur les supports numériques et d'empêcher le pillage, en luttant contre ceux qui utilisent sans scrupules la création artistique à des fins de pur business, hélas ! particulièrement prospère.

Pour ce qui est des sanctions, il faut là aussi expliquer que ce projet de loi met fin aux menaces de prison pour les internautes qui téléchargent. Cette sanction est certes théorique, mais il est bon de rappeler qu'ils y sont encore potentiellement exposés dans le droit actuel. En revanche, il nous semble important de maintenir, comme le proposera la commission, une responsabilité civile des éditeurs de logiciels destinés à un usage de téléchargement illégal.

Enfin, la pédagogie doit venir des professionnels eux-mêmes. Comme le font les PME ou les chambres de commerce, il serait bon de voir les professionnels de la musique et du cinéma expliquer, de façon concrète, dans nos lycées, dans nos collèges, dans nos centres de formation d'apprentis, les différents métiers liés à la santé économique de cette filière.

En mettant l'accent sur les perspectives de développement des métiers de demain où les jeunes Français peuvent exceller, nous sortirions d'une vision strictement défensive de la part des industries de la musique et du cinéma, pour faire de cette filière une filière française d'excellence, offrant à des milliers de jeunes des perspectives d'emploi et d'intégration.

Toujours concernant la pédagogie, je vous suggère, monsieur le ministre, de vous appuyer aussi sur les collectivités territoriales qui le souhaitent. En effet, ce sont nous, les élus locaux, qui, au travers de nos structures d'accueil et d'animation, restons encore au contact des jeunes.

Pour ma part, je me vois bien, dans ma commune, organiser une réunion d'information avec quelques artistes pour faire comprendre aux jeunes les finalités de cette loi. Les événements récents ne nous ont-ils pas démontré, monsieur le ministre, qu'il était temps de ne plus être avare d'explications ?

Mais la pédagogie ne suffit pas. En effet, un argument souvent entendu consiste à dire que, si l'on veut respecter la loi et éviter les téléchargements sauvages, la seule alternative possible, en dehors de nos modestes médiathèques, est d'aller dans les grands magasins acheter des CD et des DVD à des prix qui oscillent entre 15 et 30 euros, et parfois plus, ce qui dépasse bien souvent les possibilités financières de nos jeunes.

Alors, bien sûr, certains pourraient imaginer que, face à cette situation, l'État - toujours l'État - prenne des mesures attractives pour diminuer le prix de ces produits, par une baisse de la TVA, par exemple.

Je ne crois pas que cette solution soit la bonne. Elle aurait pour conséquence immédiate d'alourdir les charges de l'État, ce contre quoi nous nous battons régulièrement à l'UMP.

Par ailleurs, n'en doutons pas, cette baisse de la fiscalité serait très vraisemblablement compensée par la hausse des prix de vente des distributeurs. C'est donc vers ces distributeurs eux-mêmes que nous nous tournons aujourd'hui. En effet, plutôt que de multiplier les actions de lobbying pour préserver leurs avantages, les professionnels seraient bien inspirés de profiter de cette loi pour développer une véritable stratégie de l'offre culturelle adaptée à l'évolution des modes de consommation qui émergent.

Rien n'empêche effectivement à ces professionnels de proposer de nouvelles formes de consommation culturelle ; l'attractivité d'un coût modéré répondrait à l'attente des internautes.

L'expérience développée par l'industrie cinématographique est à cet égard très intéressante. Quand les professionnels du cinéma ont constaté que la fréquentation des salles chutait de manière structurelle et constante, les grandes chaînes de distribution ont innové et proposé de nouveaux services. Ainsi a-t-il été mis en place un dispositif de cartes téléchargeables et d'abonnements proposés à des prix très attractifs, qui assurent dorénavant une fréquentation plus importante et un public renouvelé.

Je vois là une évolution aisément transposable, que les majors de l'édition musicale, par exemple, pourraient très facilement et très efficacement organiser. Pourquoi les distributeurs ne pourraient-ils pas proposer par genre, rap, disco, jazz, classique ou autre, une partie de leur catalogue téléchargeable moyennant une contribution mensuelle raisonnable des internautes ? Cela fonctionne très bien pour le cinéma.

Ainsi, plutôt que de protéger leurs avantages financiers en se cachant derrière les droits d'auteur, les distributeurs feraient preuve d'imagination commerciale.

À la licence globale, inefficace, je préfère l'offre commerciale bénéfique au consommateur, comme l'a montré l'évolution dans le secteur du téléphone portable ou les offres multiples pour Internet, qui sont de plus en plus avantageuses pour le consommateur. Rien n'empêcherait même, comme le suggère l'amendement de l'un de nos collègues du groupe UMP, d'offrir le téléchargement gratuit d'oeuvres de jeunes auteurs, créateurs ou interprètes, qui trouveraient là le moyen de se faire connaître.

À ces professionnels qui innoveraient, on peut du reste garantir un franc succès. Il suffit pour cela de lire les statistiques récentes sur la vente par Internet, qui placent la France parmi les tout premiers pays européens en la matière.

Enfin, monsieur le ministre, je ne voudrais pas conclure sans attirer votre attention sur une incohérence qui n'a pas échappé aux internautes et pour laquelle une réponse argumentée n'est pas si évidente.

J'ai rencontré en effet de nombreux internautes qui m'ont interpellé sur l'incohérence qu'il y a à pénaliser les internautes lorsqu'ils téléchargent, alors que, dans le même temps, on leur offre dans n'importe quel magasin bien fourni la possibilité d'acquérir, librement et le plus légalement du monde, des lecteurs et des enregistreurs au format DivX, dont la vocation est, tout le monde le sait, d'utiliser les téléchargements illégaux, et ce pour à peine 30 euros !

N'est-ce pas là une formidable invitation, pour ne pas dire incitation, à ne pas respecter la loi ? Aidez-moi, monsieur le ministre, par votre réponse, à trouver les arguments qui me font défaut.

Comme j'ai tenté de l'exposer, ce projet de loi vient, certes, un peu tard, mais il apportera les garanties nécessaires au travail des créateurs de culture. L'explosion et la sophistication des technologies, le fait qu'un Français sur deux possède un ordinateur, le raccordement au haut débit aujourd'hui et au très haut débit demain, sont autant de facteurs prometteurs de diffusion culturelle qu'il convient d'organiser, comme les directives européennes le prescrivent et comme l'ont déjà fait de nombreux pays.

Mais une fois encore, si le Gouvernement et le Parlement n'ont pas la passion d'expliquer et d'expliquer encore le sens des réformes proposées, nous risquons une fois de plus d'être incompris, voire combattus par une jeunesse qui a tôt fait de considérer que toute atteinte, fût-elle partielle, à une quelconque de ce qu'elle considère comme ses libertés est une agression personnelle insupportable. Aussi notre groupe souhaite-t-il vraiment qu'une communication efficace et intelligente puisse être organisée autour de ce projet de loi.

Ainsi pourriez-vous démentir cette idée trop longtemps admise selon laquelle il est impossible de réformer notre pays et que toute réforme est inévitablement vouée à l'échec.

C'est pourquoi, en nous appuyant sur le remarquable travail de la commission des affaires culturelles, de son président Jacques Valade et de son rapporteur Michel Thiollière, que je souhaite saluer, nous voulons vous accompagner dans le succès de cette réforme que, bien évidemment, nous voterons. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, la transposition qui nous est proposée est à la fois tardive et victime de l'urgence. Cette urgence a perdu tout son sens pour ce qui est de gagner du temps.

L'interruption des débats à l'Assemblée nationale, puis le renoncement trop tardif au CPE ont largement différé la fin des débats. En revanche, cette urgence affaiblit la navette et la fécondité des ajustements qu'elle permet sur un texte aussi complexe, dont on ne cesse de découvrir des dommages collatéraux.

Les élus Verts considèrent d'abord la propriété artistique à la française, et les droits d'auteur qui y sont attachés, comme un acquis à préserver, auquel le numérique ne saurait faire obstacle. En plus de la juste rémunération de la création, l'existence et la définition du droit moral tiennent à distance des conceptions et des pratiques dans lesquelles tout est marchandise. C'est cela qu'il faut garantir, parce que c'est là que se trouvent les conditions indispensables à la diversité culturelle.

Chaque nouvelle technologie - l'imprimerie, la radio, la photocopie, la télévision - a obligé le pouvoir à élaborer des règles adaptées. À chaque fois, ce fut le grand vertige devant l'inconnu, et ce sont les supports qui furent mis au débat : c'est le commerce des livres que l'on voulait arrêter aux frontières qu'évoque Diderot, ce sont les liens entre la législation sur l'imprimerie et les Lumières que commente Condorcet.

À chaque fois, l'intérêt public et la sauvegarde de ce qui fait sens et civilisation durent se frotter aux intérêts économiques de quelques-uns : licence exclusive au profit de l'imprimeur en Allemagne dès 1470 ; privilège d'édition aux corporations de libraires en France sous Louis XII ; rupture du monopole des papetiers à Londres en 1710 et réaction immédiate des libraires, et à Paris, Beaumarchais, en 1777, s'affronte aux intérêts exorbitants de la Comédie-Française. À chaque étape, l'émoi fait colporter des contrevérités.

Nous savons maintenant que les vidéocassettes n'ont pas tué le cinéma, et que les bibliothèques n'ont pas fait baisser les ventes de livres.

Aujourd'hui, ce sont les possibilités offertes par le numérique et les pratiques sociales qui s'en saisissent qui nous convoquent, par le biais de l'Union européenne, dans un souci d'harmonisation.

Le défi, c'est de faire de la politique, c'est-à-dire de transcrire dans la loi nos valeurs, de façon compréhensible par tous, sans sombrer dans des considérations technicistes confuses, et par essence vite dépassées. Au cours des débats, je reviendrai sur le droit moral, en particulier celui des photographes, qui me semble avoir été malmené.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Le problème est enfin réglé !

Mme Marie-Christine Blandin. N'ouvrons pas la porte à des pratiques comme celles de la société Corbis.

Le défi, c'est, comme au cours des siècles passés, de reconnaître aux acteurs intermédiaires leur place, mais pas plus que leur place.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Eh oui !

Mme Marie-Christine Blandin. Certes, ils prennent des risques économiques, certes on reconnaît aux producteurs des droits voisins, certes les réseaux de la toile que tendent les grands groupes sont utiles, mais en aucun cas leur poids et la force de leurs lobbies ne sauraient tenir la plume du législateur.

Ce qui nous motive, c'est une société cultivée, une création foisonnante et libre, des auteurs respectés et rémunérés : ce n'est pas aux tuyaux intermédiaires de dire l'alpha et l'oméga de la culture et de ses modes de protection. D'autant que leurs mécanismes préférentiels ont jusqu'à présent favorisé la standardisation et les tentatives de formatage des attentes du public. D'autant que leurs capitaux mélangés et la diversification de leurs activités les rendent à la fois bâtisseurs de réseaux payants, diffuseurs de matériel permettant toutes les copies et stockages, fournisseurs d'accès soigneusement dédouanés de toute responsabilité, et vendeurs de dispositifs de cryptage et de suivi, aux démocraties comme aux dictatures ; ils ne sont pas regardants. D'autant que leur lenteur coupable à donner une offre légale de téléchargement a dynamisé les pratiques d'échanges.

La promotion de la licence globale - épisode datant d'avant Noël - a été rapidement stoppée : elle avait rassemblé ceux qui refusaient de compter plus de la moitié des internautes au rang des délinquants ; elle avait été élaborée et soutenue par des associations diverses - des consommateurs, des militants de l'éducation populaire, des artistes interprètes, des plasticiens ; elle avait été repoussée par une majorité de compositeurs et d'auteurs, et par leurs sociétés de perception de droits.

Nous aurions pu avoir un débat plus construit et plus serein si ces sociétés avaient les mêmes règles comptables, si leurs chiffres étaient plus transparents et plus actualisés.

Au fond, l'approche par le dialogue entre usagers et artistes, par le pragmatisme - puisqu'il y a téléchargement et manque à gagner, créons une ressource - était intéressante. Certes, on se rapprochait une fois de plus du forfait plutôt que de la proportionnalité. Mais le forfait, ce n'est pas l'apanage du seul et détestable copyright, c'est aussi le principe de la rémunération pour copie privée, ou de la redevance télévisuelle qui, au passage, est contournée par les écrans numériques alimentés par des signaux d'ordinateur, ce qui, à terme, fragilisera les chaînes publiques.

J'ai entendu les arguments hostiles des petits labels, aux budgets tendus, qui voyaient poindre le jour où ils déposeraient le bilan. Effectivement, les quelques euros envisagés pour la licence globale sur chaque abonnement ne faisaient pas le compte, et le côté facultatif de cette taxe n'éloignait pas le spectre des atteintes aux libertés individuelles. Il n'est cependant pas exclu que, d'ici à quelque temps, au vu des options probablement inopérantes de ce texte, soit à nouveau posée la question sous d'autres formes, dont la mise à contribution des disques durs ou des fournisseurs d'accès, qui sont tout de même au centre du dispositif.

Les droits versés s'élevaient à environ 850 millions d'euros en 2002, sur 1,1 milliard d'euros collectés, ce qui représente vraiment beaucoup de frais de gestion. C'est un défi de rassembler plus de 1 milliard d'euros, mais il ne faut quand même pas se laisser enfermer dans des variables peu faciles à changer.

Ce 1 milliard d'euros de droits est à mettre en perspective avec d'autres chiffres autrement évocateurs : 700 milliards de dollars de chute de capitalisation boursière entre mars et novembre 2002 dans le secteur du numérique ; 600 milliards de chiffre d'affaires de vente rien que par le télémarketing en 2002 ; 11 400 milliards de fusions-acquisitions dans les télécommunications en 2000.

Les moyens et les pouvoirs des fabricants d'informatique, des fournisseurs d'accès du secteur des télécommunications, libéralisé par des directives européennes, des sociétés de logiciels fermés comme Microsoft, la position dominante des fabricants et gestionnaires de réseau qui mettent des consommateurs à disposition des annonceurs au lieu de faire leur métier et de proposer des oeuvres de l'esprit aux usagers : voilà l'environnement réel dans lequel sont malmenés les droits d'auteur et la diversité culturelle.

Alors, vouloir faire peser la responsabilité de la précarisation, de la juste rémunération et du droit moral sur le seul internaute amateur est abusif.

C'est d'abord taire l'arsenal que la loi offre déjà contre les pratiques commerciales de contrefaçon et de ventes illicites.

C'est aussi négliger ce qu'il y a de réjouissant à voir se pratiquer des ouvertures, des découvertes, des enseignements, des échanges, des coopérations : cet aspect positif, épanouissant et émancipateur, mérite tout de même d'être rappelé.

C'est enfin oublier l'environnement dans lequel grandit le jeune internaute. La gratuité, dont il ne sait pas quand il est petit qu'elle se paye un jour, le poursuit depuis les classes primaires : distribution d'échantillons, de friandises, de gadgets, de journaux à la porte de l'école.

Le juste prix des choses ne lui est jamais valorisé : au contraire, ses vêtements sont confectionnés ailleurs à si bas prix que seule une exploitation impitoyable du créateur les rend importables ; le prix des aliments qu'il mange ne permet pas d'assurer le revenu de l'agriculteur.

Enfin, il est gavé de publicités agressives sur le MP3, les possibilités du haut débit, que l'on présente avec malhonnêteté comme un droit de tirage illimité sur la musique ou sur les films.

Alors, quand sont payés l'ordinateur à 1 000 euros, la clef MP3 à 100 euros, l'accès mensuel à 30 euros - si son quartier a un accès dégroupé - soit presque 3 000 euros pour cinq ans de passion, toutes les conditions sont créées pour que le jeune internaute se croie quitte. Cette société-là, c'est celle de la compétitivité et du libéralisme.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Là, nous ne sommes plus d'accord !

Mme Marie-Christine Blandin. Ne nous étonnons pas si les jeunes sont surpris qu'on leur demande soudain une attitude plus éthique.

Ce projet de loi sous-tendu par des motifs vertueux prend, hélas ! des risques plus qu'aventureux avec nos libertés et un secteur dynamique et indispensable : le logiciel libre.

En l'état, la rédaction du texte donne carte blanche à des modes indéterminés de protection, de telle sorte que les limites des DRM ne seront pas sous contrôle du Parlement : le consommateur sera potentiellement destinataire de produits éphémères, ou incompatibles, ou porteurs de logiciels espions, sans même que des exigences n'encadrent son information.

Le coût de ces techniques ne sera d'ailleurs pas à la portée des labels indépendants que nous voulons soutenir.

Quant aux pénalisations prévues pour les échanges et la mise à disposition des logiciels les permettant, un lecteur non averti par l'historique de ce texte aurait tôt fait d'y voir l'arme de destruction massive contre les logiciels ouverts, l'inventivité de leurs auteurs et les modes de coopération : ce sont des pans complets du travail universitaire et industriel qui peuvent tomber.

Tout se passe avec ces logiciels comme si, au motif que des assassins utilisent des couteaux, on décrétait l'interdiction des couteaux, au lieu d'en réglementer le port et l'usage.

M. Bruno Retailleau. C'est vrai !

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le ministre, s'il s'agissait de voter une loi qui dresse un rempart contre un libéralisme débridé prêt à sacrifier les artistes sur l'autel du dumping consumériste, sans porter atteinte aux libertés publiques ni graver dans le marbre le monopole du logiciel fermé et les pouvoirs arrogants des opérateurs des télécommunications, les Verts n'auraient pas été contre. Mais, en l'état, ce n'est pas du tout le cas.

D'ailleurs, la plaie béante de l'intermittence non consolidée et les risques de spoliation des photographes au profit des éditeurs et diffuseurs montrent que, là où il n'y a pas de droits voisins, le Gouvernement défend avec moins de zèle les créateurs.

Pour terminer, dans le respect du droit moral des auteurs, je tiens à remercier le président de la commission, le rapporteur du Sénat et celui du Conseil économique et social, nos collaborateurs, ceux de la commission, tous auteurs, qui nous ont éclairés, même si toutes leurs propositions ne nous ont pas convaincus, ainsi que les personnes auditionnées, même si leurs insistances contradictoires nous ont soumis à ce que les psychiatres appellent « la double contrainte », environnement mental favorable à la schizophrénie, à laquelle nous avons su échapper. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.- M le président et M. le rapporteur de la commission applaudissent également.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information
Discussion générale (suite)

3

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de participer à nos travaux.

Je rappelle que l'auteur de la question, de même que la ou le ministre pour sa réponse, disposent chacun de deux minutes trente.

logement en guadeloupe

M. le président. La parole est à M. Daniel Marsin.

M. Daniel Marsin. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'outre-mer.

Alors que l'égalité sociale avec la métropole est considérée comme globalement réalisée, la situation de l'habitat en Guadeloupe trahit encore un retard considérable.

Lors de la première lecture du projet de loi portant engagement national pour le logement, j'ai eu à alerter le Gouvernement sur la baisse de production du logement social outre-mer et sur la nécessité d'abonder la ligne budgétaire unique, la LBU, pour retrouver un rythme compatible avec les besoins identifiés.

Monsieur le ministre, votre ministère a procédé aux notifications suivantes pour 2006 : 46,21 millions d'euros en autorisations, ce qui correspond à 71 % des besoins estimés ; 31,88 millions d'euros en crédits de paiement, soit un pourcentage réduit à 56 %.

On note donc d'importants écarts entre les besoins et les dotations, et les 21 millions d'euros effectivement reçus à ce jour ne couvrent même pas les factures en cours, qui s'élèvent à 24 millions d'euros.

Dès lors, la première mesure d'urgence consisterait à rendre disponible le solde des crédits de paiement, soit environ 11 millions d'euros.

Monsieur le ministre, ma question est la suivante : au moment où les besoins en logements neufs - locatif ou accession sociale - et en réhabilitation de l'habitat insalubre s'expriment de plus en plus fortement, au moment où l'activité économique souffre déjà en Guadeloupe des effets d'une inflation supérieure à celle que connaît la métropole et qui menace d'aggraver un chômage déjà explosif, au moment où les collectivités de l'agglomération constituée par ma ville, les Abymes, et Pointe-à-Pitre, la capitale économique, s'apprêtent à s'engager dans une opération de renouvellement urbain de grande envergure, le Gouvernement peut-il prendre le risque de décourager les acteurs de la filière de la construction - bailleurs sociaux et professionnels du BTP - et de décevoir nos concitoyens aspirant à des conditions décentes de logement ?

En tout état de cause, pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, les dispositions administratives et financières que vous comptez prendre pour éviter une nouvelle rupture de paiement à très court terme, qui aurait pour conséquence la baisse de la production de logements sociaux en 2006 ? Comment comptez-vous abonder au niveau adéquat les dotations destinées à couvrir les dettes de 2005 ainsi que la programmation de 2006, et accélérer la mise à disposition des crédits notifiés ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François Baroin, ministre de l'outre-mer. Monsieur Marsin, je partage pleinement le constat que vous avez dressé en ce qui concerne le retard considérable pris en matière de logement social outre-mer ; nous en avons, d'ailleurs, déjà discuté ensemble. Nous avons également évoqué les perspectives qui s'offrent à nous.

Il est important de rappeler que nous sommes confrontés à une double problématique.

D'abord, nous constatons un retard cumulé, pour des raisons en partie identifiées.

Ensuite, les problèmes ne sont malheureusement pas seulement actuels ou derrière nous, ils sont devant nous, car la population de certains territoires est très active et sa démographie est dynamique : plus de 50 % de la population a moins de vingt-cinq ans. Cet état de fait rend difficile la gestion, pourtant importante, du logement social outre-mer.

Pour autant, depuis cinq à six années environ, ces territoires ont connu un taux de croissance deux fois supérieur à celui de la métropole. Malgré tout, cela ne fonctionne pas, ou en tout cas pas suffisamment par rapport à la demande portée par les collectivités locales.

Voilà pourquoi nous travaillons actuellement sur plusieurs pistes, selon un calendrier que je souhaite pour ma part très serré.

Premièrement, nous envisageons une mobilisation active du foncier disponible. Vous le savez comme moi, monsieur le sénateur, nous rencontrons des problèmes de livraison de terrains, pour des questions d'effets d'aubaine liés à un outil de défiscalisation sur lequel les sénateurs de la commission des finances travaillent.

Deuxièmement, nous devons également envisager une diversification des sources de financement. Nous aurons l'occasion d'en reparler dans quelques semaines, comme vous l'avez rappelé.

Troisièmement, nous réfléchissons à une programmation pluriannuelle, car nous devons à la fois résorber le retard pris et anticiper sur la future demande en nous projetant dans l'avenir.

Quatrièmement, enfin, nous envisageons de renforcer le partenariat local, notamment avec les communes.

Sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, que j'ai commandité, avec M. Copé, deux audits : l'un sur la résorption de l'habitat insalubre, l'autre sur la politique du logement social en outre-mer, qui est la dernière étape préparatoire.

En liaison avec le Premier ministre, et selon ses arbitrages, je présenterai dans les prochaines semaines un plan de relance de la politique du logement outre-mer dont l'objet sera de multiplier par deux la construction de logements sociaux pour les personnes en difficulté, notamment pour la population jeune, qui constitue l'une des forces d'avenir de l'outre-mer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)

bilan des dégâts dans les universités

M. le président. La parole est à M. Joël Billard.

M. Joël Billard. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche.

M. Jacques Valade. Très bien !

M. Joël Billard. Monsieur le ministre, ma question concerne les importants dommages causés aux universités par des énergumènes ...

Mme Éliane Assassi. Ce sont des étudiants !

M. René-Pierre Signé. La bataille est finie !

M. Joël Billard. ... qui, pendant les mouvements de protestation contre le CPE, se sont crus obligés de saccager et de détruire pour s'exprimer ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Alain Gournac. C'est scandaleux !

M. René-Pierre Signé. La racaille !

M. Didier Boulaud. Sortez le « Kärcher » !

M. Joël Billard. Dans une démocratie républicaine comme la nôtre, la violence n'est pas justifiable. La liberté d'expression est respectée et les moyens de communication sont libres.

Le droit à l'accès à l'enseignement de nombreux jeunes a été bafoué sans scrupule, et souvent au détriment de ceux qui sont les moins favorisés. En outre, les menaces faites aux élèves désirant travailler et celles pesant sur les examens étaient inacceptables.

MM. Jacques Valade et Alain Gournac. Très bien !

M. Joël Billard. Des actes consternants de violence et de destruction ont touché des biens collectifs. Aussi, outre l'organisation du rattrapage des cours et du report des examens, les responsables d'établissement sont maintenant confrontés à la remise en état des locaux et au chiffrage des dégradations provoquées par les blocages et les occupations.

M. Jacques Valade. Quel gâchis !

M. Joël Billard. Ainsi, le vice-président de la conférence des présidents des universités a récemment estimé les dégâts matériels à environ deux millions d'euros à l'échelon national, ce qui représente plusieurs dizaines de milliers d'euros par université touchée. Il existe, évidemment, des situations particulières, comme celle de la Sorbonne pour laquelle on évoque un chiffre de 500 000 euros !

À Toulouse II, la présidence de l'université évalue provisoirement à 150 000 euros les dégradations subies.

Je citerai également Rennes II, première université à avoir voté le blocage, le 7 février dernier, et où les dégâts ont été estimés par constat d'huissier à environ 100 000 euros !

M. René-Pierre Signé. C'est le prix du CPE !

M. Joël Billard. Il s'agit de remettre en état les halls, les amphithéâtres, les portes et les fenêtres de ces universités, voire parfois de racheter le matériel pillé, tels les ordinateurs.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Arrêtez, vous vous faites du mal !

M. Joël Billard. Certains syndicats et partis politiques ont observé à l'égard de ces casseurs une neutralité pour le moins bienveillante ! (Très bien ! sur les travées de l'UMP. -Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Les Français savent-ils que, en définitive, ce sont eux qui paieront, avec leurs impôts ?

Mme Éliane Assassi. La question !

M. Joël Billard. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer dans quelles conditions seront financés les travaux nécessaires à la remise en état des locaux ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche. Monsieur le sénateur, tout d'abord, je confirmerai l'estimation dont vous avez fait état : le montant des dégradations, et donc des travaux à réaliser, dans les universités à la suite des récents événements s'élève bien à 2 millions d'euros.

M. Yannick Bodin. C'est le prix du CPE !

M. François Goulard, ministre délégué. Par ailleurs, il n'est pas question que l'État couvre à guichet ouvert les conséquences du comportement irresponsable d'un certain nombre d'individus. (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.)

M. Ivan Renar. C'est vous qui semez le désordre !

M. François Goulard, ministre délégué. Ce seront donc les universités, en vertu d'un principe de responsabilité, qui paieront sur leur budget pour effacer les conséquences malheureuses de ces actes.

Je précise toutefois que ces 2 millions d'euros sont à rapporter à l'effort que la nation consent pour l'enseignement supérieur, qui est aujourd'hui de 10 milliards d'euros. Quant au budget des universités elles-mêmes, il s'élève, hors traitement des enseignants, à 2,5 milliards d'euros. Il s'agit donc d'une charge supportable.

La seule exception possible concerne des établissements dont les responsables ont fait appel aux forces de l'ordre pour dégager les locaux occupés de manière inadmissible.

Je pense, en particulier, à l'École des Hautes études en sciences sociales, qui a été occupée de manière intolérable par des individus qui n'avaient rien à voir avec cet établissement et dont la directrice a demandé, à plusieurs reprises, le concours des forces de l'ordre.

Quoi qu'il en soit, au-delà des chiffres, au-delà de la responsabilité des uns et des autres, j'insisterai, comme vous, monsieur le sénateur, sur un point : il est particulièrement intolérable que des étudiants, ou prétendus tels, se croient autorisés à saccager l'outil de la connaissance universitaire, celui-là même qui doit appeler le respect le plus absolu ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) )

M. David Assouline. C'est de la mise en scène !

M. François Goulard, ministre délégué. Je rappelle que des étudiants, ou de prétendus étudiants, ont saccagé des livres anciens à la Sorbonne, que d'autres ont mis hors d'état de fonctionner des outils informatiques contenant des informations, des bilans, des résultats, fruits d'efforts de recherche de plusieurs années : c'est intolérable !

M. Ivan Renar. C'est ce gouvernement qui est intolérable !

M. François Goulard, ministre délégué. C'est inadmissible !

M. Charles Pasqua. C'est honteux !

M. François Goulard, ministre délégué. Il est également intolérable que, dans bien des cas, une minorité empêche les étudiants d'étudier et de préparer leurs examens, c'est-à-dire leur avenir professionnel ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

affaire clearstream

M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz.

M. Louis Mermaz. Mon intervention, monsieur le Premier ministre, portera sur le respect et sur la protection de nos institutions.

Qu'un ministre, M. de Villepin, alors chargé des affaires étrangères, vérifie des informations mettant en cause, sur le plan international, la sécurité du pays et l'intégrité de personnalités, à commencer éventuellement par celle de certains de ses collègues, relève des devoirs de sa charge. Encore qu'il ne puisse le faire, en janvier 2004, qu'avec l'autorisation du chef du gouvernement de l'époque, M. Raffarin !

Pourquoi, dès lors, ressentons-nous ce trouble profond sur toutes les travées de nos assemblées et dans le pays ? Parce qu'un dérèglement grave s'est produit au sommet de l'État et qu'il s'amplifie de jour en jour : les institutions de la République ont été confisquées à des fins personnelles et détournées de leur mission.

Monsieur de Villepin, vous avez pris le risque de porter atteinte au droit de l'un de vos collègues, M. Sarkozy. (Murmures sur les travées de l'UMP.) Celui-ci aurait dû être informé à temps par vous que des investigations engageant son honneur étaient entreprises ! Pourquoi n'en fut-il rien ?

Ensuite, ce collègue, M. Sarkozy, a fait savoir qu'il réintégrerait en juin 2005 son poste de ministre de l'intérieur, pour des raisons de convenances personnelles et pour se mettre à l'abri des menaces qu'il sentait peser sur lui ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est lui-même qui l'a dit !

M. le président. Écoutez l'orateur !

M. Louis Mermaz. Il serait d'ailleurs utile que M. Sarkozy nous fasse savoir comment il a subodoré progressivement - au moins depuis l'été 2004 - les menaces ayant trait à la présente affaire, pourquoi il s'est tu et pourquoi il a accepté de faire équipe avec M. de Villepin.

M. Charles Pasqua. Pour l'intérêt supérieur de la nation !

M. Louis Mermaz. Je vous demande, monsieur le Premier ministre, par-delà les graves développements actuels et par-delà le dénouement politique auquel vous ne pouvez vous soustraire, de nous dire selon quelle procédure vous auriez dû assurer à chacun la transparence et la garantie que l'on est en droit d'attendre dans une démocratie. Vous auriez ainsi évité au pays des défaillances dramatiques.

M. Alain Gournac. Et les écoutes téléphoniques ?

M. Louis Mermaz. Devant la dislocation actuelle de votre équipe où deux clans s'affrontent, les objectifs de carrière prenant le pas sur le souci de l'intérêt général (Exclamations sur les travées de l'UMP), ...

MM. Alain Gournac et Charles Pasqua. Les écoutes !

M. Louis Mermaz. ... il est grand temps, monsieur le Premier ministre, que, en conscience, vous tiriez les conséquences qui s'imposent ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur quelques travées du groupe CRC.)

M. Charles Pasqua. Pas vous, pas ça !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur le sénateur, j'ai eu l'occasion de m'exprimer longuement sur ces sujets ce matin, et si je réponds à votre question, c'est par égard pour la Haute Assemblée.

M. Yannick Bodin. C'est la moindre des choses !

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Quand on est victime, dans sa vie personnelle comme dans la vie publique, de mensonges, de calomnies, d'amalgames - et votre question en était nourrie, peut-être par méconnaissance -, il n'y a qu'une solution possible.

M. René-Pierre Signé. Où est le mensonge ?

M. Yannick Bodin. Il parle de ses propres mensonges !

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Pour ma part, je crois dans la force de la vérité, dans la force de la démocratie. Et quelle que soit la façon dont vous tourniez les choses - vous n'avez pas d'expérience de la vie internationale, ce que je ne vous reproche pas - (Rires et protestations sur les travées du groupe socialiste.), ...

M. Jean-Pierre Caffet. Il est élu depuis trente ans !

M. Jean-Pierre Sueur. Il a été président de l'Assemblée nationale !

M. Ladislas Poniatowski. On a écouté la question de M. Mermaz, écoutez la réponse de M. le Premier ministre !

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. ...dans ce domaine, il y a une règle : face aux menaces, face aux risques du monde d'aujourd'hui, l'exigence fondamentale est de vérifier la nature des informations qui sont présentées. Cette exigence de vérité est indispensable. C'est le premier devoir d'un responsable ministériel dans des domaines comme ceux que j'ai occupés.

M. René-Pierre Signé. Allez voir les électeurs !

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Au coeur de notre démocratie, il y a une exigence de justice. Personne ...

M. Yannick Bodin. Ne vous croit !

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. ... plus que moi ne veut la vérité et la justice. Mais il y a aussi, monsieur le sénateur, une exigence de respect - je suis heureux de pouvoir vous le rappeler -, ...

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. ...le respect que nous nous devons les uns aux autres, entre l'opposition et la majorité, entre la gauche et la droite. Le combat politique ne justifie pas tout.

M. Didier Boulaud. Expliquez-vous entre vous !

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Dans un État de droit, il existe des règles. La confusion, l'amalgame, les procès d'intention auxquels vous vous prêtez ne sont pas dignes.

Mme Nicole Bricq. Ce n'est pas à nous qu'il faut le dire !

M. Yannick Bodin. Adressez-vous à vos amis ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Josselin de Rohan. Bodin est un âne !

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Le respect, c'est aussi le respect de l'État de droit, c'est le respect des règles qu'il implique. Ces règles doivent l'emporter sur les procès d'intention, sur les jugements hâtifs et, je l'ai dit, sur les amalgames.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Lisez le Figaro !

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Ces règles s'imposent à nous tous, en tant que citoyens bien sûr, mais aussi en tant que responsables politiques.

Premier ministre, je suis à ma tâche avec tout le Gouvernement, ...

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. ... avec toute la majorité, pour défendre les intérêts de la France et pour servir les Français, comme nous le faisons depuis onze mois avec les résultats que vous connaissez et qui vous dérangent peut-être ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP - Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Didier Boulaud. Donnez-lui rapidement un canton !

taxe sur les véhicules de société

M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis.

M. Jean Arthuis. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l'État.

La loi de finances pour 2006 comporte deux novations relatives à la taxe sur les véhicules de société, la TVS. Cette taxe est ancienne. Elle est payée par les sociétés mettant à la disposition de certains de leurs collaborateurs des véhicules de tourisme.

L'une des novations est une réforme du barème. Le Gouvernement a en effet souhaité substituer au barème tenant compte de la puissance du moteur un barème fondé sur l'émission de CO2. Cette mesure, qui obéit à une préoccupation d'ordre environnemental, a été approuvée par le conseil des ministres et adoptée par l'Assemblée nationale, puis par le Sénat.

Cependant, ce dernier a apporté sa propre contribution. Constatant que l'équilibre du budget restait préoccupant, il s'est efforcé de trouver une ressource nouvelle en tentant de contenir une mesure d'optimisation fiscale. En effet, un certain nombre de sociétés ont pensé qu'elles pourraient échapper à la taxe sur les véhicules de société en encourageant leurs collaborateurs à utiliser leur propre véhicule et en remboursant les frais de déplacement sur la base d'un nombre de kilomètres suffisamment important. C'est une sorte d'externalisation de la flotte.

Notre commission des finances a pensé qu'il s'agissait là d'un contournement de la loi. Elle a donc mis au point un amendement. Celui-ci fut bien rédigé, puisque le ministre du budget et ses collaborateurs nous ont apporté leur précieux concours. Le Gouvernement a donc émis un avis favorable et le Sénat l'a adopté. Toutefois, lorsque ce dispositif a été connu, il a fait l'objet de protestations et d'incompréhension de la part, notamment, des petites et moyennes entreprises qui exercent sous forme de société.

Depuis lors, monsieur le ministre, nous avons eu l'occasion de discuter de ce sujet. Je pense qu'il faut aménager le dispositif afin de le rendre acceptable et d'apaiser les craintes. Si vous pouviez nous faire part du fruit de votre arbitrage, nous vous en serions reconnaissants. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Yannick Bodin. Sans langue de bois ! (Sourires.)

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État. Monsieur le sénateur, vous avez parfaitement résumé la situation.

La TVS a été réformée en même temps que nous supprimions la dernière part résiduelle concernant la vignette automobile qui restait due par les entreprises. Nous pensions qu'il s'agissait d'une bonne opportunité pour simplifier et améliorer le dispositif applicable aux véhicules non polluants ou faiblement polluants.

De ce point de vue, l'amendement qui a été présenté par le rapporteur général du Sénat, M. Marini, a eu un excellent mérite, celui de simplifier cette mesure et de la rendre beaucoup plus lisible. Mais il est vrai que nous avons été saisis par les représentants des PME.

Avec Thierry Breton, nous avons rencontré les représentants de la CGPME et du MEDEF. Nous avons travaillé sur des problèmes d'application pratique. Dans la vie, je crois qu'il faut savoir être pragmatique par rapport à la réalité première qui est de permettre aux entreprises d'investir, de se développer et de créer de l'emploi. Durant cette période où le chômage connaît une baisse très significative grâce à la politique économique qui est conduite par le Gouvernement, il n'est pas question de prendre des mesures qui n'iraient pas dans ce sens.

Après avoir rencontré de nombreux représentants et en concertation avec vous, monsieur le président de la commission des finances du Sénat, avec le rapporteur général, M. Marini, ainsi qu'avec le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, M. Méhaignerie, et son rapporteur général, M. Gilles Carrez, nous avons imaginé trois mesures afin d'améliorer le dispositif actuel.

Tout d'abord, nous proposons de réajuster le barème applicable aux véhicules de collaborateurs bénéficiant du remboursement kilométrique. L'idée est simple : l'entrée du barème est triplée - il passe de 5 000 kilomètres à 15 000 kilomètres - et la TVS sera due en totalité à partir de 45 000 kilomètres au lieu de 20 000 kilomètres.

Ensuite, nous suggérons de mettre en place un abattement de 15 000 euros. Du coup, cette mesure deviendra indolore pour la très grande majorité des PME, ce qui est bien évidemment l'objectif.

Enfin, nous ferons en sorte que la réforme entre en vigueur de façon progressive sur trois ans : les entreprises ne devront qu'un tiers de l'imposition la première année, deux tiers la deuxième année et l'imposition exacte la troisième année. Ainsi, chaque entreprise aura le temps de mener l'arbitrage qui s'impose pour ce qui concerne sa flotte externe ou interne.

En outre, pour des raisons de simplification, nous supprimerons les obligations déclaratives pour les montants inférieurs à 15 000 euros.

Comme vous pouvez le constater, monsieur le sénateur, nous avons fait preuve de pragmatisme en entendant les messages qui nous ont été délivrés, car l'objectif est bien évidemment d'encourager la croissance et l'emploi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur quelques travées de l'UC-UDF.)

politique économique de la france

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Ma question ne portera pas sur l'affaire Clearstream. Néanmoins, je ne peux m'empêcher d'évoquer cette crise, qui constitue moins une affaire judiciaire qu'une manifestation supplémentaire du dérèglement complet de la vie démocratique de notre pays. La faillite et le désaveu qui frappent notamment le Président de la République et le Gouvernement doivent les conduire à prendre leurs responsabilités. (La question ! sur les travées de l'UMP.) Et c'est bien de cela dont je veux parler !

Votre Gouvernement, monsieur le Premier ministre, doit cesser, notamment, de poursuivre la transformation de l'économie de notre pays au seul service de la spéculation financière et en tournant le dos à la satisfaction des besoins individuels et collectifs.

M. Michel Billout. Vous n'en aviez déjà pas la légitimité. Votre Gouvernement ayant été composé à l'issue du référendum concernant le projet de Constitution européenne, vous auriez dû mettre un terme à toutes les mesures de libéralisation de l'économie.

Vous n'en avez rien fait. Pis, en pleine tourmente du CPE, qui vous envoyait pourtant un nouveau signe fort de la désapprobation populaire à l'égard de votre action, vous avez poursuivi. (La question ! sur les travées de l'UMP.)

Vous avez ouvert le capital d'Aéroports de Paris, faisant peser de lourdes craintes sur la sécurité de ces plateformes aéroportuaires essentielles à l'économie de notre pays. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Vous avez bradé Alstom Marine, fleuron de l'industrie nationale de construction navale, pour le plus grand bénéfice des actionnaires de Aker Yards.

Vous engagez de nouveau la financiarisation de l'épargne populaire avec le rapprochement de la Caisse d'épargne et de la Banque populaire au sein de Natixis.

Vous vous apprêtez à remettre en cause la promesse faite par votre ministre de l'intérieur de maintenir le capital de l'État dans Gaz de France à hauteur de 70 % en organisant la fusion avec Suez. (La question ! sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui, cela vous ennuie !

M. Josselin de Rohan. C'est un inventaire à la Prévert !

M. Michel Billout. Et vous organisez de fait, dans le cadre du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité nucléaire et du projet de loi de programme relatif à la gestion des matières et des déchets radioactifs, les conditions d'entrée d'opérateurs privés dans le domaine si sensible de cette énergie.

Les conséquences de ces politiques sont pourtant catastrophiques : hausses des tarifs, baisse de la qualité du service, pertes d'emplois. Dans le même temps, il est vrai, on observe l'augmentation continue des dividendes versés aux actionnaires. (La question ! sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Un peu de silence, s'il vous plaît !

M. Michel Billout. Pour exemple, je citerai le plan d'entreprise 2005-2007 de GDF, qui prévoit le doublement des dividendes versés aux actionnaires sur cette période. (La question ! sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais pas d'emploi !

M. Michel Billout. Cette politique est dangereuse et antidémocratique par son caractère difficilement réversible. Elle est très majoritairement désavouée. D'ailleurs, un nouveau sondage - un de plus -, paru dans la presse ce matin, fait apparaître que 70 % des Français déclarent ne pas partager vos orientations économiques et sociales. (La question ! sur les travées de l'UMP.)

Pourtant, vous avez déclaré il y a quelques heures : « Il serait irresponsable de ne pas poursuivre et d'intensifier notre action. » (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Veuillez poser votre question !

M. Michel Billout. Pour ma part, je crois qu'il serait beaucoup plus conforme à l'esprit républicain de respecter, enfin, l'expression populaire. C'est pourquoi, au nom du groupe communiste républicain et citoyen (nouvelles exclamations sur les mêmes travées.), je vous demande de décider un moratoire sur toutes les dispositions en cours tendant à libéraliser davantage notre économie, et ce jusqu'à la prochaine législature. (Rires sur les travées de l'UMP.)

M. Guy Fischer. Riez, vous verrez !

Mme Hélène Luc. C'est une mesure de sagesse !

M. Michel Billout. Êtes-vous prêt à prendre cette décision, monsieur le Premier ministre ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste.)

M. Alain Gournac. Quels guignols !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous remercie, monsieur le sénateur, de poser cette question au Gouvernement.

Mme Annie David. Vous y aviez pensé ?

M. Thierry Breton, ministre. Car, voyez-vous, pendant ce temps-là, la France travaille (Applaudissements sur les travées de l'UMP - Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC), la France avance.

Mme Annie David. Dans quel sens ?

M. Thierry Breton, ministre. Je sais que cela vous gêne (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC), ...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tous des plaisantins au plus haut niveau de l'État !

M. Thierry Breton, ministre. ... mais je suis obligé de le dire, car c'est la vérité ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Pendant ce temps-là, monsieur le sénateur, la France gagne des points sur tous les marchés, à l'intérieur comme à l'international. Qui le dit ? Ce n'est pas moi, sinon vous ne me croiriez pas, mais c'est l'ensemble des observateurs internationaux.

Depuis 2002, il a fallu remettre la France dans le bon sens, en ordre de marche. (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Il a fallu rétablir le travail.

Oui, monsieur le sénateur, il a fallu prendre un train de réformes importantes pour permettre à notre économie de rattraper le retard qui avait été accumulé !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Votre modèle est quand même en grave difficulté !

M. Thierry Breton, ministre. Quels sont les résultats aujourd'hui ? Je vais vous les détailler.

Dans quelques instants, je m'envolerai pour Bruxelles. (Murmures.)

M. Didier Boulaud. Prenez plutôt le Thalys, cela va plus vite !

M. Thierry Breton, ministre. Savez-vous quel sujet nous y aborderons ? Nous y évoquerons les performances de notre économie, dont la progression est aujourd'hui la plus rapide d'Europe ! (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

C'est la réalité !

D'abord, grâce à la politique menée par le gouvernement de Dominique de Villepin, le taux de chômage est passé de 10,2 % à 9,5 % en moins de dix mois. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Personne n'y croit !

M. Guy Fischer. C'est uniquement grâce à des radiations de chômeurs !

M. Thierry Breton, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, selon mes services, nous devrions passer sous la barre des 9 % de chômeurs avant la fin de cette année. Dans un an, le taux de chômage sera vraisemblablement proche de 8,7 %. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Personne n'y croit !

M. Thierry Breton, ministre. Ensuite, comme je l'ai indiqué à maintes reprises dans cet hémicycle, le taux de croissance est aujourd'hui solidement installé entre 2 % et 2,5 %. (Rires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La seule véritable croissance aujourd'hui, c'est celle des dividendes des actionnaires !

M. Thierry Breton, ministre. Les chiffres ne sont pas encore connus, mais, selon tous les prévisionnistes, notre taux de croissance devrait atteindre au moins 0,6 % à 0,7 % au cours du premier trimestre, soit un taux annualisé compris entre 2,4 % et 2,8 %.

M. Guy Fischer. Augmentez donc les salaires !

M. Thierry Breton, ministre. Je sais que cela vous déplait !

Mme Hélène Luc. Ce qui nous déplait, c'est la précarité !

M. Thierry Breton, ministre. De tels résultats...

M. Yannick Bodin. Parlez-nous du déficit de la France !

M. Thierry Breton, ministre. ...sont-ils tombés du ciel ? Non ! Ils sont liés à l'action du Gouvernement.

Ainsi, l'année dernière, pour la première fois depuis plus de treize ans, nous avons augmenté de manière très significative le pouvoir d'achat des Françaises et des Français, qui a progressé de 2,8 %. (Rires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Guy Fischer. C'est faux !

M. Thierry Breton, ministre. C'est la vérité ; ce sont les chiffres !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Augmentez plutôt les salaires !

M. Thierry Breton, ministre. Enfin, pour la première fois depuis plus de treize ans, nous avons respecté les objectifs maastrichtiens de déficit, à savoir un déficit public inférieur à 3 % du PIB.

Monsieur le sénateur, tout cela n'est pas le fruit du hasard ! C'est le résultat de la politique du gouvernement de Dominique de Villepin ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Didier Boulaud. Dites cela à un cheval de bois et il vous donnera une ruade !

M. Ivan Renar. On se demande bien pourquoi les Français sont mécontents !

M. le président. Mes chers collègues, celui qui pose une question aimerait écouter en silence la réponse qui lui est adressée. Sinon, si l'on n'écoute pas les réponses, ce n'est pas la peine de poser des questions !

les relations entre la france et israël et la francophonie

M. le président. La parole est à M. Philippe Richert.

M. Philippe Richert. Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie.

À partir du 15 mai prochain, nous célébrerons les premières journées de l'amitié franco-israélienne, organisées par la Fondation France-Israël, avec la venue du nouveau Premier ministre israélien, M. Ehoud Olmert.

Madame la ministre, dans ce contexte, je souhaite attirer votre attention sur la tenue à l'écart d'Israël des institutions de la francophonie.

Pourtant, la population de cet État est francophone à près de 20 %. Cela correspond à un million de locuteurs, parmi lesquels 28 % ont le français comme langue maternelle. De plus, quelque 55 000 élèves israéliens étudient notre langue à l'école. Cela fait d'Israël le deuxième pays francophone du Proche-Orient. La langue française y est plus répandue que dans bien des pays membres de l'Organisation internationale de la francophonie, l'OIF.

Toutefois, si l'État d'Israël a naturellement vocation à rejoindre la communauté francophone, ce projet s'est toujours heurté à la règle de l'unanimité qui prévaut pour l'admission d'un nouveau membre au sein de l'organisation francophone. Jusqu'à présent, les gouvernements israéliens se sont abstenus de présenter une demande formelle face au veto quasi systématique de certains pays arabes. Je pense notamment au Liban, par lequel s'exprimait - nous le savons bien - la voix de la Syrie. Depuis, la donne politique dans cette région du monde a, me semble-t-il, changé.

Par ailleurs, la France a toujours affiché son soutien à une candidature d'Israël au sein de l'OIF. Depuis 2004, des premiers pas ont été franchis. Ainsi, trois villes israéliennes, Tel-Aviv, Eilat et Natanya, ont été intégrées au sein de l'Association francophone internationale de coopération décentralisée, l'AFICOD. En outre, l'université de Tel-Aviv a été admise au sein de l'Association des universités partiellement ou entièrement de langue française, l'AUPELF.

Désormais, il est temps d'aller plus loin et de saisir l'occasion du prochain sommet de la francophonie, qui aura lieu à Bucarest les 28 et 29 septembre prochains.

La France pourrait exercer son influence pour faire évoluer les mentalités. Elle enverrait ainsi un signal fort à la communauté juive et au peuple israélien, au service d'un rapprochement entre nos deux pays, mais également d'un renforcement de la langue et de la culture françaises en Israël et dans cette région du monde, alors que l'anglais y connaît une forte progression.

Enfin, les institutions de la francophonie pourraient être un lieu de rencontre pacifique entre Israël et les pays voisins, autour des valeurs communes de diversité culturelle, de paix et de démocratie. Cela favoriserait le dialogue entre les cultures et aiderait à faire évoluer la situation au Proche-Orient.

Madame la ministre, le temps n'est-il pas venu d'ouvrir le débat lors du prochain sommet de la francophonie, auquel Israël pourrait assister en qualité d'observateur ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. René-Pierre Signé. Voilà une question tout à fait d'actualité ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le sénateur, la position de la France sur ce sujet est très claire.

Nous soutenons totalement l'adhésion d'Israël à l'Organisation internationale de la francophonie, comme l'a déclaré sans ambiguïté le Président de la République en février 2004, lors de la venue en France du président israélien.

Nous souhaitons fortement un consensus pour que cette admission puisse se produire. Nous y travaillons d'ailleurs en favorisant le rapprochement avec les réseaux francophones existants. C'est ainsi que l'université de Tel-Aviv a rejoint l'Association des universités partiellement ou entièrement de langue française à la fin de l'année 2005. L'université de Natanya fera de même prochainement.

De même, le Forum francophone des affaires a récemment accueilli le patronat israélien.

Par ailleurs, nous travaillons également dans le cadre de notre coopération bilatérale. Ainsi, le nouvel Institut français de Tel-Aviv sera-t-il ouvert à l'automne prochain.

Nous espérons vivement qu'Israël nous rejoindra dans le combat que la France mène en compagnie des autres pays membres de l'organisation francophone en faveur du respect de la diversité culturelle.

Tous ces éléments contribuent évidemment au renforcement de nos liens d'amitié avec l'État d'Israël, où la population francophone - vous l'avez rappelé, monsieur le sénateur - est très importante, ce qui donne bien évidemment toute sa légitimité à l'adhésion de ce pays à l'OIF. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

politique de l'immigration

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ma question s'adressait à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. Mais, si j'en crois le dérouleur, c'est M. le ministre délégué à l'aménagement du territoire qui me répondra.

Je constate que M. le ministre de l'intérieur est effectivement absent.

Mme Annie David. Il n'est jamais là !

Mme Hélène Luc. Les débats du Sénat ne l'intéressent pas !

M. Yannick Bodin. Ce n'est pas grave, puisque Dominique de Villepin est là !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il est évidemment curieux de constater que M. le ministre d'État est absent aujourd'hui, tout comme il l'était hier lors de la séance des questions d'actualité de l'Assemblée nationale...

M. Alain Gournac. C'est faux !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai regardé la retransmission de la séance, mon cher collègue !

Nous pouvons nous interroger sur les raisons de telles absences ! Cela dit, ce n'est pas très grave, car, comme nous le savons tous, M. Estrosi est le double de M. Sarkozy ! (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

De surcroît, lors de la séance des questions d'actualité, les ministres de ce gouvernement répondent systématiquement à côté des questions posées par les membres de l'opposition. Mais les esquives sont éloquentes et soulignent la pertinence des questions. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Voici les miennes ; elles sont au nombre de quatre. (Murmures.) Je vous remercie de les transmettre à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Je vais même faire mieux ; je vais y répondre !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Premièrement, faire adopter la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité et récidiver moins de trois ans après, alors qu'il n'y a pas eu d'alternance, est-ce reconnaître son échec ? Est-ce rechercher le maintien d'un climat malsain ? Ou est-ce les deux à la fois ?

Deuxièmement, se résoudre à ne pas voir appliquer les dispositions prises pour limiter la double peine, tout en s'attribuant le mérite de les avoir fait adopter, n'est-ce pas tenir un double langage ?

Troisièmement, réclamer des immigrés une maîtrise de notre langue et s'apprêter à expulser des enfants scolarisés, n'est-ce pas également contradictoire ?

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Enfin, quatrièmement, vous jouez sans cesse sur la durée de nombreux délais, que vous étendez ou réduisez selon les cas, et ce toujours au détriment des immigrés.

Ainsi, vous avez fait porter de un an à deux ans le délai nécessaire au conjoint étranger d'un Français pour obtenir une carte de résident. Vous proposez aujourd'hui de le fixer à trois ans. Pour votre pêche en eaux troubles, une telle escalade a-t-elle l'avantage d'être sans limite ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, à votre place, j'aurais fait preuve de plus de prudence.

D'abord, M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, était absent hier au début de la séance des questions d'actualité à l'Assemblée nationale parce qu'il était allé se recueillir en Indre-et-Loire sur la dépouille d'un gendarme mort en service. Et je vous invite au recueillement qui s'impose ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Ensuite, s'il est absent à cet instant précis, en accord avec M. le Premier ministre (M. le Premier ministre acquiesce), c'est parce qu'il s'est rendu à Évry, où un drame a, hélas ! causé la mort d'un jeune de seize ans dans la nuit du 30 avril au 1er mai.

M. Jean-Pierre Caffet. C'est un peu tard pour s'y rendre !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. J'essaierai modestement d'apporter une brève réponse à vos questions, mais je le ferai sans détour.

Monsieur le sénateur, la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité visait à doter notre pays d'une politique de lutte contre l'immigration clandestine.

À cet égard, permettez-moi de vous rappeler quelques chiffres. Entre 1997 et 2002, sur les 70 000 étrangers en situation clandestine qui se trouvaient chaque année sur notre territoire, le gouvernement de Lionel Jospin n'était capable d'en raccompagner chez eux qu'entre 8 000 et 10 000 par an.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Aujourd'hui, 20 000 ou 25 000 étrangers en situation irrégulière sont reconduits dans leur pays chaque année. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. René-Pierre Signé. Comment pouvez-vous vous en réjouir ?

M. Guy Fischer. Voilà le véritable visage de la droite !

M. Didier Boulaud. Que faites-vous de la France terre d'accueil ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Nous apportons désormais un complément, en accord avec le Premier ministre et de manière transversale avec tous les ministres concernés.

Oui, nous présentons pour la première fois devant le Parlement un projet de loi alliant les politiques de l'immigration et de l'intégration ! Telle est notre vision de l'équilibre et de la justice dans notre pays.

La France n'a pas vocation à continuer de « subir » une politique de l'immigration. Une immigration subie est une véritable folie et une fausse générosité !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les Français issus de l'immigration apprécieront !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Nous voulons nous doter d'une politique d'immigration choisie, qui apporte le respect et la dignité nécessaires à l'ensemble de celles et de ceux qui veulent se rendre en France.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Notre pays n'a pas vocation à accueillir toutes celles et tous ceux auxquels il n'est capable d'offrir ni travail ni logement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

C'est la raison pour laquelle nous proposons aujourd'hui un contrat d'accueil et d'intégration, qui fixe des règles. La France n'est pas une terre en jachère !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quelle honte ! Parler ainsi de la France !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Ceux qui veulent venir chez nous et y demeurer...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sont des personnes humaines ! Ne les traitez pas comme des marchandises !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. ... doivent respecter des règles.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Ils doivent respecter notre histoire et notre culture et apprendre à parler et à lire notre langue. Ils doivent accepter de figurer à visage découvert sur les photos d'identité. Les hommes doivent accepter que leurs épouses soient soignées par n'importe quel médecin dans n'importe quel hôpital. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Nous voulons nous doter d'une politique de regroupement familial qui permette au chef de famille d'avoir les moyens nécessaires pour nourrir et loger dignement les siens.

Nous voulons également une politique de visas de longue durée, qui apporte de véritables engagements en matière de lutte contre l'immigration clandestine.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur le sénateur, pourquoi notre politique est-elle équilibrée ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elle fabrique des clandestins, votre politique !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Parce que, d'un côté, il y a l'extrême droite. Et l'extrême droite, ce sont les barbelés !

M. Yannick Bodin. L'extrême droite, c'est vous !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. De l'autre côté, il y a la gauche. Et la gauche, c'est un terrain vague ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Christian Estrosi, ministre délégué. En ce qui nous concerne, nous proposons un portail de sécurité ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tenir le discours de Le Pen, c'est voter Le Pen !

situation au tchad

M. le président. La parole est à M. Robert Del Picchia.

M. Robert Del Picchia. Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie.

Hier, quelque six millions de Tchadiens étaient appelés à voter dans le cadre d'un scrutin présidentiel, qui s'est finalement déroulé - il faut s'en réjouir - dans le calme, malgré des menaces d'attaques rebelles. L'actuel chef de l'État sera très vraisemblablement reconduit.

Cette élection a eu lieu dans un contexte particulièrement troublé. Le 13 avril dernier, une colonne rebelle partie de l'est est entrée dans la capitale avant d'être repoussée par les forces régulières. Les combats ont fait plusieurs centaines de morts.

La menace n'a pas disparu pour autant. Certains observateurs estiment même que la tenue de ces élections pourrait entraîner le Tchad dans une guerre civile catastrophique.

Par ailleurs, les conséquences d'une telle déstabilisation pour le reste de la région seraient loin d'être négligeables.

Le Tchad, qui, je vous le rappelle, jouxte le Darfour, abrite près de 300 000 réfugiés, chassés de cette province de l'ouest soudanais par des combats et des exactions. Ce conflit a fait des dizaines de milliers de morts depuis 2003.

Les convois d'aide humanitaire à destination des camps installés au Darfour transitent également par le territoire tchadien. Idriss Déby a d'ailleurs prévenu que si l'ONU ne s'impliquait pas rapidement au Darfour, son pays ne serait plus en mesure d'héberger ces réfugiés.

Bref, si le Tchad implose, ou s'il devait entrer en guerre civile, aucune solution durable ne pourrait être trouvée pour le Darfour. Je rappelle que la France soutient sans réserve les pourparlers de paix pour le Darfour qui se déroulent à Abuja et qui ont d'ailleurs été prolongés.

Madame la ministre, nous savons le rôle éminent que la France joue au Tchad, notamment grâce à un soutien financier important, doublé d'une présence militaire. Nous savons également que la France est très attachée à la stabilité de ce pays, dont la position centrale en Afrique constitue un point d'ancrage très fort.

Pouvez-vous nous indiquer dans quelles conditions s'est déroulé ce scrutin à risques et, plus généralement, nous faire part de votre analyse sur la situation actuelle du Tchad et sur son évolution, dans la mesure où ce pays est aujourd'hui producteur de pétrole et où la diplomatie américaine est engagée dans cette crise et dans la région ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le sénateur, vous avez rappelé le contexte troublé dans lequel a vécu le Tchad ces derniers mois. Il apparaît clairement que les événements du mois d'avril sont directement liés à la crise du Darfour, celle-ci se conjuguant avec des tensions politiques internes au Tchad.

Vous le savez, la France, comme la communauté internationale, a condamné la tentative de prise de pouvoir par la force. Dans cet environnement difficile, s'est déroulé hier, et sans incident, le scrutin présidentiel.

Je rappelle que plusieurs dizaines d'observateurs africains ont participé à la surveillance de ce scrutin, dont les résultats seront proclamés dans dix jours. Mais l'essentiel est à venir. Un dialogue politique, que le président Idriss Déby a lui-même annoncé à l'issue de la consultation électorale, doit s'ouvrir entre tous les Tchadiens, dialogue que nous appelons de nos voeux.

Nous pensons en effet qu'il est l'une des conditions de la réussite du développement de ce pays, qui passe notamment par la mise en valeur du pétrole. À cet égard, nous nous réjouissons qu'un accord ait enfin pu être conclu avec la Banque mondiale.

La politique de la France au Tchad est fondée sur trois exigences.

La première est de contribuer à la stabilité de ce pays, qui conditionne celle de toute la région, notamment le Soudan. Les États-Unis partagent cette préoccupation.

Notre deuxième exigence est d'appliquer l'accord de coopération militaire que nous avons conclu avec le Tchad depuis 1986. C'est ce que nous avons fait lors de la tentative de coup d'État en apportant au Tchad une assistance logistique et une aide en matière de renseignements.

Enfin, notre troisième exigence est d'assurer la sécurité des ressortissants de la communauté française. Tel est notre devoir, au Tchad comme partout dans le monde où se trouvent nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

sorties illicites d'enfants du territoire national

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux, mais, en son absence, je serai très heureuse d'avoir une réponse de Mme la ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Une jeune Française, mère de trois enfants et enceinte d'un quatrième, est emprisonnée au Canada. Son crime : être rentrée en France avec ses enfants, en infraction à la convention de La Haye de 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants.

On dénombre des centaines de cas similaires. Je citerai celui de Marie-Françoise, qui, depuis plus de un an, est sans la moindre nouvelle de sa petite fille de quatre ans renvoyée aux États-Unis. Elle ignorait l'existence de cette convention. Au chômage, endettée, elle n'a pas les moyens d'entamer une action en justice auprès des cours américaines pour tenter d'obtenir l'application de cette convention et le droit élémentaire de pouvoir au minimum parler ou apercevoir sa fillette.

Un père français s'est fait retirer cet été ses trois enfants par la police allemande, en violation du droit, sans mandat d'arrêt ni commission rogatoire, sans saisine des autorités centrales, sur simple demande d'un juge allemand saisi par l'un de ses confrères américains à qui la mère avait faussement déclaré que le père avait enlevé les enfants.

Un autre père, Olivier, n'a pas revu son fils depuis sept ans, à la suite d'un jugement unilatéral allemand dont il n'avait pas été informé et qui avait été rendu en contradiction avec cette même convention.

Ces quelques exemples prouvent que, malgré la convention de La Haye, malgré l'entrée en vigueur récente du règlement « Bruxelles II bis », des failles, des dérives intolérables et des dysfonctionnements subsistent, et ce souvent à cause d'une application aveugle du texte.

L'association SOS Enlèvements internationaux d'enfants a répertorié 1 500 de ces cas, en tenant compte des pays hors convention de La Haye. Des enfants sont ramenés illégalement et retenus, en dépit de décisions de justice et de conventions bilatérales.

Si nous nous ne prenons pas rapidement des mesures préventives, le nombre de ces affaires va encore s'accroître. Je rappelle que, aujourd'hui, un Français sur trois se marie avec un étranger ou une étrangère. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Que fait l'État français dans de tels cas pour protéger ses ressortissants et prévenir d'autres drames de ce type ? Ne pourrait-on, par exemple, octroyer dès le début du conflit une aide juridictionnelle aux parents français qui n'ont pas les moyens de défendre leurs droits élémentaires face à des cours étrangères ? Dans l'intérêt des enfants, la convention de La Haye doit impérativement être amendée.

Où en sommes-nous et quelle est la position française à ce sujet ? Enfin, ne serait-il pas utile que la commission parlementaire franco-allemande, qui, avec l'aide des élus de l'Assemblée des Français de l'étranger, avait résolu de nombreux cas, suscité la création d'un site Internet et réfléchi à cette indispensable réforme, soit non seulement maintenue mais élargie à d'autres pays ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie. Madame la sénatrice, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Pascal Clément, qui est retenu à l'étranger. Je m'efforcerai de répondre du mieux possible au problème douloureux que vous évoquez.

En 2005, nous avons recensé 302 déplacements illicites d'enfants, qui posent les problèmes que vous avez signalés.

Vous l'avez rappelé, la France applique la convention de La Haye depuis le 1er décembre 1983. Cette convention institue une coopération afin d'assurer le retour d'un enfant illicitement déplacé ou retenu à l'étranger vers son lieu de sa résidence. Cette convention permet aux autorités de chaque État signataire de coordonner leurs actions afin de localiser l'enfant et, à défaut de règlement amiable, de saisir une juridiction.

La France a accepté, le 2 janvier 2006, l'adhésion de dix nouveaux États à cette convention. Les adhérents sont donc aujourd'hui au nombre de soixante et un.

Vous avez également souligné, madame la sénatrice, l'accord intervenu entre les États membres de l'Union européenne, qui permet un mécanisme simplifié de reconnaissance et d'exécution.

Mais, en cette matière évidemment très sensible, plusieurs pistes sont à l'étude pour améliorer la situation.

Bien sûr, nos représentations diplomatiques et consulaires sont chaque fois fortement mobilisées et apportent leur appui aux ressortissants nationaux confrontés à de tels problèmes.

Nous avons également mis en place une mesure de médiation, qui permet de rechercher une issue négociée à un conflit familial transfrontalier aigu, en vue d'obtenir un accord sur les conditions d'exercice de l'autorité parentale.

Par ailleurs, le ministère de la justice a créé la Mission d'aide à la médiation internationale pour les familles, qui traite plusieurs dizaines de dossiers par an.

Madame la sénatrice, le Gouvernement est déterminé à tout mettre en oeuvre pour parvenir à un règlement apaisé de ces situations, qui sont évidemment humainement très difficiles. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

violences urbaines

M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Ma question s'adresse à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.

Monsieur le ministre, le week-end dernier, dans une commune voisine de la ville de Nevers, que j'ai l'honneur d'administrer, plusieurs de mes concitoyens ont été refoulés à l'entrée d'une discothèque, pour d'évidentes raisons discriminatoires. Ils ont été pris pour cibles par les vigiles de l'établissement et ont été, on peut le dire ainsi, « tirés comme des lapins ». Les maisons environnantes portent encore aujourd'hui les impacts des projectiles utilisés.

Malheureusement, l'un des quatre blessés, atteint à la tête, est aujourd'hui dans un état désespéré, entre la vie et la mort, au centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand.

L'émotion légitime qu'a suscité cet engrenage a, hélas ! servi de prétexte à des émeutes urbaines, dont les excès sont condamnables et qu'il a été difficile de contenir. Le calme est à ce jour revenu, grâce à l'effort, à la réflexion et au dialogue engagés entre tous - tous pouvoirs publics confondus -, mais également grâce aux familles du quartier, qui sont dans le chagrin, aux travailleurs sociaux, aux animateurs et, enfin, à la mise en place d'une originale veille citoyenne qui, jusqu'à maintenant, a porté ses fruits.

À Évry, au cours de ce même week-end, un adolescent est mort, victime d'un affrontement entre jeunes.

Ces événements graves mettent en lumière deux problématiques. Nos concitoyens attendent des réponses précises et concrètes de la part du Gouvernement.

En premier lieu, la législation concernant le port d'armes apparaît inadaptée. La détention d'armes doit absolument être interdite dans les boîtes de nuit et les personnes chargées d'en assurer la sécurité doivent faire l'objet de contrôles réguliers et disposer d'une qualification reconnue.

En second lieu, chacun a conscience que notre société est bien malade : malade des inégalités sociales criantes et accrues qui la déchirent chaque jour un peu plus, malade des discriminations et de la haine qui conduisent à des agissements insupportables dans une démocratie digne de ce nom.

Monsieur le ministre, vous êtes au Gouvernement depuis quatre ans et vous prétendez remédier à cette situation par des mesures toujours plus sécuritaires, à l'efficacité douteuse ; chaque jour, face à l'évidence, nos concitoyens sont conduits à mettre en doute les chiffres que vous annoncez.

En réalité, c'est de plus d'équité et de fraternité que notre pays a besoin aujourd'hui. Votre politique ne prend pas ce chemin-là.

M. le président. Veuillez poser votre question, monsieur Boulaud.

M. Didier Boulaud. Au-delà des effets d'annonce, quelles mesures concrètes le Gouvernement compte-t-il prendre pour éviter que, à l'avenir, de tels événements tragiques ne se reproduisent ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Monsieur Boulaud, vous avez été écouté sans avoir été interrompu. Veuillez en tirer un enseignement pour la suite ! (Sourires.)

La parole est à M. le ministre délégué.

Mme Hélène Luc. La doublure !

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. S'agissant des comportements discriminatoires, monsieur le sénateur, je ne peux que partager votre sentiment. D'ailleurs, Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher ont apporté des réponses tout à fait précises à ce problème dans la loi pour l'égalité des chances.

Pour le reste, en matière de lutte contre l'insécurité, nous n'avons aucune leçon à recevoir !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. L'insécurité dans notre pays a augmenté de 14 % entre 1997 et 2002.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Depuis, elle a reculé de 8,9 % (Applaudissements sur les travées de l'UMP -Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC), comme en atteste l'état 4001, le baromètre en la matière. J'ajoute que cet état est toujours le même, que nous ne l'avons pas modifié.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Arrêtez vos litanies !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. S'agissant de la délinquance des mineurs, nous voulons des politiques justes et équilibrées entre prévention et intégration.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n'y a aucune prévention, il n'y a que de la répression. Ce n'est pas équilibré !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je fais cette déclaration alors que le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, est à Évry, où un drame - je l'ai indiqué tout à l'heure - s'est produit...

M. Didier Boulaud. Et les armes à feu ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué. ... dans la nuit du 30 avril au 1er mai. Un adolescent de seize ans a perdu la vie.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La prison à l'âge de dix ans, voilà ce que vous proposez !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Malheureusement, le meurtrier présumé est un autre adolescent de seize ans. Ce sont donc deux vies qui sont brisées. Tel est l'enseignement qu'il nous faut tirer de ce drame.

Nous devons donc, sans la moindre défaillance et avec la plus grande fermeté, apporter des réponses adaptées. C'est la raison pour laquelle Nicolas Sarkozy vous soumettra prochainement un projet de loi sur la prévention de la délinquance des mineurs.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est honteux ! Pourquoi pas la prison dès l'âge de trois mois ?

M. Didier Boulaud. Et les armes à feu ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Ce projet de loi devra être lié à une réforme de la politique de la ville. Il n'est plus acceptable de considérer, comme en 1945, qu'un voyou de seize ans ne doit pas être traité de la même manière qu'un voyou de trente ans. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Quand on se comporte comme un barbare, on est un barbare ! Il faudra donc avoir le courage de modifier l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. (Protestations sur les mêmes travées) et d'aborder la question de la responsabilité parentale.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Didier Boulaud. Et les armes à feu ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Il conviendra également de responsabiliser les maires, en relation avec les caisses d'allocation familiales et les inspections d'académie.

Avec Lionel Jospin, vous aviez reconnu que vous aviez été naïfs en matière de sécurité ; nous n'avons pas du tout l'intention, en ce qui nous concerne, de l'être à notre tour ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Hélène Luc. Vous n'avez pas répondu sur les armes à feu !

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.

4

Souhaits de bienvenue à une délégation de la République du Kazakhstan.

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir et l'honneur de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d'une délégation de la République du Kazakhstan.

Cette délégation, conduite par M. Nurtay Abykayev, président du Sénat du Kazakhstan, et composée de présidents de commissions et du ministre du travail et de la cohésion sociale, participe au colloque « Kazakhstan : partenaire aujourd'hui, géant demain », organisé au Palais du Luxembourg par le Sénat et UBIFRANCE.

Je forme des voeux pour que cette visite contribue au développement d'un partenariat pleinement bénéfique à nos deux pays et au renforcement de nos relations.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-sept heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à dix-sept heures trente, sous la présidence de M. Guy Fischer.)

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information
Discussion générale (suite)

Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information

Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information
Question préalable

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 22 mars dernier, la Commission européenne a officiellement autorisé jusqu'en 2011 les mécanismes français de soutien au cinéma et à l'audiovisuel, estimant qu'ils « encouragent le développement culturel sans affecter les échanges entre États membres dans une mesure contraire à l'intérêt commun. »

Cette décision est d'autant plus importante pour le cinéma français que l'efficacité de son système propre d'aide au financement de la production, de la distribution, et de l'exploitation n'est plus à démontrer.

En 2005, avec pas moins de deux cent quarante films produits et agréés, contre deux cent trois l'année précédente, la production française a ainsi enregistré un nouveau record alors qu'avec près de cinq mille trois cents écrans répartis de manière harmonieuse sur l'ensemble du territoire, la France peut s'enorgueillir du premier parc européen de salles cinématographiques et du quatrième au monde.

L'une des caractéristiques essentielles de la spécificité du financement du cinéma français repose sur la chronologie des médias et sur le transfert, tout au long de cette chronologie, des droits d'exploitation de l'oeuvre. À tous les stades, le succès de l'exploitation génère une taxe parafiscale sur le chiffre d'affaires réalisé d'abord dans les salles de cinéma, puis en vidéo, puis sur la télévision payante et, enfin, sur la télévision gratuite. Cette exploitation séquentielle des films permet ainsi à l'ensemble des intervenants de participer au financement des oeuvres par un mécanisme de redistribution automatique et sélective assuré par le Centre national de la cinématographie, le CNC.

La révolution numérique que connaissent aujourd'hui les industries cinématographiques et audiovisuelles est-elle une menace pour leur pérennité et leur développement ?

Il me semble important de rappeler que si le cinéma est certes une industrie productrice de valeurs économiques, il est avant tout un art, le septième, vecteur de sens et d'émotions.

Dans cette perspective, la numérisation des oeuvres combinée au développement de l'internet est une véritable chance pour la transmission et la diffusion de ces émotions et, d'une manière générale, pour la démocratisation de l'accès à toutes les cultures cinématographiques et audiovisuelles.

Formidable progrès pour le partage des connaissances et des savoirs, l'ère numérique n'est cependant pas exempte de dangers pour la diversité de l'offre culturelle.

Sur le plan juridique, le droit d'auteur, dans ses composantes essentielles - exclusivité et proportionnalité - est précisément le garant de cette diversité, en ce qu'il permet d'assurer à l'auteur un retour sur les investissements qui auront été engagés pour la production et la diffusion de son oeuvre.

Dans ces conditions, le développement par le biais de l'internet des échanges non autorisés d'oeuvres protégées par le droit d'auteur et le risque de tarissement parallèle d'une offre culturelle diversifiée sont un défi pour le législateur que nous sommes.

Concernant le cinéma, l'étude conduite en 2005 par le CNC et l'Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle, l'ALPA, sur l'offre « pirate » de films sur Internet démontre que le développement du phénomène de téléchargement illégal est grandissant. Il ressort ainsi des chiffres fournis par le CNC que plus de 92 % des films téléchargés sans autorisation et déjà sortis en salle sont disponibles sur les réseaux peer to peer avant leur sortie en DVD. Plus d'un tiers des films piratés sont par ailleurs disponibles avant leur sortie en salle. S'il est vrai que les films français ne sont pratiquement pas touchés par ce phénomène, 53 % des films américains sont concernés.

Le développement, par le biais des technologies peer to peer, des échanges non autorisés de films sur Internet est donc massif. Personne ne le conteste.

Dans ces conditions, comment concilier la liberté d'accès de tous à la culture avec le respect des règles de la propriété intellectuelle, garantes de la diversité culturelle, tout en favorisant l'émergence de modèles économiques viables pour les partenaires de la création ?

L'idée d'une licence globale - et donc d'une exception au droit d'auteur - fondée sur une gestion collective obligatoire par le biais d'une rémunération forfaitaire des ayants droit, en raison de son caractère radical et définitif pour la création, n'était pas satisfaisante.

D'abord, sur le plan juridique, la mise à disposition d'oeuvres musicales ou cinématographiques sans autorisation du titulaire des droits était contraire à l'article 3 de la directive, qui impose aux États membres de prévoir, pour les auteurs, le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire toute communication au public de leurs oeuvres.

Ensuite, cette rémunération forfaitaire ne figurait pas sur la liste exhaustive des exceptions au droit exclusif des auteurs pouvant être prévues par les États membres et encadrées par le 3 de l'article 5 de la directive.

Enfin, le régime de la licence globale ne remplissait pas avec succès le test dit « des trois étapes », qui doit être effectué pour toute nouvelle exception au droit d'auteur et que la directive du 22 mai 2001 nous impose d'intégrer dans le code de la propriété intellectuelle.

Sur le plan économique, la rémunération forfaitaire prévue par le système de la licence globale n'était pas non plus adaptée, dans la mesure où tout porte à croire qu'elle se serait substituée non seulement aux revenus générés par l'offre légale matérielle, mais également - et surtout - au développement de l'offre légale en ligne.

Or, que ce soit dans le domaine de la musique ou dans celui du film, l'offre légale sur Internet est en pleine expansion.

Concernant le film et l'audiovisuel, cette montée en puissance se traduit notamment par le développement de la vidéo à la demande. Entre 2000 et 2005, d'après une étude publiée le 5 avril dernier par le CNC, l'offre de vidéo à la demande a en effet été multipliée par dix en Europe. Plus de deux mille films sont désormais disponibles par ce biais. Si la Grande-Bretagne a longtemps été en pointe sur ce marché, les résultats de l'étude montrent que la France a désormais largement rattrapé son retard avec une offre de plus de sept cents films.

Avec plus de quarante services de vidéo à la demande lancés en 2005 dans toute l'Europe, les perspectives d'évolution de ce marché sont donc très importantes. La plupart des groupes audiovisuels français, en s'engageant les uns après les autres sur ce marché, l'ont si bien compris que l'étude commandée par le CNC souligne que la vidéo à la demande pourrait entraîner des « transformations majeures dans le mode d'accès aux programmes et modifier l'économie du secteur, notamment le financement de la production. »

En France, l'accord interprofessionnel sur la vidéo à la demande, signé le 20 décembre 2005 entre l'ensemble des représentants de la filière cinématographique de l'audiovisuel et des fournisseurs d'accès à Internet, a permis de résoudre cette question du financement et de l'intégration des services de vidéo à la demande dans la chronologie des médias. Conclu pour une durée de douze mois, cet accord a en effet permis de fixer la place de la vidéo à la demande dans une fenêtre de huit mois et demi après la sortie des films en salle, soit entre la sortie en DVD, fixée à six mois, et l'apparition du film sur les chaînes payantes, fixée à douze mois.

Cette intégration dans la chronologie des médias est fondamentale car elle détermine les conditions de participation des opérateurs au financement du cinéma et de l'audiovisuel. Ainsi, l'accord prévoit qu'ils contribueront au développement de la production des oeuvres cinématographiques européennes et d'expression originale française en fonction du chiffre d'affaires réalisé par l'opérateur de la plateforme de vidéo à la demande, cette part pouvant aller jusqu'à 10 %.

Au-delà de l'intégration de la vidéo à la demande dans la chronologie des médias, cet accord garantit pour les ayants droit une rémunération proportionnelle au prix payé par le public, laquelle, en toute hypothèse, ne pourra être inférieure à 50 % du prix de location ou de vente pour une nouveauté, et à 30 % pour un film de catalogue.

Les professionnels du cinéma et les fournisseurs d'accès à Internet ont par ailleurs proposé une réponse graduée, c'est-à-dire un système échelonné de sanctions au droit de la propriété intellectuelle.

Vous nous avez affirmé lors de votre audition devant la commission des affaires culturelles, monsieur le ministre, que le système de contraventions pénales que vous proposez serait protecteur des libertés individuelles en ce qu'il reposerait sur un contrôle des oeuvres et non des internautes, qui seront confondus par le biais de l'adresse IP de leur ordinateur.

Je souhaite, monsieur le ministre, que nos débats nous apportent toutes les réponses qui s'imposent.

Quand on estime à plus de deux millions et demi le nombre de personnes qui, en France, téléchargent des oeuvres de manière illicite, l'enjeu est de taille. De plus, l'efficacité du système que vous mettrez en place conditionnera également la réussite du développement des offres légales de musique et de films.

Nous savons qu'un internaute qui télécharge illégalement une musique ou un film n'est pas un pirate. Mais, pour leur propre intérêt, il faut que les internautes soient responsabilisés sur la défense du droit d'auteur et que les pirates soient lourdement châtiés.

Concernant la vidéo à la demande, les oeuvres récentes représentent encore moins de 5 % de l'offre, car les industries du cinéma et de l'audiovisuel sont en attente de l'adoption définitive de ce projet de loi avant de déterminer si elles prendront ou non le risque d'ouvrir leurs catalogues aux opérateurs, en fonction du niveau de protection qui sera assuré aux contenus.

Par ailleurs, des systèmes commerciaux d'échanges d'oeuvres sont en cours de développement et permettront demain de rémunérer les auteurs et les ayants droit proportionnellement au téléchargement réel de leurs oeuvres, notamment par la mise en place de technologies de reconnaissance des oeuvres circulant sur la toile.

Ce texte permettra t-il d'inciter les internautes à passer d'une offre en ligne illicite à de tels dispositifs régulés permettant une juste rémunération des ayants droit de la création ?

Bien entendu, nous le souhaitons, tant nous sommes convaincus que la révolution numérique est une chance et non une menace pour la culture.

Le succès phénoménal rencontré le 27 avril dernier par l'Institut national de l'audiovisuel, l'INA, pour le lancement de l'offre « Archives pour tous » en est la preuve flagrante. En seulement quelques heures, près de six millions d'internautes se sont connectés sur son site pour accéder aux dix mille heures de programmes mises en ligne. Pour 20 % des documents protégés par le droit d'auteur, l'institut a su s'adapter en en proposant l'accès payant par le biais de la vidéo à la demande.

Près de la moitié des sommes collectées seront ainsi reversées aux ayants droit, tandis qu'un tiers d'entre elles seront réinvesties pour alimenter le site.

La mise en ligne des archives des journaux télévisés a suscité une protestation de la part des journalistes de France 3, qui estiment que leur droit d'auteur n'a pas été respecté. Mais la recherche d'une solution est en cours et une prochaine réunion entre les représentants des journalistes de France Télévisions et l'INA devrait permettre de parvenir à un accord dans le cadre de la convention collective de l'audiovisuel public.

De plus, l'exemple de l'INA nous montre combien il est indispensable d'organiser - comme pour les bibliothèques et les médiathèques gérées par les collectivités territoriales - un espace public de la culture numérique qui soit capable de combler les carences de l'initiative privée.

Dans cette perspective, l'amendement introduit à l'unanimité de nos collègues de l'Assemblée nationale concernant les modalités de mise en place d'une plateforme publique de téléchargement est une piste qu'il conviendra d'explorer. Encore faudra-t-il que ce dispositif permette une juste rémunération des ayants droit.

Quelle sera la structure publique pertinente pour organiser cette diffusion ? Quels en seront les modes de financement ? Nous ne le savons pas encore, mais peut-être l'INA pourrait-il participer à la construction de cet espace public numérique.

Nous ne pouvons que regretter les inconséquences et le manque de préparation dont vous avez fait preuve, monsieur le ministre, pour proposer ce texte au Parlement.

Alors que vous aviez la possibilité de rassembler le monde de la création autour d'un enjeu politique majeur - le financement de la création à l'heure du numérique -, ce texte, parce que trop tardif et mal préparé, a au contraire exacerbé les divergences d'intérêts des partenaires de la création et des internautes sur l'indispensable compatibilité des mesures techniques de protection avec tous les supports de lecture, le renforcement des garanties pour la copie privée dans la mise en oeuvre de ces procédés et la défense des logiciels libres.

Ceux-ci constituent un formidable outil pour la diffusion et le partage des connaissances. Encore faut-il que leur finalité ne se heurte pas aux principes de la propriété littéraire et artistique.

M. le rapporteur, en réécrivant intégralement l'article 14 quater, offre d'ailleurs des possibilités intéressantes par la création du registre public des oeuvres protégées et diffusées sous forme numérique.

Qui peut sérieusement nous dire de quoi l'internet de demain sera fait ? Qui peut savoir si les solutions proposées par les uns et les autres pour adapter le droit d'auteur et les droits voisins à la réalité numérique, si mouvante et évolutive, seront pertinentes pour encadrer les pratiques d'alors ?

Je souhaite que la méthode adoptée par le Sénat sous l'impulsion de M. Valade, visant à consulter le plus largement possible et à ne pas travailler dans l'urgence, contrairement à ce que vous avez fait, soit dorénavant retenue par votre ministère. Le financement public de la création à l'heure du numérique est un enjeu politique majeur, qui ne peut se conjuguer avec la précipitation et l'improvisation.

Pour conclure, sachez, monsieur le ministre, que nous approuverons toutes les dispositions proposées, en particulier celles de notre excellent rapporteur, qui consolideront le droit d'auteur, source de la création et de la diversité culturelles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été dit, le débat d'aujourd'hui est d'abord celui de la transposition de la directive du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins et de la directive du 27 septembre 2001 sur le droit de suite.

Sur ce point, permettez-moi deux observations.

Premièrement, je le redis, notre pays est constamment en retard en matière d'adaptation de sa législation au droit communautaire. La France est le mauvais élève de l'Union, et cette fâcheuse habitude ternit notre image au niveau européen. Nous sommes ensuite contraints de légiférer dans l'urgence et amenés à transposer des textes qui ont été déjà été transcrits par nos partenaires en 2002 ou 2003.

Deuxièmement, comme l'indique le titre de la directive de mai 2001, il s'agit d'harmoniser « certains aspects » du droit d'auteur. C'est dire si notre ambition et celle de la commission sont modestes.

Le droit d'auteur en Europe prend racine dans des traditions tellement contrastées et différentes qu'il ne saurait être question de les harmoniser - au sens communautaire classique, c'est-à-dire de les réunir et d'en faire une synthèse -sans provoquer des bouleversements considérables dont on pourrait craindre qu'ils ne marquent une mise en cause de la tradition et de la spécificité françaises.

Mais, en même temps, il est essentiel d'intégrer le phénomène Internet dans notre droit, comme l'ont fait nos grands anciens pour l'imprimerie, la radio puis la télévision.

J'ajoute que nous allons traiter non pas seulement de la transcription de ces deux directives, mais aussi de nombreux autres sujets, qui, s'ils ne sont pas « disparates », sont en tous cas de nature très différente et dont il est impossible de dégager un fil conducteur : le droit d'auteur pour les agents publics, le dépôt légal de l'Internet, les modalités d'administration des sociétés de gestion collective, le droit de suite.

Ce projet de loi est vraiment une auberge espagnole, et vous auriez sans doute été mieux inspiré en vous cantonnant à son objet même, c'est-à-dire à la transcription des directives.

Je souhaite avant tout rappeler que la défense des droits des auteurs doit être au sommet de nos préoccupations. Ayons constamment à l'esprit que le droit d'auteur constitue presque toujours l'unique revenu des auteurs. À la différence des « vedettes », la plupart d'entre eux vivent dans une extrême précarité ! À l'instar de Jack Lang, j'estime que le respect du droit d'auteur est « un impératif catégorique » qui est au fondement même de notre exception culturelle.

Une comparaison rapide avec la loi de 1985, dite « loi Lang », qui avait su innover en mettant à profit la concertation pour instaurer, par exemple, la redevance pour copie privée ou la licence légale, me conduit directement à critiquer l'économie générale du projet de loi qui nous est proposé.

À mon sens, une transposition stricto sensu de la directive eût été préférable. En cherchant à tout faire en même temps, en voulant répondre à une obligation communautaire et accompagner une transition culturelle, vous avez élaboré un texte « fourre-tout », trop technique, qui, de surcroît, a été examiné dans de mauvaises conditions à l'Assemblée nationale.

L'élaboration de ce projet, qui ne répond ni aux exigences des auteurs ni aux demandes des internautes, est symptomatique d'une action brouillonne. Afin de panser les plaies, ce projet de loi doit donc être « épuré », car certains articles sont, en l'état, confus, ambigus, voire dangereux pour la défense même du droit d'auteur.

Face à l'influence de plus en plus forte du copyright dans l'ère de la mondialisation des échanges culturels, nous devons continuer à donner la primauté aux auteurs. Ainsi, nous garantirons l'avenir de la création dans notre pays. À la différence du système anglo-saxon, le droit d'auteur doit demeurer un droit moral interdisant toute dénaturation d'une oeuvre contre la volonté de son auteur. Mais, en même temps, celui-ci doit rester libre de mettre ses oeuvres gratuitement à la disposition du public.

De ce point de vue, l'évolution du droit d'auteur en France est le corollaire de l'exception culturelle, pour le respect de laquelle notre pays a beaucoup oeuvré avant qu'elle soit acceptée et respectée. Tout le monde le reconnaît, elle lui a permis de conserver une capacité de création spécifique, rare dans le monde, rare en Europe. Nos artistes, nos compositeurs, nos interprètes, nos metteurs en scène, dans les domaines qui sont les leurs, ont pu rester eux-mêmes et continuer à faire vivre notre grande et belle culture.

Le droit d'auteur est aussi un droit patrimonial, en vertu de l'article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle. Par conséquent, à chaque représentation ou reproduction d'une oeuvre doit correspondre une rémunération juste et équitable. La culture ayant un coût et la copie privée n'étant en aucun cas un droit, les exceptions au droit d'auteur doivent être limitées et encadrées. Nous y reviendrons au cours de la discussion de ce texte.

Monsieur le ministre, le droit d'auteur à la française ne doit pas être, selon l'expression de Roger Chartier, historien du livre, « une parenthèse de l'histoire ». La multiplication des échanges culturels par le biais d'Internet ne doit pas conduire à la disparition du droit d'auteur au profit du copyright.

Afin de préserver notre philosophie de la propriété intellectuelle, des efforts en termes de pédagogie sont nécessaires pour accompagner les changements nécessaires, et parfois douloureux.

Aujourd'hui, faute d'avoir encadré juridiquement certaines offres culturelles sur Internet, toute une génération baigne dans la culture de la gratuité. Or l'accès aux oeuvres ayant un coût, il faut inverser la donne et instaurer de nouveaux modèles économiques, publics et privés, garantissant la protection et la défense des droits des créateurs, mais aussi un accès rapide, de masse et à coût réduit pour les internautes.

Étant donné le rythme rapide de l'innovation technologique à l'ère numérique, il va de soi que ces modèles devront être continuellement « actualisés ».

Tout d'abord, je suis convaincu qu'il faut développer les offres légales accessibles à tous en incitant le marché à proposer des offres diversifiées et bon marché.

Ensuite, il faut reprendre l'idée d'une plate-forme publique gratuite fondée sur le principe de la diversité culturelle. La France a initié le débat qui a conduit l'UNESCO à adopter la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Montrons aussi la voie dans le domaine numérique.

À cet égard, si je tiens à rendre hommage à la commission des affaires culturelles pour la qualité de son rapport, qui est un grand monument de la pensée dans le domaine du droit d'auteur (Sourires), permettez-moi de contester sa volonté de supprimer la disposition visant la création d'une telle plate-forme. Les critiques de votre commission ne tiennent pas. Un rapport spécifique devra, à l'avenir, étudier toutes ces pistes permettant le financement d'un espace public du numérique.

Enfin, pour permettre la lecture des copies privées téléchargées sur ces plates-formes, il faut garantir le principe de l'interopérabilité, qui est le seul acquis positif de ce texte.

Or, monsieur le rapporteur, la commission des affaires culturelles semble vouloir sanctionner les personnes qui contourneraient les mesures techniques de protection en rendant leurs appareils de lecture interopérables avec le système auquel elles n'ont pas accès.

Outre qu'elle serait inopérante, cette mesure répressive ne constitue pas une protection juridique appropriée contre le contournement de toute mesure technique efficace. Elle ne répond pas correctement à la question du « craquage » des modes techniques de protection.

De notre point de vue, il faut pénaliser non pas les internautes, mais les professionnels qui font obstacle à l'interopérabilité. Pour ce faire, les internautes, au lieu de pratiquer ce « craquage » - il ne faut en aucun cas le légaliser -devraient pouvoir ester en justice afin de demander réparation du préjudice.

Telles sont, monsieur le président, les observations générales que je voulais formuler en introduction à un débat qui, je l'espère, sera riche et nous permettra d'intervenir en profondeur sur ce texte important. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je retiens tout d'abord du débat de ce matin et de cet après-midi un accord d'ensemble sur les principes fondamentaux qui représentent les objectifs de ce texte.

Le premier d'entre eux est le respect du droit d'auteur, droit fondamental et intangible. Le second est l'accès de tous aux oeuvres et à la culture.

L'enjeu central de ce texte est bien de construire, sur le fondement de ces deux principes, de nouveaux modèles d'offre culturelle en ligne pour répondre aux attentes de chacun.

Monsieur le rapporteur, vous êtes un monument, (Sourires)...

M. Philippe Nogrix. C'est le rapport qui en est un !

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. ...et puisque vous affectionnez particulièrement les métaphores maritimes, je dirai même que vous êtes un phare ! (Nouveaux sourires.) Peu de phares sont classés monuments historiques. C'est dire si votre vitalité doit être respectée !

Je suis convaincu, à l'issue de cette discussion générale, que le texte arrive maintenant à bon port.

Le sujet est difficile. Ce sont de nouveaux territoires qu'il nous faut défricher, explorer, inventer. Si nous sommes francs, les uns par rapport aux autres, nous reconnaîtrons qu'il a fallu faire preuve de courage pour expliquer à l'ensemble de nos concitoyens qu'il convenait de passer de la gratuité à une démarche de responsabilité.

Ce n'est pas si facile : on peut parfois considérer que les oeuvres de l'esprit, l'immatériel absolu, n'ont aucune contingence. On peut parfois oublier la dimension économique de la culture. Traiter de ces questions, ce n'est pas porter atteinte à la liberté et à la création ; c'est au contraire donner la possibilité d'un véritable essor.

Monsieur le rapporteur, vous avez raison, il s'agit d'une tâche difficile, mais passionnante, et le travail remarquable que vous avez accompli avec M. Valade et les membres de la commission des affaires culturelles nous permet de relever ce défi. Vous avez parfaitement analysé les enjeux de ce projet de loi. Je suis heureux que nous ayons réussi, au terme d'une démarche constructive, à élaborer un nouveau dispositif mieux centré sur les éditeurs de logiciels.

L'avènement de l'ère numérique non seulement bouleverse l'économie de la création et l'offre culturelle, mais invite aussi à une réflexion globale, car les technologies n'ont pas de frontière et l'art est universel.

Madame Morin-Desailly, je partage votre préoccupation de ne pas imposer un modèle économique unique. C'est précisément la raison pour laquelle le texte offre aujourd'hui un cadre indispensable pour que le plus grand nombre de nouveaux modèles économiques puissent apparaître et se développer.

Vous estimez que ce texte intervient ou trop tôt ou trop tard. C'est la dialectique du courage, et nous ne sommes pas très nombreux, sur ces questions, à tenter d'appliquer la pédagogie nécessaire pour en faire comprendre les enjeux.

Au moment où nous abordons ce débat, nous faisons figure de précurseurs à certains égards ; en revanche, nous sommes l'avant-dernier pays de l'Union européenne à transposer la directive européenne.

Il est nécessaire et urgent que ce projet de loi soit adopté par le Parlement. Il est à la hauteur des défis actuels, grâce au travail effectué par la commission. Il y a toujours de bonnes raisons de ne rien faire. Pour ma part, j'ai choisi d'agir.

Vous vous interrogez sur le dispositif de sanction. Les sanctions concernant le téléchargement illégal, accompagné ou non d'une mise à disposition, ont été conçues pour être adaptées et elles seront effectives. Parce qu'elles seront appliquées, elles seront proportionnées et responsabiliseront les internautes.

Vous regrettez le courriel d'avertissement de la réponse graduée : c'est précisément pour éviter ce que François Bayrou, proche de vous, a appelé une « police de l'Internet », que certains ont assimilé à une milice privée, et pour protéger la vie privée des internautes que le choix a été fait par l'Assemblée nationale d'adresser des messages de prévention généraux.

Dans mon esprit, la version initiale de la réponse graduée était le mail individualisé correspondant au constat d'une infraction. Cette idée étant source de polémiques, comme je l'ai bien senti, le dispositif a été modifié.

En revanche, il est essentiel, et c'est une exigence permanente, d'expliquer à nos jeunes concitoyens les valeurs qui sous-tendent le respect du droit d'auteur et des créateurs. Il importe de mener ces actions de sensibilisation dès l'école, et nous nous y employons.

Par ailleurs, si le présent texte est voté par le Parlement, les fournisseurs d'accès à Internet auront l'obligation d'envoyer un certain nombre de messages d'information à tous les abonnés.

Contrairement à ce que vous laissez entendre, le texte n'entrave pas le développement du logiciel libre ; nous aurons l'occasion de débattre de ce point. Je suis, tout comme vous, soucieux de la créativité et de l'activité économique que ce secteur représente. L'intelligence n'est pas uniquement artistique ; elle peut être également scientifique. Le monde du logiciel libre est une fierté pour notre pays et une grande capacité que nous devons savoir protéger.

Monsieur Assouline, vous aimez la politique ; moi aussi, mais l'heure n'est pas aux débats, qui sont l'honneur d'une démocratie. Si vous n'aimiez pas tant la politique et les affrontements qui rythment la démocratie, à savoir que je suis un ministre du Gouvernement et que vous êtes aujourd'hui dans l'opposition, vous auriez davantage exprimé nos points d'accord, car ils existent, comme j'ai pu le constater en vous écoutant.

Mais au cours de votre intervention, très dense, vous ne l'avez pas fait et vous vous êtes même livré, je le reconnais, à un art, celui de la caricature. J'ai reçu récemment au ministère les créateurs dans ce domaine, pour leur donner un coup de chapeau ; j'aurais dû vous inviter à cette occasion ! (Sourires.)

En effet, sous certains aspects, vous avez quelque peu transposé non pas la directive, mais la réalité du travail que j'essaie d'entreprendre sur cet enjeu difficile.

Cette directive aurait pu être transposée dès 2001 par le Gouvernement, qui a mis pas moins de quatre ans à la négocier, et ce d'autant plus si vous souhaitiez une simple transposition. Il a fallu, depuis, effectuer un travail considérable pour aboutir, dans la concertation, à un texte qui soit en phase avec l'évolution des pratiques et des techniques.

Si je vous ai bien compris, votre seule proposition aurait été ... d'attendre. Mais l'attentisme nous faisait et nous fait courir d'énormes risques. En effet, la technologie galope et permet des évolutions considérables. Il est donc essentiel de donner aux créateurs français, comme à leurs homologues européens, tous les moyens pour les inciter à basculer leurs catalogues et faire en sorte qu'une offre nouvelle puisse véritablement se développer, grâce à des principes de sécurité juridique.

L'attentisme aurait été l'érosion de la création, le désert culturel évoqué par Catherine Tasca. Vous comprendrez que je ne puisse me résoudre à une telle perspective.

S'agissant de la concertation, pour être juste, je veux rappeler le rôle fondamental qu'a joué le Conseil supérieur de la propriété littéraire artistique, mis en place précisément par Catherine Tasca lorsqu'elle était ministre de la culture et de la communication.

Que ce soit en séance plénière ou en sous- commission, ce conseil a tenu un nombre considérable de réunions sur le présent projet de loi, entre 2001, année de l'ouverture du processus de concertation, et la fin de l'année 2005. Tous les acteurs concernés ont contribué à cette concertation.

Lorsque j'ai pris mes fonctions rue de Valois, j'ai constaté, en revanche, qu'aucune réunion de concertation n'avait eu lieu entre les fournisseurs d'accès à Internet et le monde du cinéma et de la télévision ou le monde de la musique et de la radio. Nous les avons multipliées, en créant une véritable atmosphère de rencontre, de décloisonnement, dans l'objectif d'introduire une dynamique positive nouvelle et d'essayer d'éradiquer un certain nombre d'antagonismes.

Vous avez fait allusion à la procédure parlementaire. Ce qui m'intéresse avant tout dans ce débat, c'est le fond du sujet. Je pense d'ailleurs que vous n'hésiterez pas à utiliser votre talent, que j'ai constaté, pour unifier des positions qui ont parfois marqué de vives oppositions entre le groupe socialiste de l'Assemblée nationale et un certain nombre de responsables du parti socialiste.

Vous avez évoqué l'inflation des oeuvres. Sachez qu'il n'y aura jamais trop d'oeuvres à mes yeux : c'est le gage d'une diversité culturelle dynamique.

Mon objectif est non pas de provoquer ou d'attiser des conflits entre les uns et les autres, mais de favoriser les réconciliations nécessaires pour faire émerger l'intérêt général et créer une dynamique positive. Je sais que la Haute Assemblée le partage.

Ce texte donne un avenir à la diversité culturelle, qui est entrée dans le droit international en 2005, je le rappelle, avec l'adoption de la convention de l'UNESCO, à la quasi-unanimité de la communauté internationale. Adoptée en octobre, cette convention a eu des conséquences d'ores et déjà très positives que, reconnaissons-le, tous les gouvernements depuis une vingtaine ou une trentaine d'années et les majorités successives avaient appelées de leurs voeux.

Notre pays vient de remporter une très grande victoire en obtenant la reconnaissance par la Commission européenne de la validité du système français d'aide au cinéma. Nous ne sommes plus les moutons noirs ! Nous sommes désormais à l'avant-garde et nous faisons figure de précurseurs. C'est là une conséquence directe de cette reconnaissance de la diversité culturelle.

Tel est, en particulier, l'objectif que nous devons viser en ce qui concerne Internet.

A cet égard, je comprends certaines interpellations formulées par Jack Ralite tout à l'heure : si l'on ne fait rien, si l'on ne légifère pas, si l'on ne protège pas la création française ou européenne, il ne faudra pas s'étonner de l'uniformisation, de la marchandisation et de l'absence de réalité de la diversité culturelle.

Vous m'avez entendu citer à plusieurs reprises ce chiffre très édifiant : 85 % des places de cinéma vendues dans le monde concernent des productions d'Hollywood. Dès lors, si nous ne favorisons pas l'émergence d'une offre nouvelle, diversifiée et protégée en ligne, Internet sera un facteur non pas de diversité, d'ouverture et de diffusion des oeuvres, mais de concentration encore plus forte.

Sur ce sujet, quelle que soit la vivacité des différentes expressions, nous devons pouvoir nous rassembler.

Certaines actions en cours sont d'ailleurs très positives ; je pense, notamment, au plan de numérisation et de sauvegarde de l'Institut national de l'audiovisuel, l'INA, qui connaît un très grand succès. Je vous encourage, mesdames, messieurs les sénateurs, à consulter le site www.ina.fr (Sourires.), où vous pourrez retrouver les pages d'actualité qui vous ont intéressés et dont certains d'entre vous et d'entre nous ont été les chantres.

Monsieur Dufaut, je vous remercie pour votre propos très positif, qui a situé notre débat à la hauteur de l'enjeu que représente la diffusion des oeuvres culturelles par Internet.

Vous avez raison, il est urgent d'agir, car la création et la diversité culturelle sont en jeu.

Vous avez insisté sur la nécessité de trouver un juste équilibre. Nous partageons tout à fait cet objectif, non pas, je le rappelle à mon tour, pour abuser de ce principe d'équilibre et pour brider la créativité législative, mais pour parvenir à concilier des points de vue qui, dans un premier temps, étaient parfaitement contradictoires.

Monsieur Seillier, ce texte concerne la vie quotidienne de nos concitoyens. Vous avez prononcé un brillant et vibrant éloge du livre et de la lecture. Tout comme vous, je suis très attaché à cette civilisation de l'écrit où notre culture s'enracine. Je veux vous faire part de ma conviction que l'avènement de la civilisation des écrans ne sonnera pas le glas de la civilisation de l'écrit.

Monsieur Retailleau, vous avez raison, ce texte est à la croisée de multiples enjeux, tout autant économiques, sociaux que culturels.

Vous craignez que, en déplaçant exagérément le curseur, ce texte n'offre trop de protections et pas assez de liberté. J'ai confiance en la sagesse du Sénat pour maintenir un juste équilibre, qui me paraît atteint par les propositions de la commission. Tout équilibre est par nature fragile : c'est la raison pour laquelle il est nécessaire, d'une part, de prévoir une évaluation de l'application de ce texte - et c'est avec modestie que le Gouvernement s'engage à présenter un rapport sur ce point au Parlement - et, d'autre part, de renforcer l'autorité de régulation, comme le propose la commission des affaires culturelles du Sénat.

Il s'agit non pas de dessaisir le Parlement d'un pouvoir, mais, au contraire, de demander au législateur de fixer un certain nombre de principes, de rappeler des valeurs, d'organiser un cadre que nous adapterons au fur et à mesure des évolutions de la technologie.

C'est parce que je suis conscient des enjeux économiques et des enjeux de société de ce texte que, comme vous, j'appelle au lancement d'un pair-à-pair légal.

Vous affirmez que l'on passe d'une interopérabilité de principe à une interopérabilité éventuelle et négociée. Telle n'est pas ma perception des choses. Dans le cadre du droit communautaire et du respect des règles de la concurrence, sur lequel vous insistez à juste titre, aucun pays en Europe n'est allé jusqu'à présent aussi loin que le nôtre avec le texte qui vous est soumis aujourd'hui.

Je vous remercie d'approuver les déclarations que j'ai faites à un grand journal américain. Au-delà des enjeux économiques, c'est bien de la diversité culturelle qu'il est question. Il s'agit non pas de se montrer agressif à l'égard de quiconque, mais de définir des règles qui seront progressivement plébiscitées par l'ensemble des internautes et des consommateurs de la planète.

Monsieur Ralite, une fois de plus, vous ne nous avez pas déçus et vous placez la barre très haut. Une fois de plus, j'ai vibré, à l'unisson de l'hémicycle tout entier, au rythme de votre verbe aux accents dignes à la fois de Jaurès et de Malraux, de votre retour aux sources du droit d'auteur et de la création.

Mais je ne partage pas pour autant le « malaise » que vous avez exprimé face aux vertiges d'Internet, dont vous avez rappelé qu'il comporte autant de chances que de risques.

Oui, le droit moral est inaliénable ; oui, le droit moral est au coeur du droit d'auteur, il est sacré. Et précisément pour cette raison essentielle, le droit d'auteur ne se divise pas. Comme l'a rappelé Catherine Tasca, le droit matériel, le droit économique et le droit moral sont indissolublement liés, selon la belle formule de Beaumarchais que, sans vouloir abuser des citations, je me permets de répéter : « Rendre à chacun ce qui lui est dû ».

Disant cela, je vous rejoins : c'est bien de la place de la culture dans notre société qu'il s'agit. C'est une place non pas marginale, mais centrale. Pour la situer et pour revenir aux « motifs vertueux » - selon vos propres termes - de ce texte, s'il faut invoquer à la fois Paul Claudel et Eugène Potier, l'auteur proudhonien de l'Internationale, je citerai les deux derniers vers du deuxième couplet de l'Internationale... (Rires sur les travées de l'UMP.)

Mme Annie David. Alors là !

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Vous voyez !

« Soufflons nous-mêmes notre forge,

« Battons le fer quand il est chaud ! » (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Ivan Renar. C'est un bel effort tout de même !

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Certains les connaissent par coeur et d'autres ont besoin de les lire ; c'est cela la diversité politique qu'un hémicycle peut rassembler !

Monsieur Nogrix, si je partage vos propos sur la profonde mutation des modèles économiques que ce texte a précisément pour objet de préparer et d'anticiper, si je partage aussi votre analyse des évolutions de la musique sur Internet, je ne peux souscrire aux conclusions que vous en tirez quant au texte qui vous est soumis.

Prônez-vous l'immobilisme ou l'attentisme ? Ce ne serait pas faire preuve du bon sens qui vous est si cher.

Vous êtes préoccupé, à juste raison, par l'avenir du logiciel libre : ce projet de loi doit permettre à se dernier de continuer à se développer.

Vous avez affirmé : l'interopérabilité existe, ou elle n'existe pas. Je vous le confirme, elle existera grâce à ce texte, s'il est adopté par la Haute Assemblée, et c'est un objectif qui doit nous réunir, parce que nous aurons été des précurseurs.

Madame Tasca, vous avez raison, ce débat est un moment de vérité qui doit nous permettre de dissiper les idées fausses et les amalgames ; vous avez raison, la directive aurait pu être transposée plus tôt ! Oui, elle aurait pu être transposée dans sa forme initiale dès avant 2002. Mais étant donné que la directive n'a pas été transposée tout de suite, nous ne pouvons nous limiter aujourd'hui à un texte qui correspond à l'état du droit et des techniques à l'époque où, ministre, vous l'avez négocié. C'est bien pourquoi j'ai dû mener de nombreuses négociations et concertations, comme en témoignent par exemple les multiples réunions du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique dont j'ai fait état tout à l'heure. Ces concertations se poursuivront bien entendu pour l'élaboration des décrets d'application.

Je suis heureux de constater que nous partageons les mêmes objectifs pour garantir le droit d'auteur à l'ère numérique. À la différence d'autres, vous n'avez pas cédé à la démagogie ni au populisme. Comme vous, je pense que les logiciels libres ont un grand avenir, mais qu'ils ne doivent pas être un moyen d'organiser le piratage : le soutien aux logiciels libres ne peut en effet se faire contre l'économie de la culture. Vous avez tenu un langage de vérité : il n'est pas responsable de prétendre opposer la démocratisation de la culture et la défense du droit d'auteur.

Monsieur Cambon, je tiens à vous remercier de la clarté de votre propos : elle illustre votre attachement à la pédagogie nécessaire attachée à ce texte. Vous avez très justement insisté sur le rôle utile que peuvent jouer les élus locaux pour sensibiliser nos concitoyens, particulièrement les plus jeunes d'entre eux, afin qu'ils comprennent les enjeux de ce texte, notamment en termes d'emploi et de métiers dans les filières de la musique et du cinéma qui les attirent tant et qui sont les viviers des talents et des créations de demain. Oui, vous avez raison, il faut inciter tous les acteurs de ces filières à développer des stratégies originales pour renouveler et pour développer l'offre légale. Au fond, à chacun son rôle : au Gouvernement et au législateur de fixer des principes et une sécurité juridique pour les auteurs et les créateurs ; aux professionnels de s'emparer de ces dispositifs le plus rapidement et le plus vigoureusement possible pour faire en sorte que s'accélère la diversification de l'offre proposée à l'ensemble de nos concitoyens. L'enjeu est absolument considérable.

Madame Blandin, la diversité culturelle est aussi précieuse que la biodiversité ! Le projet de loi a pour objet non seulement de la conserver, mais aussi de l'encourager, de la stimuler, de lui permettre de se développer. Vous avez parlé de création, de liberté, d'éthique. Ces principes sont au coeur de mon action. Le texte ne fait pas reposer la responsabilité du téléchargement illégal sur les seuls internautes qui téléchargent pour leur usage personnel. Bien au contraire, vous le savez, les sanctions sont proportionnées et seront plus lourdes pour ceux qui organisent le piratage de la musique et du cinéma : ceux qui conçoivent et donnent les moyens de casser les mesures techniques de protection et, plus encore, ceux qui éditent des logiciels manifestement destinés à la mise à disposition illégale d'oeuvres protégées.

Vous soulignez - et c'est courageux de votre part, car nous n'étions pas nombreux à le faire - que la gratuité se paie un jour. C'est vrai, particulièrement en matière culturelle. Vous relevez que les jeunes s'habituent à la gratuité. Ils n'hésitent pourtant pas à payer pour les musiques ou les sonneries de leurs téléphones portables ! Cette culture de la gratuité est donc un leurre. Faire comprendre aux jeunes que la culture a un coût et que le travail des artistes et des techniciens mérite salaire et considération, c'est tout l'enjeu pédagogique de ce texte, et vous avez raison de vouloir l'exprimer.

Monsieur Lagauche, je vous remercie d'avoir évoqué l'accord conclu le 20 décembre dernier entre les professionnels du cinéma, le monde de la télévision et les fournisseurs d'accès à Internet. Il me paraît apporter la vraie réponse à l'implication financière des fournisseurs d'accès à Internet dans la création ; nous la souhaitons, parce que ce sont des ressources supplémentaires, fléchées et destinées à la création. C'est donc une réponse intelligente au regard de l'impératif de diversité culturelle. J'espère que cet accord va permettre le plus rapidement possible le basculement des catalogues pour que ces derniers soient mis à la disposition de nos concitoyens et, au-delà, de tous les internautes en Europe et dans le monde.

Monsieur Yung, j'estime comme vous que le droit d'auteur, loin s'en faut, n'est pas une parenthèse. Vous avez évoqué tous les risques qui peuvent exister, vous avez évoqué aussi la vivacité de certains débats parlementaires. Eh bien, après le temps de la pédagogie et des affrontements - et ils existent, sur des sujets aussi électriques ! -, vient maintenant le temps de l'examen de ce projet de loi. Sachez en tout cas que le ministre que je suis fera preuve de l'ouverture d'esprit la plus grande possible et qu'il aura le souci du point d'équilibre : il apparaît en effet clairement que, si l'on se déporte dans un sens, on prive les auteurs de certaines garanties légitimes et que, si l'on se déporte dans l'autre sens, on ne rend pas les oeuvres accessibles au plus grand nombre grâce à Internet. C'est tout l'enjeu du débat qui commence. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information
Article 1er

M. le président. Je suis saisi, par MM. Ralite, Renar et Voguet, Mme David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 197, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (n° 269, 2005-2006).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Ivan Renar, auteur de la motion.

M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors qu'avec la question du droit d'auteur on est au coeur de l'humain, de l'imaginaire, de l'intelligence sensible, de ce qui rend la vie vibrante et encore plus vivante, et malgré un bon rapport bien fait et intéressant, malgré l'ardeur du ministre à convaincre, je dois avouer ma perplexité face à ce projet de loi qui tend plus à brider la création et son accès qu'à leur donner un nouvel envol : bref, à traiter la culture en simple produit de consommation où c'est l'Avoir qui domine l'Être.

L'univers numérique est en constante évolution, tant en termes d'innovations technologiques qu'en termes de pratiques. Pourtant, le projet de loi vise à transposer une directive européenne vieille de cinq ans déjà, laquelle s'appuie sur un accord de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle qui a lui-même plus de dix ans. Dès le départ, le texte proposé est donc en profond décalage avec les pratiques d'une société qui n'a pas attendu pour s'approprier toutes les innovations technologiques qu'offre aujourd'hui l'univers numérique.

Par ailleurs, chacun sait parfaitement que cette directive européenne est aujourd'hui dépassée et fait actuellement l'objet d'une opportune révision à Bruxelles. Malgré cette réalité, le Gouvernement a paradoxalement décrété la procédure d'urgence pour l'examen de ce projet de loi. Comme si l'enjeu législatif se bornait au rattrapage du temps perdu par les multinationales, pour lesquelles le temps, c'est avant tout de l'argent ! Le retard est pourtant devenu si phénoménal qu'il est vain de vouloir le combler, tant il est vrai que certaines pratiques se sont profondément inscrites dans la vie quotidienne de millions de citoyens - au grand dam des industries culturelles, qui ne considèrent la relation entre auteurs et public que sous l'angle étroit de la froide rentabilité et non de l'enrichissement humain. N'est-il pas plutôt indispensable de tenter d'anticiper l'avenir ? N'est-ce pas cela, l'art de gouverner ? En fait, il est urgent de ne pas légiférer vite, mais, bien au contraire, de prendre le temps de légiférer bien, c'est-à-dire juste.

La question du droit d'auteur et des droits voisins à l'ère numérique est non seulement un enjeu de société capital, mais aussi un défi majeur pour le monde de la création et pour sa relation au public : l'exception culturelle de notre pays, toujours plus menacée par les lois « sans conscience ni miséricorde » du marché, doit en sortir renforcée, consolidée.

En ce sens, l'irrésistible extension du numérique nous fournit une belle occasion d'approfondir les fondements mêmes des conquêtes culturelles et sociales de notre société, de leur donner de nouvelles ailes, et de veiller au partage équitable du meilleur de ce que sont capables de mettre au monde la « matière grise » et l'imagination humaines. Plus le monde se complexifie et plus grandit l'impératif démocratique d'émancipation individuelle et collective, et donc de l'appropriation par tous des nouvelles avancées culturelles, scientifiques, sociales, écologiques, éducatives, industrielles...

Les parlementaires que nous sommes ont plus que jamais la responsabilité morale d'inventer de nouveaux droits et devoirs dont les seuls paradigmes doivent relever de l'intérêt général. Or, comme l'ont montré les débats à l'Assemblée nationale, les conditions d'un travail législatif serein et clairvoyant ne sont pas réunies tant le lobbying, les pressions, les antagonismes, les invectives, les intérêts contradictoires s'y affrontent avec une rare violence et un ton polémique, lesquels ne facilitent guère les compromis équilibrés ni les alternatives crédibles aux solutions qui sont à ce jour préconisées par les uns et les autres et ne satisfont personne. D'aucuns s'érigent en défenseurs du droit d'auteur pour mieux le prendre en otage, pour mieux l'asservir. J'observe que l'on se sert quelquefois du droit d'auteur plus qu'on ne le sert !

Cela étant, je suis stupéfait de constater que le projet de loi, tel qu'il a été voté à l'Assemblée nationale, a pour principal effet de diviser les artistes et les internautes, les artistes et les interprètes, les sociétés civiles de perception de droits entre elles, etc., bref, de diviser pour mieux faire régner les majors, les industries culturelles et les seules logiques du marché.

La question est trop vitale, pour la création comme pour la démocratisation de notre société du savoir et de la connaissance, pour que nous nous contentions de réponses législatives partiales et partielles, inadaptées et approximatives. C'est pourquoi, monsieur le ministre, la sagesse devrait conduire non seulement à lever la procédure d'urgence, mais, mieux encore, à suspendre nos travaux et à entamer dès aujourd'hui une nouvelle réflexion, au sein d'une mission d'information parlementaire ou du conseil « Beaumarchais-Internet-responsabilité publique » proposé par Jack Ralite.

Le projet de loi relatif au droit d'auteur est au coeur d'enjeux à la fois culturels, artistiques, économiques, techniques et sociaux dont les parlementaires eux-mêmes peuvent difficilement maîtriser la très haute technicité. Je suis convaincu que les « braconniers du savoir » que nous sommes ne pourront pas mener de façon satisfaisante leur tâche législative sans avoir préalablement pris le temps d'une meilleure approche des enjeux et d'une analyse exhaustive des différentes réponses susceptibles d'être apportées.

M. Michel Charasse. Entre braconniers et pirates, on devrait pouvoir s'entendre ! (Sourires.)

M. Ivan Renar. Je pense qu'il est possible, si l'on s'en donne les moyens - et le temps -, de trouver un équilibre entre, d'une part, les auteurs et les interprètes, qui revendiquent légitimement une rémunération juste de leur travail, et, d'autre part, les citoyens, qui aspirent à pouvoir jouir des nouvelles facilités d'accès à la culture et à la connaissance qu'offre Internet. Alors, pourquoi s'obstiner à vouloir faire à la va-vite une loi qui ne sera ni appliquée ni applicable ?

De plus, le projet de loi remet en cause le droit à la copie privée, asséchant ainsi les fonds importants issus de la redevance. Pourtant, celle-ci permet de soutenir des centaines et des centaines de spectacles et d'artistes. Sa disparition programmée est d'autant plus dangereuse pour la création que le budget de la culture, de plus en plus contraint, est loin de répondre aux besoins, comme vous le savez bien, monsieur le ministre. Remettre en cause le principe de la copie privée quel que soit le support concerné revient à un véritable recul de civilisation.

À ce scandale s'ajoutent les mesures techniques de protection, qui menacent les logiciels libres, l'interopérabilité et les libertés des internautes et représentent un véritable danger pour l'indépendance technologique de notre pays. Ce qui est sûr, c'est que, si le projet de loi reste en l'état, dans tous les cas, les auteurs et les artistes, dont se réclame pourtant le Gouvernement, seront systématiquement perdants puisqu'ils percevront via les sites de téléchargement payant une rémunération encore plus faible qu'avec les ventes de supports physiques. Sans même parler du pair à pair, que votre texte ne fera pas disparaître, vous le savez bien, et pour lequel n'est prévue aucune compensation. Tous ces dangers méritent réflexions et réponses que je ne trouve pas dans le texte. Il faut lever l'urgence, il faut une étude approfondie !

La nouvelle donne issue de la « révolution » numérique en cours n'est-elle pas une belle occasion de redonner du souffle et un nouvel élan à nos politiques culturelles et artistiques quelquefois fatiguées et rituellement victimes d'ajustements et de gels budgétaires dramatiques tant pour le spectacle vivant que pour le patrimoine ? Alors que la précarité, contre laquelle viennent de s'élever toute une jeunesse et la grande majorité de salariés, est le lot quotidien de nombre d'auteurs et d'artistes, notre travail législatif pourrait se fixer pour objet d'améliorer le soutien à la création et à sa diffusion. Notre priorité ne doit-elle pas consister à permettre aux artistes de mieux vivre de leur travail tout en favorisant pour le public un accès complet à la grande diversité des oeuvres ? Ne nous revient-il pas d'innover et d'inventer un service public de l'art et de la culture ambitieux et adapté à l'ère numérique, de redonner ses lettres de noblesse au service public de la culture en faisant converger les intérêts des auteurs et ceux des usagers de leurs oeuvres ?

Face à la fracture numérique, seul le service public peut concourir à l'égalité des chances numériques et faire en sorte que chacun puisse pleinement maîtriser l'outil Internet, qui est comme un nouvel alphabet indispensable. À cet égard, je rappellerai que le prix d'accès à Internet demeure bien trop élevé pour de nombreux ménages. Les valeurs de la République doivent contribuer à ce que le vaste domaine de la création artistique, scientifique, technologique, ne soit pas abandonné aux seules lois marchandes de la rentabilité, qui conduisent au conformisme, au formatage et à l'assèchement même de la vitalité artistique. En réalité, la directive européenne qu'il nous faut transposer est un véritable jeu de dupes dans lequel ceux qui crient au voleur et dénoncent les internautes comme des pirates sont les premiers à vouloir exproprier les auteurs de leurs droits.

Les multinationales de l'industrie culturelle n'ont pas attendu le législateur pour s'accaparer un maximum de droits d'exploitation des oeuvres, concentrant ainsi les contenus culturels : d'abord, l'appropriation des tuyaux, puis celle des contenus afin de mieux exploiter les créateurs.

Si l'on a beaucoup parlé de gratuité à propos d'Internet, celle-ci est bien un mythe ! Internet est plutôt une machine à sous complexe, un nouvel eldorado où de nombreux affairistes cherchent à s'accaparer le bon filon, à l'image du fameux Bill Gates, qui, après avoir fait fortune avec ses logiciels brevetés - d'où son horreur des logiciels libres -, mise sur de nouveaux et alléchants bénéfices en s'accaparant toutes les images fixes de référence dans le monde.

Bienvenue à la banque d'images Corbis, qui concentre le patrimoine iconographique mondial ! Bill Gates a compris depuis longtemps que l'immatériel est devenu l'or d'aujourd'hui et de demain. Il n'a que faire des photographies et encore moins des photographes qui les ont produites. Ce qu'il achète, ce n'est pas tant le support matériel que le monopole exclusif d'exploiter la mémoire collective de notre société qu'il « truste » au nom de son seul profit.

Ce phénomène de concentration sans âme concerne tous les secteurs culturels, de l'écrit à l'image en passant par le son, à tel point que la notion de domaine public est en voie de disparition.

Ce qui prime aujourd'hui, c'est loin d'être le droit d'auteur et encore moins son droit moral, c'est bien plutôt le droit d'exploiter les oeuvres en se passant si possible des auteurs.

Sur une question de société de cette importance, qui est suivie attentivement par de très nombreux concitoyens, il est indispensable de mieux respecter la démocratie et le travail parlementaire.

Pourquoi, sur une question aussi sensible et compliquée, se priver des navettes entre l'Assemblée nationale et le Sénat, alors que celles-ci ont pour vertu d'améliorer les textes tout en favorisant la nécessaire concertation et la conciliation d'intérêts contradictoires particulièrement exacerbés concernant ce projet de loi ?

Sommes-nous à deux ou trois mois près quand cette directive attend depuis près de cinq ans et qu'il vous a fallu deux mois, monsieur le ministre, pour proposer un nouveau texte à l'Assemblée nationale afin de mieux rejeter l'amendement autorisant la licence globale, que les députés avaient contre toute attente majoritairement adopté à la veille de Noël ?

Pour autant, si je ne souhaite pas retomber dans la caricature d'un débat manichéen opposant licence globale et mesures techniques de protection, je ne peux m'empêcher de penser que la licence globale, malgré ses limites et ses défauts, a au moins eu le mérite de susciter un nécessaire débat sur la question fondamentale des conditions de la diffusion de la création sur Internet.

De toute façon, ce projet de loi n'endiguera pas les pratiques de téléchargement de millions d'internautes. C'est ce que l'on peut observer aux États-Unis, malgré des mesures répressives particulièrement draconiennes. C'est dommage, car les citoyens sont loin de mépriser le droit du travail, comme en témoigne le rejet massif du CPE, et se seraient majoritairement pliés à de nouvelles règles du jeu, à un code de bonne conduite, dès lors qu'il s'agit de remettre l'auteur et les artistes au coeur de la rémunération.

Ne laissons pas les majors dicter des mesures dont l'obsolescence n'a d'égale que l'inefficacité. Finalement, incapables d'être en phase avec leur temps, les industries culturelles sont en train de promouvoir la gratuité sur le Net, puisqu'elles refusent aux internautes des alternatives leur permettant de rémunérer les ayants droit via les échanges pair à pair.

Pourtant, ceux qui aiment la musique, le cinéma, la littérature et l'émotion irremplaçable que procurent les arts admirent les créateurs qui les engendrent et n'ont aucune envie de les léser.

Mais ils ne veulent pas non plus être lésés par des règles qui aboutissent en définitive à pénaliser les artistes. Les majors ont la prétention de vouloir arrêter un phénomène de société qu'elles ont elles-mêmes favorisé par leur attentisme prédateur et leur conservatisme étriqué.

L'économie des compteurs qu'a évoquée Jack Ralite est une piste à creuser. Plutôt que de persécuter les internautes et sans attenter à leur vie privée, comptons les oeuvres téléchargées afin d'assurer de façon proportionnelle la juste rétribution des auteurs et interprètes.

Par ailleurs, s'il est normal que les internautes soient mis à contribution pour la rémunération du travail de création, les fournisseurs d'accès à Internet doivent aussi participer au financement de la création, puisqu'ils engrangent d'énormes profits via la publicité, se servant des oeuvres comme produits d'appel, sans oublier les plates-formes payantes et la téléphonie mobile.

L'évolution des nouvelles technologies et les nouveaux usages qu'elles engendrent entraînent aussi des gains nouveaux. Les perspectives de profits sont considérables, notamment grâce aux gains de productivité permis par la révolution numérique.

De toute évidence, la loi ne peut présenter un réel intérêt que si la question du financement de la culture est remise à plat, ce qui suppose une réflexion neuve et ouverte sur la question des prélèvements, leur perception et leur répartition.

Pour autant, on ne saurait trop rappeler que le droit d'auteur, outre un droit patrimonial, est aussi un droit moral.

Si, grâce au numérique, les coûts de reproduction et de distribution sont devenus dérisoires, pourquoi ne pas prendre en compte cette « désintermédiation » pour mieux rémunérer la création et ses coûts associés de production ?

Internet peut également permettre une meilleure diffusion des oeuvres, qui souffrent pour beaucoup d'entre elles, d'une part, d'une absence d'exposition sur les autres médias et, d'autre part, du phénomène de concentration des industries culturelles.

Alors, pourquoi ne pas construire une nouvelle économie de la culture au service de la création et de sa diversité ?

Je le répète, le temps n'est-il pas venu de créer un service public numérique ? La France peut jouer un nouveau rôle moteur en Europe. Le président de la Bibliothèque nationale, monsieur le ministre, a contre-attaqué face au projet de bibliothèque numérique de Google. Ne pourrait-on s'inspirer de cet exemple pour être à l'offensive pour l'émergence d'un nouveau siècle des Lumières ?

L'évolution des technologies ouvre de fantastiques perspectives pour stimuler la création et permettre une circulation sans précédent des oeuvres de l'esprit et des savoirs, pour peu que le droit s'appuie sur l'intérêt général, favorisant ainsi un saut de civilisation pour l'ensemble de l'humanité plutôt que sur la pression et le lobbying d'une poignée de grands groupes spéculatifs qui voudraient arrêter le progrès au nom du profit !

Favoriser l'appropriation la plus large des oeuvres de l'esprit, n'est-ce pas en quelque sorte favoriser la création de demain ? Rien ne naît ex nihilo. Tout art se nourrit de l'expérience, de l'apport, de l'audace, de l'influence d'autres artistes, penseurs, chercheurs, sans se contenter d'en hériter. En ce sens, toute oeuvre s'inscrit dans une longue lignée féconde dont elle s'inspire et dont elle se détache par sa singularité.

C'est pourquoi il faut absolument préserver cette faculté nouvelle qu'offre l'internet d'une plus grande circulation des oeuvres artistiques, de la pensée et de la connaissance.

Dans cette logique, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, l'exception pédagogique, qui a d'ailleurs été avalisée par de nombreux pays européens, devrait être un minimum afin de ne pas fragiliser notre recherche et l'enseignement.

Le projet de loi que vous nous soumettez pose plus de questions et de problèmes qu'il n'en résout. En ce sens, avoir décrété l'urgence est une véritable hérésie législative. Loin de n'être qu'une question de procédure, c'est une question de fond, celle de mettre enfin à la portée de tous l'art et la culture, bref de concilier droit des auteurs et des interprètes, et droit à la culture pour tous.

Osons être créatifs et modestes. Une loi n'invente rien, elle s'adapte aux évolutions pour rendre la vie plus belle et plus généreuse.

Oui, j'en ai la conviction, le numérique et l'internet sont potentiellement des innovations bénéfiques pour les auteurs, les interprètes et leurs publics, à condition que la loi ne devienne pas le dogme du libéralisme que notre peuple rejette massivement.

La clé est chez Pascal : « Toute chose étant médiate et immédiate, causée et causante, je tiens impossible de connaître la partie si je ne connais le tout, ni de connaître le tout si je ne connaissais les parties. » Et au-delà de la connaissance, reste le pari de Pascal sur ce en quoi l'on croit. Je parie non pas comme lui sur l'existence de Dieu, mais sur le fait que l'homme, comme la loi, est amendable.

C'est pourquoi je pense qu'il faut remettre l'ensemble du travail sur l'établi. À ce jour, la meilleure façon de le faire, mes chers collègues, c'est de voter notre motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai écouté avec beaucoup d'attention et d'intérêt l'intervention de M. Ivan Renar, membre assidu et efficace de la commission des affaires culturelles.

Intervenant pour défendre la motion tendant à opposer la question préalable, déposée par le groupe CRC, notre collègue en a profité pour exprimer son sentiment sur le projet de loi, ce qui est tout à fait dans nos habitudes.

Cependant, une partie des questions qu'il a évoquées a obtenu tout à l'heure des réponses de la part de M. le ministre.

S'agissant des arguments avancés à l'appui de la motion tendant à opposer la question préalable, monsieur Renar, vous avez stigmatisé la façon dont ce texte a été étudié, modifié, puis voté à l'Assemblée nationale.

La difficulté de l'exercice, à la fois la transposition d'une directive européenne mais aussi une avancée juridique et technologique dans le domaine du droit d'auteur, justifiait non pas, peut-être, un tel fracas, mais une réflexion qui nous a permis, ici, au Sénat, de bénéficier, après que M. le ministre a recherché et obtenu une forme d'équilibre, d'un texte intéressant à partir duquel nous avons pu travailler.

Monsieur le sénateur, vous avez stigmatisé l'attitude des députés, mais vous avez également fait certains flash-back assez étonnants, puisque vous avez réutilisé les discussions ayant eu lieu à l'Assemblée nationale à votre profit. Autrement dit, vous critiquez la façon dont les choses se sont passées à l'Assemblée nationale, mais vous en utilisez certains éléments, ce qui constitue un paradoxe.

Ce texte est complexe, mais il comporte deux aspects : d'une part, la transposition de la directive et, d'autre part, la maîtrise de l'évolution des mentalités, des technologies et des marchés, et c'est bien dans cet ordre-là que la commission des affaires culturelles a tenté d'apporter sa contribution.

Nous avons déjà eu l'occasion de discuter sur ce sujet en commission, et je tiens à vous dire - vous le savez d'ailleurs bien - que je partage en grande partie vos interrogations et vos doutes quant à l'opportunité de nous prononcer sur des sujets très techniques, voire trop techniques, dont le sens semble parfois - mais parfois seulement - nous échapper.

Nous avons d'ailleurs formulé une proposition qui a été acceptée, me semble-t-il, par M. le ministre, visant à distinguer, d'une part, ce qui ressortit à la loi et, d'autre part, ce qui doit relever d'un suivi permanent. C'est la raison pour laquelle, partant de l'instance de médiation qui avait été prévue dans le projet de loi initial, nous avons proposé la création d'une autorité indépendante qui suivra ces différents éléments.

Interopérabilité, mesures techniques de protection, copies privées, ce texte soulève des difficultés juridiques mais aussi culturelles sur lesquelles Jack Ralite a d'ailleurs très longuement disserté tout à l'heure, avec le bonheur qui est le sien lorsqu'il traite de ces sujets, bonheur que nous partageons, car nous l'écoutons toujours avec beaucoup d'attention et d'intérêt.

Il faut cependant que le législateur se prononce, car c'est son rôle. M. Assouline s'interrogeait ce matin sur la pertinence de l'acte de légiférer. Mais si ce rôle ne nous appartient pas, à qui appartient-il donc ?

En revanche, monsieur Renar, je suis beaucoup plus perplexe quant à votre remarque concernant l'urgence dans laquelle serait examiné ce texte, qui sous-tend une grande partie de votre argumentation.

Après le premier paradoxe dont je faisais état tout à l'heure - vous critiquez les travaux de l'Assemblée nationale et vous récupérez une partie de ce qui a été fait là-bas -, vous en cultivez un second, en déplorant le retard tout en critiquant la déclaration d'urgence.

Je rappellerai deux dates pour permettre à l'ensemble de nos collègues de constater le retard caractérisant l'examen de ce texte par le Parlement.

La première date est celle du dépôt du projet de loi sur le bureau de l'Assemblée nationale, à savoir novembre 2003.

La commission des affaires culturelles a mis à profit ces deux années et demie d'attente pour travailler. Outre les travaux personnels du rapporteur, que nous avions désigné en son temps, et ceux de son président, la commission a auditionné une cinquantaine de personnalités qualifiées. Par ailleurs, en février dernier, nous avons organisé une table ronde consacrée au téléchargement des films et de la musique.

De ce point de vue, nous pouvons nous féliciter d'avoir eu le temps de donner la parole à toutes les personnes qui désiraient être entendues, mais également à toutes celles que nous souhaitions auditionner. Et vous le savez, monsieur Renar, nous avons écouté avec la même attention les représentants tant des artistes, des industriels, des consommateurs que des internautes.

La seconde date est relative au délai de transposition de la directive par les États membres. L'article 13 de la directive sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dispose que « les États mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive au plus tard le 22 décembre 2002 ».

Nous avons déjà plus de trois ans de retard, et vous demandez encore un délai supplémentaire ! Cela me paraît incohérent. D'ailleurs, et M. le ministre l'a indiqué ce matin, la Commission européenne rappelle régulièrement aux autorités françaises leur manquement à leurs obligations communautaires.

En fait, deux problèmes se posent. Le premier est lié à la transposition des directives et à l'évolution des données techniques correspondantes. Le second, évoqué entre autres par M. Jack Ralite, est de savoir quelle nouvelle société se met en place du fait de l'évolution des technologies.

Faut-il attendre d'avoir une vue plus claire pour légiférer ou bien faut-il prendre acte de la situation actuelle sur le plan tant de la transposition de la directive que de l'évolution actuelle des technologies, avec l'organe de surveillance que nous proposons ?

Pour le reste, comme elle le fait de manière constante, la commission des affaires culturelles se saisira des problèmes de société et elle s'efforcera de définir les éléments d'une nouvelle relation entre le citoyen, le créateur et les fournisseurs d'outils améliorés d'accès à la culture.

Je considère, vous l'aurez compris, qu'il n'est pas raisonnable d'attendre. C'est pourquoi j'émets un avis défavorable sur la motion n° 197 tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Il est urgent, chacun le sait, de proposer une offre nouvelle aux internautes. À cette fin, il faut que les droits des créateurs et des auteurs soient sécurisés dans un cadre juridique.

Nous sommes certes l'avant-dernier pays à transposer la directive, mais nous serons le premier à fixer un certain nombre de valeurs qui se veulent des réponses aux défis auxquels nous sommes confrontés.

Je suis prêt à tous les débats nécessaires, mais l'urgence, c'est de délibérer. C'est la raison pour laquelle je ne peux pas émettre un avis favorable sur la motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Le groupe socialiste votera la motion présentée par M. Renar, au nom du groupe communiste républicain et citoyen.

J'ai longuement expliqué ce matin pourquoi nous devions remplir nos obligations en transposant a minima la directive européenne : il est plus que temps !

Le débat qui s'est instauré à l'Assemblée nationale, et qui a ensuite largement irrigué les tribunes d'idées et les rebonds dans la presse, a montré l'intérêt que suscitait le sujet qui nous occupe dans toutes les composantes de la société. Toutefois, il n'a pas atteint un degré de maturité suffisant et il n'a pas abouti à des conclusions telles que la représentation nationale puisse légiférer en toute connaissance de cause. Nombre d'entre nous l'ont souligné lors des auditions auxquelles a procédé la commission des affaires culturelles.

Ce débat fait référence à des données techniques assez poussées. Les personnalités que nous avons auditionnées avaient souvent prévu toutes les évolutions qui leur semblaient possibles. Tout et son contraire a été défendu avec le même aplomb.

Si les politiques que nous sommes veulent, et c'est mon cas, résister au pouvoir de la technocratie, ils doivent savoir maîtriser les enjeux techniques et être en mesure de formuler une opinion politique sans se placer entre les mains de techniciens, fussent-ils de très grande valeur.

Vous nous reprochez de ne pas avoir immédiatement transposé la directive de 2001, mais nous ne pouvions pas mener le processus de transposition à son terme avant l'échéance électorale de 2002. Vous avez donc hérité de ce dossier.

Nous vous reprochons non pas de transposer la directive, mais d'avoir voulu introduire un élément de réponse, centré sur la répression, à une question qui n'existait pas en 2001 parce que le téléchargement n'était pas aussi massif. C'est avec cela que vous êtes arrivé devant l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, et c'est cela qui a mis le feu aux poudres. Un vrai débat aurait pu s'engager.

Par ailleurs, vous avez déclaré l'urgence sur ce texte. Malgré cela, le Sénat est saisi sept mois après l'Assemblée nationale. Le délai aurait-il été plus long si l'urgence n'avait pas été déclarée ? Je l'ignore. Mais, lorsque l'on veut aller vite, on se prend souvent les pieds dans le tapis. Mieux vaut donc prendre le temps de la discussion, prévoir le temps plutôt que le subir en trébuchant sur les petites étapes que l'on se fixe.

Nous souhaitons une remise à plat de ce dossier. Il faut certes absolument transposer la directive, mais le temps du débat viendra de toute façon à l'occasion des futures échéances politiques majeures. Il n'est pas un industriel, pas un créateur, pas un connaisseur des nouvelles technologies qui ne considère que, d'ici à deux ans, il faudra à nouveau légiférer. Il faudra alors le faire avec beaucoup plus de visibilité, en intégrant mieux les évolutions en cours et en associant l'ensemble des citoyens à un débat qui devra déboucher non pas sur le conflit, mais sur l'harmonie entre le droit à la culture et le droit de la culture.

M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix, pour explication de vote.

M. Philippe Nogrix. Monsieur le ministre, ne vous méprenez pas : le groupe UC-UDF ne veut pas adopter une position attentiste ; il veut que ses parlementaires jouent leur rôle, qu'ils alimentent le débat et l'enrichissent de leur analyse.

Nous allons donc présenter, tout au long de la discussion des articles, des amendements dont vous tiendrez compte, j'en suis persuadé, et dont vous nous donnerez acte.

Bien que n'étant pas membre de la commission des affaires culturelles, j'ai suivi le travail très sérieux effectué par cette dernière. Elle n'a pas attendu que l'urgence soit déclarée sur ce texte pour se saisir de la question qui nous occupe aujourd'hui. Elle l'étudie régulièrement depuis de nombreux mois. Il aurait été opportun qu'elle soit associée bien en amont à la rédaction du projet de loi.

Nous regrettons la précipitation qui résulte de la déclaration d'urgence. Les parlementaires qui ne sont pas membres de la commission des affaires culturelles n'ont sans doute pas tous eu le temps d'étudier tout le travail accompli sur un sujet aussi complexe. Pour autant, nous ne voterons pas la motion déposée par le groupe communiste républicain et citoyen, car ce texte permettra de faire avancer les choses.

Il n'est pas dans la culture de nos assemblées, et nous le regrettons, de revenir sur un texte qui a été voté. Pourtant, monsieur le ministre, il faudrait très rapidement pouvoir le faire afin de l'améliorer.

Nous en aurons d'ailleurs probablement l'occasion puisque la Commission européenne sera sans doute amenée à réviser la directive. J'espère que vous tiendrez alors compte du travail qui a été accompli par la commission des affaires culturelles du Sénat.

En tout état de cause, je le répète, le groupe UC-UDF ne votera pas la motion tendant à opposer la question préalable.

Mme Annie David. C'est bien dommage !

M. le président. La parole est à M. Ivan Renar, pour explication de vote.

M. Ivan Renar. Je tiens à préciser que notre objectif n'est pas de gagner du temps. Dans le langage parlementaire, urgence et rapidité ne sont pas synonymes. La procédure d'urgence impose qu'il soit procédé à une seule lecture d'un projet de loi, à l'Assemblée nationale et au Sénat, avant la réunion d'une commission mixte paritaire, laquelle n'est pas publique.

M. Michel Charasse. Parfois, cela vaut mieux...

M. Ivan Renar. Il est vrai que les réunions des commissions mixtes paritaires ressemblent parfois à des marchés persans ! (Sourires.)

M. le ministre avait me semble-t-il promis, à l'Assemblée nationale, que, si les textes votés par les députés et les sénateurs n'étaient pas identiques, il ferait en sorte qu'il y ait une deuxième lecture.

Les lectures successives, au nombre de deux ou trois au maximum, constituent des allers et retours entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Si elles ne permettent pas de gagner du temps, elles contribuent à enrichir le débat, à favoriser la concertation et à trouver les consensus nécessaires, surtout sur des projets de loi de société, tels que le présent texte.

Les discussions ont été vives au sein des différents groupes. Les fractures ne suivaient pas la ligne de séparation entre la droite et la gauche. C'était plus compliqué.

La motion tendant à opposer la question préalable visait à obtenir la levée de la procédure d'urgence afin que nous puissions suivre une procédure normale, digne d'un parlement qui se respecte.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 197, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

TITRE IER

DISPOSITIONS PORTANT TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE 2001/29/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL, DU 22 MAI 2001, SUR L'HARMONISATION DE CERTAINS ASPECTS DU DROIT D'AUTEUR ET DES DROITS VOISINS DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION

CHAPITRE IER

Exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information
Article 1er bis (début)

Article 1er (supprimé)

M. le président. L'article 1er a été supprimé par l'Assemblée nationale.

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information
Article 1er bis (interruption de la discussion)

Article 1er bis

I. - L'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :

1° Le dernier alinéa du 3° est supprimé ;

2° Sont ajoutés huit alinéas ainsi rédigés :

« 6° La reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu'elle est une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique et qu'elle a pour unique objet de permettre l'utilisation licite de l'oeuvre ou sa transmission entre tiers par la voie d'un réseau faisant appel à un intermédiaire ; toutefois, cette reproduction provisoire qui ne peut porter que sur des oeuvres autres que les logiciels et les bases de données, ne doit pas avoir de valeur économique propre ;

« 7° La reproduction et la représentation par des personnes morales en vue d'une consultation strictement personnelle de l'oeuvre par des personnes atteintes d'une déficience motrice, psychique, auditive ou visuelle d'un taux égal ou supérieur à 50 % reconnue par la commission départementale de l'éducation spécialisée, la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel ou la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles, ou reconnues par certificat médical comme empêchées de lire après correction. Cette reproduction et cette représentation sont assurées, à des fins non lucratives et dans la mesure requise par le handicap, par des personnes morales et tous les établissements ouverts au public tels que bibliothèques, archives, centres de documentation et espaces culturels multimédia dont la liste est arrêtée par l'autorité administrative.

« Les personnes morales et établissements précités doivent apporter la preuve de leur activité professionnelle effective de conception, de réalisation et de communication de supports au bénéfice des personnes physiques mentionnées à l'alinéa précédent par référence à leur objet social, à l'importance de leurs membres ou usagers, aux moyens matériels et humains dont elles disposent et aux services qu'elles rendent.

« Les documents imprimés, dès lors qu'ils sont mis à la disposition du public, font l'objet d'un dépôt sous la forme d'un fichier numérique, lorsque celui-ci existe, auprès d'organismes désignés par les titulaires de droits et agréés par l'autorité administrative, dans un standard ouvert au sens de l'article 4 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, et sont rendus accessibles aux seules personnes morales et établissements précités, qui garantissent la confidentialité et la sécurisation de ces fichiers afin d'en limiter strictement l'usage à l'objet du présent 7° ;

« 8° Les actes de reproduction spécifiques effectués par des bibliothèques accessibles au public, des musées ou par des services d'archive, qui ne recherchent aucun avantage commercial ou économique direct ou indirect ;

« 9° La reproduction intégrale ou partielle, dans un but d'information, d'une oeuvre d'art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, lorsqu'il s'agit de rendre compte d'événements d'actualité, dans la mesure justifiée par le but d'information poursuivi et sous réserve d'indiquer, à moins que cela ne s'avère impossible, la source, y compris le nom de l'auteur, lorsque cette reproduction est faite de manière accessoire ou que l'oeuvre a été réalisée pour être placée en permanence dans un lieu public.

« Les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur.

« Les modalités d'application du présent article, notamment les caractéristiques et les conditions de distribution des documents mentionnés au d du 3°, l'autorité administrative mentionnée au 7°, ainsi que les conditions de désignation des organismes dépositaires et d'accès aux fichiers numériques mentionnés au troisième alinéa du 7°, sont précisées, en tant que de besoin, par décret en Conseil d'État. »

II. - Après l'article L. 131-8 du même code, il est inséré un article L. 131-8-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 131-8-1. - L'auteur est libre de choisir le mode de rémunération et de diffusion de ses oeuvres ou de les mettre gratuitement à la disposition du public. »

III. - Dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport relatif aux modalités de la mise en oeuvre d'une plate-forme publique de téléchargement visant à la fois la diffusion des oeuvres des jeunes créateurs dont les oeuvres ne sont pas disponibles à la vente sur les plates-formes légales de téléchargement et la juste rémunération de leurs auteurs.

IV. - Dans le troisième alinéa de l'article L. 382-1 du code de la sécurité sociale, les mots : « collectif de branche » sont remplacés par le mot : « sectoriel ».

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, sur l'article.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si, à l'occasion de l'examen du projet de loi sur le droit d'auteur, le débat de société s'est focalisé sur la question du téléchargement, il faut cependant bien rappeler que ce texte ne traite pas seulement du téléchargement de fichiers musicaux et cinématographiques et de la lutte contre le piratage. Parce qu'il tente d'adapter le droit d'auteur au contexte de la société de l'information numérique et à l'internet, il traite aussi de la question des exceptions aux droits exclusifs des auteurs.

Dans ce domaine, la directive européenne laisse aux États membres la faculté d'introduire des exceptions dans leur droit interne en puisant dans une liste de vingt exceptions aux règles générales du droit d'auteur. La plupart des États européens ont intégré dans leur régime d'exceptions les bibliothèques et les activités d'enseignement et de recherche.

Dans ce domaine, le projet de loi initial se situait en deçà de la directive en ne transposant que l'exception obligatoire relative à certaines reproductions provisoires et celle - ô combien importante ! - en faveur des associations de handicapés. Cette dernière est fondamentale dans une société moderne, qui marque ainsi son souci d'intégration des différences en favorisant l'accès des handicapés à la culture. C'est pourquoi, sans vouloir allonger exagérément cette liste, nous nous félicitons de l'ajout opéré par l'Assemblée nationale s'agissant, d'une part, de l'exception en faveur des bibliothèques publiques, des archives et des musées, et, d'autre part, de la reproduction d'une oeuvre « dans un but d'information ».

Nous approuvons l'exception en matière d'information, qui a été introduite à l'Assemblée nationale sur l'initiative de Pierre-Christophe Baguet. La commission des affaires culturelles du Sénat propose une amélioration de la rédaction du texte, en précisant que la reproduction ou la représentation des oeuvres d'art graphique doit répondre à un but exclusif d'information immédiate.

Nous soutiendrons les amendements bienvenus de nos collègues Marie-Christine Blandin et Jean-Paul Alduy visant à retirer les photographies de cette exception, afin de s'assurer que le droit d'auteur des journalistes-photographes est respecté.

Nous souhaitons également que le Sénat introduise l'exception au droit d'auteur pour des utilisations à des fins d'enseignement et de recherche, exception assez largement répandue en Europe. Nous reviendrons sur ce point lors de l'examen de notre amendement, moins restrictif que celui qui est proposé par la commission des affaires culturelles.

Au demeurant, je voudrais insister sur l'exception en faveur des bibliothèques publiques. C'est une question centrale pour les collectivités territoriales que nous représentons ici : toute une partie de la dimension culturelle de l'action des collectivités locales, et notamment la lecture publique, est en jeu.

De très nombreuses communes ont, depuis trente ans, créé et développé des bibliothèques pour favoriser l'accès du plus grand nombre à la culture et à la connaissance. Il s'agit en effet d'établissements essentiels pour favoriser l'égalité des chances et la formation tout au long de la vie, grâce à l'accès des populations les plus diverses aux oeuvres les plus variées. La bibliothèque publique est parfois le seul lieu ouvert à tous dans une commune ou un quartier. Ces services publics connaissent aujourd'hui une mutation vers un fonctionnement mêlant les supports physiques et les ressources électroniques.

La législation doit donc s'adapter pour faciliter cette évolution et pour garantir la poursuite des missions de service public de ces institutions. Voilà pourquoi il nous semble nécessaire que la loi intègre, comme l'y autorise la directive européenne, cette exception en faveur des bibliothèques accessibles au public, des établissements d'enseignement, des musées et des archives, qui ne recherchent aucun avantage commercial ou économique direct ou indirect.

Nous l'avons expliqué ce matin, une telle exception vise non pas à créer un droit nouveau, mais à garantir, dans l'univers du numérique, les fonctions légitimes des bibliothèques que sont la conservation et la communication. Sans l'adoption de cette exception, c'est pied à pied que des milliers de collectivités territoriales devraient négocier chaque usage, chaque condition d'utilisation des ressources numériques qu'elles mettent à la disposition des citoyens. En intégrant cette exception, il s'agit de maintenir dans l'univers du numérique l'équilibre qui existe dans l'univers du papier, sans remettre en cause, bien sûr, la légitimité des droits des auteurs.

Avec ces nouvelles exceptions, le groupe UC-UDF est satisfait de l'équilibre atteint par le projet de loi. Sans aller trop loin et en respectant les droits légitimes des auteurs, les nouvelles exceptions garantissent l'accès et la diffusion de la culture, des savoirs et de l'information dans notre société. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)

M. le président. L'amendement n° 168, présenté par MM. Ralite,  Renar et  Voguet, Mme David et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Avant le deuxième alinéa (1°) du I de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :

...° Dans le premier alinéa du 3°, après les mots : «  sous réserve » sont insérés les mots : « des droits moraux de l'auteur, et »

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Cet amendement, qui peut apparaître comme un amendement de précision, a une grande importance, comme l'a d'ailleurs si bien expliqué Jack Ralite, au nom de notre groupe, lors de la discussion générale. Il touche en effet au droit moral.

Lors de la création d'une oeuvre, l'auteur est titulaire d'un droit, le droit d'auteur, composé de deux attributs, le droit patrimonial et le droit qu'on pourrait qualifier d'« extrapatrimonial », qui est rattaché au premier : il s'agit du droit moral, « inaliénable » et « imprescriptible », car il demeure « attaché à la personne de l'auteur ». Seul ce dernier peut exercer ce droit, qui est « transmissible à cause de mort aux héritiers de l'auteur ».

Le droit moral est doté de quatre prérogatives précises : le droit de divulgation, le droit à la paternité, le droit au respect de l'oeuvre et le droit de retrait ou de repentir.

Par ailleurs, le droit moral est reconnu par les articles L. 121-1 à L. 121-5, ainsi que par l'article L. 121-7 du code de la propriété intellectuelle. Il est également reconnu, sans l'ampleur ni la portée que lui accorde le droit français, par la convention de Berne conclue en 1886, à laquelle ont adhéré 152 pays. Ainsi, d'après ce traité international, l'auteur ne peut notamment revendiquer son droit moral au respect de l'oeuvre que dans la mesure où la dénaturation de sa création porte atteinte à son honneur ou à sa réputation, ce qui est beaucoup plus restrictif. Ce droit s'exerce d'ailleurs de cette façon au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves.

Le droit moral demeure l'un des traits les plus remarquables et les plus particuliers de la législation française sur le droit d'auteur. Comme vous pouvez le constater, la précision donnée par le présent amendement a véritablement son importance, bien que la commission la considère comme superflue. Ce droit est en effet implicitement nommé lorsque l'on parle de droit d'auteur.

Cependant, comme l'a rappelé Jack Ralite, le droit moral a été bien peu évoqué, comparativement aux questions du marché, lors des débats à l'Assemblée nationale.

Aussi, il nous semble primordial de débuter l'examen de ce texte en nommant précisément ce droit. C'est ce que nous vous proposons en vous invitant à adopter le présent amendement.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Michel Thiollière, rapporteur de la commission des affaires culturelles. La précision apportée par cet amendement ne paraît pas nécessaire, car le droit français reconnaît traditionnellement une prééminence aux attributs d'ordre intellectuel et moral sur les attributs d'ordre patrimonial du droit qu'a l'auteur sur son oeuvre. D'ailleurs, l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle subordonne l'exercice des exceptions, qui affectent le droit patrimonial de l'auteur, à la divulgation de l'oeuvre qui relève, elle, des prérogatives morales.

Le bénéfice des exceptions ne peut, dans ces conditions, altérer le droit moral reconnu à l'auteur sur son oeuvre. C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Madame David, je partage votre souci du respect du droit moral de l'auteur, car celui-ci est intimement lié au fondement même de sa protection.

Les exceptions consacrées par le code de la propriété intellectuelle doivent s'exercer dans le respect du droit moral de l'auteur, qui est, je le rappelle, perpétuel, inaliénable et imprescriptible.

De ce fait, l'amendement n° 168 est superfétatoire. Telle est la raison pour laquelle le Gouvernement y est défavorable.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. Monsieur le président, je comprends parfaitement la démarche de nos collègues du groupe communiste, dont je partage assez largement les arguments.

En fait, comme l'ont d'ailleurs dit M. le ministre et M. le rapporteur, il n'est pas nécessaire, me semble-t-il, d'affirmer le droit moral dans cet article du code. Il faudrait plutôt, monsieur le ministre, se pencher un jour sur les conditions de son exercice et de sa protection.

En effet, la règle habituelle consiste à utiliser une oeuvre sans en demander préalablement l'autorisation à son auteur, en pensant : « s'il n'est pas content, il n'a qu'à plaider ! ». L'INA, l'Institut national de l'audiovisuel, est d'ailleurs coutumier de ce genre de pratiques. Dix ans après, tout cela se termine devant la Cour de cassation, pour trois francs cinquante !

Pour ma part, monsieur le ministre, je pense qu'il faudrait réfléchir à la manière dont le droit moral doit s'appliquer avant et non pas après l'utilisation de l'oeuvre. En effet, compte tenu des délais habituels de la justice, sa protection perd toute signification.

Je ne voterai pas l'amendement n° 168 déposé par nos collègues du groupe communiste, parce qu'il ne me semble pas utile de l'insérer dans cet article du texte, compte tenu de l'ensemble des dispositions du code de la propriété intellectuelle qui évoquent ce droit. Au demeurant, si nos collègues communistes avaient rédigé un amendement plus conforme au sens que j'indique - je pense qu'ils peuvent partager mon point de vue -, cela aurait été autrement plus intéressant et nous aurions réellement avancé concernant la protection de cet élément essentiel du droit de propriété de l'auteur qu'est le droit moral. S'il existe actuellement, il est très mal protégé et souvent inopérant en pratique.

Mme Annie David. Sous-amendez, monsieur Charasse !

M. Michel Charasse. Je ne peux pas ! L'amendement est trop concis !

M. le président. La parole est à M. Jack Ralite, pour explication de vote.

M. Jack Ralite. Il est vrai que le droit moral est inscrit dans les textes fondamentaux. Néanmoins, nous sommes en train de discuter de la transposition d'une directive dont nous sommes partie prenante en tant que membres de l'Union européenne ! Or on connaît les batailles qu'il a fallu mener pour sauvegarder le droit moral à l'échelon européen.

Mais considérons simplement l'échelon national. Un jugement en faveur de Jean Ferrat est intervenu récemment au sujet d'une compilation parue sans son accord.

M. Jack Ralite. Fort heureusement, les juges lui ont donné raison. Mais cela aurait pu ne pas être le cas...

M. Michel Charasse. Au bout de combien de temps cette décision est-elle intervenue ?

M. Jack Ralite. Un certain temps !

Par ailleurs, s'agissant de la Convention de Berne citée tout à l'heure, les Etats-Unis, quand ils ont bien voulu s'y rallier, l'ont fait en supprimant l'article 6 relatif au droit moral !

Le copyright, à travers une offensive devenue mondiale, qui n'est d'ailleurs pas étrangère aux débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale et que nous poursuivons au Sénat, marque des points.

En proposant cet amendement, nous « bégayons » peut-être la réalité. Mais vous savez combien il a fallu de temps pour venir à bout du contrat première embauche ! (Sourires.) Il faudra également beaucoup de temps pour maintenir le droit moral !

Cela dit, les arguments de notre collègue Michel Charasse m'intéressent. Il va bien falloir que nous ayons un débat sur le droit moral ! (M. Michel Charasse acquiesce.) En effet, aujourd'hui, ce droit est en danger dans le monde, car il fait passer le culturel avant le marchand. Or, aujourd'hui, c'est le marchand qui passe avant le culturel.

Le droit moral est donc un droit d'humanité, que la France à créer pour le respecter et le faire respecter.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 168.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 1, présenté par M. Thiollière, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après le deuxième alinéa (1°) du I de cet article, insérer un 1° bis ainsi rédigé :

bis Le 3° est complété par un e) ainsi rédigé :

« e) La représentation ou la reproduction de courtes oeuvres ou d'extraits d'oeuvres, autres que des oeuvres elles-mêmes conçues à des fins pédagogiques, à des fins exclusives d'illustration ou d'analyse dans le cadre de l'enseignement et de la recherche, à l'exclusion de toute activité ludique ou récréative, et sous réserve que le public auquel elles sont destinées soit strictement circonscrit au cercle des élèves, étudiants, enseignants et chercheurs directement concernés, que leur utilisation ne donne lieu à aucune exploitation commerciale, et qu'elle soit compensée par une rémunération négociée sur une base forfaitaire nonobstant la cession du droit de reproduction par reprographie mentionnée à l'article L. 122-10. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Thiollière, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur les arguments que j'ai développés ce matin, lors de la discussion générale, concernant les raisons pour lesquelles j'ai déposé cet amendement.

Ils tiennent en trois points essentiels. D'abord, la directive 2001/29, dans le a) du paragraphe 3 de l'article 5, prévoit une exception en faveur de l'enseignement et de la recherche. Ensuite, un certain nombre de pays européens l'ont déjà adoptée. Enfin, les accords intervenus récemment dans ce domaine ne nous paraissent pas suffisamment satisfaisants.

Au demeurant, le dispositif que nous vous proposons dans cet amendement encadre strictement cette exception.

Tout d'abord, celle-ci ne peut porter que sur de courtes oeuvres ou des extraits d'oeuvres, à l'exception des oeuvres elles-mêmes conçues à des fins pédagogiques.

Ensuite, elle est subordonnée à des fins d'illustration ou d'analyse dans le cadre de l'enseignement et de la recherche ; leur utilisation ne doit donner lieu à aucune exploitation commerciale.

Enfin, à l'image de l'exception concernant les représentations dans le cercle familial, elle est limitée au cercle des élèves, étudiants, enseignants et chercheurs directement concernés.

M. le président. Le sous-amendement n° 203, présenté par Mmes Blandin,  Boumediene-Thiery et  Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Dans le dernier alinéa de l'amendement n° , remplacer le mot :

strictement

par le mot :

majoritairement

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. L'exception en faveur de l'enseignement et de la recherche que vient de nous proposer M. le rapporteur est bienvenue. Elle répond à l'intérêt général. C'est un cas spécial. Le forfait compensateur permettra que les auteurs ne soient pas spoliés. L'exploitation des oeuvres ne s'en trouve pas compromise.

Le test est franchi et tous les critères sont remplis ! Mais, pour que l'exception joue son rôle, encore faut-il qu'elle soit opérationnelle.

Lorsqu'il a défendu l'amendement n° 1, M. le rapporteur nous a dit que la présentation des oeuvres était limitée au cercle des élèves, étudiants, enseignants et chercheurs. Il n'a pas lu précisément son texte, qui précise que le public doit être « strictement circonscrit au cercle des élèves, étudiants, enseignants et chercheurs directement concernés ».

Quand on connaît l'enseignement universitaire, les méthodes utilisées pour les colloques, les échanges, etc., l'importance de la recherche-développement, on sait que ce n'est pas possible ! Cela ne se passe pas dans des cercles strictement fermés entre enseignants et étudiants. Parfois, des ministres viennent inaugurer un colloque ; il peut y avoir aussi des invités extérieurs. Pour la recherche-développement, des ingénieurs viennent très fréquemment exposer tel ou tel dispositif.

On ne va quand même pas leur demander de sortir au moment d'une citation, pendant la projection d'une diapositive ou une courte présentation !

C'est pourquoi il me semblerait judicieux d'utiliser l'adverbe « majoritairement » plutôt que « strictement ».

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 47 est présenté par M. J.L. Dupont, Mme Morin-Desailly, M. Nogrix et les membres du groupe Union centriste - UDF.

L'amendement n° 198 est présenté par Mmes Blandin,  Boumediene-Thiery et  Voynet et M. Desessard.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après le deuxième alinéa (1°) du I de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

... °- Le 3° est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« e) L'utilisation à des fins exclusives d'illustration dans le cadre de l'enseignement ou de la recherche scientifique, sous réserve d'indiquer, à moins que cela ne s'avère impossible, la source, y compris le nom de l'auteur, dans la mesure justifiée par le but non commercial poursuivi. »

La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour présenter l'amendement n° 47.

Mme Catherine Morin-Desailly. Cet amendement, comme l'amendement n° 1 de la commission et les amendements déposés par l'ensemble des groupes, tend à intégrer, dans la liste des exceptions au droit d'auteur, l'exception pour les universités, l'enseignement et la recherche.

Sans souhaiter allonger exagérément cette liste, ajouter cette exception nous semble également essentiel pour la compétitivité de l'enseignement supérieur et de la recherche française à l'échelle européenne et internationale.

En l'absence d'exception législative, les chercheurs et les étudiants français seraient malheureusement contraints de trouver sur les réseaux numériques anglo-saxons, par exemple, les documents de travail dont ils ont besoin.

Par ailleurs, nos partenaires européens ont inséré dans leur législation nationale cette exception. Il n'y a donc aucune raison que nous nous marginalisions, surtout sur ce terrain où l'harmonisation européenne est souhaitable.

L'amendement n° 47 est moins restrictif que l'amendement n° 1, déposé par la commission, mais je ne doute pas qu'un juste milieu soit possible entre les deux versions.

La rédaction de l'amendement n° 1 nous inquiète sur quelques points.

D'abord, comme l'a fait Marie-Christine Blandin, j'insiste sur le fait que l'expression « strictement circonscrit » semble écarter du champ de l'exception les colloques, les conférences, les séminaires organisés au sein d'une université.

Faut-il entendre que la présence d'auditeurs étrangers à l'université empêcherait la reproduction d'oeuvre censée illustrer un propos, une thèse ?

Cela veut-il dire, par exemple, que cette prestigieuse institution qu'est le Collège de France, dont le principe est justement d'ouvrir à tous l'accès aux séminaires, ne pourrait pas invoquer le bénéfice de cette exception ?

Cette restriction est peut-être volontaire, mais, sincèrement, le sous-amendement n°203 nous semble utile et pertinent, car il donne plus de souplesse au dispositif proposé.

J'en viens à la question relative à la contrepartie financière.

Cette précision a-t-elle été inscrite dans l'amendement de la commission parce que cinq conventions ont été déjà signées ou répond-elle à un autre impératif ?

Nous nous interrogeons d'autant plus que, d'après les informations que nous avons pu obtenir, ces conventions ont été signées sans véritable concertation avec la Conférence des présidents d'université, pendant le débat à l'Assemblée nationale. Cela justifiait sans doute la nécessité de ne pas accorder cette nouvelle exception.

J'attire tout de même votre attention sur le fait que les universités sont déjà assujetties, pour le droit de photocopie et le droit de prêt, à une compensation qui s'avère lourde pour les budgets toujours très tendus de nos universités.

Pour l'instant, il est prévu que le ministère de l'éducation nationale prendra cette contrepartie en charge jusqu'au 31 décembre 2008. Mais, passée cette échéance, le problème restera posé. A-t-on aujourd'hui l'assurance que des crédits spécifiques seront attribués ?

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, si nous partageons, comme vous tous, le souci de prévoir une exception en faveur des chercheurs et des enseignants, et si nous sommes conscients du fait que notre propre amendement n'encadre pas assez la mise en oeuvre de cette exception, nous considérons cependant que la version proposée par M. le rapporteur mériterait peut-être d'être améliorée sur les différents points que je viens d'évoquer et, en tout cas, de faire l'objet de précisions supplémentaires. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour présenter l'amendement n° 198.

Mme Marie-Christine Blandin. Cet amendement est identique au précédent.

N'oublions pas que les transpositions doivent tendre, autant que faire se peut, vers l'harmonisation entre les États membres. La plus fidèle des harmonisations, c'est le texte même de la directive quand celui-ci est précis et concret. C'est le cas de cet ajout que nous vous proposons.

M. le rapporteur a eu raison, ce matin, de citer les pays qui ont fait ce choix et de rappeler le constat d'accord non abouti pour ce qui est de nos ministères de l'éducation et de la recherche.

Les activités d'enseignement et de recherche ne sont pas commerciales. Chacun plaide pour l'ouverture des esprits en formation sur le monde. Chacun plaide aussi pour des universités européennes tournées vers l'échange. On ne peut imaginer des différences dommageables d'accès aux outils de la formation qui laisseraient nos étudiants et chercheurs en retard.

Aussi cet amendement reproduit-il exactement les phrases de la directive.

M. le président. L'amendement n° 121, présenté par MM. Assouline et  Lagauche, Mme Tasca, MM. Yung,  Bockel,  Lise,  Vidal et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Après le deuxième alinéa (1°) du I de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

... ° Le 3° est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« ... ° La représentation ou la reproduction de courtes oeuvres ou d'extraits d'oeuvres, autres que des oeuvres conçues à des fins pédagogiques, à des fins exclusives d'apprentissage, d'illustration ou d'analyse, dans le cadre d'activités d'enseignement et de recherche, sous réserve que le public auquel elles sont destinées soit strictement circonscrit au cercle des étudiants, enseignants et chercheurs directement concernés et qu'elle soit compensée par une rémunération négociée sur une base forfaitaire nonobstant la cession du droit de reproduction par reprographie mentionné à l'article L. 122-10. »

La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. L'exception dite « pédagogique » recouvre une réalité multiple. Plusieurs alinéas de l'article 5 de la directive ouvrent aux États des possibilités d'introduire des exceptions au droit exclusif des auteurs, pour des motifs de pédagogie. Ces motifs sont évoqués de façon distincte par cet article de la directive.

Ainsi, le c) du paragraphe 2 appréhende les actes de reproduction spécifiques, effectués par les bibliothèques accessibles au public, les établissements d'enseignement supérieur, les musées ou services d'archives qui ne recherchent aucun avantage commercial.

Le a) du paragraphe 3 appréhende les cas exclusifs d'illustration à fins d'enseignement et de recherche, sous réserve d'indiquer, sauf impossibilité, la source.

Le n) du paragraphe 3 appréhende les cas de communication sur site d'oeuvres faisant partie de la collection des bibliothèques, musées, services d'archives et établissements d'enseignement qui ne sont pas soumises à des conditions en matière d'achat ou de licence.

Les principaux États membres qui ont transposé la directive ont généralement retenu, avec des différences de portée, ces trois types d'exceptions.

La France, dans le projet de loi initial, n'avait pas prévu l'exercice de l'exception pédagogique ; seuls les établissements en charge du dépôt légal avaient été retenus pour se voir appliquer le bénéfice des exceptions des c) du paragraphe 2 et n) du paragraphe 3 de l'article 5.

En première lecture, l'Assemblée nationale a introduit une nouvelle exception en faveur des musées, bibliothèques et services d'archives sur laquelle nous reviendrons tout à l'heure, lors de la défense de nos amendements.

Compte tenu de la grande misère des universités françaises et des établissements de recherche, nous souhaitons que ces deux catégories d'établissements puissent également bénéficier d'une exception légale au droit patrimonial exclusif des auteurs.

En France, on constate de lourdes charges pour la catégorie principalement concernée par l'exception pédagogique : les universités, qui versent déjà, chaque année, environ 2,4 millions d'euros au titre de la photocopie d'oeuvres protégées et 1,5 million d'euros au titre de la redevance pour droit de prêt en bibliothèque, afin d'assurer la juste rémunération des ayants droit.

Les récents accords signés par le ministère de l'éducation nationale avec les représentants des ayants droit, branche par branche, depuis début mars 2006, portant la date globale du 27 février 2006, ont permis d'aboutir à des accords sur la rémunération des ayants droit des secteurs concernés : écrit, audiovisuel musique, arts visuels et presse.

Ces accords sont satisfaisants, mais notre amendement tend à leur octroyer une base légale tout en insérant, dans notre droit de la propriété littéraire et artistique, une exception pédagogique légitime, mais restrictivement définie.

M. le président. Le sous-amendement n° 231, présenté par Mmes Blandin,  Boumediene-Thiery et  Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Dans le dernier alinéa de l'amendement n°121, remplacer le mot :

strictement

par le mot :

majoritairement

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Que la rédaction vienne du rapporteur ou du groupe socialiste, l'argumentation est la même : mieux vaut écrire « majoritairement » !

M. le président. L'amendement n° 96, présenté par MM. Garrec,  de Raincourt,  Carle et  Humbert, est ainsi libellé :

Après le I de cet article, insérer un paragraphe ainsi rédigé :

... - Après l'article L. 122-5 du même code, il est inséré un article ainsi rédigé:

« Art. L. ... - La représentation ou la reproduction d'extraits d'oeuvres à des fins exclusives d'illustration et d'analyse dans le cadre de l'enseignement et de la recherche, à l'exclusion de toute activité ludique ou récréative, et sous réserve que le public auxquelles elles sont destinées soit strictement circonscrit au cercle des élèves, étudiants, enseignants et chercheurs directement concernés, que leur utilisation ne donne lieu à aucune exploitation commerciale, ne peut être interdite dès lors que la rémunération de ces exploitations est assurée, nonobstant la cession du droit de reproduction par reprographie mentionnée à l'article L. 122-10, dans le cadre de conventions triennales conclues entre le ou les ministres de tutelle et les organismes professionnels d'auteurs. »

La parole est à M. René Garrec.

M. René Garrec. Cet amendement est assez proche de celui de la commission. Cependant, il représente un compromis pour les tenants d'une exception du droit d'auteur à des fins pédagogiques et les tenants d'une licence contractuelle.

Il subordonne la mise en oeuvre de l'exception légale assurée dans le cadre des conventions triennales conclues entre les ministres de tutelle et les organismes professionnels d'auteurs.

De plus, il valide les accords qui viennent d'être évoqués par notre collègue David Assouline et qui ont été conclus en février dernier entre les ministres concernés et les représentants des ayants droit. Ces accords, qui, je vous le rappelle, ont demandé deux ans de travail, ont été conclus pour une durée allant jusqu'à la fin de 2008. Il me paraît très difficile de ne pas les prendre en compte à cet endroit du texte.

M. Michel Charasse. Monsieur le président, puis-je déposer un sous-amendement ?

M. le président. Puis-je vous le refuser ? (Sourires.)

Vous avez la parole, monsieur Charasse.

M. Michel Charasse. Monsieur le président, afin de concilier les arguments vrais qui ont été employés par Mme Blandin et qui n'ont pas été contestés par d'autres collègues, je propose de laisser, dans l'amendement n° 1, l'adverbe « strictement », qui dit bien ce qu'il veut dire, mais de préciser qu'il s'agit d'un public « circonscrit à un cercle composé "majoritairement" d'élèves, d'étudiants, d'enseignants et de chercheurs ».

M. René Garrec. Ce n'est pas mal !

M. Michel Charasse. Cela montrerait qu'il s'agit vraiment d'une exception strictement limitée, mais, en même temps, que le cercle est composé « majoritairement », ce qui permet de recevoir les personnes extérieures qui ne font pas partie des groupes d'étudiants, de professeurs, etc.

M. le président. Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 260, présenté par M. Charasse, et ainsi libellé :

Dans le texte proposé par l'amendement n° 1 de la commission pour le e) complétant le 3° de l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots :

circonscrit au cercle des élèves, étudiants enseignants et chercheurs

par les mots :

circonscrit à un cercle composé majoritairement d'élèves, d'étudiants, d'enseignants et de chercheurs

Quel est l'avis de la commission sur l'ensemble des amendements et sous-amendements ?

M. Michel Thiollière, rapporteur. La commission est défavorable au sous-amendement n° 203, car elle a souhaité encadrer strictement l'exception en faveur de l'enseignement et de la recherche de façon à ne pas causer un préjudice excessif aux auteurs.

Je suis favorable au sous-amendement n° 260 de M. Charasse, car cette suggestion me paraît aller dans le sens souhaité par l'ensemble de ceux qui approuvent l'amendement n° 1.

La commission est défavorable aux amendements identiques nos 47 et 198, qui reprennent littéralement le texte de la directive européenne. Or celle-ci fixe le cadre général dans lequel les États peuvent prévoir des exceptions, plutôt qu'elle ne les invite à reproduire ce qui constituerait des « exceptions types », en quelque sorte.

Sa rédaction large vise à englober les différentes exceptions déjà existantes en Europe et sa transposition littérale en droit français déboucherait sur une exception trop large, qui ne serait pas conforme aux exigences du test en trois étapes que la directive nous oblige, par ailleurs, à introduire dans notre droit.

Ces raisons ont conduit la commission à circonscrire plus précisément le champ d'application de l'exception en faveur de l'enseignement et de la recherche, en l'adaptant aux caractéristiques de notre droit en vigueur.

La rédaction de l'amendement n° 121 est très proche de celle de l'amendement n° 1 de la commission, mais étend le bénéfice de l'exception à l'apprentissage.

Cette extension pourrait soulever des difficultés au regard de la directive qui insiste à plusieurs reprises sur la nature non commerciale des utilisations susceptibles d'entrer dans le champ de l'exception.

L'apprentissage, qui, par définition, est à cheval sur le monde éducatif et sur celui de l'économie, risque donc, quel que soit par ailleurs son intérêt, de ne pas répondre à ces exigences.

Ces considérations conduisent la commission à donner un avis défavorable à l'amendement n° 121, qui présente par ailleurs une large convergence avec celui qu'elle a elle-même proposé.

S'agissant du sous-amendement n° 231, la commission estime que l'exception éducative, qui ne concerne d'ailleurs pas que l'enseignement supérieur, doit être strictement circonscrite pour ne pas risquer d'infliger un préjudice excessif aux auteurs et aux ayants droit. En conséquence, elle a émis un avis défavorable sur ce sous-amendement.

Enfin, la rédaction de l'amendement n° 96 est, sous de nombreux aspects, très proche de celle de l'amendement de la commission. Elle s'en distingue cependant sur deux points.

Contrairement à la commission, qui propose d'intégrer ce paragraphe à l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle consacré à l'ensemble des exceptions, M. Garrec souhaite inscrire cette nouvelle exception dans un article distinct, comme pour souligner son statut particulier. Celui-ci découle du rôle tenu par la rémunération assurée aux ayants droit.

Pour sa part, la commission a proposé, dans un esprit d'équité, que l'exception soit compensée par une rémunération négociée sur une base forfaitaire, sans préjudice du droit de reproduction par reprographie existant.

L'amendement n° 96 subordonne, en revanche, la mise en oeuvre de cette exception légale à une rémunération assurée dans le cadre de conventions triennales conclues entre le ou les ministres de tutelle et les organismes professionnels d'auteurs. Il constitue en quelque sorte une voie intermédiaire entre la voie contractuelle privilégiée par le Gouvernement et l'instauration d'une exception légale à part entière.

Si cette disposition devait être adoptée, il conviendrait de compléter le nouvel article pour rappeler, comme le fait l'article L. 122-5 pour les autres exceptions, que le bénéfice de l'exception est subordonné à la divulgation préalable de l'oeuvre.

C'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement. Toutefois, j'ai bien entendu les arguments de notre collègue René Garrec, et la commission pourrait rectifier son amendement n° 1 en vue de préciser que ces dispositions ne s'appliqueront qu'à compter du 1er janvier 2009, ce qui permettrait de respecter les accords en cours.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. S'agissant de l'amendement n° 1 et du sous-amendement n° 260, j'exprimerai un certain nombre de considérations qui me semblent importantes sur ce sujet sensible.

Cette nouvelle proposition d'exception s'inscrit dans l'objectif légitime de permettre aux enseignants, aux élèves et aux chercheurs de se saisir des opportunités offertes par les nouvelles technologies. En effet, il est parfaitement naturel que soient utilisées pour les activités pédagogiques et de recherche des oeuvres de création protégées par des droits de propriété littéraire et artistique.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a engagé une négociation avec les titulaires de droits pour autoriser ces utilisations nouvelles et leur donner une sécurité juridique. Comme le Gouvernement s'y était engagé - il n'était pas ici question d'une mesure dilatoire qui serait reportée aux calendes grecques -, le ministère de l'éducation nationale et l'ensemble des titulaires de droits ont signé en mars dernier des accords visant à autoriser de façon large l'utilisation des oeuvres dans l'enseignement, notamment via les réseaux de communication électronique.

La Conférence des présidents d'université a naturellement été associée, je tiens à le rappeler, à cette négociation et a pu faire part de ses observations, chaque fois qu'elle s'est fait représenter. La politique de la chaise vide ne permet évidemment pas de faire entendre sa voix ; mais cela relève de la responsabilité de celles et de ceux qui prennent la décision de siéger ou de ne pas siéger.

Ces accords permettent d'adapter, dans un contexte nouveau, les mécanismes fondés sur la négociation et le contrat qui ont fait la preuve de leur efficacité, qu'il s'agisse tant de la photocopie que des panoramas de presse. Ils ont notamment visé à préciser l'étendue des extraits et à inclure les oeuvres réalisées à des fins pédagogiques.

La loi risque donc de figer une situation, alors même que la logique contractuelle devrait permettre une adaptation permanente à la réalité des besoins ; c'est ce que les accords ont prévu et ce à quoi le Gouvernement est prêt à s'engager.

Une définition trop large et imprécise de l'exception ne serait pas conforme à la directive européenne et à nos engagements internationaux puisque les exceptions doivent tenir compte, comme l'indique le considérant 44 de la directive, « de l'incidence économique accrue que celles-ci sont susceptibles d'avoir dans le cadre du nouvel environnement électronique ».

Je tiens à souligner le fait que l'impossibilité pour la loi d'être aussi précise que les accords placera nombre de secteurs déjà fragiles dans une situation d'insécurité juridique inquiétante, alors que ceux-ci sont essentiels à la diffusion du savoir et que l'enseignement représente pour eux une activité très importante. Je pense notamment aux partitions de musique, aux éditions techniques et de sciences humaines, aux éditions d'oeuvres dramatiques, bref à toutes les éditions fragiles. Notre objectif est de faire en sorte que les auteurs et créateurs puissent trouver des éditeurs susceptibles de publier leurs oeuvres. Nous devons avoir à coeur d'atteindre la masse critique nécessaire aux plus fragiles de nos compatriotes et à leurs créations, car cette diversité pourrait finalement être menacée au détriment de ceux-là mêmes qui doivent profiter de l'exception.

Même si je comprends parfaitement un certain nombre des objectifs que vous poursuivez, monsieur le rapporteur, je ne puis, en l'état actuel des choses, émettre un avis favorable sur cet amendement. Toutefois, si vous acceptez de rectifier votre amendement en intégrant la date référence de 2009, je reverrai ma position.

S'agissant du sous-amendement n° 260, j'y suis défavorable pour des raisons de précision. De même, je suis défavorable au sous-amendement n° 203, aux amendements identiques nos 47 et 198 ainsi qu'à l'amendement n° 121 et au sous-amendement n° 231.

En revanche, l'amendement n° 96 vise à proposer un compromis entre, d'une part, l'affirmation dans la loi d'un droit de reproduction et de représentation reconnu aux établissements d'enseignement et de recherche et, d'autre part, le recours à la démarche contractuelle pour fixer et faire évoluer dans le temps les modalités d'application de ce droit en matière de rémunération. Il permet ainsi de reconnaître les accords conclus entre les représentants des ayants droit et le ministère de l'éducation nationale, tout en en renforçant la portée. Cette disposition entrera en application sans porter atteinte aux droits de reproduction par reprographie et à la rémunération qui en découle, ce qui est indispensable. En effet, dans le cas contraire, ce serait tout l'édifice fondé par la loi de 1995 qui s'écroulerait avec, à la clé, une remise en cause profonde des équilibres économiques de plusieurs secteurs relevant de la presse et de l'édition.

Cet amendement peut donc permettre de concilier l'approche de la Haute Assemblée et celle du Gouvernement afin de répondre à notre objectif commun qui est de favoriser le développement des activités d'enseignement et de recherche, tout en reconnaissant la nécessité de respecter le droit des auteurs et de se placer dans un cadre reconnu et agréé par l'ensemble des acteurs concernés. En conséquence, je m'en remets à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. M. le rapporteur a proposé de rectifier l'amendement n° 1 pour préciser que les dispositions s'appliquent à compter du 1er janvier 2009. Cette solution vous satisfait-elle, monsieur Garrec ?

M. René Garrec. Tout d'abord, je tiens à remercier M. le ministre de l'avis de sagesse qu'il a émis sur mon amendement.

La proposition de M. le rapporteur consistant à prévoir que les dispositions s'appliquent à compter du 1er janvier 2009 me conviendrait tout à fait, car il nous faut intégrer le travail réalisé en la matière depuis deux ans par les ministres.

Néanmoins, monsieur le président, il subsiste une nuance entre l'amendement n° 1 et mon amendement n° 96 dans la mesure où je propose de procéder de façon contractuelle, alors que la commission veut inscrire cette exception dans la loi. Peut-être la commission pourrait-elle faire une proposition de synthèse ?

M. le président. Mes chers collègues, je vous propose d'y réfléchir pendant la suspension !

Nous allons donc interrompre maintenant nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.

Article 1er bis (suite)

M. le président. Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus, au sein de l'article 1er bis, aux explications de vote sur l'amendement n° 1 et les sous-amendements nos 203 et 260.

Je rappelle qu'avant la suspension M. le rapporteur avait annoncé une rectification de l'amendement n° 1.

Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.

M. Michel Thiollière, rapporteur. Nous proposons en effet d'ajouter à cet amendement un alinéa précisant que les dispositions prévues s'appliqueront à compter du 1er janvier 2009.

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Thiollière, au nom de la commission, et ainsi libellé :

Après le deuxième alinéa (1°) du I de cet article, insérer un 1° bis ainsi rédigé :

bis a) Le 3° est complété par un e) ainsi rédigé :

« e) La représentation ou la reproduction de courtes oeuvres ou d'extraits d'oeuvres, autres que des oeuvres elles-mêmes conçues à des fins pédagogiques, à des fins exclusives d'illustration ou d'analyse dans le cadre de l'enseignement et de la recherche, à l'exclusion de toute activité ludique ou récréative, et sous réserve que le public auquel elles sont destinées soit strictement circonscrit au cercle des élèves, étudiants, enseignants et chercheurs directement concernés, que leur utilisation ne donne lieu à aucune exploitation commerciale, et qu'elle soit compensée par une rémunération négociée sur une base forfaitaire nonobstant la cession du droit de reproduction par reprographie mentionnée à l'article L. 122-10. »

b) Les dispositions du a) s'appliquent à compter du 1er janvier 2009.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Les dates d'entrée en vigueur d'une disposition peuvent avoir une grande importance. Elles peuvent permettre de trouver l'équilibre que nous recherchons, dans un domaine très évolutif, entre, d'une part, l'affirmation de valeurs pérennes, intangibles, que nous devons rappeler, et, d'autre part, l'élaboration de dispositions contractuelles qui peuvent évoluer en fonction des progrès de la technologie.

C'est dans cette perspective que le ministère de l'éducation nationale a entrepris une démarche contractuelle avec l'ensemble des ayants droit et qu'il est parvenu à ce qui me semble être une solution satisfaisante.

Vous avez exprimé le souci de laisser vivre ces accords contractuels. C'est effectivement une position de bon sens dans la mesure où une disposition législative risquerait de les contredire et de les rendre caduques.

C'est la raison pour laquelle je m'en remets à la sagesse de la Haute Assemblée sur cet amendement n°1 rectifié.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 203.

Mme Marie-Christine Blandin. Je retire mon sous-amendement au profit de celui de M. Charasse dont la rédaction s'inspire des mathématiques modernes ! (Sourires.)

M. le président. Le sous-amendement n° 203 est retiré.

La parole est à M. Jack Ralite, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 260.

M. Jack Ralite. Je suis favorable à l'amendement de la commission et je souhaitais adopter le sous-amendement de Marie-Christine Blandin, mais je me rallie sans drame à celui de Michel Charasse. (Sourires.)

Cela étant, je ne souhaite pas aller plus loin. En effet, à écouter les propos des uns et des autres, il m'apparaît que la question qui se pose réellement est de savoir si l'on est pour une décision législative ou si l'on préfère entériner un contrat. En l'occurrence, la différence est fondamentale.

D'abord, ces contrats ont mis très longtemps à voir le jour. Ils ont même suscité à l'Assemblée nationale un épisode amusant, puisque les députés ne les ont pas trouvés dans leur « casier » avant la séance. Et pour cause ! Ils ont été signés in extremis, alors qu'ils étaient en négociation depuis des années !

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Ils sont là !

M. Jack Ralite. À les examiner de près, on constate qu'ils ne couvrent pas les domaines évoqués par Marie-Christine Blandin et par Michel Charasse, qu'ils ne couvrent pas toutes les oeuvres, qu'ils ne couvrent que des extraits d'oeuvres, ce qui peut être dépourvu de sens et d'intérêt pour des oeuvres courtes ; je pense à des oeuvres japonaises telles que les haïkus qui ne contiennent que deux vers ! (Sourires.)

Même si la longueur des oeuvres concernées est encadrée par un pourcentage, elle doit être précisée par un autre accord à venir. La reprographie est exclue. Il n'y a pas de date d'entrée en vigueur. En revanche, il faudra renégocier à la fin de 2008 ou, comme on nous le propose maintenant, si j'ai bien compris M. le rapporteur, en 2009.

Tout à l'heure, M. le ministre disait ne pas comprendre mon malaise. Il est là : on nous propose une mesure qui, si elle semble opportune au niveau de l'énoncé, est malheureuse au niveau de la pratique, puisqu'elle n'aura pas d'application immédiate.

Tout le monde sait mon attachement indéfectible et intransigeant au droit d'auteur, mais sur cette question précise, il me semble qu'il y a un devoir social, un devoir culturel, un devoir démocratique à trouver un accommodement entre le respect du droit d'auteur et les besoins de l'enseignement, de la recherche et, plus largement, des bibliothèques. Donc, sur cette question, je ne souscris pas à la conclusion vers laquelle on semble s'acheminer.

Un contrat, c'est, comme une loi, un rapport de force, à la différence près qu'un contrat est dans l'immédiat ; il peut changer rapidement. En revanche, une loi force à prendre de la hauteur, à dépasser les contradictions et à réaliser une synthèse.

Dans le rapport de force qui nous occupe, outre l'auteur, il y a l'industrie. Or, dans les contrats tels qu'ils sont rédigés, l'industrie supplante l'auteur. C'est pourquoi il faudrait aller vers une loi qui mette l'auteur au centre de l'accord. Telle est ma première remarque.

Ma deuxième remarque est relative à un courrier que j'ai reçu. Dans ce courrier, signé par un homme pour lequel j'ai de la sympathie et de l'affection, Paul Otchakovsky-Laurens, le directeur des éditions POL, celui-ci m'alerte sur le risque de voir disparaître certaines maisons d'édition. Certes, on peut être soucieux de l'emploi, mais il faut également se soucier de la création.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Et de la diversité !

M. Jack Ralite. Et ce n'est pas au nom de l'emploi qu'on me fera sacrifier la création ! C'est trop facile : on sacrifierait tout pour l'emploi. Or, depuis des années qu'on nous tient le même discours, il n'y a toujours pas plus d'emplois ! Pourtant, que de sacrifices !

Quand j'entends cet éditeur que j'apprécie beaucoup, je me dis qu'il aborde une vraie question.

Il faut prévoir une compensation spécifique, non pas pour les grands éditeurs qui ne risquent rien - en Allemagne, où l'exception pédagogique existe, je ne crois pas que Bertelsmann ait demandé une compensation financière -, mais pour des petits éditeurs indépendants, comme P.O.L., Liana Levi ou Actes Sud. Ils doivent être « désintéressés », si je puis dire ; cela ne doit pas remettre en cause l'accord traduit au niveau législatif.

Enfin, j'en viens à ma troisième remarque. J'évoquais tout à l'heure la jurisprudence qui a déjà défendu le droit moral, et notamment le jugement concernant Jean Ferrat, après les bousculades que celui-ci subit de la part de maisons d'édition musicale. Mais on peut trouver des situations identiques dans le secteur de l'édition. L'évolution récente de la jurisprudence montre que, en s'appuyant sur l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, des juges ont statué en faveur de l'exception pédagogique ou des conséquences qu'elle aurait si elle existait.

Un grand nombre d'arguments milite donc pour l'inscrire dans la loi - je ne suis pas un fanatique d'une multiplication des lois, mais là, il en faut une ! Nous avons besoin d'un symbole démocratique fort, parce qu'il s'agit de biens publics tout à fait précieux : la culture, l'éducation et le savoir sont les seuls biens dont la valeur ne diminue pas lorsqu'on les partage.

L'auteur, c'est l'origine, le public, c'est le destinataire, mais le premier destinataire, c'est l'auteur qui se lit lui-même ! La possibilité d'un rapprochement, d'un partage de haut niveau, existe donc ; c'est le coeur de l'amendement proposé par M. Thiollière, amélioré par Marie-Christine Blandin ou par Michel Charasse.

Je m'arrête là, mais vous avez pu constater avec quelle passion j'aborde ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. Je plaiderai moins longtemps et avec moins de flamme. (Sourires.)

Le groupe socialiste soutiendra le sous-amendement n° 260 de Michel Charasse. Nous pensons que la rédaction qu'il propose reflète bien l'esprit du débat, tout en regrettant que notre suggestion visant à inclure les activités liées à l'apprentissage ne soit pas retenue. C'est méconnaître les intérêts des bénéficiaires d'une activité pédagogique analogue à celles de l'éducation, de l'université ou de la recherche. Comme il s'agit de manuels, ils sont exclus, une fois de plus ! Nous le regrettons.

Au demeurant, nous voterons également l'amendement n° 1 rectifié.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Nous voterons l'amendement n° 1 rectifié, tel qu'il est proposé par M. le rapporteur. Il lève notre inquiétude relative à une conception trop stricte des publics susceptibles d'évoluer en milieu universitaire. Pour nous, nous tenons à le réaffirmer, l'important est que le principe de l'exception s'appliquant à l'enseignement et à la recherche soit transposé dans notre droit interne, comme il l'est dans un grand nombre de pays européens.

À ce titre, nous saluons, monsieur le ministre, l'évolution de votre position. Vous avez compris qu'un large consensus se dégageait autour de cette exception au sein de notre assemblée. Nous aurions aimé, certes, que celle-ci soit immédiatement applicable, mais nous devons laisser la place au contrat.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Thiollière, rapporteur. Pour nous, l'essentiel est d'affirmer l'exception pédagogique concernant l'enseignement supérieur et la recherche, souhaitée par un grand nombre d'entre nous et qui était attendue depuis très longtemps.

Nous avons considéré que, l'essentiel étant acquis avec cet amendement qui s'inscrira dans la loi, le reste relève de la poursuite des négociations et des accords déjà intervenus. Nous laissons ces accords aller jusqu'à la fin 2008, terme d'une période qu'on pourrait qualifier de transitoire, après quoi la loi fera toute sa place aux négociations, comme prévu dans notre amendement.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 260.

(Le sous-amendement est adopté à l'unanimité.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié, modifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, les amendements nos 47, 198, 121, le sous-amendement n° 231 et l'amendement n° 96 n'ont plus d'objet.

L'amendement n° 167, présenté par MM. Ralite,  Renar et  Voguet, Mme David et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Au début du premier alinéa du 7° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, ajouter les mots :

Sous réserve qu'elles soient compensées par une rémunération négociée sur une base forfaitaire perçue pour le compte des ayant droits et répartie entre ceux-ci par un ou plusieurs organismes mentionnés au titre II du livre III,

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Cet amendement a pour but de prévoir une rémunération en compensation de l'exception ouverte au bénéfice des associations de personnes handicapées.

En effet, s'il est légitime que ces associations bénéficient de cette exception, il n'est pas moins légitime que l'ensemble des ayants droit perçoivent, eux, une rémunération. On ne saurait imaginer que ceux-ci financent seuls l'effort national en faveur de la diffusion de la culture.

Par conséquent, nous proposons la création d'une rémunération négociée sur une base forfaitaire. Le niveau de rémunération serait fixé dans le cadre d'une négociation entre représentants des ayants droit et représentants des associations de personnes handicapées. Cette négociation se déroulerait sous l'égide du ministère de la culture.

On peut imaginer que les associations déclareraient l'usage fait par elles de cette exception et que leur paiement serait proportionnel, par planchers. En outre, il faudrait que l'État participe à la rémunération des ayants droit et ajoute un euro pour chaque euro apporté par ces associations.

Notre amendement ne va pas aussi loin dans la précision du système qu'il faudrait mettre en place, cependant il est impératif que le principe même de la rémunération soit adopté.

Dans la mesure où l'amendement de la commission des affaires culturelle introduisant l'exception pédagogique propose également un tel mode de rémunération, nous ne comprendrions pas que ce principe ne soit pas retenu en faveur des personnes handicapées.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Michel Thiollière, rapporteur. Le présent amendement tend à instaurer la compensation de l'exception en faveur des personnes handicapées par une rémunération négociée sur une base forfaitaire. Or les exceptions au droit d'auteur prévues par l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle ne font pas l'objet d'une rémunération compensatoire, sauf dans le cas de la copie privée.

La commission a souhaité prévoir une compensation forfaitaire pour l'exception en faveur de l'enseignement et de la recherche compte tenu de son importance et pour ne pas priver les ayants droit d'une rémunération qui leur aurait été garantie dans le cadre de la voie contractuelle initialement choisie par le Gouvernement.

Il ne paraît pas nécessaire, en revanche, d'assortir toutes les autres exceptions d'une compensation, compte tenu de la dispersion de leurs bénéficiaires et des préjudices limités qu'elles occasionnent aux ayants droit.

C'est la raison pour laquelle l'avis de la commission est défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Le fait de souhaiter mettre en place une rémunération des ayants droit en contrepartie d'une exception au droit d'auteur est, dans son principe, tout à fait louable.

Il convient néanmoins d'examiner attentivement les termes de la directive européenne de 2001 à ce sujet. En effet, le considérant n° 35 de la directive précise bien que le principe d'une compensation équitable au bénéfice des titulaires de droits n'est pas automatique et qu'il doit être apprécié en fonction du préjudice potentiel subi par ces derniers.

Il apparaîtrait donc paradoxal de demander que la portée de l'exception en faveur des personnes handicapées soit clarifiée et encadrée afin d'éviter toute atteinte effective aux intérêts des auteurs, et de réclamer, dans le même temps, que cette exception fasse l'objet d'une contrepartie financière pour tenir compte d'un préjudice subi par les ayants droit.

Par souci de cohérence, le Gouvernement souhaite donc s'en tenir à une exception suffisamment claire et encadrée pour qu'elle ne nécessite pas de compensation financière. En outre, la mise en place d'une gestion collective paraît dans ce cadre assez disproportionnée, étant donné la nature des usages autorisés.

C'est la raison pour laquelle j'émets un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 167.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 186 :

Nombre de votants 328
Nombre de suffrages exprimés 232
Majorité absolue des suffrages exprimés 117
Pour l'adoption 22
Contre 210

Le Sénat n'a pas adopté.

L'amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Thiollière, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Au début de la première phrase du premier alinéa du 7° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, après les mots :

personnes morales

insérer les mots :

et par certains établissements

La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Thiollière, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de coordination.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Thiollière, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Dans la première phrase du premier alinéa du 7° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots :

d'une déficience motrice, psychique, auditive ou visuelle d'un taux égal ou supérieur à 50 % reconnue

par les mots :

de l'altération d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant, et dont le niveau d'incapacité est égal ou supérieur à un taux fixé par décret en Conseil d'État, reconnus

La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Thiollière, rapporteur. Cet amendement a un double objet.

Tout d'abord, il tend à actualiser la définition des personnes handicapées en l'alignant sur celle que donne l'article 2 de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Par ailleurs, il renvoie à un décret en Conseil d'État la fixation du taux d'incapacité ouvrant droit au bénéfice de l'exception pour les handicapés. Cette disposition relève manifestement du domaine réglementaire et permettra de moduler le taux en fonction de la nature du handicap et de son incidence sur l'accès aux oeuvres.

M. le président. Cet amendement est assorti de deux sous-amendements, présentés par M. Charasse.

Le sous-amendement n° 66 est ainsi libellé :

Dans le dernier alinéa de l'amendement n° 3 rectifié, remplacer les mots :

, sensorielles, mentales, cognitives, ou psychiques

par les mots :

ou sensorielles,

Le sous-amendement n° 67 est ainsi rédigé :

Dans le dernier alinéa de l'amendement n° 3 rectifié, remplacer les mots :

un taux fixé par décret en Conseil d'État

par le taux :

50 %

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Puisque nous sommes dans le domaine des exceptions, je crois qu'il faut veiller, en élaborant la loi, à ce qu'elles soient de droit étroit.

En effet, on s'aperçoit, au fil de l'examen des dispositions du projet de loi, que les exceptions se multiplient et que, finalement, les titulaires de droits d'auteur constituent une sorte de « vache à lait », étant pratiquement la seule catégorie de Français à avoir à supporter les conséquences de situations qui relèvent de la solidarité nationale, de l'État, mais certainement pas d'une profession qui n'a d'ailleurs rien à voir avec les causes des charges qu'on lui impose.

En l'occurrence, on demande aux auteurs d'oeuvres littéraires ou artistiques de payer pour les handicapés ; tout à l'heure, il s'agissait de prévoir une exception au profit des universitaires et de la recherche : je ne sais pas ce que diraient les chercheurs, par exemple, si l'on envisageait de prélever sur leur salaire de quoi financer la recherche !

Je crois donc qu'il faut faire très attention à ne pas ouvrir une espèce de boîte de Pandore en inscrivant dans la loi des ponctions successives qui donneraient lieu ensuite à des contentieux devant les tribunaux.

Dans cet esprit, je propose de modifier sur deux points le dispositif que vient de nous présenter notre estimable rapporteur, M. Thiollière.

Tout d'abord, je suggère, par le sous-amendement n° 66, de restreindre le champ de l'exception prévue aux personnes atteintes de l'altération d'une ou plusieurs fonctions physiques ou sensorielles, en supprimant, dans la rédaction présentée à l'amendement n° 3 rectifié, les adjectifs « mentales, cognitives, ou psychiques ».

En effet, si l'altération de certaines fonctions physiques ou sensorielles peut empêcher les personnes qui en sont victimes d'accéder aux oeuvres qui ne sont pas reproduites dans un format adapté à leur état, il n'en va pas de même pour les personnes souffrant d'une altération de leurs fonctions mentales, cognitives ou psychiques.

Par ailleurs, M. le rapporteur propose de renvoyer à un décret en Conseil d'État la fixation du taux d'incapacité ouvrant droit au bénéfice de l'exception. Je pense que cela risque d'entraîner une discussion épouvantable avec les associations de personnes handicapées et que la solution la plus simple à cet égard, celle qui est généralement retenue dans des lois de nature sociale ou concernant les handicapés, consiste à fixer ce taux à 50 %, comme le prévoyait d'ailleurs la rédaction initiale du texte, que M. Thiollière propose donc de modifier.

M. le président. L'amendement n° 98, présenté par MM. Garrec,  de Raincourt,  Carle et  Humbert, est ainsi libellé :

Dans la première phrase du premier alinéa du 7° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots :

d'une déficience motrice, psychique, auditive ou visuelle d'un taux égal ou supérieur à 50 %

par les mots :

d'un handicap entraînant un niveau d'incapacité égale ou supérieur à un taux fixé par décret en Conseil d'État, 

L'amendement n'est pas soutenu.

L'amendement n° 61, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :

Dans la première phrase du premier alinéa du 7°du texte proposé par le 2°du I de cet article pour compléter l'article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle, supprimer le mot :

psychique,

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Cet amendement est de même inspiration que les deux sous-amendements que je viens de présenter.

S'il est clair que des déficiences motrices, visuelles ou auditives graves peuvent empêcher les personnes qui en sont atteintes d'accéder aux oeuvres si elles ne sont pas reproduites dans un format adapté à leur handicap, je ne vois pas comment on parviendra à définir les déficiences psychiques. Le recours à cette notion va donner lieu soit à des fraudes massives, soit à une foule de contentieux devant les tribunaux.

Par conséquent, je propose de supprimer, dans la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, le terme « psychique », qui est beaucoup trop général et dont l'emploi peut déboucher sur de nombreux abus.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Michel Thiollière, rapporteur. La commission n'a pas souhaité opérer de distinction entre les différents handicaps, pensant que certains d'entre eux pouvaient malheureusement se cumuler.

C'est pourquoi nous avons préféré nous en remettre à la définition donnée par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur le sous-amendement n° 66.

Elle est également défavorable au sous-amendement n° 67, qui est contraire à la position qu'elle a adoptée. La commission a souhaité renvoyer aux textes d'application la fixation du taux d'invalidité ouvrant droit au bénéfice de l'exception, afin de mieux prendre en compte la nature spécifique de chacun des handicaps.

Enfin, l'amendement n° 61 procède de la même démarche que le sous-amendement n° 67. C'est la raison pour laquelle la commission émet, là encore, un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. L'amendement n° 3 rectifié vise à harmoniser le champ d'application de l'exception prévue avec la définition du handicap fixée par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Il s'agit donc d'un amendement de cohérence, qui permettra de différencier les taux pour les adapter aux besoins propres à chaque catégorie de handicapés. Concernant les déficients visuels, qui seront naturellement les premiers bénéficiaires de cette exception, je souhaite que le taux de 50 % initialement prévu soit maintenu. J'émets un avis favorable sur cet amendement.

En ce qui concerne le sous-amendement n° 66, il n'est évidemment dans les intentions de personne d'élaborer une échelle des priorités entre les différents types de handicap, mais il est nécessaire de tenir compte des spécificités de chacun d'entre eux.

Je rappelle, en outre, qu'il est proposé de lier le bénéfice de l'exception à un agrément délivré par l'autorité administrative. Cet agrément sera notamment soumis aux conditions mentionnées dans la loi, ce qui apporte des garanties quant à d'éventuels risques d'abus.

Par ailleurs, la fixation du taux d'invalidité requis permettra un traitement différencié et adapté à la nature du handicap. Cela devrait donc également répondre à votre préoccupation, monsieur Charasse.

En tout état de cause, j'émets un avis défavorable sur le sous-amendement n° 66. Il en va de même s'agissant du sous-amendement n° 67, pour les raisons que je viens d'exposer.

Enfin, je suis également défavorable à l'amendement n° 61.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 66.

M. Michel Charasse. Je n'avais pas compris que vous envisagiez de fixer un taux d'invalidité spécifique ouvrant droit au bénéfice de l'exception pour chaque catégorie de handicap, même si je pense préférable de limiter le nombre des catégories visées par la loi.

M. le ministre nous ayant expliqué qu'il y aura un système d'agrément catégorie de handicaps par catégorie de handicaps, avec un taux d'invalidité requis spécifique à chaque catégorie, je retire les sous-amendements nos 66 et 67, puisque j'ai, en quelque sorte, satisfaction, même si je persiste à penser que la liste des handicaps visés est beaucoup trop longue et qu'elle sera source de contentieux.

En revanche, il faut que l'on m'explique comment on va comprendre la notion de déficiences psychiques. Je ne sais vraiment pas ce qu'elle peut recouvrir et je ne suis pas certain que les psychiatres ou les psychologues le sachent mieux que moi ! (Sourires.)

M. le président. Les sous-amendements nos 66 et 67 sont retirés.

Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié.

(L'amendement est adopté à l'unanimité.)

M. le président. En conséquence, l'amendement n° 61 n'a plus d'objet.

Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 97, présenté par MM. Garrec,  de Raincourt,  Carle et  Humbert, est ainsi libellé :

Après le mot :

handicap,

rédiger comme suit la fin de la seconde phrase du premier alinéa du 7° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle :

par les associations et établissements publics dont la liste est arrêtée par l'autorité administrative.

L'amendement n'est pas soutenu.

L'amendement n° 4, présenté par M. Thiollière, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Dans la seconde phrase du premier alinéa du 7° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots :

par des personnes morales et tous les établissements

par les mots :

par les personnes morales et les établissements

La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Thiollière, rapporteur. Il s'agit d'un simple amendement rédactionnel.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 62, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le dernier alinéa du 7° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle :

« À la demande des personnes morales et des établissements précités, formulée dans les deux ans suivant le dépôt légal des oeuvres imprimées, les fichiers numériques ayant servi à l'édition de ces oeuvres sont déposés au Centre national du livre, qui les met à leur disposition dans un standard ouvert au sens de l'article 4 de la loi n° 2000-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. L'établissement public garantit la confidentialité de ces fichiers et la sécurisation de leur accès ; »

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Cet amendement a pour objet de préciser que les fichiers mis à la disposition des organismes d'aide aux handicapés - je pense en particulier aux aveugles - seront ceux qui auront, le cas échéant, servi à l'édition des oeuvres imprimées.

En outre, l'amendement tend à prévoir que cette mise à disposition ne pourra intervenir que sur demande de ces organismes formulée dans un certain délai. Or une mise à disposition systématique ou pouvant être demandée pour toutes les oeuvres publiées sans limite de temps risque d'être difficilement gérable, compte tenu du grand nombre d'oeuvres concernées.

Enfin, je propose que le dépôt des fichiers soit fait auprès d'un établissement public administratif, le Centre national du livre, organisme qui me paraît le mieux à même de faire face à cette tâche, ce qui permettrait de faire l'économie des procédures de choix et d'agrément prévues dans le projet de loi. Le Centre national du livre se chargera, en tant que de besoin, de la conversion des fichiers et sera garant des conditions de leur utilisation.

Je précise que, si la demande des personnes morales et des établissements concernés devra être formulée dans les deux ans suivant le dépôt légal des oeuvres imprimées, cela ne signifie pas, bien entendu, que deux années s'écouleront avant qu'il soit fait suite à cette demande, surtout s'il s'agit, par exemple, de livres scolaires qui font l'objet d'un dépôt légal en mai ou en juin et dont les élèves et les étudiants aveugles, en particulier, peuvent avoir besoin dès la rentrée scolaire suivante. Je tiens à bien clarifier cette question du délai de deux ans, car certaines associations de personnes aveugles ont souhaité des précisions sur ce point. Le délai de deux ans est celui de la demande, pas celui qui suit une demande surtout si elle est urgente, pour des raisons scolaires par exemple.

M. le président. L'amendement n° 93, présenté par MM. Garrec,  de Raincourt,  Carle et  Humbert, est ainsi libellé :

Dans le dernier alinéa du 7° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots :

auprès d'organismes désignés par les titulaires de droits et agréés par l'autorité administrative

par les mots :

auprès du Centre national du Livre

L'amendement n'est pas soutenu.

Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 62 ?

M. Michel Thiollière, rapporteur. Cet amendement reprend l'idée, qu'avait privilégiée la commission, d'une fourniture de fichiers numériques à la demande des organismes d'aide aux personnes handicapées.

Il apporte en outre deux améliorations au dispositif en instituant un délai pour la formulation de cette demande et en prévoyant de confier au Centre national du livre le dépôt des fichiers numériques.

La commission émet un avis favorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Je voudrais sous-amender l'amendement présenté par M. Charasse, afin de pouvoir émettre un avis favorable sur celui-ci. En fait, la seule difficulté tient à la désignation du Centre national du livre pour le dépôt et la gestion des fichiers numériques adressés par les éditeurs.

En effet, cet établissement n'a pas vocation à jouer un tel rôle. Il n'est nullement équipé pour cela. De plus, il n'est pas compétent en matière de presse ou de partitions de musique.

Dans ces conditions, le sous-amendement que je dépose vise à remplacer les mots : « au Centre national du livre » par les mots : « auprès d'un organisme désigné par décret ».

Sous réserve de l'adoption de ce sous-amendement, j'émettrai un avis favorable sur l'amendement n° 62.

M. le président. Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 261, présenté par le Gouvernement et ainsi libellé :

Dans le texte proposé par l'amendement n° 62 pour le dernier alinéa du 7° du texte proposé par le 2° du I de l'article 1er bis, remplacer les mots :

au Centre national du livre

par les mots :

auprès d'un organisme désigné par décret

Quel est l'avis de la commission sur ce sous-amendement ?

M. Michel Thiollière, rapporteur. La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur la proposition de M. le ministre.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Monsieur le ministre, si nous sommes sensibles à votre souci de ne pas déterminer l'organisme compétent, la commission, elle, a approuvé la mention du centre national du livre, notamment dans l'amendement n° 93 de M. Garrec, auquel elle avait donné un avis favorable.

Dès lors, je vous ferai une proposition alternative. Rendons la formulation plus générale en indiquant : « au Centre national du livre ou auprès d'un organisme désigné par décret ».

M. le président. Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 262, présenté par M. Valade, et ainsi libellé :

Dans le texte proposé par l'amendement n° 62 pour le dernier alinéa du 7° du texte proposé par le 2° du I de l'article 1er bis, après les mots :

Centre national du livre

insérer les mots :

ou auprès d'un organisme désigné par décret

Quel est l'avis du Gouvernement sur ce sous-amendement ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Favorable.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. J'étais prêt à accepter l'assouplissement proposé par M. le ministre, mais la formulation du président de la commission me paraît meilleure. Elle n'exclut pas le Centre national du livre qui pourrait être en état de jouer le rôle qu'on veut lui confier d'ici à la promulgation de la loi ou dans un ou deux ans. C'était la solution envisagée par notre collègue Garrec et j'étais bien d'accord avec lui sur ce point.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Qui peut le plus peut le moins !

M. Michel Charasse. La proposition du président de la commission est beaucoup plus ouverte. Par conséquent, je me rallie plutôt à sa suggestion, d'autant que j'ai cru comprendre que M. le ministre était d'accord.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.

Mme Catherine Tasca. Pour ma part, je pense que la formulation suggérée par M. le ministre était plus juste. Je trouve délicat de désigner un établissement dans un texte de loi et de prévoir en même temps une autre hypothèse. Au demeurant, la dernière rédaction a l'air de faire l'objet d'un tel consensus que je m'y rallierai. De toute façon, dans la réalité, ce ne sera sans doute pas le CNL qui sera désigné.

M. Michel Charasse. Oui, mais il peut l'être un jour.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 262.

(Le sous-amendement est adopté à l'unanimité.)

M. le président. En conséquence, le sous-amendement n° 261 n'a plus d'objet.

Je mets aux voix l'amendement n° 62 rectifié, modifié.

(L'amendement est adopté à l'unanimité.)

M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 63, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le 8° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle :

« 8° Les reproductions d'oeuvres faisant partie du fonds des bibliothèques publiques ou conservées par des services d'archives publics, ou de dépôt légal, à condition que ces reproductions soient indispensables à leur conservation et exclusivement destinées à permettre leur consultation sur place ;

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Nous sommes toujours dans le domaine des exceptions dont je persiste à penser qu'elles doivent être de droit étroit. Il ne faut pas trop solliciter les titulaires de droits d'auteur, qui n'ont pas à supporter des dépenses d'intérêt national qui relèvent de la solidarité nationale ou des missions de l'État.

Je suggère donc de définir restrictivement l'exception de reproduction prévue en faveur des bibliothèques et services d'archives pour éviter, d'une part, que ces reproductions ne se substituent à des achats et, d'autre part, qu'elles ne puissent, s'agissant des reproductions numériques, permettre la communication en ligne des oeuvres reproduites, contrairement aux préconisations du considérant n° 50 de la directive 2001/29.

Enfin, il convient de réserver le bénéfice de cette exception à des établissements publics pour, d'une part, en limiter la portée et, d'autre part, garantir qu'elle ne concernera, comme l'exige la directive, que des établissements « qui ne recherchent aucun avantage économique ou commercial direct ou indirect. »

M. le président. L'amendement n° 6, présenté par M. Thiollière, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le 8° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle :

« 8° Les actes de reproduction d'une oeuvre, effectués à des fins de conservation ou  de consultation sur place, par des bibliothèques accessibles au public, par des musées, ou par des services d'archives, sous réserve que ceux-ci ne recherchent aucun avantage économique ou commercial ;

La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Thiollière, rapporteur. Cet amendement a pour objet de faire bénéficier les établissements documentaires d'une nouvelle exception au droit d'auteur, autorisée par l'alinéa c) paragraphe 2 de l'article 5 de la directive.

Cette exception autorise ces établissements à réaliser certaines reproductions des oeuvres, soit pour assurer leur conservation en réalisant une copie de sauvegarde, soit pour préserver leur accessibilité en procédant, par exemple, au transfert d'un document numérique d'un support ou format devenu obsolète vers un format ou un support plus utilisable.

M. le président. Le sous-amendement n° 106, présenté par M. Dufaut et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par l'amendement n°6 par le 8° de l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots :

de consultation sur place

par les mots :

destinés à préserver les conditions de sa consultation sur place.

La parole est à M. Christian Cambon.

M. Christian Cambon. Cet amendement vise à préciser les actes relevant de l'exception qui s'inscrit dans l'objectif de conservation, pour mieux clarifier l'articulation avec le test en trois étapes et notamment éviter une atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre. Sa rédaction reprend celle que propose M. le rapporteur à l'article 2.

M. le président. Le sous-amendement n° 68, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par l'amendement n° 6 pour le 8° de l'article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots :

accessibles au public, par des musées, ou par des services d'archives

par les mots :

publiques, des services d'archives publics ou de dépôt légal

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Je suggère de limiter le bénéfice de l'exception prévue aux seuls bibliothèques et services publics d'archives ou de dépôt légal. Il ne faut pas étendre cette exception aux musées, dont je ne vois d'ailleurs pas très bien l'intérêt, parce qu'il ne me paraît pas possible qu'ils autorisent des reproductions d'oeuvres originales protégées faisant partie de leurs collections.

Il convient du reste de noter que l'exercice de cette exception par les musées pourrait pratiquement toujours être contesté par les auteurs des oeuvres reproduites sur le terrain du droit moral dont nous parlions tout à l'heure. Ils pourraient ainsi, par exemple, demander réparation si des copies, réalisées sans leur autorisation et sans leur contrôle, étaient exposées, également sans leur autorisation, en lieu et place de leurs oeuvres.

M. le président. Le sous-amendement n° 244, présenté par MM. Ralite,  Renar et  Voguet, Mme David et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Compléter le texte proposé par l'amendement n° 6 pour le 8° de l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle par les mots :

et que ces actes soient compensés par une rémunération négociée sur une base forfaitaire perçue pour le compte des ayants droit et répartie entre ceux-ci par un ou plusieurs organismes mentionnés au titre II du livre III

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Ce sous-amendement a pour objet de prévoir, comme nous l'avons déjà proposé dans l'amendement n° 67, une rémunération correspondant à l'exception ouverte au bénéfice cette fois-ci des musées, bibliothèques et services d'archives. En effet, s'il est légitime que ces établissements bénéficient de cette exception, il n'est pas moins légitime que l'ensemble des ayants droit bénéficient d'une rémunération. L'effort national en faveur de la diffusion de la culture doit être consenti par chacun des bénéficiaires de cette culture.

Par conséquent, nous proposons, comme précédemment, la création d'une rémunération dont le niveau serait fixé sur une base forfaitaire dans le cadre d'une négociation entre représentants des ayants droit et représentants des bibliothèques, services d'archives et musées. Cette négociation se ferait toujours sous l'égide du ministère de la culture, et nous pouvons imaginer que les établissements déclareraient, comme les associations de handicapés, l'usage fait par eux de cette exception. Le paiement serait proportionnel par planchers. Là encore, l'État devrait abonder d'un euro par euro versé par les établissements culturels concernés.

Même si nous n'avons pas été entendus tout à l'heure, je tenais à défendre de nouveau cette rémunération car il est pour nous impératif que son principe soit adopté, d'autant que la commission la propose également.

M. le président. Le sous-amendement n° 245, présenté par MM. Ralite,  Renar et  Voguet, Mme David et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Compléter le texte proposé par l'amendement n°6 pour le 8° de l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle par un membre de phrase ainsi rédigé :

Les établissements cités ci-dessus doivent avoir été constitués dans un but éducatif et culturel par des institutions reconnues ou organisées officiellement à cette fin par les pouvoirs publics ;

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Il s'agit de préciser que les bibliothèques visées doivent effectivement être des établissements de service public. En effet, face à certaines dérégulations et face au développement des entreprises privées de services dans les domaines de l'éducation et, plus largement, dans le champ culturel, il nous semble nécessaire d'indiquer que cette exception ne vaut que pour les bibliothèques d'utilité publique.

M. le président. L'amendement n° 94, présenté par MM. Garrec,  de Raincourt,  Carle et  Humbert, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le 8° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle :

« 8° - A des fins de conservation ou de sauvegarde d'un ouvrage ou d'un imprimé qui ne pourrait être remplacé par un nouvel achat, une bibliothèque publique, un musée, un service d'archive peut procéder, dans ses locaux, à la reproduction numérique de l'oeuvre dès lors qu'aucun avantage économique ou commercial n'est recherché ;

Cet amendement n'est pas défendu.

L'amendement n° 119, présenté par M. Assouline, Mme Blandin, M. Lagauche, Mme Tasca, MM. Yung,  Bockel,  Lise,  Vidal et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le début du 8° du le texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle :

Les actes de reproduction d'une oeuvre effectués, à des fins de conservation ou de consultation sur place, par les bibliothèques accessibles au public, par des musées ou par des services d'archives qui  ...

La parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. L'Assemblée nationale a, en première lecture, introduit une nouvelle exception au droit patrimonial exclusif des auteurs, qui transpose strictement l'exception optionnelle pour les États membres prévue par l'alinéa c) paragraphe 2 de l'article 5 de la directive. Pour nous, cette exception se justifie compte tenu du travail spécifique des bibliothèques, des musées et des services d'archives, que nous avons toujours encouragés à développer un travail d'action culturelle en direction de leur public.

Toutefois, il nous semble nécessaire de circonscrire cette exception en proposant une double limitation de son exercice. En ce qui concerne les bibliothèques, elle ne s'appliquerait qu'à celles qui sont accessibles au public, toujours dans l'optique de développement d'un travail d'action culturelle dans ces lieux. De façon générale, l'exception ne concernerait que la reproduction d'oeuvres effectuée dans le but de conservation ou de consultation sur place.

M. le président. L'amendement n° 166, présenté par MM. Ralite,  Renar et  Voguet, Mme David et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Au début du 8° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, ajouter les mots :

Sous réserve qu'ils soient compensés par une rémunération négociée sur une base forfaitaire perçue pour le compte des ayants droit et répartie entre ceux-ci par un ou plusieurs organismes mentionnés au titre II du livre III,

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Il s'agit là encore de prévoir une rémunération en contrepartie du régime d'exception.

M. le président. L'amendement n° 138, présenté par MM. Ralite,  Renar et  Voguet, Mme David et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Compléter le 8° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle par les mots :

et constitués dans un but éducatif et culturel par des institutions reconnues ou organisées officiellement à cette fin par les pouvoirs publics.

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Aujourd'hui, les bibliothèques devenues aussi médiathèques jouent un rôle essentiel dans la promotion de la lecture comme dans la mutation documentaire qui caractérise notre époque, personne ne peut le contester. Un signe flagrant en est l'existence, à côté de l'École des chartes, d'une École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques.

Le bibliothécaire doit faire preuve de vastes connaissances culturelles. Ses missions exigent désormais des adaptations constantes et la mise en oeuvre d'une étroite coopération avec les éditeurs et entre les bibliothèques, elles-mêmes appelées à se regrouper en réseau pour fournir l'information demandée. Il est aussi nécessaire d'opérer un rapprochement éclairé avec les différentes catégories d'usagers. De plus, dans le cadre de la décentralisation, les lieux de prêt et de consultation, publics et privés, se sont multipliés.

Vous l'aurez compris, cet amendement vise à s'assurer que l'exception prévue en faveur des bibliothèques est également réservée à des organismes d'utilité publique.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Michel Thiollière, rapporteur. L'amendement n° 63 est contraire à l'amendement n° 6 de la commission. Il procède à une délimitation trop stricte de l'exception en faveur des bibliothèques, des musées, des archives. La commission émet donc un avis défavorable.

Le sous-amendement n° 106 apporte une précision utile quant à la définition du périmètre de l'exception en faveur des bibliothèques, des archives et des musées. La commission émet un avis favorable.

Le sous-amendement n° 68, présenté par M. Charasse, est, lui aussi, contraire à l'amendement de la commission. Celle-ci émet donc un avis défavorable.

Le sous-amendement n° 244 a le même objet que l'amendement n° 166 ; il appelle, pour les mêmes raisons, un avis défavorable de la commission.

Le sous-amendement n° 245 a le même objet que l'amendement n° 138 ; il appelle, lui aussi, un avis défavorable de la commission.

La commission estime que l'amendement n° 119 est satisfait par l'amendement n° 6, dont il est très proche. Elle émet en conséquence un avis défavorable.

J'en viens à l'amendement n° 166. Si, comme nous l'avons dit précédemment, la commission a souhaité compenser par une rémunération l'exception en faveur de l'enseignement et de la recherche, elle n'entend pas en faire de même pour toutes les exceptions qui existent déjà en droit français ou que le projet de loi envisage de créer. C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable.

Enfin, l'amendement n° 138 est contraire à l'amendement n° 6 de la commission ; celle-ci émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. L'amendement n° 63 répond au souci du Gouvernement et de la commission de préciser et d'encadrer davantage l'exception au droit d'auteur en faveur des bibliothèques, des musées et des archives. Cela paraît tout à fait indispensable pour éviter de porter préjudice à l'exploitation normale des oeuvres.

Néanmoins, plusieurs des éléments de cet amendement sont repris dans l'amendement de la commission des affaires culturelles, notamment la limitation à des actes de reproduction à des fins de conservation et à une consultation dans les locaux des établissements, ainsi que l'absence de visée lucrative.

Il reste donc spécifiquement dans cet amendement la limitation des établissements publics, qui ne paraît pas justifiée au regard des missions que remplissent des services d'archives ou des bibliothèques de statut privé, notamment associatif. Il s'agit, à titre d'exemple, d'établissements de l'enseignement supérieur ou de bibliothèques patrimoniales, comme celle de la Société française de psychanalyse, la bibliothèque Gustav Mahler. J'émets donc un avis défavorable sur cet amendement n° 63.

L'amendement n° 6 proposé par la commission apporte des précisions utiles à l'exception introduite par l'Assemblée nationale en faveur des bibliothèques, des musées et des archives. Il vise deux objectifs principaux : d'une part, assurer l'articulation avec le test en trois étapes afin de ne pas porter atteinte à l'exploitation normale des oeuvres ; d'autre part, respecter les dispositions de la directive européenne relative à l'exception en faveur des bibliothèques, des musées et des archives.

Ces dispositions visent en effet des actes de reproduction de nature spécifique que les États membres ont l'obligation de définir avec clarté. Cette exception doit permettre aux bibliothèques, aux musées et aux archives de continuer de mener à bien l'une des missions essentielles qui leur est confiée, à savoir la conservation de notre patrimoine national. Il est ainsi proposé que ces établissements bénéficient d'un droit de reproduction, c'est-à-dire qu'ils puissent réaliser des copies d'oeuvres protégées afin de pouvoir assurer leur conservation dans les meilleures conditions.

Cet amendement ouvre la possibilité de consulter ces copies dans les locaux des établissements. Dans le cadre du droit de reproduction dans lequel s'inscrit cette exception, la consultation sur place doit être autorisée lorsqu'elle constitue le seul moyen de maintenir l'accès du public aux oeuvres.

En pratique, il s'agirait donc essentiellement de cas d'oeuvres trop détériorées pour continuer d'être communiquées au public et qui, n'étant plus disponibles à la vente, ne peuvent être remplacées, ou encore d'oeuvres dont le format de lecture est devenu obsolète. J'émets donc un avis favorable sur cet amendement.

J'émets également un avis favorable sur le sous-amendement n° 106, qui clarifie de manière très utile le texte de l'exception introduite par l'Assemblée nationale en faveur des bibliothèques, des musées et des archives ; il en harmonise la rédaction.

En revanche, j'émets un avis défavorable sur le sous-amendement n° 68. La limitation du bénéfice de l'exception à des établissements publics ne paraît pas justifiée au regard des missions que remplissent des services d'archives ou des bibliothèques de statut privé, notamment associatif.

J'émets un avis également défavorable sur le sous-amendement n° 244. Le fait de souhaiter mettre en place une rémunération des ayants droit en contrepartie d'une exception au droit d'auteur est dans son principe tout à fait louable. Il convient néanmoins d'examiner attentivement les termes de la directive européenne à ce sujet. En effet, le considérant n°35 de la directive précise bien que le principe d'une compensation équitable au bénéfice des titulaires de droits n'est pas automatique et doit être apprécié en fonction du préjudice potentiel subi par ces derniers.

Il paraîtrait donc paradoxal, nous l'avons vu par ailleurs, de demander que la portée de l'exception en faveur des bibliothèques, des musées et des archives soit clarifiée et encadrée, afin d'éviter toute atteinte réelle aux intérêts des auteurs, et de réclamer dans le même temps que cette exception fasse l'objet d'une contrepartie financière pour tenir compte du préjudice subi par les ayants droit.

Par souci de cohérence, le Gouvernement souhaite donc s'en tenir à une exception suffisamment claire et encadrée pour qu'elle ne nécessite pas de compensation financière. En outre, la mise en place d'une gestion collective paraît dans ce cadre assez disproportionnée étant donné la nature des usages autorisés.

Le sous-amendement n° 245 ne permet pas de préciser la portée de l'exception en faveur des bibliothèques, des musées et des archives, mais il élargit, en revanche, le champ des bénéficiaires de cette exception à toute institution se fixant un but éducatif et culturel. Il est donc incompatible avec la directive. Le Gouvernement y est défavorable.

J'émets également un avis défavorable sur l'amendement n° 119. Celui-ci est légitime dans son principe mais inutile dans sa forme, dans la mesure où les modifications proposées sont comprises intégralement dans l'amendement de la commission.

Enfin, j'émets un avis défavorable sur les amendements nos 166 et 138.

M. Jack Ralite. C'est une pluie d'avis défavorables !

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Après la pluie, le beau temps ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur l'amendement n° 63.

M. Michel Charasse. Nous sommes dans le domaine d'une nouvelle exception, c'est-à-dire d'une obligation qui est faite aux titulaires de droits de renoncer à leurs droits.

Monsieur le ministre, je comprends bien l'utilité publique qui s'attache à cette obligation et qui peut justifier une atteinte au droit de propriété. Encore que là, il n'y a pas de rémunération : or, on ne peut pas restreindre le droit de propriété ou la libre jouissance de la propriété sans rémunérer. Ce texte me paraît donc constitutionnellement fragile.

Mais je voudrais surtout vous poser une question : qu'en est-il du droit moral ? Si une bibliothèque, un musée - je ne suis pas favorable aux musées dans ce cas, mais passons - ou un service d'archives fait une utilisation qui ne plaît pas à un auteur, peut-il s'y opposer au titre du droit moral ? C'est la première question.

La deuxième question, monsieur le ministre, est la suivante : qu'en est-il si l'on procède à la communication en ligne des oeuvres reproduites alors que le considérant n° 50 de la directive 2001/29/CE l'interdit ?

Tout cela me conduit à considérer - n'y voyez, monsieur le rapporteur, aucune méchanceté à votre égard - qu'il faudra revoir la rédaction de cet article en commission mixte paritaire...

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Peut-être !

M. Michel Charasse. ...parce qu'il présente des insuffisances.

J'espère que M. le ministre dira quelques mots sur les deux questions que j'ai posées. Cela dit, monsieur le président, pour ne pas allonger notre débat, je retire l'amendement n° 63 pour m'en tenir au sous-amendement n° 68.

M. le président. L'amendement n° 63 est retiré.

Je mets aux voix le sous-amendement n° 106.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 68.

M. Michel Charasse. Je repose mes deux questions : qu'en est-il du droit moral ? Un auteur titulaire de droits peut-il s'opposer à l'utilisation, à la reproduction d'une oeuvre par une bibliothèque, par exemple, parce que la manière dont cela se passe ou la bibliothèque - qui ne sera pas nécessairement publique - ne lui plaît pas ?

Par ailleurs, notre texte n'est-il pas fragile par rapport à la directive en ce qui concerne l'interdiction de communication en ligne des oeuvres produites ?

J'aimerais bien que le rapporteur ou le ministre me réponde. Cela me paraîtrait utile au débat et à ce qu'on appelle, en bon droit français, « les travaux préparatoires » !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Monsieur Charasse, nous sommes en train de transposer une directive et nous devons nous en tenir à son principe. Lorsque nous changerons de terrain, nous profiterons d'un autre texte pour faire figure de précurseurs.

La rémunération, au sens de la directive, résulte d'un préjudice réel. Ce lien doit exister forcément. Un auteur peut toujours s'opposer à l'utilisation d'une de ses oeuvres, mais c'est au tribunal d'apprécier l'atteinte au droit moral. C'est dans ces limites, me semble-t-il, que nous pouvons apprécier votre remarque.

C'est la raison pour laquelle je m'en tiens aux avis que j'ai émis.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. En ce qui concerne le droit moral, c'est clair : l'auteur peut lui-même demander la défense de son droit moral.

En ce qui concerne la communication en ligne, je ne sais pas. La directive l'interdit : alors, soit on considère que la directive est d'application directe sur ce point, et il suffira que les instructions d'application de l'article le précisent, soit on risque des difficultés importantes et des contentieux.

J'ajoute que la conception de la directive en ce qui concerne le droit de propriété n'est pas tout à fait la même que celle du Conseil constitutionnel français.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Je vais répondre par souci de précision à M. Charasse.

La nature et le montant du préjudice doivent être appréciés. Il n'y a pas forcément compensation, comme je l'ai expliqué dans chacune de mes interventions. C'est la raison pour laquelle nous essayons de délimiter très précisément un certain nombre de préjudices et d'exceptions. Évidemment, plus l'exception est large et le préjudice constitué important, plus le principe de compensation et de rémunération se déclenche, mais il n'y a pas d'automaticité.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Si j'ai bien compris M. le ministre, si des photocopies se substituent progressivement aux achats, l'auteur peut tout de même demander une indemnisation.

Je retire le sous-amendement n° 68, monsieur le président.

M. le président. Le sous-amendement n° 68 est retiré.

La parole est à M. Jack Ralite, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 244.

M. Jack Ralite. Je ne comprends pas que l'on puisse allégrement refuser la compensation. Ce n'est pas conforme à notre façon de voir et de faire !

On nous objecte que la directive ne le prévoit pas. Mais nous ne sommes pas obligés de suivre en tout point la directive, d'autant qu'elle nous laisse tout de même une marge de manoeuvre !

Sommes-nous en train de céder à l'échelon européen sur la rémunération des auteurs ? En ce cas, la France s'honorerait à opposer un refus catégorique.

En ce qui me concerne, le sous-amendement n° 244 et l'amendement n° 166 me paraissent très précieux du point de vue de l'éthique et de la justice, comme du point de vue social et national !

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 244.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 245.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6, modifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, les amendements nos 119, 166 et 138 n'ont plus d'objet.

Je suis saisi de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 199, présenté par Mmes Blandin,  Boumediene-Thiery et  Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Supprimer le 9° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle.

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. L'exception qui est proposée dans ce paragraphe 9° prend acte de la demande des éditeurs de presse, qui ne veulent pas se voir poursuivis pour le non-paiement de droits d'auteur dont ils ne s'estiment pas redevables.

Mais alors, prenons au mot leurs arguments !

Ils disent qu'il ne s'agit pas d'amputer le droit moral des auteurs. Mais alors, n'inscrivons pas dans la loi la détestable notion de la reproduction partielle : il y a d'excellents cadreurs qui ont le choix de ce qui est ou non dans le champ de prise de vue ! En tout cas, il faut absolument mentionner le nom de l'auteur.

Ils disent, ensuite, qu'il s'agit d'apparitions quasi incontournables. En ce cas, donnons acte, par la rédaction, que ces oeuvres prises et captées fortuitement occupent une partie de l'espace public !

Enfin a été invoqué le caractère fugitif. Ce dernier est toutefois consubstantiel au défilement des images mobiles et le caractère accessoire n'est guère recevable en matière d'images fixes. Il nous faudra donc préciser que les photographies ne sauraient être concernées.

Lors de la discussion générale, j'ai évoqué le fait que les acteurs intermédiaires doivent avoir leur place, mais pas plus que leur place.

La loi ne doit pas privilégier les éditeurs par rapport aux créateurs, faute de quoi nous favoriserions des mécanismes comme ceux qui ont abouti à ce qu'AOL-Time Warner sacrifie l'existence de Life sur l'autel de la Net économie ou bien à ce qu'un photographe comme M. Apesteguy se retrouve, à son corps défendant, menacé de basculer du régime des droits d'auteur vers celui du copyright, simplement par concentration des agences. Je pense à Corbis, dans la main des patrons de la Net économie, en l'occurrence Bill Gates, ou à Gamma captée par Hachette Filipacchi Médias, laquelle a également capté les photos d'Apesteguy.

En conséquence, le plus raisonnable est de supprimer cette exception.

Les exceptions doivent être rares et justifiées. Elles existent, néanmoins, parce que la culture n'est pas une vulgaire marchandise. Notre rôle est donc de les limiter à celles qui relèvent de l'intérêt général.

C'est dans ce sens que nous soutenons les exceptions qui favorisent la lecture publique, l'enseignement, la duplication de la mémoire ou la compensation du handicap.

Cependant, l'exception qui nous est ici proposée ne remplit aucune de ces conditions : elle ne répond, je le répète, qu'aux intérêts privés des éditeurs de presse et des diffuseurs.

Certes, ils nous ont émus avec leurs péripéties judiciaires ; mais ce sont des cas très isolés - ce sont toujours les mêmes exemples qui sont utilisés - et ils ne justifient pas une modification à risque des principes du droit d'auteur.

Il n'y a donc pas lieu d'inscrire une telle entorse dans la loi. Faisons confiance aux juges pour prendre la mesure des choses et infléchir la jurisprudence ! C'est d'ailleurs ce qui s'est passé pour le droit à l'image, domaine dans lequel les juges ont très vite fait la part entre les démarches opportunistes et celles qui reposaient sur une réelle atteinte à la vie privée.

Le droit d'auteur n'est pas une entrave à l'information. En revanche, son érosion constituerait une vraie hypothèque sur les revenus des professionnels de la photographie, et donc sur la liberté de la presse. Il existe, à l'heure actuelle, des accords respectueux des besoins de chacun qui fonctionnent très bien.

En outre, le texte qui nous est proposé est aggravé par le fait qu'il rend banal la reproduction partielle.

Sa rédaction reste ambiguë : il sera toujours facile de dire que l'illustration était accessoire par rapport à l'article. Cette exception ouvre donc une vraie brèche dans le droit des photographes.

D'ailleurs, ceux qui nous ont proposé un tel texte, pour leur part, ne renoncent pas à leurs salaires, à leurs bénéfices, à leurs droits, même si leurs publications et leurs articles ont une visée informative et également un caractère fugitif ! Je rappelle que la plume fut tenue par le Syndicat de la presse magazine et d'information, qui regroupe 62 sociétés, dont Hachette Filipacchi, représente 460 titres et réalise un chiffre d'affaires de 3 milliards d'euros ! Nous n'allons tout de même pas pleurer sur les droits que ces groupes doivent verser à quelques auteurs !

Enfin, faisons scolaire et considérons le texte. Nous ne remplissons aucune des conditions requises : la reproduction d'oeuvres plastiques, graphiques ou architecturales n'est pas un cas spécial ; Il y a atteinte potentielle à l'exploitation normale de l'oeuvre ; il y a préjudice aux intérêts légitimes des auteurs.

Telles sont les raisons pour lesquelles je vous propose, mes chers collègues, de supprimer cet alinéa.

M. le président. L'amendement n° 7 rectifié bis, présenté par M. Thiollière, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le 9° du texte proposé par le 2° du  I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle :

« 9° La reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d'une oeuvre d'art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d'information immédiate, et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d'indiquer clairement le nom de l'auteur.

« Les reproductions ou représentations, qui notamment par leur nombre ou leur format, ne seraient pas en stricte proportion avec le but exclusif d'information immédiate poursuivi ou qui ne seraient pas en relation directe avec cette dernière, donnent lieu à rémunération des auteurs, sur la base des accords ou tarifs en vigueur dans les secteurs professionnels concernés.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Thiollière, rapporteur. Dans sa rédaction actuelle, l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle ne dispense la représentation d'une oeuvre graphique ou plastique de l'autorisation de son auteur que dans le cadre des catalogues de ventes judiciaires.

La jurisprudence a toujours considéré que l'exception de citation, qui dispense d'autorisation préalable les analyses et courtes citations d'oeuvres littéraires, ne pouvait s'appliquer aux oeuvres d'art graphiques, plastiques ou architecturales.

En raison de cette lacune juridique les organismes de presse sont confrontés à des difficultés croissantes dans la mesure où ils sont obligés, en principe, d'obtenir l'accord préalable de l'auteur pour toute représentation d'une oeuvre.

Le présent amendement a donc pour objet de remédier à cette situation en instituant, au bénéfice de la presse, une nouvelle exception pour la représentation des oeuvres graphiques, plastiques et architecturales, et ce à une double condition : premièrement, cette représentation doit être effectuée dans un souci d'information immédiate ; deuxièmement, le nom de l'auteur doit être clairement indiqué.

En revanche, dès lors que les reproductions ou les représentations concernées, en raison de leur nombre ou de leur format, n'auraient plus pour visée exclusive l'information immédiate, elles réintégreraient aussitôt le champ de la rémunération des auteurs.

M. le président. Le sous-amendement n° 202, présenté par Mmes Blandin,  Boumediene-Thiery et  Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par l'amendement n°7 pour le 9° de l'article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle, après les mots :

ou architecturale,

insérer les mots :

hormis les photographies,

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Je sens bien, au travers de la rédaction qui nous est proposée par les auteurs de cet amendement, mes chers collègues, que vous allez vous laisser convaincre par l'histoire de la statue filmée sur une place publique, dans un travelling au cours d'un reportage sur l'augmentation du prix du mètre carré dans telle ou telle rue ! Soit ! Au demeurant, il n'est pas possible d'accepter une telle exception pour les photographies.

Le sous-amendement n° 202 tend donc à modifier l'amendement n° 7 rectifié bis en excluant du dispositif les photographies.

Le photojournalisme est en péril malgré l'environnement d'images qui nous entourent. Nous assistons en fait à une multiplication des images d'illustration aux dépens de la vraie information. L'univers de la photographie traverse une mutation technologique, économique et, hélas ! éthique.

Tous les contenus s'en vont vers le « people », le rentable, la communication de masse, tandis que les éditeurs briguent le statut de coauteur, calquant le copyright à l'américaine.

Il existe actuellement, en raison des impératifs de l'édition, une agence à Saint-Ouen spécialisée dans la vente de photos truquées pour anticiper les événements probables et avoir l'image avant les autres ! Cent cinquante magazines y ont eu recours lors d'une éclipse solaire : ils ont tous publié la vraie-fausse photo de l'éclipse ! (Sourires.)

Si nous voulons la qualité, le respect d'une certaine déontologie, il faut que les auteurs gardent la main sur ce qu'ils produisent.

À propos de la concentration des groupes, des millions d'images numérisées à ce jour, Depardon disait : « Ces grosses structures ressemblent à des robinets d'images qui inondent le marché. Plus le robinet est ouvert, moins le regard peut s'imposer. La contradiction va devenir intenable entre le regard de l'auteur et l'efficacité de l'agence ».

Près de nous, l'agence s'appelle Hachette Filipacchi Médias ; elle fait partie de ceux qui ont souhaité cette exception.

Lorsque Yann Arthus-Bertrand, Jane Evelyn Atwood, Marc Garanger, William Klein, Sarah Moon, Marc Riboud, Sabine Weiss et Raymond Depardon signent un message d'alerte, ce n'est pas pour payer leurs loisirs le week-end ou pour arrondir leurs fins de mois ! Personnellement, ils n'ont pas de problème, mais ils pensent que la culture et le photojournalisme sont menacés.

Si vous estimez que ce sous-amendement est mal rédigé, sachez, dès à présent, que la présentation que j'en ai faite vaut pour le sous-amendement n° 246, qui a le même objet tout en étant formulé différemment !

M. le président. Les trois sous-amendements suivants sont identiques.

Le sous-amendement n° 99 rectifié est présenté par M. Alduy.

Le sous-amendement n° 246 est présenté par Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet et M. Desessard.

Le sous-amendement n° 259 est présenté par MM. Ralite, Renar et Voguet, Mme David et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Tous trois sont ainsi libellés :

Après le premier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 7 rectifié bis pour le 9° du texte proposé par le 2° du I de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« L'alinéa précédent ne s'applique pas aux oeuvres, notamment photographiques ou d'illustration, qui visent elles-mêmes à rendre compte de l'information.

Le sous-amendement n° 99 rectifié n'est pas soutenu.

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour présenter le sous-amendement n° 246.

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour présenter le sous-amendement n° 259.

Mme Annie David. Le texte proposé par la commission ne reprend qu'une partie seulement de l'accord auquel semblent être arrivées les organisations concernées par l'exception relative aux arts graphiques.

Ce n'est pas acceptable. L'accord ne vaut, évidemment, que s'il est repris dans son intégralité. À défaut, le subtil équilibre ménagé entre les diverses parties intéressées, notamment entre les éditeurs de presse et les sociétés d'artistes et d'auteurs, se trouve rompu.

Il est crucial que notre assemblée tienne compte, en l'occurrence, des intérêts des photographes et artistes qui apportent une matière première essentielle aux entreprises de presse et aux chaînes de télévision, en s'attachant à la qualité et au pluralisme de l'information dans notre pays.

C'est pourquoi nous proposons d'introduire cet alinéa qui exclut explicitement les oeuvres qui rendent compte elles-mêmes de l'information.

J'ajouterai que je ne peux que souscrire à la brillante démonstration de ma collègue Marie-Christine Blandin.

M. le président. L'amendement n° 120, présenté par MM. Assouline et  Lagauche, Mme Tasca, MM. Yung,  Bockel,  Lise,  Vidal et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le 9° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle :

« 9° La reproduction intégrale ou partielle, dans un but d'information, d'une oeuvre d'art, graphique, plastique ou architecturale, placée sur la voie publique, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, lorsqu'il s'agit d'illustrer accessoirement un compte rendu d'événements d'actualité, dans la mesure justifiée par le but d'information poursuivi et sous réserve d'indiquer, à moins que cela ne s'avère impossible, la source, y compris le nom de l'auteur.

La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Nous souhaitons restreindre le champ de cette nouvelle exception introduite à l'Assemblée nationale.

On ne voit pas au nom de quoi, sous prétexte de restreindre les charges de la presse magazine ou des médias de façon générale, une catégorie ciblée d'auteurs - ceux d'oeuvres graphiques, plastiques ou architecturales - serait, par le biais de cette nouvelle exception, de fait, dépossédée de son droit.

Nous comprenons que, dans le cadre d'un événement artistique majeur, les médias puissent effectuer un reportage ou un compte rendu de l'événement en présentant des extraits d'oeuvres de l'artiste.

Mais le droit d'auteur ne saurait être sacrifié au nom d'un droit à l'image des biens et des personnes.

Là encore, nous assistons à la confrontation de deux droits : le droit d'auteur et le droit à l'information. Or ce dernier n'est pas remis en cause par le droit d'auteur ; il doit seulement s'adapter aux exigences patrimoniales qu'entraîne le droit de la propriété littéraire et artistique, ce qui va tout à fait dans le sens de notre attachement au droit d'auteur.

Nous ne pouvons accepter que toutes les oeuvres présentées dans des manifestations privées, dont l'accès est généralement payant, fassent l'objet d'une reproduction par les médias sans autorisation des ayants droit et en dispensant de fait l'éditeur du reportage du versement à ceux-ci d'une rémunération équitable. Les numéros hors série ou les suppléments de la presse consacrés aux grandes expositions ne sauraient être vendus sans que les créateurs des oeuvres présentées reçoivent le moindre euro. Avec une exception aussi large, la rémunération des créateurs concernés se réduirait vite à une peau de chagrin.

Aussi souhaitons-nous, afin de concilier l'intérêt des médias et des auteurs concernés, restreindre le champ de cette exception en précisant qu'elle ne s'applique qu'aux oeuvres placées sur la voie publique.

En outre, nous entendons que les reproductions d'oeuvres concernées ne puissent qu'illustrer un reportage, que cette illustration ne soit qu'accessoire et que la source soit indiquée.

En dehors de ce cadre, les reproductions d'oeuvres graphiques, plastiques ou architecturales dans la presse, en ligne ou à la télévision entreront dans le droit commun du code de la propriété intellectuelle et leurs auteurs bénéficieront de la rémunération équitable qui leur est due lors de leur reproduction ou de leur communication au public.

Tel est l'objet de notre amendement, qui, je le souligne, vise les oeuvres placées sur la voie publique et non dans l'espace public. En effet, les musées peuvent être considérés comme des espaces publics.

M. le président. Le sous-amendement n° 230, présenté par Mmes Blandin,  Boumediene-Thiery et  Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par l'amendement n°120 pour le 9° de l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, après les mots :

ou architecturale,

insérer les mots :

hormis les photographies,

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Il s'agit, là encore, afin de protéger les photographes, d'exclure les photographies du champ des oeuvres visées.

M. le président. L'amendement n° 200, présenté par Mmes Blandin,  Boumediene-Thiery et  Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le 9° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle :

« 9° La reproduction intégrale, dans un but d'information, d'une oeuvre d'art graphique, plastique ou architecturale, hormis les photographies, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne lorsque l'oeuvre a été réalisée pour être placée en permanence sur la voie publique et que cette reproduction est faite de manière accessoire.

« La mention du nom de l'auteur est impérative.

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Cet amendement vise à proposer une rédaction alternative, reprenant toutes les précautions qui ont déjà été évoquées.

Dès lors que l'oeuvre est destinée à être placée en permanence sur la voie publique, sa présence revêt en quelque sorte un caractère incontournable. En dehors de ce cas, on ne saurait invoquer une captation partielle de l'oeuvre : je l'ai dit, il existe de bons cadreurs, capables de mettre intégralement tel ou tel objet dans leur champ ou, au contraire, d'éviter de l'y placer.

Quant à un adjectif comme « fugitif », son emploi autorise toutes les dérives. Ainsi, à la télévision, les images qui défilent sont évidemment fugitives.

L'adjectif « accessoire » est une concession, car il laisse la possibilité de répondre que la photographie publiée dans un magazine - en France, 90 % de nos compatriotes ont régulièrement en main l'une des productions de la société Hachette - est « accessoire » et que les droits d'auteur n'ont donc pas à être versés. Imaginez qu'il en aille ainsi pour toutes les photographies qui sont publiées : la profession de photographe va tout simplement s'effondrer !

M. le président. L'amendement n° 177, présenté par MM. Ralite,  Renar et  Voguet, Mme David et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Au début du premier alinéa du 9° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, ajouter les mots :

Sous réserve qu'elle soit compensée par une rémunération négociée sur une base forfaitaire perçue pour le compte des ayants droit et répartie entre ceux-ci par un ou plusieurs organismes mentionnés au titre II du livre III,

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Cet amendement, à l'instar d'autres que j'ai défendus, vise à garantir aux ayants droit une juste rémunération, correspondant à l'exception en faveur, cette fois-ci, des éditeurs de presse.

En effet, l'exception concernant les arts graphiques et plastiques bénéficie en grande partie aux entreprises de presse. Elle se justifie par le fait que ces entreprises participent à la construction de l'espace public et à l'animation du débat public.

De fait, les éditeurs de presse et les chaînes de télévision sont des acteurs essentiels du pluralisme démocratique et il importe de leur donner les moyens de leur mission.

Cette exception se justifie également si on l'interprète comme une extension du droit de citation, traditionnellement utilisé dans le domaine de l'écrit, au domaine de l'image fixe et animée.

Considérant le rôle éminent de l'image aujourd'hui, il est logique que l'on puisse citer des images comme l'on cite des discours ou des poèmes. Ainsi, nous ne remettons pas en cause le principe de l'exception proposé ici.

Cependant, cette exception au droit d'auteur occupe une place particulière parmi les autres exceptions. C'est en effet la seule qui bénéficie à des entreprises, c'est-à-dire à des organismes qui ont un but lucratif.

Ainsi, il serait absolument illogique que l'on soumette des organismes publics tels que les universités et les lycées au paiement d'une rémunération en échange du bénéfice de l'exception et que l'on ne fasse pas de même pour les entreprises de presse. L'utilisation que celles-ci font des oeuvres graphiques ou plastiques leur apporte indirectement des bénéfices.

À l'inverse, les artistes, les auteurs de ces oeuvres vivent de leur création.

Si nous ne voulons pas que cette exception n'aboutisse qu'à une pure et simple expropriation des artistes, il est impératif de prévoir une juste rémunération.

M. le président. L'amendement n° 140, présenté par MM. Ralite,  Renar et  Voguet, Mme David et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Dans le 9° du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots :

accessoire ou

par les mots :

accessoire et

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Le présent amendement vise à protéger le droit des auteurs d'oeuvres visuelles sans remettre en cause la liberté d'information. En remplaçant les mots « accessoire ou » par les termes « accessoire et », nous limitons pratiquement l'utilisation accessoire des oeuvres aux lieux publics où elles sont incontournables.

En effet, si l'article 1er bis restait en l'état, il empiéterait sur la reproduction et donc sur l'utilisation des oeuvres plastiques, graphiques et architecturales - monumentales ou pas - conçues et réalisées dans un cadre extérieur, public, urbain ou non. Sa rédaction soulève de fait la question des droits d'auteur de ces artistes et de la mise en valeur de l'objet d'art.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Michel Thiollière, rapporteur. L'amendement n° 199 vise à supprimer le dispositif instaurant une exception en faveur de l'information. Cette proposition est motivée par le préjudice que cette nouvelle exception porterait aux photographes.

La commission a souhaité maintenir l'exception en faveur de la presse, tout en s'efforçant de mieux la définir. Elle ne peut donc qu'être défavorable à cet amendement. La profession de photographe mérite cependant d'être prise en considération. La commission se montrera donc ouverte vis-à-vis des sous-amendements en ce sens qui ont été déposés.

À cet égard, la commission estime que les sous-amendements identiques nos 246 et 259 doivent être préférés au sous-amendement n° 202. Elle demande donc à Mme Blandin de bien vouloir retirer ce dernier.

L'amendement n° 120, qui limite le champ de l'exception en faveur de la presse aux seules oeuvres d'art placées sur la voie publique, a recueilli un avis défavorable de la commission, car il paraît trop restrictif pour apporter une amélioration aux difficultés actuellement rencontrées par les organes de presse.

La rédaction proposée par la commission, enrichie par les sous-amendements identiques nos 246 et 259, paraît mieux répondre à ces besoins, tout en s'entourant des garanties nécessaires à la préservation des intérêts des artistes concernés.

Le sous-amendement n° 230 sera satisfait si les sous-amendements nos 246 et 259 sont adoptés.

L'amendement n° 200 est satisfait par l'amendement de la commission complété par les sous-amendements nos 246 et 259. La commission invite donc Mme Blandin à le retirer. À défaut, elle émettra un avis défavorable.

La commission n'ayant pas souhaité assortir, pour les raisons déjà évoquées, toutes les exceptions d'une rémunération compensatoire, elle a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 177,

Quant à l'amendement n° 140, il est contraire à la proposition de la commission.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Les amendements et les sous-amendements sur lesquels le Gouvernement va maintenant donner son avis illustrent parfaitement le travail de concertation qui a été mené pour élaborer ce texte.

Bien sûr, il y a de l'électricité dans l'air quand sont en présence des intérêts qui peuvent apparaître comme contradictoires. Il est vrai qu'un certain nombre de photographes ont exprimé des craintes. Mesdames, messieurs les sénateurs, pensez-vous que le Gouvernement reste sourd et aveugle face à ceux qui s'expriment dans notre pays ? Sachez que des réunions de concertation ont eu lieu afin de trouver un bon point d'équilibre.

Je le dis aux uns et aux autres, j'attache beaucoup d'importance au photojournalisme, car je considère que c'est une expression d'une intelligence et d'une efficacité remarquables. D'ailleurs, je vous propose que nous nous rendions tous ensemble à Perpignan pour assister au festival « Visa pour l'image ». Cette manifestation a en effet donné lieu à une vraie bagarre pour la conserver sur le territoire national et éviter qu'elle ne se délocalise à Barcelone, du fait de la disparition éventuelle de certains concours financiers. Cette question étant désormais réglée, je n'ouvrirai pas des polémiques inutiles.

Vous avez raison, madame Blandin : il faut défendre ces métiers. Il faut d'autant plus les défendre que le numérique posera un jour des problèmes en termes de véracité, de fiabilité, problèmes qui n'ont évidemment rien à voir avec l'expression artistique. Car les photos « imaginaires » auxquelles vous faisiez allusion peuvent avoir un contenu aussi bien artistique que politique ou informatif. Mais, sur le strict plan de l'information, à l'heure du numérique, l'authentification de l'auteur deviendra une notion absolument essentielle.

En la matière, je pense aussi bien à l'image qu'au son ou à l'écrit. C'est un débat qui devra prochainement nous réunir et, je l'espère, nous rassembler. Après avoir traité la question des droits d'auteur et de l'internet, il nous appartiendra d'ouvrir le dossier de l'information et de l'internet avec tous les défis qui sont à la clef : les révisions déchirantes d'un certain nombre de politiques traditionnelles et les exigences sur le plan des valeurs et de la démocratie. Je n'ouvre pas le débat ce soir, car ce serait prématuré.

J'en viens aux amendements et aux sous-amendements.

S'agissant de l'amendement n° 199, je dirai que, si certaines décisions jurisprudentielles ont reconnu les besoins légitimes d'information et si les auteurs eux-mêmes sont en général favorables à ce que le public puisse être informé sur leurs oeuvres, il n'existe pas de cadre juridique sécurisé qui permette à l'image de tenir sa place dans l'information.

Pour autant, afin de préserver les intérêts essentiels des auteurs, il est nécessaire d'encadrer plus strictement cette exception. Le Gouvernement a donc organisé une concertation entre les représentants des parties concernées, qui ont pu aboutir ensemble à un compromis acceptable par tous. C'est cet équilibre que traduit l'amendement de la commission, auquel le Gouvernement apporte son soutien.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'amendement n° 199.

Je voudrais vous rappeler les termes de l'amendement n° 7 rectifié bis, car le sujet est si important que le texte lui-même permet de comprendre exactement ce que la commission et le Gouvernement ont voulu faire.

Ce texte résulte d'un accord, c'est-à-dire que sa rédaction repose sur une concertation préalable ; c'est la définition même d'un point d'équilibre. Voici :

« La reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d'une oeuvre d'art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d'information immédiate, et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d'indiquer clairement le nom de l'auteur.

« Les reproductions ou représentations qui, notamment par leur nombre ou leur format, ne seraient pas en stricte proportion avec le but exclusif d'information immédiate poursuivi ou qui ne seraient pas en relation directe avec cette dernière donnent lieu à rémunération des auteurs, sur la base des accords ou tarifs en vigueur dans les secteurs professionnels concernés. »

Je vais citer un exemple très précis, que chacun a présent à l'esprit, car il s'agit d'une actualité politique assez récente.

À la suite d'une importante décision du Conseil constitutionnel, on a voulu faire une photo du siège de cette institution. Soit on cherche à montrer les locaux du Conseil constitutionnel, et apparaît probablement sur la photo une partie des colonnes de Buren, soit on veut présenter la création de Daniel Buren, et le cadrage n'est alors évidemment pas le même.

Vous le voyez, c'est affaire d'appréciation. Or l'amendement de la commission permet, me semble-t-il, de bien discerner les deux « points de vue » et de tirer les conséquences de cette différence. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis favorable sur l'amendement n° 7 rectifié bis.

En revanche, il est défavorable au sous-amendement n° 202. En effet, les sous-amendements identiques nos 246 et 259, qui visent également à protéger les photojournalistes, présentent une formulation plus équilibrée et reçoivent donc un avis favorable.

Compte tenu des avis et explications que je viens de donner, je suis défavorable à l'amendement n° 120, au sous-amendement n° 230 ainsi qu'aux amendements nos 200, 177 et 140.

M. le président. Madame Blandin, l'amendement n° 199 est-il maintenu ?

Mme Marie-Christine Blandin. Au vu des avancées que nous avons obtenues, l'amendement n° 199 et le sous-amendement n° 202 n'ont plus lieu d'être. Par conséquent, je les retire.

M. le président. L'amendement n° 199 et le sous-amendement n° 202 sont retirés.

Je mets aux voix les sous-amendements identiques nos 246 et 259.

(Les sous-amendements sont adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7 rectifié bis, modifié.

(L'amendement est adopté.)

En conséquence, l'amendement n° 120, le sous-amendement n° 230 ainsi que les amendements nos 200, 177 et 140 n'ont plus d'objet.

J'observe que les sous-amendements identiques nos 246 et 259 ainsi que l'amendement n° 7 rectifié bis ont été adoptés à l'unanimité des présents.

Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 201, présenté par Mmes Blandin,  Boumediene-Thiery et  Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :

Supprimer l'avant-dernier alinéa du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle.

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. La partie du projet de loi dont il s'agit ici concerne les exceptions au droit exclusif de reproduction ou de communication au public.

En l'occurrence, après avoir énuméré ces exceptions, l'article 1er bis reprend les termes de la directive du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.

Cet amendement tend à supprimer la disposition qui reprend ces termes pour encadrer les exceptions. La directive détermine une méthode d'analyse, communément appelée le « test en trois étapes », qui comporte un ensemble de critères devant guider le législateur dans tous les États-membres.

Ce test n'est pas destiné à compléter les exceptions par des restrictions figurant dans la loi et qui, en cas de contestation, pourraient à nouveau être débattues devant le juge en vue de faire annuler par celui-ci tel ou tel choix du législateur. Une telle confusion des genres serait contraire au principe de séparation des pouvoirs.

Prenons l'exemple de l'exception au profit des personnes en situation de handicap, exception que nous venons de valider. Le législateur fait son travail et procède à une évaluation en considérant les critères. En l'occurrence, le cas est spécial, les volumes concernés n'ont pas d'effets significatifs sur les revenus des auteurs et les bénéficiaires sont bien définis, ce qui n'empêche pas l'exploitation normale de l'oeuvre.

Les trois critères sont donc remplis et le législateur peut faire son travail en arbitrant et en créant une exception conforme à la directive.

Mais l'introduction des critères dans les dispositions applicables à ces exceptions peut se révéler problématique. En effet, des producteurs de films, s'estimant spoliés dans leurs droits voisins au prétexte que des personnes handicapées, acheteurs potentiels, n'auront pas acheté les produits considérés ou que des individus valides habitant dans le même foyer qu'une personne en situation de handicap profitent de la gratuité de la diffusion, pourraient aller en justice afin d'amener le juge à annuler des mesures adoptées par les parlementaires.

Certes, je n'imagine pas que l'exception la plus consensuelle, celle que je viens d'évoquer, puisse faire l'objet d'une telle démarche. En revanche, il en est d'autres qui déplaisent et que certains acteurs concernés chercheront certainement à priver de toute portée.

Par conséquent, la question induite par cet amendement est : qui fait la loi ?

M. le président. L'amendement n° 64, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit l'avant-dernier alinéa du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle :

« Les exceptions prévues par le présent article sont la conséquence de la nécessité publique qui s'attache à la diffusion de la culture et des oeuvres. Les conditions relatives à leur bénéfice sont fixées par la loi. Elles ne peuvent porter aucune atteinte à l'exploitation normale des oeuvres ni causer un préjudice aux intérêts légitimes de l'auteur et notamment à son droit de propriété. L'auteur est indemnisé conformément à l'article XVII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Je crois que la disposition qui nous est proposée, et qui précise que les exceptions énumérées ne peuvent pas porter « atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur », est à la fois nécessaire et insuffisante, car il faudra bien finir par affirmer et garantir le droit de propriété dans la loi.

Je rappelle que, dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, ce droit est le deuxième des droits fondamentaux, tout de suite après la liberté, puisque sont évoquées « la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression », et qu'il est défini par l'article XVII de cette même déclaration, qui précise qu'il s'agit d'un droit « inviolable et sacré » et que « nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».

Monsieur le président, mes chers collègues, j'ai essayé de reprendre ces principes en proposant une rédaction différente de l'alinéa concerné, précisant d'abord que les exceptions que nous avons adoptées mettraient en cause le droit de propriété si elles n'étaient pas conformes à la nécessité publique de la diffusion des oeuvres et de la pensée. Et c'est le législateur qui le constate dans mon texte.

En outre, mon amendement rappelle que ces exceptions touchant au droit de propriété ainsi que les conditions à remplir pour y accéder doivent toutes être définies par la loi, car nous sommes dans le domaine visé par l'article 34 de la Constitution.

Mon dispositif conserve naturellement les garanties votées par l'Assemblée nationale : ces exceptions ne peuvent pas porter « atteinte à l'exploitation normale des oeuvres ni causer un préjudice aux intérêts légitimes de l'auteur ».

Enfin, mon amendement s'achève en indiquant clairement que l'indemnisation doit être juste et préalable et qu'elle est accordée aux auteurs conformément à l'article XVII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Mes chers collègues, j'ai la conviction que, si le projet de loi dont nous discutons est soumis au Conseil constitutionnel au terme de notre procédure législative, ce dernier peut être tenté de faire une interprétation stricte du droit de propriété ou du moins d'en rappeler les exigences. Des parties importantes du texte pourraient ainsi sortir fort écornées de l'examen du Conseil constitutionnel.

Si ce n'est pas le Conseil constitutionnel qui le fait, un auteur pourra toujours saisir la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg, car le droit de propriété figure en bonne place dans la Convention européenne des droits de l'homme et cette cour a déjà eu l'occasion de s'exprimer fermement à son sujet.

Et si ce n'est pas la cour de Strasbourg, ce sera celle de Luxembourg, car, parmi les bases fondamentales du droit européen, figure le droit de propriété dans des termes très voisins de l'article XVII de la Déclaration de 1789.

Tels sont, mes chers collègues, les motifs pour lesquels il me paraît nécessaire de rappeler dans ce texte que nous restons fidèles aux éléments constituant le droit de propriété, qui est l'une des bases de la société française et européenne.

M. le président. L'amendement n° 143, présenté par MM. Ralite,  Renar et  Voguet, Mme David et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit l'avant-dernier alinéa du texte proposé par le 2° du I de cet article pour compléter l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle :

« Les exceptions énumérées par le présent article  ne peuvent causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur. Le préjudice injustifié sera apprécié en fonction de l'équilibre nécessaire entre les conditions de l'exploitation normale de l'oeuvre et son utilisation sociale.

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Cet amendement vise à modifier la transposition proposée du « test en trois étapes » mentionné dans la directive.

En effet, dans un arrêt du 28 février 2006, la Cour de cassation a annulé la décision de la cour d'appel de Paris du 22 avril 2005, qui avait interdit à M. Alain Sarde, Studio Canal et Universal Pictures d'utiliser des dispositifs anti-copie sur le DVD d'un film de David Lynch.

La cour d'appel s'était fondée sur le test en trois étapes de la directive du 22 mai 2001. Elle avait ainsi jugé que cette exception, la copie privée, « ne saurait être limitée alors que la législation française ne comporte aucune disposition en ce sens ».

Pour sa part, la Cour de cassation a annulé l'arrêt au motif que l'application littérale du test en trois étapes contredisait la décision de la cour d'appel.

En l'espèce et pour résumer, la Cour de cassation estime que l'exploitation normale de l'oeuvre s'apprécie par rapport à un nouvel environnement, le numérique, et qu'il convient d'apprécier les risques que ce nouvel environnement fait peser sur l'exploitation normale de l'oeuvre.

Aussi l'arrêt de la cour d'appel a-t-il été annulé, celle-ci n'ayant pas suffisamment apprécié ce risque. Il lui appartiendra désormais de se plier à cette exigence de la Cour de cassation et d'en tirer les conséquences.

Cela suscite toutefois des interrogations.

L'environnement et la copie numériques font-ils courir des risques ? Portent-ils atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre cinématographique sous forme de DVD ? Et qu'en est-il du « préjudice injustifié de l'auteur » ? Celui-ci a-t-il été consulté ?

À l'évidence, les magistrats font déjà, et ce depuis plusieurs mois, une interprétation et une application de la directive de manière tout à fait directe, sans attendre la transposition de celle-ci en droit interne par le législateur.

Mais cela montre surtout que, en l'état actuel de la rédaction de ce test en trois étapes, la dernière condition, c'est-à-dire les intérêts légitimes de l'auteur, n'est pas prise en compte par les juges.

En outre, la question de l'utilisation sociale de l'oeuvre permise par l'exception n'est pas débattue.

La nouvelle rédaction du test en trois étapes que nous vous proposons d'adopter vise donc à remédier à ce problème et à permettre aux juridictions de trouver un point d'équilibre entre les dimensions économique et sociale de la diffusion des oeuvres.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Michel Thiollière, rapporteur. Ces trois amendements portent sur le test en trois étapes.

Je rappellerai d'abord que l'article 5-5 de la directive du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information fait obligation aux États de transposer dans leur droit interne le test en trois étapes. Certains tribunaux français ont d'ailleurs déjà commencé à le prendre en compte dans leurs décisions, comme l'ont montré les arrêts successivement rendus par le tribunal de grande instance de Paris, la cour d'appel de Paris et la Cour de cassation dans l'affaire Mulholland Drive.

Dans ces conditions, il convient donc de faire figurer ce test dans le code de la propriété intellectuelle pour assurer la bonne information des justiciables. C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 201

L'amendement n° 64, présenté par M. Charasse, comporte des aspects positifs, notamment en rappelant certains grands principes généraux. Toutefois, ces derniers vont bien au-delà de l'obligation qu'impose la directive de 2001 de transposer le test en trois étapes. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Enfin, le dispositif que l'amendement n° 143 n'assure pas une transposition fidèle du test en trois étapes tel qu'il figure dans la directive. En effet, avec le critère de l'utilisation sociale de l'oeuvre, cet amendement tend à introduire une quatrième condition supplémentaire qui n'est pas prévue par les textes internationaux. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. S'agissant de l'amendement n° 201, je rappelle que les conventions internationales et la directive européenne sur le droit d'auteur, que nous transposons, prévoient le test en trois étapes.

Le juge français a d'ores et déjà considéré, y compris au plus haut niveau, comme en témoigne la décision récente de la Cour de cassation, que le test en trois étapes pouvait être appliqué en droit interne. Inscrire ce test dans la loi est donc un facteur de sécurité juridique et de transparence. Ainsi, c'est la loi qui le rendra effectif, et non la jurisprudence.

S'agissant de l'amendement n° 64, je partage avec vous, monsieur Charasse, le souhait d'équilibre que vous mettez en avant, mais votre amendement conduirait à restreindre la portée des principes qui président à l'élaboration du présent projet de loi.

J'ajoute que le caractère personnaliste du droit d'auteur, qui est le fondement de la protection de l'auteur, demeure le principe essentiel justifiant à la fois la protection des créateurs et celle de la diversité culturelle. J'émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

J'émets également un avis défavorable sur l'amendement n° 143.

En effet, cet amendement vise à préciser que le test en trois étapes doit permettre de respecter un équilibre entre les intérêts des ayant droits et ceux des consommateurs.

Madame David, je comprends votre souci de cohérence et l'intérêt que vous attachez à la juste rémunération des auteurs et des artistes, ainsi qu'à l'équilibre des intérêts, mais la convention de Berne, qui a depuis été reprise, ainsi que la directive de 1991 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateurs doivent être respectés.

Ce texte laisse une marge de manoeuvre adéquate au juge et lui permet d'appliquer le test en trois étapes aux cas concrets dont il est saisi.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 201.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur l'amendement n° 64.

M. Michel Charasse. J'ai bien écouté ce que m'ont dit M. le rapporteur et M. le ministre.

La rédaction que je propose n'est sans doute pas parfaite. Mais, sur le fond, elle me semble constitutionnellement impeccable.

Monsieur le rapporteur, les directives ne se substituent pas à la Constitution. Récemment, le Conseil constitutionnel a resserré sa jurisprudence dans ce domaine et a quasiment précisé qu'il pouvait examiner les choses de très près si une directive devait être contraire à la Constitution. Cette décision de 2005 portait, me semble-t-il, sur un texte relatif à la santé publique.

Ce n'est donc pas, monsieur le rapporteur, parce qu'une disposition est conforme à une directive qu'elle est forcément conforme à la Constitution. Si le Conseil constitutionnel n'est pas le juge de la conformité des lois au droit européen, il ne s'interdit pas de contrôler la conformité à la Constitution des dispositions prises par la loi française en application de directives.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué la convention de Berne. Je ne suis pas insensible à cet argument, mais je me demande comment le Conseil constitutionnel le jugera s'il est amené à se prononcer sur ce sujet. En effet, cette convention date de la fin du XIXe siècle.

Monsieur Valade, je vous vois sceptique. Alors je précise ma pensée : je me demande si le Conseil constitutionnel considérerait que cette convention fait ou non partie de ce que la doctrine appelle les « grandes lois de la République », que le Conseil a classé dans le « bloc de constitutionnalité » en invoquant le préambule de 1946, qui fait référence aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », c'est-à-dire ce sur quoi il a fondé une partie de sa jurisprudence.

S'il considère que la loi qui a permis la ratification de la convention de Berne fait partie des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », alors vous avez raison, monsieur le ministre. Mais, s'il ne va pas jusque-là, votre raisonnement peut être fragile. À cette heure tardive, je ne me livrerai pas à des spéculations !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 64.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 143.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L'amendement n° 48 est présenté par Mme Morin-Desailly, M. Nogrix et les membres du groupe Union centriste - UDF.

L'amendement n° 65 est présenté par M. Charasse.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer le II de cet article.

La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour présenter l'amendement n° 48.

Mme Catherine Morin-Desailly. Cet amendement vise à supprimer une disposition introduite par l'Assemblée nationale : l'intégration dans le code de la propriété intellectuelle du principe selon lequel « l'auteur est libre de choisir le mode de rémunération et de diffusion de ses oeuvres ou de les mettre gratuitement à la disposition du public ».

Si nous souhaitons supprimer cette disposition, c'est non pas, je tiens à le préciser, parce qu'elle ne nous semble pas essentielle, tant s'en faut, mais parce qu'elle est, selon nous, redondante avec l'article L. 122-7 du code de la propriété intellectuelle, qui pose déjà ce principe.

Nous en sommes d'autant plus convaincus que M. le rapporteur lui-même partage cet avis, comme il l'indique à la page 122 de son rapport :

« Le principe posé dans le II par le nouvel article L. 131-8-1 du code de la propriété intellectuelle est à la fois sympathique et ambigu. Il tend, à première vue, à affirmer que l'auteur est libre de mettre son oeuvre à la disposition du public de façon payante ou de façon gratuite.

« Il ne ferait alors que confirmer ce qu'indique déjà l'article L. 122-7 du code précité, qui dispose que les droits qu'a l'auteur sur son oeuvre sont cessibles "à titre gratuit ou à titre onéreux". »

Par ailleurs, M. le rapporteur indique que cette disposition risquerait « de remettre en question certains principes généraux de la rémunération des auteurs » et qu'il « convient en outre d'éviter qu'une affirmation trop unilatérale du libre choix de l'auteur n'entraîne des dommages collatéraux sur les droits de ses co-auteurs et des tiers, ou ne fragilise les conventions qu'il aurait pu conclure ».

Compte tenu de ces inquiétudes, j'incline à penser qu'une telle disposition n'a pas à figurer dans le code de la propriété intellectuelle. Il est vrai, monsieur le rapporteur, que, entre-temps, une autre version a été proposée afin de garantir la rémunération des tiers. Nous y sommes bien sûr favorables, même si nous continuons à ne pas voir en quoi elle est opportune. Il nous semble en effet que le droit permet déjà aujourd'hui de garantir ces différentes protections, dans le respect de chacun.

Pour toutes ces raisons, il nous semble opportun de supprimer cette disposition. À vouloir trop légiférer, notamment dans ce texte, nous sommes peut-être en train de rendre notre droit inapplicable, de favoriser les contentieux et de créer des problèmes là où il n'y en a sans doute pas.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour présenter l'amendement n° 65.

M. Michel Charasse. Je ne comprends pas très bien pourquoi le II de l'article 1er bis a été introduit, car il présente, à mon avis, deux inconvénients rédhibitoires.

D'abord, ce texte n'ajoute rien aux dispositions du code de la propriété intellectuelle qui définissent le droit de propriété incorporelle exclusif des auteurs et les attributs patrimoniaux de ce droit. Cela suffit à établir que l'auteur peut exploiter ses droits comme il l'entend - c'est tout de même la moindre des choses !-, y compris en mettant gratuitement, s'il en a envie, ses oeuvres à la disposition du public. Mais encore faut-il, pour cela, que l'auteur n'ait pas préalablement cédé à un tiers son droit d'exploitation, auquel cas il ne peut évidemment plus l'exercer lui-même, que ce soit à titre gracieux ou onéreux, ni qu'il doive tenir compte d'un éventuel coauteur.

Le texte tel qu'il arrive de l'Assemblée nationale n'apporte donc aucune solution au problème des jeunes musiciens qui ont adhéré à la SACEM et qui lui ont, de ce seul fait, cédé tous leurs droits d'exploitation sur toutes leurs oeuvres aussitôt que créées et qui se voient donc interdire de les diffuser gratuitement sur Internet, comme ils souhaiteraient le faire.

La solution de ce problème doit être cherchée à un autre niveau, celui des rapports entre les sociétés de gestion des droits d'auteur et leurs membres.

Ensuite, ce texte, inutile à mes yeux, peut être dangereux dans la mesure où il pourrait être interprété comme restreignant la portée des dispositions du code relatives aux conditions de la cession des droits d'exploitation et protégeant le droit des auteurs à une rémunération proportionnelle aux recettes d'exploitation de leur oeuvre.

Voilà pourquoi, monsieur le président, à l'instar de ma collègue Mme Morin-Desailly, je propose de supprimer le II de l'article 1er bis.

M. le président. L'amendement n° 169, présenté par MM. Ralite,  Renar et  Voguet, Mme David et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le II de cet article :

II. A la fin du premier alinéa de l'article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle, les mots : « des autorisations gratuites  d'exécution » sont remplacés par les mots : « des autorisations gratuites d'exploitation de l'un des droits prévus à l'article L. 122-1 ».

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Cet amendement, bien qu'il tende à modifier la rédaction du II de l'article 1er bis, est, dans l'esprit, proche à ceux que viennent de présenter nos deux collègues

En effet, l'article L. 131-8-1 a, selon nous, peu de valeur juridique dans la mesure où l'article L. 122-7 du code de la propriété intellectuelle suffit à affirmer que les droits sont cessibles à titre gratuit ou onéreux. Mme Morin-Desailly a rappelé ce qui figure dans le rapport de M. Thiollière, à savoir que la redondance proposée est à la fois sympathique et ambiguë.

Par ailleurs, cet amendement vise à mettre en place un garde-fou pour l'auteur en prenant en compte tous les malentendus qui accompagnent parfois le choc des intérêts dans la chaîne de production et de diffusion.

Enfin, pour que le projet de loi protège l'auteur contre une expropriation, il convient de préciser que toute cession doit être faite, quel que soit le type d'exploitation de l'oeuvre, par contrat écrit.

M. le président. L'amendement n° 8 rectifié, présenté par M. Thiollière, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le II de cet article :

II - Après l'article L. 122-7 du même code, il est inséré un article L. 122-7-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 122-7-1. - L'auteur est libre de mettre ses oeuvres gratuitement à la disposition du public, sous réserve des droits des éventuels coauteurs et de ceux des tiers ainsi que dans le respect des conventions qu'il a conclues. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Thiollière, rapporteur. Nous estimons que la rédaction de l'article 1er bis est généreuse et sympathique, mais ambiguë.

En effet, à première vue, cette rédaction semble confirmer que l'auteur est libre de choisir de mettre son oeuvre à disposition du public de façon payante ou de façon gratuite. Dans ce cas, l'intérêt de cette disposition est limité, le code de la propriété intellectuelle précisant déjà, dans son article L. 122-7, que les droits de l'auteur sont cessibles « à titre gratuit ou à titre onéreux ».

Toutefois, en prévoyant que l'auteur est « libre de choisir son mode de rémunération », cette disposition remet en question, délibérément ou involontairement, certains principes généraux de la rémunération des auteurs, comme celui de la rémunération proportionnelle aux recettes, qui est considéré - ce point de vue est très généralement partagé - comme protégeant les auteurs face à des partenaires plus puissants, qui pourraient être tentés de leur imposer, par exemple, une rémunération forfaitaire.

Il convient, en outre, d'éviter qu'une affirmation trop unilatérale du libre choix de l'auteur n'entraîne des dommages collatéraux sur les droits des coauteurs éventuels et des tiers et ne fragilise les conventions qu'il aurait pu conclure.

La commission n'a donc pas souhaité supprimer cet article, car l'intention est sympathique, mais elle vous propose d'assortir sa rédaction d'un minimum de précautions.

M. le président. Le sous-amendement n° 95, présenté par MM. Garrec,  de Raincourt,  Carle et  Humbert, est ainsi libellé :

Au début du texte proposé par l'amendement n° 8 rectifié pour l'article L. 122-7-1 du code de la propriété intellectuelle, ajouter les mots :

En vue de leur exploitation en ligne,

Ce sous-amendement n'est pas soutenu.

M. Michel Thiollière, rapporteur. La commission modifie l'amendement n° 8 rectifié afin d'y intégrer le sous-amendement n° 95.

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 8 rectifié bis, présenté par M. Thiollière, au nom de la commission, et qui est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le II de cet article :

II - Après l'article L. 122-7 du même code, il est inséré un article L. 122-7-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 122-7-1. - En vue de leur exploitation en ligne, l'auteur est libre de mettre ses oeuvres gratuitement à la disposition du public, sous réserve des droits des éventuels coauteurs et de ceux des tiers ainsi que dans le respect des conventions qu'il a conclues. »

Quel est l'avis de la commission sur les amendements nos 48, 65 et 169 ?

M. Michel Thiollière, rapporteur. La commission ayant remédié, avec son amendement n° 8 rectifié bis, aux ambiguïtés du II de l'article 1er bis, celui-ci mérite d'être conservé. La commission émet donc un avis défavorable sur les amendements identiques nos 48et 65.

Elle est également défavorable à l'amendement n° 169.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'ensemble de ces amendements ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'imagine que vous avez lu l'intégralité des débats de l'Assemblée nationale sur le présent projet de loi ! Si tel n'est pas le cas, permettez-moi de vous rappeler la raison pour laquelle j'ai souhaité l'introduction de cette clarification.

À mes yeux, il est très important de faire preuve de pédagogie vis-à-vis de nos concitoyens. Ce que nous voulons bâtir, ce n'est pas forcément un système commercial, c'est un système légal préservant les auteurs, sous réserve bien sûr de respecter le droit des tiers, point que j'avais bien précisé à l'Assemblée nationale, au moment des explications de vote. Mais il me semble très important que les dispositions de ce projet de loi soient intelligibles et définissent des valeurs qui soient comprises par chacun. Aussi, au moment où l'on adapte - en le refondant - le droit d'auteur à l'ère du numérique, il importe de redire que l'auteur est le pivot du dispositif et que, sous réserve de respecter le droit des tiers, il a le droit et la liberté de diffuser gratuitement son oeuvre ou une partie de son oeuvre pour se faire connaître ou bien de préférer vouloir vivre de son travail.

C'est la raison pour laquelle j'avais émis un avis favorable, à l'Assemblée nationale, sur cet amendement de clarification.

De la même manière - c'est un point que j'ai abordé au cours de la discussion générale -, je considère que la création d'un registre des oeuvres disponibles permettra à quiconque de savoir si telle ou telle oeuvre est libre de droits ou non. Cela contribuera à clarifier le système.

Il ne faut pas avoir honte d'introduire dans un texte des principes intelligibles par l'ensemble de nos concitoyens. Pour autant, j'accepte l'argument selon lequel ces dispositions se trouvent par ailleurs dans d'autres textes législatifs. Néanmoins, vous savez pertinemment qu'on attend d'un projet aussi important, qui sera lu et analysé dans son ensemble, qu'il fixe un certain nombre de principes.

J'émets un avis défavorable sur les amendements identiques nos 48 et 65, car je considère que l'amendement n° 8 rectifié du rapporteur permet d'éviter les interprétations du texte qui seraient contraires aux intérêts des auteurs. Il est évident que cet article ne saurait être interprété comme affaiblissant la protection de l'auteur. Il confirme simplement le rôle central de l'auteur, à qui il appartient de choisir, s'il le souhaite, la diffusion gratuite de son oeuvre.

J'émets également un avis défavorable sur l'amendement n° 169, qui est satisfait par les propositions du rapporteur.

J'aurais émis un avis favorable sur l'amendement n° 8 rectifié car je considère qu'il améliorait la rédaction de l'Assemblée nationale, d'une part, en donnant une sécurité juridique aux contrats conclus par l'auteur, d'autre part, en évitant de fragiliser le principe de rémunération proportionnelle pour l'exploitation commerciale de l'oeuvre.

En revanche, je suis défavorable à l'amendement n° 8 rectifié bis, car la liberté conférée par cette disposition aux auteurs est d'application générale et ne saurait être limitée aux seuls services en ligne.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 48 et 65.

Mme Catherine Morin-Desailly. J'ai bien compris qu'il fallait prendre un minimum de précautions, remédier aux ambiguïtés et clarifier les choses. J'ai bien entendu tous les arguments avancés par M. le ministre et M. le rapporteur. Dans le contexte actuel, incertain et perturbé, je comprends que les auteurs soient inquiets et aient effectivement besoin d'être rassurés. Partant, je conçois qu'on puisse soutenir que le maintien de cette disposition ait des vertus pédagogiques. Aussi, je retire mon amendement.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Merci !

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Très bien !

M. le président. L'amendement n° 48 est retiré.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur l'amendement n° 65.

M. Michel Charasse. Je reconnais volontiers que la rédaction de notre rapporteur est tout de même bien meilleure que celle de l'Assemblée nationale. Mais je m'interroge toujours sur la nécessité de ce texte, surtout tel qu'il a été complété, sur la proposition initiale de notre collègue Garrec.

Première observation : l'article adopté par l'Assemblée nationale vise en quelque sorte à rappeler que le soleil se lève à l'est et qu'il se couche à l'ouest ! (Sourires.) Si l'auteur est propriétaire, il fait ce qu'il veut. M. Thiollière le sait très bien : c'est la moindre des choses puisque c'est la liberté ! S'il n'est pas propriétaire des droits, il ne peut rien faire : même évidence ! S'il y a un coauteur, il doit en tenir compte : autre évidence ! Toutes ces dispositions - et j'en passe - sont déjà dans le code.

Le ministre nous dit qu'on va tout regrouper sous une même rubrique. Pourquoi pas ? Mais, dans ce cas, cela veut dire qu'il faudra un jour que la commission de codification fasse un travail de coordination et supprime les dispositions qui font « doublon » dans le même code. Sinon, le code de la propriété intellectuelle va finir par ressembler à un code que je connais bien, à savoir le code général des impôts, qui a comme vertu première d'être totalement illisible et incompréhensible par la majorité des Français ! (Nouveaux sourires.)

Votre souci de clarification vis-à-vis de nos concitoyens est très louable, monsieur le ministre. Mais, si c'est pour en rajouter dans l'inutile et faire un monstre, je ne suis pas convaincu.

Cependant, là où les choses se compliquent, mes chers collègues - et c'est ma seconde observation -, c'est lorsque notre ami Thiollière propose d'ajouter, comme le souhaitait René Garrec : « En vue de leur exploitation en ligne, ». Cela veut dire que, dans les autres cas, l'auteur n'est pas libre ! Ce n'est sûrement pas ce que nous voulons ! Prenons donc au moins la précaution de dire : « En vue, notamment, de leur exploitation en ligne, ». Car, si vous précisez que la liberté de l'auteur n'est valable que pour l'exploitation en ligne, celui-ci n'aura plus le droit de mettre gratuitement ses oeuvres à la disposition du public dans les autres cas. Et des dizaines d'articles du code qui leur garantissent aujourd'hui la liberté tomberont d'un seul coup ! En revanche, si l'on écrit : « En vue, notamment, de leur exploitation en ligne », ça reste très mauvais, mais c'est quand même « moins pire ». (Nouveaux sourires.)

Pour gagner du temps, sachant qu'il ne sera pas adopté, je retire mon amendement n° 65.

M. le président. L'amendement n° 65 est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 169.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Monsieur le rapporteur, M. le ministre a émis un avis défavorable sur votre amendement n° 8 rectifié bis. Le maintenez-vous ?

M. Michel Thiollière, rapporteur. Après avoir entendu le ministre et les explications de notre collègue Michel Charasse, nous rectifions l'amendement n° 8 rectifié bis en retirant les mots : « En vue de leur exploitation en ligne, », ce qui permettra en fait de revenir à l'amendement n° 8 rectifié.

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 8 rectifié ter ainsi libellé :

Rédiger ainsi le II de cet article :

II - Après l'article L. 122-7 du même code, il est inséré un article L. 122-7-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 122-7-1. - L'auteur est libre de mettre ses oeuvres gratuitement à la disposition du public, sous réserve des droits des éventuels coauteurs et de ceux des tiers ainsi que dans le respect des conventions qu'il a conclues. »

Je mets aux voix l'amendement n° 8 rectifié ter.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. À l'unanimité !

M. Michel Charasse. Monsieur le président, je n'ai pas levé la main, ni dans un sens ni dans un autre !

M. le président. Excusez-moi, monsieur Charasse ! (Sourires.)

M. Michel Charasse. Il a été adopté à l'unanimité des votants !

M. le président. Dont acte !

Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 9, présenté par M. Thiollière, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Supprimer le III de cet article.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Thiollière, rapporteur. Le III de l'article 1er bis prévoit que le Gouvernement transmettra au Parlement dans les six mois suivant la promulgation du présent projet de loi un rapport relatif aux modalités de la mise en oeuvre d'une plateforme publique de téléchargement favorisant la diffusion des jeunes créateurs, tout en assurant leur juste rémunération.

Je ne conteste pas l'intérêt de ce projet sympathique. Je souhaiterais simplement que le ministre nous fournisse des précisions sur certains de ses aspects, et notamment sur la rémunération des jeunes auteurs ainsi que sur le financement de ces mesures.

Je crois cependant que la présentation de cette plateforme trouverait sa place dans le rapport du Gouvernement dressant le bilan des premiers mois d'application des dispositions de la présente loi, que tend à prévoir notre amendement n° 40.

M. le président. L'amendement n° 139, présenté par MM. Ralite, Renar et Voguet, Mme David et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le III de cet article :

III. Il est créé une plate-forme publique de téléchargement permettant à tout créateur vivant, absent des plates-formes commerciales de téléchargement de mettre ses oeuvres ou ses interprétations à disposition du public et d'en obtenir une juste rémunération, à hauteur de 50 % au moins du prix de vente publique et selon des modalités précisées par décret en Conseil d'État.

L'augmentation des charges induites par la création de cette plate-forme sera compensée à due concurrence par la création d'une taxe sur le chiffre d'affaires des personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication en ligne.

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Le présent amendement tend à étendre au secteur numérique le principe d'aide publique à la création et à la diffusion.

Il vise à confirmer l'engagement de l'État dans la création d'une plateforme publique de téléchargement destinée à favoriser la diffusion des oeuvres des jeunes créateurs tout en leur assurant une juste rémunération. Bien évidemment, par « jeunes créateurs », il faut entendre « nouveaux créateurs » ou encore « créateurs vivants », absents des offres commerciales de téléchargement.

De plus, cette plateforme les fera bénéficier des développements de l'économie numérique.

La commission souhaite la suppression de cette plateforme au motif que les modalités de sa constitution seraient insuffisamment claires. La question de la rémunération des auteurs lui pose aussi un problème. Elle propose que la question d'une plateforme publique de téléchargement soit traitée, si elle l'est, dans le rapport sur l'application de l'ensemble des dispositions du présent texte.

Cette plateforme se situerait, selon nous, dans une tradition très estimable de notre pays en matière de création artistique : une fois créée dans le cadre du présent texte, elle pourra être soumise à un examen critique dans le rapport demandé par la commission. Cela ne nous pose évidemment aucun problème, mais créons-la tout d'abord !

C'est ce à quoi vise cet amendement. Le cas échéant, les éclaircissements et modifications qui vous paraissent utiles pourront être, si nécessaire, apportées en commission mixte paritaire, l'urgence ayant été déclarée.

Je peux d'ores et déjà vous apporter quelques explications sur cette plateforme telle que nous l'envisageons.

Il s'agirait d'un service public de téléchargement ; l'ensemble des oeuvres y seraient accessibles dans des formats de logiciels ouverts et libres de tout dispositif de contrôle technique.

L'accès à cette plateforme publique se ferait de trois manières : un accès libre et gratuit à l'ensemble des fonds publics conservés par l'INA ou aux fonds documentaires libres de droits de la Bibliothèque nationale de France, notamment ; un accès, moyennant le paiement d'une redevance, aux oeuvres musicales des artistes qui les ont commercialisées, ces derniers percevant évidemment une rémunération indexée sur ces téléchargements et issue des recettes décrites plus loin ; un accès actif, l'ensemble des citoyens pouvant utilement contribuer à l'enrichissement du catalogue des oeuvres disponibles par leur implication individuelle et collective.

Ce mode bidirectionnel de fonctionnement - c'est à dire la possibilité offerte à chacun de pouvoir se situer alternativement comme utilisateur et comme contributeur -constituerait l'une des principales caractéristiques de la plateforme.

Ce travail contributif, lorsqu'il se caractérise par la numérisation d'oeuvres et leur diffusion, ne concernerait que les oeuvres libres de droits ou pour lesquelles l'auteur aura donné explicitement son accord.

Pour ce qui est de sa mise en oeuvre, il nous semble important qu'il y ait une véritable intervention publique. En effet, cette plateforme, indépendante des pouvoirs politiques et économiques, serait gérée par un collège tripartite réunissant des représentants des ayants droits et des usagers ainsi que des parlementaires.

Une intervention publique forte est indispensable, notamment pour pouvoir mener une politique ambitieuse de numérisation des contenus et mettre à disposition et diffuser les oeuvres dans des conditions techniques optimales.

Le caractère participatif et le fonctionnement en réseau de la plate-forme publique constitueraient un élément central dans la réussite du projet, dont le financement serait assuré par trois sources distinctes : une redevance pour les usagers souhaitant accéder à l'ensemble des contenus disponibles, qui pourrait être progressive comme nous le proposons déjà pour la redevance audiovisuelle ; une taxe sur les profits de l'industrie des télécommunications et ceux de la vente des biens immatériels ; enfin, l'apport technique des organismes publics et privés souhaitant concourir à ce projet.

Ces ressources financières permettraient d'assurer la rémunération des ayants droit, de financer le développement de ce service public de téléchargement, notamment la numérisation des contenus, et de soutenir la création artistique et le développement culturel.

J'espère, par ces quelques éclaircissements quant à la source de rémunération des auteurs et à la constitution de cette plate-forme publique de téléchargement, avoir convaincu M. le rapporteur ainsi que les membres de la commission, qui étaient dubitatifs et nous ont demandé des précisions.

C'est donc avec beaucoup de conviction, mes chers collègues, que je vous invite à voter cet amendement.

M. le président. L'amendement n° 123, présenté par M. Assouline, Mme Blandin, M. Lagauche, Mme Tasca, MM. Yung,  Bockel,  Lise,  Vidal et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le III de cet article :

III. - Dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport relatif aux modalités de la mise en oeuvre, devant intervenir dans un délai de six mois suivant la remise du rapport, d'une plate-forme publique de téléchargement visant à la fois la diffusion des oeuvres des créateurs et interprètes dont les oeuvres et prestations ne sont pas disponibles à la vente sur les plates-formes commerciales de téléchargement et la juste rémunération des auteurs et artistes interprètes.

La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Nous tenons particulièrement à ce paragraphe III, que notre rapporteur souhaite supprimer. C'est pourquoi nous avons présenté un sous-amendement à l'amendement de substitution qu'il propose au titre des dispositions transitoires du projet de loi, dont la teneur est très en retrait par rapport à la disposition issue de l'Assemblée nationale.

Il nous semble essentiel que l'offre légale en ligne se développe, nous en convenons tous. Mais, à notre sens, il convient d'aller plus loin.

Le service public a un grand rôle à jouer en la matière. Le problème crucial est de définir les modalités de financement d'une plate-forme de service public. Bien des pistes ont été lancées : taxation des disques durs, des fournisseurs d'accès, des éditeurs de logiciels.

Aujourd'hui, les supports traditionnels audio et vidéo, tout comme les services audiovisuels, participent au financement de la création et des industries culturelles.

Ce débat est néanmoins trop complexe pour prendre place dans un texte de transposition de directive ayant trait au droit d'auteur et droits voisins, et des concertations devront être ouvertes avant de le trancher. Nous estimons d'ailleurs que ce texte n'est qu'un projet de transition et que la grande loi est devant nous.

Tout aussi cruciale me semble être la question du périmètre d'intervention de ce service public de téléchargement. Soutenir la création, surtout lorsqu'elle est fragilisée, relève d'une mission de service public.

Pour l'heure, l'Assemblée nationale a souhaité restreindre le périmètre d'intervention de la plate-forme publique à la diffusion d'oeuvres des jeunes talents non disponibles sur les plates-formes légales privées.

Il nous paraît indispensable, monsieur le ministre, que l'ensemble des créateurs ou interprètes d'oeuvres non disponibles sur les plates-formes proposées par les industries culturelles, qu'ils soient jeunes ou non, puissent bénéficier de ce service public. L'âge ne saurait être une condition, et l'on peut d'ailleurs s'interroger sur la définition de la jeunesse dans la loi.

En outre, nous jugeons nécessaire d'inclure les artistes interprètes dans le bénéfice de la diffusion par la plate-forme de service public et de les faire bénéficier à ce titre une rémunération équitable.

J'insiste particulièrement sur ce dernier point, car les artistes interprètes rémunérés au titre des droits voisins sont actuellement les parents pauvres du système de répartition des droits, le dernier maillon de la chaîne.

Nous souhaitons donc que le Gouvernement présente rapidement au Parlement un rapport de préfiguration d'une telle plate-forme publique de téléchargement.

M. le président. L'amendement n° 122, présenté par M. Assouline, Mme Blandin, M. Lagauche, Mme Tasca, MM. Yung,  Bockel,  Lise,  Vidal et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Dans le III de cet article, après les mots :

diffusion des oeuvres des

supprimer le mot :

jeunes

La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Il s'agit d'un amendement de repli au cas où l'amendement n° 123 ne serait pas adopté. Mais nous reviendrons sur cette question lors de l'examen de notre sous-amendement à l'amendement n° 40 de M. le rapporteur visant à insérer un article additionnel après l'article 30.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Michel Thiollière, rapporteur. Autant il nous paraît souhaitable d'intégrer un rapport sur la plate-forme publique de téléchargement dans le rapport global sur l'application de la loi, comme nous l'évoquions tout à l'heure, autant il semble peu indiqué de procéder à la création de cette plate-forme par la voie d'un amendement parlementaire.

C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 139.

S'agissant de l'amendement n° 123,...

M. David Assouline. Donnez une fois un avis favorable !

M. Michel Thiollière, rapporteur. ...la commission avait effectivement évoqué la possibilité pour vous-même, mon cher collègue, et ses cosignataires de sous-amender l'amendement n° 40. Puisque c'est chose faite, nous pourrons en reparler à ce moment-là.

Dans ces conditions, la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 123.

Pour les mêmes raisons, la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 122. Elle souhaite la suppression du paragraphe III de l'article 1er bis, car elle estime que le rapport sur la mise en oeuvre d'une plate-forme publique de téléchargement doit être intégré au rapport global. De toute façon, cette discussion pourra avoir lieu lors de l'examen de l'amendement n° 40.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. J'ai bien conscience que nous sommes non pas dans le « normatif » mais dans le « souhaitable ». Toutefois, la loi doit-elle intégrer ce qui est de l'ordre du souhait ? Doit-elle dire, par exemple, qu'il est souhaitable que l'État soutienne les festivals ? Cela ne figure dans aucun texte de loi !

Lors du débat à l'Assemblée nationale, un amendement voté à l'unanimité a institué, non pas une plate-forme publique de téléchargement, mais le principe d'un rapport, obligeant le Gouvernement à prendre en compte le souhait que la diversité culturelle et le soutien aux oeuvres anciennes tendant à disparaître ou aux jeunes créateurs soit rendus possibles par Internet.

C'est la raison pour laquelle, à l'époque, j'ai donné un avis favorable sur ce qui n'était qu'un rapport d'information.

Je tiens à vous dire que je proposerai un sous-amendement lorsque nous examinerons la disposition relative au rapport global que le Gouvernement devra déposer après dix-huit mois d'application de loi, pour qu'y figure l'obligation de rendre compte de l'initiative d'une plate-forme publique de téléchargement.

Je formule ces observations concernant l'obligation d'information à l'intention de M. le rapporteur, qui souhaite la suppression de ce rapport. Pour ma part, je souhaiterais le rétablir dans le rapport global du Gouvernement. Nous reviendrons sur cette question lors de la discussion de l'amendement visant à insérer un article additionnel après l'article 30.

Je veux à présent évoquer ce que doit être une offre alternative permettant de diffuser ou d'inciter à la notoriété un certain nombre d'oeuvres qui ont disparu de la vente ou qui émanent de jeunes créateurs.

M. David Assouline. Pourquoi des « jeunes » créateurs ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Je veux parler de ceux qui ne sont pas connus et qui veulent se lancer. On peut le faire à tout âge.

Ceux qui considèrent qu'Internet est une grande chance ont tout à fait raison, parce qu'une oeuvre diffusée sur Internet est susceptible de toucher immédiatement un très large public.

Toutefois, comme l'ont dit certains d'entre vous ce matin, cette diffusion ne dispense pas d'un certain nombre de métiers et d'obligations. Si la télévision, la radio, la presse, les festivals, les cafés, les salles de spectacle ne diffusent pas une diversité d'artistes, ne détectent pas les talents, il serait illusoire de croire que la diffusion par Internet règle par définition la question de la rencontre entre un auteur et son public.

D'ailleurs, des sites de critique cinématographique, musicale ou littéraire sont en train de se développer sur Internet pour sortir des artistes de l'anonymat de la masse.

Je pense que l'État et les collectivités territoriales seront amenés à prendre des initiatives pour créer des plates-formes publiques de téléchargement. Je ne crois pas qu'il faille en faire une obligation appelée à figurer dans la loi, mais c'est une initiative souhaitable.

C'est la raison pour laquelle je m'en remets à la sagesse de la Haute Assemblée. Vous pouvez être assurés que je réfléchirai concrètement à la mise en oeuvre opérationnelle de ce genre d'initiatives.

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote sur l'amendement n° 9.

Mme Annie David. Sachant que l'adoption de l'amendement n° 9 aura pour effet de faire tomber les amendements suivants, nos 139, 123 et 122, je profite de cette explication de vote pour m'exprimer également sur ces derniers.

L'introduction de la plate-forme publique de téléchargement résulte non pas d'un amendement sénatorial, mais d'un vote de l'Assemblée nationale, à l'unanimité des participants, avec un avis favorable du Gouvernement.

Compte tenu du nombre de ceux qui sont attachés au principe d'une telle plate-forme et qui s'interrogent quant à son contenu, nous avons présenté ce soir l'amendement n° 139 visant à apporter des éléments précis à cet égard. Nous espérions que la commission lui apporterait son soutien et que le Gouvernement émettrait un avis plus tranché en sa faveur.

Pour notre part, nous tenons à l'existence de cette plate-forme publique de téléchargement.

En raison de l'urgence déclarée sur ce texte, nous n'avons pas pu proposer de véritables modifications quant au contenu d'un tel dispositif. Nous espérons cependant qu'une rédaction satisfaisante pour l'ensemble des partenaires concernés pourra être encore trouvée à l'occasion de la commission mixte paritaire, en concertation avec le Gouvernement.

Pour les raisons que j'ai précédemment exposées, nous ne voterons pas l'amendement n° 9, et je vous invite, mes chers collègues, à faire de même, puis à adopter notre amendement n° 139.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Thiollière, rapporteur. Je veux redire que, lors de l'examen des différents amendements, la commission a jugé intéressant le principe de cette plate-forme publique de téléchargement, mais a souhaité qu'il soit débattu dans le cadre de l'examen de l'amendement n° 40, tendant à insérer un article additionnel après l'article 30.

Elle maintient donc l'amendement n° 9.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, les amendements nos 139, 123 et 122 n'ont plus d'objet.

L'amendement n° 142 rectifié, présenté par MM. Ralite,  Renar et  Voguet, Mme David et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Après les mots :

sécurité sociale,

rédiger ainsi la fin du IV de cet article :

les mots : « ou, à défaut d'accord intervenu avant la date fixée au III de l'article 22 de la loi nº 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social, par décret en Conseil d'Etat, » sont supprimés.

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Cet amendement procède du même souci que celui qui avait été présenté à l'Assemblée nationale par M. Dionis du Séjour, mais nous ne pensons pas que la méthode proposée par celui-ci soit la bonne.

Il s'agit de la question des revenus complémentaires des photographes professionnels. Les employeurs et les employés s'apprêtent à signer un accord, mais sa sécurité juridique est mise en cause par l'article L. 382-1 du code de la sécurité sociale, selon lequel, si un accord n'était pas conclu avant 1994, un décret en Conseil d'État devrait le remplacer. Or aucun accord ni décret n'est intervenu jusqu'à présent.

Les organisations professionnelles hésitent donc à conclure l'accord, sachant qu'il pourra être attaqué en légalité du fait de cette mention d'un décret qui n'est pas paru.

Nous vous proposons donc de la supprimer dans le code de la sécurité sociale : ainsi l'accord pourra-t-il être signé sans qu'on ait à craindre de le voir invalidé.

Cette solution nous semble plus cohérente que celle qui a été proposée par notre collègue de l'Assemblée nationale : la substitution du mot « sectoriel » aux mots « collectif de branche » aurait conduit à modifier la nature et l'identité des participants à l'accord considéré.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Michel Thiollière, rapporteur. Dans un premier temps, la commission avait émis un avis défavorable, dans l'attente d'éclaircissements de la part du Gouvernement. Ceux-ci n'étant pas venus, la commission émet aujourd'hui un avis favorable.

Mme Annie David. Deux dans la soirée ! C'est extraordinaire ! (Sourires.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Selon le célèbre adage législatif « après la pluie, le soleil » et contre toute attente, monsieur Ralite - cela montre au passage que le rationalisme n'est pas toujours la meilleure voie en politique, j'émets un avis favorable ! (Sourires et marques de satisfaction générales.)

Mme Isabelle Debré. Décidément, c'est votre soirée, madame David ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 142 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l'unanimité des présents.

Je mets aux voix l'article 1er bis, modifié.

(L'article 1er bis est adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 1er bis (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information
Discussion générale

6

retrait de l'ordre du jour d'une question orale

M. le président. J'informe le Sénat que la question orale n° 1027 de Mme Marie-Thérèse Hermange est retirée de l'ordre du jour de la séance du 9 mai, à la demande de son auteur.

7

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI constitutionnelle

M. le président. J'ai reçu de M. Hubert Haenel une proposition de loi constitutionnelle visant à modifier l'article 39 de la Constitution.

La proposition de loi constitutionnelle sera imprimée sous le n° 334, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

8

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI organique

M. le président. J'ai reçu de M. Hubert Haenel une proposition de loi organique visant à préciser les règles relatives au dépôt des projets de loi et à la procédure législative.

La proposition de loi organique sera imprimée sous le n° 335, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

9

DÉPÔT DE PROPOSITIONs DE résolution

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-François Le Grand une proposition de résolution, présentée en application de l'article 73 bis du règlement, sur la proposition de règlement du Conseil relatif à la constitution d'une entreprise commune pour la réalisation du système européen de nouvelle génération pour la gestion du trafic aérien (SESAR) (n° E 3025).

La proposition de résolution sera imprimée sous le n° 332, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

J'ai reçu de M. Serge Vinçon une proposition de résolution, présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne en application de l'article 73 bis du règlement, sur la proposition de règlement du Conseil instituant un instrument de stabilité (n° E-2727).

La proposition de résolution sera imprimée sous le n° 336, distribuée et renvoyée à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

10

TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Livre vert sur la présomption d'innocence.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3134 et distribué.

J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 2505/96 portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires communautaires autonomes pour certains produits agricoles et industriels.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3135 et distribué.

11

DÉPÔT D'UN RAPPORT

M. le président. J'ai reçu de M. Roland Ries un rapport fait au nom de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi de MM. Roland Ries, Jean-Pierre Bel, Yannick Bodin, Roland Courteau, Michel Dreyfus-Schmidt, Louis Le Pensec, Roger Madec, François Marc, Jean Pierre Michel, Jean-Marc Pastor, Jean-François Picheral, Mme Gisèle Printz, MM. Daniel Reiner, Thierry Repentin, Mme Patricia Schillinger, M. Marcel Vidal et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, tendant à promouvoir l'autopartage (n° 183, 2005-2006).

Le rapport sera imprimé sous le n° 333 et distribué.

12

DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION

M. le président. J'ai reçu de M. Jean François-Poncet et Mme Jacqueline Gourault un rapport d'information fait au nom de la délégation du Sénat à l'aménagement et au développement durable du territoire sur la réforme de la politique régionale européenne.

Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 337 et distribué.

13

ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 9 mai 2006 :

À dix heures :

1. Dix-sept questions orales.

(Le texte des questions figure en annexe)

À seize heures :

2. Suite de la discussion en deuxième lecture des articles du projet de loi (n° 163, 2005-2006), modifié par l'Assemblée nationale, relatif au volontariat associatif et à l'engagement éducatif ;

Rapport (n° 192, 2005-2006) de M. Bernard Murat, fait au nom de la commission des affaires culturelles.

Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

Le soir :

3. Suite de la discussion du projet de loi (n° 269, 2005-2006), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.

Rapport (n° 308, 2005-2006) de M. Michel Thiollière, fait au nom de la commission des affaires culturelles.

Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

Délai limite pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des amendements

Question orale avec débat (n° 11) de M. Jacques Pelletier à M. le Premier ministre sur le respect effectif des droits de l'homme en France ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 10 mai 2006, à dix-sept heures.

Conclusions de la commission des affaires économiques (n° 333, 2005-2006) sur la proposition de loi tendant à promouvoir l'autopartage (n° 183, 2005-2006) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 10 mai 2006, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 9 mai 2006, à dix-sept heures.

Débat sur le rapport d'information de M. Yann Gaillard sur la politique de l'archéologie préventive (n° 440, 2004-2005) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 10 mai 2006, à dix-sept heures.

Débat sur le rapport d'information de M. Jean-Jacques Jégou sur l'informatisation dans le secteur de la santé (n° 62, 2005-2006) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 10 mai 2006, à dix-sept heures.

Conclusions de la commission des affaires sociales (n° 329, 2005-2006) sur la proposition de loi de M. Nicolas About visant à accorder une majoration de pension de retraite aux fonctionnaires handicapés (n° 289, 2005-2006).

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 10 mai 2006, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 10 mai 2006, à dix-sept heures.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée le vendredi 5 mai 2006, à zéro heure trente-cinq.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD