compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

 
Dossier législatif : projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi
Discussion générale (suite)

mesures d'urgence pour l'Emploi

Discussion d'un projet de loi d'habilitation déclaré d'urgence

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi (nos 454, 457).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de me trouver aujourd'hui parmi vous, au sein de votre Haute Assemblée.

M. Roland Muzeau. Les sénateurs ne sont pas très nombreux ce matin à droite !

M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Votre dévouement, votre compétence et votre sens de l'intérêt général sont des atouts précieux pour notre démocratie.

Hier, nous avons connu une grande déception avec l'échec de la candidature de Paris aux jeux Olympiques de 2012. Plus que jamais, notre pays doit se rassembler et faire vivre l'esprit de solidarité et de dépassement qui se trouvait au coeur de notre candidature.

Je suis venu vous demander votre soutien dans la bataille pour l'emploi, qui est la priorité absolue de mon gouvernement. Je suis venu vous demander d'examiner en conscience un projet de loi qui, j'en suis convaincu, nous permettra de marquer des points contre le chômage et de retrouver le chemin de la confiance.

Vous êtes mieux placés que quiconque pour le savoir : dans toutes les régions de France, dans toutes les villes et dans tous les quartiers, l'emploi est aujourd'hui une préoccupation majeure de nos concitoyens. Il y a urgence à réagir avec force, avec pragmatisme, avec la volonté de toujours faire mieux et davantage.

C'est pour cette raison qu'en accord avec le Président de la République j'ai fait le choix des ordonnances.

Nous ne pouvons plus accepter que, depuis plus de vingt ans, le chômage reste à un taux aussi élevé dans notre pays. Nous ne pouvons plus accepter qu'un jeune sur cinq ne trouve pas d'emploi. Nous ne pouvons plus accepter que des hommes et des femmes compétents et expérimentés soient exclus du marché du travail simplement parce qu'ils ont plus de cinquante ans. C'est une injustice qui fragilise notre pacte social. C'est un mal qui mine la confiance de nos concitoyens dans l'action politique.

Contre le chômage, nous n'avons pas tout essayé. Notre pays a tous les atouts pour retrouver une croissance dynamique. Nous avons les infrastructures, les compétences, les talents. Pourquoi n'aurions-nous pas les emplois ? Nous devons faire preuve d'audace en nous inspirant des solutions mises en oeuvre avec succès dans d'autres pays, mais aussi en inventant des réponses nouvelles. Le temps n'est plus à l'immobilisme. Aujourd'hui, chacun doit prendre ses responsabilités.

Les solutions que je vous propose sont des solutions équilibrées, qui prennent en compte l'intérêt de tous : entreprises, demandeurs d'emploi et salariés. Je suis profondément attaché à la voie française, qui allie dynamisme économique et solidarité. Mais, aujourd'hui, nous sommes à la croisée des chemins. Si nous voulons sauver notre modèle social, nous devons l'adapter.

Cette action, je veux la mener dans un esprit de dialogue et de concertation.

Concertation avec l'ensemble des partenaires sociaux que j'ai reçus pour écouter leurs propositions. Le ministre de l'emploi et le ministre délégué au travail sont en contact permanent avec eux.

Dialogue avec le Parlement, comme en témoigne notre débat d'aujourd'hui. Mais le dialogue n'a de sens que s'il est constructif et s'il permet de répondre mieux encore aux attentes des Français. C'est pourquoi j'en appelle à l'esprit de responsabilité de chacun, pour que ce débat soit entièrement guidé par l'intérêt général.

Dans la bataille pour l'emploi, j'ai besoin de votre soutien. Le projet de loi que je soumets aujourd'hui à votre examen vise à habiliter mon gouvernement à prendre six ordonnances.

Elles auront pour objet de mettre en oeuvre des mesures pragmatiques, efficaces et concrètes, qui permettront de débloquer des emplois là où c'est possible : dans les secteurs en pénurie de main-d'oeuvre et dans les très petites entreprises qui aujourd'hui hésitent à embaucher.

Sur les 2,5 millions d'entreprises recensées en France, on compte 2,3 millions de très petites entreprises. Pour ces dernières, recruter, c'est s'engager dans des procédures administratives complexes et coûteuses. C'est aussi prendre une décision lourde de conséquences en dépit de la faible visibilité qui est la leur. C'est, enfin, risquer de ne pouvoir revenir en arrière en cas de difficultés imprévues. Nous devons les aider à surmonter ces obstacles.

Ces mesures proposent des solutions à ceux qui sont le plus souvent touchés par le chômage et par la précarité : les jeunes d'abord, en particulier les moins qualifiés, qui ont aujourd'hui le choix entre le chômage ou les emplois précaires ; les seniors, trop souvent écartés du marché du travail en dépit de leur expérience et de leur efficacité.

La première ordonnance met en place le contrat « nouvelles embauches ». Il s'agit d'un vrai contrat, avec une vraie rémunération, de vraies perspectives et de vraies garanties. C'est un contrat à durée indéterminée, qui ouvre au salarié un accès durable à l'entreprise et à l'ensemble des droits individuels et collectifs.

Ce contrat offre plus de souplesse à l'employeur, grâce à une période initiale de deux ans destinée à consolider l'emploi : au cours de cette période, les procédures de rupture seront simplifiées. En contrepartie, le salarié bénéficiera de plusieurs garanties.

Il aura droit à un préavis dès le deuxième mois de travail. Ce préavis sera de deux semaines au cours des six premiers mois, et augmentera ensuite en fonction de l'ancienneté.

L'indemnité de rupture sera également calculée en fonction de l'ancienneté. A cette indemnité pourra s'ajouter une contribution de reclassement. Par ailleurs, les salariés qui n'auraient pas cotisé suffisamment longtemps pour bénéficier d'une couverture chômage auront droit à une allocation forfaitaire financée par l'Etat.

Enfin, le salarié bénéficiera d'un accompagnement renforcé, pris en charge par le service public de l'emploi. Si les partenaires sociaux le souhaitent, ils pourront bénéficier de la convention de reclassement personnalisé. En attendant, le Gouvernement se dotera de moyens pour leur permettre de retrouver plus facilement un emploi.

Le contrat « nouvelles embauches » fera l'objet d'une évaluation conduite en liaison avec les partenaires sociaux. Mais, afin de débloquer dès maintenant le plus d'emplois possibles, le contrat « nouvelles embauches » sera disponible à la rentrée dans toutes les entreprises jusqu'à vingt salariés.

La deuxième ordonnance crée le chèque emploi pour les entreprises les plus petites. Tout à la fois déclaration unique d'embauche, contrat de travail, déclaration de données sociales et fiche de paie, il permettra de simplifier les formalités administratives pour les employeurs qui pourront ainsi se consacrer pleinement au développement de leur entreprise.

A travers la troisième ordonnance, l'Etat pourra prendre à sa charge les surcoûts financiers liés au franchissement du seuil de dix salariés, et ce pour les dix salariés suivants.

Cette ordonnance prévoit également un crédit d'impôt de 1 000 euros pour les jeunes de moins de vingt-six ans qui choisissent de reprendre un emploi dans l'un des secteurs en pénurie de main-d'oeuvre. Cette prime leur sera versée après six mois de travail. Afin que cette mesure soit pleinement efficace, j'ai souhaité qu'elle puisse s'appliquer à tous les jeunes qui ont commencé leur activité dès aujourd'hui.

Une prime sera également versée aux chômeurs de longue durée bénéficiaires de minima sociaux qui reprennent un emploi stable.

La quatrième ordonnance vise à faciliter l'accès à l'emploi des plus jeunes, en permettant aux employeurs de ne plus inclure les jeunes de moins de vingt-six ans dans le décompte des seuils de dix et de cinquante salariés pour les obligations sociales et financières des entreprises.

La cinquième ordonnance créera en métropole un dispositif d'insertion sur le modèle du service militaire adapté. Mis en place par le ministère de la défense dans les départements d'outre-mer, ce dispositif a fait la preuve de son succès. II offrira une formation aux jeunes sans diplôme ni qualification. Un premier centre sera ouvert dès le mois de septembre.

La sixième ordonnance concerne les règles de recrutement dans l'ensemble de la fonction publique. En supprimant le principe de la limite d'âge, l'Etat donnera l'exemple dans la lutte contre le chômage des seniors.

Cette ordonnance prévoit également une formation en alternance rémunérée, qui permettra à des jeunes d'intégrer la fonction publique après un examen professionnel en tant que fonctionnaires titulaires. Ce nouveau mode de recrutement s'adressera aux jeunes de seize à vingt-cinq ans sortis du système éducatif sans diplôme ou qui rencontrent des difficultés d'insertion professionnelle.

Vous le voyez, ces mesures s'efforcent de répondre de manière concrète et efficace aux obstacles que rencontrent les employeurs mais aussi les demandeurs d'emploi.

Afin de marquer l'engagement du Gouvernement, j'ai décidé de mettre à disposition des jeunes 100 000 contrats d'accompagnement vers l'emploi, en particulier dans le secteur de l'éducation, dans les maisons de retraite et dans les hôpitaux. Je compte aussi sur la mobilisation des contrats d'avenir, pour lesquels vous venez d'adopter des mesures de simplification indispensables.

Mon plan pour l'emploi s'appuie sur une mobilisation sans précédent de l'Agence nationale pour l'emploi.

L'ANPE a déjà reçu 4 000 des 57 000 jeunes qui sont au chômage depuis plus d'un an, pour leur proposer un emploi, une formation ou un contrat aidé.

Elle renforcera ses liens avec l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, l'UNEDIC, afin de parvenir à un meilleur accompagnement des demandeurs d'emploi.

Je lui demanderai tout à l'heure, à l'occasion d'une rencontre avec ses cadres, de mettre sur pied dans les meilleurs délais une équipe nationale chargée de répondre aux difficultés de recrutement auxquelles il n'est pas possible d'apporter de solution dans chacune des agences locales, et qui viendra les appuyer. II faut faire en sorte qu'un grand groupe national qui cherche à recruter plusieurs centaines d'employés dans toute la France puisse avoir un interlocuteur capable de répondre rapidement à ses besoins.

Ce plan pour l'emploi est la première étape pour retrouver le chemin d'une croissance dynamique et retisser le fil de la confiance avec les Français.

Nous avons des atouts remarquables : la position géographique de notre pays, la qualité de notre main-d'oeuvre, notre réseau d'infrastructures, notre tradition industrielle. Mais, au-delà de la baisse du dollar et de la hausse du pétrole, notre économie a aussi des faiblesses à surmonter. Notre industrie reste trop concentrée sur des secteurs traditionnels ; nos entreprises n'ont pas su tirer suffisamment parti de l'émergence de nouvelles zones de forte croissance économique.

Pour faire face à ce défi, nous devons renforcer notre maîtrise de l'innovation et entrer de plain-pied dans l'économie de la connaissance. Qu'il s'agisse des nanotechnologies, des biotechnologies ou des sciences de l'information, nous devons nous donner les moyens d'être à la pointe des secteurs stratégiques de demain. Tous les acteurs de la recherche, qu'elle soit publique ou privée, doivent unir leurs efforts. L'Etat donne l'exemple à travers le doublement de la dotation de l'Agence pour l'innovation industrielle et la création de l'Agence nationale pour la recherche.

Relever ce défi économique suppose aussi de parvenir à une meilleure mise en réseau de tous les acteurs de l'innovation.

Les pôles de compétitivité décidés la semaine prochaine permettront aux laboratoires, aux universités, aux petites et moyennes entreprises, de mieux travailler ensemble. Cette nouvelle organisation devra s'appuyer sur les collectivités locales afin d'apporter leur dynamique aux bassins d'emplois et aux régions.

Je veux également lancer de grands projets d'infrastructure afin d'améliorer l'attractivité de notre territoire et la compétitivité de notre outil industriel.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez devant vous un gouvernement de service public qui, depuis plus d'un mois, est à l'écoute des Français, un gouvernement qui est au travail pour répondre à leurs attentes, un gouvernement qui cherche des solutions concrètes et pragmatiques pour améliorer leur vie quotidienne.

Comme d'autres en Europe, notre pays traverse une période difficile. Je suis convaincu qu'il a tous les atouts pour en sortir rapidement et pour renouer avec l'emploi et la croissance.

Mais, pour rétablir la confiance dans notre pays, nous devons nous rassembler autour d'objectifs simples : le service des Français et la défense de l'intérêt général. C'est pourquoi je suis venu vous demander aujourd'hui, en conscience, votre soutien. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Gournac, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, même si le vote du 29 mai a répondu à des motivations très diverses, il est en grande partie, à mon sens, l'expression du malaise social profond qui traverse notre pays. Le niveau élevé du chômage, qui frappe plus de 10 % de la population active, inquiète légitimement nos concitoyens et leur fait envisager l'avenir avec crainte. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.)

Bien que le précédent gouvernement ait pris de nombreuses mesures positives pour l'emploi, ...

M. Roland Muzeau. Ah oui ? Lesquelles ?

M. Alain Gournac, rapporteur. Je vais vous le dire !

M. Guy Fischer. On n'a rien vu !

M. Alain Gournac, rapporteur. ... qu'il s'agisse de l'assouplissement des trente-cinq heures (exclamations sur les travées du groupe CRC),...

M. Alain Gournac, rapporteur. ... du plan de cohésion sociale ou encore du droit individuel à la formation, ...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Combien d'emplois créés ?

M. Alain Gournac, rapporteur. ...les résultats de cette politique sont demeurés jusqu'à présent trop limités. (Brouhaha sur les travées du groupe CRC.)

Ces résultats encore peu probants s'expliquent notamment par les conséquences défavorables d'une conjoncture économique faiblement porteuse. Ils tiennent aussi aux inévitables délais de mise en oeuvre des politiques publiques : les premiers contrats d'avenir ou d'accompagnement vers l'emploi n'ont été signés que très récemment.

M. Roland Muzeau. La faute à qui ?

M. Alain Gournac, rapporteur. C'est pourquoi le Gouvernement dirigé par Dominique de Villepin a choisi, sans remettre en cause les orientations retenues depuis trois ans, de donner une nouvelle impulsion à la politique de lutte contre le chômage.

M. Christian Cointat. Très bien !

M. Alain Gournac, rapporteur. Le Premier ministre a consacré la plus grande partie de sa déclaration de politique générale, prononcée devant l'Assemblée nationale le 8 juin dernier et le lendemain au Sénat, à la présentation de mesures d'urgence pour l'emploi. Celles-ci sont aujourd'hui reprises dans le projet de loi d'habilitation soumis à notre examen.

Bien qu'il soit prévu par notre Constitution, le recours à la procédure des ordonnances est vivement critiqué par certains, ce qui me paraît à vrai dire un peu excessif.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un peu seulement !

M. Adrien Gouteyron. Très excessif !

M. Alain Gournac, rapporteur. Depuis 1958, en effet, plusieurs gouvernements ont eu recours à cette procédure pour mettre en oeuvre des aspects de leur programme au contenu politique très sensible : les privatisations en 1986, le découpage électoral la même année, la réforme de la sécurité sociale en 1995, mais aussi les grandes réformes sociales de 1982 - retraite à soixante ans, cinquième semaine de congés payés, semaine de trente-neuf heures, et bien d'autres encore -, ont été décidés par voie d'ordonnance. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

De plus, le Conseil constitutionnel considère, comme il l'a rappelé dans une décision de 2003, que l'urgence figure bien au rang des justifications qui peuvent motiver le recours aux ordonnances.

Surtout, sur le plan politique, je considère qu'il serait regrettable de ne pas apporter une réponse rapide aux difficultés économiques et sociales que connaît notre pays.

Mme Catherine Tasca. Il est temps !

M. Alain Gournac, rapporteur. Gagner la bataille de l'emploi appelle de notre part une action prompte et déterminée.

M. Roland Muzeau. D'abord de la part du Gouvernement !

M. Alain Gournac, rapporteur. L'exemple du plan de cohésion sociale montre que les meilleurs projets peuvent parfois requérir de si longs délais de mise en oeuvre qu'ils en viennent à susciter la déception ou le scepticisme.

Il nous appartient maintenant d'agir sans délai pour que les mesures annoncées soient effectives dès la rentrée prochaine.

Les mesures d'urgence proposées s'organisent autour de quatre axes.

En premier lieu, le Gouvernement entend stimuler les créations d'emplois en simplifiant les procédures d'embauche et de licenciement.

Les petites entreprises, nous le savons, hésitent souvent à embaucher, car elles craignent de ne pouvoir réduire leurs effectifs si leurs perspectives d'activité faiblissent ou si leur situation financière se dégrade. Afin de surmonter cet obstacle, le Gouvernement propose la création d'un nouveau contrat de travail à durée indéterminée : le contrat « nouvelles embauches », CNE.

Pendant les deux années suivant la signature de ce contrat, le licenciement du salarié serait soumis à des procédures simplifiées par rapport au droit commun. Ce contrat serait réservé aux petites entreprises employant moins de vingt salariés. Or, comme près de 30 % des salariés du privé travaillent dans ces entreprises, les effectifs concernés par ce contrat « nouvelles embauches » devraient être suffisamment importants pour que la mesure ait un réel et fort impact.

Vous le savez, il avait d'abord été envisagé que ce contrat soit assorti d'une « période d'essai de deux ans ». Ce projet est désormais abandonné, ce dont notre commission se félicite : en cas de rupture du contrat « nouvelles embauches » sur l'initiative de l'employeur, le salarié bénéficiera de plusieurs garanties, notamment un préavis d'une durée proportionnelle à l'ancienneté du salarié, une indemnité de licenciement et un accompagnement personnalisé assuré par le service public de l'emploi.

Par ailleurs, un chèque emploi sera créé, qui dispensera les entreprises de l'accomplissement de diverses formalités administratives, sur le modèle du titre emploi entreprise créé en 2004, qui permet d'ores et déjà d'accomplir de manière simplifiée les déclarations adressées aux organismes sociaux. Le chèque emploi aurait l'avantage de tenir lieu, de surcroît, de contrat de travail et de titre de paiement.

Notre commission vous présentera, sur ce point, un amendement destiné à préciser le champ de l'habilitation. Un groupe de travail a été mis en place sur l'initiative des ministères de l'emploi et des PME, avec l'ensemble des acteurs concernés, afin de définir les modalités techniques de création de ce chèque.

Le deuxième axe d'action consiste à lutter contre les effets de seuil préjudiciables à la croissance des petites et moyennes entreprises.

Le franchissement du seuil des dix salariés, en particulier, entraîne pour les entreprises des obligations financières supplémentaires : elles doivent s'acquitter de contributions au financement de la formation professionnelle continue, au financement des transports en commun ou encore au Fonds national d'aide au logement. Le coût global résultant de l'embauche du dixième salarié est évalué à environ 5 000 euros.

Il n'est guère surprenant, dans ces conditions, que l'on compte dans notre pays peu d'entreprises de dix salariés et beaucoup qui en emploient huit ou neuf. Pour que les entreprises franchissent plus facilement le cap du dixième salarié, le Gouvernement propose que l'Etat prenne en charge, au moins en partie, les surcoûts occasionnés par la dixième embauche : les entreprises seraient dispensées d'effectuer les versements que j'ai mentionnés et l'Etat compenserait, auprès des organismes concernés, le manque à gagner.

Dans le même souci, une autre mesure consisterait à aménager les règles de décompte des effectifs, de manière que l'embauche de jeunes de moins de vingt-six ans n'entraîne pas de dépassement de seuil. Cette mesure devrait inciter à l'embauche de jeunes demandeurs d'emploi, qui sont souvent pénalisés sur le marché du travail par leur manque d'expérience.

Cette mesure présente cependant, à nos yeux, un inconvénient : elle risque d'affaiblir la représentation syndicale dans l'entreprise et de faire obstacle à la création d'institutions représentatives du personnel, qui sont soumises à des conditions de seuil.

Nous comprenons que le Gouvernement veuille accorder aujourd'hui la priorité aux créations d'emploi par la mise en oeuvre de décisions simples et immédiatement lisibles. Nous pensons toutefois qu'il ne serait pas inutile d'engager, en parallèle, une réflexion sur les moyens de renforcer la présence syndicale et de conforter les institutions représentatives du personnel dans les entreprises. Cette suggestion répond d'ailleurs au souci constant de notre commission de favoriser le dialogue social dans l'entreprise.

M. Roland Muzeau. C'est la meilleure !

M. Alain Gournac, rapporteur. En troisième lieu, le projet de loi d'habilitation prévoit d'ouvrir de nouvelles voies d'insertion professionnelle. Deux initiatives sont ici annoncées.

La première consiste à adapter en métropole le « service militaire adapté » existant outre-mer et qui permet à des jeunes peu qualifiés de s'engager dans un parcours d'insertion organisé par le ministère de la défense : 20 000 jeunes en difficulté pourraient bénéficier de ce nouveau dispositif d'ici à 2007.

Notre collègue Anne-Marie Payet, qui connaît bien le service militaire adapté puisqu'elle est élue de la Réunion, soulignait, dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2005, que le taux d'insertion professionnelle de ses bénéficiaires est très élevé, de l'ordre de 75 %.

Cette observation incite notre commission à envisager très favorablement l'extension du dispositif à la métropole.

La deuxième initiative consiste à réformer les modalités d'accès à la fonction publique. Tout d'abord, les administrations seraient autorisées à recruter leurs fonctionnaires de catégorie C par la voie de l'alternance - un mot que j'aime beaucoup ! -, puis à les titulariser dans leur emploi après un examen professionnel. Cette exception apportée au principe du concours devrait faciliter l'accès aux emplois publics de jeunes dont le faible niveau de formation initiale fait obstacle à leur entrée sur le marché du travail.

Par ailleurs, les limites d'âge prévues pour les concours dans les trois fonctions publiques seraient supprimées, ce qui permettrait notamment à des salariés du secteur privé de connaître une seconde carrière en tant que fonctionnaires.

M. Roland Muzeau. Vous supprimez 5 000 emplois dans le secteur public !

M. Alain Gournac, rapporteur. Enfin, et c'est le quatrième axe, le Gouvernement prévoit de créer deux nouvelles incitations fiscales à la reprise d'emploi.

La première bénéficierait aux chômeurs de longue durée et leur permettrait de faire face plus facilement aux frais qu'occasionne la reprise d'un emploi, tels que les frais de garde des enfants, les frais de transport ou la perte de diverses aides.

La seconde incitation profiterait aux jeunes de moins de vingt-six ans qui acceptent un emploi dans un secteur confronté à des pénuries de recrutement. On pense immédiatement aux secteurs du bâtiment, des travaux publics et de l'hôtellerie-restauration, entre autres.

De cette manière, une partie des 200 000 emplois non pourvus recensés par l'Agence nationale pour l'emploi, l'ANPE, devraient trouver preneurs.

En conclusion, notre commission vous demande d'approuver les propositions innovantes contenues dans ce projet de loi d'habilitation. Je signale que celles-ci s'accompagnent d'un effort budgétaire non négligeable, évalué à 4,5 milliards d'euros en 2006, qui explique la décision du Gouvernement de marquer une pause dans la politique de baisse de l'impôt sur le revenu.

Nous considérons cependant que ces propositions n'épuisent pas la réflexion qu'il convient de mener sur nos politiques d'emploi. Elles ne nous dispensent pas en particulier d'envisager une réforme plus globale des procédures de licenciement ou encore de procéder à une remise à plat du problème des seuils d'effectifs, de manière que les effets négatifs de ces derniers ne soient pas éternellement compensés par le budget de l'Etat.

M. Guy Fischer. Mme Parisot sera contente !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce n'est plus le baron ?

M. Alain Gournac, rapporteur. J'ai retiré des auditions que j'ai menées sur ce projet de loi le sentiment que les partenaires sociaux sont plutôt ouverts à la discussion sur ce deuxième point.

Nous estimons, enfin, que ces mesures vont dans le sens de la réhabilitation de la valeur du travail, à laquelle la majorité oeuvre depuis 2002, et nous formons le voeu que les divisions qui se manifestent aujourd'hui sur ce texte finissent par être dépassées au profit d'un large rassemblement national pour l'emploi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme Hélène Luc. Ils veulent démolir le code du travail !

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 103 minutes ;

Groupe socialiste, 67 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 26 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratiqueet social européen, 15 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Bel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, au moment d'aborder ce projet de loi de recours aux ordonnances dans le domaine de l'emploi, il n'est pas inutile de s'interroger sur l'état dans lequel se trouve la société française aujourd'hui.

Il ne s'agit, je vous rassure, ni d'un exercice de dénigrement facile, ni d'une énième analyse de ce qui s'est exprimé le 29 mai, chacun d'entre nous peut avoir son avis sur ce point. Non, il s'agit tout simplement d'apprécier, face à l'état de notre pays, la pertinence de votre réponse, monsieur le Premier ministre, tant sur la méthode que sur le contenu.

Mes chers collègues, lequel d'entre nous n'a pas eu témoignage de ce profond malaise qui traverse toutes les couches de notre société ? Qui, ici, n'a pas perçu la souffrance de ceux sans avenir, sans perspective, pour lesquels quotidien rime avec précarité, pouvoir d'achat avec difficulté et mode de vie avec peurs et angoisses ?

Comment ne pas mesurer ce désarroi face à un horizon absurde marqué, d'un côté, par le mal-être des banlieues bondées et, de l'autre côté, par celui de zones rurales désertifiées, de territoires entiers à la dérive, de bassins industriels en voie de disparition ? Comment ne pas voir cette colère plus ou moins contenue pour ceux qui, génération après génération, ont tout donné et qui se sentent aujourd'hui abandonnés ?

Beaucoup ont utilisé, pour caractériser la période, des mots forts et qui ont du sens : crise de confiance, crise de régime, crise de la démocratie, affaiblissement du modèle républicain. On voit bien que c'est l'ensemble du système qui est touché avec la perte de crédit du politique, une Vème République à bout de souffle, une crise de l'Etat, de l'action publique, une fin de règne enfin, marquée par les fiascos successifs d'un chef de l'Etat qui semble échouer sur tout ce qu'il touche.

Alors, monsieur le Premier ministre, face à cela, je crains fort que les mesures que vous nous proposez ce matin non seulement ne soient en décalage complet avec les enjeux du moment, avec les attentes des Français, mais aussi ne soient tellement injustes qu'elles ne pourront engendrer que frustration et colère.

Il y a le fond, mais il y a aussi la forme : vous utilisez la procédure la plus détestable qui soit, celle des ordonnances, au nom de l'urgence. Cela signifie, en fait, que vous venez de découvrir, seulement ces derniers jours, qu'il y a urgence à mener le combat pour l'emploi. Comment expliquer cela alors que vous êtes en responsabilité depuis plus de trois ans ?

Les Français ont exprimé qu'ils vivaient très mal la distance entre eux et leurs représentants, et vous, vous décidez de l'élargir en niant l'intérêt du débat parlementaire et le rôle des partenaires sociaux.

J'ai, bien sûr, entendu M. le rapporteur : tous les gouvernements y ont eu recours et même le précédent gouvernement de gauche.

Pour le gouvernement de Lionel Jospin, vous le savez bien, il l'a fait dans des domaines en rien comparables à un sujet aussi essentiel que la politique de l'emploi : il s'agissait d'adapter le droit de l'outre-mer, de combler le retard de la France en matière de transposition de directives, de relancer la codification.

Quant aux ordonnances prises antérieurement, rappelons qu'en 1945 elles concernaient la création des comités d'entreprise et de la sécurité sociale, qu'en 1982 il s'agissait des 39 heures et de la cinquième semaine de congés payés, tout le contraire de ce que vous nous proposez aujourd'hui ! Alors que nous voulions favoriser le progrès social et les droits des salariés, vous, vous ne pensez qu'à en découdre avec les garanties, les sécurités et les protections que préserve notre code du travail !

Où est le temps, monsieur le Premier Ministre, où le Président de la République, il est vrai en campagne électorale, déclarait : « Il faut négocier avant de légiférer», pour renouveler le pacte démocratique français ?

J'espère que vous n'imaginez pas que le fait d'avoir reçu les syndicats et les avoir poliment écoutés tient lieu de dialogue social, dès lors que ce que disent les représentants des salariés n'est ni pris en compte ni entendu, ni encore moins mis en oeuvre.

Votre écoute, dans la réalité, votre seule écoute, vous la réservez au MEDEF, parce qu'il est clair, là aussi, que vos annonces ont été suggérées, demandées, puis exigées par le MEDEF, notamment dans les rapports de MM. de Virville et Camdessus.

Dans un instant, mes amis Jean-Pierre Godefroy, Alima Boumediene-Thiery, Jean-Pierre Sueur et d'autres entreront dans le détail des mesures et démontreront ainsi combien elles sont unilatérales, toujours favorables aux mêmes, et combien, d'un autre côté, elles fragilisent et précarisent le statut du salarié.

Je voudrais simplement vous mettre en garde : hausse de l'endettement public, déficits sociaux, déficit du commerce extérieur, panne du pouvoir d'achat, augmentation des tarifs publics, hausse des prestations sociales, approfondissement des inégalités territoriales, tous les clignotants sont au rouge et il y a un vrai risque d'explosion sociale.

Est-ce vraiment ce que vous souhaitez ? Comment ne pas l'imaginer quand vous poussez la provocation jusqu'à spolier les familles d'un milliard d'euros dans le projet de convention entre l'Etat et la Caisse nationale d'allocations familiales ?

Comment continuer, au même moment, à vous entendre annoncer la création de 15 000 places en crèche alors que vous savez bien que vous présenterez la facture aux seules collectivités locales ?

Monsieur le Premier ministre, vous et vos amis, depuis trois ans, vous n'avez assumé aucun échec. A chaque désaveu électoral, vous avez poursuivi la même politique.

Il n'y a pas aujourd'hui de rupture, car la politique est conduite par les mêmes hommes, avec, il est vrai, un peu moins de femmes. Vous poursuivez, en l'accélérant, votre programme de libéralisation économique et de flexibilité du marché du travail. Vous habillez cette continuité par un changement dans le discours. A la gestion conservatrice de votre prédécesseur, vous substituez la politique du karcher de votre vice-premier ministre !

Nous attendions le sursaut, nous entendons la démagogie. Oui, monsieur le Premier ministre, prenons garde !

Prenons garde parce que le chômage qui touche plus de 10% de la population française, dont 22% de nos jeunes, instille la peur de l'avenir. La détresse qu'il porte en germe est bien souvent d'ordre moral. Vous ne pourrez pas sans cesse et sans risque instrumentaliser les craintes et les peurs des Français !

Prenez garde aussi à jouer sur une prétendue faiblesse des syndicats. Ce n'est pas leur force qui constitue une menace pour notre pays, c'est l'inverse. Sans eux, la confrontation sera d'autant plus rude.

Une fois épuisés vos 100 jours, vous allez vous retrouver à l'automne, lorsque les Français feront les comptes, dans un dangereux face à face puisque vous avez contourné la démocratie sociale et la démocratie représentative.

La vraie confrontation sera celle de vos annonces et de vos réformes avec la réalité sociale sur le terrain. Je vous ai entendu ironiser, comme d'autres d'ailleurs, sur la situation de la gauche aujourd'hui. Ne vous réjouissez pas trop vite ! Pour ce qui nous concerne, nous n'entendons pas nous dérober à nos responsabilités.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pourvu que ça dure !

M. Jean-Pierre Bel. Le moment venu, nous présenterons aux Français le projet d'une politique radicalement différente.

Par une grande négociation, une conférence sociale annuelle avec les représentants salariaux et patronaux, les forces vives de notre pays, il faut mener un grand débat public pour faire émerger un nouveau contrat social garantissant les mécanismes de solidarité nationale, une sécurité professionnelle et sociale, oeuvrer pour renouveler le pacte républicain qui renforcera nos services publics, assurera la sécurité, luttera contre les discriminations.

Il faut poser les premières pierres d'une nouvelle démocratie participative et sociale, transformer nos institutions pour mieux rénover la vie politique, proposer de reconstruire un projet européen pour répondre aux défis de la mondialisation.

Voilà les chantiers sur lesquels nous travaillons en remplissant par là notre rôle de parti d'opposition dans une démocratie, soucieux de préparer l'alternative pour trouver un débouché à la crise sociale, économique et politique de notre pays.

Monsieur le Premier ministre, vous avez demandé 100 jours pour rendre la confiance aux Français. Mais la confiance se mérite et elle passe par le respect et la clarté.

Le respect, c'est celui du contrat passé avec ceux qui font notre pays, dans leur diversité. Vous leur avez tourné le dos. La clarté, c'est le choix de la responsabilité, de la solidarité et de la vérité dans l'action. Malheureusement pour notre pays, les ordonnances que vous préparez cet été sont le signe de votre renoncement à ces valeurs de respect et de clarté.

Nous nous y opposerons de façon combative et déterminée parce que nous savons qu'il y a urgence, oui, mais urgence à renouer avec les attentes des Français, à porter un projet crédible de changement politique dans notre pays et à une autre échelle, à relancer l'espérance européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt.

M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, faire passer la France d'un siècle à l'autre, c'est notre devoir collectif et notre volonté. La nostalgie des trente glorieuses et l'illusion d'une providence sociale illimitée ne sauraient constituer le passeport du XXI ème siècle.

Au coeur de cette volonté, il y a un message clair que nous souhaitons faire partager et retrouver : c'est celui de la valeur du travail et de l'effort.

Pour nous, le travail est non seulement au service de l'essor économique et du progrès social, mais il constitue également, comme le rappelait le Président de la République, « l'une des valeurs fondamentales de notre société car il n'est pas seulement source de revenus. Il représente bien plus. Il permet à chacun de se construire une identité, de trouver sa place dans la société ».

On ne dira jamais assez les ravages causés dans toutes les couches de notre société par la culture du non-travail et de la civilisation des loisirs.

M. André Dulait. Très bien !

M. Roland Muzeau. Et voilà ! Les salariés sont des fainéants !

M. Alain Gournac, rapporteur. M. de Raincourt a raison !

M. Guy Fischer. Les pauvres sont des tricheurs !

Mme Nicole Bricq. C'est trop ! Il va nous parler du Front populaire, bientôt !

M. Henri de Raincourt. Vos réactions sont révélatrices !

La rupture de cet équilibre engendre déception et dépression. II faut remettre les choses à l'endroit, soutenir l'activité et encourager la création d'entreprises et d'emplois.

Or, aujourd'hui, le marché de l'emploi se caractérise par un paradoxe inacceptable : d'un côté, 2,5 millions de chômeurs, de l'autre, des centaines de milliers d'offres d'emploi non pourvues, notamment dans les PME qui cherchent vainement à embaucher.

M. André Dulait. C'est vrai !

M. Henri de Raincourt. En outre, je veux citer l'exemple de la Bourgogne, où, pour la première fois, cette année, le nombre de personnes qui quittent le marché du travail est supérieur au nombre de celles qui y entrent.

Ces difficultés en matière d'emploi sont d'autant plus regrettables que les résultats obtenus par certains de nos partenaires européens démontrent, s'il en était besoin, qu'il n'y a pas d'incompatibilité de principe entre le plein-emploi et le respect de ce qu'on voudrait être un modèle social fondé, en particulier, sur une régulation collective des relations du travail et le développement de mécanismes de solidarité permettant une protection sociale à vocation universelle et réglée par la puissance publique.

Monsieur le Premier ministre, lors de votre déclaration de politique générale, vous nous avez délivré un message fort d'action en faveur de la mobilisation pour l'emploi.

C'est ce message que vous souhaitez promouvoir et traduire dans le concret au travers du projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui. Celui-ci a une double caractéristique : il répond à l'urgence avec cohérence et pragmatisme.

Oui, nous sommes bien dans l'urgence. La situation économique, sociale et politique appelle des réponses qui ne peuvent attendre. Les Françaises et les Français, nous le savons tous ici, ont clairement exprimé leur souffrance, leur détresse et leur inquiétude devant l'avenir, dans un environnement qui leur paraît, non sans raisons, incertain.

Cela étant, comme nous venons de l'entendre, certains vous reprochent, monsieur le Premier ministre, la méthode retenue, consistant à procéder par ordonnances. Mais que proposent-ils ? Rien, désespérément rien !

En outre, si nous en sommes là aujourd'hui, c'est peut-être parce que, à une époque pas si lointaine, l'utilisation qui a été faite des fruits de la croissance...

Mme Nicole Bricq. C'est l'héritage !

M. Henri de Raincourt. ... n'a pas permis de régler un certain nombre de questions fondamentales qui empoisonnent la vie économique et sociale de notre pays depuis longtemps ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.) J'appelle donc nos collègues à faire preuve, comme nous, d'un peu d'humilité et de modestie ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Roland Muzeau. Vous transformez l'or en sable !

Mme Catherine Tasca. Cela fait trois ans que vous êtes au pouvoir !

M. Henri de Raincourt. Tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ont utilisé la procédure prévue à l'article 38 de la Constitution. On nous affirme, et je viens encore d'entendre cet argument, que les réformes adoptées précédemment dans ces conditions n'étaient pas aussi importantes. Je reprendrai, à cet instant, les propos tenus par mon ami Alain Gournac, pour rappeler quelques-unes de ces réformes, qui à mes yeux n'étaient pas secondaires : abaissement de l'âge de la retraite à soixante ans,...

M. Alain Gournac, rapporteur. Oui !

M. Henri de Raincourt. ... fixation de la durée légale hebdomadaire du travail à 39 heures, instauration de la cinquième semaine de congés payés...

M. Jean-Pierre Bel. Excellent !

M. Guy Fischer. C'était social !

M. Michel Charasse. L'interdiction du travail des enfants dans les mines !

Mme Catherine Tasca. Ce sont les salariés qui vous dérangent ?

M. Henri de Raincourt. Il s'agissait non pas de simples ajustements, mais de la création d'un surcroît de chômage par ordonnances ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) On peut difficilement prétendre que ces mesures n'affectaient pas significativement le code du travail.

La justification du recours aux ordonnances donnée aux députés, le 8 décembre 1981, par le Premier ministre de l'époque, notre collègue Pierre Mauroy, est riche d'enseignements sur les motivations du gouvernement d'alors :

L'ardeur des députés, disait-il, « n'a cependant pas encore permis que les réformes de structures, engagées dès l'ouverture de la législature, soient votées aujourd'hui. Cette ardeur ne suffirait pas à faire adopter nos propositions en matière d'abaissement de la durée légale du travail, d'aménagement du temps de travail, d'âge de la retraite, d'ici au printemps. Même si nous convoquions encore de longues sessions extraordinaires, nous n'y parviendrions que difficilement. En outre, votre tâche de députés ne consiste pas seulement à siéger à l'Assemblée nationale. Vous devez pouvoir être davantage présents dans vos circonscriptions. » (Rires sur les travées de l'UMP.)

Le complément d'explication fourni par le même Premier ministre dans notre hémicycle, quelques jours plus tard, quand il évoquait « la nécessité de mettre en place dans l'urgence des mesures pour l'emploi afin qu'elles puissent porter leurs fruits le plus tôt possible », me semble quant à lui tout à fait légitime et propre à recueillir l'assentiment de tous les membres de notre assemblée. Nous faisons nôtre, bien évidemment, cet argument plein de bon sens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Bricq. Vous avez vingt-trois ans de retard !

M. Henri de Raincourt. Ne reniez pas, tout de même, les propos de M. Mauroy !

C'est bien dans cette perspective que nous nous inscrivons aujourd'hui, parce que cette démarche correspond en tout point à l'esprit et à la lettre de la Constitution. En effet, l'habilitation est strictement encadrée, s'agissant de son champ d'application comme de son calendrier.

Enfin, certains prétendent qu'à légiférer trop vite on légifère souvent mal.

M. Guy Fischer. C'est le président qui l'a dit hier !

M. Henri de Raincourt. Ce risque serait aggravé par le fait que les ordonnances ne donnent plus lieu à une éventuelle correction parlementaire. Dois-je rappeler que le Parlement garde la latitude de modifier à tout moment, par une loi ordinaire, le texte des ordonnances qui seront promulguées ? Les ordonnances sont donc bien une voie efficace pour agir rapidement.

Durant trois années, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a engagé des réformes importantes, trop longtemps différées, on ne le dira jamais assez. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC.) C'est un acquis national, sur lequel peut s'appuyer l'action que vous conduisez, monsieur le Premier ministre.

Aujourd'hui, parce qu' « aucune solution ne doit être écartée par préjugé », comme le rappelait le Président de la République, le Gouvernement nous présente des mesures cohérentes, concrètes et pragmatiques.

Le contour des mesures d'urgence qui seront prises par ordonnances, dont vous avez d'ores et déjà commencé à négocier les modalités avec les partenaires sociaux, monsieur le Premier ministre, ne remet nullement en cause, contrairement à ce que l'on entend dire, les grands équilibres de notre code du travail. Il s'agit au contraire de mesures concrètes et pertinentes qui visent à libérer rapidement les énergies tant des entreprises que des demandeurs d'emploi et donc à créer des emplois.

Tout d'abord, le présent projet de loi d'habilitation correspond aux dispositions d'ordre législatif annoncées par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale. Elles sont centrées sur l'emploi dans les très petites entreprises, l'emploi des jeunes et celui des seniors. Elles répondent à la demande des entreprises qui souhaitent recruter et se voient encouragées par des mesures de simplification et de souplesse.

Pour autant, certains prétendent que le « contrat nouvelle embauche », disposition phare du plan, serait un contrat précaire. Or, actuellement, les trois quarts des contrats de travail au sein des très petites entreprises sont des contrats à durée déterminée, c'est-à-dire sans aucune garantie de reconduction à leur terme.

M. Guy Fischer. C'est vrai !

M. Henri de Raincourt. N'est-il pas préférable de favoriser un contrat à durée indéterminée dont les titulaires verront leurs droits croître avec leur ancienneté dans l'entreprise ? En cas de rupture du contrat, des indemnités supérieures à celles qui sont prévues dans le cadre d'un CDI pourront être versées et seront de plus payables avant cette dernière.

Le présent projet de loi tend également à répondre à la demande des salariés qui veulent travailler avec des garanties et des droits. Il devrait permettre de lever la grande crainte de beaucoup de petits entrepreneurs d'avoir, le cas échéant, à « gérer » un licenciement, en particulier d'avoir à le justifier devant un juge. Ceux d'entre eux qui, devant la complexité administrative et les aléas de la vie économique, n'ont jamais osé tenter l'aventure de l'embauche, vont pouvoir s'y lancer, grâce aux filets de sécurité tendus au profit des salariés, ainsi qu'au « chèque emploi entreprise », qui simplifiera grandement les formalités.

Par ailleurs, le droit du travail comporte de nombreuses dispositions qui s'appliquent au-delà d'un certain seuil en matière d'effectif. Parmi ces obligations, plusieurs entrent en jeu cumulativement à l'embauche du dixième salarié. Il en résulte que l'on dénombre deux fois moins d'entreprises comptant dix salariés que d'entreprises en comptant neuf : je ne crois pas au hasard dans ce domaine ! Si la prise en charge du surcoût des charges par l'Etat peut permettre à des entreprises de franchir le cap psychologique très marqué des dix salariés, ce sont, à l'évidence, plusieurs milliers d'emplois qui pourront être créés très rapidement, sans aucune réduction des avantages sociaux.

Dans le même esprit, des dispositifs de bon sens seront mis en place pour faire tomber les obstacles à l'embauche des jeunes : décompte des effectifs de l'entreprise pour l'application de l'ensemble des seuils sociaux et mise en oeuvre d'un dispositif d'insertion des jeunes en difficulté, notamment dans les institutions de la défense, à l'image du service militaire adapté tel qu'il existe outre-mer et qui, mêlant une formation militaire à une formation professionnelle distincte, permet aux jeunes d'être formés et de trouver, pour nombre d'entre eux, un emploi.

Deux autres mesures particulières pourront être appliquées dans de brefs délais. Il s'agit, d'une part, de la suppression des limites d'âge dans la fonction publique, et, d'autre part, de la mise en oeuvre rapide d'une nouvelle modalité de recrutement pour l'accès aux corps et cadres d'emplois de catégorie C, par la voie de la formation en alternance.

Enfin, on ne peut continuer à connaître des pénuries de main-d'oeuvre dans certains secteurs alors que les chômeurs représentent plus de 10 % de la population active de notre pays.

M. Alain Gournac, rapporteur. Tout à fait !

M. Henri de Raincourt. La prime de 1000 euros qui sera versée présente une spécificité, puisqu'elle vise à encourager la prise d'emplois dans les secteurs où ceux-ci sont effectivement offerts. Nous agirons ainsi sur les deux leviers de l'offre et de la demande de façon coordonnée, en multipliant les chances de réussite.

Notre groupe partage évidemment l'analyse très pertinente développée au travers de l'excellent rapport de la commission des affaires sociales, dont je tiens à saluer, à cet instant, le président, Nicolas About, et le rapporteur, Alain Gournac, qui a fourni un travail remarquable. (Exclamations amusées sur les travées du groupe CRC.)

MM. Nicolas About, président de la commission, et Alain Gournac, rapporteur. Merci !

M. Henri de Raincourt. Ils le méritent, mes chers collègues !

Conformément à la volonté du Gouvernement d'agir vite, le projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, prévoit une durée d'habilitation brève, de deux mois. Le Gouvernement aura également deux mois, après la publication des ordonnances, pour déposer des projets de loi de ratification.

Ces ordonnances seront de nature à rétablir la confiance.

M. Roland Muzeau. Il n'y a que la foi qui sauve !

M. Henri de Raincourt. Nous devrons poursuivre nos efforts dans la durée, nous consacrer à une mise en oeuvre dynamique de ces mesures et de celles qui ont déjà été votées, telles que la réforme du service public de l'emploi.

Ce défi de l'emploi, nous le relevons avec vous, monsieur le Premier ministre,...

M. Roland Muzeau. Vous n'êtes pas nombreux aujourd'hui !

M. Henri de Raincourt. ... nous aussi avec modestie et, néanmoins, avec une très forte détermination. Vous savez pouvoir compter sur nous : nous n'avons pas l'intention de nous résigner, nous voulons au contraire avec vous faire preuve de pragmatisme et avoir le courage d'innover.

Ces ordonnances vont, à nos yeux, dans le bon sens. Elles marquent une étape décisive dans la bataille pour l'emploi et, à l'évidence, une chance pour l'avenir de notre pays. Notre groupe sera à vos côtés, monsieur le Premier ministre, tout au long de leur mise en oeuvre.

M. Roland Muzeau. Vous serez plus nombreux qu'aujourd'hui ?

M. Henri de Raincourt. Nous voterons ce projet de loi avec conviction. Comme vous l'avez indiqué ce matin, nous évaluerons les résultats de son application, et nous verrons bien, alors, si ceux qui crient le plus fort aujourd'hui seront encore présents pour nous rendre justice. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 29 mai 2005 est une date qui marque notre histoire politique de façon profonde. En répondant « non » ce jour-là, à une forte majorité et après une forte mobilisation, les Français ont lancé un appel clair à toute la classe politique, comme ils l'avaient déjà fait en 2004. Ils nous ont dit, simplement mais très fermement : « Cela suffit, notre situation s'aggrave de jour en jour et vous ne faites rien, ou pas assez ! »

Au coeur du malaise se trouve l'emploi.

Depuis vingt ans, notre pays subit un chômage de masse fluctuant autour de la barre record de 10 % de la population active, et aucun gouvernement n'est parvenu à l'endiguer. Les dispositifs, catégoriels ou non, se sont empilés sans résultats significatifs. Même la forte croissance de l'an 2000 n'y a rien fait.

Ce chômage endémique nous fait aujourd'hui douter de notre modèle social qui, nous dit-on, ne produirait plus que du chômage.

Aussi, la seule réponse pertinente attendue par les Français est celle-ci : que soit menée avec détermination la seule bataille qui vaille, celle de l'emploi.

Vous l'avez compris, monsieur le Premier ministre, et vous avez fait de l'emploi la priorité absolue de votre action gouvernementale. Sur ce point, nous partageons sans réserve votre analyse.

Vous nous proposez aujourd'hui une réponse par la voie de l'article 38 de la Constitution, c'est-à-dire par les ordonnances. Même si la méthode que vous choisissez ne nous paraît pas bonne sur la forme, nous souhaitons, sur le fond, pouvoir participer à l'encadrement de ce que fera, demain, le pouvoir exécutif, lequel obtiendra probablement une délégation du Parlement pour agir dans le domaine de l'emploi.

Pourquoi les ordonnances nous paraissent-elles constituer une mauvaise méthode ?

C'est la troisième fois cette semaine que l'on demande au Parlement de déléguer son pouvoir législatif au Gouvernement : deux fois lors de l'examen du projet de loi pour la confiance et la modernisation de l'économie qu'a soutenu M. Breton avant-hier, et aujourd'hui, avec un texte plus général d'habilitation. D'ailleurs, lors de l'examen de la proposition de loi portant réforme de l'adoption, voilà quinze jours, on nous avait proposé également un texte d'habilitation.

Il faut quand même respecter l'équilibre des institutions. Quatre demandes d'habilitation en si peu de temps, cela fait beaucoup !

Le Parlement ne doit pas se dessaisir de son pouvoir législatif dans des domaines aussi importants et sur des questions aussi fondamentales.

Par principe, nous sommes hostiles au système des ordonnances. Le débat parlementaire est un catalyseur de la vie démocratique. C'est là un point fondamental. Nos concitoyens se sont réapproprié le débat, vous ne l'éviterez pas. Mais en choisissant les ordonnances, ce débat aura lieu ailleurs que dans l'hémicycle parlementaire, ce qui me semble dommage.

Est-ce à dire que la procédure des ordonnances est à proscrire de façon absolue ?

Notre excellent rapporteur nous a expliqué que tous les gouvernements précédents avaient pris des ordonnances. C'est vrai. Comme il cherchait à nous montrer qu'il avait vraiment raison, il nous a rappelé tout ce que les gouvernements socialistes avaient fait en matière d'ordonnances.

Mais, cher ami, ce n'est pas l'exemple que vous voulez suivre !

M. Alain Gournac, rapporteur. Cela a été fait !

M. Michel Mercier. Monsieur le rapporteur, vous ne pouvez justifier votre action en disant que, puisque les socialistes ont utilisé la procédure des ordonnances, il vous faut en faire encore plus ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

M. Alain Gournac, rapporteur. Ce n'est pas ma référence !

M. Roland Muzeau. Pan, Gournac !

M. Michel Mercier. Vous n'êtes pas là pour cela !

M. Josselin de Rohan. Les communistes n'ont jamais été au Gouvernement.

M. Roland Muzeau. Ça ne nous a pas réussi !

M. Michel Mercier. Il faut éviter de vouloir trop démontrer dans ce domaine.

Dans notre système institutionnel où le Parlement est hyper contraint et enfermé dans des limites très strictes, il paraît peu compatible avec les exigences de la démocratie que le pouvoir législatif se dessaisisse au profit du pouvoir exécutif.

Toutefois, selon moi, il y a deux cas dans lesquels le recours à la procédure des ordonnances peut paraître légitime, même s'il est toujours légal.

Il peut en être ainsi, tout d'abord, pour l'examen d'un texte très technique qui ne soulève pas de question politique importante ; en matière de réforme du droit des sûretés, par exemple, on peut comprendre que la technicité du texte puisse justifier un recours à une ordonnance, mais à condition qu'une procédure de ratification permette ensuite au Parlement d'ajuster éventuellement les choses.

Il peut en être également ainsi quand, lors d'une campagne électorale présidentielle ou parlementaire, les Français ont été avertis d'un recours aux ordonnances pour mettre en oeuvre des engagements électoraux qu'ils ont clairement validés par leur vote.

Nous ne sommes ici ni dans le premier ni dans le second cas. Les réformes que vous nous proposez sont importantes : elles visent en effet, de votre propre aveu, au maintien de notre modèle social. Elles sont donc d'envergure et touchent aux modalités mêmes de notre « vivre ensemble ». Elles exigent un consensus national et une appropriation par chacun d'entre nous. C'est le rôle fondamental du Parlement que de participer à l'élaboration de ce consensus national par le dialogue entre la majorité et l'opposition et par le débat créé autour de ce dialogue. S'en priver, c'est, dans une certaine mesure, renoncer à l'efficacité des mesures proposées.

Voilà pourquoi, monsieur le Premier ministre, nous sommes opposés à ce que le Parlement abandonne au pouvoir exécutif sa compétence législative sur les propositions que vous nous soumettez.

Néanmoins, nous savons bien que l'Assemblée nationale vous suivra sur ce dessaisissement du Parlement, et nous avons choisi d'aborder au fond les questions posées par la loi d'habilitation et d'essayer - avec le concours de tous les membres de la Haute Assemblée, j'espère - d'encadrer au maximum la latitude qui sera certainement accordée au pouvoir exécutif d'intervenir par ordonnances dans la compétence législative.

A plusieurs reprises, monsieur le Premier ministre, vous avez déclaré que votre ambition était de maintenir, tout en le rénovant, notre modèle social. Nous adhérons pleinement à cette ambition ; mais ce n'est pas notre modèle social qui n'est plus d'actualité ; ce sont ses modalités de mise en oeuvre. Il faut replacer les curseurs économiques et sociaux pour que notre « vivre ensemble », fondé sur une adhésion solidaire à un progrès poursuivi en commun, reste une réalité vivante.

Le temps nous paraît venu de revoir à la fois le rôle des vecteurs de notre société et le mode de financement ; votre projet nous invite à apporter nos réponses à ces questions.

Le rôle de l'entreprise et celui de la puissance publique doivent être redéfinis pour faire face à la fois aux défis de la mondialisation et à l'objectif de maintien de notre pacte social.

A l'entreprise le soin de créer des richesses, de l'emploi, en s'appuyant sur la recherche et l'innovation ; à la nation le soin d'assurer les solidarités nécessaires.

M. Jean Arthuis. Très bien !

M. Michel Mercier. C'est dans ce cadre que nous souhaitons étudier, discuter vos propositions, vous dire pourquoi, même si elles vont dans le bon sens, nous ne pouvons les accepter en l'état, et soumettre au Sénat des dispositions concrètes qui donneront l'équilibre manquant, nous semble-t-il, à votre projet.

Le chômage qui affecte notre pays est principalement structurel, c'est-à-dire qu'il résulte de la structure même de notre marché du travail ; c'est donc sur lui qu'il faut agir.

Il faut, c'est vrai - nous devons le dire clairement et nettement -, réformer le code du travail. (Protestations sur les travées du groupe CRC.) Il faut à l'évidence rendre plus souple le marché du travail, mais il faut le faire en respectant notre modèle social.

M. Henri de Raincourt. Et là, les communistes ne disent rien !

M. Guy Fischer. MEDEF ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe CRC.)

M. Michel Mercier. Comme d'habitude, les communistes, excités par les gaullistes, se réveillent ! (Sourires.) C'est une vraie tradition de la Ve République, nous n'échapperons à rien aujourd'hui !

La disposition principale de votre projet, monsieur le Premier ministre, le contrat « nouvelles embauches », ne respecte pas ces équilibres. Il faut rendre plus de liberté à l'entreprise dans la gestion de ses effectifs de salariés, notamment pour les plus petites qui hésitent toujours à embaucher lorsqu'elles ont du travail parce que leurs perspectives sont plutôt à court ou à moyen terme et que la réglementation trop complexe du droit du travail conduit souvent et à refuser d'embaucher et à refuser le travail. Il faut donc fluidifier le marché du travail, mais pas au prix d'une précarisation généralisée des salariés.

Nous devons mener une réforme équilibrée : à l'entreprise, plus de liberté et plus de souplesse dans la gestion de ses effectifs ; à la nation le soin de renforcer à due concurrence la solidarité collective.

Pour cela, tout assouplissement du code du travail en matière de licenciement doit s'accompagner de garanties très sérieuses en matière de revenu de remplacement, d'aide au reclassement, de formation professionnelle et de suivi personnalisé du salarié licencié.

L'accompagnement des chômeurs doit être drastiquement renforcé et adapté à chaque bassin d'emploi.

C'est dans ce sens que nous vous suggérons de travailler en adoptant l'un de nos amendements que nous considérons comme essentiel.

Il faut rendre plus efficaces les services de l'emploi et les restructurer autour de rapprochements coordonnés par les bassins d'emploi de l'ASSEDIC et de l'ANPE. Il faut globaliser les moyens pour répondre aux besoins locaux ; c'est ce que tend à proposer notre second amendement.

Le deuxième axe qui nous semble prioritaire est celui qui consiste à inciter les chômeurs et les bénéficiaires de minima sociaux à se réinsérer sur le marché du travail. Voilà pourquoi, lors de l'examen du projet de loi relatif au développement des services à la personne et à diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, j'avais souhaité que l'on puisse réduire la durée d'ancienneté dans un minima social pour avoir droit à un contrat d'avenir, notamment ; il faut simplifier beaucoup pour que les contrats de ce type puissent remplir tout leur rôle.

Dans le même esprit, nous vous présenterons un amendement visant à combattre les trappes à pauvreté et à inactivité. Aujourd'hui, pour un allocataire du RMI, l'incitation à reprendre un emploi est faible, surtout si l'on prend en compte les droits connexes attachés aux minima sociaux. C'est ce qu'a très bien démontré Valérie Létard dans le rapport qu'elle a rendu public le 18 mai dernier.

Notre amendement proposera donc de lisser le passage d'une situation d'assistanat à une situation de réinsertion dans l'emploi en permettant un double cumul : cumul d'abord entre revenus de l'emploi et droits connexes aux minima sociaux ; cumul ensuite entre revenus de l'emploi et revenus de remplacement.

J'en viens ensuite au troisième axe de nos propositions : je crois que nous ne ferons pas l'économie d'une refonte du mode de financement de la protection sociale. Nous en avons déjà parlé dans cet hémicycle, et nous souhaitons pouvoir en parler de nouveau à l'occasion de l'examen de ce projet de loi d'habilitation.

Le système de cotisations sociales date d'un temps où la France connaissait le plein emploi et où la sécurité sociale ne couvrait pas toute la population. Aujourd'hui, tout est inversé : la sécurité sociale est universelle, mais le travail ne l'est plus. En matière de droits, nous sommes passés en cinquante ans d'une logique assurancielle à une logique de solidarité nationale. Nous devons en tirer les conséquences en matière de financement de ces droits. Les cotisations sociales pèsent sur l'emploi. Elles accroissent le coût du travail. Aussi proposons-nous la création d'une TVA sociale et l'élargissement de la contribution sociale généralisée, la CSG.

En marge de ces trois axes prioritaires, ce projet de loi nous semble perfectible sur plusieurs points.

Premièrement, vous exonérez de versement transport les entreprises franchissant le seuil de dix salariés. C'est une bonne intention, mais l'exonération du versement transport coûtera environ 500 millions d'euros soit aux collectivités organisatrices de transports en commun, soit à l'Etat. Cela ne va pas sans poser certains problèmes à la fois financiers et techniques, d'autant que l'Etat s'est déjà engagé à verser 500 millions d'euros aux collectivités locales pour la décentralisation du RMI. Cette mesure est d'autant moins justifiée que les petites entreprises, les petits commerces par exemple, profitent pleinement des transports en commun. Je défendrai donc un amendement visant à exclure de l'exonération le versement transport.

Deuxièmement, ce projet de loi ouvre à juste titre la fonction publique aux jeunes. Je proposerai, par un amendement, de le faire aussi à l'égard des bénéficiaires du RMI âgés de plus de cinquante-quatre ans, afin qu'ils puissent trouver dans les collectivités locales un emploi pour terminer leur carrière active.

Troisièmement, la mise en place du contrat « nouvelles embauches » est l'occasion d'aborder la question de l'emploi du temps des salariés à temps partiel. Il ne faut pas que le temps partiel soit l'occasion d'imposer aux salariés des horaires attentatoires au droit à la vie privée et familiale qui les obligeraient à engager des dépenses de garde supérieures à leurs revenus. Nous défendrons aussi un amendement en ce sens.

Telles sont, monsieur le Premier ministre, nos propositions concrètes. Nous ne sommes pas des spectateurs qui vous regarderaient agir. Si vous le souhaitez, nous entendons être des acteurs avec le Gouvernement.

Vous l'aurez compris, nous désapprouvons le recours aux ordonnances. Nous regrettons de ne pas vous avoir convaincu de renoncer à cette procédure, alors que nous sommes prêts à examiner les projets de loi que le Gouvernement pourrait nous présenter. Nous sommes suffisamment nombreux pour le faire.

M. Guy Fischer. Vous croyez ?

M. Michel Mercier. Mais si vous souhaitez vraiment vous passer de nous, acceptez au moins nos amendements. C'est, bien entendu, l'accueil que vous réserverez à nos propositions qui guidera notre décision. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. -Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Roland Muzeau. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le chômage et le pouvoir d'achat restent la priorité économique et sociale des Français, comme l'a violemment rappelé le résultat du référendum.

A de multiples reprises, dans les urnes - à l'occasion des élections cantonales et régionales -, dans la rue - le 10 mars dernier lors de la forte mobilisation en faveur des salaires -, le peuple a fait entendre ses urgences sociales. Les signaux ne manquaient pas.

Pourtant, le Président de la République et ses gouvernements successifs - Raffarin I, II et III - ont méprisé cette réalité. Pis encore, ils ont aggravé l'insécurité sociale par leurs choix fiscaux, économiques et sociaux ainsi que par les contre-réformes imposées en matière de protection sociale.

Résultat, alors que l'ensemble des élites politiques et économiques défendait corps et âme le « oui » au projet de traité constitutionnel européen, à 55 % les électeurs leur ont signifié leur soif de démocratie ainsi que leur désaccord avec ce projet de société ultra-libérale se nourrissant du dumping social, mettant en concurrence les peuples et les salariés, et avec cette Europe qui place le diktat de la « concurrence libre et non faussée » au-dessus du progrès social.

Une seule frange homogène de la population a résisté au « non », celle des 5 % de plus hauts revenus. A l'inverse, la grosse majorité du salariat - 66 % des électeurs disposant d'un revenu de moins de 1 000 euros, 76 % des travailleurs intérimaires, 69 % des électeurs en contrat à durée déterminée, ou CDD, mais aussi 58 % des électeurs en contrat à durée indéterminée, ou CDI - a porté un « non » social.

Ce « non » vertueux n'appelle pas simplement une impulsion sociale, il réclame une véritable inflexion, une rupture dans les politiques capitalistes les plus débridées menées depuis plusieurs années contribuant, à un bout, à créer plus de précarité, de pauvreté, à dégrader les conditions de travail et de vie, sans pour autant résorber le chômage, et, à l'autre bout, à accroître la spéculation boursière et financière ainsi que l'appauvrissement de notre économie, de notre industrie.

A ces exigences de respect, de démocratie, de plus de sécurité, vous répondez pour la énième fois : changement dans la continuité, passage en force !

Les ordonnances sont un témoignage supplémentaire de la crise de régime dont vous êtes responsables, comme l'a rappelé mon ami Jacques Brunhes, la semaine dernière, à l'Assemblée nationale, en soutenant la motion de censure. La souveraineté populaire est bafouée. La majorité ne représente plus qu'elle-même. Jamais un Président de la République n'a eu une aussi faible cote de popularité. Jamais des ministres ne se sont laissés aller à un tel populisme !

Alors que la situation politique française est des plus fragiles, vous choisissez, oubliant bien vite votre priorité affichée d'une négociation obligatoire, préalable à toute intervention du législateur dans le domaine social, de contourner les partenaires sociaux et de dessaisir le Parlement de ses pouvoirs dans un domaine aussi central que celui de l'emploi. Vous prescrivez la « précarité sur ordonnances », comme l'a unanimement titré la presse au lendemain de votre déclaration de politique générale. Décidément, vous ne tirez aucune leçon du 29 mai dernier !

Vous nous rejouez le coup du discours alarmiste, maintes fois entendu, pour justifier la mise à mal de notre système de retraite et d'assurance maladie, en affirmant que ce plan sur l'emploi constitue « l'une des dernières chances de sauver le modèle social français », tout en passant à l'étape supérieure dans la dérégulation du droit du travail et la politique d'abaissement du coût du travail.

Dans un gouvernement pyromane, vous voulez endosser les habits de pompier ! C'est à peine croyable ! Vous critiquez en creux la politique de Jean-Pierre Raffarin. Ainsi, vous nous dites que « nous serions allés au bout des solutions traditionnelles » en matière d'emploi. Mais vous continuez à décliner sous une autre forme les recettes éculées des exonérations de cotisations sociales, des aides fiscales au bénéfice des entreprises, et vous reconnaissez, à la grande satisfaction du MEDEF et des plus libéraux d'entre vous, comme l'a déclaré M. Novelli, « que la flexibilité est un élément incontournable de la lutte contre le chômage ».

MM. Henri de Raincourt et Josselin de Rohan. C'est vrai !

M. Roland Muzeau. J'ai été frappé de constater que la bataille pour l'emploi éclipsait d'autres problématiques, dont celle de la croissance, et que, à aucun moment dans votre déclaration de politique générale, il n'avait été question des conséquences du chômage, des bas salaires ou des moyens de lutter contre la pauvreté. Peut-être était-ce non pas un oubli, mais un moyen supplémentaire d'accréditer la thèse, défendue par le MEDEF et un certain ministre, que le chômage français s'expliquerait avant tout par certaines spécificités hexagonales et un code du travail trop rigide.

Comme nous, Bernard Gomel, spécialiste des politiques de l'emploi, regrette que vous n'engagiez pas une politique de relance. Pour lui, « segmenter à ce point les politiques de l'emploi - seniors, moins de vingt-cinq ans, secteurs en pénurie, chômeurs de longue durée ... -, c'est imputer la responsabilité du chômage aux personnes ; c'est individualiser le problème ». Or cette voie est dangereuse et inéquitable dans la période de chômage de masse que nous connaissons.

Certes, messieurs les ministres, la situation sociale est inédite. Jamais, depuis 1999, le taux de chômage n'a été aussi élevé. Avec votre politique, ce sont 230 000 chômeurs de plus en trois ans ; le nombre de RMIstes a augmenté de 9 % en un an ; une personne sur deux n'est pas indemnisée ; 3,5 millions de nos concitoyens vivent désormais en dessous du seuil de pauvreté ; 4,7 millions de personnes dépendent de la couverture maladie universelle ; près des trois quarts des embauches se font en CDD ; un contrat d'intérim sur quatre est conclu pour une seule journée ; 19 % des heures travaillées en France sont effectuées par des salariés embauchés pour moins d'un an ; la moitié des travailleurs pauvres sont des actifs ; trois SDF sur dix ont un emploi ; 17 % des salariés émargent à 950 euros nets par mois.

Tout cela, c'est vous ! C'est le résultat de vos choix dogmatiques, de l'inflexion des politiques de l'emploi contribuant au développement de l'emploi sous-qualifié et faiblement rémunéré, à l'émiettement et à la dévalorisation du travail, à la précarisation des parcours professionnels.

Aujourd'hui, la panique gagne les rangs de l'UMP. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Josselin de Rohan. Quelle panique ?

Plusieurs sénateurs du groupe CRC. Ecoutez-le !

M. Roland Muzeau. Ainsi, M. Gilles Carrez, rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, a pris conscience, au début du mois de juillet 2005, que « supprimer les emplois-jeunes a été le résultat d'une attitude manichéenne. Alors qu'il faut privilégier la continuité, et avoir une vision pragmatique ».

M. Josselin de Rohan. Pragmatique, voilà !

M. Roland Muzeau. Ecoutez la suite !

M. Josselin de Rohan. On vous écoute !

M. Roland Muzeau. C'est aussi le député UMP Philippe Auberger...

M. Henri de Raincourt. Il est de l'Yonne !

M. Roland Muzeau. ... qui a qualifié la décision de sa majorité d'« idéologique et pas suffisamment pragmatique ».

Pour autant, l'urgence aujourd'hui décrétée autour du plan de mobilisation pour l'emploi, qui justifie le recours aux ordonnances au cours d'une session extraordinaire, n'est qu'un prétexte. La ficelle est un peu grosse et ne trompe personne.

Même ceux qui en défendent le principe peinent à croire que Dominique de Villepin découvre aujourd'hui que le gouvernement Raffarin, dont il était l'un des membres les plus importants, ait mené depuis trois ans une politique contre-productive en matière d'emploi. Ce que pourtant le député UMP - encore un ! - Pierre Cardo, frappé lui aussi par une soudaine révélation, qualifie après coup d'« erreur politique, économique et stratégique ». Et il ajoute que, en ayant écouté les idéologues plutôt que les pragmatiques, la droite s'est tiré une balle dans le pied.

Comment imaginer que Jacques Chirac, qui fait de l'emploi « la priorité des priorités » dans tous ses discours depuis 1995, s'aperçoive subitement que telle n'a pas été l'action de son ancien Premier ministre ? Pourtant, dans son « Contrat France 2005 », celui-ci s'était fixé comme objectif -vous vous en souvenez sûrement - la baisse de 10 % du nombre de demandeurs d'emploi en 2005. Tout cela n'est ni crédible ni sérieux et confine au pitoyable.

En réalité, l'objectif est clair : publier lesdites ordonnances « avant le 1er septembre », c'est-à-dire durant les congés d'été afin d'en avoir fini avant la rentrée.

Pour le Premier ministre, qui a bien une majorité à l'Assemblée nationale et au Sénat mais pas de majorité politique dans le pays pour faire passer son projet de casse sociale, il s'agit de s'épargner un débat parlementaire qui pourrait provoquer des remous dans l'opinion et se muer en nouvelle épreuve de force sociale avec le Gouvernement.

Cette procédure expéditive présente également l'avantage de vous dispenser du diagnostic pourtant nécessaire. Des vraies causes de la dégradation de l'emploi et de la persistance d'un chômage de masse, du sous-emploi et de la « smicardisation » du salariat, nous ne pouvons donc débattre.

Il en est de même de la question centrale de la répartition des richesses dans notre pays.

Selon le chef du Gouvernement, ces ordonnances ne constituent pas « l'arbitraire, mais la tradition républicaine lorsque les circonstances l'exigent ». Pour justifier cela, il explique qu'« elles ont été utilisées par la gauche comme par la droite depuis le début de la Ve République ».

Mais M. de Villepin fait mine d'oublier que le recours à cette disposition constitutionnelle par un pouvoir désavoué, comme l'a été le Président de la République à la suite du référendum, est totalement inédit.

M. de Villepin oublie également de dire - mais ce n'est qu'un détail - que, depuis l'arrivée au pouvoir de sa majorité UMP-UDF, l'ampleur des mesures prises sur la base des ordonnances est sans précédent.

Pour mieux faire avaler la pilule, le Premier ministre oppose à ce hold-up institutionnel « la concertation avec les partenaires sociaux », qui « est le meilleur moyen de prendre les bonnes décisions ».

Mais sa promesse n'a leurré personne dans le monde syndical. « Le Gouvernement nous met le couteau sous la gorge », a déclaré Bernard Thibault de la CGT. « Où est le dialogue social dans tout ça ? », s'est interrogé de son côté Jacques Voisin, de la CFTC. Quant à François Chérèque, de la CFDT, il a souligné que les ordonnances allaient « à l'encontre du dialogue social ».

Tous les syndicats s'opposent donc à ces ordonnances, que ce soient la CGT, la CFDT, la CGC, FO, la CFTC, mais également l'UNSA et Sud.

Pourquoi utiliser des méthodes aussi antidémocratiques, que nous condamnons dans leur principe même ? Tout simplement, parce que les réformes prévues par ces trois ordonnances, réclamées à cor et à cri par les trois organisations patronales - le MEDEF, la CGPME et l'UPA -, sont antisociales. Tout simplement aussi parce que vous n'assumez pas ouvertement vos choix en faveur de l'accentuation des inégalités dans le salariat, de la remise en cause des droits des salariés employés dans les très petites entreprises, ni l'ambition des libéraux de parvenir un jour à brûler le code du travail.

Qu'est-ce que le plan emploi du Gouvernement si ce n'est une resucée des préconisations des rapports Camdessus, Virville ou Cahuc et Kramarz en écho aux souhaits du MEDEF ?

La mesure phare concerne la mise en place du contrat « nouvelles embauches », octroyant « plus de souplesse à l'employeur durant les deux premières années » au nom de la facilité d'embaucher. Ce contrat pourra « être rompu avec des procédures simplifiées » durant cette période.

De plus, M. le Premier ministre a bien précisé qu'il se réservait le droit d'adapter la mesure « dans ses modalités et dans son champ d'application », confirmant ainsi la crainte des syndicats de voir cette disposition étendue à d'autres entreprises.

Le résultat, c'est une remise en cause complète de la protection des salariés. Le Gouvernement est en train de donner sur un plateau ce que réclamaient depuis des années le MEDEF et la CGPME, à savoir la déjudiciarisation du contrat de travail des salariés. L'Union des petits artisans « le demandait depuis le début », a expliqué son président.

Cela signifie que l'on pourra bientôt, en vertu du contrat « nouvelles embauches », licencier tout salarié récemment engagé sans lui fournir la moindre justification.

Par ailleurs, que vous le vouliez ou non, le contrat « nouvelles embauches » facilitera très concrètement le délit de faciès. Les femmes, les jeunes, les populations issues de l'immigration apprécieront ...

En outre, ce contrat offre à l'employeur un droit réel à tout licenciement abusif. Bientôt, il n'y aura plus de garde-fou pour les salariés. Quand on sait ce qu'un licenciement représente en termes de souffrance humaine, sociale, personnelle et familiale, ce nouveau type de contrat est inacceptable.

Reste une question, et non des moindres, soulevée par d'éminents spécialistes en droit social : comment les conseils de prud'hommes trancheront-ils si un salarié licencié attaque son employeur dans le cadre d'un contrat « nouvelles embauches » ?

Vous proposez ensuite d'atténuer l'effet de seuil dans les très petites entreprises qui embauchent un dixième salarié. L'Etat prendrait en charge les coûts supplémentaires, estimés à 5 000 euros par an. Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a précisé que le Gouvernement irait plus loin encore en prenant totalement en charge ces surcoûts pour les entreprises comptant entre dix et dix-neuf salariés.

Qu'en est-il ici de la responsabilité sociale de l'entreprise ? Désormais, les créations d'emplois - et quels emplois ! - seront financées par des fonds publics, donc par les contribuables, c'est-à-dire par les salariés eux-mêmes ! Les employeurs seraient donc totalement désinvestis de cette tâche et des responsabilités qui leur incombent.

Pour le seul budget de 2004, les allégements de charges sur les entreprises ont été, je vous le rappelle, de 17 milliards d'euros. Au titre de la taxe professionnelle, il y a encore eu 1,5 milliard d'euros supplémentaires, auquel il faut ajouter 3 milliards d'euros pour l'impôt sur le revenu. Au total, cela fait 21,5 milliards d'euros, représentant, à titre d'équivalent, 560 000 emplois payés au salaire moyen brut du secteur public.

Mesurez-vous ce gigantesque gâchis ? Mesurez-vous que, depuis 1993, ce sont 153 milliards d'euros d'exonération ?

Outre l'allégement des diverses contributions que l'Etat va prendre à nouveau en charge - pour 4,5 milliards d'euros en 2006 -, ces mesures posent la question du torpillage de la mise en place des structures représentatives du personnel dans l'entreprise.

Ces mesures constituent donc une remise en cause larvée, mais brutale, du code du travail, entraînant de fait une modification substantielle de la législation sociale, mais aussi fiscale, et également une remise en cause implicite des conventions collectives passées entre les partenaires sociaux.

Quant aux chômeurs, une nouvelle fois stigmatisés, vous leur appliquez la double peine : le Gouvernement prévoit de renforcer les contrôles et les sanctions afin de les rendre plus vulnérables pour leur imposer toujours plus de précarité. Le renforcement du contrôle des chômeurs est, en effet, un des objectifs de ces ordonnances.

Dans le langage flou du Gouvernement, le but est d'atteindre un « équilibre entre droits et obligations » du chômeur. Concrètement, le chômeur n'aura plus de droits, seulement des obligations, et qu'importe si tout cela se fait alors même qu'il est avéré que les cas de fraude sont marginaux !

Le nouveau dispositif prévoit deux nouveautés essentielles.

Tout d'abord, le contrôle se fondera sur « la qualification professionnelle de l'allocataire et sa capacité d'insertion professionnelle », ainsi que sur « l'état du marché du travail ». En d'autres termes, les garde-fous tombent. Il faudra s'adapter à l'offre imposée et accepter les sales boulots avec de mauvaises conditions de travail, de faibles salaires, le temps partiel et l'éloignement géographique.

Par ailleurs, le bâton est confié aux ASSEDIC qui versent les allocations. Les ASSEDIC, gérées par le MEDEF, auront toute latitude pour faire des économies et purger le plus possible leurs fichiers, en faisant fonctionner à plein les suspensions d'allocations au moindre refus d'emploi. C'est déjà ce qui se pratique pour le versement du RMI, avec des radiations par milliers dans nombre de départements !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce serait plutôt des inscriptions par milliers !

M. Roland Muzeau. Le ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, Gérard Larcher, s'est voulu rassurant en soulignant que la sanction finale revenait à « l'Etat, au représentant de l'Etat dans le département ». Qui croyez-vous que cela va rassurer ?

Rappelons-nous encore ! Les gouvernements Raffarin ont facilité le recours aux licenciements, ont brisé la hiérarchie des normes, ont individualisé les rapports entre employeurs et employés, ont multiplié les contrats précaires, ont dérégulé le temps de travail, ont libéré les contingents d'heures supplémentaires, ont renforcé le contrôle des chômeurs, ont développé les statuts précaires comme les contrats d'insertion-RMA, ont flexibilisé tous les secteurs professionnels et fait augmenter le chômage, ont bouleversé notre système de retraites, ont supprimé un jour férié, ont remis en cause l'assurance maladie. Votre bilan, c'est, entre autres, tout cela ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Comment alors se situer dans un tel débat qui n'est en fait qu'une mascarade destinée à convaincre les Français que le Gouvernement agit pour l'emploi alors qu'en réalité il continue à vouloir masquer le chômage derrière le sous-emploi, au plus grand bénéfice de la financiarisation de l'économie ?

Vous ne convaincrez pas, monsieur le Premier ministre, les travailleurs de Nestlé, ceux de Sediver, de la Samaritaine, de STMicroélectronique et de tant d'autres encore.

Mme Hélène Luc. Le Premier ministre est parti !

M. Roland Muzeau. Mais oui, le Premier ministre est parti, cela ne l'intéresse pas !

Le groupe CRC a formulé, texte après texte, au cours des trois dernières années, des propositions concrètes pour la relance de l'économie, pour la création d'emplois, publics et privés, pour l'augmentation du pouvoir d'achat et contre la précarité, pour le développement de la concertation avec les organisations syndicales de salariés.

Vos amis, monsieur le Premier ministre, y sont restés sourds, aveuglés par leur dogmatisme ! Le peuple a parlé, vous n'en tenez pas compte !

Alors, monsieur le Premier ministre, sachez que le groupe CRC s'opposera à votre projet de loi, porteur pour demain de plus d'injustices encore. Votre projet est inamendable, et c'est en bloc que nous le rejetterons ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le champ de l'habilitation que vous nous soumettez est large. Il revêt une cohérence d'ensemble qui cible certains dysfonctionnements de notre économie et de notre législation. La nécessité de faire durablement baisser le chômage commande des mesures drastiques : elles n'ont que trop longtemps tardé à être prises. Acte vous sera donné d'agir avec la promptitude et l'efficacité qu'appelle la situation.

Néanmoins, vous comprendrez, monsieur le ministre, que les ordonnances que le Gouvernement veut prendre peuvent a priori laisser perplexe. Pourquoi et comment les mesures que vous préparez seraient-elles plus efficaces, sur un temps très réduit, que toutes les politiques menées depuis des décennies ?

Ne voyez pas dans l'habilitation du Parlement un blanc-seing : la stérilité du traitement économique et social du chômage depuis trente ans n'autorise pas de vaines incantations de bonne volonté pour l'avenir ! Arrêtons les constats et agissons ! Le philosophe Alain écrivait : « Réfléchissez à ceci que la pensée ne peut nullement diriger une action qui n'est pas commencée ».

Monsieur le ministre, le Gouvernement a rappelé lundi soir devant le Sénat, lors de la discussion générale sur le projet de loi pour la confiance et la modernisation de l'économie, que la plupart des PME françaises comptent moins de dix salariés. Là se situe l'un des principaux gisements d'emplois. D'ailleurs, chacun le souligne.

L'activité de ces entreprises, susceptibles de créer des emplois, ne parvient cependant pas à se relancer durablement. Le troisième trimestre 2004 apparaît historiquement faible, avec un indicateur de chiffre d'affaires en retrait de neuf points par rapport à la moyenne du premier semestre. En Ile-de-France par exemple, 32 % des PME ont subi, au dernier trimestre 2004, une baisse de leur rentabilité.

Selon une enquête récente, réalisée sur notre pays à l'échelon européen, 30 % de ces entreprises mettent en cause les réglementations et les contraintes administratives pesant sur elles. Pourquoi, depuis plus de trente ans, les politiques menées n'ont-elles pas abouti à réduire durablement le chômage, ce qu'ont réussi la plupart de nos voisins ?

Pourquoi, en l'espace de dix ans seulement, des pays comme le Royaume-Uni, l'Irlande ou le Danemark ont-ils pu faire baisser leur taux de chômage de dix points ? Pourquoi l'Espagne est-elle en mesure de présenter un taux de chômage inférieur à celui de la France, laissant cette dernière au vingt-deuxième rang de l'Union européenne ? Pourquoi les coûts salariaux horaires français, et non les salaires, ont-ils augmenté de 25 % entre 1996 et 2004 ? Pourquoi les indicateurs de compétitivité de l'économie française sont-ils inférieurs à ceux du Royaume-Uni, des Etats-Unis, du Japon, de l'Europe orientale ou des pays émergents d'Asie ?

L'indicateur de confiance des ménages a perdu vingt-neuf points entre mai 2004 et mai 2005. Les perspectives de commandes des PME sont médiocres. Le taux de chômage des jeunes âgés de quinze à vingt-quatre ans - 23,3 % en avril 2005 - est à un niveau inacceptable lorsque l'on songe, de surcroît, que 49 % des jeunes actifs occupant un emploi étaient, en 2004, en situation précaire.

La lourdeur des prélèvements obligatoires et l'ampleur des déficits publics sont autant de handicaps structurels qui grèvent irrémédiablement notre économie et le niveau de l'emploi. L'honnêteté intellectuelle me conduit à affirmer que l'impôt moderne doit être désolidarisé des coûts de production. La détérioration des termes de l'échange, certes en partie imputable à la hausse du prix des hydrocarbures, montre que nous ne pouvons plus compter sur la seule consommation pour affermir nos performances économiques.

La réduction significative du chômage chez nos partenaires s'est toujours accompagnée d'un effort drastique de réduction de la dépense publique et des déficits. Or, selon la direction du Trésor, notre pays ne prend pas le chemin de cet assainissement des comptes publics. Bien au contraire ! Nous ne pouvons plus reporter sine die ni l'assainissement réel des finances de l'Etat ni même une très significative réduction de ses dépenses de personnel.

La pression fiscale - 43,8 % de prélèvements obligatoires en 2005 - étouffe les initiatives aussi bien des personnes physiques que des entreprises. Tant que l'Etat n'aura pas restructuré sa dépense, nous ne pourrons que déplorer les phénomènes de nomadisme fiscal, de délocalisations et de non-localisations. Je regrette la trop faible réduction des postes de fonctionnaires programmée pour 2006 : 5 000 au lieu des 10 000 initialement prévus. Le Gouvernement manque là d'un courage dont l'absence lui sera reprochée par tous les réalistes.

La recherche d'un nouveau souffle pour notre économie passe évidemment par le développement des emplois non aidés ou inhérents à la sphère publique.

Il faut une véritable mobilisation du Gouvernement et du législateur pour libérer des énergies créatrices. C'est bien du côté de la qualité de la vie économique de nos entreprises que nous devons porter nos efforts, sans ambages ni demi-mesure.

Entreprise et emploi sont indissociables. Je prends acte de votre volonté, au travers du dispositif des contrats « nouvelles embauches », de « débloquer le plus d'emplois possibles, là où ils sont ».

Je souhaite que la création de dispositifs simplifiés au profit des très petites entreprises pour les déclarations d'embauche et de paiement des cotisations sociales soit un premier pas vers un processus général d'allègement des contraintes administratives et financières affectant les PME.

Les rapports Virville, Marimbert et Camdessus ont clairement montré que notre système privilégie les emplois existants au détriment des embauches nouvelles. Précisément, ce système corsète les entreprises dans un imbroglio réglementaire rigide au lieu de favoriser leur adaptation rapide à un contexte économique en perpétuel mouvement. Pourquoi n'a-t-on pas tenu compte, à ce jour, des préconisations révélées par ces rapports ?

Au surplus, deux exemples peuvent illustrer le paradigme du mal économique français.

Je citerai tout d'abord le cas des artisans qui travaillent seuls et qui souhaiteraient embaucher. La plupart d'entre eux sont trop excédés par les charges sociales et les complexités administratives pour être dans l'état d'esprit de créer un emploi, alors même que leur activité le leur permettrait. De plus, ils ont souvent la conviction, justifiée ou non, que, s'ils embauchaient un salarié, leur revenu baisserait.

Le second exemple, toujours aussi probant, que j'évoquerai concerne les effets de seuil. Nombre de PME préfèrent éviter l'embauche d'un dixième salarié, alors que leur activité le justifierait. Cette embauche est synonyme d'une hausse de charges de 13 %, soit l'équivalent d'un salaire sacrifié. Une entreprise sur deux a ainsi renoncé à embaucher un dixième salarié, alors que le gain net en emplois est estimé, selon des sources concordantes, à 50 000 postes. Cette même dynamique négative se retrouve dans les entreprises approchant le seuil de cinquante salariés.

Incontestablement, les pouvoirs publics ne peuvent plus faire supporter à ces PME l'archaïsme de seuils dont la définition n'apparaît absolument pas justifiée au regard de la structure économique de la France. Le moment est venu de les modifier, et de passer d'un seuil de dix à un seuil de vingt, et de celui de cinquante salariés à celui de deux cent cinquante salariés. Je soutiendrai donc ces mesures indispensables pour placer nos PME dans un contexte microéconomique moins contraignant.

Que l'on comprenne bien que l'amélioration des résultats économiques n'est en rien synonyme, comme d'aucuns voudraient le faire croire, de régression sociale ! Il ne s'agit pas ici de verser dans un schématisme idéologique qui sacrifierait irrémédiablement la performance économique.

Il est autrement plus cohérent et de bon sens de repousser le seuil de déclenchement que de faciliter le passage des seuils critiqués en le subventionnant, ce qui serait un signal négatif et inutile.

Les courbes relatives au nombre de salariés par entreprise nous démontrent que cette réforme se passerait sans rupture sociale. Opposons-nous à toute nouvelle aggravation des dépenses publiques alors que l'aménagement de l'environnement législatif et réglementaire parviendrait aux mêmes fins, sans porter atteinte à l'environnement social des entreprises.

La consolidation de notre économie passe bien évidemment en premier lieu par la création de richesses et aussi par la consommation. Le traitement social du chômage est non pas une fin en soi, mais plutôt la manifestation de l'indispensable solidarité de la nation à l'égard des personnes les plus démunies. Mais gardons à l'esprit le fait qu'il n'est plus possible de faire supporter aux futures générations les conséquences des errements des politiques !

On ne peut encourager la croissance, et donc la sauvegarde de l'économie nationale, en raisonnant dans le seul cadre national : en cela, les partenaires sociaux et la classe politique sont coupables. La loi française persévère dans la méconnaissance de la réalité de la mondialisation et favorise la lente destruction du tissu économique français.

Les contraintes accumulées sont toutes non seulement facteurs de délocalisations, mais - plus grave encore - de non-localisations. Le marché mondial est ainsi fait que ce que nous empêchons d'être produit en France est néanmoins vendu sur le marché français. En accumulant ces contraintes, nous délocalisons notre savoir-faire et nos profits, le tout financé par le consommateur français.

Monsieur le ministre, le groupe du RDSE, dans sa diversité, prend acte de votre volonté d'enrayer de façon pérenne la courbe erratique du chômage. La formulation du projet de loi d'habilitation reste suffisamment large pour que vous possédiez les marges de manoeuvre nécessaires à la mise en oeuvre d'un électrochoc macroéconomique pour notre pays. Nous attendrons de voir les résultats de ces mesures. Aujourd'hui, une majorité d'entre nous placent sa confiance en vous et approuveront l'habilitation. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous avons pu le constater, l'arrivée de M. le Premier ministre à l'Hôtel Matignon s'est faite dans un contexte particulièrement difficile, et sa déclaration de politique générale montre au moins qu'il en avait conscience. A travers leur vote du 29 mai, les Français ont exprimé leurs inquiétudes, leurs angoisses, mais aussi leurs espoirs et leur volonté de changement.

M. le Premier ministre a tout à faire pour obtenir la confiance des Français. Pourtant, d'entrée de jeu, il commet, à mon sens, une double erreur : erreur sur la méthode, erreur sur le fond.

La première erreur, c'est de préférer l'impératif de l'urgence et de la précipitation à celui de la concertation.

L'urgence : l'argument est de poids ! Alors que la croissance ne cesse de faiblir et que le taux de chômage commence tout juste à stagner après avoir continuellement augmenté depuis trois ans, on comprend que le Gouvernement veuille jouer la bataille de l'urgence. Mais cette bataille de l'emploi est si importante qu'il faut prendre le temps de la concertation. M. le Premier ministre oublie que l'efficacité d'une réforme ne tient pas seulement à la rapidité de sa mise en oeuvre. Sinon, les gouvernements de M. Raffarin auxquels il a participé auraient eu plus de succès, l'urgence ayant souvent été invoquée.

L'efficacité d'une réforme tient tout autant à l'adhésion qu'elle rencontre. De cette adhésion dépend la mobilisation des acteurs et des partenaires, car il ne suffit pas de décréter unilatéralement la bataille de l'emploi pour s'assurer de son efficacité.

De ce point de vue, la procédure des ordonnances est détestable et contreproductive. Elle est détestable à l'égard du Parlement, dont les droits sont restreints, et je ferai observer que l'ancien ministre de l'intérieur, qui avait aimablement mis en doute la légitimité du Premier ministre à l'égard des Français, veut se passer d'emblée de celle qui est liée au débat parlementaire.

Bien sûr, la procédure des ordonnances est prévue par la Constitution et a déjà été largement utilisée par des gouvernements de droite comme de gauche. Faisons donc un examen comparatif !

Le gouvernement de M. Pierre Mauroy a eu recours aux ordonnances pour mettre en oeuvre non seulement la semaine de 39 heures et la cinquième semaine de congés payés - ce sont deux éléments de progrès social, personne ne le contestera -, mais aussi, à l'époque, les nationalisations. Il s'agissait alors de permettre l'exécution d'un programme qui venait d'être validé par les électeurs, ce qui n'est pas, bien au contraire, le cas du présent gouvernement.

M. Lionel Jospin, quant à lui, n'a jamais eu recours aux ordonnances dans le domaine de la politique intérieure. La réforme des 35 heures, par exemple, a été menée à bien avec et devant le Parlement, malgré une majorité relative à l'Assemblée nationale et un Sénat pour le moins hostile. Ce n'est pas le cas du gouvernement actuel, qui a la majorité absolue, ou presque, dans les deux assemblées.

Pour ce qui est des résultats du gouvernement Jospin, notamment dans le domaine de l'emploi, ils sont incontestables et il ne faudrait pas les oublier : 600 000 emplois créés, 700 000 chômeurs en moins.

La procédure des ordonnances est également contreproductive. Les Français comprennent bien que le Gouvernement, loin de vouloir convaincre, cherche à faire passer en force des mesures discutables. L'histoire le démontre amplement : tous les gouvernements qui, au motif d'aller vite, ont usé de cette procédure et ont voulu faire l'économie d'un débat en ont ultérieurement payé le prix. Des ordonnances de 1967 du général de Gaulle à celles de M. Juppé en 1996 - il doit les regrette encore ! - en passant par celles de M. Chirac en 1986, le gain de temps a été illusoire et les effets pervers de la procédure ont été plus importants que ses effets supposés positifs à l'origine.

Il existe, par ailleurs, une procédure d'examen des textes en urgence par le Parlement, ainsi que la possibilité de siéger en session extraordinaire - c'est d'ailleurs le cas actuellement. Le prédécesseur de M. le Premier ministre a largement fait usage de ces deux possibilités, certes sans réel succès !

Dans le cas qui nous réunit aujourd'hui, le constat est encore plus grave. Le Gouvernement, non content de mettre le Parlement sur la touche - ce dernier commence à en avoir l'habitude depuis trois ans -, fait également peu de cas des prérogatives des partenaires sociaux. Oubliées, les promesses de M. Fillon dans la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social : il avait tout de même été indiqué dans l'exposé des motifs que rien ne serait fait en matière sociale qui ne soit précédé d'une consultation, d'une concertation, voire d'une négociation avec les partenaires sociaux !

M. Guy Fischer. C'est vrai !

M. Jean-Pierre Godefroy. A l'exception du MEDEF, toutes les organisations syndicales ont dit le mal qu'elles pensaient de votre plan d'urgence pour l'emploi. Les auditions auxquelles notre rapporteur, M. Gournac, a procédé rapidement la semaine dernière - il ne pouvait guère faire autrement - l'ont largement démontré.

Dans le cas du droit du travail, c'est encore plus grave. Venons-en au fait ! Comme je l'ai déjà dit à M. le Premier ministre lorsqu'il est venu demander la confiance du Sénat, le plan d'urgence qui nous est proposé n'est fait que de vieilles recettes de traitement faussement social du chômage et de nouvelles recettes bien libérales ; bref, un catalogue de mesures qui ne pourront répondre à la gravité de la situation. Le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale est encore plus abscons et vague que le texte d'origine : nous sommes devant un véritable écran de fumée !

Le passif dans le domaine de l'emploi des gouvernements auxquels le Premier ministre a participé depuis 2002 est réel. Si certains éléments économiques échappent aux capacités d'intervention d'un gouvernement, le choix d'avoir ou non une politique de l'emploi et de décider laquelle lui revient. Dans ce domaine, nous avons pu assister, depuis 2002, à deux épisodes sur lesquels j'aimerais attirer l'attention de mes collègues.

La première époque, jusqu'en 2004, a consisté à supprimer les dispositifs qui avaient été créés ou recadrés par le gouvernement de gauche :...

M. Jean-Pierre Godefroy. ...suppression des emplois-jeunes, diminution drastique des contrats emploi-solidarité et des contrats emplois consolidés, abandon du programme TRACE, ou Trajet d'accès à l'emploi ; ce furent de graves erreurs que nous avions largement dénoncées à l'époque.

On peut résumer cette politique en indiquant que tout système public ou associatif a été l'objet d'une destruction programmée, alors que, dans le même temps, des dispositifs orientés vers le seul secteur marchand étaient mis en place, essentiellement par l'allégement des cotisations sociales patronales qui, il ne faut pas l'oublier, représentent 55 % des dotations du budget de l'emploi pour 2005, soit 17,7 milliards d'euros.

Dans un contexte économique mondial qui commençait à se dégrader après la période 1998-2001, cette option très libérale s'est révélée particulièrement mal adaptée ; nous en payons le prix aujourd'hui.

Les chiffres du chômage ont augmenté, malgré un apurement déterminé des fichiers de l'ANPE. On compte aujourd'hui officiellement 10,2 % de chômeurs, en augmentation de 2,1 % sur un an. En catégorie 1, ils seraient 2 487 000 ; mais si l'on ajoute les personnes travaillant moins de soixante-dix-huit heures par mois, leur nombre atteint 2 940 000. Cette dernière donnée englobe une partie des chômeurs et des personnes en situation précaire, mais ne reflète pas pour autant la gravité de la situation.

Il faut aussi rappeler l'augmentation de 8 % du chômage de longue durée en un an, soit 778 000 personnes, dont l'augmentation de 17,5 % des chômeurs depuis deux ou trois ans. Le chômage des jeunes a aussi progressé de 3,2 % en un an, pour atteindre 448 000 jeunes. Le nombre de chômeuses s'est par ailleurs accru de 100 000 en trois ans, alors qu'il avait baissé de 471 000 pendant la législature de Lionel Jospin.

La deuxième époque est arrivée après le désastre électoral de 2004 et a amené M. Borloo au ministère de l'emploi, avec une inflexion apparemment nette de la politique suivie jusqu'alors par M. Fillon. On a vu le retour des contrats aidés, y compris dans le secteur non marchand, dans des proportions inusitées, tout au moins au stade des promesses et de l'affichage, le désengagement de l'Etat se poursuivant avec la création des maisons de l'emploi et, en ligne de mire, le regroupement, au moins fonctionnel, de la « gestion » des chômeurs par l'ANPE et l'UNEDIC.

La lutte contre le chômage passe non par l'adoption de quelques mesures phares, mais par le retour du cocktail « croissance forte, soutien à la consommation et politique active de l'emploi ».

Vous avez évoqué à plusieurs reprises des modèles étrangers dont nous devrions nous inspirer, et notamment le modèle danois dit de « flexisécurité », mais vous n'en retenez que la flexibilité et pas la sécurité. Vous avez en revanche omis de citer quelques-unes de vos autres sources que sont, par exemple, les rapports Camdessus, Virville, Kramarz !

Venons-en au texte qui nous est proposé.

Le contrat « nouvelles embauches » est un avatar inquiétant du fameux « contrat de mission » proposé par le rapport Virville : un contrat de flexibilité maximale pour l'employeur et de sécurité minimale pour le salarié ; un contrat qui pose de nombreuses questions juridiques quant à sa légalité.

Vous avez d'ailleurs commencé à vous en apercevoir puisque vous n'évoquez plus, désormais, une période d'essai, laquelle relève des conventions collectives et non de la loi, mais une période d'adaptation à l'emploi, une période probatoire de deux ans pendant lesquels le salarié pourra voir son contrat interrompu sans réelles formalités. Que deviennent l'entretien préalable, la motivation de la décision, le préavis, etc. ? Vous inventez bien, par cette mesure, le salarié « kleenex » !

Qui plus est, vous instaurez une flexibilité que vous faites supporter à l'assurance chômage. Dois-je vous rappeler que l'UNEDIC aura accumulé un déficit de près de 14 milliards d'euros en cette fin d'année ?

Le contrat « nouvelles embauches » préfigure sans aucun doute la fin du contrat à durée indéterminée, d'abord dans les petites entreprises et demain, probablement, dans les plus grandes. On est déjà passé, selon les dires contradictoires de certains ministres, d'un contrat réservé aux entreprises de moins de dix salariés à celles de moins de vingt salariés -certains ont même évoqué cinquante salariés. Dans six mois, dans un an, ces seuils sauteront ; soyons-en sûrs !

Le travail précaire est déjà la règle aujourd'hui. Actuellement, trois cinquièmes des contrats de travail sont des contrats à durée déterminée ou des contrats d'intérim. Le contrat « nouvelles embauches » ne fera que renforcer cette tendance. Son effet sur le nombre d'emplois susceptibles d'être créés est totalement incertain. Vous ne présentez d'ailleurs aucune étude d'impact,...

Mme Nicole Bricq. C'est vrai, il faut le dire !

M. Jean-Pierre Godefroy. ...mais son effet sur la situation du salarié est quant à lui certain.

Savez-vous, monsieur le ministre, que, hors les palais de la République, il faut aujourd'hui, pour louer un appartement, des conditions de plus en plus strictes, un voire deux CDI, des cautions multiples, etc. ?

M. Jean-Pierre Sueur. Eh oui, c'est vrai !

M. Jean-Pierre Godefroy. Que dira à l'agent immobilier ou au propriétaire un salarié voulant louer un appartement : « Pas de problème, mon contrat peut être rompu du jour au lendemain pendant deux ans, mais j'aurai droit à un accompagnement renforcé par le service public de l'emploi ! ». (Rires et exclamations sur les travées du groupe CRC.) Croyez-vous qu'il va trouver un logement ? C'est une gageure de considérer ce nouveau contrat comme une bonne solution, tout au moins pour le salarié.

M. Alain Gournac, rapporteur. On va attendre vos propositions !

M. Jean-Pierre Godefroy. La deuxième mesure phare est le « chèque emploi TPE ». En 2003, nous avons eu le TESE, ou titre emploi simplifié entreprise, qui permettait déjà de simplifier les procédures - contrat, déclaration préalable, etc. - liées à l'embauche d'un salarié. Il ne restait plus qu'à en faire également un moyen de paiement, et c'est l'objet du « chèque emploi TPE ». L'échec du TESE est patent, notamment parce que le secteur des PME auquel il est destiné relève de très nombreuses conventions collectives. Faire de ce titre un chèque n'y changera rien !

Par ailleurs, quelle sera son articulation avec le chèque-emploi-service universel, le CESU, proposé par M. Borloo dans le projet de loi relatif au développement des services à la personne et à diverses mesures en faveur de la cohésion sociale ?

S'agissant du « chèque emploi TPE », ce qui est également regrettable, c'est que le Parlement aurait dû en débattre dans le projet de loi en faveur des petites et moyennes entreprises si cette mesure n'avait été retirée en cours de discussion - il est vrai que les rapporteurs des commissions des affaires économiques et des affaires sociales ont fait part de leur scepticisme quant à l'efficacité de cette disposition.

Le Parlement avait déjà été privé de débat sur le TESE, souvenez-vous, là aussi prévu dans la loi pour l'initiative économique et finalement inclus dans la première loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit du 2 juillet 2003. Même ministre, même schéma pour le « chèque emploi TPE » !

Vous n'entendez pas nos critiques et nos propositions, ni celles des organisations professionnelles et syndicales, qui font toutes part de leurs réserves à l'égard de ce dispositif qui, une fois de plus, éloigne le salarié du droit commun pour mieux le précariser.

Quant aux moyens de contrôle, ils sont limités. Pour cinq heures déclarées donnant accès à la couverture accidents du travail-maladies professionnelles, combien d'heures ne sont pas déclarées ? Les syndicats ont raison de craindre une opération de blanchiment du travail illégal, ce qui aura au moins le mérite de faire baisser quelque peu les statistiques du chômage- mais ce n'est pas un but en soi.

Oserai-je dire, monsieur le ministre, que vous inventez, au moins pour les entreprises, l'opting out à la française que vous prétendez combattre au niveau européen ?

La troisième mesure envisagée est « la neutralisation des effets de seuil ». La démonstration a été faite que toutes les politiques d'exonération de cotisations patronales effectuées depuis des décennies ne favorisent pas l'emploi. Aujourd'hui, le patronat bénéficie de 20 milliards d'euros d'exonération, sans aucune contrepartie en termes d'emploi !

Bien au contraire, les politiques publiques successives consistant à faire baisser le coût du travail ont tiré vers le bas l'ensemble des rémunérations. Il en est ainsi, par exemple, du bénéfice d'exonérations à hauteur de 1,6 SMIC.

M. Jean-Pierre Godefroy. La proposition, qui n'est pas dans ce texte mais que le Premier ministre a annoncée dans sa déclaration de politique générale, de supprimer, à terme, toutes les charges sur le SMIC et d'alléger les charges pour les entreprises de moins de dix salariés aggravera cette situation et fragilisera encore plus les finances de la sécurité sociale.

M. Jean-Pierre Godefroy. Les autres victimes collatérales de cette neutralisation des effets de seuil sont les collectivités locales ou les bailleurs sociaux.

Pour le versement transport, par exemple, ce sont 450 millions d'euros que vous allez neutraliser pour les collectivités. Bien sûr, vous nous dites que vous les compenserez à l'euro près.

M. Guy Fischer. Ce n'est pas vrai !

M. Roland Muzeau. Menteurs !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Personne n'y croit !

M. Jean-Pierre Godefroy. On sait ce qu'il faut penser des compensations, toutes les collectivités territoriales peuvent en témoigner ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. Ah ça, oui !

M. Jean-Pierre Godefroy. C'est la même chose pour le 1 % logement, soit 160 millions d'euros.

Ce n'est pas la pratique de « l'euro près » des lois de décentralisation telle qu'elle est appliquée aujourd'hui qui nous rassurera !

Une autre disposition est le non-décompte dans l'effectif de l'entreprise des jeunes de moins de vingt-six ans. Monsieur le ministre, je m'interroge sur la conformité de cette mesure avec les conventions internationales du travail, dont la France est signataire, et avec les recommandations de l'OIT.

Il s'agit, en effet, d'une discrimination à l'égard des jeunes qui se retrouvent traités comme des sous-salariés. S'ils ne comptent pas dans l'effectif de l'entreprise, pourront-ils tout de même exercer leurs droits de salarié, par exemple pour les élections des représentants du personnel ? (M. Roland Muzeau s'exclame.)

Un jeune de moins de vingt-six ans, monsieur le ministre, peut être député, maire, élu local ; mais en entrant dans l'entreprise, il devient un citoyen de deuxième zone, privé de son droit de représentativité !

M. Guy Fischer. C'est le vrai visage du MEDEF !

M. Jean-Pierre Godefroy. L'entreprise ne peut pas être un champ clos exonéré des droits démocratiques dévolus à chaque citoyen, quel que soit son âge ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Nous y reviendrons lors de l'examen de l'alinéa concerné.

M. Josselin de Rohan. On s'excite ?

M. Roland Muzeau. Forcément, on est plus nombreux que vous : la droite n'est pas là pour défendre son projet !

M. Jean-Pierre Godefroy. Vous feriez bien, vous aussi, de vous exciter un peu sur ce sujet !

J'ai pris l'exemple des représentants du personnel - enfin, s'il y en a toujours ! En effet, cette disposition permettra à certains employeurs d'échapper aux obligations légales représentatives dues aux effectifs : dix salariés pour les délégués du personnel et cinquante salariés pour les comités d'entreprise notamment.

Mme Catherine Tasca. C'est le but !

M. Jean-Pierre Godefroy. Dans certains secteurs ou dans certaines entreprises qui embauchent quasi exclusivement des jeunes, c'est le droit syndical lui-même qui est menacé. Ces dispositions sont intolérables !

Je dirai un mot des deux mesures relatives à la fonction publique.

La mesure relative à la suppression des limites d'âges a surtout une portée symbolique, dans la mesure où les limites d'âge aux concours de la fonction publique territoriale sont déjà supprimées et où un grand nombre de dérogations existent dans la fonction publique d'Etat. Mais ce n'est qu'un pis-aller : entrer dans la fonction publique à cinquante ans, ce ne sera pas suffisant pour se constituer, par exemple, des droits à la retraite. En l'espèce, la loi Fillon réformant les retraites est extrêmement pénalisante.

M. Guy Fischer. Les mères de famille le savent !

M. Jean-Pierre Godefroy. Quant à la mesure relative à l'apprentissage dans les collectivités locales, j'ai déjà eu l'occasion de dire à M. Borloo - décidément, il ne reste jamais pour m'écouter ! (sourires) - que nous l'attendions favorablement. Elle figurait déjà au programme 4 de son plan de cohésion sociale, présenté en conseil des ministres en juin 2004, et a déjà été expérimentée avec succès dans un certain nombre de collectivités. Fallait-il attendre un an pour s'en saisir par ordonnance ?

Nous avons également proposé à M. Borloo de nous présenter un texte de refondation de l'apprentissage. Il s'agit d'une filière de formation d'avenir, mais on se contente de la retoucher au fil des textes, souvent dans un sens régressif d'ailleurs - travail de nuit, les jours fériés et le dimanche pour les apprentis mineurs. La filière apprentissage mérite mieux que cela !

Pour ces deux mesures, le recours aux ordonnances est justifié non par une urgence particulière, mais par la volonté de contourner les partenaires sociaux et le débat parlementaire.

En effet, ces deux dispositions figuraient dans l'avant-projet de loi portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique, soumis au Conseil supérieur de la fonction publique d'Etat le 16 juin dernier.

La majorité des fédérations de fonctionnaires ont rejeté le projet de loi : la CGT, la FSU et l'Union nationale des syndicats autonomes, l'UNSA, ont voté contre ; la CFDT et la CFTC se sont abstenues.

Le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, lui, aurait été saisi le 6 juillet - donc hier - du projet de décret d'application du dispositif PACTE. Bel exemple, si c'est le cas, de concertation et de respect à l'égard du Parlement qui, je le rappelle, ne vous a pas encore accordé l'habilitation.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous communiquer dès maintenant ce projet de décret, si tel est le cas ? Sinon, il nous faudra le demander aux organisations syndicales.

A propos de l'extension du service militaire adapté à la métropole, le principe est intéressant ; c'était d'ailleurs une idée formulée voilà déjà plus d'un an par MM. Masseret et Pelchat, qui proposaient d'abord une expérimentation. Cette dernière n'a jamais eu lieu, car elle n'a jamais été acceptée ! Aucune suite n'a donc été donnée à cette proposition.

Le flou et l'inconsistance du dispositif que vous annoncez aujourd'hui semblent plutôt être les produits de la précipitation et de l'improvisation. Ils risquent de nuire fortement à d'éventuels effets bénéfiques.

Nous aurons de nombreuses questions pratiques à vous poser lors de la discussion de ce cinquième alinéa, mais une interrogation s'impose. Mme le ministre de la défense et l'état-major n'ont jamais montré beaucoup d'enthousiasme à l'idée d'étendre à l'Hexagone le service militaire adapté en vigueur outre-mer. Qu'en est-il aujourd'hui ? Quelle en serait l'incidence sur le budget de la défense ? Il s'agit, certes, d'une question annexe, mais qui n'est pas sans importance !

Je veux également dire un mot sur les primes versées sous forme de crédit d'impôt de 1000 euros aux chômeurs retrouvant un emploi et aux jeunes de moins de vingt-six ans qui accepteront un emploi dans les secteurs professionnels connaissant des difficultés de recrutement. Ces deux mesures viennent s'ajouter aux études sur la réforme de la prime pour l'emploi, afin de l'augmenter et de la verser mensuellement pour la rendre immédiatement attractive.

S'agissant des secteurs qui connaissent des difficultés de recrutement, on sait parfaitement, et depuis longtemps, qu'il s'agit pour l'essentiel du BTP et des métiers de bouche ; certains demandeurs de nombreuses dérogations ont d'ailleurs suscité récemment les foudres de M. Larcher ! Je ne crois pas qu'une aide fiscale ponctuelle suffise à les rendre attractifs. Les conditions indispensables pour développer l'emploi dans ces secteurs concernent l'amélioration des conditions de travail, des perspectives de carrières et des salaires. Ce sont les seules conditions qui soient pérennes !

Mme Raymonde Le Texier. Absolument, mais ils le savent !

M. Guy Fischer. Très bien !

M. Jean-Pierre Godefroy. De manière générale, le crédit d'impôt aux salariés sous-payés comme les exonérations de cotisations sociales patronales sous plafond de salaire à 1,6 SMIC constituent une prime aux bas salaires, une subvention aux employeurs, ce qui incite ces derniers à continuer ces pratiques. Cela revient à faire subventionner le maintien des bas salaires par la collectivité.

Mme Raymonde Le Texier. Parfaitement !

M. Jean-Pierre Godefroy. Nous sommes là non dans le cas d'une charge compensée par une allocation - comme les allocations familiales - mais bien dans celui d'une prestation destinée à compenser la pauvreté du même ordre qu'un minimum social.

Monsieur le ministre, je n'irai pas plus avant dans le catalogue des dispositions contenues dans ce plan d'urgence pour l'emploi, car nous aurons l'occasion d'y revenir largement lors de l'examen des articles. Mais vous l'aurez compris, tant la méthode que le contenu de ces futures ordonnances ne peuvent nous satisfaire.

M. Alain Gournac, rapporteur. On l'avait compris !

M. Jean-Pierre Godefroy. En effet, vous attribuez le chômage à des causes qui sont fausses : rigidité du code du travail et difficulté des entreprises à embaucher pour des raisons administratives et financières. Vous allez bientôt nous dire que, si Paris n'a pas été retenu pour organiser les jeux Olympiques, c'est à cause du code du travail ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Vous proposez de mauvaises solutions, aggravant seulement la flexibilité et la précarité du salariat. Monsieur le ministre, le salarié n'est pas une charge pour l'entreprise, il est une richesse ; l'embauche n'est pas un risque - même si c'est difficile -, elle est une chance pour l'entreprise !

Quant aux 4,5 milliards d'euros annoncés pour 2006, tous les doutes sont permis. M. Breton l'a dit : les marges budgétaires sont inexistantes,...

M. Josselin de Rohan. Vous ne nous avez rien laissé !

M. Alain Gournac. De beaux cadeaux !

M. Jean-Pierre Godefroy. ... la dette publique est passée de 58,2 % du PIB en 2002 à presque 65 % du PIB aujourd'hui, la charge de la dette absorbant la quasi-totalité du produit de l'impôt sur le revenu. Le déficit public a atteint les 3,6 % du PIB en 2004 : ce n'est pas nous, ça !

Quant aux comptes sociaux, leur déficit sera encore supérieur à 10 milliards d'euros - ce n'est pas nous non plus ! -malgré les mesures drastiques que vous avez mises en place.

M. Roland Muzeau. Quel fiasco !

M. Jean-Pierre Godefroy. A l'évidence, il y a peu à attendre des mesures que vous nous annoncez et vous aurez bien du mal, avec elles, à atteindre les objectifs que vous vous fixez. Je ne crois pas un seul instant que vous réussirez à faire baisser le chômage.

Mme Raymonde Le Texier. Eux non plus n'y croient pas ! Ils soignent leur électorat, c'est tout !

M. Alain Gournac, rapporteur. Ne soyez pas pessimiste, monsieur Godefroy !

M. Jean-Pierre Godefroy. C'est la réalité, monsieur le rapporteur. Il faut être objectif et ne pas chercher à s'aveugler ! Vous aurez du mal à faire baisser le chômage et à regagner la confiance des Français grâce à ces mesures ! Même l'effet d'affichage escompté a d'ores et déjà échoué !

Telles sont toutes les raisons pour lesquelles nous nous opposerons à l'habilitation que le Gouvernement nous demande. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le philosophe Alain le soulignait, le pessimisme est d'humeur.

Oui, nos concitoyens sont attentistes, car ils ressentent que la France est comme en difficulté...

M. Jean-Pierre Sueur. Ils ressentent bien !

Mme Marie-Thérèse Hermange. ... et que le chômage est le principal problème rencontré par tous les gouvernements depuis trente ans, monsieur Godefroy !

Nos concitoyens expriment ce malaise très clairement, telle la fédération des très petites entreprises, qui nous a envoyé hier un e-mail : « SOS, TPE cherchent main-d'oeuvre » ; le texte poursuivait : « véritable gisement de postes à pourvoir, les TPE seraient en mesure de recruter rapidement si toutes les conditions étaient réunies et si les contraintes administratives étaient levées ». (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.)

Certes, nombre de mesures ont été adoptées, mais les résultats n'ont pas été à la hauteur des attentes. D'où, les recours au traitement social du chômage, à la réduction du temps de travail et à l'augmentation concomitante des prélèvements pour financer ces dépenses, pratiques auxquelles tous les gouvernements que vous avez soutenus n'ont cessé de recourir, monsieur Godefroy !

Nous connaissons les résultats, et nous les payons aujourd'hui ; notre économie comme notre organisation sociale sont en difficulté.

Un journal du soir, que l'on ne peut pas beaucoup suspecter de soutenir le Gouvernement, titrait, au lendemain du 29 mai : « Le modèle social français est à bout de souffle ». Les raisons avancées dans l'article expliquent et définissent les chantiers des réformes : un écart qui se creuse entre la situation économique et la poursuite, toujours plus exigeante, du progrès social ; une préférence donnée, non à la création d'emplois, mais à la protection du travail, avec une réglementation toujours plus rigidifiée ; ...

M. Alain Gournac, rapporteur. C'est Le Monde qui l'écrit !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et alors ? Le Monde, ce n'est pas la Bible ! C'est peut-être la vôtre, mais ce n'est pas la mienne !

Mme Marie-Thérèse Hermange. ... un système éducatif laissant, chaque année, plusieurs milliers de jeunes sans qualification, comme j'ai pu le constater récemment en effectuant un travail pour l'ancien ministre de l'intérieur, Dominique de Villepin, sur la sécurité des mineurs et la protection de l'enfance. J'ai en effet rencontré des jeunes de quinze ans, monsieur le ministre, qui ne connaissaient pas les signes mathématiques d'une multiplication et d'une division !

Ainsi, notre pays est tendu. Il ne sait pas de quoi sera fait demain.

Les Français aspirent à gagner en pouvoir d'achat. Nous devons leur redonner confiance. Telle est l'entreprise que le gouvernement de Dominique de Villepin a engagée et que la commission des affaires sociales du Sénat, par les voix de son président et de son rapporteur, a soutenue, avec le groupe de l'UMP d'ailleurs.

Le Premier ministre nous propose un objectif clair, la bataille pour l'emploi, conscient que, face à l'Asie, qui veut partager les fruits de la croissance, l'exception française ne se justifiera que par l'effort. Il nous propose une méthode de travail, le bon sens, faisant fi des slogans et de la politique des « ya-qu'à » ou des « ni-ni ». Il nous propose enfin une politique, l'optimisme, conscient de la nécessité d'en sortir et d'aller à la rencontre de la population afin qu'elle perçoive dans l'autorité du Gouvernement une partie de la solution et non le problème !

A cet effet, vous nous proposez un plan ambitieux, qui s'attaque à la fois aux obstacles au recrutement et aux coûts du travail, notamment pour les plus petites entreprises, et qui cible les demandeurs d'emploi les plus vulnérables.

Dans ces conditions, mettre le travail en avant, c'est manifester votre détermination à changer le fonctionnement de notre société qui, structurellement, limite la capacité de notre économie à créer des emplois. C'est à cette ambition que veut répondre le présent projet de loi d'habilitation.

Les gouvernements qui se sont succédé de 2002 à 2005, conduits par Jean-Pierre Raffarin, ont engagé de nombreux chantiers de réforme qui n'ont évidemment pu encore produire tous leurs effets. Il n'en est pas moins vrai qu'ils constituent un ensemble cohérent, guidé par quelques principes forts qu'il est juste de rappeler : simplification, dynamisation de la formation professionnelle et promotion du dialogue social pour mieux anticiper la gestion prévisionnelle de l'emploi ainsi que les restructurations.

Enfin, la loi de programmation pour la cohésion sociale est venue, elle aussi, offrir un ensemble cohérent de mesures.

Le gouvernement de Dominique de Villepin a décidé d'aller plus loin, conscient que l'heure est non pas au débat idéologique mais à la politique des faits et des résultats.

Mme Marie-Thérèse Hermange. C'est la seule chose qui compte pour un jeune cherchant du travail. C'est la seule chose qui compte pour un chef d'entreprise. C'est aussi la seule chose qui compte pour un gouvernement.

C'est la raison pour laquelle le choix qui nous est proposé aujourd'hui ne peut être que le choix de l'urgence : l'urgence à agir, l'urgence sans délai.

M. Jean-Pierre Sueur. Cela fait trois ans !

Mme Marie-Thérèse Hermange. C'est pourquoi la méthode des ordonnances est bien compréhensible, d'autant que le texte du projet de loi répond parfaitement aux conditions requises par l'article 38 de la Constitution. : il délimite avec précision le champ d'habilitation et prévoit les délais de parution des ordonnances ainsi que ceux du dépôt du projet de loi de ratification. Le calendrier serré illustre bien cette urgence.

C'est le choix de l'urgence, mais aussi le choix de l'action autour de quelques idées fortes : la vraie précarité, c'est le chômage ; le travail est constitutif du lien social ; aider nos entreprises à se développer, c'est favoriser la croissance et l'emploi.

A cet égard, miser sur le travail, c'est bien évidemment penser une politique de recherche et d'innovation par une politique de compétitivité forte ; mais c'est aussi croire dans l'éducation et donner un espoir de promotion sociale à chaque Français.

Aussi, les dispositions relatives au service militaire adapté apparaissent au groupe de l'UMP comme très prometteuses.

M. Alain Gournac, rapporteur. Absolument !

Mme Marie-Thérèse Hermange. Néanmoins, il convient aussi de lever les freins à l'emploi afin que notre marché du travail soit plus fluide, plus flexible, plus ouvert et plus efficace. C'est dans cette optique que le Gouvernement nous annonce la mise en place du contrat « nouvelles embauches ». Celui-ci répond à un vrai besoin puisqu'il permet d'interrompre la relation contractuelle en fonction du niveau d'activité de l'entreprise.

Pour autant, le contrat « nouvelles embauches », monsieur Godefroy, n'institue pas un salarié « kleenex » !

M. Michel Mercier. A la condition que soit adopté notre amendement !

MM. Yannick Bodin et Jean-Pierre Godefroy. Mais si !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est une réforme « kleenex » !

Mme Marie-Thérèse Hermange. Il n'a pas pour conséquence de précariser la situation du salarié. Au contraire, il s'agit d'une nouvelle forme d'entrée dans l'entreprise.

Par rapport au CDD, le contrat « nouvelles embauches » est un contrat pérenne. Il a vocation à devenir un CDI.

M. Yannick Bodin. La vocation ne suffit pas !

Mme Marie-Thérèse Hermange. Par rapport au CDI classique, la période d'essai est plus courte, le préavis est moins long, et, en cas de rupture au cours des deux premières années, ce contrat donne droit à une indemnité dont le montant sera connu à l'avance.

Des voix se sont élevées pour dénoncer un prétendu recul des droits.

M. Yannick Bodin. Ce n'est pas fini !

Mme Marie-Thérèse Hermange. Je voudrais rappeler que les droits à la formation professionnelle s'acquerront aussi rapidement. Les femmes enceintes continueront de bénéficier de protections spécifiques.

M. Jean-Pierre Godefroy. Heureusement !

M. Roland Muzeau. Grand merci !

M. Yannick Bodin. C'est une grande avancée...

Mme Marie-Thérèse Hermange. Le préavis sera obligatoire dès la fin du premier mois de travail. Au-delà de deux ans, les dispositions du CDI relatives au licenciement s'appliqueront. En cas de rupture abusive du contrat, le recours devant les conseils de prud'hommes sera possible. Concernant les salariés protégés, les procédures actuelles relatives à la consultation et à l'autorisation de l'inspection du travail seront bien évidemment maintenues. En tout état de cause, le contrat « nouvelles embauches » fera l'objet d'une évaluation menée en lien avec les partenaires sociaux.

La question des franchissements de seuils est ancienne et chaque majorité y a été confrontée. Le Gouvernement a pris la décision de supprimer l'obstacle des dix salariés, ce qui devrait faciliter les embauches dans les petites entreprises en expansion. La charge pour l'Etat sera largement compensée par la création d'emplois qui en résultera.

La création du nouveau chèque-emploi va dans le bon sens. Alliant dans un même document titre social et titre de paiement, il constitue une vraie simplification pour les plus petites entreprises.

S'agissant de l'accès à la fonction publique, il était important de permettre à des jeunes qui, à un moment de leur vie, n'étaient pas prêts à entrer dans la fonction publique, d'y accéder plus tard ; des voies parallèles d'accès devaient donc être prévues.

Enfin, une première mesure fiscale nouvelle tente de répondre au paradoxe suivant : dans certains secteurs d'activité, des employeurs échouent à pourvoir des postes vacants, alors même que notre marché du travail compte 2,5 millions de chômeurs.

M. Roland Muzeau. On n'a qu'à les payer !

Mme Marie-Thérèse Hermange. La seconde mesure fiscale vise les demandeurs d'emploi de longue durée. La reprise d'un emploi nécessite souvent des dépenses significatives qui ne sont pas prises en compte. La prime de 1 000 euros vise donc à financer ces dépenses invisibles dès le début de l'emploi afin de garantir la dignité de celui qui recommence à travailler.

Mes chers collègues, le gouvernement de Dominique de Villepin a décidé de faire de l'emploi son credo, non pour stigmatiser les chômeurs, mais pour offrir à chacun des réponses adaptées et pour dynamiser rapidement notre économie.

Le Premier ministre, au lendemain du 29 mai, indiquait ceci : « Les Français veulent des réponses tout de suite. » Pour aller vite, vous avez choisi de procéder par voie d'ordonnances, car vous savez que les Français attendent une action résolue. Pour avoir si souvent critiqué les politiques pour leur inaction, n'aurait-on pas mauvaise grâce aujourd'hui à reprocher au gouvernement de Dominique de Villepin de vouloir agir trop vite ?

M. Yannick Bodin. Ce n'est pas trop vite, c'est trop tard !

Mme Marie-Thérèse Hermange. Non, bien évidemment. Il convient d'aller vite pour apporter des solutions plutôt que pour aggraver les problèmes. C'est la raison pour laquelle le groupe UMP, monsieur le ministre, vous soutiendra sans réserve. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau.

Mme Gélita Hoarau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, comme mes collègues parlementaires de la Réunion, tant sénateurs que députés, et quelle que soit leur étiquette politique, vous le diront, la situation sociale de notre région est extrêmement préoccupante, principalement dans le domaine de l'emploi.

Or cette situation ne date pas d'aujourd'hui. Elle dure depuis des décennies, et cela fait aussi des décennies que nous tirons la sonnette d'alarme.

Tous les gouvernements qui se sont succédé ont élaboré et appliqué des solutions qui se sont avérées inefficaces. La première loi de programme pour les départements d'outre-mer date des années soixante. La dernière est celle du 21 juillet 2003. Un bilan d'étape est prévu cette année. Selon la presse réunionnaise, les résultats de cette dernière loi se révéleraient moins prometteurs que prévu. Depuis près de quarante ans, nous avons mis en oeuvre toutes sortes de solutions : la mobilité, la défiscalisation, les exonérations de charges ainsi que des formes spécifiques de traitement social du chômage.

Je l'ai déjà dit ici et je le répète : tout n'est pas négatif. Compte tenu des résultats économiques de la Réunion, notre taux de croissance et notre taux de création nette d'emplois dans le secteur marchand sont les plus élevés des départements d'outre-mer. A moyen et long termes, les perspectives tracées par la région, à laquelle il incombe d'orienter le développement économique de l'île, sont intéressantes.

Mais tout cela ne suffit pas à faire baisser le chômage, dont le taux reste de loin le plus élevé de tous les départements français de métropole et d'outre-mer.

Nous ne voyons pas dans les mesures que vous proposez aujourd'hui ce qui pourrait chez nous changer fondamentalement la situation.

L'expérience l'a prouvé, l'application mécanique à la Réunion de dispositions prises en fonction du contexte métropolitain débouche sur des difficultés de mise en oeuvre ou des dérives graves.

L'efficacité de certaines de vos propositions, monsieur le ministre, est contestée ici même en métropole. Appliquer mécaniquement chez nous de mauvaises solutions serait sans résultat. L'actualité, avec les contrats d'avenir, nous fournit un exemple de la difficulté à mettre en oeuvre des solutions qui ont été décidées pour la métropole et étendues chez nous. Les communes et les associations, potentiellement les plus grosses utilisatrices de ces contrats, chacune pour des raisons propres, rechignent à y recourir.

Mais à supposer que la Réunion réussisse le pari des contrats d'avenir, nous n'aurions pas pour autant réglé le problème du chômage.

Dans le domaine du traitement social du chômage, nous sommes passés de 55 980 contrats aidés en 2001 à 38 570 en 2004, secteurs marchand et non marchand confondus, soit 17 410 contrats de moins ! Cette année, leur nombre diminuera encore tandis que, le 1er janvier 2006, les contrats emploi-solidarité, ou CES, et les contrats emploi consolidé, ou CEC, n'auront plus cours. En réalité, les 45 000 contrats d'avenir sur trois ans qu'avait promis à la Réunion M. Borloo, lors de son passage sur l'île, ne seront au mieux que du rattrapage. En réalité, nous bénéficierons en 2006 de moins d'emplois aidés qu'en 2001, alors même que notre population aura augmenté de 30 000 à 40 000 personnes ! Cependant, même si les contrats aidés ne sont que du « travail soldé », ainsi qu'on les appelle chez nous, ils permettent pour le moment à des dizaines de milliers de familles de survivre. Il faut les maintenir, en les modifiant, pour les inscrire dans un parcours professionnel et une perspective de développement durable et de développement des besoins sociaux et humains de notre société, à l'abri du clientélisme.

Monsieur le ministre, je renouvelle ici ma proposition : je propose au Gouvernement de faire une pause dans les réformes, de maintenir à la Réunion le statu quo, s'agissant notamment des CES et des CEC. Nous devons prendre le temps nécessaire, d'une part, pour dresser un bilan de tout ce qui a été fait jusqu'à présent et pour mieux analyser la situation de l'emploi et les spécificités réunionnaises de celui-ci, d'autre part, pour élaborer, dans le cadre d'une large concertation, un plan d'urgence pour l'emploi.

Les solutions ne manquent pas à la Réunion. Qu'il s'agisse de la défense et de la diversification de la filière de la canne à sucre, de la création de pôles de recherche, de la définition d'une économie solidaire ou de la réalisation de grands travaux, nous avons de réelles possibilités.

Dans la fonction publique, pour répondre aux besoins en effectifs, l'expression de la solidarité à l'égard d'un département véritablement sinistré par le chômage devrait conduire le Gouvernement à privilégier un recrutement spécifique de nos jeunes diplômés avec une obligation de formation, à l'instar de ce qui a déjà été fait pour les agents de catégorie C mais en l'entendant également aux agents des catégories A et B. Ce mode de recrutement local, en prévoyant une formation adéquate, doit être aussi privilégié dans les secteurs parapublic et privé.

Une vaste concertation permettrait de dégager ces solutions et d'établir une hiérarchie des priorités. Nous vous proposons, monsieur le ministre, de fixer des objectifs précis. Le Gouvernement vient de faire savoir qu'il se donne pour but de ramener en 2010 le taux de chômage métropolitain à 6 %. Quelle est votre ambition pour la Réunion ?

Enfin, monsieur le ministre, dès lors qu'aura été définie une politique pour la Réunion, vous pourrez la contractualiser avec vos partenaires réunionnais pour la mener à bien.

La Réunion doit affronter des défis majeurs : la progression démographique, la mondialisation - et, dans ce cadre, l'éloignement des marchés solvables - et, enfin, les effets du réchauffement climatique.

Le Gouvernement vient de reprendre à l'échelle nationale l'exemple du régiment du service militaire adapté, le RSMA, solution développée dans l'outre-mer. Le « national » a repris à son compte des solutions développées chez nous. Je ne les citerai pas toutes.

En tenant compte des paramètres que j'ai cités plus haut, nous pouvons construire pour l'île un modèle de développement durable qui pourrait inspirer des réflexions dans d'autres pays du Sud. En effet, à notre échelle, notre situation rappelle celles d'autres territoires. Nos problématiques sont souvent les mêmes. La France s'honorerait en contribuant à l'ébauche de solutions qui pourraient être reprises ou imitées.

Le Gouvernement est-il prêt à s'engager dans cette voie ? Telle est la question que je vous pose, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir été sanctionné à toutes les élections depuis 2002, c'est-à-dire par trois fois, et après le désaveu dont il a fait l'objet le 29 mai dernier, le Gouvernement n'oppose au mécontentement de nos concitoyens et à leur résistance face à la précarité qu'un refus de débattre !

Cela fait maintenant trois ans que l'UMP est aux affaires : trois ans au terme desquels le Premier ministre en arrive à un constat d'échec, trois ans au terme desquels il demande aujourd'hui l'urgence afin de résoudre des problèmes que les gouvernements successifs étaient censés traiter dès leur arrivée au pouvoir !

Alors que vous n'avez pas su résoudre ces problèmes en trois ans, vous proposez aujourd'hui de le faire en cent jours ! Comment, dans ces conditions, vous croire ? Comment pouvez-vous être crédible ? Le plan du Gouvernement s'inscrit dans le droit-fil de la politique menée jusqu'à présent. Dès lors, comment pouvez-vous espérer obtenir de meilleurs résultats en poursuivant dans la même voie, monsieur le ministre ?

Le Gouvernement nous demande une nouvelle fois d'accepter une procédure d'urgence, celle que prévoit l'article 38 de la Constitution. Le recours à l'urgence, censé être exceptionnel, est en passe de devenir ordinaire. En effet, siégeant au sein de cette Haute Assemblée depuis moins d'un an, j'entends parler d'urgence ou de vote conforme à l'occasion de l'examen de presque tous les projets de lois !

Mais comment croire, une fois encore, que le Gouvernement parviendra à obtenir des résultats ? Ne fera-t-on pas, une fois de plus, un constat d'échec ?

Depuis 2002, vous présentez l'emploi comme une priorité, mais rien de ce que vous faites ne permet de résoudre ce problème. Le bilan de ces trois années de gouvernement est tout simplement catastrophique ! Il est la conséquence de vos choix politiques, qui vous conduisent à user, voire à abuser, de manière ordinaire désormais, de la procédure d'urgence.

En somme, c'est la gravité de votre échec qui justifie le recours aux ordonnances... En voulant légiférer en urgence, le Gouvernement interprète mal le message que les Français ont exprimé à l'occasion du scrutin du 29 mai dernier. Oui, nos concitoyens aspirent à plus de démocratie, à une meilleure prise en compte de leurs préoccupations et à une véritable défense de leurs droits.

Le Parlement représente le peuple et se doit de défendre l'intérêt général. Lorsque les parlementaires sont niés, ce sont les droits des peuples qui sont bafoués ! Quand on invoque l'urgence pour faire passer une réforme en force et empêcher le Parlement d'en débattre et de prendre des décisions, c'est un véritable déni de démocratie. C'est manifester un dédain évident envers la représentation nationale que de lui confisquer le droit de s'exprimer. C'est nier de manière désinvolte et méprisante les droits qui sont conférés au Parlement.

Pour les Verts, le recours aux ordonnances, qu'il soit le fait de la droite ou de la gauche, est souvent condamnable. C'est une décision grave et inopportune. Cette tentative -répétée - de marginalisation du Parlement est scandaleuse !

Pourquoi recourir aux ordonnances alors que les décrets d'application de nombreuses lois déjà votées ne sont toujours pas publiés ? Ainsi, comment expliquez-vous le retard de publication des décrets sur l'assurance maladie ? Et comment expliquez-vous le retard dans la mise en oeuvre du plan de cohésion sociale, voté depuis octobre 2004, et le faible budget qui lui est affecté ?

Après nous avoir demandé de nous prononcer sur la simplification administrative et sur la simplification du droit, vous nous demandez aujourd'hui de vous autoriser à simplifier le droit social ; mais quels moyens seront mis en oeuvre pour cela ?

Le recours aux ordonnances, méthode anti-démocratique permettant à quelques dirigeants de dicter leur loi au pays, à l'abri du contrôle et de l'initiative parlementaire, confirme que vous avez fait le choix d'une fuite en avant, s'agissant du démantèlement des atouts économiques, industriels et sociaux de notre pays.

Nous le savons, le recours aux ordonnances permet au Gouvernement d'essayer d'avoir raison contre le peuple !

M. Henri de Raincourt. Vous avez fait la même chose !

M. Josselin de Rohan. Ce n'est pas gentil pour Pierre Mauroy, ni pour Lionel Jospin ! 

Mme Alima Boumediene-Thiery. Vous nous demandez aujourd'hui de nous dessaisir de nos droits.

De plus, vous présentez ces mesures d'urgence pour l'emploi à la veille des vacances d'été afin d'éviter la contestation et la mobilisation dans la rue. Vous aviez déjà utilisé cette technique à l'occasion de la réforme des retraites et de celle de la sécurité sociale. Mais, depuis le 29 mai, j'ai encore plus confiance en la capacité de réaction et de résistance du peuple, quelle que soit la période de l'année !

N'aurions-nous pas pu siéger quelques jours de plus ? Le Gouvernement est-il si pressé de nous voir partir en vacances ? Un sujet aussi important que l'emploi, qui constitue un enjeu national, ne justifie-t-il pas que nous sacrifiions nos vacances, alors que la plupart de nos concitoyens n'ont parfois, et même souvent, pas les moyens de partir en vacances ? Sans doute vouliez-vous vous épargnez la longue et pénible procédure que constitue le passage devant le Parlement ? Ecarter tout débat est tellement plus simple !

Quant aux partenaires sociaux, leur avis n'est plus qu'un gadget, puisque les textes des ordonnances sont déjà prêts dans les tiroirs des ministères. Or presque tous les partenaires sociaux sont opposés au démantèlement du droit du travail que vous préparez. Il ne s'agit donc que d'une consultation de façade, pour ne pas dire d'une mascarade !

Bref, le recours aux ordonnances, au prétexte de lutter pour l'emploi, n'est absolument pas justifié. C'est un véritable hold-up démocratique. On ne peut, sur un tel sujet, faire l'économie d'un grand débat parlementaire !

Examinons de plus près ces mesures pour l'emploi. Le nouveau contrat que vous proposez ne vise, en fait, qu'à accroître la flexibilité du travail, et donc la précarité.

Le chômage serait en partie dû, selon vous, à la rigidité du code du travail. Dans le même temps, vous affirmez qu'il serait difficile de licencier. Quel paradoxe !

Permettez-moi de vous rappeler que, sur cent chômeurs, vingt-cinq le sont devenus à la suite d'un licenciement. Vous prétendez que le code du travail pénaliserait les petites entreprises. Or, vous savez bien que ce sont justement elles qui licencient le plus facilement, car leurs contraintes sont moindres. De plus, elles comptent peu de syndicats et de délégués du personnel susceptibles de défendre les droits de leurs salariés.

Le contrat « nouvelles embauches » vise, selon vous, à « surmonter la grande crainte - qu'elle soit ou non justifiée - de beaucoup de petits entrepreneurs d'avoir le cas échéant à gérer un licenciement et en particulier à le justifier devant un juge ».

Mais avions-nous réellement besoin d'un contrat précaire supplémentaire ? Est-il besoin de rappeler que, aujourd'hui, plus de deux millions de Français sont sans emploi et vivent une situation dramatique ?

Notre société a tendance à gérer l'exclusion au lieu de travailler sans relâche à l'éradiquer et à la prévenir. D'ailleurs, « on ne croit plus au vivre ensemble », nous disent les sociologues. Mais comment pourrait-il en être autrement quand 3,5 millions de nos concitoyens, c'est-à-dire 6 % de la population, survivent au dessous du seuil de pauvreté, quand 4,7 millions d'entre eux dépendent de la couverture maladie universelle, quand un million de personnes, au moins, perçoivent le revenu minimum d'insertion, quand un chômeur sur deux n'est pas indemnisé, quand un million de Français sont dans l'attente d'un logement social et que trois millions d'entre eux sont mal logés ?

Face à une telle situation, l'Etat devrait commencer par montrer l'exemple en relançant l'emploi dans sa propre maison. Or les mesures que vous proposez s'agissant de la fonction publique sont issues de la proposition de loi du mois de juin dernier que, déjà à l'époque, l'ensemble des syndicats avaient refusée.

Ces propositions de réformes, pourtant tant attendues par la fonction publique, ne sont-elles pas plus de la poudre aux yeux qu'autre chose ? En effet, vous nous proposez de faire disparaître la limite d'âge pour l'accès aux concours de la fonction publique. Or, celle-ci est déjà supprimée dans plusieurs cas et de nombreuses dérogations permettent de la contourner quand elle existe encore ! Reconnaissez donc que cette mesure est plus symbolique que réellement novatrice !

Pour couronner le tout, au moment où vous proposez des mesures visant à relancer l'emploi, vous annoncez la suppression de plus de 5 000 postes dans la fonction publique en 2006, après celle de 7 000 postes en 2005. Ainsi, le Gouvernement ne fait rien pour lutter contre la précarité dans sa propre maison. Bien au contraire, il continue de diminuer les effectifs dans la fonction publique (Exclamations sur les travées de l'UMP),...

M. Josselin de Rohan. Vous manquez d'imagination !

Mme Alima Boumediene-Thiery. ... alors que chacun connaît les difficultés que cela engendre dans les hôpitaux, les tribunaux, les écoles ! Dès lors, quelle crédibilité accorder à votre plan ?

Aux millions de salariés précaires qui existent déjà, vous en ajoutez quatre autres millions qui ne pourront plus ni contracter de prêt ni accéder au logement. Comment, dans ces conditions, imaginer l'avenir ? Comment avoir confiance dans la société de demain ? C'est évidemment impossible !

Ces mesures pour l'emploi seront inefficaces contre le chômage. Elles créeront surtout des effets d'aubaine et de substitution, tout comme les nouvelles exonérations de cotisations sociales patronales que devra supporter le contribuable. En dix ans, ces exonérations ont déjà décuplé. Alors qu'elles atteignent 17 milliards d'euros en 2005, elles ne produisent, on le sait, aucun résultat sur la croissance et sur l'emploi.

Par ailleurs, exploiter la population à n'importe quel prix et dans n'importe quelles conditions a un coût social et entraîne des souffrances que ne reflètent pas les courbes du chômage. L'immense majorité de la population accumule difficultés et désillusions. Plus d'un Français sur deux éprouve quotidiennement un profond sentiment d'insécurité sociale et redoute de sombrer dans l'exclusion.

On subventionne indirectement les employeurs, on réduit la rémunération du travail, on favorise le développement des bas salaires, on précarise davantage encore les personnes en situation précaire.

Reconnaissez que le contrat « nouvelles embauches », dispositif phare du plan gouvernemental, constitue un véritable cadeau pour les patrons ! De plus, c'est un cadeau à moindre coût puisque, à la fin du circuit, c'est le contribuable qui paie. La boucle est ainsi bouclée !

Et que dire du fait que les jeunes de moins de vingt-six ans pourraient ne plus être pris en compte dans le calcul des effectifs de l'entreprise ? Nous assistons là à un véritable torpillage des structures représentatives du personnel dans l'entreprise et de certains droits sociaux qui ne peuvent exister qu'au-delà du seuil de vingt ou de cinquante salariés. Je pense en particulier à la mise en place d'un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSCT, ou d'un comité d'entreprise, à la participation aux résultats, à la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

Comme l'a fait observer le directeur adjoint de l'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE, comme il y a les jeunes et les autres, il y aura demain les entreprises de moins de dix salariés et les autres. Les salariés des petites entreprises n'auront désormais plus les mêmes droits sociaux que les autres ! Est-ce ainsi que vous comptez rendre les petites entreprises attractives aux yeux des salariés, alors que les avantages sociaux qu'elles offrent, comme les tickets-restaurants et les mutuelles, sont déjà moindres par rapport à ceux des grandes entreprises ?

Vous nous dites que les seuils sociaux eux-mêmes constituent un obstacle à l'emploi. Vous proposez donc de ne pas inclure les jeunes de moins de vingt-six ans dans les effectifs de l'entreprise afin qu'ils ne soient pas comptabilisés pour les seuils à partir desquels l'élection de délégués du personnel et la mise en place des instances représentatives sont obligatoires. En fait, on « clandestine » légalement les plus jeunes et on fragilise la démocratie sociale au sein de l'entreprise.

Le lissage des seuils d'effectifs dans l'entreprise permettra à l'employeur de s'affranchir de ses responsabilités en matière de droit social. La notion de très petite entreprise devient, quant à elle, de plus en plus fluctuante. A combien de salariés sera fixé le seuil ? A dix, vingt, cinquante salariés ? Lorsque le seuil de vingt salariés sera acquis, vous expliquerez qu'il constitue un frein à l'embauche, qu'il convient donc de le relever, car passer à plus de vingt salariés coûte cher. Et le contrat à durée indéterminée disparaîtra !

Comment justifier l'exclusion des jeunes salariés aujourd'hui, et probablement des seniors demain, des effectifs de l'entreprise ? A quand le tour des étrangers ? Et à quand celui des femmes ? A ce rythme, seuls les hommes français âgés de vingt-six à cinquante ans seront comptabilisés dans les effectifs !

De quelle démocratie sociale parle-t-on ? Ne risque-t-on pas d'assister à une discrimination à l'embauche fondée sur l'âge, selon que l'on aura vingt-quatre ou vingt-six ans ? C'est une classe d'âge dans son entier qui est ainsi stigmatisée. Ces salariés sont considérés comme des salariés au rabais, mis à l'écart du monde du travail et précarisés !

On donne sans cesse des leçons de citoyenneté aux jeunes. Dans le même temps, on les exclut de l'exercice de cette citoyenneté. Mais on n'en est plus à une contradiction près, n'est-ce pas ?

Sachez, monsieur le ministre, que ni l'emploi ni la démocratie dans l'entreprise n'en sortiront gagnants !

Ces seuils ont également un autre effet pervers : il est en effet prévu que les obligations financières supplémentaires résultant de leur dépassement soient allégées, s'agissant de la formation professionnelle, du 1%  logement et du versement aux sociétés de transports.

Ces pertes de recettes pour les organismes concernés devront être compensées. De quelle façon ? Il n'y a pas trente-six solutions : elles seront compensées soit par des hausses des tarifs ou des loyers, soit par une prise en charge par l'Etat, ce qui reviendra, en fait, à faire supporter ces nouvelles charges aux contribuables. Et la boucle sera de nouveau bouclée !

A cette régression démocratique s'ajoute donc également une régression sociale.

Ces mesures remettent en cause le code du travail, voire les conventions collectives, notamment en ce qui concerne la période d'essai, qui n'en finit pas, même si elle n'en est pas véritablement une. On lui cherche en effet toujours un nom. Une « période d'essai » de deux ans, c'était vraiment trop gros !

Le contrat « nouvelles embauches » offre en somme la possibilité à l'employeur de licencier à tout moment, sans préavis et sans motif particulier. Il n'aura à invoquer ni une cause propre au salarié ni une raison économique, les deux seuls motifs de licenciement reconnus à ce jour.

A ces deux motifs de licenciement viendrait donc s'ajouter la décision unilatérale de l'employeur. Mais si ce principe était inscrit dans la loi, le contrôle du juge deviendrait alors impossible, puisque aucun motif de licenciement ne serait plus nécessaire ! Or un licenciement ne peut en principe intervenir sans cause réelle et sérieuse.

De plus, les salariés ne pourront plus s'appuyer sur aucun fondement pour ester en justice. C'est donc le principe d'égalité des citoyens devant la loi qui est bafoué ! Et tant pis si cela contrevient au pilier de l'ordre public social introduit par la loi de 1973.

Même abusif, le licenciement ne pourra être contesté. De plus, il ne donnera droit à aucune indemnité. Simplifier, voire faciliter le licenciement serait-il un remède au chômage ?

Le titre spécial de paiement, semblable au chèque emploi-service, destiné à l'embauche de salariés dans les très petites entreprises, est de la même veine : c'est le retour du travail journalier, du travail à la tâche, sans contrat de travail ni bulletin de salaire.

Par ailleurs, comment procéder aux contrôles nécessaires à la lutte contre le travail illégal alors qu'aucune déclaration d'embauche, aucun contrat de travail ne permet de connaître le nombre d'heures, les horaires, les conditions de travail ? En outre, aucun document ne pourra servir de référence en cas de litige avec l'employeur. A croire que les droits des salariés sont incompatibles avec le droit à l'emploi !

De la même manière, dans la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, on nous a fait croire que le droit de travailler, donc le droit de rechercher un travail, était la même chose que le droit au travail effectif.

Pour les Verts, ces pratiques sont inacceptables !

Vous prétendez que l'assouplissement du marché du travail est nécessaire, mais, en vérité, la précarité n'a déjà que trop augmenté. Le nombre d'intérimaires est passé de 113 000 en 1983 à 471 000 en 2003 et, sur la même période, les emplois aidés ont augmenté de 128 %. Le nombre de contrats à durée déterminée a été multiplié par six en dix ans.

Le chômage s'en est-il trouvé réduit ? Assurément non !

Le Gouvernement poursuit son entreprise de casse sociale, passant même aujourd'hui à une vitesse supérieure avec la casse du code du travail.

Un autre point prévu par les futures ordonnances concerne la prime de 1 000 euros allouée, à l'embauche, au chômeur retrouvant un emploi.

Je souhaite aborder en cet instant une question sensible, notamment pour les femmes qui sont déjà les premières victimes de la flexibilité imposée et donc de la précarité : il s'agit de la garde des enfants. Il est nécessaire de prévoir une aide plus continue. Ainsi, une femme seule élevant des enfants et retrouvant un emploi en cours d'année ne peut pas trouver rapidement une place en crèche. Elle devrait donc bénéficier d'une assistante maternelle, au moins jusqu'à ce qu'elle obtienne une place en crèche.

Arrêtons-nous un instant sur les incohérences de ce plan qui nous font douter de sa réussite. M. le rapporteur a expliqué que l'aménagement des règles de décompte dans l'entreprise existe déjà pour certaines catégories de personnes : apprentis, titulaires de contrats en alternance ou aidés, travailleurs handicapés.

M. Alain Gournac, rapporteur. C'est exact !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Dans ce dernier cas, pourquoi avoir voté une loi à la fin de l'année 2004 visant à favoriser l'insertion des travailleurs handicapés sur le marché du travail si c'est pour les exclure aujourd'hui de la masse salariale, leur retirer la place qui leur est due au sein de l'entreprise ?

Entre 2002 et 2004, le taux de chômage des jeunes de quinze à vingt-quatre ans est passé de 20,20 % à 24,20 %, alors que celui des jeunes femmes est passé de 18 % à 21,60 %. Or les contrats jeunes, exonérés de cotisations, étaient censés régler la question du chômage des jeunes.

Depuis 1993, les charges patronales sur les salaires, en fait les cotisations sociales, sont passées de 40 % à 13 %, et vous continuez à les réduire ! Les exonérations de charges se chiffrent à plus de 19 milliards d'euros et les dépenses fiscales dérogatoires représentent 20 % des recettes nettes de l'Etat, autant d'argent qui pourrait être utilisé à financer des dépenses plus efficaces pour l'emploi.

Jusqu'à présent, les CDD étaient limités à des conditions spécifiques ; demain, les contrats « nouvelles embauches » seront la règle, et la taille des entreprises n'entrera plus en ligne de compte.

S'il est difficile de trouver des salariés dans certains secteurs, c'est souvent aussi en raison d'un manque de formation.

Si urgence il y a, c'est pour réfléchir à des secteurs porteurs pour l'emploi et à la meilleure manière de les aider. Des gisements d'emplois existent dans les secteurs associatif, sportif, culturel, artistique, environnemental. Mais votre vision de l'économie ne permet pas d'appliquer une politique volontariste, solidaire et environnementale. Ainsi, il est tout à fait révélateur d'évoquer à la fois les grands chantiers routiers et la lutte contre l'effet de serre ! On ferait mieux de réfléchir à l'amélioration du transport par voie ferrée, ou de donner des moyens à la recherche, notamment pour les énergies renouvelables, en cette fin annoncée des ressources pétrolières.

Un autre exemple que je souhaite évoquer concerne l'intermittence. Va-t-elle enfin, grâce à votre plan, obtenir le financement des emplois que les acteurs de ce secteur attendent depuis deux ans, avec, bien sûr, une couverture sociale digne de ce nom pour tous les artistes, les techniciens et les réalisateurs ?

Sous prétexte de lutter contre le chômage, ce plan favorise les discriminations, puisque vous voulez instituer dans le calcul des effectifs une discrimination fondée sur l'âge. Comment allez-vous justifier cela au regard de nos principes constitutionnels et du droit européen ? En effet, on ne peut que s'interroger sur le caractère discriminatoire des offres d'emploi précisant un âge. Mais cette question fournira sans doute du travail à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE !

De plus, cette politique contribue à l'assèchement continu des recettes de l'Etat et à la dilapidation de ses richesses. Cette perte nous prive de toute marge de manoeuvre pour mener d'autres politiques et remet en cause, à terme, l'implication de l'Etat en matière d'éducation, de santé et de logement.

Pour les Verts, c'est inacceptable !

A l'image de la légitime lutte contre le terrorisme et l'insécurité, on multiplie les politiques sécuritaires et liberticides. On veut même nettoyer nos banlieues au Karcher ! Or la sécurité, y compris la sécurité sociale, ne se construira ni sur le dos des politiques de l'emploi ni sur la violation des droits fondamentaux.

S'agissant des libertés démocratiques, le fait de choisir le recours aux ordonnances et de mettre à l'écart le Parlement alors qu'il s'agit aujourd'hui de traiter de questions sociales et d'emploi n'est-il pas une porte ouverte sur d'autres domaines, à l'exemple de l'ordonnance de 1959 ?

Nous voulons réduire les inégalités dans notre pays, instaurer plus de justice et de solidarité pour construire la paix sociale, nationale et internationale, et nous assurer que notre modèle de développement ne mène pas la planète à l'abîme. Malheureusement, nous devons nous rendre à l'évidence : ce n'est pas avec une politique comme celle que vous proposez que nous y arriverons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun sait à quel point le sujet que nous examinons aujourd'hui est grave. Au cours de notre débat dans cette enceinte, nous ne pouvons pas nous satisfaire de paroles quelque peu rituelles, car nous devons penser à tous ces hommes, à toutes ces femmes en grande difficulté qui connaissent l'angoisse au quotidien. On dénombre 2 484 000 chômeurs, sans compter les millions de Françaises et de Français employés sous CDD, contrats précaires, en intérim, ou qui font face à la succession de missions d'intérim, de petits contrats, aux stages qui ne mènent à rien, aux mesures en trompe-l'oeil, etc.

Lorsque nous avons appris la nomination de M. de Villepin aux fonctions de Premier ministre, nous n'avons certes pas rêvé d'un changement politique. Les mêmes hommes et les mêmes femmes ont été appelés à exercer les responsabilités. Mais, l'ayant entendu dans d'autres enceintes et l'ayant vu à l'oeuvre dans d'autres genres littéraires, nous attendions du souffle et espérions un commencement d'élan. Mais d'élan point, mes chers collègues. « Morne plaine », comme disait Victor Hugo que je ne peux que citer en cette circonstance.

La déclaration de politique générale de M. le Premier ministre fut une récapitulation quasi notariale de mesures disparates, un catalogue. Paradoxalement, mes chers collègues, on a cherché à nous faire croire qu'il y avait rupture, qu'il y avait une nouvelle politique de l'emploi, un New Deal, en quelque sorte.

Or, alors que la droite est au pouvoir depuis trois ans, la même politique est menée, le même gouvernement est en fonction, à quelques exceptions près. Ce point a été rappelé par MM. Bel et Godefroy, ainsi que par Mme Boumediene-Thiery,

Nous devons rendre hommage à la ténacité avec laquelle M. Raffarin a annoncé tous les trois mois que le chômage passerait en dessous du seuil des 10 % en 2005. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Après trois ans de gouvernement Jospin, on dénombrait 700 000 chômeurs de moins.

M. Alain Gournac, rapporteur. Ne dites pas n'importe quoi !

M. Henri de Raincourt. Et la croissance ?

M. Josselin de Rohan. Ils l'ont gâchée !

M. Jean-Pierre Sueur. Après trois ans de gouvernement Raffarin, il y a 230 000 chômeurs supplémentaires. C'est la réalité !

Vous dites « croissance » de même que M. Raffarin affirmait que le chômage allait baisser : si vous le voulez, nous parlerons tout à l'heure de la croissance qui est en effet un bon sujet.

Avec 2 484 000 chômeurs, la France connaît un taux de chômage de 10,2 %, alors que la moyenne du chômage dans les pays de l'OCDE s'élève à 6,9 %.

M. Henri de Raincourt. Cherchez pourquoi ?

M. Josselin de Rohan. Demandez à Tony Blair !

M. Jean-Pierre Sueur. En trois ans, le moins que l'on puisse dire est que le problème n'a pas été réglé.

M. Henri de Raincourt. Parce que vous ne voulez pas !

M. Jean-Pierre Sueur. Je veux revenir, comme l'a fait tout à l'heure M. Foucaud, sur la question des emplois-jeunes. Leur mise à mort nous avait été annoncée. Je me souviens de la déclaration de politique générale de M. Raffarin, ici même : les emplois-jeunes, c'était du toc ; de vrais emplois allaient être créés !

Mme Raymonde Le Texier. Absolument ! Rappelons-le !

M. Jean-Pierre Sueur. Le journal Le Monde, que vous lisez certainement, mes chers collègues,...

M. Henri de Raincourt. Non ! On peut s'en passer ! Il n'y a pas de photos !

M. Josselin de Rohan. Ce n'est pas la Bible !

M. Jean-Pierre Sueur. ... citait, dans son numéro du 2 juillet dernier, M. Carrez,...

MM. Henri de Raincourt, Josselin de Rohan et Robert Del Picchia. On l'a déjà eu ce matin !

M. Jean-Pierre Sueur. ...qui, à propos des emplois-jeunes, déclarait avoir « pris conscience à l'automne 2004 qu'il y aurait un problème ».

Selon M. Auberger,...

MM. Henri de Raincourt, Josselin de Rohan et Robert Del Picchia. On l'a déjà eu aussi ce matin !

M. Roland Muzeau. Répéter, c'est pédagogique !

M. Jean-Pierre Sueur. ...ce fut un peu idéologique et pas suffisamment pratique.

Telle est l'analyse faite par un certain nombre d'élus de l'UMP qui constatent bien que porter atteinte aux emplois-jeunes a été une grave erreur.

M. Jean-Pierre Sueur. On nous a dit qu'à la place des emplois-jeunes seraient mis en oeuvre d'autres dispositifs. Mais sur les 100 000 contrats avenir prévus, moins de 500 avaient été créés au mois de juin dernier. Quel résultat ! Quelle efficacité !

M. Josselin de Rohan. Et les emplois-tremplin de Huchon ?

M. Jean-Pierre Sueur. Et le style volontairement plat de M. de Villepin n'empêche pas l'incantation par une sorte de nouveau paradoxe.

Lorsque M. de Villepin affirme que « toutes nos marges budgétaires iront à l'emploi », on a envie de lui rétorquer : mais quelles marges budgétaires ?

M. Henri de Raincourt. Quatre milliards d'euros !

M. Jean-Pierre Sueur. Où sont-elles ? La dette est passée de 58,2 % du PIB en 2002 à presque 65 % aujourd'hui. Elle absorbe quasiment le produit de l'impôt sur le revenu. Le déficit budgétaire s'élevait à 3,6 milliards d'euros en 2004.

Je veux maintenant démontrer à mon tour à quel point les mesures que vous nous proposez sont dangereuses. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Le contrat « nouvelles embauches » donne en réalité la possibilité à l'employeur de licencier un salarié à tout moment, sans motif. C'est un grand changement dans le droit du travail. En effet, aujourd'hui, seuls deux motifs autorisent un employeur à licencier un employé : il doit pouvoir invoquer une cause propre au salarié ou une raison économique.

M. Josselin de Rohan. Mieux vaut les RMIstes !

M. Jean-Pierre Sueur. Dans un premier temps, M. le Premier ministre a lui aussi parlé de période d'essai. Mais vous vous êtes rendu compte que cette période était définie de manière contractuelle et jurisprudentielle. M. le Premier ministre a alors dit : « Le contrat que je propose est un contrat à durée indéterminée. Il instaure une période d'embauche qui est un temps de consolidation de l'emploi. » J'ai envie d'ajouter « sic », car ceux qui seront embauchés pour deux ans, sans aucune garantie, pouvant être exclus sans aucun motif du jour au lendemain, seront ravis d'apprendre, j'en suis sûr, que, pendant ces deux ans, ils sont dans une phase de consolidation de l'emploi !

En dénommant « consolidation » ce qui est, bien entendu, la précarité la plus totale, M. le Premier ministre montre la virtuosité qui est la sienne dans l'art de l'antiphrase. C'est la seule chose que l'on puisse mettre à son crédit en la matière.

Mes chers collègues, ce qui manque à ce plan, à ce catalogue de mesures, c'est, en premier lieu, la concertation. On ne peut pas relancer l'emploi sans engager une négociation sociale d'envergure. Il faut un Grenelle de l'emploi. On ne relancera pas la politique de l'emploi sans recréer la confiance, le dialogue social, sans montrer une volonté claire, manifeste de jouer réellement la carte de la négociation, du contrat, des conventions collectives, de vrais et forts accords entraînant des partenariats dans de nombreux domaines. Il faut y croire, et, si l'on n'y croit pas, cela se voit énormément. Il suffit d'entendre les partenaires sociaux : ce dialogue social, cette concertation n'existent pas. De ce fait, on ne pourra pas mettre en oeuvre une grande politique de l'emploi.

M. Jean-Pierre Sueur. En deuxième lieu, aucune disposition n'est prévue en faveur de la relance du pouvoir d'achat. Or, lorsque nous rencontrons nos concitoyens, dans nos villes, dans nos permanences ou sur les marchés, tous nous parlent du pouvoir d'achat.

Il y a erreur à s'obstiner à refuser toute relance du pouvoir d'achat, et notamment du pouvoir d'achat de ceux dont les revenus sont les plus faibles,...

M. Josselin de Rohan. En cinq ans, les socialistes n'ont pas augmenté le SMIC !

M. Jean-Pierre Sueur. ...car nous savons bien, monsieur de Rohan, que, sans politique de relance du pouvoir d'achat, il n'y aura relance ni de l'activité ni de l'emploi !

M. Josselin de Rohan. Qu'avez-vous fait du SMIC ?

M. Jean-Pierre Sueur. En troisième lieu, la nouvelle politique de l'emploi, qui est assurément nécessaire, ne doit pas se traduire par une exclusion, toujours plus marquée, du monde du travail, d'une part des salariés ayant atteint un certain âge, d'autre part des jeunes.

Comme M. Godefroy l'a dit, la disposition concernant les jeunes de moins de vingt-six ans est scandaleuse. Je vois mal comment quiconque ici pourrait justifier que l'on dise à un jeune qu'il va être salarié et entrer dans le monde du travail mais qu'il ne comptera pour rien dans l'entreprise.

M. Alain Gournac, rapporteur. Cela vaut mieux que d'être chômeur !

M. Jean-Pierre Sueur. Nous pensons quant à nous, monsieur le rapporteur, qu'il faut afficher la chance que ce jeune représente pour l'entreprise et pour notre pays au lieu de le mettre entre parenthèses, de l'ignorer, de faire comme s'il n'existait pas ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du groupe CRC. - Protestations sur les travées de l'UMP.)

MM. Josselin de Rohan et Henri de Raincourt. C'est de la caricature !

M. Jean-Pierre Sueur. Je demande donc qui, dans cette enceinte, pourrait justifier une mesure à ce point contraire au sens de la citoyenneté.

M. Josselin de Rohan. Vous êtes les seuls socialistes en Europe à tenir un tel discours !

Mme Raymonde Le Texier. Aucun pays en Europe n'a un gouvernement aussi nul !

M. Jean-Pierre Sueur. Exclure, ne pas prendre en compte, « gommer » les salariés les plus jeunes ainsi que ceux qui ont atteint un certain âge, c'est tourner le dos à une politique qui devrait nous conduire à mobiliser toutes les forces vives, toute la richesse humaine de ce pays afin que chacun apporte sa pierre à la croissance et à l'emploi.

Enfin, dans le « catalogue » qui nous est présenté, on ne trouve rien sur la formation, rien sur la recherche, rien sur les nouvelles technologies, alors que tous ces domaines sont indissociablement liés à la reprise de la croissance.

S'agissant par exemple de la formation, vous savez très bien, monsieur le ministre, qu'il est essentiel de préparer les jeunes aux emplois pour lesquels il y a des offres non satisfaites.

A juste titre, nous sommes fiers des succès de la France dans divers domaines, comme l'aéronautique ; mais il y a tant d'autres domaines où il est possible à notre pays de faire, avec ses partenaires européens, oeuvre de volontarisme.

Monsieur le ministre, vos mesures diverses, dont certaines sont dangereuses, ne pourront pas tenir lieu de véritable politique pour l'emploi, politique qui reste à construire : sans volontarisme et tout simplement sans volonté, il n'est pas de politique qui vaille ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

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Dossier législatif : projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi
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