PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le traité constitutionnel est une occasion manquée de bâtir une autre Europe, moins technocratique, moins procédurière et, surtout, plus proche des peuples et plus attentive à leurs aspirations.

Le 29 mai, je vois au moins trois bonnes raisons de dire non à cette Constitution et oui à une nouvelle Europe.

Première raison : la Constitution porte un projet qui ne peut pas réussir, car celui-ci propose une abstraction indéfinie, à savoir une Europe sans mémoire, née de nulle part, sans histoire ni géographie.

M. Michel Mercier. Ça fait un peu beaucoup !

M. Bruno Retailleau. Cette absence de limite en dit long sur le refus de se définir culturellement et politiquement. Pourtant, en coulisse, on prépare déjà activement l'entrée de la Turquie. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP, de l'UC-UDF et du groupe socialiste.)

M. Alain Gournac. Ne mélangez pas tout !

M. Bruno Retailleau. Il y a l'élargissement et l'approfondissement. Les deux sont liés !

M. Yannick Bodin. Vous avez peur !

M. Bruno Retailleau. Monsieur le ministre, l'ambassadeur de France en Turquie, M. Paul Poudade, a déclaré le 11 mars dernier : « La France se réjouira de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne ... L'opposition du peuple français à l'égard de l'adhésion de la Turquie ne lie pas la politique de l'Etat français ».

Et savez-vous, mes chers collègues, où aura lieu la prochaine réunion du groupe d'élargissement du parti populaire européen, le PPE, le 26 mai prochain, soit trois jours avant le référendum ? Elle se tiendra à Ankara !

M. Alain Gournac. Et alors ?

M. Bruno Retailleau. Le PPE aurait au moins pu choisir Istanbul ... en Europe !

En outre, ce projet ne peut pas réussir, car une abstraction ne peut pas suffisamment nourrir un élan partagé, un même sentiment d'appartenance parvenant à dépasser toutes les autres différences. C'est ainsi que l'on réduit l'Europe à organiser un simple collage, une méticuleuse juxtaposition de minorités On la condamne au communautarisme. Ainsi, on ne compte plus les mentions - dès l'article I-2 ! - qui proclament le droit des minorités, en opposition avec notre tradition républicaine qui ne reconnaît que des citoyens sans distinction d'origine, de situation ou de religion.

Enfin, ce projet ne peut pas réussir sur le plan économique, car il préfère les principes aux résultats. Les résultats sont-ils médiocres ? Peu importe, on ne change pas une politique qui perd !

On laisse la Banque centrale européenne à son obsession monomaniaque : l'inflation plutôt que la croissance ou l'emploi.

Au lieu de faire comme les Etats-Unis, qui savent parfaitement protéger leur marché intérieur lorsque l'intérêt national l'exige - ils le font pour l'agriculture, ils l'ont fait pour l'acier, et ils sont en train de faire jouer la clause de sauvegarde pour le textile -, nous en appelons, nous, Européens, avec un angélisme béat, à la disparition des barrières douanières et aux aides de l'Etat aux entreprises.

Dois-je rappeler que les grands projets industriels, outre-atlantique ou en France, comme le TGV par exemple, ont toujours nécessité des investissements publics ? L'efficacité doit primer sur la doctrine.

Dois-je aussi rappeler que, en voulant appliquer sa conception dogmatique de la concurrence libre et non faussée, la Commission avait refusé à Péchiney le rachat du canadien Alcan ? Depuis, c'est Alcan qui a racheté Péchiney et qui est en train de le dépecer. Il suffit d'écouter les commissaires européens pour savoir dans quel sens va la pente : lorsque Mme Danuta Hübner ou M. Günter Verheugen justifient les délocalisations, ils ne commettent pas de gaffe ; leurs déclarations traduisent très précisément l'état d'esprit de la Commission.

De plus, avec l'article III-122, on nous propose de communautariser les services d'intérêt général, c'est-à-dire de perdre, pour une large part, le contrôle de nos services publics, de leur définition comme de leurs conditions de fonctionnement.

Mes chers collègues, je voudrais également balayer un argument que l'on entend souvent : que la France doive se réformer, j'en suis convaincu, mais elle doit d'abord compter sur elle-même, c'est-à-dire sur le courage des Français - et ils en ont ! - et de leurs hommes politiques, qui n'en manquent pas non plus. Toute réforme implique des efforts qui ne peuvent être demandés et consentis par les Français que dans le cadre de la démocratie nationale. Le salut ne viendra pas d'ailleurs : il ne peut venir que de nous-mêmes.

Deuxième raison : cette Constitution aggrave encore le déficit démocratique de l'Europe.

M. Bernard Frimat. Ce n'est pas vrai !

M. Bruno Retailleau. Elle l'aggrave de trois façons.

D'abord, plus on éloigne un pouvoir, moins on rend simple et efficace son contrôle et plus on perd en qualité démocratique. C'est d'ailleurs l'argument qu'a souvent avancé M. Raffarin pour justifier ce qui est, à mes yeux, une bonne réforme, à savoir les lois de décentralisation.

Ensuite, l'Union sera de plus en plus dirigée par des experts et non par des élus. En effet, on renforce considérablement le rôle de la Commission. Ainsi, avec l'article I-26, elle sera chargée de l'« intérêt général européen », qu'il aurait plutôt fallu confier au Conseil. En outre, son monopole d'initiative, qui enfreint la règle de la séparation des pouvoirs, acquerra une redoutable efficacité en s'appliquant à des compétences toujours plus vastes, et avec un processus de décision à la majorité qualifiée.

Enfin, la Constitution marginalise les démocraties nationales. En dehors du processus de révision simple, sans processus de ratification, les parlements nationaux gagnent le pouvoir d'émettre des avis, mais, en échange, ils perdent en grande partie le pouvoir de faire la loi.

L'inspiration de ce texte est en fait d'établir une abstraction démocratique, apolitique dans laquelle les décisions publiques seront prises en charge par une avant-garde éclairée, tandis que l'on voudrait réduire l'existence collective des peuples aux seules activités du marché et de la société civile.

Troisième raison : cette Constitution tente d'imposer un cadre étatique fédéral à l'insu des peuples.

Ecoutons un court instant un orfèvre en la matière, Valéry Giscard d'Estaing : « dans la Constitution, le mot  "fédéral"  a été remplacé par le mot " communautaire ", ce qui veut dire exactement la même chose ».

Voici les instruments de cet engrenage fédéral : une Constitution, la personnalité juridique de l'Union, la primauté absolue du droit européen sur tout droit national, y compris postérieur ou constitutionnel, la majorité qualifiée, et, enfin, cette espèce de boulimie de compétences qui fait que nous aurons une Europe qui se mêlera de tout plutôt qu'une Europe subsidiaire, qui aurait été la bonne voie. C'est cet engrenage qui blessera mortellement notre souveraineté, c'est-à-dire la maîtrise par les Français de leurs choix et de leur destin.

La souveraineté, qu'elle soit populaire ou nationale, c'est la liberté de choisir. D'ailleurs, je ne connais pas de meilleure définition que celle donnée par Abraham Lincoln dans son discours devant le Congrès le 4 juillet 1861 alors que la guerre de Sécession avait éclaté : la souveraineté, c'est une communauté politique, sans supériorité politique. Ce ne sera plus le cas !

J'avais d'ailleurs été très étonné, en lisant pour la première fois la fameuse directive Bolkestein, de constater que son premier objectif était la politique d'intégration des peuples, c'est-à-dire que tout était bon pour créer de toutes pièces non seulement un territoire unique, mais aussi un droit unique, un peuple unique et peut-être, demain, un Etat unique. Or l'Europe n'a jamais été aussi diverse depuis l'élargissement. Quant au peuple européen, il n'existera pas avant de longues décennies !

Le vote du 29 mai, ce sera le choix entre deux modèles européens : un modèle souple, qui s'appuie sur la coopération entre les Etats, et un modèle supranational hypercentralisé que nous propose cette Constitution, qui veut supprimer toute différence afin de parvenir à créer plus tard un « super Etat ».

Le problème est que, demain, à vingt-sept, cela ne peut pas marcher, sauf à imposer une discipline de fer et une production toujours plus importante de règles, de normes et de procédures tatillonnes. Les peuples finiront par se détourner de cette construction utopique, car la nation est non seulement le lieu naturel de l'exercice de la démocratie, mais aussi la seule communauté humaine qui soit à la fois à la taille de l'homme et à l'échelle du monde.

Je sais bien que derrière ce texte constitutionnel, pour certains esprits, il peut y avoir l'idée que la nation serait un obstacle à la communion planétaire. J'ai ainsi entendu Jack Lang déclarer : je vote oui, parce que je suis internationaliste. C'est une profonde erreur ! Comme l'a très bien écrit un philosophe contemporain, Pierre Manent : « La nation européenne est parvenue de façon incomparable à réaliser l'articulation du particulier et de l'universel : chaque grande action, chaque grande pensée que produit l'une de nos nations est un défi et une proposition pour les autres nations, une proposition d'humanité pour l'humanité ».

Mes chers collègues, l'Europe que nous appelons de nos voeux est une Europe vraiment européenne, sans la Turquie, une Europe démocratique qui s'appuie sur les démocraties nationales sans chercher à les diluer et, enfin, une Europe qui nous protège et mette l'économie et surtout la monnaie au service de l'homme et non l'inverse. (M. Philippe Darniche applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Josselin de Rohan. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Josselin de Rohan. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 29 mai prochain, les Français devront effectuer un choix majeur : accepter ou repousser le projet de traité constitutionnel pour l'Europe.

Quelle que soit la décision, nous savons qu'elle sera lourde de conséquences pour l'avenir. La procédure référendaire place donc chacun d'entre nous devant ses responsabilités.

Depuis près de soixante ans, tous nos projets de Constitution ont été soumis au suffrage populaire. Il eût été difficilement concevable d'agir autrement lorsqu'il s'agit de donner à l'Europe des institutions qui impliquent des délégations de souveraineté et répartissent les compétences entre l'Union européenne et les Etats qui la composent. Le recours au référendum n'est pas sans risque, surtout si nos concitoyens entendent se prononcer sur le contexte plutôt que sur le texte, mais il est inéluctable si l'on veut donner au traité une sanction démocratique irréfutable.

Tel qu'il se présente, le traité établissant une constitution pour l'Europe est tout à la fois un aboutissement et une promesse. Il est le fruit d'une longue maturation qui a duré plus d'un demi-siècle, reflet des péripéties qui ont retenti sur l'histoire de l'Europe, avec des périodes d'accélération rapide ou, au contraire, de stagnation mais, jusqu'à présent, jamais de régression.

Une nouvelle ère s'ouvre aujourd'hui qui peut permettre à l'Union européenne, grâce à la constitution dont elle se dotera, d'élaborer et de conduire des politiques dans des domaines stratégiques capables de renforcer la cohésion, le dynamisme et le poids dans le monde de notre vieux continent. A chaque génération ses défis : celle qui nous a précédés a su relever l'Europe de ses ruines, réconcilier entre eux des peuples mus par des haines séculaires et créer un espace économique facteur de développement et de prospérité. Il appartient à la génération présente d'édifier une nouvelle Europe reposant sur des institutions fortes et respectées, inspirées par les principes de liberté, de démocratie et de solidarité.

La réussite de ce grand dessein est d'autant plus indispensable que s'opèrent dans le monde de grands regroupements et que se constituent de grands ensembles économiques avec lesquels les peuples de l'Europe ne sauraient se mesurer s'ils agissent isolément mais avec lesquels l'Europe peut se comparer si elle sait unir ses forces.

Le traité constitutionnel est un aboutissement : celui de l'évolution d'une union économique vers la création d'une entité politique.

Chacune des phases qui ont conduit à cette évolution porte la marque d'une influence française et témoigne d'une grande continuité de notre politique alors que l'on se plaît souvent à dénoncer notre inconstance. La Communauté européenne du charbon et de l'acier est une idée française dont le mérite revient à Jean Monnet et à Robert Schuman.

La conception comme la mise en oeuvre du traité de Rome ont tenu pour l'essentiel à la volonté des hommes politiques français, toutes tendances confondues, de faire de l'Europe une communauté qui ne se réduise pas à une simple zone de libre-échange, mais qui soit capable de construire des politiques communes et de tendre à l'harmonisation des législations. L'entente franco-allemande, qui a su donner l'impulsion nécessaire à toutes les avancées européennes, a été le souci de tous les chefs d'Etat français qui se sont succédé sous la Ve République et le moteur de toutes les avancées.

Sans l'engagement déterminé de François Mitterrand, le traité de Maastricht, qui a mis en place l'Union économique et monétaire ainsi que la création de l'euro, n'aurait sans doute pas vu le jour.

C'est de l'implication permanente du président Chirac dans le domaine de la politique européenne que résultent la préservation de l'exception culturelle, le maintien jusqu'à 2013 de la politique agricole commune et la volonté de donner une dimension sociale à la construction européenne.

Tous les observateurs, enfin, s'accordent à reconnaître la part remarquable prise par les membres français, de toutes origines, lors de la convention préparatoire du traité de Rome II, ainsi que le rôle irremplaçable joué par le président Giscard d'Estaing dans l'élaboration de ce traité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Josselin de Rohan. Le traité constitutionnel est bien un aboutissement parce qu'il remédie, sans doute encore imparfaitement, à deux faiblesses de l'Union européenne : l'insuffisance du contrôle démocratique et l'absence d'une véritable organisation politique.

Les critiques portant sur le caractère technocratique des décisions bruxelloises étaient loin d'être infondées.

Nombre d'entre elles semblaient émaner d'organismes opaques, lointains, imperméables à toute discussion et surtout incontrôlés. Il en est souvent résulté une véritable diabolisation des institutions et une grande incompréhension - pour ne pas parler de répulsion - de la part des opinions publiques à l'égard de tout ce qui émanait de Bruxelles.

Les dispositions du traité constitutionnel, en permettant le droit de pétition, en élargissant très sensiblement les domaines d'action et de contrôle du Parlement européen ainsi que ses responsabilités financières et en accordant aux parlements nationaux le pouvoir de se prononcer sur un projet de loi européen avant son adoption et de contrôler la « constitutionnalité » des lois européennes, apportent de sérieuses garanties aux citoyens européens, celles que leurs préoccupations, leurs appréhensions et leurs revendications seront entendues.

L'absence d'une véritable organisation politique n'a que peu favorisé l'harmonisation des politiques étrangères ou de défense des états de l'Union.

L'exemple du Proche-Orient ou de l'Irak illustre l'étendue des progrès à accomplir pour que l'Union ait une politique étrangère qui soit vraiment la sienne. Par ailleurs, nombre de nos partenaires estiment encore que la défense européenne ne peut s'exercer que dans le seul cadre de l'OTAN.

L'instauration d'un ministre des affaires étrangères de l'Union, chargé de mettre en oeuvre la politique étrangère et de sécurité commune et de coordonner l'action extérieure, est un premier pas vers une « Europe européenne », pour reprendre l'expression du général de Gaulle « qui existe par elle-même, pour elle-même, et qui ait sa propre politique. »

Dans le domaine de la défense, tant le président de la commission des affaires étrangères que notre ami Hubert Haenel ont expliqué quelles étaient les avancées qui interviendraient.

De tels progrès ne seraient pas possibles sans un minimum d'institutions. Le conseil des affaires étrangères devrait, grâce à la confrontation régulière des responsables de la diplomatie des Etats membres, favoriser l'éclosion d'une politique extérieure cohérente de l'Union dans un très grand nombre de domaines. L'avènement d'une politique européenne de la défense prendra sans doute plus de temps, mais les coopérations renforcées devraient, à terme, rapprocher les points de vue et les actions des Etats membres de manière concrète et significative.

La France, mes chers collègues, a trop souvent déploré, dans le passé, l'insuffisante affirmation de son identité par l'Union européenne, sa trop grande dépendance par rapport à la politique étrangère des Etats-Unis, son influence négligeable ou son absence d'initiatives dans diverses régions du monde face aux grands problèmes politiques ou aux conflits qui l'agitent pour ne pas se réjouir de voir, enfin l'Union se donner les moyens de jouer un rôle conforme à ses idéaux et à son poids dans le concert international.

Le traité constitutionnel est la promesse d'une nouvelle Europe.

Les institutions prévues par le traité n'ont d'autre objet que de servir d'outil et de cadre à des politiques communes dont la finalité est de donner une forte impulsion à l'édification d'une nouvelle Europe.

La nouvelle Europe est d'abord une union fondée sur le respect des libertés publiques et des droits de l'homme. Le continent qui a inventé et théorisé, voilà plus de quinze siècles, la démocratie doit demeurer un modèle et un exemple de respect du droit et des valeurs tel que le définit le préambule du traité et de la charte des droits fondamentaux. Les institutions prévues par le traité sont les garantes de ces valeurs.

Tous les pays candidats à l'adhésion savent que la mise en application de ces principes dans leur pays conditionne leur entrée dans l'Union européenne.

En consacrant la notion de citoyenneté européenne, le traité donne une extension remarquable aux droits et aux prérogatives des habitants de l'Union, car outre la libre circulation ou le libre séjour, il leur assure le droit de vote et l'éligibilité aux élections municipales et européennes, la protection des autorités de tout Etat membre et le recours au médiateur.

La nouvelle Europe représente la perspective d'un espace économique moderne, puissant et dynamique, s'appuyant sur des politiques coordonnées et un gouvernement économique dans la zone euro. Les objectifs qu'elle s'assigne sont la croissance équilibrée de l'économie, la stabilité des prix, la liberté de concurrence et la liberté d'entreprise.

Certains voient dans l'affirmation de ces principes une dérive vers l'ultralibéralisme et le droit pour le plus fort d'écraser le plus faible. C'est oublier que la libre concurrence, comme la liberté d'entreprendre, figure dans tous les traités précédents et que la réglementation de la concurrence est le domaine où la Commission a fait preuve de l'activité la plus grande depuis l'origine du traité de Rome. C'est oublier aussi que le traité évoque une économie sociale de marché « qui tend au plein emploi et au progrès social », ce qui est le contraire du libéralisme débridé. Mais qui peut sérieusement croire que, dans une économie aussi ouverte que celle du monde contemporain, la compétitivité d'une entreprise soit une tare ?

Il est vrai que les délocalisations, le dumping fiscal ou social seraient des obstacles sérieux à l'établissement d'une bonne gouvernance économique de l'Europe, de même que le laxisme dans le domaine de la lutte contre les déficits excessifs. Le renforcement du rôle du Parlement européen, l'émergence d'une opinion publique européenne, les réactions des Etats membres et les coopérations renforcées conduiront sans doute à remédier aux lacunes ou aux insuffisances des politiques actuelles. Ce devrait être l'un des acquis du traité.

La nouvelle Europe sera sociale. Le Premier ministre nous en a donné des exemples extrêmement concrets ; il a cité des articles du traité qui ne font aucun doute à cet égard. Ainsi, onze articles du traité sont consacrés à la protection sociale, aux conditions de rémunération des travailleurs, aux congés payés, à l'institution d'un fonds européen visant à promouvoir l'emploi, la mobilité géographique et professionnelle des salariés au sein de l'Union. Nous sommes loin du paysage dévasté décrit par les critiques du traité, qui voient dans son adoption les prémices d'une Europe où les salariés seraient livrés à l'arbitraire des entreprises, sans recours ni protection !

M. Roland Muzeau. C'est pourtant bien cela !

M. Josselin de Rohan. La nouvelle Europe, enfin, sera un espace de liberté, de sécurité et de justice.

Qui ne voit que, seule une politique coordonnée dans le domaine de l'immigration peut aboutir à une véritable régulation des flux migratoires et à une protection efficace des frontières de notre continent grâce à une législation appropriée luttant contre l'immigration clandestine ou la traite des êtres humains ?

Qui ne sent que la lutte contre l'insécurité et le terrorisme, pour donner des résultats, passe par une coopération étroite et une mise en commun des informations ou des ressources des Etats membres ?

Qui ne comprend que l'adoption de règles de procédure pénale et de règles minimales définissant les infractions et les sanctions pour des crimes tels que le trafic de drogue ou le blanchiment d'argent conditionnent l'efficacité de la lutte contre ces fléaux ?

A un journaliste qui s'apprêtait à l'interroger, Woody Allen annonça : « La réponse est non ; quelle est la question ? » (Sourires.)

C'est uniquement sur le projet de constitution que les Français doivent se prononcer. II faut, pour l'avenir de l'Europe comme pour le nôtre et celui de nos enfants, que nos ambitions l'emportent sur nos inhibitions.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Josselin de Rohan. La France ne peut pas tourner le dos à cinquante ans d'efforts tenaces et continus pour édifier une Europe forte, unie et libre où elle ne manquerait pas, de par son histoire, ses ressources et son ingéniosité, d'exercer une influence déterminante sur la conduite des politiques européennes.

Le président du Parlement européen lui-même l'a mise en garde : un vote négatif nous ferait reculer vingt ans en arrière, décevrait cruellement tous ceux qui voient en la France l'un des artisans les plus convaincus, les plus efficaces de la construction européenne et porterait une grave atteinte à sa crédibilité au plan international.

Croire possible la renégociation d'un nouvel accord après un rejet du traité est une chimère.

Ceux qui ont dû faire des concessions pour consentir à une Europe aux pouvoirs plus étendus ou à un modèle social plus éloigné de leurs conceptions traditionnelles ne trouveraient aucune raison de les réitérer. L'Europe a minima comprend de nombreux partisans. Le système de votation pour le calcul des majorités qualifiées, mis en place par le traité de Nice, convient mieux à certains de nos partenaires que celui qui est envisagé par le projet de traité, plus avantageux pour la France. Les détracteurs de la PAC n'attendent que le non français pour la démanteler. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Curieux paradoxe que celui de voir confortée une Europe uniquement « libre-échangiste » par ceux qui se proclament les ennemis les plus irréductibles du libéralisme ! (Murmures sur les travées du groupe CRC.)

L'avènement d'une nouvelle Europe est une chance pour la France, une aventure qui mérite d'être vécue, un combat qui vaut la peine d'être mené parce qu'il ouvre des horizons et des champs d'expérimentation nouveaux aux générations futures.

Aujourd'hui, il s'agit non plus de panser les plaies du passé, mais de construire un modèle politique, économique et social original pour notre temps.

Un modèle qui respecte les traditions, la culture, l'identité de chacun des Etats composant l'Union, qui leur assure la plus large autonomie mais qui sache mobiliser les énergies afin que, dans des domaines politiques essentiels, l'Europe parle d'une seule voix pour peser sur les affaires du monde.

Un modèle qui permette d'élaborer des politiques économiques, scientifiques et technologiques qui placent l'Union parmi les ensembles les plus performants et les plus compétitifs de notre époque comme cela a été le cas pour Ariane, Airbus, Galileo, Huyghens et demain pour Iter.

Un modèle qui conjugue le développement économique et le progrès social afin que les fruits de la croissance puissent être équitablement répartis entre ceux qui sont à sa source et que ne s'établissent point de disparités entre catégories sociales et territoriales qui nuiraient à la cohésion de l'Europe.

Mes chers collègues, aucun avenir ne se fonde sur les peurs et sur les rancoeurs ou sur les règlements de compte, aucune perspective ne s'ouvre si elle ne débouche pas sur l'espérance ou l'enthousiasme. Aucune alternative n'est concevable à partir de majorités hétéroclites unies dans la seule négation.

M. Josselin de Rohan. La jeunesse de notre continent, notre jeunesse, est conviée au démarrage d'un grand et exaltant chantier, celui de la nouvelle Europe. Nous faisons confiance à sa générosité, à son ardeur, à sa capacité de trouver en elle les ressorts nécessaires pour la mener à bien.

Ainsi l'Europe, si marquée pendant tant de siècles par une histoire tragique et glorieuse, par les guerres, les crises et les déchirements, mais si riche en hommes de génie, en découvertes et en chefs-d'oeuvre, s'engagera-t-elle dans un nouveau millénaire avec la volonté de cesser d'être un mythe pour devenir enfin une puissance. (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Roland Muzeau. Encore un oui !

M. Michel Mercier. Sans problème, monsieur Muzeau !

M. Roland Muzeau. Où sont les non ? Où est le peuple ?

M. Michel Mercier. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 29 mai prochain, les Françaises et les Français sont appelés à se prononcer, par voie de référendum, sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Il nous faut d'abord affirmer très clairement que, si cette procédure de ratification est sûrement la plus difficile, c'est la seule qui soit acceptable, compte tenu du sujet. Seuls les Françaises et les Français peuvent valablement dire s'ils sont, ou non, favorables à une Constitution pour l'Europe. C'est cette voie exigeante que le Président de la République a choisie pour ratifier le traité instituant cette Constitution, et ce choix recueille pleinement notre soutien et notre engagement.

Depuis le début, la France a joué un rôle singulier dans la construction de l'Europe : tantôt moteur, tantôt frein, mais toujours essentiel.

M. Michel Mercier. C'est la France qui a été très largement, après la guerre, à l'origine de la construction européenne, c'est elle aussi qui y a porté un coup de frein, le 30 août 1954, lorsque l'Assemblée nationale a rejeté le projet de Communauté européenne de défense dont elle avait été l'initiatrice.

C'est dire que le vote des Françaises et des Français, le 29 mai prochain, sera observé...

M. Michel Barnier, ministre. Absolument !

M. Michel Mercier. ...et aura un effet d'entraînement pour l'Europe tout entière, pour les Européens qui auront à se prononcer directement et pour les parlements qui auront à ratifier le traité.

Si le  non  est respectable dès lors qu'il repose sur des raisons explicables, dire que la France fera progresser l'Europe en disant non, c'est abuser les Françaises et les Français et renier toute l'histoire de la construction européenne !

M. Michel Mercier. Par notre refus, en 1954, nous avons simplement permis aux Etats-Unis de devenir la seule grande puissance mondiale. Lorsque nous regrettons tous, régulièrement, que l'Europe reste un nain politique, c'est parce que, un jour, nous avons dit non à la construction d'une Europe politique ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. C'est une vision partisane !

M. Robert Hue. Les communistes et les gaullistes, ça vous déplaît !

M. Michel Mercier. Mon cher collègue, il faut dire les choses telles qu'elles sont : c'est ainsi que nous ferons honneur au suffrage universel direct ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.) Raconter des histoires qui peuvent, certes, faire plaisir, mais qui n'ont rien à voir avec la réalité, c'est aussi, d'une certaine manière, manquer à la démocratie !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Où est le gaullisme, franchement ? Ils réécrivent l'Histoire !

M. Michel Mercier. Alors, le 29 mai, quelles raisons avons-nous de voter oui pour ratifier le traité établissant une Constitution pour l'Europe ?

M. Guy Fischer. Cela commence mal !

M. Roland Muzeau. Le MEDEF le veut !

M. Michel Mercier. Ces raisons ont été largement expliquées par les orateurs précédents ; je voudrais simplement les reprendre et les organiser autour de quelques idées simples.

Les deux premières parties de la Constitution, composées des soixante articles institutionnels et de la Charte des droits fondamentaux de l'Union, répondent parfaitement, me semble-t-il, à l'idée que nous nous faisons, nous Français, d'une Constitution. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en son article 16, dispose que « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de Constitution ».

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est un juriste qui nous dit cela !

M. Michel Mercier. Or le traité constitutionnel organise clairement les pouvoirs, au service d'un modèle social défini. Des institutions plus claires, plus compréhensibles, nécessaires à la démocratie : quand on sait qui fait quoi, on sait qui est responsable !

Désormais, le Conseil européen, le Conseil des ministres - en fait, la seconde chambre de l'Europe -, le Parlement européen, la Commission européenne voient leurs rôles respectifs clairement précisés, définis. Le fonctionnement de ces pouvoirs est formellement décrit par la Constitution. Les parlementaires européens que nous élirons désormais auront à Bruxelles un vrai pouvoir ; ils ne seront pas simplement envoyés en mission de par le monde pour voir comment les choses se passent, ils seront aussi à Bruxelles pour travailler, pour voter les lois.

Clarifier les institutions ne vaut que si l'on connaît l'objet de l'organisation ainsi mise en place. Or, jamais des textes européens ayant une valeur normative n'ont été aussi clairs. L'article 3 de la première partie de la Constitution définit les objectifs de l'Union. C'est la première fois qu'un texte définit aussi nettement le modèle social européen. Vivre dans une économie sociale de marché hautement compétitive pour lutter contre les délocalisations, qui tend au plein emploi et au progrès social, tel est le but de l'Union européenne. C'est ce pourquoi nous nous battons le 29 mai !

La Charte des droits fondamentaux proclamée à Nice, dont le contenu est extrêmement fort et important, acquiert une valeur normative dans la deuxième partie du traité constitutionnel. Sans entrer dans le détail, on y trouve les droits politiques proclamés par la Déclaration de 1789 et par la République lorsqu'elle s'est installée en France ; les droits sociaux du préambule de la Constitution de 1946, mais aussi des droits sociétaux que nous n'avons pas encore inscrits dans nos textes, relatifs à l'égalité entre les femmes et les hommes, aux droits des enfants, au droit de vivre sa vie comme on l'entend. Ces droits de société sont particulièrement actuels et répondent aux besoins de la civilisation européenne d'aujourd'hui.

Enfin, avec des institutions claires, un modèle de civilisation à défendre nettement défini, il faut que l'Europe soit forte. Pour la première fois depuis 1954, percent les éléments d'une Europe-puissance, avec l'expression d'une politique extérieure et de sécurité commune, un ministre des affaires étrangères de l'Union européenne, les prémices d'une politique de défense commune, mais aussi l'affirmation que, lorsqu'un Etat est attaqué, les autres lui portent assistance - ce qui n'est pas si mal - et, naturellement, la solidarité entre tous les Etats européens.

Un modèle de civilisation servi par des institutions et par une Europe-puissance, voilà le premier apport de la Constitution qui nous est proposée.

Cette Constitution - par définition, ai-je envie de dire - apporte un « plus » à la démocratie parce que l'on sait qui fait quoi et comment cela fonctionne. Depuis trop longtemps, nos concitoyens ont pris l'habitude d'incriminer Bruxelles lorsque quelque chose ne va pas ou qu'une règle est incompréhensible. Eh bien, si nous votons cette Constitution, une telle attitude ne sera plus possible parce que la démocratie se trouvera renforcée au niveau européen.

J'ai évoqué le rôle du Parlement européen, qui deviendra un parlement « normal », votant toutes les lois. De plus, la règle de la majorité qualifiée, telle qu'elle est établie au sein du Conseil des ministres, est fondamentale. La démocratie, nous le savons bien, c'est d'abord la loi de la majorité, non pas seulement des institutions étatiques, mais aussi des citoyens. Instaurer une majorité fondée, certes, sur le plus grand nombre possible d'Etats, mais représentant au moins 65 % des citoyens européens, c'est affirmer l'émergence d'un peuple européen qui deviendra l'acteur essentiel du fonctionnement des institutions communes.

Voilà donc une démocratie renforcée à l'échelon européen, mais aussi à l'échelon national. Ce dernier aspect ne devrait pas manquer de nous intéresser tous, en particulier les parlementaires.

Demain, la Constitution ayant été approuvée - je le souhaite et nous nous battrons pour cela -, chaque chambre du Parlement français, comme de tous les autres parlements des Etats de l'Union, aura deux rôles. D'une part, veiller à ce que l'Union européenne exerce exclusivement les compétences qui lui ont été confiées, les autres restant du ressort des parlements nationaux, selon le principe de subsidiarité. D'autre part, se prononcer sur tous les projets de loi européens, quelle que soit leur catégorie juridique. C'est à nous de nous organiser. Nous ne pourrons plus dire que 50 % de la législation est faite à Bruxelles ; nous aurons prise sur la totalité de la législation qui intéresse nos concitoyens.

Cette Constitution est donc un texte bien plus important et qui change bien plus de choses qu'on ne l'a dit. Bien entendu, il décrit et met en place des institutions, mais c'est nous, par nos voix, en tant que citoyens européens, qui les feront vivre.

Le besoin d'Europe est évident. Sans l'Europe, seules les lois du laisser-faire s'exerceront. Le besoin d'Europe, nous le ressentons tous, mais au-delà, lorsqu'un référendum est en oeuvre, il faut susciter le désir. Eh bien, pour conclure, je voudrais dire à tous nos concitoyens que ce désir d'Europe répond à ce que nous sommes !

Nous sommes tous attachés à notre manière de vivre. Nous sommes tous attachés à notre système de protection sociale. Nous sommes tous attachés à une certaine civilisation, à une culture. Aujourd'hui, le cadre national ne suffit plus à protéger tout cela, car il éclate sous les coups de boutoir de la mondialisation. Seul un cadre plus vaste, plus fort - notamment démographiquement -, pourrait nous apporter une solution.

Au moment où l'Amérique s'organise - pas seulement l'Amérique du Nord, mais aussi l'Amérique du Sud - au moment où l'Asie s'éveille, au moment où les continents s'organisent, seule l'Europe peut protéger notre façon de vivre, nous permettre d'être Français.

Je souhaite que cela donne à toutes et à tous un désir d'Europe qui se traduira par un oui le 29 mai prochain. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Plusieurs sénateurs du groupe CRC. Enfin un non !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je regrette que M. le Premier ministre ait quitté cet hémicycle. Il y est venu, en tant que chef de la majorité, défendre le traité constitutionnel. Nous attendions de lui qu'il écoute tous les groupes !

M. Jacques Blanc. Le Gouvernement est représenté !

Mme Fabienne Keller. Il y a trois ministres !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, oui, c'est notre peuple qui se prononcera le 29 mai, par référendum.

Je voudrais dire, au nom des sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, que cette consultation populaire, nous l'avons voulue ; nous avons milité pour qu'elle ait lieu. Ce traité, en effet, devrait engager la France, comme les autres pays de l'Union, pour longtemps, sur un véritable choix de société.

La question est la suivante : voulons-nous continuer l'Europe telle qu'elle s'est construite jusqu'ici, en pérennisant les dogmes libéraux, ou, au contraire, voulons-nous changer de cap ?

Le choix est d'importance. Nos concitoyens ont droit à un débat serein, démocratique. Aussi, nous ne pouvons que déplorer le fait que le matériel officiel soit un véritable outil de propagande pour le oui, ...

M. Robert Bret. Et avec l'argent des contribuables ! (Marques d'approbation sur les travées du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... que le ministre de 1'éducation nationale censure un document destiné aux enseignants, que les fonctionnaires soient sommés de ne pas participer aux manifestations publiques qui auront lieu entre le 16 et le 29 mai.

M. François Autain. C'est scandaleux !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le débat démocratique mérite mieux que l'invective de ministres de la République qui qualifient de « mensonges » ou de « hooliganisme verbal » les propos des partisans du non !

Le débat démocratique, c'est la possibilité pour nos concitoyens qui vont se prononcer de se forger une opinion, d'entendre des arguments sur le contenu du traité tel qu'il est, de le lire, de juger par eux-mêmes, à partir de leur propre expérience. La démocratie, c'est pouvoir dire non !

Croyez-vous un instant que les habitants de notre pays n'ont pas la finesse d'établir un rapport entre la dégradation de leur situation et l'enthousiasme de M. Seillière, du Président de la République et du Gouvernement pour le traité constitutionnel ?

M. Robert Bret. Eh oui !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, les mobilisations populaires qui ont lieu depuis des mois des salariés du privé et du public, des chercheurs, des lycéens, des urgentistes aujourd'hui, portent une aspiration à sortir du carcan libéral. Or, le traité veut les y enfermer encore davantage.

Si les premiers articles du traité annoncent des valeurs d'égalité, de démocratie, de liberté, seul, en fait, l'article I-3, qui prône que « L'Union offre à ses citoyens [...] un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée », sera développé et assorti d'obligations largement détaillées dans les trois cent vingt et un articles de la partie III, dont vous ne parlez guère !

Au moins à trois reprises, le titre III du traité affirme que la politique économique - donc, ce texte traite de politique économique ! - est conduite conformément au respect du principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre.

Ce dernier s'accompagne, tout naturellement, du dogme de la libre circulation des capitaux. Ainsi, l'article III-156 interdit toute restriction aux mouvements des capitaux et la règle de l'unanimité gouverne toute décision qui constituerait un recul sur ce droit.

De même, les mesures d'harmonisation de la fiscalité, de transparence, de taxation des mouvements de capitaux, de lutte contre l'évasion fiscale, tout comme les mesures sociales, sont subordonnées à un vote à l'unanimité. Elles sont donc figées. Ainsi, toute évolution dans ces domaines et toute politique alternative sont interdites par le traité constitutionnel, sauf à ce qu'il soit révisé !

Par ailleurs, le traité ne connaît ni les services publics ni les services d'intérêt général ; il ne traite que des services d'intérêt économique général. Ce n'est pas un hasard sémantique : ces services sont concurrentiels.

Une constitution, disent les partisans du oui, n'empêche pas de mener la politique économique et sociale de son choix. Mes chers collègues, cette Constitution, unique en son genre, fixe justement dans le détail une politique ultralibérale pour l'Union et les pays membres.

Comment l'Europe favoriserait-elle des politiques contre le chômage ? Comment les pays européens mèneraient-ils des politiques audacieuses et ambitieuses d'investissements utiles, de soutien au pouvoir d'achat, de santé publique ou d'éducation ? Ces politiques se heurteraient au traité constitutionnel.

Le budget européen doit être strictement équilibré, ce qui complète l'interdiction signifiée à la Banque centrale européenne de faire crédit aux institutions européennes. L'indépendance de cette dernière et sa toute puissance interdisent aux instances politiques de peser sur elle pour qu'elle assouplisse sa politique monétaire afin de lutter contre le chômage ou pour toute autre raison.

Mettre fin au dumping social se heurte directement à l'unanimité qui est requise pour modifier les règles fiscales.

C'est l'expérience que font nos concitoyens et les peuples européens depuis des années et que l'agenda de Lisbonne prévoit de poursuivre, sans se soucier du traité dont l'adoption est donc considérée comme acquise, ce qui n'est pas démocratique ! En revanche, cela signifie bien que le traité ne sera d'aucune gêne pour les projets de libéralisation en cours.

Aussi, comment croire ceux qui nous expliquent que la directive Bolkestein n'a rien à voir avec le traité ?

L'article III-144, inclus dans la sous-section 3 « Liberté des prestations de services », est éclairant : « Dans le cadre de la présente sous-section, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation. »

Les articles III-145, III-147 et III-148 précisent la libéralisation de la prestation de service, sans jamais donner une quelconque garantie en matière de salaires ou de conditions de travail.

Par ailleurs, reste à venir le projet de directive sur l'aménagement du temps de travail, au titre particulièrement évocateur : la durée du temps de travail ne doit pas excéder 48 heures en Europe, cette durée pouvant être calculée sur sept jours ou sur quatre mois. C'est ce que l'on appelle pudiquement l'annualisation et, plus franchement, la flexibilité. La directive propose de porter la période de calcul à douze mois pour amadouer les dirigeants anglais qui ne respectent même pas les 48 heures.

Le rapporteur du texte au Sénat rappelle que la Commission a fixé la durée maximale de travail sur une semaine à 65 heures. C'est ce que l'on appelle un garde-fou souple ! Même si cette disposition repose sur la base du volontariat, le rapporteur souligne qu'il s'agit d' « une régression sociale dommageable ».

M. Bernard Frimat. C'est vrai !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il précise que, « dans le contexte actuel, notamment dans les débats sur la ratification du traité constitutionnel, l'Europe semble donc apparaître comme impuissante à améliorer la protection des salariés : par exemple, il est naturellement préjudiciable à la construction européenne d'afficher un volume maximum hebdomadaire de travail de 65 heures ! »

Dois-je rappeler au rapporteur que rien, dans le traité, n'empêchera l'application de cette directive ?

M. Jacques Blanc. Elle n'a pas été prise !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien au contraire, la référence constante à la libre concurrence justifie cette politique d'abandon du social aux règles drastiques du marché.

M. Jacques Blanc. Vous dites n'importe quoi !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec tout autant de précision, je pourrais vous montrer le lien qui existe entre le traité et les directives ou les règlements libéralisant les activités portuaires ainsi que le transport ferroviaire : privatisation larvée du rail et libéralisation des transports régionaux par la mise en concurrence des transports express régionaux, lesTER.

L'éclatement de La Poste, la privatisation d'EDF-GDF, dont on annonce qu'elle sera reportée au lendemain du référendum - excusez du peu ! -, les retraites, l'assurance maladie et même l'éducation : tous les secteurs sont entraînés dans ce vaste mouvement de marchandisation.

Alors même que la France n'a pas encore voté la transposition de la directive sur la libéralisation de La Poste, la Commission, considérant que les pays à monopole postal sont bien trop longs à mettre en oeuvre la libéralisation totale du service postal, tient « au chaud » - paraît-il - un règlement destiné à accélérer le processus.

Les partisans du oui soutiennent que « c'est la première fois que l'on parle de social dans un traité européen », comme M. Sarkozy nous l'a dit lors de sa trois centième minute pour convaincre, ...

M. Robert Bret. Il est le meilleur ! (Sourires.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... lui dont le credo politique est la suppression des charges sociales, la généralisation des contrats à durée déterminée, le financement privé des universités. Curieuse conception du social !

Quoi qu'il en soit, le terme « social » existe depuis belle lurette dans les textes européens ! C'est la Charte sociale européenne, promulguée en 1961 et révisée en 1966. C'est la Charte des droits sociaux fondamentaux, signée en 1989 et incluse sous forme de protocole au traité de Maastricht. C'est le Livre blanc pour la croissance, la compétitivité et l'emploi - tout un programme ! - publié en 1994. C'est enfin la promulgation, par la conférence intergouvernementale de Nice, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en décembre 2000.

Or l'expérience que font les Français n'est pas concluante et ils le disent !

Les partisans du oui nous expliquent que la Charte des droits fondamentaux est maintenant dans la Constitution. Oui, mais elle n'est pas contraignante.

La délégation du Sénat pour l'Union européenne apporte un éclairage bienvenu sur ce point. Commentant l'article III-112, elle indique : « Il s'agit de bien marquer le fait que la reconnaissance de certains droits par la Charte ne les érige pas pour autant automatiquement en droits justiciables, voire en droits imposant une obligation de faire aux institutions européennes.

« Ces droits (par exemple le droit d'accès aux prestations de la sécurité sociale, le droit de travailler - et non pas au travail, je le signale ! - ou le droit à la protection à la santé) correspondent à des objectifs, à des " principes " qu'il convient évidemment de respecter, et même de promouvoir [...], sans imposer pour autant une obligation de résultat. »

Avec la Charte, nous sommes bien loin de l'obligation de résultat. En revanche, l'obligation d'entrer dans le carcan financier de Maastricht, sous peine d'astreinte financière, est elle bien réelle !

Commentant l'article III-111, la délégation précise que la Charte s'impose aux Etats membres, « mais uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union (pour les réglementations et législations strictement nationales, le respect des droit fondamentaux par les Etats membres s'apprécie au regard du droit interne [...]

« Par rapport à l'actuel article 51 de la Charte, cet article de la Constitution n'apporte pas de modification de substance. »

Comment, alors, ne pas souscrire aux inquiétudes des féministes, qui constatent que la Charte s'abstient de toute avancée ? « L'égalité des femmes et des hommes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail » est énoncée, mais l'article ne s'applique pas aux rémunérations.

Le droit à disposer de son corps - contraception et avortement - est absent. Aucune avancée n'est donc prévisible pour les femmes du Portugal, de Pologne, d'Irlande.

Le droit au mariage est inscrit, mais pas le droit au divorce ! L'esclavage et le travail forcé sont interdits, mais la prostitution n'est pas explicitement citée.

Mme Jacqueline Gourault. Vous mélangez tout ! C'est incroyable !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il s'agit donc d'une charte qui n'est pas contraignante et qui ne se fixe pas d'objectifs ambitieux en matière de droits individuels et de droits sociaux : c'est un comble !

Elle est en deçà des objectifs de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 !

Quant à la peine de mort, les abolitionnistes, dont je fais partie, ont raison d'être déçus. Des dérogations, en cas de guerre ou de risque de guerre, restent possibles : quelle avancée !

Madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, la méthode Coué, le rouleau compresseur de la propagande ont toujours leurs limites !

Les partisans du oui ont bien du mal à faire croire que voter oui, c'est voter pour l'Europe et que voter non, c'est être antieuropéen ! Nos concitoyens, la jeunesse aspirent à une Europe sociale, démocratique, à une Europe de paix, à une Europe qui joue un rôle positif dans le monde. C'est ce que la France a porté en s'opposant à l'intervention militaire en Irak. Quel souffle avons-nous alors donné à tous les pacifistes !

Dire non à ce traité, c'est dire non à la politique libérale du gouvernement actuel, c'est dire non aux politiques libérales européennes actuelles et à venir. La voix de la France sera entendue !

Le journal L'Humanité - qui a publié le traité dans son intégralité dès le mois d'octobre dernier -, ...

M. Guy Fischer. Eh oui !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... met en exergue aujourd'hui une citation de Victor Hugo que je vous invite à méditer : « L'Europe ne peut être tranquille tant que la France n'est pas contente » !

Dire que l'Europe va s'arrêter si le non l'emporte en France n'est pas crédible. L'aspiration à l'Europe est forte, durable ; elle n'est pas subordonnée à un traité.

Sur le plan institutionnel, les choses sont claires. En cas de non-ratification, le traité de Nice continue de s'appliquer et « le Conseil se saisit de la question ». En un mot, on renégocie.

Quant à son sens, les choses seront tout aussi claires : le non en France, pays fondateur de l'Europe, sera un non aux politiques libérales. Cela signifie un non au dumping social, un non à l'harmonisation par le bas, un non à la casse des services publics, un non à la hausse des dépenses d'armement inscrites dans le traité, un non à la mise sous tutelle de l'Europe par l'OTAN !

Nous sommes des « politiques ». Alors, comment peut-on dire que rien d'autre n'est possible ? Quel pessimisme et quel mépris des peuples !

Le refus du traité par la France modifiera le paysage politique. Non, la France ne sera pas isolée ! Le non de la France ouvrira de nouvelles perspectives pour tous ceux qui veulent une Europe de progrès social, une Europe de l'égalité, de la solidarité, des services publics, de la coopération. Ce non à l'Europe libérale rassemble ! Il est porteur d'espoir.

Madame, messieurs les ministres, les sénatrices et les sénateurs de notre groupe feront tout ce qui est en leur pouvoir pour que notre peuple, s'exprime le 29 mai. Toutes les voix sont égales dans l'urne ; celle du salarié de l'entreprise délocalisée aura le même poids que celle de M. Seillière. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Pelletier.

M. Jacques Pelletier. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous allons bientôt nous prononcer sur le traité constitutionnel sur l'Europe, adopté à Rome le 29 octobre 2004 par les vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement.

Certains de nos compatriotes ont déjà fait leur choix ; d'autres, nombreux, hésitent encore. Ce sont ces derniers que nous devons convaincre, soit de voter non, soit de voter oui. Pour ma part, je me situe bien évidemment dans le camp du oui.

A tous, j'aimerais d'abord dire ceci : ne nous trompons pas de cible, ne nous trompons pas de débat ! Ceux qui agitent des chiffons rouges pour attiser les peurs, qui amalgament politique nationale et débat constitutionnel ou prétendent que voter oui permettra l'entrée de la Turquie dans l'Union sont hors sujet et sont quelquefois animés d'arrière-pensées politiciennes.

Voilà quelques jours, j'ai rencontré des personnes que je connais bien : elles étaient persuadées que si nous votions oui, la Turquie, dès le lendemain du référendum, le 30 mai, serait dans l'Europe. C'est incroyable ! C'est une désinformation extraordinaire !

M. Robert Hue. C'est ce que dit Sarkozy !

M. Jacques Pelletier. C'est pour cette raison que nous devons les uns et les autres prendre notre bâton de pèlerin pour expliquer vraiment la réalité des choses.

La Constitution européenne est un texte collectif, issu des travaux d'une convention composée de parlementaires européens et nationaux ainsi que de représentants des gouvernements. Tant les entreprises que les syndicats ont été consultés. La Constitution est le résultat d'un consensus que nous devons au président Giscard d'Estaing et aux conventionnels de qualité qui l'entouraient.

Rappelons que la Constitution européenne ne favorise pas en soi l'éventuelle adhésion de quelque Etat que ce soit. Au contraire, elle nous permet d'être plus exigeants vis-à-vis des pays candidats, parce .qu'elle conditionne l'appartenance à l'Union au respect de notre héritage culturel et humaniste et à celui de valeurs telles que la démocratie, les droits de l'homme et des minorités, l'Etat de droit ou l'égalité entre les hommes et les femmes.

Agir en politique ne peut conduire à des réflexes mécaniques. La seule « bonne » façon de voter, c'est de répondre à la question posée. Elle n'est rien d'autre que celle-ci : « Voulez-vous de cette Constitution pour l'Europe ? »

M. Jacques Pelletier. Quand je voterai oui le 29 mai, je ne dirai oui ni à Jacques Chirac, ni à Jean-Pierre Raffarin, ni à François Hollande. Je dirai oui à la Constitution européenne !

Mme Hélène Luc. Ne vous justifiez pas !

M. Jacques Pelletier. A ceux qui refusent ou craignent l'Union européenne, je rappellerai qu'elle est déjà faite et que la France a tout à y gagner ; elle y a, d'ailleurs, déjà beaucoup gagné.

Depuis la Communauté européenne du charbon et de l'acier, la CECA, et la Communauté européenne de l'énergie atomique, EURATOM, au début des années cinquante, beaucoup de chemin a été parcouru. Le traité de Rome a conçu la Communauté économique ; l'Acte unique a achevé le grand marché européen ; Maastricht a offert une nouvelle ambition avec la monnaie unique ; enfin, Amsterdam, puis Nice, ont ouvert la voie à la Constitution.

De petit pas en petit pas, à force de volontarisme et de compromis, l'Union européenne s'est dotée d'un ensemble de règles et d'institutions communes. Aujourd'hui, elle s'étend à presque tout le continent.

Certains ne voient que les aspects contraignants de l'Union. Qu'ils songent aussi à ce que cette construction nous a apporté : la réconciliation et la paix durable entre des pays si longtemps ennemis - depuis des siècles, nous n'avions pas connu cinquante ans de paix avec l'ensemble de nos voisins, que ce soient l'Allemagne, l'Angleterre, l'Espagne ou l'Autriche -, la possibilité de circuler, de résider, d'étudier, de commercer sur un vaste territoire et, enfin, le développement grâce à la solidarité.

On n'insiste pas assez souvent sur ce dernier aspect. Les fonds structurels européens ont permis à l'Espagne, au Portugal et à la Grèce, ainsi, du reste, qu'à certaines régions françaises, de combler leur retard. Qui peut s'en plaindre aujourd'hui ? Pourtant, en 1986, que n'a-t-on entendu de la part de certains de nos concitoyens, spécialement de ceux résidant dans le sud-ouest ? On allait les étrangler, on allait les ruiner ! Finalement, le rattrapage de leur retard par l'Espagne, le Portugal et la Grèce a été très profitable à l'ensemble de leurs voisins.

Pourquoi accuser les nouveaux adhérents de vouloir en profiter ? Ils ont les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres. Nous verrons que ces pays rattraperont vite leur retard, car ils n'ont pas perdu la culture du développement.

L'Europe est bien là, n'en déplaise à ses détracteurs, et un non au référendum ne nous fera pas revenir en arrière. Il nous fera simplement stagner pendant de nombreuses années. La France, dans cet ensemble, perdrait alors beaucoup de son autorité.

En acceptant de transférer ou de partager certaines compétences, non seulement la France n'abandonne ni son identité ni son indépendance, mais elle y gagne.

Qui peut prétendre aujourd'hui que notre pays a suffisamment de poids face aux Etats-Unis, à la Chine, à l'Inde, demain face au Brésil, pour défendre ses positions et ses intérêts ? Qui peut affirmer que notre pays peut lutter seul contre le terrorisme et l'immigration clandestine ou peut protéger seul son environnement ?

Faisons donc preuve de modestie, de réalisme et d'honnêteté en admettant que seule une Europe structurée et puissante sera capable de protéger notre modèle de société et nos intérêts. En son sein, la France peut continuer d'exercer son influence dans le monde.

Mes chers collègues, sur cent citoyens du monde, un seul est français. Il faut quand même bien trouver le moyen de s'arranger avec quelques-uns de ces quatre-vingt-dix-neuf autres ! Il est préférable de le faire avec des gens qui partagent notre vision, notre idéal, nos valeurs. Or qui les partage, sinon les pays d'Europe qui nous sont les plus proches ?

A ceux qui s'interrogent sur le contenu de la Constitution, j'indiquerai simplement quelques-unes des raisons qui motivent le groupe du Rassemblement démocratique et social européen à voter oui.

Nous voterons oui parce que la Constitution européenne consolide les acquis européens et parce que nous sommes convaincus que nous sommes plus forts ensemble pour préserver nos emplois, notre agriculture, notre culture et notre technologie dans la compétition internationale. Les réussites éclatantes, telles que celles d'Airbus ou d'Ariane, en témoignent.

Nous voterons oui parce que, pour la première fois, un traité européen définit un modèle politique et social pour l'Union et parce que celui-ci s'inspire fortement de notre modèle républicain.

Respect de la dignité humaine, droits des minorités, égalité entre les hommes et les femmes, développement durable, accès à l'aide sociale et aux services publics, plein emploi, lutte contre l'exclusion, cohésion territoriale, solidarité entre les générations, droits syndicaux : ces valeurs, ces objectifs ou ces droits fondamentaux, inscrits pour la première fois dans la Constitution européenne, ne reflètent pas franchement une conception ultralibérale !

Un rejet du traité compromettrait les espoirs de placer l'homme au coeur du projet européen et de faire avancer l'Europe sociale. Le grand vainqueur serait finalement le seul marché unique, dont nombre de partisans du non déplorent la vision libre-échangiste et anglo-saxonne.

Nous voterons oui parce que la Constitution européenne permet un fonctionnement de l'Union plus transparent et plus démocratique.

Au fil des traités, nous avons conçu, comme le disait Jacques Delors, un objet politique non identifié. L'Europe n'est pas un Etat, mais ce « non-Etat » dispose d'un budget propre et légifère, selon des procédures qui sont incompréhensibles pour le grand public, par des autorités qui échappent au bulletin de vote des électeurs européens et, en général, dans l'indifférence des médias.

Le texte constitutionnel redonne justement la main au politique en soumettant la Commission à un contrôle renforcé du Parlement européen et des parlements nationaux. Cela est important pour nous car nous serons bien davantage consultés à l'avenir que dans le passé. Du reste, les directives deviendront des projets de loi soumis à débat et à vote.

Enfin, nous voterons oui parce que la Constitution européenne est un premier pas vers une Europe de la défense, nécessaire pour bâtir une « Europe-puissance » et assurer la sécurité des citoyens.

Au-delà de la création d'un poste de ministre des affaires étrangères, qui donne une voix à l'Europe, la principale avancée est certainement l'introduction d'une clause de défense mutuelle.

Pour conclure, je me permettrai d'interroger sur le sens de leur démarche ceux qui, malgré tout, diraient non à la Constitution européenne.

Veulent-ils rompre le pacte qui nous lie depuis cinquante ans à nos partenaires ? Ils prendraient alors de lourdes responsabilités, celle d'enlever toute crédibilité à la France, qui a inspiré l'édifice européen et a beaucoup oeuvré à sa construction, celle d'isoler notre pays et de le priver du moyen de défendre ses intérêts dans le monde. Je vous en supplie : pas de repli frileux sur l'hexagone !

Veulent-ils que la Constitution européenne soit renégociée ? Ils ne sont pas sérieux ! Il a fallu deux ans pour élaborer et faire accepter ce texte par tous les Etats membres.

M. Jacques Pelletier. La France ne pourra pas demain exiger des autres ce qu'elle n'a pu obtenir hier ! On en resterait alors au traité de Nice, dont tout le monde sait qu'il ne permet pas de fonctionner correctement à vingt-cinq, d'autant que la règle de l'unanimité s'applique à de nombreux domaines. On bloquerait ainsi toute possibilité d'avancer pendant plusieurs années.

Quant à ceux qui abordent le débat caricaturalement ou le prennent en otage pour servir des stratégies individuelles, pour d'autres échéances, ils ne sont respectueux ni de nos partenaires ni des Français.

Il faut certes entendre les inquiétudes exprimées par nos concitoyens sur leur avenir et y répondre. Mais rétablissons la vérité une bonne fois pour toutes : tout partisan du oui n'est pas un ultralibéral patenté ou un fossoyeur de la France ! Notre oui, au groupe RDSE, est un oui de responsabilité tout autant qu'un oui de conviction.

La Constitution pour l'Europe est sans doute perfectible. Elle est déjà une promesse de liberté et de progrès pour chaque citoyen européen, bien plus réelle que le vide qui serait laissé par un éventuel non le 29 mai prochain.

L'Europe, mes chers collègues, est définitivement une réalité. Elle est désormais unie au terme d'expériences amères pour de nombreux pays. Elle entend avancer sur la voie de la civilisation et de la prospérité, pour le bien de tous ses habitants.

Elle veut demeurer un continent ouvert à la culture, au savoir et au progrès social. Elle souhaite oeuvrer pour la paix, la justice et la solidarité dans le monde. A nous de réaliser ce « rêve européen » que le préambule et le contenu de la Constitution nous permettent d'entrevoir et que nos enfants et nos petits-enfants attendent. L'Europe, alors, aura la politique de sa pensée. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP. M. Daniel Reiner applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour que tous les Européens se prononcent sur le texte du traité, les Verts avaient souhaité une consultation transnationale, à l'initiative des institutions communautaires.

Il s'agissait de donner d'emblée une visibilité à l'ampleur de l'enjeu, à la dimension territoriale du débat, et d'éviter la juxtaposition de messages nationaux, très dépendants de chaque opinion publique envers son gouvernement du moment.

Cela n'a pas été possible, et nous voici face au mécontentement majoritaire des Français devant le sort qui leur est fait.

Mécontentement aggravé, car le message des régionales n'a pas été entendu par le Gouvernement.

Mécontentement enraciné et mal dirigé, car, depuis des décennies, certains font passer pour les choix « des technocrates de Bruxelles » leurs mauvais coups élaborés par les multinationales, ou relayés par les politiques ultra-libéraux.

Mécontentement durable, car vous avez oublié cyniquement le large front républicain de 2001, embrayant sur un train de réformes funestes.

Pour autant, c'est contre ce gouvernement, contre ses choix destructeurs pour la solidarité et la nature que nous luttons ; ce n'est sûrement pas contre le cadre européen où s'expriment des exigences plus protectrices.

Les Verts sont pour un oui européen solidaire. Certes, ce traité ne définit pas l'Europe de nos rêves, mais il ouvre un espace élargi, pacifié au plan diplomatique pour la construire, un espace à ensemencer et à cultiver pour mener vers un mieux-disant social et environnemental dans la démocratie et la transparence.

Nous venons de loin : la construction européenne n'a-t-elle pas commencé par l'union monétaire et économique, par une Commission cooptée par les chefs d'Etat, peu soucieuse de l'avis du Parlement, par des travaux du Conseil à huis clos ? N'a-t-elle pas été rythmée par des traités écrits et validés sans la participation des représentants des peuples ?

Mais ce n'est pas au moment où tout cela peut changer qu'il faut freiner ! A l'élaboration sont maintenant associés des parlementaires. Il y aura codécision du Conseil et du Parlement. Celui-ci gagne vingt-sept nouveaux domaines de compétence, dont l'agriculture.

Les droits s'affirment, et la Charte, tout en favorisant les mieux-disant nationaux, rend contraignantes les exigences minimales.

Il y va de l'égalité hommes-femmes, de la limitation du dumping social, du droit des minorités, de la démocratie participative, du développement durable, du droit du travail, du droit des personnes expulsées.

En matière de culture, nos modes de soutien à la création sont préservés : « pas d'harmonisation législative et culturelle », dit le traité. Et s'il y avait un risque « d'atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union », un vote à l'unanimité serait requis.

Ce que nous défendons ici avec force - l'aide à la création, à la diffusion et à l'emploi artistique - est davantage menacé par des choix nationaux que par des obligations qui s'imposeraient à la France.

Reste le marché et son cortège de gains de productivité à coup de renoncements sociaux et environnementaux : la route est encore longue pour que la solidarité et le respect des milieux naturels garantissent à chacun la santé, l'épanouissement et le droit de gagner dignement sa vie. Mais du chemin a été parcouru et ceux qui brandissent les seules « règles de la concurrence » omettent de dire qu'elles régissaient déjà hier les échanges, et que le travail des militants et des élus a permis d'ajouter « dans la mesure où l'application de ces dispositions ne fait pas échec à l'accomplissement de la mission particulière qui leur a été impartie ».

On peut vouloir rester au texte précédent, mais je ne suis pas certaine que les missions et les salariés d'EDF, de La Poste ou de France Télécom en sortent gagnants !

M. Jean-Pierre Bel. Très bien !

Mme Marie-Christine Blandin. A ceux qui ont peur de l'Europe, rappelons qu'en matière d'environnement les directives européennes sont plus fiables que les discours du Président Chirac. D'ailleurs, nous sommes menacés de poursuites pour non-respect des arrêts de la Cour européenne de justice sur six affaires : préservation de la nature, accès à l'information, protection de l'eau, gestion des déchets et micro-organismes génétiquement modifiés !

Pour les consommateurs, il y a plus de protection possible dans une Europe où le Parlement veille que dans celle d'hier où le Président français enrayait d'un coup de téléphone le programme REACH, cédant aux intérêts de l'industrie chimique.

M. François Marc. Très bien !

Mme Marie-Christine Blandin. Où est la menace libérale pour les travailleurs : dans une Europe qui exige, pour le démontage des matériaux amiantés, la surveillance de l'exposition, les pauses intermédiaires en démontage, l'apprentissage de la décontamination, la surveillance et la conservation des dossiers médicaux pendant quarante ans, ou en France, pays qui n'exige aucune qualification des entreprises d'enlèvement des matériaux à fibres captives ?

Mais est-il bien utile d'argumenter rationnellement ? Le non n'est-il pas devenu le porte-voix de la colère contre le Gouvernement et les méfaits de la spéculation mondiale, et le traité le bouc émissaire d'une population malmenée ?

Je laisse de côté certains porteurs du non, enkystés dans un souverainisme d'un autre âge ou le nationalisme revanchard d'une époque qui désignait déjà Jean Jaurès comme ennemi de la France, avant de sauter dans les bras de tous les reniements belliqueux.

Je laisse aussi le  non du repli et du conflit, alors que la majorité des Européens appellent au dépassement des égoïsmes nationaux, seule voie vers une paix durable.

J'alerte sur un non qui se trompe de cible, un non qui déconstruirait des outils qui peuvent nous protéger, faire pièce au libéralisme mondial débridé, pour peu que l'on y travaille, un non qui plairait à George Bush et dédouanerait Tony Blair de sa responsabilité.

Mme Jacqueline Gourault. Tout à fait !

Mme Marie-Christine Blandin. Ne cédons à aucune simplification : le oui n'est heureusement pas la sanctification d'un projet européen de société libérale. Et ne nous faisons aucune illusion : le non ne portera pas un coup d'arrêt fatal à la casse des acquis sociaux.

En revanche, un travail militant sur les textes à venir nécessite que soit voté le traité qui rend pouvoir au Parlement. Des députés Verts y travaillent. Ce sont eux qui ont demandé le retrait de la directive « Services » au profit d'une directive « Services d'intérêt général », une évaluation d'impact global sur les conséquences économiques, sociales et environnementales, le vote par appel nominal sur le paragraphe 6 - écrit par la droite - qui lie l'ouverture du marché des services à la croissance et l'emploi. Cet appel nominal eut pour effet la mise en minorité des promoteurs et le retrait du paragraphe 6 !

En hommage au travail pugnace et assidu de nos députés européens Verts, nous souhaitons leur garantir de plus grandes marges de manoeuvre : le traité le permettra.

Je terminerai en citant un grand auteur français, qui s'étonnait, voilà un siècle, de l'embrasement de l'opinion pour une mauvaise cause : « Dans les affreux jours de trouble que nous traversons, au moment où la conscience publique paraît s'obscurcir, c'est à toi que je m'adresse, France, à la nation, à la patrie. Chaque matin, en lisant dans les journaux ce que tu sembles penser (...), ma stupeur grandit, ma raison se révolte davantage. Eh quoi ? France, c'est toi qui en es là, à te faire une conviction des plus évidents mensonges (...), à t'affoler sous l'imbécile prétexte que l'on insulte ton avenir (...), lorsque le désir des plus sages, des plus loyaux de tes enfants, est au contraire que tu restes, aux yeux de l'Europe attentive, (...) la nation d'humanité, de vérité et de justice ? Et c'est vrai, la grande masse en est là, surtout la masse des petits et des humbles, le peuple des villes, presque toute la province et toutes les campagnes, cette majorité considérable de ceux qui acceptent l'opinion des journaux ou des voisins, qui n'ont le moyen ni de se documenter, ni de réfléchir. Que s'est-il donc passé, comment ton peuple, France, ton peuple de bon coeur et de bon sens, a-t-il pu en venir à cette férocité de la peur (...) ? »

Ce texte est de Zola. Il a été publié la veille de J'Accuse et est moins connu. En voici l'original (L'oratrice présente le feuillet.) ; « l'Europe attentive » y figurait déjà. Je n'ai modifié qu'un mot, le terme « armée », qui ne convenait qu'à l'affaire de 1898.

Bien sûr, ni les acteurs, ni la gravité, ni les conséquences ne sont ceux de notre débat. Et pourtant, nous, tenants d'un oui de lutte et de gauche, nous avons aujourd'hui aussi un devoir d'alerte pour préserver la Constitution européenne et sa construction. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. Gérard Delfau. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean François-Poncet.

M. Jean François-Poncet. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, - en tout cas, ceux d'entre vous qui sont présents sur ces travées et dont je salue la détermination et le courage parlementaire (sourires) -, année après année, les enquêtes d'opinion révèlent qu'une large majorité de Français - environ 65 % - sont favorables à la construction européenne. Nos concitoyens la jugent positive, pour l'Europe et pour la France.

Or le non à la Constitution européenne l'emporte, sondage après sondage. D'où vient ce paradoxe ? D'où vient cette contradiction ? Pourquoi une majorité de Français dit-elle oui à l'Europe et non à la Constitution ?

Nous savons tous, évidemment, dans nos différents départements, que le non à la Constitution, pour beaucoup, est le non au chômage, aux délocalisations, à la réforme de l'école, à la directive Bolkestein, à l'entrée de la Turquie ; c'est le destin malheureux mais congénital de tous les référendums.

Mais la mauvaise humeur n'explique pas tout, loin de là. La vérité, c'est que, derrière l'adhésion globale à l'unité de l'Europe, se profilent un malaise latent, une source d'hostilité à l'encontre de l'Europe telle qu'elle s'est construite à Bruxelles.

On lui reproche - nous avons tous ces reproches présents à l'esprit - de s'occuper de tout, d'avoir laissé la bride sur le cou à la technocratie, d'avoir accordé la portion congrue à la démocratie. On lui reproche de s'élargir sans fin, d'être divisée et impuissante, sans voix lorsque des événements aussi graves que ceux qui sont survenus en Irak exigeraient l'union de tous.

Le fait est que la Convention a pris en compte tous les reproches qui sont adressés à la Constitution. Ceux qui m'ont précédé à cette tribune - je ne reprendrai pas leurs propos - nous ont indiqué que la Constitution répondait complètement à tous ces reproches, que, si les dispositions de cette Constitution qui nous ont été décrites étaient mises en oeuvre, ces avancées remettraient l'Union européenne sur des rails qu'elle n'aurait probablement jamais dû quitter.

Mais qui le sait ? Les contre-vérités répandues par les partisans du non rencontrent plus d'écho que les explications honnêtes développées par ceux du oui. Notre information est encore insuffisamment simple, convaincante, réellement audible. Heureusement, il n'est pas trop tard pour rattraper le temps perdu.

Mes chers collègues, la montée du non a aussi une autre cause, plus pernicieuse, sur laquelle il est essentiel de s'arrêter. J'y consacrerai l'essentiel de mon propos.

Les adversaires de la Constitution ne font pas campagne contre la construction européenne. Au contraire, à les entendre, ils en seraient les meilleurs serviteurs. Ils ne la combattent pas, ils volent à son secours, au nom d'une autre Europe, la vraie, la leur. Mais cette Europe, ils se gardent bien de la décrire, en dehors de quelques plates généralités, comme celles qui viennent d'être énoncées à cette tribune. (Sourires sur les travées de l'UMP.)

A cela, il y a deux raisons. Premièrement, ils ne sont d'accord entre eux sur rien ! Deuxièmement, s'ils avaient un projet et se risquaient à l'exposer, on s'apercevrait instantanément que personne n'en veut, ni en France ni en Europe !

Aussi se contentent-ils, pour l'essentiel, de banaliser les conséquences du non. Rassurez-vous, nous disent-ils, le rejet de la Constitution ne provoquera pas de grande commotion : le traité de Nice reprendra du service et la crise sera salutaire, comme les crises européennes l'ont toujours été. Vient enfin l'argument suprême : grâce à la crise, « la France reprendra la main », selon le titre d'un récent article.

Le moment est venu de dire clairement aux Français où en seraient l'Europe et la France si le non l'emportait le 29 mai prochain. M. le ministre est sans doute en mesure de le faire ; je vais quant à moi m'y essayer, à mes risques et périls...

S'il est vrai que, dans le passé, l'Europe a surmonté les crises qui ont jalonné sa route et si elle a pu, chaque fois, rebondir et même progresser, c'est pour la seule et unique raison que la France et l'Allemagne les ont affrontées ensemble, au coude à coude.

Les différends qui ont si souvent secoué leur couple n'ont jamais durablement entamé leur entente fondamentale sur l'Europe. La France et l'Allemagne ont toujours élaboré conjointement et fait accepter par leurs partenaires les solutions qui ont permis à l'Europe de surmonter les crises et d'en sortir par le haut. Or tel ne serait plus le cas si le non l'emportait en France, alors que le Bundestag s'apprête à approuver le projet de Constitution à la quasi-unanimité de ses membres.

Nous touchons ici à l'essentiel : pour la première fois en cinquante-cinq ans, les chemins de la France et de l'Allemagne se sépareraient en ce qui concerne l'Europe, c'est-à-dire non pas sur un sujet secondaire, mais sur une question fondamentale. En effet, avec la Constitution, il s'agit de poser un toit sur l'édifice que nous avons patiemment construit ensemble pendant un demi-siècle. Imaginez, mes chers collègues, la stupeur des Allemands et ce qui subsisterait, outre-Rhin, de notre crédit !

Je ne cherche pas à dramatiser. Le traité de l'Elysée continuerait de s'appliquer. Le Chancelier allemand et le Président de la République française se concerteraient. M. le ministre des affaires étrangères parlerait avec son homologue et ils feraient de leur mieux pour limiter les dégâts et sauver ce qui pourrait l'être.

Mais on découvrirait très vite, à mon avis, que l'Europe a changé de centre de gravité et que, grâce à la France, l'heure attendue par la Grande-Bretagne depuis un demi-siècle a finalement sonné. Londres ramasserait les morceaux et prendrait les rênes.

Mes chers collègues, permettez moi d'évoquer un souvenir personnel.

En 1957 - qui, parmi vous, était né à cette époque ? (sourires) -, en tant que jeune fonctionnaire, j'accompagnais chez le Premier ministre britannique de l'époque, Harold Mac Millan, le ministre français qui avait, au nom de la France, négocié le traité de Rome.

La Grande-Bretagne, qui ne croyait pas au succès de cette négociation, n'y avait pas participé. Après la signature du traité, nous avions donc été envoyés à Londres afin d'inviter les Britanniques à nous rejoindre au sein de l'Union.

Harold Mac Millan, avec une exquise courtoisie, nous expliqua pourquoi le traité de Rome n'était pas fait pour la Grande-Bretagne. Il évoqua le Commonwealth, les liens particuliers de son pays avec les Etats-Unis et son ouverture au grand large. Puis, après un long silence, il ajouta en souriant : « Mais si vous réussissez, nous vous rejoindrons ».

Mes chers collègues, si le non l'emportait, c'est la France qui rejoindrait la Grande-Bretagne. Celle-ci aurait-elle d'ailleurs encore besoin de voter ? Je n'en suis pas certain.

Ne voyez pas dans mes propos Dieu sait quelle forme d'anglophobie ! La Grande-Bretagne est un grand pays. Elle est notre alliée, une alliée courageuse, dont l'économie, grâce aux réformes imposées par Mme Thatcher, et auxquelles Tony Blair a eu l'intelligence de ne pas toucher, est l'une des plus performantes d'Europe.

Le niveau de vie des Britanniques, qui était largement inférieur à celui des Français, le dépasse aujourd'hui. Enfin, avec un taux de chômage de 4 %, la Grande-Bretagne fait mieux que les Etats-Unis !

Voulons-nous pour autant d'une Europe à l'anglaise ?

Celle-ci aurait deux caractéristiques principales.

Tout d'abord, à l'intérieur, il s'agirait d'une zone de libre échange, où le marché délimiterait l'espace laissé aux politiques sociales et où la concurrence servirait d'arbitre entre les systèmes fiscaux. Quant à la politique agricole, elle serait rapidement vouée à la renationalisation.

Ensuite, à l'extérieur, l'Europe deviendrait une province de l'ensemble atlantique. Ses priorités seraient fixées par l'OTAN, en étroite liaison avec Washington. L'Europe européenne rejoindrait le général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises.

Cette Europe à l'anglaise est celle que les partisans du non prétendent combattre par dessus tout. Or, c'est celle qu'ils installeraient eux-mêmes aux commandes si le non l'emportait.

Je viens de parler de l' « Europe à l'anglaise ». J'ai eu tort. En effet, si la Grande-Bretagne était seule, au début, à défendre ce modèle, aujourd'hui, de nombreux pays sont prêts à y souscrire, non seulement les dix nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale, mais aussi les social-démocraties scandinaves, qui s'en accommoderaient aussi bien que les travaillistes britanniques.

L'Allemagne elle-même, qui nous a suivis et qui penche comme nous pour une économie sociale de marché et pour une Europe indépendante au sein de l'Alliance, s'y rallierait si la France, par son vote, reniait l'oeuvre commune. Elle le ferait d'autant plus volontiers que le parti de la démocratie chrétienne, la CDU, qui se rapproche davantage du pouvoir à chaque nouvelle élection régionale, verrait probablement sans trop d'états d'âme l'Allemagne rejoindre sa place traditionnelle de bon élève de la classe atlantique.

Mes chers collègues, j'ai mis l'accent sur le nouvel équilibre des forces que le non de la France installerait en Europe. Il ne faudrait pas pour autant sous-estimer la multitude des retombées négatives qu'entraînerait le retour au traité de Nice. Mais je n'y reviens pas, de peur de vous lasser, car les orateurs qui m'ont précédé l'ont très bien expliqué.

J'attirerai simplement votre attention sur deux observations, dont il a rarement été fait état.

La première concerne directement la France. En substituant le critère de la population aux pondérations arbitraires de Nice, la Constitution fait passer le poids de la France dans les institutions européennes de 9 % à 13 %, le poids du couple franco-allemand de 18 % à 31 %, et celui de l'Europe des six à l'intérieur de l'Europe des vingt-cinq de 36 % à 49 % : l'acquis pour la France et pour ceux qui partagent sa conception de l'Europe se passe de tout commentaire.

La seconde observation concerne la Turquie. Cette question est hors sujet, c'est une affaire entendue, mais nous l'abordons dans toutes nos réunions.

S'il est vrai que la Turquie n'a pas sa place au sein d'une Europe politique, en l'occurrence celle qui est prévue par le projet de Constitution, rassemblant des pays unis par une histoire et une civilisation que la Turquie, qu'on le veuille ou non, ne partage pas, on voit mal pourquoi on exclurait ce pays d'une union purement économique, fondée sur le libre échange et exposée à tous les vents.

C'est le non, mes chers collègues, qui ouvrirait la porte à la Turquie, et non pas le oui ! Il nous faut en convaincre l'opinion publique.

M. Jean François-Poncet. La construction européenne survivrait probablement à un non de la France, mais elle cesserait d'être française ou franco-allemande : elle deviendrait anglo-saxonne et nous ne pourrions que nous y résigner.

Cinquante ans d'audace et d'efforts, conduits par cinq présidents de la République, soutenus par des majorités autant de gauche que de droite, se trouveraient balayés par un « coup de lune ». Or l'ascension spectaculaire de la Chine annonce l'émergence, beaucoup plus rapide qu'on ne le prévoyait, d'un monde multipolaire, qui aura grand besoin d'une Europe puissante et indépendante, de son expérience, de ses valeurs et de sa sagesse.

L'Europe ne sera européenne que si, en votant oui, la France continue de lui imprimer sa marque.

Il est grand temps de « dire non au non », avec toute la force de conviction et de persuasion dont nous sommes capables, dans nos villes et dans nos campagnes, en mobilisant nos amis qui sommeillent, en éclairant les hésitants qui s'interrogent et en convainquant ceux qui veulent voter non sans mesurer les conséquences de leur vote.

Mes chers collègues, au travail ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me contenterai de reprendre quelques points de ce débat, dont la qualité mérite d'être soulignée : répondant à l'ensemble des interrogations, il devrait balayer les argumentations fallacieuses développées par les tenants du non. A ceux qui voudraient transformer ce référendum et le réduire à un vote partisan - pour le Gouvernement, pour le Président de la République - je tiens à rappeler qu'il recouvre, au contraire, un enjeu majeur.

Pourquoi ce débat, qui vient, c'est vrai, à un moment où la campagne du non est sans doute plus lancée que celle du oui, ne serait-il pas le déclic dont notre pays a besoin pour prononcer un oui d'espérance, un oui de confiance en l'avenir de la France, en l'avenir de l'Europe ?

Après les propos remarquables qu'a tenus M. Jean François-Poncet, qu'il me suffise de dire que, si le non l'emportait, nous n'aurions aucune chance de retrouver l'accord de vingt-cinq pays sur un nouveau texte. C'est d'ailleurs aux qualités des membres de la Convention - M. Hubert Haenel, le président Valéry Giscard d'Estaing, sans oublier l'acteur éminent que vous avez été vous-même, monsieur le ministre - que nous devons d'avoir fait émerger un accord sur un texte.

Y avoir réussi, c'est tellement extraordinaire que nous devrions aujourd'hui nous laisser emporter par cet élan pour faire partager notre ardeur et notre enthousiasme en expliquant ce qui se passerait en cas de victoire du non ! Il n'y a aucune chance qu'un autre traité, meilleur, puisse être conclu demain ! Cessons de le laisser croire, et essayons, en revanche, de mettre en valeur l'élément d'espérance que porte cette Constitution.

Mes chers collègues, quels que soient nos sentiments, chacun mesure bien ici, après la mort du Pape, l'universalité de la place de l'homme. Or, la place de l'homme est au coeur de la Constitution.

A ceux qui voudraient utiliser des références chrétiennes pour combattre ce texte, vous me permettrez de rappeler ce communiqué des églises chrétiennes dont on a peu parlé et qui, dans le respect des uns et des autres, souligne que la communauté de valeurs au service de l'homme est bien au coeur même de cette Constitution.

De ce communiqué établi dans le respect de nos consciences, signé du président de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France, du président de la Fédération protestante de France, du président de la Conférence des évêques de France, la conclusion qui se dégage, c'est la place de l'homme dans cette Constitution. Elle en fait un élément d'espérance pour tous.

Et je voudrais saisir cette occasion pour balayer les attaques de ceux qui, au motif que la Constitution emploie, non le mot de « chrétien», mais celui de « religion », développent des campagnes injustifiées.

De même, il nous appartient de répondre aux arguments de ceux selon lesquels cette Constitution, ouverte au seul jeu de la concurrence, oublierait les droits fondamentaux des individus.

Mes chers amis, comment assurer un développement économique qui garantisse l'épanouissement des uns et des autres autrement qu'en votant oui  à cette Constitution ? Arrêtons de faire supporter par l'Europe les conséquences de situations parfois difficiles, alors qu'elle est le seul remède à ces maux !

Au monde de l'agriculture, je rappellerai ce que l'Europe lui a apporté. Qu'il n'oublie pas que l'action du Président de la République, lors de l'accord de Luxembourg, a permis de pérenniser jusqu'en 2013 un soutien financier qui atteint 8 milliards, voire  9 milliards d'euros. Pour nos agriculteurs, c'est la garantie que si la Constitution est votée, la politique agricole commune évoluera, certes, mais dans le respect de la conception qui a toujours été la nôtre, celle de l'exploitation agricole familiale.

Bien sûr, nos agriculteurs devront adopter des techniques de production plus respectueuses de l'environnement ; bien sûr, ils devront se conformer à un certain nombre d'exigences ; mais leur avenir sera assuré, alors qu'il serait condamné si la France, en choisissant de se tenir de l'écart, n'était plus en mesure de défendre leur cause.

Que les agriculteurs de France prennent deux minutes pour réfléchir qu'à se laisser aller, parce qu'ils ont des problèmes et qu'ils éprouvent des difficultés, ils risquent d'avoir demain des réveils terribles !

Pour apaiser certaines craintes, je dirai le fond de ma pensée : le mérite du débat sur le référendum, c'est d'avoir tout à coup permis dans notre pays une meilleure prise de conscience que la réalité européenne, c'est cette Europe à vingt-cinq, qui avait été oubliée et qui existe. Faute de se donner des règles de vie qui correspondent à cette nouvelle réalité, elle tombera en panne. L'angoisse que provoque chez certains cette prise de conscience, il nous appartient de la calmer.

De même, il nous revient de répondre aux interrogations de ceux qui ont peut-être besoin de mieux se faire expliquer ce que cette Constitution va leur apporter, notamment le fait que le pouvoir sera bien, désormais, un pouvoir politique ; et c'est en ce sens qu'on peut bel et bien parler de Constitution.

Ne nous laissons pas enfermer dans le débat consistant à savoir si, en l'absence d'Etat, il y a ou non une Constitution. Ce texte apporte une réponse vraie à la situation particulière d'une construction qui, après avoir associé les Etats, associe aujourd'hui davantage les citoyens.

Employons-nous donc à bien démontrer que le pouvoir sera, non pas le pouvoir des technocrates, mais un pouvoir politique nouveau. En effet, à travers un président élu pour un mandat renouvelable de deux ans et demi, le Conseil aura une voix politique et le ministre des affaires étrangères, qui parlera au nom de l'Europe, aura une chance que sa voix soit écoutée dans le monde.

Apportons la démonstration que le Parlement européen, élu par les citoyens, voit ses pouvoirs incontestablement renforcés. Et expliquons à ces électeurs que nous, parlementaires nationaux, allons désormais gagner une dimension d'action supplémentaire, celle  de gardiens de la subsidiarité.

A ce titre, nous pourrons, de concert avec d'autres parlements, bloquer un certain nombre de textes et rappeler l'exigence de voir chacun remplir davantage son rôle, si possible au plus près du terrain. Et ce pouvoir, nous l'exercerons d'autant mieux que les compétences, exclusives, partagées, ou de soutien, sont définies dans le texte.

Nous avons aussi à rappeler que cette volonté embryonnaire de rapprocher les citoyens des responsables européens à laquelle a répondu la création du Comité des régions d'Europe sera renforcée. Cette instance aura, en effet, la capacité de saisir la Cour pour assurer le respect de la subsidiarité.

Il est capital pour nous de démontrer que, loin de créer des opportunités supplémentaires pour l'exercice d'un pouvoir technocratique, ce texte est, au contraire, l'occasion de faire émerger une réalité politique. Nous ne tomberons pas dans le piège !

De la fameuse  « directive pour les services », je dirai, d'abord, qu'elle n'existe pas. Il y a eu un projet de directive, dont, je le rappelle ensuite, la délégation du Sénat pour l'Union européenne s'était saisie. Elle a fait un rapport. Et on sait très bien que, demain, la Constitution renforcera la capacité politique de blocage de tels projets.

Enfin, comme cela a été dit, face à la mondialisation, nous avons besoin aujourd'hui de cette organisation. Veut-on que l'Europe ait un poids ? Dans ces conditions, comment peut-on envisager que la France soit isolée ?

Je souhaite, pour ma part, que l'Europe vienne assurer la réalité de cette organisation multipolaire du monde, dans laquelle une place particulière serait faite à l'espace euroméditerranéen.

M. Jacques Blanc. L'équilibre en Europe exige une politique de voisinage. Elle donnera une nouvelle dimension aux échanges avec des pays qui, sans avoir vocation à entrer dans l'Europe, ont vocation soit à accompagner ses actions, soit à être accompagnés par elle.

Il exige aussi une politique interne. Monsieur le ministre, lorsque vous étiez commissaire, vous avez été de ceux qui ont permis de faire intégrer, dans cette Constitution, à côté de la cohésion sociale, la cohésion territoriale.

Nous tous, ici, voulons que ce pays vive en équilibre. Grâce l'aménagement du territoire, nous souhaitons qu'il soit mis un terme au mouvement d'hyperconcentration urbaine et de désertification de nos montagnes ou de notre pays rural.

Tout comme l'aménagement du territoire donne une réponse pour un modèle de civilisation, notre Constitution est bien un modèle de civilisation fait pour assurer l'épanouissement de chacun dans notre société. Nous pouvons tous ensemble nous mobiliser pour faire gagner le oui. C'est un oui d'espérance et un oui de conviction que nous voulons porter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la construction européenne est le fruit d'une longue marche, l'aboutissement d'une quête incessante vers plus d'harmonisation, plus de cohésion, plus d'efficacité.

Que de chemin parcouru depuis la création de la Communauté économique du charbon et de l'acier, en 1951, le traité de Rome, en 1957, et la signature, le 29 octobre 2004, par les vingt-cinq chefs d'Etat et de Gouvernement, du traité établissant une Constitution pour l'Europe ! Car en fait, un grand pays a besoin, plus que d'un traité, d'une Constitution.

Cette construction s'est déroulée avec le souci constant de faire de l'Europe une confédération d'Etats nations. Parallèlement à une élémentaire harmonisation, l'identité et la lisibilité des peuples et des nations qui la composent ont été préservées. Cet équilibre dans l'harmonisation était souhaité par les pères fondateurs de l'Europe.

Dans un monde de plus en plus ouvert, il était important de permettre à nos concitoyens de garder leurs repères et leurs racines. Ces repères et ces racines sont aujourd'hui, de par leurs différences mêmes, une vraie source d'enrichissement. Cela doit rassurer nos concitoyens : tout risque d'uniformisation est ainsi écarté.

Mais, aujourd'hui, la France doute ; elle n'a plus confiance en elle. Ecartelée entre le xxie siècle et ses nouvelles technologies et un xxe siècle où elle avait surmonté tant de soubresauts, la France est rongée d'inquiétude. Cette société inquiète est prête à basculer à tout moment dans le refus, voire dans la révolte. Que ce soit dans les villes ou dans les campagnes, la France se trouve dans l'incapacité d'accepter les mutations qui lui permettraient d'affronter l'évolution du monde qui l'entoure.

La France se réveille ainsi au milieu de 450 millions d'Européens et d'une mondialisation qu'elle subit alors qu'elle a les potentialités d'en être un acteur majeur.

Je salue les efforts du Gouvernement, qui a entamé les indispensables évolutions de nos structures et de nos modes de fonctionnement. Je reconnais l'ampleur des réformes réalisées, mais elles sont loin, malgré tout, d'être suffisantes. C'est là que l'Europe doit prendre le relais et nous inciter à réformer encore davantage.

Côtoyant, au sein de la délégation pour l'Union européenne, des parlementaires d'autres Etats membres, je mesure à chaque rencontre le fossé qui nous sépare. Entre les quinze pays de 1995 et les dix nouveaux entrants, on décèle une incompréhension naissante : une soif d'avancer pour les uns, une inquiétude face à l'avenir pour les autres.

On fait le reproche à l'Europe d'aujourd'hui de n'avoir pas su résister à la mondialisation. C'est un procès facile et c'est aussi un faux procès. La meilleure façon de résister à la mondialisation, c'est tout simplement de la précéder en assurant une meilleure compétitivité de l'Union européenne, une marche vers plus d'innovation, de réactivité et de souplesse. C'est, en fait, la stratégie de Lisbonne. Ce n'est pas de l'ultralibéralisme, c'est tout simplement du réalisme face à d'autres continents qui sont engagés sans état d'âme dans une quête de modernité. De quel droit pourrions-nous les en empêcher ? Aucun !

La Constitution européenne a précisément été pensée pour permettre à l'Europe d'évoluer et de replacer l'homme et les parlements nationaux au coeur de son fonctionnement, en lui redonnant davantage de proximité et de démocratie.

En créant un président permanent du Conseil, un ministre des affaires étrangères, la Constitution donnera plus de lisibilité, de réalité et d'influence à l'Europe sur la scène internationale, rééquilibrant ainsi l'importance des blocs constitués désormais par les Etats-Unis d'un côté, l'Asie et la Chine de l'autre côté. La Chine et l'Asie, ne l'oublions pas, constituent déjà 40 % de la population mondiale et leur ouverture vers la modernité n'a pas fini de bouleverser l'équilibre mondial au sein duquel l'Europe doit trouver sa place et son rôle.

En substituant le vote à la majorité au vote à l'unanimité dans vingt-cinq domaines, notamment dans celui de la protection sociale, L'Europe aura plus de réactivité et de souplesse.

En institutionnalisant la création de l'Eurogroupe, qui réunira désormais les ministres des finances de la zone euro derrière son président élu pour deux ans, les orientations de la politique économique seront plus lisibles et gagneront en efficacité et en rationalité.

Enfin, la reconnaissance d'un droit d'initiative aux citoyens de cette nouvelle Europe est une invitation à émettre une proposition législative près de la Commission, qui permettra de rapprocher les citoyens de ceux qui les gouvernent. Il s'agit d'une notion fondamentale face au fossé qui les sépare aujourd'hui dangereusement, au risque d'entraîner une vraie rupture sociétale. La cohésion sociale doit demeurer au coeur de nos préoccupations ; elle est très fragile en ce début de xxie siècle.

Nous sommes, avec cette Constitution, loin des règles, assez rigides il est vrai, du traité de Nice, qui avait été élaboré pour régir quinze Etats, et quinze Etats seulement. Elle est adaptée et à notre époque et aux 450 millions d'Européens.

Aux Français de comprendre l'ampleur de ces enjeux le 29 mai. « Rien n'est possible sans les hommes », disait Jean Monnet, en ajoutant aussitôt : « mais rien n'est durable sans les institutions ».

Je salue le travail accompli par les cent cinq conventionnels, dont nos collègues Hubert Haenel et Robert Badinter, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. Ils ont ainsi doté l'Europe de règles institutionnelles pour affronter les grands défis de demain. Nous devons leur en être reconnaissants.

En invitant les Français à se prononcer sur cette Constitution par la voie du référendum, le Président de la République accomplit un acte de confiance et de respect à leur égard. Leur vote, le 29 mai, n'en aura que plus de valeur aux yeux de l'Histoire. Puissent-ils ne pas l'insulter ! Car c'est bien de l'avenir, de notre avenir, qu'il s'agit. Si, par malheur, les Français devaient refuser ce « pas en avant » dans la construction européenne, notre pays serait désormais un pays sans influence, seul, isolé, affaibli et incapable d'affronter les défis qui se présentent à lui. M. Jean François-Poncet, avec son expérience, son esprit de synthèse et de prospective, l'a expliqué mieux que quiconque.

En ces temps où l'on ne doit pas méconnaître les difficultés de nos concitoyens, sachons les aider à se rassembler sur l'essentiel, qui se résume à cette seule phrase : si la France demeure notre pays, car c'est là que sont nos repères et nos racines, l'Europe est déjà notre présent, comme l'a rappelé M. Hubert Haenel, et plus encore l'avenir des générations futures. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères. Mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie chacune et chacun d'entre vous, quelles que soient les positions que vous avez exprimées, de votre attention et de la qualité de vos interventions. Me souvenant des années où je siégeais à vos côtés, je pense que c'est l'honneur et la tradition du Sénat de placer le débat d'idées au niveau où il doit l'être.

Mes remerciements s'adressent en particulier au président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Serge Vinçon, et au président de la délégation pour l'Union européenne, Hubert Haenel, pour la clarté, la conviction et la précision de leur propos.

Enfin, je ferai une mention particulière, pleine d'humilité, à l'un de mes prédécesseurs au quai d'Orsay, M. Jean François-Poncet, que j'écoute toujours avec beaucoup de respect et de profit.

Comme l'ont tout à tour indiqué Hubert Haenel et Jean-Pierre Bel, dans ce débat auquel les Français ont droit et auquel vous participez d'une si belle manière, de nombreuses questions se confondent, ce qui explique la confusion, voire, pour une bonne part, les raisons qui font aujourd'hui l'attrait du non. En fait, il s'agit plutôt d'un non de précaution.

Dans le débat confus auquel nous assistons, toutes les interrogations sont utiles et respectables. Toutes expriment des inquiétudes, des préoccupations, parfois de la mauvaise humeur mais, finalement, comme vous l'avez tous souligné, le 29 mai, les Français devront répondre à une seule question.

Comme l'a rappelé Jean-Pierre Raffarin, il ne s'agit pas de voter pour ou contre le Président de la République, pour ou contre le Premier ministre : ce choix-là, les Français le feront en 2007. Il ne s'agit pas davantage de voter pour ou contre l'adhésion de la Turquie. Si les négociations d'adhésion vont jusqu'à leur terme, ce choix-là, les Français le feront dans dix, quinze ou vingt ans.

Monsieur  Retailleau, il n'était pas convenable, pour étayer votre démonstration, de faire appel à un ambassadeur de France qui s'acquitte de sa mission de manière parfaite. Il n'a fait que rappeler la position de la France lorsque le Conseil européen a décidé, avec beaucoup de précaution - et nous y avons contribué -, en posant de nombreuses questions, du début des négociations, qui ne sont d'ailleurs pas encore engagées et qui seront très longues. Jamais notre ambassadeur à Ankara n'a préjugé de la décision que prendront les Français le jour où ils seront consultés, s'ils le sont, sur l'éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Je tenais à apporter cette précision.

Alors, mesdames, messieurs les sénateurs, intéressons-nous à la question qui sera posée le 29 mai et parlons de la Constitution.

Comme vient de le rappeler Jacques Blanc, j'ai été l'un des artisans de cette Constitution. Membre du présidium de la Convention, j'ai ardemment travaillé aux côtés de plusieurs d'entre vous. Permettez-moi, après  Jacques Pelletier et Jacques Blanc, de saluer non seulement le président de cette convention, M.  Valéry Giscard d'Estaing, qui a fait preuve de beaucoup d'autorité et de son intelligence habituelle pendant dix-huit mois, mais aussi  Hubert Haenel et Robert Badinter, qui ont beaucoup contribué, avec l'appui de leurs collaborateurs, que je n'oublie pas, à la qualité de nos débats.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette Constitution n'est pas un projet, c'est un outil au service du projet européen, un cadre, une règle, je serais tenté de dire un règlement de copropriété entre vingt-cinq nations. Il ne s'agit pas de créer une nation européenne ; nous ne rêvons ni d'une nation européenne ni d'un super Etat fédéral, monsieur Retailleau.

Ce que les Gouvernements qui se succèdent font depuis cinquante ans n'a jamais été réalisé dans l'histoire autrement que par la force - les empires - et n'existe nulle part ailleurs dans le monde sous cette forme : des nations, petites et grandes, anciennes et nouvelles, dirigées par des gouvernements de droite ou de gauche, chacune restant attachée à sa culture, à ses traditions, à sa langue - nous n'accepterons jamais de renoncer à notre identité et à notre différence - s'engagent sur la voie de la mutualisation.

C'est ce mot « mutualisation » qui me paraît le mieux caractériser, depuis cinquante ans, le projet européen. Nous mutualisons pour être mieux respectés, pour compter davantage, pour nous protéger avec plus d'efficacité.

Pour que les vingt-cinq nations réussissent la mutualisation d'une partie de leurs ressources, de leurs intelligences, de leurs politiques, il faut établir un règlement de copropriété. Il ne peut s'agir ni du traité de Rome ni des suivants ; c'est l'objet de cette Constitution.

Le général de Gaulle, que plusieurs d'entre vous ont invoqué - je me sens donc autorisé à y faire référence à mon tour - avait déclaré : « Il ne faut pas que l'Europe broie les peuples comme dans une purée de marrons ». Aujourd'hui, la preuve est faite : depuis cinquante ans, quelles qu'aient été les craintes, l'Europe n'a pas broyé nos peuples dans une purée de marrons. Chacun a conservé ses différences, son identité, sa langue, sa culture. Il me semble même que, « pas à pas », comme le disait Jean Monnet, la construction européenne nous a permis de trouver ou de retrouver une force qui, dans le monde d'aujourd'hui, naît souvent de l'union.

Monsieur Retailleau, et cette question s'adresse aussi au groupe communiste républicain et citoyen : que restait-il de notre souveraineté monétaire ? Le franc était dominé par le deutsche mark, lui-même dominé par le dollar.

Vous pouvez évoquer le passé avec nostalgie ; à mon sens, on fait de la politique avec des souvenirs précis, avec des racines. On peut toujours se souvenir avec nostalgie de la force du franc, voilà quelques années, ...

M. Bruno Retailleau. Il y avait des résultats ! Voyez le chômage aujourd'hui !

M. Michel Barnier, ministre. ... mais nous avons retrouvé, grâce à la mutualisation et à la monnaie unique, une souveraineté monétaire bien supérieure à celle qui résultait de l'addition de nos souverainetés nationales.

Pour que l'Europe fonctionne bien, mesdames, messieurs les sénateurs, il faut la doter d'un règlement de copropriété.

Cet outil, lui, est au service du projet qu'ont si bien su décrire Michel Mercier ou Jean Bizet. Ils ont rappelé le rôle fondamental qu'a joué la France : ce projet est d'inspiration française, d'inspiration franco-allemande. Restons fidèles à cet héritage qui nous vient, notamment, de Jean Monnet et de Robert Schuman.

On peut rappeler, comme vous l'avez fait, monsieur Jean François-Poncet, le rapport des forces tel qu'il a toujours été, tel qu'il reste, renforcé même par la Constitution, et tel qu'il ne sera plus, en effet, si, par un non, nous donnons un coup d'arrêt au mouvement européen.

On peut aussi rappeler l'attente des autres Etats membres. Parcourant tous les pays européens jour après jour - j'étais hier encore en Slovaquie -, je puis témoigner que nous sommes observés, que nous sommes attendus, que le choix que nous allons faire touche tous nos partenaires et que la France, avec ce référendum, est plus que jamais au coeur du projet européen.

On peut également rappeler - je viens de le faire, je n'insisterai pas - que dans le monde d'aujourd'hui, un monde qui bascule démographiquement vers la Chine, l'Inde ou l'Afrique, un monde dangereux où les inégalités sont toujours plus grandes et les risques plus nombreux, notamment les risques écologiques, mais aussi ceux que fait courir le terrorisme, nous ne nous protégerons bien, nous n'existerons réellement qu'en étant ensemble, qu'en créant la « masse critique suffisante », comme l'appelaient Robert Schuman et Jean Monnet, qui nous permettra de compter et d'être respectés.

On peut encore rappeler qu'en cas d'échec de cette Constitution, si l'un ou l'autre des pays de l'Union la refusait - je l'affirme parce que je pense que c'est la vérité - c'est le projet européen tout entier qui serait en panne.

Pour en revenir rapidement à ce texte, à l'élaboration duquel j'ai eu l'honneur de contribuer, je veux vous dire en conscience, mesdames, messieurs, qu'il ne recèle aucun recul par rapport aux textes actuels : il ne comporte que des progrès. Pas tous, en effet : dans le domaine social, sur la question de la majorité qualifiée, préférable au droit de veto qui, à vingt-cinq, est source d'impuissance et de blocages, en matière de gouvernance économique, j'aurais souhaité davantage de progrès. Avec d'autres, je me suis battu en ce sens ; finalement, nous sommes parvenus à vingt-cinq à un résultat improbable au départ, et le compromis est dynamique.

Le texte, je le répète, ne comporte que des progrès, et tout d'abord pour la démocratie en Europe, grâce au rôle du Parlement européen, grâce à la place nouvelle des parlements nationaux, grâce au droit d'initiative populaire. Nous sommes loin, avec cette addition des dialogues et la recherche de consensus, de ce que Jacques Blanc craignait en évoquant tout à l'heure la bureaucratie et le diktat de Bruxelles. On trouve de la bureaucratie à Bruxelles, certes, je l'y ai d'ailleurs rencontrée pendant cinq ans,...

M. Charles Revet. Il n'y a pas qu'à Bruxelles !

M. Jacques Blanc. Tout à fait !

M. Michel Barnier, ministre. ... mais, en cherchant bien, on en trouverait probablement ailleurs aussi !

C'est une démocratie originale que nous voulons construire par ce traité, à la fois indirecte avec le Conseil, directe avec le Parlement européen, participative avec l'initiative populaire, consultative avec le Comité économique et social, le Comité des régions, les partenaires sociaux, le dialogue avec les Eglises, enfin, une démocratie décentralisée grâce au rôle nouveau des parlements nationaux.

Le texte représente également un progrès pour la sécurité, notamment en ce qui concerne la politique pénale européenne, la lutte contre la grande criminalité transfrontalière, la lutte contre l'immigration clandestine, le devoir d'assistance.

En matière de défense, Serge Vinçon a évoqué tout à l'heure la clause de solidarité entre les pays européens. J'ai moi-même proposé cette idée, puisque j'ai présidé au sein de la Convention le groupe qui a travaillé sur la défense européenne. Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, elle n'a rien à voir avec l'OTAN, puisqu'elle vaut à l'intérieur du territoire européen ! Jamais l'OTAN n'est ni ne sera appelée à agir à l'intérieur de nos Etats, au grand jamais !

Cette clause a pour objet qu'en cas de catastrophe naturelle, malheureusement toujours possible, ou en cas d'attentat terroriste contre l'un de nos pays - imaginez un Madrid multiplié par trois ou quatre, et c'est malheureusement possible aussi - il soit prévu par avance de mutualiser l'intervention de nos polices, de nos justices, de nos douanes, de nos protections civiles à l'intérieur du territoire européen. L'OTAN ne fera jamais cela ! Voulons-nous ou non de cette clause de solidarité ? Sincèrement, je ne vois pas comment on pourrait refuser un tel progrès !

S'ajoutent à cela toutes les nouvelles dispositions concernant l'Europe de la santé publique, caractérisées par le partage des tâches entre les Etats et l'Union, et celles qui concernent la protection civile.

S'agissant de la sécurité, Jean Bizet le soulignait, nous avons l'occasion de mieux nous protéger de certains risques de la mondialisation.

Le texte constitue encore un progrès pour l'emploi, Josselin de Rohan l'a démontré mieux que je ne pourrais le faire. C'est, mesdames, messieurs, le texte européen le plus social qui ait jamais été écrit. Grâce à la prise en compte par toutes les politiques européennes des exigences sociales et de l'emploi, grâce à la clause sociale générale, grâce à la possibilité de protéger les services publics par la loi européenne, grâce enfin à la reconnaissance dans la Constitution du droit des travailleurs, tout ce qui figure dans la Charte trouve enfin une valeur et une solidité constitutionnelles.

J'aurais voulu que nous allions plus loin. Je peux cependant affirmer que, à l'échelle de l'histoire de la construction européenne, cette Constitution marque un tournant social. Le défi, désormais, est d'utiliser cet outil pour réaliser l'harmonisation par le haut, pour bâtir une Europe dans laquelle on gagne les uns avec les autres - la preuve en fut faite avec l'Espagne et le Portugal - et non pas les uns contre les autres. C'est ce qui nous permettra de résister à toutes les formes de délocalisation, de dumping social ou fiscal.

Mme Borvo Cohen-Seat s'est absentée, mais je suppose qu'on lui transmettra les réflexions que m'inspirent ses propos.

M. Guy Fischer. Elles figureront au Journal officiel !

M. Michel Barnier, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, comme l'a relevé Jean François-Poncet, nombreux sont ceux qui rêvent d'une Europe différente de celle qui s'est construite depuis quelques années, d'une Europe qui soit une sorte de supermarché, de grande zone de libre-échange où la seule règle serait celle de la compétition fiscale et sociale. Ceux-là, ne vous y trompez pas, ne souhaitent pas la Constitution, parce qu'ils ne veulent pas d'une économie sociale de marché qui comporte des règles, des mécanismes de régulation et de redistribution !

Ce qui me choque, ce que je ne comprends pas, ce que je n'arrive pas à accepter, c'est que des élus communistes et socialistes sincères combattent cette Constitution alors que c'est elle qui permettra d'empêcher une telle dérive vers l'Europe supermarché, vers l'Europe grande zone de libre-échange. Ne doutez pas d'une chose, mesdames, messieurs : aucune politique forte ne se fait jamais avec des institutions faibles ; et si nos institutions sont faibles parce que nous n'aurions pas accepté la Constitution, alors, les politiques seront faibles. Les premières politiques qui seront touchées, ce sont la politique agricole commune, la politique régionale et, madame Blandin, la politique de l'environnement. De même, tous nos espoirs d'élaborer une stratégie industrielle seraient passés par pertes et profits.

Enfin, la Constitution marque un progrès sur la voie d'une Europe crédible et respectée dans le monde. Serge Vinçon et Jean François-Poncet l'ont souligné, la défense européenne, la stabilité de la représentation de l'Union grâce à un président élu pour deux ans et demi, grâce à un ministre des affaires étrangères européen, appuyées par de nombreuses autres dispositions, nous permettront d'éviter les divisions que nous avons connues au moment du déclenchement du conflit en Irak et, plus dramatiquement encore, de la partition tragique de la Bosnie-Herzégovine et de la Yougoslavie qui, faute d'avoir été anticipée, nous a conduits à subir sur notre propre continent une guerre qui a provoqué 210 000 morts.

Encore une fois, ce texte apporte des progrès. Voulons-nous utiliser ces progrès ? Voulons-nous utiliser cet outil ?

Je pense que nous avons besoin de cette Constitution. Au fond, le résultat assez improbable auquel nous sommes parvenus a consisté non pas dans l'élaboration d'un traité de plus, mais dans la restructuration, la reconstruction de tous les traités existants. Il a permis de récrire un peu plus lisiblement les soixante premiers articles et de bâtir, en quelque sorte, un nouveau traité de Rome.

J'ai dit l'hommage que nous devons tous rendre, et vous l'avez fait, au travail des conventionnels. C'est la première fois qu'un texte européen est élaboré non pas dans le secret d'une conférence diplomatique, mais de manière démocratique, toutes portes et fenêtres ouvertes. C'est probablement ce qui explique que nous soyons parvenus à ce résultat inespéré.

En chacun de nous, mesdames, messieurs, se livre un débat ou un combat, reconnaissons-le franchement, entre l'inquiétude et l'espérance, entre la déception et le volontarisme, selon les moments, selon les endroits où nous nous trouvons.

Mais ce débat et ce combat ne peuvent se dérouler entre la France et l'Europe. Depuis cinquante ans, le choix n'est pas entre la France et l'Europe, car elles vont ensemble ! Comme vous avez été nombreux à le relever, notamment Jacques Pelletier ou Jacques Blanc, le choix est entre une Europe européenne, indépendante, et une Europe sous influence. Pour ma part, je ne me résoudrai jamais à ce que le continent que nous organisons démocratiquement, que la Constitution nous permettra de mieux organiser encore, soit un continent sous influence.

Josselin de Rohan, tout à l'heure, citait ce joli mot de Woody Allen : « La réponse est non ; quelle est la question ? » Je préfère retourner la phrase : quelle est la question ? Elle est de savoir si nous voulons de cette Constitution pour renforcer tant le fonctionnement d'une Union européenne qui soit effectivement européenne que le rôle de la France dans cette Union. La réponse est oui. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Le débat est clos.

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le numéro 283 et distribuée.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Guy Fischer.)