compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

MISSIONS D'INFORMATION

M. le président. L'ordre du jour appelle l'examen des demandes d'autorisation de missions d'information suivantes :

1° Demande présentée par la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information en vue de se rendre en Inde. Cette mission interviendrait dans le prolongement des travaux que cette commission consacre à l'étude des phénomènes de délocalisation des emplois de service ;

2° Demande présentée par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information en vue de se rendre au Canada, pour étudier le processus de simplification du droit et de réforme de l'Etat, et à Saint-Pierre-et-Miquelon, pour étudier les perspectives d'évolution statutaire de cette collectivité d'outre-mer.

Il a été donné connaissance de ces demandes au Sénat au cours de sa séance du mercredi 16 mars 2005.

Je vais consulter le Sénat sur ces demandes.

Il n'y a pas d'opposition ?...

En conséquence, les commissions intéressées sont autorisées, en application de l'article 21 du règlement, à désigner ces missions d'information.

3

 
Dossier législatif : projet de loi portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique
Discussion générale (suite)

Transposition du droit communautaire à la fonction publique

Adoption d'un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique
Question préalable

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (nos 172, 251).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre, que je suis heureux d'accueillir au Sénat.

M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est la première fois, depuis que je suis ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, que j'ai l'honneur de présenter un projet de loi devant votre assemblée.

Vous connaissez mes orientations : il s'agit de renforcer la motivation des fonctionnaires en réformant la structure de la fonction publique pour remédier, lorsque c'est nécessaire, au corporatisme qui l'affaiblit. Il s'agit également d'ouvrir la fonction publique à la société, notamment en offrant une nouvelle voie d'accès par l'apprentissage - le parcours d'accès aux carrières territoriales, hospitalières et de l'Etat, ou PACTE - et en modernisant les règles de déontologie, en particulier pour permettre aux fonctionnaires de participer au mouvement de mobilité auquel aspirent les nouvelles générations tout particulièrement. Il s'agit enfin de développer la formation permanente au sein de la fonction publique.

Je sais également que vous attendez avec impatience le projet de loi de modernisation de la fonction publique territoriale.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Absolument !

M. Renaud Dutreil, ministre. Je vous confirme qu'il est en cours d'achèvement et qu'il devrait être soumis dans les prochaines semaines au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale. Je souhaitais qu'il puisse être examiné par votre assemblée avant la fin du mois de juin, mais, comme vous le savez, les délais entraînés par l'organisation du référendum ont remis en cause ce schéma. Croyez bien que je ferai mon possible pour que vous puissiez en être saisis dès la rentrée parlementaire, en octobre 2005.

Je ne m'étendrai pas sur ces sujets, car le temps qui nous est imparti pour examiner le projet de loi que je vous présente aujourd'hui est compté. Ce dernier transpose plusieurs mesures de droit communautaire concernant la fonction publique : résorber la précarité dans la fonction publique, poursuivre l'ouverture de notre administration aux ressortissants européens, lutter contre les discriminations, tels sont les objectifs principaux de ce texte.

Le dispositif le plus important concerne les conditions d'emploi des contractuels de la fonction publique. Il permettra de mettre un terme à des conditions de précarité qui ne sont pas acceptables.

Quelle est, en effet, la situation aujourd'hui ?

Le statut actuel de la fonction publique est fondé sur une inégalité radicale : d'un côté, les fonctionnaires titulaires ont droit à une protection intégrale ; de l'autre, les contractuels ont des conditions de sécurité très inférieures à celles des salariés du secteur privé, puisqu'il n'existe pas de contrat à durée indéterminée, ou CDI, dans la fonction publique.

Ce régime à « deux poids deux mesures » crée une situation peu acceptable : les employeurs publics, l'Etat et les collectivités territoriales, peuvent employer des agents sur des contrats à durée déterminée, ou CDD, sans aucune limitation de durée. Des exemples récents ont montré que des contrats à durée déterminée pouvaient être renouvelés des dizaines de fois.

Sauf à passer un concours de fonctionnaire - ce qui ne leur est pas forcément possible - ces contractuels n'ont aucun espoir de voir leur situation consolidée. Cela engendre des situations parfois critiques : le logement, les emprunts, les relations avec les banques, tout est plus difficile pour eux.

Pour y remédier, le projet de loi qui vous est présenté n'autorise le renouvellement des contrats à durée déterminée que pour une durée totale de six ans.

Au-delà, le contrat sera transformé en contrat à durée indéterminée. Par ailleurs, les agents de plus de cinquante ans et justifiant de huit ans de service public bénéficieront de la transformation automatique de leur CDD en contrat à durée indéterminée.

Cette mesure est, je le crois, la seule qui soit efficace. Par le passé, des « plans de titularisation » avaient certes été mis en place, mais ils n'étaient pas satisfaisants. Ces plans ne réglaient pas le problème de manière définitive et laissaient toujours beaucoup de monde au bord de la route. Il me semble que nous avons trouvé avec ce texte - il faut le dire, grâce à l'Europe - un bon moyen de sortir de la précarité les agents non titulaires.

Il s'agit d'une mesure de justice et d'équité, qui n'entraîne aucune dépense supplémentaire pour l'Etat et ne remet en rien en cause le statut des fonctionnaires auquel le Gouvernement est attaché. Cette mesure s'applique aux trois fonctions publiques.

Par ailleurs, le projet de loi parachève l'ouverture de la fonction publique française aux ressortissants de l'Union européenne.

Cette ouverture, qui résulte du principe de libre circulation des travailleurs, favorise la prise de conscience, au sein des administrations, de la réalité de l'Union et renforce le sentiment d'appartenance commune. Par ailleurs, l'ouverture est une occasion pour nos cultures administratives de se confronter et de s'enrichir mutuellement. Nous avons donc tout à y gagner.

Or, dans la situation actuelle, la fermeture est la règle et l'ouverture l'exception, les corps étant ouverts au cas par cas. Nous allons donc renverser la situation : l'ouverture sera la règle et la fermeture, l'exception.

Ainsi, l'ensemble des corps de la fonction publique sera désormais ouvert au recrutement par concours des ressortissants de l'Union. En cours de carrière, l'entrée des ressortissants par détachement dans tous les corps de la fonction publique sera possible. Seul l'accès aux emplois relevant de la puissance publique continuera à être conditionné par la nationalité française.

Les règles antérieures révélaient une certaine frilosité de la fonction publique, qui n'avait accepté que d'entrouvrir ses portes sous pression de la Commission. Désormais, la lettre et l'esprit du droit communautaire seront respectés.

Des ressortissants européens pourront ainsi accéder progressivement aux corps de direction de l'Etat. Nous avons déjà reçu plusieurs demandes d'élèves européens de l'école nationale d'administration, l'ENA, qui souhaitent intégrer la fonction publique française. Nous leur proposons aujourd'hui des contrats. Demain, ils pourront être recrutés sur un pied d'égalité avec leurs camarades français.

Ce nouveau cadre permettra d'enrichir notre fonction publique, par l'échange réciproque d'expériences et de cultures professionnelles. La collaboration, au sein d'un même service, entre Français, Allemands, Italiens ou Suédois, par exemple, ne peut que donner de nouveaux horizons au travail de chacun et être bénéfique à tous.

Deux autres points du projet méritent d'être signalés. Ils concernent l'application du principe communautaire de non-discrimination et la continuité des contrats.

Le projet de loi renforce la lutte contre les discriminations, conformément aux règles du droit communautaire en la matière. En particulier, il met fin à certaines différences de traitement entre hommes et femmes pour les dérogations aux limites d'âge ou aux conditions de diplôme au moment du recrutement.

Enfin, il impose la continuité des contrats des agents publics en cas de transfert d'une activité du secteur privé à l'administration, en application de la directive 2001/23 du 12 mars 2001 relative au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises. L'administration aura l'obligation de reprendre les personnels, à l'image de ce que prévoyait déjà le code du travail pour les employeurs privés. Elle devra également préserver les clauses substantielles des contrats. Cette disposition jouera, par exemple, lorsque les missions d'une association ou d'une concession de service public seront prises en charge par une administration de l'Etat ou une administration locale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est proposé aujourd'hui permettra de grandes avancées, y compris sur le plan social, et c'est l'Europe qui en est la cause.

Plus de stabilité, plus d'ouverture, plus d'égalité, tels sont les acquis essentiels des mesures qu'il met en place.

Elles montrent que l'Europe peut être un moteur de progrès social, une source de protections nouvelles et d'innovations positives pour la fonction publique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui prévoit diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique.

En préambule, permettez-moi de rappeler le retard considérable de la France en ce domaine. Comme vous le savez, en effet, depuis de trop nombreuses années, la France est régulièrement montrée du doigt pour ses retards, en particulier dans le domaine de la transposition du droit communautaire.

Pour autant, notre pays s'efforce désormais de devenir un meilleur élève, puisque le Gouvernement a annoncé récemment que le nombre de directives en attente de transposition a été réduit depuis plus de deux ans. D'après les derniers chiffres recueillis auprès du ministère délégué aux affaires européennes, le déficit de transposition serait descendu à 3 %, ce qui signifie que quarante-huit directives communautaires restent à transposer. Pour six d'entre elles, le délai de transposition est dépassé depuis plus de deux ans.

Malgré ses efforts, la France n'est encore placée qu'au quinzième rang parmi les vingt-cinq pays de l'Union et au onzième rang si l'on tient compte des seuls « anciens » Etats de l'Europe des Quinze.

Au moment où les Français s'apprêtent à décider, par voie de référendum, s'ils approuvent le traité établissant une constitution pour l'Europe, saluons cet effort de la France et souhaitons qu'il soit poursuivi.

Avant d'aborder le contenu même du projet de loi, je souhaite indiquer que, à mon sens, nous avons là un cas exemplaire de transposition positive d'une directive européenne. S'appuyant en particulier sur les principes de la libre circulation des personnes, de la lutte contre toutes les formes de discriminations, notamment par la promotion de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, et de la réduction de l'emploi précaire, ce projet de loi transposant le droit européen va dans le bon sens.

Le présent projet de loi a donc pour objet essentiel, mais non unique, de transposer des directives européennes. Sont également proposées des modifications de certaines dispositions législatives qui, sans être dictées par le droit communautaire, sont conçues comme une conséquence nécessaire de la transformation du droit français de la fonction publique au contact du droit communautaire ou qui permettent d'améliorer certaines procédures.

Les bases juridiques européennes sur lesquelles s'appuie le texte qui nous est proposé peuvent se résumer en trois points.

Tout d'abord, l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, et plus globalement la lutte contre toutes les formes de discriminations : les articles portant sur cette question présentent en effet l'intérêt de traiter de manière équivalente les hommes et les femmes dans leurs droits et devoirs vis-à-vis de la parentalité.

En plaçant hommes et femmes à égalité de traitement, on contribue à favoriser la prise de responsabilité des hommes vis-à-vis de leurs enfants et donc, en définitive, à permettre un meilleur partage des responsabilités entre les parents.

Plus globalement, en réaffirmant et en accroissant les droits des fonctionnaires vis-à-vis de toutes les formes de discrimination, ce projet de loi, au-delà de la mise en conformité avec le droit européen, fait oeuvre utile.

Ensuite, la libre circulation des personnes : prévue par l'article 39 du traité instituant la Communauté européenne, elle constitue l'un des fondements de la construction européenne. Pour autant, elle restait en partie lettre morte pour les emplois de la fonction publique.

Or, dans la mesure où les fonctionnaires sont considérés comme des travailleurs comme les autres par le droit communautaire, de nombreuses dispositions européennes s'appliquent à l'emploi public.

Il convient donc de modifier notre droit interne en conséquence.

Seule serait maintenue l'exception permettant de réserver des emplois aux nationaux dans le cas où ils ne sont pas séparables de l'exercice de la souveraineté ou bien s'ils participent, directement ou indirectement, aux prérogatives de la puissance publique de l'Etat ou des autres collectivités publiques.

De même, le projet de loi prévoit que l'accès à tous les corps et cadres d'emplois est permis par la voie du détachement, la détention d'un titre ou d'un diplôme spécifique étant toutefois exigée pour les professions réglementées.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est exact !

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. Enfin, ce projet de loi permet l'adaptation de nos normes, en termes de droit du travail, au droit communautaire.

En effet, une véritable politique sociale communautaire s'est récemment développée, sans distinguer emplois publics et emplois privés. Il s'agit en particulier de la directive du 28 juin 1999, qui précise que la « forme normale de travail est la relation de travail à durée indéterminée ». Or, la pratique des contrats à durée déterminée au sein de la fonction publique s'est largement développée dans notre pays, alors que, comme chacun le sait, le recours aux contractuels doit demeurer une exception au principe selon lequel les emplois publics sont occupés par des fonctionnaires.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. Considérée comme un élément de souplesse et d'adaptation pour les employeurs publics, la norme de recrutement des agents non titulaires de la fonction publique était, sauf cas exceptionnel, le recrutement en CDD. D'après le rapport public annuel de 2003 sur la fonction publique, entre 500 000 et 600 000 agents se trouvent actuellement dans cette situation, les trois fonctions publiques confondues.

Or, cette pratique se révèle être en contradiction avec la directive européenne du 28 juin 1999, qui aurait dû être transposée avant le 10 juillet 2001.

Le présent projet de loi permet donc de mettre fin au renouvellement abusif des contrats à durée déterminée en prévoyant que, une fois passé un délai de six ans, les contrats de certains agents non titulaires ne puissent plus être reconduits que pour une durée indéterminée.

Ce texte assure par ailleurs le maintien des droits des salariés de droit privé d'une entité économique faisant l'objet d'un transfert à une personne publique dans le cadre d'un service public administratif.

La commission des lois a adopté, lors de l'examen de ce texte, vingt-neuf amendements tendant notamment à rappeler que le recours à des agents non titulaires pour occuper un emploi permanent doit demeurer une exception et ce, afin de se conformer au principe selon lequel ces emplois doivent être occupés par des fonctionnaires ; à assouplir le dispositif transitoire prévu pour les agents non titulaires âgés d'au moins cinquante ans, en réduisant la condition de services effectifs à une durée de six ans durant les huit dernières années ; à prévoir que les articles modifiant les dérogations aux conditions d'âge et de diplôme pour passer un concours ne s'appliqueraient qu'aux concours ouverts quatre mois après la publication de la loi ; à simplifier certains dispositifs, notamment en matière de dérogation aux conditions d'âge et de diplôme ; enfin, à rendre la présentation des dispositions plus cohérente et à apporter quelques améliorations rédactionnelles.

Pour conclure, j'indiquerai que la commission des lois, qui a adopté le projet de loi ainsi modifié, considère que, si ce dernier constitue une avancée, il semble plus que jamais nécessaire d'envisager une réforme plus profonde de notre fonction publique, ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le ministre.

Je citerai, en particulier, les modalités de recrutement permettant une meilleure prise en compte de la validation des acquis de l'expérience et la reconnaissance de l'expérience professionnelle.

De même, des réformes favorisant la mobilité et la formation des fonctionnaires doivent être envisagées, non seulement pour améliorer le vivier de nos compétences, mais également pour valoriser davantage chacun des agents de la fonction publique.

C'est sur cette obligation de réforme qu'il faudra désormais concentrer nos travaux pour permettre à notre fonction publique et à tous les agents qui la font vivre de mieux faire face aux nouveaux défis de notre société. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 48 minutes ;

Groupe socialiste, 31 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du rassemblement démocratiqueet social européen, 9 minutes ;

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi a pour objet de mettre en conformité la législation française avec les directives et la jurisprudence européennes.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !

M. François Fortassin. De ce point de vue, il ne peut y avoir d'équivoque. Globalement, nous ne pouvons qu'être favorables à ce principe, en particulier ceux qui, comme moi, ont décidé de se prononcer très favorablement lors du vote qui interviendra dans quelques semaines. (Sourires.)

Il est vrai que les directives communautaires qui nous sont soumises présentent un certain nombre d'avancées sociales qui ne sont pas neutres. J'en profite pour préciser que si, sur le plan social, l'Europe accuse un déficit dans certains domaines, ce n'est pas vrai de manière absolue.

Sur le plan des principes et d'un strict point de vue intellectuel, nous ne pouvons qu'applaudir des deux mains certaines améliorations.

M. Renaud Dutreil, ministre. Faites !

M. François Fortassin. Je pense par exemple à la mobilité, qui permettra à un proviseur roumain de diriger un établissement scolaire ou à un directeur luxembourgeois ou écossais d'être à la tête des services d'un conseil général.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Un directeur des services écossais, ce serait bien pour certains ! (Sourires.)

M. François Fortassin. C'est la raison pour laquelle je choisirais, moi aussi, l'Ecossais ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Auvergnat, ce n'est pas mal non plus ! (Nouveaux sourires.)

M. François Fortassin. Cependant, vous me permettrez d'émettre quelques réserves.

Vous le savez, la France a la réputation d'avoir une fonction publique de très grande compétence, qu'elle soit d'Etat ou territoriale. Certes, il m'arrive de reprocher aux fonctionnaires de tirer une grande autorité de leur pouvoir de dire non. Mais, après tout, ils ne le font que lorsqu'ils sont confrontés à une difficulté et qu'ils ont épuisé toutes les possibilités de dire oui !

M. Patrice Gélard. Bel optimisme ! (Sourires.)

M. François Fortassin. Il n'en reste pas moins vrai que de nombreux pays, notamment certains de ceux qui viennent d'intégrer l'Union européenne, accusent un grand déficit en ce qui concerne la fonction publique, qu'elle soit d'Etat ou territoriale.

Je prendrai l'exemple de la Roumanie, qui certes n'est pas encore dans l'Europe mais qui y entrera très rapidement : pour les jeunes Roumains qui parlent parfaitement le français, ce qui est fréquent, et qui ont atteint un niveau d'études relativement élevé, la tentation sera grande de venir passer des concours en France.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !

M. François Fortassin. Sans doute les réussiront-ils, d'ailleurs. Si aucun frein n'est mis, c'est le pillage des élites de pays comme la Roumanie que l'on va organiser !

De la même façon, rien n'empêchera un citoyen de l'Europe du Nord de considérer que, à salaire égal dans la fonction publique, il vaut mieux exercer ses talents en Languedoc-Roussillon qu'à Edimbourg.

A-t-on mesuré le risque d'avoir, à terme, une fonction publique européenne à deux vitesses ? Certes, ce sera sans doute à l'avantage de la France et peut-être pourrions-nous nous en satisfaire, mais cela n'aidera certainement pas les pays qui accusent déjà quelque retard en la matière !

Mesdames, messieurs, vous savez tous que, dans certains pays, la fonction publique, qu'elle soit d'Etat ou territoriale, est plus qu'embryonnaire. Je n'ai aucune proposition à formuler, mais je souhaite attirer l'attention sur ce risque.

La discrimination disparaît au profit de l'égalité entre les hommes et les femmes. Cela étant, j'ai cru comprendre que les mesures prises bénéficieraient plutôt aux hommes ; comme je ne suis pas machiste, je ne le demandais pas !

S'il devait y avoir une « discrimination positive », selon une expression que je n'aime guère mais qui est couramment utilisée, peut-être devrait-elle profiter davantage aux parents isolés qu'aux couples - ils peuvent être, d'ailleurs, composés de deux fonctionnaires - ,qui ne sont pas confrontés aux mêmes problèmes qu'eux.

Certaines critiques ont été formulées par les syndicats. Globalement, elles ont leur pertinence ; je n'y reviendrai pas. Je me bornerai à dire que, en tant que responsable de l'exécutif départemental, je me prononce, pour ma part, en faveur de la souplesse, qui permet de pouvoir recruter ce que nous appelons, selon la terminologie utilisée, soit des contractuels (Mme le rapporteur fait un signe d'assentiment.), soit des vacataires.

Il est normal qu'au bout d'un certain nombre d'années, si leur contrat est renouvelé, ils bénéficient d'un CDI. Il ne me paraît pas non plus forcément anormal qu'ils n'aient pas tout à fait le même statut que ceux ont fait l'effort de se présenter à des concours et qui ont été reçus.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. François Fortassin. J'indique, en conclusion, que les membres de mon groupe et moi-même sommes, globalement, favorables à ce projet de loi, avec quelques réserves, toutefois, qui traduisent l'indispensable attitude prudente qu'il convient d'adopter sur ces sujets, dont nous mesurons tous la grande complexité. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas.

M. Jacques Mahéas. Le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui ne saurait être isolé d'un contexte pour le moins particulier : avec le singulier sens du dialogue social dont fait montre ce Gouvernement, il aura fallu attendre, monsieur le ministre, que la pression de la rue et la crainte d'un vote négatif au référendum européen ne vous y contraignent pour que vous daigniez prêter l'oreille aux revendications salariales des fonctionnaires !

Des négociations se sont ouvertes hier et le principe d'une hausse supplémentaire semble acquis, même si aucun chiffre n'a été avancé. Pourquoi repousser ainsi d'une semaine ce qui constitue l'enjeu réel de négociations salariales, à savoir l'annonce d'une proposition concrète ? Où trouvez-vous l'argent dont vous prétendiez, avec une belle constance, ne pas disposer ?

Que doit-on craindre de cette nouvelle idée selon laquelle le salaire des fonctionnaires serait lié à la croissance ? L'introduction d'une part variable de rémunération, que vous qualifiez « d'intéressement à l'efficacité et à la modernisation de l'Etat », nous paraît un énième calque du privé, dangereux miroir pour une fonction publique que vous ne cessez de banaliser.

C'est, d'ailleurs, sous cet angle inquiétant de la banalisation de la fonction publique que nous pouvons aborder l'examen du projet de loi qui nous est présenté cet après-midi. Ce texte est censé mettre en conformité le droit français avec le droit communautaire sur certains aspects de la fonction publique.

Si je dis d'emblée « est censé », c'est parce que, sous prétexte de transposition de directives européennes, vous vous livrez, monsieur le ministre, à des choix idéologiques...

M. Renaud Dutreil, ministre. Non !

M. Jacques Mahéas ... qui enfoncent des coins supplémentaires dans le statut de la fonction publique.

C'est, notamment, le cas pour la mesure la plus spectaculaire et la plus éminemment critiquable de ce texte, celle qui vise à réintroduire des contrats à durée indéterminée dans la fonction publique et qui, comme vous pouvez l'imaginer, retiendra essentiellement mon attention.

Certes, la France était particulièrement en retard - nous assumons une partie de la responsabilité - et n'avait pas encore traduit pour la fonction publique la directive du 28 juin 1999. Il s'agit, pourtant, d'une bonne directive, qui, de façon tout à fait légitime, vise à lutter contre la précarité de l'emploi : la clause 5 prévoit des mesures destinées à « prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs ».

Seulement, comme toute directive, elle fixe des objectifs à atteindre, mais laisse aux Etats la liberté de transposition.

Le texte que nous examinons se contente ainsi de prévoir que les contrats à durée déterminée n'excèdent pas trois ans et sont renouvelables dans la limite maximale de six ans. Après quoi, les employeurs publics ne pourront les renouveler que sous forme de CDI. Il est bien écrit qu'ils le « pourront », et non qu'ils le « devront », car seuls les agents de plus cinquante ans ayant huit ans de services se verront proposer automatiquement un CDI.

Il est plutôt inquiétant de lire, dans le rapport de la commission des lois, un titre comme celui-ci : La banalisation du recours aux contrats à durée indéterminée pour les agents non titulaires : la transposition de la directive communautaire 1999/70/CE.

Les deux points sont abusifs, en ce sens qu'il n'y a pas équivalence : la transposition n'imposait pas cette solution ! (M. le président de la commission fait un signe dubitatif.) Bien sûr, monsieur le président de la commission, vous démontrerez le contraire !

C'est une solution de facilité, qui ne limite en rien les possibilités de recours aux CDD, ce qui est en totale contradiction avec l'esprit de la directive.

Rien, non plus, ne tend à favoriser l'accès à l'emploi public titulaire. On peut même redouter fortement une précarisation supplémentaire pour les contractuels, qui pourront se voir remerciés au terme du délai de six ans, voire avant, et remplacés par de nouveaux arrivants embauchés sous CDD.

Autrement dit, le choix du CDI est un choix politique.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah bon ?

M. Jacques Mahéas. C'est le choix du contrat contre le statut,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !

M. Jacques Mahéas. ... le choix emblématique d'un gouvernement libéral que, monsieur le président de la commission, vous soutenez !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'était une Europe libérale, en 1999 !

M. Jacques Mahéas. Pourtant, le moins que l'on puisse dire est que ce CDI de droit public ne recueille guère de suffrages : les syndicats CFDT, FO, UNSA, CGT que nous avons auditionnés y sont fermement opposés, sous réserve du dispositif pour les plus de cinquante ans ; de plus, il ne s'est trouvé personne pour le voter au sein des conseils supérieurs des trois fonctions publiques. Les associations d'élus sont également contre ou, pour le moins, très réservées.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tous des hypocrites !

M. Jacques Mahéas. « Tous des hypocrites » ? Non, je ne le crois pas ! Les personnes que j'ai reçues étaient, au contraire, déterminées ! Vous utilisez là un adjectif qui ne me semble pas du tout approprié !

Toutes redoutent, avec raison, les conséquences de ce mode d'accès dérogatoire au concours : comment ne pas y voir une voie parallèle de recrutement ? Comment ne pas craindre la constitution d'une fonction publique bis ?

Le choix de six ans n'est, d'ailleurs, pas anodin, puisqu'il correspond exactement à la durée d'un mandat local, ce qui peut conduire à la tentation d'user du spoil system à l'américaine.

La suppression du concours laisse également la porte ouverte à tous les favoritismes, ce qui est bien évidemment contraire à l'esprit ayant présidé à la rédaction de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui pose l'égal accès des citoyens aux places et emplois publics.

Monsieur le ministre, vous vous dites « attaché au principe du concours », mais votre texte en est une bien piètre démonstration, puisqu'il vise purement et simplement à contourner ce fondement de notre fonction publique que constitue le concours.

Il existe un réel danger que ce dispositif ne vienne perturber l'accès de jeunes souvent diplômés qui essaient d'entrer dans la fonction publique par la voie normale du concours de droit commun. De même, certains contractuels pourraient être tentés de laisser le temps faire son oeuvre, espérant un CDI plutôt que de tenter de préparer un concours réservé.

Il faudrait veiller attentivement à ne pas rendre moins attractive la fin du plan de résorption de l'emploi précaire, à savoir le « plan Sapin », élaboré par la loi du 3 janvier 2001, pour les contractuels susceptibles d'être titularisés.

Même s'il s'agit là non pas de présenter un nouveau plan de ce type, mais bien de transposer le droit communautaire, la directive en question n'a de sens que si l'on s'efforce de résorber l'emploi précaire.

Le plan Sapin avait, en effet, ceci d'exemplaire que le problème y était envisagé dans sa globalité : il prévoyait, d'une part, un dispositif de « déprécarisation » pour les agents contractuels en place, grâce à l'organisation, selon des modalités adaptées, des concours réservés, des examens professionnels - je suis d'accord avec ce qu'a dit Mme le rapporteur sur ce sujet - ainsi que des titularisations sur titre, ou la possibilité laissée aux collectivités territoriales de proposer l'intégration directe, et, d'autre part, un dispositif de moyen terme pour éviter la reconstitution de la précarité, notamment en améliorant la gestion prévisionnelle et l'efficacité des concours ordinaires de manière à en faciliter l'accès aux agents non titulaires.

Dans ce domaine, peut-être allez-vous nous faire une proposition, monsieur le ministre.

Quelle sera, d'ailleurs, l'articulation de ce plan, valable jusqu'en 2006, avec des CDI de droit public ?

Pourquoi, surtout, utiliser l'Europe comme « faux nez » d'une politique strictement comptable, qui risque fort de faire de ces CDI frais émoulus de nouvelles et confortables variables d'ajustement budgétaire ?

Le contexte de réduction des effectifs entraîne, en tout cas, à le craindre, puisque 1 745 postes budgétaires ont été supprimés en 2003, 4 561 en 2004, 7 188 en 2005, et que probablement 15 000 environ le seront en 2006, avec une obsession grandissante de la productivité, sans qu'aucune réflexion d'ensemble ne soit menée sur les besoins et les missions du service public.

L'application du droit communautaire a beau exiger des adaptations des règles applicables à la fonction publique française, cela ne conduit pas pour autant à la remise en cause de son existence, au contraire.

Il appartient au Gouvernement et au législateur de veiller à limiter la précarisation de l'emploi dans le respect de la construction statutaire, ce qui aurait pu prendre la forme, par exemple, d'une nouvelle loi de résorption de l'emploi précaire. Toutefois, je sais parfaitement que tel n'est pas l'objet d'une loi de transposition.

Loin de cette perspective, le projet de loi vise à introduire, à côté des fonctionnaires et des contractuels, une autre catégorie d'agents : les agents sous contrat à durée indéterminée. Certes, ils bénéficieront d'une sécurité de l'emploi que leur interdisait le statut d'agent contractuel, mais avec quelle évolution de carrière ?

Monsieur le ministre, vous balayez un peu trop négligemment cette question, pourtant essentielle, en affirmant simplement que « pour l'instant, nous en sommes au stade des principes » et que vous n'avez donc « pas de réponse sur ces questions de modalités ».

Rien n'est prévu sur le déroulement de carrière, rien non plus que sur la mobilité, à laquelle vous mettez un frein avec la généralisation des CDI, rien sur les écarts de rémunérations, rien sur une éventuelle convention collective !

Si, par ailleurs, la transformation en CDI peut sembler acceptable du point de vue de la situation sociale des agents en CDD, on risque fort d'assister à ce que d'aucuns qualifient déjà de véritable « vente à la découpe » du statut, jusqu'à l'extinction de celui-ci. (Murmures sur les travées de l'UMP.)

La transposition de la directive européenne ne vous obligeait pas, monsieur le ministre, à banaliser, voire à balkaniser la fonction publique, dont les grands principes, inscrits dans le statut, doivent, au contraire, être préservés et affirmés. Dans une société fragmentée, marquée par l'inquiétude et le repli sur soi, c'est une garantie essentielle pour le citoyen que de pouvoir s'adresser à un fonctionnaire compétent et impartial.

Il faut bien être conscient du fait que c'est moins le statut que son application qui pose aujourd'hui un problème. C'est pourquoi il semble illogique de différer encore ce grand projet de modernisation de la fonction publique promis depuis le début de la législature. Il ne sera probablement pas soumis au Parlement avant l'été, puisqu'il ne figure au calendrier prévisionnel ni de l'Assemblée nationale ni du Sénat.

Notre commission des lois se pose la même question, qui parle, visiblement par défaut, de « soutenir le projet de loi tout en attendant une véritable modernisation de la fonction publique », et qui se réjouit qu'il n'y ait pas recours à des ordonnances et que le texte « constitue une solution adaptée au regard des obligations communautaires » ! C'est là un discours bien peu enthousiaste !

S'agirait-il de délibérément « saucissonner » les textes, empêchant ainsi toute vision d'ensemble cohérente et permettant de remettre en cause le statut par petites touches plus discrètes ?

M. Jacques Mahéas. J'en cite quelques- unes : ouverture du recrutement par le PACTE, seconde carrière des enseignants, proposition de loi de M. Serge Poignant visant à supprimer les limites d'âges pour accéder aux concours, réorganisation de la fonction publique de l'Etat en six ou sept filières, éventuelle remise en cause des 35 heures et instauration de CDI.

Pour en revenir à cette instauration, nul besoin d'être grand clerc pour comprendre qu'elle n'endiguera nullement le recours aux CDD !

Le plan Sapin prévoyait la création d'un groupe de travail pour revoir les conditions de recours aux agents contractuels de la fonction publique. Fortement souhaité par les syndicats, ce groupe est resté à l'état de voeu. Quand peut-on espérer le voir enfin mis en place ?

Certes, si, avec ce texte, les CDD ne pourront plus être reconduits indéfiniment, le nombre de leurs renouvellements restera néanmoins illimité, dans une durée maximale de six ans. Rien n'empêchera donc l'administration d'employer des contractuels, notamment sur le mode « dix mois de contrat, deux mois de chômage », comme dans l'éducation nationale.

A-t-on seulement réfléchi à l'autre piste ouverte par la directive, à savoir la limitation du nombre de renouvellements des CDD ?

Le texte n'impose aucune obligation de pérennisation, passée la durée de six ans, des CDD des contractuels, à l'exception de ceux des personnes âgées de plus de cinquante ans. Autrement dit, si les employeurs publics peuvent proposer un CDI aux contractuels, ils peuvent tout aussi bien les remercier sans qu'aucune indemnité ne soit prévue, ce qui paraît inadmissible s'agissant d'agents qui ont servi de longues années une administration.

Il semble pourtant évident que six années devraient permettre d'estimer si un emploi est pérenne ou non et, s'il l'est, la logique voudrait que le contractuel puisse se voir proposer une titularisation. Nous défendrons un amendement en ce sens.

Dans ce dispositif, la seule mesure qui nous paraît acceptable concerne les personnes âgées de plus de cinquante ans et justifiant d'une certaine durée de services effectifs, qui bénéficieront de la transformation automatique de leur contrat en CDI. A cet âge, le CDI peut en effet paraître plus intéressant que la titularisation, même si le choix de la titularisation doit leur être proposé.

Des interrogations subsistent cependant.

Que se passera-t-il pour les agents qui remplissent, au 1er juin 2004, les conditions exigées et dont le contrat prend fin à cette date, ou avant l'entrée en vigueur de la loi ? Comme ils ne seront plus en fonction au moment où la loi sera applicable, devra-t-on les réintégrer ?

On peut également se demander ce qui a motivé le choix du Gouvernement de donner à cette mesure un caractère transitoire. Comme les recrutements en CDD vont sans nul doute se poursuivre, un système glissant à compter de 2004 aurait été plus honnête.

Reste à calculer combien de personnes sont éligibles à ce dispositif. On parle, par exemple, de 30 000 agents dans la fonction publique territoriale, mais les études d'impact font cruellement défaut, ce qui ne facilite en rien le travail du législateur.

Les chiffres posent d'ailleurs un problème général, car s'il est indiqué, dans le dossier de presse du ministère de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, que 250 000 agents seront concernés par les CDI, les chiffres que donne l'Observatoire de l'emploi public et ceux qui figurent dans le rapport annuel Fonction publique : faits et chiffres sont sensiblement différents pour l'ensemble des non -titulaires.

Dans tous les cas, il s'agit d'un nombre considérable de personnels, ce qui pose les questions fondamentales de la gestion prévisionnelle des effectifs et du recrutement. Soit l'on admet que le recrutement contractuel autorise une souplesse de gestion nécessaire et qu'il doit être maintenu, voire développé, dans l'intérêt du service ; soit il n'est pas indispensable, auquel cas il faut prendre des mesures pour en limiter drastiquement l'usage en verrouillant efficacement les possibilités d'y avoir recours.

Il faudrait aussi résoudre le problème de la confusion budgétaire, qui explique en partie le recours des collectivités publiques aux emplois précaires. Jusqu'alors, la discussion budgétaire s'est focalisée sur le nombre de créations et de suppressions d'emplois budgétaires dont dispose chaque administration, ce qui ne coïncide pas forcément avec les recrutements.

On peut espérer que la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, qui entrera en vigueur en 2006, clarifie ce point - un exposé brillant nous a été fait lors de la réunion de la commission ce matin -, mais est-ce bien sûr ? En effet, cette nouvelle procédure, qui fait disparaître la notion d'emploi budgétaire, pourrait surtout permettre au Gouvernement de remplacer, sans qu'il n'y paraisse, à l'occasion des départs en retraite, les fonctionnaires par des personnels en CDI.

Je dirai tout de même un mot sur les autres mesures, qui, pour la plupart, ne soulèvent pas d'opposition aussi marquée : l'amélioration de l'accès des ressortissants communautaires à la fonction publique ; la continuité des contrats en cas de reprise par un organisme administratif d'activités jusque-là gérées par une entité privée ; la lutte contre les discriminations ; la promotion de l'égalité de traitement entre hommes et femmes.

Notons tout de même que, sous prétexte d'évolution des moeurs, l'harmonisation se fait par le bas, certains avantages étant en effet rognés : suppression pure et simple de la dérogation permettant de ne pas opposer de limite d'âge pour l'accès à la fonction publique aux femmes veuves, divorcées et non remariées et aux femmes séparées ; alignement sur le moins-disant du régime général pour les congés en cas d'adoption.

Pour conclure, je me demande, après tant de coups portés aux fonctionnaires ? de la réforme des retraites à la diminution de 5 %, ce qui est beaucoup, de leur pouvoir d'achat ?, ce que l'on peut espérer d'un Gouvernement qui semble ne comprendre que le rapport de force et confond négociations salariales et nouvelle banalisation de la fonction publique.

Dans le même esprit, l'enjeu principal de ce projet de loi - la création de contrats à durée indéterminée de droit public -nous paraît être un cheval de Troie peu discret mettant en danger le statut de la fonction publique.

Nullement dictée par la directive européenne, dont elle est censée être une transposition, mais dont elle ne constitue qu'une version arrangée, la solution retenue dresse le contrat contre le statut. Elle participe d'un démantèlement en catimini des services publics. Elle ne pourra que détériorer le concept même de service public, dont les principes d'égalité d'accès, d'égalité de traitement et de continuité sont plus aisément mis en oeuvre avec des fonctionnaire régis par un statut qu'avec des contractuels.

En outre, au moment où le président de l'UMP prône la disparition du CDI, jugé « trop rigide », au profit du « contrat de travail unique », manière de CDD à rallonge, l'offre paraît même assez peu engageante !

Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, le groupe socialiste s'interroge.

M. Renaud Dutreil, ministre. Sur le référendum ?

M. Jacques Mahéas. A vous de nous convaincre. Cela va être difficile ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mise en conformité du droit de la fonction publique avec différentes directives européennes, dont la plus ancienne date de 1976 et la plus récente de 1999, est une bonne nouvelle pour trois raisons.

La première est qu'elle atténue cette exception française que constitue le retard de notre pays en matière de transposition de la législation européenne, qui nous place en queue de peloton et conduit de surcroît des gouvernements à subir les foudres destinées à ceux qui les ont précédés. Ainsi, s'agissant de la contractualisation, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin fait transposer une directive qui a été signée par les ministres du gouvernement Jospin !

La deuxième raison est que cette transposition s'effectue sous forme de loi et non sous forme d'ordonnance, ce qui tendait à devenir fâcheusement la règle en matière européenne.

La troisième raison est qu'elle permet de moderniser le droit de la fonction publique dans un pays où le droit européen est souvent le seul moyen de faire évoluer un système administratif figé dans des concepts qui remontent au XIXe siècle et qui ne correspond plus aux comportements ni de l'administration ni de ses agents.

M. Jacques Mahéas. Tout le monde nous envie notre fonction publique !

M. Hugues Portelli. L'une des plus importantes dispositions du projet de loi concerne l'évolution du droit contractuel de la fonction publique.

La directive de 1999 concerne non pas exclusivement le droit de la fonction publique, mais l'ensemble du droit du travail...

M. Renaud Dutreil, ministre. C'est vrai !

M. Hugues Portelli. ...et vise à lutter contre le recours abusif au contrat à durée déterminée, en faisant du contrat à durée indéterminée « la forme générale de relations d'emploi entre employeurs et travailleurs».

En ce qui concerne la fonction publique française, cette transposition aura pour effet de mettre un terme à l'usage d'autant plus systématique du contrat à durée déterminée que le contrat à durée indéterminée est interdit en l'état actuel du droit, tel que l'interprète le juge administratif.

La possibilité de recourir au contrat à durée indéterminée devrait donc atténuer la précarité au sein des administrations d'Etat ou locales. Pour autant, elle ne réglera pas le problème du recours au contrat au sein des administrations.

Dans un système français où le statut est la règle et le contrat l'exception, le recours au contrat obéit à des besoins très divers. Parfois, les contractuels constituent la soupape de sécurité du système, son mode de régulation et, dans ce cas, ce sont non pas des contrats à durée déterminée mais des emplois de vacataires qui sont, le plus souvent, utilisés. Parfois, les contractuels sont recrutés à des postes où le recrutement statutaire est impossible, voire aléatoire, pour des raisons liées à la technicité du poste ou à sa rémunération. Parfois, enfin, les contractuels sont des titulaires en devenir, qui ont vocation à se présenter aux concours administratifs et à intégrer plus ou moins rapidement la fonction publique.

Dans tous les cas de figure, la référence ultime est le statut, et d'ailleurs, les contractuels sont eux aussi soumis à un régime réglementaire et statutaire.

Depuis l'instauration du statut, le législateur a toujours considéré le recours au contrat comme une exception, un pis-aller regrettable qu'il fallait encadrer strictement.

Pourtant, dans la réalité, le nombre de contractuels n'a cessé de croître, dans l'administration d'Etat comme dans les administrations locales. Cet accroissement est dû à plusieurs raisons, la principale étant la rigidité du système statutaire, qui incite souvent l'employeur, mais aussi l'employé, à le contourner.

Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. C'est vrai !

M. Hugues Portelli. On est donc en droit de s'interroger sur le maintien de ce dualisme de fait. Plutôt que de considérer le recours au contrat comme une exception regrettable, n'est-il pas plus réaliste et plus moderne d'introduire à terme un véritable dualisme ?

Relevons tout d'abord que, dans la jurisprudence du juge européen, la définition de l'administration, et donc de la fonction publique, qui a été adoptée, est bien plus restrictive que celle du droit public français.

La Cour de justice de l'Union européenne, a, dès 1980, défini les emplois dans l'administration publique comme « des emplois qui comportent une participation directe ou indirecte à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat ou des autres collectivités publiques ».

Cette définition n'intègre pas les services publics industriels et commerciaux ou sociaux. Rappelons d'ailleurs que notre propre droit administratif écarte du statut la plupart des agents de ces services, les seules exceptions concernant des héritages historiques qui se résorberont avec le temps.

Mais cette définition est surtout en harmonie avec la situation qui régit la plupart des administrations des Etats européens, y compris ceux qui ont hérité du droit administratif français et qui connaissent des systèmes dualistes. Rappelons que le gouvernement de M. Prodi, en Italie, a massivement privatisé la fonction publique territoriale en 1993.

S'il semble difficile de faire évoluer rapidement le droit du travail dans la fonction publique française, il apparaît souhaitable d'explorer des pistes trop peu empruntées afin d'introduire plus de philosophie contractuelle dans ce droit statutaire et dans les administrations.

La première piste est celle du recours aux accords collectifs. Il a fallu attendre le mois de juin 1968 pour voir apparaître la négociation sociale dans la fonction publique et le nouveau statut de 1983, dans son article 8, pour la reconnaître officiellement.

Mais elle a ses limites. Elle concerne surtout les rémunérations ; elle n'a pas de portée juridique, même si sa portée politique est évidemment décisive ; surtout, elle se heurte au problème de la représentativité syndicale, les signataires des accords collectifs étant souvent des organisations minoritaires.

Il serait donc souhaitable que, comme pour les entreprises publiques à statut, des conventions puissent compléter les dispositions statutaires et en déterminer les modalités d'application, dans les limites fixées par le statut.

Ces conventions pourraient porter sur les conditions d'emploi et de travail, mais la loi devrait déterminer les conditions de validité de ces accords collectifs, en particulier en ce qui concerne le degré de représentativité des organisations signataires, pour que ces accords aient une valeur juridique.

La seconde piste est celle de l'introduction d'un contrat d'affectation sur emploi, négocié et conclu par le fonctionnaire avec son autorité gestionnaire et complétant son statut. C'est déjà le cas des quasi-contrats passés dans la fonction publique territoriale entre cadres et collectivités, et qui portent sur leur durée d'affectation, les avantages accessoires et les objectifs du recrutement.

Le droit de la fonction publique renouerait ainsi avec les contrats de fonction publique qui inspirèrent la jurisprudence du Conseil d'Etat au début du XIXe siècle.

Le projet de loi qui nous est proposé est donc un premier pas en avant dans la bonne direction, celle non seulement de la résorption de la précarité dans la fonction publique, mais aussi de l'introduction de la culture contractuelle dans cette même fonction publique. Il va dans le sens de l'évolution historique qui devrait ôter au statut sa rigidité, permettrait à l'agent public d'être plus autonome et en finirait avec une vision manichéenne selon laquelle, d'une part, tout ce qui est statutaire est bon alors que tout ce qui est contractuel est dangereux et rétrograde et, d'autre part, le contrat est synonyme de précarité alors que depuis cinquante ans la réalité sociale des administrations montre qu'il n'en est rien.

Monsieur le ministre, nous approuverons bien sûr votre projet de loi, mais nous attendons d'autres étapes, à commencer par celle de la fonction publique territoriale sur laquelle le Sénat a déjà formulé des propositions voilà un an.(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

(M. Roland du Luart remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)