sommaire

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

1. Procès-verbal

2. Fin de mission d'un sénateur

3. Proclamation de l'élection de sénateurs

4. Remplacement d'un sénateur élu député européen

5. Retrait d'une question orale

6. Conventions fiscales avec l'Azerbaïdjan, l'Albanie, la Croatie, le Québec, la République tchèque et les Pays-Bas. - Adoption de six projets de loi

Discussion générale commune : MM. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères ; Adrien Gouteyron, rapporteur de la commission des finances ; Robert Del Picchia.

Clôture de la discussion générale commune.

Adoption des six articles uniques des projets de loi.

7. Convention d'assistance administrative mutuelle en matière fiscale. - Adoption d'un projet de loi

Discussion générale : MM. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères ; Adrien Gouteyron, rapporteur de la commission des finances.

Clôture de la discussion générale.

Adoption de l'article unique du projet de loi.

8. Avenant à la convention fiscale avec Monaco. - Adoption d'un projet de loi

Discussion générale : MM. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères ; Adrien Gouteyron, rapporteur de la commission des finances.

Clôture de la discussion générale.

Adoption de l'article unique du projet de loi.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

9. Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes

MM. le président, Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes ; Jean Arthuis, président de la commission des finances.

Suspension et reprise de la séance

10. Candidatures à des commissions

11. Réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise. - Discussion d'une proposition de loi

Discussion générale : MM. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail ; Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales.

PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

Mmes Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques ; Raymonde Le Texier, MM. Alain Gournac, Jean-Marie Vanlerenberghe, Roland Muzeau, Aymeri de Montesquiou, Mme Gisèle Printz, M. Jean-Pierre Fourcade.

12. Nomination de membres de commissions

Suspension et reprise de la séance

présidence de Mme Michèle André

13. Réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise. - Suite de la discussion d'une proposition de loi

Discussion générale (suite) : M. Jean-Léonce Dupont, Mme Dominique Voynet, M. Bernard Murat, Mmes Gisèle Gautier, Patricia Schillinger, M. Serge Dassault, Mmes Jacqueline Alquier, Bariza Khiari.

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail.

Clôture de la discussion générale.

Exception d'irrecevabilité

Motion no 6 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Mme Eliane Assassi, MM. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales ; le ministre délégué. - Rejet par scrutin public.

Question préalable

Motion no 8 de M. Claude Domeizel. - MM. Claude Domeizel, le rapporteur, le ministre délégué, Roland Muzeau. - Rejet.

Demande de renvoi à la commission

Motion no 7 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - MM. Guy Fischer, le rapporteur, le ministre délégué. - Rejet par scrutin public.

Demande de réserve

Demande de réserve des amendements portant article additionnel. - MM. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales ; le ministre délégué.

La réserve est ordonnée.

Renvoi de la suite de la discussion.

14. Communication de l'adoption définitive de textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la constitution

15. Dépôt de propositions de loi

16. Dépôt d'une proposition de résolution

17. Dépôts rattachés pour ordre au procès-verbal de la séance du 17 février 2005

18. Ordre du jour

compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le procès-verbal de la séance du 17 février 2005 a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté.

2

fin de mission d'un sénateur

M. le président. Monsieur le président a reçu de M. le Premier ministre une lettre en date du 17 février 2005 annonçant, dans le cadre des dispositions de l'article L.O. 297 du code électoral, la fin, le 25 février 2005, de la mission temporaire confiée à Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice de Paris, auprès de M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

Acte est donné de cette communication.

3

PROClamation de l'élection de sénateurs

M. le président. En application des articles L.O. 325 et L.O. 179 du code électoral, M. le président a reçu de M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales une communication de laquelle il résulte qu'à la suite des opérations électorales du 20 février 2005 M. Philippe Richert, Mme Fabienne Keller, MM. Roland Ries et Francis Grignon, et Mme Esther Sittler ont été proclamés élus sénateurs du département du Bas-Rhin.

4

remplacement d'un sénateur élu député européen

M. le président. J'informe le Sénat que M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales a fait connaître à M. le président du Sénat qu'en application de l'article L.O. 320 du code électoral Mme Gélita Hoarau est appelée à remplacer, à compter du 24 février 2005, en qualité de sénatrice de la Réunion, M. Paul Vergès, dont l'élection comme député au Parlement européen est devenue définitive.

5

retrait d'une question orale

M. le président. J'informe le Sénat que la question orale n° 659 de M. Dominique Leclerc est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.

6

Conventions fiscales avec l'Azerbaïdjan, l'Albanie, la Croatie, le Québec, la République tchèque et les Pays-Bas

Adoption de six projets de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion :

- du projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République azerbaïdjanaise en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole) (n° 109, 2003-2004, n° 189) ;

- du projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Albanie en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales (ensemble un protocole) (n° 110, 2003-2004, n° 190) ;

- du projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Croatie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (ensemble un protocole) (n° 234 rectifié bis, 2003-2004, n° 191) ;

- du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'avenant à l'entente fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Québec en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu (n° 259, 2003-2004, n° 192) ;

- du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation d'une convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tchèque en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole) (n° 260, 2003-2004, n° 193) ;

- et du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (nos 156, 194).

La conférence des présidents a décidé que ces six projets de loi feraient l'objet d'une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, six accords visant à actualiser et à adapter notre réseau conventionnel dans le domaine fiscal ont été conclus respectivement avec l'Azerbaïdjan, l'Albanie, la Croatie, le Québec, la République tchèque et les Pays-Bas. Ils sont aujourd'hui soumis à votre approbation.

La convention avec l'Azerbaïdjan a été négociée afin de remplacer la convention fiscale franco-soviétique. Elle s'inscrit ainsi dans la nécessité de combler un vide juridique potentiel.

Bien que nos relations économiques restent modestes dans une région caractérisée par l'importance de ses réserves pétrolières, les sociétés françaises ont conclu, ces dix dernières années, d'importants contrats pétroliers relatifs à l'exploration des ressources de la mer Caspienne, qui devrait devenir au XXIe siècle l'une des grandes régions pétrolières, avec des réserves au moins comparables à celles de la mer du Nord.

La convention avec l'Azerbaïdjan a pour objet d'éliminer les doubles impositions entre les deux Etats et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune. Ses principes sont proches du modèle de convention de l'OCDE, avec les quelques adaptations habituellement incluses dans les conventions conclues par la France avec des pays d'un niveau de développement similaire à celui de l'Azerbaïdjan.

Cet accord permettra de sécuriser les échanges économiques entre la France et l'Azerbaïdjan, et complète l'accord de protection des investissements conclu en 1988.

La convention avec l'Albanie, qui a pour objet d'éliminer les doubles impositions entre les deux Etats en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales, s'inscrit dans la même volonté de combler un vide juridique et de doter nos échanges économiques et commerciaux d'une base solide.

Nos relations économiques avec ce pays, qui a l'un des PIB les plus bas d'Europe, sont, certes, modestes et encore trop peu d'entreprises françaises sont présentes en Albanie, mais ces relations sont appelées à se développer dans un proche avenir.

Les principes de cette convention sont proches du modèle de l'OCDE, sous réserve des adaptations habituellement incluses dans les conventions conclues par la France avec des pays d'un niveau de développement similaire à celui de l'Albanie.

La convention franco-croate en vue d'éviter les doubles impositions, signée à Paris le 19 juin 2003, est destinée à se substituer à la convention fiscale franco-yougoslave. Elle a pour objet d'éliminer les doubles impositions qui pénalisent les échanges entre les deux Etats et d'établir des règles d'assistance réciproque en matière fiscale.

Dans ses grandes lignes, elle est conforme aux principes retenus par l'OCDE. Elle ne s'en écarte que pour tenir compte des particularités de la législation française. Par ailleurs, l'échange de renseignements entre la France et la Croatie est étendu aux impôts de toute nature et toute dénomination permettant de lutter plus efficacement contre l'évasion fiscale internationale.

Avec la province du Québec, la France est liée par une entente fiscale en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu en date du 1er septembre 1987.

Sur le plan économique et commercial, les relations entre la France et le Québec sont de plus en plus importantes.

L'objet même de l'entente fiscale est d'éliminer les doubles impositions qui freinent les échanges entre les deux parties. Afin de prendre en compte les changements dans la législation fiscale respective des deux Etats, les impôts visés par l'entente ont été actualisés. Dans le cadre de cette négociation, la France a également modifié la clause d'élimination de la double imposition en proposant une rédaction plus conforme à sa politique conventionnelle récente.

Avec la République tchèque, la convention fiscale signée le 20 avril 2003 se substitue à l'ancienne convention franco-tchécoslovaque de 1973, devenue inadaptée.

En rééquilibrant l'ancien texte dans un sens moins défavorable à la partie tchèque, mais également en accordant à la partie française certaines garanties et avancées essentielles pour ses investisseurs, cette convention permettra d'accroître les relations économiques de la France avec ce nouvel Etat membre de l'Union européenne.

Dans l'ensemble, ses dispositions sont conformes au modèle de convention fiscale de l'OCDE.

Elle permettra de répondre à l'augmentation sensible du flux d'investissements directs français en République tchèque depuis l'adhésion de ce pays à l'Union européenne.

Enfin, la France et les Pays-Bas sont liés par une convention fiscale du 16 mars 1973. Le présent avenant, signé à La Haye le 7 avril 2004, a pour objet d'organiser les conséquences fiscales du rapprochement des deux compagnies aériennes nationales Air France et KLM.

Un cadre juridique stabilisé est ainsi offert aux deux compagnies pour faciliter leur rapprochement. Par conséquent, elles pourront procéder en toute sécurité aux opérations de restructuration nécessaires à la constitution d'un groupe combiné, avec les retombées économiques favorables que cela implique pour les deux pays.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appellent les conventions fiscales de non double imposition avec l'Azerbaïdjan, l'Albanie, la Croatie, la République tchèque, et les avenants fiscaux avec le Québec et les Pays-Bas, qui font l'objet des projets de loi aujourd'hui soumis à votre approbation. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, huit projets de loi nous sont soumis ce matin, ayant tous pour objet, en application de l'article 53 de la Constitution, d'autoriser l'approbation de conventions fiscales signées par le Gouvernement français. Six de ces projets de loi font l'objet d'une discussion commune.

Quatre prévoient d'autoriser l'approbation de conventions fiscales nouvelles, permettant ainsi de compléter un réseau de conventions bilatérales déjà dense. Ces accords, selon la formule consacrée, visent à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune.

Il s'agit de l'accord signé avec la République d'Albanie le 24 décembre 2002, qui a fait l'objet d'une approbation du Parlement albanais en mai 2003 ; de l'accord signé avec la République d'Azerbaïdjan le 20 décembre 2001, qui a été ratifié par le Parlement azerbaïdjanais le 19 février 2002 ; de l'accord signé avec la République de Croatie le 19 juin 2003 ; enfin, de l'accord avec la République tchèque, signé le 28 avril 2003 et approuvé par le Parlement tchèque en mars 2004.

Deux autres projets de loi prévoient, par ailleurs, l'approbation d'avenants, le premier à l'entente fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Québec en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu, le second, très spécifique, rendu nécessaire par la fusion entre Air France et KLM, avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune.

Ces conventions appellent peu de précisions techniques.

Celles qui ont été conclues avec l'Albanie, l'Azerbaïdjan, la Croatie et la République tchèque s'inspirent très largement du modèle de la convention OCDE et comportent les aménagements habituellement retenus par la France. Ainsi, des précisions ont été introduites en ce qui concerne les revenus mobiliers, les plus-values de cession de parts, d'actions ou autres droits dans des sociétés à prépondérance immobilière, la non-discrimination afin que les conventions ne fassent pas obstacle à l'application de la législation fiscale en la matière. En outre, les textes des conventions conclues avec l'Albanie et la Croatie sont assez proches des conventions fiscales conclues par la France avec les autres pays de la région, tels que la Macédoine ou la Slovénie.

Si la convention avec l'Albanie vient combler un réel vide juridique, puisque aucune convention fiscale n'avait jamais été conclue avec ce pays, les autres tirent les conséquences de la disparition de la Tchécoslovaquie, de l'URSS et de la Yougoslavie. L'Azerbaïdjan, la Croatie et la République tchèque ont marqué en effet leur préférence pour une nouvelle convention fiscale, « au goût du jour », plutôt que pour le maintien des conventions établies par des Etats aujourd'hui disparus.

S'agissant de la République tchèque, les autorités de ce pays ont souhaité obtenir un rééquilibrage du texte de 1973, qui leur apparaissait exagérément favorable aux intérêts français. Certaines nouvelles dispositions sont cependant plus favorables aux investissements français que celles qui étaient contenues dans le traité précédent. Il en est ainsi de la suppression de la retenue à la source, prévue par l'article 10 en ce qui concerne les dividendes provenant de participations supérieures à 25%, qui aura pour effet de ne plus conduire la France à imputer sur l'impôt sur les sociétés l'impôt prélevé à ce titre par la République tchèque, comme c'était le cas dans le cadre de la convention franco-tchécoslovaque.

En ce qui concerne l'avenant, signé à Paris le 3 septembre 2002, à l'entente fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Québec en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu, datant du 1er septembre 1987, il convient de noter au préalable la particularité de cet accord, qui est le seul accord fiscal conclu par la France avec une subdivision politique d'un Etat, ce qui témoigne de la relation toute particulière qu'entretient la France avec le Québec.

La convention fiscale tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 2 mai 1975, qui lie déjà la France et le Canada, stipule en effet, dans son article 29, que « la France et les provinces du Canada pourront conclure des ententes portant sur toute législation fiscale relevant de la compétence provinciale, pour autant que ces ententes ne soient pas contraires aux dispositions de la présente convention ».

Cette convention fiscale ayant fait l'objet d'un avenant en date du 30 novembre 1995, il paraît nécessaire, dans un souci d'harmonisation, qu'un avenant à l'entente fiscale entre la France et le Québec reprenne les modifications apportées à la convention franco-canadienne.

Ces modifications sont multiples et conformes, pour l'essentiel, au modèle de l'OCDE. La principale d'entre elles consiste à étendre les impôts couverts par l'entente fiscale, en ce qui concerne la France, à la taxe sur les salaires, à l'impôt de solidarité sur la fortune et, pour l'application de certains articles, aux droits de mutation à titre gratuit. Ce dernier ajout permet de prévoir un dispositif d'élimination de la double imposition des successions, à la suite de la suppression, par le Canada et ses provinces, des droits de mutation à titre gratuit et de leur remplacement par une taxation sur les plus-values latentes au jour du décès.

En ce qui concerne l'avenant à la convention fiscale avec les Pays-Bas, du 7 avril 2004, il vise entièrement à tenir compte de l'accord intervenu entre Air France et KLM. Les négociations sur la fusion entre les deux compagnies aériennes nationales, afin de constituer le premier opérateur européen, ont en effet inclus un volet fiscal. Le Gouvernement néerlandais tenait à obtenir la garantie que les opérations de restructuration auxquelles donnera lieu la constitution d'un groupe combiné ne remettraient pas en cause son droit d'imposer les résultats actuels et futurs de KLM, même si cette société devait être absorbée à terme par Air France.

Afin de satisfaire cette demande, la France a accepté de modifier les règles conventionnelles en ce sens. Tel est l'objet de l'avenant qui est visé par le présent projet de loi. Il ne modifie pas la convention elle-même, mais il insère dans le protocole qui lui est annexé une disposition destinée à régler le cas particulier du rapprochement entre Air France et KLM.

Le paragraphe 1 pose ainsi le principe du droit exclusif des Pays-Bas d'imposer les revenus, gains en capital et fortune rattachables à l'activité de transport aérien de l'actuelle société KLM, quel que soit le lieu où se trouve le siège de la direction effective de celle-ci.

Si une absorption complète de KLM devait intervenir, il serait vraisemblablement difficile de déterminer l'assiette taxable revenant, en vertu du présent avenant, au Gouvernement des Pays-Bas. On se trouverait certainement dans l'impossibilité pratique de déterminer, du moins sur une base réelle, les bénéfices, gains en capital ou fortune concernés. Pour cette raison, le paragraphe 3 renvoie à une consultation ultérieure des parties et à un éventuel échange de lettres pour la fixation des modalités de mise en oeuvre du principe de répartition du droit d'imposer prévu en cas de disparition ou de transfert de l'essentiel de l'activité de KLM.

Ces précisions étant apportées, la commission des finances vous invite, mes chers collègues, à adopter les six projets de loi faisant l'objet d'une discussion commune. (Applaudissements.)

M. le président. Personne ne demande la parole dans la discussion générale commune ?...

La discussion générale commune est close.

projet de loi n° 109

M. le président. Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 109.

Article unique

Est autorisée l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République azerbaïdjanaise en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole), signée à Paris le 20 décembre 2001, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. La parole est à M. Robert Del Picchia, pour explication de vote.

M. Robert Del Picchia. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie d'avoir déposé ces projets de loi. En effet, si l'on parle beaucoup des sociétés, il ne faut pas pour autant oublier les Français qui vivent dans ces pays.

En ma qualité de sénateur représentant les Français établis hors de France, notamment dans la grande circonscription de l'Est de l'Europe où j'ai vécu et dont je me suis occupé, je sais qu'ils sont des dizaines de milliers à être concernés par ces conventions. Je les voterai donc avec grand plaisir.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté à l'unanimité.)

PROJET DE LOI N° 110

M. le président. Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 110.

Article unique

Est autorisée l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Albanie en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales (ensemble un protocole), signée à Tirana le 24 décembre 2002, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté à l'unanimité.)

projet de loi n°234 rectifié bis

M. le président. Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 234 rectifié bis.

Article unique

Est autorisée l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Croatie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (ensemble un protocole), signée à Paris le 19 juin 2003 et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté à l'unanimité.)

projet de loi n°259

M. le président. Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 259.

Article unique

Est autorisée l'approbation de l'avenant à l'entente fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Québec en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu, signé le 1er septembre 1987, fait à Paris le 3 septembre 2002, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté à l'unanimité.)

projet de loi n°260

M. le président. Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 260.

Article unique

Est autorisée l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tchèque en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole), signée à Prague le 28 avril 2003, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté à l'unanimité.)

projet de loi n°156

M. le président. Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 156.

Article unique

Est autorisée l'approbation de l'avenant à la convention du 16 mars 1973 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signé à La Haye le 7 avril 2004, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté à l'unanimité.)

7

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de la convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale ,
Discussion générale (suite)

Convention d'assistance administrative mutuelle en matière fiscale

Adoption d'un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de la convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale ,
Discussion générale (fin)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale (n° 261, 2003-2004 ; n° 195).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l'objectif de la convention conjointe au Conseil de l'Europe et à l'OCDE qui est soumise aujourd'hui à votre approbation est la promotion de la coopération internationale en matière d'assistance administrative dans le domaine fiscal. Cette assistance comprend l'échange de renseignements et le recouvrement des créances fiscales.

Cette convention a été élaborée au vu d'un constat commun : le développement des mouvements de capitaux, de biens et de services a accru les possibilités d'évasion et de fraude fiscales. En conséquence, tant le Conseil de l'Europe que l'OCDE ont décidé d'inciter leurs Etats membres à mieux coopérer entre administrations fiscales, tout en assurant une protection appropriée des droits des contribuables.

La convention couvre l'ensemble des impôts directs et indirects, à la seule exception des droits de douane. D'un point de vue français, elle présente un triple avantage.

D'abord, elle complétera utilement le réseau de conventions fiscales bilatérales conclues par la France. Son caractère multilatéral élargit, en effet, les possibilités et l'efficacité de la coopération entre les Etats, tout en réglementant et en renforçant les garanties des contribuables.

La convention présente également l'intérêt d'organiser l'assistance au recouvrement, qui n'est que rarement visée par les conventions fiscales bilatérales, et en constitue un complément indispensable et logique. Ses dispositions trouveront utilement à s'appliquer au-delà du cadre communautaire.

Enfin, en prévoyant un ensemble de règles en vue de la notification de documents à l'étranger, elle vient mettre de la rigueur dans une pratique administrative internationale aux frontières mal définies.

Cette convention multilatérale, entrée en vigueur le 1er avril 1995, a d'ores et déjà été ratifiée par dix États : l'Azerbaïdjan, la Belgique, le Danemark, la Finlande, l'Islande, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, la Suède et les Etats-Unis d'Amérique. La France est ainsi le onzième Etat à effectuer cette démarche, ce qui la place parmi les premiers membres du Conseil de l'Europe et de l'OCDE.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle la convention de Strasbourg d'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis autorise l'approbation de la convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale.

Faisant suite à l'adoption, en 1978, d'une recommandation sur la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales par l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, la convention sur l'assistance administrative en matière fiscale a été élaborée conjointement par un groupe d'experts du Conseil de l'Europe et de l'OCDE. Elle a été approuvée par le conseil des ministres du Conseil de l'Europe le 6 avril 1987, puis par celui de l'OCDE le 25 janvier 1988. Elle a donc été ouverte à la signature des pays membres du Conseil de l'Europe et des pays membres de l'OCDE le 25 janvier 1988.

La France, qui s'est montrée favorable au projet dès sa négociation, a voté en faveur de ce texte lors des conseils des ministres du Conseil de l'Europe et de l'OCDE, à l'occasion de son adoption. Puis, elle a adopté une position d'attente, subordonnant la signature de la convention à l'examen de ses premières années de mise en oeuvre. Compte tenu de son intérêt, la convention a finalement été signée par la France, le 17 septembre 2003.

Le nouvel instrument juridique et fiscal que représente cette convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale est en effet utile du point de vue français pour trois raisons majeures.

Tout d'abord, la convention complétera le réseau des conventions fiscales bilatérales conclues par la France. Elle permet ainsi d'élargir l'échange de renseignements à d'autres impôts que ceux qui sont couverts par les conventions fiscales ou les directives européennes - par exemple, les impôts locaux, les droits d'enregistrement, les contributions indirectes, la TVA et les taxes diverses perçues au profit de l'Etat - et d'uniformiser la pratique des pays signataires en matière d'échange de renseignements.

Ensuite, cette convention organise l'assistance au recouvrement qui, comme l'a rappelé M. le secrétaire d'Etat, n'est que rarement visée par les conventions fiscales bilatérales. Elle prévoit que l'Etat requis doit procéder au recouvrement de la créance fiscale de l'Etat requérant de la même manière que s'il recouvrait ses propres créances. Elle permet ainsi de lutter contre l'organisation par les contribuables de leur insolvabilité dans l'Etat qui a établi les impositions.

Enfin, la convention, en prévoyant un ensemble de règles en vue de la notification de documents à l'étranger, vient mettre de l'ordre dans une pratique administrative internationale aux frontières mal définies.

Onze pays, y compris la France, ont à ce jour signé la convention, qui constitue un complément utile aux conventions bilatérales.

Ces précisions étant apportées, la commission des finances vous propose, mes chers collègues, d'adopter le présent projet de loi. (Applaudissements.)

M. le président. Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l'article unique.

Article unique

Est autorisée l'approbation de la convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, faite à Strasbourg le 25 janvier 1988, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté à l'unanimité.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de la convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale ,
 

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Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Son Altesse Sérénissime le Prince de Monaco, signée à Paris le 18 mai 1963 et modifiée par l'avenant du 25 juin 1969
Discussion générale (suite)

Avenant à la convention fiscale avec Monaco

Adoption d'un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Son Altesse Sérénissime le Prince de Monaco, signée à Paris le 18 mai 1963 et modifiée par l'avenant du 25 juin 1969
Discussion générale (fin)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Son Altesse Sérénissime le Prince de Monaco (n°s 84, 196).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat, cousin de l'ancien roi d'Albanie ! (Sourires.)

M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères. C'est tout à fait exact et je vous remercie du vote que vous avez émis sur la convention bilatérale avec l'Albanie ! (Nouveaux sourires.)

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la France et Monaco sont liées en matière d'impôts sur les bénéfices des sociétés par la convention du 18 mai 1963 dont le but principal est de lutter contre l'évasion fiscale. Il était devenu nécessaire de tenir compte de l'évolution de la fiscalité française et de renforcer la coopération franco-monégasque, en particulier pour éviter certains abus.

C'est dans ce contexte qu'a été signé, le 26 mai 2003, le présent avenant à la convention fiscale. Trois points méritaient en particulier d'être améliorés : les résidents français de Monaco n'étaient pas soumis à l'impôt de solidarité sur la fortune ; les règles de calcul du partage de la TVA entre la France et Monaco ne correspondaient plus à la réalité économique ; enfin, les règles d'assiette de l'impôt sur les bénéfices monégasques, fixées par la convention initiale, n'étaient pas cohérentes avec les dispositions françaises correspondantes.

Désormais, le traitement fiscal des relations économiques entre des sociétés dépendantes établies en France, d'une part, et à Monaco, d'autre part, est rapproché du droit commun français. Les paiements des commissions et des redevances entre elles pourront être admis en déduction des bénéfices de la partie versante. La preuve qu'ils ne dissimulent pas une réalisation ou un transfert de profits devra être fournie. Cet alignement sur le droit interne français correspond à une demande réelle de la part des entreprises françaises détenant des filiales dans la Principauté et y effectuant des opérations réelles.

L'égalité des contribuables devant l'impôt de solidarité sur la fortune, conséquence logique de la convention de 1963, sera ainsi mieux assurée.

Le principe de l'unicité du territoire fiscal français et monégasque est réaffirmé : les règles de partage de la TVA seront rapprochées de la réalité économique et garantiront au mieux les intérêts de la France. De même, l'imposition des personnes résidentes de Monaco « dans les mêmes conditions que si elles avaient leur domicile ou leur résidence en France » leur permettra de bénéficier de réductions d'impôts, telles que celles qui sont liées à l'emploi d'un salarié à domicile ou aux frais de garde de jeunes enfants dans une crèche ou chez une assistante maternelle. Ce principe est désormais contenu dans l'avenant.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle l'avenant à la convention fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Son Altesse Sérénissime le Prince de Monaco qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui soumis à votre approbation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis prévoit l'approbation d'un avenant à la convention fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Son Altesse Sérénissime le Prince de Monaco, signée à Paris le 18 mai 1963 et déjà modifiée par l'avenant du 25 juin 1969.

Cet avenant s'inscrit dans un cadre plus large de modernisation des relations entre la France et la Principauté. Un nouveau traité d'amitié et de coopération a en effet été signé le 24 octobre 2002 ; il vise, à la demande de ses autorités, à renforcer la souveraineté de la Principauté.

Ce nouveau traité consacre la communauté de destin entre la France et Monaco. Il prévoit une concertation bilatérale appropriée et régulière afin que les relations internationales de Monaco soient conduites, sur les questions fondamentales, en convergence avec celles de la République française. Enfin, il met un terme au principe de l'agrément de la France en cas de modification de l'ordre successoral.

Dans ce contexte nouveau, il a été prévu que les relations bilatérales seraient modernisées par la signature de conventions particulières, la première d'entre elles étant l'avenant à la convention fiscale, qui fait l'objet du présent projet de loi.

Cet avenant a été signé le 26 mai 2003 à Monaco. Il permet, en son article 1er, de corriger les évolutions anormales dans la déduction des rémunérations des dirigeants de l'assiette de l'impôt monégasque sur les bénéfices.

Il permet ensuite d'assujettir à l'impôt de solidarité sur la fortune les résidents français installés à Monaco depuis 1989 et prévoit l'échange d'informations en la matière. L'imposition à l'ISF des résidents français à Monaco s'applique déjà, depuis le 1er janvier 2002, et concerne environ deux cents contribuables, soit une base taxable de plus de 800 millions d'euros.

La date d'imposition retenue est quelque peu exorbitante du droit commun, puisqu'elle revient à taxer des redevables avant que le projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant ait été adopté par le Parlement.

Néanmoins, j'ai bien noté que des échéanciers de paiement sur plusieurs années - jusqu'à cinq ans - sont prévus, en fonction de chaque cas particulier, sans intérêt ni majoration pour les redevables. Je prends acte que des instructions devraient être données dans ce sens aux services fiscaux territoriaux.

Des inquiétudes demeurent pourtant dans la communauté française de Monaco. Certes, concernant les personnes physiques, l'avenant ne fait que poursuivre la logique initiale de la convention fiscale de 1963, qui vise à considérer les citoyens français résidant à Monaco comme des contribuables français classiques. Mais l'imposition sur la fortune pourrait susciter une nouvelle décroissance du nombre de Français à Monaco et remettre en cause la présence française dans la Principauté.

Le nombre de Français résidant à Monaco est passé de 15 222 à 9 454 immatriculés entre 1984 et 2002, soit une baisse de 38 %. Cette décroissance est, dans une certaine mesure, regrettable et il faut se féliciter que l'avenant à la convention fiscale affirme clairement le droit des Français de Monaco à bénéficier de certaines réductions d'impôt, comme celles qui sont liées à l'emploi d'un salarié à domicile ou aux frais de garde de jeunes enfants dans une crèche ou chez une assistante maternelle.

L'avenant est enfin complété par un échange de lettres, lequel contient des dispositions, très attendues par la France, en matière de partage des recettes de taxe sur la valeur ajoutée.

En effet, la convention fiscale du 18 mai 1963 prévoyait un partage du produit total des perceptions opérées sur le territoire des deux Etats : la TVA est en principe encaissée dans le pays où la marchandise qu'elle frappe est consommée, mais le montant de ces perceptions respectives était presque impossible à calculer entre deux territoires aussi imbriqués que ceux de la République française et de la Principauté de Monaco.

Dès lors, il avait été décidé d'établir une règle de répartition de ces taxes entre le Trésor monégasque et le Trésor français. Cependant, cette règle de répartition était devenue de plus en plus favorable à la Principauté, entraînant une augmentation continue des reversements effectués par le Trésor français au Trésor monégasque, d'où une modification des règles de partage.

Voilà les précisions que la commission des finances souhaitait apporter. Elle vous recommande, mes chers collègues, d'adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l'article unique.

Article unique

Est autorisée l'approbation de l'avenant à la convention fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Son Altesse Sérénissime le Prince de Monaco, signée à Paris le 18 mai 1963 et modifiée par l'avenant du 25 juin 1969 (ensemble un échange de lettres), signé à Monaco le 26 mai 2003, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

M. Robert Bret. Le groupe CRC s'abstient !

Mme Nicole Bricq. Le groupe socialiste également !

(Le projet de loi est adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures quarante, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention fiscale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Son Altesse Sérénissime le Prince de Monaco, signée à Paris le 18 mai 1963 et modifiée par l'avenant du 25 juin 1969
 

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DÉPÔT DU RAPPORT ANNUEL DE LA COUR DES COMPTES

M. le président. L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président de la Cour des comptes.

(M. le Premier président de la Cour des comptes est introduit dans l'hémicycle selon le cérémonial d'usage.)

M. le président. Monsieur le Premier président, je suis heureux de vous accueillir aujourd'hui, au nom de tous mes collègues et en mon nom personnel, dans cet hémicycle où vous êtes souvent intervenu dans d'autres fonctions.

C'est la première fois que vous venez déposer solennellement sur le bureau de notre assemblée le rapport annuel de la Cour des comptes, toujours très attendu par tous les membres de la Haute Assemblée.

Permettez-moi de rappeler à cette occasion combien le Sénat est attaché au développement des relations institutionnelles avec la Cour des comptes. Sous l'autorité de leurs présidents, MM. Jean Arthuis et Nicolas About, nos commissions des finances et des affaires sociales bénéficient en particulier du concours efficace de la Cour dans le cadre de leur mission de contrôle de l'application des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale, sur le fondement des articles 47 et 47-1 de la Constitution.

Monsieur le Premier président, je forme en cet instant, le voeu que ces relations toujours très fructueuses puissent se renforcer encore sous votre présidence.

Vous avez maintenant la parole, monsieur le Premier président.

M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, en application de l'article L. 136-1 du code des juridictions financières, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau du Sénat le rapport public annuel de la Cour des comptes, que j'ai remis ce matin même à M. le Président de la République et que je présenterai tout à l'heure à l'Assemblée nationale. (M. le Premier président de la Cour des comptes remet à M. le président du Sénat le rapport annuel de la Cour des comptes.)

M. le président. Merci, monsieur le Premier président. Ce rapport est bien épais ! (Sourires.)

M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes. Oserai-je relever, monsieur le président, que, en me conformant ainsi à une tradition qui remonte à l'année 1832, j'ai l'occasion de monter de nouveau à la tribune de la Haute Assemblée pour la première fois depuis dix-sept ans ? Je ne vous cacherai pas en tout cas l'émotion que j'en ressens, et je vous remercie à cet égard, monsieur le président, de vos propos.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez mieux que quiconque, le rapport public annuel n'est plus la seule publication de la Cour des comptes. Pour s'en tenir, par exemple, aux trois ou quatre derniers mois écoulés, la Cour, outre ses communications sur l'exécution de la loi de finances et sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale, a publié des rapports thématiques consacrés à « l'accueil des immigrants et à l'intégration des populations issues de l'immigration », au « maintien en condition opérationnelle des matériels des armées », ou encore au « démantèlement des installations nucléaires et à la gestion des déchets ».

Près d'une dizaine d'autres rapports publics particuliers - telle est en effet leur appellation - sont actuellement en cours d'élaboration et seront transmis à la Haute Assemblée, pour la plupart, dès cette année ; ils témoigneront de la diversité des interventions de la Cour et de ce qu'elle me paraît pouvoir apporter en termes d'appréciation de l'efficacité des politiques publiques et de contribution à l'amélioration de la qualité de la gestion publique.

S'agissant par ailleurs du contrôle des organismes faisant appel à la générosité publique, la Cour a publié depuis un an des rapports sur le Comité français pour l'Unicef, sur l'Association française contre les myopathies et, voilà quelques jours à peine, sur l'Association pour la recherche sur le cancer.

Elle s'apprête en outre à procéder aux vérifications qui déboucheront sur un bilan global, lequel sera rendu public, de l'utilisation des fonds recueillis en France à la suite du tsunami. Le rapport, élaboré à l'échelon national, sera complété par un autre, de portée internationale, qu'elle réalisera en sa qualité de commissaire aux comptes de l'Organisation des Nations unies.

Si le rapport public annuel, accessible aux citoyens depuis 1938, n'est donc plus la seule expression publique de la Cour des comptes, nous entendons néanmoins lui conserver toute son importance. Bien loin de le considérer comme vidé de son sens par la croissance du nombre des autres publications, nous nous attachons à le faire évoluer pour qu'il ne cesse de constituer à la fois un relevé des activités de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes, un inventaire des observations les plus significatives et les plus exemplaires des choix et des pratiques des pouvoirs publics dans la mise en oeuvre de leur politique et, enfin, un état des suites réservées aux interventions des juridictions financières.

Les deux volumes du rapport qui vous est remis, monsieur le président, y contribuent chacun à leur manière.

Le rapport d'activité, publié depuis quatre ans dans un fascicule distinct, est le moyen de donner la mesure de nos activités et de répondre à une obligation de transparence à laquelle les juridictions financières veulent d'autant plus souscrire que c'est pour elles le moyen de faire connaître l'efficacité de leurs interventions.

L'absence de suites aux interventions de la Cour est en effet une légende qui n'a probablement que trop duré. Peut-être la Cour et les chambres régionales sont-elles trop modestes pour revendiquer la paternité des réformes intervenues après leur passage ? Peut-être retient-on plus l'anecdote que les réformes de fond auxquelles nous avons contribué ? Toujours est-il que, contrairement aux idées reçues, nombre de nos contrôles produisent des effets tangibles. L'actualité même en offre la démonstration : les péripéties diverses qu'affronte actuellement telle fédération sportive doivent, pour le moins, quelque chose à la Cour des comptes. A l'inverse, le redressement de telle association de lutte contre le cancer n'aurait pas été possible sans l'intervention, en son temps, de notre juridiction.

Dans le rapport d'activité, vous trouverez d'autres illustrations encore des résultats obtenus. Ils sont loin d'être négligeables, si l'on considère, par exemple, la réforme entreprise par la protection judiciaire de la jeunesse après le contrôle de la Cour en 2003, ou les modifications significatives auxquelles ont procédé nombre de collectivités territoriales dans leur mode de relation avec leurs délégataires de service public, après les contrôles des chambres régionales des comptes.

Quant au contenu du second volume, il n'a peut-être pas le caractère exhaustif de jadis, mais il ne se limite pas non plus à un propos d'ambiance. Il permet, à partir de quelques exemples significatifs, de prendre la mesure de ce qu'est la gestion publique et des écarts qui peuvent la séparer de ce qu'elle devrait être, ou encore d'en retracer les évolutions, d'en évaluer les succès ou les insuffisances.

Tant ses nouvelles publications que le nouveau contenu du rapport public attestent que la Cour s'efforce sans cesse de s'adapter aux évolutions de son environnement, parmi lesquelles, en particulier, le renforcement progressif et continu, depuis plus de dix ans, de sa contribution à l'information du Parlement. Ce renforcement - vous l'avez justement évoqué, monsieur le président -, à l'initiative duquel je m'honore d'avoir pris une part, fût-elle modeste, dans une vie antérieure, aura été confirmé, amplifié et approfondi par la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.

Ainsi la Cour contribue-t-elle activement aux travaux de votre commission des finances et de votre commission des affaires sociales. Depuis 2002, ce ne sont pas moins de douze rapports que la Cour aura élaborés à la demande de la commission des finances, et nous nous attacherons à honorer de même les demandes qui seront formulées au titre de l'année 2005. La Cour est d'ailleurs très sensible à l'habitude prise par la commission des finances, sous l'impulsion de son président, M. Arthuis, d'organiser une audition des ministres ou des directeurs concernés pour débattre des conclusions de chacun de ces rapports.

De la même façon, la collaboration avec la commission des affaires sociales est très fructueuse, et je m'apprête à transmettre à son président, M. About, le rapport qu'il nous a demandé sur la question des victimes de l'amiante. Nous ferons d'ailleurs ainsi, et pour la première fois, une application de l'article L. 132-3-1 du code des juridictions financières, qui autorise désormais la commission chargée des affaires sociales à saisir elle-même la Cour des comptes d'une demande d'enquête sur toute question relative à la loi de financement de la sécurité sociale.

Enfin, les référés de la Cour font désormais l'objet, dans les conditions prescrites par la loi, de communications systématiques à votre assemblée.

Sans doute nous faudra-t-il aller plus loin encore si nous voulons être certains de disposer des meilleurs moyens pour apprécier l'efficience et l'efficacité des administrations, c'est-à-dire leur performance, et pour optimiser l'usage qui est fait de ce bien rare qu'est l'argent public.

Je demanderai ainsi à la Cour - et le président de la commission des finances, M. Arthuis, n'est pas le dernier à nous y inciter - de mieux et plus clairement encore exprimer ses recommandations afin de faciliter les suites qui leur seraient réservées par l'exécutif ou, à défaut, pour mettre davantage le Parlement en mesure d'en pointer l'absence et d'en évaluer les conséquences.

Peut-être faudra-t-il également veiller à ce que l'ensemble de ces recommandations et préconisations soit connu du Parlement. Si l'on ne devait pas souhaiter une communication plus rapide des référés aux deux assemblées, du moins pourrait-on envisager que leur soit transmise trimestriellement une synthèse des propositions qu'y formule la Cour, ce qui faciliterait leur exploitation rapide.

Mais les principales implications à tirer du nouveau contexte que j'évoquais restent à venir.

Demain, on le sait, la Cour des comptes assumera à l'intention du Parlement la tâche nouvelle de certification des comptes de l'Etat. Elle jouera par ailleurs, avec les chambres régionales des comptes, un rôle majeur dans le processus de l'évaluation de la performance des politiques publiques. Il reviendra ainsi aux juridictions financières d'être les garantes d'une mise en oeuvre satisfaisante de la LOLF, dont le législateur a tenu à ce qu'elles soient l'un des rouages essentiels.

Ne nous y trompons pas, en effet : rien n'ira de soi dans le jugement de la performance, qui ne pourra évidemment pas reposer seulement sur les données chiffrées. Un complément d'appréciation d'ordre qualitatif sera indispensable. Les Anglo-saxons l'ont d'ailleurs bien compris, qui sont nombreux à avoir abandonné l'approche par les seuls indicateurs pour opter en faveur d'une autre, fondée sur les mesures de performances, laquelle permet une évaluation à la fois quantitative et qualitative plus conforme à la réalité multiforme et évolutive de l'action publique.

Ce complément d'ordre qualitatif, il va revenir à la Cour des comptes de l'apporter. Mais il n'y aura pas que cela.

La Cour devra ainsi être non seulement autorisée, mais parfois expressément invitée à formuler des propositions de réforme de la LOLF, dont ce serait une erreur de la considérer comme un monument intangible.

Ainsi, je ne suis ni le premier ni le dernier à souligner que la France est probablement le seul pays à présenter la totalité des dépenses de l'Etat sous la forme de programmes, alors même qu'on peut se demander si toutes les formes de l'action publique peuvent y trouver systématiquement leur traduction.

Il est probable que nous découvrirons rapidement le danger qu'il y aurait à rester prisonnier de tel programme qui serait considéré comme complet et immuable, alors que les actions, par nature, changent en fonction des décisions des pouvoirs publics. Il faudra pour le moins accepter que la gestion par programme soit appliquée avec souplesse et pragmatisme en attachant plus d'importance à l'esprit général du programme qu'à son contenu et, si cela ne suffit pas, avoir le courage de procéder aux changements qui s'avèreraient nécessaires.

La réussite de la LOLF constitue un enjeu trop important en termes de renforcement de la démocratie parlementaire, de transparence et de responsabilité des gestionnaires dans l'usage de l'argent public pour que toutes les chances de réussite ne soient pas réunies.

Vous aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, que les juridictions financières sont résolues à tout mettre en oeuvre pour qu'il en soit ainsi. Mais vous ne serez pas étonnés de m'entendre dire que, pour qu'elles puissent agir avec une totale impartialité et avec efficacité, il me paraît souhaitable de reconsidérer leur place.

Bref, il s'agit de tirer toutes les conséquences du choix qui a été fait par notre pays de ne retenir aucun des modèles habituels de positionnement de l'institution supérieure de contrôle, à savoir son rattachement à l'exécutif ou au législatif. Certes, le choix ainsi opéré en 1958 par le constituant n'était qu'implicite. Et sans doute cela peut-il expliquer qu'il ait fallu attendre les années quatre-vingt-dix pour que le Parlement et la Cour des comptes en tirent les premières conséquences concrètes, et l'année 2001 pour que le Conseil constitutionnel pose clairement le principe de l'équidistance de la Cour vis-à-vis du Parlement et du Gouvernement, qu'ultérieurement la logique de la LOLF allait rendre incontournable.

Dans ces conditions, peu après ma nomination il m'est vite apparu que la présence des juridictions financières dans un programme rattaché à une mission du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie - comme à tout autre élément de l'exécutif - était difficilement défendable. C'est pourquoi la Cour, avec le renfort du Conseil d'Etat, a formulé un certain nombre de suggestions pour que son positionnement soit remis en conformité avec le principe que j'ai rappelé. L'affaire nous a paru d'importance, car ce sont la clarté, la qualité et la pérennité des rapports du Parlement et de la Cour qui sont en question.

Je sais gré à la commission des finances du Sénat d'avoir prêté une oreille attentive à nos analyses et je la remercie de la part qu'elle a prise au dégagement d'une esquisse de solution qui, pour être totalement satisfaisante, devra selon nous prendre en compte le fait que les juridictions financières forment un tout indissociable devant être traité comme tel et, par ailleurs, proscrire tout rattachement qui, par définition, mettrait en cause notre double et égale référence au législatif et à l'exécutif.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les treize insertions du présent rapport public ne tiennent pas de ce que l'on dénomme communément « l'épinglage ». (Sourires.) Elles ne se veulent pas un tableau de chasse. Elles sont une contribution, parmi beaucoup d'autres, à l'effort national du bon usage de la ressource publique.

Il s'agit dans plusieurs cas d'appréciations du suivi réservé à des observations antérieures. Ainsi en va-t-il pour la refondation indemnitaire. Cinq ans après les premières analyses de la Cour, la réforme opérée paraît aujourd'hui essentiellement formelle et l'on peut déplorer que l'objectif de motivation des personnels et de rénovation de la gestion publique, affiché entre-temps par les pouvoirs publics, ne l'ait pas davantage inspirée.

Il s'agit encore de démontrer que la Cour intervient non pas seulement pour blâmer, mais parfois aussi pour souligner les progrès accomplis et l'amélioration de la gestion publique. La construction progressive du service public de la transfusion sanguine ou la rationalisation de l'organisation financière de France Télévisions, dans le cadre d'une holding que la Cour avait appelée de ses voeux, en constituent deux bons exemples.

Il s'agit bien sûr aussi, et de manière plus classique, d'alerter sur des gestions défaillantes. C'est le cas des opérations immobilières du ministère des affaires étrangères, lesquelles révèlent une situation critique, caractérisée par des incohérences nombreuses et un défaut de pilotage patent, sources de surcoûts, de retards dans les réalisations et, au final, d'une efficacité largement insuffisante. Il est urgent que ce ministère professionnalise la gestion de son patrimoine. A défaut, ses projets de révision de ses implantations parisiennes, tout comme la modernisation de l'hébergement de son réseau diplomatique et consulaire, risqueraient d'en pâtir fâcheusement.

Il s'agit enfin de rapporter les conclusions de divers contrôles effectués par les chambres régionales des comptes dans les collectivités territoriales, auxquelles la Haute Assemblée est très attachée. Les insertions concernant les services départementaux d'incendie et de secours ou les comités régionaux du tourisme montrent les enseignements qu'il faut tirer de certains enchevêtrements de compétences et de l'insuffisante coordination de divers opérateurs.

Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques considérations dont je souhaitais, avec votre permission, assortir le dépôt du présent rapport public. (Applaudissements.)

M. le président. Monsieur le Premier président, le Sénat vous donne acte du dépôt de ce rapport.

La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le Premier président, mes chers collègues, c'est avec beaucoup de plaisir et d'attention, comme il se doit, que nous venons d'entendre M. le Premier président nous présenter le rapport public annuel de la Cour des comptes.

Dans quelques instants, monsieur le Premier président, vous irez présenter votre rapport devant l'Assemblée nationale. Croyez bien que nous apprécions l'honneur que vous faites au Sénat.

Je ne reviendrai pas sur le contenu de ce rapport que nous ne manquerons pas, spécialement à la commission des finances, d'analyser comme toujours avec le plus grand soin. Il enrichira notre réflexion et nos travaux pour porter une appréciation sur l'efficacité de la dépense publique et sur le bon usage des deniers publics.

Précisément, monsieur le Premier président, je voudrais vous remercier de l'attention que vous portez personnellement, et avec votre détermination bien connue, à l'approfondissement des relations entre la Cour des comptes et le Parlement, singulièrement le Sénat.

La mission d'assistance sur l'Institut national de recherches archéologiques préventives et les quatre enquêtes que nous vous avions demandées en 2004, en application des premier et deuxième alinéas de l'article 58 de la LOLF, nous ont été présentées ou vont nous être présentées dans les prochaines semaines. Elles donneront lieu, comme les neuf déjà réalisées depuis deux ans au sein de la commission des finances, à des auditions contradictoires réunissant, autour des commissaires, les magistrats de la Cour des comptes ayant conduit les enquêtes ainsi que les représentants des organismes contrôlés et, le cas échéant, les ministères de tutelle.

C'est donc un dialogue constructif qui permet de conférer au contrôle budgétaire un caractère positif : il s'agit moins de dénoncer et d'accuser que de favoriser et d'encourager des évolutions positives, des réformes, des progrès.

Ainsi la commission a t-elle souhaité donner encore plus de publicité à ses travaux, en ouvrant ces auditions contradictoires le plus largement possible aux médias. C'est de cette façon, me semble-t-il, que nous contribuerons à donner la plus grande transparence, et donc la plus grande diffusion, à nos travaux communs.

Ainsi, pour l'année 2005, ai-je l'honneur, monsieur le Premier président, de vous saisir officiellement aujourd'hui de cinq enquêtes issues des demandes des rapporteurs spéciaux compétents, portant sur les sujets suivants.

La première concerne les frais de justice, dont l'évolution est préoccupante : plus 40 % en deux ans, l'enveloppe annuelle atteignant un peu plus de 400 millions d'euros.

La deuxième enquête a trait à la gestion immobilière du ministère de l'équipement.

La troisième concerne la situation du Fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités commerciales et artisanales, le FISAC.

La quatrième a trait au Fonds de soutien à l'expression radiophonique locale, financé par une taxe sur les messages publicitaires.

Enfin, la cinquième enquête concerne le fonctionnement du service public de l'équarrissage.

Nous vous remercions encore, monsieur le Premier président, de contribuer ainsi à nous assister dans le développement de la mission de contrôle budgétaire du Parlement, qui est chaque jour davantage notre « seconde nature », selon la désormais célèbre formule du Président Christian Poncelet.

Cette mission de contrôle se trouve bien évidemment renforcée avec la LOLF, qui sera mise en oeuvre à partir du prochain projet de loi de finances et sur laquelle, vous le comprendrez, je souhaite insister quelque peu cette année.

La LOLF, issue d'initiatives parlementaires venant de différents groupes et dépassant les clivages partisans, doit en effet conduire à transformer la nature du contrôle budgétaire, et vous savez que la commission des finances s'y emploie activement. Cette dernière a affiné ses méthodes, en examinant les techniques qui ont été mises en oeuvre tant en France par le secteur public ou les entreprises privées, les cabinets spécialisés, qu'à l'étranger par nos homologues des différents parlements.

La commission des finances a rédigé son propre guide des bonnes pratiques de contrôle et communique chaque année davantage, comme elle l'a fait voilà dix jours sur les vingt-cinq contrôles réalisés en 2004 par ses rapporteurs spéciaux, que je tiens à féliciter de nouveau pour l'exemplarité de leur engagement.

Mais, nous le savons tous, la Cour des comptes verra sa mission considérablement renforcée au travers de la certification des comptes de l'Etat, à laquelle elle devra procéder, et aussi de par la loi de règlement, point sur lequel je reviendrai dans un instant.

C'est pour cette raison que je rejoins, monsieur le Premier président, votre préoccupation de garantir, y compris par son autonomie financière, l'indépendance de la Cour des comptes.

A cet égard, le rattachement, dans la nouvelle nomenclature budgétaire, du programme « juridictions financières » à la mission ministérielle « gestion et contrôle des finances publiques » impliquerait la détermination en amont des crédits de la Cour des comptes par un ministre, en l'occurrence celui de l'économie, des finances et de l'industrie. En d'autres termes, le certifié, plus précisément celui qui tient les comptes et qui les arrête, fixerait les moyens financiers du certificateur. Une telle situation, croyez-le bien, ne nous satisfait aucunement, car ce serait contraire aux principes auxquels nous sommes attachés.

Voilà pourquoi la commission des finances avait, dès l'an dernier, proposé la création d'une mission « transparence et régulation de l'action publique », composée des programmes « juridictions financières » et « autorités administratives indépendantes » : cette formule présenterait l'avantage de résoudre le problème de la fongibilité des crédits entre autorités régulatrices et administrations concernées.

A dire vrai, je m'étais étonné, à l'époque, de l'absence d'échos favorables de la part des premiers intéressés. Cela pouvait s'apparenter à une sorte d'encéphalogramme plat, voire à un refus, comme si, tout compte fait, il était plus sage de négocier au sein du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

Depuis quelques semaines, nous avons perçu un changement de pied, dans le sens de la recherche de l'équidistance entre l'exécutif et le législatif.

Compte tenu des derniers éléments en ma possession, avec notre rapporteur général, Philippe Marini, mais aussi avec nos homologues de l'Assemblée nationale, le président Pierre Méhaignerie et le rapporteur général Gilles Carrez, nous veillerons, dans la concertation, à trouver une solution satisfaisante. Ainsi, l'idée de réunir, au sein d'une mission dédiée aux seules institutions citées par la Constitution, des programmes spécifiques pour les juridictions financières et le Conseil d'Etat peut être, me semble-t-il, favorablement accueillie, même si, nécessairement, des demandes similaires émaneront des juridictions judiciaires.

Ces programmes seraient régis par les règles budgétaires de droit commun, qui pourraient être naturellement assouplies le cas échéant, sans toutefois être supprimées, afin de conforter l'indépendance de ces juridictions ; je pense plus spécifiquement à l'exercice du contrôle financier ou à la régulation budgétaire. De même faudra-t-il réfléchir à la possibilité de modifier le champ du titre actuellement réservé aux seules dotations des pouvoirs publics, afin d'y adjoindre, sans pour autant les assimiler, les crédits relevant de cette mission sui generis.

Par-delà les modalités concrètes précises, il y a accord sur le fond, et je veux croire que le dialogue toujours fructueux entre le Gouvernement, les assemblées et la Cour des comptes nous permettra de dégager une solution acceptable par tous dès le prochain projet de loi de finances.

J'ajouterai que l'indépendance, comme vous le savez, tient non seulement à la lettre des textes, mais aussi à l'esprit dont font preuve ceux qui sont aux responsabilités. De ce point de vue, je suis plutôt déjà rassuré, monsieur le Premier président. La déontologie doit être le meilleur garant de l'objectivité et prévenir je ne sais quelle suspicion que pourraient susciter les allers et retours, sans doute rythmés par les alternances politiques, de certains magistrats entre la Cour des comptes et les cabinets ministériels. Cette observation vaut également pour le Conseil d'Etat.

Permettez-moi également d'insister sur le nécessaire renforcement de la loi de règlement, qui résultera naturellement de la logique de performance et de résultat induite par la LOLF.

En effet, le projet de loi de finances initiale présentera, pour chaque programme de chaque mission, des objectifs et des indicateurs de performance. La réalisation de ces objectifs sera mesurée dans la loi de règlement qui, de simple mais indispensable quitus comptable, se transformera progressivement en instrument d'évaluation de l'accomplissement par l'Etat de ses missions. C'est dire l'importance accrue, tant pour la Cour des comptes que pour le Parlement, de cette loi de règlement.

J'exprime d'ores et déjà le souhait que nous puissions modifier l'organisation de nos travaux parlementaires. Ainsi, désormais, au printemps, avant que ne s'engage le débat d'orientation budgétaire, nous devrons, monsieur le président, mes chers collègues, consacrer non plus une ou deux heures, mais au moins une semaine, en séance publique, à l'examen de la loi de règlement. (M. Jean-Jacques Jégou applaudit.)

MM. Yves Fréville et Jean-Pierre Fourcade. Très bien !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. A cette occasion, nous inviterions en séance les ministres pour leur permettre de commenter devant tous nos collègues des autres commissions les résultats de leur politique.

MM. Yves Fréville et Jean-Jacques Jégou. Très bien !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Nous sommes bien conscients du fait que la LOLF est appelée à devenir un puissant instrument de réforme, réforme de l'Etat bien sûr, mais aussi réforme du Parlement et de l'organisation des travaux de ce dernier.

Monsieur le Premier président, je souhaiterais souligner, en conclusion, l'importance pour nous tous de cette première année de mise en oeuvre de la « nouvelle Constitution financière ».

La LOLF va changer les méthodes de travail tant de la Cour des comptes que du Parlement.

Pour ce qui concerne les assemblées, il faudra définir le nouveau périmètre des rapports budgétaires, reformater les questionnaires budgétaires, revoir certaines règles concernant la discussion budgétaire et l'examen des amendements. Il faudra également nous interroger sur l'application de l'article 40 de la Constitution.

La Cour des comptes, pour sa part, sera aussi sûrement appelée à faire évoluer certaines de ses méthodes pour répondre aux exigences de la LOLF, en particulier la certification de sincérité et de régularité des comptes de l'Etat, y compris les comptes consolidés de l'Agence des participations de l'Etat. Il conviendra de lui en donner les moyens, car les contraintes de cette innovation majeure, notamment en termes de délais, ne doivent pas être sous-estimées.

En effet, il nous faudra nous imposer la faculté d'adaptation que nous réclamons à juste titre aux administrations de l'Etat et au Gouvernement.

Cette faculté d'adaptation, qui n'est nouvelle ni pour vous, monsieur le Premier président, ni pour nous, nous en témoignerons ensemble, puisque nous sommes dotés d'une expérience chaque année renforcée de coopération mutuelle dont je ne peux que me féliciter.

Mes chers collègues, la réforme de l'Etat est en marche. Son succès se mesurera à l'aune de la volonté que manifesteront, sans faille, l'exécutif et le Parlement. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président de la Cour des comptes.

(M. le Premier président de la Cour des comptes est reconduit selon le même cérémonial qu'à son entrée dans l'hémicycle.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

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CANDIDATURES À des commissions

M. le président. J'informe le Sénat que le groupe de l'Union pour un mouvement populaire a présenté quatre candidatures pour les commissions des affaires économiques et du Plan, des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, des affaires culturelles et des affaires sociales, aux places laissées vacantes, que le groupe socialiste a présenté une candidature pour la commission des affaires économiques et du Plan, à la place laissée vacante, et que le groupe communiste républicain et citoyen a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales, à la place laissée vacante.

Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l'article 8 du règlement.

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Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Discussion générale (suite)

Réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise

Discussion d'une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise (nos 181, 203, 205).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme de l'organisation du temps de travail présentée dans la proposition de loi issue de l'Assemblée nationale dont vous êtes saisis aujourd'hui est une réforme importante, par son contenu comme par les principes qui la sous-tendent.

Ce texte participe d'abord de cette ambition qui est la nôtre de rompre avec des schémas autoritaires imposés sans réelle concertation (Exclamations sur les travées du groupe CRC) et de remettre le dialogue social au coeur du fonctionnement des entreprises et des branches.

Cette proposition de loi s'inscrit dans la ligne des réformes engagées depuis près de trois ans par le Gouvernement pour mettre l'économie française sur le chemin du dynamisme et de la croissance et pour donner à nos entreprises les moyens d'un développement pérenne.

Ces réformes nous paraissent indispensables. Bien sûr, les recettes mises en oeuvre jusqu'en 2002 avaient pu faire illusion en haut de cycle et permettre à certaines grandes entreprises de mener à bien leur réorganisation. Mais elles ont vite montré leurs limites lorsque la conjoncture s'est retournée ! Alors que notre pays est exposé à une concurrence internationale sans cesse plus vive, il est illusoire de prétendre assurer sa prospérité seulement à coup de contrats aidés dans les collectivités publiques, pour les jeunes diplômés, ou de partage autoritaire du travail dans les entreprises.

M. Roland Muzeau. Le partage du travail n'a rien d'autoritaire !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. La tâche du Gouvernement a été rendue plus difficile en raison d'une conjoncture peu favorable : en 2003, la zone euro, avec laquelle nous réalisons la majorité de nos échanges, a connu une croissance très faible : 0,4 %. Notre pays, dont la croissance a été de 0,5 % en 2003, n'a pas échappé à cette morosité.

En 2004, notre horizon a commencé à s'éclaircir. Avec un taux de 2,3 %, la croissance a retrouvé un niveau encourageant, qui représente l'un des meilleurs résultats de la zone euro. Les créations d'emplois ont atteint le chiffre de 40 000 et la consommation des ménages a progressé de 3,8 % sur un an.

Cette embellie, nous la devons, certes, à une conjoncture internationale plus favorable, mais surtout aux premiers effets des réformes structurelles engagées depuis deux ans. Je pense en particulier à la maîtrise du coût du travail sur les bas salaires, grâce à une politique volontariste de baisse des charges, à l'encouragement à la création d'entreprises par la loi sur l'initiative économique, dite loi Dutreil - le nombre de créations d'entreprises a d'ailleurs atteint l'année dernière un niveau inégalé, à savoir 224 000 -, au soutien aux activités de haute technologie et aux investissements collectifs, au développement de la formation tout au long de la vie grâce à la création du DIF, le droit individuel à la formation, à la rénovation du dialogue social dans les entreprises et les branches grâce à l'ouverture de nouveaux champs pour la négociation collective et la modernisation des règles de négociation - ce sont les acquis des lois des 3 et 17 janvier 2003 et de la loi du 4 mai 2004.

Toutes ces réformes procèdent d'une inspiration commune : donner aux entreprises, par le dialogue social, les moyens de leur développement, assurer aux salariés des parcours professionnels de qualité, et conforter la compétitivité de notre économie sur les marchés internationaux, là où se joue notre avenir.

Si ces réformes ont commencé à porter leurs fruits en termes de croissance et de résultats financiers, leur impact sur l'emploi reste malheureusement, je le concède bien volontiers, encore très insuffisant.

Comme en témoignent les chiffres du chômage rendus publics la semaine dernière, avec 10 % de la population active en recherche d'emploi, la situation du marché du travail reste, à mes yeux, préoccupante : sur douze mois, nous avons connu alternativement six mois de baisse puis six mois de hausse du chômage. Là où d'autres pays parviennent à réduire massivement leur niveau de chômage dès que la croissance dépasse 2 % en rythme annuel, nous parvenons tout juste à absorber l'augmentation de la population active.

Ces résultats doivent-ils nous conduire à remettre en cause les principes qui nous ont guidés jusqu'ici ? Je ne le crois pas. Je suis au contraire convaincu que cela doit nous inciter à poursuivre avec plus de détermination encore dans la voie des réformes structurelles.

C'est cette conviction qui nous a conduits, au sein du pôle de cohésion sociale animé par Jean-Louis Borloo, à élaborer la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale. Cette loi est porteuse de réformes ambitieuses : elle s'attaque aux dysfonctionnements du marché du travail, elle renforce l'accompagnement des chômeurs et elle donne aux entreprises les outils nécessaires pour accompagner au mieux les restructurations auxquelles elles sont confrontées.

La proposition de loi dont vous avez à débattre aujourd'hui participe, elle aussi, du souci qui est le nôtre de moderniser le fonctionnement de notre économie, mais en agissant cette fois sur les règles de fonctionnement des entreprises et sur l'organisation du temps de travail.

J'entends, il est vrai, des interrogations sur l'opportunité d'une telle réforme, alors que le taux de chômage demeure élevé et que nombre d'entreprises, les grandes notamment, semblent avoir surmonté tant bien que mal le passage aux 35 heures.

M. Roland Muzeau. Il n'y a qu'à voir les profits !

Mme Hélène Luc. Il y en a qui l'ont bien supporté !

M. le président. Mes chers collègues, veuillez laisser M. le ministre s'exprimer !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Certains estiment même - je pense notamment aux prises de position récentes de plusieurs organisations syndicales - que la proposition de loi constituerait un retour en arrière au mieux superflu. Revoir l'organisation du temps de travail au sein des entreprises aurait pour conséquences, selon eux, de freiner les embauches et de limiter la progression du pouvoir d'achat des salariés. Mais c'est se méprendre tant sur le diagnostic que sur la nature du remède proposé.

S'agissant du diagnostic, considérer que le passage aux 35 heures aurait été globalement favorable à notre économie et aurait constitué une source d'emplois et de richesse qu'il faudrait tenter de réactiver aujourd'hui me paraît un contresens.

Toutes les études en ont fait le constat : l'emploi n'est pas une marchandise. Il ne se partage pas réellement, contrairement à ce que certains ont pu légitimement espérer. Il est le fruit de la croissance et de l'initiative collective et individuelle. Une réduction autoritaire et uniforme de la capacité de travail est un facteur de rigidité qui pénalise les entreprises et leur interdit de répondre à de nouvelles opportunités de marchés.

Si nous avons effectivement créé, entre 1998 et 2001, 350 000 emplois, c'est parce que la conjoncture internationale était favorable. En outre, le passage aux 35 heures s'est accompagné de subventions massives accordées aux entreprises pour compenser les effets de cette mesure sur le coût du travail. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Ces subventions - je parle uniquement de celles qui sont liées aux lois de 1998 et de 2000 et non du rattrapage qui résulte de leurs conséquences sur la convergence des SMIC - représentent 8 milliards d'euros,...

Mme Raymonde Le Texier. Et les allégements de charges ? Combien de milliards ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ... soit un coût annuel pérenne de 22 000 euros par emploi créé. Je crois que nous devons, les uns et les autres, méditer ce chiffre.

M. Claude Domeizel. Méditez-le donc !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Au total, la réduction du temps de travail a eu un coût élevé, y compris pour les salariés.

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Ce coût est important en termes de stress et de charge de travail, notamment pour les salariés les moins qualifiés : 28 % des salariés considèrent que leurs conditions de travail se sont dégradées (Exclamations ironiques sur certaines travées du groupe socialiste), et c'est également l'avis de 44 % des ouvrières et employées, selon une étude de la DARES, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques.

Ce coût est également élevé en termes de pouvoir d'achat : le passage contraint aux 35 heures s'est traduit, dès que la conjoncture s'est retournée, par une forte décélération de la progression des salaires, qui a atteint son point le plus bas en 2003. En 2004, la tendance a commencé à s'inverser : d'après les chiffres qui seront présentés dans quelques jours devant la sous-commission des salaires de la Commission nationale de la négociation collective, le salaire moyen a augmenté de 2,6 %, ce qui a représenté, en 2004, une progression nette du pouvoir d'achat des ouvriers de 0,7 %, supérieure à la hausse moyenne des salaires.

Mme Hélène Luc. Et le salaire des femmes ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Cette tendance à la croissance devrait s'accentuer en 2005.

Autrement dit, contrairement à ce que l'on entend ici ou là, assouplir l'organisation du temps de travail dans les entreprises, comme le Gouvernement s'y est employé depuis 2003, ne pénalise nullement les salaires et le pouvoir d'achat des salariés, bien au contraire ! (M. Roland Muzeau s'exclame.)

Soutenir que la réforme de l'organisation du temps de travail constituerait un retour en arrière intempestif constitue de plus un contresens sur la nature de cette réforme.

Il n'est pas question ici, au nom d'un quelconque esprit de revanche, d'abolir les 35 heures et de remettre en cause la durée collective du travail. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Quoi que l'on pense des lois du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000 et de leur bilan, tout cela n'aurait aujourd'hui guère de sens : qu'on le veuille ou non, les entreprises et les salariés ont dû s'organiser autour de cette nouvelle durée légale, et il ne s'agit évidemment pas aujourd'hui, par la contrainte, de remettre une nouvelle fois à plat leur organisation.

Mme Hélène Luc. Pourquoi 70 % des personnes interrogées souhaitent-elles en rester aux 35 heures ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. La démarche privilégiée par le Gouvernement est une démarche pragmatique et réaliste. Elle vise simplement, dans le prolongement des lois du 17 janvier 2003 et du 4 mai 2004, à donner aux entreprises et aux branches des outils supplémentaires pour sortir des rigidités nées du passage autoritaire et brutal aux 35 heures.

M. Roland Muzeau. Mais non !

Plusieurs sénateurs de l'UMP. Mais si !

M. Roland Muzeau. Avec 120 000 accords d'entreprises !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Les ajustements nécessaires seront trouvés par la négociation collective, au plus près du terrain, en fonction des besoins des entreprises et des attentes des salariés.

M. Roland Muzeau. On va finir par se fâcher !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. En effet, conformément aux principes fixés par le Président de la République le 14 juillet dernier et rappelés par le Premier ministre lors de la présentation du « Contrat France 2005 », il faudra que ces nouveaux équilibres prennent pleinement en compte les légitimes aspirations des salariés, notamment en termes de pouvoir d'achat.

Autrement dit - et ce sera l'enjeu des accords à négocier -, tout surcroît de travail devra se traduire par un surcroît de rémunération à la hauteur des sujétions acceptées par les salariés, sous la forme soit d'un complément immédiat de salaire, ...

M. Guy Fischer. On en parlera !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ... soit d'une épargne en temps ou en argent utilisable à plus long terme.

Enfin, contrairement à ce que l'on a pu entendre parfois, ce texte respecte évidemment pleinement les garanties prévues par le code du travail, tant en termes de congés ou de période de repos qu'en termes de durée maximale du travail, journalière ou hebdomadaire.

Les assouplissements prévus, que ce soit par le compte épargne-temps ou par le mécanisme du temps choisi, n'ont rien de commun avec le régime de dérogation individuelle à la durée maximale du travail - l'opt out - qu'autorise la directive européenne sur le temps de travail actuellement soumise à révision à Bruxelles.

Mme Dominique Voynet. C'est pire que Bolkestein...

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Le système de l'opt out, en vigueur dans certains pays de l'Union, permet à un employeur, en accord avec son salarié, de s'affranchir complètement, et sans autre limite que le respect des périodes de repos incompressibles, des durées maximales de travail.

M. Roland Muzeau. Ce sera pareil chez nous !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Ecoutez-moi !

C'est parce que ce mécanisme est radicalement étranger à nos principes et à nos traditions et qu'il fait peser une pression inacceptable sur les salariés concernés que la France combat vigoureusement sa pérennisation.

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas vrai !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Nous avons d'ailleurs rencontré jusqu'ici un certain succès - je parle avec la prudence qui s'impose -, comme l'atteste la position prise sur notre initiative par le Conseil européen des ministres de l'emploi le 7 décembre dernier. Je vous renvoie d'ailleurs à son compte-rendu.

J'ai eu l'occasion de rappeler aux partenaires sociaux la fermeté de notre position sur ce projet de directive la semaine dernière, dans le cadre de la commission du dialogue social européen et international que j'avais tenu à réunir.

Notre réforme respecte pleinement les garanties existantes en matière de durée maximale du travail. Elle repose sur le primat de l'accord collectif de travail sur les arrangements de gré à gré.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vous est soumis est un texte d'équilibre et de confiance. (Murmures sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) L'accord collectif en est, je le rappelle, la clé de voûte.

Depuis 2003, nous avons fait le choix du dialogue social. Nous avons voulu recréer de nouveaux espaces de liberté pour les entreprises et les salariés. Ce texte, qui a été élaboré par des parlementaires, en concertation avec le Gouvernement, ...

M. Roland Muzeau. Et pourquoi pas par le Gouvernement ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ... et qui a fait l'objet d'une large concertation avec les partenaires sociaux, en est une nouvelle illustration. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

J'ai la conviction que, par ces assouplissements, nous oeuvrons au service de l'emploi, en desserrant les freins qui entravent le développement de l'activité dans notre pays et en accompagnant la reprise qui s'est dessinée en 2004.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte pour le plein emploi et la nécessité pour nous d'offrir à la fois plus de sécurité et plus de flexibilité au marché du travail correspondent à un enjeu qui doit dépasser les clivages. Il s'agit en effet d'un enjeu non seulement pour notre pays, mais aussi pour celles et ceux qui, malheureusement, sont dépourvus d'emploi. C'est un enjeu qui me semble devoir rassembler au-delà des idéologies, car c'est un choix pragmatique pour faire gagner notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Henri de Raincourt. Excellent ministre !

M. Georges Gruillot. Effectivement !

M. Henri de Raincourt. Il doit venir du Sénat... (Rires sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis l'origine, la politique de réduction du temps de travail a donné lieu à des débats vifs et très tranchés, pour ne pas dire passionnels. Vous venez encore de nous en donner un exemple.

Certains observateurs affirment, avec beaucoup de sincérité, que les 35 heures ont été créatrices d'emplois et positives pour les entreprises, dans la mesure où elles leur auraient permis de se réorganiser et d'améliorer leur productivité. D'autres estiment au contraire, avec la même sincérité et la même bonne foi, en invoquant des arguments tout aussi sérieux, qu'elles ont entraîné une augmentation des coûts de production, incitant ainsi à la délocalisation, et qu'elles ont démotivé les salariés, qui songeraient avant tout à organiser leurs loisirs pour échapper à des cadences de travail accrues, précisément par les 35 heures.

Pour ma part, je ne souhaite pas entrer dans ce débat. Je me contenterai de rappeler deux idées simples relatives à la durée du travail.

D'abord, on ne peut pas sérieusement faire croire aux Français qu'ils peuvent gagner plus en travaillant moins.

M. Roland Muzeau. Ils ne l'ont jamais demandé !

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Cela ne s'est jamais vu !

M. Louis Souvet, rapporteur. Dans les faits, la réduction du temps de travail s'est accompagnée d'une modération salariale - on l'oublie souvent - qui explique les revendications actuelles en matière d'augmentation du pouvoir d'achat et la faiblesse de la consommation dans notre pays. Je l'avais prédit. Pourtant, Mme Aubry, à qui j'avais fait part de mes observations alors que je rapportais ses deux textes successifs, n'avait pas tenu compte de mes observations.

M. Henri de Raincourt. Elle avait eu tort !

M. Louis Souvet, rapporteur. Par ailleurs -  c'est la seconde idée simple -, je constate qu'aucun pays industrialisé n'a suivi notre exemple de réduction du temps de travail : aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne ou en Italie, on travaille souvent quarante heures par semaine.

L'économie française, exposée à la concurrence internationale, ne peut se permettre de diverger trop nettement des évolutions qui sont constatées à l'étranger.

J'observe, par ailleurs, que les pays où l'on travaille le plus sont également ceux où le taux de chômage est généralement le plus faible.

Dans ces conditions, des adaptations de la législation relative au temps de travail apparaissent nécessaires, sans qu'il soit toutefois question de remettre en cause la durée légale du travail, qui reste fixée -  cela a été dit et redit  - à 35 heures par semaine.

Tel est l'objet poursuivi par la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.

Il est important de rappeler que ce texte est le fruit d'une longue élaboration. Il répond précisément à la feuille de route tracée par le Chef de l'Etat lors de son intervention télévisée du 14 juillet dernier. Le Président de la République avait demandé qu'il y ait « plus de liberté pour les travailleurs, et notamment pour ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus, et plus de liberté pour les entreprises afin de mieux s'adapter aux marchés ».

Le texte de cette proposition de loi est cosigné par quatre de nos collègues députés - Pierre Morange, qui est le rapporteur du texte, Hervé Novelli, Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, et Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales -, mais il a été rédigé en étroite collaboration avec le Gouvernement

M. Roland Muzeau. Pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas déposé lui-même un texte ?

M. Louis Souvet, rapporteur. L'assouplissement des 35 heures fait partie des mesures phares du « Contrat France 2005 » présenté par le Premier ministre à la fin de l'année passée.

Le texte a donné également lieu à une large concertation avec les partenaires sociaux.

M. Guy Fischer. Audition n'est pas concertation !

M. Louis Souvet, rapporteur. Cela signifie que les gens ont été écoutés, et vous n'avez d'ailleurs pas manqué de participer activement à cette concertation. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

La commission des affaires sociales a poursuivi cette démarche en auditionnant l'ensemble des organisations syndicales et patronales représentatives.

J'ajoute que le texte renvoie à la négociation collective le soin de mettre en oeuvre les mesures proposées, traduisant ainsi la confiance de notre majorité dans le rôle des partenaires sociaux. Il s'inscrit ainsi dans le prolongement de la réforme adoptée au début de l'année 2003, sur l'initiative de François Fillon, qui autorisait les partenaires sociaux à déterminer librement le volume du contingent d'heures supplémentaires et la rémunération de ces dernières.

Je comprends que l'opposition puisse être particulièrement mobilisée contre ce texte, dans la mesure où celui-ci touche à l'une des réformes emblématiques de la législature précédente.

Cependant, il me semble que les conséquences de ce texte ont été surestimées. En effet, de nombreux dirigeants de grandes entreprises ont indiqué publiquement qu'ils étaient satisfaits des accords en vigueur dans leur entreprise en matière d'aménagement et de réduction du temps de travail et qu'ils n'envisageaient pas de les remettre en cause après l'adoption du présent texte. Leur position est compréhensible : le passage aux 35 heures a été coûteux en temps, en argent et en énergie ; des compromis satisfaisants ont été trouvés, d'ailleurs parfois difficiles à exprimer, et les entrepreneurs souhaitent aujourd'hui se consacrer pleinement à leur activité plutôt que rouvrir le dossier de la négociation du temps de travail.

J'en arrive maintenant à la présentation des trois articles du texte : le premier rénove et simplifie les règles régissant le compte épargne-temps, le deuxième crée un nouveau régime d'heures choisies et le troisième prévoit des dispositions transitoires pour les entreprises employant moins de vingt et un salariés.

Créé en 1994, le compte épargne-temps est un dispositif qui permet aux salariés d'accumuler des droits à congés rémunérés ou de se constituer une épargne. Bien qu'il soit a priori intéressant pour les salariés de bénéficier d'un instrument leur permettant de gérer leur temps de travail avec plus de souplesse, le compte épargne-temps peine à se développer en raison de sa complexité. Actuellement, les modalités d'alimentation de ce compte doivent respecter au moins six seuils différents, et son utilisation est soumise à de strictes conditions de délai.

La proposition de loi vise à supprimer ces restrictions, à simplifier considérablement les règles de fonctionnement du dispositif et à faciliter la monétisation, c'est-à-dire la transformation en argent de droits inscrits sur le compte épargne-temps. Un salarié pourra aisément affecter des jours de congé, des jours de RTT ou des repos compensateurs sur son compte et obtenir en contrepartie un complément de rémunération. Il pourra également épargner les droits accumulés en les transférant sur un plan d'épargne d'entreprise, un plan d'épargne pour la retraite collectif ou un plan d'épargne retraite d'entreprise.

D'un point de vue comptable, les droits affectés par les salariés sur le compte épargne-temps sont provisionnés par les entreprises et inscrits à leur passif. Pour éviter d'alourdir excessivement ce passif, il est prévu que les droits accumulés seront liquidés dès lors qu'ils dépasseront un certain montant défini par décret. Si l'entreprise fait faillite, les droits acquis seront garantis par l'AGS, l'Association pour la garantie des salaires.

J'en viens maintenant à l'article 2, qui vise à introduire dans notre droit du travail un nouveau régime d'heures choisies : il s'agit de permettre aux salariés qui le désirent de travailler, en accord avec leur employeur, au-delà de leur contingent d'heures supplémentaires, le contingent légal -  je le rappelle pour mémoire  - étant fixé à 220 heures par an.

La mise en oeuvre des heures choisies est subordonnée à la conclusion d'un accord de branche, de groupe, d'entreprise ou d'établissement prévoyant notamment la modalité de rémunération de ces heures. Ces dernières ne pourront, en tout état de cause, être rémunérées à un taux inférieur à celui qui est applicable aux heures supplémentaires effectuées dans l'entreprise. L'accord pourra éventuellement prévoir, de surcroît, un repos compensateur.

L'article 2 traite également du cas des cadres ayant conclu une convention de forfait individuelle en heures sur une base annuelle ou une convention de forfait en jours. Ces cadres étant soumis à des modalités particulières de décompte de leur temps de travail, il est nécessaire d'adapter à leur intention le régime juridique des heures choisies afin qu'eux aussi puissent, sur la base du volontariat, travailler plus pour gagner plus.

Enfin, l'article 3 concerne les entreprises de moins de vingt et un salariés. Il proroge jusqu'à la fin de l'année 2008 des règles dérogatoires qui devaient en principe arriver à échéance à la fin de l'année 2005.

Le taux de majoration des heures supplémentaires restera ainsi à seulement 10 % dans ces entreprises, contre 25 % dans les entreprises de plus de vingt salariés.

Les heures supplémentaires s'imputeront toujours sur le contingent au-delà de la 36e heure, alors qu'elles s'y imputent au-delà de la 35e heure dans les plus grandes entreprises.

Ces mesures dérogatoires, qui étaient déjà prévues dans la deuxième loi Aubry du 19 janvier 2000, ont pour objet d'aider les petites entreprises à s'adapter plus facilement aux 35 heures en ménageant à leur intention des périodes de transition plus longues.

Ce dispositif a été légèrement retouché en première lecture puisque l'Assemblée nationale a adopté, sur l'initiative du Gouvernement, un amendement modifiant son champ d'application.

Pour des raisons historiques, ces dérogations concernaient jusqu'à présent les entreprises qui comptaient au plus vingt salariés au 1er janvier 2000. De ce fait, les entreprises qui, depuis cette date, ont dépassé le seuil de vingt salariés - parce qu'elles ont grandi, parce qu'elles ont fait de bonnes affaires et parce qu'elles se sont fortifiées - continuent, sans justification objective, d'en bénéficier. De la même manière, la question se pose du traitement à accorder aux petites entreprises créées après le 1er janvier 2000.

Dans un souci de clarification, l'Assemblée nationale a donc décidé que ces règles dérogatoires s'appliqueraient désormais aux entreprises comptant vingt salariés au plus à la date de promulgation de la présente loi. On estime qu'environ 6 000 entreprises - on a dit 10 000 à l'origine, mais il semble que ce soit 6 000 -, dont l'effectif dépasse à présent les vingt salariés, perdront le bénéfice de ces dérogations.

L'article 3 organise par ailleurs un système transitoire de renonciation par les salariés de ces entreprises à une partie des jours de repos issus de la réduction du temps de travail en échange d'une majoration de leur rémunération. Ce régime s'applique dans les entreprises de moins de vingt et un salariés tant qu'elles ne se sont pas dotées d'un compte épargne-temps et, au plus tard, jusqu'au 31 décembre 2008.

Le travail réalisé à l'Assemblée nationale a permis d'améliorer la rédaction du texte et d'apporter des précisions utiles concernant notamment le régime des cadres soumis à des conventions de forfait. Pour ces motifs, la commission des affaires sociales ne vous présentera que trois amendements à cette proposition de loi, mes chers collègues.

Le premier a pour objectif d'empêcher que la cinquième semaine de congés payés puisse être échangée contre un complément de rémunération.

Nous avons en effet considéré que la législation relative aux congés payés relève d'une logique de protection de la santé et de la sécurité au travail à préserver.

Nous n'avons pas, de plus, voulu toucher à cet acquis social important.

Le deuxième amendement est de nature fiscale. Il vise à compléter le dispositif d'encouragement à l'épargne-retraite, adopté par l'Assemblée nationale au profit des plans d'épargne retraite d'entreprise ou des régimes de retraite supplémentaire d'entreprise.

Le troisième amendement, enfin, tend à indiquer clairement que le recours aux heures choisies ne saurait conduire un salarié à dépasser la durée maximale journalière du travail, qui est fixée à dix heures.

Sous réserve de l'adoption de ces quelques amendements, la commission des affaires sociales a émis un avis favorable à l'adoption de cette proposition de loi qui lui paraît de nature à desserrer les contraintes qui pèsent sur les salariés comme sur les entreprises de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans aucun doute, la question des 35 heures constitue depuis plusieurs années l'une des lignes de fracture majeures qui distinguent la droite de la gauche. Les promoteurs de cette réforme, engagée en 1998 et généralisée à compter de l'année 2000, s'appuient sur l'idée que le travail est une sorte de stock de milliards d'heures qu'il est possible de partager entre plus ou moins de travailleurs, mais ils ne tiennent pas compte d'autres paramètres comme le secteur d'activité, la taille de l'entreprise, la qualification de la main-d'oeuvre, le niveau de l'activité, la concurrence internationale, etc.

Toutefois, si la fixation autoritaire de la durée du travail à 35 heures fait débat, la problématique de la réduction du temps de travail, elle, n'est pas un thème réservé à la gauche.

A cet égard, monsieur le ministre, je m'étonne des reproches qui vous sont parfois adressés alors même que vous êtes l'un des premiers à avoir estimé que, dans certaines conditions, la réduction du temps de travail pouvait constituer l'un des outils de la lutte contre le chômage.

M. Gérard Larcher, ministre délégué. La gauche m'a combattu, alors !

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis. En effet, dès 1992, à une époque où l'idée pouvait apparaître quelque peu iconoclaste au sein de votre famille politique, vous préconisiez « d'encourager une nouvelle répartition du travail par des mesures incitatives ». C'était dans un rapport sur la politique de la ville que vous aviez présenté et publié au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, et vous développiez cette idée sur plusieurs pages, que je tiens à la disposition de nos collègues. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Dufaut. Ils ne s'en souviennent plus !

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis. Ce qui m'a frappé, en lisant ce que vous écriviez voilà un peu plus de douze ans, c'est que, d'emblée, vous estimiez que « les modalités concrètes de la répartition du travail doivent d'abord être dégagées de manière pragmatique et adaptées à la diversité des contextes économiques par la voie de la négociation collective au sein de l'entreprise et des branches d'activité ».

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Voilà !

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis. Pour vous, ce n'était qu'au vu du résultat des premières expériences que le législateur était fondé à intervenir pour « harmoniser ces procédures ».

Chacun peut constater la différence majeure d'approche avec ce qui a été fait pour instaurer les 35 heures ! (M. le ministre délégué acquiesce.)

J'incline à penser, mes chers collègues, que c'est là, dans le rôle reconnu à la négociation collective, que se trouve la source majeure de nos divergences : nous, nous considérons que la négociation collective est essentielle pour parvenir à une réduction progressive du temps de travail adaptée aux réalités économiques et aux contraintes des entreprises, tandis que l'opposition a voulu, par la force contraignante de la loi, loger tout le monde à la même enseigne. (M. Roland Muzeau s'exclame.)

Or, à l'évidence, le bilan des lois Aubry sur les 35 heures n'est pas flatteur. Il ne m'appartient pas de dresser aujourd'hui le tableau complet, portant sur plusieurs années, de cette réforme. D'autres s'y sont livrés avec une grande rigueur, en ayant le souci de ne pas taire les avantages qu'ont pu en tirer un certain nombre de grandes entreprises, notamment dans le secteur industriel : je pense naturellement aux travaux menés l'an dernier par la mission commune d'information de l'Assemblée nationale, au rapport de M. Michel de Virville sur le code du travail (Exclamations sur les travées du groupe socialiste) ou encore à celui de M. Michel Camdessus, lequel est d'ailleurs venu commenter son travail devant la commission des affaires économiques au début du mois de février dernier.

Ainsi, on ne peut gommer les points noirs de cette législation, points noirs qui ne sont guère contestés chez les économistes.

D'abord, cette réforme a profondément fragilisé le tissu industriel. Nos entreprises ne sont en effet pas toutes égales devant la nouvelle donne. Bien sûr, comme je viens de l'indiquer, les grands groupes ont tiré parti de cette nouvelle législation. Les grosses structures ont pu rationaliser leur organisation, jouer avec la modulation pour augmenter leur productivité, prendre le temps de négocier avec les organisations syndicales, externaliser les activités qui devenaient trop onéreuses, optimiser le bénéfice des aides publiques associées à la réforme. Personne ne le conteste.

Mais, pour les PME, notamment celles qui sont soumises à la concurrence internationale, pour les petites entreprises qui ne possèdent ni l'assise financière ni la logistique humaine pour supporter toute la bureaucratie nécessaire à la mise en oeuvre d'un tel dispositif, les effets sont dévastateurs :enchérissement général des coûts, incapacité à répondre en flux tendus aux évolutions de la demande et aux exigences des clients, difficultés de recrutement de cadres, voire de main-d'oeuvre qualifiée, toujours tentés de rejoindre des grandes entreprises ; nous avons l'impression que tout a été fait pour attenter à leurs capacités concurrentielles.

Le second aspect de la mise en place des 35 heures, tout aussi important d'ailleurs que le premier, concerne les salariés, dont beaucoup ont subi de plein fouet les conséquences de la modération salariale sur laquelle a été gagée une partie de la réforme des 35 heures, ainsi que les limites contraignantes imposées dans la gestion de leur temps. Quel étrange décalage entre discours et réalité que d'avoir prétendu leur donner un plus grand choix, alors même qu'était réduite leur faculté d'arbitrer entre leurs propres priorités : disposer de plus de temps libre ou travailler plus pour gagner plus afin d'augmenter leurs revenus !

Ainsi, la réduction du temps de travail a directement affecté la rémunération de dizaines de milliers de salariés, surtout parmi les plus modestes, à tel point que l'amélioration du pouvoir d'achat est redevenue aujourd'hui la question primordiale de nos concitoyens !

Enfin, avec cette réforme, la France s'est singularisée parmi les pays industrialisés. Nulle part ailleurs, en effet, la diminution du temps de travail n'a été brutalement décidée par le pouvoir politique, ni réalisée avec tant d'ampleur et aussi rapidement. D'ailleurs, aucun pays partenaire, même ceux qui sont dirigés par des gouvernements socialistes, n'a jamais cherché à nous imiter.

Dans ce contexte, la proposition de loi de nos collègues députés vient à point nommé. Il faut le réaffirmer : elle ne remet nullement en cause les 35 heures (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC),...

M. Roland Muzeau. Mais si !

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis. ... dispositif législatif auquel se sont adaptées, malgré les difficultés, la plupart des entreprises françaises concernées qui, dorénavant, ont avant tout besoin de stabilité.

S'inscrivant dans le cadre du « Contrat France 2005 », défini le 9 décembre 2004 par M. le Premier ministre, cette proposition de loi ouvre simplement aux salariés des espaces de liberté nouveaux leur permettant, tout en bénéficiant d'une protection individuelle garantie par des accords collectifs, d'exercer véritablement un choix de rythme de travail et d'arbitrer entre revenus supplémentaires ou temps libre.

Elle fait suite aux assouplissements apportés par la loi Fillon du 17 janvier 2003, et complétés par la loi du 4 mai 2004, qui ont modifié les dispositions les plus pénalisantes de la législation sur le temps de travail.

Grâce à ces réformes, un premier équilibre a permis de répondre tant aux aspirations des salariés à augmenter leurs revenus qu'à la nécessité pour les entreprises de disposer de facilités supplémentaires afin de s'adapter aux évolutions de leurs marchés.

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas vrai !

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis. C'est donc dans un cadre conventionnel rénové par la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social que pourraient s'inscrire les nouveaux assouplissements envisagés dans la présente proposition de loi. Il y est en effet suggéré de développer plus avant les pistes ouvertes par la loi Fillon du 17 janvier 2003 concernant la gestion du compte épargne-temps, le CET, le développement du temps choisi ainsi que les dispositions temporaires propres aux entreprises de vingt salariés au plus.

M. le rapporteur ayant détaillé le dispositif des trois articles du texte, je me bornerai à indiquer quelles réflexions ceux-ci ont suscité au sein de la commission des affaires économiques et à vous faire connaître sa position.

A l'article 1er, qui vise à favoriser le développement du CET, en en simplifiant le mécanisme et en assouplissant ses conditions d'alimentation et de liquidation, trois types de questions peuvent se poser.

En premier lieu, la faculté nouvellement offerte au salarié d'imputer sur son CET des heures de repos compensateur obligatoire est-elle susceptible d'affecter sa santé ? La réponse est négative, puisque aucune des dispositions du socle législatif fixant la durée hebdomadaire maximale du travail, organisant le travail de nuit et imposant des durées minimales de repos quotidien et hebdomadaire n'est remise en cause. Je tiens à insister sur ce point : aucune de ces garanties prévues par le code du travail pour protéger la santé des travailleurs n'est modifiée. Dès lors, étant donné que la réforme du CET s'inscrit dans ce cadre protecteur, toute argumentation articulée autour de la problématique de la santé n'est qu'un faux procès.

En deuxième lieu, les nouvelles possibilités d'abondement du CET vont-elles permettre à l'employeur d'échapper aux mécanismes de majoration des heures supplémentaires ? Vos propos, monsieur le ministre, tant à l'Assemblée nationale que dans votre intervention ici même aujourd'hui sont très clairs : la rémunération, les majorations, l'évolution de la monétarisation des droits ou encore l'assujettissement aux cotisations sociales sont strictement conformes aux dispositions légales ou aux règles conventionnelles applicables à l'entreprise. Donc, là encore, inutile de crier à l'anathème ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Enfin, s'agissant des garanties protégeant les droits acquis du compte, vous avez également explicité comment s'effectuerait le provisionnement par l'entreprise ou la prise en charge par l'AGS, l'association pour la garantie des salaires, en cas de défaillance, voire, au-delà d'un certain plafond, par un tiers garantissant, selon un mécanisme d'assurance.

Compte tenu de tous ces éléments, la commission des affaires économiques a émis un avis favorable sur l'article 1er. Elle est en effet convaincue que la modernisation du CET, qui offre aux salariés de nouvelles libertés dans la gestion de leur temps et de leurs revenus professionnels tout au long de leur vie active, devrait favoriser un nouvel essor de ce dispositif.

L'article 2 de la proposition de loi institue le régime du temps choisi permettant aux salariés, en accord avec le chef d'entreprise, de travailler plus s'ils souhaitent augmenter leur rémunération.

L'un des effets pervers du mécanisme légal d'organisation du temps de travail dans l'entreprise est qu'il empêche les salariés qui le souhaitent individuellement de travailler plus pour augmenter leurs revenus. La modération salariale ayant accompagné le processus progressif de mise en oeuvre des 35 heures a ainsi contraint un certain nombre de travailleurs à subir la stagnation de leur pouvoir d'achat sans disposer de la faculté d'accroître leur rémunération par une augmentation de la durée de leur travail.

A l'inverse, nombre de petites entreprises sont souvent conduites à refuser tout simplement des commandes. En effet, elles sont trop petites pour disposer d'un volant de main-  d'oeuvre permettant de jouer, par le jeu du contingent légal ou conventionnel des heures supplémentaires, avec les aléas de cette activité ; par ailleurs, l'accroissement ponctuel de la demande ne justifie pas l'embauche d'un nouveau salarié.

L'on ne peut que déplorer cette situation paradoxale dans laquelle la loi interdit d'accroître temporairement la durée du travail quand bien même le salarié et le chef d'entreprise le souhaiteraient et y auraient tous deux intérêt.

De même, il convient de prendre en compte la situation de diverses catégories de cadres qui ne peuvent concilier l'organisation de leur travail et les impératifs de résultats auxquels ils sont soumis qu'en renonçant, sans contrepartie, à certains de leurs droits.

Je ne reviendrai pas sur le dispositif de cet article, qu'a excellemment présenté M. Louis Souvet. Je m'étonne seulement que cette faculté nouvelle offerte aux salariés d'arbitrer entre leur temps de loisir et leur pouvoir d'achat rencontre tant d'oppositions de principe. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Roland Muzeau. On vous expliquera !

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis. En effet, mes chers collègues, l'alternative est simple. Soit, à défaut pour le salarié d'avoir atteint le plafond du contingent annuel d'heures supplémentaires, la nouvelle législation restera dans les faits lettre morte -  mais quelle raison justifie alors de la combattre aussi vigoureusement ? Soit, au contraire, la loi nouvelle trouve à s'appliquer parce qu'un certain nombre de salariés sont placés dans les conditions d'y recourir et estiment avoir intérêt à le faire, et, dès lors, pourquoi le législateur leur interdirait-il cette opportunité ?

C'est avec la conviction qu'il est nécessaire et légitime de permettre à ceux de nos concitoyens qui le souhaitent de travailler davantage pour augmenter leurs revenus que la majorité de la commission des affaires économiques a émis un avis favorable sur cet article 2.

Quant à l'article 3 de la proposition de loi, il vise à répondre à la situation spécifique des petites entreprises de vingt salariés au plus qui, en l'absence d'une convention ou d'un accord collectif, ne peuvent mettre en oeuvre un régime conventionnel de rémunération des heures supplémentaires dérogeant au droit commun, ni proposer à leurs salariés d'ouvrir un CET.

Malgré les délais laissés par les lois Aubry puis par la loi Fillon de 2003, un nombre significatif de petites entreprises n'ont pas encore été en mesure d'organiser, par la voie de la négociation collective, un régime propre de majoration des heures supplémentaires. Or les conditions mêmes du dialogue social ont été substantiellement modifiées par la seconde loi Fillon de 2004, ce qui impose d'ouvrir un délai supplémentaire aux partenaires sociaux pour leur permettre de s'approprier et de mettre correctement en oeuvre ces nouvelles conditions.

En outre, parallèlement aux mesures d'assouplissement envisagées concernant le CET et le développement du temps choisi, il semble opportun et équitable de permettre aux salariés de ces très petites entreprises de valoriser, eux aussi, sous forme monétaire une partie du temps de repos dont ils disposent. Tout comme la mesure précédente, cette innovation ne pourrait être que temporaire dans l'attente que des accords collectifs permettent le développement du CET dans les entreprises.

Telles sont les raisons de la prolongation ou de l'institution des régimes dérogatoires propres aux entreprises de moins de vingt salariés prévus dans l'article 3.

Sur cet article, la commission des affaires économiques vous proposera, mes chers collègues, d'adopter un amendement destiné à formaliser de manière juridique l'engagement pris publiquement par M. le Premier ministre au début de mois de février dernier, à savoir que les régimes dérogatoires ainsi institués seront bien temporaires jusqu'au 31 décembre 2008 seulement.

M. Roland Muzeau. Qui peut croire cela ?

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sous réserve de cet amendement, la commission des affaires économiques a émis un avis favorable à l'adoption de cette proposition de loi qui, sans remettre en cause le principe des 35 heures, apporte au dispositif des éléments de souplesse ouverts aux salariés.

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas vrai !

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis. S'ils s'en saisissent, cela ne pourra manquer de favoriser le développement de nos entreprises objectif auquel personne, j'imagine, ne songerait à s'opposer ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un Mouvement Populaire, 75 minutes ;

Groupe socialiste, 49 minutes ; 

Groupe Union centriste-UDF, 20 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Raymonde Le Texier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Raymonde Le Texier. « Faut-il brûler le code du travail ? » Tel était, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre d'un article du journal Le Monde le 15 février dernier. C'est effectivement la question que l'on peut se poser lorsque l'on décrypte la proposition de loi qui nous est soumise !

Si, aujourd'hui, le Gouvernement fait mine de concentrer ses attaques sur les lois Aubry, c'est pour enfermer la gauche dans la justification du passé. Les 35 heures sont ainsi un chiffon rouge qu'il agite pour mieux cacher ses intentions véritables, à savoir abolir les règles qui protègent les salariés.

Cela a commencé en janvier 2003, avec l'adoption de la loi Fillon, qui sonnait déjà le glas de la réduction du temps de travail, et s'est trouvé confirmé avec la loi de programmation pour la cohésion sociale et les fameux amendements Larcher. Cela se poursuit -  et ne s'achèvera malheureusement sans doute pas aujourd'hui - avec cette proposition de loi.

Quand est évoquée dans ce texte la liberté, c'est la loi du plus fort qui est rétablie ; quand il y est question d'assouplissement, c'est la hiérarchie des normes qui est détruite et, s'agissant du choix, c'est la contrainte qui est consacrée !

Comme preuve de ce travestissement des valeurs, la méthode choisie par ce gouvernement est révélatrice : pourquoi passer par une proposition de loi sur un thème si important ? Par intérêt pour le Parlement et respect des parlementaires, nous dit-on.

Ainsi, qu'une telle attitude permette d'éviter la concertation avec les syndicats, de passer outre l'avis du Conseil économique et social et du Conseil d'Etat n'aurait rien à voir dans ce choix ! En outre, que le Gouvernement veuille de cette façon ne pas donner à l'opinion l'impression d'être aux ordres du MEDEF n'entrerait pas en considération !

Mme Raymonde Le Texier. Enfin, qu'une telle procédure soit destinée à dédouaner l'exécutif d'une paternité encombrante ne saurait être imaginable !

Tant de lâcheté dans le procédé et de détermination dans l'exécution tendent à montrer que, si le Gouvernement n'assume pas cette loi, il n'en est pas innocent !

M. Jean-Pierre Sueur. C'est sûr !

Mme Raymonde Le Texier. La loi de 2004 sur le dialogue social stipule que « toute réforme substantielle modifiant l'équilibre des relations sociales doit être précédée d'une concertation effective avec les partenaires sociaux et, le cas échéant, d'une négociation entre ceux-ci ».

Sans doute, s'agissant du présent texte, la cause est-elle bien mauvaise pour que le Gouvernement s'affranchisse des obligations qu'il avait lui-même souscrites !

Si la méthode éveille les soupçons, l'analyse de la proposition de loi les confirme, transformant la méfiance en inquiétude et l'inquiétude en colère.

En effet, cette proposition de loi repose sur une escroquerie sociale et un mensonge économique, bref sur une supercherie politique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Henri de Raincourt. C'est modéré...

Mme Raymonde Le Texier. Escroquerie sociale, d'abord : l'objectif de la droite et du MEDEF est clair : remettre en cause le droit du travail. Dans de nombreux cas, cette proposition de loi ne laisse au salarié pour seule protection que le maigre paravent de la durée maximale du travail et la directive européenne sur les congés payés.

A terme, les garanties réelles qui resteront aux travailleurs sont l'interdiction de travailler plus de quarante-huit heures par semaine et le droit à quatre semaines de congés.

A ce propos, nous avons pris acte avec intérêt de l'amendement qui sera proposé par la commission. Sans doute a-t-elle pensé que les auteurs de cette proposition de loi allaient un peu loin !

Mensonge économique ensuite : alors que, en moyenne, le nombre d'heures supplémentaires effectuées excède rarement cinquante-six, on peut s'interroger sur les motivations obsessionnelles du Gouvernement à augmenter le temps de travail. La majorité des branches ne manifestent aucun besoin d'augmenter la durée du temps de travail, d'autant que la conjoncture économique n'y est pas favorable.

C'est à une crise de la demande que l'on assiste aujourd'hui, et non à une pénurie de l'offre. Les entreprises ne traversent pas une crise de rentabilité : elles font des profits, mais elles préfèrent rétribuer leurs actionnaires plutôt que leurs employés, spéculer plutôt qu'investir, délocaliser plutôt que miser sur la productivité, la qualité, l'innovation et la recherche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Cette loi n'aurait-elle pour seul objet que de répondre à la pénurie d'emplois constatée dans certains secteurs ? En effet, dans la grande distribution alimentaire et le BTP, par exemple, les difficultés de recrutement sont telles qu'elles contraignent les employés à effectuer des heures supplémentaires bien au-delà du contingent autorisé, plaçant ainsi leurs employeurs dans l'illégalité. La nouvelle législation, qui porte à deux cent vingt le nombre d'heures supplémentaires autorisées et qui permet la transformation du repos compensateur en épargne-temps, ne peut que répondre à leurs attentes.

En réalité, en réglant les problèmes de certaines branches identifiées, cette proposition de loi a surtout pour effet de saper les fondements du droit du travail et réduit comme une peau de chagrin la protection du salarié.

« En trois articles », me direz-vous ? Et pourquoi pas ? Boris Vian l'avait bien compris, qui chantait :

« Voilà des mois et des années

« Que j'essaie d'augmenter

« La portée de ma bombe

« Et je n'me suis pas rendu compt'

« Que la seul' chos' qui compt'

« C'est l'endroit où s'qu'elle tombe. » (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Mais ici, pour être ciblé, le dispositif mis en place par cette proposition de loi n'en est pas moins redoutablement efficace, au moins autant que la communication qui l'accompagne.

Premier axe de propagande : pour contrer toute critique, les promoteurs du dispositif insistent avant tout sur la liberté de choix du salarié. C'est une véritable tartufferie, qui exploite avec cynisme la pression du chômage sur le monde du travail. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Un étudiant en première année d'économie sait déjà que plus le chômage est élevé, plus le salarié devient une simple variable d'ajustement, « pressurable » à volonté et corvéable à merci.

La loi dite de cohésion sociale renforce et légitime cette règle issue des lois du marché : en effet, celle-ci fait du refus par le salarié d'une modification d'un élément essentiel de son contrat de travail - salaire, lieu, temps... - un motif de licenciement. Ainsi, quand à la contrainte économique s'ajoute la contrainte juridique, il devient pour le moins difficile, voire franchement risqué, de refuser d'accomplir des heures supplémentaires.

Parlons aussi de ces « heures choisies » que la proposition de loi met gracieusement à disposition du salarié méritant qui souhaite travailler au-delà du contingent d'heures supplémentaires. Outre que la possibilité de bénéficier de ces heures dépend davantage des besoins et de la volonté du patron que du désir de l'employé, le nombre d'heures comme le montant de leur rémunération se négocient directement entre l'employé et l'employeur.

M. Louis Souvet, rapporteur. Par organisations syndicales interposées !

Mme Raymonde Le Texier. Seul encadrement : l'accord collectif, mais il n'est plus qu'une garantie de façade. En effet, celui-ci, depuis les fameux amendements Larcher, est essentiellement considéré comme une opportunité de déroger aux conventions collectives et aux accords de branche. Dans ce cas, en prime, le repos compensateur obligatoire ne s'applique pas.

Le salarié se retrouve seul face à l'employeur, à sa discrétion, pour ne pas dire à sa merci. Encore est-ce là la lecture réaliste ! En effet, dans le langage éthéré et fleuri des thuriféraires de la droite, on appelle cela « une démarche de confiance dans le dialogue social » !

Deuxième axe de propagande de la proposition de loi : « travailler plus pour gagner plus ».

Curieusement, une fois cet axiome énoncé, la proposition de loi, quant à elle, se concentre seulement sur le compte épargne-temps. N'est-ce pas curieux ? On s'attendrait à ce que le salarié, mû par la nécessité d'augmenter son salaire, se voie tout simplement offrir le paiement direct de ses heures supplémentaires. Eh bien non ! C'est sur l'initiative de l'employeur que les heures effectuées au-delà de la durée collective du travail sont stockées.

M. Claude Domeizel. Et voilà !

Mme Raymonde Le Texier. Or à qui profite la transformation d'un complément de salaire en temps ? Avant tout à l'employeur, qui voit la part des charges sociales pouvant lui être imputée s'il paye des heures supplémentaires disparaître quand le travail, transformé en temps, ne fait plus l'objet d'un salaire mais d'une monétarisation. La différence sémantique est subtile ; les conséquences financières, quant à elles, sont palpables.

Par conséquent, abonder l'argent placé par le salarié est bien la moindre des choses lorsque les exonérations de charges dont bénéficie en contrepartie l'employeur sont bien plus élevées !

Tel est notamment le cas dès lors qu'un compte épargne-temps est transformé en plan d'épargne retraite ou en plan d'épargne entreprise.

Les charges alors récupérées par l'employeur représentent un vrai manque à gagner pour l'Etat et la sécurité sociale. Nous connaissons pourtant tous l'ampleur du déficit de notre système de protection sociale. Nous savons également tous, hélas ! que la réforme fait peser tout le poids de la solidarité et des déficits sur l'assuré social.

Par quelque bout que l'on prenne les réformes portées par ce Gouvernement, on constate que le cynisme du baron Seillière se révèle payant ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Bref, cette proposition de loi met en place un système qui permet d'augmenter la flexibilité sans imposer une obligation de rémunération immédiate, tout en offrant la perspective d'une économie de charges. On comprend que le MEDEF exulte !

Le plus amusant, si l'on peut dire, c'est que la rédaction de ce premier article apporte une autre information, qui est loin d'être négligeable : le salarié peut choisir de « compléter sa rémunération » à partir de son compte épargne-temps, en fonction de ce que définit la convention ou l'accord collectif.

Et là, les choses se corsent ! Un accord collectif, même conclu avec un syndicat minoritaire, voire avec un syndicat « maison », s'appliquera au sein de l'entreprise, quand bien même il contreviendrait à une convention de branche. Si le patron est habile, le salarié peut se voir dépouillé de la liberté de choisir la façon dont son compte épargne-temps sera géré et ce dernier pourra être automatiquement converti en plan d'épargne entreprise ou en plan d'épargne retraite.

« Travailler plus pour gagner plus », dites vous ?

Jusqu'alors, le contrat de travail ne pouvait être moins protecteur pour le salarié que l'accord d'entreprise, l'accord d'entreprise que l'accord de branche et l'accord de branche que l'accord interprofessionnel. Désormais, ce principe fondamental du droit social est renversé.

Les amendements Larcher contenus dans la loi de programmation pour la cohésion sociale avaient amorcé le processus d'abolition de la hiérarchie des normes. Cette proposition de loi complète la manoeuvre. Pis encore, dans certains cas, elle abolit carrément toute hiérarchie juridique.

M. Guy Fischer. Et voilà !

Mme Raymonde Le Texier. Ainsi, dans les entreprises de vingt salariés et moins, un accord individuel entre le salarié et l'employeur peut contredire un accord collectif. C'est la théorie du renard dans le poulailler !

M. Gérard César. Qui est le renard ?

Mme Raymonde Le Texier. Lacordaire disait : « Entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère ».

Privé de toute protection en matière de droit du travail autre que celles qui sont garanties par l'Union européenne, le salarié va pouvoir se rendre compte de lui-même de la justesse de cette citation. Car, aujourd'hui, le droit du travail devient l'exception et la dérogation la norme.

Et ce n'est pas fini : dans ce gouvernement, on n'oublie jamais que le gâteau n'est vraiment bon que si l'on y ajoute une cerise !

Revenons donc à ce merveilleux compte épargne-temps, dans lequel le salarié peut placer ses heures supplémentaires, son repos compensateur, ses primes, ses jours de RTT, une semaine de congés payés,... et un raton laveur, pour que l'inventaire soit complet.

Se pose alors la question de la gestion de ce fameux compte épargne-temps. En effet, même si tout est fait pour neutraliser et retarder l'exercice du droit de tirage des salariés, il semble difficile de ne pas provisionner ce compte.

Or, si les employeurs ont intérêt à développer le compte épargne-temps, plus les sommes placées y sont importantes, plus le besoin de détourner l'obligation de provisionner les sommes théoriquement dues aux salariés se fait pressant.

Qui peut garantir, dans ces conditions, l'abondement réel des sommes placées dans le compte épargne-temps ? Quelle garantie ce dernier offrira-t-il dès lors qu'il alimentera des plans d'épargne retraite fondés sur des placements en bourse ? Que se passera-t-il en cas de redressement judiciaire ou de liquidation de l'entreprise ? Cette question est loin d'être anecdotique, lorsqu'on sait que la durée de vie d'une PME est en moyenne de cinq ans.

En fait, le compte épargne-temps est surtout un jackpot pour l'employeur : les salaires sont captés pour devenir un outil financier au seul bénéfice des patrons et des banquiers. En siphonnant directement les salaires à la source, il sert d'accélérateur à l'épargne retraite. C'est un mécanisme de crédit très efficace consenti aux employeurs par leurs salariés à travers deux éléments essentiels du contrat de travail : le salaire et la durée du travail.

Le compte épargne-temps, qui ne rapporte aucun intérêt et ne tient pas compte de l'inflation, sera en revanche pour le salarié un placement pour le moins médiocre et hasardeux. Ce dernier ferait mieux de se faire payer ses heures supplémentaires et de placer les sommes ainsi obtenues sur un compte rémunéré ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Par ailleurs, en cas de faillite ou de liquidation de l'entreprise, la seule garantie du salarié reste l'Association pour la garantie des salaires, l'AGS.

Or cette garantie est plafonnée. De plus, l'AGS cumule un déficit impressionnant - 700 millions d'euros pour l'année 2002-2003 -, qui fait craindre pour sa pérennité. Les salariés dont le compte épargne-temps sera fortement doté risquent donc de dépasser le plafond, surtout si celui-ci est identique pour les salaires et pour ledit compte épargne-temps.

Tout ce qui dépassera le plafond sera alors perdu - « Travailler plus pour gagner plus », dites-vous encore ? - d'autant que l'AGS est gérée uniquement par le patronat, dont la politique vise à faire baisser le plafond de garantie de l'organisme. Or, avec ce gouvernement, ce que le MEDEF veut, il l'obtient.

Mes chers collègues, cette proposition de loi organise cyniquement le démantèlement du droit du travail. La déréglementation s'opère au profit exclusif des entreprises et réduit le salarié à n'être plus que la chair à canon du profit. Alors que les bénéfices des entreprises sont en forte hausse, alors que le montant des dividendes versés aux actionnaires explose, aucune revalorisation des salaires n'est envisagée !

En trois articles, c'est au respect même du travail et à la légitimité de sa rétribution que cette proposition de loi porte ses coups. Ici, la réforme n'est que le triste masque de la régression.

Malheureusement, l'histoire l'a souvent montré, quand le changement s'appuie sur la manipulation et le mensonge pour mieux servir une caste, ce n'est pas le progrès qu'il porte, mais bien la réaction qu'il installe.

Cette proposition de loi est à la liberté du salarié ce que l'arbitraire est à la justice : une offense et une négation même de son principe.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous allons combattre de toutes nos forces ce texte inique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Gournac. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Roland Muzeau. Il va nous parler du succès du revenu minimum d'activité !

M. Henri de Raincourt. Non, il va remettre les pendules à l'heure après votre délire ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Alain Gournac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai présidé en 1998 la commission d'enquête qui s'est penchée sur la mise en place de la réduction du temps de travail en France.

Les travaux de cette commission avaient notamment permis, à l'époque, de rappeler combien, dans notre société, le travail est essentiel à l'épanouissement de l'homme et de la femme, à leur dignité et au maintien de leur sens des responsabilités.

Or il faut bien constater aujourd'hui que la réduction imposée et généralisée du temps de travail a quelque peu modifié la perception de la notion « travail » par notre société. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas vrai !

M. Alain Gournac. Cette politique était en réalité un pari intellectuel : ses effets attendus en termes de créations d'emplois reposaient sur une construction théorique, faisant abstraction, notamment, de l'environnement économique national, et surtout international.

Il est difficile de prétendre que cette politique a réussi quand la France, qui est le seul pays européen a avoir fait le choix de la réduction du temps de travail, se situe au douzième rang parmi les pays de l'Union pour ses performances en matière d'emploi.

Il n'est certes pas question de remettre en cause les 35 heures : on sait que les revirements en droit social fragilisent les partenaires sociaux et l'ensemble des acteurs du secteur économique.

Les 35 heures resteront donc la durée légale du temps de travail. II est toutefois nécessaire d'y apporter quelques assouplissements pour remédier à l'insuffisante progression du pouvoir d'achat des salariés et pour favoriser la compétitivité de nos entreprises.

Faisons un rapide bilan des 35 heures.

Avec les 35 heures, on a voulu appliquer de façon autoritaire une règle uniforme.

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas vrai !

M. Alain Gournac. Or la prise en compte de la liberté des individus et de la diversité des situations professionnelles aurait dû servir de garde-fou.

M. Gérard César. Très bien !

M. Alain Gournac. Les 35 heures généralisées ont créé des injustices parmi les entreprises et parmi les salariés. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Les grandes entreprises ont eu la possibilité de passer aux 35 heures en annualisant et en flexibilisant la durée du travail tout en bénéficiant des allégements de charges financées par la collectivité, tandis que les petites entreprises, qui n'avaient pas les mêmes capacités à amortir ce choc, ont été mises en difficulté.

M. Alain Gournac. De nombreux cadres, qui subissent une pression importante dans leur travail, ont profité des forfaits jours prévus par la loi tandis qu'une grande partie des salariés se voyaient imposer des horaires sans avoir le choix d'effectuer des heures supplémentaires.

Les promoteurs des lois de 1998 et 1999 ont commis l'erreur de rester à un niveau macroéconomique, ignorant gravement, de ce fait, la situation des petites entreprises et de leurs salariés. D'ailleurs, des voix à gauche se sont élevées pour dénoncer cette bévue : en novembre 2000, mes chers collègues, Laurent Fabius (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC) ...

M. Henri de Raincourt. Est-il encore socialiste ? (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac. ...observa ainsi : « Chacun voit que les situations des entreprises ne sont pas toutes les mêmes. Pour certaines entreprises, les 35 heures ne posent pas de problème. Pour d'autres, c'est plus difficile. Des lois ont été votées, on ne les annulera pas, mais nous devons certainement traiter les situations diverses avec souplesse. »

Bravo ! C'est tout à fait ce que nous faisons aujourd'hui.

Les 35 heures ont également fait stagner les salaires, et c'est une injustice sociale dont sont victimes les Français les plus modestes.

En valeur absolue, les salariés modestes ont perdu entre un et deux points de pouvoir d'achat depuis trois ans.

Les 35 heures ont également entraîné la création de multiples SMIC. Heureusement, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a revalorisé significativement le SMIC horaire (Protestations sur les travées du groupe CRC)...

M. Guy Fischer. Il a appliqué la loi : c'est une conséquence !

M. Alain Gournac. ... afin d'aboutir à une unification vers le haut, cette fois, et non vers le bas !

M. Guy Fischer. Ce sont les critères de convergence !

M. Alain Gournac. Les 35 heures ont parfois détérioré les conditions de travail. Ainsi que l'a exposé Gérard Larcher, notre ministre délégué aux relations du travail, une étude de juin 2003 émanant de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, faisait apparaître qu'un tiers des salariés et 44 % des ouvriers et des employés se disaient être plus stressés depuis la mise en place des 35 heures dans leur entreprise. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

En effet, certains accords ont pu prévoir davantage de flexibilité dans les horaires, ce qui peut satisfaire certains salariés mais en déstabiliser d'autres...

Les 35 heures ont contribué à dégrader la compétitivité internationale des entreprises françaises. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. Mensonge !

M. Alain Gournac. Elles ont limité leur capacité à réagir à la demande et ont affaibli l'attractivité de notre territoire. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) II faut leur permettre de faire face à la concurrence grâce à davantage de réactivité.

Il était donc impératif d'introduire de la souplesse et de la liberté.

La loi Fillon de janvier 2003 a déjà ouvert des pistes...

M. Roland Muzeau. C'est sûr !

M. Alain Gournac. ...en permettant la négociation de nouveaux accords sur la durée du temps de travail et sur le régime des heures supplémentaires.

La loi de 2004 sur le dialogue social est venue compléter cette législation en favorisant la conclusion d'accords collectifs.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui invite avec pragmatisme à répondre aux besoins de nos entreprises et aux aspirations de leurs salariés.

Centrée sur la conclusion d'accords collectifs et l'adhésion personnelle du salarié à la modification de la durée de son temps de travail, elle offre à ce dernier une sécurité totale.

Ce texte permet d'enclencher une dynamique de revalorisation des bas salaires et du pouvoir d'achat en général.

Les conditions d'utilisation du compte épargne-temps sont assouplies. Les jours de repos ou de congé des salariés seront plus facilement cumulables dans ce compte et seront transformables en complément de salaire s'ils le souhaitent. Les seuils sont revus à la hausse, permettant une plus large utilisation, qui doit - c'est le but - se généraliser.

Je me réjouis notamment des dispositions qui facilitent l'abondement des produits d'épargne retraite créés par la loi Fillon par le biais du compte épargne-temps.

Le relèvement du contingent des heures supplémentaires permettra à ceux qui le souhaitent de travailler plus pour gagner plus.

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas vrai !

M. Guy Fischer. Mensonge !

M. Henri de Raincourt. Il n'y a que la vérité qui blesse !

M. Alain Gournac. Ces heures choisies qui s'ajoutent aux heures supplémentaires donneront droit à des majorations de salaire et, le cas échéant, à des contreparties en termes de repos. Cela s'inscrit bien entendu dans la limite des quarante-huit heures hebdomadaires.

Les inquiétudes de certains concernant l'absence de garantie pour le salarié sont dénuées de tout fondement puisque, précisément, le dispositif est totalement conditionné par l'accord du salarié et s'inscrit dans le cadre d'un accord collectif protecteur.

M. Roland Muzeau. Tu parles !

M. Alain Gournac. L'autre argument selon lequel une majorité de salariés ne souhaiteraient pas modifier la durée de leur temps de travail est assez étonnant. Même si cela est vrai - et j'en doute -, nous devons laisser aux autres le choix de modifier la leur.

M. Alain Gournac. Notre philosophie est différente de celle de la précédente majorité.

M. Bernard Frimat. Cela, c'est vrai !

M. François Marc. Sur ce point, nous sommes d'accord !

M. Alain Gournac. Nous souhaitons revaloriser l'effort aux yeux de tous. Le travail est ainsi de nouveau lié plus étroitement à la rémunération et à la satisfaction de participer à la prospérité de l'entreprise.

Le travail libère parce qu'il rend autonome. Aussi les salariés pourront-ils moduler leur temps de travail en fonction de leurs besoins d'argent ou de temps libre à consacrer à leur famille ou à leurs loisirs.

Contrairement aux idées ayant présidé à la mise en place généralisée des 35 heures, c'est le travail qui crée le travail, qui crée l'emploi, parce qu'il est créateur de richesse.

M. Alain Gournac. Autre souplesse, les cadres pourront également renoncer à une partie de leurs jours de repos en contrepartie d'une majoration de salaire, ce qui correspond à une forte demande. Encore une fois, cela ne s'effectuera, bien entendu, qu'à la demande du salarié.

Enfin, le dernier article procède à la prorogation pour trois ans du dispositif concernant les entreprises de moins de vingt salariés en matière de taux de rémunération des heures supplémentaires et d'imputation sur le contingent.

M. Roland Muzeau. C'est une honte !

M. Alain Gournac. II permet aussi aux salariés d'échanger leurs jours de RTT contre une rémunération, dans la limite de dix jours. Là encore, « accord collectif », « volontariat », « respect des partenaires sociaux », « confiance » sont les maîtres mots du dispositif.

Ce texte, mes chers collègues, s'inscrit dans une dynamique de libération des énergies et vient compléter les politiques publiques de lutte contre le chômage précédemment engagées.

Les résultats indéniables des abaissements de charges sur l'emploi des salariés les moins qualifiés nous montrent la voie qu'il faut continuer à suivre.

Aussi le plan annoncé le 16 février dernier en faveur des emplois de services prévoyant des allégements de charges sociales va-t-il dans le bon sens.

La loi de programmation pour la cohésion sociale devrait également améliorer le contenu de la croissance en emplois.

M. Roland Muzeau. On peut rêver !

M. Alain Gournac. Le groupe UMP adoptera cette proposition de loi, car elle crée un environnement favorable à l'émergence et au développement de nouvelles activités, favorise les initiatives, libère le travail de contraintes injustifiées et met un terme au rationnement du travail. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Roland Muzeau. Et le RMA !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, autant le dire tout de suite, la présente proposition de loi me semble, dans ses grandes lignes, aussi utile qu'un cautère sur une jambe de bois.

M. François Marc. Très bien !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Elle ne mérite ni excès d'indignité ni l'inverse.

La Haute Assemblée est aujourd'hui appelée à aménager un système qui est fondamentalement vicié. S'il n'est pas douteux que la réduction du temps de travail, rendue possible par le progrès technique et ses gains de productivité, est un mouvement historique irrésistible, en revanche, le choix d'une réduction du temps de travail brusque, drastique et autoritaire est nettement plus contestable.

De l'avis des plus éminents experts, de droite comme de gauche, le cadre rigide des lois Aubry coûte beaucoup à notre économie sans avoir véritablement favorisé la création d'emplois, tout au moins dans les proportions escomptées. On parlait de 800 000 emplois, on en a eu 300 000 à 400 000.

De plus, sa mise en place n'a pas été un monument de démocratie sociale.

M. François Marc. Il y a plus de 10 % de chômeurs, aujourd'hui !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Pour toutes ces raisons, le système souple institué en 1996 par Gilles de Robien était de loin préférable, à mon avis, à celui qui régit aujourd'hui l'organisation du temps de travail dans l'entreprise.

En effet, le monde de l'entreprise n'est pas un tout homogène. Les structures de production se trouvent confrontées à des besoins et des impératifs différents en fonction de leur secteur d'activité. Elles ont aussi besoin de pouvoir s'adapter aux fluctuations du marché, de leur environnement économique.

Face à cette réalité protéiforme, seuls les partenaires sociaux, dans le cadre de leurs conventions ou accords collectifs, sont à même de pouvoir juger des dispositifs de RTT les plus adaptés à la situation réelle de leur branche ou de leur entreprise.

Malgré tout, les 35 heures sont un acquis social sur lequel nous ne reviendrons pas. Vous l'avez vous-même confirmé, monsieur le ministre.

Partant de ce constat, que peut-on dire de la présente proposition de loi ? Pas grand-chose en réalité.

L'assouplissement du compte épargne-temps n'est, bien entendu, pas une mauvaise mesure, quoique assez anecdotique.

La possibilité de convertir ses droits acquis en augmentation de salaire me paraît être le seul apport substantiel du dispositif proposé.

Il en est de même du droit ouvert par l'article 2 aux salariés, aux cadres en particulier, de renoncer à une partie de leurs jours de repos en contrepartie d'une majoration de leur salaire.

Mais, à côté de cela, ce que l'on nous présente comme la mesure phare du texte, la création des « heures choisies », me semble plus contestable.

D'abord, lorsque l'on parle d'« heures choisies », il est bon de se demander : « choisies par qui ? » Ne nous voilons pas la face, lorsque l'on connaît un peu les rapports existants au sein de l'entreprise - j'ai une longue expérience en ce domaine en tant que syndicaliste...

M. Alain Gournac. Eh oui, chez nous aussi, il s'en trouve !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. ... mais aussi en tant que dirigeant - on sait qu'en pratique les heures choisies le seront par l'employeur et rarement par le salarié.

M. Roland Muzeau. Elles ne le seront jamais par le salarié !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Ainsi, ce régime d'heures choisies ouvre en théorie la semaine des 48 heures. La barrière communautaire européenne, M. le ministre l'a rappelé, deviendrait donc l'ultime filet de protection sociale.

En réalité, même ces critiques et ces craintes sont infondées. Tout simplement parce que, la plupart du temps, tous les partenaires nous l'ont dit, les heures choisies ne serviront à rien. En effet, dans la majorité des entreprises, le contingent d'heures supplémentaires est bien loin d'être utilisé en totalité.

Ce système servira donc en fait à la marge, pour des emplois saisonniers, pour des cadres ou des agents qui travaillent en urgence sur un projet.

Reste la question de la prorogation du régime dérogatoire applicable aux petites entreprises, posée par l'article 3.

Une telle dérogation est injuste. Il n'y a aucune raison de traiter moins bien les salariés employés dans des entreprises de moins de vingt salariés que leurs homologues des grandes structures.

L'argument invoqué est d'ordre économique. Il est possible et même probable qu'une majoration de 25 % des premières heures supplémentaires serait insupportable pour certaines petites entreprises.

C'est pourquoi nous vous proposerons, par un amendement, de contourner la difficulté en compensant la majoration de ces heures supplémentaires au même taux pour toutes les entreprises par une exonération de charges sociales gagée à due concurrence par une augmentation de TVA. Il serait ainsi question de commencer à mettre en place un système de TVA sociale.

Monsieur le ministre, malgré la gravité du sujet, je terminerai sur une note d'humour afin de détendre l'atmosphère.

Je ne prolongerai pas mon propos, car cinq minutes de notre temps de parole représentent 1/420e de notre temps de travail hebdomadaire légal. (Sourires.) Or, vous le savez, le temps est un bien très précieux, inestimable même depuis la loi Aubry. Alors, épargnons-le ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Merci de ce conseil, mon cher collègue ! (Sourires.)

La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, objet de débat et de controverses dans l'ensemble des pays industrialisés, la question de la durée du temps de travail soulève des enjeux économiques et sociétaux majeurs. En France, elle est au centre d'un combat acharné de la part du MEDEF et de la droite parlementaire depuis le 10 octobre 1997.

Depuis cette date, vous n'avez eu de cesse de dénoncer, sans jamais apporter la preuve de vos assertions, « la stratégie perdante de la RTT » et les régressions tant économiques que sociales dont elle serait responsable. Le très orienté rapport d'information du député Hervé Novelli n'a pu démontrer que la baisse de la durée du temps de travail ait entraîné une baisse de la compétitivité. Son auteur a même dû convenir de la création de 350 000 emplois, ce qui n'est pas sans importance à l'heure où la croissance française est moins créatrice d'emplois que par le passé.

Le président de l'Union professionnelle artisanale, l'UPA, a dit « pouvoir prouver que l'application des accords signés a permis de faire des gains de productivité et d'augmenter les bénéfices ». Quant aux salariés, ils sont une grande majorité à vouloir préserver cet acquis social et à porter en même temps une forte exigence de maintien de leur pouvoir d'achat.

Le chantage à l'emploi auquel se sont scandaleusement livrés de grands groupes, en l'occurrence Bosch, Siemens et SEB, profitant du contexte pour obtenir une nouvelle réduction du coût du travail, visait à arracher aux salariés une augmentation de leur durée de travail sans compensation salariale.

Tout en passant sous silence les contraintes budgétaires plus pressantes du pacte de stabilité, le Gouvernement Raffarin, sans chercher bien sûr à contenir, voire à endiguer ces offensives libérales, s'est engouffré dans les voies déjà ouvertes pour remettre sur le devant de la scène le sujet controversé de la réforme des 35 heures, qualifié jadis de débat imbécile par le Président de la République.

Dans un pays qui compte 4 millions de demandeurs d'emplois, où le taux de chômage officiel a désormais franchi la barre fatidique des 10 % de la population active, où le pouvoir d'achat, moteur de la croissance, est lui aussi en berne et où, en outre, le sous-emploi est massif, notamment aux âges extrêmes, la priorité sociale est-elle vraiment de revenir sur les 35 heures ?

Selon nous, l'urgence est plutôt de lutter résolument contre le chômage, en réfléchissant moins en termes de « travailler plus » qu'au fait d'être plus nombreux à travailler et de travailler mieux.

Au lieu de cela, vous stigmatisez une France paresseuse, notre société de loisirs oubliant au passage les individus privés de travail, ceux qui sont contraints aux petits boulots cumulés pour tenter de vivre, tous les travailleurs pauvres de l'hôtellerie et de la restauration, des services, de la distribution, qui, faute de pouvoir travailler plus de vingt heures payées au SMIC, gagnent 525 euros par mois, mais aussi les femmes, qui occupent 85 % des emplois à temps partiel de moins de quinze heures hebdomadaires, aux journées éclatées et harassantes entre transport, travail peu valorisant et enfants qui attendent, sans compter les saisonniers et tous ceux qui occupent un emploi précaire.

A tous ces adultes en âge de travailler, aux 3,6 millions de personnes dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté, vous proposez - pour ne pas dire vous imposez - le sous-emploi, en copiant les politiques anglo-saxonnes du workfare.

Le texte que nous examinons est un non-sens dans ce contexte. Avec votre projet, on pourra faire travailler les salariés plus de 2 000 heures, ce qui était la revendication du patronat d'avant 1936 !

Les slogans sont instrumentalisés pour mieux revisiter, dans un sens hyper-individualiste, les relations de travail, comme l'a déploré M. Olivier Favereau : ce professeur d'économie souligne que, « regardés de près, du point de vue de la théorie économique, ces deux slogans, "travailler plus pour gagner plus" et "rétablir la liberté de choix", sous couvert de modernité et de flexibilité, trahissent une vision de l'économie et de l'entreprise qui fleure bon le XIXe siècle ... ».

Qui sont les archaïques ?

Il regrette encore que l'« on nous propose, pour améliorer les performances de l'économie française, le schéma extensif qui est le prototype du capitalisme le plus archaïque - et certainement le moins défendable - non seulement sur le critère de justice sociale, mais aussi sur le critère d'efficacité économique ».

Je vous laisse, mes chers collègues, plaider en faveur d'un texte dit « pragmatique et équilibré ». Quant à moi, je suis convaincu du caractère étroitement idéologique des mesures qu'il recèle, visant prioritairement à accentuer la libéralisation du marché du travail.

Près de sept français sur dix ont exprimé de la sympathie envers les salariés du privé et du public qui sont descendus massivement dans la rue pour défendre les 35 heures, les salaires et l'emploi.

Les syndicats auditionnés par notre rapporteur ont tous confirmé, y compris les organisations patronales - à l'exception, bien sûr, ce qui nous rassure, du MEDEF et de la CGPME, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises -, qu'ils n'étaient pas demandeurs d'une remise en cause des 35 heures.

François Fillon fut déjà, de main de maître, à l'initiative de mesures assouplissant substantiellement la loi Aubry II, laquelle, il est vrai, s'était affranchie de deux verrous susceptibles de donner à la réduction du temps de travail toute son efficacité.

En 2003, M. Fillon évoquait aussi la liberté de pouvoir gagner davantage, alors qu'il ouvrait largement la possibilité d'abaisser à 10 % la majoration des heures supplémentaires via la négociation collective, déplaçant par la même occasion les frontières entre le rôle de la loi et celui de la convention, puisque les taux de droit commun, 25 % pour les huit premières heures supplémentaires et 50 % au-delà, devenaient supplétifs.

Quant à l'aménagement d'un régime spécifique de majoration des quatre premières heures supplémentaires à 10 % seulement au bénéfice des plus petites entreprises employant vingt salariés au plus, on peut constater là aussi qu'il était de nature à retirer du pouvoir d'achat aux salariés.

Le contingent annuel d'heures supplémentaires, fixé sans limite par simple accord d'entreprise, est passé de 130 à 180 heures. Les conventions de forfaits ont été élargies, contribuant à remettre en cause la durée légale.

Plus récemment, cette fois sous votre responsabilité, monsieur le ministre, à l'occasion de l'examen par le Parlement de la loi dite de cohésion sociale, des dérogations importantes ont été introduites au régime du travail de nuit pour les activités de production rédactionnelle et industrielle de presse, au risque de banaliser ce mode dérogatoire du temps de travail, nécessitant à ce titre une protection juridique sans faille et des garanties de compensation pour préserver la santé et la sécurité des salariés, mais aussi leur vie personnelle.

Une autre norme servant à définir le temps de travail effectif, celle qui a trait au temps de trajet, a elle aussi été appréhendée législativement de façon restrictive, au mépris de la jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation.

Bref, tous les outils permettant aux entreprises d'échapper à la réduction du temps de travail ou d'instrumentaliser cette dernière pour en tirer un maximum d'avantages, dans une logique de flexibilité et de compétitivité, existent bel et bien.

De l'avis unanime, certains de ces outils ne seraient pas pleinement utilisés par les entreprises. Je pense évidemment au contingent d'heures supplémentaires, porté à 180 heures annuelles, dont seules 70 heures en moyenne seraient utilisées aujourd'hui. Pourquoi alors décider de franchir un pas supplémentaire en portant ce dernier à 220 heures ?

Pourquoi tant d'acharnement de la part du Gouvernement à défendre une réforme contre les salariés, réforme qui, de surcroît, ne répond pas aux besoins de la majorité des entreprises ? Pour le bien-être des salariés, leur santé, leur pouvoir d'achat ? Pour l'emploi ?

Non, bien sûr ! Nous verrons ultérieurement qu'en réalité tout est illusion, leurre, prétexte à masquer les vrais débats.

Pour la CFTC, la Confédération française des travailleurs chrétiens, « le thème de l'adaptation des 35 heures fait figure de bouc émissaire et occulte les autres problèmes structurels de l'économie française, comme la tendance au sous-investissement des entreprises ou l'insuffisance du financement du tissu industriel ».

Si les gouvernements Raffarin successifs ont effectivement agité les 35 heures, c'est pour mieux masquer l'échec de leurs politiques fiscale, économique et sociale, dont on mesure aujourd'hui les effets déplorables sur l'emploi et le pouvoir d'achat et, a contrario, les effets plus que bénéfiques sur le capital.

Aux résultats spectaculaires affichés par BNP-Paribas et la Société Générale a succédé l'avalanche des résultats des grandes compagnies françaises en 2004, tous plus mirifiques les uns que les autres : 9 milliards d'euros de profits nets pour Total, soit un bénéfice en hausse de 23 %, un bénéfice net en hausse de 143 % pour L'Oréal, une hausse de 30 % de profits pour Schneider Electric, un bénéfice net d'Arcelor en hausse de 900 % et, dans toutes ces entreprises, des suppressions d'emplois.

Dans ces conditions, vous aurez beaucoup de mal à nous convaincre de l'opportunité de vos choix, visant notamment à faciliter et à accélérer les restructurations et les procédures de licenciement, à abaisser toujours davantage le coût du travail et, par là même, à « smicariser » le salariat, ou de la nécessité de réduire encore l'impôt de solidarité sur la fortune, voire d'envisager, comme s'y est engagé le Président de la République, d'exonérer totalement, d'ici à trois ans, les entreprises de toute cotisation sociale au niveau du SMIC, sans parler de la réforme de la taxe professionnelle pour les collectivités territoriales.

Il sera particulièrement difficile pour ce gouvernement de rester désespérément sourd aux revendications légitimes des salariés et des fonctionnaires portant sur leur pouvoir d'achat.

Décidément, les contrastes sont trop forts entre, d'une part, l'aisance financière des entreprises, qui leur permet, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques, de dégager un taux de marge de plus de 40 %, conduisant ces dernières, au niveau européen, à verser 199 milliards d'euros de dividendes aux actionnaires et à payer, pour les plus grandes, 8 milliards en rachat d'actions et, d'autre part, la réalité de la modération salariale, la perte de pouvoir d'achat des salariés, toujours plus nombreux à être exposés à des carrières précaires et aux bas salaires, alors que leur productivité horaire est parmi les plus élevées d'Europe.

En 1975, moins de 5 % des salariés étaient rémunérés au SMIC. En 1993, ils étaient plus de 8 %. Ils sont désormais 14 %.

Je citerai d'autres statistiques éloquentes : en 2002, les salariés étaient près de 17 % à émarger à 950 euros net par mois, somme inférieure au SMIC, représentant les deux tiers du salaire médian et servant à référencer les bas salaires.

Par ailleurs, le nombre de branches professionnelles dont la grille démarre en dessous du salaire minimum a plus que doublé en quinze ans.

Le résultat des négociations annuelles menées dans toutes les entreprises sur le thème des salaires montre lui aussi toutes ses limites. En moyenne, les ouvriers de la métallurgie, dont près de la moitié vivent avec moins de 960 euros par mois, obtiennent des augmentations de salaires de 1,8 % !

Allez-vous enfin, monsieur le ministre, prendre la mesure du caractère urgent et crucial de la question salariale, en la traitant dignement, notamment en convoquant sur ce thème une conférence nationale ?

S'agissant plus globalement du pouvoir d'achat des Français, allez-vous enfin admettre que sa moyenne de croissance est effectivement bien inférieure à celle des années passées - quand il ne « dégringole » pas ! - et que, là encore, vous portez une lourde responsabilité.

Par vos choix fiscaux, vous avez fait de la baisse des impôts pour les plus riches une priorité et, par vos pseudo-réformes des retraites, de la sécurité sociale, de la dépendance, vous avez augmenté les prélèvements sociaux.

Mes chers collègues, nous savons également que l'objet de cette proposition de loi déborde de la seule question du temps de travail.

Ne s'agit-il pas aussi, en réservant soi-disant une place plus importante à la négociation collective, d'individualiser encore davantage les rapports de travail et de renvoyer le salarié dans un tête-à-tête forcément déséquilibré avec son employeur ?

Laurent Mauduit, dans une analyse parue dans Le Monde du 16 février dernier, se demande légitimement si la droite libérale n'ambitionne pas toujours de brûler le code du travail, tant il est vrai que les réformes passées ou celles qui sont en préparation, notamment la réécriture du code du travail ou la création du fameux contrat intermédiaire, ajoutées au discours ambiant qui fait suite aux rapports de MM. de Virville ou Camdessus, tendent à remettre en cause le cadre traditionnel du contrat de travail.

La liberté du contrat de travail est un thème présent dans le texte qui nous est soumis. Or cette liberté est une fiction juridique, comme l'a rappelé récemment à La Tribune Philippe Waquet, remarque étant faite « que le contrat de travail est la seule convention qui établisse une relation de subordination entre les parties : le salarié doit obéir au patron ».

A vous entendre, les salariés n'auraient plus besoin d'être protégés par un socle commun de garanties, y compris contre eux-mêmes s'agissant de leur santé, ou contre leur employeur avec qui ils seraient à égalité !

C'est ainsi que vous justifiez l'article 2 du texte favorisant sur la base du volontariat - ou plutôt de la contrainte ! - le développement du temps dit choisi conduisant les salariés à effectuer des heures supplémentaires au-delà du contingent annuel et faisant exploser pour les cadres au forfait la durée maximale de 218 jours actuellement applicable.

Toujours sous couvert de liberté du temps retrouvée, vous dénaturez le compte épargne-temps en l'axant sur son utilisation en argent, et vous circonscrivez étroitement la volonté du salarié dans ses modes d'utilisation tout en valorisant les choix de l'entreprise. Quelle conception univoque de la liberté !

Le MEDEF rêvait d'inverser la hiérarchie des normes, de déplacer l'équilibre entre ce qui relève de l'ordre public social, du législateur, et ce qui relève des normes pouvant être élaborées par la négociation collective, laquelle devrait être la plus décentralisée. M. Fillon, en bon génie, a exaucé ce premier voeu !

En généralisant plus récemment les fameux accords de méthode, ce gouvernement a également ouvert la porte à des dérogations, toujours synonymes de moindres garanties collectives pour les salariés, en matière de licenciements économiques. Avec ce texte, une autre barrière, trop encombrante pour le MEDEF, pourrait, elle aussi, sauter.

Désormais, via la possibilité de racheter des jours de repos, ouverte par l'article 3 aux salariés des PMI-PME, en dehors de tout accord collectif, un salarié pourra individuellement renoncer à ses droits en matière de réduction du temps de travail. Sous couvert de liberté de choix, le système de l'« opting out », cher aux Anglais, s'immisce dans notre droit social français et bouleverse gravement ses fondamentaux.

Bientôt, les contrats de travail fleuriront de clauses individuelles moins favorables aux salariés que la convention collective, moins favorables aussi que le code du travail. Le MEDEF, exhortant hier le Gouvernement pour qu'il abroge une fois pour toutes les 35 heures, est aujourd'hui pleinement satisfait.

Les déclarations de son président, on ne peut plus euphoriques et positives, saluant l'entrée « dans un nouveau monde » - rien de moins ! - confirment que les trois petits articles de la présente proposition de loi, élaborés sous la conduite du Gouvernement, ouvrent véritablement de nouvelles perspectives aux entreprises. Ces dernières pourront négocier directement avec les salariés de l'organisation et de la durée individuelle du temps de travail.

Nous nous opposons farouchement à cette lame de fond désorganisant la protection collective des salariés. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles les parlementaires communistes se sont résolument engagés à la fois contre la directive Bolkestein et contre le traité de Constitution européenne. Ces textes, dont la cohérence est identique, sacrifient les droits et protections des travailleurs sur l'autel de la compétitivité pour asseoir la domination des marchés financiers.

La révision en cours de la directive européenne sur le temps de travail doit, elle aussi, monopoliser toute notre attention.

Tout d'abord, parce que, comme l'a dénoncé Gérard Filoche dans un entretien publié dans l'Humanité le 13 février dernier, « la Commission Barroso espère parvenir à autoriser jusqu'à 65 heures, en sortant du temps de travail, les temps d'astreinte ou les temps de garde ».

Ensuite, parce que la durée maximale fixée à 48 heures, qui n'existe pas dans les dix pays entrants, susceptible d'être revue à la baisse pour la protection de la santé des salariés, est la seule référence qui subsistera en France une fois assoupli le dispositif du compte-épargne temps, tel que prévu par l'article 1er.

A travers la centaine d'amendements déposés par le groupe communiste républicain et citoyen, nous montrerons que d'autres voies praticables au service de l'emploi, de la qualité et de salaires décents, sont possibles.

Nous nous attacherons également, en miroir aux critiques justes formulées à l'encontre du bilan social des 35 heures, de proposer - ce dont se dispensent les auteurs de la proposition de loi - des mesures de nature à améliorer les conditions de travail des salariés, à mieux articuler les temps de vie et, donc, à donner tout son sens à l'idée de temps choisi. Nous défendrons aussi des propositions afin de mettre un terme aux discriminations entre salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « le mal le plus profond, c'est le mépris du travail ». En paraphrasant, on pourrait dire : « travaillons plus pour gagner plus ». Une telle injonction pourrait paraître ultra-libérale à certains. En réalité, elle est tout simplement pleine de bon sens.

Mme Raymonde Le Texier. Rétablissez le servage !

M. Aymeri de Montesquiou. Quelle que soit l'époque, elle est pourtant plus réaliste que de nous pousser à travailler moins pour prendre des parts de marchés dans la très difficile compétition mondiale.

Quelle que soit notre appréciation personnelle - ou partisane - il y a une réalité : nous devons inéluctablement travailler plus pour payer nos retraites et une protection sociale digne du XXIe siècle.

Avec les 35 heures, nous avons proposé à nos concitoyens une forme de renoncement : renoncer à être les premiers, renoncer à conquérir les marchés, renoncer à l'enthousiasme. C'est un repli sur soi, un refus de la compétition, l'acceptation d'un déclin.

Mme Hélène Luc. Mais les 35 heures, cela ne veut pas dire cela, voyons !

M. Aymeri de Montesquiou. Il a fallu une dialectique bien éloignée de toute logique économique pour tenter de démontrer, sans y croire, que la mise en place des 35 heures serait une bonne décision pour la France. Cette réduction autoritaire du temps de travail fut une erreur économique, une erreur budgétaire et, surtout, une erreur sociale.

M. Jean-Louis Carrère. Ils disaient la même chose pour les congés payés !

Mme Hélène Luc. Les Français sont pour à 70 % !

M. Aymeri de Montesquiou. Erreur économique, car cette disposition française, qui a provoqué l'incrédulité ironique de nos concurrents, a handicapé nos entreprises, freiné notre PIB et fait reculer le revenu des Français dans les palmarès européens.

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas vrai !

M. Aymeri de Montesquiou. Erreur budgétaire, car l'allégement des charges sociales pour les entreprises passant aux 35 heures a généré pour l'Etat une dépense inutile et absurde - 8 milliards d'euros en 2003, 11,3 milliards d'euros en 2004 - sans aucune valeur ajoutée en retour ni réelles créations d'emplois.

Il n'est pas équitable que ces non-rentrées fiscales pèsent les non-salariés, c'est-à-dire que les agriculteurs, les commerçants, les artisans et les professions libérales, en général, soient obligés de payer plus d'impôts pour que d'autres travaillent moins !

M. Guy Fischer. Ce n'est pas vrai !

Mme Hélène Luc. C'est faux, et vous le savez !

M. Aymeri de Montesquiou. Erreur sociale, car, en limitant le temps de travail, on a interdit aux Français les plus modestes qui souhaitaient travailler plus pour gagner plus d'améliorer leur pouvoir d'achat afin de progresser dans l'échelle sociale.

M. Jean-Marc Todeschini. Et les entreprises ont réalisé des bénéfices exceptionnels !

M. Aymeri de Montesquiou. Or, comme l'a justement souligné notre collègue Robert Badinter, « le travail de chacun doit être pleinement rémunéré en considération de ses efforts ». Ceux qui souhaitent travailler plus et qui ont travaillé davantage gagneront davantage !

M. Jean-Marc Todeschini. Mais avec vous, c'est travailler plus et gagner moins !

M. Aymeri de Montesquiou. Aujourd'hui, les 35 heures sont considérées comme un acquis social bien qu'elles constituent un handicap évident pour la compétitivité de notre pays.

N'y ajoutons pas un affrontement politique. Faisons le choix de la liberté de travailler, sur lequel nous devons tous nous réunir. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Le « temps choisi » répond à cette attente.

Pour cela, faisons table rase de toutes les désinformations.

Mme Hélène Luc. Faisons table rase du passé ! (Sourires.)

M. Aymeri de Montesquiou. Rehaussons le débat en refusant les slogans de ceux qui en connaissent l'inexactitude lorsqu'ils parlent de « coup de grâce aux 35 heures » ou qu'ils affirment que les Français travailleront plus sans gagner plus si cette proposition de loi est votée. Ils savent que c'est faux !

Premièrement, il est faux de dire que les 35 heures ne seront plus la durée légale du temps de travail. Ce nouveau texte n'apporte aucun changement sur ce point dans le code du travail.

M. Jean-Louis Carrère. Alors à quoi sert-il ?

M. Aymeri de Montesquiou. Deuxièmement, en ce qui concerne les heures supplémentaires, il est faux de dire que leur rémunération jusqu'à 48 heures par semaine, ou 44 heures sur douze semaines, ne bénéficiera plus d'une majoration. Si les heures volontairement portées par le salarié sur son compte épargne-temps, entre 35 et 39 heures, ne sont pas majorées en tant que telles, elles seront récupérées ultérieurement, et les heures supplémentaires au-delà de 39 heures seront majorées comme toute heure supplémentaire normale.

J'en profite pour affirmer que les heures supplémentaires favorisent l'emploi. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Elles augmentent la production et les salaires, donc l'offre et la demande, dont la concomitance sont les bases d'une évolution saine de l'économie.

M. Jean-Marc Todeschini. Cela augmente surtout les bénéfices !

M. Aymeri de Montesquiou. Troisièmement, il est encore faux d'affirmer que les heures rachetées dans les entreprises de moins de vingt salariés, toujours avec l'accord du salarié, ne seront pas majorées. Sur ce point précis, l'article 3 de la proposition de loi prévoit expressément cette majoration.

Quatrièmement, pour ce qui concerne les cadres, il est toujours faux de vouloir faire croire que les jours rachetés pourront être payés à un niveau inférieur à celui des jours normaux. Ce rachat implique que ces jours soient payés comme des jours ordinaires.

Cinquièmement, il est faux de dire que les salariés seront laissés seuls face aux chefs d'entreprise qui feront un chantage au licenciement.

Cette proposition de loi n'aura aucun effet direct...

M. Jean-Louis Carrère. De toute façon elle ne sert à rien !

M. Aymeri de Montesquiou. ... si un accord de branche ou d'entreprise n'a pas été négocié au préalable. Je suis convaincu que, tous ici, nous sommes des tenants des mérites et vertus de la négociation collective.

M. Roland Muzeau. Mais de la loi, vous l'êtes moins !

M. Aymeri de Montesquiou. Au final, il s'agit bien de définir un principe du temps choisi, de préserver la liberté individuelle dans des conditions encadrées par des accords collectifs.

Mme Hélène Luc. Oui ! Les chômeurs peuvent choisir leur temps !

M. Aymeri de Montesquiou. Cette liberté est toujours préférable à des législations plus contraignantes, autoritaires et malthusiennes comme le furent les lois Aubry sur les 35 heures.

M. Roland Muzeau. Mais non ! C'est le code du travail !

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le ministre, mes chers collègues, en votant cette proposition de loi, nous ferons 100 % de satisfaits chez les salariés du secteur privé.

Mme Hélène Luc. Alors ça, cela m'étonnerait !

M. Roland Muzeau. Vous allez voir le 10 mars avec les manifestations !

M. Aymeri de Montesquiou. Je veux parler des 77 % de salariés qui, selon les sondages, ne souhaiteraient pas augmenter la durée de leur temps de travail, qui est toujours de 35 heures par semaine aux termes de la loi, et qui pourront donc effectivement rester à 35 heures. Je veux aussi parler des 23 % restants qui, eux, souhaitent travailler plus pour gagner plus !

M. Jean-Marc Todeschini. Ils gagneront moins !

M. Aymeri de Montesquiou. Alors, votons ce texte qui permettra à la fois un progrès économique et un progrès social ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs mois, le code du travail est sans cesse mis à mal dans des proportions spectaculaires, très révélatrices de la politique du Gouvernement. 

En effet, par des moyens détournés, en cherchant à faire passer des amendements dans le cadre de projets de loi, le Gouvernement est parvenu, à plusieurs reprises, à revenir sur des acquis sociaux fondamentaux.

Dans la loi relative à la formation professionnelle et au dialogue social, des amendements visant à faire en sorte que des accords d'entreprise puissent ouvrir droit au bénéfice de dérogations au code du travail ont été adoptés. Auparavant, ces dérogations n'étaient réservées qu'aux accords de branche.

Plus récemment, un autre exemple illustre bien la méthode du Gouvernement. Je veux parler du projet de loi de cohésion sociale, dont le but affiché était de réduire la fracture sociale, et dont le résultat s'est traduit par l'introduction discrète de dispositions tendant à faciliter les licenciements.

Que nous propose-t-on aujourd'hui ? Des dispositions sur le régime du compte épargne-temps, le contingent des heures supplémentaires et la possibilité ouverte, par simple accord d'entreprise, de transformer du temps libre en rémunération sans obligation de passer par des accords de branche. Une fois encore, sous couvert de bonnes intentions et par des moyens détournés, une proposition - et non un projet de loi ! - s'en prend au code du travail, le but étant de tirer un trait sur les lois Aubry relatives aux 35 heures.

On nous rejoue l'air du « travailler plus pour gagner plus », vieux refrain libéral, et cela en donnant aux salariés la possibilité d'effectuer plus d'heures supplémentaires. Mais c'est faux ! Les heures supplémentaires, au lieu d'être majorées de 25 %, comme c'est le cas aujourd'hui, ne le seront plus que de 10 %. Faites le calcul : il faudra travailler cinq heures contre deux actuellement pour gagner autant !

On nous propose aussi le « temps choisi », qui serait discuté entre le salarié et le chef d'entreprise d'égal à égal. De qui se moque-t-on ? Je vois mal une caissière de grande surface, ni un ouvrier du BTP, d'ailleurs, pouvoir choisir ses horaires face à son patron.

M. Claude Domeizel. On imagine la scène ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Gisèle Printz. Qu'on le veuille ou non, outre qu'elle a permis de créer des emplois, la réduction du temps de travail est un acquis social, un acquis sociétal.

Une enquête scientifique consacrée aux effets de la réduction du temps de travail pour les salariés a montré que les femmes ont pu, dans une mesure considérable, mieux concilier vie professionnelle et vie familiale, et que les hommes ont pu s'investir plus fortement dans la vie familiale, ce qui permet d'améliorer la qualité de vie.

Plus que le temps partiel, qui concerne une femme active sur trois et qui enferme dans la précarité, les 35 heures étaient une solution efficace et égalitaire pour concilier vie personnelle et vie professionnelle. L'harmonie de la cellule familiale, que cette dernière soit monoparentale, recomposée ou traditionnelle, n'est-elle pas une question importante pour notre société ?

En définitive, à qui profitera la mise en oeuvre des dispositions de cette proposition de loi ? Sûrement pas aux salariés, à qui l'on paiera à terme des jours de RTT qu'ils auraient préféré passer en famille et qui travailleront plus pour gagner moins que sous la réglementation actuelle ; sûrement pas aux femmes, auxquelles les emplois précaires resteront dévolus.

Le dialogue social est mis à mal, le mandatement disparaît, les formations syndicales sont écartées des petites entreprises et le démantèlement progressif du droit du travail se poursuit.

En fait, la mise en oeuvre des dispositions de cette proposition de loi profitera surtout au patronat, qui pourra rendre les femmes et les hommes au travail « malléables » et corvéables à merci. La commission des affaires sociales l'a d'ailleurs remarqué, et, en vue de limiter les dégâts, elle a adopté un amendement tendant à restreindre les possibilités de recours aux heures supplémentaires au-delà du nouveau contingent légal de 220 heures par an.

Monsieur le ministre, croyez-vous que ce soit du patronat qu'il faille se soucier aujourd'hui ? Après l'annonce récente d'une explosion des profits des grandes entreprises françaises et des dividendes versés par ces dernières, le taux de chômage est repassé au-dessus de la barre des 10 % de la population active, seuil qui n'avait plus été franchi depuis cinq ans ! Ce n'est pas en revenant sur une loi qui a fait ses preuves en matière de création d'emplois que vous allez inverser la tendance.

Ce texte est inacceptable, et nous voterons naturellement contre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant soutenu à cette tribune par le passé la loi Robien contre l'avis d'un certain nombre de mes amis, je ne suis pas suspect d'être fondamentalement hostile à la réduction du temps de travail. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.)

M. Guy Fischer. C'est vrai !

M. Claude Domeizel. Cela commence bien !

M. Jean-Pierre Fourcade. Toutefois, si la réduction du temps de travail est une mesure valable quand elle offre l'occasion d'améliorer la productivité d'une entreprise industrielle ou de services disposant de nombreuses machines et de beaucoup d'outillage, elle n'a aucun sens quand il s'agit de réduire le temps de travail de salariés qui sont assis derrière des guichets, qui rendent des services aux personnes ou qui sont chargés de régler des problèmes de la vie quotidienne.

M. Claude Domeizel. Cela continue moins bien !

M. Jean-Pierre Fourcade. Par conséquent, le fait d'avoir généralisé et rigidifié le dispositif de réduction du temps de travail place notre pays dans une position singulière.

Quand on observe les progrès de la Chine ou de l'Inde, quand on constate le développement économique des Etats-Unis, quand on voit ce qui se passe au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie ou même en Pologne, pays dont nous parlions avec M. le ministre voilà quelque temps, on peut établir trois constats.

Premier constat, la France occupe l'avant-dernier rang, parmi l'ensemble des pays de l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, en matière de durée du travail par personne.

M. Roland Muzeau. Nous sommes premiers en matière de productivité !

M. Jean-Pierre Fourcade. Deuxième constat, le taux de chômage que nous connaissons - le seuil des 10 % de la population active vient d'être franchi - est l'un des plus élevés de l'OCDE.

M. Paul Raoult. A qui la faute ?

M. Jean-Pierre Fourcade. Comment cela, à qui la faute ?

M. Roland Muzeau. A Raffarin et au MEDEF !

M. Jean-Pierre Fourcade. Laissez-moi finir, chers collègues !

Troisième constat, notre pays supporte un déficit budgétaire qui compte parmi les plus forts de l'OCDE.

Pour ne pas soupçonner l'existence d'une corrélation entre ces trois constats, il faut vraiment être très ignorant en matière de politique économique,...

M. Jean-Pierre Fourcade. ... il faut vraiment être fermé aux problématiques de l'économie mondiale !

M. Roland Muzeau. Et la productivité ?

M. Jean-Pierre Fourcade. Cela m'amène à apporter mon soutien aux auteurs de la proposition de loi dont nous débattons ce soir.

Ce texte a été excellemment présenté par les deux rapporteurs, que je tiens à saluer, et les orateurs qui m'ont précédé, notamment MM. Gournac, de Montesquiou et Vanlerenberghe, ont parfaitement résumé son contenu.

Pour ma part, je suis favorable à l'amélioration et à l'assouplissement du dispositif du compte d'épargne-temps. Je le suis également aux propositions concernant les cadres, mais je souscris, non par habitude mais parce que cela répond à mes convictions, à l'amendement adopté par la commission des affaires sociales et tendant à préserver la cinquième semaine de congé, laquelle me paraît représenter un acquis. Je reconnais bien là l'empreinte de M. Souvet, qui se trouve à l'origine de cette initiative.

Cela étant, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'éprouve deux motifs d'inquiétude, sur lesquels je voudrais maintenant insister quelque peu.

Mon premier motif d'inquiétude concerne les petites entreprises, notamment celles qui sont de création récente.

L'action du Gouvernement a permis la création de 224 000 petites entreprises l'année dernière. Si l'on applique à ces nouvelles petites entreprises le régime général applicable aux multinationales ou aux filiales de celles-ci dans notre pays, on peut d'emblée être certain que leur taux de disparition sera élevé et que leur développement sera contrecarré.

Or, et c'est là qu'intervient le pragmatisme auquel s'est référé M. le ministre, que constate-t-on ? On constate que, à l'heure actuelle, les grandes entreprises ayant négocié des accords relatifs aux 35 heures ont stabilisé leur effectif salarié ou l'ont même légèrement réduit en procédant à des délocalisations, et que les créations d'emplois nouveaux dans ce pays sont essentiellement le fait, aujourd'hui, de petites entreprises.

Par conséquent, si notre législation nationale désavantage les petites entreprises et entrave leur développement, si l'on s'obstine à dire qu'il faut, pour des raisons de justice, que les heures supplémentaires soient rémunérées au même tarif dans les petites entreprises et dans les grandes, on aboutira à la fois à favoriser la création d'entreprises et à les tuer dans les deux ou trois années qui suivront.

C'est pourquoi je souhaite, monsieur le ministre, que l'on maintienne, s'agissant du régime applicable aux petites entreprises, les dispositions de la loi Fillon et des textes récents. Un certain nombre d'acteurs, notamment la CGPME, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, et l'UPA, l'Union professionnelle artisanale, demandent que l'on pérennise de manière définitive ce dispositif. Je ne crois pas que ce soit nécessaire, mais il faut laisser du temps aux petites entreprises.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Fourcade. Tous les maires ici présents et qui essaient de favoriser la création de petites entreprises savent que les deux ou trois années suivant celle-ci constituent la période la plus délicate.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Notamment la troisième année !

M. Jean-Pierre Fourcade. Par conséquent, il ne faut pas casser le dynamisme des petites entreprises, car c'est d'elles que viendra la solution au problème de l'emploi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Jean-Pierre Fourcade. Mon second motif d'inquiétude, monsieur le ministre, tient au fait que le dispositif des 35 heures engendre des dépenses extrêmement lourdes pour le budget de l'Etat, et qu'aucun autre pays de l'Union européenne ne connaît une telle situation.

Certes, je sais bien que, lorsque l'on a décidé la généralisation des 35 heures, on a en quelque sorte payé les entreprises pour qu'elles l'acceptent, ce qui a entraîné une considérable dérive budgétaire, représentant aujourd'hui entre un cinquième et un quart de notre déficit budgétaire. Les chiffres sont colossaux, et nous sommes les seuls en Europe à supporter une telle charge ! D'ailleurs, les ministres de l'économie et des finances ou les Premiers ministres de nos partenaires européens s'étonnent que nous puissions traîner un tel boulet ! Comment voulez-vous, disent-ils, retrouver un niveau de croissance satisfaisant en portant un fardeau de 10 milliards à 15 milliards d'euros annuels ?

M. Jean-Louis Carrère. On peut tout arrêter ! Il n'y aura alors plus de déficit !

M. Jean-Pierre Fourcade. Voilà quelle est la réalité de notre situation dans le monde ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Louis Carrère. C'est incroyable ! Votre argumentation est très mauvaise !

M. Jean-Pierre Fourcade. Non, elle est très bonne !

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Oui, elle est très bonne !

M. Jean-Pierre Fourcade. Allez discuter avec les responsables du parti socialiste espagnol,...

M. Jean-Louis Carrère. Ah ! c'est un parti socialiste qui vous fait rêver !

M. Jean-Pierre Fourcade. ... allez discuter avec les Suédois ou les Finlandais, et vous verrez que nous sommes considérés comme des « rigolos » par l'ensemble de nos partenaires ! Voilà la réalité !

J'ajouterai, chers collègues qui vous voulez des parangons en matière de compensation, que vous avez allègrement oublié les collectivités territoriales quand vous avez généralisé les 35 heures.

Mme Gisèle Printz. Ce sont les Français que l'on oublie !

Mme Raymonde Le Texier. Oui ! Allez discuter avec les Français ! Ecoutez-les !

M. Jean-Pierre Fourcade. Aujourd'hui, notre fiscalité locale, dont certains ici se plaignent, se ressent des effets de l'application générale des 35 heures.

M. Claude Domeizel. C'est faux !

M. Jean-Pierre Fourcade. Les collectivités territoriales n'ont reçu aucune compensation de la part de l'Etat à ce titre ! Aucune ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Eh oui ! Ce sont elles qui paient !

M. Jean-Louis Carrère. Continuez dans cette voie ! C'est la bonne !

M. Jean-Pierre Fourcade. Je voudrais que l'on mette un terme aux conflits stériles : le vrai problème qui se pose à nous est de savoir si nous voulons lutter efficacement contre le chômage. Dans l'affirmative, il faut tout d'abord permettre aux petites entreprises de se créer et de se développer.

M. Jean-Louis Carrère. Alors, faites-le vite !

M. Jean-Pierre Fourcade. Il faut ensuite cesser de subventionner les entreprises qui ont négocié des accords relatifs aux 35 heures et élaborer, monsieur le ministre, un système de réduction programmée des dépenses, afin de récupérer des capacités budgétaires qui seront très utiles pour développer la recherche ou financer les investissements, notamment publics, qui nous font actuellement défaut.

M. Jean-Louis Carrère. Vous êtes les champions de la recherche !

M. Jean-Pierre Fourcade. Il faut enfin, comme le prévoit la proposition de loi, assouplir les dispositifs. Les personnes se satisfaisant de travailler 35 heures par semaine doivent pouvoir continuer à le faire.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Voilà !

M. Jean-Pierre Fourcade. Il ne faut donc pas toucher à la durée légale actuelle du travail de 35 heures, mais il faut laisser travailler davantage, sans les pénaliser, les salariés, notamment les cadres, et plus particulièrement encore les cadres âgés, les « seniors », dont la participation à l'activité du pays est d'une importance essentielle, nous le savons, pour le financement des régimes de retraite et le développement de la protection sociale.

M. Roland Muzeau. Pourquoi les licencier, alors ?

M. Jean-Pierre Fourcade. Tel est l'objet de cette proposition de loi, et c'est la raison pour laquelle je la voterai. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Bravo !

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Discussion générale (suite)

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NOMINATION DE MEMBRES DE COMMISSIONS

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté quatre candidatures pour les commissions des affaires économiques et du Plan, des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, des affaires culturelles et des affaires sociales, que le groupe socialiste a présenté une candidature pour la commission des affaires économiques et du Plan et que le groupe communiste républicain et citoyen a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales.

Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré. La présidence n'a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :

- M. Francis Grignon pour siéger à la commission des affaires économiques et du Plan, à la place laissée vacante ;

- Mme Fabienne Keller pour siéger à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, à la place laissée vacante ;

- M. Philippe Richert pour siéger à la commission des affaires culturelles, à la place laissée vacante ;

- M. Roland Ries pour siéger à la commission des affaires économiques et du Plan, à la place laissée vacante ;

- Mme Esther Sittler pour siéger à la commission des affaires sociales, à la place laissée vacante ;

- Mme Gélita Hoarau pour siéger à la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Paul Vergès, dont l'élection comme député au Parlement européen est devenue définitive.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Michèle André.)

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Discussion générale (suite)

Réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise

Suite de la discussion d'une proposition de loi

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Léonce Dupont.

M. Jean-Léonce Dupont. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « beaucoup de bruit pour rien » ou pour pas grand-chose : tel est, en substance, l'avis que nos collègues du groupe UDF de l'Assemblée nationale ont émis au sujet de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.

C'est également mon opinion sur ce texte, qui illustre une fois encore, mais inopportunément, « la prétentieuse exception française », exception sur la forme et exception sur le fond.

Sur la forme, je voudrais simplement vous rappeler, mes chers collègues, qu'à la différence de la France les autres Etats membres de l'Union européenne ne sont généralement pas intervenus par voie législative pour définir l'organisation du temps de travail dans leur pays : ils ont fixé des principes généraux, laissant le soin aux organisations syndicales de compléter le dispositif par voie de convention collective.

Chez nous, la logique incitative prônée par la loi du 11 juin 1996, dite loi « de Robien », a laissé place aux rigidités des lois « Aubry I et II » de juin 1998 et janvier 2000, imposant une réduction du temps de travail à 35 heures. Démarche idéologique au détriment d'une approche pragmatique !

Depuis, le Parlement ne cesse d'apporter des assouplissements à ce dispositif. Le texte que nous examinons en est une énième illustration.

Permettez-moi d'émettre des réserves sur la pertinence de légiférer ainsi par petites touches successives, sans mettre à plat l'ensemble des problèmes. Cela m'amène à formuler quelques réflexions sur le fond de la proposition de loi, notamment sur l'absence de certains sujets préoccupants.

Le texte comprend trois mesures.

Premièrement, il assouplit légèrement le compte épargne-temps, le CET. Très bien ! Mais nul ne doute que cet outil, encore assez peu utilisé pour l'heure, permettra, à l'avenir, à des salariés d'avancer leur départ de l'entreprise. Or c'est en pleine contradiction avec la question de l'emploi des quinquagénaires, qui sera l'un des enjeux majeurs du marché du travail dans les prochaines années.

Contrairement à nos partenaires européens qui, depuis les années quatre-vingt-dix, ont mené des réformes visant à reculer l'âge de cessation d'activité afin de prendre en compte le vieillissement démographique et, parfois, le déficit de main-d'oeuvre qualifiée, nous en sommes encore à mettre en oeuvre des mesures qui permettront le départ anticipé de certains salariés.

En 2000, le sommet européen de Lisbonne avait fixé l'objectif d'un taux d'emploi de 50 % pour les 55-64 ans. En France, ce taux est aujourd'hui de 37 %, contre 69 % en Suède.

Je crains que l'assouplissement du dispositif du CET n'aille pas dans le sens du nécessaire « changement culturel » de la société française tendant à travailler plus longtemps.

Deuxièmement, le texte prévoit la création des « heures choisies ». En théorie, c'est également une bonne chose, mais à quoi un tel dispositif pourra-t-il bien servir si l'on continue d'indemniser les heures supplémentaires comme on le fait actuellement ?

Le principe qui guide les auteurs de la proposition de loi est de « travailler plus pour gagner plus ». Comment ne pas être séduit a priori par ce principe simple, logique et basé sur le volontariat ? Les salariés pourront demander à effectuer des heures supplémentaires au-delà du contingent légal. Mais le dispositif ne restera-t-il pas une faculté théorique dans la mesure où le contingent est déjà rarement épuisé, parce qu'en dépit de besoins évidents les heures supplémentaires coûtent trop cher à la plupart des entreprises ?

Cette remarque me conduit bien évidemment à me réjouir de la troisième mesure de la proposition de loi tendant à proroger le dispositif dérogatoire applicable aux entreprises de moins de vingt salariés.

Il est faux de considérer que tout est égal à tout et que tout le monde se trouve dans la même situation. Les très petites entreprises doivent faire face à des charges et à des pressions particulières, notamment quand leur activité connaît un rythme saisonnier. Ne pas les soutenir particulièrement reviendrait à faire peser sur elles des risques inconsidérés, à mettre en péril leur activité et, par conséquent, leurs emplois. Or gardons bien à l'esprit que l'on compte près de 2,3 millions de très petites entreprises en France, ce qui représente 4 millions de salariés.

Pour conclure ce propos sur le fond de la proposition de loi, je voudrais évoquer l'un des vrais problèmes soulevés par l'organisation du temps de travail, mais qui n'est pas abordé dans ce texte : la difficulté d'application des 35 heures dans le secteur médical et médicosocial.

La mise en place de la réduction du temps de travail dans les hôpitaux s'avère d'autant plus délicate que la pénurie de personnel est criante dans ce secteur. De plus, elle repose sur le mensonge consistant à dire qu'une telle réduction peut s'accompagner de gains de productivité. Mais quels gains de productivité devions-nous attendre dans ce secteur où le dialogue et l'écoute des malades sont souvent aussi importants que les soins eux-mêmes ? Va-t-on faire des piqûres plus rapidement, donner à manger en moins de temps ?

Dans de nombreux hôpitaux, la situation est critique - plusieurs faits divers l'ont tristement démontré ces dernières semaines - et le moral des personnels hospitaliers n'est pas au beau fixe.

Plus grave peut-être encore : les lois sur la réduction du temps de travail ont permis à un certain nombre d'associations en charge d'activités sociales et médicosociales de passer non pas aux 35 heures, mais aux 32 heures et demie hebdomadaires et d'embaucher neuf mille salariés, dont la rémunération a été financée, d'une part, par les allègements de charges sociales et, d'autre part, par le gel des salaires de personnel. Or les allègements de charges vont être supprimés et les personnels demandent la remise à niveau de leur salaire.

Par conséquent, faute de trouver de nouvelles sources de financement, ce sont près de neuf mille salariés qui pourraient se trouver menacés de licenciement et c'est le maintien de la pluralité de l'offre de prestations sociales qui est en péril.

Il est peut-être temps de se pencher sur cette question, car, si l'Etat tarde, les départements, eux, n'ont pas d'autre choix que de le faire. Comme trop souvent, au final, ce seront eux les payeurs ! Les réductions des aides de l'Etat aux associations en question accroîtront leurs charges, ce qui peut les conduire à licencier. Outre la dimension sociale et humaine, l'absurdité du système veut qu'en plus, en cas de licenciement, l'association rembourse les aides qu'elle a reçues au titre des 35 heures pour chaque salarié licencié.

Les conseils généraux sont tous les jours confrontés à de telles situations. Quelle est la solution ? Soit l'association licencie et accroît le tarif des prestations qu'elle facture au département, soit le département compense directement la suppression des aides étatiques. Dans les deux cas, il y aura un transfert de charges, non compensé, de l'Etat en direction des départements.

Telle est l'une des vraies questions soulevées par l'organisation du temps de travail, question que la présente proposition de loi n'aborde pas.

Vous l'avez compris : mon sentiment est que la présente proposition de loi ne traite que très partiellement les vrais problèmes posés par l'organisation du temps de travail dans notre pays. Comme l'a très bien dit Jean-Marie Vanlerenberghe, le texte qui nous est soumis aménage à la marge un système catastrophique sur le long terme pour l'économie de notre pays.

Le gouvernement socialiste a, en son temps, privilégié le dirigisme au dialogue social en la matière, et ce au détriment à la fois des salariés et des entrepreneurs, sans créer le nombre d'emplois tant attendu.

Je ne crois pas que le travail soit un stock défini, un gros gâteau à partager. Cette image correspond à une perception malthusienne, figée, de notre économie, qui ne prend pas en compte un contexte de concurrence internationale accrue par l'émergence de pays tels que la Chine et l'Inde.

Plutôt que de partager l'emploi, nos politiques doivent s'évertuer à le créer. Pour ce faire, une organisation du travail flexible est indispensable pour augmenter notre taux d'emploi et celui de la productivité. La proposition de loi va dans ce sens. C'est pourquoi, malgré ses insuffisances et en dépit de certains regrets, je voterai ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Voynet.

Mme Dominique Voynet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui vient en débat devant nous aujourd'hui restera à mes yeux probablement comme la pire de la législature et, pour tout dire, comme l'archétype du texte nocif sur le plan social comme sur le plan démocratique.

J'ai lu attentivement le compte rendu intégral des séances de l'Assemblée nationale et j'ai été frappée par le ton agressif, la volonté manifeste de régler des comptes, la violence mal contenue des parlementaires qui ont élaboré cette épouvantable loi. Ce ton agressif, cette volonté de régler des comptes, cette violence, je les ai retrouvés dans l'intervention martiale du ministre il y a quelques heures.

Comme si l'on avait longtemps rongé son frein à droite et que l'on pouvait enfin dire ce que l'on avait sur le coeur. Comme s'il s'agissait de fermer symboliquement ce que l'on estime, à droite, avoir été une parenthèse. Comme s'il s'agissait, au-delà du sujet lui-même, d'exprimer une sorte d'aversion profonde pour cette belle et noble tradition du mouvement populaire, du mouvement syndical, de la gauche et des écologistes, qu'est la bataille pour la réduction du temps de travail et la reconquête du temps libre.

Cette proposition de loi illustre le haut-le-coeur quasi philosophique qu'inspire à certains dans ce pays le fait que l'on puisse aspirer à travailler moins et à avoir du temps libre. Cette hantise de la fainéantise vient de loin, cette apologie du « gagner toujours plus » aussi.

Il est significatif que vous n'ayez exploré qu'une des dimensions de la souplesse dans la gestion des flux d'activité à laquelle vous prétendez vous intéresser.

Raymonde Le Texier a bien montré tout à l'heure qu'il s'agissait de travailler plus, pas forcément de gagner plus.

De nombreuses pistes auraient pu être explorées -  « travailler plus maintenant pour travailler moins ensuite », « travailler moins pour travailler autrement », « travailler autrement pour travailler tous » - afin de penser la place, le rythme du travail sur la durée de la vie.

Il semble bien loin le temps où le Président de la République présentait comme des modèles les entreprises passant aux 32 heures en quatre fois huit heures.

Vous avez renoncé au débat et à la négociation sur la difficile articulation entre sécurité et flexibilité, entre gains salariaux et création d'emplois, entre pouvoir d'achat et qualité du travail.

Vous avez préféré le passage en force, le recours à la loi pour faire la chasse aux acquis.

Vous avez donné la main à un seul des partenaires : l'employeur.

Votre rejet de tout ce qui s'apparente à un minimum de protection collective des plus faibles s'inscrit ainsi dans la vision conservatrice, qui nie en permanence le lien entre tradition républicaine et avancée du droit social.

Je m'interroge cependant sur ce qui a pu conduire le Gouvernement à organiser un tel règlement de comptes, alors que le Président de la République, qui avait su, là encore, trouver le mot juste, l'avait engagé à n'en rien faire.

Nous sommes en plein débat européen et c'est le moment que vous choisissez pour allumer les incendies et pour alimenter les conflits les plus divers. Nous sommes dans une phase critique du point de vue de la négociation entre les partenaires sociaux.

Comment le plan « santé au travail » de M. Larcher, qui a été présenté ces jours-ci, peut-il être crédible, alors que le Gouvernement soutient une proposition de loi prévoyant la monétarisation des congés payés et des repos compensateurs ?

En vérité, le texte qui nous est soumis met en porte-à-faux tous ceux qui croient dans ce pays à la prévention des conflits. Il donne du grain à moudre à ceux pour lesquels, au fond, une bonne partie du patronat ne peut entendre qu'un seul langage, celui du rapport de force, de la rue, de l'affrontement. Il relance la fausse querelle entre le « tout marché » et le « tout Etat ». Il fait reculer de plusieurs cases le débat intellectuel sur les questions d'emploi.

Pas un jour ne se passe sans que la presse annonce des profits record pour telle ou telle grande entreprise française. C'est à ce point que l'affichage indécent de la distribution des dividendes et le rachat par certaines entreprises de leurs propres actions suscitent des commentaires gênés de la part de ceux qui pensent que l'investissement productif et donc l'avenir sont sacrifiés à des pratiques à si courte vue.

Pas un jour ne se passe sans qu'on annonce les effets déséquilibrants sur l'économie de l'accumulation des stocks d'épargne que provoque chez les plus aisés votre politique socialement ciblée de baisse d'impôts.

Pas un jour ne se passe sans que les commentateurs les plus modérés pointent la persistance du chômage de masse et l' « enkystement » de catégories entières de la population dans la pauvreté.

Vous prétendez vouloir donner les moyens aux plus fragiles de « travailler plus pour gagner plus ». Vous auriez pu vous pencher en priorité sur le sort de celles et ceux qui subissent des temps partiels, de celles et ceux qui vont de petits boulots en CDD, de celles et ceux qui ne bouclent pas leurs fins de mois, de ces travailleurs pauvres qui dorment dans la rue ces jours-ci, de celles et ceux qui ne gagneront bientôt plus rien parce que leurs entreprises risquent de se délocaliser.

Vous auriez pu examiner sur le fond les difficultés rencontrées par tel ou tel secteur pour embaucher. Vous auriez constaté que l'aide à leur apporter consiste non pas à casser le droit du travail et à épuiser les salariés trop rares qui choisissent ces métiers, mais, au contraire, à améliorer la qualité du travail et à en réduire la pénibilité.

Vous auriez pu relancer la négociation en panne sur les bas salaires.

Au lieu de cela, alors même que la plupart des entrepreneurs ne vous demandaient rien et qu'ils n'utilisent même pas le contingent d'heures supplémentaires que M. Fillon puis M. Borloo leur ont octroyé généreusement, ...

Mme Dominique Voynet. ... vous nous sortez une proposition de loi idéologique et ravageuse, dont les effets concrets seront exactement inverses de ceux que vous annoncez. Car, bien évidemment, vous allez renforcer une situation de croissance sans emploi dans laquelle, avec quatre salariés à 44 heures pour un coût majoré de 10 % à 25 %, c'est un emploi à 35 heures qui sera supprimé ou qui ne sera pas créé.

Les grandes victimes seront les salariés les plus fragiles, ceux dont la capacité à négocier est la plus faible.

Contrairement à ce que vous dites, vous allez affaiblir notre tissu de PME et de PMI, lesquelles ont davantage besoin d'être aidées à franchir le cap de la modernité du siècle qui s'ouvre qu'à revenir à 1937. Oui, je dis bien 1937, car vous revenez, par maints aspects de ce texte, à la période précédant la Seconde Guerre mondiale !

Dans votre désir de rayer d'un trait de plume ce que vous présentez comme d'abominables contraintes, vous ne vous contentez pas de dénaturer la notion même de réduction du temps de travail : vous foncez en piqué sur les congés payés, sur la place respective de la loi et de la négociation dans notre compromis social.

Vous allez même plus loin que les Anglo-Saxons en tentant d'aligner par la bande le droit du travail sur le droit commercial et sur la négociation de gré à gré. Chez vous, c'est récurrent !

Votre discours sur l'individualisation et sur ce que vous présentez comme de la liberté, vous nous l'avez servi en matière de protection sociale collective et d'assurance privée. Vous nous le servez en matière de retraite ou de parcours éducatif.

Là où il faudrait mettre de la solidarité collective, de la responsabilité individuelle, vous en appelez au « chacun pour soi » et « au sauve-qui-peut ».

Là où il faudrait renforcer le droit pour mettre de la souplesse dans la prise en compte des situations concrètes, vous restaurez la règle d'airain de l'absence de règles, la fameuse théorie « du renard libre dans le poulailler libre ».

Au fond, à quelque chose malheur est bon !

Après mars 2002, parce que nous sommes des démocrates, nous avions intériorisé non seulement les critiques justes qui étaient émises sur les conditions d'application des 35 heures pour certains salariés, mais aussi les critiques moins justifiées que vous formuliez de moins bonne foi.

Eh bien ! votre texte, sur lequel, bien évidemment, nous envisageons de revenir immédiatement et en priorité absolue en cas d'alternance, a au moins le mérite de relancer notre motivation et notre réflexion sur la nécessaire reprise du mouvement historique de réduction du temps de travail et du partage des emplois.

Contrairement à ce que vous dites, il faut reprendre ce processus non pas par vision malthusienne de l'économie, mais parce qu'il est juste pour les personnes, parce qu'il est bon pour le vivre ensemble et pour le vivre mieux, parce qu'il est nécessaire pour le pays.

Si nous avions eu à redécouvrir la différence profonde entre la droite et la gauche, votre texte nous y aurait aidé. N'en doutez pas, la leçon sera retenue ! Vous avez soulevé une lourde pierre. Il serait juste qu'elle vous retombe sur le pied. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Murat.

M. Bernard Murat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors des débats portant sur la loi relative aux 35 heures, nous avions été plusieurs ici à dénoncer l'application autoritaire, uniforme et systématique de la réduction du temps de travail dans les entreprises. Nous avions alors critiqué l'inadéquation de ce texte aux besoins de celles-ci et nous nous étions inquiétés de ses conséquences sur la situation économique de la France. Nous nous étions surtout élevés contre l'idée de partage du temps de travail, comme si le travail était une marchandise qui pouvait se diviser, alors que chaque travailleur est un individu avec ses particularismes et son propre projet de vie.

Si la réduction du temps de travail s'est traduite par une création artificielle d'emplois fragiles, dont le coût pour les finances publiques a été estimé à 8 milliards d'euros en 2003, elle a surtout entraîné une hausse des contraintes pour les entreprises et freiné leur capacité productive.

Le pouvoir d'achat des salariés a été bloqué et les 35 heures se sont souvent accompagnées d'une intensification du temps de travail ainsi que d'une dégradation de la vie en entreprise, sans compter leur effet néfaste sur notre économie, puisque leur impact a été évalué à une perte du potentiel de production de l'ordre de deux points du PIB.

Enfin, quelle économie serait en mesure de supporter le choc que représente la perte de trois heures de travail hebdomadaire par salarié ?

Qui pouvait sérieusement croire que le partage du travail serait une arme de lutte contre le chômage ? Le travail des uns crée du travail pour les autres, et il n'existe pas une quantité d'emplois déterminée et fixe à partager.

D'ailleurs, comment avoir pu laisser notre société dévaloriser l'idée même du travail, alors que, face aux bouleversements et aux changements induits par la mondialisation, le travail et la compétitivité en découlant sont les seules armes efficaces pour préserver notre avenir ?

Plus que le désaccord avec ce choix politique, ce qui reste le plus préjudiciable à notre économie c'est la manière dogmatique avec laquelle a été mis en place le dispositif des 35 heures.

C'est donc avec intérêt, monsieur le ministre, que nous allons nous pencher sur le texte qui nous est présenté ce soir, lequel a vocation, tout en consolidant les aspects positifs, à aménager « le carcan des 35 heures » et a en corriger les défauts les plus criants en laissant aux partenaires le choix de la contractualisation après celui de la concertation.

Mme Raymonde Le Texier. Vous vous laissez abuser ! Vous êtes des naïfs !

M. Bernard Murat. Les assouplissements proposés s'inscrivent dans le prolongement des réformes précédentes et ils vont permettre de donner aux salariés plus de liberté dans la détermination et l'organisation de leur temps de travail.

Mme Raymonde Le Texier. C'est du pipeau !

M. Bernard Murat. II s'agit, en effet, de prendre en compte la diversité des souhaits exprimés par les salariés, dans le respect de leurs intérêts et de ceux des entreprises, et de permettre ainsi à ceux qui le souhaitent de travailler plus pour augmenter leur rémunération ...

M. Roland Muzeau. C'est faux !

M. Bernard Murat. ...ou peut-être de travailler autrement ou plus longtemps.

C'est donc bien un accord « gagnant-gagnant » que nous offre cette proposition de loi. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Roland Muzeau. C'est le père Noël au mois de mars !

M. Bernard Murat. De fait, je suis assez surpris par les protestations suscitées par ce texte, qui, en réalité, ouvre simplement aux salariés des espaces de liberté nouveaux en leur permettant, dans le cadre d'une protection individuelle garantie par des accords collectifs, d'exercer véritablement un choix de rythme de travail, donc un vrai choix de vie.

Mme Raymonde Le Texier. Et vous arrivez à le croire ?

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas vrai !

M. Bernard Murat. II était primordial de créer ces espaces de liberté, de moderniser l'environnement juridique en introduisant plus de réalisme, plus de flexibilité, plus de possibilités d'adaptation à chaque entreprise et à chaque individu. Mais encore faut-il connaître la vie d'une entreprise !

M. Roland Muzeau. Que ceux qui y ont travaillé lèvent la main !

M. Bernard Murat. Ce texte fixe un cadre à la discussion en entreprise et il donne plus de force à la convention collective, afin de permettre à chacun de déterminer contractuellement son temps de travail.

Mme Raymonde Le Texier. Ce n'est pas vrai !!

M. Roland Muzeau. Les juristes spécialisés en droit social disent l'inverse !

Mme Raymonde Le Texier. Travailler pour du beurre !

M. Bernard Murat. Le dialogue social, associé à la volonté individuelle du salarié, est le meilleur vecteur pour la construction d'un droit du travail compatible avec les lois de la concurrence internationale et avec nos traditions humanistes.

M. Roland Muzeau. Les lois de la concurrence internationale, c'est l'exploitation à n'importe quel prix !

M. Bernard Murat. La philosophie qui sous-tend ce texte, qui vise à redonner la primauté du droit conventionnel sur le droit réglementaire pour une meilleure démocratie sociale, est à saluer.

M. Roland Muzeau. C'est la loi de la jungle !

M. Bernard Murat. Comme l'a fait remarquer M. de Virville dans son rapport intitulé Pour un droit du travail plus efficace, une réforme en profondeur de notre droit du travail nécessite un véritable essor du droit négocié.

M. Roland Muzeau. Savez-vous qu'il y a dix-huit mille contrats précaires chez Renault !

M. Bernard Murat. C'est faux !

M. Roland Muzeau. Demandez à M. de Virville !

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Il ne suffit pas de l'affirmer pour que cela soit vrai !

M. Bernard Murat. En effet, la négociation collective assure l'adaptation des normes aux besoins des salariés et des entreprises. Elle garantit ainsi l'adhésion des acteurs du monde du travail aux règles qui leur sont applicables et elle permet d'appréhender la diversité des situations.

Or, jusqu'à présent, la négociation collective n'a joué que les seconds rôles dans l'élaboration de la norme en droit du travail. C'est donc tout à l'honneur du Gouvernement de vouloir modifier cette situation.

En défendant ce texte, vous faites preuve, monsieur le ministre, d'une volonté forte, ...

Mme Raymonde Le Texier. Ça, c'est vrai !

M. Bernard Murat. ... seule susceptible de donner à l'avenir, et pour le bien de la démocratie sociale,...

Mme Raymonde Le Texier. Il ne sait pas ce que cela veut dire !

M. Bernard Murat. ... toute sa place à la négociation collective, dont je vous ai souvent entendu défendre l'intérêt lorsque vous siégiez sur ces travées.

Dans un second temps, pour que la négociation collective puisse se développer, il faudra donner des moyens techniques et juridiques aux négociateurs.

Monsieur le ministre, en tant que rapporteur pour avis du projet de budget du ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative, je tiens à appeler votre attention sur une question qui me tient particulièrement à coeur et que j'ai déjà évoquée à plusieurs reprises.

Actuellement, la question du temps de travail des sportifs professionnels est abordée dans le cadre de l'élaboration de la convention collective nationale du sport ainsi que dans la négociation de leur convention collective par certains sports professionnels.

A ce stade, nous sommes confrontés à un constat simple : l'inadéquation totale du droit légal du travail salarié avec ce type d'activité professionnelle très particulier. Aucune solution adaptée n'est offerte pour évaluer de manière juste la durée effective du travail des sportifs.

Nous y reviendrons plus précisément au cours des débats, puisque j'ai déposé un amendement tendant à offrir la possibilité aux négociateurs des accords collectifs existants ou à venir dans le sport professionnel de mettre fin à cette illégalité de fait en leur permettant de disposer d'un outil de mesure du temps de travail approprié à la réalité de leur activité. II s'agit là, je le concède, d'une disposition spécifique dans un texte qui se veut généraliste, mais en total accord avec son esprit.

Je n'entrerai pas dans le détail des mesures proposées par cette proposition de loi, qui nous ont été par ailleurs brillamment exposées par nos excellents rapporteurs.

Comme tous les élus de terrain, j'écoute les gens, surtout les plus fragiles d'entre eux. Ce qu'ils nous demandent, c'est de nous préoccuper de la sauvegarde de leur emploi, de leur stabilité et de leur pouvoir d'achat.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Oui !

Mme Raymonde Le Texier. Ce n'est pas pareil !

M. Bernard Murat. C'est un message d'espoir, mais c'est aussi une nouvelle chance que cette proposition de loi leur offre ce soir.

Mme Raymonde Le Texier. C'est ce qu'ils ont dit aux dernières élections !

M. Bernard Murat. C'est aussi, pour les entreprises françaises, un message de confiance dans leur capacité d'organiser, avec leurs salariés, les meilleures conditions pour défendre et développer leur savoir-faire et leur marché, donc, par définition, l'emploi.

C'est enfin, monsieur le ministre - et je sais que vous y serez sensible -, une étape pour pouvoir relancer l'idée, chère au général de Gaulle, de la participation.

C'est donc par conviction profonde que je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Gautier.

Mme Gisèle Gautier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, en préambule, de vous faire part de ma stupéfaction en entendant Mme Voynet qualifier les propos du ministre d'agressifs.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Ce n'était pas du tout le cas !

Mme Gisèle Gautier. C'était peut-être un peu excessif. Ce dossier est important pour l'avenir de notre pays et des propos de cette nature peuvent nuire à l'esprit dans lequel nous souhaitons débattre. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.- Marques d'incompréhension amusée sur les travées du groupe socialiste.) Mais je ne veux pas polémiquer.

La présente proposition de loi ne constitue pas une refonte générale de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise. Elle se caractérise, à l'égard des salariés, par plus de souplesse et plus de liberté de choix.

Par ce texte, il nous est suggéré d'assouplir, sans le bouleverser, le cadre général des 35 heures. Cet assouplissement est une bonne chose, car il nous faut à tout prix rompre avec le dirigisme et la rigidité des lois Aubry : le libre choix de chacun doit déterminer l'ensemble des relations de travail.

Dans tous ses éléments, la proposition de loi dont nous entamons l'examen apparaît comme un texte de bon sens. Mais j'aimerais tout particulièrement insister sur le fait que les aménagements qu'elle comporte sont les bienvenus non seulement pour les entreprises, mais également pour les salariés,...

M. Roland Muzeau. Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre !

Mme Gisèle Gautier. ...contrairement aux propos que j'ai entendus tout à l'heure.

C'est particulièrement vrai pour ce qui concerne les mesures relatives au compte épargne-temps. L'assouplissement de son utilisation en fait un outil effectif entre les mains des salariés, qui disposeront désormais d'un choix réel entre temps de repos et salaire.

Il en est de même du nouveau dispositif relatif aux heures choisies.

M. Guy Fischer. Subies !

Mme Gisèle Gautier. Toujours dans le même ordre d'idée, il sera permis à un salarié désireux de travailler plus de le faire. Encore une fois, la liberté -  j'emploie ce terme à dessein - du salarié s'en trouvera accrue.

Enfin, la possibilité de convertir une partie du temps de repos en salaire profitera aux salariés des entreprises de moins de vingt employés, en attendant la mise en place de comptes épargne-temps dans ces structures.

Cependant, ce dispositif transitoire devra être relayé par la conclusion de conventions ou d'accords collectifs. Afin que le maillage conventionnel soit le plus complet possible dans les petites entreprises, la possibilité de conclure un accord par mandatement d'un salarié en l'absence de représentation syndicale doit être proposée. Nous déposerons un amendement dans ce sens.

Par ailleurs, la prorogation du régime dérogatoire applicable aux petites entreprises en matière d'heures supplémentaires est une mesure réaliste. Il est important de se mettre à la place des artisans et des petits commerçants, sur lesquels pèsent des charges très lourdes. Une PME, ce n'est pas une multinationale ! Je ne jette pas l'opprobre sur les grandes entreprises, cela va de soi, mais celles-ci n'ont pas les mêmes moyens humains et financiers pour s'organiser. Le créateur d'une entreprise engage quelquefois ses propres deniers, il prend des risques. A ce titre, il convient de l'aider.

M. Jean-Claude Carle. Très bien !

Mme Gisèle Gautier. Ces entreprises sont légion dans notre pays. Elles représentent des millions d'emplois et sont sources de richesse pour la société française.

La présente proposition de loi pourrait aller un peu plus loin en matière d'assouplissement du dispositif des 35 heures. L'activité de certains salariés non cadres, par exemple, rend impossible tout décompte en heures de leur semaine de travail. C'est le cas des personnes qui rendent service et qui se déplacent dans des entreprises, chez des particuliers : elles ne peuvent malheureusement pas bénéficier du forfait de jours ou d'heures réservé aux cadres autonomes par les lois Aubry. Je trouve cette situation particulièrement injuste et je souhaite, monsieur le ministre, que vous puissiez rectifier cette iniquité.

Pour toutes les raisons que je viens d'indiquer, je voterai la proposition de loi qui nous est soumise.

Je tiens à féliciter la commission des affaires sociales, notamment M. Souvet, rapporteur, et M. About, président, pour l'excellence de leur travail. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis mai 2002, on observe en France 40 000 destructions d'emplois, 180 000 chômeurs de plus et 250 000 RMIstes de plus, des prélèvements supplémentaires, l'absence de négociation dans les entreprises, des suppressions de postes dans la fonction publique. Le nombre d'inscriptions à l'ANPE a augmenté de 8,5 % en 2004 ; le chômage s'est accru de 22 % chez les jeunes et il atteint parfois 40 % dans les quartiers sensibles ; le chômage de longue durée s'est également aggravé. Une fois de plus, ce sont les populations les plus fragiles qui paient le plus lourd tribut et qui subissent de plein fouet la politique du Gouvernement. La précarité s'accroît : 75 % des offres concernent des emplois précaires.

L'aggravation du chômage et de la précarité a provoqué une baisse du pouvoir d'achat. Quel triste constat !

Cependant, la crise ne concerne pas tout le monde : l'année 2004 a été un grand cru pour les entreprises et pour les actionnaires, qui ont connu des bénéfices records. Il y a donc une société à deux vitesses : d'un côté, des actionnaires qui touchent le gros lot et, de l'autre, des travailleurs en voie de paupérisation, dont les acquis sont régulièrement mis en cause. On ne peut que s'indigner face à l'explosion des profits et des dividendes des entreprises ne générant ni emploi ni hausse du pouvoir d'achat.

Le texte qui est aujourd'hui soumis au Sénat réussit à remettre en cause la durée hebdomadaire du travail, la progression des salaires, les congés payés et la politique de l'emploi. Ces régressions sociales sont inacceptables et lourdes de conséquences pour les salariés.

Avec des heures supplémentaires majorées de seulement 10 % dans les entreprises de vingt salariés au plus, contre 25 % et 50 % aujourd'hui, les salariés devront travailler plus et ils gagneront moins en termes de taux horaire.

En 2005, les Français vont travailler plus sans augmentation de salaire. En effet, le contingent d'heures supplémentaires est désormais fixé à 220 heures par an et par salarié, contre 130 heures en 2002 et 180 heures en 2003 et en 2004 ; les employeurs peuvent donc imposer 40 heures par semaine.

Les jours de congés stockés sur les comptes épargne-temps que les salariés ne prennent pas pourront faire l'objet d'une rémunération ; les employeurs pourront imposer aux salariés de travailler davantage sans nécessairement appliquer le taux de rémunération prévu pour les heures supplémentaires. En d'autres termes, c'est au tarif normal que l'on paiera les heures supplémentaires placées sur le compte épargne-temps. En outre, avec la « journée de solidarité », c'est-à-dire la suppression d'un jour férié, les Français vont travailler un jour supplémentaire sans être rémunérés.

Une fois de plus, le Gouvernement montre qu'il ne souhaite pas entreprendre une politique d'embauche, car, en favorisant les heures supplémentaires, il fait le choix du chômage plutôt que celui des embauches. De plus, il accentue les inégalités entre les salariés des grandes et des petites entreprises.

Je rappelle que, selon un sondage IFOP réalisé les 27 et 28 janvier 2005, 77 % des salariés souhaitent conserver leur temps de travail ; seuls 18 % préfèrent le voir augmenter. Aujourd'hui, les salariés ont compris qu'ils risquaient de n'avoir ni les 35 heures ni les salaires, alors que tout augmente, en particulier en matière de santé et de logement.

Le Gouvernement ne respecte pas le contrat passé lors de la réforme du dialogue social, qui engage à négocier tout changement, puisque le texte encourage la négociation de gré à gré entre l'employeur et le salarié.

Il ne faut pas oublier que, très souvent, dans les entreprises, les salariés n'ont pas les moyens de faire entendre leur voix. Dans la plupart des cas, les employeurs n'acceptent pas que les salariés décident de leur temps de travail. En fait, la réforme vise à permettre aux entreprises de contourner les organisations syndicales pour mieux contraindre les salariés. Ce sont ces salariés qu'il faut protéger contre la précarité. En France, comme dans tous les pays industrialisés, ce sont les employeurs qui décident des heures supplémentaires à effectuer, et non les salariés. En cas de refus, les salariés s'exposent à un licenciement. Cette réforme ne pourra donc pas permettre aux salariés de choisir de travailler plus pour gagner plus.

J'en viens aux effets positifs du dispositif relatif aux 35 heures.

Les 35 heures ont permis une évolution considérable de l'organisation du travail - réorganiser, redistribuer et rationaliser les missions - et favorisé le dialogue social dans l'entreprise. En effet, selon le ministère du travail, « les lois Aubry ont provoqué un accroissement très sensible du nombre des accords d'entreprise et d'établissement ».

La réforme des 35 heures a-t-elle créé des emplois ?

Selon EUROSTAT, le taux de création d'emploi entre 1999 et 2001 a été de 50 % plus élevé en France que dans les autres pays européens. Ainsi, le Commissariat général du Plan estime que 200 000 emplois ont été créés en 2000 uniquement grâce aux 35 heures. L'INSEE en dénombre 300 000 à la fin de l'année 2001 et la DARES précise que 50 000 emplois supplémentaires ont été créés lors du premier semestre de l'année 2002.

M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Combien ont-ils coûté ?

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. A quel prix ?

Mme Patricia Schillinger. De juin 1997 à juin 2002, plus de 350 000 emplois privés ont donc bien été créés grâce aux 35 heures, auxquels s'ajoutent les emplois sauvegardés.

Quel est l'impact des 35 heures sur la compétitivité de la France ?

Globalement, les Français ont réussi à produire autant en moins de temps et les 35 heures ont permis de réorganiser et de rationaliser le travail...

M. Louis Souvet, rapporteur. La dégradation des conditions de travail !

Mme Patricia Schillinger. ...pour dégager plus de temps libre pour les salariés. Travailler moins ne revient donc pas à produire moins ou moins bien.

Selon EUROSTAT, la production par heure travaillée et la production par personne employée en France sont supérieures, pour 2001, à la moyenne européenne.

Le pouvoir d'achat est lié à l'emploi. Les 35 heures ayant permis une baisse du chômage, elles sont aussi à l'origine d'une hausse du pouvoir d'achat. Ainsi, entre 1997 et 2002, le pouvoir d'achat des ménages a augmenté en moyenne chaque année de 3 %.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui est inacceptable. Malgré un échec économique et social reconnu, fruit d'une politique économique injuste et inefficace, le Gouvernement refuse de modifier sa stratégie. Le Gouvernement est au service du CAC 40 : les groupes français qui affichent des profits records continuent à détruire des emplois et à geler les salaires.

Le Gouvernement a engagé d'énormes ressources publiques - loi Larcher sur les licenciements, loi Borloo sur les 35 heures, réductions fiscales, etc. - pour soutenir les groupes et éviter au CAC 40 de sombrer. Quelle crédibilité accorder au Gouvernement expliquant qu'il faut « travailler plus pour gagner plus » alors que les groupes recherchent une rentabilité toujours plus élevée ?

Cette politique libérale est un dramatique retour en arrière mettant en danger la cohésion sociale, et les 35 heures ne sont qu'un faux débat ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Dassault.

M. Serge Dassault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite intervenir ce soir sur ce problème des 35 heures sans polémiquer (Mme Dominique Voynet rit.), ...

M. Roland Muzeau. Ça va être difficile !

M. Serge Dassault. ... avec comme unique souci l'efficacité pour tous.

Je vous demande d'avoir à l'esprit que, ce qui compte, c'est le résultat de l'activité de production d'une entreprise et le prix de vente auquel elle aboutit.

M. Robert Bret. Et les profits réalisés !

M. Serge Dassault. S'il est trop élevé, elle ne vendra pas et ce sera le chômage.

Je ne vois d'ailleurs pas quel incendie nous pourrions déclencher en permettant de travailler plus, comme l'a dit Mme Voynet. Les Chinois travaillent plus de quarante-cinq heures...

M. Robert Bret. Ce n'est pas un modèle !

M. Serge Dassault. ... et nous sommes inondés de leurs produits !

Mme Dominique Voynet. Il faut arrêter de parler des Chinois !

M. Serge Dassault. Je ne cherche pas à attaquer qui que ce soit ! Je veux simplement expliquer la réalité et ce qu'il faudrait faire pour réduire le chômage, car tel est l'objectif de tout gouvernement, qu'il soit de gauche ou de droite.

Je pense aussi au budget de l'Etat, gravement amputé par les aides à l'emploi dans l'espoir de créer des emplois.

M. Roland Muzeau. Et les cadeaux fiscaux ?

Mme Raymonde Le Texier. Et l'allégement des charges pour les patrons ?

M. Serge Dassault. Or il s'avère que ces aides ne créent aucun emploi. Tout juste permettent-elles aux entreprises de ne pas licencier un personnel dont le coût de production devient trop élevé en raison des augmentations répétées du SMIC et des 35 heures. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Je ne suis pas contre les augmentations de salaires destinées à augmenter le pouvoir d'achat des salariés. Cependant, elles doivent non pas être imposées par l'Etat, mais décidées par chaque entreprise, en fonction de ses possibilités et de ses résultats, au moyen de la participation. Car à quoi servent des augmentations imposées si elles aggravent le déficit de l'Etat ou si elles conduisent les entreprises à licencier ?

M. Claude Domeizel. Total : 9 milliards d'euros de profits!

M. Serge Dassault. Ces augmentations permettent à leurs bénéficiaires d'acheter plus de produits, mais lesquels ?

Il s'agit, malheureusement, de produits fabriqués en Chine, où le coût de production est trente à quarante fois moins cher que chez nous et où il n'y a pas, comme Mme Voynet ou d'autres, des personnes qui disent n'importe quoi ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

En effet, nos coûts de production ont fortement augmenté : le coût horaire de la main-d'oeuvre dans l'industrie manufacturière en France est 1,5 fois plus élevé qu'en Espagne, 3,5 fois plus élevé qu'en Pologne, 4 fois plus élevé qu'en Hongrie et 56 fois plus élevé qu'en Inde ! (Mme Raymonde Le Texier s'exclame.).

De plus, les salaires n'ont pas baissé en proportion, ce qui affaiblit encore plus la compétitivité de nos produits.

Il ne suffit pas de dire qu'il faut travailler moins et partir en vacances : il faut produire et vendre ! Or les entreprises produisent de moins en moins en France et de plus en plus à l'étranger. Tout cela ne permet de créer aucun emploi chez nous, d'où l'augmentation du chômage, malgré la croissance, qui ne sert qu'aux autres.

C'est d'ailleurs ce qui se passe aux Etats-Unis, où l'accroissement considérable des importations de Chine déstabilise la balance commerciale et conduit, malheureusement pour nous, à la baisse du dollar.

Aussi ne faut-il pas se leurrer : l'application des 35 heures pénalise lourdement nos entreprises, donc l'emploi, même si elle satisfait certains qui travaillent moins !

La réduction du chômage n'interviendra que si les entreprises peuvent embaucher pour satisfaire leurs clients.

Mme Raymonde Le Texier. On ne voit pas pourquoi elles embaucheraient avec 220 heures supplémentaires !

M. Serge Dassault. Cela ne se fera que si leur coût de production est compétitif par rapport aux mêmes produits fabriqués ailleurs, ce qui est de moins en moins le cas.

Travailler moins que les autres, avec des charges plus élevées, comme certains le demandent, ne peut qu'aboutir à la délocalisation ou à la sous-traitance à l'étranger.

M. Roland Muzeau. Mais non ! C'est seulement le capitalisme qui fonctionne ainsi !

M. Serge Dassault. C'est automatique, il faut le savoir. On peut le regretter, mais il n'y a rien à faire !

M. Roland Muzeau. Si : le condamner !

M. Serge Dassault. Par ailleurs, la réduction du chômage - cela va vous faire plaisir ! - ne pourra pas se faire sans flexibilité !

En effet, c'est la rigidité de l'emploi qui est responsable du chômage et de la précarité ; il faut le savoir. C'est aussi vrai que la terre tourne autour du soleil, et non l'inverse ! (Rires sur les travées du groupe socialiste.) Toute action qui ne ramènera pas la flexibilité ne réduira pas le chômage, quoi que fasse le gouvernement. Néanmoins, les efforts de ce dernier pour assouplir cette règle sont méritoires. Aussi, je formulerai deux observations.

Premièrement, le Gouvernement devrait profiter de cette opération pour réduire ses aides à l'emploi, en particulier celles qui proviennent justement du coût supplémentaire des dépenses imposées aux entreprises qui payent 39 heures un travail de 35 heures. Cela nous coûte environ 10 milliards d'euros. Comme l'a dit Jean-Pierre Fourcade, nous sommes les seuls au monde dans ce cas ! Il vaudrait mieux favoriser la recherche et l'investissement plutôt que d'accroître les dépenses de fonctionnement.

Une solution consisterait à réduire cette compensation chaque année en passant de 1,6 fois le SMIC à 1,5, puis à 1,4, à 1,3, etc. L'Etat pourrait ainsi économiser plusieurs milliards d'euros, ce qui serait bienvenu pour le déficit budgétaire, mes chers collègues.

Deuxièmement, certaines mesures de cette proposition de loi ne sont pas applicables en l'état pour les petites et moyennes entreprises.

Avant tout, il faut être conscient que les PME, notamment celles de moins de vingt salariés, sont généralement très peu syndicalisées. Les derniers chiffres sont significatifs : seulement 20% des PME ont des délégués syndicaux. Aux termes de cette proposition de loi, elles ne seront pas en mesure de signer les conventions collectives de branche ou les accords d'entreprise qui permettraient de mettre en place un régime d'heures supplémentaires supérieur au contingent réel si elles n'ont pas de délégué syndical. Or elles ne veulent pas en avoir.

C'est un point fondamental pour les petites et moyennes entreprises, qui attendent beaucoup de ce texte, mais qui ne l'appliqueront pas si elles sont obligées de faire venir un délégué syndical d'une autre entreprise. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement qui devrait permettre à ces entreprises de signer des accords avec leurs propres délégués ou avec leur personnel si elles n'ont pas de délégué syndical.

M. Roland Muzeau. Avec des délégués maison ?

M. Serge Dassault. Cette proposition ne recevra sans doute pas l'accord des syndicats. Mais pourquoi ne seraient-ils pas raisonnables et conscients que, sans cette mesure, beaucoup d'entreprises ne pourront pas bénéficier de cette loi, ce qui serait dommage pour leur activité et pour leur personnel ? Essayons de dépasser nos idéologies respectives !

Que chacun soit conscient de l'enjeu de cette décision et fasse preuve de bonne volonté, dans l'intérêt de tous, et surtout des salariés. Est-ce véritablement impossible ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Alquier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Jacqueline Alquier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, des sujets aussi essentiels et sensibles que l'organisation du temps de travail, le pouvoir d'achat, les conditions de travail, auraient mérité que l'on prenne le temps de l'analyse, de la réflexion et surtout de la concertation.

Plutôt que de présenter en hâte un rapport partial, orienté et mensonger sur lequel s'appuie une proposition de loi qui, loin de répondre aux réalités et aux besoins du monde du travail, en aggrave les disparités et fragilise la position déjà difficile des salariés, il aurait été respectueux et responsable d'associer les salariés et les dirigeants d'entreprise, par le biais de leurs organisations représentatives, à un véritable débat permettant d'aboutir à des propositions porteuses de progrès social, de solidarité et de dynamisme économique.

Les 35 heures ont permis la création de 350 000 emplois et la préservation de 50 000 emplois, une dynamique de négociation collective sans précédent, surtout dans des entreprises où cela ne faisait pas partie de la culture, une véritable innovation en matière d'organisation du travail chaque fois que l'application de la loi n'a pas voulu être subie comme une contrainte.

Les 35 heures ont également permis aux entreprises de conserver leur compétitivité en renforçant leur productivité chaque fois qu'une réflexion a été menée sur l'organisation du travail.

Faut-il vous rappeler que, sous le gouvernement Jospin, de 1997 à 2000, on a enregistré un chiffre record d'heures travaillées, alors que les salariés pouvaient libérer du temps pour s'occuper davantage de leurs enfants et de leur famille ? Cela a permis aux femmes, particulièrement, de mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale, aux cadres de bénéficier de jours de repos et de gagner en qualité de vie.

Et tout cela sans ruiner l'Etat - contrairement à ce qui a souvent été dit ! - puisque les 35 heures ont été l'une des mesures de soutien à l'emploi les moins coûteuses pour le budget de l'Etat.

Cela n'a pas non plus ruiné les entreprises puisque les dirigeants d'entreprise, loin de réclamer l'abrogation des 35 heures, souhaitent, pour une large majorité d'entre eux, conserver leurs accords. Ils ne se sont pas rués sur les ouvertures déjà proposées par la loi Fillon.

Les salariés n'ont pas été ruinés non plus puisqu'ils se sont en grande majorité exprimés pour le maintien du temps de travail. Ils le défendent même dans la rue, là où on est bien obligé de les entendre !

Non seulement vous niez et méprisez ces résultats, mais vous rendez les 35 heures responsables de l'échec économique et social de votre politique.

Or, depuis votre arrivée au gouvernement, la situation ne cesse de se dégrader : 40 000 emplois perdus, 180 000 chômeurs de plus, ...

M. Louis Souvet, rapporteur. Avec ce que vous nous avez laissé, ce n'est pas difficile !

Mme Jacqueline Alquier. ... augmentation des prélèvements, suppression de postes dans la fonction publique, absence de négociations salariales dans les entreprises, augmentation de la précarité des emplois, suppression d'un jour férié.

Comme on peut le constater, les effets de votre politique ne vont pas dans le sens d'une amélioration des conditions de travail et de vie des salariés. Aujourd'hui encore, les remèdes que vous proposez au travers de ce texte vont à l'encontre du contexte et de l'évolution naturelle de notre société. Ils sont également contraires aux intérêts des acteurs du monde du travail.

Pourquoi augmenter le contingent d'heures supplémentaires alors que le contingent de cent trente heures est à peine utilisé ?

Pourquoi inciter ceux qui ont un emploi à temps plein à travailler plus, au détriment de leur santé et de leur sécurité, alors que le chômage augmente et que les temps partiels subis sont en constante progression ?

Pourquoi encourager les arrangements individuels entre employeur et employé, au détriment d'un encadrement collectif qui, seul, garantit l'amélioration des conditions de travail, des statuts et des rémunérations ?

Nous savons bien aujourd'hui que, grâce aux progrès techniques, nous sommes capables de produire de plus en plus de richesses avec de moins en moins de travail, et que seule la diminution du temps de travail peut permettre une meilleure répartition des gains de productivité.

Dès lors, faut-il encore accroître les inégalités ?

Faut-il travailler plus ou faut-il travailler autrement, investir dans la formation, la recherche ?

Voilà l'orientation que doit prendre notre réflexion collective, alors que vous ne proposez que régression, que vous encouragez l'individualisme et que vous utilisez la démagogie.

« Travailler plus pour gagner plus » en faisant des heures supplémentaires, qui ne seront payées qu'à terme -  indéfini, d'ailleurs - sans garantie d'une majoration et sans certitude si l'entreprise rencontre des difficultés au moment du solde de ces heures. Certes, cela coûtera moins cher aux entreprises qui verront baisser charges et impôts, mais quel bénéfice en tirera le salarié ?

Pourquoi ne pas payer directement les heures supplémentaires au moment où elles sont faites, avec les majorations légales et le repos compensateur dû pour garantir la santé et la sécurité des salariés si votre motivation est vraiment d'accroître le pouvoir d'achat ? Ce serait plus simple, plus juste et plus sûr.

Pourquoi un contingent de 220 heures supplémentaires ? Un rapide calcul nous montre que c'est le retour aux 40 heures qui est permis par ce biais.

Cela conduit également à reporter d'autant le seuil de déclenchement du repos compensateur de 100 % dont bénéficie le salarié qui travaille au-delà du contingent légal.

De plus, la possibilité qu'offre votre proposition de loi de renoncer au repos compensateur de 50 % pour toute heure effectuée dans le contingent légal au-delà de la quarante-troisième heure présente un grave risque pour la santé du salarié et pour sa sécurité.

Pourquoi encore, si c'est bien l'augmentation du pouvoir d'achat du salarié qui est votre préoccupation, avoir maintenu à 10 % le taux de rémunération des heures supplémentaires pour les entreprises de moins de vingt salariés ? Alors que, à partir de la 36ème heure, le salarié devrait percevoir 125 % de rémunération, il n'en recevra que 110 %. Loin de travailler plus pour gagner plus, il s'agit donc bien de travailler plus pour gagner moins !

Mme Jacqueline Alquier. Et que dire des heures effectuées au-delà du forfait individuel ou du forfait jours, ainsi que des jours de repos auxquels le salarié pourra renoncer pour encore travailler ? Ni reconnus comme heures supplémentaires pour une quelconque majoration, ni imputables sur le contingent, ce sont encore des droits acquis qui seront perdus pour le salarié, et ce pour une hypothétique rémunération supplémentaire !

Et tout cela se passera dans le cadre d'une négociation employeur-employé, sans la garantie d'une protection collective et d'une intervention syndicale ; des litiges ne manqueront pas de surgir au vu d'un tel mépris pour le minimum de protections auxquelles a droit tout salarié.

Et que dire aussi de ces termes « heures choisies » ? A qui ferez-vous croire que les salariés pourront « choisir » leur temps de travail ? C'est méconnaître la réalité de l'entreprise ou être bien naïf que de penser que ce n'est pas l'employeur qui impose le temps de travail ! Ce temps choisi deviendra facilement du temps contraint que le salarié ne pourra pas refuser, sous peine d'être licencié.

C'est bien le démantèlement du droit du travail qui est le véritable objectif de cette proposition de loi !

Permettre la négociation directe entre l'employeur et le salarié sur son salaire et ses conditions de travail est la pire des atteintes que l'on peut porter à la protection du salarié.

Mme Jacqueline Alquier. C'est la fragilisation de positions déjà bien précaires, l'accroissement des inégalités entre les salariés et entre les entreprises selon leur taille, la dérogation aux principes de la négociation collective et la remise en cause du principe même d'une durée légale, référence collective applicable à tous.

Si cette proposition de loi était adoptée, les seules garanties qui resteraient aux salariés seraient de ne pas travailler plus de 48 heures par semaine et de bénéficier de quatre semaines de congés payés. Quel progrès !

Cela ressemble à une provocation et à une fuite en avant dans l'obstination à ne tenir compte ni de cette réalité économique qui veut que l'augmentation des heures supplémentaires implique la destruction du travail et de l'emploi, ni d'une réalité sociale, à savoir que les Français ne veulent pas que soit remise en cause la réduction du temps de travail.

Ils l'ont manifesté et le manifesteront encore. Ils seront dans la rue le 10 mars. La réduction du temps de travail, ils la vivent bien comme un acquis social, comme un progrès, et ils la défendront, car elle reste une réponse adaptée et à privilégier pour favoriser la création d'emplois et la croissance.

Nous en sommes convaincus et nous continuerons à oeuvrer dans ce sens, dans la concertation et le débat, forts du bilan positif de l'application d'une loi qui, bien qu'elle n'ait pu être menée jusqu'à son terme, a donné des résultats qui sont encourageants et qui vont dans le sens de l'évolution de notre société. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari.

Mme Bariza Khiari. Madame la présidente, je prends la liberté, et j'espère que vous ne m'en voudrez pas, de répondre aux propos de Mme Gautier.

Un homme véhément est naturellement passionné ; une femme passionnée ne serait-elle pas « convenable » ?

Je réclame le droit, au nom de l'égalité, pour mes collègues et moi-même, d'être véhémente parce que je suis passionnée, surtout quand on nous présente un texte dont la caractéristique première est l'injustice et qui affirme la primauté du droit des employeurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand le taux de chômage dépasse la barre des 10 %, quand 75 % des offres d'emplois concernent des emplois dits atypiques - précaires, mal rémunérés, à temps partiel -, quand des entreprises réalisent un profit pharaonique au seul bénéfice de leurs actionnaires, il y a une forme d'indécence à afficher un slogan tel que « travailler plus pour gagner plus ».

Ce slogan se veut « vendeur », alors que nos concitoyens connaissent, depuis deux ans, une stagnation de leur pouvoir d'achat, voire, notamment avec l'augmentation des loyers, une érosion. Vous brandissez un miroir aux alouettes face à tous ceux qui ont besoin de plus de pouvoir d'achat...

Vous dites que les 35 heures ont été une réforme autoritaire : première erreur. C'est sur le fondement d'un programme clairement affiché que la gauche est revenue au pouvoir en 1997.

Mme Dominique Voynet. C'est vrai !

Mme Bariza Khiari. Les lois Aubry ont ensuite donné lieu à 120 000 accords d'entreprise. Rien de moins autoritaire et uniforme que cette organisation sans précédent du dialogue social et de différents process dans l'entreprise.

Vous dites aussi que les 35 heures sont responsables d'une crise de la « valeur travail » et d'une baisse de compétitivité de la France : deuxième erreur. Chaque jour, des salariés se battent avec l'énergie du désespoir pour garder leur emploi ! Le Conseil économique et social le rappelle dans une étude : « Il ne semble pas que la part relativement moins forte du travail dans la vie des personnes ait constitué une source de démotivation. » Il ajoute : « Le travail précaire, l'insécurité sociale et l'absence de déroulement de carrière et de valorisation des qualifications sont des facteurs beaucoup plus puissants de démotivation ».

Mme Bariza Khiari. Il est indécent de voir la majorité se réclamer de la « valeur travail », alors qu'elle est responsable de la hausse du chômage. Avec 200 000 chômeurs de plus depuis mai 2002, vous avez réussi à faire exploser la précarité. Votre échec est patent !

Grâce aux 35 heures, en travaillant individuellement moins, les Français ont travaillé collectivement plus. Ainsi, jamais les Français n'ont autant travaillé qu'en 2000, année de passage aux 35 heures, avec 27 milliards d'heures oeuvrées.

D'ailleurs, contrairement à ce que vous affirmez, de concert avec le MEDEF, les Français ne sont pas, et de loin, ceux qui travaillent le moins en Europe.

Mme Bariza Khiari. Vous dites encore que les 35 heures ont été coûteuses pour les finances publiques : troisième erreur. Il convient d'examiner globalement le coût des 35 heures, en intégrant tous les flux financiers.

En 2001, la sécurité sociale était excédentaire. Si l'on prend en compte les 4 milliards de cotisations sociales générées par les emplois créés, les baisses des dépenses chômage et les rentrées fiscales, les 35 heures ont coûté 5,2 milliards d'euros.

En guise de politique de l'emploi, votre programme politique se résume à des mesures de baisse des cotisations patronales sans aucune contrepartie. Ainsi, vous avez octroyé un milliard d'exonérations de TVA à la restauration, mais, sur les résultats de cette mesure, vous ne donnez aucun chiffre !

Mme Bariza Khiari. Au mieux, si l'on est optimiste, 10 000 emplois auront été créés, soit 100 000 euros publics par emploi.

Bien sûr, l'application des 35 heures, en répondant à la préoccupation numéro un des Français, à savoir le chômage, n'est pas allée sans quelques inconvénients. A chaque réforme, surgissent, bien évidemment, de nouvelles questions qu'il incombe aux politiques de prendre en compte - plus grande intensité du travail, polyvalence - et, parfois, il faut le reconnaître, une difficulté de mise en oeuvre.

En dépit de ces conséquences, 77 % des salariés qui sont passés aux 35 heures se disent aujourd'hui satisfaits et ne souhaitent pas revenir en arrière.

Trois dispositifs, parmi ceux que vous nous proposez, sont particulièrement pernicieux.

Le premier consiste à permettre à l'employeur d'affecter les heures supplémentaires sur le compte épargne-temps. Le mécanisme est astucieux et particulièrement profitable pour les employeurs qui pourront, bien sûr, confier à une société la gestion de ce compte qu'ils provisionneront en fonction des heures supplémentaires effectuées. Cette provision produira des intérêts que l'entreprise empochera. Au fond, c'est le salarié qui fait crédit à son entreprise. Du jamais vu !

Mme Bariza Khiari. Le deuxième dispositif consiste à autoriser, au-delà des heures supplémentaires, le salarié à faire des heures dites « choisies », pour reprendre votre vocabulaire. Je parlerai, quant à moi, comme mes autres collègues, d'heures « subies » qui pourront, elles aussi, être payées en différé, par une affectation sur le compte épargne-temps, ...

Mme Raymonde Le Texier. Monnaie de singe !

Mme Bariza Khiari. ... sans pour autant, là encore, être indexées sur l'inflation. C'est de l'arnaque !

Le « temps choisi » n'est qu'un leurre : arrêtons de faire comme si les salariés décidaient librement de leurs heures supplémentaires ! Les liens de subordination sont tels que la liberté en la matière, c'est celle de l'employeur et uniquement de l'employeur ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Ceux qui voudront travailler plus ne pourront pas le faire aujourd'hui plus qu'hier. En revanche, ceux qui étaient satisfaits des 35 heures seront forcés, si leur employeur en décide ainsi, de travailler plus pour un salaire à peine supérieur.

Le troisième dispositif, le plus inquiétant, consiste à permettre - cela a été dit et redit - aux quatre millions de salariés des entreprises de moins de vingt salariés de faire, en plus des heures supplémentaires contingentées et des heures subies, des heures qui iront au-delà des 48 heures, durée maximale hebdomadaire autorisée par Bruxelles. Le salarié pourra se voir contraint de travailler dix jours de plus, ou 70 heures par an, par un simple accord avec son employeur !

Ce dispositif, d'inspiration libérale, porte fort logiquement un nom anglo-saxon : l'opting out. Il permet de déroger aux règles nationales et européennes existantes, si le salarié y consent. Mais aura-t-il le choix de le refuser ?

Certes, vous présentez cette possibilité comme temporaire. En vérité, en cherchant à légaliser l'opting out, vous devancez, une fois n'est pas coutume, une directive européenne à venir.

La nouvelle directive sur le temps de travail, qui sera soumise au vote du Parlement de Strasbourg en mars, comporte, en effet, une série de régressions, notamment la consécration de cet opting out individuel qui permet aux employeurs d'allonger sans aucune limite la durée du temps de travail, le seul contrepoids étant l'obligation floue de « respecter les principes généraux de la sécurité et de la santé des travailleurs ».

Cumulée avec le projet de directive Bolkestein - en vérité, il faut dire la directive Barroso, puisque le pauvre Bolkestein n'est plus là ! -, mise en sourdine pour cause de campagne référendaire, cette réforme du temps de travail que nous prépare la Commission européenne est un pas de plus vers le démantèlement des droits des travailleurs et la mise à bas de notre code du travail.

Vous soutenez la Commission dans ce sens : sachez que les socialistes seront là pour empêcher la régression sociale que vous êtes en train d'organiser avec l'aide des ultralibéraux qui y sont majoritaires.

Les salariés français ont accepté, en contrepartie des 35 heures, la modération salariale et une forme de flexibilité. Derrière ce prétendu assouplissement des 35 heures que vous nous proposez, vous démantelez ni plus ni moins le code du travail, vous surajoutez une injustice aux sacrifices consentis par les salariés et, ce qui est grave à mes yeux, vous vous réfugiez derrière une proposition de loi, alors que vous vous étiez engagés à favoriser la concertation.

Ce texte est purement idéologique. Il va vite se révéler économiquement inefficace et socialement injuste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Louis Souvet, rapporteur. Je demande la parole.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Louis Souvet, rapporteur. Madame Khiari, je voudrais vous répondre.

Voilà un instant, vous avez réclamé le droit à la véhémence et à la passion. Vous venez de vous exprimer et chacun vous a écoutée : selon vous, qu'auraient ajouté la véhémence et la passion à vos propos ? Le débat en aurait-il été amélioré ?

Des événements personnels m'ont à tout jamais, je l'espère, éloigné des chemins de l'intolérance. Grâce à la confiance que m'ont accordée les grands électeurs du Doubs, j'ai été élu, puis réélu deux fois, et je siège dans cette maison depuis vingt-cinq ans.

M. Louis Souvet, rapporteur. Voilà vingt-cinq ans, certains d'entre vous - et je m'en réjouis, d'ailleurs - étaient encore au lycée. J'ai donc quelque avance en matière d'expérience ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Je n'ai pas l'habitude de tourner les gens en ridicule ! Aussi, j'aimerais bien que vous respectiez ce que je dis !

Depuis vingt-cinq ans, je crois avoir été tolérant. En effet, m'avez-vous entendu, une seule fois, invectiver quelqu'un ou crier depuis ma place ? Jamais !

Avez-vous une seule fois lu, dans le compte rendu analytique ou dans le compte rendu intégral, une seule ligne dans laquelle je vous invective ? Non, jamais, car je vous respecte et que j'estime que vous enrichissez la réflexion.

Je ne pense pas que les propos de Mmes Printz, Voynet ou Schillinger aient pu paraître agréables aux membres de la majorité. Pourtant, pas une seule voix ne s'est élevée pour les interrompre. En revanche, MM. de Montesquiou, Fourcade et Murat ont tout juste pu s'exprimer tant ils étaient interrompus.

M. Claude Domeizel. Parce qu'ils disaient des contrevérités !

M. Louis Souvet, rapporteur. Lorsque vous vous voulez lyriques, vous dites respecter ce qui fait notre richesse, c'est-à-dire notre différence. Vous le dites ; je le fais ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d'abord de remercier Mme Gisèle Gautier d'avoir pris ma défense. Madame Voynet, le mot « martial » vient de Mars, dieu protecteur de la végétation et de sa renaissance, fils de Jupiter et de Junon. En ce mardi, premier jour de mars, voyez tout simplement en moi le protecteur de la végétation, que je suis aussi par d'autres fonctions. (Sourires.)

Madame Khiari, vous avez dit une contrevérité s'agissant de l'opting out. C'est un sujet que je connais bien. Je fus le seul, à Bruxelles, le 7 décembre dernier, lors de la réunion du Conseil européen des ministres de l'emploi, à avoir pris une position claire et à avoir amené une minorité de blocage, formée de la Belgique, de la Suède, de l'Espagne, puis de la Finlande et du Portugal, à penser que l'on ne pouvait pas élaborer une directive sur le temps de travail fondée sur la dérogation permanente au-delà des 48 heures hebdomadaires. (Mme Bariza Khiari applaudit.)

Cette position, je l'ai confirmée la semaine dernière devant le comité du dialogue social européen et international et devant l'ensemble des partenaires sociaux. En effet, outre le fait qu'il s'agit d'un schéma sur lequel nous ne nous retrouvons pas en termes de valeurs, cela correspond aussi à un dumping social pour l'ensemble de la Communauté européenne.

Je récuse donc officiellement vos affirmations, madame le sénateur. J'indique par ailleurs que, si cette question est évoquée cette semaine par la présidence luxembourgeoise, la position de la France sera identique à celle qu'elle a adoptée le 7 décembre dernier.

Mme Bariza Khiari. Je m'en réjouis !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Par ailleurs, s'agissant de la directive Bolkestein, c'est le Gouvernement qui, le 4 juin dernier, au Conseil des ministres de Luxembourg, a demandé que le projet de directive soit examiné au préalable non pas par le seul conseil « compétitivité », mais également par le conseil « emploi ». A cette époque, cela n'intéressait personne !

M. Roland Muzeau. L'Humanité l'avait demandé au mois de janvier !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. L'Humanité, peut-être !

M. Roland Muzeau. Ce fut le seul journal à le faire !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Le 4 juin 2004, lorsque ce sujet a été évoqué devant le conseil « emploi », j'ai pris position, au nom du gouvernement français.

M. Roland Muzeau. Tardivement : plusieurs mois après ! Il fallait réagir plus tôt !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Nous n'avons de leçon à recevoir de personne !

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Oh non !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Le Président de la République, usant de son influence, a permis que ce projet de directive soit réexaminé sur le fond.

J'en viens à la proposition de loi. Monsieur le rapporteur, dans un exposé très clair, vous avez recadré nos débats. Il est vrai qu'aucun autre pays industrialisé n'a suivi la France dans sa démarche de réduction du temps de travail.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Aucun !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Vous avez démontré les raisons pour lesquelles des adaptations de notre législation étaient nécessaires. Vous les avez placées dans le prolongement de la loi Fillon du 17 janvier 2003. Ces deux réformes relèvent en effet de la même philosophie : ouvrir de nouveaux espaces au dialogue social. Car, je le rappelle, la clef de voûte de ce texte est non pas l'accord individuel, mais l'accord collectif, qui sera présent tout au long de notre débat. La proposition de loi prévoit de nouveaux outils ; il appartient aux partenaires de s'en saisir.

Madame le rapporteur pour avis, permettez-moi, au nom du Gouvernement, de vous féliciter, car je sais qu'il s'agissait de votre première intervention à la tribune du Sénat. Je n'ai pas été surpris que la commission des affaires économiques vous confie le soin d'élaborer ce rapport pour avis, auquel vous avez apporté votre expérience professionnelle et personnelle.

Comme vous l'avez souligné à juste titre, il n'existe pas d'hostilité de principe s'agissant de l'organisation du temps de travail. En fait, tout dépend de la méthode : on peut opter soit pour un système autoritaire, soit pour le dialogue et l'adaptation.

Je vous remercie d'avoir rappelé que ma position sur ce sujet est non pas idéologique, mais pragmatique. C'est d'ailleurs la vision du Gouvernement tout entier, qui soutient la proposition de loi déposée par plusieurs députés.

Madame Le Texier, vous avez fait un discours particulièrement modéré et mesuré. (Rires.)

Mme Raymonde Le Texier. Je vous remercie de l'avoir remarqué !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Vous vous êtes demandé s'il fallait brûler le code du travail. Or un autre orateur m'a reproché de manier le plumeau en matière de « recodification ». Entre le bûcher et le plumeau, je ne sais ce qu'il faut préférer. Peut-être faut-il parler d'autodafé, qui signifie « acte de foi » en portugais. Eh bien ! j'ai foi dans la capacité des partenaires sociaux à définir, demain, des conditions de fonctionnement dans l'entreprise autres qu'un affrontement idéologique ou législatif.

Madame Voynet, vous avez annoncé qu'en cas d'alternance vous reviendriez immédiatement sur ce texte. Et si nous prenions, ensemble, l'engagement de faire confiance aux partenaires sociaux...

Mme Raymonde Le Texier. Pourquoi ne le faites-vous pas vous-même ?

Mme Dominique Voynet. Les partenaires sociaux sont tous contre ce texte !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ...pour définir, demain, ...

M. Roland Muzeau. Il fallait le faire aujourd'hui !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ...ce que sera l'organisation du travail dans l'entreprise, plutôt que d'opposer une loi à une autre. C'est un espace de négociation que nous voulons ouvrir !

S'agissant toujours de la recodification, je rappelle au Sénat, qui a déjà connu la recodification du code rural, du code de la famille et de l'aide sociale, du code de la sécurité sociale, que nous légiférons à droit constant, et que des garanties sont prévues, notamment l'avis du Conseil d'Etat.

Rendre le code du travail compréhensible, lisible, n'est-ce pas tout simplement rendre la loi et le règlement intelligibles aux citoyens ? C'est un devoir en démocratie ! En effet, lorsque la loi et le règlement ne sont plus compris, ils deviennent des textes de spécialistes plus difficiles à respecter au quotidien dans les entreprises. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)

Monsieur Gournac, vous êtes revenu en détail, avec votre passion habituelle, sur un sujet que vous connaissez bien. Vous dénonciez, dès 1998, certains vices originels d'un système autoritaire qui n'était pas le fruit d'une négociation approfondie.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. C'est le moins que l'on puisse dire !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. La réduction du temps de travail a été conçue dans une approche strictement macroéconomique, ce qui l'a rendue inapplicable dans de nombreuses entreprises, en particulier les PME.

Monsieur Vanlerenberghe, vous avez estimé, à juste titre, que la réduction autoritaire du temps de travail était inadaptée. La possibilité de convertir les droits acquis sur le compte épargne-temps en complément de salaire est effectivement une mesure innovante.

S'agissant des heures choisies, objet de l'une de vos préoccupations, permettez-moi de vous citer un exemple pour démontrer leur utilité. Au préalable, je vous rappelle que ces heures doivent être prévues par les partenaires sociaux dans le cadre d'un accord collectif majoritaire.

Pour illustrer mon propos, j'évoquerai l'industrie du décolletage, largement implantée dans les vallées savoyardes...

M. Roland Muzeau. Chez M. Gaymard ! (Sourires.)

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Dans le département de Haute-Savoie, monsieur Muzeau ; il faut affiner vos connaissances géographiques !

M. Roland Muzeau. Je n'ai pas le temps de m'offrir des vacances d'hiver. (Nouveaux sourires.)

M. Gérard Larcher, ministre délégué. L'industrie automobile se portant bien, les commandes devenaient plus nombreuses. Grâce à un accord de la branche métallurgique qui avait appliqué les dispositifs de la loi Fillon de janvier 2003, les salariés pouvaient travailler cent quatre-vingts heures par mois. Mais pour honorer les commandes, il aurait fallu qu'ils travaillent deux cent vingt heures pendant plusieurs mois. Le choix était simple : soit la République Tchèque, soit la vallée savoyarde.

Lorsque des industriels et des salariés vous exposent de telles situations, vous êtes confronté à la réalité, à la nécessaire adaptation aux besoins des entreprises.

Mme Raymonde Le Texier. Il y a les CDD !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Face à cette réalité, il ne faut pas opter pour la délocalisation. Comme on me l'a dit sur le terrain, si nous laissons la production s'en aller vers la République thèque, elle ne reviendra pas. Voilà ce que je vis au quotidien depuis près d'un an.

Monsieur Muzeau, la hiérarchie des normes est un sujet important.

M. Roland Muzeau. Absolument !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. J'ai dit que je ne dynamiterai pas le code du travail.

M. Roland Muzeau. Pourtant...

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Il nous faut un code qui définisse un ordre public social.

M. Roland Muzeau. Pour protéger les salariés !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Les règles en la matière ont été modifiées le 4 mai 2004. Elles sont claires et répondent à un équilibre qu'il est important de rappeler. L'ordre public social n'est en rien affecté : la loi s'impose toujours à l'accord collectif.

Pour prendre un exemple concret, les dispositions du code du travail en matière de santé et de sécurité au travail s'imposent aux accords collectifs et, contrairement à ce qui a été dit, la loi du 4 mai 2004 n'a pas eu pour objet de permettre à l'accord de déroger aux dispositions dudit code. En revanche, et c'est une innovation, cette loi a modifié les rapports entre les différents niveaux de négociation - accords interprofessionnels, de branche, de groupe ou d'entreprise - s'inspirant en cela de la position commune adoptée en juillet 2001 par l'ensemble des partenaires sociaux, à l'exception de la CGT.

M. Roland Muzeau. Les autres syndicats l'ont tous dénoncée ensuite !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. La loi prévoit que l'accord d'entreprise peut déroger à l'accord de branche, mais à une double condition.

Il s'agit, d'abord, d'une condition de fond. Certains domaines ne peuvent faire l'objet de dérogations. C'est au législateur, mais aussi au négociateur des accords de branche, de les définir. C'est donc bien la branche qui garde la maîtrise sur les dispositions de fond.

Il s'agit, ensuite, d'une condition de majorité - une majorité d'adoption ou une majorité de blocage - telle que la définit la loi du 4 mai 2004.

La souplesse entre les différents niveaux d'accords collectifs est donc autorisée, mais le respect de l'ordre public social est garanti. L'équilibre est donc assuré.

Monsieur Muzeau, vous avez évoqué les salariés qui travaillent à temps partiel. Comme j'ai eu l'occasion de le souligner lors du débat à l'Assemblée nationale, c'est un sujet qui me préoccupe et sur lequel j'ai entamé une série de consultations, notamment dans le secteur de la grande distribution.

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d'attirer votre attention sur le rapport élaboré par Mme Zimmermann à l'Assemblée nationale : « les salariés à temps partiel (...) ont été exclus du processus de réduction du temps de travail. Ces travailleurs, n'ayant pas eu de réduction du temps de travail avec maintien du salaire, ont continué à travailler le même nombre d'heures, avec le même salaire, ce qui a entraîné une inégalité de traitement, avec les temps pleins. »

Voilà un des exemples d'inégalité accrue pour ceux qui travaillent à temps partiel résultant de l'application du texte sur la réduction autoritaire du temps de travail.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Je l'avais dit !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Voilà pourquoi, à l'occasion de ce texte, il va nous falloir retravailler, approfondir la question. En effet, dans un certains nombres de cas, le temps partiel n'est malheureusement pas du tout choisi : il est plutôt subi ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Il s'agit d'un temps subi notamment dans la grande distribution.

Voyez le paradoxe : les lois de 1998 et 2000 ont aggravé cette inégalité ! Avec le texte qui nous réunit ce jour, nous pourrons, je l'espère, faire en sorte que les temps partiels soient réellement choisis.

M. Roland Muzeau. Avec quelles dispositions ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Avec les accords collectifs ! C'est ce que j'ai entrepris...

M. de Montesquiou a apporté son soutien au texte, et je l'en remercie.

Madame Printz, vous évoquiez la santé au travail. Permettez-moi de citer à cet égard l'ouvrage de Philippe Askenazy, Les désordres du travail. L'auteur, loin de passer pour un suppôt du ministère, est considéré comme un bon spécialiste des questions de santé au travail ;  il a d'ailleurs été consulté pour la préparation du plan santé au travail.

« Que ce soit en France dans la décennie 1990, notamment lors de l'application des 35 heures, ou aux Etats-Unis quelques années auparavant, l'arrivée de ce productivisme réactif » -  j'ai entendu beaucoup parler de « productivité » - « qui s'annonçait comme un enrichissement, voire comme une forme d'émancipation, par rapport au modèle tayloriste, s'est accompagnée en réalité d'une dégradation des conditions de travail et d'une intensification du travail. »

Telle est la réalité, et les phénomènes ainsi décrits ne nous sont pas inconnus, nous les avons étudiés. Dans un pays où l'on travaille en moyenne 262 heures de plus qu'en France, je veux dire les Etats-Unis - je prends cet exemple, mais il ne s'agit pas pour moi d'un modèle -,...

M. Roland Muzeau. Je l'espère !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ...le nombre de maladies professionnelles, d'accidents du travail ainsi que de décès au travail est de 40 % inférieur au nôtre, parce qu'un véritable plan de santé au travail a été mis en place là-bas.(Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas sérieux ! Il n'y pas de sécurité sociale dans ce pays.

M. Robert Bret. Les accidents du travail et les maladies professionnelles n'y sont pas déclarés !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Mais je peux vous conseiller de bonnes lectures, si ce sujet vous intéresse, messieurs.

M. Fourcade a évoqué la pérennisation du régime transitoire des TPE.

Il est vrai que le niveau des exonérations pèse lourd sur les comptes publics. Rappelons que nous sommes sortis du dispositif Aubry par la loi Fillon pour avoir une politique d'allègements sur les bas salaires qui eux, et je renverrai à un certain nombre de rapports, sont créateurs d'emplois. Sans doute faut-il réfléchir aux évolutions qu'il conviendra d'imprimer à terme à ce système, d'une manière douce, peut-être en ciblant les publics.

Je pense ici aux seniors, question sur laquelle il va nous falloir réfléchir. En effet, nous avons le plus mauvais taux d'emploi des seniors des pays européens - en moyenne sept points de retard. Mais je fais confiance aux partenaires sociaux, qui ont entamé une négociation sur l'emploi des seniors.

M. Roland Muzeau. C'est mal barré !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Monsieur Muzeau, ne me dites pas que vous ne faites pas confiance aux partenaires sociaux !

M. Roland Muzeau. Surtout à un !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. « Mal barré », dites-vous, mais les partenaires sociaux n'en sont qu'à leur première réunion ! J'ose espérer qu'à l'issue de leurs débats, ils dégageront un accord et des propositions, de sorte que si, le moment venu, il doit y avoir une consécration législative, le Parlement sera saisi.

Monsieur Jean-Léonce Dupont, vous avez évoqué la diversification des modes d'utilisation du CET. La cessation anticipée d'activité n'est qu'une solution parmi d'autres. Vous savez que nous avons ouvert beaucoup d'autres possibilités qu'il s'agisse du plan d'épargne retraite, du plan d'épargne entreprise, du congé sabbatique...

Vous aussi, vous avez particulièrement insisté sur la question des seniors. Il s'agit effectivement d'un défi que notre société va devoir relever du fait de l'évolution démographique qu'il va connaître dans les années à venir. Il s'agit aussi bien de l'intérêt des salariés que de l'intérêt des entreprises. Voilà pourquoi cela peut être, pardonnez-moi cette formule, « bien barré » si nous sommes capables de travailler non plus dans l'obsession de l'immédiat, mais pour le long terme.

Vous avez également évoqué la convention collective signée « sous pression », au cours de l'année 2001, pour la FEHAP notamment, la fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif. Cette fédération regroupe les hôpitaux et les associations sans but lucratif qui jouent un rôle important dans notre pays aussi bien dans l'hospitalisation et le service public hospitalier que dans l'accueil des personnes âgées, des personnes handicapées et des personnes dépendantes.

Je peux simplement vous assurer que ce sujet constitue aujourd'hui une véritable préoccupation pour le ministère ; il ne m'est d'ailleurs pas totalement étranger, et ce en raison de responsabilités que j'ai exercées antérieurement ; c'est pourquoi j'y suis particulièrement sensible.

Madame Voynet, je ne reviendrai pas sur la question des maladies professionnelles, puisque j'y ai déjà répondu. Je ne reviendrai pas non plus sur le prétendu esprit de revanche qui animerait le Gouvernement. Non, tel n'est pas l'état d'esprit du Gouvernement.

M. Roland Muzeau. Un peu quand même ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Non, ce n'est pas un esprit de revanche qui nous anime. Notre seul souci est de fournir une réponse qui se distingue d'un schéma uniforme.

Vous le savez sans doute, les petites et moyennes entreprises sont à l'origine de 80 % des emplois dans notre pays. La loi de modernisation sociale, comme les lois Aubry, a augmenté le fossé entre les grandes et les petites entreprises. Je rappelle tout de même que, dans la loi relative à la modernisation sociale, l'on consacrait, en moyenne, 6 000 euros à la reconversion des salariés des grandes entreprises, lesquels étaient indemnisés pendant douze mois, alors que, dans les petites entreprises, on consacrait, en moyenne, 1 000 euros à la reconversion des salariés, ces derniers ne bénéficiant que de deux mois d'indemnités.

C'est notre gouvernement qui hier, grâce à la loi de programmation pour la cohésion sociale, et aujourd'hui, en offrant la capacité aux partenaires sociaux d'adapter le schéma d'organisation, a entrepris de réduire ce fossé entre les salariés des grandes entreprises et les salariés des petites entreprises. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

La convention de reclassement personnalisé que nous proposons permettra aux personnels des entreprises de moins de 1 000 salariés de bénéficier d'un accompagnement individualisé au titre d'un stage de formation professionnelle d'une durée de sept à neuf mois.

Voilà un droit nouveau qui n'existait pas dans la loi relative à la modernisation sociale, texte dont je rappelle, de surcroît, qu'il n'était pas un modèle pour ce qui est du dialogue social. (Protestations sur les mêmes travées.)

Monsieur Murat, vous avez évoqué la nécessité d'un rééquilibrage entre la loi et le contrat, entre la loi et la négociation collective. Sachez que la moitié de notre code est d'origine conventionnelle et non pas législative. Un tel rééquilibrage est d'ores et déjà engagé et se traduit d'ailleurs par les lois sur le temps de travail, par les lois sur les restructurations et notamment les accords de méthode. L'accord collectif est bien la pierre angulaire de notre conception du droit des relations du travail !

Par ailleurs, vous avez évoqué le sujet spécifique du sport. Nous nous engageons à examiner cette question, mais l'examen de ce texte ne sera vraisemblablement pas l'occasion de lui trouver une solution ; toutefois, je vous ferai un certain nombre de propositions.

Madame Gautier, merci du soutien que vous avez apporté à ce texte, merci de l'intérêt que vous portez à la réalité des petites entreprises. Il s'agit bien, pour nous également, d'une préoccupation. Cela nous amène à fournir des réponses tendant à donner à ces petites entreprises dépourvues de tout accord collectif le temps d'en négocier. En effet, je crois qu'il est de l'intérêt des petites entreprises est de disposer d'accords collectifs demain !

Comme M. Serge Dassault, vous posez la question de la manière de négocier lorsqu'il n'y a pas de représentation syndicale au sein de l'entreprise. La loi du 4 mai 2004 a précisément ouvert deux nouvelles possibilités pour répondre à ces situations. 

Un accord peut être ainsi conclu soit avec le représentant élu du personnel, et je ne parle pas de délégué syndical, soit avec un salarié mandaté, sujet que vous évoquiez. Dans ce dernier cas, l'accord doit être approuvé par la majorité du personnel. Quant à l'accord conclu par un élu du personnel qui n'est pas un délégué syndical, il est soumis au contrôle d'une commission paritaire nationale qui vérifie si les conditions fixées dans le code sont respectées.

Deux branches ont d'ores et déjà signé pour dégager cette capacité au profit des petites et moyennes entreprises. Une dizaine d'autres accords sont en préparation. J'ai bon espoir que, dans les mois à venir, cette pratique de l'accord dans les entreprises qui n'ont pas de délégué syndical s'instaure grâce à ces nouvelles formules.

Madame Schillinger, je ne reviendrai pas sur certains de vos propos. Nous pourrions sans doute nous intéresser aux conditions de l'application de la réduction du temps de travail à l'hôpital public et à ses conséquences. C'est un sujet que vous connaissez bien, c'est un sujet que je connais un peu (Sourires) et sur lequel j'ai eu à me pencher.

Cela étant, il y a une vraie différence entre les heures supplémentaires et les heures choisies. Les heures supplémentaires relèvent du pouvoir de direction du chef d'entreprise : elles peuvent être imposées au salarié, c'est une réalité. Les heures choisies ont une double garantie - car nous allons au-delà du temps conventionnel - il s'agit de l'accord collectif, dans des conditions prévues par la loi du 4 mai 2004, ainsi que de l'accord individuel des salariés. Les heures choisies ne sont pas une espèce de happening, mais bien le fruit d'un accord collectif puis de l'accord du salarié.

Par ailleurs, je souhaiterais préciser que la négociation collective n'est pas en berne. En 2003, 16 000 accords d'entreprise ont été conclus ; en 2004, d'après des chiffres recueillis récemment, susceptibles de quelques ajustements mais à la hausse, plus de 15 000 accords d'entreprise ont été enregistrés.

Mme Dominique Voynet. Deux fois moins !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Et vous parlez de dialogue social en panne ?

C'est sans doute la preuve, et je m'en réjouis, qu'il il y a une réalité de la négociation sur le terrain dont les affrontements idéologiques ne rendent pas compte.

M. Dassault a évoqué la Chine.

M. Claude Domeizel. Il n'est pas là !

M. Roland Muzeau. Il est parti !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Nous aurons sans doute l'occasion de parler de l'évolution de ce pays.

Quant à la signature d'accord en l'absence de délégué syndical et aux exonérations de charges, je renvoie M.Dassault à la réponse que j'ai faite notamment à Mme Gautier.

Madame Alquier, je rappelle que la proposition de loi ne fait pas obligation de renégocier ; c'est une faculté qui pourra être utilisée par les entreprises. Si les grandes entreprises ont parfois bénéficié d'effets d'aubaine et profité de l'ARTT pour réorganiser leur organisation du travail et diminuer leurs coûts, notre devoir est de penser à toutes les entreprises françaises, notamment aux petites et moyennes entreprises, qui sont les créatrices d'emplois dans ce pays. Ne l'oublions pas ! (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Bel. Justement !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Rappelons-nous où en était le dispositif des 35 heures en 2003 : il n'y avait, en fait, que 57,3 % des entreprises qui l'appliquaient ; quant aux TPE, seules 19 % d'entre elles pouvaient le mettre en oeuvre. C'est dire que, pour l'essentiel des petites entreprises françaises, le dispositif n'était pas applicable !

Mesdames, messieurs les sénateurs, pardonnez-moi cette longue intervention, mais j'ai souhaité répondre à chacun.

Vous l'aurez constaté vous-mêmes, la proposition de loi de vos collègues députés tend à offrir un cadre nouveau et une plus grande souplesse. L'accord collectif en est la clé de voûte, pour gagner plus et permettre aux entreprises et aux salariés de répondre demain aux besoins économiques. En effet, lorsqu'il n'y a pas de création de richesses, il n'y pas de création d'emplois ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.- Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) )

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Exception d'irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Question préalable

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Borvo Cohen-Seat, MM. Muzeau, Fischer et Autain, Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 6, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise (n° 181, 2004-2005).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Eliane Assassi, auteur de la motion.

Mme Eliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois n'est pas coutume, je citerai ici M. Accoyer, président du groupe de l'UMP à l'Assemblée nationale, qui, au sujet de cette proposition de loi, s'exprimait ainsi : « Nous entendons les deux soucis prioritaires de nos compatriotes que sont l'emploi et le pouvoir d'achat, et c'est pour cette raison que ce texte offrira la possibilité, dans la liberté, dans la concertation [...], d'aboutir à ce que ceux qui ont besoin de travailler puissent travailler plus afin de gagner plus. »

Mais de quelle liberté parle M. Accoyer ? Les salariés vont-ils avoir le droit de refuser que leurs horaires de travail soient encore plus flexibilisés ? Je ne le crois pas. Et de quelle concertation s'agirait-il ? Les auditions menées par la commission et l'importante mobilisation de ces dernières semaines ont montré que la totalité des syndicats de salariés sont opposés à ce texte !

La proposition de loi vise-t-elle réellement ceux qui ont besoin de travailler plus ? Les salariés au temps partiel imposé vont-ils accéder à de meilleurs contrats ? Les chômeurs vont-ils trouver un emploi grâce à cette réforme ? Bien sûr que non !

Enfin, les salariés vont-ils gagner plus alors que les heures supplémentaires versées sur les comptes épargne-temps ne seront plus payées, alors que le taux de majoration des heures supplémentaires est officiellement passé de 25 % à 10 % ?

Il est décidemment impossible d'accorder la moindre crédibilité au discours dogmatique et idéologique de ce gouvernement. Le slogan « travailler plus pour gagner plus » est un véritable mensonge fait à nos concitoyens. Au demeurant, les salariés ne s'y sont pas trompés : 67 % se déclarent pour les 35 heures, tandis que seulement 16 % y sont opposés. Et le succès des derniers mouvements sociaux, comme, sans doute, de la journée de grève et des manifestations du 10 mars prochain, vont dans ce sens.

Pourtant, lorsque M. Accoyer parle des « deux soucis prioritaires de nos compatriotes » que sont l'emploi et le pouvoir d'achat, il n'a pas complètement tort : 3 millions de personnes sont au chômage ; le phénomène des « working poors », ces salariés à qui leur salaire ne suffit pas pour survivre ou se loger, ne cesse de croître ; 3 millions de personnes vivent avec moins de 579 euros par mois ; 10 millions de Français sont confrontés à la précarité ; les CDD et l'intérim se développent toujours davantage, à tel point que de plus en plus de gens font « carrière » dans la précarité, enchaînant petit contrat sur petit contrat...

Pourtant, cette proposition de loi ne vient en rien apporter une solution à ces problèmes. Au contraire, elle ne fait qu'ouvrir les vannes du libéralisme.

La vérité, c'est que les auteurs de cette proposition de loi réclamée par le MEDEF vont à l'encontre de toute forme de justice sociale. Ce à quoi ils procèdent est bien plus qu'une augmentation de la durée du temps de travail : ils déréglementent totalement l'organisation même du temps de travail. En mettant au coeur de leur projet le « volontariat », ils ne font qu'accentuer l'individualisme dans les relations de travail, au détriment de toute forme de solidarité. Et cela, dans un total irrespect des principes démocratiques de notre République.

Les défenseurs de ce texte ne cessent de ressasser l'idée que cette proposition de loi permettrait aux salariés de « choisir » leur volume horaire, leur donnerait la « liberté » de travailler plus. Or nulle part dans la proposition de loi n'est affirmé qu'un salarié aura le choix de refuser des heures supplémentaires ou d'en faire s'il en a envie. En appeler au « choix » et au « droit » des salariés et, en même temps, leur demander de se soumettre à toutes les injonctions patronales quant au recours aux heures supplémentaires est totalement schizophrénique.

Cette nouvelle notion de « temps choisi » me rappelle que mes collègues et moi-même sommes intervenus à plusieurs reprises dans cet hémicycle pour dénoncer la pratique du temps partiel imposé. Mais on nous rétorquait que c'était du temps choisi ! Or, aujourd'hui, tout le monde reconnaît que, à 80 %, le temps partiel est du temps imposé.

En fait, la liberté qu'évoque la majorité gouvernementale n'est rien d'autre que la liberté pour le patronat de flexibiliser encore plus les volumes horaires et d'imposer ce qu'elle veut à ses salariés : comme le soulignait encore M. Accoyer, la réforme des 35 heures est « une marge de manoeuvre offerte » aux entreprises.

Ainsi, les cas où la direction d'une entreprise a tenté d'exercer, sur ses employés, un chantage au licenciement pour obtenir qu'ils renoncent aux 35 heures se sont multipliés ces derniers temps. C'est, par exemple, ce qui s'est passé chez Chausson Outillage ; mais, le 21 janvier dernier, le tribunal de grande instance de Reims, saisi par les syndicats, a refusé la solution de la direction de l'entreprise, qui souhaitait pouvoir proposer au personnel non cadre de renoncer aux 13 jours de RTT - faisant ainsi passer la durée hebdomadaire du travail à 37 h 30 -, en échange de quoi 80 salariés ne seraient pas licenciés.

La proposition de loi n'a donc d'autre objet que de dépouiller la loi sur les 35 heures de ses aspects positifs tout en renforçant ses effet pervers, à savoir l'annualisation du temps de travail dans les entreprises, l'une des « avancées de la loi sur les 35 heures », selon M. Borloo...

Les sénateurs communistes républicains et citoyens refusent la politique de « gré à gré » entre l'employeur et le salarié parce que, dans ce cas, c'est toujours le salarié qui est en position de faiblesse. Dans les entreprises d'où les syndicats sont absents et dans les PME employant moins de vingt personnes, les salariés courent ce risque en permanence.

Tout doit passer par la négociation. Quand il n'y a pas de représentation syndicale, nous demandons la possibilité de désigner un mandaté syndical pour représenter les salariés, comme cela fut fait pour négocier les RTT. Il faut que ce mandatement soit spécifiquement inscrit dans la loi pour que des négociations aient lieu dans les entreprises quelle que soit leur taille.

Conformément à la promesse faite par le Président de la République, on maintient, tout du moins dans les mots, « la durée hebdomadaire légale du travail à 35 heures ». Mais cela signifie seulement que toute heure à partir de la trente-sixième doit être payée en heure supplémentaire. Or, ces heures supplémentaires, le Gouvernement a tout fait pour les rendre moins chères : depuis la loi Fillon du 17 janvier 2003, c'est non plus le législateur, mais la convention ou l'accord de branche qui fixe le taux de majoration, lequel ne doit pas être inférieur à 10 %.

Dans le sillage de la loi Fillon, l'article 3 de la proposition de loi vise à repousser à la fin de 2008 le passage aux 35 heures dans les entreprises de moins de vingt salariés. Or les heures supplémentaires n'y sont comptées qu'à partir de la trente-septième heure - au lieu de la trente-sixième heure ailleurs -, et les quatre premières heures supplémentaires, soit de la trente-sixième à la trente-neuvième, sont majorées de 10 % au lieu de l'être de 25 %. De plus, cet article ouvre aux chefs d'entreprise, en l'absence d'accord collectif, la possibilité de faire abandonner dix jours de RTT par an à leurs salariés contre une majoration de salaire de 10 %.

La situation ainsi créée instaure une inégalité criante entre les salariés selon la taille de leur entreprise et déroge totalement à la règle : « à travail égal, salaire égal », règle qui est l'un des fondements de notre code du travail.

Il faut ajouter à cela que, si la distorsion de situation entre salariés d'entreprises différentes est appelée à s'accentuer entre petites et grandes entreprises, ce sera aussi le cas, dans une même catégorie d'entreprises, entre celles qui ont joué le jeu des 35 heures et qui ont réellement réduit le temps de travail, et celles qui ont traîné les pieds et refusé à 3,5 millions de salariés le bénéfice de ce droit.

Prétendrez-vous, après cela, être plus soucieux que nous du monde de l'entreprise ? En réalité, vous créez les conditions d'un libéralisme sauvage !

Pourtant, la majorité du Sénat - majorité de droite, s'il est utile de le préciser - avait naguère introduit devant le Conseil constitutionnel un recours fondé sur l'article 1er de la Constitution, lequel dispose que la France « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens ». Les signataires considéraient en effet que la distinction entre les entreprises de plus et de moins de vingt salariés créait une inégalité. Le Conseil a considéré que la différence de traitement ainsi relevée, qui repose sur la différence de taille des entreprises, revêtait un caractère temporaire, et c'est pour cette raison qu'il n'a pas censuré la disposition incriminée.

M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. C'est exact !

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. C'est tout à fait vrai !

Mme Eliane Assassi. Qu'en est-il aujourd'hui de ce « caractère temporaire » ? Votre gouvernement avait déjà repoussé l'échéance à 2005 ; aujourd'hui, votre majorité la recule encore de trois ans : ce qui était conçu comme provisoire semble en réalité s'installer et devenir une situation durable et irréversible. C'est là un motif certain d'irrecevabilité.

Enfin, le texte de la proposition de loi contrevient au principe même d'égalité entre les citoyens et remet en cause le droit au travail énoncé au cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel « chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi ».

En effet, l'article 2 de cette proposition de loi vise à relever le seuil maximal d'heures supplémentaires réalisables par les salariés. Celui-ci était déjà passé de 130 heures à 180 heures avec la loi Fillon de 2003 ; aujourd'hui vous augmentez le plafond pour le porter à 220 heures. De plus, ces heures pourront être affectées à un compte épargne-temps, où elles seront payées au tarif normal et non pas au tarif des heures supplémentaires. Inutile de dire à quel point une telle décision représente une régression sociale, puisque l'on revient soixante ans en arrière, avant que le Front populaire ne fasse voter la semaine de 40 heures...

Pourtant, les effets néfastes de telles dispositions ne seront pas immédiatement visibles : vous savez très bien qu'aujourd'hui, alors que le contingent d'heures supplémentaires autorisé est de 180 heures, le contingent moyen serait d'environ 60 heures selon le MEDEF, de 80 selon la CGT. Il n'y a donc aucune justification à cette modification.

En réalité, vous préparez l'avenir : si la croissance reprend, ces dispositions en matière de réglementation du temps de travail donneront aux entreprises une telle marge de manoeuvre horaire qu'elles n'auront pas besoin d'embaucher.

En somme, la finalité de tout ce remue-ménage, c'est de préparer l'opinion publique à voir sauter la durée légale des 35 heures pour ne garder qu'une seule référence : les 48 heures par semaine. C'est bel et bien la fin des 35 heures. Certes, on les laisse inscrites dans la loi, mais elle deviennent virtuelles, comme est devenu virtuel le droit à la retraite à soixante ans.

Ainsi, en augmentant le nombre d'heures possibles, vous limitez encore plus pour ceux qui sont sans emploi la possibilité d'en trouver un.

Il y a quelque temps, lorsque M. Borloo est venu défendre ici le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, il avait évoqué la « nouvelle donne », la « démarche inédite en rupture avec le passé » qu'allait constituer ce texte. Il rappelait avec raison l'aggravation des inégalités sociales et l'accroissement de la pauvreté dans notre pays. Il venait donc, soi-disant, nous soumettre un ensemble de dispositions destinées à renverser la tendance...

Ce texte a démontré à bien des égards combien il ne ferait que renforcer ces inégalités ; devant la proposition de loi qui est aujourd'hui soumise au débat, nous ne pouvons que confirmer à quel point le Gouvernement entraîne le pays dans une phase de régression sociale incommensurable.

Votre « politique de l'emploi », monsieur le ministre, n'entraîne que flexibilité pour les entreprises et précarité pour les salariés. Pour que les salariés puissent gagner plus, il faudrait mettre en place des politiques actives de relance des salaires au lieu d'accumuler les allégements de cotisations patronales sur les bas salaires et de multiplier les contrats à durée déterminée, qui n'auront pas d'autre effet que la forte augmentation du nombre des salariés pauvres. On pourrait aussi permettre aux salariés en contrat temporaire ou à temps partiel et aux sans-emploi d'accéder à des emplois à temps plein normalement rémunérés. De plus, la réduction du temps de travail est aussi un moyen efficace de faire reculer le chômage de masse. C'est bien pourquoi, d'ailleurs, elle sera toujours combattue par le patronat !

Pour toutes ces raisons, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les auteurs de cette motion demandent au Sénat de déclarer irrecevable la proposition de loi qui nous est soumise. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Guy Fischer. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Les auteurs de la motion considèrent que la proposition de loi est contraire à plusieurs principes constitutionnels.

En réalité, le seul point sur lequel un doute aurait pu exister est celui de l'inégalité de traitement entre les salariés selon qu'ils travaillent dans une entreprise employant plus ou moins de vingt personnes.

Le Conseil constitutionnel a cependant admis en 2000, dans une formule très elliptique, que cette inégalité était acceptable si elle était provisoire. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) Or la proposition de loi réaffirme le caractère provisoire des mesures envisagées en leur fixant un terme précis, le 31 décembre 2008.

M. Guy Fischer. Nous y voilà !

M. Roland Muzeau. C'est trois ans de plus !

M. Guy Fischer. C'est la dérogation à la dérogation !

M. Louis Souvet, rapporteur. En outre, il paraît justifié de prolonger de quelques années ce régime transitoire afin que les petites entreprises puissent s'approprier plus aisément les nouvelles règles de la négociation collective issues de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cette motion.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Le Gouvernement n'est pas favorable non plus à l'adoption de cette motion.

Cependant, je voudrais revenir sur la question du contingent d'heures supplémentaires. Tout à l'heure, en citant l'exemple de la Haute-Savoie, j'aurais dû préciser que, naturellement, c'est parce que l'offre de formation est insuffisante par rapport aux besoins que, dans les entreprises employant jusqu'à vingt salariés, 16 % des salariés dépassent les 180 heures. Naturellement, la moyenne est évaluée à 60 heures par certains, à 80 heures par d'autres, et nos services optent pour un chiffre situé entre 70 et 75 heures. Mais les situations locales peuvent varier très fortement, selon la réalité économique du territoire concerné.

Par ailleurs, s'agissant du chômage de masse, si les lois de 1998 et 2000 l'avaient traité par des dispositions alliant la sécurité et la flexibilité, comme en Suède et au Danemark, plus personne ne les remettrait en cause.

Réfléchissons : en 2000, le taux de croissance était à son plus haut et atteignait 4 %. On a consenti un maximum de contrats aidés, y compris des sous-contrats pour des surdiplômés- je pense notamment aux emplois-jeunes -, que l'on a maintenus dans une situation qui, au regard du code du travail, était sans doute dérogatoire mais surtout proche de l'exploitation pure et simple.

M. Bruno Sido. Absolument !

M. Jean-Marc Todeschini. C'est incroyable !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Non, c'est la réalité !

En 2003, le taux de chômage descend à 8,9 %, il y a moins de contrats aidés, et cette situation est due notamment à la décision de mettre fin progressivement aux emplois-jeunes pour préparer les contrats de retour à l'emploi au sein du plan de cohésion sociale.

En même temps, la croissance est à 0,5 %, le chômage -  et ce n'est pas rien  - remonte à environ 10 %, mais on n'a pas traité pour autant le chômage de masse, à la différence du Danemark, dont le taux de chômage passe de 12 % à 6 %.

M. Jean-Marc Todeschini. Qui a fait monter le chômage ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Comment pourrons-nous résoudre demain ce problème qui se pose à nous tous depuis des années ? Le président Mitterrand disait déjà que tout avait été essayé, et tout avait été vain.

Je n'ai pas évoqué tout à l'heure l'accompagnement et la formation. C'est pourtant notre majorité qui a créé le droit individuel à la formation tout au long de la vie.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. C'est sûr !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Le droit individuel à la formation est un formidable progrès...

M. Jean-Marc Todeschini. La formation sans travail !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ...car, auparavant, en France, au-delà de quarante-cinq ans, on n'investissait plus dans la formation des salariés.

Voilà la réalité. Nous ne pouvons donc pas vous suivre, madame Assassi, quand vous affirmez que les lois Aubry ont permis de traiter le chômage de masse. C'est ce à quoi nous essayons de nous attaquer, ...

M. Jean-Marc Todeschini. Vous obéissez au MEDEF !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. ...avec pragmatisme, au travers des contrats de retour à l'emploi, de la formation tout au long de la vie, en considération tout à la fois de la flexibilité et de la sécurité. Tel est le chemin sur lequel le Gouvernement entend s'engager. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Eliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Eliane Assassi. Monsieur le ministre, j'ai bien entendu vos arguments, mais ils ne répondent pas aux questions que j'ai posées.

M. le rapporteur reconnaît que nous sommes un tant soit peu sortis du cadre constitutionnel, mais in fine il émet un avis défavorable sur notre motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je continue à penser que l'exception d'irrecevabilité que le groupe CRC défend aujourd'hui est plus que légitime sur le fond, car ce projet de réforme bafoue les droits fondamentaux des salariés.

J'ose le répéter : cette proposition de loi organise un système où les salariés devront, si leur employeur l'exige, travailler plus sans pour autant gagner plus, puisque tout est fait pour que les heures supplémentaires ne soient pas payées.

Or, à l'heure du débat sur la Constitution européenne, je me permets de vous rappeler que notre régime repose sur une Constitution, elle-même héritière de droits fondamentaux, parmi lesquels figurent des droits sociaux, des droits pour les salariés, tels que l'accès pour tous à l'emploi ou l'égalité de traitement au travail.

Depuis le début des débats, vous ne cessez de brandir ce leitmotiv « travailler plus pour gagner plus », ciment théorique de ce texte. Outre le fait que ce slogan est mensonger, il véhicule aussi un individualisme forcené.

Pourtant, organiser le temps de travail, le diminuer, le répartir, peut permettre aux chômeurs et aux sans-emploi de travailler, aux titulaires d'un contrat à durée déterminée, intérimaires et précaires de travailler décemment et durablement, aux salariés contraints au mi-temps de travailler à plein temps.

La diminution du temps de travail est fondée sur des objectifs de solidarité et d'amélioration des modes de vie.

La publication récente dans de nombreux journaux des bénéfices faramineux engrangés par une partie des entreprises françaises, d'une part, appuie l'idée que la revalorisation des salaires est possible...

M. Guy Fischer. C'est bien vrai !

Mme Eliane Assassi. ...et, d'autre part, confirme, contrairement à ce que l'on sous-entend dans cette proposition de loi, que la diminution du temps de travail ne nuit pas à la santé économique de notre pays et permettrait, certes, avec d'autres mesures, de lutter efficacement contre le chômage. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 6, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

Je suis saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 89 :

Nombre de votants 329
Nombre de suffrages exprimés 329
Majorité absolue des suffrages exprimés 165
Pour l'adoption 120
Contre 209

Le Sénat n'a pas adopté.

Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Demande de renvoi à la commission

Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Domeizel, Mmes Le Texier,  Printz,  Voynet,  Schillinger,  Alquier,  Khiari,  Demontes et  Campion, MM. Godefroy,  Mélenchon,  Michel,  Guérini et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 8, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise (n° 181, 2004-2005).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Claude Domeizel, auteur de la motion.

M. Claude Domeizel. Madame la présidente, permettez-moi, avant de défendre cette motion, de réagir aux propos qu'a tenus M. le rapporteur, car je considère que j'ai été interpellé.

Monsieur le rapporteur, vous nous reprochez notre véhémence. Il est vrai que, lorsque M. Fourcade est intervenu, j'ai bondi, mais c'est qu'il disait des contrevérités. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Fourcade a affirmé, en effet, que les impôts locaux avaient augmenté à cause des 35 heures. On aurait pu, il est vrai, imaginer que, par un effet mécanique, le nombre d'emplois augmenterait de 10 % ou de 11 %. Il n'en a rien été, je suis bien placé pour vous le dire. Depuis la mise en oeuvre des 35 heures, le nombre d'emplois dans la fonction publique territoriale n'a pas augmenté plus qu'au cours des dix ou quinze années précédentes : il augmente d'environ 1 % par an, y compris depuis l'instauration des 35 heures.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Les 35 heures n'ont donc pas créé d'emplois !

M. Claude Domeizel. Véhémence ou pas, voilà ce que j'avais à dire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Louis Souvet, rapporteur. Il s'agit du droit à la véhémence, ce n'est pas tout à fait pareil !

M. Claude Domeizel. J'en viens à la motion tendant à opposer la question préalable.

La bête à abattre, M. Fillon l'avait déjà blessée gravement par sa loi du 17 janvier 2003. Aujourd'hui, nous assistons à sa mise à mort. La bête à abattre, c'est non pas le loup, bien sûr, mais la loi des 35 heures, loi bouc émissaire, porteuse à vos yeux de tous les maux.

Vous n'avez eu de cesse de proférer, particulièrement dans cet hémicycle, des phrases assassines à l'encontre des 35 heures.

Le 14 juillet 2004, M. Jacques Chirac se prononce « pour de nouveaux assouplissements » et demande à son gouvernement « d'engager avec les partenaires sociaux les concertations nécessaires ».

Nous y sommes, à deux différences près.

La première, c'est que nous avons à débattre non pas d'un projet de loi gouvernemental, mais d'une proposition de loi présentée par quatre députés de votre majorité. Quel courage !

Vous me direz que c'est honorable pour le Parlement.

Soyons sérieux ! Reconnaissez que cette modification législative importante pour tous les salariés se fait par la petite porte. Ce n'est pas très glorieux pour le Gouvernement, qui se dégage ainsi de la responsabilité officielle de ce texte. La ficelle est trop grosse !

De plus, mes chers collègues, tout le monde l'a bien compris, le Gouvernement parvient à éviter l'avis du Conseil d'Etat.

La seconde différence, c'est qu'en dépit de l'engagement du Président de la République, cette proposition de loi portant réforme profonde de la législation du travail s'affranchit de toute négociation avec les partenaires sociaux.

Avouez qu'avec cette proposition de loi, qui a reçu la bénédiction du Gouvernement, vous envoyez le bouchon un peu loin. Résultat ? 500 000 personnes dans la rue le 5 février 2005. Et combien le 10 mars ?

La révolte gronde, les Français en ont assez.

Pendant ce temps, M. le Premier ministre prétend qu'il n'est pas sourd. Permettez-moi d'en douter !

Je voudrais revenir un instant sur ce que l'on a coutume d'appeler « les lois Aubry » et rappeler les effets positifs que tous les Français ont pu expérimenter, mesurer et apprécier.

Les lois Aubry ont autorisé la relance du dialogue social. Elles ont favorisé la réflexion et l'innovation en matière d'organisation de travail, ce qui a permis aux entreprises de gagner en productivité et en compétitivité. Car, contrairement à ce que la majorité a la fâcheuse tendance de vouloir faire croire, faisant passer les travailleurs français pour des paresseux - pensez, 35 heures ! - je vous rappelle que la France est au deuxième rang mondial en matière de compétitivité.

Bien sûr, les lois Aubry ont favorisé la croissance et l'emploi : 350 000 emplois ont été créés et 50 000 ont été sauvegardés.

Les lois Aubry, quoi qu'en disent leurs détracteurs, et selon les experts de Bercy, ont eu un impact limité sur les finances publiques. Elles ont même eu un effet positif sur les finances des entreprises, qui ont pu améliorer leur productivité et faire jouer la flexibilité.

Enfin, les lois Aubry ont été un formidable facteur de progrès social, en permettant aux salariés de dégager du temps qu'ils peuvent consacrer à leur famille, notamment à leurs enfants, et aux loisirs. C'est une avancée notoire dans la vie quotidienne des salariés, tout particulièrement de celles des femmes qui ont un emploi.

Je m'arrêterai un instant sur le rapport pour avis que vous avez présenté, madame Lamure, au nom de la commission des affaires économiques.

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Excellent rapport !

M. Claude Domeizel. Chère collègue, je vous trouve très sévère dans vos écrits, souvent injustes et injustifiés.

Je vous le rappelle, grâce à la politique du gouvernement Jospin, deux millions d'emplois ont été créés, le nombre de chômeurs a été réduit d'un million et, à la suite des lois Aubry, la France a enregistré le taux de chômage le plus bas depuis 1983, puisque celui-ci est passé à 8,6 %.

M. Claude Domeizel. A cette époque, la barre des 10 % a été de nouveau franchie, mais dans l'autre sens !

M. Jean-Pierre Bel. Absolument !

M. Claude Domeizel. De 1997 à 2001, la masse salariale, qui s'est accrue de 100 milliards d'euros, a soutenu la croissance de l'économie, ce qui, en retour, a tiré la croissance de l'emploi : voilà une véritable politique économique qui a porté ses fruits !

Par conséquent, madame Lamure, monsieur Souvet, lorsque le gouvernement que vous soutenez aura fait reculer le chômage, ce qui est loin d'être le cas, vous aurez toutes les raisons de vous poser en donneurs de leçons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Enfin, madame Lamure, à la page 6 de votre rapport pour avis, vous écrivez que « le taux de satisfaction des salariés relevant de la législation des 35 heures est loin d'atteindre les 100% ». Vous ne manquez pas d'humour, ou d'audace, lorsque l'on sait que 77 % des salariés qui sont aux 35 heures ne veulent pas revenir en arrière. (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Je devine votre réponse, car un autre sondage, paru aujourd'hui, fait apparaître que 62 % des personnes interrogées - ce n'étaient sûrement pas les mêmes ! - approuvent l'assouplissement des 35 heures ; c'est d'ailleurs le résultat de votre publicité mensongère : « Travailler plus pour gagner plus ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Claude Domeizel. Nos concitoyens ont-ils vraiment saisi que c'est le patron qui décide d'attribuer les heures supplémentaires et qui décide soit de les payer, soit de les inclure dans un compte épargne-temps ?

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Heureusement qu'il y en a, des patrons.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Eh oui ! Sans patron, pas de travail !

M. Claude Domeizel. Certes, il y a sans doute des secteurs où il serait nécessaire de renégocier les accords. Mais de là à procéder à la mise à mort des 35 heures, il y a un pas, mais vous n'hésitez pas à le franchir.

En fait, quels sont vos arguments en faveur de cette proposition de loi ?

« Travailler plus pour gagner plus » : c'est par ce slogan simpliste que vous pensez convaincre, mais personne n'est dupe !

Certes, ils sont nombreux les Français qui ont besoin de gagner plus. Dans le même temps, vous baissez l'impôt sur le revenu. Pour les plus modestes, l'effet est nul ; de plus, ceux-ci verront le montant de leurs impôts locaux augmenter, par l'effet des lois de décentralisation.

Nous dénonçons cette « arnaque » !

En outre, pour les plus démunis, se loger devient de plus en plus cher.

M. Jean-Marc Todeschini. Pas pour tous ! (Rires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Claude Domeizel. « Travailler plus pour gagner plus » ? Depuis que vous êtes au pouvoir, votre politique tourne délibérément le dos à l'emploi.

Je le répète, nous venons d'atteindre, en janvier 2005, la barre fatidique des 10 % de chômeurs, tandis que M. Raffarin faisait miroiter une baisse du chômage de 10 % par an à partir de 2005.

Croyez-vous impulser la création d'emplois, en offrant sur un plateau d'argent aux chefs d'entreprises la possibilité de faire travailler leurs employés jusqu'à 48 heures par semaine ? Quelle mascarade !

« Travailler plus pour gagner plus » ? Vous parlez d'heures supplémentaires « choisies ». Or, tout le monde le sait, ce n'est pas l'employé qui choisit d'effectuer des heures supplémentaires, c'est le patron qui le lui demande.

« Travailler plus pour gagner plus » ? Si cela était vrai, la première réforme d'assouplissement des 35 heures, conduite par M. Fillon et consacrée dans la loi du 17 janvier 2003, aurait prouvé son efficacité.

« Travailler plus pour gagner plus » ? Croyez-vous que cette formule puisse s'appliquer à tous les salariés ? Je pense tout particulièrement aux salariés à temps partiel qui, à 80 %, sont des femmes et qui, en l'occurrence, effectuent plutôt des heures « subies »

De ceux-là qui affluent aux portes des associations caritatives, des 250 000 RMIstes et des 200 000 chômeurs de plus, de la forte poussée du chômage des jeunes, de l'aggravation du chômage de longue durée, vous ne parlez jamais !

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Affreux !

M. Claude Domeizel. « Travailler plus pour gagner plus » ? Vous manquez vraiment de pudeur en agitant ce slogan démagogique.

Vous le savez bien, la croissance n'est pas au rendez-vous, sauf pour les grands groupes industriels. A cet égard, où partent donc les profits ?

M. Claude Domeizel. Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple tiré de l'actualité récente : Total vient d'annoncer 9 milliards d'euros de bénéfice ; or, dans mon département, les Alpes-de-Haute-Provence, cette entreprise a décidé de supprimer 400 emplois, auxquels il faut ajouter les emplois induits, alors que 100 millions d'euros suffiraient pour sauver l'usine concernée.

D'ailleurs, d'une manière indirecte, monsieur le ministre, vous cautionnez cette dérive.

Le MEDEF se sentant soutenu, on se croit alors tout permis pour satisfaire une nouvelle devise : « Licencier plus, pour gagner plus » !

En définitive, cette proposition de loi se résume à trois petits articles, pour « achever » ce que vous percevez comme un « monstre », la loi sur les 35 heures, en la vidant de son sens.

De plus, ce processus s'intègre dans une volonté insidieuse de modifier plus globalement la législation sur la durée du travail. Vous n'en êtes d'ailleurs pas à votre coup d'essai...

Ainsi, dans la loi du 4 mars 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, vous avez instauré une inversion de la hiérarchie des normes en permettant aux accords d'entreprises d'être prioritaires sur des décrets ou des dispositions conventionnelles.

La loi de programmation pour la cohésion sociale ne contient-elle pas, elle aussi, quelques dispositions tendant à faciliter les licenciements, en prévoyant de réduire brutalement les délais de recours en cas de procédures de licenciement ?

Çà et là, le code du travail a été bouleversé ces derniers mois dans des proportions spectaculaires, sans qu'on ait l'air d'y toucher. A juste titre, les organisations syndicales s'en inquiètent et dénoncent une telle promptitude à « simplifier » le code du travail.

Contrairement à vos allégations, les salariés qui ne font pas d'heures supplémentaires aujourd'hui n'en feront pas plus demain. Cependant, ceux qui en font déjà beaucoup en feront encore plus !

Mme Bariza Khiari. Absolument !

M. Claude Domeizel. Peut-être faudrait-t-il en mesurer les conséquences sur la santé et la sécurité au travail...

Accuser les 35 heures d'être la cause de tous les maux, cela permet surtout de détourner le regard et d'éviter de se poser les vraies questions sur le marasme économique dû à votre économie libérale.

Comme tous mes collègues socialistes, je suis inquiet et je me demande jusqu'où vous irez dans cette fuite en avant.

Le salarié étouffe sous la pression que vous avez su mettre en place. Mais, attention ! Méfiez-vous du retour de flamme, comme en 1995 !

Si d'aventure la présente motion tendant à opposer la question préalable n'était pas adoptée, on ne sait jamais (Sourires), ...

M. Jean-Pierre Bel. Ce n'est pas possible !

M. Claude Domeizel. ...nous prendrions tout notre temps pour détailler les raisons de notre opposition à cette proposition de loi.

D'ores et déjà, nous tenons à dénoncer avec la plus grande fermeté les méfaits de ce texte dicté par le MEDEF et téléguidé par le Gouvernement : c'est une « casse » du code du travail, tout à l'avantage de l'employeur ; en un mot, c'est une « arnaque » !

Vous laissez la durée de travail à 35 heures, mais vous videz de son sens ce que les travailleurs ont désormais coutume d'appeler l'ARTT, c'est-à-dire l'aménagement de la réduction du temps de travail.

« Travailler plus pour gagner plus. » ? Chanson, aurait-on dit à l'époque de Molière. Aujourd'hui, nous vous demandons d'arrêter vos balivernes, qui détournent des vrais problèmes que rencontrent notre économie et le monde du travail.

Aussi, mes chers collègues, constatant que cette proposition de loi n'a été précédée d'aucune concertation avec les partenaires sociaux, considérant qu'elle est en contradiction avec la nécessité de réduire le nombre de chômeurs, considérant également qu'elle recèle de graves dangers pour les garanties des salariés en matière de durée du travail et de versement effectif du salaire, le groupe socialiste vous demande d'adopter la présente motion tendant à opposer la question préalable. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Louis Souvet, rapporteur. Mes chers collègues, je ne vous surprendrai sûrement pas en vous indiquant que la commission a émis un avis défavorable sur cette motion.

L'adoption de la présente proposition de loi est nécessaire pour libérer l'économie française des contraintes réglementaires excessives découlant de la législation sur les 35 heures. L'élaboration du texte qui nous est soumis a donné lieu à d'importantes consultations avec les partenaires sociaux. S'il est vrai que plusieurs organisations syndicales sont hostiles à ce texte,...

M. Louis Souvet, rapporteur. ...il appartient à la représentation nationale...

M. Jean-Pierre Bel. D'en tenir compte !

M. Louis Souvet, rapporteur. ...de savoir prendre des décisions courageuses, même impopulaires, lorsqu'elle les juge conformes à l'intérêt général.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Pour le Gouvernement, la réflexion sur l'aménagement du temps de travail s'est développée à partir notamment d'un rapport de l'Assemblée nationale publié au printemps 2004, puis d'une évaluation, pour s'inscrire dans un cycle de négociations que nous avons menées avec les partenaires sociaux sur les dispositifs à mettre en oeuvre. Cela nous a conduits, Jean-Louis Borloo et moi-même, le 30 juin dernier, à écrire à chacun des partenaires sociaux et à les rencontrer à deux reprises, au mois d'août, puis au début du mois d'octobre.

Le Premier ministre a ensuite reçu l'ensemble des partenaires sociaux, pour évoquer des thèmes qui ont été repris dans le contrat « France 2005 ». Nous avons donc pu réellement échanger nos points de vue, et je rencontre d'ailleurs encore très régulièrement les partenaires sociaux sur ces sujets.

En ce qui concerne la productivité et le taux de croissance par tête, je vous renvoie au rapport de l'OCDE sur les taux de croissance annuels moyens de la productivité par heure travaillée et par actif occupé entre 1996 et 2002.

Selon l'OCDE, la France enregistre, il est vrai, un bon résultat, puisque la croissance de la productivité se situe à 2,32 par heure travaillée. Mais d'autres pays ont des taux de croissance de compétitivité comparables. Pour l'Irlande, cette croissance s'établit à 5,66, soit un résultat plus de deux fois supérieur au nôtre !

M. Guy Fischer. Certes, mais avec quelles conditions de travail ? Il n'y a que des emplois atypiques !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Au reste, le taux de chômage en Irlande est passé de 12 % à 4,5 % !

M. Robert Bret. Bel exemple que ce paradis fiscal, monsieur le ministre !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Il n'y a donc pas antinomie entre temps de travail, croissance de la productivité et réduction du chômage de masse.

Je ne reviendrai pas sur les autres arguments exposés par M. Domeizel, puisque j'y avais déjà répondu par avance. En tous les cas, le Gouvernement ne peut être favorable à la motion qu'il a défendue.

M. Claude Domeizel. C'est vraiment dommage !

M. Jean-Pierre Bel. Quelle occasion manquée !

M. Jean-Marc Todeschini. Quelle déception !

M. Bernard Frimat. Quelle surprise !

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.

M. Roland Muzeau. Monsieur le ministre, la remarquable intervention de mon collègue Claude Domeizel recouvre, vous vous en doutez probablement, les préoccupations que j'ai pu exprimer tout à l'heure lors de mon intervention au nom du groupe CRC.

Au fil des différentes interventions, le débat s'est d'ores et déjà engagé, sinon avec passion, du moins avec conviction.

Pour ma part, mes préoccupations actuelles se concentrent sur les salariés d'Alstom Transport, d'Arcelor, de Faurecia, de Luchard, d'Emerson Network, de Cofisec, de Creuzet Aéronautique, de Bosch, de la succursale Renault de Marseille, des succursales Daimler-Chrysler, de Brandt, de l'entreprise Vergès, de Nobel, de l'usine Chausson de Reims, de Federal Mogul, de TRW, de Sediver, et de tant d'autres encore !

Outre la révision d'accords décidée pour « difficultés économiques », nous relevons surtout, sous le prétexte d'une amélioration de compétitivité, la mise en place de dispositifs d'annualisation, de modulation et de flexibilité du temps de travail dans des entreprises où les salariés et les syndicats avaient pu y échapper jusqu'à maintenant. De plus, les fusions ou les cessions d'entreprises servent souvent de prétexte à la révision des accords obtenus en la matière.

Je pense à ces centaines de milliers de salariés contraints à l'intérim, dont les effectifs ont tout de même augmenté de 137 %, ainsi qu'aux titulaires de CDD et aux stagiaires, dont les effectifs sont, eux, en progression de 69 %.

Je pense aux femmes, et j'aurais aimé que notre collègue Gisèle Gautier, présidente de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, évoque la place des femmes dans le milieu du travail, eu égard au temps de travail et aux inégalités salariales.

M. Robert Bret. Ce n'est pas dans ses préoccupations !

M. Roland Muzeau. Peut-être cela viendra-t-il au cours des débats...

Les femmes sont en effet les premières victimes du travail à temps partiel imposé et des bas salaires.

Je pense aussi à l'insécurité au travail : n'en déplaise à mon collègue Bernard Murat, il y a bien entre 15 000 et 18 000 emplois précaires chez Renault.

Je pense encore, monsieur le ministre, à ces chiffres qui frappent les esprits, qui gênent aux entournures certains d'entre vous, ces profits record et ces dividendes, qui ont représenté, en 2003, 7 % du produit intérieur brut, contre 5,3 % aux Etats-Unis.

Les résultats affichés par les entreprises montrent bien que les 35 heures ne sont aucunement responsables de tous les maux qui ont été dénoncés ce soir. Comment ne pas le voir ?

Je n'oublie pas non plus que la France a la meilleure productivité horaire et que la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises s'effondre.

Par ailleurs, que penser des propos du baron Seillière ? Pour ceux qui souhaiteraient lire précisément ses déclarations, je tiens à leur disposition la revue du MEDEF dont j'extrais mes deux citations.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Vous avez de drôles de lectures !

M. Guy Fischer. Je lis tout, monsieur Gournac ! Vous-même devriez d'ailleurs lire l'Humanité plus souvent !

Voici ce que déclare le baron Seillière : « L'accès à ces facilités - il s'agit de la proposition de loi tant vantée à droite de cet hémicycle - ne sera pas créateur de pouvoir d'achat. »

Je citerai également, pour que chacun se sente à sa place, le président du MEDEF Ile-de-France, dont la même revue reprend les propos suivants : « Le Gouvernement, après deux ans d'atermoiements, vient de donner un "coup de grâce" à l'idéologie en reconnaissant que les "35 heures" étaient un frein à la compétitivité des entreprises. » Fermez le ban !

Tirant les conséquences de ces quelques propos et des valeurs qu'ils manifestent, le groupe CRC, vous l'aurez compris, chers collègues, votera cette motion tendant à opposer la question préalable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 8, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

Demande de renvoi à la commission

Question préalable
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Demande de réserve (début)

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Borvo Cohen-Seat, MM. Muzeau,  Fischer et  Autain, Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 7, tendant au renvoi à la commission.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires sociales, la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise (n° 181, 2004-2005).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n'est admise.

La parole est à M. Guy Fischer, auteur de la motion.

M. Guy Fischer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, durant ces dernières semaines, à propos de la réforme des 35 heures, le Premier ministre a affirmé être « attentif » aux « demandes des syndicats ». Il a même souligné son « attachement au dialogue social dans l'entreprise et dans les branches pour assouplir la réglementation relative au temps de travail » et a demandé en conséquence aux parlementaires de veiller, lors du débat, à ce que « soit respectée la prééminence de l'accord entre les partenaires sociaux ».

Peut-être faudrait-il prévenir M. Raffarin que le MEDEF ne fédère ni tous les syndicats ni tous les partenaires sociaux !

Toutes ces déclarations de principes ne sont que poudre aux yeux. Le Gouvernement s'acharne à faire adopter une « réforme » qui est repoussée par la quasi-totalité des partenaires sociaux et par une grande majorité des salariés de ce pays.

Pourtant, lorsqu'on légifère sur des questions aussi importantes concernant le droit social, il est évident qu'il faut consulter les organisations syndicales et négocier avec elles, comme cela a été le cas pour le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

Mais, sur ce sujet grave, le besoin de revanche sociale et idéologique qui anime la majorité atteint un tel niveau que l'on a fait l'impasse sur la négociation avec les organisations syndicales.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Mais non !

M. Guy Fischer. Ainsi, à l'inverse des réformes sur les retraites ou sur l'assurance maladie, la proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise n'a pas fait l'objet d'évaluations ni d'études prospectives.

Pourtant, toutes les organisations syndicales confondues, quelles que soient leur sensibilité, quels que soient leurs points d'accord et de désaccord, ont protesté contre cette réforme du temps de travail et ses conséquences néfastes, profondes et durables sur les salariés de notre pays. Même le Président de la République avait, à l'époque, qualifié la polémique sur la RTT de « débat imbécile ». Il faut croire qu'il a été dépassé, au sein de sa propre majorité, par les parlementaires les plus libéraux conduits par M. Novelli, qui a eu l'initiative de cette proposition de loi.

Ce dernier affirme d'ailleurs que « la durée du temps de travail ne devrait pas être fixée par la loi », mais que « c'est à la négociation » - il s'agit de la négociation entre les partenaires sociaux - « de le faire ». En disant cela, il exprime clairement son voeu le plus cher, à savoir éradiquer toute forme de droit opposable, de rééquilibrage du rapport de force entre le salarié et l'employeur.

Pour comprendre ce dont il s'agit, il faut se pencher sur le contenu de cette proposition de loi, qui réintroduit le face-à-face entre employeurs et salariés, au mépris des règles collectives, en permettant la négociation directe sur le rachat de jours de repos ou d'heures supplémentaires.

Présentée comme une mise à jour de l'organisation du temps de travail, un « assouplissement », cette proposition de loi n'est en réalité rien d'autre qu'une pure application du dogme libéral.

Une semaine avant les arbitrages du budget pour 2005, le Fonds monétaire international a fait connaître ses préconisations pour la France : il s'agit, entre autres, de stopper les hausses programmées du SMIC et la réduction de la durée du travail, de revoir le fonctionnement du marché du travail, de faciliter les licenciements, d'alléger les charges des entreprises tout en diminuant les dépenses publiques, et de ne pas remplacer les fonctionnaires partant en retraite.

Cela apporte de l'eau au moulin du Gouvernement et éclaire le sens véritable du débat idéologique actuel.

Vaut-il mieux travailler 35 heures ou 36 heures ? Quel doit être le nombre d'heures supplémentaires ? Autant de questions qui sont un trompe-l'oeil pour masquer et faire accepter les choix stratégiques qui visent, en tout lieu, à faire baisser le niveau de rémunération et de protection du travail.

M. Raffarin veut « remettre la France au travail » !

M. Pierre Hérisson. C'est une bonne chose !

M. Guy Fischer. C'est une insulte à la fois pour les salariés de ce pays et pour les demandeurs d'emploi ou les travailleurs précaires. (M. Pierre Hérisson proteste.) Si la durée légale du travail en France peut paraître comme l'une des plus faibles d'Europe, c'est parce que la notion de durée légale n'est pas la même selon les pays : chez nous, c'est le seuil à partir duquel on déclenche le passage aux heures supplémentaires ; ailleurs, c'est la durée maximale autorisée, heures supplémentaires comprises.

Si l'on compare la durée effective moyenne du travail de l'ensemble des salariés, et pas seulement des salariés à temps plein, comme c'est très souvent le cas, on s'aperçoit que la France, avec 38 heures, est dans l'exacte moyenne européenne : en Suède, on travaille 36,5 heures ; au Royaume-Uni, 37,4 heures et, en Allemagne, 35,9 heures.

Avec 25,1 euros, le coût horaire du travail en France est plus faible qu'en Allemagne, qu'en Suède, ou qu'au Royaume-Uni, où il atteint respectivement 26,5 euros, 27,4 euros et 37,4 euros.

En France, en revanche, la productivité horaire du travail est supérieure à la moyenne européenne. Notre pays est au deuxième rang mondial, devant les Etats-Unis, l'Allemagne, le Japon, l'Italie et le Royaume-Uni. Les investisseurs étrangers ne s'y trompent pas !

Les gains de productivité horaire du travail ont avoisiné les 4 % à 5 % du fait des 35 heures. Pourquoi les employeurs devraient-ils être les seuls à en tirer profit ?

Au contraire, la « mise à mort » des 35 heures - il s'agit bien de cela - et tout le discours idéologique qui l'entoure permettent à certaines entreprises de procéder à de véritables chantages au licenciement à l'égard de leurs employés.

En déréglementant l'organisation du temps de travail, vous ne faites d'ailleurs que suivre, monsieur le ministre, ce qui se pratique déjà dans certaines entreprises, à l'image de la situation des salariés de l'usine Bosch implantée à Vénissieux, ville qui m'est chère. Cette entreprise est responsable d'un véritable chantage au licenciement poussant les salariés à signer un accord qui les conduit à travailler plus longtemps en gagnant moins. Cela démontre d'ailleurs que, sans changer la loi, les entreprises ont d'ores et déjà d'immenses latitudes, qu'elles utilisent non pas à valoriser le travail mais à le détruire.

Cette situation pose également un problème au regard de la politique européenne où le dumping social risque de se développer et de poser d'immenses problèmes de société.

Les salariés d'Arcelor se trouvent dans une situation similaire : ils relèvent non pas des minima fixés par le code du travail, mais de la convention collective de la sidérurgie et des accords de branche contractés dans la métallurgie. Et la direction a décidé de diminuer les salaires en payant les employés sur la base de 35 heures et non plus de 39 heures.

Ainsi, après plusieurs années de modération salariale, et alors que, en 2004, le groupe a réalisé 900 % de bénéfice net dû, notamment, à la hausse du prix de l'acier, et que l'ensemble des sites ont travaillé à 97 %, la direction de cette entreprise voudrait qu'un accord sur le temps de travail se traduise par une augmentation du temps travaillé, une flexibilité à outrance, le tout sans augmentation de salaire. Bref, c'est un accord « perdant » pour tous les salariés, au moment même où la situation de l'entreprise est favorable, sinon florissante.

Ces deux cas ne sont pas isolés : ces derniers temps, les exemples se sont multipliés. Outre-Rhin, les salariés de deux sites du groupe Siemens sont ainsi passés de 35 heures à 40 heures de travail hebdomadaire, sans compensation salariale, sous la menace d'une délocalisation en Hongrie. Le leader européen de la volaille, qui est français - il s'agit du groupe Doux, en Bretagne -, a dénoncé l'accord sur les 35 heures et supprimé 23 jours de RTT. L'entreprise Ronzat de Châlons-en-Champagne a proposé à ses salariés de revenir aux 39 heures, en conservant le même salaire, pour « éviter un dépôt de bilan ».

Plus récemment - c'était l'actualité de ce début de semaine -, le fabriquant d'isolateurs électriques en verre SEDIVER implanté à Saint-Yorre, qui est pratiquement numéro un mondial, a demandé à ses 294 salariés d'accepter une réduction de 25 % à 30 % de leurs salaires, pour « pouvoir maintenir le site en France au lieu de le délocaliser en Chine ou au Brésil ». L'argument fonctionne, même si les syndicats dénoncent ces « chantages à l'emploi », certains, comme la CGT, allant jusqu'à demander qu'ils soient rendus illégaux.

Jacques Chirac, dans son interview du 14 juillet dernier, a dénoncé cette « pente glissante sur laquelle il ne faut pas se laisser entraîner ». Mais le chômage de masse dont souffre la France demeure une arme redoutable contre le niveau des salaires et des garanties sociales.

Et c'est ce type d'accords injustes que vous voulez valider, en vous référant à un argumentaire simpliste selon lequel travailler plus serait la solution à tous nos maux ! Avec cette proposition de loi, le compte épargne-temps devient un outil de flexibilité de plus à la disposition des employeurs, qui pourront y affecter de leur propre initiative les heures effectuées au-delà de l'horaire collectif.

La réduction du temps de travail n'est pourtant pas un luxe. En effet, la santé des travailleurs en dépend.

En 2001, les statistiques de l'Organisation internationale du travail ont montré que, dans le monde, le travail tuait plus que les guerres, les accidents de la route et la malaria cumulés. En France, d'ici à la fin de l'année, plus de 600 personnes seront tuées au travail et au moins 3 000 décéderont d'une maladie liée directement à l'amiante. Et je ne compte pas les 40 000 personnes qui seront obligées d'arrêter de travailler à cause d'une maladie grave ou invalidante due à leur emploi, comme les TMS, les troubles musculo-squelettiques. A force de gestes répétitifs, des salariés de plus en plus jeunes souffrent, par exemple, du syndrome du canal carpien, qui affecte un nerf au niveau du poignet et entraîne des paralysies.

Monsieur le ministre, jeudi 17 février, vous avez présenté au Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels le plan « Santé au travail 2005-2009 ». Il est évidemment plus que nécessaire et urgent d'intervenir pour améliorer les conditions de travail des salariés en France. Mais, pour cela, il faudrait revenir sur la « flexibilisation » accrue des horaires, sur les cadences de travail infernales et sur les compressions de personnel, qui sont des causes majeures de la dégradation de la santé liée au travail.

La flexibilisation des horaires de travail est responsable de perturbations dans la vie personnelle, notamment en ce qui concerne la santé. Je pense, bien entendu, aux troubles du sommeil, mais aussi à la dérégulation de l'alimentation.

L'intensification des rythmes du travail, l'augmentation concomitante des niveaux d'exigence pesant sur les salariés d'exécution en ce qui concerne la polyvalence, les flux tendus et la qualité, sont responsables de l'explosion des troubles de santé, mais aussi de ce que l'on appelle, en langage courant, le « stress au travail », lui-même à l'origine de conduites addictives diverses - tabac, alcool, drogues, médicaments - pour « tenir le coup ».

L'acharnement dans la compression drastique des personnels, qui relève d'une logique gestionnaire excessive, est responsable du surmenage physique, mais aussi de souffrances psychiques engendrées par l'impossibilité de bien accomplir son métier.

Je prendrai un seul exemple, celui des maisons de retraite, où le ratio entre le personnel et les pensionnaires est de 4 pour 10 en France, contre 8 pour 10 en Allemagne. Nous avons pu en mesurer les conséquences, largement médiatisées, en 2003.

Au lieu de prendre des mesures drastiques pour améliorer la condition des salariés de ce pays, ce gouvernement a relevé le contingent d'heures supplémentaires à 180 heures, ce qui revient à faire travailler 39 heures en moyenne par semaine. Relever ce contingent à 220 heures, c'est autoriser le travail à 40 heures hebdomadaires. Si l'on ajoute à cette augmentation du contingent la suppression d'un jour férié, les 80 heures de formation hors du temps de travail de la loi sur la formation professionnelle, on arrive à une durée hebdomadaire effective nettement supérieure à 35 heures.

De plus, le fait que le salarié puisse désormais affecter au compte épargne-temps des congés annuels est réellement inquiétant : ces jours sont faits, en principe, pour se reposer. Les supprimer laisse donc craindre des problèmes quant à l'hygiène et à la sécurité des salariés.

En somme, cette proposition de loi instaure un marchandage honteux, en exerçant une pression plus importante sur les salariés, les incitant à faire plus d'heures supplémentaires. Il s'agit d'un moyen pour faire travailler les personnes sans passer par l'inspection du travail, donc sans contrôle. En outre, cette mesure laisse à la porte les chômeurs ainsi que les personnes en situation précaire et les salariés travaillant à temps partiel, c'est-à-dire tous ceux qui bénéficient à l'heure actuelle d'un emploi atypique.

Pour l'instant, le contingent d'heures supplémentaires effectives est très inférieur à celui qui est autorisé. On estime ce contingent effectif entre 60 et 80 heures en moyenne. La loi Fillon du 17 janvier 2003 ouvrait la voie à un allongement négocié du temps de travail. Or seulement 22 des 274 branches employant plus de 5 000 salariés ont revu leur accord sur les 35 heures et seules 14 d'entres elles ont négocié un volume d'heures supplémentaires supérieur au contingent légal. Pourtant, alors que la marge d'heures supplémentaires non utilisées est énorme, le Gouvernement, depuis plusieurs mois, ne cesse de ressasser son nouveau slogan : « plus de libertés pour les travailleurs, notamment pour ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus ; plus de libertés pour les entreprises. »

Pour nous, permettre que les salariés puissent gagner plus impliquerait des politiques actives de relance des salaires au lieu d'accumuler les allégements de cotisations patronales - 19 milliards d'euros par an - qui compriment les salaires dans les zones à bas salaires en ouvrant droit aux abattements.

On pourrait aussi permettre aux salariés en contrats temporaires ou partiels et aux sans-emploi d'accéder à des emplois à temps plein normalement rémunérés. Mais ce n'est pas ce chemin que le Gouvernement prend, loin s'en faut ! Il suffit, pour s'en convaincre, de se référer au plan Borloo.

En somme, ce gouvernement, qui se présente comme le grand promoteur du dialogue social, fer de lance de sa politique, a tout fait pour éviter le débat avec les représentants de salariés. Ceux-ci ont pourtant été nombreux à manifester voilà quelques semaines - 500 000 à 600 000  personnes étaient présentes - et gageons qu'ils se mobiliseront encore plus nombreux le 10 mars prochain.

C'est parce que tous les syndicats de salariés se sont montrés unanimement réticents à l'égard de ce texte que son renvoi en commission nous semble pertinent. Il est indispensable de les consulter, non seulement plus au fond, mais aussi sur la pertinence d'un allongement de la durée du temps de travail, sur la santé au travail, sur la situation des salaires et du pouvoir d'achat, sur une vraie politique publique de l'emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Roland Muzeau. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Louis Souvet, rapporteur. Les auteurs de cette motion proposent que la commission consulte à nouveau les partenaires sociaux.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Elle l'a déjà fait !

M. Louis Souvet, rapporteur. Je voudrais rappeler ici que la commission a déjà auditionné longuement les cinq grandes confédérations syndicales (Non ! sur les travées du groupe socialiste),...

M. Roland Muzeau. Il faudrait les consulter réellement !

M. Louis Souvet, rapporteur. ...ainsi que les trois organisations patronales que vous connaissez, le MEDEF, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME, et l'Union professionnelle artisanale, l'UPA. Les sénateurs du groupe CRC le savent bien, puisqu'ils ont, je dois le dire, participé activement à ces réunions, ce dont je les remercie.

La position des uns et des autres sur ce texte est bien connue de tous. Certains y sont favorables et d'autres, hostiles. Je ne vois vraiment pas ce que la reprise des travaux de notre commission apporterait au débat.

La commission des affaires sociales souhaite donc que la discussion en séance publique s'engage dès à présent. C'est la raison pour laquelle elle est défavorable (Exclamations sur les travées du groupe socialiste) à l'adoption de cette motion.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Roland Muzeau. Pour la dernière fois !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaiterais formuler trois observations.

Premièrement, M. Fischer a soutenu qu'il n'y avait pas eu d'évaluation sur cette question. En réalité, deux rapports d'évaluation ont été établis : d'abord, le Gouvernement a remis au Parlement un rapport à la fin de l'année 2002 ; ensuite, la mission d'information commune de l'Assemblée nationale a déposé ses conclusions au printemps 2004.

Deuxièmement, sans revenir sur la situation des différentes entreprises, je dirai que l'accord « Bosch » a été conclu en respectant les dispositions de la loi de 1998, chacun doit en convenir, quel que soit le jugement qu'il porte en la matière. Je précise que 98 % des salariés consultés ont accepté cet accord d'entreprise.

M. Roland Muzeau. Avaient-ils le choix ? C'est la question !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. En troisième lieu, je voudrais répondre à la remarque importante de M. Fischer concernant la santé au travail : nos services suivent, par le biais de ce que nous appelons l'« enquête Sumer », l'évolution des conditions de travail. Et nous avons effectivement constaté - je citais tout à l'heure les travaux de Philippe Askenazy - une dégradation des conditions de travail des salariés, qui s'est accélérée au moment de la mise en place des 35 heures.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. C'est clair !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Cette réalité résulte également de l'apparition de formes nouvelles de production et d'organisation. Voilà pourquoi nous avons présenté le plan Santé au travail 2005-2009, qui vise à développer la nécessaire connaissance des dangers et des risques en milieu professionnel.

Nous avons également décidé, toujours dans le but d'améliorer la connaissance sur le sujet, de créer l'Agence santé travail environnement, de mettre en place des missions d'évaluation et de renforcer les études, qu'elles soient physiques, chimiques ou ergonomiques,

Il nous a semblé nécessaire d'établir un contrôle renforcé en mettant en place, sur trois années, une inspection généraliste et des cellules spécialisées.

J'ajoute que le Gouvernement veille particulièrement à ce que les observatoires régionaux de santé au travail examinent les situations qui résultent des nouveaux modes d'organisation du travail.

En effet, nous ne pouvons pas nous satisfaire des chiffres annoncés par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES : 40 % des ouvrières et des employées auraient le sentiment d'un stress aggravé résultant, pour 28 % d'entre elles, de ces nouveaux modes d'organisation.

Dans la négociation actuelle sur la pénibilité, le phénomène de stress est en passe d'être reconnu par les différents acteurs ; cette réalité a même été reconnue à l'échelon européen. Tout à l'heure, vous évoquiez la mise en place, dans le traité constitutionnel, de cette Charte des droits sociaux, qui constitue un grand progrès social. Je vous renvoie au titre II ainsi qu'au titre III du traité constitutionnel, qui prévoit la consultation des partenaires sociaux. Car des progrès réels sont rendus possibles par ce texte pour la construction d'une Europe sociale sur laquelle, me semble-t-il, nous avons en commun un certain nombre de valeurs.

Alors, monsieur Fischer, je vous le redis, la proposition de loi ne prévoit pas la remise en cause de la durée légale du travail, dont je rappelle qu'il s'agit du seuil au-delà duquel commencent des heures qui sont rémunérées d'une autre manière, c'est-à-dire les heures supplémentaires.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement estime, après M. le rapporteur, que la motion tendant au renvoi en commission n'est pas fondée, d'autant moins que les membres de la Haute Assemblée disposent d'éléments d'évaluation leur permettant de se prononcer dans les heures qui viennent en toute connaissance de cause. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Bruno Sido. Très bien !

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 7, tendant au renvoi à la commission.

Je suis saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 90 :

Nombre de votants 329
Nombre de suffrages exprimés 329
Majorité absolue des suffrages exprimés 165
Pour l'adoption 120
Contre 209

Le Sénat n'a pas adopté.

En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

Demande de réserve

Demande de renvoi à la commission
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Demande de réserve (interruption de la discussion)

Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires sociales.

M. Robert Bret. Est-ce bien nécessaire ?

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, en application de l'article 44 du règlement du Sénat, la commission des affaires sociales demande la réserve de tous les amendements visant à insérer des articles additionnels avant et après les articles 1er, 2 et 3, jusqu' à la fin du texte.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Favorable.

Mme la présidente. La réserve est ordonnée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Demande de réserve (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
Discussion générale

14

COMMUNICATION DE L'ADOPTION DÉFINITIVE DE TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre une communication, en date du 1er mars 2005, l'informant de l'adoption définitive des textes soumis en application de l'article 88-4 de la Constitution suivants :

E2805 - COM (2004) 822 final : Proposition de règlement du Conseil portant modification et suspension de l'application du règlement nº 2193/2003 instituant des droits de douane supplémentaires sur les importations de certains produits originaires des Etats-Unis d'Amérique.

Adopté le 31 janvier 2005.

E2787 Proposition de règlement du Conseil imposant des mesures de restriction à l'égard de l'assistance en rapport avec des activités militaires en Côte d'Ivoire

Adopté le 31 janvier 2005.

E2783 - COM (2004) 751 final : Proposition de règlement du Conseil portant modification du règlement (CE) n° 866/2004 concernant un régime en application de l'article 2 du protocole n° 10 de l'acte d'adhésion en ce qui concerne des produits agricoles et les facilités concédées aux voyageurs (Chypre)

Adopté le 17 février 2005.

E2767 - COM (2004) 742 final : Proposition de décision du Conseil autorisant le Royaume-Uni à appliquer une exonération de la taxe sur le changement climatique pour les combustibles solides à faible valeur, conformément à l'article 19 de la directive 2003/96/CE.

Adopté le 17 février 2005.

E2740 - COM (2004) 632 final : Proposition de règlement du Conseil concernant les contributions financières de la Communauté au Fonds international pour l'Irlande (2005-2006).

Adopté le 24 janvier 2005.

E2739 - COM (2004) 631 final : Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n°1260/1999 portant dispositions générales sur les Fonds structurels, en ce qui concerne la prolongation de la durée du programme PEACE et l'octroi de nouveaux crédits d'engagement.

Adopté le 24 janvier 2005.

E2701 - COM (2004) 602 final : Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion de l'accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse modifiant l'accord entre la Communauté économique européenne et la Confédération suisse du 22 juillet 1972 pour ce qui concerne les dispositions applicables aux produits agricoles transformés.

Adoptée le 22 décembre 2004.

E2672 - COM (2004) 540 final : Proposition de règlement du Conseil relatif à la conclusion de l'accord sous forme d'échange de lettres relatif à la prorogation, pour la période allant du 28 février 2004 au 31 décembre 2004, du protocole fixant les possibilités de pêche et la contrepartie financière prévues dans l'accord entre la Communauté économique européenne et la République fédérale islamique des Comores concernant la pêche au large des Comores.

Adopté le 18 janvier 2005.

E2671 - COM (2004) 538 final : Proposition de décision du Conseil relative à la signature, au nom de la Communauté européenne, et à l'application provisoire de l'accord sous forme d'échange de lettres relatif à la prorogation, pour la période allant du 28 février 2004 au 31 décembre 2004, du protocole fixant les possibilités de pêche et la contrepartie financière prévues dans l'accord entre la Communauté économique européenne et la République fédérale islamique des Comores concernant la pêche au large des Comores.

Adopté le 22 novembre 2004.

E2626 - COM (2004) 428 final : Proposition de décision du Conseil relative à la signature et à l'application provisoire d'un protocole à l'accord d'association euro-méditerranéen entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République arabe d'Egypte, d'autre part, pour tenir compte de l'adhésion à l'Union européenne de la République tchèque, de la République d'Estonie, de la République de Chypre, de la République de Hongrie, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque ; et Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'un protocole à l'accord euro-méditerranéen entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République arabe d'Egypte, d'autre part, pour tenir compte de l'adhésion à l'Union européenne de la République tchèque, de la République d'Estonie, de la République de Chypre, de la République de Hongrie, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque

Adoptée le 24 septembre 2004.

E2575 - COM (2004) 244 final : Proposition de règlement du Conseil fixant des règles pour le contrôle du commerce de certaines substances utilisées pour la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes

Adoptée le 22 décembre 2004.

E2534 - COM (2004) 126 final : Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 2130/2001 relatif aux actions dans le domaine de l'aide aux populations déracinées dans les pays en développement d'Amérique latine et d'Asie

Adoptée le 12 janvier 2005.

E2350 - COM (2003) 423 final : Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant l'arsenic, le cadmium, le mercure, le nickel et les hydrocarbures aromatiques polycycliques dans l'air ambiant

Adoptée le 15 décembre 2004.

E1867 - COM (2001) 520 final : Proposition de décision du Conseil portant approbation, au nom de la Communauté européenne de l'énergie atomique (EURATOM), de la "convention commune sur la sûreté de la gestion du combustible usé et sur la sûreté de la gestion des déchets radioactifs" Proposition de décision du Conseil en vue de la conclusion, par la Communauté européenne (CE) de la "convention commune sur la sûreté de la gestion du combustible usé et sur la sûreté de la gestion des déchets radioactifs"

Adopté le 24 janvier 2005.

15

DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI

Mme la présidente. J'ai reçu de M. Jean-Louis Masson une proposition de loi tendant à promouvoir une fiscalité incitative en faveur des petites voitures peu polluantes.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 210, distribuée et renvoyée à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

J'ai reçu de MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Jean-François Voguet, Mmes Annie David, Eliane Assassi, M. François Autain, Mme Marie-France Beaufils, MM. Pierre Biarnès, Michel Billout, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Robert Bret, M. Yves Coquelle, Mmes Michelle Demessine, Evelyne Didier, MM. Guy Fischer, Thierry Foucaud, Mme Gélita Hoarau, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Mmes Hélène Luc, Josiane Mathon, MM. Roland Muzeau et Bernard Vera une proposition de loi relative à la pérennisation du régime d'assurance-chômage des professions du spectacle, de l'audiovisuel et du cinéma dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 211, distribuée et renvoyée à la commission des affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

J'ai reçu de MM Jean-Pierre Bel, Serge Lagauche, Mmes Marie-Christine Blandin, Catherine Tasca, MM David Assouline, Jean-Marie Bockel, Yannick Bodin, Gérard Collomb, Yves Dauge, Alain Journet, André Labarrère, Philippe Labeyrie, Jean Luc Mélenchon, Jean-François Picheral, René-Pierre Signé, Jean-Marc Todeschini, Marcel Vidal et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés une proposition de loi relative à la pérennisation du régime d'assurance-chômage des professions du spectacle, de l'audiovisuel et du cinéma dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 212, distribuée et renvoyée à la commission des affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

J'ai reçu de Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Michel Mercier, Marcel Deneux, François Zocchetto, Jean-Paul Amoudry, Mme Muguette Dini, M. Christian Gaudin, Mme Anne-Marie Payet, MM. Yves Détraigne, Denis Badré, Philippe Nogrix, Mme Jacqueline Gourault, MM. Yves Pozzo Di Borgo, Daniel Dubois, Adrien Giraud, Daniel Soulage, Jean-Jacques Jégou, Mme Gisèle Gautier, MM. Joseph Kerguéris, André Vallet, Mme Valérie Létard, MM. Jean Boyer, Jean-Claude Merceron, Jean-Léonce Dupont, Mme Françoise Férat et M. Jean-Marie Vanlerenberghe une proposition de loi relative à la pérennisation du régime d'assurance-chômage des professions du spectacle, de l'audiovisuel et du cinéma dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 213, distribuée et renvoyée à la commission des affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

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DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE résolution

Mme la présidente. J'ai reçu de MM. Robert Bret, Gérard Le Cam, Mmes Michelle Demessine, Evelyne Didier, MM. Michel Billout, Yves Coquelle, Mme Eliane Assassi, M. François Autain, Mme Marie-France Beaufils, M. Pierre Biarnès, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Annie David, MM. Guy Fischer, Thierry Foucaud, Robert Hue, Mmes Hélène Luc, Josiane Mathon, MM. Roland Muzeau, Jack Ralite, Ivan Renar, Bernard Vera et Jean-François Voguet une proposition de résolution, présentée en application de l'article 73 bis du règlement, relative à la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (n° E-2520).

La proposition de résolution sera imprimée sous le n° 209, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques et du Plan sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

17

DÉPÔTs rattachés pour ordre au procès-verbal de la séance du 17 février 2005

Dépôt d'un projet de loi organique

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu, le 23 février 2005, de M. le Premier ministre un projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale.

Ce projet de loi organique sera imprimé sous le n° 208, distribué et renvoyé à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

Dépôt d'une proposition de loi

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu, le 22 février 2005, de M. Christian Gaudin une proposition de loi modifiant l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales afin de permettre la participation d'agents territoriaux aux réunions de la commission d'examen des offres de délégation de service public.

Cette proposition de loi sera imprimée sous le n° 207, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu, le 21 février 2005, de M.  le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 2796/1999 en ce qui concerne une action spécifique de transfert de navires vers des pays touchés par le tsunami en 2004.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2831 et distribué.

M. le président du Sénat a reçu, le 21 février 2005, de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de directive du Conseil modifiant l'annexe IV de la directive 2000/29/CE concernant les mesures de protection contre l'introduction dans la Communauté d'organismes nuisibles aux végétaux ou aux produits végétaux et contre leur propagation à l'intérieur de la Communauté.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2832 et distribué.

M. le président du Sénat a reçu, le 22 février 2005, de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de directive du Conseil concernant l'accord entre la Communauté européenne du rail (CER) et la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF) sur certains aspects des conditions d'utilisation des travailleurs mobiles effectuant des services d'interopérabilité transfrontalière.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2833 et distribué.

M. le Président du Sénat a reçu, le 23 février 2005, de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Communication de la Commission : Vaincre le changement climatique planétaire.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2834 et distribué.

M. le président du Sénat a reçu, le 23 février 2005, de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen. Examen de la stratégie de l'Union européenne en faveur du développement durable pour 2005 : premier bilan et orientations futures.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2835 et distribué.

M. le président du Sénat a reçu, le 24 février 2005, de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, portant refonte de la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 mars 2000, concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, et de la directive 93/6/CEE du Conseil, du 15 mars 1993, sur l'adéquation des fonds propres des entreprises d'investissement et des établissements de crédit (Volumes I/III-II/III-III/III).

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2836 et distribué.

Dépôt d'un rapport d'information

Mme la présidente. M. le Président du Sénat a reçu, le 18 février 2005, de MM. Denis Badré, Robert Bret, Mme Marie-Thérèse Hermange et M. Serge Lagauche un rapport d'information fait au nom de la délégation pour l'Union européenne, sur la proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur (n° E-2520).

Ce rapport d'information sera imprimé sous le n° 206 et distribué.

18

ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mercredi 2 mars 2005, à quinze heures et le soir :

1. Election d'un vice-président du Sénat ;

2. Election d'un membre titulaire représentant la France à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et à l'Assemblée de l'Union européenne occidentale ;

3. Désignation de deux membres de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne ;

4. Désignation d'un membre de la Délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes ;

5. Suite de la discussion de la proposition de loi (n° 181, 2004-2005), adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise ;

Rapport (n° 203, 2004-2005) fait par M. Louis Souvet, fait au nom de la commission des affaires sociales.

Avis (n° 205, 2004-2005) fait par Mme Elisabeth Lamure, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan.

Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

Délais limites pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des amendements

Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la régulation des activités postales (n° 149, 2004-2005) ;

Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 7 mars 2005, à dix-sept heures ;

Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 7 mars 2005, à seize heures.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 2 mars 2005, à zéro heure trente.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD