PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans aucun doute, la question des 35 heures constitue depuis plusieurs années l'une des lignes de fracture majeures qui distinguent la droite de la gauche. Les promoteurs de cette réforme, engagée en 1998 et généralisée à compter de l'année 2000, s'appuient sur l'idée que le travail est une sorte de stock de milliards d'heures qu'il est possible de partager entre plus ou moins de travailleurs, mais ils ne tiennent pas compte d'autres paramètres comme le secteur d'activité, la taille de l'entreprise, la qualification de la main-d'oeuvre, le niveau de l'activité, la concurrence internationale, etc.

Toutefois, si la fixation autoritaire de la durée du travail à 35 heures fait débat, la problématique de la réduction du temps de travail, elle, n'est pas un thème réservé à la gauche.

A cet égard, monsieur le ministre, je m'étonne des reproches qui vous sont parfois adressés alors même que vous êtes l'un des premiers à avoir estimé que, dans certaines conditions, la réduction du temps de travail pouvait constituer l'un des outils de la lutte contre le chômage.

M. Gérard Larcher, ministre délégué. La gauche m'a combattu, alors !

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis. En effet, dès 1992, à une époque où l'idée pouvait apparaître quelque peu iconoclaste au sein de votre famille politique, vous préconisiez « d'encourager une nouvelle répartition du travail par des mesures incitatives ». C'était dans un rapport sur la politique de la ville que vous aviez présenté et publié au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, et vous développiez cette idée sur plusieurs pages, que je tiens à la disposition de nos collègues. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Dufaut. Ils ne s'en souviennent plus !

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis. Ce qui m'a frappé, en lisant ce que vous écriviez voilà un peu plus de douze ans, c'est que, d'emblée, vous estimiez que « les modalités concrètes de la répartition du travail doivent d'abord être dégagées de manière pragmatique et adaptées à la diversité des contextes économiques par la voie de la négociation collective au sein de l'entreprise et des branches d'activité ».

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Voilà !

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis. Pour vous, ce n'était qu'au vu du résultat des premières expériences que le législateur était fondé à intervenir pour « harmoniser ces procédures ».

Chacun peut constater la différence majeure d'approche avec ce qui a été fait pour instaurer les 35 heures ! (M. le ministre délégué acquiesce.)

J'incline à penser, mes chers collègues, que c'est là, dans le rôle reconnu à la négociation collective, que se trouve la source majeure de nos divergences : nous, nous considérons que la négociation collective est essentielle pour parvenir à une réduction progressive du temps de travail adaptée aux réalités économiques et aux contraintes des entreprises, tandis que l'opposition a voulu, par la force contraignante de la loi, loger tout le monde à la même enseigne. (M. Roland Muzeau s'exclame.)

Or, à l'évidence, le bilan des lois Aubry sur les 35 heures n'est pas flatteur. Il ne m'appartient pas de dresser aujourd'hui le tableau complet, portant sur plusieurs années, de cette réforme. D'autres s'y sont livrés avec une grande rigueur, en ayant le souci de ne pas taire les avantages qu'ont pu en tirer un certain nombre de grandes entreprises, notamment dans le secteur industriel : je pense naturellement aux travaux menés l'an dernier par la mission commune d'information de l'Assemblée nationale, au rapport de M. Michel de Virville sur le code du travail (Exclamations sur les travées du groupe socialiste) ou encore à celui de M. Michel Camdessus, lequel est d'ailleurs venu commenter son travail devant la commission des affaires économiques au début du mois de février dernier.

Ainsi, on ne peut gommer les points noirs de cette législation, points noirs qui ne sont guère contestés chez les économistes.

D'abord, cette réforme a profondément fragilisé le tissu industriel. Nos entreprises ne sont en effet pas toutes égales devant la nouvelle donne. Bien sûr, comme je viens de l'indiquer, les grands groupes ont tiré parti de cette nouvelle législation. Les grosses structures ont pu rationaliser leur organisation, jouer avec la modulation pour augmenter leur productivité, prendre le temps de négocier avec les organisations syndicales, externaliser les activités qui devenaient trop onéreuses, optimiser le bénéfice des aides publiques associées à la réforme. Personne ne le conteste.

Mais, pour les PME, notamment celles qui sont soumises à la concurrence internationale, pour les petites entreprises qui ne possèdent ni l'assise financière ni la logistique humaine pour supporter toute la bureaucratie nécessaire à la mise en oeuvre d'un tel dispositif, les effets sont dévastateurs :enchérissement général des coûts, incapacité à répondre en flux tendus aux évolutions de la demande et aux exigences des clients, difficultés de recrutement de cadres, voire de main-d'oeuvre qualifiée, toujours tentés de rejoindre des grandes entreprises ; nous avons l'impression que tout a été fait pour attenter à leurs capacités concurrentielles.

Le second aspect de la mise en place des 35 heures, tout aussi important d'ailleurs que le premier, concerne les salariés, dont beaucoup ont subi de plein fouet les conséquences de la modération salariale sur laquelle a été gagée une partie de la réforme des 35 heures, ainsi que les limites contraignantes imposées dans la gestion de leur temps. Quel étrange décalage entre discours et réalité que d'avoir prétendu leur donner un plus grand choix, alors même qu'était réduite leur faculté d'arbitrer entre leurs propres priorités : disposer de plus de temps libre ou travailler plus pour gagner plus afin d'augmenter leurs revenus !

Ainsi, la réduction du temps de travail a directement affecté la rémunération de dizaines de milliers de salariés, surtout parmi les plus modestes, à tel point que l'amélioration du pouvoir d'achat est redevenue aujourd'hui la question primordiale de nos concitoyens !

Enfin, avec cette réforme, la France s'est singularisée parmi les pays industrialisés. Nulle part ailleurs, en effet, la diminution du temps de travail n'a été brutalement décidée par le pouvoir politique, ni réalisée avec tant d'ampleur et aussi rapidement. D'ailleurs, aucun pays partenaire, même ceux qui sont dirigés par des gouvernements socialistes, n'a jamais cherché à nous imiter.

Dans ce contexte, la proposition de loi de nos collègues députés vient à point nommé. Il faut le réaffirmer : elle ne remet nullement en cause les 35 heures (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC),...

M. Roland Muzeau. Mais si !

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis. ... dispositif législatif auquel se sont adaptées, malgré les difficultés, la plupart des entreprises françaises concernées qui, dorénavant, ont avant tout besoin de stabilité.

S'inscrivant dans le cadre du « Contrat France 2005 », défini le 9 décembre 2004 par M. le Premier ministre, cette proposition de loi ouvre simplement aux salariés des espaces de liberté nouveaux leur permettant, tout en bénéficiant d'une protection individuelle garantie par des accords collectifs, d'exercer véritablement un choix de rythme de travail et d'arbitrer entre revenus supplémentaires ou temps libre.

Elle fait suite aux assouplissements apportés par la loi Fillon du 17 janvier 2003, et complétés par la loi du 4 mai 2004, qui ont modifié les dispositions les plus pénalisantes de la législation sur le temps de travail.

Grâce à ces réformes, un premier équilibre a permis de répondre tant aux aspirations des salariés à augmenter leurs revenus qu'à la nécessité pour les entreprises de disposer de facilités supplémentaires afin de s'adapter aux évolutions de leurs marchés.

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas vrai !

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis. C'est donc dans un cadre conventionnel rénové par la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social que pourraient s'inscrire les nouveaux assouplissements envisagés dans la présente proposition de loi. Il y est en effet suggéré de développer plus avant les pistes ouvertes par la loi Fillon du 17 janvier 2003 concernant la gestion du compte épargne-temps, le CET, le développement du temps choisi ainsi que les dispositions temporaires propres aux entreprises de vingt salariés au plus.

M. le rapporteur ayant détaillé le dispositif des trois articles du texte, je me bornerai à indiquer quelles réflexions ceux-ci ont suscité au sein de la commission des affaires économiques et à vous faire connaître sa position.

A l'article 1er, qui vise à favoriser le développement du CET, en en simplifiant le mécanisme et en assouplissant ses conditions d'alimentation et de liquidation, trois types de questions peuvent se poser.

En premier lieu, la faculté nouvellement offerte au salarié d'imputer sur son CET des heures de repos compensateur obligatoire est-elle susceptible d'affecter sa santé ? La réponse est négative, puisque aucune des dispositions du socle législatif fixant la durée hebdomadaire maximale du travail, organisant le travail de nuit et imposant des durées minimales de repos quotidien et hebdomadaire n'est remise en cause. Je tiens à insister sur ce point : aucune de ces garanties prévues par le code du travail pour protéger la santé des travailleurs n'est modifiée. Dès lors, étant donné que la réforme du CET s'inscrit dans ce cadre protecteur, toute argumentation articulée autour de la problématique de la santé n'est qu'un faux procès.

En deuxième lieu, les nouvelles possibilités d'abondement du CET vont-elles permettre à l'employeur d'échapper aux mécanismes de majoration des heures supplémentaires ? Vos propos, monsieur le ministre, tant à l'Assemblée nationale que dans votre intervention ici même aujourd'hui sont très clairs : la rémunération, les majorations, l'évolution de la monétarisation des droits ou encore l'assujettissement aux cotisations sociales sont strictement conformes aux dispositions légales ou aux règles conventionnelles applicables à l'entreprise. Donc, là encore, inutile de crier à l'anathème ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Enfin, s'agissant des garanties protégeant les droits acquis du compte, vous avez également explicité comment s'effectuerait le provisionnement par l'entreprise ou la prise en charge par l'AGS, l'association pour la garantie des salaires, en cas de défaillance, voire, au-delà d'un certain plafond, par un tiers garantissant, selon un mécanisme d'assurance.

Compte tenu de tous ces éléments, la commission des affaires économiques a émis un avis favorable sur l'article 1er. Elle est en effet convaincue que la modernisation du CET, qui offre aux salariés de nouvelles libertés dans la gestion de leur temps et de leurs revenus professionnels tout au long de leur vie active, devrait favoriser un nouvel essor de ce dispositif.

L'article 2 de la proposition de loi institue le régime du temps choisi permettant aux salariés, en accord avec le chef d'entreprise, de travailler plus s'ils souhaitent augmenter leur rémunération.

L'un des effets pervers du mécanisme légal d'organisation du temps de travail dans l'entreprise est qu'il empêche les salariés qui le souhaitent individuellement de travailler plus pour augmenter leurs revenus. La modération salariale ayant accompagné le processus progressif de mise en oeuvre des 35 heures a ainsi contraint un certain nombre de travailleurs à subir la stagnation de leur pouvoir d'achat sans disposer de la faculté d'accroître leur rémunération par une augmentation de la durée de leur travail.

A l'inverse, nombre de petites entreprises sont souvent conduites à refuser tout simplement des commandes. En effet, elles sont trop petites pour disposer d'un volant de main-  d'oeuvre permettant de jouer, par le jeu du contingent légal ou conventionnel des heures supplémentaires, avec les aléas de cette activité ; par ailleurs, l'accroissement ponctuel de la demande ne justifie pas l'embauche d'un nouveau salarié.

L'on ne peut que déplorer cette situation paradoxale dans laquelle la loi interdit d'accroître temporairement la durée du travail quand bien même le salarié et le chef d'entreprise le souhaiteraient et y auraient tous deux intérêt.

De même, il convient de prendre en compte la situation de diverses catégories de cadres qui ne peuvent concilier l'organisation de leur travail et les impératifs de résultats auxquels ils sont soumis qu'en renonçant, sans contrepartie, à certains de leurs droits.

Je ne reviendrai pas sur le dispositif de cet article, qu'a excellemment présenté M. Louis Souvet. Je m'étonne seulement que cette faculté nouvelle offerte aux salariés d'arbitrer entre leur temps de loisir et leur pouvoir d'achat rencontre tant d'oppositions de principe. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Roland Muzeau. On vous expliquera !

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis. En effet, mes chers collègues, l'alternative est simple. Soit, à défaut pour le salarié d'avoir atteint le plafond du contingent annuel d'heures supplémentaires, la nouvelle législation restera dans les faits lettre morte -  mais quelle raison justifie alors de la combattre aussi vigoureusement ? Soit, au contraire, la loi nouvelle trouve à s'appliquer parce qu'un certain nombre de salariés sont placés dans les conditions d'y recourir et estiment avoir intérêt à le faire, et, dès lors, pourquoi le législateur leur interdirait-il cette opportunité ?

C'est avec la conviction qu'il est nécessaire et légitime de permettre à ceux de nos concitoyens qui le souhaitent de travailler davantage pour augmenter leurs revenus que la majorité de la commission des affaires économiques a émis un avis favorable sur cet article 2.

Quant à l'article 3 de la proposition de loi, il vise à répondre à la situation spécifique des petites entreprises de vingt salariés au plus qui, en l'absence d'une convention ou d'un accord collectif, ne peuvent mettre en oeuvre un régime conventionnel de rémunération des heures supplémentaires dérogeant au droit commun, ni proposer à leurs salariés d'ouvrir un CET.

Malgré les délais laissés par les lois Aubry puis par la loi Fillon de 2003, un nombre significatif de petites entreprises n'ont pas encore été en mesure d'organiser, par la voie de la négociation collective, un régime propre de majoration des heures supplémentaires. Or les conditions mêmes du dialogue social ont été substantiellement modifiées par la seconde loi Fillon de 2004, ce qui impose d'ouvrir un délai supplémentaire aux partenaires sociaux pour leur permettre de s'approprier et de mettre correctement en oeuvre ces nouvelles conditions.

En outre, parallèlement aux mesures d'assouplissement envisagées concernant le CET et le développement du temps choisi, il semble opportun et équitable de permettre aux salariés de ces très petites entreprises de valoriser, eux aussi, sous forme monétaire une partie du temps de repos dont ils disposent. Tout comme la mesure précédente, cette innovation ne pourrait être que temporaire dans l'attente que des accords collectifs permettent le développement du CET dans les entreprises.

Telles sont les raisons de la prolongation ou de l'institution des régimes dérogatoires propres aux entreprises de moins de vingt salariés prévus dans l'article 3.

Sur cet article, la commission des affaires économiques vous proposera, mes chers collègues, d'adopter un amendement destiné à formaliser de manière juridique l'engagement pris publiquement par M. le Premier ministre au début de mois de février dernier, à savoir que les régimes dérogatoires ainsi institués seront bien temporaires jusqu'au 31 décembre 2008 seulement.

M. Roland Muzeau. Qui peut croire cela ?

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sous réserve de cet amendement, la commission des affaires économiques a émis un avis favorable à l'adoption de cette proposition de loi qui, sans remettre en cause le principe des 35 heures, apporte au dispositif des éléments de souplesse ouverts aux salariés.

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas vrai !

Mme Elisabeth Lamure, rapporteur pour avis. S'ils s'en saisissent, cela ne pourra manquer de favoriser le développement de nos entreprises objectif auquel personne, j'imagine, ne songerait à s'opposer ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un Mouvement Populaire, 75 minutes ;

Groupe socialiste, 49 minutes ; 

Groupe Union centriste-UDF, 20 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Raymonde Le Texier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Raymonde Le Texier. « Faut-il brûler le code du travail ? » Tel était, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre d'un article du journal Le Monde le 15 février dernier. C'est effectivement la question que l'on peut se poser lorsque l'on décrypte la proposition de loi qui nous est soumise !

Si, aujourd'hui, le Gouvernement fait mine de concentrer ses attaques sur les lois Aubry, c'est pour enfermer la gauche dans la justification du passé. Les 35 heures sont ainsi un chiffon rouge qu'il agite pour mieux cacher ses intentions véritables, à savoir abolir les règles qui protègent les salariés.

Cela a commencé en janvier 2003, avec l'adoption de la loi Fillon, qui sonnait déjà le glas de la réduction du temps de travail, et s'est trouvé confirmé avec la loi de programmation pour la cohésion sociale et les fameux amendements Larcher. Cela se poursuit -  et ne s'achèvera malheureusement sans doute pas aujourd'hui - avec cette proposition de loi.

Quand est évoquée dans ce texte la liberté, c'est la loi du plus fort qui est rétablie ; quand il y est question d'assouplissement, c'est la hiérarchie des normes qui est détruite et, s'agissant du choix, c'est la contrainte qui est consacrée !

Comme preuve de ce travestissement des valeurs, la méthode choisie par ce gouvernement est révélatrice : pourquoi passer par une proposition de loi sur un thème si important ? Par intérêt pour le Parlement et respect des parlementaires, nous dit-on.

Ainsi, qu'une telle attitude permette d'éviter la concertation avec les syndicats, de passer outre l'avis du Conseil économique et social et du Conseil d'Etat n'aurait rien à voir dans ce choix ! En outre, que le Gouvernement veuille de cette façon ne pas donner à l'opinion l'impression d'être aux ordres du MEDEF n'entrerait pas en considération !

Mme Raymonde Le Texier. Enfin, qu'une telle procédure soit destinée à dédouaner l'exécutif d'une paternité encombrante ne saurait être imaginable !

Tant de lâcheté dans le procédé et de détermination dans l'exécution tendent à montrer que, si le Gouvernement n'assume pas cette loi, il n'en est pas innocent !

M. Jean-Pierre Sueur. C'est sûr !

Mme Raymonde Le Texier. La loi de 2004 sur le dialogue social stipule que « toute réforme substantielle modifiant l'équilibre des relations sociales doit être précédée d'une concertation effective avec les partenaires sociaux et, le cas échéant, d'une négociation entre ceux-ci ».

Sans doute, s'agissant du présent texte, la cause est-elle bien mauvaise pour que le Gouvernement s'affranchisse des obligations qu'il avait lui-même souscrites !

Si la méthode éveille les soupçons, l'analyse de la proposition de loi les confirme, transformant la méfiance en inquiétude et l'inquiétude en colère.

En effet, cette proposition de loi repose sur une escroquerie sociale et un mensonge économique, bref sur une supercherie politique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Henri de Raincourt. C'est modéré...

Mme Raymonde Le Texier. Escroquerie sociale, d'abord : l'objectif de la droite et du MEDEF est clair : remettre en cause le droit du travail. Dans de nombreux cas, cette proposition de loi ne laisse au salarié pour seule protection que le maigre paravent de la durée maximale du travail et la directive européenne sur les congés payés.

A terme, les garanties réelles qui resteront aux travailleurs sont l'interdiction de travailler plus de quarante-huit heures par semaine et le droit à quatre semaines de congés.

A ce propos, nous avons pris acte avec intérêt de l'amendement qui sera proposé par la commission. Sans doute a-t-elle pensé que les auteurs de cette proposition de loi allaient un peu loin !

Mensonge économique ensuite : alors que, en moyenne, le nombre d'heures supplémentaires effectuées excède rarement cinquante-six, on peut s'interroger sur les motivations obsessionnelles du Gouvernement à augmenter le temps de travail. La majorité des branches ne manifestent aucun besoin d'augmenter la durée du temps de travail, d'autant que la conjoncture économique n'y est pas favorable.

C'est à une crise de la demande que l'on assiste aujourd'hui, et non à une pénurie de l'offre. Les entreprises ne traversent pas une crise de rentabilité : elles font des profits, mais elles préfèrent rétribuer leurs actionnaires plutôt que leurs employés, spéculer plutôt qu'investir, délocaliser plutôt que miser sur la productivité, la qualité, l'innovation et la recherche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Cette loi n'aurait-elle pour seul objet que de répondre à la pénurie d'emplois constatée dans certains secteurs ? En effet, dans la grande distribution alimentaire et le BTP, par exemple, les difficultés de recrutement sont telles qu'elles contraignent les employés à effectuer des heures supplémentaires bien au-delà du contingent autorisé, plaçant ainsi leurs employeurs dans l'illégalité. La nouvelle législation, qui porte à deux cent vingt le nombre d'heures supplémentaires autorisées et qui permet la transformation du repos compensateur en épargne-temps, ne peut que répondre à leurs attentes.

En réalité, en réglant les problèmes de certaines branches identifiées, cette proposition de loi a surtout pour effet de saper les fondements du droit du travail et réduit comme une peau de chagrin la protection du salarié.

« En trois articles », me direz-vous ? Et pourquoi pas ? Boris Vian l'avait bien compris, qui chantait :

« Voilà des mois et des années

« Que j'essaie d'augmenter

« La portée de ma bombe

« Et je n'me suis pas rendu compt'

« Que la seul' chos' qui compt'

« C'est l'endroit où s'qu'elle tombe. » (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Mais ici, pour être ciblé, le dispositif mis en place par cette proposition de loi n'en est pas moins redoutablement efficace, au moins autant que la communication qui l'accompagne.

Premier axe de propagande : pour contrer toute critique, les promoteurs du dispositif insistent avant tout sur la liberté de choix du salarié. C'est une véritable tartufferie, qui exploite avec cynisme la pression du chômage sur le monde du travail. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Un étudiant en première année d'économie sait déjà que plus le chômage est élevé, plus le salarié devient une simple variable d'ajustement, « pressurable » à volonté et corvéable à merci.

La loi dite de cohésion sociale renforce et légitime cette règle issue des lois du marché : en effet, celle-ci fait du refus par le salarié d'une modification d'un élément essentiel de son contrat de travail - salaire, lieu, temps... - un motif de licenciement. Ainsi, quand à la contrainte économique s'ajoute la contrainte juridique, il devient pour le moins difficile, voire franchement risqué, de refuser d'accomplir des heures supplémentaires.

Parlons aussi de ces « heures choisies » que la proposition de loi met gracieusement à disposition du salarié méritant qui souhaite travailler au-delà du contingent d'heures supplémentaires. Outre que la possibilité de bénéficier de ces heures dépend davantage des besoins et de la volonté du patron que du désir de l'employé, le nombre d'heures comme le montant de leur rémunération se négocient directement entre l'employé et l'employeur.

M. Louis Souvet, rapporteur. Par organisations syndicales interposées !

Mme Raymonde Le Texier. Seul encadrement : l'accord collectif, mais il n'est plus qu'une garantie de façade. En effet, celui-ci, depuis les fameux amendements Larcher, est essentiellement considéré comme une opportunité de déroger aux conventions collectives et aux accords de branche. Dans ce cas, en prime, le repos compensateur obligatoire ne s'applique pas.

Le salarié se retrouve seul face à l'employeur, à sa discrétion, pour ne pas dire à sa merci. Encore est-ce là la lecture réaliste ! En effet, dans le langage éthéré et fleuri des thuriféraires de la droite, on appelle cela « une démarche de confiance dans le dialogue social » !

Deuxième axe de propagande de la proposition de loi : « travailler plus pour gagner plus ».

Curieusement, une fois cet axiome énoncé, la proposition de loi, quant à elle, se concentre seulement sur le compte épargne-temps. N'est-ce pas curieux ? On s'attendrait à ce que le salarié, mû par la nécessité d'augmenter son salaire, se voie tout simplement offrir le paiement direct de ses heures supplémentaires. Eh bien non ! C'est sur l'initiative de l'employeur que les heures effectuées au-delà de la durée collective du travail sont stockées.

M. Claude Domeizel. Et voilà !

Mme Raymonde Le Texier. Or à qui profite la transformation d'un complément de salaire en temps ? Avant tout à l'employeur, qui voit la part des charges sociales pouvant lui être imputée s'il paye des heures supplémentaires disparaître quand le travail, transformé en temps, ne fait plus l'objet d'un salaire mais d'une monétarisation. La différence sémantique est subtile ; les conséquences financières, quant à elles, sont palpables.

Par conséquent, abonder l'argent placé par le salarié est bien la moindre des choses lorsque les exonérations de charges dont bénéficie en contrepartie l'employeur sont bien plus élevées !

Tel est notamment le cas dès lors qu'un compte épargne-temps est transformé en plan d'épargne retraite ou en plan d'épargne entreprise.

Les charges alors récupérées par l'employeur représentent un vrai manque à gagner pour l'Etat et la sécurité sociale. Nous connaissons pourtant tous l'ampleur du déficit de notre système de protection sociale. Nous savons également tous, hélas ! que la réforme fait peser tout le poids de la solidarité et des déficits sur l'assuré social.

Par quelque bout que l'on prenne les réformes portées par ce Gouvernement, on constate que le cynisme du baron Seillière se révèle payant ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Bref, cette proposition de loi met en place un système qui permet d'augmenter la flexibilité sans imposer une obligation de rémunération immédiate, tout en offrant la perspective d'une économie de charges. On comprend que le MEDEF exulte !

Le plus amusant, si l'on peut dire, c'est que la rédaction de ce premier article apporte une autre information, qui est loin d'être négligeable : le salarié peut choisir de « compléter sa rémunération » à partir de son compte épargne-temps, en fonction de ce que définit la convention ou l'accord collectif.

Et là, les choses se corsent ! Un accord collectif, même conclu avec un syndicat minoritaire, voire avec un syndicat « maison », s'appliquera au sein de l'entreprise, quand bien même il contreviendrait à une convention de branche. Si le patron est habile, le salarié peut se voir dépouillé de la liberté de choisir la façon dont son compte épargne-temps sera géré et ce dernier pourra être automatiquement converti en plan d'épargne entreprise ou en plan d'épargne retraite.

« Travailler plus pour gagner plus », dites vous ?

Jusqu'alors, le contrat de travail ne pouvait être moins protecteur pour le salarié que l'accord d'entreprise, l'accord d'entreprise que l'accord de branche et l'accord de branche que l'accord interprofessionnel. Désormais, ce principe fondamental du droit social est renversé.

Les amendements Larcher contenus dans la loi de programmation pour la cohésion sociale avaient amorcé le processus d'abolition de la hiérarchie des normes. Cette proposition de loi complète la manoeuvre. Pis encore, dans certains cas, elle abolit carrément toute hiérarchie juridique.

M. Guy Fischer. Et voilà !

Mme Raymonde Le Texier. Ainsi, dans les entreprises de vingt salariés et moins, un accord individuel entre le salarié et l'employeur peut contredire un accord collectif. C'est la théorie du renard dans le poulailler !

M. Gérard César. Qui est le renard ?

Mme Raymonde Le Texier. Lacordaire disait : « Entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère ».

Privé de toute protection en matière de droit du travail autre que celles qui sont garanties par l'Union européenne, le salarié va pouvoir se rendre compte de lui-même de la justesse de cette citation. Car, aujourd'hui, le droit du travail devient l'exception et la dérogation la norme.

Et ce n'est pas fini : dans ce gouvernement, on n'oublie jamais que le gâteau n'est vraiment bon que si l'on y ajoute une cerise !

Revenons donc à ce merveilleux compte épargne-temps, dans lequel le salarié peut placer ses heures supplémentaires, son repos compensateur, ses primes, ses jours de RTT, une semaine de congés payés,... et un raton laveur, pour que l'inventaire soit complet.

Se pose alors la question de la gestion de ce fameux compte épargne-temps. En effet, même si tout est fait pour neutraliser et retarder l'exercice du droit de tirage des salariés, il semble difficile de ne pas provisionner ce compte.

Or, si les employeurs ont intérêt à développer le compte épargne-temps, plus les sommes placées y sont importantes, plus le besoin de détourner l'obligation de provisionner les sommes théoriquement dues aux salariés se fait pressant.

Qui peut garantir, dans ces conditions, l'abondement réel des sommes placées dans le compte épargne-temps ? Quelle garantie ce dernier offrira-t-il dès lors qu'il alimentera des plans d'épargne retraite fondés sur des placements en bourse ? Que se passera-t-il en cas de redressement judiciaire ou de liquidation de l'entreprise ? Cette question est loin d'être anecdotique, lorsqu'on sait que la durée de vie d'une PME est en moyenne de cinq ans.

En fait, le compte épargne-temps est surtout un jackpot pour l'employeur : les salaires sont captés pour devenir un outil financier au seul bénéfice des patrons et des banquiers. En siphonnant directement les salaires à la source, il sert d'accélérateur à l'épargne retraite. C'est un mécanisme de crédit très efficace consenti aux employeurs par leurs salariés à travers deux éléments essentiels du contrat de travail : le salaire et la durée du travail.

Le compte épargne-temps, qui ne rapporte aucun intérêt et ne tient pas compte de l'inflation, sera en revanche pour le salarié un placement pour le moins médiocre et hasardeux. Ce dernier ferait mieux de se faire payer ses heures supplémentaires et de placer les sommes ainsi obtenues sur un compte rémunéré ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Par ailleurs, en cas de faillite ou de liquidation de l'entreprise, la seule garantie du salarié reste l'Association pour la garantie des salaires, l'AGS.

Or cette garantie est plafonnée. De plus, l'AGS cumule un déficit impressionnant - 700 millions d'euros pour l'année 2002-2003 -, qui fait craindre pour sa pérennité. Les salariés dont le compte épargne-temps sera fortement doté risquent donc de dépasser le plafond, surtout si celui-ci est identique pour les salaires et pour ledit compte épargne-temps.

Tout ce qui dépassera le plafond sera alors perdu - « Travailler plus pour gagner plus », dites-vous encore ? - d'autant que l'AGS est gérée uniquement par le patronat, dont la politique vise à faire baisser le plafond de garantie de l'organisme. Or, avec ce gouvernement, ce que le MEDEF veut, il l'obtient.

Mes chers collègues, cette proposition de loi organise cyniquement le démantèlement du droit du travail. La déréglementation s'opère au profit exclusif des entreprises et réduit le salarié à n'être plus que la chair à canon du profit. Alors que les bénéfices des entreprises sont en forte hausse, alors que le montant des dividendes versés aux actionnaires explose, aucune revalorisation des salaires n'est envisagée !

En trois articles, c'est au respect même du travail et à la légitimité de sa rétribution que cette proposition de loi porte ses coups. Ici, la réforme n'est que le triste masque de la régression.

Malheureusement, l'histoire l'a souvent montré, quand le changement s'appuie sur la manipulation et le mensonge pour mieux servir une caste, ce n'est pas le progrès qu'il porte, mais bien la réaction qu'il installe.

Cette proposition de loi est à la liberté du salarié ce que l'arbitraire est à la justice : une offense et une négation même de son principe.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous allons combattre de toutes nos forces ce texte inique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Gournac. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Roland Muzeau. Il va nous parler du succès du revenu minimum d'activité !

M. Henri de Raincourt. Non, il va remettre les pendules à l'heure après votre délire ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Alain Gournac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai présidé en 1998 la commission d'enquête qui s'est penchée sur la mise en place de la réduction du temps de travail en France.

Les travaux de cette commission avaient notamment permis, à l'époque, de rappeler combien, dans notre société, le travail est essentiel à l'épanouissement de l'homme et de la femme, à leur dignité et au maintien de leur sens des responsabilités.

Or il faut bien constater aujourd'hui que la réduction imposée et généralisée du temps de travail a quelque peu modifié la perception de la notion « travail » par notre société. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas vrai !

M. Alain Gournac. Cette politique était en réalité un pari intellectuel : ses effets attendus en termes de créations d'emplois reposaient sur une construction théorique, faisant abstraction, notamment, de l'environnement économique national, et surtout international.

Il est difficile de prétendre que cette politique a réussi quand la France, qui est le seul pays européen a avoir fait le choix de la réduction du temps de travail, se situe au douzième rang parmi les pays de l'Union pour ses performances en matière d'emploi.

Il n'est certes pas question de remettre en cause les 35 heures : on sait que les revirements en droit social fragilisent les partenaires sociaux et l'ensemble des acteurs du secteur économique.

Les 35 heures resteront donc la durée légale du temps de travail. II est toutefois nécessaire d'y apporter quelques assouplissements pour remédier à l'insuffisante progression du pouvoir d'achat des salariés et pour favoriser la compétitivité de nos entreprises.

Faisons un rapide bilan des 35 heures.

Avec les 35 heures, on a voulu appliquer de façon autoritaire une règle uniforme.

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas vrai !

M. Alain Gournac. Or la prise en compte de la liberté des individus et de la diversité des situations professionnelles aurait dû servir de garde-fou.

M. Gérard César. Très bien !

M. Alain Gournac. Les 35 heures généralisées ont créé des injustices parmi les entreprises et parmi les salariés. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Les grandes entreprises ont eu la possibilité de passer aux 35 heures en annualisant et en flexibilisant la durée du travail tout en bénéficiant des allégements de charges financées par la collectivité, tandis que les petites entreprises, qui n'avaient pas les mêmes capacités à amortir ce choc, ont été mises en difficulté.

M. Alain Gournac. De nombreux cadres, qui subissent une pression importante dans leur travail, ont profité des forfaits jours prévus par la loi tandis qu'une grande partie des salariés se voyaient imposer des horaires sans avoir le choix d'effectuer des heures supplémentaires.

Les promoteurs des lois de 1998 et 1999 ont commis l'erreur de rester à un niveau macroéconomique, ignorant gravement, de ce fait, la situation des petites entreprises et de leurs salariés. D'ailleurs, des voix à gauche se sont élevées pour dénoncer cette bévue : en novembre 2000, mes chers collègues, Laurent Fabius (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC) ...

M. Henri de Raincourt. Est-il encore socialiste ? (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac. ...observa ainsi : « Chacun voit que les situations des entreprises ne sont pas toutes les mêmes. Pour certaines entreprises, les 35 heures ne posent pas de problème. Pour d'autres, c'est plus difficile. Des lois ont été votées, on ne les annulera pas, mais nous devons certainement traiter les situations diverses avec souplesse. »

Bravo ! C'est tout à fait ce que nous faisons aujourd'hui.

Les 35 heures ont également fait stagner les salaires, et c'est une injustice sociale dont sont victimes les Français les plus modestes.

En valeur absolue, les salariés modestes ont perdu entre un et deux points de pouvoir d'achat depuis trois ans.

Les 35 heures ont également entraîné la création de multiples SMIC. Heureusement, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a revalorisé significativement le SMIC horaire (Protestations sur les travées du groupe CRC)...

M. Guy Fischer. Il a appliqué la loi : c'est une conséquence !

M. Alain Gournac. ... afin d'aboutir à une unification vers le haut, cette fois, et non vers le bas !

M. Guy Fischer. Ce sont les critères de convergence !

M. Alain Gournac. Les 35 heures ont parfois détérioré les conditions de travail. Ainsi que l'a exposé Gérard Larcher, notre ministre délégué aux relations du travail, une étude de juin 2003 émanant de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, faisait apparaître qu'un tiers des salariés et 44 % des ouvriers et des employés se disaient être plus stressés depuis la mise en place des 35 heures dans leur entreprise. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

En effet, certains accords ont pu prévoir davantage de flexibilité dans les horaires, ce qui peut satisfaire certains salariés mais en déstabiliser d'autres...

Les 35 heures ont contribué à dégrader la compétitivité internationale des entreprises françaises. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. Mensonge !

M. Alain Gournac. Elles ont limité leur capacité à réagir à la demande et ont affaibli l'attractivité de notre territoire. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) II faut leur permettre de faire face à la concurrence grâce à davantage de réactivité.

Il était donc impératif d'introduire de la souplesse et de la liberté.

La loi Fillon de janvier 2003 a déjà ouvert des pistes...

M. Roland Muzeau. C'est sûr !

M. Alain Gournac. ...en permettant la négociation de nouveaux accords sur la durée du temps de travail et sur le régime des heures supplémentaires.

La loi de 2004 sur le dialogue social est venue compléter cette législation en favorisant la conclusion d'accords collectifs.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui invite avec pragmatisme à répondre aux besoins de nos entreprises et aux aspirations de leurs salariés.

Centrée sur la conclusion d'accords collectifs et l'adhésion personnelle du salarié à la modification de la durée de son temps de travail, elle offre à ce dernier une sécurité totale.

Ce texte permet d'enclencher une dynamique de revalorisation des bas salaires et du pouvoir d'achat en général.

Les conditions d'utilisation du compte épargne-temps sont assouplies. Les jours de repos ou de congé des salariés seront plus facilement cumulables dans ce compte et seront transformables en complément de salaire s'ils le souhaitent. Les seuils sont revus à la hausse, permettant une plus large utilisation, qui doit - c'est le but - se généraliser.

Je me réjouis notamment des dispositions qui facilitent l'abondement des produits d'épargne retraite créés par la loi Fillon par le biais du compte épargne-temps.

Le relèvement du contingent des heures supplémentaires permettra à ceux qui le souhaitent de travailler plus pour gagner plus.

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas vrai !

M. Guy Fischer. Mensonge !

M. Henri de Raincourt. Il n'y a que la vérité qui blesse !

M. Alain Gournac. Ces heures choisies qui s'ajoutent aux heures supplémentaires donneront droit à des majorations de salaire et, le cas échéant, à des contreparties en termes de repos. Cela s'inscrit bien entendu dans la limite des quarante-huit heures hebdomadaires.

Les inquiétudes de certains concernant l'absence de garantie pour le salarié sont dénuées de tout fondement puisque, précisément, le dispositif est totalement conditionné par l'accord du salarié et s'inscrit dans le cadre d'un accord collectif protecteur.

M. Roland Muzeau. Tu parles !

M. Alain Gournac. L'autre argument selon lequel une majorité de salariés ne souhaiteraient pas modifier la durée de leur temps de travail est assez étonnant. Même si cela est vrai - et j'en doute -, nous devons laisser aux autres le choix de modifier la leur.

M. Alain Gournac. Notre philosophie est différente de celle de la précédente majorité.

M. Bernard Frimat. Cela, c'est vrai !

M. François Marc. Sur ce point, nous sommes d'accord !

M. Alain Gournac. Nous souhaitons revaloriser l'effort aux yeux de tous. Le travail est ainsi de nouveau lié plus étroitement à la rémunération et à la satisfaction de participer à la prospérité de l'entreprise.

Le travail libère parce qu'il rend autonome. Aussi les salariés pourront-ils moduler leur temps de travail en fonction de leurs besoins d'argent ou de temps libre à consacrer à leur famille ou à leurs loisirs.

Contrairement aux idées ayant présidé à la mise en place généralisée des 35 heures, c'est le travail qui crée le travail, qui crée l'emploi, parce qu'il est créateur de richesse.

M. Alain Gournac. Autre souplesse, les cadres pourront également renoncer à une partie de leurs jours de repos en contrepartie d'une majoration de salaire, ce qui correspond à une forte demande. Encore une fois, cela ne s'effectuera, bien entendu, qu'à la demande du salarié.

Enfin, le dernier article procède à la prorogation pour trois ans du dispositif concernant les entreprises de moins de vingt salariés en matière de taux de rémunération des heures supplémentaires et d'imputation sur le contingent.

M. Roland Muzeau. C'est une honte !

M. Alain Gournac. II permet aussi aux salariés d'échanger leurs jours de RTT contre une rémunération, dans la limite de dix jours. Là encore, « accord collectif », « volontariat », « respect des partenaires sociaux », « confiance » sont les maîtres mots du dispositif.

Ce texte, mes chers collègues, s'inscrit dans une dynamique de libération des énergies et vient compléter les politiques publiques de lutte contre le chômage précédemment engagées.

Les résultats indéniables des abaissements de charges sur l'emploi des salariés les moins qualifiés nous montrent la voie qu'il faut continuer à suivre.

Aussi le plan annoncé le 16 février dernier en faveur des emplois de services prévoyant des allégements de charges sociales va-t-il dans le bon sens.

La loi de programmation pour la cohésion sociale devrait également améliorer le contenu de la croissance en emplois.

M. Roland Muzeau. On peut rêver !

M. Alain Gournac. Le groupe UMP adoptera cette proposition de loi, car elle crée un environnement favorable à l'émergence et au développement de nouvelles activités, favorise les initiatives, libère le travail de contraintes injustifiées et met un terme au rationnement du travail. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Roland Muzeau. Et le RMA !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, autant le dire tout de suite, la présente proposition de loi me semble, dans ses grandes lignes, aussi utile qu'un cautère sur une jambe de bois.

M. François Marc. Très bien !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Elle ne mérite ni excès d'indignité ni l'inverse.

La Haute Assemblée est aujourd'hui appelée à aménager un système qui est fondamentalement vicié. S'il n'est pas douteux que la réduction du temps de travail, rendue possible par le progrès technique et ses gains de productivité, est un mouvement historique irrésistible, en revanche, le choix d'une réduction du temps de travail brusque, drastique et autoritaire est nettement plus contestable.

De l'avis des plus éminents experts, de droite comme de gauche, le cadre rigide des lois Aubry coûte beaucoup à notre économie sans avoir véritablement favorisé la création d'emplois, tout au moins dans les proportions escomptées. On parlait de 800 000 emplois, on en a eu 300 000 à 400 000.

De plus, sa mise en place n'a pas été un monument de démocratie sociale.

M. François Marc. Il y a plus de 10 % de chômeurs, aujourd'hui !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Pour toutes ces raisons, le système souple institué en 1996 par Gilles de Robien était de loin préférable, à mon avis, à celui qui régit aujourd'hui l'organisation du temps de travail dans l'entreprise.

En effet, le monde de l'entreprise n'est pas un tout homogène. Les structures de production se trouvent confrontées à des besoins et des impératifs différents en fonction de leur secteur d'activité. Elles ont aussi besoin de pouvoir s'adapter aux fluctuations du marché, de leur environnement économique.

Face à cette réalité protéiforme, seuls les partenaires sociaux, dans le cadre de leurs conventions ou accords collectifs, sont à même de pouvoir juger des dispositifs de RTT les plus adaptés à la situation réelle de leur branche ou de leur entreprise.

Malgré tout, les 35 heures sont un acquis social sur lequel nous ne reviendrons pas. Vous l'avez vous-même confirmé, monsieur le ministre.

Partant de ce constat, que peut-on dire de la présente proposition de loi ? Pas grand-chose en réalité.

L'assouplissement du compte épargne-temps n'est, bien entendu, pas une mauvaise mesure, quoique assez anecdotique.

La possibilité de convertir ses droits acquis en augmentation de salaire me paraît être le seul apport substantiel du dispositif proposé.

Il en est de même du droit ouvert par l'article 2 aux salariés, aux cadres en particulier, de renoncer à une partie de leurs jours de repos en contrepartie d'une majoration de leur salaire.

Mais, à côté de cela, ce que l'on nous présente comme la mesure phare du texte, la création des « heures choisies », me semble plus contestable.

D'abord, lorsque l'on parle d'« heures choisies », il est bon de se demander : « choisies par qui ? » Ne nous voilons pas la face, lorsque l'on connaît un peu les rapports existants au sein de l'entreprise - j'ai une longue expérience en ce domaine en tant que syndicaliste...

M. Alain Gournac. Eh oui, chez nous aussi, il s'en trouve !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. ... mais aussi en tant que dirigeant - on sait qu'en pratique les heures choisies le seront par l'employeur et rarement par le salarié.

M. Roland Muzeau. Elles ne le seront jamais par le salarié !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Ainsi, ce régime d'heures choisies ouvre en théorie la semaine des 48 heures. La barrière communautaire européenne, M. le ministre l'a rappelé, deviendrait donc l'ultime filet de protection sociale.

En réalité, même ces critiques et ces craintes sont infondées. Tout simplement parce que, la plupart du temps, tous les partenaires nous l'ont dit, les heures choisies ne serviront à rien. En effet, dans la majorité des entreprises, le contingent d'heures supplémentaires est bien loin d'être utilisé en totalité.

Ce système servira donc en fait à la marge, pour des emplois saisonniers, pour des cadres ou des agents qui travaillent en urgence sur un projet.

Reste la question de la prorogation du régime dérogatoire applicable aux petites entreprises, posée par l'article 3.

Une telle dérogation est injuste. Il n'y a aucune raison de traiter moins bien les salariés employés dans des entreprises de moins de vingt salariés que leurs homologues des grandes structures.

L'argument invoqué est d'ordre économique. Il est possible et même probable qu'une majoration de 25 % des premières heures supplémentaires serait insupportable pour certaines petites entreprises.

C'est pourquoi nous vous proposerons, par un amendement, de contourner la difficulté en compensant la majoration de ces heures supplémentaires au même taux pour toutes les entreprises par une exonération de charges sociales gagée à due concurrence par une augmentation de TVA. Il serait ainsi question de commencer à mettre en place un système de TVA sociale.

Monsieur le ministre, malgré la gravité du sujet, je terminerai sur une note d'humour afin de détendre l'atmosphère.

Je ne prolongerai pas mon propos, car cinq minutes de notre temps de parole représentent 1/420e de notre temps de travail hebdomadaire légal. (Sourires.) Or, vous le savez, le temps est un bien très précieux, inestimable même depuis la loi Aubry. Alors, épargnons-le ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Merci de ce conseil, mon cher collègue ! (Sourires.)

La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, objet de débat et de controverses dans l'ensemble des pays industrialisés, la question de la durée du temps de travail soulève des enjeux économiques et sociétaux majeurs. En France, elle est au centre d'un combat acharné de la part du MEDEF et de la droite parlementaire depuis le 10 octobre 1997.

Depuis cette date, vous n'avez eu de cesse de dénoncer, sans jamais apporter la preuve de vos assertions, « la stratégie perdante de la RTT » et les régressions tant économiques que sociales dont elle serait responsable. Le très orienté rapport d'information du député Hervé Novelli n'a pu démontrer que la baisse de la durée du temps de travail ait entraîné une baisse de la compétitivité. Son auteur a même dû convenir de la création de 350 000 emplois, ce qui n'est pas sans importance à l'heure où la croissance française est moins créatrice d'emplois que par le passé.

Le président de l'Union professionnelle artisanale, l'UPA, a dit « pouvoir prouver que l'application des accords signés a permis de faire des gains de productivité et d'augmenter les bénéfices ». Quant aux salariés, ils sont une grande majorité à vouloir préserver cet acquis social et à porter en même temps une forte exigence de maintien de leur pouvoir d'achat.

Le chantage à l'emploi auquel se sont scandaleusement livrés de grands groupes, en l'occurrence Bosch, Siemens et SEB, profitant du contexte pour obtenir une nouvelle réduction du coût du travail, visait à arracher aux salariés une augmentation de leur durée de travail sans compensation salariale.

Tout en passant sous silence les contraintes budgétaires plus pressantes du pacte de stabilité, le Gouvernement Raffarin, sans chercher bien sûr à contenir, voire à endiguer ces offensives libérales, s'est engouffré dans les voies déjà ouvertes pour remettre sur le devant de la scène le sujet controversé de la réforme des 35 heures, qualifié jadis de débat imbécile par le Président de la République.

Dans un pays qui compte 4 millions de demandeurs d'emplois, où le taux de chômage officiel a désormais franchi la barre fatidique des 10 % de la population active, où le pouvoir d'achat, moteur de la croissance, est lui aussi en berne et où, en outre, le sous-emploi est massif, notamment aux âges extrêmes, la priorité sociale est-elle vraiment de revenir sur les 35 heures ?

Selon nous, l'urgence est plutôt de lutter résolument contre le chômage, en réfléchissant moins en termes de « travailler plus » qu'au fait d'être plus nombreux à travailler et de travailler mieux.

Au lieu de cela, vous stigmatisez une France paresseuse, notre société de loisirs oubliant au passage les individus privés de travail, ceux qui sont contraints aux petits boulots cumulés pour tenter de vivre, tous les travailleurs pauvres de l'hôtellerie et de la restauration, des services, de la distribution, qui, faute de pouvoir travailler plus de vingt heures payées au SMIC, gagnent 525 euros par mois, mais aussi les femmes, qui occupent 85 % des emplois à temps partiel de moins de quinze heures hebdomadaires, aux journées éclatées et harassantes entre transport, travail peu valorisant et enfants qui attendent, sans compter les saisonniers et tous ceux qui occupent un emploi précaire.

A tous ces adultes en âge de travailler, aux 3,6 millions de personnes dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté, vous proposez - pour ne pas dire vous imposez - le sous-emploi, en copiant les politiques anglo-saxonnes du workfare.

Le texte que nous examinons est un non-sens dans ce contexte. Avec votre projet, on pourra faire travailler les salariés plus de 2 000 heures, ce qui était la revendication du patronat d'avant 1936 !

Les slogans sont instrumentalisés pour mieux revisiter, dans un sens hyper-individualiste, les relations de travail, comme l'a déploré M. Olivier Favereau : ce professeur d'économie souligne que, « regardés de près, du point de vue de la théorie économique, ces deux slogans, "travailler plus pour gagner plus" et "rétablir la liberté de choix", sous couvert de modernité et de flexibilité, trahissent une vision de l'économie et de l'entreprise qui fleure bon le XIXe siècle ... ».

Qui sont les archaïques ?

Il regrette encore que l'« on nous propose, pour améliorer les performances de l'économie française, le schéma extensif qui est le prototype du capitalisme le plus archaïque - et certainement le moins défendable - non seulement sur le critère de justice sociale, mais aussi sur le critère d'efficacité économique ».

Je vous laisse, mes chers collègues, plaider en faveur d'un texte dit « pragmatique et équilibré ». Quant à moi, je suis convaincu du caractère étroitement idéologique des mesures qu'il recèle, visant prioritairement à accentuer la libéralisation du marché du travail.

Près de sept français sur dix ont exprimé de la sympathie envers les salariés du privé et du public qui sont descendus massivement dans la rue pour défendre les 35 heures, les salaires et l'emploi.

Les syndicats auditionnés par notre rapporteur ont tous confirmé, y compris les organisations patronales - à l'exception, bien sûr, ce qui nous rassure, du MEDEF et de la CGPME, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises -, qu'ils n'étaient pas demandeurs d'une remise en cause des 35 heures.

François Fillon fut déjà, de main de maître, à l'initiative de mesures assouplissant substantiellement la loi Aubry II, laquelle, il est vrai, s'était affranchie de deux verrous susceptibles de donner à la réduction du temps de travail toute son efficacité.

En 2003, M. Fillon évoquait aussi la liberté de pouvoir gagner davantage, alors qu'il ouvrait largement la possibilité d'abaisser à 10 % la majoration des heures supplémentaires via la négociation collective, déplaçant par la même occasion les frontières entre le rôle de la loi et celui de la convention, puisque les taux de droit commun, 25 % pour les huit premières heures supplémentaires et 50 % au-delà, devenaient supplétifs.

Quant à l'aménagement d'un régime spécifique de majoration des quatre premières heures supplémentaires à 10 % seulement au bénéfice des plus petites entreprises employant vingt salariés au plus, on peut constater là aussi qu'il était de nature à retirer du pouvoir d'achat aux salariés.

Le contingent annuel d'heures supplémentaires, fixé sans limite par simple accord d'entreprise, est passé de 130 à 180 heures. Les conventions de forfaits ont été élargies, contribuant à remettre en cause la durée légale.

Plus récemment, cette fois sous votre responsabilité, monsieur le ministre, à l'occasion de l'examen par le Parlement de la loi dite de cohésion sociale, des dérogations importantes ont été introduites au régime du travail de nuit pour les activités de production rédactionnelle et industrielle de presse, au risque de banaliser ce mode dérogatoire du temps de travail, nécessitant à ce titre une protection juridique sans faille et des garanties de compensation pour préserver la santé et la sécurité des salariés, mais aussi leur vie personnelle.

Une autre norme servant à définir le temps de travail effectif, celle qui a trait au temps de trajet, a elle aussi été appréhendée législativement de façon restrictive, au mépris de la jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation.

Bref, tous les outils permettant aux entreprises d'échapper à la réduction du temps de travail ou d'instrumentaliser cette dernière pour en tirer un maximum d'avantages, dans une logique de flexibilité et de compétitivité, existent bel et bien.

De l'avis unanime, certains de ces outils ne seraient pas pleinement utilisés par les entreprises. Je pense évidemment au contingent d'heures supplémentaires, porté à 180 heures annuelles, dont seules 70 heures en moyenne seraient utilisées aujourd'hui. Pourquoi alors décider de franchir un pas supplémentaire en portant ce dernier à 220 heures ?

Pourquoi tant d'acharnement de la part du Gouvernement à défendre une réforme contre les salariés, réforme qui, de surcroît, ne répond pas aux besoins de la majorité des entreprises ? Pour le bien-être des salariés, leur santé, leur pouvoir d'achat ? Pour l'emploi ?

Non, bien sûr ! Nous verrons ultérieurement qu'en réalité tout est illusion, leurre, prétexte à masquer les vrais débats.

Pour la CFTC, la Confédération française des travailleurs chrétiens, « le thème de l'adaptation des 35 heures fait figure de bouc émissaire et occulte les autres problèmes structurels de l'économie française, comme la tendance au sous-investissement des entreprises ou l'insuffisance du financement du tissu industriel ».

Si les gouvernements Raffarin successifs ont effectivement agité les 35 heures, c'est pour mieux masquer l'échec de leurs politiques fiscale, économique et sociale, dont on mesure aujourd'hui les effets déplorables sur l'emploi et le pouvoir d'achat et, a contrario, les effets plus que bénéfiques sur le capital.

Aux résultats spectaculaires affichés par BNP-Paribas et la Société Générale a succédé l'avalanche des résultats des grandes compagnies françaises en 2004, tous plus mirifiques les uns que les autres : 9 milliards d'euros de profits nets pour Total, soit un bénéfice en hausse de 23 %, un bénéfice net en hausse de 143 % pour L'Oréal, une hausse de 30 % de profits pour Schneider Electric, un bénéfice net d'Arcelor en hausse de 900 % et, dans toutes ces entreprises, des suppressions d'emplois.

Dans ces conditions, vous aurez beaucoup de mal à nous convaincre de l'opportunité de vos choix, visant notamment à faciliter et à accélérer les restructurations et les procédures de licenciement, à abaisser toujours davantage le coût du travail et, par là même, à « smicariser » le salariat, ou de la nécessité de réduire encore l'impôt de solidarité sur la fortune, voire d'envisager, comme s'y est engagé le Président de la République, d'exonérer totalement, d'ici à trois ans, les entreprises de toute cotisation sociale au niveau du SMIC, sans parler de la réforme de la taxe professionnelle pour les collectivités territoriales.

Il sera particulièrement difficile pour ce gouvernement de rester désespérément sourd aux revendications légitimes des salariés et des fonctionnaires portant sur leur pouvoir d'achat.

Décidément, les contrastes sont trop forts entre, d'une part, l'aisance financière des entreprises, qui leur permet, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques, de dégager un taux de marge de plus de 40 %, conduisant ces dernières, au niveau européen, à verser 199 milliards d'euros de dividendes aux actionnaires et à payer, pour les plus grandes, 8 milliards en rachat d'actions et, d'autre part, la réalité de la modération salariale, la perte de pouvoir d'achat des salariés, toujours plus nombreux à être exposés à des carrières précaires et aux bas salaires, alors que leur productivité horaire est parmi les plus élevées d'Europe.

En 1975, moins de 5 % des salariés étaient rémunérés au SMIC. En 1993, ils étaient plus de 8 %. Ils sont désormais 14 %.

Je citerai d'autres statistiques éloquentes : en 2002, les salariés étaient près de 17 % à émarger à 950 euros net par mois, somme inférieure au SMIC, représentant les deux tiers du salaire médian et servant à référencer les bas salaires.

Par ailleurs, le nombre de branches professionnelles dont la grille démarre en dessous du salaire minimum a plus que doublé en quinze ans.

Le résultat des négociations annuelles menées dans toutes les entreprises sur le thème des salaires montre lui aussi toutes ses limites. En moyenne, les ouvriers de la métallurgie, dont près de la moitié vivent avec moins de 960 euros par mois, obtiennent des augmentations de salaires de 1,8 % !

Allez-vous enfin, monsieur le ministre, prendre la mesure du caractère urgent et crucial de la question salariale, en la traitant dignement, notamment en convoquant sur ce thème une conférence nationale ?

S'agissant plus globalement du pouvoir d'achat des Français, allez-vous enfin admettre que sa moyenne de croissance est effectivement bien inférieure à celle des années passées - quand il ne « dégringole » pas ! - et que, là encore, vous portez une lourde responsabilité.

Par vos choix fiscaux, vous avez fait de la baisse des impôts pour les plus riches une priorité et, par vos pseudo-réformes des retraites, de la sécurité sociale, de la dépendance, vous avez augmenté les prélèvements sociaux.

Mes chers collègues, nous savons également que l'objet de cette proposition de loi déborde de la seule question du temps de travail.

Ne s'agit-il pas aussi, en réservant soi-disant une place plus importante à la négociation collective, d'individualiser encore davantage les rapports de travail et de renvoyer le salarié dans un tête-à-tête forcément déséquilibré avec son employeur ?

Laurent Mauduit, dans une analyse parue dans Le Monde du 16 février dernier, se demande légitimement si la droite libérale n'ambitionne pas toujours de brûler le code du travail, tant il est vrai que les réformes passées ou celles qui sont en préparation, notamment la réécriture du code du travail ou la création du fameux contrat intermédiaire, ajoutées au discours ambiant qui fait suite aux rapports de MM. de Virville ou Camdessus, tendent à remettre en cause le cadre traditionnel du contrat de travail.

La liberté du contrat de travail est un thème présent dans le texte qui nous est soumis. Or cette liberté est une fiction juridique, comme l'a rappelé récemment à La Tribune Philippe Waquet, remarque étant faite « que le contrat de travail est la seule convention qui établisse une relation de subordination entre les parties : le salarié doit obéir au patron ».

A vous entendre, les salariés n'auraient plus besoin d'être protégés par un socle commun de garanties, y compris contre eux-mêmes s'agissant de leur santé, ou contre leur employeur avec qui ils seraient à égalité !

C'est ainsi que vous justifiez l'article 2 du texte favorisant sur la base du volontariat - ou plutôt de la contrainte ! - le développement du temps dit choisi conduisant les salariés à effectuer des heures supplémentaires au-delà du contingent annuel et faisant exploser pour les cadres au forfait la durée maximale de 218 jours actuellement applicable.

Toujours sous couvert de liberté du temps retrouvée, vous dénaturez le compte épargne-temps en l'axant sur son utilisation en argent, et vous circonscrivez étroitement la volonté du salarié dans ses modes d'utilisation tout en valorisant les choix de l'entreprise. Quelle conception univoque de la liberté !

Le MEDEF rêvait d'inverser la hiérarchie des normes, de déplacer l'équilibre entre ce qui relève de l'ordre public social, du législateur, et ce qui relève des normes pouvant être élaborées par la négociation collective, laquelle devrait être la plus décentralisée. M. Fillon, en bon génie, a exaucé ce premier voeu !

En généralisant plus récemment les fameux accords de méthode, ce gouvernement a également ouvert la porte à des dérogations, toujours synonymes de moindres garanties collectives pour les salariés, en matière de licenciements économiques. Avec ce texte, une autre barrière, trop encombrante pour le MEDEF, pourrait, elle aussi, sauter.

Désormais, via la possibilité de racheter des jours de repos, ouverte par l'article 3 aux salariés des PMI-PME, en dehors de tout accord collectif, un salarié pourra individuellement renoncer à ses droits en matière de réduction du temps de travail. Sous couvert de liberté de choix, le système de l'« opting out », cher aux Anglais, s'immisce dans notre droit social français et bouleverse gravement ses fondamentaux.

Bientôt, les contrats de travail fleuriront de clauses individuelles moins favorables aux salariés que la convention collective, moins favorables aussi que le code du travail. Le MEDEF, exhortant hier le Gouvernement pour qu'il abroge une fois pour toutes les 35 heures, est aujourd'hui pleinement satisfait.

Les déclarations de son président, on ne peut plus euphoriques et positives, saluant l'entrée « dans un nouveau monde » - rien de moins ! - confirment que les trois petits articles de la présente proposition de loi, élaborés sous la conduite du Gouvernement, ouvrent véritablement de nouvelles perspectives aux entreprises. Ces dernières pourront négocier directement avec les salariés de l'organisation et de la durée individuelle du temps de travail.

Nous nous opposons farouchement à cette lame de fond désorganisant la protection collective des salariés. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles les parlementaires communistes se sont résolument engagés à la fois contre la directive Bolkestein et contre le traité de Constitution européenne. Ces textes, dont la cohérence est identique, sacrifient les droits et protections des travailleurs sur l'autel de la compétitivité pour asseoir la domination des marchés financiers.

La révision en cours de la directive européenne sur le temps de travail doit, elle aussi, monopoliser toute notre attention.

Tout d'abord, parce que, comme l'a dénoncé Gérard Filoche dans un entretien publié dans l'Humanité le 13 février dernier, « la Commission Barroso espère parvenir à autoriser jusqu'à 65 heures, en sortant du temps de travail, les temps d'astreinte ou les temps de garde ».

Ensuite, parce que la durée maximale fixée à 48 heures, qui n'existe pas dans les dix pays entrants, susceptible d'être revue à la baisse pour la protection de la santé des salariés, est la seule référence qui subsistera en France une fois assoupli le dispositif du compte-épargne temps, tel que prévu par l'article 1er.

A travers la centaine d'amendements déposés par le groupe communiste républicain et citoyen, nous montrerons que d'autres voies praticables au service de l'emploi, de la qualité et de salaires décents, sont possibles.

Nous nous attacherons également, en miroir aux critiques justes formulées à l'encontre du bilan social des 35 heures, de proposer - ce dont se dispensent les auteurs de la proposition de loi - des mesures de nature à améliorer les conditions de travail des salariés, à mieux articuler les temps de vie et, donc, à donner tout son sens à l'idée de temps choisi. Nous défendrons aussi des propositions afin de mettre un terme aux discriminations entre salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « le mal le plus profond, c'est le mépris du travail ». En paraphrasant, on pourrait dire : « travaillons plus pour gagner plus ». Une telle injonction pourrait paraître ultra-libérale à certains. En réalité, elle est tout simplement pleine de bon sens.

Mme Raymonde Le Texier. Rétablissez le servage !

M. Aymeri de Montesquiou. Quelle que soit l'époque, elle est pourtant plus réaliste que de nous pousser à travailler moins pour prendre des parts de marchés dans la très difficile compétition mondiale.

Quelle que soit notre appréciation personnelle - ou partisane - il y a une réalité : nous devons inéluctablement travailler plus pour payer nos retraites et une protection sociale digne du XXIe siècle.

Avec les 35 heures, nous avons proposé à nos concitoyens une forme de renoncement : renoncer à être les premiers, renoncer à conquérir les marchés, renoncer à l'enthousiasme. C'est un repli sur soi, un refus de la compétition, l'acceptation d'un déclin.

Mme Hélène Luc. Mais les 35 heures, cela ne veut pas dire cela, voyons !

M. Aymeri de Montesquiou. Il a fallu une dialectique bien éloignée de toute logique économique pour tenter de démontrer, sans y croire, que la mise en place des 35 heures serait une bonne décision pour la France. Cette réduction autoritaire du temps de travail fut une erreur économique, une erreur budgétaire et, surtout, une erreur sociale.

M. Jean-Louis Carrère. Ils disaient la même chose pour les congés payés !

Mme Hélène Luc. Les Français sont pour à 70 % !

M. Aymeri de Montesquiou. Erreur économique, car cette disposition française, qui a provoqué l'incrédulité ironique de nos concurrents, a handicapé nos entreprises, freiné notre PIB et fait reculer le revenu des Français dans les palmarès européens.

M. Roland Muzeau. Ce n'est pas vrai !

M. Aymeri de Montesquiou. Erreur budgétaire, car l'allégement des charges sociales pour les entreprises passant aux 35 heures a généré pour l'Etat une dépense inutile et absurde - 8 milliards d'euros en 2003, 11,3 milliards d'euros en 2004 - sans aucune valeur ajoutée en retour ni réelles créations d'emplois.

Il n'est pas équitable que ces non-rentrées fiscales pèsent les non-salariés, c'est-à-dire que les agriculteurs, les commerçants, les artisans et les professions libérales, en général, soient obligés de payer plus d'impôts pour que d'autres travaillent moins !

M. Guy Fischer. Ce n'est pas vrai !

Mme Hélène Luc. C'est faux, et vous le savez !

M. Aymeri de Montesquiou. Erreur sociale, car, en limitant le temps de travail, on a interdit aux Français les plus modestes qui souhaitaient travailler plus pour gagner plus d'améliorer leur pouvoir d'achat afin de progresser dans l'échelle sociale.

M. Jean-Marc Todeschini. Et les entreprises ont réalisé des bénéfices exceptionnels !

M. Aymeri de Montesquiou. Or, comme l'a justement souligné notre collègue Robert Badinter, « le travail de chacun doit être pleinement rémunéré en considération de ses efforts ». Ceux qui souhaitent travailler plus et qui ont travaillé davantage gagneront davantage !

M. Jean-Marc Todeschini. Mais avec vous, c'est travailler plus et gagner moins !

M. Aymeri de Montesquiou. Aujourd'hui, les 35 heures sont considérées comme un acquis social bien qu'elles constituent un handicap évident pour la compétitivité de notre pays.

N'y ajoutons pas un affrontement politique. Faisons le choix de la liberté de travailler, sur lequel nous devons tous nous réunir. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Le « temps choisi » répond à cette attente.

Pour cela, faisons table rase de toutes les désinformations.

Mme Hélène Luc. Faisons table rase du passé ! (Sourires.)

M. Aymeri de Montesquiou. Rehaussons le débat en refusant les slogans de ceux qui en connaissent l'inexactitude lorsqu'ils parlent de « coup de grâce aux 35 heures » ou qu'ils affirment que les Français travailleront plus sans gagner plus si cette proposition de loi est votée. Ils savent que c'est faux !

Premièrement, il est faux de dire que les 35 heures ne seront plus la durée légale du temps de travail. Ce nouveau texte n'apporte aucun changement sur ce point dans le code du travail.

M. Jean-Louis Carrère. Alors à quoi sert-il ?

M. Aymeri de Montesquiou. Deuxièmement, en ce qui concerne les heures supplémentaires, il est faux de dire que leur rémunération jusqu'à 48 heures par semaine, ou 44 heures sur douze semaines, ne bénéficiera plus d'une majoration. Si les heures volontairement portées par le salarié sur son compte épargne-temps, entre 35 et 39 heures, ne sont pas majorées en tant que telles, elles seront récupérées ultérieurement, et les heures supplémentaires au-delà de 39 heures seront majorées comme toute heure supplémentaire normale.

J'en profite pour affirmer que les heures supplémentaires favorisent l'emploi. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Elles augmentent la production et les salaires, donc l'offre et la demande, dont la concomitance sont les bases d'une évolution saine de l'économie.

M. Jean-Marc Todeschini. Cela augmente surtout les bénéfices !

M. Aymeri de Montesquiou. Troisièmement, il est encore faux d'affirmer que les heures rachetées dans les entreprises de moins de vingt salariés, toujours avec l'accord du salarié, ne seront pas majorées. Sur ce point précis, l'article 3 de la proposition de loi prévoit expressément cette majoration.

Quatrièmement, pour ce qui concerne les cadres, il est toujours faux de vouloir faire croire que les jours rachetés pourront être payés à un niveau inférieur à celui des jours normaux. Ce rachat implique que ces jours soient payés comme des jours ordinaires.

Cinquièmement, il est faux de dire que les salariés seront laissés seuls face aux chefs d'entreprise qui feront un chantage au licenciement.

Cette proposition de loi n'aura aucun effet direct...

M. Jean-Louis Carrère. De toute façon elle ne sert à rien !

M. Aymeri de Montesquiou. ... si un accord de branche ou d'entreprise n'a pas été négocié au préalable. Je suis convaincu que, tous ici, nous sommes des tenants des mérites et vertus de la négociation collective.

M. Roland Muzeau. Mais de la loi, vous l'êtes moins !

M. Aymeri de Montesquiou. Au final, il s'agit bien de définir un principe du temps choisi, de préserver la liberté individuelle dans des conditions encadrées par des accords collectifs.

Mme Hélène Luc. Oui ! Les chômeurs peuvent choisir leur temps !

M. Aymeri de Montesquiou. Cette liberté est toujours préférable à des législations plus contraignantes, autoritaires et malthusiennes comme le furent les lois Aubry sur les 35 heures.

M. Roland Muzeau. Mais non ! C'est le code du travail !

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le ministre, mes chers collègues, en votant cette proposition de loi, nous ferons 100 % de satisfaits chez les salariés du secteur privé.

Mme Hélène Luc. Alors ça, cela m'étonnerait !

M. Roland Muzeau. Vous allez voir le 10 mars avec les manifestations !

M. Aymeri de Montesquiou. Je veux parler des 77 % de salariés qui, selon les sondages, ne souhaiteraient pas augmenter la durée de leur temps de travail, qui est toujours de 35 heures par semaine aux termes de la loi, et qui pourront donc effectivement rester à 35 heures. Je veux aussi parler des 23 % restants qui, eux, souhaitent travailler plus pour gagner plus !

M. Jean-Marc Todeschini. Ils gagneront moins !

M. Aymeri de Montesquiou. Alors, votons ce texte qui permettra à la fois un progrès économique et un progrès social ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs mois, le code du travail est sans cesse mis à mal dans des proportions spectaculaires, très révélatrices de la politique du Gouvernement. 

En effet, par des moyens détournés, en cherchant à faire passer des amendements dans le cadre de projets de loi, le Gouvernement est parvenu, à plusieurs reprises, à revenir sur des acquis sociaux fondamentaux.

Dans la loi relative à la formation professionnelle et au dialogue social, des amendements visant à faire en sorte que des accords d'entreprise puissent ouvrir droit au bénéfice de dérogations au code du travail ont été adoptés. Auparavant, ces dérogations n'étaient réservées qu'aux accords de branche.

Plus récemment, un autre exemple illustre bien la méthode du Gouvernement. Je veux parler du projet de loi de cohésion sociale, dont le but affiché était de réduire la fracture sociale, et dont le résultat s'est traduit par l'introduction discrète de dispositions tendant à faciliter les licenciements.

Que nous propose-t-on aujourd'hui ? Des dispositions sur le régime du compte épargne-temps, le contingent des heures supplémentaires et la possibilité ouverte, par simple accord d'entreprise, de transformer du temps libre en rémunération sans obligation de passer par des accords de branche. Une fois encore, sous couvert de bonnes intentions et par des moyens détournés, une proposition - et non un projet de loi ! - s'en prend au code du travail, le but étant de tirer un trait sur les lois Aubry relatives aux 35 heures.

On nous rejoue l'air du « travailler plus pour gagner plus », vieux refrain libéral, et cela en donnant aux salariés la possibilité d'effectuer plus d'heures supplémentaires. Mais c'est faux ! Les heures supplémentaires, au lieu d'être majorées de 25 %, comme c'est le cas aujourd'hui, ne le seront plus que de 10 %. Faites le calcul : il faudra travailler cinq heures contre deux actuellement pour gagner autant !

On nous propose aussi le « temps choisi », qui serait discuté entre le salarié et le chef d'entreprise d'égal à égal. De qui se moque-t-on ? Je vois mal une caissière de grande surface, ni un ouvrier du BTP, d'ailleurs, pouvoir choisir ses horaires face à son patron.

M. Claude Domeizel. On imagine la scène ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Gisèle Printz. Qu'on le veuille ou non, outre qu'elle a permis de créer des emplois, la réduction du temps de travail est un acquis social, un acquis sociétal.

Une enquête scientifique consacrée aux effets de la réduction du temps de travail pour les salariés a montré que les femmes ont pu, dans une mesure considérable, mieux concilier vie professionnelle et vie familiale, et que les hommes ont pu s'investir plus fortement dans la vie familiale, ce qui permet d'améliorer la qualité de vie.

Plus que le temps partiel, qui concerne une femme active sur trois et qui enferme dans la précarité, les 35 heures étaient une solution efficace et égalitaire pour concilier vie personnelle et vie professionnelle. L'harmonie de la cellule familiale, que cette dernière soit monoparentale, recomposée ou traditionnelle, n'est-elle pas une question importante pour notre société ?

En définitive, à qui profitera la mise en oeuvre des dispositions de cette proposition de loi ? Sûrement pas aux salariés, à qui l'on paiera à terme des jours de RTT qu'ils auraient préféré passer en famille et qui travailleront plus pour gagner moins que sous la réglementation actuelle ; sûrement pas aux femmes, auxquelles les emplois précaires resteront dévolus.

Le dialogue social est mis à mal, le mandatement disparaît, les formations syndicales sont écartées des petites entreprises et le démantèlement progressif du droit du travail se poursuit.

En fait, la mise en oeuvre des dispositions de cette proposition de loi profitera surtout au patronat, qui pourra rendre les femmes et les hommes au travail « malléables » et corvéables à merci. La commission des affaires sociales l'a d'ailleurs remarqué, et, en vue de limiter les dégâts, elle a adopté un amendement tendant à restreindre les possibilités de recours aux heures supplémentaires au-delà du nouveau contingent légal de 220 heures par an.

Monsieur le ministre, croyez-vous que ce soit du patronat qu'il faille se soucier aujourd'hui ? Après l'annonce récente d'une explosion des profits des grandes entreprises françaises et des dividendes versés par ces dernières, le taux de chômage est repassé au-dessus de la barre des 10 % de la population active, seuil qui n'avait plus été franchi depuis cinq ans ! Ce n'est pas en revenant sur une loi qui a fait ses preuves en matière de création d'emplois que vous allez inverser la tendance.

Ce texte est inacceptable, et nous voterons naturellement contre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant soutenu à cette tribune par le passé la loi Robien contre l'avis d'un certain nombre de mes amis, je ne suis pas suspect d'être fondamentalement hostile à la réduction du temps de travail. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.)

M. Guy Fischer. C'est vrai !

M. Claude Domeizel. Cela commence bien !

M. Jean-Pierre Fourcade. Toutefois, si la réduction du temps de travail est une mesure valable quand elle offre l'occasion d'améliorer la productivité d'une entreprise industrielle ou de services disposant de nombreuses machines et de beaucoup d'outillage, elle n'a aucun sens quand il s'agit de réduire le temps de travail de salariés qui sont assis derrière des guichets, qui rendent des services aux personnes ou qui sont chargés de régler des problèmes de la vie quotidienne.

M. Claude Domeizel. Cela continue moins bien !

M. Jean-Pierre Fourcade. Par conséquent, le fait d'avoir généralisé et rigidifié le dispositif de réduction du temps de travail place notre pays dans une position singulière.

Quand on observe les progrès de la Chine ou de l'Inde, quand on constate le développement économique des Etats-Unis, quand on voit ce qui se passe au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie ou même en Pologne, pays dont nous parlions avec M. le ministre voilà quelque temps, on peut établir trois constats.

Premier constat, la France occupe l'avant-dernier rang, parmi l'ensemble des pays de l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, en matière de durée du travail par personne.

M. Roland Muzeau. Nous sommes premiers en matière de productivité !

M. Jean-Pierre Fourcade. Deuxième constat, le taux de chômage que nous connaissons - le seuil des 10 % de la population active vient d'être franchi - est l'un des plus élevés de l'OCDE.

M. Paul Raoult. A qui la faute ?

M. Jean-Pierre Fourcade. Comment cela, à qui la faute ?

M. Roland Muzeau. A Raffarin et au MEDEF !

M. Jean-Pierre Fourcade. Laissez-moi finir, chers collègues !

Troisième constat, notre pays supporte un déficit budgétaire qui compte parmi les plus forts de l'OCDE.

Pour ne pas soupçonner l'existence d'une corrélation entre ces trois constats, il faut vraiment être très ignorant en matière de politique économique,...

M. Jean-Pierre Fourcade. ... il faut vraiment être fermé aux problématiques de l'économie mondiale !

M. Roland Muzeau. Et la productivité ?

M. Jean-Pierre Fourcade. Cela m'amène à apporter mon soutien aux auteurs de la proposition de loi dont nous débattons ce soir.

Ce texte a été excellemment présenté par les deux rapporteurs, que je tiens à saluer, et les orateurs qui m'ont précédé, notamment MM. Gournac, de Montesquiou et Vanlerenberghe, ont parfaitement résumé son contenu.

Pour ma part, je suis favorable à l'amélioration et à l'assouplissement du dispositif du compte d'épargne-temps. Je le suis également aux propositions concernant les cadres, mais je souscris, non par habitude mais parce que cela répond à mes convictions, à l'amendement adopté par la commission des affaires sociales et tendant à préserver la cinquième semaine de congé, laquelle me paraît représenter un acquis. Je reconnais bien là l'empreinte de M. Souvet, qui se trouve à l'origine de cette initiative.

Cela étant, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'éprouve deux motifs d'inquiétude, sur lesquels je voudrais maintenant insister quelque peu.

Mon premier motif d'inquiétude concerne les petites entreprises, notamment celles qui sont de création récente.

L'action du Gouvernement a permis la création de 224 000 petites entreprises l'année dernière. Si l'on applique à ces nouvelles petites entreprises le régime général applicable aux multinationales ou aux filiales de celles-ci dans notre pays, on peut d'emblée être certain que leur taux de disparition sera élevé et que leur développement sera contrecarré.

Or, et c'est là qu'intervient le pragmatisme auquel s'est référé M. le ministre, que constate-t-on ? On constate que, à l'heure actuelle, les grandes entreprises ayant négocié des accords relatifs aux 35 heures ont stabilisé leur effectif salarié ou l'ont même légèrement réduit en procédant à des délocalisations, et que les créations d'emplois nouveaux dans ce pays sont essentiellement le fait, aujourd'hui, de petites entreprises.

Par conséquent, si notre législation nationale désavantage les petites entreprises et entrave leur développement, si l'on s'obstine à dire qu'il faut, pour des raisons de justice, que les heures supplémentaires soient rémunérées au même tarif dans les petites entreprises et dans les grandes, on aboutira à la fois à favoriser la création d'entreprises et à les tuer dans les deux ou trois années qui suivront.

C'est pourquoi je souhaite, monsieur le ministre, que l'on maintienne, s'agissant du régime applicable aux petites entreprises, les dispositions de la loi Fillon et des textes récents. Un certain nombre d'acteurs, notamment la CGPME, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, et l'UPA, l'Union professionnelle artisanale, demandent que l'on pérennise de manière définitive ce dispositif. Je ne crois pas que ce soit nécessaire, mais il faut laisser du temps aux petites entreprises.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Fourcade. Tous les maires ici présents et qui essaient de favoriser la création de petites entreprises savent que les deux ou trois années suivant celle-ci constituent la période la plus délicate.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Notamment la troisième année !

M. Jean-Pierre Fourcade. Par conséquent, il ne faut pas casser le dynamisme des petites entreprises, car c'est d'elles que viendra la solution au problème de l'emploi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Jean-Pierre Fourcade. Mon second motif d'inquiétude, monsieur le ministre, tient au fait que le dispositif des 35 heures engendre des dépenses extrêmement lourdes pour le budget de l'Etat, et qu'aucun autre pays de l'Union européenne ne connaît une telle situation.

Certes, je sais bien que, lorsque l'on a décidé la généralisation des 35 heures, on a en quelque sorte payé les entreprises pour qu'elles l'acceptent, ce qui a entraîné une considérable dérive budgétaire, représentant aujourd'hui entre un cinquième et un quart de notre déficit budgétaire. Les chiffres sont colossaux, et nous sommes les seuls en Europe à supporter une telle charge ! D'ailleurs, les ministres de l'économie et des finances ou les Premiers ministres de nos partenaires européens s'étonnent que nous puissions traîner un tel boulet ! Comment voulez-vous, disent-ils, retrouver un niveau de croissance satisfaisant en portant un fardeau de 10 milliards à 15 milliards d'euros annuels ?

M. Jean-Louis Carrère. On peut tout arrêter ! Il n'y aura alors plus de déficit !

M. Jean-Pierre Fourcade. Voilà quelle est la réalité de notre situation dans le monde ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Louis Carrère. C'est incroyable ! Votre argumentation est très mauvaise !

M. Jean-Pierre Fourcade. Non, elle est très bonne !

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Oui, elle est très bonne !

M. Jean-Pierre Fourcade. Allez discuter avec les responsables du parti socialiste espagnol,...

M. Jean-Louis Carrère. Ah ! c'est un parti socialiste qui vous fait rêver !

M. Jean-Pierre Fourcade. ... allez discuter avec les Suédois ou les Finlandais, et vous verrez que nous sommes considérés comme des « rigolos » par l'ensemble de nos partenaires ! Voilà la réalité !

J'ajouterai, chers collègues qui vous voulez des parangons en matière de compensation, que vous avez allègrement oublié les collectivités territoriales quand vous avez généralisé les 35 heures.

Mme Gisèle Printz. Ce sont les Français que l'on oublie !

Mme Raymonde Le Texier. Oui ! Allez discuter avec les Français ! Ecoutez-les !

M. Jean-Pierre Fourcade. Aujourd'hui, notre fiscalité locale, dont certains ici se plaignent, se ressent des effets de l'application générale des 35 heures.

M. Claude Domeizel. C'est faux !

M. Jean-Pierre Fourcade. Les collectivités territoriales n'ont reçu aucune compensation de la part de l'Etat à ce titre ! Aucune ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Eh oui ! Ce sont elles qui paient !

M. Jean-Louis Carrère. Continuez dans cette voie ! C'est la bonne !

M. Jean-Pierre Fourcade. Je voudrais que l'on mette un terme aux conflits stériles : le vrai problème qui se pose à nous est de savoir si nous voulons lutter efficacement contre le chômage. Dans l'affirmative, il faut tout d'abord permettre aux petites entreprises de se créer et de se développer.

M. Jean-Louis Carrère. Alors, faites-le vite !

M. Jean-Pierre Fourcade. Il faut ensuite cesser de subventionner les entreprises qui ont négocié des accords relatifs aux 35 heures et élaborer, monsieur le ministre, un système de réduction programmée des dépenses, afin de récupérer des capacités budgétaires qui seront très utiles pour développer la recherche ou financer les investissements, notamment publics, qui nous font actuellement défaut.

M. Jean-Louis Carrère. Vous êtes les champions de la recherche !

M. Jean-Pierre Fourcade. Il faut enfin, comme le prévoit la proposition de loi, assouplir les dispositifs. Les personnes se satisfaisant de travailler 35 heures par semaine doivent pouvoir continuer à le faire.

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Voilà !

M. Jean-Pierre Fourcade. Il ne faut donc pas toucher à la durée légale actuelle du travail de 35 heures, mais il faut laisser travailler davantage, sans les pénaliser, les salariés, notamment les cadres, et plus particulièrement encore les cadres âgés, les « seniors », dont la participation à l'activité du pays est d'une importance essentielle, nous le savons, pour le financement des régimes de retraite et le développement de la protection sociale.

M. Roland Muzeau. Pourquoi les licencier, alors ?

M. Jean-Pierre Fourcade. Tel est l'objet de cette proposition de loi, et c'est la raison pour laquelle je la voterai. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Alain Gournac, vice-président de la commission des affaires sociales. Bravo !

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Dossier législatif : proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise
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