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DÉSIGNATION D'UN SÉNATEUR EN MISSION

M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre une lettre en date du 20 octobre 2003 par laquelle il a fait part au Sénat de sa décision de placer en mission temporaire, auprès du Premier ministre, M. Serge Lepeltier, sénateur du Cher.

Acte est donné de cette communication.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heurs quarante-cinq, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.)

PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. le président. La parole est à M. Jack Ralite, pour un rappel au règlement.

M. Jack Ralite. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon rappel au règlement se fonde sur l'article 36 du règlement intérieur du Sénat.

Je serai bref et précis.

Imaginez des hommes et des femmes, artistes et techniciens du spectacle, qui, cette dernière semaine, se sont réunis partout en France pour réfléchir sur leur grave situation et sur l'état nouveau et très préoccupant de la politique culturelle du Gouvernement.

TF1 n'y a pas consacré, que je sache, une image. Des artistes et techniciens qui pensent et imaginent pour eux et pour les autres, silence. J'ai participé à six réunions de ce type, très rassembleuses et ayant une richesse constituante. Le Kremlin-Bicêtre, France Culture à la Villette, états généraux de la culture au Zénith avec des chercheurs, Saint-Etienne, Bayonne, Le Mans : 3 500 personnes, silence. A en être désespéré !

Puis, samedi soir, il y a une intervention sur le plateau de Star Academy. Le présentateur fait tout de suite la part des choses, mais les vigiles de TF1 non. Le Journal du dimanche a publié une photo révélatrice : on voit qui frappe, on voit qui est à terre.

Et comme si cela ne suffisait pas, TF1 fait arrêter quatre personnes qui sont placées en garde à vue, qui sont, dès hier, passées devant la justice, avec certes une libération, mais contre 1 000 euros et une mise en examen.

Ce n'est pas « Liberté, Egalité, Fraternité », c'est « silence, frappe et menaces ».

Encore une fois, on veut criminaliser l'action renvendicative. C'est inadmissible et insupportable.

Il appartient au garde des sceaux de donner des instructions à ses procureurs pour que les actions renvendicatives ne soient pas maltraitées de la sorte. Les quatre intermittents ne doivent pas être poursuivis.

Quant à TF1 et à l'ensemble des médias, leur devoir est de faire enfin de vrais débats sur la situation des artistes et techniciens qu'on appelle « intermittents ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur Ralite, acte vous est donné de votre rappel au règlement.

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OBLIGATIONS DE SERVICE PUBLIC

DES TÉLÉCOMMUNICATIONS

ET FRANCE TÉLÉCOM

Discussion d'un projet de loi

 
Dossier législatif : projet de loi relatif aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom
Question préalable

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 421, 2002-2003) relatif aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom. [Rapport n° 21 (2003-2004).]

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l'examen par la Haute Assemblée du projet de loi sur le service universel des télécommunications et France Télécom est un moment important non seulement pour l'entreprise, mais aussi pour l'Etat : pour l'entreprise d'abord, car, après une période de crise grave, elle se redresse progressivement grâce aux efforts de ses dirigeants et de ses salariés ; pour l'Etat également, car ce projet de loi marque une nouvelle étape de l'évolution du secteur des télécommunications, passant de l'administration des années quatre-vingt à une société qui intervient dans un marché totalement libéralisé et qui exerce entièrement des missions concurrentielles.

Cette évolution historique a été rendue possible par les performances de l'entreprise et par la dynamique de changement dans laquelle se sont placés ses personnels.

La discussion de ce projet de loi est pour moi l'occasion de mettre en perspective la politique suivie par le Gouvernement dans le secteur des technologies de l'information et de la communication. Je présenterai ensuite la situation actuelle de l'entreprise, avant de souligner les points les plus importants du projet de loi.

Les technologies de l'information et de la communication, les TIC, sont incontestablement l'un des moteurs de la productivité de toutes les entreprises et constituent une nouvelle révolution industrielle. Elles représentent désormais 7 % du PIB en Europe et nous savons que leur développement repose essentiellement sur des applications issues d'un effort important et permanent de la recherche.

M. Pierre Laffitte. Très bien !

M. Francis Mer, ministre. La faculté d'innovation, qui a constamment été démontrée au cours des quarante dernières années, a ainsi permis de modifier en profondeur tous les secteurs de l'activité humaine. La croissance future sera largement fonction de la capacité de cette industrie à maintenir un rythme soutenu de réelles innovations et à en favoriser l'usage effectif.

Malgré une situation délicate ces dernières années, la reprise de l'investissement et de la consommation dans le domaine des TIC est probable en Europe.

D'abord, parce que la dépense globale en TIC y reste sensiblement plus faible qu'aux Etats-Unis. Le secteur dispose donc d'un potentiel de rattrapage. Notre écart d'investissement avec les Etats-Unis s'est accentué dans la seconde moitié des années quatre-vingt-dix.

Ensuite, parce que le Gouvernement a pris des mesures énergiques pour favoriser cette reprise.

Sur le plan européen, avec le gouvernement allemand, nous lui réservons une place majeure dans notre initiative de croissance. Le déploiement de réseaux de télécommunications à large bande, la recherche en semi-conducteurs, les satellites de géolocalisation, les services d'information dans les transports font partie des dix projets proposés. Ils renforceront la capacité de ces technologies à être l'un de nos plus puissants moteurs pour retrouver une croissance européenne plus forte.

En France, la politique du Gouvernement est de soutenir le développement des services sur des réseaux à haut débit dans un environnement favorable à la concurrence.

Le Premier ministre a souhaité, dans le plan RESO 2007, que la technologie du haut débit soit une priorité. Il a donc fixé un objectif ambitieux de dix millions d'abonnés d'ici à 2007. Cet objectif est tout à fait réalisable, dès lors qu'il est partagé par tous les acteurs : Gouvernement, autorité de régulation, opérateurs et industriels. Plusieurs décisions ont été prises depuis un an et demi pour dynamiser ce marché encore naissant.

A l'été 2002, une baisse des tarifs de vente en gros de l'ADSL a marqué un tournant majeur dans le développement du marché français, en permettant d'abaisser les tarifs proposés au grand public de 45 à 30 euros par mois.

Plusieurs décisions prises par l'Autorité de régulation des télécommunications ont permis l'émergence d'une concurrence équilibrée sur le marché de l'Internet rapide. De nouveaux acteurs sont apparus sur ce marché et proposent des services innovants grâce au succès du dégroupage. Cette technique d'accès progresse à un rythme élevé. Elle concerne déjà près de 200 000 abonnés.

Ces différentes actions ont enclenché un cercle vertueux qui facilite l'apparition de nouveaux services à des tarifs compétitifs, parmi les moins chers d'Europe. Le marché de l'Internet à haut débit atteint d'ores et déjà trois millions d'abonnés et connaît une croissance annuelle de 150 %. A ce rythme, nous sommes en mesure de réussir le pari du plan RESO 2007 et les industriels peuvent envisager d'investir dans des projets à long terme dont les coûts sont amortis sur un nombre suffisamment grand d'utilisateurs.

Dans cette optique, j'avais réuni, en février, six dirigeant d'entreprises leaders dans les industries de communication afin de les inciter à développer ensemble de nouveaux services sur les infrastructures ADSL. Cette initiative commence à porter ses fruits puisque ces industriels, dont, bien sûr, France Télécom, ont noué un partenariat pour lancer commercialement, d'ici à la fin de l'année, la diffusion de la télévision par la ligne téléphonique.

Il est également important de constater les effets induits de cette politique sur l'économie en général. La croissance du nombre des abonnés crée un cercle vertueux pour l'ensemble des acteurs de l'économie numérique. Le taux d'équipement des ménages en micro-informatique a augmenté de 20 % en un an. En matière de commerce électronique, le montant des transactions a connu un développement de 60 %.

Le ministère des finances en a aussi bénéficié, puisque, cette année, plus de 600 000 personnes ont fait leur déclaration d'impôt par Internet, soit cinq fois plus qu'en 2002.

La France est dorénavant engagée dans une dynamique mariant équipement et services. A la fin de l'année, une campagne de communication gouvernementale associant plusieurs industriels sera lancée en faveur de l'équipement informatique. Elle renforcera l'effet des annonces traditionnelles du commerce, qui concerneront des promotions incluant les accès haut débit sur lesquels de nouveaux services seront proposés.

Après l'apparition de premières initiatives cette année, de nombreux pays européens s'apprêtent à vivre le lancement à grande échelle des offres UMTS. Il s'agit du prochain défi majeur pour toute l'industrie productrice de ces technologies en Europe.

France Télécom est sur la bonne voie,...

Mme Hélène Luc. Tout dépend de ce qu'on appelle la bonne voie !

M. Francis Mer, ministre. ... mais des efforts soutenus sont encore nécessaires.

France Télécom est naturellement l'un des principaux vecteurs industriels du développement desdites technologies en France et en Europe. Son rôle historique, sa capacité de recherche, d'innovation et de développement en font incontestablement un des atouts majeurs de notre pays.

Pour autant, comme vous le savez, de tels atouts ne mettent pas une entreprise à l'abri d'une crise. France Télécom en a connu une très sérieuse en 2002, en même temps, d'ailleurs, que la plupart des grands opérateurs de télécommunications en Europe.

Sans revenir sur les causes de cette crise, notons que l'entreprise est aujourd'hui sur la bonne voie. Le refinancement a été mis en oeuvre en début d'année et la dette est en forte diminution, à 49,3 milliards d'euros contre près de 70 milliards d'euros en fin d'année 2002.

Ces derniers jours, France Télécom a réussi une nouvelle opération stratégique pour la cohérence et l'équilibre du groupe, avec l'offre d'échange réussie qui lui permet désormais de détenir près de 99 % du capital de sa filiale Orange.

Le chemin à parcourir pour redresser la gestion est long, et France Télécom doit encore faire face à plusieurs défis : poursuivre son désendettement en améliorant sa rentabilité sans pour autant mettre en péril la croissance à long terme, notamment en matière d'investissements UMTS, assurer la pleine satisfaction de ses clients et innover en développant des services plus performants. L'entreprise dispose des compétences et de la volonté nécessaires pour réussir.

L'histoire de France Télécom démontre sa capacité d'adaptation et de réaction, y compris pour traverser les derniers temps difficiles. Cela permet de rappeler le formidable parcours d'une administration, de ses personnels et dirigeants, qui ont su en quinze ans transformer leur outil de travail en un opérateur compétitif, regroupant 250 000 personnes dans trente-cinq pays, et exerçant tous les métiers des télécommunications. Comment pourrait-on douter, devant un tel résultat, de la capacité de l'Etat et de ses personnels à se réformer dans d'autres domaines ?

Notre performance future réside dans notre capacité à changer aujourd'hui. Tel est l'esprit qui sous-tend le projet de loi présenté à la Haute Assemblée.

Plus de sept années après la transformation de France Télécom en société anonyme, il est nécessaire de procéder à une nouvelle évolution du statut de l'entreprise pour lui permettre de s'adapter aux futurs marchés européens.

La directive européenne relative au service universel des télécommunications remet en effet en cause l'attribution par la loi des missions de service universel à France Télécom, ce qui constituait l'un des fondements de son appartenance au secteur public et de la présence de fonctionnaires dans l'entreprise.

Ce nouveau pas dans l'évolution des télécommunications et de France Télécom est l'objet du projet de loi qui vous est soumis. Le rapport de M. Gérard Larcher, au nom de la commission des affaires économiques, en présente parfaitement les enjeux et les dispositions. Je suis certain qu'il vous les exposera dans quelques minutes avec beaucoup de talent et de précision.

Je voudrais souligner pour ma part trois principaux points du projet de loi : le service public, le statut des fonctionnaires et le capital de l'entreprise.

Le projet de loi garantit la continuité du service public des télécommunications qui est rendu à nos concitoyens.

La continuité du service public est le premier principe retenu par le Gouvernement dans ce texte. La loi de réglementation des télécommunications promulguée en 1996, qui désignait France Télécom comme opérateur chargé du service universel, n'est plus compatible avec la législation communautaire. Il est désormais prévu que l'ensemble des missions de service universel, aujourd'hui attribuées par la loi à France Télécom, seront assurées à la suite d'un appel à candidatures.

Le périmètre du service universel comprend la fourniture du service téléphonique de qualité à un prix abordable, une offre de tarifs sociaux, un service de renseignements et d'annuaire, ainsi que l'accès à des cabines téléphoniques sur le domaine public. Son coût sera financé par les opérateurs de télécommunications qui abonderont un fonds géré par la Caisse des dépôts et consignations.

Dans la continuité du débat parlementaire sur le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, le texte prévoit de modifier la clé de répartition du coût du service universel. Afin de favoriser le développement de l'accès à Internet, la répartition s'effectuera désormais au prorata du chiffre d'affaires et non plus du volume de trafic.

Je sais que certains d'entre vous se posent la question d'une éventuelle extension du périmètre du service universel à des services plus avancés que le simple téléphone classique. Je partage leur analyse : il est nécessaire d'apporter ces nouveaux services au plus grand nombre de Français. Toutefois, ce projet de loi ne m'apparaît pas le meilleur vecteur, car la directive « service universel » ne permet pas d'étendre le champ du service universel.

Cela n'a pas empêché votre assemblée d'émettre des propositions généralement suivies par le Gouvernement. J'en citerai deux.

A propos du haut débit, dans le collectif budgétaire de 2002 a été adoptée une disposition qui supprime une taxe sur les paraboles. Ont ainsi été créées les conditions économiques d'offres d'accès par satellite. Plus de dix sociétés proposent désormais ce service qui permet aux PME de se connecter à Internet, quelle que soit leur localisation géographique, grâce à l'utilisation des technologies hertziennes, qui présentent l'avantage d'un coût d'investissement peu élevé.

En ce qui concerne la téléphonie mobile, une convention a été signée le 15 juillet 2003 entre l'Etat, les trois opérateurs et les associations d'élus locaux pour couvrir 1 600 communes dans une première phase. L'Etat participe à ce programme, grâce auquel les opérateurs se sont répartis les zones non rentables pour diminuer le coût total du projet concernant le haut débit.

Le projet de loi permet une évolution du statut de l'entreprise qui assure la continuité du statut des personnels.

L'évolution des conditions d'attribution du service universel rend nécessaire une adaptation du statut de France Télécom.

Une société cotée, à l'implantation mondiale, dans un environnement totalement concurrentiel et employant plus de 100 000 fonctionnaires - excusez du peu ! -, les derniers ne devant la quitter que vers 2035 : telle est la situation tout à fait particulière de France Télécom, situation qui appelle un traitement nécessairement exceptionnel.

L'objectif que s'est fixé le Gouvernement pour cette nécessaire adaptation statutaire est d'assurer la plus grande continuité dans le statut des personnels qui resteront fonctionnaires de l'entreprise. Les dispositions principales du statut de la fonction publique leur demeureront, comme aujourd'hui, applicables.

Au-delà des évolutions statutaires, le Gouvernement est attaché aux aspirations et aux projets des personnes qui composent l'entreprise. Parmi les fonctionnaires de France Télécom, certains souhaitent poursuivre leur carrière dans une administration. Nous facilitons de tels projets professionnels, en rendant plus flexibles les « passerelles » entre l'entreprise et les fonctions publiques. Dans ce but, le Gouvernement vous propose un amendement permettant, sur la base du volontariat, une intégration de ces fonctionnaires dans leurs administrations d'accueil.

Mme Hélène Luc. On les encourage à partir !

M. Francis Mer, ministre. L'obligation juridique d'une détention majoritaire du capital par l'Etat peut être un risque pour l'entreprise.

Le fait d'avoir l'Etat pour actionnaire majoritaire n'est ni un atout, ni un handicap particulier pour France Télécom. En revanche, le fait de voir son capital figé par une obligation juridique peut devenir un handicap stratégique pour l'entreprise. On ne peut pas oublier que l'obligation de détention majoritaire du capital par l'Etat a été l'une des multiples causes de la crise traversée récemment par France Télécom, en ne permettant pas à l'opérateur de financer sa croissance autrement que par de la dette.

L'approfondissement de la concurrence et les évolutions réglementaires, technologiques et stratégiques à venir dans le secteur européen des télécommunications impliquent donc que France Télécom soit placée dans un cadre juridique aussi proche que possible de celui que connaissent ses concurrents, afin de pouvoir réagir aussi rapidement que nécessaire.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement souhaite mettre fin à l'obligation de détention majoritaire publique du capital de France Télécom.

Tels sont les principaux points que je souhaitais souligner, avant de conclure en remerciant le rapporteur M. Gérard Larcher, ainsi que son équipe, pour le travail accompli sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Gérard Larcher, président de la commission des affaires économiques et du Plan, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui revêt une importance particulière, car il vise le service public des télécommunications, c'est-à-dire l'une des libertés les plus fondamentales : la liberté de communiquer.

Le Gouvernement nous propose aujourd'hui un texte qui précise le cadre juridique dans lequel doit se développer ce secteur, tout en donnant au principal opérateur, France Télécom, les moyens de son développement et en garantissant à ceux de ses personnels qui sont fonctionnaires - et, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, ils forment la grande majorité dans l'entreprise - la pérennité de leur statut et des droits qui sont garantis par ce statut.

Monsieur le ministre, vous venez de présenter les trois axes principaux du texte : le service universel, la sanctuarisation du statut des fonctionnaires de France Télécom...

Mme Odette Terrade. On ne peut pas dire cela !

M. Gérard Larcher, rapporteur. ... et la possibilité d'une évolution vers une détention minoritaire du capital par l'Etat si, par exemple, un grand projet industriel de l'entreprise la rendait utile.

Ces orientations correspondent aux principes tracés par la commission des affaires économiques dans le rapport d'information France Télécom : pour un avenir ouvert, qu'elle a adopté en mars 2002.

Je ne reviendrai donc pas sur les fondements du débat. Je focaliserai mes observations sur quelques éléments qui ont particulièrement retenu l'attention de la commission.

Ce texte transpose la directive européenne « service universel » du 7 mars 2002. Cette directive impose un appel à candidatures, et non un appel d'offres, pour l'attribution du service universel ou de l'une de ses composantes. Cela interdit donc de réserver par la loi l'accomplissement du service public à France Télécom, comme nous l'avons fait en 1996, dans un cadre réglementaire européen l'autorisant. Le projet de loi en tire les conséquences.

Une autre disposition capitale réside dans le changement de la clé de répartition du financement du fonds de service universel. On passe d'une contribution assise sur le volume des communications à une contribution assise sur le chiffre d'affaires, ainsi que le Sénat l'avait proposé et décidé lors de l'examen du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique. Cela permet de ne pas pénaliser les opérateurs dont l'activité repose sur de gros volumes à faible valeur ajoutée, c'est-à-dire les fournisseurs d'accès à Internet. A ce titre, se posait du reste la question de la date d'entrée en vigueur de cette modification. La commission présentera un amendement sur ce point.

Une des grandes questions, à propos du service universel des télécommunications, est l'évaluation de son coût. C'est pourquoi la commission a été particulièrement vigilante à ce sujet. Elle vous présentera donc un amendement visant à établir des modalités de calcul de nature à éviter les contentieux d'interprétation, qui sont extrêmement nombreux.

Enfin, le dernier aspect essentiel du service universel des télécommunications est son adaptabilité. Le contenu du service universel doit évoluer - vous avez évoqué ce point, monsieur le ministre - avec les besoins réels de la population et du territoire, comme le stipule d'ailleurs expressément la directive européenne. A cette fin, la commission attache une importance particulière à la clause de rendez-vous, qui permettra à la fois de redéfinir le contenu du service universel et de faire un bilan de la couverture du territoire.

Je prendrai un exemple important : la question de l'inclusion dans le service universel du téléphone mobile ou de l'Internet à haut débit. Faut-il que ces éléments fassent partie du service universel ? La question est légitime. Nombre de collègues, lors de nos débats en commission l'ont posée et quels que soient les groupes auxquels ils appartiennent. Je ne vous le cache pas : j'ai examiné la possibilité de mettre en oeuvre cette évolution pour la téléphonie mobile dès le présent texte. Toutefois, les auditions que j'ai menées m'ont amené à réfléchir et m'ont démontré que les acteurs du dossier n'étaient pas encore tout à fait prêts à soutenir un tel changement. Et ce ni au sein de France Télécom, car ce changement suppose que la nouvelle couche de service universel soit ouverte à la concurrence, ni parmi les concurrents, qui discernent encore mal ce que seraient leurs obligations dans un tel contexte.

J'en tire la conclusion qu'il nous faudra avoir ce débat, mais qu'il est encore un peu tôt. Dans dix-huit mois, quand les uns et les autres - et la commission des affaires économiques participera à ce débat, soyez-en certains - auront affiné leurs réflexions et leurs propositions, je pense que le moment sera d'autant mieux venu qu'on verra plus clair sur les orientations qui pourraient être retenues sur le plan européen. Il sera d'ailleurs d'autant plus opportun d'envisager une décision à ce moment-là que, je l'espère, les dispositions de la proposition de loi Sido sur la couverture des zones blanches, adoptée par le Sénat, auront pris force de loi, puisqu'elles sont maintenant intégrées au projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, et que l'on pourra en tirer un premier bilan.

Mes chers collègues, le rendez-vous d'évaluation du service universel des télécommunications que vous proposera votre commission pourrait être l'occasion de mettre en lumière les insuffisances du service, notamment en matière d'aménagement du territoire, ou de soulever certains cas concrets, je pense à la situation dans certains départements d'outre-mer. J'ai relevé, à ce propos, les observations qu'a fort justement faites notre collègue M. Jean-Paul Virapoullé dans un rapport à M. le Premier ministre concernant notamment l'imparfaite gestion des câbles sous-marins, en particulier celui qui relie la Réunion au continent, avec comme effets des tarifs sans commune mesure avec ceux que permettrait une concurrence équilibrée.

Cette question de la concurrence dans les départements d'outre-mer mais aussi en métropole doit demeurer présente à notre esprit. La concurrence est indéniablement favorable aux prix, aux consommateurs, au progrès technique, aux investissements et à l'emploi. Mais convient-il pour autant de la débrider complètement ? C'est le point que nous aurons à examiner avec la question de la revente par d'autres opérateurs de l'abonnement de France Télécom.

Le titre II du projet de loi est un titre de confortation sociale et de mise en oeuvre d'engagements antérieurs de l'Etat.

Le statut des personnels fonctionnaires de l'entreprise est pérennisé, quelle que soit l'évolution ultérieure de la société France Télécom. Ce dispositif est naturellement fondamental : c'est une garantie, indispensable pour votre commission, donnée au personnel fonctionnaire de France Télécom. Les principes qui l'inspirent correspondent à la position qui a toujours été défendue par la commission des affaires économiques.

Je voudrais le redire ici, parce que je crois qu'il faut être très clair sur ce point : les engagements passés de l'Etat envers les femmes et les hommes qui ont fait France Télécom, qui le font aujourd'hui, doivent être respectés, et ils nous paraissent tenus par ce texte.

Pour parfaire cette orientation, votre commission vous proposera d'ailleurs une modification visant à favoriser, dans le droit-fil de la lettre que m'a adressée le président-directeur général de France Télécom, à la suite de son audition par la commission, un traitement de fond de la situation de ceux de ces fonctionnaires qui ont accepté le reclassement de 1990 en refusant la reclassification. Je crois qu'il faut que leur situation soit assurée de manière équitable, en prenant en compte leur choix initial et en leur en laissant la responsabilité, mais avec un souci d'apaisement. Il me semble que se dessine, sur ce sujet, une forme de consensus sur de nombreuses travées dans cet hémicycle.

J'incline d'ailleurs à penser que, pour continuer à apporter un certain nombre d'éclairages et à rassurer les personnels, il conviendrait que vous puissiez, monsieur le ministre, au moment où nous en discuterons, nous préciser les conditions de ce que les partenaires sociaux appellent « l'auto-détachement ». Il m'apparaît naturel, mais aussi indispensable, de dissiper certaines craintes sur cette question.

La garantie donnée par ce texte était nécessaire, car, dès lors que la directive ne permettait plus que France Télécom soit désignée par la loi comme fournisseur du service universel, l'entreprise n'était plus constitutionnellement habilitée à employer des fonctionnaires.

La solution du projet de loi est d'une simplicité remarquable : la reconnaissance explicite par la loi du caractère exceptionnel et transitoire, et, à ce titre, admissible du point de vue constitutionnel, de la situation des personnels fonctionnaires de France Télécom permet d'assurer sa stabilité.

La prise en compte de la situation exceptionnelle de France Télécom, et en particulier du fait que le corps des fonctionnaires de l'entreprise est en extinction depuis le 1er janvier 2002, permet de proposer une solution simple et claire. C'était un des grands enjeux de ce texte. Il est indispensable, mes chers collègues, que nous soyons très attentifs à la situation juridique de 106 000 personnes, et à plus forte raison quand il s'agit de gens qui se sont donnés à leur entreprise, qui ont contribué à en faire ce qu'elle est aujourd'hui et qui se dévouent au service de la collectivité.

La constitutionnalité du dispositif était une véritable interrogation. Après un examen attentif, elle ne nous apparaît guère contestable. La juxtaposition des décisions n°s 83-207 et 96-380 du Conseil constitutionnel ne semble pas laisser de doute à cet égard. De fait, la directive européenne de mars 2002 a modifié les perspectives juridiques en la matière. Son intervention rend inutile la solution que j'avais envisagée un moment, à savoir un établissement public auprès duquel seraient détachés les fonctionnaires de France Télécom et qui les mettrait à disposition de l'opérateur. En effet, en vertu de la directive, France Télécom ne peut plus - et cela a été dit - se voir attribuer par la loi le service universel des télécommunications.

Le recours à un établissement public de main-d'oeuvre n'est plus nécessaire, et il pourrait même se révéler handicapant pour l'entreprise, du point de vue tant de sa gestion administrative que des contentieux éventuels avec des concurrents ou avec les institutions communautaires.

Concernant la possibilité d'une diminution de la part de l'Etat au capital de France Télécom, qui l'amènerait à passer sous le seuil de 50 %, votre commission a eu l'occasion, par le passé, d'exprimer son refus de tout a priori dans ce dossier. Sa position est claire. Elle se résume en une formule : pas de proscription idéologique de l'appartenance au secteur public ; pas de prohibition dogmatique de la privatisation. Le débat doit porter sur le fond, c'est-à-dire la définition de ce qui est le plus profitable à la santé et au développement de l'entreprise, à la satisfaction des besoins des consommateurs, à la situation des personnels de l'entreprise et à l'intérêt national.

A ce propos, il serait opportun, monsieur le ministre, que vos services mettent à la disposition du Parlement, avant que s'engagent d'autres débats de cette nature, un bilan de l'ouverture du capital des entreprises publiques - ce que, au Sénat, nous appelons « sociétisation » - au cours des quinze ou des vingt dernières années. Il serait d'ailleurs bon, à mon sens, que ce bilan permette de disposer d'éléments de comparaison et englobe aussi un certain nombre d'évolutions étrangères de même nature.

Cela étant, dit, s'agissant de la composition du capital de France Télécom, j'avais eu l'occasion, ainsi que plusieurs d'entre nous, à commencer par notre collègue Pierre Hérisson, d'envisager des solutions qui garantissaient le maintien d'une présence forte de l'Etat dans France Télécom, au cas où celle-ci serait privatisée. Nous avions notamment proposé un mécanisme d'action préférentielle - golden share -, qui aurait permis à l'Etat de garder à tout moment le contrôle de l'entreprise, en particulier pour les décisions stratégiques.

Il paraît clair que la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes encadre de plus en plus strictement cette possibilité. Celle-ci a en effet précisé qu'un tel dispositif ne peut être accepté, premièrement, que s'il est justifié par une nécessité d'ordre public ou un motif impérieux d'intérêt général, deuxièmement, que s'il est proportionné au résultat à atteindre, troisièmement, que si ce résultat ne peut être obtenu par d'autres moyens.

On voit bien que, dans le cadre du service universel développé par les directives européennes, on aurait beaucoup de difficultés à remplir ces conditions. Que se passerait-il si on passait outre ? Je dois vous dire que j'ai pris le temps d'y réfléchir attentivement. Il est à peu près certain que la France prendrait le risque d'être condamnée à l'échelon européen. France Télécom en paierait certainement le prix non seulement juridique, mais aussi économique, et cela, aucun d'entre nous ne le veut.

Il ne faut pas s'abriter derrière des mots dans ce débat : en clair, le projet de loi permet à l'Etat de devenir minoritaire dans le capital de France Télécom.

Mme Odette Terrade. C'est clair !

M. Gérard Larcher, rapporteur. Mais il est tout aussi clair que ce n'est en aucun cas un objectif en soi. Ce n'est d'ailleurs pas envisagé à l'heure où je vous parle. Du reste, c'est ce que M. le ministre nous a indiqué lors de son audition devant la commission.

La transformation de l'environnement économique de l'opérateur au cours des six dernières années le démontre amplement : il ne faudrait pas qu'un grand projet industriel nécessaire à son avenir puisse être entravé par des verrous d'ordre idéologique ou compliqué par des procédures trop complexes ou inadaptées à la prise de décision sur des marchés très réactifs.

A ce titre, j'ai bien noté les observations de notre collègue Pierre-Yvon Trémel lors de notre réunion de commission. Il a rappelé le rapport d'information que notre commission a adopté sur France Télécom l'an dernier et il a fait valoir que l'endettement actuel de l'entreprise n'était pas dû uniquement à sa détention majoritaire par l'Etat. C'est tout à fait exact ! Il s'agit néanmoins d'une cause importante des difficultés dont elle est en train de sortir : souvenons-nous que l'endettement de l'entreprise s'élevait à 70 milliards d'euros !

Nous le savons bien, dès lors que les marchés peuvent plus facilement que l'Etat souscrire à des augmentations de capital, un verrou législatif peut constituer un blocage dangereux quand il faut pouvoir mobiliser des fonds nécessaires à un projet porteur. Aujourd'hui, qui peut prétendre que l'acquisition d'Orange - à travers la participation à Mobilcom - se serait faite selon les mêmes modalités s'il avait été juridiquement possible d'acquitter une partie du prix en actions ?

Je crois en les perspectives de développement de l'entreprise. Selon moi, le redressement est en cours et, quand il sera en voie d'achèvement, les investissements d'avenir pourront reprendre. Thierry Breton, président-directeur général de France Télécom,...

M. René-Pierre Signé. C'est un libéral !

M. Gérard Larcher, rapporteur. ... a déclaré devant votre commission qu'il avait la volonté de relancer les investissements de recherche au sein du groupe, et beaucoup s'en sont félicités. Le projet de loi est - qui pourrait le nier ? - un levier qui donne à France Télécom les moyens de ses ambitions. Or, je peux le dire, mes chers collègues, je crois ces ambitions légitimes et je les souhaite grandes, en particulier sur le marché européen et international.

La commission des affaires économiques dans sa majorité estime donc que le texte qui nous est présenté est réellement tourné vers l'avenir, qu'il lève toutes les hypothèques juridiques et sociales qui ont pesé, dans un passé récent, sur l'essort de notre opérateur historique, lequel demeure pour nous un champion national.

M. René-Pierre Signé. C'est moins sûr !

M. Gérard Larcher, rapporteur. C'est pourquoi elle vous appellera à l'adopter avec les amendements qu'elle vous soumet. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire : 82 minutes ;

Groupe socialiste : 44 minutes ;

Groupe de l'Union centriste : 18 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen : 16 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 13 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous l'avons dit ce matin en commission, il aurait été plus clair d'ouvrir la discussion sur ce projet de loi par le titre III portant sur le « statut de France Télécom », en fait sur sa privatisation !

Le début de l'exposé des motifs est d'ailleurs essentiellement consacré au recensement des prétendues raisons qui rendraient nécessaire l'évolution du statut de France Télécom en autorisant une ouverture supplémentaire de son capital qui est détenu jusqu'à maintenant majoritairement par l'Etat.

Je ne vois pour ma part, dans les « raisons » invoquées, que des justifications ad hoc, sans réelle consistance. Cela témoigne de ce que le Gouvernement a plus cédé à l'idéologie libérale...

M. René-Pierre Signé. Ce sont des libéraux !

Mme Odette Terrade. ... qu'aux exigences portant sur le moyen et le long terme dans un domaine aussi stratégique que celui des télécommunications et, partant, des technologies de pointe en liaison avec les nouvelles technologies de communication et d'information !

Les préoccupations de court terme, celles qui consistent à la fois à tenter de redoper les marchés financiers par la vente d'actions publiques et à conforter les finances de l'Etat l'ont donc emporté sur des considérations de plus long terme visant à assurer à France Télécom un développement assis sur un véritable projet industriel.

A cela s'ajoutent les pressions idéologiques qui exigent de l'Etat français qu'il se replie sur ses strictes fonctions régaliennes. Ces orientations le poussent à abandonner à la seule régulation du marché tous les autres champs faisant autrefois partie de son pouvoir de régulation, notamment ceux des services publics qui assuraient l'accès de tous aux biens dits publics et permettaient ainsi de corriger les inégalités sociales et territoriales.

L'objectif principal de ce projet de loi est donc bien de rendre possible à tout moment la privatisation totale de France Télécom. Aucune limite quant à la part qui resterait à l'Etat n'est fixée par le projet de loi.

L'éventualité d'une minorité de blocage, que l'on évoquait encore dans les rangs de la majorité il y a quelque temps et qui aurait permis à l'Etat d'assurer un contrôle minimal, n'est même plus envisagée !

Celle-ci, nous dit-on, serait susceptible d'entraver le futur développement de l'entreprise dans la compétition mondiale. Que de renoncements au nom de la mondialisation ! Que de renoncements au nom de contraintes internationales !

Vous nous expliquez, monsieur le rapporteur, que la détention publique du capital peut « influer, dans des périodes cruciales, les anticipations des acteurs boursiers dans un sens qui n'est pas nécessairement favorable aux intérêts de l'opérateur ».

Or - et permettez-moi de m'étonner - dans votre rapport intitulé France Télécom : pour un avenir ouvert, paru en mars 2002, auquel vous avez fait référence tout à l'heure, vous écriviez : « Actionnaire majoritaire de France Télécom, l'Etat est un pôle de stabilité dans les turbulences financières que traverse actuellement l'opérateur » ! Et vous poursuiviez : « Si l'Etat renonçait aujourd'hui à détenir la majorité du capital de France Télécom, il commettrait une double erreur : il exposerait l'entreprise à des risques inconsidérés et il prendrait une mauvaise décision patrimoniale. »

Un tel revirement d'analyse un an plus tard est particulièrement inquiétant !

Pensez-vous désormais, alors que les marchés financiers n'ont de cesse d'accroître leur sphère d'influence, que nous serions à l'abri de telles crises financières ?

Les crises que nous avons connues ces dernières années mais aussi celles que nous avons pu éprouver dans un passé plus lointain où les marchés financiers tentaient déjà d'imposer leur domination montreraient a contrario leur caractère récurrent et prouveraient in fine que l'instabilité est inhérente à leur fonctionnement même.

L'existence des marchés financiers unifiés à l'échelle mondiale - ou, pour le dire autrement, globalisés -, en facilitant les transferts de droits de propriété, fragilisent l'ensemble de nos économies. On a pu observer combien leur existence ancrait la stratégie des groupes industriels dans une stratégie de court terme fondée sur la rentabilité immédiate.

Ainsi en est-il des stratégies de croissance externe qui se réalisent par le biais d'acquisitions et de cessions d'actions, de vente et d'échanges de titres qui entretiennent le jeu boursier.

On doit bien reconnaître que c'est l'existence même de ces marchés financiers qui contrarie souvent le développement interne des entreprises, lequel est fondé sur l'élaboration d'un projet industriel de long terme exigeant la mobilisation de lourds investissements dans la production.

Ainsi, par une stratégie d'acquisitions à l'international, France Télécom est-il devenu l'un des plus grands opérateurs mondiaux de télécommunications. Mais cette stratégie s'est traduite par un endettement record de 65 milliards d'euros et par une perte historique de 8,3 milliards d'euros pour l'exercice 2001.

Cet endettement record est aussi le résultat de l'euphorie boursière et de la surévaluation des titres qui a accompagné le mouvement de cessions-acquisitions dans le domaine des télécommunications à la fin de la décennie.

Ce niveau d'endettement a certes été réduit, puisqu'il atteignait, fin juin 2002, avant l'acquisition d'Orange, 49,3 milliards d'euros. Cependant, cette réduction drastique est le résultat de la mise en oeuvre du plan Top et d'un certain désengagement à l'international.

Sur le plan de l'analyse économique, on peut réellement s'interroger sur la stratégie industrielle de France Télécom. Je ne vois guère de stratégie. Je constate, en revanche, que le montant de la dette est encore colossal et qu'il est donc bâti sur une logique purement financière.

Ce niveau d'endettement contraint à une sélectivité sévère en matière d'investissements, lesquels sont pourtant nécessaires. L'entreprise est conduite à opérer des choix de désendettement et de rationalisation des coûts qui grèvent sa capacité de développement.

La diminution du budget de la recherche-développement consacré à la recherche fondamentale est tout à fait symptomatique. Dans les années quatre-vingt, 70 % de ce budget étaient consacrés à la recherche, les 30 % restants étant principalement destinés au développement du secteur commercial. A la fin des années quatre-vingt-dix, c'est l'inverse, la priorité étant donnée à la stratégie commerciale et au marketing. Aujourd'hui, la part de la recherche est tombée à 15 % et l'on estime qu'elle n'atteindra plus que 7 % d'ici à 2005.

Une telle orientation est réévélatrice de l'abandon d'une visée à long terme au profit de choix de court terme axés sur le développement de marchés solvables et lucratifs. Elle s'accompagne d'un immense gâchis du point de vue des choix technologiques de l'opérateur historique.

A l'heure où plusieurs technologies sont en concurrence et où des choix importants concernant l'avenir doivent être faits, on peut s'interroger, par exemple, sur le peu d'empressement pour la fibre optique, qui semble pourtant constituer l'un des enjeux économiques de demain.

La logique libérale qui se déploie va à l'encontre d'une réponse appropriée aux besoins de notre société.

Dans le domaine des télécommunications, comme dans d'autres domaines, hélas !, nous assistons à un véritable gâchis financier, sur le plan national cette fois-ci. En témoigne la multiplication des réseaux concurrents d'opérateurs qui, à terme, conduira nécessairement à la rationalisation et à la disparition de certains d'entre eux.

Pourquoi ne pas favoriser la constitution d'un réseau homogène couvrant l'ensemble du territoire et répondant, en respectant ont les principes mêmes de notre service public, aux besoins de nos populations en matière de nouvelles technologies de communication ?

Ce projet de loi s'inscrit à l'opposé de cette démarche volontariste et dans une logique purement libérale qui conduit notre pays à renoncer à avoir, par le biais d'une politique industrielle appropriée capable d'orienter les choix de nos grands groupes, une maîtrise publique de son secteur des télécommunications.

En témoignent les nombreuses dispositions du texte qui affaiblissent encore le rôle de l'Etat, qui annulent toute possibilité de contrôle sur les options choisies.

L'une des dispositions du projet de loi fait ainsi perdre à l'Etat le droit de contrôle et d'opposition à l'égard de la vente par France Télécom de ses infrastructures de réseaux de télécommunications.

Dans les conditions actuelles de son endettement, une fois privatisée, rien n'empêchera plus France Télécom de vendre tout ou partie de ses réseaux aux collectivités territoriales qui disposeront des moyens financiers pour les acquérir ou aux opérateurs privés qui se porteront acquéreurs.

La vente par morceaux des réseaux de télécommunications français est ainsi rendue possible, avec toutes les conséquences que l'on peut facilement en déduire quant à la pérennité de notre service public de télécommunications.

Nous avons de bonnes raisons de penser que l'ART, qui voit ses prérogatives grâce à ce texte renforcées, ne s'opposera pas à ce que des opérateurs alternatifs acquièrent le réseau de France Télécom sans se soucier de l'aménagement cohérent de notre territoire.

Avant même d'avoir cette possibilité, ces opérateurs se sont déjà placés sur des technologies que l'opérateur historique se voit contraint de négliger. C'est par exemple le cas de toutes les nouvelles techniques constituant des solutions d'équipement Internet dans des zones marginalisées, telles les zones rurales.

Avec une telle politique libérale, seront remis en cause le droit à la communication pour tous et en tous points du territoire ainsi que l'égalité d'accès de tous les citoyens aux nouvelles technologies de communication.

Autant d'enjeux qui concernent le contenu du service public et que la notion européenne de service universel qui figure au titre Ier du projet de loi réduit comme peau de chagrin.

Et l'on peut s'interroger sur la réelle volonté d'enrichir, d'ici à 2005, la notion de service universel en ajoutant la téléphonie mobile et l'Internet à haut débit.

Pourquoi, en ce domaine, la France ne donnerait-elle pas l'exemple en légiférant pour la mise en place d'un réseau Internet haut débit d'un minimum de 2 mégabits seconde sur l'ensemble du territoire et sous la responsabilité de France Télécom ?

Dans la même optique, pourquoi ne pas intégrer dans le service universel un terminal multimédia de base pour chaque foyer ?

Il faut donner les moyens financiers et les moyens en personnels à l'opérateur historique pour qu'il puisse engager une politique ambitieuse d'aménagement du territoire et de développement de nos services publics, en s'appuyant sur les nouvelles technologies de communication.

Rien dans les textes européens ne nous contraint à rejeter une telle option. Cette conception étroite du service public qui figure dans le titre Ier de ce projet de loi est révélatrice du fait que le Gouvernement a choisi de sacrifier nos services publics en bafouant les principes de base de notre conception républicaine des services publics, à savoir l'égalité, la continuité et l'adaptabilité.

Le choix de la privatisation de l'opérateur historique en est révélateur. Il implique évidemment que les obligations de service public qui seront encore du ressort de l'entreprise privée soient très faibles pour ne pas peser sur la rentabilité de France Télécom, rentabilité qu'il faut, par ailleurs, s'efforcer de rétablir coûte que coûte !

C'est précisément cette exigence qui, depuis plusieurs années, conduit à des choix de rationalisation drastique passant par le développement de l'externalisation des activités, de la sous-traitance, du non-remplacement des départs à la retraite, de la précarisation du personnel, autant de moyens mis en oeuvre par le plan Top pour restaurer la rentabilité financière de l'entreprise et dégager les 15 milliards de cash-flow en trois ans. Autant de choix qui devenaient progressivement contradictoires avec, à la fois, le statut d'exploitant public de l'entreprise et le statut général de fonctionnaire des salariés de France Télécom.

Depuis 1997, plus de 32 600 emplois ont été supprimés à la maison mère ; 13 500 suppressions d'emplois, dont 7 500 en France, sont programmées pour 2003, auxquelles s'ajoutent environ 700 transferts vers les collectivités territoriales. Et ce sont environ 15 000 transferts de ce type qui sont prévus entre 2003 et 2005.

La politique de réduction drastique des coûts engagée depuis plusieurs années en faisant de l'emploi la variable d'ajustement se heurte de manière frontale désormais au statut des 106 000 fonctionnaires appartenant à la société mère.

Le titre II, qui prend acte de la privatisation de France Télécom, sous couvert d'apporter des garanties aux salariés fonctionnaires de l'Etat qui seront encore en activité lorsque l'entreprise sera privatisée, comporte des dispositions qui sont, au contraire, particulièrement dangereuses pour les salariés de France Télécom. Il s'agit bien d'une attaque en bonne et due forme du statut général de la fonction publique d'Etat.

Ainsi, la gestion du personnel s'aligne sur celle des salariés de droit privé et nombreuses sont les dispositions qui visent à inciter le salarié à passer sous contrat de droit privé en abandonnant son statut de fonctionnaire. Ainsi en est-il du droit d'option inscrit à l'article 3 du projet de loi et selon lequel tout fonctionnaire pourrait, pendant six mois, demander un contrat de droit privé moyennant la démission de son emploi de fonctionnaire. Une telle mesure ne peut que susciter des inquiétudes chez les salariés, inquiétudes qui sont si peu dénuées de fondement que vous-même, monsieur le rapporteur, vous avez proposé de la supprimer !

M. Gérard Larcher, rapporteur. Vous voyez !

Mme Odette Terrade. D'autres dispositions, comme celles qui concernent la généralisation du détachement ou la mise à disposition du fonctionnaire, sont également significatives de la volonté d'accélérer l'extinction du corps des fonctionnaires. Cette option, qui peut s'effectuer au sein de filiales mais aussi au sein de la société mère par « autodétachement », met directement en danger les 106 000 fonctionnaires de la société mère.

A y regarder de près, c'est bien la possibilité de mettre en oeuvre un plan social qui se profile avec le titre II.

La disposition inscrite à l'article 4 et selon laquelle les fonctionnaires de France Télécom en détachement à France Télécom ou dans une de ses filiales bénéficieraient d'une assurance chômage s'ils se trouvaient privés d'emploi est tout à fait révélatrice. Elle suggère que, en cas de suppression d'emplois de fonctionnaires en détachement, ces derniers pourraient être mis au chômage. Au-delà, cette nouvelle disposition est un outil supplémentaire de précarisation et de licenciement de salariés de droit commun.

Parce que le statut général de la fonction publique d'Etat prévoit que tout fonctionnaire est nommé dans un emploi permanent, la fonction publique constituait un obstacle important aux lois du marché et aux pratiques désormais courantes de licenciements massifs et de plans sociaux.

Enfin, des dispositions visant à mettre en place des mécanismes d'individualisation des rémunérations sont lourdes de significations quant au type de gestion de la main-d'oeuvre fonctionnaire dans l'entreprise privatisée.

Sur le plan de la représentativité du personnel de France Télécom, les dérogations au statut de la fonction publique et l'application des règles du privé pour les institutions représentatives du personnel des salariés fonctionnaires est plus que problématique.

Croire que la mise en place de telles institutions augmenterait les droits des salariés constitue un véritable leurre. Le renforcement des droits des salariés suppose une évolution positive du rôle de ces institutions, une évolution intégrant des droits nouveaux d'intervention du personnel sur la gestion et les choix portant sur l'avenir de l'exploitant public.

En réalité, c'est bien la cohabitation au sein d'institutions communes de deux types de salariés, de contractuels de droit commun d'un côté et de fonctionnaires de l'autre, qui risque d'accroître les tensions sociales dans un contexte de privatisation de France Télécom. Que se passera-t-il en cas de plans sociaux ? Une telle interrogation n'est que trop légitime.

Les dispositions de ce projet de loi ne peuvent que nuire à la capacité des représentants du personnel de négocier pour la défense des intérêts de tous les salariés, indépendamment de leur statut.

Monsieur le ministre, nous venons de le voir, de nombreux points d'ombre subsistent dans ce projet de loi, et nous nous interrogeons quant à la validité constitutionnelle de nombre de ses dispositions.

Les actuelles dispositions de ce projet de loi sont en contradiction avec l'avis du Conseil d'Etat de 1993 édictant les principes et les règles nécessaires au maintien d'un corps de fonctionnaires dans une entreprise de droit privé. Ces conditions nécessaires étaient notamment que l'Etat détienne au moins 50 % du capital et que des missions de service public continuent d'être confiées aux fonctionnaires en activité.

Je reste perplexe quant aux arguments de la commission sur le caractère non contestable de la constitutionnalité du texte.

L'extinction du corps des fonctionnaires a certes été programmée, mais à long terme : jusqu'en 2035. Considérer, par exemple, que c'est précisément ce caractère transitoire de la situation des fonctionnaires présents dans les corps en extinction qui permet de déroger au principe matériel dégagé par le Conseil d'Etat ne peut que nous laisser dubitatifs.

Nous pensons qu'il existe d'autres alternatives que de céder aux forces du marché qui accroissent toujours plus leur sphère de domination.

Nous pensons ainsi qu'il existe des alternatives démocratiques à la toute puissance des marchés financiers, des alternatives porteuses d'autres choix de société.

Parce que la communication est un droit et non une marchandise, nous avons besoin d'une entreprise publique capable de mobiliser les innovations technologiques pour favoriser l'égalité d'accès des usagers au service public et lutter contre la fracture numérique.

Le groupe communiste républicain et citoyen votera donc contre un projet de loi mauvais non seulement pour les usagers, mais aussi pour les salariés de France Télécom, contre un projet qui détruit les solidarités sociales et territoriales, qui creusera plus encore l'inégalité d'accès à la communication et à l'information et qui approfondira la fracture territoriale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC ainsi que sur celles du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.

M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer le redressement de l'entreprise France Télécom, qui intervient dans un univers très changeant et très innovant, ainsi que la dynamique qui y est à l'oeuvre, grâce à son personnel, à son président, Thierry Breton, et à son ministère de tutelle. C'est un grand succès, qui n'était pas assuré il y a encore quelques mois.

Je veux également saluer l'initiative franco-allemande qui a été prise dans ce domaine capital et la volonté commune de définir un plan de relance en Europe, notamment par l'innovation.

L'évolution des télécommunications est loin d'être achevée. Les effets sur les services aux populations sont encore appelés à se transformer radicalement.

J'évoquerai deux points : Internet et les problèmes que cet outil peut poser aux opérateurs, d'une part, la multiplicité des possibilités de transport des données de la voix et des images, d'autre part.

La culture traditionnelle du monde des télécommunications est bien entendu bousculée par la culture informatique. Celle-ci est heureusement familière à Thierry Breton. Il serait en effet inquiétant que notre opérateur historique ne prenne pas en compte la culture des « réseaux polycentrés » que pratiquent les internautes, par rapport au traditionnel « système en étoile » des télécommunicants. Or Internet évolue à une vitesse considérable. Je pense en particulier à la voie utilisant Internet Protocol, qu'on appelle couramment la « voie sur IP » et qui menace le coeur des ressources des opérateurs.

De nombreux personnels, notamment à Sophia-Antipolis, ne téléphonent plus qu'à l'aide de leur ordinateur, sur lequel ils ont branché une petite caméra, ce qui leur permet de téléphoner dans le monde entier sans payer un centime de plus, tout en voyant leur interlocuteur.

Les dix millions de connexions Internet à haut débit risquent de faire perdre aux opérateurs traditionnels une partie de leurs ressources s'ils n'y prennent garde et n'assurent pas, par exemple, de nouveaux services.

Actuellement, on est de surcroît en train de passer du protocole de codage IPv4 au protocole de codage IPv6. Le système IPv4 permet notamment d'attribuer des adresses à quelque 4 milliards de personnes de par le monde. Or c'est un quasi-monopole américain, ce qui est parfois inquiétant. Quant au nouveau protocole de codage IPv6, il permet de multiplier par bien plus qu'un milliard de milliard le nombre d'adresses possibles. Ce qui fait disparaître le monopole que j'évoquais et, par conséquent, la menace qu'il constitue, en même temps qu'il conduit à de nouvelles innovations en matière de logiciels de compression, de créations de services et d'entreprises.

Je précise que le nouveau protocole IPv6 complète déjà le protocole actuel IPv4, notamment au Japon, où on trouve sur le marché des terminaux intégrant IPv6. En Chine, l'ensemble des réseaux de télécommunications doivent passer sur IPv6 avant même que ce ne soit le cas en Europe.

En Europe, nous avons le réseau Renater, qui est un des premiers en Europe à être passé en IPv6. En outre, l'association française pour le « nommage » d'Internet, qui a pour mission de définir les noms de domaines, intègre ces nouvelles procédures.

Ainsi que je l'ai déjà relevé au passage, cette démarche permettra peut-être à l'Europe de mettre un terme à une situation à laquelle s'intéressait beaucoup, il y a deux ans, l'Union internationale des télécommunications. Celle-ci, lors d'une conférence à Marrakech, s'était montrée préoccupée par une mainmise un peu trop marquée d'un certain pays sur l'ensemble de ce système.

J'en viens à mon deuxième point : la multiplicité des possibilités de transport de la voix et des données. Il faut en tenir compte, faute de quoi le service public des télécommunications risque d'être insuffisamment présent sur certains secteurs très rentables.

Je ne juge pas catastrophique que les zones rurales puissent être desservies par plusieurs opérateurs et ne soient pas couvertes par le seul opérateur historique, à condition bien entendu que le service public soit assuré et peut-être même mieux assuré. Ainsi, je ne verrais que des avantages à ce que le haut débit soit apporté par d'autres, madame Terrade, sous réserve que cela reste conforme à la volonté de l'Etat.

Il me semble, par exemple, que l'association entre Electricité de France et Réseau de transport d'électricité permet d'ores et déjà, dans certains départements - un de nos collègues, élu de la Manche, l'a brillamment démontré -, de développer des réseaux de transport à haut débit. Pourquoi ne pas envisager en outre la possibilité de s'appuyer sur une association entre France Télécom, d'une part, et le groupe EDF-RTE, d'autre part, pour expérimenter la façon commode et rapide d'apporter le haut débit dans des zones rurales déshéritées ? Je connais nombre de zones dans divers départements dont le mien, les Alpes-Maritimes, ou les départements voisins, le Var et les Alpes-de-Haute-Provence, qui seraient très intéressées.

S'agissant toujours des zones rurales, les « itinérances locales » constituent un bon moyen de couverture. Certes, cela pourrait gêner France Télécom, mais, dans la mesure où il s'agit de zones de faible densité, les pertes de clients seraient limitées. En revanche, ces zones rurales se verraient offrir une possibilité de ne pas être exclues. Nous n'avons certes pas besoin d'une fracture numérique en France !

M. Paul Blanc. Très bien !

M. Pierre Laffitte. Je pense que nous sommes tous d'accord ici pour souhaiter que la France dispose d'un opérateur historique fort, dynamique, libéré au maximum de ses contraintes. Nous voulons aussi que les services publics perdurent, se renforcent et évoluent. Dans cette hypothèse, d'autres opérateurs devraient pouvoir participer à un renforcement du service public.

J'ajouterai, car ce point est essentiel pour l'avenir, qu'il est heureux que la volonté d'aboutir à un taux de recherche et développement et d'innovation soit très nettement marquée chez notre opérateur historique. Si tel n'était pas le cas, il serait en effet condamné à périr. Faute d'innovations massives dans ce domaine en évolution très rapide, faute de capacité d'évoluer, de conquérir des marchés à l'extérieur, l'entreprise France Télécom laisserait des parts de marché dans les zones les plus profitables tomber dans l'escarcelle de compétiteurs apportant des services plus attractifs et plus innovants.

Au demeurant, cela est vrai dans tous les domaines de l'économie, y compris les services publics. A moins que nous ne nous refermions totalement sur notre pré carré, à la manière de l'Albanie d'Enver Hodja : ce n'est pas pensable !

Tant à l'occasion de la future transposition du « paquet télécoms », que dans dix-huit mois, si j'ai bien compris le très brillant rapport du président de la commission des affaires économiques, nous aurons à tirer les conséquences des évolutions techniques fulgurantes que connaît notre monde.

Nous avons une grande chance : France Télécom est animée par un puissant dynamisme, par une volonté de participer activement au phénomène majeur qu'est le développement des communications dans tous les domaines, y compris la convergence entre les télécommunications et l'audiovisuel. Avec la majorité des membres de mon groupe nous approuverons ce projet de loi tel qu'il sera amendé par la commission. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yvon Trémel.

M. Pierre-Yvon Trémel. Le vendredi 4 juillet, le ministère de l'économie et des finances annonçait, dans une sorte de « communiqué-surprise », son intention de présenter au conseil des ministres au cours de l'été deux projets de loi : l'un dit « paquet télécoms », l'autre concernant les garanties à donner aux agents de France Télécom ayant le statut de fonctionnaire ainsi que l'abaissement de la participation de l'Etat dans le capital de France Télécom à moins de 50 %.

Les titres des articles de presse consécutifs à ce communiqué sont révélateurs de la façon dont le message a été reçu : « France Télécom franchit un pas de plus vers le privé », « France Télécom : privatisation en ligne », « France Télécom : un pas de plus vers la privatisation », « Vers une privatisation en douceur de France Télécom ».

Les procédures de concertation imposées à l'Etat et à France Télécom étaient alors mises en oeuvre à marche forcée, comme cela ne s'était encore jamais vu.

M. René-Pierre Signé. Et sans le dire !

M. Pierre-Yvon Trémel. A titre d'exemple, la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications était saisie le 11 juillet pour rendre son avis le 22 juillet.

Le 31 juillet, le conseil des ministres adoptait un projet de loi marqué, il faut l'avouer, du sceau de l'habileté et de l'opportunisme : on utilise le prétexte de la nécessaire transposition de directives européennes sur les télécommunications ; on propose le cadre législatif allant dans le sens d'annonces faites dès l'automne 2002 et aboutissant à faire sauter le verrou législatif qui empêche l'Etat de détenir moins de la moitié du capital de France Télécom ; on sécurise le statut des 106 000 fonctionnaires qu'emploie France Télécom et on se garantit ainsi une certaine paix sociale.

Et voici le Parlement - le Sénat en premier lieu - saisi d'un projet de loi dont l'importance méritait globalement plus d'attention. Il s'agit, en effet, pour le secteur stratégique des télécommunications, d'une proposition de vraie révolution, assise sur un trépied : redéfinir les missions de service public dans le domaine des télécommunications ; bâtir un statut du personnel dérogatoire et unique en son genre ; franchir, à la baisse, le seuil fatidique des 50 %.

Ces trois orientations font chacune l'objet d'un titre dans le texte qui nous est soumis. Je me propose de présenter, autour de ces trois thèmes, les analyses, observations et interrogations du groupe socialiste. La discussion des articles nous permettra d'aller plus loin.

S'agissant des « obligations de service public des télécommunications », selon l'intitulé du titre Ier, la Commission européenne campe sur une position constante : il faut faire progresser la libéralisation des télécommunications au nom, dit-elle, de l'intérêt des consommateurs et des opérateurs.

La France se distingue, quels que soient les gouvernements, par une certaine lenteur à transposer les directives européennes qui viennent régulièrement bouleverser le cadre réglementaire applicable aux communications électroniques en Europe. J'en veux pour preuve l'ouverture d'une procédure d'infraction à l'encontre de huit pays, dont la France, pour non-transposition en droit national, à la date du 25 juillet 2003, de quatre directives du « paquet télécoms ».

La règle aurait voulu que le Parlement soit appelé à débattre en priorité du projet de loi « paquet télécoms », adopté lui-même lors du conseil des ministres du 31 juillet et qui vise notamment à la transposition des directives citées, dont celle relative au service universel.

Le choix fait par le Gouvernement a été autre : donner la priorité à la modification du statut de France Télécom en présentant en même temps des dispositions sur le service universel et le statut des personnels.

Le service universel se trouve ainsi traité de manière fragmentaire, le sujet étant éparpillé dans plusieurs textes de loi, ce qui ne manquera pas de poser des problèmes au regard de la cohérence et de la sécurité juridique.

Des rumeurs persistantes faisant état de l'intention du Gouvernement d'adopter le « paquet télécoms » par voie d'ordonnances et l'insertion dans le présent projet de loi de dispositions concernant TDF nous amènent, monsieur le ministre, à vous poser une première question, qui appelle une prise de position claire : quelles sont les intentions réelles du Gouvernement en termes de calendrier et de procédure concernant l'adoption du « paquet télécoms » ?

Le titre Ier du projet de loi fait naître des réactions autour de quelques points essentiels relatifs au service universel : les modalités d'attribution, le contrôle public, le financement, l'évolution du contenu.

Il nous paraît tout d'abord fondamental de rappeler notre attachement au respect des principes qui régissent les services publics, et donc le service public des télécommunications : égalité, continuité, adaptabilité.

Or le projet de loi ne fait plus allusion au service public des télécommunications, évoquant simplement des « obligations de service public ».

M. René-Pierre Signé. Ils n'aiment pas le service public ! Ils n'en veulent plus !

M. Pierre-Yvon Trémel. Les mots ont un sens et le service public mérite d'être approché autrement que sous le vocable d'« obligations ».

M. Philippe Arnaud. Pour nous, c'est le service au public !

M. Pierre-Yvon Trémel. Le projet de loi introduit des nouveautés au regard des modalités d'attribution du service universel : mise en oeuvre d'une procédure par appel à candidature, abrogation de l'obligation faite à France Télécom de fournir le service universel, fractionnement du service universel en trois composantes, à savoir le service téléphonique, les renseignements et annuaires, les cabines téléphoniques.

Le respect de l'exigence inscrite dans l'article 8 de la directive européenne - les Etats doivent, pour désigner le ou les opérateurs en charge du service universel, avoir recours à « un mécanisme de désignation efficace, objectif, transparent et non discriminatoire, qui n'exclut a priori aucune entreprise » - imposait-il l'adoption de la procédure d'appel à candidatures ? Je continue à en douter malgré tout ce que j'ai pu entendre ou lire.

Dans la législation actuelle, France Télécom ne dispose déjà plus de droits exclusifs. Les marges de manoeuvre laissées par la subsidiarité laissaient ouvertes d'autres options que celle qui a été retenue. De plus, dès lors que le texte prévoit une obligation de capacité de la couverture nationale pour chaque composante, on peut s'interroger sur la possibilité pour d'autres opérateurs que France Télécom de répondre aux appels à candidatures.

Mais ce qui nous importe davantage, c'est que le changement des règles du jeu ne soit pas l'occasion d'instaurer un service universel au rabais.

L'observation du vécu depuis l'entrée en vigueur de la loi de réglementation des télécommunications donne déjà l'occasion de déplorer des dysfonctionnements et des carences : inadaptation du dispositif concernant les personnes en difficulté, absence de prise en compte du problème des handicapés, dégradation de la maintenance des cabines publiques, allongement des délais d'intervention en cas de défaillance des lignes et des installations résidentielles, hausse de la facturation pour les petits consommateurs d'appels locaux. Il serait d'ailleurs intéressant de relire, sur ce dernier point, les débats qui se sont déroulés au sein de notre assemblée lors de la discussion de la loi Fillon de 1996.

Certaines des dispositions du projet de loi nous font craindre des pertes de qualité du service universel : fractionnement des composantes du service universel, ambiguïté rédactionnelle laissant penser que chaque composante pourra elle-même être fractionnée - je prendrai l'exemple des renseignements et de l'annuaire -, attribution d'une composante à l'opérateur offrant le service le moins cher, disparition des cahiers des charges, renvoi à des décrets en Conseil d'Etat dont le contenu n'est pas connu.

Nous avons le devoir de veiller à ce que les modifications proposées ne conduisent pas à obérer la qualité du service rendu. C'est pourquoi nous affirmons fortement la nécessité d'un contrôle par le Parlement du maintien d'une bonne qualité du service public. Il serait dangereux, à nos yeux, que les conditions de fourniture du service universel et les obligations tarifaires soient réglées en dehors de tout pouvoir de contrôle du politique, en procédant à une délégation excessive au pouvoir réglementaire ou à l'organe régulateur. Le Parlement doit particulièrement veiller à ce que certaines catégories de personnes ne soient pas exclues du service universel.

Le projet de loi aborde une question difficile qui a été à l'origine d'exaspérations et de contentieux : le financement du service universel.

Le Sénat - vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur - a déjà eu l'occasion de débattre de cette question dans le cadre du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique. Pour sortir durablement des contentieux, l'établissement de règles claires, parfaitement lisibles, est attendu par les opérateurs. Or, en dehors de la réaffirmation du critère du chiffre d'affaires pour l'assiette des contributions, le projet de loi ne nous engage-t-il pas vers une continuité que nous pourrions regretter : procédures qui restent lourdes, modes de calculs complexes, peu transparents, et prolongation des sources de contentieux ? Monsieur le ministre, n'y a-t-il pas d'autres voies à explorer ? Nous risquons fort, avec celles qui nous sont proposées, d'être appelés à revenir sur ce problème difficile.

Il est bien sûr impossible de ne pas évoquer, à l'occasion de l'examen du titre Ier du projet de loi, l'évolution du contenu du service universel. En l'état, ce contenu demeure inchangé, à l'exception d'un point : l'accès fonctionnel à l'Internet à bas débit.

Le gouvernement de Lionel Jospin avait demandé officiellement, lors des négociations sur la directive communautaire - Christian Pierret y était très attaché -, l'intégration du mobile et de l'Internet à haut débit dans le champ du service universel. Cette démarche était tout à fait conforme au principe d'adaptabilité : le service universel doit évoluer au rythme des progrès technologiques. La position française, bien que ralliée par l'Espagne, l'Italie, le Luxembourg et la Grèce, n'a pas été retenue. Nous continuons à le regretter tout en prenant acte du fait que le réexamen du périmètre du service universel a été prévu au plus tard au 24 juillet 2005. Nous devons, dès lors, nous préparer activement à cette échéance, et nous demandons nous aussi, monsieur le rapporteur, le rétablissement d'un rapport du Gouvernement au Parlement traitant des propositions d'évolution du contenu du service universel. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)

M. Gérard Larcher, rapporteur. Très bien !

M. Pierre-Yvon Trémel. Le titre II est relatif aux conditions d'emploi des fonctionnaires de France Télécom.

Les personnels de France Télécom auront été soumis depuis 1990 à des bouleversements que peu d'entreprises et peu de salariés auront connus : ...

M. Gérard Larcher, rapporteur. C'est vrai !

M. Pierre-Yvon Trémel. ... évolution des règles de gestion, de rémunérations et de management, prééminence de l'activité commerciale sur l'activité technique, changement de métiers, d'activités, de lieux de travail, transformation de l'entreprise publique en société anonyme, ouverture du capital, actionnariat des salariés ; crise financière, restructurations.

Ces personnels méritent sincèrement notre respect et notre estime pour leur compétence, leur dynamisme, leur capacité d'adaptation. Ils ont permis à l'opérateur historique de devenir une grande entreprise, présentant à l'échelle mondiale une excellente technique et des compétences opérationnelles performantes.

En termes de personnel, France Télécom est une entreprise à nulle autre pareille, à la fois par sa taille - 240 000 personnes dans le monde, 140 000 en France, dont 106 000 fonctionnaires - et par son originalité, en faisant cohabiter en son sein plusieurs statuts d'emplois : les fonctionnaires reclassés, les fonctionnaires reclassifiés, les contractuels de droit public, les salariés de droit privé.

Le maintien, durant toutes ces années de mutations, de l'appartenance au statut des fonctionnaires pour la très grande majorité des salariés en France a été un élément fort de stabilité, un point d'ancrage important de la culture de l'entreprise. Nous avons pu constater, au cours de nos auditions, combien les personnels restent très attachés au maintien de ce statut et au respect de la parole donnée par l'Etat.

La remise en cause de l'attribution à France Télécom, par la loi, des missions de service universel, la possibilité offerte d'une présence de l'Etat inférieure à 50 % dans le capital de l'entreprise ne pouvaient que faire resurgir le chiffon rouge déjà apparu à la suite de l'avis du Conseil d'Etat en date du 18 novembre 1993.

Le Gouvernement propose, par ce projet de loi, une solution qualifiée d'innovante et de sécurisante, qui garantirait à tous les fonctionnaires travaillant au sein de France Télécom le maintien de leur statut, jusqu'à la fin de leur activité, s'ils le désirent.

Monsieur le rapporteur, vous êtes très attaché - je vous en donne acte - à ce volet social, et vous allez même jusqu'à affirmer que la solution proposée « d'une simplicité remarquable sanctuarise » - c'est un terme qui restera - le statut de ces fonctionnaires.

M. René-Pierre Signé. On verra !

M. Pierre-Yvon Trémel. Le titre II se présente, en réalité, à nos yeux, comme un exercice intéressant et nécessaire, mais difficile et délicat. Réussir à amender l'actuel statut a minima, rechercher un fondement légal à des pratiques managériales dérogatoires au statut, harmoniser les pratiques avec celles qui sont en vigueur pour le personnel de droit privé : tout cela est ambitieux mais non sans risque. Une organisation syndicale est même allée jusqu'à qualifier la solution proposée « d'ornithorynque juridique » ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. René-Pierre Signé. Ça fait mal !

M. Pierre-Yvon Trémel. Nous partageons pleinement le souci de recherche d'une sécurisation du personnel.

Les organisations de personnel que nous avons rencontrées nous ont fait part de leur regret d'un temps de dialogue insuffisant, de l'état d'esprit de « déprime » et de scepticisme qui règne au sein de France Télécom, des craintes des personnels d'une rupture de transmission des savoirs techniques.

Leurs principales inquiétudes et interrogations concernent les points suivants : le droit d'option, la gestion globale des salaires, les délégations et subdélégations, la situation des reclassés, la cohabitation de deux droits - le droit administratif et le droit du travail -, le devenir des activités sociales, le renvoi à de nombreux décrets et le recul du rôle de France Télécom dans sa mission d'aménagement du territoire.

Nous aurons l'occasion de revenir sur l'ensemble de ces problèmes au cours de la discussion des articles.

A ce stade, je souhaite évoquer seulement deux sujets : le droit d'option et les reclassés.

Nous pensons que la disposition créant un droit d'option est inutile - elle est en effet déjà en place - et qu'elle est source à la fois d'inquiétudes et de procès d'intention ; elle doit donc être supprimée.

La présentation du projet de loi offre par ailleurs l'opportunité de trouver une solution attendue à un problème récurrent, objet de contentieux et de rapports difficiles : la situation des fonctionnaires dits « reclassés », c'est-à-dire des fonctionnaires qui, ayant refusé la reclassification, ont choisi, en application de la loi de 1990, de conserver un grade correspondant à leur grade d'origine au sein de l'administration des PTT. Monsieur le ministre, il ne serait pas admissible de laisser la situation actuelle en l'état : une issue s'impose vraiment.

J'en viens au statut de France Télécom.

Nous sommes solidement convaincus que le titre III est la véritable raison d'être de ce projet de loi. Il est apparu un peu par surprise au cours de l'été, mais il est en pleine conformité avec les déclarations que vous avez faites à la fin de l'année 2002, monsieur le ministre, au moment de la présentation du plan de redressement de France Télécom.

Le débat s'ouvre à un moment où, après le rachat des minoritaires d'Orange par France Télécom, la part de l'Etat dans le capital de l'opérateur se situera juste au-dessus des 50 % : on parle de 50,13 %.

Le débat sur l'ouverture du capital de France Télécom n'est pas nouveau. Il a été très vivant, à plusieurs reprises, depuis 1990. Monsieur le rapporteur, vous avez été, à coup sûr, l'un de ceux à y avoir apporté une importante contribution, et nos échanges d'aujourd'hui doivent se dérouler à la lumière de votre rapport France Télécom : pour un avenir ouvert, présenté en mars 2002.

J'ai pris le temps de bien relire ce rapport.

M. Gérard Larcher, rapporteur. Vous avez bien fait !

M. Pierre-Yvon Trémel. Je vous l'avoue sincèrement, monsieur le rapporteur, vous étiez plus convaincant sur le sujet en mars 2002 qu'en octobre 2003. (C'est vrai ! sur les travées du groupe socialiste.)

M. René-Pierre Signé. C'est du travail de Pénélope !

M. Pierre-Yvon Trémel. Ce qui doit principalement éclairer ce débat, c'est l'intérêt tant du pays que de l'entreprise. C'est dans cet état d'esprit que nous avançons trois bonnes raisons de dire notre désaccord sur les dispositions contenues dans le titre III : nous sommes en désaccord sur le fond, sur le moment et sur la méthode.

M. René-Pierre Signé. Ça fait beaucoup !

M. Pierre-Yvon Trémel. Sur le fond, les arguments avancés par le Gouvernement sont de deux ordres : le verrou des 50 % serait la cause de l'endettement qui a provoqué la grave crise financière vécue par France Télécom, et il est nécessaire de donner à l'entreprise, pour le jour où cela sera nécessaire, la marge de manoeuvre stratégique qui lui a fait défaut par le passé.

Ces arguments sont à nos yeux tout à fait contestables. Au demeurant, à l'instant, monsieur le ministre, évoquant le verrou des 50 %, vous avez parlé de « l'une des causes multiples ». Vous-même, monsieur le rapporteur, vous analysez fort bien, dans votre rapport de 2002, les raisons qui ont enfermé France Télécom dans le piège de la dette : la défection de Deutsche Telekom, le délire UMTS, l'explosion, en 2000, de la bulle Internet et de l'illusion boursière entourant les valeurs technologiques. Nous serons d'accord, je pense, pour citer également des erreurs en matière d'acquisition d'entreprises.

Le reproche régulièrement distillé au cours des dernières semaines d'avoir dû payer cash l'achat d'Orange, faute d'avoir pu utiliser du papier en raison du verrou des 50 %, mérite d'être utilisé avec plus de prudence.

Les auditions menées en 2002 par vous-même, monsieur le rapporteur, les réponses au questionnaire que vous aviez adressé à plusieurs partenaires et les auditions plus récentes de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale présidée par M. Douste-Blazy apportent des éclairages intéressants sur les exigences du vendeur d'Orange - Vodafone - et sur le climat relationnel de l'époque - il faut toujours resituer les choses dans leur contexte - entre les opérateurs de télécommunications.

Du reste, l'objectivité commande aussi de faire référence à la situation d'endettement et aux pertes colossales chez d'autres grands opérateurs, à statut privé pourtant, en Europe et aux Etats-Unis.

L'intérêt stratégique de l'entreprise et les moyens de le défendre ne peuvent, bien entendu, nous laisser indifférents. Ce problème est bien au coeur de la relation entre l'Etat actionnaire et les entreprises publiques.

Des améliorations devant indéniablement être apportées sur la gouvernance des entreprises publiques, nous aurions été ouverts à des propositions allant dans ce sens. Mais vous ne proposez rien, monsieur le ministre ; vous préférez livrer France Télécom à des intérêts privés. C'est votre choix.

Pourtant, le maintien d'une participation de l'Etat supérieure à 50 % du capital permet tout à fait, à notre avis, de porter des orientations stratégiques tournées vers la poursuite du redressement financier, vers un développement de l'entreprise autour du concept d'opérateur global présent dans le fixe, le mobile et l'Internet, relançant la recherche-développement et renouant avec des partenariats.

Oui, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, il est pour nous fondamental que l'Etat puisse, par sa présence majoritaire dans le capital, rester le garant de l'accomplissement des missions d'intérêt général dans ce secteur stratégique des télécommunications : accès au droit à la communication pour tous, aménagement du territoire, recherche innovation, sécurité, défense.

De surcroît, le sort connu ces derniers mois par des groupes industriels nous invite à ne pas écarter les risques liés aux effets des spéculations boursières.

Nous sommes également en désaccord sur le moment. France Télécom a changé de président le 2 octobre 2002. Le plan TOP, présenté en décembre 2002, est mis en oeuvre depuis le début de 2003. Nous observons avec satisfaction que le redressement de l'entreprise est en bonne voie, et il faut en féliciter les acteurs.

La priorité reste cependant le désendettement, avec une dette qui se situe encore à 49 milliards d'euros, et l'horizon pour résoudre ce problème est toujours 2005.

Cette date est aussi l'étape fixée pour aboutir à une évolution du contenu du service universel. La généralisation du mobile sur tout le territoire, le développement de l'accès au haut débit sont des objectifs majeurs d'aménagement du territoire, qui nécessitent une présence active de l'Etat.

L'été et l'automne 2003 ne sont pas des moments bien choisis pour débattre et décider de ruptures irréversibles. Les conditions que vous fixiez en 2002, monsieur le rapporteur - conjoncture rétablie, redressement du bilan de l'entreprise -, ne sont toujours pas remplies, selon nous.

Enfin, nous sommes en désaccord sur la méthode : une décision historique aussi lourde de conséquences ne peut être prise à la hussarde. Pourtant, c'est bien la voie que le Gouvernement a empruntée.

Devant un paysage mondial des télécommunications très chahuté, instable, face aux enjeux posés par les évolutions dans la communication, un débat public national ouvert, contradictoire, s'imposait, et ce, monsieur le rapporteur, avant tout dépôt de texte. Ce débat aurait permis de tirer les leçons des effets de la déréglementation - en France et dans les pays développés - et de dégager des orientations stratégiques en matière de communication. C'était l'ambition affichée par le projet de loi sur la société de l'information. Or, vous ne nous offrez qu'une approche fragmentée, saucissonnée, ne permettant pas de parler précisément de stratégie, d'adhésion à des lignes directrices.

Monsieur Larcher, dans votre rapport de 2002, vous écriviez ceci : « Si privatisation il y a un jour, l'intervention du législateur aurait à être postérieure à une concertation approfondie entre les partenaires sociaux. S'agissant de France Télécom, entreprise nationale, l'Etat devrait annoncer clairement ses grands arbitrages. Mais les modalités de mise en oeuvre desdits arbitrages n'auraient pas à être fixées d'emblée par ses soins, ce serait aux organisations représentatives du personnel et aux dirigeants de l'entreprise d'en débattre au préalable. »

Or à quoi avons-nous assisté ?

Les personnels et leurs représentants ont appris les « grands arbitrages » de l'Etat pratiquement par voie de presse. Les organisations représentatives du personnel n'ont pas réussi et ne réussissent pas à obtenir des rencontres avec leur ministre de tutelle.

Les représentants du personnel ont été informés des intentions du Gouvernement par les dirigeants de France Télécom la veille de la publication du communiqué de presse du ministère des finances.

Ainsi, le comité paritaire de France Télécom a été consulté le 18 juillet, la commission supérieure du personnel et des affaires sociales l'a été le 23 juillet, et le Conseil supérieur de la fonction publique d'Etat le fut le 25 juillet. Le conseil des ministres, quant à lui, a adopté le projet de loi le 31 juillet.

Ce projet de loi a donc dû être examiné par toutes les instances consultatives en deux semaines, et ce en pleine période des vacances d'été.

Plusieurs sénateurs socialistes. A la hussarde !

M. Pierre-Yvon Trémel. Peut-on parler de dialogue social ? Si telle est votre conception du dialogue social, nous ne devons pas attendre grand-chose des intentions avancées par le Gouvernement visant à rénover, à revivifier la démocratie sociale. Tous les syndicats de France Télécom ont été unanimes pour refuser la privatisation de cette entreprise, mais vous n'en avez cure.

La méthode, tant pour la nation que pour l'entreprise France Télécom, n'est pas acceptable.

Il reste, somme toute, à se demander ce qui va se passer ensuite, si ce titre III du projet de loi est adopté. Il sera alors enfin possible de découvrir vos véritables intentions.

Le pari peut être pris sur le déclenchement d'une manoeuvre habile : au nom d'une opération stratégique pour l'opérateur, assister au désengagement de l'Etat en vue de renflouer ses caisses. La raison d'être du projet de loi apparaîtra ainsi au grand jour : il s'agit, pour le Gouvernement, de banaliser le service public pour en faire un produit de consommation comme un autre, soumis aux seules règles de la concurrence.

Il s'agit tout simplement de réduire au minimum les obligations d'intérêt général pesant sur France Télécom afin de mettre sur le marché une entreprise à nouveau attrayante pour des intérêts capitalistiques. Nous ne pouvons donner un chèque en blanc pour une telle manoeuvre.

Notre conclusion vient d'autant plus facilement qu'il suffit d'emprunter celle qui était la vôtre, monsieur le rapporteur, dans le dernier paragraphe de votre rapport en 2002. Vos propos sont à nos yeux toujours d'actualité et, avec votre autorisation, nous les reprenons volontiers à notre compte. (Sourires.)

M. Gérard Larcher, rapporteur. Ils appartiennent désormais à tout le monde ! (Nouveaux sourires.)

M. Pierre-Yvon Trémel. Vous écriviez donc, en 2002 : « En tout état de cause, aujourd'hui, une privatisation de France Télécom n'est pas d'actualité et hors sujet dans le contexte que connaît l'opérateur. »

M. Gérard Larcher, rapporteur. Certes, mais mes propos datent de 2002, je le rappelle !

M. Pierre-Yvon Trémel. Cela n'a pas changé, monsieur le rapporteur !

Vous poursuiviez : « Il a besoin de l'Etat. On ne peut pas sacrifier notre premier acteur de télécommunications, essentiel pour le développement économique, l'équilibre du territoire, la cohésion sociale, à des intérêts budgétaires à courte vue. Il demeure porteur d'une véritable ambition nationale. » Tout est dit.

M. Gérard Larcher, rapporteur. C'est une belle citation !

M. Pierre-Yvon Trémel. Monsieur le ministre, le titre III est en trop dans votre projet de loi. Nous vous demandons, ainsi qu'à la majorité parlementaire, d'en décider la suppression.

Le titre II permet, certes, de conforter le statut des personnels fonctionnaires au sein de France Télécom, mais pour combien de temps ? Jusqu'en 2019, date à laquelle vous envisagez de rouvrir ce chantier ? Et à quel prix ? Au prix d'entorses lourdes au statut des fonctionnaires et aux règles constitutionnelles qui fondent leur emploi.

Le titre Ier se veut une transposition de la directive « service universel », mais vous avez fait le choix d'en avoir une lecture libérale. A vous de l'assumer.

Dès lors, le groupe socialiste votera contre votre projet de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Gérard Larcher, rapporteur. C'est aussi moi que vous applaudissez ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le ministre, vous avez évoqué un certain nombre de questions et je vous en donne acte. Vous avez en particulier exprimé votre volonté de garantir le statut des personnels de France Télécom. Vous avez également parlé de la bonne santé de l'entreprise et du rôle qui doit être le sien en matière de recherche et de développement. Dans cette assemblée, nous ne pouvons tous qu'être d'accord sur ces points.

Toutefois, à aucun moment, il n'a été question d'aménagement du territoire.

M. Gérard Larcher, rapporteur. J'en ai parlé !

M. François Fortassin. Certes, monsieur le rapporteur, mais pas M. le ministre.

Or, pour nous, élus, c'est à l'évidence la dimension la plus importante, dès lors que nous souhaitons garantir à nos concitoyens le maintien du service public des télécommunications.

Selon le président de France Télécom, 90 % de la population auront, à terme, accès à l'ADSL et à la téléphonie mobile. C'est bien, mais puisque 80 % de la population vivent sur 20 % du territoire, il y aura de vastes territoires d'où la téléphonie et l'ADSL seront absents, ce qui non seulement nous inquiète, mais pose un problème en termes de solidarité.

En effet, les populations qui vivent dans les zones urbanisées ou relativement peuplées vont bénéficier d'un service, sans avoir déboursé un centime pour acquérir les équipements nécessaires. Cela ne sera pas le cas pour les personnes vivant dans des zones dont la densité varie de cinq à dix habitants au kilomètre carré. Dans ces zones, qui sont déjà économiquement déprimées, il faudra payer les équipements, ce qui paraît inacceptable en termes de solidarité et d'aménagement du territoire.

Un autre élément me pose problème. Personnellement, je n'ai pas la religion des entreprises publiques et je ne considère pas plus que les entreprises privées doivent être systématiquement données en exemple pour la défense des intérêts de nos concitoyens.

Mais, monsieur le ministre, alors même que le désengagement de l'Etat pourra s'accroître dans les années à venir, je note que vous n'aurez plus guère de moyens de contrôle sur France Télécom. Or des exemples récents nous ont quand même montré l'utilité d'un tel contrôle, au regard des politiques financières aventureuses qui ont été conduites dans cette entreprise, situation qui pourrait d'ailleurs se reproduire.

Il fallait, me semble-t-il, profiter de l'occasion offerte par l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications, qui est une obligation européenne, pour imposer aux entreprises investissant dans ce secteur un cahier des charges draconien en matière d'aménagement du territoire.

Monsieur le ministre, avec quelques collègues, nous avons déposé un amendement visant à améliorer la couverture territoriale mobile dans les zones rurales faiblement peuplées, car il s'agit à nos yeux d'un enjeu essentiel en termes d'aménagement du territoire. Si cet amendement est adopté, nous voterons l'ensemble du projet de loi. Dans le cas contraire, nous aviserons. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. Paul Blanc. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christian Gaudin.

M. Christian Gaudin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui est à la fois important et novateur : il est important, non seulement parce qu'il concerne le secteur des télécommunications, domaine qui touche, bien sûr, à notre liberté de communiquer et de s'informer, mais aussi parce qu'il est facteur d'aménagement et de développement économique ; il est novateur, car plusieurs de ses dispositions ont un caractère tout à fait exceptionnel et original.

Le marché des télécommunications paraît tout juste sortir de la crise financière. C'est un secteur en convalescence qui a connu deux années au cours desquelles certains équipementiers ont pu perdre plus de 50 % de leur chiffre d'affaires. C'est pourquoi le redressement spectaculaire de France Télécom ne doit pas faire oublier son endettement ni la fragilité des marchés.

France Télécom est l'une des plus grandes entreprises françaises. Concurrentielle et performante, elle réalise plus de 41 % de son chiffre d'affaires à l'étranger. C'est une entreprise globale de télécommunications pour la téléphonie fixe, mobile, l'Internet et les services de données aux entreprises. Transformée en société anonyme par la loi de 26 juillet 1996, cette entreprise s'est vu toutefois attribuer les missions du service universel.

Or, nous devons à présent examiner un texte qui prévoit de nouvelles modalités d'attribution de ce même service universel, afin d'adapter notre droit national à deux directives européennes. Dorénavant, le service universel en matière de télécommunications fera l'objet d'appels d'offres auprès d'entreprises privées.

De même, pour être en accord avec les règles européennes de la concurrence, l'Etat n'aura plus l'obligation de détenir au moins la majorité du capital de France Télécom. A ce sujet, il est intéressant de noter que le récent rachat des parts minoritaires de sa filiale de téléphonie mobile Orange a abaissé la part de l'Etat à un peu plus de 50 % du capital de France Télécom. Cela signifie que toute future émission de titres par l'opérateur ou cession de titres par l'Etat ferait passer ce dernier au-dessous de la barre des 50 %, privatisant, de facto, France Télécom.

Ce projet de loi ouvre donc juridiquement la possibilité pour l'Etat de ne plus détenir qu'une part minoritaire de France Télécom. Cependant, il paraît souhaitable que l'Etat puisse garder une part significative du capital de France Télécom, car seul cet opérateur a la capacité de garantir et d'impulser des actions qui relèvent de l'intérêt général, comme l'aménagement du territoire en matière de télécommunications.

A cet égard, les collectivités territoriales ne peuvent pas être laissées seules pour répondre à la demande d'accès facile, rapide et illimité à l'Internet. Faisant face à la menace d'entreprises qui se jugent, à juste titre, pénalisées par l'inexistence d'une technologie devenue indispensable, les responsables locaux, dans l'urgence, et souvent dans l'ignorance, se retrouvent seuls à décider.

Les dispositions du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, déjà adoptées en première lecture par le Sénat, constituent une réelle avancée. Elles permettront en effet aux collectivités territoriales d'évaluer et de prendre éventuellement en charge leurs besoins d'accès aux TIC - les techniques de l'information et de la communication - en devenant, si nécessaire, opérateur. Toutefois, ces collectivités ne pourront pas, bien entendu, assurer toutes seules l'aménagement numérique du territoire.

Les entreprises et les usagers ont les mêmes besoins, où qu'ils se situent. Ne transformons donc pas le tiers de notre territoire en désert économique et culturel, même si cela ne concerne que 20 % de la population française.

MM. Philippe Arnaud et Louis Moinard. Très bien !

M. Christian Gaudin. Il est nécessaire d'accentuer les services destinés aux PME et aux petites collectivités. Il faut expliquer les diverses technologies complémentaires : fibres optiques et boucles locales radio, mais encore Wi-Fi, faisceau hertzien et, enfin, satellite pour les zones de montagne ou isolées.

Le plan de couverture en ADSL annoncé par France Télécom en juin dernier est suivi de très près par les élus locaux. Le redressement du secteur des télécommunications, et de France Télécom en particulier, permet en effet d'espérer une avancée rapide du haut et moyen débit sur l'ensemble du territoire. L'annonce par France Télécom de porter à 90 % de la population, en 2005, le taux de couverture de la France en ADSL est donc particulièrement attendue. Seule la maîtrise des technologies d'avenir permettra une croissance équilibrée sur l'ensemble du territoire français.

Il est regrettable que l'accès à l'Internet à haut et moyen débit et la couverture de la téléphonie mobile ne soient pas inscrits dans le service universel, qui préconise seulement l'accès à une ligne téléphonique, à partir du téléphone fixe à des débits suffisants pour permettre l'accès à l'Internet.

Le concept de service universel doit nécessairement évoluer au rythme des progrès technologies. Un tel réexamen est prévu et interviendra au plus tard le 25 juillet 2005. Cette clause de rendez-vous est essentielle. Elle permet à la France d'identifier ses besoins et ses attentes tant techniques qu'économiques, notamment, répétons-le, en matière d'aménagement du territoire. C'est pourquoi, comme l'a proposé M. le rapporteur, je suis favorable à l'association du Parlement à ce réexamen.

Par ailleurs, même s'il n'est plus l'opérateur historique et légal du service universel, France Télécom a de nombreux atouts. Cette entreprise a toujours su s'adapter grâce à ses performances opérationnelles et à la compétence de son personnel. Nous approuvons le fait que, après une période économique mouvementée qui n'a pas épargné le personnel, la garantie du pacte social soit effectivement prévue par le texte.

Sur ce point précis, également, le projet de loi est novateur : une entreprise privée garantit le statut de ses 106 000 agents fonctionnaires recrutés avant 1997, et cela au nom des engagements passés. Ce texte est même doublement novateur puisqu'il prévoit des possibilités de mobilité entre les trois fonctions publiques. Il s'agit en effet d'un débat déjà ancien, mais qui ne comporte que peu d'exemples.

Toutefois, nous n'ignorons pas que France Télécom doit encore faire face à plusieurs défis majeurs. La concurrence ne va sûrement pas diminuer et le secteur connaîtra encore des évolutions d'importance. La concurrence est particulièrement rude sur le téléphone fixe en raison du dégroupage de la boucle locale et de l'introduction de nouvelles technologies permettant de téléphoner sur la toile.

De plus, pour parvenir à un désendettement rapide et significatif, l'entreprise doit améliorer sa rentabilité et maîtriser le rythme de ses investissements. Des choix impératifs vont intervenir. Ces objectifs ne doivent toutefois pas se réaliser au détriment d'un effort constant d'innovation des technologies et des services.

Nous approuvons donc la décision du P-DG de France Télécom, qui a annoncé que l'innovation était la nouvelle priorité. La part attribuée à la recherche était jusqu'ici beaucoup trop faible, ce qui est malheureusement le cas de trop nombreuses entreprises. Or, la recherche et le développement constituent les innovations et les réalisations de demain. C'est le ciment de toute croissance. L'Europe doit gagner sa place dans le défi du numérique, et France Télécom doit y rechercher un rôle stratégique de tout premier plan.

Il était urgent de donner à France Télécom toutes les conditions nécessaires pour réussir les prochaines mutations du secteur. La situation était complexe et délicate. La solution proposée est originale, novatrice, pragmatique et équilibrée. C'est pourquoi le groupe de Union centriste votera le projet de loi.

Je conclurai en félicitant le président de la commission des affaires économiques, M. Larcher, aujourd'hui rapporteur, pour son excellent travail commencé il y a déjà bien longtemps. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.

M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après l'économie numérique, les obligations de service public, le service universel et, bien sûr, le statut des personnels de France Télécom, nous entrons à pas comptés, mais sans jamais nous arrêter, dans la modernité.

Cela suppose l'adaptation des textes nécessaires à l'évolution de l'opérateur historique, bien entendu, mais aussi à celle de l'ensemble des entreprises dans le domaine des télécommunications et des nouvelles technologies, notamment du numérique. Cette évolution doit se faire sur le plan national, mais pas seulement, car il s'agit de donner à ces entreprises, y compris à l'opérateur historique chargé d'une mission de service public, les moyens de devenir des opérateurs compétitifs sur le plan international.

La transformation de France Télécom en société anonyme date de 1996. Cette grande entreprise publique était déjà performante depuis 1990, mais dans des conditions totalement différentes : sa situation juridique était tout autre et le contexte d'alors n'était pas du tout le même que celui que nous connaissons aujourd'hui en matière d'ouverture à la concurrence.

Je voudrais saluer M. le ministre, ainsi que M. le rapporteur - véritable orfèvre en matière de télécommunications ! -, pour leurs propos auxquels je souscris totalement. Je ne reviendrai donc pas sur tous les problèmes évoqués à propos de l'évolution du secteur et de ses aspects techniques. Je dirai simplement que nous avons, ensemble, à faire évoluer les choses, car telle est la réalité du problème.

Le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis porte sur un certain nombre de points.

Le premier est la transposition de la directive européenne relative au service universel, service économique d'intérêt général. Il s'agit d'adapter le service public à la française au niveau européen et de mettre en place les mécanismes de solidarité nécessairement induits par les évolutions technologiques.

En effet, ces évolutions placent de plus en plus le citoyen, qui a accès au service public, dans une situation de consommateur. Comme l'a dit Pierre-Yvon Trémel, mais dans un autre sens, le citoyen devient un consommateur banal, exigeant les meilleures prestations de service au meilleur tarif et n'hésitant pas à changer de compagnie et d'opérateur pour des raisons purement tarifaires. Il est donc nécessaire de souligner cette évolution au moment où nous discutons beaucoup du service public et du service universel.

Le deuxième point est celui qui, pour beaucoup d'entre nous, est le point important de ce texte. En effet, nous avons les uns et les autres, à des responsabilités diverses, des relations sérieuses et continues avec l'ensemble des personnels de l'opérateur historique, et il est bien normal d'introduire dans le texte les garanties que nous devons légitimement aux personnels fonctionnaires de France Télécom.

La possibilité pour l'Etat d'être minoritaire doit nous permettre, sur toutes les travées, de dépasser les raisons idéologiques. Je crois qu'il est logique d'adapter le statut de France Télécom à la nécessité et, comme je le disais au début de mon propos, de lui donner les moyens, par le biais de son organisation - cette entreprise étant aujourd'hui totalement soumise à la concurrence -, de faire appel à des actionnaires plutôt qu'à des banquiers.

Nous pourrions, sans polémique, entrer dans le détail des raisons qui ont fait que l'opérateur France Télécom s'est retrouvé avec un endettement de 70 milliards d'euros. Elles sont nombreuses, mais je tiens tout de même à rappeler à cette tribune que l'obligation pour l'Etat de rester majoritaire dans le capital de France Télécom n'a pas laissé à cet opérateur d'autre choix que de faire appel à l'endettement pour faire face à ses obligations.

Outre ce verrou, il est un autre point qui doit nous interpeller et sur lequel nous devons nous interroger pour l'avenir : ce sont les moyens financiers auxquels a dû faire appel France Télécom pour assurer les acomptes, obtenir et payer, certes partiellement, les licences UMTS auxquelles il avait souscrit. Cela représente une part non négligeable dans les causes du surendettement de France Télécom.

Certes, ce n'est pas la seule raison, mais elle doit être soulignée...

M. Gérard Larcher, rapporteur. Il a raison !

M. Pierre Hérisson. ... au moment où nous évoquons la nécessaire souplesse qu'il convient d'accorder à cette entreprise grâce à la faculté pour l'Etat de devenir minoritaire - je préfère pour ma part parler d'Etat actionnaire avec la liberté et les règles qui incombent à tous les actionnaires, sans contraintes supplémentaires.

Pierre-Yvon Trémel a signalé tout à l'heure que la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications avait émis un avis sur le présent projet de loi entre le 11 et le 22 juillet dernier. On peut porter une appréciation différente sur cette diligence. Je serais tenté pour ma part, ayant l'honneur de présider cette commission, de saluer son efficacité et l'ensemble de ses membres, y compris Pierre-Yvon Trémel, qui en est l'un des vice-présidents.

Au-delà des différents avis qui ont pu être émis, je voudrais rappeler ici, monsieur le ministre, notre attachement à la poursuite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, en particulier de l'article porté par notre collègue Bruno Sido, mais également la nécessité de poursuivre notre réflexion sur la façon d'introduire, lorsque ce sera possible, la téléphonie mobile et - pourquoi pas ? - le haut débit, dans une forme de service universel.

Tout le monde parle d'aménagement du territoire, moi le premier. Mais si nous voulons véritablement être crédibles à l'avenir lorsque nous parlerons d'aménagement du territoire, de couverture numérique du territoire, et éviter la fracture numérique, il nous appartient de poursuivre notre réflexion et de trouver le moment opportun qui nous permettra de faire entrer dans le service universel les deux options dont je viens de parler.

Le « paquet télécoms » nous donnera l'occasion de revoir plus largement cette question. Mais - j'ai eu l'occasion de le dire pour La Poste, je le répète aujourd'hui - le paquet - formulation provenant des instances européennes qui n'est pas forcément à prendre au premier degré - est fait pour être ouvert. Nous y sommes : nous avons traité de l'économie numérique, nous traitons aujourd'hui du statut de l'opérateur historique et nous avançons sur le service universel.

C'est pour cette raison qu'après avoir rappelé l'avis favorable émis par la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications je voterai bien entendu ce texte, accompagnant ceux qui, depuis de nombreuses années, tel Gérard Larcher, portent l'avenir des télécommunications dans cette maison. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Paul Girod.

M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention sera brève.

Elle consistera d'abord à vous apporter, monsieur le ministre, mon approbation personnelle et celle d'un groupe dont vous ne doutez pas de recueillir l'appui sur l'ensemble de ce texte, en particulier sur la partie qui concerne le statut des personnels.

La solution originale qui est proposée devrait probablement servir d'exemple pour résoudre d'autres problèmes dans d'autres domaines. Ainsi, la diminution possible de la part de l'Etat, qui me semble ouvrir un certain nombre de perspectives, pourra être utilisée de diverses manières. Ce qui se passe aujourd'hui à Air France nous fait penser que France Télécom pourra trouver des partenariats européens ou internationaux auxquels on ne songe pas aujourd'hui, mais qui seront impossibles si une certaine souplesse n'est pas introduite dans la loi la concernant.

Je ferai une observation portant sur l'article 1er du projet de loi, notamment sur le texte proposé pour l'article L. 35-2 du code des postes et télécommunications, qui concerne l'opérateur chargé, après l'appel d'offres, du service universel.

Cet article est ainsi rédigé : « Peut être chargé de fournir l'une des composantes du service universel mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 35-1 tout opérateur en acceptant la fourniture sur l'ensemble du territoire national et capable de l'assurer. »

Monsieur le ministre, je ne voudrais pas qu'il y ait d'équivoque. En effet, quand nous parlons de cette loi sur France Télécom et sur la mise en place du service universel, nous avons bien entendu en tête l'opérateur historique avec ce qu'il est, c'est-à-dire une grande société et un réseau.

Je voudrais être sûr que l'interprétation que l'on fait de l'expression « et capable de l'assurer » intègre une série de technologies auxquelles, pour l'instant, nous ne pensons pas. Autrement dit, je voudrais être sûr que puisse être tenu comme un prestataire de service universel quelqu'un qui amène, non seulement un réseau lui appartenant, mais aussi éventuellement des sous-traitances avec d'autres pour pouvoir profiter d'infrastructures qui, pour l'instant, ne sont pas des infrastructures de télécommunications, mais qui pourraient être utilisées comme telles. Je pense évidemment aux courants porteurs, aux réseaux de la SNCF ou à d'autres réseaux susceptibles d'être utilisés par le prestataire de services comme étant des canaux.

Dans l'état actuel du texte et compte tenu de l'historique que nous avons tous en tête d'une société France Télécom assurant l'ensemble de la diffusion, je ne suis pas sûr que cette équivoque, ou tout au moins cette interrogation, ne mérite pas d'être levée au moment où s'engage ce débat qui, je le répète, me semble bienvenu. En effet, la transposition d'une directive européenne est une nécessité dans notre droit, et les éléments de souplesse qui sont apportés au personnel et à la place de l'Etat dans le France Télécom tel que nous le connaissons me semblent également opportuns.

Monsieur le ministre, je vous prie de m'excuser pour cette question quelque peu technique, mais je crois que ce point mérite d'être clarifié. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Arnaud.

M. Philippe Arnaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les excellents propos de mes collègues Paul Girod et Christian Gaudin sur l'avenir de France Télécom et des services de télécommunications, je souhaiterais concentrer mon intervention - qui sera brève - sur ce qu'on appelle le « service universel », sa définition, son contenu et son rôle dans l'aménagement du territoire.

Si les télécommunications portées aujourd'hui par les nouvelles technologies - téléphonie mobile, haut débit - préoccupent l'Etat et l'Union européenne, c'est bien parce que la puissance publique estime, à juste titre, que les enjeux sont considérables.

Ces outils, s'ils ne sont pas suffisants, sont devenus nécessaires pour assurer le développement de nos territoires. Demain, ils seront une condition sine qua non de leur survie.

Au moment où l'on ouvre à la concurrence les services des télécommunications, on ne met dans le « paquet » du service universel ni la téléphonie mobile ni le haut débit !

Sans doute me répondrez-vous que la directive européenne sur les télécommunications a écarté l'extension du service universel aux réseaux haut débit et à la téléphonie mobile, tout au moins avant 2005, date du réexamen au niveau communautaire du contenu du service universel.

Je regrette, pour ma part, que nous ne saisissions pas l'occasion qui nous est offerte aujourd'hui d'actualiser le service universel de ce début du XXIe siècle aux technologies du XXIe siècle, et je souhaiterais, monsieur le ministre, connaître votre position sur ce sujet.

Le second point de mon intervention concerne l'aménagement du territoire et la fâcheuse habitude que nous avons de considérer qu'un problème est réglé dès lors que 80 % de la population française est satisfaite. Je cite notre excellent président de la commission des affaires économiques, M. Gérard Larcher : « Communiquer est l'une des libertés les plus fondamentales. » S'il est vrai que l'objectif de dix millions d'abonnés au haut débit, que vous avez confirmé, monsieur le ministre, suppose un effort considérable - que je mesure et je remercie M. le Premier ministre et le Gouvernement d'en faire une priorité pour la nation -, cet objectif ne peut me satisfaire à lui seul, car il porte en lui-même de graves risques de disparité.

Certes, il faut prendre en compte et satisfaire les bassins de vie où se concentrent - un peu trop, à mon avis - nos concitoyens, mais il faut prendre garde que, ce faisant, nous n'accentuions davantage la fracture territoriale, que le Gouvernement entend réduire, entre métropoles et agglomérations, d'une part, et territoires ruraux, d'autre part. Les nouvelles technologies des télécommunications sont un formidable outil de désenclavement et de rééquilibrage.

Vous le savez, cela a été fort bien dit tout à l'heure, des technologies différentes permettent d'offrir le même service, que ce soit en téléphonie mobile ou en haut débit, et des opérateurs différents, y compris ceux que l'on n'a pas l'habitude de trouver dans le domaine des télécommunications, pourraient répondre à ces objectifs.

Sous réserve de la compatibilité des systèmes entre eux, n'ayons pas peur, pour gagner du temps et couvrir tout notre territoire, d'offrir à chaque situation la solution la mieux adaptée.

Nous ne pouvons pas laisser de côté les 20 % de la population qui occupent 80 % du territoire français, sauf à les condamner.

MM. Pierre Laffitte et Paul Girod. Très bien !

M. Philippe Arnaud. Monsieur le ministre, convaincu qu'après le rendez-vous de 2005, c'est-à-dire dès 2006, le haut débit et la téléphonie mobile figureront dans le service universel, je souhaite appeler votre attention sur les critères d'évaluation qui conduisent à dire si, oui ou non, le service est assuré.

Je m'interroge en effet sur la définition des zones blanches en matière de téléphonie mobile.

Dans mon beau département de la Charente, que je sillonne quotidiennement, nous souffrons d'une grave absence de couverture uniforme de téléphonie mobile. Pourtant, seules quelques communes ont été répertoriées « zones blanches » et figurent donc dans le plan de résorption actuellement engagé.

Je crois savoir que, pour déterminer si une zone est couverte, les mesures sont faites dans un périmètre d'une centaine de mètres autour de la mairie.

M. Paul Blanc. Exactement !

M. Philippe Arnaud. Eh bien, ma commune, chef-lieu de canton rural, est considérée comme couverte alors qu'il faut compter sur la chance et déjouer les caprices de la météo, y compris à la mairie, pour être connecté au réseau. Et encore est-il illusoire d'espérer achever une conversation !

La commune de Blanzac-Porcheresse, dont j'ai l'honneur d'être le maire, n'étant pas « zone blanche » ; j'en conclus qu'elle est en « zone d'ombre », comme la moitié du territoire charentais qui est exclue du plan.

Vous avez compris, exemple à l'appui, qu'il convient de mieux définir la notion de « zone blanche » et qu'une attention particulière doit - et devra à l'avenir - être accordée à la vérification sur le terrain - in situ - de la réalité de la desserte. Sinon, ce serait un leurre. Et cette réflexion vaut pour tous les services.

Monsieur le ministre, je le redis après mon collègue M. Christian Gaudin, je voterai, avec mon groupe, ce projet amendé par notre commission des affaires économiques. Nous considérons en effet que le développement des nouvelles technologies est une chance pour tout le territoire national, à condition qu'on le veuille bien et qu'on s'en donne les moyens dans le cadre de la solidarité nationale.

En effet, on ne peut demander aux seules collectivités locales des territoires fragiles de payer un équipement qui est gratuit pour d'autres. C'est à ces conditions que nous réussirons la mutation du service public en service universel, du service public en service au public. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Francis Mer, ministre. Je voudrais commencer par féciliter M. Gérard Larcher pour la qualité de son rapport et de ses commentaires.

Il a eu raison de souligner que notre projet entend garantir les droits des personnels de France Télécom, notamment de ceux qui sont fonctionnaires, malgré les évolutions du marché vers une concurrence toujours plus dure.

Je le remercie de reconnaître au Gouvernement quelque mérite, notamment en matière de pragmatisme, en ce qui concerne notre démarche sur le niveau de capital détenu par l'Etat.

Votre rapport montre bien l'objectif qui est le nôtre, à savoir permettre à France Télécom de manoeuvrer dans un univers économique fortement concurrentiel, bien sûr en Europe, mais aussi dans le monde, cela sans porter atteinte aux droits des agents, notamment des fonctionnaires de l'entreprise.

Il n'y a aucune idéologie derrière la proposition que nous vous faisons de supprimer l'obligation de détention par l'Etat d'une majorité du capital de France Télécom. Soyons clairs, il n'y a là aucune arrière-pensée. J'ai noté que certains orateurs sont persuadés que, dans un futur plus ou moins proche, le ministre des finances que je suis viendra présenter, ici ou ailleurs, une explication justifiant une privatisation lui permettant de récupérer beaucoup d'argent venant de France Télécom par une opération stratégiquement utile pour cette entreprise. Je ne crois pas que les choses se dérouleront de cette façon, et vous en avez eu un bel exemple avec Air France.

A un certain moment, nous avons décidé qu'il était possible de privatiser Air France. J'ai pensé en effet que l'intérêt d'Air France passait avant l'intérêt de l'Etat, et j'ai donc pris la décision, non pas de vendre des actions d'Air France pour mettre en oeuvre cette opération de privatisation, mais de faire ce qui était en mon pouvoir pour faciliter la construction d'un groupe européen entre Air France et KLM.

Compte tenu des modalités de l'alliance entre Air France et KLM, la conséquence, c'est vrai, sera que l'Etat français diminuera sa participation dans l'ensemble, mais l'objectif n'est pas là. Il est de créer, avec Air France et KLM, une belle entreprise européenne, dans laquelle l'Etat français restera actionnaire le temps qu'il estimera nécessaire pour que cette entreprise poursuive son développement.

Il est tout de même plus sympathique de citer l'exemple de l'alliance d'Air France et de KLM que de dire que l'on « vend les bijoux de famille » pour financer le déficit budgétaire ! (Sourires.) Telle n'est pas, en effet, ma conception de la gestion du patrimoine industriel de l'Etat, telle n'est pas ma conception de la manière dont la privatisation autorisée de France Télécom devra être mise en oeuvre.

M. Pierre Laffitte. Très bien !

M. Francis Mer, ministre. Si nous voulons faire de France Télécom une grande entreprise, il nous faut être capables à tout moment de décider que, pour telle et telle raison, le développement stratégique de France Télécom peut passer, directement ou indirectement, par une privatisation, au sens où l'Etat actionnaire détiendrait moins de 50 % du capital. D'ailleurs, il n'y a pas une si grande différence entre 51 % et 49 % !

De surcroît, il est un atout que conserve France Télécom, ce sont ses fonctionnaires. Dès lors que nous faisons ce qu'il faut - parce que c'est normal - pour que ces fonctionnaires, tout en restant dévoués à la cause de France Télécom, ne se sentent pas menacés, du fait des changements statutaires de l'entreprise, dans leur propre statut, je peux vous assurer que ce sont eux qui seront, et pendant longtemps, les meilleurs garants d'une évolution de France Télécom conforme aux intérêts de l'entreprise et, bien sûr, à ceux de notre pays.

Voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne saurais parler plus simplement. Mais le métier, l'industrie qui nous occupent aujourd'hui sont suffisamment complexes pour que l'on s'exprime clairement.

J'ai l'intention, en cette matière comme dans les autres, d'avoir ce que l'on appelle une politique industrielle, c'est-à-dire d'aider les entreprises à grandir en faisant preuve d'une réactivité suffisante pour que les évolutions souhaitables se produisent en dehors de toute idéologie.

M. Pierre Laffitte. Très bien !

M. Francis Mer, ministre. Monsieur le rapporteur, nous avons la même analyse de l'extension du service universel. J'ai bien noté que d'autres orateurs acceptaient d'attendre un peu avant de connaître exactement le contenu de cette extension. Car, cela va de soi, il y aura un contenu, mais nous le définirons de manière calme et organisée, sans précipiter les événements.

Je relève que le haut débit dans les collectivités d'outre-mer suscite des interrogations. Je tiens à vous rassurer : un comité interministériel travaille sur cette question et ses recommandations devraient être disponibles d'ici à la fin de l'année.

Monsieur le rapporteur, vous avez constaté que la solution que propose le Gouvernement pour le personnel, même si elle diffère de celle que vous aviez imaginée, a la simplicité et l'élégance requises, y compris en termes de constitutionnalité. Je me rejouis de cette adhésion sans réserve, dans l'intérêt de tous.

Vous avez souhaité recevoir un rapport sur le bilan des ouvertures de capital : vous l'aurez en temps utile.

Quant à l'autodétachement, la suite de la discussion vous montrera que rien ne justifie une inquiétude particulière dans la mesure où ce dispositif a été utilisé à titre très exceptionnel au sein de France Télécom. En tout état de cause, il permet aux fonctionnaires concernés de revenir au sein de la maison mère France Télécom SA à l'issue de leur détachement dans des filiales.

J'ai bien noté les interrogations de la commission sur l'évolution des carrières des fonctionnaires « reclassés ». Précisément, l'amendement que le Gouvernement vous proposera permettra de faciliter l'évolution de ceux qui le souhaitent vers les administrations.

Comme vous l'avez par ailleurs souligné, monsieur le rapporteur, M. Thierry Breton s'est engagé à gérer l'avenir professionnel desdits fonctionnaires « reclassés » avec professionnalisme, cela va de soi, mais surtout sans ségrégation, c'est-à-dire en s'intéressant essentiellement au mérite et aux compétences des personnels.

Madame Terrade, je ne suis pas certain que nos analyses ne convergeront jamais ! (Sourires.) Sur le plan des principes, vous opposez logique d'entreprise et logique de service public. Je ne peux pas vous suivre sur cette voie. Dans un passé assez lointain, ayant eu comme mission la défense des obligations de service public à Bruxelles, je me sens parfaitement à l'aise pour vous dire aujourd'hui qu'une entreprise peut très bien assurer un service public, quand bien même elle ne serait pas détenue à 100 %, voire à 50 % par l'Etat : il n'y a pas de raison particulière d'assimiler « service public » et « entreprise publique ».

D'ailleurs, le but de ce projet de loi est précisément de mettre en oeuvre en même temps les conditions d'un service public performant et le développement d'une entreprise dont l'Etat est, et restera longtemps, je crois, le principal actionnaire.

Je voudrais cependant insister sur la représentativité des personnels au sein de France Télécom, car je suis certain que vous y êtes sensible.

Nous vivons actuellement une situation un peu curieuse dans laquelle les fonctionnaires, qui représentent 80 % des personnels de la maison mère du groupe France Télécom, sont représentés dans des instances qui ne sont pas celles que connaît toute entreprise classique. Ce projet de loi, si vous l'acceptez, leur permettra, tout en conservant les dispositions spécifiques de leur propre statut, de participer enfin pleinement à la vie sociale de l'entreprise, aux côtés des autres collaborateurs. C'est un progrès que je me plais à relever et dont chacun devrait se réjouir.

J'ai été évidemment sensible aux commentaires de M. Pierre Laffitte sur l'initiative de croissance européenne. J'ai admiré sa capacité à se tenir au courant sur des sujets qui évoluent pourtant très vite.

M. Pierre Laffitte redoute le développement rapide de la voix sur Internet : il est clair que la barrière n'est pas tant technique que culturelle. En effet, avant que tous les particuliers se soient équipés de manière ad hoc, beaucoup d'eau aura coulé sous beaucoup de ponts... (Sourires.)

Je salue, en revanche, les réflexions tout à fait pertinentes de M. Pierre Laffitte sur les courants porteurs. D'ailleurs, le comité interministériel d'aménagement du territoire a mis le sujet à l'ordre du jour de certaines études, ce qui se justifie d'autant plus qu'une bonne partie des start-up correspondantes sont françaises.

J'ai admiré, monsieur Trémel, votre pointe d'humour et vos commentaires flatteurs sur les citations de M. le rapporteur. Plus sérieusement, sur la transposition du « paquet télécoms », le projet est prêt et a été approuvé par le conseil des ministres. Les mesures les plus urgentes font l'objet d'amendements dont certains vous seront soumis à l'occasion de la discussion de ce projet de loi.

Vous avez ensuite évoqué la nécessité d'un appel d'offres sur le service universel. C'est la directive européenne. Nous aurions pu procéder autrement pour l'attribution de ces missions, mais il nous a semblé que l'appel d'offres était la manière la plus neutre et la plus transparente.

S'agissant des handicapés, le Gouvernement attend les conclusions du groupe de travail constitué par Mme Nicole Fontaine et par M. Renaud Dutreil. Il conviendra ensuite, en fonction de ces éléments, de convaincre industriels, opérateurs et équipementiers, d'adapter les terminaux, notamment grâce à la commande vocale, et de créer des services spécifiques, tels que les numéros d'urgence préprogrammés, des tarifs particuliers pour certaines familles ou la télésurveillance médicale. A cet égard, un certain nombre de projets sont en cours de gestation. Je pense que nous saurons les intégrer rapidement, au fur et à mesure que le contenu de ces propositions sera précisé.

Sur le gouvernement des entreprises publiques, l'Agence des participations de l'Etat, en cours de création, répondra à la question que vous avez posée. Si le calendrier est « serré », le projet de loi a été l'occasion d'une concertation régulière. De plus, il est, à nos yeux, tout à fait conforme aux intérêts tant de l'entreprise que de notre pays.

M. Fortassin a évoqué l'aménagement du territoire. Or l'un des problèmes majeurs de notre pays vient de ce qu'il n'est pas assez peuplé. Cette faiblesse de la densité de population en France n'est pas adéquate. C'est sans doute l'un des charmes de notre pays, mais c'est aussi un grand handicap pour l'aménagement du territoire.

Dans le monde actuel, une densité de population insuffisante suscite, en termes de services, les problèmes que vous avez évoqués et que nous nous efforçons, les uns et les autres, de traiter le moins mal possible.

Ainsi, depuis dix-huit mois, le Gouvernement a pris beaucoup de mesures pour favoriser la diffusion des nouvelles technologies sur tout le territoire.

En ce qui concerne la téléphonie mobile, l'itinérance locale est inscrite dans le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, sur l'initiative de votre collègue M. Sido. La couverture des zones blanches de téléphonie mobile sera donc assurée à un moindre coût pour les opérateurs et les pouvoirs publics. Au passage, nous savons tous que, dans Paris même, il y a des zones blanches multiples et variées. Sur un trajet d'un quart d'heure en voiture, il n'est pas rare de devoir rappeler quatre fois son interlocuteur, après trois coupures dues aux zones blanches. Il n'y en a donc pas qu'au fin fond de la France, il y en a aussi en pleine ville !

Les opérateurs mobiles ont anticipé le vote du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique et ils expérimentent la technique d'itinérance locale afin d'accélérer la construction des réseaux. D'ici à la fin de l'année 2004, la première partie du plan sera achevée et environ mille cinq cents communes seront couvertes.

Monsieur Christian Gaudin, nous sommes d'accord : France Télécom est et continuera à être une entreprise performante, grâce notamment à sa capacité d'innovation.

Vous avez eu raison d'évoquer ce sujet et pas uniquement pour les télécomunications. Si notre collectivité nationale, y compris les acteurs économiques que sont les entreprises, qu'elles soient publiques ou privées, ne comprend pas que l'avenir de notre pays exige un effort plus grand que celui que nous consacrons, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, à la recherche et à l'innovation, nous ne saurons pas aider notre pays à relever le défi du vieillissement, un défi de la France, mais aussi de l'Europe.

Nous vivons dans un monde où nous sommes de plus en plus dans l'obligation de renouveler notre offre - cela s'appelle l'innovation - et il est clair que, dans le domaine des technologies de l'information, les découvertes à venir seront bien plus nombreuses que celles qui ont été faites jusqu'à présent.

M. Pierre Laffitte. Oui !

M. Francis Mer, ministre. En ce qui concerne le haut débit, les mécanismes mis en oeuvre pour inciter les opérateurs privés à fournir ce service sont maintenant efficaces.

Je ne reviens pas sur la suppression de la taxe sur les paraboles, mais j'insisterai tout de même sur les techniques Wi-Fi que le Gouvernement a totalement libéralisées, ce qui permet dorénavant à toute entreprise de créer un réseau local sans demander de licence, sans payer de redevance. Cinquante entreprises se sont déjà lancées sur ces marchés, principalement dans les zones rurales. Les collectivités qui deviendront « opérateurs de télécommunications » dans des conditions fixées par le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique pourront ainsi nouer des partenariats avec des opérateurs privés.

Donc, vous le voyez, nous ne laissons pas les collectivités locales seules dans ce domaine, et nous les incitons à trouver des partenaires industriels sur les compétences desquelles elles pourront s'appuyer.

Monsieur Arnaud, vous avez relevé les lacunes du texte concernant le haut débit et le service universel. Les principales dispositions législatives ont été prises dans d'autres textes, car le Gouvernement souhaitait les faire approuver rapidement. Par exemple, l'accès par satellite a été facilité dès le collectif budgétaire de 2002. Le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique reprend d'autres dispositions : l'itinérance locale pour la couverture mobile ; l'autorisation donnée aux collectivités territoriales d'être opérateurs en télécommunications.

En ce qui concerne la téléphonie mobile, il s'agit de desservir la population. Cependant, la couverture totale du territoire aurait un coût prohibitif pour un intérêt très limité. Il faut savoir, à un certain moment, s'arrêter dans le perfectionnisme : 80 %, ce n'est peut-être pas assez ; 99 %, ce sera très coûteux. Il y aura, à un certain moment, un optimum à trouver.

Monsieur Girod, vous m'interrogez sur l'utilisation de technologies alternatives pour la fourniture du service universel. Soyons clairs : le Gouvernement est tout à fait neutre dans le choix de ces technologies, qu'il s'agisse des courants porteurs en ligne sur les réseaux électriques ou sur d'autres réseaux. L'appel à candidatures sera ouvert à tous les opérateurs, à toutes les technologies, et je pense qu'un opérateur pourra choisir plusieurs types de réseaux pour assurer le service universel, s'il considère que c'est la meilleure solution pour lui.

Voilà quelques remarques au débotté sur les réactions que m'inspirent vos commentaires.

Sur le fond, ce projet de loi a deux objets. D'une part, il vise à aider les fonctionnaires de France Télécom à être sereins, et donc aussi déterminés à contribuer à la réussite de leur entreprise qu'ils le sont aujourd'hui.

D'autre part, il tend clairement à donner à France Télécom, et à son actionnaire principal, l'Etat, la plénitude de ses moyens pour réussir le développement stratégique d'une entreprise qui, par la qualité de son personnel, a toute chance de réussir à aider notre pays à ce développer dans les nouvelles technologies. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Gérard Larcher, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, je voulais d'abord remercier l'ensemble de mes collègues de leurs interventions : ceux qui soutiennent la démarche que propose la commission, mais aussi les sénateurs de l'opposition, qui m'ont abondamment cité, ce dont je leur sais gré ! (Sourires.)

Mais je souhaite revenir sur le changement d'attitude intervenu entre février 2002 et octobre 2003.

En février 2002, France Télécom est en train de couler. Pourtant, M. Fabius, au cours d'un débat, envisage de fixer la part du capital de l'Etat en dessous des 50 %. Il m'apparaît alors que, la dette étant gigantesque et les valeurs boursières ayant chuté de manière dramatique, ce n'est vraiment pas le moment d'envisager la privatisation de France Télécom. D'ailleurs, je respecte en cela la thèse du rapport Delebarre selon laquelle il ne faut pas privatiser en catimini. Le mérite de ce gouvernement est précisément de nous poser la question à froid,...

M. Daniel Raoul. A chaud !

M. Gérard Larcher, rapporteur. A froid !

M. Daniel Raoul. Et la canicule ?

M. Charles Revet. C'est du passé !

M. Gérard Larcher, rapporteur. ... alors que l'on assiste aujourd'hui à un redressement progressif de l'entreprise. C'est donc sans la pression de l'urgence que nous pouvons aujourd'hui lancer ce grand projet industriel. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

France Télécom, redressée, allégée de sa dette, pourra élaborer demain un projet comparable à celui d'Air France.

Il me paraît essentiel que vous compreniez pourquoi l'attitude que je propose aujourd'hui à la commission d'adopter ne m'apparaît pas diamétralement opposée à celle qui était la mienne en février 2002. Avouez, d'ailleurs, que vous aviez eu beaucoup de mal, à l'époque, à reconnaître la situation en commission !

J'en viens à la question de la constitutionnalité. Madame Terrade, c'est le changement au niveau du service universel qui crée le bloc de réponse constitutionnel, notamment en ce qui concerne le statut du personnel et la détention majoritaire ou minoritaire par l'Etat du capital de France Télécom.

Si vous décidez de saisir le Conseil constitutionnel, ce qui est naturellement le droit de tous les parlementaires, vous devez en mesurer toutes les conséquences, y compris au regard de l'apesanteur dans laquelle se trouverait le personnel sur le plan statutaire. J'invite donc les uns et les autres à réfléchir sur ce point.

Monsieur Trémel, vous avez reconnu que nous avons des préoccupations en matière de dialogue social. Ces préoccupations ne sont pas le monopole de tel ou tel groupe politique au sein de la commission. Sur un sujet aussi important, je dirai, reprenant ce qu'écrivait M. Delebarre dans son rapport, que je crois à la démocratie sociale et à la primauté de la démocratie représentative. Les partenaires sociaux sont, semble-t-il, d'accord sur ce sujet.

C'est au Parlement qu'il appartient aujourd'hui d'engager la modification statutaire de France Télécom. Il ne s'agit d'ailleurs pas de modifier le statut, qui a été changé en 1996 ; est concernée la détention du capital. Je parlais à l'époque de sociétisation, et c'était le cas. Aujourd'hui, nous nous dirigeons vers une possible privatisation. Mais, dans ce domaine, j'ai réellement le sentiment, comme M. le ministre, que la présence très majoritaire de fonctionnaires au sein de France Télécom est la meilleure garantie qui puisse être apportée. (Mme Borvo s'exclame.)

Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les précisions que je souhaitais apporter sur les citations que j'ai eu l'honneur d'entendre et qui m'ont rappelé un certain rapport sur un sujet qui continue de me passionner. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.