SEANCE DU 27 NOVEMBRE 2002


M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Tous deux sont présentés par MM. Moreigne, Miquel, Massion, Sergent, Demerliat, Charasse, Lise, Haut, Marc, Angels, Auban, Courteau et les membres du groupe socialiste et rattachée.
L'amendement n° I-94 est ainsi libellé :
« Après l'article 29, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Dans le code général des collectivités territoriales il est inséré, après l'article L. 3334-7, un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. L. ... I. - A compter du 1er janvier 2003, il est créé au sein de la dotation de fonctionnement minimale prévue à l'article L. 3334-7 du présent code une dotation de solidarité pour les départements qui ne disposent pas des ressources suffisantes pour assurer le financement de l'allocation personnalisée d'autonomie.
« II. - Sont éligibles à la dotation de solidarité les départements dont, d'une part, le nombre de personnes âgées de plus de soixante-quinze ans, rapporté à la population départementale est supérieur à 1,2 fois la moyenne des taux départementaux et dont, d'autre part, le potentiel fiscal par habitant du département est inférieur à 0,85 fois le potentiel fiscal par habitant moyen des départements.
« III. - Pour la répartition du montant de la dotation de solidarité entre les départements bénéficiaires, chaque département est doté d'un coefficient égal à la différence entre, d'une part, le quotient de son taux de personnes âgées de plus de soixante-quinze ans sur la moyenne des taux départementaux et, d'autre part, le quotient de son potentiel fiscal par habitant sur le potentiel fiscal par habitant moyen des départements. Ce coefficient est pondéré en fonction du nombre de personnes âgées de plus de soixante-quinze ans dans le département rapporté à la population totale de personnes âgées de plus de soixante-quinze ans dans l'ensemble des départements.
« IV. - La dotation de solidarité attribuée à chaque département est égale au produit du montant de la dotation de solidarité à répartir par le quotient du coefficient pondéré dudit département sur la somme des coefficients pondérés de tous les départements.
« V. - Les ressources de la dotation de solidarité sont constituées par :
« - le doublement des taux de la contribution financière prévue à l'article L. 3334-8 ;
« - la majoration du prélèvement sur les recettes de l'Etat à hauteur de 25 millions d'euros. A partir de 2004 et les années suivantes ce montant évolue comme la dotation globale de fonctionnement. »
« II. - Les pertes de recettes résultant du I sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle au droit de consommation sur les tabacs visé à l'article 575 A du code général des impôts. »
L'amendement n° I-95 est ainsi libellé :
« Après l'article 29, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Dans le code général des collectivités territoriales, il est inséré, après l'article L. 3334-7, un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. L. ... - I. - A compter du 1er janvier 2003, il est créé, au sein de la dotation de fonctionnement minimale prévue à l'article L. 3334-7 du code général des collectivités territoriales, une dotation de solidarité pour les départements qui ne disposent pas des ressources suffisantes pour assurer le financement de l'allocation personnalisée d'autonomie.
« II. - Seuls les départements éligibles à la dotation de fonctionnement minimale prévue à l'article L. 3334-7 du code général des collectivités territoriales peuvent bénéficier de la dotation de solidarité.
« III. - Le montant de la dotation de solidarité est réparti entre les départements dans les conditions déterminées au II de l'article L. 232-21 du code de l'action sociale et des familles.
« IV. - Les ressources de la dotation de solidarité sont constituées par :
« - le doublement des taux de la contribution financière prévue à l'article L. 3334-8 ;
« - la majoration du prélèvement sur les recettes de l'Etat à hauteur de 25 millions d'euros. A partir de 2004 et les années suivantes ce montant évolue comme la dotation globale de fonctionnement. »
« II. - Les pertes de recettes résultant du I ci-dessus sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle au droit de consommation sur les tabacs visé à l'article 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. Michel Moreigne.
M. Michel Moreigne. L'amendement n° I-94 vise à créer une dotation de solidarité au sein de la dotation de fonctionnement minimale de manière à permettre aux départements défavorisés d'assurer le financement de l'allocation personnalisée d'autonomie, dont nous ne rouvrirons pas le procès en cet instant, bien que M. le ministre se soit, tout à l'heure, départi de son amabilité habituelle pour s'en faire le procureur.
Seraient éligibles à cette dotation les départements où la proportion de personnes âgées de plus de soixante-quinze ans est particulièrement élevée et dont, en revanche, le potentiel fiscal est faible. Une vingtaine de départements rempliraient les critères retenus.
Cette dotation serait répartie entre les départements en fonction des deux critères d'éligibilité très simples pondérés par le nombre de personnes âgées de plus de soixante-quinze ans dans chaque département.
Les ressources de la dotation seraient constituées, d'une part, par le doublement du prélèvement sur la dotation globale de fonctionnement des départements contributeurs à la dotation de fonctionnement minimale et, d'autre part, par un prélèvement de 25 millions d'euros sur les recettes de l'Etat. Ces ressources atteindraient de la sorte environ 50 millions d'euros en 2003.
L'amendement n° I-95 est un amendement de repli.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. L'amendement n° I-94 tend à créer une dotation réservée aux départements qui ne disposent pas de ressources suffisantes pour financer l'allocation personnalisée d'autonomie.
Peut-être aurait-il été plus utile que le groupe socialiste dépose des amendements de ce type en 2001, lorsque l'APA a été créée, et aussi qu'il soutienne les amendements qui avaient été défendus à cette époque par notre collègue Michel Mercier.
Aujourd'hui, l'APA existe. D'ailleurs, chers collègues socialistes, vous vous en réjouissez sur d'autres terrains, expliquant à l'envi que c'est une avancée utile, liée au passage de vos amis au Gouvernement.
Quoi qu'il en soit, il n'est pas question de nier cette réalité : le Gouvernement doit donc trouver - et il s'y efforce - les moyens d'atténuer le coût de l'APA et surtout de contenir l'évolution de ce coût pour les conseils généraux, sans pour autant revenir sur les nouveaux droits auxquels les personnes dépendantes peuvent prétendre.
Cet exercice particulièrement délicat fait l'objet, vous le savez, d'une concertation. Un groupe de travail a été constitué avec des représentants de l'Etat et des conseils généraux, qui doit formuler des propositions avant le 15 décembre. Il serait, à mon sens, tout à fait inapproprié d'anticiper sur les résultats de cette concertation. C'est un principe : on évalue les situations, on consulte et, ensuite, on prend des mesures, M. le ministre délégué au budget s'est déjà exprimé clairement sur ce sujet.
Il vous faut donc, chers collègues, attendre un peu, en étant confiants dans le bon déroulement de la concertation.
C'est pourquoi, monsieur Moreigne, je vous demande, dans l'attente de ses résultats, de retirer vos amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. Je m'exprimerai avec beaucoup de modération puisque Michel Moreigne a considéré que je m'étais, tout à l'heure, montré excessif ! Peut-être avais-je une excuse : Gérard Miquel, en pleine forme en ce début de matinée, avait proposé de dresser le bilan de l'action du précédent gouvernement, mais aussi une sorte de prébilan de celle du présent gouvernement. J'ai tenté d'être à la hauteur de son invitation, mais je n'ai pas su garder, monsieur Moreigne, la tonalité que vous m'avez enseignée à la commission des finances.
La commission des finances, précisément, produisant des rapports de très grande qualité, je vous recommande vivement la lecture de celui qui porte le numéro 316 et qui, sous la plume de Michel Mercier, traite de la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et de l'allocation personnalisée d'autonomie.
Si le gouvernement précédent que je ne veux pas accabler, mais auquel je souhaite au contraire faire honneur en lui attribuant toutes les responsabilités des décisions qu'il a prises, avait écouté le Sénat à l'époque, et en particulier Michel Mercier, vous auriez moins de soucis aujourd'hui, monsieur Moreigne.
J'ai essayé, en tant que ministre délégué du budget, d'assumer pleinement la charge qui m'a été confiée, y compris en disant des choses qui n'étaient pas agréables à entendre. J'ai même précisé à la tribune que, si je ne les disais pas moi-même, personne ne les dirait à ma place !
Je le répète, si nous ne prenions pas garde à cette question, nous serions confrontés à une augmentation continuelle des impôts, soit des impôts qui relèvent des départements, soit, si ceux-ci se refusaient à prendre cette responsabilité, des impôts qui relèvent de l'Etat.
Il convient donc que, en tout état de cause, la représentation nationale se saisisse avec courage de cette question et maîtrise les dépenses, faute de quoi on ne parviendra pas à maîtriser l'évolution des prélèvements.
Pour maîtriser les dépenses, on ne peut se priver d'aucun levier, qu'il s'agisse du seuil de ressources, du niveau de participation - par exemple, avec l'instauration d'un nouveau barème, qui pourrait davantage prendre en compte la capacité contributive -, du contrôle de l'efficacité des critères d'éligibilité ou même, je n'hésite pas à le dire, du recours sur succession.
La solution retenue dans ces amendements consiste à faire payer l'Etat. Si l'on vous suit, ce que vous constatez dans les départements, vous aurez à le constater pour le compte de l'Etat. Et l'Etat lui-même sera obligé de lever les impôts que vous proposez de ne pas faire lever par les départements.
Dès lors, la sagesse est bien de reconfigurer l'APA. Si elle avait été initialement configurée selon les recommandations de la commission des affaires sociales du Sénat et, subsidiairement, de sa commission des finances, nous n'en serions pas là.
Le Gouvernement émet, par conséquent, un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. La parole est à M. Michel Moreigne, pour explication de vote.
M. Michel Moreigne. Il faut aider les départements : c'est une promesse du Président Jacques Chirac, ainsi que notre ami Jean-Claude Peyronnet l'a rappelé hier. Dans un courrier adressé le 25 avril 2002 à la Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées, il écrivait en effet : « L'Etat ne saurait reporter sur d'autres que lui le financement de sa politique sociale. L'urgence sera donc d'adosser l'aide aux personnes âgées à des financements stables. »
Monsieur le ministre, vous nous proposez de freiner. Mais le train est parti, et il a une force d'inertie considérable.
Dans le département que je représente, 4 000 dossiers sont soumis à un contrat, et ce contrat est intangible pendant quatre ans. Voilà le problème que je propose de régler.
Pour le reste, nous verrons bien si l'action de freinage aura des effets. En tout cas, votre « thérapeutique » n'est pas applicable immédiatement aux départements où le nombre de personnes âgées est important et dont le potentiel fiscal est faible.
Je suis sûr que vous êtes sensible à mes propos, monsieur le ministre, parce que je vous sais homme de bonne foi. Mais mon collègue Gérard Miquel va certainement compléter mes explications, car je sens biens qu'elles sont insuffisantes pour emporter votre conviction. (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel, pour explication de vote.
M. Gérard Miquel. Monsieur le ministre, vous êtes trop respectueux du rôle du Parlement pour ne pas comprendre que nous déposions un amendement permettant d'améliorer la situation de certains départements particulièrement touchés par le problème que nous évoquons.
Cet amendement n'induit pas de dépenses supplémentaires pour le budget de l'Etat.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ah bon ?
M. Gérard Miquel. Nous proposons simplement de créer, en complément de la DGF, une dotation de solidarité,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Et à qui prenez-vous l'argent ?
M. Gérard Miquel. ... à laquelle seraient éligibles les départements dont le potentiel fiscal par habitant est inférieur à 0,95 fois la moyenne nationale et où le taux de personnes âgées de plus de soixante-quinze ans est supérieur à 1,2 fois la moyenne nationale. Une vingtaine de départements seulement sont concernés.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Et cela ne coûte rien ?
M. Gérard Miquel. La dotation de solidarité ainsi constituée serait alimentée par le doublement de la cotisation des départements contributeurs à la dotation de fonctionnement minimale ainsi que, c'est vrai, par un prélèvement de 25 millions d'euros.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ah !
M. Gérard Miquel. La dotation représenterait ainsi, en 2003, 50 millions d'euros, fournis, à parité par la solidarité nationale et par la solidarité interdéparmentale. C'est ce montage qui nous a paru le mieux répondre aux problèmes que rencontrent cette vingtaine de départements dont vous avez d'ailleurs la liste, monsieur le ministre.
Le succès de l'APA a été extrêmement rapide : il nous a permis, au moment où nous connaissons une montée du chômage, de créer un très grand nombre d'emplois à l'échelon national ; cela n'est pas à négliger et mérite, au contraire, d'être mis en avant.
Dans mon département, qui compte 160 000 habitants - petit département s'il en est -, plus de 700 emplois à temps plein ont ainsi été créés grâce à l'APA. Or ces emplois répondent à un vrai besoin et ils permettent, dans la plupart des cas, le maintien à domicile des personnels âgées dépendantes.
L'institution de l'APA a donc correspondu à une réelle nécessité et c'est une mesure qui a été particulièrement appréciée. Je rappelle d'ailleurs qu'elle a été votée par l'ensemble des membres des deux assemblées.
Il nous faut aujourd'hui trouver une solution susceptible de répondre au problème que rencontrent les départements aux faibles ressources mais aux charges proportionnellement importantes au regard de l'APA.
M. le président. La parole est à M. Paul Blanc, pour explication de vote.
M. Paul Blanc. Je comprends parfaitement ce qui a été dit des avantages de l'APA, mais je veux tout de même poser la question suivante : la dépendance des personnes âgées doit-elle relever de la solidarité ou de l'assurance ?
Comme je l'avais indiqué ici même lorsque l'APA a été créée, compte tenu des progrès de la médecine et de l'allongement de la durée de la vie, aujourd'hui, tout individu atteignant l'âge de soixante ans a vocation à devenir une personne dépendante. C'est ainsi ! Lorsqu'on achète un véhicule, on a aussi « vocation » à avoir un accident : c'est la raison pour laquelle on est obligé de souscrire une assurance, de façon à couvrir les risques qu'on ne manque pas de courir sur la route. De la même façon, lorsque nous vieillissons, nous courons le risque de devenir un jour dépendants.
Comme l'a fort justement dit M. le ministre, que l'argent vienne de l'Etat ou du département, c'est toujours celui du contribuable ! Un grand débat devra donc être engagé un jour sur ce sujet. On l'a retardé jusqu'à présent, pour des raisons, disons-le, un peu démagogiques.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Un tout petit peu seulement ?
M. Paul Blanc. L'allocation personnalisée d'autonomie a été votée, ne l'oublions pas, en période pré-électorale. D'ailleurs, certains en ont fait un argument de campagne, qu'ils ont même copieusement utilisé. Or on s'aperçoit aujourd'hui que cette allocation a un coût qui n'est plus supportable, ni pour les départements ni pour l'Etat. Il faudra donc trouver d'autres solutions. C'est la raison pour laquelle je voterai contre cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il est des propos qui sont responsables et d'autres qui le sont moins. Les propos que vient de tenir M. Paul Blanc sont parfaitement responsables. Il y a bien une situation qu'il faut affronter, pour laquelle il faut chercher des solutions, sans exclure aucune voie.
En revanche, prétendre que la création d'une dotation ne coûte rien à personne n'est pas vraiment responsable. Hélas ! la poudre de perlimpinpin et la pierre philosophale n'ont pas encore été inventées dans le domaine des finances publiques. (Sourires.)
M. Henri de Raincourt. C'est dommage !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Si les uns bénéficient de plus d'argent, c'est probablement parce qu'on le prend aux autres, lesquels ne manqueront pas de se plaindre et demanderont des crédits supplémentaires. Je ne connais pas d'autre mode de fonctionnement du système budgétaire !
Il existe dans le vieux droit un principe qui a longtemps servi de guide : nemo auditur propriam suam turpitudinem allegans, ce qui signifie que l'on ne doit pas se targuer de sa propre turpitude.
Cet adage me paraît mériter d'être rappelé à ceux qui, à l'aveuglette et dans l'imprévision la plus totale, ont fait des promesses agréables, les ont répandues sur tous les tréteaux électoraux,...
M. Gérard Delfau et plusieurs sénateurs socialistes. C'est Chirac !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... et qui, aujourd'hui, se permettent, en quelque sorte, de crier au loup ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Gérard Miquel. Et pourquoi avez-vous voté l'APA ? Par démagogie, vous aussi ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Alors, faire les bons apôtres aujourd'hui en feignant de ne pas se souvenir du flou le plus complet dans lequel cette belle discussion unanime avait été menée,...
M. Gérard Miquel. Unanime, justement !
MM. Henri de Raincourt et Roland du Luart. Elle n'a jamais été unanime !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... pardonnez-moi de vous le dire, ce n'est pas un comportement responsable.
Même le fait de représenter des départements faibles démographiquement et économiquement ne justifie pas de telles propositions, qui, lorsqu'on traite d'une loi de finances, ne sont tout simplement pas recevables.
Il y a, bien entendu, des voies à rechercher : celle qu'a évoquée M. Paul Blanc ; peut-être aussi - je m'exprime là à titre personnel - celle d'un retour raisonnable, avec une franchise raisonnable, au recours sur succession. On peut également envisager un ticket modérateur, pour faire en sorte que cette prestation, tout en demeurant ce qu'elle doit être, c'est-à-dire un facteur de sécurité pour les vieux jours de nos concitoyens, soit encadrée de manière à être conforme à nos moyens.
Cette discussion, mes chers collègues, ne pourra pas être éludée. Les solutions que je viens de mentionner ne pourront pas être balayées d'un revers de la main. On ne pourra pas continuer à expliquer à nos concitoyens que, dans nos assemblées, on est capable de « raser gratis ». (Rires et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, pour explication de vote.
M. Gérard Delfau. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je voterai cet amendement, même si je conçois qu'il faille posément, tranquillement, examiner la situation concernant l'APA et trouver les solutions les plus adaptées. En agissant de la sorte, nous ne ferons que notre travail de parlementaires et le Gouvernement ne fera que remplir son rôle d'exécutif puisque cette allocation a été, dans son principe, très largement approuvée dans les deux assemblées.
Certains l'ont peut-être fait par pure démagogie - puisque c'est ce qui ressortait des propos de notre collègue Paul Blanc -, le résultat est là. Le texte a été voté et il est inutile maintenant de sonder les reins et les coeurs de ceux qui l'ont voté.
Si j'interviens, c'est surtout parce que, au détour de ce débat, surgissent deux questions fondamentales sur lesquelles l'on voit les désaccords réapparaître.
Première question : sommes-nous toujours dans la grande tradition républicaine qui veut que le risque maladie, le risque chômage, le risque vieillesse, le « risque » naissance soient assumés par la solidarité nationale ou par un système assurantiel ?
Nous avons choisi depuis un siècle et demi le premier système, alors que les Anglo-Saxons ont opté pour le second. Il y a, sinon dans cette assemblée, tout au moins, mes chers collègues, dans le pays, une majorité de Français qui veulent à tout prix sauver ce qui caractérise la République, à savoir le système de solidarité nationale.
La seconde question met en évidence un autre clivage. Je m'évertue en vain depuis hier à introduire dans ce débat sur les recettes des collectivités locales le mot « péréquation » ou, plus exactement, l'expression : « mécanismes péréquateurs ». A chaque fois que j'interviens sur ce sujet, ou bien l'on nous explique que ce n'est pas l'objet du débat, que ce n'est pas le bon budget ni le bon ministre pour en parler, ou bien, au détour d'un amendement comme celui dont nous discutons, on nous explique que la péréquation c'est bien, à condition que cela reste un principe abstrait et que l'on ne vienne pas prendre aux plus riches de quoi faciliter la vie des autres.
Je vous rappelle, monsieur le rapporteur général, qu'un rapport d'experts vient de montrer qu'au sein de l'Union européenne la France est la lanterne rouge ou presque quant à l'écart de ressources entre les collectivités territoriales.
C'est chez nous que les inégalités sont les plus fortes et les plus choquantes, et c'est en Allemagne fédérale - la majorité sénatoriale qui s'en souvenait en 1995 semble l'avoir oublié aujourd'hui - que l'effort de péréquation qui est inscrit dans la Constitution est le plus fort.
Quand la République fédérale d'Allemagne s'est trouvée devant le problème de la réunification, le Chancelier Helmut Kohl, qui n'est pas un homme de gauche, a décidé de faire jouer à plein la solidarité et, depuis, les transferts de richesses sont massifs et continus.
C'est un autre débat qu'il faudra bien avoir et je souhaite que le Sénat s'en tienne à la position qui avait été adoptée lors de l'examen de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire plutôt qu'à une conception libérale où le plus fort a toujours raison et où les plus faibles n'ont qu'à s'en remettre à leur triste destinée. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Horresco referens !
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.
M. Jacques Legendre. Je voterai contre cet amendement, parce que je crois en effet qu'on ne peut pas se contenter de renvoyer à la péréquation le traitement des problèmes qui ont été évoqués.
Je comprends tout à fait la position exprimée, avec beaucoup de sagesse, par M. le rapporteur général. Le département que je représente n'a pas une démographie trop faible puisque le taux de natalité y est élevé. Le président du conseil général, qui est actuellement un socialiste, se plaint de la charge très lourde que fait peser l'APA sur son département. Après ce que je viens d'entendre sur les caractéristiques de cette péréquation, j'ai le sentiment que le vaste département du Nord, qui a la chance d'avoir encore un taux de natalité important, risquerait ainsi d'être amené à contribuer. Comment le ferait-il puisqu'il est déjà contraint de demander à l'Etat de bien vouloir l'aider à assumer ce fardeau ?
Fort heureusement, je ne vois aucun sénateur socialiste du Nord sur ces travées ce matin, car, s'il s'en trouvait, ils auraient, mes chers collègues, quelques difficultés à vous suivre. Pour éviter que les absents ne soient trop lourdement pénalisés, je propose au Sénat de repousser l'amendement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Angels, pour explication de vote.
M. Bernard Angels. Je ne vais pas rouvrir ce matin le débat sur l'APA que nous avons eu la semaine dernière et à l'occasion duquel j'ai particulièrement apprécié l'intervention de M. de Raincourt, lequel, connaissant bien le sujet, a parfaitement planté le décor.
Néanmoins, je rejoins ce qu'a dit mon collègue M. Michel Moreigne et, pour cette raison, je souhaiterais, monsieur le rapporteur général, que vous retiriez vos propos sur les responsables et les moins responsables.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Les plus responsables !
M. Bernard Angels. Il n'y a pas de responsables et de moins responsables ! Tous les parlementaires travaillent et sont dignes de considération.
Le problème de l'APA est complexe, et nous le réexaminerons ensemble. Nous sommes tous d'accord sur la finalité de l'APA, nous l'avons tous votée. Le problème, c'est de trouver le meilleur moyen de pérenniser cette dépense indispensable pour permettre aux personnes âgées dépendantes de finir leur vie sereinement. Nous ne devons pas nous diviser sur ce point. En effet, et je suis d'accord avec vous à cet égard, monsieur le rapporteur général, si ce ne sont pas les départements qui paient, ce sera l'Etat et vice versa.
Cessons donc cet échange de propos déplaisants ; vous envenimez le débat, monsieur le rapporteur général, et vous ne jouez pas votre rôle.
En outre, se pose un autre problème, celui des budgets départementaux.
En dépit des efforts que la majorité sénatoriale a consentis, je regrette que le débat ait été repoussé au 15 décembre. Le vote des budgets départementaux interviendra le 15 mars. Or la loi dispose qu'un débat d'orientation budgétaire doit avoir lieu au cours des deux mois précédant le 15 mars. Il ne faut donc pas perdre de temps. Comment les départements pourront-ils délibérer s'ils ne savent pas quelle sera l'incidence de l'APA sur leurs budgets ?
Je ne pose pas cette question pour polémiquer, monsieur le ministre ; je comprends les préoccupations de mes collègues responsables départementaux et les difficultés qu'ils rencontrent pour prévoir ce qu'ils feront l'an prochain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Yves Fréville, pour explication de vote.
M. Yves Fréville. Je ne reprendrai pas le débat qui consiste à déterminer quelle part de l'APA doit être financée par la solidarité, donc par l'impôt, et quelle autre relève de la couverture du risque. Toutefois, je suis absolument certain que l'impôt ne doit pas servir à financer la totalité de cette charge, lorsque les bénéficiaires disposent de revenus corrects. Ce sera au Gouvernement de résoudre ce problème, peut-être même d'ailleurs en réexaminant - je le dis à titre personnel - les cotisations d'assurance maladie des personnes âgées, le fait d'être âgé constituant un risque supplémentaire, et de tendre vers l'égalisation des cotisations entre actifs et retraités.
Un autre problème est soulevé par cet amendement : celui de la solidarité entre départements. Si j'interviens, c'est uniquement parce que, voilà peu de temps, nous avons voté une réforme constitutionnelle instituant le mécanisme de la péréquation et qu'il ne faut pas, à mon avis, galvauder ce principe dès le début.
Je suis tout à fait favorable à la péréquation des besoins, je le dis clairement. Si je comprends fort bien que des départements aient des besoins accrus du fait du nombre important de personnes âgées qui y résident, aborder le problème de la péréquation uniquement à travers le prisme de l'APA me semble très dangereux : cela ouvrirait la voie aux revendications, tout aussi justifiées, d'autres départements, en particulier les grands départements urbains, qui pourront évoquer, par exemple, les difficultés que leur causent les SDIS, les services départementaux d'incendie et de secours.
D'autres critères pourraient être invoqués, qu'à l'évidence vous n'ignorez pas, ce qui me dispense de les énumérer. Le Gouvernement aura intérêt, lorsque seront examinés, à l'occasion de la réforme de la DGF des départements, les critères de péréquation, à ne pas se limiter au critère, certes valable - je le reconnais - du nombre de personnes âgées, et à prendre en compte la diversité de nos départements urbains et ruraux.
C'est pourquoi j'estime qu'il est tout à fait prématuré d'adopter aujourd'hui un tel amendement.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Peyronnet. M. Fréville a raison : on ne peut pas galvauder ce principe de péréquation, je l'admets volontiers.
Cela dit, il y a urgence à régler ces difficultés, qui ne peuvent être comparées à celles qu'entraîne le financement des SDIS. Les SDIS, c'est un, deux ou trois points de fiscalité, et non pas cinquante, comme cela va se produire dans la Creuse en ce qui concerne l'APA. Il est donc extrêmement urgent de régler le problème qui se pose dans la Creuse et sûrement dans d'autres départements.
Les mesures envisagées par le Gouvernement ne résoudront malheureusement pas le problème pour 2003.
Ce problème présente deux aspects : la péréquation à masses égales et - excusez-moi ! - celui de la masse globale, qui n'est pas réglé. Il manque 600 millions d'euros, qu'il faudra trouver, sous peine de mettre la Creuse et beaucoup d'autres départements dits pauvres en grande difficulté.
Je vois ici un certain nombre de responsables départementaux : tous les départements sont concernés. Il s'agit d'un véritable transfert de charges, d'impôt... et d'impopularité.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.
M. Thierry Foucaud. Une fois de plus, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, vous vous limitez à la question de la réduction de la dépense publique.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Augmentons-la !
M. Thierry Foucaud. Forcément, il y a clivage. Vous voulez réduire les déficits,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Augmentons-les !
M. Thierry Foucaud. ... mais, nous l'avons vu ces dernières années, la baisse des déficits n'induit pas de réduction des inégalités sociales. A vouloir encore réduire la dépense publique et, de ce fait, ne pas satisfaire les besoins publics, forcément, nous allons dans le mur !
Tout à l'heure, M. Miquel nous a expliqué que la mise en oeuvre de l'APA dans son département avait permis la création de sept cents emplois. Non seulement cette mesure génère de l'emploi, mais elle permet aussi de développer la croissance.
L'APA pose un problème qu'il est urgent de résoudre. A cette fin, nous avons présenté à deux reprises des propositions. Permettez-moi de les rappeler brièvement.
Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous avons proposé la création d'un cinquième risque, position que nous défendons depuis de nombreuses années. Il faut que la dépendance soit totalement prise en charge au sein de notre système de protection solidaire.
Ne voyant rien venir, nous avons trouvé une ressource nouvelle en faveur du fonds de financement de l'APA, à savoir les droits de mutation à titre gratuit entre vifs. Nous pensons que leur affectation au FAPA permetrait de poursuivre l'effort de solidarité auquel contribue cette prestation, tout en allégeant les budgets des départements.
Vous n'avez pas accepté ces propositions, ce qui revient, selon nous, à refuser de prendre en considération l'importance de ces échelons qui développent pourtant des politiques indispensables de soutien à l'investissement réalisé par les communes. Dans les zones rurales, par exemple, ces aides sont forcément incontournables et je rejoins tout à fait sur ce point les propos de M. Moreigne.
En conclusion, nous voterons pour les amendements n°s I-94 et I-95.
M. Michel Moreigne. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. Sur la base de quel article ?
M. Michel Moreigne. L'article 38, monsieur le président.
M. Roland du Luart. C'est du bluff !
M. le président. La parole est à M. Michel Moreigne, pour un rappel au règlement.
M. Michel Moreigne. Je serai bref. Je dirai simplement à M. le rapporteur général : Non est turpitudo mea, sed omnium turpitudo. (Sourires.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-94.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-95.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° I-191, présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 29, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le B du I de l'article 19 de la loi de finances pour 2002 (n° 2001-1275 du 28 décembre 2001), est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« A partir de 2003, la dotation est en outre majorée d'un montant global de 143 millions d'euros, versés à hauteur de 40 % en 2003, et de 20 % en 2004 et 2005. »
« II. - Les pertes de recettes pour l'Etat résultant du I ci-dessus sont compensées par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575, 575 A et 575 B du code général des impôts. »
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Par cet amendement, nous vous proposons d'augmenter le remboursement forfaitaire accordé par l'Etat l'année dernière au titre de la non-prise en compte de la réduction pour embauche et investissement et de l'abattement de 16 % dans les rôles supplémentaires.
Nous avons repris le montant que proposait la commission des finances l'année dernière et, bien sûr, le même gage. Je vous rappelle d'ailleurs que les associations d'élus, la commission des finances du Sénat et, le groupe communiste républicain et citoyen, demandaient plus, l'Etat proposant une compensation très nettement inférieure aux pertes réellement subies par les collectivités. Voilà pourquoi nous vous invitons à voter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Compensation supplémentaire de 143 millions d'euros : je ne sais si M. le ministre délégué au budget les a, mais j'en doute. Nous allons ce soir voter la première partie du projet de loi de finances pour 2003, et nous mesurerons peut-être alors, un peu mieux, les contraintes.
M. Thierry Foucaud. C'est un problème de choix !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est donc dans le souci, là encore, d'adopter une position responsable que je me vois contraint d'opposer un avis défavorable à votre amendement, ce que je regrette vivement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. Défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-191.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° I-192, présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 29, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Au IV de l'article 19 de la loi de finances pour 2002 (n° 2001-1275 du 28 décembre 2001), les mots : "passées en force de chose jugée" sont remplacés par les mots : "rendues avant la promulgation de la présente loi".
« II. - Les pertes de recettes pour l'Etat résultant du I ci-dessus sont compensées par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575, 575 A et 575 B du code général des impôts. »
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Cet amendement tend à conformer à la convention européenne des droits de l'homme le dispositif adopté l'année dernière, à la suite de la célèbre jurisprudence « Pantin ».
En effet, en procédant à la validation législative de la compensation forfaitaire prévue au titre de la non-prise en compte dans les rôles supplémentaires de la réduction pour embauche et investissement et de l'abattement de 16 %, l'article 19 de la loi de finances pour 2002 est contraire à l'article 6-1 de la convention.
En témoigne d'ailleurs la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, singulièrement l'arrêt Zielinski du 28 octobre 1999.
Dans cet arrêt, l'Etat français a été condamné pour avoir adopté une disposition législative orientant en sa faveur des décisions de justice à venir. Or nous sommes dans le même cas de figure, avec cet article 19 de la loi de finances pour 2002. Des procédures étaient en cours, lorsque ce texte, a été voté.
Des décisions ont été rendues, notamment des référés pour provisions accordant aux collectivités des remboursements au réel de leurs pertes de DCTP, la dotation de compensation de la taxe professionnelle. Ces référés pour provisions ne font aucun doute : si la procédure s'était poursuivie, sans intervention du législateur, les collectivités auraient bel et bien obtenu ces remboursements. Les écarts entre la compensation au réel et la compensation forfaitaire sont importants.
A titre d'exemple, une commune bénéficiait d'une provision de 3 500 000 francs après un référé. Le montant de la compensation forfaitaire qu'elle a finalement obtenu est plus de trois fois inférieur, soit quelque 1 037 000 francs.
Les communes concernées ont légitimement cru pouvoir compter sur cette recette supplémentaire que leur accordaient les tribunaux. Elles ont mobilisé des moyens, bien entendu, pour faire valoir leur droit. Leur accorder l'exécution des décisions rendues par les tribunaux est donc une mesure de justice. Tel est le sens du droit communautaire.
C'est pourquoi nous vous proposons d'adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Si vous ne m'aviez pas sollicité, monsieur le président, vous auriez peut-être éloigné de moi un calice ! (Sourires.)
En effet, dans cette affaire, les intérêts du sénateur qui s'exprime au nom de la commission des finances du Sénat ne peuvent bien entendu que primer sur les intérêts du maire qui défend sa collectivité. Mais je suis personnellement un peu déchiré par cette question, car la ville dont j'ai l'honneur d'être le maire est visée par l'amendement n° I-192. Je crois d'ailleurs que nous sommes plusieurs dans ce cas et je vois ici certains maires qui opinent, notamment M. Pierre André, maire de Saint-Quentin, et M. Paul Loridant, maire des Ulis.
Pourtant, nous devons faire abstraction des arguments que nous sommes amenés à échanger avec l'Etat devant les juridictions, au moment d'exprimer la volonté générale ou de participer à son expression dans une enceinte législative, même s'il s'agit, on en conviendra, d'une épreuve douloureuse.
L'adoption de l'amendement n° I-192 rendrait applicables les décisions rendues au profit des collectivités locales avant le règlement, par voie législative, de « l'arrêt Pantin », puisqu'elle annulerait la portée de la validation législative opérée par l'article 19 de la loi de finances pour 2002.
Il importe cependant de rappeler que cet article constituait un progrès par rapport au statu quo, il faut en convenir.
M. Paul Loridant. Un progrès limité !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'était un progrès, certes trop limité pour le budget des communes qui ont été indûment pénalisées pendant de longues années. Cela représente des sommes considérables.
Il est concevable, pour ne pas dire certain, que la Cour européenne des droits de l'homme aura à se prononcer sur la légalité des dispositions prises dans la loi de finances pour 2002 et à décider si elles étaient vraiment justifiées par un motif suffisant d'intérêt général.
Sur cet aspect de la question, l'Etat d'un côté, les collectivités concernées de l'autre, vont procéder à un échange de mémoires qui durera un certain temps, voire plusieurs années. Après avoir épuisé les voies de recours internes, les deux parties se retrouveront à Strasbourg, par juristes interposés.
Dans l'attente de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme, le rapporteur général de la commission des finances du Sénat estime qu'il n'est pas souhaitable de faire peser une hypothèque supplémentaire sur les finances, déjà si difficiles, de l'Etat. Je ne peux en dire plus à ce stade, et c'est avec un très grand regret que, conformément à la charge qui m'a été confiée par la commission, monsieur le président,...
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... je suis amené à demander le retrait de l'amendement n° I-192. A défaut, la commission émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. Il me faut bien rapidement protéger M. le rapporteur général de la tentation (Sourires) et je vais m'efforcer de donner les informations à M. Thierry Foucaud, aux membres de son groupe et à tous ceux qui les attendent en raison d'autres fonctions qu'ils exercent.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, fondée sur l'article 6-1 de la convention européenne, interdit par principe l'intervention du pouvoir législatif tendant à instituer ou modifier de façon rétroactive un certain Etat du droit en vue d'influencer la solution judiciaire d'un litige (arrêt raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis contre la Grèce du 9 décembre 1994).
La Cour réserve toutefois par exception le cas où une telle intervention serait justifiée par des motifs d'intérêt général ; cela a été le cas pour un arrêt du 23 octobre 1997.
Elle admet ainsi des limitations au « droit au prétoire » consacré par l'article 6-1 dès lors que celles-ci tendent à un but légitime et qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
Concernant l'alinéa de l'article 19 de la loi de finances pour 2002 auquel vous faites référence dans votre amendement, il précise qu'il n'y a pas lieu, pour le passé, et « sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée », de prendre en compte les rôles supplémentaires de taxe professionnelle pour calculer les compensations dues au titre de l'abattement de 16 % et de la réduction pour embauche ou investissement.
Il entendait ainsi éviter le développement massif de contentieux dont le traitement n'aurait pu garantir l'égalité entre les collectivités locales en raison de l'impossibilité de reconstituer exactement les sommes dues à certaines d'entre elles. En ceci, l'amendement semble compatible avec les limitations à l'article 6-1 issues de la jurisprudence de la Convention européenne des droits de l'homme.
En outre, je souhaite souligner que la cour administrative d'appel de Lyon, dans un arrêt récent - il s'agissait de la commune d'Annecy -, a rejeté la requête de la commune d'Annecy, qui soutenait que les dispositions de l'article 19 de la loi de finances pour 2002 n'étaient pas compatibles avec les stipulations de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, au motif que les communes sont des parties contractantes de la Convention et qu'elles ne peuvent donc pas invoquer les dispositions de cette convention à l'occasion d'un recours dirigé contre une autre partie contractante comme l'Etat.
Pour l'ensemble de ces raisons, je vous prie, monsieur le sénateur, de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi j'en demanderai le rejet.
M. le président. Monsieur Foucaud, l'amendement n° I-192 est-il maintenu ?
M. Thierry Foucaud. Oui, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Paul Loridant, pour explication de vote.
M. Paul Loridant. Chacun mesure bien, notamment au Sénat, l'importance de ce dossier. La vérité historique, c'est que les services fiscaux de l'Etat ont sciemment diminué les crédits qui, de plein droit, devraient revenir aux communes. L'Etat a alors été condamné pour ne pas avoir, en quelque sorte, restitué aux communes des sommes qui leur étaient dues.
Les conséquences de l'arrêt Pantin sont évidemment très lourdes pour les finances de l'Etat qui, au grand regret des élus locaux concernés, a fait voter, en contraignant sa majorité du moment, il faut bien le reconnaître, une indemnisation forfaitaire venant, en quelque sorte, remettre en cause des textes législatifs antérieurs. Nous avons donc donné à une loi de finances un effet rétroactif. M. le ministre vient de rappeler à juste titre qu'il s'agit d'une faute lourde qui devrait entraîner une condamnation.
Nous avons bien compris les propos de M. le rapporteur général, mais aussi les raisons pour lesquelles M. le ministre délégué au budget prend le temps d'expliquer devant la Haute Assemblée les considérants ainsi que la jurisprudence : il parle pour le procès-verbal et pour nourrir le débat entre juristes qui interviendra dans les mois et les années à venir. Chacun se réfère aux déclarations des uns et des autres dans les assemblées parlementaires. Vous permettez à d'autres parlementaires d'intervenir pour contester l'interprétation du ministre de telle sorte qu'on puisse faire référence à nos propos.
Monsieur le ministre, j'entends bien votre argumentation. Il n'en demeur pas moins que nous pouvons émettre quelques doutes sur les services de l'Etat quant à leurs obligations à l'égard des collectivités locales. Comme celles-ci ne peuvent pas elles-mêmes lever l'impôt, on fait appel aux services fiscaux de l'Etat. A partir du moment où une collectivité ne peut pas avoir confiance dans le service de l'Etat qui est chargé de recouvrer l'impôt et de le redistribuer, il est légitime de s'interroger. Je soutiens donc l'amendement n° I-192, dont l'intérêt, souligné par l'argumentation développée par M. Foucaud, n'aura pas échappé à l'ensemble des sénateurs qui sont des élus locaux.
J'ajoute qu'il relève du rôle naturel du Sénat, représentant, en vertu de la Constitution, des collectivités territoriales, de se saisir de ce problème. Dans l'intérêt des collectivités locales, mais aussi pour défendre son rôle, le Sénat, devrait, à l'évidence, adopter cet amendement à l'unanimité. C'est pourquoi j'invite tous mes collègues à voter cet amendement si important.
M. le président. La parole est à M. Yves Fréville, pour explication de vote.
M. Yves Fréville. En premier lieu, je répondrai très brièvement à M. Loridant que la Déclaration des droits de l'homme n'a aucun lien avec les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales.
En second lieu, il appartient à la loi de « fixer l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ». Le Parlement n'ayant pas défini avec précision en 1986 la compensation de la réduction de 16 % des bases, l'administration n'avait tenu compte que des rôles généraux. La justice a estimé qu'il fallait prendre en compte les rôles supplémentaires. Nous avons donc éclairci notre situation en votant la loi l'année dernière. Nous étions dans notre rôle de parlementaires, tel que l'a défini l'article 34 de la Constitution auquel je faisais référence.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-192.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° I-193, présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 29, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - En 2003, le montant de la dotation tel qu'il résulte de l'application de l'article L. 2334-7 du code général des collectivités locales est majoré de 2,2 milliards d'euros.
« II. - Cette majoration n'est pas prise en compte dans le montant de la dotation globale de fonctionnement pour l'application du I et du II de l'article 57 de la loi de finances pour 1999 (n° 98-1266 du 30 décembre 1998).
« III. - Le taux prévu à l'article 219 du code général des impôts est relevé à due concurrence. »
La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Nous vous proposons une majoration exceptionnelle de la dotation globale de fonctionnement, la DGF, de 2,2 milliards d'euros, indispensable pour que les collectivités puissent assumer les dépenses auxquelles elles sont confrontées.
Je vous donnerai comme seul exemple le relèvement de la cotisation employeur de la Caisse nationale des agents des collectivités locales de 1,2 %, qui inquiète fortement les élus locaux puisqu'il correspond à une augmentation d'un point d'impôts locaux !
Cette charge nouvelle pour les collectivités locales doit donner lieu à l'attribution de ressources supplémentaires.
C'est le sens de cet amendement, qui, en procédant à une majoration de la DGF, va dans un sens inverse à celui qui est emprunté depuis plus de dix ans.
En effet, l'évolution de cette dotation ne suit pas celle des charges : elle est, au contraire, en grande partie figée depuis vos réformes du début des années quatre-vingt-dix. De nombreuses collectivités y ont beaucoup perdu.
A titre d'illustration, je vous citerai l'exemple de la commune de Ploufragan, dans les Côtes-d'Armor, qui a étudié en détail cette question, alertant les parlementaires et la presse très récemment : la perte cumulée de DGF depuis 1994 représente dans cette commune 3 200 000 euros, soit 21 millions de francs. En moins de dix ans, c'est énorme ! Cette commune est pourtant éligible à la DSU, ce qui signifie que ses charges sont lourdes. Or ses habitants ne bénéficient pas d'une dotation globale de fonctionnement d'un niveau identique à celui des communes de la même strate démographique. Cela n'est pas admissible, et c'est loin d'être un cas isolé !
C'est pourquoi, outre une remise à niveau de la DGF par le biais d'abondements exceptionnels, nous attendons beaucoup de la réforme des finances locales. Elle doit viser à fournir des moyens nouveaux aux collectivités. Cela fait en effet longtemps à présent - critères de stabilité obligent - que le même gâteau est partagé de mille façons différentes sans pour autant répondre aux vrais problèmes.
Si l'architecture des dotations est revue, le groupe communiste républicain et citoyen vous présentera des amendements visant à garantir une évolution plus juste des dotations, afin de répondre avec justice aux besoins de nos collectivités et de leurs administrés.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission, perplexe, se demande si l'amendement ne comporte pas une erreur formelle et si le groupe communiste ne réclame pas 22 milliards d'euros, ce qui serait conforme à son argumentation. Il n'y a pas de limites !
La commission émet bien entendu un avis tout à fait défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert, ministre délégué. Avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-193.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 30

M. le président. L'article 30 a été supprimé par l'Assemblée nationale.

Article additionnel après l'article 30