SEANCE DU 6 FEVRIER 2002


ACCORDS RELATIFS AU PARTENARIAT
ENTRE LES MEMBRES DU GROUPE
DES ÉTATS D'AFRIQUE, DES CARAÏBES
ET DU PACIFIQUE,
ET LA COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE

Adoption de deux projets de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion :
- du projet de loi (n° 51, 2001-2002) autorisant la ratification de l'accord de partenariat entre les membres du groupe des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d'une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part [Rapport n° 202 (2001-2002)] ;
- et du projet de loi (n° 52, 2001-2002) autorisant la ratification de l'accord interne entre les représentants des gouvernements des Etats membres, réunis au sein du Conseil, relatif au financement et la gestion des aides de la Communauté dans le cadre du protocole financier de l'accord de partenariat entre les Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, et la Communauté européenne et ses Etats membres, signé à Cotonou (Bénin) le 23 juin 2000, et à l'affectation des aides financières destinées aux pays et territoires d'outre-mer auxquels s'appliquent les dispositions de la quatrième partie du traité CE [Rapport n° 202 (2001-2002)].
La conférence des présidents a décidé qu'il serait procédé à une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, en février 1998, j'avais eu l'occasion de demander à votre Haute Assemblée d'autoriser la ratification de l'accord portant révision à mi-parcours de la quatrième convention de Lomé.
Vous vous étiez prononcés favorablement, conformément à la recommandation de votre rapporteure, Mme Paulette Brisepierre.
Je tiens tout particulièrement à saisir cette occasion pour rendre à nouveau hommage aujourd'hui à votre engagement sans faille, madame la sénatrice, en faveur de la cause du développement.
A l'époque, nous avions commencé à réfléchir, à quinze, à l'avenir de notre partenariat avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, afin de définir les positions européennes, dans la perspective des discussions qui devaient s'engager en septembre 1998.
La France a été très présente dans cette négociation. J'ai personnellement pris part aux quatre conférences ministérielles qui ont été nécessaires à la conclusion du nouvel accord et aux multiples réunions de concertation qui ont ponctué un processus long, difficile, mais passionnant.
J'aimerais notamment partager avec vous le souvenir du succès de la troisième conférence ministérielle, organisée en décembre 1999, à Bruxelles, au lendemain de l'échec de Seattle. L'Europe apportait ainsi, de manière éclatante, la preuve de sa capacité à faire entendre aux pays en développement son message de solidarité, indissociable de son identité sur la scène internationale. La présence française nombreuse et multiforme au forum social mondial qui s'est tenu à Porto Alegre, d'où je reviens - toutes les sensibilités politiques y étaient en effet représentées - en a été une nouvelle preuve.
Au nom du Gouvernement, j'ai signé, le 23 juin 2000, à Cotonou, le nouvel accord de partenariat entre l'Union européenne et le groupe des pays ACP. L'accord interne nécessaire à la création du 9e Fonds européen de développement, le FED, a été signé à Bruxelles, le 18 septembre 2000, sur la base d'un compromis mis au point sous la présidence française.
Ces deux accords forment un tout cohérent qui permet une rénovation en profondeur de notre partenariat avec les pays ACP, dans le sens d'une plus grande efficacité au service de la lutte contre la pauvreté, mais aussi dans le respect de notre engagement à leurs côtés, sur la voie du développement et de l'insertion dans l'économie mondiale.
La pérennité de cet engagement est même renforcée, dans la mesure où l'accord de Cotonou est signé pour une durée de vingt ans. De même, le groupe ACP gagne en cohérence avec l'adhésion de six nouveaux territoires du Pacifique Sud.
La dimension politique du partenariat a été renforcée - et je m'en félicite -, car le développement n'est possible que lorsque la démocratie, la stabilité et la bonne gestion des affaires publiques sont assurées. Il a été décidé que le dialogue devait devenir la règle et les sanctions l'exception.
Ainsi, des modalités souples ont été prévues pour engager des discussions entre les parties, non plus uniquement en cas de violation des principes démocratiques, des droits de l'homme et de l'Etat de droit, mais également lorsqu'une action préventive peut permettre d'éviter un recul afin d'évoquer avec les ACP de nouveaux sujets, tels que les migrations. La clause de non-exécution rénovée permet de continuer à répondre aux situations de crise, de manière plus adaptée, notamment grâce à une procédure particulière dans les cas graves de corruption. Là encore, la volonté est de s'efforcer de régler les problèmes par le dialogue.
Afin de mobiliser tous les acteurs concernés par le développement, l'accord de Cotonou prévoit une large participation des représentants des ONG, du secteur privé, des syndicats et des collectivités locales. Cette évolution novatrice permettra à la société civile de s'exprimer et de contribuer à la mise en oeuvre du nouveau partenariat, tout en bénéficiant de l'appui de l'Union européenne dans la réalisation de ses projets. C'est la conséquence logique, me semble-t-il, de l'irruption de la société civile sur la scène internationale et de la montée de ce que l'on a appelé la mobilisation sociale.
Parce que le développement, dans notre monde globalisé, passe par l'insertion progressive des pays les plus pauvres dans l'économie mondiale, il fallait profondément modifier le régime commercial de Lomé, qui n'avait pas, il faut en convenir, donné les résultats escomptés. En effet, le système des préférences non réciproques, en dépit de sa générosité, n'avait pas suffi à enrayer l'érosion des parts de marchés des pays ACP, en raison de leur offre limitée.
Désormais, en s'inspirant du modèle de la construction européenne, le choix a été fait de promouvoir l'intégration régionale au sein du groupe ACP, afin d'encourager ses membres à unir leurs forces pour peser davantage dans les négociations commerciales au sein de l'OMC et d'affronter, à terme, la concurrence internationale.
Dans cette perspective, des accords de partenariat économique seront négociés entre l'Union européenne et les ensembles de pays ACP, du moins ceux qui le souhaitent, avant le 1er janvier 2008. En attendant, le régime Lomé sera maintenu, grâce aux dérogations que la France a arrachées de haute lutte lors de la conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce en novembre dernier à Doha.
Contrairement à ce qui a pu être dit, l'accord de Cotonou ne précipite pas les pays ACP dans l'univers impitoyable de la libéralisation sauvage. Au contraire, il ménage en leur faveur une transition en douceur vers des accords régionaux qui garantiront la pérennité de leurs relations avec l'Europe et leur permettront d'être plus forts pour affronter les grands vents de la mondialisation.
Naturellement, il faudra gagner le pari de l'intégration régionale. Ce pari est aussi un élément essentiel de la stabilité à venir du continent africain.
J'en viens au commerce.
Lorsqu'il s'agit de le libéraliser, étant donné que seuls les pays qui produisent peuvent profiter du commerce, celui-ci peut apparaître comme une escroquerie s'il ne s'accompagne pas d'investissements, d'où l'importance du dossier « investissements ». Lors de la réunion que nous aurons, vendredi, autour du Président de la République, je ne doute pas que cette question sera au centre du débat, engagé sur l'initiative des Africains, sur le nouveau partenariat économique pour le développement en Afrique, dit NEPAD.
Enfin, parce que le commerce ne se suffit pas à lui-même, l'Union européenne a réaffirmé son engagement financier en faveur des ACP, en mettant en place le 9e FED, doté d'une enveloppe de 13,5 milliards d'euros, auxquels s'ajouteront 1,7 milliard d'euros au titre de la Banque européenne d'investissements. La France a été pour beaucoup dans ces décisions en acceptant de maintenir son rang de premier contributeur avec 24,3 %, alors que sa part dans le budget communautaire ne représente que 16,7 %. Cette somme de 15,2 milliards d'euros servira à alimenter une coopération profondement revue, dans le sens de l'efficacité.
La suppression des instruments séparés, la place accrue donnée à la programmation de l'aide et la plus grande souplesse dans les procédures ont pour but de favoriser une utilisation optimale de ces crédits et d'éviter l'accumulation d'importants reliquats.
Pour les pays ACP, il n'y aura certes plus d'allocation définitivement acquise, mais des appuis plus rapides, mieux adaptés à leurs besoins et plus facilement mobilisables, en fonction de l'évolution des résultats de leur coopération avec l'Union européenne.
Je souhaite dire, à cet égard, que les chiffres constatés, cette année même, dans les décaissements du FED, montrent que nous sommes en train de toucher les premiers dividendes de ces réformes, ce qui va nous permettre d'afficher la remontée espérée de l'aide publique au développement, et ce dès la fin de l'année 2001 : les chiffres qui sont en préparation pour 2002 devraient le confirmer.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Enfin !
M. Jacques Pelletier. Bravo !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. C'est important, monsieur le ministre !
M. Charles Josselin, ministre délégué. Je sais que cette nouvelle était attendue par beaucoup d'entre vous. Et puisque vos approbations m'invitent à poursuivre sur ce thème, je voudrais dire que le moment est sans doute venu, les instruments de la coopération ayant été réformés, de reprendre la marche en avant que nous souhaitons les uns et les autres en faveur d'une aide publique au développement plus efficace, certes, mais dont le volume doit aussi être un signe positif en direction des pays concernés.
Ces deux accords sont en cohérence avec la réforme de la gestion de l'aide communautaire et la nouvelle politique de développement de la Communauté telle qu'elle découle de la déclaration conjointe adoptée sous présidence française en novembre 2000. Une attention accrue sera ainsi portée à la coordination et à la complémentarité entre les Etats membres et la Commission européenne, ainsi qu'à la déconcentration de la gestion de l'aide communautaire. Nous veillerons à ce que les progrès enregistrés depuis deux ans se poursuivent.
Enfin, j'ajoute que les pays et territoires d'outre-mer bénéficieront des ressources du 9e FED à raison de 175 millions d'euros sous forme d'aides non remboursables. S'y ajouteront 20 millions d'euros de prêts de la Banque européenne d'investissement, la BEI, sur ses ressources propres. La coopération, dont les modalités ont également été révisées, sera mise en oeuvre en fonction des dispositions de la nouvelle décision d'association, adoptée par le Conseil en novembre dernier.
Telles sont, monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales dispositions de l'accord de partenariat entre la Communauté européenne et le groupe des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et de l'accord interne instituant le 9e Fonds européen de développement, qui font l'objet des deux projets de loi aujourd'hui soumis à votre approbation. Je ne doute pas que celle-ci soit au rendez-vous. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Paulette Brisepierre, rapporteure de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les deux accords qui sont soumis aujourd'hui à l'examen de notre Haute Assemblée relèvent un défi difficile. Il s'agit en effet de concilier une double exigence : préserver la spécificité des liens tissés par l'Union européenne dans le cadre de l'accord de Lomé avec les pays de l'Afrique subsaharienne, des Caraïbes et du Pacifique, et adapter cette relation privilégiée aux exigences du monde contemporain.
La spécificité de la relation entre l'Union européenne et les soixante et onze pays ACP repose sur trois grands principes : d'abord, la volonté de susciter un véritable partenariat entre les signataires de Lomé ; ensuite, la mise en place d'un régime commercial très avantageux en faveur des pays ACP, régime fondé sur l'exemption des droits de douane à l'entrée du marché communautaire, et ce sans aucune obligation de réciprocité ; enfin, l'accord de Lomé avait pour ambition le versement d'une aide généreuse dans le cadre du Fonds européen de développement.
Toutes ces promesses n'ont pas porté leurs fruits. La baisse générale des droits de douane organisée progressivement dans le cadre du GATT, et, désormais, de l'Organisation mondiale du commerce, a réduit les avantages comparatifs dont bénéficiaient les pays ACP sur le marché communautaire. Plus de la moitié des exportations des pays ACP ne bénéficient plus ainsi d'aucun avantage particulier par rapport aux produits des autres nations.
Cependant, c'est l'aide communautaire qui suscite la plus grande déception. Il existe en effet un écart considérable entre les montants affichés et les ressources effectivement dépensées. Les aléas politiques ou la gestion hasardeuse des Etats bénéficiaires ont, certes, justifié, ici ou là, la suspension des versements. Mais une lourde part de responsabilité incombe, en fait, aux mécanismes de financement communautaire, qu'il s'agisse de la définition de « conditionnalités », souvent paralysantes, ou encore de la lourdeur du processus de décision.
Bruxelles reste très éloignée des réalités du terrain. Lorsque, enfin, le principe d'un financement est accordé, il risque de ne plus répondre à aucune nécessité. Les reliquats accumulés au titre du FED en témoignent ; ils atteignent, en effet, une somme astronomique : 10 milliards d'euros.
Si ces insuffisances, révélées au fil des années, pouvaient à elles seules justifier une adaptation de l'accord de Lomé, une autre raison rendait impérative la modification du dispositif. C'est, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, l'incompatibilité du régime commercial de Lomé avec les règles de l'OMC.
L'accord de Cotonou a-t-il pu concilier le maintien des grands principes avec les exigences de l'évolution du contexte international ? La réponse apparaît nécessairement nuancée.
Au rang des motifs de satisfaction, il faut d'abord citer la signature de l'accord lui-même et le maintien, en conséquence, d'une relation privilégiée entre l'Union européenne et le groupe des pays ACP.
Cette spécificité, je vous le rappelle, avait été voulue par la France dès 1958 pour que la construction européenne et le maintien des liens étroits avec nos anciennes colonies soient non pas contradictoires, mais complémentaires.
Au fil des élargissements de l'Union européenne, plusieurs de nos nouveaux partenaires, qui n'ont ni le même passé ni les mêmes obligations que la France, s'interrogeaient sur l'intérêt de distinguer les pays ACP des autres pays en développement. La pérennité des liens noués avec les pays ACP a été réaffirmée, et notre pays, dont l'initiative a souvent été déterminante dans la négociation, peut s'en féliciter.
Au-delà même de ce succès politique, l'accord de Cotonou apporte plusieurs améliorations significatives. D'abord, il fait de la bonne gestion des « affaires publiques » un élément essentiel de la convention qui, en cas de manquement, peut conduire à la suspension de tout ou partie de l'aide. Ensuite, le dialogue politique s'élargit pour la première fois à l'immigration, et l'accord inclut une clause de réadmission qui oblige les Etats signataires à réadmettre leurs ressortissants qui se trouvent illégalement sur le territoire d'un Etat membre.
L'assouplissement des méthodes de programmation de l'aide et la possibilité de la réajuster - à la hausse ou à la baisse en fonction des résultats obtenus - représentent également de réelles avancées dans le sens d'une plus grande efficacité.
Enfin, le souci d'impliquer davantage les acteurs du secteur privé dans l'élaboration de la politique de coopération européenne constitue une évolution positive qui devra être confortée. En effet, les procédures en faveur des entreprises demeurent tellement complexes qu'elles dissuadent les opérateurs dont les investissements sont pourtant indispensables aux pays du Sud.
La rationalisation de l'aide communautaire telle qu'elle est prévue par l'accord de Cotonou et l'accord interne conclu par les Quinze ne pourra, quant à elle, être jugée qu'à la lumière de l'expérience. Beaucoup dépendra, en la matière, du résultat de la réforme de l'aide extérieure communautaire, engagée parallèlement par la Commission européenne.
La situation actuelle justifie pour le moins un certain scepticisme : les responsabilités en matière de développement restent éclatées entre trois commissaires, ce qui ne favorise pas une approche rapide et cohérente des problèmes ; la mise en place de la nouvelle structure chargée de la gestion de l'aide, Europaid, nous paraît encore bien opaque et certaines incertitudes demeurent sur le niveau de décaissement des crédits pour l'année 2001.
Mais l'aide en faveur des pays ACP constitue-t-elle encore une priorité pour l'Union européenne ? C'est une question que nous devons sérieusement nous poser. La part de l'aide communautaire consacrée aux pays ACP s'est réduite de moitié au cours de la dernière décennie. La réduction de l'enveloppe du 9e FED n'a pu être évitée qu'au prix du maintien d'un effort contributif supplémentaire de notre part.
Le principal sujet d'inquiétude de notre commission porte cependant sur l'évolution du régime commercial.
La libéralisation des échanges prévus par l'accord de Cotonou est-elle vraiment une perspective réaliste pour des pays dont certains comptent parmi les plus pauvres de la planète ?
Sans doute l'intégration régionale posée comme préalable à la signature des accords de libre-échange avec l'Union européenne représente-t-elle une véritable chance pour le développement des pays ACP. Mais, dans les faits, l'intégration régionale rencontre d'énormes obstacles et il est peu probable que les échéances fixées par Cotonou soient respectées. Dans ces conditions, ne peut-on craindre une banalisation de la relation nouée avec les pays ACP ? Désormais, qu'ils soient ou non signataires de l'accord de Cotonou, les pays les moins avancés, les PMA, bénéficient de la suppression des barrières en faveur de l'ensemble des PMA, décidée par l'Union européenne en 2001 avec l'initiative « tout sauf les armes ».
Quant aux Etats ACP qui n'appartiennent pas à la catégorie des PMA, ils se verront vraisemblablement appliquer le système de préférences généralisées de l'Union européenne nettement moins avantageux que le système actuel de Lomé dans la mesure où il ne couvre pas les produits agricoles et présente par ailleurs un caractère unilatéral contradictoire avec le principe de parte-nariat.
Incontestablement, le régime commercial représente un peu le talon d'Achille du nouvel accord. Aussi, dans les années qui viennent, l'effort devra-t-il porter de manière prioritaire sur le renforcement effectif de l'intégration régionale, ainsi que sur les moyens de mieux conjuguer l'action de l'Union européenne et des pays ACP dans le cadre de l'OMC, afin de peser davantage sur le cours des négociations commerciales.
En effet, au moment où la fracture sociale à l'échelle de la planète s'élargit au risque d'aggraver les tensions internationales, le partenariat noué à Lomé, et renouvelé à Cotonou, peut être un instrument exemplaire de coopération entre le Sud et le Nord. Aussi est-il indispensable de lui reconnaître la priorité politique et financière qu'il justifie pleinement.
C'est au bénéfice de ces observations que votre commission vous invite à approuver les deux projets de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Union européenne et les pays du groupe Afrique, Caraïbes et Pacifique sont parvenus, le 23 juin 2000 à Cotonou, après deux ans de négociations, à un nouvel accord de partenariat qui remplace la quatrième convention de Lomé.
Lomé constitue un cadre inédit de coopération, voulu, dès 1957, par la Communauté européenne, que l'on peut considérer comme le plus important accord de coopération politique, financière et économique, fondé sur des principes et des objectifs communs, qui constituent toujours aujourd'hui son acquis fondamental. Axe essentiel de la politique étrangère française, cet accord est aussi au coeur de l'identité de l'Union européenne et de son action internationale.
Malgré tout, le bilan de ces quarante années de coopération bilatérale et multilatérale reste en demi-teinte.
La révision à mi-parcours de la quatrième convention de Lomé a permis quelques progrès, limités mais encourageants : le renforcement du volet politique et institutionnel ; la réaffirmation de l'exigence de respect de l'état de droit ; puis l'amélioration de la coopération commerciale, même si, en ce domaine, les effets positifs sont dus plus à la logique du système préférentiel qu'au développement économique interne des pays ACP.
L'Union européenne et les pays ACP ont donc décidé de réévaluer et d'adapter leurs relations sur le constat d'un certain nombre d'échecs : la situation économique, politique et sociale des pays ACP, loin de s'améliorer, s'est souvent dégradée, augmentant la marginalisation de ces pays, ainsi que le fossé avec les pays industrialisés.
Un système d'exportation limitée aux matières premières et une dépendance croissante envers les marchés européens pour les produits manufacturés n'ont pas permis de renforcer la capacité des pays en développement à orienter leur économie vers les besoins essentiels de leurs populations dans les domaines des infrastrutures économiques, sanitaires et éducatives et dans le secteur des produits manufacturés destinés au marché intérieur.
Par ailleurs, les préférences non réciproques se sont aussi montrées insuffisantes pour assurer la pleine intégration des pays ACP dans l'économie mondiale. Ces derniers sont de plus en plus marginalisés aujourd'hui, comme en témoignent les statistiques que nous recevons de toutes parts.
Alors que l'Union européenne reste la première donatrice du monde en matière d'aide publique au développement, trois phénomènes viennent assombrir cette donnée objective.
En premier lieu, il faut noter la diminution de la part de l'aide publique au développement dans les budgets des pays européens. Celle-ci est tombée en dix ans de 0,33 % de leur PNB en 1988 à 0,23 % en 1998. La France reste à 0,33 %, soit dix points au-dessus de la moyenne européenne.
En deuxième lieu, une visibilité de l'aide communautaire de toute évidence insuffisante contribue à diminuer la force d'entraînement de l'Union européenne dans ce domaine.
En troisième lieu, et par conséquent, la méfiance est croissante quant à l'efficacité et la destination de cette aide.
Nouveau millénaire, nouvel accord ! Nous repartons d'un nouveau pied. Il faut reconnaître que le partenariat entre l'Union européenne et les pays ACP devait être plus efficace et devait s'adapter à une situation géopolitique et économique mondiale soumise à des bouleversements constants. L'objet de ces négociations a été de réévaluer et d'adapter cet accord afin qu'il prenne mieux en compte l'objectif essentiel d'un développement durable.
Il fallait, en outre, trouver des mécanismes permettant d'accélérer l'octroi de l'aide du Fonds européen de développement, le FED, avec une simplification et une plus grande cohérence de la gestion de cette aide. A cet égard, je prends acte des bonnes nouvelles que M. le ministre vient de nous apporter.
Tout cela suppose que le Fonds européen de développement choisisse sa position stratégique : est-il une simple annexe des institutions multilatérales de Washington ou le coordinateur dynamique des coopérations bilatérales des pays membres ? Il semble que ce choix fondamental n'en soit encore qu'à ses balbutiements. Nous espérons que ce nouvel accord sera l'occasion d'un progrès dans la conception du rôle du FED, sans lequel nous n'avancerons pas.
Que doit-on attendre de ce nouveau partenariat ?
Premièrement, la réaffirmation d'une solidarité globale à l'égard des pays en développement. Historique, elle constitue une composante essentielle de l'identité européenne. Je pense que, dans le cadre de « l'après-11 septembre », c'est l'un des éléments qui différencient très nettement l'Union européenne des Etats-Unis dans leur approche respective des relations internationales.
Le sens de cette solidarité aujourd'hui est de créer un contexte plus favorable à la réduction de la pauvreté et d'accompagner les pays ACP dans leurs efforts pour gérer eux-mêmes leur intégration dans l'économie mondiale.
Cet engagement va de pair, à mon sens, avec le renforcement de la dimension sociale de l'accord et avec une meilleure prise en compte de la diversité de ces pays.
Deuxièmement, le renforcement d'une solidarité politique est d'autant plus nécessaire du fait de l'engagement de l'Union européenne pour son élargissement et pour sa coopération avec le bassin méditerranéen. Dans ces deux cadres-là, les rapports avec les pays ACP risqueraient d'être oubliés si les accords post-Lomé n'étaient pas suffisamment volontaristes.
L'accord post-Lomé maintient donc le caractère privilégié des relations entre l'Union européenne et les pays ACP, tout en introduisant un changement fondamental dans la nature de ces relations. Les parties ont, en effet, décidé de dépasser la relation unilatérale entre donateurs et bénéficiaires qui prédominait et d'introduire une véritable responsabilisation de toutes les parties.
Ce partenariat rénové est une nécessité pour les pays ACP, qui ont besoin de cette coopération fondée sur le respect mutuel. Il est aussi une exigence pour l'Union européenne, qui, dans le cadre de sa politique étrangère et de sécurité commune, doit s'affirmer comme solidaire et généreuse, sans accepter pour autant que la mondialisation entraîne inéluctablement un nouvel asservissement des pays les plus pauvres par les plus riches, source d'insécurité générale et terreau de tous les dévoiements politiques des relations internationales.
La ligne directrice de ce nouveau partenariat est, par conséquent, le dépassement du principe de la conditionnalité de l'aide - expression que l'on bannit du vocabulaire - au profit d'un dialogue permanent qui évitera justement l'introduction de toute forme de conditionnalité.
Cet accord de Cotonou est porteur de plusieurs novations majeures.
Le nouvel accord se caractérise, tout d'abord, par le renforcement de la dimension politique des relations entre l'Union européenne et les pays de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique - c'est ce qui permet de dépasser la conditionnalité - grâce à un dialogue politique fondé sur la démocratie, les droits de l'homme et la bonne gestion des affaires publiques.
C'est sans doute ce dernier aspect qu'il faut retenir comme une avancée importante. Non seulement les termes de « lutte contre la corruption » sont pour la première fois clairement énoncés, mais, surtout, les cas graves de corruption active et passive pourraient être considérés comme une violation de la bonne gestion des affaires publiques et aboutir à la suspension de la coopération après procédure de consultation.
L'Union européenne considère, en effet, la bonne gouvernance comme une condition du développement durable des bénéficiaires de l'aide et aussi comme une garantie de bonne gestion des fonds alloués pour le contribuable européen sans l'engagement duquel plus rien ne serait possible, à terme.
Si la coopération centrée sur les Etats et sur les grandes entreprises a contribué à la croissance des pays ACP, elle n'a pas permis de faire reculer d'une manière significative la pauvreté. L'aide touche, au mieux, 10 % à 15 % de la population. Aussi cet accord privilégie-t-il, plus encore que les conventions précédentes, une approche intégrée du développement, prenant en compte les aspects politiques, économiques et sociaux et, surtout, ouvrant le partenariat à la société civile.
La population porteuse de projets, le monde associatif et les entreprises sont enfin considérés et reconnus comme des acteurs de leur propre développement. Cette approche, qui s'appuie sur la responsabilisation des populations, implique ainsi clairement non seulement une véritable démocratisation des sociétés des pays ACP, mais aussi la formation des populations, l'information sur leurs droits et sur leur accès direct aux instruments de l'aide.
Par conséquent, la dimension sociale de ce partenariat ne peut être sous-estimée ; elle doit être au centre de nos préoccupations. Elle passe, à mon sens, notamment, par l'instauration d'un dialogue permanent avec les sociétés civiles, par une concentration de l'aide communautaire dans les secteurs de l'éducation et de la santé - une population en bonne santé peut se développer, jamais une population en mauvaise santé -, par la reconnaissance du rôle des femmes, qui sont au centre de la vie économique et de la vie sociale de tous ces pays, par une meilleure prise en compte de l'environnement dans le développement économique - si le développement économique détruit l'environnement, il n'y a plus de développement économique -, et par l'encouragement au développement de politiques de sécurité alimentaire.
Il est bien évident, cependant, qu'une paix durable est une condition préalable au développement et au succès de la coopération. La lutte contre la pauvreté est étroitement corrélée à une politique de prévention des conflits. Or, aujourd'hui, vingt des trente pays les plus pauvres connaissent des conflits armés.
La prévention des conflits et la recherche de la stabilité politique doivent constituer un axe central de la relation future. A cet égard, on ne peut que se féliciter de l'initiative conjointe prise par Hubert Védrine et Jack Straw de relance d'un processus de paix dans la région des Grands Lacs africains, en janvier dernier.
Défendant des dispositions identiques, les deux ministres des affaires étrangères ont tenu à concrétiser, selon Jack Straw, une « politique commune en action ». L'accord de Cotonou, à ce titre, prévoit que « les parties poursuivent une politique active, globale et intégrée de consolidation de la paix et de prévention et de règlement des conflits, en agissant directement sur les causes profondes de ceux-ci et en combinant de manière appropriée tous les instruments disponibles ».
L'Union européenne, quant à elle, devrait s'efforcer de situer son action plus en amont. L'idée de Michel Rocard de créer des observatoires régionaux des tensions, qu'il préconisait, en mars 1998, au Parlement européen,...
M. Nicolas About. Ce n'est pas idiot !
Mme Monique Cerisier-ben-Guiga. ... pourrait constituer une proposition sérieuse à soumettre à nos partenaires et contribuerait à privilégier une approche régionale du développement, qui est précisément celle de l'accord post-Lomé.
La promotion de l'intégration et des coopérations régionales constitue, en effet, l'un des axes forts des accords de Cotonou. L'approche régionale n'est pas une alternative, mais elle est complémentaire de l'approche bilatérale et des relations internationales multilatérales.
La promotion de projets régionaux apparaît aujourd'hui essentielle : si l'intégration régionale favorise en premier lieu une stabilité politique, sociale et économique, elle permet aussi d'orienter l'économie de ces pays vers les besoins de leurs populations et de développer des infrastructures communes dans les secteurs de l'énergie, de l'eau et des communications qui ouvriraient la voie à une plus grande autonomie et d'élargir leurs marchés, comme on le voit dans les pays du Golfe du Bénin.
Une telle dynamique devrait contribuer à mieux préparer les pays ACP à leur intégration, à terme, dans l'économie mondiale.
Je suis toutefois d'accord avec Mme le rapporteur, notre collègue Mme Paulette Brisepierre : à l'heure actuelle, les économies des pays ACP sont, pour la plupart, concurrentes et non complémentaires. Mais cela ne doit pas être un obstacle. Rappelons-nous que c'était le cas des six pays qui jetèrent les bases de l'Union européenne à l'époque du traité de Rome ; on voit ce qu'il en est advenu.
Partant de pays à économies concurrentes, on peut arriver, dans le cadre d'accords de ce type, à des économies qui deviennent de plus en plus complémentaires.
La mise en place des accords de partenariat économique ne sera pas facile, mais elle nous paraît nécessaire aujourd'hui sans que, toutefois, à nos yeux, la libéralisation des relations commerciales soit la seule voie du développement. Non accompagnée de mesures de protection d'unités de production fragiles, elle pourrait même lui nuire.
Cet accord de partenariat ne sera jamais un simple accord commercial, comme ne devront pas l'être ces accords de coopération régionale. Tout l'enjeu est bien d'établir un lien positif entre le commerce et le développement, en sachant que, si l'essor du commerce est une condition du développement, il n'en est pas la seule.
Le commerce doit être encadré par des règles qui en garantissent la loyauté et empêchent l'évolution naturelle des échanges entre riches et pauvres vers l'« échange inégal » que nous connaissons bien.
C'est la tâche qui nous incombera à l'avenir, et elle est de taille : soutien à l'investissement dit « productif » ; aide à la diversification des économies ; traitement différencié des pays ACP selon leur niveau de développement, enfin, soutien des pays les plus fragiles. Ce dernier objectif s'est, notamment, concrétisé avec l'initiative européenne dite « tout sauf les armes », améliorant l'accès aux marchés européens pour les pays les moins avancés grâce à un droit d'accès nul sur la presque totalité de leurs produits.
Les nouvelles négociations multilatérales au sein de l'OMC offrent à l'Union européenne et à ses partenaires en développement l'occasion de collaborer pour veiller à ce que le cadre multilatéral reflète davantage leurs intérêts et leurs objectifs communs et pour que la mondialisation soit un véritable outil au service d'un nouvel équilibre et d'une nouvelle solidarité entre les peuples, afin de bâtir sur ces bases un développement économique et social durable.
Le texte approuvé à Doha consacre une attention particulière aux pays en voie de développement. L'accord sur l'accès de ces pays aux médicaments essentiels, adopté à cette occasion, va dans ce sens.
Les futures négociations devraient permettre une ouverture commerciale différenciée selon le niveau de développement des pays, et non pas en fonction d'un modèle unique de libéralisation, totalement inadapté et dont les effets sur des sociétés fragiles sont mortifères, on le voit aujourd'hui en Argentine.
L'Union européenne doit s'engager dans le soutien de deux processus, complémentaires et interdépendants : l'un multilatéral, qui débute dans le cadre de l'OMC, après la conférence ministérielle de Doha ; l'autre qui devrait conduire les pays ACP, dans le cadre du partenariat rénové, à formaliser des accords régionaux.
Je suis convaincue que c'est l'appartenance à ces deux cadres qui facilitera à l'avenir l'appropriation de politiques et de stratégies de développement économique et social par les pays ACP. Dans ce processus, l'Union européenne a une responsabilité, car il est conforme à ses principes fondateurs de promouvoir une économie internationale plus solidaire.
Le maintien d'un partenariat étroit entre l'Union européenne et les pays ACP est plus encore nécessaire aujourd'hui. La France, dans cette perspective, a un rôle particulier à jouer. La coopération au développement est aussi bien un principe central de sa politique étrangère qu'un des fondements de l'identité européenne.
Le groupe socialiste renouvelle aujourd'hui son attachement à cet outil indispensable au développement en approuvant la ratification de ces nouveaux accords de coopération. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.

PROJET DE LOI N° 51