SEANCE DU 14 JUIN 2001


TRANSPOSITION DES DIRECTIVES
COMMUNAUTAIRES

Adoption des conclusions
de deux rapports d'une commission
(ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion :
1. Des conclusions du rapport (n° 360, 2000-2001) de M. Lucien Lanier, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi constitutionnelle (n° 74, 2000-2001) de MM. Aymeri de Montesquiou, Hubert Haenel et les membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, tendant à permettre à la France de respecter les délais de transposition des directives communautaires, par l'inscription de ces textes à l'ordre du jour du Parlement en cas de carence gouvernementale.
2. Des conclusions du rapport (n° 359, 2000-2001) de M. Lucien Lanier, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi (n° 183, 2000-2001) de MM. Hubert Haenel, Robert Del Picchia et Aymeri de Montesquiou, complétant l'article 6 bis de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 en vue de permettre un contrôle du Parlement sur la transposition des directives communautaires.
La conférence des présidents a décidé qu'il serait procédé à une discussion générale commune des conclusions de ces deux rapports.
Je rappelle au Sénat que cette discussion, comme toutes les discussions inscrites à la séance d'aujourd'hui, intervient dans le cadre de l'ordre du jour réservé.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le ministre, qu'il soit d'abord bien entendu entre nous que, en présentant ces deux propositions de loi, la commission des lois du Sénat ne souhaite manifester aucune acrimonie à votre égard ni aucune agressivité à l'encontre du Gouvernement. Il s'agit non pas de s'exprimer en maîtres d'école, mais bien au contraire de rechercher une meilleure coopération entre l'exécutif et le législatif sur le sujet qui nous importe aujourd'hui, à savoir la remise en ordre de la procédure de transposition des directives européennes, sujet qui est au coeur de la politique européenne au moment où s'annoncent des années décisives pour l'Union européenne.
Cependant, nos compatriotes ne cachent pas, actuellement, certaines désillusions liées à quelques dysfonctionnements de l'Union européenne, qu'il s'agisse de la complexité de son système institutionnel, de la juste compréhension de la subsidiarité ou, et peut-être surtout, de la lenteur des progrès qui intéressent le plus directement le citoyen.
Au regard de cet état de fait, nous portons certes tous une part de responsabilité, ne serait-ce que par la lenteur et les retards que rencontre l'application honnête de la procédure, combien complexe, de transcription des directives européennes !
En effet, à la fin de l'an 2000, le Sénat, toutes tendances politiques confondues, toutes commissions requises, était saisi par le Gouvernement de la nécessité de recourir par voie d'ordonnances à la transposition d'une soixantaine de directives en attente.
Pourquoi cette procédure inhabituelle ? Parce que, mise au pied du mur, la France comptait, en septembre 2000, un stock - je dis bien un « stock » ! - de 176 en attente de transposition, dont 136 étaient alors en franc retard, certaines d'entre elles remontant aux années quatre-vingt. Au tableau d'affichage de novembre 2000, nous occupions ainsi la quatorzième place, sur quinze membres de l'Union, pour l'exécution de la procédure de transposition.
Toutefois, le Sénat donna son aval à la procédure des ordonnances, parce que, monsieur le ministre, y recourir était inéluctable, encore que, ainsi que l'indiquait fort bien, à l'époque, notre excellent collègue et rapporteur Daniel Hoeffel, « la mise à l'écart du Parlement n'est certes pas le meilleur moyen de faire progresser l'adhésion à la construction européenne ».
Nonobstant, nous étions tous conscients des conséquences déplorables qu'entraînait notre inconfortable position.
Il s'agit, tout d'abord, d'une forte insécurité juridique, la Cour de justice des Communautés européennes considérant que, sous certaines conditions, les directives en retard de transposition pourraient être invoquées par les particuliers.
Par ailleurs, notre pays se plaçait sous la menace de procédures contentieuses, avec le risque, à terme, d'être condamné à de fortes amendes et à de déplorables astreintes.
Enfin, la position de la France se trouvait fragilisée au regard de ses partenaires européens et de la Commission, obligée de mettre notre pays en demeure s'agissant de directives que la France, présente au Conseil de l'Union, avait pourtant approuvées en amont : nous affranchir de règles que nous avions nous-mêmes adoptées ne peut qu'amoindrir notre autorité.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Voilà !
M. Lucien Lanier, rapporteur. Rappelons dès maintenant quelles sont les règles principales relatives à l'application du droit communautaire à notre droit interne.
Il s'agit du règlement, de portée générale, qui est obligatoire et applicable dans tous les Etats membres, et de la directive, précisément, que déterminent le Conseil de l'Union européenne et le Parlement européen. Cette dernière doit être transposée de manière compatible avec le droit des Etats, ce qui laisse aux instances nationales le soin de déterminer la forme et les moyens de la transposition, exercice particulièrement complexe et délicat, surtout lorsqu'il concerne des directives visant des sujets d'importance pouvant mettre en cause l'application du principe de subsidiarité, tels que le marché intérieur du gaz naturel ou l'exercice de la profession d'avocat, entre bien d'autres questions.
Cependant, c'est bien parce que ces directives sont de transposition délicate qu'il convient de rechercher et de dégager les consensus nécessaires à leur application.
Des sanctions sont en effet prévues contre ceux qui manqueraient à leurs obligations, surtout par non-respect des délais fixés. Ces sanctions peuvent entraîner, comme je l'ai déjà indiqué, la condamnation par la Cour de justice des Communautés européennes à des amendes assorties de lourdes astreintes.
Quelles sont donc les causes d'une certaine carence française dans ce domaine ?
Il y a, reconnaissons-le, la lourdeur des procédures parlementaires, mais le Gouvernement se plaît par trop à la considérer comme la cause essentielle, ce qui le porte à s'interroger sur la nécessité de faire évoluer les règles de transposition et, bien sûr, comme tout gouvernement, à préconiser d'alléger au maximum l'intervention du Parlement dans le processus. Nous y reviendrons tout à l'heure à l'occasion de l'examen d'un amendement ; mais est-ce la bonne méthode ?
Le recours aux ordonnances offrirait certes plus de souplesse et permettrait une adoption plus rapide des textes de transposition, mais elle aurait pour conséquence - vous ne pouvez le nier, monsieur le ministre - de minimiser durablement l'action du Parlement en matière de transposition des directives relevant du domaine législatif.
Une telle méthode ne remédierait d'ailleurs pas à la cause la plus vraie et la plus plausible des retards, à savoir un réel dysfonctionnement administratif. Il ne s'agit nullement ici de critiquer une administration dont je sais la qualité pour l'avoir servie pendant quarante ans, mais l'adaptation à l'Europe se fait de plus en plus exigeante et impose bien la transposition de plus en plus rapide des directives dans notre droit interne.
Or il semble que l'administration française est encore mal préparée au processus des transpositions. L'adaptation des directives au droit français requiert une attention soutenue et compétente et se révèle d'autant plus ardue qu'elle se pratique, le plus souvent, à l'échelon interministériel - le mot est prononcé ! - chacun des départements ministériels faisant valoir des conceptions différentes, voire divergentes, sur tel ou tel sujet et, le plus souvent, à juste titre. Le consensus demande du temps, si l'on veut éviter les arbitrages drastiques, et plus encore s'il s'agit des réactions d'associations ou d'organismes multiples dont le tempérament n'est pas forcément progressif.
Et pourtant, reconnaissons-le, le Gouvernement s'est efforcé d'apporter quelques remèdes à cette situation, et principalement aux difficultés administratives. Il existe en effet une excellente circulaire du Premier ministre datant du 9 novembre 1998. Son objet était d'éviter l'aggravation des dysfonctionnements administratifs. Malheureusement, elle est restée en grande partie inappliquée devant les résistances statiques. Elle a besoin aujourd'hui d'être adaptée et remplacée par des définitions plus claires répondant mieux à l'évolution du processus et, surtout, permettant d'éviter que de graves difficultés ne surgissent après l'adoption des directives, rendant leur transposition plus difficile, voire impossible.
Parce que la tâche est difficile, ce n'est pas en « tirant au renard », en retardant les transpositions au-delà de l'acceptable, que nous résoudrons le problème. Ce n'est pas non plus en accablant l'administration que l'on déterminera les solutions idoines.
Le recours aux ordonnances doit rester une procédure exceptionnelle pour répondre à l'urgence.
C'est pourquoi, en l'acceptant, à la fin de l'année 2000, lors des débats, nombre d'orateurs, et notre rapporteur Daniel Hoeffel le premier, avaient instamment demandé au Gouvernement de prendre l'engagement de rechercher les mesures les plus adéquates pour apurer la situation.
Le Gouvernement s'y était engagé. Mais, hélas ! depuis, aucune réponse tangible n'a fait écho aux remontrances, pourtant logiques, d'un Parlement bien dans son rôle.
Voilà pourquoi deux de nos collègues sénateurs ont pensé qu'il était de leur devoir de déposer deux propositions de loi : le 14 novembre 2000, M. Aymeri de Montesquiou a présenté une proposition de loi constitutionnelle devant « permettre à la France de respecter les délais de transposition des directives communautaires » et, le 16 janvier 2001, le président de notre délégation pour les affaires européennes, M. Hubert Haenel, a déposé une proposition de loi simple devant « permettre un contrôle du Parlement sur la transposition des directives communautaires ».
Sans réaction du Gouvernement, nos collègues ont alors demandé, après avis de la commission des lois, l'inscription de ces textes à l'ordre du jour réservé, aujourd'hui 14 juin.
L'inscription étant obtenue, le Gouvernement a réagi, mais un peu tardivement, par une lettre cosignée de vous-même, monsieur le ministre, et du ministre délégué chargé des affaires européennes, M. Pierre Moscovici : par cette lettre adressée au président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, M. Hubert Haenel, il était proposé qu'avant tout examen parlementaire des deux propositions de loi un groupe de travail soit mis en place « très prochainement » afin de parvenir « d'ici à l'automne prochain à des formules satisfaisantes ».
Quel que soit l'intérêt louable et recevable de créer un groupe de travail ad hoc, intérêt auquel nous souscrivons, il ne paraît pas inutile d'examiner les propositions qui nous sont soumises et d'en débattre. Elles traduisent notre volonté de coopération avec le Gouvernement. Elles serviront d'incitateur et de révélateur, afin de rendre claires des méthodes simples, des responsabilités établies, et des compétences juridiques éprouvées.
Cela étant dit, comment s'analyse chacune des propositions qui nous sont soumises ?
La proposition de loi simple de M. Hubert Haenel, cosignée par nos excellents collègues MM. Aymeri de Montesquiou et Robert Del Picchia, a donc pour objet d'inciter le Gouvernement à appliquer normalement les obligations qu'il s'impose à lui-même.
Cette proposition tend à compléter l'article 6 bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958 définissant la mission des délégations parlementaires pour l'Union européenne. Elle prévoit, d'une part, la transmission aux délégations parlementaires d'une étude d'impact juridique sur tous les projets des Communautés ou de l'Union ayant des incidences législatives sur le droit interne et, d'autre part, la transmission aux délégations parlementaires d'un échéancier d'adoption des textes législatifs permettant d'étudier avec soin la transposition en droit interne d'une directive définitivement adoptée par les institutions communautaires.
Un tel dispositif a l'avantage de prendre en compte les causes des retards des transpositions.
La commission des lois propose simplement de porter de un à deux mois le délai de transmission aux délégations de l'étude d'impact, à partir de la communication du texte au Conseil de l'Union européenne.
Sous réserve de cette seule modification, la commission des lois vous propose d'adopter la proposition de loi de M. Hubert Haenel.
J'enchaînerai directement par l'étude de la seconde proposition qui nous est soumise, proposition de loi constitutionnelle que présente notre excellent collègue M. Aymeri de Montesquiou, et à laquelle s'associent M. Hubert Haenel et les membres du Rassemblement démocratique et social européen.
Cette proposition tend, par son intitulé, à « permettre à la France de respecter les délais de transposition des directives communautaires, par l'inscription de ces textes à l'ordre du jour du Parlement en cas de carence gouvernementale ».
Les auteurs des deux textes se sont associés dans cette présentation. Car, loin d'être antinomiques, les deux propositions de loi sont, au contraire, parfaitement complémentaires et méritent d'être examinées en ce sens.
Notre collègue M. Aymeri de Montesquiou propose d'insérer, dans le titre XV de la Constitution, un article 88-5 qui dispose : « Tout projet de loi tendant à transposer les dispositions de nature législative d'une directive... doit être déposé devant le Parlement et inscrit à l'ordre du jour prioritaire six mois au moins avant l'expiration du délai fixé par cette directive pour sa transposition.
« A défaut, toute proposition ayant le même objet est inscrite de droit à l'ordre du jour prioritaire. »
La commission des lois a reconnu que le dispositif, tel qu'il est proposé, soulève certaines difficultés : tout d'abord, il ne garantit que l'inscription à l'ordre du jour prioritaire de la première assemblée saisie, et non la conduite de l'ensemble du processus législatif de transposition ; ensuite, l'inscription obligatoire d'une proposition contraire à l'avis du Gouvernement pourrait provoquer des initiatives concurrentes dans chaque assemblée, devenant source de confusion.
C'est pourquoi, tout en respectant parfaitement l'esprit de la proposition de M. Aymeri de Montesquiou, la commission des lois a souhaité une modification destinée à compléter l'article 48 de la Constitution concernant l'ordre du jour des assemblées : il s'agit de prévoir une séance par mois, dans chaque assemblée, qui serait réservée à la transposition des directives communautaires en même temps qu'à l'autorisation, déjà acquise d'ailleurs, de ratification ou d'approbation des conventions internationales.
C'est par ce texte ainsi modifié, et plus simple à appliquer, que la commission des lois vous propose d'adopter la proposition de loi constitutionnelle de notre collègue M. Aymeri de Montesquiou.
Pour conclure, monsieur le ministre, permettez-moi de rappeler que, le 28 mai dernier, la Commission européenne a publié son huitième tableau d'affichage du marché intérieur.
Elle rappelle que, si nous voulons faire avancer l'Europe de manière tangible, il convient que le déficit de transposition devienne inférieur ou tout au moins égal à 1,5 % d'ici au printemps 2002. Or ce déficit était pour la France, le 30 avril dernier, de 3,5 %, bien qu'il ait déjà été réduit d'un quart depuis novembre dernier.
Mais comme l'indique le rapport de la commission, « les Etats membres doivent non seulement rattraper leur retard, mais également s'occuper des directives dont la date de transposition est imminente ». Car « le processus de transposition est continu et un grand nombre de nouvelles directives ou d'amendements aux directives existantes devront être transposés pour le printemps 2002, date fixée par le Conseil européen ». Il est certain que le processus de transposition est continu, mais ce n'est pas un long fleuve tranquille.
Il faut savoir ce que nous voulons : ou bien rester l'un des leaders d'une Europe que nous avons plus que contribué à créer, dont nous définissons les contours dans le respect de la subsidiarité ; ou bien traîner les pieds pour accélérer ce qui nous convient et refuser ce qui peut nous gêner, attitude dont le cynisme, voire l'hypocrisie, détruirait peu à peu notre autorité vis-à-vis non seulement de nos partenaires, mais également du monde entier.
Pourquoi le Gouvernement serait-il hostile, monsieur le ministre, a priori, aux deux propositions de lois que nous demandons au Sénat d'adopter ?
Elles reflètent l'esprit même des prescriptions du Premier ministre dans sa très bonne circulaire du 9 novembre 1998.
Elles mettent en garde contre une situation qui se détériorerait de plus en plus si nous restions attentistes.
Elles proposent une saine coopération du législatif et de l'exécutif, chacun dans la mission qui est sienne.
Elles suggèrent des solutions propres à alimenter les réflexions urgentes d'un groupe de travail que vous souhaitez vous-même, groupe dont la mission devrait porter sur l'ensemble du processus de transposition, afin qu'il réponde aux exigences évolutives de son temps.
Elles ont le mérite d'inciter le Gouvernement à faire ses propres propositions. Nous examinerons, le moment venu, mais sans tarder, si les nôtres doivent être modifiées.
Il y a, dit Shakespeare, « dans le ventre du temps, bien des événements à naître ». Soyons donc prêts à les prévoir pour y pourvoir, monsieur le ministre. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord saluer l'excellent rapport de notre collègue Lucien Lanier, au nom de la commission des lois. Notre collègue a parfaitement rappelé le sens - c'est important, monsieur le ministre - et l'objet de la démarche du Sénat.
Il ne s'agit pas de faire ici, comme l'on dit parfois, de la politique politicienne. Le Sénat est donc tout à fait dans son rôle à la fois de veilleur et d'aiguillon pour faire avancer, d'une certaine façon, la cause européenne.
Mes chers collègues, l'an passé, le Sénat était confronté, comme d'ailleurs l'Assemblée nationale, toutes tendances et toutes commissions confondues, aux problèmes posés par la transposition d'une cinquantaine de directives par voie d'ordonnances.
A cette occasion, nous avons été nombreux - si tout le monde avait pu s'exprimer, sans doute aurions-nous été unanimes - à demander au Gouvernement quelles mesures il comptait prendre pour que semblable situation ne se reproduise pas. Nous devons constater que nous n'avons reçu aucune réponse - ni même un commencement de réponse. Donc, je le redis en y insistant, monsieur le ministre, nous sommes ici parfaitement dans notre rôle.
Il en va de la sécurité juridique de nos entreprises et de nos concitoyens. Il en va aussi de la lisibilité du fonctionnement de l'Europe par l'opinion publique. Traiter cette question, c'est, d'une certaine manière aussi, contribuer au débat européen que le Président de la République et le Premier ministre ont initié et qui doit aboutir, avant Laeken, à une synthèse qui sera faite sur l'état de l'opinion française par rapport à l'Union européenne.
Les deux propositions de loi que nous examinons aujourd'hui, celle de notre éminent collègue Aymeri de Montesquiou et la mienne, ont été déposées - le rapporteur l'a rappelé à l'instant - respectivement le 14 novembre 2000 et le 16 janvier 2001. Elles n'ont provoqué - on l'a dit - aucune réaction du Gouvernement.
C'est seulement lorsque ces deux propositions de loi ont été inscrites à l'ordre du jour réservé que le Gouvernement s'est manifesté : il a annoncé qu'il allait créer un groupe de travail et que, dans ces conditions, nos propositions venaient trop tôt. Lors d'une réunion sur ce sujet, j'ai dit que ce n'était pas suffisant, que nous maintenions donc l'examen de la proposition de loi et que nous verrions si, d'ici à la fin de l'année, le Gouvernement trouverait la solution la mieux adaptée à ce problème. Vous nous en direz peut-être un mot tout à l'heure, monsieur le ministre.
A dire vrai, nous avons eu un avant-goût de ce que pourraient être, pour le moment, les résultats de ce groupe de travail, puisque M. Moscovici, peut-être un peu hâtivement, a précisé les intentions du Gouvernement, le 5 juin dernier, devant l'Assemblée nationale. Il s'est avéré que, pour l'essentiel, son propos n'allait pas plus loin qu'une meilleure information des délégations pour l'Union européenne quant à l'état des procédures de transposition des textes européens.
Soyons clairs : pour l'instant, une telle annonce - vous nous en direz peut-être plus tout à l'heure, monsieur le ministre - ne répond aucunement au problème. Elle n'est, selon moi, absolument pas à la mesure de la situation qui s'est créée.
Car, malgré la loi d'habilitation de l'automne dernier, la France - M. le rapporteur a eu raison de le souligner - continue à être, avec la Grèce, la lanterne rouge en matière de transposition. La Commission européenne l'a rappelé pas plus tard qu'il y a une quinzaine de jours.
En réalité, le stock de directives européennes non transposées ou incomplètement transposées reste tel que, si nous ne faisons rien, ce gouvernement ou un autre sera obligé d'avoir une nouvelle fois recours à la procédure d'habilitation. Cela deviendra inévitable. Il faut donc agir sans attendre, et nos propositions ne sont, dès lors, monsieur le ministre, ni prématurées ni superflues.
Certes, je comprends que le Gouvernement voie sans plaisir la réouverture d'un débat qui, à l'automne dernier, n'avait pas été très facile - pour lui, du moins !
Je souhaiterais cependant que nos propositions soient examinées sans qu'on y cherche - je le répète après le rapporteur - un arrière-plan polémique : il ne s'agit pas de montrer du doigt le gouvernement actuel. Le problème que nous avons à résoudre n'est pas apparu soudainement en 1997, même si notre retard dans les transpositions s'est plutôt aggravé depuis cette date.
Dans quelques cas, la responsabilité du gouvernement actuel est clairement en cause, c'est vrai : je pense, en particulier, aux directives concernant les marchés du gaz et de l'électricité, dont la non-transposition entrave l'essor de nos grandes entreprises nationales.
Mais, dans la plupart des cas, on est en présence de dysfonctionnements qui ne sont pas nés avec le gouvernement actuel et qui ne disparaîtront pas avec lui, si nous n'essayons pas de traiter le problème au fond, et donc à sa source.
Notre but n'est pas de mettre le Gouvernement dans l'embarras, monsieur le ministre. Il est de mettre fin à une situation qui affaiblit la position de la France en Europe et qui, sur le plan intérieur, nuit au bon fonctionnement de notre démocratie parlementaire. Car, lorsqu'on est amené à transposer d'un seul coup, par voie d'ordonnances, plusieurs dizaines de textes à caractère législatif, parfois d'une grande portée, on s'éloigne d'un régime parlementaire équilibré.
Nous devons même, dans cette affaire, aller au-delà des considérations purement nationales. La construction européenne repose sur les Etats membres. Ce sont eux qui, pour l'essentiel, ont la responsabilité de l'application du droit communautaire. Qu'ils n'assument pas pleinement cette responsabilité, et c'est tout l'édifice qui devient plus fragile, c'est la confiance mutuelle entre les Etats membres qui est en quelque sorte altérée !
L'Union va bientôt accueillir de nouveaux membres. Nous insistons, à juste titre, auprès d'eux pour qu'ils reprennent l'intégralité de l'acquis communautaire et se montrent capables de le mettre en oeuvre. Mais quelle est notre crédibilité quand nous tenons ce langage, si nous donnons nous-mêmes le mauvais exemple ?
Il y a donc de vraies raisons pour s'attaquer sans délai aux causes de ce retard.
Or ces causes sont bien connues. Lors de la négociation des textes européens, le problème de la transposition en droit français n'est pas suffisamment pris en compte. Dans certains cas, on a même le sentiment qu'il n'est pas pris en compte du tout ! Disant cela, je ne fais que rappeler un constat fait par le Conseil d'Etat lorsqu'il a publié un rapport sur le sujet il y a plus de dix ans, en décembre 1989.
Le résultat, c'est que nous découvrons bien souvent après l'adoption d'une directive qu'il va être très difficile de l'incorporer à notre droit ou même de la mettre en oeuvre sur le terrain. Et dans cette situation, nous finissons, évidemment, par renvoyer la transposition à plus tard, jusqu'à ce que la Commission et la Cour de justice nous mettent l'épée dans les reins.
Mais il est inutile que j'insiste sur ce point et que je multiplie les exemples ; vous en avez toutes et tous à l'esprit.
Je n'apprends rien à personne, et surtout pas au Gouvernement, qui connaît parfaitement le problème, puisque monsieur le ministre, dans ce que j'oserai appeler une « très bonne circulaire » du 9 novembre 1998, il a identifié les causes et dégagé les solutions.
Que dit cette circulaire ? « Il est essentiel de prendre en considération, dès le stade de l'élaboration et de la négociation des projets de directive, les effets sur le droit interne des dispositions envisagées et les contraintes ou difficultés qui pourront en résulter. »
Et pour que ce principe soit mis en oeuvre, la circulaire prévoit que chaque proposition de directive devra faire l'objet d'une étude d'impact juridique comprenant, notamment, la liste des dispositions de droit interne qu'il faudra réviser en cas d'adoption de la directive, ainsi qu'un avis juridique sur les problèmes que pourrait soulever la transposition.
La même circulaire, signée du Premier ministre, prévoit que chaque ministère concerné devra élaborer « un échéancier d'adoption des textes relevant de ses attributions ».
Tout est dit ! Le seul problème, c'est que cette circulaire, depuis deux ans et demi, est restée lettre morte dans les administrations.
Dans ces conditions, comme l'a excellemment écrit notre rapporteur et éminent collègue Lucien Lanier, il faut désormais « faire en sorte que le Gouvernement mette en oeuvre les obligations qu'il s'est lui-même imposées ».
C'est l'objet de la proposition de loi que j'ai présentée avec plusieurs collègues. Nous ne faisons que reprendre les principes posés, voilà deux ans et demi, par le Gouvernement dans la circulaire, monsieur le ministre ! Seulement, en prévoyant que les études d'impact juridique et les échéanciers de transposition doivent être transmis aux délégations pour l'Union européenne, nous créons une obligation légale qu'il sera plus difficile d'ignorer. En même temps, cela va sans dire, le contrôle parlementaire prévu par l'article 88-4 de la Constitution pourra s'effectuer dans de bien meilleures conditions.
Le problème de la transposition - c'est là le point essentiel - doit être abordé au moment même où les textes sont en négociation. C'est pourquoi les annonces de M. Moscovici dont j'ai parlé tout à l'heure passent à côté de la question. Mieux informer le Parlement de l'état de transposition des directives n'aidera en rien.
Quant à dire, comme il l'a fait, que c'est aux délégations pour l'Union européenne d'alerter le Gouvernement sur les difficultés éventuelles que les transpositions pourraient soulever, on peut estimer que c'est une suggestion pour le moins étonnante. D'abord, parce que, je le répète, c'est pendant les négociations, et non lorsqu'elles sont finies, qu'il faut examiner les problèmes que la transposition pourrait poser. Ensuite, parce que le rôle du Parlement est de contrôler le Gouvernement, et non de pallier les carences des administrations.
C'est à chaque ministère d'examiner quels textes de droit interne devront être modifiés si une directive en discussion est adoptée. C'est au Gouvernement de prendre en compte cette information lorsqu'il négocie à Bruxelles. C'est au Parlement de s'assurer que le Gouvernement ne néglige pas les difficultés éventuelles. Ne renversons pas les rôles !
Mais je n'ai examiné que la première des raisons de nos retards. Il y en a une seconde. Elle se situe davantage, quant à elle, à l'échelon politique, j'allais dire finalement au vôtre, monsieur le ministre.
Dans certains cas, alors que tout est prêt, le projet de loi de transposition n'est pas inscrit à l'ordre du jour. Pourquoi ?
Un gouvernement - le vôtre, un autre avant, un autre après - a tendance, c'est normal, à donner la priorité aux textes qui portent sa marque, qui traduisent sa politique. Rien de tel avec une loi de transposition : ce qu'il s'agit de transposer, c'est un compromis négocié avec quinze Etats membres et avec le Parlement européen. Dans certains cas, c'est un gouvernement antérieur qui a conduit les négociations. Le Gouvernement en fonction ne se retrouve pas toujours dans le résultat. C'est humain ! On le comprend. Alors, il est tentant de remettre à plus tard la transposition. Mais comme il y a toujours d'autres priorités, les textes en retard s'accumulent et les délais s'allongent.
Il y a aussi des cas où un gouvernement n'ose pas mettre un texte de transposition à l'ordre du jour parce qu'il craint un débat difficile. C'est le cas, aujourd'hui, des textes sur l'ouverture des marchés du gaz et de l'électricité.
Mais, pour prouver mon impartialité, je prendrai aussi l'exemple d'un gouvernement antérieur. Pourquoi est-ce seulement à l'automne 1997 que nous avons transposé la directive sur la participation des ressortissants communautaires aux élections municipales ? Parce que la directive avait été négociée sans tenir compte des résolutions adoptées tant par l'Assemblée nationale que par le Sénat et que le Gouvernement redoutait d'avoir à s'expliquer. Ce n'est donc qu'après les élections législatives de 1997 que la situation a pu se débloquer - elles ont eu au moins ce mérite ! Mais, là encore, lorsque nous avons transposé la directive, nous avions dépassé de deux ans la date limite et nous étions menacés d'une condamnation par la Cour de justice.
Dans des circonstances semblables, il faut un mécanisme qui, en quelque sorte, protège le Gouvernement et sa majorité contre eux-mêmes, qu'il s'agisse de la majorité présente ou d'une autre. C'est tout l'intérêt de la proposition de loi déposée par notre collègue Aymeri de Montesquiou, qui me paraît tout à fait complémentaire de la mienne, puisqu'elle s'attaque à l'autre grande cause de nos retards.
Mais je ne vais pas aborder plus en détail cette seconde proposition de loi, puisque son auteur est là pour l'expliquer et la défendre. Je veux seulement souligner un point.
Dans le dispositif qu'elle nous propose, la commission des lois applique également aux conventions internationales le mécanisme prévu pour faciliter l'inscription des lois de transposition à l'ordre du jour. Je crois que c'est une idée judicieuse. Je viens d'une région frontalière de la Suisse, et chaque fois que je rencontre des représentants de ce pays, ils me demandent pourquoi la France n'a toujours pas ratifié les accords bilatéraux entre l'Union et la Suisse qui ont été signés voilà près de deux ans ; il m'est alors bien difficile de donner une réponse !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Haenel ?
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de M. le président de la délégation.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur Haenel, le projet de loi autorisant la ratification de ces accords a été examiné par le conseil des ministres hier. Il sera présenté au Parlement et adopté d'ici à la fin de cette année.
M. Lucien Lanier, rapporteur. De la vertu de l'incitation ! (Sourires.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Cela confirme, monsieur le ministre, que le Parlement, y compris le Sénat, peut avoir une fonction de veilleur et d'aiguillon !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Bien sûr !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le président de la délégation.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Faut-il croire qu'une fois de plus nous avons découvert les difficultés seulement après la fin de la négociation ? Toujours est-il que nous donnons parfois le sentiment de négliger un pays voisin et ami ; mais la réflexion vaut pour ce pays-là comme pour un autre.
Je crois donc que le Sénat a pleinement raison d'entreprendre aujourd'hui de corriger les dysfonctionnements que nous constatons dans la transposition des textes européens.
Nos propositions, loin d'être dirigées contre le Gouvernement, sont formulées dans son intérêt bien compris - l'intérêt de ce gouvernement et de tout autre - puisque nous reprenons des orientations qu'il a lui-même retenues.
Surtout, elles sont dans l'intérêt de la construction européenne. Nous sommes dans une Communauté d'Etats membres, et, pour qu'une telle communauté reste soudée, il faut que chacun y respecte tous ses engagements. Nous ne pouvons, nous, Français, prétendre exercer une influence et, en même temps, nous dérober à nos obligations.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tel est le sens de nos propositions qui, je le répète, ne sont pas formulées pour ranimer la polémique de l'automne dernier mais, au contraire, n'ont d'autre ambition que de faire en sorte que de telles polémiques n'aient plus jamais lieu d'être. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l'ont souligné M. Lanier, rapporteur de la commission des lois, et M. Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, l'Europe est une construction juridique à la fois permanente et progressive.
Les directives qui sont élaborées au niveau des instances communautaires doivent trouver leur traduction dans notre droit positif.
De nombreuses lois transposent aujourd'hui les directives, parfois de manière incidente. Certaines ont eu cet objet exclusif ; d'autres ont transposé certaines directives techniques relevant d'un même domaine.
L'ensemble de notre législation, il faut le constater, est désormais irrigué par le droit communautaire. Pourtant, pour reprendre l'expression de M. Lanier, le « stock » de directives non transposées s'accroît. C'est une situation irritante, j'en conviens, et, au regard de la construction européenne, cela ne place pas la France, pays fondateur, dans les meilleures conditions.
Ce phénomène est dû tant à la production normative de l'Union européenne, qui demeure importante, qu'à des mécanismes nationaux de transposition qui s'inscrivent dans le droit commun de la procédure parlementaire et qui contribuent, de ce fait, à surcharger un calendrier parlementaire déjà très fourni.
La directive est une norme juridique d'un caractère spécial dans ses effets juridiques, puisqu'elle s'adresse aux Etats : elle n'a d'effet, en théorie, qu'à leur égard. La jurisprudence communautaire a cependant admis, dès 1974, leur effet direct pour pallier la carence ou la lenteur de la transposition par certains Etats. Toutefois, le Conseil d'Etat ne partage pas cette conception et refuse leur effet direct à l'égard des actes individuels. La jurisprudence administrative s'est cependant attachée à offrir aux citoyens des recours pour obtenir l'application du droit communautaire.
Mais la principale spécificité de la directive réside dans son mode d'élaboration. En effet, c'est l'exécutif qui la négocie. L'administration est appelée à intervenir dans le champ de l'article 34 de la Constitution et à s'octroyer, à Bruxelles, les pouvoirs du législateur. Elle le fait, bien sûr, sous le regard vigilant du Parlement et, depuis la révision constitutionnelle de 1992 renforcée en 1999, les assemblées peuvent, en votant des résolutions, orienter les négociations communautaires sur les propositions de directive. Celles-ci sont ensuite soumises au Parlement pour ratification.
Toutefois, la marge de manoeuvre du législateur dépend étroitement du degré de précision des directives. Deux tiers d'entre elles, il faut le souligner, appellent des mesures de transposition de caractère réglementaire.
Ainsi, quand l'Union européenne stigmatise le retard de la France à transposer des directives, il faut rappeler, et j'en conviens, que ce retard incombe d'abord à l'administration. En 2000, le retard pris dans la transposition des directives de nature législative était important, ancien et urgent à résoudre compte tenu des actions contentieuses engagées par la France, qui présidait, à cette époque, l'Union européenne. C'est pourquoi, pour « solder » ce retard, le Gouvernement avait présenté un projet de loi l'habilitant à transposer par ordonnances des directives.
Je l'ai rappelé au moment du débat, il s'agissait d'apurer le stock dont l'accroissement relevait de la responsabilité de gouvernements successifs - des directives de plus de vingt ans n'avaient toujours pas été ratifiées - et d'améliorer ainsi la position de la France. Sur ce plan, nous n'avons pas encore rejoint le peloton de tête des Etats membres.
Par ailleurs, la procédure des ordonnances doit rester d'utilisation exceptionnelle. Certes, de grands pays européens, tels que l'Italie, la Grande-Bretagne ou l'Allemagne, y ont recours ; mais cette procédure, comme l'a rappelé M. Lanier, n'est pas la meilleure pour associer le Parlement à l'examen au fond de dispositions européennes importantes.
Comment donc rénover nos mécanismes administratifs et parlementaires pour réguler et fluidifier la transposition des directives ?
Une réflexion commune a été lancée le 15 mai dernier, avec la création d'un groupe de travail qui associe le Gouvernement et les deux assemblées. Ce groupe de travail s'est réuni le 30 mai pour envisager une amélioration des procédures existantes. Je perçois donc de façon très positive la volonté de coopération qui a été exprimée tant par M. Lanier que par M. Haenel et qui situe le débat non sur le terrain de la polémique politicienne mais sur celui de l'amélioration de nos procédures.
Venons-en maintenant aux deux textes qui nous sont présentés.
Le premier d'entre eux est une proposition de loi constitutionnelle, c'est-à-dire qu'elle doit être adoptée dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et par le Sénat et doit, ultérieurement, dans le cadre de la procédure de l'article 89, être approuvée par référendum.
De ce point de vue, la démarche choisie ici peut paraître disproportionnée par rapport à un sujet, certes, pertinent, mais qui nécessite sans doute une étude plus approfondie pour déterminer des solutions institutionnelles.
Il faut d'ailleurs constater, dans les propositions institutionnelles qui ont été formulées, un certain tâtonnement.
M. de Montesquiou, à l'origine, souhaitait insérer, dans la Constitution un article 88-5 imposant l'inscription à l'ordre du jour des assemblées des projets de loi de transposition ou, en cas de carence du Gouvernement, de propositions de loi qui s'y substitueraient.
Le texte qui a été adopté par la commission vise, quant à lui, à compléter l'article 48 de la Constitution, pour réserver une séance mensuelle à la transposition des directives communautaires ainsi qu'à l'autorisation de ratification de conventions internationales. Mais, dans son rapport, M. Lanier indique que les difficultés de transposition s'expliquent peut-être moins par la charge de travail du Parlement que par des dysfonctionnements d'ordre administratif. Pour partager ce point de vue, je me demande justement pourquoi, dans ces conditions, c'est l'organisation du travail parlementaire qu'il faudrait modifier.
Certes, comme M. Haenel a eu l'objectivité de le constater en citant des exemples - la transposition de la directive sur le droit de vote et l'éligibilité des citoyens de l'Union européenne ou des directives concernant le marché du gaz et de l'électricité - certaines directives posent des problèmes politiques au gouvernement ou aux majorités en place.
Pour autant, en dehors de ces aspects politiques contraignants, la procédure proposée ne permettrait pas d'atteindre l'objectif affiché.
En effet, si les projets de loi transposant les directives sont prêts la responsabilité de leur inscription à l'ordre du jour doit continuer à relever uniquement du Gouvernement, tant pour des raisons de gestion de calendrier parlementaire que pour des questions d'opportunité politique. Cela étant, le Gouvernement est rarement insensible aux menaces et aux perspectives de contentieux devant la Cour de justice des Communautés européennes, et les autorités communautaires connaissent suffisamment la mécanique parlementaire pour laisser aux parlements des Etats le temps de transposer.
Toujours est-il que le Gouvernement doit conserver une faculté d'arbitrage.
Si, au contraire, les projets de loi ne sont pas prêts à l'issue du délai de transposition, alors, vous prévoyez que des propositions de loi peuvent être inscrites à l'ordre du jour et y pourvoir.
Cependant, cette transformation de projet de loi en proposition de loi ne nous assure pas la transposition correcte de directives qui posent des problèmes juridiques importants.
Au départ, il y a évidemment l'intervention de l'administration, en particulier du secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération européenne, le SGCI, et du secrétariat général du Gouvernement, mais il y a aussi la consultation du Conseil d'Etat, qui est souvent une étape essentielle, et une proposition de loi partant d'une bonne intention pourrait s'écarter des exigences d'une transposition correcte. Nous avons, dans ce domaine, connu quelques expériences difficiles : les rapports tant de la délégation que de la commission citent, notamment, la directive Natura 2000 et la proposition de loi sénatoriale adoptée en 1998 : si le Gouvernement n'a pas inscrit cette proposition de loi sénatoriale à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, c'est bien parce qu'elle ne respectait pas les prescriptions de la directive.
En outre, une proposition de loi pourrait très bien, dans son état initial, respecter une directive et, suivant les débats parlementaires, être amendée de telle sorte qu'elle ne la transposerait plus, voire la prendrait à contre-pied : le débat sur la chasse a animé la soirée d'hier ; nous avons là un sujet particulièrement sensible !
Un nombre important de directives ont un caractère très technique, et il est souvent difficile de faire la distinction entre les mesures qui, au sein d'un même article, relèvent du domaine réglementaire ou du domaine législatif. C'est déjà un travail très ardu pour l'administration ; il le serait davantage pour le Parlement, et je ne suis pas sûr que les auteurs de ces propositions de loi aient eu ainsi l'ambition de partager la responsabilité de déterminer ce qui ressortit au domaine réglementaire ou au domaine législatif.
C'est pourquoi le Gouvernement n'est pas favorable à cette proposition de loi. Mesdames, messieurs les sénateurs, d'autres pistes peuvent être explorées.
La première réside dans la simplification de la procédure parlementaire, déjà effective dans plusieurs pays. La proposition est peut-être valable aussi pour des projets de loi ordinaires. Une réflexion d'ensemble me paraît nécessaire aujourd'hui sur la place respective de l'examen en commission et de la séance publique comme sur la pertinence de l'article 42 de la Constitution, pour ce qui est du nombre, du rôle et de l'organisation de commissions permanentes.
Il y a quelques jours, à l'Assemblée nationale, lors de la conférence des présidents, le problème de l'organisation des commissions a été posé : faut-il ou non créer une commission distincte qui serait chargée des questions européennes ? Le débat mérite d'être prolongé.
Quoi qu'il en soit, je pense qu'il est indispensable que cette question des commissions, voire du pouvoir législatif ou d'évocation législative des commissions soit posée dans les prochaines années.
On le voit bien ici, le travail législatif est souvent précipité, alourdi, et les commissions pourraient, sur des textes de caractère technique, remplir tout à fait leur rôle sans nuire au débat parlementaire.
La seconde piste, à plus long terme naturellement, réside dans la limitation des flux de production de normes communautaires et la mise en oeuvre effective du contrôle de subsidiarité.
Certains membres de la Haute Assemblée ont proposé de confier cette démarche à un Sénat européen. Par ailleurs, vous le savez, le Premier ministre s'est récemment prononcé en faveur de la création d'un organe commun, d'une conférence permanente des Parlements, qui serait une instance de concertation entre le Parlement européen et les Parlements nationaux. Cette piste aussi pourrait être explorée.
La seconde proposition de loi, dont M. Haenel est le premier signataire, vise à modifier l'article 6 bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958. Elle prévoit la transmission aux délégations d'une étude d'impact juridique et d'un échéancier d'adoption des textes législatifs.
Je crains que cette proposition ne réponde pas aux préoccupations légitimes qui ont été exprimées. En effet, je constate, avec regret, comme M. le rapporteur, que l'ambition des auteurs de la circulaire de 1998 sur ce point précis était hors d'atteinte puisque la plupart de nos administrations n'ont pas appliqué ou n'ont pas pu appliquer cette disposition. En effet, elle supposerait, pour pouvoir être appliquée réellement, que le texte de la proposition de directive à partir duquel est élaborée l'étude d'impact, avec la liste des textes de droit interne dont la modification deviendrait nécessaire, puisse être considéré d'emblée comme étant un texte définitif. Or, dans la réalité du processus de décision communautaire, il n'en est rien.
Comme la proposition de directive est soumise à d'incessantes évolutions négociées entre les Etats membres - aujourd'hui déjà au nombre de quinze, peut-être vingt-huit, ou trente, dans quelques années - l'étude d'impact risque d'être obsolète rapidement.
De surcroît, vous le savez, lorsqu'une administration se mobilise pour négocier l'élaboration d'une directive, elle se concentre principalement sur la substance de ce texte et s'efforce d'orienter la négociation dans le sens le plus favorable à nos intérêts ; elle ne se consacre pas nécessairement à l'établissement de la liste des textes internes susceptibles d'être modifiés.
En réalité, la liste que souhaite M. Haenel ne peut être réalisée utilement qu'après l'adoption de la directive par les instances communautaires.
La circulaire de 1998 était peut-être trop ambitieuse ; mais faut-il la reprendre au niveau législatif ? Je ne le crois pas. Il nous faut donc poursuivre nos discussions en vue d'améliorer le processus de transposition qui doit permettre d'associer pleinement le Parlement à cette démarche.
Monsieur Haenel, vous avez cité les propos tenus par M. Moscovici, lors du débat à l'Assemblée nationale du 5 juin dernier, en réponse aux interrogations de M. Barrau, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne. M. Moscovici a alors souligné que, désormais, le Gouvernement transmet aux délégations des deux assemblées, dès leur adoption, les directives nécessitant une transposition et qu'il mentionne le délai de transposition de façon que les assemblées soient pleinement informées. Cette pratique permettra aux délégations d'adresser des observations éventuelles sur les difficultés que cette transposition peut soulever.
Un document récapitulant l'état des procédures de transposition sera par ailleurs régulièrement adressé aux délégations.
Enfin, une réunion annuelle de suivi des transpositions sera organisée sous l'égide du cabinet du Premier ministre.
Le mérite de ces propositions est d'avoir exploré différents champs. De même que l'attitude vigilante des deux délégations, présidées par M. Haenel au Sénat et par M. Barrau à l'Assemblée nationale, a permis de faire avancer ce sujet, sachez que, en tant que ministre des relations avec le Parlement, je souhaite que nous enregistrions, au cours des prochains mois, des avancées sur ce terrain.
Il n'est jamais très plaisant de présenter un « stock » d'ordonnances - je reprends l'expression de M. le rapporteur - dont beaucoup présentent des problèmes, en ayant le sentiment de déposséder le Parlement d'une partie de son pouvoir délibératif.
Je crois que le groupe de travail qui a été constitué et qui associe les deux délégations pour l'Union européenne saura trouver des solutions concrètes pouvant éventuellement déboucher sur une modification de la circulaire de 1998.
Il n'est pas non plus interdit, monsieur le président, d'explorer la voie des modifications constitutionnelles qui pourraient s'avérer nécessaires. Là, le débat revêt évidemment une autre nature à la veille des échéances importantes de 2002. Mais, au fur et à mesure que progresse l'intégration européenne, il est bien évident que nous devons nous situer dans une perspective nouvelle de travail parlementaire, et aussi d'action de l'exécutif.
Selon moi, il faut lever les obstacles d'ordre administratif et faire évoluer nos procédures parlementaires. Cette démarche s'impose pour que la France participe pleinement à la construction européenne. Ce débat s'inscrit dans ce cadre, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs. Il peut être utile s'il fait progresser notre réflexion et les propositions que nous pourrons soumettre dans les prochains mois sur l'amélioration de nos procédures.
J'ai dit, dans mon propos liminaire, que nous abordions un sujet irritant parce que les parlementaires ressentent le sentiment légitime d'être dépossédés de leur pouvoir et parce que notre pays ne se situe pas au meilleur rang pour la construction européenne dans ce domaine. Je souhaite, moi aussi, que des améliorations soient apportées à cette question de la transposition des directives. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà huit mois, le Gouvernement demandait au Parlement de l'habiliter à prendre des ordonnances afin de transposer une cinquantaine de directives communautaires. Il s'était alors engagé à prendre des mesures pour ne plus avoir à recourir à cette procédure exceptionnelle.
Aujourd'hui, convenez-en, monsieur le ministre, les promesses n'ont pas été tenues : le Gouvernement n'a toujours pas proposé de mécanisme améliorant les délais de transposition.
C'est, hélas ! un mauvais service rendu à l'Europe. Nous faisons ainsi encore plus baisser l'enthousiasme, s'il existe toujours chez nos concitoyens. Alors que les directives ont été approuvées par notre pays, il constatent que nous préférons, si celles-ci ne sont pas politiquement porteuses, retarder leur transposition. Nous préférons toujours l'intérêt politique immédiat à une intégration affirmée et démontrée dans l'élaboration du futur européen.
Le résultat du référendum irlandais sur la ratification du traité de Nice a surpris, mais ce résultat ne mérite ni l'enthousiasme des souverainistes ni la consternation des pro-européens. Ils ne peuvent en tirer de conclusions favorables à leurs positions.
Pour les autres Etats membres, il représente un signal qui ne saurait être ignoré et passé en pertes et profits, comme semble le faire le commissaire européen à l'élargissement.
En substance, on peut faire l'hypothèse que le « non » irlandais dénonce les insuffisances d'un peuple qui, s'il a conscience d'avoir été un grand bénéficiaire de l'Europe, craint sans doute pour sa neutralité et considère que le poids relatif des petits pays a diminué.
La France doit considérer le résultat irlandais avec une attention particulière, car il reflète aussi le refus de l'élargissement alors même que l'Europe des Quinze ne fonctionne pas de manière satisfaisante.
Les imperfections dans l'application des règles du marché intérieur sont nombreuses, en particulier, - et cela est essentiel dans le débat d'aujourd'hui - en raison des distorsions engendrées par la non-transposition des directives.
Je fais ici référence à la désinvolture de tous les gouvernements français - et je dis bien « de tous » - devant l'application du droit communautaire.
De fait, je le répète, on préfère toujours ménager l'esprit national, peut-être dans un souci électoraliste, en retardant la transposition du droit communautaire en droit français. Pourtant, une des spécificités de cette construction acceptée par la France, et ce dès sa naissance, est l'édiction de règles ayant une valeur supérieure au droit interne.
Les gouvernements successifs ont montré dans le domaine européen, de manière particulièrement préoccupante, les symptômes d'une schizophrénie aiguë : ses représentants sont pro-européens à Bruxelles et ils y défendent les intérêts du pays, mais ils rentrent à Paris en ayant oublié les directives qu'ils ont pourtant âprement négociées et finalement signées.
J'aborde en termes peut-être trop légers une situation grave, mais la dérision aide parfois à prendre conscience.
Le constat est affligeant pour notre pays qui se veut encore moteur dans la construction européenne et se retrouve avant-dernier avant la Grèce chacun l'a répété, pour son application du droit communautaire !
Je n'insisterai pas sur le constat en matière de retard de transposition qui a été dressé avec regret par M. le rapporteur. Je rappellerai seulement que la France est aussi montrée du doigt en raison du nombre de procédures dont elle fait l'objet devant la justice européenne pour infractions aux règles du marché intérieur : notre pays est cité dans 254 procédures !
Quels remèdes proposer pour lutter contre cette maladie chronique ?
La création de projets de loi portant diverses dispositions d'ordre communautaire est sans doute utile, mais, apparemment, elle est insuffisante. Ces projets de loi et la transposition par ordonnances ne permettent qu'une rémission passagère, sans conduire à la guérison de cette maladie endémique. Il faut donc un remède simple et efficace pour venir à bout de ce mal qui a frappé tous nos gouvernements.
Je suis donc heureux que le Sénat ait choisi d'inscire à son ordre du jour réservé, et dans des délais particulièrement courts, deux textes visant à améliorer la transposition du droit communautaire en droit français.
Le Gouvernement a aujourd'hui l'occasion d'affirmer sa volonté d'améliorer le dispositif et d'entendre le Parlement.
Je voudrais maintenant insister sur la grande complémentarité décrite par M. le rapporteur entre les deux textes.
La proposition de loi constitutionnelle de M. Hubert Haenel vise à permettre au Parlement de mieux contrôler la transposition, par la transmission d'une étude d'impact juridique sur tout projet ou proposition d'acte communautaire ayant une incidence sur des dispositions législatives françaises. La transmission d'un échéancier d'adoption des textes législatifs permet la transposition des directives ; elle accroît également les compétences du Parlement. Cette information permet une prise de conscience, et donc une réaction. Ainsi, le Parlement peut suivre au plus près l'évolution des éléments techniques de transposition.
Des questions demeurent néanmoins : qu'adviendra-t-il notamment si le Gouvernement ne tient pas ses engagements, non par mauvaise volonté, mais par embarras politique ? Si les échéances ne sont pas tenues, le Parlement ne pourra que regretter cet état de fait !
Certes, l'article 49, alinéa 2, de la Constitution, qui prévoit le vote d'une motion de censure, peut être utilisé par l'Assemblée nationale, mais l'on sait que cette arme n'est guère envisageable en pratique. Quant au Sénat, il est démuni en la matière.
De plus, il faut rappeler - et vous l'avez fait, monsieur le ministre - que le dispositif préconisé ne répond qu'aux directives de nature législative. Le retard de transposition des mesures réglementaires demeurera. Elles représentent les deux tiers des textes en souffrance.
Je rappellerai à mon tour, après MM. Lanier et Haenel, la circulaire du Premier ministre en date du 9 novembre 1998, relative à la procédure de suivi de la transposition des directives communautaires en droit interne. Elle n'a toujours pas été exécutée avec la diligence requise. Elle précise pourtant que chaque ministère assume, dans son domaine propre, la responsabilité de la transposition du droit communautaire en droit interne, cette responsabilité devant s'exercer en amont de l'adoption des directives par le Conseil.
Il est essentiel, en effet, de prendre en considération, dès le stade de l'élaboration et de la négociation des projets de directive, leurs effets sur le droit interne.
Je vous demande, monsieur le ministre, de nous informer des procédés que vous envisagez de mettre en place afin d'imposer une réorganisation administrative. Vous l'avez suggéré, mais je pense que vous pouvez être plus convaincant en la matière.
Par ailleurs, j'ai souhaité déposer une proposition de loi constitutionnelle à l'issue de la discussion du projet de loi qui habilitait le Gouvernement à transposer une cinquantaine de directives par ordonnances. Dans sa version initiale comme dans sa nouvelle version, elle permet de raccourcir les délais de transposition, ce qui est notre objectif à tous, monsieur le ministre.
Dans sa version initiale, ce texte encadre la transposition grâce à un calendrier contraignant. Puisque les directives mentionnent une date butoir de transposition, il était efficace de prévoir un dispositif inscrivant à l'ordre du jour un projet de loi six mois avant la date butoir. Cette systématisation aurait rendu impossible un retard de transposition de vingt ans tel qu'on a pu le constater en octobre dernier ! Ce dispositif prévoyait, de plus, une action du Parlement en cas de carence de l'exécutif.
J'accepte, certes, la remarque de fait concernant l'atteinte à la maîtrise de l'ordre du jour. En revanche, si le dispositif proposé n'entraîne effectivement que l'inscription à l'ordre du jour d'une assemblée, il appartient seulement au Gouvernement de poursuivre l'examen du texte devant la seconde assemblée. C'est d'ailleurs déjà le cas de toutes les propositions de loi adoptées par le biais de la fenêtre parlementaire.
Selon la commission des lois, le dispositif initial poserait des difficultés pour les directives techniques. Or la possibilité de transposer par voie de proposition de loi ne pose pas de difficulté particulière. Permettez-moi de vous rappeler que les directives sont en effet de plus en plus précises, certaines transpositions étant purement formelles, comme l'ont rappelé les décisions de la Cour de justice.
Qui plus est, la proposition de loi constitutionnelle initiale portait seulement sur l'inscription à l'ordre du jour du texte concernant la transposition des directives. Il appartenait aux services des assemblées de s'adapter à cette nouvelle mission, et à l'administration d'agir. C'est elle qui, alors, se mettrait en position d'être amenée à cette transposition.
Le nouveau dispositif vise à compléter l'article 48 de la Constitution en précisant qu'une séance mensuelle est réservée à la transposition des directives et à la ratification des conventions internationales.
Le texte proposé par la commission des lois ne paraît pas être plus incitatif, mais il est plus acceptable par le Gouvernement, et je regrette que vous ne sembliez pas disposé à l'accepter, monsieur le ministre. Dans l'intérêt de notre engagement européen, il est essentiel que nous trouvions un compromis.
D'une part, il place le Gouvernement face à ses responsabilités : on voit mal une séance mensuelle, sans inscription de textes. Monsieur le ministre, il vous est facile de prendre aujourd'hui l'engagement que cette séance mensuelle ne restera pas une possibilité non utilisée.
D'autre part, d'un point de vue politique, ce nouveau dispositif s'inscrit dans la dynamique parlementaire que vous souhaitez, monsieur le ministre. En effet, il ne m'a pas échappé que, dans ses projets de réforme institutionnelle formulés tout récemment, le parti socialiste souhaite revaloriser le Parlement, notamment en lui accordant deux à trois séances mensuelles pour son ordre du jour réservé.
Une séance mensuelle réservée à la transposition des directives semble donc pouvoir parfaitement s'intégrer dans ce projet et vous satisfaire.
La proposition de loi constitutionnelle pourra, certes, être ratifiée par référendum, ce qui est une procédure très lourde pour un texte qui apparaît très éloigné des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens. Le dépôt d'un projet de loi reprenant le dispositif suivi de la réunion du Parlement en Congrès semble plus pragmatique. L'inscription de ces textes à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale dans de brefs délais serait un geste que l'Européen que vous êtes ne manquera pas de faire ; en tout cas, nous l'espérons tous. Cela contribuerait à redonner à la France son rôle de puissance européenne pilote.
Monsieur le ministre, je regrette qu'après votre analyse critique, certes argumentée, vous ne proposiez pas de solution à une situation que nous jugeons tous mauvaise.
Au nom du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, Européen engagé et pragmatique, j'aurais souhaité que soient votés ces deux textes et que, convaincu de leur utilité, vous ayez la volonté de les transformer en projets de loi. J'aurais également souhaité, comme nombre de mes collègues, que, pour mettre fin à une situation qui devient consternante, vous nous proposiez une voie plus tonique que celle de la création d'un groupe de travail. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe de l'Union centriste votera les excellentes propositions présentées par notre collègue Lucien Lanier au nom de la commission des lois. Nous partageons en effet l'analyse de la situation et nous approuvons les remèdes présentés et adoptés par la commission des lois sur le fondement des deux propositions de lois relatives, l'une, au contrôle du Parlement et, de l'autre, aux délais de transposition des directives.
En cela, la discussion d'aujourd'hui se situe dans la parfaite continuité du débat approfondi que nous avons eu en octobre 2000 à l'occasion de la dicussion du projet de loi habilitant le Gouvernement à transposer les directives européennes par ordonnances.
Nous partageons l'analyse de la situation car, à l'époque, la France se situait incontestablement parmi les pays connaissant le plus grand retard - je suis d'accord avec les propos de notre collègue Aymeri de Montesquiou, -, retard dû à l'action, ou à l'inaction, des gouvernements successifs au-delà de toutes les alternances. Le Sénat avait accepté d'apporter sa contribution à la résorption de ce retard.
Le recours aux ordonnances pour la transposition d'environ cinquante directives - dont certaines, comme l'élaboration ou la révision du code de la mutualité, la directive Natura 2000 ou la réforme du financement des autoroutes, sont essentielles - constitue, pour le Parlement, un grand sacrifice, puisque cela revient pour lui à renoncer à un débat de fond sur des problèmes aussi fondamentaux.
Le Sénat avait accepté d'apporter sa contribution, car il avait reçu l'assurance de M. Moscovici, ministre chargé des affaires européennes, lors d'une audition de la commission des lois, que le recours à un projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire n'était qu'une première réponse pour améliorer la situation actuelle, mais qu'une réflexion serait menée en commun par le Parlement et le Gouvernement.
Nous constatons aujourd'hui qu'aucun calendrier précis n'a été établi et qu'aucun contact n'a même été pris avec le Parlement sur ce sujet. Il en résulte que la France se situe, avec la Grèce, en queue de peloton des pays chargés de transposer les directives européennes.
Les quatre inconvénients majeurs de cette situation ont été rappelés tant par M. le rapporteur que par les auteurs des deux propositions de loi et les différents intervenants.
Le premier est évidemment une insécurité juridique dans les domaines fondamentaux concernés par les directives. Cela n'est pas satisfaisant.
Le deuxième est le nombre important de procédures contentieuses et les risques de condamnation à des astreintes.
Le troisième est, il faut le reconnaître, l'image altérée de la France dans le concert européen. Notre pays, qui prétend être, et qui doit être, le moteur de la construction européenne, se révèle être plutôt un mauvais élève.
Enfin, quatrième et dernier inconvénient, nous avons eu au mois d'octobre dernier, et nous avons encore aujourd'hui, le sentiment que l'on cherche à réduire les droits du Parlement, car le fait de ne pas avoir de débat approfondi sur des domaines fondamentaux provoque inévitablement un sentiment de frustration. Alors qu'un grand débat sur l'idée européenne est engagé dans le pays, comment peut-on justifier que le Parlement, dans sa légitimité, soit privé d'une participation effective, active et dynamique au processus de construction et de consultation de notre pays ?
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. Pierre Fauchon. Bravo !
M. Daniel Hoeffel. J'en viens aux remèdes.
Dans son rapport, notre collègue M. Lanier analyse, en proposant des remèdes, les causes de la situation actuelle qui, nous l'avons entendu, seraient de deux ordres.
La lourdeur invoquée de la procédure parlementaire apparaît plus comme un prétexte que comme une raison de fond.
M. Aymeri de Montesquiou. Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel. Il faut que les choses soient sans équivoque à ce propos.
Quant aux dysfonctionnements administratifs et au « manque de courage politique » face à une réalité en certaines circonstances, évoqué dans le rapport de M. Lanier, je vous rassure, monsieur le ministre, je n'accable pas que le gouvernement actuel. Je fais en effet aussi mon mea culpa pour la petite part qui m'incombait dans les retards qui ont pu être provoqués dans le passé.
Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse sur les dysfonctionnements administratifs et les retards qui en découlent.
Ces dysfonctionnements n'affectent pas que la transposition des directives européennes, monsieur le ministre. Ils affectent aussi, en raison des retards que nous accumulons en ce domaine, la ratification d'un certain nombre de conventions internationales. Je ne citerai qu'un exemple : le projet de loi de ratification de la convention Unidroit. Cette convention, qui sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, doit mettre fin au pillage des oeuvres d'art sur le continent européen a été signée par la France en 1995. Année après année, par le biais de questions orales, je rappelle la nécessité de sa ratification au Gouvernement et, année après année, les ministres de la culture répondent que cette ratification est imminente ! Je sais que les éléments de ratification ont été déposés sur le bureau de l'Assemblée nationale en janvier dernier.
Six ans après la signature de la convention, le problème n'a pas évolué, et le pillage des oeuvres d'art à travers l'Europe peut donc continuer dans un climat d'impunité que nous n'avons pas le droit d'encourager.
Je ferme cette parenthèse, mais j'estime que, dans ce contexte, il était bon, opportun et judicieux que nos collègues déposent leurs propositions de loi. Il faut en effet absolument résorber le stock des 176 directives. Telle est la volonté qui s'exprime à travers les deux propositions de loi qui sont proposées.
Monsieur le rapporteur, pour notre part, nous approuvons la proposition de loi constitutionnelle visant à permettre de respecter les délais de transposition des directives. Nous approuvons le fait qu'une séance par mois soit réservée à la transposition de directives et à l'autorisation de ratification de conventions internationales. J'estime que, dans l'ordre de priorité des travaux parlementaires, ces directives et ces conventions doivent occuper une place de choix.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Nous approuvons aussi la proposition qui prévoit d'accorder un délai de deux mois au Gouvernement pour transmettre l'étude d'impact aux délégations pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cela devrait permettre au Parlement d'assurer un meilleur contrôle, car, pour l'instant, il n'est pas assez associé au contrôle de la transposition des directives, tout comme il n'est pas associé à la préparation de l'élaboration de ces directives au niveau européen. Je profite de l'occasion pour le rappeler.
Si nous voulons améliorer la perception de l'Europe par les Français, il faut commencer par promouvoir une meilleure implication des assemblées parlementaires dans la préparation des directives ainsi que dans le contrôle de leur application.
Mes chers collègues, la France se doit de donner l'exemple. Il y va de son influence. Il y va de son crédit. Il y va de son engagement concret dans le processus de construction européenne. Et, dans ce processus, le Parlement doit tenir tout son rôle en matière de transposition. Le peuple doit être associé, à travers le Parlement, à la construction européenne. Si l'on veut qu'il approuve l'idée européenne, il faut qu'il ait le sentiment d'y être impliqué à travers ses représentants légitimement élus.
Enfin, monsieur le ministre, le Gouvernement doit faire preuve de volontarisme pour remédier à ces dysfonctionnements. Au demeurant, les propos que vous avez tenus tout à l'heure montrent votre prise de conscience de la situation actuelle. Nous vous faisons donc confiance pour qu'après les débats qui doivent avoir lieu en juin et en octobre 2001 le volontarisme succède à la léthargie ! ( Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du débat sur le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer, par voie d'ordonnances, des directives communautaires qui a eu lieu au Sénat le 25 octobre dernier, nous étions tous d'accord, parlementaires et Gouvernement, sur la nécessité d'engager une réflexion sur l'amélioration de la procédure de transposition des directives.
Nous devons en effet éviter, d'une part, de nous retrouver devant une accumulation de directives en retard de transposition, d'autre part, comme je l'avais souligné alors, de devoir une nouvelle fois avoir recours à une telle procédure de transposition par ordonnances, laquelle doit n'être qu'exceptionnelle et ne pas devenir le moyen habituel d'éviter de nouvelles condamnations pour non-transposition de directives communautaires. Le Gouvernement lui-même l'a reconnu.
Je voudrais une nouvelle fois rappeler que la responsabilité de la situation dans laquelle nous nous sommes trouvés incombe à tous les gouvernements qui se sont succédé depuis le début des années quatre-vingt et donc, entre autres, aux gouvernements dirigés par MM. Chirac, Balladur et Juppé.
Parce que la manière dont l'Union européenne travaille et les domaines dans lesquels elle légifère sont en constante évolution, il apparaît indispensable aujourd'hui que, nous aussi, nous changions notre manière d'appréhender et de traiter la transposition de la législation communautaire.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. Simon Sutour. A cet égard, il nous faut travailler à l'amélioration du suivi législatif, à la fois au niveau européen et au niveau national, et renforcer le rôle de veille de la délégation pour l'Union européenne.
La proposition de loi de M. Haenel a le mérite d'insister sur la qualité de l'information des parlementaires. En effet, plus l'information du Parlement sur un domaine qui va donner lieu, via un projet de directive, à une intervention dans le champ de compétences du législateur est précoce, plus celui-ci a de chances d'exercer, sur le processus d'élaboration puis de transposition de la norme communautaire, l'influence correspondant à sa mission constitutionnelle.
Ainsi, le groupe socialiste est favorable à la proposition de loi visant à demander au Gouvernement de mieux informer le Parlement sur l'élaboration des directives communautaires...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. Simon Sutour. ... et sur leur application, à travers la communication d'études d'impact juridique. Cette exigence aurait pu être satisfaite par une simple demande officielle d'application de la circulaire du Premier ministre et par un engagement du Gouvernement à mieux la respecter.
Je pense aussi qu'il faudrait réfléchir à ce que nous pouvons faire, en tant que parlementaires, pour améliorer le suivi, en amont et en aval, des transpositions des directives communautaires.
L'intérêt majeur - je n'irai pas jusqu'à dire le seul intérêt - du débat que nous avons aujourd'hui est de poser le problème.
En effet, je ne pense pas que nous ayons adopté la bonne méthode pour le traiter. J'ai le sentiment que tout le travail réalisé autour de la proposition de loi constitutionnelle de M. de Montesquiou a été accompli dans une certaine précipitation, comme si le texte ne pouvait pas aboutir. Nous savons en effet que l'adoption de la modification constitutionnelle exigerait le recours à un référendum.
Le rapporteur de la commission des lois, M. Lanier, a suggéré de modifier radicalement le dispositif proposé par M. de Montesquiou qui consistait à ajouter un article 88-5 à la Constitution, pour finalement choisir de compléter l'article 48 de la Constitution afin de prévoir qu'une séance mensuelle serait réservée à la transposition des directives communautaires et à l'autorisation de ratification ou d'approbation des conventions internationales. Mais une proposition de loi constitutionnelle est une affaire sérieuse, dont on ne traite pas tous les jours. Je m'étonne donc - et je l'ai souligné en commission - que l'on puisse ainsi jongler avec les articles de la Constitution.
Pour moi, je le répète il n'est vraiment pas sérieux de vouloir faire subir ainsi à l'objet de cette proposition constitutionnelle un tour de passe-passe en la mettant au service de ce qui apparaît alors, et je le regrette, comme de la politique politicienne !
A mon sens, nous ne nous situons pas non plus au bon niveau de réflexion et de proposition. Cette question de la transposition des directives communautaires n'est ici abordée que par le petit bout de la lorgnette. Nous devons nous demander si nous posons effectivement les bonnes questions. Nous devons donc mener une réflexion d'ensemble sur la fonction même de transposition de la législation européenne.
Contrairement à ce que pensent certains, je ne crois pas que ce débat aurait pour conséquence de limiter le droit de regard et le pouvoir de contrôle du Parlement. Il serait au contraire l'occasion de tenter de revaloriser et de conforter la place du Parlement français dans l'édifice communautaire.
En effet, le véritable enjeu est celui de la place et du rôle du Parlement français dans la construction juridique européenne, dans la mise en oeuvre de la norme communautaire. Il se pourrait même que cette question concerne l'ensemble de l'édifice communautaire, en particulier le processus de l'élaboration du droit communautaire dans sa globalité, et que nous nous apercevions que l'amélioration de la procédure de transposition ne dépend pas du seul niveau national.
Nous ne pouvons faire l'économie d'une telle réflexion si nous voulons éviter que le Parlement ne devienne, à l'échelon européen, selon les termes employés par le ministre des relations avec le Parlement devant le Sénat les 25 octobre et 21 décembre derniers, qu'une simple « chambre de ratification ou d'enregistrement », à la merci d'un rythme qui n'est pas le sien.
Pour mener à bien une telle réforme, nous devons arrêter une méthode de travail.
Pour nous, l'importance de cette question et, surtout, l'efficacité - je me permets d'insister sur le mot « efficacité » - rendent indispensable une réflexion conjointe avec l'Assemblée nationale et le Gouvernement. Ce dernier, lors de l'examen de la loi d'habilitation, avait exprimé son accord pour une démarche de ce type. L'Assemblée nationale, de son côté, a, elle aussi, déposé ces derniers mois des propositions que la majorité sénatoriale ne peut ignorer. Le Sénat ne peut dialoguer seul avec le Gouvernement ; l'Assemblée nationale a également un rôle important à jouer.
Par conséquent, nous nous félicitons de l'engagement pris par le Gouvernement de créer un groupe de travail commun pour élaborer une proposition d'ensemble cohérente. Cela nous semble la méthode la plus appropriée. La délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale a, d'ores et déjà, donné son accord.
Nous ne pouvons que regretter la précipitation de la majorité sénatoriale dans cette affaire ; néanmoins, nous nous félicitons que le débat de fond soit enfin engagé et nous espérons que le Sénat, l'Assemblée nationale et le Gouvernement parviendront ensemble rapidement à définir des propositions efficaces et cohérentes sur ce sujet.
Le groupe socialiste se prononcera donc pour la proposition de loi de M. Haenel relative à l'amélioration du contrôle du parlement sur la transposition des directives communautaires, mais il ne votera pas la proposition de loi constitutionnelle portant sur l'instauration d'une séance mensuelle réservée supplémentaire, préférant que soit menée une réflexion plus sérieuse et plus approfondie sur cette question.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je n'ai pas voulu interrompre, voilà un instant, notre collègue M. Sutour, qui participe aux travaux de la commission des lois avec beaucoup d'assiduité et, parfois, beaucoup de pertinence. Mais je voulais lui faire part de mon étonnement à l'entendre utiliser l'expression « tour de passe-passe ». Je ne sache pas, à moins qu'il soit prestidigitateur - peut-être, l'est-il, après tout, je n'en sais rien ! - qu'il ait pu voir la commission des lois se livrer à quelque tour de passe-passe que ce soit. Ce qu'il qualifie ainsi, c'est simplement le travail d'une commission qui a exprimé le souhait de prendre en compte une proposition sérieuse et d'y apporter des amendements susceptibles de l'améliorer. Vous savez trop ce qu'est le travail d'une commission, mon cher collègue, pour ne pas comprendre le sens de mon intervention.
M. Simon Sutour. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Sutour.
M. Simon Sutour. L'expression « tour de passe-passe » était sans doute excessive.
Je voulais simplement indiquer qu'il existait un problème de fond : la proposition de loi de notre collègue M. de Montesquiou visait à ajouter un article à la Constitution ; mais le dispositif proposé par la commission est radicalement différent, puisqu'il vise à une modification de l'article 48.
Peut-être la réflexion n'était-elle pas totalement aboutie.
Quoi qu'il en soit, monsieur le président de la commission, je retire ma formule « tour de passe-passe ».
M. Aymeri de Montesquiou. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Lors de la rédaction de la proposition de loi constitutionnelle, je n'ai jamais eu de préoccupation politicienne. J'ai même pris le soin, de dire - et j'en suis effectivement convaincu - que tous les gouvernements successifs étaient responsables. Je n'ai cherché, et les cosignataires de cette proposition avec moi, qu'à améliorer une situation que tout le monde trouve très mauvaise, voire consternante.
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bordas.
M. James Bordas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les deux initiatives dont nous sommes aujourd'hui saisis m'apparaissent comme particulièrement opportunes et judicieuses. Elles permettent, en effet, de placer le Gouvernement devant ses responsabilités.
La France reste l'un des plus mauvais élèves de la classe européenne en matière de transposition des directives communautaires. Cette situation peu glorieuse est d'autant plus gênante que notre pays est rarement le dernier à donner des leçons aux autres en matière européenne.
Si la France veut être écoutée, elle doit d'abord être exemplaire.
La seule solution proposée par le Gouvernement pour résorber le retard en matière de transposition a consisté à demander au Parlement d'adopter un projet de loi l'habilitant à transposer par ordonnances plus de cinquante directives communautaires.
Lors de l'examen de ce projet de loi, le 25 octobre dernier, j'ai critiqué cette méthode qui permet au Gouvernement de légiférer à la place du Parlement et lui accorde une véritable « loi en blanc », certes encadrée, mais au contenu bien flou.
La méthode est d'autant plus critiquable que le Parlement n'est pour rien dans les retards accumulés depuis des années.
C'est pourquoi nous avons été nombreux, dans cet hémicycle, à souhaiter qu'une solution soit recherchée pour éviter le renouvellement de ce type de procédure, qui porte gravement atteinte aux droits des assemblées.
Il me paraît essentiel que le Parlement français puisse pleinement jouer son rôle dans le concert européen, et j'ai cru comprendre que vous partagiez cette idée, monsieur le ministre.
Au sein de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, j'ai souvent pu mesurer le pouvoir limité des parlements nationaux. Or la réduction du fossé qui se creuse entre les citoyens et la construction européenne passe indiscutablement par une meilleure association de la représentation nationale, et ce n'est évidemment pas en laissant le Gouvernement légiférer à notre place que nous y parviendrons ; ce n'est pas en laissant se développer une Europe gouvernementale et technocratique que nous pourrons construire une Europe politique et citoyenne.
Le Parlement doit donc exercer pleinement ses pouvoirs législatifs et de contrôle en matière européenne, même s'ils sont limités. Il doit, en particulier, utiliser toutes les marges de manoeuvre dont il dispose à l'occasion de la transposition des directives communautaires.
Les deux propositions de loi que nous examinons aujourd'hui vont dans le bon sens, car elles devraient nous permettre d'éviter l'accumulation de nombreux retards en la matière. Aussi, tout en appuyant les propos de mes deux excellents collègues de la délégation pour l'Union européenne, j'approuve pour ma part la proposition de la commission des lois tendant à réserver une séance par mois à la transposition des directives communautaires et à l'autorisation de ratification ou d'approbation des conventions internationales.
De la même manière, il paraît judicieux de renforcer l'information et le contrôle des délégations parlementaires pour l'Union européenne.
Le groupe des Républicains et Indépendants votera donc les conclusions de la commission des lois, en souhaitant que le message du Sénat soit clairement entendu par le Gouvernement et en attendant qu'une nouvelle réforme des institutions européennes donne aux parlements nationaux une place qui soit à la hauteur de leur légitimité démocratique. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, sur ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos sera bref, d'autant que j'aurai l'occasion d'intervenir à nouveau tout à l'heure pour défendre l'amendement que j'ai déposé avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen ; c'est d'ailleurs le seul amendement dont nous aurons à débattre ce matin.
Les propositions de loi dont nous sommes saisis sont importantes de par leurs thèmes mais, malheureusement, bien insuffisantes quant à leur contenu.
Les modalités de l'intervention du Parlement national dans la construction européenne constituent de toute évidence un sujet essentiel pour le devenir de la démocratie dans les pays de la Communauté. Ce sont, en effet, les capacités des pays, par l'intermédiaire de leurs représentants, à peser sur les choix des autorités européennes, en amont et en aval, qui sont en jeu lorsqu'on aborde la question de la transposition des directives dans les droits nationaux.
Pourquoi ce débat aujourd'hui ? Comme l'a indiqué le rapporteur, notre collègue Lucien Lanier, c'est la discussion, le 25 octobre dernier, du projet de loi tendant à habiliter le Gouvernement à transposer par voie d'ordonnances cinquante et une directives qui a mis en lumière la véritable mise à l'écart du Parlement dans la construction normative de l'Europe.
J'avais alors, avec mon amie Nicole Borvo, développé notre argumentation sur la pratique des ordonnances prévues par l'article 38 de la Constitution et sur le déficit démocratique de la construction européenne.
Concernant la pratique des ordonnances, je rappellerai seulement aujourd'hui notre opposition depuis 1958 à cette procédure qui prive le Parlement de son pouvoir législatif.
Cette utilisation de l'article 38 paraissait singulièrement abusive pour les directives visées. Pour mémoire, ces directives touchaient à des sujets aussi importants que le code de la nationalité, les droits sociaux et le travail de nuit des femmes, le développement des infrastructures autoroutières, l'avenir du service postal ou la libéralisation des télécommunications.
Nous avons souligné que ce projet de loi, devenu loi depuis lors, mettait en relief le dessaisissement du Parlement national de l'élaboration des normes européennes.
Nous ne fûmes pas les seuls à nous émouvoir de cette situation. En effet, M. Daniel Hoeffel, rapporteur du projet de loi examiné le 25 octobre dernier déclarait ceci : « La mise à l'écart du Parlement en matière de droit communautaire n'est sans doute pas le meilleur moyen de faire progresser l'adhésion à la construction européenne. » Il a encore fait la même observation aujourd'hui.
Notre collègue Hubert Haenel, quant à lui, indiquait que « même si le recours aux ordonnances est une procédure constitutionnelle, nous ne devons pas sous-estimer l'ampleur de l'attente qui est portée en l'occurrence aux droits du Parlement. »
La question que nous devons donc nous poser aujourd'hui est de savoir si les conclusions de la commission des lois vont permettre ou non de renforcer l'intervention du Parlement dans la construction européenne.
Quelles sont ces propositions ?
La première tend essentiellement à transférer dans le domaine législatif une circulaire du Premier ministre en date du 9 novembre 1998.
Il s'agirait, pour le Gouvernement, d'établir, premièrement, une étude d'impact sur chaque proposition d'acte communautaire et, deuxièmement, un échéancier des tranpositions de directives adoptées en Conseil des ministres européens.
La proposition de loi constitutionnelle a été, on le sait, remaniée de manière importante. A l'origine, le texte prévoyait un délai impératif de dépôt et d'examen des projets de loi de transposition : six mois au moins avant l'expiration du délai fixé par la directive en cause. La commission des lois a préféré instituer une journée mensuelle d'examen des directives et conventions internationales dans chaque assemblée.
Il convient de noter que la commission des lois a substitué au texte originel, non par un « tour de passe-passe » mais à l'issue d'un travail, un texte radicalement différent sur le fond et sur la forme.
La proposition de loi constitutionnelle était, à l'origine, cohérente avec le contenu des rapports. Le discours est clair : il faut transposer dans les meilleurs délais, être parmi les bons élèves de l'Europe pour y jouer un rôle moteur. Or, aujourd'hui, la France est en queue de peloton pour la transposition de directives et en tête pour les rappels à l'ordre de Bruxelles !
Si l'on suivait les auteurs des textes qui nous sont soumis, les pouvoirs du Parlement seraient-ils revalorisés du simple fait d'une meilleure organisation de l'adoption des directices européennes ? Les citoyens seraient-ils mieux associés à la prise des décisions, à la définition du projet européen ? Je ne le pense pas. Bien au contraire, l'établissement d'une certaine automaticité dans l'examen des directives priverait notre pays d'un moyen d'examiner en profondeur les textes, de peser les enjeux, d'entendre les différentes parties concernées.
Qui pourrait croire un seul instant que les difficultés de résorption du « stock » de directives communautaires, c'est-à-dire de mise en oeuvre de la politique européenne dans notre pays, seraient liées à un quelconque laisser-aller de l'administration ou du Parlement ? Le retard pris dans la traduction des normes européennes n'est-il pas plutôt imputable à l'existence des spécificités françaises, notamment en ce qui concerne les services publics et la politique sociale ?
Les retards pris dans l'application des directives concernant l'électricité sont un bon exemple. Il a fallu de longs mois avant que ne soit élaboré un compromis qui permette d'éviter - pour l'instant du moins - une libéralisation à outrance de ce secteur.
Je constate d'ailleurs que M. le rapporteur évoque la directive sur la libéralisation du marché du gaz comme emblématique des retards pris en matière de transposition.
Vouloir accélérer la mise en oeuvre de ces dispositions, c'est faire fi de la réalité économique et sociale de notre pays, de nos institutions, faire fi aussi des souhaits des salariés, du mouvement social et, surtout, de notre peuple, de l'expression du suffrage universel.
Une réflexion naît naturellement de ces dernières remarques : pour permettre une intégration plus rapide des normes européennes dans notre droit national, ne faut-il pas améliorer considérablement la concertation en amont de l'adoption des directives européennes ? Le déficit démocratique si souvent évoqué trouve sa source à ce niveau, et seulement à ce niveau. Qui élabore les normes ? Qui détermine les priorités ? Certainement pas les peuples, ni même leurs représentants !
Je rejoins tout à fait, le président de la commission des lois, M. Jacques Larché, quand il affirme, comme il l'a fait au sein de la commission, que « le problème de la transposition des directives est important mais que celui de l'intervention du Parlement avant l'adoption de ces directives l'est plus encore ».
Selon M. Larché, en particulier, « le Parlement n'est pas suffisamment associé, lors de l'élaboration des textes communautaires, et les résolutions adoptées ne sont pas prises en compte ».
La vraie réponse au problème posé par les directives réside donc non dans l'aménagement des méthodes d'enregistrement du Parlement, sous la pression des menaces d'astreintes ou de recours de particuliers, entreprises comprises, contre l'Etat français, mais bien dans la manière d'associer les parlements à leur élaboration.
Si nous approuvons la proposition du Gouvernement de mettre en place un groupe de travail commun à nos deux assemblées, nous proposerons dès aujourd'hui au Sénat un amendement à la proposition de loi constitutionnelle, au terme duquel il serait précisé : « Une loi organique définit les conditions dans lesquelles le Gouvernement négocie au sein du Conseil européen dans le respect d'orientations définies par le Parlement et lui en rend compte. »
Cette disposition n'a rien de maximaliste ou d'irréaliste puisqu'un pays comme le Danemark a conféré à son Parlement ce droit dès 1992.
La question de la transposition en aval nous apparaît donc comme secondaire.
Nous avons tous conscience ici que l'inquiétude de nos concitoyens et de nombreux autres peuples d'Europe grandit. Le « non » de l'Irlande à la ratification du traité de Nice en est une illustration frappante. Les incertitudes concernant l'euro, la domination d'une vision financière de la construction européenne sur une vision de progrès social : tout cela inquiète les Européens, notamment les Français.
Le 28 juin, le Sénat examinera la ratification du traité de Nice. Ce sera l'occasion de faire le point sur la grande absente de l'actuelle construction européenne : la démocratie. Nous aurons, ce jour-là, l'occasion d'en reparler plus longuement.
Pour l'heure, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne voteront pas ces textes dont ils rejetaient clairement les ambitions initiales et qui, au bout du compte, ne revêtent qu'un caractère bien fade. Ils s'abstiendront donc.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.

DÉLAIS DE TRANSPOSITION
DES DIRECTIVES COMMUNAUTAIRES