SEANCE DU 29 MARS 2001


CRÉATION D'EUROJUST

Adoption des conclusions du rapport d'une commission
(ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 235, 2000-2001) de M. Pierre Fauchon, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de résolution de M. Hubert Haenel (n° 53, 2000-2001) présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne, en application de l'article 73 bis du règlement, sur les propositions de la République fédérale d'Allemagne, d'une part, et du Portugal, de la France, de la Suède et de la Belgique, d'autre part, relatives à la création d'Eurojust (E 1479 et E 1509).
Je rappelle au Sénat que cette discussion, comme celles qui suivront, intervient dans le cadre de l'ordre du jour réservé.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous allons donc débattre d'un problème qui, s'il peut paraître technique, est, en réalité, au coeur de tous les problèmes concrets de notre société, à savoir le problème de l'espace judiciaire européen et, plus précisément, de la lutte contre les différentes formes de criminalité que l'on peut appeler européenne ou transfrontalière.
Nous savons que les délinquants ou les criminels européens de toute espèce - cette engeance ne cesse en effet de se diversifier - sont plus prompts à profiter de l'Europe et de ses possibilités que les honnêtes gens, ceux-ci construisant patiemment et laborieusement l'Union européenne, avec les difficultés que nous savons, qui sont parfaitement compréhensibles, car inhérentes à un projet profond et qui va très loin. Donc, tandis que les honnêtes gens construisent l'Europe scrupuleusement et sérieusement, les autres profitent de toutes les facilités issues de l'ouverture des frontières et, dans quelque six mois, de l'instauration de la monnaie unique, qui est une autre commodité, à quoi s'ajoutent encore les progrès des technologies modernes, pour développer toutes les formes de criminalité transfrontalière - je m'en tiendrai à cette formule dont tout le monde comprend la signification.
Cette criminalité comporte des formes traditionnelles, mais aussi des formes nouvelles, qui ne cessent d'ailleurs de prendre de l'ampleur.
Au nombre des formes traditionnelles figure, hélas ! le terrorisme, qui n'est en effet pas un phénomène récent. Le blanchiment d'argent sale est, lui aussi, assez traditionnel, mais il ne cesse de progresser d'année en année. En outre, s'agissant des trafics illicites,...
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Eh oui !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... il serait peut-être temps de s'apercevoir que les problèmes que nous connaissons aujourd'hui, notamment avec l'ESB, qui sont terribles sur les plans humain et de la santé, et qui le seront également sur le plan financier, ont tout de même à leur origine assez fréquemment des trafics illicites d'animaux. J'allais oublier de mentionner les mafias au titre des formes de criminalité qui sont assez traditionnelles.
Il est des formes plus neuves, et peut-être plus surprenantes, de criminalité internationale transfrontalière, et d'abord le trafic des êtres humains, qui prend des proportions épouvantables, fondé sur l'exploitation sexuelle des enfants et des êtres humains en général, ainsi que sur l'exploitation de la demande de travail.
Nous avons aussi cette forme nouvelle de fraude qu'est la fraude aux intérêts de l'Union et au budget de l'Union, lequel se prête d'autant plus à de larges fraudes qu'à raison de 90 % ou de 95 % c'est un budget d'intervention. Or qui dit subvention dit naturellement possibilité de fraude.
Enfin, je dois citer tout ce qui relève de l'immigration clandestine et qui est aussi une délinquance transfrontalière.
Il y a donc une prolifération des formes de criminalité, probablement, me semble-t-il, une augmentation quantitative, encore qu'il est toujours difficile de la mesurer, mais en général les observateurs considèrent que cela va plutôt en augmentant, en tout cas pas en se réduisant, et ainsi une économie parallèle se développe.
En ce qui concerne les seuls intérêts de l'Union, ce que l'on appelle la « protection des intérêts financiers de l'Union », la PIF, les spécialistes des services de Bruxelles estiment la fraude à 4 % ou 5 % du budget communautaire, ce qui représente tout de même des sommes considérables.
Il est évident que l'Europe se doit d'y faire face, mais, madame la ministre, pas seulement par des proclamations et des discours pour dire que, bien entendu, on est opposé au crime - qui ne le serait pas ! -, elle se doit d'y faire face en prenant des mesures effectives, concrètes et susceptibles d'avoir des conséquences réelles. En effet, c'est un combat. Cette forme de délinquance, qui, dans la plupart des cas, est une délinquance organisée, n'a rien à voir avec la délinquance traditionnelle, celle du xixe siècle, la délinquance de Balzac ou de Stendhal, qui est en quelque sorte artisanale. La délinquance actuelle ressemble plus, en réalité, à des situations de guerre qu'aux situations de délinquance telles qu'on les entendait traditionnellement.
C'est ainsi donc que les autorités ont pris conscience de la nécessité d'agir en ce domaine. En 1992, dans le traité de Maastricht apparaît, avec la création du troisième pilier, la première affirmation que les questions intérieures, les questions judiciaires, civiles ou pénales, font partie des intérêts de l'« Union », vocable qui était d'ailleurs adopté par ce même traité. C'est alors que l'on a commencé à mettre en place les magistrats de liaison, qui sont extrêmement utiles là où ils sont placés. On a également commencé à mettre en place ce réseau judiciaire qui permet au milieu judiciaire de trouver, dans les différents Etats, ce que l'on appelle des points de contact, lesquels leur facilitent les communications et rendent donc plus efficaces les procédures pénales. Par définition, il est difficile de les rendre efficaces - je le dis pour ne pas y revenir - puisque nous sommes dans un domaine où les libertés publiques sont en cause et où la moindre irrégularité risque d'aboutir à l'annulation d'une procédure. Nous sommes là, hélas ! dans un domaine extrêmement délicat, et difficile à gérer pour cette raison.
En 1999, le Conseil européen de Tampere a porté d'une manière plus approfondie sur ce problème de l'espace judiciaire européen, notamment en matière pénale, en particulier en posant le principe d'une institution nouvelle et qui est ainsi définie dans les conclusions du Conseil dont je parle : « Afin de renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité organisée, le Conseil européen a décidé la création d'une unité, Eurojust, composée de procureurs, magistrats ou d'officiers de police ayant des compétences équivalentes, détachés de chaque Etat membre conformément à son système juridique. Eurojust aura pour mission de contribuer à une bonne coordination entre les autorités nationales chargées des poursuites et d'apporter son concours dans les enquêtes relatives aux affaires de criminalité organisée, notamment sur la base de l'analyse effectuée par Europol ; cette unité devra aussi coopérer étroitement avec le Réseau judiciaire européen afin, notamment, de simplifier l'exécution des commissions rogatoires. Le Conseil européen demande au Conseil d'adopter l'instrument juridique nécessaire avant la fin de l'année 2001. » C'est donc cette échéance qui est à l'origine d'un certain nombre de propositions et qui a conduit au débat que nous avons ce matin.
Je rappelle au passage que le traité de Nice a confirmé cette orientation en insistant sur l'importance des enjeux : « Le Conseil encourage la coopération par l'intermédiaire d'Eurojust en : a) permettant à Eurojust de contribuer à une bonne coordination entre les autorités nationales des Etats membres chargées des poursuites ; b) « favorisant le concours d'Eurojust dans les enquêtes relatives aux affaires de criminalité transfrontalière grave, en particulier lorsqu'elle est organisée, en tenant compte notamment des analyses effectuées par Europol ; » - là, on entre dans ce que j'appellerai l'opérationnel, puisque l'on participe à des enquêtes - « c) facilitant une coopération étroite d'Eurojust avec le Réseau judiciaire européen afin, notamment, de faciliter l'exécution des commissions rogatoires et la mise en oeuvre des requêtes extraditionnelles. » Tels sont les termes du traité de Nice. Cela conduit à la période où le Conseil doit préparer la décision, puisqu'il s'agit d'une décision selon la terminologie du troisième pilier.
Le Conseil est saisi de propositions émanant l'une de l'Allemagne, l'autre d'une sorte de troïka étendue, puisqu'elle comporte la présidence actuelle du Conseil - la Suède - les présidences précédentes - le Portugal et la France - ainsi que la présidence suivante - la Belgique - c'est-à-dire quatre intervenants.
Je ne m'attarderai pas sur la proposition allemande qui, de manière surprenante, se contente de proposer, dans Eurojust, une instance d'échange et de rassemblement d'informations. Dans ce cas, la montagne accoucherait d'une souris, car il n'est pas nécessaire de s'adonner à un tel cérémonial pour échanger des informations. Cela est d'autant plus surprenant, nous faisait observer notre collègue M. Türk, qui suit ces questions de très près, que, s'agissant de l'action de la police, dans Europol, les Allemands s'étaient montrés très en avant. En l'occurrence, ils sont très en retrait. C'est en partie parce qu'en Allemagne la justice est très largement l'affaire des Länder.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Effectivement !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il y a une résistance de la part des Länder, qui ne veulent pas assister, à l'occasion d'une mise en commun des moyens de justice, à une sorte de confiscation de leurs prérogatives propres. On m'a dit qu'il y avait d'autres explications sans pouvoir me les fournir. Nous resterons donc sur cette interrogation.
J'en viens à la proposition beaucoup plus substantielle des quatre pays que j'ai cités tout à l'heure, proposition qui a le mérite de faire très sérieusement le tour du problème.
Tout d'abord, Eurojust serait compétent pour les types de criminalités et d'infractions pour lesquels Europol a compétence pour agir. Voilà qui facilite la définition de la compétence, de manière assez large d'ailleurs, et c'est souhaitable, car, en ce domaine comme dans les autres, s'enfermer dans des formulations trop strictes et trop limitatives, c'est créer autant de cas d'irrégularité ou de possibilités de discussion pour une catégorie professionnelle que j'affectionne particulièrement, les avocats. (Sourires.) Leur imagination n'est jamais en peine pour trouver des causes de nullité dans des textes.
Ensuite, Eurojust aurait plusieurs prérogatives. Eurojust pourrait demander à un Etat membre d'entreprendre une enquête ou des poursuites - on entre là vraiment dans l'opérationnel - sur des faits précis ou d'accepter qu'un autre Etat membre puisse être mieux placé que lui pour ce faire. La demande n'aurait pas de caractère contraignant, mais l'Etat membre refusant d'y donner suite devrait informer Eurojust de sa décision et des raisons qui la motivent. Je relève au passage que cette dernière obligation d'explication de l'Etat membre qui refuse de donner suite aux suggestions d'Eurojust est en elle-même contestée. Un certain nombre d'Etats membres, en effet, ne veulent pas avoir à s'expliquer sur les raisons pour lesquelles ils n'ouvrent pas une enquête. Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'on s'interroge sur les mobiles profonds de ce genre d'attitude. Quand on sait les multiples moyens de pénétration des mafias et des réseaux délinquants de tous ordres, cela donne une coloration un peu inquiétante à ce genre d'interrogation. Je n'en dirai pas plus car, comme tout un chacun, je n'ai pas de réponse formelle à apporter à cette interrogation, qui mérite, me semble-t-il, d'être formulée.
Par ailleurs, Eurojust assurerait l'information réciproque des autorités compétentes des Etats membres sur les enquêtes et les poursuites en cours. Ce type d'information est bien sûr très utile.
Eurojust pourrait apprécier l'opportunité d'une coordination des enquêtes et des poursuites menées par plusieurs Etats membres.
Eurojust contribuerait à simplifier l'exécution des commissions rogatoires internationales. Le mot « simplifier » est un bel euphémisme. Si on pouvait obtenir que les quatre cinquièmes des commissions rogatoires internationales soient suivies d'effet, ce serait peut-être mieux qu'actuellement. En effet, je ne suis pas sûr que, à l'heure actuelle, la moitié des commissions rogatoires ont vraiment la suite que l'on est en droit d'attendre.
Eurojust établirait une base documentaire et apporterait - formulation un peu curieuse - son concours à Europol. En vérité, cette formulation est non seulement curieuse, mais également choquante car, entre la police et la justice, madame le garde des sceaux, nous serons d'accord pour penser qu'il est préférable que ce soit la police qui apporte son concours à la justice plutôt que l'inverse, si toutefois nous nous faisons la même idée de ce que l'on peut appeler un Etat de droit, ce qui, je suppose, fait partie de notre dénominateur commun à tous dans cet hémicycle.
J'en viens au fonctionnement d'Eurojust. Dans les propositions qui sont faites il y a l'idée, parfaitement admise, que Eurojust est un collège qui comporte un représentant par Etat, et que ce représentant est un magistrat, un procureur ou un officier de police de niveau équivalent, selon les systèmes juridiques concernés. On sait que ceux-ci sont très divers et qu'il s'agira en général d'un magistrat du parquet. Les Anglais, par exemple, ont adopté récemment comme système de poursuite le crown persecution , et ils en sont encore aux débuts de la mise en oeuvre d'un ministère public au sens où nous l'entendons depuis des siècles.
En outre, chaque Etat pourra désigner un correspondant national d'Eurojust, étant entendu - là encore, on retrouve les prérogatives des Etats - que chaque Etat définira la nature et l'étendue des pouvoirs qu'il accorde au membre d'Eurojust qu'il désigne. Là encore, on s'interroge sur les arrière-pensées.
Eurojust aurait la personnalité juridique et serait dirigé par un président et par deux vice-présidents.
Enfin, la proposition prévoit une « coopération étroite » - ce sont ces formules qui ne coûtent rien, mais qui ne résolvent en elles-mêmes aucun problème - entre Eurojust et Europol.
Elle prévoit aussi un dispositif pour la protection des données reçues par Eurojust. Souhaitons d'abord que Eurojust reçoive beaucoup de données. Mais j'ai l'impression, en lisant ce texte, que le souci de protéger les données est plus efficient, plus dynamique que celui d'obtenir les données ! (Sourires.) Je plaisante parce que le sujet est tellement grave, tellement tragique, qu'il vaut mieux en parler en souriant.
S'ajoute à cela un élément nouveau, que je crois extrêmement appréciable, et je suis très heureux d'en parler en présence de quelqu'un qui connaît fort bien la question : nous avons mis sur pied, dès maintenant, une unité provisoire « Pro-Eurojust », avec un commencement d'effectivité au début de ce mois, pour préfigurer Eurojust et apporter une expérience concrète aux réflexions qui sont en cours, auxquelles j'ai fait allusion et auxquelles la Commission a participé en apportant son avis personnel, qui, lui-même, va assez loin.
Nous avons ainsi confié à un certain nombre de magistrats issus des Etats membres les responsabilités d'explorer les voies et moyens d'Eurojust avec, pour objectif, d'une part, d'améliorer la coopération entre les autorités nationales compétentes relative aux investigations et aux poursuites en relation avec la criminalité grave et, d'autre part, de stimuler et d'améliorer la coordination des enquêtes et des poursuites entre les Etats membres.
J'ai pu rencontrer, à Bruxelles et à Paris, les personnes qui s'occupent de ces différentes questions. Je dois dire que j'ai été très favorablement impressionné par le fait que cette cellule Pro-Eurojust était composée d'abord de gens de qualité, de gens ayant autorité dans le milieu judiciaire de leur pays, ce qui est évidemment essentiel. Je ne nommerai pas la personnalité française, pour respecter sa modestie, mais je citerai le procureur de Palerme, pour l'Italie, et le responsable de la lutte contre le terrorisme, en Allemagne comme en Espagne.
J'estime qu'il s'agit là d'une bonne nouvelle parce que M. Haenel et moi-même éprouvions un certain scepticisme, voire une certaine déception. Mais j'ai été amené à modifier le sens et le ton de mon rapport, car j'ai la conviction que les hommes qui ont été choisis, en raison de leurs qualités, ne se seraient pas rendus à Bruxelles, ce qui n'a jamais été considéré comme très gratifiant dans une carrière de fonctionnaire, s'il n'avaient pas une forte motivation, s'ils ne faisaient l'objet d'une véritable confiance de la part des autorités nationales de leur pays et s'ils n'avaient pas une réelle aptitude à faire avancer les choses.
Comme en toute matière, j'ai tendance à attacher plus d'importance aux faits, à ce qui se passe sur le terrain, plutôt qu'aux textes que nous élaborons, et dont l'efficacité est toujours relative. Je pense que nous partageons ce sens du concret et de l'action réelle, madame le garde des sceaux. Je suis donc très content de voir que cette cellule a été mise sur pied. Je souhaite seulement qu'on lui fasse confiance, qu'on la laisse travailler et que, à la lumière des conclusions qu'elle tirera de sa propre expérience, le Conseil des ministres voie plus précisément ce qu'il convient d'inscrire dans les textes.
Tel est l'essentiel du propos que je tenais à exprimer ce matin.
La délégation du Sénat pour l'Union européenne, présidée par notre éminent et excellent collègue M. Haenel, a engagé une réflexion sur les propositions visant à créer Eurojust et a établi, sous la plume d'ailleurs de son président lui-même, la proposition de résolution dont le Sénat est saisi et qui fait l'objet du présent débat.
J'en viens à cette proposition de résolution. Je la parcours rapidement pour ne pas allonger le débat, mais il faut respecter les textes tels qu'ils sont, surtout lorsqu'ils émanent de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, dont le rôle est articulé de manière un peu compliquée et délicate avec celui des commissions permanentes : dans l'état actuel de notre système, les délégations n'ont pas les prérogatives des commissions. Par conséquent, la délégation a élaboré la proposition de résolution qui relève du domaine européen, seul domaine dans lequel le Parlement puisse voter des résolutions, puis elle a transmis ce texte à la commission, qui a seule qualité pour formaliser la procédure de transmission à l'assemblée et émettre un avis, ce qui permet d'ouvrir un débat général, que nous avons ce matin. Il y a donc, en quelque sorte, deux rapporteurs pour un même texte.
Je vous livre les termes de l'exposé des motifs de la proposition de résolution relative à la création d'Eurojust qui vous sera commentée tout à l'heure par M. Haenel.
« Le scénario minimal consisterait à voir dans Eurojust uniquement un centre de documentation et d'échange d'informations (...). Cependant, cette vision ne correspond ni aux attentes des citoyens ni aux nécessités ressenties par les juges nationaux. » Ai-je besoin d'évoquer périodiquement les protestations d'un certain nombre de juges - l'un entre eux est juge au tribunal de Blois, de sorte que je suis particulièrement attentif à ce qu'il peut écrire - qui se heurtent à de nombreuses difficultés pour conduire les poursuites transfrontalières ?
« De plus, l'utilité même d'Eurojust serait alors discutable, puisqu'il existe déjà des magistrats de liaison et un réseau judiciaire européen. (...) Il est nécessaire, en particulier, de conférer à Eurojust des compétences en matière de coordination des enquêtes et de simplification des commissions rogatoires. » Il est bien évident que si l'on ne faisait d'Eurojust qu'une nouvelle institution dotée des mêmes pouvoirs et des mêmes responsabilités que ceux que l'on a déjà délégués au réseau judiciaire européen, on serait en situation de redondance et de concurrence, ce qui ne pourrait engendrer que la stérilité.
Dans ces conditions, la proposition de résolution tend en particulier à demander au Gouvernement : premièrement, d'affirmer le rôle d'Eurojust en tant qu'unité juridique autonome et collégiale ; deuxièmement, de veiller à ce que tous les membres nationaux d'Eurojust se voient accorder des compétences équivalentes par les Etats qui les désignent, de manière qu'il y ait une bonne harmonie et pas trop de divergences ; troisièmement, de voir reconnaître à Eurojust un rôle opérationnel pour les investigations transfrontalières entrant dans son champ de compétences.
Enfin, l'auteur de la proposition de résolution demande au Gouvernement de « prendre des initiatives en vue de parvenir, pour les formes graves de criminalité transfrontalière, à la constitution d'une autorité responsable des poursuites » - il paraît qu'il ne faut pas parler de procureur européen ; soit, à peine ai-je prononcé le mot que je l'oublie ; je me contenterai d'évoquer une autorité responsable des poursuites, cela ne mange pas de pain, comme l'on dit - « et à la définition commune des règles et procédures pénales nécessaires à la mise en oeuvre efficace des poursuites et des enquêtes ».
Là non plus, il ne faut surtout pas parler de code pénal européen ! On se complique la vie autant que l'on peut, mais enfin, qu'est-ce que la définition commune sinon l'adoption de normes communes et qui, une fois regroupées article par article, constituent ce qu'il est convenu d'appeler un code ?
Quoi qu'il en soit, tel est, mes chers collègues, l'essentiel de la proposition de résolution de la délégation. Je tiens à vous indiquer que, globalement, la commission a suivi les propositions de la délégation, qu'elle a trouvées pertinentes. Elles les a simplement complétées sur un point qui me tiendra lieu de conclusion.
La commission a jugé tout à fait appréciables les décisions prises à Maastricht, puis à Tampere, puis à Nice, et la mise en place d'Eurojust. Europol est plus ancien : il a déjà acquis une certaine habitude de travail, mais son rôle se réduit pratiquement à un échange d'informations.
Comme je le disais tout à l'heure, il est particulièrement positif que, sans attendre que le Conseil JAI - justice et affaires intérieures - ait adopté la décision sur Eurojust, on ait créé Pro-Eurojust, dont nous attendons un large éclairage sur les questions dont nous parlons, car cette nouvelle structure sera fondée sur des réalités et des expériences concrètes. Cela est tout à fait positif et nous l'avons perçu comme tel.
Nous avons donc repris, pratiquement, la proposition de résolution élaborée par M. Haenel.
Je dois dire que, personnellement, j'avais buté, dans le texte de cette proposition, sur le passage selon lequel le Gouvernement devra « veiller à ce que tous les membres nationaux d'Eurojust se voient accorder des "compétences équivalentes" par les Etats qui les désignent ». Il s'agissait, non pas d'une divergence de fond mais, en quelque sorte, d'une inquiétude tactique.
On m'avait fait observer que, lorsqu'on utilise une telle formulation, lors des délibérations européennes, il se trouve toujours quelqu'un pour émettre des réticences et pour demander ce qu'est une compétence équivalente. Cela provoque des discussions, des chamailleries et des épluchages infinis de la part de ceux qui n'ont pas envie que les choses avancent, et ils sont plus nombreux qu'on le croit : il y en a un peu partout, mais bien sûr ils se cachent ; peut-être même y en a-t-il dans cet hémicycle, le débat nous le montrera.
Le fait d'engager une discussion pour déterminer si les compétences sont équivalentes peut finalement se révéler assez gênant. J'avais envisagé, cher collègue Haenel, de proposer une formule plus souple, à savoir les « compétences les plus étendues », ce qui ne signifie pas forcément « équivalentes ».
Je dois dire que je n'ai pas su me faire comprendre par la commission, qui a préféré - vous voyez dans quelle estime elle tient les propositions de la délégation - maintenir votre rédaction, monsieur Haenel. Je suis heureux de vous dire en toute modestie que, bien qu'absent, vous avez triomphé sur le rapporteur présent, ce qui montre la distance qui existe entre votre autorité et votre capacité de persuasion et les miennes.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Quel rapporteur !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous en sommes donc restés aux « compétences équivalentes », en espérant que le danger signalé ne se manifestera pas trop.
Pour le reste, nous avons repris le texte de votre proposition, monsieur Haenel, et nous y avons réintégré un ou deux paragraphes que j'envisageais de supprimer. Il s'agit notamment des mesures sur la compétence et des dispositions suivantes, que l'on retrouve d'ailleurs dans la dernière partie de votre proposition de résolution : « de prendre des initiatives en vue de parvenir, pour les formes graves de criminalité transfrontalière, à la constitution d'une autorité responsable des poursuites et à la définition commune des règles et procédures pénales nécessaires à la mise en oeuvre efficace des poursuites et des enquêtes ; ».
Tout le problème est donc d'organiser un système de poursuites commun, effectif - pratiquement, il s'agirait d'un procureur européen - et de définir, dans les domaines concernés, qui englobent, naturellement, non pas l'ensemble du droit pénal, mais simplement le droit pénal transfrontalier, lequel relève de la compétence d'Europol, ce que les savants appellent un corpus juris , c'est-à-dire un code commun.
En effet, comme le dit le président de la délégation, nous sommes persuadés, notamment lorsqu'il s'agit de protéger les intérêts financiers de la Communauté - ce que l'on appelle la PIF - que les textes pénaux que nous avons, qui sont par définition des textes nationaux, n'ont pas prévu la fraude aux institutions du système communautaire. Il y a donc là forcément une lacune et il faut transposer ces textes pour les rendre applicables.
Par ailleurs, il nous a semblé assez évident que, pour être véritablement efficace, il fallait unifier les poursuites et, au-delà de ce que Eurojust pourra faire et de sa capacité de suggérer des enquêtes, peut-être faudra-t-il parvenir un jour à ce que quelqu'un puisse non pas suggérer de procéder à une enquête mais donner l'instruction pour qu'on ouvre une enquête.
C'est une perspective ! Ce n'est ni pour aujourd'hui, ni pour demain, mais il est de notre devoir d'explorer de telles perspectives.
Puisque tel est le souhait de la délégation - et ce sera ma conclusion - nous avons ajouté l'idée selon laquelle, pour pratiquer cette exploration, qui va plus loin que ce qui est envisagé actuellement et se situe dans le prolongement de ce qui se pratique, on pourrait imaginer une procédure qui permettrait d'associer ce que l'on appelle les différentes légitimités européennes. Cette procédure réunirait au sein d'une convention ou d'une enceinte - appelons cela comme on le voudra - des délégués des parlements nationaux, du Parlement européen, des ministères de la justice et de la Commission. Ces différentes légitimités réunies pourraient « explorer » ensemble les questions - il s'agit uniquement de cela, car elles n'ont pas de capacité décisionnelle ; la procédure décisionnelle normale est celle du troisième pilier - et ainsi couper court à la paralysie due au fait que ces domaines législatifs sur lesquels des représentants du pouvoir exécutif sont invités à prendre des décisions relèvent essentiellement des prérogatives de la souveraineté nationale.
Face à des directives ou à des décisions complètement préparées à leur insu et qu'il ne leur est pratiquement plus possible d'amender avant de les ratifier, car on ne peut pas remettre en route tout le processus, les parlementaires nationaux éprouvent un sentiment de frustration. Cela engendre aussi un sentiment de gêne de la part des responsables de l'exécutif.
Nous pensons que réunir ce genre de formation et l'inviter à délibérer sur ces questions seraient en soi une bonne démarche. Cela permettrait d'éclairer tout le monde et de voir si les désaccords sont fondamentaux et insurmontables ou si, au contraire, il est possible de trouver un accord sur tel ou tel point.
Lorsque j'avais fait cette proposition en 1996 dans un rapport sur ce sujet, elle avait été accueillie avec un certain scepticisme, mais il se trouve qu'elle a été reprise l'année dernière à l'occasion de la préparation de la Charte des droits fondamentaux. C'est exactement en effet cette méthode qui a été employée.
Dès lors que cette méthode, qui a l'avantage d'être nouvelle dans le processus européen et d'associer toutes les légitimités, a été employée sans qu'aucun jugement n'ait été posé sur la question de savoir si c'était une bonne idée de s'en servir pour l'élaboration d'une charte - je ne porte aucun jugement de valeur, je ne parle que de la méthode - il nous paraît souhaitable que le Gouvernement invite nos partenaires européens à renouveler l'expérience dans le domaine dont je viens de parler un peu longuement, ce dont je vous prie de m'excuser. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, dans un rappel liminaire, d'indiquer que la proposition de résolution ne porte plus tout à fait mon nom, puisqu'elle a été adoptée à l'unanimité lors du débat que nous avons eu au sein de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Par ailleurs, je précise tout de suite, pour éviter d'avoir à y revenir, que je souscris tout à fait à ce que vient de dire brillamment notre éminent collègue Pierre Fauchon sur le sujet et que la présente proposition de résolution me convient tout à fait.
Cela étant, malgré toutes les bonnes intentions des chefs d'Etat et de gouvernement successifs, l'Europe de la justice reste le parent pauvre de la construction européenne. Or cette absence d'un véritable espace judiciaire européen qu'appelait déjà de ses voeux, voilà plus de vingt ans, le président Giscard d'Estaing, n'est pas comprise par nos concitoyens. Les récents résultats des élections municipales ont montré la place qu'occupe, dans les préoccupations des Français, cette question de la sécurité. Nos compatriotes constatent un développement des formes graves de criminalité transnationales, telles que le trafic de drogue, le trafic des êtres humains, le terrorisme, ou le développement des organisations criminelles.
Ces phénomènes préoccupants appellent une réponse européenne qui tarde à venir. Pourtant, il y a urgence, je dirais même qu'il y a le feu, car nous assistons à une contagion dans ce domaine qui devient de plus en plus dangereuse.
Les citoyens sont directement concernés dans leur vie quotidienne par l'absence d'une Europe de la justice. Je pense non pas simplement à l'aspect pénal, mais aux problèmes posés par le droit de garde des enfants issus de couples binationaux divorcés ou séparés, ou encore aux litiges commerciaux transfrontaliers pour les chefs d'entreprise.
C'est dire si la déclaration de l'ancien garde des sceaux, Mme Elisabeth Guigou, selon laquelle il faudrait encore vingt ans pour parvenir à cet espace judiciaire européen que nous appelons pourtant tous de nos voeux, ne peut que nous inquiéter.
L'Europe de la justice ne peut pas attendre ; il y a en effet une urgence politique à ce que l'Union comble des lacunes si criantes. On peut dire aussi qu'il en va de la légitimité même de la construction de l'Europe, qui restera incomplète et fragile tant qu'elle ne sera pas véritablement synonyme de liberté et de sécurité pour les citoyennes et les citoyens européens.
Comment pourrait-il y avoir une citoyenneté européenne et une réelle adhésion à l'Europe si l'Union ne s'avère pas capable de mettre en place rapidement un cadre protecteur qui réponde aux attentes légitimes de ses populations ?
Si, parfois, l'Europe en fait trop, dans ce domaine elle n'en fait vraiment pas assez.
Par ailleurs, ne l'oublions pas, nous sommes à la veille de l'élargissement. Il est donc indispensable de progresser rapidement en la matière. Les pays candidats ne pourraient que tirer bénéfice d'un acquis qui consoliderait leur propre système judiciaire. Il ne faut pas non plus sous-estimer les difficultés à venir si les décisions devaient être prises par un nombre beaucoup plus important d'Etats membres.
Pour toutes ces raisons, la délégation pour l'Union européenne a souhaité que le Sénat engage une réflexion sur Eurojust, dialogue sur ce sujet avec le Gouvernement - avec vous, madame la ministre - afin que celui-ci lui fasse connaître son sentiment sur l'adoption d'une résolution. Je remercie à cet égard la commission des lois et tout particulièrement le rapporteur, Pierre Fauchon, éminent juriste et européen convaincu s'il en est, de la qualité de la réflexion qui a été menée, et je ne peux que me déclarer, comme je l'ai dit dans mes propos liminaires, en plein accord avec le texte qu'ils nous proposent.
Certes, un consensus se dégage au sein des Etats membres pour progresser en matière de coopération judiciaire. Mais constatons que les réalisations pratiques se font attendre.
Le traité d'Amsterdam a renforcé les dispositions prévues par le traité de Maastricht. Un autre progrès significatif a été le Conseil européen de Tampere d'octobre 1999. Sur la base des conclusions de ce sommet, la Commission européenne a élaboré, en mars 2000, un tableau de bord qui comprend un échéancier précis des initiatives à prendre.
Or, malgré cette impulsion politique, les résultats tangibles restent malgré tout décevants et la coopération judiciaire semble marquer le pas. Tout le monde s'accorde sur le constat selon lequel les objectifs fixés à Tampere ainsi que leurs échéances privées ne pourront pas être respectés.
Ainsi, l'esprit de Tampere ne semble pas souffler sur la coopération judiciaire en matière civile, en particulier en ce qui concerne le droit de la famille. Malgré la communautarisation de la convention de Bruxelles II, les problèmes de droit de garde continuent de se poser et l'on assiste à une persistance des phénomènes d'enlèvement d'enfants.
La présidence française a déposé, en juillet dernier, une proposition sur ce sujet. Mais, devant la forte opposition de certains Etats, les négociations piétinent depuis maintenant presque dix mois.
Par ailleurs, la recherche d'un titre exécutoire européen semblait un processus de longue haleine, de trop longue haleine, et nous savons combien c'est nécessaire.
En matière pénale, le constat n'est guère plus encourageant. Les juges critiquent régulièrement, et à juste titre, la longueur des commissions rogatoires et la lourdeur de la procédure d'extradition. Tout le monde a en mémoire l'affaire Rezala ; qui a soulevé une grande émotion en France. Mais il ne s'agissait là que de la pointe émergée de l'iceberg. Ainsi, la justice française attend depuis près de cinq ans l'extradition d'une personne soupçonnée d'avoir été l'un des organisateurs des attentats islamiques de 1995, actuellement emprisonnée en Grande-Bretagne pays qui fait pourtant partie de l'Union.
L'entraide judiciaire pénale souffre de nombreux dysfonctionnements : lenteurs et complexités, abus de recours suspensifs à des fins dilatoires, persistance dans certains Etats de l'intervention de l'exécutif. Tout cela a été mis en évidence par le « groupe pluridisciplinaire sur la criminalité organisée » et par un rapport adopté récemment par le Parlement européen.
Certes, une nouvelle convention sur l'amélioration de l'entraide judiciaire doit entrer en vigueur, mais réglera-t-elle toutes les difficultés ? Rien n'est moins sûr.
De même, l'institution des magistrats de liaison semble avoir été un progrès - elle a été un progrès - mais elle ne concerne qu'un nombre limité de pays. Il est tout de même regrettable de ne compter que sept magistrats étrangers en France, sauf erreur de ma part, et cinq magistrats français à l'étranger.
Lorsque nous étions à Lisbonne - c'était l'époque de la présidence portugaise de l'Union - il n'y avait aucun magistrat français sur place - je ne sais pas s'il y en a aujourd'hui - pour assister l'ambassadeur de France, qui était d'autant plus ennuyé qu'il fallait traiter alors l'affaire Rezala !
Madame la ministre, pourquoi ne pas développer ces échanges avec d'autres Etats ? Dites-nous aujourd'hui que d'ici à la fin de l'année, dans tous les Etats de l'Union et, en préfiguration, dans tous les Etats candidats à l'intégration, il y aura enfin un magistrat français.
Comme l'a souligné notre collègue Pierre Fauchon, nous attendons beaucoup d'Eurojust. Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse, car je ne voudrais pas donner le sentiment qu'Eurojust est placé sous la coupe d'Europol. C'est l'inverse qui devrait être. Nous nous devons d'être très clairs sur ce point. Il faut concevoir de grandes ambitions pour Eurojust et doter cette unité de moyens à la hauteur des défis à relever - ce ne sera pas très ruineux pour le budget de l'Etat français - faute de quoi Eurojust ne sera qu'un « machin » de plus, pour reprendre l'expression employée à l'époque !
Face à ce maigre bilan, les institutions communautaires et les gouvernements nationaux avancent des arguments idéologiques peu convaincants. Ainsi, la Commission européenne et le Parlement européen critiquent la méthode intergouvernementale. Ils dénoncent la règle de l'unanimité au Conseil et le partage du droit d'initiative entre la Commission et les Etats membres. Ils manifestent parfois leur mauvaise humeur, comme l'illustre le rejet par le Parlement européen de plusieurs propositions relatives à la lutte contre l'immigration illégale, dont une française, visant à réprimer les passeurs, au seul motif qu'elles résulteraient d'une initiative d'un Etat membre. De leur côté, les Etats membres se cantonnent dans des déclarations stériles et habituelles sur la réforme des méthodes de travail au sein du Conseil et la nécessité d'assurer une continuité entre les présidences successives.
Or je crois que ces interminables débats institutionnels - s'ils peuvent passionner le microcosme bruxellois - ne font pas progresser la coopération en matière judiciaire. Que l'on retienne la méthode communautaire ou la méthode intergouvernementale, ce qui importe, madame la ministre, c'est l'efficacité. On le voit bien, puisque les matières communautarisées par le traité d'Amsterdam n'ont pas plus progressé que les autres.
Il convient, en effet, de se montrer pragmatique afin de répondre aux attentes légitimes et de plus en plus pressantes - convenons-en - des citoyens, ainsi qu'aux nécessités concrètes ressenties par les magistrats. Je citerai, à cet égard, plusieurs exemples.
De nombreux actes ou conventions, adoptés soit au sein du Conseil de l'Europe, soit au niveau de l'Union européenne, ne sont pas encore entrés en vigueur faute d'avoir été transposés ou ratifiés.
M. Daniel Hoeffel. Très juste !
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Ainsi, deux conventions sur l'extradition ont été adoptées dans le cadre de l'Union européenne.
La première convention date du 10 mars 1995 et vise à simplifier la procédure d'extradition lorsque l'intéressé y consent. La seconde convention, signée le 27 septembre 1996, définit plus largement les faits pouvant donner lieu à extradition et limite les motifs qui permettent traditionnellement aux Etats de la refuser. Or, ni l'une ni l'autre n'ont été ratifiées par tous les Etats membres.
Malgré les nombreuses invitations en ce sens, plusieurs Etats doivent encore les ratifier et, parmi ceux-ci, malheureusement, la France. C'est une situation que l'on peut qualifier d'inadmissible. Il faut donc commencer par appliquer cet acquis si difficilement atteint. Et qu'on ne vienne pas dire que la faute en incombe au législateur, car les projets de loi n'ont toujours pas été déposés. J'aimerais que vous disiez au Sénat, madame la ministre, pourquoi la France tarde autant et quand vous comptez inscrire les projets de loi de ratification à l'ordre du jour des assemblées.
Enfin, il semble que la France n'a pas encore pris la mesure de l'avancée que pourraient représenter les coopérations renforcées en matière de justice et d'affaires intérieures, qui pourtant ont été inaugurées par les accords de Schengen.
L'Espagne et l'Italie ont négocié en quelques mois - c'est un bon exemple - et signé un important traité afin de supprimer la procédure d'extradition entre les deux pays pour les crimes les plus graves. Cela montre qu'avec un peu de volonté on peut changer les choses. N'attendons pas d'être d'accord tous les Quinze, avançons.
Sans doute s'agit-il là d'un exemple de coopération renforcée négociée sur une base intergouvernementale et effectuée en dehors du cadre défini par l'Union européenne. C'est vrai, mais peu importe ! Le futur espace européen de justice et de police ne peut que tirer bénéfice de l'existence d'un réseau d'accords comme celui-ci. D'ailleurs, l'Espagne et l'Allemagne ont lancé des discussions en vue de conclure un accord similaire d'ici à mai prochain.
Les Espagnols ont également exprimé le souhait de mener une même réflexion avec la France. Vous vous êtes rendue récemment, madame le garde des sceaux, à Madrid. Pouvez-vous nous dire si le Gouvernement est favorable à la signature d'un traité de même nature entre la France et l'Espagne dans de brefs délais ? La question est de savoir si la France peut se tenir à l'écart de la dynamique lancée par le gouvernement espagnol, alors même qu'elle se veut solidaire face au terrorisme aveugle qui frappe le peuple espagnol.
Plus largement, pourquoi la France ne prendrait-elle pas des initiatives en la matière ? Car, en définitive, ce qui compte, c'est le surcroît de sécurité pour le citoyen. Il ne convient pas d'avoir un esprit de système, mais de recourir au moyen le plus efficace dans l'instant.
Pour conclure, je souligne que les parlements nationaux ont un rôle important à jouer, peut-être de plus en plus important, si nous voulons réconcilier l'Europe avec la base. Ils doivent être pleinement associés à cette construction de l'Europe de la justice, qui a besoin de la légitimité dont ils sont dépositaires en matière de droit des personnes, de leur représentativité et de leur expérience de législateur. Le protocole annexé au traité d'Amsterdam leur a reconnu une place particulière.
Mais il faudrait aller beaucoup plus loin pour réveiller en quelque sorte « le pacte démocratique » sur lequel repose la justice.
La réflexion sur le rôle des parlements nationaux, telle qu'elle a été consacrée à Nice, devrait concerner aussi ces matières qui touchent directement aux droits des citoyens. Ce sont des matières extrêmement sensibles qui concernent, je le répète, les préoccupations quotidiennes de nos concitoyens et pour lesquelles les parlementaires nationaux ont une expertise que nul ne peut leur contester. Il est donc souhaitable que nous intervenions pas seulement au stade de la ratification, mais dès le début de la réflexion, très en avant. C'est pour cette raison que nous avions engagé ce débat aujourd'hui.
C'est en cela que l'idée d'une convention, comme l'a rappelé à l'instant notre collègue M. Fauchon et comme le suggère le texte de la commission des lois, me paraît particulièrement pertinente, à condition que l'on ne reproduise pas tel quel le modèle utilisé pour la rédaction de la Charte mais qu'on s'en inspire et qu'on adapte cette structure de sorte que les parlements nationaux soient impliqués dès le début du processus sans être aucunement dessaisis.
Sous cette réserve, je crois qu'une structure inspirée de la Convention peut être extrêmement utile pour conduire la réflexion dans le sens de l'unification des droits pénaux pour les formes graves de la criminalité transfrontalière.
Soyons clairs : il ne s'agit pas d'élaborer un code pénal européen. Ce n'est pas cela qui compte. Pour un certain nombre d'infractions, il faudrait peut-être avoir un corpus juridique non pas identique, mais commun. En effet, conformément au principe de subsidiarité, c'est en ce domaine que l'Europe a un rôle à jouer.
La construction d'une Europe judiciaire, à la fois efficace, légitime et responsable suppose donc du discernement et de la volonté pour combler les lacunes et faire disparaître les verrous.
Je souhaite, pour ma part, que ce débat serve à relancer l'Europe de la justice, à laquelle le Sénat est si fortement attaché, parce qu'elle traduit les aspirations de nos concitoyens, et que vous preniez, madame le garde des sceaux, un certain nombre d'engagements aujourd'hui devant le Sénat au nom du Gouvernement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je souhaiterais présenter, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, quelques remarques sur la proposition de résolution relative à la création d'Eurojust, et modifiée par la commission des lois.
Qu'est-ce qu'Eurojust ? Si l'on se réfère au Conseil européen de Tampere, il s'agit d'une « entité composée de procureurs, de magistrats ou d'officiers de police ayant des compétences ou d'officiers de police ayant des compétences équivalentes détachés par chaque Etat membre ». Son rôle, plus particulièrement défini par l'article 31 du traité de Nice, vise à renforcer la coopération des Etats en matière pénale en assurant la coordination des poursuites et des enquêtes et en facilitant l'exécution des commissions rogatoires.
C'est un sujet sensible donc puisqu'il s'agit de la création de l'Europe judiciaire et il mériterait des discussions approfondies. Mais onn a un peu l'impression d'intervenir de façon décalée par rapport aux débats en cours au sein de l'Union européenne.
D'abord, nous discutons de la création d'une entité qui existe potentiellement depuis l'entrée en vigueur, le 1er mars, de l'entité provisoire « pro-Eurojust », sur laquelle le Parlement français n'a pas eu à se prononcer.
Ensuite, on peut se demander si la conception qui préside à Eurojust n'est pas d'ores et déjà dépassée dès lors que les débats en cours au niveau européen tournent autour de la création d'un ministère public européen. Et la volonté de notre rapporteur d'intégrer cet aspect dans la proposition de résolution me conforte dans l'idée que la question est déjà largement entamée, sinon tranchée.
Dans ce contexte, il n'est pas sain que se perpétue le flou autour de la question de l'Europe judiciaire : instrument de coopération judiciaire ou ballon d'essai vers un espace judiciaire intégré. Cette question devra être clairement tranchée.
La différence de conception qui préside aux deux propositions de décision communautaire comme les termes employés par la proposition de résolution ne sont pas de nature à lever les ambiguïtés.
Il faudrait encore que la représentation nationale puisse débattre réellement. Nous sommes donc très favorables à la collaboration des parlements nationaux avec les groupes de travail proposée par notre rapporteur bien qu'il ait affirmé que nous n'avions « rien à faire de la criminalité », ce que je considère comme quelque peu offensant.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. M. Fauchon ne peut pas avoir été offensant !
Mme Nicole Borvo. Je suis donc d'accord pour que le Parlement soit associé à la réflexion sur le fait de savoir comment amplifier les règles communes.
Ces incertitudes ne sont pas en tous cas de nature à dissiper nos inquiétudes sur la façon dont se construit l'espace « de liberté, de sécurité et de justice » voulu par le sommet de Tampere d'octobre 1999 et auquel le sommet de Nice a donné une base juridique.
Qu'il faille intensifier la lutte contre les formes de criminalité grave, c'est évident, monsieur le rapporteur. Que la disparité de nos règles de fond et de procédures soit un handicap, nul ne le conteste.
Encore faut-il réfléchir sur les moyens de parvenir à un espace européen plus uni et plus cohérent. La réflexion ne se limite d'ailleurs pas au champ du pénal, comme cela a été dit, même si les initiatives en matière civile - je pense notamment aux divorces des binationaux - et commerciale semblent plus aisées.
Cet objectif nous semble passer prioritairement par une intensification et une meilleure articulation des procédures de coopération et d'entraide pénale.
C'est ensuite sur une harmonisation de nos droits, qui respecterait également les traditions juridiques de chaque Etat membre, préalable, nous semble-t-il, nécessaire, qu'il s'agit de concentrer nos efforts avant même de réfléchir à la définition d'un droit pénal communautaire, peu compatible avec le principe de subsidiarité.
Par ailleurs, il nous semble absolument impossible d'aller plus loin dans la communautarisation sans évoquer la nécessaire démocratisation des institutions européennes pour permettre un contrôle citoyen réel.
Or, sur le terrain de l'Europe judiciaire, force est de constater que les exemples ne sont guère probants. Je pense, en particulier, à la situation d'Europol qui se développe sans contrôle effectif, ce qui n'empêche pas que l'on envisage d'accroître largement ses compétences. J'ai en mémoire les conclusions du conseil justice et affaires intérieures de septembre dernier.
Je sais que certains voient dans le développement d'Eurojust une garantie pour les droits et libertés des individus, une sorte non pas de pendant, mais de « contrepoids » ou d'« encadrement judiciaire » d'Europol. Telle est notamment la position de Mme Mireille Delmas-Marty qui exprimait ses craintes en ces termes : « On préfère, au nom de l'efficacité, privilégier le développement de la police au niveau européen au travers d'Europol plutôt que celui de la justice chargée de surveiller la police. »
Mais cet objectif présuppose une légitimité démocratique de l'organe de contrôle. Or les modalités de désignation des membres d'Eurojust ne présentent pas cette garantie, quand bien même il s'agirait d'une « entité juridique autonome et collégiale », comme le prévoit le texte qui nous est soumis. Les propositions actuellement en cours à la Commission européenne ne nous satisfont pas non plus : sur ce point, nous partageons entièrement les réticences exprimées par notre collègue M. Haenel sur la question de la responsabilité et de la légitimité d'un nouvel organe communautaire.
Pour finir, c'est à la conception même de cet espace européen de liberté que je souhaiterais me référer.
L'espace européen s'est construit et se construit toujours sur la base du contrôle aux frontières, d'une fermeture aux extra-communautaires, d'ailleurs largement inefficace à enrayer la criminalité transfrontière, qu'il s'agisse du terrorisme, du trafic de drogues ou des filières d'immigration clandestine.
Cette politique des contrôles fondée sur des logiques contestables favorisant les discours sécuritaires, les législations discriminatoires, les dérives policières et les menaces pour le régime des libertés individuelles perdure.
Dans son bilan de la politique française de l'asile de ce mois, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés rappelle que cette politique est particulièrement mise à mal à la suite du renforcement des mesures restreignant l'entrée sur le territoire décidées par les gouvernements de l'Union européenne : présence policière renforcée aux frontières, contrôle des compagnies aériennes et sanctions contre les transporteurs.
Selon moi, à défaut d'intégrer une autre logique, Eurojust risque, à terme, de ne servir que de caution pseudo-démocratique à cette Europe sécuritaire que nous continuerons toujours de refuser.
Au vu de ces remarques, nous choisirons de nous abstenir sur la proposition de résolution modifiée par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. C'est un pas en avant !
M. le président. La parole est à M. Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, alors que la libre circulation des personnes et des biens est sans cesse facilitée sur le territoire européen et que les frontières européennes s'atténuent largement dans tous les domaines avec le développement des nouvelles technologies, des réseaux d'information et des réseaux financiers, la criminalité organisée transfrontalière profite, elle, de ces facilités.
Aujourd'hui plus encore qu'auparavant il s'avère nécesaire d'empêcher le développement de cette criminalité organisée multiforme et de combler les failles entre les systèmes juridiques nationaux, car les organisations criminelles les utilisent pour commettre leurs délits en toute impunité ou pour échapper aux poursuites.
Nous devons adopter une stratégie radicalement nouvelle, consistant à coordonner les efforts pour l'instant encore disparates et dispersés afin de combattre et de prévenir la criminalité et le développement de ces organisations criminelles sur l'ensemble du territoire des Etats membres.
Dans cet objectif, nous ne pouvons qu'être satisfaits de l'initiative prise par le Sénat, à travers les propositions de résolutions de MM. Haenel et Fauchon, de débattre de la création de l'unité Eurojust, qui devrait se consacrer à renforcer la coopération judiciaire dans la lutte contre la criminalité organisée.
La lutte contre la criminalité organisée est, en effet, un sujet essentiel pour les citoyens européens.
D'abord, au-delà de ses conséquences sécuritaires et économiques, elle fait courir des risques à la démocratie. Nous estimons que la construction d'un espace judiciaire européen participe directement au renforcement de la démocratie sur le territoire européen.
Ensuite, la décision des Etats membres de créer l'unité Eurojust répond à la nécessité de donner des gages concrets de la volonté de l'Union européenne de s'investir dans cette lutte et participe - c'est important - à la visibilité de l'action de l'Union, tant exigée par ses citoyens.
La présidence française a d'ailleurs bien défini son action selon cette double exigence. On ne peut que se féliciter de la détermination de la présidence française, non seulement à dégager un accord sur la création d'Eurojust, mais aussi à l'inscrire dans le traité de Nice, qui consacre l'importance de l'entraide judiciaire pénale concernant les personnes, et à convaincre les Etats membres de mettre au plus vite en place l'Unité provisoire avant l'adoption de son instrument juridique définitif. C'est d'ailleurs chose faite depuis le 1er mars.
Cette mise en place précoce permettra d'avoir, me semble-t-il, parallèlement à la négociation de l'unité définitive qui devrait s'achever avant la fin de l'année, une première idée des avantages du travail de cette unité, mais aussi des problèmes et des obstacles que les magistrats qui y sont détachés pourraient rencontrer dans leurs missions.
Il va sans dire que nous souhaitons donner le maximum de compétences à Eurojust afin que l'action de cette unité soit cohérente et efficace et qu'elle puisse devenir un véritable moteur de la lutte contre la criminalité transnationale.
Nous estimons qu'Eurojust doit pouvoir contribuer à combattre la criminalité organisée sous toutes ses formes : criminalité économique et financière, y compris la fraude, falsification monétaire, mais aussi terrorisme, trafic de drogue, traite des êtres humains, prostitution, exploitation sexuelle des enfants, criminalité informatique, ainsi que criminalité environnementale.
Eurojust devra non seulement améliorer l'entraide judiciaire entre les Etats membres, mais aussi apporter son concours dans les enquêtes et favoriser les tâches de contrôle judiciaire dans les missions opérationnelles conjointes, soutenues notamment par Europol.
Eurojust devrait essentiellement devenir un organe d'appui aux actions transnationales, les autorités judiciaires nationales conservant la haute main sur ces actions. En d'autres termes, ses missions viseront à mieux coordonner les capacités humaines et matérielles mises à disposition par les Etats membres.
Réduction des délais des procédures et renforcement des pouvoirs de coopération et de coordination, ainsi que des relations directes entre les juges, telle pourrait être la valeur ajoutée de cette unité.
Eurojust devrait faciliter la mise en oeuvre de la nouvelle convention d'entraide en matière pénale, notamment en ce qui concerne la transmission directe des demandes d'entraide et l'obtention des preuves.
Il ne faudrait pas oublier que la création d'Eurojust vient compléter les efforts déjà engagés en matière d'entraide judiciaire pénale.
Eurojust sera le partenaire judiciaire d'Europol et un interlocuteur judiciaire pour l'OLAF, l'Office de lutte anti-fraude.
Ses missions devraient, de façon notable, dynamiser le réseau judiciaire européen et le travail des magistrats de liaison.
Parallèlement, il faudra, bien sûr, veiller à ce que le programme adopté sous présidence française pour la reconnaissance mutuelle des décisions en matière pénale soit appliqué, en particulier sur le plan de la reconnaissance et de l'exécution de la décision prise par le tribunal de l'Etat demandeur, mais aussi en matière de saisine des avoirs et d'obtention des preuves.
Il faudra également poursuivre nos efforts dans le rapprochement des législations des Etats membres afin de réduire et éliminer progressivement les différences entre les traditions et les cultures juridiques et judiciaires des Etats membres qui peuvent faire obstacle à une coopération réellement efficace.
Pour les Etats membres, il s'agit de créer non pas un parquet européen mais un instrument de coopération qui sera le pendant judiciaire d'Europol. Eurojust est d'abord une coopération renforcée, de type intergouvernemental.
L'institution d'un ministère public européen ne nous semble pas à l'heure actuelle réalisable, même si nous estimons qu'il doit constituer une perspective à long terme. Rien ne nous empêche aujourd'hui d'étudier concrètement et précisément les conditions de réalisation d'un tel projet dans des domaines limités.
Combien de temps, mes chers collègues, a-t-il fallu pour créer une force européenne en matière de défense fondée sur les capacités nationales des Etats membres ? Combien d'années faudra-t-il encore pour que les Etats acceptent de constituer une défense commune ?
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour le Sénat pour l'Union européenne. Quand il y aura le feu !
M. Simon Sutour. Le cheminement et les conséquences en termes de prérogatives nationales pour la constitution d'un espace judiciaire commun sont du même ordre, singulièrement similaires.
Nous serons attentifs à ce que pourrait devenir cet organe de coopération, qui va permettre de passer d'une approche nationale à une approche européenne de la coopération judiciaire en matière pénale. La présidence suédoise a justement souligné que c'est uniquement par une interaction étroite entre les mesures nationales et européennes qu'il sera possible d'instaurer un espace de liberté, de sécurité et de justice.
Il est du devoir des Etats membres, aujourd'hui, de lever les obstacles qui subsistent pour véritablement instituer la liberté de faire justice. Avec Eurojust, nous faisons un pas supplémentaire vers la conception d'une territorialité européenne en matière de justice pénale, mais d'un espace fondé sur la coopération et la coordination.
Pour conclure, je dirai que nous concevons Eurojust comme un rouage essentiel dans la coordination des actions des justices nationales de lutte contre la criminalité organisée et comme la réponse à l'exigence d'un rééquilibrage entre la coopération policière et la coopération judiciaire au sein de l'Union européenne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Très bien !
M. Simon Sutour. C'est selon cette conception et dans l'espoir qu'Eurojust réponde à ces attentes que le groupe socialiste votera la proposition de résolution telle qu'elle a été adoptée par la commission des lois sur la base de l'excellent travail réalisé au sein de la délégation pour l'Union européenne. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat intervient à un moment particulièrement opportun. Je remercie M. Fauchon, M. Haenel, ainsi que toute la délégation d'avoir initié ce débat et élaboré cette proposition de résolution. Nous avons en effet souvent l'impression de travailler très discrètement au niveau européen. Grâce à vous, ce dossier est aujourd'hui mis à la connaissance de l'ensemble de nos concitoyens.
Voilà trois mois, la présidence française de l'Union européenne s'achevait par le Conseil européen de Nice, deux semaines après le dernier conseil des ministres de la justice et des affaires intérieures de l'Union, que j'ai eu l'honneur de coprésider avec mon collègue Daniel Vaillant ; Eurojust, a alors - enfin ! - intégré le traité.
Dans l'accomplissement de notre présidence dans le domaine de la justice, une grande partie du travail avait bien entendu été effectuée avant mon arrivée à la chancellerie, sous l'autorité d'Elisabeth Guigou, qui en avait lancé la préparation dès 1998. En effet, elle l'avait fait cette année-là en présidant un important séminaire sur l'espace judiciaire européen, dont les conclusions ont été reprises, pour l'essentiel, comme priorités pour la présidence française, après avoir été retenues par le Conseil européen de Tampere, en octobre 1999.
Je crois donc pouvoir affirmer que la présidence française a marqué des avancées décisives en matière de coopération judiciaire, et c'est à la consécration de ces avancées que je me suis attachée.
C'est dire à quel point la proposition de résolution déposée par M. Haenel - qui, par sa connaissance des questions judiciaires européennes, fait autorité - proposition déposée, au nom de la délégation pour l'Union européenne du Sénat, sur la création d'Eurojust est particulièrement bienvenue. Elle a été remarquablement présentée par M. Fauchon, que je tiens à féliciter pour son rapport, lequel, je le sais, a été nourri par de nombreux contacts avec des praticiens. Il a d'ailleurs laissé volontairement ouverts un certain nombre de chantiers, ce qui signifie que nous nous retrouverons très bientôt pour achever le travail commencé aujourd'hui.
En ce moment, l'unité provisoire qui préfigure Eurojust depuis le 1er mars dernier - l'unité Pro-Eurojust - commence à travailler ; je m'en suis rendue compte moi-même en me rendant dans ses locaux, le 15 mars dernier. La négociation de la décision qui instaurera l'unité définitive doit s'accélérer, puisque le Conseil européen de Tampere a fixé la fin de 2001 comme date butoir pour l'adoption de celle-ci.
Où en est-on précisément et que pouvons-nous attendre d'Eurojust ? Telles sont les questions que nous devons aujourd'hui nous poser.
Où en est-on précisément ?
L'exposé des motifs de la proposition de résolution rappelle très opportunément le déroulement récent de cette négociation. Aussi voudrais-je partir d'un peu plus loin pour faire ressortir la cohérence du projet Eurojust avec les positions prises par la France depuis sa précédente présidence de 1995 et les résultats qui ont été atteints.
Souvenons-nous de l'appel de Genève, qui, dès octobre 1996, affirmait la nécessité d'un espace judiciaire européen dans le domaine pénal.
Ce texte, auquel devaient souscrire par la suite des centaines de magistrats européens, réclamait notamment l'abolition du protectionnisme judiciaire et policier et l'instauration d'un espace au sein duquel les magistrats pourraient, sans limitations autres que celles de l'état de droit, rechercher et échanger les informations utiles aux enquêtes en cours.
Depuis lors, la mise en oeuvre effective des accords de Schengen signés en 1985, utilement complétés par la convention d'application de 1990, qui a créé l'espace Schengen, avec le mécanisme d'échange d'informations du système d'information Schengen, le SIS, qui fait désormais partie - nous le savons, nous, mais il est insuffisamment connu - de l'acquis de l'Union européenne, facilite au maximum le circuit d'informations entre les systèmes judiciaires nationaux. Le travail en direct entre les magistrats des pays relevant de l'espace Schengen est devenu une réalité, qui s'amplifie encore avec sa mise en oeuvre toute récente dans les pays nordiques.
Les ministres de la justice et des affaires intérieures ont ainsi fait leur la demande des juges de pouvoir mieux travailler ensemble. C'est devenu un objectif essentiel de la négociation au sein des conseils Justice et Affaires intérieures de l'Union ; je peux en témoigner pour ce qui concerne le dernier.
Le tissu conventionnel s'est étoffé, même si, comme on l'a souvent relevé dans cette enceinte, il reste largement à appliquer. Je voudrais citer les conventions d'extradition de 1995 et de 1996 et la nouvelle convention d'entraide judiciaire pénale de 2000.
Cette dernière convention, en permettant l'exécution des demandes d'entraide judiciaire selon le droit de l'Etat requis et en prévoyant la mise en place d'équipes communes d'enquête, va bouleverser les pratiques de l'entraide répressive et lui donner une efficacité et une fluidité bien supérieure.
Le projet Eurojust s'inscrit donc dans un mouvement qui vise à obtenir une véritable coordination de l'action publique européenne, en permettant ainsi de rendre plus cohérent et plus efficace le travail des magistrats en Europe.
L'unité provisoire Eurojust a déjà commencé à accomplir cette mission. Son expérience doit contribuer à nourrir la négociation de l'unité définitive, qui doit exister dès l'année prochaine.
C'est d'ailleurs ce que précise expressément la décision du conseil du 14 décembre 2000, qui institue l'unité provisoire de coopération judiciaire Eurojust.
C'est pour cela que la présidence française a voulu qu'Eurojust soit inscrite dans le traité sur l'Union européenne, comme instrument essentiel de cette coopération judiciaire en Europe. C'est ce que nous avons obtenu avec une grande satisfaction, car la coopération judiciaire est ainsi placée au niveau juridique communautaire le plus haut et rattrape, sur ce plan, le retard pris sur la coopération policière, l'Office européen de police, Europol, ayant été inscrit dans le traité sur l'Union européenne dès Maastricht.
Désormais, la mention d'Eurojust figure aux articles 29 et 31 du traité sur l'Union européenne, modifiés par le traité de Nice.
Je crois important de rappeler que les débats n'ont pas toujours été faciles. Mais je pense que nous saurons ensemble tirer les leçons d'une négociation qui nous a sûrement permis de mieux comprendre l'attitude de tel ou tel Etat, point sur lequel M. Fauchon, notamment, a fait part tout à l'heure de ses interrogations. Nous avons peut-être plus appris au cours de cette négociation que jamais auparavant quant aux raisons profondes de l'opposition ou de la réserve de certains pays.
Que pouvons-nous attendre d'Eurojust ?
Je ne pense pas que la négociation de l'instrument créant l'unité définitive aboutisse à un parquet européen, ou à quelque chose qui puisse être considéré comme un parquet européen.
En effet, ce nouvel organe s'inscrit en cohérence avec les mécanismes de coopération déjà existants : les magistrats de liaison, dont vous avez rappelé l'efficacité, et le réseau judiciaire européen.
Pour ce qui est des magistrats de liaison, il s'agit d'une idée française, que nous avons mise en application dès 1993 avec l'Italie. L'expérience s'avéra si fructueuse qu'elle s'est poursuivie avec les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Espagne, la République tchèque, le Royaume-Uni, et qu'elle a fait l'objet d'un instrument juridique européen : l'action commune du 22 avril 1996, qui donne un cadre juridique auquel peut se référer désormais chacun des Etats de l'Union, comme viennent de le faire l'Italie et l'Espagne en s'échangeant des magistrats de liaison.
Les magistrats de liaison restent un cadre de coopération bilatérale, ce qui n'est pas le cas du réseau judiciaire européen, cadre multilatéral mis en oeuvre par un instrument du Conseil des ministres du 29 mai 2000.
Ce réseau, en fait, constitue un maillage de toute l'Europe judiciaire pénale, en veille 24 heures sur 24, qui permet à chaque magistrat d'un pays de l'Union d'avoir un interlocuteur direct, s'il le souhaite, par exemple chaque fois qu'une commission rogatoire pose des problèmes ou qu'une procédure d'extradition ne fonctionne pas.
Il s'agit d'un dialogue en direct, qui évite le cheminement par les autorités centrales. Bientôt, le réseau sera appuyé par un système de communications cryptées sur l'Internet. Déjà, il a édité sur cédérom toutes les informations relatives aux procédures nationales nécessaires aux praticiens, ainsi qu'aux compétences territoriales de toutes les autorités judiciaires européennes en matière pénale.
L'esprit qui préside au fonctionnement du réseau judiciaire européen est une volonté commune à tous ses membres de faire en sorte que les systèmes judiciaires d'Europe travaillent ensemble. Dans notre pays, ce réseau compte un représentant dans chaque cour d'appel et deux à l'administration centrale. La tâche de ces représentants permanents est de faciliter la connexion entre la ou les autorités judiciaires requérantes et les magistrats territorialement compétents dans leur ressort.
Grâce au réseau, alors qu'auparavant nombre de commissions rogatoires s'enlisaient dans l'inertie ou bien étaient retournées sans être exécutées, du fait de difficultés juridiques inextricables liées à l'absence de dialogue entre les justices d'Europe, des progrès très sensibles ont été accomplis. Il en va de même dans le domaine des requêtes extraditionnelles.
J'ajoute que, pour créer, dès la période de formation des magistrats et tout au long de leur carrière, cette culture judiciaire européenne commune et plus de solidarité, la présidence française a conçu avec la Commission européenne une mise en réseau de toutes les autorités ou institutions qui, comme notre Ecole nationale de la magistrature, sont chargées de la formation des magistrats en Europe.
L'unité Eurojust est définie par les conclusions du Conseil européen de Tampere comme « une unité de procureurs, de magistrats ou d'officiers de police ayant des compétences équivalentes, détachés par chaque Etat membre selon son système juridique », comme vient de le rappeler Mme Borvo.
Deux missions lui sont assignées : contribuer à la coordination des poursuites et apporter son concours aux enquêtes relatives aux affaires de criminalité organisée.
Tampere indique aussi qu'Eurojust devra coopérer avec le réseau judiciaire européen afin de simplifier l'exécution des commissions rogatoires et pourra utiliser les analyses d'Europol.
C'est peu pour ceux qui restent sur leur faim du fait du refus opposé par les Etats à la propositions de la Commission de créer un parquet européen, il est vrai uniquement chargé de la lutte contre la fraude aux intérêts financiers des Communautés - comme le souhaitait cette proposition en modifiant l'article 280 du traité sur les Communautés européennes et en créant un nouvel article 280 bis - et non pas de la lutte contre la criminalité organisée transnationale en général. Cette mauvaise ou insuffisante explication a quelque peu dévié le débat par rapport à la réalité.
A ce sujet, je voudrais dire que le travail accompli depuis 1997 par les auteurs du corpus juris ne doit pas occulter que la création d'un parquet européen, même aux compétences limitées à la protection des intérêts financiers des communautés, est une décision qui doit être prise par les chefs d'Etat et de Gouvernement et que ceux-ci n'étaient manifestement pas prêts à franchir ce pas à Nice.
Cela ne doit pas conduire à sous-estimer l'utilité d'une institution comme Eurojust, qui reste un instrument de coopération, mais qui s'inscrit dans le droit-fil de ce qui a déjà été commencé avec Schengen, les magistrats de liaison et le réseau judiciaire européen, et qui est compétente pour toutes les formes de criminalité organisée transnationale. Ce n'est pas du sensationnel, cele ne fait pas les titres des journaux : c'est du concret.
Maintenant, il faut donner à Eurojust les moyens d'être efficace. Eurojust ne doit pas être « une boîte aux lettres ». C'est pourquoi la présidence française avait retenu comme base de travail un projet, dit « des quatre présidences » - Portugal, France, Suède et Belgique - qui fait d'Eurojust un véritable partenaire des autorités judiciaires pénales des pays de l'Union et des autres structures de coopération, comme l'office Europol, l'OLAF, le réseau judiciaire européen, les magistrats de liaison et, hors de l'Union, l'organisation internationale de police criminelle Interpol et les offices étrangers comme la DEA ou le FBI américains.
Pour cela, il est évident qu'Eurojust doit avoir une existence collégiale et ne pas être une simple addition de membres. Il faut aussi qu'Eurojust ait des moyens, des locaux. Il faut surtout qu'Eurojust ait les compétences les plus larges possibles en matière de criminalité transnationale grave, notamment lorsqu'elle est organisée, lorsqu'elle touche deux Etats de l'Union au moins, particulièrement quand il s'agit de structures criminelles en réseau : le terrorisme, le trafic de produits stupéfiants, le trafic d'êtres humains, le blanchiment, la fraude au budget communautaire, la contrefaçon, la cybercriminalité, par exemple, en matière de pédopornographie. Ce sont les sujets cruciaux qui sont actuellement en cours de négociation dans le cadre du futur instrument définitif. Ce sont aussi les sujets cruciaux que les citoyens nous reprocheraient de ne pas traiter au niveau européen.
N'imposons pas une liste trop détaillée de missions à Eurojust : il faut lui permettre d'être efficace contre toutes les formes de criminalité qui utilisent la libre circulation des personnes et des biens. De toute façon, l'établissement d'une liste crée nécessairement des exclusions.
Il faut qu'Eurojust puisse prendre des initiatives, faire des demandes aux autorités judiciaires des Etats pour coordonner les enquêtes et améliorer la coopération, et que celles-ci soient tenues - j'insiste sur ce terme - de lui répondre.
Il faut qu'Eurojust permette aux autorités judiciaires nationales d'exercer un contrôle effectif sur la coopération policière dans les Etats membres, y compris lorsqu'elle met en oeuvre les compétences opérationnelles d'Europol. On répondra ainsi à certaines craintes exprimées tout à l'heure.
Il faut que les magistrats nationaux siégeant à Eurojust aient des compétences reconnues dans leurs Etats respectifs afin, notamment, de pouvoir recueillir toutes les informations nécessaires à l'exercice de leur mission et solliciter des actions de la part des autorités chargées de enquêtes et des poursuites : par exemple, la participation à des équipes communes d'enquête, la définition de stratégies d'action publique pour détruire tel ou tel réseau criminel.
Je n'ignore pas, en évoquant cette participation et cette définition de stratégies, que nous avons, à cet égard, du travail à faire. D'ici à l'été, il nous faudra essayer d'être encore plus convaincants que nous ne l'avons été jusqu'à présent.
Eurojust est dans le traité de l'Union européenne : il conviendra donc de réfléchir à sa présence dans notre code de procédure pénale.
Eurojust doit participer au dispositif d'évaluation des Etats sur leurs capacités à accorder l'entraide judiciaire et l'extradition dans des conditions satisfaisantes.
Au vu de son expérience pratique, Eurojust devra devenir un interlocuteur du Conseil et de la Commission pour suggérer des améliorations du dispositif européen de coopération pénale.
Eurojust devra également proposer des modifications des législations nationales quand celles-ci présentent des lacunes préjudiciables à une lutte efficace contre la criminalité organisée transnationale.
Ces derniers aspects pourraient prendre, par exemple, la forme d'une communication annuelle au Conseil des ministres.
Je suis confiante dans le progrès que va permettre Eurojust, et je salue la vision qui a permis la mise au travail, dans des délais inconnus jusqu'ici dans le troisième pilier, de l'unité provisoire Eurojust, où j'ai rencontré des gens qui n'auraient certainement pas délaissé des fonctions comme celles de chef du parquet de Palerme, de procureur national en Belgique, de procureur général antiterroriste en Allemagne, de procureur-chef du parquet financier de Suède, de procureur à l'Audience nationale espagnole, de chef de service des affaires européennes et internationales de mon ministère, pour être des « boîtes à lettres » ou faire du « tourisme judiciaire », comme je l'ai lu quelque part.
Ces gens-là méritent d'être pris au sérieux et d'être jugés sur pièce. Il faut compter avec eux, travailler avec eux, les aider.
Lors de ma visite à l'unité provisoire, j'ai su que les membres de celle-ci avaient déjà commencé à concevoir des initiatives et à traiter, dans les dix jours de leur installation, près de vingt dossiers dans lesquels une coordination s'imposait : une importante affaire de réseau terroriste, un vaste trafic de subventions aux produits laitiers, un important trafic de cocaïne - deux tonnes et demie, m'a-t-on dit - tous ces dossiers concernant directement plusieurs Etats membres.
Ce n'est pas « l'Europe judiciaire à reculons », comme ont cru pouvoir titrer deux journaux français. La presse des autres pays européens est, heureusement plus positive ! Peut-être pourrait-on faire une résolution sur la traduction obligatoire des articles de la presse européenne ! (Sourires.) Je ne suis pas sûre que nos journalistes aient même pris la peine d'aller rencontrer les magistrats nationaux d'Eurojust... Je pense qu'une visite s'impose et j'espère que nous pourrons rapidement l'organiser.
En vérité, le fait que tous ces gens-là se retrouvent plusieurs jours par semaine avant de se retourner vers leurs collègues magistrats dans chaque Etat est une grande avancée, le Gouvernement et votre assemblée doivent faire en sorte qu'elle soit un progrès durable et un atout décisif dans la lutte contre la criminalité organisée transnationale.
Ce progrès ne sera réalisé que si Europol, notamment, et l'OLAF aussi d'ailleurs, acceptent de jouer le jeu, comme les chefs d'Etat et de Gouvernement le leur ont demandé.
Et si, ayant épuisé toutes les possibilités de coopération, il apparaît qu'un parquet est nécessaire, non seulement pour la protection des intérêts financiers mais aussi pour la criminalité grave transnationale, alors, il faudra rechercher une justice plus intégrée.
Mais surtout, ne faisons pas d'idéologie « européiste » a priori : partons des réalités concrètes et utilisons les ressources de la construction européenne !
La résolution qui vous est soumise, mesdames, messieurs les sénateurs, constitue donc, aux yeux du Gouvernement, une contribution importante à la prise de conscience, par l'ensemble des autorités concernées, non seulement de l'utilité de faire fonctionner rapidement Eurojust, mais encore de doter cette unité des moyens et des compétences nécessaires à l'exercice des missions que lui a fixés le Conseil européen de Tampere.
J'ai noté et apprécié la volonté du président de votre délégation pour l'Union européenne, M. Haenel, de voir la France installer des magistrats de liaison dans tous les autres pays. Je m'y emploie et vais même au-delà, car je souhaite voir aussi des magistrats de liaison de tous les Etats membres installés à Paris. D'ailleurs, M. Jack Straw m'a annoncé l'installation, en mai, à Paris, d'un magistrat britannique.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Bonne nouvelle !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Chaque rencontre bilatérale permet de faire le point sur l'installation ou la non-installation des magistrats de liaison.
S'agissant des conventions sur l'extradition de 1995 et de 1996, mes services ont achevé le texte portant sur la mise en oeuvre d'une procédure simplifiée et rapide d'extradition. Ce texte est en cours d'examen interministériel. C'est un moment à la fois important et délicat, mais j'espère qu'assez vite nous aurons le plaisir de le voir en discussion.
J'ajouterai simplement, pour conclure, que votre débat de ce matin et surtout le travail qui l'a précédé, ainsi que la qualité du rapport, vont faire avancer ce dossier.
Je pense que, pour les jeunes de notre pays, l'Europe n'existera jamais vraiment si le trafic des êtres humains, la criminalité organisée, les réseaux terroristes font simplement l'objet d'une attentive observation. Il est grand temps d'aller au-delà ! Nous devons être efficaces : nous n'avons pas le droit, pour nos générations futures, pour notre pays, de perdre du temps.
L'Europe de la justice est une Europe essentielle : la justice est la garante de la démocratie dans notre pays et la garante de la démocratie européenne. Le Premier ministre a rappelé qu'un projet européen était nécessaire pour que tous les discours sur la mondialisation trouvent une traduction concrète de nature à apaiser l'inquiétude des citoyens : l'originalité européenne se bâtira si la justice européenne devient enfin une réalité. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la proposition de résolution adoptée par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.