SEANCE DU 23 JANVIER 2001


SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Démission d'un membre d'une commission et candidatures (p. 1 ).

3. Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. - Suite de la discussion d'une proposition de loi organique déclarée d'urgence (p. 2 ).

Discussion générale (suite) : MM. René Garrec, Gérard Larcher, Jean-Patrick Courtois, Jean-Pierre Schosteck.

4. Modification de l'ordre du jour (p. 3 ).

5. Nomination de membres de commissions (p. 4 ).

6. Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. - Suite de la discussion d'une proposition de loi organique déclarée d'urgence (p. 5 ).

Discussion générale (suite) : M. Philippe Marini.

Suspension et reprise de la séance (p. 6 )

7. Rappel au règlement (p. 7 ).
MM. Jean-Jacques Hyest, le président.

8. Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. - Suite de la discussion d'une proposition de loi organique déclarée d'urgence (p. 8 ).

Discussion générale (suite) : MM. Roger Karoutchi, Patrick Lassourd, Gérard Cornu, Dominique Braye.

9. Renvoi de la suite de la discussion (p. 9 ).
MM. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement ; Jacques-Richard Delong, Jacques Larché, président de la commission des lois ; Guy Allouche, le président.
Rejet de deux motions d'ordre.

10. Transmission d'un projet de loi organique (p. 10 ).

11. Dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle (p. 11 ).

12. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution (p. 12 ).

13. Dépôt d'un rapport (p. 13 ).

14. Ordre du jour (p. 14 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

DÉMISSION D'UN MEMBRE
D'UNE COMMISSION ET CANDIDATURES

M. le président. J'ai reçu avis de la démission de M. René-Georges Laurin, comme membre de la commission des lois, et de la place laissée vacante par M. Xavier Dugoin depuis le 17 janvier 2001 à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom des candidats proposés en remplacement.
Ces candidatures vont être affichées et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du règlement.

3

DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi organique (n° 166, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. [Rapport n° 186 (2000-2001).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Garrec.
M. René Garrec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'avais l'intention d'intervenir uniquement sur l'aspect formel du texte qui nous est soumis. Mais ce matin, sur le chemin du Sénat, je me disais que je devais manquer de bon sens : en effet, après avoir passé vingt-quatre ans de ma vie au Conseil d'Etat, je ne comprends toujours pas la question juridique, à tel point que j'en suis arrivé à me demander si je n'étais pas complètement « nunuche » !
Par conséquent, avant d'en venir au propos que j'avais préparé, je voudrais réfléchir tout haut avec vous sur la légitimité juridique et politique de la réforme qui nous est soumise.
Monsieur le ministre, j'avoue ne pas comprendre la position juridique du Gouvernement. Ce n'est pas grave ! Retraité du Conseil d'Etat depuis le 25 décembre dernier, je ne suis donc plus un élément perturbateur de ce système, et, si je dis des bêtises ici, la maison dans laquelle j'ai vécu très heureux pendant de longues années ne m'en voudra sûrement pas ! (Sourires.)
Réfléchissant au problème qui nous est soumis, je me disais que la politique ressemblait un peu à un système biologique : cela vit, cela vieillit, cela meurt. Mais ma définition de la politique serait plutôt la suivante : en politique, on durcit sur certains points, on pourrit sur d'autres, on ne mûrit jamais ; mais cela n'engage que moi !
Ayant finalement considéré que les liens avec la biologie n'étaient pas tout à fait établis, je me suis demandé pourquoi cette partie juridique appelait tant de réflexions, et même tant d'incompréhensions entre d'éminents professeurs d'université, dont au moins un - le doyen Gélard - est présent ici.
Il me semblait que le système d'élection du Président de la République, prévu par la Constitution de 1958, avait connu deux phases : tout d'abord, jusqu'en 1962, l'élection du Président de la République par les parlementaires réunis à Versailles, qui impliquait que l'Assemblée nationale soit élue d'abord. Ensuite, à partir de 1962, l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, qui a donné la primauté à ce dernier. Certes, l'Assemblée nationale est également élue au suffrage universel, mais il y a des circonscriptions. Par conséquent, il me semblait que la priorité des choses voulait que l'on s'intéresse d'abord à la Présidence de la République.
Mais quel est l'esprit de la Constitution ? Je voudrais m'arrêter quelques secondes sur ce point.
En effet, lorsque l'on étudie la légalité d'un décret ou d'une circulaire - et les choses sont encore plus difficiles si la circulaire est interprétative, donc nulle de droit - et que l'on recherche un peu de clarté, on se réfère automatiquement aux travaux préparatoires de la loi.
Mais comment se référer aux travaux préparatoires de la Constitution sinon en réfléchissant à l'esprit de ceux qui l'ont écrite, qui en ont été à l'origine, et donc à ce que pensaient le général de Gaulle et l'éminent juriste qu'était Michel Debré ? Or, je n'ai pas trouvé dans les écrits de ces deux personnalités éminentes... Je ne suis toujours pas dans mon propos, monsieur le président, mais je continue un peu, parce que je tiens à m'expliquer sur mon incompréhension.
M. le président. Vous disposez d'un temps de parole de quinze minutes.
M. René Garrec. Pas plus ? Quinze minutes, c'est peu, car cela m'oblige à parler très vite : à la limite du subliminal ! (Sourires.)
Je dois dire que, après réflexion, je ne comprends pas le problème juridique ; et je pense que, malheureusement, il n'y a aucune légitimité juridique à cette réforme.
En effet, la Constitution est ainsi faite que le Président de la République peut mourir, comme c'est déjà arrivé ; on ne peut pas garantir par la Constitution qu'un président de la République en exercice ne mourra pas ! D'ailleurs, c'est dommage : cela prouve la limite de nos pouvoirs ! (Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Nicole Borvo. Ça, c'est vrai !
M. René Garrec. On ne peut donc pas garantir à un président de la République qu'il vivra le temps de son mandat.
Par ailleurs, on ne peut pas obliger le Président de la République à rester s'il n'est pas content. Il faut le laisser partir ; donc, il peut s'en aller.
M. Serge Vinçon. Cela peut arriver !
M. René Garrec. Cela peut effectivement arriver ! Enfin, le Président de la République peut en avoir assez de discuter avec une Assemblée nationale qui n'est pas de son avis, et il peut donc la dissoudre. On ne peut pas l'en empêcher ! Ça, c'est la Constitution !
Je ne vois donc pas où est la légitimité juridique.
Mais je ne trouve pas plus de légitimité politique à la proposition du Premier ministre.
Une phrase d'un éminent juriste, M. Dominique Chagnollaud, auditionné récemment par la commission des lois, me semble résumer, à elle seule, le débat sur la modification du calendrier qui nous réunit aujourd'hui. « Derrière un habillage institutionnel, il y a surtout un débat d'opportunité. » Le terme « opportunité » est-il encore bien approprié aujourd'hui ? Je ne le crois pas, car l'opportunité me semble avoir laissé la place à une convenance personnelle, parfaitement légitime d'ailleurs, d'un homme que je ne citerai pas tout de suite, qui ne s'est pas encore déclaré candidat à la Présidence de la République, mais qui me paraît carré dans les starting-blocks ... (Rires sur les travées du RPR.)
M. Gérard Larcher. C'est qui ?
M. René Garrec. La suite de mon propos vous le dira peut-être ! (Exclamations sur les travées du RPR.)
Plusieurs sénateurs du RPR. Des noms !
M. René Garrec. Comment pourrait-on analyser autrement le revirement opéré par le Premier ministre ? Et c'est la réponse à votre question légitime, mes chers collègues ! (Rires sur les travées du RPR.) Lors de son intervention télévisée du 19 octobre dernier, il déclarait ceci : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. »
M. Alain Gournac. Oh !
M. René Garrec. « Moi, j'en resterai là, et il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises. » Je suis totalement d'accord avec ce propos.
Comme l'a mentionné, à plusieurs reprises, le Président de la République, « les Français n'aiment pas que l'on modifie les règles du jeu juste avant de jouer ». Même les enfants n'aiment pas ça ! (Rires sur certaines travées du RPR.) « Ils soupçonnent immédiatement les acteurs de vouloir tricher, d'avoir des arrière-pensées politiques personnelles. »
Aujourd'hui, c'est effectivement ainsi que la proposition d'inversion du calendrier électoral de 2002 est perçue par nos concitoyens.
En effet, selon un sondage IFOP réalisé à la fin du mois de novembre 2000, plus de la moitié des Français qualifient de « manoeuvre politique » la proposition d'inversion du calendrier soutenue par le Premier ministre.
Une telle modification du calendrier à quelques mois des échéances et les débats politico-politiques qu'elle suscite donnent non seulement le sentiment aux Français de « calculs électoraux » - les gens méchants auraient parlé de « magouilles électorales », mais je n'en fais pas partie ! (Rires sur les travées du RPR) - mais également discréditent la classe politique dans son ensemble.
M. Alain Gournac. Ça, oui !
M. René Garrec. Or, mes chers collègues, je vais vous faire une confidence : elle n'en a vraiment pas besoin !
M. Christian Bonnet. rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ça, c'est bien vrai !
M. René Garrec. Il faut le dire ! Je profite de l'absence de la gauche pour le dire,...
M. Robert Bret. D'une partie de la gauche !
M. René Garrec. Excusez-moi, mon cher collègue ! Merci d'être là ! (Rires sur les travées du RPR.) Mais je vous citerai d'ailleurs tout à l'heure.
Mme Nicole Borvo. Nous sommes effectivement là !
M. René Garrec. Avec votre présence, madame, la parité est respectée ! (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
Il faut dire les choses comme elles sont : nos concitoyens ne se sentent pas concernés. Ils s'intéressent aux retraites, à un tas de choses ; mais là, ils s'interrogent à juste titre sur les intérêts non avoués des hommes politiques dans cette opération.
S'agissant de l'« esquisse de consensus pour que des initiatives puissent être prises », je n'ai pas perçu le début de la moindre ébauche de consensus. Peut-être est-ce de la maladresse de ma part ! Monsieur le ministre de l'intérieur, vous avez tenu des propos un peu similaires à l'Assemblée nationale, le 20 octobre 2000, en soulignant que, « dans l'hypothèse où un très large accord sur l'inversion des échéances électorales apparaîtrait, le Gouvernement serait disponible pour en débattre ». Par conséquent, peut-être pourrez-vous nous éclairer sur le sens des termes « consensus » et « large accord ».
Essayant de suivre les propos des personnes éminentes qui nous représentent, j'ai noté que Mme Guigou estimait, le 25 septembre 2000, qu'« il ne fallait pas changer les règles du jeu juste avant l'élection, car chaque fois que cela se produit on peut être accusé de vouloir trafiquer » et qu'en conséquence « il ne serait pas opportun de changer le calendrier ».
J'ajoute que les membres du parti communiste - je tiens à remercier ceux qui sont aujourd'hui présents dans cette enceinte (Rires sur les travées du RPR) - ainsi que les Verts, que l'on peut toujours, je pense, qualifier d'acteurs de la gauche plurielle, sont opposés à un changement de calendrier électoral.
Aussi, il semble que nous n'ayons pas la même notion du consensus, puisque les avis divergent au sein de la majorité plurielle, comme, malheureusement, un peu aussi dans l'opposition.
M. Robert Bret. Un peu beaucoup !
Mme Nicole Borvo. Voilà ! Chacun ses problèmes ! (Marques d'approbation sur les travées du RPR.)
M. René Garrec. Mais je constate que vous avez fait un pas en avant, ma chère collègue, même si, nous, nous avons fait un pas en arrière ! (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
Pis encore - et là mon incompréhension grandit ! - c'est le Premier ministre, M. Jospin, candidat sans doute, qui a changé de position. Ainsi, le 26 novembre dernier, lors du congrès du parti socialiste, qui est, en gros, à la règle de droit ce que Le Monde est au Journal officiel (Nouveaux rires sur les mêmes travées) , il a plaidé pour le report des législatives après la présidentielle. Il a avancé, pour ce faire, les arguments de « clarté » et de « respect de la portée de chaque élection ».
Ce revirement à cinq semaines d'intervalle - c'est une fois le cycle lunaire - au mépris de l'opinion de ses partenaires, que je considère avec respect, n'est autre que la marque semble-t-il - je m'avance peut-être ! - d'un calcul personnel - les gens méchants pourraient dire « politicien », ce qui, dans le cas précis, est d'ailleurs une tautologie.
A compter de cette annonce, la course était lancée. Le débat parlementaire a commencé : à peine un mois entre le dépôt, le 5 décembre, des différentes propositions de loi, en particulier de celle qui nous intéresse, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, et l'examen par les députés en séance publique, les 19 et 20 décembre. Je souligne, par ailleurs, que le texte est discuté selon la procédure de l'urgence.
Permettez-moi, à cet égard, de citer Lyautey, militaire très compétent qui a beaucoup fait pour la France au Maroc et qui est considéré, tant dans les annales militaires que dans celles de la République, comme un homme éminent : « Il n'y a pas de problème urgent, il n'y a que des gens pressés. »
J'ai volontairement choisi un militaire, qui plus est ayant servi dans l'infanterie, où, dit-on, la tête n'est pas indispensable ; il faut deux bras pour porter un fusil, deux jambes pour marcher et deux oreilles pour porter le képi et recevoir les ordres ! (Rires sur les travées du RPR.)
M. Gérard Larcher. Il ne faut pas dire du mal des fantassins !
M. René Garrec. Nous discutons donc de ce texte selon la procédure de l'urgence, alors que - je le constate - le Gouvernement montre beaucoup moins d'empressement pour des réformes très attendues, toujours remises à demain ; celle des retraites, qui me concerne plus particulièrement depuis le 25 décembre dernier ; celle du droit de la famille, qui me concerne également en tant que père de famille ; celle du statut de l'élu, qui, aux dires des maires de ma région, n'avance pas ; et bien d'autres réformes encore.
Ainsi, il paraît que les fonctionnaires ne sont pas contents, que des tas de gens protestent, même s'il est vrai que c'est là la vie de tous les jours, que cela s'est produit sous tous les gouvernements. Il n'empêche : bien d'autres réformes étaient urgentes.
Et puis, il y a la considération qui est due au Sénat. (Ah ! sur les travées du RPR.) Il nous faut bien parler du Sénat, car, si nous ne le faisons, qui le fera ? (Rires sur les mêmes travées.)
On a dit pis que pendre du Sénat, surtout au travers de propos qui ont été reproduits récemment dans la presse - il n'y a plus de censure, tout va mal ! (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
Le Gouvernement a imposé l'inscription du présent texte à notre ordre du jour. Il a obligé notre excellent rapporteur, M. Christian Bonnet, à présenter le même jour son rapport en commission et dans l'hémicycle. (Exclamations indignées sur les travées du RPR.) Certes, il en était capable ! (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
M. Gérard Larcher. La preuve !
M. René Garrec. Mais, tout de même, au fond, c'est désobligeant !
Dans ce contexte, éclairés que nous sommes par le traumatisme qu'a subi notre éminent collègue, comment le Premier ministre peut-il, d'un côté, souhaiter « que le printemps 2002 ne soit pas un printemps de confusion et de choix de convenance », en appeler à « l'esprit des institutions de la Ve République » - je l'ai dit, si je comprends que l'on puisse parler d'esprit pour une loi, je ne comprends pas qu'on puisse le faire pour une constitution - et, de l'autre, tout mettre en oeuvre pour que le débat parlementaire soit tronqué et précipité, et donc démontrer que le changement de calendrier électoral est effectivement une initiative purement politicienne ?
Alors, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit ! (Rires sur les travées du RPR.) Il ne s'agit pas, pour moi, de balayer d'un revers de main et sans débat la question de l'inversion de l'ordre des élections législatives et présidentielle en 2002. On peut trouver des éléments discutables, au sens étymologique du terme, donc amenant à une discussion qui peut même être approfondie sur le sujet.
D'ailleurs, les avis des constitutionnalistes ont été clairs : il n'y en a pas un qui ressemble à l'autre. Voilà qui permettait un long et vaste débat qui aurait fait progresser la science politique et le droit constitutionnel ! Je regrette que ce débat intéressant pour la République n'ait pas eu lieu.
En l'occurrence, nous assistons, une fois encore, à des manoeuvres électoralistes - je suis désolé d'avoir à le dire, mais cela y ressemble tellement ! - menées plus particulièrement par le parti socialiste, qui se place clairement dans une logique de campagne électorale.
Les trois années du Gouvernement de M. Jospin ont été très chargées en ce domaine. Il y a eu la limitation du cumul des mandats - ce n'est pas forcément mauvais, mais encore faut-il l'appliquer ! Il y a eu la parité, il y a eu l'élection des sénateurs.
Je relève au passage que le président de l'Assemblée nationale a déclaré que le Sénat ne devait pas se mêler des élections à l'Assemblée nationale, car il est de tradition que chaque assemblée garde sa liberté en ce domaine. Je constate tout de même que l'Assemblée nationale s'est bougrement mêlée des nôtres !
Au travers de ces différents textes, les objectifs sont les mêmes. Ils sont politiques. Ils ont été poursuivis avec une grande constance. On les retrouve encore aujourd'hui.
Il s'agit de renforcer l'hégémonie du parti socialiste. Si j'étais socialiste, je ferais peut-être la même chose : encore faut-il ne pas trop le montrer, ou bien alors l'admettre. On veut transformer le jeu politique pour se donner de meilleures chances de conserver le pouvoir après l'avoir conquis démocratiquement - c'est vrai de tous les partis, mais là, c'est particulièrement flagrant.
A chaque fois, le discours officiel et les leçons de bonne conduite politique serinées par le Gouvernement visent à cacher une arrière-pensée électoraliste que même ici, malgré ce qu'on a dit ailleurs du Sénat, nous avons tous comprise et que nous avons estimé devoir dénoncer.
Voilà quelques jours, notre éminent collègue Michel Charasse, citant une anecdote tout à fait passionnante, a dit : « Ce n'est pas une banale loi électorale, c'est une question d'ordre constitutionnel qui touche au fonctionnement de nos institutions ; il faut savoir comment on veut gouverner la France. » Je crois qu'il avait raison.
M. Bret, que je citerai de façon plus synthétique, a dit, pour sa part : « C'est une réforme constitutionnelle et c'est une belle manoeuvre. »
Ayant ainsi rendu à César ce qui était à César, j'en reviens à mon propos.
Combien de fois n'avons-nous pas entendu le Gouvernement accuser le Sénat de l'avoir empêché d'aller plus loin dans le projet visant à lutter contre le cumul des mandats ? Or, aujourd'hui on entend la ministre de l'emploi et de la solidarité, candidate à la mairie d'Avignon, annoncer sans sourciller qu'en cas de victoire elle assumera ses fonctions de ministre et de maire. Si ce n'est pas là du cumul, je ne comprends plus rien !
Alerté par l'utilisation de ces méthodes pour le moins curieuses - j'avais écrit dans mon discours « sournoises », mais j'ai rayé parce que ce n'était pas convenable - et à répétition, je m'interroge très sérieusement et objectivement - j'espère que l'on n'en doute pas ! - sur les motivations du Premier ministre lorsqu'il demande au Parlement de se prononcer, dans des conditions de précipitation que j'ai rappelées tout à l'heure, sur la proposition de loi relative à l'inversion du calendrier électoral.
Je me suis demandé pourquoi un petit nombre de collègues de l'opposition nationale étaient favorables à l'inversion du calendrier. Je crois qu'ils devraient réfléchir avant la deuxième lecture à l'Assemblée nationale !
Nous sommes en présence d'une proposition de loi organique, qui peut donc être adoptée, faute d'accord avec le Sénat, à la majorité de l'Assemblée nationale, et qui n'est pas passée par le filtre du Conseil d'Etat, ce que je déplore.
Il serait regrettable que ce calendrier, qui a été fortement compacté - c'est pratiquement une sculpture de César, il n'y a plus de place ! - aboutisse à un agrégat de voix si curieux et si contraire, me semble-t-il, à l'esprit de nos institutions. On joue peut-être à l'apprenti sorcier. En tout cas, les électeurs jugeront.
En ce qui me concerne, convaincu par la qualité du rapport de notre collègue Christian Bonnet, par l'intelligence de sa proposition, je suivrai l'avis de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne m'attacherai pas, ce matin, à faire l'exégèse de la Constitution pour savoir si le texte qui nous est présenté en respecte l'esprit et la lettre. Sur le sujet, le moment venu, le Conseil constitutionnel tranchera.
Je ne m'appesantirai pas non plus sur les arrière-pensées quelque peu triviales qui semblent avoir guidé, en l'espèce, le Gouvernement. L'opinion est maintenant bien informée et l'histoire tranchera finalement par le vote des Français, l'an prochain.
Je ne me permettrai pas, enfin comme certains l'ont fait, d'interpréter la Constitution, en me référant au prétendu esprit gaullien de celle-ci.
Je me contenterai de citer très largement - il ne m'en voudra pas - un « gaulliste éclairé », un « gaulliste averti », dirai-je, qui a donné longuement au Sénat son avis sur le caractère douteux et très probablement politicien de toute velléité de prolonger un mandat électoral.
Cet « avis gaullien » est d'autant plus intéressant qu'il émane d'une éminente personnalité du groupe socialiste. Je ne vous dirai son nom que tout à l'heure, après vous avoir fait part de ses réflexions tout à fait pertinentes sur le sujet.
Ce « gaulliste averti » que je vais avoir maintenant l'honneur de citer, en espérant le faire avec le même souffle que lui alors, s'exprimait au printemps 1994, à cette tribune, à propos de la prolongation de la durée des mandats municipaux.
Sans trahir en rien sa pensée, je me contenterai simplement de citer les passages les plus clairvoyants et d'adapter les propos tenus dans ces circonstances à la réforme que nous avons à examiner aujourd'hui : quand vous entendrez les mots : « Lionel Jospin », c'était Jacques Chirac ; quand vous entendrez « RPR », c'était « parti socialiste », et inversement.
Je commence la citation : « Dans la catégorie des manoeuvres politiciennes et partisanes, ce projet de loi » - entendez, aujourd'hui, la proposition de loi organique - « est un modèle du genre. (...)
« Selon le Gouvernement, ce texte ne se fonde que sur des impératifs exclusivement juridiques, qui découlent du calendrier de la préparation de l'élection présidentielle.
« Je m'empresse d'ajouter - ce que vous n'avouerez pas, monsieur le ministre d'Etat - qu'il est d'abord et avant tout le produit d'arrière-pensées politiques, et qu'il vous aura fallu des mois de tractations et de marchandages pour arriver au résultat que vous nous présentez. (...)
« Monsieur le ministre, vous avez la réputation, qui n'est d'ailleurs pas usurpée - et, dans ma bouche, n'y voyez aucune connotation péjorative - d'être un habile manoeuvrier. (...)
« Ne vous étonnez pas, dès lors, que notre suspicion soit fondée et légitime. J'ajoute d'ailleurs que nous ne sommes pas les seuls à penser cela.
« De façon on ne peut plus catégorique et péremptoire, vous déclarez qu'il n'y a pas d'autre solution possible. (...)
« Pourtant, ces autres hypothèses existent, mais ils feignent de ne pas s'apercevoir qu'ils maquillent une manoeuvre politique sous un habillage juridique méticuleux.
« Une fois de plus, le Gouvernement entonne le même refrain, quel que soit le sujet ou le projet : il n'y pas d'autre politique possible, il n'y a pas d'autre solution envisageable ! (...)
« Admettre le report ou le non-report, comme vous l'avez fait depuis 1993 » - entendez depuis 1997 - « c'est déjà reconnaître qu'il existe d'autres possibilités et que s'est d'abord exprimée une préoccupation politicienne avant ce qui est devenu pour vous une nécessité juridique.
« Si le Gouvernement était si sûr de son bon droit, celui de l'impératif juridique, pourquoi a-t-il laissé s'engager des négociations, des tractations au sein de la majorité ?
« Si telle était la réalité, monsieur le ministre d'Etat, connaissant l'estime et l'amitié que vous portez à certains responsables de la majorité, on vous aurait certainement entendu leur dire : "Désolé, chers amis, il n'y a rien à négocier, c'est la loi !"...
« Monsieur le ministre d'Etat, tout cela démontre l'inanité de vos remarques sur les motivations exclusivement juridiques de ce projet de loi.
« Il est encore plus grave de constater une fois encore que, lorsque la gauche est au pouvoir, notamment avec le parti socialiste aux commandes » - vous faites l'inversion - « elle se sert des institutions bien plus qu'elle ne les sert ». (...)
« ... que les lois sont faites sur mesure non dans l'intérêt supérieur du pays, mais pour servir des ambitions personnelles. (...)
« En la circonstance, pour arranger les affaires intérieures de la majorité, dont l'union n'est qu'un vernis qui se craquelle chaque jour un peu plus,... vous n'hésitez pas à "triturer" les rendez-vous des Français avec la démocratie, et ce au nom de la tradition républicaine. Hélas ! pour vous, c'est justement la tradition républicaine qui impose le respect des échéances électorales et politiques ! (...)
« En fait, ce projet de loi » - entendez cette proposition de loi organique - « ne vise qu'à satisfaire l'appétit de pouvoir et les ambitions d'un homme : M. Jacques Chirac » - entendez M. Lionel Jospin. (...)
« Oui, j'affirme que c'est un projet pour les convenances personnelles de "M. le Premier ministre", qui, sans jamais rien concéder, ne souhaite pas faire deux campagnes électorales successives.
« Mais qu'il choisisse ! Qu'il crédibilise davantage sa volonté d'être candidat à l'Elysée ! C'est légitime, on le comprend. (...)
« Quelqu'un d'autre "à gauche" disputerait-il à "M. Jospin" son siège et son leadership dans la "majorité » ? (...)
« En vérité, si "M. Jospin" ne veut pas faire deux campagnes, c'est au moins pour deux raisons.
« D'abord, il veut négocier au prix le plus élevé le siège de premier magistrat pour le cas où il entrerait à l'Elysée. D'ici là, gare à celui qui entravera son chemin. Je ne cite personne, mais vous savez à qui je pense. (...) »
« Ensuite, parce que son entrée à l'Elysée est loin d'être évidente, "M. Jospin" ne veut pas tout perdre : conserver sa circonscription de "Cintegabelle" serait sa consolation » (...)
« Vous auriez déclaré » - je cite encore - « de façon tonitruante, toujours avec la même assurance et la même certitude, qu'aucun impératif ne nécessitait le report des élections "législatives", qu'après un examen minutieux les contraintes techniques, juridiques pouvaient être surmontées et ne constituaient aucunement un argument déterminant en faveur d'une modification du calendrier électoral. »
Les propos suivants, au regard du texte de 1994, sont très intéressants : « Dans une démocratie vivante, la vie politique est rythmée par le calendrier électoral. Vous affirmez que la concomitance des deux scrutins est de nature à brouiller le débat essentiel, et j'ajoute, sans être mathématicien, que l'inversion des facteurs ne change pas l'équation.
« Pourquoi feindre d'oublier que, dans notre système institutionnel, la durée inégale des mandats électifs amène immanquablement ce type de coïncidence, de télescopage ? Et si le Conseil constitutionnel, comme l'a rappelé M. le "ministre" a, à plusieurs reprises, validé les reports et modifications du calendrier électoral, c'est parce qu'il a toujours tenu compte de ces éléments incontournables.
« Vous-même, dans votre exposé des motifs, que dites-vous, "monsieur le ministre" ? : "La succession à des dates rapprochées de deux consultations de nature très différente ne peut qu'être nuisible à la clarté de l'expression du suffrage universel par les effets d'influences réciproques ainsi induits." Quel aveu ! (...)
« Vous avouez, parce que vous reconnaissez que c'est bien l'élection présidentielle qui a des effets d'influence sur les élections "législatives" et non l'inverse.
« C'est l'un des signes les plus manifestes de la faiblesse de votre argumentation, c'est là que le bât blesse. Vous voulez doubler la mise électorale : vous pensez qu'en reportant les élections "législatives" l'onde de choc de l'élection présidentielle sera telle que "la gauche" touchera le gros lot à ces élections "législatives" ! » (...)
« Si, avec un tel pari, nous ne connaissons pas encore le vainqueur, nous savons déjà qui sera la grande perdante » : la démocratie.
M. Daniel Goulet. Très bien !
M. Gérard Larcher. « Vous faites disparaître un grand moment civique, les élections "législatives", derrière l'autre grand moment civique, l'élection présidentielle... (...)
« En effet, après le matraquage de la campagne présidentielle, les Français n'auront ni le temps ni la possibilité, et encore moins l'envie, de s'intéresser aux élections "législatives", alors que chacun sait qu'ils leur accordent une place privilégiée... (...)
« Vous auriez pu trouver, monsieur le "ministre", un autre argument que celui sur lequel vous avez bâti votre démonstration. La faiblesse de votre argumentation est patente, évidente. Etonnez-vous, après cela, que votre projet n'emporte pas notre conviction !
« Sans pour autant approuver l'idée de report des élections "législatives", mais pour vous prouver, si besoin est, que vos motivations sont d'ordre politique, voire politicien, je vais me placer, un instant, sur votre terrain.
« Supposons qu'il soit nécessaire de reporter les élections "législatives". Il existe d'autres solutions, plus conformes aux règles et principes en vigueur ! Vous avez déclaré que le Conseil constitutionnel a validé, à plusieurs reprises, le report des élections pour des circonstances exceptionnelles. » Il n'a jamais été saisi sur ce point précis. « Il n'y a donc pas de jurisprudence, et l'insécurité juridique dont certains ont fait état n'est que pure spéculation intellectuelle.
« S'il avait voulu respecter le calendrier électoral, le Gouvernement aurait pu proposer la tenue des élections législatives » à la mi-mars 2001.
Réduire de deux ou trois semaines le mandat législatif aurait été plus judicieux. « Même le Conseil d'Etat aurait admis que nécessité fait loi et qu'à titre exceptionnel le Gouvernement était fondé à agir ainsi. (...)
« Ajouterai-je que cette solution, acceptable par tous, n'aurait fait l'objet d'aucun recours devant le Conseil constitutionnel ? » (...)
« Voilà, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, deux autres solutions possibles, réalisables, conformes à l'esprit et à la lettre de la Constitution et préservant l'intérêt général. D'ailleurs, pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas voulu les retenir et encore moins les explorer » s'il n'était animé d'aucune arrière-pensée politique ?
« S'il est un sujet qui se prête à une concertation élargie, c'est bien celui-là. Or, vous ne l'avez pas voulue, et pour cause ! Vous portez ainsi un coup préjudiciable au bon déroulement de notre vie démocratique... » (...)
« Vous savez également que votre "proposition" de loi engendrera des difficultés insurmontables au moment où il faudra faire la part de ce qui relève de la campagne présidentielle de ce qui a trait aux élections "législatives". (...) D'ailleurs, nous reviendrons sur ce point lors de l'examen des amendements », ajoutait l'auteur de ces lignes.
« Au terme de ce propos, mes chers collègues, je veux réaffirmer que ce ne sont que des préoccupations politiciennes et des considérations purement tactiques qui motivent le texte qui nous est présenté. (...)
« Il espère tirer profit aux "législatives" de la dynamique de la victoire de l'un des siens à l'élection présidentielle. (...)
« Oui, vos actes contredisent vos pensées. Votre proposition de loi mériterait de s'intituler : "Citoyens, prenez garde, une élection peut en cacher une autre".
« On sait d'expérience que l'année de l'élection présidentielle politise tous les autres événements. En fixant les "élections législatives" quelques jours après l'élection présidentielle, votre calcul est purement politicien. C'est une habileté manoeuvrière.
« On ne peut même pas dire que vous apportez une mauvaise solution à un vrai problème. La seule contrainte n'était pas insurmontable, loin s'en faut, et c'est parce que ce dossier est indéfendable, monsieur le "ministre", qu'en la circonstance, permettez-moi de vous le dire, vous êtes un mauvais avocat. Même pour des causes perdues d'avance, vous nous avez habitués à plaider avec davantage de brio. (...)
«Vous ne semblez plus, depuis quelque temps, avoir emprunté le chemin de la victoire. Si vous étiez si confiants, vous n'auriez pas eu besoin de recourir à de telles manipulations. Les insuccès et les reculs » - quelle pertinence ! - « toujours plus évidents du Gouvernement ne vous qualifient pas pour être sûrs et dominateurs comme vous l'êtes.
« S'il est une manipulation que vous ne pourrez pas accomplir, c'est celle de contrarier la volonté d'une majorité de Français qui s'opposent et s'opposeront davantage à votre politique. Plus nombreux sont, chaque jour, celles et ceux qui mesurent les conséquences et les méfaits de votre gestion. (...)
« Vous voulez, monsieur le "ministre", nous tendre un piège. Pénétrez-vous de cette idée : plus vous finassez, plus vous nous stimulez.
« Avec d'autres, nous saurons tirer tous les avantages de ces mesures néfastes que représentent aussi bien cette modification du calendrier électoral que l'ensemble de votre politique. »
Je termine là cette longue citation, mais je pourrais continuer.
J'ajoute cependant que ce discours, dont on peut lire le texte original dans le Journal officiel du Sénat relatant les débats de la séance du 7 juin 1994, aux pages 2239 à 2243, avait été salué par des bravos et des applaudissements sur les travées socialistes et communistes. Mais qui a prononcé, en 1994, cette diatribe si pertinente pour le dossier dont nous discutons aujourd'hui ?
Eh bien, ce n'est autre que notre collègue Guy Allouche, auquel je me permets d'adresser mes félicitations pour la magnifique facture prophétique de son texte d'alors, un texte aujourd'hui quasi septennal qui m'a interdit toute oeuvre originale. (Rires et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) J'ai simplement remplacé, notamment, les mots « municipales » par « législatives », « ministre d'Etat » par « ministre », « Chirac » par « Jospin », « RPR » par « parti socialiste » et « Paris » par « Cintegabelle » !
A l'évidence, mes chers collègues, tout cela pourrait nous amener à une autre théorie sur la relativité. (Sourires.) Mais nous ne nous sommes pas écartés de la réalité du débat qui nous rassemble aujourd'hui : tout cela, c'est du bricolage pour élection, et c'est inacceptable.
Voilà pourquoi les membres du groupe du Rassemblement pour la République, s'appuyant sur les réflexions de notre collègue socialiste M. Guy Allouche, diront : « non » à l'inversion du calendrier électoral. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat organisé aujourd'hui me paraît empreint d'un opportunisme politique sans précédent.
En effet, nous sommes réunis pour nous prononcer sur la proposition de loi organique visant à inverser le calendrier électoral de 2002 en prolongeant les pouvoirs de l'Assemblée nationale jusqu'au troisième mardi de juin 2002, au lieu du premier mardi d'avril, afin que la prochaine élection présidentielle ait lieu avant les élections législatives.
Je me suis interrogé. Dans un Etat de droit, la pratique est-elle de changer les règles électorales aussi près de l'échéance ? La réponse est non. Pourquoi vouloir inverser le calendrier électoral ? Existe-t-il une justification d'ordre constitutionnel qui m'aurait échappé ? La réponse est encore non, surtout après l'excellent exposé de notre collègue René Garrec.
Afin de tenter de donner quelque noblesse à ce qui n'est rien d'autre qu'une manoeuvre électorale, les partisans du vote de cette loi organique se réfèrent à l'esprit des institutions, qui commanderait, dit-on, de commencer par l'élection présidentielle pour continuer par les élections législatives.
Le vote de cette loi organique ne se justifie nullement. J'irai même plus loin : cette proposition de loi n'est qu'une pure mesure de convenance politique, et ce à trois égards : elle ne dispose d'aucun fondement constitutionnel ; elle remet en cause la nature même de nos institutions ; elle n'a pour unique but que d'arranger le calendrier électoral en faveur du Premier ministre et du parti socialiste !
Je tiens, tout d'abord, à rappeler le profond respect que j'attache à la constitution de la Ve République.
Les valeurs définies par la Constitution se placent à la tête des valeurs juridiques normatives. Il en résulte que tous les organes législatifs et exécutifs de notre pays, tous les citoyens, toutes les personnes physiques et morales qui séjournent sur le territoire de notre pays, toutes les communautés humaines doivent les respecter.
Je pense qu'il est important de rappeler à certains l'intangibilité de la loi fondamentale et l'importance qu'il y a à protéger de manière impérative ses dispositions dans la mesure où la proposition de loi organique qui nous est aujourd'hui soumise ne dispose d'aucun fondement constitutionnel.
Il n'est écrit nulle part dans la Constitution que l'élection présidentielle doit avoir lieu avant les élections législatives. Chaque élection doit intervenir lorsque son échéance naturelle survient. Les élections législatives doivent avoir lieu aux dates définies à l'article L.O. 121 du code électoral, c'est-à-dire dans les deux mois qui précèdent le premier mardi d'avril de la cinquième année qui suit l'élection, comme c'est le cas depuis 1958.
A ce propos, je tiens à souligner que les élections législatives ont déjà précédé l'élection présidentielle à trois reprises, et ce de manière tout à fait normale : premièrement, les 23 et 30 novembre 1958, pour une élection présidentielle le 21 décembre 1958, soit un mois après la naissance de la Ve République ; deuxièmement, les 23 et 30 juin 1968, pour une élection présidentielle les 1er et 15 juin 1969 ; troisièmement, les 4 et 11 mars 1973, pour une élection présidentielle les 5 et 19 mai 1974.
Que les élections législatives interviennent avant l'élection présidentielle s'est donc déjà produit durant la Ve République. Cette situation est tout à fait normale, d'autant qu'aucun événement dans la vie politique de notre pays n'est intervenu. Il n'y a, en la circonstance, aucun caractère exceptionnel qui nécessiterait, contrairement à ce que le Premier ministre a affirmé dans son discours devant l'Assemblée nationale, le 19 décembre dernier, de « rétablir le calendrier normal quand il est encore temps ».
Je relève, à ce propos, que les expressions employées par le Premier ministre, parlant de « rétablissement » ou disant encore « si le calendrier électoral est remis sur pieds », sont révélatrices d'un véritable jugement de valeur qui vise à nous faire croire qu'il existe un problème dans le calendrier électoral. En l'espèce, il n'est pas nécessaire de revenir à une situation qui existait auparavant, il s'agit d'appréhender une situation à venir.
Je le répète, les élections législatives sont déjà intervenues avant l'élection présidentielle, et ce à trois reprises. C'est une situation normale. En conséquence, la proposition de loi organique qui nous est soumise aujourd'hui porte une atteinte flagrante à la Constitution, qui ne définit, ni en pratique, ni en théorie, l'ordre des élections.
En outre, cette proposition de loi organique est inutile et touche le coeur même de nos principes constitutionnels.
Il est, en effet, parfaitement inutile de modifier le calendrier électoral, puisque celui-ci est, en réalité, commandé par des éléments d'ordre constitutionnel que la loi organique ne peut en aucun cas modifier : droit de dissolution, démission ou décès du Président de la République.
Si cette proposition de loi organique est adoptée et que le Président de la République dissout l'Assemblée nationale, démissionne, ou décède quelque temps après son élection, que se passera-t-il ? Le calendrier électoral sera de nouveau modifié.
Le débat nous conduit donc à nous interroger sur le droit de dissolution auquel le Gouvernement s'en prend, oubliant qu'il est inscrit dans l'article 12 de la Constitution.
Affirmer qu'en cas de dissolution les élections législatives auraient lieu après l'élection présidentielle reviendrait à faire dire à la Constitution ce qu'elle ne dit pas.
En effet, la Constitution précise qu'en cas de dissolution les élections législatives doivent, en vertu de l'article 12, obligatoirement intervenir dans un délai de vingt jours au moins et quarante jours au plus à compter de la date de la dissolution. Cet article détermine le moment auquel les nouvelles élections législatives doivent avoir lieu. En conséquence, la loi organique ne peut pas changer le moment des élections législatives sans porter gravement atteinte à la Constitution.
Si le Gouvernement veut, dans le cas où l'élection présidentielle et les élections législatives auraient lieu la même année, que l'élection présidentielle précède les élections législatives, cela est possible, mais seulement à condition d'intégrer ce principe dans notre Constitution. Or, si nous le faisons, se posera un autre problème, celui de l'incompatibilité de ce principe avec le droit de dissolution. Les élections législatives doivent, je le rappelle, en vertu de l'article 12 de la Constitution, intervenir dans un délai de vingt jours au moins et de quarante jours au plus à compter de la date de la dissolution. Le droit de dissolution est donc susceptible de changer le calendrier électoral à tout instant.
L'intégration de ce principe dans notre Constitution serait également incompatible avec le droit qu'a le Président de démissionner et avec l'éventualité de son décès. Ce serait complètement surréaliste, puisqu'il faudrait interdire la mort du Président, sa démission et son droit de dissoudre l'Assemblée nationale !
La proposition de loi organique ne peut en aucun cas constituer une garantie de pérennité de l'ordre ultérieur des échéances électorales. Personne ne peut programmer à sa guise le calendrier électoral, c'est absurde !
Maintenant, admettons la théorie selon laquelle l'élection présidentielle doit intervenir avant les élections législatives. Pour que cette théorie soit applicable, deux mesures seraient à mettre en oeuvre.
Il faudrait tout d'abord supprimer l'article 12 de la Constitution, qui prévoit le droit de dissolution. En effet, le maintien de ce droit permettant au Président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale, les élections législatives balaieraient alors l'inversion.
Il faudrait ensuite élire, en même temps que le Président de la République, un vice-président, comme cela se fait dans d'autres pays, de façon à assurer la présidence jusqu'au terme du mandat électoral du Président en cas de démission ou de décès de celui-ci. Mais cela ne correspond en aucun cas à la Constitution de 1958 ; ça, c'est une autre République !
De surcroît, cette proposition de loi organique porte atteinte aux pouvoirs propres du Président de la République à travers son atteinte au droit de dissolution. Je tiens à rappeler l'alinéa 1er de l'article 12 de notre Constitution : « Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale. »
Cet article est très clair. Il fait du droit de dissolution une prérogative personnelle du Président de la République. Il revient donc à ce dernier de décider discrétionnairement s'il doit ou non faire usage de ce droit, dont l'exercice n'est subordonné à aucune condition de fond il est subordonné seulement à des conditions de forme, mais elles sont pratiquement négligeables.
Quant à la forme, le Président de la République doit, avant de prononcer la dissolution, consulter le Premier ministre, le président du Sénat et celui de l'Assemblée nationale, mais il n'est nullement tenu de suivre leur avis.
S'agissant du pouvoir propre du Président, le décret de dissolution n'a pas à être contresigné par le Premier ministre. Ce qui caractérise le droit de dissolution prévu par l'article 12, c'est qu'il constitue pour le Président de la République un pouvoir propre et effectif, une prérogative personnelle. Or cette proposition de loi organique occulte totalement cette prérogative présidentielle.
Le Président de la République dispose du droit de fixer le calendrier électoral. Ce droit découle purement et simplement de son droit de dissolution. En conséquence, cette proposition de loi organique remet en cause une prérogative personnelle du Président de la République, c'est totalement inconstitutionnel !
Les élections législatives doivent précéder l'élection présidentielle en 2002 en raison de la dissolution survenue en 1997. La proposition de loi organique visant à inverser cet ordre constitue un report sans précédent dans l'histoire de la Ve République, qui aura pour conséquence la prolongation du mandat des députés sortants. Est-il logique que les députés prennent eux-mêmes la décision de proroger leur propre mandat ? Un événement particulier est-il survenu pour justifier que soit prise une telle mesure ? N'y a-t-il pas ici une atteinte flagrante à la démocratie ? N'en déplaise à certains, admettre ce principe ouvre la porte à de multiples abus.
L'article 25 de la Constitution renvoie à une loi organique pour fixer « la durée des pouvoirs de chaque assemblée. » Il n'autorise en aucun cas à faire varier les différentes législatures en fonction des desiderata de ses membres ! La loi organique fixe une durée invariable du mandat législatif, et non variable comme le dispose l'objet de la proposition de loi que nous étudions aujourd'hui.
Par ailleurs, comme l'a brillamment démontré M. Louis Favoreu lors de son audition devant la commission des lois mardi 9 janvier dernier, la réforme entreprise va à l'encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Si le Conseil constitutionnel a accordé des reports de dates d'élections, par des décisions intervenues en 1990, en 1994 pour deux d'entre elles et en 1996, celles-ci concernaient la prorogation du mandat des membres d'assemblées locales, à savoir les conseils municipaux et les conseils généraux pour les trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer pour la dernière. En conséquence, les enseignements que l'on peut tirer de ces décisions s'appliquent a fortiori à la prorogation du mandat de l'Assemblée nationale.
Or le Conseil constitutionnel a, chaque fois, validé la démarche en la subordonnant au respect de conditions strictes, à savoir le caractère exceptionnel et transitoire de la prorogation et l'existence d'une réelle justification. Les motifs retenus par le Conseil constitutionnel ont été, par exemple, de favoriser la participation des électeurs, d'assurer la continuité de l'administration départementale, d'éviter la concomitance des élections avec une réforme du statut des élus, de permettre aux électeurs d'être mieux informés des conséquences de leur choix. Cette jurisprudence étant bien entendu transposable au cas d'une élection nationale, le Conseil constitutionnel serait donc amené à exercer un véritable contrôle des motifs de la modification proposée.
En outre, l'idée selon laquelle le Conseil constitutionnel, dans ses recommandations du 23 juillet 2000, aurait donné par avance une justification à l'inversion du calendrier est récusée par M. Louis Favoreu, qui estime que la seule préoccupation du Conseil constitutionnel, à savoir le respect de la date limite de présentation des candidats, peut être parfaitement satisfaite par une fixation de la date des élections législatives aux 3 et 10 mars et par une clôture des présentations pour l'élection présidentielle au 2 avril à minuit, pour une élection présidentielle fixée aux 21 avril et 5 mai.
Le vote de cette proposition de loi organique ne dispose d'aucun fondement constitutionnel, contrairement à ce que ses partisans veulent essayer de nous faire croire. Elle ne repose que sur des arguments inconstitutionnels : suppression du droit de dissolution et de démission du Président de la République, sans oublier l'interdiction de son décès, mais encore atteinte aux pouvoirs propres du Président de la République et prorogation sans aucune justification du mandat des députés sortants. D'ailleurs, évoquer l'esprit d'un texte pour justifier son bien-fondé, c'est avouer que sa lettre est muette sur le point débattu.
Outre les arguments inconstitutionnels sur lesquels cette proposition de loi organique est fondée, celle-ci soulève un problème grave, qui touche à la nature même de notre régime.
Afin de comprendre les raisons pour lesquelles cette proposition de loi organique porte atteinte à la nature même de notre régime, je tiens à rappeler sa nature sous la Ve République.
Le régime de la Ve République présente un caractère mixte, à la fois parlementaire et présidentiel : les emprunts au régime parlementaire sont d'autant plus nombreux que c'est un tel régime que les constituants ont voulu établir. Ils ont donc inscrit dans l'article 49 de la Constitution, ainsi alors qu'ils étaient tenus par la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, la règle fondamentale du régime parlementaire en prévoyant que le Gouvernement était responsable devant l'Assemblée nationale. Ils ont fait du Gouvernement un organe collégial et solidaire. Ils ont organisé sa collaboration constante avec les assemblées sur le plan législatif. Ils ont soumis le Président de la République à l'obligation du contreseing pour certaines de ses décisions. Ils lui ont attribué un pouvoir propre, le droit de dissolution, qui est tout à fait significatif puisqu'on ne le trouve jamais dans un pouvoir présidentiel. Ainsi, il existe des éléments incontestables de rattachement de la Ve République au régime parlementaire.
Mais la Ve République a également réalisé des emprunts au régime présidentiel.
La Constitution a nettement séparé mandat parlementaire et fonctions ministérielles, et la révision de 1962, en faisant du Président l'élu direct des électeurs, lui a assuré une autorité peu compatible avec le rôle qui est celui du chef de l'Etat dans les régimes parlementaires contemporains.
Mais l'essentiel réside dans le fait que le Président de la République s'est saisi de la plénitude du pouvoir, qu'il fixe les objectifs que le Premier ministre est chargé de réaliser, qu'il contrôle les moyens que ce dernier emploi, à cet effet, qu'il s'est attribué le premier rôle et qu'aucun titulaire de la fonction n'y a renoncé.
Il faut ajouter que le Président de la République, s'il y a convergence d'orientation politique entre la majorité et lui-même, peut choisir le Premier ministre librement, qu'il participe au choix des ministres, leur adresse ses instructions, qu'il convoque le Conseil des ministres, s'adresse à la nation, prend des décisions et engage l'Etat, au moins dans certains domaines et, notamment, dans celui de la politique étrangère, indépendamment du Gouvernement. On est là très loin du régime parlementaire. Alors que celui-ci associe constamment autorité et responsabilité, sous la Ve République, le Gouvernement responsable ne dispose pas du pouvoir ultime et le Président qui en dispose est irresponsable.
La Ve République participe donc à la fois d'un régime parlementaire et d'un régime présidentiel. Elle possède un caractère mixte.
La question que pose cette proposition de loi organique est donc de savoir si l'on souhaite mettre fin à la Ve République pour créer une nouvelle République. Pour ma part, je pense que nous disposons de bonnes institutions qui ont démontré leur valeur depuis 1958. Or quelles seraient les conséquences de cette proposition de loi organique si ce n'est une modification de la nature du régime de la Ve République ?
Dans son audition par la commission des lois, le mardi 9 janvier dernier, M. Pierre Pactet a montré que cette proposition de loi organique conduirait à la présidentialisation de notre régime. En effet, se prononçant contre un changement de régime, il a regretté que le quinquennat, premier pas vers un régime présidentiel, puisse être suivi d'un second pas plus accentué, celui de l'inversion du calendrier électoral, rappelant ensuite que le régime présidentiel ne fonctionnait que dans un seul pays, les Etats-Unis.
De même, pour certains membres de la majorité plurielle, la conséquence serait une présidentialisation du régime de la Ve République. Les opposants au vote de cette proposition de loi organique, membres de la majorité plurielle, affirment que vouloir volontairement modifier le calendrier électoral en faisant passer l'élection présidentielle avant les élections législatives conduirait à conférer un caractère mineur aux élections législatives au profit de l'élection présidentielle, mise sur un piédestal. La démocratie s'en trouverait alors gravement compromise.
En effet, l'élection présidentielle pousse à la bipolarisation de la vie politique. Chacun s'organise autour de personnalités dites présidentiables. Faire passer l'élection présidentielle avant les élections législatives conduirait à la bipolarisation de l'élection des députés jusqu'alors épargnée par ce jeu politique. Les députés, choisis en fonction de leur proximité avec le Président, se verraient relégués à un rôle d'auxiliaire du pouvoir exécutif disposant de l'essentiel des pouvoirs, ce qu'ils trouvent inquiétant pour la démocratie.
D'autres membres de la majorité plurielle, favorables à la présidentialisation du régime, sont partisans du vote de cette proposition de loi dans la mesure où elle permettait de maintenir le temps fort que constitue l'élection présidentielle. En maintenant les élections législatives avant l'élection présidentielle, ils redoutent un second tour qui opposerait deux candidats, dont l'un serait, s'il était élu, soutenu par une majorité au sein de l'Assemblée nationale, tandis que l'autre serait a priori « empêché » par une majorité hostile. Cela conduirait à diminuer le prestige de l'élection présidentielle et à accepter par avance que les députés prennent le pas sur le Président de la République.
Cette proposition de loi organique touche donc à la nature même de notre régime, qui a jusqu'à présent bien fonctionné, en permettant la stabilité des institutions et de l'exercice des pouvoirs. Je ne puis affirmer fermement qu'elle conduira vers une présidentialisation du régime. Ce que je puis affirmer, c'est que les institutions de la Ve République seront affectées d'une manière ou d'une autre. Comme l'a parfaitement souligné M. Louis Favoreu lors de son audition devant la commission des lois, il est préférable de toucher le moins possible aux institutions, car les conséquences de telles réformes sont difficiles à prévoir. Gardons-nous de prendre ce risque. Les institutions de la Ve République sont bonnes et précieuses.
Maintenant, poussons le raisonnement plus loin. L'unique défaut que je relève dans le régime de la Ve République est le risque de cohabitation. Les partisans de la proposition de loi organique que nous étudions aujourd'hui nous affirment que celle-ci permettra à l'avenir d'éviter la cohabitation. Je n'en crois rien. Si l'on veut établir une garantie absolue contre la cohabitation, il est nécessaire de changer de constitution.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois. Deux options s'ouvrent alors à nous : bâtir une constitution calquée sur le modèle de la IIIe République, confinant le Président de la République dans un rôle secondaire, et revenant à un régime purement parlementaire, ou bien bâtir une constitution sur le modèle américain en instituant un régime présidentiel, ce qui implique la suppression du poste de Premier ministre, du droit de dissolution et de la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale.
Nous connaissons tous les dérives qu'a connues le régime parlementaire de la IIIe République. Quant au régime présidentiel, je m'interroge sur la façon dont serait résolu un conflit qui pourrait survenir entre le Président de la République et l'Assemblée nationale.
Il s'agit bien de l'un des enjeux de cette proposition de loi organique : la modification de la nature même de notre régime politique !
Ne nous y laissons pas prendre : cette proposition de loi organique, outre le fait qu'elle méprise la Constitution de 1958 et porte atteinte à la nature même de nos institutions, n'est qu'une pure magouille politique. N'ayons pas peur des mots ! Derrière un argument institutionnel se cache la véritable raison d'être de cette proposition de loi organique : une pure mesure de convenance au service de l'ambition électorale du Premier ministre et du parti socialiste.
Cette proposition de loi organique n'est que le fruit d'un pur calcul politicien. Le Premier ministre déclarait le 19 octobre dernier : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là. », c'est-à-dire au calendrier prévu. Cette déclaration m'interpelle. Pourquoi, tout d'abord, le Premier ministre et son gouvernement tiennent-ils tellement à cette réforme, alors qu'ils s'étaient prononcés contre quelques mois auparavant ? Pourquoi ce revirement ? Et maintenant, pourquoi le Premier ministre intervient-il, en soutenant, comme il l'a fait dans son discours du 19 décembre dernier, cette proposition de loi organique ?
Lors de sa déclaration, le Premier ministre affirmait : « Il a donc été proposé de rétablir le calendrier normal quand il était encore temps. Je partage cette conviction. » Pourquoi le Premier ministre a-t-il changé d'avis ? Qu'a-t-il bien pu se passer dans son esprit ? Je m'interroge. Est-ce pour un motif d'intérêt général que le Premier ministre a soudainement trouvé mieux de faire passer les élections législatives avant l'élection présidentielle ? Je ne crois pas. Serait-ce pour un motif d'ordre institutionnel ? Non, je vous l'ai démontré tout à l'heure. Un événement important dans notre vie politique, susceptible d'amener à changer le calendrier électoral, est-il survenu ? La réponse est encore non. Cette initiative peut-elle être interprétée de façon politique, voire politicienne - je reprends l'expression même du Premier ministre ? Oui, simplement parce qu'elle constitue bel et bien une basse manoeuvre de politique politicienne.
A ce propos, je ne comprends pas comment M. Jospin, qui rappelait récemment qu'il n'avait pas approuvé la Constitution soumise à référendum en 1958, ose maintenant s'ériger en prétendu défenseur de celle-ci. C'est quand même paradoxal !
M. Patrick Lassourd. Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois. Si la réforme vise réellement un but légitime d'ordre institutionnel, pourquoi n'a-t-elle pas été proposée plus tôt ?
Cela fait presque quatre ans que le Gouvernement socialiste est en place. Il savait, depuis 1997, que les prochaines élections législatives se tiendraient avant l'élection présidentielle. Il a eu largement le temps de réfléchir à la nécessité d'organiser un débat sur l'avenir de nos institutions, loin des contingences électorales. C'est avec intérêt que nous aurions participé au débat, afin de déterminer si nos institutions devaient évoluer et, si oui, dans quel sens.
Comme par hasard, le Gouvernement n'avait jamais évoqué le sujet. Et puis, voilà quelques semaines, le Premier ministre a soudain été pris d'une illumination. Il annonce « comme un cheveu sur la soupe », qu'il serait bon que l'élection présidentielle ait lieu avant les élections législatives.
Comme l'affirmait, mardi 9 janvier dernier, M. Louis Favoreu, dont je partage la conviction, le droit doit encadrer la vie politique et la réforme des institutions ne doit pas être utilisée pour réaliser des « coups politiques ».
Nous ne sommes pas dupes de ce type de manoeuvres électorales. Les Français sont intelligents et voient clairement le subterfuge. Le résultat de l'adoption de cette loi organique, si elle est votée, sera d'assurer tranquillement au Premier ministre qu'il sera le candidat du parti socialiste au premier tour de l'élection présidentielle.
Il est, certes, bien plus facile d'adapter les règles du jeu à sa façon pour s'assurer les plus grandes chances de succès aux élections.
Je tiens par ailleurs à saluer le grand courage politique dont a fait preuve le Gouvernement en la matière ! Je remarque qu'il n'a pas pris la responsabilité de déposer un projet de loi, évitant ainsi un examen du texte par le Conseil d'Etat et son adoption en conseil des ministres, sous la présidence du Président de la République.
De plus, un projet de loi aurait comporté un exposé des motifs clair permettant au Conseil constitutionnel d'exercer un contrôle, ce qui n'est absolument pas le cas de la proposition de loi organique qui nous est soumise, dont les motifs avancés demeurent diffus, qu'il s'agisse du respect d'une logique institutionnelle de la Ve République ou de la mise en cohérence avec la réforme du quinquennat. A ce propos, M. Louis Favoreu a estimé que le Conseil constitutionnel pourrait être conduit à émettre de sérieuses réserves sur le texte après avoir exercé un contrôle des motifs, considérant qu'on ne pouvait pas modifier une loi organique sans justification précise.
Le 19 décembre dernier, le Premier ministre déclarait à propos d'une réflexion plus large sur l'avenir de nos institutions : « Ce débat, nous ne pourrons pas, aujourd'hui, le mener à terme. Il devra être repris et approfondi, justement en 2002, afin que puisse être conduite une réforme positive de nos institutions. »
Cette déclaration m'inspire deux remarques.
La première est que le Premier ministre avoue lui-même qu'un vrai débat sur l'avenir de nos institutions ne peut être mené correctement aujourd'hui, car nous ne disposons pas du temps nécessaire.
En tout état de cause, si la question de la réforme de la Constitution doit se poser, elle doit être étudiée dans le calme et la sérénité. Il est nécessaire d'entamer un grand débat national au cours duquel nous prendrons le temps d'analyser en profondeur les différentes questions étudiées afin d'apporter les réponses les plus cohérentes dans l'intérêt du fonctionnement de nos institutions.
La seconde réflexion que m'inspire cette déclaration repose sur le cynisme qui consiste à proposer l'ouverture d'un débat en 2002, c'est-à-dire après les élections. Comme par hasard, me direz-vous !
C'est tout de même paradoxal ! Soit il fallait ouvrir le débat voilà quatre ans, soit il fallait attendre la fin des échéances électorales de 2002, mais en tout cas, ne pas poser la question aujourd'hui, en nous soumettant cette proposition de loi organique.
Et quand le Premier ministre ajoute : « Mais il n'est pas interdit d'amorcer dès maintenant cette réflexion », je réponds que l'avenir de nos institutions, compte tenu de l'importance du thème, mérite bien mieux qu'une amorce de réflexion, et qu'un véritable débat doit être organisé en profondeur et dans la sérénité.
En conclusion, je dirai qu'il ne faut pas s'y laisser prendre. Cette proposition de loi organique n'est qu'une pure réforme de convenance. Derrière son habillage institutionnel, elle n'a d'autres inspirations que des arrière-pensées politiciennes.
Non seulement elle n'est pas conforme à nos institutions, contrairement à ce que ses partisans prétendent, mais en outre cette proposition de loi organique remet en cause la nature même de notre régime politique.
Ainsi, à titre personnel, et pour permettre aux députés nouvellement élus de pouvoir parrainer en toute connaissance de cause et dans un délai satisfaisant la candidature de leur choix à l'élection présidentielle, je voterai les amendements proposés par notre excellent rapporteur, dont l'exposé magistral m'a convaincu. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Schosteck.
M. Jean-Pierre Schosteck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc engagés une fois de plus dans un de ces débats truqués et tronqués dont notre vie politique est, hélas ! trop friande et auxquels nous, hommes politiques, sommes trop prompts peut-être à nous y soumettre, donnant l'impression que nous nous en satisfaisons, sous l'oeil mi-éberlué, mi-goguenard de nos concitoyens, qui, eux, voient parfaitement combien ces débats sont éloignés de leurs préoccupations quotidiennes.
Nous étions, voilà peu, un certain nombre à mettre en garde contre les risques que courraient notre vie politique, notre démocratie et la Ve République, pour avoir voulu ouvrir, en quelque sorte, la boîte de Pandore de la réforme des institutions, au prétexte fallacieux de vouloir paraître moderne !
Voter le quinquennat, même si on pouvait y trouver quelques bonnes raisons, c'était le premier temps de la valse. Nous voici invités à traiter du deuxième temps, qui viserait, nous dit-on, à rétablir une logique, en fait une pseudo-logique dans la séquence des élections. Quel sera le troisième temps et les éventuels suivants ?
Personne ne semble pouvoir sérieusement le dire, puisque, à l'évidence, toutes ces réformes ne sont initiées qu'au petit bonheur la chance, au gré des circonstances, des rumeurs, des suppositions sur les avantages électoraux que tel ou tel croit pouvoir en espérer ! Décidément, plus ça change et plus c'est la même chose !
Il me revient en effet ce propos d'André Malraux dans le discours qu'il avait prononcé au palais des Sports le 15 décembre 1965 : « Je n'ai rien contre les politiciens. Ils ne sont pas particuliers à la Ve République, ils ont peu changé depuis la Grèce. En gros, ils forment, depuis des siècles, un club des négociateurs. Aux objectifs historiques - donc à long terme - ils substituent toujours l'objectif immédiat, c'est-à-dire, dans les temps modernes, électoral. »
Et c'est bien de cela, mes chers collègues, qu'il s'agit, comme l'a d'ailleurs remarqué Jean-Patrick Courtois à l'instant !
En effet, jusqu'à son intervention du 19 décembre dernier à l'Assemblée nationale, M. le Premier ministre, sans doute trop affairé par les lourdes obligations de sa charge, ne s'était pas aperçu du caractère, qu'il a qualifié de fortuit, du calendrier électoral qui veut que, en effet, nous devrions d'abord élire les députés, puis le Président de la République. Ce calendrier, qu'il considère comme aberrant, résulte, avoue-t-il, de deux aléas dont on a du mal à comprendre qu'il ne se soit pas aperçu plus tôt : M. Jospin se souvient, en effet, soudain que le président Pompidou est mort en 1974 et que la dernière dissolution est intervenue il y a trois ans et demi !
Pourquoi ne nous en a-t-il rien dit lors du débat du printemps dernier sur le quinquennat ? Ou bien il ne s'en était pas aperçu et ce serait bien léger, je ne lui ferai pas l'offense de l'imaginer ; ou bien il ne pensait pas, à l'époque, avoir besoin d'un stratagème visant à changer la règle du jeu ; ou bien, pire encore, il y avait déjà pensé, mais il le cachait, se réservant d'attendre un moment plus propice pour mieux masquer la turpitude et la rendre plus digeste à une opinion publique qui risquait d'être sceptique.
Dans l'une ou l'autre hypothèse, c'est bien d'une réforme de circonstance qu'il s'agit et, comme toujours, c'est la vie démocratique qui en souffre !
Je ne suis pas le seul à penser de la sorte. Nos collègues communistes et socialistes, en commission des lois, la semaine dernière, n'ont pas souhaité débattre d'un texte qui nous était soumis au motif que, selon eux, il s'agissait d'un texte de circonstances, ce qui était toujours mauvais. Sur le principe, commme ils ont raison ! Cela devrait donc les inciter à nous rejoindre pour rejeter ce projet - je crois que certains d'entre eux y sont déjà prêts - exclusivement motivé par des considérations électorales, donc de circonstances !
Tout, en effet, conduit à penser que ce débat est inspiré par une monumentale hypocrisie.
Le débat est improvisé puisqu'il a été ajouté bien tardivement à l'ordre du jour. Il est évidemment bâclé puisque - il semble d'ailleurs que cela devienne une habitude sur les sujets importants - le Gouvernement a, une fois de plus, décrété l'urgence.
Le débat sur les institutions a eu lieu à l'Assemblée nationale dans un pseudo-préalable à la discussion du calendrier électoral, lui-même fictif. Mon collègue et ami Patrick Devedjian avait d'ailleurs relevé que, dans L'Hebdo des socialistes , on pouvait lire, le 8 décembre dernier, l'analyse suivante : « Ce n'est pas un débat institutionnel. Il serait difficile d'engager un débat institutionnel de fond en période de cohabitation et à quinze mois des échéances nationales. » Tiens, tiens ! Ledit débat institutionnel du matin n'était en fait qu'une tentative grossière et du reste avortée pour mieux faire passer la petite manoeuvre électorale de l'après-midi.
Nous avons donc entendu des déclarations aussi vertueuses que soudaines sur la logique de la Constitution et le respect des principes établis par le général de Gaulle.
Il est dommage qu'à l'affirmation de ces principes correspondent étroitement les intérêts électoraux de ceux qui prétendent s'en inspirer.
Le Premier ministre comme le ministre de l'intérieur ont affirmé que nul ne pouvait prévoir à seize mois de distance le résultat des élections, certes ! Mais les socialistes, eux, font quand même des prévisions. La Revue socialiste de novembre dernier écrit : « Une lecture attentive des trois précédents scrutins depuis 1997 met en évidence un rétrécissement de la base électorale de la gauche plurielle et un recul sensible de ses résultats électoraux ».
Il paraît qu'un proverbe chinois dit qu'il est toujours difficile de prévoir, surtout l'avenir ! (Sourires.) Au Gouvernement, notons que vous avez eu le courage de vous attaquer à cette difficulté mais que vous avez eu aussi la duplicité de tenter de mettre des garanties de vote vôté d'autant que, lors des prochaines législatives, vous pourrez difficilement compter, cette fois-ci, sur le maintien de l'extrême droite au second tour, cependant que la coalition hétéroclite de la gauche plurielle se fragilise au point de devoir chercher, ailleurs, des renforts inattendus.
Votre inquiétude est d'autant plus grande d'ailleurs que, depuis 1978, aucune assemblée sortante n'a été reconduite ; la gauche craint, bien sûr, que ce ne soit son tour d'être battue.
M. Jean-Patrick Courtois. Elle le sera !
M. Jean-Pierre Schosteck. Ainsi, M. Jospin aurait les plus grandes difficultés, après avoir perdu les élections législatives, à se poser dès le lendemain en candidat susceptible de l'emporter à l'élection présidentielle qui suivrait.
On pourrait dire bien sûr - et je suis certain que l'on ne manquera pas de le relever - qu'à droite notre candidat pourrait courir les mêmes risques. Eh bien, non ! et, à gauche, vous avez bien compris que ce n'est pas la même chose, puisque ce ne serait pas le bilan de notre candidat qui aurait été ainsi condamné. Il n'a malheureusement pas conduit la politique au quotidien depuis 1997.
M. Emmanuelli a d'ailleurs déclaré avec une grande franchise, le 27 novembre : « Tout le monde sait que ce calendrier tel qu'il existe aujourd'hui n'est pas vraiment favorable au candidat de la gauche » et M. Cambadélis venant à sa rescousse d'ajouter : « On lève aussi l'hypothèque du centre. C'est un élément secondaire, peut-être un peu politicien, mais qu'il faut avoir toujours en tête : soit l'UDF vote le changement de calendrier, et je crains que cela n'induise une crise assez forte au sein de la droite au vu de la réaction du RPR, soit elle ne le vote pas, et l'hypothèse d'une candidature du centre aux élections présidentielles se réduit à néant. »
Je n'invente rien ! On trouvera ces fortes paroles écrites dans le marbre de L'Hebdo des socialistes du 8 décembre.
Il est ainsi évident que les socialistes ne font pas de politique politicienne, n'est-ce pas ?
Le 19 octobre, il y a donc trois mois seulement, le Premier ministre en personne condamnait fermement l'inversion du calendrier électoral ; « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là. » Eh bien, il n'en est pas resté là !
Dès lors, pourquoi reprocher à l'opposition d'analyser les choses comme le Premier ministre l'a fait lui-même, il y a fort peu de temps ? S'il a compris que son attitude ne pouvait qu'être comprise que comme politicienne, nous le comprenons aussi bien que lui !
La vraie question est de savoir pourquoi ce Premier ministre qui affirme toujours qu'il « fait ce qu'il dit » rompt aujourd'hui avec cette règle et fait le contraire de ce qu'il avait dit !
La gauche, en effet, s'est toujours plainte d'une prise de décision sans débat. Craignant l'excès de pouvoir présidentiel, elle pense que des élections législatives préalables renforcent les pouvoirs du Parlement, que le quinquennat réduit encore. La gauche a toujours tenu ce discours. Ainsi, M. Jospin rappelait : « Je n'ai pas voté les institutions de la Ve République, ni en 1958 ni en 1962. Je ne suis pas présidentialiste aujourd'hui. » Or il n'en considère pas moins désormais que l'élection présidentielle doit structurer la vie politique française. Quelle conversion ! Il nous offre le joli paradoxe de vouloir renforcer le pouvoir du Président de la République contre son avis !
L'inversion du calendrier présenterait un second paradoxe. Alors que la gauche, qui aura gouverné pendant cinq ans, s'affirme fière de son bilan, l'examen de celui-ci serait occulté par le débat présidentiel. Car, s'il succède aux élections présidentielles, le débat sur le bilan de cinq ans de socialisme n'aura plus guère de sens. Voilà qui est singulier...
Ainsi, les socialistes, mais d'autres aussi, qui ont toujours combattu l'esprit de la Ve République, prétendent lui rendre hommage en « rétablissant la clarté institutionnelle et démocratique » parce que l'élection présidentielle serait « l'élection directrice ». Cette affirmation doit être pour le moins nuancée, surtout en période de cohabitation. Or celle-ci n'est pas un accident : elle aura occupé neuf années sur vingt et une, et aura eu lieu trois fois en trois mandats présidentiels !
Si les élections législatives se déroulent avant la présidentielle, les candidats demanderont son soutien, dans chaque camp, au candidat présidentiel le plus crédible. Le candidat à la présidentielle continuera donc de diriger son camp.
Il est faux de prétendre que l'ordre des deux élections obéirait à une tradition constitutionnelle. Les législatives ont précédé les présidentielles à trois reprises : les 23 et 30 novembre 1958, pour une élection présidentielle qui s'est déroulée le 21 décembre 1958, soit moins d'un mois plus tard, et cela à la naissance de la Ve République ; les 23 et 30 juin 1968, avant l'élection présidentielle des 1er et 15 juin 1969, soit un écart de moins d'un an ; en 1974, l'élection présidentielle, qui est intervenue quatorze mois après des élections législatives, n'était évidemment par prévue mais on observera que le président Giscard d'Estaing n'avait pas cru devoir dissoudre l'Assemblée pour assurer la prééminence de son programme sur celui des partis qui composaient sa majorité préalablement élue.
On objectera que, parmi ces trois précédents, la première élection présidentielle n'a pas eu lieu au suffrage universel. Cet argument est sans valeur car, en 1958, l'influence des partis était encore beaucoup plus forte qu'aujourd'hui. S'agissant du second cas, pourrait-on valablement soutenir que onze mois de délai sont convenables, mais que six semaines ne le sont pas ? Il faudrait alors définir le délai admissible !
Le Président tient sa prééminence de la Constitution. Or cette dernière ne fixe aucun ordre dans les élections. Les socialistes veulent, en réalité, ajouter à la Constitution, sans même la modifier, des dispositions qui n'ont jamais fait débat depuis 1958.
Chacune des élections prochaines vient à son échéance naturelle. Il n'y a rien à rétablir. Les législatives viennent à l'échéance fixée par l'article LO 121 du code électoral, soit dans les deux mois qui précèdent le premier mardi d'avril de la cinquième année qui suit l'élection. Il en est ainsi depuis 1958, et il n'y a donc rien à rétablir.
La date de l'élection présidentielle est fixée depuis la mort du président Pompidou, soit depuis vingt-six ans. Les deux élections viennent donc à un moment parfaitement habituel et prévu depuis toujours. Il se trouve qu'elles ont lieu la même année, mais il n'y a aucun hasard à cela, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement. S'il pense ainsi, c'est la date de l'élection présidentielle qu'il lui faut modifier. Et, s'il ne le fait pas, c'est parce qu'il n'a pas de majorité constitutionnelle pour cela. Vous pouviez le faire à l'occasion de la réforme du quinquennat : vous ne l'avez pas demandé !
En définitive, le Gouvernement ne s'en prend à la date légitime et traditionnelle des élections législatives que parce qu'il n'a pas de majorité pour modifier la date de la présidentielle, date qu'il prétend illégitime. Il s'agit donc bien d'une loi de convenance.
Le Gouvernement conteste en fait que les deux élections aient lieu la même année ; or cette concomitance résulte de la dissolution de 1997, qui impliquait un renouvellement de l'Assemblée nationale en 2002. Votre proposition revient en réalité à contester le droit de dissolution. Implicitement, le Gouvernement et sa majorité contestent les conséquences de la dissolution de 1997, comme si le terme normal de la législature n'avait pas été envisagé à ce moment-là.
Or l'effet le plus évident de cette dissolution est bien le renouvellement de l'Assemblée nationale en 2002 !
Le droit de dissolution, inscrit à l'article 12 de la Constitution, est absolu et n'est pas soumis à la condition que l'élection présidentielle ait lieu avant les législatives. Rien dans la Constitution ne limite le droit de dissoudre. Il n'y a donc aucun hasard à corriger dans l'ordre du calendrier électoral, qui dépend de trois facteurs constitutionnels, hors d'atteinte d'une loi organique : la dissolution, la démission du Président ou sa mort.
Si le Président démissionne ou meurt dans les six mois suivant l'élection législative, le calendrier est à nouveau renversé. Vouloir que, en cas de dissolution, les élections législatives soient renvoyées après la présidentielle conduit à modifier la Constitution, ce qu'une loi organique ne peut pas faire. Malgré le vote de votre loi, les élections législatives pourraient avoir lieu avant la présidentielle. Il suffirait, par exemple, que votre majorité n'en soit plus une et que le Président soit conduit à dissoudre à nouveau. C'est donc la dissolution qui est la matrice du calendrier.
Faute de pouvoir vous en prendre directement au droit de dissolution, vous entendez en corriger les effets accidentels quand ils vous dérangent. Mais d'autres dissolutions ne manqueront pas de survenir. Le président Mitterrand, notamment, en a usé à deux reprises. L'article 12 dispose que, en cas de dissolution, les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus tard après la dissolution. La Constitution est claire : on ne peut pas changer la date de ces élections par une simple loi organique.
Le Gouvernement soutient que, quand les deux élections ont lieu la même année, la présidentielle doit précéder les législatives. Le seul moyen de pérenniser ce principe serait de l'intégrer à la Constitution : il deviendrait alors incompatible avec le droit de dissolution. Il faudrait donc supprimer ce dernier, interdire la démission du Président de la République - voire sa mort ! - quand elle suit des élections législatives. Ou alors il faudrait instituer un vice-président ; ce serait quand même changer fondamentalement la Constitution !
L'inversion du calendrier électoral ne peut donc que conduire à un bouleversement profond de la Constitution. C'est donc bien, encore une fois, compte tenu du contexte dans lequel elle nous est présentée, une loi de circonstance qu'on nous demande de voter.
Ce report des élections législatives est sans précédent sous la Ve République. Il a pour effet de proroger au-delà de cinq ans le mandat des députés sortants. Le Conseil constitutionnel l'a, certes, déjà accepté, mais uniquement pour des élus locaux, la décision étant prise par le Parlement. Tel n'est pas le cas en l'occurrence, puisque des élus prorogeraient leur propre mandat, ce qui constituerait tout de même un précédent important pour une démocratie !
Certes, l'article 25 de la Constitution renvoie à la loi organique pour fixer « la durée des pouvoirs de chaque assemblée ». Mais il ne permet pas de faire varier la durée de chaque législature au gré de ceux qui la composent.
Ce qui est moralement le plus choquant, c'est bien cette prorogation par les députés eux-mêmes de leur propre mandat, d'autant plus discutable qu'aucun événement imprévu n'est survenu : on savait très bien en 1997 que les législatives auraient lieu en 2002.
MM. Alain Gournac et Louis de Broissia. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Schosteck. Encadrée par la Constitution, la loi organique a l'obligation d'assurer une durée juridiquement stable à la législature.
Le Conseil constitutionnel a également estimé, dans sa décision du 6 juillet 1994, que la mesure de prorogation devait demeurer exceptionnelle. Or le rapprochement des élections présidentielle et législatives n'a, en principe, rien d'exceptionnel.
C'est donc bien, je le répète, d'une loi de circonstance qu'il s'agit mais, lorsqu'on évoque les problèmes constitutionnels, il n'est jamais inutile de les restituer dans un cadre historique.
Nous savons tous que la IVe République avait mis en évidence l'inefficacité spectaculaire du régime parlementaire, ce qui avait permis de montrer que seule la haute administration avait pu maintenir le pays quand la durée de vie moyenne des gouvernements n'était que de sept ou huit mois. Il fallait donc à la France un régime qui puisse, à travers la personnalisation du Président de la République, imposer une politique propre à redresser le pays.
A Bayeux, le général de Gaulle avait bien montré le chemin. Il fallait pour cela, certes, écarter encore les réticences des professeurs de droit auteurs de la Constitution de la IVe République.
Notons bien que la Constitution dont nous parlons aujourd'hui n'est pas celle qui a été écrite en 1958, et ce n'est pas non plus l'esprit de la Constitution dont on nous parle aujourd'hui. René Garrec, notamment, a démontré que personne ne pouvait vraiment savoir de quoi l'on parlait. Cette Constitution n'est pas celle qui a été pratiquée. En réalité, elle n'a duré que de 1962 à 1986.
Une nouvelle lecture en a été révélée en 1986, lorsque François Mitterrand, bloqué par la première cohabitation, s'est demandé quels étaient ses pouvoirs : gardien de la Constitution, maintien de la République, surtout en période de troubles, nomination des hauts fonctionnaires et des ambassadeurs - et donc chef de la politique étrangère - et chef des armées.
Le président Mitterrand a appliqué stricto sensu la lettre de la Constitution. L'affaire des ordonnances pouvait juridiquement donner lieu à deux interprétations différentes.
Pascal Clément, à la tribune de l'Assemblée nationale, l'a justement rappelé, « la pratique gaullienne était bien différente. Même si elle ne suivait pas la lettre, tout le monde en France était soulagé de voir un grand homme prendre la situation en main, sortir de la guerre d'Algérie et imposer le suffrage universel à une classe politique qui n'en voulait pas, menant la France vers la stabilité. »
Ce n'est qu'au discours de Verdun-sur-le-Doubs, qui eut lieu juste avant les élections législatives de 1978, que s'ouvrit une alternative. Le président Giscard d'Estaing déclara alors que, si sa majorité perdait, il resterait à l'Elysée. Tout était dit ! Une autre pratique de la Ve République était alors envisagée. Les élections furent gagnées, mais il fut facile par la suite à François Mitterrand de s'appuyer sur cette déclaration.
Compte tenu de la réforme de 1962, la cohabitation dénaturait la République.
Nous sommes donc bien loin de la pratique de la Ve République première manière, et reconnaissons qu'il est vraiment singulier que les socialistes feignent aujourd'hui de paraître nostalgiques de cette première pratique.
J'ai indiqué au début de mon propos que nous en étions en quelque sorte au deuxième étage de la fusée « Réforme des institutions », sans savoir d'ailleurs s'il y en aurait d'autres.
Il s'agit bien de savoir, après l'instauration du quinquennat, quel est l'avenir de la Ve République, surtout après plusieurs cohabitations.
Les socialistes et leurs alliés de circonstance nous proposent aujourd'hui d'inverser, disent-ils, le calendrier électoral en prétendant, avec une duplicité certaine, que c'est le rétablir ! Mais, si c'est le rétablir, alors c'est que vous souhaitez bien revenir à la pratique de la Ve République, première version. Dites-le clairement !
En réalité, l'« obscure clarté qui tombe des étoiles » signifie que c'est pour vous une affaire d'intérêts purement conjoncturels. C'est un coup politique, et là, en effet, vous vous situez bien dans l'héritage dont M. le Premier ministre avait pourtant prétendu vouloir faire l'inventaire.
Je le redis parce que c'est totalement évident : on a institué le quinquennat sans véritablement s'interroger sur ses conséquences. C'était logique ! Cette réforme n'a pas été pensée par les socialistes, elle a été improvisée !
M. Jospin n'en avait pas dit un mot dans son discours de politique générale, en indigne héritier de François Mitterrand, lui qui semblait faire la fine bouche sur le passif successoral. Il en a toutefois décidé uniquement pour des raisons politiciennes, et c'est le même processus qui nous est aujourd'hui proposé pour le calendrier électoral.
Quelle sera, mes chers collègues, l'astuce suivante ? Réfléchissons-y : cela nous permettra peut-être d'avoir, le moment venu, une analyse plus élaborée encore. Et la réflexion n'est-elle pas une qualité que l'on reconnaît en général au Sénat ? C'est bien pourquoi, d'ailleurs, il convenait de s'interroger sur la « doctrine ».
La commission des lois a donc consulté, conformément à son devoir, et aussi selon son « appétence », un certain nombre d'éminents professeurs de droit constitutionnel.
Leurs opinions sur le sujet sont, comme il est habituel, diverses mais, comme il est plus surprenant, quelque peu nuancées, et cela amène - pour sa plus grande confusion - l'ancien étudiant en droit que je suis à formuler l'irrévérencieuse contestation de certaines affirmations qui, me semble-t-il - mais je peux me tromper ! -, est écrite en filigrane dans leur analyse.
M. René Rémond, membre de l'Académie française, président de la Fondation nationale des sciences politiques, après s'être félicité de l'étendue de la consultation organisée par le Sénat, a d'abord rappelé - pour, comme nous, le regretter - le manque de débat qui a précédé le texte limitant la durée du mandat présidentiel. Il a expliqué ensuite qu'il souhaitait inscrire sa réflexion dans le long terme, indiquant par là même que l'opportunité d'une réforme du calendrier à un peu plus d'un an des échéances électorales pouvait susciter des soupçons de manipulation. Ah, ah ? Me voilà donc validé dans mes réserves !
M. Rémond a rappelé que le postulat d'intangibilité des règles électorales peu avant une échéance électorale était récent et que des précédents contraires, s'agissant de délais beaucoup plus courts, existaient. Il a cité - tenez-vous bien ! - les réformes des modes de scrutin intervenues en 1927, ainsi que - tenez-vous encore mieux ! - l'adoption de la loi sur les apparentements, en 1951.
Quand j'ai lu cela, m'est revenue - pardon d'être un peu pédant - cette formule latine : horresco referens . Reconnaissons qu'il s'agit d'une référence peu honorable ! Je me demande même s'il ne s'agit pas d'une façon très pudique, convenable, de laisser entendre qu'en effet il n'est pas illégitime d'avoir des soupçons. C'est ce que j'appelle la « lecture en filigrane ».
M. Rémond a en outre estimé opportun le choix du mois de juin comme date des élections législatives, précisant que les facteurs habituels d'abstention tels que ponts et départs en vacances lui paraissaient moins fréquents à cette période qu'à d'autres...
Mes chers collègues, comme un certain nombre d'entre vous, je suis maire et j'ai donc la charge d'organiser les élections : il ne m'est jamais apparu que le mois de juin était la meilleure période pour obtenir une participation massive des électeurs ! C'est le mois, par exemple, des voyages organisés par les clubs du troisième âge...
M. Gérard Cornu. Et les pêcheurs à la ligne ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Schosteck. Je parlais de filigrane et, en effet, M. René Rémond a relevé que qualifier la modification du calendrier électoral d' « inversion » ou de « rétablissement » était révélateur d'un certain jugement de valeur. Eh oui, les mots ont un sens !
M. Rémond a aussi noté l'impossibilité d'un quelconque pronostic concernant les effets d'une telle réforme sur le résultat du scrutin. Il a dès lors souhaité que les « supputations » diverses n'occultent pas l'objet de la proposition de loi.
Il a ensuite abordé ce qui lui semblait l'essentiel, à savoir les conséquences d'une telle réforme sur l'évolution des rapports entre fonctions présidentielles et législatives. J'oserai ici être irrévérencieux, car, j'ai beau chercher, je ne vois pas ce qui peut susciter son optimisme !
M. Rémond me surprend également quand il parle de dissolution de convenance s'agissant de celle de 1997. Toute dissolution, hors celle qui interviendrait au cours d'une crise majeure - événement heureusement rare - n'est-elle pas, d'une manière ou d'une autre, de convenance ? En faire le reproche, c'est remettre en cause le principe même de la dissolution. Pourquoi alors ne pas le dire clairement ?
M. Rémond a encore précisé que le calendrier actuel accentuait l'affaiblissement de la fonction présidentielle et qu'il importait, pour la renforcer, d'élire le Président de la République avant l'Assemblée nationale, ainsi qu'il en avait été décidé en 1958, ceci ayant été largement avalisé par la suite par les citoyens.
J'observerai qu'on ne voit pas vraiment en quoi on renforcerait ainsi la fonction présidentielle car les citoyens peuvent parfaitement élire par la suite une assemblée non conforme aux voeux du Président nouvellement élu afin, en quelque sorte, de ne pas mettre, comme le dit la sagesse populaire, « tous leurs oeufs dans le même panier ».
M. Rémond, paradoxalement, a d'ailleurs reconnu que l'adoption du quinquennat lui semblait avoir eu pour effet d'augmenter les risques de cohabitation.
C'est M. Guy Carcassonne, professeur à l'université Paris-X et chroniqueur bien connu, qui a ensuite tenté de nous éclairer.
Il a indiqué tout d'abord qu'il était convaincu depuis 1997 de l'utilité de l'inversion du calendrier électoral de 2002 qu'à l'inverse du Premier ministre il avait donc prévue.
Il a affirmé que, de son point de vue, le rétablissement du calendrier était à la fois constitutionnellement possible et institutionnellement indispensable.
Il a indiqué qu'à plusieurs reprises des mandats électifs avaient pu être prorogés avec l'assentiment du Conseil constitutionnel, celui-ci exerçant un contrôle sur les objectifs justifiant une telle opération. Il a toutefois observé que le mandat des députés n'avait jamais été modifié sous la Ve République et que la présente proposition de loi organique n'était pas contraire à la Constitution.
Il a néanmoins reconnu que le rétablissement envisagé du calendrier électoral pour 2002 ne pouvait constituer une garantie de pérennité de l'ordre ultérieur des échéances électorales ; il a estimé cette opération indispensable, le calendrier actuel constituant, selon lui, une incongruité politique au regard du fonctionnement institutionnel de la Ve République caractérisé par le fait majoritaire.
Il a observé que l'élection présidentielle intervenue en 1958 après les législatives ne pouvait être citée comme contre-exemple dans la mesure où il ne s'agissait pas d'une élection au suffrage universel et où l'autorité du président élu, le général de Gaulle, était incontestée. On peut s'interroger sur la valeur d'un élément intuitu personae dans le débat constitutionnel !
Il a évoqué les périodes de 1974 à 1995 au cours desquelles le Président de la République n'a pas sollicité le renouvellement de l'Assemblée nationale par le biais d'une dissolution. C'est ainsi que les gouvernements de MM. Raymond Barre et Alain Juppé s'étaient, selon lui, heurtés à une sorte de dislocation de leur majorité.
M. Carcassonne a estimé que le seul moyen d'assurer la solidité du pacte majoritaire était de faire suivre l'élection présidentielle par les élections législatives.
Certes, mais à condition que le résultat des élections législatives soit conforme aux voeux du Président nouvellement élu : s'il ne l'est pas, tout ce beau raisonnement tombe à l'eau !
M. Carcassonne a d'ailleurs conclu son propos en estimant que le calendrier électoral n'était pas de nature à infléchir la nature du régime vers un modèle de type plutôt présidentiel ou plutôt parlementaire et qu'il était également sans effet sur l'importance du rôle joué par le Parlement dans le schéma institutionnel. Il a observé que les périodes ayant suivi les élections législatives de 1973 et de 1993, lesquelles avaient précédé l'élection présidentielle, ne s'étaient pas caractérisées par une revalorisation du rôle du Parlement.
Dans ces conditions, à quoi sert-il d'inverser le calendrier électoral ?
En réponse à une question de notre collègue Henri de Richemont, qui lui demandait si l'inversion du calendrier électoral n'avait pas pour seul objet d'éviter les dissensions au sein de la majorité gouvernementale, le professeur Carcassonne a estimé que pareils objectifs suffisaient à justifier la mesure.
Mais alors, mes chers collègues, ne se trouve-t-on pas dans ces conditions devant la dissolution de convenance que critiquait le professeur Rémond ?
M. Patrick Lassourd. Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck. M. Didier Maus, professeur à l'université Paris-I et codirecteur de la Revue française de droit constitutionnel , a indiqué pour sa part « que si on veut que l'élection présidentielle demeure l'acte essentiel de la vie politique, il faut qu'elle ait lieu en premier ».
Il a cependant regretté que les problèmes liés au calendrier électoral n'aient pu être réglés deux ans avant les élections de 2002 - encore quelqu'un qui, contrairement au Gouvernement, s'était aperçu de ces problèmes -, le télescopage des calendriers n'ayant pas été évoqué plus en amont, notamment au moment des débats parlementaires relatifs au quinquennat, bien qu'il ait indiqué qu'une modification du calendrier électoral s'avérait de toute façon indispensable, indépendamment des débats sur la durée du mandat présidentiel.
Bien qu'il ait signalé qu'aucun précédent significatif depuis quarante ans ne pouvait servir d'exemple, qu'il s'agisse des élections de 1969, de 1974, de 1981 ou de 1988, il a estimé que, contrairement au cas présent où le télescopage des calendriers était annoncé depuis la dissolution de 1997, aucun des enchaînements précédents n'avait été prévu ou annoncé par avance.
On peut de même s'interroger sur la pertinence absolue de l'argument qui consiste à indiquer - ce qui est évidemment juste - que le Président de la République est l'élément pilote de la vie politique et qu'il faut assurer sa prééminence. Il convient donc d'éviter ce que M. Maus appelle une incohérence constitutionnelle, et donc permettre que la majorité parlementaire soit un fidèle soutien du Président de la République. Toutefois, M. Maus, pas plus que les autres tenants de cette théorie, ne fournit le moyen d'être assuré que le peuple en décidera bien ainsi !
Je parlais tout à l'heure de ce qui me semblait être écrit en filigrane. M. Maus en a fourni une illustration lorsqu'il a pointé la difficulté de dénomination de cette opération. Il a relevé plusieurs expressions employées pour qualifier cette modification de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, évoquant tour à tour l'inversion, le rétablissement, la modification, la remise en cause et l'aménagement. Il a constaté - comme il a raison ! - que chaque mot était une arme, que l'inversion révélait une connotation péjorative tandis que le rétablissement relevait d'un vocabulaire erroné puisqu'il s'agissait non pas de revenir à une situation antérieure mais d'appréhender une situation à venir. Il a marqué sa préférence pour le terme « aménagement », estimant qu'il reflétait une plus grande neutralité dans le choix du vocabulaire.
On me pardonnera, mais j'y vois pour ma part la reconnaissance implicite de la combinaison - la combinazione , comme disent si bien les Florentins.
M. Maus a fait valoir que le calendrier pour 2002 issu du texte adopté par l'Assemblée nationale n'était pas rationnel. Il a observé que le premier tour de l'élection présidentielle aurait lieu le 21 avril et le deuxième tour le 5 mai, le mandat du Président de la République Jacques Chirac expirant le vendredi 17 mai.
Il a estimé que les élections législatives ne pourraient avoir lieu que les 2 et 9 juin. Il a souligné que l'ouverture du dépôt de candidatures serait en conséquence fixée le 6 mai, le lendemain de l'élection présidentielle, et que la campagne législative débuterait le 13 mai avant la prise de fonctions du nouveau Président. Il en a déduit que ce délai serait beaucoup trop court pour que le Président de la République puisse façonner une majorité et faire en sorte que les différents camps se positionnent face à lui. Il a rappelé que cette logique avait prévalu en 1981 et en 1988, le Président prenant l'initiative de dissoudre l'Assemblée nationale. Tout ceci est donc de surcroît incohérent !
Il a également évoqué la possibilité de modifier en profondeur le code électoral et de faire en sorte que les élections législatives se déroulent les 9 et 16 juin, ce choix s'accompagnant d'une réduction de la durée de la campagne électorale de trois semaines à quinze jours. Il a estimé que cette solution permettrait de faire débuter la campagne après l'installation du Président de la République.
Evoquer tous ces calculs, c'est véritablement montrer à quel point le fonctionnement normal des institutions est secondaire par rapport aux convenances personnelles !
En conclusion, M. Maus a affirmé que la modification du calendrier électoral était souhaitable, constitutionnellement possible, politiquement logique mais techniquement difficile. Il a insisté sur la nécessité d'attendre que le Président occupe ses fonctions pour entamer les opérations d'organisation des élections législatives. On le voit, nous sommes dans l'impréparation et dans l'improvisation : en fait, c'est n'importe quoi !
M. Pierre Pactet, professeur émérite de l'université de Paris XI, a estimé, pour sa part, que la réforme du calendrier électoral, sans bouleverser le régime de la Ve République, appelait néanmoins de sérieuses réserves tenant à la cohérence institutionnelle.
Regrettant que la révision constitutionnelle relative au quinquennat n'ait pas fait l'objet d'un débat approfondi portant notamment sur ses incidences sur le régime, il a affirmé que celle-ci constituait l'une des plus grandes révisions de la Ve République, comparable à celle de 1962 relative à l'élection au suffrage universel direct du Président de la République et à celle de 1974 ouvrant la saisine du Conseil constitutionnel à l'opposition parlementaire.
Il a rappelé - ce que nous étions d'ailleurs un certain nombre ici à penser - que la révision constitutionnelle relative au quinquennat, décidée afin de rendre la cohabitation moins fréquente, ne pouvait avoir cet effet, dans la mesure où le droit de dissolution était maintenu et où le décès du Président de la République - ou sa démission, ce qui serait une circonstance tout de même plus heureuse - provoquait une nouvelle élection présidentielle du fait de l'absence de vice-président de la République.
Ajoutant que les électeurs, dans un souci d'éviter une trop grande concentration des pouvoirs, pouvaient très bien émettre des votes différents lors des élections législatives et de l'élection présidentielle, il s'est demandé si la motivation du quinquennat ne résidait pas dans une conception nostalgique des périodes de convergence observées au début de la Ve République.
Concernant la logique des institutions de la Ve République, il a noté que le régime, à l'origine conçu en réaction contre le régime des partis, avait beaucoup évolué et était redevenu un régime de partis, semblable en cela aux autres démocraties occidentales. Il a ajouté que le Président de la République ne demeurait la clé de voûte du régime que dans l'hypothèse où il était soutenu par la majorité parlementaire, celle-ci constituant le véritable moteur du régime depuis la cohabitation.
Il a regretté que le quinquennat, premier pas vers un régime présidentiel, puisse être suivi d'un second pas plus accentué, celui de l'inversion du calendrier électoral.
Il a de plus regretté le « pointillisme constitutionnel » consistant à réviser la Constitution par réformes successives, au détriment d'une vision d'ensemble des institutions, aboutissant à insérer des dispositions contradictoires dans le texte constitutionnel.
En conclusion, il a noté qu'il n'était pas cohérent de modifier le calendrier électoral sans agir sur le droit de dissolution ni, bien sûr, tenir compte du décès éventuel du Président de la République. Il s'est ensuite prononcé contre l'inversion du calendrier électoral, jugeant choquant de chercher à influencer le résultat des urnes en agissant sur la date des élections. C'est précisément, chacun l'aura compris, le sentiment que je m'étais forgé.
Enfin, la commission a entendu M. Louis Favoreu, professeur à l'université Aix-Marseille-III et autre co-directeur de la Revue française de droit constitutionnel.
Il a regretté le penchant français pour les réformes institutionnelles. Il a, en effet, jugé préférable de toucher le moins possible aux institutions, estimant que les conséquences de telles réformes étaient difficiles à prévoir.
Il a indiqué qu'il considérait depuis longtemps que le droit devait encadrer la vie politique et que la réforme des institutions ne devait pas être utilisée pour réaliser des « coups politiques ».
Il a rappelé que le Conseil constitutionnel serait saisi obligatoirement de la présente loi organique et pourrait être sensible à certaines observations effectuées au cours des débats parlementaires.
Il a mis en doute l'existence soudaine d'une conception gaullienne des institutions, imposant une inversion du calendrier, et dénié, en toute hypothèse, toute valeur normative à une telle conception.
M. Favoreu a souligné que l'édifice conçu pourrait être ruiné par une dissolution - cela ne lui a pas échappé non plus, bien sûr -, la Constitution, rappelons-le, prévoyant en pareil cas la tenue d'élections entre vingt et quarante jours après celle-ci. Il a donc observé que le Gouvernement n'avait pas pris la responsabilité de déposer un projet de loi, préférant soutenir une proposition de loi, ce qui lui permettait ainsi d'éviter l'examen du texte par le Conseil d'Etat et son adoption en conseil des ministres sous la présidence du Président de la République.
Il s'est ensuite attaché à montrer que la réforme entreprise allait à l'encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Je vous prie de me pardonner de m'y attacher un peu longuement, mais nous sommes là au coeur de l'aspect juridique et constitutionnel de cette question.
M. Philippe Marini. Ce n'est pas long, c'est très intéressant !
M. Alain Gournac. C'est effectivement très intéressant !
M. Louis de Broissia. C'est très fin !
M. Jean-Pierre Schosteck. Mes chers collègues, je suis très sensible à l'intérêt que vous portez à mes propos. Je n'ai donc rien à me faire pardonner ! (Sourires.)
Nous sommes au coeur de l'aspect juridique et institutionnel de cette question, disais-je, et il serait donc paradoxal que nous considérions cet aspect des choses comme subalterne.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck. Les quatre décisions du Conseil constitutionnel sur des reports de dates d'élections sont intervenues en 1990, en 1994 pour deux d'entre elles, et en 1996. Elles concernaient la prorogation du mandat des membres d'assemblées locales, à savoir les conseils municipaux et les conseils généraux pour les trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer pour la dernière, mais les enseignements que l'on peut en tirer s'appliquent a fortiori à la prorogation du mandat de l'Assemblée nationale.
M. Favoreu a ainsi observé que le Conseil constitutionnel avait à chaque fois validé la démarche tout en la subordonnant au respect de conditions strictes, à savoir le caractère exceptionnel et transitoire de la prorogation et l'existence d'une réelle justification. Il a noté que les motifs retenus par le Conseil avaient été, par exemple, de favoriser la participation des électeurs, d'assurer la continuité de l'administration départementale, d'éviter la concomitance des élections avec une réforme sur le statut des élus, de permettre aux électeurs d'être mieux informés des conséquences de leur choix.
Observant que cette jurisprudence était évidemment transposable au cas d'une élection nationale, il a indiqué que le Conseil constitutionnel serait donc amené à exercer un véritable contrôle des motifs de la modification proposée alors que, en doctrine, il avait été relevé que le début d'un tel contrôle avait été observé justement à propos des décisions précitées de 1990 et 1994.
M. Favoreu a ensuite récusé l'idée selon laquelle le Conseil constitutionnel aurait donné, par avance, une justification à l'inversion du calendrier dans ses recommandations du 23 juillet 2000 et il a estimé que la seule préoccupation exprimée par le Conseil constitutionnel, à savoir le respect de la date limite de présentation des candidats, pouvait être parfaitement satisfaite par une fixation de la date des élections législatives aux 3 et 10 mars et par une clôture des présentations pour l'élection présidentielle au 2 avril à minuit, pour une élection présidentielle fixée aux 21 avril et 5 mai. Il a remarqué que le 19 décembre 2000, à l'Assemblée nationale, le ministre de l'intérieur l'avait reconnu explicitement.
Soulignant qu'il n'y avait donc pas de justification technique et, en conséquence, pas de motif à l'inversion des élections, il a fait valoir que la seule motivation était d'ordre politique et qu'elle était de surcroît plutôt floue, le contenu de « l'esprit des institutions » variant selon les interlocuteurs. Il en a conclu qu'il flottait comme un parfum de « détournement de pouvoir ».
Il a rappelé que certains avaient estimé que la proposition pouvait apparaître soit comme un coup de semonce en réponse à l'intervention du Président de la République lors de la crise de la « vache folle », soit comme un instrument ayant pour objet réel de favoriser l'élection de certains. Il a toutefois, lui aussi, souligné que les résultats de l'inversion du calendrier étaient difficilement prévisibles selon les spécialistes.
Il a fait ressortir qu'un projet de loi, à l'instar des quatre projets de loi précédents, aurait comporté un exposé des motifs clair permettant au Conseil constitutionnel d'exercer un contrôle, ce qui n'est pas le cas de la proposition de loi organique, dont les motifs avancés restent diffus, qu'il s'agisse du respect d'une logique institutionnelle de la Ve République ou de la mise en cohérence avec la réforme du quinquennat.
En conclusion, le professeur Favoreu a considéré - ce qui est important - que, dans un Etat de droit, les choix politiques devaient reposer sur des bases juridiques claires, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence.
Comme vous le voyez, mes chers collègues, finalement, le Premier ministre, une fois encore, se montre préoccupé de lui-même et de son avenir, plus que de celui des Français et des institutions. Le marchandage auquel il se livre, par exemple, avec les communistes pour obtenir d'inverser à tout prix le calendrier électoral est significatif. Il n'a pas, ce faisant, un comportement en harmonie avec les hautes fonctions auxquelles, semble-t-il, il aspire.
Les institutions ne sont pas à remettre sans cesse en cause. Elles sont un des moyens de l'action politique.
Les socialistes, et tout d'abord le célèbre auteur du Coup d'Etat permanent, François Mitterrand, se rallient à la Ve République « toute honte bue », à condition, évidemment, qu'ils en prennent la tête et qu'elle les serve.
M. Patrick Lassourd. Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck. Le débat qui a été lancé sur l'inversion du calendrier électoral a conduit les partisans de l'inversion à jouer à contre-emploi.
Alors que leur famille politique a, depuis des décennies, cherché à réduire le pouvoir exécutif et celui du Parlement, voilà « nos bons apôtres » promus défenseurs de l'institution présidentielle !
Les auteurs du Programme commun de gouvernement, en 1972, déploraient : « Dans le régime actuel, le chef de l'Etat détient, dans la conduite de la politique intérieure et extérieure, des pouvoirs exorbitants qu'il exerce sans contrôle. »
Et voilà que soudain, en 2001, et en toute contradiction, un zélateur de circonstance, M. Jospin, avec cette belle audace que l'on connaît aux néophytes, se veut le défenseur de l'institution présidentielle, contre toute la tradition de son parti.
Comment peut-il alors nous faire croire à sa bonne foi ? Ce n'est réellement ni sérieux ni crédible.
Aujourd'hui, c'est le Premier ministre qui veut inverser le calendrier électoral, contre l'avis du Président de la République. Ce dernier, comme le général de Gaulle lui-même, n'a jamais perturbé le calendrier électoral autrement qu'en faisant jouer le droit de dissolution que lui reconnaît la Constitution, dans son article 12.
Or le Premier ministre s'arroge aujourd'hui le droit d'en disposer autrement.
Le 9 février 1967, le général de Gaulle déclarait : « Il s'agit que l'Assemblée future soit capable de soutenir une politique. » Jacques Chirac ne se fait que le digne continuateur du général de Gaulle, car la politique qu'il s'agit de soutenir, c'est bien sûr la sienne, celle du Président en place, et non celle d'un hypothétique autre vainqueur d'une élection présidentielle à venir.
M. Jospin veut, à n'en pas douter, remettre les compteurs à zéro ; il veut sans doute se débarrasser, avant qu'elle ait été élue, d'une Assemblée nationale renouvelée et gênante.
Mais si, d'aventure, ce nouveau grand défenseur de la Ve République venait à être élu Président de la République, il pourrait toujours, une fois élu, recourir au droit de dissolution, prérogative que nul d'ailleurs ne peut ni ne veut supprimer au Président. Pourquoi redoute-t-il de prendre ses responsabilités ? Parce qu'il sait parfaitement que le vote des Français aux élections législatives en faveur de l'actuelle opposition sonnerait le glas de ses espérances présidentielles.
Faut-il encore citer, par exemple, les Mémoires d'Espoir ? Charles de Gaulle, en effet, y écrivait : « Dès lors que je demandais au pays d'arracher l'Etat à la discrétion des partis en décidant que le Président, et non plus le Parlement, serait la source du pouvoir et de la politique, mieux valait prendre quelque délai avant d'achever cette immense mutation. »
C'est aujourd'hui « la discrétion des partis », mais pas dans la bonne acception du terme, qui veut l'inversion du calendrier électoral, et ce, hélas ! jusque dans les rangs de l'actuelle opposition.
C'est aujourd'hui le Parlement qui se veut la source du pouvoir et de la politique en votant l'inversion du calendrier électoral à la demande d'un Premier ministre en guerre ouverte contre le Président élu.
Mais quelle est donc la légitimité d'un Premier ministre non désigné directement par le suffrage universel, socle de la démocratie, en face de celle du Président de la République ?
Le Premier ministre ne sort-il pas de son rôle lorsque, par exemple, il joue au Président bis à l'étranger ? La cohabitation n'est-elle pas ce « coup d'Etat permanent » que le Premier ministre tente contre le Président ?
Matignon ne serait-il plus, en quelque sorte, qu'un « Charlety » qui aurait réussi, sans traverser la Seine pour aller, jusqu'à l'Elysée, déloger le Président ?
M. Jospin ne serait-il qu'un nouvel avatar du boulangisme qui s'arrêterait aux portes de l'Elysée (Exclamations sur plusieurs travées du RPR) en attendant que le suffrage universel, « reconditionné » par ses soins, lui ouvre les portes du palais présidentiel, sans coup férir ?
Le peuple français n'est pas dupe du jeu des partis qui tentent maintenant de biaiser les conditions de l'élection du Président au suffrage universel faute d'avoir pu l'empêcher ni en 1962, ni ensuite.
Le peuple français reconnaît les manipulateurs qui se déguisent en défenseurs de la Ve République, pour mieux l'abattre.
L'actuelle majorité et, à sa tête, le Premier ministre, n'ont pas de racines politiques dans l'histoire de la Ve République. Ils tentent donc seulement, comme le coucou, de s'installer par effraction idéologique dans le nid du gaullisme, comme ils tentent aussi de le faire par leurs menus projets d'épargne salariale, pour ne citer que celui-là, face à la grande bataille de la participation dans l'entreprise.
Ces usurpateurs volatiles devraient regagner le vieux pigeonnier vermoulu des ennemis de la Ve République ! (Applaudissements sur les travées du RPR. - M. Marcel Lesbros applaudit également.)
Non, décidément, nous, membres du groupe du RPR, du Sénat, nous ne pouvons accepter une telle proposition, et vous conviendrez que, pour toutes ces raisons, nous vous dirons non. Non, nous ne pouvons pas nous engager dans cette voie. Nous la refusons.
En conclusion, je vous suggère de méditer la phrase célèbre de l'auteur des Chênes qu'on abat : « Vous qui briguez la fonction suprême, levez les yeux sur ces crieurs du non qui se relaient au-dessus de la flotte nocturne des vivants. » Comme pour Malraux en effet, pour nous, sénateurs du RPR : c'est non, trois fois non ! Non à la tromperie ! Non aux faux-semblants ! Non à l'aventure institutionnelle ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Marcel Lesbros applaudit également.)

4

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président. M. le président a reçu de M. le ministre des relations avec le Parlement une lettre en date de ce jour par laquelle le Gouvernement modifie l'ordre du jour prioritaire de la séance d'aujourd'hui, mardi 23 janvier, qui s'établit désormais comme suit :
A dix heures et à seize heures :
- suite de la discussion de la proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Acte est donné de cette communication.
L'ordre du jour de la séance d'aujourd'hui est modifié en conséquence.

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NOMINATION
DE MEMBRES DE COMMISSIONS

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe du Rassemblement pour la République a présenté une candidature pour la commission des affaires étrangères et une candidature pour la commission des lois.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidente n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidature ratifiées et je proclame :
- M. René-Georges Laurin membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la place laissée vacante par M. Xavier Dugoin depuis le 17 janvier 2001 ;
- M. Laurent Béteille membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, en remplacement de M. René-Georges Laurin, démissionnaire.

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DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence

M. le président. Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Marini. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Philippe Marini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui se poursuit dans cet hémicycle n'a-t-il pas quelque chose d'irréel ?
M. Patrick Lassourd. Absolument !
M. Philippe Marini. Je voudrais tout d'abord poser cette question.
En premier lieu, ce débat est irréel car, parmi les collègues attentifs au déroulement de nos délibérations, ne semblent pas figurer celles et ceux qui, apparemment, seraient les plus motivés en faveur de la proposition de loi dont nous débattons. Sans doute est-il regrettable que leur capacité d'écoute ne leur permette effectivement pas de suivre l'intégralité de arguments évoqués par les différents orateurs.
Ensuite, ce débat est irréel compte tenu du sujet dont nous traitons. En effet, mes chers collègues, il y a lieu de s'interroger sur la finalité de ce débat, et donc sur la nature du texte. S'agit-il véritablement d'un sujet important, structurel, durable, portant sur les institutions de notre pays, sur la manière dont on doit les comprendre et les pratiquer ?
S'agit-il, plus simplement, de préparer une échéance électorale présente dans tous les esprits ? Il y a une ambiguïté, un flou, que l'on devrait, me semble-t-il, s'efforcer de lever.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Philippe Marini. En outre, mes chers collègues, il s'agit d'un débat irréel, car il est en décalage manifeste par rapport aux préoccupations normales et communes de nos concitoyens, et qu'il se trouve, en quelque sorte, plaqué sur une évolution économique et sociale qui va se caractériser, par exemple, après-demain, très probablement, par un blocage de nombreuses fonctions collectives. Lorsque nous rentrons, en fin de semaine ou le soir, dans nos départements, dans nos villes ou dans nos campagnes, nous avons un peu de peine à faire comprendre à nos concitoyens l'importance et l'urgence de ce dont nous délibérons ici.
M. Alain Gournac. Ça, c'est exact !
M. Philippe Marini. Alors que bien d'autres sujets sont attendus par l'opinion publique, on nous impose de délibérer en urgence de l'inversion du calendrier électoral.
De ce fait, mes chers collègues, ne donnons-nous pas, de même que les pouvoirs publics constitutionnels, à l'opinion publique une impression tout à fait désastreuse ? Nous savons bien, en effet, que nos institutions apparaissent souvent comme étant en décalage par rapport aux préoccupations de l'opinion publique. Nous savons bien que les réponses strictement institutionnelles ou juridiques apportées à des problèmes réels et concrets sont mal comprises par l'opinion publique.
M. Jean-Pierre Schosteck. Souvent !
M. Philippe Marini. Cela me paraît être un véritable mal français dans lequel nous nous enferrons sans cesse davantage. Véritablement, aujourd'hui, nous demande-t-on, dans nos villes, dans nos communes, dans nos campagnes, dans nos départements, de régler la question de la date des prochains scrutins ? Ne nous demande-t-on pas plutôt de progresser dans le sens d'une politique fiscale raisonnable...
M. Patrick Lassourd. Tout à fait !
M. Philippe Marini. ... dans le sens de prélèvements obligatoires maîtrisés, dans le sens d'une véritable réforme de l'Etat ? Ne serait-il pas plus raisonnable, monsieur le ministre, au lieu d'obliger les parlementaires à consacrer tout ce temps à débattre de l'inversion des scrutins, de les faire entrer plus vite dans une discussion qu'on leur fait « miroiter », dont on leur parle depuis des mois et des mois, et qui concerne la réforme de l'ordonnance organique sur les finances publiques ? (Ah oui ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) Ce sujet ne devrait-il pas mobiliser davantage leurs énergies ?
M. Serge Vinçon. Tout à fait !
M. Philippe Marini. Je voudrais indiquer à ce propos que les membres de la commission des finances ici présents ne peuvent qu'exprimer une certaine frustration. En effet, on évoque des sujets extrêmement fondamentaux, et notamment la modification des règles du jeu elles-mêmes, formant, en quelque sorte, la constitution financière de la France. Ce point va certes commencer à être traité dès ce mois-ci, semble-t-il, par l'Assemblée nationale. Mais, dans l'aménagement de l'ordre du jour du Parlement, ne pourrait-il pas être prévu que ce dernier concentre davantage son énergie sur des sujets vraiment porteurs d'avenir comme celui-ci ?
Mes chers collègues, ce débat est donc irréel, mais il faut bien y participer. (Sourires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) Et, puisqu'il faut bien y participer - ainsi le veut l'ordre du jour, de même que le fonctionnement de notre théâtre d'ombres -, il faut naturellement reprendre un certain nombre d'arguments.
Il faut, en particulier, s'interroger sur les aspects constitutionnels du problème.
Mes chers collègues, l'an dernier, nous avons assisté à un épisode tout à fait étonnant, tout à fait paradoxal, qui, à la vérité, doit être relié à celui d'aujourd'hui : nous avons vu le peuple français appelé aux urnes pour apporter, par référendum, une modification à la Constitution, modification que certains ont présentée comme essentielle et d'autres comme accessoire ; on a même évoqué le caractère indifférent de la réponse du corps électoral.
Mais, au travers de ce référendum, une transformation, dont les conséquences ont sans doute été mal mesurées, s'est produite. Nous avons également constaté une désaffection sans exemple dans notre histoire politique récente de la part du corps électoral, désaffection qui s'est traduite par un taux de participation absolument dérisoire.
Mes chers collègues, n'est-ce pas un phénomène d'une extrême gravité ? Peut-on ainsi impunément utiliser les textes fondamentaux, notre Constitution, pour en faire en quelque sorte un enjeu de débats mécaniques, techniques ou visant essentiellement à gérer des situations particulières dans les conditions concrètes où l'on se trouve ? Ne devrait-on pas éprouver plus de respect pour les textes fondamentaux ? Ne sommes-nous pas en train d'introduire notre pays dans une nouvelle phase très grave d'instabilité constitutionnelle ? Vraiment, mes chers collègues, est-il digne, est-il responsable d'appeler ainsi à terme régulier et si fréquemment les parlementaires à se réunir en Congrès à Versailles ? Depuis que j'ai l'honneur d'exercer ce mandat, mes chers collègues, chaque année, nous avons le plaisir de cette petite excursion dans le palais de nos rois.
M. Alain Gournac. Il est si beau ! (Sourires.)
M. Philippe Marini. Et si nous regardons le bilan de ces rectifications mineures, nous pouvons nous demander si cela en valait réellement la peine. Monsieur le ministre, ne faudrait-il pas envisager un nouveau véhicule juridique qui permettrait de procéder périodiquement au toilettage nécessaire de la Constitution ?
M. Louis de Broissia. Très bien !
M. Philippe Marini. Un jour, je m'étais permis d'évoquer cela en conférence des présidents du Sénat - c'était évidemment sur le mode de la plaisanterie, mais une plaisanterie sérieuse - en parlant d'un projet de loi portant diverses dispositions d'ordre constitutionnel ! C'était une suggestion que je me permettais de faire pour alléger les ordres du jour, pour permettre de consommer de façon plus économe le temps des parlementaires, de ménager l'attention des Français sur les sujets essentiels. En effet, un tel véhicule un peu global permettrait de rectifier le texte constitutionnel en fonction de nos engagements internationaux, mais aussi de l'adapter, voire de le moderniser, pour autant que c'est nécessaire...
Bien entendu, il s'agissait d'une présentation volontairement paradoxale des choses. Je ne sais pas si cet humour était bien placé, mais, au moins, il révélait l'insatisfaction que nous pouvons vraiment exprimer compte tenu de la façon dont sont traités nos textes fondamentaux.
Est-ce que véritablement, mes chers collègues, dans l'état actuel de la société, dans l'état actuel de l'opinion, il faut en rajouter ? Faut-il, parce qu'il y a sans doute des problèmes dans la vie politique, parce qu'il y a des échéances à préparer, s'adresser au texte constitutionnel et le modifier directement, comme on l'a fait par ce fameux référendum que je dirai « avorté » de l'année dernière - avorté tant le taux de participation des électeurs était faible -, référendum qui ne peut pas traduire une véritable légitimité populaire, ou le modifier indirectement par le moyen de cette proposition de loi organique dont nous sommes saisis et qui, si elle est significative, ne l'est que parce qu'elle a l'ambition d'influencer sérieusement la pratique et la vie de nos institutions ?
Alors, mes chers collègues, examinons un peu ces sujets en les globalisant, en quelque sorte : nous ne pouvons pas lire, aujourd'hui, la proposition de loi organique sur l'inversion des scrutins sans le quinquennat. Et, lorsque nous réfléchissons rétrospectivement au quinquennat et à la position adoptée alors par le Premier ministre et par le Gouvernement, ne devons-nous pas réviser les analyses que nous faisions à l'époque et constater que, assurément, il y avait là un détour qui devait nous conduire à l'inversion des scrutins ?
Cette référence au débat de l'an dernier me semble, mes chers collègues, devoir être méditée. En effet, le Premier ministre a reçu subitement une sorte de révélation ; il s'est en quelque sorte aventuré sur le chemin de Damas, et, tout d'un coup, il a vécu un moment de remise en cause le conduisant à adhérer à l'inversion des scrutins, alors que, jusque-là, il n'abordait cette question qu'avec une extrême prudence.
Mais, à la vérité, a-t-il bien reçu cette illumination - je me permets de poser très sérieusement cette question - et ne sommes-nous pas plutôt confrontés à un jeu, à un détour, à une stratégie, à une tactique qui, dès la période de préparation du quinquennat comportait le raisonnement selon lequel il fallait aboutir à l'inversion du scrutin présidentiel et du scrutin législatif ? Ne s'agit-il pas, en définitive, d'une machinerie véritablement pensée par un esprit cohérent ? Je crois qu'il faut très sérieusement se poser cette question.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Philippe Marini. A la vérité, à quoi aboutissons-nous avec la combinaison, d'une part, du quinquennat, et, d'autre part, de l'inversion du calendrier électoral ? Nous aboutissons tout simplement, mes chers collègues, à changer de République.
M. Josselin de Rohan. Exactement !
M. Philippe Marini. Je voudrais solenniser ce point du débat. Monsieur le ministre, peut-être vous interrogez-vous, sur les raisons pour lesquelles tant de sénateurs de la majorité sénatoriale souhaitent s'exprimer dans ce débat, en avançant avec tous les arguments nécessaires. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Gournac. C'est une vraie question !
M. Philippe Marini. Ce point est essentiel !
M. Louis de Broissia. Absolument !
M. Philippe Marini. Pourquoi attachons-nous une telle importance à ce débat ? Ce n'est pas pour des raisons secondaires ou de tactique électorale ; ce n'est pas parce que nous voudrions gagner du temps pour aboutir à je ne sais quoi...
M. Henri de Raincourt. Oh non !
M. Serge Vinçon. Absolument !
M. Philippe Marini. Ce n'est à l'évidence pas pour ces raisons ! C'est parce que nous avons le sentiment que nous sommes en train de changer de République et que c'est là un processus fondamentalement anormal. Je voudrais m'en expliquer en quelques instants.
Bien entendu, mes chers collègues, le débat constitutionnel est légitime et doit avoir lieu à termes réguliers ; mais il suppose que l'on sache raisonner avec ordre et méthode, et que l'on confronte les points de vue en toute clarté, en toute transparence. Oui, c'est vrai, la Constitution de 1958 est extrêmement complexe, très précisément « paramétrée », si j'ose dire, et sa souplesse d'adaptation aux circonstances a fait l'admiration tant des professeurs que des étudiants ou des praticiens.
Mais aujourd'hui, nous le savons et nous le sentons, la Constitution de la Ve République, à plus de quarante années de sa promulgation, est un texte au sujet duquel il faut très sérieusement réfléchir.
Nous savons bien que, dans le monde où nous vivons, coexistent deux grands modèles d'organisation constitutionnelle des pouvoirs publics : le modèle présidentiel et le modèle parlementaire. Et nous savons aussi que nous sommes l'un des très rares pays dans le monde qui, qu'on le veuille ou non, se situent quelque part entre le régime présidentiel et le régime parlementaire, dans un équilibre subtil qui n'est ni toujours bien vécu ni bien pratiqué.
Quelle est la spécificité du modèle français ?
Elle est fortement liée, mes chers collègues, à la nature même de nos institutions, à leur pratique, qui font que, pour que l'alternance joue, en France, à la différence de ce qui se passe dans tous les grands pays démocratiques, il ne faut pas gagner une élection, il faut en gagner deux.
Cette particularité remonte non pas à 1958 mais à 1962. La Constitution de 1958, telle que révisée en 1962, rend beaucoup plus difficile l'alternance. D'ailleurs, monsieur le ministre, vos amis en ont éprouvé la difficulté dans toute la période qui a précédé l'élection de François Mitterrand. Il leur a fallu la force du verbe et la force de l'illusion, aujourd'hui révélée à maints égards, de François Mitterrand pour arriver à inverser la dévolution des pouvoirs publics constitutionnels en leur faveur.
Jamais depuis 1981, à l'exception d'une très brève période, de 1995 à 1997, l'actuelle opposition n'est parvenue à obtenir que tant le leadership présidentiel que la majorité à l'Assemblée nationale lui reviennent simultanément.
Il faut y réfléchir de manière particulièrement patiente et avisée, mes chers collègues, car c'est bien là le caractère politique essentiel de la Constitution telle qu'elle est aujourd'hui pratiquée. Les périodes de cohabitation tendent à devenir la règle. Nous avons un Etat partagé, un Etat qui vit dans la concurrence entre le Président de la République et le Premier ministre, un Etat où l'on se surveille. Nous avons donc un Etat immobile, immobiliste, qui ne peut que manquer, à l'évidence, les rendez-vous essentiels de l'Europe et de l'histoire.
Et si l'on fait cette analyse, qui est à la fois juridique, politique et historique, il faut alors, bien entendu, se poser sérieusement la question de l'opportunité de l'organisation d'un vrai débat constitutionnel.
Je suis vraiment très choqué, monsieur le ministre, mes chers collègues, que l'on évacue d'un revers de la main, sans discussion, tant le régime présidentiel, caractérisé par l'indépendance des pouvoirs, que le régime parlementaire rigoureux et rationalisé, tel qu'il peut exister, par exemple, chez nos amis d'outre-Rhin.
Si l'on veut véritablement que les choses soient traitées de façon claire et responsable devant l'opinion publique, ne faut-il pas ouvrir un grand débat sur ces sujets ? Peut-on se contenter, mes chers collègues, du débat dérisoire sur le quinquennat ? Peut-on se contenter du triste spectacle que donne l'examen de cette proposition de loi sur l'inversion des scrutins ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Est-ce digne de la France ? Est-ce digne de la démocratie ?
M. Alain Gournac. Non !
M. Philippe Marini. On voudra bien me le pardonner, mais j'ai tendance à mettre dans le même sac tant le quinquennat que l'inversion des scrutins.
M. Patrick Lassourd. Absolument !
M. Philippe Marini. Pourquoi priverait-on ce pays du débat auquel il peut légitimement aspirer ?
Faut-il considérer que, parce que le Prince-président a pris le pouvoir, un certain 2 décembre, mettant fin ainsi à la IIe République, la France est, pour l'éternité, complètement rebelle au régime présidentiel ?
Plus exactement, faut-il considérer que, parce que ce coup d'Etat a eu lieu, un beau matin du XIXe siècle, la question du régime présidentiel est réglée une fois pour toutes pour toutes les générations à venir dans ce beau pays de France ?
Ne faut-il pas s'interroger sur un modèle où il y a, d'un côté, un Président, avec son cabinet, et de l'autre, deux assemblées maîtrisant complètement la législation, maîtrisant complètement les budgets, et disposant de tous les moyens de travail nécessaires pour cela ?
Ce régime présidentiel, après tout, ne serait-il pas un cadre dans lequel notre bicamérisme pourrait mieux s'exprimer ? Ce régime, qui suppose, bien entendu, que le Parlement ne puisse pas renverser le cabinet du Président et que le Président ne puisse pas dissoudre l'une ou l'autre chambre du Parlement, ne serait-il pas, finalement, aux yeux des Françaises et des Français, dont on nous dit qu'ils aiment la cohabitation, une forme de synthèse qui permettrait à notre pays d'envisager une période nouvelle de son histoire ?
Pour ma part, je n'en suis pas persuadé, mais je pense qu'il est vraiment opportun, voire nécessaire, qu'un débat de fond sur ce type de sujet puisse avoir lieu.
De la même manière, mes chers collègues, à considérer la famille des régimes parlementaires, qu'avons-nous à opposer aux Etats qui ont des systèmes clairs et simples de contrat de mandature ou de législature, qui ont une majorité, une opposition, qui ont un leader politique, le Premier ministre, qui assume complètement ses responsabilités, avec au-dessus de lui, bien sûr, un symbole national, qui peut être soit élu par les parlementaires, soit, le cas échéant, élu au suffrage universel, ce qui déjà corrompt quelque peu le modèle ou le rend plus complexe, mais qui n'est pas incompatible avec le régime parlementaire, comme le montrent, par exemple, les constitutions autrichienne, finlandaise ou irlandaise ?
Mes chers collègues, faut-il vraiment considérer qu'est vérité révélée, parole d'évangile, le maintien de ce modèle hybride qu'est la Ve République ?
Peut-être suis-je en train de choquer mes chers collègues gaullistes en exprimant ces doutes ! (Non ! sur les travées du RPR.) Mais le génie du général de Gaulle n'était-il pas d'exprimer une énergie active au service de notre pays et de son histoire ? Peut-on, aujourd'hui, avoir la prétention d'assimiler tel ou tel de nos chefs, de nos leaders politiques, au général de Gaulle ? Le général de Gaulle est, à l'évidence, un personnage qui, par sa dimension, dépasse tous les hommes politiques du moment, et ce n'est, bien sûr, faire injure à personne que de le dire. C'est une réalité que l'histoire reconnaîtra.
Mais faut-il, parce que nos institutions sont nées en 1958, dans la seule période de vraies réformes que notre pays ait connue tout au long du XXe siècle, considérer que la constitution de la Ve République, parlementaire par le droit, présidentielle par la pratique, doit continuer à vivre en l'état, avec l'équilibre des pouvoirs constitutionnels qu'elle a décrit, sachant qu'elle a déjà connu des évolutions majeures ?
La première évolution majeure date de 1962. Pourquoi a-t-elle eu lieu ? Parce que le général de Gaulle, chacun s'en souvient, n'avait d'autre possibilité, pour vaincre le système des partis, que de s'adresser directement au peuple.
M. Alain Gournac. C'est exact !
M. Philippe Marini. C'était la seule solution.
M. Christian de La Malène. Et elle demeure la seule !
M. Philippe Marini. Cela étant, le général de Gaulle savait fort bien que, ce faisant, il transformait, pour des raisons étroitement liées au contexte de l'époque, la constitution qu'il avait voulue pour les Françaises et les Français en 1958. Nul ne peut faire à sa mémoire l'injure de penser qu'il n'avait pas conscience du fait que l'élection du Président de la République au suffrage universel allait modifier profondément la fonction et la pratique de ses successeurs. Il en était parfaitement conscient. D'ailleurs, je suis certain, cher collègue Philippe de Gaulle, que l'on peut trouver des écrits, des propos, qui témoignent de l'existence de cette réflexion profonde tournée vers l'avenir, tournée vers l'histoire.
Mais, encore une fois, il n'y avait d'autre solution, dans l'intérêt national, que de s'adresser directement au peuple (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants) pour vaincre l'opposition stérile de quelques castes qui ne représentaient qu'elles-mêmes, qui étaient profondément éloignées des intérêts fondamentaux de la population.
Notre constitution a ensuite évolué substantiellement lorsque l'on a vu le Conseil constitutionnel accroître son rôle. Ce point me paraît devoir également être médité.
Lorsqu'on nous a permis, à nous parlementaires, pourvu que nous soyons soixante, de soumettre au contrôle du Conseil constitutionnel la loi votée, c'est-à-dire lorsque nous avons accepté d'avoir face à nous une véritable cour suprême constitutionnelle, on a, là encore, modifié substantiellement les équilibres fondamentaux de la Ve République, et dans un sens qui n'avait pas été anticipé dans les années soixante - je parle, naturellement, sous le contrôle de gens plus experts que moi, des acteurs de cette époque, qui pourront sans doute attester la vérité de ce propos.
Nous voyons bien, aujourd'hui, que, lorsque le Conseil constitutionnel rend ses décisions, il tend systématiquement à appliquer une jurisprudence. Certes, il ne se substitue pas au législateur, mais il encadre la législation dans l'Etat de droit, et ce en se référant à un bloc de constitutionnalité - j'ai le souvenir que notre ancien collègue Etienne Dailly aimait à en parler - qui n'est pas seulement la Constitution de 1958, qui n'est pas seulement du droit positif, qui est bien d'autres choses, une série de principes, une série de règles qui, pour beaucoup, sont bien antérieurs à 1958.
C'est là une extension très importante du cadre normatif dans lequel nous exerçons nos responsabilités. Que l'on puisse saisir systématiquement le Conseil constitutionnel de tout texte susceptible de présenter des problèmes d'interprétation, et que celui-ci se prononce en fonction de sa jurisprudence, de la constitution de 1958, du préambule de ladite constitution ou de celui de la constitution de 1946, de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, est aujourd'hui une réalité incontournable.
Je prends un exemple. Aujourd'hui, la commission des finances sollicite systématiquement les groupes de la majorité sénatoriale, avant la promulgation de chaque loi de finances, de chaque loi de finances rectificative et de chaque loi de financement de la sécurité sociale - la commission des affaires sociales exerce la même influence - et vous conseille, messieurs les présidents de groupe, de bien vouloir user de ce droit constitutionnel de saisine du Conseil constitutionnel de telle sorte que les lois précitées respectent bien les règles et les principes par rapport auxquels il appartient au Conseil constitutionnel de vérifier leur conformité. C'est là une évolution substantielle par rapport à la constitution de 1958 telle qu'elle avait été conçue à l'origine.
A présent, mes chers collègues, j'en viens au point précis de ce débat. (Sourires.)
De quoi s'agit-il, en effet ? Monsieur le ministre, je vous ai écouté lors de votre présentation de la proposition de loi, voilà déjà quelques jours.
M. Josselin de Rohan. Lui, ne vous écoute pas !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Si !
M. Philippe Marini. Avec l'inversion des scrutins, avec le quinquennat, les dissolutions devraient être plus rares. C'est ce que vous nous avez dit ! Vous avez, en quelque sorte, préjugé de l'exercice, par le Président de la République, du droit de dissolution,...
M. Josselin de Rohan. C'est très grave !
M. Alain Gournac. Voilà !
M. Philippe Marini. ...droit qui, chacun le sait, n'appartient qu'à lui, et à lui seul. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Alors, monsieur Vaillant, voulez-vous, par cette proposition de loi organique, voulez-vous, par votre lecture du quinquennat, approuvé à la légère l'année dernière et par peu de Français,...
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. C'est le peuple !
M. Philippe Marini. ...voulez-vous transformer la Constitution de 1958 ? Ce n'est pas illégitime, au reste, et vous avez bien le droit d'avoir de telles intentions. Mais, monsieur Vaillant, de grâce, dites-nous la vérité ! (Marques d'approbation sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Schosteck. Dites-le !
M. Philippe Marini. Dites-nous l'essentiel, et non pas l'accessoire.
M. Alain Gournac. Il faut que tout le monde sache !
M. Philippe Marini. L'inversion des scrutins, c'est l'accessoire ; ce n'est que petite technique ;...
M. Serge Vinçon. Voilà !
M. Philippe Marini. ... ce n'est que petite politique manoeuvrière et politicienne.
M. Alain Gournac. Minable !
M. Philippe Marini. C'est dérisoire parce que, après tout, monsieur le ministre, personne ne sait dans l'intérêt de qui, à la vérité : les uns disent que les élections législatives avant l'élection présidentielle leur seront plus favorables ; les autres disent absolument le contraire. Il n'y a pas de rigueur en ce domaine, et les sondages seraient bien incapables de démêler le vrai du faux. D'ailleurs, comment pourrait-on aujourd'hui, si tôt dans l'année et si loin des scrutins, avoir une idée quelconque sur leurs conséquences ?
Ce que nous pouvons simplement dire, nous qui sommes dans l'opposition, c'est que si le Gouvernement procède à ce changement, c'est que ce n'est pas contraire à son intérêt.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. C'est votre culture. Vous voyez la réalité à votre image !
M. Philippe Marini. C'est que nous savons que vous êtes de bons politiques et de bons communicateurs, peut-être trop bons, d'ailleurs, parfois !
M. Dominique Braye. Ce sont des politiciens !
M. Philippe Marini. Nous jugeons à partir des expériences concrètes que nous avons sous les yeux et nous disons : s'ils le veulent tellement, s'ils sont prêts à changer les contours de leur majorité, s'ils sont prêts à revenir à une formule de type « troisième force », de « fourre-tout », bref, à un machin incompréhensible (rires sur les travées du RPR) , c'est qu'ils ont bien une idée précise derrière la tête ! On comprendrait mal que ce soit complètement gratuit, que le Gouvernement fasse fi des avis de son aile gauche, représentée ici par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, qu'il fasse fi de l'opinion de ses amis les Verts qui, eux-mêmes, sont aussi pluriels que la majorité tout entière ! (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
M. Daniel Goulet. C'est bien vu !
M. Philippe Marini. Est-ce vraiment un calcul politique ? Est-ce le retour à la politique de la France unie ? Est-ce le retour à une espèce de méli-mélo de « troisième force ». Nous sommes en droit de nous poser ces questions. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac. On peut !
M. Patrick Lassourd. Il y a de quoi !
M. Philippe Marini. L'histoire de nos constitutions et de nos républiques est riche de bien d'autres épisodes, ceux qui ont un peu de mémoire s'en souviennent. Après tout, monsieur le ministre, ne seriez-vous pas en train de nous refaire le coup des apparentements ?
M. Serge Vinçon. Bien !
M. Josselin de Rohan. Tout à fait !
M. Philippe Marini. Ne s'agit-il pas de dispositions de pure convenance qui laissent présager un changement de stratégie politique ? Monsieur le ministre, avec tout le respect que je dois à vos fonctions, quand je vous demandais de nous dire l'essentiel et non pas l'accessoire, c'est également à cela que je faisais allusion.
Dites donc la vérité, et commencez par la dire à vos propres amis et à vos partenaires, au sein de votre majorité plurielle, pour leur permettre de se situer en toute connaissance de cause.
Qu'est-ce que c'est que cette méthode ? On va, comme sous la IVe République, débaucher l'un et l'autre dans les couloirs promettant, à celui-ci, son université, à celui-là, sa piscine et, à un troisième, autre chose encore, tout cela pour parvenir à fabriquer une majorité de rencontre, comme on l'a fait en d'autres temps ? (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Monsieur le ministre, s'agit-il de cela ou d'une réforme fondamentale touchant aux rouages de la Constitution ? La question est essentielle.
Je ne vous reprocherai jamais de poser un vrai problème - même si, naturellement, nous divergeons sur la solution - je ne vous reprocherai jamais d'ouvrir un vrai débat.
Oui, mes chers collègues, le débat sur les institutions de 1958 est un débat nécessaire. Mais prenons-le méthodiquement, calmement, avec tout le temps nécessaire et non pas au détour de textes tronqués et dont on s'efforce de ne pas expliquer toutes les conséquences : comme on s'est efforcé, naguère, de nous faire passer à côté du débat sur le quinquennat, on voudrait nous faire croire, aujourd'hui, qu'il ne s'agit que d'un tout petit sujet de rien, d'une petite initiative parlementaire qui ne change rien et qui, en définitive, ne mériterait pas un examen législatif particulièrement attentif.
Il n'est que de consulter le rapport de notre collègue rapporteur à l'Assemblée nationale : on peut y lire sans peine entre les lignes l'agacement d'un homme qui s'étonne de ce que l'on veuille discuter, échanger et argumenter alors que tout est réglé par avance, qu'il s'agit d'une évidence, une évidence technique qui plus est, bref d'un ajustement de très faible ampleur, qui, vraiment, ne mérite pas de retenir longuement l'attention du Parlement.
Mes chers collègues, voulons-nous une lecture présidentielle de la Constitution ou une lecture parlementaire ? Voulons-nous que, demain et après-demain, la cohabitation demeure une solution possible pour le fonctionnement de nos institutions ? Ce sont les questions essentielles qu'il nous faut trancher.
Nous avons derrière nous vingt années d'expériences institutionnelles, avec, depuis 1981, des phases de correspondance de la majorité présidentielle et de la majorité parlementaire, et des phases de dissociation, en d'autres termes de cohabitation. Nous retournant vers le passé, considérant ces périodes de cohabitation, pouvons-nous véritablement être fiers ?
Je ne parle même pas des convictions, des idéologies que nous pouvons véhiculer les uns ou les autres, qu'il s'agisse de la gauche - des socialistes, des communistes - de la droite ou du centre. Quelle que soit la lecture que nous avons des événements, quelles que soient nos convictions, si nous en avons, nous devons avoir la lucidité de nous interroger : avec les périodes de cohabitation, avons-nous laissé un bel héritage à notre pays ? Avons-nous enrichi le patrimoine issu d'une histoire multiséculaire ? Avons-nous préparé l'avenir ? Avons-nous fait en sorte que ce pays soit à la hauteur de ses ambitions, nécessairement élevées, que ce pays soit au rendez-vous pour rivaliser, de manière très pacifique, bien entendu, avec ses voisins et partenaires au sein de l'Union européenne ?
Mes chers collègues, véritablement, voulons-nous orienter notre pays dans le sens d'un régime présidentiel ou dans le sens d'un régime parlementaire ?
A la vérité, nous sommes, vous le savez, le seul pays en Europe, avec un autre dont je vais vous dire un mot, à nous situer un peu au milieu du gué et à faire de la cohabitation la lecture la plus fréquente des institutions, du moins pour la période récente. Ces deux pays que j'évoquais sont la France, bien sûr, et un pays ami, la Pologne, pays que j'aime beaucoup et dont je vous parle en connaissance de cause, monsieur le ministre, puisque je suis le président du groupe d'amitié France-Pologne au sein de cette assemblée.
Regarder la France et la Pologne, pays extrêmement individualistes, pays où l'on aime le panache,...
M. Josselin de Rohan. Absolument !
M. Philippe Marini. ... pays où l'on aime les débats,...
M. Josselin de Rohan. Et les partis, aussi !
M. Philippe Marini. ... pays où les forces politiques sont très fragmentées, pays où les alternances sont brutales, mais pays merveilleux, pays disposant d'un génie national absolument irremplaçable, pays dotés d'une énergie inépuisable.
Eh bien ! ce sont les deux seuls, chacun à une extrémité de l'Europe démocratique, à vivre ainsi des cohabitations et des rivalités entre un Président de la République et un Premier ministre.
Alors, véritablement, mes chers collègues, sommes-nous sur la bonne voie avec le débat qui se poursuit dans cet hémicycle ? Sommes-nous sur la bonne voie en nous référant, comme vous l'avez fait dans votre intervention, monsieur le ministre, aux seuls arguments de procédure, arguments tout à fait secondaires, tout à fait spécieux, notamment sur les délais pendant lesquels les députés élus pourraient signer en faveur de candidatures à l'élection présidentielle ? Va-t-on nous faire croire que c'est avec des considérations de cette nature, tout à fait ancillaires, tout à fait accessoires, qu'il faut aborder un sujet tout aussi fondamental que celui de l'évolution de nos institutions ?
Il y aurait encore beaucoup à dire sur tous ces sujets et j'avais encore préparé bon nombre d'arguments, mais peut-être vais-je conclure...
M. Alain Gournac. Non ! (Sourires.)
M. Philippe Marini ... sur la procédure d'urgence, puisque, paraît-il, notre débat s'inscrit dans ce cadre-là.
La procédure d'urgence est un autre cas très surprenant de l'application qui est faite de nos règles constitutionnelles. Prenons deux exemples de textes ayant fait l'objet d'une déclaration d'urgence : la proposition de loi organique sur l'inversion du calendrier électoral, dont nous discutons actuellement, et un projet de loi que j'ai eu l'honneur et l'avantage de rapporter il y a peu dans cette assemblée et qui reviendra d'ailleurs prochainement en débat, je veux parler du projet de loi sur les nouvelles régulations économiques.
Monsieur le ministre, vous qui étiez ministre chargé des relations avec le Parlement, un ministre avec qui nous avions plaisir à dialoguer au sein de la conférence des présidents, vous vous souvenez sans doute de l'insatisfaction que j'exprimais à propos d'une urgence qui n'en était pas une.
Les nouvelles régulations économiques, c'est un « truc » qui est né en septembre 1999 - si mes souvenirs sont faux, monsieur le ministre, n'hésitez pas à m'interrompre. (Rires sur les travées du RPR.) Le projet de loi a fait l'objet d'une discussion en première lecture à l'Assemblée nationale au début de l'année suivante et au Sénat à la rentrée d'automne, d'un examen en commission mixte paritaire au mois de décembre, donc juste avant la fin de l'année 2000, puis d'une nouvelle lecture à l'Assemblée nationale ce matin. Ce texte reviendra au Sénat après les vacances de février.
Vous savez que nous aspirons tous à ces vacances parce que nous parlons beaucoup...
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Et travaillez peu !
M. Philippe Marini. ... et que nous travaillons avec ardeur, monsieur le ministre ! Nous avons donc naturellement besoin de ces vacances pour nous consacrer à nos « terrains » municipaux et cantonaux ! (Sourires et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Avec cet exemple, mes chers collègues je voulais vous montrer qu'il y avait urgence et urgence !
M. Alain Gournac. Cela, c'est vrai !
M. Philippe Marini. Le texte que nous examinons en ce moment est également frappé de la déclaration d'urgence. Alors il faut faire fi de toutes les consultations auxquelles on devrait procéder. La commission des lois fait pourtant tout son possible. On ne va tout de même pas prétendre que nous aurions pu, en deux journées d'audition, faire le tour des points de vue des constitutionnalistes sur tous les sujets que je n'ai fait qu'effleurer de manière extrêmement rapide, et sommaire ! (Sourires.) Mes chers collègues, j'en suis d'ailleurs confus, pour la qualité de nos travaux.
Mais, encore une fois, il y a urgence et urgence ! Le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques devait être examiné en urgence en raison du problème de Michelin. Il fallait que le Premier ministre n'ait pas l'air d'être complètement impuissant à l'égard des puissances de l'argent, du mur de l'argent, de la mondialisation ou de je ne sais quoi encore, bref de toutes ces données évidemment très importantes. Il y avait urgence et Dominique Strauss-Kahn a trouvé la solution : il a déposé son texte en urgence ! Seulement le texte ne sera promulgué finalement que deux ans, à peu de choses près, après que l'idée a été lancée ! Il y a donc urgence et urgence !
En conclusion, mes chers collègues, ne pourrait-on prendre le temps nécessaire...
M. Alain Gournac. Oui !
M. Philippe Marini. ... pour véritablement lancer dans ce pays le débat constitutionnel ? Ce débat ne concerne pas seulement les assemblées ; il concerne aussi les citoyennes et les citoyens. Il devrait être organisé de manière à les intéresser,...
M. André Vallet. Absolument !
M. Philippe Marini. ... afin que l'on cesse de nous dire que nous vivons dans une bulle, que les institutions et le monde politique sont moribonds, et que les politiques eux-mêmes ne s'occupent pas de l'essentiel !
Monsieur le ministre, rendez plutôt le débat constitutionnel aux Françaises et aux Français, rendez-le à l'opinion publique ! Cela suppose de le prévoir et de l'organiser sur de bonnes bases, en toute clarté, sans faux-semblants ni manoeuvres politiciennes. C'est ce que je souhaite très profondément du fond du coeur à notre pays pour son avenir ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre maintenant nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à seize heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

7

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, mon rappel au règlement se fonde sur l'article 36 du règlement du Sénat.
Voilà quelques jours, sur une radio périphérique, un responsable syndical de la police interrogé sur les cinq meurtres de policiers qui ont été perpétrés dans la région Midi-Pyrénées - et nous nous inclinons devant la douleur de leurs familles et de leurs collègues - déplorait le manque de moyens de la police, mais il mettait aussi en cause la loi sur la présomption d'innocence, la suspectant de favoriser l'impunité des criminels.
Même si, comme beaucoup, nous déplorons le manque de moyens de la justice - nous avons dit, et les manifestations récentes le prouvent, que l'on ne peut pas impunément faire des lois sans prévoir les moyens nécessaires à leurs mise en oeuvre -, nous regrettons que ceux qui sont chargés d'appliquer la loi fassent ouvertement un tel amalgame en reprochant aux parlementaires de favoriser la criminalité et en affirmant que le respect de la présomption d'innocence ne fait qu'encourager la grande criminalité, jusqu'au meurtre de représentants de l'ordre.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il est des moments où ne doivent être tenus que des propos responsables, et je souhaiterais que vous preniez les mesures qui s'imposent pour rappeler chacun au respect de la loi. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Monsieur le secrétaire d'Etat, souhaitez-vous prendre la parole ?
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Non, monsieur le président.
M. Gérard César. Courage, fuyons !
M. Jacques Valade. C'est une question qui mérite une réponse !
M. le président. Il est donné acte de ce rappel au règlement.

8

DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voilà quelques jours, à l'occasion de sa cérémonie des voeux à la presse, le Premier ministre déclarait, d'une manière d'ailleurs très dégagée, que pour « le Gouvernement et la majorité, l'année 2001 n'est ni une année d'attente ni une fin de période ».
A entendre ces propos, nous aurions pu nous attendre, pour débuter l'année, à une démonstration plus explicite de la volonté gouvernementale. S'il est des symboles, celui-ci est fort instructif.
Par excès de naïveté, sans doute, je m'étais imaginé que le Gouvernement allait, enfin, s'atteler aux réformes d'envergure, profondes et indispensables, dont notre pays a besoin et que la majorité plurielle reporte d'une année sur l'autre depuis 1997.
J'avais la candeur de penser que le Gouvernement tenterait de tirer profit de la nouvelle donne économique, conséquence à la fois des mesures courageuses prises par les gouvernements précédents et de la reprise de la croissance mondiale, pour réformer notre système éducatif ou pour régler la question des retraites.
J'étais suffisamment crédule pour espérer du Gouvernement des mesures pour lutter contre la montée de la violence et des incivilités, notamment en milieu urbain, pour améliorer la sécurité dans les transports ou encore pour résoudre le malaise de la fonction publique. Eh bien non ! Toutes ces mesures n'ont rien d'urgent ; l'urgence, c'est une réforme purement électoraliste !
Alors que nous étions en droit d'espérer, pour reprendre l'expression désormais consacrée, que 2001 soit une année utile pour la France, vous en avez décidé autrement : voilà qu'on tente d'en faire une année utile pour les socialistes et quelques alliés inopinés et encore, voilà peu, inespérés. Décidément, les débats institutionnels sont toujours le meilleur alibi contre l'inaction.
Une fois de plus, le Gouvernement laisse passer son tour. Il est obsédé par les échéances électorales futures. On attendait de lui une ambition pour la France ; il ne nous propose aujourd'hui qu'une mise en musique de son ambition électorale pour son candidat à l'élection présidentielle.
Loin des grands discours solennels, la véritable nature de l'action gouvernementale apparaît. C'est désormais très clair : le peuple français a aimé, aime et aimera le Premier ministre, qui espère changer de résidence. Tout le reste ne doit être que second et, surtout, tout doit être fait pour que ce postulat perdure.
Pour autant, quels que soient les calculs qui guident l'examen de cette proposition de loi, il n'est pas question, comme cela a pu être dit ici et là, de traîner les pieds uniquement pour contrarier les volontés du Gouvernement.
Il n'est pas question de jouer la montre ou de faire une quelconque obstruction uniquement pour entraver ou pour paralyser, coûte que coûte, le vote de cette proposition de loi.
Non, la conception des membres du groupe du Rassemblement pour la République du rôle du Parlement est tout autre. Et je me suis réjoui de constater qu'un éminent membre du parti socialiste, ancien ministre, ancien président du Conseil constitutionnel, ait contribué lui aussi, méticuleusement, longuement, quitte à en oublier le temps de parole, à la richesse et à la qualité de nos débats. Je ne pense pas que quiconque puisse le soupçonner de se lancer dans une « opération escargot », comme l'a dit, peut-être malencontreusement, le président de l'Assemblée nationale, Raymond Forni.
C'est en effet à nous, ainsi qu'à nos collègues députés, que reviennent la charge et la responsabilité du vote des lois. Pour ce faire, il s'agit de bien comprendre les tenants et les aboutissants du texte qui nous est présenté. Il s'agit simplement, comme l'a rappelé notre honorable collègue et président de groupe, Josselin de Rohan, « de discuter de manière approfondie ».
Et s'agissant d'une question institutionnelle de fond, d'une question touchant à notre Constitution, notre vigilance doit être d'autant plus renforcée.
En 2002 doivent donc se tenir à la fois les élections législatives et l'élection présidentielle, ce que nous savons depuis bien longtemps et ce qui n'est pas une première sous la Ve République.
La question sur laquelle nous sommes invités à nous prononcer est d'une simplicité biblique et peut être ainsi formulée : « Faut-il inverser les dates d'élections pour positionner le scrutin législatif après le scrutin présidentiel ? » Eu égard à la genèse et aux conditions de ce débat, j'aurais tendance, très honnêtement, à remplacer l'expression « inverser le calendrier » par celle d'« établir un calendrier à sa convenance ».
En résumé, la thématique abordée est une sorte de version moderne de la problématique de la charrue et des boeufs. Encore faut-il savoir ce qu'est la charrue, ce que sont les boeufs et, surtout, qui de l'animal ou de l'instrument de labour a l'ascendant sur l'autre.
Chacun conviendra que ce débat sur la séquence calendaire est à mille lieues des préoccupations quotidiennes des Français. Le Gouvernement en a d'ailleurs bien conscience, et c'est sans doute la raison pour laquelle, une fois de plus, il veut agir dans la précipitation, en l'espèce avant les élections municipales, quitte à passer en force et à prendre quelques accommodements avec le fonctionnement régulier de la démocratie.
Car s'il est bien un élément sur lequel les observateurs s'accordent dans cette affaire, c'est l'attitude hégémonique du parti socialiste. Il se fiche, comme d'une guigne, ce qui n'est pas nouveau, de l'avis de l'opposition nationale - le contraire aurait pu nous faire plaisir et nous combler d'étonnement, mais n'en demandons pas trop ! -, mais il se fiche tout autant de celui des communistes, qui vont décidément bientôt devenir l'opposition intérieure d'une majorité à laquelle ils sont de moins en moins associés. Surtout, il se fiche éperdument de l'équilibre de nos institutions et, par là même, du suffrage des Français.
M. Jacques Valade. Nos collègues socialistes le montrent par leur présence...
M. Roger Karoutchi. Dans cette affaire, je viens de le dire, le Gouvernement ne fait pas grand cas de l'opposition nationale, ce qui n'est finalement pas vraiment une surprise. Dans sa grande bonté, il a tout de même fait grâce d'une petite matinée de « micro-débat » à l'Assemblée nationale : trois petites heures pour débattre de l'avenir de nos institutions ! Résultat : un débat escamoté, improvisé, incomplet. Au demeurant, l'objectif n'était d'ailleurs pas tant de réfléchir à l'avenir de nos institutions que de monter un coup politique.
Certains pourraient trouver ce discours sévère car, il faut le reconnaître, le recours à une proposition de loi accompagnée d'une matinée de débat a donné l'occasion à l'opposition à l'Assemblée nationale de s'exprimer sur cette question ô combien importante et passionnante... Mais n'est-ce pas simplement une ruse pour éviter le passage devant le Conseil d'Etat et le Conseil des ministres ? N'est-ce pas, tout bonnement, une astuce pour dissimuler les divergences au sein même du Gouvernement ? N'est-ce pas, en fin de compte, une feinte pour accélérer la procédure et agir en catimini, afin de protéger, à tout hasard, l'instigateur de cette mesure en cas de réaction négative de l'opinion publique ?
Mes chers collègues, le Gouvernement n'a pas fait preuve de beaucoup de considération à l'égard de l'opposition à l'Assemblée nationale. Mais alors, que dire du traitement que l'on nous inflige ici, au Sénat ?
Malgré toutes les négligences et diverses anomalies que j'ai évoquées il y a quelques instants, le traitement auquel ont eu droit nos collègues députés apparaît comme privilégié par rapport à celui qui nous est réservé, au sein de la Haute Assemblée : ni débat sur l'avenir de nos institutions ni droit de réflexion, droit qui fait pourtant partie intégrante de notre démocratie.
Notre excellent collègue Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois, a clairement demandé au Gouvernement un délai de réflexion afin que le Sénat puisse consulter des constitutionnalistes. Le Gouvernement, une fois de plus, n'a rien voulu entendre et il nous a imposé la date du 16 janvier.
A ce sujet, notre collègue Christian Bonnet, rapporteur de la commission de lois, est d'ailleurs très explicite dans ses conclusions : « Les conditions d'examen de la proposition de loi organique par le Parlement ne sont pas acceptables dans la mesure où l'ordre des échéances électorales de 2002 est connu depuis 1997 ; le Gouvernement a brutalement changé de position sur cette question et a dès lors imposé aux assemblées de se saisir de cette question dans la précipitation. »
Comme à son habitude, le Gouvernement passe outre les prérogatives de notre assemblée et n'envisage la vie démocratique que comme une affaire de rapport de force. Bernard Roman, député socialiste, rapporteur de la commission de lois de l'Assemblée nationale sur ce texte, le reconnaît d'ailleurs dans son rapport, où l'on peut lire ceci : « Les institutions de la Ve République sont souvent critiquées. Le Parlement y semble tenu en minorité par un exécutif qui dispose des principaux leviers de pouvoir et impose ainsi continument sa volonté. »
Au moins, les choses sont claires ! Le Gouvernement attend simplement du Parlement qu'il donne son feu vert à l'occasion d'un débat au lance-pierre !
Nous l'avons bien compris, dans le stratagème conçu par les meilleurs esprits du Gouvernement, il n'a jamais été question d'associer l'opposition, ni même les assemblées, à une quelconque réflexion sur nos institutions.
Eh bien, dans cette affaire, le Gouvernement va sans doute trop vite en besogne.
Il ne se montre pas non plus très révérencieux à l'égard de sa propre majorité, mais cela commence à devenir une habitude !...
Devant un Lionel Jospin de moins en moins Premier ministre et de plus en plus candidat à l'élection présidentielle, la majorité plurielle constate ses désaccords de fond, mais, devant les médias, elle dissimule ses divisions, affichant une unité de façade censée contraster avec une droite décrite - nouveau postulat - comme fondamentalement divisée.
Deux des composantes les plus importantes de sa coalition hétéroclite, les communistes et les Verts, sont pourtant hostiles à ce calendrier électoral. Mais peu importe ! Il suffit de trouver quelques soutiens de circonstance en attisant les ambitions, les calculs, les espoirs des uns et des autres.
C'est l'un des leaders de cette majorité plurielle, le secrétaire général du parti communiste, Robert Hue, qui déclarait le 17 décembre dernier : « Je veux simplement dire que je suis résolument opposé à ce projet d'inversion, car il ferait, encore plus qu'aujourd'hui, de la présidentielle l'élection structurante de la vie politique. »
Mme Nicole Borvo. C'est assez rare que vous citiez les propos du secrétaire général du parti communiste !
M. Roger Karoutchi. Mais c'est pour moi un vrai plaisir, ma chère collègue ! Je le citerai d'ailleurs à nouveau tout à l'heure.
Mme Nicole Borvo. Vous devriez plutôt vous occuper des problèmes des partis de droite !
M. le président. Madame Borvo, si vous souhaitez interrompre M. Karoutchi, avec son autorisation, ne vous en privez surtout pas ! (Rires sur les travées du RPR.)
M. Gérard Cornu. Il la donnera ! Il est galant !
M. Roger Karoutchi. En vérité, monsieur le président, je n'en avais pas fini avec cette citation de Robert Hue. Et je ne doute pas que Mme Borvo ne verra pas, dans le fait de citer le dirigeant national de son parti, une agression. Ce n'est rien d'autre qu'un signe de déférence à l'égard des propos extrêmement intelligents d'un homme politique de qualité... (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
Robert Hue poursuivait donc ainsi son propos : « Les législatives seraient réduites à une simple formalité. Permettez-moi de le dire très directement, cette subordination transformerait le Parlement en une « assemblée godillot »...
Robert Hue ajoutait encore : « Et c'est en plus un signe de grave surdité politique... On ressert aux Français une nouvelle astuce politicienne en guise de réponse à des préoccupations qui demandent un large débat citoyen et des mesures inédites, novatrices, à la mesure des bouleversements des rapports humains qui caractérisent notre époque. »
On ne saurait être plus clair et, après tout, c'est à peu près le discours que tiennent les sénateurs ici présents.
M. Gérard Cornu. Tout à fait !
M. Roger Karoutchi. Ce discours n'est pas, loin s'en faut, dénué de fondement, mais il soulève tout de même quelques problèmes à partir du moment où il émane d'un membre de la majorité. Il est vrai que le Gouvernement n'a jamais fait grand cas des composantes non socialistes de sa majorité plurielle !
Mme Borvo me permettra de rappeler qu'en dehors du désaccord sur le texte en discussion aujourd'hui, les exemples de discordances avec le parti communiste sont nombreux, qu'il s'agisse du référendum sur le quinquennat, de la revalorisation des minima sociaux ou encore, plus récemment, des mesures destinées à compenser l'allégement de la CSG.
Autre nébuleuse de la majorté plurielle qui n'a jamais été entendue : le Parti radical de gauche, le PRG. Ses souhaits de voir nos institutions évoluer sensiblement sont toujours restés sans suite.
Avec votre permission, monsieur le président, je citerai non plus M. Robert Hue, mais le président du parti radical de gauche, M. Jean-Michel Baylet.
M. le président. Il est moins connu !
M. Roger Karoutchi. Certes, mais il n'est pas moins respectable.
M. Baylet, donc, déclarait il y a peu : « Après la proposition par Lionel Jospin d'inverser le calendrier électoral, le parti radical de gauche manifeste son désaccord : sur la forme, car une telle annonce aurait dû se faire en concertation avec la gauche plurielle, et le congrès du PS est un lieu mal choisi. Sur le fond, car les radicaux continuent de penser que la bonne solution est la concomitance des deux élections. »
Voilà qui est clair !
Le PRG, cependant, semble aujourd'hui préférer changer d'opinion et s'aligner sur les positions du parti socialiste plutôt que de devoir constater, comme il l'a souvent fait par le passé, que ses messages ont décidément du mal à passer dans la gauche plurielle. Pourtant, la grande tradition radicale, forte de respect républicain, voudrait que nos amis députés et sénateurs radicaux de gauche refusent cette inversion de commodité.
Enfin, le Gouvernement n'a pas fait grand cas non plus des avis émis par les Verts. Ces derniers ne peuvent, eux aussi, que constater l'attitude hégémonique du parti socialiste sur cette question du calendrier. Il est vrai que, en la matière ils ont une solide habitude, et que, après l'uranium enrichi, ou appauvri, après la mise en place du crédit d'impôt pour pallier la suppresion de l'allégement de la CSG par le Conseil constitutionnel, les Verts dénonçaient « les incohérences de nos politiques fiscales qui ne peuvent que justifier des mesures encore plus incompatibles avec l'objectif de lutte contre les inégalités ».
Les Verts sont toujours dans la majorité plurielle, mais ils ne sont décidément pas d'accord avec les socialistes sur grand-chose !
De leur côté, nos amis députés et sénateurs socialistes ont oublié leur sensibilité parlementariste, que, par le passé, ils invoquaient si souvent face à des gouvernements de droite. Très souvent, nous avons entendu des députés ou des sénateurs socialistes rappeler les droits du Parlement face à l'exécutif. Aujourd'hui, il faut les voir - cela peut même être parfois cocasse - s'improviser protecteurs d'une Ve République dont ils étaient souvent les plus grands pourfendeurs, tout en laissant le Parlement dans une position seconde.
Le Premier ministre essaie d'apparaître aujourd'hui comme le grand défenseur de notre Constitution, Constitution qu'il a pourtant combattue tout au long de sa vie politique. Mais, après tout, on a le droit de changer ! Il reconnaît d'ailleurs en toute sérénité ne pas l'avoir approuvée, tant en 1958 qu'en 1962. Dans ces conditions, nous comprenons aisément que, par cette proposition de loi, il se moque de porter atteinte à son article 12, relatif au droit de dissolution du Président de la République :
« Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale.
« Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution.
« L'Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. »
Ce droit de dissolution est, en réalité, un droit de faire en sorte que le calendrier des élections législatives soit aussi dépendant de la volonté du Président de la République, et de lui seul ; et ce n'est pas parce qu'une majorité de rencontre à l'Assemblée nationale décide d'un calendrier et arrête des dates que celles-ci sont définitives ; en effet, si telle est la volonté du Président de la République, ce calendrier peut ne pas être appliqué.
M. Serge Vinçon. Tout à fait !
M. Roger Karoutchi. De fait, c'est le chef de l'Etat qui, par le recours à la dissolution de l'Assemblée nationale, peut fixer de facto les dates des élections législatives et non pas une manoeuvre, aussi habilement montée soit-elle. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Détourner l'article 25 de notre Constitution n'effraie pas davantage le Gouvernement. Le premier alinéa de cet article est ainsi formulé :
« Une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres, leur indemnité, les conditions d'éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités. »
A aucun moment, cet article ne prévoit de faire varier la durée d'une législature en fonction des velléités de la majorité.
Finalement, il est tout de même surprenant et moralement curieux de proposer aux députés de voter eux-mêmes la prolongation de leur mandat, ce qui remet en cause, sans conteste, le principe de la stabilité du mandat législatif.
Tout le monde admet qu'il est nécessaire de faire évoluer nos institutions, mais sûrement pas de cette manière !
La Ve République a beaucoup changé avec le temps. Les trois cohabitations que l'on a connues depuis 1986 ont petit à petit transformé notre régime. Au total, sur les quinze dernières années, nous avons vécu plus d'une année sur deux sous un régime de cohabitation.
Dans ces conditions, et plusieurs orateurs l'ont souligné ce matin, un vaste débat, associant tous les acteurs de notre démocratie, devrait pouvoir voir le jour si telle était la volonté du Gouvernement. Je parle non d'un micro-débat destiné à « habiller » une décision de convenance et d'arrangement conjoncturel, mais d'un vrai débat de fond, pour savoir ce qu'il en est de l'avenir éventuel de la cohabitation ou du rééquilibrage des pouvoirs.
Il convient en effet, tout le monde en est d'accord, de renforcer les pouvoirs de la représentation nationale pour aboutir à un régime équilibré, modernisé, efficace, qui ne soit ni totalement présidentiel ni totalement parlementaire. Le Parlement doit pouvoir disposer de véritables moyens de contrôle, notamment en matière budgétaire, ce qui, je le rappelle, passe par la réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959.
A ce sujet, j'observe au travers des propos de M. Fabius que la diligence du Gouvernement en la matière est nettement moindre que celle qu'il manifeste aujourd'hui pour une affaire d'éphéméride. Pourtant, tout le monde s'accorde à reconnaître, à commencer par le ministre des finances lui-même, le caractère urgent du dépoussiérage de cette loi organique relative aux lois de finances. Elle n'a jamais connu de véritables réformes, contrairement à notre Constitution dont elle est pourtant le prolongement direct.
L'objectif initial de l'ordonnance, qui était de rompre avec les errements du régime parlementaire précédent, est aujourd'hui atteint. Désormais, il ne s'agit plus de savoir si le budget va pouvoir être voté en temps et en heure ni d'affirmer la prééminence de l'exécutif dans l'élaboration des lois de finances. L'évolution de notre régime confère aujourd'hui à cette ordonnance un caractère suranné. En la matière, les pouvoirs et les responsabilités de la représentation nationale doivent être étendus, ce qui passe par une réflexion globale, tant sur la présentation des lois de finances que sur le débat budgétaire.
Quant aux récentes controverses funambulesques sur le montant de la cagnotte fiscale, elles ne peuvent que nous encourager à conférer davantage de pouvoirs au Parlement. Ce dernier doit disposer d'un droit d'initiative et d'un pouvoir de contrôle. Pour y parvenir, il est indispensable de lui donner la possibilité de proposer des modifications, des amendements, en recettes comme en dépenses, et d'étendre ses moyens de contrôle.
Outre la réforme de l'ordonnance organique, des mesures doivent être prises rapidement, plus rapidement que ne le prévoit le calendrier, afin de conférer au Parlement une réelle autonomie législative et en faire autre chose qu'une simple chambre d'enregistrement des volontés gouvernementales.
Dans le même temps, le Gouvernement serait bien inspiré de mener une grande réflexion sur la décentralisation, sujet dont nous avons débattu ici, il y a quelques jours. Il est à mon sens souhaitable de prendre d'urgence des mesures visant à rapprocher les citoyens des lieux de décision. Il est tout aussi urgent de clarifier l'attitude de l'Etat à l'égard des collectivités territoriales, et en ce qui concerne tant les compétences qui leur sont conférées que les moyens financiers qui leur sont transférés.
Il importe également de mettre en place un véritable statut de l'élu local. Nous aurions d'ailleurs préféré que l'urgence soit déclarée plutôt pour la proposition de loi relative au statut de l'élu local que pour la présente proposition de loi ! L'initiative de plusieurs de nos collègues, parmi lesquels Alain Vasselle, Jean-Paul Delevoye, Serge Mathieu et Jean Arthuis, a pour objet d'accélérer l'élaboration d'un projet de loi très attendu, car nous ne pouvons nous contenter, chacun le sait, du dispositif embryonnaire qui existe aujourd'hui.
Pour en revenir à cette inversion de calendrier dont l'urgence ne nous apparaît décidément pas, nous ne pouvons que constater le peu d'égards dont témoigne le Gouvernement envers les Français : il s'agit, en fait, d'une opération électorale destinée, à tort ou à raison, à conforter la position du candidat socialiste aux élections présidentielles. Je dis « à tort ou à raison », car les sondages, les calculs savants, les prévisions me paraissent bien risqués à quinze mois de l'élection. Ceux qui s'y livrent seraient bien inspirés de faire preuve de davantage de modération !
Il s'agit bien, cela a été dit, d'une opération de convenance et de circonstance, d'une manoeuvre gouvernementale entreprise par pure commodité électorale.
M. Gérard César. C'est vrai !
M. Roger Karoutchi. Depuis 1995, chacun sait que les prochaines élections présidentielles devront se dérouler les 21 avril et 5 mai 2002.
M. Jacques Valade. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. Depuis 1997, chacun sait que les prochaines élections législatives devront se dérouler, en l'état actuel du calendrier, en mars 2002 ou, plus exactement, soyons sereins, entre le 3 février et le 24 mars pour le premier tour.
Cela n'avait d'ailleurs pas échappé au Premier ministre lui-même, il est dommage que Mme Borvo soit partie, car je m'apprête à le citer - j'aurai ainsi fait le tour de tous les dirigeants de la gauche plurielle. Le 19 octobre 2000, interrogé en direct par Patrick Poivre d'Arvor dans un journal télévisé, le Premier ministre affirmait en effet qu'il ne prendrait aucune initiative en matière de calendrier...
M. Gérard Cornu. Ah !
M. Roger Karoutchi. ... de crainte que ne soit interprétée de façon étroitement politique voire politicienne la mesure présentée par le Gouvernement s'il y avait inversion du calendrier.
Plusieurs sénateurs du RPR. Et voilà !
M. Roger Karoutchi. Et le chef du Gouvernement concluait en réponse aux questions du journaliste : « moi, j'en resterai là ». (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Gérard César. Parole d'évangile !
M. Roger Karoutchi. Il eût mieux valu en rester là.
M. Dominique Braye. On en a l'habitude !
M. Roger Karoutchi. Cinq semaines plus tard, à l'occasion du congrès du parti socialiste, le Premier ministre avait changé radicalement d'orientation et déclarait très sereinement : « Ce qu'il faut souhaiter, c'est que le printemps 2002, celui des grands rendez-vous démocratiques dans lesquels le peuple s'exprime et tranche, ne soit pas un printemps de la confusion et des choix de convenance mais un printemps de la clarté. »
Que s'est-il donc passé entre les déclarations du 19 octobre sur le statu quo et le réquisitoire du 26 novembre en faveur de l'inversion ?
M. Patrick Lassourd. Une éclipse !
M. Roger Karoutchi. On murmure, mais je n'ose imaginer que cela puisse être vrai, que le chef du Gouvernement aurait été quelque peu atteint par les déclarations sur les farines animales du Président de la République, qui lui aurait un peu volé la vedette médiatique.
On susurre, que cette sensible reconversion aurait été opérée à la lecture d'une étude approfondie et très fouillée sur les résultats prévisionnels de la gauche française aux élections de 2002, publiée en novembre 2000 dans une revue que mes collègues de la majorité sénatoriale doivent peu lire - mais ils devraient le faire régulièrement -, mais je veux parler de la Revue socialiste. Chiffres à l'appui, l'expert de cette revue, Eric Perraudeau, auteur éclairé, explique que la victoire de la gauche en 1997 ne s'est jouée qu'à une dizaine de milliers de voix bien réparties en faveur de la gauche.
Il observe également, dans cette analyse, que, lors des élections cantonales et législatives partielles qui se sont tenues depuis 1997, les candidats de la droite républicaine l'ont bien souvent emporté. L'auteur de cette étude va jusqu'à qualifier la progression de la gauche depuis 1997 d'évolution « en trompe-l'oeil ».
Il est vrai que si l'on fait un rapide décompte des résultats des scrutins dans les trente-trois cantons renouvelés en l'an 2000, on observe que vingt cantons sont restés à droite, que trois ont été conquis par la droite et que la gauche n'en a gagné qu'un seul.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Dans la Nièvre !
M. Roger Karoutchi. Un scrutin est particulièrement évocateur et riche d'enseignements, celui - j'aurais ainsi fait le tour - qui a eu lieu dans la circonscription de M. François Hollande, le jour même où se tenait le congrès socialiste de Grenoble, ce qui explique peut-être bien des choses.
Le conseiller général et maire sortant de Lubersac, charmante commune de la Corrèze, étant décédé, s'affrontaient aux élections son fils - de droite - et un candidat socialiste.
La presse et, d'après ce que l'on dit, certains experts électoraux socialistes étaient très sûrs de la victoire du candidat socialiste.
Manque de chance - décidément, le 26 novembre aura beaucoup marqué les esprits - 65 % des électeurs du canton sont allés voter, remarquable performance de mobilisation pour une cantonale partielle, et le candidat de droite a été élu dès le premier tour avec plus de 53 % des suffrages, résultat qui a pu faire pâlir d'inquiétude les experts électoraux du parti socialiste et qui nous aide peut-être à mieux comprendre l'attitude du chef du Gouvernement.
S'ajoutent à cette bonne tenue des candidats de droite aux élections locales l'affaiblissement du Front national et la montée en puissance des partenaires du parti socialiste dans la majorité plurielle. Nous avons tous encore récemment constaté que les demandes en vue de passer des accords pour 2002 étaient de plus en plus pressantes au sein de celle-ci, notamment de la part des Verts.
Les conséquences immédiates de ces reclassements politiques sont, pour la droite, la réduction des risques de triangulaires pénalisant ses candidats et, pour la gauche, de nouveaux handicaps en perspective du fait de la montée de l'extrême gauche et des Verts. Je me permettrai de rappeler qu'un grand nombre de députés socialistes doivent leur élection ou leur réélection en 1997 à la seule existence du Front national et au maintien de ses candidats au second tour des élections législatives.
M. Patrick Lassourd. Quarante-trois !
M. Roger Karoutchi. Il est vrai qu'en cas de défaite aux élections législatives de 2002, le candidat attendu et naturel du parti socialiste à l'élection présidentielle risquerait fort de se retrouver en difficulté dans son propre camp...
M. Gérard Cornu. Ah !
M. Roger Karoutchi. ... quelques semaines avant le scrutin et, qui sait, les hommes n'étant que ce qu'ils sont, cela pourrait sûrement donner des idées à quelques-uns de ses amis, qui, pour son plus grand bien, se sacrifieraient pour le remplacer à l'élection présidentielle.
M. Gérard Cornu. Et il y en a !
M. Roger Karoutchi. Je dois reconnaître que, pour tenter de « vendre » aux Français l'inversion du calendrier comme une mesure nécessaire et indispensable au bon fonctionnement de nos institutions, il faut beaucoup d'aplomb et de présomption. Le Gouvernement et les orateurs socialistes avancent pour ce faire des arguments moins convaincants les uns que les autres.
Le premier est d'affirmer qu'il existe une tradition constitutionnelle qui veut que l'élection présidentielle soit l'élection reine, l'élection majeure, l'élection pivot, et que, par conséquent, elle précède toujours le scrutin législatif. Tout cela est totalement faux si l'on analyse la pratique institutionnelle depuis 1958.
Depuis cette date, en effet, se sont tenues onze élections législatives et sept élections présidentielles. Au total, le pouvoir a donc été relégitimé ou conféré à quinze reprises. Par trois fois, les élections législatives ont eu lieu en premier. Ce fut le cas en 1958, en 1968 et également en 1973.
A six reprises, les élections législatives se sont tenues à mi-parcours d'un mandat présidentiel. Il s'agit des scrutins de 1962, 1967, 1978, 1986, 1993 et 1997.
Enfin, on dénombre seulement deux cas dans lesquels les élections législatives ont suivi immédiatement un scrutin présidentiel : ce sont les élections de 1981 et de 1988.
Cependant - il faut peut-être le rappeler -, en 1981 comme en 1988, ce n'est que grâce à une dissolution de l'Assemblée nationale par le Président de l'époque, François Mitterrand, que cet ordre calendaire a pu être appliqué. Cela me renvoie à mon propos initial, à savoir que le calendrier électoral est, du fait d'abord du droit de dissolution du Président de la République, aux mains de celui-ci et il ne saurait être réglé par une mesure prétendument d'urgence susceptible d'être votée à la sauvette.
Mes chers collègues, revenons, si vous le voulez bien, aux trois cas dans lesquels les élections législatives ont précédé l'élection présidentielle.
En 1958, les législatives se sont tenues les 23 et 30 novembre, et la présidentielle le 21 décembre, soit moins d'un mois après. Même si, comme peuvent le faire remarquer certains partisans de l'inversion, l'élection de 1958 n'a pas eu lieu au scrutin universel direct, vous conviendrez, mes chers collègues, qu'à cette époque, l'influence des partis politiques était sensiblement plus importante qu'aujourd'hui.
En 1968, les législatives se sont déroulées les 23 et 30 juin, et l'élection présidentielle les 1er et 15 juin 1969, soit moins d'un an plus tard. J'observe que, malgré son élection post-législative, le Président Pompidou ne s'est jamais vu reprocher d'être l'otage des députés de sa majorité.
Enfin, dernière en date, l'élection de 1973, qui s'est déroulée un an avant la présidentielle de mai 1974 : au soir du 19 mai 1974, le président Giscard d'Estaing, qui a eu, semble-t-il, un rôle dans l'inversion qui nous est aujourd'hui proposée, n'a pas ressenti le besoin de dissoudre l'Assemblée nationale pour mettre en place une majorité conforme au programme qu'il avait développé tout au long de sa campagne.
Dans ces conditions, il ne fait aucun doute, mes chers collègues, que l'argument avancé par le Gouvernement et le parti socialiste n'a guère plus de valeur que s'il nous était proposé d'inverser par la loi les saisons.
Second prétexte, l'ordre prévu - l'ordre naturel - ne serait pas conforme à l'esprit de nos institutions. Or, je ne vois pas à la lecture de la Constitution comment on peut en arriver à dire que l'élection présidentielle doit avoir la primauté.
Le Gouvernement l'avoue d'ailleurs à demi-mot puisque, la Constitution étant muette dans la lettre, il s'empresse de se rattacher à son esprit. Quand la lettre est muette, l'esprit peut être divers, et on trouvera en l'occurrence autant d'analyses qu'on le souhaite, mais rien ne permet de considérer que les élections législatives sont secondaires - j'estime d'ailleurs que l'Assemblée nationale va un peu vite alors qu'il s'agit de ses propres pouvoirs !
De plus, est-ce au Parlement, qui n'a cessé de souhaiter un rééquilibrage entre l'exécutif et le législatif, d'affirmer lui-même qu'il procède indirectement du pouvoir du chef de l'exécutif et d'une élection mineur par rapport à l'élection présidentielle ?
Le troisième argument avancé consiste à dire, comme on l'a déjà fait pour l'adoption du quinquennat, que cette proposition de loi est une mesure anti-cohabitation ou, plutôt, permettant d'éviter la cohabitation. Décidément, ce thème de la cohabitation peut faire florès pour à peu près toute argumentation et son contraire. C'est tout juste si le Gouvernement ne l'utilise pas pour expliquer parfois son inaction, notamment en matière fiscale. Plus sérieusement, si l'on veut supprimer tout risque de cohabitation, il faut le dire clairement, ouvrir vraiment le débat et prendre les mesures adéquates.
Non, monsieur le secrétaire d'Etat, nous le savons, l'inversion du calendrier ne réglera en rien les risques de cohabitation, et ce pour deux raisons.
Tout d'abord, rien n'empêchera les Français de voter différemment lors de scrutins proches dans le temps. Un récent sondage nous apprend d'ailleurs que plus d'un Français sur trois souhaite qu'à l'issue des élections présidentielle et législatives de 2002 le Président de la République et le Premier ministre n'appartiennent pas à la même famille politique, considérant ainsi que la cohabitation a fait ses preuves. Je n'en suis pas convaincu. Les Français, pour le moment, ne condamnent pas la cohabitation en tant que telle, mais ils peuvent condamner les calculs qui consistent à faire en sorte ou à croire pouvoir faire en sorte que les prochaines élections législatives et présidentielle auront un résultat uniforme.
Par ailleurs, et c'est un argument évident, la simple application de la Constitution de la Ve République rend le calendrier électoral amovible. Le pouvoir de dissolution du Président de la République peut, s'il est utilisé, décaler complètement les dates de scrutin et faire en sorte que les élections législatives et présidentielle ne coïncident plus. De la même façon, la démission ou le décès d'un Président de la République en exercice peut chambouler complètement les dates d'élections. Par conséquent, on ne voit pas en quoi cette mesure particulière de changement de calendrier peut avoir valeur de référence puisque l'on sait que dès après 2002 le problème pourra se poser à chaque renouvellement. Il existe bien quelques moyens : la suppression du droit de dissolution - mais cela nous renvoie à un vrai débat constitutionnel, et non à un débat dans l'urgence - et la substitution d'un vice-président au poste actuel de Premier ministre - après tout, pourquoi pas, mais, là encore, il faut revenir à un vrai débat constitutionnel approfondi avec le peuple français. Je crains que toutes ces mesures ne soient pas à la portée du Gouvernement, quel que soit, par ailleurs, le talent de ses membres. Nous le voyons bien, si l'objectif est uniquement d'écarter les risques de cohabitation, il suffit de le dire clairement, d'en débattre en y associant l'ensemble de nos concitoyens, et de proposer les mesures appropriées par voie de référendum.
Un autre faux-fuyant est avancé par les contempteurs du maintien de la séquence naturelle des élections : celui qui consiste à dire que l'ordre actuel est confus et place les électeurs dans un embrouillamini électoral. Ces experts en psychologie électorale craignent que les Français ne fassent un amalgame entre les deux scrutins. Merci pour eux ! Ils sont persuadés, disent-ils, que nos concitoyens ne perçoivent pas la différence entre l'élection du Président de la République et l'élection des députés. Dans ces conditions, je crains qu'il ne faille pousser le raisonnement plus loin. On pourrait, par exemple, dire que le fait qu'il y ait des élections un an avant les élections législatives ou présidentielle pose problème. Pis, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'est-ce que le Gouvernement a envisagé pour le tour suivant ? En effet, du fait des municipales et cantonales de 2001, en 2007, c'est-à-dire demain, au terme du quinquennat, nous aurons, la même année, des municipales, des cantonales, des législatives et une présidentielle plus des sénatoriales. Je défie qui que ce soit de me dire quel sera, dans ces conditions, le calendrier de 2007 et si le Gouvernement du moment envisage d'engager des détectives, des sondeurs, des prévisionnistes et des météorologues pour résoudre ce calendrier calamiteux !
M. Patrick Lassourd. La boule de cristal !
M. Gérard Cornu. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. Non, vraiment, tous ces arguments sont des arguments de circonstance. Avant ou après, les élections présidentielle et législatives se situeront dans tous les cas à quelques semaines d'intervalle.
Alors, pour défendre cette mesure, le rapporteur de ce texte à l'Assemblée nationale soutient qu'il existe des précédents sur cette question de la prorogation de la durée de la mandature d'une assemblée, en faisant référence à la décision du 6 décembre 1990. Il affirme ainsi qu'il suffit que « le législateur se conforme aux principes d'ordre constitutionnel qui impliquent notamment que les électeurs soient appelés à exercer, selon une périodicité raisonnable, leur droit de suffrage et que les choix du législateur s'inscrivent dans le cadre d'une réforme dont la finalité n'est contraire à aucun principe non plus qu'à aucune règle de valeur constitutionnelle ».
Il poursuit en évoquant les précédents suivants : la loi du 21 décembre 1966, qui a reporté de mars à octobre 1967 le renouvellement d'une série de conseillers généraux ; la loi du 4 décembre 1972, qui a procédé au report d'élections cantonales du mois de mars au mois d'octobre 1973 ; la loi du 8 janvier 1988, qui a reporté de mars à septembre une série d'élections cantonales ; la loi du 11 décembre 1990 ; enfin, la loi de 1994, dont chacun se souvient, qui a reporté au mois de juin les élections municipales de 1995.
Certes, ces reports ont bien eu lieu. Mais en aucun cas, chacun a pu le noter dans les citations que je viens de faire, ils n'ont concerné des élections législatives, à deux exceptions près, et pas n'importe lesquelles. Dans ces deux cas, on ne peut pas dire que les conditions aient été les mêmes qu'aujourd'hui.
Le premier cas, c'est, bien sûr, la Première Guerre mondiale : on n'allait pas faire voter les Français massivement mobilisés sur le front, et les élections législatives ont été décalées en 1919. Le second cas, guère plus facile, c'était en 1940 : là, effectivement, l'assemblée élue en 1936, dont les membres appartenaient majoritairement au Front populaire, a siégé au-delà de son mandat, jusqu'au coup de force de Vichy. Vous voudrez bien reconnaître que dans les deux cas - Première Guerre mondiale, Seconde Guerre mondiale et coup de force de Vichy - les circonstances n'étaient pas uniquement des circonstances de calendrier et d'arrangement électoral. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées du RPR.)
M. Gérard Cornu. Et heureusement !
M. Roger Karoutchi. En aucun cas, en temps de paix, une assemblée législative n'a prorogé d'elle-même l'échéance de sa mandature. S'agissant d'élections locales, municipales ou cantonales, il n'est pas choquant, pour des motifs d'intérêt général, que le Parlement, qui n'est pas partie prenante, puisse se prononcer. En revanche, proposer à des députés de proroger d'eux-mêmes la date d'échéance de leur mandat, c'est évidemment un petit peu spécieux, et c'est une autre affaire !
En outre, même dans ces conditions, un éminent constitutionnaliste, Louis Favoreu, observait, lors de son audition par la commission des lois de notre assemblée, que chaque fois que le Conseil constitutionnel avait validé une démarche de prorogation, il l'avait subordonnée « au respect de conditions strictes, à savoir le caractère exceptionnel et transitoire du report et l'existence d'une réelle justification ».
Le codirecteur de la Revue française de droit constitutionnel a aussi rappelé quelques-uns des motifs retenus par le Conseil : « favoriser la participation des électeurs, assurer la continuité de l'administration territoriale, éviter la concomitance des élections avec une réforme sur le statut des élus, ou encore permettre aux électeurs d'être mieux informés des conséquences de leur choix ». Par hasard, l'un de ces éléments serait-il utilisé par le Gouvernement pour expliquer le report ? Le Gouvernement a-t-il l'intention d'informer les électeurs ? Un problème se pose-t-il sur la continuité de l'administration territoriale ? Y a-t-il un problème sur l'existence et la légitimité des parlementaires d'aujourd'hui ? Je ne le crois pas ! Tout cela ne peut donc en aucun cas justifier une mesure d'exception.
Enfin, mes chers collègues, vous me permettrez de dire que nous ne comprenons pas toujours les motifs qui poussent certains experts éminents du parti socialiste, alors qu'ils affirment que cette réforme, n'a pas d'intérêt électoral, à faire réaliser des études approfondies sur les projections des résultats. Soyons sérieux. A-t-on déjà vu - et cela a déjà été dit ce matin - quelqu'un modifier, sans y être obligé par des circonstances dramatiques, un calendrier à son détriment ? Qui peut croire que, en l'occurrence, le Gouvernement et le Premier ministre n'ont été guidés par rien d'autre que l'intérêt général ?
Et puis si, malgré tout ce que je viens d'évoquer, nous pouvions avoir encore quelques doutes, il suffirait de s'en référer à Daniel Cohn-Bendit (Exclamations sur plusieurs travées du RPR) , qui manquait à la panoplie.
M. Patrick Lassourd. Référence notable !
M. Roger Karoutchi. En effet, interprète polyglotte du Gouvernement, il a déclaré récemment, en toute sérénité : « Je suis pour l'inversion du calendrier, parce que je veux que Lionel Jospin gagne la présidentielle ! »
Plusieurs sénateurs du RPR. C'est clair !
M. Roger Karoutchi. Voilà un argument de fond qui a au moins le mérite de la clarté !
A la question : « Quoi de plus limpide que les préceptes de La Fontaine ? » posée voilà un demi-siècle par André Siegfried, l'un des maîtres de la sociologie électorale, nous avons aujourd'hui enfin la réponse : ce qui est plus limpide que les préceptes de La Fontaine, ce sont les déclarations de M. Cohn-Bendit, révélatrices des pensées profondes d'une gauche de plus en plus plurielle !
Nous l'avons bien compris, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à guider la main des Français lors des prochains scrutins. Les véritables motivations de ce texte sont inavouées. En 1985, nous avions déjà eu l'instauration de la proportionnelle pour empêcher la victoire de la droite républicaine et favoriser, dans le même temps, le développement et l'expansion de l'extrême droite, censés gêner cette même droite républicaine ; aujourd'hui, la manoeuvre électorale pour déplacer les dates d'élections consiste à préparer une candidature à la magistrature suprême.
Mais, pour être honnête et juste, il faut reconnaître que le Gouvernement n'en est pas à son premier acte de « bravoure », loin s'en faut ; j'en parlais voilà peu avec le président de l'Assemblée des régions de France : la modification des scrutins régionaux et la réforme partielle du mode d'élection des sénateurs visaient déjà ce même objectif, à caractère plus partisan que d'intérêt général. Quelle ardeur à la tâche d'ailleurs quand il s'agit de stratégie électorale ! On a beaucoup plus d'imagination, beaucoup plus de volonté en cette matière que lorsqu'il s'agit d'aborder les vraies réformes, le tout au nom de la clarté des scrutins.
Nous verrons bien ce que sera celle-ci en 2002, mais s'agissant par exemple de la réforme des élections régionales - et je parle ici sous le contrôle de nombreux élus régionaux - en Ile-de-France, dont j'ai le plaisir d'être un élu, la clarté du scrutin se traduit par le fait qu'il n'y aura qu'une liste de 209 noms pour toute la région. Je suis sûr que, pour l'électeur citoyen de l'un des huit départements d'Ile-de-France, la clarté des listes risque de donner plutôt dans la confusion.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. La vérité, c'est que toutes ces réformes de circonstance prouvent aujourd'hui que le Gouvernement gère moins qu'il ne calcule, que le Gouvernement ne réforme pas, qu'il aménage, que le Gouvernement ne prépare pas l'avenir des Français et de nos enfants, qu'il se focalise sur son destin et la pérennisation de son pouvoir.
En fait, c'est à l'ensemble de la droite que le défi est lancé. A nous de gagner les élections de 2002, sans changer les règles du jeu, simplement projet contre projet, monsieur le secrétaire d'Etat.
Nous avons, nous aussi, confiance en notre capacité à promouvoir une autre ambition pour la France, une ambition salvatrice, et je suis convaincu que la démarche qui est à l'origine de ce texte ne fera que rassembler tous ceux qui, parmi nous, veulent l'union sans se renier. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR. - MM. Jean-Paul Huchon et André Vallet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me permettrez d'abord, en préambule à mon propos, de saluer notre collègue M. Bonnet. J'ai en effet vivement apprécié son analyse excellente, la pertinence des jugements et la finesse des interrogations soulevées dans son rapport écrit, lequel, j'en suis persuadé, a grandement contribué à fonder et à enrichir notre débat.
A l'heure où le candidat Jospin à l'élection présidentielle s'avise que l'ordre naturel des élections de 2002 risque fort de lui être défavorable, on comprend l'urgence décrétée pour mobiliser la représentation nationale et pour modifier, toutes affaires cessantes, le calendrier dans un sens plus conforme aux intérêts personnels du candidat socialiste.
Repousser les élections législatives après l'élection présidentielle est la priorité d'un seul homme et d'un homme qui redoute le verdict des urnes. Il lui paraît donc tout à fait normal de retoucher le code électoral, de modifier le fonctionnement des institutions, de provoquer un débat au Parlement, de s'allier avec une fraction de ses adversaires tout en s'aliénant le soutien de ses amis...
M. Roger Karoutchi. Et voilà !
M. Patrick Lassourd. Drôle de conception de la démocratie !
M. Joseph Ostermann. Ce n'est pas beau !
M. Hilaire Flandre. Oh, le vilain !
M. Patrick Lassourd. Parallèlement, à l'heure où les Français s'inquiètent de leur sécurité alimentaire, de l'accroissement des inégalités, du poids de l'impôt, de leur avenir en termes d'emploi et de retraite, de l'éducation de leurs enfants, du fonctionnement de la justice, on comprend que ce débat, totalement étranger à l'intérêt général de nos concitoyens, contribue à creuser davantage encore le fossé qui les sépare du politique et à déconsidérer un peu plus ses acteurs : quel triste décalage entre notre débat et le « pays réel » !
Vous me pardonnerez d'exposer les faits aussi brutalement, mais non sans ironie. Cependant, je suis trop indigné et moralement choqué du procédé pour ne pas dire les choses telles qu'elles sont et parler en vérité.
Nous siégeons certes dans un palais où se déroula jadis la fameuse journée des dupes. Mais vous l'aurez compris, monsieur le secrétaire d'Etat, nous ne serons pas les vôtres, aujourd'hui, dans ce faux débat constitutionnel, véritable « coup politique », où l'intérêt général n'est invoqué, avec hypocrisie, que pour couvrir un profit personnel.
Il est en effet impossible de déceler dans le texte qui nous est soumis autre chose que le fruit d'une manoeuvre électorale ! Tout le prouve.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Patrick Lassourd. Je pense d'abord à l'utilisation de la procédure d'urgence qui est, en l'occurrence, une fois de plus, totalement injustifiée et inopportune.
MM. Dominique Braye et Roger Karoutchi. Tout à fait !
M. Patrick Lassourd. Aucune crise politique ne réclamait une telle réforme. Ce calendrier était connu depuis 1997.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Joseph Ostermann. Tout à fait !
M. Patrick Lassourd. Cette méthode, devenue coutumière au Gouvernement, « force » les élus du peuple à légiférer sans la sérénité nécessaire et permet ainsi de faire adopter de manière commode et rapide des textes de circonstances.
Je pense ensuite au revirement à cent quatre-vingts degrés opéré par le Premier ministre, qui, le 19 novembre dernier, déclarait ceci : « A défaut de consensus, toute initiative de ma part concernant un changement de calendrier électoral serait interprétée de manière politique, voire politicienne ! » Vous avez dit « politicienne » ? Eh bien, nous y sommes ! M. Jospin agit aujourd'hui en totale contradiction avec ses récents propos !
M. Dominique Braye. Comme toujours !
M. Patrick Lassourd. Ce revirement est d'autant plus suspect de politisation qu'il a surgi lors du congrès de Grenoble du parti socialiste, occasion manquant singulièrement de la neutralité requise pour une mesure constitutionnelle et d'intérêt général, comme vous en conviendrez ! En réalité, M. Jospin change non pas tant d'avis que d'état : est-il encore le Premier ministre de la France ? Il est désormais davantage dans la peau du candidat à l'élection présidentielle que dans celle de chef de gouvernement ! L'intérêt et le calcul électoral priment ainsi, à quatorze mois des échéances, sur les attentes des Français. Et ce débat marque une véritable entrée en campagne électorale.
Autre indice de manoeuvre : la multiplication d'alliances incongrues suscitées par le projet. Lâché par les communistes et les Verts, qui sont les partenaires traditionnels du gouvernement socialiste auquel ils appartiennent, je le souligne, le Premier ministre a, sur cette réforme, dévoilé les divisions de sa majorité et été contraint d'aller chercher des appuis à droite en débauchant quelques membres de l'UDF. Ainsi, un ancien Président de la République, que vous avez toujours combattu, est-il devenu une inédite caution morale dont on exploite sans trop d'efforts les nostalgies et les rancoeurs, ainsi les socialistes versent-ils dans le gaullisme le plus affiché...
On aura tout vu ! Ces combinaisons douteuses avec des alliés de rencontre ne nous échappent pas et ne grandissent pas ce débat ! Choisir l'appui d'adversaires faute d'obtenir celui de vos amis, voilà, monsieur le ministre, de quoi faire douter de la sincérité de vos intentions, comme de la force de vos convictions !
Autre preuve : le calcul électoral tout simple évoqué avec une franchise un peu primaire mais louable, car révélatrice, par Daniel Cohn-Bendit, Jean-Claude Gayssot ou Henri Emmanuelli. Tous reconnaissent en effet que le prochain scrutin présidentiel, avec le calendrier tel qu'il est, a toutes les chances d'être défavorable à Lionel Jospin. Une possible défaite de la gauche plurielle aux élections législatives de 2002 risquerait en effet d'être fatale à la candidature de M. Jospin à l'élection présidentielle.
L'affaiblissement du Front national, dont l'émergence fut tant favorisée par les socialistes qui y trouvaient leur compte... électoral, va réduire bon nombre de triangulaires, favoriser ainsi la droite traditionnelle et réduire la base électorale, déjà de coalition et, pour le moins, hétéroclite, du Premier ministre. Le candidat Jospin, pour se gagner les suffrages, aurait à consentir des concessions, à composer avec les diverses sensibilités de sa majorité ; bref, il perdrait indépendance et latitude, et s'affaiblirait. Or, le candidat Jospin ne souhaite pas être comptable du bilan du Premier ministre Jospin...
Pour conjurer la crainte des urnes et la peur de perdre, M. Jospin cherche à assurer ses arrières par cette mesure tactique de pure stratégie personnelle !
La volonté du Gouvernement de se soustraire au contrôle prévu par les institutions constitue un dernier signe de manipulation électorale. Tout d'abord, le choix de présenter le texte sous forme d'une « proposition de loi », fort peu spontanée et tout à fait « dictée », méthode habituelle du Gouvernement pour se défausser sur sa majorité de projets sensibles ou embarrassants, permet d'échapper à l'avis du Conseil d'Etat, qui est requis pour un projet de loi organique. La forme de la proposition de loi dispense également le Gouvernement de soumettre le texte au référendum. Enfin, elle évite l'examen en conseil des ministres, où le Président de la République, directement concerné, aurait pu légitimement émettre réserves et remarques sur un texte qui règle son propre avenir !
Ce dernier point a beaucoup choqué le parlementaire respectueux de la Constitution que je suis. Ecarter injustement le Président de la République, c'est faire fi de l'article 5 de la Constitution, qui dispose : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat. » Autant dire que cet arbitrage a été totalement et soigneusement occulté !
En dépit de toutes ces évidences tacticiennes, on a voulu habiller en hâte le débat de respectabilité juridique. Ainsi ont été auditionnés d'éminents constitutionnalistes, professeurs émérites, plutôt dubitatifs et pas du tout unanimes sur les conséquences de cette inversion du calendrier. En effet, personne ne peut garantir que la modification du calendrier, pas plus d'ailleurs que le quinquennat, permettra de réduire la durée de la cohabitation. Le texte proposé constitue donc un aveu d'impuissance constitutionnelle mais un gage d'efficacité politique. Voilà la vérité !
M. Joseph Ostermann. Et voilà !
M. Patrick Lassourd. Le calendrier électoral dépend en fait de trois éléments échappant à toute loi organique : la dissolution, la démission du Président de la République et son décès. Sur ces trois points, personne ne peut agir. Le nouveau calendrier n'est donc pas à l'abri d'une remise en cause, malgré le vote de la proposition de loi. On comprend ainsi les lacunes, les fragilités et les dangers de la réforme qui nous est proposée.
M. Louis Grillot. Très bien !
M. Patrick Lassourd. A la lumière de ces éléments, où est, monsieur le ministre, la force de vos convictions ?
M. Dominique Braye. Ils en ont eu !
M. Patrick Lassourd. Comment nous faire croire que vous y croyez vous-même ?
Comment ne pas vous soupçonner de faire preuve d'une magistrale hypocrisie ? Le masque ne tient pas, et notre indignation est grande de participer à un « débat » qui devrait être abordé avec sincérité et honnêteté, et qui est, en définitive, confisqué par des calculs peu dignes, gagnés d'avance.
Je relèverai trois motifs d'indignation.
En premier lieu, notons un manque manifeste d'honnêteté intellectuelle concernant la lecture de la Constitution. Vous n'avez eu de cesse, monsieur le ministre, de combattre le général de Gaulle et les institutions de la Ve République, pour, aujourd'hui, vous en prévaloir ! Curieux paradoxe... Vous vous posez en défenseur de l'esprit d'une constitution que l'auteur du Coup d'Etat permanent parait de tous les méfaits... avant d'en faire son profit, en l'appliquant à la lettre, notamment lors de la première cohabitation de 1986 !
Ce ne sont pas tant nos institutions qui méritent d'être montrées du doigt que plutôt l'usage que l'on en a fait, et que vous en faites, avec la banalisation de la cohabitation. Vous invoquez la tradition, la nécessité d'affirmer la prééminence de l'élection présidentielle. Il n'y a aucune tradition en la matière ; nombre de mes collègues ont rappelé les précédents où les élections législatives ont eu lieu avant l'élection présidentielle. Notre tradition, à nous, consiste à mettre les institutions et le calendrier électoral à l'abri des calculs de convenance personnelle !
C'est plutôt sur la pratique que nous devons nous pencher. Grand pourfendeur de la présidentialisation du régime, avant d'accéder au pouvoir, le Président Mitterrand a, par la suite, nettement favorisé une lecture « présidentielle » de la Constitution... (M. Braye s'exclame.)
Vous avez bien retenu la leçon, en cherchant à « accommoder » nos institutions au gré de vos intérêts. C'est vraiment indigne !
Le vrai débat consiste non pas à modifier le calendrier, mais à s'interroger sur le devenir de nos institutions, sur l'équilibre des pouvoirs législatif et exécutif, sur la nécessité ou non de passer à une République plus moderne. C'est cela, le vrai respect d'une constitution écrite pour tous, dans l'intérêt d'une nation.
Vous comprendrez donc combien nous condamnons cette lecture univoque que vous cherchez à imposer, dans le seul intérêt d'un homme et d'un parti !
Mon deuxième motif d'indignation tient à cette méthode socialiste, contre laquelle je m'élève, et qui consiste à retoucher constamment la Constitution. On ne ravaude pas ainsi perpétuellement un texte constitutionnel, par petites touches, comme un vieux vêtement emprunté qu'on ne se résout pas à ajuster une bonne fois pour toutes.
Une dizaine de modifications de la Constitution ont lieu depuis 1922, sans compter la tentative avortée de modification du Conseil supérieur de la magistrature. Cette action au cas par cas a fini par faire perdre toute vision globale du texte.
M. Dominique Braye. Eh oui !
M. Patrick Lassourd. Vous en portez l'entière responsabilité. Un débat sur les institutions est, certes, tout à fait légitime, mais, alors, que ce soit un vrai débat, c'est-à-dire un débat de fond, avec une réflexion d'ensemble !
Parallèlement, tous les projets de réforme des modes de scrutin décidés par la gauche ont obéi à des motivations électoralistes. Déjà, en 1986, le mode de scrutin législatif avait été modifié de manière à limiter les chances de victoire de l'opposition. En 1990, c'était au tour des conseillers généraux de faire les frais des ambitions électorales de la gauche.
M. Dominique Braye. Déjà !
M. Patrick Lassourd. Récemment, les élections régionales ont également été visitées par l'esprit réformateur du Gouvernement Jospin.
M. Dominique Braye. Encore !
M. Patrick Lassourd. Il en va de même pour le mode de scrutin des sénateurs, dont la modification n'a pas d'autre visée que de gagner quelques sièges au Sénat, « anomalie » tout de même utile !
M. Dominique Braye. C'est un comble !
M. Patrick Lassourd. Aujourd'hui, vous faites des émules au sein de la majorité plurielle, puisque les Verts réclament à grands cris une dose de proportionnelle pour les prochaines législatives, afin d'augmenter le nombre de leurs représentants.
Comment éviter, au regard de toutes ces manipulations, notre écoeurement devant tant de cynisme et de mépris des choix réels des électeurs ? Comment voulez-vous que nous vous fassions confiance ? Les exemples que je viens de citer reflètent des manoeuvres de mauvais joueurs et de mauvais perdants, où l'honneur est totalement absent.
M. Hilaire Flandre. Absolument !
M. Patrick Lassourd. Enfin, ce qui me choque profondément, c'est le caractère non démocratique de votre méthode. Vous spéculez sur les motivations des électeurs, grands absents du débat. Il n'a pas été question un instant, en effet, de solliciter leur accord et de les consulter par la voie du référendum, ce qui aurait été justifié. Car il ne faut pas perdre de vue - M. Badinter s'est plu lui-même à le rappeler à cette tribune - que ce sont eux les maîtres des scrutins et de notre démocratie !
Le peuple souverain a choisi le calendrier actuel, avec ses aléas. Ce n'est donc pas lui qui aurait, dans un grand élan national, inspiré votre réforme ! Au vu des sondages, ce serait même plutôt le contraire, et ils seraient très déçus de voir leurs attentes et leurs besoins si mal et si peu pris en compte !
En tout cas, ce n'est pas cette « magouille » qui va les réconcilier avec la politique ! L'abstentionnisme galopant est bien la preuve de cette désaffection. Il est donc temps de les faire juges, directement, des grandes questions qui intéressent leur avenir.
Je ne veux pas terminer...
M. Joseph Ostermann. Déjà !
M. Patrick Lassourd. ... sans une note positive, sans esquisser les traits du vrai débat de fond que nous aurions dû avoir depuis quelques jours.
Entrons donc de manière nette et globale dans une république modernisée ! Opérons un toilettage de fond de nos institutions adapté aux évolutions de notre pays !
La constitution de 1958 est née d'un contexte particulier. Il est aujourd'hui indispensable de moderniser nos institutions et de les reconstruire dans une perspective d'ensemble.
En effet, quels sont les grands enjeux qui doivent présider à notre réflexion ?
C'est, d'abord, la position de la France au regard de la mondialisation et de l'Union européenne.
Il faut affirmer la place de la France dans l'Union européenne, en la dotant d'institutions stables, moderniser l'Etat, en revivifiant les libertés locales, promouvoir une démocratie de proximité, en rendant effective la décentralisation, faire en sorte que les décisions soient prises au plus près du terrain, élaborer un projet économique et social orienté vers le dialogue et la solidarité, établir des relations de confiance entre le peuple souverain et la classe politique, notamment en élaborant un statut de l'élu.
Pour s'adapter, dans ces conditions, nos institutions doivent s'affranchir de l'étatisation et de la concentration actuelle du pouvoir entre les mains de l'autorité centrale et de la haute administration.
Il faut donc rééquilibrer et mieux séparer le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, renforcer le pouvoir de contrôle du Parlement, affirmer le rôle du citoyen, établir un juste équilibre entre le pouvoir central et les collectivités locales grâce à une régionalisation accrue.
Ce débat sur nos institutions permettra de poser les vraies questions : faut-il ou non continuer à vivre des cohabitations, faut-il ou non se diriger vers un régime présidentiel ou vers un régime parlementaire ?
Pour ce qui concerne la cohabitation, l'expérience a montré qu'elle correspondait à un espace de temps qui n'est pas profitable à la France. Nos institutions, une fois modernisées et toilettées, devront donc limiter au minimum le risque de cohabitation, voire l'empêcher totalement. Avec la cohabitation, nous avons gagné en paralysie, nous avons perdu en crédibilité auprès de nos partenaires européens et mondiaux.
M. Georges Gruillot. Très bien !
M. Patrick Lassourd. Si nous nous dirigeons vers un régime présidentiel, il faudra poser les vraies questions : celle du droit de dissolution, qui ne pourra pas être conservé, celle de l'existence du Premier ministre, celle de la création éventuelle d'un vice-président, celle de la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement, mais aussi celle de la nature des scrutins.
A considérer le régime présidentiel des Etats-Unis, bien connu, on note qu'il y a une négociation permanente entre le président et le Congrès. Mais cette négociation est facilitée par le fait qu'il y a deux formations politiques au Congrès. Chez nous, notamment depuis l'émergence du pouvoir socialiste, nous sommes face à un émiettement des formations politiques. Il n'est qu'à voir la gauche plurielle !
Rappelons-nous le machiavélisme inouï du président Mitterrand pour faire émerger une formation politique dont on connaît les idées extrémistes à seule fin de diviser la droite à son profit personnel !
M. Hilaire Flandre. Scandaleux !
M. Patrick Lassourd. Comment, avec de tels comportements, aller vers un régime présidentiel, dans lequel le président est obligé de négocier avec le Parlement, si l'on compte une dizaine de formations politiques, certaines n'étant présentes que grâce au machiavélisme d'un président soucieux d'assurer sa majorité et son élection ?
Actuellement, on voit certains partenaires de la majorité dite plurielle, les Verts, demander l'adoption du scrutin proportionnel.
Je vous le dis, mes chers collègues, un régime présidentiel ne peut coexister avec un scrutin proportionnel, car la présence d'un trop grand nombre de formations politiques au Parlement empêchera toute négociation entre ledit Parlement et le président.
Pour ce qui est du régime parlementaire pur et dur, il n'y a pas de surprise. Nul besoin de faire de la fiction. De la fin de la guerre, en 1946, jusqu'en 1958, nous avons eu, en France, un régime parlementaire pur et dur. C'étaient les délices de la IVe République.
Nous y avons perdu notre crédibilité, nous y avons perdu la force de notre monnaie. Nous n'avons pas eu le développement économique que nous aurions pu avoir. Nous avons collectionné un nombre incroyable de gouvernements. Nous ne pouvons donc pas aller dans cette direction.
Dès lors, quelle est la bonne réponse ? La bonne réponse, c'est la Constitution de la Ve République. Arrêtons de dire que c'est une anomalie parce que c'est une constitution qui existe peu ou pas du tout en Europe et dans le monde. Ce n'est pas une anomalie, c'est notre spécificité : elle convient à notre identité, à notre culture, à notre façon de penser, de régler les affaires de l'Etat.
Mais ce ne sont pas les petites retouches permanentes, comme le quinquennat, le cumul des mandats, la parité, les changements de scrutin, notamment le scrutin sénatorial, qui répondent au souci réfléchi de moderniser de façon pérenne et harmonieuse les institutions.
Et s'il y a un gouvernement qui est vraiment très mal placé pour mener à bien cette rénovation des institutions, c'est bien, monsieur le ministre, celui auquel vous participez !
En conclusion, la mesure proposée contient, nous l'avons vu, davantage d'arrière-pensées que de pensées tout court ! Elle nous a plongés dans un débat strictement politique, dans le plus mauvais sens du terme, ce que nous déplorons.
Ce n'est qu'au prix d'un vrai débat, que j'ai brièvement évoqué, que nous pourrons reconquérir la confiance des Français, seuls comptables de votre action.
Nous n'avons pas, monsieur le ministre, la même notion de la représentativité. M. Jospin exerce ses fonctions dans l'impunité ; nous, nous concevons notre mandat dans la responsabilité, sous le contrôle de la souveraineté populaire. C'est là toute la différence. C'est pourquoi, avec mes collègues du groupe du RPR, je ne voterai pas votre texte en l'état. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu. « Une constitution, c'est un esprit, des institutions, une pratique. »
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà ce qu'affirmait le général de Gaulle lors de sa conférence de presse du 31 janvier 1964.
L'esprit ? C'est l'interprétation qui permet de faire prévaloir certains principes sur d'autres, lorsqu'un choix est à faire. Les institutions ? Elles constituent ce qu'il y a de descriptif dans une constitution. La pratique ? C'est l'application de la Constitution, les règles que l'on arrête pour savoir comment seront exercées concrètement les compétences, les textes ne prévoyant pas tout. A cet égard, c'est l'esprit qui doit diriger la pratique, car tout ce qui est juridiquement possible n'est pas politiquement acceptable.
Le général de Gaulle déclarait encore, lors de la même conférence de presse, que, comme l'épreuve des hommes et des circonstances l'avait montré, l'instrument répondait à son objet, non seulement pour ce qui concernait la marche ordinaire des affaires, mais encore pour ce qui avait trait aux situations difficiles, auxquelles la Constitution offrait les moyens de faire face. Et le général de citer le référendum, la dissolution de l'Assemblée nationale et les pouvoirs de crise.
Il m'a semblé qu'il n'était pas inutile de rappeler d'emblée ce que celui qui avait en quelque sorte « passé commande » du texte constitutionnel avait précisément en tête alors que, aujourd'hui, de notoires opposants aux institutions de la Ve République entendent le relire sous un éclairage qui leur est favorable, n'hésitant pas à lui prêter un sens qu'il n'a pas.
Nous touchons là, en effet, mes chers collègues, le coeur du sujet qui nous préoccupe.
Les pères constituants ont en effet vu, dans le droit de dissolution dévolu par l'article 12 au Président de la République, une véritable compétence d'arbitrage. Rappelons-nous, au passage, que le droit de dissolution était, sous la république précédente, l'apanage du président du Conseil.
La dissolution de 1997 étant présentée comme l'un des deux événements qui, avec le décès du président Pompidou, ont contribué à faire du calendrier électoral de 2002 ce qu'il est, il est loin d'être hors de propos de se pencher quelques instants sur le concept.
Certains qualifient ce calendrier de « fortuit » pour mieux faire adhérer à leur théorie celle du « rétablissement ». M. le ministre de l'intérieur a même parlé de « rétablissement cohérent ».
Le terme « rétablir » est, à lui seul, tout un aveu. Le dictionnaire lui donne pour synonyme : « remettre en place ». Or je ne crois pas commettre un abus de langage en affirmant que « remettre en place », en somme remettre de l'ordre, ce n'est pas le rôle du ministre de l'intérieur. Mais, ici, remettre de l'ordre dans les échéances électorales devrait avoir pour corollaire un ordre préétabli inscrit dans notre loi fondamentale.
Du reste, si ordre établi il devait y avoir en la matière, le général de Gaulle l'aurait prévu dans le référendum constitutionnel de 1962. Or, pas un mot ! En effet, il était facile d'instaurer une date fixe pour l'élection du Président de la République, comme cela existe pour les élections législatives.
En ce qui me concerne, je dirai plus volontiers de ce calendrier qu'il n'est que la résultante de circonstances, de cas de figure prévisibles et inscrits dans le texte constitutionnel qui, ne l'oublions pas, a été approuvé par 80 % des Français lors du référendum du 28 septembre 1958.
Dans la discussion générale, monsieur le ministre, vous avez conclu en ces termes : « Le rôle du législateur ne peut se résumer à attendre que des événements extérieurs dénouent une incohérence dans le fonctionnement de nos grandes institutions. » J'en déduis que, à l'inverse, on attendra de nous, au moindre accident de parcours - nouvelle dissolution, disparition du chef de l'Etat - que nous adoptions d'autres lois organiques, au coup par coup, que je vous suggère de rebaptiser « lois de convenance ».
Le principal atout de la Ve République reste incontestablement la continuité et la stabilité des institutions. Ces mêmes institutions ont pourtant permis 1981 et la première cohabitation, au grand étonnement de nombreuses personnes, notamment d'éminents juristes qui avaient pu, à juste titre, redouter que la Constitution de 1958 ne permette pas d'alternance politique sans que ses fondements soient remis en cause.
Lorsque, en septembre 1962, le général de Gaulle annonce qu'il lui apparaît souhaitable, pour renforcer la stabilité des institutions, que le chef de l'Etat soit élu directement par les Français au suffrage universel direct, 62 % des Français font le choix de lui donner raison. Toute la vie politique va, à partir de là, être axée sur l'élection présidentielle.
D'aucuns voudraient aujourd'hui nous faire croire que l'esprit des institutions commanderait de faire précéder les élections législatives par l'élection présidentielle. Mieux : on nous dit que ce calendrier ne résulte ni de la volonté du constituant, ni de celle du législateur.
Qu'indique, au juste, le texte de la Constitution sur ce point ? Rien ! Les pères constituants n'ont, à aucun moment, estimé souhaitable d'instaurer une sorte de protection du Président de la République en imposant que les élections législatives aient lieu après son élection. Or la discrétion du texte constitutionnel n'empêche visiblement pas certains de considérer quelques-unes de leurs prescriptions comme autant d'acquis.
En dépit de virulentes critiques formulées en 1964 contre les institutions de la Ve République, notamment dans son livre Le Coup d'Etat permanent , le président Mitterrand, à son arrivée au pouvoir, adopte le régime tel qu'il est. Tout au plus, dans un entretien au journal Le Monde , le 2 juillet 1981, évoque-t-il la nécessité de réformer, à certains égards, la Constitution, tout en affirmant que le train constitutionnel ne comprendrait que quelques wagons qui ne seraient mis en marche « qu'après qu'auront été abordés les problèmes urgents de la nation ». Il citait, alors, la situation économique.
Aujourd'hui, c'est l'inverse. Les problèmes urgents de la nation restent sans réponse et le Gouvernement travaille principalement à un « tripatouillage » des élections. Quid des préoccupations des Français ? Quid du dossier des retraites ? Quid de l'application des 35 heures dans les entreprises ? Dans le contexte de forte croissance économique que connaît actuellement la France, les petites et moyennes entreprises sont confrontées à une importante pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Ainsi, 800 000 à 900 000 offres d'emplois ne seraient pas pourvues. Les difficultés de recrutement touchent tous les secteurs de l'artisanat, plus particulièrement le bâtiment et l'hôtellerie. Quelles mesures concrètes, qui soient adaptées à un contexte de reprise économique, nous propose-t-on ? On ne saurait se contenter du leitmotiv que nous sert Mme Guigou : « On ne touche à rien du dispositif relatif aux 35 heures. »
Les gouvernés ne décident pas de tout, mais ils décident de l'essentiel, à savoir de qui gouvernera. Du coup, ce ne sont pas toujours les mêmes qui gouvernent. Le peuple consulté exprime une volonté qu'un camp perde le pouvoir, que le camp adverse l'exerce à sa place. C'est cela, la démocratie.
Dans un ouvrage consacré aux démocraties, Olivier Duhamel rend ainsi compte de la décision des gouvernés : « Quelles que soient les modalités électorales ou institutionnelles, le principe du système politique majoritaire se résume dans la désignation de la majorité gouvernementale par le peuple. En dépit de virulentes critiques formulées en 1964 contre les institutions de la Ve République, notamment dans son livre Le Coup d'Etat permanent , le président Mitterrand, à son arrivée au pouvoir, adopte le régime tel qu'il est. Tout au plus, dans un entretien au journal Le Monde , le 2 juillet 1981, évoque-t-il la nécessité de réformer, à certains égards, la Constitution, tout en affirmant que le train constitutionnel ne comprendrait que quelques wagons qui ne seraient mis en marche « qu'après qu'auront été abordés les problèmes urgents de la nation ». Il citait, alors, la situation économique.
Aujourd'hui, c'est l'inverse. Les problèmes urgents de la nation restent sans réponse et le Gouvernement travaille principalement à un « tripatouillage » des élections. Quid des préoccupations des Français ? Quid du dossier des retraites ? Quid de l'application des 35 heures dans les entreprises ? Dans le contexte de forte croissance économique que connaît actuellement la France, les petites et moyennes entreprises sont confrontées à une importante pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Ainsi, 800 000 à 900 000 offres d'emplois ne seraient pas pourvues. Les difficultés de recrutement touchent tous les secteurs de l'artisanat, plus particulièrement le bâtiment et l'hôtellerie. Quelles mesures concrètes, qui soient adaptées à un contexte de reprise économique, nous propose-t-on ? On ne saurait se contenter du leitmotiv que nous sert Mme Guigou : « On ne touche à rien du dispositif relatif aux 35 heures. »
Les gouvernés ne décident pas de tout, mais ils décident de l'essentiel, à savoir de qui gouvernera. Du coup, ce ne sont pas toujours les mêmes qui gouvernent. Le peuple consulté exprime une volonté qu'un camp perde le pouvoir, que le camp adverse l'exerce à sa place. C'est cela, la démocratie.
Dans un ouvrage consacré aux démocraties, Olivier Duhamel rend ainsi compte de la décision des gouvernés : « Quelles que soient les modalités électorales ou institutionnelles, le principe du système politique majoritaire se résume dans la désignation de la majorité gouvernementale par le peuple. L'électorat choisit lui-même un parti ou une coalition formée avant l'élection ; il choisit lui-même un chef, le leader du parti ou de la coalition, ou celui qu'il a choisi pour diriger le gouvernement ; il choisit un projet politique, la plate-forme électorale qui, toujours, fixe au moins quelques objectifs et quelques moyens prioritaires pour les atteindre. Le système politique majoritaire laisse au peuple le double choix de l'orientation politique et de la personne qui la mettra en oeuvre. »
Ce système, s'il réduit le choix de l'électeur entre le candidat A et le candidat B, lui confère le pouvoir considérable de changer d'avis et donc, par là même, de changer le cours des choses. L'opposition d'aujourd'hui est la majorité de demain, l'unique incertitude pesant sur la date de ce « demain » ! En France, deux élections ont une portée gouvernementale : celle du Président de la République et celle de l'Assemblée nationale. Il en résulte une dualité des majorités, parlementaire et présidentielle.
L'avènement d'une nouvelle majorité peut se produire à l'une ou l'autre de ces deux élections. Disposant du droit de dissolution, le Président peut renvoyer l'ancienne majorité et demander au peuple d'en désigner une nouvelle, plus conforme à son choix présidentiel. C'est ce que fit François Mitterrand à deux reprises, en 1981 puis en 1988.
A l'inverse, l'Assemblée nationale ne peut révoquer le Président, ce qui implique que la nouvelle majorité parlementaire doit composer avec le maintien du Président en place et donc cohabiter.
Or personne sur ces travées ne saurait contester la réussite de la Ve République, pour les raisons déjà évoquées plus haut, à savoir la stabilité gouvernementale, la libre expression de l'électorat et le respect de ses choix.
Nous avons pu traverser des crises de diverses natures avec succès, ce qui n'exclut pas une réflexion critique, un régime ne survivant que s'il s'adapte.
Cette affirmation ne saurait toutefois ouvrir la brèche à toutes les réformes, lesquelles doivent corriger mais ne pas détruire.
Que nous propose-t-on, au fond, aujourd'hui ? De faire précéder les élections législatives par le scrutin présidentiel ; en somme, cela revient à fixer une date ! Est-ce là véritablement une rénovation politique majeure ? Y a-t-il là un véritable enjeu institutionnel ? En agissant de la sorte sommes-nous censés apporter une solution à toutes les questions qui se posent ?
On voudrait nous convaincre du fait que le calendrier électoral de 2002 est en quelque sorte illégitime, voire illégal, au motif que les élections législatives n'ont jamais précédé le scrutin présidentiel. Ce fut pourtant le cas à trois reprises - cela a été souligné - pour des variables d'écart allant de un à quatorze mois : rappelez-vous 1958, 1968-1969 et 1973-1974.
En contestant l'ordre des scrutins, le Gouvernement et ceux qui font leurs affaires d'une pareille théorie semblent remettre en cause le droit de dissolution, responsable de la concomitance des deux élections la même année. Ne pas laisser les élections intervenir à leur échéance naturelle a quelque chose de choquant, car cela donne à croire que l'on se refuse à respecter les conséquences d'un choix exercé librement par le Président de la République, en conformité avec la lettre de la loi fondamentale.
Il va de soi que je ne conteste à aucun moment l'idée même d'un aménagement de la Constitution. Il ne faut pas verser dans le fétichisme au point d'en être esclave. Il est normal qu'elle s'adapte aux nouvelles aspirations des gouvernés ou bien à une modification dans les rapports politiques. Le général de Gaulle lui-même, en bon pragmatique, voulait cette latitude, l'essentiel étant pour lui de ne pas bouleverser l'économie de la Constitution. Le peuple ne l'avait-il pas, en effet, choisie ?
Ce qui est beaucoup moins respectable, c'est de conférer au texte constitutionnel un esprit qui ne lui est pas conforme, cela pour mieux brouiller les pistes et, finalement, se présenter comme ses défenseurs, alors même que l'on est mû par des intentions peu avouables, d'autant moins avouables que le Premier ministre irait presque jusqu'à tenter de nous faire croire qu'il ne fait que se ranger à l'avis exprimé au travers de six initiatives parlementaires, desquelles, je le suppose, se dégage le fameux consensus qu'il a cru bon d'évoquer dans son interview télévisée du 19 octobre dernier.
Cette coalition de forces est, vous l'avouerez, pour le moins inattendue dès lors qu'elle rassemble des personnalités qui appartiennent notoirement à des camps adverses et que l'on voit se rapprocher pour des causes peu avouables, voire un peu troubles. C'est ce qu'on pourrait qualifier de « cuisine électorale politicienne » et, je dois le dire, nauséabonde.
De là à ce qu'on nous dise que le Premier ministre, en acceptant cette démarche, fait montre de sa volonté de respecter les prérogatives du Parlement, notamment son pouvoir d'initiative, il n'y a qu'un pas que certains n'ont pas hésité à franchir !
Pour ma part, j'y verrai toutefois une incohérence avec l'objet de ces propositions de loi qui visent à donner la priorité au scrutin présidentiel et à faire des législatives un rendez-vous mineur tout juste bon à conforter le candidat élu. S'il est quelqu'un pour m'expliquer la logique de tout cela, je suis preneur !
Je me rangerai plus sérieusement du côté de ceux qui pensent que le chef du Gouvernement a sciemment fait le choix de ne pas déposer de projet de loi afin d'éviter le cap du Conseil d'Etat et du conseil des ministres. M. le rapporteur l'ayant dit mieux que moi, il n'est pas utile d'y revenir.
Je m'étonnerai, à l'instar de M. Christian Bonnet et de bien d'autres collèges, que la procédure d'urgence soit de rigueur pour régler une situation qui est connue de tous depuis 1997...
M. Louis de Broissia. Eh oui !
M. Gérard Cornu. ... et que le Premier ministre jugeait pourtant tout à fait acceptable il y a encore trois mois, mes chers collègues !
Comme la majorité d'entre vous, même à y regarder de très près, je ne vois toujours pas d'où ressort le très large consensus « posé comme préalable à toute réforme ! Sous prétexte d'une anomalie calendaire, le Gouvernement ne cherche-t-il pas à faire dire au peuple ce qu'il veut entendre ?
A ce stade de ma réflexion, et en dehors de toute considération qui pourrait être aisément qualifiée de politicienne, je me pose deux questions.
La première est d'ordre technique. L'acte qui consiste à repousser la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale remettra-t-il définitivement le calendrier « à l'endroit », pour autant que l'on s'accorde sur l'endroit et l'envers ? Objectivement, non ! Rien ne nous permet d'affirmer qu'aucun « fait du hasard », pour reprendre les termes chers à Lionel Jospin, ne viendra de nouveau perturber l'ordre des choses soudainement préconisé par le Gouvernement, sauf à rayer de notre Constitution l'article 12 et à en écrire un nouveau interdisant au chef de l'Etat d'avoir le mauvais goût de décéder pendant l'exercice de ses fonctions !
Ma seconde question est de nature politique. Pareille pirouette aurait-elle pour conséquence d'annihiler tout risque de cohabitation, cette parenthèse, comme le dit M. Jospin ? Selon lui, la probabilité d'une cohabitation serait moins grande, car « la dynamique de cohérence est la plus forte si l'élection présidentielle précède les législatives ».
Admettons un instant que l'argument ne soit pas inspiré par des intérêts partisans. Pourquoi pas ?
M. Louis de Broissia. Admettons-le ! (Sourires.)
M. Gérard Cornu. Que faisons-nous alors du choix démocratique librement exprimé par le peuple français ?
M. Joseph Ostermann. Et voilà !
M. Paul Blanc. A la poubelle !
M. Hilaire Flandre. Retour à la case départ !
M. Gérard Cornu. Je rappelle que le peuple français n'en est pas à sa première cohabitation ! En neuf années, il a eu le temps de se faire une idée de la question !
Certes, il est acquis sur tous les bancs du Parlement - en tout cas j'ose le croire - que la cohérence entre l'exécutif et le législatif rend plus efficace l'action politique. C'est une évidence. Pour autant, il ne nous appartient pas de forcer la main du destin, en l'occurrence celle des Français, en leur demandant de considérer les élections législatives comme un scrutin visant à plébisciter le Président de la République. Ne prenons pas les Français pour ce qu'ils ne sont pas. Efforçons-nous plutôt de les convaincre de l'intérêt qu'il y aurait à restaurer l'unité de projet et d'action entre les deux têtes de l'exécutif.
Bien sûr, le Gouvernement a cherché à faire triompher les arguments qu'il croyait imparables, tels que les modalités pratiques d'organisation des parrainages en vue de l'élection présidentielle. Oh, là, là !
Il a même cru un temps trouver un allié de taille, le Conseil constitutionnel - excusez du peu ! - lequel, dans sa décision de juillet dernier, recommande que « les citoyens habilités à présenter des candidats puissent le faire après avoir pris connaissance des résultats des élections à l'Assemblée nationale ».
Or, ainsi que l'a très bien exposé notre rapporteur, cette recommandation ne saurait remettre en cause l'ordre des scrutins. Au contraire, il est tout à fait possible de concilier les deux élections. Seize jours de réflexion pour faire le choix de son candidat à l'élection présidentielle, voilà qui ne relève pas de l'impossible. Qui pourrait soutenir le contraire ?
C'est pourquoi il m'apparaît plus raisonnable et plus respectueux de notre Constitution et de l'électorat de suivre la voie ouverte par la commission des lois, qui, dans sa sagesse, suggère que, dans le cas où le calendrier électoral ferait précéder le scrutin présidentiel par le renouvellement de l'Assemblée nationale, un délai d'au moins trente jours sépare le second tour des législatives du premier tour de l'élection présidentielle.
Si l'on en croit un récent sondage, tout porterait à penser que les Français apprécient le double exécutif : plus d'un tiers d'entre eux souhaitent que la cohabitation perdure au-delà de 2002.
Si l'on considère en outre que, depuis 1978, aucune assemblée sortante n'a été reconduite, alors, vous et moi en déduirons aisément que l'intérêt général dont parle M. Jospin n'est pas celui du pays mais qu'il est bien plutôt celui de la gauche et, il faut bien le dire, plus particulièrement son propre intérêt.
M. Jean-Pierre Schosteck. Tout à fait !
M. Louis de Broissia. Personne n'en doute !
M. Gérard Cornu. Aux partisans du « rétablissement », qui auront immédiatement qualifié cette considération de politicienne, je répondrai volontiers et sans esprit querelleur par cette déclaration faite en 1981 par qui vous savez - par François Mitterrand - à un grand quotidien du soir - d'habitude, je ne le cite pas trop, mais là, cela vaut la peine : « Les institutions n'étaient pas faites à mon intention, mais elles sont bien faites pour moi. »
Il est vrai que la Ve République a su montrer qu'elle savait épouser le mouvement démocratique. Alors, dérangerait-elle aujourd'hui parce qu'elle dure ? Si c'est effectivement le cas, il serait plus honnête de nous le dire clairement et de nous proposer une réforme d'ensemble de nos institutions.
M. Paul Blanc. Bien sûr !
M. Gérard Cornu. Ce serait plus respectable et plus conforme à ce qu'on est en droit d'attendre d'un véritable chef de gouvernement.
M. Paul Blanc. Très bien !
M. Gérard Cornu. Au lieu de cela, vous y allez par petites touches successives, tel un impressionniste n'hésistant pas à juxtaposer sur la toile des couleurs réputées ne pas s'entendre.
Si vous contestez la double nature, parlementaire et présidentielle, de notre loi fondamentale, dites-le nous franchement, sans détour ; dites-le aussi au peuple français à qui il appartient de choisir le tour que celle-ci doit prendre. Nous sommes les témoins, pour ne pas dire les victimes, de la conception particulière que vous avez de la légitimité du Parlement.
Si, contrairement à ce que vous affirmez, vous étiez respectueux et soucieux du bon exercice de ses prérogatives, vous ne transposeriez pas par voie d'ordonnance des directives européennes qui mériteraient un vrai débat national, vous n'abuseriez pas, comme vous le faites, sur des textes essentiels, de la procédure d'urgence... D'autres exemples pourraient être cités.
Si vous aviez de l'égard pour le pouvoir législatif, vous ne réduiriez pas l'élection des députés à un rendez-vous accessoire, vous ne les cantonneriez pas dans le rôle de supporters de tel ou tel candidat à la présidence ! Vous n'auriez pas non plus voulu que le dernier débat du deuxième millénaire consistât, pour l'Assemblée nationale, à se voter un sursis de trois mois.
N'y avait-il rien de plus essentiel, de plus déterminant pour nos concitoyens en attente de vraies réformes capables d'améliorer résolument leur vie quotidienne ? Franchement ! (Franchement ! sur les travées du RPR.)
Peut-être vous souvenez-vous de ces quelques mots de notre regretté collègue Hubert Bassot, cherchant à expliquer toute la difficulté de l'action politique : « Saisi par les agitations du jour et les aspirations du siècle, bousculé par l'écrit, trahi par le temps qui dérobe ses évidences et sa durée, placé devant l'inattendu comme un chasseur surpris, voulant et prévoyant loin, pouvant et voyant près, happé par tant d'actions, harcelé par tant de ses compatriotes qui ne sont que ses contemporains d'un instant, lui qui explore l'avenir, eux qui implorent l'immédiat, l'homme politique est l'homme pressé. L'histoire est son désir. Le provisoire est son destin. » (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Permettez-moi de penser que le Premier ministre ne donne pas, pour sa part, l'impression d'être « l'homme pressé » de répondre aux véritables attentes du peuple français. L'ambition, plutôt que l'histoire, semble être son désir, l'art de la convenance, son pain quotidien ! Je doute qu'il faille s'en honorer.
Certes, l'Assemblée nationale aura le dernier mot ! Elle jouera, en toute vraisemblance, les prolongations au nom d'un prétendu intérêt général dont personne, à vrai dire, ne sera dupe.
A tout le moins ne pourra-t-on pas reprocher au Sénat de n'avoir pas dit les choses, de n'avoir pas mis en garde contre la vision constitutionnelle pour le moins floue du Premier ministre.
Certains, bien sûr, ne manqueront pas de redire, après le Premier ministre, que le Sénat est une « anomalie » de notre démocratie. (Protestations sur les travées du RPR.)
Je voudrais insister un peu sur ces propos émis par le Premier ministre - le Premier ministre de la France, mes chers collègues ! - propos qu'il va peut-être regretter. Il a donc déclaré à la presse que le Sénat était une « anomalie » de notre démocratie.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Ce n'est pas bien de mentir, monsieur le sénateur !
M. Gérard Cornu. Quelle offense pour nous, mes chers collègues !
M. Paul Blanc. Honte à lui !
M. Gérard Cornu. Quelle offense aussi pour le bicamérisme ! Pourquoi voudrait-on que le mode d'élection des sénateurs soit le même que celui des députés ? Pourquoi veut-on porter atteinte au bicamérisme ? A quoi serviraient les sénateurs s'ils étaient élus selon le même mode d'élection que les députés ? J'en parle en connaissance de cause, je peux comparer, comme certains de mes collègues ici présents qui ont également été députés auparavant.
Chacun peut faire des erreurs.... mais là, c'est une erreur vraiment très grave !
Le Sénat a vocation à représenter le territoire, à représenter les multiples communes françaises et, contrairement à certains, je pense que le nombre considérable de ces communes fait la force de notre nation. A la tête de chacune d'elles, se trouvent des maires, des bénévoles qui se consacrent au service de leurs concitoyens ; nous en aurons encore le témoignage à l'occasion des élections municipales.
En tout état de cause, cette manoeuvre orchestrée par Lionel Jospin nous prouve une chose : le Premier ministre ayant peur de perdre les élections législatives, il préfère changer les règles du jeu.
M. Dominique Braye. Eh oui !
M. Gérard Cornu. Du reste, la gauche n'en est pas, à cet égard, à son coup d'essai. En effet, voulant limiter sa défaite lors des élections législatives de 1986, cela a déjà été très justement rappelé par certains de nos collègues, elle avait déjà modifié le mode de scrutin.
Que le Premier ministre arrête donc de nous parler de son droit d'inventaire ! Les méthodes de l'ère Mitterrand perdurent dans l'épisode Jospin. Parce qu'on ne peut parler d'« ère Jospin » ! En tout cas, j'espère que ce ne sera qu'un épisode ! (Sourires sur les travées du RPR.)
M. Patrick Lassourd. Malheureux épisode !
M. Gérard Cornu. Vous me permettrez enfin, et je terminerai par là mon propos... (Lamentations ironiques sur les travées du RPR.)
M. Gérard César. Quel dommage !
M. Gérard Cornu. Il faut bien conclure à un moment, mes chers collègues. Mais j'espère que je vous aurai intéressés. (Oh oui ! sur les mêmes travées.)
M. Gérard Le Cam. C'était effectivement passionnant...
M. Gérard Cornu. Je conclurai donc en m'étonnant du peu de cas qui est fait du rôle dévolu par l'article 5 de la Constitution au Président de la République, garant de nos institutions.
Est-il normal que le Président de la République soit ainsi écarté de ce débat institutionnel qui le concerne plus directement qu'on n'a bien voulu le dire ?
En se dispensant de prendre son avis, le Gouvernement montre sa vraie nature, et l'on ne pourra pas nous convaincre, dès lors, que ce n'est pas Jacques Chirac qu'on cherche ainsi à affaiblir !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Il n'a pas besoin de cela !
M. Gérard Cornu. C'est ce que vous pensez, monsieur le ministre ! Il reste que vous avez peur du Président de la République. (M. le ministre sourit.) C'est bien pourquoi vous avez recours à cette manoeuvre !
Cela prouve surtout que le Premier ministre actuel se comporte finalement plus comme un candidat futur que comme un véritable Premier ministre, ce qui est particulièrement grave,...
M. Dominique Braye. C'est gravissime !
M. Gérard Cornu. ... à nos yeux, mes chers collègues, comme aux yeux du peuple français.
Le peuple français souverain saura manifester cette désapprobation un jour ou l'autre.
M. Louis de Broissia. Il le fait déjà !
M. Gérard Cornu. Le moment venu, j'en suis convaincu, les manipulateurs seront sanctionnés. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Gérard Cornu. Je n'ai pas encore fini, mes chers collègues !
M. Hilaire Flandre. Ç'aurait pourtant été une belle chute ! (Rires.)
M. Gérard Cornu. Il est clair qu'on cherche à affaiblir le Président de la République. Est-ce là une juste conception de la République et de la démocratie ? Voilà la vraie question, et elle mériterait bien des développements (Sourires sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Schosteck. Pourquoi pas ?
M. Gérard Cornu. Mais j'ai pitié de vous, mes chers collègues, car j'ai conscience d'avoir déjà été un peu long. (Mais non ! sur les mêmes travées.)
En tout cas, ce n'est pas l'idée que, moi, je me fais de la République et de la démocratie. Je veux croire que les Français sauront juger un jour ou l'autre, et le plus tôt sera le mieux. Pour notre part, nous rendrons notre jugement tout de suite en rejetant la convenance au profit de la sagesse. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous sommes en train de débattre a pour intitulé : « Proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. » Il aurait aussi bien pu s'intituler : « Proposition de loi organique inversant les dates des prochaines élections législatives et présidentielle de 2002 ». Cela aurait eu le mérite d'une plus grande clarté, d'autant que le débat politique et médiatique qui s'est créé autour de cette question porte bien sur ce qu'il est devenu courant d'appeler l'« inversion du calendrier électoral ».
Mais, pour une clarté encore plus grande, cet intitulé aurait également pu être le suivant : « Proposition de loi organique de circonstance visant à inverser un calendrier électoral potentiellement défavorable au Gouvernement et à la composante socialiste de sa majorité ». (Rires et manifestations d'approbation sur les travées du RPR.)
Au moins nos concitoyens auraient-ils été ainsi objectivement éclairés sur les véritables motivations de la majorité nationale, ou tout du moins sur celles de sa composante principale, qui ne cesse de nous rebattre les oreilles avec son souci de transparence et sa prétendue volonté de répondre aux attentes de nos concitoyens.
L'intitulé retenu est évidemment beaucoup plus anodin, mais l'opinion publique n'est pas dupe pour autant et elle sait parfaitement à quoi s'en tenir quant aux motivations profondes qui sous-tendent ce texte.
Ses promoteurs croient certes avoir trouvé un argument irréfutable pour établir leur bonne foi, pour démontrer qu'ils ne nourrissent aucune arrière-pensée politicienne et électoraliste, en affirmant que le seul objectif de ce texte est de remettre à l'endroit le calendrier électoral - puisque celui-ci est, paraît-il, sur la tête - dans un souci de conformité avec l'esprit de la Constitution. Selon eux, la prééminence du rôle du Président de la République au sein de nos institutions implique que l'élection présidentielle ait lieu avant les élections législatives.
Les hasards de notre histoire politique contemporaine ayant abouti à ce que ces deux échéances électorales ne se présentent pas en 2002 dans cet ordre présenté comme idéal et incontournable, il conviendrait donc que le Parlement inverse lesdites élections pour que l'on retourne à l'ordre constitutionnel profond.
Voilà la raison officielle, qui justifie, selon les zélateurs de cette réforme, l'inversion du calendrier. Et qu'on ne se permette surtout pas de laisser entendre que pourrait exister à ce soudain désir de réformer une autre raison qu'une vigilante ardeur à défendre l'esprit de notre Constitution contre un calendrier susceptible d'en saper les fondements mêmes ! Les Français n'en étaient pas en effet suffisamment avertis, mais le désordre institutionnel les guettait et la Ve République était en péril...
Oui, mes chers collègues, rendez-vous bien compte de ce drame qui se jouait en silence : les Français s'apprêtaient à voter en 2002 pour élire d'abord leurs députés et ensuite leur Président ! Inconscients des conséquences gravissimes de cet état de fait, ils allaient peut-être même, les malheureux, voter la conscience tranquille, alors que leur vote, par un hasard maléfique du calendrier, allait saper nos institutions et ébranler, voire mettre à bas notre Ve République ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Nous avons heureusement échappé de peu à ce drame effroyable, grâce à la vigilance de quelques visionnaires qui n'ont, nous le savons tous, d'autre raison de vivre que la défense de nos institutions, de notre Constitution.
M. Louis de Broissia. Des noms !
M. Dominique Braye. Ces nobles chevaliers blancs de la politique, n'écoutant que leur courage et leur sagacité, se sont donc investis de la haute mission consistant à dénoncer la bête malfaisante qui rampait dans l'ombre et à terrasser ce redoutable dragon. Et de pousser ce cri terrible : « Ralliez-vous à notre panache constitutionnel, et nous allons bouter les législatives loin derrière la présidentielle ! » (Rires et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Louis de Broissia. Quel artiste !
M. Dominique Braye. De fait, ralliement il y eut... mais aussi défections. Nous y reviendrons.
Tous ces vertueux apôtres de l'inversion du calendrier électoral n'ont jamais eu d'autre intention que de défendre l'esprit de notre Constitution. Ils en veulent pour preuve irréfutable qu'il est de toute façon impossible, à plus d'un an de ces échéances électorales, d'en prévoir le résultat, a fortiori en cas d'inversion. Ce serait donc témoigner d'un très vilain état d'esprit que de les accuser de mesquins calculs électoraux. (Exclamations amusées sur les travées du RPR.)
Pourtant, monsieur le ministre, il se trouve sur les travées de cette assemblée de nombreux esprits chagrins pour oser envisager cette hypothèse, pour considérer qu'une certaine dose de calcul a pu prévaloir dans l'esprit de ces preux chevaliers défenseurs de notre Constitution.
Je dis bien : une certaine dose, car les indices qui pourraient le laisser supposer sont forts ténus. C'est à peine si certains partisans de l'inversion du calendrier ont évoqué à mots couverts une très légère possibilité pour que cette inversion soit fondée sur des arrière-pensées électoralistes.
Ainsi, Daniel Cohn-Bendit, avec la discrétion feutrée qui le caractérise (Sourires sur les travées du RPR) , a dit : « L'objectif est de désarçonner l'adversaire. Que voulons-nous, nous, les Verts ? Nous voulons que Jospin devienne Président de la République et que nous ayons donc plus de députés dans la prochaine Assemblée. »
Comme vous le constatez, point d'arrière-pensée derrière cette opinion !
Point d'arrière-pensée non plus dans les propos de l'ancien Premier ministre et actuel ministre de l'économie et des finances, Laurent Fabius, lorsqu'il dit : « Lionel Jospin aura deux haies à franchir : s'il perd les législatives, la présidence aussi sera perdue. » Quand on connaît les résultats de certains sondages sur les élections législatives de 2002, on comprend que M. Jospin ait décidé de changer l'ordre de ces deux haies !
Point d'arrière-pensée encore chez Henri Emmanuelli lorsqu'il affirmait, le 27 novembre 2000 : « Personne n'est dupe ! Cela fait des mois que tout le monde sait que le calendrier, tel qu'il existe aujourd'hui, n'est pas vraiment favorable au candidat de la gauche. »
Enfin, même si de nombreux orateurs les ont déjà cités, je ne peux m'empêcher de rappeler, je m'en excuse, les propos tenus par le candidat de la gauche, Lionel Jospin, le 19 octobre dernier à la télévision.
M. Paul Blanc. Il faut le faire !
M. Jean Chérioux. Il faut les marteler !
M. Dominique Braye. Lionel Jospin disait alors : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là et il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises ».
M. Jean Chérioux. Où est le consensus ?
M. Dominique Braye. Comme vous le constatez, mes chers collègues, c'est à peine si une possibilité d'arrière-pensée a été évoquée parmi les partisans les plus éminents de cette gauche plurielle.
De qui se moque-t-on lorsqu'on soutient, la main sur le coeur, que c'est le seul souci de la défense de nos institutions qui est en jeu ? De nous, bien entendu, mais surtout, et c'est beaucoup plus grave, de tous les Français.
M. Paul Blanc. Bien sûr !
M. Dominique Braye. Que les partisans de l'inversion du calendrier électoral pour des raisons électorales aient au moins le courage de leurs opinions, comme l'ont eu MM. Cohn Bendit, Fabius, Emmanuelli et bien d'autres.
M. Jospin, visiblement du même avis, répugnait, il y a encore peu de temps, à cette inversion, car il savait bien qu'elle serait « étroitement politique, voire politicienne » selon ses propres termes. Il faut croire qu'il préfère finalement être étroitement politicien et que le bénéfice qu'il espère retirer de cette étroitesse lui paraît plus important que le reniement de sa parole.
M. Jean Chérioux. Bravo !
M. Dominique Braye. Beau gouvernement pluriel et belle majorité plurielle dont la singularité est de permettre tout et son contraire, simultanément ou successivement ! On peut ainsi y être contre l'inversion ou pour l'inversion. On peut aussi y être pour en affichant les couleurs de sa position, c'est-à-dire en disant clairement que c'est pour gagner les futures élections, mais on peut aussi y être pour en se parant des habits de défenseur de l'esprit de la Constitution. On peut aussi diriger l'ensemble de la gauche plurielle en disant blanc pour ne pas dire noir, puis en faisant noir tout en tentant d'apparaître blanc.
M. Paul Blanc. Compliqué ! (Sourires.)
M. Dominique Braye. Vous avez raison, monsieur Blanc !
M. Jean Chérioux. Répétez !
M. Bernard Plasait. On n'a pas très bien compris !
M. Dominique Braye. J'en suis désolé, mes chers collègues, car c'est un passage important de mon intervention. Je vais donc le répéter.
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est bien !
M. Dominique Braye. Au sein de cette belle majorité plurielle, on peut donc aussi être pour l'inversion en affichant les couleurs de sa position, c'est-à-dire en disant clairement que c'est pour gagner les futures élections, mais on peut aussi y être pour en se parant des habits de défenseur de l'esprit de la Constitution. On peut aussi diriger l'ensemble de la gauche plurielle en disant blanc pour ne pas dire noir, puis en faisant noir tout en tentant d'apparaître blanc. (Ah ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Bernard Plasait. C'est beaucoup mieux dit que la première fois ! (Rires sur les mêmes travées.)
M. Dominique Braye. Et vous voudriez, monsieur le ministre, que l'on accorde du crédit aux arguments que vous avancez ? Vous n'en êtes d'ailleurs pas le seul défenseur. Vous et les zélateurs de la présente proposition de loi organique, vous tentez de vous poser en gardiens de la morale politique, républicaine et constitutionnelle. La tâche est d'envergure, monsieur le ministre, et il vous faudrait faire table rase du passé pour avoir ne serait-ce qu'une toute petite chance d'y parvenir !
Lorsque vous prétendez justifier l'inversion du calendrier électoral par des arguments de droit et de pratiques constitutionnelles, faut-il vous répondre, comme l'ont fait avant moi nombre de mes collègues de la Haute Assemblée, à commencer par notre éminent rapporteur Christian Bonnet ? (Bravo ! sur les travées du RPR.)
Leurs démonstrations ont été à mes yeux suffisamment fondées, étayées, brillantes et convaincantes, pour que rien de ce qui relève de l'argumentation juridique n'ait été passé sous silence, et mes chers collègues, je crois très sincèrement qu'il convient de ne pas allonger inutilement le débat, même s'il est très intéressant. C'est une vertu du Sénat - et son honneur - que de compter parmi ses membres des législateurs aussi éminents et pertinents que ceux qui se sont exprimés dans ce débat. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques-Richard Delong. Très bien !
M. Dominique Braye. Je reconnais bien volontiers que, parmi les partisans de l'inversion du calendrier électoral, certains n'ont pas manqué de talent pour défendre leur point de vue. Mais je crois qu'ils ne vous ont pas plus que moi convaincus, car leurs argumentations ne sont que l'enrobage parfois difficile et techniquement méritoire de positions dictées par des raisons purement électorales et non par des raisons juridiques.
Puis, cet amour sans borne, cette volonté affichée de défendre l'esprit de la Constitution de la part de ceux qui furent autrefois ses plus féroces adversaires, ou de la part des héritiers de ceux-là, voilà qui semble suspect ! C'est plutôt un exemple de cynisme politique en pleine action. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jacques-Richard Delong. Très bien !
M. Dominique Braye. Quant à l'esprit de notre Constitution, il a été dit et répété à cette tribune que son principal inspirateur et rédacteur, Michel Debré, a été le premier à reconnaître que deux lectures différentes étaient possibles. Il est donc quelque peu audacieux de se réclamer d'une interprétation univoque du texte fondateur de la Ve République. Que d'éminents constitutionnalistes aient choisi d'en faire néanmoins une lecture propre à soutenir l'inversion du calendrier électoral de 2002 ne confère pas à leur opinion valeur de parole d'évangile. Que ces éminents constitutionnalistes soient en désaccord avec d'autres constitutionnalistes tout aussi éminents relativise d'ailleurs largement leur position.
M. Jacques-Richard Delong. C'est bien vrai !
M. Dominique Braye. En outre, ils ne sont pas les seuls à respecter l'esprit de notre Constitution. Les législateurs que nous sommes, tout comme les citoyens que nous représentons, ont également le droit, si ce n'est le devoir, d'avoir une opinion différente de la leur sur le fonctionnement de nos institutions républicaines.
Alors, oui, notre Constitution n'est pas la perfection absolue - nous l'avons assez constaté au cours des neuf années de cohabitation que nous avons connues en quinze ans - mais elle a néanmoins le mérite de nous assurer depuis plus de quarante ans un régime d'une stabilité et d'une solidité telles que la France n'en avait pas connu depuis fort longtemps.
C'est la raison majeure pour laquelle je pense qu'en l'absence d'un véritable consensus national - et je n'aurai pas la cruauté de rappeler ici les propos de M. Jospin - toute initiative propre à perturber le déroulement normal de la vie de nos institutions ne peut qu'être malvenue. Toutes les justifications juridico-constitutionnelles n'y changeront rien.
Comme le soulignait justement Henri Emmanuelli, personne n'est dupe des motivations réelles des défenseurs de l'inversion du calendrier. Abordons donc le débat honnêtement et reconnaissons que le fond de l'affaire est de créer des conditions plus favorables aux succès électoraux de la gauche. Laissons aux constitutionnalistes le soin de débattre de l'esprit de notre Constitution et revenons sur un terrain beaucoup moins spirituel mais tout aussi intéressant : le terrain concret du combat politique.
La préoccupation de la plupart de nos collègues de la majorité sénatoriale rejoint celle des grands électeurs qui nous ont accordé leur confiance, elle-même issue de celle de nos concitoyens. Nous n'avons pas été élus pour favoriser les destinées électorales de la gauche plurielle et de M. Jospin. Puisque certaines grandes voix de la gauche plurielle ont eu la franchise de reconnaîre que leur arrière-pensée était électorale, nous ne devons pas avoir de complexes à leur répondre que nos pensées sont très claires : nous voulons remporter les prochaines échéancees électorales et nous combattrons logiquement tout ce qui nous éloigne de cette perspective ou risque de la contrarier. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mais doit-on pour autant, comme le font les socialistes, utiliser toutes les armes sans s'inquiéter des atteintes qui peuvent être portées à nos institutions et à notre pays ? Non seulement je ne le crois pas, mais je suis persuadé du contraire.
De plus, peut-on voter l'inversion du calendrier sur la base de convictions personnelles tout en étant un parlementaire responsable de l'opposition, en risquant par cette manoeuvre électorale, comme le soulignent les socialistes, de favoriser l'élection de M. Jospin à la présidence de la République en 2002 ? (Non ! sur les travées du RPR.)
Pour ma part, je ne le crois pas et les Français que je rencontre sur le terrain sont persuadés du contraire. Vous le savez, mes chers collègues, ils n'ont déjà pas en ce moment une très haute idée des hommes politiques et la tactique de l'inversion du calendrier leur apparaît pour ce qu'elle est réellement, à savoir une manoeuvre politicienne de plus.
M. Gérard Cornu. De bas étage !
M. Dominique Braye. Que des électeurs de gauche approuvent cette manoeuvre qui n'est après tout que l'illustration de l'adage selon lequel la fin justifie les moyens, je l'admets, mais que des électeurs de l'actuelle opposition l'applaudissent, j'en doute fortement ! Croire qu'ils applaudissent leurs élus nationaux qui se prêtent à cette manoeuvre relève selon moi de l'aveuglement complet.
Naturellement, chacun se déterminera en fonction de sa conscience, et c'est très bien ainsi. Il ne faut cependant pas s'étonner lorsque les électeurs se détournent de ceux qui jouent contre leur camp. Les intérêts à courte vue, les calculs revanchards, les querelles de clan doivent s'effacer devant l'intérêt général et devant la volonté d'être enfin cohérents et unis afin de faire triompher nos valeurs et nos idées.
En effet, nous ne parlons pas ici de reconquête du pouvoir, comme les socialistes, obnubilés depuis toujours par l'échéance présidentielle. Nous parlons de son préalable, à savoir la reconquête de notre électorat et, d'ailleurs, de l'électorat en général, qui a trop souvent été désappointé par le spectacle que lui donnent les dirigeants politiques.
Comment ne pas nous rendre compte que ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui nous divise ?
M. Jean Chérioux. C'est évident !
M. Dominique Braye. Comment ne pas nous rappeler que ce qui nous divise est aussi ce qui peut nous faire perdre et faire triompher nos adversaires ?
M. Jean Chérioux. Hélas !
M. Dominique Braye. Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, à moins d'entraver délibérément le cours du jeu et de vouloir marquer des buts contre notre propre camp, nous devons nous rassembler contre cette proposition de loi.
M. Paul Blanc. Bien sûr !
M. Dominique Braye. Et pourtant, de-ci, de-là, en cours de partie, certains en arrivent à oublier qu'une équipe ne gagne qu'en faisant jouer ses membres et en adoptant une stratégie collective intelligente.
Bien sûr, pour continuer cette métaphore sportive, on peut être excellent dans un sport individuel où l'on n'a rien d'autre à défendre que son intérêt personnel : l'individualisme est alors fortement conseillé, mais ce n'est pas du tout l'esprit qui est requis pour le succès dans un sport collectif.
Il en va de même en politique où les succès personnels ne garantissent pas les succès collectifs. Lorsque, faute d'engagement et de dévouement suffisants au service d'une équipe, les ambitions ou les succès personnels en viennent à contrarier, voire à compromettre les succès collectifs, il faut bien un jour aller s'en expliquer devant les électeurs. Les succès individuels sont alors gravement compromis. Quelque chose me dit que, par les temps qui courent, ces électeurs sont devenus beaucoup moins tolérants et compréhensifs à l'égard de ceux qu'ils ont envoyés remplir certaines missions en les élisant et qui les trompent le moment venu...
Un sénateur du RPR. Ils sont déçus !
M. Dominique Braye. Réfléchissons bien, mes chers collègues, aux conséquences des décisions qui peuvent nous amener à jouer contre nos propres intérêts et, surtout, à décevoir ceux qui nous ont confié nos mandats pour leur permettre de continuer à espérer.
Je ne prétends évidemment pas parler au nom de tous les Français qui se réclament de l'opposition nationale, mais je rencontre comme vous tous, quotidiennement, certains de nos concitoyens qui sont quelque peu déroutés et désabusés devant le spectacle que donne le monde politique, puisque c'est de cela qu'il est question. Leurs sympathies et leurs convictions les poussent à défendre nos valeurs. Que disent-ils ? Ils veulent que ceux qui défendent les mêmes idées - nous tous sur ces bancs - soient davantage unis, moins enclins à se déchirer pour des futilités et des querelles de voisinages.
Surtout, nos concitoyens attendent de leurs élus qu'ils soient exemplaires dans leur morale, leur conduite et leur action. Ils sont prêts, vous le savez, à nous donner ou à nous redonner leur confiance pour peu que nous soyons capables de les écouter et de tout mettre en oeuvre pour faire gagner leurs idées. Ils ont des convictions et ils veulent que nous soyons le relais de celles-ci pour qu'elles soient à nouveau respectées et, surtout, pour qu'elles se transforment en actes.
Pour conclure... (Oh ! sur les travées du RPR.)
M. Jacques-Richard Delong. C'est trop tôt !
M. Dominique Braye. Pour conclure non pas mon intervention mais cette modeste exhortation à respecter nos électeurs, je tiens à dire très sincèrement qu'en dehors des parlementaires je n'ai pas rencontré une seule personne dont les sympathies vont vers le camp de ceux qui souhaitent l'inversion du calendrier électoral.
M. Gérard Cornu. Ce n'est pas leur préoccupation !
M. Dominique Braye. Je me garderai bien de dire à aucun de mes collègues de notre Haute Assemblée les leçons qu'il doit tirer de mon expérience personnelle. Je dirai simplement que nous devons tous rester à l'écoute de nos électeurs car nous n'aurons jamais raison contre eux. Lorsque nos concitoyens et nos électeurs ne nous fustigent pas - car il leur arrive aussi d'être très aimables envers nous puisque nous le méritons probablement souvent - que nous disent-ils ? Ils nous font souvent part de leur incompréhension et de leur mécontentement en ce qui concerne les grandes orientations de l'actuelle politique gouvernementale.
Qu'entendons-nous quotidiennement, mes chers collègues ? Que le chômage a certes diminué en France - il a beaucoup moins baissé que dans les autres pays européens -...
M. Emmanuel Hamel. C'est vrai !
M. Dominique Braye. ... mais que, hélas ! chez M. Martin, le fils cadet n'a toujours pas trouvé de travail, que telle entreprise écrasée par les taxes et les charges sociales est en difficulté - ce qui pourrait mettre en péril l'emploi de plusieurs personnes et occasionner des pertes de recettes fiscales pour la commune où elle est installée -, que M. Dupont est très inquiet pour l'avenir de sa retraite,...
M. Jean Chérioux. Il y a de quoi !
M. Louis de Broissia. Et M. Dupont n'est pas le seul à être très inquiet à cet égard !
M. Dominique Braye. ... que Mme Durand a du mal à payer son impôt sur le revenu et qu'elle estime injuste qu'un Français sur deux n'en paie pas, que M. et Mme Dupuis envisagent d'inscrire leur enfant dans une école privée car ils trouvent que la qualité de l'enseignement dispensé à l'école publique voisine est en baisse constante et que, de surcroît, les violences y deviennent de plus en plus fréquentes.
Mme Nelly Olin. Ils ont raison !
M. Dominique Braye. Et je pourrais continuer encore longtemps sur ce registre !
M. Louis de Broissia. Continuez ! (Sourires.)
M. Dominique Braye. Bref, nous sommes quotidiennement confrontés, notamment ceux d'entre nous qui sont en contact direct avec nos concitoyens, à leurs inquiétudes et à leur crainte de l'avenir.
Certes, globalement, la reprise aidant, nous entendons aussi des propos plus optimistes, et il n'est pas question pour moi de brosser l'image d'un pays pessimiste, frileux et désabusé. Mais il n'en reste pas moins vrai, justement parce que nous traversons une phase de reprise - nous savons bien qu'elle ne sera pas éternelle -, que nos concitoyens, souvent, ne comprennent pas - et à juste titre ! - pourquoi nos gouvernants ne tirent pas suffisamment parti de cette période faste pour prémunir notre pays contre les conséquences prévisibles d'un prochain retournement de conjoncture.
M. Jean Chérioux. Cela peut arriver, hélas !
M. Dominique Braye. Plus cigale que fourmi, le Gouvernement dispense en effet des largesses qui grèvent lourdement le budget de l'Etat et son déficit. Le passage aux trente-cinq heures de travail hebdomadaire...
Mme Nelly Olin. C'est un désastre !
M. Dominique Braye. ... et les emplois-jeunes sont les meilleurs exemples de mesures en apparence populaires mais dont le coût commence à peser lourdement sur les entreprises et les contribuables.
Mme Nelly Olin. C'est vrai ! Très bien !
M. Dominique Braye. Et que dire d'ailleurs de cette fiscalité pesante, qui deviendra vite asphyxiante dès que la reprise commencera à s'essouffler ?
Les baisses d'impôts annoncées à grand renfort de clairons médiatiques, pour certaines qu'elles soient, restent néanmoins très en deçà de ce dont a besoin notre économie pour maintenir sa compétitivité dans un contexte de concurrence mondiale chaque jour plus difficile.
Il ne s'agit pas de nier les succès de nos entreprises les plus dynamiques, il s'agit plutôt de rappeler que celles-ci seraient encore plus performantes si les différentes taxes et charges qui pèsent sur elles étaient ramenées à un niveau similaire à celui que connaissent les pays qui sont nos principaux partenaires mais aussi nos principaux concurrents économiques.
Quant aux entreprises en difficulté, notamment parmi les PME et les PMI, il est évident que le maintien d'une fiscalité trop élevée ne peut qu'aggraver leurs problèmes et compromettre leur avenir.
Ce niveau d'imposition et de charges pesant sur les entreprises ne se contente pas de pénaliser nos entreprises nationales, il décourage aussi l'implantation d'entreprises étrangères dans notre pays, ce qui nous fait perdre des ressources fiscales et des créations d'emploi.
Quant aux contribuables qui ont la chance de disposer de revenus importants grâce à leur sens de l'initiative et à leur ardeur créative, ils en arrivent à être découragés par les ponctions fiscales records qu'ils subissent. La fuite à l'étranger, vers des cieux fiscaux plus cléments, de certains de nos jeunes entrepreneurs et de nos informaticiens ou chercheurs hautement qualifiés est, hélas ! une illustration des effets pervers de la gloutonnerie de notre système fiscal.
M. Jacques-Richard Delong. Très bien !
M. Dominique Braye. Les ménages français, quant à eux, consomment certes plus actuellement du fait de l'embellie économique, mais ils pourraient le faire encore davantage si le niveau des prélèvements obligatoires leur était plus favorable. Cela serait d'ailleurs une façon efficace de conforter et de pérenniser la reprise, nos entreprises étant évidemment les premières bénéficiaires d'un regain de consommation.
Nos concitoyens et nos entrepreneurs attendent des signaux forts quant à de réelles baisses de tous les prélèvements obligatoires. Je crois, sans risque de me tromper, que cette attente est beaucoup plus forte que celle du résultat de notre vote sur l'opportunité d'une inversion du calendrier électoral.
M. Jean Chérioux. Bien sûr !
M. Dominique Braye. La montée du sentiment d'insécurité chez nos concitoyens, leur inquiétude devant la dégradation de notre système scolaire, leur angoisse face à l'incertitude qui pèse sur l'avenir de leur retraite et plus encore sur celle de leurs enfants, voilà des sujets de fond qui les préoccupent à juste titre ! (Applaudissements sur plusieurs travées du RPR.)
Mme Nelly Olin. Voilà !
M. Gérard Cornu. C'est vrai !
M. Jacques-Richard Delong. Remarquable !
M. Dominique Braye. Vous en conviendrez, cette liste des problèmes urgents à résoudre n'est, hélas ! pas limitative.
Que peuvent penser nos concitoyens lorsqu'ils voient la représentation nationale davantage accaparée par des débats « étroitement politiciens », selon la formulation de M. Jospin, que par le désir de résoudre les problèmes qui hypothèquent leur avenir ? Ils sont certainement peu enclins à partager, et encore moins à applaudir, les états d'âme du microcosme politique si celui-ci pratique plus le nombrilisme et le calcul électoral que la défense de l'intérêt général et de l'intérêt national. (Très bien ! sur plusieurs travées du RPR.)
Franchement, monsieur le ministre, mes chers collègues, les Français attendent-ils de nous que nous nous occupions prioritairement, toutes affaires cessantes, de l'inversion du calendrier électoral, alors que tant de questions vitales pour leur avenir restent en suspens ? Nous pourrons toujours commenter tel ou tel sondage nous communiquant les résultats de leur opinion sur la nécessité d'inverser ou non les échéances électorales. Mais ce faisant, nous passerons toujours à côté de l'essentiel, à savoir qu'ils n'en ont cure. Si les Français sont interrogés par voie de sondage sur un sujet dont la réponse se limite à être pour ou contre, cela ne nous renseignera pas pour autant sur leur avis quant à l'opportunité du débat.
Le seul sondage intéressant consisterait à poser à nos concitoyens la question suivante : estimez-vous urgent de débattre du calendrier des élections de 2002 ou pensez-vous qu'il existe des débats plus importants à traiter par la représentation nationale ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Mme Nelly Olin. La sécurité !
M. Gérard Cornu. C'est une très bonne question qu'il faudrait développer ! (Sourires.)
M. Dominique Braye. La réponse que les Français apporteraient à cette question serait certainement très édifiante pour ceux qui pensent que l'inversion du calendrier électoral passionne nos concitoyens, ou tout au moins qu'il s'agit là d'un débat à trancher dans l'urgence, comme a décidé de le faire le Gouvernement.
D'ailleurs, ce sont probablement les zélateurs de cette réforme qui déploreront, lors des prochaines consultations électorales, la désaffection confirmée, je n'ose dire croissante, des Français pour les élections.
Il faut être cohérent et savoir ce que l'on veut. Si l'on s'inquiète réellement de la montée de l'abstentionnisme électoral et du désintérêt croissant de nombre de nos concitoyens pour les questions politiques, il faut cesser de donner à ceux-ci matière à renforcer leur défiance envers certaines pratiques de la classe politique, comme vous le faites aujourd'hui, monsieur le ministre.
Les Français attendent de leurs gouvernants et de leurs élus nationaux la même écoute de leurs préoccupations que celle qu'ils trouvent plus aisément auprès de leurs élus locaux.
S'il est évident, par exemple, que le lien de proximité et de confiance est plus facile à établir entre les électeurs et les élus municipaux, ce ne peut être une raison suffisante pour les autres élus, notamment pour les élus nationaux, de s'abstenir de rechercher, eux aussi, à rétablir ce lien de confiance entre les électeurs et eux-mêmes, lien qu'ils ne pourront recréer que s'ils s'attaquent véritablement aux problèmes essentiels de leurs électeurs.
Il en va de même pour le Gouvernement, qui affiche un souci permanent du sort de nos concitoyens tout en s'évertuant à faire l'impasse sur leurs réelles inquiétudes, en leur jetant de la poudre aux yeux et en pratiquant la politique du trompe-l'oeil. Cette proposition de loi organique visant à inverser le calendrier électoral constitue d'ailleurs bien un trompe-l'oeil, puisque l'on tente, sans grand succès il est vrai, de nous cacher les véritables motivations qui ont présidé à son élaboration et puisque l'on essaie, dans le même temps, de détourner l'attention de l'opinion publique des débats de fond que mériterait notre société. Mais, comme pour tout trompe-l'oeil, l'illusion ne peut guère durer et les Français sont rarement longtemps dupes de ce type de manoeuvre.
Ce que M. Jospin craignait de ne voir apparaître comme une initiative « étroitement politique, voire politicienne » apparaît en effet réellement comme telle.
Il s'agit bien, aux yeux de nos concitoyens, de faire adopter une loi de circonstance par une majorité de circonstance, comme cela a déjà été excellement dit ici même, à plusieurs reprises.
Il fallait d'ailleurs bien trouver, à l'Assemblée nationale, une majorité de circonstance pour contrebalancer la défection des deux députés Verts et des députés communistes, lesquels sont d'ailleurs en l'occurence parfaitement en conformité avec leur hostilité traditionnelle à toute évolution du régime de la Ve République vers une présidentialisation.
M. Robert Bret. Ça c'est vrai !
M. Dominique Braye. On conçoit aisément que certains des alliés du parti socialiste aient eu des états d'âme à emboîter le pas à ce qui leur est apparu comme une pure manoeuvre de tactique électorale...
M. Paul Blanc. Bien sûr !
M. Dominique Braye. ... au profit du Premier ministre et du parti socialiste, et dont eux-mêmes seront d'ailleurs demain les grands perdants. (Applaudissements sur les travées du RPR.) Je parle bien sûr des autres composantes de la majorité plurielle, lesquelles commencent à le comprendre.
Cette manoeuvre électoraliste est d'ailleurs énorme, non seulement sur le fond mais aussi sur la forme. Le revirement spectaculaire de la position de M. Jospin est tellement difficile a expliquer à l'opinion publique que le seul moyen d'en atténuer les effets médiatiques négatifs a été d'avoir recours à l'initiative parlementaire. Cela permet maintenant au Gouvernement de nous exposer benoîtement que lui-même ne fait que se conformer au « consensus » qui se serait spontanément créé sur l'urgence de cette réforme, alors que tous nos concitoyens ont assisté en direct aux agissements politiciens des auteurs de cette manoeuvre. Même les quotidiens locaux - et pas seulement ceux du Puy-de-Dôme ! - s'en sont fait l'écho.
Singulier consensus que celui qui regroupe une majorité de 300 députés en faveur de l'inversion du calendrier, mais en y intégrant 25 députés de l'opposition nationale qui compensent opportunément le désaccord de 36 députés de la majorité plurielle.
Ce consensus relatif est étrangement fondé sur des motivations à la fois convergentes et divergentes de la part de ceux qui l'ont soutenu et de la part de ceux qui s'y sont ralliés.
M. Jacques-Richard Delong. Centrifuge ? (Sourires.)
M. Dominique Braye. Convergentes et divergentes, mon cher collègue, je préfère ces termes. (Nouveaux sourires.)
Convergentes car, pour certains, tout faire pour compromettre la réélection du Président de la République semble être un sujet d'accord, mais aussi divergentes car s'il est légitime de vouloir faire gagner son camp, il est en revanche plus étrange de vouloir faire perdre le sien, et pas seulement, soit dit en passant, pour l'élection présidentielle.
Les petits calculs d'aujourd'hui ne peuvent pas déboucher sur les grandes victoires de demain. (Applaudissements sur certaines travées du RPR.) Comprenne qui pourra (Sourires sur plusieurs travées du RPR), mais cela me semble surtout beaucoup plus affligeant qu'incompréhensible.
Puisque ce relatif consensus de circonstance semblait s'esquisser dans les coulisses et puisqu'il ne fallait pas faire apparaître le revirement du Premier ministre comme un reniement, le procédé de l'initiative parlementaire permettait aux socialistes de sauver un tantinet la face avec la complicité d'alliés bien peu regardants sur la méthode.
MM. Paul Blanc et Gérard Cornu. Eh oui !
M. Dominique Braye. Ce procédé présentait aussi l'avantage d'éviter le passage du texte devant le Conseil d'Etat et le conseil des ministres, permettant aussi d'empêcher le Président de la République de se prononcer sur son opportunité,...
M. Patrick Lassourd. Tout à fait !
M. Dominique Braye. ... ce qui n'empêchait pas en revanche le Premier ministre, qui n'en est décidément pas à une contradiction près, ou plutôt à un reniement près, d'affirmer que cette initiative ne pouvait être prise sans l'accord du Président de la République, comme il l'a dit à plusieurs reprises.
Mes chers collègues, comment voulez-vous dans ces conditions que les Français retrouvent une bonne opinion de leur classe politique devant le spectacle de pareils tours de passe-passe à l'arrière-goût de combines policitiennes, certains de mes collègues ayant même parlé de « magouilles politiciennes » ?
Ceux qui les prennent pour des avaleurs de couleuvres incapables de déceler un bidouillage électoral, pour reprendre les termes que j'ai entendus et qui, manifestement, sont fort exacts,...
M. Gérard Cornu. Absolument !
M. Dominique Braye. ... l'année précédant des échéances électorales capitales prennent le risque de s'exposer à de sévères déconvenues.
Les Français n'aiment pas que l'on change les règles du jeu au profit d'un des joueurs, quel qu'il soit, juste avant le début de la partie, et ils ont bien raison.
M. Gérard Cornu. Même les enfants n'aiment pas cela !
M. Dominique Braye. C'est non seulement faire peu de cas de l'équité des chances des adversaires, mais aussi faire insulte à l'intelligence des arbitres du jeu démocatique que sont tous nos concitoyens, que sont les Français.
M. Gérard Cornu. Oui !
M. Dominique Braye. Mes chers collègues, je crois que nous honorerons le Sénat, notre fonction et le mandat que nous ont confié nos électeurs en nous conformant conclusions de notre excellent rapporteur Christian Bonnet...
M. Jacques Valade. Oui !
M. Dominique Braye. ... et en refusant de voter une loi de circonstance, une loi de complaisance...
Mme Nelly Olin. Oui !
M. Dominique Braye. ... qui se pare du masque de la vertu constitutionnelle alors qu'elle n'a d'autre visage que celui d'une grossière manoeuvre préélectorale. (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées du RPR. - M. Hérisson applaudit également.)

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RENVOI DE LA SUITE DE LA DISCUSSION

M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis mardi 16 janvier, le Sénat discute de la proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. Au moment où je m'exprime devant vous, il a déjà consacré plus de temps que l'Assemblée nationale à l'examen de ce texte, soit plus de douze heures de discussion.
M. Gérard Cornu. Cela le mérite !
M. Jean-Pierre Schosteck. Le Sénat va toujours au fond !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Au vu des orateurs inscrits, la conférence des présidents n'ayant pas souhaité organiser la discussion générale, les débats risquent de se poursuivre demain, et peut-être ultérieurement.
Cette situation me conduit à m'interroger sur deux points.
Tout d'abord, le Sénat est-il amplement informé et a-t-il suffisamment délibéré de cette proposition de loi ? (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan. C'est nous qui décidons !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Je vous rappelle que les députés se sont prononcés en faveur de ce texte le 20 décembre dernier, ...
M. Gérard Cornu. Pas tous !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. ... à une nette majorité : 300 voix contre 245.
M. Louis de Broissia. Eux, c'est eux, et nous, c'est nous !
M. Jean-Pierre Schosteck. Ils ne font rien au fond !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Je rappelle que ce texte concerne d'abordl'Assemblée nationale...
M. Dominique Braye. Cela concerne la France !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. ... et qu'il ne compte que deux articles. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Le Sénat a souhaité auditionner des experts en droit constitutionnel et en sciences politiques. Cinq se sont rendus à l'invitation de la commission des lois. (Exclamations sur les travées du RPR.) Je constate d'ailleurs qu'ils se sont majoritairement prononcés en faveur du texte de loi et de la prolongation du mandat de l'Assemblée nationale.
M. Patrice Gélard. Absolument pas !
M. Pierre Hérisson. Ce n'est pas vrai !
M. Patrice Gélard. Trois d'un côté, et deux de l'autre !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Au sein de la Haute Assemblée, des orateurs de toutes les tendances ont été entendus. Toutes les nuances des opinions se sont déjà exprimées, et ce longuement. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Une simple fraction de la majorité sénatoriale veut prolonger la discussion alors qu'il serait logique de passer maintenant à l'examen des articles.
Quelles sont donc les conséquences, pour la suite du calendrier parlementaire, du temps utilisé par le Sénat ?
Dès aujourd'hui, vous le savez, était prévue la discussion du projet de loi d'orientation sur la forêt. Elle a dû être reportée, et le sera encore demain.
Je n'ai pas besoin de rappeler aux sénateurs, en particulier à tous ceux qui exercent des responsabilités dans des départements comptant des forestiers, des sylviculteurs, (Exclamations sur les mêmes travées) , que ce texte est très attendu pour soutenir le redressement d'une filière, souvent essentielle pour de nombreuses communes. J'ai entendu à cette tribune M. Raffarin, président du conseil régional de Poitou-Charentes, se désoler qu'on ne puisse pas s'intéresser à ce sujet. (Nouvelles exclamations sur les travées du RPR.)
Je crois aussi que le président du Sénat, M. Poncelet, qui est élu des Vosges, est très sensible à ce sujet de la forêt, puisque son département a été durement éprouvé par la tempête de l'an dernier.
Mme Nelly Olin. Il fallait inscrire plus tôt ce texte à l'ordre du jour !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. C'est d'ailleurs un texte sur lequel le Sénat a déjà travaillé, puisque 270 amendements ont été déposés, et qui justifie un débat serein et de qualité.
M. Patrick Lassourd. Nous attendons ce projet de loi depuis 1997 !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. A la suite du ralentissement des travaux, pour ne pas dire du surplace qu'est en train de faire le Sénat, ou une fraction du Sénat (Exclamations sur les travées du RPR.), ...
Un sénateur du RPR. La majorité !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. ... le Gouvernement est donc amené, une nouvelle fois, à modifier l'ordre du jour. L'examen de la proposition de loi organique sera donc poursuivi mercredi matin. Le Sénat pourrait aussi siéger le soir pour rattraper le retard. (Non ! sur les travées du RPR.)
M. Paul Blanc. Et les 35 heures ?
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. C'est à cet effet que j'ai fait parvenir à M. le président du Sénat la lettre rectificative de l'ordre du jour. En tout cas, le projet de loi d'orientation sur la forêt ne pourra être examiné avant le vote du texte actuellement en discussion.
Il appartient donc, monsieur le président, à chaque sénateur de prendre ses responsabilités dans l'organisation du travail législatif. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Patrick Lassourd. Au Gouvernement aussi !
Mme Nelly Olin. Nos responsabilités, on les prend !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Il serait regrettable que des projets de loi ne puissent pas être examinés, d'autant que les Français sont en droit d'attendre - et le dernier orateur, avec moult péroraisons, s'est prononcé en ce sens - que le travail parlementaire soit « utile »,...
M. Josselin de Rohan. Il l'est !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. ... et ce jusqu'à la suspension des travaux pour les élections locales. Je pense d'ailleurs que le Sénat, dans sa grande sagesse, saura y contribuer. C'est en ce sens, monsieur le président, que je vous ai fait parvenir la lettre rectificative de l'ordre du jour.
M. Paul Blanc. C'est du chantage !
M. Jacques-Richard Delong. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Delong.
M. Jacques-Richard Delong. Je souhaite simplement apporter une précision à l'exposé que vient de faire M. le ministre.
Monsieur le ministre, vous avez longuement parlé, et à juste raison, du projet de loi d'orientation sur la forêt, qui nous tient tout à fait à coeur.
M. Emmanuel Hamel. Vous pouvez le dire !
M. Jacques-Richard Delong. Il ne faut tout de même pas exagérer les choses. Il faut 180 ans pour faire un chêne et 140 ans, pour un hêtre. Par conséquent, soyez assuré, monsieur le ministre, vous qui n'avez peut-être vu jusqu'à présent que des plantes en pot, que nous n'en sommes pas à quelques instants près ! (Rires et applaudissements sur les travées du RPR. - M. Hérisson applaudit également.)
En tant que président de la fédération des communes forestières de France, je tiens à vous rassurer, monsieur le ministre : la forêt continuera à pousser sans le secours de l'Assemblée nationale et du Sénat ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Monsieur le président, j'ai noté bien évidemment les propos de M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.
S'agissant de la première partie de ses déclarations, je lui en laisse la responsabilité : il appartient au Sénat, et à lui seul, d'apprécier l'ampleur qu'il y a lieu de donner à un débat. L'assistance présente en cet instant montre l'intérêt que nous portons à ce texte et, en même temps, la volonté très clairement manifestée d'aller au fond des choses.
J'en viens maintenant à l'autre affaire, c'est-à-dire aux propositions qui nous sont faites. Elles ne me paraissent pas susceptibles d'être retenues. Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que le projet de loi d'orientation sur la forêt va s'en trouver retardé ; mais maintenez-le à l'ordre du jour !
M. Gérard Cornu. Eh oui !
M. Jacques Larché, président de la commission. Maintenez-le à l'ordre du jour, et nous pourrons alors nous consacrer intégralement à ce sujet dont vous avez noté tout l'intérêt.
Je vois que ce n'est pas la solution que vous êtes disposé à adopter. Néanmoins, je ne crois pas que nous puissions nous arrêter aux propositions que vous nous faites.
M. Gérard Cornu. Non !
M. Jacques Larché, président de la commission. Tout d'abord, je note que, mercredi matin, la commission des lois doit se réunir. Les séances du mercredi matin sont en effet consacrées aux réunions de commissions. Je note d'ailleurs - l'information vient de m'en être donnée - que le président de la commission des affaires économiques et du Plan a organisé une audition...
MM. Hilaire Flandre et Louis de Broissia. Tout à fait !
M. Jacques Larché, président de la commission. ... ouverte à tous les membres du Sénat et, de ce fait, les ordres du jour sont déjà largement fixés.
Par conséquent, demain matin, nous serons en commission, chacun ayant à accomplir ce qu'il est de son devoir d'accomplir.
Par ailleurs, reste la séance de mercredi soir que vous souhaiteriez voir consacrée à l'examen de la proposition de loi organique. C'est une modification de l'ordre du jour qui implique une séance du soir n'ayant pas été décidée pour cet objet par la conférence des présidents. Si une séance du soir a été décidée, c'est pour parler de la forêt.
M. Gérard Cornu. Tout à fait !
M. Jacques Larché, président de la commission. Vous nous proposez une séance du soir pour parler d'autre chose. Je ne crois pas que ce soit acceptable.
M. Adrien Gouteyron. Non !
M. Jacques Larché, président de la commission. Dans ces conditions, monsieur le président, il appartiendra au Sénat de dire s'il accepte la suggestion qui lui est faite.
Quant au déroulement du débat, monsieur le ministre, vous avez noté que chacun y apporte le plus grand intérêt. Je ne pense pas que ce soit ni pour vous étonner ni pour vous déplaire. C'et donc dans ce cadre que nous avons l'intention de continuer. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR. - M. Hérisson applaudit également.)
M. Guy Allouche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais joindre ma voix à l'appel lancé par M. le ministre sur la responsabilité de chacun d'entre nous en cet instant.
Mes chers collègues, je ne peux m'empêcher de vous dire, pour reprendre une expression que chacun connaît : j'ai mal au Sénat de la République. (Vives exclamations sur les travées du RPR.)
M. Louis de Broissia. C'est trop !
M. Dominique Braye. Nous, nous avons mal à la France, avec vous !
M. Guy Allouche. Mes chers collègues, je vous demande d'être attentifs au fait que le Sénat est en train de se déconsidérer ! (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Patrick Lassourd. C'est le Gouvernement qui se déconsidère !
M. Dominique Braye. Nous avons mal à la France !
M. Henri de Richemont. Vous nous violez !
M. Guy Allouche. Au moment où l'opinion publique s'interroge sur le comportement du monde politique. (Exclamations sur les travées du RPR), au moment où cette opinion publique est de plus en plus récalcitrante à notre égard, le Sénat ne fait actuellement rien d'autre que creuser davantage encore le fossé.
M. Patrick Lassourd. Et l'initiative du Gouvernement, c'est quoi ?
M. Guy Allouche. Comment peut-on, d'un côté, au plus haut niveau de l'Etat, souhaiter, à l'occasion des voeux, que l'année 2001 soit « utile », (Oui ! sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye. Il a eu raison !
M. Guy Allouche. ... qu'elle soit mise à profit pour réaliser des réformes qu'attendent les Français,...
M. Jean-Pierre Schosteck. Arrêtez les magouilles !
Mme Nelly Olin. Elles n'intéressent pas les Français !
M. Guy Allouche. ... et, de l'autre, de la part de ses soutiens, avoir un comportement si différent, que je pourrais taxer d'inqualifiable ? (Protestations sur les mêmes travées.)
Mes chers collègues, j'en appelle à la responsabilité de chacun d'entre nous ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) Les médias, sur lesquels vous comptiez dans cette opération, ignorent ce que fait le Sénat. (Exclamations sur les mêmes travées.)
M. Patrick Lassourd. Et alors !
M. Henri de Richemont. Ce n'est pas nouveau !
M. Jean-Pierre Schosteck. Nous ne comptons pas sur les médias pour convaincre nos électeurs !
M. Jacques-Richard Delong. Je crois que vous vous fatiguez inutilement, monsieur Allouche ! (Rires sur les mêmes travées.)
M. Guy Allouche. Reprenez votre souffle, monsieur Delong, vous en avez besoin !
A nos yeux, il n'y a pas là, comme certains le prétendent ici, qui veulent la dénoncer, une opération politique. (Vives protestations sur les mêmes travées.) Si c'en était une, pourquoi certains qui, à l'Assemblée nationale, ne sont pas des nôtres, l'auraient-ils votée ?
M. Patrick Lassourd. Et les vôtres ?
M. Guy Allouche. Je ne citerai personne, mais vous savez tous à qui je pense.
M. Henri de Richemont. Les Saxons !
M. Guy Allouche. Mes chers collègues, une fois de plus, j'en appelle à la responsabilité de chacun et, monsieur le président, confraternellement, je me tourne vers vous pour vous dire que je lance aussi un appel à M. le président Poncelet.
Si la majorité sénatoriale a choisi M. Poncelet, ce n'est pas seulement pour qu'il siège de temps à autre à ce que l'on appelle ici le « plateau ».
M. Jacques-Richard Delong. C'est du chantage !
M. Guy Allouche. C'est parce qu'elle a estimé qu'elle lui conférait, ce faisant, une autorité réelle. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.
J'en appelle donc, je le répète, à la responsabilité de M. le président Poncelet. En effet, à quoi bon défendre le Sénat - et il est là dans son rôle - ...
M. Gérard Braun. Et il le fait bien !
M. Guy Allouche. ... comme il le fait dans toute la France, si ses propres amis, par un comportement que je n'ose qualifier (Vives protestations sur les mêmes travées.) déconsidèrent ce même Sénat ?
M. Jean-Michel Baylet. Très bien !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, compte tenu du souhait émis par la Haute Assemblée de continuer à discuter de ce texte, le Gouvernement avait proposé que le Sénat siège demain matin. Je constate qu'il ne le souhaite pas.
Par ailleurs, monsieur le président Larché, je note que la séance de demain soir a été prévue par la conférence des présidents, qu'en conséquence elle le demeure, avec l'ordre du jour que fixe le Gouvernement, conformément à l'article 48 de la Constitution.
Aussi, monsieur le président, après avoir rappelé que le Gouvernement est prêt à venir siéger demain matin, je vous indique que, conformément à la lettre que je vous ai fait parvenir, l'ordre du jour prioritaire de la séance du mercredi 24 janvier est ainsi établi : « Suite de la discussion sur la proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. - Projet de loi d'orientation sur la forêt ».
Il ne tient donc qu'au Sénat d'examiner au plus tôt le projet de loi sur la forêt.
Mais, je le répète, le Gouvernement, maître de l'ordre du jour prioritaire, estimant que la bonne organisation des travaux parlementaires implique que les textes soient examinés les uns après les autres, inscrit à l'ordre du jour de la séance du mercredi 24 janvier, prévue par la conférence des présidents en date du 11 janvier, le soir, la suite de l'ordre du jour tel que modifié par la lettre qui vous est parvenue.
M. le président. Cela signifie-t-il, monsieur le ministre, que, si le Sénat siège le soir, il examinera le projet de loi relatif à la forêt ?
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Non !
Mme Nelly Olin. Voilà !
M. le président. C'est la réponse que je voulais.
Monsieur Allouche, je ne doute pas que M. Christian Poncelet, président du Sénat, sera sensible à votre argumentation et à la considération que vous lui portez.
En l'occurrence, c'est moi qui préside. C'est donc moi qui assure, en lieu et place de M. Poncelet, la conduite des débats et l'application de notre règlement. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le ministre des relations avec le Parlement a fait savoir à M. le président du Sénat qu'il souhaitait que le Sénat siège demain matin et demain soir, étant entendu que le Sénat siège tout naturellement demain après-midi, à quinze heures.
En vertu de l'article 32 du règlement du Sénat, parce que, par-delà même les conclusions de la conférence des présidents, ce que le Sénat a fait, concernant l'ordre du jour, il peut également le défaire, je vais mettre aux voix successivement les propositions de M. le ministre tendant à faire siéger le Sénat demain matin, puis, dans les conditions qui ont été rappelées, demain soir.
Je mets aux voix la proposition du Gouvernement tendant à faire siéger le Sénat demain matin.

(La proposition n'est pas adoptée.)
M. le président. Je mets aux voix la proposition du Gouvernement tendant à faire siéger le Sénat demain soir.

(La proposition n'est pas adoptée.)
M. le président. La prochaine séance publique aura donc lieu demain, mercredi 24 janvier, à quinze heures, conformément à la décision de la conférence des présidents. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)

10

TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI
ORGANIQUE

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi organique, modifié par l'Assemblée nationale, relatif au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature.
Le projet de loi organique sera imprimé sous le numéro 196, distribué et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

11

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
CONSTITUTIONNELLE

M. le président. J'ai reçu de M. Georges Othily une proposition de loi constitutionnelle relative à la Guyane.
La proposition de loi constitutionnelle sera imprimée sous le numéro 197, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

12

TEXTES SOUMIS AU SÉNAT
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4
DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Projet de position commune du Conseil relative aux mesures restrictives supplémentaires à l'encontre des Taliban.
Ce texte sera imprimé sous le numéro E-1636 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Livre vert - vers une stratégie européenne de sécurité d'approvisionnement énergétique.
Ce texte sera imprimé sous le numéro E-1637 et distribué.

13

DÉPÔT D'UN RAPPORT

M. le président. J'ai reçu de M. Joseph Ostermann un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, sur l'épargne salariale (n° 193, 2000-2001).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 198 et distribué.

14

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 24 janvier 2001, à quinze heures :
1. Suite de la discussion de la proposition de loi organique (n° 166, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Rapport (n° 186, 2000-2001) de M. Christian Bonnet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est fixé à la clôture de la discussion générale.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble de la proposition de loi organique.
2. Discussion du projet de loi (n° 408, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation sur la forêt.
Rapport (n° 191, 2000-2001) de M. Philippe François, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan.
Avis (n° 190, 2000-2001) de M. Roland du Luart, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

*
* *

A dix-sept heures quinze, M. Pierre Joxe, premier président de la Cour des comptes, déposera le rapport annuel de la Cour des comptes.

Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, tendant à renforcer la prévention et la répression à l'encontre des groupements à caractère sectaire (n° 431, 1999-2000) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 24 janvier 2001, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 24 janvier 2001, à dix-sept heures.
Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la décentralisation :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 30 janvier 2001, à dix-sept heures.
Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crimes contre l'humanité (n° 314, 1999-2000) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 31 janvier 2001, à dix-sept heures.
Nouvelle lecture du projet de loi sur l'épargne salariale (n° 193, 2000-2001) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 31 janvier 2001, à seize heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





NOMINATIONS DE MEMBRES
DE COMMISSIONS PERMANENTES

Dans sa séance du mardi 23 janvier 2001, le Sénat a nommé :
M. René-Georges Laurin membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à la place laissée vacante par M. Xavier Dugoin depuis le 17 janvier 2001 ;
M. Laurent Béteille membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, en remplacement de M. René-Georges Laurin, démissionnaire.



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Situation des titulaires d'un doctorat
bénéficiant d'un emploi jeune

1004. - 23 janvier 2001. - M. Louis Souvet attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale sur la situation des titulaires d'un doctorat occupant un emploi jeune. Malgré leur qualification importante et les discours ministériels des 23 juin 2000 et 11 octobre 2000 tenus respectivement devant les directeurs des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) et dans le cadre du projet de rénovation des IUFM, il semble que l'éducation nationale se désintéresse de leur sort, leur faible nombre, il est vrai, une soixantaine, ne risquant pas de provoquer de gros désordres devant le ministère. Pour autant, ne pas prendre en compte leur revendication, c'est avaliser les dysfonctionnements d'un système mais aussi les mépriser alors qu'ils ont fait bénéficier les IUFM de leur temps et de leur savoir. Il demande si le Gouvernement prévoit une solution globale pour régulariser une situation ubuesque mais ô combien dramatique pour les intéressés.

Conditions d'implantation des éoliennes

1005. - 23 janvier 2001. - M. Jean-François Le Grand attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement sur le vide juridique qui existe en matière de permis de construire pour l'implantation d'éoliennes. En effet, en l'état actuel de la législation, il n'est pas sollicité du demandeur la mise en oeuvre préalable d'une enquête publique et seule la production d'une étude d'impact est requise, sans qu'il soit clairement précisé ce que pourraient être les modalités d'instruction de ce permis.