SEANCE DU 16 JANVIER 2001


SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Questions orales (p. 1 ).

financement des études préalables
à la réalisation de projets d'équipements (p. 2 )

Question de M. André Vallet. - MM. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement ; André Vallet.

transport du bois arraché
pendant les tempêtes de décembre 1999 (p. 3 )

Question de M. Guy Vissac. - MM. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement ; Guy Vissac.

modalités d'intervention des dde
pour les communes et leurs groupements (p. 4 )

Question de M. René-Pierre Signé. - MM. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement ; René-Pierre Signé.

liaison ferroviaire lyon-limoges (p. 5 )

Question de M. Jean-Pierre Demerliat. - MM. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement ; Jean-Pierre Demerliat.

formation pratique au secourisme (p. 6 )

Question de Mme Dinah Derycke. - M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement ; Mme Dinah Derycke.

tracé du canal seine-nord (p. 7 )

Question de M. Pierre André. - MM. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement ; Pierre André.

axes de circulation dans la vallée du rhône (p. 8 )

Question de M. Alain Dufaut. - MM. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement ; Alain Dufaut.

création d'établissements publics d'aménagement
en ile-de-france (p. 9 )

Question de Mme Marie-Claude Beaudeau. - M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement ; Mme Marie-Claude Beaudeau.

fonctionnement de la justice
dans le département d'eure-et-loir (p. 10 )

Question de M. Gérard Cornu. - Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Gérard Cornu.

nombre des médecins anesthésistes (p. 11 )

Question de M. Bernard Fournier. - Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés ; M. Bernard Fournier.

situation du pôle santé de prades (p. 12 )

Question de M. Paul Blanc. - Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés ; M. Paul Blanc.

conditions d'attribution du macaron gic (p. 13 )

Question de M. Pierre-Yvon Trémel. - Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés ; M. Pierre-Yvon Trémel.

formation des professeurs aux nouvelles technologies de l'information et de la communication (p. 14 )

Question de M. Fernand Demilly. - MM. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche ; Fernand Demilly.

recherche fondamentale sur les maladies rares (p. 15 )

Question de M. Gérard Delfau. - MM. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche ; Gérard Delfau.

aides au maintien et au développement
des métiers d'art (p. 16 )

Question de M. Georges Mouly. - MM. François Patriat, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation ; Georges Mouly.

fonctionnement du fonds d'intervention pour
la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (p. 17 )

Question de M. Michel Teston. - MM. François Patriat, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation ; Michel Teston.

information des maires des petites communes
sur le passage à l'euro (p. 18 )

Question de M. Daniel Goulet. - MM. François Patriat, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation ; Daniel Goulet.

plan d'adaptation viticole
de la région de cognac (p. 19 )

Question de M. Jean-Pierre Raffarin. - MM. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche ; Jean-Pierre Raffarin.

3. Motion d'ordre (p. 20 ).

Suspension et reprise de la séance (p. 21 )

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

4. Hommage aux victimes du tremblement de terre du Salvador (p. 22 ).

5. Rappel au règlement (p. 23 ).
Mme Odette Terrade, M. le président.

6. Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. - Discussion d'une proposition de loi organique déclarée d'urgence (p. 24 ).
M. le président.
Discussion générale : MM. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur ; Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois ; Josselin de Rohan, Jean Arthuis, Henri de Raincourt, Robert Badinter, le président, Guy-Pierre Cabanel.
Renvoi de la suite de la discussion.

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE

7. Communication relative à une commission mixte paritaire (p. 25 ).

8. Décision du Conseil constitutionnel (p. 26 ).

9. Déchéance d'un sénateur (p. 27 ).

10. Transmission d'un projet de loi (p. 28 ).

11. Dépôts de propositions de loi (p. 29 ).

12. Transmission d'une proposition de loi
constitutionnelle (p. 30 ).

13. Dépôts de rapports (p. 31 ).

14. Dépôt d'un avis (p. 32 ).

15. Ordre du jour (p. 33 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

QUESTIONS ORALES

M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

FINANCEMENT DES ÉTUDES PRÉALABLES
À LA RÉALISATION DE PROJETS D'ÉQUIPEMENTS

M. le président. La parole est à M. Vallet, auteur de la question n° 836, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. André Vallet. Monsieur le ministre, je voudrais évoquer les péripéties subies par l'hôpital de Salon-de-Provence en ce qui concerne la rénovation de son pavillon de long séjour.
Le centre hospitalier a opté pour une restructuration de ce pavillon. Il a engagé des études de plus d'un million de francs. Or, quand le travail a été terminé, sont parus l'arrêté du 26 avril 1999 et la circulaire de Mme Aubry du 29 octobre 1999, qui ont complètement modifié les normes relatives aux pavillons de gériatrie. En effet, ces textes ont imposé une mise en conformité des établissements fondée, d'une part, sur la proportion de chambres à un ou à deux lits et, d'autre part, sur la surface minimale des chambres des patients. C'est donc en cours de projet que tout a été changé.
Au-delà du problème particulier de Salon-de-Provence, je souhaite vous poser trois questions, monsieur le ministre. D'abord, est-il normal que des textes puissent modifier un projet en cours de réalisation ? Ensuite, est-il raisonnable que l'incidence financière consécutive à la parution de ces textes - incidence parfois très lourde, puisqu'il s'agit en l'occurrence de 1 million de francs - demeure de la responsabilité du maître d'ouvrage ? Enfin, est-il normal de perdre tout l'investissement humain que représente la préparation d'un projet aussi important ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Il est certain, monsieur le sénateur, qu'à un moment précis se posent les problèmes particuliers que vous soulevez : celui où l'on passe d'une norme « A » à une norme « B », parce que les évolutions, à l'échelon national ou international, sont telles qu'elles amènent un changement. Bien évidemment, il ne serait pas compréhensible que, la norme ayant changé alors que le projet n'est pas réalisé, la nouvelle norme ne soit pas prise en compte. Cependant, cela pose effectivement les problèmes que vous venez de soulever. Comment peut-on vous répondre sans ignorer ces problèmes ?
S'il est vrai que l'adaptation des équipements publics aux normes techniques en vigueur entraîne des investissements humains et financiers parfois très lourds pour la collectivité, il est malgre tout rare, et même très rare, d'après les éléments dont je dispose, que les études menées au préalable deviennent totalement caduques du fait d'une modification des normes techniques. En effet, l'expérience montre que ces études peuvent souvent être réutilisées partiellement, voire totalement.
Les bureaux d'études techniques chargés par les collectivités de réaliser les études en amont des projets, comme les études de faisabilité, les avant-projets sommaires, participent souvent aux travaux de normalisation ou, en tous les cas, peuvent facilement en prendre connaissance auprès de l'Agence française de normalisation, l'AFNOR. Il leur est ainsi possible d'anticiper les éventuelles conséquences importantes des modifications qu'apporteront les normes techniques à venir.
Ces bureaux d'études techniques devraient se voir confier contactuellement, dans le cadre des marchés qui leur sont confiés par les collectivités, au niveau des cahiers des clauses administratives particulières de ces marchés, la mission de tenir compte des normes en vigueur et de celles qui sont en préparation, telles que les normes expérimentales et les prénormes, par exemple, qui risquent d'avoir un effet important sur le projet.
Je m'efforce, quant à moi, de faire afficher les calendriers prévisionnels de modification des normes d'études. C'est en particulier le cas des eurocodes qui sont les normes de conception et de calcul des ouvrages de génie civil et des immeubles. Il a ainsi été annoncé que, pour leur réalisation, les ponts seront calculés en utilisant les eurocodes à compter de 2005. Cela permet de supprimer tous les problèmes que vous avez soulevés.
Enfin, le Gouvernement s'efforce, dans les actes réglementaires, de ménager des périodes de transition suffisamment longues pour permettre l'adaptation des acteurs aux changements entraînés par les nouvelles normes techniques.
M. André Vallet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet. Monsieur le ministre, l'exemple que j'ai cité fait peut-être partie des cas très rares, mais il a fallu reprendre entièrement le projet, ce qui a coûté un million de francs à la collectivité. Ne serait-il pas plus sage d'appliquer à un projet qui a au moins démarré sur le papier et pour lequel des études ont été faites les normes anciennes plutôt que d'imposer en cours d'élaboration des normes nouvelles ? Je rappelle que, en l'occurrence, ces nouvelles normes ont pénalisé fortement l'établissement.
Par ailleurs, vous avez évoqué, mais très brièvement, monsieur le ministre, une période de transition. Cela mériterait, je crois, une étude. Cette période de transition devrait être soumise à une autorité qui, à un moment donné, permettrait ou non la poursuite d'un projet.

TRANSPORT DU BOIS ARRACHÉ
PENDANT LES TEMPÊTES DE DÉCEMBRE 1999

M. le président. La parole est à M. Vissac, auteur de la question n° 901, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Guy Vissac. Monsieur le ministre, vous avez déjà été interrogé sur le transport par fer des bois, notamment les chablis de la tempête de 1999. Veuillez excuser mon insistance mais je souhaite revenir sur les problèmes non résolus que pose l'acheminement par voie ferrée du matériau bois.
Nous avons dénoncé le manque de wagons. Rien ou presque n'a été résolu. S'ajoutent désormais deux problèmes qui finissent de désorganiser le transport par fer.
Il s'agit, en premier lieu, de l'incohérence des attentes et des circuits, qui font passer le délai, par exemple dans le sens Massif central-Tarascon, site de transformation en pâte à papier, de deux ou trois jours à plus de six jours. Ces retards provoquent, comme cela a été le cas le 9 janvier dernier, l'arrêt technique des entreprises en stockage, avec les conséquences qui en découlent sur l'amont de la filière en matière de gestion des stocks.
Il s'agit, en second lieu, du véritable imbroglio que l'on constate au niveau du coût des matières transportées. En effet, la SNCF, tout en maintenant le prix forfaitaire qui était pratiqué voilà quelques mois, a décidé d'abaisser la charge transportée par wagon de vingt-cinq tonnes à vingt et une tonnes, ce qui conduit à un manque de wagons plus important et à un prix de transport plus élevé.
A croire que l'on cherche à écarter du transport par voie ferrée l'acheminement des bois ! On connaît cependant les inconvénients qu'engendrerait le trafic par route, qui risque de ce fait d'être augmenté, avec les conséquences que l'on sait.
Monsieur le ministre, vous avez rappelé, à maintes reprises, votre volonté de faire transiter par la voie ferrée les marchandises et matériaux lourds. Une intervention ferme de votre part est plus que jamais nécessaire pour avoir une politique plus cohérente en faveur de l'acheminement du bois par le réseau ferré.
Je pense en particulier au Massif central ou, comme sur les autres massifs montagneux, la ressource forêt présente un gisement de l'économie rurale. Le projet de loi d'orientation sur la forêt, qui viendra en discussion au Sénat la semaine prochaine, devrait promouvoir l'augmentation de l'exploitation de cette ressource.
Deux lignes de SNCF traversent le Massif central : Nevers-Clermont vers Béziers et Nevers-Clermont-Nîmes par la vallée de l'Allier.
Ces deux lignes, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, constituent des éléments essentiels pour le transport de fret et au regard des objectifs d'aménagement du territoire.
Nous devrons engager la SNCF à revoir sa politique des transports de matériaux. Nous devrons l'inciter à être concurrentielle, non seulement en termes de qualité, ce qu'elle sait faire, mais également en termes de coût, ce qu'elle doit apprendre ou réapprendre à pratiquer.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le sénateur, vous avez eu raison de souligner mon engagement en faveur du développement du transport des marchandises par le rail.
Pour répondre plus précisément à votre question, je précise que, à la suite de la tempête de décembre 1999, le Gouvernement a mis en place un plan national pour les forêts françaises. L'organisation du transport des bois, à partir des massifs sinistrés, en est l'un des volets.
Afin de venir en aide à la filière bois et de favoriser l'évacuation de la plus grande partie des chablis issus des régions sinistrées, nous avons décidé de verser sur les prix de transport une bonification de cinquante francs par tonne transportée au départ des gares-bois situés dans les régions sinistrées. A cette aide s'ajoute le versement d'une subvention de 25 millions de francs pour l'aménagement ou la création de gares-bois. Il s'agit de l'un des points permettant sinon de résoudre le problème, en tout cas, d'avancer dans la voie de sa solution. Ainsi, 95 gares supplémentaires ont été ouvertes, ce qui a porté leur nombre à 245 contre 150 en période normale. De nouvelles gares sont en cours d'aménagement et un programme d'investissement supplémentaire est même à l'étude, afin de tenir compte des difficultés qui existent.
Il convient de saluer les efforts réalisés, y compris par la SNCF, qui a pratiquement doublé son trafic de bois au cours de l'année 2000, alors qu'elle avait à faire face en même temps, dans un contexte de hausse générale de son activité, non seulement aux trafics supplémentaires de ses clients habituels, mais également aux demandes de nouveaux clients.
Elle a dû à cette fin mobiliser des moyens importants pour répondre à l'accroissement des flux de transport, en particulier à l'exportation, en prenant notamment des mesures pour accroître sensiblement son parc de wagons spécialisés dans le transport de bois. C'est ainsi que ce parc est passé de 1 750 à 4 138 unités.
Pour y parvenir, 20 millions de francs ont été alloués à la réhabilitation de wagons anciens. La SNCF avait espéré, un temps, qu'elle pourrait louer des wagons auprès de nos voisins européens et que cette formule permettrait, en quelque sorte, de débloquer la situation. Toutefois, les résultats obtenus n'ont pas été à la hauteur des espérances. C'est pourquoi le démarche tendant à la réhabilitation de wagons anciens est poursuivie.
Une gestion centralisée des wagons par région, avec un interlocuteur unique de la clientèle, a également été mise en place afin de mieux prendre en compte les demandes particulières des chargeurs.
Le parc spécialisé pour le transport de bois fait partie des priorités du programme d'investissement concernant les wagons. Il s'enrichira de deux nouvelles séries de wagons d'ici à 2002. Ce nouveau matériel concourt à l'amélioration de l'offre à moyen terme avec de plus grandes capacités et la simplification des opérations de manutention.
Voilà qui devrait contribuer à résoudre les problèmes que vous avez soulevés.
M. Guy Vissac. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Vissac.
M. Guy Vissac. Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier de votre réponse qui, s'agissant du problème des wagons, est très encourageante, puisque c'est plus d'un doublement du parc de wagons que vous nous annoncez.
Le souci des élus de la région Auvergne est que, à l'avenir, alors que l'exploitation de la ressource forestière va croître de plus de 25 %, le transport par fer reste compétitif.

MODALITÉS D'INTERVENTION DES DDE
POUR LES COMMUNES ET LEURS GROUPEMENTS

M. le président. La parole est à M. Signé, auteur de la question n° 945, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur un problème très sensible pour un département rural comme la Nièvre : je veux parler des modalités d'intervention de la direction départementale de l'équipement, ou DDE, pour les communes et leurs groupements. Il ne s'agit rien de moins que de l'avenir des services publics de proximité dans notre pays, peut-être même de leur pérennité.
Considérons tout d'abord les travaux d'entretien des voiries communales. Ces travaux, menés par les personnels d'exploitation de la direction départementale de l'équipement, sont sollicités sur devis par les communes, et ce en dehors du champ des marchés publics. Mais les communes regroupées en communautés, bénéficiant du transfert de la compétence en matière de voirie, donnent souvent lieu à des masses annuelles de travaux supérieures à 300 000 francs, somme qui représente le seuil de passation de ces marchés publics.
Les services de la DDE craignent ainsi que tous les travaux communaux sur les voiries ne leur échappent.
Un autre sujet est lié à cet enjeu central de la cohésion territoriale et sociale de notre pays en général et des zones rurales en particulier. Ce sujet concerne les missions d'ingénierie publique, notamment d'assistance, d'études et de suivi, etc. La prééminence d'une logique concurrentielle est inquiétante.
En conséquence, je voudrais savoir, monsieur le ministre, quelles mesures le Gouvernement peut engager afin d'assurer la continuité des travaux de voirie comme compétence des services de la DDE. Je souhaiterais, par ailleurs, connaître votre point de vue sur les enjeux et les conséquences de la réforme des missions d'ingénierie publique.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le sénateur, vous avez raison de soulever la question de l'ingénierie publique, qui est très importante et qui fait actuellement l'objet de débats et de propositions. Vous connaissez d'ailleurs l'attachement du Gouvernement, et le mien en particulier, aux services publics de proximité.
Comme vous le savez, l'ingénierie publique s'exerce pour le compte de l'Etat ou des collectivités locales.
Pour les collectivités de taille modeste, sans services techniques, il s'agit d'un service public de proximité et de solidarité. Pour les autres, c'est un appui à des projets et à des territoires porteurs d'enjeux prioritaires des politiques publiques. C'est aussi un moyen de diffusion de l'innovation technique.
Les principaux services de mon ministère y participent, que ce soient les DDE, les services maritimes, les services de la navigation et des bases aériennes, ou le réseau scientifique et technique.
Le cadre de ces missions datait des années cinquante. En liaison avec mon collègue de l'agriculture, M. Jean Glavany, dont les services font aussi de telles missions, j'ai lancé un plan de modernisation de l'ingénierie publique pour mieux répondre aux attentes des collectivités, aux enjeux des territoires et aux priorités du service public.
En outre, pour rompre définitivement tout lien entre cette activité et les rémunérations perçues par les fonctionnaires, les rémunérations accessoires des personnels des DDE et des DDAF, les directions départementales de l'agriculture et de la forêt, ont été budgétisées.
Sur le plan juridique, nous devons tenir compte des directives européennes et de l'évolution du droit de la concurrence. Certaines missions devront être attribuées dans le cadre des règles de la commande publique. Mais, en tout état de cause, les collectivités locales garderont la possibilité de faire durablement appel aux services de l'Etat dans des conditions juridiques sécurisées, sans complication inutile.
Pour ne pas restreindre la possibilité de choix des collectivités locales, je m'attache donc à redonner des fondations plus solides et durables à ces missions, par des dispositions législatives, quand c'est nécessaire, et par des dispositions réglementaires, dans le cadre du code des marchés publics.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que, comme les élus et les personnels de mon ministère, le Gouvernement est très attaché au maintien de ces missions d'appui technique dont bénéficient les collectivités locales.
M. René-Pierre Signé. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Votre attachement à la notion de services publics de proximité n'est pas pour me surprendre.
Je voudrais simplement souligner qu'il convient de bien distinguer modernisation pertinente et libéralisation pénalisante. Le rôle de l'Etat comme aménageur d'espace doit évoluer ; cela implique de préciser, ainsi que vous l'avez dit, les priorités pour l'ingénierie publique, notamment en ce qui concerne les enjeux d'aménagement, les missions de solidarité envers les petites communes et la diffusion de l'innovation technique. Mais je pense que la qualité des projets, la nécessité de répondre aux enjeux de solidarité et d'aménagement ne peuvent être garanties totalement par la mise en place d'une logique concurrentielle hégémonique...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je suis d'accord avec vous !
M. René-Pierre Signé. ... d'autant que ces travaux communaux viennent largement abonder les crédits départementaux, et qu'ils maintiennent personnel et matériel.
Le marché ne saurait suffire à tout. Les services publics, a fortiori dans les zones rurales, jouent un rôle très important dans la cohésion économique, sociale et territoriale. J'ai voulu le réaffirmer ce matin et vous transmettre les inquiétudes du personnel de la DDE, que je vous remercie d'avoir prises en compte.

LIAISON FERROVIAIRE LYON-LIMOGES

M. le président. La parole est à M. Demerliat, auteur de la question n° 951, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Jean-Pierre Demerliat. Je voudrais, monsieur le ministre, attirer votre attention sur la desserte ferroviaire Bordeaux-Lyon. La fréquentation de cette ligne est en diminution constante, et cela est bien compréhensible : le trajet dure trop longtemps et les arrêts sont trop nombreux : un tous les 30 kilomètres environ. Il faut entre sept heures et demie et neuf heures pour parcourir, dans de très mauvaises conditions de confort, les 639 kilomètres qui séparent Bordeaux de Lyon. Il serait plus avantageux pour les voyageurs pressés de passer par Paris.
Depuis Limoges, il faut souvent trois heures pour rallier Bordeaux et près de quatre heures pour rejoindre Clermont-Ferrand. Le parcours ne comporte pas moins de quatre rebroussements - Périgueux en Dordogne, Saint-Sulpice-Laurière en Haute-Vienne, Gannat et Saint-Germain-des-Fossés dans l'Allier - qui font perdre chacun vingt minutes. La vitesse commerciale est ainsi ramenée à 86 kilomètres à l'heure. La vitesse de pointe, quant à elle, plafonne à 100 kilomètres à l'heure et sur seulement 20 % du trajet. Le matériel est obsolète ; d'ailleurs, une des motrices utilisées aujourd'hui est déjà exposée au musée du chemin de fer de Mulhouse ! (Sourires.)
Cette situation est d'autant plus préoccupante que l'autoroute Bordeaux - Clermont-Ferrand ne sera pas mise en service avant 2015 et que les liaisons aériennes sont insuffisantes et surtout très onéreuses. La majorité des voyageurs ne peut donc emprunter d'autres moyens de transport que le train.
La situation est grave, car cette ligne est un facteur de cohésion territoriale fondamental pour l'avenir des régions concernées et surtout du Limousin. Cette liaison ferroviaire est vitale pour Guéret et très importante pour Limoges, qui est le socle d'une offre de transport connectée aux radiales.
Limoges est une étoile ferroviaire importante où les correspondances sont nombreuses, et le site de sa gare est aujourd'hui un modèle d'intermodalité avec la mise en service du centre intermodal d'échanges de Limoges.
Monsieur le ministre, voilà où nous en sommes aujourd'hui. Que faudrait-il faire pour rendre cette ligne attractive, compétitive, en un mot utile ?
Tout d'abord, il faudrait supprimer les rebroussements ; ensuite, il serait nécessaire de favoriser les liaisons ville à ville qui correspondent aux données socio-économiques et aux souhaits de la clientèle. En outre, bien évidemment, il est important que les usagers bénéficient de bien meilleures conditions de confort : beaucoup d'entre eux souhaiteraient pouvoir mettre à profit la durée de leur trajet pour travailler ; or, il leur est impossible d'écrire et même de lire dans les conditions actuelles.
Enfin, monsieur le ministre, je souhaiterais que vous me rassuriez quant au projet de modification du tracé que l'on prête à vos services. La ligne Bordeaux-Lyon doit continuer à passer par Limoges, y compris et surtout pour le fret, car la gare de triage du Puy Imbert, à Limoges, est la mieux outillée pour gérer ce genre de trafic.
Monsieur le ministre, les usagers mais aussi les responsables socio-économiques, les élus du Limousin sont inquiets, et j'attends bien évidemment de vous que vous apaisiez leurs craintes.
M. René-Pierre Signé. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le sénateur, le Gouvernement impulse depuis le mois de juin 1997 - et nous allons encore renforcer cette volonté en favorisant le ferroutage - une politique des transports qui consiste, en quelque sorte, à rééquilibrer la place des différents modes de transport en privilégiant à la fois le transport collectif, pour les voyageurs, mais aussi le transport par rail et par voie d'eau, pour les marchandises, et ce afin de faire jouer la complémentarité, d'utiliser au mieux les atouts de chaque mode de transport, notamment du point de vue économique, de l'environnement et aussi, pour une part, de l'aménagement du territoire.
En matière ferroviaire, l'extension du réseau à grande vitesse ne se fait plus au détriment de l'entretien, de la régénération des lignes classiques ou de l'emploi à la SNCF. C'est là une nouveauté qui marque les choix du gouvernement actuel. Les résultats obtenus désormais sont très encourageants, puisque la SNCF regagne progressivement le terrain perdu en matière de transport de voyageurs et de fret, et même de résultats financiers et d'emplois.
Par ces caractéristiques et les bassins d'activité qu'elle relie et irrigue, la ligne reliant Bordeaux à Lyon par Limoges, Montluçon et Roanne présente effectivement un potentiel tout à fait intéressant, qu'il convient à mon avis de valoriser.
Je vous rappelle d'ailleurs à cet égard qu'en 1998, à Limoges, j'avais annoncé la participation de l'Etat au financement d'une étude sur l'amélioration de la desserte de cet axe et de l'axe Sud passant par Brives et Clermont-Ferrand.
Confiée à un cabinet privé, cette étude, sous maîtrise d'ouvrage du conseil régional du Limousin, est en cours de réalisation. Elle s'appuie sur une approche segmentée, avec le triple objectif d'améliorer la qualité de service de la liaison de bout en bout - vous avez souligné que le besoin est réel, et je suis de votre avis -, de mieux satisfaire la demande « moyenne distance » et de mieux coordonner la desserte par rapport aux services régionaux de voyageurs.
D'ores et déjà, les contrats de plan signés par l'Etat et les régions Auvergne et Rhônes-Alpes, région également impliquée dans cette opération, prévoient la résorption du rebroussement de Saint-Germain-des-Fossés, qui devrait coûter environ 70 millions de francs pour un gain de temps de vingt minutes. Si mes informations sont exactes, la résorption du rebroussement de Saint-Sulpice-Laurière, qui, elle, n'a pas été inscrite au contrat de plan Etat-région Limousin, coûterait 20 millions de francs pour le même gain de temps. Et si, comme vous avez eu raison de le souligner, on supprimait les quatre rebroussements, c'est près d'une heure et demie qui serait ainsi gagnée. C'est substantiel !
De son côté, la SNCF étudie différentes solutions techniques pour le matériel. Elle fera des propositions en fonction des conclusions de l'étude que j'ai évoquée.
Actuellement, dans sa phase finale, cette étude vise à élaborer des scénarios, une fois toutes les potentialités de trafic analysées, le recensement des besoins de déplacement et les coûts d'exploitation des services établis, l'état de l'infrastructure et du matériel identifié. L'Etat, la SNCF, RFF et les régions concernées devront ensuite examiner ensemble ces scénarios et décider des mesures à prendre pour rétablir un niveau de service adapté aux besoins et aux différents impératifs de chacun des partenaires, mais aussi propice au développement de l'activité ferroviaire, dans l'intérêt même et du trafic de voyageurs et du transport de marchandises.
M. Jean-Pierre Demerliat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Demerliat.
M. Jean-Pierre Demerliat. Monsieur le ministre, je vous remercie des précisions que vous avez bien voulu m'apporter.
Le Gouvernement a raison de privilégier le transport collectif par rapport au transport individuel, et notamment le rail, moyen de transport confortable, rapide et en tout état de cause adapté au mode de vie actuel des Français.
Si, dans un temps rapproché, on pouvait proposer aux voyageurs une offre correspondant à leur demande, à leurs besoins, à ce qu'ils sont en droit d'attendre à l'aube de ce xxie siècle, nul doute - toutes les études le démontrent - que la fréquentation pourrait très vite doubler.
De même, s'agissant du fret, une adéquation de l'offre à la demande inciterait ceux qui ont des marchandises à faire transiter à travers le Massif central à utiliser beaucoup plus la voie ferrée, en particulier le ferroutage, au détriment du transport par route, générateur d'accidents et qui coûte fort cher à la collectivité.
Monsieur le ministre, les habitants de l'ouest du Massif central, en particulier du Limousin, puisque je crois savoir que c'est surtout à l'est du Massif central que l'on va apporter les premières améliorations, comptent sur vous et comptent sur le Gouvernement.

FORMATION PRATIQUE AU SECOURISME

M. le président. La parole est à Mme Derycke, auteur de la question n° 952, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Mme Dinah Derycke Monsieur le ministre, permettez-moi d'abord de vous féliciter pour les résultats encourageants que vous avez obtenus l'année dernière dans la lutte que vous menez pour diminuer le nombre de victimes sur nos routes. Ma question a trait à ce problème.
Le 29 juin 1999, je vous interrogeais sur l'opportunité de la mise en place d'une mesure destinée à introduire dans l'enseignement du permis de conduire une formation pratique et courte aux cinq gestes qui sauvent.
L'un des principaux arguments que vous aviez alors opposés à ce projet, repris depuis dans plusieurs propositions de loi émanant de tous les groupes tenait au danger qu'il y avait à « accorder un crédit à une unité de valeur de portée inférieure » à huit heures.
Comme vous le savez, cet élément de réponse est le fruit d'une réflexion menée par l'observatoire national du secourisme.
Je souhaite donc attirer votre attention sur les très nombreuses formations qui sont proposées par de multiples associations et qui sont inférieures à huit heures.
Ainsi, la Croix-Rouge française organise très régulièrement une session de formation aux premiers gestes qui sauvent. Tel a été le cas dans le département du Nord, où elle a formé 7 500 collégiens. Tel a aussi été le cas, lors de la période estivale, dans les régions de villégiature où des formateurs proposaient au grand public un enseignement en quelques heures des gestes qui sauvent.
Le 13 septembre dernier, la Croix-Rouge française a lancé une campagne nationale dont l'objectif est de former 20 % de la population française aux réflexes de survie, à des gestes simples, vitaux, qui s'apprennent à tout âge et en quelques heures.
La Croix-Rouge enseigne ces gestes, dont la mise en position latérale de sécurité, en un minimum de deux ou trois heures. Cette formation est, de plus, essentiellement pratique. Elle est même relayée par six fiches techniques sur le site internet de cette organisation, ainsi que par des brochures distribuées en pharmacie.
Aussi, monsieur le ministre, aimerais-je connaître votre position sur ces initiatives, qui, si l'on s'en tient à l'analyse de l'observatoire national du secourisme, pourraient constituer des dangers pour les victimes de la route.
Le comportement à adopter en présence d'un accident de la route ne fait pour l'instant l'objet que d'une formation théorique et incomplète dans le cadre du permis de conduire.
Il m'apparaît qu'une formation courte destinée à enseigner des gestes simples, des automatismes, permettrait de sauver nombre de vies. Le permis de conduire serait l'occasion rêvée pour sa mise en oeuvre, parce qu'il touche une population très importante et possède un caractère responsabilisant.
De nombreux Etats voisins ont inscrit cet examen dans le permis de conduire et en sont, après plusieurs dizaines d'années, totalement satisfaits, même si l'estimation des vies ainsi sauvées sur la route ou en dehors est difficile à quantifier.
Ne serait-il pas opportun de mener une étude pilote, en concertation avec les associations, sur une telle mesure susceptible de sauver chaque année plusieurs centaines de vies dans notre pays ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Madame la sénatrice, vous avez souligné les résultats encourageants obtenus l'année dernière en matière de sécurité routière. C'est vrai, le nombre des tués sur les routes de France est passé de 8 400, en 1998 ; à 7 600. On voit le chemin parcouru !
Cependant, d'une part, les résultats sont toujours fragiles et ; d'autre part, le bilan est encore très lourd. Il faut donc poursuivre, voire amplifier, nos efforts et ne régliger aucune piste pour sauver des vies humaines. Tel est d'ailleurs le sens de votre question.
Depuis juin 1997, le Gouvernement a réuni trois fois le conseil interministériel de la sécurité routière - je rappelle qu'il ne l'avait jamais été entre 1994 et 1997. Des suggestions ont été faites. Celles des promoteurs de ce qu'il est convenu d'appeler les « cinq gestes qui sauvent » ont, à ce titre, été analysées et étudiées avec attention. Il en ressort que le problème est plus complexe qu'il n'y paraît.
La prise en compte dans le programme de formation des candidats au permis de conduire de trois de ces cinq « gestes » témoigne de notre préoccupation à cet égard, les thèmes « protéger, alerter et secourir » devant obligatoirement être abordés au cours de l'apprentissage du code de la route et des questions pouvant être posées à ce sujet au cours de l'examen.
Il est cependant apparu que les deux derniers gestes étaient d'une tout autre nature puisqu'ils supposent une intervention sur les victimes elles-mêmes.
Avant toute décision sur l'opportunité d'une formation aux premiers secours dans ce cadre, j'ai demandé l'avis de l'observatoire national du secourisme, placé sous l'égide du ministère de l'intérieur ; chargé de la sécurité civile, et dont la Croix-Rouge est membre, tout comme les pompiers, les SAMU et les services de secours en général.
Sa commission spécialisée dans le domaine de la formation a estimé qu'il n'était pas opportun de rendre obligatoire cet apprentissage. Ses arguments tiennent compte, d'une part, de la position défavorable de la Commission européenne dans un contexte d'harmonisation du permis de conduire et, d'autre part, de l'absence de référence scientifique pour la brochure « Les cinq gestes qui sauvent ». Elle constate, en outre, le fait que tout conducteur impliqué dans un accident routier perd souvent une partie de ses moyens de réaction et qu'il n'est pas le mieux placé pour porter secours aux blessés.
Enfin, la commission spécialisée a confirmé l'avis précédent de la commission nationale du secourisme, qui estimait que l'attestation de formation de base aux premiers secours, dont l'enseignement est sanctionné par un diplôme constituait l'unité minimale de valeur rteconnue par l'Etat. Cette formation, aujourd'hui d'une durée minimale de douze heures, est une condition préalable indispensable pour intervenir sur un blessé.
Si le développement de cette formation plus large que celle qui est proposée par la Croix-Rouge est donc souhaitable dans le cadre de l'éducation à la citoyenneté, il ne saurait, à nos yeux, être lié pour l'instant, à la seule formation à la conduite, qui comprend déjà une sensibilisation sur ce thème.
Mme Dinah Derycke. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le ministre, vous venez de me faire la même réponse qu'il y a six mois. Je ne peux m'en satisfaire, dans la mesure où je demandais qu'il y ait au moins une étude pilote sur ce sujet.
Il est tout de même paradoxal que la commission spécialisée consultée affirme que deux gestes sont dangereux et que les organismes qui siègent dans cette commission organisent ici ou là, sur les plages ou ailleurs, la formation à ces gestes en deux ou trois heures ! Si ces gestes sont vraiment dangereux, il ne faut pas les laisser enseigner.
J'ajoute que nombre de revues traitent de ce sujet. Cette semaine encore, j'ai trouvé chez mon pharmacien une revue éditée sous l'égide d'organismes de pharmaciens où l'on expliquait, à l'aide d'illustrations, ce qu'était la position latérale de sécurité.
Il conviendrait que les futurs conducteurs apprennent de tels automatismes. Cela aurait, en outre, le mérite, vous en conviendrez sans doute, monsieur le ministre, de les responsabiliser. Des cours de ce type dispensés juste avant la prise en mains d'un volant leur permettraient de bien comprendre que conduire c'est aussi mettre sa propre vie et celle des autres en danger.
Voilà pourquoi je réitère ma demande, monsieur le ministre, qu'une véritable étude soit menée dans les pays qui ont mis en oeuvre cette mesure, afin de voir pourquoi ils la conservent et quel bénéfice ils en tirent.

TRACÉ DU CANAL SEINE-NORD

M. le président. La parole est à M. André, auteur de la question n° 957, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Pierre André. Monsieur le ministre, dès votre prise de fonctions, en 1997, vous avez marqué votre volonté et celle du Gouvernement de réaliser rapidement la liaison fluviale Seine-Nord.
Pour vous, pas de doute, cette liaison Seine-Nord est une priorité nationale, et vous venez, il y a quelques instants, de rappeler votre désir de rééquilibrer, les modes de transport en France !
Nombreux ont été les élus et les responsables socio-professionnels de toutes tendances à approuver votre position et votre méthode de travail : dizaines de réunions de concertation, étude de vingt-trois tracés différents, nomination d'un préfet de région coordinateur du projet.
Nous avons applaudi à votre détermination : fin des études et présentation de l'échéancier, deuxième semestre 1998 ; puis déclaration d'utilité publique, acquisition des terrains et début des travaux en 2001.
Aujourd'hui, trois ans après, les mêmes élus et les mêmes responsables socioprofessionnels, qui vous ont approuvé et largement soutenu, sont non seulement déçus mais très en colère. (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Malgré vos engagements nombreux, notamment en juin dernier, auprès de Jean-Paul Delevoye, notre collègue président de l'Association des maires de France et président de l'association des liaisons fluviales Seine-Est et Seine-Nord, à ce jour, aucun tracé n'a été retenu, aucun échéancier ne nous est connu.
Il est de votre devoir, monsieur le ministre, de nous dire qu'il s'agit d'une décision du Gouvernement d'abandonner le projet Seine-Nord.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Mais non !
M. Pierre André Sinon, pourquoi attendre pour préciser, et c'est l'objet de ma question, le tracé retenu - canal du Nord ou canal de Saint-Quentin - ainsi que l'échéancier ? En effet, de votre réponse, monsieur le ministre, dépendent des choix importants en matière économique et urbanistique pour nos villes, pour nos départements et pour nos régions.
M. Gérard Cornu Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le sénateur, vous avez d'abord souligné ma détermination et ma méthode de travail, mais pour les critiquer ensuite.
Je soutiens le projet Seine-Nord, je l'ai déjà dit et je vous le redis. J'entends en poursuivre l'élaboration avec la meilleure efficacité possible afin de le mener à bien.
L'objectif d'un aménagement progressif à grand gabarit de cette liaison a été inscrit par le Gouvernement dans le projet de schéma de services de transport de marchandises, actuellement soumis à une consultation régionale.
Vous dites que rien ne s'est passé depuis. Mais si, puisque, dans le projet de schéma de services qui a été présenté par le Gouvernement figure cette liaison ! Vous prétendez que nous n'avançons pas, vous vous demandez où nous en sommes, si nous avons abandonné ce projet, mais c'est le contraire !
Vous auriez dû, avec le même esprit d'objectivité qui caractérisait le début de votre propos, dire que c'est formidable, que le Gouvernement a confirmé la réalisation du projet. Or vous faites comme si rien ne s'était passé. Pourtant, c'est écrit ; c'est officiel !
Sans attendre les conclusions de la consultation régionale, préalable à tous les schémas de services, qui seront connus en 2001, j'ai voulu, pour donner toutes les chances à ce projet, procéder à l'aménagement des extrémités de la liaison au nord et au sud. Cet aménagement participe à la réalisation totale, c'est-à-dire Dunkerque-Escaut, d'une part, et Oise-aval, d'autre part. En effet, on peut réaliser la partie centrale mais, si l'on ne procède pas à l'aménagement des extrémités, cela ne sert à rien. En revanche, si on relève le tirant d'air - c'est-à-dire le fait de réhausser les ponts pour permettre aux péniches de passer - entre Dunkerque et Escaut, et si on aménage Oise-aval, le projet global s'en trouve conforté.
L'objectif est véritablement de développer le transport fluvial - et actuellement celui-ci fonctionne bien - dans les bassins concernés et d'améliorer la desserte fluviale des ports de Dunkerque, de Rouen, de Paris et du Havre en traversant, bien entendu, les territoires concernés.
J'insiste, monsieur le sénateur, le schéma de services, d'une part, et les décisions prises dans le cadre des contrats de plan, s'agissant notamment de l'aménagement des extrémités de la liaison, d'autre part, sont l'expression même de la détermination du Gouvernement.
Sur le bassin Nord - Pas-de-Calais, le programme contractualisé avec la région reprend le rehaussement des ponts sur le canal Dunkerque-Escaut et l'amélioration des liaisons avec la Belgique. Au sud de la liaison, l'objectif du Gouvernement est d'améliorer sur cette période du contrat de plan les conditions de navigation sur la Seine et l'Oise, principalement par la modernisation des barrages et écluses.
Un programme a été proposé dans ce sens aux régions Ile-de-France et Picardie.
Ces aménagements permettront de conforter la forte croissance du mode fluvial avec l'objectif de doubler le trafic d'ici à 2010. Nos ambitions sont grandes. C'est donc en fonction de l'évolution du trafic à l'horizon des contrats de plan 2000-2006 que sera déterminée la programmation du tronçon central, entre Compiègne et le canal Dunkerque-Escaut. Le choix du fuseau de tracé de cette partie centrale sera précisé dans le cadre du débat avec les régions concernées sur le projet de schéma de services de transport de marchandises.
Monsieur le sénateur, nous n'avons rien oublié, rien abandonné et la méthode de travail consiste à retenir la meilleure solution après la meilleure concertation.
M. Pierre André. Le demande la parole.
M. le président. La parole est à M. André.
M. Pierre André. Monsieur le ministre, nous avons aujourd'hui franchi un grand pas. Cela fait trente ans que les ministres de l'équipement nous répètent dans cet hémicycle et ailleurs que le tracé de cette liaison fluviale sera annoncé dans les semaines et les mois qui viennent...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Ah, si cela avait été fait depuis trente ans...
M. Pierre André. Le problème serait réglé !
Nous avons certes approuvé votre méthode de travail, mais je me permets de vous dire que votre démarche m'inquiète quelque peu : nous savons aujourd'hui par quelles extrémités nous allons commencer, mais nous ne savons pas encore, après votre réponse, si elles seront un jour reliées car nous ne savons pas quel tracé sera retenu.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Elles se rejoindront !

AXES DE CIRCULATION DANS LA VALLÉE DU RHÔNE

M. le président. La parole est à M. Dufaut, auteur de la question n° 962, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Alain Dufaut. Vous le savez, monsieur le ministre, l'interview accordée à un quotidien régional par M. Bernard Val, président de la société des Autoroutes du Sud de la France, ASF, le 5 décembre dernier, a littéralement mis le feu dans le sud de la vallée du Rhône.
En effet, l'intéressé a préconisé un élargissement à deux fois cinq voies de l'autoroute A 7 entre Valence-Sud et Orange, en ajoutant deux voies latérales supplémentaires réservées aux poids lourds, pour faire face à l'augmentation du trafic routier sur le tronçon qui est le plus sensible de l'itinéraire de la vallée du Rhône.
Cette déclaration a provoqué un tollé des élus locaux, qu'ils soient du département de la Drôme, de celui du Vaucluse, en particulier des élus locaux des communes directement concernées de Bollène, Mondragon, Mornas et Piolenc, mais aussi de l'ensemble des populations riveraines.
Les élus, monsieur le ministre, toutes tendances politiques confondues, les associations représentatives également rejettent catégoriquement cette proposition d'ASF, considérant à juste titre que le seuil des nuisances tolérables est largement dépassé dans ce secteur.
En effet, le goulet d'étranglement de la vallée du Rhône, situé entre Bollène et Orange, accumule les nuisances de la voie PLM, de la voie TGV, de la RN 7, de l'autoroute A 7 et du canal de Donzère-Mondragon. Il paraît donc totalement irréaliste d'envisager d'augmenter l'emprise de l'A 7 de quatre voies et de remodeler tous les échangeurs pour les adapter à ce nouveau profil en travers. De plus - et je connais bien les lieux - à certains endroits, le tissu urbain est tel que tout élargissement impliquerait des contournements importants d'agglomérations ou des démolitions d'habitations en grand nombre.
Soyez pourtant assuré, monsieur le ministre, que le membre du conseil d'administration d'ASF que je suis, comprend tout à fait la légitime inquiétude de la société concessionnaire et sa volonté de relancer le débat au regard non seulement des prévisions qui font état d'un chiffre de 130 000 passages quotidiens à l'horizon de l'été 2010 sur cet axe autoroutier, mais également de la situation actuelle particulièrement critique, avec un seuil de 80 000 véhicules par jour - seuil à partir duquel ASF considère que les conditions de circulation sont dégradées - franchi soixante-quatorze jours par an, un seuil de 100 000 véhicules par jour, conditions de circulation très dégradées, franchi quarante-deux jours par an et surtout une part des poids-lourds en augmentation régulière : encore 6 % par an ces dernières années.
Ces conditions de circulation, associées à une hausse du trafic similaire sur la RN 7, font peser de graves risques sur l'activité économique de toute une région.
De plus - vous le savez aussi, monsieur le ministre - le risque d'accident majeur que représente le transport de matières dangereuses, chimiques ou nucléaires, particulièrement denses dans ce corridor, est aussi à prendre en considération, surtout si l'on veut bien se rappeler cette statistique : un poids lourd par mois franchit le terre-plein central sur l'A 7 !
Pour autant, il convient que vous preniez conscience, monsieur le ministre, du rejet massif de la solution préconisée. Comme je l'avais expliqué au directeur des routes au mois d'avril 1999, nous sommes nombreux à penser que la vraie solution consiste à rechercher d'autres tracés alternatifs, et même si les délais seront inévitablement plus longs - nous le savons - la sagesse invite à créer des itinéraires de divergence du trafic en amont de Valence.
Pour l'Est, le bouclage de l'A 51 aurait pu offrir une solution de délestage vers la Côte d'Azur à partir de Lyon. Je considère donc, pour ma part, qu'il est totalement aberrant que le Gouvernement ait renoncé, de fait, à assurer le délestage de l'A 7, en abandonnant le projet de construction de l'autoroute A 51 le 27 octobre 2000.
Pour l'Ouest, l'idée de rechercher un itinéraire à travers l'Ardèche, entre Valence et Montpellier, est certainement une solution dont on ne fera pas l'économie sur le moyen terme, le tout conjugué à une prise en compte réelle du ferroutage, avec la multimodalité : rail-route, et un accroissement de l'utilisation de la voie fluviale. Là encore, la décision gouvernementale consistant à abandonner le projet de canal Rhin-Rhône a des conséquences catastrophiques.
Aussi, devant le rejet massif de la solution préconisée par ASF - et je suppose cautionnée par la direction des routes -, je souhaiterais connaître, monsieur le ministre, votre position personnelle sur ce problème très délicat de l'augmentation du trafic dans la vallée du Rhône.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le sénateur, vous pouvez reconnaître, je crois, que le Gouvernement fait un effort indiscutable pour rééquilbrer les différents modes de transport et donc favoriser des modes alternatifs à la route.
Il s'agit là d'une des priorités du Gouvernement. C'est ainsi que nous nous sommes fixé comme objectif le doublement du trafic de marchandises par le rail dans les dix ans qui viennent. D'ailleurs, si le rythme de croissance actuel se poursuit, ce que je crois, nous atteindrons cet objectif avant dix ans. On en est là ! Ceux qui prétendaient voilà peu de temps encore que nous étions dans l'incapacité de développer de façon importante le trafic marchandises sur le rail peuvent mesurer aujourd'hui à quel point ils se trompaient !
Comme rien n'avait été prévu auparavant, nous nous heurtons aujourd'hui à des difficultés d'ordre matériel : la SNCF devra acquérir très rapidement quelque 600 locomotives, pour un coût de près de 9 milliards de francs, pour répondre à la demande.
Voilà déjà un élément de réponse à votre question, puisque vous avez profité de celle-ci pour exprimer une opinion guère favorable sur la politique générale des transports conduite par le Gouvernement.
Cette orientation stratégique du projet de schéma de services collectifs de transport, adopté par le Gouvernement le 26 octobre dernier - je l'ai indiqué tout à l'heure -, doit trouver un point d'application privilégié dans les grands corridors de transports internationaux, comme la vallée du Rhône, effectivement, où se concentrent les flux de transports importants.
Pour assurer la fluidité sur ces axes, les schémas prévoient de transférer les trafics de la route vers d'autres modes, d'optimiser la capacité des voies existantes et d'aménager des itinéraires alternatifs en privilégiant des solutions intermodales.
Le Gouvernement a effectivement abandonné le projet de canal Rhin-Rhône, vous avez eu raison de le dire, monsieur le sénateur. Mais je vous signale que, dans certains départements concernés par ce projet, les contestations étaient très fortes, y compris chez certains de vos amis. Toutefois, il est inexact d'affirmer que le Gouvernement n'a pas retenu le principe d'une liaison sûre et efficace entre Grenoble et Sisteron, puisqu'elle figure dans le schéma de services soumis à concertation. Prenez en compte ce qui se dit avant de critiquer - ce qui est votre droit absolu - et n'ignorez pas ce qui a été décidé, sinon la discussion est plus difficile !
Je le répète, le principe de cette liaison a été retenu et figure dans le schéma de services. J'estime cependant que cette liaison sûre et efficace entre Grenoble et Sisteron n'est pas susceptible de capter une partie du trafic de marchandises passant dans la vallée du Rhône, pour lequel un report sur le mode ferroviaire est nettement préférable au passage dans les Alpes.
Les projets de schémas de services sont actuellement soumis à la consultation des conseils régionaux et d'autres instances. Cette consultation constitue une opportunité pour les élus concernés de s'exprimer sur les orientations retenues.
Après l'approbation par décret des schémas de services à la fin de l'été 2001, des concertations approfondies seront engagées avec l'ensemble des élus et des représentants des milieux socioprofessionnels et associatifs sur la vallée du Rhône. Un débat public sera organisé au deuxième semestre 2002, après l'inventaire détaillé des solutions à mettre en oeuvre et de leurs avantages et inconvénients respectifs. En ce sens, le Gouvernement ne fait pas sienne la déclaration du président d'ASF.
J'ai tout à fait conscience des nuisances subies par les riverains de l'A 7 à Bollène, Mondragon, Monas et Piolenc. J'ai donc demandé à la société des autoroutes du Sud de la France de procéder dès l'été 2000 à la résorption des points noirs bruit grâce à des protections phoniques dont la réalisation débutera cette année.
M. Paul Blanc. Et le viaduc de Millau ?
M. Alain Dufaut. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Dufaut.
M. Alain Dufaut. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. J'ai bien pris en compte le fait que vous ne vous associiez pas aux propos tenus par le président d'ASF. Pour les élus de la région, c'est très important.
S'agissant de l'A 51, monsieur le ministre, je sais très bien ce qui s'est passé ! Vous avez retenu, je ne le nie pas, un itinéraire entre Sisteron et Grenoble au schéma de services collectifs, mais nous regrettons que le Gouvernement ait renoncé à assurer le délestage de l'A 7 en abandonnant le projet de construction autoroutier, qui n'a pas du tout les mêmes types de caractéristiques qu'une voie rapide !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Deux fois deux voies !
M. Alain Dufaut. Mais je parle de l'autoroute. C'est ce qui est important pour nous ! Or le projet est abandonné !
Enfin, même si je suis tout à fait d'accord avec vous pour reconnaître qu'il faut travailler de plus en plus au transfert du trafic routier vers d'autres modes de transport, je suis convaincu que cela ne suffira pas. En effet, pour prendre en compte l'augmentation permanente du trafic dans la vallée du Rhône, il faudra bien un jour chercher aussi des itinéraires de délestage en amont de Valence !
M. Paul Blanc. L'A 75 et le viaduc de Millau.

CRÉATION D'ÉTABLISSEMENTS PUBLICS D'AMÉNAGEMENT
EN ILE-DE-FRANCE

M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 964, transmise à M. le ministre de l'intérieur.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ma question a pour origine la signature d'un protocole d'accord pour la création d'une structure partenariale d'aménagement et de développement du territoire de la Plaine de France, sur l'initiative du Gouvernement et de vous-même, monsieur le ministre. C'est ainsi que, le 19 décembre 2000, a été créé l'établissement public d'aménagement « Plaine-de-France ». Que représente une telle structure ? Envisagez-vous d'en généraliser le principe à d'autres territoires franciliens ou nationaux ?
L'EPA de la Plaine-de-France comprend dix-sept communes de Seine-Saint-Denis représentant 665 141 habitants et quinze communes du Val-d'Oise regroupant 246 181 habitants, soit trente-deux communes, pour une population globale de 911 322 habitants. Il exclut toute commune de Seinte-et-Marne.
Que pouvons-nous en dire ? L'EPA déborde largement le secteur de la Plaine de France dans sa réalité historique et géographique et englobe la Plaine-Saint-Denis et d'autres communes extérieures à ces deux sites, sans lien de vie ni moyen de communication. Quelle volonté est donc exprimée au travers de cette structure ?
Je voudrais que nous regardions son périmètre, par exemple pour le Val-d'Oise. Il ne comprend qu'une partie d'une première communauté de communes nommée Roissy - Porte-de-France. Quatre communes sont incluses, cinq sont exclues. Pourquoi ? Il ne retient que dix communes appartenant au syndicat intercommunal de l'est du Val-d'Oise, qui en regroupe trente-deux, lesquelles travaillent ensemble depuis plus de dix ans à l'aménagement de leur région. Leur schéma régional vient d'ailleurs, le jeudi 11 janvier dernier, d'être adopté avec l'accord de l'Etat à la quasi-unanimité.
L'EPA ignore aussi la communauté de communes de Luzarches, dans le Val-d'Oise, et le syndicat intercommunal d'étude et de programmation, le SIEP, du canton de Dammartin-en-Goële, en Seine-et-Marne, rayonnant sur une grande partie de la Plaine de France. Au libre choix des communes, pratiqué dans le Val-d'Oise, ne va-t-on pas ainsi substituer une unité recentralisée dans un carcan rigide et ignorant les réalités de vie de cette région ?
Ne s'agit-il pas là d'un exemple de superconcentration étatique, en parfaite contradiction, je crois, avec la volonté nouvelle de décentralisation qui est affirmée par le Gouvernement ?
Cet EPA n'est-il pas, au-delà, la préfiguration d'une négation de la réalité départementale, à laquelle demeure attachée, vous le savez, une grande majorité des Français ?
Cet EPA rayonne sur la majorité des communes de Seine-Saint-Denis, sur le quart de celles du Val-d'Oise, mais il ne comprend aucune des communes de Seine-et-Marne, ignorant totalement les structures cantonales.
Qu'y a-t-il de commun entre Vaudherland, l'une des trois plus petites communes de France, qui compte moins de 10 hectares de superficie, et la grande ville de Saint-Denis et ses 86 000 habitants ?
Pourquoi Marly-la-Ville et Fosses, avec des zones industrielles en plein développement, sont-elles exclues d'un EPA créé pour le développement lié à celui de l'aéroport Charles-de-Gaulle ?
Le préfet de région prétend que cet EPA contribuerait à lutter contre les inégalités sociales et territoriales. Or, le découpage proposé n'est-il pas un facteur de casse d'une unité de vie existant entre les communes prises en considération et les communes délaissées, appartenant pourtant au même canton ou parfois à une même communauté de communes et d'autres non ?
Comment expliquez-vous, monsieur le ministre, que vous dissociiez l'ensemble des communes situées à l'est et au nord de l'aéroport de Roissy, alors qu'elles se sont regroupées aujourd'hui dans le syndicat intercommunal de l'est du Val-d'Oise, le SIEVO, pour résoudre leurs difficultés en matière de desserte routière, de transports en commun, d'accès à l'emploi, à la formation, de résistance aux nuisances générées par le développement gigantesque de l'aéroport de Roissy - Charles-de-Gaulle ?
Hier, 51 % des salariés de la plate-forme aéroportuaire étaient issus de Seine-Saint-Denis, du Val-d'Oise, de Seine-et-Marne. Ce pourcentage n'est d'ailleurs plus aujourd'hui que de 47 %. Le préfet de région explique que le périmètre retenu est fondé sur une logique de développement et non sur des objectifs de compensation des nuisances de Roissy. Allons-nous donc exclure de ce champ de développement des dizaines de communes qui aspirent, elles aussi, au développement ? Veut-on les transformer en no man's land de nuisances ?
Le découpage technocratique imposé ne souffrirait plus de discussion si l'on en croit le préfet de région. « Il ne paraît pas opportun de rouvrir cette question de périmètre », déclarait-il lors d'une réunion en préfecture de région le 12 juillet dernier, position qu'il a réaffirmée à une nouvelle réunion le 8 septembre dernier. La rédaction de l'article 8 du protocole définissant le périmètre proposé des trente-deux communes est maintenue, à l'exclusion de la ville de Groslay, qui a refusé d'adhérer à l'EPA.
Je souhaiterais avoir votre opinion, monsieur le ministre. Les communes éliminées auront-elles droit au chapitre ? Aucune raison ne justifierait leur mise à l'écart.
Comme vous le savez peut-être, de nombreuses corrections ont déjà été apportées au périmètre initial, pour le rendre plus cohérent, pour prendre en compte les retards du Val-d'Oise, notamment en matière d'emploi, ainsi que la parité entre les représentants du Val-d'Oise et ceux de la Seine-Saint-Denis. Je voudrais cependant vous rappeler à ce propos, monsieur le ministre, que les deux tiers de la superficie de la plate-forme de Charles-de-Gaulle sont situés dans le Val-d'Oise.
Je vous pose donc une première question dont la réponse est attendue par les Val-d'Oisiens. Monsieur le ministre, acceptez-vous une nouvelle discussion sur les objectifs et le périmètre de l'établissement public d'aménagement que refuse la préfecture de région et qui exclut des communes du Val-d'Oise, dont Fosses et Marly, communes dont les maires m'ont fait connaître leur totale incompréhension sur cette question ?
Ma seconde question porte sur le financement. Pouvez-vous me précisez les intentions de l'Etat quant aux projets et méthodes de financement ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Madame la sénatrice, j'ai envie, moi aussi, de vous poser une question : êtes-vous, oui non, favorable à la mise en place d'établissements publics d'aménagement ? Vous dites que les EPA peuvent présenter un danger, mais vous voudriez que les communes écartées en fassent partie ! Vous me préciserez votre opition sur ce point.
Vous avez cité Fosses, je crois,...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Fosses et Marly !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Si ces villes ne font pas partie de l'EPA, c'est sans doute en raison d'une rupture de la continuité urbaine, principe fondateur des EPA. Une zone de campagne peut, par exemple, rompre la continuité urbaine. C'est peut-être un élément d'explication, mais il faudra que j'étudie dans le détail les arguments que vous avez évoqués pour vous apporter des précisions.
Deux nouveaux établissements publics d'aménagement ont été créés en Ile-de-France. Le premier l'est même déjà, puisque le décret a été publié au Journal officiel du 20 décembre 2000, et il est situé à Nanterre. Vous pouvez, pour vous renseigner, contacter les intéressés - je pense en particulier à Mme Jacqueline Fraysse, député-maire de Nanterre - afin de leur demander leur avis. Cette dernière vient de m'écrire que c'est une très bonne chose et que la municipalité de Nanterre est satisfaite.
Avec le soutien actif de nombreux élus, parmi lesquels je citerai MM. Scellier, Pupponi, Toumazet, Braouezec, Ralite, Mme Olin, il a été décidé de créer le second EPA sur le secteur dit de la Plaine de France, qui regroupe trente et une communes du Val-d'Oise et de la Seine-Saint-Denis. Le protocole d'accord entre l'Etat et les collectivités locales concernées a été signé le 19 décembre dernier en présence, je le souligne, des présidents des conseils généraux de Seine-Saint-Denis et du Val-d'Oise, que vous connaissez bien.
Bien entendu, ces EPA sont créés en accord avec les collectivités locales auxquelles ils apportent, dans des situations urbaines et économiques souvent difficiles, l'aide et la garantie financière de l'Etat. J'ai bien souvent été saisi de demandes, y compris de votre part, madame la sénatrice, pour l'octroi d'une telle aide et de la garantie financière de l'Etat sur de nombreux projets. En effet, l'apport de l'Etat est très souvent décisif pour la réalisation de projets concernant, par exemple, le développement économique, le renouvellement urbain, les voies de communication, et même pour la formation.
Composé à parité de représentants de l'Etat et des collectivités locales, le conseil d'administration des EPA est présidé par un élu. La région, les départements, les communautés de communes - qui sont toutes constituées sur la base du volontariat - y sont normalement, toutes et tous, représentés en tant que tels. Le département et l'ensemble des communes du Val-d'Oise, parmi lesquelles on peut citer Garges-lès-Gonesse, Sarcelles et Goussainville, ont même constitué un syndicat mixte pour une représentation commune, afin de parler d'une même voix et de faire valoir leurs projets.
De plus, le code de l'urbanisme prévoit que les EPA sont dotés d'une assemblée spéciale qui regroupe les collectivités n'étant pas directement représentées au conseil d'administration et qui est consultée sur la plupart des décisions, telles que le budget de l'EPA. L'assemblée spéciale élit même ses propres représentants au conseil d'administration, ce qui signifie que toutes les collectivités y sont directement, ou au moins indirectement, représentées.
Je ne pense donc pas que l'EPA puisse être considéré comme un instrument de régression démocratique, en tout cas, il faut veiller à ce qu'il ne le devienne pas. Il est au contraire la concrétisation d'une vision moderne et intelligente d'un partenariat constructif entre l'Etat et les autres collectivités publiques.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le ministre, je suis très déçue de votre réponse, et je pense que de nombreux élus de l'est et du nord du département le seront également.
En effet, vous ne m'avez pas répondu sur la possibilité d'une révision du périmètre de l'EPA. Votre cabinet a pourtant reçu les maires de Fosses et de Marly-la-Ville.
Certes, tout regroupement peut se comprendre, monsieur le ministre. Vous le savez bien, depuis la Libération se sont constitués de nombreux syndicats intercommunaux, à l'origine desquels, d'ailleurs, nous avons souvent été, les uns et les autres, et dont le travail a été immense, dans des compétences bien déterminées.
En ce qui concerne l'EPA, les choses se font librement, ceux qui veulent y entrer peuvent le faire et inversement, ceux qui refusent d'y entrer n'y sont pas obligés, il n'y a aucun problème.
Au demeurant, il ne faut pas que des problèmes financiers viennent s'ajouter aux difficultés que j'ai signalées. En effet, quelles seront véritablement les compétences de l'EPA et de quels moyens financiers disposera-t-il ? Par ailleurs, le financement qui sera attribué à ces regroupements ne manquera-t-il pas aux communes ?
Mes craintes au sujet de l'EPA ne sont donc pas infondées car les problèmes ne sont pas réglés.
Vous m'avez dit que les départements seraient représentés à parité dans le conseil d'administration ; à ce propos, je vous ferai deux remarques.
Le département du Val-d'Oise s'est doté, avec trente-deux communes de la Plaine de France, d'une structure à cheval sur sept cantons, le SIEVO, que vous connaissez bien. Or ce dernier sera scindé au sein du conseil d'administration de l'établissement public d'aménagement.
M. le président. Madame Beaudeau, veuillez conclure !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Le syndicat du Val-d'Oise ne sera qu'une représentation caricaturale de ce département. Le poids du Val-d'Oise est bien trop faible : il ne représente que le cinquième de la population de la Seine-Saint-Denis. Dans ces conditions, le principe d'égalité ne sera absolument pas respecté.

FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE
DANS LE DÉPARTEMENT D'EURE-ET-LOIR

M. le président. La parole est à M. Cornu, auteur de la question n° 938, adressée à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérard Cornu. Madame le garde des sceaux, à Chartres, la justice est rendue, je dois vous le dire, dans des conditions absolument déplorables, à la fois pour les professionnels de la justice et pour les usagers.
Vous connaissez la situation, puisque le barreau de Chartres s'en est récemment ému auprès de vos services et de vous-même.
Cette situation dure depuis trop longtemps. Nous avons interpellé tous les ministres de la justice successifs. Comme vous venez d'être nommée, je vous interroge donc aujourd'hui à ce sujet.
Un projet semble se dessiner en faveur d'une véritable cité judiciaire qui regrouperait le tribunal de grande instance, le tribunal d'instance et le conseil des prud'hommes. Ce projet, qui pourrait être réalisé en plein coeur de la ville historique de Chartres, présente des inconvénients majeurs liés à des contraintes urbaines et architecturales très importantes, sans parler des contraintes archéologiques et des problèmes de stationnement qui ne sont pas résolus.
Bref, il s'agit d'un projet complexe et coûteux qui, manifestement, sera long à réaliser en raison des contraintes que je viens d'évoquer, et cela nous inquiète.
Les terrains de l'ancienne base aérienne de Chartres - les services de votre ministère le savent - permettraient, à mon avis, d'envisager une solution beaucoup plus rapide, moins coûteuse et moins compliquée avec une réelle vision d'avenir en réglant notamment tous les problèmes de stationnement.
Ma question est donc la suivante : où en est ce projet ? Est-il poursuivi ? Pouvez-vous me donner les dates précises de son évolution ? En raison des contraintes à la fois architecturales et urbanistiques qui y sont liées - vraisemblablement les fouilles archéologiques vont durer un certain temps - ce projet ne va-t-il pas être encore pour longtemps dans les cartons de nombreux ministres et de nombreux services du ministère de la justice ?
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, les difficultés que connaît votre département sont principalement d'ordre immobilier. La plupart des juridictions qui y sont implantées souffrent d'un déficit de surface, notamment à Chartres et à Dreux. Tel est le coeur du problème qui se pose. Permettez-moi de faire le point sur la situation actuelle.
Les études réalisées afin de trouver à Chartres un terrain sur lequel construire une nouvelle cité judiciaire ont permis de constater que le site actuel du tribunal de grande instance autorisait une extension sur place.
Toutefois, compte tenu de l'exiguïté du site, cette extension ne pourrait accueillir que certains services du tribunal de grande instance, l'ancien palais abritant alors le tribunal d'instance, le conseil des prud'hommes et les services du tribunal de grande instance qui ne seraient pas transférés, le tribunal de commerce restant sur son site actuel. C'est une opération compliquée, je le reconnais.
Le conseil général d'Eure-et-Loir, propriétaire des terrains concernés par ce projet d'extension, a bien voulu donner son accord sur la cession des parcelles correspondantes. La procédure d'acquisition foncière des terrains au profit de l'Etat a été achevée en janvier 2000.
S'agissant des travaux proprement dits, ce nouveau palais de justice devra faire l'objet d'une inscription en plusieurs étapes. L'opération sera réalisée en phases : d'abord, le déménagement provisoire des services actuels, ensuite, la construction d'une première tranche d'extension, puis la restructuration de l'ancien palais.
Les études de programmation sont en cours afin de respecter l'ensemble des règles urbanistiques, de consultation des personnes intéressées, de cohérence avec la ville et d'appel d'offres.
La possibilité d'extension à l'extérieur de la ville dont vous venez de me faire part me semble mériter une étude par mes services. Je dois dire que je n'étais pas informée de cette proposition de l'ensemble des élus de Chartres.
Au demeurant, lorsqu'on réalise une extension à l'extérieur d'une ville - je ne situe pas très bien l'emplacement de l'ancienne plate-forme aérienne dont vous parlez par rapport au coeur de ville - se pose souvent le problème des déplacements et de l'accueil. Or on ne se rend pas au palais de justice que de manière épisodique ; on peut y aller pour de nombreux actes de la vie courante qui relèvent des greffes. Il faut donc bien veiller à ce que l'installation hors de la ville de cette cité judiciaire soit une bonne chose pour les citoyens usagers, d'une part, pour la ville, d'autre part.
En effet, très souvent le départ de services publics vers les extérieurs urbains pose un problème d'animation des centres-villes. Les services publics sont souvent rassemblés dans les coeurs des villes, et nous nous mobilisons tous pour que ceux-ci conservent une activité publique permettant à l'activité privée de s'exercer dans de bonnes conditions.
Bref, je suis assez favorable à un examen avec les élus de la proposition que vous venez d'évoquer, à condition, bien sûr, de ne pas perdre trop de temps car, vous avez absolument raison sur ce point, les choses doivent avancer. Dans la mesure où les autorisations de programme sont inscrites, où les crédits de paiement seront dégagés tranche par tranche, nous ne devons pas repartir dans une consultation trop longue.
Aussi, je reprendrai contact avec les élus pour organiser une réunion avec le préfet. Dans la mesure où il s'agit de problèmes d'urbanisme, il me semble bon d'associer à notre travail le préfet, les services locaux et les services publics de l'Etat. Nous pourrons nous mettre d'accord avec le conseil général sur une option et nous y travaillerons dans le concret.
M. Gérard Cornu. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu. Madame la ministre, je vous remercie de votre pragmatisme. Notre souci à tous, élus locaux du département d'Eure-et-Loir, plus particulièrement de Chartres, est que les choses se fassent le plus rapidement possible. Ce dossier est ouvert depuis trop longtemps.
Bien évidemment, les propos que j'ai tenus devant vous, je les ai adressés à vos prédécesseurs, mais apparemment il y a un problème. Essayons de le résoudre d'une façon pratique. Je compte sur vous. Peut-être vous faudra-t-il aller sur le terrain pour vous rendre compte vous-même ? Mais vous êtes déjà venue à Chartres puisque vous avez inauguré Chartes Expo. La base aérienne est située entre ce site et le coeur de la ville, ce n'est pas si loin !
Pourrions-nous obtenir une réponse rapidement ? Je comprends bien qu'on ne puisse pas encore se lancer dans des études longues. Mais notre souci, à nous aussi est d'aller vite et j'ai peur que la solution envisagée actuellement ne fasse perdre beaucoup de temps à cause de toutes les contraintes que nous avons évoquées l'un et l'autre.

NOMBRE DES MÉDECINS ANESTHÉSISTES

M. le président. La parole est à M. Fournier, auteur de la question n° 936, adressée à Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.
M. Bernard Fournier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ma question s'adresse effectivement à Mme la secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le manque de médecins anesthésistes-réanimateurs dans les établissements hospitaliers, y compris les CHU, est patent. La santé des patients se trouve ainsi menacée par le manque de disponibilité des praticiens, dont les conditions de travail deviennent véritablement intenables.
Les pouvoirs publics ne semblent pas avoir saisi l'acuité et l'urgence de la situation qui parvient aujourd'hui à un point de blocage.
Dès 1985, les organisations professionnelles appelaient l'attention du ministre de l'époque sur la dangereuse pente de l'évolution démographique de la profession. Or à cette date, pourtant, 500 anesthésistes sortaient chaque année du cursus universitaire. Ils ne sont plus que 90 aujourd'hui ! Cela signifie que, pour chaque arrivée, il y a deux départs à la retraite.
Dans le même temps, le besoin en anesthésistes-réanimateurs augmente : la demande de la population est grande, car ces médecins interviennent bien sûr en chirurgie, mais aussi pour les endoscopies digestives, les maternités et les services d'urgence.
Dans la mesure où ils sont disponibles sept jours sur sept, jour et nuit, la gestion de leur planning devient un casse-tête inextricable lorsqu'il s'agit de tenir compte des repos obligatoires.
Je vous remercie donc, madame la secrétaire d'Etat, de bien vouloir m'indiquer la position du Gouvernement sur ce problème grave.
Je redoute en effet - mais j'espère que vous allez me rassurer - qu'il ne s'agisse là d'une méthode pour légitimer la fermeture de certains hôpitaux ou de certains services, et l'actualité me conduit à évoquer le sort du service mobile d'urgence et de réanimation, le SMUR de Feurs dans la Loire, sur lequel de graves menaces planent.
S'agit-il encore d'une technique pour diminuer l'offre de soins et maîtriser les budgets ou d'une erreur, d'une improvisation ?
Madame la secrétaire d'Etat, des mesures sont-elles diligentées pour accroître le nombre de médecins anesthésistes ?
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés. Monsieur le sénateur, vous avez appelé mon attention sur les difficultés rencontrées par un certain nombre d'établissements hospitaliers pour pourvoir les postes d'anesthésiste-réanimateur et vous avez souhaité connaître la position du Gouvernement sur ce point. Je remarque toutefois au passage que vous avez donné à votre question une tonalité quelque peu polémique qui ne me paraît pas de mise s'agissant de la sécurité des actes chirurgicaux.
Les difficultés de recrutement en anesthésie-réanimation, comme dans d'autres disciplines, sont bien connues du Gouvernement, et j'ai eu, à plusieurs reprises, dans cet hémicycle, l'occasion d'indiquer les dispositions que nous avons prises pour qu'il y soit remédié. Je rappelle que ces difficultés ont fait l'objet de différentes études, qui ont abouti à différentes mesures tendant à augmenter le nombre de spécialistes formés et à améliorer les conditions de travail et de rémunération des professionnels, afin de rendre plus attractive la spécialité qui fait l'objet de votre question.
Ainsi, en 1999, une filière spécifique de formation a été créée pour l'anesthésie-réanimation ; elle a pour objet de garantir la formation d'un certain nombre de médecins dans la spécialité. Cela a permis de porter le nombre d'anesthésistes formés de 150 en 1998 - et non pas de 90 comme vous l'indiquiez - à 182 en 1999, puis à 200 en 2000. Le renouvellement des effectifs, dont vous vous inquiétez, monsieur le sénateur, est donc assuré.
En ce qui concerne plus spécifiquement les médecins hospitaliers, à la suite des protocoles du 14 mars 2000, un certain nombre de mesures ont été prises ces derniers mois et sont mises en oeuvre progressivement. Il s'agit notamment de la création d'une indemnité de service public exclusif, pour les praticiens hospitaliers à temps plein n'exerçant pas d'activité libérale, qui ont donc choisi de se consacrer totalement à la médecine hospitalière, et d'une prime pour exercice multi-établissements, ce qui permet, par la constitution d'équipes, d'alléger la charge de travail induite par les permanences et la nécessité de répondre aux urgences 24 heures sur 24. Une revalorisation substantielle des émoluments, qui atteint 16 % en début de carrière, a également été effectuée.
Sans mésestimer le difficultés que vous avez évoquées, monsieur le sénateur, et qui persistent, nous pouvons néanmoins observer que, avec des effectifs qui atteignaient 8 500 au 31 décembre 1999, la densité des anesthésistes en France est de 14,1 pour 100 000 habitants, alors qu'elle est de 12 en Belgique, de 8,5 en Allemagne, de 9,9 en Suisse et de 6,7 aux Pays-Bas.
Ce constat montre bien que l'accroissement du nombre de médecins formés en anesthésie ne permettra pas seul de répondre au problème posé. Il est indispensable de repenser les modalités d'organisation et de travail dans la spécialité, de recentrer l'activité des anesthésistes sur l'essentiel des missions de leur discipline. Cela passe par la mise en place d'une programmation des tableaux opératoires, en concertation avec les anesthésistes - des instructions ont déjà été données dans ce sens aux établissements hospitaliers - mais également par un regroupement des sites opératoires, notamment dans les grands établissements, ainsi que par le développement du travail en réseau pour les plus petites structures, qui restent nécessaires pour la réponse de proximité.
Ce sont ces différentes actions que nous nous employons à mener pour apporter une meilleure réponse aux besoins des établissements. Il convient en effet d'améliorer les conditions de pratique de ces spécialistes dont nous avons absolument besoin, tout en les rassurant quant aux responsabilités médicales et juridiques qui pèsent sur eux et qui, à mon avis, ne sont pas complètement étrangères à la désaffection dont souffre cette discipline.
M. Bernard Fournier. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier. Madame la secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre écoute et de votre réponse. Sachez toutefois que nous resterons très vigilants s'agissant d'un problème qui intéresse l'ensemble des Français puisqu'il touche à la santé.

SITUATION DU PÔLE SANTÉ DE PRADES

M. le président. La parole est à M. Blanc, auteur de la question n° 959, adresée à Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.
M. Paul Blanc. Madame la secrétaire d'Etat, le 3 mars 2000, à l'occasion d'une question orale sans débat, je vous avais fait part de mon inquiétude quant au devenir de la clinique de Prades, eu égard, en particulier, à son manque de moyens. Vous m'aviez indiqué, d'ailleurs par la voie de M. le secrétaire d'Etat aux anciens combattants, qu'une révision tarifaire devait lui permettre d'obtenir les moyens nécessaires à son bon fonctionnement. Certes, cet établissement a obtenu, dans le cadre de l'enveloppe régionale, une augmentation de ses tarifs, mais celle-ci a été d'une ampleur tout à fait insuffisante au regard de sa mission de service public.
Depuis mars dernier, plusieurs événements se sont produits.
Premièrement, hélas ! le 30 novembre 2000, la maternité a fermé, l'agence régionale de l'hospitalisation, l'ARH, ayant exigé qu'un médecin accoucheur soit présent sur place, ce qui, compte tenu d'un nombre d'accouchements inférieur à 300, est totalement utopique. Je regrette qu'un accord avec la maternité de Perpignan n'ait pu être conclu, car cela aurait permis le maintien de la maternité.
Deuxièmement, la clinique a obtenu de la CROSS, la commission régionale d'organisation sanitaire et sociale, un avis favorable pour la création d'une UPATOU, une unité de proximité d'accueil, de traitement et d'orientation des urgences. L'ARH sera-t-elle en mesure d'accorder les moyens nécessaires à son fonctionnement ? J'en doute !
Troisièmement, avant-hier, le projet d'établissement que l'on avait demandé à l'hôpital rural de Prades d'élaborer a été entièrement rejeté.
Je pense que le pôle de santé de Prades peut encore être sauvé, à condition que l'on permette à la clinique de former un groupement de coopération sanitaire avec d'autres établissements privés de Perpignan.
L'hôpital doit pouvoir, lui aussi, bénéficier de mesures exceptionnelles, comme cela se fait actuellement, afin que les spécialités puissent y être exercées.
Madame la secrétaire d'Etat, avez-vous la réelle volonté d'accorder au pôle de santé de Prades les moyens de fonctionner et, si oui, êtes-vous prête à intervenir auprès de l'ARH afin de lui donner des instructions en ce sens ?
Permettez-moi, pour conclure, de rappeler ce que disait le général de Gaulle : « Là où il y a une volonté, il y a une voie. » Je crois qu'il est possible, en l'occurrence, de trouver une voie si l'on veut bien réunir tous les acteurs intéressés autour d'une table.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés. Monsieur le sénateur, ainsi que vous l'avez rappelé, le pôle de santé de Prades comporte un hôpital local et une clinique.
La clinique Saint-Michel, qui dispose de quarante-cinq lits de chirurgie et de quatre lits de médecine a été amenée à demander la transformation de ses huit lits d'obstétrique en lits de médecine. L'ARH a autorisé à l'établissement à porter ainsi à dix le nombre de ses lits de médecine, ce qui lui permet d'accroître ses capacités d'accueil.
Celles-ci viennent en complément de celles de l'hôpital local, qui doit, dans les années à venir, également assurer le développement des soins de suite et de réadaptation, des besoins non satisfaits ayant, à cet égard, été recensés dans le bassin de vie.
Par ailleurs, la création d'un centre périnatal de proximité n'a pas été considérée comme nécessaire, compte tenu du faible nombre de femmes concernées par un tel suivi.
Au demeurant, la ville de Prades dispose, en matière de protection maternelle et infantile, d'une consultation de qualité, avec des obstétriciens et des sages-femmes, deux sages-femmes libérales assurant en outre avec beaucoup d'efficacité et de conscience professionnelle l'accompagnement des femmes qui doivent être suivies.
La clinique de Prades présente une fragilité financière qui a conduit l'ARH à prendre d'importantes mesures visant à assurer la pérennité de cet établissement et à conforter ainsi le pôle sanitaire de Prades.
Tout d'abord, dans le cadre de la tarification au titre de l'année 2000, une revalorisation exceptionnelle a été opérée pour cette clinique, représentant une augmentation de 12,1 % de ses tarifs, afin de mieux prendre en compte sa situation particulière, notamment sa faible capacité et son isolement géographique. Cet effort sera poursuivi dans le cadre de la revalorisation annuelle des tarifs des cliniques au titre de 2001.
De son côté, la clinique a réalisé récemment la restauration complète de son bloc opératoire. Elle bénéficie d'une subvention du fonds de modernisation des cliniques au titre de l'année 2000, pour un montant de 280 000 francs.
Enfin, elle vient d'être autorisée à créer une UPATOU et bénéficiera dès lors, à partir de cette année, des nouvelles dispositions tarifaires liées à la création de la prestation « urgences » prévue par la loi de financement de la sécurité sociale de 2001, que vous n'avez certes pas votée, monsieur le sénateur, mais qui a néanmoins été adoptée par le Parlement.
Au total, loin de péricliter, le pôle de santé de Prades bénéficie de mesures importantes, mais celles-ci ne produiront tous leurs effets que dans le renforcement de la coopération entre l'hôpital et la clinique, coopération qui doit notamment permettre d'organiser les soins en cardiologie.
L'organisation des urgences sur le site de Prades doit également reposer sur une coopération forte entre l'hôpital local et la clinique, dans un réseau associant le centre hospitalier de Perpignan, qui assure la supervision de la sécurité dans ce secteur.
Il convient donc de poursuivre la concertation avec les autorités de tutelle - le directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation est, là, dans sa mission - afin de bâtir un projet qui réponde vraiment aux besoins de la population en concrétisant cette complémentarité qui est absolument indispensable.
M. Paul Blanc. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Blanc.
M. Paul Blanc. Madame le secrétaire d'Etat, vous comprendrez que votre réponse ne me satisfasse pas.
Tout d'abord, l'augmentation des tarifs de la clinique de Prades a été consentie à enveloppe régionale constante : il n'y a pas eu un sou de plus ! Cela signifie que les autres établissements privés ont dû accepter de voir leur part réduite. Bref, on leur demande de faire des sacrifices pour pouvoir accorder un peu plus à la clinique de Prades. Quand on connaît la différence entre les prix de journée selon qu'ils sont pratiqués à Prades ou à Perpignan, on se pose quelques questions !
Quant à l'hôpital, si l'on ne veut pas en faire un simple centre de gériatrie, il doit pouvoir accueillir des spécialistes, comme cela s'est fait pendant des années ; c'est même une impérieuse nécessité.
Lorsque des ménages veulent s'installer à Prades, leurs premières questions ont trait à l'équipement sanitaire de la ville, notamment aux capacités d'accueil des urgences. Il est évident que, si l'hôpital n'est plus qu'un centre de gériatrie, ce sera un véritable repoussoir pour les gens qui envisagent de venir éventuellement vivre à Prades.
En ce qui concerne l'UPATOU, je crains fort que les possibilités budgétaires ne permettent pas de la doter de tous les moyens nécessaires. C'est pourquoi des accords doivent être recherchés, notamment avec la clinique Saint-Pierre, à Perpignan, que la CROSS avait autorisée à créer une UPATOU mais qui n'a finalement pas pu le faire, l'ARH ayant préféré accorder cette autorisation à un autre établissement.
Tous ces problèmes ne peuvent être réglés que dans la concertation.
Et puis, il faut aussi prendre en compte leur dimension humaine. Bien sûr, les femmes de Prades peuvent aller accoucher à Perpignan. Mais, à Prades, elles ont souvent leur famille, leurs amies à proximité : en restant à Prades pour accoucher, elles se sentiront évidemment plus entourées.
En matière de santé, au-delà des aspects purement techniques, madame la secrétaire d'Etat, permettez-moi de le dire avec d'autant plus de coeur que je suis médecin, la dimension humaine est fondamentale.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Monsieur le sénateur, il ne s'agit nullement de sacrifier en quoi que ce soit les conditions humaines d'accueil des patients à l'hôpital, pas plus que la sécurité, qui est aujourd'hui une exigence tant des patients que des équipes médicales, et je pense être d'autant mieux comprise que je m'adresse à un médecin.
Vous dites que les augmentations tarifaires dont a bénéficié la clinique Saint-Michel ont été consenties au détriment des autres établissements privés de la région. Mais la politique de la dotation régionale globalisée vaut pour votre région comme pour les autres. C'est la mission du directeur de l'agence régionale d'hospitalisation que d'opérer les arbitrages qui conviennent et de faire accepter les politiques qu'il met en oeuvre sous l'autorité du ministre.
Les conditions de santé que vous évoquez pour les personnes qui viennent s'installer dans votre région, particulièrement à Prades, sont assurées justement par la mise en oeuvre de cette UPATOU, par la complémentarité entre l'hôpital et la clinique qui est encouragée et qui donnera ses fruits, par un fonctionnement en réseau avec l'hôpital général de Perpignan. A cet égard, vous avez tout lieu de rassurer les personnes qui s'inquiètent de la manière dont leur santé sera prise en compte.
En ce qui concerne la maternité, je connais bien l'attachement des élus à voir naître les enfants dans leur ville. On aurait tout intérêt, selon moi, à modifier les règles de déclaration à l'état civil, ce qui mettrait déjà un terme à un certain nombre de polémiques. Mais lorsque moins de trois cents femmes par an seulement décident d'accoucher dans une maternité, pensez-vous que les conditions de sécurité y soient assurées ? Moi, je ne prendrais pas le risque de maintenir une maternité dans de telles conditions. D'ailleurs les praticiens font le même raisonnement !
Je vous renvoie la question posée par votre collègue M. Fournier tout à l'heure : on voit bien que certaines pratiques médicales et professionnelles conduisent les praticiens, à cause des pressions médico-légales qu'ils subissent, à demander leur mutation pour ne plus exercer dans de telles conditions. Aujourd'hui, on ne peut pas maintenir en fonctionnement une maternité qui ne pratique que 280 accouchements par an. Je suis désolée d'avoir à vous rappeler cela !

CONDITIONS D'ATTRIBUTION DU MACARON GIC

M. le président. La parole est à M. Trémel, auteur de la question n° 937, adressée à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Pierre-Yvon Trémel. Je souhaite attirer votre attention, madame la secrétaire d'Etat, sur la situation des personnes handicapées ayant un taux d'invalidité inférieur à 80 % et titulaires d'une « carte station debout pénible ».
Ces personnes ne peuvent actuellement pas bénéficier du macaron GIC. Il est pourtant avéré que, dans un grand nombre de cas, la vie quotidienne de ces personnes serait considérablement améliorée si elles pouvaient bénéficier de certains avantages offerts par le macaron. Je veux citer, en particulier, le droit au stationnement réservé.
Aussi, tout en veillant à ne pas banaliser l'usage du macaron, et sans accorder les avantages fiscaux et sociaux qui en découlent, il serait souhaitable de permettre aux intéressés de stationner sur les emplacements réservés aux titulaires de la carte GIC.
J'aimerais donc, madame la secrétaire d'Etat, que vous nous indiquiez si des mesures sont envisagées dans ce sens.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés. En effet, monsieur le sénateur, les personnes handicapées ayant un taux d'invalidité inférieur à 80 % et titulaires d'une « carte station debout pénible » ne peuvent actuellement pas bénéficier du macaron « Grand invalide civil », GIC, que vous avez évoqué.
Le décret n° 90-1083 du 3 décembre 1990 fixe les conditions d'attribution de ce macaron en attribuant l'accès des emplacements réservés aux personnes handicapées ayant un taux d'incapacité d'au moins 80 %.
Par ailleurs, l'arrêté du ministre de la santé et de la sécurité sociale du 30 juillet 1979 permet aux préfets de délivrer aux personnes ayant un taux d'incapacité inférieur à 80 %, dont le handicap rend la station debout pénible, une carte portant la mention « Station débout pénible » ; celle-ci ne confère toutefois pas les mêmes avantages que ceux qui sont attachés à la carte d'invalidité mais elle permet d'accéder plus facilement à certains d'entre eux, réservés aux grands handicapés.
Les associations de personnes handicapées se plaignent de l'insuffisance des emplacements qui leur sont réservés et surtout du non-respect par les automobilistes de l'interdiction d'y stationner. Elles expriment aussi une certaine réserve à l'égard de mesures qui étendraient à d'autres catégories de personnes ayant des difficultés de mobilité l'usage de ces places réservées.
Nous devons accomplir un travail de médiation qui consiste, d'abord, à faire respecter les places de stationnement réservées, puis, à étudier les modalités d'accès ou d'extension de celles-ci aux personnes qui ont des besoins spécifiques, temporaires ou évolutifs et qui ne sont pas titulaires du macaron « Grand invalide civil ».
A l'occasion du récent débat sur le projet de loi de modernisation sociale qui a commencé la semaine dernière, l'Assemblée nationale a adopté une disposition tendant à étendre l'usage des places réservées aux titulaires de la carte « Station debout pénible ».
Lors de cette discussion, je m'en suis remise à la sagesse de l'Assemblée, car une telle évolution, pour louable qu'elle soit, ne doit pas porter préjudice aux personnes les plus lourdement handicapées auxquelles ces places sont destinées en priorité.
Je ne suis pas hostile à l'élargissement de la jouissance de ces places aux personnes qui ont une incapacité inférieure à 80 %. Encore faut-il que nous réussissions à changer certains comportements dans notre société de telle sorte que les places réservées aux personnes handicapées ne soient pas occupées par une voiture indûment stationnée à cet endroit.
M. Pierre-Yvon Trémel. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Trémel.
M. Pierre-Yvon Trémel. Madame la secrétaire d'Etat, je suis d'accord avec un certain nombre des points que vous venez de développer.
J'ai été amené à m'intéresser à ce problème après avoir rencontré des personnes de très petite taille qui sont dans l'incapacité de marcher au-delà de 150, voire de 100 mètres. Ainsi, lorsqu'elles vont faire leurs courses, elles sont très gênées de ne pas avoir accès aux emplacements réservés.
Je me réjouis que ce problème ait été abordé à l'occasion du débat relatif au projet de loi de modernisation sociale. Lorsque ce texte sera examiné par le Sénat, je suivrai attentivement les discussions. Je pense qu'en étant très prudent on peut trouver des solutions pour certains cas précis.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Monsieur le sénateur, la précision que vous venez d'apporter quant à l'origine de votre question montre bien que nous devons aussi revoir la notion de handicap. C'est pourquoi j'ai utilisé tout à l'heure l'expression de « besoins spécifiques ». On voit clairement que, bien qu'ayant des besoins spécifiques très particuliers, les personnes de petite taille ne sont pas considérées comme les personnes handicapées à mobilité fortement réduite.

FORMATION DES PROFESSEURS
AUX NOUVELLES TECHNOLOGIES
DE L'INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION

M. le président. La parole est à M. Demilly, auteur de la question n° 994, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale.
M. Fernand Demilly. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale et concerne la formation des professeurs aux NTIC - nouvelles technologies de l'information et de la communication - et le statut des aides-éducateurs en charge des NTIC dans les collèges.
Les départements, et en particulier le département de la Somme, dont je suis l'élu, fournissent un effort financier considérable en faveur de l'équipement des collèges en NTIC.
L'effort consenti par les départements en faveur de l'équipement des collèges en NTIC ne permettrait cependant pas d'aboutir à des résultats satisfaisants si le partenariat de l'éducation nationale faisait défaut.
En effet, un tel projet nécessite un effort de formation des professeurs avec, pour corollaire, des décharges de service.
Par ailleurs, la technicité des équipements mis en place, notamment dans l'espace multimédia de chaque collège, implique qu'un aide-éducateur prépare le matériel avant le cours et assure une présence technique de proximité de telle sorte que l'enseignant-utilisateur n'ait pas à régler de problèmes techniques pendant la classe, mais puisse bien consacrer l'intégralité de son temps au travail pédagogique.
Des aides-éducateurs remplissent actuellement cette mission dans nos collèges, à la satisfaction de tous. Ils ont, cependant, le statut d'emploi-jeunes, statut trop aléatoire au regard des équipements mis en place et de leurs missions.
Les NTIC constituent un élément de la politique gouvernementale en faveur de l'éducation. Monsieur le ministre, ne conviendrait-il pas de créer, dans la grille de la fonction publique de l'Etat pour l'éducation nationale, un grade permettant le recrutement de personnels qualifiés qui seraient aux NTIC ce que sont les aides de laboratoire aux disciplines telles que les sciences, par exemple ? Ces personnels seraient mieux formés, plus stables dans leur poste et assureraient ainsi une pérennité au dispositif mis en place.
Quelles sont donc les intentions du ministère de l'éducation nationale ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. Monsieur le sénateur, je vous demande tout d'abord d'excuser l'absence de M. Jack Lang, qui est retenu par une obligation impérative. Mais, ministre de la recherche, je porte moi aussi un intérêt tout particulier aux nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Comme vous le rappelez fort justement, les collectivités locales se sont très largement mobilisées pour la diffusion des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans notre système éducatif où elles sont tout à fait utiles. Les efforts financiers considérables que certaines d'entre elles ont consentis - parmi celles-ci, le département de la Somme dont vous êtes l'élu - ont contribué efficacement à la réussite du plan d'action du ministère de l'éducation nationale.
Au-delà des équipements matériels indispensables, l'effort doit également porter sur l'usage de ces technologies et sur leur utilisation au quotidien dans les établissements. Cela nécessite, en effet, que les professeurs maîtrisent eux-mêmes ce nouvel outil et que les conditions d'installation du matériel et d'assistance des professeurs soient optimales.
Je rappelle à cet égard que la formation des professeurs a reçu une attention toute particulière dans le cadre du programme d'action gouvernemental pour la société de l'information, le PAGSI, lancé par le Premier ministre en janvier 1998.
Par ailleurs, tous les instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM, ont fait l'objet d'un plan d'urgence pour mettre à niveau l'équipement et le contenu des enseignements. La composante « nouvelles technologies de l'information et de la communication » est ainsi complètement inscrite, et de façon officielle, dans la formation initiale des enseignants.
En outre, les plans académiques de formation des enseignants intègrent désormais ces technologies. Les professeurs peuvent donc y avoir accès dans le cadre traditionnel des dispositifs de formation continue. Les IUFM sont chargés d'assurer cette formation continue, ce qui répond à la demande des professeurs, qui est en constante augmentation.
Nous menons actuellement des expérimentations dans quatre académies - Besançon, Grenoble, Toulouse et Orléans-Tours - pour mieux définir les besoins en personnel d'accompagnement et pour pérenniser les postes et les personnes essentiels pour l'implantation des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans les établissements. Si ces expérimentations se révèlent positives, elles pourraient s'étendre à l'ensemble des académies.
Vous avez également raison, monsieur le sénateur, de signaler l'importance des « aides-éducateurs » dans ce dispositif. Les nombreux emplois-jeunes créés à cet effet ont fait la preuve de leur utilité. Ces jeunes ont permis de soulager les enseignants des tâches matérielles et d'organisation générées par l'installation et l'utilisation des équipements informatiques dans les classes et, comme vous le savez, le Gouvernement réfléchit actuellement sur le devenir de ces emplois-jeunes.
M. Fernand Demilly. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Demilly.
M. Fernand Demilly. Je vous remercie, monsieur le ministre, des éléments de réponse que vous m'avez apportés.
Je ne doute pas que vous-même, ainsi que le ministre de l'éducation nationale, soyez convaincus que le développement des NTIC bouleverse l'organisation économique et sociale actuelle. Les gagnants sont ou seront les pays, les territoires qui disposent d'accès aux réseaux à haut débit et dont la population maîtrise l'utilisation de ces technologies.
Mais l'initiation aux NTIC et leur pratique n'ayant pas lieu d'emblée chez les particuliers, il est impératif de créer une égalité d'accès pour tous dans les établissements scolaires, d'abord, dans des espaces multimédias mis en place par les structures intercommunales et ouverts à tous, ensuite. Se servir d'Internet est une donnée nouvelle incontournable. Tous nos élèves doivent savoir lire, écrire, compter... et surfer sur le web !
Je souhaite avec vous, monsieur le ministre, que les propositions que j'ai présentées soient très rapidement prises en compte par le ministère de l'éducation nationale, dans la suite des expérimentations que celui-ci mène actuellement.

RECHERCHE FONDAMENTALE SUR LES MALADIES RARES

M. le président. La parole est à M. Delfau, auteur de la question n° 963, adressée à M. le ministre de la recherche.
M. Gérard Delfau. Monsieur le ministre, je voudrais appeler votre attention sur la faiblesse des moyens financiers que mobilise notre pays pour la recherche fondamentale concernant les maladies rares.
Ces maladies, dont les mécanismes demeurent inconnus et qui frappent un nombre peu important de personnes - en comparaison, du moins, du cancer ou du sida - n'intéressent pas les grands laboratoires privés, en raison du marché étroit qu'elles représentent.
Les associations de bénévoles qui s'y consacrent, et auxquelles je veux rendre hommage en cet instant, avec l'appui de chercheurs et de médecins, se sentent « orphelines », pour reprendre une terminologie souvent utilisée. Or ces malades se comptent par dizaines de milliers. Ils souffrent, et parfois meurent, dans l'impuissance médicale presque totale. Eux-mêmes et leurs proches éprouvent un vif sentiment d'injustice, et parfois même d'abandon.
Il apparaît donc urgent que les pouvoirs publics inventent un mécanisme d'incitation à la recherche fondamentale et à la recherche appliquée, et y consacrent une part, fût-elle minime, du budget de l'Etat. Il serait en ce sens utile, sans doute, qu'un fonds spécial fût créé, avec des partenaires apportant des fonds privés, afin de remédier à cette situation vécue comme une mise à l'écart de la solidarité nationale.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. Monsieur le sénateur, je comprends le sentiment d'injustice, voire d'abandon, que peuvent ressentir les personnes frappées de ces maladies rares et leurs familles.
La recherche sur les maladies rares doit, comme vous le soulignez, bénéficier plus particulièrement de la solidarité nationale et, à ce titre, faire l'objet d'un effort croissant de l'Etat.
A travers des choix budgétaires, vous le savez, le Gouvernement donne la priorité aux sciences du vivant et de la santé. En 2000, la part consacrée à la recherche dans ce domaine atteint 14,7 milliards de francs, dont 8,6 milliards de francs consacrés à la recherche biomédicale. Cela permettra à l'INSERM, qui a un budget dont les autorisations de programme progresseront de 16 % en 2001, de mieux doter ses unités de recherche impliquées dans les recherches sur ces maladies rares, au moins une cinquantaine d'entre elles sur 250 au total.
Le ministère de la recherche a lancé, en 2000, un appel à propositions de projets scientifiques nouveaux et consacrés aux maladies rares, ou dites orphelines, avec l'AFM et l'INSERM. Je peux d'ores et déjà vous indiquer que cet appel d'offres sera bien sûr reconduit en 2001. L'AFM, l'INSERM et le ministère apportent chacun 2 millions de francs, soit 6 millions de francs au total. Cependant, nous savons qu'il faut sans doute multiplier ce chiffre par trois ou quatre si l'on inclut le salaire des personnels et les infrastructures.
Le développement de la recherche sur le génome que le ministère soutient fortement, et dont le budget s'accroît en 2001 - les crédits accordés à la génomique à partir du Fonds national de la science seront portés de 330 millions de francs en 2000 à 450 millions de francs en 2001, soit une augmentation de plus de 36 % - profite également aux maladies rares. Ainsi, le Centre national de génotypage de la génopole d'Evry exerce un rôle majeur dans la caractérisation génétique de beaucoup de ces maladies rares. Le Centre national de séquençage d'Evry y est également associé. Plusieurs génopoles en régions sont, elles aussi, impliquées dans des programmes de génétique humaine.
Le Centre national de séquençage prépare, dans le cadre du programme de génomique, une librairie exhaustive d'ADN complémentaires humains, c'est-à-dire des gènes présents dans le génome humain. Il s'agit d'un outil indispensable pour la poursuite des travaux de génomique et de post-génomique chez l'homme, particulièrement approprié à la recherche sur les maladies rares.
Un aspect essentiel de la recherche sur les maladies rares concerne la constitution et le maintien des bioressources, c'est-à-dire de matériels biologiques bien caractérisés, issus des patients. La direction de la technologie du ministère de la recherche lance en 2001, conjointement avec l'INSERM, un programme important d'aide au développement de telles banques.
Par ailleurs, la révision prochaine, qui sera soumise au Parlement, des lois relatives à la bioéthique est susceptible de favoriser la recherche sur la mise au point, dans des conditions soigneusement encadrées, de thérapies à partir de cellules embryonnaires humaines. Dans le cadre de l'action concertée incitative du ministère de la recherche intitulée « Biologie du développement », les programmes de recherche de ce domaine seront soutenus. C'est là une chance de mettre en place une recherche dont les perspectives d'application thérapeutique, pour beaucoup de maladies rares, sont prometteuses.
Ajoutons enfin que le vote par le Parlement européen, en 1999, d'une directive sur les « médicaments orphelins » donne la possibilité aux industriels de développer des médicaments destinés au traitement de maladies rares.
L'ensemble des ces mesures devrait permettre un essor des recherches sur les maladies rares, dont les retombées, en termes diagnostiques, mais aussi thérapeutiques, sont aujourd'hui envisageables.
Nous continuerons d'agir très activement dans ce sens, en concertation avec les associations caritatives et les bénévoles, et à l'écoute de leurs préoccupations, et sommes prêts à lancer de nouveaux projets en commun.
M. Gérard Delfau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le ministre, vous avez répondu avec beaucoup de précision et, permettez-moi de le dire, de coeur à une question dont le contenu financier n'épuise évidemment pas, et de loin, la portée.
Vous avez évoqué les sommes considérables qui sont allouées par l'Etat aux sciences du vivant. Vous avez mentionné ensuite le projet plus spécifique financé conjointement par l'Etat, l'AFM et l'INSERM et vous avez fait part de sommes qui, sans être négligeables, ne sont qu'une amorce, d'autant que l'AFM, dont je salue au passage l'action très remarquable, a elle-même un champ d'investigation qui n'épuise pas celui des maladies rares.
A ce sujet, je veux souligner la qualité du travail qui est accompli par l'association Alliance des maladies rares, regroupant des associations de bénévoles dans un organisme commun pour rendre plus cohérente la démarche et pour la porter auprès des pouvoirs publics. Encore une fois, cette action est particulièrement remarquable.
Cependant, au bout de tout cela, reste une question à laquelle vous n'avez pas forcément de réponse immédiate, monsieur le ministre, mais que je pose de nouveau avec force : où sont les laboratoires privés dans cette recherche fondamentale ? Il est tout de même stupéfiant et, du point de vue de la morale, peu compréhensible que seules les maladies frappant un grand nombre de personnes fassent l'objet d'une recherche privée et que nous n'arrivions pas à mettre au point un mécanisme incitatif qui entraîne un minimum d'implication des structures qui, d'une certaine façon, jouent un rôle essentiel, à l'échelon mondial, en ce qui concerne la santé humaine.
Il y a là, du point de vue de l'éthique et de l'efficacité, quelque chose qui n'est pas supportable pour les démocrates de toute la planète, et c'est sur ce point que je voulais insister ce matin. Ce que le Parlement européen vient de voter constitue peut-être une ouverture, permettant d'aboutir à un début de processus en ce sens. J'avoue que je suis mal renseigné sur les conséquences de ce dossier et je serais très heureux si vos services pouvaient m'aider à compléter cette information.
Par ailleurs, j'ai bien noté, et c'est très important même si cela est moins spectaculaire, l'effort que vous soutenez actuellement dans le domaine des banques de données et des bioressources. De nombreuses associations de bénévoles ont vu que la recherche fondamentale débutait par la collecte de ces informations, ce qui est tout à fait porteur pour l'avenir.
Enfin, dans le cadre de la discussion au Parlement des lois relatives à la bioéthique, nous serons bien sûr très soucieux de veiller à ce que ce domaine de développement de la recherche fondamentale concernant ces maladies peu connues soit non pas entravé mais facilité par les dispositions législatives que nous prendrons.
Merci en tout cas de votre réponse et du travail que vous faites ! Je tenais à le dire de nouveau à la fin de cette intervention.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche. Je voudrais remercier M. Delfau des paroles qu'il a bien voulu prononcer. La recherche sur les maladies rares et leur traitement est effectivement un impératif éthique et un problème de solidarité. La santé doit exister au bénéfice de tous.
Je souhaite, comme vous, monsieur le sénateur, que la recherche privée prenne une place plus importante face à ces problèmes qui sont considérables. Les réseaux de recherche et d'innovation technologique que le ministère de la recherche a créés sont un des moyens d'attirer la recherche privée vers un effort accru. Ils associent recherche publique et recherche privée. Ainsi, dans le réseau GenHomme, qui, comme vous le savez, est consacré à la génomique humaine, la recherche privée est en quelque sorte tirée vers le haut par la recherche publique pour consentir davantage d'efforts et pour réaliser des synergies.
Je voudrais terminer sur une note d'espoir face à ces problèmes si douloureux. Les thérapies géniques sont au tout début de leur première réussite, qui a été réalisée en France à l'hôpital Necker par le professeur Fischer, lequel a réussi à guérir des « enfants bulles » par la thérapie génique. La thérapie cellulaire commence à donner des résultats significatifs, notamment pour le traitement d'une maladie rare, la maladie de Huntington, qui a pu être traitée par la greffe de cellules d'origine foetale à l'hôpital Henri-Mondor par l'équipe de Marc Peschanski.
Je pense donc que dans les années à venir, en ce qui concerne tant la thérapie génique que la thérapie cellulaire, on fera des progrès tout à fait considérables pour le traitement de ces maladies rares. Le fait d'apporter à celles-ci une solution constitue, je le répète, un impératif éthique et un impératif de solidarité nationale.

AIDES AU MAINTIEN ET AU DÉVELOPPEMENT
DES MÉTIERS D'ART

M. le président. La parole est à M. Mouly, auteur de la question n° 889, adressée à M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation.
M. Georges Mouly. Monsieur le secrétaire d'Etat, chacun sait que les métiers d'art occupent une place particulière dans le monde des entreprises, tant à Paris que dans les régions.
Pourtant, la définition de ces métiers reste très difficile. En effet, il n'existe pas, à ma connaissance, de liste exhaustive et ils recouvrent des matières, des activités, des techniques aussi différentes que la pierre, le bois, les végétaux, et beaucoup d'autres. Dans mon seul département, on estime que sont ainsi concernées huit cent à mille entreprises, soit mille cinq cents à deux mille personnes.
Or une entreprise d'art, et c'est l'une de ses caractéristiques, n'est que très difficilement rentable. En effet, la complexité du travail, la spécificité de l'oeuvre réalisée et, avant tout, le temps passé à la réalisation ne peuvent être qu'imparfaitement pris en compte, commercialement parlant, ce qui conduit ces entreprises à effectuer une facturation ne répondant pas, la plupart du temps, au strict coût de revient réel engagé. Et c'est bien normal puisque l'artisan d'art est un artiste et que sa créativité ne peut se mesurer comme celle des autres artisans. Quand est organisé tel ou tel festival de musique ou de théâtre, la prestation proposée est estimée à un coût qui ne prend pas en compte le travail personnel accompli tout au long de sa vie par un musicien ou par un comédien. Il en va de même d'un tailleur de pierre, d'un souffleur de verre, d'un potier ou d'un graveur, qui fournit et commercialise cette chose diffuse et insaisissable qu'est le talent.
D'où la difficulté, pour ces entreprises, d'établir une stratégie commerciale, d'investir, de transmettre le savoir-faire, de former des compagnons afin de favoriser la créativité personnelle pour que notre société, si elle voit le triomphe des technologies les plus poussées - et c'est heureux ! - n'oublie pas la richesse de la tradition gestuelle.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ma question est donc la suivante : est-il possible d'envisager une modification - c'est plus facile à énoncer qu'à réaliser, j'en conviens - de la législation et de la réglementation régissant ces métiers, qui sont aussi des arts ? Ne pourrait-on, par exemple, accorder aux artisans d'art les mêmes avantages fiscaux qu'aux artistes-interprètes ? Ne pourrait-on encore prévoir des mesures d'accompagnement pour contribuer au maintien de certaines activités, comme cela se fait pour certaines activités agricoles ? Ne pourrait-on enfin améliorer les aides à l'apprentissage pour faciliter tant la formation que la reprise des entreprises ? Voilà autant de points, monsieur le secrétaire d'Etat, qui, selon moi, méritent une réponse de la part de l'ensemble des décideurs, c'est-à-dire les collectivités locales, les chambres consulaires, mais avant tout l'Etat.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Patriat, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation. Monsieur le sénateur, j'ai beaucoup apprécié votre plaidoyer en faveur des métiers d'art qui, vous avez raison de le dire, participent à l'image emblématique de la France, parfois même à sa capacité exportatrice, et qui, dans le même temps, au-delà du savoir-faire et du talent qu'ils développent, concourent aussi à l'aménagement du territoire, à son développement et à son maintien.
A la fin de votre propos, vous avez évoqué le problème des collectivités locales. Je sais que, dans votre département, les artisans d'art, qui savent à la fois innover et transmettre un savoir-faire, sont nombreux.
J'ai souvent coutume d'opposer, à titre personnel, cette réelle économie, qui repose sur la transmission de nombreux talents, à l'économie virtuelle dont on parle aujourd'hui.
Elu local comme vous, je préside une communauté de communes, et j'ai créé une maison de pays, qui est d'abord et avant tout la maison des artisans d'art.
L'aide de l'Etat et celle des collectivités locales doivent être complémentaires, et ce dans la formation, dans la transmission. C'est à cet égard que j'ai rencontré à plusieurs reprises - et hier soir encore -, tant à Paris qu'en province, le président de la SEMA, la société d'encouragement aux métiers d'art.
Le Gouvernement, en particulier le secrétariat d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation, consacre tous les ans un budget spécifique important à soutenir des actions en faveur des métiers d'art, qui prennent en compte, dans une grande diversité de métiers, à la fois la dimension de la création et celle des savoir-faire, à la fois traditionnels et novateurs.
La société d'encouragement aux métiers d'art, association reconnue d'utilité publique, dont les moyens de fonctionnement sont assurés par le secrétariat d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation, développe également des activités de soutien aux artisans d'art, pour la conservation et la promotion du patrimoine technique culturel des métiers d'art, la formation aux métiers d'art, ainsi que l'information des professionnels et le développement de leurs entreprises.
Les artisans d'art bénéficient des mesures décidées par le Gouvernement pour favoriser le développement et la création des très petites entreprises.
Des programmes particuliers de soutien aux artisans d'art sont mis en place progressivement dans les régions, avec l'aide des collectivités locales, comme vous l'évoquiez.
La création d'emploi dans ces métiers d'art est encouragée par des mesures spécifiques de formation des jeunes et par un soutien actif aux chefs d'entreprise qui transmettent leur « tour de main » à un apprenti.
Enfin, des actions toutes particulières de promotion sont multipliées pour pérenniser la reconnaissance des métiers d'art en France et pour favoriser leur exportation à l'étranger.
J'ai récemment visité une entreprise de fabrication de vitraux d'art qui m'est chère. Ces entreprises, qui sont très rares en France, doivent être conservées.
Au-delà de ce que M. Huwart et moi-même allons entreprendre afin de développer le marché à l'export des métiers d'art français, ce sont les collectivités locales qui, en sauvegardant le patrimoine, contribuent les premières à maintenir les métiers d'art. Ainsi, j'ai vu sur des chantiers de restaurations d'églises romanes travailler des charpentiers, des tailleurs de pierres, des restaurateurs de vitraux, des ébénistes, qui savent recréer avec talent ce patrimoine pour lequel l'ensemble des concours publics doivent être réunis. Il s'agit d'un soutien actif de la part de l'ensemble de la collectivité. M. le Premier ministre et M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ont accepté d'élaborer une loi d'orientation pour l'artisanat et la petite entreprise. Cette loi prendra en compte vos propositions relatives à l'environnement financier et économique, à la formation et au statut qui doivent concerner tout particulièrement ces métiers d'art.
Permettez-moi de citer un autre exemple qui m'a beaucoup étonné. Visitant hier le salon Intersuc, j'ai pu me rendre compte des réalisations des artisans de bouche : la coupe de France des métiers de bouche, pour laquelle concouraient des représentants de nombreux pays, y compris les plus éloignés, tel le Japon, a constitué une véritable révélation pour moi.
J'ajoute que les métiers d'art font aussi appel aux technologies modernes. Ainsi, le président de la SEMA, qui possède lui-même une entreprise extraordinaire de réhabilitation des tapisseries, fait appel aux technologies les plus nouvelles et travaille avec l'ANVAR. Par conséquent, derrière ces métiers, on retrouve le savoir-faire, la technique, les nouvelles technologies, l'économie et l'emploi.
M. Georges Mouly. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Mouly.
M. Georges Mouly. Monsieur le secrétaire d'Etat, je n'ai pas eu l'occasion à ce jour de saluer oralement votre nomination à la tête du secrétariat d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation. Je le fais aujourd'hui, souhaitant que, dans l'exercice de ces responsabilités, vous permettiez à ce secteur de l'économie réelle de connaître le succès qu'il mérite.
J'avais apprécié la teneur, la rapidité et le caractère circonstancié de votre réponse à une demande que j'avais formulée concernant les revenus du régime fiscal ouvrant le bénéfice de l'allocation spécifique de solidarité. Je tiens à vous remercier de la réponse que vous avez apportée à la question de ce jour, également précise et circonstanciée.
Vous reconnaissez bien évidemment l'importance du secteur des métiers d'art, importance dont nous sommes tous conscients, surtout dans les départements ruraux. Vous avez souligné l'aide nécessairement complémentaire accordée par l'Etat et par les collectivités locales. Effectivement, nombre de départements - c'est notamment le cas du mien - participent au maintien et au développement de l'artisanat d'art.
Vous avez rappelé le soutien à la création, à la formation, les mesures spécifiques, les programmes particuliers, etc. Tout le volet des dispositions prises en faveur de l'artisanat d'art n'est, à mon avis, pas suffisamment connu. Et je voudrais, en cet instant, vous féliciter d'avoir convaincu M. le Premier ministre d'accepter que soit discuté un projet de loi d'orientation pour l'artisanat et la petite entreprise.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Georges Mouly. J'espère beaucoup, comme la plupart de mes collègues ici, de la discussion de ce texte, qui nous donnera sans doute l'occasion de rappeler le problème des artisans d'art.
M. François Patriat, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Patriat, secrétaire d'Etat. Je vous remercie, monsieur le sénateur, de vos propos et je précise que le sujet des artisans d'art a passionné l'ensemble de mes prédécesseurs. Ainsi, pour en avoir parlé avec Michel Crépeau et François Doubin, ainsi qu'avec Marylise Lebranchu, je sais qu'ils se sont beaucoup penchés sur ce dossier. Il s'agit bien là d'un sujet transpolitique, et je ne connais pas d'élu qui, aujourd'hui, n'étudie pas cette question. J'espère, pour ma part, mener une action toute particulière en direction des métiers d'art non seulement par le biais de la future loi d'orientation, mais aussi par un dialogue constant avec ces artisans, afin de parvenir, si je peux m'exprimer ainsi, à faire du « cousu main » en faveur de ces métiers.

FONCTIONNEMENT DU FONDS D'INTERVENTION
POUR LA SAUVEGARDE DE L'ARTISANAT
ET DU COMMERCE

M. le président. La parole est à M. Teston, auteur de la question n° 954, adressée à M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation.
M. Michel Teston. Monsieur le secrétaire d'Etat, une circulaire relative à la mise en oeuvre du fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce, le FISAC, prévoit que les opérations rurales collectives et les opérations urbaines collectives doivent faire l'objet d'un financement à parité entre l'Etat et les collectivités territoriales.
Si l'intervention des collectivités territoriales, au cours de la phase d'étude du tissu artisanal et commercial local, ne soulève aucune difficulté particulière, il n'en est pas de même en ce qui concerne les moyens apportés pour la phase plus opérationnelle dite de l'« amélioration ».
En effet, les dispositions des articles L. 1511-1 à L. 1511-4 du code général des collectivités territoriales, ajoutées à celles des décrets n° 82-806 à 82-808 du 22 septembre 1982, interdisent toute intervention directe des départements et des communes ne constituant pas un complément à une aide régionale réglementée.
Or le recours à ces aides - la prime régionale à l'emploi, la prime régionale à la création d'entreprise, des prêts, des avances et des bonifications d'intérêt - est très rare dans ce type d'opération, car les conditions posées par les décrets cités sont rarement réunies. En effet, la création d'emploi devrait être permanente, ce qui n'est presque jamais le cas.
Par ailleurs, je tiens à rappeler que le juge administratif considère que le transit d'une aide directe par un organisme relais ne modifie en rien sa nature.
Par conséquent, cette situation conduit nombre de collectivités à consentir, dans le cadre des opérations rurales ou urbaines collectives, des aides directes dont l'illégalité est patente.
Quant aux aides indirectes qui, elles, sont possibles, elles sont difficiles, voire impossibles du fait de la modicité des opérations.
Aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, eu égard aux impasses juridico-pratiques auxquelles se heurte l'intervention à parité des départements et des communes avec l'Etat dans le cadre de ces opérations, je souhaite savoir quelles sont les solutions envisagées à court terme sur cette question par le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Patriat, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation. Monsieur le sénateur, les interventions des collectivités locales dans le cadre des opérations de sauvegarde de l'artisanat et du commerce relèvent de l'application d'un dispositif législatif et réglementaire.
C'est en effet la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989 relative au développement des entreprises commerciales et artisanales et à l'amélioration de leur environnement économique et juridique et social ainsi que son décret d'application du 27 octobre 1995 qui fixent le cadre juridique légitimant l'intervention des communes, notamment.
L'esprit de ces textes et les termes de la circulaire du 21 juin 1999 relative au fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce, qui est, aujourd'hui, un élément important du financement de la redynamisation du commerce en milieu rural et en milieu urbain, inscrivent ces interventions dans le cadre d'une logique de projet global de revitalisation du tissu artisanal et commercial dans les zones urbaines ou rurales, fragilisées par des évolutions économiques et sociales défavorables.
Cette démarche exclut, en conséquence, une simple logique de « guichet » qui conduirait à la délivrance d'aides financières de la part de l'Etat sans contrepartie des collectivités locales et milite pour que des interventions s'effectuent à parité. Je précise bien qu'il s'agit là du financement par le FISAC, les aides directes aux entreprises relevant d'une autre logique.
L'un des intérêts essentiels du dispositif juridique du FISAC, tel qu'il est interprété et appliqué par les collectivités et l'Etat, réside dans le montage de partenariats et dans la mise en oeuvre d'un projet de revitalisation associant tout à la fois, outre les collectivités publiques, les associations de commerçants, les chambres consulaires et les entreprises.
Cette synergie permet de maintenir un service de proximité auprès de la population là où l'existence de commerçants et d'artisans est menacée.
Ce dispositif et cette méthode d'approche des problèmes urbains et ruraux connaissent un vrai succès auprès des collectivités locales, si j'en juge par le nombre de dossiers déposés au secrétariat d'Etat et par tous ceux dont j'ai eus à discuter, à débattre et à instruire.
C'est vrai, sans doute faudrait-il trouver des mesures de simplification. Vous savez qu'une réflexion est engagée sur le FISAC et que moi-même, lors du débat sur le budget du commerce et de l'artisanat, j'ai souhaité dans cette enceinte - j'en ai fait part au Premier ministre et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - que nous puissions débattre de l'évolution de cette enveloppe, qui est parallèle à l'évolution de ses ressources, afin que nous puissions répondre à une demande de plus en plus forte à l'endroit d'un dispositif qui rencontre aujourd'hui un vrai succès.
Bien entendu, les collectivités locales, particulièrement les communes, interviennent dans le respect des règles fixées aux articles L. 1511-1 à L. 1511-4 du code général des collectivités territoriales.
Le plus souvent, l'apport de la collectivité consiste en l'achat ou la réfection de locaux à destination de commerces de proximité ou l'octroi de baux à taux concessionnel. Il ne s'agit donc pas d'aides directes ou de primes aux repreneurs, ces dernières restant l'apanage des départements et des régions.
M. Michel Teston. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le secrétaire d'Etat, je prends acte de la réponse que vous m'avez apportée.
Vous avez bien fait de rappeler le cadre législatif et réglementaire dans lequel interviennent les départements et les communes. Vous avez aussi expliqué les raisons d'être de la contrepartie, à savoir l'intervention à parité des collectivités territoriales et de l'Etat.
Néanmoins, je crois qu'il faut bien distinguer deux catégories d'interventions. Il y a d'abord celles qui portent sur les aides indirectes et qui ne soulèvent pas de difficulté, sauf celle que j'ai mentionnée dans ma question, à savoir que peu nombreux sont les cas où l'on peut apporter une aide directe, compte tenu du fait qu'il y a rarement création d'emplois permanents. Et puis il y a toute une série d'autres interventions, qui correspondent effectivement à des aides apportées par les collectivités territoriales et qui, elles, soulèvent une difficulté majeure.
La paradoxe sur lequel je veux insister, c'est que, alors que l'opportunité de l'intervention des collectivités est évidente, ce qui explique le nombre très important de dossiers déposés au secrétariat d'Etat, il y a à la fois une régularité de cette intervention au regard du droit communautaire et une irrégularité au regard du droit interne.
J'ajoute que, à mon sens, pour avoir vérifié la jurisprudence, il n'est pas possible, en l'état actuel des textes, de régulariser de telles interventions. Il faudrait donc approfondir la réflexion sur ce point, de manière à apporter une base légale à toutes ces interventions des collectivités territoriales qui sont justifiées au regard de l'amélioration du tissu artisanal et commercial local.
M. François Patriat, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Patriat, secrétaire d'Etat. J'ai bien compris la difficulté que vous évoquez à juste titre, monsieur le sénateur, pour être moi-même maire d'une petite commune rurale.
Je mesure aussi le fait que cette contrepartie, cette logique de projet, s'oppose à une logique de guichet vers laquelle seraient tentés de se tourner les élus. Ce que je me dis à moi-même, ce que je dis à mes collègues élus sur le territoire bourguignon, c'est que nous ne devons pas, nous élus, nous transformer en managers, en créateurs d'emplois, notre rôle se bornant à créer les conditions de l'emploi dans le respect des règles que vous avez rappelées.
La pérennité des emplois, que vous souhaitez, peut être atteinte par d'autres moyens destinés à aider les collectivités locales. Je pense, en particulier, à la dotation de développement rural, la DDR, qui a comme critère éminent la création d'emplois durables.
J'ai bien entendu que la réflexion ne devait pas s'arrêter là, parce qu'il y a des distorsions de fonctionnement auxquelles vous voulez que l'on remédie. Je m'engage, monsieur le sénateur, à ce que la réflexion soit poursuivie à la fois dans le cadre de la décentralisation et dans celui de notre action en matière budgétaire.

INFORMATION DES MAIRES DES PETITES COMMUNES
SUR LE PASSAGE À L'EURO

M. le président. La parole est à M. Goulet, auteur de la question n° 991, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Daniel Goulet. Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai lu avec beaucoup d'intérêt, dans Les Notes bleues de Bercy que nous venons de recevoir, la lettre qui concerne l'euro. Il y est indiqué fort pertinemment ce qui peut être fait pour tous ceux qui vont être directement concernés par le changement de monnaie. Il y est dit que « L'euro, c'est plus facile ensemble » - la formule est intéressante ! - et que, au titre des relations qui peuvent être établies entre le ministère et tous les acteurs de la vie économique, quatre phases de communication sont indispensables, l'intention du ministère étant d'impliquer tout le monde dans la campagne de communication.
Or, je me demande si vous n'avez pas omis de faire figurer parmi les partenaires incontournables les élus locaux, notamment les maires, voire les secrétaires de mairie des communes rurales, celles qui ont le moins de moyens, donc le plus besoin d'êtres aidées, d'être informées, celles où la mairie est le lieu de rencontre avec les administrés qui demandent un conseil, un renseignement.
Habituellement, les documents qui nous sont communiqués dans les mairies sont complexes, difficiles d'accès. Qu'en sera-t-il en l'espèce ?
Par ailleurs, il est dit dans le document que vous nous avez fait parvenir que l'heure est à la mobilisation, que déjà des collectivités locales, des conseils généraux, des conseils régionaux, des trésoriers-payeurs généraux, des associations de maires ont pris des initiatives fort heureuses. Le ministère entend-il soutenir ces initiatives de façon que les maires des communes rurales, qui ont besoin d'informations et d'outils pédagogiques, puissent participer à cette grande campagne que vous avez lancée et dont nous tenons à vous remercier ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Patriat, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation. Monsieur le sénateur, vous avez raison, ce chantier de l'euro, que certains prennent à bras-le-corps, que d'autres veulent occulter, est l'un des dossiers importants que nous avons à traiter dans les onze mois qui restent avant que les commerçants ne soient attributaires de la nouvelle monnaie.
Ce chantier doit impliquer, mobiliser tout le monde : les élus locaux, mais aussi les forces vives de la nation, les pouvoirs publics, j'allais dire l'ensemble des responsables économiques. Tel a été le cas des experts-comptables, par exemple, que j'ai rencontrés la semaine dernière.
Les maires des communes rurales seront d'abord impliqués pour la gestion de leur commune, de leur budget. Comme tous les maires de France, ils ont reçu un guide consacré à la préparation des collectivités locales à l'euro, ainsi que d'autres documents, le dernier étant consacré aux orientations nationales pour l'introduction des pièces et des billets en euros.
Vous avez raison, il faut accroître cet effort et aider les communes rurales à effectuer ce passage à l'euro dans de bonnes conditions.
Ainsi que cela a été relevé dans une enquête menée par la direction de la comptabilité publique, dans les communes de moins de 3 500 habitants, outre les publications déjà disponibles, il est ressenti un réel besoin de documents encore plus synthétiques et plus opérationnels. M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a donc demandé que l'on procède à une telle adaptation des documents existants, depuis le « Guide de l'élu local » jusqu'aux textes plus récents.
Des actions, vous le savez, sont déjà lancées en direction des personnes âgées. Dans les semaines à venir, les maires recevront en de nombreux exemplaires un « Guide officiel du passage à l'euro » ; c'est un dépliant très lisible et pédagogique, qui explique à nos concitoyens le calendrier du passage à l'euro et ses modalités.
De manière plus générale, nous avons souhaité que l'année qui nous sépare encore du passage à l'euro soit utilisée au mieux, notamment pour confirmer le caractère exemplaire des administrations publiques. Et pour bon nombre de nos concitoyens, leur administration, c'est d'abord leur maire et leur secrétaire de mairie. Nous ferons tout pour que ceux-ci soient, pour leurs administrés, les « guides de l'euro » que ces derniers s'attendent à trouver dans les mairies, notamment grâce aux documents que nous avons élaborés et que nous serons en mesure de leur faire parvenir dans les semaines à venir.
Je participe avec M. le ministre de l'économie et des finances aux réunions sur l'euro « pratique ». Je m'en suis notamment entretenu, sur le terrain, avec les associations de consommateurs, qui, elles aussi, souhaitent jouer un rôle citoyen et nous aider, aux côtés des élus locaux, à réussir ce formidable pari qui, je l'espère, favorisera le développement et de l'Europe et de notre économie.
M. Daniel Goulet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Goulet.
M. Daniel Goulet. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de vos propos, et notamment de l'assurance que vous venez de nous donner que les maires seront des partenaires privilégiés sur le terrain, qu'ils y seront les meilleurs relais des élus nationaux et du ministère.
Mais, vous l'avez bien compris ; pour être efficaces, les documents pédagogiques devront être simples, lisibles. Ne serait-ce que pour cela, le dialogue que nous avons eu aujourd'hui n'aura pas été inutile.

PLAN D'ADAPTATION VITICOLE
DE LA RÉGION DE COGNAC

M. le président. La parole est à M. Raffarin, auteur de la question n° 943, adressée à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le ministre, ma question porte sur le dossier du cognac.
Les graves difficultés de ce vignoble ne datent pas d'aujourd'hui. Elles touchent une partie du département de la Charente, une partie du département de la Charente-Maritime, mais, au fond, c'est le patrimoine économique et social de toute une région qui est en jeu.
Ces difficultés ont fait l'objet d'une très forte mobilisation dans la période récente. Des initiatives ont été prises, qui se trouvent en quelque sorte rassemblées dans le plan d'adaptation du vignoble charentais. Les professionnels, à qui l'on a très longtemps reproché de ne pas prendre leur avenir en main, se sont longuement concertés pour bâtir ce plan. Vous-même, monsieur le ministre, avez fait preuve de disponibilité et de volontarisme sur ce dossier, tout comme le Président de la République, qui est venu, sur place, travailler avec les professionnels. L'ensemble des collectivités territoriales se sont mobilisées. Si donc rien n'est parfait, ce plan d'adaptation du vignoble charentais a tout de même concentré sur lui beaucoup d'énergie.
Hélas ! l'Union européenne a jugé cette démarche illégale. Ainsi s'est ouvert un contentieux entre l'Europe et le gouvernement français.
Nous avons appris avec satisfaction, monsieur le ministre, que, dans le cadre de ce contentieux, la France avait engagé un recours devant la Cour de justice des Communautés européennes. La requête a été enregistrée au greffe de la cour le 18 décembre dernier.
C'est donc là la démarche suivie pour essayer de sortir de ce contentieux par le haut.
Mes questions sont simples, monsieur le ministre. Quels sont les points principaux de la requête du Gouvernement ? Le Gouvernement souhaite-t-il relancer le plan « Cognac » sur une base réellement tripartite, c'est-à-dire Etat, Europe et acteurs locaux ? Quelles initiatives le Gouvernement souhaite-t-il prendre dans la phase transitoire avant la décision de la Cour de justice ? Enfin, confirmez-vous que les viticulteurs qui ont déjà reçu des aides n'auront pas à les rembourser ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur Raffarin, je suis très heureux d'avoir à répondre à votre question, d'autant que l'actualité nous a déjà permis d'entamer le dialogue par voie de presse ces dernières semaines. Cela me donnera l'occasion d'apporter tous les éclaircissements nécessaires, car je souhaite que la transparence soit la plus totale sur ce sujet.
Vous l'avez dit, le Gouvernement porte une grande attention au vignoble de la région délimitée de Cognac, à l'origine d'un produit d'appellation d'origine contrôlée de réputation mondiale et qui constitue une richesse à la fois économique et patrimoniale pour notre pays.
La viticulture charentaise a effectivement été confrontée, ces dernières années, à une réduction de ses débouchés au cognac qui a entraîné un certain nombre de difficultés.
C'est pourquoi le Gouvernement a bâti, avec les professionnels concernés, un plan d'adaptation de la viticulture charentaise que j'ai présenté lors de ma visite à Cognac, le 23 juin dernier. Je dois dire qu'à cette occasion j'ai été très agréablement surpris de voir à quel point la profession, qui s'était longtemps déchirée, divisée, opposée sur les solutions à mettre en place, s'était réunie autour de ce plan sur lequel nous avons travaillé conjointement. Cela laisse bien augurer de l'avenir.
Les trois éléments autour desquels s'articule ce plan sont : premièrement, une meilleure gestion des hectares destinés et une maîtrise des rendements ; deuxièmement, une reconversion raisonnable de 5 000 hectares vers des vignobles de qualité ; troisièmement, une adaptation du potentiel par la mise en oeuvre d'une prime d'arrachage appropriée.
Jusqu'à l'année 2000, cet effort de reconversion a été soutenu par le seul régime national de reconversion du vignoble. Pour la campagne 1999-2000, ces aides sont en cours de versement - je vous confirme qu'elles seront bien versées - et c'est cela qui est le plus important pour les vignerons des Charentes.
Ces aides ont été contestées par la Commission européenne, c'est un fait, mais la France a saisi, comme vous l'avez dit, le 15 décembre 2000, la Cour de justice d'une requête en annulation de cette décision. C'est la Cour de justice qui dira le droit. Je vous ferai parvenir, monsieur le sénateur, puisque vous me l'avez demandé, les tenants et aboutissants de notre requête devant la Cour de justice européenne. Là aussi, je veux en effet faire preuve de la plus grande transparence.
Avec l'entrée en vigueur de la nouvelle organisation commune du marché du vin, nous avons obtenu un engagement communautaire de 104 millions d'euros en faveur de la restructuration et du réencépagement de l'ensemble des vignobles français. Il s'agit d'un effort très important dont, bien entendu, la région délimitée de Cognac pourra bénéficier comme les autres régions viticoles françaises.
Le Gouvernement a donc aussitôt saisi la Commission européenne d'un projet global pour cette région, qui doit en effet pouvoir pleinement bénéficier du régime communautaire à raison de 35 000 francs par hectare. Ce montant exclut tout cofinancement national.
Parmi les mesures prioritaires à mettre en oeuvre dans ce projet figure un programme de reconversion de 1 000 hectares par an entre 2000 et 2006 qui sera mis en place dès la campagne 2000-2001. Les opérations conduites à partir du printemps 2001 pourront donc bénéficier du nouveau régime communautaire.
Le programme d'adaptation du vignoble charentais en cours de négociation avec la Commission européenne devra inclure également un volet d'abandon définitif primé avec la Commission européenne. L'ensemble de ces actions pourra être financé conjointement par l'Etat et les collectivités territoriales grâce à un engagement de l'ONIVINS parallèle au contrat de plan Etat-région, que vous connaissez bien.
Voilà, monsieur le sénateur, quelques premiers éléments. Vous voyez que je n'ai rien caché dans cette affaire, puisque ce que nous avons porté à Bruxelles, c'est ce à quoi nous nous étions engagés, qui avait été mis au point avec les professionnels, et que je n'ai non plus rien travesti, puisque, effectivement, la Commission a contesté nos dispositions, mais que la Cour européenne dira le droit. Cela n'arrive pas tous les jours, mais cela arrive fréquemment. C'est aussi une de nos manières de fonctionner couramment qui nous permettra d'y voir plus clair à l'avenir.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je prends acte de vos engagements, monsieur le ministre, et je vous en remercie.
En effet, ce dossier a besoin de transparence parce qu'il mobilise de très nombreux acteurs. Je me réjouis des précisions qui sont apportées. Sachez que les collectivités territoriales vous apporteront tout leur soutien pour que les viticulteurs puissent être aidés. Je tiens à vous le dire.
Si, comme je le crois, il sera nécessaire, à un moment ou à un autre, qu'il y ait vraiment une base tripartite entre l'Europe, l'Etat et les acteurs locaux, les collectivités territoriales, départements et régions, seront prêtes à s'asseoir autour de la table pour poursuivre le renouveau du Cognac.

3

MOTION D'ORDRE

M. le président. Je vous rappelle, mes chers collègues, que, cet après-midi, nous commençons la discussion de la proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Compte tenu du nombre significatif d'orateurs inscrits dans la discussion générale, je vous propose, en accord avec tous les présidents de groupes, d'entendre, après le ministre et la commission, le premier orateur de chaque groupe et, ensuite, tous les autres orateurs dans l'ordre de leur inscription.
Il n'y a pas d'observation ?...
Il en est ainsi décidé.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à seize heures dix, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.

4

HOMMAGE AUX VICTIMES
DU TREMBLEMENT DE TERRE DU SALVADOR

M. le président. Mes chers collègues, nous avons tous été touchés par les images terribles du tremblement de terre qui vient de frapper la République du Salvador. Une nouvelle fois, cet Etat d'Amérique centrale est atteint par une catastrophe naturelle de grande ampleur.
Notre collègue Charles Descours, en sa qualité de président du groupe d'amitié France-Mexique et Amérique centrale, a exprimé, dans un télégramme adressé à l'ambassadeur du Salvador en France, son émotion face à cette terrible tragédie.
Au nom du Sénat tout entier, et tout particulièrement de notre collègue Gérard Miquel, président délégué pour les Etats d'Amérique centrale, je voudrais, en votre nom à tous et en mon nom, assurer les victimes de cette catastrophe et la République du Salvador de notre sympathie et de notre solidarité en cette très douloureuse circonstance.

5

RAPPEL AU RÈGLEMENT

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention se fonde sur l'article 36 du règlement de notre assemblée.
Le groupe Danone s'apprête à supprimer 3 000 emplois à travers l'Europe, dont 1 700 en France, dans sept de ses usines.
Cela concerne en premier lieu le site de Calais, mais touche aussi les sites d'Evry, de Château-Thierry, de Jussy, de Charleville, de Besançon et de Toulouse.
Le groupe, qui a déjà réduit ses effectifs de 5 000 personnes en Europe entre 1996 et 1999, refuse de confirmer ces informations, tout en admettant qu'un plan est en préparation !
Danone perdrait-il de l'argent pour s'engager dans la voie des licenciements ? Bien sûr que non ! Le groupe agroalimentaire affiche, au contraire, des profits records.
Qu'on en juge plutôt : le résultat net de Danone s'est élevé à 4,5 milliards de francs en 1999 et le titre a augmenté de 17,9 % la même année. De même, le secteur des boissons dégage, pour sa part, une marge de 12,3 %, celle des produits laitiers étant de 11 %.
Quant au secteur des biscuits, il est jugé trop peu rentable, puisque cette activité ne dégage qu'une rentabilité de 7,9 %.
La tentation de la direction du groupe était trop grande : 7,9 % de rentabilité, c'est scandaleusement bas pour les actionnaires ! Aussi, l'annonce de 3 000 suppressions d'emplois a immédiatement fait monter le cours de l'action de 3 %.
Cela ressemble étrangement à l'épisode Michelin et l'on a le sentiment d'un certain « déjà vu ».
Mme Hélène Luc. Absolument !
Mme Odette Terrade. Je vous pose une question, mes chers collègues : quand va-t-on, dans ce pays, cesser de massacrer l'emploi et nos capacités industrielles pour maintenir un taux de rémunération faramineux - supérieur à 15 %, en l'occurrence - pour le plus grand profit des actionnaires ?
M. Josselin de Rohan. C'est au Gouvernement qu'il faut le demander !
Mme Odette Terrade. Il est plus qu'urgent de mettre un terme, par la loi, à des pratiques aussi scandaleuses qui permettent à des entreprises réalisant des profits de procéder à des licenciements économiques massifs.
Pour ces entreprises, il faut immédiatement instaurer un moratoire en ce qui concerne les licenciements et appliquer la loi sur les 35 heures.
M. Josselin de Rohan. C'est un peu long !
Mme Odette Terrade. Les salariés du secteur de la biscuiterie de Danone peuvent compter sur le soutien et la détermination des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen pour défendre leurs emplois. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Henri de Richemont. Cela n'a rien à voir avec le règlement !
M. Jean-Claude Gaudin. Si ! C'est l'article 36 ! (Rires.)
M. le président. Madame Terrade, acte vous est donné de votre appel au règlement.

6

DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Discussion d'une proposition de loi organique
déclarée d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique (n° 166, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Je tiens à vous informer que, durant la discussion de cette proposition de loi organique, deux collaborateurs de la chaîne publique Sénat se déplaceront, avec la plus grande discrétion possible, dans l'hémicycle, caméra à l'épaule, pour réaliser des plans de coupe des intervenants, afin de rendre plus vivant l'enregistrement de nos débats.
Mes chers collègues, j'ai le plaisir, et je pense traduire un sentiment unanime, de saluer la présence dans l'hémicycle du président Jacques Larché. (Applaudissements.)
Au nom du Sénat, je forme le voeu que les épreuves qu'il vient de traverser ne soient plus qu'un mauvais souvenir.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Même si, en arrivant au Sénat - avec retard, ce dont je vous prie de m'excuser, mais je répondais à la question d'une de vos collègues député à l'Assemblée nationale -, j'ai eu l'occasion de saluer, en mon nom personnel, le président de la commission des lois, M. Jacques Larché, je le refais publiquement au nom du Gouvernement en lui adressant tous mes voeux de prompt rétablissement.
M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre, de ces paroles de sympathie à l'égard de M. le président de notre commission des lois ; nous y sommes très sensibles.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le 20 décembre dernier, l'Assemblée nationale a examiné les propositions de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale et a adopté un texte qui vous est soumis aujourd'hui.
Ces propositions de loi, déposées par des parlementaires de plusieurs familles politiques, faisaient suite à un débat qui s'était engagé entre constitutionnalistes et qui avait donné lieu à plusieurs interventions marquantes. Je pense notamment à l'article publié en commun le 18 novembre 2000 par deux anciens premiers ministres, MM. Raymond Barre et Michel Rocard, qui invitaient les Français à « voter la tête à l'endroit ». M. Valéry Giscard d'Estaing, ancien président de la République, est également intervenu en faveur d'une telle réforme.
M. Josselin de Rohan. C'est une référence !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le débat sur les institutions qui a eu lieu en présence du Premier ministre, le 19 décembre dernier, à l'Assemblée nationale a clarifié les enjeux et mis en évidence la nécessité de rétablir un calendrier électoral cohérent.
Comment se présente aujourd'hui cette question ?
Le 24 septembre dernier, le peuple français a décidé, par la voie du référendum, de réduire à cinq ans la durée du mandat du président de la République.
Cette révision constitutionnelle a provoqué un débat sur l'ordre dans lequel les électeurs devaient élire leur président de la République et leur Assemblée nationale. En effet, le calendrier électoral concernant les deux élections les plus importantes, celles qui déterminent la politique de la nation, est la conséquence fortuite de la dissolution de l'Assemblée nationale, le 21 avril 1997.
M. René-Pierre Signé. Jolie manoeuvre !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. La dissolution de 1997 conduit, en application de l'article LO 121 du code électoral, à ce que les pouvoirs de l'actuelle Assemblée nationale expirent le premier mardi d'avril de la cinquième année suivant l'élection, c'est-à-dire le 2 avril 2002. Si le calendrier reste inchangé, l'élection de la prochaine Assemblée nationale devra donc se dérouler au mois de mars 2002 sur les listes électorales arrêtées au dernier jour de février.
C'est donc à quelques semaines d'intervalle que seraient élus, en 2002, l'Assemblée nationale d'abord, le Président de la République ensuite, si la législation restait en l'état.
Cette conjoncture n'est pas propre à 2002. L'instauration du mandat de cinq ans pour l'élection du président de la République crée les conditions d'une situation dans lequelle les dissolutions de l'Assemblée nationale devraient devenir plus rares. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan. C'est nouveau cela !
M. Adrien Gouteyron. C'est très intéressant ce que vous dites !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le calendrier de 2002 a donc une forte probabilité de se reproduire en 2007, 2012 et au-delà.
M. Josselin de Rohan. Proposez de le supprimer, ce sera plus honnête !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Il s'agit donc non pas d'aborder un problème ponctuel, mais d'examiner une situation durable et d'apporter une solution en rapport avec cette situation.
M. Hilaire Flandre. Ce n'est pas convaincant !
M. Adrien Gouteyron, C'est un aveu !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Cette discussion devait avoir lieu, car le calendrier actuel des deux échéances électorales pose un problème institutionnel sérieux et de réelles difficultés d'organisation.
M. Josselin de Rohan. M. le Premier ministre a dit le contraire.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le problème institutionnel est celui qui a été souligné par de nombreuses personnalités. Depuis la réforme constitutionnelle de 1962, l'élection présidentielle est incontestablement l'élection majeure.
Cette réforme n'a pas, à l'époque, emporté l'adhésion générale, ni dans la formation politique à laquelle j'appartiens...
M. Josselin de Rohan. Ralliement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... ni dans la majorité d'alors du Sénat, mais elle a été ratifiée par l'expression de la souveraineté populaire et personne - en tout cas peu le font - ne propose de revenir au système antérieur.
M. Jean-Pierre Schosteck. Ce n'est plus le coup d'Etat permanent !
M. Claude Estier. Ecoutez l'orateur ! Vous êtes vingt-cinq à intervenir ensuite !
M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues.
Un sénateur du RPR. Nous sommes fascinés !
Un sénateur socialiste. Ils n'écoutent pas : ils ne peuvent pas comprendre !
M. Adrien Gouteyron. Il n'y a rien à comprendre !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement est, pour sa part, très attaché au respect des prérogatives du Parlement ; il en a fait, lui, la démonstration depuis le début de la législature. (Exclamations sur les travées du RPR.) L'initiative parlementaire n'a jamais été aussi forte, sous la Ve République, qu'au cours de ces dernières années ; les textes législatifs sont, pour un tiers d'entre eux, d'origine parlementaire, et quand les textes sont d'origine gouvernementale,...
M. Adrien Gouteyron. Dans l'urgence !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... le droit d'amendement s'exerce pleinement, ce qui est la règle constitutionnelle.
MM. Adrien Gouteyron et Josselin de Rohan. C'est bien le moins !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement n'a jamais employé, depuis 1997 - c'est le plus, monsieur de Rohan ! - les dispositions de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution pour imposer ses vues à l'Assemblée nationale. Et cela, c'est vrai que c'est nouveau, monsieur de Rohan ! (Très bien et applaudissements sur les travées socialistes.)
Enfin, les commissions d'enquête ont permis et permettent mieux que jamais au Parlement d'assumer son rôle de surveillance du fonctionnement de l'Etat.
M. Adrien Gouteyron. Ce n'est pas nouveau !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Cette lecture parlementaire de la Constitution ne conduit cependant pas à négliger une réalité, celle de la logique de nos institutions, qui impose de restituer une cohérence que les circonstances ont fait perdre au calendrier électoral.
Cette cohérence avait été fort bien résumée par Michel Debré, qui définissait ainsi la logique des institutions : « un chef de l'Etat et un Parlement séparés, encadrant un gouvernement issu du premier et responsable devant le second ». Cette conception clairement exprimée n'est guère compatible avec une chronologie qui verrait l'élection d'une assemblée et la désignation d'un nouveau gouvernement quelques semaines avant l'élection présidentielle.
M. Claude Estier. Absolument !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Dans notre pays, la logique institutionnelle fait de l'élection du Président de la République le moment le plus fort de l'expression des citoyens. Il est donc incohérent de l'organiser quelques semaines après les élections législatives.
Outre la question de l'équilibre et de la logique institutionnelle, il faut souligner que, si l'ordre logique du calendrier électoral n'était pas rétabli, les difficultés techniques du calendrier actuel, soulignées par le Conseil constitutionnel, seraient pérennisées et aggravées.
Dans ses observations sur l'élection présidentielle, publiées au Journal officiel du 23 juillet 2000 - c'est tout récent - le Conseil constitutionnel, tirant les conséquences du calendrier électoral de 2002 tel qu'il est prévu par les textes en vigueur, a souligné qu'il importait que les citoyens habilités à présenter les candidats puissent le faire après avoir pris connaissance des résultats de l'élection à l'Assemblée nationale. Il en a tiré la conclusion que le deuxième tour des élections législatives devrait avoir eu lieu lorsque s'ouvrira la période de recueil des présentations des candidatures à l'élection présidentielle, que l'on appelle plus couramment les « parrainages ».
L'observation du Conseil constitutionnel tend naturellement à assurer la clarté politique des choix des élus auprès desquels cinq cents signatures doivent être recueillies par les candidats.
La conséquence d'une telle exigence est de réduire la durée de la période au cours de laquelle ces élus pourront présenter des candidats pour des raisons qui tiennent à la combinaison des textes en vigueur. Ainsi, en 2002, la période des « parrainages » s'étendrait du 18 mars au 2 avril et durerait seize jours, soit quatre jours de moins que lors de l'élection présidentielle de 1995.
Cette conséquence ne constitue pas une difficulté insurmontable, mais le législateur se doit d'avoir une vue à long terme et d'envisager la perpétuation d'un tel calendrier électoral. Il doit prendre en compte le fait que cette difficulté technique, mineure en 2002, je vous l'accorde, ne fera que s'aggraver ensuite parce que la date de passation des pouvoirs entre le nouveau président et le président sortant s'est toujours faite avant la date d'expiration des pouvoirs de ce dernier.
Cette pratique entraîne une remontée dans le temps de la date de l'élection présidentielle. Ainsi, le second tour de l'élection présidentielle a eu lieu le 19 mai en 1974, le 10 mai en 1981, le 8 mai en 1988, le 7 mai en 1995 et il aura lieu au plus tard le 5 mai en 2002.
Cette remontée de la date dans le temps ne permettra pas, à terme, de respecter les exigences de clarté des « parrainages » affichées par le Conseil constitutionnel, sauf à réduire, de plus en plus, le délai laissé aux élus pour effectuer les présentations des candidats, ce qui finira par causer une difficulté insurmontable.
L'articulation de la Constitution et les textes actuels, qui n'ont pas été prévus pour un calendrier aussi atypique, doit donc conduire, de toute façon, à plus ou moins long terme, à une remise en ordre des échéances électorales.
Quelle est la bonne solution à ces difficultés ?
La proposition de loi organique votée par l'Assemblée nationale ouvre la possibilité de résoudre le problème d'un calendrier électoral qui n'est pas viable, tant pour les raisons techniques que je viens d'exposer que pour les raisons qui tiennent à la logique de nos institutions.
Ce texte prévoit, dans la rédaction issue de l'amendement de M. Blessig, de fixer l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale au troisième mardi de juin de la cinquième année qui suit son élection.
Cette formulation permet de séparer les opérations électorales des deux scrutins tout en obéissant aux impératifs de clarté politique qui veulent que, dans une telle configuration, les candidats aux élections législatives connaissent, au moment du dépôt des candidatures, le résultat de l'élection présidentielle.
Dans la rédaction initiale proposée par la commission des lois de l'Assemblée nationale, l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée était fixée au 15 juin de la cinquième année suivant son élection. Ainsi, en 2002, si le second tour de l'élection présidentielle avait lieu à la date la plus tardive parmi les deux qui sont envisageables, c'est-à-dire le 5 mai, les élections législatives auraient lieu les 2 et 9 juin. Les candidatures aux élections législatives pourraient, en application des dispositions du code électoral, être déposées dans les préfectures à partir du 6 mai, c'est-à-dire le lendemain du jour du second tour de l'élection présidentielle, lorsque sont connus les seuls résultats officieux de ce scrutin avant que le Conseil constitutionnel ne proclame le résultat de l'élection.
L'amendement de M. Blessig a permis d'améliorer la rédaction en fixant l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale au troisième mardi de juin de la cinquième année suivant l'élection. Le choix d'une date mobile, qui est d'application constante depuis le début de la Ve République, est préférable à celui d'une date fixe parce qu'il facilite l'installation de la nouvelle Assemblée en évitant que l'entrée en fonctions des nouveaux députés ne coïncide avec un samedi ou un dimanche.
Surtout, cette rédaction présente l'avantage de permettre l'organisation des élections législatives une semaine plus tard que dans la rédaction précédente, soit, pour 2002, les 9 et 16 juin. Ce décalage se répercuterait sur les dates de dépôts de candidatures qui pourraient alors s'effectuer non seulement après que seraient connus les résultats officieux de l'élection présidentielle mais également après la proclamation officielle du résultat par le Conseil constitutionnel.
Il en irait de même pour les échéances ultérieures de 2007, 2012 et au-delà. La rédaction de l'Assemblée nationale présente donc toutes les garanties d'efficacité.
Le Sénat doit délibérer d'un texte d'une bonne qualité technique et dont l'ambition est de rétablir une cohérence institutionnelle face à un calendrier issu d'un concours de circonstances.
A défaut d'intervention du législateur, seules de nouvelles circonstances accidentelles pourraient rétablir la logique du calendrier.
Le rôle du législateur ne peut se résumer à attendre que des événements extérieurs dénouent une incohérence dans le fonctionnement de nos grandes institutions.
Le temps qui nous sépare encore des élections de 2002 rend possible la mise en oeuvre d'une solution sans que l'on sache, au stade où nous en sommes aujourd'hui, à qui profiterait tel ou tel calendrier. (Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.) En tout cas, ce n'est pas l'objet de la proposition qui vous est faite.
M. Jean Chérioux. Aimable plaisanterie !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le débat qui s'est engagé doit donc conduire à une décision de bon sens, et je rappelle que l'initiative en est de surcroît pluraliste.
J'espère que le Sénat, dans sa sagesse, saura rejoindre l'Assemblée nationale sur la voie du bon sens pour assurer un fonctionnement normal de nos institutions. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Loridant applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parlementaire confirmé, esprit fin s'il en fût, M. le président de l'Assemblée nationale a cru, lors d'une interview donnée au Journal du Dimanche le 31 décembre dernier, pouvoir avancer que « le Sénat aurait quelque audace à retenir un texte qui ne le concerne pas directement, puisqu'il s'agit des élections à l'Assemblée nationale ».
M. René-Pierre Signé. Il a raison !
M. Christian Bonnet, rapporteur. De son côté, M. le ministre chargé des relations avec le Parlement, et donc avec le Sénat, n'a pas hésité à déclarer publiquement : « Je ne vois pas une chambre se mêler de manière intempestive des pouvoirs qui concernent l'autre assemblée. »
M. Adrien Gouteyron. C'est intéressant !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Ces assertions sont d'autant plus surprenantes que votre rapporteur n'a pas souvenance que l'Assemblée nationale ait fait preuve, lors de l'examen au Palais-Bourbon du projet de loi relatif au mode d'élection des sénateurs,...
M. Jean-Claude Gaudin. Eh, oui !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... de la retenue à laquelle semble nous inviter son président. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RDSE.)
M. Jean-Claude Gaudin. Retour à l'envoyeur, monsieur Signé !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Aussi, s'agissant d'un texte de caractère institutionnel, la commission des lois vous convie, mes chers collègues, à examiner sereinement, conformément au rôle de chambre de réflexion qui est celui du Sénat, la proposition de loi organique relative à la modification de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Avant tout examen au fond de ce texte, la procédure retenue, celle d'un examen en urgence, ne laisse pas de surprendre, car le calendrier électoral de 2002 est connu depuis quatre ans, car il était loisible au Gouvernement de profiter de l'occasion que lui offrait, suite à l'avis interprétatif du Conseil constitutionnel du 23 juillet, le projet de loi organique relatif à l'élection du Président de la République, actuellement encore en discussion au Parlement, pour y inclure une disposition relative à la date des scrutins, car enfin, le 19 octobre dernier, le Premier ministre indiquait que, « à défaut d'un consensus »,... « toute initiative serait interprétée de manière politique, voire politicienne ».
Or, ce consensus, ce très large accord, disiez-vous de votre côté, monsieur le ministre, le 10 octobre, si ma mémoire est bonne, à l'Assemblée nationale à l'occasion de la discussion d'un amendement présenté par M. Georges Sarre, ne ressort ni de l'analyse du scrutin intervenu à l'Assemblée nationale ni des enquêtes d'opinion qui ont donné des résultats pour le moins partagés.
Sans doute, dans un pays volontiers porté au soupçon, le revirement grenoblois de M. le Premier ministre...
M. René-Pierre Signé. Il n'y a pas eu de revirement ! (Oh ! oh sur les travées du RPR.)
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... a t-il nourri, sur son origine, certaines supputations renforcées par le fait que l'annonce en a été faite ex abrupto lors du congrès d'un parti.
Quant à la marche forcée imposée à la représentation nationale pour débattre d'un tel texte, elle donne toute sa saveur à une phrase prononcée, le 19 décembre, par M. Lionel Jospin devant les députés : « Pour l'avenir, disait-il, je suis favorable à un rééquilibrage des pouvoirs en faveur du Parlement. » « Pour l'avenir » certes, car, s'agissant du présent, cette marche forcée imposée à la représentation nationale n'en porte guère témoignage !...
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Le décor ainsi planté, venons-en au fond de l'affaire.
Six propositions de loi avaient été déposées ; trois d'entre elles visaient à reporter du premier mardi d'avril au 15 juin la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale ; trois autres avaient un objet légèrement différent l'une d'entre elles, celle de M. Bernard Charles, allant jusqu'à proposer une concomitance des élections présidentielles et législatives.
Au terme de ses travaux, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi organique qui, en son article 1er, modifie l'article LO 121 du code électoral pour reporter du premier mardi d'avril au troisième mardi de juin la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale et, en son article 2, prévoit l'application de cette modification à l'assemblée élue en 1997.
Si cette proposition, car proposition il y a, n'a été de ce fait examinée ni par le Conseil d'Etat ni par le conseil des ministres, si elle n'est pas susceptible de faire l'objet d'une demande de référendum,...
M. Marcel Charmant. C'est le droit des parlementaires de déposer des propositions de loi !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... elle se caractérise par sa brièveté. Tout aussi brefs, et souvent différents, sont les exposés des motifs des six propositions précitées.
Aussi bien convient-il de se reporter aux travaux de l'Assemblée nationale pour mieux cerner les raisons invoquées pour justifier une inversion des deux consultations survenant en 2002.
M. le Premier ministre a évoqué la situation d'inégalité sur la ligne de départ dont pourrait souffrir tout candidat face à un président sortant décidant de se représenter.
Outre qu'un tel argument est étranger au droit, ce pourquoi la commission des lois n'a pas eu à en débattre, l'élection de 1981, qui a consacré la victoire de François Mitterrand, alors seulement député, sur le président Giscard d'Estaing, en démontre l'inanité.
Demeurent alors des motivations susceptibles d'être regroupées sous deux rubriques : en premier lieu, l'esprit des institutions, leur logique ; en second lieu, les difficultés que pourraient connaître les citoyens habilités à présenter un candidat à l'élection présidentielle. Ces deux raisons, mes chers collègues, je vous propose de les examiner tour à tour, comme l'a fait M. le ministre, voilà un instant.
Tout d'abord, qu'en est-il de l'esprit des institutions, dont successivement M. le Premier ministre, vous-même, monsieur le ministre, et le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, en l'occurrence rapporteur du texte, se sont, en quelque sorte, curieusement institués les exégètes ?
A en croire notre excellent collègue M. Bernard Roman, le calendrier actuel ne serait rien d'autre qu'« un coup de force du hasard portant atteinte à l'esprit, à la logique des institutions ». M. le Premier ministre, lors du débat préliminaire sur l'avenir des institutions, l'a pour sa part qualifié de « fortuit », se fondant, pour ce dire, sur « l'effet conjugué de l'aléa d'une vie et d'une décision politique inattendue », évocation élégante du décès prématuré du président Pompidou et de la dissolution de 1997.
Sans doute la précipitation avec laquelle a été organisé le débat explique-t-elle qu'ait été perdu de vue le fait qu'en l'absence, depuis 1958, de tout aléa, de toute décision politique inattendue, les élections législatives eussent, en 1993, précédé le scrutin présidentiel : élection présidentielle en décembre 1958, décembre 1965, décembre 1972, décembre 1979, décembre 1986 et décembre 1993 ; élections législatives en mars 1963, mars 1968, mars 1973, mars 1978, mars 1983, mars 1988 et mars 1993. Ainsi, en l'absence de tout aléa, les secondes auraient-elles précédé la première.
Mais l'histoire de notre pays est prodigue - l'aurait-on oublié ? - en événements susceptibles de modifier les plus savants des ordonnancements. Et le calendrier institutionnel peut connaître des bouleversements, dus soit aux aléas de la vie, soit à une décision politique inattendue.
M. Claude Estier. A une fausse manoeuvre !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je vous en prie, monsieur Estier !
Aléas de la vie ?
Depuis l'avènement de la IIIe République, douze des dix-neuf présidents qu'a connus notre pays n'ont pas achevé leur premier ou, parfois, leur second mandat : douze sur dix-sept au cours des cent une années - de 1873 à 1974 - qui ont suivi l'élection de Mac Mahon !
Mieux : dix de ces présidents ont vu leur mandat interrompu de façon fortuite au cours des cinq premières années de celui-ci, et cette remarque est d'importance après l'instauration du quinquennat.
M. Jean-Claude Gaudin. Louis-Napoléon !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Décision politique inattendue ? Qui d'entre nous mes chers collègues, n'a gardé mémoire des dissolutions de 1955, de 1962, de 1968, de 1981, de 1988 et, enfin, de 1997 ?
Contre ces accidents de l'histoire, la proposition de loi organique qui nous vient de l'Assemblée nationale serait aussi efficace qu'un sabre de papier !
Seule une révision constitutionnelle, emportant à la fois la création d'un vice-président à même d'assurer, comme aux Etats-Unis, l'achèvement du mandat interrompu d'un Président de la République et la suppression du droit de dissolution, serait de nature à conjurer toute perturbation du calendrier.
Vaste programme, eût dit le général de Gaulle ! (Bravo ! et applaudissements sur certaines travées des Républicains et Indépendants et sur celles du RPR.)
L'évocation de ce grand homme d'Etat nous conduit tout naturellement à nous poser la question de savoir si, comme croit pouvoir l'affirmer M. le Premier ministre, au regard de l'esprit des institutions, le calendrier actuel constituerait - j'emploie ici à dessein un terme qu'il paraît affectionner - une « anomalie ». (Rires sur les mêmes travées.)
Il est apparu à votre rapporteur, mes chers collègues, que la méthode la plus rationnelle pour en juger consistait à se référer à l'un des pères de la Constitution, auquel vous vous êtes d'ailleurs vous-même référé en une courte phrase, monsieur le ministre : nous nous retrouvons au moins dans nos lectures ! Je pense, bien sûr, à Michel Debré, plus qualifié que quiconque, chacun en conviendra, pour en connaître.
Il s'est montré particulièrement explicite à la page 417 du tome II de ses Mémoires, et nul ne m'en voudra ici de lire ce passage éclairant :
« Il y a deux "lectures" de la Constitution. L'une fait du Président de la République le "guide" - c'est ce qu'a entendu dire le général de Gaulle dans sa conférence de presse de 1964 -, l'autre qui débouche sur un régime parlementaire "à la britannique", c'est-à-dire assure l'autorité du Premier ministre, fait du Président un garant de la Constitution, ce qui, compte tenu de ses pouvoirs, revêt une importance déterminante en certaines circonstances. La première lecture est la règle (qui peut comporter des exceptions) quand Président de la République et Assemblée nationale tiennent leur légitimité de la même majorité. La deuxième lecture sera la règle, quasiment sans exception, en cas contraire (...). La valeur d'une Constitution n'est pas dans le fait qu'elle évite les crises, mais qu'elle permet de les trancher dans le respect des exigences de la démocratie, de l'Etat et de la Nation. »
On ne saurait être plus net : il existe deux lectures de la Constitution, et nous vivons actuellement le second cas de figure.
Or M. le Premier ministre, pour sa part, a fait choix d'une analyse fort différente.
Soucieux de ce qu'il appelle la « dynamique de la cohérence », il en vient à préférer que l'élection présidentielle précède les élections législatives.
A ses yeux - je le cite, car, en ces matières, la rigueur s'impose à un rapporteur -, « la cohabitation doit être conçue comme une parenthèse ».
Singulière « parenthèse », mes chers collègues, que celle qui, depuis le printemps de 1986 jusqu'au printemps 2002, aura, sauf accident à venir de l'histoire, couvert neuf des seize années courues ! Parenthèse que, au demeurant, aucun calendrier électoral n'est à même d'éviter, comme le prouve à l'envi l'expérience des Etats-Unis, où les électeurs ont bien souvent porté leur choix sur un président démocrate et un congrès républicain, ou, plus rarement, l'inverse.
Certains, par ailleurs, ont cru pouvoir arguer de précédents pour justifier la prorogation du mandat des députés.
De fait, sous la Ve République, des mandats électifs, par six fois, ont été prolongés. Mais, dans tous les cas, étaient concernées des assemblées locales et, chaque fois, les dispositions législatives avaient un fondement objectif, reconnu tel par le Conseil constitutionnel dans les quatre circonstances où il avait été saisi, un consensus authentique s'étant dégagé sur les deux premiers textes, à propos desquels les Parlementaires n'avaient, en tout état de cause, pas la possibilité de présenter un recours devant le Conseil constitutionnel. Il reste que, quatre fois sur six, le Conseil constitutionnel a avalisé ces prolongations du mandat d'assemblées locales.
Le Conseil constitutionnel avait, au demeurant, saisi l'occasion que lui offraient les recours pour poser trois principes dont, là encore, je me dois de reprendre les termes exacts : « le choix du législateur ne doit pas être manifestement inapproprié aux objectifs poursuivis » ; « les dispositifs proposés ne doivent revêtir qu'un caractère exceptionnel et transitoire » ; « le législateur peut déroger à l'égalité pour des motifs d'intérêt général, à condition que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ».
Qu'il me soit permis de faire ici justice d'un rapprochement que vous avez cru pouvoir faire, à l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, entre la prorogation des élections municipales de mars à juin 1995 - stigmatisée, ici même, et avec quelle vigueur, soit dit en passant, par plusieurs de vos amis ! - et le texte de la proposition de loi organique qui a votre faveur.
Comparaison n'est pas raison !
Là encore, la précipitation - nous y revenons toujours ! - qui a présidé à la mise en orbite du changement de cap ne nous a pas donné le loisir d'observer qu'en 1995, si les élections municipales avaient eu lieu en mars, plus de 36 000 maires de France n'auraient disposé que d'une seule et unique journée pour user éventuellement de leur droit de présenter un candidat à l'élection présidentielle comme la loi les y autorise !
En fait, au cours du siècle écoulé, la prorogation du mandat des députés n'est intervenue que deux fois : en... 1918 et en... 1940 !
N'est-il pas saisissant le rapprochement entre le poids de ces circonstances historiques et la légèreté d'une motivation susceptible d'ouvrir fâcheusement la voie (Protestations sur les travées socialistes. - Applaudissements sur certaines travées des Républicains et Indépendants ainsi que sur celles du RPR)...
M. Claude Estier. C'est une comparaison indignes !
M. Josselin de Rohan. C'est vous qui êtes indignes !
M. René-Pierre Signé. C'est honteux ! C'est nul !
M. Christian Bonnet, rapporteur. N'est-il pas saisissant, dis-je, le rapprochement entre le poids de ces circonstances historiques et la légèreté d'une motivation susceptible d'ouvrir fâcheusement la voie à des supputations où l'esprit public, déjà ébranlé par la médiatisation de ce qu'il est convenu d'appeler « les affaires », n'a - qui pourrait en douter ? - rien à gagner ?
Le temps est maintenant venu d'aborder les difficultés pratiques auxquelles se heurterait, à vous en croire, monsieur le ministre, le maintien du calendrier en son état actuel.
Qu'il me soit d'abord permis d'observer que, si difficultés il y a - et elles sont, on le verra dans quelques instants, aisées à dissiper - le calendrier actuel n'en a pas le monopole.
Pour professer des opinions différentes, plusieurs des personnalités hautement qualifiées entendues au Sénat mardi dernier sur l'initiative de la commission des lois ont mis en lumière certaines complications qui n'étaient pas, je l'avoue, venues à l'esprit de votre rapporteur.
Est-il logique que l'Assemblée nationale entame ses travaux le troisième mardi de juin pour les interrompre presque aussitôt, ce qui pourrait conduire à la convocation de l'une de ces sessions extraordinaires dont l'instauration de la session unique avait précisément pour objet de faire l'économie ?
M. René-Pierre Signé. A condition que l'on siège le soir !
M. le président. Je vous en prie, monsieur Signé !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Est-il, mêmement, de bonne administration que le projet de budget pour l'exercice à venir commence d'être élaboré par un gouvernement - en juin, on est déjà depuis des semaines attelé à la tâche - et que les lettres de cadrage aient été adressées aux ministres avant des élections législatives susceptibles de modifier radicalement la donne ?
Croyez-m'en, mes chers collègues, le choix du premier mardi d'avril ne devait, lui, rien à l'improvisation.
Tout bien pesé, à supposer que le calendrier électoral pose difficulté, n'est-ce pas, comme le suggérait, dans une contribution remarquée à la Revue de droit public, le professeur Guy Carcassonne, au demeurant favorable aujourd'hui à l'inversion du calendrier, la date de l'élection présidentielle qui mériterait d'être réexaminée ?
Depuis 1958, élection du Président de la République au suffrage universel, élections européennes, élections régionales sont venues enrichir régulièrement un calendrier déjà bien pourvu. Finalement, celui-ci ne mériterait-il pas, dès lors, de faire sereinement l'objet d'une réflexion approfondie, d'autant que, si le calendrier proposé devait être retenu, une difficulté réelle - et de taille, celle-ci - se présenterait dès 2007. Or 2007, c'est demain, mes chers collègues !
En 2007, comme en 1995, des élections municipales, couplées avec des cantonales, doivent avoir lieu avant la présidentielle. Mais à la différence de 1995, il serait difficile de les remettre à juin si des élections législatives avaient lieu le même mois. Et un report en septembre 2007 se heurterait, cette fois, à l'organisation d'élections sénatoriales !
M. Jean-Louis Carrère. Cela aussi pourrait changer ! (Sourires.)
M. Christian Bonnet, rapporteur. Cette seule évocation suffit à condamner la méthode consistant à modifier périodiquement et partiellement, par petites touches successives, les règles de nos institutions.
M. Patrick Lassourd. Très bien !
M. Jean Chérioux. Voilà !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Plus que d'exception française - terme un peu péjoratif - sans doute serait-il plus indiqué d'évoquer à ce propos une singularité française, pour mieux en dénoncer les maléfices.
Or, et je vais maintenant m'efforcer de le démontrer en terminant, il existe un disposition très simple de nature à éviter tout bouleversement de nos règles institutionnelles.
Le Gouvernement a tenté de s'appuyer sur l'une des recommandations du Conseil constitutionnel datant du 23 juillet dernier pour justifier la modification de l'ordre des consultations. Cette recommandation est ainsi formulée :
« Pour des raisons de principe autant que pour des motifs pratiques, il importe que les citoyens habilités à présenter les candidats en application de l'article 3 de la loi du 16 décembre 1962 puissent le faire après avoir pris connaissance des résultats de l'élection à l'Assemblée nationale.
« Le deuxième tour de cette élection devrait donc avoir eu lieu lorsque s'ouvrira la période de recueil des présentations par le Conseil constitutionnel. »
Une telle recommandation ne remet nullement en cause l'ordre des scrutins prévus en 2002, et il est aisé de s'y conformer. Une difficulté dans l'organisation des parrainages ne saurait surgir que si le Gouvernement retenait, parmi les dates possibles, la plus éloignée pour les législatives - 24 et 31 mars - et la plus proche pour la présidentielle - 14 et 28 avril.
Tel est bien évidemment le schéma retenu par notre excellent collègue le président Bernard Roman pour la commodité de sa démonstration. Mais encore et toujours précipitation aidant, celui-ci n'avait manifestement pas pris le temps de consulter l'agenda civil de l'année 2002.
M. Josselin de Rohan. Allons bon !
M. Christian Bonnet, rapporteur. S'il en avait eu le loisir, il se serait alors avisé qu'aucun gouvernement, d'aucune sensibilité, soucieux de favoriser la participation des citoyens au tour décisif d'un scrutin législatif, ne saurait envisager de la fixer le jour de la fête de Pâques ! (Sourires sur certaines travées des Républicains et Indépendants, ainsi que sur celles du RPR.)
A dire le vrai, il n'existe aucune difficulté - aucune ! - de conciliation entre le fait de donner satisfaction à la recommandation du Conseil constitutionnel et celui de maintenir l'ordre établi pour les deux scrutins.
Dans l'hypothèse où les élections législatives - possibles, rappelons-le, depuis les premiers jours de février - seraient fixées aux 10 et 17 mars 2002 et l'élection présidentielle aux 21 avril et 5 mai, sachant que les présentations doivent être adressées au Conseil constitutionnel dix-neuf jours au moins avant le premier tour de l'élection présidentielle, les personnes habilitées à parrainer un candidat disposeraient de seize jours de réflexion - seize, deux fois huit ! - et ce serait leur faire injure que de les imaginer incapables de se déterminer dans un tel délai !
Après avoir constaté qu'il est bien, comme l'écrivait Michel Debré, deux lectures de la Constitution, nous voici donc conduits à affirmer que nul ne saurait se prévaloir d'une quelconque difficulté pratique, d'un quelconque motif d'intérêt général pour justifier une modification de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, dès lors que peut aisément être prise en compte la très sage observation du Conseil constitutionnel.
Aussi bien votre commission des lois vous propose-t-elle, dans le droit-fil des traditions du Sénat, une solution de sagesse.
Pour éviter un nouveau et inutile bouleversement de nos règles institutionnelles, elle a adopté, ce matin même, un simple amendement visant à compléter l'article LO 122 du code électoral par un alinéa de nature à garantir aux citoyens habilités à présenter un candidat à l'élection présidentielle le plein exercice de ce droit.
La disposition, qui ne s'appliquerait bien évidemment pas aux situations exceptionnelles que sont la vacance de la présidence de la République ou l'empêchement constaté par le Conseil constitutionnel, emporterait que « lorsque des élections législatives sont organisées avant une élection présidentielle, le second tour ne peut précéder de moins de trente jours le premier tour de l'élection présidentielle ».
Pourquoi, mes chers collègues, faire compliqué quand on peut faire simple ?
Pourquoi courir le risque de rééditer, à quelque vingt siècles de distance, la dérive que, dans un ouvrage sobrement intitulé Du temps , décrivait un sociologue allemand de renom, Norbert Elias, en ces termes : « Cependant, dans les derniers temps de la République, en tant que régulateur des relations sociales, le calendrier n'était plus à l'abri des luttes de pouvoir et de leurs conséquences » ? (Très bien ! et applaudissements prolongés sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. de Rohan. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ce début d'année, de quoi devons-nous discuter, toutes affaires cessantes ? De l'insécurité qui affecte tant de nos concitoyens sur leur lieu de vie, dans leur travail et dans leurs déplacements ? De l'avenir de notre système de retraite, qui nous préoccupe tous et pour lequel aucune solution durable n'a été trouvée ?
M. René-Pierre Signé. Vous l'avez déjà dit !
M. Josselin de Rohan. De la réforme de l'Etat qui, chaque jour, paraît plus nécessaire et qui est chaque jour davantage différée ? De l'adaptation aux mutations de l'économie et des changements de société de notre système éducatif ? D'une refonte de notre fiscalité devenue obsolète, excessive et contraignante, de la diminution des prélèvements obligatoires ?
De rien de tout cela ! L'urgence absolue, c'est l'inversion du calendrier électoral qualifiée de « rétablissement » par ses partisans, terme en effet consacré pour définir certains mouvements acrobatiques ou de gymnastique. (Rires sur les travées du RPR et sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
Cette hâte à redéfinir le calendrier en 2002 a conduit l'Assemblée nationale à un débat précipité avant Noël. Elle est cause que le Gouvernement précipite la discussion dans notre assemblée et nous invite à la conclure au plus vite.
Pourtant, le 19 octobre dernier, le Premier ministre, interrogé par M. Poivre d'Arvor sur TF 1, estimait que l'initiative d'un changement de calendrier électoral incombait au chef de l'Etat, et comme l'a très bien dit M. le rapporteur, que toute intervention de sa part serait « interprétée de façon trop étroitement politique, voire politicienne ». Pour qu'il changeât d'attitude, il aurait fallu que s'esquisse un consensus. Un consensus ou une collusion ! (Sourires sur les travées RPR.)
Le consensus ne provient pas de la majorité plurielle, puisque les Verts et le parti communiste, pour des raisons diverses, sont hostiles à la modification proposée. Il n'existe pas davantage, à ma connaissance, dans l'opposition ; on l'a vu au moment du vote à l'Assemblée nationale et on le verra sans doute dans cette enceinte.
La décision prise par le Gouvernement de changer la loi est donc bien le fruit d'une collusion, c'est-à-dire du rapprochement d'une partie des formations gouvernementales avec des éléments de l'opposition. Nous y reviendrons. Quant aux raisons qui ont amené le Premier ministre, non pas à prendre, mais à laisser prendre des initiatives, nous avons là-dessus notre petite idée.
On comprendra toutefois que, puisque la modification du calendrier électoral nous est présentée comme une affaire majeure qui conditionne l'avenir de nos institutions, nous prenions le temps d'en examiner tous les aspects et toute la portée, et de formuler quelques observations sur notre Constitution et sur son fonctionnement.
Beaucoup d'entre nous ont souhaité s'exprimer dans le débat, et je m'en réjouis. Ce sera l'occasion de témoigner notre attachement à la Ve République.
M. Claude Estier. Ce sera répétitif !
M. Josselin de Rohan. A quoi avons-nous assisté depuis que le débat sur l'inversion du calendrier a été engagé ? A un beau spectacle, à une belle manoeuvre et à un beau trompe-l'oeil !
Le beau spectacle peut se décomposer en plusieurs scènes. Selon les chroniqueurs, la scène 1 s'est déroulée au Parlement européen et pourrait s'intituler La conjuration de Strasbourg .
Des députés européens de sensibilités diverses, incluant Daniel Cohn-Bendit, tantôt français, tantôt germain (Murmures sur les travées socialistes), selon les théâtres se seraient réunis pour dénoncer « le calendrier dingo » et entreprendre une campagne conjuguée pour en demander l'abolition.
La scène 2 voit l'entrée en lice des Burgraves. Un ancien Président de la République, avec solennité et fort de ses anciennes responsabilités, a multiplié les admonestations et les homélies pour convaincre les Français de l'impérieuse nécessité de mettre un terme à une situation funeste, contraire, selon lui, à l'esprit de nos institutions. Deux anciens Premiers ministres nous ont gratifiés d'un long article aboutissant à la même conclusion.
Pour les constitutionnalites, un tel débat est un morceau de roi. Le doyen Vedel est favorable à la réforme ; le doyen Gélard y est opposé. Si l'on veut bien consulter toutes les facultés, on trouvera, sur ce point, des avis aussi contraires que savamment étayés, comme le montre fort bien le rapport de M. Bonnet. « Le droit », dit Hector dans La guerre de Troie n'aura pas lieu , « est la plus puissante des écoles de l'imagination ».
Le tableau suivant met en scène les seconds couteaux. Ils sont chargés de prendre des initiatives dont le Premier ministre ne veut pas directement endosser la paternité. Tel est l'objet de propositions de loi « spontanées » émanant de parlementaires auxquels on a tenu la plume et à qui l'on réservera dans l'ordre du jour prioritaire non point une fenêtre, mais une véritable baie vitrée. Et, comme il faut faire bonne mesure et ne jamais manquer une bonne occasion, on y joindra une proposition ayant un objet identique et émanant d'un bord opposé.
M. Claude Estier. On a tenu la plume de M. Barre ?
M. Josselin de Rohan. La dernière scène se termine en apothéose touchante.
M. René-Pierre Signé. Ce n'est pas très correct !
M. Josselin de Rohan. Tel Félix dans Polyeucte , Lionel Jospin peut s'écrier : « Je crois, je vois, je suis désabusé ». Cédant aux pressions affectueuses et aux sollicitations diverses, le Premier ministre se fait violence. Il se rallie sans arrière-pensées à une proposition dont il n'est pas l'auteur. La route de l'Elysée emprunte le Chemin de Damas. (Sourires sur les travées RPR.)
La proposition de loi est le fruit d'une « belle manoeuvre ». Le terme serait du Premier ministre lui-même, quoiqu'il s'en défende sans conviction. Eh bien, nous en convenons volontiers, la manoeuvre est, sinon belle, du moins manifeste. Nous avons vu se constituer sous nos yeux un axe étrange liant le Premier ministre à un ancien Président de la République, ô combien âprement combattu en son temps par les socialistes. M. Giscard d'Estaing a fait l'objet de beaucoup de prévenances de la part du Premier ministre qui l'a cité, comme il convient, lors des débats à l'Assemblée nationale. Il a donné d'utiles conseils sur l'organisation de la discussion et, peut-être, sur l'argumentation.
Je me demande ce que le défunt président de la République eût pensé de ce patronage ! Enfin, après l'inventaire, voilà le partenaire, les temps changent ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
Comme dans les comédies de Molière ou de Marivaux, on se plaît à intervertir les rôles, les uns empruntant aux autres leur qualité ou leurs habits.
Mme Hélène Luc. Quelle politique politicienne !
M. Josselin de Rohan. Lionel Jospin invoque l'esprit d'une Constitution qui, selon ses propres termes, n'est pas sa référence. Le parti socialiste, qui aime bien donner des leçons, s'est fait professeur de gaullisme et ne cesse de nous en remontrer dans ce domaine.
M. Marcel Charmant. Ce n'est pas la pensée unique !
M. Josselin de Rohan. Mais, comme le remarque très judicieusement M. le rapporteur, « les références à l'esprit des institutions n'ont été accompagnées d'aucune définition de celui-ci ». Les citations qu'il fait des ouvrages de Michel Debré, qu'on peut, à juste titre, tenir pour l'un des pères de la Constitution, démontrent éloquemment qu'à tout le moins, ni lui ni le général de Gaulle n'étaient favorables à la coïncidence des mandats respectifs des députés et du Président de la République. Et, vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, Michel Debré admettait même qu'il y ait deux lectures de la Constitution ; aussi les exégètes qui en ont une vision univoque peuvent-ils être légitimement récusés.
Quant à nous, nous estimons que ceux qui, dès l'origine, ont combattu cette Constitution et ne rêvent que de l'abolir ne peuvent s'en prévaloir sans hypocrisie. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
La gauche plurielle a, d'ailleurs, dans ce domaine essentiel une vision plurielle. Jean-Pierre Chevènement se fait le chantre du régime présidentiel quand les communistes et les Verts préconisent un changement de Constitution qui nous ramènerait au régime d'assemblée ou à un régime fort proche de celui de la défunte IVe République.
Dans ce bal costumé que nous donne la gauche, on ne peut identifier les personnes que lorsqu'elles lèvent leur masque.
M. René-Pierre Signé. Que faites-vous de Philippe Séguin ?
M. Josselin de Rohan. Cette situation n'a pas échappé aux commentateurs. Je recommande à votre lecture, mes chers collègues, le récit coloré fait par un journaliste d'un grand quotidien du soir de la préparation des débats à l'Assemblée nationale.
Avec les accents gourmands d'un chroniqueur gastronomique, il détaille le partage des responsabilités. Au ministre de l'intérieur, les contacts avec tels parlementaires de l'opposition, à Matignon les contacts avec les leaders . Il n'est question que de colloques particuliers, de confidences appuyées, de coups de téléphone affectueux entre personnes que tout sépare, mais qu'une cause commune réunit.
Nous nous sentons rajeunis de cinquante ans et ramenés aux temps délicieux de la IVe République, régime béni qui permettait les alliances douteuses, les combinaisons de hasard, les coups fourrés en tous genres, le désordre politique général et fournissait aux journalistes une provision inépuisable de gloses, d'anecdotes et de faits divers. A cette époque, nous nous en souvenons, notre pays n'était guère édifiant : il était distrayant. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
M. René-Pierre Signé. Balladur !
M. Josselin de Rohan. Les Français, que tout ce remue-ménage rend perplexes ou sceptiques, se demandent sans doute ce qu'il cache. La réponse est qu'il s'agit d'un véritable trompe-l'oeil et que les nobles sentiments invoqués pour justifier le changement du calendrier électoral n'arrivent pas à cacher de moins louables motivations.
M. Daniel Cohn-Bendit...
M. Claude Estier. C'est votre référence ?
M. Josselin de Rohan. ... qui ne s'embarrasse pas de précautions oratoires, l'a dit crûment : l'objectif est de « désarçonner l'adversaire ».
M. Jean-Claude Gaudin. Il dit la vérité !
M. Josselin de Rohan. « Qu'est-ce que nous voulons, nous les Verts ? Nous voulons que Jospin devienne président de la République...
M. René-Pierre Signé. Il le sera !
M. Josselin de Rohan. ... et que nous ayons plus de députés à la prochaine assemblée (...) Faisons de la politique comme Machiavel. » C'est beaucoup s'avancer.
A la place de M. Lionel Jospin, je me méfierais de ce conseiller-là et je me reposerais davantage sur mon inspiration ou sur Machiavel lui-même, selon lequel « les bons conseils, qu'ils soient de qui on voudra, procèdent de la sagesse du prince et non pas de la sagesse desdits bons conseils »...
En l'occurrence, il serait beaucoup plus approprié de chanter, comme le faisait avant-guerre le fantaisiste Milton, « J'ai ma combine ». Nos collègues de l'Assemblée nationale ont tiré de La Revue socialiste de novembre 2000, sous la signature d'un certain Eric Perraudeau, quelques citations fort éclairantes sur les préoccupations tactiques du parti socialiste.
A la lecture de ces lignes, on s'aperçoit que le rédacteur, qui est un impertinent, estime possible une défaite de la gauche plurielle aux élections législatives de 2002,...
M. Jean-Claude Carle. C'est un visionnaire !
M. Josselin de Rohan. ... ce qui ne favoriserait évidemment pas la candidature du Premier ministre à l'élection présidentielle.
M. Jean-Claude Gaudin Quel drame ! (Sourires.)
M. Josselin de Rohan. Notre collègue M. Patrick Devedjian, quant à lui, a relevé sous la plume de M. Jean-Christophe Cambadélis, qui s'est fait discret ces derniers temps mais qui, Dieu merci, écrit encore, que l'opération inversion ne présentait vis-à-vis de l'UDF que des avantages : soit l'UDF s'oppose au texte et, dans ce cas, il n'y aura plus de candidat UDF à l'élection présidentielle ; soit elle le vote et, dans ce cas, il y aura division à droite.
M. René-Pierre Signé. Elle existe déjà !
M. Josselin de Rohan. C'est assez dire que l'ambition du parti socialiste est d'instrumentaliser la formation dont il attend quand même un concours.
M. Paul Masson. Bien sûr !
M. Josselin de Rohan. En politique, il n'y a pas de petits profits !
Le Premier ministre, pour justifier sa prise de position sur le fond du problème, a utilisé deux arguments : d'une part, la nécessaire cohérence entre l'exécutif et le législatif ; d'autre part, le respect de l'égalité entre les concurrents à l'élection présidentielle.
Que la cohérence entre exécutif et législatif soit nécessaire pour rendre efficace l'action politique, c'est une évidence. Que la cohabitation constitue une anomalie peu satisfaisante, nous en convenons volontiers. Mais avant de théoriser, il faut considérer les faits.
Le seul Président de la République, sous la Ve, à avoir immédiatement dissous l'Assemblée nationale à l'issue de son élection a été François Mitterrand. Tous les autres du général de Gaulle au président Chirac inclus, ont vu les élections législatives précéder leur élection et s'en sont accommodés.
M. René-Pierre Signé. Evidemment !
M. Josselin de Rohan. Ajoutons que, en 1988, M. Valéry Giscard d'Estaing s'était employé à convaincre, sans succès, M. Mitterrand de ne pas dissoudre l'Assemblée élue deux années auparavant.
Pas plus que le quinquennat, l'inversion du calendrier électoral n'est une garantie contre la cohabitation. Le chef de l'Etat peut décéder ou démissionner peu de temps après son élection ; il peut également dissoudre l'Assemblée nationale après deux années de mandat. Dans les deux hypothèses, il peut y avoir discordance entre la couleur politique du chef de l'Etat et celle de l'Assemblée nationale ; c'est la situation que nous vivons.
Par ailleurs, en 2002, l'élection présidentielle et les élections législatives se dérouleront à quelques semaines d'intervalle. On peut légitimement penser que, s'il existe un véritable mouvement d'opinion, soit pour reconduire la majorité de gauche, soit pour la censurer, il se manifestera deux fois de la même manière dans un espace de temps aussi resserré. On conçoit que le chef d'une majorité désavouée aux élections législatives puisse éprouver des craintes quant à sa candidature à l'élection présidentielle ; à l'inverse, s'il sort vainqueur du combat, ses chances de victoire seront très sensiblement renforcées.
Si le calendrier était maintenu, dit le Premier ministre, il y aurait rupture d'égalité entre les candidats parce que certains - entendez : lui-même et quelques autres - devront tout à la fois mener campagne pour les législatives et pour la présidentielle. On voit mal où réside la difficulté ! Personne ne fera au Premier ministre l'injure de douter qu'il soit à nouveau candidat depuis mai 1995. Il n'aura pas à se déterminer dans les huit jours !
Ses concurrents sont également tous connus, exception faite des Verts, qui ne se meuvent pas dans une dimension euclidienne et auront plus de candidats que d'électeurs !
Le Premier ministre est en campagne électorale permanente depuis 1997,...
MM. René-Pierre Signé, Claude Estier et André Rouvière. Et le Président de la République ?
M. Josselin de Rohan. Messieurs, vous voulez m'interrompre, je suis à votre disposition !
M. René-Pierre Signé. Il ne faut pas dire n'importe quoi !
M. Claude Estier. Nous vous écoutons avec délice ! (Sourires.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie.
M. Josselin de Rohan. Le Premier ministre étant donc en campagne électorale permanente depuis 1997...
M. André Lejeune. Bien avant !
M. Josselin de Rohan. ... - cela n'a absolument rien d'illégitime ! - nous nous imaginons qu'il ne se fait pas trop de soucis pour son éventuelle réélection dans sa circonscription. Il faut donc chercher ailleurs l'origine de ses motivations.
Outre le fait, que j'ai déjà mentionné, qu'un échec de la majorité sortante aux législatives risquerait d'être fatal à sa candidature, l'inversion du calendrier, en fait, le dégage du poids de la pluralité.
A la tête d'une coalition, il doit prendre en compte et porter les opinions, les contraintes et les intérêts de ses partenaires et, dans le choix d'une plate-forme politique, consentir des concessions. Candidat à l'élection présidentielle, il est libre de choisir les orientations qu'il propose au suffrage populaire. Voilà la raison profonde de l'inversion du calendrier.
Les deux combats sont de nature très différente, mais le Premier ministre, en changeant le calendrier, a surtout en vue sa situation personnelle, et c'est ce qui nous fait penser qu'il s'agit bien d'une réforme de convenance.
Lorsqu'on relit les déclarations du Premier ministre, candidat inavoué à l'élection présidentielle, il y a quelque chose de très frappant : c'est le flou qui entoure sa vision de la Constitution.
Certes, il se déclare en faveur d'une nouvelle limitation du cumul des mandats, du renforcement des pouvoirs du Parlement grâce à la réforme de l'ordonnance de 1959 ou à une révision de l'article 35 de la Constitution relatif à la déclaration de guerre.
En revanche, nous ignorons tout de ses conceptions sur l'avenir de nos institutions. Il nous a dit qu'elles n'étaient pas sa référence mais nous n'avons aucune indication sur ses préférences. Est-il favorable au régime présidentiel, comme M. Jean-Pierre Chevènement et le Mouvement des Citoyens, ou à une constitution instituant un régime d'assemblées, comme le préconisent ses partenaires Verts et communistes ? Préconise-t-il le maintien de l'actuelle constitution, ou une restriction du droit de dissolution, comme le préconisent certains de ses amis ? Nous n'en savons rien !
Ceux qui ont réclamé, à l'Assemblée nationale, un débat d'orientation sur les institutions en auront été pour leurs frais. Ils ne savent pas, à ce jour, ce que le principal candidat de la gauche à l'élection présidentielle propose aux Français. Or la démarche préconisée pour l'inversion du calendrier n'est pas neutre dans l'esprit de ses promoteurs. Elle est la première étape d'un processus qui doit conduire à d'importants changements constitutionnels et peut-être même à des bouleversements définitifs. A moins de seize mois de la consultation, nous ne savons pas qui de M. Roman, de M. Dray ou de M. Montebourg ni de M. Quilès, qui disent des choses contradictoires en proposant des changements fondamentaux, exprime la vision socialiste. Est-ce convenable et digne d'un pays démocratique ?
On ne débat pas des institutions « à la sauvette », on ne révise pas la Constitution à tout propos pour en saper les fondements ou en altérer l'esprit. Les Français ont droit à la franchise. Que leur proposez-vous, où voulez-vous les mener et par quels moyens ? Ce n'est pas en mars 2002 qu'il faut répondre, c'est tout de suite ! (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Monsieur le ministre, il est vraisemblable que, grâce à la conjonction des calculs, des intérêts particuliers et peut-être même des rancoeurs, cette proposition de loi trouvera une majorité à l'Assemblée nationale.
M. René-Pierre Signé. Tant mieux !
M. Josselin de Rohan. Votre victoire ne sera pas glorieuse...
M. René-Pierre Signé. Si !
M. Josselin de Rohan. ... car elle aura été acquise non pas avec le concours de vos amis, mais avec le concours d'une fraction de vos adversaires.
M. René-Pierre Signé. Grâce à la dissolution !
M. Josselin de Rohan. Peut-être vous rappellerez-vous un jour que, lorsqu'on émet des créances douteuses, on est parfois payé en fausse monnaie ? (Exclamations sur plusieurs travées socialistes.)
Vous ne nous laissez ni le choix du terrain ni celui des armes, mais soyez assuré que, quel que soit le cadre ou les conditions dans lesquels nous devrons livrer bataille, vous nous trouverez prêts au combat. Nous saurons opposer à vos conceptions notre proposition pour une France moderne, prospère et unie, qui sache conjuguer développement économique et progrès social, maintenir son identité...
M. René-Pierre Signé. La litanie !
M. Josselin de Rohan. ... et contribuer à l'édification de l'Europe, promouvoir les libertés locales et favoriser un Etat fort,...
M. René-Pierre Signé. La litanie !
M. Josselin de Rohan. ... adapter nos institutions aux changements de la société, mais les préserver contre toutes les aventures et les expérimentations hasardeuses.
M. Claude Estier. Hasardeuses ?
M. Josselin de Rohan. Celui qui aura pour tâche de défendre nos idées et notre projet pourra compter sur notre foi et notre adhésion sans réserve. Aussi est-ce avec sérénité et confiance que nous attendons le rendez-vous. Il ne nous fait pas peur ! (Applaudissements prolongés sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d'abord saluer la démonstration de M. le rapporteur de la commission des lois. Il a, avec sa commission, accompli une tâche particulièrement difficile compte tenu de la précipitation de nos travaux. Je tiens à l'en féliciter même si je ne le rejoins pas dans ses conclusions.
M. René-Pierre Signé. Il n'a pas convaincu !
M. Jean Arthuis. Mes chers collègues, c'est un moment essentiel de la vie politique française que nous vivons dès aujourd'hui, à travers le débat qui s'ouvre sur la modification éventuelle du calendrier électoral. Il est essentiel à un double titre. Tout d'abord, parce que, tel que nous l'analysons, il s'inscrit dans le prolongement de la discussion menée en juin 2000 sur la durée du mandat présidentiel. L'aménagement du calendrier des élections législatives et présidentielle est bien la conséquence de l'adoption, voilà maintenant six mois, du quinquennat pour le mandat du Président de la République. Il y a, en l'espèce, l'affirmation d'une cohérence républicaine qu'il convient de préserver et à laquelle le Parlement doit être sensible. Ce moment est également essentiel car il nous donne l'occasion d'esquisser et, je l'espère, de clarifier la vision que nous devons développer de nos institutions, et ce hors de toute considération polémique.
Je déplore cependant que l'occasion d'un véritable débat d'envergure, largement ouvert, non seulement aux représentants politiques, mais également aux acteurs de la société civile, n'ait pas été réellement saisie. D'aucuns reprocheront en effet la perpétuation, en ce début de siècle et de millénaire, de pratiques surannées et pernicieuses de notre vie publique, surtout lorsqu'il s'agit de s'attaquer au marbre de la loi fondamentale, la Constitution : ces pratiques consistent à tergiverser, à brouiller le débat par des arrière-pensées politiciennes et des diatribes publiques, avant finalement de procéder à quelques retouches successives qui ne permettent certainement pas à nos concitoyens de dégager un tableau d'ensemble de l'évolution de leurs institutions. Ce débat n'a toujours pas eu lieu et c'est à déplorer. Néanmoins, il nous appartient aujourd'hui, à travers une discussion en apparence restreinte sur un simple problème de dates, de commencer à dessiner le paysage politique et institutionnel français le plus adapté au xxie siècle.
En juin dernier, lors des débats sur l'adoption du quinquennat, j'avais, à cette tribune, souligné, au nom du groupe de l'Union centriste, notre accord à cette modification de la Constitution. Elle nous apparaissait comme un instrument du progrès républicain, un renforcement de la démocratie participative et un moyen laisssant espérer une diminution des risques de cohabitation. Autant d'avantages qui se heurtaient pourtant ensuite, c'est-à-dire à partir de 2002, à une incongruité, à un anachronisme : l'ordre artificiel, car né de hasards politiques - le décès de Georges Pompidou et la dissolution de 1997 -, des élections nationales, législatives, puis présidentielle.
Le poids de l'histoire, que chacun peut interpréter à sa guise, ne peut d'ailleurs entrer ici en ligne de compte. J'ajoutais à l'époque que nous soutiendrions donc une initiative visant à réaménager ce calendrier électoral afin que le Président de la République retrouve la prééminence de sa fonction : il est bien, dans le régime de la Ve République, le « capitaine » qui exprime la vision et les grandes orientations politiques de notre nation, la clé de voûte de nos institutions. Il doit naturellement être le premier élu par les citoyens.
Depuis juin 2000 - ai-je besoin de le rappeler ? -, des propositions de loi émanant de députés UDF ont été déposées à l'Assemblée nationale, répondant à notre voeu et à celui, exprimé de longue date, du président de notre formation politique. Elles ont suscité de nombreuses réactions, preuve de leur pertinence. Elles ont surtout entraîné l'étonnant ralliement à leur point de vue d'une partie de la majorité plurielle, emmenée - presque par surprise - par le Premier ministre lui-même. S'il faut parler de revirement, il s'est situé à gauche, dans la majorité plurielle, et non à droite, au sein de l'opposition. La constance et la cohérence, dans le respect des institutions, sont de notre côté, ne l'oublions pas ! Il ne saurait être ici question de collusion. Et je ne céderai pas à la tentation de qualifier ainsi les ralliements de points de vue entre les membres de l'opposition et ceux de la majorité, quelle qu'en soit la cause.
M. Philippe Arnaud. Très bien !
M. René-Pierre Signé. La gauche, c'est contagieux !
M. Jean Arthuis. Je ne m'étendrai donc pas davantage sur ce qui apparaît aux yeux des Français comme un épisode mineur et politicien. Peu importent les manoeuvres ponctuelles et dérisoires, traductions de calculs aléatoires. En l'espèce, les augures ont peu de poids, et chacun peut voir dans leurs prédictions la part du rêve... Nul ne sait ce qui se passera en 2002.
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
M. Jean Arthuis. Seules comptent aujourd'hui la préservation, la consolidation même de nos institutions. Le reste n'est qu'illusion.
M. René-Pierre Signé. Il y aura quand même un élu, et ce ne sera pas Chirac !
M. Jean Arthuis. Qu'on ne nous objecte pas non plus qu'il est malséant, pour ne pas dire malsain et suspect, de procéder à des modifications avant des échéances électorales : plus d'une année nous en sépare encore. Au demeurant, il ne s'agit en aucune façon de modifier la forme de l'élection mais simplement sa date. Quant au temps, ne le gaspillons pas en arguties, mais agissons. N'inversons donc pas les rôles et ne réduisons pas un débat de fond à des querelles d'arrière-cuisine : la démocratie et les citoyens ne nous le pardonneraient pas.
Nous évoluons depuis 1958 dans un régime enfin stabilisé, celui de la Ve République. Quels que soient ses défauts, il a l'immense mérite de ne jamais avoir été remis en cause par les Français, d'être bien plus souple et adaptable qu'il n'y paraît. Michel Debré lui-même ne rappelait-il pas qu'il fallait savoir « puiser dans les ressources de la Constitution » afin de faire vivre nos institutions au fil du temps ?
La République, qui nous gouverne toujours à l'heure actuelle et que nous acceptons, implique que le Président de la République en soit le pôle central, l'élément moteur. Il définit les grandes orientations politiques qui vont déterminer le destin du pays pour les cinq ans, désormais, qui suivent son élection. C'est sur cette vision que les électeurs se prononcent, en confiant à un homme...
Un sénateur socialiste. Ou à une femme !
M. Jean Arthuis. ... les rênes de la nation pour une période donnée. C'est indiscutablement un moment crucial de la vie civique, de la vie publique ; il s'agit là de la participation la plus flagrante, la plus intense des citoyens. Il est parfaitement légitime, dans ces conditions, que ce Président, qui réunit dans sa fonction une telle confiance et une telle force démocratique, soit élu avant les représentants du peuple.
Ce n'est qu'à cette condition, me semble-t-il, que peut se sceller dans le pays le pacte majoritaire, socle sur lequel repose notre démocratie parlementaire et condition du fonctionnement harmonieux de nos institutions. C'est ce pacte majoritaire qui garantit stabilité politique et latitude d'action au gouvernement chargé de mettre en oeuvre les orientations préalablement définies et approuvées.
M. René-Pierre Signé. Sauf s'il dissout, erreur fatale !
M. Jean Arthuis. C'est donc bien sur le projet, sur la vision du Président de la République que se déterminent les Français. Comment peut-on souhaiter leur retirer, même indirectement, ce pouvoir de décision éminemment républicain ? C'est l'essence même de notre système politique qui est en jeu : l'élection d'un Président autour duquel s'organise une majorité parlementaire apportant son soutien à une stratégie nationale. L'inverse est difficilement envisageable. Peut-on réellement imaginer élire des parlementaires qui n'auront pas pris connaissance des orientations politiques du Chef de l'Etat et auront de grandes difficultés à se positionner vis-à-vis des électeurs ?
Cette situation fragile conduirait - nombreux sont les experts à l'avoir souligné - à un affaiblissement de la fonction présidentielle. Certains peuvent, après tout, le souhaiter, craignant les effets de l'accumulation des pouvoirs entre les mains d'un seul homme, le Président. C'est loin d'être le cas, et ce risque apparaît, dans le contexte actuel de détérioration des pouvoirs, bien hypothétique.
M. René-Pierre Signé. C'est loin d'être le cas !
M. Jean Arthuis. Ce « coup de grâce », comme l'a si bien dit René Rémond, qui serait porté à la fonction présidentielle compromettrait le besoin indiscutable de stabilité et de responsabilité, si nécessaire à l'action politique.
Au contraire, en revenant à l'esprit de la Ve République, nous pouvons espérer limiter encore les risques de cohabitation,...
M. René-Pierre Signé. Dissolution !
M. Jean Arthuis. ... ce dévoiement pervers, devenu insupportable qui corrompt insidieusement nos institutions depuis trop longtemps. Certes, les électeurs peuvent choisir deux options différentes aux élections de 2002. Nul ne peut aujourd'hui prévoir un scénario réaliste. Mais des sondages récents laissent à penser que les Français sont également las des dysfonctionnements de nos institutions, puisqu'une majorité d'entre eux se déclare désormais opposés à une nouvelle cohabitation dans moins de deux ans. Ils aspirent heureusement à une plus grande clarté démocratique. Cette dernière passe, à travers leur vote, par la liberté d'action donnée à un Président et aux parlementaires qui le soutiendront. Dans cet ordre, sinon, la paralysie guette à nouveau notre vie publique.
Ne nous y trompons pas. Je ne me fais nullement l'apôtre d'un régime autoritaire, marqué par la concentration des pouvoirs sur une seule tête. Je suis, chacun le sait ici, particulièrement attentif à l'équilibre des pouvoirs, à la bonté santé du Parlement, qui est garant de la démocratie, à la clarification des compétences et donc à la décentralisation.
Mais un affaiblissement du Président de la République n'entraînerait pas de façon automatique une valorisation du Parlement. Nos réflexions doivent englober un large champ et déboucher sur une démarche politique se déclinant à trois niveaux : local, national, mais aussi, et de plus en plus, européen. Cette mise en perspective doit aussi inspirer notre débat institutionnel aujourd'hui comme demain : nous devons commencer de traduire, à travers l'évolution que nous donnerons progressivement à notre République, notre volonté d'affermir la démocratie de proximité, de maintenir le lien qui soude notre communauté de destins, et de nous intégrer de manière naturelle dans l'Europe politique que nous aurons su dessiner.
D'ici là, nous devons enrayer le processus d'érosion de nos institutions.
Certains objecteront qu'à travers la modification, que l'on veut durable et non ponctuelle, du calendrier électoral de 2002, c'est un glissement vers un régime présidentialiste, déséquilibré, que l'on préfigure. Mais si présidentialisation il y a, elle implique évidemment, en corollaire, le renforcement du rôle du Parlement. En aucun cas, la reviviscence du Parlement ne découlera d'une quelconque modification du calendrier électoral. Ce sont deux problématiques totalement dissociées.
C'est à nous, parlementaires, et à nous seuls, de faire en sorte que le Parlement retrouve ses couleurs, son pouvoir de contrôle et sa fonction de contrepoids aux abus éventuels de la puissance publique. S'il ne se réveille pas, le Parlement continue de participer au dysfonctionnement de l'Etat. C'est à nous d'agir, indépendamment de toute modification constitutionnelle. Je pense, par exemple, à la réforme de l'ordonnance de 1959 concernant l'élaboration et la discussion des lois de finances qui est la constitution financière de la République ; je pense aussi au développement des commissions d'enquête, au contrôle permanent sur pièces et sur place et à bien d'autres actions encore. C'est là une évolution indispensable.
Mme Hélène Luc. Il faut démocratiser l'élection des sénateurs !
M. Jean Arthuis. J'espère, en cette année 2001, que nous allons progresser de façon significative dans cette voie.
Je conclurai en soulignant que nous pouvons nous engager aujourd'hui, en votant ce texte, dans une remise en ordre, un affermissement de nos institutions, celles de la Ve République qui régissent toujours notre vie publique. C'est notre souhait. C'est celui de la formation politique à laquelle nous appartenons.
Pour les différentes raisons que j'ai développées, le groupe de l'Union centriste, qui aurait, dans sa majorité, souhaité voter en l'état la proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, est au regret de ne pouvoir suivre les propositions de la commission des lois. (Applaudissements sur certaines travées de l'Union centriste et sur les travées socialistes.)
M. René-Pierre Signé. Il aura raison !
M. le président. La parole est à M. de Raincourt.
M. René-Pierre Signé. On va changer de musique ! (Sourires.)
M. Henri de Raincourt. Effectivement, monsieur Signé, nous allons changer de musique !
N'en doutons pas : si, par hypothèse, la proposition de loi organique dont nous débattons aujourd'hui était soumise par référendum à l'appréciation du peuple français, alors non seulement elle provoquerait un nouveau record d'abstention,...
M. Gérard Braun. C'est sûr !
M. Henri de Raincourt. ... mais, à l'évidence, le « non », cette fois, l'emporterait. En effet, comment voulez-vous faire croire aux Français que cette proposition de loi vient rétablir clarté, logique et bon sens dans nos institutions, alors même qu'elle ne dispose que pour l'année 2002 ?
Si la mesure préconisée, à savoir la priorité chronologique de l'élection présidentielle sur l'élection législative, était d'intérêt vraiment général, elle aurait fait l'objet d'une mesure générale. Etant d'intérêt circonstantiel, elle fait l'objet d'une proposition de circonstance.
M. Jean-Claude Gaudin. Bien entendu !
M. Henri de Raincourt. Le peuple n'étant pas, cette fois, directement consulté, c'est au Parlement qu'il revient de délibérer et de voter.
Au terme d'étranges marchandages qui, vous le savez, n'ont pas édifié les électeurs, l'Assemblée nationale a voté en première lecture la modification de la date d'expiration de ses pouvoirs.
Quiconque s'est tenu au courant des débats sait que l'Assemblée nationale n'a pas à tirer fierté de son vote. Les raisons invoquées en faveur de l'inversion du calendrier sont tout sauf des raisons d'intérêt général. On a prétexté des raisons d'intendance, sur lesquelles je reviendrai ; il ne fait pas de toute, une fois encore, que ce sont des raisons de pure convenance. On a prétexté des raisons de clarté, de distinction et de priorité ; ce n'est guère convaincant.
On suppose que les Français ne connaîtraient pas la différence entre un député et un chef d'Etat, ou entre un chef d'Etat et un chef du gouvernement dans le cadre d'une cohabitation parlementaire. De peur peut-être que l'électeur ne s'embrouille, le législateur lui mâche le travail, et il le fait pour 2002 seulement. Aussi ai-je envie de dire, avec Tocqueville : « Que ne lui ôte-t-on la peine de voter ? ».
Avant de revenir plus en détail sur les mauvaises raisons d'inverser le calendrier électoral du printemps 2002, je voudrais dire la peine que je ressens à la pensée que notre Parlement aura célébré l'entrée dans le troisième millénaire en manipulant le calendrier des sortants. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Dans les débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale, les uns ont parlé d'inversion du calendrier, les autres de rétablissement ou de remise à l'endroit. En dépit de cette diversité de vocabulaire, personne n'est vraiment dupe, de l'aveu même de certaines personnalités qui, pourtant, préconisent ce changement. On ne s'est pas fait faute de les citer longuement au Palais-Bourbon ; je n'en citerai tout à l'heure que deux ou trois.
C'est assez dire que le débat a vite tourné au procès d'intention, d'un côté, et au désir de réalité, de l'autre. Ce qui devait être un élément du débat sur l'avenir des institutions - la durée des mandats, le rythme des consultations électorales, l'enventuel rééquilibrage des pouvoirs, etc. - est devenu, en fait, une dispute sur l'avenir de la candidature présidentielle de M. Lionel Jospin. (M. Marcel Charmant s'exclame.)
Cette manière de faire est détestable. Elle est de ces manoeuvres politiciennes qui accentuent dangereusement l'écart entre le pays réel et ses représentants.
Oui, cette manoeuvre est vraiment regrettable ! Mais est-elle vraiment pour nous surprendre ? Hélas, non, car il y a des précédents.
En 1986, le mode de scrutin législatif a été modifié, avec l'objectif d'atténuer les chances de victoire de l'opposition.
En 1990, la durée du mandat d'une partie des conseillers généraux a été prorogée de façon à regrouper les élections cantonales, dans le dessein de permettre à la gauche de conquérir de nouveaux départements.
Le Gouvernement de M. Jospin n'est pas resté inactif en la matière, puisqu'il a projeté et fait adopter une réforme du mode de scrutin régional qui vise tout simplement à faire basculer la majorité des régions vers la gauche et à donner la main de manière un peu plus forte encore aux partis politiques plutôt qu'aux élus locaux, à ceux qui tous les jours, sur le terrain, oeuvrent pour le bien-être de nos compatriotes.
M. Jean-Claude Gaudin. C'est tout à fait exact, et il faudra balayer tout cela !
M. Henri de Raincourt. Le Premier ministre a également projeté une réforme du mode de scrutin sénatorial pour, tout simplement, conquérir la majorité au Sénat et au Congrès du Parlement. Si donc il y a une anomalie démocratique, elle ne se trouve certainement pas au Sénat !
Il est clair que ces réformes électorales étaient, hier, et sont, aujourd'hui, des manipulations politiques.
Il est vrai que l'on n'a jamais vu un gouvernement prôner un mode de scrutin par définition contraire à l'intérêt de ses membres !
M. Jean-Claude Gaudin. La droite en est capable ! (Rires.)
M. Henri de Raincourt. En voulant changer la règle du jeu de manière aussi intéressée, les auteurs de cette proposition de loi courent le risque de décourager gravement les électeurs.
Il est vrai que la majorité actuelle et le Gouvernement ont probablement beaucoup à craindre des élections législatives de 2002. C'est d'ailleurs si vrai qu'un certain nombre de sondages, non publiés, allant en ce sens ont, comme par hasard, précédé de quelques jours le changement d'attitude du Premier ministre sur ce sujet.
L'opposition nationale doit, certes, s'opposer, mais elle doit aussi préparer l'avenir. A cet égard, les « ateliers de l'alternance » nous permettent d'élaborer un certain nombre de réponses précises, simples, concrètes et appropriées aux préoccupations des Français.
Alors, mes chers collègues, ce ne sont pas des défections que nos collègues socialistes s'évertuent à solliciter qui empêcheront l'opposition de se présenter unie (M. Estier éclate de rire) , avec un projet de société, aux élections législatives de 2002.
M. Claude Estier. Tout va bien, alors !
M. Henri de Raincourt. La seule chance du candidat Lionel Jospin et de sa majorité plurielle, d'ailleurs complètement divisée sur ce sujet (Rires sur les travées socialistes) , c'est de tirer parti d'un affrontement anticipé de présidentiables à droite.
L'éclatement de l'actuelle majorité est latent. On l'a vu à l'occasion, je le répète, de la discussion de cette proposition de loi à l'Assemblée nationale,...
M. Josselin de Rohan. Lors de l'examen du budget !
M. Henri de Raincourt. ... lors de la discussion, c'est vrai, de la loi de finances, et en bien d'autres circonstances encore, par exemple sur le crédit d'impôt, rebaptisé « prime à l'emploi ».
Je reconnais, d'ailleurs, qu'en matière de sémantique, nous sommes des amateurs à côté des grands spécialistes que sont les socialistes !
M. Claude Estier. Pas seulement en matière de sémantique !
M. Henri de Raincourt. Mais je rends hommage à ceux qui, sur le plan de la sémantique, font preuve d'une imagination absolument sans limite !
La seule chance de succès du parti socialiste aux élections législatives réside donc dans un démarchage à sa droite. (Rires sur les travées socialistes.)
Mme Danièle Pourtaud. Ce n'est pas très gentil pour ceux qui sont démarchés !
M. Henri de Raincourt. Or, pour fidéliser la clientèle, il faut l'appâter, et, dans cette perspective, la déconvenue sera certainement au rendez-vous !
M. Claude Estier. Soyez heureux, alors !
M. Henri de Raincourt. Dans le cas d'une victoire de la droite aux législatives de 2002,...
Un sénateur socialiste. Il ne faut pas rêver !
M. Henri de Raincourt. ... la manoeuvre dont je viens de parler n'est plus possible, et la course au présidentiable pourrait bien redevenir alors une loyale compétition. Le message électoral reçu lors des législatives pourrait donner une bonne idée du chef de gouvernement souhaitable.
On comprend donc pourquoi les auteurs de la proposition de loi ont intérêt à inverser l'ordre prévu des élections législatives et présidentielles : cette inversion du calendrier laisse entrevoir le lancement d'une candidature socialiste suivie - c'est du moins ce qu'ils espèrent - d'une dynamique de majorité présidentielle.
Toutes ces supputations ont quelque chose de machiavélique. (M. Claude Estier rit.)
M. Jean Delaneau. De malsain !
M. Henri de Raincourt. Elles sous-entendent que le peuple n'y verra que du feu, qu'il sera pris par les apparences, qu'il ne regardera pas aux moyens employés pour parvenir au résultat.
Là, en revanche, il faut répéter que, lorsque la date d'une élection est modifiée en fonction du résultat escompté, on est, si les mots ont un sens, en présence d'une manipulation particulièrement audacieuse.
M. Claude Estier. Comme la dissolution de 1997 !
M. Henri de Raincourt. Veuillez m'excuser, monsieur Estier, mais je ne vois vraiment pas le rapport ! Si vous voulez nous l'expliquer !
M. Jean-Claude Gaudin. Vous seriez peut-être surpris si l'on recommençait !
Mme Danièle Pourtaud. Chiche !
M. Jean-Claude Gaudin. Attention ! Ne le dites pas trop !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Je ne voudrais pas, monsieur le président, que M. Estier soit frustré.
M. Jean-Claude Gaudin. Il n'est jamais frustré !
M. Claude Estier. Je vous écoute avec délice, monsieur de Raincourt !
M. Henri de Raincourt. Ainsi, l'audace et la mauvaise foi n'ont pas manqué dans ce débat organisé à la sauvette et mis à l'ordre du jour prioritaire de nos travaux par le Gouvernement, comme l'y autorise la lettre mais certainement pas l'esprit de la Constitution.
Je veux maintenant donner quelques exemples de cette audace, avant d'examiner de plus près l'argumentation de fond des tenants de la proposition de loi organique.
Lors de la première séance du 19 décembre dernier, M. Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, a interprété « la hausse de l'abstention lors des consultations électorales et, plus récemment, lors du référendum sur le quinquennat... comme les signes d'un vrai malaise qui trouve sa source dans un mauvais fonctionnement de notre démocratie ».
Soit ! Mais M. Ayrault préconise, en guise de remède à ce malaise démocratique, la proposition de loi que l'on connaît. Or, ce remède n'est pas pire que le mal, il est la source même, l'une des sources, du malaise que nous connaissons et qu'il va venir aggraver.
Alors, comme pour mieux faire passer cette potion qui empoisonne notre démocratie, M. Ayrault a brossé devant nos collègues du Palais-Bourbon un tableau mi-idyllique, mi-apocalyptique de la radicalisation. A l'en croire, rien de tel, pour tenir les promesses de la mondialisation ou bien pour conjurer ses menaces que... l'inversion du calendrier ! Pour un peu l'inversion du calendrier pourrait suffire à empêcher le réchauffement de la planète ou le naufrage de l' Erika !
M. Claude Estier. C'est ridicule !
M. Henri de Raincourt. Quant à ceux qui, comme moi, ne se rendent pas à la prétendue évidence que l'inversion du calendrier est la panacée, M. Ayrault leur impute, je le cite encore, « une conception impériale et figée des institutions de la République ».
D'abord, je ne crois pas qu'une conception impériale se confondrait systématiquement avec la République.
M. Adrien Gouteyron. Non !
M. Henri de Raincourt. Mais, surtout, il me semble que traiter, comme les socialistes le font, une élection parlementaire comme le simple corollaire d'une élection présidentielle, c'est précisément ce qui s'appelle renouer avec une conception impériale, super présidentialiste des institutions. Le « Prince-Président » est de retour !
Veut-on un autre exemple ? Dans une interview accordée au Journal du dimanche du 31 décembre 2000, M. Forni, président de l'Assemblée nationale, a déclaré : « Le Sénat aurait quelque audace à retenir un texte qui ne le concerne pas directement puisqu'il s'agit des élections à l'Assemblées nationale ».
M. Jean Delaneau. Il faut du culot !
M. Henri de Raincourt. M. Queyranne, ministre des relations avec le Parlement, a enfourché le même cheval.
Cette affirmation serait éventuellement crédible si, voilà quelques mois, la majorité à l'Assemblée nationale, pour la première fois, contrairement à toute tradition républicaine, ne s'était pas mêlée de modifier le mode de scrutin sénatorial contre la volonté de notre assemblée.
M. Jean-Claude Gaudin. Absolument !
M. Henri de Raincourt. Je rappelle que le Sénat, lui, avait respecté cette tradition républicaine en 1986, car, si mes souvenir sont exacts, pour ne pas se mêler de ce débat qui concernait le mode d'élection des députés, le Sénat avait adopté une motion de procédure, de façon qu'il n'y ait pas de débat sur le fond.
M. Jean Chérioux. C'est vrai !
M. Henri de Raincourt. La courtoisie et la tradition républicaines, de quel côté sont-elles ? Nous le savons. En tout cas, elles s'émoussent et, au-delà du respect que je dois au président de l'Assemblée nationale et au ministre des relations avec le Parlement, je dirai que des motifs de ce genre leur enlèvent tout crédit pour nous inciter à ne pas nous mêler d'un sujet qui, à l'évidence, concerne moins la durée du mandat des députés que l'élection du Président de la République.
Examinons à présent les arguments brandis par l'un des protagonistes de cette affaire, je veux parler de M. Rocard,...
M. Jean-Claude Gaudin. Ah !
M. Henri de Raincourt. ... qui, dans le cadre de l'amicale des anciens Premiers ministres...
M. Josselin de Rohan. Et candidat à l'élection présidentielle ?
M. Henri de Raincourt. ... s'est prononcé en faveur de l'inversion du calendrier électoral de 2002.
« Imaginons, dit M. Rocard, que soit maintenu l'agenda. Au soir des législatives, il est possible que le chef du camp battu se retire de la compétition présidentielle. Son camp disposera de deux semaines au mieux pour choisir un nouveau candidat. Les nouveaux députés, qui ne se seront pas encore réunis, n'auraient que peu de jours pour lui apporter leur parrainage et, vraisemblablement, quelques dizaines d'élus seront soumis aux vérifications de leur compte de campagne et donc de la validation de leurs parrainages. Mieux vaudrait-il alors demander aux députés sortants de fournir leur parrainage ? Mais ceux-là, conclut M. Rocard, n'auront plus de légitimité politique. »
Nous connaissons l'ingéniosité, l'agilité intellectuelle de M. Rocard.
M. Claude Domeizel. Et de M. Barre !
M. Henri de Raincourt. Nous connaissons aussi l'ingéniosité de l'ancien Premier ministre, lorsqu'il anticipe déjà la panique et la pagaille dans les rangs des députés du camp battu.
M. Jean-Claude Gaudin. Et avec quelle gourmandise !
M. Henri de Raincourt. J'admire également sa prévoyance des délais de vérification des comptes de campagne et de validation des parrainages. Il est vrai que, le 23 juillet dernier, le Conseil constitutionnel en a fait l'observation, sans toutefois en tirer les mêmes conclusions.
J'admire aussi son sens civique aigu, qui va jusqu'à dénier toute légitimité politique aux députés sortants. Alors, je voudrais, si cela est possible, le rassurer. (M. Jean-Claude Gaudin s'exclame.)
Le parrainage des députés du camp battu n'a pas grande importance. Tout le monde semble souhaiter un retour à la cohérence entre les deux têtes de l'exécutif. Il n'y aura de panique et de pagaille que si le parti socialiste et ceux qui le soutiennent sont battus. Dans le cas contraire, il n'y en aura pas.
M. Rocard clame que son intervention n'est pas partisane. Il en veut pour preuve le ralliement de personnalités non socialistes à la proposition d'inversion du calendrier. Pourtant, il doit prévoir qu'en cas de victoire de la droite les prétendus inconvénients disparaissent. Seul le renouvellement du Premier ministre sera, à ce moment-là, la priorité. Le candidat naturel à l'élection présidentielle serait tout naturellement celui dont le courage et la ténacité auront permis à la France de tenir et à la droite de redresser la tête.
M. Claude Estier. Ce n'est pas pour demain !
M. Henri de Raincourt. Cela approche : il n'y a plus que 2001, puis, c'est 2002. Je pense que nous allons y arriver, gentiment, calmement et sûrement.
Mais il y a une autre objection. Ici, je redonne la parole à M. Rocard : « Après l'élection législative, le président Chirac nommera un nouveau Premier ministre, pour une durée de deux mois et demi, ce qui veut dire qu'il n'aura le temps de rien faire. Tout cela signifie une paralysie générale de l'exécutif de la France. »
Là encore, j'indique que, si la droite remportait les élections, le Premier ministre désigné pourrait se mettre instantanément au travail.
Quoi qu'il en soit, l'élection du Président de la République après les législatives n'en ferait pas l'otage de l'Assemblée nationale. Il y a même des précédents dans notre Ve République : l'élection de Georges Pompidou, en 1969, après les législatives de 1968, et celle de Valéry Giscard d'Estaing, en 1974, après les législatives de 1973.
M. Jean-Claude Gaudin. On l'avait oublié !
M. Henri de Raincourt. Au total, M. Rocard ne se trompe pas sur toute la ligne.
M. Jean-Claude Gaudin. Cela lui arrive !
M. Henri de Raincourt. Il a décrit un scénario qui serait effectivement fâcheux pour ses amis politiques.
Une manière simple de faire de l'obstruction consisterait à débiter d'interminables phrases, remplies d'expressions redondantes et serties, pour faire bonne mesure, de mots choisis parmi les plus longs de la langue française. Parmi ces mots les plus longs, il en est un que nous avons tous appris. C'est un adverbe de vingt-cinq lettres bien connu : « anticonstitutionnellement ». Si l'on en juge par le nombre d'avis dirimants rendus par le Conseil constitutionnel ces dernières semaines, à propos de mesures adoptées par le Gouvernement et sa majorité, il faut avouer que l'adverbe n'est pas près de tomber en désuétude. (M. Simon Loueckhote s'esclaffe.)
Par une manoeuvre non convaincante, les partisans de l'inversion du calendrier électoral de 2002 tentent, en effet, de faire passer le respect du calendrier établi pour anticonstitutionnel ou, du moins, contraire à l'esprit des institutions.
Cela relève, à nos yeux, d'une campagne de désinformation. En effet, l'inversion des dates des élections présidentielle et législatives ferait, lit-on dans un grand quotidien assez proche de l'actuel gouvernement et de sa majorité, l'unanimité des « constitutionnalistes ».
M. Josselin de Rohan. Non !
M. Henri de Raincourt. C'est au point que, même dans une partie, heureusement minime, de l'opposition nationale, il s'est trouvé quelqu'un pour affirmer que l'on chercherait en vain « un seul professeur de droit » pour soutenir le contraire, c'est-à-dire pour soutenir qu'il convient de respecter le calendrier prévisionnel.
Mon ami Josselin de Rohan y a fait référence tout à l'heure, mais j'y insiste à mon tour, et j'en appelle à l'une des personnalités qui a été reçue ici, au Sénat, M. Louis Favoreu,...
M. Michel Charasse. Ah !
M. Henri de Raincourt. ... directeur de la Revue française de droit constitutionnel , et j'affirme qu'une consultation impartiale des spécialistes de droit constitutionnel montrerait que l'unanimité sur la question du calendrier électoral de 2002 est loin d'être réalisée.
Alors, revisitons avec M. Louis Favoreu quelques arguments qui sont avancés par les partisans de l'inversion, comme s'il s'agissait d'évidences scientifiques incontestables.
Premièrement, « l'inversion des calendriers serait commandée par le respect de la conception gaullienne selon laquelle l'élection présidentielle doit avoir le pas sur les élections législatives, afin de préserver la primauté du président de la République au sein des institutions ».
Je commence par déceler dans cet argument une confusion. En effet, la primauté institutionnelle ne se confond pas avec la primeur chronologique. En aucun cas cette confusion n'est légitime ni bénéfique. En aucun cas on ne peut affirmer qu'elle est conforme à l'esprit ou à la réalité de la Ve République.
J'observe que ce qu'on appelle l'esprit de la Ve République relève, au fond, plus du spiritisme que de la clairvoyance !
M. Jean Delaneau. Absolument !
M. Henri de Raincourt. On l'invoque pour faire tourner les tables de la loi constitutionnelle. On lui fait dire ce que l'on veut et l'on a, d'ailleurs, le même comportement à l'égard du général de Gaulle. Il est devenu une statue au pied de laquelle maints politologues ventriloques voudraient faire dire tout et n'importe quoi.
Au lieu d'invoquer les esprits et de faire parler les morts, regardons les faits.
Comme le rappelle M. Louis Favoreu, « en décembre 1958, l'élection du général de Gaulle à la présidence de la République a eu lieu après l'élection des députés ». On ne peut pas dire que ce calendrier ait compromis si peu que ce soit la primauté du Président de la République au sein des institutions.
M. Claude Estier. Ce n'était pas une élection au suffrage universel !
M. Henri de Raincourt. Bien sûr, mais cela n'enlève rien à l'argument : le général de Gaulle était tout de même Président de la République et, à ma connaissance, sa primauté dans le fonctionnement de nos institutions était assez nettement reconnue. Mais il est vrai qu'à l'époque vous étiez sur une autre ligne !
M. Guy Allouche. C'étaient les députés qui élisaient le Président de la République !
M. Jean-Claude Gaudin. Il avait été élu par un collège électoral de 70 000 Français, quand même !
M. Henri de Raincourt. Et même de plus de 70 000 Français !
Mais ce n'est pas tout. Les élections législatives de 1962, de 1967, de 1968, de 1973 et de 1978 ont eu lieu en dehors de toute préoccupation de calendrier.
M. Michel Charasse. Et celles de 1981 et de 1988 ?
M. Henri de Raincourt. J'y viens.
Il faut le reconnaître : ce sont les situations de cohabitation qui ont conduit à ces ajustements de calendrier. C'est le président Mitterrand qui a innové - ce serait, dit-on maintenant, l'application d'une conception prétendument gaullienne -...
M. Jean-Claude Gaudin. N'est-ce pas, monsieur Signé ?
M. Henri de Raincourt. ... en provoquant, par la dissolution, des élections législatives, comme il en avait le droit, après les deux présidentielles qui l'ont porté à la magistrature suprême en 1981 et en 1988. Je reconnais, d'ailleurs, que c'est le seul cas dans lequel nos collègues socialistes emportent la majorité à l'Assemblée nationale : dissolution en 1981, en 1988 et en 1997 !
Je comprends donc effectivement que l'application du calendrier normal vous fasse un peu frémir, chers collègues !
J'en tire trois remarques. Il me paraît difficile d'invoquer comme précédent « gaullien » la pratique d'un homme qui n'a cessé de combattre les institutions de la Ve République, et avec quelle virulence ! Le fait qu'il ait fini non seulement par s'accommoder de ces mêmes institutions mais par se glisser, et, je pense, avec une certaine satisfaction, dans toute la plénitude de ce que les institutions lui apportaient, ne le rend pas, en tout cas, à nos yeux, dépositaire de l'esprit de ces institutions. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
La Constitution n'appartient pas plus aux professeurs de droit qu'aux anciens Présidents de la République ou aux anciens Premiers ministres. Elle est le bien du peuple souverain et ce n'est pas une interprétation tendancieuse qui doit lui enlever ce bien. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Henri de Raincourt. C'était une première remarque.
J'emprunte la deuxième à M. Louis Favoreu.
M. Claude Estier. Décidément !
M. Henri de Raincourt. Quand on a de bons auteurs, pourquoi se priver d'y faire référence ? (Sourires.)
M. Claude Estier. Vous pourriez citer René Rémond, par exemple !
M. Henri de Raincourt. Non, parce que ce n'est pas la ligne sur laquelle je suis, ce n'est donc pas la peine ! (Rires.)
Mme Danièle Pourtaud. C'est une raison, effectivement. Vous en avez au moins trouvé un allant dans votre sens.
M. Henri de Raincourt. C'est une raison suffisante !
Voici donc la citation promise : « N'est-il pas étrange de voir certains de ceux pour qui l'instauration du quinquennat devait affaiblir l'institution présidentielle nous expliquer aujourd'hui que la primauté de celle-ci exige l'inversion des calendriers ? »
M. Jean-Claude Gaudin. Pourquoi ne pas citer Didier Maus ?
M. Henri de Raincourt. J'ajoute que cette question n'est pas une simple chicane.
Des choix politiques aussi graves qu'une modification du calendrier électoral doivent être soumis à une règle de cohérence. Autrement, ils seront jugés, comme c'est le cas aujourd'hui, comme étant de pure convenance. Encore s'agit-il d'une convenance partisane et égoïste, motivée par une question qui n'a rien d'institutionnel, mais qui est très pragmatique : « Dans quel cas de figure, se dit M. Lionel Jospin, ai-je le plus de chances d'être réélu Président de la République ? »
M. Claude Estier. Vous n'avez pas grande confiance dans votre électorat !
M. Michel Charasse. C'est mesquin !
M. Henri de Raincourt. C'est mesquin, mais c'est la réalité !
Je m'en expliquerai tout à l'heure, parce que j'ai de bons auteurs. (Sourires.)
Ma troisième remarque découle logiquement de la précédente. Si l'on retient comme principe implicite de « l'esprit des institutions » la priorité chronologique de l'élection présidentielle sur les élections législatives, que va-t-il s'ensuivre ?
Se posent toujours les problèmes du droit de dissolution pour le Président de la République, de sa démission ou de sa disparition. Cela signifie qu'il faudra à chaque fois voter une proposition de loi pour modifier le calendrier de façon à rétablir ce qui nous est présenté aujourd'hui comme fondamental pour la bonne santé de nos institutions.
Mes chers collègues, je suis tout à fait d'accord avec un certain nombre d'entre vous, peut-être les plus nombreux, pour considérer que la cohabitation n'est pas forcément souhaitable ni le meilleur mode de fonctionnement. Mais, dans nos institutions, elle n'est pas interdite. Et le vote des Français ne peut être pris en otage. C'est aux responsables politiques de convaincre les Français qu'ils ont intérêt à restaurer l'unité de projet et d'action entre les deux têtes de l'exécutif. Nous ne pouvons pas nous permettre de forcer la main du peuple souverain - nous n'y parviendrons pas d'ailleurs - en l'obligeant à conformer son choix législatif à son choix présidentiel.
Contrairement à ce qu'on voudrait nous faire accroire, une telle manoeuvre est contraire à la pratique et à l'esprit de nos institutions. Le raccourcissement du mandat présidentiel ne change rien à l'affaire.
Que la durée des mandats ait été ramenée à une commune mesure ne doit pas contribuer à confondre les deux types de mandats. Au contraire, nous allons devoir apprendre à distinguer le Président de la République et le Premier ministre selon d'autres critères que la durée prévisionnelle de leur mandat respectif. Cela résulte de l'application du changement de la Constitution.
Les partisans de l'inversion des calendriers doivent s'expliquer clairement. Souhaitent-ils le retour à un régime d'assemblée ? Qu'ils proposent alors l'abrogation du pouvoir de dissolution présidentiel. Souhaitent-ils conserver la primauté de l'exécutif présidentiel ? Qu'ils ne fassent pas dépendre cette primauté d'une simple priorité chronologique. On ne peut jouer sur les deux tableaux.
On a crié au bonapartisme, au régime présidentiel pour abroger le septennat. Maintenant, j'entends crier au parlementarisme pour exiger la priorité calendaire de l'élection du président sur celle de l'Assemblée. On ne s'étonnera pas que je considère qu'il s'agit là d'opportunisme et d'électoralisme.
Le 19 décembre dernier, monsieur le ministre, vous avez soutenu que la proposition de loi prorogeant la durée du mandat de l'Assemblée nationale « poursuivait indéniablement un objectif d'intérêt général ». Lequel ? Selon vous, il s'agit « de faciliter l'organisation matérielle de l'élection présidentielle, dont la procédure de parrainage serait gênée par la proche antériorité des élections législatives ». On en revient à l'argument avancé par M. Rocard. Il est vrai que dans la bouche auguste du ministre de l'intérieur, à qui incombe entre autres charges importantes, l'organisation matérielle de l'élection, il révèle - cela ne surprendra personne quand on connaît le titulaire de la fonction - une conscience professionnelle digne d'éloges !
M. Adrien Gouteyron. Beau compliment !
M. Henri de Raincourt. Ce qui est moins remarquable, c'est que l'on mette sur le même plan une contrainte matérielle et l'intérêt général.
J'en appelle à la franchise de M. Emmanuelli qui ne nous suprendra d'ailleurs pas non plus. Il a eu l'honnêteté intellectuelle de déclarer, le 27 novembre dernier : « Personne n'est dupe, cela fait des mois que tout le monde sait que ce calendrier tel qu'il existe aujourd'hui n'est pas vraiment favorable au candidat de la gauche ».
C'est aussi le jugement de M. Fabius : « Lionel Jospin aura deux haies à franchir. »
M. Jean-Claude Gaudin. Même plusieurs !
M. Henri de Raincourt. « S'il perd les législatives, la présidentielle aussi sera perdue. »
Alors, restons-en là, comme l'a dit, dans sa déclaration du 19 octobre 2000, le Premier ministre lorsque, à l'époque, il condamnait l'inversion du calendrier électoral. Je cite à nouveau ses propos : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. »
M. Jean-Claude Gaudin. Jamais !
M. Henri de Raincourt. « Moi, j'en resterai là. »
M. Henri de Richemont. Une girouette !
M. Henri de Raincourt. A l'inverse, je ne peux en appeler à la franchise de Mme Guigou, à l'époque garde des sceaux.
M. Jean-Claude Gaudin. Ce n'est pas possible !
M. Henri de Raincourt. Lors du débat sur le quinquennat, elle a dit « qu'il ne fallait pas changer les règles du jeu juste avant l'élection, car chaque fois que cela se produit, on peut être accusé de vouloir trafiquer. Il vaut mieux que la présidentielle ait lieu avant les législatives. Il faudra de toute façon, après 2002, revenir à un calendrier plus normal, le quinquennat nous y invitera ». Sur ce point, la discussion est ouverte après 2002.
Un tel engagement dans la bouche de personnes aussi éminentes montre au fond une forme de mépris et de cynisme absolu envers le Parlement et envers les représentants du peuple français. (Exclamations sur les travées socialistes. - Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Hilaire Flandre. C'est vrai !
M. Adrien Gouteyron. C'est tout à fait vrai !
M. Henri de Richemont. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Mais oui, c'est vrai ! Nous pouvons vous expliquer. On dira peut-être que les sénateurs Républicains et Indépendants, en refusant de voter cette proposition de loi, mènent un combat d'arrière-garde...
M. Claude Estier. Eh oui !
M. Henri de Raincourt. ... et se livrent à des manoeuvres de retardement. J'observe quand même que, en fait de prolongation, ce sont bien les socialistes...
M. Jean-Claude Gaudin. Encore !
M. Henri de Raincourt. ... qui jouent les prolongations en demandant l'allongement de la durée des mandats des députés à des fins partisanes...
M. René-Pierre Signé. Vous vouliez les raccourcir ?
M. le président. Monsieur Signé, je vous en prie !
M. Henri de Raincourt. ... comme l'a reconnu avec beaucoup de franchise M. Cohn-Bendit. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Cela vous ennuie ? Je ne vais pas vous indisposer longtemps. La citation est brève : « ... il faut inverser le calendrier. C'est l'intérêt de M. Jospin. Il faut être franc en politique ». (Murmures sur les travées socialistes.)
Dès lors, on voit bien où est la franchise et l'on voit bien que ce que l'on nous présente au titre de l'intérêt général ne sert en fait que l'intérêt d'un candidat, ce qui, selon moi, ne fait honneur ni à la lettre ni à l'esprit de ceux qui jouent avec les institutions. (M. René-Pierre Signé proteste.)
M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, monsieur de Raincourt !
M. Henri de Raincourt. Cela ne me dérange pas, monsieur le président, surtout quand il s'agit d'un éminent collègue bourguignon !
C'est par respect envers le corps électoral tout entier, par respect de la dignité des fonctions parlementaires et par respect de la spécificité du mandat présidentiel que nous nous opposerons à la proposition de loi organique visant à inverser le calendrier électoral de 2002.
Cette inversion constitue, à nos yeux, une perversion de la vie démocratique.
M. Jean-Claude Gaudin. Bravo !
M. Henri de Raincourt. Je voudrais, à ce point de mon propos, dire combien notre collègue et ami Christian Bonnet, à travers tant le travail accompli au sein de la commission...
M. Jean-Claude Gaudin. Excellent !
M. Henri de Raincourt. ... et le rapport que dans l'intervention qu'il a faite devant notre assemblée, a été en tout point remarquable, merveilleux, magnifique ! (Vifs applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, et du RPR.) Nous pouvons être légitimement fiers d'avoir parmi nous un membre aussi éminent qui a su, je l'ai vu sur certains visages, mettre en difficulté bon nombre de nos collègues !
M. René-Pierre Signé. Et Giscard ?
M. Henri de Raincourt. Ce n'est pas la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale qu'il faut modifier. Les Français ont déjà donné toutes les étrennes en échange de calendriers. (Sourires.) Ils ont droit au respect, sans arrière-pensée, du calendrier électoral, qui leur permet d'exprimer leurs préférences en matière de projet de société. Aux Français de choisir ce qui leur semble cohérent !
Vous l'avez deviné, mais je le redis pour que ce soit bien clair : les sénateurs de mon groupe voteront pour les conclusions de la commission des lois et pour les propositions de M. Christian Bonnet, c'est-à-dire qu'ils sont délibérément et définitivement opposés à l'orientation de cette proposition de loi organique telle qu'elle est aujourd'hui débattue au Sénat, parce qu'ils sont favorables au maintien d'un calendrier vraiment républicain et indépendant ! (Applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que sur plusieurs travées des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Badinter. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je regardais, avant de monter à la tribune, la liste des orateurs inscrits dans la discussion générale pour en faire le décompte et, constatant qu'il y en avait encore vingt-quatre après moi, je ne pouvais m'empêcher de me rappeler le propos d'un grand orateur républicain : il y a, à coup sûr, un vaincu dans les marathons oratoires, c'est le public ! (Sourires.)
L'exercice étant ce qu'il est, et prêt à y prendre ma part, je commencerai par un rappel.
Lorsque j'ai eu l'honneur, le 29 janvier 2000, au nom du groupe socialiste, de soutenir, devant la Haute Assemblée, le projet de la loi de révision constitutionnelle réduisant à cinq ans la durée du mandat présidentiel, j'avais déclaré que cette réforme, assurément souhaitable, appelait, pour ne pas compromettre l'équilibre de nos institutions, un aménagement du calendrier des élections de 2002.
Je n'étais pas le premier à avoir publiquement pris cette position. M. Bayrou avait en effet déjà demandé un changement de dates des élections législatives...
Un sénateur de l'Union centriste. C'est exact.
M. Robert Badinter. ... pour qu'elles suivent, et non précèdent, l'élection présidentielle. Je ne devais pas non plus être le dernier, tant s'en faut. Des personnalités éminentes, le président Valéry Giscard d'Estaing, les premiers ministres Raymond Barre et Michel Rocard, dès l'automne, se prononçaient à leur tour, avec l'autorité que leur conféraient leurs anciennes fonctions, en faveur d'un report des élections législatives après l'élection présidentielle. D'autres intervenants de qualité, notamment M. Hervé de Charette, ont soutenu le même point de vue.
Tous, d'ailleurs, ont souligné que le calendrier actuel était le fruit d'événements fortuits et non d'une réflexion et d'une décision politique. La date de l'élection présidentielle résulte, on le sait, d'un événement tragique, le décès du président Pompidou, le 2 avril 1974. Chacun reconnaîtra que cet événement malheureux ne peut fonder l'ordre des élections dans la République.
Je le disais devant vous, en juin dernier : que serait-il advenu, si le président Pompidou était mort le 2 juillet ? La campagne présidentielle aurait-elle été amenée à se dérouler pendant les vacances et les Français conviés à élire le Président de la République au coeur du mois d'août ?
La réduction à cinq ans du mandat du Président de la République aurait pu être l'occasion de réfléchir à ce problème et de remédier à une telle éventualité. Mais la révision a été limitée au quinquennat « sec ».
Quant à l'autre terme du calendrier, celui des élections législatives, il résulte, chacun le sait, d'une décision politique parfaitement constitutionnelle du Président de la République : la dissolution de l'Assemble nationale, au printemps 1997, dont le mandat expirait en avril 1998.
Ce sont donc deux événements que l'on est forcé d'appeler « contingents » qui ont fait que, si on laissait les choses en l'état, les citoyennes et les citoyens français seraient appelés à élire leurs députés immédiatement avant de choisir leur Président de la République.
C'est au regard de cette situation singulière que, saisie de six propositions de lois d'origines politiques diverses, quatre émanant de membres de la majorité, deux de membres de l'opposition, l' Assemblée nationale a voté le texte de la proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Ce texte reprend les termes de trois propositions rédigées en termes identiques émanant de M. Raymond Barre, de M. Gérard Gouzes et de M. Jean-Marc Ayrault. Le texte est bref, il comporte deux articles modifiant l'article LO 121 du code électoral : le premier fixe au 15 juin de la cinquième année qui suit l'élection la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale ; le second prévoit l'application de cette disposition à l'Assemblée nationale élue en juin 1997.
La discussion de la proposition de loi organique dont nous sommes aujourd'hui saisis appelle ainsi deux ordres de questions.
Le premier est purement juridique : le texte qui nous est soumis est-il conforme à la Constitution ? Je rappelle que nous sommes en présence d'une proposition de loi organique, qui, par conséquent, se trouvera nécessairement soumise à l'appréciation du Conseil constitutionnel.
Le second est d'ordre moins politique qu'institutionnel : l'aménagement du calendrier des élections ainsi voté favorise-t-il un meilleur fonctionnement de nos institutions ? En préalable à ces deux ordres de questions, l'un constitutionnel, l'autre institutionnel, je voudrais évacuer tout de suite de mes explications un point qui me paraît nourrir des discussions vaines : celui de l'éventuel avantage électoral du choix du calendrier.
M. de Charette disait avec raison que les arrière-pensées politiques sont rarement absentes des réformes institutionnelles.
S'agissant en particulier des modalités électorales, toute l'histoire politique montre que chaque partie, chaque candidat suppute inévitablement ses meilleures chances de l'emporter selon la règle adoptée. Mais l'expérience nous apprend que ces estimations, ces calculs sont très souvent démentis par le suffrage universel. Ce sont les électeurs et non pas les sondages ou les stratégies qui sont les maîtres de la décision. S'agissant en particulier de l'élection du Président de la République, bien illusoire serait aujourd'hui toute prévision sur le résultat, à quinze mois du scrutin.
M. Jean-Claude Gaudin. C'est vrai !
M. Robert Badinter. Je n'ai pas besoin de rappeler qu'ont été annoncés successivement comme vainqueurs probables : en 1974, M. Chaban-Delmas ; en 1981, M. Giscard d'Estaing ; à l'automne 1986, M. Chirac ; en 1995, M. Balladur. On connaît la suite et le résultat des élections. A cet égard au moins, les électeurs paraissent constants !
Ne nous livrons donc pas à ce petit jeu, sauf comme thème de divertissement de politique virtuelle car, comme le dit très bien M. Raymond Barre dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi organique : « Personne ne peut raisonnablement dire aujourd'hui si un calendrier avantagerait un candidat et moins encore lequel. Ceux qui afficheraient des certitudes ne seraient pas les plus pénétrants, seulement les plus présomptueux. » N'apprécions donc la réforme qui nous est soumise qu'au regard de ses mérites institutionnels.
Venons-en à la question de la conformité à la Constitution de la proposition de loi organique votée par l'Assemblée nationale.
Je formulerai tout d'abord une observation générale : les modifications de calendrier électoral et, par voie de conséquence, celles des mandats sont une pratique fréquente dans l'histoire de la République. S'agissant notamment du mandat des conseillers généraux, de 1880 à 1987, l'on compte seize changements de calendrier entraînant huit prolongations et huit réductions de mandat.
Il se trouve que, depuis 1987, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur plusieurs textes modifiant les calendriers d'élection. Ces différentes saisines lui ont donné l'occasion de définir d'une façon très précise les principes qui doivent régir ces modifications.
Je laisse de côté la décision de 1987 parce qu'elle n'est pas topique. En effet, à l'époque, le législateur avait voulu, en raison de la proximité de l'élection du Président de la République, porter de trois à six mois le délai dans lequel il devait être procédé à une élection cantonale partielle en cas de vacance d'un siège, sans préciser ni les limites ni les conditions d'application de la mesure.
Le Conseil constitutionnel l'a censurée - je cite le considérant - « parce que le législateur était resté en deçà de sa compétence et avait méconnu la Constitution ». On ne peut donc tirer aucun enseignement d'une décision qui est purement d'espèce.
Ce n'est pas le cas des décisions qui ont été prises à propos de modifications du calendrier intervenues entre 1990 et 1997. Ces décisions ont d'autant plus d'importance qu'elle ont été déférées par des oppositions successives, puisque l'alternance a joué en 1993.
Ce sont donc des modifications émanant de majorités successives qui ont été soumises au Conseil constitutionnel par des minorités politiques différentes.
Pendant cette période, le Conseil a veillé à ce que les mêmes principes soient scrupuleusement appliqués aux saisines présentées afin que, comme il convient, se constitue un corpus et que le législateur soit utilement guidé. C'est ainsi qu'il en doit aller.
La première décision est celle du 6 décembre 1990. Le législateur à l'époque, avec une majorité de gauche, avait entendu assurer une concordance entre le renouvellement, jusque-là partiel, des conseils généraux et le renouvellement intégral des conseils régionaux.
La justification avancée par le législateur était la lutte contre l'abstentionnisme électoral.
Les parlementaires requérants, au nombre desquels figuraient un certain nombre d'entre vous, ont contesté le bien-fondé de l'utilisation du regroupement comme technique de lutte contre l'abstention.
Le Conseil, dans sa décision du 6 décembre 1990, a posé un principe essentiel : il a rejeté le moyen en refusant de contrôler ce qu'il considérait comme relevant du pouvoir exclusif du Parlement, hors le cas de l'erreur manifeste. C'est là une disposition essentielle s'agissant du contrôle de constitutionnalité. Ce rejet du moyen fondé sur la reconnaissance de la souveraineté d'appréciation du Parlement découlait directement d'une jurisprudence, que je considère comme fondamentale, du Conseil constitutionnel et qui trouve son origine dans les grandes décisions du 15 janvier 1975 concernant la loi sur l'interruption volontaire de grossesse, du 20 janvier 1981 concernant la loi « sécurité et liberté », du 25 juillet 1984 concernant la loi sur l'audiovisuel et du 15 novembre 1986 relative au découpage électoral. Cette jurisprudence a encore été rappelée très récemment dans les décisions du 14 janvier 1999 et du 27 juillet 2000 relatives à la liberté de communication.
Voici le considérant sur lequel, depuis 1975, le Conseil constitutionnel fonde ses limites : « La Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation identique à celui du Parlement. Il ne lui appartient donc pas de rechercher si l'objectif que s'est assigné le législateur n'aurait pu être atteint par d'autres voies ». Par ce considérant essentiel, toujours repris depuis 1975, le Conseil constitutionnel a marqué sa volonté de laisser le champ libre au législateur pour que celui-ci use souverainement de son pouvoir de décision pour atteindre les objectifs qu'il s'est fixés.
Bien entendu, ces objectifs doivent s'inscrire dans le champs de la compétence constitutionnelle du législateur. S'ils sortent de cette compétence, la question ne se pose même pas. Bien entendu, la procédure suivie par les assemblées doit être conforme à la Constitution, cela va de soi.
Mais, je le répète, le Conseil n'a pas un pouvoir général d'appréciation identique à celui du Parlement. Cette barrière, que le Conseil s'est lui-même fixée depuis 1975, ce que l'on appellerait aux Etats-Unis, à la Cour suprême, le self restraint , marque sa volonté de ne pas empiéter sur le pouvoir souverain du Parlement, de ne pas substituer à l'appréciation du législateur sa propre appréciation. Aller plus loin, contrôler aussi bien les motifs du législateur que l'objet de la loi et apprécier l'efficacité des moyens retenus par le législateur pour atteindre son objectif serait franchir la ligne jaune qui sépare le contrôle de constitutionnalité du gouvernement des juges. Cela, le Conseil n'a jamais voulu le faire, quelle que soit sa composition, parce qu'il sait précisément qu'il ne saurait disposer d'un pouvoir identique à celui du Parlement.
S'agissant des dispositions transitoires de la loi de 1990, qui modifiaient les dates de renouvellement des conseillers généraux, le Conseil constitutionnel a donc admis leur conformité à la Constitution en considérant que « les choix ainsi effectués par le législateur - c'est le législateur qui est souverain et c'est lui qui fait les choix - s'inscrivent dans le cadre d'une réforme dont la finalité n'est contraire à aucun principe non plus qu'à aucune règle de valeur constitutionnelle. » Le Parlement est absolument maître de fixer ses objectifs et est maître de ses choix. « Les modalités - il s'agit bien du contrôle des modalités - définies par les articles 1er et 10 de la loi pour permettre la mise en oeuvre de cette réforme revêtent un caractère exceptionnel et transitoire ». Il s'agit bien de dispositions ayant « un caractère exceptionnel et transitoire ». Ces adjectifs seront repris, comme l'a rappelé notre excellent rapporteur.
Les principes étaient ainsi fixés. Le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de les appliquer à l'autre « équation » en 1994 - un changement de majorité politique étant intervenu en 1993 - dans sa décision du 15 janvier rendue à propos de la loi votée par la nouvelle majorité - de droite, cette fois-ci - revenant sur la loi de 1990 et rétablissant le renouvellement triennal par moitié des conseils généraux. Le Conseil constitutionnel avait évidemment alors été saisi, selon l'habituel quadrille des lanciers, par des parlementaires de gauche, désormais dans l'opposition. Ceux-ci contestaient la constitutionnalité de l'allongement de six à sept ans de la durée du mandat des conseillers généraux à élire en 1994 Le Conseil constitutionnel rejeta la demande des saisissants de gauche, comme il l'avait fait en 1990, au nom des mêmes principes. Dans son condidérant n° 8, il indiquait notamment que « les modalités particulières relatives au mandat des conseil généraux à élire en 1994 revêtent un caractère exceptionnel et transitoire s'insérant dans le cadre du dispositif d'ensemble adopté par le législateur ».
Les mêmes principes étaient à nouveau rappelés, en juillet 1994, aux députés et sénateurs socialistes alléguant l'inconstitutionnalité de la prorogation de trois mois du mandat des conseillers municipaux, décidée pour éviter, expliquait la majorité de droite, des difficultés de mise en oeuvre de l'organisation de l'élection présidentielle, les parlementaires de l'opposition soutenant, quant à eux, que cette mesure visait en réalité un objectif autre que celui qui était affiché.
Le 6 juillet 1994, le Conseil constitutionnel a rejeté la demande émanant des parlementaires de gauche en déclarant que le régime électoral des assemblées municipales, notamment la durée du mandat, relève du pouvoir du législateur et qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de dire si les objectifs recherchés par le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies. S'agissant de la prorogation, le Conseil précisait, dans la même décision : « Celle-ci a été limitée à trois mois et revêt un caractère exceptionnel... Le choix opéré par le législateur n'est manifestement pas inapproprié aux objectifs qu'il s'est fixé ».
Enfin, le 6 février 1996, la droite étant majoritaire à l'Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel déclarait conforme à la Constitution une loi organique votée par le Parlement sur la proposition de loi déposée par M. Mazeaud, alors président de la commission des lois à l'Assemblée nationale, proposition qui avait pour objet le report du mois de mars au mois de juin 1996 du renouvellement des membres de l'Assemblée territoriale de la Polynésie française. Le Conseil constitutionnel énonçait, à l'appui de sa décision, que « la prorogation du mandat des membres en fonctions a été limitée à deux mois et revêt un caractère exceptionnel et transitoire, qu'elle n'est pas, manifestement, inappropriée aux objectifs fixés par le législateur ».
Ainsi, à quatre reprises en six ans, s'agissant de la fixation d'élections et de la prorogation de mandats, quelle que soit la majorité qui avait adopté le texte et quelle que soit l'opposition qui le saisissait, le Conseil constitutionnel a adopté la même solution en se fondant sur les mêmes principes. Comment, dès lors, ne pas parler à cet égard de jurisprudence constante ?
A partir de là, il suffit de confronter ces principes à la proposition de loi organique adoptée par l'Assemblée nationale pour apprécier la conformité de celle-ci à la Constitution.
S'agissant d'abord de l'article 1er, le changement de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale du premier mardi d'avril au troisième mardi de juin de la cinquième année suivant son élection, est évidemment conforme à la Constitution. Je dirai même : pourquoi en discuter ?
Le législateur a, en effet, reçu compétence, à l'article 25 de la Constitution, pour fixer, par la loi organique, la durée des pouvoirs de chaque assemblée parlementaire.
C'est bien de cela qu'il s'agit : on modifie le terme des pouvoirs d'une assemblée parlementaire. Cela ne soulève aucune difficulté d'ordre constitutionnel puisque c'est la Constitution elle-même qui confère ce pouvoir au législateur.
Je reprendrai simplement la formule du considérant n° 10 de la décision du 6 décembre 1990 du Conseil constitutionnel : « Les choix ainsi effectués par le législateur s'inscrivent dans le cadre d'une réforme dont la finalité n'est contraire à aucun principe non plus qu'à aucune règle de valeur cosntitutionnelle ».
Quant à apprécier si les objectifs que s'est assigné le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, le Conseil constitutionnel, je le rappelle, s'y refuse dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas entachées d'erreur manifeste par rapport à ces objectifs.
Or comment pourrait-on, en l'espèce, envisager sérieusement la possibilité d'une erreur manifeste ? Il y aurait en effet presque irrévérence à le faire, s'agissant de propositions présentées et d'arguments avancés par des personnalités qui ont exercé les plus hautes charges de l'Etat.
En ce qui concerne l'article 2 de la proposiiton de loi organique, qui prévoit l'applicabilité du calendrier fixé dans l'article 1er à l'Assemblée nationale actuelle, ses dispositions satisfont également parfaitement aux conditions posées par le Conseil constitutionnel dans ses décisions successives.
De quoi s'agiti-il ? Pour réaliser l'objectif voulu par le législateur dès la prochaine élection, c'est-à-dire l'antériorité de l'élection présidentielle sur les législatives, choix qui relève du seul Parlement, le mandat de l'actuelle assemblée est prorogé de douze semaines. C'est là, je le souligne, un délai inférieur à ceux qui ont été acceptés par le Conseil constitutionnel à l'occasion d'autres prorogations. De surcroît, ce délai - j'insiste sur ce point - s'inscrit dans la durée des cinq ans qui est celle du mandat des députés.
Par conséquent, il n'y a pas non plus, à cet égard, la moindre difficulté d'ordre constitutionnel.
En outre, cette prorogation très limitée doit, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, être exceptionnelle et transitoire.
Exceptionnelle, elle l'est puisqu'elle ne vise que la seule Assemblée nationale élue en juin 1997.
Transitoire, elle l'est également puisque cette prorogation ne vaut que pour cette seule assemblée et que, par la suite, les pouvoirs de l'Assemblée nationale expireront régulièrement le troisième mardi de juin de la cinquième année suivant l'élection, conformément à l'article 1er.
Ainsi, toutes les conditions posées par le Conseil constitutionnel se révèlent satisfaites par la proposition de loi organique telle qu'elle a été votée par l'Assemblée nationale.
Après ce long préambule - c'est sans doute une nostalgie, réapparaissant du temps à autre, qui explique que j'aie eu la faiblesse de m'y appesantir - j'en viens à l'appréciation de l'opportunité de cette mesure au regard de nos institutions : est-il préférable, dans la Constitution de la Ve République, que l'élection présidentielle précède les législatives ou doit-on accepter l'ordre inverse, les législatives précédant immédiatement la présidentielle ?
Nous savons tous que l'ordre prévu des élections qui fait se succéder presque sans discontinuer législatives et présidentielles est issu non pas d'une pensée constitutionnelle du Parlement délibérant, mais d'événements fortuits. C'est un ordre qui n'a pas été voulu, qui n'a pas été discuté, qui n'a pas été choisi. C'est le fruit du hasard et non de la nécessité.
On dit qu'il faut s'y résigner parce que les électeurs ne supporteraient pas que l'on touche au calendrier électoral quinze mois avant les élections.
Mes chers collègues, ayons la lucidité - je n'ose pas dire : la modestie - de reconnaître que, plus d'un an avant les élections présidentielle et législatives, la question de savoir dans quel ordre les électeurs voteront, si elle mobilise la classe politique, les constitutionnalistes et les médias, n'intéresse guère nos concitoyens, c'est le moins que l'on puisse dire ! On comprend d'ailleurs que leur attention soit retenue par bien d'autres problèmes qui les concernent concrètement et immédiatement.
Et s'il ne fallait parler que de préoccupation électorale, l'heure, pour eux, est aujourd'hui aux élections municipales. Pour les présidentielles et les législatives, ils verront plus tard !
Je marque d'ailleurs que personne ne s'est aperçu à ce jour des conséquences qu'aura le calendrier électoral sur un autre calendrier qui a, lui, pour nos concitoyens, une importance immédiate : celui des vacances scolaires. A cet égard, tous ceux qui ont eu la curiosité de confronter le calendrier possible de l'élection présidentielle - d'ordre constitutionnel : personne d'autre que le constituant ne peut y toucher - et le calendrier adopté pour les vacances scolaires se rendent compte que, de quelque manière qu'on s'y prenne, il y aura inévitablement un moment où cette élection aura lieu pendant les vacances scolaires, ce qui n'est pas la conjoncture la plus heureuse.
A l'évidence, la question n'a pas encore intéressé les électeurs. Sinon, les parents n'auraient pas manqué de s'en émouvoir.
Dès lors, puisque, à ce stade, cela n'intéresse que nous, pourquoi ne pas s'en remettre à ce calendrier né du hasard et voir ce qui en résultera ?
Comme l'ont si bien montré le doyen Vedel, Guy Carcassonne et Olivier Duhamel, dans un des meilleurs articles - à mon avis - qui ait été écrit sur ce sujet, qui a donné lieu à une floraison abondante, il faut « voter la tête à l'endroit ».
Toute Constitution a une logique interne.
Un éminent juge de la Cour suprême des Etats-Unis - un homme en tous points remarquable - me disait cet été, alors que j'évoquais le caractère sacré que revêt la Constitution américaine pour le citoyen américain, me disait que, à ses yeux, celle-ci était plus modestement la « machine qui sert à conserver les Etats-Unis en marche ». Il n'avait pas prévu, alors, qu'elle aurait quelques ratés à l'automne ! Quoi qu'il en soit, il y a du vrai dans cette remarque.
Toute constitution, disais-je, a une logique interne. On peut décider de passer du régime parlementaire au régime présidentiel. On peut préférer un système semi-présidentiel, puisque c'est ainsi que le nôtre est communément qualifié dans la doctrine. Mais une chose est sûre : on doit respecter la logique du système parce que, à défaut, les institutions risquent de devenir boiteuses. On marchera, certes, mais en claudiquant. Epargnons-nous ce handicap, si nous le pouvons !
Or quelle est en France, depuis 1962, la logique de ces institutions ?
Je ne parle pas ici de l'esprit de la loi constitutionnelle : d'autres ont utilisé ce terme qui, chacun le sait, revêt chez les constitutionnalistes, depuis Montesquieu, un caractère très fort.
M. Arthuis l'a rappelé en termes simples et, je dois le dire, très éloquents, tous les analystes et tous les Français sont d'accord pour considérer que l'événement essentiel de la vie politique française depuis 1962, c'est l'élection du Président de la République au suffrage universel. C'est une vérité à laquelle nul ne peut refuser son acquiescement.
M. Michel Charasse. C'est ainsi !
M. Robert Badinter. A cette occasion, les Français ne choisissent pas seulement une personnalité, un homme ou une femme, ils adoptent aussi un projet dont le Président est porteur.
Si les élections législatives suivent immédiatement l'élection présidentielle, comme en 1981 et 1988, les Français n'étant pas schizophrènes éliront vraisemblablement une majorité de députés, absolue ou relative, qui se réclamera de ce même projet, qu'ils auront approuvé dans le cadre de l'élection présidentielle. Du coup, par la force des choses, se dégagera ainsi une majorité sans doute plurielle dans sa composition - très rarement monopartisane - mais présidentielle dans ses grandes orientations.
A partir de ce moment-là, le caractère absolu ou relatif de la majorité qui en est issue est une indication importante pour savoir ce qui, dans le choix du Président, allait plutôt à l'homme qu'à son projet. En tout état de cause, l'harmonie sera alors établie.
Bien évidemment, les électeurs étant les maîtres, on ne peut pas exclure qu'ils élisent un Président relevant d'une sensibilité et, aussitôt après, dans la foulée, une majorité parlementaire de l'autre sensibilité à l'Assemblée nationale. Ce n'est pas à exclure ! Mais cette hypothèse d'une volonté initiale de cohabitation - disons les choses telles qu'elles sont ! - paraît très peu vraisemblable.
Je ne pense pas seulement à cette quasi-continuité entre les deux élections, d'abord la présidentielle avec le choix du président et de son projet, puis les législatives, avec le choix de la majorité parlementaire évidemment conforme, dans ses grandes orientations, au projet que l'on vient d'adopter.
Je pense à une autre considération, indépendante de la précédente : la cohabitation ne naît pas par hasard. Elle procède toujours d'une sanction par les citoyens de la politique voulue par le Président et appliquée par sa majorité. La cohabitation traduit toujours un échec qui est, à cet instant, proclamé par les électeurs. Cela a été vrai en 1986, en 1993 et en 1997 !
Pour qu'une sanction intervienne, il faut que le président et la majorité aient déjà pu agir. On sanctionne une politique et ses résultats ! Ce n'est certainement pas le cas si les deux élections se succèdent immédiatement, faute, par définition, de résultats à apprécier.
A deux reprises, en 1981 et en 1988, on a offert aux Français la possibilité d'une cohabitation ab initio par la dissolution suivant l'élection présidentielle. Dans les deux cas, ils l'ont refusée. Il reste que, même si ces précédents étaient, par extraordinaire, infirmés, ces pronostics déjoués, l'ordre prévu par la proposition de loi organique serait encore préférable.
En effet, si, après avoir élu leur Président, les Français élisaient bizarrement une majorité opposée, ils choisiraient alors la cohabitation en toute connaissance de cause. En revanche, le même résultat, obtenu dans l'ordre inverse, prêterait à toutes sortes d'interprétations, d'explications, de justifications, de sorte qu'une période déjà très compliquée en elle-même commencerait sous le double signe de l'ambiguïté et de l'incertitude.
Je préfère donc poser la question au regard de la réduction à cinq ans du mandat présidentiel, c'est-à-dire du quinquennat.
Rappelons-nous que, dans l'esprit de ses promoteurs, cette révision, adoptée par voie de référendum, c'est-à-dire par le peuple - ce jour-là, certes singulièrement peu présent auprès des urnes - avait pour objectif principal de lui permettre de choisir le premier responsable de la République à des intervalles moins longs, plus conformes au rythme de notre temps et à la pratique des autres démocraties.
Mais ce que l'on voulait aussi, on l'a assez dit, c'est réduire le risque de cohabitation, qui est une pathologie de la Ve République, laquelle n'a pas été conçue pour s'installer dans cette cohabitation. Dans cette perspective, on a jugé bon de ramener à la même durée les mandats du Président de la République et de l'Assemblée nationale. Cette réforme a été adoptée avec une très large majorité.
Le législateur se doit d'être cohérent avec lui-même. Il faut donc bien que les deux élections aient lieu, sinon simultanément, comme cela se fait aux Etats-Unis, mais cela n'est pas conforme à la tradition française, tout au moins successivement. Ainsi, pour rétablir la logique de nos institutions, il faut faire élire d'abord le Président et, ensuite, l'Assemblée nationale.
Certains préfèrent l'ordre inverse, qui, en donnant la priorité aux élections législatives, assurerait une sorte de rééquilibrage et donnerait ainsi au Parlement un pouvoir plus fort.
C'est une erreur. Il faut absolument, je suis le premier à le dire, renforcer l'autonomie législative du Parlement et sa capacité d'initiative. Il faut reconsidérer certaines dispositions telles que l'article 49-3 de la Constitution.
Il faut que la fonction de contrôle de l'action du Gouvernement par le Parlement, si essentielle dans la démocratie contemporaine, soit mieux assurée par les assemblées et par les parlementaires. Il faut aussi que l'opposition soit appelée à participer à ce contrôle de l'action du Gouvernement dans des conditions plus démocratiques. Il faut enfin lui assurer à la fois un meilleur droit d'initiative et un plus juste partage des responsabilités au sein des commissions.
En bref, nous savons tous qu'il y a là des exigences, M. Arthuis les a également évoquées, pour parvenir à un meilleur équilibre entre un exécutif fort et stable et un Parlement efficace et puissant.
Mais le renforcement du Parlement ne découlera pas de la priorité de l'élection législative, j'oserais presque dire au contraire. Je reviens ici à ce qui me paraît avoir été un peu perdu de vue.
Le principal apport de la Constitution de 1958 a été la stabilité et la force de l'exécutif - que certains trouvent excessive - par rapport aux régimes antérieurs, si souvent dénoncés pour leur instabilité gouvernementale, cette République parlementaire qualifiée de République des partis.
Je vous mets en garde, mes chers collègues, car certains lient la capacité de l'exécutif à agir avec le régime présidentiel : à les en croire, l'exécutif serait encore plus fort avec un régime présidentiel. Et ils évoquent l'exemple américain.
C'est une erreur d'appréciation. Prenons précisément l'exemple américain : le pouvoir exécutif, le Président, jouit certes d'une stabilité indiscutable pour quatre ans - laissons l' impeachment de côté. Mais, quand on connaît bien le fonctionnement des institutions américaines, on s'aperçoit que la capacité réelle d'action du Président dépend, en réalité, de son harmonie politique ou au moins de son harmonie de vues avec le Congrès. Sinon, il est très sérieusement entravé dans son action. On aura l'occasion, je pense, de le vérifier dans les mois ou dans les années à venir, compte tenu de ce qui est advenu au cours des dernières élections aux Etats-Unis... Mais M. Clinton, président sortant, a déjà pu le vérifier largement au cours de ses deux mandats.
Il est donc inexact d'affirmer qu'un régime présidentiel est le garant d'un exécutif fort.
Il faut, pour s'en convaincre, regarder non plus de l'autre côté de l'Atlantique, mais de l'autre côté de la Manche, vers l'Angleterre, mère, comme chacun sait, du régime parlementaire. En Angleterre, cette terre d'élection du Parlement, le Premier ministre, parce qu'il dispose d'une majorité parlementaire, est absolument apte à conduire une action ferme et continue.
Une petite anecdote illustrera mon propos. Aux Bahamas, voilà un certain nombre d'années, le Président Kennedy et Harold MacMillan conféraient. Le Premier ministre anglais évoquait certaines dispositions concernant les armes atomiques qui devaient être modifiées. « Encore faut-il que le Parlement les vote », ajouta Kennedy. « Cela va de soi », répliqua MacMillan, et Kennedy de conclure : « Je croyais que c'était aux Etats-Unis qu'existait un régime présidentiel ! » (Sourires.)
Les choses étant ce qu'elles sont, la clé, dans les démocraties modernes, c'est l'harmonie nécessaire entre l'exécutif et le Parlement. Cette harmonie-là permet l'action de l'exécutif ; elle n'interdit ni le contrôle, ni l'initiative, ni le rôle du Parlement, pourvu, mes chers collègues, que les parlementaires aient le coeur de l'affirmer.
Cette harmonie nécessaire entre l'exécutif et le Parlement, la priorité de l'élection de l'Assemblée, loin de l'assurer, risque de la compromettre.
Je vous demande de vous référer à une expérience française, que certains d'entre vous ont bien connue. (M. le rapporteur sourit.) Souvenez-vous de ce qu'il est advenu dans les périodes où la majorité parlementaire élue avant le Président de la République appartenait au même camp politique que ce dernier.
Rappelez-vous ce que M. Barre rapportait à ce sujet. Son expérience est l'illustration de ce que je disais à propos de l'absence d'harmonie. Les difficultés qu'il a connues avec une partie de sa majorité ont sensiblement réduit, je n'irai pas jusqu'à dire altérer, la capacité d'action de son gouvernement et, bizarrement, celle de l'Assemblée nationale elle-même.
A un moindre degré, certes, la situation n'a pas été substantiellement différente en 1995. Dans les deux cas, la majorité parlementaire avait été élue avant le Président de la République. Leur sensibilité était cependant la même.
En France, la majorité parlementaire est généralement plurielle. Dans le cas où l'élection présidentielle précède de très peu l'élection législative, les candidats députés qui sollicitent les suffrages des électeurs se réclament inévitablement du Président de la République nouvellement élu et du programme que le pays vient de choisir. A cette logique, on ne peut se dérober. Ainsi, la majorité plurielle qui naît a pour dimension commune, a presque pour ciment, son adhésion aux grandes options du programme présidentiel que le pays vient de choisir. De ce fait, l'harmonie que j'évoquais tout à l'heure, qui est la condition même de l'action efficace et de l'exécutif et, dirais-je, du législatif, tout en conservant ses pouvoirs de contrôle, existe au départ entre l'exécutif et le législatif. Si d'aventure elle se rompt, si d'aventure il y a en effet rupture sur un sujet essentiel comme en 1962, chacun s'en souvient, à la censure succédera la dissolution, qui est d'ailleurs faite pour cela, rendue nécessaire par une crise grave. A partir de là, on veillera à rétablir l'harmonie nécessaire entre l'exécutif et l'Assemblée nationale.
En revanche, si on retient l'autre formule, les députés sont élus en premier. De qui tirent-ils leur légitimité ? Nécessairement, eux aussi, de leur appartenance à un parti politique et du programme qu'ils auront soutenu devant les électeurs. Les élections législatives, de par leur nature, - et ce n'est pas critiquable car cela n'a rien de péjoratif - sont toujours l'affaire des partis politiques.
M. Christian Bonnet, rapporteur. C'est une interprétation très personnelle !
M. Robert Badinter. Que le président élu après les députés soit issu de l'un des partis membres de la majorité ne constituera pas un élément de renforcement de la solidarité de cette majorité plurielle parlementaire. Je ne suis même pas sûr, au regard des expériences que j'évoquais tout à l'heure, que ce ne soit pas rapidement le contraire qui se produise.
Ajoutons aussi que le résultat des élections législatives déterminerait directement, dans ce cas, le choix des candidats à l'élection présidentielle. Je ne parle pas là des impossibilités de présentation de candidature et des difficultés que vous avez évoquées ; c'est autre chose.
Sérieusement, peut-on imaginer le chef du camp vaincu se portant candidat quelques semaines plus tard à l'élection présidentielle ? Les élections législatives constitueraient dans le calendrier tel qu'il est une sorte de premier tour ou d'éliminatoire de l'élection présidentielle ou, si l'on préfère, l'élection présidentielle serait le match revanche des élections législatives. A partir de là, voyez l'incohérence, pour ne pas dire plus, au regard de la logique de nos institutions, qui serait acceptée, non pas parce qu'on l'aurait pensée, car personne n'aurait jamais osé proposer une révision constitutionnelle pour instaurer ce système, mais parce qu'elle est issue d'événements fortuits.
Disons-le, et je conclurai sur ce point, on peut concevoir une autre Constitution. Très bien ! D'ailleurs, nous sommes de grands spécialistes en la matière. En effet, nous sommes les plus grands producteurs au monde de Constitutions, d'où l'éclat de l'école constitutionnelle française à l'étranger, soulignons-le. Nous en avons « consommé » pas moins de quatorze en deux siècles, ce qui constitue un record historique !
Mais aussi longtemps que la Constitution de la Ve République est notre loi fondamentale à tous - et, heureusement, une fois votée, c'est celle que le pays a choisie ; elle devient la loi fondamentale de tous - il est de l'intérêt général, au-delà de toutes les contingences politiques ou des considérations personnelles, de respecter la logique de cette Constitution.
Je l'exprimerai, si vous me le permettez, sous forme de trois propositions.
La première : l'élection présidentielle est, pour les Français, l'acte politique essentiel. Elles est première dans leur esprit, comme dans nos institutions, et je n'ai pas besoin de rappeler à cet égard que Michel Debré - vous avez fort bien fait de le citer - considérait le président comme la « clé de voûte » de nos institutions. C'est donc l'élection présidentielle, puisqu'elle est première dans l'esprit des Français et dans l'équilibre institutionnel, qui doit intervenir en premier pour que les Français, comme ils le souhaitent, choisissent la présidente ou le président qu'ils veulent ainsi que les grandes options du quinquennat qui s'ouvre.
Ma deuxième proposition est la suivante : l'harmonie - je ne le répéterai jamais assez - souhaitable au sein de l'exécutif et entre celui-ci et le législatif est mieux assurée - je n'ose pas dire garantie - si la majorité parlementaire repose sur les grands choix définis par le Président de la République lors de l'élection présidentielle. La solidarité de cette majorité, grâce à cette harmonie initiale, résistera mieux aux épreuves et aux tensions qui sont inévitables dans la vie politique.
Enfin, ma troisième proposition, qui s'adresse directement à vous, mes chers collègues, est la suivante : au Parlement et aux parlementaire de jouer ensuite, y compris au sein de la majorité, leur rôle d'inititative législative et de contrôle du Gouvernement.
Au regard de ces considérations, qu'il m'a chargé de vous exposer, le groupe socialiste votera, ce qui ne surprendra pas, la proposition de loi organique, parce qu'elle est claire, raisonnable et qu'elle correspond à la logique de nos institutions. (Applaudissements prolongés sur les travées socialistes.)
M. le président. Mon cher collègue, je vous fais aimablement observer que, aux termes du règlement de notre assemblée, en aucune circonstance un orateur ne peut intervenir plus de quarante-cinq minutes. J'ai été tolérant puisque je vous ai laissé parler pendant plus de cinquante-six minutes !
M. Robert Badinter. Merci !
M. le président. Je tenais à faire cette observation pour que si, d'aventure, quelqu'un souhaitait s'exprimer aussi longuement, il puisse bénéficier de la même indulgence.
M. René-Pierre Signé. C'est aussi une question de qualité !
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy-Pierre Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai été impressionné par le rapport présenté par notre collègue M. Christian Bonnet, au nom de la commission des lois, ainsi que par les propos de M. Robert Badinter, sur les difficultés qui persisteront s'agissant du calendrier qui résulterait de la proposition de loi organique telle qu'elle est issue des travaux de l'Assemblée nationale.
M. Christian Bonnet a brillamment illustré ses propos d'exemples historiques...
M. Serge Vinçon. C'est vrai !
M. Guy-Pierre Cabanel. ... et a très sérieusement argumenté son rapport au plus près des textes constitutionnels et des articles du code électoral concernant la désignation des députés. J'avoue que je suis ébranlé.
M. Josselin de Rohan. Ah !
M. Guy-Pierre Cabanel. En effet, la question dont le Sénat débat aujourd'hui peut paraître simple. Il s'agit d'inverser le calendrier électoral de 2002. Le mécanisme de ce processus repose sur le renvoi en juin des élections législatives, initialement prévues en mars, donc de les placer après l'élection présidentielle fixée au milieu du mois d'avril.
Pour cela, l'Assemblée nationale a adopté, le 20 décembre 2000, une proposition de loi organique prolongeant les pouvoirs des députés actuels jusqu'au troisième mardi de juin. Petit clin d'oeil à l'histoire, ce troisième mardi de juin, c'est le 18 juin 2002. (Murmures sur quelques travées du RPR.) Après 1918 et 1940, peut-être y a-t-il là un rendez-vous de l'histoire. En réalité, ce n'est pas dans le détail des jours ou dans les détails historiques qu'il faut juger cette proposition de loi organique. Le débat est important, car il touche à la conception même des institutions de la Ve République et peut avoir une influence sur la manière dont ces institutions sont appelées à évoluer.
La France connaîtra effectivement en 2002 une situation particulière, qui n'est pas forcément catastrophique au regard du déroulement des précédentes élections législatives et présidentielle, mais qui est tout de même hypothéquée par la conjonction d'événements aléatoires qui ont modifié la date de l'élection présidentielle et celle des élections législatives. La démission du général de Gaulle, le décès du président Pompidou et la dissolution de l'Assemblée nationale en 1997 font que les deux élections ont lieu la même année et que le choix du Président de la République suit la désignation des députés.
Est-il souhaitable d'échapper au hasard de ce calendrier ? Pourquoi y attacher une si grande importance ? Cette dernière question trouve en partie sa réponse dans l'adoption récente du quinquennat. Avec l'alignement de la durée du mandat présidentiel et celle du mandat législatif, la situation de 2002 est appelée à se reproduire tous les cinq ans, sauf aléas de la vie politique, comme ceux que nous avons déjà connus. La proposition de loi organique qui nous est présentée vise donc à placer les élections législatives après l'élection présidentielle et, si possible, d'une façon durable.
La mesure que nous examinons semble répondre à une certaine logique et à un souci de clarté pour nos concitoyens. Mais à la réflexion, en recherchant un éventuel argument cosntitutionnel en faveur d'un tel changement, on découvre un risque pour l'équilibre des institutions de la Ve République.
En effet, trois éléments caractérisent la Constitution de 1958, et l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, décidée en 1962, ne les a pas modifiés.
Le premier de ces principes fondamentaux est le parlementarisme rationalisé ou parlementarisme encadré. C'est la réaction au régime d'assemblées débridé et impuissant de la IVe République. Aujourd'hui, le Parlement continue d'arbitrer les enjeux majeurs de l'élaboration des lois. Cependant, il a perdu l'initiative financière - article 40 - et, en partie, l'initiative législative, puisque l'ordre du jour prioritaire - article 48 - est le fait du Gouvernement. De plus, la procédure solennisée de la motion de censure ou sa forme simplifiée, à savoir l'article 49, alinéa 3, contribuent à la stabilité gouvernementale. A ce sujet, est parfois évoquée la possibilité de donner plus de pouvoirs au Parlement. Ce souhait peut se justifier dans le domaine du contrôle parlementaire sur le fonctionnement de l'exécutif et de son administration, mais je suis conduit à souligner ici que le risque serait grand de toucher imprudemment au parlementarisme rationalisé, qui est l'un des piliers, peut-être le principal, de l'efficacité de la Constitution de la Ve République. (M. Jean Faure applaudit.)
Le deuxième élément caractéristique de notre Constitution est au coeur de la discussion de ce jour : c'est la dyarchie exécutive formée par le Président de la République, élu par le peuple français, depuis 1962, et le Premier ministre, nommé par ce même président mais devant logiquement disposer d'une majorité à l'Assemblée nationale pour faciliter son action. Cette dyarchie complexe fait aussi l'originalité de la Ve République.
Dans le schéma constitutionnel, il n'y a pas de hiérarchie des pouvoirs entre le chef de l'Etat et le chef du Gouvernement. C'est ce que l'on essaie de nous expliquer à travers cette proposition de loi organique. Le premier, le chef de l'Etat, assure par son arbitrage le fonctionnement régulier et la continuité de l'Etat. Le second conduit l'action du gouvernement et assume l'initiative des projets de lois. La réforme électorale de 1962 et la pratique constitutionnelle, même en période de cohabitation, n'ont pas changé fondamentalement la lecture de la Constitution. L'esprit reste le même. Notre Constitution n'affirme nullement que le Président de la République a une prééminence sur le Parlement, même si les articles 15 et 16 et le droit de dissolution le placent en position de recours.
La faculté de dissolution de l'Assemblée nationale est en effet la troisième caractéristique de la Ve République. Il ne faut pas renoncer à cette disposition. C'est un moyen de clarifier les rapports au sein de la dyarchie exécutive et aussi de faire arbitrer par le peuple des situations politiques complexes. L'exemple de son emploi lors de la crise du printemps 1968 ne doit pas être oublié : alors même que le Président de la République proposait un référendum pour une réforme régionale, les manifestations se poursuivaient, et il a fallu la dissolution de l'Assemblée nationale, proposée d'ailleurs par Georges Pompidou, pour arriver à la solution logique du retour à une vie normale de notre pays.
La commission des lois du Sénat a voulu entendre l'avis d'éminents constitutionnalistes. Je citerai M. Louis Favoreu qui, à mon sens, a pleinement éclairci le débat en affirmant ceci : « Il n'est inscrit nulle part dans la Constitution que l'élection présidentielle doit avoir la primauté. » Sur ce point, je suis quelque peu gêné d'être en contradiction formelle avec M. Badinter, compte tenu de l'admiration que je lui porte, mais les propos de M. Favoreu me paraissent correspondre à la réalité.
Il est vrai que d'autres constitutionnalistes regrettent que le passage à un régime présidentiel n'ait pas été la conséquence du référendum du 28 octobre 1962. On aurait pu croire à cette évolution tant que le général de Gaulle était à l'Elysée. Mais les événements de 1968 ont prouvé que la dyarchie exécutive et le droit de dissolution avaient leur intérêt et pouvaient même suppléer une perte de popularité du Président de la République.
La proposition d'adaptation du calendrier électoral de 2002 m'a paru, dans un premier temps, séduisante. Mais, après réflexion, je pense qu'elle n'est qu'une mesure de circonstance fragile. Elle peut en effet être contrariée, voire annulée, par un événement politique imprévisible, tel qu'une dissolution de l'Assemblée nationale, le décès ou la démission d'un Président de la République. Son efficacité est donc douteuse. En revanche, elle présente pour notre pays le danger d'entrer dans un régime présidentiel sans que soit véritablement débattue au fond une décision d'une telle gravité. Un vote de circonstance sur un aménagement de calendrier serait évoqué dans l'avenir pour affirmer un nouveau principe à valeur d'interprétation constitutionnelle qui aurait alors un pouvoir d'hypothèque sur la Constitution.
A l'occasion du vote sur le quinquennat, j'avais appelé de mes voeux, de cette tribune, une vraie réflexion d'ensemble sur nos institutions. Or le président Valéry Giscard d'Estaing, l'un des initiateurs de la proposition de loi organique en discussion, a défini dans deux publications récentes le processus qui devrait permettre, selon lui, une adaptation de notre Constitution au quinquennat. C'est « la possibilité de conclure un pacte de modernisation de nos institutions associant le Président de la République, le Premier minsitre et le Parlement ». Cette méthode a permis au cours des dernières années plusieurs réformes constitutionnelles qui ne sont pas de caractère négligeable.
Il faut souligner que, pour Valéry Giscard d'Estaing, « la solution la plus séduisante et la plus conforme aux exigences de la modernité depuis l'adoption du quinquennat présidentiel serait en réalité de tenir les deux élections, c'est-à-dire celle du Président de la République et celle de l'Assemblée nationale, à la même échéance ». J'ajoute, pour ma part, qu'il faudrait définir les règles d'application générale de cette simultanéité ou de cette concomitance électorale pour éviter tout risque d'aléa ultérieur.
C'est donc un grand débat que Valéry Giscard d'Estaing appelle de ses voeux, tout en reconnaissant qu'une solution intermédiaire permettrait, pour l'heure, d'améliorer le calendrier de 2002.
La simultanéité ou la concomitance des deux élections est, à mon sens, la solution logique et, sans doute, la seule conforme à l'esprit de la Constitution de la Ve République. Les sages constituants de 1958 n'ont pas voulu trancher concernant la prééminence au sein de la dyarchie exécutive. Tel est le sens de ce que Michel Debré appelle « la double lecture » : lecture parlementaire ou lecture présidentielle. Alors, est-ce au hasard d'un texte de circonstance que nous allons porter atteinte à cette dyarchie qui présente un certain équilibre ?
Le risque serait grand, après l'adoption difficile du quinquennat, annoncé comme ne devant avoir aucune conséquence autre que la réduction du mandat présidentiel, de changer subrepticement de régime constitutionnel en adoptant une simple modification de calendrier électoral.
Le vote de la proposition de loi organique sur l'inversion du calendrier de 2002 consacrerait de facto le régime présidentiel. Cette décision donnerait au Président de la République, élu quelques semaines avant l'Assemblée nationale, la possibilité d'influencer le peuple français au moment du choix de ses députés.
La Ve République a ses défauts, certes, mais elle a montré aussi ses vertus. La mesure aujourd'hui proposée présente un danger pour l'équilibre de nos institutions. On ne peut prendre le risque de dénaturer l'esprit de notre Constitution par une loi de circonstance. Pour moi, l'affirmation d'une démocratie élective irréprochable exige la simultanéité ou la concomitance des deux élections.
Dès lors, j'estime la mesure adoptée le 20 décembre dernier par l'Assemblée nationale insuffisante et porteuse d'un risque potentiel. C'est pourquoi je ne voterai pas la proposition de loi organique telle qu'elle a été transmise au Sénat, me réservant de porter jugement lors de l'examen des articles sur les divers amendements déposés. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE et du RPR.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
(M. Jean Faure remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
7

COMMUNICATION RELATIVE
À UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

M. le président. J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun.

8

DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le président. M. le président a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 16 janvier 2001, le texte de la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi relative à l'archéologie préventive.
Acte est donné de cette communication.
Cette décision du Conseil constitutionnel sera publiée au Journal officiel , édition des lois et décrets.

9

DÉCHÉANCE D'UN SÉNATEUR

M. le président. M. le président a reçu du Conseil constitutionnel une décision en date du 16 janvier 2001, constatant la déchéance de plein droit de M. Xavier Dugoin de sa qualité de sénateur.
Acte est donné de cette communication.
Cette décision sera publiée en annexe au compte rendu intégral de la présente séance.

10

TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, de modernisation sociale.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 185, distribué et renvoyé à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

11

DÉPÔTS DE PROPOSITIONS DE LOI

M. le président. J'ai reçu de MM. Hubert Haenel, Robert Del Picchia et Aymeri de Montesquiou une proposition de loi complétant l'article 6 bis de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 en vue de permettre un contrôle du Parlement sur la transposition des directives communautaires.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 183, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Nicolas About une proposition de loi tendant à clarifier les règles de récupération de l'aide sociale par les départements et à protéger les droits patrimoniaux des personnes handicapées.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 184, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Nicolas About une proposition de loi tendant à autoriser l'exploitation des machines à sous et des appareils automatiques de jeux de hasard dans des débits de boissons agréés, et selon certaines conditions règlementaires strictes.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 187, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

12

TRANSMISSION D'UNE PROPOSITION
DE LOI CONSTITUTIONNELLE

M. le président. J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à introduire dans la Constitution un droit à l'expérimentation pour les collectivités territoriales.
La proposition de loi constitutionnelle sera imprimée sous le numéro 188, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

13

DÉPÔTS DE RAPPORTS

M. le président. J'ai reçu de M. Christian Bonnet un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale (n° 166, 2000 - 2001).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 186 et distribué.
J'ai reçu de Mme Annick Bocandé, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Le rapport sera imprimé sous le numéro 189 et distribué.

14

DÉPÔT D'UN AVIS

M. le président. J'ai reçu de M. Roland du Luart un avis présenté au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation sur la forêt (n° 408, 1999 - 2000).
L'avis sera imprimé sous le numéro 190 et distribué.

15

ORDRE DU JOUR

M. le président Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 17 janvier 2001, à quinze heures :
1. Suite de la discussion de la proposition de loi organique (n° 166, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est fixé à la clôture de la discussion générale.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble de la proposition de loi organique.
2. Discussion du projet de loi (n° 276, 1998-1999) autorisant la ratification de la convention relative à l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède à la convention relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d'entreprises associées.
Rapport (n° 179, 2000-2001) de M. Jacques Chaumont, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
3. Discussion du projet de loi (n° 62 rectifié, 2000-2001) autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Botswana en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu.
Rapport (n° 180, 2000-2001) de M. Jacques Chaumont, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
4. Discussion du projet de loi (n° 99, 2000-2001) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République arabe d'Egypte en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune du 19 juin 1980.
Rapport (n° 178, 2000-2001) de M. Jacques Chaumont, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
5. Discussion du projet de loi (n° 484, 1999-2000) autorisant la ratification de l'accord euroméditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et le Royaume hachémite de Jordanie, d'autre part (ensemble sept annexes, quatre protocoles, un acte final, douze déclarations communes et un échange de lettres).
Rapport (n° 144, 2000-2001) de M. Serge Vinçon, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
6. Discussion du projet de loi (n° 19, 2000-2001) autorisant l'approbation du protocole relatif aux zones et à la vie sauvage spécialement protégées à la convention pour la protection et la mise en valeur du milieu marin de la région des Caraïbes (ensemble trois annexes).
Rapport (n° 161, 2000-2001) de M. André Boyer, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
7. Discussion du projet de loi (n° 399, 1999-2000) autorisant l'approbation de l'avenant n° 2 à la convention de sécurité sociale du 16 janvier 1985 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Côte d'Ivoire.
Rapport (n° 162 rectifié, 2000-2001) de Mme Paulette Brisepierre, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
8. Discussion du projet de loi (n° 70, 2000-2001) autorisant l'approbation de l'accord, sous forme d'échanges de notes, entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse concernant l'interprétation de la convention relative au service militaire des doubles nationaux du 16 novembre 1995.
Rapport (n° 143, 2000-2001) de M. Robert Del Picchia, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
9. Discussion en deuxième lecture du projet de loi (n° 23, 2000-2001), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, portant règlement définitif du budget de 1998.
Rapport (n° 148, 2000-2001) de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble.
10. Discussion du projet de loi (n° 22, 2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale, portant règlement définitif du budget de 1999.
Rapport (n° 176, 2000-2001) de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble.

Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

Conclusions de la commission des lois (n° 177, 2000-2001) sur :
1° La proposition de loi de M. Alain Vasselle et de plusieurs de ses collègues relative au statut de l'élu local (n° 59 rectifié, 2000-2001) ;
2° La proposition de loi de M. Jacques Legendre et de plusieurs de ses collègues tendant à assurer le maintien de la proportionnalité des indemnités de tous les élus municipaux (n° 398, 1999-2000) ;
3° La proposition de loi de M. Jean-Claude Carle et de plusieurs de ses collègues tendant à revaloriser les indemnités des adjoints au maire, des conseillers municipaux, des présidents et vice-présidents d'un établissement public de coopération intercommunale (n° 454, 1999-2000) ;
4° La proposition de loi de M. Serge Mathieu tendant à la prise en compte pour l'honorariat des maires, maires délégués et maires adjoints, des mandats accomplis dans différentes communes (n° 443, 1999-2000) ;
5° La proposition de loi de M. Jean Arthuis et des membres du groupe de l'Union centriste visant à créer une indemnité de retour à l'emploi pour les élus locaux (n° 98, 2000-2001).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 17 janvier 2001, à dix-sept heures.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation sur la forêt (n° 408, 1999-2000).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 22 janvier 2001, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 22 janvier 2001, à douze heures.
Deuxième lecture, sous réserve de sa transmission, du projet de loi organique modifiant la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel (AN, n° 2685).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 24 janvier 2001, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 24 janvier 2001, à dix-sept heures.
Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, tendant à renforcer la prévention et la répression à l'encontre des groupements à caractère sectaire (n° 431, 1999-2000).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 24 janvier 2001, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 24 janvier 2001, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





NOMINATION D'UN RAPPORTEUR

COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LÉGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL, DU RÈGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
M. Jean-Paul Delevoye a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 145 (2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à améliorer l'accès aux fonctions électives municipales, dont la commission des lois est saisie au fond.



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Liaisons aériennes avec le Burkina Faso

997. - 11 janvier 2001. - M. François Gerbaud souhaite attirer l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement sur une décision regrettable qui affecte le trafic aérien de l'aéroport Marcel-Dassault de Châteauroux-Déols. En dépit du succès de la demi-douzaine de vols qu'elle a déjà effectués entre cet aéroport et Ouagadougou, la compagnie burkinabée Faso-Airways s'est vu refuser l'attribution de droits de trafic aérien Nord-Sud, alors même qu'il s'agit d'un transporteur officiellement désigné par les autorités du Burkina Faso. En conséquence, Faso-Airways a transféré ses vols vers Ostende. La situation engendrée par cette décision est aberrante à tous égards : il s'agit d'un non-sens logistique, qui ne fait aucun cas de la vocation spécifique de l'aéroport de Châteauroux et de sa situation géographique privilégiée par rapport à Paris et Rungis. Cet épisode illustre par ailleurs les distorsions introduites par un protectionnisme persistant du transport aérien français, fatalement sanctionné par la politique inverse d'« open sky » mise en oeuvre dans des pays voisins tels que la Belgique. Nos propres aéroports ne peuvent que pâtir de ces distorsions. Enfin, la décision prise à l'encontre de Faso-Airways est difficilement défendable alors même que la France contribue officiellement à lutter contre le sous-développement des pays du tiers monde, notamment en promouvant une forme de « commerce équitable » destiné à des pays particulièrement défavorisés. Pour l'ensemble de ces raisons, il lui demande s'il ne pourrait pas s'engager à ce que soit révisée la position de ses services et qu'en conséquence des droits de trafic soient attribués à la compagnie Faso-Airways ?

Fonctionnement des services de l'équipement
chargés de l'instruction des permis de construire

998. - 11 janvier 2001. - M. Ambroise Dupont appelle l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement sur le fonctionnement des services chargés de l'instruction des permis de construire. En effet, il n'y a plus assez de personnel pour instruire les permis de construire et appeler les taxes. De ce fait, des retards importants dans l'instruction des permis sont constatés, des taxes ne sont pas appelées et il est impossible d'obtenir des informations cohérentes sur les rendements de taxes à espérer. Outre les retards préjudiciables pour les pétitionnaires demandeurs de permis de construire, les communes, les départements et les établissements (Rivages de France et Conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement [CAUE]) bénéficiaires des taxes ne sont pas en mesure de prévoir un budget. Il faut rappeler la situation financière particulièrement difficile des CAUE, la très forte fluctuation annuelle de la taxe départementale CAUE rendant toute prévision budgétaire aléatoire puisque celle-ci, comme les autres taxes d'urbanisme, est soumise aux variations de la construction. Si les taxes ne sont appelées que partiellement ou avec retard, les difficultés de ceux-ci ne pourront que s'accentuer. Il lui demande donc ce qu'il entend faire pour remédier aux manques constatés.

Création de centres sportifs de formation
dans les zones rurales

999. - 12 janvier 2001. - M. Aymeri de Montesquiou appelle l'attention de Mme le ministre de la jeunesse et des sports sur la nécessité de développer des centres sportifs de formation dans les zones rurales. Si notre pays a la chance de posséder actuellement de très grands sportifs qui constituent des exemples pour notre jeunesse, la relève se prépare dès aujourd'hui en repérant de nouveaux talents sur l'ensemble du territoire, par exemple dans les sports collectifs comme le rugby, le basket, le football qui développent à la fois l'esprit de compétition et de solidarité. Or, dans les zones rurales, et malgré les compétences et le dévouement des entraîneurs dans les écoles de sport des petits clubs, les jeunes talents issus de la ruralité ne bénéficient pas des mêmes chances que ceux issus des grands centres urbains. Afin qu'ils puissent mieux concilier entraînement intensif et scolarité, il serait donc utile de créer des centres sportifs de formation de niveau intermédiaire dans les zones rurales. Il lui demande si elle est favorable à la création de tels centres et si elle entend prendre les moyens nécessaires.

Déficit d'équipements en imagerie et en radiothérapie
dans la Loire et conséquences pour la lutte contre le cancer

1000. - 16 janvier 2001. - M. Lucien Neuwirth attire l'attention de Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés sur l'important déficit d'équipements de radiothérapie et d'imagerie médicale dont souffre le département de la Loire, plus spécialement dans le cadre de la lutte contre le cancer. La vétusté du parc des appareils en hôpitaux publics ou participant au service hospitalier public est reconnue par tous les professionnels de santé concernés : par exemple, quatre accélérateurs sur cinq sont âgés de plus de quinze ans, leur taux de panne est très fréquent, la fiabilité des appareils très aléatoire, à la merci d'une panne définitive. L'institut de cancérologie de la Loire est en attente de sa mise en service depuis plusieurs années, et les deux nouveaux accélérateurs linéaires promis pour fin 2000, pour remplacer les appareils de radiothérapie déficients et actuellement totalement saturés, ne sont pas au rendez-vous ; un troisième IRM s'avérerait d'ailleurs indispensable. Les deux seules autorisations de chambre de curiethérapie du département de la Loire ne semblent pas être reconduites. Aucun pet-scan n'est encore installé, ni d'appareil de radiothérapie équipé d'un système d'imagerie portable pour répondre aux besoins nouveaux et faciliter les diagnostics précoces. Une telle situation fait perdre aux patients cancéreux de la Loire des chances de guérison et ce, malgré les efforts et le dévouement du personnel médical et soignant. Il lui demande quand elle compte mettre un terme à cette situation.

Accès aux cycles de formation de l'ANPE

1001. - 16 janvier 2001. - M. Pierre Laffitte demande à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité si les services de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) qui réservent l'accès à des cycles de formation professionnelle aux seuls chômeurs percevant des indemnités depuis plus de douze mois sont dans leur droit ou appliquent des directives. Cette situation, qui ne semble pas exceptionnelle, puisqu'elle existe dans les Hautes-Pyrénées et les Alpes-Maritimes par exemple, lui paraît très préjudiciable à une réinsertion rapide. Il est des cas inadmissibles où les cycles existent et correspondent à des métiers, par exemple chauffeurs de poids lourds ou aides-soignants, pour lesquels des employeurs ne peuvent trouver des candidats. Il souhaiterait savoir s'il ne conviendrait pas qu'une circulaire ministérielle rappelle aux membres de l'ANPE qu'ils doivent respecter la détresse des chômeurs réellement en quête d'emploi et, à tout le moins, motiver les décisions de refus d'inscription non par un « principe » qui n'a jamais reçu l'aval du Parlement à sa connaissance mais, par exemple, par l'impossibilité de trouver les cycles de formation demandés. Dans ce dernier cas qui peut exister notamment en technologies de l'information et de la communication, l'ANPE et l'association pour l'emploi des cadres (APEC) ne devraient-elles pas établir des relations pluriannuelles avec des associations ou fondations compétentes ? Le secteur souffre d'un grand manque d'éléments formés même à des niveaux de compétence moins élevés que ceux d'ingénieurs ou de techniciens et il est, d'après une étude émanant du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, hautement porteur de croissance donc d'emplois, directs ou induits.

Aides financières aux handicapés

1002. - 16 janvier 2001. - M. Georges Mouly attire l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur le double problème de discrimination que connaissent les personnes handicapées du point de vue de leur situation financière. La première est celui de l'application de la notion de « retour à meilleure fortune » qui entraîne une possibilité de récupération des sommes versées au titre de l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) dès lors que l'héritage, au décès de leurs parents, modifie leur situation fiscale, ce qui n'est pas le cas des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (RMI) en situation comparable. La seconde est celle de la prise en compte de l'allocation adulte handicapé dans l'appréciation des ressources pour l'attribution de l'allocation veuvage. Il lui demande quelles mesures elle envisage de prendre pour supprimer ces deux dispositions dont souffre la population handicapée et, plus généralement, toutes autres mesures pour offrir une véritable compensation du handicap à cette partie de la population.

Modalités de l'allocation de vétérance
aux sapeurs-pompiers

1003. - 16 janvier 2001. - M. Louis Souvet attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur le montant de l'allocation de vétérance accordée aux anciens sapeurs-pompiers. Du fait de la fixation d'une date butoir en deçà de laquelle les soldats du feu ne peuvent prétendre à bénéficier de la part variable, il est créé une discrimination absolument infondée au sein des anciens sapeurs-pompiers. Il lui demande si les pouvoirs publics entendent mettre fin par les moyens appropriés à cet état de fait.