SEANCE DU 10 JANVIER 2001


SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Désignation d'un sénateur en mission (p. 1 ).

3. Pollution par les navires. - Discussion d'une proposition de loi (p. 2 ).
Discussion générale : MM. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement ; Lucien Lanier, rapporteur de la commission des lois ; François Marc.

4. Souhaits de bienvenue à une délégation de parlementaires espagnols (p. 3 ).

5. Pollution par les navires. - Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi (p. 4 ).


Discussion générale (suite) (p. 5 )

Mme Anne Heinis, M. Gérard Le Cam.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Clôture de la discussion générale.

Article 1{er (p. 6 )

Amendement n° 1 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption de l'amendement rédigeant l'article.

Article 2 (p. 7 )

Amendement n° 2 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption de l'amendement rédigeant l'article.

Article 3 (p. 8 )

Amendement n° 3 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption de l'amendement rédigeant l'article.

Article 4 (p. 9 )

Amendement n° 4 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption de l'amendement rédigeant l'article.

Article additionnel avant l'article 5 (p. 10 )

Amendement n° 5 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Article 5 (p. 11 )

Amendement n° 6 de la commission et sous-amendements n°s 7 et 8 de M. Anne Heinis. - M. le rapporteur, Mme Anne Heinis, M. le ministre. - Retrait des sous-amendements ; adoption de l'amendement rédigeant l'article.

Articles additionnels après l'article 5 (p. 12 )

Amendement n° 13 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 12 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre, Henri de Richemont. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 9 de Mme Anne Heinis. - Mme Anne Heinis, MM. le rapporteur, le ministre. - Retrait.
Amendement n° 10 de Mme Anne Heinis. - Mme Anne Heinis, MM. le rapporteur, le ministre. - Retrait.
Amendement n° 11 de Mme Anne Heinis. - Mme Anne Heinis, MM. le rapporteur, le ministre, François Marc. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Intitulé de la proposition de loi (p. 13 )

Amendement n° 14 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. - Adoption de l'amendement rédigeant l'intitulé.

Vote sur l'ensemble (p. 14 )

M. Pierre Hérisson, Mme Anne Heinis, M. François Marc.
Adoption de la proposition de loi.

6. Adoption internationale. - Adoption d'une proposition de loi (p. 15 ).
Discussion générale : Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice ; MM. Nicolas About, rapporteur de la commission des lois ; Guy Allouche, Mmes Nicole Borvo, Paulette Brisepierre.
Clôture de la discussion générale.

Article 1{er A (p. 16 )

Amendement n° 1 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 1{er (p. 17 )

Amendements n°s 2 de la commission et 6 de Mme Nicole Borvo. - M. le rapporteur, Mmes Nicole Borvo, le garde des sceaux. - Retrait de l'amendement n° 6 ; adoption de l'amendement n° 2 rédigeant l'article.

Articles additionnels après l'article 1{er (p. 18 )

Amendement n° 3 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 7 de Mme Nicole Borvo. - Mme Nicole Borvo, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Guy Allouche. - Rejet.

Article 2. - Adoption (p. 19 )

Article 3 (p. 20 )

Amendements identiques n°s 4 de la commission et 8 de Mme Nicole Borvo. - M. le rapporteur, Mmes Nicole Borvo, le garde des sceaux. - Adoption des deux amendements.
Amendement n° 5 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 4. - Adoption (p. 21 )

Vote sur l'ensemble (p. 22 )

MM. Jacques Machet, Guy Allouche, Emmanuel Hamel, Mmes Nicole Borvo, le garde des sceaux, M. le rapporteur.
Adoption de la proposition de loi.

7. Dépôt d'un projet de loi (p. 23 ).

8. Dépôt de rapports (p. 24 ).

9. Ordre du jour (p. 25 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

DÉSIGNATION D'UN SÉNATEUR EN MISSION

M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre une lettre par laquelle il fait part au Sénat de sa décision de placer M. Louis Le Pensec, sénateur du Finistère, en mission temporaire auprès de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, dans le cadre des dispositions de l'article L.O. 297 du code électoral.
Acte est donné de cette communication.

3

POLLUTION PAR LES NAVIRES

Discussion d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 415, 1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, modifiant la loi n° 83-583 du 5 juillet 1983 réprimant la pollution par les navires. [Rapport n° 163 (2000-2001)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, tout d'abord, de vous présenter de vive voix mes voeux pour la nouvelle année.
Il y a maintenant plus d'un an, le pétrole s'échappait des soutes de l' Erika et venait polluer nos côtes, causant ainsi un très grave préjudice à l'environnement et à tous ceux qui vivent des activités maritimes et du tourisme sur le littoral de l'Atlantique ; il y a un peu plus de deux mois le Ievoli Sun faisait naufrage dans la Manche, au large du Cotentin, avec sa cargaison de styrène.
Ces naufrages qui se répètent ont marqué les consciences, comme ce fut le cas pour les catastrophes du Torrey Canyon , de l' Amoco Cadiz ou de l' Exxon Valdes .
Tout montre aujourd'hui que la société n'accepte plus ces catastrophes à répétition, qui ne relèvent pas de la simple fatalité et dont elle attribue souvent la responsabilité à la cupidité de ceux qui n'ont qu'une seule loi, celle du profit à tout prix.
L'exigence d'une réglementation claire, précise, efficace et respectée monte parmi les opinions publiques des pays de l'Union européenne, et au-delà. Bien sûr, il faut s'en féliciter, car cette saine pression de l'opinion publique est déterminante pour faire avancer la législation maritime européenne et internationale, ce qui est indispensable.
L'ampleur du préjudice causé par ces catastrophes ne saurait cependant faire oublier que des pollutions intentionnelles affectent au quotidien notre patrimoine maritime. Je veux parler des déballastages, ou dégazages, effectués illégalement en mer par des capitaines de navire peu scrupuleux et peu soucieux de l'environnement.
Ces pratiques sont d'autant plus inacceptables qu'elles ne visent qu'à économiser le coût du nettoyage des cuves dans un port. Elle s'inscrivent dans un système qui privilégie la recherche du moindre coût au détriment de l'environnement et qui rogne sur le contrôle, l'entretien et la remise en état des navires ou sur les conditions de travail des marins, au mépris des risques d'accident.
La proposition de loi du député Gilbert Le Bris que l'Assemblée nationale a adoptée le 13 juin dernier part de ce constat. Elle suggère des mesures d'abord et avant tout dissuasives pour empêcher et, le cas échéant, sanctionner ces rejets illicites d'hydrocarbures en mer, qui sont d'ailleurs définis par les conventions internationales.
Lors de la discussion de cette proposition de loi modifiant la loi du 5 juillet 1983 réprimant la pollution par les hydrocarbures, j'ai souligné, au nom du Gouvernement, l'opportunité et la pertinence du texte. J'ai partagé et soutenu cette démarche parce qu'il est notamment question de renforcer la répression à l'encontre de ces comportements illicites en triplant les sanctions financières et en doublant les peines d'emprisonnement encourues en cas de déballastage en mer, ainsi qu'en étendant ces dispositions à tout capitaine de navire étranger naviguant dans nos eaux.
Comme vous le savez, la proposition de loi a été améliorée sur plusieurs points par l'Assemblée nationale, et j'ai pu constater, à la lecture de l'excellent rapport de M. Lanier, que nos analyses étaient très largement convergentes. Je note d'ailleurs que les amendements de la commission des lois du Sénat permettent d'enrichir le texte.
Ces amendements vont en effet dans le sens d'une fermeté accrue, et donc d'une meilleure dissuasion, au travers du quadruplement des sanctions financières et de l'extension de la responsabilité au-delà de celle du capitaine du navire. J'y suis extrêmement favorable. Je l'avais d'ailleurs souligné lorsque ces propositions avaient été avancées dans la discussion des articles à l'Assemblée nationale.
Faire également peser la responsabilité sur l'armateur permettra, je le crois, d'exercer une pression plus forte sur l'ensemble de la chaîne de commandement pour prévenir les déballastages en mer ou, le cas échéant, les sanctionner. Les responsables des navires doivent comprendre qu'il est pratiquement et financièrement plus avantageux et aussi moins dangereux pour eux de se conformer à la réglementation et de déballaster dans les ports plutôt qu'en pleine mer.
Enfin, plusieurs amendements à l'article 5 visent à consolider et à améliorer le dispositif prévu par l'Assemblée nationale pour spécialiser les juridictions compétentes et ainsi renforcer l'efficacité de l'action de la justice.
Le Gouvernement ne peut que se réjouir des améliorations que l'ensemble de ces propositions apportent au texte initial et qui vont dans le sens d'une plus grande fermeté à l'égard des pollueurs.
Une telle action doit, bien entendu, s'accompagner d'une politique d'investissement et de modernisation concernant la capacité de réception de nos ports.
De nombreux ports sont déjà équipés, tout particulièrement les ports pétroliers comme Le Havre, Marseille, Dunkerque, ou Nantes - Saint-Nazaire. Mais d'autres sont moins bien équipés ou ne le sont pas du tout. C'est pourquoi j'ai demandé que soit diligentée une mission en vue de recenser les installations existantes et de prévoir un programme d'équipement. Cette mission doit me rendre son rapport sous peu.
Bien entendu, pour être efficaces, de telles mesures doivent s'intégrer dans une démarche globale d'amélioration de la sécurité maritime. Cette démarche est la mienne depuis 1997. Elle s'est traduite notamment par l'augmentation des moyens mis en oeuvre pour atteindre cette sécurité et par le renforcement de la réglementation internationale, ce que nous sommes en passe d'obtenir grâce à l'action déterminée menée lors de la présidence française de l'Union européenne.
Sur le plan national, vous le savez, le Gouvernement a pris la décision d'augmenter de trente postes le nombre des officiers de port, de doubler le nombre des inspecteurs de sécurité et de doter les services des douanes et de la marine nationale de nouveaux moyens de surveillance, afin que tous puissent accomplir leurs missions actuelles et futures dans de meilleures conditions et avec de meilleurs résultats. La modernisation et la professionnalisation des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage, les CROSS, permettront également de réduire les risques maritimes qu'encourent les hommes et l'environnement.
Comme vous le savez, la détermination conjointe de la présidence française, de la Commission et du Parlement européen, permis qu'à l'échelon communautaire - les décisions ont été prises les 20 et 21 décembre dernier - plusieurs directives relatives au renforcement de la sécurité maritime soient sur le point d'être adoptées.
L'une des directives oblige les navires à attester du dépôt de leurs déchets avant de quitter un port de l'Union. Sa transposition dans notre droit national est pratiquement réalisée puisqu'elle est inscrite dans le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation communautaire, celui-là même que certains membres de la majorité sénatoriale ont déféré devant le Conseil constitutionnel. (Sourires.)
Malgré ce léger contretemps, la France sera donc, dans quelques jours, le premier des Quinze à intégrer dans son droit interne de telles dispositions. Nous serons en quelque sorte des précurseurs dans ce domaine, ce dont il convient de se féliciter.
Une autre directive vise à introduire dans le droit communautaire des mesures telles que le bannissement - le mot est fort, mais il traduit bien la volonté de faire bouger les choses - des navires à risque, ainsi que l'organisation et l'approfondissement des contrôles.
Au-delà de ces dispositions, que le Parlement européen devrait adopter définitivement dans des délais très courts, un projet de directive relative à la mise en place d'un système communautaire de suivi, de contrôle et d'information du trafic maritime, fait partie du deuxième paquet de mesures proposées par la Commission européenne. On peut dire que la France y a largement contribué, avec le dispositif Equasis, maintenant bien connu.
Plusieurs mesures proposées par la France à l'Organisation maritime internationale, l'OMI, ont également d'ores et déjà été adoptées.
Parmi celles-ci, on peut citer : le contrôle en cale sèche tous les deux ans et demi - au lieu de tous les cinq ans - des pétroliers de plus de quinze ans à partir du 1er juillet 2002 ; l'obligation de signalement des navires en Manche centrale à partir du 1er juillet 2001 ; l'obligation d'embarquement de balises transpondeuses permettant l'identification des navires ; enfin, le soutien de l'OMI et de l'Union européenne à l'initiative française visant à créer une banque de données mondiale sur les navires, le dispositif Equasis étant, cette fois encore, à l'honneur.
Par ailleurs, l'OMI a adopté, au début du mois de décembre dernier, une mesure imposant l'emport de « boîtes noires » sur les navires neufs à compter du 1er juillet 2002 et sur les navires à passagers existants.
Le Conseil des ministres européens des 20 et 21 décembre 2000 a souhaité que les navires de charge existants faisant escale dans les ports de la Communauté soient également tenus d'avoir cet équipement à bord.
Une autre mesure visant à contrôler plus efficacement les rejets illicites d'hydrocarbures en mer est à l'étude au sein de l'OMI : il s'agit d'identifier les produits transportés par marquage, afin d'assurer une parfaite traçabilité de la pollution et l'identification du contrevenant, comme aux Etats-Unis.
Enfin, au niveau international ou au moins à l'échelle de l'Europe, la France a proposé d'accélérer l'élimination des pétroliers à simple coque. Cette proposition devrait aboutir à l'adoption, en avril 2001, d'un amendement à la convention MARPOL qui entrerait en vigueur le 1er janvier 2003 avec, pour perspective, l'élimination de 40 % des navires à simple coque en 2005 et de près de 70 % d'entre eux en 2015 à l'échelle mondiale, à l'instar de ce qui se fait aux Etats-Unis.
Au-delà de toutes ces dispositions, il nous faudra continuer à travailler sur les questions de la responsabilité des opérateurs, du meilleur signalement et contrôle de la circulation et sur la création d'une agence de sécurité européenne, tous sujets dont la France a suscité l'étude et qui feront l'objet de discussions dans le cadre du « paquet Erika II » de propositions de la Commission européenne.
Au même titre que toutes les mesures engagées par le Gouvernement, les dispositions de la présente proposition de loi s'inscrivent dans une démarche globale d'amélioration de la sécurité maritime et de responsabilisation de tous les acteurs.
Notre patrimoine maritime, nos plages ne doivent plus subir les souillures d'armateurs indélicats qui sacrifient la sécurité des hommes et l'environnement à la recherche du moindre coût pour asseoir leurs bénéfices.
Je crois que nous avons collectivement une responsabilité devant la population et les générations futures, qui sont en droit d'attendre des élus et des pouvoirs publics une action ferme et déterminée contre ce type de comportements à tous points de vue condamnables. Je compte donc sur vous pour soutenir cette proposition de loi et contribuer à sa mise en oeuvre. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Vous l'avez dit, monsieur le ministre, le naufrage de l' Erika et l'épanchement de ses tonnes d'hydrocarbures ont pu réveiller les craintes de la pollution de la mer et de ses rivages, craintes qui s'étaient un peu trop estompées depuis la catastrophe de l' Amoco Cadix. Mais le sommet européen de Bruxelles des 21 et 22 décembre dernier - vous l'avez dit également - a confirmé la priorité des problèmes de sécurité maritime.
Ce réveil est d'autant plus justifié qu'il existe une pollution quasi quotidienne, estimée à 2 millions de tonnes d'hydrocarbures par an, soit l'équivalent d'un Erika par semaine, rien que dans la Méditerranée, mer fermée par excellence.
Cette pollution subreptice et continue est due à la vidange en pleine mer, et au mépris des lois internationales, des ballasts des navires, compartiments étanches destinés au transport soit d'hydrocarbures, soit de produits chimiques, dont le nettoiement est nécessaire après livraison de la marchandise, d'où le nom en termes de marine de « déballastage » ou de « dégazage ». Ces vidanges, interdites en mer, peuvent provenir des machines ou des compartiments enfermant la cargaison.
Ces vidanges se traduisent par des nappes de produits, dont certaines sont fort étendues et particulièrement nocives, surtout lorsqu'elles arrivent jusque sur les côtes. Elles hypothèquent la vie même des mers et plus particulièrement des mers fermées, telle la Méditerranée. Elles échappent le plus souvent à la surveillance des centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage, les fameux CROSS, qui, en 1999, ont répertorié 308 pollutions du fait de dégazage, sans compter les opérations occultes. Elles menacent plus particulièrement la France, compte tenu de l'étendue de ses façades côtières et de l'étroitesse des rails maritimes de la Manche.
La proposition de loi de Gilbert Le Bris, député du Finistère, visant à réprimer la pollution par les navires, a été approuvée en première lecture par l'Assemblée nationale, le 13 juin dernier. Elle nous est soumise aujourd'hui. Elle renforce les dispositions de la loi du 5 juillet 1983, dont il convient de rappeler, pour une complète compréhension du sujet, que ses dispositions ont été abrogées par l'ordonnance du 18 septembre 2000, afin d'être codifiées dans le code de l'environnement par les articles L. 218-10 à L. 218-31, codification effectuée à droit constant.
Ma première réflexion sera pour dire que cette proposition de loi vient à son heure. Je regrette pourtant que nous ne soyons pas en présence d'un texte plus complet, plus propre à dissuader les dégazages sauvages. Mais peut-être avez-vous eu raison, monsieur le ministre, de passer par cette étape, en l'occurrence cette proposition de loi, afin, pour mieux adapter ensuite la législation française à la réglementation internationale, en particulier européenne, qui est en train d'être bâtie mois après mois et qui a pris un nouvel élan lors du récent sommet de Nice.
En effet, la réglementation nationale ou internationale actuellement en vigueur s'est jusqu'alors révélée peu dissuasive. Quelle est-elle ?
Sur le plan international, la convention MARPOL 73-78, entrée en vigueur en 1982, interdit tout déballastage ou dégazage dans certaines zones protégées parce que plus sensibles et exposées, telle la Méditerranée, mer fermée, je l'ai dit, mais autorise un dégazage réglementé selon la teneur du rejet, la nature du navire, le lieu d'opération.
A l'échelon national, la loi de 1983, codifiée dans le code de l'environnement, reste la référence. Mais elle n'est pas sans certaines failles. Sanctionnant des fautes intentionnelles d'ordre pénal, elle exclut la souscription d'une assurance. Elle pose le principe de la responsabilité du capitaine du navire, seul responsable des événements survenus à son bord, sauf si le propriétaire ou l'exploitant du navire, c'est-à-dire l'armateur... a donné l'ordre de commettre l'infraction : aberration dans la loi, dont certaines dispositions sont parfaitement inapplicables ! Quel armateur irait, en effet, manifester ainsi son implication dans un acte illégal ? Le capitaine demeure donc seul responsable, considéré comme le vecteur vis-à-vis de ses employeurs.
Or les peines encourues ne sont pas négligeables puisque la loi de 1983 prévoit une amende de 100 000 à 1 million de francs et de trois mois à deux ans de prison pour tout capitaine d'un navire français coupable de dégazage ; les peines sont doublées en cas de récidive. Ces dispositions s'appliquent aux navires étrangers dans la zone économique et les eaux territoriales.
De ces normes sont ainsi exclues les infractions commises par les navires étrangers en haute mer.
Je rappelle, pour mémoire, les trois zones maritimes : les eaux territoriales situées dans les 12 milles à partir de la côte, la zone économique exclusive jusqu'à 188 milles ; au-delà, la haute mer.
Aux failles de la législation existante, s'ajoute un second problème de taille : les difficultés de contrôle et d'identification des fautifs, c'est-à-dire des navires responsables de la faute intentionnelle.
En effet, les centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage coordonnent surveillance, contrôle et répression. Ils procèdent essentiellement par observations aériennes visuelles, diligentées par les douanes ou la marine nationale. Si les nappes de rejets sont faciles à observer, du moins de jour, leurs auteurs sont beaucoup plus difficiles à détecter. Les vidanges s'effectuent en effet le plus souvent la nuit ou dans le sillage d'autres navires à l'intérieur de couloirs de navigation très fréquentés.
S'ajoute à ces difficultés la pauvreté des moyens d'investigation. Les effectifs d'inspecteurs des centres de sécurité ont fondu, en regard du doublement du trafic. Il est vrai que vous avez proposé, monsieur le ministre, un doublement des effectifs. Toutefois, je préfère les recrutements lissés dans le temps car ils sont de meilleure qualité que les recrutements massifs réalisées d'un seul coup.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Il y avait du retard !
M. Lucien Lanier, rapporteur. C'est ainsi qu'en 1999 308 pollutions ont été détectées, dont 239 provenaient de rejets volontaires. Seuls 30 navires furent identifiés et 27 procédures judiciaires entamées. Comparons ces deux nombres : 308 pollutions, 27 condamnations, au demeurant fort différentes les unes des autres.
Ajoutons qu'en cas de poursuites judiciaires les peines prononcées sont encore trop clémentes pour être dissuasives. En effet, la sanction encourue se devrait d'être fort supérieure au coût d'une vidange réglementaire dans les installations prévues à cet effet dans les zones portuaires.
Or, le coût d'un déballastage au port se situe selon la grandeur du bateau, entre 2 000 francs et 20 000 francs, sans compter les frais d'immobilisation du navire, qui ne peut se permettre d'attendre la disponibilité des installations, si l'on sait que le coût d'un pétrolier est, par jour, de 70 000 dollars, soit plus de 500 000 francs au taux de change actuel.
Voilà des ordres de grandeur qu'il convient d'avoir à l'esprit. Et l'on sait que les dégazages chimiques peuvent atteindre des sommes considérables, beaucoup plus importantes que les 20 000 francs que j'ai cité tout à l'heure.
Par ailleurs, on constate que la disponibilité des installations portuaires ne répond pas toujours aux exigences de la situation. Bien que les représentants de la direction des ports aient excipé d'un état satisfaisant, certains interlocuteurs ont, pour leur part, fait état de onze ports français sous-équipés.
C'est pourquoi le ministère de l'équipement a diligenté en octobre dernier une mission chargée de recenser les capacités existantes et les besoins nouveaux et urgents passibles d'un programme d'équipement, mission dont les résultats étaient attendus à la fin du mois de janvier 2001. Vous nous direz, monsieur le ministre, où en est cette mission.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Le mois de janvier n'est pas encore terminé !
M. Lucien Lanier, rapporteur. Cette mission devrait également vérifier la corrélation entre les installations et la nature du trafic de chaque port.
Il convient que, très rapidement, les ports puissent offrir des installations suffisantes et complètes qui, jointes à de nouvelles normes de construction des navires, rendront inexcusables les dégazages en mer et faciliteront la dissuasion.
Dans le même temps, il convient d'améliorer l'arsenal législatif actuel. C'est ainsi qu'un projet de loi concernant l'adaptation de diverses dispositions au droit communautaire des transports prévoit l'obligation, pour les navires faisant escale dans un port français, de dégazer dans les installations prévues à cet effet. Faute de justifier de cette opération, le navire pourra être retenu au port, l'infraction étant passible d'une amende de 1 000 à 40 000 euros.
Ces mesures sont confirmées par une directive communautaire de septembre dernier.
Enfin, il est envisagé d'installer sur les navires des transpondeurs, appareils émetteurs-récepteurs qui renvoient automatiquement un message d'identification au signal d'un radar.
Il serait plus satisfaisant, mais plus difficile à réaliser, de poser des « boîtes noires » adaptées à la circulation maritime pour enregistrer les données. Monsieur le ministre, est-il envisagé d'utiliser cette technique à l'échelon européen ou, en tout cas, français ? Cette technique est-elle suffisamment au point pour que l'on exige sa mise en place sur les futurs navires ?
Le naufrage de l' Erika aura au moins eu le mérite, si l'on peut dire, de faire évoluer les choses : d'augmenter les moyens consacrés au contrôle et de rendre les sanctions dissuasives. Tel est l'objet du texte qui nous est présenté.
Par quelques amendements aux articles 1 à 4, je proposerai de quadrupler le montant des amendes par rapport à la législation existante. Ainsi, les amendes seront, vraiment dissuasives.
Jusqu'à présent, le capitaine était le seul vecteur de responsabilité. La commission a donc estimé qu'il convenait, à l'article 5, de préciser, outre la responsabilité du capitaine, celle de l'armateur et, surtout, de mieux définir les juridictions compétentes et, de plus, spécialisées.
Le droit maritime étant un droit tout à fait original et particulièrement difficile à appréhender, l'objectif est d'éviter un éparpillement juridictionnel dommageable et de mieux harmoniser la jurisprudence en la matière.
C'est ainsi que, concernant le jugement et s'agissant des infractions commises dans la zone économique exclusive ou, pour les seuls navires français, en haute mer, les infractions seraient de la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris, qui possède une section composée de cinq magistrats particulièrement au fait de ces probèmes.
De même, s'agissant des eaux territoriales, il est proposé que le jugement des infractions puisse être de la compétence de certains tribunaux spécialisés de grande instance du littoral maritime compétents sur le ressort de plusieurs cours d'appel. Il serait souhaitable qu'un décret du Gouvernement en fixe rapidement la liste, cette décision relevant du pouvoir réglementaire.
Enfin, concernant l'instruction et la poursuite des infractions commises dans les eaux territoriales comme dans la zone économique exclusive, outre les deux juridictions citées plus haut, seraient concurremment compétents les tribunaux de grande instance compétents sur le littoral et dans le ressort desquels les faits délictueux auraient été commis. Ces juridictions transmettraient ensuite tous les éléments du dossier d'instruction et de poursuite aux fins de jugement au tribunal de Paris pour la zone économique et la haute mer ou aux tribunaux spécialisés désignés par décret ministériel s'agissant des eaux territoriales.
Seraient compétents pour le jugement le tribunal de Paris en ce qui concerne la zone économique exclusive et les navires français en haute mer et, en ce qui concerne les eaux territoriales, les tribunaux spécialisés désignés par décret.
Cette spécialisation des juridictions devrait permettre de renforcer l'expérience des magistrats saisis et d'harmoniser la jurisprudence, ce qui me paraît indispensable. Sauf à dire, parodiant Pascal : « Plaisante justice que littoral borne ! ».
Afin d'éviter tout recours en nullité, la compétence exclusive du tribunal de Paris ne s'exercerait qu'au stade du jugement.
Enfin, un article additionnel prévoit que, dans les cas déjà prévus par le code de l'environnement, le coût de l'immobilisation du navire soit à la charge de l'armateur.
Mes chers collègues, il y va de l'avenir de la mer parce que les pollutions sont de plus en plus nombreuses. C'est pourquoi, sous réserve des amendements que j'ai exposés très rapidement, je propose à notre assemblée d'adopter le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à M. Marc.
M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui revêt un caractère particulièrement important pour nos côtes et pour les populations du littoral. Je souhaite à cet égard remercier le député du Finistère qui est l'auteur de cette proposition de loi, M. Gilbert Le Bris, de son travail majeur sur les questions de pollutions intentionnelles en mer.
Les marées noires telles que celle qui a été provoquée par l' Erika sont clairement identifiables. Mais qui sait réellement combien de tonnes de déchets provenant de déballastages sauvages souillent nos côtes chaque jour ? Cette nuisance est insidieuse car elle est dispersée. Elle témoigne du manque total de considération pour l'environnement dans un milieu du transport maritime où la politique du pire est souvent la règle.
Le cynisme qui prévaut chez certains a même abouti, lors du naufrage de l' Erika , à de nombreux dégazages à proximité immédiate de l'épave et des nappes de pétrole qui s'en étaient échappées.
Depuis le naufrage de l' Erika , diverses initiatives ont été annoncées, en particulier par la présidence française de l'Union européenne, pour tenter d'améliorer la sécurité en mer. Beaucoup reste cependant à faire pour concrétiser les déclarations. A vrai dire, des pans entiers d'un droit maritime que certains n'hésitent pas à qualifier d'archaïque doivent être revus.
En matière de dégazage et de déballastage, la situation est malheureusement claire ! Peu de prévention, car le nombre d'installations n'est pas forcément à la hauteur des enjeux, et encore moins de répression, faute de moyens efficaces pour apporter la preuve et parce que les sanctions ne sont que symboliques. Comment ne pas déplorer ce fait ubuesque : le montant maximal de l'amende est inférieur au coût d'un dégazage au port, si l'on tient compte des frais d'immobilisation du navire.
En d'autres termes, il coûte moins cher de polluer en mer que de se mettre en règle dans les ports. Cette situation perdure depuis trop longtemps. Nous devons y mettre un terme, et cette proposition de loi y contribue.
Qui peut encore aujourd'hui accepter des pollutions continuelles par hydrocarbures sur toutes les côtes ? Qui peut aujourd'hui accepter que la mer serve de poubelle et que cela ne perturbe en rien les armateurs et les donneurs d'ordre du monde maritime ? Personne, évidemment ! Pourtant, les mesures efficaces sont difficiles à mettre en place.
Comme chacun s'accorde à le souligner, c'est à l'ensemble des questions posées par un droit maritime désuet que nous devons répondre. Pris isolément, ces problèmes ne pourront être correctement traités, car le plus difficile sera certainement de faire évoluer les mentalités.
Le mois dernier, nous avons voté un texte qui prévoyait des mesures de prévention, telle l'obligation faite aux navires quittant un port de se mettre en règle en y déposant leurs hydrocarbures sous peine d'immobilisation. Cette mesure, qui anticipe la réglementation européenne, n'est qu'une étape. Elle doit se doubler de son corollaire répressif : c'est l'objet de ce texte.
Cette proposition de loi s'attache en effet à accentuer la répression des infractions constatées en doublant les peines d'emprisonnement et en triplant le montant des amendes encourues.
Ce texte prévoit également une nouvelle spécialisation des tribunaux afin de simplifier les actions.
La commission des lois, par la voix de notre rapporteur, a déposé des amendements intéressants, visant à multiplier par quatre, et non plus seulement par trois, le montant des amendes et à préciser les compétences des tribunaux.
A propos du montant des amendes, on peut parfaitement admettre qu'il n'est pas déraisonnable de fixer un niveau encore plus dissuasif. Nous devons, bien entendu, garder une certaine proportionnalité entre l'infraction et l'amende. Mais n'oublions jamais, comme Gilbert Le Bris l'a indiqué devant l'Assemblée nationale, que la responsabilité financière peut aussi être mise en oeuvre devant les juridictions civiles.
Gardons à l'esprit que le calcul d'un niveau d'amende n'est pas dû au hasard et que la commission de l'Assemblée nationale avait souhaité placer le curseur en position médiane.
Cependant, comme vous, monsieur le rapporteur, et comme vous aussi, monsieur le ministre, je pense que nous devons donner à l'amende un vrai caractère dissuasif.
S'agissant de la compétence des tribunaux, le texte adopté par l'Assemblée nationale devait certes être précisé, mais il avait le mérite de poser une vraie question. Le morcellement des compétences géographiques des tribunaux selon le lieu de l'infraction nuit, en effet, incontestablement, à l'efficacité des procédures. La nouvelle rédaction me semble effectivement plus appropriée pour permettre les poursuites, et l'amendement proposé par notre commission va dans le bon sens.
Au-delà de cette proposition de loi, au-delà des mesures contenues dans le projet de loi d'adaptation au droit communautaire en matière de transport, d'autres points méritent d'être évoqués.
Ainsi, en particulier dans le cadre de la convention MARPOL, le déballastage n'est pas proscrit partout. Cet état de fait est choquant. Il induit que les résidus ne sont finalement pas si polluants que cela puisque le rejet est parfois possible...
M. Henri de Richemont. Pas du tout !
M. François Marc. Ne doit-on pas envisager, à brève échéance, une interdiction totale ?
En outre, comment s'assurer de la preuve des dégazages. Ils sont, bien entendu, le plus souvent effectués de nuit, et dans des zones très fréquentées.
Où en est la réflexion concernant le marquage des cargaisons ? Cette mesure pourrait compléter le système de la « boîte noire » évoqué lors des derniers conseils Transport de l'Union européenne.
De nombreuses pistes sont maintenant ouvertes. Il faut souhaiter que la prise de conscience de la nécessité d'un durcissement du droit maritime en France et dans l'Union européenne parvienne un jour à trouver un écho positif au sein de l'Organisation maritime internationale.
Cette bataille sera la plus difficile à gagner, mais le respect de l'environnement nous impose de la livrer. C'est donc avec fermeté que la représentation nationale doit agir. Le groupe socialiste, quant à lui, votera ce texte et continuera de soutenir les efforts menés auprès des intances internationales par le Gouvernement et par vous-même, monsieur le ministre, pour faire en sorte que le droit maritime soit à la hauteur des enjeux considérables qu'il nous appartient aujourd'hui de relever. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Mme Heinis applaudit également.)

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SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATON
DE PARLEMENTAIRES ESPAGNOLS

M. le président. Mes chers collègues, il m'est particulièrement agréable de saluer la présence dans notre tribune officielle d'une délégation du groupe d'amitié Espagne-France du Congrès des députés du Royaume d'Espagne, conduite par son président, M. Francisco Camps Ortiz. (M. le ministre, MM. et Mme les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
Nos collègues espagnols effectuent une visite en France, à l'invitation du groupe France-Espagne de l'Assemblée nationale, et ils nous honorent de leur présence au palais du Luxembourg, reçus par le groupe sénatorial d'amitié que préside notre collègue M. Jacques-Richard Delong.
La vitalité des relations interparlementaires entre nos assemblées est à l'image de celle qui prévaut dans les relations entre nos deux pays. Les liens politiques et économiques qui nous unissent étroitement aujourd'hui prolongent ceux, plus anciens, mais toujours féconds, de l'histoire et de la culture. Notre destinée commune nous commande d'approfondir ces relations.
En votre nom à tous, je forme des voeux pour que leur séjour contribue à cet approfondissement et je leur adresse le salut fraternel du Sénat de la République française. (Nouveaux applaudissements.)

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POLLUTION PAR LES NAVIRES

Suite de la discussion
et adoption d'une proposition de loi



M. le président.
Nous reprenons la discussion de la proposition de loi modifiant la loi n° 83-583 du 5 juillet 1983 réprimant la pollution par les navires.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d'abord associer à mes propos M. Jean-François Le Grand, président du conseil général de la Manche, qui m'a demandé de me faire l'écho de ses préoccupations, ainsi que M. Jacques Oudin, président du groupe d'étude de la mer, qui aurait dû être des nôtres cet après-midi.
Monsieur le ministre, il n'est pas de jour sans qu'une portion des 5 500 kilomètres de côtes françaises soit agressée par la pollution des navires. Membre du groupe d'étude de la mer du Sénat, je mesure cette réalité avec amertume, mais sans abattement.
Voilà un peu plus d'un an, le 12 décembre 1999, le pétrolier Erika faisait naufrage. Tout a été dit sur cette catastrophe. Je veux rappeler le travail sérieux et apprécié des membres de la mission commune d'information du Sénat, dont le rapporteur était notre collègue Henri de Richemont, que j'ai plaisir à saluer. Le rapport a été rendu public le 27 juin.
Le même jour, précisément, se tenait un comité interministériel de la mer, qui avait pour objet de compléter les décisions prises par un précédent comité interministériel tenu, lui, le 28 février 2000, à Nantes.
Les intentions du Gouvernement étaient excellentes, si l'on se réfère aux relevés de décision de ces comités, dont la réunion avait d'ailleurs répondu à un souhait exprimé auprès de M. le Premier ministre par notre groupe d'étude de la mer.
Sur le plan de la réflexion théorique, tout, ou à peu près, a été envisagé, mais, cela n'a pas marché et, malheureusement, cela ne marche toujours pas.
Pourtant, toute la communauté maritime, qui avait souffert et qui panse ses plaies, était en droit d'attendre, en matière de pollution par les navires, une action gouvernementale extrêmement ferme.
Peut-être aurait-il fallu témoigner davantage de cette fermeté tant à l'échelon européen que sur le plan du droit interne. Précisément, trois propositions de directive du Parlement européen et du Conseil ont fait l'objet, au même moment, d'un débat.
Force est de reconnaître que le travail des institutions européennes sur ces sujets était trop timide. Je relève d'ailleurs que l'Assemblée nationale elle-même, dans une résolution n° 558 en date du 20 octobre 2000, affirmait : « Les propositions formulées par la Commission européenne ne sont que très partiellement à la hauteur des enjeux. » Je constate donc que la majorité sénatoriale n'était pas seule à considérer que l'on n'allait pas assez loin.
C'est dans ce même contexte que l'Assemblée nationale a adopté, le 14 juin 2000, la proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise. Pour ma part, je salue le fait que ce texte résulte d'une initiative parlementaire. Il n'y a aucune raison d'abandonner le thème maritime à la seule initiative du Gouvernement, quel qu'il soit, d'autant que les parlementaires, qu'ils soient ou non issus de départements côtiers, ont souvent une très bonne vision de ces problèmes.
Hélas ! ce travail et ces initiatives se sont trouvés ponctués par le naufrage, le 31 octobre 2000, au large des côtes normandes, d'un navire chimiquier italien chargé de 4 000 tonnes de styrène, de 1 000 tonnes de méthyltrichlorosilane et de 1 000 tonnes d'alcool isopropylique : le Ievoli Sun .
Je ne reviens pas non plus sur les circonstances de ce nouveau désastre. Vous les avez tous présentes à l'esprit.
La première conclusion que je tire, c'est que le Gouvernement a montré une réelle bonne volonté, tant au niveau que des comités interministériels de la mer que des instances européennes pendant sa présidence de l'Union,...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Absolument !
Mme Anne Heinis. ... pour élaborer des solutions réglementaires ou négociées face au risque que constitue la pollution par les navires. De ce point de vue, je crois que ses intentions étaient bonnes.
Mais force m'est de constater qu'entre le 12 décembre 1999 et le 31 octobre 2000, en dix mois, presque rien n'a été fait - ou si peu ! -, au regard des objectifs fixés, sur le plan de l'action concrète.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Pourquoi vous arrêtez-vous au 31 octobre ? Allez jusqu'au mois de décembre 2000 !
Mme Anne Heinis. On n'a pas fait assez pour remédier au problème, monsieur le ministre, je vous l'ai déjà dit pendant l'examen du budget de la mer, à cette tribune et aussi en privé. Je ne crois pas avoir beaucoup changé de discours : je reconnais ce qui a été fait tout en continuant à insister sur ce qu'il reste à faire. C'est comme cela que l'on avance et c'est notre devoir de parlementaire que d'avoir cette double vision des choses ; vous le comprenez, j'en suis sûre.
S'agissant de la pollution, on a envoyé des soldats et des jeunes nettoyer les rochers avec les moyens du bord ! On a parlé beaucoup, au niveau national comme au niveau européen. On a noirci du papier à la hâte. C'est à peu près tout !
Je ne veux ici évoquer que de manière allusive la problématique compliquée de la réparation des dommages, qu'il s'agisse du domaine public ou des particuliers. Où en sont les indemnisations du FIPOL, 40 millions de francs sur un budget de 1,2 milliard de francs ? Le FIPOL a-t-il un niveau de crédits suffisant ? Nous disposons de peu d'informations.
Il faut qu'un droit de l'environnement maritime, sinon mondial, du moins européen, voie le jour. La France a tenté, pendant sa présidence, d'y contribuer.
L'accord ministériel du 21 décembre 2000 sur le contrôle systématique des bateaux se présentant pour la première fois dans un port européen, sur la généralisation recommandée des « boîtes noires » et sur le renforcement de la responsabilité financière des sociétés de classification est un bon accord.
L'accord, intervenu le 6 décembre 2000, entre les deux assemblées sur le texte proposé par le Sénat pour l'article 11 bis du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports a marqué un pas supplémentaire. Lorsque ce projet de loi sera promulgué, le contrôle des déchets dans les ports français sera renforcé.
Mais cela ne suffit pas. Mes chers collègues, nous ne pouvons laisser les côtes à la merci d'individus ou de sociétés qui, au nom du profit, ne respectent rien et compromettent l'avenir. Je ne suis pas opposée au profit, mais il doit être contrôlé et ne pas être le seul objectif. Nous devons protéger notre environnement, en l'occurrence la mer et le littoral.
Il n'est pas admissible que l'Europe laisse naviguer dans ses eaux des bateaux ne respectant pas les normes ou les règles de sécurité. Il n'est pas acceptable que des sociétés de complaisance délivrent des certificats de navigabilité à des navires qui constituent un danger pour la faune et la flore marines, pour les paysages et les populations du littoral.
Il n'est pas non plus admissible que soient tolérés les déballastages sauvages ou les pollutions de routine, les plus importants, qui souillent nos côtes et auxquels les navires procèdent par calcul de rentabilité à courte vue.
Notre excellent rapporteur le soulignait à juste titre tout à l'heure, à propos de l' Erika , le terme de « déballastage » n'est d'ailleurs guère approprié, car il signifie deux choses : vider l'eau des ballasts servant à équilibrer le navire laquelle n'est pas polluée, et vider l'eau des cales ou des soutes qui est de nature très différente, car elle contient des restes de mazout, de pétrole ou de produits polluants.
Il suffit de voir ce qu'ont entrepris les Etats-Unis pour se rendre compte qu'une action efficace est possible. La tâche est peut-être plus aisée pour eux, mais nous devons, nous aussi, agir.
Pourquoi les Etats-Unis interdisent-ils l'accès de leurs eaux aux bateaux n'offrant pas de garanties et pourquoi l'Europe continuerait-elle d'être permissive ? Certes, les Etats-Unis ne forment qu'un seul pays. Tel n'est pas le cas de l'Europe, ce qui complique la situation et nécessite notamment un effort énorme à l'échelon européen. En effet, car si nous ne parvenons pas à un accord à cet échelon, d'une part, nous ne réussirons pas à mener une action cohérente et, d'autre part, nous n'aurons pas un poids suffisant au niveau international ce qui est incontestablement la deuxième étape.
De ce point de vue, la proposition de loi qui nous est soumise est la bienvenue. Elle s'intègre logiquement dans la ligne de la convention MARPOL de 1973.
Notre rapporteur, M. Lucien Lanier - et je salue l'excellent travail qu'il a accompli au nom de la commission des lois, en a parfaitement montré l'économie.
Le choix a été fait de renforcer le dispositif répressif institué par la loi du 5 juillet 1983.
Les sceptiques diront que l'on ne peut pas se prémunir contre la pollution en élevant simplement des barrières juridiques nationales. C'est vrai, mais à ceux-là je répondrai que, si la sanction contrebalance par son coût l'intérêt économique tiré du mauvais entretien ou du déballastage sauvage, elle devient réellement dissuasive. Je soutiens donc l'approche de la commission des lois.
Je me bornerai à proposer, par ailleurs, quelques amendements, parfois inspirés de l'exemple américain, dont je préciserai l'objet le moment venu.
Je veux toutefois souligner deux points.
D'abord, je voudrais attirer l'attention du Gouvernement sur les moyens, car les meilleures intentions ne peuvent donner de résultats que si les moyens de les mettre en oeuvre existent. J'ai déjà dit et écrit, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2001, qu'en matière de sécurité maritime le niveau des crédits accordés par l'Etat restait bien en deçà des besoins, notamment en ce qui concerne les dépenses en capital, pour lesquelles il faudrait un doublement de l'effort. Mais il est jamais trop tard pour bien faire, par exemple, dans le prochain projet de budget...
J'insisterai ensuite sur le point particulier des moyens portuaires en matière de confinement des résidus pétroliers. Qu'observons-nous ? Onze ports français ne disposent pas d'installations permettant de recevoir des résidus ; vous l'avez indiqué, monsieur le rapporteur. Les autres ports ont des capacités de stockage variables, dont la conformité aux besoins est loin d'être établie. Il me paraît donc souhaitable que le Gouvernement, à la faveur du présent débat, prenne des engagements sur l'équipement des ports actuellement privés de moyens de confinement, qu'il s'agisse d'une aide budgétaire ou de facilités d'emprunt accordées aux autorités portuaires à cette fin, sans oublier, monsieur le ministre, l'étude de l'utilisation des moyens privés existants.
S'agissant de ces moyens privés, ne pourrait-on pas passer des conventions après étude de leur qualité ? Cela permettrait d'accélérer les choses en attendant que des crédits supplémentaires soient alloués.
Pourquoi ne pas imaginer, en outre, de mettre à flot, dans les ports maritimes où cela paraît nécessaire et possible, des barges qui seraient destinées à recevoir la collecte des déchets marins et qui, une fois pleines, pourraient être tractées jusqu'à un port équipé d'une véritable zone de stockage à un moment où un tel transfert ne présenterait pas de risque de naufrage ?
Ensuite, je souligne l'importance d'un traitement égal pour les navires et équipages français et pour les autres navires. Ne pas traiter de façon égale les uns et les autres, c'est porter atteinte à la concurrence, c'est rompre l'égalité. Par conséquent, il convient que l'appareil répressif s'applique de la même façon quelle que soit la nationalité des navires, des capitaines, des armateurs. Aucune de ces trois catégories ne doit être oubliée.
Cela signifie que nos efforts de réglementation nationale doivent être systématiquement complétés par des règles internationales négociées. Mais, pour ce faire, encore faudrait-il que nous ayons du poids - nous en manquons en raison de la faiblesse de notre marine -, surtout dans les organismes internationaux constitués essentiellement de pays dont les pavillons pèsent beaucoup plus lourd que les nôtres.
Par ailleurs, je voudrais émettre des suggestions pratiques, dont la réalisation me semble indispensable.
Première suggestion : le renforcement des effectifs des inspecteurs de la sécurité maritime. Ils sont 54 en France, contre 250 en Grande-Bretagne et 200 en Espagne. Nous en avons parlé et je sais que des efforts sont faits dans ce sens. Mais il n'empêche que, pour avoir des inspecteurs compétents, c'est-à-dire expérimentés et perspicaces, il faut les recruter, les former et les rémunérer convenablement ; j'y reviens car cela me paraît tout à fait important.
Il faut aussi disposer de ce fameux « vivier » de ressources humaines qui nous fait aujourd'hui défaut en raison de la réduction du format de notre marine marchande. Je ne cesserai jamais de souhaiter que celle-ci reprenne son essor, lequel est hélas ! interrompu depuis le début des années soixante.
Deuxième suggestion : l'inspection obligatoire en cale sèche des navires âgés de plus de quinze ans tous les deux ans et demi et tous les ans pour les pétroliers de plus de quinze ans transportant des hydrocarbures chauffés.
Troisième suggestion : l'assurance obligatoire au niveau mondial, pour un montant significatif, des sociétés de classification dont, en pratique, la responsabilité n'est jamais mise en cause. Ce problème est grave, et il est d'ordre international ; il mérite en tout cas d'être posé.
Quatrième suggestion : la consolidation, pour l'information des affréteurs, du système Equasis, qui pourrait être complété par les résultats du vetting et par les recommandations des sociétés de classification, recommandations assorties d'une interdiction d'accès à l'ensemble des ports européens pour les navires qui n'auraient pas communiqué ces éléments. Je sais que cette interdiction ne saurait être imposée d'emblée et qu'elle nécessite au préalable des négociations.
Il me paraît également important d'accélérer la négociation en cours, au sein de l'OMI en vue d'une modification des limites d'indemnisation du FIPOL. Il s'agit là d'un élément essentiel si l'on veut indemniser les gens correctement. En effet, la différence constatée entre les indemnisations accordées à l'heure actuelle pour ce genre d'accidents aux Etats-Unis et celles qui le sont chez nous est éloquente.
J'avancerai une cinquième et dernière suggestion que j'avais déjà évoquée et sur laquelle je reviens à la demande d'un ancien capitaine de navires.
En attendant les boîtes noires qui ne donneront de toute façon que des indications sur le moteur et non sur le navire lui-même, il faudrait instituer un dispositif simple qui consisterait à imposer à chaque navire, à l'échelon français, puis européen et mondial, l'obligation de tenir un carnet de bord d'entretien où chaque inspection serait systématiquement inscrite dans une langue internationale compréhensible. Dans la pratique, vous le savez, monsieur le ministre, les inspecteurs se téléphonent de temps en temps pour échanger des informations.
En effet, pour n'importe quel matériel industriel, pour n'importe quelle machine, n'importe quelle voiture, n'importe quel avion, il existe un carnet d'entretien sur lequel est notée la succession des interventions et des observations qui ont été faites. Si cette mesure était appliquée rapidement pour les navires dans notre pays, avant d'être adoptée à l'échelle européenne, nos inspecteurs et ceux des pays voisins pourraient déjà se faire une idée ou être alertés sur ce que les autres ont fait, ont vu ou « flairé ». Car si le vetting comporte nécessairement un aspect administratif, il suppose aussi du « flair » de la part des inspecteurs, qui peuvent avoir l'intuition d'une anomalie dans un bateau, et cela implique une certaine expérience.
L'adoption d'un tel carnet d'entretien serait une mesure simple, mais, je le répète, de l'avis même des spécialistes, elle permettrait un suivi du contrôle et des relevés des inspecteurs lors de leurs différentes visites de vetting .
Je conclurai en insistant sur le fait que la France comme l'Union européenne doivent militer en faveur d'une meilleure coordination entre Etats sur des sujets où, hélas, les égoïsmes nationaux restent puissants. Je pense à l'habilitation des sociétés de classification, au contrôle des navires par l'Etat du port et au calendrier d'abandon mondial, dans le cadre de l'OMI, d'ici à 2015, des pétroliers à simple coque, même si, à en croire de nombreux marins, la double coque, du moins telle qu'on nous la propose, n'est sans doute pas la panacée.
Ce point fait l'objet d'un débat, et ce n'est pas parce que l'Amérique a accepté cette mesure que celle-ci est nécessairement la meilleure et la mieux adaptée. Il y a notamment un débat sur la nature de ces doubles coques. A cet égard, si le système préconisé par la France est relativement coûteux, je n'y suis pas pour autant a priori hostile.
Au terme de cet inventaire un peu foisonnant, je le reconnais, je dirai que la lutte est certes engagée, mais qu'elle doit être constante : nous devons faire preuve d'une extrême opiniâtreté dans ce domaine si nous voulons épargner à nos côtes la multiplication des pollutions par les navires.
Ce combat est nécessaire et attendu par notre population. C'est un combat difficile, dans lequel nous devons être exemplaires. C'est probablement la meilleure occasion de peser de tout notre poids pour défendre, à l'échelle tant européenne qu'internationale, la mise en oeuvre et le respect des mesures adoptées par l'Europe afin de protéger nos côtes et celles des autres. Mais force est de reconnaître que nous sommes géographiquement les plus menacés : c'est la raison pour laquelle nous devons redoubler de vigilance et de détermination. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis la fin des années soixante, les catastrophes maritimes aux conséquences écologiques désastreuses se sont multipliées : Torrey Canyon, Amoco Cadiz, Braer, Exxon Valdes, Erika, Ievoli Sun.
Au rang des pays particulièrement exposés à ce type de risque figure la France, avec ses multiples façades maritimes et ses 5 000 kilomètres de côtes.
Rien qu'en se limitant au large des côtes du Pas-de-Calais, une étude récente menée par les CROSS estime le trafic à 219 000 navires qui, chaque année, empruntent le détroit transmanche. Les mouvements annuels des navires transportant des matières dangereuses s'élèvent à 17 500, qu'ils soient le fait de pétroliers, de méthaniers, de chimiquiers ou d'autres.
Certaines dates méritent d'être rappelées : en 1967, le Torrey Canyon déverse le long des côtes françaises et britanniques quelque 100 000 tonnes de pétrole ; en 1978, l' Amoco Cadiz crache sur le rivage breton ses 20 000 tonnes de brut ; en 1980, le Tanio éclabousse de quelque 7 000 tonnes de fioul le littoral français ; en 1999, l' Erika souille le littoral Manche-Atlantique d'une marée noire d'une quarantaine de milliers de tonnes de fioul ; en 2000, le Ievoli Sun, aux cuves pleines de produits chimiques toxiques, dont 4 000 tonnes de styrène, menace les bordures maritimes du Cotentin.
Pour tous ceux qui tirent leurs ressources de la mer, les dommages que causent de telles pollutions sont économiquement considérables et socialement dramatiques. Qu'ils soient pêcheurs, ostréiculteurs, conchyliculteurs, paludiers, mareyeurs ou encore salariés du tourisme, tous les professionnels de la mer ont été touchés par l'une ou l'autre de ces catastrophes, voire, pour certains, par plusieurs d'entre elles. La Bretagne en sait quelque chose ! Combien d'années seront nécessaires pour effacer les traces de ces catastrophes à répétition ?
Le coût global laissé à la charge de la collectivité est donc énorme. D'un point de vue strictement écologique, il est inestimable. Quand bien même, et au prix de maints efforts de la population, les préjudices les plus flagrants finiraient-ils, à long terme, par s'atténuer, voire disparaître, des traces demeureront imprimées dans la mémoire collective.
Pour autant, ces pollutions accidentelles aux marques indélébiles sur l'environnement marin, le biotope et l'ensemble de l'écosystème sont encore l'occasion pour des compagnies de navires rompues aux logiques purement lucratives de dégazer incognito dans le sillage de ces marées noires exceptionnelles.
Pour scandaleuses qu'elles soient, ces pratiques de dégazage ou de déballastage sauvage ne sont pas l'exception qui confirmerait la règle d'une bonne conduite, hors des circonstances particulières occasionnées par le naufrage d'un pétrolier ou d'un chimiquier. De tels comportements sont malheureusement pratique courante.
Depuis plus de trente ans, l'espace maritime est victime d'une pollution insidieuse, car moins visible, mais tout aussi, voire plus dangereuse pour le patrimoine écologique marin.
En temps normal donc, le plus souvent au large des côtes, on dégaze, on vidange, on nettoie ses machineries, on cure ses cuves, on rince ses ballasts, autant de « toilettes » quotidiennes qui contribuent au rejet à la mer de tonnes de fioul, huiles et autres déchets nocifs.
De source officielle, ce sont 600 000 tonnes de déchets qui sont ainsi déversées frauduleusement chaque année en Méditerranée, soit l'équivalent de six naufrages annuels d'un Torrey Canyon. La mer du Nord absorberait chaque année trois millions de tonnes de déchets : soit une addition indigeste et toxique d'environ six Torrey Canyon, dix Amoco Cadiz et cinq Erika !
Autant de dégâts socio-économiques globaux imputables en majeure partie, si ce n'est totalement, à l'organisation du transport maritime laissée à la domination des seules règles du marché.
Au-delà des vingt milles, l'espace maritime est, par définition, un espace international, un espace entre les nations, un espace qui n'est la propriété d'aucun Etat particulier. C'est aussi aujourd'hui un espace fréquenté par des navires « poubelles », des navires battant pavillon de complaisance - un sur cinq en 1970, plus d'un sur deux aujourd'hui -, des navires aux équipages sans droits, autrement dit, un espace soumis aux seules lois du marché, où règnent en fait des pratiques hors la loi ! Non-respect des réglementations, contournement délibéré des règles, navires en dessous des normes de sécurité minimales... Selon l'OCDE, les marges de sécurité seraient tombées à un niveau critique.
Car, pour autant que le droit de la mer soit fondé sur un principe de base selon lequel la mer est libre, un ensemble de réglementations multilatérales et internationales - OMI, convention SOLAS, convention MARPOL, mémorandum de Paris, réglementation européenne -, élaborées pour la plupart après la Seconde Guerre mondiale, existe, qui vise à protéger les mers et les océans. Comment, d'ailleurs, ceux-ci pourraient-ils être protégés, si ce n'est par un ensemble de réglementations internationales ?
Comme le fait remarquer à juste titre le rapport du Conseil économique et social consacré aux causes et conséquences du naufrage de pétrolier Erika, jusqu'à la fin des années soixante, le principe de liberté au fondement du droit maritime « n'a pas posé de problème insurmontable... Même l'apparition au xxe siècle des grandes compagnies pétrolières, dont la puissance dépassait celle de nombreux Etats, n'avait pas déréglé le système dans la mesure où elles avaient, en général, une base nationale ». Et le rapport poursuit en soulignant que le développement industriel mondial et la croissance des échanges ont fait apparaître des problèmes désormais globaux.
Comment ne pas ajouter que, sur fond de crise de rentabilité financière, d'exacerbation de la concurrence internationale, les grandes compagnies pétrolières ont cherché à restaurer leurs profits en tentant de s'émanciper de leur base nationale ?
L'abandon de l'organisation du transport à l'autorégulation d'un marché mondialisé où se nouent des relations contractuelles entre transporteurs, affréteurs, donneurs d'ordre divers, pris dans un jeu concurrentiel sans limite, conduit à une pression à la baisse des coûts, dont on ne saurait nier qu'elle a sans doute quelque chose à voir avec les comportements frauduleux et les pratiques hors la loi.
Nous ne pouvons donc que nous féliciter de discuter aujourd'hui une proposition de loi qui vise à réprimer les dégazages et déballastages illégaux. Tout le monde reconnaît que les sanctions prévues à l'encontre de telles pratiques par la loi du 5 juillet 1983 sont largement insuffisantes.
Ce texte vise à renforcer le caractère dissuasif des sanctions financières et des peines de prison encourues. Les amendes prévues seront ainsi supérieures au coût d'un déballastage effectué dans un port, coût qui, jusqu'à maintenant, représentait le double de l'amende encourue !
Adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, une telle proposition de loi renforçant un dispositif juridique trop peu contraignant était une nécessité.
Cependant, pour importante qu'elle soit, elle ne sera pleinement efficace que si elle s'accompagne d'un renforcement des moyens et des contrôles.
Parce qu'elles demeurent sporadiques, les opérations « coup de poing » entreprises par les douanes sont peu dissuasives. Entre le 18 et le 23 février 2000, de telles opérations ont permis de dénombrer trente-neuf dégazages sauvages à la pointe de la Bretagne. De par leur caractère préventif, ces opérations doivent être effectuées régulièrement sur l'ensemble du littoral français.
Ce texte soulève aussi la délicate question du repérage et de la traçabilité des navires qui, clandestinement, se livrent à de telles pratiques frauduleuses.
Nous savons que, depuis trois ans - l'analyse du budget l'a montré - le Gouvernement s'est attaché à renforcer les moyens en hommes et les dispositifs techniques de surveillance, par la mise en place, par exemple, de la base de données Equasis ou, tout récemment, en accélérant la mise en oeuvre du plan « douanes-POLMAR ».
Cependant, force est encore de constater que la pleine efficacité de cette action suppose un développement important des infrastructures portuaires permettant d'effectuer les déballastages et dégazages. Pour l'instant, seuls les ports de Marseille et du Havre disposent de l'équipement fixe adapté à la réalisation de telles opérations : il m'apparaît urgent d'établir une programmation visant à la construction de ce type d'infrastructures dans l'ensemble des ports français et européens qui accueillent des navires potentiellement polluants. Sinon, comment pourrons-nous être exigeants ?
Force est enfin de constater que, entre le propriétaire du navire, le capitaine de celui-ci, l'armateur et la compagnie d'affrètement, la répartition des responsabilités demeure une question des plus litigieuses. En effet, réserver les sanctions au seul capitaine du navire n'est pas sans poser problème. Cela me fait penser à la situation de ces chauffeurs routiers qui sont tenus pour responsables des procès-verbaux qu'ils encourent à tout moment pour répondre aux exigences de leur employeur.
Plus fondamentalement, sans doute, la dissuasion et la prévention des comportements mettant quotidiennement en danger l'environnement maritime et marin exigent surtout une coopération européenne et internationale plus étroite. Elles nécessitent - qui pourrait encore le contester ? - une plus grande fermeté dans l'application des réglementations internationales actuelles, sinon le renforcement et le prolongement de ces dernières.
Il apparaît également urgent d'intensifier la formation de personnels qualifiés, marins et officiers, et d'augmenter le nombre et la puissance des remorqueurs.
En d'autres termes, cette nouvelle proposition de loi ne doit être considérée que comme une étape dans un processus de plus grande ampleur visant à la « re-réglementation » des transports maritimes à l'échelle européenne, voire internationale, en vue de mettre enfin un terme au laxisme qui règne depuis plus de trente ans dans ce domaine.
Précisément, les temps changent, mes chers collègues : une période de « re-réglementation » semble s'ouvrir, amenant à contester, là où elle était le plus éclatante, la toute-puissance du libéralisme.
Ainsi, en 1990, les Etats-Unis, chantres du libéralisme s'il en est, ont renforcé le Tanker safety act de 1935 en adoptant une nouvelle loi : l' Oil pollution act . Chaque nouveau pétrolier doit désormais être équipé d'une double coque et, à l'horizon 2015, les anciens pétroliers seront bannis des eaux américaines. En cas de pollution, le propriétaire du navire sera tenu pour responsable et devra assumer financièrement la réparation de la totalité des dommages.
De même, à la fin du mois de décembre dernier, s'inspirant de vos propositions, monsieur le ministre, l'Union européenne adoptait trois projets de directive sur la sécurité maritime constituant le « paquet Erika 1 ».
Le premier projet vise à responsabiliser les sociétés de classification qui effectuent les contrôles techniques. Désormais financièrement responsables en cas d'accident, elles seront sans aucun doute plus exigeantes quant au respect des normes de sécurité qu'elles ne le furent par le passé.
Le deuxième projet a pour objet de renforcer le contrôle des navires « à haut risque ». Si, pour des raisons de sécurité, ces derniers ont été immobilisés à deux reprises au cours d'une période de trois ans dans des ports de l'Union, les eaux européennes leur seront interdites. L'idée d'équiper les navires d'un « mouchard », à l'instar de la « boîte noire » des avions, a également été retenue.
Le troisième projet tend à l'élimination, entre 2003 et 2015, des pétroliers à simple coque.
Signe des temps, en avril prochain, c'est un « paquet », « Erika 2 » qui sera examiné par le Conseil des ministres européens.
Plus de trente ans après le naufrage du Torrey Canyon , plus de vingt après la marée noire due à l' Amoco Cadiz , une réglementation plus protectrice de l'environnement maritime émerge. La réintroduction de règles qui sont autant d'obstacles à une concurrence acharnée tirant vers le bas les normes de sécurité constitue, d'une certaine manière, une reconnaisssance des interactions qui existent entre la dimension économique et la sécurité maritime. Les côtes françaises devraient bénéficier de cette plus grande attention portée à la préservation du patrimoine écologique.
La France a aussi tout à gagner au changement de cap opéré par l'Union européenne. Si la notion de compétitivité intègre désormais une dimension écologique, le développement des infrastructures permettant aux navires d'effectuer leurs dégazages et déballastages représentera pour nos ports un atout économique stratégique à long terme.
Dans la même optique, les Chantiers navals de l'Atlantique pourraient profiter de la priorité accordée au programme de remplacement des pétroliers à simple coque. La conception, à Saint-Nazaire, d'un nouveau pétrolier à double coque, le « 3-E » - plus économique, plus écologique et plus européen -, projet d'étude lancé par la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, répond aux objectifs fixés par le troisième projet de directive.
Il reste que l'étape ultime de ce processus de « re-réglementation » est loin d'être engagée. Elle consisterait à réintroduire des normes sociales qui seraient autant de freins à une pression concurrentielle sans limites et à la baisse des coûts, préjudiciables à l'environnement et, plus globalement, à l'écosystème.
Au regard de ces remarques, et en insistant sur la nécessité d'être vigilant quant à l'effective mise en oeuvre des décisions, nous voterons ce texte, qui va dans le sens d'une amélioration de la sécurité des transports maritimes. C'est l'avenir écologique et économique de la mer qui est en jeu. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord rappeler, puisque plusieurs d'entre vous ont abordé cette question, que le premier « paquet maritime », le « paquet Erika 1 », qui a été adopté lors du conseil des ministres européens des 20 et 21 décembre dernier, prévoit maintenant, en particulier, de renforcer la responsabilité des sociétés de classification de navires et le contrôle par l'Etat du port.
Il est ainsi proposé de contrôler l'état de 4 400 navires par an et de faciliter la prise de mesures de bannissement des navires après deux retenues. Je crois qu'il faut bien mesurer ce que cela signifie !
Par ailleurs, l'idée d'installer des « boîtes noires » sur les navires a été retenue. Le Parlement européen est d'ailleurs tout à fait déterminé, nous le savons, à aboutir sur ce point.
J'ouvrirai une parenthèse s'agissant du remplacement progressif des navires à simple coque, mesure qui fait également partie du premier « paquet maritime ». Si certains évoquent exclusivement leur substitution par des navires à double coque, je souligne toujours, pour ma part, qu'il existe une autre possibilité : le recours à des navires à pont intermédiaire,...
Mme Nicole Borvo. Très bien !
M. Henri de Richemont. Les Américains n'en veulent pas !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. ... la Commission européenne faisant référence, nous y avons veillé, à des navires à double coque ou « procédés similaires ».
M. Henri de Richemont. Cela ne sert à rien !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Par ailleurs, madame Heinis, je ne vois pas pourquoi vous vous êtes arrêtée, dans votre argumentation, au mois d'octobre. En effet, vous auriez pu aller, en ce qui concerne le budget, jusqu'au 30 novembre, puisque c'est le 1er décembre que celui-ci a été discuté au Sénat et que l'on a décidé d'augmenter de 60 % le montant des crédits des transports et affaires maritimes. De plus, pour ce qui concerne l'Europe, vous auriez pu aller jusqu'au mois de décembre pour tenir compte des mesures qui ont été adoptées à l'échelon européen. Il n'est donc pas très juste que vous vous soyez arrêtée au mois d'octobre, car des évolutions sont intervenues ensuite, tant à l'échelle de la France qu'à celle de l'Europe. Certes, on peut estimer que ce n'est pas suffisant, mais cela constitue, et tout le monde l'a reconnu, une progression exceptionnellement forte et rapide.
M. Lanier, quant à lui, a montré l'ampleur des dégâts causés par les pratiques illicites de vidange et de déballastage en mer, notamment en Méditerranée, qui est une mer fermée. Il a souligné, à juste titre, ainsi que d'autres intervenants, les failles de la législation actuelle et les difficultés rencontrées pour exercer les contrôles, et je tiens à le féliciter de ses analyses, de ses réflexions et de ses propositions. Vous avez eu raison, monsieur le rapporteur, d'insister sur l'importance de la question de l'équipement des ports pour le dégazage et le déballastage des navires.
A cet égard, M. Le Cam a indiqué que deux de nos ports étaient équipés d'installations à cet effet. Certes, je sais bien que la situation n'est pas idéale, mais les ports équipés sont plus nombreux que vous ne l'avez dit, monsieur le sénateur, et les responsables de ceux que vous avez oubliés risquent d'en être vexés ! (Sourires.) Pour ma part, j'ai cité Le Havre, Marseille, Dunkerque et Nantes - Saint-Nazaire, mais il y en a d'autres.
Cela étant, il faut absolument favoriser la réalisation de nouveaux équipements. Le rapport que j'ai demandé à ce propos doit m'être remis dans les tout prochains jours - le mois de janvier commence le 1er, monsieur Lanier, et se termine le 31 : je suis donc toujours « dans les clous » ! (Nouveaux sourires) - et je peux vous indiquer que, comme vous-même, le Parlement en sera destinataire.
S'agissant du décret permettant de spécialiser les tribunaux, je demanderai à mes services de travailler avec ceux du ministère de la justice pour qu'il soit pris rapidement après que la loi aura été publiée.
Madame Heinis, le point sur les installations disponibles et à réaliser dans les ports sera fait, tout comme sera réalisée l'étude des modes de financement qu'il sera nécessaire de mettre en place. Tout doit être fait pour permettre la construction de ces équipements indispensables.
En ce qui concerne le marquage des produits et l'installation d'une « boîte noire » sur les navires, je ne peux qu'approuver les interventions de MM. Marc et Le Cam : il s'agit de deux pistes que nous explorons. Une étude est en cours, et l'on sait aujourd'hui que de telles solutions sont envisageables techniquement. Le débat sur ce point a d'ailleurs abouti à l'échelon communautaire puisque les Etats membres de l'Union européenne se sont engagés à mettre en place les « boîtes noires » d'ici à 2005.
Vous avez souligné, monsieur Marc, que la convention internationale MARPOL autorisait des rejets de produits contenant des hydrocarbures. Il faut toutefois que la teneur ne dépasse pas quelques parties par million, ce qui est infime. Or les dégazages ne respectent jamais ces normes et les navires concernés, il faut le souligner, sont toujours en infraction.
Cela étant, on ne peut pas dire que rien n'a été fait à cet égard depuis 1997, madame Heinis. Certes, le plafond financier d'intervention du FIPOL est insuffisant, et nous voyons bien qu'il est nécessaire de le porter au-delà des 40 millions de francs actuels, pour atteindre et dépasser, comme cela est possible, le milliard de francs. Nous nous attaquons donc à ce problème, et nous proposons de multiplier le montant maximal d'indemnisation par cinq. Nous avons déjà abouti à un relèvement à hauteur de 50 %, mais nous considérons qu'il faut aller plus loin, et tel sera l'un des objets du « paquet Erika 2 ».
M. Henri de Richemont. Ce n'est pas possible : cela relève de l'OMI !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Mme Heinis et M. le rapporteur ont évoqué en outre le renforcement des effectifs des inspecteurs : ceux-ci seront doublés dès cette année. Certes, M. Lanier a jugé qu'il serait préférable de procéder à une augmentation plus progressive du nombre des inspecteurs, mais, lorsque l'on se heurte à une difficulté, il convient de fournir un effort suffisant pour la surmonter. La tâche n'est pas si simple à accomplir, car ces métiers ne paraissent pas toujours très attractifs, et nous avons dû prévoir, dans le budget, des primes mensuelles de l'ordre de 2 000 à 4 000 francs pour faciliter l'embauche dans ce secteur.
Quoi qu'il en soit, nous avons obtenu, dans le cadre de l'OMI, qu'une inspection en cale sèche tous les deux ans et demi soit rendue obligatoire pour les navires âgés de quinze ans et plus, ce qui répond au souhait de plusieurs orateurs.
Vous demandez plus de transparence, monsieur Le Cam, et je vous rejoins sur ce point.
En matière d'investissements dans le domaine de la sécurité maritime, nous jouons un rôle moteur, et la progression a été cette année de 60 % par rapport à l'an dernier. Cela a permis de dépasser le niveau qui avait été atteint en 1993 et qui, vous l'avez dit, avait hélas ! reculé depuis lors ; vous en savez quelque chose.
A cet égard je rappelle que, le 21 décembre dernier, M. Queyranne m'avait suppléé dans cet hémicycle pour répondre à vos questions. J'assistais alors au Conseil des ministres des transports à Bruxelles. Au cours de ce Conseil, nous avons été très actifs. Nous avons sans doute fait les trente-cinq heures en deux jours et deux nuits !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Bien fait pour vous ! (Sourires.)
M. Lucien Lanier, rapporteur. Ce sont les cordonniers les plus mal chaussés ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. En tout cas, nous avons réussi à avancer. D'ailleurs, je tiens à le dire, M. Queyranne m'a fait part de tout le bien que vous pensez, quel que soit le groupe auquel vous appartenez, du bilan de la présidence française en matière d'amélioration de la sécurité maritime, et je vous en remercie.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - Le début de l'article 1er de la loi n° 83-583 du 5 juillet 1983 réprimant la pollution par les navires est ainsi rédigé :
« Sera puni d'une amende de 3 000 000 francs et d'un emprisonnement de quatre ans et, en cas de récidive... (Le reste sans changement.) »
Par amendement n° 1, M. Lanier, au nom de la commission, propose de rédiger ainsi cet article :
« Le début du I de l'article L. 218-10 du code de l'environnement est ainsi rédigé :
« - Est puni de quatre ans d'emprisonnement et de 4 000 000 francs d'amende... (Le reste sans changement.) »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Cet amendement prévoit, outre une modification de forme visant à tenir compte de la codification, de porter à 4 millions de francs le montant maximal de l'amende encourue, en quadruplant ledit montant par rapport aux dispositions en vigueur, et non en le triplant comme le proposait l'Assemblée nationale. Nous ne modifions pas les peines d'emprisonnement, qui sont peu prononcées en pratique.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Le Gouvernement est favorable à cette suggestion, qui avait également été faite par M. Daniel Paul à l'Assemblée nationale.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 1er est ainsi rédigé.

Article 2



M. le président.
« Art. 2. - Le début de l'article 2 de la loi n° 83-583 du 5 juillet 1983 précitée est ainsi rédigé :
« Sera puni d'une amende de 900 000 francs et d'un emprisonnement de deux ans et, en cas de récidive, du double de ces peines tout capitaine d'un navire... (Le reste sans changement.) »
Par amendement n° 2, M. Lanier, au nom de la commission, propose de rédiger ainsi cet article :
« Le début de l'article L. 218-11 du code de l'environnement est ainsi rédigé :
« Est puni de deux ans d'emprisonnement et de 1 200 000 francs d'amende... (Le reste sans changement.) »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Pour les mêmes raisons qu'à l'article 1er, cet amendement prévoit de porter à 1,2 million de francs le montant maximal de l'amende prévue à l'article L. 218-11 du code de l'environnement et de prendre en compte la codification intervenue.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Pour les mêmes raisons, le Gouvernement émet un avis favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 2 est ainsi rédigé.

Article 3



M. le président.
« Art. 3. - Le début de l'article 4 de la loi n° 83-583 du 5 juillet 1983 précitée est ainsi rédigé :
« Sera puni d'une amende de 30 000 francs et, en cas de récidive, du double de cette peine et d'un emprisonnement d'un an tout capitaine... (Le reste sans changement.) »
Par amendement n° 3, M. Lanier, au nom de la commission, propose de rédiger ainsi cet article :
« Le début de l'article L. 218-13 du code de l'environnement est ainsi rédigé :
« Est puni de 40.000 francs d'amende et, en outre, en cas de récidive, du double de cette peine et de un an d'emprisonnement... (Le reste sans changement.) »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Pour les raisons que j'ai exposées précédemment et pour prendre en compte la codification, il vous est proposé de porter le montant maximal de l'amende à 40 000 francs, c'est-à-dire de la quadrupler.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Toujours pour les mêmes raisons, le Gouvernement émet un avis favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 3 est ainsi rédigé.

Article 4



M. le président.
« Art. 4. - Après les mots : "sera puni d'une amende de", la fin de l'article 5 ter de la loi n° 83-583 du 5 juillet 1983 précitée est ainsi rédigée : "900 000 francs et d'un emprisonnement de deux ans". »
Par amendement n° 4, M. Lanier, au nom de la commission, propose de rédiger ainsi cet article :
« Après les mots "est puni", la fin de l'article L. 218-19 du code de l'environnement est ainsi rédigé : "de deux ans d'emprisonnement et de 1 200 000 francs d'amende". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Pour les raisons qui viennent d'être indiquées et afin de prendre en compte la codification, il vous est proposé d'adopter un amendement portant à 1,2 million de francs le montant maximal de l'amende. On modifie ainsi l'article L. 218-19 du code de l'environnement et on quadruple la pénalité par rapport aux dispositions en vigueur.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 4 est ainsi rédigé.

Article additionnel avant l'article 5



M. le président.
Par amendement n° 5, M. Lanier, au nom de la commission, propose d'insérer, avant l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 218-20 du code de l'environnement est ainsi rédigé :
« Art. L. 218-20. - Sans préjudice des peines prévues à la présente sous-section à l'égard du capitaine ou du responsable à bord, les peines prévues à la-dite sous-section sont applicables soit au propriétaire, soit à l'exploitant ou à leur représentant légal ou dirigeant de fait s'il s'agit d'une personne morale, soit à toute autre personne que le capitaine ou responsable à bord exerçant, en droit ou en fait, un pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou la marche du navire ou de la plate-forme, lorsque ce propriétaire, cet exploitant ou cette personne a été à l'origine d'un rejet effectué en infraction aux articles L. 218-10 à L. 218-19 ou n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'éviter. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Aux termes de l'article L. 218-20 du code de l'environnement, le propriétaire ou l'exploitant doit avoir donné l'ordre - je l'ai précisé dans mon exposé liminaire - de commettre l'infraction pour que sa responsabilité soit engagée. Quel armateur, propriétaire ou exploitant donnerait un tel ordre, se mettant ainsi ouvertement en faute vis-à-vis de la réglementation ou de la législation ?
Dans la pratique, cette disposition est beaucoup trop restrictive. Elle ne permet pas de mettre en cause l'armateur qui fait subir des pressions au capitaine afin qu'il effectue un déballastage en mer.
Cet amendement vise donc à étendre les hypothèses dans lesquelles la responsabilité de l'armateur peut être recherchée.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Cet amendement vise en effet à responsabiliser également l'armateur, et non plus uniquement le capitaine du navire, qui est lui-même responsabilisé. La pression commerciale est en effet souvent bien réelle et conduit sur demande plus ou moins implicite de l'armateur, à chercher à faire des économies en procédant au déballastage en pleine mer.
L'armateur doit aussi être tenu responsable des dégâts causés au milieu marin et donc mis en cause. Une telle disposition l'incitera à prendre des mesures, à donner des consignes strictes afin de prévenir les pollutions intentionnelles.
C'est pourquoi, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l'article 5.

Article 5



M. le président.
« Art. 5. - L'article 12 de la loi n° 83-583 du 5 juillet 1983 précitée est ainsi rédigé :
« Art. 12 . - I. - Les procès-verbaux dressés par les agents mentionnés à l'article 11 font foi jusqu'à preuve du contraire. Ils sont transmis immédiatement et par tous moyens au procureur de la République désigné aux paragraphes II et suivants par l'agent verbalisateur qui en adresse en même temps copie à l'administrateur des affaires maritimes lorsqu'il s'agit de navires ou de plates-formes ou à l'ingénieur des Ponts et chaussées chargé du service maritime, s'il s'agit d'engins portuaires, de chalands ou de bateaux-citernes fluviaux.
« II. - Les infractions aux dispositions de la convention mentionnée à l'article 1er et à celles de la présente loi sont poursuivies, instruites et jugées par un tribunal de grande instance du littoral maritime compétent sur le ressort de plusieurs cours d'appel, dans des conditions déterminées par le présent article et figurant sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat.
« Le tribunal de grande instance de Paris est compétent pour la poursuite, l'instruction et le jugement des infractions commises dans la zone économique exclusive française.
« III. - Le ministère public territorialement compétent est celui qui est placé près du tribunal de grande instance dont le ressort comporte les eaux territoriales dans lesquelles les faits ont été commis.
« Le ministère public près la juridiction définie conformément au II peut également être saisi de faits de pollution entrant dans le champ d'application de la présente loi, concurremment avec le ministère public territorialement compétent, qui peut néanmoins accomplir les actes nécessaires à l'enquête et à la manifestation de la vérité qui ne peuvent être différés ou qui justifient son intervention.
« Si les faits de pollution justifient l'ouverture d'une information, le ministère public territorialement compétent en application du présent III transmet immédiatement et par tous moyens les éléments de procédure au ministère public près la juridiction définie conformément au II.
« IV. - Dans chaque juridiction visée au II, un ou plusieurs juges d'instruction est désigné pour l'instruction des faits susceptibles de constituer une infraction à la présente loi.
« V. - La compétence de la juridiction définie au présent article s'étend aux infractions qui seraient connexes aux infractions de pollution.
« VI. - Lorsqu'ils sont compétents en application des dispositions du présent article, le procureur de la République et le juge d'instruction exercent cette compétence sur toute l'étendue du ressort fixé en application du II. »
Par amendement n° 6, M. Lanier, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet article :
« L'article L. 218-29 du code de l'environnement est ainsi rédigé :
« Art. L. 218-29 - I. - Les infractions aux dispositions de la convention mentionnée à l'article L. 218-10 et à celles de la présente sous-section, ainsi que les infractions qui leur sont connexes, sont jugées par un tribunal de grande instance du littoral maritime spécialisé, éventuellement compétent sur les ressorts de plusieurs cours d'appel dans les conditions prévues par le présent article.
« Un décret fixe la liste et le ressort de ces tribunaux.
« II. - Le tribunal de grande instance de Paris est compétent pour le jugement des infractions commises dans la zone économique exclusive française ainsi que celles commises par les capitaines de navires français en haute mer.
« III. - Exercent une compétence concurrente avec les juridictions désignées au I et au II pour la poursuite et l'instruction des infractions commises dans les eaux territoriales et dans la zone économique exclusive les tribunaux de grande instance compétente en application des articles 43, 52, 382, 663, deuxième alinéa, et 706-42 du code de procédure pénale.
« IV. - Dans chaque juridiction visée au I, au II et au III, un ou plusieurs juges d'instruction est désigné pour l'instruction des faits susceptibles de constituer une infraction à la présente sous-section.
« V. - Lorsqu'ils sont compétents en application des dispositions du présent article, le procureur de la République et le juge d'instruction du tribunal mentionné au I exercent leurs attributions sur toute l'étendue du ressort de ce tribunal. »
Cet amendement est assorti de deux sous-amendements, présentés par Mme Heinis.
Le sous-amendement n° 7 tend, dans le II du texte présenté par l'amendement n° 6 pour l'article L. 218-29 du code de l'environnement, à remplacer la ville : « Paris » par la ville : « Cherbourg ».
Le sous-amendement n° 8 vise, dans le II du texte présenté par l'amendement n° 6 pour l'article L. 218-29 du code de l'environnement, à remplacer la ville : « Paris » par la ville : « Nantes ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 6.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Cet amendement a été adopté en commission, à la suite d'un débat qui a clarifié le sujet.
Il s'agit de modifier l'article L. 218-29 du code de l'environnement car l'éclatement des juridictions actuellement saisies, conjugué à la relative faiblesse du nombre de poursuites judiciaires - j'ai donné les chiffres tout à l'heure : seulement 27 condamnations pour plus de 300 infractions constatées - rend aléatoire la condamnation effective des responsables des pollutions volontaires en pleine mer et incite ainsi la plupart des personnes concernées à commettre l'infraction, selon le principe : pas vu, pas pris.
Il importe donc que ce soient les mêmes juridictions qui traitent de ces questions, afin que se développent de réels pôles de compétence parmi les magistrats et, surtout, que l'on aboutisse - j'insiste sur ce point - à une harmonisation de la jurisprudence.
Les nouvelles règles de compétence prévues par l'Assemblée nationale en première lecture allaient tout à fait dans ce sens, mais posaient quelques problèmes techniques.
Tout d'abord, rien n'est indiqué s'agissant de la haute mer, c'est-à-dire de cette partie qui se situe au-delà de la zone exclusive. Par ailleurs, les règles prévues dans le texte proposé pour les paragraphes II et III de l'article L. 218-29 du code de l'environnement concernant la compétence des ministères publics se contredisent.
Par conséquent, il vous est proposé d'adopter un amendement qui prévoit une compétence exclusive de jugement en faveur du tribunal de grande instance de Paris s'agissant des infractions commises dans la zone économique exclusive et en haute mer, et ce pour les seuls navires français, les infractions commises dans les eaux territoriales étant du ressort des tribunaux spécialisés.
En revanche, les ministères publics des tribunaux territorialement compétents et du tribunal de grande instance de Paris ainsi que des tribunaux désignés par une liste qui sera fixée par décret ministériel - puisque cela relève du domaine réglementaire et non du domaine législatif - conservent une compétence concurrente, s'agissant de la poursuite et de l'instruction.
Cet important amendement vise donc à clarifier le domaine de compétence des juridictions et, surtout, à harmoniser la jurisprudence.
M. le président. La parole est à Mme Heinis, pour présenter les sous-amendements n°s 7 et 8.
Mme Anne Heinis. J'ai déposé ces sous-amendements pour permettre au Sénat, conformément à l'article 24 de notre Constitution selon lequel « il assure la représentation des collectivités territoriales de la République », de réfléchir à un cas concret d'aménagement du territoire.
La proposition de loi que nous examinons prévoit, dans la rédaction qu'elle présente pour le paragraphe II de l'article 12 de la loi du 5 juillet 1983, que la compétence en matière d'infractions commises dans la zone économique exclusive française est celle du tribunal de grande instance de Paris.
Pourquoi Paris ?
La réponse qui m'a été donnée est qu'il est normal que l'on traite à Paris, lieu où siègent les pouvoirs publics nationaux, des faits relatifs à la zone économique exclusive en ce qu'ils relèvent à certains égards du droit international. L'argument n'est pas sans valeur, bien sûr, mais la question mérite que l'on aille un peu plus loin.
Sur le plan statistique, en l'an 2000, trente-cinq infractions ont été constatées et ont fait l'objet de procès-verbaux ; elles ont été instruites par cinq magistrats. A l'évidence, ce n'est donc pas le volume des affaires qui exige que l'on choisisse Paris, et ce n'est pas non plus l'effectif de magistrats à mettre en oeuvre.
Mes chers collègues, je suis donc conduite à vous poser la question suivante, à vous qui, pour beaucoup, avez siégé sur ces travées pendant ces jours de l'automne 1994 où le Sénat élaborait la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire : après tout, pourquoi Paris ? Pourquoi pas ailleurs ?
J'ai donc élaboré ces sous-amendements qui concernent respectivement Cherbourg et Nantes en proposant que l'on confie au tribunal de grande instance de l'une de ces deux villes la compétence en matière de zone économique exclusive. Personnellement, je défendrai bien sûr Cherbourg, compte tenu des graves difficultés économiques que cette ville connaît depuis plusieurs années.
Cette proposition ne va pas dans le sens de la position qui vient d'être défendue par M. le rapporteur, mais je tenais tout de même à la soutenir. En effet, même si elle n'aboutit pas, elle peut donner lieu à réflexion et montrer qu'il faut aussi sans cesse avoir présent à l'esprit cette idée de l'aménagement du territoire lorsque cela se révèle possible.
Tel est l'esprit dans lequel j'ai présenté ces deux sous-amendements.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les sous-amendements n°s 7 et 8 ?
M. Lucien Lanier, rapporteur. La commission des lois a examiné ces deux sous-amendements avec une attention toute particulière, comme elle le fait d'ailleurs pour tout ce que nous soumet Mme Heinis,...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Elle est privilégiée ! (Sourires.)
M. Lucien Lanier, rapporteur. ... car les propositions qu'elle présente sont toujours très précises.
Après un débat, la commission a émis un avis défavorable sur ces sous-amendements, pour les raisons que j'ai indiquées tout à l'heure et que je ne développerai pas de nouveau.
Globalement, il s'agit d'assurer l'harmonisation de la jurisprudence car, à l'heure actuelle, cette dernière tire à hue et à dia. Vous me rétorquerez que peu de procès sont intentés. Il reste que, ici, on est répressif, là, indulgent. J'ai déjà évoqué Pascal tout à l'heure : « Plaisante justice que rivière borne ! » Il est donc grand temps d'harmoniser la jurisprudence.
Or, notamment pour les eaux internationales, ce que l'on appelle la haute mer, Paris a une compétence toute particulière et déjà d'ailleurs éprouvée. En effet, il existe une section spécialisée en droit maritime, qui, à mon avis, fonctionne très bien et qui est capable d'harmoniser la jurisprudence dans le sens que nous souhaitons, c'est-à-dire en essayant de rendre dissuasives les pénalités que nous venons de voter.
C'est pourquoi, madame Heinis, avec la considération que j'ai toujours pour ce que vous faites, je vous demanderai de retirer vos sous-amendements. En effet, aux yeux de la commission, il paraît préférable d'harmoniser la jurisprudence.
M. le président. Madame Heinis, les sous-amendements n°s 7 et 8 sont-ils maintenus ?
Mme Anne Heinis. Monsieur le rapporteur, je retire bien sûr mes sous-amendements au nom de l'harmonisation que vous avez évoquée, mais également pour ne pas perturber l'excellent travail qui a été fait par la commission des lois.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La commission vous en remercie !
M. le président. Les sous-amendements n°s 7 et 8 sont retirés.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 6 ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Ainsi que vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, cet amendement respecte l'esprit du texte adopté par l'Assemblée nationale, tout en précisant les modalités de son application. La spécialisation des tribunaux permettra incontestablement de renforcer l'efficacité de la justice dans ce domaine. Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur l'amendement n° 6.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 5 est ainsi rédigé.

Articles additionnels après l'article 5



M. le président.
Par amendement n° 13, M. Lanier, au nom de la commission, propose d'insérer, après l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après les mots : "infractions définies", la fin du I de l'article L. 218-25 du code de l'environnement est ainsi rédigée : "à la présente sous-section". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Cet amendement a pour origine la demande de certains membres de la commission des lois tendant à ce que les personnes morales puissent être pénalement responsables.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 13, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 5.
Par amendement n° 12, M. Lanier, au nom de la commission, propose d'insérer, après l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après le premier alinéa de l'article L. 218-30 du code de l'environnement, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Cette immobilisation est faite aux frais de l'armateur. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de précision : afin d'éviter que l'immobilisation d'un navire, qui, je le rappelle, coûte très cher, ne soit à la charge de l'Etat ou du port, cet amendement tend à préciser qu'elle est à la charge de l'armateur.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 12.
M. Henri de Richemont. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Richemont.
M. Henri de Richemont. J'ai beaucoup de considération pour M. le rapporteur et pour son rapport, mais je crois que l'on enfonce ici une porte ouverte ! En effet, d'ores et déjà, l'immobilisation d'un navire est toujours à la charge de l'armateur, jamais à la charge du port ou de l'Etat. Un navire immobilisé qui ne paie pas sa dette au port ou à l'Etat fait l'objet d'une vente sur saisie dont le produit permet de rembourser ou le port ou l'Etat. Je veux bien que l'on introduise cette disposition, mais il en est déjà ainsi et il en sera toujours ainsi !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 12, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 5.
Par amendement n° 9, Mme Heinis propose d'ajouter, après l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 218-31 du code de l'environnement, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Les capitaines de navire qui se sont rendus coupables des infractions visées aux articles L. 218-10 et L. 218-11 peuvent être interdits de navigation dans les eaux territoriales et dans la zone économique exclusive française. En cas d'inobservation de cette mesure, le capitaine est passible d'une amende de 100 000 francs et d'une peine d'emprisonnement de un an. »
La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Cet amendement vise à interdire au capitaine coupable de dégazages sauvages de naviguer dans les eaux territoriales françaises et dans la zone économique exclusive.
Une telle disposition s'inspire d'une disposition de la législation américaine. Il s'agit d'une sanction personnelle, à implication professionnelle, assortie d'une sanction pénale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Lucien Lanier, rapporteur. La commission, après avoir examiné cet amendement, a finalement été amenée à émettre un avis défavorable plutôt qu'un avis de sagesse. En effet, une telle disposition vise avant tout les capitaines de navires étrangers, la proportion de navires français impliqués dans les dégazages illégaux étant comparativement relativement peu élevée.
L'interdiction de navigation prononcée à l'encontre du capitaine, qui s'inspire effectivement de la législation américaine, ne toucherait pas, en réalité, le véritable responsable, qui est souvent l'armateur, et rendrait pénalement responsable un capitaine qui, en définitive, subit les ordres de son armateur, lequel conserve la faculté d'avoir recours aux services d'un autre capitaine. C'est la raison pour laquelle il faut, en la circonstance, viser l'armateur, et non pas le lampiste !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Cet amendement vise à renforcer les sanctions à l'égard du capitaine d'un navire fautif en s'inspirant de la législation américaine.
On ne peut qu'être d'accord avec votre volonté de renforcer la sanction, madame Heinis. Je vous ai cependant entendu dire tout à l'heure, à la tribune, qu'une telle disposition était plus facilement applicable par les Etats-Unis, qui forment un seul Etat, que par chacun des pays européens pris individuellement.
En l'occurrence, la disposition que vous proposez ne pourrait être applicable qu'aux navigants français, ce qui entraînerait obligatoirement une discrimination à leur égard. Il faut donc, à mon avis, retenir uniquement l'idée de base que vous avez voulu exprimer, et sur laquelle je suis d'accord.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Tout à fait !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Le Gouvernement français pourrait donc, à l'échelle européenne ou, mieux encore, à l'échelle de l'OMI, s'engager à mener cette bataille pour faire accepter, sur le plan international, la proposition que vous formulez.
Dans le cadre actuel, le Gouvernement ne peut qu'être défavorable à cette proposition. Je vous demande donc, madame le sénateur, de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Madame Heinis, l'amendement n° 9 est-il maintenu ?
Mme Anne Heinis. Constatant que ni le Gouvernement ni la commission ne sont favorables à cet amendement, je réponds à l'appel de M. le ministre et retire cet amendement.
Je remercie néanmoins M. le ministre d'avoir reconnu que cet amendement, même s'il n'est pas parfait, constitue en quelque sorte un appel afin que, dans la suite de nos réflexions et de nos actions, ces problèmes soient bien examinés sous leurs différents angles.
M. le président. L'amendement n° 9 est retiré.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Je tiens à remercier Mme Heinis d'avoir retiré cet amendement. Je tenais beaucoup à ce que le Gouvernement pût lui donner son avis, lui dire qu'il partageait son point de vue sur le fond mais que, sur la forme, cet amendement ne pouvait être accepté, ce qui était également ma conclusion.
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Henri de Richemont. Bravo !
M. le président. Par amendement n° 10, Mme Heinis propose d'insérer, après l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 218-31 du code de l'environnement, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Les capitaines des navires qui se seront rendus coupables des infractions visées aux articles L. 218-10 et L. 218-11 peuvent être poursuivis en dehors de la limite des eaux territoriales ou, quand elle existe, de la zone économique exclusive, après l'accord de l'Etat du pavillon. »
La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. La poursuite d'un navire en haute mer à partir des eaux intérieures et pour des faits qui y ont été commis est autorisée par le droit de la mer : c'est la convention de Montego Bay.
Pour autant, l'idée de pouvoir poursuivre un capitaine en dehors des eaux territoriales, c'est-à-dire au-delà de douze milles, voire au-delà de la zone économique exclusive, soit au-delà de deux cents mille, est concevable à la condition d'avoir recueilli l'accord de l'Etat du pavillon. Ainsi, l'Etat côtier deviendrait en quelque sorte le bras armé de l'Etat du pavillon.
Les Etats-Unis ont mis en place un tel système. On m'objectera que le linéaire des côtes de cet Etat fédéral est si long que la présence de navires battant un pavillon autre que le pavillon national est statistiquement moindre qu'au large de nos 5 500 kilomètres de côtes. C'est vrai.
L'idée mérite néanmoins, à mon avis, d'être creusée.
On m'objectera ensuite que l'accord de l'Etat du pavillon risque d'être long à obtenir au regard de l'urgence de l'intervention. C'est vrai aussi. Dans les faits, après avoir relevé l'immatriculation du navire, il faudra solliciter l'accord des autorités maritimes de l'Etat concerné, ce qui entraînera probablement des échanges par fax. On peut logiquement penser que l'Etat avertira l'armateur et que celui-ci appellera aussitôt son capitaine pour lui conseiller de s'esquiver. Je reconnais, bien sûr, que les circonstances rendront souvent difficile la poursuite.
Cela dit, ces obstacles ne doivent pas nous faire renoncer à la réflexion.
Je vous soumets donc cet amendement avec la conscience de son imperfection. Il n'est certes pas parfait, mais je crois qu'il pourrait constituer pour le gouvernement français une référence dans les négociations qu'il mène au niveau tant de l'Europe que de l'OMI.
En effet, je ne me fais pas trop d'illusions : l'ouverture d'un droit de poursuite en haute mer n'a de chance d'être adoptée que si elle est débattue dans le cadre international le plus large. Je tenais néanmoins à formuler cette suggestion afin qu'une réflexion puisse se poursuivre sur ce point lors des futures réunions.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Lucien Lanier, rapporteur. Je partage tout à fait le point de vue de Mme Heinis, qui, conformément à notre objectif commun, cherche à rendre de plus en plus dissuasives les mesures que nous sommes appelés à prendre.
Cet amendement vise à permettre la poursuite en dehors de la limite des eaux territoriales ou de la zone économique exclusive, après l'accord de l'Etat du pavillon, de capitaines de navire s'étant rendus coupables d'infractions.
Il s'agit clairement d'une disposition relative au droit international. C'est donc, à mon avis, au Gouvernement qu'il appartient de mener une réflexion sur ce point. Je joins donc ma voix à la vôtre, madame Heinis, pour demander au Gouvernement d'agir en ce sens afin que, notamment dans le cadre de l'Union européenne, de telles poursuites en haute mer soient rendues possibles par la conclusion de conventions bilatérales.
Pour l'instant, les poursuites en haute mer sont interdites par la convention de Montego Bay. C'est la raison pour laquelle la commission des lois, tout en reconnaissant le bien-fondé de votre intervention, madame Heinis, ne peut émettre qu'un avis défavorable sur l'amendement n° 10.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je suis, je l'avoue, quelque peu partagé : si l'amendement, tel qu'il est rédigé, vise au renforcement des sanctions, il se heurte néanmoins, comme M. le rapporteur vient de l'indiquer, au droit international, ainsi qu'à la nécessité de l'accord de l'Etat du pavillon pour pouvoir engager des poursuites au-delà de la zone économique exclusive. Je crains donc que cette disposition ne se révèle inefficace.
Pourtant, l'idée qui sous-tend la proposition est intéressante. Simplement, comme M. le rapporteur, j'estime que, dès lors que nous touchons au pavillon d'un autre Etat, nous devons fonder notre action sur l'organisation maritime internationale, l'OMI.
Au mois d'octobre dernier, à l'occasion du premier Conseil des ministres des transports, et alors même que l'OMI se réunissait, nous avons réussi, suivant la stratégie que j'avais définie en tant que président, à faire en sorte que les pays européens parlent d'une seule et même voix. En effet, l'Europe n'existe pas en tant que telle au sein de l'OMI ; c'est chaque pays qui est pris en compte individuellement. Il était donc important que nous nous exprimions d'une seule et même voix, et c'est ce qui s'est produit.
S'agissant de la faculté de poursuivre au-delà des zones économiques exclusives, l'Europe devra donc faire en sorte que ce soit l'OMI qui prenne des dispositions.
En attendant, comme M. le rapporteur, j'estime qu'on peut demander le retrait de l'amendement, la mesure qu'il prévoit supposant au préalable une concertation à l'échelle internationale.
M. le président. L'amendement n° 10 est-il maintenu, madame Heinis ?
Mme Anne Heinis. Non, monsieur le président, je le retire.
M. le président. L'amendement n° 10 est retiré.
Par amendement n° 11, Mme Heinis propose d'insérer, après l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 218-31 du code de l'environnement, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Sera puni d'une amende de 1 000 francs à 10 000 francs et, en cas de récidive, du double de cette peine et d'un emprisonnement de huit jours à six mois ou de l'une de ces deux peines seulement, tout capitaine ou responsable à bord d'un navire français qui se sera rendu coupable de tout déversement de déchets ou résidus autres que d'hydrocarbures, de plastiques ou de polluants marins non biodégradables. »
La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Ce dernier amendement, qui procède de la même idée que ceux que je viens d'exposer, à savoir l'incitation à la réflexion, vise à étendre la répression des faits de pollution à ce qu'il est convenu d'appeler la pollution « de routine », certes moins spectaculaire que la pollution par les hydrocarbures mais tout aussi nuisible pour l'environnement, notamment pour la faune.
Je mesure l'incompréhension qu'une lecture rapide de cet amendement pourrait déclencher chez les pêcheurs et les plaisanciers. En effet, il sera plus facile pour nos petites vedettes côtières de poursuivre efficacement les petits navires, qui ne vont ni très vite ni très loin en mer, que les gros.
L'idée est d'ouvrir le champ de la loi du 5 janvier 1993 à ce qui ne relève pas de la pollution par les hydrocarbures, c'est-à-dire à la pollution ordinaire, habituelle, à l'égard de laquelle nous devons avoir le même souci d'élimination que vis-à-vis des décharges sauvages sur terre.
Le problème est identique, à ceci près que les décharges sauvages restent à l'endroit où elles sont - encore que certains détritus puissent être poussés très loin par le vent -, alors que tout ce qui est jeté dans la mer, par le jeu des courants et du vent, revient en bonne partie sur la côte. Il suffit, pour s'en convaincre, d'observer nos côtes après chaque grand coup de vent !
En fait, il s'agit d'un amendement d'appel. La communauté côtière souhaite que cette question de la pollution de routine, qui m'est fréquemment posée dans ma circonscription, soit soulevée ici. J'aimerais donc connaître l'opinion de la commission et du Gouvernement sur ce point.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Lucien Lanier, rapporteur. La commission partage le souci que Mme Heinis exprime au travers de cet amendement, qui tend à étendre la répression des faits de pollution par les hydrocarbures à la pollution dite « de routine », cette appellation étant effectivement meilleure, en l'espèce, que celle d'ordures ménagères, même si c'est bien à cela qu'elle correspond.
C'est vrai, la pollution « de routine » est aussi scandaleuse que l'autre. Nous avons vu récemment, à la télévision française, un pauvre dauphin échoué sur nos côtes se faire soigner parce qu'il avait avalé trop de matières plastiques. Il en est d'ailleurs mort, les soins n'ayant pas donné de résultat.
Dès lors, pourquoi la commission n'a-t-elle pas émis un avis favorable sur cet amendement ? Parce que à la fois la convention MARPOL et l'article 218 du code de l'environnement prévoient déjà des pénalités : l'annexe V de la convention MARPOL interdit toute évacuation par-dessus bord des ordures et l'article 218 du code de l'environnement punit d'un an d'emprisonnement et de 300 000 francs d'amende les capitaines des navires français - quelle que soit la taille du navire, je le souligne - qui ont commis ces infractions.
A mon sens, il importe de régler le problème pour l'avenir, c'est-à-dire de prévenir plus que de punir. Les navires en construction devront abriter des conteneurs spécialisés pour recevoir les ordures ménagères, conteneurs qui seront ensuite déposés dans les endroits adéquats des ports dans lesquels les bateaux relâcheront.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Le Gouvernement est, pour une fois en désaccord avec la commission, favorable à cet amendement de Mme Heinis, qui étend à un autre type de pollution que celle par les hydrocarbures le renforcement des sanctions à l'encontre des pollueurs volontaires.
Nous travaillons actuellement à une sensibilisation sur cette question, en visant non seulement l'équipement des ports de plaisance mais également l'équipement des navires.
Au moment où nous assistons à une forte progression de la navigation, notamment de plaisance, ce dont il faut se féliciter, il convient de dire aussi qu'on ne peut pas faire n'importe quoi. D'où la nécessité de renforcer les possibilités de répression et de sanction à l'égard des pollueurs volontaires.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Compte tenu de la position que M. le ministre vient de prendre à l'instant, je pense pouvoir, sans outrepasser les pouvoirs qui me sont conférés, surtout en présence de M. Fauchon, vice-président de la commission des lois, m'en remettre, en définitive, à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 11.
M. François Marc. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marc.
M. François Marc. Aujourd'hui, de très nombreuses initiatives prises par les comités de pêche et par un certain nombre d'associations de plaisanciers vont dans le bon sens en ce qu'elles visent, précisément, à introduire plus de civisme dans le comportement de ceux qui naviguent près de nos côtes.
La mise en place d'un volet répressif pour les actes repréhensibles qui seraient constatés renforcera sans nul doute l'action de ces associations et de ces comités locaux de pêche.
Aussi le groupe socialiste votera-t-il cet amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 11, accepté par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 5.

Intitulé de la proposition de loi



M. le président.
Par amendement n° 14, M. Lanier, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de loi :
« Proposition de loi modifiant les dispositions du code de l'environnement relatives à la répression des rejets polluants des navires. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur. C'est un amendement de coordination, monsieur le président.
Il s'agit, comme je l'ai expliqué dans mon discours préliminaire, de mettre en conformité l'intitulé de la proposition de loi après l'abrogation de la loi du 5 juillet 1983 réprimant la pollution des navires du fait de sa codification dans le code de l'environnement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Sur l'amendement précédent, M. le rapporteur s'en est finalement remis à la sagesse du Sénat. Pour faire bonne mesure, et dans le même état d'esprit, le Gouvernement s'en remet, en l'espèce, à la sagesse de la Haute Assemblée. (Sourires.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 14, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Hérisson pour explication de vote.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien que je ne sois responsable que d'un port sur les rivages du lac d'Annecy, c'est à moi qu'il revient d'expliquer le vote de notre groupe en faveur de cette proposition. (Sourires.)
La France dispose de moyens juridiques insuffisants pour sanctionner les actes de pollution volontaires liés au rejet d'hydrocarbures et d'autres matières en mer.
La loi du 5 juillet 1983 réprimant la pollution par les navires punit notamment d'une amende pouvant atteindre un million de francs et d'un emprisonnement maximum de deux ans les capitaines de navire qui ont enfreint les règles internationales régissant le dégazage et le déballastage.
Cependant, même si des moyens substantiels - et ils devraient être encore accrus ! - sont mis en oeuvre pour lutter contre cette forme de délinquance, force est de constater que les dispositions juridiques en vigueur n'empêchent malheureusement pas la recrudescence de ce phénomène.
Qu'en serait-il, monsieur le ministre, si le transporteur ferroviaire national ou les transporteurs routiers français d'hydrocarbures avaient le même comportement ? Ils auraient sans doute déjà été sanctionnés. En fait, le problème, ce sont les moyens mis en oeuvre.
En outre, cette attitude irrespectueuse reflète un état d'esprit que je ne qualifierai pas, mais que tout le monde dénonce. En effet, à l'annonce de la catastrophe de l' Erika , un nombre important de navires ont procédé à des dégazages et à des déballastages illicites dans la zone du naufrage, profitant du trouble occasionné pour « noyer » leurs rejets dans l'ensemble de la marée noire. Il convenait de le rappeler ici.
Le dégazage sauvage a un motif économique : là où la recherche d'un transport au moindre coût est la devise, au détriment de la sécurité et de l'environnement, la dépense que représente un nettoyage dans un port est estimé hors de prix ; de même, le fait de dérouter un navire vers la haute mer pour respecter les normes prescrites est considéré comme une perte de temps.
Aujourd'hui, en effet, le coût d'une opération de déballastage dans un port représente environ le double de l'amende encourue pour un rejet illicite en mer. Dès lors, le risque d'une amende modérée est estimé bien moindre que la certitude du coût, considéré comme élevé, d'un nettoyage au port. Et les considérations à l'égard des graves nuisances suscitées sont bien négligeables face aux enjeux financiers !
La proposition de loi que nous venons d'examiner contribue à renforcer notre arsenal en augmentant très sensiblement le montant des amendes et des peines de prison encourues par les auteurs des infractions définies dans la loi du 5 juillet 1983 réprimant la pollution par les navires, de sorte que les sanctions pécuniaires seront désormais plus élevées que le coût d'un déballastage effectué dans un port.
Les modifications apportées par le Sénat accentuent encore l'aspect dissuasif de ces dispositions et ne peuvent être qu'approuvées. Elles s'inscrivent dans le droit-fil de la convention de Londres, qui énonce que les sanctions fixées par les législations des Etats membres « doivent être, par leur rigueur, de nature à décourager les intervenants éventuels, et d'une sévérité égale, quel que soit l'endroit où l'infraction a été commise ».
Mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même soutenons totalement les mesures prévues par ce texte tel qu'il a été modifié par le Sénat. Nous pensons néanmoins qu'il reste beaucoup à faire, notamment en ce qui concerne le renforcement des moyens en hommes et en matériel, pour assurer une surveillance efficace de notre espace maritime. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Je remercie M. le ministre, qui a bien voulu donner un avis favorable sur l'un de mes amendements et m'assurer qu'il continuerait à réfléchir aux problèmes évoqués aujourd'hui, problèmes qu'on ne pouvait évidemment pas tous régler.
Je remercie également la commission des lois. Elle a approché de manière extrêmement sérieuse ce problème, en même temps qu'elle a fait montre de beaucoup de souplesse dans son jugement.
Enfin, je veux remercier tout particulièrement M. le rapporteur, Lucien Lanier, et, au nom du groupe d'étude de la mer, que je représente cet après-midi, me réjouit qu'un certain nombre de ses suggestions aient été retenues pour leur pertinence.
En conclusion, il nous faut continuer avec opiniâtreté à oeuvrer ensemble dans ce sens, car c'est notre environnement, notre faune et flore marines et notre littoral qui sont en jeu ! Aujourd'hui, nous avons tous défendu cet intérêt commun, et je m'en réjouis. J'éspère que nous poursuivrons dans cette voie. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Marc.
M. François Marc. Tout à l'heure, j'ai dit tout le bien que le groupe socialiste pensait de la proposition de loi de Gilbert Le Bris.
Nous avons entendu vos préoccupations, monsieur le ministre, et nous avons pris note de votre grande mobilisation sur le sujet, ainsi que de toute l'énergie que vous avez bien voulu déployer à Bruxelles voilà quelques semaines.
Nous avons également noté à quel point les propositions qui ont été formulées au travers des amendements amélioraient le texte de M. Le Bris. Nous sommes donc tout à fait favorables à l'adoption de cette proposition de loi amendée selon les voeux de la commission.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l'unanimité. (Applaudissements.)

6

Adoption internationale

Adoption d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 287, 1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'adoption internationale. [Rapport n° 164 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux, à qui je présente tous les voeux de la Haute Assemblée.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos voeux et vous présente les miens, ainsi qu'à vos familles et à vos collaborateurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez aujourd'hui à vous prononcer sur la proposition de loi relative à l'adoption internationale adoptée à l'unanimité en première lecture par l'Assemblée nationale, le 28 mars 2000.
Ce texte, comme vous le savez, est le fruit d'une initiative de M. Jean-François Mattei, qui est également à l'origine de la loi du 5 juillet 1996 relative à l'adoption.
Que la question de l'adoption internationale soit d'actualité, personne aujourd'hui n'en disconvient.
Le 9 mars 1998, en effet, la France ratifiait la convention de la Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière internationale, signée le 29 mai 1993, destinée à régir les relations de coopération en matière d'adoption entre les pays d'origine et les pays d'accueil.
Le 23 septembre 1998, était instituée en France, en application de ce texte, une autorité centrale chargée de concourir à la définition de la politique de coopération internationale dans le domaine de l'adoption et de veiller à la bonne application des dispositions de la convention.
La jurisprudence en matière de conflits de lois relatives à l'adoption était amenée, quant à elle, à se prononcer à diverses reprises sur la possibilité d'adopter en France des enfants dont le statut personnel ignore ou prohibe cette institution. Elle apportait des réponses variées, de telle sorte que nul ne peut dire avec certitude quelle solution il convient d'envisager.
Entre l'arrêt Torlet du 7 novembre 1984, l'arrêt Pistre du 31 janvier 1990, l'arrêt Lorre du 1er juillet 1997 et l'arrêt Lenoir du 16 décembre 1997, les approches de la Cour de cassation sont en effet différentes.
Le 16 février 1999, une nouvelle version de la circulaire de la Chancellerie relative à l'adoption internationale, élaborée vingt ans plus tôt, le 6 juillet 1979, était adressée aux parquets, en intégrant non seulement les solutions jurisprudentielles en ce domaine, mais surtout l'évolution profonde du droit international privé. Cette circulaire a été récemment validée par le Conseil d'Etat.
Le 26 janvier 2000, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe adoptait une recommandation relative au respect des droits de l'enfant dans l'adoption internationale. Je me dois d'ailleurs de souligner combien votre rapporteur, M. About, a joué un rôle essentiel dans l'élaboration de cette résolution.
Le 1er février 2000, les gouvernements français et vietnamien concluaient une convention, entrée en vigueur le 1er novembre dernier, en matière d'adoption internationale, après que la découverte de situations locales préjudiciables à l'intérêt des enfants eut conduit, en avril 1999, à la suspension des procédures d'adoption entre nos deux Etats, dont les échanges en ce domaine sont particulièrement importants.
A ces rappels historiques doit être ajouté celui de l'importance quantitative de l'adoption en France d'enfants nés à l'étranger.
Comme le met en lumière l'excellent rapport de M. About, la France est le deuxième pays d'accueil au monde en matière d'adoption internationale. En 1999, plus de 3 500 enfants nés à l'étranger étaient concernés, représentant près des trois quarts des adoptions de mineurs dans notre pays.
Le constat s'impose donc : tout concourt à une intervention législative, seule à même de conférer à notre droit une totale sécurité juridique dans les relations d'adoption.
C'est donc dans ce contexte que le Parlement a pris l'initiative d'inscrire dans le code civil une règle de conflit de lois déterminant quelle norme appliquer - la loi personnelle de l'enfant ou celle des adoptants - aux conditions et aux effets de l'adoption.
Pour être complet, l'exercice se devait d'aborder les effets, en France, des adoptions prononcées à l'étranger.
Le Gouvernement a pleinement approuvé cette initiative non seulement parce qu'elle s'inscrit dans le plan de réforme de la famille qu'il a engagé, mais aussi parce qu'elle est propre à apporter à des milliers d'enfants confrontés à la douleur de ne pouvoir être élevés par ceux qui leur ont donné le jour, comme à des milliers de couples privés de la joie de pouvoir enfanter, une réponse claire, sûre, simple et humaine.
Le texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, et aujourd'hui soumis à l'examen du Sénat, est le résultat de la ferme intention d'aboutir dans les meilleures conditions.
Si des réserves ont été émises sur ce texte, une analyse constructive doit être faite. Du dialogue mené avec l'ensemble des partenaires doit émerger une démarche de clarification et de transparence.
Quant à l'objectif commun de donner un nouveau foyer aux enfants qui en sont dépourvus, sans occulter pour autant un passé familial et culturel, il implique la recherche de réponses nuancées, prenant en compte la diversité des situations.
Une mission a été confiée, en juillet dernier, par le Premier ministre à Gérard Gouzes, député, pour mettre en oeuvre cette volonté de concertation indispensable à la confiance.
Les magistrats correspondants en matière d'adoption au sein des cours d'appel procèdent, quant à eux, activement aux missions d'information, d'explication et de coordination pour lesquelles ils ont été désignés.
Enfin, la situation des adoptions franco-vietnamiennes est en voie d'être réglée par la reprise toute prochaine des relations d'adoption avec le Viêtnam, premier pays d'origine des enfants : plus de 700 en 1999, malgré la suspension des adoptions au mois d'avril.
S'inscrivant dans ce contexte, votre commission des lois a poursuivi, avec non seulement la très grande compétence qu'on lui connaît mais aussi le souci d'une totale clarification, propre à apaiser les incertitudes et à renforcert la sécurité juridique attendue de tous, le travail entrepris par l'Assemblée nationale.
Comme j'ai pu le constater à la lecture du rapport de M. About elle a examiné, en intégrant totalement la dimension humaine du débat, les solutions les mieux à même de permettre le plein épanouissement de l'enfant, dont l'intérêt supérieur doit, dans ce domaine comme ailleurs, être pleinement recherché.
Les dispositions soumises aujourd'hui à votre examen, telles qu'amendées par votre commmission des lois, sont de nature à renforcer la sécurité juridique que requiert ce domaine de l'état des personnes. Le Gouvernement ne peut qu'en être satisfait.
En effet, votre commission a amélioré le dispositif adopté par l'Assemblée nationale en accroissant sa cohérence juridique, tout en étant attentive aux principes du droit international privé.
Sur un plan formel, d'abord, elle a restructuré le dispositif de l'article 1er en trois articles qui régissent successivement la loi applicable aux conditions de l'adoption, la loi applicable à ses effets et l'efficacité en France des décisions prononcées à l'étranger.
Elle a en outre traité distinctement certains points essentiels comme la prohibition de l'adoption par la loi personnelle de l'adopté ; je reviendrai tout à l'heure sur ce sujet.
Il en résulte une meilleure lisibilité du dispositif, dont il faut se féliciter, car cela est essentiel en ce domaine.
Sur le fond, votre commission a tout d'abord soumis les conditions de l'adoption à la loi personnelle de l'adoptant. Elle a ainsi consacré, avec sagesse, une solution classique arrêtée par la jurisprudence depuis de nombreuses années. En matière de droit international privé, on doit effectivement se garder de légiférer de façon unilatérale, en décrétant, sans aucune limite, une compétence de principe de la loi française.
Mais, ensuite, là où la jurisprudence se montrait hésitante - je veux parler de la question de l'incidence de la loi prohibitive de l'adopté - il convient de décider clairement. C'est ce qu'a fait votre commission, à la fois avec détermination et mesure : avec détermination, car elle a reformulé de façon plus explicite la position prise par l'Assemblée nationale selon laquelle cette prohibition interdit le prononcé de l'adoption en France ; mais également avec mesure, car elle a écarté cette solution lorsque le mineur est né en France et y réside habituellement.
De telles circonstances établissent en effet concrètement le rattachement étroit de cet enfant avec notre pays. Cela justifie alors que soit éludé l'effet prohibitif de la loi personnelle et que soit permise la pleine intégration de l'enfant dans sa famille française, grâce à l'institution de l'adoption plénière. En outre, sur ce point, il paraît effectivement raisonnable de ne légiférer que pour l'avenir.
Enfin, votre commission a judicieusement conforté et clarifié le rôle du consentement à l'adoption, tant dans son principe qu'en fonction de sa teneur.
En premier lieu, l'exigence de ce consentement est érigée en principe supérieur transcendant la loi applicable.
En second lieu, seul le consentement, portant précisément sur le caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation existant, permettra le prononcé par une juridiction française d'une adoption plénière ou encore la conversion d'une adoption simple prononcée à l'étranger.
Je voudrais, pour terminer, dire quelques mots sur la seconde partie de la proposition de loi, touchant la composition des deux instances intervenant en matière d'adoption internationale : l'autorité centrale et le Conseil supérieur de l'adoption.
A cet égard, votre commission a considéré que la place des associations des familles adoptives devait être pleinement affirmée. Elle a d'abord approuvé l'initiative de l'Assemblée nationale de faire participer, dans la première, avec voix consultative, les organismes agréés pour l'adoption et les associations de familles adoptives. Je crois, en effet, que celles-ci pourront, par leur connaissance incomparable des situations individuelles sur le terrain, enrichir les réflexions menées par la haute autorité.
Quant au Conseil supérieur de l'adoption, dont le champ de compétences déborde au demeurant l'adoption internationale, votre commission des lois s'est félicitée de tout ce qui avait été proposé pour donner les moyens d'assurer efficacement la mission qui doit être la sienne en ce domaine.
Un fondement législatif, une saisine obligatoire pour les textes les plus importants, des réunions plus systématiques et une meilleure représentativité lui ont semblé de nature à pouvoir répondre à cet objectif.
Votre commission a tenu néanmoins à élargir la composition du conseil en permettant aux associations de personnes adoptées autres que celles regroupant les pupilles de l'Etat d'être également représentées.
Il s'agit là d'une approche qui participe d'une vue exhaustive que je comprends tout à fait, l'expérience de chacun étant, en ce domaine, essentielle.
Telles sont les observations que je souhaitais formuler devant vous à ce stade de la discussion. Nous avons tous conscience du débat essentiel que représente pour tous ces enfants, ainsi que pour nos compatriotes, ce que nous appelons sommairement, et dans un juridisme commode mais approximatif, l'adoption internationale. Derrière ces mots, se cachent des souffrances, mais aussi des espérances. Le droit ne pourra sans doute, à lui seul, ni pleinement apaiser les premières ni totalement réaliser les secondes. Du moins lui est-il aujourd'hui donnée la possibilité d'y contribuer grandement. C'est à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que reviennent cette tâche et cet honneur. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur le banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes saisis d'une proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale relative à l'adoption internationale.
Le principal objet de cette proposition de loi est de poser une règle en matière de conflit de lois, l'adoption internationale mettant en présence des adoptants et des adoptés de nationalités différentes, régis par leurs propres lois, parfois contradictoires.
Il convient de déterminer la loi applicable aux conditions comme aux effets de l'adoption prononcée en France, mais aussi de définir l'effet en France d'une décision prononcée à l'étranger.
L'adoption internationale, marginale voilà trente ans, représente aujourd'hui près des trois quarts des adoptions de mineurs dans notre pays. Ce sont plus de 3 500 visas d'entrée liés à des procédures d'adoption qui ont été délivrés en 1999.
A titre de comparaison, seulement un millier de pupilles de l'Etat français ont été placés cette année en vue d'adoption.
Les enfants étrangers adoptés viennent de plus de soixante pays : le Vietnam, la Colombie et la Roumanie arrivent en tête.
La France est, par le nombre, le deuxième pays d'accueil au monde, après les Etats-Unis, mais les chiffres rapportés à la population ne nous placent qu'au neuvième rang. Les enfants sont adoptés très jeunes. Les deux tiers des enfants qui obtiennent un visa ont moins de trois ans et plus du quart ont moins de six mois.
Enfin, les adoptions par démarche individuelle représentent près des deux tiers des adoptions internationales depuis la France.
Un cadre international de régulation se met en place progressivement.
Tout d'abord, la convention des Nations unies du 20 novembre 1989, relative aux droits de l'enfant énonce que tout enfant privé de son milieu familial a droit à la protection de l'Etat. Elle reconnaît à chaque Etat la possibilité d'adopter une protection conforme à sa législation nationale. Elle rappelle qu'il doit être tenu compte de la nécessité d'une certaine continuité dans l'éducation de l'enfant, ainsi que de la prise en compte de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique. Dans tous les cas, elle rappelle qu'il revient aux Etats de s'assurer du respect de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Le deuxième texte est la convention de La Haye du 29 mai 1993.
Pour combattre le trafic d'enfants, cette convention institue un système de coopération dans les procédures d'adoption ainsi qu'une reconnaissance mutuelle des décisions prononcées dans chaque Etat.
Cette collaboration passe par une autorité centrale dans chaque Etat, laquelle peut déléguer ses pouvoirs à des organismes agréés. L'Etat d'origine de l'enfant décide s'il est adoptable, l'Etat d'accueil garantit que les adoptants ont la capacité nécessaire à adopter. Les décisions et leurs effets sont reconnus de plein droit dans tous les pays signataires.
Le troisième texte est la convention avec le Vietnam du 1er février 2000, que nous avons ratifiée.
Le 29 avril 1999, toutes les adoptions avec le Vietnam ont été suspendues à la suite de la découverte de trafic d'enfants
Le 1er février 2000 a été signée entre la France et le Vietnam une convention qui s'inspire de la convention de La Haye, à l'exception de la possibilité donnée aux autorités centrales de déléguer leurs pouvoirs, afin peut-être d'éviter certaines difficultés ou de contourner la vieille tradition des comités locaux. Cette convention est entrée en vigueur le 2 janvier dernier.
A ce jour, et en dehors des conventions internationales, les conflits de lois en matière d'adoption internationale relèvent de la jurisprudence. Vous l'avez dit, madame le ministre, cette jurisprudence n'est pas unifiée, mais on peut déduire plusieurs règles de la jurisprudence de la Cour de cassation.
En premier lieu, les conditions et les effets de l'adoption sont soumis à la loi de l'adoptant, la loi de l'adopté déterminant simplement les conditions du consentement et les formes dans lesquelles il doit être recueilli.
En deuxième lieu, l'adoption plénière est possible même si la loi de l'adopté ignore cette forme d'adoption pourvu que le consentement ait été donné en vue d'une rupture complète et irrévocable des liens avec la famille d'origine.
La troisième règle découlant de la jurisprudence tend à admettre comme possible l'adoption même si la loi de l'adopté prohibe cette institution - c'est l'arrêt Fanthou - pourvu que le représentant légal du mineur ait donné son consentement en pleine connaissance de cause des effets attachés par la loi française à l'adoption.
Dans l'arrêt Lorre du 1er juillet 1997, la Cour de cassation a cependant considéré que l'autorité publique étrangère ne pouvait consentir à l'adoption au mépris de sa propre législation. En revanche, selon la quatrième règle découlant de la jurisprudence, confirmée à plusieurs reprises, « les personnes dont le statut personnel prohibe l'adoption ne peuvent pas adopter ».
Cette fragile construction jurisprudentielle s'est trouvée déstabilisée par la circulaire du 16 février 1999 du garde des sceaux de l'époque, dont l'objectif était pourtant l'unification.
Cette circulaire semble avoir eu pour objet principal d'empêcher le prononcé par les tribunaux français de l'adoption d'un mineur dont le statut personnel le prohibe. Elle pose des règles plus restrictives que celles qui sont mises en oeuvre dans les juridictions. Elle tente aussi de contrecarrer la jurisprudence de la Cour de cassation en donnant un certain nombre d'instructions au Parquet.
Pour limiter le trafic, la circulaire énonce que la validité du consentement donné à l'étranger impose le respect de l'article 348-5 du code civil, selon lequel les enfants de moins de deux ans doivent obligatoirement être remis au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un organisme autorisé pour l'adoption.
Enfin, la circulaire ne dit rien sur les conditions de transformation en adoption plénière d'une adoption simple prononcée hors du cadre de la convention de La Haye.
Très contestée, cette circulaire a fait l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat, mais ce recours a été jugé irrecevable, la circulaire ne faisant par grief puisqu'elle ne s'impose pas aux juges du siège.
Que contient la proposition de loi qui nous est soumise ? Son principal apport est de poser une règle de conflit de lois en matière d'adoption internationale, mais elle comprend également des dispositions relatives au Conseil supérieur de l'adoption et à la composition de l'autorité centrale pour l'adoption.
L'article 1er insère dans un nouveau chapitre du code civil un article 370-3 déterminant l'effet en France des jugements étrangers en matière d'adoption internationale et désignant la loi applicable à l'adoption prononcée en France. Il reprend, en premier lieu, plusieurs règles admises par la Cour de cassation et par la convention de La Haye.
L'article 1er prévoit que l'adoption régulièrement prononcée dans le pays d'origine de l'adopté produit les effets prévus par la loi française lorsque l'adoptant est de nationalité française ou réside en France.
Il prévoit également qu'une adoption simple dans le pays d'origine, dans la mesure où elle ne rompt pas le lien préexistant de filiation, peut être consentie en adoption plénière sous réserve que les consentements requis aient été expressément donnés en connaissance de cause.
S'agissant du prononcé de l'adoption en France, la proposition de loi développe la qualité du consentement qui doit être donné par le représentant légal du mineur en s'inspirant de l'article 4 de la convention de La Haye.
Ce consentement doit être libre, obtenu sans contrepartie, après la naissance de l'enfant, et éclairé sur les conséquences de l'adoption.
Toujours sur le prononcé de l'adoption en France, ce texte apporte une innovation par rapport à la jurisprudence de la Cour de cassation.
Comme vous l'avez rappelé, madame le garde des sceaux, un amendement de M. Gouzes a rendu impossible l'adoption d'enfants dont le statut personnel prohibe cette institution.
Enfin, le texte de l'article 1er prévoit l'application de la loi française « aux conditions et aux effets de l'adoption si la législation du pays d'origine n'y fait pas obstacle. »
Ce texte très restrictif interdit le prononcé aussi bien de l'adoption plénière que de l'adoption simple. En outre, il applique la loi française de l'adoption prononcée en France, ce qui est contraire à la jurisprudence constante, qui se réfère à la loi nationale de l'adoptant.
Un adoptant de nationalité étrangère résidant en France se verrait appliquer la loi française alors que la jurisprudence actuelle conduirait à l'application de sa propre loi nationale.
L'article 2 est un texte de coordination oublié lors du vote de la loi du 5 juillet 1996.
L'article 3 donne un fondement législatif au Conseil supérieur de l'adoption et instaure une meilleure représentation des associations.
L'article 4 porte sur la composition de l'autorité centrale.
J'en viens au travail de la commission.
Soucieuse, dans l'intérêt des enfants, de ne plus voir prononcer d'adoption « boiteuse », soucieuse de ne pas imposer l'application unilatérale du droit français et la conception française de l'adoption, la commission des lois vous propose de retenir un certain nombre de principes.
Il s'agit, tout d'abord, de souscrire au respect de la loi nationale des adoptants. Cela revient à ne pas prévoir l'application de la loi française à tous les cas d'adoption prononcée en France et donc à prévoir, comme le fait la jurisprudence constante, l'application de la loi personnelle des adoptants aux conditions de l'adoption.
Le corollaire de ce principe est la prohibition de l'adoption si la loi personnelle des adoptants l'interdit, pour éviter une adoption « boiteuse » en cas de retour des parents dans leur pays d'origine.
Notre deuxième souhait vise à mettre des limites à la prohibition de l'adoption posée par la loi personnelle des adoptés.
Nous vous proposons d'accepter la prohibition pour mettre fin à des filières illégales. Mais nous souhaitons apporter des limites à cette prohibition dans deux cas : pour les enfants nés en France et y résidant ; pour les enfants dont la procédure d'adoption est engagée.
Enfin, votre commission souhaite préciser le contenu du consentement et les caractéristiques de l'adoption plénière.
D'une part, le consentement doit avoir été donné en connaissance de cause du caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant.
D'autre part, il convient de faire ressortir le caractère complet et irrévocable de l'adoption plénière.
En pratique, cela signifie que, dans le pays d'origine, c'est la rupture des liens de filiation qui doit être comprise comme complète et irrévocable et qu'en France le caractère irrévocable de l'adoption plénière découle de l'article 359 du code civil et protège l'enfant contre un vide de filiation.
Sur la forme, votre commission des lois vous propose de scinder l'article 370-3 du code civil adopté par l'Assemblée nationale en trois articles pour améliorer la lisibilité du code : le premier porte sur les conditions du prononcé de l'adoption en France, le deuxième, sur les effets du prononcé de l'adoption en France et, le troisième, sur les effets, en France, de l'adoption prononcée à l'étranger.
Enfin, la commission vous propose de modifier l'article 3 relatif au Conseil supérieur de l'adoption pour inclure dans sa composition des associations regroupant des personnes adoptées et de faire référence au ministre chargé de la famille plutôt qu'au ministre des affaires sociales.
Mes chers collègues, en adoptant la proposition de loi ainsi modifiée, le Sénat contribuera à régler et à prévenir beaucoup de contentieux douloureux en replaçant l'enfant au coeur de l'adoption internationale. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Mes premières paroles s'adresseront à vous, monsieur le rapporteur, même si ce n'est peut-être pas la coutume. Je tiens en effet à vous dire combien j'ai apprécié, d'une part, que vous ayez pris l'initiative de prendre le relais de notre collègue M. Dejoie, d'autre part et surtout, combien votre sensibilité très aiguisée vous a permis d'apporter plus qu'une touche humaine à ce dossier. C'est la compréhension dont vous avez su faire preuve qui a permis à la commission, d'abord, et qui permettra au Sénat, ensuite, de traiter cette question délicate, difficile avec l'humanité requise.
Voilà pourquoi je me devais de commencer par saluer votre travail et la qualité de votre rapport. Même si, sur tel ou tel point, je relève quelques différences d'appréciation, sur le fond, nous nous rejoignons et je vous remercie.
Mes chers collègues, dans l'exercice de nos fonctions, il nous est arrivé de rencontrer des familles adoptives. Ces familles sont très nombreuses en France, dans tous les départements.
Par ailleurs, l'adoption internationale, qui ne cesse de se développer depuis vingt ans, fait aujourd'hui de la France le deuxième pays d'accueil après les Etats-Unis, avec 3 592 visas délivrés en 1999 en vue d'adoption d'enfants, en provenance de près de soixante-dix pays, un quart seulement venant de pays signataires de la convention de La Haye.
Or, depuis un certain temps, les familles adoptives sont inquiètes, et il leur arrive de s'insurger contre ce qu'elles interprètent non seulement comme une incompréhension de la part des pouvoirs publics, mais encore comme une suspicion inacceptable tendant à amalgamer systématiquement les démarches d'adoption à l'étranger avec des pratiques illicites, voire des trafics, que la quasi-totalité d'entre elles réprouvent et dénoncent de façon catégorique.
Des textes récents, émanant notamment de la Chancellerie, ont avivé cette méfiance à l'égard des familles qui vont chercher leurs enfants parfois à l'autre bout de la Terre, alors que les dérives sont toujours, fort heureusement, très minoritaires.
Les tribunaux alertés ont traité nombre de ces familles adoptantes comme des coupables en puissance. Ils ont même parfois mené des interrogatoires, refusé des adoptions plénières et des adoptions simples, renvoyé les familles devant les cours d'appel.
De leur côté, certains médias ajoutaient à ce climat délétère par des reportages ou des articles à sensation sur les couples « en mal d'enfants », prêts à toutes les compromissions et à toutes les bassesses pour réaliser leur projet !
Il me semble qu'il faut aujourd'hui sortir les familles adoptives du prétoire où la suspicion les a jetées, et les rétablir dans leur droit et leur dignité. L'adoption doit rester une procédure gracieuse ; c'est la confiance qui doit d'abord se manifester à l'égard du plus grand nombre, car elles savent généralement ce qu'elles font et ce qu'il ne faut pas faire, de manière à pouvoir raconter un jour l'histoire de son adoption, sans avoir à en rougir, à l'enfant qui va devenir le leur pour toute la vie.
En effet, l'adoption est d'abord un projet parental. Ceux qui décident d'entamer ces longues démarches savent bien que, après la contrainte des procédures administratives préalables à l'agrément délivré par les services de l'aide sociale à l'enfance, ils ne sont pas au bout de leurs efforts. Peu de candidats se tournent spontanément vers l'étranger ; mais, le nombre d'enfants adoptables en France ayant considérablement diminué - ce dont, personnellement, je me réjouis - et les délais d'attente étant interminables, ils se lancent dans la grande aventure de l'adoption internationale, soit avec l'appui d'un organisme autorisé pour l'adoption, soit par une démarche individuelle, souvent très bien accompagnée, elle aussi, par les associations de familles adoptives.
Ainsi, l'adoption internationale permet d'apporter, dans des délais plus raisonnables, des solutions à la situation d'enfants qui n'ont pas trouvé dans leur propre pays de famille pour les accueillir. Ce principe de subsidiarité, dûment affirmé par la convention de La Haye, confère à la démarche d'adoption à l'étranger toute sa légitimité et respecte le droit des enfants privés de famille à être aimés et protégés.
La question que nous avons aujourd'hui à traiter est donc d'une extrême délicatesse, car elle oppose les intérêts interétatiques à ceux des enfants délaissés qui attendent des réponses à leur situation. Elle oppose également ces intérêts à la réalité des sentiments d'amour et d'affection qui structurent la vie des familles. Les parents ne font jamais de différence selon l'origine de l'enfant. Ils considèrent que son éducation relève de leur responsabilité, et que leur enfant, comme tous les autres, est avant tout, pour reprendre le mot de Khalil Gibran, « l'enfant de la vie elle-même ».
Veillons donc à ne pas créer de nouvelles difficultés, alors que nous avons le pouvoir et, oserai-je dire, le devoir d'en résoudre un certain nombre. Et n'oublions pas que le chemin sur lequel nous nous engageons est étroit.
La proposition de loi de M. Jean-François Mattei, adoptée le 28 mars dernier par l'Assemblée nationale, répondait à la nécessité urgente d'élaborer une norme au regard des conflits de lois en matière d'adoption internationale, tout en gardant le souci permanent de servir l'intérêt supérieur des enfants les plus concernés par ces conflits, à savoir les enfants venant de pays non signataires de la convention de La Haye, à l'exception des pays de droit coranique - essentiellement le Maroc et l'Algérie -, une fois de plus exclus, hélas ! de ces avancées et renvoyés parfois à leur isolement.
En mettant un terme aux turbulences suscitées par les textes récents relatifs à l'adoption internationale, cette proposition de loi apportait les garde-fous nécessaires au respect de la législation française et des législations des pays d'origine des enfants. Elle redonnait du même coup espoir à des dizaines de familles, engluées depuis des mois dans des procédures judiciaires inextricables, qui ont abouti à marginaliser des enfants légalement entrés sur le sol français avec un visa d'adoption, faisant d'eux des « sans-papiers », des « sans-statut », pour qui le voyage si bien commencé a progressivement tourné au cauchemar...
C'est dire si le vote de cette proposition de loi par le Sénat est aujourd'hui attendu et observé, tant par les tribunaux français qui ont à statuer sur les décisions étrangères des pays « hors convention de La Haye », que par les familles ayant accueilli ces enfants, ainsi que par les autorités des pays d'origine qui les leur ont confiés en vue d'adoption.
L'espoir d'une réponse urgente à ces situations intolérables, où des enfants régulièrement confiés à des familles depuis des mois et des mois n'ont toujours pas trouvé leur place dans notre société et vivent dans une quasi-clandestinité et une insécurité juridique invraisemblable, cet espoir s'est éloigné à nouveau pour ces familles, et cela constitue pour elles et leurs enfants une nouvelle déception.
Madame la ministre, mes chers collègues, c'est un texte remanié qui vient devant nous, un texte dans lequel « le respect des relations interétatiques » l'emporte sur l'intérêt des enfants, intérêt qui exige, ici ou ailleurs, que nous inventions des solutions humaines face à l'inhumanité du délaissement moral, affectif et social dont ils sont victimes.
L'adoption internationale n'est pas un « échange international ». Elle est, pour l'enfant délaissé qui n'a pas trouvé dans son propre pays de solution familiale, une réponse donnée hors de ses frontières par une famille prête à lui apporter l'amour et tout ce dont il a besoin pour s'épanouir et atteindre l'âge adulte. C'est ainsi qu'il nous faut regarder l'adoption, car c'est là, et nulle part ailleurs, que réside l'intérêt de l'enfant privé de famille.
Cela implique bien évidemment une coopération aussi harmonieuse que possible entre les Etats, personne ne dira le contraire. Mais ne perdons pas de vue que ces enfants venus d'ailleurs vont, comme il est dit si justement dans le rapport de notre excellent collègue Nicolas About, « être logiquement conduits à vivre avec leurs parents adoptifs selon les lois qui les régissent ». Cela ne devrait-il pas nous amener à réfléchir plus avant aux dispositions que l'on nous soumet ?
Deux points méritent à tout le moins une clarification. Une chose est, en effet, de proposer un bel ordonnancement, de nous inviter à régler « par le haut » les conflits de lois. Encore faut-il savoir si le texte proposé répond à toutes les situations et s'il règle bien tous les problèmes auxquels nous pourrions être confrontés.
A ce stade, il me semble important d'attirer l'attention du Gouvernement sur les conséquences des mesures envisagées vis-à-vis de certains pays non encore signataires de la convention de La Haye.
Ne faut-il pas en effet reconsidérer cette « interdiction » ou « prohibition de l'adoption » - dont il nous est précisé « qu'elle ne concerne que les mineurs » ! -, principe qui revient à de nombreuses reprises comme un couperet dans le rapport de notre collègue Nicolas About, s'agissant des enfants de pays de droit coranique, ici gravement discriminés ?
Le silence de nos textes n'était pas sans avantage : la souplesse de la jurisprudence de la Cour de cassation avait, jusqu'ici, permis de résoudre certaines situations dans l'intérêt des enfants concernés, essentiellement originaires du Maroc ou d'Algérie : je pense à l'arrêt Lenoir...
Verrouiller désormais toute possibilité d'être adoptés pour des enfants dits « de statut personnel prohibitif » - puisque c'est ainsi que le rapport les désigne, comme s'ils étaient, et j'emploie la formule au risque qu'elle vous paraisse excessive, condamnés à l'indifférence et à l'oubli - apparaîtra comme admettre un abandon plus grave encore que celui de leurs « progéniteurs ». Il sera, en effet, vécu comme l'abandon par une communauté, la nôtre, qui, connaissant cette réalité, n'aura rien fait pour rechercher toutes les solutions, au seul motif que « cette prohibition n'était pas contraire à l'ordre public français » !
Mes chers collègues, peut-on rester insensible à la tonalité trop évidente de tels arguments ? Un jour ou l'autre, n'en doutons pas, c'est à ces enfants oubliés que nous aurons à rendre des comptes, car, tout en sachant qu'ils attendaient une famille, qu'il existait pour eux des solutions, qu'il y avait en France des parents pour les accueillir, nous leur aurons fermé notre porte... Ce jour-là, nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !
Combien de temps encore un Etat laïc comme le nôtre pourra-t-il continuer de mettre en avant le droit coranique, au détriment des droits des enfants maghrébins abandonnés, susceptibles de trouver une famille dans notre pays ? Nous ne pouvons ni ne devons ignorer que ces enfants, bien souvent nés de relations adultérines ou de maternités adolescentes dans des pays qui ne reconnaissent aucun droit aux femmes, sont considérés - pardonnez le terme, mais c'est le plus juste - comme des « bâtards » par ces mêmes Etats qui les laissent croupir dans des mouroirs, sans aucun espoir d'un quelconque avenir. Nous ne pouvons ni ne devons ignorer que celles qui les ont mis au monde n'ont pas eu d'autre choix que celui de les abandonner, menacées qu'elles étaient d'être répudiées, maltraitées, frappées d'infamie, mises au ban de la famille et de la société...
Nous nous trouvons donc aujourd'hui devant une responsabilité particulièrement grave : ou bien nous continuons de faire primer, en matière d'adoption, une loi religieuse - je pense à la sourate 33 du Coran, intitulée « Les Coalisés » - qui devrait continuer de s'appliquer au-delà des frontières, refusant du même coup à des enfants les droits les plus essentiels de la personne humaine, ainsi que la sécurité juridique dont jouissent les autres enfants adoptés sur le sol français ; ou bien nous inventons pour ces enfants-là, comme nous l'avons fait en d'autres temps pour des populations gravement menacées, ce que j'appellerai, à mon tour, le devoir d'ingérence qui nous amènerait à faire prévaloir enfin leur droit à grandir au sein d'une famille prête à les aimer.
Une autre modification me préoccupe, également apportée au texte de la proposition de loi initiale : il s'agit, dans le droit-fil de ce qui vient d'être évoqué, de « l'interdiction d'adopter pour les personnes dont la loi nationale prohibe cette institution ». Je n'ignore pas la position du Gouvernement, notamment dans le cadre des relations diplomatiques avec des pays amis, très proches de nous par l'histoire comme par la géographie. Mais il est à craindre que ce qui est proposé ne permette pas à ces personnes résidant régulièrement en France de pouvoir adopter un enfant.
Tant qu'il y aura, de par le monde, des enfants délaissés et des parents potentiels pour les accueillir, il faudra élargir le cadre de l'adoption et non, comme cela semble être la tendance depuis quelque temps, et jusque dans le rapport présenté ici, chercher à le restreindre ou à l'entraver. Gardons-nous des arrière-pensées xénophobes qui pourraient bien inspirer une politique de l'adoption résolument élitiste, voire discriminatoire. On rangerait alors, d'un côté, les bons pays, les pays conventionnés, proposant une adoption aseptisée, garantie à tous égards et, d'un autre, les mauvais, les pays hors conventions, ceux auprès desquels on ne tenterait plus rien, abandonnant à leur sort des centaines, voire des milliers d'enfants, condamnés à ne pas être aimés, à souffrir en silence et peut-être à mourir, puisque ni leurs pays ni le nôtre n'auraient cherché pour eux les solutions qui s'imposaient, et cela au nom du respect des règles internationales !
Si l'enfant n'était pas au coeur de nos préoccupations, madame la ministre, mes chers collègues, à quoi bon légiférer ? Le respect des Etats en matière de coopération internationale ne doit pas nous faire perdre de vue que l'adoption d'enfants, d'ici ou d'ailleurs, comme tout ce qui touche à la solidarité humaine, est un principe universel que notre société ne saurait remettre en question. J'ai bien peur qu'à trop vouloir la contrôler, la limiter et la soumettre à de nombreuses conditions, une condamnation pure et simple de l'adoption internationale ne se profile partout où cela est encore possible.
Alors, mes chers collègues, avant de nous prononcer, d'inscrire nos noms au bas de certains interdits, je vous propose de ramener l'enfant au coeur de ce débat, car c'est d'abord de lui qu'il s'agit.
Mes chers collègues, il faut nous rendre à l'évidence : l'enfant qui n'a plus personne pour l'aimer, pour le regarder vivre, pour s'inquiéter de lui et de son avenir a-t-il encore une place dans notre monde ? N'avoir sa place dans aucun coeur, dans aucune mémoire, voilà bien ce qui fonde le déracinement.
Au contraire, l'adoption est un terreau, dans lequel les racines de l'enfant, coupées par l'abandon, se reconstituent, se remettent à pousser, grâce à cette place retrouvée dans le monde qui l'entoure : celle d'un être inconditionnellement aimé par des parents, une famille élargie, une communauté de proches et d'amis, qui l'ont attendu longtemps sans rien savoir de lui et pour qui, désormais, il va compter.
Dans la France des droits de l'homme, signataire de la convention des droits de l'enfant, il m'apparaît bien clairement que c'est l'intérêt de l'enfant qui doit primer sur tout le reste, avant le confort des Etats. C'est le droit qui doit être au service de l'homme et non l'inverse. Puissions-nous nous en souvenir lorsque nous aurons à nous prononcer définitivement sur ce texte, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale !
Madame la ministre, pour conclure mon propos, permettez-moi, au nom de l'estime et de l'amitié qui nous lient, de vous dire ceci : rien de ce qui est humain ne vous est étranger. Nous le savons, vous le démontrez chaque jour. L'occasion nous est offerte à nous, législateur, et à vous, membre du Gouvernement, de faire un pas supplémentaire pour accueillir le plus grand nombre possible d'enfants. Ils nous regardent, sans s'exprimer. Seulement, à travers le regard, ils nous disent qu'ils attendent beaucoup de nous, beaucoup de la France. Alors, tout ce qui pourra être fait dans ce sens, faisons-le ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vient de le dire mon ami Guy Allouche, c'est un sujet bien complexe que celui dont nous débattons aujourd'hui : l'adoption internationale constitue en effet un de ces problèmes qu'il convient d'aborder avec prudence tant il est incompatible avec les solutions toutes faites.
L'adoption internationale se trouve en effet à l'intersection de multiples champs : confrontation de l'affectif aux rigueurs du droit, enchevêtrement des relations privées et du droit, diversité des règles applicables - qu'elles soient morales, religieuses ou juridiques - qui rendent difficiles les prises de position et l'établissement de règles acceptables par tous et pour tous.
Le législateur de 1996, chacun s'en souvient, avait fini par renoncer à prendre position en renvoyant aux tribunaux le soin de régler la question. On espérait alors que la convention de La Haye de 1993 apporterait une réponse suffisante.
A peine cinq ans plus tard, force est de constater que la situation ne s'est guère éclaircie, bien au contraire : comme l'a dit le rapporteur, le développement de l'adoption d'enfants à l'étranger - plus de 3 000 par an -, la persistance des adoptions hors cadre conventionnel rendent aujourd'hui indispensable la mise en place de règles claires en la matière.
La fluctuation de la jurisprudence relative aux adoptions internationales et la brutalité des règles posées par la circulaire de 1999 n'offrent pas de solution satisfaisante et aboutissent à des inégalités de traitement des situations individuelles : le silence du code civil prend ainsi des allures de « trou noir » du droit face à la cacophonie de la jurisprudence.
On ne peut donc qu'approuver l'initiative prise par Jean-François Mattei de déposer une proposition de loi qui tend à poser des règles de conflit de lois en matière d'adoption internationale. Elle devrait permettre de mettre fin à une insécurité juridique lourde de conséquences, en particulier pour les enfants eux-mêmes, alors que l'adoption n'a pas tant pour objet de « donner un enfant à des parents que de donner des parents à un enfant ».
On peut ainsi espérer que l'adoption d'une loi redonne cohérence et clarté à un système peu compréhensible par le justiciable : la création d'un chapitre spécifique dans le code civil, consacré au « conflit des lois relatives à la filiation adoptive » et, si le texte proposé par notre rapporteur est adopté, à « l'effet en France des adoptions prononcées à l'étranger » montre la volonté du législateur de ne plus tergiverser en la matière et de poser des règles claires destinées avant tout à sauvegarder l'intérêt de l'enfant.
On comprend dès lors la satisfaction - pour ne pas dire le soulagement - des familles adoptives de voir le débat se poursuivre aujourd'hui.
Cette satisfaction, je la partage d'autant plus que les débats à l'Assemblée nationale et ceux qui se déroulent montrent la volonté de tous d'aboutir au système le plus satisfaisant possible. Ainsi, les divergences d'appréciation me semblent moindres en regard des points d'accord qui se sont dégagés. A cet égard, je voudrais, moi aussi, saluer la qualité et la sensibilité du travail de notre rapporteur, Nicolas About.
Je suis en effet d'accord, comme mon groupe, pour rejeter toute lecture « impérialiste » du droit français - j'aurais même tendance à parler de lecture parfois « colonialiste » - qui postulerait la supériorité du droit français sur les autres systèmes juridiques, jugés par nature moins favorables à l'enfant.
Ce rejet conduit logiquement à poser le principe de non-adoptabilité de l'enfant dont la loi personnelle prohibe l'adoption ; il s'illustre également dans la volonté de ne pas imposer systématiquement une adoption plénière, en renforçant la qualité du consentement requis pour qu'une telle adoption, qui conduit à une rupture totale avec la filiation d'origine, puisse être prononcée en France.
Sur ce point, les précisions apportées par la commission des lois, qui font porter expressément le consentement du représentant légal de l'adopté sur le caractère irrévocable de la rupture du lien de filiation, nous paraissent bienvenues.
Nous sommes également d'accord pour faire de l'intérêt supérieur de l'enfant le principe conducteur de la législation. Nous sommes aiguillés en cela par les conventions internationales ratifiées par la France.
C'est au regard de ce principe que nous partageons la position de la commission des lois qui limite le principe de l'application de la loi personnelle de l'enfant lorsque celui-ci a vocation à devenir Français : tel est le cas des enfants nés et résidant en France.
Les sénateurs de mon groupe souhaitent cependant pousser plus loin la logique, en s'attachant plus précisément au cas des enfants abandonnés en France. Nous proposons, par un amendement, d'accorder automatiquement la nationalité française aux mineurs étrangers qui ont le statut de pupille de l'Etat.
A tout le moins, il semble indispensable de le rendre immédiatement adoptable, dès lors qu'il a, comme l'enfant né en France, vocation à devenir Français.
Nous donnons notre accord, enfin, pour que la moralisation de l'adoption internationale reste un de nos principaux soucis.
La convention des droits de l'enfant et surtout la convention de La Haye de 1993, en instituant une autorité centrale garante de la régularité de la procédure et en proscrivant les démarches individuelles, ont mis en place un système destiné à lutter contre les trafics d'enfants.
Dire que ce trafic - le mot nous fait sans doute horreur, mais il décrit la réalité - existe, ce n'est pas mettre en cause la responsabilité et encore moins la sincérité des familles adoptives. C'est ne pas se voiler la face et insister sur l'importance de la lutte internationale en ce domaine. La discussion du projet de loi portant ratification de la convention de l'OIT relative aux pires formes de travail des enfants est venue opportunément nous le rappeler. Dans le même sens, la recommandation du Conseil de l'Europe du 26 janvier 2000 attirait à nouveau notre attention sur les dérives mercantiles de l'adoption internationale.
La volonté d'agir fermement en vue d'une moralisation et de la lutte contre le trafic d'enfants était un des objets de la circulaire de Mme Guigou, dont nul ne contestait d'ailleurs la légitimité. Ce qui a été contesté, en effet, c'est plutôt la manière dont elle entendait mener cette lutte, en faisant peser, de façon injuste, sur les parents adoptants la suspicion et la sanction par le refus d'adoption ; les parents ne peuvent évidemment être suspectés dans cette situation.
J'en viens maintenant à ce qui continue, pour nous, de poser un problème : la question de la loi applicable aux conditions d'adoption. La majorité de la commission des lois nous propose un système qui consiste à dissocier conditions et effets de l'adoption : alors que les effets de l'adoption relèveraient du droit français, la détermination des conditions applicables à l'adoption se ferait par application de la loi nationale de l'adoptant, et non plus selon la loi française, comme l'avait décidé l'Assemblée nationale.
Ce faisant, la commission des lois nous propose de légaliser la jurisprudence Torlet posée par la Cour de cassation en 1984, et d'ailleurs reprise par la circulaire de 1999. Elle y apporte cependant une précision utile consistant à poser la règle selon laquelle, lorsque les deux époux sont de nationalité différente, la loi applicable aux conditions d'adoption est celle qui régit leur mariage, sauf si la loi personnelle des deux époux prohibe l'adoption.
Cette précision permet de résoudre une incohérence dans le droit actuel qui fait qu'un couple de Marocains ne peut adopter, alors qu'un couple algéro-marocain, malgré des lois personnelles défavorables, le peut par application de la loi commune des époux.
Le système préconisé par la commission des lois a ainsi une certaine logique. Néanmoins, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen vous proposent un texte transactionnel qui appliquerait, pour les conditions requises à l'adoption, la loi de l'Etat dans lequel le ou les adoptants ont leur résidence habituelle.
Un tel système présenterait, selon nous, un double avantage de simplification et d'intégration. Simplification, parce qu'est posée ici une règle de conflit unique qui permet de résoudre la question de la nationalité différente du couple d'adoption, sans cumuler les exceptions. Elle constitue également un véritable facteur d'intégration de la famille sur le territoire, ce qui est loin d'être négligeable. Elle circonscrit, en outre, l'applicabilité du droit français au territoire de la République.
Je veux, enfin, insister sur le fait que nous ne parviendrons jamais à un système idéal qui prenne en compte l'intérêt de tous les acteurs ou qui dégage une solution entièrement satisfaisante pour les ordres juridiques que l'adoption internationale met en rapport, voire en conflit.
Cette difficulté intrinsèque doit nous encourager à oeuvrer dans le sens de la signature de conventions bilatérales. Cette démarche paraît d'autant plus souhaitable que, si la convention de La Haye devait devenir un système unique de référence, cet objectif idéal n'est pas envisageable, à court terme du moins.
L'exemple de l'adoption d'enfants en provenance du Viêtnam nous montre, comme certains orateurs l'ont souligné, que la résolution des conflits passe nécessairement par la coopération entre les Etats, indispensable au regard tant de l'ojectif de moralisation que de la défense des droits de l'enfant. L'entrée en vigueur de la convention du 1er février 2000 constitue, selon nous, un signe très positif, et il faut persister dans cette voie.
La proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui nous montre les limites de l'exercice : si importante et urgente soit-elle, l'institution d'une règle de conflit de lois en matière d'adoption internationale aurait mérité d'être appréhendée dans le cadre d'une réflexion globale sur la réforme du droit de la famille. Et je n'édicte pas de priorité en la matière.
En effet, il me semble que les difficultés de l'adoption internationale proviennent, au moins en partie, des caractéristiques de notre système d'adoption, qui fait l'objet de critiques persistantes. Et il n'est pas étonnant que le problème soit évoqué via l'adoption internationale, qui représente aujourd'hui les deux tiers de l'adoption en France.
Ainsi, les problèmes rencontrés dans le cadre de l'adoption internationale ne seraient-ils pas moins importants si l'adoption plénière laissait partiellement ouvert le droit aux origines en n'occultant pas complètement, par exemple, l'état civil d'origine ou si l'adoption simple permettait la transmission de la nationalité ?
Cette question ne peut pas ne pas nous conduire à une réflexion d'ensemble sur les logiques de la filiation et le droit aux origines, réflexion qui dépasse le seul cas de l'adoption internationale : l'adoption plénière « nationale », l'accouchement sous X posent le même type d'interrogations, et il est fort dommageable qu'on les aborde de façon morcelée.
C'est sur cette nuance que je terminerai ici mon intervention en souhaitant, madame la ministre, que vous renouveliez ici l'attachement du Gouvernement à voir se poursuivre une réforme effective et approfondie du droit de la famille.
En attendant, nous prendrons cette proposition de loi pour ce qu'elle est : une étape dans la nécessaire réflexion et une disposition importante pour les familles adoptives, auxquelles elles procurera la sécurité juridique qu'elles sont en droit d'attendre.
C'est la raison pour laquelle nous voterons la proposition de loi, en espérant que les modifications proposées par le groupe communiste républicain et citoyen recevront ici un accueil positif. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Fauchon, vice-président de la commission des lois, applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Brisepierre.
Mme Paulette Brisepierre. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis maintenant quelques décennies, l'adoption internationale connaît une constante augmentation. En effet, on estime à environ 3 000 les enfants nés à l'étranger adoptés chaque année par des Français.
Pour encadrer ces procédures d'adoption, lutter efficacement contre le trafic d'enfants et garantir un véritable respect des droits de l'enfant, la communauté internationale a posé un certain nombre de principes, élaboré et mis en oeuvre des procédures et énoncé des recommandations.
Ainsi, la convention de La Haye du 29 mars 1993, ratifiée par la France en 1998, institue entre les pays signataires un système de coopération ainsi qu'une reconnaissance mutuelle des décisions prononcées dans chacun de ces Etats.
Par conséquent, pour tous les Etats signataires, les procédures se sont trouvées clarifiées et les droits de l'enfant garantis.
Cependant, il convient de souligner l'importance du nombre d'adoptions réalisées hors du cadre établi par les conventions internationales, qui représentent aujourd'hui plus des trois quarts des adoptions.
Dans ces cas, quelle loi doit-on appliquer ? Celle du pays de l'adoptant ou celle du pays de l'adopté ? Dans quelle mesure une adoption simple prononcée dans le pays d'origine peut-elle être convertie en adoption plénière ? Enfin, l'adoption d'un enfant dont le statut personnel prohibe cette institution, comme c'est le cas dans les pays de droit coranique, est-elle possible ?
Ces conflits de lois, en l'absence de législation nationale, sont tranchés par une jurisprudence erratique, qu'est venue encore compliquer une circulaire ministérielle du 16 février 1999. Il était donc devenu primordial de procurer un cadre et une stabilité juridiques aux parents et à leurs enfants adoptés : c'est le coeur de cette proposition de loi.
En effet, le texte que nous examinons aujourd'hui vise à régler les conflits de lois inhérents à l'adoption internationale.
Dans un premier temps, il permet que les décisions d'adoption obtenues à l'étranger soient valables de plein droit en France et que les familles puissent recourir à la conversion d'une adoption simple en adoption plénière, ce qui répond au souhait de l'ensemble des familles.
Dans un second temps, il rend impossible l'adoption d'enfants dont le statut personnel prohibe cette institution, comme c'est le cas dans les pays de droit coranique. De plus, il applique la loi française aux conditions et aux effets de l'adoption prononcée en France. Sur ce point, quelques modifications seront proposées par M. le rapporteur, qui permettront de compléter ce dispositif et de réduire le risque d'adoptions « bancales ».
Ce texte, complété donc par les propositions de M. le rapporteur, dont je salue ici l'excellent travail, apporte de véritables réponses à des situations souvent inextricables et dramatiques et garantit pleinement les droits de l'enfant ; c'est pourquoi le groupe du Rassemblement pour la République le votera.
Pour conclure, je souhaiterais simplement saluer l'initiative de l'opposition nationale et de Jean-François Mattei, qui a, par sa proposition de loi, réussi à réunir un large consensus, dépassant les clivages politiques, et mis l'accent sur la nécessité d'une réforme d'ensemble du droit de la famille. Cette réforme, affichée comme une priorité par votre prédécesseur, madame la garde des sceaux, fut promise et reportée à de multiples reprises. Par conséquent, je vous pose tout naturellement la question : quand comptez-vous l'inscrire à l'ordre du jour ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Emmanuel Hamel. Très bonne question !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er A



M. le président.
« Art. 1er A. - Le titre VIII du livre Ier du code civil est complété par un chapitre III intitulé : "Du conflit des lois relatives à la filiation adoptive". »
Par amendement n° 1, M. About, au nom de la commission, propose de compléter in fine cet article par les mots : « et de l'effet en France des adoptions prononcées à l'étranger ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de précision visant simplement à compléter la rédaction d'un titre qui avait été adoptée à l'Assemblée nationale et de préciser que le texte porte aussi sur l'effet en France des adoptions prononcées à l'étranger.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er A, ainsi modifié.

(L'article 1er A est adopté.)

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - Dans le chapitre III du titre VIII du livre Ier du code civil, il est inséré un article 370-3 ainsi rédigé :
« Art. 370-3 . - L'adoption régulièrement prononcée dans le pays d'origine de l'adopté produit les effets prévus par la loi française pour l'adoption plénière ou l'adoption simple lorsque l'adoptant est de nationalité française ou réside habituellement en France.
« Lorsque l'adoption prononcée dans le pays d'origine de l'adopté n'a pas pour effet de rompre le lien préexistant de filiation, celle-ci peut être convertie en adoption plénière si les consentements requis ont été donnés expressément en connaissance de cause de ses effets.
« Le prononcé de l'adoption en France d'un mineur, dont la loi personnelle reconnaît l'adoption, requiert le consentement du représentant légal de l'enfant. Le consentement doit être libre, obtenu sans aucune contrepartie, après la naissance de l'enfant et éclairé sur les conséquences de l'adoption, en particulier s'il est donné en vue d'une adoption plénière.
« La loi française s'applique aux conditions et aux effets de l'adoption si la législation du pays d'origine n'y fait pas obstacle. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 2, M. About, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet article :
« Dans le chapitre III du titre VIII du livre Ier du code civil, sont insérés les articles 370-3 à 370-5 ainsi rédigés :
« Art. 370-3. - Les conditions de l'adoption sont soumises à la loi nationale de l'adoptant ou, en cas d'adoption par deux époux, par la loi qui régit les effets de leur union. L'adoption ne peut toutefois être prononcée si la loi nationale de l'un et l'autre époux la prohibe.
« L'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France.
« Quelle que soit la loi applicable, l'adoption requiert le consentement du représentant légal de l'enfant. Le consentement doit être libre, obtenu sans aucune contrepartie, après la naissance de l'enfant et éclairé sur les conséquences de l'adoption, en particulier, s'il est donné en vue d'une adoption plénière, sur le caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant.
« Art. 370-4. - Les effets de l'adoption prononcée en France sont ceux de la loi française.
« Art. 370-5. - L'adoption régulièrement prononcée à l'étranger produit en France les effets de l'adoption plénière si elle rompt de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant. A défaut, elle produit les effets de l'adoption simple. Elle peut être convertie en adoption plénière si les consentements requis ont été donnés expressément en connaissance de cause. »
Par amendement n° 6, Mme Borvo et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit le texte présenté par l'article 1er pour l'article 370-3 du code civil :
« Art. 370-3. - Les conditions de l'adoption sont régies par la loi de l'Etat où l'adoptant à sa résidence habituelle.
« L'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né ou réside habituellement en France.
« Quelle que soit la loi applicable, l'adoption requiert le consentement du représentant légal de l'enfant. Le consentement doit être libre, obtenu sans aucune contrepartie, après la naissance de l'enfant et éclairé sur les conséquences de l'adoption, en particulier, s'il est donné en vue d'une adoption plénière, sur le caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant.
« Les effets de l'adoption prononcée en France sont ceux de la loi française. »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 2.
M. Nicolas About, rapporteur. Comme je m'en suis expliqué tout à l'heure dans mon intervention liminaire, il s'agit ici de réécrire l'article 370-3 du code civil, pour le présenter sous la forme de trois articles séparés.
Sur le fond, cette rédaction vise donc à soumettre les conditions de l'adoption prononcée en France à la loi nationale de l'adoptant, et non à la loi française dans tous les cas, et prévoit le cas de l'adoption par deux époux.
En effet, il est apparu que la résidence pouvait fluctuer et qu'il ne convenait pas, dans l'intérêt de l'enfant, de permettre une adoption qui risquerait de ne pas être reconnue dans le pays d'origine d'adoptants étrangers.
Les effets de l'adoption sont, en revanche, comme dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, soumis à la loi française dans tous les cas, de façon que ne coexistent pas en France une multitude de statuts différents. Notre rédaction prévoit de soumettre les effets en France de l'adoption à la loi française dans tous les cas.
En outre, elle affirme nettement l'interdiction de l'adoption d'un mineur étranger dont la loi personnelle prohibe cette institution, mais prévoit une exception pour les mineurs nés en France et y résidant.
Enfin, elle précise que l'adoption plénière est marquée par le caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant et que le consentement à l'adoption plénière doit être donné en connaissance de cause. C'est non l'adoption elle-même qui doit être irrévocable dans le pays d'origine, mais la rupture du lien de filiation.
Sur la forme, il est donc apparu préférable de scinder l'article 370-3 du code civil en plusieurs articles, pour en améliorer la lisibilité : le nouvel article 370-3 traite des conditions du prononcé de l'adoption en France, l'article 370-4 concerne les effets de l'adoption prononcée en France et l'article 370-5 aborde les effets en France de l'adoption prononcée à l'étranger.
M. le président. La parole est à Mme Borvo, pour défendre l'amendement n° 6.
Mme Nicole Borvo. Je me suis, moi aussi, déjà expliquée lors de la discussion générale. C'est évidemment une conception différente que j'énonce en proposant que les conditions de l'adoption soient celles que prévoit la loi de l'Etat dans lequel le ou les adoptants ont leur résidence habituelle.
Notre rédaction permettrait, me semble-t-il, de résoudre simplement la question qui se pose lorsque les deux époux adoptants sont de nationalités différentes.
A l'inverse, l'application de la loi du pays de l'adoptant, solution que défend la commission, aboutit à refuser le droit d'adoption aux intéressés si leur loi nationale prohibe cette institution, ce qui semble particulièrement injuste dans certains cas.
Prenons ainsi l'exemple d'un couple d'Algériens vivant en France depuis de nombreuses années et ne pouvant avoir d'enfant. Si la loi du pays de l'adoptant est appliquée, ils ne pourront pas adopter, la loi algérienne l'interdisant. La seule possibilité qui leur est alors laissée est de demander, dans leur pays, une kafala , ce qui équivaut à une délégation d'autorité parentale. Cependant, il ne leur sera pas possible de faire venir l'enfant en France puisque les procédures de regroupement familial ne reconnaissent pas ce type d'institution !
M. Nicolas About, rapporteur. Si !
Mme Nicole Borvo. On nous répond que, s'ils ont envie d'adopter un enfant, ils n'ont qu'à demander à devenir Français ! Je ne peux pas souscrire à un tel raisonnement, qui lie demande de nationalité et volonté d'adopter. Cela aboutit en effet à créer une discrimination entre les étrangers intégrés en France et y vivant régulièrement selon qu'ils peuvent fonder « naturellement » une famille, auquel cas ils peuvent conserver leur nationalité, ou qu'ils ne le peuvent pas mais souhaitent néanmoins fonder une famille en adoptant un enfant. Imposer à ces derniers de demander la nationalité française, qu'ils ne sont d'ailleurs pas certains d'obtenir, est discriminatoire.
Certes, j'ai conscience qu'une telle solution laisse subsister le problème de l'acceptation de la situation d'adoption par le pays d'origine de l'adoptant au cas où celui-ci irait y séjourner. Néanmoins, outre le fait que l'adoptant n'a pas forcément vocation à revenir dans son pays, il n'existe pas de règle idéale qui permette d'englober l'ensemble des situations. C'est pourquoi j'insiste à nouveau sur la nécessité de négociations bilatérales pour prévenir les conflits.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 6 ?
M. Nicolas About, rapporteur. Sur le fond, la commission a estimé qu'il était plus protecteur pour l'enfant d'appliquer la loi nationale de l'adoptant. C'est en effet le seul moyen d'éviter le prononcé d'adoption qui ne seraient pas reconnues dans le pays d'origine des parents si ceux-ci décidaient d'y retourner. Or, par définition, s'ils sont originaires d'un pays étranger, ils y retourneront un jour ou l'autre. S'ils veulent tout de même adopter un enfant, ils ont la possibilité, s'ils sont résidents de longue durée, de demander la nationalité française, ce qui leur ouvre sans aucun problème le droit à l'adoption.
En tout état de cause, l'amendement n° 6 est incompatible avec celui de la commission des lois. En effet, celui-ci réécrit tout l'article 1er, alors que l'amendement présenté par Mme Borvo ne traite pas des effets de l'adoption prononcée à l'étranger. Il est donc incomplet et, sur le fond, il ne correspond pas à la position arrêtée par la commission.
Je me permettrai également de dire à Mme Borvo que, en ce qui concerne le cas de l'Algérie, l'exemple était peut-être mal choisi. En effet, la kafala est une solution possible et l'on peut alors obtenir un visa afin que l'enfant puisse venir en France, car un accord existe avec l'Algérie - ce n'est pas le cas avec le Maroc - dans l'optique du regroupement familial.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 2 et 6 ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis favorable sur l'amendement n° 2.
En effet, sur la forme, cet amendement vise à restructurer le dispositif élaboré en trois articles, qui distinguent désormais clairement la loi applicable aux conditions de l'adoption de celle qui est applicable à ses effets et de l'efficacité en France des décisions étrangères d'adoption.
Sur le fond, l'amendement n° 2 reprend plus nettement la solution énoncée par l'Assemblée nationale concernant l'interdiction d'adopter des enfants de statut personnel prohibitif - solution qui est pleinement en harmonie avec nos engagements internationaux - tout en y apportant cependant des tempéraments qui ne sont pas contestables. Il n'est pas choquant, en effet, de permettre l'adoption de ces enfants lorsqu'ils ont un lien particulièrement étroit avec notre pays.
Cet amendement complète par ailleurs les exigences relatives à la teneur du consentement nécessaire à l'adoption plénière, en prévoyant qu'il doit porter sur le caractère complet et irrévocable - j'y insiste - de la rupture du lien de filiation. Cette précision est très utile, car elle est de nature à garantir que le représentant légal de l'enfant consent à l'adoption en pleine connaissance de cause.
L'amendement n° 2 prévoit de soumettre désormais les conditions de l'adoption à la loi nationale de l'adoptant et non plus à la seule loi française, ce qui est conforme à la jurisprudence et à la logique des règles de conflit en matière d'état des personnes.
Enfin, cet amendement tend à soumettre les effets de l'adoption prononcée en France à la loi française, dans le souci de ne pas multiplier les régimes d'adoption applicables en France.
Sur ce dernier point, il est toutefois possible de s'interroger sur l'opportunité d'abandonner la condition de nationalité française ou de résidence habituelle de l'adoptant en France qui figurait dans le texte adopté par l'Assemblée nationale. Toutes les implications de la suppression de cette condition méritent certainement d'être pleinement mesurées : ainsi, est-il vraiment souhaitable qu'un couple américain, qui adopterait, lors d'un séjour à titre professionnel en France, un enfant roumain, voie la situation de cet enfant toujours régie par la loi française, même après son retour aux Etats-Unis ?
M. Nicolas About, rapporteur. Seulement pour les effets en France !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. La suite du travail parlementaire permettra, je n'en doute pas, d'approfondir ce débat. Je suis donc favorable à l'amendement n° 2.
En ce qui concerne l'amendement n° 6, présenté par Mme Borvo, je comprends les motivations de ses auteurs, mais je pense que, sur le plan technique, il nous est impossible de l'accepter.
En effet, il vise à soumettre les conditions de l'adoption à la loi du pays de résidence de l'adoptant. Or la loi du statut personnel de l'adoptant, qui a vocation à s'appliquer, est, conformément au droit international privé tel qu'appliqué de façon constante par la jurisprudence, la loi nationale de l'intéressé. Celle-ci traduit en effet un rattachement plus étroit et plus stable, donc plus satisfaisant, que la résidence.
Par ailleurs, après avoir prévu que le mineur dont le statut personnel prohibe l'adoption ne peut pas être adopté en application de la loi française, il soustrait à cette règle le mineur qui est né en France ou qui y réside. Ces critères pris alternativement et non cumulativement ne permettent pas d'établir un rattachement suffisamment étroit à la France, soit de nature à justifier l'exception à cette règle, laquelle pourrait être aisément contournée. J'imagine que tout le monde entrevoit comment...
Enfin, il ne reprend pas les dispositions, pourtant essentielles, figurant aux premier et deuxième alinéas de l'article 370-3 tel qu'adopté par l'Assemblée nationale et concernant les effets des décisions prononcées à l'étranger.
J'aurais donc souhaité, madame Borvo, que vous retiriez cet amendement, car il nous est impossible de l'accepter, même si nous comprenons parfaitement les motivations que vous avez énoncées au nom de votre groupe.
M. le président. Madame Borvo, l'amendement n° 6 est-il maintenu ?...
Mme Nicole Borvo. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 6 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 1er est ainsi rédigé.

Articles additionnels après l'article 1er



M. le président.
Par amendement n° 3, M. About, au nom de la commission, propose d'insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 370-3 du code civil s'appliquent aux procédures engagées à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About, rapporteur. Cet amendement a trait aux dispositions transitoires. Son objet est de rendre applicable l'interdiction du prononcé de l'adoption plénière d'un mineur dont la loi personnelle prohibe cette institution aux seules instances engagées après l'entrée en vigueur de la loi. Les juges garderont donc, comme à l'heure actuelle, toute latitude s'agissant des instances engagées avant l'entrée en vigueur de la loi.
M. Guy Allouche. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. L'exposé est très clair et le Gouvernement est favorable à cet amendement. Cela montre d'ailleurs la souplesse de la loi. J'ajoute simplement qu'il importe de laisser toute la latitude aux juridictions pour se prononcer sur les situations constituées antérieurement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 1er.
Par amendement n° 7, Mme Borvo et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le premier alinéa de l'article L. 224-4 du code de l'action sociale et des familles est complété par les mots : "et acquièrent la nationalité française s'ils ne la possèdent pas". »
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Avec cet amendement, notre groupe propose d'accorder la nationalité française aux pupilles de l'Etat qui ne la possèdent pas.
Cette disposition, que nous avions déjà proposée lors de la discussion de la loi de 1996 réformant les procédures d'adoption, mettrait fin à une discrimination injustifiée entre les pupilles de l'Etat, selon qu'ils sont ou non de nationalité française.
Au regard du sujet qui nous intéresse, l'octroi automatique de la nationalité française aux pupilles de l'Etat permettra de résoudre les problèmes résultant de l'impossibilité d'adopter immédiatement des enfants abandonnés et confiés à l'aide sociale lorsque leur loi d'origine fait obstacle à l'adoption ou même quand elle fait obstacle à une adoption plénière.
Je précise que cet amendement s'insère parfaitement dans la logique retenue par la commission des lois, qui tend à rendre adoptable tout enfant étranger dès lors qu'il a vocation à devenir français. C'est, dans cette optique que vous venez d'adopter, mes chers collègues, une disposition permettant de passer outre la loi personnelle de l'enfant prohibant l'adoption, lorsque celui-ci est né et réside en France.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Nicolas About, rapporteur. Cet amendement a pour objet d'accorder de manière automatique la nationalité française aux pupilles de l'Etat.
Les pupilles de l'Etat dont la filiation est inconnue sont français, en application de l'article 19 du code civil. Ceux dont la filiation est connue peuvent acquérir la nationalité française par déclaration en tant qu'enfants confiés au service de l'aide sociale à l'enfance, en application de l'article 21-12 du code civil.
Il peut sembler logique d'accorder la nationalité française à des enfants dont l'éducation est placée sous l'autorité de l'Etat et de gommer ainsi l'inégalité qui existe entre les pupilles dont la filiation est connue et ceux qui n'ont pas de filiation. Mais on peut être réservé sur la création d'un cas supplémentaire d'acquisition automatique de la nationalité française pour gagner les quelques mois nécessaires à l'acquisition de la nationalité française par déclaration.
La commission, toujours réservée sur de nouveaux cas d'automaticité, a donc décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat, en attendant que celui-ci soit éclairé par l'avis de Mme le garde des sceaux.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je vais m'efforcer d'éclairer M. le rapporteur et le Sénat tout entier...
Madame Borvo, comme vous l'avez dit, cet amendement vise à instaurer un nouveau cas d'acquisition de plein droit de la nationalité française pour les enfants admis en qualité de pupilles de l'Etat.
La tradition très ouverte du droit français de la nationalité ne prévoit actuellement l'acquisition de plein droit de la nationalité française que lorsque se trouvent réunies des présomptions suffisantes d'intégration de la personne concernée dans la communauté française.
C'est le cas des enfants mineurs dont le parent acquiert la nationalité française, dès lors que l'enfant réside habituellement avec le parent devenu français. C'est l'article 22-1 du code civil.
C'est également le cas, restauré par la loi du 16 mars 1998 relative à la nationalité, de l'acquisition de la nationalité française à majorité par naissance et résidence en France, et qui concerne tous les jeunes nés en France à compter du 1er septembre 1980 de parents étrangers nés à l'étranger. Dès lors qu'ils justifient d'une résidence en France de cinq années entre onze et dix-huit ans, ils acquièrent automatiquement la nationalité française à leur majorité.
La nationalité française est également attribuée de plein droit à l'enfant adopté en la forme plénière par un Français. C'est l'article 20 du code civil.
Lorsque les liens avec la communauté française sont moins marqués, mais sont susceptibles de se développer, il est prévu divers modes d'acquisition de la nationalité française par démarche volontaire sous forme de déclaration.
C'est le cas, prévu par l'article 21-12 du code civil, des enfants adoptés en la forme simple par un Français, des enfants recueillis par un Français et des enfants confiés au service de l'aide sociale à l'enfance.
Or, les paragraphes I à VI de l'article L. 224-4 du code de l'action sociale et des familles, au titre duquel est proposé l'amendement, visent tous les cas d'enfants recueillis par le service de l'aide sociale à l'enfance, qui sont donc tous susceptibles, au regard du droit actuel, de réclamer la nationalité française par déclaration souscrite devant le tribunal d'instance.
En outre, les enfants visés au paragraphe I, lorsqu'ils sont nés en France de parents inconnus, sont en tout état de cause Français de naissance, en application de l'article 19 du code civil.
Le droit d'accès à la nationalité française apparaît donc suffisamment préservé par l'ensemble de ces dispositions et il est de nature à répondre, madame Borvo, à votre louable souci.
C'est la raison pour laquelle je vous demande de retirer cet amendement.
M. Nicolas About, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About, rapporteur. Je crois que nous sommes éclairés par la position du Gouvernement.
Effectivement, le bénéfice que nous pourrions tirer de l'automaticité « n'en vaut pas la chandelle ». De surcroît, il semble préférable de laisser le délai nécessaire à la recherche éventuelle d'autres parents. En effet, vous savez que, pour les pupilles, il existe des périodes provisoires et que certains pupilles bénéficiant d'un statut quasi définitif retombent par la suite en statut provisoire, notamment parce que des parents déposent des recours. Il faut donc laisser la possibilité de cette acquisition par déclaration. En essayant d'avancer et de gagner six mois, nous risquerions de commettre de graves erreurs.
M. Emmanuel Hamel. C'est certain !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 7.
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Madame la ministre, nous soutiendrons l'amendement présenté par Mme Borvo, comme nous l'avons fait ce matin en commission où nous avons eu un débat intéressant.
Ce matin, nous avons mis en avant le fait que cette discrimination tenant au délai ne se justifiait pas.
Par ailleurs, nous nous sommes battus, en 1998, contre la remise en cause de l'automaticité de l'acquisition de la nationalité. Alors, pourquoi reculer ? Pourquoi cette discrimination ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Pour les enfants !
M. Guy Allouche. Si l'on peut faire gagner un certain délai à ces enfants, pourquoi pas ? Je considère que cette disposition marque un léger recul par rapport à ce que nous avons toujours cru. C'est la raison pour laquelle, je le répète, nous soutiendrons cet amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 7, repoussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 2



M. le président.
« Art. 2. - Dans l'article 361 du code civil, après la référence : "353-1,", est insérée la référence : "353-2,". » - (Adopté.)

Article 3



M. le président.
« Art. 3. - Il est créé, auprès du Premier ministre, un Conseil supérieur de l'adoption.
« Il est composé de parlementaires, de représentants de l'Etat, de représentants des conseils généraux, de magistrats, de représentants des organismes autorisés ou habilités pour l'adoption, de représentants des associations de familles adoptives et de pupilles de l'Etat, d'un représentant du service social d'aide aux émigrants, d'un représentant de la mission pour l'adoption internationale, ainsi que de personnalités qualifiées.
« Il se réunit à la demande de son président, du garde des sceaux, ministre de la justice, du ministre des affaires sociales, du ministre des affaires étrangères ou de la majorité de ses membres, et au moins une fois par semestre.
« Le Conseil supérieur de l'adoption émet des avis et formule toutes propositions utiles relatives à l'adoption, y compris l'adoption internationale. Il est consulté sur les mesures législatives et réglementaires prises en ce domaine.
« Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret. »
Je suis d'abord saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 4 est présenté par M. About, au nom de la commission.
L'amendement n° 8 est déposé par Mme Borvo et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Tous deux tendent, dans le deuxième alinéa de l'article 3, après les mots : « de familles adoptives », à insérer les mots : « , de personnes adoptées ».
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 4.
M. Nicolas About, rapporteur. Il s'agit d'assurer la représentation, au sein du Conseil supérieur de l'adoption, des associations de personnes adoptées, indépendamment des pupilles de l'Etat, lesquels sont déjà représentés.
M. le président. La parole est à Mme Borvo, pour défendre l'amendement n° 8.
Mme Nicole Borvo. Je n'ai rien à ajouter aux propos de M. le rapporteur.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 4 et 8 ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis favorable sur ces deux amendements.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 4 et 8, acceptés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Par amendement n° 5, M. About, au nom de la commission, propose, dans le troisième alinéa de l'article 3, de remplacer les mots : « des affaires sociales » par les mots : « chargé de la famille ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About, rapporteur. Cet amendement a pour objet d'attribuer au ministre chargé de la famille, plutôt qu'au ministre des affaires sociales, le pouvoir de convoquer le Conseil supérieur de l'adoption, dans la mesure où, dans le futur, deux personnes pourraient être chargées de ces secteurs différents. Il ne doit pas y avoir d'ambiguïté.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je suis désolée de ne pas suivre M. le rapporteur. Cet amendement a trait aux convocations et aux réunions du Conseil supérieur de l'adoption. Il est proposé de donner compétence en ce domaine au ministre chargé de la famille, et non au ministre des affaires sociales. Le rattachement traditionnel du ministère chargé de la famille au ministère des affaires sociales rend inutile une telle substitution, qui est, en outre, réductrice. C'est pourquoi, vous le comprendrez, j'émets un avis défavorable. (Sourires.)
M. Nicolas About, rapporteur. C'est un affrontement terrible ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3, modifié.

(L'article 3 est adopté.)

Article 4



M. le président.
« Art. 4. - Le deuxième alinéa de l'article 56 de la loi n° 96-604 du 5 juillet 1996 relative à l'adoption est ainsi rédigé :
« L'autorité centrale pour l'adoption est composée de représentants de l'Etat et des conseils généraux, ainsi que de représentants des organismes agréés pour l'adoption et des associations de familles adoptives, ces derniers ayant voix consultative. » - (Adopté.)

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Machet, pour explication de vote.
M. Jacques Machet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission et cher ami Pierre Fauchon, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi nous a donné l'occasion de débattre, de façon approfondie et au-delà des clivages politiques, d'un sujet très important, à savoir la législation en matière d'adoption internationale. Il s'agit, à mes yeux, d'une question essentielle, car la famille a toujours représenté pour moi une priorité.
Comme l'a souligné Mme le garde des sceaux, la France est le deuxième pays au monde en matière d'adoption internationale.
Cette proposition de loi apparaît comme une heureuse initiative. Nous avons en effet la responsabilité de fixer des règles claires et raisonnables, afin d'aider les familles qui le souhaitent à adopter des enfants nés à l'étranger. Il s'agit tout simplement de donner à ces familles et à ces enfants la sécurité juridique à laquelle ils aspirent légitimement.
Face à de nombreuses situations inacceptables sur le plan humain, ne pouvant susciter que l'indignation, il était temps de proposer un texte législatif qui réponde aux interrogations des juridictions et qui garantisse aux parents adoptifs une sécurité et une certitude sur le droit applicable en cas de conflits. Cela est d'autant plus nécessaire que l'adoption internationale est aujourd'hui un phénomène de grande ampleur, qui peut apporter à la fois de la souffrance et de la joie, de la souffrance pour les familles qui attendent et de la joie pour celles qui reçoivent.
Grâce aux travaux de notre commission, le Sénat est parvenu à un texte équilibré, qui répond aux nombreuses attentes des familles qui souhaitent adopter.
Monsieur le président, mes chers collègues, en cette période de voeux, n'est-il pas plus beau cadeau que l'approbation de ce texte qui permettra à des personnes de devenir des parents, à des foyers de devenir des familles dont l'enfant au sourire candide contribuera l'équilibre ? Le bonheur, c'est non pas d'avoir, mais de donner.
Tel est l'esprit dans lequel le groupe de l'Union centriste votera ce texte modifié par notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur le banc des commissions.)
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission. Le groupe de l'Union centriste est prêt à donner, mais pas trop tout de même : il est pauvre ! (Sourires.)
M. Nicolas About, rapporteur. Mais avec un sourire candide ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste votera cette proposition de loi car il considère qu'il s'agit d'un texte important.
Cela étant dit, nous souhaitons, je vous le dis à nouveau, madame la ministre, que tout soit mis en oeuvre pour que des facilités soient accordées aux familles adoptives. Dans quelques mois, voire dans deux ou trois ans, lorsque vous serez en mesure de donner quelques précisions sur la réalité de ce que nous allons voter, je souhaite que nous n'apprenions pas qu'il y a eu un frein à l'adoption d'enfants. J'espère de tout coeur que vous nous annoncerez que davantage d'enfants de tous pays ont pu être adoptés en France. C'est le voeu le plus cher que nous formons en cet instant, en vous remerciant de l'intérêt que vous avez porté à ce texte et de votre bienveillance.
Enfin, je tiens à remercier une nouvelle fois M. le rapporteur de la qualité de son travail. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel. Mme Brisepierre, avec son immense talent et son grand coeur, a déjà excellement exposé les raisons pour lesquelles le groupe du RPR votera ce texte. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. En matière d'adoption, toute avancée doit être saluée, et il me paraît donc indispensable de voter ce texte.
Je regrette néanmoins sincèrement que nous n'ayons pu faire un peu plus de chemin ensemble et que, en particulier, nous n'ayons pu nous mettre d'accord sur l'automaticité de l'acquisition de la nationalité française pour les pupilles de l'Etat.
Je déplore également qu'aucune réponse n'ait été apportée quant à la moralisation de l'adoption internationale et à la réforme du code de la famille, points que j'avais soulevés dans la discussion générale.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je tiens à me féliciter de la qualité du débat, à laquelle le travail de M. le rapporteur n'est pas étranger.
Un certain nombre de questions n'ont certes pas eu de réponse. Mais, comme je l'ai indiqué dans d'autres lieux, l'ensemble du droit de la famille doit être revu. Certaines questions soulevées aujourd'hui nous permettront d'ailleurs peut-être de faire, pour reprendre votre expression, madame Borvo, un bout de chemin ensemble sur la partie du texte qui ne vous donne pas, pour l'instant, satisfaction. Cette question fera l'objet d'un texte à venir, et je crois que l'évolution de la famille, de toute façon, est à venir.
M. Nicolas About, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About, rapporteur. Une heureuse tradition veut que l'on n'intervienne pas, en fin de débat, après le ministre. Je tenais toutefois, à remercier le Gouvernement, la commission et ses collaborateurs, ainsi que l'ensemble de cette assemblée pour le travail qui a été accompli. (Très bien ! et applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Je constate que cette proposition de loi a été adoptée à l'unanimité. (Applaudissements.)

7

DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention fiscale du 21 octobre 1976 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Cameroun.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 181, distribué et renvoyé à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.8

DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président. J'ai reçu de M. Philippe Marini un rapport, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant règlement définitif du budget de 1999 (n° 22, 2000-2001).
Le rapport sera imprimé sous le n° 176 et distribué.
J'ai reçu de M. Jean-Paul Delevoye un rapport, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur :
- la proposition de loi de MM. Alain Vasselle, Philippe Adnot, Louis Althapé, Jean-Paul Amoudry, Pierre André, Georges Berchet, Jean Bernard, Roger Besse, Jacques Bimbenet, Paul Blanc, Gérard Braun, Dominique Braye, Louis de Broissia, Michel Caldaguès, Robert Calméjane, Gérard César, Jean Chérioux, Gérard Cornu, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Xavier Darcos, Philippe Darniche, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Jacques-Richard Delong, Fernand Demilly, Charles Descours, Michel Doublet, Paul Dubrule, Daniel Eckenspieller, Michel Esneu, Hilaire Flandre, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Yann Gaillard, Jean-Claude Gaudin, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Francis Giraud, Daniel Goulet, Alain Gournac, Georges Gruillot, Emmanuel Hamel, Pierre Hérisson, Daniel Hoeffel, Bernard Joly, André Jourdain, Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Pierre Laffitte, Patrick Lassourd, Edmond Lauret, René-Georges Laurin, Dominique Leclerc, Jacques Legendre, Guy Lemaire, Serge Lepeltier, Jacques Machet, Max Marest, Philippe Marini, Pierre Martin, Paul Masson, Michel Mercier, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean-Luc Miraux, Aymeri de Montesquiou, Georges Mouly, Bernard Murat, Paul Natali, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Jacques Oudin, Jacques Pelletier, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Yves Rispat, Michel Rufin, Jean-Pierre Schosteck, Michel Souplet, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, René Trégouët, Maurice Ulrich, André Vallet, Jean-Pierre Vial, Serge Vinçon, Guy Vissac et Gérard Larcher relative au statut de l'élu (n° 59 rectifié, 2000-2001) ;
- la proposition de loi de MM. Jacques Legendre, Jean-Pierre Schosteck, Louis Althapé, Pierre André, Jean Bernard, Mme Paulette Brisepierre, MM. Robert Calméjane, Auguste Cazalet, Charles Ceccaldi-Raynaud, Gérard César, Gérard Cornu, Jean-Patrick Courtois, Xavier Darcos, Désiré Debavelaere, Jacques-Richard Delong, Christian Demuynck, Michel Doublet, Xavier Dugoin, Daniel Eckenspieller, Michel Esneu, Gaston Flosse, Bernard Fournier, Yann Gaillard, Patrice Gélard, Francis Giraud, Daniel Goulet, Emmanuel Hamel, Alain Hethener, Jean-Paul Hugot, Roger Karoutchi, Edmond Lauret, Dominique Leclerc, Jean-François Le Grand, Serge Lepeltier, Max Marest, Philippe Marini, Jean-Luc Miraux, Bernard Murat, Paul Natali, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Joseph Ostermann, Victor Reux et Louis Souvet tendant à assurer le maintien de la proportionnalité des indemnités de tous les élus municipaux (n° 398, 1999-2000) ;
- la proposition de loi de MM. Jean-Claude Carle, Henri de Raincourt, Nicolas About, Mme Janine Bardou, MM. Christian Bonnet, Jean Clouet, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Jean Delaneau, René Garrec, Louis Grillot, Mme Anne Heinis, MM. Jean-François Humbert, Jean-Philippe Lachenaud, Serge Mathieu, Philippe Nachbar, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, François Trucy, Philippe Adnot, Louis Althapé, Jean-Paul Amoudry, José Balarello, Jacques Baudot, Georges Berchet, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Roger Besse, Jacques Bimbenet, Jean Bizet, Paul Blanc, James Bordas, Jean Boyer, Gérard Braun, Mme Paulette Brisepierre, MM. Robert Calméjane, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel-Pierre Cléach, Gérard Cornu, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Marcel Deneux, André Diligent, Michel Doublet, Ambroise Dupont, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, Alfred Foy, Jean François-Poncet, Jean-Claude Gaudin, François Gerbaud, Charles Ginésy, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Hubert Haenel, Pierre Hérisson, Rémi Herment, Alain Hethener, Charles Jolibois, Bernard Joly, André Jourdain, Gérard Larcher, Robert Laufoaulu, Marcel Lesbros, André Maman, Louis Mercier, Jean-Luc Miraux, Georges Mouly, Paul Natali, Lucien Neuwirth, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Jacques Pelletier, Jean Pépin, Jacques Peyrat, Bernard Plasait, Ladislas Poniatowski, Charles Revet, Henri de Richemont, Bernard Seillier, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, André Vallet et Alain Vasselle tendant à revaloriser les indemnités des adjoints au maire, des conseillers municipaux, des présidents et vice-présidents d'un établissement public de coopération intercommunale (n° 454, 1999-2000) ;
- la proposition de loi de M. Serge Mathieu, tendant à la prise en compte, pour l'honorariat des maires, maires délégués et maires adjoints, des mandats accomplis dans différentes communes (n° 443, 1999-2000) ;
- la proposition de loi de M. Jean Arthuis et des membres du groupe de l'Union centriste visant à créer une indemnité de retour à l'emploi pour les élus locaux (n° 98, 2000-2001).
Le rapport sera imprimé sous le n° 177 et distribué.
J'ai reçu de M. Jacques Chaumont un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République arabe d'Egypte en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune du 19 juin 1980 (n° 99, 2000-2001).
Le rapport sera imprimé sous le n° 178 et distribué.
J'ai reçu de M. Jacques Chaumont un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention relative à l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède à la convention relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d'entreprises associées (n° 276, 1998-1999).
Le rapport sera imprimé sous le n° 179 et distribué.
J'ai reçu de M. Jacques Chaumont un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des compte économiques de la nation sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Botswana en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (n° 62 rectifié, 2000-2001).
Le rapport sera imprimé sous le n° 180 et distribué.

9

TITRE ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 11 janvier 2001 :
A dix heures :
1. Discussion en deuxième lecture de la proposition de loi (n° 140, 2000-2001), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, tendant à la création d'une Agence française de sécurité sanitaire environnementale.
Rapport (n° 169, 2000-2001) de M. Claude Huriet, fait au nom de la commission des affaires sociales.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
A quinze heures :
2. Questions d'actualité au Gouvernement.
3. Suite éventuelle de l'ordre du jour du matin.

Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

Projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant règlement définitif du budget de 1998 (n° 23, 2000-2001) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 16 janvier 2001, à dix-sept heures.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant règlement définitif du budget de 1999 (n° 22, 2000-2001) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 16 janvier 2001, à dix-sept heures.
Conclusions de la commission des lois (n° 177, 2000-2001) sur :
1° La proposition de loi de M. Alain Vasselle et de plusieurs de ses collègues relative au statut de l'élu local (n° 59 rectifié, 2000-2001) ;
2° La proposition de loi de M. Jacques Legendre et de plusieurs de ses collègues tendant à assurer le maintien de la proportionnalité des indemnités de tous les élus municipaux (n° 398, 1999-2000) ;
3° La proposition de loi de M. Jean-Claude Carle et de plusieurs de ses collègues tendant à revaloriser les indemnités des adjoints au maire, des conseillers municipaux, des présidents et vice-présidents d'un établissement public de coopération intercommunale (n° 454, 1999-2000) ;
4° La proposition de loi de M. Serge Mathieu tendant à la prise en compte pour l'honorariat des maires, maires délégués et maires adjoints des mandats accomplis dans différentes communes (n° 443, 1999-2000) ;
5° La proposition de loi de M. Jean Arthuis et des membres du groupe de l'Union centriste visant à créer une indemnité de retour à l'emploi pour les élus locaux (n° 98, 2000-2001).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 17 janvier 2001, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 16 janvier 2001, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée, à dix-huit heures cinquante.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Moyens de fonctionnement de la justice

995. - 10 janvier 2001. - M. Philippe Arnaud attire l'attention de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'inquiétude grandissante en ce début d'année de bon nombre de magistrats et d'auxiliaires de justice. En refusant de se rendre aux audiences de rentrée, certains ont clairement manifesté leur légitime mécontentement. Les récentes dispositions adoptées par le Parlement, qui constituent pour le justiciable de réelles et appréciables avancées sur le plan des libertés fondamentales, ont des répercussions majeures sur l'organisation et le travail de la justice. Or il apparaît que celles-ci ont été insuffisamment envisagées lors des débats relatifs au vote du budget de la justice que la majorité sénatoriale a décidé de rejeter pour ces raisons. En augmentant de façon significative le nombre de missions incombant au personnel judiciaire, sans les accompagner du financement nécessaire à leur bonne exécution, le Gouvernement est venu aggraver une situation déjà fort préoccupante. Chacun, en effet, depuis de nombreuses années déjà, s'accorde à souligner l'impuissance d'une justice, régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour dépassement des « délais raisonnable d'instance », qui s'épuise à remplir toutes ses tâches, accablée par leur poids et perdue dans leur complexité. En conséquence, il lui demande de bien vouloir lui indiquer les mesures que le Gouvernement entend prendre pour pallier les insuffisances de moyens afin que la justice redevienne d'une indispensable création de poste de substitut du procureur au tribunal de grande instance d'Angoulême.

Difficultés de la fonction publique hospitalière

996. - 10 janvier 2001. - M. Jean-Louis Lorrain appelle l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur les difficultés actuelles de la fonction publique hospitalière. L'augmentation significative de l'emploi précaire, signalée dans le rapport Roche, ne prend pas en compte l'importance des effectifs non médicaux. Le temps de travail du personnel de nuit a été fixé en 1994 sur la base de 35 heures hebdomadaires, soit 220 jours de présence ou 1 540 heures ouvrées. Or le décret relatif à l'aménagement du temps de travail dans la fonction publique d'Etat prévoit un décompte du temps de travail sur une base annuelle de 1 600 heures ouvrées. Il est compréhensible qu'un décret particulier soit le souhait des syndicats, incluant un cadre réglementaire national, défini sur la base existante (ordonnance de mars 1982, décret d'octobre 1982). Les personnels hospitaliers s'opposeront dont à la flexibilité comme mode de gestion des effectifs. Ils estiment que la nouvelle réduction du temps de travail ne doit pas systématiquement générer l'annualisation des salaires. Par ailleurs, les cadres hospitaliers constatent la dégradation de leurs conditions de travail : la surcharge de travail qui pèse sur eux, liée à la multiplicité et à la complexité des dossiers à gérer, entraîne régulièrement le dépassement du temps réglementaire. Elle a un impact négatif sur la vie privée et la santé des intéressés. De plus, les statuts des différentes filières professionnelles sont maintenant obsolètes. L'activité professionnelle requiert des compétences techniques de plus en plus pointues. L'absence de promotion bouche l'horizon de l'encadrement hospitalier et les grilles indiciaires connaissent un phénomène d'écrasement. L'inadéquation des rémunérations aux responsabilités assumées, les insuffisances de la formation initiale face aux enjeux actuels, nécessitent des mesures urgentes. Quelle politique compte mener à court et à moyen terme le ministère de l'emploi et de la solidarité pour remédier aux difficultés précitées.