SEANCE DU 21 NOVEMBRE 2000


HARMONISATION DU CODE
DE PROCÉDURE PÉNALE

Adoption des conclusions rectifiés modifiées
du rapport d'une commission
(ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 78, 2000-2001) de M. Charles Jolibois, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi (n° 474, 1999-2000) de M. Michel Dreyfus-Schmidt et des membres du groupe socialiste et apparentés tendant à harmoniser l'article 626 du code de procédure pénale avec les nouveaux articles 149 et suivants du même code.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. M. Charles Jolibois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi tend à harmoniser le régime de l'indemnisation des condamnés lorsqu'ils sont reconnus innocents après une procédure de révision avec le système d'indemnisation des personnes qui ont été abusivement, ou à la suite d'une erreur placées en détention provisoire.
Lors de la discussion du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, qui a considérablement modifié le code de procédure pénale français, nous avons adopté un nouveau régime d'indemnisation des personnes placées à tort en détention provisoire.
Nous avons d'abord rendu l'indemnisation obligatoire - le mot ne figurait pas dans les textes jusqu'alors - sauf dans quelques cas très précis. Le principe, c'est l'indemnisation... sauf quand on est en dehors de ce principe.
En particulier, n'est pas indemnisée la personne qui s'est librement et volontairement accusée, ou qui s'est laissée accuser en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites.
Nous avons également prévu que le préjudice pourrait être évalué au moyen d'une expertise contradictoire.
Enfin, le législateur a modifié la procédure puisque, désormais, les demandes sont formulées au premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle a été prononcée la décision de relaxe ou d'acquittement. Par ailleurs, un recours est possible - il s'agit toujours du deuxième degré de juridicion - devant la commission nationale d'indemnisation des détentions provisoires.
Le législateur n'avait cependant pas modifié les règles relatives à l'indemnisation des condamnés reconnus innocents après une proccédure de révision. A cet égard, l'actuel article 626 du code de procédure pénale prévoit que le condamné, lorsqu'il est reconnu innocent, a droit à une indemnité « à moins qu'il ne soit prouvé que la non-représentation de la pièce nouvelle ou la non-révélation de l'élément inconnu en temps utile lui est imputable en tout ou partie ». Il faut savoir qu'en raison de la règle de l'autorité de la chose jugée, la révision d'une condamnation n'est possible que lorsque l'on peut fournir ces pièces nouvelles ou cette révélation d'éléments nouveaux.
Mais la règle de l'article 626 est évidemment beaucoup plus restrictive pour le condamné que celle que nous avons prévue pour les personnes abusivement placées en détention provisoire.
Il se trouve que le maintien de la rédaction de l'article 626 a eu des conséquences fâcheuses dans une affaire récente, où un condamné qui avait passé de nombreuses années en prison s'est vu refuser une indemnité après avoir été innocenté par une procédure de révision.
Il fallait faire quelque chose, et je remercie notre excellent collègue Michel Dreyfus-Schmidt, dont nous connaissons tous la vigilance, d'avoir déposé une proposition de loi afin d'harmoniser les régimes d'indemnisation.
Si vous suivez la commission des lois, l'indemnisation d'un condamné reconnu innocent sera obligatoire sauf lorsque la personne s'est librement et volontairement accusée ou laissée accuser en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites, comme en matière de détention provisoire. L'indemnisation sera demandée au premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle réside l'intéressé, un recours étant possible devant la commission nationale d'indemnisation.
Parallélisme des conditions d'ouverture, parallélisme des procédures pour formuler la demande : il s'agit donc de compléter tout simplement la loi relative à la présomption d'innocence et aux droits des victimes que nous avons adoptée, et je suis très heureux que l'initiative en revienne à notre assemblée.
La commission des lois a souhaité saisir cette occasion pour corriger quelques erreurs ou opérer certaines coordinations omises dans la loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes, afin de faciliter l'application de cette loi. Je dois dire que le Gouvernement a également saisi cette occasion, et nos propos ont donc également été parallèles sur ce point.
Pour conclure, je dirai que la proposition de loi qui est soumise au Sénat ce soir est utile pour la justice de notre pays, qui doit toujours, quand elle le peut, réparer les erreurs qu'elle a commisses. Dans ce domaine, votre rapporteur et la commission des lois, qui l'a suivi, pensent que la France doit montrer l'exemple dans l'application d'un droit de l'homme fondamental, à savoir la réparation d'une erreur judiciaire.
La commission des lois vous demande par conséquent, mes chers collègues, de bien vouloir adopter le texte qu'elle vous soumet aujourd'hui. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue bien sûr l'initiative de M. Dreyfus-Schmidt, dont la proposition de loi tend à harmoniser les dispositions de l'article 626 du code de procédure pénal avec celles qui figurent dans la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innoncence et les droits des victimes.
Je remercie également M. Jolibois, rapporteur de la commission des lois, pour la qualité de son rapport et pour travail accompli en commission.
Cette proposition vient compléter sur un point important la loi du 15 juin 2000, dont les principales dispositions entreront en vigueur le 1er janvier prochain.
Cette réforme majeure, déposée et défendue par Mme Elisabeth Guigou, modifie très profondément les différentes phases de notre procédure, pour leur permettre d'être en complète conformité avec les principes généraux du droit dans une société démocratique, comme avec les principes posés par la Convention européenne des droits de l'homme.
Ce texte historique a fait l'objet d'un très large consensus politique, et le rôle du Parlement dans son élaboration, notamment celui du Sénat, a été déterminant.
Le projet initial du Gouvernement, qui présentait déjà une particulière ampleur, a ainsi été complété sur des points essentiels. Les principales modifications apportées par la loi du 15 juin 2000 portent en effet sur le renforcement des droits de la défense, avec notamment l'intervention d'un avocat dès la première heure de la garde à vue, sur la limitation de la détention provisoire, avec l'institution de délais butoirs, la création du juge des libertés et de la détention, et l'amélioration des mécanismes d'indemnisation des détentions, sur la création d'un appel circulaire en matière criminelle, sur la juridictionnalisation de l'application des peines.
Ces deux derniers points montrent l'importance des apports du Sénat au projet de loi. C'est en effet la Haute Assemblée qui est à l'origine de l'appel des décisions des cours d'assises et qui a élargi la réforme de l'application des peines, décidée par l'Assemblée nationale, à la libération conditionnelle des condamnés à de longues peines, en créant la juridiction régionale de la libération conditionnelle.
La réforme a enfin porté sur le principe d'une réparation obligatoire et intégrale du préjudice causé par une détention provisoire suivie d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement.
Vous savez que seules trois hypothèses limitativement énumérées par cet article justifient l'absence d'indemnisation.
Aucune indemnisation n'est due, ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, lorsque la décision a pour seul fondement la reconnaissance de l'irresponsabilité pénale de la personne pour trouble mental, une aministie postérieure à la mise en détention, ou lorsque la personne a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissée accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites.
La loi du 15 juin 2000 a par ailleurs prévu qu'à compter du 16 décembre 2000 - donc dans moins d'un mois - ces indemnisations, autrefois accordées par la commission nationale auprès de la Cour de cassation, seront accordées par les premiers présidents des cours d'appel, dont les décisions pourront faire l'objet d'un recours devant le commission nationale. Je puis vous indiquer que le décret d'application de ces dispositions est actuellement en cours de signature et devrait paraître au Journal officiel dans les prochains jours.
M. Dreyfus-Schmidt s'est aperçu, avec la vigilance qui lui est coutumière, que cette réforme n'avait pas été étendue aux hypothèses dans lesquelles une personne est innocentée après avoir fait l'objet d'une procédure de révision.
Dans un tel cas, en application des dispositions de l'article 626 du code, la personne n'a pas droit à indemnisation s'il est prouvé que la non-représentation de la pièce nouvelle - ou la non-révélation de l'élément inconnu qui a permis la révision du procès - est imputable en tout ou partie à la personne finalement reconnue innocente.
Cette règle est pourtant en elle-même choquante, car elle est contraire au principe de la présomption d'innocence, et elle est en contradiction avec les nouvelles dispositions de l'article 149, dont je rappelle qu'elles prévoient une réparation obligatoire et intégrale.
La proposition de loi déposée par M. Dreyfus-Schmidt a précisément pour objet de mettre fin à cette situation en étendant à la révision les nouvelles règles instituées en matière d'indemnisation des détentions provisoires.
Cette proposition, acceptée par la commission sur la proposition de M. le rapporteur, n'appelle aucune réserve de ma part et, encore une fois, je salue l'initiative de M. Dreyfus-Schmidt.
Faut-il, à cette occasion, revenir également sur la formulation du nouvel article 149, en parlant de « réparation intégrale du préjudice » et non « d'indemnisation du préjudice » ?
M. Dreyfus-Schmidt le propose, votre commission estime que ces modifications ne sont pas nécessaires. Ainsi que j'aurai l'occasion de le préciser lors de la discussion des articles, le Gouvernement s'en rapportera à la sagesse de la Haute Assemblée sur ce point.
M. le rapporteur a par ailleurs fort opportunément proposé de compléter la proposition de loi sur d'autres points, afin de faciliter l'application de la loi du 15 juin 2000. Qui, en effet, était mieux placé pour le faire que M. Jolibois, rapporteur de ce texte de plus de cent quarante articles !
Votre rapporteur a d'ailleurs modifié le titre de la proposition de loi pour indiquer qu'elle procéderait également à diverses coordinations dans le code de procédure pénale. Ce nouvel intitulé décrit très clairement l'objectif du texte, il en montre la légitimité, il en délimite également très précisément le domaine.
Le Gouvernement ne peut donc qu'être pleinement favorable aux ajouts proposés par votre rapporteur, car ceux-ci renforcent la cohérence de l'ensemble de la réforme et permettront qu'elle s'applique dans des conditions satisfaisantes.
Sans parler des corrections purement rédactionnelles qui figurent dans la proposition de loi, je citerai d'abord les dispositions qui permettent de maintenir les sanctions encourues par le témoin refusant de comparaître ou de déposer et qui paraissent évidemment nécessaires.
Je mentionnerai les dispositions permettant de désigner une même cour d'assises en appel dans le cas où cette cour est composée de magistrats professionnels, comme en matière de terrorisme.
J'évoquerai enfin les dispositions d'adaptation concernant l'outre-mer. Celles-ci tiennent compte du fait que, dans certains ressorts, il n'y a qu'un juge de l'application des peines, de sorte que la juridiction régionale de la libération conditionnelle ne peut en comporter deux, comme en métropole.
Elles tiennent également compte de la situation des îles Wallis-et-Futuna, dans lesquelles il n'y a qu'un seul magistrat du siège. Il devrait donc pouvoir, en tant que juge d'instruction, incarcérer provisoirement une personne mise en examen et dont le placement en détention provisoire sera alors décidé ou refusé par le juge des libertés et de la détention de Nouvelle-Calédonie.
Le Gouvernement est d'autant plus favorable à ces coordinations qu'il vous propose lui-même d'en ajouter quelques autres ; il a déposé plusieurs amendements à cette fin, comme l'a rappelé M. le rapporteur.
Ces amendements concernent essentiellement deux questions : celle du juge des libertés et de la détention et celle de la localisation des débats contradictoires devant les juridictions de l'application des peines.
Sur le premier point, il est apparu nécessaire d'insérer quelques dispositions dans le code de l'organisation judiciaire afin, dans les petites juridictions, de permettre à une ou deux chambres une certaine mutualisation des moyens.
Dans des conditions strictement encadrées par les dispositions qui vous sont proposées, le juge des libertés et de la détention d'une juridiction pourra, pendant les périodes de vacation, de fin de semaine ou en cas d'absence d'un magistrat, exercer cette fonction dans un ou deux autres tribunaux.
Le second point concerne la juridictionnalisation de l'application des peines. Il est apparu souhaitable de faciliter l'application des textes adoptés par le Parlement, qui résultent des amendements déposés par le Sénat.
Il s'agit de préciser que le décret d'application de la réforme - qui a d'ailleurs déjà été rédigé par le Gouvernement et qui devrait être très prochainement publié - peut déterminer la localisation des débats contradictoires qui se tiendront devant les juges de l'application des peines et les juridictions régionales de la libération conditionnelle.
Il est en effet nécessaire de permettre que ces débats, lorsqu'ils concernent des condamnés détenus, et uniquement dans ce cas-là, auront normalement lieu au sein de l'établissement pénitentiaire.
Cette solution, que le Parlement a voulue, se justifie pleinement pour renforcer la présence des magistrats, de la défense et du droit dans les établissements pénitentiaires. Il faut aussi prendre en compte les exigences de sécurité qui incitent à ne pas multiplier les extractions de personnes éventuellement condamnées à de lourdes peines.
Il convient en outre de songer aux très grandes difficultés matérielles qu'induiraient 30 000 ou 50 000 extractions supplémentaires pour les services de police et de gendarmerie, au moment où des efforts très importants sont consacrés à la police de proximité.
Je terminerai mon propos par quelques informations rapides sur la préparation de l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000, qui intéresse nécessairement votre assemblée.
Dès juillet dernier, un groupe de suivi de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes a été mis en place au sein du ministère. Il est composé de praticiens, de magistrats et de fonctionnaires. Ce groupe a rencontré des représentants du barreau. Il s'est également réuni avec des policiers et des gendarmes.
Il a tenu les juridictions informées de ses travaux et a ainsi recensé les principales questions posées par l'application de la loi du 15 juin 2000. Il a dégagé les solutions pratiques qui lui paraissaient les plus pertinentes, solutions qui seront, au besoin, reprises dans les décrets et circulaires.
Les décrets d'application sont en préparation. Comme je l'ai indiqué, celui sur l'application des peines pourrait être publié dans les prochains jours.
Compte tenu de leur importance, les principales dispositions de la loi du 15 juin 2000 feront l'objet de quatre circulaires très complètes concernant la garde à vue et l'enquête, l'instruction et le jugement, la procédure criminelle et l'application des peines. Un tableau comparatif exhaustif est également en préparation.
Chacun de ces documents comportera une centaine de pages avec ses annexes, comprenant notamment des modèles de formulaires.
Les circulaires devraient être prochainement adressées aux juridictions. Elles seront mises en ligne sur les sites internet et intranet du ministère de la justice.
Comme vous le voyez, tout est mis en oeuvre pour permettre que la loi du 15 juin 2000, en dépit des changements qu'elle induit dans le fonctionnement de nos juridictions, puisse être appliquée dans les meilleures conditions possible.
La présente proposition de loi participe directement de cet objectif. C'est pourquoi je vous demande, mesdames et messieurs les sénateurs, de bien vouloir l'adopter avec les amendements du Gouvernement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voudrais d'abord adresser mes remerciements ausi bien à M. le rapporteur qu'à Mme le garde des sceaux d'avoir bien voulu me remercier d'avoir présenté cette proposition de loi. Je fais tout de suite une petite réserve : lorsqu'une proposition de loi vient à l'ordre du jour sur décision de la conférence des présidents, le Sénat est saisi non pas de la proposition de loi, mais des conclusions du rapport fait au nom de la commission des lois. Le rapporteur étant passé assez vite sur ce point, on a pu croire que c'était le texte même de ma proposition qui avait été retenu. Je vais donc être obligé d'expliquer au Sénat que ce n'est pas tout à fait le cas, même si ça l'est sans doute pour l'essentiel.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Ah !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Depuis de longues années, vous le savez bien, je me bats ici pour obtenir une réparation obligatoire, pour remplacer, dans l'article 149 du code de procédure pénale, le mot « peut » par le mot « doit », pour obtenir - en 1996 - que soit supprimée, toujours dans l'article 149 dudit code, la phrase selon laquelle, était-il dit, une indemnité peut être allouée aux personnes ayant fait l'objet à tort d'une détention préventive dans le cas où leur préjudice est anormal et d'une particulière gravité.
Nous nous sommes battus à l'occasion de l'examen des différents textes et nous avons à peu près obtenu satisfaction, sauf sur un point, à savoir notre demande insistante de parler non pas d'« indemnisation », mais de « réparation », et même de « réparation intégrale ». J'aurai l'occasion d'y revenir tout à l'heure.
Toujours est-il qu'en 1998 - M. Fauchon, aujourd'hui président de la commission,... M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Non ! Non ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... en tout cas assis à la place du président qu'il représente ès qualité de vice-président... nous avait fait une proposition de modification de l'article 626 dans le projet de loi tendant à renforcer l'efficacité de la procédure pénale. Mais n'était en cause qu'un alinéa, le troisième, celui qui indique désormais que l'indemnisation peut également être allouée par la décision d'où résulte son innocence.
Devant la Cour d'assises, l'indemnisation est allouée par la cour statuant comme en matière civile, sans l'assistance des jurés. Mais il n'était pas fait allusion du tout dans ce débat au premier alinéa de cet article 626 du code de procédure pénale, qui traite de l'indemnité à verser, sur décision d'une commission nationale siégeant à la Cour de cassation, à celui qui a été condamné à tort.
Dans le même débat, nous avions demandé que, dans l'article 149 du même code, il soit précisé que la réparation devait être intégrale. A l'époque, le rapporteur n'a pas voulu que l'on traite des deux sujets. On a donc renvoyé le second sujet, celui concernant l'article 14, au débat sur la loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes ; mais, à l'occasion de la discussion de ce texte, lorsqu'on a abordé l'article 149, on a complètement oublié de parler - n'est-il pas vrai ? - de l'article 626.
Cet été, quand on a lu dans la presse que M. Rida Daalouche, qui avait fait - excusez du peu ! - cinq ans et trois mois de prison, et qui a fini par être acquitté par la cour d'assises de renvoi après que la Cour de cassation eut constaté qu'il était hospitalisé le jour des faits, s'était vu refuser toute indemnisation, on s'est alors rendu compte qu'aux termes de l'article 626 le condamné blanchi n'a droit à rien dès lors qu'il serait prouvé que la non-représentation de la pièce nouvelle ou la non-révélation de l'élément inconnu en temps utiles lui était imputable en tout ou en partie.
M. Daalouche, qui était un drogué et qui n'avait pas sans doute toujours les idées très nettes, avait en somme eu le tort de ne pas prouver son innocence, alors qu'il revient à l'accusation de prouver la culpabilité d'un criminel ou d'un délinquant !
Il avait dit, dans un premier temps, qu'il avait accompagné une amie à Perpignan, puis, dans un second temps, qu'il avait été hospitalisé, sans toutefois préciser la date, ce qui, d'après la Cour de cassation, a empêché le juge d'instruction de vérifier s'il avait bien été hospitalisé et quand.
C'est donc parce que ce garçon n'a pas prouvé son innocence, alors qu'il était innocent, qu'il s'est vu refuser toute indemnisation, et ce par une décision de la commission nationale qui s'appelle, depuis la loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes, commission nationale d'indemnisation - et non pas de « réparation », ce qui serait tout de même mieux. La décision de cette commission est du 17 août. Notre proposition a été enregistrée le 12 septembre. C'est dire que nous n'avons pas perdu de temps. Et elle vient aujourd'hui en discussion, d'autant plus rapidement qu'elle était utile comme support d'autres modifications - n'est-il pas vrai ?
Quel est l'essentiel de cette proposition ?
Dans le nouvel article 149, il est dit que lorsqu'une procédure est terminée à l'égard de quelqu'un qui a fait de la détention provisoire, par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, la personne a droit dans tous les cas à réparation, sauf si elle a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites.
Et il nous a paru tout à fait normal de demander que les deux cas soient traités de la même manière : celui qui a fait de la prison à tort, provisoire, sans être ensuite condamné et celui qui a fait de la détention avant d'être condamné ; leurs droits doivent être les mêmes.
Nous avons donc proposé de reprendre la phrase figurant dans l'article 149 pour l'insérer dans l'article 626. Commission des lois et Gouvernement en sont d'accord.
Mais nous avons aussi proposé, une fois de plus, qu'il soit précisé dans les deux cas, et donc dans les deux articles, que la réparation doit être intégrale.
Certains disent que cela va de soi, d'autant plus que, dans l'article 149, il est dit dorénavant que l'indemnité « est » accordée - et non plus « peut être accordée » - afin de réparer le préjudice moral et matériel.
Du moment qu'il s'agit de réparer le préjudice, cela signifierait qu'il doit être réparé intégralement. Et certains de nous dire : la preuve, c'est que, dans l'article 1382 du code civil, qui n'a pas été modifié depuis l'origine, il est dit que « tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Or la jurisprudence a toujours compris que la réparation doit être intégrale.
Cependant, l'article 706-3 du même code de procédure pénale, précise en toutes lettres, à propos des indemnisations versées aux victimes d'infractions que, dans certains cas, la réparation doit être intégrale. D'ailleurs, ce mot « intégrale » est répété trois fois dans la circulaire qui commente cet article 706-3.
Il nous paraît donc dangereux que, dans le même code, on parle tantôt de « réparation intégrale », tantôt de « réparation » sans autre précision. C'est la raison pour laquelle nous demandons que, aussi bien dans l'article 149 que dans l'article 626, il soit précisé que la réparation doit être intégrale.
Pourquoi est-il très important de le préciser ?
C'est que la commission nationale dite - pour peu de temps, je l'espère ! - « d'indemnisation » a de mauvaises habitudes : elle alloue des indemnités le plus souvent forfaitaires et souvent très faibles.
Certes, on m'objectera, comme je l'ai lu dans le rapport, que, depuis 1996, le montant total des indemnités a beaucoup augmenté. Bien sûr, puisqu'elles sont maintenant accordées non plus seulement pour compenser un préjudice anormal d'une particulière gravité, mais dans tous les cas !
Comment mieux faire savoir, d'abord aux présidents de cours d'appel, qui vont statuer en premier ressort en matière de détention provisoire, puis aux magistrats de la Cour de cassation membres de la commission nationale d'indemnisation, ce que veut le législateur, à savoir une réparation intégrale du préjudice, qu'en l'inscrivant dans la loi elle-même ?
J'aurais d'autant plus aimé que la commission retienne cette formule qui était dans ma proposition qu'on retrouve dans les amendements que j'ai déposés et qu'elle a examinés ce matin, que cela aurait évidemment permis de gagner du temps puisque je n'aurais pas besoin maintenant de les défendre un à un. La plupart d'entre eux, de coordination, ne donneraient pas lieu à débat.
Par ailleurs, dans la rédaction proposée par la commission pour l'article 626 du code de procédure pénale, pas plus que dans le texte actuel, ne figure même pas le mot « réparation ».
Certes, monsieur le rapporteur, vous avez retenu mon amendement qui tend à ajouter : « pour réparer le préjudice matériel », ce qui introduite tout de même la notion de réparation. Il reste que, par trois fois, on retrouve les mots « indemnité » ou « indemnisation ».
Je demande donc, par de nombreux amendements, que, chaque fois qu'il est question d'indemnisation dans le texte, on y substitue les mots : « réparation intégrale », ou « réparation » s'il a été fait mention de la réparation intégrale à l'alinéa précédent.
Pour le reste, la commission propose quelques modifications de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. En effet, Gouvernement et commission se sont rendu compte - et c'est bien normal, s'agissant d'un texte qui compte 140 articles ! - de l'existence d'un certain nombre d'oublis.
Ne faut-il pas cent fois sur le métier remettre son ouvrage, le polir et le repolir ? C'est précisément dans cet esprit, avec ce souci, que je demande qu'il soit systématiquement recouru à la notion de réparation intégrale.
Dans un autre amendement, je soulève en outre la question de savoir si, lorsque les faits sont prescrits, il doit y avoir une réparation pour celui qui a été mis en prison, soit qu'il l'ait été alors qu'il y avait déjà prescription, soit que le dossier ait tellement « dormi » que la prescription a fini par être acquise. Les deux cas sont possibles et ne sont malheureusement, ni l'un ni l'autre, des hypothèses d'école.
Je rends cet hommage à notre excellent rapporteur, M. Jolibois : c'est lui qui a fait en sorte qu'il y ait réparation lorsqu'il y a prescription. Monsieur le rapporteur, vous avez estimé, à très juste titre, que la prescription justifiait a fortiori la réparation. Pour autant, il n'est pas dit expressément dans le texte qu'il doit y avoir réparation lorsqu'il y a prescription. J'ai donc déposé un amendement pour que cela soit précisé, sachant que ce problème suscite beaucoup de discussions au sein de la commission nationale d'indemnisation.
Il est également proposé qu'en matière d'appel criminel on sache, lorsqu'on est en cour d'assises spéciale, devant quelle autre cour d'assises l'affaire sera renvoyée. Doit-il s'agir, comme cela est demandé, de la cour d'assises spéciale autrement composée ? Je dois dire que, pour ma part, j'ai toujours dénoncé cette cour d'assises spéciale, et cela dès sa création. Mais, du moment qu'elle existe, j'aurais préféré que ce soit une autre qui soit constituée, par exemple à Versailles, puisque la première siège à Paris.
Enfin, le Gouvernement propose de prévoir un décret précisant où et comment juge d'application des peines et chambre d'appel doivent siéger en matière d'application des peines. Je peux comprendre que l'on veuille éviter de déplacer des détenus, qui ont été condamnés, dont certains peuvent être dangereux, dont certains peuvent déposer très souvent des demandes occasionnant des transports importants. Mais je pense tout de même qu'il serait bon de donner aux magistrats de la chambre des appels correctionnels la possibilité, s'ils le désirent, d'ordonner que l'intéressé, s'il le demande, lui soit amené, à moins que la chambre des appels correctionnels ne préfère se déplacer pour aller le voir. Décider qu'en aucun cas les membres de la chambre des appels correctionnels ne pourront eux-mêmes - et tous - voir celui qui demande une modification de l'application de sa peine me paraît excessif.
Voilà ce que je vous demande d'inscrire dans le décret, madame la ministre, après que le Parlement vous aura autorisée, ce dont je ne doute pas, à le prendre.
Telles sont les explications que je voulais donner au Sénat. Je le prie de m'excuser d'avoir été un peu long, mais je dis au Sénat, et il le sait d'ailleurs bien, que je ne cesserai le combat que lorsqu'il sera précisé dans la loi que, dans le cadre de l'article 149 comme dans celui de l'article 626, la réparation, pour ceux qui ont fait de la prison à tort, doit être intégrale.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Section 1


Dispositions relatives à l'indemnisation des condamnés reconnus innocents et à l'indemnisation des personnes placées en détention provisoire et bénéficiant d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement

Article additionnel avant l'article 1er